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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUINZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 18 novembre 2020
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l’article 145 du Règlement
PAR LA COMMISSION DEs affaires ÉTRANGÈRES
en conclusion des travaux d’une mission d’information constituée le 31 octobre 2018
sur le contrôle des exportations d’armement
et présenté par
M. Jacques MAIRE et Mme Michèle TABAROT,
Députés
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SOMMAIRE
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Pages
Partie 1 - Le contrôle des exportations d’armement fait l’objet d’interrogations profondes
I. Les déterminants des exportations d’armement sont multiples et parfois contradictoires
1. Les matériels de guerre et assimilés
4. Les possibilités de reclassement
B. Pourquoi exporte-t-on des armes ?
1. Une garantie pour notre souveraineté
2. Le développement de nos partenariats stratégiques
3. Un secteur qui irrigue l’économie française
4. La dépendance à l’export est une spécificité de notre pays
C. Pourquoi contrôle-t-on les exportations d’armement ?
1. Préserver la sécurité de nos forces et de nos alliés
2. Assurer notre supériorité technologique
3. Prévenir les conséquences humanitaires de la prolifération des armes
a. La protection des droits humains
b. Un cadre juridique protecteur en gestation
4. Des objectifs différents suivant les pays
2. Une instruction interministérielle
3. Un processus d’examen à plusieurs niveaux
4. La prise en compte des considérations juridiques dans l’évaluation des risques
b. Les suspensions ou les abrogations de licences
B. Les biens à double usage font l’objet d’un Contrôle Largement Distinct
1. Une Europe peu rassemblée sur l’armement et son contrôle export
2. Le modèle allemand : un contrôle centré sur les enjeux économiques
III. Les exportations de matériels sensibles font aujourd’hui l’objet d’interrogations profondes
A. le contrôle, un facteur concurrentiel important pour les industriels
1. La compétition sur le marché des armes est plus féroce que jamais
2. La concurrence se joue aussi sur le terrain réglementaire
3. Certaines contraintes qui pèsent sur les industriels peuvent, à la marge, être allégées
a. Des points de vigilance pris en compte…
b. … mais des délais d’instruction encore trop longs
B. De nouveaux risques : Évolution du débat public et judiciarisation
1. Un cadre juridique international plus contraignant
i. La crise yéménite révèle un décalage croissant entre la realpolitik et les attentes de l’opinion
ii. Des ONG productrices d’informations très opérationnelles et relayées par les médias
iii. Les nouveaux risques des biens à double usage
3. Vers l’engagement de la responsabilité de l’État et des industriels devant les juridictions ?
a. Le contentieux administratif relatif à la délivrance de la licence
ii. Des obstacles encore nombreux
iii. Des conséquences juridictionnelles potentiellement lourdes en cas de licence invalidée
b. L’engagement de la responsabilité pénale des industriels
ii. Les licences ne protègent pas les industriels
iii. Un risque réduit pour les industriels ?
c. Une dynamique contentieuse qui se développe à l’échelle européenne
Partie 2 – Le contrôle des exportations d’armement doit aujourd’hui relever trois grands défis
I. Renforcer le contrôle administratif des produits sensibles
A. le contrôle a priori doit encore être amélioré
2. Le contrôle des biens à double usage : la course contre la montre
c. En conséquence, une gestion active de la classification nationale s’impose
3. Il est nécessaire de rapprocher le contrôle des matériels de guerre et des biens à double usage
B. Le contrôle dans la durée des contrats d’armement est difficile mais nécessaire
1. Le levier de la maintenance
2. Le contrôle de l’utilisation des matériels
3. Le partenariat entre États : un vecteur d’influence
II. Rendre possible l’intégration européenne en matière de défense et d'armEment
A. La France doit mieux pénétrer le marché européen
1. Une faible pénétration du marché européen
2. Une réorientation de long terme
1. Répondre aux blocages allemands
a. Les restrictions à l’export imposées par l’Allemagne
c. Mais un partenariat de confiance entre nos deux pays n’est pas encore acquis
2. Renforcer le cadre d’exportation européen
a. Réduire les risques de blocage de la part d’un partenaire européen
b. Ne pas créer un contrôle des exportations d’armes à l’échelle de l’UE
c. Favoriser la coopération européenne en matière d’armement par le dialogue interparlementaire
C. Les restrictions à l’export imposées par les États-Unis appellent une réponse européenne
1. La réglementation ITAR est source de contraintes
2. La réponse doit être portée à l’échelle européenne
a. Une politique essentiellement nationale
b. Vers une communauté européenne « ITAR-free » ?
III. Améliorer l’information et le pouvoir de contrôle du parlement
A. Améliorer l’information donnée au Parlement
1. La protection du secret, obstacle à l’information, est nécessaire à notre souveraineté
a. Le secret de la défense nationale
b. Le secret industriel et commercial
2. Les rapports au Parlement sur les exportations d’armement
a. Le rapport annuel sur les exportations d’armement en France n’est pas un outil de contrôle
3. Un effort de transparence nécessaire vis-à-vis du Parlement
a. Un niveau d’information plus complet
b. Une information plus fréquente
B. Créer un pouvoir de contrôle du parlement
1. Le contrôle parlementaire : un enjeu démocratique
b. Permettre un débat informé vis-à-vis de l’opinion publique
2. L’absence de modèle de référence international
a. Le contrôle a priori reste exceptionnel
i. Le Riksdag suédois est au centre de la prise de décision
ii. Le Congrès américain a la faculté (théorique) de s’opposer à certaines ventes d’armes
b. Les contrôles a posteriori prennent diverses formes
i. Le Parlement britannique exerce un contrôle structuré
ii. L’exportation d’armement mobilise les débats au Bundestag allemand
3. Pour un contrôle parlementaire responsable et équilibré
a. Les conditions d’implication des parlementaires
b. Un contrôle qui respecte l’exigence du secret
c. Un contrôle qui ne pénalise pas les industriels
4. Quelle approche pour un contrôle a posteriori en France ?
a. Un contrôle a priori qui n’est pas transposable en France
b. Un précédent national : la délégation parlementaire au renseignement
c. Quelle organisation parlementaire pour le contrôle des exportations d’armement ?
i. L’implication directe des commissions permanentes sans structure dédiée
ii. Une refonte de la délégation parlementaire au renseignement
iii. Une délégation parlementaire bicamérale ad hoc
v. La base juridique et l’accès à l’information
d. Éclairer l’opinion par un débat public enrichi
Annexe 2 : Encadrés, tableaux, graphiques et cartes
Annexe 3 : Liste des personnes auditionnées par les rapporteurs et déplacements
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« Renforcer le contrôle parlementaire des exportations d’armement,
une contribution à l’Europe de la défense »
Le rapport propose une analyse approfondie de la question des exportations d’armement en France. S’il est attendu un jugement sur la qualité du contrôle et les perspectives concernant le rôle du Parlement, ce rapport va au-delà et développe une vision globale, française, européenne et internationale, des enjeux de cette politique publique. Il s’appuie pour cela sur un travail de 18 mois, des auditions de plus de 180 acteurs sans compter les nombreuses rencontres informelles, et des déplacements dans 4 pays.
Vos rapporteurs ont adopté une approche large des secteurs contrôlés, fondée sur le risque d’atteinte aux droits de l’Homme, pour définir le périmètre du rapport : ces secteurs contrôlés incluent les matériels de guerre, dont la vente est prohibée sauf autorisation via licence, mais également les biens à double usage, d’utilisation civile mais susceptibles de donner lieu à prolifération de matériels dangereux, également soumis à licence mais dont le principe est l’autorisation.
Il y a une spécificité française en la matière. L’importante base industrielle et technologique de défense (BITD) revêt un enjeu économique majeur, mais l’exportation d’armement est également perçue comme un instrument de la politique étrangère dans ses deux dimensions fondamentales : le maintien d’une autonomie stratégique française et européenne dans les équipements nationaux de défense et notre contribution à la sécurité internationale, permettant à nos partenaires stratégiques mais aussi aux autres États clients d’assurer leur défense.
Dans ce contexte, le contrôle de l’exportation a bien pour objectif le respect de nos engagements internationaux, car la valeur de la marque « France » est indissociable des valeurs humanistes reconnues à notre pays de par le monde. C’est pourquoi la France s’engage concrètement dans les actions de lutte contre la prolifération et de règlementation du commerce des armes. Mais le contrôle intègre d’autres dimensions aussi fondamentales, liées à la sécurité de nos forces et à notre supériorité technologique.
L’examen des processus de contrôle illustre le caractère robuste de l’organisation de l’État : l’instruction interministérielle des dossiers, l’évaluation des risques et la rigueur des décisions prises en témoignent, et notre système se compare aisément avec celui de nos partenaires étrangers. Mais le contrôle est également un élément de compétitivité dans un contexte concurrentiel renforcé. À cet égard, quelques pistes d’optimisation du dispositif français sont proposées.
Le contexte actuel est susceptible de remettre en cause le consensus français traditionnel sur l’exportation d’armements. Ceci est le résultat de plusieurs dynamiques : le conflit au Yémen, véritable catastrophe humanitaire, a entraîné une mobilisation des organisations non gouvernementales (ONG) et une couverture médiatique critique sans précédent connu. Le rapport détaille la façon dont cette pression médiatique s’exerce dans le cadre d’un partenariat bien organisé entre ONG et organes de presse. L’analyse fine des prises de position des ONG, sur une base factuelle et sans préjugé, révèle une réalité : la France est bien plus souvent ciblée que ses partenaires par les critiques des ONG, sans que sa part dans les exportations ne le justifie. D’autres facteurs renforcent cette fragilisation du consensus français, comme la montée du débat sur l’utilisation des biens à double usage, et notamment les technologies d’interception et de traitement des communications, et l’accélération forte de la judiciarisation du contrôle export.
Le contentieux monte en puissance fortement : la Position commune de l’Union européenne (UE) de 2008 et le Traité sur le commerce des armes (TCA) de 2013 sont désormais invoqués à l’appui de nombreux contentieux administratifs pour attaquer la délivrance de licences par l’État. Si le risque d’annulation semble faible à court terme en France, ces recours ont déjà donné lieu à suspension de licences au Royaume-Uni ou à annulation en Belgique. Les recours pénaux se multiplient aussi, en France comme à l’étranger, et mettent potentiellement en cause la responsabilité des entreprises aujourd’hui et celle des autorités publiques demain. La jurisprudence en France paraît assez protectrice, mais la pression contentieuse peut aussi concerner les filiales des groupes français à l’étranger. La prise de conscience des autorités politiques semble encore assez limitée à vos rapporteurs. Il est pourtant possible qu’un jour l’administration ait à rendre compte aux juges de la façon dont elle instruit l’examen de la conformité de la licence à nos engagements internationaux. Quant à l’attitude de l’immense majorité des industriels, elle dénote une forme de déni de responsabilité : ils se sentent exonérés de toute mise en cause pour exporter sous licence. L’examen détaillé des processus de mise en cause de la responsabilité de l’industriel par le juge pénal montre qu’il n’en est rien. Il faut souhaiter que ce rapport soit l’occasion d’une prise de conscience de leur part.
Face à cette mise en cause croissante, le contrôle fait face à plusieurs défis. D’abord, le contrôle des biens à double usage fait l’objet d’une course de vitesse : le régime de Wassenaar, qui l’organise, définit la liste des biens contrôlés par accord international ; sa mise à jour est dépendante des vicissitudes de la négociation. Le rythme actuel des innovations, notamment dans les technologies pouvant menacer les libertés publiques, suppose donc qu’une liste nationale complémentaire soit élaborée et mise à jour très régulièrement et complétée par un ciblage des entités clientes. De plus, un certain nombre de faits plaide pour un approfondissement du contrôle des biens à double usage dans le cadre d’un rapprochement avec certains éléments du contrôle effectué par la commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG) et d’un rôle accru de la direction générale de l’armement (DGA).
