N° 3381

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 30 septembre 2020.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES (1)

sur l'action de l’Union européenne face à la pandémie du COVID-19

ET PRÉSENTÉ

par Mme Sabine Thillaye, présidente,

MM. Bernard Deflesselles et Christophe Jerretie,

Mmes Frédérique Dumas et Liliana Tanguy,

MM. André Chassaigne et Jean-Baptiste Moreau,

Mme Marietta Karamanli et M. Jean Pierre Pont,

M. Pierre –Henri Dumont et Mme Valérie Gomez-Bassac,

M. Pieyre-Alexandre Anglade et Mme Marguerite Desprez-Audebert

Députés

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(1)               La composition de la commission figure au verso de la présente page.


 

La Commission des affaires européennes est composée de : Mme Sabine THILLAYE, présidente ; MM. Pieyre-Alexandre ANGLADE, Jean-Louis BOURLANGES, Bernard DEFLESSELLES, Mme Liliana TANGUY, vice‑présidents ; M. André CHASSAIGNE, Mme Marietta KARAMANLI, M. Christophe NAEGELEN, Mme Danièle OBONO, secrétaires ; MM. Damien ABAD, Patrice ANATO, Mme Aude BONO-VANDORME, MM. Éric BOTHOREL, Vincent BRU, Mmes Fannette CHARVIER, Yolaine de COURSON, Typhanie DEGOIS, Marguerite DEPREZ-AUDEBERT, Coralie DUBOST, Françoise DUMAS, Frédérique DUMAS, MM. Pierre-Henri DUMONT, Alexandre FRESCHI, Mmes Valérie GOMEZ-BASSAC, Carole GRANDJEAN, Christine HENNION, MM. Michel HERBILLON, Alexandre HOLROYD, Mme Caroline JANVIER, M. Christophe JERRETIE, Mme Chantal JOURDAN, M. Jérôme LAMBERT, Mmes Constance Le GRIP, Nicole Le PEIH, MM. Jean-Claude LECLABART, Patrick LOISEAU, David LORION, Thierry MICHELS, Jean-Baptiste MOREAU, Mme Catherine OSSON, MM. Xavier PALUSZKIEWICZ, Damien PICHEREAU, Jean‑Pierre PONT, Didier QUENTIN, Mme Maina SAGE, M. Benoit SIMIAN, Mme Michèle TABAROT

 


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SOMMAIRE

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 Pages

Avant-propos de Mme Sabine Thillaye,  Présidente de la Commission des affaires européennes

communicationS sur « Comment ajuster le cadre financier pluriannuel face au défi de la relance économique ? » et sur « Quelle méthode pour définir et mettre en œuvre au niveau européen des outils financiers propres à faciliter la sortie de crise ? »

Texte de la communication  de MM. Bernard Deflesselles et Christophe Jerretie

Texte de la communication  de Mmes FrÉdÉrique Dumas et Liliana Tanguy

Travaux de la commission

communication sur « Quel soutien de l’Union aux secteurs de l’agriculture et de la pêche face à la pandémie ? »

Texte de la communication  de MM. André Chassaigne et JeanBaptiste Moreau

Travaux de la commission

communication sur « La rÉponse sanitaire europÉenne estelle à la hauteur des enjeux ? »

Texte de la communication de  Mme Marietta Karamanli et M. JeanPierre Pont

Travaux de la commission

communication sur « Le marché intérieur court-il le risque d’un affaiblissement durable ? »

Texte de la communication de  M. Pierre-Henri Dumont et Mme Valérie Gomez-Bassac

Travaux de la commission

communication sur « RÉinventer la solidaritÉ europÉenne face à la crise : bilan et perspectives »

Texte de la communication de M. Pieyre-Alexandre Anglade et Mme Marguerite Deprez-Audebert

Travaux de la commission


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   Avant-propos de Mme Sabine Thillaye,
Présidente de la Commission des affaires européennes

 

L’Union européenne fait face à une crise sanitaire sans précédent qui l’oblige à plus de solidarité et d’actes concrets. Tant par le manque de compétence de l’Union dans le domaine sanitaire que par l’absence de moyens propres d’action de la Commission, la réponse européenne a été insuffisante au début de la crise. Toutefois, à compter du Conseil européen du 26 mars 2020, l’Union a su se mobiliser.

La commission des Affaires européennes a, parmi ses missions, celle d’éclairer la représentation nationale sur chacun des grands débats européens et formuler des propositions le cas échéant. Ainsi dès le mois de mai 2020, elle a constitué, en son sein, des binômes de députés chargés d’évaluer la pertinence des actions européennes face à la crise. À l’issue de leurs travaux, ces binômes ont présenté pendant la première quinzaine de juillet, soit un peu avant le Conseil européen des 17 au 21 juillet, leurs communications rassemblées dans le présent rapport. Il constitue la contribution de la commission des Affaires européennes à l’analyse de la réponse de l’Union européenne à la crise.

Grâce à une analyse approfondie et un travail de qualité sur un large champ de sujets, les députés ont su mettre en relief la solidarité nouvelle entre Européens, née dans des temps difficiles pour apporter une réponse commune à la crise.

Cette solidarité n’a pas été innée : la pandémie du COVID-19 est une crise asymétrique avec des conséquences économiques inégales selon les États. Les pays du sud, dont les économies sont tributaires du tourisme, ont été les plus durement touchés ; les États les moins endettés disposent de moyens plus importants pour relancer leurs économies que ceux disposant de marges de manœuvre budgétaires restreintes.

De ce constat découle le mérite du couple franco-allemand qui a saisi l’importance de dépasser les cadres nationaux pour offrir une réponse à la hauteur de la situation. L’initiative historique du 18 mai 2020 a donné une impulsion nouvelle aux discussions et, par ce plan, l’Allemagne s’est ralliée à l’idée d’un emprunt commun. Le remboursement se fera par le budget de l’Union en fonction des contributions des États et non en fonction de ce que chacun d’entre eux aurait perçu. Le changement de paradigme, il faut le souligner, est considérable.

Cette initiative a inspiré les propositions de la Commission du 20 mai 2020 sur lesquelles le Conseil européen des 17 au 21 juillet est ensuite parvenu à un accord. A été ainsi décidé un plan de relance de 750 milliards d’euros financé de manière inédite par un emprunt directement contracté par la Commission européenne. Comme présenté dans la communication « Quelle méthode pour définir et mettre en œuvre au niveau européen des outils financiers propres à faciliter la sortie de crise ? », cette avancée montre qu’il n’existe pas de fossé infranchissable entre des pays préjugés « prodigues » ou « frugaux », mais simplement différentes façons de concevoir la mise en œuvre des investissements européens et leur contrôle.

Si le saut qualitatif est incontestable, il convient toutefois de considérer avec prudence l’idée que cet accord constituerait pour l’Union une sorte de « moment hamiltonien ». Comme cela a été relevé, il n'y a pas de mutualisation des dettes du passé : l'endettement commun ne servira qu'à financer des dépenses à venir pour soutenir les économies les plus touchées par la pandémie. Le fonds de relance n’a été institué que pour une période transitoire afin de répondre à la situation exceptionnelle générée par la crise sanitaire. En outre, l’accord trouvé au Conseil européen n’est pas sans faiblesse : le mécanisme relatif à l’état de droit n’est pas assez sécurisant, alors même que l’Union prend conscience de la force du collectif. Pourtant sans garantie d’un respect de nos valeurs fondamentales, la confiance se rompt et le partenariat vacille.

La réponse européenne à la crise sanitaire doit être aussi l’occasion d’accélérer la transition écologique et numérique. Des critères de conditionnalité ont été définis afin que les déclinaisons nationales du plan de relance européen favorisent cette transition. Par ailleurs, les nouvelles ressources propres retenues lors du sommet européen de juillet permettront, en même temps qu’elles renforceront la capacité budgétaire de l’Union, d’atteindre au mieux ces objectifs : taxe sur les déchets plastiques non recyclés, mécanisme d’inclusion carbone aux frontières, redevance numérique.

Loin de l’affaiblir, les crises ont toujours permis à la construction européenne de se renforcer et d’aller plus loin dans la voie de l’intégration. Il revient donc aux institutions européennes et aux États membres de se mobiliser pour mettre en œuvre ces mesures ambitieuses. C’est à cette condition que la réponse européenne à la crise sanitaire aura été à l’origine d’un nouveau saut qualitatif dans l’intégration européenne et un moment fondateur pour l’Union du XXIe siècle.

À travers la publication de ce rapport, la commission des affaires européennes souhaite également mettre à disposition des citoyens une analyse globale et pertinente de la réponse européenne à la crise. Ils pourront se saisir des débats qui en découlent et appréhender les décisions futures.

Ces six communications sont notre participation au débat démocratique qui doit succéder à chaque crise, garantissant que la réponse des institutions publiques soit toujours la plus adéquate et s’inscrive dans le respect de nos valeurs fondamentales.

 


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   communicationS sur « Comment ajuster le cadre financier pluriannuel face au défi de la relance économique ? » et sur « Quelle méthode pour définir et mettre en œuvre au niveau européen des outils financiers propres à faciliter la sortie de crise ? »

   Texte de la communication
de MM. Bernard Deflesselles et Christophe Jerretie

La Commission européenne a présenté le 27 mai dernier sa proposition de plan de relance pour l’économie européenne, ainsi qu’une proposition révisée pour le cadre financier pluriannuel (CFP) 2021-2027. Ces deux éléments sont désormais étroitement imbriqués et ne peuvent pas être analysés l’un sans l’autre : outre de nouveaux programmes spécifiques, le plan de relance vient renforcer certains programmes existants du CFP et, inversement, les crédits prévus pour certains programmes dans le CFP « socle » sont diminués, voire supprimés, au profit de nouvelles dépenses prises en charge dans le cadre du plan de relance et concentrées sur les années 2020 à 2024.

I. Un cadre financier pluriannuel désormais indissociable du plan de relance

A.   Une architecture innovante

● La Commission propose de combiner le plan de relance et le cadre financier pluriannuel dans une architecture innovante, dont l’élément central reprend l’initiative franco-allemande qui proposait d’emprunter 500 milliards d’euros sur les marchés au nom de l’Union européenne, afin de soutenir les secteurs et régions les plus touchés à travers les programmes budgétaires de l’Union et dans le respect des priorités européennes, notamment en matière de transitions écologique et numérique et de résilience. La Commission a complété les 500 milliards d’euros de l’initiative franco-allemande par 250 milliards d’euros qui seraient empruntés par l’Union puis prêtés aux États pour leur permettre de bénéficier des conditions d’emprunt avantageuses de l’Union.

Le plan de la Commission prévoit in fine trois modalités de soutien à l’économie différentes : des dépenses budgétaires pour 433 milliards d’euros, des provisionnements de garanties pour 67 milliards d’euros et des prêts aux États pour 250 milliards d’euros.

● Le fait que la Commission emprunte sur les marchés au nom de l’Union ne constitue pas en soi une nouveauté. Elle est déjà habilitée à le faire dans quatre cas : l’assistance financière relevant du mécanisme européen de stabilité, le soutien des balances des paiements pour les pays non membres de la zone euro, l’assistance macrofinancière aux pays tiers et, lorsque tous les États auront apporté leur garantie, le programme SURE ([1]) de soutien temporaire à l’atténuation des risques de chômage en situation d’urgence adopté le mois dernier.

La proposition d’instrument pour la relance se distingue toutefois de ces quatre instruments sur deux aspects :

– premièrement, l’emprunt viendrait abonder le budget de l’Union, alors qu’il ne s’agissait jusqu’à présent que d’emprunter au nom de l’Union pour prêter aux États membres ou à des États tiers, qui remboursaient les montants qu’ils avaient empruntés ;

– deuxièmement, le montant envisagé est sans commune mesure avec les activités d’emprunt conduites jusqu’ici par la Commission. Il s’agirait en effet d’emprunter 500 milliards d’euros d’ici 2024, alors que l’encours actuel est d’environ 50 milliards d’euros. Pour donner un ordre de grandeur du changement d’échelle que cela représente, en 2019, la Commission a émis pour 420 millions d’euros d’emprunts. Avant la mise en place de SURE, elle ne prévoyait d’émettre que 800 millions d’euros en 2020.

Ce changement d’échelle constitue un vrai défi opérationnel pour la Commission européenne, émetteur jusqu’ici peu connu des investisseurs. Elle prévoit d’ailleurs de recruter des spécialistes provenant des administrations nationales. Elle devra en outre emprunter des montants significatifs sur des marchés qui seront parallèlement fortement sollicités par des emprunteurs souverains plus classiques et rodés à des émissions importantes. La France prévoit par exemple d’émettre 260 milliards d’euros de dette en 2020.

● L’architecture innovante de ce plan mérite que l’on s’attarde sur quelques précisions techniques et juridiques.

 Le premier acte juridique du plan de relance consiste à habiliter la Commission à emprunter 750 milliards d’euros sur les marchés au nom de l’Union, par une modification de la décision du Conseil relative au système des ressources propres de l’Union. Ce texte précise en outre la répartition entre prêts et dépenses.

Pour emprunter, la Commission utilisera comme garantie la marge budgétaire, c’est-à-dire l’écart entre le plafond des ressources propres (le montant maximal de ressources pour une année donnée qui peut être appelée auprès des États membres) et le plafond des paiements du budget. Par rapport à sa proposition de 2018 ([2]), la Commission demande une double augmentation du plafond des ressources propres : une augmentation pérenne de 0,11 point pour tenir compte de la diminution du revenu national brut dans l’Union en conséquence de la crise, et une augmentation temporaire de 0,6 point pour couvrir les obligations financières et les passifs éventuels découlant de l’emprunt. Ce relèvement temporaire de 0,6 point ne pourra pas être utilisé pour faire face à d’autres engagements de l’Union que ceux qui découlent de l’emprunt pour l’instrument de relance. Il prendra fin lorsque tous les fonds auront été remboursés et que tous les passifs éventuels liés aux prêts octroyés sur la base de ces fonds seront éteints, soit au plus tard le 31 décembre 2058. Pour le prochain CFP, le plafond des ressources propres serait ainsi porté à 2,06 % du RNB en engagements et 2 % en paiements.

Cette marge de 0,6 % donnerait théoriquement à la Commission un « droit de tirage » sur les États membres d’environ 90 milliards d’euros par an. Il s’agit d’une marge importante, qui ne devrait normalement jamais être utilisée, mais qui est destinée à rassurer les investisseurs et à conserver la notation triple A dont bénéficient les emprunts de l’Union auprès des grandes agences de notation ([3]).

Le recours à la marge budgétaire pour emprunter emporte une conséquence politique importante : c’est par le biais de la modification de la décision sur les ressources propres que le plan de relance devra être ratifié par les parlements nationaux. Cette ratification fait peser une contrainte de calendrier très forte sur l’ensemble du processus, la Commission ne pouvant pas emprunter tant que les 27 pays n’auront pas ratifié la décision sur les ressources propres. Cette ratification, qui prend habituellement un à deux ans pour un CFP « ordinaire », devra donc être menée en quelques mois, voire quelques semaines, pour que la Commission puisse commencer à emprunter début 2021. Elle fait également peser un risque politique supplémentaire sur le plan de relance : même si les gouvernements parviennent à un accord au Conseil, on ne peut pas exclure un rejet ultérieur par un Parlement. C’est un risque qui est pris en compte en amont, notamment, par le gouvernement des Pays-Bas, dont la majorité parlementaire repose sur une coalition de quatre partis.

 La deuxième opération consiste à affecter le montant de l’emprunt aux programmes de l’Union sous forme de recettes affectées externes, à travers l’instrument de l’Union européenne pour la relance, créé sur la base de l’article 122 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), qui habilite le Conseil à décider, dans un esprit de solidarité entre les États membres, des mesures appropriées à la situation économique.

Les recettes affectées externes, dont font partie par exemple les contributions de pays tiers à des activités de l’Union, ne font pas partie stricto sensu du budget. De même, les dépenses de l’instrument de relance sont temporaires et distinctes de celles du budget annuel ; cela permet, de fait, au budget européen d’emprunter tout en respectant la règle d’équilibre fixée à l’article 310 du TFUE.

 Le budget européen remboursera les emprunts à partir de 2028 et au plus tard jusqu’en 2058, ce qui permet de lisser les remboursements annuels sur une longue période pour étaler le coût de la crise et de bénéficier des conditions de financement exceptionnelles actuelles. Sur le CFP 2021-2027, seuls les intérêts seront payés, pour un montant estimé par la Commission à 17,4 milliards d’euros.

● Enfin, pour compléter ce panorama d’ensemble, la Commission propose un rehaussement du CFP 2014-2020 et un budget rectificatif pour 2020 à hauteur de 11,5 milliards d’euros en engagements pour anticiper le programme ReactEU (5 milliards d’euros), provisionner l’instrument de soutien à la solvabilité (5,5 milliards d’euros) et augmenter les moyens du Fonds européen pour le développement durable (1 milliard d’euros). Cette proposition est très contestée par les pays du nord de l’Europe, y compris l’Allemagne.

B.   Un fonds de relance ventilé entre programmes nouveaux et programmes existants du cadre financier pluriannuel

● Sur les 750 milliards d’euros empruntés dans le cadre de l’instrument de relance, 560 milliards – 310 en dépenses et 250 en prêts – sont destinés à financer une facilité pour la reprise et la résilience. Dans le cadre de ce dispositif, les États présenteront, en annexe au programme national de réforme prévu dans le cadre du semestre européen, un plan pour la reprise et la résilience exposant leurs programmes de réforme et d’investissement, pour les quatre années à venir. Pour bénéficier des financements de la facilité, les réformes et investissements envisagés devront permettre de relever les défis recensés dans le cadre du semestre européen, en particulier ceux liés aux transitions écologique et numérique, mais aussi plus globalement de renforcer le potentiel de croissance, la résilience et la cohésion de l’État membre concerné.

Si le budget du plan national est supérieur au montant maximal de l’aide que chaque État peut recevoir au titre de la facilité, l’État pourra solliciter un prêt pour le complément, à concurrence de 4,7 % de son revenu national brut. Le débat public s’est jusqu’ici focalisé sur le volet dépenses. Cette possibilité de prêt a été peu évoquée, alors qu’elle peut s’avérer financièrement intéressante, en complément des dépenses du budget, pour certains pays, avec toutefois le risque d’accroître un endettement public déjà élevé. Selon une étude publiée par Bruegel ([4]), par rapport à l’émission d’obligations nationales, les prêts aux États prévus dans le cadre de la facilité pourraient par exemple permettre à l’Italie une économie supérieure à 1,3 % du PIB. Ils seraient également intéressants pour des pays comme Chypre, la Grèce, Malte, l’Espagne, le Portugal ou la Slovénie. L’économie devrait en revanche être négligeable pour la France. L’Allemagne, le Danemark, le Luxembourg ou l’Autriche devraient quant à eux bénéficier de financements plus intéressants par l’émission de titres nationaux.

● Les 190 milliards d’euros restant en plus de la facilité pour la reprise et la résilience permettent de créer de nouveaux programmes européens ou d’abonder des programmes existants. On peut relever en particulier :

– 50 milliards d’euros pour l’instrument ReactEU, destiné au soutien à la reprise en faveur de la cohésion et des territoires. Il fonctionnerait sur le principe des fonds structurels, mais avec une clé d’allocation adaptée à la crise ;

– 30 milliards d’euros supplémentaires pour le Fonds de transition juste, destiné à aider les régions qui font face à une transition écologique difficile à investir. Il atteindrait 40 milliards d’euros au total. Les rapporteurs estiment que cette très forte augmentation doit permettre d’ouvrir le soutien du Fonds à davantage de régions, plutôt que de seulement renforcer le soutien aux régions déjà éligibles au fonds initial, d’un montant beaucoup plus limité ;

– 15 milliards d’euros pour le deuxième pilier de la PAC ;

– 13,5 milliards d’euros pour Horizon Europe, le programme-cadre de l’Union pour la recherche et l’innovation ;

– 7,7 milliards d’euros pour la création d’un nouveau programme pour la santé pour investir dans les systèmes sanitaires européens dans le but de renforcer la sécurité sanitaire et la capacité de réaction aux crises, mais aussi la prévention et la surveillance des maladies.

Le mécanisme de protection civile et l’aide humanitaire bénéficieraient également d’un abondement du plan de relance.

Enfin, la Commission propose d’abonder, grâce au plan de relance, des garanties inspirées du plan Juncker pour soutenir l’investissement privé. Le programme InvestEU, successeur du plan Juncker, serait resserré sur quatre ans et verrait son montant passer de 13 à 31,6 milliards d’euros. Il ne serait plus financé qu’à hauteur de 1,3 milliard d’euros par le CFP, mais serait abondé de 30,3 milliards d’euros par l’instrument de relance. Avec un provisionnement de garantie à hauteur de 45 %, le fonds InvestEU permettrait d’allouer 75 milliards d’euros de garantie, à travers cinq volets :

– Infrastructures durables : 20 milliards d’euros

– Recherche, innovation et numérisation : 10 milliards d’euros

– PME : 10 milliards d’euros

– Investissements sociaux et compétences : 3,6 milliards d’euros

– Investissements stratégiques européens : 31 milliards d’euros.

L’augmentation proposée par la Commission permettrait le doublement des garanties apportées au volet « infrastructures durables » du fonds InvestEU et la création d’un nouveau volet pour le soutien aux investissements stratégiques. Le volet des investissements stratégiques soutiendra les entreprises exerçant dans l’Union une activité qui revêt une importance stratégique pour celle-ci, dans un certain nombre de domaines énumérés par la proposition de règlement. La Commission estime que le fonds InvestEU permettra de mobiliser plus de 1 000 milliards d’euros d’investissements supplémentaires dans l’Union, dont 150 milliards d’euros pour la facilité d’investissement stratégique.

Parallèlement un nouvel instrument de soutien à la solvabilité est doté de 26 milliards d’euros sur le prochain CFP en provisionnement de garanties. Il est destiné à permettre, par des intermédiaires, d’entrer dans le capital d’entreprises viables mais fragilisées par la crise, de manière à ce qu’elles ne deviennent pas des proies. La Commission espère ainsi pouvoir mobiliser 300 milliards d’euros d’investissement.

L’articulation entre l’instrument de soutien à la solvabilité et le soutien aux investissements stratégiques fait débat entre les États membres et la Commission, la préoccupation des États membres étant que les outils soient réellement complémentaires et ne se chevauchent pas.

C.   La nouvelle proposition de cadre financier pluriannuel pour 2021-2027

Parallèlement à sa proposition d’instrument de relance, la Commission ajuste sa proposition de cadre financier pluriannuel, en repartant, dans l’ensemble, de la situation dans laquelle la négociation avait été suspendue en février. Elle maintient inchangés l’objectif consistant à consacrer au moins 25 % des dépenses à la lutte contre le changement climatique, ainsi que la proposition sur la protection du budget de l’Union en cas de défaillances généralisées de l’État de droit.

Le montant global proposé, 1 100 milliards d’euros, est proche de celui discuté au Conseil en février et en retrait de 35 milliards d’euros par rapport à la proposition de la Commission de 2018. La réduction des marges et le financement par l’instrument de relance de la facilité pour la résilience et la relance, ainsi que d’une partie d’InvestEU, permettent de renforcer les moyens de plusieurs programmes par rapport à la proposition de février, en particulier Europe Numérique, le mécanisme d’interconnexion en Europe, le programme marché unique, Erasmus +, les fonds « asile et migration » et gestion intégrée des frontières, le Fonds européen de défense et l’instrument de préadhésion.

Concernant la politique agricole commune (PAC), la nouvelle proposition de la Commission ajoute 4 milliards d’euros par rapport à la proposition de février et 9 par rapport à sa proposition de 2018. Sans compter les 15 milliards d’euros du plan de relance pour le deuxième pilier, son montant serait porté à 333 milliards d’euros. Le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP) bénéficierait pour sa part de 500 millions d’euros supplémentaires, à 5,9 milliards d’euros.

La politique de cohésion resterait au niveau proposé par Charles Michel en février, à 323 milliards d’euros, auxquels il faut toutefois ajouter les 50 milliards d’euros du programme ReactEU grâce à l’instrument de relance.

● Pour rendre le budget européen plus flexible, la Commission avait proposé en 2018 d’augmenter la flexibilité dans et entre les programmes et de créer une « réserve de l’Union » à partir des marges disponibles de l’exercice précédent et des fonds engagés mais non dépensés pour renforcer la flexibilité entre les rubriques et entre les exercices ([5]). Elle complète cette proposition par celle d’une augmentation de 21 milliards d’euros (par rapport à sa proposition du 2 mai 2018) des instruments de flexibilité hors plafonds :

– la réserve de solidarité et d’aide d’urgence serait portée à 3 milliards d’euros par an ;

– le fonds de solidarité de l’Union européenne à 1 milliard d’euros par an ;

– le fonds européen d’ajustement à la mondialisation à 386 millions d’euros par an.

● Sur les recettes destinées à financer le CFP et, à partir de 2028, le remboursement des emprunts, la Commission reste prudente et laisse les États négocier par eux-mêmes.

La perspective de dégager une recette de la mise en place de l’ACCIS ayant été abandonnée, deux hypothèses restent sur la table à ce stade pour alimenter le cadre financier pluriannuel : une contribution proportionnelle au poids de déchets d’emballages plastiques non recyclés produits dans chaque pays et l’allocation au budget européen d’une partie des recettes des enchères des permis d’émission de CO2. Ce seraient a priori les seules à pouvoir encore techniquement être mises en œuvre en 2021.

Ces recettes seraient cohérentes avec les objectifs du budget de l’Union en matière de transition écologique, mais conduisent à modifier les équilibres des contributions nationales au budget européen, ce qui suscite l’opposition de certains États membres, notamment d’Europe de l’est, mais pas uniquement. L’Allemagne est ainsi opposée à la ressource fondée sur les quotas d’émission. Il n’est pas inutile de rappeler que ces deux ressources ne constitueraient pas réellement de « l’argent frais » pour le budget européen permettant d’alléger la charge sur les budgets nationaux, mais des transferts des budgets nationaux vers le budget européen selon une clé différente de la contribution reposant sur le revenu national brut. Les budgets nationaux perçoivent en effet aujourd’hui l’intégralité des recettes des enchères des permis d’émission et la ressource sur les plastiques constituerait en fait une modulation de la contribution nationale en fonction du taux de recyclage des plastiques dans chaque État.

C’est d’ailleurs principalement sur le volet des recettes que les négociations avaient échoué en février, à la fois sur la possibilité de créer de nouvelles ressources pour le budget européen, certains s’y opposant par principe pour privilégier la baisse des dépenses, et sur la question de la suppression des rabais dont cinq pays bénéficient actuellement (Allemagne, Pays-Bas, Suède, Autriche et Danemark). De nombreux pays, dont la France, ont défendu leur suppression. La Commission proposait pour sa part une extinction en sifflet, mais leurs bénéficiaires les défendent ardemment pour limiter l’augmentation de leur contribution nationale.

● L’évolution du prélèvement sur recettes au profit de l’Union européenne lors du prochain CFP dépendra de l’issue de la négociation et de l’exécution du budget, particulièrement en début de période. Il devrait toutefois connaître une augmentation significative, pour atteindre un montant autour de 26 milliards d’euros. La contribution nette de la France devrait également augmenter : elle pourrait passer de 7 à 10 milliards d’euros par an. L’augmentation pourrait être beaucoup plus forte pour l’Allemagne, dont le solde pourrait passer de 16 à 28 milliards d’euros par an.

Si l’emprunt du fonds de relance est remboursé selon le calendrier proposé par la Commission, il n’aura pas d’impact direct sur le montant de la contribution de la France au budget européen sur la période 2021‑2027. De plus, la France recevra des aides du budget européen qui, pour partie au moins, pourront se substituer à des dépenses du budget national. Pour la suite, si le remboursement était étalé sur 30 ans, la France aurait à rembourser de l’ordre de 3 milliards d’euros par an.

D.   Un calendrier serré

Un accord en juillet sur le plan de relance est doublement indispensable. Économiquement, un retard par rapport aux enjeux de la reprise risquerait de faire manquer l’objectif du plan de relance. Politiquement, un échec enverrait le mauvais signal que l’Union n’est pas capable de se mettre d’accord sur un cadre ambitieux.

En quelques semaines, les positions ont évolué : la nécessité d’une initiative européenne et le principe d’un endettement en commun font désormais l’objet d’un consensus. Même l’idée d’une part de transferts budgétaires a fait son chemin : il ne semble plus guère y avoir d’oppositions de principes, mais une négociation sur le curseur.

