N° 3585

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 18 novembre 2020.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES (1)

portant observations sur le projet de loi relatif au Parquet européen
et à la justice pénale spécialisée (no 2731)

ET PRÉSENTÉ

par Mme Liliana TANGUY,

Députée

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(1)    La composition de la commission figure au verso de la présente page.


 

La Commission des affaires européennes est composée de : Mme Sabine THILLAYE, présidente ; MM. Pieyre-Alexandre ANGLADE, Jean-Louis BOURLANGES, Bernard DEFLESSELLES, Mme Liliana TANGUY, vice‑présidents ; M. André CHASSAIGNE, Mme Marietta KARAMANLI, M. Christophe NAEGELEN, Mme Danièle OBONO, secrétaires ; MM. Damien ABAD, Patrice ANATO, Mme Aude BONO-VANDORME, MM. Éric BOTHOREL, Vincent BRU, Mmes Fannette CHARVIER, Yolaine de COURSON, Typhanie DEGOIS, Marguerite DEPREZ-AUDEBERT, Coralie DUBOST, Françoise DUMAS, Frédérique DUMAS, MM. Pierre-Henri DUMONT, Alexandre FRESCHI, Mmes Valérie GOMEZ-BASSAC, Carole GRANDJEAN, Christine HENNION, MM. Michel HERBILLON, Alexandre HOLROYD, Mme Caroline JANVIER, M. Christophe JERRETIE, Mme Chantal JOURDAN, M. Jérôme LAMBERT, Mmes Constance Le GRIP, Nicole Le PEIH, MM. Jean-Claude LECLABART, Patrick LOISEAU, David LORION, Thierry MICHELS, Jean-Baptiste MOREAU, Mme Catherine OSSON, MM. Xavier PALUSZKIEWICZ, Damien PICHEREAU, Jean‑Pierre PONT, Didier QUENTIN, Mme Maina SAGE, MM. Benoit SIMIAN, Mme Michèle TABAROT.

 


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SOMMAIRE

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 Pages

Introduction

PREMIÈRE PARTIE : La création du parquet européen vient remÉdier aux conséquences du morcellement de l’espace pÉnal européen

I. Le parquet européen est un projet ancien soutenu par la France

A. De la mise À l’agenda À la proposition de la commission

1. L’identification du besoin

2. L’échec du premier projet

B. La création réussie du Parquet européen

1. L’initiative franco-allemande

2. L’adoption du règlement

a. Une coopération renforcée

b. Une contribution importante à la coopération judiciaire

II. L’organisation originale du parquet repose sur deux niveaux européen et national

A. Le niveau européen

1. L’incarnation par la cheffe du Parquet européen

2. Le collège des procureurs européens

a. Composition

b. Fonctionnement

B. Le niveau national

1. Un système décentralisé

a. Un relais dans les États membres

b. Une organisation inspirée mais pas calquée sur Eurojust

2. La mise en place de l’échelon national

Seconde partie :  les enjeux résultant de la création du parquet européen en droit français

I. Le projet de loi instaure un équilibre subtil quant à la place des procureurs européens délégués

A. Les missions particulières du PED au regard du droit pénal français

1. Un procureur d’un genre nouveau

2. Une solution satisfaisante

B. La place du PED dans l’écosystème judiciaire

1. Le statut particulier des PED

a. La question de l’indépendance

b. Le point de vigilance du régime social des PED

2. Les rapports avec le Parquet national financier

a. Le rapprochement naturel

b. Les recoupements de compétence

II. La France peut rester une force motrice dans l’intégration de l’espace judiciaire européen

A. Les attentes relatives à la mise en place du parquet européen

1. Au niveau central

2. Au niveau national

a. Les effectifs des PED français

b. L’importance des « fonctions support »

B. Les perspectives d’élargissement du parquet europÉen

1. La lutte contre le terrorisme

a. Le cadre du traité

b. L’opportunité d’un tel élargissement

2. La préservation de l’environnement

Conclusion

TRAVAUX DE LA COMMISSION

1. Audition de Mme Laura Codruța Kövesi, procureure générale du Parquet européen, et de M. Frédéric Baab, procureur européen français

2. Examen du rapport d’information

Annexe : Liste des personnes auditionnées


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   Introduction

 

Mesdames, Messieurs,

 

La mise en place du Parquet européen est l’accomplissement d’un processus au long cours. Le Corpus Juris, publié en 1997 par un groupe d’experts conduit par la professeure française Mireille Delmas-Marty, a marqué le début d’une réflexion approfondie sur la manière d’intégrer l’espace judiciaire pénal européen par la création d’un organe commun de poursuites.

« Le crime organisé, c’est le mal organisé ([1]) », selon la formule de Robert Badinter, qui rappelait en 2011 que les formes les plus graves de criminalité sont précisément celles qui traversent les frontières. La création du Parquet européen devait répondre à un constat : « Les frontières et la territorialité du droit et des poursuites facilitent le crime. »

Le fait que cette intégration porte en premier lieu sur la lutte contre les atteintes aux intérêts financiers de l’Union est assez opportun. Il s’agit d’abord d’une forme de criminalité de grande envergure qui donne lieu à des montages complexes. Elle est aussi particulièrement sujette aux passages de frontières, justifiant une coordination des services nationaux impliqués. Cet intérêt parfaitement européen sera désormais défendu par une autorité commune, qui bénéficiera cependant d’un ancrage national fort, du fait de son organisation décentralisée.  

Le Parquet européen est compétent pour enquêter, poursuivre et faire condamner les auteurs d’infractions criminelles affectant les intérêts de l’Union européenne au sens de la directive (UE) 2017/1371 relative à la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union au moyen du droit pénal, dite « PIF ». Il a vocation à s’intéresser en particulier aux activités criminelles transfrontalières comme la fraude à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), directement liée à l’une des ressources propres du budget européen, la corruption et le blanchiment d’argent.

Au-delà de la préservation des ressources européennes, limiter la fraude permet de tarir les modes de financement de nombreux réseaux criminels. Aussi, pour le citoyen et contribuable européen, l’instauration de ce Parquet européen est une double victoire permettant de renforcer la confiance dans les institutions européennes et dans l’utilisation des fonds publics.

Le 28 septembre 2020, Mme Laura Codruța Kövesi, cheffe du Parquet européen, a prêté serment devant la Cour de justice de l’Union européenne. Il en va également ainsi des vingt-deux procureurs européens désignés par le Conseil de l’Union durant l’été. Parallèlement à l’installation de cet échelon centralisé, les États membres prenant part à la coopération renforcée adaptent leur droit national à une articulation harmonieuse avec ce nouveau corps de magistrats.

Le projet de loi relatif au Parquet européen et à la justice pénale spécialisée ne fait rien de moins que cela. En permettant la création des procureurs européens délégués, il ouvre la voie à la mise en place de l’échelon national nécessaire au fonctionnement de cette institution d’un genre nouveau. Ce faisant, le législateur doit prendre garde à respecter les équilibres de la procédure pénale française tout en accueillant des voies nouvelles, pour que l’Union européenne soit plus que jamais une communauté de droit.

Au cours de ses travaux, votre rapporteure s’est attachée à rechercher si le projet de loi rend le droit positif français conforme à l’intention du législateur européen, en cohérence avec la pratique des autres États membres ayant choisi de participer à cette coopération renforcée. La France, qui a joué un rôle particulièrement proactif dans l’instauration d’un organe de poursuite supranational compétent au niveau européen, a tout intérêt à donner à cette institution les moyens de sa réussite.

