N° 3127

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 24 juin 2020.

RAPPORT DINFORMATION

DÉPOSÉ

en application de larticle 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES

sur les plateformes numériques

ET PRÉSENTÉ PAR

Mme Valéria Faure-Muntian et M. Daniel Fasquelle,

Députés

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SOMMAIRE

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Pages

SYNTHÈSE

LISTE DES PROPOSITIONS

introduction

PremiÈre partie : comprendre et définir Les plateformes numériques structurantes : des géants devenus incontournables

I. Une tendance naturelle à la concentration des marchés autour de plateformes bénéficiant dun pouvoir structurant et difficilement contestable

A. Des modèles daffaires différents…

1. Google

2. Facebook

3. Apple

4. Amazon

5. Microsoft

B. … Mais des caractéristiques communes indéniables qui favorisent la domination des marchés par quelques acteurs devenus incontournables

1. Les plateformes numériques bénéficient déconomies déchelle importantes et de rendements croissants

2. Léconomie numérique sarticule autour deffets de réseau et de marchés multifaces

3. Les économies de gamme permettent aux plateformes de se développer facilement sur des marchés connexes

4. Laccès aux données renforce lavantage concurrentiel des plateformes

5. Les plateformes numériques sappuient sur des stratégies de verrouillage

6. Les plateformes numériques jouent un rôle de « gatekeeper » sur le marché

7. Les plateformes mettent en place des stratégies agressives dexpansion de leur activité

II. Définir les plateformes numériques structurantes, un préalable essentiel

A. Le droit existant ne permet pas de Définir juridiquement les plateformes numériques structurantes

1. En France, le législateur a introduit une définition horizontale des plateformes numériques

2. Le droit européen a apporté des éléments de définition des plateformes numériques qui restent partiels et horizontaux

3. À travers des critères de taille et daudience, le législateur impose au cas par cas des obligations de façon asymétrique et disparate

4. Un vide juridique : labsence de définition des plateformes numériques structurantes

B. QUELLE Définition pour les plateformes numériques structurantes ?

1. Des critères didentification consensuels

a. Les critères proposés par lAutorité de la concurrence

b. Les critères proposés par la direction générale du Trésor

c. Les critères proposés par lARCEP

2. Identifier et définir les plateformes numériques structurantes à travers la méthode du faisceau dindices

DEUXIÈME PARTIE : le droit de la concurrence ne peut répondre seul aux nombreux défis posés par le développement des plateformes structurantes

I. Le droit de la concurrence bouleversé par le développement des plateformes structurantes

A. Le droit de la concurrence permet de sanctionner et de contrôler une partie des comportements anticoncurrentiels des plateformes structurantes

1. Des abus de position dominante commis par les plateformes structurantes nombreux et sanctionnés par la Commission européenne

2. En France, le « petit droit de la concurrence » permet également de sanctionner des pratiques abusives et anticoncurrentielles des plateformes numériques structurantes

B. le cadre du droit de la concurrence actuel se heurte toutefois à un certain nombre de limites

1. Les grilles danalyse des autorités sont mal adaptées aux spécificités des plateformes numériques structurantes

a. Les outils traditionnels danalyse des autorités…

b. … correspondent mal aux caractéristiques des plateformes numériques structurantes

2. Les sanctions ne sont pas toujours efficaces car trop peu dissuasives et insuffisamment assorties de remèdes

3. Le temps du droit de la concurrence est trop long

4. Le contrôle des concentrations nest pas en adéquation avec les caractéristiques des plateformes

a. Le contrôle des concentrations repose sur des critères de seuil de chiffre daffaires

b. Un vide juridique face aux acquisitions consolidantes réalisées par les plateformes numériques structurantes

II. Des adaptations du droit de la concurrence sont nécessaires, mais elles ne seront pas suffisantes

A. Des adaptations nécessaires

1. Mettre à jour la grille danalyse concurrentielle des marchés

a. Mieux intégrer les spécificités des plateformes structurantes dans la grille danalyse des autorités

b. Repenser les notions de bien-être et dintérêt du consommateur à travers une prise en considération plus large des effets non tarifaires

c. Acter formellement ladaptation du droit de la concurrence aux évolutions du numérique

2. Améliorer les outils procéduraux pour agir plus vite et plus efficacement

a. Développer les mesures conservatoires pour éviter des dommages irrémédiables

i. Les mesures conservatoires en droit interne

ii. Les mesures conservatoires à léchelle européenne

b. Développer les remèdes comportementaux

c. Réduire les délais dinstruction jugés unanimement trop longs

B. Des adaptations qui ne seront pas suffisantes

1. La prophétie schumpetérienne ne sest pas réalisée et la concentration des marchés atteint des niveaux inquiétants, signe de dysfonctionnements concurrentiels

2. Le droit de la concurrence ne parvient pas à inverser cette tendance

3. Cette forte concentration est préoccupante sur le double plan économique et démocratique

a. Sur le plan économique

b. Sur le plan démocratique

TROISIÈME PARTIE : pour un nouveau droit de la régulation des plateformes numériques structurantes

I. construire un droit de la régulation ex ante des plateformes numériques structurantes

A. des justifications théoriques nombreuses

B. Une régulation ciblée sur une catégorie dacteurs limités qui permet de conjuguer souplesse efficacité et dialogue

C. Une proposition aujourdhui largement relayée dans la sphère académique et institutionnelle, qui correspond également aux aspirations de la société civile

II. Offrir au régulateur une gamme de remèdes pour assurer une régulation efficace et réussir là où le droit de la concurrence a échoué

A. promouvoir une culture de la transparence

1. Des obligations de transparence déjà existantes mais insuffisantes

2. Renforcer les obligations de transparence pesant sur les plateformes numériques structurantes et mettre en place un suivi spécifique par le régulateur

B. Développer des standards techniques facilitant la portabilité des données et linteropérabilité des services

1. Un droit de la portabilité des données balbutiant et une interopérabilité en pratique très limitée

2. Élaborer de nouvelles règles et des standards communs pour favoriser la portabilité en vue de linteropérabilité sous légide dun régulateur

C. Considérer certaines données comme des infrastructures essentielles et prévoir en conséquence des modalités daccès à ces dernières

D. affirmer et faire vivre le principe de neutralité des terminaux

1. Le droit garantit la neutralité dinternet sans garantir la neutralité des terminaux

2. De nombreuses pratiques en cause

3. Permettre au régulateur dimposer la neutralité des terminaux

E. Consacrer un principe de non-discrimination

F. écarter loption du démantèlement ?

III. créer une nouvelle infraction dabus de domination pour les plateformes structurantes

IV. Renforcer le contrôle des concentrations

A. Instaurer un mécanisme de notification obligatoire de lensemble des acquisitions envisagées

B. La question du contrôle ex post

QUATRIÈME PARTIE : QUELLE GOUVERNANCE pour surveiller et contrôler les plateformes numériques structurantes ?

I. Désigner au niveau national une autorité pilote

A. Une autorité pilote dotée de pouvoirs étendus

1. Une autorité pilote

2. Des pouvoirs étendus

B. Une autorité en lien constant avec les autorités intervenant dans le domaine du numérique

II. Construire une stratégie pour assurer une montée en compétence publique sur les enjeux numériques

III. placer la France à lavant-garde des futures évolutions européennes

A. Des pistes encourageantes au niveau européen autour du « Digital services act » qui ne doivent pas « geler » des évolutions du droit national

B. ARTICULER finement LES DIFFÉRENTS échelons daction pour une régulation efficace

LISTE DES PERSONNES auditionnÉes PAR LEs RAPPORTEURs


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   SYNTHÈSE

PREMIÈRE PARTIE : COMPRENDRE ET DÉFINIR LES PLATEFORMES STRUCTURANTES : DES GÉANTS DEVENUS INCONTOURNABLES

Le marché des plateformes numériques a connu une forte concentration autour dacteurs majeurs durant les deux dernières décennies, souvent réunis sous l’acronyme « GAFAM », pour Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft. En 2019, la capitalisation boursière de ces cinq entreprises a atteint 4 000 milliards de dollars, soit deux fois plus que celle de la totalité du CAC 40.

Si chacune de ces plateformes s’est développée selon un modèle propre, elles se caractérisent aujourd’hui toutes par des positions dominantes durablement acquises du fait de traits communs liés à leur modèle de développement. Cet état de fait conduit à de profondes interrogations sur l’efficacité du droit de la concurrence.

I.   Une tendance naturelle à la concentration des marchés autour de plateformes bénéficiant d’un pouvoir structurant et difficilement contestable

Sans nécessairement résumer les plateformes structurantes aux « GAFAM », vos rapporteurs ont souhaité porter une attention toute particulière à ces entreprises, qui concentrent un certain nombre de caractéristiques et de difficultés communes.

A.   Des modèles d’affaires différents

Il convient d’abord de comprendre la spécificité des modèles d’affaires des plateformes structurantes, qui se sont développées chacune à leur manière. Le modèle économique de Google et Facebook s’appuie sur la publicité, celui de Microsoft est centré sur la vente de licences logicielles, Apple tire son succès de la vente de matériel informatique tandis que l’activité principale d’Amazon repose sur l’e-commerce et les services de stockage dématérialisés « cloud » ([1]).

B.   Mais des caractéristiques communes indéniables qui favorisent la domination des marchés par quelques acteurs devenus incontournables

Au-delà des différences de modèle économique évoquées, le succès de ces entreprises s’explique en grande partie par des caractéristiques communes qui favorisent l’émergence de positions dominantes :

– les plateformes numériques bénéficient d’économies d’échelle importantes et de rendements croissants ;

– l’économie numérique s’articule autour d’effets de réseau et de marchés multifaces ;

– les économies de gamme permettent aux plateformes de se développer facilement sur des marchés connexes ;

– l’accès aux données renforce l’avantage concurrentiel des plateformes ;

– les plateformes numériques s’appuient sur des stratégies de verrouillage ;

– les plateformes numériques jouent un rôle de « gatekeeper » sur le marché ;

– les plateformes numériques mettent en place des stratégies agressives d’expansion de leur activité.

II.   Définir les plateformes numériques structurantes, un préalable essentiel

En l’état actuel, si le droit existant permet d’apporter des éléments de définition des plateformes numériques, les plateformes numériques « structurantes » ne sont pas en tant que telles définies juridiquement, ce qui limite très largement la possibilité de leur imposer des règles particulières.

Vos rapporteurs estiment nécessaire que soit posée une définition des plateformes numériques structurantes, à partir des caractéristiques communes relevées précédemment. Vos rapporteurs proposent donc d’établir une grille d’analyse fixant les principaux critères d’identification des plateformes numériques structurantes et d’élaborer, à partir de cette grille, une liste nominative des plateformes visées (proposition n° 1).

DEUXIÈME PARTIE : LE DROIT DE LA CONCURRENCE NE PEUT RÉPONDRE SEUL AUX NOMBREUX DÉFIS POSÉS PAR LE DÉVELOPPEMENT DES PLATEFORMES STRUCTURANTES

I.   Le droit de la concurrence bouleversé par le développement des plateformes structurantes

Les comportements anticoncurrentiels des plateformes numériques peuvent dores et déjà, pour une partie dentre eux, être contrôlés et sanctionnés dans le cadre du droit commun de la concurrence, qu’il s’agisse des ententes, des abus de position dominante ou du contrôle des opérations de concentration de l’ensemble des acteurs économiques. Par ailleurs, le droit des pratiques restrictives permet également de sanctionner des pratiques relevant des déséquilibres significatifs. Alors que les autorités compétentes ont pu paraître dans un premier temps passives, les dernières années furent celles d’un volontarisme marqué, qui s’incarne par quelques décisions emblématiques. En particulier, au travers de l’infraction d’abus de position dominante, la Commission européenne a infligé de lourdes sanctions à Google, pour un montant total atteignant 8,25 milliards d’euros.

Toutefois, le cadre actuel du droit de la concurrence se heurte à un certain nombre de limites :

– les outils d’analyse traditionnels des autorités correspondent mal aux caractéristiques des plateformes numériques structurantes ;

– les sanctions prononcées par les autorités ne sont pas toujours efficaces car elles sont souvent peu dissuasives et encore trop peu assorties de remèdes ;

– le temps des procédures contentieuses en droit de la concurrence est souvent beaucoup trop long en comparaison de la rapidité des mutations de l’économie numérique ;

– le droit des concentrations souffre d’un vide juridique : il repose essentiellement sur des critères fixés en fonction de seuils de chiffre d’affaires. Or, ce critère ne permet pas de contrôler l’ensemble des opérations sensibles réalisées par les plateformes numériques structurantes. Cette lacune a permis aux plateformes structurantes d’étendre considérablement leur position hégémonique sur les marchés principaux et/ou connexes.

II.   Des modulations du droit de la concurrence seront nécessaires mais ne seront pas suffisantes

A.   Des adaptations nécessaires

Vos rapporteurs proposent des évolutions du droit de la concurrence pour renforcer son efficacité. En premier lieu, il convient de mettre à jour les grilles danalyse concurrentielle des marchés utilisées par les autorités en accordant notamment une place moins importante à la notion de marché pertinent dans les analyses concurrentielles, en prenant au contraire davantage en compte les effets de réseaux, les effets congloméraux et la détention de données dans ces analyses (propositions n° 2, 3, 4, 5). Vos rapporteurs insistent également sur la nécessité de redéfinir la notion de bien-être du consommateur au-delà du seul critère du prix (proposition n° 6). En deuxième lieu sur le plan procédural, des leviers peuvent être actionnés pour agir plus vite et plus efficacement, en développant les mesures conservatoires pour éviter les dommages irrémédiables (proposition n° 7), en favorisant le recours aux remèdes comportementaux (proposition n° 8) et en réduisant des délais d’instruction jugés unanimement trop longs (proposition n° 9).

B.   Des adaptations insuffisantes

Pour autant, vos rapporteurs estiment que ces adaptations du droit de la concurrence ne seront pas suffisantes.

La prophétie schumpetérienne ne s’est pas réalisée et la concentration des marchés atteint des niveaux inquiétants, signe de dysfonctionnements concurrentiels. Le droit de la concurrence se heurte à des faiblesses intrinsèques : il ne permet d’agir qu’au cas par cas, par l’application de règles symétriques et de façon essentiellement ex post. La forte concentration des marchés autour de quelques acteurs ultra dominants emporte des conséquentes préoccupantes du point de vue économique, mais aussi pour le respect de la vie privée, le respect de la souveraineté numérique ainsi que les garanties démocratiques des nations européennes.

TROISIÈME PARTIE : POUR UN NOUVEAU DROIT DE LA RÉGULATION DES PLATEFORMES NUMÉRIQUES STRUCTURANTES

Face aux insuffisances intrinsèques du droit de la concurrence, la mise en place d’une régulation ex ante apparaît comme une nécessité.

I.   Pour un droit de la régulation ex ante des plateformes numériques structurantes

En complément du droit commun de la concurrence, un droit de la régulation des plateformes structurantes doit par conséquent être élaboré. La régulation ex ante vise certains secteurs d’activité qui, en raison de leurs caractéristiques propres à l’origine de défaillance de marchés, nécessitent une intervention publique plus poussée que la seule intervention essentiellement ex post et casuistique qui s’exerce dans le cadre du droit commun de la concurrence.

Vos rapporteurs plaident pour la mise en place d’une régulation ex ante qui s’appliquerait à l’ensemble des plateformes structurantes, listées selon la méthode définie à la proposition n° 1 (proposition n° 10).

II.   Offrir au régulateur une gamme de remèdes pour assurer une régulation efficace et réussir là où le droit de la concurrence a échoué

L’objectif du droit de la régulation est d’offrir au régulateur une boîte à outils pour superviser les plateformes structurantes et prévenir les infractions au droit de la concurrence. Cette régulation asymétrique établit un régime d’obligations « sur mesure », s’appliquant à une catégorie réduite d’acteurs et dans des objectifs définis par le législateur. Ces remèdes ont vocation à prendre des formes variées et à être appliqués selon une approche graduée.

La boîte à outils de ce droit de la régulation devra permettre de promouvoir une culture de la transparence (proposition n° 11) ; d’instaurer des obligations et de développer des standards techniques pour faciliter la portabilité des données et l’interopérabilité des services (proposition n° 12) ; de considérer certaines données comme des infrastructures essentielles et de prévoir en conséquence des modalités d’accès à ces dernières (proposition n° 13) ; d’affirmer et de faire vivre le principe de neutralité des terminaux (proposition n° 14) et de consacrer un principe de non-discrimination (proposition n° 15).

En outre, vos rapporteurs plaident pour la création dune nouvelle infraction d’abus de monopolisation pour les plateformes numériques structurantes (proposition n° 16), qui permettrait de prévenir l’installation définitive des monopoles en sanctionnant l’intention manifeste de créer un monopole lorsque cette dernière a des chances très sérieuses d’être atteinte, notamment du fait de pratiques anticoncurrentielles.

Enfin, vos rapporteurs proposent une réforme du contrôle des concentrations via linstauration un nouveau mécanisme de notification obligatoire de lensemble des acquisitions envisagées par les plateformes numériques entrant dans le champ du régulateur, assorti, dans des conditions strictement encadrées, de la possibilité de prévoir un contrôle ex post (proposition n° 17).

QUATRIÈME PARTIE : QUELLE GOUVERNANCE POUR SURVEILLER ET CONTRÔLER LES PLATEFORMES NUMÉRIQUES STRUCTURANTES ?

I.   Désigner au niveau national une autorité pilote

La nomination d’une autorité pilote permet d’identifier un acteur spécialisé pour assurer cette supervision, à même de construire une relation approfondie avec les acteurs et parties prenantes du secteur et de développer une expertise sur des sujets complexes économiquement et techniquement. Pour éviter les risques d’empilement administratif, ce nouvel organe ne nécessite pas nécessairement la création d’une nouvelle entité administrative, dotée d’une personnalité juridique propre. Dans un souci de bonne gestion administrative et de cohérence de l’action publique, vos rapporteurs estiment ainsi qu’il serait plus opportun que ce nouvel organe soit rattaché à l’un des régulateurs existants (proposition n° 18).

Quelle que soit l’architecture administrative retenue, cette autorité pilote en matière de régulation des plateformes structurantes devrait être dotée de pouvoirs étendus (pouvoir règlementaire, pouvoir de sanction, organe de règlement des différends), afin d’utiliser la boîte à outils précédemment détaillée.

Cette autorité pilote n’aurait pour autant pas vocation à agir seule dans le domaine du numérique. Elle devrait donc s’intégrer dans l’écosystème des autorités intervenant dans ce champ.

II.   Élaborer une stratégie de montée en puissance publique sur les enjeux numériques

Un consensus se dégage : renforcer l’expertise publique en matière numérique. L’économie numérique repose sur la combinaison d’algorithmes et de données. La compréhension du fonctionnement des plateformes nécessite donc le recrutement des compétences nécessaires.

Vos rapporteurs proposent qu’une véritable stratégie publique soit construite en la matière, en adaptant la politique de recrutement des services de l’État et des autorités administratives pour répondre à ces enjeux (proposition n° 19).

III.   Placer la France à l’avant-garde des futures évolutions européennes

Vos rapporteurs souhaitent bien évidemment que la régulation asymétrique des plateformes structurantes soit mise en œuvre au niveau européen. Cette régulation bénéficierait alors à près de 500 millions d’utilisateurs européens, soit une taille critique non négligeable. Elle permettrait en outre de limiter le risque de distorsions des règles applicables aux plateformes structurantes entre les différents marchés nationaux. Il est donc essentiel que la France défende cette position à l’occasion des débats entre États membres préalables à l’élaboration de ce nouveau cadre juridique (proposition n° 20).

Vos rapporteurs proposent que le droit national, dans l’hypothèse où la régulation européenne des plateformes tarderait trop à être mise en œuvre, serve dans un premier temps d’aiguillon de la régulation des plateformes structurantes en Europe. La répartition des compétences entre l’échelon français et l’échelon européen aurait ensuite vocation à se dessiner en suivant le principe de subsidiarité, au cœur du droit européen (proposition n° 21). En outre, à un horizon de long terme, la régulation des plateformes structurantes devra également être pensée au niveau international. Les difficultés entourant ces négociations montrent toutefois que la supervision internationale des plateformes numériques nécessite une impulsion politique commune, difficile à obtenir, et pour laquelle la France doit œuvrer sans relâche.

 

 


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   LISTE DES PROPOSITIONS

Proposition n° 1 : Établir une grille d’analyse fixant les principaux critères d’identification des plateformes numériques structurantes. À partir de cette grille, élaborer une liste des plateformes numériques structurantes dans l’objectif de pouvoir leur appliquer des mesures de régulation spécifique.

 

Proposition  2 : Accorder une place moins prioritaire à la notion de marché pertinent pour les analyses impliquant des plateformes numériques structurantes.

 

Proposition n° 3 : Intégrer les effets de réseaux et les mécanismes de verrouillage aux grilles d’analyse des autorités. Développer en ce sens des tests spécifiques comme les tests de captivité des usagers pour mieux mesurer les effets de verrouillage.

 

Proposition  4 : Accorder une vigilance plus forte au rôle des données et à la construction de communautés d’utilisateurs.

 

Proposition n° 5 : Élargir de façon plus systématique la notion de bien-être du consommateur aux effets non tarifaires et prendre en compte dans ce cadre des éléments qualitatifs et notamment ceux relatifs à la protection des données personnelles et la préservation du pluralisme.

 

Proposition  6 : Adapter les évolutions de la grille d’analyse aux spécificités des plateformes numériques structurantes dans des documents formels :

– au niveau européen, modifier la communication de 1997 relative aux marchés pertinents ;

– au niveau national, édicter et mettre à jour les lignes directrices de l’Autorité de la concurrence.

 

Proposition n° 7 : Développer les mesures conservatoires à l’échelle européenne. Envisager en cela une modification l’article 8 du règlement européen afférent en prenant appui sur les règles existantes dans le droit français.

 

Proposition  8 : Réviser le droit européen afin de mettre sur un pied d’égalité les remèdes structurels et comportementaux. Favoriser le recours aux engagements comportementaux lorsque le sujet concerne les enjeux numériques.

 

Proposition n° 9 : Réduire les délais d’instruction des affaires relatives à l’économie des plateformes, en mettant en place des objectifs clairs de délais et de stocks d’affaires en instance, quitte à prioriser certaines procédures.

 

Proposition n° 10 : Mettre en place une régulation ex ante asymétrique pour les plateformes numériques structurantes dont la liste aura été établie selon les modalités précisées par la proposition n° 1.

 

Proposition n° 11 : Prévoir des obligations spécifiques en matière de transparence à l’endroit des plateformes structurantes et en assurer un suivi. Dans ce cadre, instaurer des obligations de transmission d’informations au régulateur concernant la construction des algorithmes.

 

Proposition n° 12 : Favoriser la mise en place de la portabilité des données et de l’interopérabilité des services via une action volontariste du régulateur et l’adoption de standards techniques pertinents, dans l’objectif de limiter les mécanismes de verrouillage inhérents aux plateformes structurantes.

 

Proposition n° 13 : Prévoir des modalités d’ouverture équilibrée des données lorsque celles-ci peuvent être considérées comme des infrastructures essentielles.

 

Proposition n° 14 : Étendre la régulation des réseaux internet aux terminaux mobiles et consacrer un droit de libre accès aux services et applications pour les utilisateurs d’appareils connectés.

 

Proposition n° 15 : Consacrer un principe de non-discrimination afin d’interdire en amont la mise en avant de services ou produits « maison » au détriment de services ou produits tiers.

 

Proposition 16 : Créer un nouvel abus de monopolisation pour les plateformes numériques structurantes, qui permettrait de prévenir l’installation définitive des monopoles en sanctionnant l’intention manifeste de créer un monopole lorsque cette dernière a des chances très sérieuses d’être atteinte, notamment du fait de pratiques anticoncurrentielles.

 

Proposition n° 17 : Introduire l’obligation de notification spécifique de l’ensemble des opérations de concentration envisagées par les plateformes structurantes. Cette notification doit s’effectuer auprès du régulateur dédié, qui serait dans l’obligation de saisir l’Autorité de la concurrence lorsqu’un risque important est identifié.

 

Proposition 18 : Confier l’application du droit de la régulation des plateformes structurantes à une entité clairement identifiée.

 

Proposition n° 19 : Construire une stratégie publique pour attirer et retenir les talents du numérique

 

Proposition 20 : Défendre au niveau européen la mise en place d’une régulation ex ante exercé par un régulateur indépendant dans le cadre des négociations autour du Digital Services Act.

 

Proposition n° 21 : Prévoir à terme une régulation européenne à articuler avec la régulation nationale en appliquant le principe de subsidiarité.

 


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   introduction

Au fil des deux dernières décennies, quelques plateformes numériques se sont imposées comme leaders incontestés sur les marchés du numérique. Elles ont acquis des positions dominantes qu’il paraît aujourd’hui difficile voire impossible de remettre en cause. Le développement de ces géants du numérique s’est accompagné de progrès techniques considérables et de nombreux bénéfices pour les usagers.

Mais la dégradation de la concurrence, corollaire mécanique de cette concentration croissante des marchés, soulève des inquiétudes d’ordre économique et démocratique nombreuses et grandissantes. Sur le plan économique, la domination durable du marché par quelques-uns déjoue les règles classiques du fonctionnement concurrentiel des économies libérales. La doctrine montre en quoi la forte concentration des marchés risque de nuire au dynamisme économique, à l’innovation et in fine au bien-être des consommateurs. Sur le plan démocratique, les dysfonctionnements concurrentiels peuvent également mettre en danger les valeurs qui constituent le ciment de nos démocraties libérales. Cette dimension est inhérente à la construction du droit de la concurrence : c’est face aux dangers que les trusts américains représentaient pour la démocratie américaine que le « Sherman Act », magna carta de la concurrence ([2]), fut voté par les parlementaires américains à la fin du XIXe siècle. Les plateformes les plus structurantes sur les marchés alimentent aujourd’hui un certain nombre d’inquiétudes relatives à la protection des libertés publiques et à la garantie de la souveraineté numérique. La crise sanitaire et économique que nous traversons le souligne avec une acuité particulière, en mettant en lumière les risques liés au manque de souveraineté numérique du continent européen.

C’est dans ce contexte désormais bien connu que la mission d’information sur les plateformes numériques a été créée au mois de novembre 2019, avec pour objectif principal de répondre à la question suivante : le droit de la concurrence offre-t-il les moyens nécessaires pour réguler efficacement les grandes plateformes numériques, ou d’autres outils doivent-ils aujourd’hui être inventés ? En d’autres mots, les outils traditionnels du droit de la concurrence, qui permettent de contrôler les concentrations et de sanctionner les abus de positions dominantes, sont-ils suffisants, ou rencontrent-ils des limites intrinsèques ? Auquel cas, faut-il aller vers la mise en place d’un nouveau droit de la régulation des plateformes numériques structurantes ?

Cette interrogation s’inscrit dans un contexte où les enjeux relatifs à la régulation concurrentielle des géants du numérique a fait l’objet de nombreux débats et réflexions ces dernières années. Plusieurs rapports de renommée internationale ont permis de documenter ces questions, à l’image du rapport « Furman ([3]) », du nom d’un ancien conseiller économique de Barack Obama, mais aussi du rapport des économistes américains du centre Stigler, ou encore du rapport « Crémer ([4]) » remis à la Commission européenne. Au niveau national, ces enjeux ont également été abordés par plusieurs rapports parlementaires récents, que l’on pense au rapport de la commission d’enquête sénatoriale sur la souveraineté numérique mais aussi au rapport rendu par les députés Patrice Anato et Constance Le Grip ([5]). Vos rapporteurs ont tâché de se nourrir des travaux existants pour construire leur propre réflexion.

Afin de répondre à cette interrogation centrale, la mission d’information a mené, au cours de ces huit mois de travaux, plusieurs cycles d’auditions. Elle s’est d’abord attachée à entendre les administrations et autorités administratives indépendantes compétentes tant à l’échelle nationale qu’européenne. La mission d’information a également tenu à entendre les plateformes elles-mêmes. Ainsi, chacune des « GAFAM » a pu être entendue par vos rapporteurs. Les plateformes numériques de plus petite taille ont également été auditionnées, dans l’objectif de mesurer leurs contraintes concrètes en matière d’accès aux marchés. Enfin, vos rapporteurs ont auditionné de nombreux juristes et économistes afin d’éclairer au mieux leurs travaux. Au total, ce sont près d’une cinquantaine de spécialistes qui ont pu être consultés.