Les sujets de divergence restent cependant nombreux.

L’Autriche, les Pays-Bas, la Suède et le Danemark restent stricts sur le niveau des dépenses du cadre financier pluriannuel, avec le soutien de la Finlande, et intransigeants sur le maintien de leurs rabais, tout comme l’Allemagne. Sur le plan de relance, ils demandent la limitation de sa durée, la justification précise des montants envisagés, un lien étroit entre soutien financier et réformes et la réduction au strict minimum de la part des dépenses budgétaires. Il conviendra de trouver le bon équilibre concernant l’articulation entre réformes et investissements. Sans aller jusqu’à des conditionnalités trop strictes qui ressembleraient à un programme d’ajustement macroéconomique, il est nécessaire que le fonds de relance soit utilisé pour inciter les États membres, en particulier l’Italie, à mettre en œuvre les réformes dont ils ont besoin pour renforcer leur croissance potentielle.

Les pays d’Europe de l’est, qui sont loin d’être unis sur le sujet, sont globalement surtout attentifs aux critères de répartition du fonds de relance.

Sur le cadre financier pluriannuel proprement dit, la négociation porte sur les revendications classiques des pays qui défendent la PAC, la politique de cohésion et quelques lignes spécifiques. Avec les fonds supplémentaires de l’instrument de relance, les négociations sur les dépenses devraient toutefois être moins serrées qu’en février.

II.   Les points d’attention des rapporteurs

A.   Quelques améliorations encore nécessaires pour le CFP

Même si les évolutions proposées par la Commission sur le CFP vont globalement dans le bon sens, des améliorations sont encore nécessaires sur certaines lignes. Il faut toutefois être bien conscients du fait que les marges de manœuvre sur le montant global des dépenses sont réduites : les pays favorables à une limitation des dépenses du budget européen pourront difficilement accepter à la fois le plan de relance et une augmentation des dépenses du cadre financier pluriannuel « de base ». Les contributions nationales vont en outre connaître un ressaut mécanique en raison du Brexit et de la diminution des autres ressources du budget européen (droits de douane et TVA), alors même que les budgets nationaux sont fortement dégradés. La négociation sur les dépenses du prochain CFP sera probablement désormais un jeu à somme nulle.

Malgré le pas réalisé par la Commission dans la bonne direction, les rapporteurs estiment qu’un effort supplémentaire est nécessaire sur le premier pilier de la PAC, qui connaîtrait toujours une baisse significative par rapport au cadre financier pluriannuel 2014‑2020. Il serait incompréhensible que les agriculteurs soient pénalisés alors qu’il leur est demandé des efforts supplémentaires en matière de transition écologique et de sécurité sanitaire, et que l’importance des enjeux de souveraineté alimentaire a été mise en évidence par la crise que nous venons de traverser.

La proposition de la Commission est également un peu décevante pour ce qui concerne l’espace. À 13,4 milliards d’euros, les crédits prévus seraient certes supérieurs à ceux du CFP actuel, mais l’ambition serait réduite d’un milliard d’euros par rapport à la proposition initiale de la Commission, alors que la gestion de grandes infrastructures comme Galileo (navigation par satellite) et Copernicus (observation de la terre) absorbe la majeure partie du budget. Les enjeux de compétition internationale sont forts, notamment vis-à-vis des États-Unis, de la Russie, de l’Inde ou de la Chine, avec également une participation croissante du secteur privé ; l’Europe ne peut pas rester en retrait dans ce secteur stratégique. On connait en outre la capacité du secteur à permettre le déploiement de nouveaux services qui bénéficient ensuite à tous les citoyens et toutes les entreprises de l’UE.

Enfin, les rapporteurs déplorent que le Fonds européen de défense ait servi de variable d’ajustement depuis le début des négociations. Même si la Commission ajoute un milliard d’euros par rapport à la boîte de négociation proposée par Charles Michel en février, nous sommes, avec 8 milliards d’euros, encore loin de l’ambition initiale de la Commission (11,5 milliards) pour mettre en place les moyens nécessaires au renforcement de l’autonomie stratégique de l’Union et à la stimulation de la capacité d’innovation de l’industrie de défense. C’est d’autant plus regrettable que, parallèlement, le budget prévu pour la mobilité militaire, destiné à s’assurer que les infrastructures de transport d’importance stratégique soient adaptées aux nécessités de la mobilité militaire, est presque divisé par quatre par rapport à la proposition initiale de la Commission.

B.   Un travail à poursuivre sur les ressources propres

Beaucoup de travail reste à accomplir sur les ressources propres du budget de l’Union, tant à court terme pour le financement du CFP 2021‑2027 qu’à moyen terme pour le remboursement de l’emprunt du plan de relance.

Comme nous l’avons déjà dit, il sera sans doute difficile d’obtenir la suppression totale des rabais. La Commission elle-même a assoupli sa position en envisageant une diminution progressive sur une durée plus longue que les 5 ans initialement prévus afin d’éviter des augmentations disproportionnées des contributions de certains États. Elle n’a toutefois pas proposé de nouveaux calendrier. Il faudra donc essayer au cours de la négociation de réduire les rabais au maximum et de mettre en place les nouvelles ressources propres les plus ambitieuses possible.

Outre les ressources déjà évoquées pour compléter le financement du cadre financier pluriannuel, la Commission évoque dans sa communication du 27 mai dernier sur le budget de l’Union plusieurs pistes de nouvelles ressources, dont elle estime que, si elles étaient introduites d’ici à 2024, elles permettraient de diminuer les contributions nationales, en proportion du PIB, par rapport à 2020. Elles pourraient ensuite contribuer à financer le remboursement des financements levés sur les marchés au titre de Next Generation EU. Cette perspective paraît toutefois extrêmement optimiste compte tenu de la difficulté de progresser au Conseil sur les questions fiscales. Certains pays sont opposés par principe à de nouvelles ressources propres. C’est par exemple l’un des arguments invoqués par le parlement suédois à l’appui de son avis motivé jugeant la décision sur les ressources propres contraire au principe de subsidiarité. La Hongrie privilégie également autant que possible la contribution sur le RNB, jugée plus proportionnée à la richesse des pays.

Les nouvelles pistes évoquées par la Commission sont en outre très peu détaillées. La Commission table sur une proposition en 2021 et un accord en 2024 pour financer les amortissements de l’emprunt à partir de 2028. Les pistes évoquées consistent en :

– un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières qui pourrait générer entre 5 et 14 milliards d’euros, mais dont la mise en œuvre technique est d’une grande complexité, quand bien même un accord politique serait trouvé rapidement ;

– d’un « impôt sur le numérique », s’appuyant le cas échéant sur les travaux de l’OCDE, qui pourrait générer jusqu’à 1,3 milliard d’euros par an, mais il faut garder à l’esprit que le Conseil avait échoué à s’entendre sur le sujet en 2018 et que les discussions à l’OCDE sont freinées par la pandémie et les élections américaines. Elles ne pourraient aboutir, au plus tôt, qu’à l’été 2021 ;

– d’une taxe liée au marché unique pour les grandes entreprises, qui pourrait générer 10 milliards d’euros par an. Là encore, les contours de cette proposition ne sont pas précisés et elle se heurte au refus de nombreux gouvernements d’augmenter la pression fiscale sur les entreprises européennes.

C.   Des critères de répartition du fonds de relance à Adapter

Outre la question de principe des transferts budgétaires, les modalités de répartition des crédits des programmes alimentés par le plan de relance constituent évidemment un des points les plus sensibles de la négociation.

Il faut accueillir avec circonspection les répartitions par États qui ont circulé dans la presse. Il n’y a pas une clé d’allocation unique que l’on pourrait appliquer au montant total de 500 milliards d’euros, mais des règles de répartition propres à chaque programme. Or, si la Commission a donné une répartition précise par État pour le plus important, la facilité pour la reprise et la résilience, et le fonds pour une transition juste, elle n’a fourni qu’une méthodologie détaillée mais complexe pour ReactEU et des principes généraux pour InvestEU et l’instrument de soutien à la solvabilité, pour lesquels il est toutefois précisé qu’il n’y a pas de quota géographique. L’idée même de répartition géographique ferait peu sens pour les programmes Santé, RescEU, Horizon Europe, et encore moins pour ceux qui se rattachent à l’action internationale.

Ces précautions méthodologiques étant énoncées, les répartitions indiquées et les extrapolations pouvant être faites indiquent des transferts significatifs vers les pays du sud et de l’est.

Selon une étude publiée par Bruegel ([6]), les propositions de la Commission contiennent des éléments forts de redistribution envers les pays les plus touchés par la crise du COVID‑19 (en se fondant sur la révision des prévisions de croissance pour 2020 entre les prévisions de la Commission de l’automne 2019 et du printemps 2020) et envers les pays ayant le PIB par habitant le plus faible. Les principaux bénéficiaires des subventions seraient, en valeur absolue, l’Italie, l’Espagne, la France, la Pologne et l’Allemagne et, en proportion de leur PIB, la Bulgarie, la Croatie, la Grèce, la Lettonie et la Roumanie. Le cas de la France fournit l’illustration du transfert opéré des pays les plus riches vers les pays les plus pauvres : à baisse de PIB comparable, la France bénéficierait de subventions et garanties à hauteur de 2 % de son PIB, contre 7 % pour la Hongrie, et environ 10 % pour la Roumanie et la Lettonie.

Si le résultat final ne paraît pas incohérent avec le souci de soutenir les secteurs et régions les plus touchés par la crise économique, on peut s’étonner des critères utilisés pour parvenir à ce résultat, en particulier en ce qui concerne la facilité pour la reprise et la résilience. La clé d’allocation de cet instrument repose en effet sur la population en 2019, l’inverse du PIB par habitant en 2019 et le taux de chômage moyen entre 2015 et 2019. Elle ne permet en aucune manière de tenir compte des effets de la crise économique, mais repose plutôt sur la capacité de rebond des différentes économies. Pour justifier son choix, la Commission insiste sur le fait que l’on ne sait pas quels pays seront les plus touchés par la crise et que nous avons un niveau d’incertitude sans précédent sur les prévisions économiques. La crise économique n’en est qu’à ses débuts et ses effets peuvent se faire sentir, dans certains pays, davantage en 2020 et dans d’autres davantage en 2021. Les pays les plus touchés par la crise sanitaire ne seront pas nécessairement les plus touchés par la crise économique. Les pays de l’est, par exemple, n’ont pas connu la crise sanitaire la plus dramatique, mais cela ne signifie pas que leurs économies ne seront pas durement touchées dans les mois et années à venir.

Les rapporteurs estiment qu’il serait toutefois pertinent de rechercher des critères d’allocation plus dynamiques, qui permettent de prendre en compte les pertes de PIB observées en 2020 et 2021.

D.   Des spécificités de la zone euro insuffisamment prises en compte

Les rapporteurs regrettent que le plan de relance ne prenne pas en compte les enjeux spécifiques de la zone euro, où la coordination des politiques économiques revêt une importance particulière compte tenu de la dissociation entre des politiques budgétaires nationales et une politique monétaire européenne.

Certes, en luttant contre la fragmentation au sein de l’Union, le plan de relance favorise de fait la convergence au sein de la zone euro. De même, la prise en compte des recommandations spécifiques par pays émises dans le cadre du semestre européen conduit, par capillarité, à prendre en compte la recommandation pour la zone euro.

Cependant, non seulement la dimension « zone euro » n’apparaît dans le plan de relance, ni du point de vue de la gouvernance ni de celui des enjeux à prendre en compte, mais la création de la facilité pour la reprise et la résilience s’accompagne du retrait des propositions de la Commission de 2018 sur le programme d’appui aux réformes et l’instrument budgétaire de convergence et de compétitivité (BICC) de la zone euro. Même si ce dernier pouvait être critiqué pour son manque d’ambition et l’absence de fonction de stabilisation en cas de choc asymétrique, il permettait d’ancrer dans la législation européenne une capacité budgétaire permanente et propre à la zone euro. La facilité pour la reprise et la résilience est beaucoup plus puissante financièrement, mais elle est temporaire, les fonds étant à la disposition des États jusqu’au 31 décembre 2024, et n’est pas spécifique à la zone euro.

 

CONCLUSION

Charles Michel a annoncé la convocation d’un Conseil européen extraordinaire les 17 et 18 juillet. Un accord à cette date ou, au plus tard, à la fin du mois de juillet est primordial pour que les outils européens de relance puissent être mis en place avant que le tissu économique européen ait subi des dommages irrémédiables. Il constituerait un signal fort de solidarité et de responsabilité des chefs d’État et de gouvernement après que la commission ait, il faut le souligner, pris ses responsabilités en présentant un plan ambitieux.


ANNEXES

évolutions proposées pour le cadre financier pluriannuel 2021-2027

(en millions d’euros 2018)

 

CFP 2014-2020 (à 27)

Proposition Commission 2018

Proposition Conseil 2020

Proposition Commission 2020

Next Generation EU
(2021-2024)

Total CFP + Next Generation EU

I. Marché unique, innovation et numérique, dont :

116 361

166 303

149 502

140 656

69 800

210 456

Horizon Europe

64 674

86 596

80 900

80 900

13 500

94 400

Fonds InvestEU

3 968

13 065

11 300

1 300

30 300

31 600

Mécanisme pour linterconnexion en Europe - Transports

12 393

11 384

11 384

12 884

 

12 884

Mécanisme pour linterconnexion en Europe - Énergie

4 185

7 675

5 180

5 180

 

5 180

Mécanisme pour linterconnexion en Europe - Technologie numérique

1 001

2 662

1 832

1 832

 

1 832

Programme pour une Europe numérique

172

8 192

6 761

8 194

 

8 194

Autres (dont instrument de soutien à la solvabilité)

9 097

177

122

146

26 000

26 146

Programme du marché unique (dont COSME)

3 547

5 404

2 501

3 735

 

3 735

Programme spatial européen

11 308

14 196

13 202

13 196

 

13 196

II. Cohésion et valeurs, dont :

387 250

391 974

380 056

374 460

610 000

984 460

Fonds européen de développement régional

196 564

200 622

196 881

196 892

 

196 892

Fonds de cohésion

75 848

41 374

40 700

40 682

 

40 682

REACT-EU

 

 

 

 

50 000

50 000

Programme d’appui à la réforme

185

22 181

19 181

 

 

 

Facilité pour la reprise et la résilience (y compris instrument pour le soutien technique)

 

 

 

767

560 000

560 767

Coûts de financement de Next Generation EU

 

 

 

17 400

 

17 400

Fonds social européen +

96 216

89 688

86 650

86 284

 

86 284

Erasmus+

13 699

26 368

21 208

24 600

 

24 600

Europe créative

1 403

1 642

1 318

1 520

 

1 520

III. Ressources naturelles et environnement, dont :

 399 608

 336 623

 354 082

 357 032

 45 000

 402 032

Fonds européen agricole de garantie (FEAGA)

 286 143

 254 247

 256 747

 258 251

 

 258 251

Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader)

 96 712

 70 037

 72 537

 75 013

 15 000

 90 013

Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP)

 6 243

 5 448

 5 430

 5 930

 

 5 930

Programme en faveur de l’environnement et de l’action pour le climat (LIFE)

 3 221

 4 828

 4 812

 4 812

 

 4 812

Fonds pour une transition juste

 

 

 7 500

 10 000

 30 000

 40 000

IV. Migration et gestion des frontières, dont :

 10 051

 30 829

 21 890

 31 122

 

 31 122

Migration

 7 180

 9 972

 9 155

 12 084

 

 12 084

Gestion des frontières

 5 492

 18 824

 11 545

 17 675

 

 17 675

V. Sécurité et défense, dont :

 1 964

 24 323

 14 290

 19 423

 9 700

 29 123

Fonds européen de la défense

 575

 11 453

 7 014

 8 000

 

 8 000

Mobilité militaire

 

 5 767

 1 500

 1 500

 

 1 500

Mécanisme de protection civile de l’Union (rescEU)

 560

 1 242

 977

 1 106

 2 000

 3 106

Programme santé

 

 

 

 1 670

 7 700

 9 370

VI. Voisinage et le monde, dont :

 96 296

 108 929

 101 905

 102 705

 15 500

 118 205

Instrument de voisinage, de développement et de coopération internationale

 71 767

 79 216

 75 646

 75 492

 10 500

 85 992

Aide humanitaire

 9 906

 9 760

 9 760

 9 760

 5 000

 14 760

Politique étrangère et de sécurité commune (PESC)

 2 101

 2 649

 2 375

 2 375

 

 2 375

Aide de préadhésion

 13 010

 12 865

 11 365

 12 865

 

 12 865

VII. Administration publique européenne

 70 791

 75 602

 73 102

 74 602

 

 74 602

TOTAL

 1 082 321

 1 134 583

 1 094 827

 1 100 000

 750 000

 1 850 000

Sources : secrétariat de la commission des budgets du Parlement européen, A preliminary analysis of President Michels figures, 18 février 2020, communications de la Commission européenne du 2 mai 2018 [COM(2018) 321 final] et du 27 mai 2020 [COM(2020) 442 final] et projet de conclusions élaboré par le président du Conseil européen le 14 février 2020.


Estimation de l’allocation par État membre des subventions et garanties de Next Generation EU et du projet de budget rectificatif pour 2020

 

Subventions

Garanties

milliards €

% du total

% du PIB 2021

milliards €

% du total

% du PIB 2021

Autriche

4,8

1,1 %

1,3 %

1

1,63 %

0,26 %

Belgique

7,6

1,7 %

1,6 %

1,9

3,09 %

0,41 %

Bulgarie

9,3

2,2 %

16,0 %

0,05

0,08 %

0,08 %

Croatie

7,5

1,7 %

15,4 %

0,24

0,39 %

0,49 %

Chypre

1,5

0,3 %

7,6 %

0,1

0,16 %

0,51 %

Rép. tchèque

8,9

2,1 %

4,7 %

0,24

0,39 %

0,13 %

Danemark

2,8

0,6 %

0,9 %

0,35

0,58 %

0,12 %

Estonie

1,9

0,4 %

7,2 %

0,01

0,01 %

0,03 %

Finlande

3,9

0,9 %

1,7 %

0,79

1,28 %

0,35 %

France

43,2

10,0 %

1,8 %

13,11

21,29 %

0,56 %

Allemagne

33,8

7,8 %

1,0 %

9,29

15,09 %

0,27 %

Grèce

23,2

5,4 %

13,5 %

2,31

3,76 %

1,35 %

Hongrie

8,5

2,0 %

6,7 %

0,35

0,58 %

0,28 %

Irlande

2,4

0,5 %

0,9 %

0,99

1,61 %

0,39 %

Italie

85,9

19,8 %

5,2 %

18,25

29,63 %

1,10 %

Lettonie

2,9

0,7 %

9,9 %

0,04

0,06 %

0,13 %

Lituanie

3,9

0,9 %

8,6 %

0,06

0,10 %

0,14 %

Luxembourg

0,3

0,1 %

0,7 %

0,03

0,05 %

0,08 %

Malte

0,4

0,1 %

3,2 %

0,01

0,02 %

0,11 %

Pays-Bas

8,8

2,0 %

1,2 %

1,6

2,60 %

0,21 %

Pologne

38,2

8,8 %

8,1 %

0,38

0,62 %

0,08 %

Portugal

16

3,7 %

8,1 %

0,98

1,59 %

0,50 %

Roumanie

20,1

4,7 %

9,6 %

0,31

0,50 %

0,15 %

Slovaquie

8,1

1,9 %

9,0 %

0,15

0,24 %

0,17 %

Slovénie

2,7

0,6 %

5,9 %

0,12

0,19 %

0,26 %

Espagne

80,9

18,7 %

7,0 %

8,01

13,00 %

0,69 %

Suède

5,5

1,3 %

1,2 %

0,9

1,46 %

0,20 %

Total

433

100,0%

 

61,59

100,00%

 

Source : Darvas, Z., The EU’s recovery fund proposals : crisis relief with massive redistribution, Bruegel Blog, 17 juin 2020, https://www.bruegel.org/2020/06/the-eus-recovery-fund-proposals-crisis-relief-with-massive-redistribution/


LISTE DES ENTRETIENS CONDUITS PAR LES RAPPORTEURS

 

 

M. Philippe Léglise-Costa, Ambassadeur, Représentant permanent de la France auprès de l’Union européenne

 

M. Alexandre Baclet, sous-directeur des affaires européennes à la Direction générale du Trésor

 

Cabinet de la secrétaire d’État aux affaires européennes : M. Rémy Slove et Mme Héléna Robyn


—  1  —

   Texte de la communication
de
Mmes FrÉdÉrique Dumas et Liliana Tanguy

Le Bureau de la commission des affaires européenne a confié aux rapporteures la mission de réfléchir à la méthode pour définir et mettre en œuvre, au niveau européen, des outils financiers propres à faciliter la sortie de crise et la relance. Pour ce faire, elles ont, faute de pouvoir se déplacer en Europe, interrogé les ambassadeurs d’un panel de pays membres de l’Union. Ces entretiens ont eu lieu à plusieurs reprises et, dès que cela a été possible, en face à face, avec les représentants des pays a priori les plus réservés vis-à-vis de la démarche du plan de relance (Pays-Bas et Autriche), et avec l’ambassadeur d’Allemagne, dont le pays assure depuis le 1er juillet la présidence du Conseil de l’Union européenne et joue un rôle pivot tant en raison de son poids politique et économique, que des évolutions qu’il a su assumer en présentant, le 18 mai, une initiative conjointe avec la France pour un plan de relance reposant sur un endettement commun finançant des dépenses des programmes européens.

Il ressort de ces entretiens que, au-delà des signaux négatifs qui ont pu être envoyés par une certaine désunion européenne au début de la crise, il existe aujourd’hui clairement une conscience partagée de la gravité de la crise et de l’impossibilité pour un pays de s’en sortir seul compte tenu de l’interdépendance de nos économies. Les conséquences dramatiques qu’aurait la désagrégation du marché unique si les économies des pays du sud n’étaient pas soutenues et la nécessité d’une action commune forte pour relancer et moderniser les économies européennes et renforcer à terme le marché unique ne sont contestées par personne.

Comme l’a souligné la secrétaire d’État aux affaires européennes lors de sa dernière audition devant la commission des affaires européennes, plus personne ne conteste désormais la nécessité d’un emprunt en commun pour relancer nos économies, ce qui était loin d’être une évidence il y a quelques semaines.

Les divergences portent désormais sur l’enveloppe globale de l’aide, que certains pays voudraient réduire alors que pour d’autres elle constitue un minimum, les modalités de l’aide européenne, notamment la répartition entre prêts et subventions, ainsi que sur les conditions associées au soutien européen. Comment parvenir à un accord alors que les positions de départ paraissaient si éloignées et, parfois, crispées ? Il nous est apparu que la méthode était déterminante car, comme nous le verrons, pour certains pays, un accord ne peut être trouvé sur les montants et sur la répartition entre prêts et subventions que s’il y a préalablement accord sur l’évaluation des besoins, les critères de répartition de l’aide et le lien entre aides et réformes.

I.   Respecter les positions de tous les pays et éviter les caricatures

A.   Bannir des qualificatifs tels que « radins » ou « frugaux » et reconnaître la solidarité dont font preuve les autres pays

Une première condition indispensable pour mettre en place des outils communs est de respecter nos partenaires. À ce titre, les rapporteures s’interdisent d’utiliser des qualificatifs tels que « frugaux » ou « radins ». Outre qu’ils sont désobligeants, ils sont injustes et tendent à masquer les spécificités des positions des différents pays, qui ne constituent pas un bloc uniforme. Même s’il peut être commode, dans le débat, de parler des pays du nord, de l’est ou du sud, il faut garder à l’esprit que, sur la question du plan de relance, ces « blocs » n’existent pas. Incontestablement géographiquement plus au nord que l’Autriche, l’Irlande, le Luxembourg et la Belgique avaient signé, dès le 25 mars, la lettre des neuf dirigeants à Charles Michel réclamant l’émission d’une dette commune pour financer les politiques nécessaires pour lutter contre les conséquences de la crise. De même, parler de la position des pays de l’est a peu de sens, alors que les perceptions de la Pologne et de la Hongrie, par exemple, sont très différentes sur la répartition entre prêts et subventions, l’opportunité de nouvelles ressources propres ou le calendrier d’amortissement du prêt. Les auditions ont également montré des nuances importantes au sein des pays du sud. L’Espagne, le Portugal et la Grèce ne manquent pas de souligner les efforts que leurs pays ont réalisés pour redresser leurs économies et leurs finances publiques à la suite de la crise financière, à la différence de l’Italie. Sortir de la logique bloc contre bloc est un préalable à la réussite de la négociation. Plusieurs ambassadeurs ont d’ailleurs souligné l’importance des rencontres bilatérales, qui permettent de mieux s’expliquer et de valoriser chaque pays.

Certains ont pu accuser les pays que l’on qualifiera par commodité du nord de ne pas être solidaires des pays du sud, plus sévèrement touchés par la crise sanitaire. Les rapporteures estiment qu’il n’existe pas une seule manière de se montrer solidaire et que ceux qui accusent les pays du nord de manquer de solidarité entretiennent parfois une confusion entre solidarité et modalités de cette même solidarité. Ils n’évoquent la solidarité que sous l’angle de la mutualisation des dettes. Or les pays du nord ne veulent pas être responsables du remboursement des dettes des autres à n’importe quelles conditions, mais cela ne les empêche pas de se montrer solidaires d’autres manières. Ils conviennent tous de la nécessité d’aider les pays du sud et de l’est, plus fragiles économiquement.

Les preuves de cette solidarité sont multiples. Elle s’exerce d’abord à travers le budget européen. Les Pays-Bas, la Suède, l’Autriche et le Danemark sont des contributeurs nets importants, aussi bien si l’on rapporte leur solde net au nombre d’habitants qu’au PIB. Selon la méthode dite de la « correction britannique » ([7]), en 2018, la contribution nette du Danemark au budget européen s’élevait ainsi à 223 € par habitant, celle de l’Autriche à 175 €, celle de la Suède à 169 € et celle des Pays‑Bas à 157 €. Celles de l’Allemagne et de la France s’élevaient respectivement à 180 € et 106 €.

Ces pays sont prêts à aider les pays du sud, mais ils sont soucieux de limiter l’augmentation de leur contribution basée sur le revenu national brut, qui va déjà mécaniquement augmenter en raison du Brexit et de la baisse des autres ressources du budget, la crise ayant pour conséquence directe une diminution des droits de douane et de la TVA, deux ressources du budget de l’Union.

Dans ce contexte, les rabais constituent un « point dur » de la négociation pour les pays qui en bénéficient, c’est-à-dire les quatre pays déjà mentionnés, mais également l’Allemagne. Les plus grands bénéficiaires de ces rabais sont l’Allemagne (environ 3 milliards d’euros par an sur la période 2014‑2018) et les Pays-Bas (près de 1,5 milliard d’euros par an). Les Pays‑Bas sont en outre opposés à la proposition de la Commission de baisser de 20 à 10 % les frais de perception sur les ressources propres traditionnelles qui, compte tenu de l’importance du port de Rotterdam, leur permet d’économiser plusieurs centaines de millions d’euros chaque année.

La solidarité européenne s’est exprimée en actes pendant la crise sanitaire, malgré les ratés des débuts. À titre d’exemples parmi d’autres, l’Allemagne et l’Autriche ont accueilli des patients français dans leurs hôpitaux et la Suède a fourni du matériel médical à l’Italie et à l’Espagne.

Elle s’est également traduite par la mobilisation rapide de tous les fonds disponibles dans le budget européen pour 2020 et la mise en place des trois « filets de sécurité » d’un montant total de 540 milliards d’euros adoptés en mai pour soutenir dans l’urgence les États (avec un soutien du mécanisme européen de stabilité sans conditionnalités macroéconomiques), les entreprises (avec le fonds de garantie paneuropéen de la Banque européenne d’investissement) et les ménages (avec le règlement SURE ([8]) pour le soutien aux dispositifs nationaux de chômage partiel).

Enfin, dernier exemple de la solidarité dont savent faire preuve ces pays, selon les données de l’OCDE de 2019, la Suède, le Danemark et les Pays‑Bas sont dans les sept premiers mondiaux pour la part de leur PIB consacrée à l’aide publique au développement, loin devant la France. La Suède et le Danemark font partie des rares pays dans le monde qui respectent depuis des années l’objectif de consacrer plus de 0,7 % de leur PIB à l’aide publique au développement.