À l’heure de la défiance, la réussite de la lutte contre la criminalité financière peut être une formidable démonstration de l’utilité de l’Union européenne. Pour cela, le Parquet européen devra être exemplaire, en étant un modèle d’indépendance et d’efficacité, à tous les niveaux. Notre pays doit nécessairement prendre sa part de responsabilité dans la réalisation de cet objectif, et plus encore, en ouvrant d’ores et déjà la voie à un élargissement souhaitable des compétences du Parquet européen à d’autres formes de criminalité qui portent atteinte à des intérêts communs.

 


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   PREMIÈRE PARTIE : La création du parquet européen vient remÉdier aux conséquences du morcellement de l’espace pÉnal européen

Le Parquet européen répond à la nécessité de mieux lutter contre la fraude et constitue une grande avancée en matière de coopération judiciaire. Les longues négociations qui ont entouré sa création ont permis d’aboutir à une autorité à la fois collégiale et décentralisée.

I.   Le parquet européen est un projet ancien soutenu par la France

La France a soutenu l’installation d’un Parquet européen, projet ambitieux et intégrateur, sans se départir du pragmatisme qui doit nécessairement entourer toute démarche ayant pour objet un transfert de souveraineté des États membres vers l’Union européenne. 

A.   De la mise À l’agenda À la proposition de la commission

1.   L’identification du besoin

La création d’un espace européen de liberté, de sécurité et de justice, corrélatif à celle d’un espace économique et monétaire intégré, est un objectif proclamé par le traité d’Amsterdam et réaffirmé lors du Conseil européen de Tampere des 15 et 16 octobre 1999. Cette volonté politique répond à des considérations pratiques : les systèmes répressifs nationaux ont besoin de coopérer afin de répondre au mieux à la criminalité transfrontière. Concrètement, cette coopération passe par la mise en place de structures ad hoc, comme les agences Europol ou Eurojust, mais aussi par le rapprochement des procédures, notamment par le principe de reconnaissance mutuelle en matière pénale ([2]).

Parallèlement, la nécessité de poursuivre de manière plus effective et plus particulière les auteurs de la criminalité portant atteinte aux intérêts financiers des Communautés européennes a été bien identifiée par la Commission. L’ampleur des fraudes détectées, par nature inférieure aux sommes réellement soustraites au budget de l’Union, et l’élan qui entourait la création de l’Office européen de lutte antifraude (OLAF), ont conduit à la publication d’un Livre vert évoquant la création d’un Procureur européen dès 2001 ([3]). Cette idée figurait également dans le projet de traité établissant une Constitution pour l’Europe ([4]).

La fraude aux intérêts financiers de l’Union représente des sommes impressionnantes, à la mesure d’une puissance économique pesant 22,1 % du produit intérieur brut (PIB) mondial ([5]). Selon la Commission européenne, la fraude représente annuellement une perte d’environ 140 milliards d’euros de recettes de TVA pour les États membres ([6]), dont au moins 50 milliards d’euros pour les fraudes complexes ([7]). La TVA intracommunautaire est sujette à des fraudes bien identifiées par les services nationaux en charge du contrôle fiscal, mais qui demeurent difficiles à démanteler, comme les carrousels de TVA ([8]). Outre l’impact budgétaire considérable pour les États, ce procédé permet à l’acheteur final de retirer un avantage concurrentiel indu, contraire aux principes du marché intérieur.

Les détournements de fonds européens sont, quant à eux, estimés autour de 700 millions d’euros. Ces sommes sont détournées des politiques publiques auxquelles elles sont destinées, qu’il s’agisse de la formation des jeunes, de l’agriculture durable ou de la cohésion. Outre ses répercussions économiques et sociales, la criminalité financière est souvent étroitement liée à la criminalité violente ([9]).

Toutefois, les États membres ne font pas tous preuve d’un même volontarisme dans la détection et la lutte contre ces délits. En France notamment, le taux de signalement des irrégularités frauduleuses serait anormalement bas par rapport au montant considérable de dépenses européennes dont elle bénéficie ([10]). Il est constant que les mesures prises en matière antifraudes sont marquées par de fortes disparités d’un pays à l’autre ([11]), justifiant une action centralisée.

La création d’un Parquet européen exerçant tous les pouvoirs d’un ministère public dans le domaine de la protection des intérêts financiers est, à la fin des années 1990, un projet qui emporte largement l’adhésion. Les désaccords politiques ultérieurs, qui expliquent le retard pris par rapport au traité de Lisbonne – lequel consacre l’avènement prochain de cette nouvelle institution – sont dus à des discussions portant sur ses modalités et non sur son principe.

Dans le cadre de l’accord provisoire obtenu sur le budget de l’UE pour 2021-2027, la conditionnalité du versement des fonds européens au respect de l’État de droit par les pays bénéficiaires impliquera qu’en cas d’utilisation abusive, le versement des fonds pourra être suspendu ([12]). Ce mécanisme, défendu notamment par la France et l’Allemagne, est destiné à prévenir tant les atteintes aux valeurs communes que les intérêts et le budget de l’Union. La question de la bonne utilisation de l’argent européen est au cœur de l’actualité.

2.   L’échec du premier projet

La Commission européenne a soumis, en juillet 2013, une proposition de règlement du Conseil portant création du Parquet européen ([13]), conformément à la procédure de l’article 86 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) ([14]).

Ce premier projet prévoyait un Parquet européen très intégré, qualifié de « centralisateur et directif ([15]) » par les sénateurs de la commission des affaires européennes, qui s’y sont opposés au titre du contrôle de subsidiarité dont sont chargés les parlements nationaux. Conformément aux dispositions du protocole n° 2 sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité, le Sénat français et treize autres chambres ont déclenché, à cette occasion, la procédure dite de « carton jaune » à l’encontre du texte de la Commission européenne.

Malgré cette opposition, qui appelait largement à intégrer plus de collégialité, la Commission a argué du fait que l’avis des parlements nationaux dans le cadre de cette procédure n’est que consultatif. Elle a fait le choix de maintenir sa proposition de règlement ([16]), qui n’a toutefois pas rencontré de consensus au Conseil « Justice et affaires intérieures » (JAI). Les rédacteurs du traité de Lisbonne avaient en partie anticipé ces difficultés en prévoyant, « en cas de désaccord », une procédure de coopération renforcée.

B.   La création réussie du Parquet européen

1.   L’initiative franco-allemande

La France a été un soutien et un moteur de l’instauration du Parquet européen. Si l’exécutif y a pris une grande part, plusieurs rapports parlementaires présentés devant la délégation de l’Assemblée nationale pour l’Union européenne ont évoqué le projet dès l’an 2000 ([17]) avant de prendre clairement position en sa faveur ([18]).

Dès le mois de mars 2013, alors que la Commission européenne n’avait pas encore déposé son projet, Christiane Taubira, alors ministre de la justice, a signé, avec son homologue allemande Sabine Leutheusser-Schnarrenberger, une position commune en faveur d’un parquet européen établi « à partir d’Eurojust », conformément à l’article 86 du TFUE. La France et l’Allemagne se prononcent alors pour un parquet pleinement indépendant dans son action et le plus efficace possible sur le plan opérationnel. La particularité de la proposition franco-allemande est la préférence donnée à un organe fondé sur la collégialité et composé de membres nationaux, afin de mieux ancrer le nouveau dispositif dans les ordres juridiques internes des États membres.

Par ailleurs, la proposition franco-allemande prévoyait l’application du droit national des États membres, et non celle d’une procédure pénale imaginée pour lui autour de « règles-modèles » empruntant à la fois à la tradition continentale et au droit anglo-saxon, et qui reviendrait à créer un droit pénal ad hoc.

