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N° 2685

 

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 12 février 2020

 

RAPPORT D’INFORMATION

posé

en application de l’article 145 du Règlement

 

PAR LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE,

 

En conclusion des travaux d’une mission d’information ([1]) 

 

relative à l’immunité parlementaire

et présenté par

MM. Sébastien HUYGHE et Alain TOURRET,

Députés

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La mission d’information relative à l’immunité parlementaire est composée de MM. Sébastien Huyghe et Alain Tourret, rapporteurs.


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SOMMAIRE

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Pages

SynthÈse du rapport

I. RENFORCER LA LIBERTÉ D’EXPRESSION DES PARLEMENTAIRES

A. L’IRRESPONSABILITÉ, UNE PROTECTION SUBSTANTIELLE DE LA LIBERTÉ D’EXPRESSION INHÉRENTE AU MANDAT PARLEMENTAIRE

1. Une protection destinée à garantir l’indépendance du pouvoir délibérant

a. Une protection indispensable à la délibération parlementaire

b. Une garantie nécessaire à la séparation des pouvoirs

2. Une protection généralement absolue au sein des démocraties représentatives modernes

a. Une protection absolue des opinions et votes émis dans l’exercice des fonctions parlementaires

b. Une protection commune aux démocraties représentatives modernes

B. MODERNISER UNE PROTECTION INADAPTÉE AUX NOUVELLES CONDITIONS D’EXERCICE DU MANDAT PARLEMENTAIRE

1. Un champ d’application trop restreint

a. Une conception restrictive des opinions émises dans l’exercice des fonctions parlementaires

b. Une application en retrait par rapport à la protection européenne de la liberté d’expression

2. Une nécessaire adaptation aux conditions modernes d’exercice du mandat parlementaire

a. Protéger la liberté d’expression des parlementaires hors les murs des assemblées

b. Renforcer, en contrepartie, le pouvoir disciplinaire des assemblées

c. Créer une exception d’irresponsabilité devant les tribunaux judiciaires

II. PRÉSERVER LA LIBERTÉ D’ACTION DES PARLEMENTAIRES

A. L’INVIOLABILITÉ, UNE PROTECTION FORMELLE DE LA LIBERTÉ D’ACTION DU PARLEMENTAIRE DANS SON MANDAT

1. Une protection destinée à garantir la capacité de siéger du pouvoir délibérant

a. Une protection destinée à contrôler les entraves à l’exercice du mandat parlementaire

b. Une garantie importante pour l’opposition politique

2. Une protection relative des entraves au mandat parlementaire

a. Deux modèles d’inviolabilité

b. Une protection de portée relative et au contenu variable

B. PRÉSERVER L’ÉQUILIBRE TROUVÉ EN 1995 DANS LA DÉFINITION DU RÉGIME DE L’INVIOLABILITÉ

1. L’équilibre issu de la loi constitutionnelle de 1995 doit être préservé…

a. Une limitation justifiée des mesures soumises à autorisation du Bureau de l’assemblée

b. Le maintien d’une possibilité de suspension des poursuites et mesures privatives ou restrictives de liberté

2. … sous réserve de plusieurs aménagements

a. Mieux protéger les sources des parlementaires

b. Encadrer les perquisitions dans les locaux liés aux fonctions parlementaires

c. Renforcer les garanties applicables à la procédure de levée de l’inviolabilité

LISTE DES PROPOSITIONS

TRAVAUX DE LA COMMISSION

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

ANNEXE 1 : DEMANDES RELATIVES À L’IMMUNITÉ PARLEMENTAIRE PRÉSENTÉES À L’ASSEMBLÉE NATIONALE

ANNEXE N° 2 : CONTRIBUTIONS ÉCRITES

Contribution du Conseil national des barreaux

Contribution du barreau de Paris

Contribution du Syndicat des avocats de France

Contribution de Me François Saint-Pierre, avocat aux barreaux de Lyon et Paris

Contribution de Me Jean Veil, avocat au barreau de Paris

Contribution de Mme Chantal Arens, première présidente de la Cour de cassation

Contribution de l’Union syndicale des magistrats

Contribution de M. François Molins, procureur général près la Cour de cassation

Contribution du Syndicat de la magistrature

Contribution de M. Jean-Paul Costa, ancien président de la Cour européenne des droits de l’homme, président de la Fondation René Cassin

Contribution de la direction des affaires civiles et du Sceau et de la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la Justice

Article 94

Article 95

Contribution de M. Bernard Accoyer, ancien président de l’Assemblée nationale, ancien député de Haute-Savoie

Contribution de MM. Gilbert Collard, député européen, ancien député du Gard, Jean-Marc Descoubès, avocat au barreau de Paris, et Jean-Richard Sulzer, conseiller régional des Hauts-de-France

Contribution de M. Denis Baranger, professeur de droit public  à l’Université Paris II Panthéon-Assas

Contribution de M. Olivier Beaud, professeur de droit public  à l’Université Paris II Panthéon-Assas

Contribution de Mme Cécile Guérin-Bargues, professeure de droit public  à l’Université Paris II Panthéon-Assas

Contribution de Mme Anne Levade, professeure de droit public à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, présidente de  l’Association française de droit constitutionnel

Contribution de M. Bertrand Mathieu, professeur agrégé des  facultés de droit, conseiller d’État en service extraordinaire

Contribution de M. Serge Sur, professeur émérite de droit public de l’Université Paris II Panthéon-Assas


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   SynthÈse du rapport

Ni privilège personnel, ni impunité générale, l’immunité parlementaire, aujourd’hui prévue à l’article 26 de la Constitution, est une protection fonctionnelle accordée aux députés et sénateurs pour le bon exercice de leur mandat. Loin d’être totale et inconditionnelle, cette protection, qui existe dans la plupart des démocraties représentatives modernes, prend la forme de deux mécanismes – l’irresponsabilité et l’inviolabilité – qui conservent de solides justifications :

–  l’irresponsabilité, qui interdit de poursuivre ou condamner un parlementaire pour les votes et opinions émis dans l’exercice de ses fonctions, protège la liberté d’expression du député ou du sénateur ;

–  l’inviolabilité, qui soumet à l’autorisation préalable de l’assemblée le prononcé de certaines mesures de contrainte contre un parlementaire pour des faits étrangers à son mandat, garantit au député ou au sénateur sa liberté de mouvement pour exercer ses fonctions face aux risques d’instrumentalisation de l’autorité judiciaire à des fins d’entrave politique.

La mission d’information préconise de conserver ces deux protections mais d’en moderniser les règles, en formulant dix propositions.

  • Le régime protecteur de la liberté d’expression des parlementaires, en pratique cantonnée à l’enceinte des assemblées, devrait être adapté aux conditions dans lesquelles la parole politique s’exprime aujourd’hui.

L’article 26 de la Constitution ou, à défaut, la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse pourraient être modifiés afin d’empêcher toute action contre les propos tenus par un parlementaire, en lien avec l’exercice de ses fonctions, dans le cadre de débats d’intérêt général organisés en dehors des assemblées, à l’exclusion des injures publiques (proposition  1). Cette protection s’appliquerait sous réserve du pouvoir disciplinaire de l’assemblée à laquelle le parlementaire appartient, dont le champ devrait être étendu aux propos provocateurs, menaçants ou outrageants des députés et sénateurs en dehors des assemblées (proposition n° 2).

Il serait par ailleurs utile d’inscrire dans la loi sur la liberté de la presse la protection des discours devant le Parlement réuni en Congrès, au même titre que ceux tenus au sein de l’Assemblée nationale ou du Sénat (proposition n° 3).

Il est enfin proposé de consacrer une exception d’irresponsabilité afin que la juridiction d’instruction ou de jugement statue sur l’application de cette protection aux propos litigieux, avant toute mise en examen ou jugement au fond du parlementaire (proposition n° 4).

 

  • Le régime actuel de contrôle des mesures susceptibles d’entraver l’exercice du mandat parlementaire ne devrait être ni supprimé, ni étendu (propositions nos 5 et 6). En revanche, plusieurs aménagements pourraient être apportés à l’état du droit.

En premier lieu, le « secret des sources » des parlementaires devrait être renforcé afin qu’ils ne puissent pas être poursuivis, du chef d’entrave à la saisine ou à l’exercice de la justice, pour avoir refusé de livrer à la justice des informations détenues en raison et pour le besoin des fonctions qu’ils tiennent de la Constitution, notamment dans le cadre de leurs activités de contrôle (proposition n° 7).

En deuxième lieu, les perquisitions dans les locaux liés aux fonctions parlementaires (bureau, permanence, domicile d’un député ou sénateur) mériteraient d’être mieux encadrées sur le modèle du régime applicable aux avocats : réalisation par un magistrat, présence d’un membre du Bureau de l’assemblée concernée, possibilité de s’opposer à la saisie d’un document le temps qu’un juge des libertés et de la détention statue sur la régularité de celle‑ci… (proposition n° 8).

En troisième lieu, les garanties applicables à la procédure d’autorisation des mesures privatives ou restrictives de libertés contre un parlementaire pourraient être renforcées afin de mieux concilier l’exigence de bonne administration de la justice, le besoin qu’expriment nos concitoyens de mieux comprendre les décisions prises par les assemblées dans ce domaine et la nécessaire protection des droits du parlementaire concerné (proposition  9) :

–  instauration d’un délai maximal d’examen par l’assemblée d’une demande de mainlevée de l’inviolabilité transmise par l’autorité judiciaire ;

–  consécration du caractère secret des délibérations et du vote du Bureau lorsqu’il statue sur une telle demande et des critères de motivation de ses décisions ;

–  affirmation du droit du parlementaire d’être avisé sans délai d’une demande le concernant et de la décision prise par le Bureau, de consulter le dossier de la demande, d’être entendu et de désigner un représentant pour assister aux travaux du Bureau lorsqu’il n’est rattaché à aucun groupe politique.

En dernier lieu, il conviendrait de permettre au parlementaire pour lequel le Bureau a autorisé le prononcé de mesures privatives ou restrictives de liberté de demander à l’assemblée de statuer en dernier ressort, afin de tenir compte de la situation des parlementaires d’opposition dont la sensibilité politique n’est pas représentée au Bureau (proposition n° 10).


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   AVANT-PROPOS

 

 

 

Mesdames, Messieurs,

Voilà deux-cent trente ans, le 23 juin 1789, Mirabeau bénissait « la liberté de ce qu’elle mûrit de si beaux fruits dans l’Assemblée nationale » et exhortait les États Généraux à affirmer la volonté du peuple contre l’autorité royale « en déclarant inviolable la personne des députés ». Dans son sillage, l’Assemblée nationale votait l’inviolabilité de ses membres dans ces termes : « tous particuliers, (…) corporation, tribunal, cour ou commission, qui oseraient (…) poursuivre, rechercher, arrêter ou faire arrêter, détenir ou faire détenir un député pour raison d’aucune proposition, avis, opinion ou discours par lui fait aux États Généraux (…) sont infâmes et traîtres envers la nation, et coupables de crime capital » ([2]).

Ainsi naissait en France, en même temps que la souveraineté nationale, l’immunité parlementaire, conférant aux élus du peuple un régime juridique protecteur contre les menaces des autres pouvoirs.

Ce nom d’immunité, que d’aucuns ont tôt fait d’assimiler à l’impunité, est aujourd’hui la source de malentendus persistants. C’est la raison pour laquelle il a été jugé opportun, le 3 juillet 2019, d’engager une réflexion sur la pertinence de ce régime ainsi que sur l’opportunité d’en modifier le champ et les modalités d’application.

Emprunté du latin ([3]), le vocable a deux significations qui résument les principales caractéristiques de ce régime. Exemption fixée, par la loi ou l’usage, d’une charge, d’un impôt ou d’une disposition légale, l’immunité désigne aussi, en biologie et médecine, l’état de résistance d’un organisme contre la pénétration ou la présence d’agents extérieurs. Dérogation aux règles pénales de droit commun, justifiée par la différence objective de situation dans laquelle se trouvent députés ou sénateurs afin de les protéger d’immixtions excessives ou arbitraires dans l’exercice de leur mandat, elle peut être considérée, par ses critiques, comme la rémanence d’un privilège indu et d’un autre temps.

Il n’en est pourtant rien. Protection de la fonction et non privilège de la personne, l’immunité, étroitement liée au fonctionnement des institutions démocratiques, a des fondements solides.

Prévue en France par l’article 26 de la Constitution de 1958, l’immunité puise ses racines dans l’histoire de notre pays. Née en même temps que le régime représentatif moderne, elle était d’abord destinée à assurer l’indépendance des représentants vis-à-vis du pouvoir exécutif, dont ils voulaient s’émanciper, mais aussi à les délier des électeurs, dont les instructions étaient incompatibles avec la prohibition nouvelle du mandat impératif.

Elle est apparue dans notre pays à la suite de sa consécration au Royaume‑Uni puis aux États-Unis. Au Royaume-Uni, dont l’expérience parlementaire influença les révolutionnaires français, cette protection, mentionnée par l’article 9 du Bill of Rights de 1689 ([4]) et liée aux fonctions juridictionnelles qu’occupaient le Parlement aux XIVe et XVe siècles, était le corollaire de l’immunité dont bénéficiait le souverain : elle y a accompagné le renforcement progressif des pouvoirs d’initiative et de contrôle des assemblées. Issue des garanties accordées aux membres des assemblées coloniales américaines pour s’autonomiser des gouverneurs, l’immunité fut instituée aux États-Unis au bénéfice des membres du Congrès dès les Articles of Confederation de 1777 puis à l’article Ier, section 6, de la Constitution de 1787 ([5]).

« Mesure d’ordre public pour mettre le pouvoir législatif audessus des atteintes du pouvoir exécutif » ([6]), l’immunité protège les assemblées parlementaires non dans l’intérêt personnel de leurs membres mais dans celui du mandat représentatif et du rôle dévolu au Parlement dans une démocratie. Elle permet, selon les mots de Guy Carcassonne, « de protéger le mandat parlementaire, de sorte qu’il s’exerce de manière libre, sans que ni l’exécutif ni le judiciaire ne puissent restreindre son indépendance, condition de la souveraineté » ([7]). Comme le rappelle aujourd’hui, au niveau européen, la Commission de Venise, l’immunité existe « dans l’idée que les élus du peuple doivent bénéficier de certaines garanties pour remplir effectivement leur mandat démocratique sans crainte de harcèlement ou d’accusations indues de l’exécutif, des tribunaux ou de leurs adversaires politiques » ([8]).

Étroitement liée au fonctionnement du régime démocratique dont le corollaire est la séparation des pouvoirs, l’immunité parlementaire a son équivalent pour le pouvoir exécutif, dont les représentants, qu’il s’agisse du Président de la République ([9]) ou des membres du Gouvernement ([10]), ne peuvent voir leur responsabilité engagée à raison des actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions que sous certaines conditions.

Loin d’être générale, la protection accordée aux parlementaires varie selon la nature de leurs actes. Elle recouvre, en France, deux régimes distincts, dont le périmètre a évolué au fil du temps pour tenir compte des critiques qui étaient formulées à son encontre :

–  d’une part, l’irresponsabilité, immunité de fond absolue, qui empêche définitivement toute poursuite à l’encontre d’un parlementaire pour les seuls votes et opinions émis dans l’exercice de ses fonctions, par la suppression de l’élément légal de l’infraction empêchant ainsi toute action juridictionnelle ;

–  d’autre part, l’inviolabilité, immunité d’exécution relative, qui protège provisoirement le parlementaire de certaines mesures de contrainte prononcées par un juge dans le cadre de poursuites pour des faits étrangers à son mandat.

Les membres du Parlement européen sont aussi soumis à un régime protecteur proche de celui prévu pour les députés et sénateurs. Ils ne peuvent être « recherchés, détenus ou poursuivis en raison des opinions ou votes émis par eux dans l’exercice de leurs fonctions » ([11]). Ils bénéficient, pendant la durée des sessions, de l’inviolabilité de leur pays lorsqu’ils sont poursuivis par une juridiction de celui-ci et d’un régime d’inviolabilité européenne indépendant des règles nationales lorsqu’ils sont poursuivis par une juridiction étrangère à leur pays d’origine ([12]).

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Protection historique du mandat représentatif vis-à-vis des autres pouvoirs, l’immunité parlementaire est-elle encore pertinente aujourd’hui, alors que l’indépendance des assemblées ne semble plus sérieusement menacée et que le respect de l’État de droit implique une égale soumission de tous aux lois de la République ? Cette question se pose avec d’autant plus d’acuité que le principe même de la représentation paraît de plus en plus contesté et que la défiance à l’égard des élus et du personnel politique dans son ensemble grandit.

Pour vos rapporteurs, l’un de la majorité (Alain Tourret, La République en marche), l’autre de l’opposition (Sébastien Huyghe, Les Républicains), l’immunité demeure légitime.

Comme l’a fait observer la constitutionnaliste Anne Levade, le raisonnement justifiant sa suppression au motif que les parlementaires n’auraient plus à craindre ni l’exécutif, ni les juges, « présume la stabilité de situations institutionnelles que l’on peut légitimement espérer pérennes mais dont nul ne peut assurer qu’elles ne seront pas remises en cause un jour » ([13]). Consubstantielle à la démocratie représentative et à la liberté politique, l’immunité est « une protection, non pas seulement des fonctions parlementaires (…) mais plus largement encore du fait qu’un représentant de la nation est un gouvernant, quelqu’un qui exerce par délégation la liberté du peuple de se gouverner luimême », ainsi que le souligne le professeur de droit public Denis Baranger ([14]).

Car derrière la multiplicité des justifications qui en fondent le maintien, ce régime protecteur repose sur la nécessité, dans un régime démocratique, de protéger la liberté de faire de la politique au nom de la collectivité et celle des représentants de déterminer, par délégation du peuple, les conditions de l’autonomie collective en fixant la loi commune.

Les exigences qu’expriment nos concitoyens en matière de respect du principe d’égalité devant la loi, de moralisation de la vie publique et de transparence sont légitimes et doivent être prises en compte : l’immunité ne doit donc conduire à aucune impunité. Mais d’autres exigences, tout aussi fondamentales, justifient un traitement particulier des parlementaires, notamment la séparation des pouvoirs, qui préserve de l’oppression et sans laquelle il n’y a pas de garantie des droits, conformément à l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen, ainsi que la liberté – d’expression et d’action – inhérente au mandat parlementaire, dont la vocation est de permettre aux élus nationaux d’exercer la souveraineté nationale au nom du peuple à qui elle appartient, sans être intimidés ni entravés.

Les parlementaires qui se rendent coupables d’infractions, a fortiori lorsque ces infractions sapent la confiance que les électeurs leur ont accordée au moment de les élire, doivent être sanctionnés : aucune règle ne doit permettre leur impunité. Pour autant, l’autorité judiciaire devrait pouvoir travailler sereinement, sans être instrumentalisée à des fins malveillantes, en particulier au cours de périodes pré‑électorales ou électorales durant lesquelles une « affaire » peut venir opportunément perturber le débat politique, voire empêcher des candidats de se présenter ou de mener campagne sereinement. Cette situation est d’autant plus problématique que la violation récurrente du secret de l’enquête et de l’instruction, en permettant la publication dans la presse d’extraits de procès-verbaux d’auditions, conduit parfois à la pré‑condamnation, dans l’opinion publique, de personnalités politiques, au mépris de la présomption d’innocence.

Les parlementaires doivent aussi répondre de leurs engagements devant les électeurs, seuls juges des idées politiques qu’ils défendent. Cette seconde responsabilité, de nature politique, à laquelle députés et sénateurs sont périodiquement soumis au moment de se présenter devant le suffrage universel, est primordiale et ne saurait s’effacer derrière la responsabilité pénale. Elle devrait même prévaloir lorsque sont en cause des votes ou des propos se rattachant à l’exercice de leur mandat, sous réserve des sanctions disciplinaires susceptibles de s’appliquer en cas de comportement inapproprié. Pourtant, nombreuses sont les contestations, devant l’autorité judiciaire, des interventions des élus dans les médias ou sur les réseaux sociaux. Ces contestations se doublent d’une recrudescence des menaces et actes d’intimidation contre la personne des parlementaires, leur famille et les locaux qu’ils occupent pour leurs opinions ou leur soutien à une réforme.

Pour concilier ces exigences et apprécier la responsabilité à laquelle s’expose un parlementaire à raison de ses agissements et propos, il importe de déterminer la nature exacte et le périmètre précis du mandat représentatif, dont les contours ne se limitent pas aux seules fonctions de vote de la loi, de contrôle de l’action du Gouvernement et d’évaluation des politiques publiques. S’y ajoutent, aux yeux de vos rapporteurs, une mission de représentation, une fonction tribunitienne et un rôle particulier dans l’animation du débat public.

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La complexité et la sensibilité de ces questions ont amené vos rapporteurs à procéder à de nombreuses auditions pour recueillir l’avis de professeurs de droit constitutionnel, de magistrats, d’avocats ou de parlementaires ayant eu à connaître de cette question à un titre ou à un autre. Vos rapporteurs remercient ces personnes pour la qualité de leur contribution aux travaux de la mission d’information et pour la richesse de leurs analyses.

Ces auditions ont d’abord souligné la nécessité d’expliquer le sens et le bienfondé des protections dont bénéficient les parlementaires pour l’exercice de leur mandat. À cet égard, cette mission d’information est, pour vos rapporteurs, l’occasion d’alimenter la réflexion sur un sujet méconnu de nos concitoyens, peu étudié par l’université ([15]) et sur lequel une prise de position assumée du Parlement est attendue et, selon eux, nécessaire.

Les travaux de la mission d’information ont révélé, au-delà de ce besoin de pédagogie, la nécessité de préserver certaines règles protectrices du mandat parlementaire pour garantir le bon fonctionnement de notre démocratie. Le débat a moins porté sur le principe même de ces règles que sur leur nature et leur portée, différentes selon qu’est envisagée la liberté d’expression des parlementaires ou leur liberté d’action.

Partagée par toutes les démocraties représentatives, l’irresponsabilité, qui consacre une liberté spéciale d’expression et de décision au bénéfice des parlementaires dans l’exercice de leurs fonctions, s’avère une protection indispensable au mandat représentatif. En témoigne la remarquable stabilité dans le temps des règles la régissant, qui mériteraient toutefois d’être modernisées pour tenir compte du rôle joué par les parlementaires dans l’animation des débats d’intérêt général, en particulier à l’âge du numérique.

Il en va différemment de l’inviolabilité, dont l’objet, empêcher des entraves injustifiées à l’exercice du mandat parlementaire à l’occasion de poursuites pour des faits étrangers à celui-ci, est davantage débattu. Reconnue de manière variable à l’étranger, elle est aujourd’hui limitée à un contrôle des atteintes les plus graves à la liberté d’aller et de venir des parlementaires. Sans revenir sur cette limitation bienvenue de son champ d’application, il est possible d’améliorer la procédure permettant la levée de cette inviolabilité et de renforcer les garanties dont les parlementaires devraient bénéficier s’agissant du secret des informations qu’ils détiennent dans l’exercice de leurs fonctions et des perquisitions dont ils peuvent être l’objet.

 


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I.   RENFORCER LA LIBERTÉ D’EXPRESSION DES PARLEMENTAIRES

Reconnue depuis 1789 comme l’« un des droits les plus précieux de l’Homme » ([16]), la libre communication des pensées et des opinions est particulièrement précieuse pour les parlementaires s’ils veulent pouvoir exercer le mandat qui leur a été confié par les électeurs. Elle justifie une immunité spécifique, l’irresponsabilité, historiquement indissociable de ce mandat mais que les modalités nouvelles d’exercice de celui-ci invitent à moderniser.