Vos rapporteurs ont articulé leur réflexion autour de quatre grands axes qui constituent l’ossature de ce rapport.

Le présent rapport s’attache dans une première partie à décrire et comprendre le modèle de développement des géants du numérique et ceci dans l’objectif de parvenir à une définition des plateformes numériques structurantes. Des caractéristiques communes indéniables peuvent être identifiées. Les effets de réseau, les économies d’échelle, le développement d’activités conglomérales ou le rôle central joué par les données sont autant de facteurs qui concourent à asseoir durablement des positions dominantes sur les marchés. Face à ce constat, il est aujourd’hui nécessaire de poser une définition des plateformes numériques structurantes, afin de donner au législateur des moyens d’actions ciblés et renouvelés.

La deuxième partie montre en quoi les paradigmes du droit de la concurrence ont été profondément bouleversés par le développement des plateformes numériques structurantes. Si les dernières années ont été marquées par un volontarisme certain des autorités compétentes pour sanctionner les comportements manifestement anticoncurrentiels, le cadre juridique actuel se heurte à de nombreuses limites. Les grilles d’analyse des autorités sont en partie obsolètes, les sanctions sont insuffisamment dissuasives, le temps du droit de la concurrence est trop lent face aux évolutions rapides qui caractérisent l’économie numérique. Des adaptations du droit de la concurrence sont certes nécessaires - et vos rapporteurs formulent plusieurs préconisations en ce sens - mais elles seront insuffisantes.

Cela fait désormais plusieurs décennies que nous comptons sur le seul droit de la concurrence pour remédier à cette situation de forte concentration des marchés. Il faut aujourd’hui tirer clairement le constat de l’insuffisance intrinsèque du droit existant : la concurrence ne se régule pas toujours d’elle‑même.

C’est pourquoi vos rapporteurs plaident dans une troisième partie en faveur de la création d’un nouveau droit de la régulation applicable aux plateformes structurantes. Il s’agit là d’établir un ensemble de règles spécifiques et de mettre en place un mécanisme de supervision des plateformes structurantes, afin d’agir en amont pour prévenir les atteintes au fonctionnement concurrentiel des marchés.

Dans une quatrième partie, vos rapporteurs détaillent les modalités de gouvernance de cette nouvelle régulation. Une autorité pilote doit être désignée comme régulateur au niveau national pour assurer cette supervision. La France doit être à l’avant-garde sur ces sujets majeurs et peut servir d’aiguillon aux évolutions à venir du droit européen.

Aller vers une régulation plus poussée des plateformes structurantes répond aujourd’hui à un double impératif économique et démocratique. C’est aussi une attente forte de la société civile. Les conclusions des états généraux du numérique, récemment rendues publiques, se prononcent en faveur d’une telle évolution. Comme le montre le travail en bonne intelligence de vos deux rapporteurs, ces enjeux de société dépassent largement les clivages partisans.

Dans les mois à venir, la question de la régulation des plateformes structurantes sera amenée à prendre une place centrale dans le débat public. C’est particulièrement le cas au niveau européen, dans le cadre des discussions autour du futur « Digital Services Act ». Les 21 propositions formulées dans ce rapport ont vocation à nourrir la réflexion actuelle à l’échelle nationale comme à l’échelle européenne sur la nécessité de mieux réguler les géants du numérique.

 

 


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   PremiÈre partie :
comprendre et définir Les plateformes numériques structurantes : des géants devenus incontournables

I.   Une tendance naturelle à la concentration des marchés autour de plateformes bénéficiant d’un pouvoir structurant et difficilement contestable

Le marché des plateformes numériques a connu une forte concentration autour dacteurs majeurs durant les deux dernières décennies, notamment ceux réunis sous lacronyme « GAFAM », pour Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft. En 2019, la capitalisation boursière de ces cinq entreprises a atteint 4 000 milliards de dollars, soit deux fois plus que celle de la totalité du CAC 40. Une dynamique de concentration similaire est à l’œuvre sur le marché asiatique avec notamment l’émergence des « BATX », pour Baidu, Alibaba, Tencent, et Xiami dont la croissance rapide est en passe d’en faire des leaders mondiaux. Cette observation contraste avec la situation européenne où de tels géants ne sont pas parvenus à se développer.

Sans nécessairement résumer les plateformes structurantes aux « GAFAM », vos rapporteurs ont souhaité porter une attention toute particulière à ces entreprises, qui concentrent un certain nombre de caractéristiques et de difficultés communes. En effet, si chacune de ces plateformes s’est développée selon un modèle propre, elles se caractérisent aujourd’hui toutes par des positions dominantes durablement acquises, du fait de traits communs liés à leur modèle de développement. Cet état de fait conduit à de profondes interrogations sur l’efficacité du droit de la concurrence.

A.   Des modèles d’affaires différents…

Avant d’évoquer leurs nombreux points communs, il convient d’abord de comprendre la spécificité des modèles d’affaires des plateformes structurantes, qui se sont développées chacune à leur manière, selon des modèles d’affaires distincts. Ainsi, alors que le modèle économique de Google et Facebook s’appuie sur la publicité, celui de Microsoft est centré sur la vente de licences logicielles, Apple tire quant à elle son succès de la vente de matériel informatique tandis que l’activité principale d’Amazon repose sur l’e‑commerce et les services de stockage dématérialisés « cloud » ([6]).

1.   Google

Fondée en 1995, Google est une entreprise dont l’activité historique se concentre autour d’un service de moteur de recherche d’informations sur internet. L’entreprise connaît un essor très rapide à partir des années 2000 puis parvient à construire une forte domination sur ce marché. Le rapport de la Commission européenne sur la politique de concurrence à l’ère digitale ([7]) – ou rapport « Crémer » –  indique ainsi que 64 % des recherches en ligne aux États-Unis sont réalisées via Google, ce chiffre atteignant 90 % en Europe.

Google a aussi atteint une position dominante importante sur le marché des systèmes d’exploitation de téléphones intelligents, ou smartphones. Ainsi, plus de 76 % des téléphones en fonctionnement au niveau mondial utilisent les solutions développées par Android, racheté par le groupe en 2005 ([8]). Le succès du logiciel d’exploitation développé par l’entreprise provient en partie de sa gratuité pour les constructeurs de téléphones portables.

La réussite commerciale de lentreprise ne sexplique pas seulement par la popularité de son moteur de recherche et des logiciels Android. Ces services, gratuits pour lutilisateur, ne créent pas directement de ressources pour lentreprise, qui base lessentiel de son chiffre daffaires sur des revenus publicitaires. La création de la régie publicitaire Adwords en 2000 permet à Google de devenir un acteur majeur du marché de la publicité en ligne en proposant des contenus ciblés à ses utilisateurs. Le moteur de recherche affiche des contenus personnalisés, calibrés en fonction des mots-clés inscrits par l’utilisateur dans la barre de recherche. Google valorise son système d’exploitation Android en incitant ses utilisateurs à se servir de son triptyque d’application Google Chrome, Google Search et Google Play avec lequel il perçoit des revenus publicitaires.

En 2015, l’entreprise rassemble l’ensemble de ses activités au sein du conglomérat Alphabet créé à cette fin. Au total, cette position dominante a permis à l’entreprise d’atteindre une des plus importantes valorisations boursières, avec 900 milliards de dollars au 4 mai 2020 ([9]). Les revenus dAlphabet proviennent essentiellement de ces différents systèmes dannonces publicitaires. Sur les 161 milliards de dollars de chiffre d’affaires de l’entreprise en 2019, 134 milliards – soit 83 % – provenaient des recettes publicitaires ([10]).

2.   Facebook

Facebook est un réseau social lancé en 2004, qui permet la mise en relation de différents individus par la constitution de réseaux d’« amis ». En 2009, Facebook devient le premier réseau social au monde en dépassant définitivement Myspace en nombre d’utilisateurs mensuels ([11]). L’entreprise s’est rapidement imposée comme le premier réseau social mondial comptabilisant plus de 2,6 milliards d’utilisateurs mensuels et en moyenne 1,73 milliard d’utilisateurs quotidiens ([12]). En 2019, avec des entreprises WhatsApp et Instagram, Facebook possédait près des trois quarts du marché des réseaux sociaux ([13]). Le groupe atteint une valorisation boursière de 576,3 milliards de dollars au 4 mai 2020 ([14]). En 2019, sur les 70,6 milliards de dollars de chiffre d’affaires enregistrés par la firme, 69,6 milliards (soit 98 %) provenaient de recettes publicitaires ([15]).

3.   Apple

Fondée en 1976 et spécialisée dans la vente de matériel informatique, l’entreprise se caractérise par l’intégration verticale de la conception logicielle et matérielle de ses produits. Apple s’est imposée comme l’un des principaux acteurs du marché de la téléphonie mobile à partir du lancement de l’iPhone en 2007. En 2019, le système d’exploitation d’Apple concerne un peu plus d’un smartphone en circulation sur cinq et 13,53 % des ordinateurs en fonctionnement dans le monde ont été commercialisés par l’entreprise. Au côté de Google et son système d’exploitation Android, Apple constitue donc le deuxième pilier du duopole caractéristique du marché des systèmes d’exploitation des téléphones portables.

La vente des différents produits de la compagnie (téléphones, ordinateurs et tablettes) représente lessentiel des revenus de lentreprise. Sur les 260 milliards de dollars de chiffre d’affaires, 213,8 milliards de dollars en étaient issus ([16]). Au 4 mai 2020, la valorisation boursière de l’entreprise s’élève à 1 253 milliards de dollars ([17]).

Contrairement à Google et Facebook, Apple ne mise pas sur les revenus publicitaires. Lors de son audition par la mission d’information, la compagnie a ainsi indiqué qu’à la différence de Facebook ou Google elle ne monétisait pas les données personnelles de ses utilisateurs : la collecte de données conduite par Apple devant servir uniquement à l’amélioration de ses propres produits.

4.   Amazon

Le modèle daffaires dAmazon sappuie principalement sur la vente en ligne. L’entreprise représente désormais plus de la moitié du marché du commerce en ligne dans de nombreux pays.

La plateforme dAmazon permet à lentreprise de vendre elle-même des produits, mais aussi à de nombreux vendeurs tiers daccéder à ses services de place de marché. Amazon rapporte ainsi que 80 % des biens vendus sur son site le sont par des vendeurs tiers et le volume de vente généré par ces acteurs augmente deux fois plus vite que celui de l’entreprise ([18]). Ces vendeurs tiers doivent, afin de pouvoir utiliser les services Amazon, s’acquitter d’une mensualité de 39,99 euros, et d’une commission pour chaque article vendu (0,99 euro et un pourcentage variable du prix de vente) ([19]) . Les états financiers de l’entreprise détaillent la répartition de son chiffre d’affaires entre la vente de produits (160,4 milliards de dollars) et la vente de services (120 milliards de dollars) ([20]). La valorisation boursière de l’entreprise s’élevait à 1 140 milliards de dollars au 4 mai 2020.

Amazon soutient que son modèle est largement distinct de celui des autres « GAFAM » et se rapproche plus de celui de la grande distribution. Les revenus publicitaires ou provenant de la vente de matériel (Kindle ou Alexa) d’Amazon ne représentent en effet qu’une très faible part des revenus totaux de l’entreprise. Les marges de la plateforme sont beaucoup plus réduites que celles des autres GAFAM ([21]) et se rapprocheraient de celles observées dans la grande distribution, aux alentours de 4 % ([22]).

5.   Microsoft

Fondée en 1975, Microsoft est une entreprise spécialisée dans la vente de logiciels. En 2019, le logiciel d’exploitation commercialisé par l’entreprise « Windows 10 » est actif sur plus de 900 millions d’appareils électroniques (soit 78,43 % du marché)  ([23]). À la différence d’Apple ou Google, les logiciels développés par Microsoft sont payants. Les ventes de matériel et la publicité ne représentent qu’une petite partie de ses revenus. Ce modèle économique permet à l’entreprise de réaliser un chiffre d’affaires annuel de 125,8 milliards de dollars pour un profit net de 39,2 milliards de dollars. Sa valorisation boursière atteint 1 324 milliards de dollars au 4 mai 2020 ([24]).

En 2010 Microsoft développe une solution de stockage en ligne « Azure ». En 2019, l’entreprise est le deuxième acteur le plus important de ce marché derrière Amazon ; cette activité lui permet de générer un chiffre d’affaires de 38 milliards de dollars et une marge d’exploitation de 63 % ([25]).

Tableau récapitulatif sur les modèles d’affaires des « GAFAM »

Nom de l’entreprise

Modèle économique principal

Chiffre d’affaires (2019) (en Mds$)

Capitalisation
(2020) (en Mds$)

Google

Publicité

161,0

900,0

Amazon

Vente en ligne

280,4

1 140,0

Facebook

Publicité

70,6

576,3

Apple

Matériel informatique

213,8

1 253,0

Microsoft

Logiciel

125,8

1 324,0

B.   … Mais des caractéristiques communes indéniables qui favorisent la domination des marchés par quelques acteurs devenus incontournables

Le succès de ces entreprises s’explique en grande partie par des caractéristiques communes qui favorisent l’émergence de positions dominantes.

1.   Les plateformes numériques bénéficient d’économies d’échelle importantes et de rendements croissants

Les économies d’échelle caractérisent une situation dans laquelle le coût marginal de production d’un bien ou d’un service est inférieur à son coût moyen, de sorte que toute augmentation du volume de production conduit à une diminution du coût unitaire du bien. En raison de la loi économique des rendements décroissants, la science économique considère que, dans le cas général, au-delà d’un certain seuil, l’augmentation de la production est associée à une augmentation du coût de production unitaire du bien, il y a alors « déséconomies » d’échelle ([26]).

Or, léconomie numérique est caractérisée par des économies déchelle extrêmement importantes, qui favorisent les rendements croissants. Si l’on exclut les coûts d’acquisition des utilisateurs, une fois l’infrastructure développée, le coût nécessaire à la délivrance d’une unité de service supplémentaire, par exemple, une recherche supplémentaire ou la vente d’une copie d’un logiciel supplémentaire, tend vers zéro ([27]). Cette situation est propice à la formation de monopoles naturels.

En raison du coût marginal nul de leurs services, les plateformes peuvent bénéficier d’une forte croissance sans nécessiter de lourds investissements supplémentaires. Alors que les entreprises connaissent traditionnellement une expansion graduelle, débutant à l’échelle locale avant de s’internationaliser, les plateformes numériques sont en capacité d’atteindre une position de domination sur leur marché qui devient difficilement contestable. Le rapport du centre Stigler ([28]) illustre l’effet de cette caractéristique sur la dynamique de développement des plateformes. Ainsi, en moins de 5 ans, Facebook a pu évoluer d’une plateforme de seulement 1 million d’utilisateurs en 2004 au plus grand réseau social du monde avec de 350 millions d’utilisateurs en 2009.

Les économies déchelle constituent une barrière à lentrée pour déventuels concurrents. Les nouveaux acteurs produiront leurs services pour un coût supérieur à celui de la plateforme dominante tant qu’ils n’auront pas atteint la masse critique nécessaire pour dégager des économies d’échelles suffisantes. Cette tendance renforce le pouvoir de marché des plateformes déjà implantées.

2.   L’économie numérique s’articule autour d’effets de réseau et de marchés multifaces

Les effets de réseau désignent les externalités positives que génèrent les utilisateurs dun service pour les autres utilisateurs et le fonctionnement du réseau dans son ensemble. Pour les biens et services dont la fonction est de faciliter la mise en relation d’individus, comme pour Facebook, Google ou Amazon, la valeur du réseau est proportionnelle au nombre de ses utilisateurs. En résumé, plus le réseau est grand, plus la qualité du service saméliore. Ces effets constituent une caractéristique inhérente à de nombreuses plateformes numériques, comme cela a été régulièrement rappelé au cours des auditions menées par vos rapporteurs.

Les effets de réseau directs et indirects

Les effets de réseau directs jouent un rôle clé pour les réseaux sociaux comme Facebook : l’utilité de la plateforme dépendra de la capacité pour les utilisateurs de retrouver les personnes avec qui ils souhaitent se connecter et donc directement de la proportion de ses utilisateurs dans la population. Cet effet crée une tendance naturelle au renforcement des positions dominantes. Les individus choisissent le réseau composé du plus grand nombre d’utilisateurs dont ils attendent une plus grande utilité entraînant une accélération de la concentration autour de ce service.

Les effets de réseau ne sont pas toujours directs et peuvent aussi bénéficier, dans certaines circonstances, à d’autres acteurs que les utilisateurs de la plateforme. Les effets de réseau indirects ou effets de réseau croisés apparaissent sur les plateformes d’intermédiations mettant en relation plusieurs types d’agents interdépendants, par exemple les utilisateurs d’un moteur de recherche et les annonceurs. L’utilité de la plateforme pour un type d’agents peut alors augmenter en fonction du nombre d’utilisateurs de l’autre type. Cette caractéristique a permis l’émergence de « marchés bifaces ».

Les marchés bifaces, définis par les économistes Jean-Charles Rochet et Jean Tirole ([29]), décrivent les situations dans lesquelles les plateformes jouent le rôle dintermédiation entre deux marchés. Certains marchés, dits « multifaces » peuvent avoir plus de deux faces. L’existence d’effets de réseau indirects entre les marchés peut inciter la plateforme à utiliser les revenus obtenus sur l’une des faces pour « subventionner » le service proposé sur l’autre face. Ainsi, Google subventionne jusquà la gratuité les coûteuses infrastructures de son moteur de recherche pour augmenter le nombre de ses utilisateurs. Cette stratégie lui permet de générer des revenus plus importants sur la face publicitaire de son marché, qui servent en retour à financer la gratuité du moteur de recherche.

3.   Les économies de gamme permettent aux plateformes de se développer facilement sur des marchés connexes

Les économies de gamme apparaissent lorsqu’à coût fixe constant, une entreprise est capable de décliner son offre en une grande diversité de biens et services. Les plateformes numériques bénéficient déconomies de gamme importantes et sont capables de moduler et de personnaliser leur offre, sans être contraintes de modifier leurs infrastructures numériques de collecte et de traitement de données ([30]).

Les plateformes numériques ont la possibilité daugmenter leur activité sur un secteur où elles possèdent un pouvoir de marché faible, en sappuyant sur le pouvoir de marché quelles détiennent sur leur marché principal. Cet effet levier s’observe par exemple lorsqu’Apple s’introduit sur le marché de l’écoute musicale en ligne en s’appuyant sur la popularité de ses smartphones, où lorsque Facebook utilise son réseau social pour lancer une place de marché en ligne. Il est plus facile de pénétrer de nouveaux marchés pour les plateformes proposant déjà une grande diversité de services. Cette tendance donne lieu à des effets congloméraux d’ampleur et renforce la concentration de l’activité autour des entreprises déjà établies.

4.   L’accès aux données renforce l’avantage concurrentiel des plateformes

La croissance du nombre dutilisateurs augmente la quantité et la qualité des données quune plateforme peut recueillir. Cela lui permet d’améliorer la qualité de ses services. C’est le cas notamment lorsque les services rendus par la plateforme s’appuient sur des algorithmes d’apprentissage automatique (dit machine learning) dont la qualité dépend directement du nombre de données disponibles. Un plus grand nombre d’utilisateurs permet par ailleurs à la plateforme d’affiner le ciblage des contenus et ainsi de proposer un service plus attractif aux annonceurs.

Les données peuvent être considérées comme le prix d’accès à des plateformes souvent gratuites. Les stratégies conglomérales des plateformes ne sont possibles que par la détention massive de données sur les pratiques des consommateurs utilisateurs. La détention et le traitement des données constitue bien l’avantage comparatif indéniable des plateformes structurantes. Plus ces dernières déploient des stratégies conglomérales, plus la collecte de données est importante.

Typologie des données

Les différentes données collectées et traitées par les plateformes peuvent être distinguées selon la typologie suivante :

– les données communiquées par les utilisateurs eux˗mêmes, par exemple, lors de l’inscription sur une plateforme de réseau social ou lors du partage de contenus sur la plateforme ;

– les données issues de cette activité mais enrichies par la plateforme, via un retraitement statistique et algorithmique ;

– les données obtenues par la plateforme non du fait de l’activité des consommateurs sur la plateforme en question, mais du fait de leur activité ailleurs sur le réseau internet, par exemple, grâce aux cookies ([31])  installés par tel moteur de recherche ou site de vente en ligne et acceptés par les personnes naviguant sur le réseau internet.

5.   Les plateformes numériques s’appuient sur des stratégies de verrouillage

Les effets de verrouillage des écosystèmes apparaissent lorsque le coût du changement dune plateforme pour une autre devient important pour lutilisateur. Ces coûts comprennent à la fois celui supporté par le consommateur pour changer de plateforme et les coûts nécessaires à la plateforme concurrente pour rendre son offre accessible aux nouveaux clients.

Les effets de verrouillage ne sont pas propres à l’économie numérique mais sont fortement renforcés lorsque les services principaux délivrés par les plateformes sont proposés avec des services complémentaires. Les logiques décosystèmes, développées par les plateformes viennent donc accroître la tendance au verrouillage des utilisateurs dans le marché numérique ([32]).

6.   Les plateformes numériques jouent un rôle de « gatekeeper » sur le marché

L’existence de marchés bifaces permet aux plateformes de jouer un rôle de verrou d’accès, dit de « gatekeeper », sur le marché. Elles contrôlent en effet laccès aux utilisateurs et fixent les règles de transmission de linformation entre eux. Cette situation apparaît donc lorsque la plateforme apparaît si importante dans son rôle de « gatekeeper » qu’elle en devient incontournable pour tout autre acteur désirant accéder au marché ([33]). À titre d’exemple, Facebook et Google contrôlent l’accès à l’essentiel de l’audience mondiale pour les annonceurs. Ils sont donc des « gatekeeper » pour le marché publicitaire.

7.   Les plateformes mettent en place des stratégies agressives d’expansion de leur activité

La position dominante des plateformes structurantes est accentuée par le déploiement de stratégies délibérées et agressives pour accroître leur pouvoir de marché. Certaines plateformes mettent en place une méthode consistant à réaliser peu de bénéfices en phase de croissance afin d’asseoir rapidement une position dominante. La stratégie de croissance de Facebook illustre cette dynamique. L’entreprise n’a produit aucun bénéfice pendant les cinq premières années suivant son lancement. Elle a proposé pendant plusieurs années un contenu épuré de toute publicité et ce n’est qu’après avoir définitivement acquis une position dominante sur le marché des réseaux sociaux en 2009, que la plateforme a cherché à valoriser son service. Elle a alors pu proposer des contenus publicitaires sans risquer de perdre ses utilisateurs ([34]).

Amazon a poussé cette logique d’expansion de l’activité à perte. Pour parvenir à conquérir de nouvelles parts de marché, Amazon a adopté une politique de prix agressive, quitte à sacrifier ses marges d’exploitation et à limiter ses profits. À l’exclusion de ses activités de stockage dématérialisé, les bénéfices d’Amazon sont extrêmement faibles au regard de son chiffre d’affaires. Sur ses activités de vente en ligne, la plateforme ne parvient à dégager qu’une marge limitée sur le marché américain et enregistre des pertes à l’échelle mondiale ([35]). Entre 2013 et 2016, sur l’ensemble de ses activités, Amazon affiche des pertes près d’un trimestre sur deux.

Les stratégies de compétition par les prix sont courantes mais il est extrêmement rare de voir une entreprise la maintenir sur une aussi longue durée et a une échelle aussi importante. Cette spécificité a été rendue possible par le soutien quasi illimité des investisseurs de la plateforme qui ont continué à financer son activité malgré sa faible profitabilité. Entre son introduction en bourse en 1997 et 2020, la valeur des actions d’Amazon a été multipliée par près de 1 350 ([36]). Cette stratégie a été assumée dès le début par son fondateur Jeff Bezos.

Pour consolider sa position dominante sur le marché du e-commerce, Amazon a aussi accepté des pertes sur un ensemble de services connexes lui permettant d’augmenter son volume de vente. Le service Amazon Prime, qui offre au client, en échange d’un abonnement, la livraison gratuite de ses commandes sur le site ainsi qu’une gamme services incluant des contenus vidéos en ligne, a longtemps été fourni à perte par Amazon afin d’augmenter agressivement son volume de vente et de fidéliser ses clients.

En résumé, la combinaison de ces effets rend difficile la contestation des marchés une fois la domination acquise. Les marchés numériques sont donc généralement caractérisés par la concentration de l’activité autour d’une plateforme emportant une très grande partie du marché de long terme. Cette dynamique s’apparente à une logique de « winner takes all » ou de « winner takes most », où la quasi‑totalité des gains sont concentrés entre les mêmes mains.

II.   Définir les plateformes numériques structurantes, un préalable essentiel

En l’état actuel, si le droit existant permet d’apporter des éléments de définition des plateformes numériques, les plateformes numériques « structurantes » ne sont pas définies juridiquement, ce qui limite très largement la possibilité de leur imposer des règles particulières.

Au regard de leurs caractéristiques communes précédemment décrites et des difficultés que cela pose au regard des grands principes de la concurrence, vos rapporteurs estiment nécessaire qu’un travail de définition soit mené afin de définir les plateformes structurantes.

A.   Le droit existant ne permet pas de Définir juridiquement les plateformes numériques structurantes

1.   En France, le législateur a introduit une définition horizontale des plateformes numériques

Le droit français ne prévoit pas de définition des plateformes numériques structurantes. En revanche, le législateur est intervenu afin de poser une définition des plateformes numériques, dans l’objectif d’imposer à ces dernières des règles particulières en matière de loyauté et de transparence à l’égard des consommateurs. Ainsi, à l’occasion de la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique, une définition a été introduite à l’article L. 111-7 du code de la consommation selon laquelle les opérateurs de plateformes en ligne font référence à : « toute personne physique ou morale proposant, à titre professionnel, de manière rémunérée ou non, un service de communication au public en ligne reposant sur :

« Le classement ou le référencement, au moyen dalgorithmes informatiques, de contenus, de biens ou de services proposés ou mis en ligne par des tiers ;

« 2° Ou la mise en relation de plusieurs parties en vue de la vente dun bien, de la fourniture dun service ou de léchange ou du partage dun contenu, dun bien ou dun service ».

La définition française des plateformes numériques permet donc dintégrer à la fois les plateformes proposant des activités de référencement et celles proposant des activités dintermédiation. Cette définition s’accompagne d’obligations de transparence et de loyauté vis-à-vis des utilisateurs. Les opérateurs de plateformes en lignes doivent « délivrer au consommateur une information loyale, claire et transparente » concernant le fonctionnement du service d’intermédiation proposé et les facteurs influençant le référencement et le classement ([37]). Cette définition a pour avantage de permettre la prise en compte d’un grand nombre d’acteurs, tel que les moteurs de recherche, les comparateurs de prix et les places de marché. Elle présente donc une utilité certaine pour imposer des contraintes identiques à l’ensemble des plateformes numériques.

Toutefois, cette définition ne permet pas, et na dailleurs pas pour objet, dappréhender les plateformes numériques structurantes dans leur spécificité.

2.   Le droit européen a apporté des éléments de définition des plateformes numériques qui restent partiels et horizontaux

Le droit européen prévoit une définition des services d’intermédiation en ligne, donnée par le règlement (UE) 2019/1150 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 promouvant l’équité et la transparence pour les entreprises utilisatrices de services d’intermédiation en ligne, dit règlement « platform to business ». En vertu de l’article 2 dudit règlement, les services d’intermédiations en ligne sont les services qui répondent aux trois critères suivants :

– ils constituent des services de la société́ de linformation ([38]), tels que définis par le droit de l’Union européenne ;

– ils permettent aux entreprises utilisatrices doffrir des biens ou services aux consommateurs, en vue de faciliter l’engagement de transactions directes entre ces entreprises utilisatrices et des consommateurs, que ces transactions soient ou non finalement conclues ;

– ils sont fournis aux entreprises utilisatrices sur la base de relations contractuelles entre le fournisseur de ces services et les entreprises utilisatrices qui offrent des biens ou services aux consommateurs ;

Cette définition communautaire permet d’inclure les plateformes numériques dont l’activité concerne la mise en relation d’utilisateurs professionnels et des consommateurs. Cest donc une définition qui nest que partielle et qui nopère du reste pas de distinction entre les plateformes selon leur taille et leur influence sur le marché.

