N° 3126
______
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUINZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 24 juin 2020.
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l’article 145 du Règlement
PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES
sur les « métiers du lien »
ET PRÉSENTÉ PAR
MM. Bruno Bonnell et François Ruffin
Députés
——
— 1 —
___
Pages
synthÈse
Liste des propositions
Introduction
Propos introductifs de M. Bruno Bonnell, rapporteur
Propos introductifs de M. François Ruffin, rapporteur
I. Des mÉtiers essentiels mais sans vrai statut, sans revenu suffisant et sans reconnaissance sociale
A. des métiers amenés à se développer fortement à l’avenir
1. Des métiers qui devraient bénéficier, à l’avenir, d’une forte dynamique de l’emploi
a. En 2030, plus de 862 000 personnes pourraient occuper un emploi d’aide à domicile
b. Le nombre d’assistantes maternelles devrait fortement augmenter dans les années à venir
c. L’évolution du nombre d’accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH) est corrélée aux progrès en termes d’inclusion scolaire
d. L’évolution du nombre d’animatrices périscolaires est liée à la politique publique du périscolaire
2. Des métiers résolument modernes
3. Revaloriser les métiers du lien est le seul moyen de répondre aux forts besoins de main-d’œuvre non pourvus : l’immigration choisie est une solution inacceptable
B. Des métiers fortement précarisés : état des lieux
1. Des métiers très mal rémunérés sans vraie progression salariale
a. Les aides à domicile : un salaire moyen qui, selon les branches, peut être inférieur à la moitié du SMIC
i. Les aides à domicile travaillant dans des associations
ii. Les aides à domicile salariées du particulier employeur
iii. Les aides à domicile travaillant dans les entreprises de services à la personne
b. Les assistantes maternelles : un salaire moyen inférieur au SMIC
c. Les accompagnantes d’enfants en situation de handicap : un salaire mensuel net de 750 euros en moyenne
d. Les animatrices périscolaires : des rémunérations généralement inférieures à 580 euros nets par mois
2. Des métiers caractérisés par des temps de travail fractionnés et non reconnus
a. Les aides à domicile
b. Les assistantes maternelles
c. Les accompagnantes d’enfants en situation de handicap
d. Les animatrices périscolaires
3. Des métiers aux conditions de travail très difficiles et qui pâtissent d’un manque de formation continue
a. Les aides à domicile
i. Une forte pénibilité physique et psychique
ii. Des conditions de travail qui diffèrent en fonction du mode d’intervention
b. Les assistantes maternelles
i. De l’auto-entreprenariat déguisé souvent source de pénibilité
ii. Un manque d’accompagnement de la part des institutions
c. Les accompagnantes d’enfants en situation de handicap
i. Un statut précaire
ii. Une absence de préparation au poste
iii. De nombreuses situations d’épuisement
iv. Des relations parfois compliquées avec le corps enseignant
d. Les animatrices périscolaires
i. Une absence de continuité dans les contrats qui pèse durement sur les projets
personnels
ii. Une pénibilité significative
iii. Un métier en pleine évolution mais une formation largement insuffisante
4. Des métiers qui souffrent d’une absence manifeste de reconnaissance sociale
a. La tolérance de la société à la précarité des métiers du lien
i. Les aides à domicile
ii. Les assistantes maternelles
iii. Les accompagnantes d’enfants en situation de handicap
iv. Les animatrices périscolaires
b. Une fierté des salariées à exercer des métiers aussi essentiels qui contraste avec le manque de reconnaissance institutionnel
C. Des politiques publiques qui n’ont, pour l’instant, pas su être à la hauteur des enjeux de revalorisation des métiers du lien
1. Les aides à domicile
a. L’âge d’or de 2002 : les débuts de structuration du métier
b. Le recul du plan dit « Borloo » en 2005
c. Les échecs des politiques d’exemptions fiscales et sociales
i. Une inutilité économique
ii. Une inutilité sociale
iii. Faut-il maintenir ces exemptions ?
d. Une précarité accentuée par la décentralisation
i. Les conseils départementaux financent la demande d’aide (APA, PCH)
ii. Les départements régulent l’offre de services à la personne
2. Les assistantes maternelles
a. Une amélioration, sur le papier, des conditions de travail depuis la fin des années 1970
b. Des progrès qui ont mis beaucoup de temps à se traduire dans les faits
c. Une amélioration des conditions de travail encore très largement incomplète
3. Les accompagnantes d’enfants en situation de handicap
a. Une succession de lois et de décrets contribuant à l’instabilité des statuts et la précarité du métier
b. La loi dite « pour une école de la confiance » : des progrès notables mais encore bien insuffisants
4. Les animatrices périscolaires
a. Les évolutions du métier liées à l’histoire de l’éducation populaire
b. Une absence de vraie politique nationale du périscolaire
II. Propositions pour de meilleurs statuts et de meilleurs revenus
A. Comptabiliser les temps de travail invisibles et revaloriser les salaires
1. Les métiers d’aide à domicile
a. Proposer de « vrais » temps pleins aux salariées en comptabilisant les heures invisibles et en réduisant l’amplitude horaire
i. Inciter à la sectorisation et à l’organisation « en tournée »
ii. A minima, inciter les structures à comptabiliser différemment le temps de travail effectif et à mieux indemniser les déplacements
iii. Prévoir des durées minimales d’intervention
b. Faire de l’aide à domicile aux personnes fragiles une vraie délégation de service public
i. Mettre fin à l’emploi direct et au mode mandataire pour les personnes fragiles
ii. Prévoir que les entreprises intervenant dans l’aide aux personnes fragiles soient des sociétés à mission ou des entreprises ayant obtenu l’agrément entreprises solidaires d’utilité sociale dit « ESUS »
c. Réformer en profondeur la tarification des services à domicile pour revaloriser le salaire des aides à domicile
i. Augmenter et harmoniser les tarifs de l’APA et de la PCH
ii. Mettre en place un tarif horaire plancher d’intervention au niveau national
2. Les assistantes maternelles
a. Revaloriser le salaire minimum
b. Prévoir une garantie de paiement des salaires
c. Réduire la variabilité des rémunérations
3. Les accompagnantes d’enfants en situation de handicap
a. Revaloriser les rémunérations
b. Prendre en compte la totalité du temps de travail
i. Préciser ce qui peut être compté dans le temps de travail des AESH hors accompagnement physique des élèves
ii. Permettre davantage aux AESH qui le souhaitent d’intervenir sur le temps périscolaire
4. Les animatrices périscolaires
a. Harmoniser par le haut les rémunérations des animatrices périscolaires
b. Construire de vrais « temps pleins »
B. Reconnaître la pénibilité de ces métiers et améliorer les conditions de travail
1. Les aides à domicile
a. Garantir des conditions de travail décentes
b. Prévenir les accidents du travail
i. S’assurer que les aides à domicile sont suffisamment préparées pour leurs interventions
ii. Obliger les employeurs à fournir des tenues adaptées et faciliter l’entrée de l’inspecteur du travail chez la personne aidée
c. Développer les temps d’échange entre professionnels
2. Les assistantes maternelles
a. Renforcer l’accompagnement des assistantes maternelles par les institutions
i. Mettre en place des plateformes publiques d’appui technique et juridique aux assistantes maternelles
ii. Renforcer l’accompagnement des assistantes maternelles par les services départementaux et harmoniser les pratiques entre les départements
iii. Renforcer l’accompagnement des assistantes maternelles par les relais assistantes maternelles (RAM) et prévoir un temps suffisant d’analyse des pratiques
b. Sécuriser le métier d’assistante maternelle en crèche familiale
c. S’assurer de l’accès des assistantes maternelles à la médecine du travail
3. Les accompagnantes d’enfants en situation de handicap
a. Réduire la pénibilité du métier
i. Améliorer la gestion des ressources humaines
ii. Ne pas recourir à la mutualisation selon des logiques purement budgétaires de réduction des coûts.
iii. Évaluer les conséquences des pôles inclusifs d’accompagnement localisés (PIAL) sur la vie professionnelle et personnelle des AESH
b. Prévoir davantage de temps d’échanges entre les différents professionnels intervenant à l’école
4. Les animatrices périscolaires
a. Garantir le droit à un suivi médical et réduire les risques psycho‑sociaux
b. Améliorer le dialogue entre animatrices ainsi qu’avec les enseignants
C. Améliorer la reconnaissance de ces métiers par la société, créer un vrai statut et de réelles perspectives de carrière
1. Les aides à domicile
a. Donner aux aides à domicile le même accès au matériel de protection que les autres professions de santé
b. Renforcer la formation continue et les passerelles avec les métiers du sanitaire.
c. Développer la représentation salariale des aides à domicile
2. Les assistantes maternelles
a. Renforcer la formation initiale des assistantes maternelles
b. Faciliter l’accès à la formation continue des assistantes maternelles et leur offrir de nouvelles perspectives de carrière
3. Les accompagnantes d’enfants en situation de handicap
a. Mettre fin aux contrats précaires
i. Fonctionnariser les AESH ou prévoir un recrutement direct des AESH en CDI de droit public
ii. Prévoir que les AESH qui prennent un congé parental ne perdent pas l’ancienneté acquise donnant droit à un CDI
iii. A minima, mettre fin à une forme de « sous-précarité » au sein de la précarité : le cas des « AESH hors titre II »
b. Améliorer la formation initiale et continue
i. Renforcer la formation initiale
ii. Mettre en place une vraie formation continue
4. Les animatrices périscolaires
a. Mettre en place une politique nationale du périscolaire ambitieuse
b. Faciliter l’accès à la formation continue
c. Offrir de vraies perspectives de carrière aux animateurs
Annexe 1 : Liste des personnes auditionnées
I. Auditions à l’AssemblÉe nationale ou par visioconférence
II. DÉplacements
1. Déplacement à Dieppe
2. Déplacement à Amiens
III. Contributions Écrites
— 1 —
synthÈse
Le présent rapport s’intéresse à quatre métiers qui tissent du lien entre les personnes, et ce « du berceau à la tombe » : assistante maternelle, accompagnante d’enfant en situation de handicap, animatrice périscolaire et auxiliaire de vie sociale.
Nous mettons ces professions au féminin. Parce que, bien sûr, ces emplois sont très largement occupés par des femmes. Et c’est pour cette raison, à coup sûr, que ces quatre métiers souffrent d’un statut précaire, de revenus parcellaires. Le raisonnement inconscient dans la société semble : « Après tout, pendant des siècles, au foyer, elles se sont occupées gratuitement des bébés, des enfants, des malades, des personnes âgées. Aujourd’hui, on les paie un peu. Alors, de quoi elles vont se plaindre ? » Et l’éloge de la « vocation » sert alors à mieux masquer la pauvreté, la peine, l’invisibilité, de ces carrières.
Dans ces quatre métiers, en effet, le « salaire partiel » est la règle : les rémunérations y sont extrêmement faibles, la plupart du temps bien en deçà du salaire minimum mensuel. Ce salaire partiel correspond à un « temps partiel », qui occupe en fait les journées, découpées entre un quelques heures le matin et autant le soir, avec une énorme amplitude. Et sans que ne soient comptés les temps d’auto formation, de coordination, de prise de poste, d’échanges entre collègues, de préparation, de déplacements, ou simplement de relation humaine avec les personnes et leur famille. C’est la clé : comment est compté leur temps de travail ? Doit-on rémunérer le seul temps d’intervention ? Qu’en serait-il alors pour le journaliste, le pompier, le député ? Par ailleurs, les formations, à la fois initiales et continues paraissent insuffisantes, n’offrant pas une qualification, laissant la professionnalisation dans le flou. Et avec, faute de structuration du métier, une pénibilité physique et psychique importante, des taux d’accident du travail supérieurs au bâtiment.
L’heure est venue de sortir ces métiers des « vies de galère, salaires de misère ». Toutes les études montrent que ces métiers seront des gisements d’emplois : la quantité sera là, mais pour quelle qualité ? Quelles conditions de travail, quels revenus, quels statuts ? dignes du travail qu’elles effectuent ? Jusqu’à présent, les politiques publiques ont échoué à les structurer, quand elles ne les ont pas déstructurées davantage…
Les propositions contenues dans le rapport sont nécessaires : hausse des rémunérations, revalorisation des grilles salariales, prise en compte de l’ensemble du temps de travail effectué. Il convient, également, de modifier l’organisation du travail afin de leur garantir des temps pleins, avec du collectif, des moments d’échanges, de formation. Et aussi, que la relation entre la salariée et la personne aidée, souvent purement interpersonnelle, s’opère davantage en équipe. Avec, enfin, des statuts protecteurs, des perspectives de carrière, l’accès à la formation continue – que les rapporteurs privilégient par rapport à l’instauration de barrières à l’entrée. Le présent rapport préconise, par exemple, l’instauration d’une formation qualifiante pour toutes les salariées (qui serait, bien sûr, spécifique à chaque métier), dans un délai d’un an après leur prise de fonction.
Il le faut désormais.
Il le faut pour des raisons féministes, on l’a dit. Il le faut pour des raisons sociales, avec des centaines de milliers de travailleuses à sortir de la pauvreté. Mais il le faut, également, pour des raisons écologiques : la modernité, encore plus que le numérique, ce sont ces métiers du lien. C’est par là que se fera le progrès humain, plus que par les biens. Ces femmes sont les héroïnes de la transition.
Proposition n° 1 : Inciter à la sectorisation et à l’organisation du travail « à la tournée » des aides à domicile
– Renforcer les aides de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) pour aider les structures à mettre en place la sectorisation et le travail « à la tournée » (loi de financement de la sécurité sociale) ;
– Généraliser les partenariats entre les conseils départementaux et les agences régionales pour l’amélioration des conditions de travail (ARACT) (bonne pratique) ;
– Valoriser, dans les contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM), les structures d’aide à domicile qui mettent en place des modes de fonctionnement permettant d’améliorer les conditions de travail des salariés (bonne pratique) ;
– Dans le cadre du travail « à la tournée », prévoir au moins une heure par semaine consacrée à la coordination du travail en équipe et rémunérée comme du travail effectif (bonne pratique).
Les quatre piliers pour une organisation du travail vertueuse :
1° La sectorisation des aides à domicile sur des territoires limités ;
2° Le travail « à la tournée », aussi appelé travail posté, lequel garantit des temps d’intervention plus souples auprès des personnes aidées ;
3° Une organisation du travail plus collective ;
4° Une plus grande autonomie des aides à domicile dans la manière d’organiser leur travail ;
5° L’encouragement à participer à des actions de formation et le développement des parcours professionnels.
Proposition n° 1 alternative : Dans l’attente de la généralisation de l’organisation « à la tournée », inciter les structures à comptabiliser différemment les temps de travail effectif et à mieux indemniser les déplacements
– Prévoir qu’à partir du moment où une aide à domicile réalise plus d’une heure d’intervention (chez une seule ou chez plusieurs personnes aidées), l’ensemble de la demi-journée soit rémunéré OU décompter forfaitairement 20 minutes pour chaque intervention, afin de l’ajouter au temps de travail rémunéré (conventions collectives) ;
– Mieux indemniser les temps de déplacement en revalorisant les indemnités kilométriques prévues dans les conventions collectives (conventions collectives) et en obligeant toute structure d’aide à domicile d’une certaine taille à mettre à la disposition des salariées des véhicules propres (conventions collectives voire législatif). Prévoir pour cela, comme le préconise le rapport dit « El Khomri », la négociation d’offres commerciales de location de véhicules par les fédérations avec l’appui technique de l’État.
Proposition n° 2 : Fixer un minimum d’une heure pour toutes les interventions à domicile auprès de publics fragiles (conventions collectives voire législatif).
Proposition n° 3 : Supprimer la possibilité pour des personnes physiques de bénéficier de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) ou de la prestation de compensation du handicap (PCH) si elles emploient directement ou à travers le mode mandataire une aide à domicile pour l’assistance aux actes de la vie quotidienne (législatif).
Proposition n° 4 : Prévoir que seules les sociétés à mission et les entreprises de l’économie sociale et solidaire agréées ESUS peuvent intervenir auprès des publics fragiles, aux côtés des associations et des collectivités (législatif).
Proposition n° 5 : Faire en sorte que les conventions collectives prévoient une clause d’indexation sur le SMIC des niveaux de rémunération (conventions collectives).
Proposition n° 6 : Augmenter et harmoniser les tarifs de l’APA et de la PCH
– Renforcer la participation de l’État dans le financement de l’APA et de la PCH (loi de financement de la sécurité sociale) ;
– Prévoir un tarif de référence national pour valoriser les plans d’aide APA (législatif).
Proposition n° 7 : Mettre en place, au niveau national, un tarif horaire plancher d’intervention des services d’aide à domicile (législatif).
Proposition n° 8 : Revaloriser les salaires des assistantes maternelles
– Relever le minimum horaire par enfant à 0,333 SMIC (réglementaire) ;
– Étudier l’opportunité de créer un salaire national ;
– Permettre à davantage d’assistantes maternelles de travailler avec quatre agréments en modifiant les règles actuelles concernant la présence simultanée de mineurs au domicile des assistantes maternelles (législatif) ;
– Ne plus considérer comme des revenus imposables les indemnités de repas ou les prestations de repas en nature fourniture (législatif).
Proposition n° 9 : Faire en sorte que la revalorisation du salaire des assistantes maternelles ne réduise pas les aides auxquelles ont droit les familles.
Pour cela, supprimer (législatif) ou augmenter (réglementaire) le plafond de la rémunération des assistantes maternelles en deçà duquel la prise en charge des cotisations de sécurité sociale liées à l’emploi d’une assistante maternelle est totale.
Proposition n° 10 : Prévoir une garantie de paiement des salaires des assistantes maternelles. Pour cela, créer un fonds national de garantie des salaires des assistantes maternelles financé par la Caisse d’allocations familiales (législatif).
Proposition n° 11 : Réduire la variabilité des rémunérations des assistantes maternelles
– Améliorer l’accompagnement des assistantes maternelles par Pôle emploi en identifiant, dans chaque structure Pôle emploi, un interlocuteur qui aurait préalablement reçu une formation spécifique à l’accompagnement des assistantes maternelles (bonnes pratiques) ;
– Augmenter l’indemnité versée à l’assistante maternelle en cas de rupture du contrat, par retrait de l’enfant, à l’initiative de l’employeur (convention collective).
Proposition n° 12 : Revaloriser les rémunérations des AESH
– Revaloriser la grille indiciaire (convention collective) ;
– Permettre aux AESH de bénéficier de l’indemnité de sujétion lorsqu’elles exercent dans un établissement relevant des programmes REP et REP+ (réglementaire).
Proposition n° 13 : Prendre en compte la totalité du temps de travail des AESH
– Reconnaître le temps de préparation des AESH (environ 30 % du temps de travail) dans le temps de travail effectif ainsi que le temps de formation, d’auto-formation et les temps collectifs (convention collective) ;
– Élaborer un document précis remis aux AESH et aux directeurs et chefs d’établissement pour préciser ce qui peut être compté dans le temps de travail des AESH hors accompagnement physique des élèves (bonne pratique) ;
– Compléter la circulaire du 3 mai 2017 pour clairement faire figurer « l’adaptation des supports de cours conçus par les enseignants » dans les missions que peuvent exercer les AESH conjointement avec les enseignants (circulaire).
Proposition n° 14 : Informer davantage les collectivités territoriales sur la possibilité qu’elles ont de proposer aux AESH un contrat d’accompagnement des enfants en situation de handicap sur le temps périscolaire (bonne pratique).
Proposition n° 15 : Harmoniser par le haut les rémunérations des animatrices, quelle que soit la nature juridique de leur employeur (conventions collectives).
Proposition n° 16 : Construire de « vrais » temps pleins pour les animatrices périscolaires
– Reconnaître le temps de préparation des animatrices (environ 30 % du temps de travail) dans le temps de travail effectif ainsi que le temps d’auto-formation (convention collective) ;
– Prévoir que toute heure de travail effectuée entraîne la rémunération de l’ensemble de la demi‑journée (convention collective) ;
– Prévoir l’obligation de proposer un CDD à une animatrice périscolaire qui aurait travaillé plus de six mois comme vacataire (législatif) ;
– Réfléchir aux complémentarités avec d’autres métiers, pour éviter les coupures trop importantes dans les emplois du temps des animatrices et adapter les formations en conséquence ;
– Instaurer un temps de travail minimum à 17 h 30 pour les animatrices de la fonction publique territoriale pour résorber l’emploi précaire et les temps partiels subis (réglementaire).
Proposition n° 17 : Ratifier la convention n° 189 de l’Organisation internationale du travail (OIT).
Proposition n° 18 : S’assurer que les aides à domicile sont suffisamment préparées pour leurs interventions
– Améliorer l’échange d’informations entre les équipes médico-sociales du conseil départemental et les structures d’aide à domicile (bonnes pratiques) ;
– Prévoir qu’une aide à domicile soit présente lors de l’élaboration, par la structure de services à la personne, du diagnostic permettant de repérer les risques d’accidents professionnels et de mieux comprendre les besoins des personnes aidées (bonne pratique) ;
– Généraliser autant que possible la pratique des binômes d’intervention lors de la première intervention d’une aide à domicile (idéalement en présence de la personne qui a réalisé le diagnostic) ou lors d’interventions engendrant une forte pénibilité physique (bonnes pratiques).
