N° 3130

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 24 juin 2020

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES (1)

sur l’indépendance énergétique de l’Union européenne

ET PRÉSENTÉ

par M. Vincent BRU et Mme Yolaine de COURSON,

Députés

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(1)    La composition de la commission figure au verso de la présente page.

La Commission des affaires européennes est composée de : Mme Sabine THILLAYE, présidente ; MM. Pieyre-Alexandre ANGLADE, Jean-Louis BOURLANGES, Bernard DEFLESSELLES, Mme Liliana TANGUY, vice‑présidents ; M. André CHASSAIGNE, Mme Marietta KARAMANLI, M. Christophe NAEGELEN, Mme Danièle OBONO, secrétaires ; MM. Damien ABAD, Patrice ANATO, Mme Aude BONO-VANDORME, MM. Éric BOTHOREL, Vincent BRU, Mmes Fannette CHARVIER, Yolaine de COURSON, Typhanie DEGOIS, Marguerite DEPREZ-AUDEBERT, Coralie DUBOST, Françoise DUMAS, Frédérique DUMAS, MM. Pierre-Henri DUMONT, Alexandre FRESCHI, Mmes Valérie GOMEZ-BASSAC, Carole GRANDJEAN, Christine HENNION, MM. Michel HERBILLON, Alexandre HOLROYD, Mme Caroline JANVIER, MM. Christophe JERRETIE, Jérôme LAMBERT, Mmes Constance Le GRIP, Nicole Le PEIH, MM. Jean-Claude LECLABART, Patrick LOISEAU, David LORION, Thierry MICHELS, Jean-Baptiste MOREAU, Mme Catherine OSSON, MM. Xavier PALUSZKIEWICZ, Damien PICHEREAU, Jean‑Pierre PONT, Joaquim PUEYO, Didier QUENTIN, Mme Maina SAGE, MM. Benoit SIMIAN, Éric STRAUMANN, Mme Michèle TABAROT.

 


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SOMMAIRE

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Pages

 

INTRODUCTION

PREMIÈRE PARTIE : Une dépendance énergétique croissante, inégalement répartie

I. UNE dÉpendance ÉnergÉtique CROISSANTE

A. La Diminution de la production domestique

B. un Nombre réduit de fournisseurs

C. UNe Augmentation de la consommation intérieure dans certains États membres

II. uNE DÉPENDANCE PLUS MARQUÉE POUR Les États membres d’Europe centrale et orientale

A. Des bouquets énergétiques peu diversifiés

B. Une dépendance énergétique très marquée à l’égard de la Russie

C. Des interconnexions insuffisantes

D. Diminuer la dépendance vis-à-vis de la Russie grâce au gaz naturel liquéfié ou au nucléaire ?

III. l’évolution du marchÉ de l’Énergie renforce pour l’instant la dÉpendance de l’Union europÉenne À l’Égard de la russie

A. La Russie, premier EXPORTATEUR d’énergies fossiles en Europe

B. La part croissante du gaz renforce la dépendance de l’Union européenne à l’égard de la Russie

1. Le gaz, une énergie de transition dont la consommation augmente

2. Le gaz, moyen de pression de la Russie envers ses voisins

3. Le controversé projet Nord Stream 2

a. Un projet qui divise l’Europe

b. La nouvelle directive « gaz » et la menace de sanctions américaines, obstacles à l’achèvement du projet.

C. Le marché européen de l’énergie connaÎt une situation d’interdépendance plutôt que de dépendance

1. Le caractère très interdépendant du marché de l’électricité

a. Le périmètre de l’Europe de l’électricité dépasse celui de l’Union européenne

b. Le marché européen de l’électricité se caractérise par une interdépendance marquée

2. Le marché du gaz se caractérise par une dépendance réelle mais réciproque

D. Les États-Unis bouleversent le marchÉ mondial de l’Énergie

DEUXIÈME PARTIE : LEs DESTINs DE L’INDÉPENDANCE ÉNERGÉTIQUE et DE LA TRANSITION ÉnergÉtique sont liÉs

I. L’Union européenne cherche depuis longtemps à améliorer son indépendance énergétique, en vain

A. Le renforcement de l’indépendance énergétique de l’Union européenne s’appuie sur la mise en place d’un cadre réglementaire solide

B. L’Union européenne est néanmoins confrontée à une dépendance croissante en matière de combustibles fossiles

C. Une solution : développer le rôle de l’euro dans les transactions énergétiques

II. une transition ÉnergÉtique réussie permettrait à l’union européenne de rÉduire sa dÉpendance ÉnergÉtique

A. Le plan de relance europÉen, occasion historique pour renforcer l’autonomie énergétique de l’Union européenne

1. Le Pacte vert doit être au cœur du plan de relance

2. Quelles priorités d’investissement pour le plan de relance ?

3. L’art de la transition : le difficile équilibre entre ambitions environnementales et réalisme énergétique

B. La priorité est de mettre en place une véritable politique de soutien aux mesures d’efficacité énergétique

1. La sobriété énergétique, pilier du concept d’efficacité énergétique globale

2. La nécessaire relance des mesures d’efficacité énergétique

C. L’indispensable réduction de la part des énergies fossiles

1. L’Union européenne ne pourra jamais être indépendante en matière d’énergies fossiles

2. La volonté de se passer des énergies fossiles ne se justifie pas par l’épuisement des réserves mais par des préoccupations environnementales et stratégiques

3. L’Union européenne doit jouer la carte de la décarbonation de l’électricité

4. L’Union européenne doit combler son retard en matière de stockage

a. Le marché du stockage européen n’est pas encore mature

b. Le déploiement des véhicules électriques pourrait agir positivement sur le réseau électrique

c. Le projet d’alliance de la batterie

5. Les énergies renouvelables ne sont pas toutes des énergies renouvelables électriques

a. Gaz vert

b. Biocarburants

c. Hydrogène

6. La réussite de la transition énergétique repose sur l’appropriation citoyenne et sur l’implantation locale

a. La fin annoncée des systèmes énergétiques centralisés

b. L’autoconsommation, phénomène inéluctable

7. L’avenir du nucléaire en Europe, facteur de tensions ?

D. Un impératif : renoncer à toutes les politiques de soutien des énergies fossiles

1. Les plans de relance, occasion en or de mettre fin aux politiques de soutien aux énergies fossiles

2. La nécessaire révision du règlement relatif au réseau transeuropéen d’énergie (RTE-E)

E. Le rehaussement nécessaire des ambitions européennes

1. Le prix du carbone, condition d’une transition énergétique réussie

a. Le nécessaire renforcement du marché européen du carbone

b. L’instauration d’un mécanisme d’inclusion carbone aux frontières de l’Union

2. Le rehaussement nécessaire des objectifs européens pour 2030

a. La Commission européenne invite les États membres à être plus ambitieux en matière d’efficacité énergétique et d’énergies renouvelables

b. Quelle diminution des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 ?

3. La neutralité carbone en 2050, un objectif nécessaire et ambitieux

a. L’approche par services recoupe plusieurs réalités quotidiennes importantes à la fois pour les citoyens et pour les entreprises

b. Pourquoi l’horizon temporel de 2050 est-il justifié ?

4. Les deux manières d’appréhender la sécurité énergétique

F. Le renforcement des interconnexions vise à rendre le système énergétique de l’Union européenne plus résilient

III. l’émergence de nouvelles dépendances et vulnérabilités

A. L’interconnexion croissante des réseaux énergétiques européens peut prÉsenter des risques de vulnérabilité systémique

1. Un risque croissant d’effets domino

2. La question de plus en plus prégnante de la cybersécurité

B. L’absence de réponse à la question industrielle fait peser une menace de dépendance technique

1. Les fabricants occidentaux de matériel lourd font face à de graves difficultés

2. La bataille de la batterie ne peut être gagnée que dans un cadre concurrentiel loyal

C. Les règles de marché que l’Union européenne s’impose la fragilisent face à l’appétit de certains pays tiers

1. La Chine constitue une menace pour l’indépendance électrique de l’Union européenne

2. Les entreprises privées constituent également une menace

D. La nécessaire reconquête d’une souveraineté européenne dans le secteur énergétique

1. Définir l’énergie comme un secteur d’autonomie stratégique européenne

2. Défendre les entreprises stratégiques européennes contre les tentations prédatrices des États tiers

CONCLUSION

recommandations

TRAVAUX DE LA COMMISSION

Annexes

GLossaire et sigles

Liste des personnes auditionnÉes

tableau récapitulatif des textes européens visant à améliorer l’indépendance énergétique de l’union


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   INTRODUCTION

 

 

 

Mesdames, Messieurs,

L’énergie sera au cœur de la réflexion sur le « monde d’après » la crise sanitaire du COVID-19, à plusieurs titres. D’abord, elle est l’une des clés de la relance verte et de la construction d’une économie plus résiliente, car les investissements dans ce secteur peuvent réconcilier croissance, création d’emplois et transition écologique. Ensuite, elle doit prendre toute sa place dans le débat actuel sur le renforcement de l’autonomie stratégique de l’Union européenne : la maîtrise par les États membres de leur production et de leur consommation énergétique réduira leur dépendance aux États tiers et contribuera à la construction d’une Union géopolitique, que la Commission européenne appelle de ses vœux.

Dans le secteur de l’énergie, comme dans d’autres secteurs stratégiques, l’Union européenne se trouve à un moment charnière : la question est de dépasser l’approche fondée sur le « tout concurrence » et la priorité accordée aux consommateurs pour se recentrer sur les enjeux liés à l’indépendance énergétique, la protection des actifs stratégiques et la transition écologique. Le Pacte vert, qui doit être au cœur du plan de relance, est l’occasion historique d’opérer ce virage.

Dans ce contexte, la réflexion sur l’indépendance énergétique de l’Union européenne doit, à notre sens, s’articuler autour de trois axes :

– Le premier est géopolitique et concerne la sécurité des approvisionnements énergétiques. Le principal enjeu, pour les États membres, est de diversifier à la fois leurs sources d’approvisionnement, dans un contexte où la dépendance au gaz russe s’accroît, et leur bouquet énergétique.

– Le deuxième est industriel et a trait à l’autonomie stratégique du secteur. Il s’agit de développer une filière européenne d’énergie propre, dans le cadre de la nouvelle stratégie industrielle de la Commission, et de protéger les actifs stratégiques du secteur énergétique, que la crise a rendu encore plus vulnérable aux stratégies prédatrices de certains pays tiers.

– Le troisième est écologique, puisque seule une transition énergétique réussie permettra à l’Union européenne de réduire sa dépendance aux pays producteurs d’énergie fossile.

Si elle prend une acuité particulière dans le contexte actuel de lutte contre le réchauffement climatique et à la veille du Pacte vert européen, la question de l’indépendance énergétique des États n’est cependant pas nouvelle. Considérée comme un élément indissociable de la souveraineté, l’énergie a fait l’objet d’une coopération ambitieuse dès 1951, dans le cadre de la Communauté européenne du charbon et de l’acier, devenant un des premiers piliers de la solidarité européenne. Toutefois, quelque soixante-dix ans plus tard, la coordination des politiques énergétiques des pays de l’Union européenne ne va toujours pas de soi.

Pour l’Union européenne, la sécurité énergétique a d’abord été synonyme de sécurité d’approvisionnement et impliqué une politique de réduction de la dépendance aux approvisionnements extérieurs. Cet objectif est encore loin d’être atteint, l’Union européenne important 53 % de l’énergie qu’elle consomme. Cette dépendance est manifeste pour les énergies fossiles : 90 % du pétrole brut consommé, 66 % du gaz naturel. En outre, la Commission européenne s’inquiète des menaces pesant sur l’Union européenne, notamment depuis les ruptures temporaires d’approvisionnement en gaz subies par certains États membres de l’Est de l’Europe, lors des crises russo-ukrainiennes de 2006 et 2009. L’indépendance énergétique de l’Union européenne est fragilisée par la tension géopolitique persistante entre la Russie et l’Ukraine et par le fait que certains États membres ne peuvent s’approvisionner qu’auprès d’un seul fournisseur extérieur, la Russie.

À cette fragilité s’ajoutent les menaces sur l’autonomie stratégique de l’Union européenne que présentent les stratégies de rachat d’actifs de pays tiers, notamment la Chine, dans le secteur énergétique. Cette menace s’est accrue avec la crise sanitaire, qui a fragilisé nombre d’entreprises stratégiques européennes et pose la question plus large de l’adaptation de la stratégie industrielle européenne dans ces secteurs et de la meilleure protection des actifs stratégiques.

Enfin, l’indépendance énergétique de l’Union européenne est, à terme, indissociable de la réussite du Pacte vert et de l’atteinte des objectifs qu’elle s’est fixée en matière climatique : la neutralité carbone en 2050. La transition vers une économie sobre en énergie et décarbonée est la clé de l’indépendance énergétique de l’Union européenne. Le plan de relance est une occasion historique d’accélérer cette transition.

 


 

Sécurité, sûreté et indépendance énergétiques : trois notions distinctes

qui interagissent entre elles

 

Les notions d’indépendance, de sûreté et de sécurité sont distinctes et renvoient pourtant à des réalités indissociables.

 

La sûreté correspond aux moyens nécessaires mis en œuvre pour faire face à des actes volontaires ayant pour but de nuire au fonctionnement d’un système, en l’espèce énergétique. Cela recouvre en particulier les actes de terrorisme, de piratage ou les faits de guerre.

La sécurité renvoie aux moyens nécessaires mobilisés pour garantir le fonctionnement technique, physique, économique et environnemental du système énergétique, en cas d’accidents ou d’événements involontaires. À ce titre sont concernées les actions de protection contre les catastrophes naturelles.

L’indépendance consiste à ne pas dépendre de la volonté de sources extérieures pour accéder aux matières premières, technologies et matériels énergétiques nécessaires au bon fonctionnement de l’économie.

 

Le niveau d’indépendance a donc un impact majeur sur la sécurité, compte tenu de ses ramifications géopolitiques, lesquelles peuvent à leur tour entraîner des problèmes de sûreté.

 

    


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   PREMIÈRE PARTIE : Une dépendance énergétique croissante, inégalement répartie

Sur le plan de l’énergie également, l’année 2020 fait figure d’exception : la crise sanitaire du COVID-19 constitue, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), « le plus grand choc pour le système énergétique mondial » depuis la crise de 1929. En moyenne, chaque mois de confinement s’est traduit par une baisse de 20 % de la consommation d’électricité, la chute de la demande étant particulièrement marquée pour les énergies fossiles. Si nous manquons encore de recul pour distinguer les évolutions de court terme des changements structurels, plusieurs constats peuvent être établis :

- la crise a mis en évidence la nécessité de disposer d’un approvisionnement électrique fiable pour soutenir les systèmes de santé, les entreprises et les équipements du quotidien.

- elle a également démontré la résilience des énergies renouvelables, la part de ces énergies dans le mix énergétique ayant sensiblement augmenté en Europe, au détriment du gaz et du charbon.

Il reste que l’effondrement brutal de la demande en énergie marque une rupture conjoncturelle dans une trajectoire de dépendance énergétique croissante aux combustibles fossiles, et plus particulièrement au gaz naturel. Tout l’enjeu des plans de relance européen et nationaux sera de réussir à renverser cette tendance.

 

I.   UNE dÉpendance ÉnergÉtique CROISSANTE

A.   La Diminution de la production domestique

L’augmentation de la dépendance énergétique se traduit tout d’abord par une baisse de l’offre d’énergie endogène. Entre 2006 et 2016, la baisse de la production de pétrole brut (-39,0 %), de gaz naturel (-41,2 %), de combustibles solides (-30,8 %) et même d’énergie nucléaire (-5,2 %) au sein des pays de l’Union européenne, a entraîné une situation de dépendance croissante ([1]), les États devant importer davantage pour satisfaire leur demande interne en énergie primaire. Cette croissance de la dépendance énergétique des États membres a concerné tous les combustibles fossiles depuis une vingtaine d’années.

La chute de la production nationale d’énergie primaire a été particulièrement visible au Royaume-Uni, notamment pour ses ressources en gaz et en pétrole. Le pays est passé en une quinzaine d’années d’exportateur net à un taux de dépendance de 36 % en 2016. Le Danemark était le seul pays exportateur net d’énergie en 2006, il n’y a plus à l’heure actuelle d’État membre en situation d’exportation nette. La dégradation du niveau de dépendance est aussi visible aux Pays-Bas (de 21 % à 31 %), du fait de la stagnation de leurs gisements de gaz. La Pologne, qui connaissait une situation de stabilité d’approvisionnement énergétique, a vu son taux de dépendance atteindre 34 % sur la même période en raison de la baisse internationale des prix du charbon. La France a décidé d’interdire la production de pétrole sur son territoire à compter de 2040 ([2]). Les industries pétrolières estiment que cette décision empêchera le pays de produire localement environ 10 % de sa consommation à horizon 2050 ([3]). Les perspectives d’évolution de la dépendance énergétique de l’Union européenne montrent aussi une tendance à l’augmentation de cette dépendance à moyen et long terme, puisque les importations en énergie primaire devraient dépasser 67 % en 2030, avec une baisse sensible de la production interne (de 35 % en 2010 à 19 % en 2030) ([4]) ([5]).

B.   un Nombre réduit de fournisseurs

La sécurité de l’approvisionnement de l’Union européenne en énergie primaire peut aussi être menacée si une proportion élevée des importations provient d’un nombre réduit de partenaires. Les données d’Eurostat mettent en évidence un risque pour la sécurité de l’approvisionnement énergétique de l’Union européenne, dans la mesure où elle importe son énergie auprès d’un nombre restreint de fournisseurs. En 2016, plus des trois quarts (77,1 %) des importations de gaz naturel de l’Union européenne provenaient de Russie, de Norvège ou d’Algérie. Comme l’indique le tableau ci-après, cette concentration est similaire en ce qui concerne les combustibles solides, puisque plus des deux tiers (68,2 %) avaient pour origine la Russie, la Colombie et l’Australie, tandis que la tendance est moins importante pour le pétrole brut, dont l’importation s’effectue auprès d’un nombre moins concentré de fournisseurs : 52,6 % des importations de l’Union européenne provenaient de Russie, de Norvège et d’Irak ([6]).

 

C.   UNe Augmentation de la consommation intérieure dans certains États membres

La sécurité énergétique européenne doit également être considérée dans le contexte d'une croissance mondiale de la demande d'énergie, qui devrait augmenter de 27 % d'ici à 2030. D’ici à 2050, la part de l’électricité dans la demande finale d’énergie devrait au moins doubler pour atteindre 53 %. De plus, la tendance haussière de la consommation de gaz naturel (+19 % entre 2006 et 2016), peut constituer une fragilité pour la sécurité d’approvisionnement, en particulier pour les pays qui disposaient de ressources propres importantes et dont le stock a chuté depuis une dizaine d’années.

Cette situation doit toutefois être nuancée pour l’Union européenne. Entre 2010 et 2015, la consommation intérieure brute a évolué de manière variable selon les États membres. La grande majorité d’entre eux affiche une réduction de la consommation d'énergie, et ce dans des proportions parfois assez importantes : Danemark (-16 %), Malte (-19 %) ou Grèce (-15 %). Dix-huit autres États membres ont enregistré une baisse comprise entre 3 % et 10 %. Au contraire, des pays comme la Bulgarie, la Lituanie et l’Estonie ont vu leur consommation intérieure brute augmenter, mais dans une proportion inférieure à 5 %. La Lituanie est le pays qui affiche la hausse la plus importante (+10 %). Par ailleurs, la consommation par habitant de la Lettonie a également augmenté, bien que sa consommation totale d’énergie totale ait diminué. La France, quant à elle, se situe parmi les États consommant le plus d'énergie (3,8 TEP/habitant en 2015), un niveau qui reste toutefois bien inférieur à ceux de la Finlande, de la Suède, de l'Estonie et de la Belgique, les quatre plus gros consommateurs d’énergie par habitant en 2015, après le Luxembourg ([7]).

Le taux de dépendance énergétique, exprimé en pourcentage des importations nettes dans la consommation intérieure, représente le ratio entre la production et les importations d’énergie. Celui-ci montre qu’entre 2006 et 2016, la dépendance de l’Union européenne à l’égard du gaz naturel a augmenté de 11,1 points, ce qui est bien supérieur à l’augmentation de la dépendance au pétrole (qui ne s’est élevée qu’à 3,9 points) ([8]). Les pays qui ont le plus augmenté leur dépendance énergétique, c’est-à-dire accru leurs importations par rapport à leur production, sont le Danemark, le Royaume-Uni, la Lituanie, les Pays-Bas et la Pologne. Ceci s’explique par une raréfaction des matières premières destinées à la production d’énergie primaire. La dépendance énergétique de la Grèce, de l’Allemagne, de la Belgique, de la République Tchèque et de Malte s’est également renforcée, mais de manière moins importante. En revanche, tous les autres États sont parvenus à diminuer leurs taux de dépendance.

 

 

 

 

II.   uNE DÉPENDANCE PLUS MARQUÉE POUR Les États membres d’Europe centrale et orientale

La dépendance aux importations d’énergie primaire est, dans certains cas, inévitable mais ne représente pas obligatoirement un problème en soi. Elle peut néanmoins constituer une menace pour la sécurité d’approvisionnement lorsque des sources d’approvisionnement peu diversifiées se combinent avec un nombre de fournisseurs restreint et des interconnexions insuffisantes.

Les données d’Eurostat indiquent que les États membres ayant les taux de dépendance énergétique les plus élevés sont Malte (100 %), Chypre (96,2 %), le Luxembourg (96,1 %), la Lituanie (77,4 %), la Belgique (76,0 %) et l'Irlande (69,1 %). Ces pays dépendent presque exclusivement de sources d'approvisionnements extérieures du fait d’une production domestique d’énergie très inférieure à leur consommation intérieure.

Néanmoins, la dépendance de certains États membres d’Europe centrale et orientale est structurellement plus préoccupante car elle repose sur un nombre réduit de fournisseurs et une insuffisance en matière d’interconnexions.

A.   Des bouquets énergétiques peu diversifiés

Concernant la consommation finale d’énergie par source, on constate que pour certains pays d’Europe centrale et orientale, le gaz représente une part importante de leur bouquet énergétique : Hongrie (31 %), Slovaquie (31 %), Roumanie (25 %) et République tchèque (22 %). Trois de ces pays importent une part extrêmement importante du gaz dont ils ont besoin : 95,7 % pour la République tchèque, 92,9 % pour la Slovaquie, 78,9 % pour la Hongrie. Ils sont donc particulièrement dépendants car leur bouquet énergétique repose en grande partie sur une source d’énergie qu’ils sont obligés d’importer en quasi-totalité. Le poids d’un approvisionnement « mono-source » est alors d’autant plus lourd que le bouquet énergétique est peu diversifié.