Par ailleurs, le droit européen apporte des définitions sectorielles pour certaines plateformes numériques, afin de leur imposer des contraintes liées à leur secteur d’activité. La nouvelle directive, dite « services de médias audiovisuels ([39]) », instaure un régime de responsabilité nouveau pour les plateformes de diffusion gratuite de contenu (dont Facebook, Twitter, YouTube), afin de mieux protéger les droits d’auteur et les droits voisins. Les articles 16 et 17 du projet de loi dit « audiovisuel » ([40]) prévoient la transposition de ce régime en droit interne en introduisant de nouvelles dispositions dans le code de la propriété intellectuelle visant les fournisseurs de diffusion de contenus gratuits. Mais là encore, cette définition n’est que partielle et n’a pas vocation à désigner spécifiquement les plateformes qui jouent un rôle particulièrement important sur le marché.

3.   À travers des critères de taille et d’audience, le législateur impose au cas par cas des obligations de façon asymétrique et disparate

Le droit prévoit de façon éparse des critères permettant d’identifier les plateformes numériques atteignant une certaine taille afin de leur imposer des contraintes spécifiques. Il est notamment possible de relever dans la législation les dispositions suivantes :

– dans le cadre de la protection des consommateurs, l’article L. 111-7-1 du code de la consommation impose aux plateformes dont le nombre de visiteurs mensuels dépasse les 5 millions, l’obligation de publier des guides de bonnes pratiques en matière de transparence de l’information communiquée aux consommateurs ;

– en matière fiscale, le législateur a voté une taxe spécifique visant certains géants du numérique. Ainsi, la taxe instituée par la loi  2019-759 du 24 juillet 2019 portant création dune taxe sur les services numériques et modification de la trajectoire de baisse de limpôt sur les sociétés ne s’applique qu’aux services numériques pour lesquels les données des utilisateurs sont le plus fortement mises à contribution dans la création de valeur. Elle vise expressément les activités de publicité ciblée, de vente de données en ligne et de services d’intermédiation entre internautes. Seules doivent être concernées les entreprises dont le chiffre d’affaires tiré des activités précédemment mentionnées est supérieur à 750 millions d’euros au niveau mondial, et à 25 millions d’euros à l’échelle de la France ;

– dans le champ de la politique publique de lutte contre la haine en ligne, la proposition de loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet ([41]) prévoit aussi des obligations visant de façon ciblée les plateformes numériques les plus importantes. Le II de l’article 1er instaure un nouveau régime de régulation administrative des opérateurs de plateformes à fort trafic, définis par référence à un seuil de connexion mensuel sur le territoire français qui doit être précisé par décret.

4.   Un vide juridique : l’absence de définition des plateformes numériques structurantes

Les définitions existantes des plateformes numériques ne permettent pas de saisir la spécificité des plateformes numériques structurantes. La définition légale française a une vocation essentiellement horizontale et ne différencie pas les plateformes selon l’importance qu’elles ont sur un marché. La définition européenne des services d’intermédiation en ligne a également une portée horizontale et ne vise que certaines plateformes numériques puisqu’elles concernent les relations dites « business to business ». Les autres définitions qui peuvent exister dans le droit ne concernent qu’une partie des plateformes numériques, selon des caractéristiques propres à leur secteur d’activité.

Si des critères existent de façon éparse dans différentes branches du droit pour imposer des mesures spécifiques aux plateformes les plus importantes, ils sont loin d’être suffisants pour caractériser une plateforme structurante et souffrent d’un manque d’harmonisation.

En outre, ces définitions concernent uniquement les services en ligne et ne permettent donc pas de soumettre les systèmes d’exploitation à des obligations particulières, alors que ceux-ci posent des difficultés particulièrement marquées au regard de la concurrence notamment du fait de l’existence du duopole exercé pour ce qui concerne les smartphones par Google (Android) et Apple (IOS).

B.   QUELLE Définition pour les plateformes numériques structurantes ?

Vos rapporteurs estiment nécessaire que soit posée une définition des plateformes numériques structurantes, afin de pouvoir leur appliquer une réglementation spécifique. L’objectif de cette définition est de cibler un nombre restreint d’acteurs incontournables afin de leur imposer des règles et une supervision spécifique, étant entendu que ces contraintes n’ont pas à s’appliquer à des acteurs de petite taille qui pourraient pâtir d’obligations disproportionnées.

1.   Des critères d’identification consensuels

Les travaux sur les plateformes structurantes apparaissent suffisamment nombreux pour dégager des critères de définition pertinents. Les autorités indépendantes comme l’Autorité de la concurrence et l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) ainsi que la direction générale du Trésor proposent des méthodes d’identifications complémentaires. Celles-ci reposent sur les caractéristiques développées dans la première partie du présent rapport.

a.   Les critères proposés par l’Autorité de la concurrence

Pour l’Autorité de la concurrence, les critères permettant d’identifier ces acteurs pourraient être les suivants : « laccès aux données nécessaires pour entrer et/ou se développer sur le marché, lexistence dune position dominante sur un ou plusieurs marchés voisins, lintégration verticale et lactivité sur des marchés voisins, la capacité financière, laccès aux ressources financières, lexistence deffets de réseau massifs, lexistence de marchés multi-faces, le degré de portabilité et dinteropérabilité des données, la capacité de lopérateur à définir lui-même les règles du marché ou son aptitude à placer le régulateur en forte position dasymétrie dinformation ([42]) ».

b.   Les critères proposés par la direction générale du Trésor

La direction générale du Trésor identifie trois grandes catégories d’indices qui devraient permettre d’identifier une plateforme structurante :

– lexercice dune position dominante et durable sur le marché européen. La direction générale du Trésor propose à cet effet d’analyser plusieurs critères quantitatifs et qualitatifs, tels que l’existence d’effets de réseau substantiels, l’importance des économies d’échelle, le nombre de plateformes utilisées par les clients et les possibilités de différenciation entre acteurs. La direction souligne que des critères de taille sous la forme de seuils ou d’audience pourraient être mobilisés ;

– un pouvoir de marché significatif sur des utilisateurs dépendants. Plusieurs indicateurs pourraient être convoqués à la fois du côté de l’utilisateur professionnel et du consommateur. Il peut s’agir de l’analyse des coûts de migration pour les utilisateurs ; notamment au regard des capacités de verrouillage par la plateforme ; de l’existence de possibilités de substitution ou de contournement de la plateforme et du degré́ de vulnérabilité́ des utilisateurs au fonctionnement et aux algorithmes de la plateforme ;

– des stratégies dexpansion au-delà̀ du marché́ de la plateforme, pouvant constituer une menace pour linnovation. Des paramètres tels que l’accès quasi-exclusif à des données stratégiques pour la concurrence ou l’innovation, l’expansion conglomérale, la proposition de services bénéficiant de la puissance de la plateforme ou encore la fourniture de services liés au sein d’un écosystème, pourraient à ce titre être pris en considération.

c.   Les critères proposés par l’ARCEP

L’ARCEP distingue des critères principaux et secondaires. Les critères principaux sont au nombre de trois :

– la plateforme est incontournable : elle agit comme un « goulet d’étranglement » et provoque des mécanismes de dépendance économique ;

– elle concentre une masse dutilisateurs substantielle ;

– elle est intégrée à un écosystème plus large qui permet de faire usage deffets de levier.

Les indices secondaires proposés par l’ARCEP sont les suivants :

– la plateforme constitue la porte dentrée incontournable dans laccès à un ensemble de contenus numériques, via la mise en place d’un ou de plusieurs algorithmes visant à classer ou référencer l’information présentée à l’utilisateur parmi un grand nombre de contenus ;

– la plateforme dispose dun accès aux données en quantité et en qualité. Il s’agit à la fois des données transmises par l’utilisateur et les données d’usage générées par les plateformes elles-mêmes.

– Dans le cas où une régie publicitaire est associée à la plateforme, les parts de marché de la plateforme au sein du marché́ publicitaire sont importantes ;

– la valorisation financière de l’entreprise propriétaire de la plateforme atteint un niveau important.

2.   Identifier et définir les plateformes numériques structurantes à travers la méthode du faisceau d’indices

Vos rapporteurs notent que ces critères se recoupent largement et considèrent qu’ils sont suffisamment précis pour permettre l’élaboration d’une grille d’analyse fine, au service d’une identification ciblée des plateformes numériques structurantes. L’identification des plateformes structurantes pourrait s’appuyer sur la méthode du faisceau d’indices à partir des éléments précités.

Dans cette perspective, il conviendrait de préciser le caractère cumulatif ou alternatif des critères proposés et de fixer un seuil de critères au-delà duquel une plateforme aurait toutes les raisons d’être considérée comme structurante.

Vos rapporteurs estiment qu’il revient au législateur de poser les grands principes de cette définition, puis aux autorités compétentes d’établir une liste nominative des plateformes concernées, à partir des critères précédemment évoqués. Les critères permettant d’établir cette liste mériteraient d’être précisés dans un document formel tel que des lignes directrices, établies en concertation avec les différentes parties prenantes. Cette liste pourrait être soumise à des clauses de réexamen régulières afin d’être adaptée au fil des évolutions rapides propres aux plateformes numériques structurantes.

Proposition n° 1 : Établir une grille d’analyse fixant les principaux critères d’identification des plateformes numériques structurantes. À partir de cette grille, élaborer une liste des plateformes numériques structurantes dans l’objectif de pouvoir leur appliquer des mesures de régulation spécifique.

Les dernières années ont donc été marquées par un développement sans précédent des plateformes numériques qui jouent un rôle de plus en plus structurant à l’échelle des marchés et de la société. La question de la régulation de ces plateformes constitue un enjeu de taille pour les pouvoirs publics. Le rôle des données, les effets de réseau, les stratégies de développement conglomérales sont autant de caractéristiques inhérentes à ces plateformes, qui posent des défis nouveaux au droit de la concurrence. Ce dernier peut-il y répondre seul ou faut-il inventer de nouveaux outils de régulation ?

 

 


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   DEUXIÈME PARTIE :
le droit de la concurrence ne peut répondre seul aux nombreux défis posés par le développement des plateformes structurantes

I.   Le droit de la concurrence bouleversé par le développement des plateformes structurantes

Si les comportements anti concurrentiels des plateformes structurantes sont déjà en partie appréhendés dans le cadre existant du droit de la concurrence, celui-ci ne permet pas de répondre de manière entièrement satisfaisante aux nouveaux défis concurrentiels posés par ces plateformes.

A.   Le droit de la concurrence permet de sanctionner et de contrôler une partie des comportements anticoncurrentiels des plateformes structurantes

Défini par les textes européens pour son application à l’échelle européenne et dans le code de commerce pour son application à l’échelle nationale, le droit de la concurrence permet de sanctionner les ententes, les abus de position dominante et de contrôler les opérations de concentration de l’ensemble des acteurs économiques. En France, le droit des pratiques restrictives, ou « petit droit de la concurrence » permet également de sanctionner des pratiques relevant des déséquilibres significatifs. Les comportements anticoncurrentiels des plateformes structurantes numériques qui entrent dans ce champ peuvent donc dores et déjà être sanctionnés et contrôlés dans le cadre du droit commun.

Alors que les autorités compétentes ont pu paraître dans un premier temps passives, les dernières années ont été marquées par un volontarisme fort pour contrer les risques nouveaux liés aux plateformes structurantes. Au niveau de la Commission européenne ([43]), plusieurs décisions emblématiques ont ainsi été rendues en matière d’abus de position dominante. En France, le « petit droit de la concurrence » a également permis des avancées notables qu’il convient de saluer.

1.   Des abus de position dominante commis par les plateformes structurantes nombreux et sanctionnés par la Commission européenne

À travers labus de position dominante, tel que prévu à larticle 102 du traité sur le fonctionnement de lUnion européenne (TFUE), la Commission européenne est parvenue à appréhender un certain nombre de comportements problématiques des grandes plateformes, via labus dexploitation et labus déviction ([44]).

L’abus de position dominante a permis de sanctionner des pratiques consistant pour une plateforme numérique à mettre en avant ses propres services au détriment de ceux offerts par des entreprises concurrentes, pour autant que la position dominante de la plateforme à l’origine de ce comportement puisse être démontrée. La décision rendue par la Commission européenne en 2004 concernant l’entreprise Microsoft est l’une des premières décisions emblématiques en la matière. La Commission avait alors infligé une sanction de 497 millions d’euros à Microsoft pour avoir lié la vente de son lecteur Windows Media Player (WMP) avec son système d’exploitation Windows.

Des affaires plus récentes ont montré le volontarisme de la Commission européenne pour sanctionner les abus. En particulier, au travers de l’infraction d’abus de position dominante, la Commission européenne a infligé de lourdes sanctions à Google, pour un montant total atteignant 8,25 milliards d’euros.

En 2017, la Commission a sanctionné Google dune amende de 2,42 milliards deuros, pour abus de position dominante sur le marché des moteurs de recherche en favorisant son propre service de comparateur de prix. Selon l’enquête menée par la Commission, Google a accordé une position de premier plan dans ses résultats de recherches à son propre service de comparaison de prix, tout en rétrogradant les services de ses rivaux. La sanction a été assortie d’une injonction de mettre fin à ces pratiques dans les 90 jours, sous peine d’astreintes pouvant atteindre 5 % du chiffre d’affaires moyen quotidien. Comme l’avait alors commenté la commissaire Margrethe Vestager : « Ce que Google a fait est illégal au regard des règles de concurrence de lUE. Elle a empêché les autres sociétés de livrer concurrence sur la base de leurs mérites et dinnover. Et surtout, elle a empêché les consommateurs européens de bénéficier dun réel choix de services et de tirer pleinement profit de linnovation » ([45]).

En 2018, Google a été une nouvelle fois condamnée par la Commission à une amende de 4,34 milliards deuros dans le cadre de laffaire Google Android, pour avoir abusé de sa position dominante sur les systèmes dexploitation mobile, dans le but de favoriser son application de recherche Google Search et son navigateur Google Chrome. Google a imposé à compter de 2011 des restrictions illégales aux fabricants d’appareils Android et aux opérateurs de réseaux mobiles, afin de consolider sa position dominante sur le marché de la recherche générale sur l’internet. Plus particulièrement, trois types de pratiques illégales ont été mises en cause :

– premièrement, Google a exigé des fabricants la préinstallation de lapplication Google Search et du navigateur Google Chrome comme condition à l’octroi de la licence pour Play store (le magasin d’application en ligne de Google) ;

– deuxièmement, Google a, entre 2011 et 2014 ([46]), incité financièrement certains fabricants et opérateurs de réseau mobile à la préinstallation exclusive de Google search sur leurs appareils ;

– enfin, Google a illégalement imposé des engagements aux fabricants les obligeant à ne pas vendre d’appareils fonctionnant sous des systèmes d’exploitation dits fork Android ([47]) comme condition pour pouvoir préinstaller des applications propriétaires de Google prisées par les consommateurs.

Google a été condamné une troisième fois en 2019 par la Commission européenne dans le cadre de laffaire Google AdSense, pour abus de position dominante à travers la régie publicitaire AdSense. La Commission a prononcé une sanction financière de 1,49 milliard deuros. L’enquête de la Commission montre que Google a abusé de sa position dominante sur le marché de la publicité en ligne ([48]) en imposant des clauses restrictives dans les contrats passés avec des sites web tiers. Ainsi, à partir de 2006, des clauses d’exclusivité ont été introduites. Celles-ci ont été remplacées à partir de 2009 par des clauses « d’exclusivité assouplie », contraignant les éditeurs à réserver l’espace le plus rentable sur leurs pages de résultats de recherche aux publicités de Google et exigeant un nombre minimal de publicités de Google sur ces pages. À partir de 2009, Google a également introduit des clauses prévoyant l’obligation de disposer d’un accord écrit de Google avant de pouvoir modifier les conditions d’affichage des publicités émises par des régies concurrentes. Ces pratiques ont pris fin quelques mois après la communication des griefs adressée par la Commission européenne en juillet 2016.

Les pratiques des plateformes structurantes continuent de faire lobjet dune attention particulière de la part des services compétents de la Commission européenne.

En 2019, la Commission a été saisie d’une plainte du site de streaming musical Spotify qui accuse Apple de discriminer son application sur l’App Store au profit de son propre service de streaming musical, Apple Music.

La Commission étudie également les risques que font porter sur la concurrence le service Apple Pay. Apple réserve en effet l’utilisation de ses moyens techniques ([49]) à Apple Pay, contrairement à Google dont le système d’exploitation permet l’installation de plusieurs applications de paiement en ligne sur les smartphones Android dont les concurrents du service Apple Pay : Samsung Pay et Google Pay.

La Commission européenne a par ailleurs annoncé avoir ouvert une procédure formelle dexamen afin de déterminer si lutilisation, par Amazon, de données sensibles provenant de détaillants indépendants enfreint les règles européennes en matière de concurrence. La Commission souhaite examiner le double rôle dAmazon comme place de marché et détaillant, afin de vérifier que lentreprise respecte bien les règles de concurrence. Les critères permettant dêtre sélectionnés dans la « buy box » ([50]) devraient faire lobjet dun examen particulièrement attentif.

2.   En France, le « petit droit de la concurrence » permet également de sanctionner des pratiques abusives et anticoncurrentielles des plateformes numériques structurantes

Au niveau national, des avancées importantes ont été actées grâce au « petit droit de la concurrence », c’est-à-dire les règles relatives à l’encadrement des relations commerciales et à l’interdiction des pratiques restrictives de concurrence telles que prévues par l’article L. 442-1 du code de commerce ([51]). Celles-ci autorisent le ministre de l’économie et des finances, en tant que garant de l’ordre public économique, à assigner une entreprise devant le tribunal de commerce afin de faire sanctionner par le juge les pratiques ou clauses contractuelles portant atteinte à la loyauté des relations commerciales. Le ministre peut assortir cette saisine de demandes de sanction, qui peuvent atteindre des niveaux élevés ([52]). Les sanctions prévues en cas de pratiques commerciales restrictives sont infligées non pas par les autorités de concurrence mais par les tribunaux judiciaires. Ces sanctions n’imposent donc pas de contraintes de définition de marché ni de démonstration d’une position dominante qui peuvent poser un certain nombre de difficultés lorsqu’il s’agit des plateformes structurantes.

C’est dans ce cadre que le juge a pu sanctionner certaines pratiques problématiques des plateformes structurantes. Ainsi, deux agences de voyages en ligne (Booking en 2016 et Expedia en 2017) ont été condamnées à des amendes pour déséquilibre significatif dans leurs relations avec les hôteliers.

Linterdiction des clauses de parité tarifaire

Au côté du juge, l’Autorité de la concurrence a également eu à connaître des clauses de parité tarifaire. Dans une décision rendue en 2015, l’Autorité a constaté que ces clauses réduisaient la concurrence entre les plateformes, établissaient une barrière à l’entrée pour de nouvelles plateformes et réduisaient la liberté des offreurs d’hébergement touristique dans la fixation des prix. À la suite de ce constat, et dans le cadre d’une procédure commune avec les autorités italienne et suédoise, elle a rendu obligatoire les engagements proposés par Booking, prévoyant notamment l’interdiction des clauses de parité tarifaire, à l’exception des clauses de parité restreinte ([53]). Les hôteliers ont ainsi retrouvé la liberté de pratiquer des tarifs inférieurs ou de meilleures conditions commerciales sur des plateformes concurrentes de Booking.com ainsi que dans le cadre de transactions conclues hors ligne.

Ce mouvement a été consolidé et amplifié par le législateur, qui a introduit dans le droit, à l’occasion de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite « loi Macron », l’interdiction de l’ensemble des clauses de parité tarifaire – qu’elles soient globales ou restreintes – entre les plateformes de réservation en ligne et les hôteliers. L’article L. 311-5-1 du code du tourisme dispose ainsi que l’« hôtelier conserve la liberté de consentir au client tout rabais ou avantage ». Le non-respect de ces dispositions est puni d’une amende de 30 000 €, pouvant être portée à 150 000 € s’il s’agit d’une personne morale.

Sur le même fondement, Amazon a été condamnée en septembre 2019 à une amende de 4 millions deuros par le tribunal de commerce de Paris pour clauses contractuelles déséquilibrées. À la suite d’une enquête conduite par les services de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) concernant les pratiques commerciales des places de marché ([54]), le ministre de l’économie et des finances a saisi le tribunal de commerce de Paris. La décision rendue le 2 septembre 2019 enjoint Amazon à modifier près d’une dizaine des clauses contractuelles en cause dans un délai de 6 mois. Sont notamment concernées les clauses permettant la modification du contrat à tout moment, la possibilité de résilier le contrat de façon discrétionnaire, l’instauration des critères de performance selon des modalités qui ne sont pas clairement identifiables pour le vendeur et susceptibles d’évoluer sans information préalable ([55]).

Cest également dans le cadre du « petit droit de la concurrence » que la DGCCRF a assigné Apple et Google devant le tribunal de commerce de Paris au mois de mars 2018, en demandant la cessation de pratiques commerciales estimées abusives ainsi qu’une sanction de 2 millions d’euros. Sont en cause plusieurs clauses des contrats types des magasins d’application d’Apple et Google. La DGCCRF considère quun certain nombre de ces clauses sont à même de caractériser un déséquilibre significatif vis-à-vis des développeurs de contenus et dapplications. Dans le détail, sont en cause des pratiques telles que la fixation unilatérale d’une fourchette de prix au sein de laquelle les développeurs doivent fixer le tarif de leurs applications pour les consommateurs, la possibilité pour le magasin d’applications de modifier ou de suspendre unilatéralement le contrat et enfin la libre utilisation par Google ou Apple des informations, notamment technologiques, communiquées par les développeurs, sans réciprocité.

B.   le cadre du droit de la concurrence actuel se heurte toutefois à un certain nombre de limites

Si le droit commun permet donc de sanctionner un certain nombre de pratiques problématiques, il se heurte néanmoins à de nombreuses insuffisances.

1.   Les grilles d’analyse des autorités sont mal adaptées aux spécificités des plateformes numériques structurantes

a.   Les outils traditionnels d’analyse des autorités…

Pour assurer le contrôle des opérations de concentration et des abus de position dominante, les autorités nationales et européennes mobilisent des grilles d’analyse qui visent notamment à mesurer la puissance de marché des acteurs. Cet indicateur est central dans lanalyse des comportements anticoncurrentiels. Il permet de caractériser une position dominante et conditionne l’éventuelle reconnaissance d’un abus. En droit des concentrations, il est nécessaire pour mesurer les effets de la fusion ou de l’acquisition. Il s’applique également en droit des ententes, où il sert à évaluer les effets d’un accord.

Pour mesurer la puissance de marché, les autorités cherchent en premier lieu à définir le marché pertinent, soit le lieu où se rencontrent l’offre et la demande pour un produit ou un service spécifique. Sur le marché pertinent, les biens ou services offerts doivent être substituables pour les consommateurs, chaque offreur étant soumis à une concurrence par les prix ([56]).

Afin daiguiller les services compétents de la Commission européenne et fournir une méthodologie adaptée à la définition du marché pertinent, une communication édictant des lignes directrices en la matière a été publiée en 1997. En France, les lignes directrices relatives au contrôle des concentrations posent également un certain nombre de critères de définition.

Le marché pertinent : un marché de produits et un marché géographique

La définition doit permettre de retenir en premier lieu un marché de produits, qui s’entend des biens ou services considérés comme substituables pour répondre aux besoins des consommateurs, en raison notamment de leurs caractéristiques, de leur prix et de leur usage. Pour déterminer le marché de produit, un ensemble de méthodes existe, comme des tests d’élasticité croisée. En particulier, les autorités utilisent le SSNIP test (small but significant and non-transitory increase in price), qui permet de simuler une augmentation faible mais significative et non transitoire du prix. Aux côtés des tests économétriques, les autorités utilisent également la méthode du faisceau d’indices pour déterminer le marché pertinent (nature et caractéristiques physiques et matérielles du produit, utilisation du produit et caractéristiques des demandeurs, etc.).

La définition doit délimiter en second lieu un marché géographique, qui s’entend du territoire sur lequel les conditions objectives de concurrence relatives au produit ou au service en cause sont, sinon similaires, du moins suffisamment homogènes pour tous les opérateurs économiques ([57]).

b.   … correspondent mal aux caractéristiques des plateformes numériques structurantes

Qu’il s’agisse du contrôle des concentrations ou de la qualification de l’abus de position dominante, les grilles d’analyse sont brouillées en raison de plusieurs des spécificités des plateformes numériques structurantes :

– la gratuité : dans l’économie digitale, les modèles d’affaires conduisent bien souvent à la gratuité des produits pour le consommateur, la plateforme se rémunérant via les autres faces du marché. Or, le prix est l’un des éléments essentiels des analyses menées pour repérer des comportements anticoncurrentiels et contrôler les opérations de concentration. La gratuité du produit pour le consommateur rend également plus difficiles les analyses en matière de substituabilité des produits, nécessaires pour déterminer le marché pertinent. En particulier, le SSNIP test, qui repose sur les modulations de prix, devient par définition inopérant ;

– le caractère multiface de certaines plateformes numériques structurantes nécessite d’analyser les interdépendances entre plusieurs marchés. La méthode du marché pertinent, qui vise, par définition, à identifier un seul et unique marché, paraît donc mal adaptée ;

– les contours des marchés numériques sont mouvants et évoluent très vite : la substituabilité des biens et des services peut être plus difficile à appréhender dans le monde numérique que dans l’économie réelle. Le rapport « Crémer » le souligne : « les frontières du marché ne sont pas aussi claires dans le monde digital que dans la " vieille économie ". Elles peuvent évoluer très vite ([58]) ». Cette difficulté peut s’illustrer à travers l’exemple du rachat d’Instagram par Facebook. Les autorités avaient à l’époque considéré que les deux services proposés ne relevaient pas du même marché. Les évolutions concernant les fonctionnalités et l’usage d’Instagram tendent pourtant aujourd’hui à nuancer fortement cette analyse initiale. En outre, la porosité entre les marchés numériques et les marchés physiques complexifient encore l’analyse de la substituabilité des produits. Cette porosité a notamment conduit l’Autorité de la concurrence à effectuer un revirement de jurisprudence à l’occasion du contrôle de l’opération de concentration Fnac-Darty en 2016. À cette occasion, l’Autorité a en effet considéré qu’il existait un marché unique pour la vente de produits dans les magasins et en ligne.

  les effets de réseau et le développement dactivités conglomérales à lorigine deffets de levier nécessitent délargir lanalyse au-delà du marché principal. Cette difficulté fait lobjet de lanalyse suivante par lAutorité de la concurrence : « Même si lopérateur dominant nest pas dominant sur un marché annexe distinct de son cœur dactivité, une appréhension plus large de la position de lopérateur dominant dans son écosystème peut justifier une entrave à la concurrence : lacquisition étend les effets de réseau qui protègent le cœur dactivité de lopérateur dominant aux services complémentaires et permet, par ailleurs, de sapproprier les effets de réseau de la cible. Lécosystème dans son intégralité en sort renforcé ». Le rachat de WhatsApp par Facebook illustre cette problématique : la Commission a estimé quil sagissait de marchés différents, mais il est aujourdhui communément admis que les bénéfices tirés en matière deffets de réseau de cette opération auraient dû faire lobjet dune attention plus poussée lors de lexamen de lopération.

Une remise en cause de la grille danalyse des autorités qui ne se limite pas aux enjeux numériques

Ces critiques directement liées au secteur du numérique s’inscrivent en outre dans une remise en cause plus générale de la grille d’analyse des autorités, dont les faiblesses ont été pointées par différents rapports. Font ainsi l’objet de critiques marquées la faible pertinence du critère du marché géographique dans une économie mondialisée et dans le cadre du contrôle des concentrations, une prise en compte encore insuffisante de la concurrence potentielle ainsi qu’un cadre temporel d’analyse trop restreint. Sur ce dernier point, la doctrine actuelle de la Commission européenne établit que l’entrée potentielle d’un nouveau concurrent sur le marché n’est prise en compte que dans un horizon temporel de deux ans. Le rapport de l’Inspection générale des finances (IGF) ([59])  propose de revenir sur cet horizon temporel, cette proposition étant également reprise dans le rapport des députés Patrice Anato et Constance Le Grip ([60]).