Pour ces quatre pays, et d’autres comme la Finlande, la solidarité consiste aussi, et peut-être avant tout, à respecter les règles du pacte de stabilité et de croissance et à conduire les réformes nécessaires pour que l’Union et la zone euro dans leur ensemble soient plus solides et que les faiblesses structurelles d’un pays n’aient pas des conséquences négatives pour tous les autres. C’est d’ailleurs la crédibilité budgétaire des pays dont les finances publiques sont saines qui permet à l’Union de bénéficier de conditions d’emprunt favorables sur les marchés et d’en faire profiter tous les États membres.

On ne peut pas évoquer la position d’un pays dans cette négociation sans prendre en compte les contraintes politiques auxquelles son gouvernement est soumis, par exemple en raison de la fragilité de sa majorité parlementaire, de la présence de mouvements europhobes puissants dans son pays, et du calendrier électoral. Dans les pays du nord, la population et le parlement soutiennent la ligne du gouvernement, quand ils ne sont pas encore plus fermes. Ce contexte est d’autant plus important que le recours à l’emprunt pour le plan de relance suppose la modification de la décision du Conseil sur les ressources propres, donc sa ratification par tous les parlements nationaux. Or certains parlements nationaux, comme en Finlande ou aux Pays‑Bas, sont particulièrement rétifs à une augmentation de la dette mutuelle. Le Parlement suédois vient quant-à-lui de donner un avis motivé contestant la conformité de la décision sur les ressources propres au principe de subsidiarité, exprimant son soutien à une politique budgétaire restrictive et son opposition à la création de nouvelles ressources propres. Le gouvernement minoritaire danois et le gouvernement de coalition néerlandais doivent également faire preuve de prudence, a fortiori, pour ce dernier, à quelques mois d’élections législatives.

L’évocation du rôle des parlements nationaux conduit les rapporteures à regretter que, dans bon nombre de pays, les parlements nationaux soient davantage associés aux négociations européennes que ne l’est l’Assemblée nationale, qui, dans la tradition de la Ve République, n’est généralement informée qu’a posteriori des discussions au Conseil. Sur le modèle danois du mandat avant chaque conseil ou selon des modalités moins contraignantes, dans de nombreux pays, le gouvernement vient exposer au Parlement la position qu’il défendra au Conseil. C’est le cas par exemple en Allemagne, en Autriche, aux Pays-Bas, en Italie, en Suède, en Finlande, dans les pays baltes, en Slovaquie ou en Slovénie. Cela permet aux parlementaires nationaux de davantage s’approprier les sujets et, peut-être, de mieux appréhender leur complexité.

B.   Ne pas laisser des questions sémantiques figer les positions, ni présenter la négociation comme un affrontement qui ferait nécessairement des gagnants et des perdants

Les auditions ont rapidement permis de mettre en évidence que certains mots n’étaient pas utilisés avec le même sens par tous. Il faut prendre le temps de bien expliquer ce que l’on entend quand on les utilise, faute de quoi les positions peuvent se rigidifier inutilement.

On l’a déjà vu, tous les pays ne mettent pas la même chose derrière le mot : « solidarité ». C’est également le cas lorsque l’on parle de « mutualisation des dettes ». Ce que refusent plusieurs pays, c’est une « union de transferts » qui amènerait à des transferts d’un budget national vers un autre budget national ainsi que la mutualisation des dettes existantes, non liées à la situation actuelle. L’ambassadeur d’Allemagne a tenu à rappeler lors de son entretien avec les rapporteures que l’Allemagne n’aurait pas accepté de transferts directs d’un État à un autre. L’architecture proposée par la Commission européenne, et avant elle par l’initiative franco-allemande, emporte bien une forme de mutualisation, puisque les fonds empruntés seront dépensés sur la base des besoins et remboursés en fonction de la clé RNB (sauf adoption de nouvelles recettes), mais il s’agit de transferts via le budget européen et temporaires. Il était extrêmement important pour l’Allemagne que le plan de relance passe par les programmes du budget européen. Elle n’était pas favorable au véhicule autonome spécifique initialement envisagé par la France.

Le caractère exceptionnel de la crise et temporaire de l’instrument est un élément fort de l’acceptation du plan de relance. Mais pour que les pays du nord puissent le faire accepter à leurs parlements et leurs populations, il ne faut pas que les pays du sud présentent un éventuel accord comme une victoire pour eux sur la question de la mutualisation des dettes. Il s’agit de s’endetter en commun pour investir pour l’avenir, pas de mutualiser les dettes existantes ni de financer par l’emprunt européen les systèmes sociaux ou le fonctionnement des États membres. Un accord doit permettre à chacun de présenter la solution adoptée comme répondant aux préoccupations de sa population. Rien ne serait pire, dans la perspective de la ratification de la décision sur les ressources propres par les parlements nationaux, que de donner le sentiment à un pays qu’il a été humilié dans la négociation.

Le terme de « conditionnalités » doit également être manipulé avec la plus grande précaution. Les pays du sud ont été traumatisés par les conditions imposées à la Grèce à la suite de la crise financière ; ils refusent des conditionnalités macroéconomiques telles que celles qui ont été associées à l’aide du mécanisme européen de stabilité. L’Espagne et le Portugal mettent en outre en avant les efforts considérables qu’ils ont consentis pendant la dernière décennie pour redresser leur compétitivité et leurs finances publiques. C’est une trajectoire qu’il est important de reconnaître. Ils mettent en avant le fait qu’il ne faut pas traiter cette crise avec les outils de la précédente, alors qu’aucun pays n’est responsable de cette épidémie et que les conséquences économiques de la crise sont dues aux mesures prophylactiques prises dans un but sanitaire et non à la mauvaise gestion des États concernés.

Les quatre pays qui avaient publié un « non papier » peu après l’initiative franco‑allemande souhaitent pour leur part que les aides passent par les programmes européens, qu’elles permettent de remplir les objectifs de l’Union, que leur utilisation soit contrôlée et qu’elles soient liées, d’une manière encore à définir, à des réformes structurelles favorisant le respect des objectifs de l’Union en matière de transition écologique et numérique et de renforcement de la résilience des économies. Le respect de l’État de droit est également un critère primordial à leurs yeux. Ils souhaitent donc bien une forme de conditionnalité dans l’octroi des aides, mais n’ont à aucun moment évoqué une conditionnalité assimilable aux programmes d’ajustement économiques, ni un contrôle par la « troïka ».

Ils estiment qu’un tel plan de relance ne pourra être réédité si une nouvelle crise survient dans dix ans. Il est donc impératif pour eux de s’assurer que cet argent soit utilisé pour rendre nos économies plus résilientes afin que, en cas de nouvelle crise, les États membres puissent, comme l’Allemagne aujourd’hui, dégager au niveau national des moyens importants pour la relance.

Un autre terme ambigu est celui de « souveraineté », qui renvoie souvent à une perspective nationale, alors qu’il serait préférable de parler d’autonomie stratégique de l’Union. Il faudra que les États se mettent d’accord sur ce qui constitue un enjeu de souveraineté européenne et ensuite sur la façon de répartir la production entre les différents États membres. Il est naturel que chaque pays envisage cette souveraineté européenne au service de sa propre souveraineté nationale, mais cela peut conduire à des blocages ultérieurs.

II.   Répondre aux interrogations légitimes des pays les plus critiques

Plutôt que de s’affronter sur des concepts tels que la solidarité, la mutualisation ou la conditionnalité, le meilleur moyen d’avancer est d’analyser les besoins ainsi que les meilleurs moyens d’y répondre et de prendre en compte les interrogations de chaque pays en entrant dans le détail des propositions. Le plan proposé par la Commission est massif et innovant, il est légitime que chaque pays cherche à bien en mesurer les conséquences et à le rendre le plus efficace possible économiquement. Les rapporteures estiment qu’il faut écouter les pays qui souhaitent qu’un accord se dégage, en premier lieu, sur l’identification des besoins, les critères de répartition de l’aide et la gouvernance de l’instrument de relance avant de fixer le montant global de l’aide et la répartition entre dons et prêts. Les Pays-Bas, par exemple, seraient prêts à accepter un accord, y compris avec une part de subventions, s’il repose sur des bases objectives et rationnelles et met en place une gouvernance permettant de s’assurer de l’efficacité des dépenses.

A.   Mettre en avant la rationalité économique et la nécessité politique de la relance européenne

Le plan de relance aura un effet positif sur les économies de tous les pays européens, en raison de l’importance des échanges intra‑européens. Il permettra de renforcer à la fois chaque pays individuellement et l’Union dans son ensemble, en particulier la zone euro. Si l’Italie ou l’Espagne venait à s’effondrer, toute l’Union s’effondrerait.

Le ralentissement économique brutal que nous subissons peut devenir un accélérateur pour les transformations. Le plan de relance peut permettre de combiner le soutien aux secteurs et régions les plus touchés et l’investissement dans les technologies d’avenir, de renforcer nos atouts dans la compétition internationale et de corriger certaines faiblesses.

Le raisonnement qui a amené l’Allemagne à proposer des transferts budgétaires financés par un emprunt commun, à rebours de ses positions traditionnelles, constitue un exemple de pragmatisme et de bon sens. Son point de départ était que la solidarité financière entre États européens devait être organisée par les institutions européennes et passer par le budget européen, de même que la solidarité entre Länder passe par l’État fédéral. Il serait inimaginable qu’un État membre puisse se porter garant d’un autre sans aucun droit de regard sur les dépenses réalisées. Partant de ce principe, la chancelière a pris acte du fait que la situation des finances des États européens ne permettait pas de financer une relance ambitieuse par une augmentation des contributions nationales au budget européen et qu’un emprunt était donc inévitable. Enfin, prêter aux États aurait augmenté leur endettement, déjà élevé, ce qui ne serait pas soutenable et mettrait en péril la stabilité de la zone euro, a fortiori dans une période où, comme l’a souligné l’ambassade d’Italie, les États s’endettent déjà pour financer les plans de relance nationaux.

Avec le plan de relance, il ne s’agit pas de donner un chèque en blanc aux États, mais d’investir pour l’avenir. L’accent est mis sur une reprise écologique, numérique et résiliente de l’économie, à travers les conditions fixées dans les programmes du plan de relance (facilité pour la reprise et la résilience, InvestEU, ReactEU), sur lesquelles le Parlement européen sera très vigilant lors de l’examen des textes législatifs.

À la rationalité économique s’ajoute la nécessité politique de la réussite du plan de relance. Si l’Union échoue à s’entendre face à une crise aussi grave, les eurosceptiques seront renforcés. Si elle apporte une réponse rapide à la crise, elle enverra un message pro-européen aux populations. Il faudra non seulement que la réponse soit rapide, mais que le plan prouve son efficacité à moyen et long terme et que les réalisations permises par les fonds européens soient clairement identifiées pour les populations.

B.   Objectiver autant que possible les besoins et les critères d’allocation des fonds

La démarche consistant à demander à la Commission d’évaluer les besoins et de proposer les instruments adéquats a été soutenue par tous. Elle était la mieux armée pour cela : disposant d’une vue d’ensemble, elle pouvait analyser les enjeux au niveau européen tout en tenant compte de la situation particulière de chaque État.

Les pays du nord, en particulier les Pays-Bas, insistent sur le fait qu’il faut partir d’une identification précise des besoins par région et par secteur avant de définir les outils adéquats, la répartition entre subventions et prêts et un montant global. Dans le choix des outils, il faut veiller à la coordination des plans des différents États membres pour aboutir au résultat le plus efficace pour tous, ainsi qu’à l’articulation entre les différents instruments pour qu’ils se renforcent et ne se chevauchent pas.

La question de l’identification des besoins rejoint celle du choix des critères de répartition des aides. Les critères de répartition devraient permettre à la fois de soutenir les régions et secteurs les plus touchés économiquement et de privilégier les investissements à même de relancer l’économie européenne le plus efficacement. Pour l’ambassadeur d’Allemagne, par exemple, il pourrait être utile de réfléchir aux secteurs où les investissements publics pourraient permettre à des acteurs privés de prendre le relais.

Le souci de cartographie précise des besoins se heurte toutefois à une limite temporelle. Pour être efficace, la relance doit en effet débuter rapidement, alors que la crise économique est pour l’essentiel encore devant nous. Ses effets sont par conséquent difficiles à évaluer précisément à l’heure où une décision politique doit être prise sur le plan de relance.

Chaque programme budgétaire abondé par l’instrument de relance dispose de critères de répartition propres, en fonction de ses objectifs. Les interrogations sont nombreuses autour de ceux qui ont été choisis par la Commission pour le plus important, la facilité pour la reprise et la résilience. Sa clé de répartition repose en effet sur la population en 2019, l’inverse du PIB par habitant en 2019 et le taux de chômage moyen entre 2015 et 2019. Elle ne tient donc aucun compte des conséquences de la crise. Selon la Commission, la répartition des enveloppes pour cet instrument devrait être liée à la capacité de résilience des différentes économies plutôt qu’aux effets de la crise. Elle explique également qu’il n’existe pas de données solides sur la fin de la crise et que la façon dont les pays ont souffert de la crise sanitaire ne dit rien de la trajectoire de rebond qu’ils vont connaître, qui est plus corrélée à leurs fragilités intrinsèques.

Pour ReactEU, qui renforce les programmes de cohésion, les critères concernent certes l’ampleur des effets de la crise sur les économies et les sociétés, – à travers la perte de PIB par rapport au premier semestre 2019, l’augmentation du chômage total et l’augmentation du chômage des jeunes par rapport à janvier 2020 – mais également leur prospérité relative.

Le choix des critères retenus, quel que soit sa légitimité et le résultat final sur les équilibres entre États, n’est pas sans conséquence sur la façon dont la cohérence du plan peut être présentée aux populations et donc sur leur adhésion. Ainsi, si l’on considère au travers des critères de répartition que les pays qui doivent le plus être aidés ne sont pas ceux qui ont subi la diminution de PIB la plus importante, mais ceux qui présentaient des fragilités structurelles avant la crise, il est difficile de repousser l’idée que cette aide soit soumise à des obligations de réformes destinées à remédier à ces faiblesses. Il est important que les critères de répartition soient cohérents avec le diagnostic des besoins, la gouvernance de l’instrument de relance et le discours sur le plan de relance.

En outre, selon le service juridique du Conseil, pour respecter l’article 122 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ([9]), qui sert de base juridique à l’instrument de relance, les critères permettant l’allocation de l’aide financière européenne via le Fonds pour une transition juste ainsi que les champs d’application de plusieurs programmes sont définis de manière trop large et devraient être liés plus étroitement à l’impact de la pandémie.

C.   Mettre en avant le caractère temporaire du fonds, lié au caractère exceptionnel de la crise et à l’urgence de la relance

Le caractère temporaire de l’instrument de relance est essentiel pour les gouvernements qui devront justifier auprès de leur population qu’ils n’ont pas accepté la création d’une union de transferts. Dans la proposition de la Commission, les fonds de l’instrument de relance doivent être engagés avant le 31 décembre 2024. C’est encore trop long pour certains pays du Nord, qui plaident pour une limitation à deux ans.

Ils acceptent qu’une situation exceptionnelle nécessite une réponse exceptionnelle, mais insistent sur le fait que les mesures exceptionnelles sont par définition temporaires. Après, l’économie doit reprendre un fonctionnement normal et les finances publiques être redressées.

Le calendrier de décaissement des fonds est un sujet de préoccupation pour de nombreux pays. Si les engagements doivent être pris avant la fin 2024, en l’état actuel des prévisions de la Commission, les trois quarts des décaissements pourraient intervenir après 2023. Or il est important que la relance puisse se concrétiser le plus vite possible pour être efficace, créer la confiance et renforcer l’attachement des citoyens à l’Europe.

Devant la commission des affaires économiques et monétaires du Parlement Européen, Laurence Boone, économiste en chef de l’OCDE, a ainsi estimé que concrétiser en 2023 le stimulus budgétaire serait « trop tard pour de nombreuses entreprises et ménages ».

Pour limiter les effets du délai de mise en œuvre du plan de relance européen, une piste évoquée par la direction générale du Trésor serait que certaines dépenses engagées dès 2020 puissent être rendues rétrospectivement éligibles au plan européen, pour autant qu’elles répondent à tous ses critères. Cela permettrait d’éviter que certains États retardent leurs dépenses pour attendre de pouvoir bénéficier de fonds européens, au risque de perdre quelques mois précieux au deuxième semestre 2020.

Pour mobiliser les investissements dès les premiers mois de la relance, la Commission européenne propose pour sa part de modifier le CFP 2014‑2020 et le budget pour 2020 afin d’engager 11,5 milliards d’euros dès 2020 pour le provisionnement de l’instrument de soutien à la solvabilité, la concentration des dépenses de cohésion supplémentaires au titre de REACT-EU et l’augmentation des moyens financiers du Fonds européen pour le développement durable. Les pays scandinaves et l’Allemagne sont opposés à cette proposition. Ils estiment que les outils nationaux et les moyens déjà prévus par l’Union européenne à la suite de l’accord de l’Eurogroupe du 9 avril, qui n’ont pas encore été utilisés, donnent aux États les moyens nécessaires pour soutenir leur économie jusqu’à la mise en place du plan de relance. C’est également ce qui fait dire aux Pays-Bas que, s’il faut s’accorder sur le plan de relance rapidement, la date de l’accord ne doit pas prévaloir sur son contenu.

À la croisée des négociations liées au volume global de l’aide, aux critères de répartition et à la durée du plan de relance se trouve la question des capacités d’absorption des aides, soulevée par plusieurs pays, dont l’Allemagne. Au-delà d’un certain montant, les aides pourraient ne plus être dépensées faute de projets. C’est une question qu’il n’est pas illégitime de soulever pour un pays comme l’Italie, compte tenu du montant des aides qu’il est susceptible de recevoir. Tous les pays n’abordent toutefois pas le sujet sous le même angle : certains pensent que, si l’enveloppe ne peut pas être absorbée pendant la période utile à la relance, il faut la diminuer, d’autres qu’il faut au contraire allonger la période de la relance pour améliorer la consommation de l’enveloppe.

D.   Apporter les garanties nécessaires en matière de rapportage et de contrôle de l’efficacité de la dépense

Une des conditions fixées par les pays du nord pour accepter le plan de relance est que l’Union puisse s’assurer que l’argent est bien utilisé. Pour les rapporteures, il s’agit d’une exigence que nous devons également aux Français et une condition indispensable au soutien des populations européennes sur le long terme.

Il était pour cette raison primordial pour ces pays que les dépenses passent par les programmes du budget européen. Cela garantit l’implication de la Commission et du Parlement européen et le recours aux procédures d’évaluation existantes. La compétence d’organes de contrôle européens tels que le parquet européen, l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) et la Cour des comptes européenne apporte des garanties sur le suivi de la bonne utilisation des fonds du plan de relance.

E.   La question centrale du lien entre soutien européen et réformes

Le lien qui sera fait entre les aides reçues dans le cadre du plan de relance et les réformes conduites pour renforcer les économies sera crucial pour l’acceptation du plan de relance par les « quatre » et pour son efficacité à long terme. Il s’agit de trouver un juste équilibre qui permette de s’assurer que le soutien européen serve réellement à renforcer les économies, tout en préservant l’autonomie des États et en évitant de réitérer les erreurs commises lors de la sortie de la crise financière, lorsque l’austérité budgétaire avait ralenti la reprise.

Renforcer les économies suppose d’analyser les faiblesses structurelles de chaque pays et de les corriger. Cela permettra en outre de justifier auprès des contribuables européens que l’argent du fonds de relance permet d’améliorer l’économie de l’ensemble de l’Union, et particulièrement de la zone euro.

Tous les pays sont conscients du fait que les différences entre la crise actuelle et la crise financière impliquent que les conditions devant accompagner le soutien à la relance ne peuvent être les mêmes que celles des programmes d’ajustement des années 2010. Beaucoup souhaitent toutefois conserver des incitations à la modernisation et à des politiques économiques responsables, pas seulement parmi les pays du nord. C’est par exemple le cas de la Croatie, qui se trouve en quelque sorte à la croisée des chemins, avec des préoccupations qui recoupent celles de plusieurs autres groupes de pays. Elle subit, comme les pays du sud, les conséquences économiques de la chute du tourisme, qui représente 20 % de son PIB. Comme les pays de l’est, elle a plutôt bien géré la crise sanitaire grâce à des mesures de fermeture des frontières et de confinement précoces et défend la politique de cohésion. Enfin, comme les pays du nord, elle est attachée au lien entre le plan de relance et le semestre européen pour renforcer la résilience des économies. Son budget était excédentaire depuis 2017 et sa croissance autour de 3 % depuis 2016.

Pour les Pays-Bas, la solidarité va de pair avec la responsabilité. Un lien fort doit être établi entre les réformes découlant des recommandations spécifiques par pays faites dans le cadre du semestre européen et le bénéfice du fonds de relance : le soutien européen doit être accompagné par des politiques nationales saines. L’amélioration de la compétitivité et de la productivité doit permettre à tous les États membres de ressortir de la crise plus forts. Les jeunes générations sont déjà les premières victimes du confinement, nous n’avons pas le droit de leur léguer une dette insoutenable.

Sur le principe, la démarche doit pouvoir recueillir un large accord. Giuseppe Conte a par exemple déclaré : « Ce ne sera pas un trésor à lusage des gouvernements de passage mais de largent pour moderniser le pays et corriger tout ce qui ne va pas depuis trop longtemps. »

L’Italie a le souci de préparer son plan national le plus rapidement possible afin de rassurer ses partenaires sur sa volonté de réforme, et de le faire partager à l’ensemble de la société. Le gouvernement a organisé des états généraux de l’économie qui ont permis, pendant une semaine, de soumettre les propositions élaborées par un comité d’expert désigné dès le 10 avril à des représentants de l’ensemble de la société italienne : syndicats, élus locaux, secteurs du commerce, de l’artisanat, des coopératives, du tourisme, de la culture, de l’agriculture, de la pêche, des professions libérales, organisations non gouvernementales, Confindustria, grandes entreprises publiques et grandes entreprises privées.

Toute la difficulté pour trouver un accord consistera à trouver le bon équilibre pour que le fonds de relance incite aux réformes et que son usage soit contrôlé sans qu’un pays ait le sentiment d’être mis sous tutelle.

Concrètement, la proposition de la Commission sur la facilité pour la reprise et la résilience prévoit que, pour bénéficier d’un soutien, les États présentent un plan pour la reprise et la résilience comprenant un train de mesures cohérent de réformes et de projets d’investissements publics destinés à remédier efficacement aux difficultés recensées dans les recommandations par pays adressées à l’État membre concerné. Ce plan doit exposer les valeurs intermédiaires et les valeurs cibles ainsi qu’un calendrier indicatif relatif à la mise en œuvre des réformes et des investissements sur des périodes maximales, respectivement, de quatre ans et de sept ans. Il doit concorder avec les programmes nationaux de réforme, les plans nationaux en matière d’énergie et de climat, les plans pour une transition juste et remédier aux difficultés auxquelles les États membres sont confrontés en ce qui concerne leurs transitions écologique et numérique.

Les contributions de l’UE seraient versées par tranches une fois que l’État membre a atteint de manière satisfaisante les valeurs intermédiaires et les valeurs cibles qu’il a lui-même fixées en accord avec la Commission. Le paiement pourrait être suspendu, voire annulé, si ces valeurs ne sont pas atteintes.

Cette démarche avec des cibles intermédiaires et un versement des aides par tranches en fonction de l’atteinte des objectifs inquiète l’Italie, mais est indispensable pour les Pays‑Bas. Il faudra trouver un juste équilibre pour qu’il y ait un dialogue permettant de progresser sur la voie des réformes, mais éviter l’interruption brutale des investissements, ce qui reviendrait à dépenser à fonds perdus. Le suivi par la Commission devrait être attentif sans être intrusif et la suspension des versements réservée aux cas de manquements manifestes aux engagements pris. La proposition de la Commission laisse beaucoup de marges d’interprétation sur les réformes attendues et la fixation des cibles ; cela sera un point important des négociations.

L’élaboration de ces plans pour la reprise et la résilience, ainsi que le déblocage des fonds, donneront lieu à un dialogue fourni entre la Commission et les États membres concernés. Il faut souligner que l’ensemble des États membres sera impliqué dans ces décisions. Les compétences d’exécution de la Commission en ce qui concerne l’adoption des plans pour la reprise et la résilience, le versement du soutien financier lorsque les valeurs intermédiaires et les valeurs cibles sont atteintes ou sa suspension, s’exerceront conformément à la procédure d’examen prévue par le règlement « comitologie ». Les propositions d’acte d’exécution de la Commission seront soumises à un comité composé des représentants des 27 États membres. Si une majorité qualifiée (55 % des membres du Conseil, comprenant au moins quinze d’entre eux et représentant des États membres réunissant au moins 65 % de la population de l’Union) vote en faveur de l’acte, la Commission doit l’adopter ; si une majorité qualifiée vote contre, la Commission ne peut pas l’adopter ; enfin, s’il n’y a pas de majorité qualifiée, la Commission peut l’adopter ou présenter une version modifiée.

Les Pays-Bas, favorables d’une manière générale à une gouvernance spécifique à l’instrument de relance, souhaiteraient que ces décisions soient prises à l’unanimité. S’il est légitime qu’il y ait un suivi et un débat sur la mise en œuvre de chaque plan de relance, il ne serait toutefois pas souhaitable que chaque pays ait un droit de veto sur les plans des autres ou soit en mesure de les interrompre à chaque tranche de versement de l’aide.

F.   Des modalités de remboursement qui restent à préciser

Les propositions de la Commission apportent peu de précisions sur les modalités de remboursement des emprunts souscrits par l’Union. Ceux qui auront été reversés aux États sous forme de prêts seront remboursés par lesdits États. Ceux qui auront été versés sous forme de dépenses du budget européen seront remboursés entre 2028 et 2058, mais les pistes de nouvelles ressources propres sont peu détaillées et les conséquences des remboursements sur l’évolution des contributions nationales ou sur les autres dépenses du budget européen ne sont pas précisées.

L’Allemagne et plusieurs autres pays souhaitent que les règles de remboursement soient précisées dès à présent et que le remboursement du capital commence avant la fin du CFP 2021‑2027. Ils estiment qu’il ne serait pas correct de renvoyer cette responsabilité à la négociation du CFP suivant. La Hongrie va plus loin, estimant qu’il serait inapproprié que le remboursement de l’emprunt impose une charge aux CFP ultérieurs. Si elle souligne la nécessité d’étaler les coûts de la crise sur une période longue, l’Italie se montre ouverte à une trajectoire plus rapide que celle qui a été proposée par la Commission.


CONCLUSION

 

À l’issue de leurs auditions, les rapporteures sont convaincues de la volonté de chaque pays d’aboutir à un accord qui bénéficierait à tous les européens et permettrait à chaque gouvernement de le présenter à sa population en montrant que ses intérêts ont été pris en compte. L’Union a été fortement critiquée au début de la crise, il faut souligner qu’elle a pris depuis des initiatives fortes et rapides, dont ce plan de relance constituerait l’aboutissement.


ANNEXE

 

LISTE DES ENTRETIENS CONDUITS PAR LES RAPPORTEURES

 

S.E. M. Nikolaus Meyer-Landrut, ambassadeur d’Allemagne, accompagné de M. Christian Dalhaus, premier conseiller, chef du service des affaires financières et fiscales, et de Mme Isabel Sarasin, conseillère Europe

S.E. M. José Manuel Albares Bueno, ambassadeur d’Espagne

S.E. M. Teemu Tanner, ambassadeur de Finlande

S.E. Mme Aglaia Balta, ambassadrice de Grèce

S.E. M. Jorge Torres-Pereira, ambassadeur du Portugal

S.E. M. Pieter de Gooijer, ambassadeur des Pays-Bas

S.E. M. Michael Linhart, ambassadeur d’Autriche

M. Pietro Perco Vacanti, premier conseiller de l’ambassade d’Italie, chargé des affaires économiques et commerciales, et M. Gennaro Fusco, attaché financier, représentant de la Banque d’Italie

M. Davor Dujić, chargé d’affaires a.i., ambassade de Croatie

M. Pascal Saint-Amans, directeur du centre de politique et d’administration fiscales de l’Organisation de coopération et de développement économiques

M. Clément Beaune, Conseiller spécial Europe du Président de la République

 

Les ambassades de Hongrie et de Pologne ont répondu aux questions des rapporteures par écrit.