Enfin, les controverses concernant les armements vendus par la France concernent des contextes d’utilisation qui se développent bien après l’octroi de la licence. Les dispositifs utilisables pour suivre et faire respecter l’usage des armements dans la durée relèvent davantage de l’influence (maintenance, partenariats…) que d’outils de contrôle effectifs. Vos rapporteurs estiment que des marges de progression sont possibles pour renforcer la redevabilité des États clients, à partir du moment où les règles du jeu sont clairement définies en amont du contrat, ou dans le cadre d’autres éléments de coopération militaire de nos partenariats stratégiques. À cet égard, le « contrat de partenariat gouvernemental » (CPG) dans le domaine de l’armée de terre peut être une source d’inspiration dans certains cas limités.
Le rapport place au centre de sa réflexion la perspective française d’une plus grande intégration européenne en matière de défense et d’armement. La stratégie européenne en matière d’armement et sa dimension export sont des éléments fondamentaux de la pérennité de notre souveraineté. Vos rapporteurs défendent une approche volontariste dans le rééquilibrage difficile de nos exportations vers l’Europe, ce qui passe par le succès des instruments de coopération nouvellement créés comme le fonds européen de défense (FEDEF) et la coopération structurée permanente (CSP). La masse critique du marché de l’armement européen, offre et demande, est telle qu’elle permet d’envisager une réelle autonomie stratégique qui manque au niveau national.
Mais, aujourd’hui, les contrôles des États Membres empêchent les exportations d’équipements produits en commun et constituent de forts irritants, qui pourraient être renforcés par le Brexit. Vos rapporteurs sont donc très en faveur d’une convergence normative et des pratiques en matière de contrôle mais réfutent l’idée présente en Europe d’une communautarisation de l’octroi des licences. Cela ferait dépendre nos choix de souveraineté de positions d’États membres peu impliqués et donc peu enclins à assumer une prise de risques partagée. L’enjeu premier à cet égard est la nécessité de trouver un point d’équilibre avec l’Allemagne, notre partenaire pour les grands programmes d’avion et de char du futur. La conclusion d’un récent accord remplaçant l’accord « Debré-Schmidt » est une étape dont il faudra s’assurer de l’application. Vos rapporteurs estiment qu’il serait opportun de prolonger cette approche au niveau des États de la « Letter of Intent » (LOI). Sur le plan parlementaire, des échanges pourraient être structurés au sein de l’Assemblée parlementaire franco-allemande (APFA) et, en cas de succès, proposés aux Parlements des États de la LOI.
Les contraintes supportées par notre politique d’exportation du fait des règlementations américaines extraterritoriales, dites « ITAR » et « EAR », nécessitent une réponse européenne. Elle est possible sur le plan des stratégies d’approvisionnement au niveau français comme à l’échelon européen.
Afin de faciliter une convergence européenne d’armement et de défense, un rapprochement interparlementaire est fondamental. Les parlements nationaux de nos principaux partenaires européens disposent d’une réelle influence et sont aujourd’hui peu aidants en la matière. Afin que la coopération interparlementaire soit possible, la France doit améliorer l’information et le pouvoir de contrôle de son Parlement sur sa politique d’exportation d’armement. Aujourd’hui, le Parlement est peu impliqué. La protection du secret, essentielle en la matière, l’explique en partie. Au-delà, les échanges autour du rapport annuel sur les exportations d’armement ne constituent pas un instrument de contrôle. Les autres rapports sur le sujet, produits par notre propre gouvernement ou par d’autres États exportateurs, montrent de réelles possibilités d’amélioration.
Donner un pouvoir de contrôle au Parlement suppose d’en clarifier les objectifs. Il s’agit en premier lieu de s’assurer de l’effectivité du contrôle et du respect de nos engagements internationaux. Il faut également alimenter un débat informé vis-à-vis de l’opinion publique, qui puisse enrichir le dialogue limité entre ONG et Gouvernement. Enfin, le Parlement a un rôle concret à jouer dans l’Europe de la Défense, une priorité française de toutes les majorités. Les parlements de nos partenaires jouent un rôle réel dans les politiques d’armement nationales et dans le contrôle à l’export. Il peut exister un sentiment de défiance envers la France, notamment du fait de son statut de puissance militaire et d’une crainte du leadership qui en découlerait. L’absence d’interlocuteur parlementaire français renforce cette défiance. C’est une faiblesse pour notre pays.
Si l’on veut créer cette appropriation, il importe de donner un rôle réel aux parlementaires, tout en respectant les contraintes liées à ce secteur, et en particulier le respect du secret, sans toutefois s’interdire d’engager une réflexion sur la définition du périmètre des informations classées. Le contrôle a priori, pratiqué en Suède comme aux États-Unis, n’est pas une option pour notre pays, du fait de la séparation des pouvoirs et du rôle dévolu à l’exécutif par la Constitution.
La mise sur pied d’un contrôle a posteriori apparaît en revanche possible, en tirant les leçons des limites fortes du modèle allemand, de l’expérience britannique dont le contexte est plus proche, et de l’expérience française dans un domaine également contraint par le secret : la délégation parlementaire au renseignement (DPR).
Vos rapporteurs proposent donc la création d’une délégation parlementaire au contrôle des exportations d’armement. Celle-ci se verrait dotée d’un droit d’information, dont la solidité dépend étroitement de la base juridique retenue, et d’un droit à émettre des recommandations, confidentielles quand elles sont spécifiques à une situation. Elle pourrait en outre émettre ponctuellement des avis sur des demandes en cours d’examen. Au-delà de sa fonction de contrôle, la délégation aurait également pour mission d’enrichir le débat public à travers un rapport annuel, une contribution aux échanges sur le rapport annuel du Gouvernement au sein des commissions concernées de l’Assemblée, mais aussi l’animation d’un débat « hors-les-murs ».
Intégrer cette mission au sein de la DPR est une possibilité. Mais cela nécessite de réformer profondément cette dernière de façon à exercer deux contrôles distincts quant au cadre juridique et aux interlocuteurs. Cette complexité supplémentaire ne semble guère justifiée aux yeux de vos rapporteurs, si ce n’est d’éviter la création d’une nouvelle délégation parlementaire.
Vos rapporteurs appellent à la création rapide d’une commission de travail, si possible bicamérale. Celle-ci permettrait d’engager un travail commun entre l’Assemblée nationale et le Sénat afin d’assurer un premier suivi des exportations en vue d’enrichir le débat sur le rapport du Gouvernement en 2021, mais également de préparer le dispositif institutionnel qui sera mis en œuvre.
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Proposition n° 1 : Charger la DGA et le SBDU d’une mission de sensibilisation en matière de droits humains envers les entreprises exportatrices d’armements et de biens à double usage, en tenant compte des risques liés à leur responsabilité pénale.
Proposition n° 2 : Renforcer le contrôle des exportations sur les armes de petit calibre et les véhicules blindés légers pour lesquels le risque de détournement est plus important.
Proposition n° 3 : Dans le cadre de la CIEEMG, renforcer l’évaluation de l’impact d’une opération d’exportation sur l’autonomie d’un programme stratégique (amortissement, effort de R & D, impact budgétaire pour la France…).
Proposition n° 4 : Créer une liste nationale des biens à double usage complémentaire des listes internationales et européennes.
Proposition n° 5 : Unifier le contrôle effectué sur les exportations de matériels de maintien de l’ordre au sein de la CIBDU afin de créer un guichet administratif unique pour les entreprises actuellement concernées par les différents règlements européens.
Proposition n° 6 : Renforcer et mutualiser l’expertise technique pour l’ensemble des technologies sensibles des biens à double usage, en élargissant le rôle de la DGA dans ce domaine.
Proposition n° 7 : Sur le modèle des États-Unis, instaurer pour les biens à double usage un contrôle par client en publiant une liste d’entités soumises à contrôle renforcé.
Proposition n° 8 : Poser le principe que l’exportation d’armes de petit calibre fasse systématiquement l’objet d’une clause de non-réexportation.
Proposition n° 9 : Élargir le contrôle de la destination finale des armements vendus à l’identification du destinataire final.
Proposition n° 10 : Dans le cadre d’un dialogue politique, demander dès le début des négociations des engagements de principe du client pour garantir un usage légitime des équipements, même en l’absence de contrôle dans le contrat.
Proposition n° 11 : Dans le cadre des partenariats stratégiques, proposer aux États clients des formations au respect du cadre juridique international dès lors qu’un risque est identifié.
Proposition n° 12 : Étudier les potentialités de conclusion de contrats de partenariat gouvernemental avec des partenaires hors Union européenne en vue de renforcer notre capacité de contrôle.
Proposition n° 13 : Engager une étude sur la réorientation de la politique d’exportation de la France pour les matériels de surveillance et d’interception.
Proposition n° 14 : Sur le modèle des grands programmes d’armement européens, développer de nouveaux schémas de coopération avec certains États membres de l’UE.
Proposition n° 15 : Sur le modèle du nouvel accord franco-allemand, négocier un accord sur des règles d’exportation communes avec les six pays de la Letter Of Intent (LoI) et à l’échelle de l’UE pour les projets éligibles au FEDEF.
Proposition n° 16 : Initier un dialogue interparlementaire sur les enjeux d’exportations d’armes, notamment dans le cadre de l’assemblée parlementaire franco-allemande. Envisager par la suite de l’élargir aux pays de la Letter of Intent.
Proposition n° 17 : Encourager la création, à l’échelle européenne, de filières industrielles « ITAR-free » pour les grands programmes d’armement européens.
Proposition n° 18 : Redéfinir le périmètre du secret de la défense nationale afin de permettre une meilleure conciliation entre protection de notre souveraineté et accès à l’information.
Proposition n° 19 : Maintenir le caractère mixte du rapport annuel au Parlement, comprenant un volet soutien à l’exportation et un volet consacré au contrôle qui doit néanmoins être sensiblement développé.
Proposition n° 20 : Inclure, dans le prochain rapport au Parlement sur les exportations d’armement, des informations sur la répartition géographique des refus de licences, sur le modèle du rapport 2017.
Proposition n° 21 : S’assurer que le rapport au Parlement soit toujours au niveau de l’information la plus précise contenue dans les rapports destinés à des organisations internationales.
Proposition n° 22 : Inciter le SGDSN à dévoiler dans le rapport annuel au Parlement les éléments non sensibles des directives de haut niveau.
Proposition n° 23 : Intégrer dans le rapport annuel au Parlement l’identité des bénéficiaires des livraisons au sein de l’État client ainsi que l’utilisation finale déclarée des équipements.
Proposition n° 24 : Inclure dans le rapport annuel au Parlement des informations sur les licences modifiées, suspendues et abrogées.
Proposition n° 25 : Créer, sur le modèle de ce qui existe au Royaume-Uni, un rapport commun à l’exportation des matériels de guerre et des biens à double usage.
Proposition n° 26 : Initier, avec le soutien du SEAE, des échanges parlementaires sur les rapports aux parlements nationaux dans l’objectif d’une plus grande convergence européenne des mesures de transparence et de l’accès aux informations.
Proposition n° 27 : Instaurer un rapport au Parlement sur une base trimestrielle ou semestrielle ainsi qu’une base de données en ligne permettant d’avoir accès à des données statistiques actualisées.
Proposition n° 28 : Donner au Parlement les moyens de vérifier que le processus d’examen des demandes de licences permet une juste analyse des différents critères qui interviennent dans les décisions relatives aux exportations d’armement.
Proposition n° 29 : Donner au Parlement les moyens d’appréhender l’ensemble des déterminants des exportations d’armement.
Proposition n° 30 : Instituer une délégation parlementaire au contrôle des exportations d’armement et de biens à double usage, bicamérale et en format restreint.
Proposition n° 31 : Constituer, sur instruction des deux assemblées, une commission de travail, si possible bicamérale, afin d’assurer un premier suivi des exportations permettant d’enrichir le débat sur le rapport au Parlement en 2021 et de préparer le dispositif institutionnel qui sera retenu.