2.   Les sanctions ne sont pas toujours efficaces car trop peu dissuasives et insuffisamment assorties de remèdes

L’efficacité des sanctions prononcées en cas d’abus de position dominante est régulièrement débattue. Deux séries de critiques peuvent être émises.

Ces sanctions se limitent souvent à des sanctions de nature financière dont le montant nest pas suffisamment dissuasif. Ces sanctions atteignent des niveaux élevés, le droit prévoyant que celles-ci puissent représenter jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires de l’entreprise concernée. Elles restent pourtant parfois insuffisamment dissuasives, au vu des ressources financières considérables des plateformes structurantes. Pour mémoire, Google, Amazon, Facebook et Apple génèrent annuellement près de 700 milliards de dollars de chiffre d’affaires. Ces sanctions peuvent du reste être intégrées comme de simples charges de fonctionnement dans le cadre du budget global des plateformes concernées.

Les sanctions napportent pas toujours en elles-mêmes des solutions pour assurer louverture des marchés. Si les outils juridiques pour assortir les sanctions de remèdes structurels et comportementaux existent, ils ne sont pas toujours utilisés ni suffisants (voir infra). L’exemple de la réponse pratique apportée par Google à la suite de l’affaire Android permet d’illustrer cette limite. En réaction à la décision de la Commission européenne dans le cadre de l’affaire « Android », Google a annoncé en mars 2019 la mise en place d’un système permettant à l’utilisateur de choisir le navigateur installé par défaut sur son téléphone, parmi une liste de propositions. Les navigateurs apparaissant dans cette liste sont désignés au moyen d’un système d’enchère bénéficiant au plus offrant. Cette annonce a fait l’objet d’un grand nombre de critiques de la part des autres entreprises développant des navigateurs en ligne. Pour de nombreux observateurs elle montre les limites du droit de la concurrence pour répondre aux pratiques des plateformes. Lors de son audition par vos rapporteurs, l’ARCEP a ainsi noté que les enchères organisées pour proposer des moteurs de recherche alternatifs aux utilisateurs d’Android permettent en réalité à Google de faire payer une partie de l’amende à ses concurrents.

3.   Le temps du droit de la concurrence est trop long

Les sanctions arrivent souvent trop tard, le temps du droit de la concurrence apparaissant inadapté face à la rapidité des mutations de léconomie numérique. Les raisonnements économiques permettant de qualifier un comportement d’abus de position dominante ou d’entente concurrentielle sont très similaires dans l’économie physique et numérique. Pour autant, les spécificités structurelles de l’économie des plateformes numériques, telles que la grande quantité de données produites par l’écosystème des plateformes, leur traitement par des algorithmes et la rapidité de l’innovation sur les marchés font que les enquêtes concurrentielles relatives à l’économie des plateformes sont d’une grande complexité pour les autorités qui les diligentent.

Les délais d’enquête et d’instruction nécessaires pour respecter les éléments essentiels du droit au procès équitable, tels que le respect du principe du contradictoire, et la motivation des décisions, rendent difficilement conciliables le temps de linnovation numérique et celui du droit de la concurrence.

À cet égard, le cas traditionnellement cité reste l’enquête « Google shopping » de la Commission européenne, qui a abouti en juin 2017 à une condamnation de l’entreprise Google par la Commission pour avoir favorisé son service de comparaison des prix sur son moteur de recherche. Labus de position dominante était en cours depuis 2008, et lenquête a nécessité 7 ans pour conclure à la condamnation de Google. Au terme de ces sept années, la plupart des services de comparateurs de prix rivaux de Google ont été évincés du marché.

Au niveau national, un récent référé de la Cour des comptes sur l’action de l’Autorité de la concurrence et de la DGCCRF ([61]) dresse le constat de délais de procédures encore trop longs. Le référé relève notamment que : « le délai atteint près de cinq ans en moyenne pour lensemble des décisions de sanctions de pratiques anticoncurrentielles rendues par lAutorité de la concurrence (hors décisions de rejet). Il est de six ans pour les cas jugés par lAutorité après enquête de la DGCCRF ». Pour la Cour des comptes, « la longueur des délais de traitement résulte avant tout dun pilotage insuffisant des services dinstruction ».

4.   Le contrôle des concentrations n’est pas en adéquation avec les caractéristiques des plateformes

a.   Le contrôle des concentrations repose sur des critères de seuil de chiffre d’affaires

En l’état actuel du droit, les règles encadrant le contrôle des concentrations sont prévues au niveau européen par le règlement 139/2004 relatif au contrôle des concentrations et au niveau français à l’article L. 430-2 du code de commerce. Ce pan du droit de la concurrence vise à contrôler a priori l’effet potentiel d’opérations de rapprochement de taille significative afin de vérifier que celles-ci ne risquent pas de porter une atteinte excessive au fonctionnement concurrentiel du marché. Les critères utilisés pour étayer cette appréciation sont fixés dans des lignes directrices prises par les autorités européennes et nationales.

Le contrôle des concentrations ne porte pas sur l’ensemble des opérations de rapprochement, seules celles qui dépassent certains seuils fixés au niveau national et européen sont concernées.

Au niveau national, les opérations soumises à l’examen de l’Autorité de la concurrence sont celles qui remplissent les trois critères suivants ([62]) :

– le chiffre d’affaires total mondial hors taxes de l’ensemble des entreprises ou groupes de personnes physiques ou morales parties à la concentration est supérieur à 150 millions d’euros ;

– le chiffre d’affaires total hors taxes réalisé en France par deux au moins des entreprises ou groupes de personnes physiques ou morales concernés est supérieur à 50 millions d’euros ;

 lopération ne relève pas de la compétence de lUnion européenne.

Au niveau européen, la Commission européenne contrôle les opérations dites de dimension communautaire. Comme en dispose le règlement de 2004 précité, une concentration est de dimension communautaire lorsque :

 le chiffre daffaires total réalisé sur le plan mondial par lensemble des entreprises concernées représente un montant supérieur à 5 milliards deuros ;

 et que le chiffre daffaires total réalisé individuellement dans l’Union par au moins deux des entreprises concernées représente un montant supérieur à 250 millions deuros, à moins que chacune des entreprises concernées réalise plus des deux tiers de son chiffre daffaires total dans l’Union à lintérieur dun seul et même État membre.

Une concentration est également considérée de dimension communautaire, même si elle natteint pas les seuils mentionnés, lorsque le chiffre daffaires total réalisé sur le plan mondial par lensemble des entreprises concernées représente un montant supérieur à 2,5 milliards deuros et que lopération concerne des entreprises appartenant à au moins trois États membres ([63]). Il faut noter que cest sur ce fondement que lopération dacquisition de WhatsApp par Facebook a pu être examinée par la Commission européenne. Pour de nombreux observateurs, ce nest en quelque sorte que « par hasard » que cette acquisition a fait lobjet dun examen par la Commission, preuve de linsuffisance du droit existant.

b.   Un vide juridique face aux acquisitions consolidantes réalisées par les plateformes numériques structurantes

Le droit des concentrations repose donc essentiellement sur des critères fixés en fonction de seuils de chiffre daffaires. Or, ce critère ne permet pas de contrôler l’ensemble des opérations sensibles réalisées par les plateformes numériques structurantes. Celles-ci réalisent de nombreuses acquisitions, selon un mouvement qui s’accélère au fil du temps, qui passent pour la grande majorité d’entre elles en dessous des seuils. C’est particulièrement le cas, lorsque les opérations concernent un acteur « innovant » naissant. Ainsi, comme le souligne l’Autorité de la concurrence, « dans un tel cas de figure, la valeur des entreprises cibles nest, en effet, pas reflétée par le chiffre daffaires quelles réalisent et les seuils de notification ne sont pas déclenchés ». Ces opérations sous les seuils font craindre à l’Autorité « une appropriation de linnovation par certains acteurs dominants qui pourrait être dommageable pour léconomie sans aucun contrôle de la part des autorités de concurrence ».

D’après les données communiquées par l’Autorité de la concurrence française lors de son audition par la mission d’information, depuis 2008, Google a absorbé 168 entreprises, dont beaucoup étaient des concurrents potentiels (Waze pour les services de navigation, YouTube pour les vidéos, DoubleClick et ADMob dans la publicité en ligne) ([64]). Facebook a quant à elle acquis 71 entreprises, parmi les plus importantes, Instagram en 2012 et WhatsApp en 2014 ([65]). Alors même que WhatsApp ne générait que des revenus faibles à l’époque, elle a été rachetée par Facebook pour 16 milliards de dollars.

Cette politique d’acquisition est insuffisamment contrôlée et permet à certains acteurs d’accroître leurs positions sur le marché au détriment de la concurrence. Cela peut être vrai sur le marché principal de la plateforme ou sur un marché connexe, dans le cadre de stratégies conglomérales.

Les acquisitions consolidantes des plateformes structurantes

Si ces opérations de croissance externe ont certes pour conséquence ou pour objectif d’empêcher l’émergence d’un concurrent potentiel, le terme « d’acquisition prédatrice » ne décrit qu’imparfaitement le problème qui doit être résolu au niveau français et européen. Ce point a notamment été souligné par l’Autorité de la concurrence, ainsi que les représentants des entreprises du numérique.

En effet dans de nombreux cas, lacquéreur ne « tue » pas la cible, comme dans les cas de « killer acquisitions », fréquentes notamment dans lindustrie pharmaceutique. Au contraire, lacquéreur conserve ou développe son activité.

Plusieurs exemples permettent d’illustrer cette stratégie :

– du côté de Google, l’acquisition de YouTube a permis à Google d’étendre ses supports publicitaires et d’afficher des contenus publicitaires vidéos. Google s’appuie ici sur la très forte complémentarité de ses deux services et valorise les données collectées par les recherches de l’utilisateur de son moteur de recherche. Google a également fait l’acquisition de Deep mind, afin d’asseoir sa position de leader mondial en matière d’intelligence artificielle en s’appuyant sur une équipe reconnue pour son expertise ;

– Instagram et WhatsApp correspondent aux plus importantes acquisitions réalisées par Facebook dans le domaine des réseaux sociaux. Grâce à ces différentes opérations, la plateforme a pu acquérir une position fortement dominante sur les réseaux sociaux, dont elle contrôle aujourd’hui près de 75 % de l’activité ;

– Microsoft a réalisé de nombreuses acquisitions dans le domaine de la bureautique, notamment le service de messagerie instantanée Hotmail (1997), désormais Outlook, le logiciel de télécommunication vidéo Skype (2011). Microsoft a également racheté le réseau social Linkedin en 2016.

II.   Des adaptations du droit de la concurrence sont nécessaires, mais elles ne seront pas suffisantes

A.   Des adaptations nécessaires

1.   Mettre à jour la grille d’analyse concurrentielle des marchés

a.   Mieux intégrer les spécificités des plateformes structurantes dans la grille d’analyse des autorités

Les auditions menées par vos rapporteurs ainsi que les nombreux travaux récents d’experts sur ces sujets montrent un fort consensus autour de la nécessité de faire évoluer le cadre d’analyse concurrentiel, à l’aune des spécificités de l’économie numérique. L’Autorité de la concurrence dresse elle-même le constat de la nécessaire « remise en question de sa propre grille danalyse ».

D’après l’Autorité de la concurrence, « la part de marché, outil traditionnel de mesure de pouvoir de marché, nest plus nécessairement adaptée aux plateformes numériques ». Ce constat incite à donner à ce critère une place moins centrale quaujourdhui dans les standards danalyse et à en faire évoluer les contours.

C’est également le sens des propositions du rapport « Crémer », qui encouragent la Commission européenne à accorder moins dimportance à la notion de marché pertinent, au bénéfice de l’analyse des préjudices et des stratégies anticoncurrentielles. Ces préconisations ont trouvé un certain écho puisque la vice-présidente de la Commission européenne, Margrethe Vestager, a annoncé une révision des lignes directrices de 1997 sur la définition des marchés pertinents afin de les adapter aux nouvelles réalités d’une économie de plus en plus numérique et mondialisée ([66]). Certains rapports vont même jusqu’à préconiser un abandon de la notion de marché pertinent, comme c’est le cas des travaux rendus par les députés Patrice Anato et Constance Le Grip.

Vos rapporteurs estiment nécessaire qu’une place plus subsidiaire soit accordée à la notion de marché pertinent dans les analyses faites par les autorités.

Proposition  2 : Accorder une place moins prioritaire à la notion de marché pertinent pour les analyses impliquant des plateformes numériques structurantes.

La grille danalyse concurrentielle doit en revanche faire une place plus grande à linscription des plateformes structurantes dans des écosystèmes vastes, impliquant la présence dune plateforme sur plusieurs marchés. Dans le cadre du contrôle des concentrations, l’Autorité de la concurrence estime ainsi que le risque pour la concurrence doit prendre en compte le renforcement de la dominance de l’écosystème de l’acquéreur. Dans la même logique, le rapport « Crémer » propose que la grille d’analyse du contrôle des concentrations de la Commission puisse s’adapter dans le cas où une plateforme bénéficie d’effets de réseau.

À l’échelle nationale tout comme à l’échelle européenne, des outils doivent être mis en place afin de mieux mesurer ces effets, que l’on se place dans le cadre du contrôle des concentrations ou dans le cadre de l’abus de position dominante. Dans cet objectif, et comme cela a été mentionné par la direction générale des entreprises auditionnée par vos rapporteurs, des tests de captivité des usagers pourraient être développés, via notamment une estimation des coûts de migration (perte de données, perte de contact, fluidité des usages).

Proposition 3 : Intégrer les effets de réseaux et les mécanismes de verrouillage aux grilles d’analyse des autorités. Développer en ce sens des tests spécifiques comme les tests de captivité des usagers pour mieux mesurer les effets de verrouillage.

Le rôle des données et la constitution de communautés dutilisateurs doit également faire lobjet dune prise en compte plus large. Vos rapporteurs considèrent que la place des données et leur rôle en termes de puissance de marché et d’avantage concurrentiel sont trop sous-estimés. Comme souligné par l’Autorité de la concurrence, « la collecte, la détention et lexploitation de vastes masses de données et la constitution de communautés dutilisateurs très importantes confèrent aux géants du numérique un pouvoir de marché sans précédent. La détention de certaines données peut permettre détendre ce pouvoir de marché à des marchés voisins sur lesquels elles confèrent un avantage concurrentiel dans la fourniture de services/produits complémentaires ».

Les risques de l’unification imminente du réseau des utilisateurs de Facebook, WhatsApp et Instagram

Lunification imminente du réseau des utilisateurs de Facebook, WhatsApp et Instagram par Facebook créera à cet égard une communauté dutilisateurs inédite en nombre et en volume. Par ce rachat, Facebook est suspecté dutiliser les photos des utilisateurs dInstagram pour développer ses propres algorithmes dimages ([67]). Les plateformes structurantes utilisent donc leffet levier de leur communauté dutilisateurs globale pour valoriser lactivité des différentes filiales, diversifier leurs activités dans une optique conglomérale, étendre leur domination sur les divers marchés où elles opèrent, au risque, in fine, de verrouiller les marchés et dannihiler toute tentative de concurrence par des rivaux potentiels, les barrières à lentrée des marchés devenant de plus en plus insurmontables.

Or, les outils danalyse des autorités ne sont pas encore suffisamment complets en la matière et conduisent à des phénomènes dasymétrie dinformations forts qui limitent lefficacité des autorités. Lors de l’opération du rachat de WhatsApp par Facebook, ce dernier avait annoncé ne pas avoir les moyens techniques de lier les données personnelles des utilisateurs des deux services. En 2016, la Commission a sanctionné Facebook à hauteur de 110 millions d’euros pour lui avoir communiqué des informations erronées de manière « au moins négligente ».

L’Autorité de la concurrence elle-même estime ainsi nécessaire d’« affiner les outils danalyse de la puissance de marché issue de la détention de données ou de larges communautés dutilisateurs ». Cette vigilance doit être dautant plus de mise lorsquil sagit de caractéristiques au cœur du modèle daffaire des entreprises étudiées.

Proposition  4 : Accorder une vigilance plus forte au rôle des données et à la construction de communautés d’utilisateurs.

b.   Repenser les notions de bien-être et d’intérêt du consommateur à travers une prise en considération plus large des effets non tarifaires

Vos rapporteurs sont convaincus que la maximisation du bien-être du consommateur, vu sous le seul regard du prix, ne peut plus être l’élément central d’analyse des autorités à l’ère numérique.

En premier lieu, vos rapporteurs tirent dabord cette conviction dun constat de bon sens déjà mentionné, celui de la gratuité des produits offerts par de nombreuses plateformes dans le cadre de modèles daffaires bifaces ou multifaces.

Dans une telle situation, le préjudice pour le consommateur est difficile à appréhender. Les autorités doivent intégrer dans leurs analyses les effets plus qualitatifs susceptibles d’avoir un impact sur le consommateur. À titre d’illustration, lors de la décision sur l’opération de concentration résultant de la prise de contrôle exclusif de Darty par la Fnac, l’Autorité a notamment cherché à analyser l’impact de l’opération proposée sur la qualité de service. Des méthodes alternatives fondées sur des effets non liés au prix se développent. Ainsi, dans l’affaire Google Android, la Commission a simulé une réduction de la qualité des produits Android, afin d’examiner si cette diminution pouvait avoir pour conséquence un report des consommations vers les solutions IOS ([68]). La fiabilité de ces tests qualitatifs doit encore être améliorée.

Si elle nest pas nulle, la prise en compte des effets non tarifaires reste trop ponctuelle et nest pas théorisée, ce qui constitue aujourdhui une lacune importante. De nouveaux outils méthodologiques doivent être déployés pour les mesurer.

En deuxième lieu, la nécessité de repenser la notion de bien-être du consommateur repose également sur une remise en question plus fondamentale, relative aux objectifs mêmes de la politique de la concurrence. La question de la finalité du droit de la concurrence fait l’objet de nombreux débats politiques économiques et juridiques, particulièrement animés ces dernières années dans le contexte de l’affaire Alstom. La littérature sur le sujet montre le rôle central dans l’analyse de l’effet du prix pour le consommateur, au détriment d’autres critères, parmi lesquels la compétitivité d’une industrie nationale ou l’emploi. Le droit de la concurrence reste centré sur des considérations purement économiques et peine à appréhender des enjeux plus larges, en particulier à lère du numérique. Vos rapporteurs estiment que dans le cas des plateformes numériques, il paraît essentiel que le critère du prix pour le consommateur soit complété par d’autres objectifs d’intérêt généraux, tenant au pluralisme et à la protection des données personnelles notamment. Certes, de tels éléments sont parfois déjà pris en compte comme le montre notamment la décision rendue par l’Autorité de la concurrence sur l’acquisition de TPS et Canal Satellite par Vivendi Universal et Canal Plus ([69]). Mais ces prises en compte ponctuelles et non systématisées sont largement insuffisantes.

Vos rapporteurs souscrivent en ce sens largement au constat établi par le rapport du centre Stigler, selon lequel la baisse de qualité, la baisse de la protection des données personnelles, la diminution de nouvelles entrées sur le marché, une moindre expression de la diversité des points de vue politique, une baisse des investissements dans l’innovation peuvent être autant d’éléments de preuve d’un pouvoir de marché excessif, diminuant le bien-être du consommateur. Des exemples concrets permettent de l’illustrer. Une étude citée dans le rapport du centre Stigler montre ainsi comment Facebook a développé une politique de collecte des données plus agressives, une fois la concurrence représentée par Myspace disparue.

Vos rapporteurs estiment que les spécificités de léconomie numérique et de laction des plateformes structurantes doivent conduire les autorités à systématiser lanalyse des effets non tarifaires propres au numérique. En particulier, les éléments relatifs à la protection des données personnelles et la préservation du pluralisme des opinions, doivent être intégrés pour mesurer la baisse ou la montée en qualité d’un produit.

Proposition 5 : Élargir de façon plus systématique la notion de bien-être du consommateur aux effets non tarifaires. Prendre en compte dans ce cadre des éléments qualitatifs et notamment ceux relatifs à la protection des données personnelles et la préservation du pluralisme.

c.   Acter formellement l’adaptation du droit de la concurrence aux évolutions du numérique

De façon globale, vos rapporteurs estiment nécessaire de revisiter et de clarifier un certain nombre de concepts relatifs au droit de la concurrence et à l’économie numérique. La question de la gratuité, les effets congloméraux, les effets de réseau et le rôle des données doivent être explicités. Au niveau européen, la révision de la communication de 1997, en vue de laquelle une phase de concertation a été ouverte le 3 avril 2020 ([70]), constitue une opportunité. Au niveau national, vos rapporteurs estiment que ces préoccupations nécessiteraient d’être explicitées dans des lignes directrices spécifiques.

Proposition  6 : Adapter les évolutions de la grille d’analyse aux spécificités des plateformes numériques structurantes dans des documents formels :

– au niveau européen, modifier la communication de 1997 relative aux marchés pertinents ;

– au niveau national, édicter et mettre à jour les lignes directrices de l’Autorité de la concurrence.

2.   Améliorer les outils procéduraux pour agir plus vite et plus efficacement

Vos rapporteurs ont identifié un certain nombre d’outils procéduraux et de pratiques qui mériteraient d’être davantage utilisés face aux spécificités du numérique.

a.   Développer les mesures conservatoires pour éviter des dommages irrémédiables

Un usage plus important des mesures conservatoires à l’échelle européenne permettrait d’agir de façon plus rapide et efficace pour limiter l’impact des comportements anticoncurrentiels. Les mesures conservatoires permettent à l’Autorité d’agir en urgence, avant de se prononcer sur le fond d’un dossier, en cas d’atteinte grave et immédiate aux intérêts d’un secteur économique ou d’une entreprise. L’objectif est d’éviter qu’une pratique susceptible d’être anticoncurrentielle nuise gravement et de façon irrémédiable à la concurrence ou à l’entreprise qui en est victime.

i.   Les mesures conservatoires en droit interne

En France, l’article L. 464-1 du code de commerce prévoit la possibilité pour l’Autorité de prononcer, à la demande du ministre de l’économie, des entreprises ou d’autres parties prenantes, des mesures conservatoires dans le cas où « la pratique dénoncée porte une atteinte grave et immédiate à léconomie générale, à celle du secteur intéressé, à lintérêt des consommateurs ou à lentreprise plaignante ». L’article précise que les mesures « peuvent comporter la suspension de la pratique concernée ainsi quune injonction aux parties de revenir à létat antérieur ». L’Autorité agit alors dans des délais brefs et rend sa décision dans les trois à quatre mois suivant la saisine.

Dans la pratique, lAutorité de la concurrence est régulièrement saisie de demandes de mesures conservatoires. Depuis sa création en 2009, l’Autorité de la concurrence a statué dans 44 décisions sur des demandes de mesures conservatoires et dans 8 cas, elle a fait droit à celles-ci ([71]). Les mesures conservatoires prononcées par l’Autorité ces dernières années concernent des secteurs d’activité nombreux. Elles ont été plusieurs fois mobilisées dans le cadre de contentieux en lien avec le numérique, étant donné le caractère changeant et évolutif de ces marchés.

Exemple de mesures conservatoires ordonnées par l’Autorité de la concurrence dans des affaires concernant Google

En 2019, l’Autorité de la concurrence a ordonné des mesures conservatoires à l’encontre de Google dans le cadre d’un contentieux l’opposant à la société Amadeus, société de services de renseignement téléphonique, qui s’était plainte de la suspension de plusieurs de ses comptes du service Adwords. L’Autorité a ainsi demandé en urgence à Google « qu’elle clarifie les règles de Google Ads qu’elle entend appliquer aux services payants de renseignements par voie électronique et qu’elle réexamine la situation d’Amadeus au regard de ces nouvelles règles en vue de lui redonner accès, le cas échéant, au service Google Ads si ces annonces y sont conformes ([72]) ».

En 2010, l’Autorité était déjà intervenue dans le secteur de la publicité en ligne en ordonnant à Google de mettre en œuvre de manière objective, transparente et non discriminatoire la politique de contenus de son service AdWords en matière de radars routiers ([73]).

Les possibilités de recourir auxdites mesures conservatoires sélargiront dans les mois à venir. En effet, la directive (UE) 2019/1 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 visant à doter les autorités de concurrence des États membres des moyens de mettre en œuvre plus efficacement les règles de concurrence et à garantir le bon fonctionnement du marché intérieur, dite directive « ECN+ », prévoit en son article 11 la possibilité, pour l’ensemble des autorités nationales de concurrence, de se saisir doffice pour prononcer de telles mesures.

Le droit français prévoit déjà une telle possibilité de façon sectorielle pour les litiges relatifs au secteur de la grande distribution depuis la loi n° 2018‑938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite loi « ÉGALIM » ([74]). Vos rapporteurs se félicitent de cette généralisation qui pourra utilement sappliquer au cas du numérique, une fois la directive transposée ([75]). Elle renforcera la capacité d’action de l’Autorité qui pourra donc agir sans attendre un dépôt de plaintes de petits acteurs, qui peuvent renoncer à une saisine par peur de représailles ou faute de moyens.

ii.   Les mesures conservatoires à l’échelle européenne

En revanche, les mesures conservatoires sont très peu mobilisées par la Commission européenne. Régies par le règlement 1/2003 du 16 décembre 2002 et plus particulièrement son article 8, elles doivent être prises « dans les cas durgence justifiés par le fait quun préjudice grave et irréparable risque dêtre causé à la concurrence ». Leur non-respect est assorti de peines et d’astreintes. En pratique, la procédure afférente se caractérise par une grande complexité et de nombreuses obligations administratives, dont l’obtention de renseignements, le recueil de déclarations, des inspections sur pièces et sur place et la mise en œuvre d’une procédure contradictoire. Si la récente jurisprudence dite « Broadcomm » semble montrer une inflexion positive en la matière – la Commission ayant prononcé pour la première fois depuis 20 ans une mesure conservatoire – vos rapporteurs appellent à une évolution des règles européennes pour favoriser le recours à ces mesures qui permettent dagir rapidement en lattente dune décision au fond.

Proposition 7 : Développer les mesures conservatoires à l’échelle européenne. Envisager en cela une modification de l’article 8 du règlement européen en prenant appui sur les règles existantes dans le droit français.

b.   Développer les remèdes comportementaux

Par opposition aux remèdes structurels, qui consistent essentiellement en la cession d’actifs, les remèdes comportementaux visent à modifier le comportement commercial des opérateurs ou à transformer leur organisation interne par des mesures diverses, comme par exemple la modification de contrats de long terme, l’ouverture d’une technologie, d’une infrastructure, d’une ressource ou d’un réseau à un concurrent ou la suppression de liens avec les concurrents. Une généralisation des remèdes de nature comportementale peut permettre de renforcer l’efficacité du droit de la concurrence.

Les remèdes comportementaux présentent lavantage dêtre adaptables, réversibles et proportionnés. Comme le souligne l’Autorité de la concurrence dans son étude consacrée à cette pratique, ce type de remède « permet de maintenir ou de rétablir lordre public économique rapidement, en droit des pratiques anticoncurrentielles comme en droit des concentrations ». Ils ne sont néanmoins pas dénués d’inconvénients en raison des coûts qu’ils impliquent en matière de suivi ([76]).

La pratique montre la pertinence de ce type de remèdes face aux enjeux du numérique, comme l’illustre notamment la décision de l’Autorité n° 17‑DCC‑92. Dans cette décision, prenant acte de l’arrivée de concurrents tels que Netflix ou Amazon, ayant conduit à affaiblir considérablement la position de Canal plus, l’Autorité a considérablement allégé les obligations qu’elle avait prononcées à l’égard de cette dernière à l’occasion de l’opération de concentration entre Canal et TPS.