 

 

 

B.   Une dépendance énergétique très marquée à l’égard de la Russie

À cette situation d’approvisionnement peu diversifiée, s’ajoute la problématique de la concentration du nombre de fournisseurs d’énergie. Cette concentration existe à l’échelle de l’ensemble des pays de l’Union européenne. Mais la position dominante de la Russie au sein du marché de l’énergie, qu’il s’agisse des combustibles solides, du pétrole ou du gaz, a un impact particulièrement fort sur la dépendance énergétique des pays d’Europe de l’Est. Des États membres comme la Lettonie, l’Estonie, la Finlande et la Slovaquie, dépendent quasi-exclusivement de leurs échanges avec la Russie. La Bulgarie, la Lituanie, la République Tchèque, la Grèce et la Pologne, sont aussi très dépendantes puisqu’elles importent une part conséquente de leur énergie primaire auprès de leur voisin russe ([9]).

Concernant plus particulièrement le gaz, la totalité des importations de la Bulgarie, de la Slovaquie, de la Roumanie provient de Russie (pour l’année 2016) mais ce sont l’Allemagne et l’Italie qui sont les principaux clients de la Russie, laquelle exporte environ 70 % de son gaz vers l’Europe. La partie orientale de l’Union européenne est donc beaucoup plus dépendante de la Russie que la partie occidentale. La situation est relativement moins défavorable au niveau de l’Union européenne dans son ensemble grâce à l’importation de GNL en provenance de la Norvège, du Qatar et de l’Algérie.

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C.   Des interconnexions insuffisantes

En raison de leur appartenance passée à la sphère soviétique, les pays d’Europe centrale et orientale disposent d’un maillage d’interconnexions beaucoup moins dense que les pays d’Europe occidentale et sont historiquement très dépendants des approvisionnements russes.

Les pays de l’Est de l’Europe ont connu des ruptures d’approvisionnement pendant les crises gazières ukrainiennes de 2006 et 2009. La solidarité européenne n’avait à l’époque pas vraiment joué car elle était difficile à mettre en œuvre. Les adaptations techniques du réseau permettant de recourir à du gaz rebours n’existaient que très peu à l’époque.

Afin d’augmenter l’indépendance de ces pays, l’Union européenne s’est dotée en 2010 d’un règlement visant à garantir la sécurité de l’approvisionnement en gaz naturel ([10]). Ce règlement a permis de passer de 12 % de points d’interconnexion bidirectionnels à 40 %. Il a été abrogé et remplacé en 2017 par un règlement qui a accru l’obligation de doter les interconnexions de capacités bidirectionnelles ([11]).

 

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D.   Diminuer la dépendance vis-à-vis de la Russie grâce au gaz naturel liquéfié ou au nucléaire ?

Une solution consisterait à aider les pays d’Europe orientale à développer des capacités d’importation de GNL et à installer des zones de stockage stratégiques. Le GNL provenant d’autres pays que la Russie, cela permettrait de diversifier les sources d’approvisionnement. Récemment, le spread (écart de prix, entre le GNL vendu sur le marché asiatique et le gaz vendu sur le marché européen) est passé à zéro. Cela signifie que le marché du GNL est devenu mondial. Il y a donc un très grand potentiel de diversification car les acteurs du secteur ne sont plus tenus par des liens physiques ou géographiques mais par les prix du marché du GNL. La diversification de la dépendance paraît inévitable.

Afin de limiter leur dépendance à l’égard du gaz, la Hongrie et la Pologne souhaitent recourir au nucléaire. La dépendance de ces deux pays aux énergies fossiles explique pourquoi ils ont été réticents à souscrire à l’objectif de neutralité carbone en 2050 ([12]) proposé par la Commission européenne, même si la Hongrie s’est ralliée à cet objectif depuis.

III.   l’évolution du marchÉ de l’Énergie renforce pour l’instant la dÉpendance de l’Union europÉenne À l’Égard de la russie

A.   La Russie, premier EXPORTATEUR d’énergies fossiles en Europe

L’Union européenne dépend à 90 % des importations de pétrole, à 77 % des importations de gaz, et à 42 % des importations de charbon. Les principaux partenaires de l’Union européenne sont :

– pour le pétrole : la Russie (30 %), la Norvège (12 %), le Nigeria (8 %) et l’Arabie Saoudite (8 %) ;

– pour le gaz, la Russie (37-39 %), la Norvège (33 %), l’Algérie (10 %) et le Qatar (8 %) ;

– pour le charbon, la Russie (29 %), la Colombie (24 %) et les États-Unis (16 %) ([13]).

L’Union européenne est donc très dépendante de la Russie pour les énergies fossiles.

B.   La part croissante du gaz renforce la dépendance de l’Union européenne à l’égard de la Russie

1.   Le gaz, une énergie de transition dont la consommation augmente

Le gaz est perçu comme une solution intermédiaire, souple et fiable, entre les énergies fossiles très polluantes (charbon et pétrole) et les énergies renouvelables. À ce titre, sa part dans les bouquets énergétiques des États membres est amenée à augmenter, en tout cas à court terme. On constate que moins de la moitié des besoins en gaz de l’ensemble des États membres est actuellement couverte par la production intérieure ([14]). Après les chocs pétroliers des années 1970, les crises gazières de 2006 et 2009 entre la Russie et l’Ukraine ont montré que la dépendance énergétique avait changé de nature, passant du pétrole au gaz.

2.   Le gaz, moyen de pression de la Russie envers ses voisins

Le conflit de 2006 portait sur le prix du gaz facturé par la Russie à l’Ukraine et sur une accusation de prélèvement illégal par l’Ukraine pour le gaz à destination de l’Europe de l’Ouest. La crise de 2009 portait à nouveau sur les tarifs de vente de gaz de la Russie à l’Ukraine et sur une dette invoquée par la Russie. Les approvisionnements vers l’Europe ont cette fois été totalement interrompus le 7 janvier 2009 ([15]). Ces crises ont mis en lumière la forte vulnérabilité de certains États membres, essentiellement d’Europe centrale et orientale, et le manque de solidarité en fait et en droit au sein même du système énergétique européen dans son ensemble, alors même que les quantités de gaz disponibles dans l’Union européenne prise globalement restent suffisantes, compte tenu des stockages.

Les risques de contagion des crises entre l’Ukraine et la Russie sur la dépendance énergétique de l’Union européenne sont néanmoins limités car il n’est dans l’intérêt d’aucun des deux pays de revivre de telles périodes de tension. De plus, l’entreprise ukrainienne Naftogaz et l’entreprise russe Gazprom ont l’habitude de faire trancher leurs différends par l'Institut d'arbitrage de la Chambre de commerce de Stockholm. C’est un moyen efficace de gérer des risques.

Afin de se prémunir contre d’éventuelles nouvelles ruptures d’approvisionnement, certains pays de l’Union européenne ont mis en œuvre des projets d’approvisionnement gazier contournant le sol ukrainien mais ne diminuant en rien leur dépendance vis-à-vis de la Russie. Le gazoduc South Stream, lancé en 2007, devait permettre de contourner l’Ukraine en passant par les mers Noire et Adriatique, mais a été abandonné par la Russie en 2014 à la suite de désaccords avec l’Union européenne, qui contestait la légalité des contrats passés avec certains États membres pour le passage du gazoduc. Il a été remplacé par le projet de gazoduc Turkish Stream (ou TurkStream) allant de la Russie à la Turquie à travers la mer Noire. Il doit faire transiter 31,5 milliards de mètres cubes de gaz vers l’Europe.

 

 

Source : Euractiv) Tracé du projet Turkish Stream

3.   Le controversé projet Nord Stream 2

a.   Un projet qui divise l’Europe

Le projet Nord Stream 2 vise à doubler le gazoduc Nord Stream 1, construit en 2005, qui relie le port russe de Vyborg au port allemand de Greifswald sous la mer Baltique. Il devrait porter la capacité de cette liaison gazière à 110 milliards de mètres cubes par an, permettant à la Russie de couvrir 36 % de la consommation gazière de l'Union européenne. Le projet Nord Stream 2 doit-il être considéré comme un élément d’aggravation de la dépendance énergétique de l’Union européenne vis-à-vis de la Russie ? Oui et non. Statistiquement, l’Union européenne, et surtout l’Allemagne, vont dépendre davantage de la Russie, mais l’augmentation des volumes doit être relativisée puisqu’une partie des flux de Nord Stream 2 se substituera à des flux transitant actuellement par l’Ukraine.

L’Union européenne importe de Russie 40 % du gaz qu’elle consomme. Ce pourcentage ne devrait pas évoluer à court terme, la hausse de la consommation du gaz russe en Allemagne devant être neutralisée par la baisse de la consommation du gaz russe dans les pays d’Europe centrale ([16]).

Le projet Nord Stream 2 divise les États membres de l’Union européenne. La Pologne et les pays baltes sont opposés au projet pour des motifs idéologiques antirusses. L’Italie a un grand sentiment d’amertume, car elle était impliquée dans le projet South Stream, qui ne se fera pas. La Finlande et la Suède, directement concernées, ont donné leur accord à la traversée de leurs eaux territoriales. Les pays scandinaves ne sont ni séduits ni opposés au projet. L’Espagne et le Portugal ne se sentent pas véritablement concernés, car ils importent du GNL. L’Autriche soutient le projet. La chancelière Merkel soutient le projet depuis son origine. L’Allemagne, qui est l’investigatrice du projet, se trouve dans une situation énergétique compliquée, puisqu’elle doit sortir à la fois du nucléaire et du charbon. Si elle veut tenir ses objectifs de réduction d’émission de gaz à effet de serre, elle n’a pas vraiment d’autre solution que de recourir au gaz. Le monde des affaires et le milieu bancaire allemands ne perçoivent pas la Russie comme une menace.

La France a constamment adopté une position prudente, en s’alignant derrière l’Allemagne sans s’impliquer publiquement. Mais au cours des négociations sur la modification de la directive de 2009 sur le marché intérieur du gaz naturel, qui devaient apporter une réponse aux inquiétudes juridiques formulées à l’encontre du projet, la position de la France a été marquée par un retournement qui peut être interprété comme un double avertissement du gouvernement français à l’égard de l’Allemagne (visant à lui signifier qu’elle ne pouvait pas agir seule) et d’Engie (visant à lui indiquer que l’investissement dans le projet Nord Stream 2 était en contradiction avec son engagement affiché de verdissement) ([17]). Mais finalement, la France a œuvré avec l’Allemagne à la rédaction d’un compromis ayant permis aux négociations d’aboutir. Bien qu’officiellement adoptée, la directive gaz révisée ([18]), destinée à mieux encadrer juridiquement le projet, est une affaire semi-dénouée. Ce n’est qu’une fois les modalités d’application connues (qui dépendent de la façon dont sera transposée et mise en œuvre la directive, notamment en Allemagne) qu’il sera possible de porter un jugement éclairé sur l’efficacité du nouveau cadre mis en place.

Le poids de la Russie en tant qu’exportateur de gaz pourrait être diminué avec l’émergence d’autres fournisseurs comme l’Azerbaïdjan (qui entraînerait néanmoins une nouvelle dépendance vis-à-vis de la Turquie, pays de transit), l’Égypte, Israël ou Chypre, sur les territoires desquels de grandes réserves de gaz ont été découvertes. Cela permettrait de diversifier les sources d’approvisionnement mais, s’agissant de zones où les risques de conflit sont importants (avec la proximité de la Syrie et du Liban), cela n’améliorerait probablement pas l’indépendance énergétique de l’Union européenne.

b.   La nouvelle directive « gaz » et la menace de sanctions américaines, obstacles à l’achèvement du projet.

La Commission européenne, qui promeut la diversification des approvisionnements et défend le principe de concurrence, s’inquiète de cette montée en puissance de Gazprom et de voir 80 % des importations russes passer par la Baltique. Elle a décidé d’agir par un biais législatif en proposant une modification de la directive de 2009 sur le marché intérieur du gaz naturel ([19]). La nouvelle directive prévoit d’étendre l’application des règles du marché du gaz de l’Union européenne aux nouveaux gazoducs à destination et en provenance de pays tiers. Les nouveaux gazoducs seront donc soumis aux règles de la dissociation des structures (distinction entre le propriétaire et le gestionnaire des infrastructures) et de l’accès des tiers au réseau, alors qu’auparavant, les acteurs qui investissaient dans la construction d’un gazoduc pouvaient demander à bénéficier seul du gazoduc pendant une période de vingt ans.

Le 20 mai 2020, le Tribunal de l’Union européenne a jugé irrecevables les recours des sociétés Nord Stream et Nord Stream 2 demandant l’annulation de cette directive, qui, selon les plaignants, contrevenait au principe d’égalité de traitement et de proportionnalité, la modification de la directive de 2009 ayant « été clairement conçue et adoptée dans le but de désavantager et de décourager le pipeline Nord Stream 2 ». Le tribunal a invoqué le pouvoir d’appréciation laissé aux États membres et les possibilités de dérogation à la directive accordées aux autorités nationales de régulation. En l’espèce, le régulateur allemand de l’énergie prévoit de refuser d’accorder à Nord Stream 2 une exemption, ce qui pourrait retarder davantage le démarrage du projet.

À ces difficultés s’ajoutent les menaces de sanctions brandies par les États-Unis, qui sont opposés au projet, d’une part parce qu’ils sont fortement préoccupés par les ambitions géopolitiques de la Russie, d’autre part parce qu’ils veulent obtenir un débouché européen pour le gaz naturel liquéfié (GNL) américain. Le 20 décembre 2019, le président des États-Unis, Donald Trump, a signé la loi américaine imposant des sanctions extraterritoriales aux entreprises prenant part au projet (les Allemands Wintershall et Uniper, l’Anglo-néerlandais Shell, le Français Engie et l’Autrichien OMV.) En vertu de cette loi, les États-Unis peuvent imposer des sanctions, telles que le gel des avoirs et la révocation des visas américains pour les entrepreneurs liés aux gazoducs. Cette menace a conduit l’entreprise suisse Allseas, chargée de poser les conduites, à suspendre sa participation au projet afin d’échapper aux mesures de rétorsion. L’Union européenne, l’Allemagne et la Russie ont dénoncé l’ingérence des États-Unis dans la politique énergétique européenne.

Malgré ces obstacles, le projet Nord Stream 2, dont l’infrastructure est quasiment achevée, devrait être mené à terme, au plus tôt à la fin de l’année 2020.

 

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C.   Le marché européen de l’énergie connaÎt une situation d’interdépendance plutôt que de dépendance

1.   Le caractère très interdépendant du marché de l’électricité

a.   Le périmètre de l’Europe de l’électricité dépasse celui de l’Union européenne

L’Europe de l’électricité comprend la plaque continentale, Suisse comprise, ainsi que la Turquie et les pays du Maghreb.

La Suisse est complètement intégrée au réseau électrique européen. Depuis le référendum sur le Brexit de juin 2016, la Commission européenne a durci sa position, exigeant de la confédération helvétique qu’elle se plie à toutes ses exigences en contrepartie de la sûreté électrique que lui procure le réseau électrique de l’Union européenne. Les gestionnaires de réseaux de transport d’électricité, dont le français RTE (Réseau de transport d’électricité), appellent à davantage de souplesse. Ils estiment qu’il faut être prudent car tous les pays sont interdépendants les uns des autres. L’Italie est, par exemple, très dépendante de la Suisse.

Le Maghreb souhaite intégrer le réseau électrique européen. L’association MED-TSO, qui rassemble dix-neuf gestionnaires des réseaux de transport de l’électricité méditerranéens, travaille sur des projets visant à faciliter la création d’un marché méditerranéen de l’énergie complémentaire du marché européen.

Le périmètre de l’Europe de l’électricité continue de croître. En témoigne la participation de RTE à un groupe de travail visant à aider l’Ukraine à se désarrimer du réseau électrique russe. C’est un enjeu majeur pour le pays. Il existe une solidarité européenne dans le secteur de l’électricité ainsi qu’une fraternité de points de vue partagée par des pays qui ont pourtant des systèmes politiques très différents.

b.   Le marché européen de l’électricité se caractérise par une interdépendance marquée

Les interconnexions permettent essentiellement d’acheter de l’électricité moins chère en s’approvisionnant dans un pays voisin. Elles ne servent à assurer la sécurité d’approvisionnement que pendant 10 % de leur temps de fonctionnement ([20]). Néanmoins, l’Europe de l’électricité est une réalité durable et elle est essentielle pour la résilience du réseau. Il n’existe plus de marchés nationaux de l’électricité mais un marché européen de l’électricité.

Une anecdote récente illustre parfaitement le caractère très européen et très interdépendant du réseau électrique. Il y a quelques mois, les horloges des appareils électroménagers ont affiché plusieurs minutes de retard en raison d’un déséquilibre du réseau (baisse de la fréquence) résultant d’une manipulation du Kosovo. Le Kosovo, qui n’arrive pas à couvrir sa consommation par sa production domestique, utilise les réserves stratégiques – destinées à équilibrer le réseau en cas de difficulté ‑ des autres pays voisins pour couvrir sa consommation. Les réserves stratégiques étant plafonnées, il est arrivé que la consommation soit supérieure à la production : cela a conduit à un léger déséquilibre du réseau, pas suffisamment important pour provoquer un blackout, mais suffisant pour entraîner un retard de plusieurs minutes.

2.   Le marché du gaz se caractérise par une dépendance réelle mais réciproque

Principal fournisseur de l’Union européenne en matière d’énergies fossiles, la Russie doit-elle être considérée comme une menace pour la sécurité énergétique de l’Union européenne ? Statistiquement, l’Union européenne est certes très dépendante de la Russie, mais c’est un fournisseur fiable. Les crises gazières de 2006 et 2009 ont été déclenchées par l’Ukraine, qui prélevait du gaz pour payer les frais de transit. Avec des infrastructures fixes, le fournisseur est aussi dépendant que l’acheteur. Il s’agit d’une interdépendance. Il faut rentabiliser le coût d’installation. La Russie sait que l’Union européenne est un acheteur fiable. De plus, depuis 2012, les exportations énergétiques n’arrivent plus à tirer la croissance russe. Le gouvernement russe souhaiterait que l’économie du pays se diversifie et que les revenus de la rente énergétique soient répartis de manière plus équilibrée entre l’Europe et l’Asie mais ces évolutions tardent à se mettre en place. Depuis 2014, on assiste à une chute progressive des revenus tirés de la rente énergétique, entraînant des difficultés pour l’État et les entreprises russes. Les négociations avec la Russie sont compliquées, mais il faut garder en tête que la Russie n’aurait aucun intérêt à « tuer la poule aux œufs d’or ».

D.   Les États-Unis bouleversent le marchÉ mondial de l’Énergie

Les États-Unis disposent de très grandes réserves de gaz de schiste, dont le prix est très bas, et qu’ils exportent. Ils sont désormais les premiers producteurs mondiaux de pétrole et de gaz, et l’Agence internationale de l’énergie (AIE) estime probable qu’en 2025-2027, la production américaine de pétrole dépassera celle combinée de la Russie et de l’Arabie Saoudite. Le pétrole de schiste rapporte davantage que le gaz de schiste aux États-Unis.

Afin de diversifier ses sources d’approvisionnement, l’Union européenne peut répondre positivement à la volonté des États-Unis d’exporter en grande quantité du gaz de schiste vers l’Europe. La situation actuelle du marché gazier est très confortable pour l’Union européenne. Pour l’instant, elle achète du gaz russe car il est moins cher que le gaz américain. En cas de crise, elle pourra opter pour le gaz américain dont la production ne cesse d’augmenter ou pour du gaz provenant d’autres pays producteurs (Qatar ou Australie, par exemple). Le marché du GNL est très fluide. L’offre ne manque pas. Un quart des contrats gaziers sont déjà établis en euros.

Il y a suffisamment de terminaux de regazéification dans la partie occidentale de l’Europe. Ceux qui existent ne sont exploités qu’à 25 % de leurs capacités. La France dispose de trois terminaux (Dunkerque, Montoir-de-Bretagne et Fos) qui sont également sous-utilisés. En revanche, il faudrait en construire en Allemagne et en Pologne.

Il faut néanmoins avoir conscience que, ce faisant, on procède au remplacement d’une dépendance par une autre dépendance : au dollar, aux technologies américaines et au marché américain. Il n’est pas sûr qu’il soit très stratégique de remplacer une dépendance à l’égard de la Russie par une dépendance à l’égard des États-Unis.

Les critiques vis-à-vis du gaz de schiste américain réputé être néfaste pour l’environnement doivent être précisées. En effet, le gaz de schiste n’est pas plus polluant que le gaz conventionnel. Les deux types de gaz polluent mais, sur la chaîne gazière, la pollution n’intervient pas au même endroit. Le gaz de schiste pollue plus sur la phase de production et le gaz naturel davantage sur la phase de transport. Il reste que, tant que l’Union européenne n’aura pas accompli sa transition énergétique lui permettant de produire localement une énergie décarbonée, l’objectif de sécurisation de l’approvisionnement et les ambitions environnementales seront difficilement conciliables.

 

 

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Les différentes initiatives lancées par les États membres répondent à un besoin de garantie d’approvisionnement en énergie, dans le cadre d’un marché fluide et concurrentiel. Toutefois, elles témoignent d’un manque de solidarité au sein de l’Union, raison pour laquelle les instances européennes ont tenté de fixer un cadre législatif destiné à renforcer la stratégie commune de l’énergie.

 


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   DEUXIÈME PARTIE : LEs DESTINs DE L’INDÉPENDANCE ÉNERGÉTIQUE et DE LA TRANSITION ÉnergÉtique sont liÉs

I.   L’Union européenne cherche depuis longtemps à améliorer son indépendance énergétique, en vain

A.   Le renforcement de l’indépendance énergétique de l’Union européenne s’appuie sur la mise en place d’un cadre réglementaire solide

La politique énergétique a acquis une base juridique explicite avec l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, le 1er décembre 2009. Elle relève de la compétence partagée entre l’Union et les États membres (article 4 du traité sur l’Union européenne), ces derniers ayant toute liberté pour choisir leur bouquet énergétique (article 194 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne).