Proposition n° 19 : Réduire le nombre d’accidents au travail des aides à domicile
– Introduire dans toutes les conventions collectives une clause prévoyant la mise à disposition par les employeurs du matériel adéquat et des équipements de protection individuelle (convention collective) ;
– Mieux faire connaître les contrats de prévention (pour les structures de moins de 200 salariés) et les subventions prévention TPE (moins de 50 salariés) mis en place par les caisses d’assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT) pour aider les structures d’aide à domicile à financer des équipements de prévention ou des formations (bonnes pratiques) ;
– Sensibiliser les structures d’aide à domicile sur la nécessité de faciliter l’entrée de l’inspecteur du travail chez la personne aidée (bonnes pratiques) ;
– Permettre aux agents de contrôle de l’inspection du travail de saisir le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance en vue d’obtenir l’autorisation d’accéder aux locaux habités sous certaines conditions (législatif).
Proposition n° 20 : Développer les temps d’échange entre professionnels
– Imposer le principe de temps collectifs d’au moins 4 heures par mois dans tous les établissements et services du secteur de l’aide à domicile (conventions collectives voire législatif) ;
– Développer les programmes mis en place par les CARSAT permettant de mettre à la disposition des services d’aide à domicile des personnes ressources (loi de financement de la sécurité sociale). Permettre aux aides à domicile dotées d’une certaine expérience de jouer, après avoir suivi une formation spécifique, ce rôle de personne ressource (réglementaire).
Proposition n° 21 : Renforcer l’accompagnement des assistantes maternelles dans leurs tâches administratives
– Mettre en place des plateformes publiques d’aide aux assistantes maternelles (bonne pratique) ;
– Encourager les collectivités à recruter un professionnel compétent pour les questions administratives, financières et juridiques (bonne pratique).
Proposition n° 22 : Renforcer l’accompagnement des assistantes maternelles par les services départementaux et harmoniser les pratiques entre les départements
– Prévoir que les assistantes maternelles soient systématiquement destinataires du rapport établi à leur sujet par la PMI, comme cela est déjà dans le cas dans certains départements (bonne pratique) ;
– Renforcer les effectifs de la PMI pour lui permettre de jouer davantage son rôle d’accompagnement des assistantes maternelles ;
– Harmoniser les pratiques entre départements en précisant le référentiel réglementaire fixant les critères d’agrément des assistantes maternelles (réglementaire).
Proposition n° 23 : Renforcer l’accompagnement des assistantes maternelles par les relais assistantes maternelles (RAM) et prévoir un temps d’analyse des pratiques suffisant
– Développer davantage les RAM sur l’ensemble du territoire, augmenter le nombre de places dans chaque RAM et inciter les assistantes maternelles à s’y rattacher (bonnes pratiques) ;
– Ouvrir aux assistantes maternelles dotées d’une certaine expérience la possibilité d’occuper le poste d’animateur de RAM. Prévoir une formation pour les animateurs de RAM dans l’année qui suit leur prise de fonction pour les aider à accompagner au mieux les assistantes maternelles (réglementaire) ;
– Comptabiliser le temps d’analyse des pratiques dans les RAM comme du temps de travail effectif rémunéré par la caisse d’allocation familiale (législatif).
Proposition n° 24 : Sécuriser le métier d’assistante maternelle en crèche familiale
– Élaborer un référentiel juridique sur le statut des assistants maternels en crèche familiale et faciliter son appropriation par les gestionnaires et acteurs concernés (réglementaire) ;
– Réfléchir à l’opportunité de mettre en place un financement spécifique pour la gestion administrative inhérente au fonctionnement d’une crèche familiale (législatif).
Proposition n° 25 : Améliorer le dialogue entre les AESH et les services académiques. Pour cela, prévoir que l’interlocuteur des AESH au sein du rectorat accompagne pendant quelques jours des professionnelles dans leur travail pour mieux comprendre les réalités de leur métier (circulaire).
Proposition n° 26 : Ne pas recourir à la mutualisation selon des logiques purement budgétaires de réduction des coûts ; recruter davantage d’AESH (loi de finances).
Proposition n° 27 : Évaluer les conséquences des PIAL sur la vie professionnelle et personnelle des AESH (création d’une mission d’information parlementaire ou d’une mission d’inspection de l’éducation nationale).
Proposition n° 28 : Prévoir davantage de temps d’échanges entre professionnels intervenant à l’école
– Systématiser les temps d’échanges de pratiques entre pairs dont la possibilité est prévue par la circulaire du 5 juin 2019 (réglementaire) ;
– Allonger la durée des formations sur les positionnements respectifs des AESH et des enseignants en situation de classe (réglementaire).
Proposition n° 29 : Garantir aux animatrices périscolaires le droit à un suivi médical et réduire les risques psycho‑sociaux
– Développer les formations à la prévention des risques psycho-sociaux dans le secteur de l’animation (réglementaire et bonnes pratiques) ;
– Systématiser les visites médicales d’embauche et périodiques (bonnes pratiques), notamment en renforçant les effectifs des services de santé au travail (loi de financement de la sécurité sociale).
Proposition n° 30 : Développer les temps d’échange entre les animatrices périscolaires ainsi qu’avec les enseignants (conventions collectives).
Proposition n° 31 : Inscrire les aides à domicile dans les répertoires nationaux des professions de santé ou, a minima, leur donner le même niveau de priorité pour l’accès au matériel de protection et leur offrir la possibilité de disposer d’une carte professionnelle et d’utiliser un macaron professionnel pour leur véhicule (réglementaire).
Proposition n° 32 : Renforcer la formation continue et les passerelles avec les métiers du sanitaire
– Prévoir que les conseils départementaux garantissent à l’ensemble des aides à domicile qui interviennent dans les structures autorisées par le département, l’accès à une formation qualifiante qui pourrait être le diplôme d’État d’accompagnant éducatif et social (DEAES) (réglementaire) ;
– Fusionner l’OPCO services de proximité, l’OPCO cohésion sociale et l’OPCO santé pour encourager la formation continue et développer la mobilité professionnelle des salariés (législatif) ;
– Mettre à profit la refonte du référentiel de formation du DEAES pour consolider un socle commun et des passerelles avec le métier d’aide-soignante (réglementaire). À terme, aller vers un métier unique d’accompagnant au quotidien des personnes en perte d’autonomie.
Proposition n° 33 : Considérer que chaque salarié compte pour un dans le calcul des effectifs qui conditionnent la mise en place de représentants du personnel dans l’entreprise, même s’il est à temps partiel (législatif).
Proposition n° 34 : Renforcer la formation initiale des assistantes maternelles
– Doubler la durée de la formation initiale pour qu’elle soit de la même durée que la formation des assistants familiaux (240 heures de formation) ;
– Prévoir que les conseils départementaux garantissent à l’ensemble des assistantes maternelles, un an après l’obtention de leur agrément, l’accès à une formation qualifiante qui pourrait être le certificat d’aptitude professionnelle (CAP) accompagnant éducatif petite enfance (AEPE) (réglementaire) ;
– Rendre obligatoire l’obtention certificat d’aptitude professionnelle « accompagnant éducatif petite enfance » (du moins les épreuves EP1 et EP3), non pas au moment de l’obtention de l’agrément, ce qui créerait une trop forte barrière à l’entrée du métier, mais au moment de son renouvellement.
Proposition n° 35 : Simplifier l’accès à la formation continue des assistantes maternelles et leur offrir de nouvelles perspectives de carrière
– Faciliter le remplacement d’une assistante maternelle qui part en formation en prévoyant systématiquement, dans chaque agrément, une place d’accueil d’urgence (législatif) ;
– Mettre fin au quasi-monopole de l’organisme de formation Iperia (conventions collectives) ;
– Guider davantage, à travers des plateformes publiques, le « parent facilitateur » chargé d’effectuer les démarches nécessaires à la formation de l’assistante maternelle (bonnes pratiques) ;
– Ouvrir la possibilité aux assistantes maternelles, après un certain nombre d’années d’expérience, d’accéder par la VAE à des postes d’animateurs de relais ou à des postes au sein des pôles « petite enfance » des départements (réglementaire).
Proposition n° 36 : Prévoir un statut suffisamment protecteur pour les AESH
– Intégrer les AESH à la fonction publique territoriale ou à la fonction publique d’État (législatif) ;
– A minima, prévoir un recrutement direct des AESH en CDI de droit public (législatif).
Proposition n° 37 : Faire en sorte que les AESH qui prennent un congé parental ne perdent pas l’ancienneté acquise permettant l’accès à un CDI (réglementaire)
Proposition n° 38 : Mettre fin à une forme de « sous-précarité » au sein de la précarité : le cas des « AESH hors titre II »
– Prévoir que la loi de finances soit davantage transparente sur le nombre d’AESH recrutées sur le hors titre II (documents budgétaires accompagnant la loi de finances) ;
– Prévoir que les AESH hors titre II aient les mêmes droits que les AESH rémunérées sur le titre II.
Proposition n° 39 : Renforcer la formation initiale des AESH
– Prévoir que la formation initiale ait lieu systématiquement avant la prise de fonction (circulaire) ;
– Améliorer le contenu de la formation initiale de 60 heures : prévoir une formation par troubles spécifiques plutôt que par type de handicap (circulaire) ;
– Augmenter le budget alloué à la formation initiale des AESH, notamment pour prendre en compte la hausse des effectifs d’AESH. Abonder les crédits de l’action 3 « Inclusion scolaire des élèves en situation de handicap », du programme 230 « Vie de l’élève » destinés à la formation des AESH chargés de l’aide humaine aux élèves en situation de handicap (loi de finances).
Proposition n° 40 : Mettre en place une vraie formation continue pour les AESH
– Prévoir que les rectorats garantissent à l’ensemble des AESH, un an après le début de leur contrat, l’accès à une formation qualifiante qui pourrait être le DEAES (réglementaire) ;
– Mieux accompagner les AESH qui souhaitent obtenir le DEAES par la voie d’une VAE (bonne pratique, circulaire) ;
– Ouvrir et financer davantage de formations communes aux différents personnels (circulaire) ;
– Accroître l’utilité de la plateforme Cap École Inclusive en proposant davantage de vidéos et d’articles sur les troubles de l’enfant à accompagner, sur les adaptations à mettre en place pour répondre aux besoins de l’enfant en situation d’apprentissages ainsi que sur la place de l’AESH dans la classe (bonne pratique) ;
– Augmenter le nombre de personnes ressources, AESH référents ou professeurs ressources (bonne pratique).
Proposition n° 41 : Mettre en œuvre une politique nationale ambitieuse en matière de périscolaire
– Revaloriser les loisirs, indépendamment de tout enjeu scolaire ;
– Faire de l’accueil périscolaire une compétence obligatoire des collectivités et prévoir une hausse des dotations de l’État en conséquence (législatif) ;
– Élaborer des statistiques nationales spécifiques à l’animation en milieu périscolaire (nombre d’animatrices, caractéristiques socio-démographiques, etc.) (bonne pratique).
Proposition n° 42 : Faciliter l’accès à la formation continue et mieux prendre en compte les qualifications dans les rémunérations
– Faire en sorte que toutes les animatrices périscolaires passent, un an après le début de leur contrat ou de leur entrée dans les cadres, une formation qualifiante (conventions collectives et réglementaires) ;
– Faciliter la possibilité de passer des modules du BPJEPS en VAE (réglementaire) ;
– Permettre l’ouverture du CQP Animateur périscolaire à l’apprentissage et développer, à terme, l’apprentissage dans le cadre du BPJEPS (législatif) ;
– Renforcer la prise en compte des qualifications dans les grilles salariales de la branche de l’animation (conventions collectives).
Proposition n° 43 : Offrir de vraies perspectives de carrière aux animateurs
– Organiser des passerelles plus claires entre le monde associatif et la filière territoriale de l’animation (réglementaire) ;
– Dans la filière territoriale de l’animation, fonctionnariser l’ensemble des animatrices périscolaires contractuelles. Cesser les glissements de missions de la catégorie B vers la C et créer un cadre d’emplois de catégorie A pour permettre une vraie progression de carrière. Prévoir l’obligation de proposer un CDD à une animatrice périscolaire qui aurait travaillé plus de six mois comme vacataire (législatif et réglementaire).
« On ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux »
Antoine de Saint-Exupéry
« Il nous faudra nous rappeler que notre pays tient tout entier sur des femmes et des hommes que nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal. »
« “Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune”. Ces mots, les Français les ont écrits il y a plus de 200 ans. Nous devons aujourd’hui reprendre le flambeau et donner toute sa force à ce principe. »
Emmanuel Macron
Propos introductifs de M. Bruno Bonnell, rapporteur
Une tradition séculaire attribue aux mères de famille la responsabilité de fonctions sociales spécifiques au nom de « l’instinct maternel » et de leurs « compétences ménagères ». Parmi celles-ci, on peut citer : s’occuper d’enfants, assister une personne fragile, malade ou handicapée, et accompagner les seniors en perte d’autonomie.
Ces tâches, qualifiées de « naturelles », ont historiquement été exécutées comme des contributions féminines, plus ou moins volontaires, et rarement associées à une rémunération.
Au fil du temps, elles ont pu toutefois être déléguées à des tiers en se transformant en métiers encore mal compris : l’assistante maternelle reste une baby‑sitter de jour, l’animatrice périscolaire, une monitrice de loisirs, l’accompagnante d’enfant en situation de handicap se limite à suppléer aux déficiences physiques ou mentales et l’aide à domicile oscillent entre la femme de ménage et la bonne à tout faire.
Ce sont les quatre métiers que nous analysons dans ce rapport qui souligne leur manque de reconnaissance, une géométrie variable de leurs statuts et de faibles rémunérations en rapport à leurs utilités sociales.
Invisibles et toutefois indispensables, ils sont des rouages critiques d’une mécanique de vie sociale inclusive et méritent un ajustement moral, statutaire et économique.
C’est l’objet du présent rapport qui fait des propositions pour une reconnaissance forte de ces quatre « métiers du lien » aux impacts sociétaux majeurs pour le vieillissement de la population ou l’égalité femme-homme.
Changer de regard sur les métiers du lien
La reconnaissance des métiers du lien commence par changer notre regard sur eux. On pense à tort qu’ils se développent spontanément comme une extension de capacités naturelles alors qu’ils requièrent des compétences spécifiques et un véritable savoir-faire.
Les très nombreuses auditions que nous avons menées ont montré la complexité du quotidien de ces professions que l’on résume trop souvent à des tâches d’entretien, de gardiennage ou d’occupation du temps libre. Les situations rencontrées sont extrêmement diverses, demandent des expertises ou des capacités d’adaptation singulières, et ceci très souvent en étant isolé, avec une hiérarchie distante et des formations limitées.
Les professionnelles rencontrées lors des auditions, les métiers étant très majoritairement féminins, revendiquent avec véhémence de pratiquer de vrais métiers, mal compris par les familles et les pouvoirs publics.
Parmi les qualités nécessaires à la pratique de ces métiers, elles citent en exemple : l’observation pour pouvoir alerter les familles ou des professionnels de santé en cas de problèmes ; la patience et la résilience pour aider les personnes qu’elles accompagnent à gravir des échelons de vie; l’optimisme et la joie de vivre pour apporter énergie et réconfort aux plus fragiles.
De belles valeurs souvent masquées par une vision réductrice de leurs fonctions par leur environnement.
Mais elles soulignent également l’aspect technique de leurs métiers pour, par exemple soulever une personne alitée, ou reconnaître et contrôler une crise d’angoisse. Elles insistent sur cette technicité trop souvent oubliée derrière une analyse simpliste de leurs tâches.
« Mes p’tits vieux m’appellent leur rayon de soleil ! », « il a réussi à mettre son manteau seul à la fin de l’année scolaire ! », « Quand je sens que ça ne va pas, je n’hésite pas à déranger le médecin ! », autant de phrases simples, autant de victoires pour valoriser leurs missions essentielles du quotidien.
Certifier la compétence
Un moyen de reconnaître ces métiers est de les légitimer par une certification de compétence. Pour les sortir de la sphère de métiers d’instinct ou naturels, il faut établir des chemins d’apprentissages qui complètent la transmission d’expérience par de l’acquisition de connaissances.
Les professionnelles regrettent de devoir trop souvent seules, et sur leur temps de repos, aller chercher de l’information sur des réseaux ou auprès de collègues. Elles souhaitent pouvoir bénéficier de formations ad-hoc débouchant sur des certificats ou diplômes.
Cette reconnaissance formelle aurait trois avantages : valider l’expertise de ces métiers, permettre une évolution de carrière, et attirer de nouvelles vocations en augmentant leur attractivité.
« Google est mon meilleur ami ! », « C’est vu comme un job, pas comme un travail, parce qu’on n’a pas de diplôme ! », « On ne trouve personne qui veuille encore le faire ! », sont des remarques pertinentes glanées dans les conversations qui soulignent la demande de formalisation des carrières.
Payer le juste prix de l’utilité sociale
Ces quatre métiers ont en commun des mécanismes de rémunération hétérogènes avec une complexité de comptage d’heures, d’estimation de tâches, de fragmentation des journées de travail, des plages horaires mal définies, etc.
La conséquence est une activité précaire, généralement sous-rémunérée et trop souvent vue comme un job de complément ou de transition avec un turn-over important.
Le rapport s’interroge sur cette « taylorisation » de ces métiers segmentés en tâches de demi-heure, heure, parfois même de quart-d’heure. Cette méthode historique de quantification du travail s’explique par la structure de financement public qui est basée principalement sur des subventions en heures déléguées à des structures associatives ou professionnelles.
Il s’ensuit une chaîne de répartition de la valeur qui se fait au détriment de la qualité d’un travail qui se retrouve découpé en tâches élémentaires (lever, repas, toilettes, coucher...) ou éclaté au long de la journée sans continuité géographique ou temporelle.
Ces temps partiels subis, ces plages horaires distendues, cette désorganisation du travail expliquent le renoncement à ces métiers par les professionnelles.
Mais au-delà, la rémunération est dans la majorité des cas en dessous d’un SMIC pour des temps effectifs de travail comptabilisés trop strictement et ne prenant pas en compte les temps de trajet, d’échange ou de formation.
Le rapport fait des propositions pour améliorer les conditions de travail en incluant plus de continuité dans les activités pour aller, dans certains métiers, jusqu’à s’interroger sur un changement structurel de paiement à la demi-journée par exemple et non plus à l’heure. Les rémunérations « à la tournée » pratiquées par certains organismes semblent aller dans ce bon sens pour l’aide à domicile.
Il propose un changement de paradigme où l’utilité sociale de ces métiers prime sur leur standardisation et où la responsabilité des professionnelles est encouragée.
« On sait ce qu’on a à faire et on connaît le temps pour le faire ! », « Des fois, je pointe mon quart d’heure pour le réveil et je reste car je sens qu’il a besoin de plus ! », « Pour éviter un aller-retour inutile de plus, je reste à attendre devant la porte dans ma voiture ». Ces quelques commentaires de professionnelles illustrent leur sens de la responsabilité. Ces situations d’attente ou d’attention devraient être inclues dans le temps de travail.
Établir un statut à l’utilité sociale
Le contrat de travail est la pierre angulaire de la reconnaissance d’une profession et au regard de l’importance que vont prendre les métiers du lien dans l’avenir, il est indispensable d’harmoniser les conventions collectives les régissant.
Les quatre métiers analysés pourraient représenter jusqu’à deux millions d’emplois d’ici 2040.
Il est critique de structurer ces professions avec des statuts protecteurs et de vraies perspectives de carrière.
Former et engager sur le long terme du personnel compétent est un bénéfice social important qui rentre parfaitement dans une politique de santé privilégiant la prévention plutôt que la curation.
Sur le plan budgétaire, investir plus sur les métiers du lien permet des économies sur la gestion de la santé des personnes fragiles ou dépendantes.
Prendre soin permet de reculer, voire d’éviter, l’obligation de faire des soins.
Les propositions du rapport poussent également à une meilleure représentation salariale des professionnelles isolées à domicile pour établir un dialogue constructif avec leurs employeurs. La pénibilité physique ou psychique, la sécurité ou la protection de leur santé sont aujourd’hui trop souvent vécues en solitaire en conduisent à des renoncements et des abandons de poste.
« La famille me dit qu’elle ne saurait pas quoi faire sans moi », « grâce à moi, ce gosse a trouvé un voie extra-scolaire », « j’ai alerté les parents que quelque chose n’allait pas et ils ont trouvé », sont quelques exemples de l’utilité sociale de ces métiers du lien.
Imposer les entreprises à mission
La gestion de ces professionnelles est intégrée par les collectivités ou déléguée soit à des associations, soit à des entreprises et plus rarement en contrat de particulier-employeur.