LAutorité française se distingue en Europe par son recours fréquent aux engagements comportementaux. Toutefois, face aux coûts de suivi évoqués, l’Autorité envisage un changement de doctrine et « réfléchit aujourdhui, comme dautres autorités de concurrence dailleurs, à recourir de façon plus exigeante aux remèdes comportementaux, privilégiant les engagements quasi structurels en droit des pratiques anticoncurrentielles et les engagements structurels en droit des concentrations, à chaque fois quils apportent une meilleure réponse aux enjeux concurrentiels ([77]) ». Vos rapporteurs estiment que ce changement de doctrine n’irait pas dans le bon sens face à la place croissante prise par les enjeux numériques. L’Autorité de la concurrence note d’ailleurs elle-même dans sa contribution faite à vos rapporteurs que « les remèdes comportementaux peuvent constituer des outils très efficaces permettant de restaurer les conditions dune concurrence effective, à condition quils soient proportionnés et dune durée suffisante. Une réflexion sur un usage plus large de tels outils dans léconomie numérique pourrait être menée, en complément du recours aux remèdes structurels lorsque ceux-ci sont les mieux adaptés ». Si les remèdes comportementaux ne sauraient simposer comme une « solution miracle », leur souplesse et leur célérité font quils doivent continuer à être encouragés en droit interne.

Au niveau européen, ce type de remèdes est très peu appliqué, la doctrine de la Commission prévoyant de favoriser autant que faire se peut les remèdes structurels. Plusieurs rapports récents critiquent ce choix et appellent à une modification du droit européen pour encourager davantage le recours à ces outils. Le rapport de l’Inspection générale des finances propose ainsi de modifier la communication de la Commission concernant les mesures correctives pour « faciliter le recours aux remèdes comportementaux, en les favorisant ou a minima en les plaçant sur un pied dégalité par rapport aux remèdes structurels ». Le rapport des députés Patrice Anato et Constance Le Grip suggère également de réviser la même communication et de prévoir une systématisation des engagements comportementaux lorsque les évolutions concurrentielles sont peu prévisibles. Dans la même lignée, vos rapporteurs estiment nécessaire de prévoir une révision du droit européen afin de mettre sur un pied d’égalité les remèdes structurels et comportementaux. La possibilité de favoriser le recours aux engagements comportementaux lorsque le sujet concerne les enjeux numériques pourrait être utilement envisagée.

Proposition  8 : Conforter les remèdes comportementaux en droit national. Réviser le droit européen afin de mettre sur un pied d’égalité les remèdes structurels et comportementaux. Favoriser le recours aux engagements comportementaux lorsque le sujet concerne les enjeux numériques.

c.   Réduire les délais d’instruction jugés unanimement trop longs

Vos rapporteurs s’associent aux recommandations de la Cour des comptes qui recommande de fixer des objectifs clairs de délais et de stocks d’affaires en instance et de renforcer le suivi à toutes les étapes de la procédure. Les efforts déjà entrepris en ce sens par l’Autorité de la concurrence doivent s’amplifier. Vos rapporteurs estiment que cette recommandation pourrait utilement s’appliquer au niveau européen.

Vos rapporteurs notent également qu’une série d’évolutions permises par la directive dite « ECN + » devrait améliorer les délais de traitement au niveau national. La question de l’opportunité des poursuites, en particulier, pourrait conduire l’Autorité à prioriser certaines affaires, permettant un traitement plus rapide de celles-ci.

Proposition 9 : Réduire les délais d’instruction des affaires relatives à l’économie des plateformes, en mettant en place des objectifs clairs de délais et de stocks d’affaires en instance, quitte à prioriser certaines procédures.

B.   Des adaptations qui ne seront pas suffisantes

Le droit de la concurrence se heurte à des faiblesses intrinsèques face à des situations de monopole durablement acquises, qui font courir de nombreux risques sur le plan économique et démocratique.

1.   La prophétie schumpetérienne ne s’est pas réalisée et la concentration des marchés atteint des niveaux inquiétants, signe de dysfonctionnements concurrentiels

À l’aube des années 2010, prévalait la conviction que le droit de la concurrence serait suffisant, conformément au paradigme schumpetérien selon lequel les forces du marché permettraient mécaniquement à la concurrence de s’exercer. Pour Joseph Schumpeter, économiste autrichien du XXe siècle, le processus d’innovation, sa diffusion puis son essoufflement permet d’expliquer les cycles économiques de court terme et de long terme, au travers du processus de « destruction créatrice ». L’irruption d’une nouvelle innovation mène à une position de monopole et donc de rente liée à l’innovation, cette perspective de profit venant à son tour stimuler l’innovation d’un nouvel entrepreneur, rendant obsolète l’innovation précédente et contestant le monopole précédent. Cette analyse a longtemps primé, la plupart des institutions estimant alors que les positions acquises par les géants du numérique étaient facilement contestables.

Or, force est de constater que la prophétie schumpetérienne ne s’est pas réalisée. La concurrence ne se résout pas d’elle-même, ou pour reprendre l’expression de l’économiste Frédéric Marty, « la concurrence nest pas à un clic ». En effet, on observe une concentration croissante de ces marchés depuis le début des années 2000. Quelques chiffres pour s’en convaincre :

– sur le marché des moteurs de recherche en ligne européen, Google concentre près de 90 % des parts de marché ([78]) ;

– Facebook et Google, concentrent à elles deux près de 85 % des parts du marché européen de la publicité en ligne ([79]) ;

– les magasins d’applications d’Apple ou de Google totalisent chacun autour de 40 % des parts de marché européennes des marchés d’applications ;

 sur le marché des systèmes dexploitation mobile, Google concentre près de 86,7 % des parts de marché des systèmes dexploitation mobile avec son système Android ([80]) ;

 le même phénomène de concentration sexerce au niveau mondial sur le marché des réseaux sociaux : Facebook totalise près de 2 milliards dutilisateurs mondiaux, Instagram, propriété de Facebook, en totalise plus dun milliard et WhatsApp, également propriété de Facebook, 1,6 milliard.

Plusieurs analyses économiques récentes montrent que le développement de l’économie numérique a conduit à une diminution de l’intensité concurrentielle.

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Les marges, qui constituent un indicateur à même de révéler le niveau de concentration d’un marché, ont augmenté plus rapidement dans les secteurs économiques les plus intensifs en technologie.

Source : Trésor 250, Ici les mark-ups dans les secteurs plus intensifs en technologies sont supérieures à 6 % en moyenne, contre 4 % pour les secteurs les moins intensifs, soit 50 % de plus.

C’est particulièrement le cas du côté des GAFAM. À l’exception d’Amazon, ces entreprises ont en effet aujourd’hui des marges beaucoup plus conséquentes que les autres acteurs économiques traditionnels. Microsoft affiche ainsi un taux de marge d’exploitation ([81]) de 37 % sur l’ensemble de son activité. Au premier trimestre 2020, Facebook affiche une marge opérationnelle de 33 %. Apple a annoncé atteindre un taux de marge d’exploitation de 22 % sur la même période. Enfin, Google enregistre un taux de marge d’exploitation de 19 % au premier trimestre 2020 ([82]). À titre de comparaison ce même taux était de 4,8 % pour Renault, 12,6 % pour Schneider Electric et de 12,5 % pour Orange.

Certaines plateformes ont donc atteint en plusieurs années des tailles sans précédent, qui leur permettent de jouir d’un pouvoir de marché difficilement contesté, remettant ainsi en question la possibilité de voir émerger des acteurs en mesure de les concurrencer.

Pour certains experts, il est même possible que la domination des marchés numériques par quelques-uns saccentue au fil du temps, au fur et à mesure que les plateformes acquièrent des masses de données supplémentaires. Comme l’analyse l’économiste Frédéric Marty : « une partie des données peut également être déduite des données existantes ou de lobservation des comportements. Ce faisant, un nouvel entrant ne peut que difficilement sengager dans une concurrence à armes égales même sil acquiert des données auprès de tiers ([83]) ». Le rapport « Furman ([84]) » précise que le développement de l’intelligence artificielle risque de renforcer cet effet, puisque les entreprises les plus à même de bénéficier du développement de lintelligence artificielle sont celles bénéficiant déjà dun nombre de données substantielles.

2.   Le droit de la concurrence ne parvient pas à inverser cette tendance

Force est donc de constater que le droit de la concurrence ne parvient pas à assurer une concurrence effective sur les marchés numériques où opèrent les plateformes structurantes. Certes, des évolutions paramétriques, telles que suggérées précédemment – adaptation de la grille d’analyse, recours plus systématique aux mesures conservatoires et aux remèdes comportementaux –, pourront permettre d’améliorer l’efficacité du droit de la concurrence, dans le cadre des décisions rendues au cas par cas. Mais, les instruments du droit de la concurrence se heurtent à des limites qui tiennent aux caractéristiques même de ce droit.

Le droit de la concurrence ne permet d’agir quau cas par cas, par lapplication de règles et de sanctions symétriques et de façon essentiellement ex post. Ces trois caractéristiques limitent son efficacité pour lutter contre des plateformes qui structurent des pans entiers de l’économie et qui influent sur l’ensemble de la vie sociale. Cette forte concentration des marchés par quelques acteurs ultra dominants emporte des conséquentes préoccupantes du point de vue économique, mais aussi pour le respect de la vie privée, le respect de la souveraineté numérique ainsi que les garanties démocratiques des nations européennes.

3.   Cette forte concentration est préoccupante sur le double plan économique et démocratique

a.   Sur le plan économique

La théorie économique montre que la forte concentration des marchés et leur faible contestabilité favorise l’acquisition d’une situation de rentes, qui peut avoir pour conséquence directe une augmentation des prix, une baisse de qualité du service et constituer un frein à l’innovation. C’est ce que montrent les travaux du prix Nobel d’économie Jean Tirole, selon qui la concentration sur les marchés numériques « risque fort de se traduire par des prix très élevés et un manque dinnovation ultérieure » ([85]). Des travaux de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) montrent que l’établissement durable de position dominante par les plateformes conduirait aussi à un ralentissement des gains de productivité dans les secteurs concernés ([86]).

En outre, la concentration des marchés fait également craindre des effets plus généraux sur l’économie, avec un impact sur la croissance, l’emploi et la hausse des inégalités ([87]). De récents travaux du Fonds monétaire international (FMI) montrent également que la forte concentration des marchés entraîne, d’une part, une baisse de l’investissement et, d’autre part, un accroissement des inégalités ([88]).

b.   Sur le plan démocratique

Au-delà des effets négatifs purement économiques qu’entraînent une concentration excessive des marchés et l’instauration de monopoles sur le temps long, ces phénomènes engendrent également un certain nombre de risques pour la démocratie, les libertés publiques et la souveraineté.

Les origines du droit de la concurrence montrent les liens intimes qui unissent la concurrence et la démocratie. En 1890, John Sherman, sénateur américain, auteur du texte fondateur du droit moderne de la concurrence, présentait son projet comme « une déclaration de droits et une charte de la liberté ». Le droit de la concurrence est né aux États-Unis avec pour objectif affiché de lutter contre les cartels et la concentration excessive des marchés. En organisant la dissémination du pouvoir économique, le droit protège ainsi la société contre les concentrations et les cartellisations. Près d’un siècle plus tard, la Cour suprême des États-Unis le décrira comme la « magna carta de la libre entreprise ([89]) ». Ainsi, le pouvoir économique est partagé à travers une large série dacteurs économiques plutôt que dans les mains dune minorité à même dexercer une influence excessive sur les processus décisionnels politiques.

Le rôle durablement dominant joué par quelques plateformes paraît d’autant plus préoccupant que celles-ci posent des difficultés nombreuses en matière de protection des données personnelles, d’influence des choix démocratiques et de souveraineté numérique.

Le cadre juridique de la protection des données personnelles a été largement renforcé avec le règlement européen sur la protection des données (RGPD) ([90]). Toutefois, en pratique, les difficultés restent importantes, comme en témoignent les nombreuses condamnations des plateformes en ce sens.

Des condamnations nombreuses des plateformes structurantes pour non-respect de la législation relative aux données personnelles

– Facebook a été condamnée en 2017 par la Commission nationale informatique et libertés (CNIL) à une sanction de 150 000 euros pour de nombreux manquements à la loi n° 78‑17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.

– La justice américaine a condamné Facebook en juillet 2019 à une amende record de 5 milliards d’euros pour avoir trompé ses utilisateurs en manquant à la protection de leurs données personnelles.

– Le 21 janvier dernier, la CNIL a infligé une amende record de 50 millions d’euros à Google Alphabet pour non-respect des règles instaurées par le règlement. « Les manquements constatés privent les utilisateurs de garanties fondamentales concernant des traitements pouvant révéler des pans entiers de leur vie privée, car reposant sur un volume considérable de données, une grande variété de services et des possibilités de combinaison de données quasi-illimitées », explique la Commission dans la motivation de sa décision. Plusieurs associations à l’origine de l’enquête de la CNIL relative à Google ont déposé des plaintes pour les mêmes motifs contre Instagram en Belgique, Facebook en Autriche et WhatsApp en Allemagne.

Google a annoncé le 14 janvier 2020 son souhait de se débarrasser des cookies tiers d’ici deux ans pour son navigateur web, Chrome. L’annonce faite par l’entreprise interpelle au regard de son modèle économique, qui repose quasi exclusivement sur la publicité en ligne. Si cette annonce semble a priori aller dans le sens d’un renforcement de la protection de la vie privée sur internet, plusieurs analystes considèrent qu’elle pourrait aussi révéler la capacité de Google à suivre les internautes à des fins publicitaires, sans cookies, en utilisant des signaux différents, en les recoupant les uns avec les autres, afin de générer un profil aussi précis que possible. Les plateformes numériques structurantes posent des défis à la démocratie car elles peuvent être le support de comportements agressifs visant à influencer les choix démocratiques. Deux affaires récentes illustrent ce risque, la première touchant à l’ingérence russe dans la campagne américaine et la seconde concernant les tentatives de déstabilisation et d’influence dans le cadre de la campagne du Brexit au Royaume-Uni.

Enfin, le pouvoir de marché des plateformes numériques structurantes soulève des enjeux de souveraineté numérique dans les démocraties européennes.

Le manque de plateformes numériques européennes capables de rivaliser durablement avec les plateformes numériques aujourd’hui en position monopolistique ou oligopolistique est préoccupant. D’autant plus que demain, des plateformes numériques asiatiques risquent d’être présentes massivement sur les marchés aujourd’hui dominés par les plateformes d’origine américaine. Ainsi, le programme China 2025 promeut l’objectif de fusions des acteurs numériques chinois pour en faire des géants capables de venir contester les positions détenues par les plateformes américaines.

Les enjeux de souveraineté liés au marché du « cloud » et les débats autour du « Cloud Act »

Comme l’a souligné la direction générale des entreprises (DGE) lors de son audition par la mission d’information, le marché du cloud ([91]) en général pose un problème d’indépendance stratégique. Le marché, appelé à jouer un rôle croissant dans les années à venir ([92]), est dominé par Microsoft et Amazon. Ce constat interroge notre capacité à demeurer libres dans nos choix de consommateurs et de citoyens, ou encore la capacité que nous avons de conserver notre démocratie sans influence nuisible. La DGE travaille actuellement sur une stratégie visant à développer un « cloud de confiance ».

Ces débats sont d’autant plus vifs depuis l’adoption par le Congrès américain du « Cloud Act » (acronyme de Clarifying Lawful Overseas Use of Data Act). Cette loi fédérale américaine promulguée le 23 mars 2018 autorise les forces de l’ordre ou les agences de renseignement américaines à obtenir des opérateurs télécoms et des fournisseurs de services de cloud computing des informations stockées sur leurs serveurs. Cette mesure s’applique y compris lorsque ces données sont situées à l’étranger, par exemple en Europe. Ainsi, les prestataires de services sont tenus de communiquer les « contenus de communications électroniques et tout enregistrement ou autre information relatifs à un client ou abonné, qui sont en leur possession ou dont ils ont la garde ou le contrôle, que ces communications, enregistrements ou autres informations soient localisés à lintérieur ou à lextérieur des États-Unis ». Les autorités américaines peuvent obtenir des données, notamment personnelles ou de contenu, sans que la personne « ciblée » ou que le pays où sont stockées ces données n’en soient informés.

En résumé, le droit de la concurrence ne parvient donc que très partiellement à saisir par ses outils traditionnels les caractéristiques propres aux plateformes numériques structurantes.

 

 


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TROISIÈME PARTIE :
pour un nouveau droit de la régulation des plateformes numériques structurantes

Face aux insuffisances du droit de la concurrence, le droit de la régulation apparaît comme une solution particulièrement adaptée au monde des plateformes.

I.   construire un droit de la régulation ex ante des plateformes numériques structurantes

Des adaptations du droit de la concurrence sont nécessaires mais ce dernier ne peut parvenir seul à garantir le fonctionnement concurrentiel des écosystèmes concernés. Un droit de la régulation des plateformes structurantes doit par conséquent être élaboré. Il a vocation à venir non pas en remplacement, mais en complément du droit de la concurrence. Son rôle consisterait à assainir le marché en accompagnant et en contrôlant les acteurs afin de prévenir les comportements anticoncurrentiels. Il a pour objet d’instaurer des obligations nouvelles et spécifiques aux acteurs structurants du numérique. La mise en place d’une régulation ex ante apparaît comme une nécessité, non seulement grâce aux instruments qu’elle permet de déployer mais également dans sa finalité.

A.   des justifications théoriques nombreuses

La régulation ex ante vise certains secteurs dactivité qui, en raison de leurs caractéristiques propres, à lorigine de défaillance de marchés, nécessitent une intervention publique plus poussée que la seule intervention essentiellement ex post et casuistique qui s’exerce dans le cadre du droit commun de la concurrence.

Les plateformes numériques structurantes présentent de nombreuses caractéristiques communes avec les secteurs d’économie qui font l’objet d’une régulation spécifique.

La théorie économique justifie la mise en place d’une régulation ex ante dans les secteurs d’activité naturellement monopolistiques qui se caractérisent, d’une part, par des rendements croissants, liés à des coûts fixes élevés et des effets d’échelle, et, d’autre part, par des externalités fortes qui peuvent affecter les performances globales de l’économie ou le bien-être social. En l’absence de régulation, ces secteurs se caractérisent par une concentration aux mains d’un petit nombre d’acteurs. Le pouvoir de monopole ne résulte donc pas des mérites mais de caractéristiques économiques. Dans de telles situations, le seul jeu du marché ne permet pas dassurer un fonctionnement concurrentiel et satisfaisant au regard des enjeux dintérêt général en cause.

Les caractéristiques des plateformes numériques structurantes les rendent précisément candidates à ce type de régulation. Si certains éléments distinguent nettement le cas des plateformes numériques structurantes de celui des industries de réseau, notamment le fait que les plateformes structurantes n’ont jamais fait l’objet de monopole public et que le monopole n’a donc pas été acquis de la même manière, les justifications théoriques à lorigine de la régulation ex ante demeurent largement réunies :

 tout comme les industries de réseau, les plateformes numériques structurantes bénéficient de rendements croissants. Ces rendements croissants sont largement le fait des effets de réseau, et du rôle des données, qui peuvent être considérées comme des infrastructures similaires à celles développées par les industries de réseau ;

 les plateformes numériques structurantes produisent de nombreuses externalités, à la fois positives, dans le sens où elles facilitent le fonctionnement de pans entiers de l’économie, mais aussi négatives, notamment au vu des risques qu’elles font peser sur certaines libertés publiques par exemple.

Le droit de la régulation ex ante des industries de réseau

Les industries de réseau – chemins de fer, énergie, postes et télécommunications –  se caractérisent par des rendements croissants ainsi que par des externalités fortes. Pour ces raisons, la France a d’abord fait le choix de constituer des monopoles publics dans les secteurs concernés. À partir des années 1980 et sous l’influence du droit de l’Union européenne, un mouvement de libéralisation de ces monopoles publics a été amorcé, avec notamment pour objectif d’améliorer le bien-être des consommateurs et renforcer l’efficacité économique.

L’ouverture de ces monopoles publics a impliqué la transformation des modalités d’intervention publique, à travers la mise en place d’un droit de la régulation de ces industries de réseau. Dans la plupart des cas, une séparation a été actée entre les activités d’infrastructures, qui constituent le monopole naturel, et les activités de services pour lesquels la concurrence peut plus facilement être atteinte.

L’émergence de ce nouveau droit de la régulation s’est incarnée par l’instauration d’autorités administratives indépendantes en charge de la régulation sectorielle. Pour l’ensemble des autorités sectorielles qui visent à réguler les économies de réseau, on peut schématiquement distinguer deux types d’objectifs : le premier vise le fonctionnement concurrentiel du marché et le second vise d’autres objectifs d’intérêt général. En matière de concurrence, les autorités poursuivent en règle générale un double objectif d’ouverture à la concurrence d’un marché et de surveillance du monopole ou de l’oligopole naturel. À ces deux cas de figure correspondent respectivement une régulation qui a vocation à s’éteindre d’elle-même et une régulation qui a vocation à perdurer dans le temps. Ainsi, les autorités cherchent à garantir l’équité concurrentielle pour l’accès aux infrastructures. Cela peut par exemple conduire à accorder de façon temporaire des dispositions plus favorables aux nouveaux entrants. Ces autorités sectorielles contrôlent également les activités qui restent soumises à un monopole et le respect des obligations de services publics.

Les autorités cumulent généralement, avec un certain nombre de précautions visant à assurer la constitutionnalité de leur fonctionnement, un pouvoir règlementaire, qui leur permet d’édicter des règles formelles, avec un pouvoir de sanction, qui leur permet de sanctionner les comportements déviants. D’autres pouvoirs généraux sont également sollicités pour assurer la mise en œuvre efficace de la régulation tels que des pouvoirs d’enquête, de collectes d’informations et de règlement des différends. Aux côtés de ces outils de droit « dur » les autorités édictent également des normes relevant du droit souple, notamment à travers les avis qu’elles sont amenées à rendre. Surtout, les autorités disposent, du fait de leur bonne connaissance du secteur dont elles ont la charge, d’un « magistère d’influence ([93]) » sur le secteur en question, qui renforce l’efficacité de leur action.

Cette théorie justifie également la mise en place dune régulation ex ante de façon lorsque de fortes défaillances de marché sont remarquées, notamment du fait de mécanismes dasymétrie dinformations. C’est dans ce cadre que le secteur bancaire et financier fait l’objet d’une régulation spécifique sous l’égide d’un régulateur dédié, afin de surveiller les risques systémiques que les acteurs les plus importants font peser sur la stabilité du système monétaire et financier. Là encore, les points communs avec les plateformes structurantes sont nombreux.

La régulation bancaire et le mécanisme de supervision unique

Le mécanisme de surveillance unique (MSU) est le système de supervision bancaire européen. Il est composé de la Banque centrale européenne (BCE) et des autorités nationales de supervision des pays participants.

Ses principaux objectifs sont d’assurer la sauvegarde et la solidité du système bancaire européen, de renforcer l’intégration et la stabilité financières ainsi que de garantir la cohérence de la supervision bancaire.

Avec le mécanisme de résolution unique, le MSU est l’un des deux piliers de l’union bancaire européenne. La BCE supervise directement les 115 banques importantes des pays participants. Ces banques détiennent près de 82 % des actifs bancaires de la zone euro.

Plusieurs critères déterminent si une banque est jugée « importante ». Les banques qui ne sont pas considérées comme importantes sont dites « moins importantes ». Elles restent soumises au contrôle des autorités nationales de surveillance prudentielle, qui collaborent étroitement avec la BCE. La BCE peut à tout moment décider de superviser directement lune de ces banques afin dassurer lapplication systématique des normes élevées de supervision.

Tous les pays de la zone euro participent de fait au MSU. Les autres pays de l’Union européenne n’ayant pas encore l’euro comme monnaie peuvent décider de participer également.

B.   Une régulation ciblée sur une catégorie d’acteurs limités qui permet de conjuguer souplesse efficacité et dialogue

Vos rapporteurs plaident pour la mise en place dune régulation ex ante et souhaitent insister sur sa nécessaire dimension asymétrique.

Une régulation ex ante horizontale de lensemble des plateformes pourrait produire des effets négatifs sur linvestissement et linnovation. Cela a été souligné à plusieurs reprises lors des auditions conduites par vos rapporteurs. Une régulation symétrique s’avérerait contreproductive car elle engendrerait des coûts difficiles à supporter pour les petites entreprises et les acteurs émergents et pourrait donc conduire de manière indirecte à renforcer les acteurs dominants et entraver le développement de nouveaux entrants. S’il est justifié que les plateformes fassent dans leur ensemble l’objet d’une réglementation commune édictée par le législateur, comme c’est d’ailleurs déjà le cas, la régulation n’a de sens que si elle est appliquée aux acteurs les plus importants du marché qui posent des difficultés substantielles en matière de concurrence.

Ces considérations appellent donc à développer une approche proportionnée et ciblée sur les plateformes qui soulèvent dimportants enjeux concurrentiels et dinnovation.

C.   Une proposition aujourd’hui largement relayée dans la sphère académique et institutionnelle, qui correspond également aux aspirations de la société civile

Le droit de la régulation ex ante doit venir compléter les outils du droit de la concurrence. La régulation permet de développer une gamme de remèdes utilisés de façon préventive et proportionnée. Ce mode d’encadrement du marché garantit, en outre, une forme de souplesse qui assure la capacité des autorités à s’ajuster face aux évolutions rapides du monde des plateformes structurantes.

La mise en place dune régulation ex ante est une idée qui rencontre aujourdhui un large écho dans la sphère académique et institutionnelle au niveau français, européen et mondial. Le rapport « Furman » tout comme le rapport du centre Stigler ([94]) recommandent la mise en place d’une régulation ex ante à travers la création d’une nouvelle autorité. Le rapport de l’IGF souligne quant à lui la pertinence qu’il y aurait à mettre en place une régulation proactive asymétrique des acteurs du numérique, sur le modèle déjà établi dans le secteur des télécoms. La direction générale du Trésor insiste sur la nécessaire instauration d’une entité dédiée au niveau européen, à articuler avec les services existants de la Commission, pour appliquer ce cadre de régulation et instaurer une supervision des plateformes structurantes ([95]). Plusieurs rapports parlementaires récents s’inscrivent dans la même lignée. C’est le cas du rapport sénatorial de la commission d’enquête sur la souveraineté numérique ainsi que du rapport des députés Constance Le Grip et Patrice Anato.

La régulation des plateformes numériques structurantes répond également à une forte aspiration émanant de la société civile. Les États généraux du numérique s’en sont notamment fait l’écho dans le cadre des récentes conclusions rendues sur ce sujet. Sur le plan institutionnel, cette solution est préconisée de longue date par l’ARCEP. Entendue par vos rapporteurs, la direction générale des entreprises s’est également exprimée en faveur de cette proposition. La France porte des propositions qui vont dans cette direction dans les instances européennes (voir infra).

Si aucun pays na pour lheure mis en place une telle régulation, lAllemagne a récemment formulé des propositions législatives en ce sens. A ainsi été présenté un projet de loi qui prévoit, en plus d’une réforme du droit de la concurrence, d’imposer certaines obligations aux opérateurs de plateformes « dimportance primordiale ». Cette notion tient compte de leur position dominante sur un ou plusieurs marchés, de leurs capacités financières et de leurs accès à d’autres ressources, de leur intégration verticale et de leurs activités sur des marchés liés, de leur accès à des données pertinentes pour la concurrence, de l’importance de leur activité pour l’accès de tiers aux marchés et leur influence sur l’activité commerciale des tiers. Les plateformes répondant à ces critères se verraient interdire plusieurs pratiques telles que la restriction de la portabilité des données ou la discrimination des services concurrents du fait de leur position prépondérante sur un marché « amont ». De nombreux pays réfléchissent, selon des modalités variées, à la mise en place de cadres de régulation ex ante. C’est notamment le cas des Pays-Bas ([96]), de l’Italie, et de la Pologne. L’Italie et la Pologne ont notamment rédigé, aux côtés de l’Allemagne et la France, une lettre ouverte destinée à la vice-présidente Margrethe Vestager invitant la Commission européenne à mettre en place un cadre de régulation spécifique destiné à encadrer le pouvoir de certains acteurs systémiques du numérique ([97]).

Au niveau européen, bien que le rapport « Crémer » ne plaide pas en ce sens, la Commission européenne envisage dans le cadre du Digital Services Act de prévoir des nouvelles règles de responsabilité pour les plateformes numériques, comme développé infra.

Proposition 10 : Mettre en place une régulation ex ante asymétrique pour les plateformes numériques structurantes dont la liste aura été établie selon les modalités précisées par la proposition n° 1.