 


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   Travaux de la commission

 

Le mercredi 8 juillet 2020, la présentation de ces deux communications a été suivie d’un débat commun.

Mme la Présidente Sabine Thillaye. Merci pour ce travail très intéressant. Pensez-vous que nous serons dans les délais pour adopter le plan de relance ? Il reste en effet beaucoup de points à trancher. Où en est-on de nos propres plans de relance ? Certains États membres, comme l’Allemagne, sont très avancés, et d’autres moins. Par ailleurs, comment assurer une concurrence loyale dans le contexte de flexibilité du régime des aides d’État ? Enfin, comment assurer l’adéquation entre les plans de relance nationaux et les propositions de la Commission ? Il faut mettre le curseur au même endroit.

Merci d’avoir souligné que quand on parle de l’Union européenne, il faut toujours garder en tête les différences d’approche entre les pays. À défaut, nous allons dans l’impasse. Il me paraît plus important, comme dans la vie politique en général, d’être plus dans la complémentarité que dans les clivages.

Effectivement, les deux communications se complètent. Je m’interroge sur la notion de bonne utilisation des fonds. Comment contrôler cette utilisation ? La Cour des comptes européenne a récemment mis en compte la gestion des fonds de la PAC par rapport à la biodiversité des terres agricoles, dont elle n’aurait pas permis d’enrayer le déclin. Elle estime que le suivi par la Commission européenne de ces fonds n’est pas fiable. Dans ce cas, on peut dire que les fonds n’ont pas été bien utilisés. Cependant, à vingt-sept États membres, avons-nous la même définition ? Nous l’avons vu avec nos collègues du Bundestag : ils souhaiteraient utiliser les fonds pour autre chose que la PAC.

M. André Chassaigne. Je ne vais sans doute pas vous étonner en tenant un discours – mais c’est notre fonctionnement démocratique – diamétralement opposé. Ce n’est pas vous que je mets en cause, naturellement, mais le système dans lequel nous vivons. À écouter votre exposé et votre état des lieux, je suis effaré. Je suis persuadé qu’avec la direction prise aujourd’hui, nous allons à la catastrophe dans quelques années. On dit que l’Union européenne est au bord du gouffre. J’en suis convaincu.

Dans les arguments avancés, que je comprends et qui sont une réalité, on dit qu’il faut respecter les partenaires, que les négociations sont difficiles, qu’il y a des contraintes politiques dans les différences d’approche, qu’il y a des différentes d’approche. Ce qu’on ne dit pas, c’est que cette Union européenne est bâtie sur une économie extrêmement libérale. Dans les faits, même si c’est un non-dit, elle est sous l’emprise des marchés financiers, des multinationales, des intérêts égoïstes, à court terme, de quelques-uns.

On voit bien que toutes les réponses apportées sont formatées par rapport à cet état de fait. Le discours que je tiens peut paraître décalé parce que je me place dans une autre perspective, mais je vais tout de même apporter quelques arguments.

Sur les recettes, M. Jerretie affirmait que différentes recettes avancées ont été refusées. À chaque fois que des recettes peuvent aggraver la pression fiscale sur les entreprises, par principe, idéologiquement, on rejette l’idée. Or, chaque année, je regarde les dividendes versés. Les entreprises françaises du CAC 40 ont versé, sur l’année 2019, près de 50 milliards d’euros de dividendes, qui ont augmenté de 15 % par rapport à l’année précédente. Parallèlement, ces entreprises ont baissé leurs investissements. Bien évidemment, cela coupe les recettes possibles. On s’oriente alors vers les marchés financiers, vers une dette qu’il faudrait rembourser.

Sur les dépenses, j’ai des propositions à l’opposé, si ce n’est, peut-être, la première. Je pense notamment que, dans le cadre financier pluriannuel, les programmes doivent être dotés pour traiter les questions écologiques et sociales. On parle beaucoup de questions écologiques et beaucoup moins de questions sociales. Il y a une tendance, aujourd’hui, à ignorer qu’il ne sera pas possible d’évoluer au niveau de la transition écologique sans prendre à bras-le-corps la question sociale. Je pense notamment aux questions de formation.

Nous avons eu une audition intéressante avec la Banque européenne d’investissement (BEI). Il a été question que les prêts de la BEI se fassent sur la base de critères sociaux et écologiques. Je pense que cela va dans le bon sens. Il faudra bien surveiller la manière donc ce sera fait.

Le deuxième impératif fondamental que je vois est à l’opposé de ce que vous venez de dire. Pour moi il faut renoncer à toute forme de politique « austéritaire ». Il suit de ce que vous venez de dire que les États se verront imposer des conditions, notamment l’obligation de réforme structurelles pour « remédier aux faiblesses ». Cela signifie que l’on va s’attaquer aux services publics nécessaires pour répondre aux besoins sociaux. On s’oriente donc vers une conditionnalité qui va en réalité aggraver la pauvreté. C’est ce qui nous a conduits aux pires difficultés dans beaucoup de pays ; les politiques d’austérité sont un remède pire que le mal. Quelle sera l’attitude de la Commission devant des pays qui voudront recruter des personnels de santé, développer des services publics sur leurs territoires ? C’était un argument de nos amis italiens et espagnols.

J’aimerais aussi revenir sur la question de la dette. On considère qu’une dette publique doit être remboursée. Or aujourd’hui, de nombreux économistes disent qu’on utilise cet argument idéologique pour mettre en œuvre des politiques d’austérité. Chacun sait qu’au final la dette ne sera pas remboursée dans sa totalité. Mario Draghi lui-même, ancien président de la BCE, a dit qu’il ne fallait pas exclure l’hypothèse d’un non-remboursement d’une partie de la dette. En 2015, la BCE a racheté 2 320 milliards d’euros de dette de l’ensemble de l’Union européenne. Si la BCE pouvait aller vers l’annulation de la dette, cela donnerait à la France la possibilité d’injecter 17 % de son PIB de 2019 pour financer l’écologie, la santé etc. Quand je dis « annulation de la dette », je ne parle évidemment pas de la dette détenue par les banques ou les fonds de pension, car cela déstabiliserait le système financier, mais de la dette détenue par la BCE.

Seule une annulation de la dette publique détenue par la BCE permettrait de mobiliser suffisamment d’argent. Par ailleurs, la conditionnalité des aides mènera j’en suis sûr à la catastrophe. Si je tiens ces propos, c’est parce que je veux d’abord sauver l’Union européenne.

M. Alexandre Holroyd. Une question rapide pour commencer : dans le travail de Christophe Jerretie, à quoi correspondent les 7 à 10 milliards relativement à la contribution française ? Le PSR-UE s’élève à 21 milliards d’euros.

M. Christophe Jerretie, rapporteur. Il s’agit de la contribution nette.

M. Alexandre Holroyd. Je comprends mieux. Je ne partage pas du tout le point de vue de mon collègue Chassaigne sur la conditionnalité. L’Assemblée nationale a déjà entériné le fait que les fonds européens actuels comme futurs devraient être conditionnés, par exemple à l’État de droit. La question est donc : quelle conditionnalité ? À titre personnel, je pense qu’il faudrait conditionner les fonds européens à la transition écologique. J’ai une question à nos rapporteurs : est-il envisagé d’émettre des OAT vertes ? Cela serait, en effet, une forme de conditionnalité à la transition énergétique. En tout état de cause il est légitime que l’on conditionne dès lors que l’argent est mis en commun.

M. André Chassaigne. Je suis d’accord, tout dépend des conditions !

M. Alexandre Holroyd. J’ai fait un rapport sur la zone euro il y a deux ans. J’ai défendu l’idée qu’une partie de la dette soit mutualisée. À l’époque, personne n’envisageait cela sérieusement. Si on nous avait dit qu’aujourd’hui on serait en train de discuter d’un plan que la Commission a proposé avec 500 milliards de dette commune pour relancer l’économie européenne, moi-même j’aurais trouvé cela irréaliste !

On ne peut pas être les éternels insatisfaits de tout accord européen ; c’est ce qui tue l’Europe.

Les politiques d’austérité ne sont pas des décisions européennes, mais des décisions nationales. L’Europe a des compétences budgétaires très limitées. Par exemple pour l’imposition des sociétés, nous sommes libres : nous imposons beaucoup plus nos sociétés que nos voisins néerlandais ! De même que les politiques fiscales, les politiques de santé relèvent de la compétence nationale.

Mme Frédérique Dumas. J’ai l’impression, très sincèrement, que vous n’avez pas bien écouté. On a bien expliqué que le mot « conditionnalité » n’avait pas de lien avec les conditions imposées à la Grèce. Le « plan de relance » n’est soumis à aucune conditionnalité macroéconomique particulière, mais ceux qui se portent garants veulent savoir où l’argent va. C’est pourquoi il est important de s’entendre « techniquement » sur le sens de chaque mot, à commencer par le mot « conditionnalité ». De la même façon, il faudra s’entendre sur « l’outil de gouvernance » que souhaitent les Pays-Bas et l’Allemagne.

Enfin, nous aurions peut-être intérêt à suivre l’exemple de certains pays du nord de l’Europe que l’on critique mais qui sont en avance sur le plan de la santé et des questions sociales. Les Pays-Bas et l’Allemagne ne sont pas des pays où l’on vit mal. La « réforme » ne signifie pas forcément l’austérité, elle signifie qu’il faut que l’argent public soit utilisé plus efficacement. Pourquoi ne pas tirer les leçons de la façon dont ces pays utilisent l’argent public ?

Mme Liliana Tanguy. Vous avez laissé entendre qu’il y avait une conditionnalité liée au respect des objectifs macroéconomiques. Ce n’est pas ce que nous avons dit. Il faut que les aides passent par les programmes européens et que leur utilisation soit contrôlée, c’est aussi pour cela qu’elles s’articuleraient avec le semestre européen. La conditionnalité pourrait être liée au respect des objectifs de l’Union en matière de transition écologique et numérique, mais il n’est pas question de contrôle par la « troïka ».

Il s’agit d’allouer les fonds à des secteurs d’avenir : le numérique, la santé, etc. On n’est pas dans une logique d’austérité. Cela n’empêche pas que soit fait un « reporting » de la façon dont les fonds sont utilisés, pour voir si les objectifs que les États se sont fixés eux-mêmes sur la base des recommandations de la Commission sont tenus. Je ne suis pas d’accord avec vous quand vous dites que c’est un plan de relance libéral : c’est en réalité un plan de relance keynésien ! Comme un plan Marshall européen. La philosophie qui sous-tend ce plan de relance n’est pas libérale mais interventionniste.

M. Christophe Jerretie, rapporteur. J’aimerais insister sur la question du délai. Si le délai n’est pas respecté, ce sera catastrophique. L’objectif est d’aboutir fin juillet : dans le cas contraire, il sera difficile d’obtenir l’accord des 27.

Sur l’histoire des ressources et du paiement de la dette, j’ai un accord certain avec André Chassaigne, c’est qu’il faut trouver d’autres ressources : on ne peut pas être seulement dans la logique de l’emprunt. L’Union européenne ne peut pas se passer d’avoir une nouvelle ressource « impactante ». La « taxe plastique » n’est pas assez importante ni assez durable. Je rejoins André Chassaigne sur ce point : il faut développer les ressources propres de l’Union.

Sur la conditionnalité, je pense qu’il faut d’abord définir les conditions. Toutes les difficultés viennent d’un manque de définition (comme sur la problématique de la « valeur ajoutée »).

Enfin, André Chassaigne a demandé si cet emprunt pourrait financer les services publics. Cette question est d’abord du ressort national. En France les services publics sont importants et ils doivent être consolidés. Un plan de relance national portant sur les services publics serait pertinent.

Dernier élément : par rapport aux « OAT vertes », on n’y est pas encore mais les idées avancent.

M. André Chassaigne. Je trouve bien sûr que votre travail est d’une qualité remarquable. Il est parfois difficile de réagir « à chaud » en réponse à une communication. Je veux bien admettre que j’ai cru à tort avoir entendu parler de conditionnalité liée au « Pacte de stabilité et de croissance ». J’ai également noté qu’il y aurait des obligations de réformes : j’ai tout de suite pensé à la Grèce. Enfin, quand j’entends dire que « les acteurs privés prendront le relais des investisseurs publics » je suis sceptique, mais peut-être ai-je mal compris. Pour le reste, je suis convaincu qu’il faut imposer des critères et des conditions aux entreprises bénéficiant des aides.

Mme Frédérique Dumas, rapporteure. Ce n'est pas avec ce plan de relance que nous changerons les politiques française ou européenne dans des domaines comme la santé, par exemple. Il s’agit de mettre un outil au service de la relance durable. Par ailleurs, il y a une confusion entre le rôle des États et celui du plan de relance.

S'agissant des délais, il faut certes aller vite, mais il faut prendre le temps d'écouter ce que les autres partenaires nous disent. Les Pays-Bas, par exemple, considèrent qu'il faut se mettre d'accord sur les critères d’allocation avant de discuter des montants. Ils constatent que les critères d'allocation reposent sur des données datant d’avant la crise. Le plan de relance bénéficiera avant tout aux pays de l'Est et du Sud. Ce ne sont donc pas forcément les pays qui ont été les plus touchés économiquement par la crise qui sont prioritaires pour le plan de relance. Si les critères étaient pertinents, un pays comme les Pays-Bas ne s’opposerait pas aux dons, mais ils veulent pouvoir rendre des comptes à leurs citoyens sur la bonne destination des fonds.

S'agissant des rabais, nous savons qu'il n'y aura pas d'accord s’ils ne sont pas maintenus.

Par ailleurs, ces pays exigent un lien entre le plan de relance et le semestre européen. L'Italie l’a bien compris et a travaillé pendant le confinement à élaborer un plan national de transformation, alors que la France en est toujours à travailler à la réponse d'urgence à la crise : le plan de relance français devrait, semble-t-il, être inclus dans le projet de loi de finances, qui ne sera discuté qu’en octobre. L'Italie a bien compris qu’en présentant un plan de relance sérieux, elle pouvait réussir à convaincre les quatre pays les plus réticents.

Mme Marguerite Deprez-Audebert. Du point de vue des citoyens, l'Europe est attendue et apparaît indispensable pour la relance, mais l’accumulation des plans au niveau local, national et européen prête à confusion : nous avons un devoir de transparence et de précision sur l'allocation des fonds.

Mme la Présidente Sabine Thillaye. Vous avez bien raison de souligner l'enjeu de la transparence. Il est essentiel de savoir, derrière les milliards annoncés, quelle est la nature des fonds engagés et qui fera appel à ces outils. Un communiqué de l'Agence France-Presse indique à l'instant que la Commission a autorisé un fonds de secours de l'Allemagne pouvant atteindre 500 milliards d'euros. Sans concertation, il existe un risque pour la cohésion de l'Union européenne.

Mme Liliana Tanguy, rapporteure. Je tiens à dire à M. Chassaigne qu'on n’imposera pas de conditionnalités aux États. Ce sont les États qui définiront les plans de relance, même s’ils se baseront sur les recommandations de la Commission européenne. Il est normal que l'on puisse rendre compte de la façon dont sont utilisés les fonds. C'est un fonctionnement similaire à celui des fonds de cohésion. Le plan de relance est non pas un moyen de mutualiser les dettes existantes, mais un instrument permettant d’investir dans les secteurs d’avenir. Les États seront ainsi plus résilients face à d’éventuelles futures crises.

Par ailleurs, je tiens à préciser que la possibilité d’identifier les secteurs où les investissements privés pourraient prendre le relais de l’investissement public était une suggestion de l'ambassadeur d'Allemagne, mais le choix sera laissé aux États.

Enfin, les rabais seront effectivement un point dur de négociation, mais ils pourraient n’être supprimés que dans un second temps : il y a des marges de négociation.

M. Christophe Jerretie, rapporteur. On a un vrai problème de suivi des fonds tant au niveau français qu’européen, et de transparence vis-à-vis des citoyens. Cela pourrait être le rôle du Parlement.

Mme la Présidente Sabine Thillaye. Je vous remercie pour ce travail et pour cet échange très vivant et constructif. Comme vous le savez, les communications ne font habituellement pas l'objet d'un rapport : elles ne donnent lieu qu’à un compte rendu. Toutefois, pour leur donner la portée qu'elles méritent, je proposerai au prochain Bureau de regrouper les communications des six binômes dans un rapport l'information, qui constituera la contribution de la Commission des affaires européennes à l'évaluation de l'action de l'Union pendant la crise.

 


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   communication sur « Quel soutien de l’Union aux secteurs de l’agriculture et de la pêche face à la pandémie ? »

   Texte de la communication
de MM. André Chassaigne et Jean‑Baptiste Moreau

Nous présentons le résultat des travaux que nous avons conduits durant le confinement, sur l’analyse de l’action de l’Union européenne face à la crise dans les secteurs de l’agriculture et de la pêche, à la demande de la commission des Affaires européennes de l’Assemblée nationale.

Nous avons suivi de près les mesures européennes mises en œuvre et nous avons surtout auditionné une vingtaine de personnes, issues du Ministère de l’agriculture, de la Commission européenne et du Parlement européen, mais aussi les syndicats des principaux secteurs touchés ainsi que des chercheurs.

Nous allons restituer ce travail en quatre temps :

-         un court bilan de l’impact de la crise sur les filières ;

-         une analyse des principales mesures de marché mises en œuvre par l’Union européenne pour faire face à la crise ;

-         nous allons également voir en quoi la politique agricole commune (PAC) a montré des failles durant cette crise ;

-         enfin et surtout nous allons formuler des propositions pour améliorer la gestion de crise agricole dans l’Union européenne, afin de tirer tous les enseignements de ce qui s’est passé.

 

I.   ETAT DES LIEUX DE L’IMPACT DE LA CRISE SUR L’AGRICULTURE ET LA PECHE DANS L’UNION EUROPEENNE

Globalement, on peut dire que l’agriculture européenne a tenu : elle a permis aux européens de continuer à se nourrir pendant la crise. Cette période a révélé les atouts considérables de notre agriculture, notamment sa capacité à produire en qualité et en quantité, son adaptabilité et la force du dialogue interprofessionnel qui a vraiment permis aux filières de tenir.

Mais cette crise a évidemment révélé les failles majeures de notre agriculture, en particulier une triple dépendance :

-         la dépendance à la main d’œuvre saisonnière étrangère, dont la venue dans les territoires qui en avait besoin s’est faite très difficilement ;

-         la dépendance aux importations, notamment pour l’alimentation animale, le soja et certains fruits et légumes ;

-         la dépendance du secteur alimentaire aux autres secteurs de l’économie : on a notamment constaté un manque d’emballages pour certains produits, comme la farine.

C’est évidemment la fermeture des marchés et la « restauration hors domicile » (RHD), c’est-à-dire principalement les restaurants, qui a conduit à mettre les filières agricoles sous une très grande pression. Cette décision a notamment asséché les débouchés majeurs de certaines filières. Cela a également conduit à mettre au centre de la chaîne distribution les grandes et moyennes surfaces.

Aucune filière n’a été totalement à l’abri de l’impact immédiat ou à moyen terme de la crise et nous nous sommes rendu compte que ce sont les produits labellisés et les plus qualitatifs qui ont souffert le plus fortement durant cette période, car ils sont très dépendants des débouchés qui ont été supprimés pendant le confinement.

Toutefois, la crise a eu des conséquences de nature et de force très différentes selon les filières ([10]) :

-         pour la filière de la viande bovine : la période de confinement a été propice à un report de la consommation des parties dites « nobles » vers la viande hachée (+55 % en France) et à une baisse importante des exportations ;

-         la filière de la viande de veaux a également beaucoup souffert, conduisant à un prix en baisse en moyenne de 20 %, notamment du fait de la réduction des abattages ;

-         pour la filière de la viande ovine : le confinement a coïncidé avec la période de Pâques, très importante pour la filière. Celle-ci s’est très rapidement adaptée, en se tournant vers d’autres circuits de commercialisation et en réduisant les importations. Cela a empêché la catastrophe anticipée mais a tout de même entraîné une baisse substantielle des prix ;

-         la filière laitière fait vraiment figure d’exception et d’exemple : en France, l’interprofession a mis en place un soutien à la réduction de la production laitière de 2 à 5 % au mois d’avril, pour ne pas avoir ensuite à gérer des stocks importants. Il s’agit de la seule filière à avoir mis en place ce dispositif qui a permis de stabiliser les prix ;

-         la filière fromagère a surtout connu un impact massif très négatif sur les produits AOP, du fait de la fermeture des restaurants et des rayons à la découpe dans les supermarchés ;

-         la filière des fruits et légumes a connu une augmentation des ventes, du fait du report de la consommation en grande surface ;

-         la filière horticole est en très grande difficulté, avec une baisse d’au moins 80 % de son activité ;

-         il en va de même pour la filière viticole, avec près de 50 % de perte de chiffre d’affaires.

Globalement, les filières les plus touchées sont l’horticulture, la viticulture, les fromages sous signe de qualité, et certaines filières de viande de qualité.

Pour la pêche européenne, la crise a révélé des failles importantes, notamment une très forte dépendance à la restauration hors domicile et à l’exportation ainsi qu’un faible dialogue interprofessionnel en France.

Nous voudrions insister sur un élément qui nous a été régulièrement souligné pendant les auditions : la Commission européenne ne dispose pas d’une visibilité à moyen terme sur les marchés agricoles. Il existe en effet trois observatoires des marchés de l’agriculture et de la pêche mais ils sont concentrés sur l’ultra court terme ou le très long terme, et ne sont pas lien suffisamment étroit avec les professionnels. Cela explique en partie pourquoi l’Union européenne réagit toujours très tardivement. Il faut en effet que la crise soit extrêmement tangible pour que la Commission soit à même d’agir et cela arrive souvent trop tard.

II.   LES PRINCIPAUX OUTILS MIS EN ŒUVRE PAR L’UNION EUROPEENNE POUR FAIRE FACE A LA CRISE

Alors que, pour la pêche, la Commission européenne a réagi dès le début du mois d’avril assez fortement ([11]), il a fallu attendre pour l’agriculture la fin du mois d’avril pour mettre en place ce que l’on appelle les « mesures de marché » qui permettent d’intervenir effectivement sur les marchés.

La Commission a commencé par alléger les contrôles sur place pour les aides de la PAC. Mais il ne s’agissait en fait que d’un allégement en trompe l’œil : il n’a pas été réellement constaté en France, en particulier pour la viticulture. Par ailleurs, les contrôles de certification et les contrôles a posteriori n’ont pas du tout été allégés.

Ensuite, la principale mesure de marché a été l’aide au stockage privé. En effet, l’Union européenne peut aider les opérateurs privés à payer le coût du stockage de leurs produits pendant une période. Cela permet de réduire temporairement les effets de l’offre excédentaire.

Cette mesure a été ouverte pour six secteurs : les viandes bovines, ovines et caprines, le beurre, le fromage et la poudre de lait (ce qui est très rare), à des niveaux différents. Il s’agit évidemment d’un dispositif utile, dans la mesure où il permet de soutenir les prix.

Mais cette mesure a plusieurs inconvénients absolument majeurs :

-         d’abord, elle ne convient pas à toutes les filières, notamment celles des produits frais et périssables, comme les fruits et légumes, qui ne se stockent pas ou peu ;

-         ensuite, elle est incomplète : des secteurs n’ont pas été déclarés éligibles, notamment les filières « veaux » et « volailles » qui subissaient pourtant la crise de plein fouet ;

-         cette mesure a également été utilisée de façon très différente selon les États membres : pour le fromage, l’Italie a rempli son quota de stockage en quelques heures. La France semble avoir peu utilisé la mesure à ce stade. A la première semaine de juin, les demandes étaient faibles sur la viande de bœuf et le fromage, et aucune demande n’a été faite pour les viandes ovines et caprines ou pour la poudre de lait. Le stockage privé du secteur du fromage semble avoir été le seul à avoir une véritable efficacité pendant la crise ;

-         il faut rappeler aussi que cette mesure a été mise en place tardivement (le 4 mai) et de façon non rétroactive.

-         enfin, le stockage privé ne règle le problème que temporairement : le déstockage peut entrainer une baisse des prix s’il n’est pas fait en ordre.

La troisième mesure mise en place a été constituée par les aides d’État dans le secteur agricole. Avec un allègement de la législation « antitrust », chaque exploitation peut recevoir jusqu’à 125 000 € d’aides publiques. Cela peut être évidemment très positif au premier abord, mais cela crée surtout d’importantes distorsions de concurrence. Selon les données du mois de mai dernier, sur les 1,2 million d’euros utilisés par les États membres, les Pays-Bas concentrent la moitié des aides pour les secteurs agricoles et agroalimentaires. Si on ne prend en compte que le secteur agricole, c’est l’Allemagne qui concentre 50 % des aides.

Ainsi, les pays que l’on dit « frugaux », qui sont en fait les plus libéraux, sont les plus prompts à soutenir massivement leurs agriculteurs, ce qui va créer de fortes distorsions de concurrence dans les mois à venir et pourra pénaliser les agriculteurs français.

La quatrième mesure utilisée par l’Union européenne a été celle des « cartels de crise ». Permis par l’article 222 du règlement sur l’organisation commune des marchés ([12]), ces « cartels » permettent d’enfreindre temporairement le droit de la concurrence afin que les agriculteurs puissent s’entendre sur tous les sujets sauf les prix. Elle est évidemment très positive, mais a encore une fois été déclenchée très tardivement : il a fallu plus d’un mois de négociations pour que la Commission européenne accepte de déclencher cet article 222 !

Enfin, nous voudrions insister sur les secteurs qui ont été négligés par l’Union européenne. Il s’agit en particulier de la viticulture, qui subissait un contexte déjà très dur du fait des taxes américaines due au conflit entre Airbus et Boeing. Le secteur est en outre très dépendant de la restauration. En France, les ventes d’alcool ont baissé de 40 à 50 % pendant le confinement. La Commission européenne a autorisé des distillations de crise ou les retraits (pour éviter les stocks avant la prochaine récolte), mais elle a décidé de n’octroyer aucun financement à ce secteur.

L’horticulture, qui a subi une baisse d’activité de 80 %, n’a également pas été assez soutenue. Ce secteur a en effet été classé comme « non essentiel » car non alimentaire. Or, il réalise 70 % de son chiffre d’affaire entre mars et juin. C’est pourquoi une aide de 25 millions d’euros a été octroyée par la France à la filière horticole, mais rien n’a été fait au niveau européen !

Enfin, il faut bien se rendre compte que la Commission européenne n’était pas totalement mobilisée pour lutter contre la crise agricole. En effet, elle a fait deux annonces totalement contradictoires en pleine crise :

-         la stratégie « de la ferme à la table », annoncée le 20 mai et qui aura des impacts majeurs sur l’agriculture ;

-         la conclusion d’accords de libre-échange, en particulier avec le Mexique, qui prévoit l’ouverture du marché européen à 20 000 tonnes de viandes bovines mexicaines chaque année.

Ces deux annonces sont évidemment intervenues à des moments particulièrement inopportuns et sont totalement contradictoires. Alors que l’Union européenne cherche à élever ses standards en matière d’intrants chimiques et de bien-être animal par exemple, comment éviter une concurrence déloyale qui viendrait percuter le marché européen grâce à ces accords de libre-échange ?

 

III.   LES FAILLES DE LA POLITIQUE AGRICOLE COMMUNE REVELEES PAR LA CRISE

Cette crise a révélé à quel point les dispositifs de soutien de la PAC sont inégalitaires. Certains secteurs ne bénéficient d’aucun système d’intervention publique : c’est le cas de l’horticulture, de la viande porcine et des volailles. D’autres secteurs en revanche bénéficient de soutiens déjà bien en place.

Ensuite, les soutiens de la PAC se révèlent insuffisants dans leurs montants. La PAC ne permet pas de mettre en place des mesures de sauvetage à la hauteur de nos concurrents directs, notamment au Canada et aux États-Unis. Le gouvernement américain a effet augmenté le budget agricole de 48 milliards d’euros pour faire face à la crise. En Europe, nous sommes donc très loin du compte !

Enfin, la crise a mis en lumière une nouvelle fois la totale inutilité de la réserve de crise de la PAC. D’un montant d’environ 400 millions d’euros, elle n’a jamais été utilisée depuis sa création en 2013 (malgré la crise du lait en 2015 ou l’embargo russe de 2014) et elle doit être repensée urgemment dans le cadre de la prochaine PAC.