La politique énergétique de l’Union a pour objectif principal d’assurer le fonctionnement du marché de l’énergie, de promouvoir l’interconnexion des réseaux énergétiques, de garantir la sécurité de l’approvisionnement énergétique dans l’Union et de promouvoir l’efficacité énergétique et les économies d’énergie ainsi que le développement des énergies nouvelles et renouvelables.

Au cours des dix dernières années, l’Union a publié un nombre important de documents, législatifs ou non, visant à améliorer son indépendance énergétique (voir annexe II).

La législation de l’Union en matière de sécurité d’approvisionnement se concentre sur les marchés du gaz naturel et de l’électricité, car le charbon et le pétrole étant des matières premières échangées sur des marchés internationaux et fournis par de nombreux pays tiers, l’Union n’a pas besoin d’intervenir sur ces marchés. Elle s’est toutefois assurée avec la directive de 2009 sur les stocks de pétrole ([21]) que les États membres remplissent leurs obligations en matière de stocks de pétrole, conformément aux exigences fixées par l’Agence internationale de l’énergie.

Le gaz naturel est un domaine prioritaire de l’action de l’Union en matière de sécurité d’approvisionnement. Cela se justifie par le fait qu’il constitue environ un quart de l’énergie consommée dans l’Union et que de nombreux États membres importent quasiment l’intégralité de leur approvisionnement, certains d’entre eux étant, de plus, dépendants d’une seule source ou route d’acheminement. En février 2016, la Commission a présenté trois propositions relatives à la sécurité d’approvisionnement en gaz : un règlement ([22]) permettant d’introduire un principe de solidarité pour le partage du gaz en cas de situation d’urgence, de renforcer la coopération régionale en matière de sécurité d’approvisionnement et de permettre un meilleur suivi et une coordination plus efficace ; une décision ([23]) conférant à la Commission de plus grands pouvoirs de contrôle préventif permettant de s’assurer que les accords intergouvernementaux avec des pays tiers ne menacent pas le marché intérieur ou l’approvisionnement ; une communication ([24]) pour le gaz naturel liquéfié et le stockage du gaz.

La sécurité de l’approvisionnement est également une préoccupation dans le secteur de l’électricité. L’augmentation des énergies renouvelables intermittentes nécessite une coopération plus étroite entre l’Union, les autorités nationales et les acteurs du marché. Un nouveau règlement sur la sécurité de l’approvisionnement en électricité a été publié au Journal officiel de l’Union européenne en juin 2019 ([25]) pour établir un système à l’échelle européenne permettant de remédier à une crise majeure. Il vise essentiellement à améliorer la coopération et l’assistance régionales entre les États membres.

Le rôle attribué à l’Union par l’article 194 du TFUE pour l’amélioration de l’efficacité énergétique et des économies d’énergie ainsi que pour le développement des énergies renouvelables peut aussi avoir une incidence positive sur la sécurité d’approvisionnement puisque la maîtrise de la consommation d’énergie peut réduire les importations et que les énergies renouvelables sont souvent produites localement, contrairement aux combustibles fossiles majoritairement importés de pays tiers tels que la Russie. L’un des accomplissements majeurs de la législature 2014‑2019 a été de fixer un double objectif contraignant pour l’Union européenne à l’horizon 2030 : amélioration de 32,5 % de l’efficacité énergétique ([26]) et augmentation de la part des énergies renouvelables à hauteur de 32 % de la consommation d’énergie finale ([27]).

B.   L’Union européenne est néanmoins confrontée à une dépendance croissante en matière de combustibles fossiles

Malgré ce cadre législatif renforcé, les États membres doivent importer davantage pour satisfaire leur demande interne en énergie primaire. Cette croissance de la dépendance énergétique des États membres a concerné tous les combustibles fossiles depuis une vingtaine d’années. Entre 1999 et 2014, elle est passée de 21 % à 42 % pour le charbon, et ce en dépit d’une baisse de la consommation de 22 % ; pour le pétrole, elle est passée de 78 % à 92 %, malgré 8 % de baisse de la consommation ; et enfin, la dépendance au gaz naturel est passée de 43 % à 67 %, avec une hausse de la consommation de 19 % ([28]).

C.   Une solution : développer le rôle de l’euro dans les transactions énergétiques

Pour défendre les intérêts européens, il faut insister auprès de la Commission européenne sur l’importance de l’euro dans les transactions énergétiques. Certes, dans son discours sur l’état de l’Union, de septembre 2018, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, avait déclaré : « Il est absurde que l’Europe paie plus de 80 % de sa facture énergétique, qui s’élève à 300 milliards d’euros par an, en dollars américains alors que 2 % seulement de nos importations d’énergie viennent des États-Unis ». Mais cet aspect de la question reste sous-estimé par les responsables politiques, et le secteur bancaire s’en plaint. Il serait souhaitable que l’Union européenne mette en place un cadre qui permette d’imposer de manière progressive le règlement des transactions énergétiques en euros, qu’il s’agisse du paiement des matières premières ou du règlement des contrats d’assurance du secteur énergétique qui sont également libellés en dollars. Il n’y a aucune obligation à acheter du GNL en dollars. Il semble très difficile de « dé-dollar-iser » le marché pétrolier mais il serait envisageable d’« euro-iser » le marché gazier. La Chine est en train de mettre en place un système visant à court-circuiter les canaux financiers américains. Il est trop tôt pour savoir si cette initiative sera couronnée de succès mais cette volonté de ne plus dépendre du dollar est une piste intéressante.

La dépendance énergétique n’est pas seulement physique mais également financière. Cette dépendance financière est une dépendance non pas vis-à-vis de la Russie mais vis-à-vis des États-Unis. Dans un contexte de guerre économique, l’Union européenne a-t-elle intérêt à être dépendante des États-Unis ?

À l’initiative de président Juncker, la Commission européenne a publié une recommandation ([29]) pour accroître l’utilisation de l’euro dans les transactions liées à l’énergie réalisées par les acteurs du marché européen. Nous ne pouvons qu’espérer qu’elle soit suivie d’effets.

II.   une transition ÉnergÉtique réussie permettrait à l’union européenne de rÉduire sa dÉpendance ÉnergÉtique

Il serait plus pertinent que l’Union européenne se focalise sur la réussite de la transition énergétique plutôt que sur la diminution de la dépendance énergétique européenne à l’égard du gaz russe. Concernant la transition énergétique, les actions à entreprendre peuvent être classées entre celles qu’il faut mettre en œuvre (soutien aux mesures d’efficacité énergétique et promotion des énergies renouvelables) et celles qu’il ne faut pas/plus mettre en œuvre (soutien aux énergies fossiles). Entre ces deux types de mesures, existe une grande zone floue qui reste à évaluer.

A.   Le plan de relance europÉen, occasion historique pour renforcer l’autonomie énergétique de l’Union européenne

1.   Le Pacte vert doit être au cœur du plan de relance

La crise du COVID-19 et ses conséquences économiques auront-elles raison du Pacte vert européen, présenté par la Commission européenne en décembre 2019 ? Malgré les pressions de certains États membres et lobbys pour remettre en cause, sinon les ambitions, du moins le calendrier du Pacte vert, la Commission a démontré, en présentant les grandes lignes de sa proposition de plan de relance le 27 mai dernier, qu’elle comptait, au contraire, faire du Pacte vert le cœur de plan de relance, en insistant sur le lien entre relance économique et construction d’une économie résiliente à long terme. La « Facilité pour la résilience et la relance » absorbe à elle seule 560 des 750 milliards d’euros de Next Generation EU.

Parmi les différentes actions annoncées par la Commission, certaines sont spécifiquement liées à la transition énergétique, comme l’augmentation du Fonds pour une transition juste, doté de près de 40 milliards d’euros, le doublement du montant consacré aux infrastructures durables dans le cadre d’InvestEU afin de contribuer à l’objectif d’au moins doubler le taux annuel de rénovation des bâtiments, l’instrument Strategic investment facility, destiné à investir dans des technologies essentielles pour la transition vers les énergies propres (technologies d’exploitation et de stockage de l’énergie renouvelable, hydrogène propre, ou encore batteries).

En outre, pour s’assurer que ces fonds servent bien l’objectif de transition écologique, la Commission propose opportunément un certain nombre de garanties. Pour bénéficier de ces fonds, les États membres devront présenter des plans de relance nationaux compatibles avec les orientations du Pacte vert. La Commission évaluera leur cohérence avec les plans nationaux en matière d’énergie et de climat et les plans nationaux pour une transition juste. Elle formulera des recommandations, qui ne seront cependant pas contraignantes. Serait contraignant, en revanche, l’avis rendu à la majorité qualifiée par les États membres au sein d’un comité spécifique de l’UE : les États membres auraient donc le pouvoir de rejeter le plan de relance d’un pays en raison de son inadéquation avec les objectifs environnementaux de l’UE ([30]). Dans la même logique, les entreprises polluantes devront fournir des plans de transition verte pour bénéficier des aides ([31]).

2.   Quelles priorités d’investissement pour le plan de relance ?

Relance économique et ambitions environnementales peuvent aller de pair, si les pouvoirs publics sélectionnent rigoureusement des programmes d’investissements ayant un fort impact sur la croissance, la création d’emplois et la transition écologique. C’est ce que montrent les auteurs du policy paper « Greener after » de l’Institut Jacques Delors ([32]), qui formulent, dans cinq secteurs clés, des recommandations contribuant à améliorer l’efficacité énergétique et à décarboner l’énergie tout en relançant l’économie (le bâtiment, la mobilité routière, l’innovation propre, l’économie circulaire et le tourisme côtier). S’agissant plus spécifiquement de l’énergie, nous pouvons retenir les propositions suivantes :

– La rénovation de la moitié des bâtiments éducatifs d’ici à 2024 (300 milliards d’euros).

– La rénovation énergétique intégrale des logements de 4 millions de familles en précarité énergétique d’ici à 2024 (200 milliards d’euros).

– Le développement des infrastructures de recharge pour véhicules électriques, avec l’objectif de disposer d’au moins 1 million de bornes de recharge d’ici à 2070 (10 milliards d’euros).

– Développer le réseau de pistes cyclables (3 milliards d’euros.)

– Accélérer la production de batteries (70 milliards d’euros.)

– Stimuler la demande pour les véhicules électriques, avec l’instauration par les États membres d’un bonus de 7 000 euros en moyenne pour l’achat de 10 millions de voitures électriques pendant les quatre prochaines années (70 milliards d’euros).

Dans cette logique, il nous semble souhaitable, dans le cadre des plans de relance, de « prioriser » les investissements alliant emploi et transition énergétique, en mettant l’accent sur la rénovation des bâtiments et les transports durables. À cet égard, la « vague de rénovation », qui sera présentée par la Commission à la fin de l’année 2020, doit être l’occasion d’annoncer des projets de cette envergure. Parallèlement à ces investissements, il serait opportun d’améliorer le cadre réglementaire, en révisant notamment la directive sur la performance énergétique des bâtiments ([33]) pour y introduire une trajectoire précise par État membre de réduction des émissions de carbone pour les bâtiments neufs et existants, sur le modèle des réglementations adoptées dans le secteur automobile.

3.   L’art de la transition : le difficile équilibre entre ambitions environnementales et réalisme énergétique

L’objectif de développer une énergie décarbonée et renouvelable est largement partagé, mais il se heurte à deux réalités : d’abord, le choix du mix énergétique relève de la compétence des États membres, et les décisions en la matière connaissent une certaine inertie ; ensuite, le gaz et, a fortiori, le nucléaire continueront à jouer un rôle important, ne serait-ce que pour des raisons de sécurité de l’approvisionnement, et a minima pendant la période de transition.

Cette ambiguïté apparaît dans les initiatives récentes de l’Union européenne. Ainsi, le gaz naturel et le nucléaire n’ont, à ce stade, été ni inclus ni expressément exclus du projet de règlement sur la taxonomie des activités durables, qui a vocation à orienter les investissements vers l’économie verte, même si, selon un communiqué du Parlement européen publié le 17 décembre 2019, ces activités peuvent potentiellement être qualifiées « d’activités facilitatrices ou transitoires dans le plein respect du principe « ne pas causer de préjudice important » (do not significant harm) à l’environnement. Le texte laisse une telle marge d’appréciation, que des pays comme la Pologne lui reprochent de ne pas inclure expressément le gaz naturel et le nucléaire dans la taxonomie, quand d’autres États, comme l’Autriche et le Luxembourg, regrettent qu’il laisse la porte ouverte à des activités non durables, comme le nucléaire.

De même, la révision du règlement européen relatif au réseau transeuropéen d’énergie prévue à la fin 2020 vise, selon la Commission ([34]), à réaliser l’objectif de décarbonation du secteur tout en contribuant à la sécurité de l’approvisionnement et à la concurrence, ambitions qui peuvent sembler difficilement conciliables. C’est la raison pour laquelle plusieurs ONG ont adressé, le 28 avril dernier, une lettre à la Commission pour que cette révision conduise à exclure tout soutien direct ou indirect aux infrastructures de combustibles fossiles.

Dans la même logique, la stratégie pour l’hydrogène qui doit être présentée en juillet prochain, devrait donner la priorité à l’hydrogène « vert » (produit au moyen d’électrolyseurs alimentés par de l’électricité 100 % renouvelable), tout en prévoyant un rôle de transition pour l’hydrogène « bleu » (produit à partir de gaz naturel, combiné avec les technologies de capture et de stockage du carbone).

B.    La priorité est de mettre en place une véritable politique de soutien aux mesures d’efficacité énergétique

La meilleure façon d’améliorer la sécurité énergétique européenne, c’est d’augmenter la quantité d’énergie non-consommée. Pour cela, il faudrait investir massivement dans l’efficacité énergétique et inciter les citoyens à changer leurs habitudes de consommation, notamment en intervenant dans les écoles. La transition énergétique ne peut pas réussir si elle est imposée, surtout si elle se traduit par des dépenses supplémentaires (comme l’illustre le mouvement des gilets jaunes). Il faut qu’elle soit acceptée par les citoyens qui doivent y voir leur intérêt.

1.   La sobriété énergétique, pilier du concept d’efficacité énergétique globale

Le mouvement coopératif met l’accent sur la sobriété énergétique, qui constitue un des piliers du concept d’efficacité énergétique globale. La sobriété énergétique s’appuie sur le changement de comportement plutôt que sur le changement technique (éteindre la lumière plutôt qu’installer des LED). Les consommateurs doivent être intelligents avant que les compteurs le soient. Cette démarche requiert une prise de conscience de la valeur de l’électricité, qui ne peut survenir que par le rapprochement du consommateur de la production. Les coopératives ont pour mission de former les sociétaires afin d’en faire des consommateurs informés.

La sobriété énergétique doit ensuite être combinée avec des mesures d’efficacité énergétique. Le scénario négaWatt (scénario élaboré par une association d’experts visant un objectif de 100 % d’énergies renouvelables en 2050) estime que la consommation peut être réduite de 66 % uniquement par des mesures de sobriété et d’efficacité énergétique.

2.   La nécessaire relance des mesures d’efficacité énergétique

Malheureusement, on constate, par exemple en France, une baisse régulière des aides à l’efficacité énergétique. La Commission européenne a publié le 18 juin 2019 une évaluation des plans nationaux énergie-climat de tous les États membres faisant apparaître que, au niveau européen, les objectifs pour 2030 ne seront pas atteints, ni pour les énergies renouvelables (écart de 1 %), ni pour l’efficacité énergétique (écart de 6 %). Une des raisons de cet échec annoncé est le manque d’engagement politique en faveur de l’efficacité énergétique. C’est pourtant la politique la plus importante pour la sécurité énergétique.

Les deux secteurs prioritaires identifiés en matière d’efficacité énergétique sont le bâtiment (40 % de la consommation énergétique) et le chauffage-climatisation. Un des freins clairement identifié est le manque de sensibilisation et de préparation de l’ensemble des métiers du bâtiment. Les solutions techniques existent, mais ne sont pas systématiquement mises en œuvre (exemple, l’éclairage basse consommation).

Une maison individuelle rénovée peut voir sa consommation de fuel de chauffage divisée par dix. De telles actions peuvent contribuer à diminuer fortement la dépendance à l’égard du pétrole. Une pompe à chaleur permet, à partir d’une unité d’électricité, de générer trois à quatre unités de chaleur renouvelable. Dans un bâtiment bien isolé, la chaleur peut être stockée et la pompe à chaleur permet ainsi d’équilibrer le réseau. Ce type d’action est une « option sans regret » : plus il y aura de mesures d’efficacité énergique, mieux cela sera pour le climat, le pouvoir d’achat des consommateurs, les finances des entreprises et la sécurité énergétique.

Il faut présenter l’équation de l’efficacité énergétique comme une équation gagnante, car elle l’est. Mais il faut aussi aider les consommateurs à faire le premier pas, car c’est toujours celui qui coûte, et rétablir la confiance parmi ceux qui sont échaudés par les nombreuses escroqueries qui ont terni le secteur. L’entreprise néerlandaise, EnergieSprong (« le saut énergétique »), est un bon exemple de réussite en matière d’efficacité énergétique. Elle propose des rénovations globales transformant les bâtiments en bâtiments à énergie positive grâce à une isolation par l’extérieur. Elle a réalisé 4 500 rénovations aux Pays-Bas et 26 en France. La rénovation est industrialisée. Beaucoup de choses sont réalisées en usine afin de limiter le temps des travaux (entre un jour et trois semaines). Le coût s’élève à 45 000 € aux Pays-Bas. En France, il est encore de 75 000 €. L’objectif est de l’abaisser à 40 000 €. Les premières unités sont toujours chères mais, avec les économies d’échelle, le coût est amené à baisser d’autant que le parc français est important, puisqu’il compte 33 millions de maisons. Dans cette démarche, la notion de « niveau d’ambition » est importante. Les consommateurs ne veulent pas payer un tout petit peu plus cher pour avoir des produits un tout petit peu mieux mais acceptent de payer plus cher pour avoir beaucoup mieux (comme l’illustre l’engouement croissant pour l’alimentation bio).

Lorsqu’il existe un système de production d’énergie renouvelable sur site, une maison bénéficiant d’une bonne isolation s’avère très résiliente aux catastrophes climatiques. Si plusieurs maisons de ce type sont proches les unes des autres, cela permet de constituer un îlot de résilience local et de garantir la sécurité d’approvisionnement en services énergétiques d’urgence.

Un projet européen visant à développer des villes intelligentes et neutres pour le climat est en cours d’élaboration. Le programme Horizon Europe, qui sera lancé en 2021, comprendra une mission d’innovation sur ce sujet. L’objectif est d’atteindre cent villes européennes neutres pour le climat en 2030. Il serait intéressant que la France compte cinq ou six villes engagées dans une transition radicale, afin de pouvoir disposer d’un retour d’expérience. Le but est d’obtenir des villes plus résilientes et plus justes socialement.

Des progrès sont également envisageables en matière de véhicules automobiles. Actuellement, les véhicules économes européens consomment cinq litres pour cent kilomètres (contre neuf litres pour cent kilomètres pour les véhicules américains). Il serait possible de produire à très court terme des véhicules ne consommant plus que trois litres pour cent kilomètres en augmentant le rendement du moteur, en améliorant le design aérodynamique de la carrosserie et en développant des pneus à faible résistance de roulement.

C.   L’indispensable réduction de la part des énergies fossiles

1.   L’Union européenne ne pourra jamais être indépendante en matière d’énergies fossiles

L’Union européenne compte 7 % de la population mondiale, son PIB correspond à 22 % du PIB mondial, elle est responsable de 10 % des émissions mondiales de CO2, mais ne dispose que de 7 % des réserves mondiales de charbon, 2 % des réserves de mondiales de gaz et 0,5 % des réserves mondiales de pétrole. Sauf découvertes d’énergies fossiles, peu probables, l’Union européenne ne peut pas être indépendante.

Les énergies fossiles représentent encore 73 % du bilan primaire de l’Union européenne (contre 81 % au niveau mondial). Grâce à l’énergie nucléaire et les énergies renouvelables, l’Union européenne est un peu moins dépendante des énergies fossiles, mais ces dernières continuent à jouer un rôle primordial.

Concernant l’énergie finale (consommée) de l’Union européenne, le charbon représente 4-5 %, le pétrole 45-46 %, le gaz 25 % et l’électricité 25 %.

La production d’électricité de l’Union européenne est à 32 % d’origine renouvelable, 10 % hydraulique, 4 % solaire, 12 % éolienne, 6 % biomasse ([35]).

2.   La volonté de se passer des énergies fossiles ne se justifie pas par l’épuisement des réserves mais par des préoccupations environnementales et stratégiques

Aujourd’hui encore, le potentiel des énergies fossiles reste énorme. Les progrès techniques permettent au rapport réserves/production de s’élever à 50 ans, alors qu’il n’était que de 30 ans au moment des chocs pétroliers de 1973 et 1979. Il y a trente ans, la part des énergies fossiles dans le bilan primaire mondial était de 81 %. Elle est toujours de 81 % mais la part du pétrole a baissé, celle du gaz a augmenté et celle du charbon est stable.

La thématique du développement durable ne peut s’imposer que par l’action normative des responsables politiques et/ou par une valorisation des externalités négatives. La fin des véhicules à moteur thermique est emblématique des décisions normatives que peuvent prendre les responsables politiques. Il faut néanmoins veiller à ce que les véhicules électriques ne soient pas alimentés par de l’électricité produite à partir de charbon car cela reviendrait à déplacer la pollution de la ville vers la campagne.

Pour 41 % des personnes interrogées, la politique énergétique devrait permettre de passer des énergies fossiles aux énergies renouvelables afin de lutter contre le changement climatique, selon les résultats d'un Eurobaromètre spécial paru mercredi 11 septembre 2019. Le fait de passer des énergies fossiles aux énergies renouvelables pour lutter contre le changement climatique est la réponse la plus fournie dans 17 des 28 États membres. Les priorités les plus citées pour les dix prochaines années sont : investir et développer des technologies d’énergie propre ; veiller à ce que les coûts soient aussi bas que possible ; intensifier les efforts internationaux pour réduire le changement climatique.