II.   Offrir au régulateur une gamme de remèdes pour assurer une régulation efficace et réussir là où le droit de la concurrence a échoué

L’objectif du droit de la régulation est d’offrir au régulateur une palette d’outils pour superviser les plateformes structurantes et prévenir les infractions au droit de la concurrence. Cette régulation asymétrique établit un régime d’obligations « sur mesure », s’appliquant à une catégorie réduite d’acteurs et dans des objectifs définis par le législateur. Ces remèdes ont vocation à prendre des formes variées et à être appliqués selon une approche graduée.

A.   promouvoir une culture de la transparence

Si le droit prévoit des obligations en matière de transparence et de loyauté à l’endroit des plateformes numériques, ces règles font l’objet d’une application très contrastée et ne comportent quasiment pas de dimension asymétrique.

1.   Des obligations de transparence déjà existantes mais insuffisantes

Le code de la consommation prévoit des obligations de transparence dont lapplication est aujourdhui loin dêtre satisfaisante. La loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, a établi à la charge des plateformes numériques une obligation générale d’information claire, loyale et transparente à l’intention des consommateurs. Ces dispositions ont été rehaussées par la loi pour une République numérique précitée qui a instauré des obligations particulières de loyauté et de transparence. En vertu de ces règles, les plateformes numériques doivent informer les consommateurs sur les conditions et les critères de classement et de référencement des offres, la nature et le mode de fonctionnement du service dintermédiation proposé ou encore lexistence dun lien capitalistique entre lopérateur de plateforme et loffreur. En outre, les plateformes numériques les plus importantes en termes d’audience sont soumises à des obligations renforcées. Ces règles ont été précisées par trois décrets entrés en vigueur au 1er janvier 2018 et 2019.

Une récente enquête de la DGCCRF montre que ces règles produisent à l’heure actuelle des effets trop limités. Ainsi, 32 des 44 entreprises contrôlées par la DGCCRF ne respectent pas les dispositions en vigueur ([98]). Les opérateurs de plateforme en ligne justifient cette non-conformité du fait de l’entrée en vigueur récente des dispositions concernées et par une insuffisance d’information quant à la réglementation applicable. Ce taux élevé s’expliquerait également par des interprétations différentes de certaines notions de la nouvelle réglementation ([99]). La DGCCRF note également que si « la majorité des plateformes ont cherché à mettre en place les actions correctives mais, malgré lenvoi de la lettre dinformation rappelant les nouvelles obligations, la mise en conformité de plusieurs dentre elles se fait attendre ».

Le règlement européen « platform to business », qui doit entrer en vigueur au 20 juillet 2020 dans lensemble des pays membres de lUnion européenne, renforce les obligations de transparence à légard des utilisateurs professionnels. Les fournisseurs de services d’intermédiation devront indiquer dans leurs conditions générales d’utilisation les principaux paramètres utilisés pour le référencement des biens et des services. Ces règles s’imposeront également aux moteurs de recherche. Ces mêmes fournisseurs devront également communiquer les avantages accordés à leurs propres produits lorsqu’ils agissent également en qualité de vendeur.

2.   Renforcer les obligations de transparence pesant sur les plateformes numériques structurantes et mettre en place un suivi spécifique par le régulateur

Outre la nécessité de veiller à la bonne application des règles fixées par le législateur pour l’ensemble des plateformes, il est souhaitable d’envisager des obligations et des modalités de transmission de l’information nouvelles dans le cadre de la régulation asymétrique. En effet, dans l’objectif de réduire les mécanismes d’asymétrie d’informations qui favorisent le développement des monopoles, limitent les marges de manœuvre des utilisateurs et entravent l’action des autorités publiques, le régulateur pourrait prévoir des obligations spécifiques en matière de transparence à lendroit des plateformes structurantes et en assurer un suivi.

Dans ce cadre, une attention particulière pourrait être portée sur la question de la transparence des algorithmes. Celle-ci apparaît encore bien trop limitée dans la régulation actuelle. Le règlement « platform to business » exclut explicitement le fonctionnement détaillé des algorithmes des principaux paramètres soumis à des obligations de transparence. Sans aller vers des obligations de transparence générales qui pourraient porter une atteinte disproportionnée à la propriété intellectuelle et industrielle, le régulateur pourrait demander aux plateformes de lui transmettre des informations sur le fonctionnement des algorithmes. Ceci permettrait d’en assurer un audit et de réagir en cas de risque d’atteinte au fonctionnement concurrentiel.

Proposition 11 : Prévoir des obligations spécifiques en matière de transparence à l’endroit des plateformes structurantes et en assurer un suivi. Dans ce cadre, prévoir des obligations de transmission d’informations au régulateur concernant la construction des algorithmes ainsi que sur la qualité et la pondération des bases de données d’entrainement.

B.   Développer des standards techniques facilitant la portabilité des données et l’interopérabilité des services

Le nouveau droit de la régulation que vos rapporteurs appellent de leurs vœux pourrait utilement comporter un volet visant à développer des outils à même d’assurer la portabilité des données et l’interopérabilité des services.

Du point de vue concurrentiel, cet objectif de portabilité et d’interopérabilité apporterait un contrepoids aux écosystèmes numériques et aux effets de verrouillage qui les caractérisent. En effet, l’accumulation, le traitement et le croisement des données personnelles des utilisateurs par les plateformes, rendus possibles par les effets de réseau, favorisent les mécanismes de verrouillage et constituent de facto une barrière à l’entrée des marchés. La portabilité des données et l’interopérabilité des services peuvent permettre de limiter ces effets.

1.   Un droit de la portabilité des données balbutiant et une interopérabilité en pratique très limitée

Portabilité et interopérabilité : éléments de définition

La portabilité des données consiste à permettre à l’utilisateur de quitter une plateforme avec une copie de ses données personnelles dans leur état au moment de la demande. Concrètement, le droit à la portabilité doit par exemple permettre à l’utilisateur d’un réseau social de demander à récupérer l’intégralité de ses données – contacts, photos, messages – en vue de les transmettre à un réseau social concurrent

L’interopérabilité fait référence à la capacité d’un produit ou d’un système, dont les interfaces sont intégralement connues, à fonctionner avec d’autres produits ou systèmes existants ou futurs et ce sans restriction d’accès ou de mise en œuvre. Dans le cas des plateformes numériques, elle vise donc à permettre à l’utilisateur de poursuivre ailleurs l’activité initialement menée sur une plateforme, sur le modèle de ce qui existe déjà pour les messageries électroniques ou des abonnements téléphoniques.

L’interopérabilité constitue donc l’un des moyens de donner une véritable portée pratique au principe de portabilité.

Le principe de portabilité des données personnelles a été consacré par le RGPD. Larticle 20 énonce ainsi quune personne a le droit de recevoir les données personnelles la concernant, quelle a fournies à un responsable du traitement, dans un format structuré, couramment utilisé et lisible par machine, et peut les transmettre à un autre responsable. Ce nouveau droit a pour conséquence non seulement le renforcement du contrôle des individus sur leurs données personnelles – ce qui a précisément motivé le législateur européen –, mais constitue également un levier pour stimuler la concurrence sur les marchés du numérique. Ainsi, selon la CNIL, le RGPD a permis « un changement fondamental de notre cadre juridique qui renforce bien sûr le contrôle de la personne concernée sur ses propres données personnelles. Lapplication du droit à la portabilité des données vise également à redistribuer les conditions du marché dans le domaine des services numériques, en rééquilibrant lasymétrie existante entre le consommateur et les fournisseurs de services. Ces nouvelles conditions devraient également stimuler linnovation pour les nouveaux entrants et favoriser la concurrence entre fournisseurs de services, linteropérabilité ainsi que linnovation, en libérant des environnements numériques où les utilisateurs sont parfois captifs ([100]) ».

Toutefois, le principe de portabilité des données peine à se traduire en pratique. Le règlement général sur la protection des données ne permet pas de reprendre les données « inférées » des utilisateurs, c’est-à-dire les données déduites par la plateforme à partir de l’activité de l’utilisateur. Or, pour l’ARCEP, celles-ci peuvent se révéler tout autant nécessaires à la mise en œuvre de l’interopérabilité : « dans le cas de systèmes de communications interpersonnelles, par exemple, la seule migration des messages enregistrés ne serait pas suffisante. La portabilité de ce type de service naurait de pertinence que si les utilisateurs peuvent également migrer leurs listes de contacts, leurs habitudes de raccourcis ou encore leurs suggestions automatiques. Les données inférées – dont les profils construits par la plateforme – peuvent ainsi se révéler tout aussi critiques que les données directement fournies par lutilisateur ([101]) ». En conséquence, une modification de la définition des données personnelles dans le RGPD qui permettrait d’inclure les données inférées dans les données éligibles à la portabilité serait bienvenue.

Surtout, le RGPD ne comporte aucune obligation en matière dinteropérabilité, ce qui limite par définition la portée du principe de portabilité. Si le considérant 68 dispose bien qu’« il y a lieu dencourager les responsables du traitement à mettre au point des formats interopérables permettant la portabilité des données. », en l’absence d’obligations normatives, l’interopérabilité en reste aujourd’hui à des initiatives très balbutiantes. De nombreux obstacles pratiques limitent sa mise en œuvre. Les plateformes françaises auditionnées par la mission d’information ont confirmé pour certaines avoir mis en œuvre la portabilité des données utilisateurs, mais ne pas avoir encore travaillé à l’interopérabilité de leurs services, dont l’infrastructure est souvent bien différente de l’architecture des plateformes structurantes.

Des obligations sectorielles dinteropérabilité existent dans le droit national

En droit des télécommunications, l’interopérabilité est un élément inhérent à l’ouverture concurrentielle. En effet, l’interconnexion des réseaux, qui requiert leur interopérabilité, est une des clefs de l’ouverture du marché à la concurrence en ce qu’elle permet de maintenir les effets de réseaux globaux tout en assurant un niveau de concurrence profitable à la fois au consommateur et à l’économie. Le droit de la régulation des télécommunications a ainsi instauré des obligations de portabilité des numéros de téléphone portable à même de garantir l’interopérabilité entre opérateurs.

Des obligations d’interopérabilité ont également été posées de façon plus récente dans le domaine des transports. Ainsi la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités, dite loi « LOM », sous le contrôle de l’Autorité de régulation des transports, impose aux services de transport de communiquer, selon un standard établi, les données statiques et dynamiques liées à leurs services dans un format ouvert afin qu’elles puissent être récupérées et utilisées par des services numériques

Des obligations d’interopérabilité ont également été prévues via la loi n° 2018-700 du 3 août 2018 qui impose notamment, sous le contrôle de l’Autorité de contrôle prudentiel et de régulation (ACPR), aux prestataires de services de paiement gestionnaires de comptes de veiller à ce que leurs interfaces d’accès suivent des normes de communication publiées par des organisations européennes ou internationales de normalisation pour permettre l’interopérabilité de leurs logiciels et applications avec les systèmes des prestataires de services de paiement gestionnaires de comptes ([102]).

2.   Élaborer de nouvelles règles et des standards communs pour favoriser la portabilité en vue de l’interopérabilité sous l’égide d’un régulateur

Le développement de l’interopérabilité pour les plateformes numériques structurantes donnerait le choix aux utilisateurs de déterminer les services qu’ils souhaitent utiliser sans risquer de se retrouver exclus des communautés avec lesquelles ils désirent communiquer, ou encore sans se voir contraints d’adhérer à une communauté pour pouvoir communiquer. L’interopérabilité permettrait donc de préserver les effets de réseau tout en fluidifiant la concurrence entre les acteurs visés et les possibilités d’essor de nouveaux acteurs et services additionnels, telles que des méthodes de référencement des contenus plus pertinentes, ou encore des conditions de présentation de ces contenus plus attractives. En restaurant la contestabilité des marchés, l’interopérabilité des services pourrait avoir un effet positif sur l’innovation au bénéfice des consommateurs.

Or, la mise en œuvre de linteropérabilité nécessite une stratégie globale et des standards techniques harmonisés qui sont aujourdhui largement insuffisants. Dans ce contexte, des règles visant à imposer la portabilité et l’interopérabilité des données sont souhaitées par de nombreux acteurs. Les conclusions des états généraux du numérique reprennent également ces propositions.

Vos rapporteurs proposent donc que le régulateur en charge de la supervision des plateformes structurantes ait notamment pour mission de favoriser la portabilité des données et l’interopérabilité des plateformes en instaurant au besoin des obligations aux plateformes numériques structurantes en la matière.

Pour ce faire, il est nécessaire d’établir des protocoles communs sur les moyens d’échanges de données et le format des données échangées afin qu’elles soient comprises et utilisables par tous. Ces règles doivent être édictées et leur mise en œuvre surveillée dans le cadre d’un dialogue constant avec les autorités en charge de la protection des données personnelles, afin de garantir leur pleine compatibilité avec ce pan du droit.

Dans les faits, des initiatives lancées par les plateformes elles-mêmes ont d’ores et déjà émergé en ce sens. Ainsi, Google, Facebook, Microsoft et Twitter ont initié en 2017 un projet d’interopérabilité, appelé le « Data Transfer Project », qui vise à élaborer une plateforme ouverte afin que les utilisateurs puissent transférer leurs données vers toute plateforme ayant adhéré à l’initiative. Apple, mais aussi des plateformes de taille plus modeste, ont ensuite rejoint le projet, comme Deezer, Mastodont ou SmugMug. Les transferts de données utilisateurs, qui seront rendus possibles d’une plateforme à une autre, s’inscrivent dans cette dynamique d’interopérabilité, que le régulateur des plateformes structurantes devra promouvoir et garantir.

Sur le plan technique, l’interopérabilité peut être garantie de deux manières complémentaires. Il est possible d’imposer à un opérateur de plateforme numérique structurante de divulguer les spécifications techniques nécessaires à l’interopérabilité, cette solution a été adoptée par la Commission européenne dans l’affaire Microsoft de 2004 ([103]). Le recours à un standard ouvert et normalisé, peut être imposé à un opérateur de plateforme numérique structurante, cette solution retenue par exemple par la Federal Communication Commission dans une décision concernant le service de messagerie instantanée d’AOL ([104]).

Si cette dernière solution était choisie, il serait important que les standards techniques retenus soient élaborés au niveau européen, afin de promouvoir une souveraineté numérique européenne.

Enfin, le régulateur devra prendre en considération les coûts de l’interopérabilité afin d’éviter que ces mesures se retournent contre les plateformes de petite taille. En effet, la mise en œuvre de l’interopérabilité de ces services représente souvent un coût très important pour les plus petits opérateurs du marché, qui pourraient se trouver désavantagés face aux plateformes structurantes. Il sera donc nécessaire que le régulateur soit vigilant et garantisse un cadre favorable au fonctionnement concurrentiel du marché sans introduire de contraintes supplémentaires pour les petits acteurs.

Proposition n° 12 : Favoriser la mise en place de la portabilité des données et de l’interopérabilité des services via une action volontariste du régulateur et l’adoption de standards techniques pertinents, dans l’objectif de limiter les mécanismes de verrouillage inhérents aux plateformes structurantes.

C.   Considérer certaines données comme des infrastructures essentielles et prévoir en conséquence des modalités d’accès à ces dernières

Afin d’approfondir l’encadrement du partage des données entre les entreprises numériques, certaines de ces données pourraient faire l’objet d’un traitement spécifique en étant reconnues comme « infrastructures essentielles ».

Inspiré du droit américain des « essential facilities », la théorie des infrastructures essentielles est une construction jurisprudentielle reprise par les juges français et européens ([105]). Elle permet de contraindre un opérateur à ouvrir l’accès à une infrastructure, dès lors que celle-ci est considérée essentielle, c’est-à-dire :

– indispensable ou strictement nécessaire pour l’opérateur qui offre un produit ou un service sur le marché amont, aval ou complémentaire de celui sur lequel le détenteur de l’infrastructure domine ;

– impossible ou du moins considérablement difficile à reproduire dans des conditions économiques raisonnables par des concurrents, seuls ou associés ([106]).

Cette théorie permet d’imposer une obligation d’accès à cette ressource en faveur des concurrents, afin de protéger le jeu de la concurrence. Aujourd’hui, elle trouve principalement à s’appliquer ex post dans des secteurs relevant d’économies de réseaux. La jurisprudence a ainsi qualifié de facilités essentielles des infrastructures matérielles ou immatérielles très diverses telles que des installations portuaires, des réseaux câblés ([107]), des grilles de programmation de télévision ([108]).

Lapplication de la théorie des infrastructures essentielles aux données détenues par France Telecom

À l’occasion d’une décision rendue le 7 décembre 2005, le Conseil de la concurrence a condamné la compagnie France Telecom pour abus de position dominante, cet abus étant constitué du refus d’accorder aux opérateurs concurrents l’accès aux réseaux téléphoniques, puis de l’ouverture de ces données dans des conditions jugées restrictives et injustifiées. Le Conseil de la concurrence a donc estimé qu’un accès aux infrastructures essentielles soumis à des conditions restrictives injustifiées équivaut à un refus et constitue de ce fait un abus de position dominante.

Cette notion des infrastructures essentielles doit retenir toute notre attention en raison du caractère incontournable de certaines bases de données, communautés d’utilisateurs ou écosystèmes propres aux plateformes structurantes.

Cette théorie pourrait trouver à s’appliquer utilement dans le cadre du droit de la régulation ex ante, de façon à permettre des règles d’ouverture des données au cas par cas. Cette solution n’aurait toutefois pas vocation à être rendue systématique, au risque de porter atteinte disproportionnée à la protection des données personnelles, à la liberté contractuelle, au droit de propriété et de décourager l’investissement. La CNIL devra être consultée avant chaque ouverture envisagée de données, afin de garantir le respect des principes de protection des données personnelles et de la vie privée.

Proposition n° 13 : Prévoir des modalités d’ouverture équilibrées des données lorsque celles-ci peuvent être considérées comme des infrastructures essentielles.

Les obligations de partage des données prévues dans le cadre de la loi dorientation des mobilités, dite loi « LOM »

La loi n° 2015˗990 du 6 août 2015 précitée a introduit à l’article L. 1115˗1 du code des transports une obligation de publication des données des services réguliers de transport à la charge des autorités organisatrices de transport.

La loi LOM a élargi l’obligation de fourniture des données aux données statiques et dynamiques sur les déplacements et la circulation ainsi que les données historiques de circulation ([109]). La loi a introduit un nouvel article L. 1115-2 dans le code des transports qui confie aux autorités compétentes et notamment à l’Autorité de régulation des transports la charge d’animer ces démarches de fourniture et d’ouverture des données. Il revient ensuite au régulateur de mettre en œuvre une stratégie définissant les opérateurs émetteurs de données, les bénéficiaires de ces données, leur typologie, la proportionnalité, leur sécurisation et leur format.

D.   affirmer et faire vivre le principe de neutralité des terminaux

Imposer la neutralité des terminaux pourrait permettre de prévenir un certain nombre de risques qui sont aujourd’hui sanctionnés uniquement ex post et au cas par cas dans le cadre du droit de la concurrence. En effet, la neutralité des terminaux permettrait de limiter certaines pratiques qui nuisent aujourd’hui de façon structurelle à la concurrence et à la liberté de choix du consommateur.

1.   Le droit garantit la neutralité d’internet sans garantir la neutralité des terminaux

En 2015, le règlement européen pour un internet ouvert ([110]) a consacré le principe de neutralité du net. L’accès au réseau doit être indiscriminé pour l’ensemble des prestataires de services sur internet et pourvoyeurs de contenus. Ce principe figure également dans le droit national depuis la loi précitée du 7 octobre 2016 pour une République numérique. Toutefois, la loi ne prévoit pas de disposition relative à la neutralité des équipements terminaux : il n’existe donc pas d’obligation de neutralité pour les fournisseurs de système d’exploitation mobiles.

2.   De nombreuses pratiques en cause

Le marché des systèmes d’exploitation des téléphones mobiles est structuré en un duopole détenu par Google et Apple pour les téléphones intelligents et par Microsoft et Apple pour les ordinateurs. Ces acteurs dominants se livrent à de nombreuses pratiques qui ont pour effet de restreindre la concurrence et le choix offert aux consommateurs. Un rapport de l’ARCEP paru en novembre 2018 analyse comment ce phénomène nuit à l’équilibre des relations entre une plateforme numérique et ses partenaires commerciaux. Cette atteinte à la neutralité des terminaux peut prendre plusieurs formes :

– limpossibilité de désinstaller des applications préinstallées : sous Android comme sous iOS, plusieurs applications sont préinstallées et ne peuvent être désinstallées par l’utilisateur, qu’il s’agisse d’applications Android, Apple, ou de fabricants de terminaux. La pré-installation de ces applications a conduit les utilisateurs à utiliser très largement les applications par défaut aux dépens de la concurrence. Il est en effet très rare qu’ils installent des applications offrant la même fonctionnalité qu’une application préinstallée ;

 les paramètres par défaut : sous iOS, le système d’exploitation d’Apple, certaines fonctionnalités sont activées par défaut et ne peuvent être modifiées. Par exemple, le choix du « client de messagerie » ([111]) ou du navigateur utilisé par défaut n’est pas modifiable par l’utilisateur ;

 laccès discriminés à certaines fonctionnalités du terminal : certaines restrictions peuvent concerner l’accès à certaines fonctionnalités du terminal, comme l’illustrent les problématiques liées au service de paiement mobiles ;

Le système dexploitation iOS limite laccès des applications tierces
à certaines de ses fonctionnalités

En effet, le système d’exploitation iOS offre aux applications tierces un accès très limité à la puce NFC ([112]) des terminaux Apple, dans la mesure où Apple n’ouvre pas l’interface de programmation donnant accès à cette fonctionnalité. Or, cet accès étant nécessaire pour utiliser un terminal mobile afin d’effectuer un paiement sans contact, les applications concurrentes d’Apple Pay se retrouvent dans l’incapacité de proposer leurs services de paiement sans contact aux usagers des terminaux Apple de manière indépendante. En conséquence de nombreux prestataires de services de paiement mobile, notamment des fintechs françaises, intégrés dans les applications bancaires, se voient empêchés d’utiliser la puce NFC des terminaux Apple. Cette absence d’accès aux puces NFC a potentiellement des conséquences sur la délivrance de titres de transport dématérialisés. Ainsi, de ce fait, la dématérialisation du pass Navigo ne peut se déployer sur la plupart des terminaux des usagers des transports en commun franciliens.

Fin 2018, la société Kaspersky a été empêchée de mettre à jour son application Safe Kids sur iPhone (une application de contrôle parental qui permet de bloquer l’utilisation de certaines applications) au motif qu’elle accède au profil de configuration des téléphones Apple pour son fonctionnement. En parallèle, Apple avait également retiré de son magasin d’application 11 des 17 applications les plus populaires de contrôle parental et de gestion du temps d’utilisation de l’iPhone. Ce blocage étant survenu peu de temps après qu’Apple ait inclus une application similaire dans iOS, Kaspersky a déposé plainte en mars 2019 auprès des autorités russes pour concurrence déloyale. En réaction, l’application a été débloquée sur l’App Store ce qui pourrait souligner le caractère arbitraire de cet accès aux magasins d’application.

 les conditions de distribution tarifaires et le partage de la valeur : les utilisateurs des applications hébergées sur le magasin d’applications de Google et d’Apple qui souhaitent acheter des fonctionnalités et des contenus numériques sur ces applications se voient forcés d’utiliser le système d’achat intégré d’Apple et de Google. Ce mécanisme permet à Google et Apple de prélever une commission de 30 % sur l’ensemble des ventes. La société de jeux vidéo Epic dénonce cette pratique, la qualifiant d’illégale et d’abus de position dominante. Pour contourner cette commission de 30 %, Epic, l’éditeur de Fortnite a tenté de mettre Fortnite à disposition via le Play Store avec un système de paiement interne qui n’utiliserait donc pas celui de Google, mais la plateforme y est opposée. Epic a dénoncé la pratique de Google consistant à forcer l’utilisation de son moyen de paiement pour des transactions via la Play Store, la qualifiant d’illégale et d’abus de position dominante ;

– le traitement inéquitable dapplications similaires par les magasins dapplications : les magasins d’applications des plateformes structurantes appliquent des règles peu transparentes voire discriminantes à l’égard de certains développeurs d’applications. À titre d’illustration, le développeur d’une application de client Reddit ([113]) a vu son compte suspendu et son application retirée du Play Store en raison de l’âge minimum d’utilisation fixé à 17 ans au lieu de 18 ans. Cette décision apparaît comme discrétionnaire alors que d’autres applications de clients Reddit imposant des conditions similaires ne sont pas concernées. Outre le traitement inégal, c’est l’application et la gestion des règles du Play Store par Google qui sont reprochées ([114]).

3.   Permettre au régulateur d’imposer la neutralité des terminaux

À laune de ces éléments, vos rapporteurs estiment nécessaire quun nouveau principe de neutralité des terminaux soit consacré. Son application par les plateformes structurantes devra faire lobjet dun suivi approfondi par le régulateur ex ante.

Cette évolution, recommandée de longue date par l’ARCEP, paraît dautant plus urgente que les terminaux mobiles et les objets connectés connaissent un essor fulgurant. Selon l’ARCEP, si les données sont actuellement stockées à 80 % sur les réseaux et 20 % dans les terminaux, ce rapport devrait s’inverser dans vingt ans.

Le principe de neutralité des terminaux permettra aux utilisateurs de se prévaloir à l’encontre des fournisseurs de systèmes d’exploitation mobiles d’un droit de libre accès aux services et applications. Les restrictions imposées par les fournisseurs de systèmes d’exploitation devront être proportionnées et dûment motivées.

Proposition 14 : Étendre la régulation des réseaux internet aux terminaux mobiles et consacrer un droit de libre accès aux services et applications pour les utilisateurs d’appareils connectés.

E.   Consacrer un principe de non-discrimination

Un principe de non-discrimination pourrait être consacré pour remédier au problème de mise en avant de ses propres services par une plateforme. En l’état actuel du droit, ces pratiques peuvent être condamnées dans le cadre du droit commun de la concurrence. Mais, ces sanctions arrivent souvent de façon trop tardives et trop incertaines et nécessitent qu’une position dominante soit bel et bien exercée sur le marché en question.

Le règlement européen « platform to business » comporte des mesures concernant les traitements différenciés et les restrictions de l’offre des biens et services. Elles restent cependant trop limitées au regard des spécificités des plateformes structurantes. Le règlement prévoit ainsi une simple obligation de communication dans les conditions générales d’utilisation sur les éventuels traitements différenciés accordés à leurs propres biens et services ou à tout autre utilisateur professionnel ([115]). L’article 10 du règlement introduit également l’obligation, pour les fournisseurs de service d’intermédiation, de motiver toute restriction d’accès aux utilisateurs professionnels.

Ces mesures de transparence sont insuffisantes face aux risques concurrentiels engendrés par les plateformes. Le principe de non-discrimination permettrait d’aller plus loin au bénéfice du fonctionnement concurrentiel du marché. Il consisterait à établir une obligation de réserver un accès et un traitement équivalents pour des offres présentant des caractéristiques équivalentes. Il aurait pour effet d’interdire en amont la mise en avant de services ou produits « maison » au détriment de services ou produits tiers.

Proposition n° 15 : Consacrer un principe de non-discrimination afin d’interdire en amont la mise en avant de services ou produits « maison » au détriment de services ou produits tiers.

F.   écarter l’option du démantèlement ?

Les remèdes proposés par le régulateur pourraient aller dans certains cas jusqu’à l’imposition d’une séparation partielle de certaines activités de l’entreprise. Le principe de la séparation permet d’isoler une partie des services de l’entreprise et peut permettre de limiter les risques de discrimination. Les séparations peuvent prendre plusieurs formes :

 comptable (dimension économique) : séparation des activités dans les comptes réglementaires ;

– fonctionnelle (rajout d’une première dimension technique) : elle peut prendre différentes formes, séparation des fonctions, des données collectées, des employés, de l’information, de la stratégie ; etc.

– juridique (demeure a minima une structure de gouvernance commune pour définir les grandes orientations) : séparation des différents produits et services au sein de filiales dédiées ;

– totale : séparation actionnariale et désinvestissement ; cette séparation correspond au démantèlement.

Face aux plateformes structurantes qui ont acquis un pouvoir de marché extrêmement puissant, plusieurs voix sélèvent dans le débat public et politique pour exiger leur démantèlement.