Cette réserve de crise souffre de trois problèmes principaux :

-         son financement : elle est financée chaque année sur les aides directes du premier pilier de la PAC et la somme, si elle n’est pas dépensée, est reversée aux agriculteurs l’année suivante. Si elle était utilisée, cela reviendrait donc à retirer 400 millions d’euros d’aides directes l’année suivante ;

-         son périmètre: elle ne bénéficie pas aux filières des fruits et légumes et du vin, qui disposent de règlements spécifiques.

-         des modalités de déclenchement non-opérationnelles : comme il n’y a pas de définition au préalable de ce qu’est une crise agricole, les États membres ne se mettent pas d’accord suffisamment tôt pour la déclencher.

 

IV.   NEUF PROPOSITIONS POUR TIRER LES LEÇONS DE LA CRISE

Il faut tirer urgemment les leçons de cette crise, ce que l’Union européenne ne fait quasiment jamais en matière agricole. Nous formulons donc 9 propositions pour y remédier.

Proposition 1 : il faut d’abord compléter rapidement les mesures d’urgence au niveau européen pour les secteurs qui en ont encore fortement besoin, en particulier la viticulture et l’horticulture, en y allouant de véritables moyens budgétaires.

Proposition 2 : il faudrait créer un grand observatoire européen des marchés agricoles, qui soit beaucoup plus en lien avec les professionnels et formuler des constats à quelques semaines ou quelques mois, sur le modèle de France Agrimer.

Proposition 3 : cette crise doit nous conduire à avoir une réflexion globale sur le statut des travailleurs saisonniers, sur tous les sujets et pas seulement le salaire. Une harmonisation de ce statut à l’échelle européenne paraît désormais indispensable.

Proposition 4 : surtout, il est urgent de travailler à une définition commune d’une « crise agricole », permettant de déclencher automatiquement les dispositifs de soutien lorsque certains critères sont remplis (notamment en terme de variation de prix). Cela éviterait à l’avenir des longues discussions qui créent un retard à l’allumage pouvant s’avérer fatal.

Proposition 5 : il parait également indispensable de réformer la réserve de crise, en la finançant en dehors des crédits de la PAC et en la dotant beaucoup plus massivement : les besoins sont évalués à environ 1,5 milliards d’euros pour qu’elle puisse avoir une efficacité. La définition commune de la crise permettrait de déclencher automatiquement la réserve.

Proposition 6 : il faut compléter la liste des secteurs pouvant bénéficier des mesures de marché, notamment le stockage privé, par exemple pour les filières « veaux » et « volailles ».

Proposition 7 : nous avons vu que l’Union européenne a mis en œuvre des mesures d’aide au stockage privé : il va bien falloir que tous ces produits soient déstockés un jour ! C’est pourquoi nous proposons un plan européen harmonisé de déstockage sur la fin de l’année 2020 et sur l’année 2021, afin d’éviter une baisse des prix.

Proposition 8 : plus largement, nous proposons de réfléchir à de nouveaux outils de régulation de marché pour réduire la production pendant la crise, en complément ou en substitution de l’aide au stockage.

Cette mesure aurait pour avantage d’être plus économe pour les finances publiques, de demander moins d’efforts administratifs et d’éviter d’avoir ensuite à écouler des volumes importants de produits sur les marchés, ce qui peut faire baisser durablement les prix. Lors de la crise laitière de 2015 (qui est celle qui s’apparente le plus à la crise actuelle), c’est la limitation coordonnée de la production qui a permis de faire remonter les prix. Mais cette action a été très tardive. Il nous faut donc réfléchir aux moyens d’aider les filières à réduire leurs productions de façon coordonnée pour éviter l’accumulation des stocks.

Proposition 9 : nous demandons un moratoire sur les mandats de la Commission européenne en matière de négociation de traités de libre-échange. Nous devons garantir beaucoup plus strictement l’exception agricole et empêcher à tout prix la concurrence déloyale ! 

*

En conclusion, nous pouvons dire que la crise a mis en avant les forces mais aussi les faiblesses de l’agriculture européenne, notamment en terme de dépendance vis-à-vis de l’extérieur. Toutes les filières ont été touchées ou vont l’être. Il faut donc se préparer à une crise dans la durée de l’agriculture européenne, qui va s’ajouter à d’autres difficultés déjà présentes.

Face à cette crise, l’Union européenne a agi, mais trop peu, trop tard et sans financements spécifiques. Elle a manqué d’une indispensable réactivité durant la crise, qu’elle a géré de façon purement administrative et avec rigidité. Les réformes que nous proposons doivent permettre d’objectiver les situations de crise et de déclencher plus automatiquement les réponses afin que l’Union européenne soit beaucoup plus réactive.

 


ANNEXE

 

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNEES

 

 

Farm Europe

 

Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA)

 

Jeunes agriculteurs

 

Coordination rurale

 

MOFEF

 

Confédération Nationale des producteurs de vins et eaux de vie de vin à Appellations d'Origine Contrôlées - Fédération européenne des vins d’origine

 

Interfel

 

Centre national interprofessionnel de l’économie laitière

 

Fédération nationale des industries laitières

 

Fédération nationale ovine

 

Fédération nationale bovine

 

Union des armateurs à la pêche de France

 

Comité national des pêches maritimes et des élevages marins

 

Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement

 


Commission européenne

 

Parlement européen

 

Ministère de l’agriculture et de l’alimentation

 

France Agrimer

 

Chambres d’agriculture


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   Travaux de la commission

Le mercredi 15 juillet 2020, la présentation de la communication a été suivie d’un débat.

Mme la Présidente Sabine Thillaye. Merci pour ce travail exhaustif et nécessaire. Je retiens vos interrogations sur la réserve de crise. Quand on réalise que ses 400 millions d’euros sont financés directement sur le budget de la PAC, on comprend mieux qu’elle ne soit pas utilisée. C’est une réserve de crise sans en être une. Beaucoup d’entre nous n’avions pas conscience de ce problème.

Comme nous le remarquons souvent au cours de nos travaux, il est important de définir les notions que nous utilisons, comme celle de « crise agricole », ce qui peut être compliqué avec 27 pays où plusieurs formes d’agriculture coexistent.

Un autre constat que je retiens est celui des difficultés de la collaboration entre professionnels du secteur, d’une part, et entre les professionnels et la Commission d’autre part. Que pouvons-nous faire pour que le dialogue soit plus nourri ?

M. Pierre Karleskind, président de la commission pêche du Parlement européen. Votre invitation va me permettre de faire parallèle entre la situation de la filière pêche, aquaculture et transformation et celle de l’agriculture. On a observé un effondrement brutal de la consommation des produits de la mer dès le confinement. Avec le confinement, nous sommes entrés dans une économie « de subsistance » : les consommateurs ont paré au plus pressé en achetant des pâtes et du riz, et moins de viande ou de poisson. Quant à la consommation hors domicile, elle représente environ la moitié de la consommation de produits de la mer en France.

Quand le marché s’effondre, toute la filière est en difficulté : criées, mareyeurs et revendeurs. Le mareyage est un maillon faible en trésorerie et faiblement capitalisé. Il n’a pas les ressources pour encaisser un coup comme celui-ci. Le système s’est grippé, il est difficile de relancer la machine même avec la reprise de la demande. Il n’y a pas de dialogue au sein de la profession. Un rapport de France Agrimer avait parlé de la filière comme d’  un canard sans tête. »

Dès le début de la crise, la Commission européenne a proposé la réorientation de certains fonds européens structurels et d’investissement (FESI) existants. Nous avons ainsi adopté en mars un paquet de mesures pour 37 milliards d’euros, dont deux mesures spécifiques à la pêche reposant sur la mise en place de système assurantiel. Deux ou trois pays seulement, dont la France ne faisait pas partie, ont réussi à les mettre en place.

Ce coup d’épée dans l’eau a provoqué de la part des membres de la commission pêche une volonté d’aller plus loin, de ne pas se contenter de mesures ne servant à rien. Un travail important a été mené avec les professionnels de toute l’Europe et les États membres. Nous avons adressé à la Commission européenne des demandes de révision du Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP), qui ont abouti à une proposition de la Commission.

Celles-ci étaient assez similaires avec celles prévalant dans le secteur agricole : indemnisation des arrêts temporaires de pêche, compensation pour les aquaculteurs, aides au stockage, flexibilités budgétaires et simplifications administratives pour la révision des programmes opérationnels dans les différents États membres, flexibilité sur l'argent destiné au contrôle (nous avons proposé que 10 % soient affectés à l'aide d’urgence). Les outre‑mer bénéficient d'un régime spécifique, car leur organisation est différente de celle prévalant en métropole.

S'agissant de la pêche et de l'aquaculture, tout le monde s'est mis en mouvement assez rapidement pour obtenir des résultats. Il reste que l'Union européenne a la marge de manœuvre que lui ont laissé les États membres dans les traités. Dans les situations de crise, on compte d'abord sur les États pour réagir. S'agissant de filières très intégrées au sein de l'Union européenne, il est handicapant de ne pas bénéficier de mécanismes d'actions. Dans le cadre des négociations sur le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche, j’ai demandé à la Commission, lors des derniers trilogues, de nous proposer des mesures d'urgence à activer en cas de crise. Pour l'instant, ma demande est restée lettre morte.

Les rapporteurs ont dénoncé le manque de visibilité à moyen terme. Depuis la dernière réforme de la politique commune des pêches, cette politique n'est plus perçue comme une politique alimentaire, mais comme une politique environnementale : il s'agit de préserver et de restaurer la ressource. Il n'y a donc pas de réflexion sur la vocation alimentaire de la pêche et de l'aquaculture. Cela permet de comprendre pourquoi il peut être compliqué d'avoir des approches similaires entre la pêche et l'agriculture. Cela explique également le manque de visibilité et l’insuffisance des propositions de la Commission. Par exemple, la mesure interdisant à un pêcheur installé il y a moins de deux ans l’accès au régime de l'indemnisation des arrêts temporaires n'a pas de sens dans le cas de la crise de la COVID-19. Nous avons donc proposé plusieurs amendements, qui ont été très difficiles à accepter pour la Commission, car ils remettaient en cause la logique environnementale et l'équilibre global du Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche.

Enfin, je regrette de n'avoir aujourd'hui aucun élément sur la mise en œuvre effective des mesures et leur efficacité sur le terrain. Il faudra sans doute attendre la fin de l'année pour cela.

Mme la Présidente Sabine Thillaye. Je pense que tout le monde souscrit à votre dernière remarque !

Mme Liliana Tanguy. Les secteurs de l’agriculture et de la pêche ont été lourdement affectés par la crise. Or, ils sont de véritables piliers économiques de l'Union : ils sont essentiels pour les travailleurs européens comme pour les consommateurs des produits européens. En effet, l'Union européenne est la première puissance agricole mondiale et la première exportatrice de produits de la mer. Ces derniers mois, en dépit de l'ensemble des risques engendrés par la crise sanitaire, des milliers de personnes ont contribué à faire vivre ce secteur. Sans relâche, ils ont préservé la sécurité de la chaîne d'alimentation de la population française et européenne, malgré la crise.

Les difficultés rencontrées par le secteur agricole ont été exacerbées par la crise sanitaire ; je pense notamment à la moindre disponibilité des travailleurs saisonniers et aux restrictions à l'importation et à l'exportation. La filière pêche a, elle aussi, été durement affectée. Nos pêcheurs, notamment les nombreux pêcheurs bretons de ma circonscription, sont restés à quai et ont dû réduire fortement leur activité économique, une activité dont ils craignaient déjà le déclin en raison du Brexit. Pour répondre à la crise, les acteurs se sont mobilisés, notamment les députés européens. Certes, ces interventions ont parfois été jugées tardives, mais elles ont été fortes. À l'échelle européenne, Pierre Karleskind, en tant que président de la commission pêche du Parlement européen, a largement contribué au soutien exceptionnel à la filière pêche, et notamment à la mise en place d'une aide au stockage et au financement des arrêts temporaires d'activité. Concernant le secteur agricole, on a su aussi apporter de nombreuses réponses en simplifiant et en assouplissant les règles de la politique agricole commune, qu’il s’agisse des demandes de paiements ou des financements.

Ces mesures temporaires et exceptionnelles ont été prises pour répondre en urgence à la crise sanitaire, mais la réflexion sur la profonde transformation de nos deux politiques communautaires historiques que sont la politique agricole commune et la politique commune de la pêche doit se poursuivre, dans une période qui comporte de nombreux défis, notamment la transition écologique et le renforcement de notre souveraineté alimentaire. Ces défis peuvent s'avérer de réelles opportunités, à condition que le soutien communautaire soit au rendez-vous. Quelles seraient les priorités pour répondre durablement à ces enjeux de souveraineté alimentaire et de transition écologique, si de nouvelles mesures sanitaires devaient être prises en cas de résurgence de la pandémie ?

Mme Caroline Janvier. Vous avez insisté sur les fragilités liées à notre dépendance, et qui concernent notamment la main-d’œuvre, l’alimentation animale et l’emballage. J’ai été sensibilisée à ces sujets dans ma circonscription du Loiret, où travaillent de nombreux producteurs de céréales, qui ont des difficultés notamment pour trouver des pièces de rechange pour leurs équipements. Il est essentiel de définir une stratégie de souveraineté en matière d’alimentation.

Il n’en demeure pas moins que l’Union reste la première puissance agricole mondiale et la première exportatrice dans le secteur agroalimentaire. Cette performance commerciale est liée à la signature d’accords de libre-échange avec des États comme le Japon ou Singapour. Comment concilier performance agricole et renforcement de la souveraineté alimentaire ?

M. Jean-Pierre Pont. La France n’avait pas utilisé tous les fonds du FEAMP : elle a donc pu aider rapidement nos marins-pêcheurs. En revanche, demeure l’épée de Damoclès du Brexit. Les fonds étant désormais épuisés, nous aurons besoin de nouvelles mesures d’aide : le FEAMP sera-t-il révisé pour faire face à une éventuelle crise majeure consécutive au Brexit ? Deux rapports de la commission des Affaires européennes, l’un sur la pêche durable, l’autre sur le Brexit, formulent des propositions. Il s’agit de réfléchir à la durabilité de la pêche et à son avenir sur l’ensemble du territoire.

Mme Nicole Le Peih. La lutte contre la pandémie a exigé des mesures drastiques. Les secteurs les plus touchés doivent être accompagnés durablement. Pour de nombreux pêcheurs et agriculteurs, la crise du COVID-19 a notamment entraîné une baisse, voire un arrêt d’activité forcé. Les pertes sont importantes et pèsent sur la reprise d’activité, mais aussi sur tous les emplois induits.

Je connais une entreprise de transformation de poisson à un quart d’heure à vol d’oiseau du port de Lorient qui importe aujourd’hui 90 % de poisson congelé du Japon. Ce pourrait être une occasion de développer les approvisionnements locaux ; je pense aussi au coût lié au carbone.

Le secteur de la pêche est aussi touché par les conséquences Brexit et tous les professionnels sont dans l’attente des résultats des négociations en cours. Plusieurs pans sectoriels ont été dévoilés dans le projet de loi de finance rectificatif, notamment pour l’automobile, l’aérien ou le tourisme. Quelles sont les pistes envisagées pour assurer au secteur de la pêche une reprise rapide et dynamique, à la fois pour répondre à l’urgence de la pandémie et pour sortir par le haut du Brexit ?

M. Jean-Baptiste Moreau. Pour faire écho à ce que dit M. Karleskind sur la vision de la Commission européenne des enjeux de l’agriculture et de la pêche, je pense qu’il a tout à fait raison. Elle s’est habituée à gérer des excédents agricoles et ne voit plus du tout l’agriculture comme quelque chose de stratégique et qui pourrait amener à manquer dans les années à venir si nous n’avons pas de stratégie à long terme.

Avec la diminution du nombre d’agriculteurs, puisque 50 % d’entre eux vont prendre leur retraite d’ici 2022, il y a un fort enjeu de renouvellement des générations qui n’est absolument pas assuré pour le moment. Les prix agricoles ne permettent pas une pérennité des exploitations. La notion de souveraineté et d’indépendance alimentaire n’est pas dans le viseur de la Commission, qui pense que cette souveraineté est acquise à jamais.

Je pense que c’est une erreur profonde que nous allons payer très cher d’ici quelques années s’il n’y a pas un réveil rapide de la Commission et des États membres. Les révoltes de la faim ont contribué à renverser tous les régimes, dictatures comme démocraties. Il faut être vigilant et alerter sur le fait que la souveraineté alimentaire n’est pas acquise à jamais ; elle peut être remise en cause d’ici quatre ou cinq ans. En cas de crise profonde, il peut y avoir pénuries et manques. Le réveil sera alors très douloureux.

On voit que les États-Unis ont investi lourdement dans l’agriculture alors que ce n’est pas un pays très interventionniste pour faire suite à cette crise. La Commission européenne ne propose rien de très neuf pour accompagner l’agriculture.

Concernant la question de Mme Janvier, l’autarcie n’est effectivement pas la solution. L’agriculture européenne a besoin d’échanger, sans quoi elle meurt dans les six mois. Cependant, nous nous imposons des normes demandées par les consommateurs européens. Il faut que ces normes s’appliquent de façon homogène aux agriculteurs européens et que ces normes européennes que nous imposons à nos producteurs le soient aussi aux produits importés et qui circulent en Europe. Il nous faut avoir les moyens de le contrôler Sinon, il y a un phénomène de défiance croissante entre le consommateur et l’agriculteur, car il ne sait pas quelles sont les conditions de production et n’a plus confiance dans la fiabilité des productions. L’Europe doit jouer tout son rôle pour harmoniser faire respecter les normes, tant pour la production européenne que pour les importations.

M. André Chassaigne. Je partage complètement ces propos. Sur la question du libre-échange, il y a des normes à respecter pour les produits importés comme exportés. J’ajouterai qu’il faut que nous puissions sortir d’une conception économique qui est celle du début du XIXe siècle, portée notamment par David Ricardo, des avantages comparatifs. On ne peut plus produire et acheter là où c’est moins cher. Il faut sortir de cela, sans quoi nous allons mourir. Bien évidemment, il faut des échanges, mais ils doivent aller vers la complémentarité des productions et non la compétitivité ou la guerre des prix. Je crois que la vision que nous avons aujourd’hui des accords internationaux ne peut être la même qu’avant cette prise de conscience. Il faut des échanges et de la coopération, mais sur une autre base.

Sur la question de la souveraineté alimentaire, le ministre de l’agriculture a annoncé le 18 juin dernier que la France allait lancer à la rentrée une grande conférence sur la sécurité alimentaire. Les parlementaires du Massif central, sous l’influence d’organisations comme la Fédération nationale bovine, voudraient profiter du Sommet de l’élevage à Clermont-Ferrand pour organiser cette conférence sur la souveraineté alimentaire, qui associerait les États européens. Il n’est pas question de donner des leçons mais de faire avancer la prise de conscience.

Je termine en rappelant le rapport que nous avons rendu avec Alexandre Freschi sur une agriculture durable pour l’Union européenne. Nous avions tendance à dire qu’il s’agissait de la PAC de la dernière chance. Si la nouvelle PAC ne permet pas une agriculture durable dans la dimension environnementale, économique et sociale, nous allons à la catastrophe. À nous de faire avancer la nécessité et l’exigence d’une PAC différente.

Mme la Présidente Sabine Thillaye. J’aimerais connaître l’avis de M Karleskind sur la demande des rapporteurs d’un moratoire sur le mandat de négociation d’accords de libre-échange de la Commission européenne. On touche à une question sensible ; c’est une compétence exclusive de l’Union européenne. L’agriculture n’est pas le seul secteur concerné.

M. Pierre Karleskind, président de la commission pêche du Parlement européen. C’est effectivement une compétence exclusive, mais soumise in fine à ratification par les parlements nationaux.

La comparaison avec les États-Unis est très intéressante, mais elle s’arrête sur un pont. L’État fédéral est libre d’adopter son budget, la Commission européenne ne l’est quasiment pas. Nous sommes d’ailleurs en pleine négociation du cadre financier pluriannuel ; en déborder en d’une incroyable complexité. La principale difficulté que nous avons en Europe est que nous avons dévolu à l’échelon européen la définition de certaines politiques et les moyens de leur mise en œuvre, mais dans le même temps, il n’y a pas de liberté d’augmenter ces moyens d’intervention en cas de crise. Notre Union reste un édifice inachevé.

On revient aux fondamentaux et à Jean Monnet, selon lequel ce sont les crises qui font avancer l’Europe. S’il y a bien une chose que j’espère, puisqu’il faut tirer les enseignements de toutes les crises, c’est justement que dans les esprits de nos collègues européens, la question de la souveraineté alimentaire soit posée. Les cultures sont différentes : la France pourrait très bien se suffire à elle-même, tandis que certains pays du Nord ne peuvent pas tout produire eux-mêmes. Ces cultures sont profondément ancrées et, au Parlement européen, il faut composer avec vingt‑sept cultures différentes. Cependant, je crois que cette crise fait évoluer la réflexion.

Je constate aussi sur les accords internationaux, et j’en ai été étonné, que le Parlement élu en 2019 a changé. Il y a une vraie divergence entre ce que mes collègues et ce que la Commission porte dans la négociation des accords internationaux. La divergence est de moins en moins cachée et de plus en plus claire. Nous avons adopté récemment l’accord de libre-échange avec le Vietnam, mais j’ai senti qu’il n’aurait pas fallu grand-chose pour qu’il ne passe pas.

Les critères environnementaux, sanitaires, sociaux et économiques européens ne peuvent pas passer à la trappe des négociations internationales. À l’occasion de la discussion sur l’accord avec le Vietnam, j’ai porté au nom de mon groupe un amendement, qui a été adopté. Le règlement sur la pêche internationale prévoit qu’on ne peut passer d’accord avec les pays qui ont un carton rouge, c’est-à-dire qui ne respecte pas le cadre légal de la pêche. Les cartons oranges signifient que les États sont en train de faire des efforts, mais certains le sont depuis plusieurs années. Cet amendement fait basculer les pays qui sont en carton orange depuis cinq ans automatiquement en carton rouge. Ces pays ne peuvent alors pas bénéficier d’accords de libre-échange ou de tarifs douaniers préférentiels.

En cela, nous travaillons actuellement sur le règlement relatif au contrôle des activités de pêche et des produits de la mer qui entrent sur le territoire. Il y a un gros volet sur la traçabilité. C’est un élément que j’estime très sensible. Les consommateurs sont très mal informés. Chez le poissonnier, on peut lire « poisson pêché en Atlantique Nord Est ». Pour moi qui suis océanographe, l’Atlantique Nord Est commence à l’équateur. On peut donc pêcher au large de la Mauritanie, ce qui n’est pas la même chose que de pêcher en Bretagne. Je crois qu’il est très important que le consommateur sache par quel bateau le poisson a été pêché, et s’il a fait trois fois le tour du monde. Nous y travaillons, et l’état d’esprit à Bruxelles et à Strasbourg évolue sur ce point.

Sur le budget, que faire en cas de crise ? Il y a la nécessité de disposer d’outils qui s’adaptent, car on ne sait pas quelle sera la prochaine crise. Il est donc complexe de savoir d’emblée quels sont les outils dont nous devons disposer en cas de crise. Il faut en tout cas donner à la Commission européenne une capacité d’agir temporairement mais rapidement, ce que nous avons été incapables de faire. Nous arrivons donc aux limites institutionnelles de notre fonctionnement : on demande beaucoup de choses à l’Union européenne sans lui donner les moyens d’agir avec souplesse et rapidité. Il faut choisir : soit nous demandons des choses à l’Union européenne et on lui en donne les moyens, soit nous décidons de garder les compétences au niveau des États membres.

Par ailleurs, comme l’a vu dans le secteur de l’agriculture, les aides d’État ont été utilisées dans le secteur de la pêche, puisque le plafond a été multiplié par quatre. Mais ce sont les États qui en avaient les moyens qui ont pu le faire.

Pour répondre à M. Pont, il n’y a pas que la France qui n’a pas beaucoup utilisé les crédits du Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP). Il s’agit en effet du fonds européen structurel et d’investissement le moins utilisé : il est difficile à mettre œuvre et a été adopté tardivement en 2015. Certains États disposent donc de crédits non‑utilisés qui permettent de répondre à la crise du COVID-19.

Pour la suite, les choses sont en train de se mettre en place. Si, jusqu’à présent, il n’y avait aucun retour sur l’idée d’utiliser les crédits du FEAMP en cas de Brexit sans accord, la Commission européenne a, il y a deux semaines, proposé 500 millions d’euros supplémentaires pour le futur FEAMP. 300 millions d’euros de cette nouvelle enveloppe pourraient être utilisés pour pallier les difficultés du Brexit. Cela ne constitue pour l’instant que la proposition de la Commission européenne dans le cadre du prochain cadre financier pluriannuel. M. Charles Michel, président du Conseil européen, propose de créer un fonds spécifique de 5 milliards d’euros pour répondre aux enjeux du Brexit.

Plusieurs propositions ont donc été avancées, les choses ne sont pas très claires mais cela fera l’objet de la négociation qui va commencer dans deux jours lors du Conseil européen, ce qui doit nous permettre d’y voir plus clair. Ma conviction personnelle est qu’il vaut mieux disposer d’un fonds européen spécifique pour le Brexit. En effet, si on prévoit dans le FEAMP une ligne spéciale pour le Brexit, cela signifierait qu’on retirerait autant à ce fonds global, déjà peu élevé, pour le reste de la pêche, alors qu’il existe beaucoup d’enjeux en termes de modernisation de la flotte de pêche.

Mme la Présidente Sabine Thillaye. Concernant les accords commerciaux, malheureusement les parlements nationaux n’auront plus à ratifier les accords dits de « nouvelle génération ». Nous pouvons toutefois peser sur nos gouvernements respectifs puisque c’est le Conseil qui mandate la Commission pour l’ouverture des accords.

 


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   communication sur « La rÉponse sanitaire europÉenne est‑elle à la hauteur des enjeux ? »

   Texte de la communication de
Mme Marietta Karamanli et M. Jean‑Pierre Pont

Nous essaierons aujourd’hui de répondre à la question que nous sommes nombreux à nous poser depuis plusieurs mois : la réponse sanitaire de l'Union européenne a-t-elle été à la hauteur des enjeux ?

Nous avons auditionné plusieurs experts : une professeure de droit international et une spécialiste des risques sanitaires globaux, un consultant en gestion de crise et ancien chef du département des urgences sanitaires de la DGS, une haute fonctionnaire de la Commission européenne, des membres de la commission de la santé du Parlement européen et des membres du Bundestag allemand.

Nous avons pu entendre différents points de vue, souvent convergents, sur les mesures prises, les possibilités d’action et les limites aux initiatives de l’Union au regard de ses compétences reconnues ou possibles et sur les limites des réponses apportées à la crise.

Nous exposerons tout d’abord quelle était la configuration des systèmes de santé des États membres avant le début de la crise, ainsi que les premières réactions nationales et européennes qui ont suivi son déclenchement.

Nous pourrons ensuite analyser les mesures adoptées par l’Union au regard des compétences qu’elle a pour agir, et proposer des axes et recommandations plus opérationnelles pour améliorer son action dans la perspective de nouvelles crises dont les pandémies et épidémies.

 

I.   Si la réponse à la crise a d’abord été nationale, l’Union s’est pleinement saisie des enjeux

A.   Des systèmes de santé hétérogènes mais dans l’ensemble résilients

L’analyse des systèmes de santé des États membres de l'Union avant le déclenchement de la pandémie montre que la plupart des États membres étaient bien positionnés selon les trois critères utilisés par l’Observatoire européen des systèmes et des politiques de santé : l’efficacité, l’accessibilité et la résilience des systèmes de santé.

Les dépenses de santé en part du PIB ont augmenté au cours de la décennie écoulée dans l’ensemble des pays européens, avec une moyenne de dépenses de 9,8 % du PIB soit environ 2 900€ en parité de pouvoir d’achat par habitant. Les pays dont les dépenses de santé sont les plus importantes sont la Norvège, l’Allemagne, l’Autriche, la Suède et les Pays-Bas. A l’inverse, les pays de l’Est ont les taux de dépense les plus faibles.