Proposition n° 32 : Donner, dans une première phase, une base juridique réglementaire à l’accès aux informations de la délégation parlementaire.
Proposition n° 33 : La délégation parlementaire au contrôle des exportations d’armement :
Proposition n° 34 : Valoriser et enrichir le débat sur le rapport annuel au Parlement en prévoyant :
Proposition n° 35 : Institutionnaliser une journée d’études permettant un débat sur les exportations d’armement avec l’ensemble des parties prenantes publiques et privées.
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Avec l’intervention de la coalition de pays arabes emmenée par l’Arabie saoudite dans la guerre au Yémen à partir de mars 2015, le contrôle des exportations d’armement est devenu un sujet de controverse dans l’ensemble des pays européens, et notamment en France, ce qui est apparu comme une première. Deux ans après le début de l’intervention, le Parlement européen adoptait, à une large majorité, une résolution non contraignante associant les exportations de matériels de guerre à destination de l’Arabie saoudite à une violation des règles européennes ([1]). En septembre 2018, le secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires des Nations unies, M. Mark Lowcock, qualifiait la guerre au Yémen de « pire crise humanitaire au monde », provoquant un réveil de la communauté internationale sur les conséquences de cette crise qui se déroule aux confins de la péninsule arabique. En octobre de la même année, le meurtre du journaliste Jamal Khashoggi conduisait plusieurs pays européens à prendre la décision de suspendre leurs exportations d’armement à destination de l’Arabie saoudite.
Malgré ces évènements, et ceux qui suivirent, la France n’a pas remis en cause le partenariat stratégique qui la lie à plusieurs pays du Golfe participant à la guerre au Yémen. C’est dans ce contexte qu’une vingtaine de députés de la majorité ont déposé, en avril 2018, une proposition de résolution tendant à créer une commission d’enquête parlementaire sur les ventes d’armes françaises aux acteurs du conflit au Yémen ([2]).
Cette demande n’a pas prospéré mais, compte tenu de l’importance de la question soulevée, au-delà du seul cas d’espèce, la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale a créé, le 14 décembre 2018, une mission d’information sur le contrôle des exportations d’armement. Vos rapporteurs ont donc reçu un mandat large, qui ne traite pas spécifiquement des exportations françaises en direction des monarchies du Golfe.
Les travaux ont été conduits, pour l’essentiel, avant le début de la pandémie mondiale de Covid-19. Cette crise devrait se traduire par une diminution des exportations d’armement de la France en 2020, mais il est difficile d’en faire le début d’une tendance à long terme. Force est de constater que, de la Méditerranée orientale à la mer de Chine, la montée des tensions internationales se poursuit. L’export devrait donc se maintenir. La France est mise au défi de protéger son industrie de défense, en particulier dans le domaine aéronautique, et de répondre à la demande de souveraineté des États clients, notamment du point de vue des transferts de technologie. Dans le même temps, notre pays doit également saisir l’opportunité que représente la priorité accordée à l’autonomie stratégique de l’Europe pour renforcer l’Europe de la défense.
Tout au long de leurs travaux, vos rapporteurs ont eu pour objectif d’identifier les conditions d’évolution du système de contrôle des exportations d’armement qui permettraient d’éclairer les débats actuels, quel que soit le contexte.
Au fur et à mesure de leurs travaux, vos rapporteurs ont décidé d’élargir le champ de leurs investigations pour y inclure non seulement les exportations d’armement mais également celles des biens à double usage, civil et militaire, comme les drones et les systèmes de cybersurveillance, qui comportent des risques absolument majeurs au regard du respect des droits humains. Ce rapport traite ainsi des exportations de ce que les anglo-saxons appellent les « matériels sensibles » au sens large. Sur ce champ ainsi délimité, vos rapporteurs ont orienté leurs interrogations dans trois grandes directions : le système de contrôle administratif, le rôle du Parlement et les restrictions à l’exportation imposées par des États étrangers. Ils ont souhaité replacer ce débat national au regard de sa contribution possible à la politique française de promotion d’une politique européenne de défense et d’armement.
La première partie de ce rapport rappelle les motifs, nombreux et complexes, qui justifient l’export et son contrôle. Ce préalable est indispensable à toute discussion sérieuse sur les exportations de matériels sensibles. Si la construction et les caractéristiques du contrôle français de l’export attestent, dans l’ensemble, de sa robustesse, le consensus français sur cette politique est de moins en moins établi. Les décisions prises dans ce cadre sont aujourd’hui contestées, ce qui donne lieu depuis quelques années à une intense bataille devant l’opinion publique et dans les prétoires. Si une dynamique similaire peut être constatée chez nos voisins européens, cette dernière n’emporte pas les mêmes conséquences en raison, notamment, de traditions différentes.
La seconde partie de ce rapport porte sur les trois grands défis que doit relever le contrôle de l’export : adapter le contrôle administratif des exportations de matériels sensibles, donner un cadre de convergence aux dynamiques du contrôle en Europe et améliorer le pouvoir d’information et de contrôle au Parlement.
L’enjeu principal pour vos rapporteurs est celui de doter le Parlement français d’un véritable pouvoir de contrôle. Alors que le débat sur ce sujet donne parfois l’impression d’un dialogue de sourd entre l’exécutif et les organisations non gouvernementales (ONG), il existe un espace politique pour que le Parlement joue un rôle de garant et d’aiguillon de la politique d’exportation de la France. Il suffit de jeter un regard sur les pays comparables à la France pour s’apercevoir qu’un rôle accru du Parlement, loin de signifier la fin des exportations d’armement, permettrait un renforcement de leur légitimité et contribuerait à accroître l’intégration européenne en matière de défense et d’armement.
Vos rapporteurs ajoutent que, au-delà de la bonne volonté individuelle des nombreuses personnes rencontrées (qu’elles en soient toutes remerciées), la rédaction de ce rapport s’est révélée fort difficile. L’information pertinente accessible sur les questions d’armement auprès des autorités publiques se limite aujourd’hui à la description des dispositifs existants. L’échange sur les contextes de ventes précis est sporadique. La capacité à partager une vision critique sur l’organisation actuelle du contrôle est peu répandue.
La raison en est simple : une partie très importante des informations est classifiée, et ne peut être partagée sans mettre en jeu la responsabilité pénale des interlocuteurs compétents. Ainsi, même dans le cadre d’une mission d’information dédiée, bien accueillie dans son principe par l’exécutif et se voulant posée, les dispositifs actuels ne permettent pas au Parlement de se forger un avis sûr à l’égard des contextes d’exportation qui font aujourd’hui débat dans l’opinion.
Le travail a néanmoins pu être mené du fait des contributions étayées émanant de nombreux experts du domaine, de chercheurs universitaires, des think tanks, de l’industrie, des ONG, d’anciens responsables publics... Certaines incertitudes subsistent et elles sont assumées par vos rapporteurs. Il n’en demeure pas moins que les propositions du rapport sont avancées sur la base d’une conviction forte assise sur des données suffisantes.
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Partie 1 - Le contrôle des exportations d’armement fait l’objet d’interrogations profondes
Les décisions d’autoriser ou de refuser l’exportation de matériels sensibles, en particulier des armements, se fondent sur la pondération d’un grand nombre de critères, aussi bien stratégiques, diplomatiques, sécuritaires qu’économiques et humanitaires. Le système français de contrôle des exportations, qui vise à assurer une juste pondération de l’ensemble de ces critères, se caractérise par une procédure interministérielle complexe et robuste dans sa conception. Ce système est aujourd’hui interrogé, voire critiqué, compte tenu de son opacité et donc des doutes qu’il génère sur sa capacité à assurer le respect par la France de ses engagements européens et internationaux sur le plan du droit international humanitaire.
I. Les déterminants des exportations d’armement sont multiples et parfois contradictoires
Le débat public est souvent réducteur lorsqu’il s’agit d’expliquer les ventes d’armes. D’un côté, le soutien à l’exportation serait surtout motivé par des gains financiers tandis que le contrôle aurait pour unique objectif de prévenir les atteintes aux civils. Les raisons qui justifient le soutien et le contrôle des exportations d’armement sont en réalité bien plus larges. Au préalable, il est nécessaire de circonscrire ce que l’on doit entendre lorsque l’on parle d’une « arme ».
La création d’un contrôle spécifique sur les exportations d’armement, par dérogation au principe de la liberté du commerce, se justifie par la nature spécifique de ce type de bien « conçu pour tuer ou blesser » ([3]). La définition du champ de la notion d’arme est donc critique en ce qu’elle entraîne l’application du régime de contrôle à l’exportation dont les caractéristiques seront définies plus loin.
1. Les matériels de guerre et assimilés
En France, l’ensemble des biens à usage militaire, regroupés dans la catégorie réglementaire des « matériels de guerre et assimilés », relèvent de l’armement. L’appartenance à cette catégorie dépend des caractéristiques techniques des biens décrites dans un arrêté du 27 juin 2012 ([4]). Cet arrêté définit vingt-deux listes de matériels de guerre. À titre d’illustration, les deux premières listes (ML 1 et ML 2) regroupent les armes à canon, la sixième liste (ML 6) intègre les véhicules terrestres et leurs composants et la neuvième (ML 9) comprend les navires de guerre et leurs composants. Afin de s’assurer que l’ensemble des biens à usage militaire sont soumis à contrôle, il est prévu que le bien qui, sans pouvoir être rattaché à ces listes, a été « spécialement conçu ou modifié pour l’usage militaire », est également considéré comme un matériel de guerre et assimilé.
La notion d’« arme » intègre également tout un ensemble de biens qui peuvent à la fois être utilisés à des fins civiles ou à des fins militaires. Ces biens dits « à double usage » sont nés de la nécessité de contrôler les composants qui, sans avoir été nécessairement conçus à des fins militaires, peuvent servir à la fabrication d’armes nucléaires, biologiques ou chimiques. L’histoire a montré la forte appétence de certains États à se doter d’armes de destruction massive en pièces détachées via le recours à des réseaux d’acquisition sophistiqués, ce qui justifie la mise en place d’un contrôle en amont du cycle d’élaboration, de production et de transport de telles armes. Les biens à double usage intègrent aujourd’hui un grand nombre d’autres objets militarisables, comme les satellites et leurs principaux composants, les drones présentant certaines performances minimales d’emport et d’autonomie ou les radars et leurs principaux composants actifs.
La qualification de « bien à double usage » dépend des caractéristiques techniques décrites à l’annexe I du règlement européen du 5 mai 2009 ([5]). L’annexe I n’est que la transposition consolidée des listes des régimes internationaux spécifiques aux biens à double usage. Ces régimes sont fondés sur des accords interétatiques qui établissent des listes de produits soumis à contrôle, qui sont revues annuellement en fonction de l’évolution et de la diffusion des technologies, des besoins de sécurité des États signataires et de la progression de la maîtrise des technologies par les pays non-membres. Les quatre principaux régimes internationaux sont le groupe des fournisseurs nucléaires de 1974, le groupe Australie de 1985 sur les biens chimiques et biologiques ([6]), le régime de contrôle de la technologie des missiles de 1987 et l’arrangement de Wassenaar sur le contrôle des exportations d’armes conventionnelles et de biens et technologies à double usage de 1995.
En pratique, il reste difficile de borner la catégorie des biens à double usage. Des biens conçus pour un usage civil peuvent être détournés à des fins militaires ou de répression interne. Certaines polémiques ont par exemple vu le jour à la suite de la vente, par la France, de camions anti-émeutes avec canons à eau à Hong-Kong, employés pour réprimer les manifestants qui protestaient contre la remise en cause de l’autonomie de la région administrative spéciale. Les caractéristiques techniques de ces véhicules ne permettent pas de les qualifier de biens à double usage soumis à contrôle.
3. Le cas particulier des nouvelles technologies d’interception de communications et de traitement de données
De nombreuses technologies doivent désormais être reconnues comme des biens qui peuvent avoir un usage militaire ou de sécurité.