Cette solution radicale, qui porte par nature atteinte au droit de propriété, consiste à imposer, par le droit, la séparation d’une entité juridique constituée de la personnalité morale de l’entreprise en plusieurs entités distinctes. Ces solutions ont été retenues au début du vingtième siècle aux États-Unis, dans l’affaire Standard Oil en 1911, ou plus tardivement dans le cadre de la séparation du monopole d’AT&T en deux groupes distincts, à la fois sur le plan juridique et le plan capitalistique, la première étant en charge de la gestion des infrastructures de réseau et l’autre des services.

L’application de la solution du démantèlement aux plateformes numériques structurantes fait l’objet de vifs débats aux États-Unis. Des personnalités comme Chris Hughes, co-fondateur de Facebook ou le professeur de droit Tim Wu se sont prononcés en faveur de telles solutions. La démocrate Elisabeth Warren en a fait l’un des thèmes de sa campagne électorale lors des primaires de son parti.

Cette solution peut séduire par sa radicalité et sa simplicité. Elle n’est toutefois pas exempte de critiques et de limites. En premier lieu, elle porte une atteinte très forte, que d’aucuns jugent disproportionnée, au droit de propriété et à la liberté de commerce et d’industrie, soit deux principes à valeur constitutionnelle et primordiaux dans la promotion de l’État de droit. En deuxième lieu, cette solution ne répondrait que partiellement aux difficultés posées par ces nouveaux géants. Les effets de réseau propres aux plateformes structurantes risqueraient de rendre inefficaces cette solution, les sociétés séparées pouvant atteindre de nouveau une part d’activité substantielle sur les marchés concernés.

Face au double constat des limites du laisser-faire et des excès du démantèlement, vos rapporteurs font le choix de défendre la voix de la régulation et de la supervision des géants du numérique, en déployant la boîte à outils qui a été détaillée supra.

III.   créer une nouvelle infraction d’abus de domination pour les plateformes structurantes

En complément des différents outils pro-concurrentiels qui peuvent être développés dans le cadre du droit de la régulation, une évolution de la notion d’abus de position dominante de façon spécifique pour les plateformes numériques structurantes pourrait être envisagée.

En l’état actuel du droit, l’abus de position dominante tel qu’il est défini dans le code de commerce nécessite la réunion des trois conditions suivantes :

– l’existence d’une position dominante ;

– une exploitation abusive de cette position ;

– un objet ou un effet restrictif de concurrence sur un marché.

Lassouplissement du standard de la position dominante prendrait tout son sens dans le cas où la plateforme structurante dispose dun pouvoir de marché incontournable, sans pour autant être en position dominante. Ce phénomène est notamment décrit par l’économiste Lina Khan qui estime qu’Amazon ne jouit pas d’une position dominante en soi, mais que l’entreprise est devenue un « partenaire incontournable ». La notion de dominance est redéfinie par la chercheuse, à travers le concept de « monopolization », auquel le mot français « monopolisation » correspond bien. Ce concept décrit la situation d’une entreprise qui n’est pas encore en position dominante, mais est en train de le devenir du fait de pratiques abusives. Il est défini en droit américain dans la section 2 du Sherman Act, disposant que toute personne qui commet un abus de domination, ou tente dinstaller une position dominante (…) doit être punie dans le cadre du droit anti-trust américain ([116]). Selon l’Autorité de la concurrence française, la notion de monopolisation reste cependant peu utilisée.

Le ministère de la justice américain fixe trois conditions pour qu’une tentative de « monopolisation » soit caractérisée : un comportement anti‑concurrentiel, une intention spécifique de créer un monopole, ainsi qu’un risque manifeste de parvenir à installer ce monopole ([117]).

Proposition 16 : Créer un nouvel abus de monopolisation pour les plateformes numériques structurantes, qui permettrait de prévenir l’installation définitive des monopoles en sanctionnant l’intention manifeste de créer un monopole lorsque cette dernière a des chances très sérieuses d’être atteinte, notamment du fait de pratiques anticoncurrentielles.

IV.   Renforcer le contrôle des concentrations

La précédente partie du rapport a montré, parmi les faiblesses du cadre juridique actuel, en quoi le contrôle des concentrations n’était pas adapté face aux acquisitions consolidantes des plateformes numériques structurantes.

En pleine cohérence avec l’idée générale d’une nouvelle supervision des plateformes numériques structurantes, vos rapporteurs proposent dinstaurer un nouveau mécanisme de notification obligatoire de lensemble des acquisitions envisagées par les plateformes numériques entrant dans le champ du régulateur, assorti, dans des conditions strictement encadrées, de la possibilité de prévoir un contrôle ex post.

A.   Instaurer un mécanisme de notification obligatoire de l’ensemble des acquisitions envisagées

Vos rapporteurs souhaitent la mise en place dun mécanisme de notification obligatoire de lensemble des acquisitions envisagées par les plateformes.

Cette solution est aujourdhui préconisée, sous différentes variantes, par de nombreux experts. L’IGF suggère d’instaurer une mise sous surveillance d’acteurs qui auraient été préalablement considérés comme étant « systémiques », avec revue systématique, de façon plus ou moins détaillée selon les enjeux financiers, de l’ensemble de leurs acquisitions. Le rapport « Furman » propose la mise en place d’une obligation de notification de tout projet d’achat pour certains acteurs identifiés. Le rapport des députés Patrice Anato et Constance Le Grip plaide également en faveur de la mise en œuvre d’une solution analogue.

LAllemagne envisage de faire évoluer sa législation afin de permettre à lautorité de concurrence allemande, la Bundeskartellamt, denjoindre aux entreprises réalisant un chiffre daffaires de plus de 250 millions deuros de notifier toute acquisition dentité réalisant plus de 2 millions deuros de chiffre daffaires et susceptible de restreindre la concurrence sur le territoire allemand dans un secteur particulier.

Vos rapporteurs préconisent la notification obligatoire pour les plateformes structurantes de lensemble de leurs acquisitions auprès de lautorité chargée dappliquer le droit de la régulation asymétrique. Celle-ci pourrait, après analyse de lopération, saisir le cas échéant lAutorité de la concurrence en formulant un avis détaillant les indices susceptibles dindiquer les risques que lopération pourrait faire peser sur la concurrence.

Lobligation de notification pourrait saccompagner dun renversement de la charge de la preuve, qui allégerait considérablement le suivi pour les autorités administratives. Il reviendrait donc aux plateformes de présenter les éléments montrant que lacquisition ne fait pas courir de risques du point de vue du fonctionnement concurrentiel du marché. Ce mécanisme de renversement de la charge de la preuve est aujourdhui recommandé par de nombreux travaux académiques, dont ceux du centre Stigler ([118])  et du rapport « Crémer ».

Ce dispositif aurait vocation à s’appliquer tant à l’échelle nationale qu’européenne, selon des modalités de répartition qui permettraient de renvoyer à l’échelon le plus pertinent pour analyser les effets de l’opération en cause. L’échelon européen serait justifié pour les cas où les opérations d’acquisition feraient intervenir des entreprises présentes dans plusieurs États membres de l’Union européenne. Dans le cas contraire, l’échelon français pourrait prévaloir.

 

Proposition 17 : Introduire l’obligation de notification spécifique de l’ensemble des opérations de concentration envisagées par les plateformes structurantes. Cette notification doit s’effectuer auprès du régulateur dédié, qui serait dans l’obligation de saisir l’Autorité de la concurrence lorsqu’un risque important est identifié.

Les solutions visant à baisser ou modifier les seuils
présentent de nombreux inconvénients

Baisser le seuil de chiffre d’affaires déclenchant un contrôle, comme l’ont fait certains pays, aurait pour effet d’alourdir considérablement la charge administrative des autorités. Ainsi, selon l’Inspection générale des finances, l’abaissement du seuil de contrôle en Allemagne a eu pour effet de submerger l’Autorité de la concurrence allemande avec des cas peu intéressants du point de vue des dangers concurrentiels ;

Introduire des seuils alternatifs, non plus en fonction du chiffre d’affaires, mais en fonction de la valeur de transaction, est une solution qui présenterait de nombreuses difficultés pratiques et serait source d’insécurité juridique. Elle pourrait avoir pour effet de générer des risques de dissimulation du prix d’acquisition, comme cela est souligné par l’IGF. L’Autorité de la concurrence fait ainsi état de la difficulté à calculer la valeur exacte de la transaction, qui peut également entraîner des risques de sécurité juridique pour les entreprises, « avec le risque de ne pas notifier une opération qui aurait dû lêtre et, par conséquent, risquer une sanction ». Enfin, cette solution pourrait également savérer nuisible à la vie des affaires, en raison des effets de seuil quelle pourrait engendrer. Dans ce cadre, lAutorité de la concurrence, qui ne rejette pas « par principe » le système fondé sur un seuil en valeur de transaction, estime « préférable de mettre en place un système ciblé garantissant la sécurité juridique des entreprises ».

B.   La question du contrôle ex post

De façon complémentaire à l’instauration dun mécanisme de notification obligatoire, certains préconisent également la mise en place dun contrôle ex post. Vos rapporteurs considèrent quau vu des risques quune telle solution engendre au regard de la sécurité juridique, cette solution doit être envisagée avec prudence et de façon encadrée.

Le contrôle ex post consiste à permettre à lautorité administrative dintervenir une fois lopération de concentration réalisée et de prévoir, si nécessaire, des ajustements structurels si les conditions font apparaître un préjudice important en matière de concurrence.

Cette possibilité est par nature limitée en droit français et européen, le contrôle des concentrations seffectuant traditionnellement a priori. Certaines exceptions existent toutefois. Larticle L. 430-9 du code de commerce dispose ainsi que : « LAutorité de la concurrence peut, en cas dexploitation abusive dune position dominante ou dun état de dépendance économique, enjoindre, par décision motivée, à lentreprise ou au groupe dentreprises en cause de modifier, de compléter ou de résilier, dans un délai déterminé, tous accords et tous actes par lesquels sest réalisée la concentration de la puissance économique qui a permis les abus même si ces actes ont fait lobjet de la procédure prévue au présent titre ». Dans la pratique, le recours à cet article du code est très rarement mobilisé.

En revanche, le droit américain est marqué par une place plus forte accordée au contrôle a posteriori puisque cest dans ce but quest né le droit des concentrations américain. La puissance de la Standard Oil étant déjà établie, l’intervention des autorités anti-trust ne pouvait intervenir qu’a posteriori : il s’agissait alors de fournir aux autorités les outils du démantèlement des trusts. L’adoption du Sherman Act conduira ainsi à des exemples historiques célèbres de modification de la structure des industries : Standard Oil et American Tobacco en 1911, ou DuPont en 1912 ([119]).

Si la mise en place dun contrôle ex post est préconisée par un certain nombre dexperts ([120]), vos rapporteurs rejoignent néanmoins les nombreuses réserves entendues en audition face à la généralisation de ce type de contrôle. Quand bien même elle serait enserrée dans des délais courts, cette solution ferait peser un risque trop grand sur la sécurité juridique des acteurs et pourrait surtout avoir des effets néfastes sur le dynamisme du marché du capital-risque et des startups. En effet, nombre de ces dernières se développent dans la perspective dêtre rachetées, ce qui contribue largement au dynamisme de linnovation.

Ces réserves formulées, vos rapporteurs considèrent que le contrôle ex post doit être réservé à certains cas précis de dissimulation intentionnelle lors de la notification obligatoire des acquisitions. Le contrôle ex post s’assimilerait donc à une sanction et ce serait l’exception. Il aurait par exemple utilement eu vocation à s’appliquer dans le cadre de l’opération de rachat de WhatsApp par Facebook, si tant est que le caractère intentionnel du manque d’information eut pu être démontré.

 


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   QUATRIÈME PARTIE :
QUELLE GOUVERNANCE pour surveiller et contrôler les plateformes numériques structurantes ?

I.   Désigner au niveau national une autorité pilote

A.   Une autorité pilote dotée de pouvoirs étendus

Une autorité devrait être désignée comme pilote de la régulation des plateformes structurantes, avec pour objectif principal d’assurer le fonctionnement concurrentiel des marchés concernés.

1.   Une autorité pilote

En toute cohérence, l’élaboration d’un droit de la régulation asymétrique appliqué aux plateformes structurantes doit être associée à la création d’un organe spécialisé chargé d’appliquer ces règles nouvelles. Les secteurs économiques qui font l’objet d’une régulation propre au vu des risques spécifiques qu’ils présentent pour un marché particulier, sont régulés par une autorité administrative indépendante spécialisée, qu’il s’agisse par exemple de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) pour le marché de l’énergie, de l’ARCEP pour le secteur des télécommunications, ou encore de l’Autorité de régulation des transports (ART).

La « Digital Market Unit » proposée par le rapport « Furman »

Le rapport Furman préconise la création d’une Digital Market Unit, dotée d’outils relevant du droit de la régulation, pour permettre une meilleure concurrence sur les marchés du numérique. Le rapport insiste sur la nécessité de construire une corégulation dans le cadre d’un dialogue permanent avec les acteurs du secteur. La régulation s’incarnerait par trois piliers :

– premièrement, le développement d’un code de conduite avec la participation des parties prenantes. Ce code de conduite ne s’appliquerait qu’aux entreprises systémiques afin d’éviter de créer des contraintes disproportionnées pour les petites entreprises ;

– deuxièmement, l’autorité serait chargée de permettre la mobilité des données et l’interopérabilité des données avec le développement de standards techniques communs et ouverts, dans le prolongement des initiatives déjà prises par les acteurs du secteur dans le cadre du Data transfert project ;

– troisièmement, l’autorité aurait également pour objectif de favoriser l’ouverture des données pour abaisser les barrières à l’entrée des marchés, tout en gardant à l’esprit la nécessité de protéger la vie privée. Le rapport propose de s’en tenir aux données non personnelles et anonymisées.

Sur le plan institutionnel, le rapport indique que l’autorité devrait avoir des liens réguliers avec les autorités en charge de la concurrence et des télécommunications ([121]) ainsi qu’avec l’ensemble des autres autorités sectorielles ayant un lien avec le secteur numérique.

Sans trancher sur le rattachement institutionnel de l’autorité en question, les auteurs du rapport soulignent que l’autorité pourrait être indépendante ou reliée institutionnellement à l’autorité en charge de la concurrence ou bien à celle en charge des télécommunications.

La nomination d’une autorité pilote permet d’identifier un acteur spécialisé pour assurer cette supervision, à même de construire une relation approfondie avec les acteurs et parties prenantes du secteur et de développer une expertise sur des sujets complexes économiquement et techniquement.

Cependant, pour éviter les risques d’empilement administratif, ce nouvel organe ne nécessite pas nécessairement la création d’une nouvelle entité administrative, dotée d’une personnalité juridique propre. Dans un souci de bonne gestion administrative et de cohérence de l’action publique, vos rapporteurs estiment ainsi qu’il serait plus opportun que ce nouvel organe soit rattaché à l’un des régulateurs existants. En effet, les régulateurs intervenant dans le champ du numérique sont déjà nombreux, bien qu’un effort de rationalisation ait été entrepris récemment avec les annonces liées à la création de L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM) (voir infra). Dans ce contexte, il n’est pas souhaitable de rajouter une structure administrative supplémentaire et il convient plutôt de s’appuyer sur l’expertise des régulateurs existants, en rattachant auprès de l’un d’entre eux cette nouvelle entité.

Lors des auditions menées par la mission d’information, l’ARCEP a souligné qu’elle pourrait prendre en charge ce rôle, du fait de son expérience significative en matière de droit de la régulation des télécommunications.  L’ARCEP étant déjà chargée de faire respecter la neutralité du réseau internet, l’extension de son contrôle aux terminaux paraît légitime et permettrait de capitaliser sur l’expérience préexistante de l’institution.

L’autorité désignée pourrait également être envisagée pour encourager ou imposer l’interopérabilité aux plateformes structurantes, tout comme elle pourrait exercer la fonction de contrôle des opérations de concentration des plateformes structurantes, dont elle recevrait notification obligatoire. Dans ce dernier cas, sa spécialisation renforcée dans l’écosystème des plateformes lui permettrait d’être la mieux positionnée pour saisir l’Autorité de la concurrence, sur avis motivé.

D’autres options pourraient être envisagées en matière de rattachement institutionnel. Ainsi, le projet de loi allemand sur la réforme du droit de la concurrence, qui comporte des avancées ambitieuses en matière de droit de la régulation ex ante des plateformes structurantes, confie ces nouvelles fonctions à la Bundeskartellamt, l’équivalent allemand de l’Autorité de la concurrence.

Vos rapporteurs ont pris acte de la bonne disposition de l’ARCEP à l’égard de ces nouvelles missions et de son expérience préexistante en matière d’application d’une régulation au jour le jour. À ce stade, vos rapporteurs considèrent néanmoins qu’il est plutôt préférable de laisser ouvert ce choix qui aurait vocation à être précisé par le législateur lors d’un débat public.

Proposition 18 : Confier l’application du droit de la régulation des plateformes structurantes à une entité clairement identifiée.

2.   Des pouvoirs étendus

Quelle que soit l’architecture administrative retenue, cette autorité pilote en matière de régulation des plateformes structurantes devrait être dotée de pouvoirs étendus, afin de mettre en œuvre les divers outils précédemment détaillés.

Sur le modèle des autorités de supervision et de régulation existantes, cet acteur spécialisé serait chargé de contrôler le comportement des plateformes structurantes et éventuellement de sanctionner leurs agissements, la sanction ne devant intervenir qu’en dernier ressort.

Comme cela existe déjà pour un certain nombre d’autorités, vos rapporteurs considèrent que cette autorité pourrait très utilement être dotée d’un mécanisme de règlement des différends, afin de fournir des solutions efficaces dans un court délai aux litiges entre plateformes et les développeurs ou vendeurs ou entre plateformes concurrentes. Ce moyen a notamment été éprouvé en droit des télécommunications. Il permet de répondre aux différends entre acteurs tout en respectant la temporalité des marchés numériques. Comme le souligne l’ARCEP, l’existence même de la procédure, au-delà des conclusions auxquelles elle aboutit, est pertinente puisqu’elle instaure une phase précontentieuse. Elle permet aussi de limiter les rapports de force en introduisant un tiers – le régulateur – dans la relation entre les entreprises. Cette solution permettrait d’aller plus loin et de compléter la mise en place du principe du médiateur interne aux plateformes promu dans le règlement « platform to business ».

Le régulateur devra veiller à instaurer une culture de léchange et du dialogue avec les acteurs structurants. L’objectif de cette fonction est de favoriser la régulation par la donnée, proactive, en temps réel, dans un esprit de dialogue constant avec les opérateurs. Au-delà de ces outils relevant du « droit dur », la désignation d’un interlocuteur en charge de la régulation des plateformes aura pour avantage de développer une connaissance fine du fonctionnement de ce secteur et de mieux saisir les problématiques en cause. Lors des auditions des grandes plateformes conduites par vos rapporteurs, cette problématique du manque de connaissances des enjeux du numérique par les régulateurs eux-mêmes a été à plusieurs reprises déplorée. Les plateformes ont elles-mêmes émis le souhait d’un dialogue plus poussé avec les autorités afin de construire des solutions appropriées. Couplé à une politique de montée en compétence des autorités publiques sur les sujets du numérique (voir infra), ce type de démarche doit être encouragé, tout en garantissant les règles d’indépendance et de neutralité des autorités publiques en charge de la régulation, pour éviter le piège de la « capture du régulateur ([122]) ».

B.   Une autorité en lien constant avec les autorités intervenant dans le domaine du numérique

Cette autorité pilote n’aurait pour autant pas vocation à agir seule dans le domaine du numérique.

En premier lieu, cette nouvelle autorité aurait vocation à être en lien direct avec l’Autorité de la concurrence. Le droit de la régulation doit se penser non pas contre, mais avec le droit de la concurrence. Ces deux pans du droit agissent selon une temporalité différente. La régulation ex ante est en charge de fixer les règles censées éviter des pratiques anti-concurrentielles et si ces dernières sont enfreintes, elles sont sanctionnées ex post par l’Autorité de la concurrence. Les secteurs déjà régulés par une autorité spécifique offrent un exemple pour observer la complémentarité et l’articulation entre ces différentes formes de contrôle. Ainsi, en vertu du code des postes et des communications électroniques, l’ARCEP doit par exemple saisir l’Autorité de la concurrence lorsqu’elle relève des faits relevant de sa compétence. L’Autorité de la concurrence doit quant à elle recueillir l’avis de l’ARCEP lorsqu’elle est saisie d’une affaire relevant des télécommunications. L’Autorité de la concurrence rend des avis sur les analyses de marché de l’ARCEP. Le risque de conflit n’est toutefois pas complètement évité. C’est notamment théoriquement le cas lorsqu’une même affaire peut être portée par les opérateurs en litige soit devant l’autorité de régulation au titre du règlement des différends, soit devant l’Autorité de la concurrence au titre de l’abus de position dominante. Il revient alors au juge judiciaire de trancher, la Cour d’appel de Paris étant le juge d’appel des décisions prises par l’ARCEP en matière de règlement des litiges. Ce cas de figure se pose toutefois rarement dans la pratique.

En deuxième lieu, cette nouvelle entité aurait également vocation à agir en lien avec les autres personnes publiques disposant dune expertise et dune compétence pour réguler les plateformes numériques dans des objectifs autres que concurrentiels. Ces entités sont nombreuses, que l’on pense à la CNIL, chargée d’assurer la protection des données personnelles, au CSA (dont la fusion avec HADOPI en vue de devenir l’ARCOM devrait être actée prochainement), ou à l’ARCEP, en tant que garante de la neutralité du net et des terminaux, mais aussi les services de l’État qui jouent un rôle en la matière, comme notamment la DGCCRF et la DGE.

Si des efforts de rationalisation peuvent être conduits, comme le montre la création de l’ARCOM, chacune de ces structures dispose d’une raison d’être propre, d’une expertise et d’objectifs de politiques publics distincts qui rendent peu pertinents un horizon de fusion de l’ensemble des autorités intervenant dans ces domaines en une seule entité. L’enjeu est davantage de favoriser la coordination entre ces différents types d’acteurs. Si des mécanismes en ce sens existent d’ores et déjà et si plusieurs bonnes pratiques peuvent être relevées, cette dynamique de coopération pourrait d’ailleurs être renforcée et davantage ouverte sur la société civile.

Le nouvel organe en charge d’appliquer le droit de la régulation des plateformes structurantes aura donc vocation à s’inscrire et à coopérer dans cet écosystème d’acteurs publics déjà existants. Des mécanismes de saisine pourront utilement être mis en place. Ainsi, pour tous les enjeux relatifs aux données évoqués précédemment, la saisine et l’avis de la CNIL paraissent largement souhaitables.

II.   Construire une stratégie pour assurer une montée en compétence publique sur les enjeux numériques

Il se dégage des auditions menées par vos rapporteurs un consensus fort pour renforcer l’expertise publique en matière numérique. Plusieurs acteurs constatent en effet que les ressources actuelles sont insuffisantes. L’économie numérique repose sur la combinaison d’algorithmes et de données souvent complexes à analyser. La compréhension du fonctionnement des plateformes nécessite donc le recrutement des compétences adaptées dont notamment des data scientists, des spécialistes des algorithmes et de l’intelligence artificielle.

Or, ces compétences font encore aujourd’hui trop défaut aux administrations, ce constat étant valable tant au niveau national qu’européen. Le rapport précité de l’IGF préconise ainsi de faire monter en compétences la direction générale de la concurrence de la Commission européenne sur les enjeux numériques en recrutant des spécialistes du secteur. Au niveau national, le Gouvernement dresse lui-même un constat sévère sur le manque de moyens d’expertises techniques de l’État et pointe « un défaut de ressources pointues permettant de faire face aux nouveaux défis posés par ces acteurs ([123]) ».

Dans ce contexte, les autorités cherchent aujourd’hui à remédier à ces lacunes, mais dans un ordre qui peut sembler quelque peu dispersé.

Ainsi, l’Autorité de la concurrence a annoncé récemment la création d’un nouveau service spécialisé dans le numérique, rattaché au rapporteur général. Ce dernier aura pour mission de développer une expertise poussée sur ces sujets. Il doit permettre d’accueillir des profils diversifiés (ingénieurs, juristes, économistes, spécialistes en science de la donnée) et sera doté, en phase de lancement, de 4 postes, dont un chef de service. La CNIL a fait également du développement de sa capacité d’expertise l’une de ses priorités pour les années 2019 et 2020. La CNIL dispose déjà d’un service de l’expertise technologique, constitué d’un pôle innovation, études et prospective et d’un laboratoire d’innovation numérique.

Le Gouvernement souhaite qu’un effort de mutualisation soit réalisé concernant les moyens d’expertise des autorités indépendantes en matière numérique sous l’égide de l’administration centrale. L’article 36 du projet de loi « audiovisuel », prévoit en ce sens la possibilité, pour les autorités indépendantes intervenant dans la régulation des opérateurs de plateformes en ligne, de recourir à l’expertise d’un service administratif de l’État dans le cadre de conventions.

Larticle 36 du projet de loi « audiovisuel »

L’article 36 instaure un mécanisme visant à permettre aux autorités administratives indépendantes de recourir par convention à l’expertise des services de l’État en matière numérique. Les autorités concernées comptent notamment lAutorité de la concurrence, lAutorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, lAutorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse et la Commission nationale de linformatique et des libertés.

Selon létude dimpact du Gouvernement, « Au regard de ces besoins, il convient dorganiser une réponse optimale et mutualisée : la création dun pôle commun dexpertise numérique au profit de lensemble des autorités et des administrations qui mettent en œuvre la régulation des plateformes numériques est la voie qui offre le plus de synergies et de perspectives. Le dispositif de mutualisation et de coopération envisagé nécessite pour optimiser lefficacité et les synergies attendues, de prévoir la possibilité de communication de données entre, dune part, les différentes autorités administratives indépendantes qui requerront une expertise et, dautre part, le service expert de lÉtat. Cette possibilité de communication de données (pouvant, le cas échéant, inclure aussi des données personnelles) entre divers organes publics doit être prévue par la loi.

En labsence dun tel service, le risque serait de voir se constituer progressivement au sein de lÉtat et de ses différents démembrements une multiplication de petits laboratoires isolés visant à répondre de façon fragmentée aux besoins opérationnels ».

Si la rigidité des règles de recrutement public pourrait être identifiée comme l’un des facteurs expliquant ces difficultés ([124]), les personnes auditionnées ont plutôt mis en avant la faible attractivité des emplois publics face aux grilles salariales proposées pour le même type de poste dans le secteur privé.

C’est un défi de taille en matière de ressources humaines auquel les autorités publiques doivent répondre rapidement pour être à la hauteur des enjeux d’aujourd’hui et de demain, la régulation des plateformes structurantes étant amenée à prendre une place croissante dans les années à venir.

Vos rapporteurs estiment nécessaire qu’une véritable stratégie publique soit construite en la matière, en adaptant la politique de recrutement des services de l’État et des autorités administratives pour répondre à ces enjeux.

Proposition n° 19 : Construire une stratégie publique pour attirer et retenir les talents du numérique.

 

III.   placer la France à lavant-garde des futures évolutions européennes

A.   Des pistes encourageantes au niveau européen autour du « Digital services act » qui ne doivent pas « geler » des évolutions du droit national

La nouvelle Commission européenne, entrée en fonction le 1er décembre 2019, a initié la réflexion autour d’un Digital Services Act, qui devrait étendre l’encadrement de l’économie numérique, dans l’espace économique européen. Il propose notamment une nouvelle définition des marchés pertinents, et éventuellement la révision des seuils de notification pour les opérations de concentration. Dans ce contexte, le ministre de léconomie et des finances et le secrétaire dÉtat chargé du numérique ont annoncé le 24 février 2020 la mise en place dune équipe interministérielle chargée de travailler sur les plateformes numériques, afin de préparer en amont le nouveau cadre de régulation envisagé.

Selon une note interne de la Commission européenne en date du 9 avril 2019 ([125]) le Digital Services Act pourrait prendre la forme d’un règlement d’application directe, afin d’harmoniser le droit européen. Il concernerait les plateformes de manière transversale : réseaux sociaux, moteurs de recherche, économie collaborative et publicité en ligne. Des règles « complémentaires » destinées spécifiquement aux plateformes contrôlant une part « significative » d’un marché seraient également envisagées, notamment en matière d’interopérabilité et d’accès aux données.