Le rapport suggère de supprimer notamment ce dernier type de contrat pour les personnes âgées ou handicapées potentiellement défaillantes en tant qu’employeur.
Pour les entreprises, il est fondamental que seules les entreprises à mission ou de l’économie sociale et solidaire agréés ESUS soit habilitées à gérer les professionnelles des métiers du lien.
On ne peut en effet considérer la demande d’assistance et d’encadrement comme un produit exclusivement soumis aux lois du marché et une composante de responsabilité sociale est indispensable pour assurer un équilibre entre bonne gestion et qualité de services. Cela inclut le bien-être des employés et l’évolution de leurs compétences.
L’entreprise à mission trouve dans ces activités un sens et des objectifs qu’il convient de formaliser dans ses statuts.
Impact du Covid-19 sur le rapport
Les auditions ont commencé avant la crise du Covid-19 et se sont poursuivies à distance ensuite.
Cette crise a mis en lumière un certain nombre de métiers invisibles comme les caissières de supermarché ou les éboueurs, salués comme ils se doit pour leur dévouement.
En ce qui concerne les métiers analysés dans ce rapport, elle a surtout révélé leur précarité et leur fragilité. Nombre d’éducateurs périscolaires vacataires se sont soudainement trouvé sans rémunération, les écoles étant fermées. Les AESH ont été prises en charge mais ont vu leurs revenus complémentaires comme l’aide aux devoirs s’effondrer. Les aides à domicile ont dû continuer leurs activités en gérant seules leurs protections individuelles.
La crise est une preuve de plus de la nécessité d’organiser ces professions pour qu’elles soient protégées et préparées à faire face aux aléas au même titre que d’autres professions de santé publique.
La plus grande décision de cette crise ayant été de privilégier la santé sur l’économie en réponse à la pandémie, c’est dans le même élan que le rapport privilégie le lien comme élément pivot du corps social et souhaite le valoriser à ce titre.
Conclusion : vers une croissance écologique
Ce rapport conclut à la nécessité de revaloriser les métiers du lien et de réinventer pour eux de nouveaux modèles de rémunération. Il fait dans ce sens un nombre important de propositions.
En fonction de leur sensibilité politique, les rapporteurs justifieront l’urgence sous l’angle de rapports de classe à rééquilibrer pour l’un et par le prisme de l’importance d’augmenter l’attractivité des métiers de l’humain à l’heure d’un monde numérisé pour l’autre.
Même si les points de vue politiques divergent, tous deux s’accordent sur le fait que le temps pour l’autre sera la matière première d’une nouvelle forme de croissance qu’on peut qualifier « d’écologique », pour l’opposer à une croissance strictement économique.
Écologique car elle intègre l’utilité sociale et non la rentabilité comme premier paramètre de la valeur ajoutée de ces métiers du lien.
Par conséquent, on peut regarder les rémunérations des métiers du lien comme des investissements sociétaux. Le « retour sur ces investissements » n’étant pas quantifiable mais qualifiable : de meilleures chances d’intégration sociale pour les jeunes si les professionnelles ont eu les moyens de faire leur travail d’apprentissage et la préservation de leur dignité pour les personnes âgées aidés à domicile par des personnes reconnues pour leurs compétences.
C’est en résumé un investissement pour une société plus équilibrée et plus humaine.
Si, à l’inverse, on conserve une logique de coûts pour les métiers du lien en ne cherchant qu’à les optimiser, on prend le risque de voir augmenter considérablement la note sociale ultérieure.
Ces réflexions, où le mieux doit prévaloir sur le plus, devraient guider le raisonnement réglementaire et législatif pour établir un cercle vertueux de croissance durable de ces activités du liens, indispensables au mieux vivre ensemble.
— 1 —
Propos introductifs de M. François Ruffin, rapporteur
« Il nous faudra nous rappeler que notre pays tient tout entier sur des femmes et des hommes que nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal. » C’est le président de la République, Emmanuel Macron, qui énonçait cela durant la crise du Covid. Et il ajoutait, citant la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen : « ’Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune’. Ces mots, les Français les ont écrits il y a plus de 200 ans. Nous devons aujourd’hui reprendre le flambeau et donner toute sa force à ce principe. »
« J’ai même récolté une amende… » À Abbeville, durant la crise du Covid, Martine nous raconte ses mésaventures en enfilant les bas de Madame Galand, ex‑dame pipi à la mairie : « Entre deux personnes âgées, je me suis dit : ‘Tiens, ce soir, je mettrais bien un peu de gruyère sur mes pâtes.’ Je me suis rendue au supermarché pour acheter un sachet et en sortant, les policiers m’ont contrôlée. J’ai donné mon attestation de déplacement professionnel. ‘Mais ça, c’est pour vous ?’, ils m’ont demandé, en montrant le fromage. ‘Bah oui. – Et vous avez un papier pour les produits de première nécessité ? – Bah non.’ J’aurais dû mentir, dire que c’était pour une vieille dame… Le gruyère m’a coûté 135 €. Déjà qu’on ne gagne pas lourd. »
« Ça, c’était ma journée d’hier. »
Martine nous tend son PDA, son assistant électronique.
« Quand je rentre chez une personne âgée, je pointe avec ça, y a un boîtier contre le mur. Quand je sors, je pointe. Et c’est là-dessus que l’association m’envoie des messages : ‘Bonjour, les plannings clients sont dans vos casiers.’
- Donc, tu as débuté à 8 h ?
- Oui, chez Monsieur T.
- Pour trente minutes ?
- C’est ça. Il faut faire vite, ouvrir les volets, le soulever, la toilette, le bol au micro-ondes… J’avais un quart d’heure chez Madame B., mais un quart d’heure, ça vaut pas le coup. J’avais à peine le temps d’enfiler ses bas. Maintenant, c’est une demi-heure minimum. Quand j’étais en Touraine, c’était plus tranquille, on avait une heure, jamais moins, parfois deux heures, on pouvait bavarder, et les horaires montaient vite. Je faisais 1200 €, 1300 €, je dépassais toujours le Smic…
- Ensuite, tu as un quart d’heure de battement ?
- Oui. C’est le temps de déplacement.
- Il est payé ?
- Comme hier j’étais en mode prestataire, oui.
- Donc, si je compte bien, tu enchaînes quatre visites le matin, avec une grosse pause le midi…
- Ça me permet de rentrer chez moi.
- Quatre visites en fin d’après-midi, et là tu as un trou de deux heures…
- Je suis restée dans ma voiture. J’en ai profité pour passer des appels, faire le lien avec les collègues pour aujourd’hui : ‘Monsieur T. a un escarre aux fesses… Madame L. t’attend vers midi.’ J’ai rassuré Madame L., derrière, elle est toujours inquiète quand il y a un changement d’AVS, elle a peur qu’on l’oublie.
- C’est pas compté comme du temps de travail ?
- Non, jamais.
- Et tu termines à 20 h 30 ?
- 21 h. À 21 h, j’arrête.
- Donc, une amplitude de douze heures, un peu plus.
- C’est ça, il faudrait une prise en compte de l’amplitude horaire. Si je pars pendant huit heures, je suis payée huit heures.
- Tu fais ça combien de jours par semaine ?
- Six jours. Et deux dimanches sur trois. Un week-end en prestataire, un week-end en mandataire, et le troisième en repos. Faut dire que je prends tous les remplacements, y a quatorze AVS en arrêt-maladie sur mon secteur…
- Tu pourrais me montrer ta fiche de paie, maintenant ? »
Martine sort un dossier de son sac.
« Ça c’est ma feuille d’octobre. »
Je vois 110,96 h. Et en face, en net, 759,18 €.
« Je touche à peu près 800 € par mois, mais après ma saisie sur salaire, ça me fait 759 €, parce que je n’ai pas payé mes impôts locaux. C’est complété avec du RSA activité. Et ma fille touche 300 € de pension…
- Tu as quoi comme avantages, à côté ?
- Comme avantages ?
- Je ne sais pas, les tickets restau ?
- On n’en a pas.
- Les frais de déplacements ?
- C’est 35 centimes du kilomètre. Ma voiture est tombée en panne, je n’avais pas les moyens de la réparer. Durant un an et demi, j’ai fait du vélo tous les jours, par tous les temps, à soixante ans. L’association n’avait pas de véhicule professionnel, ou de vélo électrique à me prêter. Ce qui serait bien, c’est 1 000 €. Si j’avais 1 000 €, je serais contente… »
Martine ne constitue pas l’exception, mais la règle, dans les professions que nous avons retenues : auxiliaires de vie sociale, animatrices du périscolaire, accompagnantes d’enfants en situation de handicap, assistantes maternelles. Le travail occupe leurs journées, souvent du matin au soir, parfois le samedi, voire le dimanche, c’est un temps plein. Et pourtant, au bout du mois, elles ne récoltent qu’un piètre salaire, sous le Smic et le seuil de pauvreté. Au-delà même des revenus, elles sont dépourvues de statut, maintenues dans la précarité, dans l’incertitude du lendemain, inexistantes, non-reconnues, un lumpenprolétariat des services.
Quel paradoxe ! Car tous les discours, toutes les proclamations de bonnes intentions en dégoulinent : ces femmes s’occupent des êtres qui nous sont les plus chers, les plus précieux, nos bébés, nos enfants, nos personnes âgées, handicapées… Du berceau à la tombe, elles prennent en charge les plus fragiles… Elles sont le fondement de notre société…
Quel fossé, entre les paroles et les actes ! Valorisées dans les mots, dévalorisées dans les faits.
Pourquoi, alors, cette maltraitance des aidants ?
Pourquoi les politiques publiques entérinent, voire encouragent, financent, cette indécence salariale, plutôt que de la combattre ?
Pourquoi les rapports parlementaires, jusqu’ici, évitent cette question sociale : « Comment vivre, et vivre bien, de ces métiers ? » ? Pourquoi ne les abordent-ils que par le défi du vieillissement, comme avec le « Plan de mobilisation nationale en faveur de l’attractivité des métiers du grand-âge » établi par Myriam El Khomri. Ou, pour le handicap, pourquoi ils ne l’abordent que par le vécu des élèves : « cette situation est à l’évidence difficile pour les auxiliaires de vie scolaire, mais elle oblitère surtout la qualité, la fluidité et la continuité de l’accompagnement proposé aux jeunes en situation de handicap » « Professionnaliser les accompagnants pour la réussite des enfants et adolescents en situation de handicap », Pénélope Komites, 2013 ([1]). Questions importantes, certes, mais pourquoi les aborder sans se centrer, jamais, sur les travailleuses, leurs horaires, leurs formations, leurs rétributions ?
Ou alors, par le chômage : « Comment créer de l’emploi ? », mais sans se demander quels emplois ? ou quels bouts d’emplois ? pour quoi faire ? Ou à la rigueur par l’ « attractivité » : « ajuster l’offre à la demande par la revalorisation des conditions de travail et des salaires » ([2]) envisageant si besoin de recourir à l’immigration.
Pourquoi ne pas viser, pour ces femmes, le travail décent ?
Parce que ce sont des femmes, justement. À plus de 80 %, 87,3 % exactement.
Et des femmes pauvres : avec 26 heures de travail hebdomadaire, en moyenne, et 832 euros de salaire net, 1 190 euros pour un (rare) temps plein.
Et des femmes peu éduquées, souvent : à 80 %, un niveau inférieur au BEP (niveau secondaire deuxième cycle court).
Et des femmes étrangères, parfois : 14,5 % dans les services à la personne.
Les dominations s’ajoutent, de genre, de classe, d’origines. Ou, dit autrement, elles cumulent les « fragilités » : « Dans le service à la personne, ce sont deux vulnérabilités qui se font face », formule Geneviève Fraisse.
Il faut dire le non-dit : « Ces tâches relevaient du travail domestique, note Sandra Laugier, et étaient donc effectuées, gratuitement, bénévolement, par des femmes. » Non seulement les femmes n’étaient pas payées, mais elles en payaient le prix, comme en témoigne cet échange avec la philosophe Cynthia Fleury :
François Ruffin : Vous avez écrit Le soin est un humanisme, et je m’interroge sur une contradiction, confuse. Avec ces « métiers du lien », je vise, au fond, à salarier, à professionnaliser, voire à fonctionnariser le soin. Des soins qui étaient, jusqu’alors, délivrés à l’intérieur des familles, bénévolement, pas comme un service marchand. Est-ce que le soin, payé, ça demeure un humanisme ?
Cynthia Fleury : Pour ma part, je n’aperçois pas de contradiction. Et j’irais beaucoup plus loin : ce soin ne peut pas être porté par la famille, c’est-à-dire par la femme, pas entièrement. Ça ne doit pas l’être.
Mon point de vue, ici, n’est pas moral, il est clinique : un soin intégralement porté par la famille produit de l’érosion, l’érosion de soi, la dépression des aidants. Après, c’est chacun son rythme : au bout d’une semaine certains pètent les plombs, d’autres tiendront dix ans. Mais ça craque toujours. La politisation du soin, la professionnalisation du soin, sont obligatoires.
François Ruffin : Et vous diriez ça pour tous les soins ? Dans nos métiers du lien, on a retenu les auxiliaires de vie sociale pour personnes âgées, les accompagnants pour enfants en situation de handicap, mais aussi les assistantes maternelles pour les bébés… Vous portez le même diagnostic pour tous ?
Cynthia Fleury : Pour tous. C’est désagréable de l’entendre : une maman toute seule pète les plombs. Seule, vous entrez dans une érosion de vous-même, avec une porosité sur l’enfant. Comme on a pensé l’histoire autrement, avec comme idéal familial, la mère à plein temps, au foyer, comme le patriarcat raconte que c’est « naturel », on ne veut pas entendre cette vérité. Mais si vous regardez les niveaux d’hystérie au XIXème siècle, on disait que c’était une pathologie féminine, et aujourd’hui elle a disparu. Il n’y a plus d’hystérie. Le peu d’hystérie qui demeure est autant masculine que féminine.
Dans votre rapport, il faut le dire : la politisation du soin est nécessaire. Pour des raisons cliniques. Ça ne veut pas dire qu’il faut éliminer le soin familial, filial, parental, ils sont absolument nécessaires. Mais on ne peut pas tout leur refiler.
Pour le dire autrement : la création de l’État social, c’est la politisation de la solidarité. Avant, la solidarité n’existait pas, ce qui existait, c’était la charité, la compassion, les familles, la philanthropie etc. Face à l’État social, les conservateurs ont dit : « Mais vous êtes en train de déresponsabiliser l’individu, de le démoraliser, vous lui enlevez l’obligation de la piété filiale, cette affaire là c’est les familles ». Donc, il y a eu deux camps : d’un côté la « naturalisation », de l’autre côté la politisation. Moi, je défends, cliniquement, une solidarité politisée. Ça veut dire quoi ? Que le care, c’est du travail. Que le care, c’est de la compétence. Que le care, ce n’est pas du don.
Mais on reste marqués, aujourd’hui encore, par cette « naturalisation », par des approches sacrificielles, de la vocation, et on manque l’efficacité du soin. Pourquoi ? Parce que je vois des familles qui portent, seules, une réalité autistique, Alzheimer et tout ça. Au bout, ce n’est pas la personne avec Alzheimer qui va déconner, ce sont les vingt qui l’entourent ! C’est pragmatique. En l’espace de deux, trois, quatre ans, tout l’entourage est atteint. Ça fait exploser le travail, parfois les couples.
Or, c’est un enjeu pour demain : nous vivons plus longtemps. Mais nous allons vivre avec du poly-pathologique. Si on ne veut pas pourrir la vie des enfants, des familles, il faut affirmer la politisation, la collectivisation de cette question. Sans ça, on ne pourra pas affronter la transition épidémiologique.
La maltraitance des « métiers du lien » prolonge, au fond, la maltraitance économique, symbolique, psychologique, des femmes au foyer. Voilà, grosso modo, l’inconscient de notre société : « Durant des siècles, elles l’ont fait à leur maison pour pas un rond. Aujourd’hui, on les rémunère un peu. De quoi se plaindraient-elles ? »
Cette maltraitance tient, également, à une honte, une honte sociale.
Ces « métiers du lien » sont aujourd’hui jetés dans le gros paquet des « services à la personne ». Volontairement (on verra pourquoi), « les activités relevant de l’action sociale et les services domestiques ont été réunis », regrette Florence Jany-Catrice. On a instauré une confusion : les aides aux personnes âgées, handicapées, malades, sont désormais confondues avec les prestations destinées aux classes aisées, le jardinage et le bricolage, la promenade des animaux de compagnie, l’assistance informatique ou administrative, la cuisine à domicile, l’enseignement à domicile, et surtout, surtout, massivement, le ménage.
« L’intimité, c’est le sale, et le sale ne se montre pas, pointe Geneviève Fraisse. Ce tabou aboutit à une invisibilité du travail à domicile. » Comme si en lavant les taches, ces femmes portaient un peu de cette tâche à leur tour. Comme si en masquant leurs tâches, on effaçait la tâche.
D’autant que cette nouvelle domesticité comporte, pour les dominants, une autre honte : « On sépare, abusivement, les vulnérables d’un côté, les autonomes de l’autre, relève Cynthia Fleury. La vérité, c’est que les « autonomes » parviennent à cacher leur vulnérabilité, et même leur dépendance. Comme l’énonce Joan Tronto, une universitaire américaine, spécialiste du care : « Ils ont des ressources pour rendre leur vulnérabilité invisible. » Et donc, en les regardant, on se dit : « Eux, ils n’ont besoin de rien. » Alors que, derrière eux, il y a des femmes de ménage, des serveurs dans les restaurants, des cuisiniers, des coaches, des comptables, des baby-sitters, des familles super-soudées pour s’occuper des enfants. Mais tout cela disparaît : ce qui apparaît, c’est de la super-puissance. De l’indépendance. »
Mettre en lumière cet assistanat, c’est ébrécher un mythe social : « L’invisibilité imposée à ceux qui assument les tâches ménagères, compare Mona Chollet, n’est plus aussi spectaculaire que dans ce manoir du Suffolk où les serviteurs devaient tourner leur visage contre le mur quand ils croisaient un membre de la maisonnée. Pourtant, elle demeure. Une campagne de communication de l’Agence nationale des services à la personne montrait ‘des aspirateurs et des pulvérisateurs de nettoyants pour vitres qui semblaient animés par l’opération du Saint-Esprit »… La plupart du temps, les femmes de ménage sont des fantômes : elles viennent chez leur employeur en son absence et communiquent avec lui par petits mots. « Le rêve, c’est d’arriver comme ça et de trouver tout fait, et d’être tranquille chez moi quand j’arrive », énonce une quadragénaire... L’employeur comme le mari peuvent ainsi se faire servir tout en s’épargnant l’embarras, même vague, d’y être confrontés. Mais ce refus de voir le travail domestique permet aussi de maintenir l’illusion d’un intérieur propre et bien tenu comme par magie… » Et l’essayiste de nous amener chez le plus célèbre des magiciens, Harry Potter : « Dans les familles riches ou à Poudlard, s’activent les elfes de maison qui ne touchent aucun salaire. Comme leurs homologues humains, ils sont condamnés à la clandestinité. À l’école des sorciers, ils nettoient les salles communes la nuit, quand les élèves dorment, et les dortoirs le jour. Mais leur invisibilité atteint son paroxysme au réfectoire : à l’heure des repas, des montagnes de victuailles apparaissent sur les tables, comme surgies du néant. Il faut plus de deux ans de scolarité à Hermione pour réaliser que les plats sont envoyés depuis les cuisines par des elfes. À la suite de cette révélation, elle refuse un temps de s’alimenter, révoltée à l’idée que son bien-être repose sur un esclavage. Cette sensibilité sociale prononcée suscite l’incompréhension et la réprobation de son entourage. ‘Ne va pas leur mettre des idées en tête en leur disant qu’il leur faut des vêtements et des salaires !’ la prévient l’un des jumeaux Weasley. Mais Hermione persiste et fonde la Société de libération des elfes de maison… »
Comment, dès lors, valoriser des « services à la personne » que l’on cache, que l’on maintient dans l’ombre ? C’est la part obscure de notre société, comme les esclaves de la cité athénienne, avec autour le consensus de l’oubli.
Cette maltraitance, enfin, des « métiers du lien », tient à la maltraitance des liens eux-mêmes, à leur négligence, dans nos sociétés.