3.   L’Union européenne doit jouer la carte de la décarbonation de l’électricité

La part de l’électricité par rapport à la consommation globale d’énergie va plus que doubler d’ici 2050 pour atteindre 50 %. Actuellement, 55 % de l’électricité européenne est décarbonée. L’Union européenne s’est fixé un objectif de 80 % d’électricité décarbonée et de 55 % d’électricité d’origine renouvelable à l’horizon 2030 ([36]). La Commission européenne estime que l’importance croissante de l’électricité est un atout pour l’avenir, en matière de lutte contre les gaz à effet de serre et en matière d’indépendance énergétique. Elle considère que l’électricité doit être la priorité de l’avenir, d’autant que l’Union européenne est quasiment indépendante en matière de production d’électricité. Des grandes entreprises de pétrole et de gaz (comme Shell) se tournent de plus en plus vers l’électricité.

En 2017, la part de l’énergie produite à partir de sources renouvelables dans la consommation finale brute d’énergie de l’Union européenne a atteint 17,5 %, alors que l’objectif global pour 2020 a été fixé à 20 % et à 32 % pour 2030. Onze États membres ont déjà atteint leur objectif pour 2020 ([37]).

En France, la montée en puissance des énergies renouvelables n’est pas au rendez-vous. Selon Eurostat, en 2017, la part des énergies renouvelables s’élevait à 16,3 %, soit 6,7 points d’écart par rapport à l’objectif de 23 % que la France s’était volontairement fixé pour 2020. Un rapport de la Cour des comptes européenne ([38]) liste la France en avant-dernière position parmi les six États membres « peu susceptibles » d’atteindre leurs objectifs 2020 ([39]). Cela est dû à la longueur des recours juridiques. Il faut presque dix ans pour faire aboutir un projet.

4.   L’Union européenne doit combler son retard en matière de stockage

a.   Le marché du stockage européen n’est pas encore mature

Le réseau électrique doit constamment être à l’équilibre. Chaque électron entrant sur le réseau doit être compensé par un électron sortant, sinon il y a un risque de blackout.

Initialement, la Commission européenne ne souhaitait pas accorder aux opérateurs de réseaux (transporteurs et distributeurs) l’autorisation de recourir à l’utilisation de batteries. Elle a fini par accepter mais à la condition que l’utilisation des batteries ne perturbe pas le système. En France, RTE a mis au point un système neutre qui permet de stocker un trop-plein d’électrons (énergie fatale) à un endroit tout en déstockant la même quantité à un autre endroit afin que l’opération de stockage n’enlève pas de part de marché aux opérateurs.

La France n’est pas particulièrement en pointe sur le stockage de l’électricité. Le stockage s’opère essentiellement dans les stations STEP (stations de transfert d’énergie par pompage).

L’hydrogène permet aussi de stocker l’électricité mais les solutions sont de qualité écologique très variable. En France, le plan hydrogène, présenté le 1er juin 2018 par Nicolas Hulot, ministre de la Transition écologique et solidaire, vise à déterminer quel volume d’hydrogène décarboné pourrait être intégré au réseau de gaz.

b.   Le déploiement des véhicules électriques pourrait agir positivement sur le réseau électrique

Une voiture ne roule en moyenne que 6 % du temps et peut donc est connectée au réseau 94 % du temps restant. Les batteries peuvent à la fois se recharger en électricité à partir du réseau et restituer de l’électricité au réseau. La flotte électrique pourrait donc être amenée à jouer un rôle significatif en matière de stockage d’électricité et pourrait permettre de lisser les pics de consommation. On estime que les seize millions de véhicules électriques attendus en 2035 auront une capacité de stockage équivalente à dix grands barrages hydroélectriques.

Le problème soulevé par les batteries vient du retard dans la stratégie adoptée par la Commission européenne, notamment par rapport à la Chine. Sur les dix producteurs de batteries à l’échelle mondiale, sept sont chinois, deux sont coréens et un est japonais. En outre, l’Union européenne est dépendante de certaines matières premières, comme le lithium (dont le marché est largement dominé par la Chine), ce qui vient remettre en cause la stratégie adoptée en matière de véhicules électriques.

La Chine investit à la fois dans les véhicules électriques et les véhicules à hydrogène, ce qui la place en position concurrentielle favorable par rapport à l’Union européenne. La vitesse de développement des véhicules électriques est un enjeu fondamental pour élaborer la stratégie à adopter ces prochaines années en matière d’énergie décarbonée. Alors que la Chine mise sur un développement rapide de ces technologies pour contrer les effets de la pollution en ville, les entreprises françaises du gaz et du pétrole, comme Total, investissent à la fois dans l’électrique et dans le biogaz, qui repose sur des matières fossiles. Il faut s’assurer que le mode de production des biocarburants ne mette pas en péril les ressources naturelles, comme cela peut être le cas avec la production d’huile de palme, qui sert de base à certains carburants « verts ».

Le risque d’une absence de coopération au niveau européen dans le secteur des batteries est de remplacer la dépendance vis-à-vis des énergies fossiles par une dépendance technologique.

c.   Le projet d’alliance de la batterie

Le projet d’alliance de la batterie, lancé, en octobre 2017, par la Commission européenne avec des partenaires industriels importants, les États membres désireux de s’engager et la Banque européenne d’investissement, doit permettre de mettre en cohérence les objectifs climatiques et la politique industrielle de l’Union européenne. Son objectif est de doter l’Europe d’une capacité indépendante de production de batteries, pour la mobilité électrique mais aussi pour le stockage de l'énergie. Cette plateforme de coopération vise à faciliter l’apparition de projets de production de cellules de batteries intégrés, couvrant toute la chaîne de valeur de l’écosystème des batteries.

Certaines start-ups envisagent la création de batteries métalliques et de batteries lithium-métal afin de développer des batteries de deuxième génération. L’ambition de l’Union européenne doit porter sur cet enjeu d’innovation, quitte à forcer la main aux constructeurs européens. Les investissements permettront à la stratégie européenne de se développer et de tirer son épingle du jeu par rapport aux montants investis par la Chine, sinon l’Union européenne court le risque d’être confrontée à une situation de dumping avec les batteries nouvelle génération, similaire à celle qu’elle a connue avec le photovoltaïque.

La politique européenne des batteries doit de surcroît reposer sur le dépôt de brevets. Ces derniers sont des outils indispensables à la protection de l’industrie du continent, et ne font pas l’objet d’une attention suffisante.

5.   Les énergies renouvelables ne sont pas toutes des énergies renouvelables électriques

a.   Gaz vert

Le gaz est souvent présenté comme étant la clé de la transition énergétique. Il est vrai qu’il restera nécessaire encore un certain temps mais cela reste une source d’énergie fossile, même si c’est la moins émettrice de gaz à effet de serre pour produire de l’électricité. Elle peut être verdie grâce à l’introduction d’hydrogène dans le réseau de gaz (à hauteur maximale de 10‑15 %). Mais en dépit des affirmations des entreprises gazières ([40]), de nombreux analystes et acteurs du secteur estiment qu’il y a une grande incertitude sur la capacité de ces dernières à délivrer du gaz vert.

Le biogaz, quant à lui, est issu de la fermentation de matières organiques (biomasse). Afin d’obtenir une production de biomasse régulière, il faut instaurer une gestion intelligente des forêts. Pour être injecté dans les réseaux gaziers, le biogaz doit être débarrassé de toutes ses impuretés et transformé en biométhane. Une étude de l’ADEME estime qu’il y a en France un potentiel de 460 térawattheures de biogaz ([41]).

La pyrogazéification est un processus de pyrolyse de matières ligneuses comme le bois (ou la biomasse de manière générale) qui pourrait permettre de produire du gaz vert. Cette technique est à l’heure actuelle en phase d’étude. Elle pourrait potentiellement générer des sous-produits très utiles, comme le carbone. L’inconvénient de cette pyrolyse est qu’elle consomme beaucoup d’énergie.

Les institutions européennes sont en train d’analyser des moyens d’organiser le marché du gaz, qu’il soit décarboné ou vert. La Commission fera sans doute une évaluation des obstacles à l’entrée sur le marché du biogaz, en fixant des objectifs spécifiques de développement de cette source à l’échelle de l’Union européenne.

b.   Biocarburants

L’Union européenne s’était fixé un objectif de 10 % de biocarburants dans le secteur des transports en 2020. Il a été réduit à 7 % pour limiter l’impact environnemental des biocarburants de première génération. L’utilisation de l’huile de palme sera progressivement bannie.

c.   Hydrogène

La Commission a également lancé des travaux sur l’hydrogène, afin d’encourager le développement de l’hydrogène décarboné. C’est un sujet qui prend de plus en plus d’importance et une déclaration a été signée à Linz ([42]) pour mettre en avant l’intérêt de l’hydrogène.

Dans le cadre de la stratégie de l’Union européenne sur l’hydrogène, qui doit être présentée en juillet 2020, la Commission envisage d’accorder le statut de projet important d’intérêt européen commun (PIIEC) à certains projets relatifs à l’hydrogène, permettant ainsi à ceux-ci de bénéficier d’aides publiques et d’un accès privilégié aux financements européens. Ce serait une avancée importante pour le secteur.

6.   La réussite de la transition énergétique repose sur l’appropriation citoyenne et sur l’implantation locale

a.   La fin annoncée des systèmes énergétiques centralisés

L’indépendance énergétique de l’Union européenne ne pourra advenir que par un virage vers une production composée essentiellement d’énergies renouvelables, et ce virage ne pourra être possible que par l’implication des citoyens, notamment au niveau local. Une transition énergétique qui n’inclut pas toutes les parties prenantes, et notamment les citoyens, peut générer des tensions. C’est, par exemple, le cas pour de nombreux projets d’éoliennes, qui font l’objet de recours quasi-systématiques. L’acceptabilité sociale est un élément essentiel. Une étude de l’ADEME a montré qu’une transition énergétique sans acceptabilité sociale génère des coûts supplémentaires d’environ 7‑8 %. L’opposition à l’éolien terrestre oblige, par exemple, à envisager des projets éoliens offshore beaucoup plus coûteux.

Le quatrième paquet énergie, intitulé « Une énergie propre pour tous les Européens » ([43]), reconnaît des droits aux citoyens en tant que tels, et pas seulement en tant que consommateurs. Il permet également l’émergence de deux notions : les communautés énergétiques renouvelables et les communautés énergétiques citoyennes. Ces deux notions étaient déjà reconnues au sein de certains pays européens, mais pas au niveau européen. Les États membres ont désormais l’obligation d’identifier les obstacles à l’établissement de ces communautés et de prendre des mesures pour y mettre fin. Ces communautés peuvent avoir des activités très diverses : production d’énergie, stockage, mobilité électrique, aide à la maîtrise de la consommation énergétique, etc.

En France, on dénombre actuellement trois cents projets citoyens. On en compte bien davantage au niveau européen, notamment dans le Nord et l’Ouest de l’Europe. Pour impulser une véritable dynamique dans les zones moins actives (Sud et Est de l’Europe), il faudrait disposer d’un cadre européen harmonisé. Le quatrième paquet constitue un premier pas dans cette direction.

b.   L’autoconsommation, phénomène inéluctable

Une nouvelle directive sur les énergies renouvelables ([44]) a été adoptée en 2018. L’autoconsommation, individuelle et collective, est apparue, dans ce contexte, comme un outil pouvant dynamiser le marché de l’énergie produite à partir de sources renouvelables. L’Union européenne a donc décidé d’émettre un signal fort en faveur du développement de l’autoconsommation d’énergie renouvelable. Les institutions ont fait le constat que ce mode de consommation particulier est à la fois un dispositif en pleine croissance et un levier important de développement pour une mutation de la production – plus locale, plus verte – et de la consommation d’énergie – davantage maîtrisée. L’objectif de cette directive est à la fois de rendre possible ce type de dispositif sur le territoire de l’Union européenne, et surtout d’en accentuer fortement l’utilisation.

Le potentiel de production d’énergie détenu par les citoyens en Europe est considérable puisque, d’après une étude néerlandaise ([45]), à l’horizon 2050, près de 50 % des citoyens européens pourraient produire de l'énergie, individuellement ou collectivement, ce qui permettrait de couvrir 45 % de la demande en énergie.

En France, RTE estime qu’en 2030, trois à quatre millions de ménages auront recours à l’autoconsommation, correspondant à environ 4 % de la consommation. Cela ne sera pas suffisant pour modifier l’équilibre général du réseau. Se posera néanmoins la question de l’accès au réseau. Les autoconsommateurs souhaiteront conserver un accès permanent au réseau – obligeant le gestionnaire du réseau à rendre celui-ci disponible en permanence – tout en ne contribuant financièrement qu’à la hauteur de son utilisation.

Les représentants de la fédération des coopératives énergétiques européennes, REScoop.ue, précisent que la réappropriation locale de l’énergie ne doit pas être synonyme de multiplication de micro-réseaux isolés mais doit s’effectuer dans le cadre d’un marché européen interconnecté. Cette fédération a d’ailleurs décidé de promouvoir l’autoconsommation collective plutôt que l’autoconsommation individuelle.

7.   L’avenir du nucléaire en Europe, facteur de tensions ?

L’Union européenne est un territoire très nucléarisé, avec 120 réacteurs en activité. Au sein de l’Union européenne, la Pologne, la Hongrie, la Slovaquie, la République tchèque, l’Angleterre, la Finlande, la Bulgarie et la France sont favorables au nucléaire. L’Allemagne, la Suède, la Belgique, l’Espagne et l’Autriche sont plutôt contre.

Le réalisme des scénarios visant 100 % d’énergies renouvelables est fréquemment remis en cause. Dès lors, le nucléaire peut apparaître comme une solution technologique maîtrisée permettant d’apporter une certaine sécurité énergétique.

La place du nucléaire en Europe sera probablement un facteur de tensions, car même si l’Allemagne a décidé d’en sortir, il semble difficile de s’en passer et d’atteindre les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Par exemple, en Allemagne, 30 % de l’énergie produite vient du charbon (lignite), ce qui n’est pas du tout positif sur le plan environnemental.

D.   Un impératif : renoncer à toutes les politiques de soutien des énergies fossiles

1.   Les plans de relance, occasion en or de mettre fin aux politiques de soutien aux énergies fossiles

Selon l’Organisation de coopération et de développement économique et l’Agence internationale de l’énergie, le soutien à la production d’énergies fossiles a fortement progressé en 2019 (+ 38 %.) La chute des cours des énergies fossiles consécutive à la crise sanitaire et économique est l’occasion d’éliminer progressivement les subventions à la consommation. Au moment où les pouvoirs publics cherchent à poser les bases d’une économie durable et résiliente, il convient d’éviter les distorsions de marché favorisant les technologies polluantes.

À cet égard, nous saluons l’engagement de la Banque européenne d’investissement de cesser de financer des projets énergétiques ayant trait aux combustibles fossiles d’ici à la fin 2021. En outre, nous sommes favorables à l’évaluation des plans de relance nationaux par la Commission européenne, afin de s’assurer de leur conformité aux objectifs climatiques de l’Union, et demandons que les investissements dans les énergies fossiles ne soient pas éligibles au plan de relance européen.

2.   La nécessaire révision du règlement relatif au réseau transeuropéen d’énergie (RTE-E)

Le règlement relatif au réseau transeuropéen d’énergie (RTE-E) permet d’identifier les projets d’intérêt commun (PIC) éligibles aux financements européens du mécanisme pour l’interconnexion en Europe (MIC.) La révision du RTE-E, prévue pour la fin de l’année 2020, doit être l’occasion de rendre les projets européens d’infrastructures énergétiques compatibles avec l’objectif de neutralité climatique. De nombreuses ONG soulignent qu’investir davantage dans de nouvelles infrastructures gazières serait non seulement inutile du point de vue de la sécurité d’approvisionnement énergétique de l’Union, mais risquerait de rendre l’Union captive du gaz fossile.

Selon la feuille de route publiée le 11 mai 2020 par la Commission, cette révision annoncée est l’occasion de renforcer l’intégration des énergies renouvelables dans les réseaux énergétiques européens, ainsi que de favoriser le déploiement de technologies et d’infrastructures innovantes telles que les réseaux intelligents, les réseaux pour l’hydrogène et d’autres gaz neutres en carbone ou renouvelables, le captage, le stockage et l’utilisation du carbone et le stockage de l’énergie.

E.   Le rehaussement nécessaire des ambitions européennes

1.   Le prix du carbone, condition d’une transition énergétique réussie

La chute des cours des combustibles fossiles induite par la crise sanitaire est l’occasion de mener à bien les réflexions sur le prix du carbone, qui s’articulent autour de trois axes :

– l’instauration d’un prix plancher du carbone ;

– l’élargissement à d’autres secteurs du système d’échange de quotas d’émissions de l’Union européenne (SEQE-UE), dit « système ETS » ;

– l’introduction d’un mécanisme d’inclusion carbone aux frontières de l’Union.

a.   Le nécessaire renforcement du marché européen du carbone

Le système européen d’échange de quotas d’émission repose sur le principe de « plafond et échange ». L’Union européenne fixe un plafond d’émissions totales qui s’applique aux secteurs industriels et énergétiques. Les entreprises œuvrant dans ces secteurs doivent détenir un permis pour chaque tonne d’émissions relâchée dans l’atmosphère. Ces entreprises peuvent recevoir ou acheter des permis et elles peuvent en échanger avec d’autres entreprises. Un quota représente une tonne d’émissions de gaz à effet de serre. Ces quotas peuvent être alloués gratuitement ou vendus dans le cadre de vente aux enchères.

Le système ETS souffre de deux défauts principaux : il est imprévisible et inachevé ([46]). Premièrement, il est imprévisible car le prix de la tonne de carbone fluctue selon le marché et n’offre pas aux acteurs économiques une trajectoire fiable leur permettant de planifier les investissements en matière de transition énergétique. En outre, le prix du carbone, malgré une nette augmentation dans les années 2018 et 2019 pour atteindre 25 euros la tonne, reste très inférieur au niveau permettant d’accélérer la transition énergétique : en 2017, la Commission de haut niveau sur les prix du carbone, présidée par les économistes Stern et Stiglitz, estimait que le prix du carbone devrait se trouver entre 40 et 80 dollars la tonne en 2020, puis augmenter progressivement de 50 à 100 dollars en 2030, pour atteindre l’objectif de 2 °C fixé par l’Accord de Paris. La crise sanitaire actuelle risque d’aggraver ce problème de sous-évaluation du prix du carbone, car elle s’est traduite par un effondrement des cours du pétrole.

Aussi, nombreux sont ceux qui plaident en Europe pour l’instauration d’un prix minimum du carbone, afin de faire de l’Union européenne la première zone économique du monde fonctionnant avec un prix plancher du carbone.

Deuxièmement, le marché des quotas carbone est inachevé car il ne couvre pas l’ensemble des secteurs : les transports et le bâtiment notamment sont exclus du dispositif, alors qu’ils comptent parmi les principales sources d’émissions de carbone en Europe. C’est la raison pour laquelle la nouvelle Commission européenne a annoncé, dans le cadre du Pacte vert, réfléchir à l’extension du marché du carbone à de nouveaux secteurs (notamment le secteur maritime, le trafic routier et le secteur de la construction).

Dans le cadre de l’initiative franco-allemande pour la relance européenne face à la crise du coronavirus du 18 mai 2020, Paris et Berlin préconisent l’instauration d’un prix minimum du carbone dans le cadre du marché ETS, et l’élargissement du système ETS à tous les secteurs.

b.   L’instauration d’un mécanisme d’inclusion carbone aux frontières de l’Union

Dans le cadre du Pacte vert, la nouvelle Commission européenne a également annoncé réfléchir à l’instauration d’un mécanisme d’inclusion carbone aux frontières de l’UE, pour préserver la compétitivité des entreprises européennes et éviter les fuites de carbone, c’est-à-dire l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre provoquée par la délocalisation d’industries dans des pays aux réglementations moins contraignantes.

Il s’agirait d’obliger les importateurs à acquérir des quotas d’émission de CO2, en fonction des standards techniques déjà utilisés par la Commission européenne pour encadrer l’allocation initiale des quotas aux producteurs européens participant au marché européen de quotas. Si les modalités pratiques de mise en œuvre de cette composante de la politique climatique européenne restent à définir, le projet pose, parmi d'autres questions épineuses, celle de sa compatibilité avec les règles multilatérales commerciales portées par l'Organisation mondiale du commerce.

2.   Le rehaussement nécessaire des objectifs européens pour 2030

a.   La Commission européenne invite les États membres à être plus ambitieux en matière d’efficacité énergétique et d’énergies renouvelables

Le règlement sur la gouvernance de l’union de l’énergie ([47]) a instauré l’obligation pour les États membres de présenter un plan national intégré en matière d’énergie et de climat (PNEC) pour la période 2021-2030, puis pour chaque décennie. Les projets de PNEC ont été transmis il y a quelques mois à la Commission européenne qui les a évalués[48]. La Commission européenne estime que les projets PNEC n’apportent pas de réponses suffisantes pour permettre la réalisation des objectifs que l’Union européenne s’est fixée pour 2030 en matière d’efficacité énergétique (32,5 %) et d’énergies renouvelables (32 %). L’écart pourrait atteindre 1,6 % pour les énergies renouvelables et 6,2 % pour l’efficacité énergétique. La Commission européenne a donc engagé les États membres à modifier leurs projets afin de proposer des plans définitifs plus ambitieux.

b.   Quelle diminution des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 ?

Lors du Conseil européen de décembre 2019, les États membres sont parvenus à un accord sur l’objectif de neutralité climatique de l’Union européenne en 2050[49], qui avait été présenté par la nouvelle présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, dans le cadre de sa communication sur le Pacte vert ([50]).

Le règlement établissant un cadre requis pour parvenir à la neutralité climatique, dite « loi climat » ([51]), prévoit que, d’ici à septembre 2020, la Commission étudie la possibilité de relever l’objectif actuel de réduction des gaz à effet de serre en 2030 de 40 % à 50 % ou 55 %. Certaines organisations non-gouvernementales, comme Climat Action Network, mais aussi la rapporteure de la « loi climat » du Parlement européen, Jytte Guteland (S&D, suédoise), pressent l’Union européenne à s’engager davantage et demandent que l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre soit porté à 65 % en 2030 ([52]).