Dans un communiqué de presse daté du 19 février 2020, la Commission a apporté des précisions sur la structure que pourrait prendre le Digital Services Act :

– un instrument pour la régulation des contenus ;

– un instrument pour la régulation de la puissance de marché des grands acteurs ;

– un instrument concernant l’identité numérique.

La Commission a apporté un certain nombre de précisions au mois de juin 2020. Une consultation publique a été lancée. La Commission a indiqué que la réforme reposerait sur deux volets, le premier visant à augmenter et harmoniser les responsabilités qui incombent aux services numériques et le second visant à élaborer une règlementation « ex ante » pour éviter que la concurrence ne soit faussée par les plateformes structurantes. Vos rapporteurs se félicitent de ces annonces, qui s’inscrivent pleinement dans le sens des préconisations du présent rapport.

Toutefois, le calendrier précis de cette réforme venant actualiser les principes posés par la « directive e.commerce » du 8 juin 2000 ([126]) n’est pas encore connu. La Commission européenne espère pouvoir en présenter les principaux contours d’ici la fin de l’année 2020. Les nombreuses divergences entre États membres au sujet de la régulation des plateformes, déjà observées lors du débat antérieur sur la taxation des géants du numérique, pourraient considérablement retarder l’entrée en application d’un éventuel accord.

Vos rapporteurs plaident pour que la régulation asymétrique des plateformes structurantes soit mise en œuvre au niveau européen. Cette régulation bénéficierait alors à près de 500 millions d’utilisateurs européens, soit une taille critique non négligeable. Elle permettrait en outre de limiter le risque de distorsions à l’égard des plateformes structurantes entre les différents marchés nationaux.

Il est donc essentiel que la France défende cette position à l’occasion des débats entre États membres préalables à l’élaboration de ce nouveau cadre juridique.

Proposition 20 : Défendre au niveau européen la mise en place d’une régulation ex ante exercé par un régulateur indépendant dans le cadre des négociations autour du Digital Services Act.

Toutefois, vos rapporteurs considèrent que le coût de l’inaction est supérieur aux bénéfices de l’attente d’une entrée en vigueur d’un texte européen. S’il est évident que le niveau européen est le niveau de référence, ceci ne doit pas empêcher l’émergence d’initiatives nationales appropriées et la France pourrait, aux côtés de l’Allemagne, montrer l’exemple en la matière.

Par conséquent, vos rapporteurs proposent que le droit national, dans lhypothèse où la régulation européenne des plateformes tarderait trop à être mise en œuvre, serve dans un premier temps daiguillon de la régulation des plateformes structurantes en Europe.

B.   ARTICULER finement LES DIFFÉRENTS échelons d’action pour une régulation efficace

À terme, l’émergence d’un droit de la régulation européen devra aller de pair avec la désignation d’une entité dédiée à cette échelle. Il s’agira alors de veiller à la bonne coordination entre les échelons nationaux et européens, comme cela est déjà le cas entre l’Autorité de la concurrence et la Commission européenne, mais aussi les régulateurs sectoriels au niveau national et les régulateurs à l’échelon européen. Dans le cas des télécoms, par exemple, la Commission européenne et l’organe des régulateurs européens des communications électroniques (BEREC) exercent un contrôle étroit, qui s’applique à chaque étape du raisonnement avec une intensité variable, pouvant aller jusqu’à un droit de veto. Dans le cas de la surveillance bancaire, celle-ci repose notamment sur le mécanisme de surveillance unique (MSU), opérationnel depuis novembre 2014, qui a été intégré à la Banque centrale européenne (BCE) et est chargé de la surveillance directe des groupes bancaires les plus grands et les plus importants, tandis que les autorités de surveillance nationales continuent d’assurer la surveillance de toutes les autres banques, sous la responsabilité de la BCE en dernier recours. Les critères permettant de déterminer si les banques sont considérées comme « systémiques » et relevant donc de la surveillance directe de la BCE, sont définis dans le règlement MSU et dans le règlement-cadre MSU, et sont relatifs à la taille de la banque, son poids économique, ses activités transnationales et son besoin en aides publiques directes.

Au vu de la dimension transnationale des modèles économiques des plateformes structurantes, la régulation européenne aurait probablement vocation à exercer un rôle particulièrement important. La répartition des compétences entre l’échelon français et l’échelon européen se dessinerait en suivant le principe de subsidiarité, qui est au cœur du droit européen. Pour cela, des règles de seuil pourraient utilement voir le jour.

Proposition n° 21 : Prévoir à terme une régulation européenne à articuler avec la régulation nationale en appliquant le principe de subsidiarité.

En outre, à un horizon de long terme, la régulation des plateformes structurantes devra également être pensée au niveau international. Notons à ce titre que de grands progrès ont pu être accomplis dans le champ de la régulation financière grâce aux travaux du G20 et de l’OCDE, qui se sont traduit par la mise en place d’un conseil de la stabilité financière. La France porte déjà une voix forte en matière de régulation des plateformes à travers les négociations autour de la taxe dite « GAFAM ». Les difficultés entourant ces négociations ([127]) montrent toutefois que la supervision internationale des plateformes numériques nécessite une impulsion politique commune, difficile à obtenir, et pour laquelle la France doit œuvrer sans relâche.

 


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LISTE DES PERSONNES auditionnÉes
PAR LEs RAPPORTEURs

Commission nationale de linformatique et des libertés (CNIL)

M. Gwendal Le Grand, secrétaire général adjoint

Mme Tiphaine Havel, conseillère pour les questions parlementaires et institutionnelles

Mme Anne Fontanille, juriste, service des délégués à la protection des données

Autorité de la concurrence

Mme Isabelle de Silva, présidente

M. Stanislas Martin, rapporteur général

M. Mathias Pigeat, directeur de cabinet

M. Bertrand Rohmer, conseiller chargé des affaires européennes

Inspection générale des finances (IGF)

Mme Anne Perrot, inspectrice générale des finances

Direction générale des entreprises

M. Thomas Courbe, directeur général des entreprises

M. Mathieu Weill, chef du service de l’économie numérique

Mme Mélanie Przyrowski, conseillère parlementaire

Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP)

M. Sébastien Soriano, président

M. Jean Cattan, conseiller du président

Commission européenne, direction générale de la concurrence

M. Pierre Regibeau, économiste en chef

M. Guillaume Loriot, directeur information communication et médias

France digitale *

Mme Marianne Tordeux, directrice des affaires publiques

Mme Audrey Soussan, membre du conseil d’administration

Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF)

Mme Virginie Beaumeunier, directrice générale

M. Pierre Chambu, chef de service

M. Bertrand Jehanno, chef du bureau 3B

Professeur Jacques Crémer

Contrôleur européen de la protection des données

M. Leonardo Cervera Navas, directeur

Conseil national du numérique

M. Gilles Babinet, vice-président

M. Vincent Toubiana, secrétaire général adjoint

Mme Myriam El Andaloussi, rapporteure

Mme Annie Blandin, membre

M. Henri Isaac, membre

Mme Marylou Le Roy, responsable juridique et des affaires institutionnelles

Syntec Numérique *

Mme Philippine Lefèvre, déléguée aux relations institutionnelles

Mme Lauranne Poulain, chargée des relations institutionnelles

Renaissance Numérique *

Mme Jennyfer Chrétien, déléguée générale

Table ronde :

Qwant *

M. Tristan Nitot, directeur général

M. Léonard Cox, vice-président affaires publiques

M. Guillaume Champeau, directeur éthique et affaires juridiques

M. Sébastien Menard, conseiller

Mme Eléonor Lasou, directrice générale du cabinet Rivington *

M. Benjamin Niang, consultant au sein du cabinet Rivington

Leboncoin

M. Arnaud Jacques, responsable des affaires publiques

Mme Servane Forest, directrice juridique

M. Renaud Large, directeur associé chez Plead *

M. Godefroy Daubin, consultant chez Plead

Deezer

M. Ludovic Pouilly, responsable des relations institutionnelles

Brigad

M. Florent Malbranche, directeur général et co-fondateur

Mme Florence Boyer, responsable des relations presse

Mme Samira Bougrara, consultante

Whaller

M. Thomas Fauré, directeur général et fondateur

Mme Kamélia Graff, directrice de la communication et du marketing

Tech in France

M. Loïc Riviere, délégué général

Mme Manon Deveaux, chargée de mission affaires publiques

Fédération française des télécoms (FFT) *

M. Olivier Riffard, directeur des affaires publiques

Mme Roxane Bessis, responsable des relations institutionnelles chez SFR

M. Corentin Durand, chargé des affaires réglementaires chez Euro‑Information Télécom

Microsoft France *

M. Mathieu Coulaud, directeur des affaires juridiques

M. Jean-Renaud Roy, directeur des affaires publiques

Club des juristes

M. Bruno Deffains, professeur de droit et d’économie à l’Université Paris II Panthéon-Assas, président du pôle numérique du Club des juristes

Direction générale du Trésor

M. Dominique Chaubon, chef du bureau « activités tertiaires et concurrence »

Mme Marion Panfili, adjointe au chef du bureau « activités tertiaires et concurrence »

M. Thibault Guyon, sous-directeur des politiques sectorielles

Facebook *

Mme Béatrice Oeuvrard, manager en charge des affaires publiques

Mme Sarah Yanicostas, manager en charge des affaires publiques

Apple *

M. Sébastien Gros, responsable des affaires publiques

Mme Marie Hugon, consultante

M. Frédéric Jenny, professeur d’économie à l’ESSEC et co-directeur du Centre européen de droit et d’économie de l’ESSEC, président du comité de la concurrence de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)

Amazon *

M. Cédric Florentin, directeur des affaires juridiques

M. Yohann Bénard, directeur de la stratégie

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

* Ces représentants dintérêts ont procédé à leur inscription sur le répertoire AGORA des représentants dintérêts de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), qui vise à fournir une information aux citoyens sur les relations entre les représentants dintérêts et les responsables publics lorsque sont prises des décisions publiques.

 


([1]) Accès à des services informatiques, stockage ou logiciels, par internet

([2]) Selon l’expression de la Cour suprême américaine

([3]) Unlocking Digital competition. Report of the digital competition expert pannel, mars 2019

([4]) Competition policy for the digital era, J. Cremer, Y.A. de Montjoye, H. Schweitzer, Commission européenne, 2019

([5]) Rapport d’information déposé par la commission des affaires européennes sur le droit européen de la concurrence face aux enjeux de la mondialisation, enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 27 novembre 2019

([6]) Les services de « cloud » garantissent l’accès à des services informatiques, stockage ou logiciels, par internet.

([7]) Competition policy for the digital era, J. Cremer, Y.A. de Montjoye, H. Schweitzer, Commission européenne, 2019

([8]) Rapport fait par la commission d’enquête sur la souveraineté numérique, Sénat, 2019

([9]) Bloomberg, consulté le 4 mai 2020

([10]) Informations transmises lors de l’audition de Google par la mission d’information

([11]) Stigler Committee on Digital Platforms, Final Report, 2019

([12]) Facebook reports first quarter 2020 results : https://investor.fb.com/investor-news/press-release-details/2020/Facebook-Reports-First-Quarter-2020-Results/default.aspx

([13]) Rapport fait par la commission d’enquête sur la souveraineté numérique, Sénat, 2019

([14]) Bloomberg, consulté le 4 mai 2020

([15]) États financiers annuels de l’entreprise, Facebook, 2019

([16]) États financiers de l’entreprise, Apple, 2019

([17]) Bloomberg, consulté le 4 mai 2020

([18]) Informations recueillies lors de l’audition d’Amazon par la mission d’information

([19]) services.amazon.fr

([20]) États financiers de l’entreprise, 2019, Amazon

([21]) Lina Khan, Amazon the antitrust paradox

([22]) Informations recueillies lors de l’audition de Amazon par la mission d’information

([23]) États financiers de l’entreprise, 2019, Microsoft

([24]) Bloomberg, consulté le 4 mai 2020

([25]) États financiers de l’entreprise, 2019, Microsoft

([26]) Regulation of natural monopolies and the fair rate of return, H. E. Leland, 1974

([27]) Plateformes numériques et concurrences, Trésor-Eco 250

([28]) Stigler Committee on Digital Platforms, Final Report, 2019

([29]) Rochet J.-C. et J. Tirole (2003), Platform competition in two-sided markets

([30]) Plateformes numériques et concurrence, Trésor-Eco 250, novembre 2019

([31]) La Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) donne la définition suivante des cookies : « Un cookie est un petit fichier informatique, un traceur, déposé et lu par exemple lors de la consultation d'un site internet, de la lecture d'un courrier électronique, de l'installation ou de l'utilisation d'un logiciel ou d'une application mobile et ce, quel que soit le type de terminal utilisé (ordinateur, smartphone, liseuse numérique, console de jeux vidéo connectée à Internet, etc.) ».

([32]) Ce phénomène est notamment mis en avant dans le rapport « Plateformes et dynamiques concurrentielles » du think-tank Renaissance numérique.

([33]) Unlocking digital competition, Report of the Digital Competition Expert Panel, 2019

([34]) Pour une analyse détaillée, voir la note « Plateformes numériques et concurrence », Trésor-Eco 250, novembre 2019

([35]) Lina Khan, Amazon the antitrust paradox

([36]) Ibid

([37]) La quatrième partie du présent rapport apporte des détails sur l’obligation de transparence.

([38]) Le droit de l’Union européenne définit les services de la société d’information comme « tout service de la société de l’information, c’est-à-dire tout service presté normalement contre rémunération, à distance par voie électronique et à la demande individuelle d’un destinataire de services », comme cela est prévu à l’article 1er de la directive 98/34/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 juin 1998 prévoyant une procédure d’information dans le domaine des normes et réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information.

([39]) Directive (UE) 2018/1808 du Parlement européen et du Conseil du 14 novembre 2018 modifiant la directive 2010/13/UE visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à la fourniture de services de médias audiovisuels

([40]) Projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère numérique enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 5 décembre 2019

([41]) Proposition de loi, adoptée, en lecture définitive, le 13 mai 2020 par l’Assemblée nationale visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, T.A. n° 419

([42]) Informations transmises à vos rapporteurs par l’Autorité de la concurrence

([43]) Du fait de la taille des acteurs en cause, facteur combiné aux règles de répartition des compétences entre l’échelle européenne et l’échelle nationale en matière de droit de la concurrence, la Commission européenne a eu davantage à traiter les cas relatifs aux plateformes structurantes que les autorités nationales.

([44]) Le premier correspondant aux cas où une entreprise profite de sa position dominante pour pratiquer des prix ou des conditions inéquitables pour le consommateur et le second faisant référence aux situations où une entreprise profite de sa position dominante pour mettre en œuvre des stratégies d’éviction des concurrents qui ne reposent pas sur ses mérites propres, comme par exemple des accords d’exclusivité ou des ventes liées.

([45]) https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/IP_17_1784

([46]) En 2013 (après que la Commission a commencé à se pencher sur la question), Google a progressivement levé son exigence. Cette pratique illégale a cessé de façon effective à partir de 2014.

([47]) Il s’agit des systèmes d’exploitation (OS) créés à partir du code source d’Android ouvert par Google via l’ « Android Source Projet ».

([48]) Sur la période examinée par la Commission, les parts de marché de Google sur le marché de la publicité en ligne sont estimées à 85 %.

([49]) L’antenne NFC (Near Field Communication), technologie permettant d’échanger des données à moins de 10 cm, entre deux appareils équipés de ce dispositif

([50]) Il s’agit du bouton « ajouter au panier » qui propose à l’utilisateur d’ajouter à sa liste d’achats de nouveaux produits selon des critères de sélection déterminés par algorithme.

([51]) Ancien article L. 442-6 renuméroté et modifié par l’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 portant refonte du titre IV du livre IV du code de commerce relatif à la transparence, aux pratiques restrictives de concurrence et aux autres pratiques prohibées

([52]) Comme en dispose l’article L. 442-2 du code de commerce, les sanctions demandées ne peuvent excéder le plus élevé des trois montants suivants : cinq millions d’euros, le triple du montant des avantages indument perçus ou obtenus, 5 % du chiffre d’affaires hors taxes réalisé en France par l’auteur des pratiques lors du dernier exercice clos depuis l’exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre.

([53]) Les clauses de parité restreintes permettent aux plateformes d’interdire aux hôteliers présents sur leur site de proposer une offre tarifaire plus avantageuse sur leur propre canal en ligne.

([54]) Enquête menée entre 2016 et 2017 et concernant les pratiques commerciales de toutes les grandes places de marché numériques alors présentes sur le marché français

([55]) Pour des raisons très proches mais par un moyen différent, l’Autorité de la concurrence allemande est parvenue en juillet 2019 à un accord avec Amazon engageant le groupe à changer substantiellement les conditions de service appliquées aux vendeurs tiers.

([56]) Comme cela a toutefois été précisé par le Conseil de la concurrence : « Une substituabilité parfaite entre produits ou services s’observant rarement, le Conseil regarde comme substituables et comme se trouvant sur un même marché les produits ou services dont on peut raisonnablement penser que les demandeurs les considèrent comme des moyens alternatifs ».

([57]) La communication de la Commission européenne précise en ce sens : « le marché géographique en cause comprend le territoire sur lequel les entreprises concernées sont engagées dans l’offre des biens et des services en cause, sur lequel les conditions de concurrence sont suffisamment homogènes et qui peut être distingué de zones géographiques voisines parce que, en particulier, les conditions de concurrence y diffèrent de manière appréciable ».

([58]) Traduction d’un passage figurant à la page 3 dudit rapport.

 

([59]) « La politique de la concurrence et les intérêts stratégiques de l’UE », Inspection générale des finances et Conseil général de l’économie, de l’industrie, de l’énergie et des technologies, avril 2019

([60]) Rapport d’information déposé par la commission des affaires européennes sur le droit européen de la concurrence face aux enjeux de la mondialisation, enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 27 novembre 2019

([61]) Référé S2019-0568 rendu le 14 mars 2019 disponible au lien suivant : https://www.ccomptes.fr/system/files/2019-06/20190604-refere-S2019-0568-autorite-concurrence-dgccrf.pdf

([62]) Il faut noter que d’autres critères de seuil sont prévus à l’article L. 430-2 du code pour le secteur de la grande distribution.

([63]) Des conditions supplémentaires concernant les chiffres d’affaires des entreprises européennes et leur lieu de réalisation doivent également être remplies.

([64]) Lear Lab, Ex-post Assessment of Merger Control Decisions in Digital Market, Final report, 9 May 2019.

([65]) Ibid

([66]) Discours à la Chilin’ Competition Conference, Bruxelles, le 9 décembre 2019

([67]) Audition du Conseil national du numérique

([68]) En l’espèce, l’analyse a conclu par la négative, d’une part, en raison du manque d’expertise du consommateur pour apprécier la dévaluation de la qualité du produit et d’autre part, au regard des coûts de transfert entraînés par un éventuel départ de l’écosystème Android vers celui d’Apple.

([69]) En effet, dans le cadre de cette décision, l’Autorité a notamment examiné l’impact d’une concentration sur le pluralisme et la diversité de cette opération dans le secteur de la culture et des médias.

([70]) Une consultation publique d’au moins 12 semaines sera lancée au cours du deuxième trimestre 2020. Une conférence avec des experts techniques et des représentants des principaux groupes de parties prenantes sur la révision de la communication sur la définition du marché devrait être organisée au quatrième trimestre 2020. Des discussions avec les autorités nationales de concurrence auront lieu dans le cadre des différents groupes de travail du réseau européen de la concurrence. Un rapport de synthèse résumera les résultats de toutes les activités de consultation et sera annexé au document de travail de la Commission. Enfin, la révision de la communication sur la définition du marché en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence devrait intervenir au deuxième trimestre de 2021.

([71]) À titre d’exemple : elle a imposé en urgence plusieurs mesures à Engie, afin que le prix de certaines de ses offres de marché aux entreprises reflètent ses coûts (16MC-01), elle a suspendu l’accord conclu entre la ligue nationale de rugby et le groupe Canal Plus attribuant à ce dernier l’exclusivité des droits de diffusion des matchs du Top 14 pour cinq saisons (décision 14MC01).

([72]) Décision 19-MC-01

([73]) Décision 10-MC-01

([74]) L’Autorité de la concurrence peut désormais effectuer de sa propre initiative ou à la demande du ministre chargé de l’économie un bilan concurrentiel des accords de coopération entre centrales d’achat, et prononcer – lorsque des effets anticoncurrentiels sont identifiés – des mesures conservatoires

([75]) La transposition de ladite directive est prévue dans le cadre du projet de loi dit « audiovisuel ».

([76]) L’Autorité considère ainsi dans l’étude précitée qu’ « un suivi trop complexe et chronophage, peut venir annihiler les gains procéduraux générés par lacceptation initiale dengagements ».

([77]) Rapport de l’Autorité de la concurrence sur les engagements comportementaux, 2019, disponible au lien suivant : https://www.autoritedelaconcurrence.fr/sites/default/files/202001/eng_comportementaux_final_fr_0.pdf

([78]) D’après le journal Le Monde du 23 octobre 2019

([79]) Ibid

([80]) Ibid

([81]) Revenu opérationnel / chiffre d’affaires

([82]) État financier des entreprises, respectivement Microsoft, Facebook, Apple, Google

([83]) Frédéric Marty Pouvoirs économiques privés et ordre concurrentiel, une application à l’économie numérique, Sciences Po Observatoire français des conjonctures économiques Working paper n° 16

([84]) « Unlocking Digital competition » Report of the digital competition expert pannel, mars 2019

([85]) Jean Tirole, Économie du Bien commun (2018), PUF.

([86]) OCDE (2019), « Like it or not ? The impact of online platforms on the productivity of service providers ».

([87]) Note Trésor éco « Les plateformes numériques »

([88]) FMI World Economic Outlook, Analytical Chapter, 2019

([89]) Cour suprême des États-Unis, United States v. Topco Associates, Inc., 29 mars 1972

([90]) Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (règlement général sur la protection des données, dit RGPD).

([91]) Le Cloud Computing désigne le stockage et l’accès aux données par l’intermédiaire d’internet plutôt que via le disque dur d’un ordinateur.

([92]) Cela pourrait représenter 300 milliards de dollars en 2020, d’après les prédictions de linstitut danalyse américain Forrester

([93]) Pour reprendre l’expression du Conseil d’État dans son rapport annuel de 2001 consacré aux autorités administratives indépendantes

([94]) Le rapport insiste sur la pertinence qu’il peut y avoir à retenir un seul régulateur capable d’embrasser l’ensemble des aspects du numérique. L’autorité nouvelle devrait avoir la capacité d’imposer des standards de favoriser la portabilité et l’accès des données et de compléter l’analyse des autorités concurrentielles dans le cadre du contrôle des concentrations

([95]) Note Trésor éco 250

([96]) https://www.government.nl/ministries/ministry-of-economic-affairs-and-climate-policy/news/2019/05/27/dutch-government-change-competition-policy-and-merger-thresholds-for-better-digital-economy

([97]) https://www.lesechos.fr/monde/europe/concurrence-paris-et-berlin-poussent-bruxelles-a-faire-sa-revolution-1169492

([98]) Ces non-conformités ont donné lieu à la rédaction de 21 mesures de police administrative, 8 avertissements et 4 procès-verbaux d’amende administrative.

([99]) Ainsi, par exemple, la notion de rubrique, dans laquelle, selon la réglementation, les plateformes doivent indiquer les modalités de référencement, de déréférencement et de classement, a pu faire l’objet de mauvaises interprétations de la part des professionnels. Certaines entreprises ont estimé, que leurs conditions générales d’utilisation pouvaient tenir lieu de « rubrique », ou que deux rubriques distinctes pouvaient exister et que les différentes obligations prévues pouvaient se trouver dispersées entre différents espaces. Or, la notion de rubrique doit être entendue comme une rubrique spécifique garantissant que l’information est directement et aisément accessible pour le consommateur.

([100]) Réponse écrite au questionnaire envoyé par la mission d’information

([101]) Réponse écrite au questionnaire envoyé par la mission d’information

([102]) ACPR, « Référentiel de sécurité des interfaces d’accès aux comptes de paiement », février 2019 https://www.banque-france.fr/sites/default/files/media/2019/02/22/referentiel-de-securite-des-interfaces-d-acces-2019-02-22-1138.pdf

([103]) Décision de la Commission du 24 mars 2004 relative à une procédure d’application de l’article 82 du traité CE (Affaire COMP/C-3/37.792 Microsoft)

 https://ec.europa.eu/competition/antitrust/cases/dec_docs/37792/37792_4178_3.pdf

([104]) FCC, AOL/Time Warners, Federal Communications Commission, Washington, D.C. 20554, 11 janvier 2001 https://transition.fcc.gov/Bureaus/Cable/Orders/2001/fcc01012.pdf

([105]) Décision 94/19/CE de la Commission du 21 décembre 1993 (Sea Container/ Sealink) et les directives européennes relatives à la libéralisation du secteur des télécommunications

([106]) Avis n° 02-A-08 du Conseil de la concurrence du 22 mai 2002

([107]) Cour d’appel de Paris, 15 mars 1999

([108]) CJCE Magill, C-241/91 et C-242/91 du 6 avril 1995 estimant que des chaînes de télévision, se prévalant d’un droit d’auteur sur leurs grilles de programmes pour interdire la publication de ces grilles dans un guide hebdomadaire de télévision édité par des tiers, abusaient de leur position dominante

([109]) Les données statiques sont des informations qui ne changent pas, tels les points d’arrêts ou les horaires de passage des bus. À l’inverse, celles dites « dynamiques » changent régulièrement, elles portent sur les passages de bus en temps réel, les perturbations du trafic, la disponibilité des véhicules.

([110]) Règlement (UE) 2015/2120 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2015 établissant des mesures relatives à l’accès à un internet ouvert

([111]) logiciel permettant de relever ses courriels

([112])  L’antenne NFC (pour Near Field Communication) est la technologie d’Apple qui permet d'échanger des données à moins de 10 cm, entre deux appareils équipés de ce dispositif

([113]) Un client Reddit est une application développée pour naviguer sur le site Reddit, site très populaire de discussions sur tous les sujets imaginables

([114]) L’ensemble de ces exemples ont été fournis à vos rapporteurs par l’ARCEP.

([115]) Article 7,1. Cette obligation s’applique également aux fournisseurs de moteur de recherche en ligne. Ces derniers devront indiquer les traitements indifférenciés qu’ils accordent aux sites internet utilisés par les professionnels pour proposer des biens ou services aux consommateurs comme le prévoit l’article 7,2.

([116]) Comme cela figure à la section II du Sherman Act

([117]) https://www.justice.gov/atr/competition-and-monopoly-single-firm-conduct-under-section-2-sherman-act-chapter-1

([118]) Stigler Committee on Digital Platforms, Final Report, 2019

([119]) https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00463953/document

([120]) Le rapport de l’IGF préconise d’instaurer un examen ex post, dans un court délai, des concentrations pour lesquelles le ratio de la valeur de la transaction au chiffre d’affaires de l’entreprise achetée suggère un possible enjeu concurrentiel. L’Autorité de la concurrence, qui ne va pas jusqu’à proposer un mécanisme de notification préalable, suggère également des possibilités de contrôle ex post, qui serait le pendant à une information préalable – largement allégée par rapport à l’obligation de notification - de l’Autorité. Les conclusions des états généraux du numérique plaident aussi en ce sens.

([121]) Respectivement la « Competition and Markets Authority et « The Office of Communications (Ofcom) »

([122]) Ce risque a été mis en avant par la théorie économique et notamment par l’économiste Stigler. Il montre comment le régulateur peut se retrouver « piéger » par les acteurs qui est censé réguler par des mécanismes de lobbying et d’influence.

([123]) Extrait de l’étude d’impact du projet de loi dit « audiovisuel ».

([124]) Notons toutefois que la loi du 6 août 2019 pour la transformation de la fonction publique a porté des assouplissements notables en matière de recrutement de contractuels « lorsqu’il s’agit de fonctions nécessitant des compétences techniques spécialisées ou nouvelles ».

([125]) https://www.contexte.com/article/numerique/la-revision-de-directive-e-commerce-analysee_102288.html

([126]) Directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (« directive sur le commerce électronique »)

([127]) Celles-ci devaient aboutir en mai 2020 mais ont été reportées au mois d’octobre.