En revanche, les dépenses de prévention ne représentent en moyenne que 3 % de l’ensemble des dépenses. La plupart des États européens dispose d’une couverture maladie universelle financée par des organismes publics ou assimilés. En matière de personnel hospitalier, le nombre de médecins a augmenté dans la plupart des pays européens pour atteindre une moyenne de 3,6 médecins pour 1 000 habitants. Le nombre de lits pour 1000 habitants est en moyenne 5.

Mais on constate de fortes disparités pour ce qui est du nombre de lits de soins intensifs. Alors qu’en Allemagne et en Autriche on trouve respectivement 34 et 29 lits de soins intensifs pour 100 000 habitants, en Espagne et en Italie – pays très fortement touchés par la pandémie – on est à moins de 10 lits de soins intensifs pour 100 000 habitants.

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Le dernier classement (2019) de la John Hopkins University relatif au degré de préparation des différents États face à une éventuelle pandémie place la France en 11ème position au niveau mondial. Il n’y a qu’un seul pays européen mieux classé que la France, il s’agit du Royaume-Uni en 2ème position. La crise de 2020 a montré les limites de ces évaluations formelles et théoriques.

B.   Des premières réponses nationales éparses voire incohérentes

Le 7 janvier 2020, un mois après la première apparition du virus en Chine, la Commission européenne a activé le mécanisme d’alerte précoce. Il sert à échanger des informations sur l'évaluation et la gestion des risques afin que les autorités sanitaires de l'UE et de l’Espace économique européen (EEE) puissent réagir efficacement et rapidement aux menaces sanitaires transfrontalières graves.

Le 25 janvier, le virus a atteint l’Europe ; dès le 28 janvier, l’Union a activé le mécanisme européen de réponse aux crises (IPCR) en mode d'échange d'informations afin que les États membres et les institutions puissent procéder à une évaluation conjointe de la situation et des mesures à prendre. Le 30 janvier, l’OMC a annoncé une urgence sanitaire internationale.

En février 2020, une augmentation significative des cas de COVID-19 est signalée dans le nord de l'Italie, alors que dans le même temps, plusieurs autres États membres de l'UE signalent des cas de personnes infectées.

Certains experts considèrent que les différents états européens n’ont considéré la gravité qu’à partir de la situation italienne (« point de bascule »). A ce moment, ce sont les réactions nationales des différents états européens qui ont été au premier plan, l’UE étant quasi-absente. Que ce soit pour les décisions concernant le trafic aérien, les frontières, les équipements (interdiction d’exportation des équipements y compris au sein de l’UE), les stratégies d’investigations épidémiologiques, les études de recherche à lancer (sur le plan de la connaissance de la maladie ou de son traitement), aucune coordination européenne n’apparaît clairement.

Le 4 février, plus de 20 000 personnes ont été infectées par le nouveau coronavirus – la plupart en Chine. Toutefois, l’OMS se refusait encore à parler de pandémie, l’épidémie étant à ce stade surtout concentrée sur le continent asiatique.

Le 13 février, l’Union a mis en place un comité de crise et a activé son système de coordination de crise ARGUS, qui coordonne les efforts de l’ensemble des instances compétentes de l’Union.

Compte tenu de la détérioration de la situation et des différents secteurs touchés (santé, services consulaires, protection civile, économie), la présidence fait passer l'activation du mécanisme du IPCR au mode complet le 2 mars 2020.

Fin février et début mars, les mesures contre la propagation du virus sont considérablement renforcées dans plusieurs États membres. Les premiers problèmes de respect des règles européennes apparaissent. Dans le débat médiatique, l'UE semble soit être reléguée au second plan, soit être perçue comme manquant de solidarité et dysfonctionnelle. Les médias parlent beaucoup des offres d'aide de la Chine, de Cuba ou de la Russie, tout en déplorant le manque de solidarité européenne.

Le 11 mars, l’Autriche et la Slovénie ont partiellement fermé leurs frontières avec l’Italie et ce sans consulter les institutions européennes. Ces décisions nationales ont été critiquées par le Président français, qui appelait du même coup à un renforcement de la coordination entre les différents États membres.

Comme on le sait, les réactions nationales ont d’abord été très hétérogènes et mal articulées. Dès le début de la pandémie, tous les États (à l’exception de l’Irlande et du Danemark) ont restreint le trafic aérien. Partout sauf en Suède les magasins, restaurants, cafés et à des degrés divers les écoles ont été fermés. En France (depuis le 17 mars), en Espagne (depuis le 14 mars) et en Italie (depuis le 10 mars), un confinement strict a été mis en place.

La grande variété des situations empêche de déterminer, même rétrospectivement, quelle stratégie s’est révélée la plus efficace.

Tout d'abord, il faut tenir compte du fait que les structures d'âge prédominent dans les différents États membres, que les systèmes de soins de santé sont organisés différemment et que le degré d'atteinte varie également beaucoup en termes de nombre d'infections. En outre, en raison des différentes façons de compter les décès (décès à la suite d'une infection par le virus ou en relation avec une infection), des différentes capacités de dépistage et du nombre de personnes dépistées, il n'existe toujours pas de base de données fiable pour procéder à une évaluation finale.

C.   Une réponse tardive mais réelle de l’Union

Bien que la politique de santé soit une compétence exclusive des États membres et bien que le champ d’action de l’UE soit, par conséquent, extrêmement limité, la Commission européenne a néanmoins pris de nombreuses mesures utiles ces derniers mois, en mobilisant des instruments existants et des instruments nouveaux pour limiter la propagation de l’épidémie, mettre à disposition du matériel médical et financer la recherche d’un vaccin.

Certains outils existaient déjà avant la pandémie de Covid-19 : Le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC), le Système d’alerte précoce et de réaction, le Comité de sécurité sanitaire, son groupe de travail permanent et le programme Horizon 2020.

Néanmoins d’après les témoignages des experts auditionnés la coordination s’était montrée faible à l’occasion de précédentes menaces :  Dès la crise d'Ebola, on a pu constater l'absence quasi totale de coopération au niveau de l'Union, que ce soit dans le contrôle sanitaire aux frontières, qui a été décidé d'État à État sans aucune concertation, dans les équipements (la concurrence entre États européens pour les équipements est une réalité qui anticipe la situation en 2020) ou dans le rapatriement en Europe des soignants touchés par le virus afin de les traiter (il n'a pas été possible de trouver un accord européen pour les avions).

Parmi les principales nouvelles mesures prises fin mars et début avril, on peut citer les suivantes :

Désormais, tous les efforts de l’Union sont tournés vers la recherche d’un vaccin et la garantie de son accessibilité pour l’ensemble des États membres.

Il existe actuellement 161 projets de vaccins contre les coronavirus dans le monde, dont 17 projets en phase d'essai. Trois coopérations européennes sont déjà relativement avancées (Phase II ou III):

-         Les entreprises allemandes Biontech et CureVac ;

-         La coopération d'Astra Zeneca avec l'université d'Oxford ;

-         La coopération entre Sanofi (France) et GSK (Grande-Bretagne).

Le 17 juin 2020, la Commission européenne a présenté une stratégie européenne en matière de vaccins. Cette stratégie vise à réduire le temps nécessaire au développement et à la disponibilité de vaccins pour les États membres. Pour y parvenir, la Commission souhaite mettre en place une procédure de passation de marchés centralisée. En échange du droit d'acheter un certain nombre de doses de vaccins à un prix fixe dans un certain délai, l'UE financera une partie des coûts initiaux des fabricants de vaccins dans le cadre de l'ESI (pour 2,7 milliards d’euros). La Commission est prête à entamer des négociations avec tous les fabricants de vaccins qui sont déjà entrés dans la phase clinique. La répartition de l'accès aux doses de vaccin entre les États membres sera fonction d’une clé de répartition basée sur la taille de la population. En outre, la Commission participera à l'élaboration d'une stratégie mondiale de vaccination et d'une stratégie d'attribution des vaccins afin de garantir que les groupes prioritaires reçoivent des vaccins le plus rapidement possible.

L'UE apporte déjà un soutien considérable au développement de vaccins, en soutenant par exemple les entreprises Biontech et Curevac avec des prêts de la BEI s'élevant respectivement à 100 et 75 millions d'euros. La Commission européenne fournit également à la Gavi, l'Alliance du Vaccin, un financement de 300 millions d'euros pour la période 2021-2025. Lors de la conférence des donateurs pour une réponse mondiale à la crise de Covid‑19, co‑organisé par la Commission européenne le 4 mai, Gavi a reçu des promesses de dons d'un montant total de plus de 1,5 milliard d'euros.

Certains États membres ont déjà formé une « Alliance européenne pour le vaccin contre la COVID-19 », notamment la France, l'Allemagne, l'Italie et les Pays-Bas. Le premier accord signé avec la société pharmaceutique AstraZeneca porte sur un maximum de 400 millions de doses de vaccin, que la société développe en partenariat avec l'université d'Oxford. D'autres négociations avec d'autres entreprises sont également prévues ; l’alliance est d’ailleurs ouverte aux États tiers.

II.   Les limites de l’action de l’Union s’expliquent d’abord par les moyens insuffisants dont elle dispose

A.   Une compétence de l’Union limitée

Dans le domaine de la protection et de l'amélioration de la santé humaine ainsi que dans le domaine de la protection civile l'Union est uniquement compétente pour mener des actions visant à appuyer, coordonner ou compléter les actions des États membres, sans pour autant se substituer à la compétence dans ces domaines (art. 6 Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne - TFUE).

Par conséquent, l'action de l'Union dans le domaine de la santé publique ne peut consister essentiellement qu'à compléter les politiques des États membres. Cela comprend la surveillance, l'alerte précoce et la lutte contre les menaces transfrontalières graves pour la santé. L'Union encourage la coopération entre les États membres et les États membres coordonnent entre eux, en consultation avec la Commission, leurs programmes et politiques dans ce domaine. La Commission peut prendre toute initiative utile pour promouvoir cette coordination (art. 168 TFUE).

Il existe deux bases juridiques qui permettent explicitement de fournir une assistance aux États membres en cas d'urgence :

-          l'article 222 TFUE prévoit une clause de solidarité au cas où un État membre est victime d’une attaque terroriste ou d’une catastrophe naturelle ou d’origine humaine.

-          sur la base de l'art. 196 TFUE, les États membres peuvent aussi activer le mécanisme de protection civile pour demander des fournitures médicales et du personnel médical.

En plus, il y a quelques domaines de compétence sanitaire partagée :

-          les « enjeux communs de sécurité en matière de santé publique » (article 4 TFUE).

-          dans le cadre de la protection de l’environnement la « protection de la santé des personnes » fait partie des objectifs de cette politique (art. 191 TFUE).

-          l'UE peut adopter des règles contraignantes en matière de franchissement des frontières intérieures ainsi que de contrôle et de surveillance efficace du franchissement des frontières extérieures (art. 77 TFUE).

-          il existe en dehors de cela une base juridique indirecte dans l'art. 114 TFUE, qui habilite l'Union à harmoniser les législations nationales en vue de la réalisation du marché intérieur, notamment dans le domaine de la santé.

-          L'Union dispose d'une compétence exclusive pour « fixer les règles de concurrence nécessaires au fonctionnement du marché intérieur » (art. 3 TFUE). Cela inclut la loi sur les aides d'État. Les aides d'État sont en principe interdites, mais l'art. 107 TFUE autorise l'octroi de certaines aides et l'approbation discrétionnaire de certaines autres par la Commission. Ainsi, c'est possible de soutenir des projets de recherche et de produire de biens nécessaires.

B.   Des instruments juridiques à rationaliser et à mieux exploiter

Malgré les mesures inédites qui ont été prises, l’action de l’Union est souvent apparue, pour l’opinion, comme tardive et discrète. Pour les citoyens, les compétences réelles de l’Union dans le domaine de la santé ne sont pas claires : dans ce contexte, les attentes sont fortes mais nécessairement déçues.

L'Union ne fait pas partie des accords multilatéraux dont l’objectif principal est de protéger la santé, mais elle est liée par divers types d'accords qui protègent la protection de la santé de manière subsidiaire ou indirecte. Il s'agit d'accords de coopération bilatéraux et de partenariats entre l'UE et des pays tiers, qui impliquent une assistance et une coopération afin de développer des systèmes de santé publique efficaces, ou d'accords environnementaux multilatéraux, dont la mise en œuvre implique une action dans le domaine de la santé. En outre, la "no harm rule" du droit international oblige les États à utiliser tous les moyens à leur disposition pour prévenir les dommages causés aux autres États à partir de leur territoire ou par une activité sous leur contrôle. Ce principe peut également être appliqué à l'UE dans une mesure limitée.

En vertu des traités européens, l'UE doit respecter le principe de loyauté : Elle doit coopérer avec les États membres pour s'assurer qu'ils remplissent leurs obligations. Cela inclut de nombreuses obligations internationales dans le domaine de la santé, telles que la "no harm rule", le Règlement sanitaire international (RSI) et la protection du droit à la santé, comme le prévoient plusieurs traités sur les droits de l'homme.

Il faut bien admettre, aussi, que l’Union a dans un premier temps tardé à réagir et à activer la clause de solidarité de l’article 222 du TFUE prévoyant une assistance mutuelle en cas de catastrophe naturelle. En parallèle, les réflexes souverains des Etats nations ont resurgi, de manière un peu analogue à ce qu’on a vu pendant la crise des réfugiés de 2015, aboutissant à une limitation des exportations entre Etats membres des équipements médicaux. Ces décisions nationales ont abouti à une coopération sous-optimale et à des ruptures de la chaîne de production et d’approvisionnement.

Dans la perspective d’une nouvelle crise sanitaire ou d’une nouvelle vague, que nous ne souhaitons évidemment pas, les enseignements suivants pourraient être retenues :

-         l’Union dispose désormais de compétences et d’instruments qui, s’ils sont limités, sont néanmoins réels : elle doit parvenir à les utiliser de manière plus efficace ;

-         les bases juridiques liées à la politique de santé sont éparses dans les traités : nous aurions tout intérêt à les réunir et les expliciter atteindre une meilleure lisibilité et une plus grande efficacité.

Si l’on compare l’action de l’Union en matière de santé et l’action de l’Union en matière d’environnement, domaine où elle dispose de prérogatives comparables, on s’aperçoit que l’Union adopte une approche beaucoup mieux déterminée pour ce qui touche à l’environnement. Il y a ici un retard à rattraper, dont la crise du Coronavirus nous aura fait prendre conscience. L’Union doit mener dans le domaine de la santé une action aussi résolue et explicite que celle qu’elle mène en faveur de l’environnement.

La crise de Covid-19 a également montré que les systèmes santé des États membres sont très différents, quand on compare par exemple le nombre de médecins ou de lits par habitant. Ces différences de situations initiales créent des écarts importants en cas de crise et une difficulté à adopter des solutions adaptées pour tous les pays. L'Union doit faire usage de ses compétences pour soutenir l’harmonisation des systèmes de santé et pour faciliter une meilleure coordination de l'approvisionnement en médicaments, en produits médicaux et du transport des patients en cas de surcharge des systèmes de santé dans les différents États membres.

III.   Donner à l’Union les moyens d’une politique de santé ambitieuse

La première recommandation serait de créer une base de données fiable pour évaluer l'impact réel de la pandémie. Il conviendrait à cet égard d'examiner le taux de mortalité dû à la maladie de Covid-19, le taux de surmortalité, et les taux de mortalité hospitalière, en particulier chez les patients placés en soins intensifs. Il est important de disposer d'une méthode de comptage uniforme à l'échelle de l'UE et d'une méthode uniforme de collecte des données, idéalement coordonnée par le ECDC.

Afin d'examiner régulièrement (hebdomadairement ou mensuellement) la surmortalité, on pourrait utiliser le réseau de collaboration EuroMOMO, qui collecte et fournit chaque semaine des statistiques nationales sur la mortalité. Le réseau vise à détecter et à mesurer la surmortalité associée à la grippe saisonnière, aux pandémies et à d'autres menaces pour la santé publique. Le réseau est soutenu par l'ECDC et l'OMS et géré par le Statens Serum Institut au Danemark.

Les experts que nous avons entendus ont également recommandé la mise en œuvre d'une stratégie de crise pour les urgences épidémiologiques, fondée sur les instruments existants (comme la réserve stratégique « RescEU ») et sur la clause de solidarité de l'article 222 TFUE.

À cette fin, les scénarios de crise devront être soumis à des exercices réguliers, par exemple deux fois par législature, afin que l’ensemble des institutions puisse réagir rapidement et efficacement quand cela sera nécessaire. Cette stratégie commune devrait également prévoir des critères uniformes relatifs aux restrictions de transports (notamment aérien) et à l'introduction de contrôles aux frontières nationales.

Par ailleurs, une nouvelle stratégie industrielle permettrait d'établir une production indépendante de médicaments et de fournitures médicales nécessaires sur le territoire de l'Union. Une première étape consisterait à identifier et à définir les chaînes de production et les médicaments essentiels en cas de crise. Une partie de la production doit être réservée à la demande européenne, ce qui revient à interdire l'exportation des produits concernés vers des pays tiers. Cette relocalisation de la production pourrait reposer sur la formation de consortiums, sur le modèle de ce qui existe pour la recherche et la production de batteries de voitures. En outre, le marché commun devrait être utilisé spécifiquement pour la production pharmaceutique (médicaments, dispositifs médicaux, équipements de protection, matériel médical).

Il paraît également nécessaire d’augmenter significativement la réserve stratégique européenne « RescUE » afin d'inclure les biens médicaux et les ressources humaines mobilisables à tout moment. Les biens doivent être acquis par le biais d'une procédure de passation de marché conjointe, pour laquelle des fonds suffisants doivent être prévus dans le cadre financier pluriannuel.

Entre toutes les recommandations que nous avons entendues, la proposition la plus ambitieuse consisterait à créer une force européenne de la santé qui permettrait :

-         Une relocalisation de la production avec une évolution de la réglementation qui assure « l’approvisionnement souverain » ;

-         La création d’une réserve sanitaire européenne composé de personnel médical et soignant formés aux urgences et gestes adaptés en provenance de toute l’Union ;

-         Un système européen coordonné pour la distribution de médicaments et le transport des patients ;

-         Le renforcement de la recherche commune et la conduite d'essais cliniques conjoints avec une évolution concomitante des règles et bonnes pratiques si cela s’avère nécessaire ;

-         Un budget dédié aux questions de santé communes ou du moins un fléchage de crédits permettant d’assurer la visibilité de l’action européenne et son évaluation y compris au niveau des différents parlements nationaux.

D'un point de vue juridique, nous recommandons d'interpréter les notions présentes dans les traités – comme la notion de « santé publique » – dans le sens d’une solidarité européenne.

En outre, il serait utile de rassembler les différentes bases juridiques relatives à la santé dans un article unique, afin de clarifier les compétences de l’Union et de l’inviter à les utiliser plus systématiquement.

Plus radicalement, il n’est pas impensable que la santé soit conçue comme une compétence partagée et qu’il en soit tiré les conséquences à l’article 168 TFUE, qui décrit les actions que l’Union peut prendre à ce titre. En ce qui concerne le mécanisme de protection civile, il est également nécessaire d'aller au-delà de la simple coordination et d'approfondir l'intégration, comme cela a été fait en cas de la réserve stratégique « RescUE ».

Nous devons pouvoir mener avec les autres parlements nationaux une réflexion commune et une action concertée pour que les exécutifs nationaux et européen prennent les mesures utiles en ce sens.

À la fin, il semble souhaitable d'évaluer le plus rapidement possible les mesures prises par l'UE et les instruments nouvellement créés et d'examiner leur efficacité.


CONCLUSION

 

L'ampleur historique des mesures prises par l’Union montre que celle-ci, malgré ses compétences limitées dans le domaine de la santé publique, est tout à fait capable d'agir. Elle a déjà réussi à apporter, dans l’urgence, une réponse efficace et ciblée aux défis posés par la pandémie en exploitant comme elle l’a pu le faire les compétences que lui donnent les traités.

Néanmoins, une mise en œuvre mieux coordonnée des mesures et recommandations formulés par l’Union semble cruciale dans la perspective d’une éventuelle « deuxième vague ».

À cette fin, il serait souhaitable que les politiques visant à préserver la santé publique relève des compétences partagées, à chaque fois qu’une catastrophe sanitaire concerne de manière symétrique la totalité de l’Union.

On ne peut pas à la fois reprocher à l’Union de ne rien faire, et refuser de lui déléguer les compétences nécessaires à la détermination de politiques efficaces ! Il faut lever l’ambiguïté.

Les pandémies touchant par définition plusieurs États et même plusieurs continents, il serait conforme à l’esprit du principe de subsidiarité que la réponse à une telle crise relève en premier lieu du niveau communautaire.

 


ANNEXE

 

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

 

 

Université Le Mans ; Faculté de Droit, des Sciences Economiques et de Gestion

 

Direction générale de la santé (DGS)

 

Parlement européenne, Commission de l'environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire

 

Commission Européenne

 

Deutscher Bundestag

 

 

 


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   Travaux de la commission

Le mercredi 15 juillet 2020, la présentation de la communication a été suivie d’un débat.

Mme la Présidente Sabine Thillaye. Même si l’Union européenne ne dispose pas de compétences véritables en matière sanitaire, elle a été en mesure de réagir face à la pandémie. Avec la souveraineté alimentaire, la santé est un autre sujet qui, à n’en pas douter, nourrira la conférence sur l’avenir de l’Europe, qui devrait être lancée à l’automne. Mon seul regret est l’absence d’évaluation des systèmes de santé européens qui présentent de nombreuses différences dont il aurait été possible de tirer des enseignements utiles.

Mme Liliana Tanguy. Je souhaiterais revenir sur la mise en place d’un mécanisme européen de réaction sanitaire qui me semble faire écho à la proposition de la députée européenne Véronique Trillet-Lenoir. Je note également qu’il n’y a pas de plan de crise formalisé à l’échelle européenne. En cas de nouvelle crise, comment fera-t-on ? 

Je m’interroge également sur la question de la relocalisation de la production des principes actifs des médicaments, actuellement à 80 % produits en Asie ? Comment faire, alors que les coûts de production en Europe sont bien plus élevés, avec des conséquences potentielles pour nos systèmes d’assurance-maladie ? Peut-on imaginer selon vous une relocalisation dans les pays des Balkans occidentaux, lesquels pourraient les produire à un coût très compétitif ?

Mme Marietta Karamanli. Ce mécanisme européen de réaction sanitaire existe. C’est RescUE, mais il ne fonctionne pas. D’où notre proposition d’une véritable force européenne de santé, mise en œuvre par les États-membres sous l’égide de l’Union européenne. On éviterait ainsi que ce soit des médecins chinois, russes ou cubains qui viennent en renfort de l’Italie en cas de crise, comme ce fut le cas avec la crise du coronavirus.

S’agissant de la relocalisation de l’industrie du médicament, le coût n’est pas le seul déterminant. Il y a une industrie chimique puissante en Allemagne et nous avons été capables de produire des surblouses et des masques rapidement. Les capacités de production existent. Elles sont toutefois dépendantes d’une volonté politique de ne plus être dépendant de l’extérieur. 

M. Jean-Pierre Pont. Les médicaments concernés sont, d’une manière générale, les plus simples et, de ce fait, les moins rentables. D’où le fait d’ailleurs que leur production ait été délocalisée en Asie.

M. Alexandre Holroyd. Il y a quelques semaines, Jean-Louis Bourlanges soulignait que le problème des masques ne venait pas tant du lieu de production en soi, mais du fait qu’il n’y en avait qu’un, en l’occurrence le pays où l’épidémie a commencé. Cela a créé de grandes tensions menant à une pénurie, qui est terminée aujourd’hui.

Marietta Karamanli a dit dans sa réponse qu’il y avait des industries chimiques en Allemagne et en Suisse. S’il y a une industrie chimique en Suisse, ce n’est pas parce que l’État impose à des usines de s’installer dans tel ou tel canton. Quel levier l’État utilise-t-il pour atteindre un objectif de relocalisation, que j’imagine ciblée ?

Mme Marietta Karamanli. Il est possible d’orienter l’accompagnement européen des investissements ou l’accompagnement national, comme le font les Suisses ou les Allemands, dans certains domaines de production qui ont quitté le territoire européen parce que l’État n’avait pas su s’y investir. Toutefois, de tels dispositifs qui ont été proposés au niveau européen n’ont pas été retenus parce que certains États membres ne partagent pas cette orientation.

M. Alexandre Holroyd. Si aujourd’hui une grande entreprise produit un médicament X de l’autre côté du monde, la Commission ou un État devrait dire qu’elle peut bénéficier d’une aide si elle produit 300 000 doses de paracétamol ou 250 000 doses d’aspirine en Europe ?

Mme Liliana Tanguy. Jusqu’où faudrait-il aller dans le subventionnement de ces industries ? Par ailleurs, nous sommes tous d’accord pour réduire notre dépendance par rapport à l’Asie ou à l’Inde, mais les Allemands et les Suisses ont déjà une industrie chimique. Les Français seraient-ils d’accord pour créer de toutes pièces sur leur territoire une industrie dont les effets sont négatifs sur l’environnement ? C’est peut-être aussi une raison pour laquelle nous achetons des médicaments à l’étranger. Il faut concilier protection de l’environnement et réduction de notre dépendance.

Mme Marietta Karamanli. Je ne vais pas ouvrir un débat sur l’environnement, on pourrait aussi parler de l’industrie nucléaire ! Sans entrer dans les détails, il s’agirait de prévoir un dispositif plus général autorisant les Etats à accorder des primes aux entreprises ayant décidé de rapatrier leur production sur le territoire de l’Union.

 


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   communication sur « Le marché intérieur court-il le risque d’un affaiblissement durable ? »

   Texte de la communication de
M. Pierre-Henri Dumont et Mme Valérie Gomez-Bassac

La crise sanitaire dont nous sortons a représenté, pour l’Europe et le monde, une secousse d’une intensité jamais atteinte. Nous en attendons désormais les répliques. Notre seule conviction à ce stade est qu’il y aura des conséquences, sans connaître leur portée économique, sociale, voire politique. En somme, nous traversons une période de grande incertitude, notion assez négative en économie.

Le marché intérieur a été affaibli, mais il doit être relancé et renforcé pour surmonter la crise : voici, en quelques mots, l’objet de notre propos.

I.   Le marché intérieur a connu un affaiblissement certain au cours de la crise

La recherche de tous moyens pour endiguer la propagation du coronavirus, qui était indispensable, a eu pour corollaire des tempéraments apportés aux grandes libertés qui fondent le marché intérieur. Pourtant, ces libertés sont le fruit d’une évolution graduelle depuis l’établissement de l’Union douanière en 1968, dont l’objectif est de supprimer les barrières aux échanges afin de favoriser la croissance et l’emploi. Cette liberté s’incarne aussi dans un corpus de normes qui permettent la confiance dans les échanges, sous le contrôle de la Cour de justice.

Aujourd’hui, le marché intérieur est un espace sans frontières dans lequel est garantie la libre circulation des biens, des personnes, des services et des capitaux. L’exercice de ces libertés implique, souvent, des passages physiques de frontières. Nous avons pris conscience, à nouveau et subitement, de cette réalité.

Durant le pic de la crise sanitaire, le rétablissement de mesures aux frontières intérieures de l’Union a été un recours pour la majorité des États membres, qui se sont fondés sur le chapitre II du code frontières Schengen ([13]), en négligeant parfois certains aspects procéduraux ([14]). À ce titre, nous estimons qu’il pourrait être pertinent de renforcer certaines garanties, en permettant à la Commission européenne de donner un avis sur le retour des contrôles.

Ce sont naturellement les États qui gardent et sont garants de leurs frontières, mais les décisions qu’ils y prennent ont des effets immédiats, et parfois très lourds, sur les pays voisins. Le marché intérieur est en effet une réalité juridique, qui entraîne des interdépendances économiques.

Le marché européen, qui se veut commun, est aujourd’hui la plus grande zone commerciale du monde. Rappelons que l’intensité du commerce entre États membres a doublé depuis le milieu des années 1970, entraînant une hausse du revenu par habitant de 10 % en moyenne ([15]).

Toutefois, les différences entre marchés nationaux demeurent, et les marges de progression du marché intérieur sont très importantes : l’intensité du commerce pourrait encore doubler entre les pays de l’Union Européenne, entraînant des gains de croissance de l’ordre de 14 % du PIB ([16]). Pour cela, il faut faire en sorte qu’échanger par-delà nos frontières intérieures soit de plus en plus simple pour les acteurs économiques.