3.   La neutralité carbone en 2050, un objectif nécessaire et ambitieux

L’angle selon lequel la sécurité énergétique est abordée influe directement sur les stratégies à adopter au niveau de l’Union européenne. La conception traditionnelle de la sécurité énergétique fait intervenir les sources d’énergie, alors que d’autres points de vue sont pertinents dans l’analyse.

a.   L’approche par services recoupe plusieurs réalités quotidiennes importantes à la fois pour les citoyens et pour les entreprises

Les services énergétiques concernent les variations de température (le chauffage, la climatisation, la production industrielle avec la production d’acier par exemple, qui fait intervenir les variations de température) et la mobilité (transport de personnes et de marchandises). L’électricité dite « spécifique » (éclairage, chargement des batteries, serveurs avec accès à internet) correspond aussi à la fourniture de services énergétiques. L’approche par les services offre une vision différente, qui tranche avec la vision en silos (gaz, électricité, pétrole) souvent employée lorsque l’on évoque la sécurité énergétique. En cas de crise grave, qu’elle soit pétrolière ou gazière, l’approche par les services permet de changer un certain type d’approvisionnement pour un autre (passer d’un système de chauffage au gaz à un système de pompe à chaleur, à un système de chauffage par la biomasse, ou bien à une plus grande efficacité énergétique). Une partie des services énergétiques délivrés par le gaz sert à produire de l’électricité, mais il y a d’autres manières d’en produire en cas de crise. Une transition énergétique fondée à partir des et pour les citoyens, comme le prônent de nombreuses institutions européennes, rend donc nécessaire la mise en place d’une stratégie de sécurité énergétique orientée vers les services.

b.   Pourquoi l’horizon temporel de 2050 est-il justifié ?

La sécurité énergétique et la sécurité d’approvisionnement renvoient à deux temporalités différentes. Traditionnellement, la littérature scientifique renvoie la sécurité d’approvisionnement à des logiques de court terme (disponibilités des ressources à trois, six mois voire un an), alors que la sécurité énergétique répond à des dynamiques de plus long terme (prévisions sur vingt ou trente ans). L’arbitrage entre les deux vient déterminer les politiques mises en œuvre. La stratégie présentée par la Commission européenne, par exemple, dont l’objectif est d’obtenir une économie neutre pour le climat d’ici 2050 ([53]) avec une réduction des émissions de gaz à effet de serre, vise à compenser les émissions incompressibles (celles qu’on ne peut éviter), par la capture de CO2 permise par les activités humaines (agriculture, reforestation), afin de respecter l’engagement de l’accord de Paris de maintenir la hausse de la température de la planète bien en deçà de 2° C et de poursuivre les efforts pour la maintenir à 1,5° C.

La lutte contre le réchauffement climatique, avec notamment la stratégie de neutralité carbone à l’horizon 2050, a une incidence indirecte mais notable sur la sécurité d’approvisionnement. La diversité des stratégies nationales rend difficile l’analyse à la maille européenne.

L’horizon temporel de 2050 fixé par la Commission est devenu un objectif à atteindre par l’Union européenne, mais également par les États membres. Certains pays ont même adopté des échéances plus courtes, comme la Finlande, avec un objectif de neutralité carbone en 2035. Ces différents horizons de temps impliquent de s’interroger sur la structure du système énergétique en 2050, et par conséquent, de sortir de la logique de la sécurité d’approvisionnement en gaz et en pétrole. En se projetant vers un horizon plus lointain, il n’est pas nécessaire de se demander si les réserves en énergies fossiles seront suffisantes à court terme, car d’autres outils seront développés durant la période menant à l’horizon 2050 pour que la dépendance au pétrole soit marginale, et ne soit plus un facteur de préoccupation pour la sécurité d’approvisionnement. Le développement d’alternatives au gaz naturel produites en Europe, comme le biogaz ou l’hydrogène, permettra aussi de réduire la dépendance aux importations vis-à-vis d’autres pays, notamment de la Russie.

4.   Les deux manières d’appréhender la sécurité énergétique

La sécurité énergétique peut être appréhendée de deux manières avec, d’un côté, une vision plutôt « classique » et, d’un autre côté, une vision plus conforme à la situation que nous connaissons aujourd’hui. La vision classique renvoie aux paradigmes existants depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, avec la prédominance des ressources en pétrole et en gaz destinées à alimenter l’économie mondiale. Tous les outils de sécurité énergétique de l’Union européenne consistant à créer des accords bilatéraux avec des pays tiers comme la Russie, l’Algérie, ou bien à former des stocks de ressources, s’inscrivent dans cet héritage. C’est ce qui a été qualifié de « géopolitique des tuyaux » par bon nombre de chercheurs européens.

La vision plus actuelle de la sécurité énergétique accorde une importance particulière non pas au pétrole ou au gaz mais aux terres rares. Il faut préciser cependant que les terres rares ne sont pas « rares » dans le monde. Il s’agit d’une ressource assez répandue, mais qui n’est toutefois pas disponible en grande quantité dans un mètre cube de terre. La dépendance aux terres rares, souvent relayée par les entreprises de gaz, n’apparaît pas aux yeux des autorités françaises comme une menace flagrante.

Ces deux visions ont vocation à se superposer et à se succéder dans le temps sous forme de fondu enchaîné.

F.   Le renforcement des interconnexions vise à rendre le système énergétique de l’Union européenne plus résilient

Le règlement sur la préparation aux risques dans le secteur de l’électricité ([54]).permet à l’Union européenne d’atteindre ses ambitions en matière de sécurité d’approvisionnement en électricité. Il instaure une meilleure coopération régionale visant à rendre le système plus résilient. Certains États membres (pays baltes) restent connectés à la Russie. Il faut développer des interconnexions pour les arrimer à l’Union européenne.

La Commission européenne a également voulu développer les interconnexions gazières en Europe. Tous les États membres (sauf un) ont maintenant accès à deux sources d’approvisionnement gazier différentes, et tous les États membres sauf Malte et Chypre auront accès à trois sources d’approvisionnement gazier d’ici 2022. D’ici 2022, vingt-trois États membres devraient avoir accès au marché du GNL. Afin d’accompagner sa stratégie de développement des infrastructures, la Commission européenne a mis en place des instruments financiers dédiés comme le mécanisme pour l’interconnexion en Europe (MIE) ([55]).

Il faut toutefois analyser avec prudence les investissements dans les interconnexions. Il ne faut pas simplement étudier les coûts de production liés à la mise en place de nouvelles interconnexions, mais aussi l’évolution du prix sur la facture des consommateurs. La Commission européenne marque d’ailleurs le pas sur ce point. La part des gazoducs financés dans le cadre du mécanisme d’interconnexion pour l’Europe (MIE) va devenir marginale à l’avenir. Certains projets ont été dénoncés par les régulateurs nationaux comme n’ayant pas de valeur socio-économique. C’est le cas du projet Midi-Catalogne (« MIDCAT ») entre la France et l’Espagne.

En matière d’indépendance énergétique européenne, l’interconnexion est désormais une priorité secondaire, en tout cas pour les pays d’Europe occidentale. Pour ces pays, l’usage de gaz renouvelables est préférable. Cela ne signifie pas pour autant que chaque pays doive viser l’autonomie énergétique, car si l’on regarde la situation des pays d’Europe de l’Est (dépendants à plus de 80 % de la Russie), l’interconnexion peut être une solution pour le GNL. Un terminal méthanier coûte entre 300 et 400 millions d’euros, c’est un arbitrage à prendre en compte.

III.   l’émergence de nouvelles dépendances et vulnérabilités

A.   L’interconnexion croissante des réseaux énergétiques européens peut prÉsenter des risques de vulnérabilité systémique

1.   Un risque croissant d’effets domino

L’Union européenne intègre à sa politique énergétique un objectif d’interconnexion des réseaux de gaz et d’électricité. Pour le gaz, il s’agit de permettre d’inverser les flux Est-Ouest des gazoducs et de construire des connexions entre Nord et Sud pour permettre aux États membres d’échanger entre eux. Pour l’électricité, il s’agit pour chaque pays de pouvoir échanger avec ses voisins l’équivalent de 15 % de sa consommation d’ici 2030, afin de permettre une entraide, des économies d’échelle et une meilleure exploitation ou complémentarité géographique des énergies renouvelables. Cette interconnexion favorise les effets domino en cas de crise. Lors du dernier grand black-out européen, en 2006, la mise hors tension d’une seule ligne en Allemagne a touché, par effet de cascade, quinze millions de clients dans dix pays de l’Union. La vulnérabilité systémique du réseau européen s’accroît avec son interconnexion.

2.   La question de plus en plus prégnante de la cybersécurité

La question de la sécurité du réseau électrique est également au cœur des préoccupations de la nouvelle vision de la sécurité énergétique. Le comportement aléatoire de la production de certaines sources d’énergies renouvelables complexifie la gestion du réseau. La diffusion progressive de systèmes de gestion numériques des réseaux pose la question de leur sécurisation. Ces derniers étant vulnérables aux attaques numériques, la sécurité énergétique devrait prendre en compte le risque posé par les cyberattaques. La première cyberattaque enregistrée sur un réseau électrique est celle de la Russie contre l’Ukraine le 23 décembre 2015. La Chine et les États-Unis sont aussi en mesure d’attaquer les réseaux de transport électrique européens. La difficulté liée aux cyberattaques réside en particulier dans l’impossibilité de déterminer l’origine des attaques.

Jusqu’à présent, aucun réseau de l’Union européenne n’a fait l’objet d’une cyberattaque sérieuse. La question de la cybersécurité est considérée comme primordiale par le Réseau européen des gestionnaires de réseau de transport d’électricité (en anglais, ENTSO-E). Plus les réseaux sont interconnectés, plus ils sont résistants aux attaques mais, s’ils cèdent, ils sont moins résilients.

L’interconnexion du réseau électrique est très importante pour la sécurité énergétique de la France. En France, la production d’électricité, parce qu’elle est majoritairement nucléaire, est assez peu modulable. De plus, la consommation est très variable en raison de la place importante accordée au chauffage électrique. En conséquence, la sécurité électrique de la France est assurée par l’Union européenne. Sans les importations d’électricité en provenance des pays voisins, la France subirait des blackouts en hiver. Les importations nécessitent des infrastructures (interconnexions) et des logiciels économico-juridiques appelés codes de réseaux. Grâce à la Commission européenne, l’Union européenne dispose de codes de réseaux, certes perfectibles, mais qui fonctionnent et permettent de délivrer correctement le service électrique d’un État membre à un autre.

B.   L’absence de réponse à la question industrielle fait peser une menace de dépendance technique

La question de l’indépendance énergétique concerne aussi la stratégie européenne en matière de politique industrielle, et doit prendre toute sa place dans les réflexions sur la souveraineté européenne dans les secteurs stratégiques, qui sont au cœur de débats « post-Covid ». La dépendance européenne n’est pas simplement matérielle, elle devient aussi technologique. Les brevets des énergies renouvelables sont détenus à 29 % ([56]) par la Chine et sur nombre de secteurs industriels associés à la transition énergétique (métallurgie, chimie, etc.), les acteurs de l’Union européenne perdent progressivement en compétence. C’est désormais la question d’une politique industrielle commune qui se pose pour l’Union européenne.

Si la politique européenne de libéralisation a sans doute permis la construction progressive d’un marché commun, elle a aussi affaibli les acteurs industriels européens dans un marché ouvert, face à des filières industrielles chinoises ou russes très organisées et bénéficiant de l’appui de leur gouvernement. Dans ce contexte, non seulement l’Union européenne ne dispose pas d’une réelle politique industrielle qui lui permette des alternatives crédibles, mais l’ouverture de son marché autorise également de larges prises de participations étrangères dans des secteurs stratégiques.

1.   Les fabricants occidentaux de matériel lourd font face à de graves difficultés

En Europe, les transformateurs (plus de 3 000 en France) sont fabriqués généralement par General Electric, ABB ou Siemens. General Electric traverse une phase difficile, ABB a été racheté par les Japonais et Siemens a décidé il y a quelques mois de détacher son activité énergie de la maison mère. Si ces trois entreprises finissent par disparaître, l’Union européenne sera obligée d’acheter du matériel chinois.

La question industrielle joue un rôle important dans la thématique de l’indépendance énergétique. Il faut veiller à ne pas manquer certaines étapes car ensuite le retard n’est plus rattrapable. L’Union européenne est convaincue que « small is beautiful » et que les smart grids vont résoudre toutes les difficultés. Mais les gros équipements (pylônes, câbles, transformateurs) sont encore indispensables. Or, il n’y a pas suffisamment d’investissements dans le matériel lourd.

2.   La bataille de la batterie ne peut être gagnée que dans un cadre concurrentiel loyal

Une vision industrielle des choix énergétiques est indispensable. Les nouveaux usages montrent, par exemple, que le besoin en batteries va être croissant. Or, l’Union européenne est face à des compétiteurs mondiaux très puissants qui utilisent à leur avantage les règles européennes de la concurrence. En Europe, il y a beaucoup de concurrence déloyale (pas de réciprocité) et de concurrence artificielle (exemple en France, l’accès régulé à l’énergie nucléaire historique – ARENH).

C.   Les règles de marché que l’Union européenne s’impose la fragilisent face à l’appétit de certains pays tiers

1.   La Chine constitue une menace pour l’indépendance électrique de l’Union européenne

La Chine affiche une volonté de conquête dans de secteur de l’électricité aussi déterminée que dans le secteur des télécommunications.

State Grid, l’équivalent de Huawei pour le secteur de l’électricité, compte 1,6 million de salariés et est en capacité de concevoir, installer, maintenir et exploiter les équipements. L’entreprise prend des parts dans le capital de tous les réseaux électriques européens mis en vente (Portugal, Grèce, Italie, Luxembourg – seule l’Allemagne a résisté en proposant une solution étatique pour contrer l’offre chinoise), à des prix qui excèdent largement la valeur réelle de ces réseaux. À titre d’exemple, l’entreprise EDP (Electricité du Portugal), leader mondial de l’hydroélectricité et des renouvelables, en particulier au Portugal, aux États-Unis et au Brésil, a désormais pour principal actionnaire une entreprise chinoise. Cela permet à la Chine de pénétrer le marché américain et brésilien, mais également d’acquérir la technologie hydroélectrique européenne, via l’entreprise portugaise.

Cette stratégie permet aussi à la Chine de vendre ses équipements en Europe et d’exercer une influence au sein d’ENTSO-E ([57]), l’interprofession européenne des gestionnaires de réseau de transport qui établit toutes les règles de fonctionnement des réseaux de transport (codes de réseaux, flux aux interconnexions, fonctionnement des marchés, etc.). Plus State Grid est présent en Europe, plus la Chine peut peser sur les règles de fonctionnement du marché de l’électricité européen. Cela représente un vrai danger pour l’indépendance et la souveraineté de l’Union européenne. Le comité technique d’ENTSO-E, présidé par l’entreprise française RTE, intervient dans la décision d’agrément des projets d’intérêt communautaire (il y a 423 interconnexions électriques dans l’Union européenne dont 50 – bientôt 60 – qui concernent la France). Le statut de projet important d’intérêt européen commun permet de bénéficier d’aides européennes. La place de la France à la tête de ce comité technique a récemment été mise en cause par la Grèce, pour la première fois. Cette démarche a probablement été orchestrée par la Chine.

Face à cette offensive de State Grid, il faut garder à l’esprit que tous les gestionnaires de réseaux de transports (GRT) européens sont soumis à l’obligation d’être indépendants des producteurs d’électricité car, depuis avril 2009, le troisième paquet énergie a institué l’obligation de dissocier les fournisseurs d’énergie des gestionnaires de réseaux.

La Chine a, de plus, un plan « supraconducteur » qui vise à transporter de l’électricité sur de longues distances sans perte en ligne. Pour l’instant, ce plan n’est pas opérationnel mais la Chine y travaille activement. Si ce plan venait à être mis en œuvre, l’électricité produite au Sahara, en Russie ou en Chine pourrait être importée en Europe et il ne serait plus nécessaire de produire localement.

De nombreux acteurs et spécialistes du secteur estiment que la Chine constitue la plus grande menace pour l’indépendance énergétique de l’Union européenne. Elle dispose de temps, d’argent et a la possibilité de déployer sa stratégie de bout en bout sans être entravé par des obstacles de réglementation, contrairement à l’Union européenne qui s’impose des contraintes et agit comme si le marché unique était le marché mondial.

2.   Les entreprises privées constituent également une menace

Les entreprises privées ont aussi un rôle déterminant dans la menace qui pèse sur les réseaux d’approvisionnement électriques dans l’Union européenne. Facebook, Microsoft, Apple et Google pourraient tout à fait être capables de nuire au système électrique européen, dès lors qu’ils en éprouveraient le besoin ou l’intérêt.

Les États-Unis tentent également d’intervenir sur les réseaux électriques européens, comme l’a montré le rachat par General Electric d’Alstom, en particulier de sa branche turbines (éoliennes, centrales thermiques, etc.). Ce rachat met en péril la souveraineté énergétique, la capacité de dissuasion nucléaire de la France, ainsi que les capacités de fourniture de services énergétiques, puisque toutes les entités d’Alstom Énergie sont désormais sous pavillon américain, et que les nouveaux contrats signés par les filiales de General Electric sont rapatriés au siège.

D.   La nécessaire reconquête d’une souveraineté européenne dans le secteur énergétique

La crise du COVID-19 a accru la vulnérabilité des entreprises européennes face aux tentations prédatrices des pays tiers, notamment la Chine, et rend encore plus opportune l’inflexion de la philosophie de la Commission en matière de politique industrielle, qui met l’accent sur l’autonomie de l’Union dans les secteurs stratégiques.

1.   Définir l’énergie comme un secteur d’autonomie stratégique européenne

La stratégie industrielle présentée par la Commission le 10 mars dernier prévoit de définir une quinzaine de secteurs prioritaires pour lesquels les règles de la concurrence seraient assouplies, afin de créer une quinzaine d’« écosystèmes » prenant en compte toutes les chaînes d’approvisionnement. Les secteurs identifiés seraient soutenus par une action réglementaire, un déblocage de fonds ou l’utilisation optimale des instruments de défense commerciale, avec l’objectif d’assurer l’autonomie stratégique de certaines filières en relocalisant certaines productions en Europe. L’accès au marché européen serait soumis au strict respect des règles de réciprocité et de transparence en matière d’aides d’État.

Dans ce contexte, il serait opportun de définir l’énergie, et plus particulièrement l’ensemble des technologies renouvelables et de stockage de l’énergie, comme un secteur de souveraineté stratégique européenne, pour lesquels l’application du droit européen de la concurrence doit prendre en considération l’enjeu de souveraineté européenne.

2.   Défendre les entreprises stratégiques européennes contre les tentations prédatrices des États tiers

S’agissant des investissements directs étrangers, il convient de saluer l’adoption, en mars 2019, d’un règlement établissant un cadre pour le filtrage des investissements directs étrangers (IDE) dans l’Union européenne, qui incite les États membres à se doter de mécanismes de filtrage des IDE susceptibles de porter atteinte à la sécurité et à l’ordre public d’un ou plusieurs États membres. Il instaure également un mécanisme de coopération associant la Commission et les États membres pour échanger des informations relatives à des projets d’IDE potentiellement problématiques.

Si le règlement est peu contraignant pour les États membres, il marque un vrai changement de logique au niveau européen, l’article 63 du traité interdisant toute restriction des mouvements de capitaux. Pour renforcer l’efficacité de ce règlement, il serait opportun que l’Union définisse une liste des technologies et des actifs considérés comme stratégiques, dont pourraient faire partie notamment les entreprises du secteur énergétique. Nous accueillons très favorablement les propositions du livre blanc sur les subventions étrangères dans le marché unique, adopté le 17 juin par la Commission, qui vise à renforcer l’arsenal défensif de l’Union contre la concurrence déloyale étrangère.

 


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   CONCLUSION

En matière d’indépendance énergétique, la stratégie européenne consiste maintenant à allier les deux objectifs de sécurité d’approvisionnement et de transition énergétique, en arguant du fait que la production d’énergie à partir de sources renouvelables situées sur le sol européen contribue à la diversification des fournisseurs et diminue la dépendance énergétique vis-à-vis de l’extérieur. L’Union européenne fait donc le pari d’une compatibilité entre sécurité d’approvisionnement et transition énergétique.

Mais ce pari est porteur de plusieurs paradoxes. Le premier est d’ordre politique puisque l’article 194 du TFUE, qui pose les bases légales d’une politique européenne de l’énergie, réaffirme également la souveraineté des États membres sur le choix de leur bouquet énergétique.

Le second paradoxe est d’ordre technique et revient à se demander si la transition énergétique, qui est au cœur du Pacte vert présenté comme la priorité de la nouvelle Commission européenne, est réellement un vecteur de sécurité énergétique. Le développement des interconnexions augmente la vulnérabilité systémique des réseaux, la gestion de plus en plus complexe des réseaux expose ceux-ci au risque des cyberattaques, la part croissante des énergies renouvelables entraîne une dépendance aux fournisseurs de terres rares, etc.

Jusqu’à présent, l’Union européenne a abordé la question de la sécurité énergétique sous l’angle d’une sécurité d’approvisionnement visant à adapter le niveau de l’offre afin de satisfaire la demande. Peut-être faudrait-il désormais envisager l’approche inverse, c’est-à-dire gérer la demande de manière à ce qu’elle puisse s’adapter à l’offre, notamment en cas de diminution de celle-ci ? Cette approche fait l’objet de travaux, notamment en économie, sur la question de la flexibilité de la demande et de la réaction à un signal-prix, mais est restée très peu populaire et très marginale dans la vision des institutions européennes, qui ont jusqu’à présent envisagé une modération plutôt qu’une réduction de la demande.

L’objectif à atteindre n’est peut-être pas tant l’indépendance énergétique que la souveraineté énergétique. À l’exception de la Russie, le principal fournisseur de ressources énergétiques de la France est la Norvège. Être dépendant de la Norvège, État démocratique, membre de l’espace économique européen et de l’OTAN, n’est pas problématique. La question n’est pas d’être indépendant mais de disposer d’un système énergétique qui délivre les services énergétiques nécessaires sans entamer la souveraineté de l’Union européenne. Dans tous les cas, l’Union européenne continuera à être dépendante. La question est de savoir à quel niveau et pourquoi ? Actuellement, l’Union européenne ne dispose pas d’un système énergétique assurant sa souveraineté, puisqu’elle est dépendante du pétrole de l’Arabie saoudite, qui finance activement la radicalisation islamique, responsable des attentats sur le sol européen et de l’assassinat de soldats au Mali.

De plus, il faut dissocier la notion de la dépendance de celle de la vulnérabilité. On peut être dépendant sans être vulnérable, lorsque l’on dispose d’un mix énergétique très diversifié, par exemple. C’est le cas du Japon. À l’inverse, on peut être indépendant mais très vulnérable. C’est le cas lorsque l’indépendance est acquise au prix d’investissements excessivement coûteux et non-rentables qui fragilisent la compétitivité de l’industrie et, plus largement, la santé économique du pays.