A.   L’IRRESPONSABILITÉ, UNE PROTECTION SUBSTANTIELLE DE LA LIBERTÉ D’EXPRESSION INHÉRENTE AU MANDAT PARLEMENTAIRE

Les auditions de vos rapporteurs ont toutes souligné le lien étroit qui unit la protection des opinions et votes émis par les parlementaires dans l’exercice de leurs fonctions et le régime représentatif, dont le fonctionnement repose sur l’indépendance du Parlement vis-à-vis des autres pouvoirs constitués.

1.   Une protection destinée à garantir l’indépendance du pouvoir délibérant

Si le régime de l’irresponsabilité qui s’applique aux parlementaires revêt une telle importance pour le fonctionnement du régime représentatif, c’est parce qu’il garantit le caractère sincère de la délibération et la séparation des pouvoirs. Comme l’a souligné le professeur de droit public Serge Sur, « c’est parce que et dans la mesure où les représentants de la nation doivent exercer le mandat dans des conditions d’indépendance garantie, exempte de toutes pressions extérieures, qu’ils bénéficient d’une irresponsabilité judiciaire dans l’exercice de leurs fonctions » ([17]).

a.   Une protection indispensable à la délibération parlementaire

L’irresponsabilité dont bénéficient les membres du Parlement pour les opinions ou votes émis dans l’exercice de leurs fonctions, condition nécessaire au bon fonctionnement du Parlement, est apparue concomitamment à la transformation des assemblées en instances indépendantes de délibération.

« Vecteur de la transformation des assemblées en instances délibérantes » ([18]), comme le retrace Céline Guérin‑Bargues dans sa thèse consacrée aux immunités parlementaires, l’irresponsabilité est née au Royaume‑Uni au XIVe siècle et a été revendiquée pour la première fois dans une pétition par la chambre des Communes en 1523, sous le règne d’Henri VIII. La liberté de débat ne va cesser de s’y renforcer au cours des XVIe et XVIIe siècles pour accompagner la transformation du rôle institutionnel du Parlement ([19]). Elle aboutit à la revendication d’un « droit ancestral et incontestable des sujets anglais » de débattre et de se prononcer sur « les questions délicates et urgentes relatives au Roi, à l’État, à la défense du royaume et à l’Église d’Angleterre ». Loin de se limiter aux propos tenus dans l’assemblée, cette liberté s’est étendue aux « proposition, parole, raisonnement ou déclaration sur toute matière relative au Parlement ou à son action » ([20]).

En France, l’évolution des évènements de 1789 a conduit à l’adoption, soudaine mais influencée par l’expérience britannique, d’un régime plus global d’immunité parlementaire, associant étroitement l’irresponsabilité et l’inviolabilité. Cette seconde protection semble d’ailleurs prédominer dans l’histoire française, les révolutionnaires français ayant été avant tout soucieux de protéger leur intégrité physique contre les tentatives d’intimidation du Roi.

Moyen de conquête du pouvoir délibérant, l’irresponsabilité est, depuis son adoption, un facteur d’authenticité et de sincérité de la délibération parlementaire.

Cécile Guérin-Bargues rappelle ainsi que, « dans un régime représentatif, la délibération parlementaire remplit deux fonctions cardinales, qui justifient chacune l’irresponsabilité » : d’une part, « c’est l’ultime étape dans la genèse de l’accord des volontés indispensable à la participation du Parlement à la fonction gouvernementale, compte tenu du caractère collégial de l’instance parlementaire » et, d’autre part, « c’est l’un des vecteurs essentiels du jugement de la collectivité sur les résolutions qu’elle arrête, compte tenu du caractère public des débats » ([21]). Il ne s’agit pas de surestimer le rôle de la délibération parlementaire dans la conduite de l’action publique, nombre de décisions étant aujourd’hui prédéterminées par des rapports de forces politiques préexistant à ces décisions. Mais « l’inévitable prédétermination des volontés qui en résulte ne saurait invalider la nécessité d’une irresponsabilité » qui apparaît au contraire « comme l’ultime garantie du caractère représentatif du mandat, c’est-à-dire de la liberté qu’a le représentant – peut-être pas politiquement, mais au moins juridiquement – de changer d’avis » ([22]).

Lieu particulier de formation de la majorité politique et de détermination de la volonté générale, la salle des débats parlementaires doit créer les conditions d’une délibération libre, en permettant la confrontation d’arguments et d’opinions parfois radicalement opposés. La liberté qui doit régner dans l’enceinte de chacune des assemblées permet la critique par les représentants du peuple de toutes les initiatives, de tous les projets et de toutes les personnes.

Cette liberté protège également le parlementaire des éventuelles pressions des électeurs. Ces derniers pourraient être tentés de remplacer l’absence de responsabilité politique de celui-ci au cours de son mandat par une mise en cause de sa responsabilité pénale à raison des propos ou des votes qu’il a émis dans l’exercice de ses fonctions dès lors qu’ils les estimeraient incompatibles avec les engagements pris devant eux au moment de son élection. L’irresponsabilité se trouve ainsi étroitement liée au respect de la prohibition du mandat impératif, posée à l’article 27 de la Constitution.

Le lieu de la délibération est d’ailleurs un élément historiquement constitutif de l’irresponsabilité. La relative sanctuarisation de l’enceinte parlementaire, dont la sûreté intérieure et extérieure est garantie par le président de chaque assemblée ([23]), se traduit par une inviolabilité complète de la salle des séances, dont la police et l’ordre relèvent de la compétence du président de séance ([24]). Le non-respect de cet ordre ne peut donner lieu qu’à l’application de sanctions disciplinaires par le Bureau de chacune des assemblées, hors faits délictueux ou criminels commis de manière flagrante dans l’enceinte de l’assemblée ([25]).

b.   Une garantie nécessaire à la séparation des pouvoirs

Protectrice de la liberté d’expression des parlementaires, l’irresponsabilité est aussi une conséquence du principe de la séparation des pouvoirs, qu’elle a vocation à maintenir. Sa contribution au respect de ce principe est d’autant plus importante que cette séparation n’a d’autre objet que de limiter les effets et les excès des pouvoirs, de préserver la liberté politique et de prévenir l’arbitraire.

L’irresponsabilité, historiquement liée à ce principe, empêche les pouvoirs exécutif et judiciaire de s’immiscer sans justification dans le fonctionnement démocratique du pouvoir législatif.

Au Royaume‑Uni, l’irresponsabilité a accompagné la recherche par le Parlement de possibilités nouvelles d’intervention dans des matières que la Couronne considérait comme relevant de sa compétence exclusive. Constitutive du régime parlementaire, l’irresponsabilité l’est également du modèle présidentiel américain, qui repose sur l’indépendance organique des pouvoirs et une répartition claire de leurs fonctions : la protection de la liberté d’expression des parlementaires y garantit leur capacité à exercer pleinement l’intégralité de la compétence législative qui leur est confiée.

L’irresponsabilité parlementaire évite donc que des pouvoirs concurrents fassent pression sur des parlementaires à l’occasion de fautes commises dans l’exercice de leurs fonctions. Comme l’a fait observer à vos rapporteurs la professeure Cécile Guérin-Bargues, « on ne saurait autoriser des juridictions à substituer leur propre appréciation de la correction et de l’exactitude des propos tenus par un parlementaire (…) à celle de l’opinion publique » ([26]).

Aujourd’hui, la séparation des pouvoirs n’est plus que très rarement totale : au sein d’un régime parlementaire, le Gouvernement s’appuie généralement sur une majorité politique au Parlement tandis que le régime présidentiel repose, dans une logique d’équilibre des pouvoirs, sur un système de freins et de contrepoids. Cela étant, même transformée, la séparation des pouvoirs continue de justifier une protection spécifique des parlementaires.

L’irresponsabilité revêt une importance décisive au sein d’un régime parlementaire comme la France où, en raison du fait majoritaire, c’est moins la distinction et la spécialisation des pouvoirs qui compte que la nécessité d’un contrôle effectif de la majorité par l’opposition. La protection de la liberté d’expression et de vote des parlementaires contribue donc à l’effectivité du contrôle par le pouvoir délibérant des décisions gouvernementales :

  elle préserve les minorités politiques contre la domination de la majorité ;

–  elle limite les pressions dont peuvent être l’objet les parlementaires au sein même de la majorité, dont le mode de désignation, qui fait suite à l’élection présidentielle, crée une forte discipline de vote et un lien de dépendance entre le groupe majoritaire et le pouvoir exécutif.

2.   Une protection généralement absolue au sein des démocraties représentatives modernes

Étroitement liée au mandat représentatif, l’irresponsabilité s’applique dans la plupart des démocraties modernes pour protéger, de manière absolue, les votes et opinions liés à l’exercice des fonctions parlementaires.

a.   Une protection absolue des opinions et votes émis dans l’exercice des fonctions parlementaires

Pour être efficace, la protection du parlementaire agissant dans le cadre de son mandat doit être absolue : elle rend impossible toute poursuite et paralyse l’action juridictionnelle contre le parlementaire pour des faits pourtant susceptibles de recevoir une qualification pénale, en supprimant l’élément légal de l’infraction. Elle doit être aussi permanente, pour permettre au parlementaire de l’invoquer même après qu’il a cessé d’exercer son mandat, sous réserve que soient en cause des votes ou opinions émis pendant qu’il l’exerçait.

L’irresponsabilité n’instaure toutefois nullement un droit à l’impunité :

–  d’une part, son champ est restreint, en vertu du premier alinéa de l’article 26 de la Constitution, aux seuls « opinions ou votes émis par [le membre du Parlement] dans l’exercice de ses fonctions » ;

–  d’autre part, elle ne fait pas échec à l’application de sanctions disciplinaires par l’assemblée à laquelle appartient ce parlementaire : à l’Assemblée nationale comme au Sénat, peuvent faire l’objet de telles sanctions les députés et sénateurs qui adressent à leurs collègues des injures, provocations ou menaces, qui se rendent coupables d’outrages ou de provocations envers l’assemblée ou son président ou encore d’injures, de provocations ou de menaces envers le Président de la République, le Premier ministre, les membres du Gouvernement ou les assemblées prévues par la Constitution ([27]).

b.   Une protection commune aux démocraties représentatives modernes

Ces caractéristiques sont partagées, de manière relativement uniforme et stable, par un grand nombre de démocraties représentatives.

Pour ne citer que ces pays, l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, le Canada, l’Espagne, l’Italie, les Pays-Bas, le Portugal, le Royaume-Uni et la Suède, tout comme le Parlement européen, protègent, sous une forme ou sous une autre, les membres du Parlement pour les votes et déclarations qu’ils émettent dans l’exercice de leurs fonctions. Les législations de ces pays révèlent, en substance, une protection généralement absolue des votes et déclarations émis par les parlementaires « dans l’exercice de leurs fonctions » ou du mandat, certains précisant que cette protection s’applique en séance comme en commission, d’autres l’étendant en dehors du Parlement (Italie, Pays-Bas, Portugal).

Selon la Commission de Venise, des pays soumettent l’irresponsabilité parlementaire à des restrictions, en écartant de son champ des propos particulièrement graves ou nécessitant une conciliation avec d’autres intérêts individuels ou publics. Si, dans de nombreux pays, les parlementaires se trouvent protégés contre les procès en diffamation ou pour insulte, ailleurs, toute protection est exclue pour ces motifs ou en cas de discours de haine ou de menaces et d’incitations à commettre des violences ou un crime. Enfin, des pays sortent du champ de l’irresponsabilité certains propos mais soumettent leurs poursuites à une autorisation préalable du Parlement. Quoi qu’il en soit, dans la plupart des pays, l’irresponsabilité parlementaire est considérée comme une mesure d’ordre public à laquelle le parlementaire concerné ne peut renoncer ou dont il ne peut pas solliciter la levée ([28]).

comparaison des rÉgimes d’irresponsabilitÉ en France et À l’Étranger

Pays

Nature des actes couverts par l’irresponsabilité

FRANCE

Opinions ou votes émis dans l’exercice des fonctions, notamment les discours tenus dans le sein de l’Assemblée nationale ou du Sénat, les rapports et toutes les autres pièces imprimées par l’ordre de l’une de ces assemblées

ALLEMAGNE

Votes émis ou déclarations faites au Bundestag ou dans l’une de ses commissions dans l’exercice du mandat, en dehors des injures diffamatoires et des déclarations faites hors du domaine parlementaire

AUTRICHE

Votes ou déclarations liés directement à l’exercice du mandat parlementaire en séance plénière, dans les commissions permanentes ou devant les groupes politiques (rapports, propositions de loi, questions)

Possibilité d’engager la responsabilité du membre du Conseil national devant celui-ci à la suite d’une déclaration verbale ou écrite

BELGIQUE

Opinions ou votes dans l’exercice des fonctions (comptes rendus, questions, réponses, documents parlementaires, propositions de loi, résolutions, motions), dès lors qu’ils ont un lien avec celles-ci et quel que soit le lieu où ils ont été émis (hors répétition des propos devant la presse)

CANADA

(régime de « privilège parlementaire »)

Liberté de parole lors des délibérations parlementaires : propos en séance publique ou en commission

ESPAGNE

Opinions émises dans l’exercice des fonctions, au sein ou en dehors du Parlement (Congrès des députés)

Opinions et votes émis dans l’exercice des fonctions ainsi que toute activité considérée comme l’exercice de ces fonctions, au sein ou en dehors du Parlement (Sénat)

ITALIE

Opinions exprimées et votes accomplis dans l’exercice des fonctions (projets et propositions de loi, amendements, motions, résolutions, autres interventions connexes à l’activité parlementaire, y compris celles effectuées hors du Parlement sous réserve de l’existence d’un « lien fonctionnel » entre l’acte incriminé et la fonction parlementaire)

PAYS-BAS

Propos et éléments soumis par écrit au Parlement pendant les séances publiques ou celles des commissions

PORTUGAL

Votes et opinions émis dans l’exercice des fonctions ou à cause de ces fonctions, au sein ou en dehors du Parlement, y compris les contacts directs avec les citoyens et les opinions politiques exprimées dans les médias s’ils ont trait à la représentation parlementaire (hors cas abusifs, mise en cause de la vie privée, jugements exprimés dans des articles de presse, rencontres avec les électeurs, débats publics ou pendant la période électorale ou pré-électorale)

ROYAUME-UNI

(régime de « privilège parlementaire »)

Liberté de parole dans la limite des travaux parlementaires (notamment les séances du Parlement, les votes, décisions et actions des parlementaires), sous réserve qu’existe un lien avec les fonctions parlementaires et hors expressions inconvenantes ou contraires aux usages parlementaires

SUÈDE

Propos exprimés ou actes accomplis dans l’exercice des fonctions, au sein et en dehors du Parlement, sauf décision du Riksdag prise à la majorité des 5/6 des votants membres autorisant les poursuites

PARLEMENT EUROPÉEN

Opinions ou votes émis dans l’exercice des fonctions, sous réserve qu’ils soient liés de façon « directe et évidente » au mandat parlementaire, quel que soit le lieu de leur émission : les tribunaux nationaux statuant sur l’affaire sont seuls habilités à déterminer si l’irresponsabilité s’applique, le Parlement européen n’émettant, dans ce cas, que des avis

Source : Note de législation comparée du Sénat sur l’immunité parlementaire, novembre 2014.

Relativement homogène dans son application, l’irresponsabilité est de surcroît généralement ancienne, étant apparue concomitamment à la naissance de ces régimes politiques :

–  elle est inscrite à l’article 9 du Bill of Rights depuis 1689 au Royaume‑Uni et à l’article Ier, section 6, clause 1ère, de la Constitution des États‑Unis de 1787 ;

–  elle est également d’une stabilité remarquable en France où sa définition, posée par l’article 7 de la Constitution des 3 et 4 septembre 1791 ([29]), fait figure de tradition républicaine jamais remise en cause depuis 1789 ([30]), à l’exception de périodes politiques particulières ([31]).

B.   MODERNISER UNE PROTECTION INADAPTÉE AUX NOUVELLES CONDITIONS D’EXERCICE DU MANDAT PARLEMENTAIRE

Solidement justifié et largement partagé, le régime de l’irresponsabilité, tel qu’il est défini et interprété en France, n’est pas sans poser des difficultés qu’une modification de son champ d’application permettrait de lever pour l’adapter aux conditions actuelles d’exercice du mandat parlementaire.

1.   Un champ d’application trop restreint

Le champ des opinions émises par les parlementaires susceptibles d’être protégées est singulièrement restreint, notamment au regard de la conception européenne de la liberté d’expression politique et de l’importance attachée à la vitalité du débat démocratique.

a.   Une conception restrictive des opinions émises dans l’exercice des fonctions parlementaires

Faute de définition, par l’article 26 de la Constitution ou une autre disposition législative, des actes couverts, en France, par l’irresponsabilité, la jurisprudence en a précisé la nature et l’étendue.

Les actes « classiques » de la fonction parlementaire sont couverts par l’irresponsabilité : interventions et votes en séance et en commission, propositions de loi et amendements, rapports ou avis dont le député ou le sénateur est l’auteur ([32]) ou encore questions écrites ou orales.

De manière générale, sont couverts les votes et opinions émis par un parlementaire au cours d’une réunion d’un organe institué par la Constitution, l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires ou le règlement de celles-ci : séance publique, commissions permanentes, spéciales ou d’enquête, missions d’information, Bureau, Conférence des Présidents, collège des Questeurs… Une limite est cependant posée à l’irresponsabilité résultant des opinions émises dans le cadre des travaux d’une commission d’enquête : un parlementaire qui ne respecte pas la décision de la commission de garder confidentiel le déroulement de ses travaux peut être poursuivi sur le fondement de l’article 226-13 du code pénal pour atteinte au secret professionnel ([33]) ou sur le plan disciplinaire ([34]).

L’irresponsabilité résultant du premier alinéa de l’article 26 de la Constitution est confortée par le premier alinéa de l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, qui interdit toute action contre « les discours tenus dans le sein de l’Assemblée nationale ou du Sénat ainsi que les rapports ou toute autre pièce imprimée par ordre de l’une de ces deux assemblées ». La rédaction de cette seconde disposition, qui ne précise pas l’identité de l’auteur des discours tenus, pourrait même étendre le bénéfice de la protection aux propos tenus dans les assemblées par des personnes qui ne sont pas parlementaires.

Il ressort également du deuxième alinéa de l’article 41 de la même loi que les comptes rendus officiels des travaux du Parlement bénéficient d’une immunité absolue, à la différence des comptes rendus, synthétisés ou simplifiés, dont ces travaux font l’objet dans la presse, qui, pour ne pas être poursuivis, doivent être « faits de bonne foi », c’est-à-dire être sincères et honnêtes ([35]) et ne pas dériver vers des commentaires à caractère accusatoire ([36]).

Enfin, les déclarations des personnes appelées à témoigner devant les commissions d’enquête sont elles aussi protégées contre certaines actions judiciaires, afin de ne pas entraver la fonction de contrôle du Parlement à laquelle ces commissions contribuent fortement. Cette protection, qui n’a été reconnue par le législateur qu’en 2008 pour clarifier une jurisprudence jusque-là fluctuante, interdit les actions en diffamation, injure ou outrage ([37]) contre « les propos tenus ou les écrits produits devant une commission d’enquête créée, en leur sein, par l’Assemblée nationale ou le Sénat, par la personne tenue d’y déposer, sauf s’ils sont étrangers à l’objet de l’enquête » ainsi que « le compte rendu fidèle des réunions publiques de cette commission fait de bonne foi » ([38]).

En revanche, les propos tenus par un parlementaire dans le cadre d’une mission que lui a confiée le Gouvernement en application de l’article LO. 144 du code électoral, laquelle ne s’inscrit pas dans l’exercice de sa fonction de député ou de sénateur, ne peuvent pas être couverts par une quelconque immunité ([39]).

Ces actes, par leur nature, ne soulèvent donc pas de réelles difficultés, à la différence des propos formulés en dehors de l’assemblée à laquelle appartient le parlementaire. Si la Cour de cassation affirme ne pas limiter, en principe, l’immunité aux discours tenus dans les assemblées ([40]), une analyse des décisions qu’elle a rendues dans ce domaine, corroborée par les auditions organisées par vos rapporteurs, révèle une conception restrictive de l’irresponsabilité, limitée aux seules opinions litigieuses directement rattachables au mandat.

Deux critères sont utilisés par les magistrats pour juger si une opinion peut être protégée au titre du premier alinéa de l’article 26 de la Constitution.

En premier lieu, la Cour de cassation examine si l’acte a été accompli dans l’exercice des fonctions parlementaires telles qu’elles sont définies par les titres IV et V de la Constitution relatifs aux compétences législatives, de contrôle et d’évaluation du Parlement. Elle a ainsi refusé le bénéfice de l’irresponsabilité à Raymond Forni, député, rapporteur d’un projet de loi sur la Nouvelle-Calédonie, au motif que ses propos, qui critiquaient une décision de justice condamnant un leader indépendantiste kanak, avaient été émis à la radio ([41]) ainsi qu’à Henri Emmanuelli, député, condamné pour recel de trafic d’influence sur le fondement de propos tenus devant une commission d’enquête parlementaire sur le financement des partis politiques en qualité de témoin ([42]) et non de membre ([43]).

En second lieu, la Cour de cassation tend à apprécier si le député ou le sénateur a agi en tant que parlementaire ou, dans un registre plus politique ou partisan, en tant que citoyen engagé. Cet exercice, par nature délicat, l’a amenée à développer une conception extensive de la notion d’opinion détachable de l’exercice des fonctions parlementaires, en confirmant – avant que la Cour européenne des droits de l’homme ne la conduise à reconsidérer sa position sur le fondement de la liberté d’expression – la condamnation du député Noël Mamère pour complicité de diffamation publique envers un fonctionnaire lorsqu’il avait accusé, au cours d’une émission télévisée, un spécialiste de la radioactivité d’avoir tu les conséquences de la catastrophe de Tchernobyl ([44]).

Cette jurisprudence est confortée par celle de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), qui, à propos de l’irresponsabilité des députés européens, exige un « lien direct et évident » des propos litigieux avec l’exercice des fonctions parlementaires, ce lien direct devant « s’imposer avec évidence » ([45]).

b.   Une application en retrait par rapport à la protection européenne de la liberté d’expression

Restrictive, l’interprétation jurisprudentielle du champ des opinions émises dans l’exercice des fonctions parlementaires susceptibles de faire bénéficier leur auteur du régime de l’irresponsabilité apparaît de surcroît en décalage avec la protection résultant des dispositions européennes relatives à la liberté d’expression. Ainsi que l’a souligné le professeur Denis Baranger devant vos rapporteurs, les juridictions françaises sont restées en retrait en se concentrant sur une notion abrupte de la liberté d’expression, sans regarder en quoi consistait la fonction des parlementaires ([46]).

Pour la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), l’immunité parlementaire est légitime : « pratique de longue date, qui vise des buts légitimes que sont la protection de la liberté d’expression au Parlement et le maintien de la séparation des pouvoirs législatif et judiciaire » ([47]), l’irresponsabilité vise en particulier à « empêcher que des poursuites partisanes puissent porter atteinte à la fonction parlementaire » ([48]) et remettre en cause « l’autonomie du législateur et l’opposition parlementaire » ([49]). Elle ne peut, en principe, être considérée comme imposant une restriction disproportionnée au droit d’accès à un tribunal.

La CEDH accorde une importance toute particulière à la liberté d’expression, notamment à l’égard des responsables politiques, y compris dans des débats d’intérêt local comme lors d’un conseil municipal : « précieuse pour chacun, la liberté d’expression l’est tout particulièrement pour les partis politiques et leurs membres actifs » ([50]) ainsi que pour un élu du peuple, qui « représente ses électeurs, signale leurs préoccupations et défend leurs intérêts » ([51]). Pour la Cour, « l’article 10 § 2 de la Convention ne laisse guère de place pour des restrictions à la liberté d’expression dans le domaine du discours politique ou des questions d’intérêt général » ([52]), et, dans ce domaine, l’invective politique, qui déborde souvent sur le plan personnel, « sont les aléas du jeu politique et du libre débat d’idées, garants d’une société démocratique » ([53]).