Car dans quelle société vivons-nous ? De consommation. Ainsi définie par Le petit Robert : « Type de société où le système économique pousse à consommer et suscite des besoins dans les secteurs qui lui sont profitables. » Ou encore, dans Le petit Larousse : « Société d’un pays industriel avancé où l’économie, pour fonctionner, s’efforce de créer sans cesse de nouveaux besoins, et où les jouissances de la consommation sont érigées en impératifs au détriment de toute exigence humaine d’un autre ordre. »
Apporter de la dignité à une personne âgée, contribuer à l’autonomie d’une personne handicapée, participer à l’« élaboration imaginative » d’un enfant, à sa « capacité de création », à sa « capacité de résilience », bref, par le soin, donner aux plus vulnérables quelque chose à espérer de ce monde, et cela, quelles que soient les bourses, quelles que soient les fortunes : ces « besoins », bien réels, même essentiels, pas du tout artificiels, sont-ils « profitables au système économique » ? Ils relèvent à coup sûr d’une « exigence humaine d’un autre ordre ». D’où le mépris, tacite, mais collectif, qu’ils subissent. Ces liens ne sont pas comptés, pas comptés comme une richesse, juste comme un « supplément d’âme » lorsqu’ils sont gratuits, délivrés par la famille, ou comme une dépense, comme un coût, lorsqu’ils sont payés. Et on le sait : ce qui n’est pas compté, économiquement, ne compte pas.
Ce qui compte, en revanche, ce sont les biens. Le PIB, jusqu’aux années 70 et l’adoption en 1976 du Système élargi de comptabilité nationale (SECN), n’a comptabilisé que les biens, agricoles et industriels. Les Trente glorieuses se racontent d’abord par le supermarché, le charriot rempli, le réfrigérateur pour tous, plus que par la Sécurité sociale, les retraites, l’éducation secondaire pour tous, qui furent pourtant la toile de fond de décennies où le confort s’accrut. Et aujourd’hui encore, en un prolongement de cette période, comment nous est vendu le progrès ? Sous la forme un portable i-phone 11, bientôt pourvu de la 5 G, et avec des frigos connectés. Mais qui ce progrès-là fait-il vraiment rêver ? Comme l’écrit Dominique Bourg : « On comprendra aisément que l’adduction d’eau, l’électricité, le chauffage central, l’accroissement des surfaces d’habitation, les machines à laver linge et vaisselle, la chaîne du froid, une forme de mobilité aient débouché sur une augmentation réelle et tangible de notre bien-être. Mais ces améliorations fondamentales et qualitatives ne peuvent avoir lieu qu’une fois. La simple accumulation indifférenciée de biens matériels ne saurait suffire à elle seule à augmenter notre sentiment de bien-être. »
Avec cette mission, il nous faut afficher notre ambition : à travers les « métiers du lien », c’est un projet de société que nous portons. Nous ne venons pas, seulement, techniquement, construire un statut pour les auxiliaires de vie sociale, il le faut, garantir un revenu pour les accompagnantes d’enfants en situation de handicap, il le faut, assurer une reconnaissance aux animatrices du périscolaire, il le faut, bâtir un filet de sécurité pour les assistantes maternelles, il le faut. Il faut tout cela. Il faut les sortir de la marge, de la périphérie, de l’oubli. Mais il faut plus. Il faut la société qui va avec. Il faut la société qui place le lien en son cœur. Qui en fait son moteur, son mantra : par où passera le progrès demain ? Par le lien.
C’est un basculement que nous réclamons, et qui ne correspond pas qu’une conviction éthique. Il répond à moment historique. Et à une nécessité écologique.
Quel « moment historique » ? La croissance ne fait plus le bonheur. Un tableau fourni par l’Organisation des Nations unies le montre bien :
Que nous dit-il ? Que dans les premières phases du développement, la richesse apporte en effet un supplément de bien-être, avec une alimentation plus calorique, de meilleurs soins, de l’éducation : l’espérance de vie s’élève très rapidement. C’est vrai dans les pays pauvres. Mais ensuite : plus le niveau de vie augmente, plus le lien entre revenu et espérance de vie s’atténue. Il finit par disparaître entièrement : à partir d’environ 20 000 dollars par habitant, la courbe ascendante devient horizontale.
Faisons maintenant un zoom sur les pays les plus riches.
Que remarque-t-on ? Eh bien justement, rien ! Dans les pays les plus riches, il n’y a plus de lien entre le niveau de richesse et le niveau de bien-être. Les nations se trouvent distribuées de façon aléatoire : les États-Unis, le pays plus riche, ont une espérance de vie inférieure à celle de l’Espagne ou de la Nouvelle-Zélande, et des pays où le revenu par habitant est presque deux fois moindre ! Et même de Malte, de Cuba ou du Costa-Rica ! Cela signifie une chose simple et essentielle : la croissance ne fait plus le bonheur.
D’ailleurs, depuis quarante ans, depuis le milieu des années 70, le revenu par habitant en France a quasiment doublé. Mais pour le taux de bonheur, cela n’a rien à voir : il stagne. Les deux courbes sont disjointes.
Comme l’énonce l’épidémiologiste anglais Richard Wilkinson : « C’est la fin d’une époque. Jusqu’ici, pour améliorer notre condition, il y avait une réponse qui marchait : produire plus de richesses. Nous avons passé un certain seuil, et ce lien est désormais rompu. C’était un schéma prévisible : si notre estomac crie famine, manger du pain est le soulagement ultime. Mais une fois notre estomac rassasié, disposer de nombreux autres pains ne nous aide pas particulièrement…
Nous sommes la première génération à devoir répondre de façon plus novatrice à cette question : comment apporter de nouvelles améliorations à la qualité réelle de la vie humaine ? Vers quoi nous tourner si ce n’est plus la croissance économique ? »
« Vers quoi nous tourner ? »
Une étape est franchie, dans notre développement, et voilà qui nous remplit moins de satisfaction que d’inquiétude : quel est le sens, désormais ? Quel est le sens de l’histoire ? Quel est le sens de nos jours ? Nous assistons à l’effritement d’une croyance, à une crise d’espérance :
« On sort de la société de consommation, tranche le philosophe Dominique Bourg. Ce n’est pas rien. La consommation avait (j’en parle au passé) une fonction spirituelle, elle donnait un sens à notre existence, et à l’histoire, à la société. À travers la consommation, on se réalisait. Cette magie jouait à plein durant les années 60, mais elle s’est assez vite effritée. Dès les années 70, apparaît une contestation de ce culte. Et aujourd’hui, dans nos pays, ça ne marche plus : lors des « focus groups », lorsqu’on invite des gens lambda pour discuter d’un nouveau produit, toute fascination a disparu. J’ai rencontré des professionnels de ces analyses marketing, qui m’en ont témoigné : « La magie, c’est fini. Complètement fini. » Mais même l’Inde ou la Chine, à la limite, ils n’auront jamais connu cette magie de la consommation. Parce que, d’emblée, elle est associée à la destruction très visible de l’environnement. Ils savent. C’est sans innocence, habité par une culpabilité.
François Ruffin : Et comme la magie est morte, le système jette toutes ses forces pour que l’idéologie survive ? Avec des écrans publicitaires partout ? Des chaînes de télé gorgées de pubs ?
Dominique Bourg : On met un fric monstre pour continuer à vendre n’importe quoi. Sinon, si toutes les conneries ne se vendent plus, le système est foutu.
« Vers quoi nous tourner ? »
Eh bien, avec ce rapport, à tâtons nous répondons, nous ouvrons le chemin : vers les liens, plutôt que vers les biens. Dans notre moment historique, voilà l’étape d’après, la direction, pour « apporter de nouvelles améliorations à la qualité réelle de la vie humaine ».
Ce nouveau cap, par ailleurs, l’urgence écologique l’exige.
François Ruffin : Vous dites souvent que le progrès, demain, ne sera plus dans la technologie, mais dans la qualité des relations…
Dominique Bourg : Non pas demain, mais dès aujourd’hui en fait ! Dans les pays riches, comme le nôtre, on le voit déjà dans les enquêtes : le bien-être provient désormais, non plus du PIB, mais du relationnel, du temps passé en famille, d’une disponibilité pour ses amis, etc. C’est ça qui rend les gens heureux, épanouis, et non pas le fait d’avoir trois bagnoles.
Bruno Bonnell : Si on en vient à notre sujet, ça veut dire, dans cette logique, qu’il faudrait valoriser les métiers qui créent du lien, plutôt que ceux tournés vers la marchandise ?
Dominique Bourg : Évidemment ! On est cul par-dessus tête ! Ce n’est pas très sympa, mais le vendeur de SUV, le publicitaire qui vante ces véhicules, l’ingénieur qui dessine les plans, ces emplois sont valorisés, bien payés, bien considérés. Alors que, non seulement ils n’apportent qu’un plaisir éphémère, si ce n’est de la frustration, mais surtout ils contribuent à la dégradation de l’habitabilité de la Terre. Est donc rémunéré ce qui détruit.
À l’inverse de vos métiers, qui participent d’une chose essentielle : la reconnaissance de l’autre. Revenez au vieil Hegel, on est au début du 19ème siècle, il dit : « Qu’est-ce qui fait qu’une société sera accomplie ? C’est quand il n’y aura plus aucun individu qui ne sera pas reconnu dans son humanité. » C’est le fondement de la vie sociale : la reconnaissance, par la société, de la valeur de tout un chacun. C’est le drame terrible du chômage : il rend les « hommes inutiles », et ça c’est destructeur, moralement, mentalement.
François Ruffin : Là, c’est la reconnaissance à la fois des gens qui sont aidés et des gens qui aident ?
Dominique Bourg : Les deux ! Tu reconnais les deux d’un coup ! D’un côté la personne qui aide, si son boulot lui plait, si elle s’y reconnaît, obtient justement une reconnaissance de la personne qu’elle aide, et de la société ; de l’autre, elle-même et la société reconnaissent la personne aidée dans son humanité. Cette dernière sort de l’isolement, de la trappe mentale où sont abandonnés les gens qui ne peuvent se débrouiller seuls. Tu renforces de manière générale les liens, et c’est un signal que tu donnes à la société en disant : "La société ne se borne pas au marché, c’est d’abord l’entraide. Ce qui va être de plus en plus important aujourd’hui, c’est les liens."
François Ruffin : C’est le volet « social ». Mais c’est vert aussi ?
Dominique Bourg : C’est la clé de tout en matière d’écologie. Si la planète devient de moins en moins habitable pour notre espèce, et pour les autres espèces, la première cause, ce sont les flux d’énergie et les flux de matière, tous les objets qu’ils permettent de produire. D’autant que nous sommes sur une industrie du petit gadget obsolescent, sans grand intérêt, avec une Terre transformée en atelier géant. Avec un effacement de la géographie, des mers, des distances. Avec pour seule boussole, le coût, la concurrence, le meilleur prix, et qui fait que chaque stylo, ici, chaque vêtement sur nous, ont parcouru des milliers de kilomètres. Donc, effectivement, une société qui s’écologiserait, c’est forcément une société qui va privilégier les liens plutôt que les biens, une société où les activités de production et leurs volumes, et leurs transports, baissent, drastiquement même dans un premier temps.
Les deux se tiennent : la valorisation, ou la dévalorisation, des « métiers du lien », et la valeur, ou la non-valeur, accordée aux liens. Méprisés tous deux, négligés, marginalisés, ou au contraire placés au cœur de la cité.
« Pour revaloriser les métiers du care, indique Sandra Laugier, il faut inverser les normes de valeurs dans notre société. On donne de la valeur à ce qui n’en a pas, et pas assez à ce qui en a. Nous avons une dépendance collective au care, et pourtant, c’est un point aveugle. On ne s’en aperçoit que lorsque le travail n’est plus fait. Nous devons finalement glisser de la valeur financière vers la valeur sociale. Mieux rémunérer ces emplois est une priorité. C’est la voie pour changer, en profondeur, le regard sur ces métiers du care. C’est le minimum : qu’ils permettent de vivre décemment. Le care doit donner de la dignité à la personne aidée, mais aussi à la personne aidante. »
Durant la crise du Covid, le président de la République relevait que « notre pays tient tout entier sur des femmes et des hommes que nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal. » Et il citait la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen : « Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune. »
Évaluer cette « valeur sociale », plus que cette valeur financière, cette « utilité commune » pour reprendre les propos du président de la République, des études s’y efforcent. Ainsi du rapport rendu en 2009 par trois chercheuses britanniques, Eilis Lawlor, Helen Kersley et Susan Steed, pour la New Economic Foundation ([3]). D’après leurs calculs, l’employée de crèche, par l’éducation prodiguée aux enfants, par le temps libéré pour les parents, rend à la société 9,43 fois ce qu’elle perçoit en salaire. À l’autre bout de la chaîne, le conseiller fiscal : son art consiste à priver la collectivité du produit de l’impôt. Il détruit quarante-sept fois plus de valeur qu’il n’en crée.
Le « retour social sur investissement » diverge alors, et grandement, du « retour sur investissement » pour l’actionnaire. Avec des « externalités » tantôt positives, tantôt négatives.
Dans le cas d’un ouvrier du recyclage, payé 6,10 livres sterling de l’heure (environ 7 euros), les auteures estiment que « chaque livre dépensée en salaire générera 12 livres de valeur » pour l’ensemble de la collectivité. En revanche, « alors qu’ils perçoivent des rétributions comprises entre 500 000 et 10 millions de livres, les grands banquiers d’affaires détruisent 7 livres de valeur sociale pour chaque livre de valeur financière créée ».
Le publicitaire, par exemple. Son activité vise à accroître la consommation. Il en découle, d’un côté, une création d’emplois (dans le secteur de la publicité, mais aussi dans les usines, le commerce, les transports, les médias) et, de l’autre, un accroissement de l’endettement, de l’obésité, de la pollution, de l’usage d’énergies non renouvelables. Une fois évalués les bénéfices et les coûts, « pour chaque livre sterling de valeur positive, 11,50 livres de valeur négative sont générées. » Autrement dit : les cadres du secteur publicitaire « détruisent une valeur de 11,50 livres à chaque fois qu’ils engendrent une livre de valeur ».
C’est l’inverse pour un agent de nettoyage à l’hôpital. Un travail invisible, sous-traité et mal traité, mais qui contribue à la santé : le journal BMC Med a montré que l’embauche d’un nettoyeur supplémentaire diminuait le risque d’infections nosocomiales, évitait des complications ([4]). Donc, d’après les auteures, « pour chaque livre sterling qu’elle absorbe en salaire, cette activité produit plus de 10 livres de valeur sociale ». Et encore, précisent-elles, « il s’agit probablement d’une sous-estimation ».
Les professions les plus nuisibles sont donc surpayées, tandis que, symétriquement, l’échelle des salaires décourage des activités profitables au plus grand nombre.
C’est un continent invisible qu’il s’agit de rendre visible. Il est déjà-là, sous nos yeux, statistiquement, économiquement, massivement, mais plutôt que de l’organiser, de le structurer, de le financer, on se refuse à le voir, comme une honte qu’on cache. Rédacteur au Monde diplomatique, sociologue de formation, Pierre Rimbert observe ainsi « l’évolution des actifs en France » :
Pierre Rimbert : Il y a quelque chose de très frappant : d’ordinaire, on associe les classes populaires aux figures masculines (ouvrier métallo, sidérurgiste, etc.). Or, d’après les statistiques de l’INSEE, le salariat des classes populaires aujourd’hui est majoritairement constitué de femmes : 51 % des employés et des ouvriers sont des femmes. La proportion était de 35 % en 1968. C’est vraiment un des traits les plus frappants, à mon avis, dans ce dernier demi-siècle, de la transformation sociologique de la société : le nombre d’emplois masculins n’a pas changé, quasiment pas, de 13,3 millions d’emplois masculins en 1968, on est passés à 13,7 millions en 2017. La force de travail supplémentaire, enrôlée par le système économique ces dernières décennies, est féminine, et notamment dans les professions que vous mentionnez. En janvier, là, pour la première fois de manière durable, les femmes ont dépassé les hommes dans la force de travail américaine. C’est une première dans l’histoire du capitalisme.
François Ruffin : Donc, c’est une tendance de fond, mais presque souterraine, peu visible…
Pierre Rimbert : C’est la question centrale, sans doute, cette invisibilité. Pourquoi ? Quelles en sont les causes ?
D’abord, ces secteurs sont éclatés : par le lieu d’exercice, tantôt chez les particuliers, tantôt dans des institutions, premier facteur de séparation. Et deuxième facteur, celui des diplômes, entre, par exemple, une femme de ménage et une aide‑soignante dans un hôpital. L’unité ne va pas de soi. Même si d’autres facteurs les rassemblent : ce sont des professions relativement mal payées, qui travaillent dans des conditions pas toujours flatteuses, et qui réalisent des tâches invisibles.
Voilà qui est important : le propre de ces métiers, c’est qu’on ne les voit que quand ils ne sont pas faits, ou mal faits. C’est, finalement, la charpente de l’état social, que les femmes tiennent à bout de bras. Au-delà des métiers du lien, ou du soin, j’ajouterais le ménage, et même l’administration, les tâches de bureau… Tout un salariat qui contribue à la reproduction de la société, c’est-à-dire : pour que la production puisse s’effectuer, il faut des gens en bonne santé, éduqués, avec un environnement sain, etc. Ces missions sont essentielles, et pourtant elles sont comme à l’arrière-plan.
Enfin, il y a une bataille de l’imaginaire : qu’est-ce que la modernité ?
Bruno Bonnell : C’est-à-dire ?
Pierre Rimbert : Aujourd’hui quand on dit « modernité », on pense aux nouvelles technologies, un secteur qui emploie 85 % d’hommes, ou à la finance, 88 % d’hommes. Or, l’éducation, le soin, prendre soin des vieux, des jeunes, c’est une forme, quand on regarde l’histoire longue, de modernité, qui est tout à fait unique dans l’histoire des civilisations… Et pourtant, la modernité, dans nos imaginaires, c’est Facebook, et pas l’État social qui s’est instauré depuis quatre-vingts ans, on ne pense pas aux auxiliaires de vie sociale, aux assistantes maternelles, aux aides-soignantes…
Quand vous regardez la liste, aux États-Unis, des dix métiers pour l’avenir, vous avez une partie d’hommes qui installent des panneaux solaires, des programmeurs informatiques, et puis viennent des massothérapeutes, des femmes qui s’occupent des enfants, des femmes qui s’occupent des vieux, etc. Et d’ailleurs, qu’on observe cela : les personnes impliquées, on va dire, dans cette automatisation du monde, comment ils élèvent leurs enfants ? Il y a une grande discordance. Dans la baie de San Francisco, les gens payent des humains à leurs enfants, à tel point qu’un métier apparaît aux États-Unis : « assistant personnel du coach pour enfants ». Pas seulement le coach, mais l’assistant du coach, le coach permet à l’enfant, entre zéro et trois ans, de rentrer dans une maternelle à entre 20 000 $ par an. Donc, ces mêmes personnes qui, par leurs entreprises, par la technologie, vont priver les autres de rapports humains, pour elles-mêmes, pour leurs familles, elles surinvestissent dans l’humain, elles en reconnaissent le caractère absolument nécessaire… Il y a un caractère très inégalitaire de l’automatisation.
La modernité est tellement incarnée par la technologie, si peu par l’humain, qu’on n’aperçoit pas le mouvement en cours. Ça fait vingt ans qu’on répète : « l’État social est en train de disparaître », etc., et certes, des politiques lui sont contraires. Et pourtant, les budgets sociaux augmentent, ces métiers que vous citez sont en train d’exploser. Le paradoxe, c’est que l’État social se renforce, mais par le bas et dans le privé : par des associations, des sous-traitants, des auto-entreprises, avec des bas salaires et des temps partiels. C’est vrai jusque dans l’hôpital : l’aide-soignante a remplacé l’infirmière, qui au quotidien a quasiment remplacé le médecin. Qui remplace l’aide-soignante ? L’ASH, l’agent spécialisé. Et la femme de ménage, elle, est sous-traitée au privé. Donc, à la fois l’État social croît, et en même temps, ces métiers font l’objet de restrictions de coûts, d’externalisation…
Donc, il faut changer cette imaginaire de la modernité : c’est le professeur, pas la téléconférence. Et dans un registre proche, il faut changer de langage : ces métiers féminins ne sont pas exprimés dans l’ordre de la production, mais du service. Même ici, dans cette assemblée, on entend systématiquement parler de « dépenses de santé », jamais de « production de soins ». C’est significatif. Le monde politique, les médias, présentent la santé et l’éducation comme si c’était des bienfaits, dispensés par des femmes dévouées, alors que ce sont des richesses produites par des travailleuses. C’est important, pas seulement pour l’estime de soi, la dignité des gens qui font ce métier, mais pour le regard de la société. Au sortir de la guerre, gaullistes et communistes, pour accélérer la production, avaient fabriquée une mythologie du mineur de charbon. Eh bien, aujourd’hui, la puissance publique devrait accompagner la montée de ces métiers avec le même effort culturel…
François Ruffin : Vous voulez dire que, aujourd’hui, ces métiers du lien croissent, mais presque malgré la société, en catimini, comme une honte ? Alors que ça devrait être une fierté ?
Pierre Rimbert : Tout à fait. Quand on parle de « transition écologique », les héros de cette transition sont des héroïnes. Ce sont des femmes qui rendent la société vivable. Elles sont les nouveaux mineurs de fond, qui produisent des services vitaux de la société...