Le retour à un fonctionnement normal du marché intérieur est une condition de la reprise économique. Comme l’a souligné le Conseil européen dans le programme stratégique de l’Union pour la période 2019-2024, l’Union ne peut se permettre de sous-utiliser le potentiel que représente un marché d’un demi-milliard de personnes, en particulier dans le domaine des services ([17]). Cette affirmation est d’autant plus vraie aujourd’hui.

La corrélation entre prospérité et liberté de circulation a eu des implications très concrètes durant le confinement.

Concernant la circulation des personnes, le 17 mars, le président du Conseil européen a annoncé la restriction temporaire des « voyages non-essentiels » vers l’Union. Les contrôles aux frontières internes ont été rétablis unilatéralement par les États membres à partir du 11 mars ([18]), avec des filtrages d’une intensité variable. Elles ont eu un impact sur les travailleurs frontaliers, pourtant maillon essentiel de l’activité économique dans les zones transfrontalières. En effet, ce sont 360.000 résidents en France ([19]) qui travaillent dans un pays limitrophe.

Le secteur du tourisme a aussi immédiatement connu un net recul. Fin mars, la perte d’activité sur une semaine-type de confinement est estimée à 34 % dans l’ensemble de l’économie, mais à 90 % pour le secteur de l’hôtellerie ([20]).

Pour les marchandises, la fin de la liberté de principe a également conduit à l’ouverture de points de passage aux frontières, soumis à des contrôles. La limitation du nombre de passages génère un risque d’engorgement rapide qui a nécessairement ralenti les acheminements.

Les conséquences économiques de ces limitations des libertés du marché intérieur sont claires. On observe une très nette chute du commerce extérieur entre janvier et mars 2020. Les exportations de machines et d’automobiles ont été le secteur le plus durement touché avec un recul de 20 % ([21]).

Le ralentissement du commerce qui s’ensuit est à la fois la cause et la conséquence d’un recul de la production. Eurostat observe qu’en avril 2020, par rapport à avril 2019, la production industrielle dans l’Union européenne avait diminué de 28 % ; la production est tombée à des niveaux vus pour la dernière fois au milieu des années 1990.

Les difficultés nouvelles à passer les frontières ont entraîné des ruptures dans les chaînes de valeur. Enrico Letta rappelle qu’un tiers de chaque Mercedes, voiture allemande par excellence, est produit par des entreprises italiennes. Or, la crise a durement touché la Lombardie et mis en difficulté la production automobile en Allemagne.

Il est difficile d’évaluer l’état des chaînes de valeur à ce stade, mais l’enjeu est désormais de lutter contre la survalorisation du risque. Les entreprises pensaient le marché intérieur comme relevant de l’acquis. Le Brexit avait porté un premier coup à cette certitude, mais la crise sanitaire est une nouvelle anomalie en termes de survenue des risques extrêmes qui peut décourager les entreprises souhaitant se projeter sur le marché européen.

Il sera essentiel de restaurer la confiance des acteurs économiques dans le marché intérieur et dans les gains à l’intégration économique européenne.

II.   L’enjeu de la sortie de crise est de lutter contre les menaces pour la prospéritÉ européenne et de renforcer la résilience du marché intérieur

L’Union européenne, dont on a beaucoup décrié l’inaction, n’est pourtant pas restée les bras ballants. Elle est intervenue pour coordonner les mesures nationales.

La Commission européenne s’est exprimée à travers des communications mettant en place de lignes directrices à caractère incitatif, pour que les décisions des États membres soient moins unilatérales et dans le but de préserver la liberté de circulation. Elle a, en particulier, cherché à :

Permettre la circulation des travailleurs frontaliers, détachés et saisonniers qui exercent une profession critique  ([22]).

Aménager des voies de passage pour les véhicules de transport de marchandises, les Green lanes, pouvant être franchies en moins de 15 minutes ([23]).

Enfin, la Commission a publié une feuille de route européenne commune pour la levée des mesures visant à contenir la propagation du Covid-19.

Toutefois, ce travail de coordination a été insuffisant, donnant lieu, comme sur l’ensemble de la gestion de crise, à une critique de l’inaction européenne, parfois justifiée. Le 10 mars 2020, au tout début de la crise, un plan d’action à long-terme visant à mieux mettre en œuvre et faire respecter les règles du marché unique met en place un groupe de travail sur la mise en œuvre des règles du marché unique (SMET). Ce groupe a tenu une réunion en avril et une seconde le 9 juin, mais aucune communication n’a eu lieu sur ses travaux, dont il est très compliqué de mesurer la teneur et l’efficacité.

La période aurait globalement pu être propice, pour l’Union européenne, à la démonstration qu’elle est un échelon pertinent de décision et de réponse aux crises. Or, elle s’est surtout contentée de mesures non‑contraignantes, notamment parce qu’elle ne dispose que d’une compétence d’appui en matière de santé publique.

Une réponse importante a toutefois été apportée sur le volet des aides d’État afin de limiter les faillites et ainsi sauvegarder le tissu productif européen. Le 20 mars, la Commission a dévoilé un nouveau cadre pour les aides d’État ([24]) dérogatoire aux règles traditionnelles de la concurrence. Il faut saluer le fait qu’il est intervenu assez rapidement ([25]). En autorisant le recours massif aux aides habituellement prohibées parce qu’elles sont incompatibles avec le marché intérieur, la Commission a des objectifs très clairs : 

Permettre aux États membres de soutenir la trésorerie des entreprises confrontées aux effets du confinement sur la consommation et l’investissement ;

Éviter les effets d’hystérèse sur le chômage et le savoir-faire européen.

En France, ces aides ont principalement pris la forme de prêts garantis par l’État qui atteignent à ce jour 110 Mds € ([26]).

Le risque inhérent aux montants importants des enveloppes engagées (par l’Allemagne en particulier) est que les pays pouvant mobiliser l’instrument budgétaire au bénéfice de leurs entreprises nationales sont déjà dans une situation plus favorable à l’échelle du marché intérieur. Le risque du recours massif aux aides d’État serait donc d’entraîner des distorsions importantes sur le marché et d’accentuer les disparités entre États membres. Il faudra donc être très vigilant quant au calendrier de retour à la normale sur ces dispositifs.

Le cadre temporaire sur les aides d’État complète d’autres possibilités dont disposent les États pour atténuer les effets socio-économiques de la pandémie, comme les indemnisations aux secteurs les plus touchés, ou les adaptations d'effet général en faveur des entreprises (par exemple, différer le paiement des taxes et des impôts ou subventionner le chômage partiel dans tous les secteurs).

Enfin, il faut citer le plan de relance post-Covid, d’abord proposé par le duo franco-allemand dans un format très ambitieux. Une fois reprise par la Commission européenne, cette initiative a fait l’objet d’un conseil européen très animé ayant abouti à un accord sur une enveloppe de 750 Mds €, dont 390 Mds de subventions.

Le bilan qui peut être tiré de cette période de crise est en demi-teinte : l’Europe a été présente, mais elle a été dépassée par les États ; ce sont eux qui ont été en première ligne. L’action des États membres, à travers le tandem franco-allemand, résolument décidé à sortir de la crise par la solidarité, a été nécessaire pour qu’une vraie démarche de relance s’enclenche.

Sur un temps plus long, nous avons la conviction que le salut est dans le renforcement de l’intégration du marché intérieur, et non dans le morcellement qu’on a pu observer durant la crise. C’est une condition nécessaire à l’émergence d’un tissu économique résilient.

Au pic de la crise, plusieurs problèmes d’approvisionnement ont été craints ou dénoncés, en particulier en matière d’équipements médicaux et de médicaments. Selon, l'Académie française de pharmacie, 80 % des principes actifs consommés en Europe sont produits en Chine, en Inde et en Asie du Sud-Est. Quant aux difficultés d’approvisionnement en masques chirurgicaux, elles ont acquis une portée politique spectaculaire.

La relocalisation des productions est dans l’air du temps, mais elle ne peut être l’alpha et l’oméga de la préparation à une nouvelle crise, dont on ne sait pas quelle sera sa nature : un nouveau virus, ou une catastrophe climatique ? Les lignes de production ne sont pas disponibles à moyen terme, et le coût de produire sur le territoire européen est supérieur dans beaucoup de domaines.

L’enjeu central, à cet égard, est de définir le périmètre des industries concernées, tout en étant dans l’incertitude totale sur ce dont nous aurons besoin la prochaine fois. Il existe, toutefois, un consensus autour de la nécessaire autonomie en matière de médicaments. Ce recentrage pourrait accompagner un nécessaire mouvement de spécialisation de l’industrie française vers des secteurs à plus forte valeur ajoutée, son positionnement actuel étant intermédiaire, contrairement au Japon ou à l’Allemagne par exemple ([27]).

Il est également nécessaire de définir la méthode qui présidera à ces relocalisations, lorsqu’elles sont pertinentes. Ériger des barrières commerciales peut permettre d’éviter la dilution des chaînes de valeur à l’échelle mondiale ; dans les secteurs les plus stratégiques, il est également envisageable de nationaliser partiellement certaines entreprises, afin que l’État ait son mot à dire dans les décisions qui engagent le bien commun qu’est la sécurité sanitaire.

Le marché unique doit acquérir tout son potentiel. C’est un prérequis de notre résilience économique autant qu’une nécessité politique pour la construction européenne.

Il faut encourager la création d’outils communs pour lutter contre la fragmentation des droits nationaux, qui est un frein à notre prospérité commune et au développement de la résilience du marché intérieur.

La taille comme l’unification du marché intérieur sont une force d’attraction pour les investisseurs étrangers. À ce stade, les différences entre les réglementations nationales ont des effets importants sur la vie des entreprises. Les différences de normes sont particulièrement coûteuses pour nos TPE et PME.

On observe aussi en Europe un déficit d’innovation lié à la difficulté d’accéder à un financement assez important pour permettre une croissance rapide. Il est actuellement compliqué de développer une start-up à l’échelle des 27, car ces jeunes entreprises n’ont pas accès à des fonds de capital-risque suffisamment développés. 

Cela a pour corollaire que les entreprises américaines évincent les entreprises européennes. En effet, elles se sont développées dans un pays de common law, dont le droit commercial est régi par le Uniform Commercial Code, dans un grand marché solvable de 330 millions de consommateurs. Les entreprises qui réussissent leur trajectoire de croissance, appelées scale-ups, ont la capacité de se déployer immédiatement à l’échelle de l’Union, capacité qui fait cruellement défaut à nos jeunes pousses. Il y a là tant un enjeu de développement économique que de souveraineté.

S’y ajoute la fragmentation de l’investissement, qui fait que l’épargne est encore essentiellement orientée vers le territoire national. Les Allemands investissent chez eux car l’environnement juridique manque de transparence et freine les capitaux. De fait, il est nécessaire d’harmoniser le droit des affaires afin que le marché des capitaux puisse jouer pleinement son rôle d’amortisseur des crises, et que les pays en excédent d’épargne aillent la placer ailleurs en Europe.

Enfin, le droit de la concurrence n’est plus adapté à la réalité des échanges qui s’intègrent dans une économie mondiale. Il s’agit de repenser le droit de la concurrence et, plus précisément, de redéfinir le marché pertinent sur lequel s’apprécient les pratiques anti-concurrentielles (ententes et abus de position dominante) et les concentrations.

*

Le marché intérieur a été conçu pour encourager la prospérité à l’échelle européenne. Il servait aussi un but de long-terme, à savoir le rapprochement politique par l’intégration économique. Ne perdons pas de vue que cette imbrication étroite de l’économique et du politique lorsque nous souhaitons renforcer les liens qui nous unissent à 27.

L’Union doit constituer une opportunité pour ses citoyens, ses entrepreneurs ou ses entreprises. Si elle perd de vue cet objectif, les divisions des États membres sur d’autres sujets, comme le respect de l’État de droit ou la solidarité dans l’accueil des demandeurs d’asile ([28]), n’en seront que plus vives.


ANNEXE

 

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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   Travaux de la commission

 

Le mercredi 22 juillet 2020, la présentation de la communication a été suivie d’un débat.

M. Patrice Anato. La crise de la COVID-19 a balayé de nombreuses certitudes. Elle a notamment remis en question la solidité du marché intérieure, qui devait offrir des avantages aux entreprises et aux consommateurs. Elle nous a fait prendre conscience de notre dépendance à l’égard de certains États tiers, qui ne respectent pas les mêmes règles. Au sein de l’Union, le principe de la loyauté de concurrence prévaut, ce qui n’est pas toujours le cas ailleurs. Comment adapter les règles de la concurrence aux défis du XXIe siècle ?

M. Thierry Michels. La crise nous a conduit à remettre en cause des acquis du jour au lendemain, par exemple en matière d’ouverture des frontières. Elle nous appelle à davantage de solidarité et de coopération, notamment entre les pays frontaliers. Quelles leçons ont été tirées de la crise pour les régions transfrontalières ?

Mme Constance Le Grip. Je me réjouis de voir que vous vous inscrivez dans la logique des préconisations du rapport que j’ai présenté avec Patrice Anato sur l’adaptation du droit de la concurrence à la mondialisation. Par ailleurs, j’ai cru comprendre que vous proposiez des nationalisations. Est-ce bien le cas ?

Mme Marguerite Deprez-Audebert. Il est évident qu’il y a un avant-Covid et un après-Covid et qu’il faudra tirer les leçons de la crise que nous avons vécu afin qu’une telle crise et ses conséquences ne se reproduisent pas. Peut-être faudrait-il prévoir, à cette fin, un mécanisme de réaction d’urgence au niveau européen ?

M. le Vice-président Jean-Louis Bourlanges. Le rapport de Patrice Anato et Constance Le Grip sur la politique européenne de concurrence a mis l’accent sur l’adaptation nécessaire de celle-ci, de même que la proposition de résolution européenne de M. Fabrice Brun, qui a attiré notre attention sur les problèmes de sécurité d’approvisionnement en matière de produits pharmaceutiques. La politique européenne de la concurrence n’est ainsi pas sans effet pervers, notamment en matière d’aides d’État. Certains États, à commencer par l’Allemagne, ont ainsi pu massivement soutenir leurs entreprises au prétexte de la crise, entraînant des risques de distorsions de concurrence non moins massifs avec leurs concurrentes. De même, il est évident que l’Union européenne doit mieux prendre en compte la question de la sécurité des approvisionnements, dont la crise a révélé l’importance.

M. Andrej Hunko, député du Bundestag. Je voudrais pour ma part faire deux remarques. S’agissant en premier lieu des contrôles aux frontières, j’ai remarqué, venant d’Aix-la-Chapelle, que la frontière entre l’Allemagne et les Pays-Bas n’avait jamais été fermée, au contraire de la frontière avec la Belgique et la France. C’est totalement incohérent et d’autant plus dommageable que, comme je l’ai constaté dans un rapport que j’ai fait pour la commission santé de l’APCE, les contrôles aux frontières sont inefficaces quand la situation sanitaire est identique des deux côtés.

Ma deuxième remarque porte sur la réaction de l’Union face à la crise. Fin février, l’Espagne et l’Italie ont activé le mécanisme européen de protection civile et demandé l’aide des autres Etats-membres. Non seulement aucun n’a réagi mais pire encore, un pays comme l’Allemagne a interdit les exportations de matériels sanitaire, avant de revenir sur sa décision quelques jours plus tard. Inutile de vous dire que de telles réactions ou absences de réaction ont été très choquantes.

Enfin, je terminerai par une question plus large. Le dernier Conseil européen s’est accordé sur un plan de relance de 750 milliards d’euros, lequel représente à peine 0,7 % du PIB européen. Pensez-vous qu’il soit suffisant pour faire face à la crise ?

M. Pierre-Henri Dumont, rapporteur. Patrice Anato a soutenu qu’une politique de concurrence loyale devait être une norme supérieure au sein de l’Union européenne. Force est de reconnaître que malheureusement, ce n’est pas le cas. Sans élargir le débat au dernier Conseil européen, il est frappant de constater qu’un même pays exige un rabais sur sa contribution tout en organisant un dumping fiscal qui prive notre pays de 3 milliards d’euros de recettes. Dans ces conditions, on peut s’interroger sur la possibilité d’appliquer vis-à-vis de l’extérieur des règles de concurrence loyale que nous ne sommes pas capables de nous imposer à nous-mêmes. Il faut, à mon sens, une adaptation plus globale des règles, et pas seulement des règles de concurrence. Ainsi, la taxe carbone aux frontières me semble une excellente idée, qui figurait d’ailleurs dans le problème de mon parti aux dernières élections européennes.

Pour répondre à Thierry Michels, je suis moi-même élu d’une zone transfrontalière, voisine d’un pays – le Royaume-Uni – qui a connu une double crise : le Brexit et le COVID. Ce que ces crises m’ont appris, c’est que l’enjeu clé d’une région transfrontalière est la fluidité. Les personnes et les marchandises doivent passer les frontières le plus rapidement possible. Comme une frontière est toujours entre deux États, le bilatéral fonctionne généralement mieux, même s’il faut reconnaître qu’il n’a pas fonctionné pendant la crise du COVID. Chaque État a en effet cédé à la panique et aux pressions populaires en fermant ses frontières, entraînant un effet « boule de neige » et des frustrations dans toute l’Union. Je note d’ailleurs que ces fermetures désordonnées de frontières ne sont pas vraiment utiles, dès lors qu’on peut les contourner. La coordination européenne semble donc de bon sens mais le principe d’une réponse commune, qui exige du temps, peut être difficilement conciliable avec la pression de l’opinion publique pour une décision rapide.

Sur la question de la nationalisation, je rassure Constance Le Grip, le but n’est pas d’aboutir à une union proto-communiste, mais d’avoir une réflexion sur des secteurs stratégiques.

Beaucoup d’États membres souhaitent mettre en place un mécanisme de coopération d’urgence au sein de l’Union européenne, même si on espère ne pas avoir à faire face à une crise d’une telle ampleur tous les dix ans. L’enjeu est de pouvoir mettre en place une réponse rapide, efficace et coordonnée au niveau européen. À défaut, ce seront des solutions nationales qui s’imposeront pour parer au plus pressé.

Je regrette que le Conseil européen ait sacrifié le programme « Santé », qui aurait pu permettre une meilleure coordination sanitaire et éviter les images que nous avons connues de « lobbying » de certains pays qui ont mis en scène la fourniture de masques à des pays de l’Union européenne, renforçant le sentiment d’abandon de certaines parties de la population européenne au début de la pandémie. Je suis également peiné qu’Erasmus+ ait pâti de la recherche d’un compromis. Pour trouver un compromis, chacun doit faire un pas ; manifestement, des pas plus importants ont été faits d’un côté que de l’autre.

Mme Valérie Gomez-Bassac, rapporteure. Les règles de la politique de concurrence ne sont plus adaptées, comme l’a montré l’affaire Siemens-Alstom. Les pratiques sont appréciées selon deux critères, le marché géographique et le marché du produit (substituabilité, interchangeabilité, etc.). Le problème est qu’elles ne sont pas appréciées au niveau mondial. Il faut absolument redéfinir les règles de détermination du marché pertinent pour que la concurrence soit plus loyale.

J’ai fait une allusion aux nationalisations, mais vraiment de façon très ciblée, pour des cas d’extrême urgence, dans certains secteurs bien particuliers et dans le seul but de préserver l’emploi.

Les mesures adoptées pour faire face à la crise vont-elles suffire ? C’est difficile à dire parce qu’on ne mesure pas encore tous les effets de la crise. Mais elles ont montré une ouverture pour plus de solidarité, et j’espère que l’on pourra aller plus loin si cela s’avère nécessaire.

M. le Vice-président Jean-Louis Bourlanges. Concernant la concurrence, il faut à la fois élargir l’espace pertinent et approfondir l’horizon temporel.

Mme Liliana Tanguy. Le sujet de la communication était « le marché intérieur court-il le risque d’un affaiblissement durable ? ». Les rapporteurs ont-ils une réponse à cette question ?

La libre-circulation des personnes, des services et des marchandises, principe essentiel du marché unique européen, a été mise à mal. L’article 36 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne permet en effet de restreindre les importations ou exportations pour protéger la santé et la vie des personnes.

Nous allons devoir vivre avec la menace permanente d’une pandémie. Pour éviter l’affaiblissement du marché intérieur, faut-il faire évoluer le cadre juridique pour parvenir à une régulation du marché intérieur à travers la coopération entre les États membres ? Je crains que l’on ait à nouveau un réflexe de repli sur soi.

M. Pierre-Henri Dumont, rapporteur. Il faut distinguer deux cas de figure : la crise et le retour à un marché commun sans entraves en dehors de la période de crise.

En réalité, nous n’avons pas attendu la crise sanitaire pour ne pas revenir à la liberté de circulation complète que nous connaissions auparavant. Les attaques terroristes qui ont frappé la France en 2015 ont conduit au rétablissement des contrôles aux frontières, qui ont ensuite été prolongés. Il y a une tendance naturelle à inscrire dans la durée des mesures censées être exceptionnelles.

Concernant la réponse en cas de crise, cela dépendra de la mise en place d’un mécanisme de coordination rapide et élastique, avec l’ensemble des États membres ou des cercles plus rapprochés, pour répondre tout de suite aux crises. Si l’on n’y parvient pas, la volonté des gouvernements de montrer à l’opinion qu’ils agissent conduira à la mise en place de restrictions.

Hors crise, l’expérience prouve que l’on ne revient jamais à complètement sur ce qui est fait en période de crise. Il faudra donc veiller à limiter au maximum les entorses à la libre-circulation.

 

 

 


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   communication sur « RÉinventer la solidaritÉ europÉenne face à la crise : bilan et perspectives »

   Texte de la communication de M. Pieyre-Alexandre Anglade et Mme Marguerite Deprez-Audebert

Nous sommes heureux de clôturer ce cycle de communications car le sujet sur lequel nous avons travaillé est transversal, et constituera en quelque sorte la synthèse de tout ce qui a été dit, avec justesse et pertinence, par nos prédécesseurs.

Nous avons en effet travaillé sur le thème « réinventer la solidarité européenne », notion au cœur de toutes les réflexions que nous avons entendues ces dernières semaines et même, j’ose le croire, au cœur du projet européen depuis ses origines.

Depuis le début de la crise sanitaire, la solidarité s’est manifestée dans l’Union de différentes façons :

– il y a d’abord eu une solidarité en matière d’équipements médicaux : c’était la communication du 15 juillet, présentée par Jean-Pierre Pont et Marietta Karamanli ;

– il y a eu, simultanément, la prise de conscience d’une solidarité liée au marché intérieur : les liens d’interdépendance entre les États membres et les risques de rupture des chaînes de production et d’approvisionnement que pouvaient pouvait entraîner la fermeture des frontières nationales sont apparus clairement ; c’est la communication du 22 juillet présentée par Pierre-Henri Dumont et Valérie Gomez‑Bassac ;

– il y a eu, enfin – tardivement peut-être, mais beaucoup plus vite que lors de la crise des dettes souveraines – une solidarité financière et budgétaire, qui s’est matérialisée par l’action de la BCE et par les dérogations aux règles touchant au déficit public, à l’endettement public et au régime des aides d’État ; c’était l’objet des deux communications présentées le 8 juillet par Frédérique Dumas, Xavier Paluszkiewicz et Liliana Tanguy.

Nous aimerions évoquer autre forme de solidarité qui se dessine dans un contexte international profondément bouleversé par les suites de la crise sanitaire. Il s’agit des solidarités industrielle, numérique et technologique, c’est-à-dire d’une solidarité économique qui dépasse les simples règles formelles liées au marché intérieur et au budget commun. Il ne s’agit pas d’une solidarité reposant sur des contraintes, mais d’une solidarité de projets, assise sur des préférences collectives à défendre face aux autres puissances mondiales.

Mon collègue Pieyre-Alexandre Anglade et moi-même, nous allons structurer notre exposé en deux temps : d’abord, montrer que la « solidarité européenne » se manifeste surtout en réponse à des crises et n’a pas permis de créer une véritable puissance économique ; ensuite, montrer qu’il faut concevoir l’intérêt général européen de manière globale et construire une véritable solidarité industrielle fondée sur des préférences partagées.

I.   Une « Solidarite de fait » qui peine À s’affirmer en matiere economique et industrielle

A.   Une solidarité forcée, en réponse aux crises traversées par l’Union

Le principe de solidarité apparaît dès la célèbre « déclaration Schuman » ([29]). Il est ensuite énoncé dans le préambule du Traité sur l’Union européenne (TUE) qui fixe comme objectif « d’approfondir la solidarité entre les peuples dans le respect de leur histoire, de leur culture et de leurs traditions ». L’article 3 du TUE affirme solennellement que l’Union « promeut la cohésion économique, sociale et territoriale, et la solidarité entre les États membres ». Mais au-delà de ces déclarations de principe qui ont d’abord une valeur symbolique, la notion de solidarité est peu reprise dans les traités, si ce n’est au sein de domaines très circonscrits :

– en matière de politique étrangère et de sécurité commune (article 24 TUE)

– en matière de politique d’asile et d’immigration (article 80 TFUE)

– afin d’assurer la sécurité de l’approvisionnement énergétique de l’Union (article 94 TFUE)

Dans d’autres domaines, c’est plutôt une « clause de non-solidarité » qui prévaut : c’est le cas notamment de la clause « no-bailout » de l’article 125 du TFUE (ou « clause non-renflouement » en français), qui affirme expressément que les institutions européennes ne sont pas solidaires des engagements financiers pris par les différents États membres. Le principe général, rappelons-le depuis le traité de Lisbonne, est que l’Union européenne ne dispose que d’une compétence d’attribution. La solidarité ne saurait s’exercer que parmi les politiques que l’on a choisi de déléguer au niveau communautaire et, au sein de celles-ci (à l’exclusion des compétences « exclusives »), dans les limites posées par le principe de subsidiarité.

Il existe, il est vrai, une clause générale de solidarité prévue à l’article 222 du TFUE ; mais celle-ci se limite à des évènements exceptionnels et par nature imprévisibles, tels que les attaques terroristes ou les catastrophes naturelles. Si cette « clause de solidarité » a pu être utilement invoquée en réponse à la pandémie (assimilée en quelque sorte à une catastrophe naturelle), il n’en reste pas moins qu’elle a vocation à n’être activée que de manière ponctuelle et limitée dans le temps : ce n’est pas une solidarité de prospérité, mais une solidarité de crise.

Les différentes crises qu’a connues l’Union ont néanmoins eu pour effet d’affirmer des solidarités qui, initialement conçues pour être temporaires, ont changé durablement les pratiques et les rôles des institutions communautaires. L’exemple le plus emblématique serait la façon dont la mission de la Banque centrale européenne (BCE) a évolué depuis une dizaine d’années à droit constant. Après des réserves initiales tenant au respect de la « clause de non-renflouement », elle a dû consentir à racheter sur le marché secondaire les titres de dette des États en difficulté, ce qui revenait à contourner l’interdiction de financer directement le déficit public. Ces interventions se sont prolongées bien après la fin de la crise des dettes souveraines ; elles ont même été renforcées depuis le début de la crise sanitaire avec l’abandon du principe de « proportionnalité ». De la même façon, l’application des règles budgétaires pourrait être durablement aménagée et il serait naturel que nous transposions en temps normal, dès que nécessaire, des mesures qui ont montré leur efficacité en temps de crise.

Ces exemples montrent également que la solidarité européenne est d’abord, pour reprendre l’expression de Schuman, une « solidarité de fait », pour ne pas dire une « solidarité subie » voire, comme dirait Yves Bertoncini… une solidarité « au forceps » ([30]). C’est quand les États européens ont constaté leur interdépendance et leur vulnérabilité réciproque face à des chocs extérieurs – c’est le cas notamment de la crise financière dite « systémique » de 2008, puis de la crise des dettes souveraines avec la crainte d’un « effet domino » – qu’ils ont été forcés malgré eux de faire progresser les mécanismes de solidarité.

La crise du coronavirus présentait des caractéristiques analogues : d’abord les États ont été tentés de fermer leurs frontières ou de restreindre les exportations de matériels médicaux ; ils se sont rapidement rendu compte du fait que ces mesures nationales n’étaient dans l’intérêt de personne, car cela brisait les chaînes de production et d’approvisionnement dont ils étaient les maillons. Désormais, le consensus est bien plus grand pour déléguer à l’Union européenne des compétences élargies, notamment en matière de réponse sanitaire. L’accord historique trouvé à l’issue du Conseil européen des 17‑21 juillet est encore une fois la preuve que l’Union est capable de s’entendre et de faire preuve de solidarité en période de crise ; elle montre aussi que cette solidarité se manifeste, précisément, en réponse à une crise, sur des bases qui ne sont pas toujours tout à fait consensuelles.