Cette conception exigeante de la liberté d’expression dans le domaine politique a d’ailleurs conduit la CEDH à juger contraire au droit à la liberté d’expression la condamnation par la France du député Noël Mamère pour complicité de diffamation publique, au motif notamment que « les propos tenus (…) relevaient de sujets d’intérêt général » et que Noël Mamère « s’exprimait sans aucun doute en sa qualité d’élu et dans le cadre de son engagement écologiste, de sorte que ses propos relevaient de l’expression politique ou militante », laquelle permet « une certaine dose d’exagération, voire de provocation » ([54]).

C’est à la suite de cette décision que la Cour de cassation a cassé la condamnation du député Christian Vanneste pour délit d’injure et de provocation homophobes ([55]), en ne se fondant pas sur l’irresponsabilité parlementaire – les propos avaient été tenus dans deux quotidiens régionaux – mais sur le droit à la liberté d’expression tel qu’il est garanti par l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CESDH) et la jurisprudence de la CEDH.

2.   Une nécessaire adaptation aux conditions modernes d’exercice du mandat parlementaire

Vos rapporteurs considèrent que la liberté d’expression des députés et sénateurs mériterait d’être mieux protégée pour l’adapter, sous certaines conditions, aux nouvelles formes d’exercice du mandat parlementaire.

a.   Protéger la liberté d’expression des parlementaires hors les murs des assemblées

La conception restrictive de la notion d’opinion émise dans l’exercice des fonctions parlementaires soulève des difficultés, que plusieurs personnes auditionnées par vos rapporteurs ont appelé à lever.

Le professeur Bertrand Mathieu a fait observer que « l’action politique ne peut être considérée comme s’exerçant exclusivement » dans l’enceinte parlementaire. Constatant que les limites ainsi apportées à la liberté d’expression des parlementaires paraissent « particulièrement dangereuse[s] pour la liberté du débat politique [que la Cour de cassation] tend à encadrer dans des limites très réduites », il a proposé « d’inclure dans les propos protégés par l’immunité tous ceux qui s’inscrivent dans un débat sur des questions politiques, questions qui relèvent de la compétence des parlementaires et sur lesquelles ils doivent pouvoir s’exprimer librement, sans être enfermés dans le respect de dispositions législatives, dont ils sont légitimes à demander la modification et ce, non seulement devant leurs collègues, mais aussi devant leurs électeurs et plus largement l’opinion publique » ([56]).

Ces propos rejoignent ceux de M. Denis Baranger, professeur de droit public, pour qui « une garantie plus explicite de l’expression des titulaires de mandats publics, au premier rang desquels se trouvent les parlementaires », est souhaitable : « la parole des députés, du moment qu’elle porte sur le cadre de leur activité parlementaire et sur des questions de politique nationale ou locale, doit être protégée même en dehors de l’enceinte du Parlement » ([57]), notamment à la télévision ou sur un réseau social.

M. Bernard Fau, membre du conseil de l’ordre du barreau de Paris, a quant à lui relevé le paradoxe qu’il y avait à confier en totalité la mise en œuvre du régime de l’irresponsabilité aux juridictions et appelé de ses vœux une actualisation de ce régime, afin de tenir compte des nouveaux moyens de communication à la disposition des personnalités politiques.

Même les personnes réservées sur une possible extension du champ de l’irresponsabilité parlementaire ont souligné le caractère inadéquat de la jurisprudence française, comme la constitutionnaliste Cécile Guérin-Bargues pour laquelle « dans un État libéral et démocratique, il est sain que les parlementaires puissent nourrir librement le débat public, sans être tenus de moduler leurs propos en fonction du lieu où ils s’expriment par crainte d’éventuelles poursuites » ([58]).

Ces évolutions s’avèrent d’autant plus nécessaires qu’en l’état, les dispositions de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse posent de sérieuses difficultés dans la protection de la liberté de la parole politique.

Si l’interdiction, sur le fondement du deuxième alinéa de l’article 41 de cette loi, de toute action contre « le compte rendu des séances publiques des assemblées (…) fait de bonne foi dans les journaux » pourrait bénéficier au parlementaire se bornant à répéter la teneur des arguments développés en séance, la rédaction de cet alinéa a pour objectif principal de protéger les journalistes faisant état des travaux parlementaires. D’après Cécile Guérin-Bargues, la Cour de cassation s’est déjà prononcée sur cette question, en confirmant la condamnation du député Jean‑Pierre Brard pour diffamation publique en raison des propos qu’il avait tenus dans un entretien à la presse sur les témoins de Jéhovah à la suite des travaux de la commission d’enquête sur la situation financière, patrimoniale et fiscale des sectes qu’il avait rapportés ([59]). Toutefois, « la décision est difficile à interpréter en raison des spécificités de l’espèce », « la Cour de cassation ne [paraissant] pas rejeter le principe même de l’application de l’immunité prévue à l’article 41, alinéa 2 à un parlementaire » ([60]).

À cette ambiguïté s’ajoutent les spécificités et complexités de la loi du 29 juillet 1881. Ses dispositions en matière de diffamation paraissent de plus en plus incompatibles avec la conception européenne de la liberté d’expression des élus ([61]) : comme le souligne Denis Baranger, « notre droit de la diffamation constitue un obstacle non négligeable à la liberté d’expression et notamment à la liberté d’expression politique » ; même si le juge écarte la diffamation en présence d’un débat d’intérêt général ou public ou en cas de bonne foi, « la simple menace que constitue l’existence d’une plainte suivie automatiquement en la matière d’une mise en examen limite significativement la liberté de parole, y compris celle des élus » ([62]) ([63]).

Enfin, vos rapporteurs ne croient pas que la protection accordée, au niveau européen, à la liberté d’expression, suffirait à elle seule à préserver la libre parole politique des parlementaires et rendrait superflue toute disposition nationale relative à l’irresponsabilité parlementaire, pour au moins trois raisons :

–  protection collective du Parlement et non individuelle des parlementaires, l’irresponsabilité diffère, sur la forme, du droit – personnel – à la liberté d’expression protégé par l’article 10 de la CESDH ;

–  sur le fond, l’irresponsabilité, qui marque, dans un régime représentatif, la nécessité de préserver la liberté du débat politique au sein du pouvoir délibérant, ne saurait s’effacer derrière des dispositions européennes de portée plus générale ;

–  l’irresponsabilité présente l’avantage procédural de protéger les parlementaires contre la multiplication d’actions en justice malveillantes, sans attendre d’obtenir gain de cause au terme d’une longue procédure.

Si un renforcement de la liberté d’expression des parlementaires est nécessaire, il n’est toutefois pas question d’instituer un régime d’immunité absolue de toutes leurs opinions, quels que soient leur nature et leur cadre d’expression.

Une telle évolution, a fortiori sans modification de l’article 26 de la Constitution, se heurterait au principe constitutionnel d’égalité devant la loi ([64]), et aux droits d’accès à un tribunal, au respect de la vie privée et à la protection de la réputation protégés par les articles 6, 8 et 10 de la CESDH ([65]).

C’est pourquoi vos rapporteurs, soucieux de défendre une conception exigeante mais équilibrée de la libre parole politique, proposent d’étendre la protection de la liberté d’expression des parlementaires aux propos qu’ils tiennent, en dehors des assemblées, lorsqu’ils participent à un débat d’intérêt général.

Si l’opportunité d’une révision constitutionnelle se présentait, cette évolution mériterait d’être inscrite au premier alinéa de l’article 26 de la Constitution. À défaut, il semble à vos rapporteurs qu’une modification de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est possible à droit constitutionnel constant, sous réserve de définir précisément le champ des prises de parole concernées pour ne pas porter une atteinte disproportionnée au principe d’égalité devant la loi pénale et le droit pour tout justiciable d’accéder à un tribunal :

–  seules devraient être protégées les opinions émises par les parlementaires en lien direct avec l’exercice des fonctions parlementaires entendues comme celles mentionnées aux titres IV et V de la Constitution – le vote de la loi, le contrôle de l’action du Gouvernement et l’évaluation des politiques publiques – et élargies à la participation aux débats d’idée sur des sujets d’intérêt public ;

–  devraient être exclus les propos constitutifs d’une injure publique, définie par la loi de 1881 comme « toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait », dont la nature exige que la personne visée puisse faire valoir ses droits en justice.

Proposition n° 1

Étendre la protection de la liberté d’expression des parlementaires aux propos qu’ils émettent en dehors des assemblées, dans le cadre de débats d’intérêt général en lien avec l’exercice de leurs fonctions, à l’exclusion des propos constitutifs d’injures publiques.

L’évolution proposée rapprocherait les règles applicables en France de celles que d’autres pays ont adoptées et où la liberté spéciale d’expression des parlementaires s’étend à tout propos tenu par le député ou le sénateur en lien avec l’exercice de son mandat, au sein comme à l’extérieur du Parlement, notamment dans les médias ou les réunions et débats publics ([66]).

Par ailleurs, vos rapporteurs suggèrent de clarifier les règles applicables aux opinions ou votes des parlementaires lorsque le Parlement est convoqué en Congrès ainsi qu’aux comptes rendus de ce dernier.

À première vue, le premier alinéa de l’article 26 de la Constitution n’exclut pas une telle protection, les opinions ou votes protégés devant seulement être émis dans l’exercice des fonctions parlementaires.

En revanche, les deux premiers alinéas de l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, repris par l’article 9 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, qui précisent l’application des dispositions de la Constitution, réserve l’irresponsabilité aux « discours tenus dans le sein de l’Assemblée nationale ou du Sénat » et aux « rapports ou toute autre pièce imprimée par ordre de l’une de ces deux assemblées » et au compte rendu des séances publiques de ces assemblées fait de bonne foi dans les journaux. C’est le constat également formulé par l’Union syndicale des magistrats pour qui « il pourrait éventuellement être envisagé de prévoir que l’immunité s’applique également au Congrès, composé des seuls parlementaires, lequel se réunit dans l’aile sud du château de Versailles » ([67]).

Vos rapporteurs proposent donc de compléter l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse pour interdire toute action en justice à l’encontre des discours et votes devant le Parlement réuni en Congrès et des comptes rendus de ses séances.

Proposition n° 2

Prévoir expressément que les propos ou votes émis devant le Parlement réuni en Congrès et les comptes rendus des séances de celui-ci sont couverts par l’irresponsabilité.

b.   Renforcer, en contrepartie, le pouvoir disciplinaire des assemblées

Vos rapporteurs estiment nécessaire, comme l’ont fait valoir plusieurs de leurs interlocuteurs, que l’extension proposée du champ de la liberté d’expression des parlementaires soit contrebalancée par un renforcement du pouvoir de sanction disciplinaire des assemblées lorsqu’ils en abusent.

Comme l’a souligné François Molins, procureur général près la Cour de cassation, « si jamais une réflexion devait être engagée sur un élargissement de cette protection, il devrait y avoir nécessairement, de manière corrélative, la possibilité d’une sanction disciplinaire en cas de débordements » ([68]). Dans le même esprit, le professeur de droit public Olivier Beaud a suggéré qu’un éventuel élargissement de l’irresponsabilité parlementaire aux opinions émises en dehors du Parlement soit compensée « par une extension du pouvoir disciplinaire de la Chambre sur ses membres qui auraient abusé de leur liberté de parole en dehors de l’enceinte parlementaire », extension à laquelle rien ne s’oppose dès lors que ces propos se rattachent à l’activité de parlementaire ([69]).

Le pouvoir disciplinaire est destiné à préserver la sérénité des débats au sein de chaque assemblée. Exception à l’irresponsabilité ([70]), il en représente une contrepartie importante, en veillant à ce que les parlementaires ne fassent pas un usage abusif de leur liberté de parole. Ce pouvoir propre et autonome des assemblées, qui aboutit essentiellement à une condamnation morale compte tenu de la faiblesse des sanctions financières encourues ([71]), permet de s’assurer que les membres du Parlement ont une conduite conforme aux exigences de leur mandat sans entraver de manière directe l’exercice de ce dernier.

Vos rapporteurs recommandent donc d’étendre le pouvoir disciplinaire des assemblées ou de leur Bureau afin qu’il couvre d’autres propos inappropriés que ceux limitativement mentionnés aux articles 70 du Règlement de l’Assemblée nationale et 95 de celui du Sénat. Ces dispositions, qui ne visent aujourd’hui, pour l’essentiel, que des injures, provocations et menaces adressées au Président de la République, au Gouvernement ou aux membres du Parlement, pourraient être élargies à toutes les formes de provocations, de menaces, d’appels à la violence ou d’outrages de la part d’un député ou d’un sénateur à l’encontre de toute personne. À cette fin, vos rapporteurs suggèrent non seulement de modifier ces dispositions mais aussi d’asseoir la compétence de chaque assemblée ou de leur Bureau dans ce domaine à l’article 9 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.

Proposition n° 3

Compenser l’extension de la protection de la liberté d’expression des parlementaires par un renforcement des sanctions disciplinaires qu’ils encourent, au sein de leur assemblée, pour les propos provocateurs, menaçants ou outrageants qu’ils tiennent à l’extérieur.

L’évolution suggérée par vos rapporteurs s’inscrirait dans le prolongement de l’élargissement récemment opéré du régime disciplinaire des députés et sénateurs en cas de manquement aux obligations déontologiques. Comme l’a fait observer à vos rapporteurs le professeur Denis Baranger, « la discipline parlementaire semble un excellent moyen pour le Parlement de montrer aux citoyens qu’il n’a pas plus de tolérance qu’eux pour des pratiques que le mandat parlementaire ne saurait en aucun cas justifier ou exonérer ».

c.   Créer une exception d’irresponsabilité devant les tribunaux judiciaires

Pour rendre plus effective la protection de la liberté d’expression des parlementaires dans l’exercice de leurs fonctions, il serait par ailleurs souhaitable de permettre qu’il soit plus rapidement statué sur le lien entre les propos litigieux et ces fonctions afin de déterminer, le plus en amont possible de la procédure pénale, si l’irresponsabilité est applicable au litige.

Au cours de son audition par vos rapporteurs, l’avocat François Saint‑Pierre a par exemple estimé qu’« un recours préalable serait (…) utile pour qu’une (…) exception d’immunité parlementaire soit jugée avant toute mise en examen ou tout débat au fond devant une juridiction de jugement » ([72]).

En l’état du droit, le premier alinéa de l’article 26 de la Constitution constitue une cause objective d’irresponsabilité pénale, qui non seulement fait obstacle à l’exercice de l’action publique en s’opposant définitivement à toute poursuite – comme la prescription – mais supprime aussi l’élément légal de l’infraction, en faisant disparaître le caractère illicite du propos.

L’autre versant de l’immunité parlementaire, l’inviolabilité, sur laquelle vos rapporteurs reviendront infra, constitue une exception de procédure touchant à l’ordre public ; elle est susceptible d’être relevée d’office par le juge et en tout état de la procédure, au même titre, par exemple, que la prescription de l’action publique ou l’autorité de la chose jugée ([73]), comme l’a déjà admis la Cour de cassation ([74]).

Même si elle est d’une autre nature, dans la mesure où elle constitue davantage une disposition de fond qu’une règle de procédure, l’irresponsabilité parlementaire devrait pouvoir être invoquée rapidement devant la chambre de l’instruction avant l’éventuelle mise en examen du parlementaire par le juge d’instruction, ainsi que devant la formation de jugement avant tout débat au fond.

Vos rapporteurs suggèrent donc de compléter l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse afin d’y consacrer l’existence d’une exception d’irresponsabilité parlementaire, d’ordre public et devant être jugée à titre prioritaire :

–  par la chambre de l’instruction, compétente pour statuer sur les nullités d’une information judiciaire, afin qu’elle statue, sur la requête du juge d’instruction, du procureur de la République ou du parlementaire, avant que celui‑ci ne soit convoqué aux fins de mise en examen : la chambre pourrait être saisie par requête du juge d’instruction, du procureur de la République ou du parlementaire lui-même ;

–  par la juridiction de jugement lorsque le parlementaire est cité à comparaître devant elle en qualité de prévenu, afin qu’elle statue, d’office ou à la demande du ministère public ou du parlementaire, immédiatement dessus, sans la joindre au fond ([75]).

Proposition n° 4

Consacrer une exception d’irresponsabilité afin que la juridiction compétente statue sur l’application de l’irresponsabilité aux propos pour lesquels le parlementaire est poursuivi, avant toute mise en examen ou jugement au fond.


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II.   PRÉSERVER LA LIBERTÉ D’ACTION DES PARLEMENTAIRES

Pour que les parlementaires puissent s’exprimer et décider librement dans l’exercice de leur mandat, encore faut-il qu’ils ne soient pas entravés de manière excessive et injustifiée, à l’occasion de la poursuite de faits détachables de leurs fonctions. C’est l’objet des règles d’inviolabilité, dont le champ et les modalités d’application ont trouvé, en France, un point d’équilibre qu’il convient de préserver, sous réserve des aménagements proposés par vos rapporteurs.

A.   L’INVIOLABILITÉ, UNE PROTECTION FORMELLE DE LA LIBERTÉ D’ACTION DU PARLEMENTAIRE DANS SON MANDAT

Immunité procédurale destinée à contrôler les entraves les plus graves à la liberté de siéger des parlementaires, l’inviolabilité, parce qu’elle concerne des actes étrangers à l’exercice des fonctions parlementaires, a une portée plus limitée que l’irresponsabilité.

1.   Une protection destinée à garantir la capacité de siéger du pouvoir délibérant

Quoique débattue dans son principe et ses effets, l’inviolabilité conserve, aux yeux de vos rapporteurs comme d’un grand nombre des personnes qu’ils ont entendues, de sérieuses justifications. Destinée à mettre les parlementaires à l’abri de mesures susceptibles d’entraver leur capacité à siéger, elle constitue une protection particulièrement importante pour l’opposition politique au sein du pouvoir délibérant.

a.   Une protection destinée à contrôler les entraves à l’exercice du mandat parlementaire

L’inviolabilité vise à interdire d’empêcher l’exercice de l’activité parlementaire à l’occasion de poursuites judiciaires engagées pour des faits étrangers à l’exercice du mandat. Elle participe donc, comme l’irresponsabilité, à la préservation de la séparation des pouvoirs, comme l’a fait observer à vos rapporteurs, M. Bertrand Mathieu, professeur agrégé des facultés de droit ([76]), même si elle ne concerne pas des actes au cœur de la fonction parlementaire.

Sous cette réserve, l’inviolabilité ne bénéficie pas des mêmes fondements, universellement partagés, que l’irresponsabilité. En témoigne la divergence des trajectoires des deux modèles « historiques » d’immunité que sont le Royaume-Uni et la France, dans lesquels la nécessité d’un contrôle des entraves à l’exercice du mandat n’a pas évolué de la même manière.

Au Royaume-Uni, l’inviolabilité, qui remonte aux XVe à XVIIe siècles ([77]), est historiquement liée à la fonction juridictionnelle de cassation dévolue aux membres de Westminster, qui devaient pouvoir disposer de l’équivalent d’un contempt of court ([78]). Elle a peu à peu décliné, avec l’exclusion du champ pénal dès le XVe siècle et la suppression de la protection contre les poursuites au XVIIIe siècle. « Comprise dans un ensemble plus vaste, la freedom from molestation, sorte d’"immunité d’atteinte", [qui] interdisait toute saisie des biens des parlementaires entendus au sens large », l’inviolabilité s’est trouvée « mis[e] au service des intérêts particuliers des membres du Parlement » ([79]) entre 1640 et la fin du XVIIIe siècle. Elle a quasiment disparu à la suite des nombreux abus qu’elle avait engendrés et grâce à la confiance accordée, dans ce pays, au pouvoir judiciaire et au rôle de la procédure d’habeas corpus dans la lutte contre les privations arbitraires de liberté.

À l’inverse, en France, l’inviolabilité constitue, plus de deux siècles après son instauration, une véritable tradition constitutionnelle. Historiquement, elle « se fonde sur une prééminence institutionnelle du Parlement à l’égard des pouvoirs constitués concurrents », l’exécutif menaçant et le judiciaire discrédité par l’activisme des parlements d’Ancien Régime, « qui exclut toute idée de subordination de l’instance représentative à une autre autorité » ([80]). Cette conception, que les auditions conduites par vos rapporteurs ont en grande partie confirmée, se retrouve chez le pouvoir constituant lorsqu’il a statué pour la dernière fois sur cette question : ainsi le Sénat considérait-il, en 1995, que si, « avec l’enracinement de la démocratie, l’hypothèse d’arrestations arbitraires ou de poursuites injustifiées de parlementaires sur ordre de l’exécutif n’a certes plus la même vraisemblance qu’il y a deux siècles », « il ne faut pas sousévaluer les risques de harcèlement judiciaire non plus par des autorités publiques mais par des personnes privées » ([81]).

b.   Une garantie importante pour l’opposition politique

L’inviolabilité ne saurait donc être considérée comme une condition sine qua non du régime démocratique, comme en atteste son déclin au sein du régime britannique. En effet, la représentation, contrairement au mandat impératif, s’accommode de l’absence provisoire d’un ou de plusieurs membres de l’assemblée délibérante, qui bénéficient d’une investiture collective et d’un mandat national, chacun d’entre eux représentant la Nation toute entière.

Le contrôle des entraves à l’exercice du mandat parlementaire que permet le régime de l’inviolabilité, à défaut d’être indispensable au régime démocratique, présente un réel intérêt pour le fonctionnement de celui-ci, en limitant les risques d’instrumentalisation de l’action judiciaire à des fins politiques. Cette contribution à l’exercice serein du mandat représentatif est d’autant plus importante qu’elle peut intervenir dans un contexte de tensions entre le pouvoir judiciaire et les autres pouvoirs ou lorsque l’institution judiciaire n’est pas jugée totalement indépendante du pouvoir exécutif, comme c’est le cas, à tort ou à raison, en France.

Si plusieurs dispositions de la Constitution concourent à l’indépendance des magistrats du parquet ([82]) et la loi du 25 juillet 2013 interdit d’adresser aux procureurs de la République « aucune instruction dans des affaires individuelles » ([83]), ceux-ci demeurent placés sous l’autorité du garde des Sceaux et leur statut diffère de celui des magistrats du siège ([84]). Cette situation a été évoquée à plusieurs reprises devant vos rapporteurs comme un motif de défiance à l’égard des décisions prises par les représentants du ministère public, qui disposent d’importantes prérogatives en matière de poursuites et d’enquête, a fortiori si les actes qu’ils diligentent visent des personnalités politiques de l’opposition.

Vos rapporteurs rappellent à cet égard le débat ouvert par les perquisitions au domicile de M. Jean-Luc Mélenchon et au siège de La France insoumise, lesquelles, menées sous l’autorité du procureur de la République par l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales, avaient pourtant été autorisées par un juge des libertés et de la détention.

Les juges d’instruction, dotés de solides garanties d’indépendance, ne sont pas davantage épargnés par les critiques lorsqu’ils ordonnent certains actes ou mesures à l’encontre d’un parlementaire. Ce fut tout particulièrement le cas durant la campagne de la dernière élection présidentielle, au cours de laquelle l’information judiciaire ouverte à l’encontre du candidat François Fillon a donné lieu à la réalisation d’actes d’investigation et à sa mise en examen en un temps record.