Structurer ces « métiers du lien », les sortir de la précarité, comporte donc – au moins – un triple enjeu :
1. Féministe. La vaste majorité, sinon la quasi-totalité, de ces emplois sont occupés par des femmes.
2. Social. Ce sont des centaines de milliers d’employées, de salariées, qu’on doit sortir de la pauvreté.
3. Écologique. Valoriser ces « métiers du lien », c’est dessiner la priorité pour demain : l’humain.
Ce rapport vise donc à établir un état des lieux de ces professions, à présenter des propositions très directes, très concrètes. Mais aussi à participer d’un choc culturel : voilà les héroïnes de la transition.
Pourquoi les « métiers du lien » ?
AESH, Assistante maternelle, auxiliaire de vie sociale et animatrice du périscolaire, quel lien entre ses professions ? Le lien, justement.
Nous n’avons pas choisi les terminologies du secteur, comme « services à domicile » par exemple, puisque certaines professions ne s’exercent pas à domicile mais aussi puisqu’elles ne disent rien de la qualité du travail fourni. Nous avons exclu le « service à la personne », puisque le développement de cette notion est inextricablement lié à des politiques de création d’emplois tous azimuts sans aucune réflexion sur le sens de ces métiers : prendre soin, ou externaliser du travail domestique pour les ménages les plus riches et ainsi, donner des miettes aux travailleuses précaires ?
Nous aurions pu choisir de les appeler « les métiers du soin », mais le soin est trop centré sur l’acte physique, sur la santé physique ou psychique. L’essentiel ne se situe pas là. L’appellation « métiers du care » est peut-être la plus proche, mais de par son histoire liée au monde anglo-saxon, et en tant qu’anglicisme, la notion masque l’objectif de cette mission.
Les « métiers du lien » disent mieux le chemin et la finalité recherchée par vos rapporteurs. Le chemin, c’est que le progrès demain viendra des liens, plutôt que des biens, d’une société qui valorise la solidarité contre la concurrence. Les « métiers du lien » disent quelque chose de ce que doit être une « République bienveillante ».
« Les liens », ces professions n’ont pas été construites pour ça, mais ils sont centraux dans la pratique. « Les liens », c’est en deçà des gestes effectivement fournis, mais ça dit ce qui est au-delà des gestes fournis.
Comme l’expliquait Xavier Guchet, philosophe auditionné par la mission : « On ne sait pas par où ça passe. Par exemple, un enfant dans la cours de récré ne se fait pas des amis en cherchant des amis, mais en jouant au foot, aux billes... il a quelque chose à faire et ça rend possible autre chose. Dans vos métiers, il y a quelque chose de cet ordre. Le soin peut passer tout à fait par autre chose que des fonctionnalités techniques, sans qu’on sache par où ça passe. »
Avec notre définition, il nous semble évident qu’il y a bien plus que ces quatre « métiers du lien » : enseignant, comédien, cafetier, député, journaliste... sont aussi des métiers du lien.
Mais nous avons identifié ces quatre métiers comme étant à structurer en priorité. Ils sont sans statut ni revenu, ou presque.
Il s’agit moins pour les rapporteurs de se bagarrer sur le choix des mots, leurs intitulés, que leur réalité à transformer.
— 1 —
Pour vos rapporteurs, il n’y a pas de métiers plus essentiels et plus invisibles que les « métiers du lien ». Cette terminologie, peu usuelle, regroupe l’ensemble des métiers qui permettent de tisser du lien entre les personnes dans notre société. Beaucoup de métiers ayant vocation à créer du lien, vos rapporteurs ont souhaité se concentrer sur quatre d’entre eux qui sont particulièrement invisibles et précarisés, à savoir le métier d’aide à domicile, celui d’assistante maternelle, celui d’accompagnante d’enfants en situation de handicap et celui d’animatrice périscolaire ([5]).
Les métiers étudiés par la mission viennent en aide aux personnes qui en ont besoin, et ce « du berceau à la tombe ». Ils sont essentiels au vivre‑ensemble. Les assistantes maternelles sont des professionnelles de la petite enfance qui accueillent, le plus souvent chez elles, des enfants généralement âgés de moins de six ans. Les accompagnantes d’enfants en situation de handicap aident, guident et participent à l’autonomie d’enfants et d’adolescents en situation de handicap scolarisés en milieu ordinaire, à l’intérieur même de la salle de classe et parfois lors des temps de pause. Quant aux animatrices périscolaires, elles mettent en œuvre des animations (activités ludiques, artistiques, manuelles, éducatives et collectives) avant ou après l’école ainsi que le mercredi et pendant les vacances scolaires. Les aides à domicile accompagnent les personnes fragilisées (dépendantes ou en situation de handicap) chez elles dans les tâches de leur vie quotidienne.
Contrairement à la quasi-totalité des études existantes portant sur l’un de ces quatre métiers, le présent rapport se concentre sur les salariés et non sur les bénéficiaires de l’aide. Il cherche avant tout à répondre au paradoxe suivant : comment expliquer que ces métiers, si essentiels pour notre société, soient fortement précarisés et peu reconnus ? Ce choix est inédit. Les rapports existants adoptent davantage un angle prospectif (comment répondre aux besoins de main-d’œuvre ?) ou budgétaire (quels sont les impacts des dispositifs de soutien public, tant en matière de création d’emplois que d’aide apportée aux personnes bénéficiaires ?). Ils n’abordent la question des conditions de travail que de manière secondaire, dans l’objectif d’améliorer la prise en charge de la personne aidée et non dans celui de réduire la précarité des salariés leur venant en aide. La professionnalisation est ainsi perçue comme « un enjeu de premier ordre pour susciter, en nombre suffisant, des vocations, y compris masculines » ([6]) . L’amélioration des conditions de travail est vue comme un moyen et non comme une fin puisqu’il s’agit d’« ajuster l’offre à la demande par la revalorisation des conditions de travail et des salaires » ([7]). Quand les mauvaises conditions de travail sont reconnues, ce sont leurs conséquences sur le service rendu qui sont soulignées et non pas celles sur les professionnels : « cette situation est à l’évidence difficile pour les auxiliaires de vie scolaire, mais elle oblitère surtout la qualité, la fluidité et la continuité de l’accompagnement proposé aux jeunes en situation de handicap » ([8]).
Alors même que les réflexions collectives sur la nécessaire revalorisation des métiers du lien sont aujourd’hui bien avancées dans le monde académique, elles font encore trop peu l’objet de débats politiques. Pourtant, l’extrême utilité de ces métiers et leur intolérable degré de précarisation nous obligent à réfléchir à la manière d’offrir de vrais statuts et de vrais revenus aux professionnels qui nous permettent de continuer à bien vivre. La crise sanitaire que nous venons de traverser le rappelle à tous ceux qui en doutaient encore.
Le présent rapport vise, dans une première partie, à dresser un état des lieux de la précarité dans laquelle se trouvent l’ensemble des métiers étudiés. Ils ont tous en commun non pas d’être « à temps partiel » mais plutôt « payés à temps partiel » ([9]). Dans tous ces métiers, n’est considérée et rémunérée comme du travail effectif qu’une part réduite du travail réellement effectué. Ainsi, par exemple, sont très rarement pris en compte ou rémunérés les temps de formation (souvent d’auto-formation !), de coordination, de prise de poste, d’échanges entre collègues, de préparation, de déplacements ou de relation humaine avec les personnes et leur famille. Les rémunérations dans l’ensemble de ces métiers sont extrêmement faibles (souvent bien en deçà du salaire minimum), les formations continues insuffisantes et les conditions de travail très souvent pénibles, tant sur le plan physique que psychique.
La seconde partie propose des évolutions qui sont nécessaires pour être à la hauteur de l’importance de ces métiers pour notre société (hausse des salaires, réduction des temps partiels, baisse de la pénibilité physique et morale, droit effectif à une formation ouvrant de vraies perspectives de carrière, reconnaissance sociale de l’ensemble de ces professionnels). Vos rapporteurs insistent tout particulièrement sur l’importance de la formation continue pour revaloriser les métiers du lien plus que sur l’instauration de nouvelles barrières à l’entrée de ces métiers. Ces propositions proviennent de longs échanges tant avec des chercheurs, qu’avec des professionnelles. En plus d’une trentaine d’auditions conduites à l’Assemblée nationale, la mission a réalisé plusieurs déplacements, notamment à Dieppe et à Amiens.
I. Des mÉtiers essentiels mais sans vrai statut, sans revenu suffisant et sans reconnaissance sociale
Dans son ouvrage « Bullshit Jobs » ([10]) (emplois « à la con »), l’anthropologue américain David Graeber explique que pour savoir si un métier est essentiel, il faut imaginer les conséquences sociétales de sa disparition. La récente crise sanitaire du coronavirus rappelle à tous l’importance des métiers qui nous permettent de continuer à bien vivre, notamment les métiers du lien. Toutes les études montrent que les besoins de la population engendreront à l’avenir une forte croissance de ces métiers. Pourtant, force est de constater que ces derniers sont encore extrêmement précarisés.
A. des métiers amenés à se développer fortement à l’avenir
De manière générale, l’ensemble des professions du lien, du soin et de l’aide aux personnes fragiles devraient bénéficier, à l’avenir, d’une forte dynamique de l’emploi. Celle-ci s’explique notamment par le vieillissement de la population et par les moindres possibilités de prise en charge par les familles (avec la poursuite de la hausse du taux d’activité des femmes après 45 ans et la fragmentation croissante des structures familiales). Elle s’explique également par le caractère non délocalisable et peu automatisable de ces métiers qui nécessitent un contact humain prolongé. Enfin, les métiers du lien et du « prendre soin » sont moins sensibles que d’autres à la conjoncture économique et pourraient donc se développer même en période de crise.
Comme l’explique le journaliste Pierre Rimbert, les métiers féminins du lien (qu’il appelle « le salariat féminin des services vitaux ») sont en passe, dans un grand nombre de pays, de devenir numériquement beaucoup plus importants que les métiers dits « masculins ».
« Aux États-Unis, la liste des métiers à forte perspective de croissance publiée par le service statistique du département du travail prédit, d’un côté, la création d’emplois typiquement masculins, tels qu’installateur de panneaux photovoltaïques ou d’éoliennes, technicien de plate-forme pétrolière, mathématicien, statisticien, programmateur ; de l’autre, une myriade de postes traditionnellement occupés par des femmes, tels qu’aide de soins à domicile, aide-soignante, assistante médicale, infirmière, physiothérapeute, ergothérapeute, massothérapeute. Pour un million d’emplois de développeur informatique prévus d’ici à 2026, on compte quatre millions d’aides à domicile et d’aides-soignantes — payées quatre fois moins. »
« La puissance insoupçonnée des travailleuses », article publié dans Le Monde diplomatique, Pierre Rimbert, janvier 2019
1. Des métiers qui devraient bénéficier, à l’avenir, d’une forte dynamique de l’emploi
a. En 2030, plus de 862 000 personnes pourraient occuper un emploi d’aide à domicile
Dans son étude « Les métiers en 2022 » ([11]) réalisée en 2015, France Stratégie précisait que le métier d’aide à domicile serait celui qui créerait le plus de postes entre 2012 et 2022, aussi bien en taux de croissance qu’en nombre (près de 160 000 postes créés en dix ans pour atteindre 702 000 emplois en 2022, soit une hausse de 2,6 % en moyenne chaque année). Si l’on considère que le taux de croissance annuel de 2,6 % demeurera identique dans les années à venir, vos rapporteurs ont calculé qu’en 2030, plus de 862 000 personnes occuperaient un emploi d’aide à domicile (ce qui correspond à 160 000 créations de poste entre 2022 et 2030).
Il est probable que le taux de croissance annuel des emplois dans l’aide à domicile soit plus élevé dans les années à venir en raison de l’augmentation des personnes en perte d’autonomie. L’amélioration des conditions de travail des aides à domicile que vos rapporteurs appellent de leurs vœux (augmentation des temps d’échanges entre salariées, généralisation des binômes d’aides à domicile pour les interventions les plus difficiles, etc.) pourrait également engendrer de plus forts besoins de recrutement et remédier à la difficulté actuelle de pourvoir les postes. Le nombre d’aides à domicile pourrait donc approcher le million de salariées en 2030.
b. Le nombre d’assistantes maternelles devrait fortement augmenter dans les années à venir
Au deuxième trimestre 2014, 320 000 assistantes maternelles étaient employées par des particuliers en France. Elles sont environ 400 000 aujourd’hui et leur nombre pourrait atteindre 499 000 en 2022 ([12]). Dans son étude « Les métiers en 2022 » ([13]), France Stratégie souligne que le nombre d’assistantes maternelles devrait augmenter plus rapidement que l’ensemble des métiers pour répondre aux besoins encore insatisfaits de prise en charge des jeunes enfants.
c. L’évolution du nombre d’accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH) est corrélée aux progrès en termes d’inclusion scolaire
Selon les chiffres du Gouvernement, notre pays comptait, pour l’année scolaire 2018-2019, 71 175 AESH. De 2006 à 2017, le nombre d’élèves en situation de handicap bénéficiant d’un accompagnement en milieu scolaire a été multiplié par cinq ([14]). Si cette augmentation se poursuit, le nombre d’AESH pourrait être amené à croître fortement. L’inclusion scolaire en milieu ordinaire n’est en effet possible que par la mise en place d’un accompagnement spécifique des jeunes concernés.
d. L’évolution du nombre d’animatrices périscolaires est liée à la politique publique du périscolaire
Vos rapporteurs appellent de leurs vœux une statistique publique recensant précisément le nombre d’animatrices périscolaires et leurs caractéristiques socio‑économiques. Il n’y a aujourd’hui pas de statistiques nationales spécifiques au périscolaire mais uniquement des données, rares, issues de monographies réalisées dans un territoire donné.
La branche de l’animation compte environ 124 000 emplois ([15]) (tout type d’animateur confondu), tandis que la filière de l’animation dans la fonction publique territoriale en compte 117 000 ([16]). Parmi ces emplois, certains sont occupés par des animatrices périscolaires. Le Conseil national des employeurs d’avenir (CNEA), interrogé par vos rapporteurs, n’a pas su indiquer le nombre d’animateurs périscolaires au sein de la branche de l’animation ([17]). On connaît donc les emplois dans l’animation sans connaître l’animation périscolaire. Notre incapacité à pouvoir compter celles qui exercent ce métier dit tout de leur invisibilité : la non-statistique est un signe politique important. Le développement du métier dans les années à venir est fortement corrélé à la politique qui sera poursuivie en matière de périscolaire.
2. Des métiers résolument modernes
Les métiers du lien sont donc des métiers d’avenir. Leur modernité ne doit pas être sous-estimée. Aujourd’hui, la « modernité » est associée à des figures principalement masculines que sont les traders ou les start-upers de la Silicon Valley. Pour autant, cette conception de la modernité pourrait se voir éclipsée par une autre perception de cette même modernité, plus humaine et plus durable, qui valorise les liens par rapport aux biens et tire le meilleur des changements technologiques à venir.
La place de la technique dans les métiers du lien devra ainsi faire l’objet d’une réflexion approfondie de manière à ne les pas déshumaniser. Pour le philosophe Xavier Guchet, auditionné par la mission, il faut intégrer les exigences du « prendre soin » dès la conception technique d’un dispositif. Selon lui, les technologies ont vocation, non pas à se substituer à des institutions du soin ou du « prendre soin » défaillantes, mais à mieux instrumenter les aides à domicile ou les personnels soignants. L’automatisation d’un certain nombre de tâches n’est souhaitable que si elle est comprise par les aides à domicile et leur permet de libérer du temps de manière à renforcer la qualité de la relation avec la personne aidée
3. Revaloriser les métiers du lien est le seul moyen de répondre aux forts besoins de main-d’œuvre non pourvus : l’immigration choisie est une solution inacceptable
En 2019, d’après Pôle emploi, les plus grandes difficultés de recrutement ont touché, dans cet ordre, les aides à domicile et ménagères, les agents d’entretien de locaux, les aides-soignants, les conducteurs routiers, les employés et agents polyvalents de cuisine, etc. Afin de répondre aux forts besoins de main-d’œuvre non pourvus, le Gouvernement a annoncé le 6 novembre 2019 qu’il mettrait en place d’ici janvier 2021 une importante refonte des règles de l’immigration professionnelle. Elle devrait être organisée autour de cibles quantitatives (des quotas) fondées sur des niveaux de qualification et des secteurs en tension. La délivrance des autorisations de travail sera simplifiée « dans l’objectif d’être placée au service des besoins des employeurs sur les métiers et secteurs en tension, dont la liste sera actualisée chaque année sous le contrôle du Parlement » ([18]). L’arrêté fixant la liste des métiers en tension pour lesquels l’immigration professionnelle est ouverte pourrait être modifié pour inclure l’aide à domicile.
Actuellement, les femmes immigrées sont déjà très présentes dans les services à la personne. Elles représentaient, en 2012, 12 % des aides à domicile et des assistantes maternelles. Les femmes actives portugaises, algériennes et marocaines constituent la moitié des femmes actives immigrées dans ces métiers ([19]).
Pour vos rapporteurs, l’immigration professionnelle est une solution inacceptable pour répondre aux forts besoins de main-d’œuvre. Ils s’opposent donc à une logique d’immigration choisie qui conduirait à enfermer les salariées dans une précarité durable. Comme l’a bien expliqué l’économiste François-Xavier Devetter lors de son audition, « l’idée (avec le recours à l’immigration) est, malheureusement, qu’il n’est pas nécessaire de structurer ces métiers car s’il n’y a plus de précarité ici, on ira la chercher ailleurs ». Créer des filières d’immigration fortement précarisées dans le but de venir combler des besoins de main-d’œuvre en France permet en réalité aux décideurs de s’affranchir de toute réflexion sur la manière de rendre plus attractifs ces métiers en tension. Pour vos rapporteurs, l’alternative est claire : revaloriser les revenus et les statuts des personnes qui exercent les métiers du lien.
B. Des métiers fortement précarisés : état des lieux
1. Des métiers très mal rémunérés sans vraie progression salariale
Les métiers du lien seront donc amenés à se développer de manière très importante à l’avenir. S’ils représentent un gisement d’emplois non négligeable, c’est bien la qualité de ces emplois qui doit être au cœur de nos préoccupations : comment garantir à ces salariées des conditions de travail, des revenus et des statuts dignes du travail qu’elles effectuent ? Force est de constater qu’aujourd’hui, les métiers du lien ont beau être essentiels au bon fonctionnement de notre société, leurs salariées ne disposent pas de statut suffisamment protecteur ou de revenu suffisant.
Les métiers qui font l’objet du présent rapport ont en commun d’être tous très mal rémunérés et de ne pas offrir de vraies progressions salariales. Dans tous ces métiers, l’équilibre entre l’engagement attendu de la salariée et la récompense salariale et sociale de cet engagement est rompu. De nombreuses salariées des métiers du lien gagnent moins que le salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) mensuel. Elles ne vivent pas aujourd’hui dignement de leur travail. Ces faibles revenus s’expliquent à la fois par le recours presque systématique au temps partiel, souvent contraint, par le faible salaire horaire (égal au SMIC ou très légèrement supérieur) et par une comptabilisation « au rabais » des heures, ne prenant pas en compte le temps de travail réel. Dans les métiers du lien étudiés par la mission, ce sont les salariées qui assument quasi-exclusivement les fluctuations des besoins et de la demande : par exemple, le décès d’une personne âgée, l’entrée d’un enfant à l’école maternelle ou le changement de collège d’un enfant en situation de handicap se traduisent mécaniquement par une perte de salaire pour les salariées concernées.
a. Les aides à domicile : un salaire moyen qui, selon les branches, peut être inférieur à la moitié du SMIC
Dans le cadre du présent rapport, sont appelées « aides à domicile » toutes les salariées exerçant une fonction d’accompagnement dans les gestes de la vie courante d’une personne fragilisée (dépendante ou en situation de handicap) mais dont l’intervention exclut, en théorie, les soins infirmiers et médicaux.
Le taux de pauvreté est élevé chez les aides à domicile : on compte ainsi 17,5 % de ménages pauvres parmi les intervenants à domicile contre 6,5 % en moyenne pour l’ensemble des salariés ([20]). Quelles que soient la nature de l’employeur et la convention collective dont dépendent les aides à domicile, leur salaire reste extrêmement faible. « C’est un métier qu’on quitte parce qu’on n’arrive pas à en vivre, c’est indécent » ont ainsi indiqué plusieurs syndicalistes à la mission.
Les aides à domicile dépendent de trois conventions collectives qui fixent leur rémunération horaire minimale
La nature juridique des organismes de service à la personne peut être publique (centres communaux ou intercommunaux d’action sociale, notamment) ou privée (associations ou entreprises commerciales).
Selon la nature juridique de leur employeur, les aides à domicile dépendent de la convention collective de la branche de l’aide, de l’accompagnement, des soins et des services à domicile (celle des associations), de celle des entreprises de proximité ou de celle des salariés du particulier employeur.