Alors que, sous la présidence slovaque du deuxième semestre 2016, les négociations autour de la proposition de règlement n’aboutissaient pas à l’unanimité, le garde des Sceaux, Jean-Jacques Urvoas et le ministre fédéral allemand de la justice, Heiko Maas, ont cosigné une déclaration ([19]) appelant à la mise en place rapide du Parquet européen sur la base d’une coopération renforcée. C’est finalement ce chemin qui a été choisi, apportant des tempéraments importants au projet initial de la Commission européenne.

La dynamique politique entre nos deux pays a été, une fois de plus, un élément essentiel à la réussite de ce projet. Il faut toujours le rappeler et s’en inspirer pour l’avenir, qui nous réserve encore bien des chantiers en matière d’harmonisation du droit.

2.   L’adoption du règlement

a.   Une coopération renforcée

En avril 2017, seize États membres sont convenus d’avoir recours à la procédure de la coopération renforcée pour mettre en place un Parquet européen, ainsi que l’avaient prévu, dans leur sagesse, les rédacteurs du traité de Lisbonne. À l’occasion du Conseil JAI des 8 et 9 juin 2017, vingt États membres sont parvenus à un accord politique sur ce point, ultérieurement rejoints par Malte et les Pays-Bas.

Le règlement (UE) 2017/1939 du Conseil du 12 octobre 2017 (ci-après « le Règlement ») met en œuvre une coopération renforcée concernant la création du Parquet européen. S’il est d’application directe, il fait des références nombreuses aux législations nationales, qu’il convient d’adapter afin de permettre au Parquet européen, qui dispose de relais dans chaque État participant, de fonctionner.

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À ce jour, vingt-deux États membres ont rejoint la coopération renforcée. Point de Hongrie au Parquet européen, le gouvernement de Viktor Orbán (Fidesz) ayant plusieurs fois rappelé son opposition au projet ([20]). La Pologne y est également politiquement réfractaire. Le Danemark et l’Irlande ne participent pas pleinement aux initiatives en matière de justice et affaires intérieures ([21]). Enfin, la Suède, restée jusqu’à ce jour hors de l’initiative, pourrait la rejoindre.

L’instauration d’un Parquet européen ne s’est pas accompagnée de la rédaction d’une procédure pénale européenne qui serait appliquée par un organe central unifié. Pourtant, la création d’un droit ad hoc, qui ne soit celui d’aucun État membre, est possible. C’est la voie qui a été choisie avec la coopération renforcée en matière de divorces ([22]), qui crée des solutions appropriées aux couples « internationaux ». Cette voie plus intégratrice n’a pas été retenue ; elle aurait nécessité à n’en pas douter des années supplémentaires de négociations.

Plus modeste, plus réaliste aussi, ce règlement, dont le manque d’ambition a été critiqué, a le mérite d’être entré en vigueur le 20 novembre 2017, soit tout de même plus de quatre ans après le premier texte soumis par la Commission.

La directive « PIF »

L’adoption du règlement (UE) 2017/1939 avait été précédée de l’adoption de la directive 2017/1371 du 5 juillet 2017 définissant les infractions aux intérêts de l’Union, dite « PIF » (pour protection des intérêts financiers).

Cette directive a fait l’objet d’une transposition, en droit français, par l’intermédiaire de l’ordonnance n° 2019-963 du 18 septembre 2018. L’article 13 (titre III, « Dispositions diverses ») du projet de loi relatif au Parquet européen et à la justice pénale spécialisée prévoit sa ratification.

La transposition de la directive « PIF » sur la protection des intérêts de l’Union est encore en cours par deux États membres participant au Parquet européen, alors même que sa transposition est une condition préalable au démarrage opérationnel du Parquet.

Le Parquet européen sera compétent pour rechercher, poursuivre et renvoyer en justice, devant les tribunaux nationaux, les infractions portant atteinte au budget de l’UE ainsi que les infractions indissociablement liées.

La fraude aux dépenses, recettes et avoirs de l’Union relèvera de sa compétence à partir de cent mille euros. Pour les infractions graves au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA), elles ne relèvent du Parquet européen qu’à la double condition de porter sur des montants totaux de préjudice supérieurs à dix millions d’euros et d’être en lien avec au moins deux États.

 

b.   Une contribution importante à la coopération judiciaire

Le Parquet européen opérera une petite révolution dans la coopération judiciaire européenne. La création par la France des magistrats de liaison en 1993, puis d’Eurojust en 2002 ([23]), s’est fondée sur les volontés des États d’échanger ponctuellement des informations et de faciliter la coopération judiciaire. Le fonctionnement du collège est toutefois radicalement plus intégré.

Le Règlement vise à insérer le Parquet européen dans un réseau d’acteurs, en veillant notamment à éviter les doublons de procédure avec l’OLAF (article 101 du Règlement). Cet office bruxellois, malgré ses bons résultats pour ce qui concerne les montants recouvrés, connaît des limites face aux affaires complexes. La procédure, uniquement administrative, est également entourée de certaines faiblesses en termes de garantie des droits, car l’OLAF n’est pas une institution judiciaire ([24]).

La création du Parquet européen, en plus des gains opérationnels escomptés, va permettre de remédier à ces atteintes aux droits des parties. Elle va aussi répondre à la nécessité de disposer d’un organe européen doté des pouvoirs dont l’OLAF reste dépourvu : des pouvoirs non seulement supplémentaires, mais également de nature différente, propres aux organes judiciaires d’enquête et de poursuite ([25]).

Europol, l’agence européenne de police criminelle, doit entretenir des liens étroits avec le Parquet en fournissant informations ou aide à l’analyse (article 102 du Règlement). La création d’un Centre européen de lutte contre la criminalité financière et économique (EFECC) par l’Agence en juin 2020 s’inscrit dans une volonté marquée de soutien opérationnel dans ces domaines  [26]). Cette unité de lutte répond aussi au constat fait par Europol d’une plus grande vulnérabilité des États à la fraude aux subventions publiques durant la pandémie.

Toutes les autorités nationales et les organes et organismes compétents de l’Union ont vocation à soutenir et appuyer le Parquet européen, en vertu du principe de coopération loyale énoncé à l’article 4 du traité sur l’Union européenne (TUE). Concrètement, ils ont l’obligation de signaler tout comportement délictueux à l’égard duquel il pourrait exercer sa compétence (article 24 du Règlement). La relation future avec Eurojust fait l’objet de développements infra.

Le réseau des magistrats de liaison français, réparti dans quinze pays à travers le monde, incluant les États-Unis et l’Australie, gardera toute sa pertinence, y compris avec les vingt-et-un autres États participant à la coopération renforcée, pour les nombreux cas de coopération transfrontalière ne portant pas sur les infractions relevant du Parquet européen.

II.   L’organisation originale du parquet repose sur deux niveaux européen et national

Le Parquet européen est un organe indépendant complexe, doté de la personnalité juridique. De l’échelon central aux ramifications dans les États membres, il a été pensé pour conjuguer les impératifs de légitimité et d’efficacité, parfois au détriment de la simplicité. Cette architecture s’est néanmoins imposée faute d’alternative qui réponde de manière satisfaisante à l’ambition de sa création.  

A.   Le niveau européen

1.   L’incarnation par la cheffe du Parquet européen

La désignation du procureur général a donné lieu à de longues discussions pour aboutir à un choix de personne assez unanimement salué. Il a fallu nommer une personnalité qui convienne au Parlement européen comme au Conseil, lequel nomme le chef du Parquet sur avis d’un comité de sélection ([27]) composé de juristes de haut niveau. Ce comité est un filtre qui garantit la qualité des profils proposés par les États membres, pour le procureur général comme pour les membres du collège.