Dès lors, l’inviolabilité apparaît comme la garantie pour les oppositions qu’un contrôle minimal sera opéré par le Parlement sur certains actes mettant en cause les conditions d’existence des formations politiques concernées et les modalités d’exercice du mandat parlementaire de leurs représentants. La CJUE, récemment saisie du cas de l’ancien vice‑président du Gouvernement autonome de Catalogne, poursuivi pour sécession et empêché de prendre possession de son mandat au Parlement européen en raison du refus de la justice espagnole de lui accorder une autorisation extraordinaire de sortie de prison, a estimé que l’inviolabilité, en garantissant « la possibilité de se rendre sans entraves à la première réunion de la nouvelle législature », concourrait à assurer « l’effectivité du droit d’éligibilité » et « aux institutions de l’Union une protection complète et effective contre les (…) risques d’atteinte à leur bon fonctionnement et à leur indépendance » ([85]). La CEDH a également reconnu l’utilité de cette protection, en considérant que « l’inviolabilité contribue à permettre cette pleine indépendance [du Parlement] en prévenant toute éventualité de poursuites pénales obéissant à des mobiles politiques (…) et en protégeant ainsi l’opposition des pressions ou abus de la majorité » ([86]).

C’est aussi la conclusion à laquelle le groupe de travail de l’Assemblée nationale sur le statut des députés, mis en place au début de la législature, était parvenu : pour lui, l’inviolabilité constituait « une garantie pour l’opposition » car « une assemblée, qui serait privée d’une partie de ses membres en raison de procédures abusives destinées à éviter que certains députés puissent y siéger, pourrait continuer à délibérer mais pas dans des conditions satisfaisantes » ([87]). De même, pour la Commission de Venise, qui recommande pourtant de restreindre le champ de l’inviolabilité, si « les règles et principes d’indépendance et d’impartialité de la justice et du ministère public jouent à présent un rôle bien plus important et plus pertinent que des régimes un peu désuets d’immunité parlementaire », « la justice ne semble pas non plus dans tous les pays agir en toute indépendance sans se laisser indûment influencer par l’exécutif » et « les parlementaires, surtout d’opposition, peuvent ici ou là être exposés au harcèlement politique, sous forme d’accusations judiciaires infondées » ([88]).

2.   Une protection relative des entraves au mandat parlementaire

Fruit de traditions constitutionnelles divergentes et se rapportant à des faits sans lien direct avec l’exercice des fonctions parlementaires, l’inviolabilité fait logiquement l’objet de règles hétérogènes qui conduisent cependant toutes à une protection relative du parlementaire contre un nombre limité d’actes susceptibles d’entraver un exercice serein du mandat.

a.   Deux modèles d’inviolabilité

Comme l’a souligné devant vos rapporteurs la constitutionnaliste Anne Levade, deux traditions, constitutives de deux modèles apparus successivement, s’observent en matière d’immunité parlementaire selon l’importance respective accordée à l’irresponsabilité et à l’inviolabilité ([89]).

Dans le modèle anglo-saxon, issu de la conception anglaise de l’immunité reprise par la Constitution des États-Unis, c’est d’abord et principalement la liberté d’opinion des parlementaires qui est consacrée. Ces derniers ne sont souvent pas protégés contre les autres formes d’action en justice, sauf lorsqu’elles auraient pour conséquence de conduire à l’arrestation du parlementaire ou en cas de délits de droit civil. Dans les pays qui ont suivi ce modèle, les parlementaires doivent généralement invoquer leur « privilège » lorsqu’ils se sentent menacés et la protection ne vaut pas en matière pénale.

Dans le modèle français, fortement influencé par le contexte révolutionnaire ([90]), l’inviolabilité prédomine par rapport à l’irresponsabilité. Ce modèle a été adopté par de nombreux pays européens, en particulier par les démocraties nouvelles d’Europe centrale et de l’est au moment de la chute de l’Union des républiques socialistes soviétiques. Les pays qui s’en sont inspirés dressent généralement une liste de mesures dont l’exécution est subordonnée à une levée d’immunité décidée par l’assemblée dont le parlementaire est membre.

Seuls dérogent à ces deux modèles les Pays-Bas, qui ne connaissent aucune inviolabilité pour les parlementaires. D’après la professeure Anne Levade, « c’est un cas isolé qui, sans doute, s’explique aussi par la conception néerlandaise très atypique de la souveraineté », laquelle considère que la Constitution est normativement subordonnée aux traités ratifiés, ce qui conduit à écarter toute protection particulière au bénéfice de ceux qui exercent la souveraineté ([91]).

b.   Une protection de portée relative et au contenu variable

L’inviolabilité constitue, quoi qu’il en soit, une protection relative et d’ordre processuel contre certains actes judiciaires limitativement énumérés susceptibles d’entraver l’action du parlementaire.

Pour les professeurs Avril et Gicquel, à la différence de l’irresponsabilité, « qui soustrait l’élu au droit commun parce qu’une justification le couvre [et] présente de ce fait un caractère absolu », l’inviolabilité « s’analyse en une immunité de procédure, garantissant le parlementaire pris en qualité d’individu contre des poursuites pénales abusives ou vexatoires intentées contre lui à raison de faits étrangers à l’exercice du mandat » ([92]). Ayant pour effet de retarder l’exécution de certaines mesures judiciaires coercitives à l’égard du parlementaire pendant une durée limitée, l’inviolabilité est une protection provisoire qui peut être levée par le Parlement au cours du mandat et disparaît à son terme.

L’évolution qu’a connue le régime de l’inviolabilité au cours des dernières décennies dans les pays qui l’ont conservé, y compris la France, témoigne du caractère relatif de cette protection, dont le champ n’a cessé de se réduire. Cet amoindrissement de l’inviolabilité, qui ne remet pas en cause la solidité de ses fondements puisque son principe demeure dans nombre de ces pays, a surtout contribué à mieux concilier l’exigence, dans un régime parlementaire, d’une telle protection avec le principe d’égalité devant la loi, en prenant en compte la nécessité de renforcer la confiance du public dans le système démocratique.

Comparaison des rÉgimes d’inviolabilitÉ en France et À l’Étranger

Pays

Mesures soumises à autorisation de l’assemblée

FRANCE

Toutes mesures privatives ou restrictives de liberté en matière criminelle et délictuelle, sauf flagrance (libre ouverture d’une enquête et libre engagement des poursuites)

Possibilité de suspendre les poursuites ou ces mesures sur décision de l’assemblée

ALLEMAGNE

Autorisation individuelle d’une déclaration sous serment dans une procédure d’insolvabilité d’un membre du Bundestag et, en matière pénale, d’une mise en accusation, d’une arrestation, d’une perquisition ou d’une saisie, sauf flagrant délit (présence obligatoire d’un autre député en cas de perquisition ou saisie et, lorsque celles-ci se tiennent au Bundestag, présence d’un représentant du président)

Autorisation générale, en début de législature pour la durée de celle-ci, des poursuites en matière pénale, sauf injures à caractère politique ; avant le lancement des poursuites, information du président du Bundestag et du membre concerné par l’enquête, sauf si celle-ci serait compromise ou entravée de ce fait, et l’enquête ne peut commencer qu’à l’expiration d’un délai de 48 heures après la notification

AUTRICHE

Poursuites sans l’autorisation de l’assemblée si l’acte répréhensible n’est « manifestement pas lié à la fonction politique » du parlementaire

Arrestation et perquisition domiciliaire, sauf crime flagrant

En cas d’arrestation pour crime flagrant, information sans délai du président du Conseil national

BELGIQUE

Renvoi ou citation directe devant un tribunal et arrestation, sauf flagrant délit

Mandat d’amener en vue d’un interrogatoire ou d’une confrontation, mandat de perquisition sans l’accord du parlementaire, saisie effectuée dans le cadre d’une telle perquisition, repérage d’appels sans l’autorisation de l’intéressé, écoutes téléphoniques et exploration corporelle : autorisation de l’assemblée non requise mais information de son président et ces actes doivent « de préférence » être ordonnés par le premier président de la cour d’appel

Possibilité pour le parlementaire de demander la suspension des poursuites à l’assemblée, qui statue à la majorité des deux tiers ; l’assemblée peut requérir de sa propre initiative la suspension de la détention d’un de ses membres, à la majorité simple

CANADA

(régime de « privilège parlementaire »)

Immunité d’arrestation et d’emprisonnement en matière civile, dispense d’obligation de comparaître devant un tribunal et exemption du devoir de juré (exclusion du privilège pour les affaires pénales)

Information de la chambre en cas d’arrestation ou de détention d’un parlementaire pour une période « relativement longue » ou de condamnation à une peine d’emprisonnement

ESPAGNE

Poursuites et inculpation, arrestation sauf flagrant délit

En cas d’arrestation d’un sénateur pour flagrant délit, information immédiate du président du Sénat

En cas de détention d’un député ou de tout acte pouvant faire obstacle à l’exercice de son mandat, le président de la Chambre des députés prend les mesures nécessaires pour préserver les droits et prérogatives de la chambre et de ses membres

ITALIE

Perquisition personnelle ou domiciliaire, arrestation ou privation de liberté, maintien en détention (sauf exécution d’une condamnation définitive ou flagrant délit), écoutes téléphoniques, saisie et interception des correspondances

PAYS-BAS

Pas de régime spécifique d’inviolabilité

PORTUGAL

Déposition comme témoin ou prévenu (compétence liée de l’assemblée en cas d’indices importants de crime intentionnel puni de plus de trois ans de prison), arrestation ou détention sauf crime intentionnel puni de plus de trois ans de prison ou flagrant délit

Possibilité pour l’Assemblée de la République de suspendre un député condamné pour un crime, cette suspension étant de plein droit en cas de crime intentionnel puni de plus de trois ans de prison ou de flagrance

ROYAUME-UNI

(régime de « privilège parlementaire »)

Poursuites libres devant les tribunaux pour les crimes de droit commun commis par un membre du Parlement (liés d’aucune façon au processus législatif ou délibératif)

Protection contre les arrestations en matière civile, extrêmement rares depuis l’abolition en 1870 de l’emprisonnement pour dette (exclusion du privilège pour les affaires pénales)

SUÈDE

Application des procédures de droit commun en matière criminelle, d’arrestation et de détention si le parlementaire admet sa culpabilité, en cas de flagrant délit ou si la peine minimale encourue est supérieure à deux ans de prison

Possibilité pour le parlementaire de perdre son mandat en cas d’acte criminel « manifestement incompatible » avec celui-ci, sur décision d’un tribunal

PARLEMENT EUROPÉEN

Sur le territoire national dont ils viennent, les parlementaires européens bénéficient des mêmes immunités que celles reconnues aux membres du Parlement de leur pays

Sur le territoire de tout autre État membre de l’Union européenne, protection contre toute mesure de poursuite ou de détention, sauf flagrant délit

Source : Note de législation comparée du Sénat sur l’immunité parlementaire, novembre 2014.

Au sein des pays relevant du modèle français, les règles relatives à l’inviolabilité des parlementaires sont donc très variables :

–  certains pays exigent que les poursuites ou les enquêtes soient autorisées au même titre que d’autres mesures plus privatives ou restrictives de liberté ;

–  d’autres soumettent à l’autorisation de l’assemblée un nombre limité d’actes, particulièrement attentatoires à la liberté de mouvement du parlementaire ;

–  plusieurs pays prennent en compte la gravité de l’infraction alléguée.

Dans nombre de ces pays, comme l’Autriche, la Belgique, l’Italie ou la France, l’inviolabilité, initialement large, a vu son champ se rétrécir pour tenir compte des difficultés que son existence même et les conditions de sa mise en œuvre soulevaient.

B.   PRÉSERVER L’ÉQUILIBRE TROUVÉ EN 1995 DANS LA DÉFINITION DU RÉGIME DE L’INVIOLABILITÉ

Modifié pour la dernière fois en 1995, le régime français de l’inviolabilité est apparu relativement équilibré à la plupart des personnes auditionnées.

Vos rapporteurs partagent ce constat et ne proposent pas de remettre en cause cet équilibre mais seulement d’en aménager certains aspects.

1.   L’équilibre issu de la loi constitutionnelle de 1995 doit être préservé…

Depuis cette date, seuls les actes judiciaires les plus attentatoires à la liberté de déplacement des parlementaires doivent faire l’objet d’une autorisation préalable des assemblées, celles-ci conservant la possibilité de requérir la suspension de ces mesures ou de toute poursuite.

a.   Une limitation justifiée des mesures soumises à autorisation du Bureau de l’assemblée

Le régime de l’inviolabilité est fixé par les trois derniers alinéas de l’article 26 de la Constitution.

Avant 1995, l’inviolabilité pendant la durée des sessions était large : l’assemblée à laquelle appartenait le parlementaire concerné devait autoriser à la fois l’engagement des poursuites et l’arrestation. Elle ne se trouvait limitée qu’hors session, durant laquelle le bureau, alors compétent, n’autorisait que l’arrestation, hors les cas de flagrant délit, de poursuites autorisées ou de condamnation définitive ([93]).

En 1995 ([94]), le pouvoir constituant a modernisé ce régime pour trois raisons principales :

–  tenir compte du passage à la session unique, qui augmentait mécaniquement la période pendant laquelle le cours normal de la justice pénale pouvait être affecté par les décisions des assemblées ;

–  tirer les conséquences de l’introduction, en 1970, du contrôle judiciaire, dont certaines obligations étaient susceptibles d’entraver la liberté d’action des parlementaires ([95]) ;

– ne pas donner à l’acte de poursuite, susceptible d’être considéré comme un acte préfigurant la culpabilité du parlementaire, une publicité inutile et contreproductive.

Cette réforme a permis de parvenir « à un heureux compromis entre le souci de ne pas faire des élus des citoyens à part et la nécessité de leur permettre d’exercer normalement leur mandat » ([96]) afin que l’inviolabilité ne soit pas perçue « comme un privilège permettant aux parlementaires de retarder sans raison le cours de la justice à leur encontre » ([97]).

Depuis lors, en vertu du deuxième alinéa de l’article 26 de la Constitution, « aucun membre du Parlement ne peut faire l’objet, en matière criminelle ou correctionnelle, d’une arrestation ou de toute autre mesure privative ou restrictive de liberté qu’avec l’autorisation du Bureau de l’assemblée dont il fait partie », sauf en cas de crime ou délit flagrant ou de condamnation définitive ([98]).

L’inviolabilité ne fait donc plus obstacle à l’engagement des poursuites à l’encontre d’un parlementaire (mise en examen) mais conditionne son arrestation ou le prononcé à son égard d’une mesure privative ou restrictive de liberté (garde à vue, détention provisoire, contrôle judiciaire…) à l’autorisation du Bureau de l’assemblée à laquelle il appartient.

Relevant auparavant de la compétence de l’assemblée plénière en période de session, l’examen des demandes de mainlevée de l’inviolabilité est désormais une compétence exclusive du Bureau de chaque assemblée.

Le Bureau peut accepter ou rejeter globalement la requête ou n’en retenir que certains éléments. Depuis une décision du Conseil constitutionnel de 1962, il ne doit statuer que « sur le caractère sérieux, loyal et sincère de la demande (…) au regard des faits sur lesquels cette demande est fondée et à l’exclusion de tout autre objet » ([99]) : sans se prononcer sur le fond de la procédure judiciaire, il vérifie que la demande présentée repose sur des faits constitutifs d’un crime ou d’un délit imputable au parlementaire et qu’elle n’est pas motivée par d’autres considérations que des motifs de droit.

Entre 1958 et 1995, l’Assemblée nationale ou le Bureau de celle-ci avaient été destinataires de trente-six demandes de mainlevée de l’immunité de députés : dix furent accordées, cinq rejetées et vingt-et-une ne firent l’objet d’aucune décision ou furent considérées sans objet en raison de la clôture de la session ou de la fin de la législature. Depuis 1995, le Bureau de l’Assemblée nationale, saisi à dix-huit reprises, a répondu favorablement, en tout ou partie, à dix demandes de levée d’immunité et en a rejeté huit autres ([100]).

Vos rapporteurs ont écarté toute suppression du régime de l’inviolabilité, qui n’a d’ailleurs été proposée que par un nombre très limité de personnes auditionnées, pour des motifs similaires à ceux justifiant le maintien de la procédure de suspension des poursuites et des mesures privatives ou restrictives de liberté ([101]) ou le renforcement des garanties applicables aux perquisitions concernant des parlementaires ([102]).

À la dépendance des magistrats du parquet envers le pouvoir exécutif et aux risques d’instrumentalisation politique de la justice, à travers le déclenchement de l’action publique par des plaintes avec constitution de partie civile à caractère malveillant, il faut ajouter les « tentatives d’usurpation de la part du corps judiciaire » ([103]), comme en attestent les formes d’engagement pour le moins surprenantes de certains magistrats, à l’instar du « mur des cons » sur lequel le Syndicat de la magistrature avait épinglé les photographies de plusieurs parlementaires.

Par ailleurs, comme l’a fait valoir le professeur Olivier Beaud, une telle suppression « serait vraiment aventureuse, surtout à l’époque actuelle où le risque d’en revenir à des pratiques autoritaires est – hélas – aujourd’hui un peu moins improbable qu’hier » ([104]) .

Vos rapporteurs ont également rejeté toute extension du périmètre actuel de l’inviolabilité parlementaire ou tout retour en arrière par rapport à 1995, pour plusieurs raisons liées à la bonne administration de la justice :

–  la suppression de l’autorisation d’engager les poursuites du champ de l’inviolabilité doit être maintenue, dans la mesure où la mise en mouvement de l’action publique et la saisine d’une juridiction d’instruction ou de jugement, pas davantage que la mise en examen, n’emportent nécessairement le prononcé d’une mesure coercitive contre un parlementaire ni n’entravent l’exercice de son mandat ;

–  l’inviolabilité doit également continuer à être limitée aux procédures criminelles et correctionnelles, seules susceptibles de perturber réellement et de manière significative le cours d’un mandat parlementaire ([105]), à l’exclusion de la matière contraventionnelle ([106]) et des cas de flagrance, justifiés par l’urgence, l’assemblée conservant la faculté de suspendre toute poursuite ou mesure qu’elle estimerait abusive ;

–  de même, devrait être laissée inchangée la référence, au deuxième alinéa de l’article 26 de la Constitution, à l’« arrestation ou (…) toute autre mesure privative ou restrictive de liberté », qui ne soulève pas de difficulté particulière dans son interprétation par la jurisprudence et les assemblées ([107]).

Ainsi redéfinie en 1995, l’inviolabilité est désormais bien circonscrite et fait l’objet d’une application stricte, conformément aux préconisations formulées au niveau européen dans ce domaine ([108]) :

–  elle ne couvre ni toutes les procédures susceptibles d’entraîner la mise en œuvre de mesures coercitives, ni l’ensemble des infractions pénales ;

–  sa durée est limitée dans le temps et n’empêche pas la conduite des enquêtes ou l’engagement de poursuites ;

–  elle peut être levée, ce qui n’en fait pas une protection inconditionnelle.

Vos rapporteurs n’ont pas davantage retenu l’idée d’instituer un régime procédural dérogatoire pour l’ensemble des élus locaux pour tenir compte de leur qualité particulière, préserver la sérénité de la justice et écarter tout soupçon de partialité de nature à pénaliser l’élu ou à lui profiter :

–  une telle évolution conduirait à rétablir en partie un régime auquel le législateur avait renoncé depuis 1993, celui des « privilèges de juridiction » ([109]) ;

–  par ailleurs, les magistrats sont soumis à des obligations statutaires ([110]) et déontologiques particulières, de nature à prévenir toute situation de conflit d’intérêts et à garantir l’exercice indépendant, impartial et objectif de la justice ([111]) ;

–  enfin, le droit actuel permet déjà, avant toute mise en mouvement de l’action publique, le dessaisissement d’un magistrat du parquet ([112]) lorsque la personne mise en cause ou la victime est habituellement en relation avec les magistrats de la juridiction à raison de ses fonctions ou, après la mise en mouvement de l’action publique, le dépaysement d’une affaire pour la bonne administration de la justice ([113]), pour cause de suspicion légitime ([114]) ou en raison d’incompatibilités ([115]) ainsi que la récusation d’un membre de la juridiction si son impartialité est suspectée ([116]).

Proposition n° 5

Conserver le régime actuel d’autorisation des mesures privatives et restrictives de liberté susceptibles d’être prononcées à l’encontre d’un parlementaire, sans étendre son périmètre.

b.   Le maintien d’une possibilité de suspension des poursuites et mesures privatives ou restrictives de liberté

La réduction du champ de l’inviolabilité soulève d’autant moins de difficultés que, conformément aux deux derniers alinéas de l’article 26 de la Constitution, l’assemblée concernée peut requérir la suspension des poursuites de l’un de ses membres ou toute mesure privative ou restrictive de liberté prononcée à son encontre, possibilité qui n’a pas été remise en cause en 1995 ([117]).

La suspension relève, à la différence de la demande de mainlevée de l’inviolabilité, de la compétence de l’assemblée plénière, sur l’instruction préalable d’une commission permanente à l’Assemblée nationale et d’une commission ad hoc au Sénat, respectivement composée, à la proportionnelle des groupes, de 15 et 30 membres.

La mise en œuvre de ces dispositions est définie par le Règlement et l’Instruction générale du Bureau de chaque assemblée, selon des modalités quelque peu différentes.

Examen des demandes de suspension des poursuites et des mesures privatives
ou restrictives de liberté à l’Assemblée nationale et au Sénat

À l’Assemblée nationale, la demande de suspension, qui prend la forme d’une proposition de résolution ([118]), est examinée par une commission permanente de 15 membres constituée au début de la législature puis renouvelée chaque année, « en s’efforçant de reproduire la configuration politique de l’Assemblée et d’assurer la représentation de toutes ses composantes ».

Cette commission entend son auteur et le député intéressé ou son représentant. Si ce député est détenu, elle peut le faire entendre personnellement par des membres délégués à cet effet.

La demande est inscrite d’office à l’ordre du jour de la plus prochaine séance réservée aux questions au Gouvernement et à leur suite, après la distribution du rapport de la commission. À défaut de distribution du rapport dans un délai de vingt jours à compter du dépôt de la demande, l’inscription à l’ordre du jour est laissée à la discrétion de la Conférence des Présidents. En séance, seuls peuvent prendre part au débat le rapporteur de la commission, le Gouvernement, le député intéressé ou son représentant ainsi qu’un orateur pour et un orateur contre ([119]).

Au Sénat, la demande de suspension, qui prend également la forme d’une proposition de résolution, est examinée par une commission de 30 membres constituée à chaque fois qu’il y a lieu, « selon la représentation proportionnelle ».

Les conclusions de la commission doivent être déposées dans un délai de trois semaines à compter de la désignation de ses membres et sont inscrites à l’ordre du jour du Sénat par la Conférence des Présidents dès la distribution du rapport de celle-ci ([120]).

Si cette disposition, qui avait bénéficié à dix-huit parlementaires avant 1995 sur vingt demandes de suspension présentées ([121]), est aujourd’hui plus rarement mise en œuvre ([122]), elle conserve une importance décisive à deux égards :

–  elle est une garantie du respect par l’autorité judiciaire du régime de l’irresponsabilité prévu au premier alinéa de l’article 26 de la Constitution, en offrant aux assemblées la faculté de faire cesser des poursuites qu’elles considèreraient irrégulièrement engagées contre l’un de leurs membres pour des votes ou opinions émis dans l’exercice de ses fonctions ;

–  elle permet de mettre un terme à des poursuites engagées à l’encontre d’un parlementaire dans le cadre d’une procédure pénale portant sur des faits étrangers à ses fonctions mais que l’assemblée dont il est membre jugerait abusives ([123]) ou malintentionnées – le cas de poursuites malveillantes par des parties civiles n’est pas à exclure – ou à des mesures privatives ou restrictives de liberté qu’elle ne jugerait plus nécessaires, en raison d’un changement de circonstances.

Dans ces conditions, vos rapporteurs proposent de ne pas supprimer la faculté laissée aux assemblées de suspendre, pour la durée de la session, les poursuites engagées à l’encontre d’un de leurs membres ou toute autre mesure privative ou restrictive de liberté prononcée à son égard.