La solidarité européenne est donc conçue de manière réactive, comme moindre mal, et quand les États se retrouvent « au pied du mur ». C’est donc à nous de penser les formes d’une solidarité pérenne qui soit un instrument de réussite plutôt qu’un pansement de fortune.

B.   En matière industrielle, rivalité plutôt que solidarité

Nous pensons que cette solidarité stratégique doit désormais se matérialiser dans un domaine où prévalent aujourd’hui les intérêts nationaux, à savoir la solidarité industrielle.

La solidarité industrielle européenne est le terrain des « occasions manquées ». On se souvient de la fusion manquée entre Schneider et Legrand, en 2001. En 2007, le Tribunal de l’Union a condamné la Commission à indemniser le groupe Schneider pour avoir interdit cette fusion qui aurait dû être autorisée vu le droit européen de la concurrence : mais c’était trop tard. Plus récemment, le refus de la fusion entre Altsom et Siemens a suscité un grand émoi en France et en Allemagne. La Commission européenne affirmait que le Chinois CRRC ne représentait pas « à moyen terme » un concurrent sérieux pour les entreprises européennes. Quelques mois plus tard, CRRC rachetait le groupe allemand Vossloh et faisait ainsi son entrée sur le marché européen.

Tout se passe donc comme si le droit européen de la concurrence et son corollaire, le régime des aides d’État, n’avait pas pour but de permettre à nos entreprises de faire concurrence aux entreprises chinoises ou américaines mais de s’assurer qu’elles se fassent concurrence entre elles, ce qui finit inévitablement par les affaiblir.

Par le passé, il est même arrivé que les entreprises européennes fassent alliance avec des entreprises asiatiques pour gagner des parts de marché face à leurs rivales… européennes ! Dans les années 2000, plusieurs entreprises occidentales – dont Siemens – ont consenti à des transferts de technologie en faveur des industriels chinois pour prendre des parts de marché à Alstom. Aujourd’hui, ces entreprises sont obligées de s’allier pour survivre face à CRRC. De la même manière, la concurrence entre les entreprises européennes Alcatel, Nokia et Ericsson a servi les intérêts de Huawei à qui nous sommes désormais obligés d’avoir recours pour déployer les réseaux 5G – ce qui pose, comme vous savez, des questions légitimes de sécurité. On peut aussi s’interroger sur les transferts de technologie dont va bénéficier la Chine à la suite du rachat de l’entreprise suédoise Volvo, qui avait développé une compétence reconnue en matière de moteurs hybrides.

A l’inverse, la solidité d’Airbus – secteur où il y a un monopole européen mais un duopole mondial – lui a permis de résister aux pressions de ses concurrents chinois et de préserver pour quelques années encore son avance technologique. En 2017, Airbus a racheté plusieurs programmes de Bombardier et empêché ainsi que le Chinois Comac bénéficie d’un bond technologique qui en aurait fait le « CRRC de l’aéronautique ». Dans ce secteur comme dans tous les secteurs à forte densité capitalistique, l’unité des entreprises européenne est la seule façon de préserver nos atouts dans la compétition mondiale.

J’aimerais en outre revenir sur la décision du Tribunal de la semaine dernière, relative à l’affaire des « aides d’État » accordées à Apple par l’État irlandais. La Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) considère que la Commission a qualifié à tort « d’aide d’État » les conditions fiscales favorables que le gouvernement irlandais a octroyées à Apple. Voici le message envoyé à nos concitoyens : la règlementation européenne interdit d’aider nos entreprises, mais elle n’interdit pas d’aider les multinationales ! Quelle va être la crédibilité de la Commission à présent quand il s’agira de défendre les intérêts financiers et économiques de l’Union face aux GAFAM ?

En matière industrielle il n’existe donc pas de véritable solidarité, et je dirais c’est même pire : la règlementation européenne a pour effet d’inciter d’une part nos entreprises à faire alliance avec leurs concurrents étrangers, qui échappent bien sûr à notre juridiction ; d’autre les États membres à accorder des régimes fiscaux avantageux à des multinationales en situation de monopole, dont ne bénéficieront pas les nouveaux entrants européens.

II.   d’UNE « solidarite de fait » à une « solidarite de production » fondee sur des preferences industrielles partagees

A.   Dépasser l’opposition entre consommateurs et producteurs

Comment expliquer ce décalage entre un droit européen de la concurrence très fort, et une politique industrielle européenne pour ainsi dire inexistante ? Comment expliquer que les Européens ne soient pas prêts à investir ensemble pour construire des groupes industriels capables de s’affirmer dans la compétition mondiale, et préfèrent consommer des services numériques américains ou acheter des biens manufacturés en Asie ?

S’il est plus consensuel de protéger les consommateurs plutôt que de soutenir les producteurs, c’est parce que tous les Européens sont des consommateurs, alors que les centres industriels sont concentrés dans certaines régions de l’Union. Les prix bas garantis par la politique de la concurrence et par la politique commerciale laxiste de l’Union européenne profitent à tout le monde, mais une politique industrielle ambitieuse profiterait surtout aux pays qui, en raison d’une spécialisation historique ou d’une situation géographique favorable, attireraient à eux l’essentiel de la valeur ajoutée. On comprend dès lors les réticences de certains États, qui ont toujours prospéré grâce au commerce et au tertiaire : pourquoi acheter à la France ou à l’Allemagne (les pays d’Alstom et de Siemens), quand on peut acheter moins cher à la Chine ?

Mais en privilégiant systématiquement l’intérêt du consommateur, en réduisant le citoyen européen à un consommateur, nous avons eu une vision étroite et court-termiste de l’intérêt général européen. Nous avons subi, bien que ce constat soit différencié selon les pays et selon les secteurs, une délocalisation de la production, des pertes de compétences et des transferts de technologies. Et bientôt, à force d’acheter à prix bas des biens qu’ils n’ont pas produits, les consommateurs européens n’auront même plus la richesse nécessaire pour les acheter.

Mener une politique industrielle, cela implique de faire des choix sectoriels et géographiques et d’accepter de payer plus cher pour acheter des biens produits en Europe. C’est ici qu’intervient, encore une fois, la notion de « solidarité ». En contrepartie de la solidarité budgétaire et des bénéfices qu’ils tirent du marché intérieur, les États membres doivent accepter de payer un peu plus cher pour des biens qui seront produits par leurs voisins européens.

C’est d’ailleurs la logique historique de la PAC, qui correspond à la première politique entièrement européenne. La solidarité de la PAC se manifeste de deux façons :

– une dimension budgétaire évidente ;

– une dimension commerciale – des tarifs douaniers élevés – qui matérialise une forme de « préférence communautaire »

En contrepartie des avantages qu’elle allait tirer du marché intérieur pour son industrie, l’Allemagne a dû accepter de soutenir et d’acheter les produits agricoles français. C’est ce qu’explique le général De Gaulle dans une conférence de presse de 1964 : « des Six, c’est l’Allemagne qui accepta les plus grands changements dans son système économique. Car, jusqu’à présent, tout en subventionnant largement son agriculture, elle achète à des pays extérieurs à la Communauté la moitié de ses aliments. Saluons la preuve très claire de solidarité européenne ainsi donnée (…) et disons que notre fidélité aura l’occasion de répondre à la leur » ([31]).

C’est bien le terme de « solidarité » qu’emploie De Gaulle pour justifier cette préférence coûteuse accordée aux produits européens. Il fallait, pour reprendre une autre de ses formules, qu’en Europe « on y mange ce qui y pousse plutôt que ce qu’on y importe »

Dans le cas de la PAC, cette « préférence communautaire » était justifiée par un intérêt supérieur, l’exigence de sécurité alimentaire. Il ne fallait pas que nos approvisionnements agricoles dépendent du bon vouloir de nos partenaires commerciaux. La crise que nous traversons a eu pour effet de montrer la pertinence de ce concept de « souveraineté » ou « d’indépendance » stratégique défendu de longue date par la France. Jusqu’ici, personne ne s’inquiétait du fait que nous importions l’essentiel de nos médicaments ; à présent on veut relocaliser la chaîne de production des médicaments, dans un objectif « d’indépendance sanitaire ».

Mais nous aimerions montrer qu’une solidarité européenne serait justifiée pour bien d’autres raisons que la seule garantie de l’approvisionnement en médicaments et en produits agricoles. L’Union européenne se caractérise par des normes, par des valeurs, par des préférences collectives que nous devons affirmer face à nos partenaires étrangers. Dans le domaine du numérique, il s’agit par exemple de la protection des données privées ou du « droit à l’oubli ». Nous avons aussi des normes sociales et environnementales inscrites au cœur de l’identité industrielle européenne. Si nous ne sommes pas prêts à investir pour défendre nos préférences collectives, nous subirons nécessairement celles des consommateurs américains et asiatiques.

B.   Vers une « solidarité de production » reposant sur une conception globale des intérêts économiques européens

Nous en venons maintenant à une question plus pragmatique : comment mettre en œuvre cette solidarité industrielle, cette préférence communautaire, condition de notre autonomie stratégique ?

Les obstacles à cette solidarité sont multiples :

– à l’intérieur de l’Union, comme nous l’avons vu, certains États membres pourraient penser qu’ils n’ont pas besoin de payer pour investir si en plus cela les condamne à acheter plus cher (c’était notamment la logique du Royaume-Uni) ;

– à l’extérieur de l’Union, l’idée d’une « solidarité » ou d’une « préférence communautaire » pourrait être considérée comme une forme détournée de protectionnisme.

Pour ce qui du premier obstacle, il s’agit de créer une solidarité par l’interdépendance. Les chaînes de production relocalisées doivent être réparties dans l’ensemble des États membres, pour que chacun tire profit des externalités économiques des nouveaux investissements. Les segments des chaînes de valeur seraient divisés entre les États membres, de sorte qu’aucun ne puisse seul en tirer profit. Nous parviendrions à ce que Schuman appelait, dans une formule moins connue de sa Déclaration – à propos de la CECA –, une « solidarité de production ».

Quant au deuxième obstacle, il ne s’agit pas de renoncer au principe de libre échange, qui est globalement bénéfique pour l’Union, mais juste de s’assurer que le commerce international respecte certaines règles de réciprocité en matière sociale et environnementale. À cette fin, il s’agirait d’appliquer des barrières non tarifaires sur les produits importés qui ne respectent pas ces normes. Le mécanisme d’inclusion carbone, qui a d’ailleurs la faveur de Thierry Breton et d’Ursula von der Leyen, serait une manière indirecte d’accorder une préférence communautaire, sans discrimination de nationalité et dans la mesure seulement où nos partenaires commerciaux ne respecteraient pas ces règles que nous sommes les premiers à appliquer. Ce n’est pas du « protectionnisme » mais, pour reprendre l’expression de Pascal Lamy, du « précautionnisme » ; on ne protège pas des produits, mais des valeurs partagées par l’ensemble des citoyens européens.

Une fois ces objections de principe levées, il reste à définir quels secteurs seraient considérés comme « stratégiques » et quels seraient les outils les plus adaptés pour les développer.

Il ne fait nul doute, depuis la crise sanitaire, que le secteur chimique et pharmaceutique est devenu un secteur stratégique. Au sein de cette même commission, nous avons adopté il y a un mois, à l’unanimité, l’excellente PPRE de notre collègue Fabrice Brun sur la relocalisation des chaînes de la production des médicaments et actifs pharmaceutique « essentiels ». Parmi les autres domaines stratégiques, nous pourrions également citer l’énergie et l’industrie verte, le numérique et le spatial, bref toutes les technologies de pointe nécessaires à l’affirmation d’une indépendance européenne.

Le nouvel outil des « projets importants d’intérêt européen commun » (PIIEC) semble être le commencement et l’avenir de la politique industrielle européenne. Il autorise en effet, à certaines conditions, une double dérogation au régime des aides d’État et au droit européen de la concurrence en permettant à des entreprises européennes de former des ententes, et aux États membres de leur accorder des aides nationales

Il ne s’agit pas encore d’un véritable outil de « solidarité », parce qu’il s’appuie en réalité sur des initiatives nationales, c’est-à-dire en pratique sur les initiatives des « grands » États membres. Il s’adresse aussi, structurellement, plutôt aux entreprises qui ont d’importantes capacités d’investissement, c’est-à-dire aux grandes entreprises. Il faudrait donc réfléchir à une façon d’associer à ces grands « projets européens » l’ensemble des États membres et la totalité du système productif, de la start-up aux groupes industriels. On en revient donc à l’idée des « écosystèmes » défendue par Thierry Breton, idée très intéressante mais dont on voit encore mal comment elle va s’articuler avec le cadre des PIIEC.

De manière générale, les politiques européennes manquent de lisibilité et souffrent de leur caractère « technocratique ». L’acronyme « PIIEC » est peu compréhensible pour l’opinion ; même les spécialistes ne savent plus à quoi il correspond. Pourquoi ne pas créer un concept unique auquel on donnerait un nom plus clair ? Par exemple, les « alliances industrielles européennes » : « l’alliance européenne des batteries », « l’alliance européenne de l’hydrogène », voilà qui sonnerait bien mieux !

La création d’un label « Made in Europe » permettrait également de stimuler le sentiment de solidarité économique et de faire peser sur les producteurs ces exigences minimales qui correspondent aux attentes de nos consommateurs :

– normes sanitaires bien sûr ;

– normes relatives au droit du travail ;

– normes environnementales et écologiques

Ces normes permettraient également d’homologuer les produits importés et d’y appliquer des tarifs douaniers différenciés.

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CONCLUSION

 

On le voit bien : solidarité industrielle, sociale et commerciale sont liées. Nous ne pouvons faire prospérer une identité industrielle forte que si nous imposons à nos partenaires commerciaux des exigences strictes qui visent à protéger l’environnement, les travailleurs et les consommateurs. La « solidarité » européenne consiste donc à concevoir les intérêts des uns et des autres de façon globale : ne pas séparer les intérêts des consommateurs et des producteurs ; ne pas séparer les économies des différents États ; ne pas séparer les produits industriels de la façon dont ils sont produits. Il faut à présent sortir de la « logique du plus bas prix » et voir les choses à long terme pour faire émerger un véritable « intérêt général européen » (ou du moins un intérêt supérieur européen), qui naîtrait d’une « européanisation des relations industrielles » profitable à tous les États membres.

 


ANNEXE

 

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

 

 

-          M. Philippe Léglise-Costa, représentant permanent de la France auprès de l’Union européenne

-          M. Yves Bertonini, président du Mouvement européen

-          L’Association européenne ORGALIM et la Fédération des industries électriques, électroniques et de communication (FIEEC) représentées par MM. Guillaume Adam, Benjamin Frugier et Pierre Lucas

 

 

 


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   Travaux de la commission

 

Le mercredi 22 juillet 2020, la présentation de la communication a été suivie d’un débat.

M. Patrice Anato. Votre communication aborde des problématiques qui s’inscrivent dans un timing historique pour l’Union européenne avec l’accord sur le plan de relance survenu hier. Mon collègue Michel Herbillon et moi-même sommes rapporteurs pour cette commission sur le sujet de la politique industrielle. Ce travail a été arrêté entretemps par le confinement mais il se poursuivra avec de nouvelles auditions et tirera les enseignements de cette crise.

Votre communication va dans le sens des différentes conclusions que nous avions établies à la suite de l’affaire Alstom-Siemens. En effet, au-delà du droit de la concurrence, c'était la politique industrielle de l’Union européenne qui était en cause dans sa capacité à faire face aux « mastodontes » internationaux. La France et Allemagne, rejointes par la Pologne, avaient publié au printemps 2019 un manifeste pour une politique industrielle adaptée au XXIe siècle. Depuis, la pandémie a montré que l’absence d’une politique industrielle, notamment en matière de santé, peut être fatale et que nous ne pouvons dépendre d’États tiers pour ce qui est des équipements médicaux essentiels.

Je souhaiterais revenir sur votre constat que la « rivalité » prime sur la « solidarité » en matière industrielle. Comment l’Union devrait-elle à votre avis s’armer pour empêcher que nos entreprises européennes préfèrent s’allier avec des concurrents étrangers plutôt qu’avec des entreprises européennes ? Comment analysez-vous les phénomènes de concurrence qui pourraient survenir entre États membres dans l’hypothèse d’une relocalisation des chaînes de valeur et comment s’assurer que celle-ci puisse profiter à l’ensemble des États membres ?

Mme Constance Le Grip. J’ai été très heureuse de vous voir réhabiliter avec force la notion de préférence européenne. Cette réflexion fait également partie du credo de la droite républicaine à laquelle j’appartiens. Vous avez également eu raison de dénoncer la récente décision de la CJUE sur l’affaire Apple.

J’ai trouvé, M. Anglade, qu’il était un peu rapide d’affirmer qu’il y aurait eu une absence quasi-complète de solidarité au cours de la crise des dettes souveraines et, depuis le Conseil européen, une « vraie » solidarité européenne. Par le passé, il y a quand même eu plusieurs plans d’aide : pour la Grèce, pour l’Irlande pour le Portugal notamment. À l’époque il y a eu de vrais leviers budgétaires et financiers pour des pays qui étaient au bord de la faillite. On a fait avec les instruments qui existaient à l’époque.

S’agissant du plan de relance décidé par le Conseil européen le week-end dernier, je veux juste rappeler que nous avons toujours beaucoup d’interrogations s’agissant des ressources propres grâce auxquelles on va recouvrer l’emprunt et sur les « coupes budgétaires » qui vont nécessairement être opérées dans plusieurs politiques européennes importantes. Les questions sont donc encore nombreuses sur les modalités pratiques de la solidarité européenne et ses conséquences.

Mme Liliana Tanguy. Ce vaste plan de relance économique est en effet historique. On a pris conscience qu’aucun pays ne pouvait surmonter la crise tout seul. La question se pose toutefois de savoir comment cette solidarité va concrètement s’exprimer. Vous avez parlé de solidarité sanitaire, commerciale, industrielle. Mais par exemple pour la solidarité sanitaire, est-ce que cela signifie qu’il faudrait mettre en place des stocks mutualisés de médicaments ? Dans ces cas-là où seraient-ils produits ? Derrière, il y a la question des emplois.

Concernant la solidarité industrielle, comment s’arrange-t-on pour que chaque État membre produise ce pour quoi il est le plus compétitif ?

Concernant la solidarité commerciale, est-ce que la préférence européenne ne risque pas d’être perçue comme du protectionnisme ? Est-ce que ça ne risque pas de nous fermer des marchés à l’international ? Car nous avons des entreprises qui vivent de l’exportation dans nos économies respectives. Or, si nous n’ouvrons pas nos frontières, la Chine ou les États Unis fermeront les leurs.

Est-ce que vous ne craignez pas que cette solidarité, à force de vouloir produire et consommer uniquement européen, ne risque de réduire le pouvoir d’achat des consommateurs et notamment du fait d’un coût de la main d’œuvre beaucoup plus élevé ?

Mme Marguerite Deprez-Audebert, rapporteure. Cette crise a du bon car elle bouscule pas mal de choses. On passe d’une union monétaire à une union économique et monétaire.

En ce qui concerne le commerce, il n’est pas question de renoncer à importer ou à exporter mais on peut mettre des normes pour que les produits s’adaptent au marché européen.

Concernant la solidarité industrielle, il est hors de question que ce soient la France et l’Allemagne qui concentrent l’ensemble de l’industrie européenne. Il faut y associer les plus petits États. Tous les pays doivent bénéficier du partage de valeurs. Ce n’est que comme cela que l’on arrivera à créer un esprit de solidarité.

M. Pieyre-Alexandre Anglade, rapporteur. Sans rentrer dans une logique purement protectionniste, on ne peut pas poursuivre dans la naïveté qui fut la nôtre en matière commerciale. La nécessité de renforcer le contrôle sur les investissements étrangers, notamment dans les secteurs stratégiques, apparaît être une priorité fondamentale. D’autres pays le font comme la Chine ou les États-Unis. Il n’y a pas de raison que les Européens s’en privent. Dans la même idée, l’exigence de réciprocité doit prévaloir en matière de marchés publics.

La politique de concurrence telle qu’elle a été pensée ces dernières années a conduit à des situations grotesques telles que l’épisode d’Alstom-Siemens. Et doit repenser ces politiques de concurrence pour avoir des champions européens avec un poids suffisamment important, par exemple dans le domaine ferroviaire, pour être capable de concurrencer les autres grandes entreprises mondiales.

Sur la mutualisation des produits de santé, la crise que l’on est en train de vivre a d’abord été sanitaire et a démontré l’extrême vulnérabilité des pays européens : manque de masques, de tests, de principes actifs pour les médicaments et pour les vaccins. Ceci démontre que l’on avait délégué ces politiques à d’autres régions du monde. Il faut à présent que l’on se prenne en charge.

Un dernier mot sur ce que disait Constance Le Grip à propos du parallèle avec la crise de 2008. Entre 2008 et 2012, on a eu des plans de soutien, mais aussi des politiques d’austérité très dures pour certains pays. Ce que je voulais dire, c’est que la réponse que les Européens apportent aujourd’hui à la crise est une vraie politique de solidarité qui permet des transferts des pays les plus riches vers les pays les plus touchés sans imposer de contreparties très difficiles pour les pays en question : cela est inédit.

M. le Vice-président Jean-Louis Bourlanges. Je voudrais répondre à la question de notre collègue allemand. Est-ce que ce plan est à la hauteur et sera suffisant ?

Cette solidarité n’est pas absolument nouvelle. À la fin des années 1990, les Conseils européens de Bruxelles et d’Édimbourg ont doublé les fonds des politiques structurelles et de cohésion. Cela a représenté des sommes considérables déversées sur l’Europe du sud. La question que l’on doit se poser, c’est pourquoi ça n’a pas bien fonctionné.

Dans les années 2000, la mise en place de l’euro s’est traduite par une politique de taux d’intérêt très favorable à des pays comme la Grèce et l’Italie qui n’en ont pas forcément fait le meilleur usage. Là encore, le système politique n’a pas bien fonctionné. Mais dans les années 2000, l’Union européenne a fait son travail. Ensuite, c’est vrai que les réformes d’austérité imposées ont été très dures.

Troisièmement, nous avons pratiqué, malgré l’opposition initiale des Allemands le bail out. Cette solidarité importante initiée par Mario Draghi a permis de limiter le coût de l’endettement pour des pays surendettés comme l’Espagne l’Italie et même la France.

Le traité sur la stabilité, coordination et la gouvernance (TSCG) est souvent mal interprété. À travers la notion de déficit structurel, il introduit la prise en compte du cycle économique, qui était alors ignoré depuis le traité de Maastricht. Les « 3 % » du PIB ne sont plus devenus un objectif en soi mais un parcours d’étape lié au niveau de croissance. Quand les Européens ont décidé, il y a quelques semaines, d’abandonner la « règle des 3 % », ils sont allés au bout de la logique du TSCG.

Le Conseil européen d’il y a deux jours est un élément supplémentaire très important à la fois du fait du montant de l’enveloppe et de l’outil utilisé, avec la création d’une dette commune. Il y aura sûrement d’autres étapes à poursuivre en matière fiscale notamment. Le Conseil européen a acté un saut qualitatif important sans constituer une rupture brutale avec ce qui a été fait auparavant.

 

 


([1]) Règlement (UE) 2020/672 du Conseil du 19 mai 2020 portant création d’un instrument européen de soutien temporaire à l’atténuation des risques de chômage en situation d’urgence (SURE) engendrée par la propagation de la covid-19.

([2]) La proposition de décision du Conseil relative au système des ressources propres de l’Union européenne [COM(2018) 325 final] proposait de remonter le plafond de 1,2 % à 1,35 % en engagements et 1,29 % en paiements.

([3])  L’Union européenne bénéficie d’une notation AAA par FitchRatings et Moody’s et AA par Standard & Poor’s, avec perspective stable.

([4])  https://www.bruegel.org/2020/06/the-eus-recovery-fund-proposals-crisis-relief-with-massive-redistribution/

([5]) Voir le rapport d’information de la commission des affaires européennes sur le cadre financier pluriannuel du 16 mai 2019, n° 1950.

([6])  https://www.bruegel.org/2020/06/the-eus-recovery-fund-proposals-crisis-relief-with-massive-redistribution/

([7])  Selon cette méthode, les ressources propres traditionnelles, qui sont des ressources de l’Union, ne sont pas prise en compte pour le calcul des contributions des États membres.

([8]) Règlement (UE) 2020/672 du Conseil du 19 mai 2020 portant création d’un instrument européen de soutien temporaire à l’atténuation des risques de chômage en situation d’urgence (SURE) engendrée par la propagation de la covid‑19.

([9]) Sans préjudice des autres procédures prévues par les traités, le Conseil, sur proposition de la Commission, peut décider, dans un esprit de solidarité entre les États membres, des mesures appropriées à la situation économique, en particulier si de graves difficultés surviennent dans l’approvisionnement en certains produits, notamment dans le domaine de l’énergie.

Lorsqu’un État membre connaît des difficultés ou une menace sérieuse de graves difficultés, en raison de catastrophes naturelles ou d’événements exceptionnels échappant à son contrôle, le Conseil, sur proposition de la Commission, peut accorder, sous certaines conditions, une assistance financière de l’Union à l’État membre concerné. Le président du Conseil informe le Parlement européen de la décision prise.

([10])  Données principalement fournies par la direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises (DGPE) du Ministère de l’agriculture et de l’alimentation

([11])  https://www.europarl.europa.eu/news/fr/headlines/society/20200416STO77203/covid-19-mesures-d-urgence-pour-soutenir-les-agriculteurs-et-les-pecheurs

([12])  Règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles et abrogeant les règlements (CEE) n ° 922/72, (CEE) n ° 234/79, (CE) n ° 1037/2001 et (CE) n ° 1234/2007 du Conseil.

([13])  Articles 25 et 28 du règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 concernant un code de l’Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes.

([14])  Les délais et obligations de notification à la Commission ne sont pas toujours observés par les États qui réintroduisent temporairement des contrôles aux frontières intérieures.

([15])  CAE, Aussilloux, Bénassy-Quéré, Fuest, Wolff, Tirer le meilleur du marché unique européen, février 2017.

([16])  Ce doublement rapprocherait l’intensité du commerce intra-européen de ce qui existe entre les Etats américains. CEPII, Aussilloux, Emlinger, Y a-t-il encore des gains à l’achèvement du marché unique européen ?, 2015.

([17])  Conseil européen, Un nouveau programme stratégique 2019-2024, 20 juin 2019.

([18])  Le premier État à notifier cette réintroduction a été l’Autriche, suivie par la Hongrie le 12 mars. La France était encore dans le délai de 6 mois à compter du 31 octobre 2019, date à laquelle avait notifié la réintroduction de contrôles au titre de l’article 25 du code frontières Schengen en raison du risque terroriste.

([19])  Insee Première, « Forte croissance du nombre de travailleurs frontaliers vers la Suisse et le Luxembourg », n° 1755, juin 2019. 

([20])  Insee, Points de conjoncture des 26 mars et 9 avril 2020.

([21])  Eurostat, Which traded goods are affected the most by COVID-19?, 22 mai 2020.

([22])  Communication de la Commission relative aux lignes directrices concernant l’exercice de la libre circulation des travailleurs, C(2020) 2051, 30 mars 2020.

([23])  Communication de la Commission sur la mise en œuvre des voies réservées, C(2020) 1897 final, 23 mars 2020.

([24])  Communication de la Commission européenne, Encadrement temporaire des mesures d’aide d’État visant à soutenir l’économie dans le contexte actuel de la flambée de COVID-19, 20 mars 2020.

([25])  Le modèle a été pris sur un cadre semblable adopté à la suite de la crise financière de 2008.

([26])  DINUM, Tableau de bord interactif des prêts garantis par l’État, données au 10 juillet 2020.

([27])  CAE, Albert, Gillet, La spécialisation industrielle de sept grands pays avancés, novembre 2015.

([28])  Le nouveau Pacte sur l’immigration et l’asile est attendu pour la rentrée.

([29])  Déclaration du 9 mai 1950.

([30])  Formule de Yves Bertoncini, « La solidarité européenne en temps de crise » (2020).

([31])  Conférence de presse du 31 janvier 1964. 1’02’’47 sur l’archive de l’INA.