Mme Laura Codruța Kövesi est sortie en tête de la liste restreinte établie par le comité de sélection, devant le candidat français. Ancienne procureure générale auprès de la Direction nationale anticorruption (DNA) de Roumanie, elle a fait avancer de manière importante la lutte contre la corruption, y compris à l’encontre de hautes personnalités politiques, dans son pays d’origine. En délicatesse avec la majorité social-démocrate, elle a fait l’objet d’une éviction prématurée de son poste. Cette procédure a ultérieurement conduit à une condamnation de la Roumanie devant la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) pour violation caractérisée du droit à un procès équitable et à la liberté d’expression ([28]).

Malgré les tentatives de dissuasion émanant du gouvernement roumain, par l’entremise notamment du ministre de la justice Tudorel Toader ([29]), le Parlement européen et le Conseil se sont successivement prononcés en faveur de la candidature de Mme Kövesi. La France lui a apporté un soutien remarqué, tandis que le candidat français a été nommé à un autre poste de haut niveau ([30]).

La forte politisation de cette nomination a un effet notable. La popularité de Mme Kövesi auprès d’une partie de l’opinion publique dans son pays se double de la forte légitimité que lui a conférée, lors du processus de désignation, le soutien quasi-unanime des États membres qui participent à la coopération. Au-delà, son expérience en matière de lutte contre le détournement de fonds publics est indéniable. Cette assise solide sera assurément un facteur de réussite de l’installation du Parquet. Il lui servira aussi sans doute à porter ses revendications, en matière budgétaire notamment. Elle dispose désormais d’un mandat non-renouvelable de sept ans.  

2.   Le collège des procureurs européens

a.   Composition

Le Conseil nomme les procureurs européens sur proposition des États membres, qui avancent chacun trois candidatures ([31]), et après avis motivé du comité de sélection précédemment cité. Les ministres se sont écartés du choix du comité pour les candidats belges, bulgares et portugais, suscitant les inquiétudes de certains députés européens (issus des groupes Renew Europe, PPE et Verts/ALE) quant aux pressions exercées par les gouvernements nationaux sur le processus de sélection ([32]).

Les candidats doivent être des membres actifs du ministère public ou du corps judiciaire, disposer des qualifications requises pour y exercer de hautes fonctions et offrir toutes les garanties d’indépendance. Il est attendu qu’ils possèdent une expérience pratique pertinente de leurs ordres juridiques nationaux, mais aussi des enquêtes financières, seule matière traitée par le Parquet européen, ainsi que de la coopération judiciaire internationale en matière pénale.

Le procureur européen français, M. Frédéric Baab, remplit l’ensemble de ces conditions, ayant exercé des fonctions tant de président de juridiction que de négociateur au sein des institutions européennes. Le membre allemand, M. Andrés Ritter, qui avait également été candidat au poste de chef du Parquet, est un procureur de grande expérience ayant exercé des fonctions d’expert en détachement auprès de la Commission. Parmi les procureurs européens, il est à souligner que trois sont d’anciens membres du collège d’Eurojust. Les profils retenus sont donc des connaisseurs des institutions européennes, ce qui montre l’efficacité du processus de désignation.

Le collège comprend autant de membres que d’États participants, soit actuellement vingt-deux, en plus du procureur général. Ce lien national semblait indispensable à l’établissement du rôle du procureur dit de supervision, impliqué dans chaque affaire concernant son pays d’origine, dont il connaît parfaitement la procédure.

Les procureurs européens, parmi lesquels deux sont désignés adjoints au procureur général, sont des agents détachés nommés pour un mandat non renouvelable de six ans, qui peut être prorogé pour une durée maximale de trois ans par le Conseil. Dans le cadre des règles transitoires prévues pour le premier mandat, les procureurs européens de huit pays ([33]), désignés par tirage au sort, seront titulaires d’un mandat non renouvelable de trois ans. Ce renouvellement partiel à mi-mandat doit permettre d’assurer une continuité dans l’action du collège.

Les futurs locaux du Parquet européen sont situés dans la Tour B du plateau de Kirchberg à Luxembourg, véritable pôle judiciaire européen qui abrite déjà, entre autres, la Cour de justice et le Tribunal de l’Union européenne. Ce choix implique un renoncement : il aurait été également pertinent de regrouper le Parquet européen et les services d’Eurojust, situés à La Haye, conformément à la recommandation de la rapporteure sur la proposition initiale de règlement portant création d’un Parquet européen en 2013 ([34]). Une telle décision aurait permis une plus grande proximité culturelle et de travail au quotidien avec Eurojust, même si l’accord de coopération actuellement en cours de négociation devrait permettre des relations fluides entre les deux autorités.

b.   Fonctionnement

La chambre permanente est composée de trois procureurs, dont un président choisi parmi la cheffe du Parquet, ses adjoints ou éventuellement les autres procureurs européens. Elle est l’expression opérationnelle du collège. Elle garantit à la fois efficacité et indépendance à la prise de décision. Conformément à l’article 10 du Règlement, elle supervise et dirige l’enquête menée par les procureurs européens délégués, tout en veillant à la cohérence de l’action du Parquet européen.

Le procureur européen chargé de la surveillance de l’affaire, appelé aussi procureur de supervision, est en lien direct avec le procureur européen délégué chargé de l’affaire à titre principal ; il est le membre national de l’État membre dans lequel la majorité des infractions en cause ont été commises. Le procureur de supervision remet à la chambre permanente le rapport transmis par le PED, le cas échéant accompagné de sa propre analyse. C’est sur la base de ce rapport que la chambre prend sa décision. Ce rôle particulier s’explique par sa connaissance fine de la procédure de son pays d’origine et son rapport privilégié avec les procureurs européens délégués qui travaillent sous sa « surveillance », selon les termes du Règlement.

L'état de l'Union en 2018: un Parquet européen renforcé pour lutter contre  le terrorisme transfrontière
Par construction, les trois membres de la chambre permanente ne seront pas des experts de la procédure du pays de l’affaire, ce qui nécessitera de leur part un effort important d’acculturation afin de suivre l’enquête au niveau national. Cette enquête se fera dans le cadre de la procédure pénale du pays concerné. L’application du droit national est la contrepartie du transfert de souveraineté qu’implique la délégation totale des poursuites à un organe indépendant de l’Union européenne.

B.   Le niveau national

1.   Un système décentralisé

a.   Un relais dans les États membres 

Au sein de chacun des États membres participants, des procureurs européens délégués (PED) sont chargés du suivi opérationnel des enquêtes et des poursuites. La spécialisation de magistrats dans ce contentieux technique et rare leur permettra de développer une expertise, ce qui devrait permettre une répression plus efficace des atteintes aux intérêts financiers de l’UE.

Ils agissent au nom du Parquet européen à partir des orientations et des instructions de la chambre permanente chargée de l’affaire, ainsi que de celles du procureur européen superviseur. La chaîne hiérarchique qui unit l’échelon national à l’échelon central est la condition de l’indivisibilité du Parquet européen : une décision du procureur européen délégué français vaut décision du Parquet. Dans le cadre des enquêtes transfrontières, les PED de différents États membres agissent en étroite coopération ; le PED chargé de l’affaire peut déléguer des mesures à ses homologues (article 31 du Règlement), sans avoir à passer par une décision européenne d’enquête ([35]).

Les procureurs européens délégués sont responsables des enquêtes et des poursuites qu’ils engagent, qu’elles leur soient confiées ou qu’ils s’en saisissent en exerçant leur droit d’évocation (prévu à l’article 27 du Règlement). En cas de désaccord sur la compétence du Parquet européen, les autorités nationales ont le dernier mot (article 25 paragraphe 6 du Règlement).