Proposition n° 6

Conserver la possibilité pour les assemblées de suspendre, pour la durée de la session, les poursuites et les mesures privatives ou restrictives de liberté concernant un parlementaire.

2.   … sous réserve de plusieurs aménagements

Si, pour vos rapporteurs comme pour la plupart des personnes qu’ils ont entendues, les règles régissant le régime de l’inviolabilité sont satisfaisantes, trois aménagements qui lui sont intrinsèquement liés pourraient être apportés au droit existant.

a.   Mieux protéger les sources des parlementaires

Le premier porte sur les conditions dans lesquelles les parlementaires pourraient être inquiétés à raison des informations qu’ils reçoivent dans l’exercice de leurs fonctions et qui sont susceptibles de révéler des infractions pénales ou l’identité de leurs auteurs.

Cette question, qui relève en quelque sorte de la « protection des sources » des parlementaires, n’est à ce jour pas clairement résolue, à la différence, par exemple, de ce que prévoit le Parlement européen en la matière ([124]). Pourtant, comme l’a fait remarquer la constitutionnaliste Anne Levade, « il y a tout lieu de penser que les parlementaires puissent, soit dans le cadre de leurs missions d’information et de contrôle, soit ès qualités, être destinataires d’informations qui, par leur teneur, présente un intérêt pour le plein exercice de leur mandat tout en constituant les éléments d’une infraction » ([125]).

Pour le ministère de la Justice, une telle protection ne serait pas nécessaire, compte tenu des moyens d’information dont dispose le Parlement, notamment dans le cadre de sa mission de contrôle de l’action du Gouvernement. Selon lui, « l’irresponsabilité prévue par l’article 26 [de la Constitution] protège par définition les sources des parlementaires, puisqu’aucune autorité ne peut exiger de ces derniers qu’ils divulguent par quel moyen s’est forgée leur opinion ».

Vos rapporteurs considèrent au contraire qu’une protection de cette nature pourrait s’avérer nécessaire dans certaines situations particulières, notamment :

–  celle d’un parlementaire informé, dans le cadre de travaux d’information ou d’enquête, de l’imminence d’une infraction qu’il n’aurait finalement pas dénoncée, constitutive d’une entrave à la saisine de la justice en application des articles 434-1 et 434-2 du code pénal ([126]) ;

–  ou celle du parlementaire qui refuserait de témoigner devant l’autorité judiciaire au sujet d’éléments obtenus confidentiellement dans l’exercice de ses fonctions et qu’il garde secrets, refus susceptible d’être qualifié d’entrave à l’exercice de la justice au sens de l’article 434-15-1 du même code devant la juridiction d’instruction ([127]) ainsi que des articles 326, 438 et 536 du code de procédure pénale devant les juridictions de jugement ([128]).

Or ces faits ne semblent pas relever de l’irresponsabilité stricto sensu prévue au premier alinéa de l’article 26 de la Constitution, qui ne vise que les « opinions ou votes » émis dans l’exercice des fonctions parlementaires. Ils pourraient faire l’objet de poursuites judiciaires sauf si l’assemblée en requerraient la suspension sur le fondement du troisième alinéa de cet article, et donner lieu à des mesures privatives ou restrictives de liberté dont la mise en œuvre serait toutefois conditionnée à l’autorisation préalable du Bureau de l’assemblée, en vertu du deuxième alinéa de ce même article. Mais la possibilité même que des poursuites puissent être engagées est problématique, dans la mesure où sont en cause des informations recueillies dans l’exercice du mandat parlementaire.

C’est la raison pour laquelle vos rapporteurs proposent d’instituer une protection spécifique des sources des informations détenues par les parlementaires en raison et pour le besoin des fonctions qu’ils tiennent de la Constitution, principalement le vote de la loi, le contrôle de l’action du Gouvernement et l’évaluation des politiques publiques.

Pour ce faire, la liste des exceptions aux entraves à la saisine ou à l’exercice de la justice pourrait être complétée par la mention du secret dont les députés et sénateurs peuvent être dépositaires à raison de leurs fonctions ou de la mission qu’ils ont remplie pour le compte de l’assemblée à laquelle ils appartiennent. Cette protection pourrait se fonder sur le rôle reconnu par la Constitution aux parlementaires en matière de contrôle de l’action du Gouvernement et d’évaluation des politiques publiques ainsi que sur l’exigence constitutionnelle récemment consacrée de « liberté des membres du Parlement dans l’exercice de leur mandat » ([129]).

Proposition n° 7

Protéger le secret des informations dont les parlementaires sont dépositaires à raison de leurs fonctions afin que la justice ne puisse pas exiger d’eux de les révéler.

b.   Encadrer les perquisitions dans les locaux liés aux fonctions parlementaires

Par ailleurs, vos rapporteurs se sont interrogés sur le régime applicable à la perquisition. Ni mesure privative, ni mesure restrictive de liberté au sens constitutionnel de ces termes, cet acte d’enquête n’en demeure pas moins, d’après le Conseil national des barreaux, « une mesure attentatoire aux libertés » ([130]), « de nature à entraver de manière effective les conditions d’exercice [du] mandat » ([131]), pour le Syndicat de la magistrature.

Or les perquisitions et saisies effectuées dans les locaux d’un parlementaire ne sont assorties, formellement, d’aucune garantie, à la différence des perquisitions réalisées dans les locaux de certaines professions afin de protéger le secret professionnel et les droits de la défense (avocats ([132]), médecins, notaires, huissiers ([133]), magistrats ([134])), la liberté d’expression (entreprises de presse ([135])) ou la sécurité nationale (lieux abritant des éléments couverts par le secret de la défense nationale ([136])).

Lorsque la perquisition doit avoir lieu dans l’enceinte de l’Assemblée nationale ou du Sénat, la possibilité de pénétrer en leur sein est subordonnée à l’autorisation du président de l’assemblée concernée, en vertu du pouvoir de police dont celui-ci est doté pour garantir la sûreté intérieure et extérieure des locaux des assemblées ([137]). Mais aucune disposition du code de procédure pénale ou du règlement des assemblées ne mentionne expressément de s’opposer à la réalisation d’une telle perquisition ni les motifs susceptibles de justifier un refus. Ne sont pas davantage prévues les conditions dans lesquelles une perquisition peut se dérouler dans l’enceinte d’une assemblée lorsque le président de celle-ci ne s’oppose pas à l’entrée des personnes chargées de la réaliser : information préalable du président, présence obligatoire d’un magistrat, règles applicables à la saisie de documents…

Cette situation, ambigüe, n’a pas semblé satisfaisante à vos rapporteurs et à de nombreuses personnes auditionnées.

D’une part, cette situation contraste avec le régime applicable à d’autres actes d’enquête, comme les interceptions de correspondances des députés et sénateurs, soumises à l’information préalable du président de l’assemblée à laquelle ceux-ci appartiennent ([138]).

D’autre part, députés et sénateurs peuvent détenir des documents ou objets sensibles, de nature politique ou portant sur des matières relevant exclusivement du mandat parlementaire. Or les conditions de mise en œuvre d’une perquisition, qui peut être diligentée, lors d’une enquête préliminaire ou de flagrance, sans autorisation préalable d’un magistrat du siège, ne prémunissent pas contre un risque d’instrumentalisation à des fins politiques. Comme le fait valoir l’Union syndicale des magistrats, « il faut éviter que le pouvoir exécutif (auquel le parquet est actuellement subordonné du fait d’un statut insuffisamment protecteur) ne soit à l’origine de perquisitions qui peuvent entraver l’action de l’opposition : saisies de documents liés à la préparation de listes électorales, documents de travail en lien avec des propositions de loi, documents financiers sans aucun lien avec les raisons de la perquisition par exemple » ([139]).

Sans recommander leur intégration dans le régime de l’inviolabilité, qui aurait pour effet de les soumettre à une autorisation préalable peu compatible avec l’effet de surprise sur lequel reposent ces actes, vos rapporteurs proposent d’assortir la mise en œuvre des perquisitions visant le bureau, la permanence ou le domicile d’un parlementaire de garanties renforcées, à peine de nullité, inspirées de celles applicables aux perquisitions dans le cabinet ou le domicile d’un avocat en application de l’article 56-1 du code de procédure pénale :

–  la réalisation de la perquisition par un magistrat, sur décision écrite et motivée de celui-ci ;

–  la présence d’un membre du Bureau de l’assemblée à laquelle appartient le parlementaire, qui pourrait être informé la veille d’une perquisition prévue le lendemain, sans précision sur le lieu précis de celle-ci ni sur l’identité du parlementaire concerné, comme c’est le cas pour les avocats ;

–  l’interdiction de saisir des documents ou objets relatifs à d’autres infractions que celles mentionnées dans la décision du magistrat ;

–  seul le membre du Bureau présent pourrait consulter ou prendre connaissance des documents ou objets préalablement à leur saisie ;

–  la faculté pour le membre du Bureau présent de s’opposer à la saisie d’un document ou d’un objet s’il l’estime irrégulière afin qu’un juge des libertés et de la détention statue, le document ou l’objet litigieux devant être placé sous scellé fermé dans l’intervalle.

Par ailleurs, lorsque la perquisition doit se tenir dans un local des assemblées parlementaires, le pouvoir d’autorisation de celle-ci que semble détenir le président de l’assemblée concernée en vertu de ses prérogatives de police dans l’enceinte parlementaire devrait être expressément reconnu.

Proposition n° 8

Soumettre les perquisitions dans le bureau, la permanence ou le domicile d’un parlementaire à des règles similaires à celles prévues pour les perquisitions dans le cabinet ou le domicile d’un avocat et reconnaître expressément le pouvoir d’autorisation par le président de l’assemblée concernée des perquisitions dans un local de cette assemblée.

c.   Renforcer les garanties applicables à la procédure de levée de l’inviolabilité

Le dernier aménagement susceptible d’être apporté au régime de l’inviolabilité porte sur la procédure de sa levée, qui a concentré plusieurs critiques de la part des personnes entendues par vos rapporteurs.

Régie par l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires s’agissant des dispositions communes à l’Assemblée nationale et au Sénat, cette procédure est détaillée, chacune pour ce qui les concerne, dans l’Instruction générale du Bureau de ces assemblées.

Aux termes de l’article 9 bis de l’ordonnance du 17 novembre 1958 précitée, la demande d’autorisation de l’arrestation d’un parlementaire ou d’une mesure privative ou restrictive de liberté à son égard doit être formulée, « à peine de nullité », par le procureur général près la cour d’appel compétente et adressée au président de l’assemblée concernée par le garde des Sceaux. Manifestement issues d’une « coutume constitutionnelle » ([140]), ces exigences ont été inscrites dans l’ordonnance de 1958 en 1996 afin d’en renforcer l’opposabilité. Ni le procureur général, ni le garde des Sceaux ne disposent, en principe, d’un pouvoir de blocage de la demande, le premier devant seulement veiller à la conformité formelle de celle-ci aux prescriptions légales quant à leur contenu et à leur énoncé, le second ayant été considéré comme le seul interlocuteur possible pour les assemblées.

La demande doit indiquer « précisément les mesures envisagées ainsi que les motifs invoqués ».

L’autorisation éventuellement donnée par le Bureau ne peut valoir que pour les faits mentionnés dans la demande.

Pour le reste, chaque assemblée a fixé ses propres règles d’examen des demandes par le Bureau :

–  à l’Assemblée nationale, après avoir été préparée par la délégation chargée de l’application du statut du député, la décision du Bureau est notifiée au garde des Sceaux et publiée au Journal officiel (premier, deuxième et dernier alinéas de l’article 16 de l’Instruction générale du Bureau) ;

–  au Sénat, l’article III bis de l’Instruction générale du Bureau se borne à indiquer que les décisions du Bureau sont notifiées au garde des Sceaux ainsi qu’au sénateur visé par la demande et sont publiées au Journal officiel.

En France, la décision prise par le Bureau n’est susceptible d’aucun recours, interne ou juridictionnel ([141]), à la différence, par exemple, des décisions prises par le Parlement européen dans ce domaine ([142]).

L’hétérogénéité des règles applicables en matière d’inviolabilité au sein des principales démocraties représentatives en Europe et en Amérique du Nord conduit à une grande variété de procédures de levée de l’immunité : autorités compétentes pour formuler la demande et statuer dessus, forme et contenu de la demande, préparation de son examen, délais, possibilité pour le parlementaire concerné de formuler des observations, possibilité de recours, existence d’un contrôle juridictionnel…


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comparaison des procÉdures de levÉe de l’inviolabilitÉ en France et À l’Étranger

Pays

Autorité compétente pour demander la mainlevée

Voie de transmission de la demande

Contenu de la demande

Autorité compétente pour statuer sur la demande

Délais, délibération et formes de la décision de mainlevée

Recours contre la décision

FRANCE

Le procureur général près la cour d’appel

Par le garde des Sceaux au président de l’assemblée

Précisément les mesures envisagées ainsi que les motifs invoqués

Le Bureau de l’assemblée (après instruction d’une délégation en son sein à l’Assemblée nationale)

Aucun délai

Possibilité pour la délégation d’entendre le député

Délibérations du Bureau qui statue sur le caractère sérieux, loyal et sincère de la demande

Non

ALLEMAGNE

(*)

Le ministère public, les tribunaux ou les organisations professionnelles exerçant une surveillance en vertu de la loi

Le tribunal en cas d’action pénale engagée par une partie lésée sans concours du parquet

Un créancier lors d’une procédure d’insolvabilité

 

Par voie hiérarchique (procureur général, ministère de la justice du Land puis ministère fédéral de la Justice) au président du Bundestag

 

 

 

Par le créancier directement

Pas de précision

Le Bundestag, après instruction à huis clos par la commission permanente chargée de la vérification des scrutins, de l’immunité et du règlement

Au plus tôt dans les 3 jours suivant la distribution de la proposition de la commission

Possibilité pour la commission d’entendre le parlementaire sur demande d’un groupe

Vote à main levée en séance (sauf affaires de faible importance), sans motivation ni débat

En cas de « procédure pour régler un litige entre organes », la Cour constitutionnelle contrôle l’absence de motifs subjectifs et arbitraires et le fait que la décision n’est ni incohérente, ni disproportionnée

AUTRICHE

Le ministère public ou la direction de la police fédérale

Par le ministère public ou la direction de la police fédérale

Pas de précision

Le Conseil national, après instruction à huis clos de la commission permanente chargée des questions d’immunités

8 semaines (à défaut le consentement est réputé donné)

Vote à main levée en séance, sans motivation obligatoire

Non

BELGIQUE

De préférence le procureur général près la cour d’appel compétente

Au président de l’assemblée

Dossier reprenant les faits reprochés, les plaintes éventuelles, les témoignages, les aveux et les pièces justificatives

L’assemblée concernée, après instruction à huis clos de la commission des poursuites à la Chambre des représentants et de la commission de la justice au Sénat

Pas de délai

Possibilité pour le parlementaire de formuler des observations et de prendre la parole

Débat en séance ; au Sénat, vote à la majorité simple (tradition d’assentiment unanime)

Non

CANADA

(régime de « privilège parlementaire »)

Un parlementaire

Par le parlementaire

Le président de l’assemblée vérifie qu’il existe une suspicion d’atteinte au privilège et que la question a été soulevée à la première occasion

L’assemblée concernée, après instruction d’une commission

Examen par priorité

Possibilité pour le parlementaire de formuler des observations

Motion éventuellement amendée et mise aux voix en séance

Non

ESPAGNE

Le président du Tribunal suprême

Directement au président de l’assemblée

Les diligences que le tribunal a jugées nécessaires et l’avis du parquet

L’assemblée concernée, après instruction du Bureau et de la commission sur le statut des députés au Congrès des députés et de la commission des demandes au Sénat

La commission dispose de 30 jours pour statuer à compter de l’audition de l’intéressé ou de la réception de ses observations

Demande considérée comme rejetée si la chambre n’a pas statué dans les 60 jours à compter du lendemain de la réception de la demande

Adoption en séance (comité secret et vote par scrutin électronique secret au Sénat)

Non

ITALIE

L’autorité qui souhaite obtenir l’autorisation de procéder à la mesure demandée

Directement à l’assemblée

Le fait incriminé, les dispositions présumées violées et les éléments qui fondent la demande

L’assemblée concernée, après instruction de la commission des autorisations à la Chambre des députés ou de la commission des élections et des immunités parlementaires au Sénat

Délai de 30 jours, susceptible d’être renouvelé une fois

Possibilité pour le parlementaire de formuler des observations

Délibération en séance

Devant la Cour constitutionnelle, qui vérifie que l’acte litigieux relève ou non des fonctions parlementaires

PAYS-BAS

Pas de régime d’inviolabilité

PORTUGAL

Le juge compétent

Directement à l’assemblée

Pas de précision

L’Assemblée de la République, après instruction de la commission compétente

Pas de délai

Possibilité pour le parlementaire de formuler des observations

Avis de la commission examiné en séance : pas de débat préalable au vote mais explications de vote possibles

Non

ROYAUME-UNI

(régime de « privilège parlementaire »)

Un parlementaire

Par le parlementaire

Pas de précision

La chambre, après instruction par la commission sur les normes et les privilèges

Pas de délai

Possibilité pour le parlementaire de formuler des observations

Motion susceptible d’être amendée par la chambre lors des débats en séance

Non

SUÈDE

Le parquet ou toute personne qui poursuit un député

Directement

Des éléments non lacunaires

Le Riksdag, après instruction de la commission de la Constitution

Pas de délai

Adoption en séance

Non

PARLEMENT EUROPÉEN

L’autorité compétente dans le pays où la demande est formulée

Par l’autorité compétente au président du Parlement

La commission des affaires juridiques peut demander à l’autorité de fournir toutes les informations et précisions nécessaires

Le Parlement européen, après instruction de la commission des affaires juridiques

Examen sans délai

Possibilité pour le parlementaire de formuler des observations devant la commission

Irrecevabilité de tout amendement, motivation de la décision et débat en séance pour/contre

Devant le Tribunal de l’Union européenne

(*) Alors que, dans la plupart des pays, la décision est prise au cas par cas, le Bundestag procède à une levée générale d’inviolabilité de ses membres au début de chaque législature et pour la durée de celle-ci, pour toute enquête ou procédure pénale et toute inculpation d’infraction, sauf en matière de diffamation politique. Il conserve toutefois la possibilité de rétablir l’immunité en fonction des circonstances de l’espèce.

Source : Note de législation comparée du Sénat sur l’immunité parlementaire, novembre 2014.

 


—  1  —

Comparée à celle prévue dans un certain nombre d’autres démocraties européennes, la procédure de levée de l’inviolabilité en France suscite des critiques récurrentes. Dans le silence des textes, les garanties accordées au parlementaire qui est l’objet de la demande sont apparues, aux personnes entendues par vos rapporteurs, pour le moins limitées.

Pour ne prendre que l’exemple de la procédure suivie à l’Assemblée nationale :

–  la possibilité pour le député de consulter le dossier de la demande n’est qu’une pratique et il ne peut en obtenir copie ou transmission ;

–  le député n’est pas autorisé à venir présenter ses observations devant le Bureau, même si les usages lui permettent d’être entendu par la délégation chargée d’instruire la demande de levée de l’immunité ou d’adresser des observations écrites ;

–  à la différence de l’Italie, de l’Espagne ou de l’Autriche notamment, aucune règle n’encadre le délai d’instruction de la demande par la délégation chargée de l’application du statut du député et celui de son examen par le Bureau, même si « les délais de traitement des demandes de levée d’immunité parlementaire sont en pratique relativement courts (délai moyen inférieur à un mois) » ([143]) ;

–  à la différence du Sénat, les textes ne prévoient même pas l’information du député concerné des suites données à la demande de mainlevée de son inviolabilité ;

–  les travaux de la délégation et du Bureau ne sont pas publics, pas davantage que les modalités de vote, ce qui est respectueux de la présomption d’innocence du député mais alimente la suspicion de nos concitoyens ;

–  contrairement à l’Allemagne, à l’Italie ou au Parlement européen notamment, la décision est prise en premier et dernier ressorts par le Bureau, sans contestation possible devant un autre organe, juridictionnel ou non.

Or, comme l’a souligné devant vos rapporteurs M. Bertrand Mathieu, professeur agrégé des facultés de droit, « la procédure actuelle (…), si elle a le mérite de la simplicité, peut poser problème du fait que tous les courants politiques ne sont pas nécessairement représentés au bureau » ([144]), comme c’est le cas des députés non-inscrits.

La compétence conférée par la Constitution aux Bureaux des assemblées dans ce domaine est d’une nature particulière. D’une part, elle les conduit à être destinataires d’éléments de procédure couverts par le secret de l’enquête et de l’instruction qui, en l’état des dispositions du code de procédure pénale, n’ont pas vocation à être connus de tiers ou des personnes mises en cause. D’autre part, elle n’institue ni une procédure juridictionnelle, ni une phase de « pré‑jugement » du parlementaire auxquelles pourraient s’appliquer les exigences relatives au droit à un procès équitable. Comme l’ont toutefois souligné de nombreuses personnes auditionnées, la décision du Bureau est susceptible de faire grief, dans la mesure où elle produit des effets juridiques à l’égard du parlementaire concerné et de tiers, et ce d’autant plus qu’elle s’inscrit dans le cadre d’une procédure pénale.

Vos rapporteurs recommandent donc d’apporter à la procédure de levée de l’inviolabilité parlementaire plusieurs aménagements destinés à garantir une bonne administration de la justice, à améliorer la compréhension par nos concitoyens du sens de la décision prise et à renforcer les droits du parlementaire concerné.

Plusieurs précisions pourraient ainsi être apportées aux modalités d’instruction et d’examen des demandes de mainlevée, au sein des Règlements et des Instructions générales du Bureau des assemblées :

–  un délai encadrant le temps laissé au Bureau pour statuer sur la demande, afin de ne pas ralentir à l’excès le cours de la justice : à l’expiration de ce délai, la demande serait réputée acceptée si elle n’a pas été examinée ;

–  le droit pour le parlementaire concerné de consulter le dossier de la demande, d’être entendu par l’organe chargé d’instruire celle-ci et le Bureau, assisté, s’il le souhaite, de son avocat, et de prendre connaissance des conclusions de l’instruction afin de formuler en réponse des observations ;

–  l’information sans délai du parlementaire concerné dès réception de la demande de mainlevée de son inviolabilité, afin qu’il soit en mesure d’exercer ses droits dans des conditions satisfaisantes ;

–  la faculté pour le parlementaire, lorsqu’il est non-inscrit, d’en désigner un autre pour assister, sans voix délibérative, à la réunion au cours de laquelle le Bureau statue sur la demande ([145]) ;

–  le secret des délibérations et du vote du Bureau, qui est nécessaire à la sérénité de ses travaux et à la liberté de décision de ses membres ;

–  la nécessité pour le Bureau de motiver ses décisions au regard du caractère sérieux, loyal et sincère de la demande, conformément aux critères dégagés par le Conseil constitutionnel ;

–  la notification obligatoire et sans délai au parlementaire concerné du sens de la décision prise par le Bureau et de ses motifs.

Proposition n° 9

Préciser la procédure applicable à l’examen des demandes de mainlevée de l’inviolabilité afin de concilier l’exigence de bonne administration de la justice et la nécessaire garantie des droits du parlementaire concerné :

–  instituer un délai maximal d’examen d’une demande de mainlevée transmise par l’autorité judiciaire, à l’expiration duquel la demande serait réputée acceptée si elle n’a pas été examinée ;

–  consacrer le droit du parlementaire concerné de consulter le dossier de cette demande et d’être entendu par les organes compétents ;

–  prévoir que le parlementaire concerné est avisé sans délai de la transmission par l’autorité judiciaire d’une demande de mainlevée ;

–  permettre au parlementaire de désigner un représentant pour assister, sans voix délibérative, aux travaux du Bureau lorsqu’il n’est rattaché à aucun groupe politique ;

–  inscrire dans le Règlement des assemblées le secret des délibérations et du vote du Bureau et la nécessaire motivation de ses décisions au regard du caractère sérieux, loyal et sincère de la demande de mainlevée de l’inviolabilité ;

–  notifier systématiquement et sans délai au parlementaire concerné la décision du Bureau.