Aujourd’hui, presqu’un tiers des aides à domicile travaillent chez des particuliers employeurs, un peu plus de la moitié (54 %) sont salariées du secteur privé et 14 % sont employées du secteur public (1).
(1) « Les métiers de l’action sociale », Pôle emploi, décembre 2018
i. Les aides à domicile travaillant dans des associations
Les aides à domicile travaillant dans des associations sont appelées, en fonction de leurs qualifications, « agents à domicile », « employés à domicile » ou « auxiliaires de vie sociale » par la convention collective nationale de la branche de l’aide, de l’accompagnement, des soins et des services à domicile ([21]) :
– les agents à domicile, qui représentent 41 % des salariées de la branche, sont moins directement concernés par le présent rapport dans la mesure où elles réalisent et aident à l’accomplissement des activités domestiques et administratives simples essentiellement auprès des personnes en capacité d’exercer un contrôle et un suivi de celles-ci et non auprès d’un public fragile ;
– les employées à domicile, qui représentent 21 % des salariées de la branche, assistent et soulagent les personnes qui ne peuvent faire seules les actes ordinaires de la vie courante. Elles sont, soit en cours d’accès au diplôme d’État de technicien de l’intervention sociale et familiale, soit en cours d’accès au diplôme d’État d’accompagnant éducatif et social (DEAES), soit titulaire d’un des diplômes, certificats ou titres listés dans la convention collective ;
– les auxiliaires de vie sociale, qui représentent 16 % des salariées de la branche, effectuent également un accompagnement social et un soutien auprès des publics fragiles, dans leur vie quotidienne. Elles sont titulaires du DEAES ou du certificat d’aptitude aux fonctions d’aide à domicile (CAFAD) mention complémentaire « aide à domicile ».
La rémunération mensuelle brute moyenne des aides à domicile est de 1 520 euros (€) pour les auxiliaires de vie sociale (98 % du SMIC), de 1 132 € pour les employés à domicile (73 % du SMIC) et de 1 145 € pour les agents à domicile (74 % du SMIC). Dans cette branche, les salariés restent entre neuf et treize ans au SMIC.
contrats, durÉe de travaIl et RÉmunération des aides À domicile
Emploi |
Pourcentage de salariés à temps partiel |
Pourcentage de salariés en contrat à durée indéterminée (CDI) |
Rémunération mensuelle brute moyenne |
Durée moyenne mensuelle de travail |
Auxiliaire de vie sociale |
73 % des salariés sont à temps partiel (70 % des salariés en CDI ; 98 % des salariés en CDD) |
93 % des salariés sont en CDI. La durée des contrats à durée déterminée (CDD) est brève (26 % des CDD durent moins d’un mois et 46 % durent entre un et six mois). Entre 2014 et 2016, on observe une augmentation d’un point du recours aux CDD. |
1 520 € |
118 heures (118 heures en CDI et 120 heures en CDD). |
Employé à domicile |
85 % des salariés sont à temps partiel (83 % des salariés en CDI ; 96 % des salariés en CDD) |
85 % des salariés sont en CDI. La durée des CDD est brève (27 % des CDD durent moins d’un mois et 38 % durent entre un et six mois). Entre 2014 et 2016, on observe une augmentation d’un point du recours aux CDD. |
1 132 € |
104 heures (101 heures en CDI et 112 heures en CDD). |
Agent à domicile |
88 % des salariés sont à temps partiel (86 % des salariés en CDI ; 96 % des salariés en CDD) |
82 % des salariés sont en CDI. La durée des CDD est brève (18 % des CDD durent moins d’un mois et 50 % durent entre un et six mois). Entre 2014 et 2016, on observe une augmentation de deux points du recours aux CDD. |
1 145 € |
99 heures (95 heures en CDI et 108 heures en CDD). |
Source : Tableau établi par la mission à partir des données du rapport de branche de 2017
Les rémunérations pourraient être prochainement augmentées. L’avenant 43 à la convention collective a en effet été signé par la Confédération française démocratique du travail (CFDT) et Force ouvrière (FO) en mars dernier et est en cours d’agrément ([22]). Néanmoins, la revalorisation qui pourrait advenir est très décevante pour les métiers d’aide à domicile. Ce seront les métiers les moins revalorisés : alors que les employées à domicile verront leur salaire augmenter de 62,42 € bruts par mois (+ 6,10 %), les agents de maîtrise, cadres, et cadres supérieurs, seraient quant à eux augmentés entre 24,5 % et 35,5 %([23]).
ii. Les aides à domicile salariées du particulier employeur
Les aides à domicile travaillant chez un particulier employeur occupent, en fonction de la nature du poste et de leurs qualifications, les emplois d’assistant de vie A, B, C ou D. Les taux de salaire horaire brut sont sensiblement supérieurs au taux horaire brut du SMIC, ce qui ne garantit néanmoins pas que les aides à domicile gagnent un salaire mensuel supérieur à ce dernier. Le rapport sectoriel des particuliers employeurs et de l’emploi à domicile ([24]) ne donne malheureusement pas d’élément relatif au salaire mensuel moyen ([25]). Pour cela, il faudrait connaître le temps de travail des aides à domicile du particulier employeur. En moyenne, un salarié à domicile (hors garde d’enfants) travaille 57 heures par trimestre chez un particulier employeur mais il peut être employé par plusieurs particuliers.
La convention collective nationale des salariés du particulier employeur identifie vingt et un « emplois repères » dans la grille de classification à laquelle correspond une grille de salaires minima fixée par voie conventionnelle. Quatre « emplois repères » correspondent à des emplois venant en aide aux personnes fragiles à domicile et ne requérant pas de diplôme dans le secteur du médical. Ces emplois (assistant(e) de vie A au niveau III, assistant(e) de vie B au niveau IV, assistant(e) de vie C au niveau V ou assistant(e) de vie D au niveau VI) se distinguent par les connaissances requises, la technicité, l’autonomie, la résolution des problèmes et la dimension relationnelle.
Minima conventionnels bruts des salariÉs du particulier employeur
Niveau |
Salaire horaire brut |
Salaire |
Pourcentage |
Salaire horaire brut avec |
Salaire mensuel |
I |
10,13 |
1 762,62 |
3 % |
10,43 |
1 814,82 |
II |
10,20 |
1 774,80 |
3 % |
10,51 |
1 828,74 |
III |
10,40 |
1 809,60 |
3 % |
10,71 |
1 863,54 |
IV |
10,60 |
1 844,40 |
3 % |
10,92 |
1 900,08 |
V |
10,80 |
1 879,20 |
4 % |
11,23 |
1 954,02 |
VI |
11,33 |
1 971,42 |
4 % |
11,78 |
2 049,72 |
VII |
11,60 |
2 018,40 |
|
|
|
VIII |
12,01 |
2 089,74 |
|
|
|
IX |
12,72 |
2 213,28 |
|
|
|
X |
13,49 |
2 347,26 |
|
|
|
XI |
14,37 |
2 500,38 |
|
|
|
XII |
15,31 |
2 663,94 |
|
|
|
Source : Convention nationale collective des salariés du particulier employeur
iii. Les aides à domicile travaillant dans les entreprises de services à la personne
Les aides à domicile employées par une entreprise de services à la personne occupent, en fonction de la nature du poste et de leurs qualifications, les emplois d’assistante de vie 1, 2 ou 3. Les taux horaires bruts prévus par la convention collective pour les emplois d’assistante de vie 1 et 2 (respectivement 10,03 € et 10,09 €) étant devenus inférieurs au SMIC horaire brut à la suite de sa revalorisation automatique, c’est ce dernier (10,15 €) qui s’applique. Le taux horaire brut est de 10,19 € pour les assistantes de vie 3.
La convention collective nationale des entreprises de services à la personne distingue trois « emplois repères » qui correspondent à des emplois venant en aide aux personnes fragiles à domicile et ne requérant pas de diplôme dans le secteur du médical. Ces emplois (assistant(e) de vie 1, 2 ou 3) se distinguent par les connaissances requises, la technicité, l’autonomie, la résolution des problèmes et la dimension relationnelle. L’emploi d’assistant(e) de vie (1) est accessible sans certification particulière alors que les emplois d’assistant(e) de vie (2) ou (3) sont accessibles à partir d’une certification de niveau V.
La faiblesse des rémunérations est l’élément de démotivation le plus partagé par les salariées de la branche ([26]). Le salaire mensuel moyen brut des assistantes de vie 1 (812 € pour 81 heures) équivaut à 50 % du SMIC, celui des assistantes de vie 2 (1 230 € pour 122 heures) à 80 % du SMIC et celui des assistantes de vie 3 (682 € pour 67 heures) à 44 % du SMIC ([27]).
b. Les assistantes maternelles : un salaire moyen inférieur au SMIC
Les assistantes maternelles peuvent exercer sur des modes très différents. La plupart des assistantes maternelles sont salariées des parents, dans un accord de gré à gré. Un nombre croissant d’assistantes maternelles choisissent la possibilité donnée par la loi de se regrouper à quatre dans un local extérieur à leur domicile, agréé pour l’accueil d’enfants, appelé maison d’assistantes maternelles (MAM) ([28]). Certaines, de moins en moins nombreuses, sont embauchées et salariées d’une structure appelée « crèche familiale ». Elles exercent alors à leur domicile mais doivent participer chaque semaine à des activités collectives au sein de la structure.
Si les assistantes maternelles tendent à être dans une situation moins difficile que d’autres salariées des métiers du lien (elles sont plus souvent en couple ([29]) et vivent dans des logements plus grands), nombreuses sont celles qui doivent néanmoins vivre avec de très faibles revenus. Dans un récent rapport, la Cour des comptes met d’ailleurs en exergue « le caractère plus rémunérateur des indemnités chômage par rapport à la rémunération d’assistante maternelle » ([30]).
Un récent baromètre sur la qualité de vie au travail des assistantes maternelles ([31]) montre que la précarité des contrats et le faible niveau des rémunérations sont les deuxième et troisième facteurs de pénibilité au travail les plus importants, après le manque de reconnaissance. D’après ce baromètre, 58 % des 8 000 assistantes maternelles interrogées ont un revenu mensuel brut inférieur à 1 500 € (dont 22 % inférieur à 1 000 €), 26 % ont un revenu compris entre 1 500 et 2 000 € et 16 % ont un revenu supérieur à 2 000 €. Une grande partie du temps partiel ([32]) est subie. Ainsi, 60 % des assistantes maternelles à temps partiel interrogées indiquent qu’elles souhaiteraient travailler davantage.
Le salaire mensuel net des assistantes maternelles était, en 2014, de 1 108 €, soit l’équivalent de 90 % du SMIC. Les niveaux de salaire mensuel sont relativement plus faibles dans le Nord et le quart nord-est en particulier, ainsi que le centre de la France, par rapport au reste du territoire. Ils sont particulièrement bas dans les communes rurales.
Salaire des assistantes maternelles en 2014 en fonction des unitÉS urbaines
Source : « Les assistantes maternelles ont gagné en moyenne 1 108 euros en juin 2014 », direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), août 2017
Au-delà du montant du salaire qui peut être faible, nombreuses sont les assistantes maternelles qui vivent dans l’incertitude. Certaines craignent des chutes brutales de revenu en cas de départ d’un enfant. D’autres redoutent le non‑paiement de leur salaire en temps et en heure, voire, dans les cas les plus conflictuels, le non-paiement des heures dues ou des congés. Les retraites sont également un sujet de grande inquiétude. « Après 46 ans de métier, je gagne seulement 900 euros par mois à la retraite » a ainsi indiqué lors de son audition une membre active de l’association nationale des assistants maternels assistants et accueillants familiaux (ANAMAAF).
c. Les accompagnantes d’enfants en situation de handicap : un salaire mensuel net de 750 euros en moyenne
Comme le prévoit l’avant-dernier alinéa de l’article L. 917-1 du code de l’éducation, toutes les AESH sont des agents contractuels engagés par contrat de droit public. La carrière d’une AESH comporte huit échelons, chacun correspondant à un indice de rémunération. La rémunération mensuelle brute tient compte de l’indice de rémunération et de la quotité travaillée. Concrètement, le salaire mensuel brut d’une AESH à temps plein, s’il n’est pas revalorisé, est de 1 523 €, ce qui correspond à un traitement net d’environ 1 223 € (très légèrement variable selon la zone d’exercice).
Néanmoins, 70 % des AESH ont un contrat d’une quotité inférieure à 60 % d’un temps plein. En raison de ce temps partiel subi, leurs rémunérations sont extrêmement basses. Le salaire moyen mensuel des AESH est ainsi de 752,50 € net ([33]). Les AESH rencontrées sont presque toutes dans l’obligation de cumuler des « petits boulots » à côté, notamment de ménage. Aux faibles revenus s’ajoute l’inquiétude de ne pas être payée à temps. Les retards de paiement de salaire étaient particulièrement prégnants à l’autonome 2019 dans certaines académies.
Des salaires qui ne permettent pas de vivre dignement
Lors d’une enquête conduite par le collectif AESH en action, 96,3 % des répondants ont indiqué que leur salaire ne leur permettait pas de vivre dignement.
Source : collectif AESH en action, sondage Facebook réalisé début 2019
Les instructions nationales précisent uniquement que le réexamen de l’indice de rémunération de l’AESH doit intervenir au moins tous les trois ans. De nombreuses professionnelles déplorent ainsi que le changement d’indice au cours de leur carrière, et donc leur évolution salariale, soit laissé au libre arbitre des différentes académies. Selon les collectifs AESH en action et AESH Île-de-France auditionnés par la mission, la progression salariale ne serait que de 179 € bruts sur l’ensemble d’une carrière d’AESH.
« Moi j’ai commencé, avec 18 heures par semaine, comme un métier d’étudiant. Aujourd’hui, même en CDI, avec notre salaire, il est impossible d’acheter… on ne peut pas avoir de projet. On survit, on paie notre loyer et nos charges mais on n’a pas envie de continuer. On aimerait un vrai SMIC. »
Propos recueillis lors de l’entretien avec des AESH à Amiens
d. Les animatrices périscolaires : des rémunérations généralement inférieures à 580 euros nets par mois
Le métier d’animatrice périscolaire est un métier marqué par de très faibles rémunérations. Les chiffres du Gouvernement indiquent que la rémunération mensuelle brute à temps plein (pour 151,67 heures travaillées) d’une animatrice périscolaire est de 1 435 € ([34]). Les animatrices travaillant le plus souvent entre 15 et 20 heures par semaine, leur rémunération brute mensuelle moyenne est généralement comprise entre 567 et 757 € (environ 580 € net). Cela correspond à la réalité rapportée par les professionnelles rencontrées par la mission. Ces très faibles revenus s’expliquent à la fois par le recours au temps partiel, par le faible salaire horaire et par une comptabilisation « au rabais » des heures.
En fonction de la nature juridique de leur employeur (association ou collectivités), les animatrices et animateurs périscolaires dépendent soit de la convention collective de la branche de l’animation, soit de la fonction publique territoriale. La rémunération horaire brute moyenne pour les salariés du groupe B de la convention collective de l’animation – dont dépendent la majorité des animatrices périscolaires – est de 11,54 euros. Dans la fonction publique territoriale, les animateurs peuvent être recrutés en tant qu’adjoints d’animation de catégorie C (sans concours pour le premier grade mais sur concours pour les grades suivants) ou en tant qu’animateurs territoriaux de catégorie B sur concours. Leur salaire dépend de leur catégorie, de leur grade et de leur échelon.
De fortes hétérogénéités territoriales dans le niveau de rémunération des animatrices périscolaires sont observables. D’après le sociologue Francis Lebon, si dans la région parisienne, les animatrices périscolaires sont majoritairement payées au SMIC, dans de petites communes, le contrat d’engagement éducatif (CEE) est encore parfois utilisé au détriment des salariées. Ce contrat fixe le salaire minimum à un niveau extrêmement bas : 22,33 € brut par jour. L’argument mis en avant par les défenseurs de ce contrat (associations, État, certaines animatrices elles‑mêmes) est qu’il permet à une majorité d’enfants de pouvoir partir en vacances. « La cause des enfants et des vacances est mise en avant pour justifier les faibles rémunérations » a ainsi regretté le sociologue lors de son audition.
2. Des métiers caractérisés par des temps de travail fractionnés et non reconnus
L’invisibilité des métiers du lien est double : « non seulement ces métiers ne sont pas reconnus mais l’ensemble du service rendu n’est pas non plus reconnu » ([35]). Pour tous les métiers étudiés, le décalage entre la faiblesse du temps de travail rémunéré et l’amplitude des journées de travail est, en effet, criant. C’est comme si on considérait, pour un député, que seuls les moments d’intervention en commission ou dans l’hémicycle était du travail. Comme si, pour un journaliste, seul le moment de rédiger l’article était du travail. Dans les métiers du lien, les temps souvent non payés (déplacements, attente entre deux interventions, prestations réalisées sur le temps personnel, auto-formation, temps d’échange et de préparation etc.) expliquent l’importance de l’amplitude de la journée. Les contraintes temporelles sont fortes et la conciliation entre vie professionnelle et vie privée compliquée pour l’ensemble des salariées des métiers du lien. Pour répondre au mieux aux besoins sociaux des personnes aidées, les horaires effectués par les salariées des métiers étudiés sont en effet très souvent atypiques et demandent une grande disponibilité et flexibilité temporelle (les horaires de travail peuvent changer d’une semaine à l’autre dans la plupart des métiers). Dans l’ensemble des métiers étudiés, le temps partiel subi limite les rémunérations et maintient les salariées dans une logique de travail d’appoint.
Le temps de travail considéré comme effectif et payé ne reflète pas suffisamment le temps de travail réel des salariés. Ce dernier comprend le temps d’intervention mais également les temps de trajet et les temps informels qui peuvent être très divers (échanges entre aides à domicile pour améliorer le suivi des personnes aidées ou appels téléphoniques passés le soir ou le week-end par les aides à domicile aux personnes dont elles s’occupent pour s’assurer que tout va bien). D’après les syndicats du secteur des services à la personne, certains salariés sont considérés comme étant à temps partiel, alors même qu’ils travaillent 53 heures par semaine ! C’est ce décalage entre le temps de travail payé et le temps de travail réel qui fait dire à Emmanuelle Puissant, que « ce n’est pas le temps partiel qui est répandu, mais les temps pleins qui ne sont pas reconnus dans le secteur ». Puisque de nombreuses tâches, comme l’aide à la toilette, le lever et le coucher ou les repas, doivent être réalisées dans des plages horaires restreintes, la « journée-type » d’une aide à domicile commence très tôt (parfois vers 6 h 30) et finit tard (les dernières interventions se situent souvent aux alentours de 20 h 00) avec de fortes coupures (le plus souvent le matin entre 10 h 30 et 12 h 00 ou l’après‑midi entre 14 h 00 et 17 h 00).
« Les salariés peuvent effectuer 40 heures semaine, en comptabilisant l’amplitude horaire, pour un contrat de 28 heures. La plupart des remontées de terrain nous informent que c’est du temps partiel contraint. J’ai des exemples tel que : “j’ai un contrat de travail à 105 heures, je reviens d’un arrêt maladie, on ne me donne plus que 46 heures par mois . »
Propos recueillis auprès du syndicat FGTA FO
Le temps de travail rémunéré est d’autant plus faible que les temps de déplacement ne sont souvent pas indemnisés. Il n’y a aujourd’hui aucune compensation des temps de trajet dans la convention collective des salariés du particulier employeur. Dans les conventions collectives de la branche de l’aide à domicile ou des entreprises de proximité, les temps de trajet entre deux interventions successives sont théoriquement rémunérés. Néanmoins, dans les faits, ces temps ne le sont pas toujours. La convention collective de l’aide à domicile conditionne d’ailleurs explicitement le financement des temps de déplacement au bon vouloir des départements. Elle prévoit ainsi que le fait de considérer comme du travail effectif les temps de déplacement entre deux séquences consécutives de travail (c’est-à-dire espacées de moins de 15 minutes) n’entre « en vigueur qu’à compter du financement effectif des temps et frais de déplacement par l’ensemble des financeurs dont l’État et les conseils départementaux ». De plus, les salariées ne peuvent pas percevoir d’indemnité de frais kilométriques entre deux prestations si elles sont engagées en mode mandataire ou si elles alternent entre le mode mandataire et le mode prestataire ([36]). Pour Damien Bucco, « ne pas rémunérer correctement les temps de trajet revient à appliquer un système d’équivalence ([37]) illicite à l’aide à domicile ».
Les temps de trajet, quand ils sont rémunérés, ne le sont d’ailleurs que très faiblement. L’indemnité kilométrique est fixée à 35 centimes par kilomètre dans la convention collective de l’aide à domicile et à 12 centimes dans celle des entreprises.
« Une heure de transport non rémunérée par jour pendant trois ans équivaut à une perte de revenu de 7 000 € pour le salarié. Certains employeurs mettent des coupures très longues dans l’emploi du temps des auxiliaires de vie sociale pour pallier la jurisprudence Domidom (1) ».