Une procédure particulière ([36]), qui a vocation à demeurer un recours exceptionnel, permet au procureur européen chargé de la supervision de l’affaire, qui est membre du collège, de se substituer au PED.

Le Parquet européen n’est pas un tribunal. Les affaires dont sont saisis les PED relèvent de la compétence des juridictions nationales et sont jugées par des magistrats du pays concerné. Par ailleurs, au-delà du contrôle juridictionnel exercé par la Cour de justice ([37]), les actes de procédure du Parquet européen qui sont destinés à produire des effets juridiques à l’égard de tiers sont soumis au contrôle des juridictions nationales compétentes (article 42 du Règlement).

Concernant la France, le projet de loi prévoit que ce sont les juridictions de jugement de Paris (tribunal judiciaire et cour d’appel) qui seront saisies, exerçant ainsi une compétence nationale. Cette spécialisation est de bon aloi et correspond à un mouvement de fond de regroupement de contentieux spécialisés au sein de juridictions désignées. Les acteurs de la justice, au premier rang desquels les magistrats, peuvent ainsi développer une compétence particulière sur des matières techniques.

b.   Une organisation inspirée mais pas calquée sur Eurojust

L’article 86 du TFUE prévoit la faculté d’instituer un Parquet européen « à partir d’Eurojust ». Cette prescription est sujette à interprétation.

 Eurojust est un support opérationnel, auquel les États choisissent ou non de recourir. Ses outils principaux pour faire vivre la coopération judiciaire sont la constitution d’équipes communes d’enquête (ECE) et l’organisation de réunions de coordination entre les parties prenantes des États impliqués dans une forme grave de criminalité transfrontière. La participation de pays tiers, comme la Suisse ou les États-Unis, est une richesse de cette organisation.

Le Parquet européen est un organe intégré, dont la compétence s’impose aux États participants. Il se distingue en cela nettement d’Eurojust, qui n’a pas d’autorité judiciaire ni le pouvoir d’évoquer une affaire.

Les relations futures entre ces deux entités seront définies par un accord de coopération, prévu à l’article 100 du Règlement, qui formalise le partage des compétences. Il règle notamment les échanges d’informations, qui ne seront pas automatiques, entre leurs systèmes d’information respectifs. Eurojust devra traiter toute demande d’assistance émanant du parquet européen dans les meilleurs délais et répondre à ces demandes de la même façon que si elles émanaient d’une autorité nationale compétente en matière de coopération judiciaire ([38]).

L’articulation de leurs compétences respectives est prévue à l’article3 du nouveau règlement d’Eurojust ([39]). Elle sera régie par un principe de spécialité : Eurojust n’exerce pas sa compétence lorsqu’une infraction est du ressort du Parquet européen.

Eurojust restera compétent pour les délits dits « PIF » commis dans les cinq États membres qui ne font pas partie de la coopération renforcée, à la demande de ces États membres ou du Parquet européen. Les membres hongrois ou polonais du collège d’Eurojust pourront être les points de contact dans le cadre d’enquêtes conduites par le Parquet européen. Eurojust pourra, dans cette hypothèse, continuer d’assurer son rôle de support de coopération, même si vingt-deux de ses membres ont décidé de mettre en commun leur compétence.

2.   La mise en place de l’échelon national

Les derniers préparatifs nécessaires à la mise en place de l’échelon décentralisé du Parquet européen au niveau des États membres sont encore en cours.

La désignation des PED est la prochaine étape importante. Elle était subordonnée à l’adoption, par le collège des procureurs, des règles d’emploi auxquelles ils sont soumis. Les États membres doivent désormais désigner des candidats aux postes de procureurs européens délégués, lesquels sont ensuite nommés par le collège sur proposition du chef du Parquet européen.

Pour ce faire, il leur faut procéder, selon l’abus de langage fréquemment employé, à la « transposition » du Règlement en droit national. À ce jour, seules la Slovaquie et l’Allemagne ont transmis leurs candidatures. Le Bundestag allemand a en effet adopté au printemps le projet de loi relatif au Parquet européen ([40]), permettant au gouvernement fédéral de passer à l’étape de la désignation des PED.

L’objectif demeure que l’institution puisse être opérationnelle à la fin de l’année 2020. Politiquement, l’objectif est d’accompagner le budget de l’Union et l’ambitieux instrument Next Generation EU, dont « chaque euro […] devrait être dépensé pour sortir l’Europe de cette crise » ([41]). L’Union européenne va dépenser plus d’argent, plus rapidement et selon des règles plus flexibles qu’auparavant, augmentant les risques de fraude potentielle. Avec le choc économique de la pandémie, la préservation de la capacité d’action des fonds publics devient une priorité absolue et une condition de la relance.

 

 

 

 

 

 

 

Le régime linguistique du Parquet européen

 

Quelques jours après sa prestation de serment, le collège des procureurs européens a approuvé à la majorité des deux tiers de ses membres ([42]) la décision de recourir à l’anglais comme langue de travail ([43]) . Pourtant, aucun des vingt-deux États membres qui participent à cette coopération renforcée n’est anglophone ([44]).  

Le Parquet européen étant hébergé par les locaux de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) à Luxembourg, la différence de régime linguistique entre ces deux institutions est apparue d’autant plus criante. Pour autant, l’usage du français comme langue de travail à la CJUE relève de l’usage et non du règlement intérieur, qui fait seulement référence aux vingt-quatre langues officielles de l’Union européenne.

Ce choix, qui réjouira les tenants du pragmatisme linguistique, reflète la nature de cette institution. À l’instar d’autres instances opérationnelles de l’UE, comme le collège d’Eurojust ([45]), qui n’ont choisi qu’une seule langue de travail, le collège des procureurs est formé de personnalités aux profils de techniciens et non de diplomates. La maîtrise du français par la totalité de ses membres est ainsi devenue, au gré des élargissements, un objectif irréaliste. De plus, il est, au nom de l’unicité du collège, inenvisageable de constituer les chambres permanentes chargées des affaires en fonction d’affinités linguistiques.

Une réflexion similaire s’applique quant aux candidats aux postes de procureurs européens délégués, qui devront, pour prétendre à la fonction, prouver une maîtrise suffisante de la langue de travail du Parquet européen ([46]).

Au-delà des échanges entre les procureurs européens saisis d’une affaire, la langue de travail détermine également celle dans laquelle seront traduites les pièces des dossiers nécessairement volumineux concernant des affaires complexes. De même, une traduction des grands principes de la procédure pénale de chaque pays est en cours d’élaboration. Elle est nécessaire pour permettre aux procureurs européens de suivre les dossiers. Imposer une seconde langue aurait conduit à doubler la demande de traduction, un travail très lourd qui s’exercera sans doute dans des délais contraints pour les services concernés.

Les rapports entre le Parquet européen et les procureurs européens délégués se feront, quant à eux, dans la langue nationale. Le français pourra être utilisé, avec l’anglais, dans les rapports avec la CJUE : il s’agit d’une importante réaffirmation de la place du français comme deuxième langue.

 

 

   Seconde partie :
les enjeux résultant de la création du parquet européen en droit français

 

Le projet de loi adapte le code de procédure pénale français à la nécessité de créer un nouvel acteur pour mettre en place l’échelon national du Parquet européen, en insérant au Livre IV un titre X bis intitulé « Du Parquet européen ». Des modifications au code de l’organisation judiciaire et au code des douanes sont également prévues.

I.   Le projet de loi instaure un équilibre subtil quant à la place des procureurs européens délégués

Créer une nouvelle fonction de magistrat dans l’équilibre préexistant de la procédure pénale, sans trahir les objectifs du règlement européen qu’il s’agit d’incorporer en droit français : le projet de loi y parvient, au prix d’une construction baroque mais incontournable.