L’électronique tend à prendre une place de plus en plus importante dans la guerre de demain. Les nouveaux modes de communication et de brouillage des capacités adverses ainsi que les systèmes de traitement de données permettent de prendre les meilleures décisions dans des environnements complexes et critiques. Elles donnent un avantage militaire important. Le cœur du système SCORPION qui doit équiper l’armée de terre française consiste en un ensemble de capteurs et de capacités de communication constituant une bulle intelligente qui permet un combat collaboratif.
Les technologies de surveillance, d’interception des communications et de traitement de données peuvent par ailleurs servir à contrôler l’ensemble des échanges d’une société civile reliée par les outils numériques. Elles peuvent alors être utilisées à des fins de répression interne des populations. Ces technologies, quand elles sont exportées vers des États autoritaires, présentent des risques de détournement.
4. Les possibilités de reclassement
Les matériels de guerre et assimilés et les biens à double usage ne sont pas des catégories totalement étanches. Un bien ou une technologie dûment reconnu comme couvert par l’une des rubriques de classement listées dans l’annexe I du règlement européen de 2009, donc classé bien à double usage, peut être néanmoins classé par une décision du ministère des Armées comme relevant de la catégorie réglementaire des matériels de guerre et assimilés s’il est établi qu’il a été spécialement conçu ou modifié pour l’usage militaire. Inversement, selon la même procédure, le ministère des Armées peut estimer qu’un bien ne relève pas de la catégorie des matériels de guerre et assimilés, auquel cas il peut être reconnu comme bien à double usage ou comme bien « non soumis » à contrôle. Les basculements de classement ne représentent que quelques cas par an.
B. Pourquoi exporte-t-on des armes ?
1. Une garantie pour notre souveraineté
L’autonomie stratégique, qui fait l’objet d’une large convergence de vues en France, suppose de ne pas dépendre de décisions prises par des pays tiers pour notre défense et donc pour nos équipements militaires. La souveraineté française est subordonnée à la solidité de la base industrielle et technologique de défense (BITD), dont la viabilité dépend elle-même de notre capacité à exporter les équipements militaires produits par l’industrie française. Comme le résume M. Philippe Petitcolin, président-directeur général de Safran, « il n’y a pas de souveraineté s’il n’y a pas d’industrie de défense et pas d’industrie de défense s’il n’y a pas d’exportation ».
Les grands programmes d’armement développés par notre BITD sont principalement définis pour répondre aux besoins de l’armée française. Les exportations d’armement sont avant tout justifiées, non par des intérêts commerciaux, mais par le souci d’assurer la soutenabilité budgétaire pour l’État et la viabilité économique pour nos entreprises de nos programmes d’équipement au service de la défense. Contrairement au secteur civil, les industriels de l’armement investissent rarement selon une tendance de marché. Il est difficile pour un industriel de créer un produit entièrement tourné vers l’export, ce qui suppose de se passer des subventions publiques et de s’autofinancer en intégralité ([7]).
Bien que le budget de la défense soit en hausse continue dans le cadre de la loi de programmation militaire (LPM) pour 2019 à 2025 ([8]), le marché domestique français ne suffit pas à soutenir notre BITD. Le marché européen représente lui-même un débouché insuffisant compte tenu de la faiblesse des dépenses consenties par les États membres pour leur défense – même si les dépenses progressent à nouveau – et de la préférence de certains d’entre eux pour des armements d’origine américaine. La différence des forces en présence montre l’enjeu pour l’Europe de rester unie : les États-Unis, selon M. Antoine Bouvier, directeur de la stratégie d’Airbus, consacrent au marché de recherche et équipement de défense de l’ordre de 160 milliards d’euros par an, contre 40 milliards pour l’Europe (une dizaine de milliards pour la France et le Royaume Uni) et 150 milliards pour le reste du monde. Il est donc inévitable d’exporter vers les grands pays acheteurs qui ne disposent pas ou peu d’industrie nationale. C’est notamment le cas du Moyen-Orient. Ces chiffres démontrent l’urgence d’une approche européenne si l’on veut être moins dépendants des marchés des zones de conflits.
DÉPENSE ET INVESTISSEMENT EN MATIÈRE DE DÉFENSE AU SEIN DE L’UNION EUROPÉENNE (2017-2018)
Source : direction internationale de la Direction Générale de l’Armement (DGA-DI)
En pratique, les industriels doivent accepter, au moment du lancement d’un programme d’armement, une marge très contrainte, inférieure à celle qu’ils peuvent espérer à l’export, du fait de l’indispensable prime de risque. Pour que l’industriel ait l’assurance de la rentabilité de son investissement, l’exportabilité du futur matériel doit être prise en compte dès la conception du programme d’armement par l’État.
En effet, l’exportation permet d’amortir les investissements et, en particulier, les coûts de recherche et développement qu’implique le développement d’armements de pointe. Il y a quelques années, de nombreuses inquiétudes portaient sur la capacité à exporter le Rafale, un avion de combat produit par Dassault. Sans les premières exportations à l’Égypte, les chaînes de production auraient certainement dû fermer, conduisant à des surcoûts importants pour l’État.
Pour l’État, l’exportation permet de réaliser des économies d’échelle sur la production des équipements militaires et, ainsi, d’en réduire le coût. M. Hervé Guillou, ancien président-directeur général de Naval Group, évalue les économies budgétaires pour la Marine française apportées par l’export à 400 millions d’euros par an, ce qui représente une corvette chaque année. L’industrie de l’armement représente, par ailleurs, plusieurs milliards d’euros de retour fiscal pour l’État.
Pour tous, l’exportation est indispensable pour permettre à la BITD de rester au meilleur état de l’art car il assure le maintien des bureaux d’études et la pérennité des savoir-faire entre les différents programmes d’armement. Dans le domaine de la défense, les compétences sont lentes à acquérir; une fois perdues, elles sont très difficiles à reconstituer. Une entreprise industrielle comme Naval Group doit entretenir près de 400 métiers et compétences différentes pour rester à la pointe de l’industrie navale, qui a atteint un haut niveau de sophistication.
Au-delà du cas français, l’export est un enjeu d’autonomie stratégique pour l’Europe.
Sans une BITD solide, l’Europe dépendra, pour ses équipements militaires, de décisions prises en dehors du continent européen. Il est donc important pour l’Union européenne (UE) de pouvoir développer les matériels dont ont besoin les forces armées sur le continent ainsi que de conserver la maîtrise des technologies et le savoir-faire associé. La part du marché européen des équipements de défense captée par les producteurs européens est aujourd’hui insuffisante pour permettre l’amortissement de l’outil industriel, ce qui rend l’exportation vers les pays tiers nécessaire. L’Europe réduirait sa dépendance à l’export si elle commençait par acheter davantage de matériel européen…
Existe-il une dépendance à l’export pour les nouvelles technologies liées aux télécommunications qui entrent dans le champ des biens à double usage ?
Les technologies de surveillance, d’interception et de traitement de données sont d’abord développées pour protéger les citoyens français, notamment contre le terrorisme. Comme les matériels de guerre, la capacité de la France à développer ses propres technologies sans dépendre de pays tiers est une question de souveraineté. Nos services de renseignement, tout particulièrement, ne doivent pas dépendre de technologies étrangères ([9]).
Selon les responsables de Thalès, le marché français, limité aux seuls ministères régaliens, est trop faible pour amortir les coûts de nos technologies de souveraineté et l’export est vital pour amortir les investissements nécessaires dans ce domaine, compte tenu de l’évolution technologique.
Comme pour les matériels de guerre et assimilés, il existerait donc une dépendance à l’export sur ces biens et technologies à double usage. Toutefois, vos rapporteurs n’ont pas eu la possibilité de mesurer l’importance des exportations de ces types de biens. En tout état de cause, au vu des discussions avec les industriels, elles ne sont que de l’ordre de quelques millions d’euros, et sont sans commune mesure avec les exportations d’armement, qui se chiffrent en milliards d’euros. En conséquence, le renoncement à l’export vers les seuls pays autoritaires pour ces biens à double usage n’aurait pas le même coût pour les finances publiques.
Mais les services concernés concèdent que ces technologies sont clés pour entraîner les États clients vers un partenariat de renseignement et, de fait, une certaine forme de dépendance entre client et fournisseur. Elles concernent aussi des États dont le partenariat peut être important en matière d’antiterrorisme. Les technologies à double usage permettent aussi d’autres ventes et ont un effet vertueux sur le maintien des savoir-faire pour des équipements militaires, par exemple dans l’optique ou l’optronique.
2. Le développement de nos partenariats stratégiques
Les exportations d’armement s’insèrent aussi dans une logique de puissance globale. Au plan international, il n’existe pas de grande puissance qui ne soit pas exportatrice d’armement. Le pays exportateur développe un pouvoir d’influence sur des États clients qui repose sur des partenariats stratégiques globaux et durables. Comme le rappelle Mme Anne-Marie Descôtes, ambassadrice de France en Allemagne, renoncer à développer de tels partenariats, « c’est renoncer à un être un acteur stratégique international ».
Avec quelques secteurs industriels bien définis, comme le spatial et le nucléaire civil et plus récemment les grands projets culturels, l’industrie de l’armement peut être considérée comme l’un des « bras industriels » de la politique étrangère de la France.
Dans un contexte international marqué par un accroissement des conflits, des pays alliés ont des attentes importantes vis-à-vis de la France pour les aider à faire face aux nouvelles menaces. Dès lors, les exportations d’armement permettent de répondre à des préoccupations légitimes d’États qui ont un besoin d’assurer leur sécurité. La coopération de défense, qui repose en partie sur les ventes d’armes, explique ainsi une grande partie de l’influence que la France conserve dans plusieurs régions du monde.
Avec l’Inde par exemple, notre coopération remonte aux années 1950 lorsque ce pays poursuivait une politique de non-alignement. Depuis plusieurs années, la France tente de se rapprocher de ce pays capable de jouer un rôle de contrepoids face à l’influence chinoise. L’exportation du Rafale détient une place centrale dans notre partenariat stratégique avec ce pays. Au-delà du cas indien, le contrat des sous-marins nucléaires avec l’Australie donne aujourd’hui une substance à la stratégie indopacifique de la France annoncée en mai 2018. Elle est un élément complémentaire des passages de nos frégates en mer de Chine méridionale pour assurer la liberté de navigation dans cette zone de tensions croissantes.
Au Proche Orient, la France a longtemps exporté des armes à Israël au lendemain de la seconde guerre mondiale ([10]), marque de son soutien à ce jeune pays. Aujourd’hui, nos exportations vers les pays arabes relèvent de diverses logiques. Si l’Arabie saoudite apparaît comme un client important, la relation n’est pas, par exemple, de la même nature qu’avec le Qatar ou les Émirats arabes unis. Le partenariat stratégique avec les Émirats s’est notamment concrétisé par l’établissement d’une importante base militaire à Abu Dhabi. Inaugurée en 2009 par le Président Sarkozy, elle a une composante navale, aérienne et inter-armes.
La coopération d’armement : l’exemple de l’Égypte
La coopération d’armement entre la France et l’Égypte, qui remonte aux années 1970, s’est beaucoup renforcée ces dernières années. Alors que le marché égyptien ne représentait que quelques dizaines de millions d’euros par an entre 2004 et 2013, l’Égypte est devenue un de nos premiers clients. Les raisons en sont politiques.
La suspension des ventes d’armes américaines décidée à partir de la prise de pouvoir du général al-Sissi a conduit ce dernier à vouloir diversifier ses fournisseurs auprès des grands partenaires européens. La France a décidé de soutenir un régime clé du monde arabe, engagé dans la lutte contre le terrorisme islamique. Cette relation s’est développée sur la base de contrats sans appel d’offres à forte portée politique.