 


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   recommandations

I. Affirmer la souveraineté européenne dans le secteur de l’énergie

A. Favoriser l’autonomie stratégique du secteur énergétique en définissant une politique industrielle de l’énergie

 

- Inclure l’ensemble des technologies des énergies renouvelables et de stockage de l’énergie dans les filières pour lesquelles l’Union européenne doit disposer d’une autonomie stratégique, et qui seront identifiées dans le cadre de la nouvelle stratégie industrielle de la Commission. Accélérer la mise en œuvre des projets importants d’intérêts européens communs (PIIEC) dans ces secteurs en créant notamment une alliance de l’hydrogène, sur le modèle de l’alliance de la batterie.

 

- Défendre les entreprises stratégiques européennes contre les tentations prédatrices de certains États tiers en renforçant le règlement établissant un cadre pour le filtrage des investissements directs étrangers dans l’Union européenne, et en définissant une liste des technologies et actifs considérés comme stratégiques. Dans le cadre de la révision de la politique de la concurrence prévue pour 2021, subordonner l’accès au marché européen aux règles de réciprocité et de transparence en matière d’aides d’État.

 

- Redéfinir les règles en matière d’échange et de stockage de l’énergie afin de renforcer la solidarité entre les États membres et de franchir une nouvelle étape vers l’Union de l’énergie.

 

B. Renforcer la dimension géopolitique de l’Union européenne dans le secteur de l’énergie et sécuriser son approvisionnement

 

- Définir une position géopolitique commune face aux États-Unis et à la Russie et donner à la Commission européenne une capacité de négociation internationale sur les sujets relatifs à l’approvisionnement énergétique de l’Union. Renforcer le rôle de l’euro dans le secteur énergétique par la mise en place d’un cadre permettant d’imposer de manière progressive le règlement des transactions énergétiques en euros, notamment dans le secteur gazier. La volonté de la nouvelle Commission européenne de faire de l’Europe une Union « géopolitique » est une occasion pour avancer en ce sens.

 

- Diversifier les sources d’approvisionnement et les sources d’énergie, en s’appuyant notamment sur l’essor des énergies renouvelables, sur les opportunités offertes par le gaz naturel liquéfié comme énergie de transition, et en maintenant une production nucléaire.

 

- Renforcer la politique européenne en matière de lutte contre les cyber-attaques, car l’abandon progressif des énergies fossiles au profit de l’électrification des réseaux rend les États membres plus vulnérables aux attaques numériques.

 

II. Dans le cadre du Pacte vert, fixer comme priorités l’efficacité et la sobriété énergétique

- Dans le cadre du plan de relance, acter la mise en œuvre d’un programme prioritaire d’investissement consacré à l’efficacité énergétique du secteur du bâtiment, qui devra promouvoir la formation des acteurs du secteur du bâtiment aux enjeux de l’efficacité énergétique et l’intégration des enjeux climatiques dans les programmes scolaires.

 

- Réviser la directive sur la performance énergétique des bâtiments pour la mettre en cohérence avec les nouvelles ambitions climatiques de l’Union européenne, en prévoyant une trajectoire précise par État membre de réduction des émissions de carbone pour les bâtiments neufs et existants.

 

- Faire preuve d’un haut niveau d’ambition dans le cadre de la « vague de rénovation » qui sera annoncée fin 2020, en fixant notamment comme objectifs ([58]) :

 

     La rénovation profonde de la moitié des bâtiments éducatifs d’ici à 2024.

     La rénovation profonde des logements de 4 millions de familles en précarité énergétique d’ici à 2024.

 

III. Décarboner l’énergie et mettre fin aux politiques de soutien aux énergies fossiles

A. Dans le cadre du plan de relance, soutenir la mobilité propre, en particulier dans le secteur routier

- Développer les infrastructures de recharge pour véhicules électriques, avec l’objectif de disposer d’au moins un million de bornes de recharge d’ici à 2024.

- Accélérer la production de batteries dans le cadre de l’Alliance européenne de la batterie

- Adopter une approche coordonnée d’incitations à l’achat de véhicules électriques.

- Développer massivement le réseau de pistes cyclables.

 

B. Mettre en cohérence la politique climatique de l’Union européenne avec les objectifs de l’Accord de Paris

 

- Faire de l’Union européenne la première zone économique du monde fonctionnant avec un prix minimum du carbone, et étendre le système d’échange de quotas d’émission de l’UE à tous les secteurs.

 

- Dans le cadre de la révision du règlement relatif au réseau transeuropéen énergie (RTE-E), garantir la compatibilité des projets européens d’infrastructures énergétiques avec l’objectif de neutralité climatique.

- Exclure explicitement les investissements dans les énergies fossiles du bénéfice du plan de relance européen. Demander à la Commission européenne d’évaluer la compatibilité des plans de relance nationaux avec les orientations du Pacte vert.

IV. Encourager la solidarité énergétique européenne et locale

- Développer la coopération interrégionale et les interconnexions, notamment avec les pays de l’Europe centrale et orientale, afin que chaque pays européen atteigne l’objectif d’échanger avec ses voisins l’équivalent de 15 % de sa consommation en électricité d’ici à 2030.

 

- Encourager le développement des communautés énergétiques citoyennes, qui sensibilisent les habitants à la valeur de l’énergie et permettent l’appropriation de la production énergétique par les citoyens.

 

- Développer le système de garanties d’origine de l’énergie, qui incite à se tourner vers les producteurs locaux d’énergie.


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   TRAVAUX DE LA COMMISSION

La Commission s’est réunie le mercredi 24 juin 2020, sous la présidence de Mme Sabine Thillaye, Présidente, pour examiner le présent rapport d’information.

Mme la Présidente sabine Thillaye. Nous procéderons à l’examen du rapport de nos collègues Vincent Bru et Yolaine de Courson en présence, par visioconférence, de Mme Mechthild Wörsdörfer, directrice durabilité, technologie et perspectives de l’Agence internationale de l’énergie (AIE). À l’origine, l’idée de ce rapport était de réfléchir, dans le contexte de la construction du gazoduc Nordstream 2 entre l’Allemagne et la Russie, à la dépendance énergétique de l’Union européenne aux états tiers, et de se demander s’il était possible et souhaitable de s’en affranchir. Depuis, l’actualité est venue ébranler ce secteur, qui a pris une place centrale dans le Pacte vert. L’énergie sera au cœur de la réflexion sur la reconstruction d’une économie durable et résiliente après la crise sanitaire, avec une priorité qui n’est plus tant la sécurité d’approvisionnement que la transition verte. De ce point de vue, le rapport propose une analyse et une description très fouillées du paysage énergétique européen, ce qui apparaît très constructif pour mettre en perspective l’objectif de la Commission pour 2050 de parvenir à une énergie largement décarbonée et plus indépendante.

M. Vincent Bru, rapporteur. Le secteur énergétique est au cœur de la réflexion sur l’économie résiliente que nous devons construire après la crise sanitaire du COVID‑19. Avec quelles énergies construire une économie résiliente et décarbonée ? Comment restaurer une souveraineté dans ce secteur éminemment stratégique ? Comment réduire la dépendance énergétique de l’Union européenne face aux États tiers ?

Telles sont les questions qui ont guidé notre réflexion sur l’indépendance énergétique de l’Union européenne, notion qui doit, à notre sens, s’articuler autour de trois axes :

Le premier est géopolitique et concerne la sécurité des approvisionnements énergétiques. Le principal enjeu, pour les États membres, est de diversifier à la fois leurs sources d’approvisionnement, dans un contexte où la dépendance au gaz russe s’accroît, et leur bouquet énergétique.

Le deuxième est écologique, puisque seule une transition énergétique réussie permettra à l’Union européenne de réduire sa dépendance aux pays producteurs d’énergie fossile.

Le troisième est industriel et a trait à l’autonomie stratégique du secteur. Il s’agit de développer une filière européenne d’énergie propre, dans le cadre de la nouvelle stratégie industrielle de la Commission, et de protéger les actifs stratégiques du secteur énergétique, que la crise a rendu encore plus vulnérable aux stratégies prédatrices de certains pays tiers.

Si elle prend une acuité particulière dans le contexte actuel de lutte contre le réchauffement climatique et dans le cadre du Pacte vert européen, la question de l’indépendance énergétique des États n’est cependant pas nouvelle. Considérée comme un élément indissociable de la souveraineté, l’énergie a fait l’objet d’une coopération ambitieuse dès 1951, dans le cadre de la Communauté européenne du charbon et de l’acier, devenant un des premiers piliers de la solidarité européenne. Toutefois, quelque soixante-dix ans plus tard, la coordination des politiques énergétiques des pays de l’Union européenne ne va toujours pas de soi, et l’Union de l’énergie se heurte notamment au fait que le choix du mix énergétique relève de la compétence des États membres, et les décisions en la matière connaissent une certaine inertie.

Pour l’Union européenne, la sécurité énergétique a d’abord été synonyme de sécurité d’approvisionnement et impliqué une politique de réduction de la dépendance aux approvisionnements extérieurs. Cet objectif est encore loin d’être atteint, l’Union européenne important 53 % de l’énergie qu’elle consomme. Cette dépendance est manifeste pour les énergies fossiles : 90 % du pétrole brut consommé, 66 % du gaz naturel.

En outre, cette dépendance énergétique s’accroît, en raison notamment de la diminution de la production domestique, de la faiblesse du nombre de fournisseurs et de la part croissante du gaz dans la consommation. Ainsi, en 2016, plus des trois quarts (77,1 %) des importations de gaz naturel de l’Union européenne provenaient de Russie, de Norvège ou d’Algérie. Cette dépendance est problématique pour les États dont le mix énergétique est peu diversifié, qui disposent d’un nombre réduit de fournisseurs (voire d’un seul, la Russie !), et dont les interconnexions avec les autres États membres sont insuffisantes.

C’est le cas de certains États membres d’Europe centrale et orientale, dont la dépendance au gaz russe est très marquée. Cela explique pourquoi ces pays sont tentés de développer le nucléaire comme source d’énergie alternative. Les pays très dépendants pourraient également vouloir s’orienter vers le gaz naturel liquéfié, notamment américain, pour diversifier leurs sources d’approvisionnement : les États-Unis peuvent ainsi bouleverser le marché de l’énergie en exploitant leurs grandes réserves de gaz de schiste.

Hormis la vulnérabilité particulière de ces pays, accrue par les tensions géopolitiques persistantes entre la Russie et l’Ukraine, l’Europe de l’énergie connaît une situation d’interdépendance plutôt que de dépendance, les réseaux électriques étant interconnectés, et la dépendance au gaz russe étant réelle, mais réciproque.

Mme Yolaine de Courson, rapporteure. Il reste que l’indépendance énergétique de l’Union européenne est, à terme, indissociable de la réussite de la transition énergétique et de l’atteinte de l’objectif ultime du Pacte vert : la neutralité carbone en 2050. En matière de transition énergétique, deux types de politiques peuvent être grossièrement distingués : ce qu’il faut faire (fixer comme priorités la sobriété et l’efficacité énergétique en ciblant les secteurs très émetteurs comme le bâtiment ou les transports), et ce qu’il faut cesser de faire (subventionner les énergies fossiles.) Le plan de relance est une occasion historique d’accélérer cette transition.

À notre grande satisfaction, le COVID‑19 ne semble pas avoir eu raison du Pacte vert, comme en témoigne la volonté de la Commission de faire de ce programme la colonne vertébrale du plan de relance, en insistant sur le lien entre relance économique et construction d’une économie résiliente à long terme. Parmi les différentes actions annoncées par la Commission, certaines sont spécifiquement liées à la transition énergétique, comme l’augmentation du Fonds pour une transition juste ou le doublement du montant consacré aux infrastructures durables dans le cadre d’InvestEU, afin de contribuer à l’objectif d’au moins doubler le taux annuel de rénovation des bâtiments.

Il nous semble fondamental que l’accès à ces fonds soit subordonné au respect par leurs bénéficiaires des ambitions environnementales de l’Union. La Commission s’est voulue rassurante sur ce point, en faisant de la compatibilité des plans de relance nationaux avec le Pacte vert une condition d’accès aux aides. De même, le vice-président de la Commission chargé du Pacte vert, Frans Timmermans, a assuré que les entreprises polluantes devraient fournir des plans de transition verte pour en bénéficier. Certaines organisations non gouvernementales (ONG) demandent, à juste titre, d’aller plus loin en excluant explicitement les investissements dans les énergies fossiles du champ d’application des dispositifs de soutien.

Il convient également de « prioriser » les investissements en mettant l’accent sur la rénovation des bâtiments et les transports durables, qui sont ceux qui sont les plus émetteurs de gaz à effet de serre et ont un fort potentiel en matière de création d’emplois. Dans cette logique, nous reprenons à notre compte plusieurs propositions de l’Institut Jacques Delors, parmi lesquelles :

– la rénovation de la moitié des bâtiments éducatifs d’ici à 2024 (300 milliards d’euros) ;

– la rénovation énergétique intégrale des logements de 4 millions de familles en précarité énergétique d’ici à 2024 (200 milliards d’euros) ;

– le développement des infrastructures de recharge pour véhicules électriques, avec l’objectif de disposer d’au moins un million de bornes de recharge d’ici à 2070 (10 milliards d’euros).

La « vague de rénovation », qui sera présentée par la Commission à la fin de l’année 2020, doit être l’occasion d’annoncer des projets de cette envergure. Parallèlement à ces investissements, il serait opportun de réviser la directive sur la performance énergétique des bâtiments pour y introduire une trajectoire précise par État membre de réduction des émissions de carbone pour les bâtiments neufs et existants, sur le modèle des réglementations adoptées dans le secteur automobile.

M. Vincent Bru, rapporteur. Au-delà du plan de relance, il convient de revoir le cadre législatif et réglementaire d’un certain nombre de politiques européennes pour les mettre en conformité avec les ambitions climatiques de l’Accord de Paris. Il s’agit d’abord de rehausser les objectifs de réduction de gaz à effet de serre à horizon 2040 et de faire de la neutralité climatique en 2050 un objectif contraignant, comme le prévoit la Commission dans le cadre de sa « loi climat ». Pour avoir une chance d’y parvenir, il est impératif de mettre fin aux politiques de soutien aux énergies fossiles et de remettre sur la table la question du prix du carbone. La chute des prix des énergies fossiles consécutive à la crise du COVID‑19 est une occasion en or pour le faire.

À cet égard, nous saluons l’engagement de la Banque européenne d’investissement de cesser de financer des projets énergétiques ayant trait aux combustibles fossiles d’ici à la fin 2021. Il conviendrait également de revenir sur les exonérations fiscales consenties en faveur des carburants d’aviation et des combustibles maritimes. Dans la même logique, la révision du règlement relatif au réseau transeuropéen d’énergie (RTE-E) prévue pour la fin de l’année 2020, devrait être l’occasion de rendre les projets européens d’infrastructures énergétiques compatibles avec l’objectif de neutralité climatique.

Surtout, la réussite de la transition est conditionnée à la mise en place d’une véritable politique de prix du carbone, qui s’articulerait autour de trois axes :

– l’instauration d’un prix plancher du carbone ;

– l’élargissement à d’autres secteurs du système d’échange de quotas d’émissions de l’Union européenne (SEQE-UE), dit « système ETS » ;

– l’introduction d’un mécanisme d’inclusion carbone aux frontières de l’Union.

Enfin, nous assistons à l’émergence de nouvelles dépendances et vulnérabilités : l’interconnexion croissante des réseaux énergétiques européens peut présenter des risques systémiques, et la diffusion progressive de systèmes de gestion numériques des réseaux pose la question de la cybersécurité. Plus les réseaux sont interconnectés, plus ils sont résistants aux attaques mais, lorsqu’ils cèdent, ils sont moins résilients.

En outre, l’absence de réponse à la question industrielle fait peser une menace de dépendance matérielle et technologique. Les brevets des énergies renouvelables sont détenus à 29 % par la Chine et da              ns nombre de secteurs industriels associés à la transition énergétique (métallurgie, chimie, etc.), les acteurs de l’Union européenne perdent progressivement en compétence. On le voit en particulier pour les batteries, jusqu’à ce que soit créée l’alliance européenne pour la batterie, et les transformateurs électriques, secteur dominé par la Chine.

Les règles de marché que l’Union européenne s’est imposée l’ont fragilisée face à l’appétit de certains pays tiers. Elle a affaibli les acteurs industriels européens dans un marché ouvert, face à des filières industrielles de pays tiers très organisés bénéficiant de l’appui de leurs gouvernements, qui ont pris de larges participations dans des secteurs stratégiques.

Ainsi, la Chine, qui affiche, dans sa stratégie des « nouvelles routes de la soie », une volonté de conquête dans le secteur de l’électricité aussi déterminée que dans celui des télécommunications, constitue une menace pour l’indépendance électrique de l’Union européenne, comme en témoignent les prises de participation de State Grid (l’équivalent de Huawei pour le secteur de l’électricité) dans le capital de quasiment tous les réseaux électriques mis en vente (Portugal, Grèce, Italie, Luxembourg.) Cette stratégie permet à la Chine de vendre ses équipements en Europe et d’exercer une influence au sein d’ENTSO-E, l’interprofession européenne des gestionnaires de réseau de transport, ce qui représente un vrai danger pour l’indépendance de l’Union européenne.

Mme Yolaine de Courson, rapporteure. La crise du COVID‑19 a accru la vulnérabilité des entreprises européennes face aux appétits des pays tiers et rend encore plus opportune l’inflexion de la philosophie de la Commission en matière de politique industrielle, qui met l’accent sur l’autonomie de l’Union dans les secteurs stratégiques.

Précurseur de ce changement de logique, le projet d’alliance de la batterie lancé en 2017 a vocation à doter l’Europe d’une capacité indépendante de production de batteries, pour la mobilité électrique mais aussi pour le stockage de l'énergie. Cette plateforme de coopération s’est développée grâce au nouvel outil de politique industrielle de l’Union européenne, appelé PIIEC (projet important d’intérêt européen commun), qui permet notamment de bénéficier d’aides d’État et un accès privilégié aux financements européens.

Dans le cadre de la nouvelle stratégie industrielle de la Commission, il serait opportun d’inclure l’ensemble des technologies des énergies renouvelables et de stockage de l’énergie dans les filières pour lesquelles l’Union européenne doit disposer d’une autonomie stratégique, et de créer une Alliance de l’hydrogène, sur le modèle de l’Alliance de la batterie. Nous espérons que la stratégie hydrogène prévue en juillet permettra d’avancer en ce sens.

Enfin, s’agissant de la protection des actifs stratégiques, il convient de saluer l’adoption, en mars 2019, d’un règlement établissant un cadre pour le filtrage des investissements directs étrangers (IDE) dans l’Union européenne, qui incite les États membres à se doter de mécanismes de filtrage des IDE susceptibles de porter atteinte à la sécurité et à l’ordre public d’un ou plusieurs États membres. Nous ne pouvons qu’appeler au renforcement de ce dispositif et accueillons très favorablement les propositions du livre blanc sur les subventions étrangères dans le marché unique, adopté le 17 juin par la Commission, qui visent à renforcer l’arsenal défensif de l’Union contre la concurrence déloyale étrangère.

En conclusion, il existe un vrai momentum européen dans le secteur de l’énergie, une occasion à saisir pour accomplir une transition énergétique à même de renforcer non seulement l’indépendance, mais aussi la souveraineté de l’Union dans ce secteur. Il n’en demeure pas moins que, pendant cette période de transition, l’Union aura à trouver un équilibre entre deux objectifs difficilement conciliables : la préservation de l’environnement et la sécurité énergétique, car le développement des interconnexions augmente la vulnérabilité systémique des réseaux, la gestion de plus en plus complexe des réseaux expose ceux-ci au risque des cyberattaques, la part croissante des énergies renouvelables entraîne une dépendance aux fournisseurs de terres rares... Le caractère délicat de cette conciliation entre deux objectifs légitimes apparaît également dans les débats actuels sur la taxonomie, qui a vocation à orienter les investissements vers l’économie verte, et qui à ce stade n’inclut ni exclut explicitement le gaz et le nucléaire du champ des activités durables.

Plus largement, il est permis de penser que la crise du COVID‑19 a accéléré la prise de conscience des citoyens sur la nécessité d’une plus grande sobriété énergétique. Nous sommes convaincus que la réussite de la transition énergétique passera également par l’appropriation citoyenne et l’implantation locale, avec une régression des systèmes énergétiques centralisés au profit de l’autoconsommation et des communautés énergétiques citoyennes.

Mme la Présidente Sabine Thillaye. Merci beaucoup pour ce travail intéressant qui montre combien les sujets sont interdépendants. Si 29 % des brevets sont détenus par la Chine, il faut donc parler d’investissement dans la recherche et innovation. Concernant la politique industrielle, le secteur de l’énergie est également concerné par la réflexion sur le renforcement de notre arsenal juridique pour nous défendre contre la volonté de certains États d’avoir prise sur des secteurs stratégiques.

J’ai maintenant le plaisir d’accueillir Mme Mechthild Wörsdörfer, directrice durabilité, technologie et perspectives de l'Agence internationale de l'énergie (AIE). Vous étiez auparavant directrice de la politique énergétique de la Commission européenne. Nous sommes intéressés d’avoir votre point de vue sur le rapport qui vient d’être présenté, mais également de savoir ce que vous pensez de l’actualité et des perspectives d’évolution du secteur d’énergie en Europe. L’AIE a publié, le 18 juin dernier, un rapport qui formule trente propositions pour une relance favorable au climat, démontrant qu’il est possible d’éviter un rebond des émissions de CO2 tout en stimulant la croissance et en créant des emplois. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur ce sujet ?

Mme Mechthild Wörsdörfer, directrice durabilité, technologie et perspectives de l'Agence internationale de l'énergie (AIE). Je suis particulièrement intéressée par le sujet du rapport présenté aujourd’hui, notamment parce que j’ai passé vingt ans à la Commission européenne, comme directrice de la politique énergétique. J’ai lu avec beaucoup d’intérêt ce rapport très enrichissant pour le débat européen, dans un contexte international.