Propos recueillis lors de l’audition des syndicats du secteur des services à la personne
(1) Dans l’arrêt « Domidom » n° 4459 du 2 septembre 2014, la Cour de cassation a rappelé que le temps de trajet entre deux lieux de travail n’était pas une pause et devait être rémunéré.
Le temps de travail rémunéré contraste avec l’amplitude des journées de travail. D’après une étude de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) ([38]), la somme des temps d’interventions réalisées en tant qu’aide à domicile pendant une journée est souvent faible : elle est en moyenne d’un peu plus de 5 heures (4 h 09 en emploi direct, contre 5 h 36 en mode prestataire et 5 h 20 en mandataire), mais elle est étalée sur 7 h 13 en moyenne.
Les temps de formation et de réunion rémunérés sont extrêmement peu nombreux. D’après l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) ([39]), le taux de rémunération des heures considérées comme « improductives » varie, en moyenne, de 20 à 25 % seulement des heures rémunérées. Pour rappel, ces heures « improductives » sont les heures d’inter-vacation, les temps de formation, de réunion, les congés payés, les congés de maternité, les arrêts maladie et arrêts de travail mais aussi les heures programmées qui n’ont pu être réalisées (en raison d’un décès ou d’une hospitalisation, par exemple) ou le reliquat des heures non réalisées dans le cadre de la modulation du temps de travail.
Christine, ex-responsable de secteur :
« Choisir entre leurs enfants et des mamies à nourrir »
« Ma maman, qui était très dynamique, s’est retrouvée avec une sclérose en plaque. C’est à ce moment que j’ai découvert les services à domicile. Je m’étais arrêtée de travailler pour m’occuper de mes enfants, ça m’a intéressée, alors je me suis re-orientée vers ça.
« Je suis devenue responsable de secteur, pour une grosse association chez moi. Là, j’ai vu des salariées en souffrance. Elles étaient sollicitées le matin, le midi, le soir, toute la journée, alors que c’étaient souvent des femmes seules, avec des enfants, et elles étaient absentes du domicile aux moments où ils ont le plus besoin de leur mère. L’amplitude horaire n’était pas respectée, on la dépassait largement. Les filles travaillaient le samedi, six jours sur sept, et même, j’avais calculé, trente jours sur trente-et-un, 220 heures par mois. Elles n’avaient pas leur compte de repos. Elles étaient prévenues la veille à 17 h de leurs interventions, elles devaient choisir entre leurs enfants et des mamies à nourrir. Alors, forcément, on les usait, avec énormément d’absences, de turn-over.
« La plus grosse difficulté, c’était de les remplacer, de trouver quelqu’un. Tous les week‑ends, c’était la galère. On avait un classeur dédié à ça, avec des noms, mais parfois personne ne répondait. Donc, on faisait appel à une collègue, qui avait déjà travaillé toute la semaine, qui était épuisée, et qu’on faisait culpabiliser parce qu’elle laisserait sa mamie toute seule. A tel point que, parfois, j’y suis allée moi-même, m’occuper de personnes âgées, sans avoir aucune compétence, sans avoir le droit d’ailleurs, et comme bénévole. Mais je ne pouvais pas laisser ces humains dans leur lit, pas lavés, sans manger…
« Une solution, ça serait une salariée volante, en réserve, mais ce sont des heures dites “ improductives ”, et le conseil départemental ne finance pas ça. C’est la clé, d’ailleurs, le gros souci : les tarifs sont imposés par le département sans concertation, sans rien. Il n’y a aucun salarié au conseil d’administration des associations. Les administrateurs, chez moi, c’étaient les copains du président, des anciens banquiers, des notables… Mais aucun professionnel.
« Tous ces problèmes de planning, je les ai remontés à ma direction, qui ne pouvait ou ne voulait rien faire. Ensuite, j’ai envoyé des documents à l’Inspection du travail. Je m’y suis rendue. Mais ils n’ont jamais bougé. J’ai fini par me fâcher : “Ca fait des années que je vous amène des preuves, des cas, et vous n’êtes jamais venus. ” L’inspectrice m’a répondu : “Je suis comme vous, il y a du monde au-dessus de moi. Je n’ai pas l’autorisation de fermer une structure de 650 salariées comme la vôtre. Il y a tellement de manquements à la loi et au droit du travail, si j’inspecte, c’est la fermeture assurée. ”
« C’est toute cette histoire qui m’a fait m’engager dans le syndicalisme. Pour que toutes ces femmes soient reconnues, avec des choses très concrètes : des indemnités kilométriques normales, le temps de trajet domicile travail compté, une seule convention collective... Il faut rendre ces métiers attractifs, mais pas seulement avec des jolis mots et des belles photos : un commercial, il part le matin pour sa journée, on lui paie ses 8 h, même s’il reprend sa voiture entre deux, qu’il souffle un peu. Une AVS, malgré une journée qui commence à 8 h et termine après 18 h, elle n’est payée que quelques heures. Aucun autre métier n’admettrait ça.
« C’est un métier qu’on quitte parce qu’on n’arrive pas à en vivre, c’est indécent. »
b. Les assistantes maternelles
D’après le baromètre sur la qualité de vie au travail des assistantes maternelles ([40]), 83 % des assistantes maternelles interrogées travaillent plus de 30 heures par semaine avec une amplitude horaire forte qui peut être portée, sans pause, à 13 heures dans une journée. La journée peut démarrer à 7 h 00 pour accueillir les enfants dont les parents commencent à travailler tôt (les enfants d’infirmiers par exemple) et se prolonger jusqu’à 20 h 00, voire après, pour garder les enfants dont les parents finissent leur journée de travail plus tard. L’hétérogénéité des emplois du temps des parents allonge ainsi parfois considérablement la durée de travail journalière des assistantes maternelles, alors que les horaires aux extrémités des journées sont également les moins bien rémunérés, puisque les assistantes maternelles n’y accueillent qu’une partie des enfants dont elles sont la charge.
De nombreuses assistantes maternelles pointent du doigt le non-respect des horaires par certains parents. 35 % indiquent ne pas être suffisamment informées à l’avance des changements d’horaires (« on me prévient le dimanche soir que mes horaires changent le lendemain »). Certaines assistantes maternelles interrogées soulignent que les parents ont tendance à oublier les horaires convenus ou à s’attarder chez elles pour discuter de sujets sans rapport immédiat avec l’enfant gardé.
Les éventuels temps d’(auto-)formation, de préparation d’activité pour les tout-petits ou d’achats de matériels, ne sont pas rémunérés par les parents employeurs.
c. Les accompagnantes d’enfants en situation de handicap
Non seulement les AESH subissent un « temps partiel contraint » mais elles ne sont pas rémunérées pour l’ensemble de leur travail réel. D’après le collectif AESH-AVS, le nombre moyen d’heures invisibles (c’est-à-dire hors accompagnement physique des élèves) travaillées et non rémunérées chaque mois par les AESH serait de 8,10 heures. Ces heures invisibles (préparation, formation, réunions, etc.) sont, depuis la publication d’une récente circulaire ([41]), mieux comptabilisées. Désormais, le temps de service des AESH est calculé en multipliant la durée de service d’accompagnement hebdomadaire attendue de l’AESH par 41 à 45 semaines (au lieu de 39 auparavant).
Le calcul du temps de travail des AESH
Le temps scolaire est de 36 semaines par an. Les semaines en sus des 36 semaines de temps scolaire permettent de tenir compte des missions que l’AESH effectue en lien avec l’exercice de ses fonctions en dehors du temps scolaire. Cela signifie qu’il reste 5 à 9 semaines de travail « dues » par les AESH (5 semaines si le contrat de travail est de 41 semaines, 9 s’il est de 45) en heures « hors accompagnement ». Ces heures doivent, selon les académies être réalisées chaque semaine (le nombre d’heures hebdomadaires « hors accompagnement » est noté sur le contrat) ou bien globalement sur l’année.
De nombreuses AESH, qui ont l’impression de ne pas compter leurs heures, regrettent un comptage parfois « mesquin » de leur temps de travail. Les cinq à neuf semaines « en plus » du temps scolaire constituent « une enveloppe d’heures réclamables » souvent non quantifiées dans les contrats. Les missions qui comptent comme heures « hors accompagnement physique » sont précisées par la circulaire : il s’agit des « activités préparatoires connexes pendant ou hors la période scolaire » ainsi que des « réunions et formations suivies pendant et hors temps scolaire ». Ces missions gagneraient néanmoins à être définies plus clairement pour éviter les tensions et incompréhensions entre les AESH et les directeurs ou chefs d’établissement.
d. Les animatrices périscolaires
Les emplois d’animatrices périscolaires sont structurellement à temps partiel puisque l’activité se concentre sur des temps identifiés (pendant la pause méridienne, après l’école, le mercredi après-midi …) et qui, même cumulés, ne permettent pas de construire des équivalents temps plein. Ainsi, dans la branche de l’animation, 55 % des animatrices sont en temps partiel. D’après le Conseil national des employeurs d’avenir (CNEA) ([42]), ce pourcentage est sûrement plus élevé pour les animatrices périscolaires.
En moyenne, le temps de travail rémunéré des animatrices périscolaires est compris entre 15 et 20 heures par semaine scolaire. Ce temps ne reflète cependant pas l’ensemble du temps de travail des professionnelles. Les heures invisibles sont principalement de quatre ordres : les temps de préparation des activités périscolaires, les temps de convivialité avec les parents notamment (fêtes de l’école par exemple), les temps d’auto-formation et enfin le temps nécessaire à la coordination avec les autres professionnels (faire circuler les informations, assister à des réunions, etc.).
Les animateurs et animatrices rencontrés par la mission semblent malheureusement s’être habitués à cette forme de travail gratuit. « De fait, les animateurs sont sans doute les acteurs du travail éducatif qui effectuent objectivement le plus de travail gratuit (…). Alors même que pour nombre d’entre eux, vacataires ou contractuels, les conditions de travail et d’emploi sont relativement précaires, ils s’inscrivent souvent dans une éthique de la vocation qui, en articulant le registre de la profession et celui de l’engagement, implique de “ ne pas compter ses heures ” »([43]). Ces temps invisibles rallongent considérablement les journées des animatrices périscolaires. Elles arrivent souvent avant l’heure d’ouverture des centres de loisirs et partent après l’heure de fermeture.
« J’ai fait un projet sur la rénovation avec les enfants. Je leur ai appris à utiliser différents outils (scie, etc.) Pour préparer le projet, j’ai testé pas mal de choses chez moi. »
« Le moment où on travaille le plus chez nous, c’est pour préparer les périodes de vacances scolaires ».
« J’ai fait un projet “comédie musicale ”. Quasiment tous les matins, on se retrouvait avec les autres animateurs pour écrire l’histoire. »
Propos recueillis auprès d’animateurs et animatrices de la ville d’Amiens
3. Des métiers aux conditions de travail très difficiles et qui pâtissent d’un manque de formation continue
Malgré la fierté d’exercer leur métier, les salariées auditionnées par la mission ont le sentiment de ne plus pouvoir bien le faire, tant les conditions de travail sont mauvaises. « Certains pensent que l’on peut produire des services de qualité dans des conditions de travail extrêmement difficiles mais cela n’est pas possible » a rappelé l’économiste Emmanuelle Puissant lors de son audition. Dans l’ensemble des métiers du lien étudié, les conditions de travail sont difficiles, tant sur le plan physique que psychique. Physiquement, il n’est pas indolore de manipuler des personnes âgées ou handicapées dépendantes, de porter des enfants dans ses bras ou de contenir des agitations. Les enjeux humains parfois lourds auxquels sont confrontées les quatre professions, comme les décès, les troubles du comportement ou les problématiques éducatives, contribuent à une charge psychique mal documentée mais non-négligeable. Les salariées des métiers du lien sont relativement isolées, en l’absence de temps collectifs de dialogue et d’échanges avec d’autres professionnelles. Elles se sentent insuffisamment accompagnées par les acteurs institutionnels et trop peu préparées, en amont, à leurs interventions. Cette absence de préparation engendre parfois des situations d’épuisement, voire des maladies professionnelles ou des accidents du travail. Elle est liée au manque de formation continue dans l’ensemble des métiers du lien. La précarité de leur statut crée beaucoup d’incertitudes et d’angoisses qui peuvent les décourager et les conduire à démissionner.
i. Une forte pénibilité physique et psychique
Les conditions d’exercice du métier d’aide à domicile sont difficiles. Le travail fait de plus en plus l’objet d’une rationalisation, voire d’une taylorisation. L’intervenante est victime d’une pression temporelle. La plupart du temps, la durée de l’intervention qui figure sur son emploi du temps ne correspond pas aux besoins réels des personnes aidées. Dans certains départements, elle est encore de quinze minutes ! Surtout, cette durée ne permet pas toujours aux aides à domicile de créer un vrai lien avec la personne aidée, puisqu’elles doivent se concentrer sur les tâches purement matérielles afin de finir leur intervention à temps.
« Avant, on avait le temps de discuter un peu, on avait le temps de faire prendre l’air à la personne pendant cinq minutes. Ça s’est dégradé au niveau des heures : j’ai commencé j’avais une heure pour faire l’intervention ; maintenant, les auxiliaires de vie ont 30 minutes pour faire la même chose. Il y a quelquefois un chantage affectif des personnes aidées qui souhaiteraient qu’on passe encore plus de temps auprès d’elles. »
« On a parfois l’impression de bousculer les personnes âgées et de faire de la maltraitance. »
Témoignages recueillis auprès d’aides à domicile exerçant à Amiens
Le Gouvernement a même demandé aux aides à domicile, pendant la crise sanitaire que nous venons de traverser, de réduire les temps d’intervention, ce qui a pu donner lieu à des situations plus que surréalistes (et ce d’autant plus que les salariées ne disposaient pas suffisamment de dispositifs de prévention comme les masques).
« Sur la préparation et la prise du repas, la fiche gouvernementale spéciale Covid-19 préconise de réduire les temps d’intervention. Comment faire, pouvez-vous donner une explication plus claire ? »
« Effectivement, comment réduire ce temps d’intervention puisque les temps de repas sont déjà de 30 minutes maximum, pour la préparation, la prise de repas de la personne ou la faire manger, et faire la vaisselle. Ce temps n’est pas suffisant dans une activité ordinaire alors comment la réduire en suivant les recommandations de la fiche technique ? La seule solution serait-elle de nourrir les usagers par du gavage à la seringue ! »
Courrier envoyé au Gouvernement par le syndicat départemental « aide et maintien à domicile 62 » et transmis à vos rapporteurs
Les conditions d’exercice (postures, rythmes de travail…) sont très compliquées et se traduisent par un grand nombre d’accidents du travail et de maladies professionnelles. Dans le secteur de l’aide et des services à la personne, les accidents du travail sont trois fois plus fréquents que la moyenne, avec un indice de 94,6 accidents du travail pour 1 000 salariés. En dix ans, la sinistralité de ce secteur a augmenté de 45 % ([44]). La sinistralité dans les secteurs des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) et de l’aide et du soin à domicile dépasse d’un tiers celle du secteur du bâtiment et travaux publics (BTP). Le socio-juriste du travail Damien Bucco, auditionné par la mission, a mis en évidence l’existence d’un fort déni des risques professionnels de la part des employeurs du secteur de l’aide à domicile et dans une moindre mesure, de la part des salariées. Les employeurs, notamment les particuliers, refusent souvent l’idée que l’obligation d’évaluation des risques professionnels puisse s’étendre jusqu’au domicile des bénéficiaires. Les inspecteurs et contrôleurs du travail ne peuvent d’ailleurs pénétrer dans un domicile privé qu’après avoir reçu l’autorisation des personnes qui les occupent.
Les accidents du travail s’expliquent également par le fait que les employeurs ne s’assurent pas suffisamment que leurs salariées sont bien préparées pour leurs interventions.
« J’ai commencé en janvier 2006. Mon premier contrat, c’était d’aider une personne alitée : il fallait la lever, lui faire la toilette, lui préparer le petit-déjeuner et tout ça sans formation. On arrive sans savoir ce que les gens ont comme problème. Quand on arrive au domicile et que c’est un couple, l’un d’eux peut nous donner des renseignements. Sinon, c’est plus difficile même si pour celui qui est débrouillard, ça va. »
Témoignage recueilli auprès d’aides à domicile exerçant à Amiens
Les aides à domicile n’ont bien souvent pas accès aux formations continues qui leur permettraient d’exercer au mieux leur métier et de réduire la pénibilité physique. Cela est d’autant plus regrettable qu’elles n’ont bien souvent pas de formation initiale dans le domaine des services à la personne (38 % des aides à domicile recrutées depuis moins de sept ans ont au plus un brevet des collèges ([45])). Le manque de formation continue illustre bien l’absence totale de reconnaissance de la technicité et de la spécificité du métier.
À la pénibilité physique s’ajoutent les souffrances psychiques. Les motifs d’appels passés par les aides à domicile à la plateforme d’accompagnement psychologique Pros‑consulte ([46]) sont, à ce titre, révélateurs :
– selon les statistiques recueillies par la plateforme, le premier motif d’appel reste, comme pour les autres métiers, un motif personnel (environ 30 % des appels) ;
– le deuxième motif tient à l’épuisement des salariées ;
– le troisième motif d’appel porte sur les injures (souvent à caractère raciste), les incivilités et les agressions (pouvant aller jusqu’à des tentatives de viol) dont sont victimes les aides à domicile. Ces dernières peuvent rarement se tourner vers leur employeur pour demander de l’aide : soit celui-ci est lui-même la personne responsable de ces agressions (dans le cas des particuliers employeurs), soit l’employeur a tendance à « mettre sous le tapis certains problèmes ». « C’est un vieux monsieur, il voit peu souvent des femmes, il faut le comprendre » s’entendent dire un grand nombre d’aides à domicile victimes d’agressions ([47]).
– le quatrième motif d’appel est celui du deuil et du traumatisme lié au décès de la personne aidée, devenue une proche de l’aide à domicile (« je la considérais comme une grand‑mère »). Rien n’est aujourd’hui prévu pour permettre à l’AVS d’aller à l’enterrement de la personne aidée : « j’ai dû poser des congés pour pouvoir me rendre à l’enterrement, ce qui a été très apprécié par la famille » ([48]).
« Nous avons une fierté de prendre en charge une profession aussi sinistrée. On joue un peu un rôle de SAMU… Avec l’aide à domicile, on se croirait dans du Zola. On a découvert le métier en 2015, on est tombé de l’armoire. »
Audition de Jean-Pierre Camard, président de Pros-consulte
Parmi les pathologies déclarées par les salariés de la branche de l’aide à domicile, une prédominance des troubles physiques peut être constatée. Les troubles musculo-squelettiques représentent 42 % des pathologies déclarées, les troubles dorsaux lombalgiques 43 % et les risques psycho-sociaux 9 %.
Les mauvaises conditions de travail (rémunération, horaires, pénibilité, temps de travail) expliquent à 89 % le fort taux de turn-over dans les métiers d’aide à domicile. La « mauvaise orientation » des candidats ne représente que 11 % des motifs de turn‑over.
Motifs de turn-over dans la branche de l’aide à domicile
Source : Édition 2017 du rapport de la branche de l’aide, de l’accompagnement, des soins et des services à domicile
Ce fort taux de turn-over peut grandement compliquer la gestion du personnel et nuire aux relations avec les personnes aidées.
« Quand j’étais responsable de secteur, la plus grosse difficulté, c’était de trouver quelqu’un, trouver des gens pour faire le travail. À tel point que je suis allée quelques fois m’occuper de personnes âgées durant les week-ends, sans avoir aucune compétence, sans avoir le droit, mais je ne pouvais pas laisser les personnes dans leur lit, pas lavées, sans manger ».
Rencontre avec une syndicaliste au salon des services la personne et de l’emploi à domicile
« On a écœuré celles qui avaient une appétence pour le métier. Les services d’aide à domicile sont gérés comme une petite industrie. Parfois, mes camarades voient 60 auxiliaires de vie sociale dans un seul mois ! Ce turn-over complique tout. On s’épuise à expliquer 35 fois la même chose et donc cela peut aller très vite au « clash ». Ça m’est arrivé de faire pleurer des auxiliaires de vie sociale. Quand vous êtes maltraitée, vous êtes sur la défensive et cela ne se passe pas bien ! »
Audition d’Odile Maurin, présidente de l’association Handi-Social
ii. Des conditions de travail qui diffèrent en fonction du mode d’intervention
Les trois modes d’intervention dans l’aide à domicile
Le mode d’intervention renvoie à la relation qu’entretiennent le service et l’usager qui en bénéficie. Trois cas peuvent être distingués :
– le mode prestataire, selon lequel l’organisme de service à la personne est l’employeur de l’intervenant, le bénéficiaire étant seulement usager du service ;
– le mode mandataire, selon lequel le bénéficiaire est l’employeur de l’intervenant, mais bénéficie de l’appui juridique et comptable de l’organisme de service à la personne ;
– le mode de gré à gré (ou particulier employeur), selon lequel le bénéficiaire est seul employeur du service sans intervention de tiers.