Les principaux contrats d’armement ont concerné, successivement, des corvettes de classe Gowind, vingt-quatre avions de chasse Rafale, une frégate multi-missions (FREEM) et deux bâtiments de projection et de commandement (BPC) de classe Mistral initialement destinés à la Russie. Un satellite de communication a par ailleurs été vendu à l’Égypte. Désormais, la relation d’armement repose principalement sur la maintenance des armements vendus (un contrat a récemment été signé pour le soutien de l’armement naval d’origine française en Égypte). Au-delà, la France et l’Égypte coopèrent dans le domaine de la formation et des exercices militaires conjoints (par exemple, à l’occasion de l’exercice « Cléopatra »).
Si l’Égypte a des préoccupations de sécurité légitimes en raison du risque terroriste interne et importé, de l’instabilité à sa frontière avec la Libye, de la situation au Sinaï et de ses relations dégradées avec la Turquie, compte tenu notamment de l’enjeu de l’exploitation des ressources gazières offshore en Méditerranée orientale, l’armée égyptienne est une armée de non-emploi depuis les accords de Camp David en 1979, mais dont le niveau d’équipement est un enjeu de prestige. À ce jour, les BPC vendus par la France ne sont ainsi pas équipés des systèmes d’armes et de détection prévus et ne servent que de plateformes.
3. Un secteur qui irrigue l’économie française
Au-delà des aspects stratégiques et diplomatiques, les exportations d’armement assurent des retombées économiques importantes pour la France. Alors que notre balance commerciale reste déficitaire, elles génèrent annuellement 6 milliards d’euros d’excédent commercial. Selon la ministre des Armées, l’armement représenterait 13 % de l’emploi industriel en France, soit 200 000 emplois, directs et indirects, répartis sur les différents territoires où les industriels sont implantés.
EMPLOIS INDUSTRIELS DE DÉFENSE PAR DÉPARTEMENT
Source : ministère des armées, Rapport au Parlement 2020 sur les exportations d’armement de la France.
4. La dépendance à l’export est une spécificité de notre pays
En France, l’exportation est fortement motivée par le besoin d’amortir la BITD ([11]), compte tenu de l’étroitesse du marché intérieur : la BITD française réalise près de 30 % de son chiffre d’affaires à l’export. De plus, la France a toujours été très soucieuse de son autonomie stratégique, contrairement au Royaume-Uni qui accepte une certaine dépendance aux matériels américains. Selon M. Benjamin Hautecouverture, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), cette forte dépendance de la BITD française à l’export conduit la France à relativiser d’autres préoccupations, notamment humanitaires. Elle constitue une vulnérabilité connue qui conduit à se demander si les procédures ne sont pas, en France, plus relâchées qu’ailleurs. Elle crée donc une exigence de vigilance particulière.
À l’inverse, un pays comme les États-Unis n’a pas de réel besoin d’exporter : les commandes publiques suffisent à amortir les programmes d’armement des industriels américains ([12]). Les États-Unis sont donc plus libres dans leur politique d’exportation que la France. De fait, pour les États-Unis, l’exportation répond moins à un objectif d’autonomie stratégique qu’à une logique d’influence sur les pays acheteurs. À titre d’exemple, lorsque la Turquie a confirmé l’achat du système de défense anti-missiles S-400 russe, les États-Unis ont suspendu l’exportation de l’avion de chasse F-35 à titre de rétorsion. La taille de leur marché intérieur, à-même de faire vivre leurs entreprises et de financer leur recherche, leur donne un avantage compétitif déterminant vis-à-vis du reste du monde.
C. Pourquoi contrôle-t-on les exportations d’armement ?
1. Préserver la sécurité de nos forces et de nos alliés
Le contrôle à l’export a d’abord pour objectif d’assurer la sécurité de nos forces et de nos alliés, en particulier dans les situations d’engagement opérationnel. Un projet d’exportation ne peut mettre en danger la sécurité et la préservation de la supériorité opérationnelle des forces françaises. Ceci exige d’apprécier le risque que les armes proposées à la vente puissent être retournées contre nos armées même si, dans certains cas, il est difficile d’anticiper un bouleversement qui puisse avoir de telles conséquences.
À l’inverse, l’export participe aussi à notre sécurité. La France connait la performance des équipements qu’elle vend à d’autres États, ce qui sécurise nos forces et nos alliés. En revanche, lorsqu’un État est détenteur d’armes étrangères, dont nous ignorons les caractéristiques techniques, les performances… le risque est bien supérieur en cas d’agression.
2. Assurer notre supériorité technologique
Les exportations d’armement doivent également composer avec l’impératif de préserver nos capacités industrielles et technologiques.
De manière croissante, les États clients ont de nouvelles attentes en matière de partage industriel et de transferts de technologies. Beaucoup souhaitent développer l’emploi et les savoir-faire locaux. D’autres veulent réduire leur dépendance. Telle est la volonté de plusieurs États qui sont des clients de la France, comme la Turquie, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis (EAU) qui souhaitent développer leurs propres capacités industrielles et leurs propres BITD, voire même créer un secteur exportateur qui sera un futur concurrent.
Compte tenu du renforcement de la concurrence sur le marché de l’armement, il existe un risque de consentir des transferts technologiques trop importants pour emporter un contrat. Dans ce contexte, le contrôle a pour objet d’éviter de procéder à certains transferts de technologie stratégique, en particulier vers nos compétiteurs.
3. Prévenir les conséquences humanitaires de la prolifération des armes
a. La protection des droits humains
Le contrôle des ventes d’armes se justifie également par le souci d’éviter que celles-ci ne favorisent les atteintes aux droits humains.
D’une part, il s’agit d’éviter que le destinataire final des ventes d’armes n’en fasse un usage contestable, soit dans le cadre d’un conflit au cours duquel les belligérants s’exonèrent du droit international humanitaire, soit à des fins de répression interne de la population.
D’autre part, l’objet de ce contrôle est de prévenir la dissémination des armes et de leurs trafics qui alimentent la violence armée et portent atteinte à la sécurité des populations. Le risque principal concerne les armes classiques, notamment les armes légères et de petit calibre (850 millions seraient en circulation dans le monde) et leurs munitions.
La préservation de l’équilibre et de la stabilité régionale est donc un critère important du contrôle des exportations d’armement. Si, en théorie, un État ne doit pas vendre à des belligérants, chaque cas est étudié en propre au regard des capacités de l’équipement dont l’exportation est envisagée et des risques de non-conformité des règles d’engagement au regard du droit international humanitaire et de détournement des équipements. La décision dépend donc d’un jugement portant sur l’utilisateur final et notamment la fiabilité de son armée. Par exemple, la France ne s’interdit pas d’exporter des armes à l’Irak en guerre, un de nos partenaires dans le cadre de l’opération Chammal.
b. Un cadre juridique protecteur en gestation
La France s’engage à respecter le droit international humanitaire et le droit international des droits de l’Homme. Le code de la défense prévoit, depuis 1936, un régime de contrôle administratif des matériels de guerre et assimilés qui sanctionne pénalement les violations. Le droit national a progressivement été complété par un cadre juridique international auquel la France a largement contribué.
Mais l’approche française va au-delà de la simple conformité. La France adopte une approche militante et s’attache à jouer, dans le domaine des armes, un rôle conforme à son image traditionnelle de pays des droits de l’Homme. Cette valeur attachée à la marque « France » est importante pour notre pays, nos entreprises et le consensus national. Elle se traduit par ce qui est perçu parfois comme une attitude paradoxale, voire contradictoire : notre pays, partie prenante des puissances nucléaires, membre permanent du conseil de sécurité des Nations Unies, grand exportateur d’armes et régulièrement engagé dans des opérations militaires extérieures, se veut également le promoteur d’un commerce des armes très régulé, d’une cour pénale internationale (CPI) agissant contre les atteintes massives aux droits de l’Homme, d’une interdiction des mines anti-personnel...
Cette attitude expose et oblige la France : un écart dans l’application de ces traités serait perçu comme l’expression d’un cynisme d’État. L’attitude de la délégation française lors de la conférence annuelle des États parties au traité sur le commerce des armes (TCA) sera, par exemple, critiquée car perçue comme en retrait si nos représentants apparaissent moins activistes, comme cela a semblé être le cas lors de la dernière édition.
● La France applique, tout comme ses partenaires européens, la Position commune de l’Union européenne du 8 décembre 2008 définissant des règles communes régissant le contrôle des exportations de technologie et d’équipements militaires ([13]). La Position commune liste huit critères d’examen cumulatifs pour évaluer les demandes de licences d’exportation ([14]). Elle établit une notification aux partenaires européens des décisions de refus de licences. Il s’agit de s’assurer que nos partenaires feront la même lecture d’une demande d’exportation similaire et d’éviter le risque de contournement des règles européennes.
● La France a été un des pays promoteurs du traité sur le commerce des armes (TCA) qu’elle a ratifié en vertu de la loi du 23 décembre 2013 ([15]). Le TCA, instrument international juridiquement contraignant, représente une avancée majeure sur le plan du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’Homme. Il établit les principes que les États parties s’engagent à respecter avant d’autoriser toute exportation d’armement. Le TCA porte sur le champ de l’armement conventionnel mais son champ d’application peut être élargi en fonction des évolutions technologiques dans le domaine de l’armement. Il met en place un mécanisme de suivi du respect du traité, sur une base volontaire, dans le cadre de la conférence des États parties du TCA. La France se donne pour objectif de parvenir à une meilleure universalisation de ce traité, ratifié par 105 États, mais qui déplore quelques grands absents comme les États-Unis, la Russie et la Chine.
À côté du TCA qui a une vocation de régulation du commerce, plusieurs conventions internationales encadrent l’emploi, la production et le stockage d’armes spécifiques, et comportent par ailleurs des dispositions en matière de contrôle, voire d’interdiction des exportations. Tel est notamment le cas de la convention d’Ottawa sur les mines antipersonnel de 1997 et de la convention d’Oslo sur les armes à sous-munitions de 2008.
● La France applique également les embargos sur les armes imposées par l’Organisation des Nations unies (ONU), l’Union européenne (UE) ou l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Ces sanctions imposent une restriction partielle ou totale des transferts d’une ou de plusieurs catégories d’armes vers un ou plusieurs destinataires. Certains embargos, comme celui qui vise le Venezuela, intègrent également certains biens à double usage, comme les équipements, technologies et logiciels pouvant servir à la surveillance ou à l’interception des communications électroniques.
Au total, quatorze embargos sur les armes sont aujourd’hui imposés par l’ONU, vingt par l’UE et un par l’OSCE, principalement en Afrique et au Moyen-Orient. Ces organisations internationales mettent en place des comités de suivi pour en assurer le respect. En pratique, sans doute faut-il regretter les insuffisances en matière de répression des violations de certains embargos sur les armes, comme en Libye… En France, la violation d’un embargo sur les armes constitue un délit passible d’amendes et de peines d’emprisonnement.
LES EMBARGOS SUR LES ARMES EN VIGUEUR (ONU, UE ET OSCE)
AU 1er AVRIL 2020
Source : ministère des armées, Rapport au Parlement 2020 sur les exportations d’armement de la France.
● Le cadre juridique international sur les exportations de matériels sensibles comporte également quatre instruments multilatéraux qui portent spécifiquement sur les biens et technologies à double usage que le rapport a précédemment évoqués.
4. Des objectifs différents suivant les pays
Comme pour les motifs de l’export, les raisons du contrôle ne sont pas les mêmes d’un pays à l’autre. Compte tenu de leur niveau d’engagement opérationnel, la France comme les États-Unis attachent une grande importance aux considérations relatives à la protection de la sécurité nationale.
Toutefois, compte tenu de leur faible dépendance à l’export et de leur prééminence technologique, les États-Unis sont davantage soucieux que d’autres pays de limiter les transferts de technologie, en particulier vis-à-vis de leurs compétiteurs stratégiques comme la Chine et la Russie. Ceci explique le poids de ce critère dans les décisions de refus d’autorisation aux États-Unis ainsi que le souhait de mieux contrôler les investissements étrangers dans certaines entreprises américaines afin de contrer tout « pillage » technologique.