L’AIE comprend trente membres, qui sont tous membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), avec trois objectifs : la sécurité énergétique (pour le pétrole, le gaz et l’électricité), la transition énergétique, et nous disposons également d’un mandat défini par les États membres pour travailler à devenir une agence globale. Nous avons des membres associés (comme la Chine, l’Inde, Afrique du Sud, le Maroc, Singapour, le Brésil), avec lesquels nous travaillons. L’agence représente 75 % de la demande énergétique et l’Union européenne est un membre observateur. J’étais donc auparavant, dans mes anciennes fonctions, membre du conseil de gouvernance de l’Agence.

Une des priorités de l’Agence est la sécurité énergétique. Le rapport présenté aujourd’hui adopte une approche large de cette notion et fait le lien avec la transition énergétique. Il y a une dépendance de l’Union européenne vis-à-vis du gaz et du pétrole, et cette dépendance s’accroît, en raison du déclin de la production européenne et de la hausse des importations. En outre, comme vous l’avez dit, la sécurité de l’énergie est aussi fortement liée à l’électrification des usages et la sécurisation des réseaux.

Concernant l’impact du COVID-19 sur le secteur énergétique, après une analyse approfondie, trois chiffres apparaissent particulièrement marquants : nous nous attendons à une chute de la demande d’énergie de 6 % et à une baisse des investissements de 20 %, ce qui ne s’est jamais vu dans l’Histoire. Une telle baisse de la demande n’a pas été constatée depuis la Seconde guerre mondiale. On prévoit une baisse des émissions de CO2 de près de 8 % d’ici à la fin de l’année, par rapport à 2019. Cette baisse n’est pas liée à un changement structurel mais sera due à la crise ; nous nous situerons plus au moins aux niveaux constatés durant l’année 2010. Depuis lors, les émissions de CO2 ont augmenté. Le prochain travail est de savoir comment relancer l’économie, créer des emplois et faire en sorte que ces émissions continuent à diminuer de manière structurelle.

L’AIE a proposé à ses membres un plan de relance durable, permettant une relance économique, des créations d’emplois et une amélioration de la résilience de notre système énergétique et de sa durabilité. Nous avons analysé les situations des États membres de l’AIE, ainsi que le plan de relance proposé par la Commission européenne et initié par la France et l’Allemagne. Notre plan est concret, détaillé et limité aux trois prochaines années. Il représente environ1 000 milliards de dollars par an sur cette période, ce qui représente 0,7 % du PIB mondial, et inclue les dépenses publiques ainsi que le financement privé. Cela correspond plus ou moins, selon nos analyses, à 10 % des dépenses fiscales prévues, dans les plans de relance actuels, pour les « mesures vertes ». Si nous prenons l’exemple de la crise de 2008 et des mesures environnementales prises après 2009, cela en représentait 16 %.

Nous avons analysé six secteurs clé: les mesures pour accélérer le déploiement des sources d’électricité à faible émission de carbone (énergies solaires, éoliennes et le nucléaire), les modes de transports les moins émetteurs (comme les véhicules électriques), la performance énergétique des bâtiments, et celle des équipements utilisés pour l’industrie, notamment manufacturière, agroalimentaire et textile. Nous avons aussi analysé comment encourager à l’utilisation de combustibles plus durables ainsi que l’innovation et les technologies. Vous avez parlé de la problématique des batteries. Nous avons fait un focus sur ce sujet et sur l’hydrogène ce qui, pour l’Europe, constitue les deux technologies clés. L’alliance européenne pour les batteries a été lancée il y a deux ans et serait l’occasion d’investir dans les batteries et dans l’hydrogène pour baisser les coûts et accroître la production.

Comme le montre l’analyse économique que nous avons effectuée avec le Fonds monétaire international, ce plan de relance devrait permettre d’augmenter le PIB mondial d’un pourcent par an entre 2020 et 2023, et de 3,5 % par an au-delà, par rapport au niveau constaté en l’absence de stimulus économique. Les investissements dans les nouvelles infrastructures, les réseaux électriques et les bâtiments vont créer cette croissance. Nous voyons que l’effet de la relance, telle que nous la proposons, sera plus important pour les pays en voie de développement que pour les pays aux économies avancées.

À l’heure actuelle, tous les gouvernements sont concentrés sur la création d’emploi. Nos données les plus récentes sur l’emploi lié à l’énergie montrent qu’en 2019 le secteur énergétique (électricité, charbon, biocarburants) emploie de manière directe près de 40 millions de personnes à travers le monde. On estime que 3 millions d’emplois sont menacés en raison de l’impact de la crise et que 3 millions d’autres le sont également dans autres secteurs étroitement associés, tels que la filière automobile, le bâtiment, l’industrie.

L’objectif est donc de stabiliser les projets en cours, de sauvegarder les emplois et de lancer de nouveaux projets. Nous estimons que le plan proposé pourrait créer près de 9 millions d’emplois supplémentaires dans le secteur de l’énergie. Ce serait en particulier le cas des mesures relatives à la rénovation énergétique des bâtiments existants et des autres mesures permettant d’améliorer la performance énergétique. Dans ce domaine, 35 % des emplois seraient créés, ainsi que dans le domaine de l’électricité, avec 25 % d’emplois créés dans la rénovation des réseaux électriques ou dans les énergies renouvelables.

Quand on évoque le secteur de l’électricité, il faut parler des réseaux. Notre analyse suggère une augmentation de 40 % des investissements dans les réseaux électriques, qui sont la colonne vertébrale des systèmes électriques fiables et sûrs. Entre 2015 et 2020, il y a de moins en moins d’investissements dans les réseaux électriques. Toutefois, avec la numérisation, les réseaux électriques deviendront de plus en plus intelligents.

Nous pensons qu’il faut utiliser et renforcer ces leviers qui auront un impact positif dans le futur pour faire face aux catastrophes naturelles. Un autre aspect important est celui de l’accès. Plus de 270 millions de personnes pourraient bénéficier d’un accès à l’électricité, notamment en Afrique.

La crise financière a provoqué une légère baisse des émissions, beaucoup moins extrême que ce qu’on a observé avec le COVID-19. En 2020, nous prévoyons une réduction de 8 % des émissions de CO2 globales par rapport à 2019. Le futur est assez incertain. Nous avons étudié les plans de relance, mais il est impossible de prévoir de quelle manière se fera la reprise ou quel sera le comportement des consommateurs. Les gens vont-ils reprendre la voiture, les visioconférences vont-elles continuer ? Avec cette relance, on pourrait observer un pic définitif des émissions de CO2 et accélérer la mise en œuvre des objectifs climatiques prévus dans l’Accord de Paris.

En conclusion, le rôle des gouvernements de concevoir les mesures de relance des économies est crucial. Ces décisions façonneront les infrastructures pour les dix prochaines années.

Notre plan ne prétend pas dire aux États ce qu’ils doivent faire, mais plutôt ce qu’ils pourraient faire. Leurs actions déterminent les chances d’atteindre les objectifs énergétiques et climatiques globaux. Nous sommes en contact avec la France pour parler plus concrètement de ce qu’il est possible de faire. L’impact global porterait sur les emplois et les émissions.

 

L’exposé des rapporteurs et la présentation de l’intervenante ont été suivis d’un débat.

 

Mme la présidente Sabine Thillaye. Merci beaucoup pour votre présentation. Vous avez dit quelque chose de très intéressant et qui montre la complexité de ce sujet : d’un côté, la crise nous épargne des émissions de CO2 en évitant des déplacements, mais d’un autre côté il y aura peut-être plus de demande d’énergie par ailleurs. Comment trouver un juste milieu ?

M. Damien Pichereau. Madame la rapporteure, monsieur le rapporteur, je vous remercie pour ce rapport que je trouve aller dans le sens de la politique que mène la France au niveau européen.

Nous constatons une dépendance évidente de l’Union vis-à-vis de fournisseurs extérieurs, qui doit être relativisée pour notre pays grâce à notre production d’électricité largement décarbonée.

La réponse au défi de l’indépendance énergétique de l’Union proposée dans votre rapport est très intéressante. La meilleure manière de réduire notre dépendance à des importations d’énergie fossiles réside dans l’accélération de la transition énergétique : développement des énergies renouvelables, massification de la mobilité propre, accélération des efforts d’efficacité énergétique. Toute unité d’énergie qui n’est pas dépensée renforce notre indépendance énergétique : c’est le principe « energy efficiency first ».

Dans le détail, je note quelques éléments vraiment pertinents qui méritent d’être soulignés. Le renforcement considérable du cadre législatif européen sur l’énergie sous la Commission Juncker, entre 2014 et 2019, est bien mis en valeur dans ce rapport. Dans le contexte de vulnérabilité accru lié à la crise ukrainienne, cette Commission avait fait de la mise en place d’une véritable Union de l’énergie l’une de ses principales priorités.

Par ailleurs, je vous rejoins parfaitement sur le nécessaire renforcement du marché carbone comme préalable indispensable à une décarbonation de l’économie européenne. D’ailleurs nous défendons la mise en place d’un prix plancher du carbone et d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, afin de lutter contre les fuites de carbone.

Cependant, certains passages pourraient à mon sens être complétés, notamment celui portant sur les développements gaziers en Méditerranée orientale. Vous abordez peu les perspectives de ces gisements, notamment chypriotes, qui offrent une option de diversification à l’Union européenne. Cette nouvelle route d’approvisionnement est d’ailleurs soutenue par la Commission européenne, par les subventions du Mécanisme pour l’interconnexion en Europe au projet de gazoduc EastMed, car elle la considère être un projet d’infrastructure énergétique d’intérêt commun en Europe. Avez-vous des précisions sur les opérations en cours et qui seront décidées pour assurer que la Turquie ne sera pas un frein au développement des infrastructures ?

M. André Chassaigne. Je voudrais souligner la qualité du rapport d’information présenté aujourd’hui, et plus particulièrement sa première partie, qui fournit un constat objectif de la situation énergétique européenne et de la croissance de notre dépendance. À ce titre, votre approche dénote par rapport aux propos trop souvent angéliques, voire fantasmés, sur notre situation énergétique et notre capacité à régler cet enjeu au niveau européen par des coups de baguette magique, fût-elle verte.

Au-delà du constat, il ne serait d’ailleurs pas inutile de mettre en relation la croissance de la dépendance au gaz, notamment russe, avec les choix de soutien public et d’investissement des vingt dernières années en faveur d’énergies renouvelables intermittentes et non-pilotables comme l’éolien. Je crois que la transparence s’impose.

Je ne partage pas en revanche toutes les analyses du rapport sur la transition énergétique, notamment sur les capacités de production électrique décentralisée. Nous pouvons cependant nous retrouver sur les principales recommandations qui sont considérées comme prioritaires dans le rapport.

Je reviendrai sur deux éléments. Premièrement, si nous visons plus d’indépendance énergétique européenne et si nous voulons décarboner l’Europe, il faut investir massivement dans la baisse de nos consommations énergétiques et l’efficacité des usages de l’énergie.

Il faut baisser drastiquement et rapidement nos consommations et nos émissions de gaz à effet de serre des secteurs du bâtiment et des transports. C’est la mère des batailles, et votre rapport le dit fortement. Cependant, la question est d’abord budgétaire. Il faut soutenir rapidement la rénovation thermique globale du parc de logements et de bâtiments publics et mettre le paquet sur le transfert des usages du véhicule individuel et des transports routiers, d’une part, vers les modes doux et les transports en commun, d’autre part, vers le transport ferroviaire et fluvial pour le transport de marchandises.

Il faut non seulement s’assurer que le plan de relance européen aille dans ce sens, mais que notre engagement budgétaire national aussi. Je pose aussi cette question, qui n’est pas provocatrice mais ouverte : sommes-nous prêts à défendre et à dégager du budget pour 2021 les 10 à 15 milliards d’euros annuels nécessaires à la rénovation thermique annuelle des logements et des bâtiments publics ? Sommes-nous prêts à réinvestir massivement dans notre réseau ferroviaire et dans le transport de fret, alors que nous faisons tout le contraire depuis vingt ans ? La décarbonation du secteur des transports passe par des investissements d’envergure, dans le réseau ferroviaire pour les mobilités du quotidien, dans des infrastructures pour les modes les plus sobres en carbone (marche, cycle).

Quant aux transports en commun, ils doivent s’accompagner d’un engagement financier de l’État à une toute autre hauteur, en lien avec les autorités organisatrices de la mobilité sur les territoires. L’accès du plus grand nombre aux transports collectifs doit aller jusqu’à leur gratuité, ce qui exige un soutien de l’État et de nouvelles recettes.

Sur la dimension de la production et de la distribution d’énergie, je partage totalement la nécessité de stopper tout soutien aux énergies fossiles et de travailler à rehausser le prix du carbone. Je ne crois, en revanche, ni aux vertus intrinsèques, ni à la réactivité du seul marché pour sortir de l’impasse énergétique et climatique. Il nous faut au contraire construire de puissants outils publics nationaux et européens et en garantir les moyens. L’atteinte de la neutralité carbone à l’horizon 2050 et la baisse des émissions de 50 à 65 % d’ici 2030 (dans dix ans !) n’est pas seulement quelque chose d’important : c’est vital pour espérer contenir l’emballement climatique, respecter l’Accord de Paris et assurer un monde vivable pour les générations à venir.

Nous continuons à défendre, dans ma sensibilité politique, l’impérieuse nécessité d’une planification adossée à un pôle public de l’énergie et de l’efficacité énergétique, regroupant l’ensemble des entreprises de services publics qui produisent, transportent, stockent, distribuent, commercialisent de l’énergie ou fournissent un service énergétique. Seul un pôle public intégré sera en capacité d’assurer la trajectoire de baisse de nos consommations d’énergie finale, d’accompagner des besoins d’électrification des secteurs les plus fortement émetteurs de gaz à effet de serre comme le transport et le chauffage, de sécuriser les approvisionnements en énergie du pays, de garantir l’accès effectif à l’énergie de tous – particuliers ou entreprises – et d’assurer un développement équilibré des territoires.

Pour terminer, je souhaite tout naturellement que, dans le cadre de sa mutation écologique profonde, la Commission soit un jour en capacité de mettre de côté son bréviaire libéral pour faire ce choix de l’efficacité climatique avec un pôle public européen de l’énergie. Permettez-moi d’en douter.

Mme Frédérique Dumas. Je vous remercie pour ce rapport particulièrement réaliste : il est important de dire les choses telles qu’elles sont. Vous connaissez l’ouvrage de Jérémy Rifkin Après la fin du pétrole, sur l’économie de l’hydrogène. C’était un ouvrage précurseur. La première partie de son livre montre comment toutes les civilisations, depuis l’Antiquité, sont « tombées » sur l’énergie. L’énergie est la mère des batailles. Je suis également sensible à ce que vous dites sur la réappropriation de ces problématiques par les citoyens, sur la décentralisation.

Ma question porte sur la cybersécurité. Alain Bauer disait que la prochaine crise ne serait probablement pas sanitaire mais cyber. Les conséquences seraient effroyables. On trouve la 5G formidable, mais attention : plus on aura recours à l’automatisation, à l’intelligence artificielle, à la 5G, plus grands seront les risques liés à la cybersécurité. On peut toutefois se réjouir que la 5G diminue les possibilités de surveillance générale, donc la capacité du gouvernement chinois à surveiller ses citoyens.

Mme Nicole Le Peih. Votre rapport devrait être notre livre de chevet, ou notre livre de bureau. Il est difficile de modifier rapidement nos habitudes. En revanche, « l’effet COVID » pourrait être une occasion de réviser nos modes de vie. Dans l’agriculture, on est complètement dépendant du gaz et la crise sanitaire pourra nous permettre de réduire notre dépendance énergétique. Il y a ici une carte à jouer pour l’Europe en matière de recherche et développement. C’est aussi des sujets que j’aborderai dans mon rapport sur la neutralité carbone.

M. Vincent Bru, rapporteur. Je vais commencer par répondre à la question de M. Pichereau sur le projet EastMed, qui touche à des intérêts géostratégiques très sensibles. Il y a des intérêts économiques, énergétiques et des intérêts politiques.

Je rappelle d’abord qu’il y a eu un premier projet, South Stream, né en 2007 et abandonné en 2014, qui passait par la mer Noire et par la mer Adriatique. Puis, il y a eu un deuxième projet, toujours en cours, Turkish Stream, qui relie la Russie – c’est toujours la Russie qui est en cause – à la Turquie en passant par la mer Noire pour transporter ainsi 31 milliards de mètres cubes de gaz. Ensuite il y a eu Northstream 1 et 2 qui a soulevé beaucoup de difficultés, aussi bien pour certains États de l’Union européenne que pour les États-Unis, qui ont menacé de sanctions les entreprises qui participeraient à ce projet. De fait, ce projet va voir le jour : à la fin de l’année, il devrait être mis en service.

En complément de cela, il y a le projet que vous mentionnez, et que nous n’avons pas évoqué dans notre rapport, qui résulte d’un accord entre Chypre, Israël et la Grèce. Ce projet va à l’encontre des intérêts de la Turquie et de la Russie. Il s’agit d’exploiter un bassin offshore au large de Chypre et de l’amener par des canalisations sous-marines jusqu’à la Grèce puis l’Italie. Ce projet représente 1872 kilomètres, avec une capacité d’acheminement de 9 à 11 milliards de mètres cubes de gaz naturel par an. Son coût est évalué entre 6 et 9 milliards d’euros. Sur le plan de l’indépendance énergétique, il s’agit bien d’un gaz produit dans l’Union européenne, alors que dans les autres projets, il s’agit essentiellement d’un gaz russe.

L’Union européenne était plutôt favorable à ce dernier projet ; on peut néanmoins s’interroger sur sa pertinence aujourd’hui, eu égard aux coûts et aux risques qu’il représente et que la Commission va évaluer. Les objectifs de décarbonation de l’Union européenne seraient-ils favorisés par ce réseau ? Il y a d’autres alternatives, comme des terminaux méthaniers qui existent en Égypte, avec du gaz naturel liquide, et certains notent que les 6 à 9 milliards d’euros apparaissent comme extrêmement coûteux. Par conséquent, il n’est pas sûr que ce projet figure parmi les projets d’intérêt européen commun après le COVID.

Notons toutefois que la Russie vend à l’Union européenne 70 % de sa production de gaz, ce qui est énorme. Il y a donc une forme d’interdépendance entre la Russie et l’Europe : la Russie a beaucoup investi dans des infrastructures européennes : en un sens, elle dépend de nous autant que l’on dépend d’elle.

Mme Yolaine de Courson, rapporteure. En réalité ces sujets sont tellement politiques que les enjeux proprement énergétiques passent en second plan. Les puits actuels commencent à être anciens. Or, les nouvelles recherches pétrolières sont beaucoup plus coûteuses qu’auparavant (et elles ne sont pas toujours compatibles avec les critères de subvention du Pacte vert). C’est aussi pourquoi la transition énergétique est la seule solution viable. Mais on ne veut pas se fâcher avec la Grèce, Chypre, ni avec la Turquie avec laquelle on a des accords sur la migration.

Madame Wörsdörfer, j’aurais une question : quelles sont vos relations avec l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA) ?

Sur la baisse de la consommation : on pense que la meilleure énergie est celle que l’on n’a pas à produire, parce qu’on n’a pas à la consommer. Il faut donc favoriser cette sobriété en matière de consommation énergétique.

Vous avez parlé des bâtiments et des transports. Concernant les bâtiments éducatifs, les propositions de l’institut Jacques Delors sont très intéressantes.

Sur le sujet des transports en commun, je ne suis pas favorable à la gratuité des transports, mais plutôt à des aides.

Nous n’avons pas parlé que des transports collectifs : nous avons fait également référence aux transports par véhicules, notamment électriques. Il y a plusieurs éléments à développer : la fabrication de batteries dans l’Union européenne et non en Chine – c’est le but de l’alliance européenne pour la batterie –, la multiplication des points de recharge, qui sont notoirement insuffisants en France, et le recours aux bonus. Ils ont été extrêmement efficaces par le passé et ont peut-être été abandonnés trop vite. Un bonus de 5 000 à 7 000 euros pour échanger un véhicule diesel contre un véhicule électrique permettrait sans doute à beaucoup de nos concitoyens de franchir le pas. Bien entendu se pose le problème de la facture carbone des batteries et des matériaux utilisés pour construire les voitures électriques, mais le bilan semble positif. On peut également imaginer des voitures fonctionnant à l’hydrogène le plus « vert » possible.

Vous avez demandé si nous étions prêts à prévoir 10 ou 15 milliards d’euros dans le prochain budget : je ne peux pas vous répondre, mais peut-être peut-on en douter. En tout cas, notre majorité a conscience que les choses doivent changer. Il faut que l’urgence écologique pénètre les esprits et les budgets.

Mme Yolaine de Courson, rapporteure. Je suis d’accord avec le président Chassaigne sur le fret ferroviaire. Nous avons un peu oublié, pour les usages non urgents, un certain nombre de possibilités peu consommatrices d’énergie par rapport au service qu’elles rendent, comme la batellerie.

Une prise de conscience citoyenne de la valeur de l’énergie est nécessaire. Il y a quelque chose de magique à ce qu’un enfant de deux ans puisse allumer l’électricité en appuyant sur un bouton : personne n’a conscience de la valeur de l’électricité. Si les gens n’ont pas conscience de la valeur de l’énergie, l’efficacité énergétique ne progressera pas. On pourrait économiser 66 % de la consommation énergétique des ménages en ayant les bons comportements.

Les communautés citoyennes d’énergie ont un rôle à jouer dans cette prise de conscience collective. Une part d’autoconsommation permet de prendre conscience des économies que l’on peut réaliser et de faire plus attention à l’énergie qu’on achète. Il faut que les citoyens cessent d’être des consommateurs d’énergie et deviennent des habitants citoyens solidaires les uns des autres.

Mme la Présidente Sabine Thillaye. Il me tenait également à cœur d’évoquer la responsabilité individuelle dans nos modes de consommation.

M. Vincent Bru, rapporteur. Concernant la cybersécurité, nous avons insisté sur le fait qu’il s’agissait de nouvelles vulnérabilités qui mettaient en cause l’indépendance énergétique. J’ai mentionné l’attaque de la Russie contre l’Ukraine en décembre 2015, mais, à notre connaissance, l’Union européenne n’a pas, jusqu’à présent, fait l’objet d’une telle attaque. Cela serait possible, non seulement de la part de la Russie, mais peut-être davantage de la Chine ou des États-Unis. Il faut que l’Union européenne prenne cette question très au sérieux.

Mme Yolaine de Courson, rapporteure. Nous pensons toujours à l’indépendance en termes d’approvisionnement, mais l’indépendance consiste aussi à s’assurer de la sécurité des réseaux et des systèmes. Il faut faire attention à nos outils et à nos méthodes. Les investissements étrangers dans ce type d’infrastructures devraient pouvoir être contrôlés au niveau européen.