La plupart des acteurs auditionnés considèrent que le régime salarial intermédié (en mode prestataire) est beaucoup plus protecteur que le mode mandataire ou l’emploi direct. Aujourd’hui, presque un tiers des aides à domicile travaillent chez des particuliers employeurs. Or le Code du travail exclut en effet les salariés du particulier employeur d’un certain nombre de droits ([49]). De plus, la convention collective des salariés du particulier employeur, si elle a permis d’améliorer sensiblement les conditions de travail (mise en place d’un fonds de prévoyance, adoption d’un système de retraite complémentaire, etc.), semble, sur de nombreux points, moins bien garantir les droits des salariés que les deux autres conventions collectives. Elle engendrerait même une forme d’harmonisation, par le bas, de ces droits. « La convention collective du particulier employeur a pu avoir un effet de dumping sur la convention collective des entreprises » a expliqué l’universitaire spécialisée en sciences politiques, Clémence Ledoux, lors de son audition.
Le régime d’emploi des salariés du particulier employeur est très dérogatoire au droit du travail. Le temps plein est fixé non pas à 35 heures mais à 40 heures par semaine. La convention collective ne comporte pas d’indication d’amplitude horaire quotidienne maximale, ne prévoit pas de temps de pause, adopte une définition restrictive du travail de nuit (entre 22 h 00 et 6 h 00 du matin et non 7 h 00 comme dans les autres conventions), ne définit pas ce qu’est le temps de travail « effectif » contrairement aux autres conventions, ne prend pas en compte l’ancienneté des salariés dans les grilles de salaire, prévoit des temps de présence responsable (c’est-à-dire des temps où l’employé est sur le lieu de travail, se tenant prêt à intervenir si nécessaire, mais disposant de son temps pour ses propres activités) rémunérés à deux tiers du salaire horaire voire à un sixième la nuit. L’accès des salariés du particulier employeur à la médecine du travail est lacunaire. Un accord-cadre « santé au travail » a été signé le 24 novembre 2016 mais n’est pas encore pleinement effectif ([50]). À noter néanmoins que la pénibilité et le risque d’épuisement professionnel ne semblent pas plus importants qu’en mode prestataire ([51]).
b. Les assistantes maternelles
i. De l’auto-entreprenariat déguisé souvent source de pénibilité
Outre le faible niveau des salaires, la brièveté des contrats et l’amplitude horaire, les pénibilités physiques rendent l’exercice de ce métier particulièrement difficile. Comme l’a d’ailleurs rappelé l’Union nationale des syndicats autonomes (UNSA) lors de son audition : « les assistantes maternelles portent des charges toute la journée, c’est considéré comme du travail naturel, alors que pour les dockers qui portent des charges, c’est considéré comme de la pénibilité ! ».
Les pénibilités sont également mentales. Le relatif isolement des assistantes maternelles est souvent très mal vécu, surtout s’il n’existe pas de relais assistantes maternelles (RAM) à proximité. Les formalités administratives dont doivent s’occuper les assistantes maternelles sont une charge supplémentaire qui peut venir compliquer les relations avec les parents-employeurs : pour la sociologue Geneviève Cresson, auditionnée par la mission, « les assistantes maternelles se retrouvent à faire un vrai travail administratif d’employeur, ce qui revient à de l’auto‑entreprenariat déguisé ! ».
L’interpénétration du travail au domicile et de la vie privée peut être très difficile à vivre. Certains conjoints ne « supportent pas » les contraintes liées à l’activité de leur compagne. « Des couples sont brisés parfois. Cela est très peu connu des candidates qui considèrent, au contraire, que le métier facilitera la conciliation entre la vie personnelle et la vie professionnelle » a indiqué la sociologue Marie Cartier lors de son audition. L’activité d’assistante maternelle est, en réalité, subordonnée à l’autorisation du conjoint. Un changement de conjoint, notamment lorsque cela engendre un déménagement dans un logement de plus petite surface, peut donc totalement remettre en cause l’activité.
Les pénibilités physiques et mentales sont d’autant plus prégnantes que les assistantes maternelles ont très peu accès aux formations continues qui leur permettraient pourtant d’améliorer leur qualité de vie au travail.
Marie, Assistante maternelle, Picquigny : « C’est compliqué d’en vivre »
« Avant, j’étais dans le commerce, ça a fermé, alors j’ai fait employée de maison. Des amis m’ont demandé de garder leurs enfants, c’est comme ça que j’ai obtenu mon agrément. J’ai commencé par hasard, et maintenant, j’adore mon métier. Mais c’est compliqué d’en vivre, c’est précaire. ça va s’il y a un salaire d’homme à côté. Mais moi, je me suis séparée…
C’était le stress. Je vivais la peur au ventre, ça été affreux, trop d’incertitude. Heureusement, j’ai pu garder mon domicile : quand on change de maison, l’agrément n’est plus valable. Avec la séparation, je n’étais pas bien pour recevoir les enfants. Mais des parents très très chouettes sont restés, et je m’en suis sortie avec le soutien moral de ma collègue. Elle passait tous les jours, voir s’il y avait à manger. Sinon, c’est horrible. Je connais une assistante maternelle, elle s’est séparée de son mari. Elle avait une grande résidence, un agrément pour quatre. Elle est partie sur Amiens dans une petite maison en location. Elle a appelé la PMI qui a suspendu son agrément. Elle a refait une demande, a reçu un agrément pour deux enfants. Mais en partant à dix kilomètres, elle a perdu trois contrats sur quatre, le quatrième, elle l’a gardé en faisant des allers retours au travail de la maman le matin et le soir.
Moi aussi, presque du jour au lendemain, j’ai perdu trois enfants, trois gros contrats, 1 500 euros. À cause du déménagement des parents, d’une petite qui est rentrée à l’école en septembre. Et Pôle Emploi ne versait que 500 euros pour mes trois contrats perdus, je suis tombée à 700 euros. Heureusement qu’il y a les découverts ! A Pôle Emploi, c’est jamais les mêmes interlocuteurs. Ils m’ont demandé les photocopies de tout, des contrats, des fiches de paie, des certificats de travail, des attestations. L’enveloppe ne rentrait pas dans leur boite aux lettres. À l’accueil, ils m’ont dit : “C’est quoi tout ça ? – Mais c’est vous qui me l’avez demandé. ” Tout ça pour toucher 500 euros…
C’est difficile, les fiches de paie. Parce qu’en théorie, ce sont les parents les employeurs. En théorie. Mais ils ne connaissent rien, bien souvent, à leurs obligations. Ils me demandent : “ Combien je dois ? Tu me diras. ” Et c’est nous qui remplissons, des fois… Il faudrait que ça passe par un organisme. »
ii. Un manque d’accompagnement de la part des institutions
De nombreuses assistantes maternelles indiquent être insuffisamment accompagnées par les institutions. Elles se considèrent trop peu informées des évolutions actuelles ou à venir dans leur secteur, ce qu’elles tentent de compenser par une adhésion à des associations, des syndicats ou des réseaux en ligne.
Ce manque d’information et d’accompagnement par les institutions s’est fait durement ressentir pendant la crise sanitaire que nous venons de traverser. Dans une lettre ouverte au Gouvernement rédigée le 1er avril dernier, l’Institut petite enfance ([52]) pointait du doigt le manque d’interlocuteurs au sein des services de protection maternelle et infantile (PMI) des départements ainsi que l’absence totale d’équipements de protection (alors même que ceux-ci commençaient à parvenir aux travailleurs dits « de deuxième ligne »). À noter que les responsables de PMI ont répondu à cette lettre en regrettant une carence de moyens et l’impossibilité de bien assurer leur mission. Pour l’Institut petite enfance, ce manque d’accompagnement « a joué un rôle important dans la décision d’un certain nombre d’assistantes maternelles de démissionner alors même que cette profession répondait à un véritable choix de carrière » ([53]).
« Cette absence de communication a été augmentée pendant cette période (de crise sanitaire). Sur certains départements, on assiste à une absence d’accompagnement des services de PMI qui, faute de moyens humains aussi, n’étaient presque plus présents déjà avant cette crise, auprès des assistants maternels. Mais on observe également une absence d’harmonisation des consignes nationales dans les départements. En effet alors que le Gouvernement précise des consignes (les assistants maternels doivent continuer à exercer, accueils pouvant aller jusqu’à 8 enfants), les services de PMI sur les différents départements préconisent aux assistants maternels de ne pas exercer du tout pour se protéger. ».
Courrier transmis par Sandra Onysko pour l’union fédérative nationale des associations de familles d’accueil et assistantes maternelles (Ufnafaam) à vos rapporteurs pendant la crise sanitaire
c. Les accompagnantes d’enfants en situation de handicap
De nombreuses AESH ne sont pas titulaires de contrats à durée indéterminée (CDI) mais de contrats à durée déterminée (CDD). Selon les chiffres du Gouvernement, notre pays comptait, pour l’année scolaire 2018‑2019, 71 175 AESH, dont 56 634 en CDD.
Des progrès peuvent être notés. Depuis le vote de la loi pour une école de la confiance ([54]), les AESH bénéficient d’un CDD de trois ans renouvelable une fois (et non plus d’un contrat d’une durée maximale de trois ans, renouvelable dans la limite maximale de six ans). Lorsque l’État conclut un nouveau contrat avec une personne ayant exercé pendant six ans en qualité d’AESH, le contrat est à durée indéterminée. Malgré ce progrès notable, l’enchaînement de deux CDD de trois ans pour pouvoir prétendre à un CDI s’apparente à une période d’essai durant laquelle les AESH sont fragilisées et parfois soumises à de fortes pressions de la part de leur hiérarchie.
ii. Une absence de préparation au poste
Les AESH sont, de manière générale, insuffisamment formées à leurs missions. Une formation de soixante heures d’adaptation à l’emploi est prévue pour les AESH non titulaires d’un diplôme professionnel dans le domaine de l’aide à la personne. Cette formation doit avoir lieu au plus tard avant la fin du premier trimestre, si possible avant même la prise de fonction. D’après les AESH rencontrées, cette formation initiale intervient souvent trop tard et s’apparente « davantage à de l’information qu’à de la formation ». Les AESH rencontrées ont toutes souligné le rôle essentiel de l’auto-formation, notamment grâce aux réseaux sociaux. « On découvre des façons de faire qui sont super, on pique les idées » ont-elles indiqué à vos rapporteurs, insistant également sur le fait que ces échanges de bonnes pratiques en ligne entre AESH leur permettaient de se sentir beaucoup moins isolées.
« Je suis entrée en 2006 en contrat aidé. La formation initiale de 60 heures n’est intervenue qu’en 2011 car j’allais obtenir un CDD. La formation était insuffisante : pour savoir ce qu’était la dyslexie, on m’a juste fait faire une dictée à l’envers !
Je n’ai pas eu une seule journée de formation entre 2011 et 2019 mais je suis allée sur internet pour me former et j’ai acheté des bouquins. J’ai ensuite décidé de me payer une formation sur l’autisme haut-potentiel par une intervenante en libéral. Le coût de la formation était de 350 euros car j’ai bénéficié d’une remise, la formation coûtant initialement 500 euros. La formation a duré un mois mais j’ai mis six mois à la financer. Cela valait le coup : cette formation a été hyper constructive ! (…)
Je n’ai pas utilisé mon compte personnel de formation (CPF) car une de mes collègues a demandé une formation depuis trois ans à travers le CPF et ne l’a toujours pas obtenue … »
Propos recueillis lors d’une rencontre avec un collectif d’AESH
Alors que les académies doivent normalement veiller à l’adéquation entre les compétences ou le parcours des AESH et les postes à pourvoir, il semble que cela soit très peu le cas en pratique. De plus, les AESH ne peuvent pas prévoir en amont l’organisation de leur travail. Une fois leur contrat signé, elles sont affectées (très peu de temps avant la rentrée) auprès d’un ou plusieurs élèves dont elles ignorent alors tout puisque les notifications n’indiquent que la modalité de l’accompagnement (individuel ou mutualisé ([55])). En raison du secret médical qui leur est opposé, les AESH ne connaissent pas précisément le handicap de l’enfant qu’elles auront à accompagner.
iii. De nombreuses situations d’épuisement
Les AESH se disent épuisées par leur métier. Cet épuisement peut être physique, notamment lorsque les infrastructures ne sont pas adaptées au handicap de l’enfant (absence d’ascenseur, de rampe d’accès, cour en pente, toilettes de taille insuffisante pour les enfants en fauteuil roulant, etc.). Il peut également être psychique. Ainsi, les troubles prononcés du comportement de certains enfants peuvent être subis par les AESH si elles n’y sont pas suffisamment formées.
iv. Des relations parfois compliquées avec le corps enseignant
Les AESH déplorent souvent être marginalisées et isolées par les professeurs présents dans l’école où elles interviennent. De manière concrète, les AESH sont souvent exclues des salles des professeurs. Selon un sondage ([56]) réalisé par le collectif AESH en action, le manque de reconnaissance de la part des enseignants, de la hiérarchie et de l’employeur apparaît comme le deuxième principal motif de démission des AESH après les faibles salaires. Les AESH ne se sentent que très rarement faire partie de la « communauté éducative » que le Gouvernement appelle de ses vœux. Certaines vont jusqu’à parler de « mépris » de la part des enseignants.
De bonnes relations entre AESH et enseignants sont néanmoins possibles. Elles améliorent sensiblement les conditions de travail des professionnels et facilitent l’inclusion de l’élève en situation de handicap.
« On a un sentiment de reconnaissance des parents et des enseignants. L’enseignante avec laquelle je travaille est formidable et tous les jours, quand je pars, elle me remercie. C’est une bouffée d’oxygène. Au moins, eux, ils nous reconnaissent ; ce qui n’est pas le cas au-dessus. »
Propos recueillis auprès des AESH de la ville d’Amiens
d. Les animatrices périscolaires
i. Une absence de continuité dans les contrats qui pèse durement sur les projets personnels
Les animatrices périscolaires travaillent sous plusieurs statuts qui leur donnent accès à des droits et à une sécurité de l’emploi variable. Les associations et les collectivités territoriales sont les principaux employeurs. Les collectivités locales recrutent des animateurs et animatrices soit directement, soit au travers de structures telles que les centres communaux d’action sociale (CCAS) ou les caisses des écoles. Selon le CNEA, deux tiers des animatrices périscolaires dépendraient de la convention collective de l’animation ([57]).
Employées par les collectivités territoriales, les animatrices ont soit le statut de fonctionnaire territorial (recrutement sur concours), soit le statut de contractuel. D’après le Conseil supérieur de la fonction publique territoriale (CSFPT), environ 31 % des personnels de la filière animation sont des agents contractuels, soit plus encore que dans les filières culturelles, sportives et médico-sociales. Or les contractuels sont particulièrement concernés par des temps de travail non complets et par des situations de multi-employeurs. Selon une enquête ([58]), 45 % des animatrices non titulaires pensent qu’il y a un risque pour elles d’être licenciées dans les deux années après leur embauche. Les animatrices peuvent être recrutées en tant qu’« adjoints d’animation » de catégorie C (sans concours pour le premier grade mais sur concours pour les grades suivants) ou en tant qu’« animateurs territoriaux » de catégorie B sur concours. D’après le CSFPT, la filière animation compte plus de 85 % des agents en catégorie C, dont 81 % au premier grade. Or, la catégorie C est marquée par des conditions de travail particulièrement difficiles (temps de travail fractionné, amplitudes horaires fortes) et des rémunérations notoirement insuffisantes. Enfin, de nombreuses animatrices périscolaires sont également employées comme vacataires, au statut extrêmement précaire. Ce dernier n’offre ni droit aux congés payés, ni droit à la formation, ni à aucun complément de rémunération (supplément familial de traitement, indemnité de résidence).
Si dans la branche de l’animation, un grand nombre d’animatrices sont titulaires d’un CDI intermittent ([59]), force est de constater que le recours aux contrats à durée déterminée n’est pas rare (environ 24 % des salariés de la branche de l’animation). Certaines animatrices sont même parfois recrutées sous contrat d’engagement éducatif (CEE) ([60]).
L’absence de continuité dans les contrats empêche un certain nombre d’animatrices de concrétiser leurs projets personnels. Les animateurs et animatrices rencontrés ont fait part de leurs difficultés à accéder au crédit bancaire, certains indiquant s’être vus refuser un crédit à la consommation pour l’achat d’une nouvelle machine à laver. Une des animatrices a même précisé s’interdire d’avoir des enfants, malgré son désir d’en avoir, faute d’avoir une situation suffisamment stable.
ii. Une pénibilité significative
Les animatrices sont amenées à travailler dans un contexte anxiogène lié à la précarité de leur métier, avec des emplois du temps fluctuants, lesquels ont parfois un impact sur leur vie familiale. Elles font souvent état d’une fatigue générale associée à une charge cognitive élevée et à un manque de moyens mis à leur disposition pour leur permettre de bien faire leur travail. Selon le CNEA, « leurs conditions de travail et l’état de leur santé peuvent ainsi être critiques d’autant que les visites médicales d’embauche ne sont pas systématiques. De nombreux animateurs à temps partiel, même employés de façon récurrente, n’ont jamais vu un médecin du travail ([61]) ».
iii. Un métier en pleine évolution mais une formation largement insuffisante
Les animatrices rencontrées ont toutes indiqué que leur métier connaissait actuellement des changements importants. Ainsi, par exemple, elles doivent de plus en plus fréquemment assurer l’encadrement d’enfants en situation de handicap. Pour autant, elles ne disposent d’aucune formation leur permettant de les prendre en charge.
La formation continue semble en effet quasiment inexistante. Les animatrices adoptent donc des stratégies d’autoformation à partir des ressources qu’elles parviennent à trouver sur internet : « Google est le meilleur ami de l’animateur » a ainsi indiqué ironiquement l’une d’entre elles.
« Tous les jours, je me lève avec la boule au ventre dans l’attente de savoir si mon contrat va être renouvelé, c’est frustrant. Les vacataires sont intégrés à des projets annuels sachant que du jour au lendemain, ils peuvent ne pas être renouvelés. »
« Ce qui est compliqué, c’est d’avoir des congés ; on a deux jours de congé mais c’est très dur de les prendre… »
« J’ai voulu passer le brevet d’aptitude aux fonctions de directeur d’accueil collectif de mineurs (BAFD) : ça m’a été refusé quand j’étais vacataire mais même quand je suis devenue contractuelle…On est là avec plein de motivation et d’envie mais on est freiné à chaque fois. »
« Avec mon compagnon, on s’interdit pour l’instant d’avoir des enfants, même si ça fait longtemps qu’on est ensemble ; on attend que j’aie une situation plus stable… »
Propos recueillis auprès d’animateurs et animatrices périscolaires exerçant dans la ville d’Amiens
4. Des métiers qui souffrent d’une absence manifeste de reconnaissance sociale
Malgré le fait que ces métiers sont essentiels au bon fonctionnement de notre société et appelés à se développer, ils sont très peu reconnus socialement. Comment expliquer l’absence de reconnaissance de ceux qui, pourtant, « tiennent à bout de bras la charpente de l’État social et contribuent à la reproduction de la société » ([62]) ?
a. La tolérance de la société à la précarité des métiers du lien
La société est extrêmement tolérante à la précarité des salariés des métiers du lien. Ce sont en effet des métiers majoritairement exercés par des femmes, identifiés comme proches de la sphère domestique et comme étant des métiers d’appoint très peu techniques. Les compétences qui y sont déployées sont vues comme un prolongement des compétences naturelles. « La technicité des emplois (…) est difficile à appréhender pour les métiers où le relationnel est important ; on a tendance à nier la composante technique de ces pratiques et à les reléguer dans le champ du comportement personnel, du purement informel, voire du naturel » ([63]).
L’absence de valorisation des métiers du lien tient aussi au contexte économique et politique actuel. Nous traversons une période de forte précarisation des emplois et de chômage élevé qui empêche l’amélioration des conditions d’exercice de ces métiers. « Tant qu’il y aura un grand nombre de personnes prêtes à travailler pour un salaire aussi faible (notamment des femmes ou des personnes issues de l’immigration), ces métiers ne seront pas davantage valorisés » a rappelé l’économiste François-Xavier Devetter lors de son audition par la mission. Dans ces conditions, la main invisible de l’économie de marché ne peut seule permettre à revaloriser les métiers du lien. Des politiques volontaristes sont nécessaires.
L’invisibilité des métiers du lien est également due aux difficultés, pour les salariés, de faire entendre leurs revendications. Dans ces métiers, les espaces collectifs sont peu nombreux, ce qui engendre une moins bonne connaissance des droits par les travailleurs et une moindre capacité à les faire valoir. De plus, comme l’a bien indiqué le journaliste Pierre Rimbert lors de son audition, « il est très difficile d’organiser des luttes et des grèves dans ces métiers, il n’est pas envisageable d’arrêter de nourrir une personne en situation de dépendance de la même manière que l’on peut arrêter un train !