S’agissant des considérations humanitaires, force est de constater que la France est un des rares pays à avoir ratifié tous les instruments multilatéraux qui encadrent le contrôle des exportations d’armement. Toutefois, comme nous le verrons, le poids réel de ces considérations dans les décisions d’autoriser ou de refuser une opération d’exportation est contesté.
II. Le système de contrôle administratif des exportations de matériels sensibles semble robuste dans sa construction
Vos rapporteurs n’ont pas de raison de remettre en cause a priori la robustesse du contrôle réalisé par la commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG). Celle-ci fait l’objet d’un consensus entre acteurs administratifs et industriels. Les caractéristiques du contrôle, la profondeur de l’instruction, son caractère interministériel, le respect du contradictoire, la fréquence des refus, implicites ou explicites, ou les conditions imposées à l’exportation, sont des garanties objectives de la qualité du système de contrôle. Toutefois, l’opacité demeure sur le processus d’examen des demandes de licences. L’exécutif est donc seul à pouvoir juger de la performance du contrôle in concreto.
A. Les caractéristiques du contrôle des exportations des matériels de guerre sont des gages de qualité
La fabrication et le commerce de matériels de guerre et assimilés, qui entrent dans le champ des listes militaires défini par l’arrêté du 27 juin 2012, sont soumis à un régime strict : toute activité liée à la fabrication ou au commerce des armes est interdite, sauf autorisation délivrée par l’État.
Le système d’autorisation est à deux niveaux. La fabrication ou l’exportation d’équipements militaires nécessitent une autorisation de fabrication, de commerce et d’intermédiation (AFCI). Les industriels titulaires d’une AFCI doivent ensuite obtenir une autorisation de l’État, prenant la forme d’une licence, pour exporter tout matériel de guerre et assimilés.
Cette licence est délivrée par le Premier ministre à la suite d’une instruction qui s’organise autour de la CIEEMG. Les volumes d’exportations autorisés par les licences concernent les prospects théoriques des industriels et sont donc supérieurs aux montants des livraisons de matériels.
Les réformes du contrôle
Depuis le début des années 2000, les réformes de l’organisation nationale du contrôle des exportations d’armement ont poursuivi plusieurs objectifs.
Elles se sont d’abord attachées à fluidifier le traitement des demandes d’exportation et à réduire les délais d’instruction sans atténuer la rigueur du contrôle. La réforme majeure des opérations de contrôle a eu lieu en 2014 avec le passage du contrôle de deux à une étape. Les entreprises devaient auparavant obtenir un agrément préalable puis une autorisation d’exportation de matériels de guerre. Depuis lors, les industriels demandent une licence unique qui est accordée de manière précoce, dès la phase de prospection des industriels. À côté des demandes individuelles, des autorisations globales ont été introduites pour permettre l’expédition de biens à un ou plusieurs destinataires identifiés, sans limitation de quantité ni de montant.
Par ailleurs, les procédures de contrôle des exportations d’armement ont été rapprochées à l’échelle de l’Union européenne. La transposition de la directive européenne sur les transferts intracommunautaires de 2009, dite directive TIC (1), prévoit l’harmonisation, au niveau européen, d’une liste des matériels de guerre et assimilés soumis au contrôle (military list de l’Union européenne), la certification des entreprises autorisées à exporter, la mise en place de trois types de licence (générale, globale et individuelle) et la mise en place d’un contrôle a posteriori permettant de vérifier le respect par les entreprises des autorisations délivrées par l’État et des conditions associées à ces autorisations.
(1) Directive 2009/43/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 mai 2009 simplifiant les conditions de transfert de produits liés à la défense dans la Communauté.
2. Une instruction interministérielle
L’interministérialité, au cœur du processus de délivrance des autorisations d’exportation, est une garantie de la qualité du système de contrôle. Les autorisations d’exportation sont en effet délivrées par le Premier ministre après avis donné par la CIEEMG qui réunit tous les ministères concernés.
La CIEEMG réunit au niveau des cabinets et des services les représentants de trois ministères à voix délibérative : le ministère des Armées, le ministère de l’Europe et des affaires étrangères (MEAE) et le ministère de l’économie et des finances. D’autres acteurs, comme les services de renseignement, peuvent y participer, mais ils n’ont qu’une voix consultative. La présidence de la CIEEMG est assurée par le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) qui est l’autorité de délégation de signature du Premier ministre. Ce dernier assure également le secrétariat de la commission.
Le ministère des Armées, au travers de ses différentes directions représentées, a un rôle très important dans l’instruction des licences :
– la direction générale de l’armement (DGA) apporte une expertise technique sur les équipements militaires et la BITD française ;
– l’état-major des armées (EMA) a pour principale préoccupation la protection des forces armées, de celles de nos partenaires et du territoire national. Il apporte un éclairage sur l’emploi possible des équipements dont l’exportation est envisagée ;
– la direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) apporte la composante stratégique de défense. Elle examine le partenariat stratégique qui lie la France au pays client, l’impact du projet d’exportation sur la stabilité régionale et vérifie le respect des règles internationales. Par ailleurs, la DGRIS effectue la synthèse des contributions des différentes administrations du ministère des Armées qu’elle présente au cabinet du ministre. Le cabinet arbitre la position du ministère en cas de divergence et représente le ministère à la CIEEMG.
Le MEAE, représenté par le cabinet et la direction des affaires stratégiques, de sécurité et du désarmement (DAS), intervient dans le processus délibératif de la CIEEMG à quatre niveaux :
– en tant que gardien des traités, le MEAE veille au respect par la France de ses engagements européens et internationaux, notamment le TCA et la Position commune de l’UE ;
– il apporte un éclairage sur la situation nationale et régionale du pays client et sur son évolution probable, en mobilisant l’ensemble des informations disponibles en source ouverte et en source fermée (directions géographiques, ambassades, services de renseignement) ;
– il met en regard la demande de licences avec la relation bilatérale avec le pays client dans son ensemble ;
– enfin, le Quai d’Orsay apporte un éclairage sur les conséquences du projet d’exportation sur les équilibres régionaux et sur les pays tiers, qu’ils soient alliés ou adversaires.
Le ministère de l’économie et des finances, qui exerce un rôle plus limité, se prononce sur la soutenabilité financière des acheteurs et sur les demandes de garanties.
La dimension interministérielle de l’instruction des demandes de licences est un gage de la rigueur du contrôle, bien qu’elle se traduise nécessairement par une certaine lourdeur. Les éléments apportés par les différents ministères à la CIEEMG recouvrent une grande diversité de sujets et de critères. Chaque demande de licence conduit l’État à s’interroger sur le type d’équipement, le destinataire, l’usage qui en sera fait, les risques liés aux matériels, les conditions financières et la solvabilité du pays acquéreur.
Tous les moyens de l’État sont sollicités pour instruire les dossiers : les compétences diplomatiques et géographiques, pour analyser la situation des pays ; les compétences industrielles et techniques, pour apprécier la nature des matériels ; les compétences militaires, pour évaluer leur usage potentiel ; les compétences juridiques, pour s’assurer du respect de nos obligations.
3. Un processus d’examen à plusieurs niveaux
Les demandes d’autorisation d’exportation font l’objet d’un examen qui se déroule à trois niveaux.
Un premier contrôle administratif de recevabilité effectué par la DGA assure que les matériels entrent bien dans le champ des matériels de guerre et assimilés.
Dans un deuxième temps, les ministères à voix délibérative instruisent les dossiers et donnent leur avis sur un logiciel commun appelé SIGALE ([16]). Selon la complexité des dossiers, des réunions informelles peuvent se tenir entre les ministères afin d’avoir un débat préalable à la réunion de la CIEEMG.
Après cette phase d’instruction, la CIEEMG est amenée à donner son avis. La plupart des avis donnés par la CIEEMG sont dématérialisés. Pour traiter les demandes de licences les plus sensibles, la commission se réunit en formation plénière une fois par mois. En cas de désaccord majeur entre les ministères à voix délibérative ou compte tenu de la sensibilité d’un projet d’exportation, une réunion spéciale peut être organisée par le cabinet du Premier ministre.
Le Premier ministre prend une décision sur la base de l’avis donné par la CIEEMG. Cette décision est ensuite notifiée aux douanes pour application.
Les rapporteurs n’excluent pas que certains échanges puissent également avoir lieu entre les ministres concernés, en lien avec le président de la République, sur les enjeux politiques les plus élevés.
PROCESSUS D’INSTRUCTION D’UNE DEMANDE DE LICENCE
INDIVIDUELLE OU GLOBALE
Source : ministère des armées, Rapport au Parlement 2020 sur les exportations d’armement de la France.
L’examen des licences d’exportation : un processus « industriel » ?
Les autorités de l’État étudient 6 000 à 6 500 demandes de licence chaque année, dont 5 000 nouvelles demandes et 1 000 à 1 500 demandes modificatives. Ces demandes modificatives, qui portent le plus souvent sur le maintien en condition opérationnelle (MCO) ou l’approvisionnement en munitions ou en pièces détachées, se justifient par la durée de vie limitée des licences, qui est de trois ans.
En 2018, environ 95 % des demandes de licences ont fait l’objet d’un examen dématérialisé et 5 %, soit 576 demandes de licences, ont fait l’objet d’un examen en réunion plénière de la CIEEMG. Sur ces 576 demandes, la Commission a prononcé un ajournement de 156 d’entre elles permettant un complément d’instruction par le cabinet du Premier ministre.
4. La prise en compte des considérations juridiques dans l’évaluation des risques
Saisie d’une demande de licence, la CIEEMG pondère les différents critères qui déterminent le choix d’autoriser ou non une exportation.
Selon Mme Claire Landais, ancienne secrétaire générale pour la sécurité et la défense nationale (SGDSN), pour tout dossier d’exportation, la CIEEMG vérifie le respect par la France de ses engagements européens et internationaux. Les considérations juridiques que font valoir le MEAE agissent ainsi comme un filtre dans l’évaluation des risques à laquelle procède la CIEEMG.
S’il est facile de déterminer le respect des embargos sur les armes et les interdictions générales visant l’exportation de certains équipements militaires, la conformité d’une vente d’armes au TCA et à la Position commune est plus difficile à établir. Le MEAE se réfère à des éléments d’information de source ouverte, comme les conclusions des panels d’experts de l’ONU, de source fermée, en particulier les informations provenant des ambassades, des services de renseignement et du pays importateur, pour apprécier, équipement par équipement, le risque de violation du droit international humanitaire. Parmi les principales règles qui composent le droit international humanitaire, la DAS du MEAE évalue le respect du principe de discrimination entre les combattants et les non-combattants et, ce faisant, les allégations de ciblage de populations civiles dont serait responsable le pays importateur. La DAS s’assure également du respect du principe de proportionnalité, de façon à examiner l’avantage militaire attendu d’une attaque au regard des dommages collatéraux engendrés.
Au-delà de la conformité juridique du projet d’exportation, la protection de nos forces et de nos alliés, la stabilité régionale ou encore la préservation de nos technologies guident la décision de délivrer une licence.
Les directives de haut niveau du SGDSN
Les acteurs de la CIEEMG s’appuient sur les directives de haut niveau (DHN) élaborées dans le cadre d’un processus interministériel, sous l’égide du SGDSN. Elles ne sont pas généralisées mais servent de guide à la prise de décision.
Certaines DHN sont spécifiques à un pays et déterminent les risques qui justifient de ne pas exporter tel ou tel équipement militaire. D’autres DHN sont relatives à un équipement et distinguent les pays selon le niveau de performance auquel ils peuvent avoir accès. Certains pays ou équipements connaissent des situations évolutives qui ne font pas l’objet de DHN.
Les DHN n’ont pas de valeur contraignante, ce qui permet aux acteurs de la CIEEMG de s’en extraire au cas par cas. Ces documents, couverts par le secret de la défense nationale, sont révisés tous les deux ou trois ans.
Vos rapporteurs regrettent de ne pas avoir eu accès au contenu de l’une de ces DHN et ce, malgré leurs demandes.