A.   Les missions particulières du PED au regard du droit pénal français

1.   Un procureur d’un genre nouveau

Le procureur européen délégué (PED), bien qu’ayant un rôle novateur et hybride en droit français, emprunte à des catégories préexistantes, en termes de fonctions comme de cadre d’enquête.

Le PED exercera les prérogatives reconnues au procureur de la République qui, dans le procès pénal, conduit l’action publique, conformément à l’article 13 du Règlement qui prévoit que les PED « sont investis des mêmes pouvoirs que les procureurs nationaux dans le domaine des enquêtes, des poursuites et de la mise en état des affaires, en plus et sous réserve des pouvoirs et du statut particuliers qui leur sont conférés ».

Ces pouvoirs particuliers se reflètent dans la double attribution du PED français, qui pourra également prendre des mesures relevant, habituellement, de la compétence du juge d’instruction. Cependant, lorsqu’il se situera dans ce cadre, il lui faudra saisir le juge des libertés et de la détention (JLD) afin d’obtenir qu’il prenne les mesures les plus attentatoires aux libertés, comme l’assignation à résidence sous surveillance électronique (ARSE) ou le placement en détention provisoire.

Ainsi, le PED pourra se situer alternativement dans le cadre procédural de l’enquête préliminaire ou de flagrance, ou dans le cadre procédural de l’instruction. Cette souplesse lui permettra de ne pas perdre la conduite de la procédure. Il choisira en opportunité de recourir aux pouvoirs du juge d’instruction, ce qui pose la question des critères qui seront appliqués pour ce faire. La jurisprudence devrait progressivement permette de préciser ce point.

Doté de l’ensemble des prérogatives du procureur de la République, le procureur européen délégué pourra saisir les juridictions compétentes mais aussi, avec l’accord de la chambre permanente, conclure à un classement sans suite ou s’engager dans une procédure simplifiée. Il pourra donc avoir recours aux mesures alternatives aux poursuites, comme la convention judiciaire intérêt public (CJIP) créée par la loi du 9 décembre 2016 dite « Sapin 2 » ([47]). Cet outil pourra se révéler un outil précieux pour démontrer son efficacité par la récupération plus rapide des sommes litigieuses.

2.   Une solution satisfaisante

La commission des lois du Sénat conclut que la double attribution du PED est une « construction à laquelle il était difficile d’échapper ([48]) » au vu de la nécessité de concilier les exigences du Règlement européen avec le droit pénal français.

Votre rapporteure estime cependant qu’au-delà de l’équilibre retenu en l’espèce, l’irruption des PED dans le droit français peut amener à s’interroger sur l’opportunité d’une réforme en profondeur de la procédure pénale, dans l’esprit des propositions de la Commission Justice pénale et droits de l’homme qui avait rendu son rapport final au mois de juin 1990.

L’idée d’une clarification des rôles des acteurs de la procédure pénale ([49]) se retrouvait également dans la volonté de réforme de 2009 qui avait pour ambition de supprimer le juge d’instruction pour le remplacer par un « juge de l’enquête et des libertés » (JEL). Face aux oppositions syndicales et aux délicatesses politiques, cette réforme n’a pas eu lieu ([50]). En tout état de cause, tant que le parquet français ne sera pas indépendant, la légitimité du juge d’instruction sera préservée ([51]).

La comparaison des systèmes judiciaires nationaux à l’occasion de l’adaptation, par chacun des États concernés, de sa propre organisation, donne en effet à voir une particularité française, née du code d’instruction criminelle napoléonien et qui n’est plus partagée que par quelques pays ([52]).

La suppression du juge de l’instruction (Untersuchungsrichter) en Allemagne dès 1975 a conduit à son remplacement par un juge de l’investigation ou de l’incarcération (Ermittlungs- ou Haftrichter) qui garantir l’intervention d’un magistrat dans les poursuites. Le juge d’instruction n’existe plus en Italie depuis 1989 ([53]). Sa persistance semble aujourd’hui contribuer aux divergences entre les systèmes judiciaires des États membres et a d’ailleurs rendu plus délicate l’introduction du PED en droit français que dans d’autres droits nationaux.

L’ouverture d’un débat portant sur l’existence du juge d’instruction en droit français est redoutée par une partie des organisations représentant les magistrats. Pourtant, le parti pris du ministère de la justice français a consisté à ne pas créer de nouveau statut en droit français, mais bien à s’appuyer sur les fonctions existantes de procureur de la République et de juge d’instruction pour définir les missions du PED. Ce projet de loi n’est donc pas, en la matière, porteur de grands bouleversements.

B.   La place du PED dans l’écosystème judiciaire

1.   Le statut particulier des PED

a.   La question de l’indépendance

Le Parquet européen est indépendant tant à l’égard des autorités nationales que des institutions européennes. Le projet de loi a donc pour objectif de créer les PED dans le droit national tout en évitant leur subordination au parquet national. La garantie de cette indépendance, dans le cas des PED français, appelle quelques réflexions.

En droit français, les procureurs ont un statut particulier très différent des magistrats du siège. Ils sont des fonctionnaires placés dans une situation de stricte subordination à l’égard du ministre de la justice et mettent en œuvre, sur le plan opérationnel, la politique pénale déterminée par le gouvernement. La question de la clarification du statut du parquet fait l’objet de débats depuis plus de vingt ans ([54]).

Les dispositions du code de procédure pénale relatives au lien hiérarchique ne s’appliqueront pas aux PED, ce qui permet de contourner la problématique de l’indépendance du ministère public français. Les PED seront des magistrats placés en position de détachement ([55]).

Ils ne pourront recevoir aucune instruction générale ou individuelle de la part de la direction des affaires criminelles et des grâces. En cela, leur absence de subordination aux autorités desquelles les procureurs français sont soumis est conforme à l’esprit du règlement (UE) 2017/1939.

Au-delà de cette garantie statutaire, les PED disposeront également de certaines garanties juridictionnelles de leur indépendance. La procédure de dessaisissement d’un PED est encadrée et ne peut être décidée que par la chambre permanente dans le cas où un PED serait dans l’impossibilité de conduire une enquête (article 28 paragraphe 3 du Règlement). Les révocations ou sanctions disciplinaires à l’égard d’un PED pour des raisons liées à ses responsabilités au sein du Parquet européen ne sont possibles qu’avec le consentement du chef du Parquet (article 17 paragraphe 4 du Règlement).

Concernant la poursuite de la carrière des PED, les autorités nationales « s’abstiennent de toute action ou politique pouvant influer négativement sur leur carrière ou leur statut au sein du ministère public national » (article 96 paragraphe 6 du Règlement). Malgré les inquiétudes exprimées par certaines voix syndicales ([56]), il semble probable que l’exercice du rôle de PED sera plutôt au bénéfice de l’évolution de carrière des magistrats concernés.

b.   Le point de vigilance du régime social des PED

La question de la rémunération des procureurs européens délégués (PED) cristallise les interrogations relatives à leur positionnement exact entre l’échelon européen et les États membres. Dans la mesure où ils appartiennent pleinement au Parquet européen, il serait cohérent que ces conseillers spéciaux soient intégralement rémunérés sur des fonds européens.

Cependant, ce sont les règles nationales qui s’appliquent en matière de droit du travail, qu’il s’agisse de congés maladie, parentaux ou de temps de travail, conformément à la décision 001/2020 du Collège ([57]). Aussi, les cotisations sociales afférentes à la rémunération des PED incombent aux États membres. Cette solution, cohérente avec l’application du droit national, n’est toutefois pas en ligne avec le statut des PED, pleinement au service du Parquet européen. Les cotisations sociales étant une partie de la rémunération, il n’est pas opportun qu’elles soient considérées séparément du reste du traitement.