Mme Mechthild Wörsdörfer, directrice durabilité, technologie et perspectives de l’Agence internationale de l’énergie. Le rapport reflète très bien l’interdépendance de l’Union européenne et de la Russie. L’Europe dépend du gaz et du pétrole russe, mais la Russie est également dépendante de ses exportations vis-à-vis de l’Union et des revenus qu’elles génèrent. La diversification des sources d’approvisionnement reste une priorité.

Pendant la crise du COVID-19, les investissements dans le pétrole et le gaz ont été plus touchés que les investissements dans les énergies renouvelables. Cela a eu un impact pour les pays producteurs. Le gaz et le pétrole de schiste américains sont plus chers que la production dans les autres pays.

On a connu des prix négatifs pour le pétrole en raison de deux facteurs : la baisse de la demande, 60 % du pétrole étant consommé par le secteur des mobilités, et, dans un premier temps, l’augmentation de l’offre. On prend désormais conscience du fait que la volatilité des prix du pétrole va pousser vers la transition énergétique.

L’AIE et l’IRENA travaillent très bien ensemble. L’AIE a été créée en 1974 lors du premier choc pétrolier. Un de nos principes de l’époque était d’avoir un stock de pétrole de 90 jours pour tous les pays membres de l’Agence. D’ailleurs les 27 membres de l’UE, dont 22 sont membres de l’AIE, ont la même règle.

Depuis, l’AIE s’est développée comme une agence couvrant toutes les ressources : nucléaire, gaz, charbon, renouvelable, efficacité énergétique, ... Nous couvrons également toutes les questions de sécurité s’y rapportant.

L’IRENA a une structure différente et une approche plus proche de celle de l’Organisation des nations unies, avec beaucoup plus de membres. Dans certains domaines, comme le développement des énergies renouvelables en Afrique, elle est beaucoup plus active que nous, mais nous travaillons en étroite coopération sur les analyses et les données.

L’efficacité énergétique est primordiale. Elle repose notamment sur le comportement des consommateurs, les biens produits et la rénovation des bâtiments. Pour parvenir à un scénario compatible avec les accords de Paris, il faut actionner tous les leviers, mais l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables ont un impact très fort. Elles ont également un impact positif sur l’économie et l’emploi.

Mme la Présidente Sabine Thillaye. Comment améliorer la cohérence des politiques énergétiques au sein de l’Union européenne ?

Mme Mechthild Wörsdörfer, directrice durabilité, technologie et perspectives de l'Agence internationale de l'énergie (AIE). Les 27 États membres ont tous un mix énergétique différent, du fait de traditions et de géographies différentes. Le mix énergétique est de leur responsabilité.

Au cours des dernières années, avec le paquet énergie climat puis le Pacte vert, des objectifs très ambitieux ont été fixés, notamment une diminution de 40 % des émissions de CO2, que la Commission européenne est en train de porter à 55 %, ainsi qu’un objectif en matière d’énergies renouvelables et un objectif d’augmentation de l’efficacité énergétique porté à 32,5 %. Il y a donc un marché et des intérêts communs pour avancer ensemble dans le domaine énergétique, en gardant bien à l’esprit qu’il existe une responsabilité nationale en ce qui concerne le mix énergétique. Après le paquet « énergie climat » et huit propositions législatives, toutes adoptées, la gouvernance a créé une forte dimension européenne dans le secteur énergétique.

Mme la Présidente Sabine Thillaye. Merci beaucoup pour votre disponibilité, et merci aux rapporteurs.

La commission a ensuite autorisé le dépôt du rapport d’information en vue de sa publication.

 

 

 


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   Annexes


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   GLossaire et sigles

- Effacement : l’effacement est un renoncement à consommer intervenant aux moments où l’électricité coûte le plus cher.

- Chaleur fatale : production de chaleur dérivée d’un site de production et qui n’est pas récupérée. Le secteur industriel, par exemple, est un grand producteur de chaleur non valorisée.

- NordStream 1 et 2 : gazoduc composé de plusieurs pipelines reliant les ports russes de Vyborg et de Ust-Luga au port allemand de Greifswald, en passant par la mer Baltique. NordStream 1 a été mis en service en 2012. La construction de NordStream 2 devrait s’achever en 2020, pour une mise en service en 2021.

- South Stream : le projet de gazoduc South Stream devait relier la Russie à l’Europe occidentale en passant sous la mer Noire et en traversant la Bulgarie, la Serbie, l’Italie et l’Autriche, ce qui permettait de réduire la dépendance envers les pays de transit (l’Ukraine et la Turquie). Le projet a été abandonné en 2014, la Commission européenne contestant la légalité des contrats passés avec certains États membres pour le passage du gazoduc.

- Turkish stream : projet de gazoduc allant de la Russie à la Turquie à travers la mer Noire, et prolongé par un gazoduc terrestre (le « tesla pipeline ») reliant la Turquie à l’Autriche en traversant les Balkans.

- TEP : tonne d’équivalent pétrole.

- Blackout : panne de courant à large échelle.

- ETS : emission trading scheme, système européen d’échange de quotas d’émissions de carbone.

- Marché de capacité : pour assurer la sécurité d’approvisionnement en électricité, chaque fournisseur d’électricité doit disposer d’un montant de garanties de capacité permettant de couvrir la consommation électrique de ses clients. Il peut acquérir ces garanties certifiées par le gestionnaire de réseau auprès des producteurs d’électricité et des opérateurs d’effacement, qui s’engagent sur la disponibilité de leurs moyens lors des périodes de pointe. Ces garanties de capacité ou d’effacement peuvent s’échanger sur un marché, afin de faciliter l’adaptation entre les capacités de production d’électricité d’une zone géographique et les besoins de cette région en électricité lorsque la demande est au plus haut.

- Terres rares : ensemble de 17 métaux dont les propriétés les rendent indispensables à la production de certains produits de haute technologie (batteries de voitures électriques et hybrides, puces de smartphone, écrans d’ordinateurs portables, etc.).

- MIDCAT : projet de gazoduc « Midi-Catalogne », entre la France et l’Espagne.

- Smart grid : réseau électrique intelligent, qui favorise la circulation d’information entre les fournisseurs et les consommateurs, afin d’ajuster le flux d’électricité en temps réel et permettre une gestion plus efficace du réseau électrique.

- Énergie primaire : énergie potentielle contenue dans les ressources naturelles (comme le bois, le gaz, le pétrole), avant toute transformation.

- Énergie finale : énergie consommée et facturée à son point d’utilisation, en tenant compte des pertes lors de la production, du transport et de la transformation du combustible.


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   Liste des personnes auditionnÉes

 

Union française de l’électricité (UFE)

- M. Antoine GUILLOU, Directeur Énergies renouvelables, réseaux et marchés

- M. Valentin GROS, Responsable des Affaires européennes et internationales

 

Association française du gaz (AFG)

- M. Patrick CORBIN, Président

- M. Thierry CHAPUIS, Délégué général

- M. Grégoire du GUERNY, Responsable Affaires publiques

 

Union française des industries pétrolières (UFIP)

- Mme Isabelle MULLER, Déléguée Générale

- M. Bruno AGEORGES, Directeur des Relations Institutionnelles et des Affaires Juridiques

 

Harvard University - Davis Center for Russian and Eurasian studies

- Mme Aurélie BROS, Senior Research Fellow (chercheuse associée)

 

Ministère de la Transition écologique et solidaire - Cabinet du Ministre d’État

- Mme Nathalie LHAYANI, Conseillère Europe ;

- M. Xavier PLOQUIN, Conseiller Énergie, Industrie et Innovation.

 

Ministère de la Transition écologique et solidaire - Direction de l’Énergie et du Climat :

- M. Laurent MICHEL, Directeur Général.

 

Commission européenne – Direction générale Énergie

- M. Dominique RISTORI, Directeur général Énergie.

 


Ministère de l’Europe et des affaires étrangères – Représentation permanente de la France à Bruxelles – Pôle Énergie

- M. Bogdan POPESCU, Conseiller ;

- Mme Maud FOUCHER, Conseillère adjointe.

 

Institut Jacques Delors

- M. Thomas PELLERIN-CARLIN, Chef du Jacques Delors Energy Center.

 

Centre de recherche en économie et droit de l'énergie (CREDEN)

- M. Jacques PERCEBOIS, Directeur du CREDEN, Professeur émérite à l’Université de Montpellier, Directeur scientifique à la chaire « Économie du climat » de l’Université Paris-Dauphine.

 

Réseau de transport d’électricité (RTE)

- M. François BROTTES, Président du Directoire ;

- M. Philippe PILLEVESSE, Directeur des Relations Institutionnelles ;

- M. Arthur HENRIOT, Conseiller auprès du Président.

 

REScoop.eu

- Mme Maëlle GUILLOU, Chargée de Coopération Europe et International – Pôle Coopération – Enercoop

- Mme Eugénie BARDIN, Responsable des affaires publiques – pôle Coopération – Enercoop.

 

Parlement européen

- M. Christophe GRUDLER, député (Groupe Renew Europe), membre de la commission de l'industrie, de la recherche et de l'énergie.

Assemblée nationale

- Mme Marjolaine MEYNIER-MILLEFERT, députée de l’Isère, rapporteure de la commission d’enquête : « Énergies renouvelables : quelles priorités pour quelle transition énergétique ? »

 

École de management de Grenoble

- Mme Carine SEBI, économiste, spécialiste du secteur énergie, professeur assistant à Grenoble École de Management


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   tableau récapitulatif des textes européens visant à améliorer l’indépendance énergétique de l’union

 

Pétrole

Gaz

Électricité

Énergies renouvelables

 

2009

Directive sur les stocks de pétrole

 

 

2010

 

Règlement sur la sécurité de l’approvisionnement en gaz naturel

 

 

 

2011

Communication « La politique énergétique de l’UE : s’investir avec des partenaires au-delà de nos frontières »

 

2013

Règlement pour les infrastructures énergétiques transeuropéennes

 

2014

Stratégie européenne pour la sécurité énergétique

Mécanisme pour l’interconnexion en Europe

 

Directive sur le déploiement d’une infrastructure pour carburants alternatifs

 

 

2015

Stratégie pour une Union de l’énergie

 

2016

 

Stratégie pour le gaz naturel liquéfié et le stockage du gaz

 

 

2017

 

Règlement (révisé) sur la sécurité de l’approvisionnement en gaz naturel

 

Décision sur les accords intergouvernementaux dans le domaine de l’énergie

 

 

Alliance européenne de la batterie

 

  

2018

Stratégie « Une planète propre pour tous »

Directive sur l’efficacité énergétique

Directive sur la performance énergétique des bâtiments

 

Règlement sur la préparation aux risques dans le secteur de l’électricité

 

 

Directive relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables

 

2019

 

Règlement sur le marché intérieur de l’électricité

 

 

Directive sur les règles communes pour le marché intérieur de l’électricité

 

 

Règlement sur la préparation aux risques dans le secteur de l’électricité

 

Règlement instituant une Agence de l’Union européenne pour la coopération des régulateurs de l’énergie

 

Actes contraignants

 

Documents d’orientation

 

Financement d’infrastructures

 

Réseau industriel

 

 

 

 


([1]) « La production et les importations d’énergie », Eurostat, Statistics Explained, Juillet 2018, https://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/index.php/Energy_production_and_imports/fr

([2]) Loi n° 2017-1839 du 30 décembre 2017 mettant fin à la recherche ainsi qu'à l'exploitation des hydrocarbures et portant diverses dispositions relatives à l'énergie et à l'environnement

([3]) La production annuelle de pétrole en France est un peu inférieure à un million de tonnes, pour une consommation globale de soixante-dix millions de tonnes. Malgré la baisse importante de la consommation prévue par la loi sur la transition énergétique, la programmation pluriannuelle de l’énergie et la stratégie nationale bas carbone, l’État évalue qu’en 2050 la consommation de pétrole s’élèvera encore à onze millions de tonnes. La production française pourrait donc couvrir 10 % de la demande. (Audition de l’UFIP).

([4]) Commission européenne, DG TREN, Trends to 2030, European Energy and Transport, 2009.

([5]) IHS CERA, octobre 2011.

([6]) « La production et les importations d’énergie », Eurostat, Statistics Explained, Juillet 2018, https://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/index.php/Energy_production_and_imports/fr.

 

([7]) La consommation d'énergie dans les États membres – Toute l’Europe – Thème environnement climat – 31 juillet 2017.

([8]) « La production et les importations d’énergie », Eurostat, Statistics Explained, Juillet 2018, https://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/index.php/Energy_production_and_imports/fr

([9]) La part du gaz russe dans les importations totales de la Bulgarie, de la Slovaquie, de la Roumanie, de la Pologne et de la Hongrie étaient respectivement de 100 %, 100 %, 100 %, 89,5 % et 86,6 % (données 2010, d’après Koranyi et Vatansever, « Lowering the Price of Russian Gas : A Challenge for European Energy Security », Issue Brief, Atlantic Council, 2013, cité dans : Sami Andoura, « La solidarité énergétique en Europe : de l’indépendance à l’interdépendance », Projet « La Solidarité européenne à l’épreuve », Institut Jacques Delors, Études et rapports, juillet 2013).

([10]) Règlement (UE) n°994/2010 du Parlement et de Conseil du 20 octobre 2010 concernant des mesures visant à garantir la sécurité de l’approvisionnement en gaz naturel et abrogeant la directive 2004/67/CE du Conseil.

([11]) Règlement (UE) 2017/1938 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2017 concernant des mesures visant à garantir la sécurité de l'approvisionnement en gaz naturel et abrogeant le règlement (UE) n° 994/2010.

([12]) Communication de la Commission eu Parlement européen, au Conseil européen, au Conseil, au Comité des régions, au Comité économique et social et à la Banque européenne d’investissement - Une planète propre pour tous : Une vision européenne stratégique à long terme pour une économie prospère, moderne, compétitive et neutre pour le climat - COM(2018) 773 final.

([13])  Chiffres fournis par M. Jacques Percebois, Directeur du Centre de recherche en économie et droit de l’énergie (CREDEN) – Audition à l’Assemblée nationale – 4 juillet 2019.

([14])  « Le gaz naturel liquéfié et le stockage du gaz renforceront la sécurité énergétique de l’Union » - Fiche d’information – Commission européenne – 16 février 2016 - http://europa.eu/rapid/press-release_MEMO-16-310_fr.htm 

([15]) Assemblée nationale - Rapport d’information n° 3975 sur la sécurité de l’approvisionnement énergétique – 19 juillet 2016.

([16]) Information fournie lors de l’audition de M. Dominique Ristori, Directeur général- Direction générale de l’énergie – Commission européenne.

([17]) Assemblée nationale – Audition de Mme Aurélie Bros, senior fellow, program on energy - Harvard University – Davis center for Russian and Eurasian studies – 16 mai 2019.

([18]) Directive (UE) 2019/692du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 modifiant la directive 2009/73/CE concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel.

([19]) Directive 2009/73/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel et abrogeant la directive 2003/55/CE.

([20]) Information fournie lors de l’audition de M. François Brottes, Président du directoire de RTE.

([21]) Directive 2009/119/CE du Conseil du 14 septembre 2009 faisant obligation aux États membres de maintenir un niveau minimal de stocks de pétrole brut et/ou de produits pétroliers.

([22]) Règlement (UE) 2017/1938du Parlement et du Conseil du 25 octobre 2017 concernant des mesures visant à garantir la sécurité de l'approvisionnement en gaz naturel et abrogeant le règlement (UE) no 994/2010.

([23]) Décision (UE) 2017/684 du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2017 établissant un mécanisme d'échange d'informations en ce qui concerne les accords intergouvernementaux et les instruments non contraignants conclus entre des États membres et des pays tiers dans le domaine de l'énergie, et abrogeant la décision n° 994/2012/UE.

([24]) Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions sur une stratégie de l'Union pour le gaz naturel liquéfié et le stockage du gaz - COM/2016/049 final.

([25]) Règlement (UE) 2019/941 du 5 juin 2019 sur la préparation aux risques dans le secteur de l'électricité et abrogeant la directive 2005/89/CE.

([26]) Directive (UE) 2018/2002 du 11 décembre 2018 relative à l’efficacité énergétique.

([27]) Directive (UE) 2018/2001 du 11 décembre 2018 relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables.

([28]) Union française de l’électricité, « L’indépendance énergétique de l’Union européenne et le rôle de la France », Note de conjoncture de l’Observatoire de l’Industrie Électrique, 31 mars 2014.

([29]) Recommandation de la Commission du 5.12.2018 relative au rôle international de l’euro dans le domaine de l’énergie - C(2018) 8111 final.

([30]) Propos de Kadri Simson, commissaire européenne à l’énergie, conférence en ligne du 28 mai 2020 organisée par Bruegel.

([31]) Conférence de presse du 28 mai 2020 du vice-président de la Commission européenne chargé du Pacte vert, Frans Timmermans.

([32]) Greener after, Europe Jacques Delors, Pascal Lamy, Geneviève Pons, Agnès Borchers-Gasnier, Pierre Leturcq, mai 2020.

([33]) Directive 2010/31/UE du Parlement européen et du Conseil du 19 mai 2010 sur la performance énergétique des bâtiments.

([34]) Feuille de route sur la révision du règlement de l’Union européenne relatif au réseau transeuropéen d’énergie, publiée le 11 mai 2020.

([35]) Pourcentages indiqués par M. Jacques Percebois, Directeur du Centre de Recherche en Économie et Droit de l'Énergie (CREDEN) – Audition du 4 juillet 2019.

([36]) Pourcentages fournis lors de l’audition de M. Ristori, Directeur général – Direction générale de l’énergie – Commission européenne.

([37]) Bulgarie, République tchèque, Danemark, Estonie, Croatie, Italie, Lituanie, Hongrie, Roumanie, Finlande et Suède.

([38]) « Énergie éolienne et solaire destinée à la production d’électricité: d’importantes mesures doivent être adoptées pour que l’UE puisse atteindre ses objectifs » - Rapport spécial n° 08 – 2019 – Cour des comptes européenne.

([39]) Pologne, Luxembourg, Royaume-Uni, Irlande, France et Pays Bas.

([40]) Lors de l’audition des représentants de l’Association française du gaz, il a été indiqué que les industries gazières prévoyaient d’ici 2050 une injection de 270 milliards de m3 de biométhane et d’hydrogène dans le système européen (à mettre en parallèle avec les 500 milliards de m3 consommés par l’Europe).

([41]) « La France indépendante en gaz en 2050 – Un mix de gaz 100 % renouvelable en 2050 ? » – Étude de faisabilité technico-économique – ADEME – GRDF – GRTgaz – 30 janvier 2018.

([42]) Déclaration des ministres de l’Union européenne de Linz de septembre 2018.

([43]) Paquet, présenté par la Commission européenne en 2016, contenant huit textes législatifs : règlement sur le marché intérieur de l’électricité (refonte) ; directive concernant les règles communes pour le marché intérieur de l’électricité (refonte) ; règlement instituant une Agence de l’Union européenne pour la coopération des régulateurs de l’énergie (refonte) ; règlement sur la gestion des risques dans le secteur de l’électricité (nouveau) ; directive sur l’efficacité énergétique (refonte) ; directive sur la performance énergétique des bâtiments (refonte) ; directive sur les énergies renouvelables (refonte) ; règlement sur la gouvernance de l’Union de l’énergie (nouveau). Tous les textes ont désormais été adoptés.

([44]) Directive (UE) 2018/2001 du 11 décembre 2018 relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables.

([45]) « The potential of energy citizens in the European Union » - CE Delft – Septembre 2016.

([46]) Christian de Perthuis, Le Tic-tac de l’horloge climatique, octobre 2019.

([47]) Règlement (UE) 2018/1999 du 11 décembre 2018 sur la gouvernance de l’union de l’énergie et de l’action pour le climat.

([48]) Autriche : C(2019) 4420 final - Belgique : C(2019) 4401 final – Bulgarie : C(2019) 4402 final – Croatie : C(2019) 4411 final – Chypre : C(2019) 4413 final – République tchèque : C(2019) 4403 final – Danemark : C(2019) 4404 final – Estonie : C(2019 4406 final – Finlande : C(2019) 4426 final – France : C(2019) 4410 final – Allemagne : C(2019) 4405 final – Grèce : C(2019) 4408final – Hongrie : C(2019) 4417 final – Irlande C(2019 4407 final – Italie : C(2019) 4412 final  - Lettonie : C(2019) 4414 final – Lituanie : C(2019) 4415 final – Luxembourg : C(2019) 4416 final – Malte : C(2019) 4418 final – Pays-Bas : C(2019) 4419 final – Pologne : : C(2019) 4421 final – Portugal : C(2019) 4422 final – Roumanie : C(2019) 4423 final – Slovaquie : C(2019) 4425 final – Slovénie : C(2019) 4424 final – Espagne : C(2019) 4409 final – Suède : C(2019) 4427 final – Royaume-Uni : C(2019) 4428 final.

([49]) La Pologne a demandé un délai supplémentaire pour l’atteinte de cet objectif.

([50]) COM (2019) 640 final.

([51]) COM (2020) 80 final.

([52]) Bulletin Quotidien Europe – 16 septembre 2019.

([53]) Communication de la Commission eu Parlement européen, au Conseil européen, au Conseil, au Comité des régions, au Comité économique et social et à la Banque européenne d’investissement - Une planète propre pour tous : Une vision européenne stratégique à long terme pour une économie prospère, moderne, compétitive et neutre pour le climat - COM(2018) 773 final.

([54]) Règlement (UE) 2019/941 du 5 juin 2019 sur la préparation aux risques dans le secteur de l'électricité et abrogeant la directive 2005/89/CE.

([55]) Règlement (UE) n° 1316/2013 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2013 établissant le mécanisme pour l'interconnexion en Europe, modifiant le règlement (UE) n° 913/2010 et abrogeant les règlements (CE) n° 680/2007 et (CE) n° 67/2010.

([56]) « L’union européenne de la transition à la sécurité énergétique ? » - Angélique Palle – La Revue Internationale et Stratégique – N° 113 – Printemps 2019.

([57]) European Network of Transmission System Operators for Electricity (Réseau européen des gestionnaires de réseau de transport d’électricité).

([58]) Propositions issues du policy paper « Greener after » de l’Institut Jacques Delors (mai 2020).