Vos rapporteurs proposent par ailleurs que l’assemblée plénière puisse se prononcer en dernier ressort, à la demande du parlementaire concerné, lorsque le Bureau a décidé d’autoriser une ou plusieurs mesures privatives ou restrictives de liberté à son encontre.

Il n’apparaît pas nécessaire que les décisions de rejet par le Bureau de ces mesures puissent faire l’objet d’un tel recours, dans la mesure où il suffit à l’autorité judiciaire de formuler une nouvelle demande, le cas échéant motivée différemment, pour qu’elle soit de nouveau examinée.

Afin de ne pas rallonger à l’excès les délais d’examen des demandes de mainlevée de l’inviolabilité parlementaire, l’assemblée devrait se prononcer lors de la plus prochaine séance réservée par priorité aux questions au Gouvernement, sur le modèle des règles régissant, à l’Assemblée nationale, le vote sur les demandes de suspension de la détention, des mesures privatives ou restrictives de liberté ou de la poursuite d’un parlementaire ([146]). Ce recours serait suspensif jusqu’à la décision finale de l’assemblée, sous réserve des dispositions spécifiques à prévoir lorsque la réunion du Bureau se tient hors session ou n’est suivie d’aucune séance de questions au Gouvernement.

Même si le constituant a réservé, en 1995, cette compétence au Bureau afin de moins exposer les parlementaires et ainsi de mieux préserver leur droit au respect de la présomption d’innocence, l’inviolabilité parlementaire participe à la protection institutionnelle du Parlement, dont les assemblées ne sauraient se désintéresser au profit de l’un de leurs organes, fût-il représentatif de la composition de celles-ci. De surcroît, une telle forme de « recours interne » constituerait une garantie importante pour les parlementaires d’opposition n’appartenant à aucun groupe et dont la sensibilité politique n’est en conséquence pas représentée au Bureau, en leur permettant de faire valoir leurs arguments devant l’ensemble de leurs collègues.

Cette proposition est préférable à celle qui consisterait à instaurer une véritable voie de recours contre les décisions prises dans ce domaine par le Bureau devant une tierce institution. D’une part, comme l’a fait observer la constitutionnaliste Anne Levade, une telle évolution aurait été « contraire au principe d’autonomie du Parlement et à l’esprit même de la levée d’immunité parlementaire qui en fait une affaire interne aux assemblées » ([147]). D’autre part, elle impliquerait de déterminer l’autorité compétente pour examiner un tel recours. S’il ne pourrait s’agir de la Cour de cassation, juridiction suprême de l’ordre auquel appartient le magistrat ayant sollicité la levée de l’inviolabilité, la compétence du Conseil constitutionnel, envisagée par certaines personnes auditionnées, aurait conduit à transformer en profondeur le rôle de cette institution en renforçant, comme l’a souligné le professeur de droit Bertrand Mathieu, « d’une manière (…) excessive le contrôle juridictionnel de l’activité politique » ([148]).

Proposition n° 10

Permettre au parlementaire à l’égard duquel le Bureau a autorisé le prononcé de mesures privatives ou restrictives de liberté de demander à l’assemblée de statuer en dernier ressort, à la suite de la plus prochaine séance de questions au Gouvernement.

 


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   LISTE DES PROPOSITIONS

Proposition n° 1 : Étendre la protection de la liberté d’expression des parlementaires aux propos qu’ils émettent en dehors des assemblées, dans le cadre de débats d’intérêt général en lien avec l’exercice de leurs fonctions, à l’exclusion des propos constitutifs d’injures publiques.

Proposition n° 2 : Prévoir expressément que les propos ou votes émis devant le Parlement réuni en Congrès et les comptes rendus des séances de celui-ci sont couverts par l’irresponsabilité.

Proposition n° 3 : Compenser l’extension de la protection de la liberté d’expression des parlementaires par un renforcement des sanctions disciplinaires qu’ils encourent, au sein de leur assemblée, pour les propos provocateurs, menaçants ou outrageants qu’ils tiennent à l’extérieur.

Proposition n° 4 : Consacrer une exception d’irresponsabilité afin que la juridiction compétente statue sur l’application de l’irresponsabilité aux propos pour lesquels le parlementaire est poursuivi, avant toute mise en examen ou jugement au fond.

Proposition n° 5 : Conserver le régime actuel d’autorisation des mesures privatives et restrictives de liberté susceptibles d’être prononcées à l’encontre d’un parlementaire, sans étendre son périmètre.

Proposition n° 6 : Conserver la possibilité pour les assemblées de suspendre, pour la durée de la session, les poursuites et les mesures privatives ou restrictives de liberté concernant un parlementaire.

Proposition n° 7 : Protéger le secret des informations dont les parlementaires sont dépositaires à raison de leurs fonctions afin que la justice ne puisse pas exiger d’eux de les révéler.

Proposition n° 8 : Soumettre les perquisitions dans le bureau, la permanence ou le domicile d’un parlementaire à des règles similaires à celles prévues pour les perquisitions dans le cabinet ou le domicile d’un avocat et reconnaître expressément le pouvoir d’autorisation par le président de l’assemblée concernée des perquisitions dans un local de cette assemblée.

Proposition n° 9 : Préciser la procédure applicable à l’examen des demandes de mainlevée de l’inviolabilité afin de concilier l’exigence de bonne administration de la justice et la nécessaire garantie des droits du parlementaire concerné :

–  instituer un délai maximal d’examen d’une demande de mainlevée transmise par l’autorité judiciaire, à l’expiration duquel la demande serait réputée acceptée si elle n’a pas été examinée ;

–  consacrer le droit du parlementaire concerné de consulter le dossier de cette demande et d’être entendu par les organes compétents ;

–  prévoir que le parlementaire concerné est avisé sans délai de la transmission par l’autorité judiciaire d’une demande de mainlevée ;

–  permettre au parlementaire de désigner un représentant pour assister, sans voix délibérative, aux travaux du Bureau lorsqu’il n’est rattaché à aucun groupe politique ;

–  inscrire dans le Règlement des assemblées le secret des délibérations et du vote du Bureau et la nécessaire motivation de ses décisions au regard du caractère sérieux, loyal et sincère de la demande de mainlevée de l’inviolabilité ;

–  notifier systématiquement et sans délai au parlementaire concerné la décision du Bureau.

Proposition n° 10 : Permettre au parlementaire à l’égard duquel le Bureau a autorisé le prononcé de mesures privatives ou restrictives de liberté de demander à l’assemblée de statuer en dernier ressort, à la suite de la plus prochaine séance de questions au Gouvernement.


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   TRAVAUX DE LA COMMISSION

Lors de sa première réunion du mercredi 12 février 2020, la commission des Lois a examiné ce rapport d’information et, à l’unanimité, en a autorisé la publication.

Ces débats ne font pas l’objet d’un compte rendu et sont accessibles sur le portail vidéo du site de l’Assemblée à l’adresse suivante :

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.8741096_5e43b58069af5

 


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   LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

AVOCATS

     M. Xavier Autain, président de la commission Communication institutionnelle

     M. Jérôme Karsenti, membre de la commission Liberté et droits de l’homme et de la commission Égalité

     Mme Beatrice Voss, présidente de la commission Liberté et droits de l’homme

     Mme Anne‑Charlotte Varin, directrice des affaires publiques

     M. Jacques‑Edouard Briand, chargé des relations avec les pouvoirs publics

     M. Bernard Fau, membre du conseil de l’ordre de Paris, président de la commission des affaires publiques au sein du conseil de l’ordre

     M. Julien Aubignat, responsable des affaires publiques

     M. Benoît Chabert, membre du Bureau

     M. Jean-Baptiste Blanc, président

     M. Simon Warynski, vice-président province

     Mme Catherine Glon, membre du Bureau et du conseil syndical

MAGISTRATS

     Mme Chantal Arens, première présidente

     M. François Molins, procureur général

     Mme Audrey Prodhomme, secrétaire générale du parquet général

     Mme Nina Milesi, secrétaire nationale

     Mme Cécile Mamelin, trésorière nationale

     M. Vincent Charmoillaux, secrétaire général

     Mme Sarah Massoud, secrétaire nationale

MINISTÈRE DE LA JUSTICE

     M. Jean-François de Montgolfier, directeur

     M. Hervé Cozic, adjoint au chef du bureau du droit constitutionnel et du droit public

     Mme Catherine Pignon, directrice

     M. Thibault Cayssials, chef du bureau de la législation pénale spécialisée

PARLEMENTAIRES

UNIVERSITAIRES

 


—  1  —

   ANNEXE 1 : DEMANDES RELATIVES À L’IMMUNITÉ PARLEMENTAIRE PRÉSENTÉES À L’ASSEMBLÉE NATIONALE

Liste des demandes d’autorisation de poursuites ou d’arrestations
(avant la loi constitutionnelle du 4 août 1995)

Député concerné

Auteur et motif de la demande

Numéro et date de dépôt de la demande

Numéro et date du rapport

Décision de l’Assemblée nationale

1ère législature

Pierre LAGAILLARDE

Ministère public (insurrection d’Alger)

1016

2 décembre 1960

Oral

7 décembre 1960

Levée le 7 décembre 1960

Marc LAURIOL

Ministère public
(crime d’atteinte à la sûreté de l’État)

1193

17 mai 1961

lettre rect. 1248

21 juin 1961

1237

15 mai 1961

1249

21 juin 1961

Levée le 21 juin 1961

Jean-Marie LE PEN

Ministère public
(crime d’atteinte à la sûreté de l’État)

1604

9 décembre 1961

Non rapportée

Non discutée

Jean-Marie LE PEN

Partie civile
(coups et blessures volontaires)

1611

11 décembre 1961

Non rapportée

Non discutée

Georges BIDAULT

Ministère public (complot contre l’autorité de l’État)

1767

16 juin 1962

lettre rect. 1795

27 juin 1962

1827

5 juillet 1962

Levée le 5 juillet 1962

2ème législature

Raymond SCHMITTLEIN

Assignation directe (diffamation)

175

15 février 1963

228

3 mai 1963

Demande sans objet (clôture de la session extraordinaire)

Henri FIEVEZ

Plainte avec constitution de partie civile

(infraction au code électoral)

998

19 juin 1964

1150

4 novembre 1964

Demande sans objet (clôture de la session extraordinaire)

3ème législature

Henri GUIDET

Plainte avec constitution de partie civile (diffamation)

332

20 juin 1967

Non rapporté

Pas de décision

4ème législature

Jean BONHOMME

Plainte avec constitution de partie civile (diffamation)

2683

24 novembre 1972

2780

14 décembre 1972

Pas de décision
(fin de législature)

7ème législature

Paul BLADT

Plainte avec constitution de partie civile (diffamation)

608

11 décembre 1981

619

18 décembre 1981

Rejet de la demande

Michel BERSON

Citation directe (diffamation)

828

26 avril 1982

845

4 mai 1982

Rejet de la demande le 6 mai 1982

Joseph PINARD

Citation directe (diffamation)

1160

20 octobre 1982

1227

18 novembre 1982

Rejet de la demande le 8 décembre 1982

Jean JUVENTIN

Gaston FLOSSE (diffamation)

2873

28 juin 1985

Demandes caduques (fin de session)

Alain VIVIEN

M. W. LAARHUIS (diffamation)

2874

28 juin 1985

Alain VIVIEN

Église de scientologie (diffamation)

2875

28 juin 1985

Jean JUVENTIN

Gaston FLOSSE (diffamation)

2940

10 juillet 1985

2930

25 juillet 1985

Commission ad hoc constituée le 24 juillet 1985

Alain VIVIEN

M. W. LAARHUIS (diffamation)

2905

10 juillet 1985

Alain VIVIEN

Église de scientologie (diffamation)

2906

10 juillet 1985

8ème législature

Gérard FREULET

MRAP (délit de presse)

252

7 juillet 1986

Caducité des demandes (fin de session)

André LAIGNEL

Département de l’Indre, MM. BERNARDET et JAMET
(détournement de deniers et ingérence)

254

8 juillet 1986

Henri BOUVET

M. MALINVAUD (diffamation)

340

4 août 1986

9ème législature

Jean-Michel BOUCHERON

Procureur général près la cour d’appel de Paris

1765

28 novembre 1990

Commission ad hoc constituée le 5 décembre 1990

Demande caduque (fin de session)

Jacques FARRAN

Procureur général près la cour d’appel de Montpellier

2538

8 janvier 1992

lettre rect. 2540

11 janvier 1992

Commission ad hoc constituée le 14 janvier 1992

Demande caduque (fin de session)

Jean-Michel BOUCHERON

Procureur général près la cour d’appel de Bordeaux

3028

10 novembre 1992

3092

1er décembre 1992

Commission ad hoc constituée le 19 novembre 1992

Immunité levée le 3 décembre 1992

Jean-Michel BOUCHERON

Procureur général près la cour d’appel de Bordeaux

3155

16 décembre 1992

3210

20 décembre 1992

Commission ad hoc constituée le 18 décembre 1992

Immunité levée le 20 décembre 1992

Jean-Michel BOUCHERON

Lettre du garde des Sceaux du 13 janvier 1993

Décision du Bureau du 21 janvier 1993 acceptant la demande d’arrestation

(demande déposée hors session)

10ème législature

Bernard TAPIE

Procureur général près la cour d’appel de Paris (diffamation)

605

15 octobre 1993

722

17 novembre 1993

Commission ad hoc constituée le 18 décembre 1993

Immunité levée le 7 décembre 1993

Bernard TAPIE

Lettre du garde des Sceaux du 5 janvier 1994

Décision du Bureau du 10 janvier 1994 : la demande de mise sous contrôle judiciaire ne constituant pas une demande d’arrestation au sens de l’article 26 de la Constitution, le Bureau ne lui a pas donné suite

(demande déposée hors session)

Michel NOIR

Lettre du garde des Sceaux du 14 mars 1994

Décision du Bureau du 16 mars 1994 : la demande de mise sous contrôle judiciaire ne constituant pas une demande d’arrestation au sens de l’article 26 de la Constitution, le Bureau ne lui a pas donné suite

(demande déposée hors session)

Édouard CHAMMOUGON

Lettre du garde des Sceaux du 23 mars 1994

Décision du Bureau du 30 mars 1994 acceptant la demande d’arrestation

(demande déposée hors session)

Bernard TAPIE

Procureur général près la cour d’appel de Douai (complicité de corruption et subornation de témoins)

1371

13 juin 1994

1424

22 juin 1994

Immunité levée le 28 juin 1994

Bernard TAPIE

Procureur général près la cour d’appel de Paris (abus de biens sociaux)

1372

13 juin 1994

1425

22 juin 1994

Immunité levée le 28 juin 1994

Gilbert BAUMET

Procureur général près la cour d’appel de Nîmes (abus de confiance)

1784

9 décembre 1994

Demande caduque (fin de session)

Bernard CHARLES

Lettre du garde des Sceaux du 17 mars 1995

Décision du Bureau du 23 mars 1995 rejetant la demande d’arrestation au motif que les motivations de la requête étaient insuffisantes (hors session)

Philippe de CANSON

Procureur général près la cour d’appel d’AixenProvence (recel d’extorsion de fonds et prise illégale d’intérêts)

2074

6 juin 1995

2087

21 juin 1995

Rejet de la demande

Marc FRAYSSE

M. PREVOT, avocat de M. CHABROUX, maire de Villeurbanne

2114

28 juin 1995

Demande caduque (fin de session)


—  1  —

Liste des demandes d’autorisation d’arrestations
ou de mesures privatives ou restrictives de liberté
(après la loi constitutionnelle du 4 août 1995)

Député concerné

Objet de la demande

Date de la décision du Bureau

Contenu de la décision du Bureau

10ème législature

Bernard TAPIE

Arrestation, placement en garde à vue ou toute autre mesure privative ou restrictive de liberté

21 novembre 1995

Autorisation de placement sous contrôle judiciaire

Bernard CHARLES

Placement sous contrôle judiciaire (répondre aux convocations, cautionnement et interdiction d’activités professionnelles)

21 novembre 1995

Rejet

André THIEN AH KOON

Placement sous contrôle judiciaire (interdiction de rencontrer différentes personnes et interdiction de sortir du territoire national sans autorisation)

29 janvier 1997

Rejet

Franck MARLIN

Arrestation, placement en garde à vue ou sous contrôle judiciaire (interdiction de prendre l’attache des personnes mises en cause ou mises en examen et cautionnement)

25 février 1997

Le Bureau décide, en cas de mise en examen, de ne pas s’opposer à la mise en œuvre, en tant que de besoin, des mesures de contrôle judiciaire prévues aux 9° (interdiction de rencontrer certaines personnes) et 11° (cautionnement) de l’article 138 du code de procédure pénale

Claude HOARAU

Placement sous contrôle judiciaire (interdiction de tout contact avec les victimes et témoins et interdiction d’utiliser une voiture de fonction)

26 novembre 1997

Rejet

Marc DUMOULIN

Placement sous contrôle judiciaire (interdiction de tout contact avec la partie civile, ses parents et les témoins, obligation de répondre aux convocations de la juridiction)

16 décembre 1998

Autorisation des mesures de contrôle judiciaire demandées. En cas de manquement aux obligations du contrôle judiciaire, le Bureau doit être saisi d’une demande d’autorisation d’arrestation préalable à la délivrance d’un mandat d’arrêt ou de dépôt

Denis JACQUAT

Placement en garde à vue

12 octobre 2005

Rejet

13ème législature

Sylvie ANDRIEUX

Garde à vue et placement sous contrôle judiciaire (sans précision supplémentaire du juge)

7 avril 2010

Autorisation de la mesure de contrôle judiciaire prévue au 9° de l’article 138 du code de procédure pénale

Georges TRON

Placement sous contrôle judiciaire : interdiction de tout contact avec certaines personnes parties prenantes à l’affaire (9° de l’article 138 du code de procédure pénale)

30 juin 2011

Autorisation de la mesure de contrôle judiciaire prévue au 9° de l’article 138 du code de procédure pénale

14ème législature

Bernard BROCHAND

Garde à vue et placement sous contrôle judiciaire (notamment interdiction de rencontrer des personnes parties prenantes à l’affaire)

16 avril 2014

Rejet

Lionnel LUCA

Garde à vue

28 mai 2014

Rejet

Philippe BRIAND

Garde à vue et mesures de contrôle judiciaire (notamment interdiction de rencontrer des personnes parties prenantes à l’affaire mais demande non relayée par le procureur général)

21 janvier 2015

Autorisation de la garde à vue

Patrick BALKANY

Placement sous contrôle judiciaire (notamment retrait du passeport, interdiction de quitter le territoire et interdiction de rencontrer des personnes parties prenantes à l’affaire)

18 mars 2015

Autorisation (avec possibilité pour le Bureau d’autoriser des sorties du territoire exceptionnelles nécessaires à l’accomplissement du mandat parlementaire)

Paul GIACOBBI

Garde à vue et mesures de contrôle judiciaire (cautionnement et interdiction de rencontrer des parties prenantes à l’affaire)

13 juin 2016

Rejet

Gilbert COLLARD

Interrogatoire de première comparution sans préciser les mesures envisagées pour y parvenir

22 février 2017

Rejet


15ème législature

Gilbert COLLARD

Délivrance d’un mandat de comparution puis, le cas échéant, d’un mandat d’amener, pour un interrogatoire de première comparution

27 septembre 2017

Autorise la délivrance d’un mandat d’amener (pas besoin d’autorisation pour le mandat de comparution)

Marine LE PEN

Délivrance d’un mandat de comparution puis, le cas échéant, d’un mandat d’amener, pour un interrogatoire de première comparution

8 novembre 2017

Autorise la délivrance d’un mandat d’amener (pas besoin d’autorisation pour le mandat de comparution)

Thierry SOLÈRE

Garde à vue

11 juillet 2018

Autorise la garde à vue

Max MATHIASIN

Garde à vie

15 janvier 2020

Rejet


 


Liste des demandes de suspension de détentions ou de poursuites depuis 1958

Député concerné

Objet de la demande

Dépôt

Rapport

Décision de l’Assemblée nationale

1ère législature

Tetuaapua POUVANAA OOPA (détenu)

Poursuites

159

23 juin 1959

302

10 octobre 1959

Pas de décision

Pas de décision

Pierre LAGAILLARDE

Détention

578

25 avril 1960

883

13 octobre 1960

nc

Rejet le 1er juin 1960

Rejet le 15 novembre 1960

2ème législature

Raymond SCHMITTLEIN

Poursuites

454

11 juillet 1963

500

24 juillet 1963

Suspension des poursuites jusqu’à la fin de la session, adoptée le 26 juillet 1963, dernier jour de session

6ème législature

Jean AUROUX

Poursuites

1991

15 octobre 1980

2054

12 novembre 1980

Suspension des poursuites jusqu’à la fin de la législature, adoptée le 14 novembre 1980

Raoul BAYOU

Claude EVIN

Laurent FABIUS

Pierre GUIDONI

Pierre JAGORET

François MITTERRAND

Gilbert SENES

Maurice NILES

Poursuites

1994

17 octobre 1980

2055

12 novembre 1980

Jacques BRUNHES

Poursuites

2265

2 avril 1981

2307

non déposé

Pas de décision (dissolution le 22 mai 1981)

Colette GOEURIOT

Poursuites

nc

2309

non déposé

14ème législature

Henri GUAINO

Poursuites

1954

16 mai 2014

1989

28 mai 2014

Rejet le 3 juin 2014, par un scrutin public (pour : 103 ; contre : 137)

Gilbert COLLARD

Poursuites

4523

20 février 2017

 

Pas de décision

Source : informations communiquées par la présidence de l’Assemblée nationale à vos rapporteurs.

 


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   ANNEXE N° 2 : CONTRIBUTIONS ÉCRITES

Ces contributions ont été annexées au présent rapport avec l’autorisation de leurs auteurs. Aucune modification n’y a été apportée.

 

SOMMAIRE DES CONTRIBUTIONS

Les contributions sont présentées suivant l’ordre de la liste des personnes entendues.

Contribution du Conseil national des barreaux

Contribution du barreau de Paris

Contribution du Syndicat des avocats de France

Contribution de Me François Saint-Pierre, avocat aux barreaux de Lyon et Paris 

Contribution de Me Jean Veil, avocat au barreau de Paris

Contribution de Mme Chantal Arens, premiere présidente de la Cour de cassation 

Contribution de l’Union syndicale des magistrats

Contribution de M. François Molins, procureur général près la Cour de cassation 

Contribution du Syndicat de la magistrature

Contribution de M. Jean-Paul Costa, ancien président de la Cour européenne des droits de l’homme, président de la Fondation René Cassin             

Contribution de la direction des affaires civiles et du Sceau et de la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la Justice             

Contribution de M. Bernard Accoyer, ancien président de l’Assemblée nationale, ancien député de Haute-Savoie             

Contribution de MM. Gilbert Collard, député européen, ancien député du Gard, Jean-Marc Descoubès, avocat au barreau de Paris, et JeanRichard Sulzer, conseiller régional des Hauts-de-France             

Contribution de M. Denis Baranger, professeur de droit public à l’Université Paris II Panthéon-Assas             

Contribution de M. Olivier Beaud, professeur de droit public à l’Université Paris II Panthéon-Assas             

Contribution de Mme Cécile Guérin-Bargues, professeure de droit public à l’Université Paris II Panthéon-Assas             

Contribution de Mme Anne Levade, professeure de droit public à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, présidente de l’Association française de droit constitutionnel             

Contribution de M. Bertrand Mathieu, professeur agrégé des facultés de droit, conseiller d’État en service extraordinaire             

Contribution de M. Serge Sur, professeur émérite de droit public de l’Université Paris II Panthéon-Assas             

 


—  1  —

Contribution du Conseil national des barreaux

 


—  1  —

Contribution du barreau de Paris

Octobre 2019

 

 

Retour sur l’audition de la profession d’avocat du 18 septembre 2019

 

Le 18 septembre 2019, le barreau de Paris et le CNB ont été auditionnés par les deux rapporteurs de la mission d’information sur l’immunité parlementaire, les députés Alain TOURRET (LREM) et Sébastien HUYGHE (LR).