Le processus d’examen des licences est l’occasion d’un débat entre les ministères et, avant cela, au sein même des ministères. Comme l’explique Mme Claire Landais, « il n’y a pas de jeu institutionnel couru d’avance ». Toutefois, compte tenu du secret qui entoure les délibérations de la CIEEMG, auxquelles vos rapporteurs n’ont pas eu accès, l’État est le seul à pouvoir juger de la qualité du processus d’examen des demandes de licences, en particulier l’examen de la conformité juridique. De là découlent les controverses sur certaines ventes d’armes autorisées par la France, qui seront évoquées plus loin.
Lorsque l’analyse de risque est défavorable, l’État refuse les demandes de licence. Dans le cadre du régime de transparence prévue par la Position commune, la France notifie les décisions de refus au groupe « Exportations d’armes conventionnelles » (COARM) du Conseil de l’Union européenne, ce qui a pour effet d’obliger tout pays européen qui souhaiterait donner un avis favorable à une opération similaire, dans les trois ans qui suive une notification de refus, à consulter le pays ayant notifié le refus avant toute décision de passer outre ce précédent.
En 2019, la France a notifié 25 refus de licence, 41 demandes ont été rejetées selon la règle du refus implicite et environ 110 demandes de licence ou de modification de licence ont été retirées de l’instruction à l’initiative des demandeurs, ce qui représente un total de 186 refus. En pourcentage, les refus ont concerné 2,5 % du nombre total de dossiers, mais 20 % des dossiers les plus sensibles qui font l’objet d’un examen en formation plénière de la CIEEMG.
Cette proportion de refus peut apparaître faible, d’autant plus qu’une minorité de refus serait motivée par le respect des engagements internationaux de la France. Cela suggère, selon M. Benjamin Hautecouverture, que le critère du respect du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’Homme n’est pas déterminant dans les décisions de la CIEEMG, alors même que plusieurs pays clients de la France sont réputés commettre de telles violations.
L’administration invoque toutefois des cas où, après échanges préalables, les industriels ne déposent tout simplement pas leurs demandes de licence. Selon Mme Landais, la faiblesse du taux de refus s’explique non par le laxisme supposé du contrôle mais par le comportement d’autocensure des industriels qui, habitués au contrôle exercé par la CIEEMG, ne font pas des demandes qu’ils savent perdues d’avance.
Enfin, la CIEEMG peut accompagner l’octroi d’une licence de mesures d’atténuation des risques qui demeurent, ce que l’on appelle des « conditions ». L’administration conditionnera la licence à un niveau de performance export protégeant nos armées, à des garanties obtenues par un dialogue avec le pays importateur ou à l’accompagnement des livraisons de matériels de formations au respect du droit international humanitaire dispensées aux armées locales. Toutefois, comme nous le verrons plus loin, il n’existe pas de véritable contrôle de l’utilisation finale des équipements vendus (« end-use control ») par la France aujourd’hui.
b. Les suspensions ou les abrogations de licences
Signe de la réactivité du contrôle, l’État peut décider de réévaluer les licences octroyées en cas d’évolutions du contexte et prononcer, le cas échéant, la modification, la suspension ou l’abrogation de certaines licences. L’État peut aussi avoir recours à des moyens plus subtils, comme des menaces de suspension ou tout simplement l’ordre donné aux industriels de ne pas procéder à des livraisons, afin d’éviter un conflit diplomatique ouvert avec le pays client.
De telles décisions peuvent avoir des conséquences économiques lourdes pour l’industrie de défense. À la suite du déclenchement de la crise russo-ukrainienne en 2014, la France prend la décision de ne pas livrer deux bâtiments de projection et de commandement (BPC) à la Russie, ce qui occasionne un préjudice financier évalué à un milliard d’euros. Ces décisions sont essentielles pour notre politique étrangère : elles en expriment la cohérence. Et si elles peuvent avoir un coût pour l’exportation visée, elles ont aussi une énorme valeur pour nos partenaires concernés.
Octobre 2019 : la suspension des ventes d’armes vers la Turquie
En réponse à l’intervention turque dans le Nord-Est syrien au mois d’octobre 2019, et compte tenu de l’impossibilité d’établir un embargo européen sur les ventes d’armes vers la Turquie (du fait de l’unanimité requise), plusieurs pays européens ont pris des mesures pour restreindre leurs exportations d’armes vers la Turquie.
Certains, comme les Pays-Bas et l’Allemagne, ont annoncé arrêter la délivrance de nouvelles licences d’exportation vers la Turquie. Dans ces pays, l’instruction de nouvelles demandes est suspendue, mais les matériels couverts par des décisions d’exportation déjà autorisées pourraient encore être livrés. Par contraste, la France a décidé la suspension de l’intégralité des licences en cours de validité pour la Turquie et visant des matériels à destination du Nord-Est Syrien, soit l’équivalent de 500 licences.
Cette suspension des exportations d’armement porte un message politique fort et n’a pas d’impact majeur sur les industriels français. La Turquie représente un marché de moins de 50 millions d’euros par an en moyenne et, de ce fait, ne figure pas dans les vingt premiers clients de la France. Les exportations vers la Turquie concernent surtout des munitions, des roquettes et des missiles ainsi que des composants intégrés sur des matériels finis (la Turquie dispose de sa propre industrie de défense).
Depuis 2014, un contrôle a posteriori permet de vérifier la conformité des opérations réalisées à l’export aux autorisations accordées par la CIEEMG. Il couvre notamment le respect par les industriels des conditions qui ont pu être imposées lors de la délivrance de la licence. À ce titre, le contrôle a posteriori participe à la robustesse du système de contrôle.
Le contrôle a posteriori des exportations d’armement est réalisé par des agents habilités du ministère des Armées, appartenant à la DGA et au Contrôle général des armées (CGA). Il s’exerce selon deux modalités : un contrôle sur pièces et un contrôle sur place effectué dans les locaux des titulaires des licences.
Ces contrôles donnent lieu à des procès-verbaux qui sont transmis au Comité ministériel du contrôle a posteriori (CMCAP), présidé par un membre du corps du CGA. Le président peut, après avis de ce comité, classer sans suite, émettre un rappel à loi ou mettre en demeure l’industriel de prendre les mesures d’organisation, de formation du personnel et de contrôle interne nécessaires à la correction des carences ou des défaillances constatées.
La loi prévoit une amende administrative en cas d’inexécution des mises en demeure et des sanctions pénales en cas d’infractions aux dispositions du code de la défense. Un contrôle a posteriori insatisfaisant constitue également l’un des motifs de suspension ou d’abrogation des licences délivrées aux entreprises.
Le contrôle a posteriori donne lieu à une part significative de constats de non-conformité. Entre 2014 et 2018, sur les quelque 250 procès-verbaux de contrôle sur pièces et sur place réalisés, près de 40 % ont donné lieu à un rappel à loi et plusieurs mises en demeure ont été prononcées. Dans ses réponses écrites, l’administration estime que les résultats des contrôles montrent que « la part des exportations et des transferts réalisés sans autorisation tend à se réduire d’année en année et que, dès lors, les exportations de matériels de guerre sont mieux encadrées et suivies ».
SUITES DONNÉES PAR LE CMCAP AUX PROCÈS-VERBAUX
EN 2019
Source : ministère des armées, Rapport au Parlement 2020 sur les exportations d’armement de la France.
Un des objectifs du contrôle a posteriori, jugé souvent intrusif par les entreprises, était d’inciter au développement du contrôle interne au sein des sociétés dans une logique de responsabilisation. M. Arnaud Idiard, consultant en export contrôle, constate une plus grande maturité des entreprises dans ce domaine. Alors que les entreprises avaient pour habitude de développer leurs produits sans penser aux contraintes à l’export, celles-ci ont progressivement pris conscience des risques auxquelles elles s’exposaient et de l’importance d’être plus responsables. Toutefois, M. Arnaud Idiard regrette encore un déficit de formation initiale et continue.
Les industriels deviennent ainsi eux-mêmes un maillon du contrôle du respect des conditions fixées dans les licences. Au sein de Safran Défense, par exemple, trente personnes exercent des métiers liés au contrôle export : conformité aux règles d’exportation mais aussi vérification des problèmes éthiques. Cette responsabilisation des entreprises est autant liée à des facteurs réglementaires qu’au souci que les industriels se font pour leur image de marque.
B. Les biens à double usage font l’objet d’un Contrôle Largement Distinct
Si le contrôle des matériels de guerre et celui des biens à double usage ont de nombreux points communs, ces deux régimes sont distincts. M. Bruno Leboullenger, chef du service des biens à double usage (SBDU) au sein du ministère de l’économie et des finances, explique que le dispositif de contrôle des biens à double usage est davantage adossé aux normes internationales que l’exportation des matériels de guerre, dont le cadre est resté très national.
Comme nous l’avons vu, le champ des biens contrôlés est défini par plusieurs grands régimes internationaux, intégralement repris par le droit communautaire. Les biens soumis au contrôle peuvent être élargis, à la marge, par les États membres qui conservent une compétence pour soumettre un bien au contrôle.
Alors que les exportations des matériels de guerre sont soumises à un régime de prohibition sauf autorisation, les biens à double usage sont soumis à un régime d’autorisation sauf interdiction. Cela s’explique par le très grand nombre de produits et de transactions concernés qui, pour l’essentiel, font l’objet d’un usage économique tout à fait classique. Si les décisions sont, dans les deux cas, dispensées de motivation, les motifs de refus d’exportation d’un bien à double usage sont limitativement énumérés.
Les règles du contrôle relèvent du niveau multilatéral. Elles sont transposées dans les obligations qui s’imposent aux États et aux exportateurs par le règlement européen de 2009 sur les biens à double usage. Pour autant, l’exercice du contrôle des biens à double usage n’est pas européanisé et la décision d’autoriser ou non une exportation est une compétence souveraine des États. La France a créé une chaîne de contrôle nationale distincte de celle des matériels de guerre. Le contrôle des biens à double usage se caractérise par une autorité décisionnelle propre désignée par la réglementation nationale ([17]), qui est le ministre chargé de l’industrie ([18]). Par ailleurs, une commission consultative distincte de la CIEEMG, la Commission interministérielle des biens à double usage (CIBDU) est compétente pour émettre un avis collégial sur les demandes d’exportation de biens à double usage soumis à contrôle ([19]).
Malgré cette séparation, le processus d’examen est similaire à celui de la CIEEMG. Il est jugé rigoureux par les acteurs qui en font partie. La CIBDU qui se réunit mensuellement, implique une dizaine de ministères, dont par exemple le ministère chargé de la santé qui peut apporter un éclairage dans le domaine biologique. Elle rend un avis, qui peut être assorti de conditions et de demandes d’exclusion, au ministre chargé de l’industrie. Par la nature des questions qui lui sont soumises ainsi que la sensibilité des informations qui peuvent y être échangées, les délibérations de la CIBDU sont couvertes par le secret de la défense nationale.
C. Le contrôle des exportations de matériels sensibles comporte d’importantes différences d’un pays Européen à l’autre
1. Une Europe peu rassemblée sur l’armement et son contrôle export
En 1995, la France et l’Allemagne ont initié, à Baden-Baden, une démarche de coopération que rallieront le Royaume-Uni et l’Italie dès 1996. Ces quatre États créent, le 12 novembre 1996, l’organisme conjoint de coopération en matière d’armement (OCCAr) dont la vocation est la gestion des programmes d’armement en coopération. L’OCCAr ne voit le jour que le 28 janvier 2001. L’OCCAr a pour objet de pallier les insuffisances des coopérations traditionnelles.