Le ministère de la justice français s’oppose à assumer la prise en charge de la part patronale de ces cotisations sociales, ce qui aura pour conséquence de les imputer sur les rémunérations des magistrats, à l’instar des cotisations salariales. Dans la mesure où ces cotisations sont assez élevées par rapport à de nombreux autres pays de l’Union, la rémunération nette des procureurs s’en trouvera diminuée.

Par conséquent, tout magistrat ayant une dizaine d’années d’expérience et des avancements d’échelon correspondants devrait consentir à une perte de revenu afin d’exercer les fonctions de PED, alors même qu’il s’agit de fonctions exigeant de fortes compétences techniques. Du reste, la charge de travail de ces procureurs qui exerceront aussi des fonctions de juge d’instruction promet de ne pas être moins importante que celle de leurs homologues du parquet national.

Votre rapporteure souhaite appeler à revenir sur position de principe afin de permettre un recrutement de haut niveau des PED français. Les sommes en jeu ne sont pas assez importantes pour leur sacrifier l’expérience et la compétence nécessaire à l’exercice de cette mission, en particulier celle du futur chef de service.

Par ailleurs, des débats se poursuivent entre Mme Kövesi et les autorités nationales pour déterminer si les PED travailleront tous à temps plein pour le Parquet européen ou s’ils continueront à exercer, en parallèle, d’autres attributions au sein des juridictions nationales. La question a son importance pour préserver l’indépendance de ces procureurs particuliers, qui sont soumis, dans l’exercice de leurs fonctions, aux consignes du seul échelon central du Parquet européen.

2.   Les rapports avec le Parquet national financier

a.   Le rapprochement naturel

Le Parquet national financier (PNF) a été créé par la loi du 6 décembre 2013 ([58]). Doté d’une compétence nationale, il est spécialisé dans les enquêtes pénales les plus complexes dans le domaine de la délinquance économique et financière.

Les rapports entre le Parquet européen et le PNF sont intéressants à deux égards. D’abord, les PED auront à connaître de matières par nature connexes à celles qui relèvent, en France, de la compétence des procureurs financiers. Par ailleurs, le PNF, comme le Parquet national antiterroriste (PNAT), constitue un précédent en droit français de magistrats spécialisés à compétence nationale. Culturellement, leur existence fait que la création des PED est moins novatrice.

Cette proximité entre les deux parquets n’a pas échappé au gouvernement, qui propose de mutualiser les locaux et les fonctions supports actuellement à la disposition du PNF, s’agissant du greffe comme des assistants spécialisés (voir infra). Un premier vice-procureur du PNF s’est vu confier une mission de préfiguration visant à préparer l’insertion des PED dans leur nouvel environnement. L’enjeu est de créer de bonnes conditions d’accueil tout en veillant à ne pas créer de lien hiérarchique qui n’a pas lieu d’exister.

b.   Les recoupements de compétence

Jean-François Bohnert, devenu procureur de la République financier, est sensible à l’importance de la coopération judiciaire européenne ([59]) et a rappelé, lors de son audition, son attachement personnel à la réussite du Parquet européen Les organisations étant avant tout faites des hommes et des femmes qui les peuplent, il est raisonnable de s’attendre à ce que la coopération entre les deux parquets se déroule harmonieusement.

Facteur potentiel de frictions, la potentielle concurrence entre les deux organes de poursuites n’aura probablement pas lieu. En effet, leurs compétences matérielles, si elles sont proches, ne devraient pas conduire à une dépossession du PNF de son contentieux. Le PNF est actuellement chargé de six cents dossiers, là où le Parquet européen devrait s’en voir attribuer à terme soixante à cent, selon l’étude d’impact.

II.   La France peut rester une force motrice dans l’intégration de l’espace judiciaire européen

Le Parquet européen est un projet utile, nécessaire et opportun. La France s’honorera de faire en sorte qu’il réussisse, en agissant ab initio en faveur de l’augmentation des moyens mis à sa disposition. C’est un préalable à la question incontournable d’une extension de ses compétences à d’autres formes de criminalité tout aussi dommageables aux intérêts européens.

A.   Les attentes relatives à la mise en place du parquet européen

1.   Au niveau central 

Le Parquet européen doit avoir les moyens de mener sa politique. Avant même d’avoir entrepris son œuvre et pu faire ses preuves, il doit justifier de son utilité à venir afin de disposer des crédits adéquats. Dans cette négociation délicate, il importe d’avoir conscience du nécessaire soutien politique qui permettra à Mme Kövesi de commencer à travailler dans de bonnes conditions.

La question budgétaire a d’ores et déjà fait l’objet d’avancées importantes. Le financement du Parquet européen relève d’une ligne budgétaire dédiée dans le budget général de l’Union européenne, financé par les vingt-sept États membres et pas seulement par les vingt-deux participants à la coopération renforcée. À l’instar d’Eurojust, il relève des « Organismes décentralisés » du pôle « Investissement dans le capital humain, la cohésion sociale et les valeurs ».

Grâce à la volonté du commissaire à la justice Didier Reynders, le budget de fonctionnement du Parquet européen, initialement fixé à 17 millions d’euros, a été porté à 37,7 millions d’euros pour l’année 2021. Le commissaire serait partisan d’une augmentation jusqu’à 55 millions d’euros à moyen terme ([60]), chiffre pour lequel plaide également Mme Kövesi. L’augmentation des moyens se justifie d’autant plus que le Parquet européen a vocation à ramener les fonds dans le budget de l’Union et donc, virtuellement, à s’autofinancer. Plus sa dotation sera importante, plus l’effet de levier qu’il est susceptible de réaliser sur les finances publiques est puissant.

Le « bureau central » du Parquet européen disposera, à ses débuts, de 124 équivalents temps-plein (ETP), là où la procureure générale ambitionnait d’obtenir 158 ETP. Une grande partie de ces recrutements est encore en cours. La difficulté tient au besoin important de personnels dans les fonctions supports, ce qui laisse peu de place au recrutement de juristes pour appuyer le travail de fond du collège des procureurs.

Votre rapporteure souhaite encourager la France à peser dans les négociations budgétaires à venir afin que le Parquet européen puisse jouir des moyens nécessaires à l’accomplissement de sa mission dès les premières années de sa mise en place. C’est ainsi qu’il pourra justifier sur le long-terme de sa pertinence, condition nécessaire à l’élargissement de ses compétences.

2.   Au niveau national 

a.   Les effectifs des PED français

Le doublement du budget du Parquet européen s’explique principalement par la forte augmentation du nombre de PED. Initialement fixé à quarante pour l’ensemble des États participants, ce nombre a été porté à cent-quarante, permettant l’instauration d’un réseau décentralisé plus solide. Cette augmentation est largement corrélée au doublement du budget susmentionné.

La question de leur répartition a fait l’objet de discussions, le ministère de la justice ayant d’abord annoncé que l’équipe de France ne compterait que deux PED, soit le minimum prévu par le Règlement. L’Italie en prévoit vingt et l’Allemagne onze, répartis pour dix d’entre eux sur l’ensemble du territoire, le onzième étant placé auprès du parquet fédéral à Karlsruhe.

La fonction de PED sera prenante : outre la complexité des dossiers et la contrainte du travail bilingue, il faudra assumer les fonctions de procureur et de juge d’instruction, conduisant à effectuer, pour un même dossier un travail plus important qu’un procureur de la République national qui verrait le magistrat instructeur prendre le relais pour certains actes. En outre, les PED suivront leurs affaires en première instance comme en appel, où ils ne seront pas remplacés par un membre du Parquet général comme c’est le cas dans le déroulement de la procédure en droit français.