 

L’objet de la mission d’information est de déterminer si l’immunité parlementaire peut, et doit, être renforcée. Au terme du cycle d’auditions, les co-rapporteurs présenteront un rapport à la commission des Lois de l’Assemblée nationale sur le sujet. Il n’est pas encore déterminé si ce rapport donnera lieu à une proposition de loi.

 

Afin de nourrir leur rapport, les co-rapporteurs ont invité les représentants de la profession d’avocat à leur remettre une note de position.

 

 

 

     De la sémantique

L’ensemble des règles désignées sous le vocable immunité parlementaire mériterait d’être désignées sous le vocable plus clair d’inviolabilité parlementaire. Les mots ont un sens et les qualifications employées ont sur l’opinion publique un impact que l’on ne peut négliger.

L’inviolabilité fait appel à un critère organique et à la notion de séparation des pouvoirs. Il s’agit de règles visant à mettre obstacle à des perturbations du plein exercice de la fonction parlementaire. Ainsi, ce dispositif n’est par sa nature même, pas transposable aux exécutifs locaux. Mais ce point mérite débat.

La catégorie de l’inviolabilité parlementaire est réunie dans les alinéas 1, 2 et 3 de l’article 26 de la Constitution et il pourrait être souhaitable que la déclinaison de ces textes prenne la forme dans le Code pénal ou le Code de procédure pénale d’un corpus autonome réunissant les différents mécanismes actuels.

 

     De l’irresponsabilité parlementaire

L’irresponsabilité parlementaire prévue à l’article 26 alinéa 1er de la Constitution relève de la compétence exclusive des autorités judiciaires. Dans l’objectif de recentrer ce mécanisme sur son objectif de séparation des pouvoirs, il est paradoxal que ce soit l’autorité judiciaire – et plus particulièrement le Parquet – qui est autorité de poursuite. L’implication liminaire de l’assemblée dont est membre le parlementaire en cause, pourrait être utilement introduite.

Par ailleurs, une réflexion mériterait d’être conduite pour s’assurer que l’apparition de nouveaux modes de communication n’est pas de nature à complexifier la notion d’opinion émise par le parlementaire dans l’exercice de ses fonctions.

 

     De l’inviolabilité parlementaire

Le dispositif actuel est satisfaisant mais pourrait être amendé en ce qui concerne la mise en examen compte tenu de la nature juridique de cette mesure (art. 80-1 CPP) :

« Les personnes à l’encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu’elles aient pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions ».

La mise en examen est la sanction publique de cette situation, avant d’être productive de certains droits de la défense. C’est pourquoi elle est ressentie par l’opinion et par l’intéressé comme une pré-condamnation.

On pourrait imaginer que le statut du parlementaire impose de ne pas franchir le statut du témoin assisté.

 

     De la perquisition du parlementaire

 

Au sujet des perquisitions des parlementaires, il serait opportun que ces derniers puissent être accompagnés de leur avocat. Cela participerait de l’apaisement et du bon déroulé de ces perquisitions. Pour cela, il s’agit d’étendre les dispositions de l’article 56-2 du code de procédure pénale (qui s’appliquent aux entreprises de presse ou de communication audiovisuelle) au cas des parlementaires.

A titre d’exemple, dans les cabinets d’avocat, les perquisitions se font nécessairement en présence d’un délégué ou représentant du bâtonnier. Dans cette hypothèse, c’est le juge des libertés et de la détention qui se prononce in fine sur les documents perquisitionnés qui doivent ou ne doivent pas être communiqués à la justice. Se pose la question de l’autorité qui prendrait ce rôle dans le cas des parlementaires.

Si la présence de l’avocat auprès du parlementaire se justifie pleinement, c’est aussi le cas pour les autres cas de perquisition (fiscale…), pour les mêmes raisons d’apaisement et de bon déroulé de cette dernière. Il convient donc de généraliser la présence de l’avocat dans le cadre des perquisitions.

 

 

Rappel des propositions du barreau de Paris

 

  1. Désigner l’ensemble des règles liées à la notion d’immunité parlementaire sous le vocable d’inviolabilité parlementaire.

 

  1. Concernant le parlementaire dont l’irresponsabilité parlementaire est en jeu, introduire – à titre liminaire – l’assemblée dont il est membre comme autorité de poursuite.

 

  1. Imposer que le statut du parlementaire ne puisse franchir le statut du témoin assisté, pour ne pas atteindre celui de mis en examen.

 

  1. Permettre au parlementaire d’être assisté de son avocat dans le cadre des perquisitions qui le visent.

 


—  1  —

Contribution du Syndicat des avocats de France


—  1  —

Contribution de Me François Saint-Pierre,
avocat aux barreaux de Lyon et Paris

François Saint-Pierre

          Avocat   

 

 

 

Monsieur Alain Tourret

Monsieur Sébastien Huyghe

Députés

 

 

Mission d’information sur l’immunité parlementaire

Audition du mercredi 25 septembre 2019

Le 30 septembre 2019

 

 

   Messieurs les députés,

 

 

 Vous avez souhaité m’auditionner mercredi 25 septembre 2019 dans le cadre de vos travaux sur le régime juridique et procédural de l’immunité et de l’inviolabilité parlementaires. Je vous remercie de m’avoir ainsi donné l’occasion de réfléchir et de m’exprimer sur ce thème essentiel tant à la protection des députés et sénateurs qu’à la bonne marche de la justice.

 

 Je vous adresse le résumé écrit des observations et des propositions que j’ai formulées.

 

 

 1- Sur la question des perquisitions des locaux des parlementaires et des partis politiques.

 

 

 Hasard du calendrier, la semaine ayant précédé mon audition plusieurs députés de la France insoumise avaient comparu devant le tribunal correctionnel de Bobigny, les 19 et 20 septembre 2019, poursuivis pour des actes de rébellion qu’il leur était reproché d’avoir commis lors d’une perquisition menée au siège de leur mouvement politique, en octobre 2018.

 

 Il ne s’agit pas ici de revenir sur ces évènements mais de tirer les enseignements des débats très intéressants qui se sont tenus devant le tribunal correctionnel — il est évident que chacun des prévenus demeure présumé innocent, puisque le jugement ne sera rendu qu’au mois de décembre.

 

 Je rappelle seulement, pour les nécessités de mon propos, que cette perquisition avait été conduite dans le cadre de deux enquêtes préliminaires par le procureur de la République, sans juge d’instruction mais sur autorisation du juge des libertés et de la détention (le JLD), à la recherche d’éléments de preuves d’infractions de nature financière (indemnités d’assistants au Parlement européen et financement de campagnes électorales). Je précise aussi être personnellement intervenu lors de ce procès en qualité d’avocat de plusieurs fonctionnaires de l’OCLIFF, parties civiles, qui ont tenu à affirmer leur professionnalisme, leur neutralité et leur souci constant de la légalité.

 

 De leur côté, les députés et les militants de la France insoumise ont tous fait état d’une vive émotion lors de cette perquisition, qui explique selon eux leur réaction subjective face aux policiers ; ils ont de même et surtout souligné leur suspicion sur les raisons de cette opération, qu’ils considèrent avoir été commanditée par le pouvoir politique ayant instrumentalisé la justice.

 

 Au cours des débats, Monsieur Lachaud, député, a fait observer que les perquisitions des locaux des mouvements et partis politiques se déroulent suivant la procédure de droit commun, sans aucune garantie spécifique, à la différence des perquisitions conduites dans les cabinets d’avocats.

 

 Cette observation est très pertinente. L’article 56-1 du code de procédure pénale prévoit en effet que ces dernières sont nécessairement conduites par un magistrat, sur la base d’une ordonnance préalable qui en précise les raisons et le but, en présence du bâtonnier ou de son représentant, qui veille au respect du secret professionnel de l’avocat et peut contester la saisie d’un document ; cette saisie est dans ce cas soumise au contrôle du JLD.

 

 Les articles suivants prévoient des garanties similaires pour les perquisitions opérées dans les cabinets médicaux, les entreprises de presse, les bureaux et domiciles de magistrats, ainsi que dans les lieux abritant des secrets de défense nationale (articles 56-1 à 56-5).

 

 Une disposition parallèle pourrait utilement être inscrite dans un nouvel article 56-6 du code de procédure pénale pour les persistions des bureaux et domiciles des parlementaires et des locaux des partis et mouvements politiques représentés au Parlement, afin de garantir le but et le déroulement de ces opérations, ainsi que l’objet des saisies qui sont alors pratiquées.

 

 Cette nouvelle disposition pourrait prévoir que ces perquisitions doivent nécessairement être conduites par un juge d’instruction ou à tout le moins être autorisées par le JLD (ce qui avait été le cas en l’espèce). Un doute subsiste dans l’esprit de nombreuses personnes ainsi que dans l’opinion publique sur la neutralité et l’indépendance des magistrats du ministère public envers le gouvernement, à tort ou à raison, bien que la loi de juillet 2013 ait interdit toute directive du ministre de la justice aux procureurs de la République (CPP, art. 30) et que le Conseil constitutionnel ait affirmé lors de deux décisions de 2016 et 2017 l’indépendance fonctionnelle des procureurs dans la conduite de leurs enquêtes et l’exercice de l’action publique (Cons. const., 8 décembre 2017, n° 2017-680 QPC, Cons. const. 22 juillet 2016, n° 2016-555 QPC).

 

 Je considère pour ma part que cette suspicion persistera tant qu’une réforme constitutionnelle du statut des magistrats du parquet n’aura pas abouti, précisant le régime de leurs nominations, la chaîne hiérarchique interne du ministère public, les modalités des communications des procureurs dans le public (pour rendre compte de leur activité et des enquêtes en cours) et les conditions de leur responsabilité professionnelle — ce thème dépasse le cadre de la présente note.

 

 Cette nouvelle disposition prévoirait de plus la présence lors de la perquisition du président de l’Assemblée nationale ou du Sénat, ou de leur représentant ; la présence d’un tiers permet en effet de prévenir et de modérer les tensions que suscitent souvent ces opérations de perquisitions.

 

 Mais surtout, le président ou son représentant, à l’instar du bâtonnier, pourrait s’opposer à la saisie de tel ou tel document sans lien avec l’objet de la perquisition, tel qu’il devrait être défini avec précision dans l’ordonnance préalable autorisant la mesure. Par exemple, les fichiers des adhérents d’un parti politique méritent une protection particulière et ne devraient pas pouvoir être saisis (la Cour de cassation et la CEDH développent une jurisprudence utile sur les saisies massives de fichiers informatiques). Cette opposition serait ensuite soumise au contrôle du JLD.

 

 Une proposition de rédaction d’un nouvel article 56-6 du code de procédure pénale est présentée en annexe de cette note d’observations, dans un esprit clair : garantir le fonctionnement de la justice sans entrave, dans le respect de l’article 4 de la Constitution, qui prévoit, rappelons-le, que les partis et les groupements politiques « se forment et exercent leur activité librement ».

 

 

 2- Sur la question de l’immunité de parole des parlementaires.

 

 

 L’immunité de parole des parlementaires pose de même des difficultés d’interprétation et de mise en œuvre comme en témoignent les poursuites dont fait actuellement l’objet Madame Marine Le Pen (qu’elle a elle-même rendues publiques et c’est pourquoi je m’autorise à les évoquer).

 

 Mise en examen pour avoir publié sur des réseaux sociaux des images de crimes terroristes, afin selon elle d’en montrer l’atrocité, elle a fait l’objet d’une ordonnance d’expertise psychiatrique de la part du juge d’instruction (une telle expertise est légalement obligatoire dans ce cas de figure).

 

 Choquée par cette mesure, Madame Le Pen a de nouveau publié sur les réseaux sociaux une reproduction de cette ordonnance d’expertise psychiatrique afin de protester contre son traitement qui lui semble inapproprié. Elle a du coup fait l’objet d’une nouvelle convocation pour être mise en examen cette fois-ci du chef de publication d’acte de procédure avant une audience publique.

 

 Mais Madame Le Pen a refusé de se rendre au cabinet du juge d’instruction, invoquant son immunité parlementaire. Pour l’y contraindre, le magistrat devrait solliciter la levée de cette immunité au bureau de l’Assemblée nationale, en application de l’article 26 de la Constitution.

 

 L’état de la jurisprudence est le suivant. La Chambre criminelle de la Cour de cassation juge que l’immunité « ne se limite pas aux seuls discours tenus dans le sein de l’Assemblée nationale et du Sénat, mais s’étend aux propos émis dans l’exercice des fonctions parlementaires » (Cass. crim., 10 mai 2016, n° 15-86600, NP). Mais elle a défini de manière restrictive cette notion d’exercice des fonctions parlementaires, aux seules « activités prévues aux titres IV et V de la Constitution », c’est-à-dire de discussion et de vote des lois et de contrôle du gouvernement, excluant les considérations sociales, idéologiques, etc. (Cass. crim., 12 nov. 2008, n° 07-83398, Bull. crim., n° 229).

 

 Le Parlement européen suit la même ligne, de même que le Tribunal et la Cour de justice de l’Union européenne devant lesquels les parlementaires européens peuvent recourir : « une déclaration effectuée par un député européen en dehors du Parlement européen ayant donné lieu à des poursuites pénales dans son État membre d’origine […] ne constitue une opinion exprimée dans l’exercice des fonctions parlementaires relevant de l’immunité prévue à cette disposition que lorsque cette déclaration correspond à une appréciation subjective qui présente un lien direct et évident avec l’exercice de telles fonctions » (CJUE C-163/10, Patriciello, 6 septembre 2011) ; « ce lien doit être direct et s’imposer avec évidence » (Trib. UE, 14 juin 2017, 2017/2019).

 

 Cette jurisprudence, aussi restrictive soit-elle, laisse un espace de discussion dans de nombreux cas de figure ; Madame Le Pen, qui se défend librement, est-elle bien fondée à invoquer son immunité parlementaire dans la poursuite dont elle fait l’objet ? Le bureau de l’Assemblée nationale se prononcera le cas échéant, de même qu’ensuite la chambre de l’instruction de la Cour d’appel, qu’elle pourrait alors saisir d’une demande de nullité de la procédure la visant, si elle devait être finalement mise en examen, après levée de son immunité.

 

 Un recours préalable serait à mon avis utile pour qu’une telle exception d’immunité parlementaire soit jugée avant toute mise en examen ou tout débat au fond devant une juridiction de jugement. Il s’agit en effet d’une garantie constitutionnelle de la liberté d’expression des parlementaires qu’il serait préférable de faire juger de manière prioritaire.

 

 Une proposition de rédaction de modification de l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est présentée en annexe 2 de cette note d’observations, dans le même esprit que la proposition précédente : garantir l’exercice d’une liberté fondamentale avec un fonctionnement rapide et sûr de la justice. Cette proposition vise aussi les avocats dont le statut est à cet égard similaire, ce qui permettrait d’accorder notre droit interne avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH, 23 avr. 2015, n° 29369/1, Morice c/France).

 

 À défaut d’un tel recours, Madame Le Pen pourra se défendre utilement sur le fondement de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme et des nombreux arrêts rendus par la CEDH qui lui garantissent un très haut niveau de liberté d’expression — ce qui la convaincrait je l’espère de l’utilité de cette juridiction pour la protection et l’amélioration de notre État de droit et l’inciterait à renoncer à en réclamer la dénonciation et le retrait par la France…

 

 

 Veuillez croire, Messieurs les députés, à l’assurance de ma considération distinguée.

 

 

 François Saint-Pierre, 30 septembre 2019.

 

 

______

 

 

 

 

 

 

Annexe 1 : suggestion de rédaction d’un nouvel article 56-6 du code de procédure pénale.

 

« Les perquisitions dans le bureau ou le domicile d’un parlementaire ainsi que dans les locaux d’un parti politique ne peuvent être effectuées que par un magistrat et en présence du président de l’Assemblée nationale ou du Sénat (ci-après le président), ou de leur délégué, à la suite d’une décision écrite et motivée prise par ce magistrat, qui indique la nature de l’infraction ou des infractions sur lesquelles portent les investigations, les raisons justifiant la perquisition et l’objet de celle-ci. Le contenu de cette décision est porté dès le début de la perquisition à la connaissance du président ou de son délégué par le magistrat. Celui-ci et le président ou son délégué ont seuls le droit de consulter ou de prendre connaissance des documents ou des objets se trouvant sur les lieux préalablement à leur éventuelle saisie. Aucune saisie ne peut concerner des documents ou des objets relatifs à d’autres infractions que celles mentionnées dans la décision précitée. Les dispositions du présent alinéa sont édictées à peine de nullité.

Le magistrat qui effectue la perquisition veille à ce que les investigations conduites ne portent pas atteinte au libre exercice des fonctions du parlementaire ou à l’activité du parti politique.

Le président ou son délégué peut s’opposer à la saisie d’un document ou d’un objet s’il estime que cette saisie serait irrégulière. Le document ou l’objet doit alors être placé sous scellé fermé. Ces opérations font l’objet d’un procès-verbal mentionnant les objections du président ou de son délégué, qui n’est pas joint au dossier de la procédure. Si d’autres documents ou d’autres objets ont été saisis au cours de la perquisition sans soulever de contestation, ce procès-verbal est distinct de celui prévu par l’article 57. Ce procès-verbal ainsi que le document ou l’objet placé sous scellé fermé sont transmis sans délai au juge des libertés et de la détention, avec l’original ou une copie du dossier de la procédure.

Dans les cinq jours de la réception de ces pièces, le juge des libertés et de la détention statue sur la contestation par ordonnance motivée non susceptible de recours.

À cette fin, il entend le magistrat qui a procédé à la perquisition et, le cas échéant, le procureur de la République, ainsi que le parlementaire au bureau ou au domicile duquel elle a été effectuée, ou le représentant du parti politique où elle a eu lieu, et le président ou son délégué. Il peut ouvrir le scellé en présence de ces personnes.

S’il estime qu’il n’y a pas lieu à saisir le document ou l’objet, le juge des libertés et de la détention ordonne sa restitution immédiate, ainsi que la destruction du procès-verbal des opérations et, le cas échéant, la cancellation de toute référence à ce document, à son contenu ou à cet objet qui figurerait dans le dossier de la procédure.

Dans le cas contraire, il ordonne le versement du scellé et du procès-verbal au dossier de la procédure. Cette décision n’exclut pas la possibilité ultérieure pour les parties de demander la nullité de la saisie devant, selon les cas, la juridiction de jugement ou la chambre de l’instruction.

Les dispositions du présent article sont également applicables aux perquisitions ou visites domiciliaires effectuées, sur le fondement d’autres codes ou de lois spéciales, dans le bureau d’un parlementaire ou à son domicile ou dans les locaux d’un parti politique ».

 

 

 

 

 

Annexe 2 : suggestion de modifications de rédaction de l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881 (modifications soulignées).

 

« Ne donneront ouverture à aucune action les discours tenus dans le sein de l’Assemblée nationale ou du Sénat, ou en dehors mais en lien direct avec les fonctions de parlementaire, ainsi que les rapports ou toute autre pièce imprimée par ordre de l’une de ces deux assemblées.

Ne donnera lieu à aucune action le compte rendu des séances publiques des assemblées visées à l’alinéa ci-dessus fait de bonne foi dans les journaux.

Ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage ni les propos tenus ou les écrits produits devant une commission d’enquête créée, en leur sein, par l’Assemblée nationale ou le Sénat, par la personne tenue d’y déposer, sauf s’ils sont étrangers à l’objet de l’enquête, ni le compte rendu fidèle des réunions publiques de cette commission fait de bonne foi.

Ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage, ni le compte rendu fidèle fait de bonne foi des débats judiciaires, ni les discours prononcés ou les écrits produits par les avocats et les parties devant les tribunaux, ou en dehors dans les médiats mais en lien direct avec les faits de la cause et dans le respect de la présomption d’innocence et des droits fondamentaux des personnes concernées.

Pourront néanmoins les juges, saisis de la cause et statuant sur le fond, prononcer la suppression des discours injurieux, outrageants ou diffamatoires, et condamner qui il appartiendra à des dommages-intérêts.

Pourront toutefois les faits diffamatoires étrangers à la cause donner ouverture, soit à l’action publique, soit à l’action civile des parties, lorsque ces actions leur auront été réservées par les tribunaux, et, dans tous les cas, à l’action civile des tiers.

Tout parlementaire, tout avocat convoqué par un juge d’instruction aux fins de mise en examen ou cité à comparaître en qualité de prévenu devant une juridiction de jugement peut faire valoir l’immunité prévue au présent article, sous forme d’exception qui doit être jugée prioritairement. La Chambre de l’instruction, dans le premier cas, saisie par requête, statue après audience contradictoire dans un délai maximal de deux mois, par un arrêt motivé susceptible d’un pourvoi en cassation suspensif. La juridiction de jugement, dans le second cas, statue par décision avant-dire droit motivée, de même susceptible d’un appel ou d’un pourvoi en cassation suspensif. »

 

 


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Contribution de Me Jean Veil, avocat au barreau de Paris

MISSION INFORMATION ASSEMBLEE NATIONALE – Jeudi 19 septembre 2019

 

En présence des députés Sébastien HUYGHE (LR) et Alain TOURRET (LREM) et des avocats Jacqueline LAFFONT (Cabinet Haïk et associés) et Jean VEIL (Cabinet Veil Jourde).

 

Propos liminaires

 

Cette mission information s’inscrit dans un climat ambiant de défiance à l’égard de la République et, plus particulièrement, à l’égard des parlementaires, cibles de nombreuses attaques. Ces derniers bénéficient, de par leur statut, d’une protection spécifique prévue par l’article 26 de la Constitution française qui dispose :

« Aucun membre du Parlement ne peut être poursuivi, recherché arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions.

Aucun membre du Parlement ne peut faire l’objet, en matière criminelle ou correctionnelle, d’une arrestation ou de toute autre mesure privative ou restrictive de liberté qu’avec l’autorisation du Bureau de l’assemblée dont il fait partie. Cette autorisation n’est pas requise en cas de crime ou délit flagrant ou de condamnation définitive.

La détention, les mesures privatives ou restrictives de liberté ou la poursuite d’un membre du Parlement sont suspendues pour la durée de la session si l’assemblée dont il fait partie le requiert.

L’assemblée intéressée est réunie de plein droit pour des séances supplémentaires pour permettre, le cas échéant, l’application de l’alinéa ci-dessus ».

La Constitution a ainsi prévu, pour préserver l’indépendance juridique et matérielle des parlementaires, qu’ils bénéficient d’une protection : l’immunité parlementaire. Profondément enracinée dans la tradition républicaine, l’immunité parlementaire a pour objet essentiel de garantir au parlementaire une jouissance paisible de son mandat sans s’exposer à des poursuites de nature arbitraire ou politique.

Il faut rappeler que, par ce terme d’immunité, il faut comprendre en réalité deux mécanismes : l’irresponsabilité et l’inviolabilité. L’irresponsabilité « soustrait les actes qui font partie intégrante de l’exercice des fonctions parlementaires au régime normal de la responsabilité ». Elle est prévue par le premier alinéa de l’article 26 de la Constitution. L’inviolabilité « s’applique en revanche aux actes extérieurs aux fonctions parlementaires ». Depuis la réforme de 1995, le deuxième alinéa de l’article 26 se contente désormais, en la matière, « de soumettre à autorisation du Bureau de l’assemblée concernée, les seules arrestations et mesures privatives de liberté ».