Mais, sans vouloir nier ces avancées institutionnelles, l’histoire de l’armement en Europe se construit surtout autour de ses programmes, qui se sont traduits souvent par des coûts importants et des échecs probants, parfois. Ces échecs peuvent s’expliquer par un partage des tâches peu efficace, les demandes beaucoup trop hétérogènes des armées clientes, mais également par la crainte d’un leadership trop fort de la France ou de l’un de ses partenaires. Les programmes européens gérés avec le soutien de l’OCCAr en ont largement été victimes, comme cela a été le cas du programme A400M. Les plus grands programmes d’armement ne rassemblent pas l’Europe, comme l’a montré l’échec de l’Eurofighter Typhoon concurrencé par le Rafale, ou les innombrables essais d’approches communes franco-anglaises dans le domaine naval s’arrêtant au stade de la planche à dessins.
L’Union européenne a su se rassembler prudemment, dans le domaine du contrôle à l’exportation, en adoptant une Position Commune en 2008, qui créée un cadre juridique en matière d’exportations d’armement. Ce mécanisme constitue un instrument de convergence important mais peu contraignant. La mise en œuvre de la décision du Conseil, le travail d’interprétation des critères et l’approfondissement de la coopération sur le thème du contrôle des exportations d’armement sont discutés au sein du COARM, qui est le groupe de la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC) qui traite de ces sujets.
Mais ce cadre de référence n’implique aucune convergence dans l’organisation du contrôle comme l’illustre le tableau ci-dessous, provenant d’une étude du Flemish Peace Institute, un institut de recherche rattaché au Parlement flamand. Sur la seule question du pilotage du contrôle, ce ne sont pas les mêmes administrations qui interviennent. Cette diversité d’acteurs, et donc de priorités politiques, illustre la situation actuelle.
ORGANISATIONS INSTITUTIONNELLES DU CONTRÔLE ADMINISTRATIF DES EXPORTATIONS D’ARMEMENT DANS LES DIFFÉRENTS PAYS EUROPÉENS
Source : Flemish Peace Institute
2. Le modèle allemand : un contrôle centré sur les enjeux économiques
L’organisation allemande du contrôle des exportations d’armement s’organise à trois niveaux.
Au niveau international, l’Allemagne est partie prenante, comme la France, des principaux textes qui encadrent les exportations d’armement, à savoir le TCA et la Position commune de l’UE.
Au niveau national, deux lois encadrent les exportations de matériels de guerre et les autres matériels militaires : la loi sur le contrôle des armes de guerre (KWG – KriegsWaffenKontrollGesetz) et la loi sur le commerce extérieur (AWG – AussenWirtschaftGesetz). Ces deux lois s’appliquent pour les matériels de guerre, tandis que seule la loi sur le commerce extérieur s’applique pour les autres matériels militaires. Plusieurs partis de la gauche allemande réclament une loi uniforme sur les exportations d’armes, qui détermine les critères d’attribution des licences.
Le ministère fédéral de l’économie et de l’énergie est l’autorité compétente pour octroyer les autorisations d’exportation des matériels de guerre et s’appuie sur l’expertise du ministère fédéral des affaires étrangères et du ministère fédéral de la défense. L’Office fédéral de l’économie et du contrôle des exportations (BAFA) est compétent pour définir la liste, et le cadre législatif, dont relèvent les matériels et a le pouvoir d’attribuer les licences pour les autres matériels que les matériels de guerre. Sur le plan institutionnel, la dimension économique et industrielle prime dans la délivrance des autorisations d’exportation, en décalage avec le débat public en Allemagne sur les exportations d’armes, qui porte davantage sur les considérations humanitaires. Il existe un débat sur l’opportunité de transférer cette compétence au ministère fédéral des affaires étrangères.
Comme en France, les décisions relatives aux projets d’exportation d’équipements militaires sont prises à la suite d’une évaluation approfondie. En cas de divergences d’opinion ou dans les cas les plus sensibles, le Conseil fédéral de sécurité (BSR – Bundessicherheitsrat), présidé par la chancelière allemande, décide de l’octroi ou du refus d’une autorisation d’exportation. Les décisions prises par le Conseil fédéral de sécurité sont transmises pour information au Bundestag dans un délai de deux semaines.
Enfin, au niveau politique, les exportations d’armement sont encadrées par les engagements qui figurent dans l’accord de coalition. Dans un document de référence de mars 2018, la coalition au pouvoir a confirmé l’évolution restrictive de la politique d’exportation d’armement. Elle a ainsi suspendu les exportations d’armes légères à destination des pays tiers, hors de l’UE et de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN), et les exportations d’armement vers les pays directement impliqués dans la guerre au Yémen.
L’Allemagne dispose d’un contrôle spécifique aux biens à double usage. Compte tenu de plusieurs plaintes d’ONG visant l’exportation de technologies de surveillance à destination de pays qui les mettent en œuvre pour réprimer leurs populations, l’Allemagne a pris les devants et mis à jour sa liste nationale pour y intégrer ces matériels. L’Allemagne porte une initiative pour élargir le champ de l’annexe I du règlement européen de 2009 sur les biens à double usage, initiative à laquelle la France s’oppose, cette dernière privilégiant l’actualisation de la liste de l’arrangement de Wassenaar.
3. Le modèle britannique intègre les matériels de guerre et les biens à double usage dans une même organisation
Au Royaume-Uni, le contrôle sur les exportations de matériels sensibles repose principalement sur la loi sur le contrôle des exportations de 2002 (Export Control Act) et l’ordonnance sur le contrôle des exportations de 2008 (Export Control Order). Le cadre juridique intègre également, au moins jusqu’à la fin de la phase de transition du Brexit, le corpus législatif européen via une ordonnance de transposition de la législation européenne dans le droit britannique.
Le pilotage de la politique du contrôle des exportations relève du ministère du commerce extérieur (Department for International Trade – DIT), qui émet formellement les décisions d’octroi ou de refus de licences. Un service rattaché au ministère, l’Export Control Joint Unit (ECJU), coordonne le processus d’octroi des autorisations. Cette unité est mixte : elle rassemble du personnel et de l’expertise du DIT, du ministère des affaires étrangères (Foreign and Commonwealth Office – FCO) et du ministère de la défense (Ministry of Defense – MOD). Par ailleurs, l’ECJU travaille dans un cadre interministériel et s’appuie sur les contributions d’autres ministères pour nourrir l’instruction des licences.
Le contrôle exercé par l’ECJU porte sur toutes les catégories de matériels : matériels militaires et biens à double usage, y compris les équipements NRBC et les produits utilisables pour la torture ou d’autres traitements cruels, inhumains ou dégradants.
De manière originale, sur la base de la loi sur le contrôle des exportations de 2002, le Gouvernement britannique présente au Parlement la liste des critères suivant lesquels les demandes d’exportation sont évaluées. Cette liste, qui a été mise à jour en 2014, comprend huit « critères consolidés », qui intègrent l’ensemble des règles européennes complétées par d’autres règles nationales. Ainsi, le critère 1 porte sur le respect des obligations et des engagements internationaux du Royaume-Uni (TCA, embargos, etc.) tandis que le critère 5 porte sur la préservation de la sécurité nationale du Royaume-Uni ainsi que celle des pays amis et alliés. Pour chacun des huit critères, un service est chargé d’évaluer leur respect.
L’incidence du Brexit sur le contrôle des exportations dépendra des négociations en cours entre le Royaume-Uni et l’UE pour définir leur relation future. À ce stade, la déclaration politique approuvée par les deux parties recommande la mise en place de « mécanismes appropriés de dialogue, de consultation, de coordination, d’échange d’informations et de coopération ». Par ailleurs, tout en reconnaissant l’autonomie réglementaire des deux parties à l’issue du Brexit, elle encourage « la mise en place de dispositions visant à promouvoir des approches réglementaires […] compatibles dans la mesure du possible ».
Le dispositif américain de contrôle des exportations de produits sensibles
D’une part, les produits à usage militaire listés dans la United States Munitions List (USML) sont régis par l’International Traffic in Arms Regulation (ITAR). Dès qu’un équipement intègre un composant ITAR, celui-ci est soumis à cette réglementation. L’entreprise concernée doit donc demander toutes les autorisations nécessaires auprès de l’administration américaine en cas d’exportation ou, s’il s’agit d’un composant acquis par une entreprise étrangère, de réexportation par cette dernière.
D’autre part, les biens et technologies à double usage listés dans la Commerce Control List (CCL) sont soumis à l’Export Administration Regulations (EAR). Lorsqu’un produit intègre un composant EAR, la règlementation est plus flexible pour les industriels américains et leurs clients potentiels. Dans le cadre de l’EAR, l’obtention de licences pour certains articles à destination de trente-six pays considérés comme alliés des États-Unis est simplifiée. Selon la règle de minimis, aucune licence américaine n’est nécessaire pour réexporter des produits intégrant certains composants américains si leur valeur n’excède pas un certain seuil.
Le processus américain de contrôle des produits sensibles a fait l’objet d’une réforme initiée au début des années 2010 par l’administration Obama dans le but de renforcer la sécurité des États-Unis, de recentrer les activités de contrôle sur les cas les plus sensibles, d’assurer l’interopérabilité avec les pays alliés et d’améliorer la compétitivité des industriels américains. Concrètement, il s’agissait de transférer un ensemble de matériels des catégories de l’USML régie par ITAR vers la liste CCL régie par EAR qui est moins contraignante.
L’administration Trump a poursuivi dans la même direction en révisant l’ensemble de la stratégie d’exportation des matériels militaires. Cet effort a abouti à l’Export Control Reform Act (ECRA) qui élargit le champ du contrôle afin d’y inclure des technologies « émergentes et fondamentales » jugées essentielles à la sécurité des États-Unis, comme l’intelligence artificielle, la robotique, les nanotechnologies, les biotechnologies ou les semi-conducteurs.
Aux États-Unis, le département d’État (ministère des affaires étrangères) est l’autorité compétente pour autoriser les exportations des équipements militaires soumis à ITAR, tandis que le département du Commerce est compétent pour les biens à double usage qui entrent dans le champ de l’EAR. Pour rendre leurs décisions, ces deux ministères se réfèrent aux avis qui leur sont donnés par la Defense Technology Security Administration (DTSA) qui dépend du département de la Défense. Au total, l’administration américaine traite près de 46 000 demandes de licences chaque année.
Des discussions avec la mission de défense à l’ambassade de France aux États-Unis et avec les responsables de l’administration américaine, vos rapporteurs perçoivent le processus de contrôle américain sur les matériels sensibles comme très sérieux mais aussi très bureaucratique. Toute erreur de catégorisation d’un matériel et toute demande incomplète conduisent l’industriel à reprendre le processus dès le début. Le fonctionnement en silo des administrations en charge d’ITAR et d’EAR, qui ne communiquent pas, représente une difficulté supplémentaire. Par ailleurs, le contrôle américain est très contraignant pour les États clients. D’une part, l’État acquéreur s’engage à respecter certaines conditions liées à l’utilisation des armements américains. D’autre part, les matériels qui comprennent des composants ITAR subissent de fortes contraintes à l’export.
III. Les exportations de matériels sensibles font aujourd’hui l’objet d’interrogations profondes
Le contrôle export est aujourd’hui traversé de tensions. D’un côté, la concurrence internationale s’intensifie, notamment de la part d’exportateurs peu regardants, et peut mettre sous « pression de compétitivité » les contrôles nationaux. De l’autre, les risques juridiques, politiques, médiatiques et de réputation que représentent les exportations d’armement militent plutôt pour un contrôle renforcé.
A. le contrôle, un facteur concurrentiel important pour les industriels
1. La compétition sur le marché des armes est plus féroce que jamais
L’émergence des industries de défense dans de nombreux pays pèse sur les capacités des industriels européens à vendre des armes, bien que les industriels français semblent résister à la compétition internationale. Selon le classement annuel de l’institut de recherche sur la paix internationale de Stockholm (SIPRI) ([20]) publié en décembre 2019, le chiffre d’affaires des cent industriels les plus importants au niveau mondial ([21]) a augmenté de 47 % par rapport à 2002, pour s’établir à 420 milliards de dollars en 2018. Cette tendance est largement portée par l’augmentation des dépenses militaires à l’échelle mondiale.
LES QUINZE PRINCIPAUX BUDGETS DE DÉFENSE EN 2019