Néanmoins, le principe de l’immunité parlementaire, proclamé lors de la Révolution française, peut parfois sembler vétuste : de manière non exhaustive et à titre d’exemple, à l’ère de l’expansion grandissante des réseaux sociaux, une jurisprudence constante se borne à protéger les propos des députés tenus au sein de l’hémicycle.

Il appert donc évident que, si la restauration d’un lien de confiance des citoyens à l’égard des institutions et de leurs représentants est devenue primordiale, une réflexion doit être menée sur la manière de rendre le Parlement plus efficace et plus représentatif, dans le respect de la nécessaire transparence, tout en renforçant la liberté, la protection et les moyens d’action des parlementaires.

I)         La légitimation du régime dérogatoire de l’immunité parlementaire

 

A)    Un régime dérogatoire également présent dans les professions d’avocats et de journalistes

Les parlementaires jouissent « d’un régime juridique dérogatoire au droit commun dans leurs rapports avec la justice, non dans leur propre intérêt, mais dans celui de l’institution au sein de laquelle ils représentent le peuple souverain »[149]. Élu par le peuple pour représenter la Nation, le député participe à l’exercice de la souveraineté nationale. Il est donc naturel qu’il bénéficie, comme le sénateur, d’un statut protecteur, conçu non comme un privilège mais comme une faculté destinée à lui garantir l’indépendance et la liberté d’expression nécessaires à l’exercice de son mandat.

Cette protection peut s’apparenter à celle dont bénéficient les avocats ou les journalistes même si sa raison d’être diverge. En effet, la protection du secret professionnel de l’avocat tire sa légitimité du droit au respect de la vie privée, des garanties de la défense et du droit au procès équitable. Quant à la protection des sources journalistiques, consacrée par la loi du 29 juillet 1881 et inspirée par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, elle tire sa légitimité de la liberté de la presse[150] et de la liberté d’expression. Les organes de presse bénéficient également d’un régime dérogatoire et protecteur en matière d’écoutes téléphoniques et de perquisitions.

Néanmoins, cette liberté médiatique, bien que fondamentale dans un État de droit, se présente souvent comme très critique, voire démagogique, à l’égard des pouvoirs publics et de leurs représentants. Notamment, l’actualité récente a contribué à alimenter le réquisitoire à l’encontre de l’immunité parlementaire. Cette remise en question de l’immunité parlementaire trouve son essence dans le doute perpétuel planant sur la classe politique. Or, les médias et la presse exercent une influence considérable sur l’opinion publique, alimentant davantage la controverse de l’immunité parlementaire. Aux yeux des citoyens français, ce régime dérogatoire au droit commun est perçu comme non conforme avec les fondements mêmes de l’immunité parlementaire, à savoir, le respect de la séparation des pouvoirs et de la démocratie.

Par conséquent, les impératifs de déontologie et de transparence de l’action politique sont désormais exigés tant par la justice que par l’opinion publique. C’est ainsi qu’ont vu le jour des lois contre la fraude fiscale et la corruption sous le quinquennat Hollande et que son successeur, Emmanuel Macron, a lancé le chantier d’une loi de moralisation de la vie politique. Différents axes tels que la prévention des conflits d’intérêt, le non-cumul des mandats, la publication des déclarations de patrimoine des parlementaires, l’emploi des proches dans des fonctions administratives... ont émergé ; l’objectif étant une République exemplaire. Le débat sur l’immunité parlementaire n’est donc pas nouveau. Il avait déjà ébranlé le Sénat en 2014 à cause de l’émoi suscité par la résistance de la Haute assemblée à lever l’immunité de Serge Dassault.

Bien entendu, qu’on ne s’y trompe pas, dans de nombreux cas, les abus de certains parlementaires sont tels qu’ils justifient la levée, sans l’ombre d’un doute, de l’immunité parlementaire. Mais dans d’autres cas, dont la presse se fait hélas peu l’écho, le règlement de compte est évident et la chasse au parlementaire devient l’objectif principal. C’est alors contre ces tentatives qu’il semble que l’immunité parlementaire, fondamentale à l’exercice de la démocratie, doit être maintenue et préservée. En effet, la modification trop importante du régime de l’immunité parlementaire aurait pour conséquence son affaiblissement : or, les parlementaires, en tant qu’élus, possèdent une légitimité certaine rendant nécessaire leur protection.

B)    Une immunité parlementaire contrant les risques de dérives

La démocratie est un régime politique et social fragile, parce qu’il repose sur une adhésion, un consentement de la population, à la différence des régimes autoritaires, qui reposent sur la crainte, la censure et la répression. Ce risque de vacillement de la démocratie peut d’ailleurs s’apprécier au regard de l’actualité, dans des pays voisins de la France. La nécessité de protéger, aujourd’hui plus que jamais, la démocratie, impose donc de garantir la souveraineté et l’indépendance de son Parlement, à travers, notamment, l’immunité parlementaire. En effet, cette disposition du statut des parlementaires a pour objet de les protéger dans le cadre de leurs fonctions des mesures d’intimidation venant du pouvoir politique ou des pouvoirs privés et de garantir leur indépendance et celle du Parlement. De ce fait, elle semble aujourd’hui être la garante, bien que régulièrement contestée, de la séparation des pouvoirs[151]. En effet, « la conception française de la séparation des pouvoirs » défend aux tribunaux de l’ordre judiciaire de connaître des litiges intéressant l’administration : c’est pourquoi, ont été soustraits au contrôle des juridictions judiciaires, le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. Était argué au soutien de cette thèse que les juridictions judiciaires ne disposaient pas d’une légitimité suffisante pour juger des actes émanant d’autorités procédant du suffrage universel et agissant au nom de l’intérêt général. L’immunité parlementaire donne ainsi la possibilité aux propositions les plus audacieuses des parlementaires de ne pas être menacées par les partis pris du gouvernement en place ou de certains juges.

Par ailleurs, il convient de remarquer qu’aujourd’hui, l’immunité parlementaire est avant tout symbolique et, surtout, n’a jamais été un obstacle à l’exercice de la justice, notamment depuis la réforme constitutionnelle de 1995. L’immunité parlementaire dans son volet « inviolabilité » n’attribue pas au parlementaire un privilège personnel qui le placerait au-dessus du droit commun. L’immunité parlementaire n’élimine donc pas le caractère illicite de l’acte perpétré par le parlementaire hors de ses fonctions et ne lui permet pas d’échapper à ses conséquences judiciaires. Seulement, afin d’éviter que le parlementaire ne soit abusivement empêché d’exercer ses fonctions et que le fonctionnement et l’indépendance du Parlement ne soient altérés, l’arrestation et les poursuites sont donc uniquement et éventuellement différées, ce qu’a rappelé la Cour de cassation dans de nombreux arrêts : « s’agissant du principe de la séparation des pouvoirs, il résulte de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et l’article 26 de la Constitution que le juge judiciaire ne peut intervenir dans l’exercice du pouvoir législatif », que « néanmoins l’immunité dont bénéficient les parlementaires, permanente, perpétuelle et absolue, est limitée à l’impossibilité de poursuivre, arrêter, détenir ou juger un parlementaire à raison de ses discours, écrits, opinions ou votes émis dans l’exercice de ses fonctions dans les enceintes parlementaires », que « comme le rappelle le ministère public, il résulte des décisions de la Cour européenne des droits de l’homme que les immunités parlementaires visent à permettre la libre expression des représentants du peuple et empêcher que des poursuites partisanes puissent porter atteintes à cette fonction parlementaire », que « cette immunité parlementaire qui obéit à une finalité déterminée ne dispense pas les parlementaires du respect des principes de la démocratie » ; que « comme l’ensemble des libertés ayant valeur constitutionnelle et conventionnelle, la liberté parlementaire ne peut se concevoir sans aucune limite ; qu’« aucune disposition constitutionnelle ou conventionnelle ne confère au parlementaire l’impunité générale et absolue, alors même que cette qualité de parlementaire, concourant à l’élaboration de normes s’imposant à tous, l’astreint à une exigence accrue de probité et d’intégrité » et qu’« une telle immunité générale et absolue constituerait une différence de traitement injustifiée et contreviendrait aux principes d’égalité des citoyens devant la loi en ce qu’elle garantirait à certains l’impunité »[152].

Qui plus est, depuis 1995, les poursuites en matière pénale ou correctionnelle sont désormais possibles en toutes hypothèses. Il est ainsi tout à fait envisageable pour le juge de convoquer un parlementaire dans le cadre d’une instruction, l’entendre comme témoin ou le mettre en examen. En l’absence d’opposition du parlementaire, une procédure peut ainsi théoriquement aller jusqu’à son terme sans entrave, y compris, jusqu’à une condamnation éventuelle.

Dans le cas contraire, s’agissant des mesures coercitives (par exemple : un mandat d’amener à son encontre, sa garde à vue, sa mise en détention provisoire ou une liberté conditionnée sous contrôle judiciaire et/ou interdiction de quitter le territoire) et sauf l’hypothèse du flagrant délit, le juge doit obligatoirement obtenir préalablement l’autorisation du Bureau de l’assemblée parlementaire pendant la durée de l’instruction.

En outre, on note un accroissement des hypothèses d’autorisation de levée de l’immunité parlementaire par le bureau de l’Assemblée nationale ou du Sénat, en dépit du fait que, les poursuites ayant été rendues possibles par la réforme de 1995, une procédure peut parfois être conduite jusqu’à la condamnation éventuelle du parlementaire sans qu’ait été levée son immunité, permettant à la Justice de s’exercer. A contrario, il est important d’avoir à l’esprit que la levée de l’immunité parlementaire ne présume pas de la culpabilité du parlementaire qui en fait l’objet et ne concerne strictement que les faits et l’incrimination pour lesquels elle a été précisément demandée.

S’agissant des interrogations au sujet de la pertinence de l’immunité parlementaire, peut être opposé l’argument que, certes les pressions et l’intimidation que peut exercer l’exécutif (au moins hors période de cohabitation) sont plus discrètes que celles pouvant exister aux 18ème et 19ème siècles, mais un acteur nouveau est intervenu, à savoir le pouvoir judiciaire, qui peut parfois tendre à se transformer en « gouvernement de juges » voire en « justicier ». Cette dérive vers une « justice militante » trouve notamment une illustration à travers l’affaire du « Mur des cons », panneau sur lequel était affiché, dans le local du Syndicat de la Magistrature, les photos de diverses personnalités publiques - hommes politiques, intellectuels ou journalistes - de hauts magistrats ou de syndicalistes policiers, et ayant laissé transparaître un doute quant à l’impartialité de la justice.

Ainsi, même si la confiance dans les institutions de la République, dont ses représentants ou son pouvoir judiciaire, est primordiale ; celle-ci doit être encadrée pour faire face aux potentielles dérives.

Le propos de cette mission-information est donc de se concentrer sur le régime de l’immunité parlementaire et de se demander si celui-ci doit évoluer et pourquoi.

II)     La nécessité de modifier le régime de l’immunité parlementaire

 

A)    Les lacunes du régime actuel

 

1)     La nécessité de clarifier le système auprès de la population française

Il peut être observé qu’il existe une forme de consensus s’agissant du principe de l’immunité parlementaire qui se retrouve dans pratiquement toutes les démocraties. Une étude de législation comparée effectuée par le Sénat en 2014 relative au régime de droit commun applicable aux immunités parlementaires dans les assemblées de niveau national ou fédéral et prenant pour base des exemples relatifs à l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, l’Espagne, l’Italie, les Pays-Bas, le Portugal, le Royaume-Uni, la Suède, le Parlement européen et le Canada, avait mis en lumière l’omniprésence de cette immunité parlementaire, même si parfois organisée selon des régimes divergents.

Cette concorde sur le principe de l’immunité parlementaire ne suffit pas à faire taire les reproches auxquels se régime fait face depuis une période récente. Bien au contraire, les impératifs de transparence et de déontologie sont aujourd’hui au cœur de la réflexion et sont, surtout, exigés par l’opinion publique. C’est pourquoi, il semble important, en premier lieu et avant toute autre chose, de fournir un « effort d’explication » quant au régime de l’immunité parlementaire, ses fondements et son encadrement. Si, en effet, il s’agit d’un régime dérogatoire et de protection, celui-ci ne rime pas avec impunité. En effet, l’immunité parlementaire subit un encadrement strict. Celle-ci étant « personnelle », elle ne s’applique qu’au parlementaire concerné. Elle ne concerne donc ni sa famille, ni les personnes à son service, ni ses éventuels complices. De plus, elle ne recouvre ni son domicile, ni son lieu de travail et permet ainsi la saisie de ses biens ou une perquisition domiciliaire.

L’inviolabilité voit par ailleurs son périmètre encore restreint car celle-ci ne concerne que les infractions pénales (criminelles et correctionnelles) à l’encontre de faits commis ou non dans l’exercice des fonctions parlementaires (mais non rattachées à elles). Elle ne concerne donc ni les infractions fiscales, ni les contraventions, ni les poursuites civiles dès lors qu’elles ne conduisent pas, en principe, à des mesures privatives de liberté. C’est pourquoi un parlementaire pourrait être poursuivi sur le plan civil et condamné pendant l’exercice de ses fonctions. Il en serait de même en matière pénale et correctionnelle du moment que les mesures prises n’enfreignent pas l’inviolabilité parlementaire.

2)     Une procédure lacunaire

Il ressort par ailleurs que le pouvoir d’appréciation du Bureau l’autorise non seulement à accepter ou rejeter globalement la requête mais, le cas échéant, à n’en retenir que certains éléments.

Enfin, en application du troisième alinéa de l’article 26 de la Constitution, ces mesures privatives ou restrictives de liberté, ou toute autre mesure caractérisant une poursuite à l’encontre d’un député, peuvent être suspendues sur décision de l’Assemblée nationale.

Pour ce faire, les demandes de suspension des poursuites, des mesures privatives ou restrictives de liberté, ou de la détention, sont adressées au Président de l’Assemblée par un ou plusieurs députés, distribuées puis renvoyées à la commission constituée en application de l’article 80 du Règlement, qui doit entendre le député concerné ou le collègue qu’il a chargé de le représenter et présenter un rapport. Dès la distribution de ce dernier, la discussion de la demande est inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée. L’examen en séance fait alors l’objet d’un débat limité au terme duquel l’Assemblée se prononce. La décision de l’Assemblée s’impose aux autorités administratives et judiciaires et entraîne, pour la durée de la session, soit la suspension de toute procédure judiciaire, soit la levée du contrôle judiciaire et/ou la mise en liberté du parlementaire détenu, soit l’une ou l’autre seulement de ces deux mesures.

Ainsi, la procédure de levée de l’immunité parlementaire peut surprendre en ce qu’elle ne respecte pas le principe du contradictoire : bien que le parlementaire puisse être entendu, celui-ci n’est pas aidé d’un conseil. En outre, l’absence de publicité des requêtes qui lui sont présentées, le secret des délibérations du Bureau, le caractère limité, voire dans un cas inexistant, de la motivation de ses décisions et l’absence de recours possible ne permettent pas d’apprécier avec certitude la manière dont il exerce son rôle et ne semblent donc pas être des solutions souhaitables.

B)    Les modifications proposées par la Mission-Information

 

1)     Sur l’étendue spatio-temporelle de l’immunité parlementaire

Alors que la jurisprudence a tranché le débat en retenant une interprétation restrictive de l’étendue de l’irresponsabilité, excluant notamment les propos tenus par un parlementaire au cours d’un entretien radiodiffusé ou télévisé - même directement liés à un rapport parlementaire couvert par  l’irresponsabilité - et les opinions exprimées par un parlementaire dans le rapport rédigé à l’occasion d’une mission confiée par le Gouvernement ; il convient de se demander si une conception extensive de l’irresponsabilité ne serait pas souhaitable.

Autrement dit, l’irresponsabilité du parlementaire doit-elle s’étendre en dehors des propos tenus au sein de l’hémicycle pour atteindre l’intégralité du territoire français, à partir du moment où le parlementaire agit dans l’exercice de ses fonctions ?

Ici encore, le régime de l’irresponsabilité du parlementaire est comparable avec celui de l’avocat qui bénéficie d’une protection pour ses propos tenus au cours de l’audience, protection s’effaçant lorsqu’il se retrouve face aux journalistes ou sur les marches du palais.

Or, pour un parlementaire, au regard des spécificités de sa fonction, il appert souhaitable que cette liberté d’expression soit élargie afin que ceux-ci puissent s’exprimer librement, dans le cadre de leurs fonctions, hors de l’hémicycle, sans craindre les poursuites. Cette solution, déjà présente dans la jurisprudence italienne, part du postulat que la fonction parlementaire existe également hors « des murs de l’assemblée ». Ainsi, la protection de la parole des députés, du moment qu’elle porte sur le cadre de leur activité parlementaire et sur des questions de politique nationale ou locale, doit bénéficier d’une protection, même en dehors de l’enceinte du parlement. Les prises de parole d’un parlementaire à la télévision ou sur un réseau social peuvent revêtir la même importance et doivent recevoir la même protection qu’au sein de l’hémicycle. Des considérations spatio-temporelles sont alors indifférentes : importe seulement que les actes et paroles soient en lien avec la fonction parlementaire, qui n’est pas bornée à l’hémicycle ou à la session parlementaire. En effet, il semble préférable que le régime de l’immunité parlementaire, conçu lors de la Révolution française, évolue au regard de la décentralisation et des nouveaux modes de communication. De ce point de vue, l’article 10 de la Convention Européenne des Droits de l’homme, tel qu’interprété par la Cour européenne des droits de l’homme, s’avère plus protecteur et mieux adapté : « précieuse pour chacun, la liberté d’expression l’est tout particulièrement pour un élu du peuple ; il représente ses électeurs, signale leur préoccupations et défend leurs intérêts »[154]. Bien entendu, cette liberté ne saurait être absolue et cette protection ne doit pas couvrir des paroles diffamatoires ou des injures.

2)     Sur les décisions rendues par le Bureau (absence de motivation, de contradictoire et de recours)

Les juges ont l’obligation de motiver leurs décisions, c’est-à-dire d’expliquer les raisons de fait et de droit qui les ont conduits à rendre cette décision. Ce principe est une garantie essentielle pour le justiciable. Moralement, la motivation est censée prévenir l’arbitraire, mais ses vertus sont aussi d’ordre rationnel, intellectuel, car motiver sa décision impose à celui qui la prend la rigueur d’un raisonnement, la pertinence de motifs dont il doit pouvoir rendre compte. En cas de désaccord avec les motifs de la décision, le justiciable peut alors s’appuyer dessus pour la contester et exercer, le cas échéant, un recours. La motivation donnera alors l’appui nécessaire pour contester de façon rationnelle la décision. De ce point de vue, la motivation, en ce qu’elle livre à autrui les raisons qui expliquent la décision, constitue également une information. Comme l’observe M. Grimaldi, « ce peut être une simple information : la motivation vise à renseigner, mais n’appelle pas la discussion. […]. Ce peut être aussi une motivation en vue d’un contrôle. Souvent, le plus souvent même, l’obligation de motiver se prolonge par la soumission à un contrôle. Et l’on rejoint ici la première observation : le droit à la motivation, s’il existe, ce n’est pas seulement le droit de savoir, c’est aussi l’amorce du droit de contester »[155].

Le principe du contradictoire, quant à lui, constitue le principe cardinal de notre procédure civile, pénale et administrative. Il est d’ailleurs consacré par le Conseil constitutionnel, la Cour de cassation et le Conseil d’État comme un principe général du droit et l’une des principales traductions concrètes de la notion de procès équitable. Il garantit tout d’abord aux parties qu’elles ne seront pas jugées sans avoir été sinon entendues, du moins appelées. Chaque partie a alors le droit de prendre connaissance des arguments de fait, de droit et de preuve à partir desquels elle sera jugée. Les différents intervenants du procès doivent donc se montrer loyaux et diligents dans la communication de leurs pièces et conclusions : tout élément produit en justice doit pouvoir faire l’objet d’un débat, il doit en conséquence être communiqué à l’adversaire. Le juge lui-même est tenu de respecter le principe du contradictoire, par exemple lorsqu’il envisage de soulever d’office un argument de droit : il doit dans ce cas mettre les parties en mesure de s’expliquer sur ce point, sous peine de ne pouvoir l’utiliser dans sa décision. Le caractère contradictoire de la procédure permet ainsi de s’assurer de la préservation des droits de chaque partie. Son non-respect est d’ailleurs sévèrement sanctionné : le juge peut, par exemple, écarter des débats des éléments communiqués tardivement ou partiellement par une partie à ses adversaires.

Enfin, le principe du droit au recours est également un principe général du droit à valeur constitutionnelle qui permet d’assurer aux citoyens la possibilité de contester les décisions prises à leur égard. Il s’agit par ailleurs d’une caractéristique essentielle de l’État de droit.

De fait, il appert qu’une décision non motivée, rendue non-contradictoirement et insusceptible de recours n’est pas une véritable décision de justice. Et, si la décision rendue par le Bureau au sujet de l’acceptation ou du refus de la levée de l’immunité parlementaire n’est pas une décision de justice au sens strict, celle-ci s’en rapproche car elle est souvent perçue, à tort, comme une forme de pré-condamnation. La protection de la fonction parlementaire rend donc souhaitable que l’élu ait accès à une copie de son dossier et puisse être aidé par un conseil, que la décision soit motivée et qu’un recours soit possible (se posera alors les questions de l’entité devant laquelle exercer ce recours et du délai imparti pour l’exercer).

3)     Sur l’encadrement de la perquisition

L’article 26 de la Constitution française dans son second alinéa dispose qu’« aucun membre du Parlement ne peut faire l’objet, en matière criminelle ou correctionnelle, d’une arrestation ou de toute autre mesure privative ou restrictive de liberté qu’avec l’autorisation du Bureau de l’assemblée dont il fait partie ». Cependant, sous la pression du terrorisme et de l’état d’urgence, le régime de la garde à vue ainsi que de la perquisition a évolué, de sorte qu’il convient de se demander si la perquisition ne devrait pas rentrer dans le cadre des « mesures privatives ou restrictives de liberté ».

La problématique des perquisitions au domicile ou dans les locaux du parti auquel appartient le parlementaire s’est posée à de nombreuses reprises au cours de certaines affaires. Encore une fois, un parallèle avec la profession d’avocat peut être fait : la procédure de perquisition d’un cabinet d’avocat ne peut être menée que par un magistrat, en présence du bâtonnier, sous le contrôle juridictionnel du juge des libertés et de la détention. Le bâtonnier est habilité à voir chacune des pièces que le juge prétend saisir. S’il s’y oppose, le document est aussitôt mis sous scellés fermés pour être dans les cinq jours déféré au juge des libertés et de la détention qui dira par ordonnance si le document peut être saisi ou non.

En matière de protection de la fonction parlementaire, mettre en place une solution similaire serait appréciable. La perquisition aurait alors lieu sous le contrôle d’un représentant qui évaluerait la pertinence des documents saisis, ferait une copie, le cas échéant, de ces derniers.

 

Conclusion

 

Le souci de concilier la nécessaire protection de l’exercice du mandat parlementaire et le principe de l’égalité des citoyens devant la loi ne fait pas obstacle à la reconnaissance d’un statut spécifique des parlementaires. Malgré les attaques que subit ce dernier, il est nécessaire et fondamental de protéger et préserver l’immunité parlementaire et non de l’affaiblir. Cependant un effort d’explication s’impose afin que l’opinion publique comprenne, de façon transparente, les fondements et le régime de l’immunité parlementaire.

 


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Contribution de Mme Chantal Arens,
première présidente de la Cour de cassation