La comparaison avec les autres États, au-delà de l’enjeu d’influence au sein du Parquet européen, est aussi pertinente pour définir le volume d’affaires concernées. Le montant des infractions détectées sera au moins partiellement corrélé au produit intérieur brut (PIB) concernant les fraudes à la TVA, et au montant des subventions européennes perçues concernant les détournements de fonds publics et les faits de corruption.

Il est désormais attendu que la France dispose de cinq PED, dont un chef de service, un chiffre qui détonne moins avec les choix opérés par les autres grands pays européens.

Votre rapporteure commande qu’au terme d’une année de travail du Parquet européen, le ministère de la justice dresse un bilan de la charge de travail incombant aux PED français, afin d’évaluer le choix opéré en termes d’effectifs.

b.   L’importance des « fonctions support »

La réussite du travail des PED passe par la mise à leur disposition d’un service de greffe suffisamment bien doté en moyens de fonctionnement. Cette condition est liée à la réussite du rapprochement avec les fonctions support du PNF, évoqué supra. Une mesure raisonnable serait de renforcer le service de greffe à proportion du nombre de PED nommés par la France, donc de cinq personnes. Ces nouvelles recrues devraient être en mesure de travailler en anglais afin d’interagir avec le bureau central.  

Sur le terrain de l’expertise, la fonction d’assistant spécialisé précédemment évoquée, prévue à l’article 706 du code de procédure pénale, pourra utilement être mobilisée. Leur rôle est de mettre à disposition des magistrats une compétence dans des domaines particuliers, dans lesquels ils ont précédemment exercé des fonctions. À ce titre, le Parquet national financier pourrait mettre ses assistants spécialisés à disposition des PED, dans la mesure où les affaires dont ils seront saisis portent sur des matières très proches.

Au vu du rôle que sera amené à jouer le Parquet européen dans la répression des infractions douanières, il paraît pertinent de recruter a minima un assistant de justice spécialisé dans cette matière. De plus, il sera nécessaire de bénéficier en interne d’une compétence linguistique afin de fournir des traductions vers l’anglais ou le français de documents passant par la chambre permanente. Toute la procédure diligentée devant les juridictions françaises devra en effet être en français ([61]), ce qui impose de pouvoir réaliser des traductions à grande échelle et en temps limité. L’intelligence artificielle et la base de données IATE, gérée par le Centre de traduction des organes de l’UE ([62]), pourront être des appuis précieux, à condition d’en maîtriser l’utilisation.

Le recrutement de ces « juristes-linguistes » pourrait également se faire par le statut d’assistant spécialisé. Cette piste vient corroborer la nécessité, plusieurs fois soulignée, de mieux valoriser ces fonctions qui apportent un soutien indispensable aux magistrats.

B.   Les perspectives d’élargissement du parquet europÉen

Si le Parquet européen est une réussite, la lutte contre les atteintes aux intérêts financiers de l’Union européenne pourra n’être que le point de départ de ses attributions. Tout élargissement de ses compétences emportera des conséquences importantes en termes de recrutement, ses membres ayant été recrutés sur la base de leurs compétences en matière de lutte contre la criminalité financière.

1.   La lutte contre le terrorisme

a.   Le cadre du traité

L’élargissement des compétences du Parquet européen à la lutte contre la criminalité grave transfrontière doit nécessairement accompagner le débat qui entoure sa mise en place, dans la mesure où cette extension est prévue dans les dispositions du traité qui traitent de sa création.

Une extension des compétences du Parquet européen à la lutte contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontière est prévue à l’article 86 paragraphe 4 du TFUE. Ces domaines de criminalité particulièrement grave revêtant une dimension transfrontière sont définis à l’article 83 paragraphe 1 du TFUE et incluent les infractions terroristes.

En vertu de l’article 86 paragraphe 4 du TFUE, l’extension du champ de compétence du Parquet européen à ces domaines requiert l’unanimité au Conseil européen, après approbation du Parlement européen et consultation de la Commission européenne. En conséquence, tous les États membres, qu’ils participent à la coopération renforcée ou non, devraient donner leur accord à l’extension des compétences du Parquet européen.

Compte tenu de ce cadre procédural assez contraignant et au vu de l’absence d’unanimité quant à la création du Parquet sous sa forme actuelle, l’extension de son champ de compétences fera probablement l’objet de longues négociations complexes entre les États membres.

Parallèlement, il convient de rappeler que l’article 4 paragraphe 2 du TUE dispose que la sécurité nationale est de la seule responsabilité de chaque État membre, bien que la lutte contre le terrorisme fasse l’objet d’initiatives de coordination importantes au niveau européen. Citons la création, en 2007, du poste de coordinateur de l’UE pour la lutte contre le terrorisme occupé par le Belge, Gilles de Kerchove.

L’articulation entre ces différentes dispositions du traité doit se faire selon une volonté politique qui rassemble le plus largement possible les États membres. La France, particulièrement touchée par une recrudescence d’attentats meurtriers, pourra jouer un rôle moteur en ce sens. Cette volonté a d’ores et déjà été exprimée, à l’occasion de son « discours de la Sorbonne », par le Président de la République, qui a proposé la mise en place d’un « Parquet européen contre la criminalité organisée et le terrorisme » ([63]), reprenant l’orientation annoncée par Jean-Claude Juncker lors de son discours sur l’état de l’Union du 13 septembre 2017 et par la Commission européenne dans une communication consacrée à cet élargissement ([64]) ; Ursula von der Leyen l’a reprise dans ses orientations politiques pour la période 2019-2024 ([65]).

Le renforcement de la coopération européenne en matière de terrorisme est particulièrement d’actualité. Le 9 novembre 2020, un mini-sommet européen réunissant la France, l’Autriche, l’Allemagne et les institutions européennes a permis d’évoquer la réponse européenne face à la menace. À cette occasion, le Président de la République a appelé à un renforcement des politiques pénales et affirmé sa volonté que la présidence française permette d’avancer sur ces sujets.

b.   L’opportunité d’un tel élargissement

Plusieurs personnalités auditionnées dans le cadre des travaux de votre rapporteure se sont montrées réservées face à cette perspective. Le Parquet européen devrait d’abord faire ses preuves dans le champ de compétences qui est le sien, avant d’en envisager une extension.

La sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme sont au cœur des compétences régaliennes des États, qui sont parfois réticents à renoncer à leur marge de manœuvre en la matière. La directive du 15 mars 2017 relative à la lutte contre le terrorisme fait par exemple l’objet d’une transposition lacunaire, selon les observations de la Commission ([66]). Tous les États membres n’ayant pas repris dans sa totalité la définition de l’infraction terroriste, les droits nationaux diffèrent encore quant à cette notion.

Par ailleurs, il faudra apporter la preuve que charger le Parquet européen des poursuites en matière de lutte contre le terrorisme est conforme au principe de subsidiarité qui gouverne la construction européenne. Les États membres ne délèguent leur compétence à un échelon supranational que s’il est susceptible de mieux l’exercer. Or, si les infractions à un intérêt financier européen seront sans doute mieux poursuivies par des procureurs européens qu’au niveau national, la lutte contre le terrorisme telle qu’elle est menée par les autorités des pays touchés par ces attaques est satisfaisante. Au demeurant, la France a créé en 2019 ([67]) un Parquet national antiterroriste (PNAT) qui est en train de prouver son utilité.  

Toutefois, les derniers attentats survenus en Île-de-France, à Nice, Dresde et Vienne ont démontré la dimension européenne du terrorisme, qui s’attaque justement aux valeurs que les Européens ont en partage. À l’heure actuelle, les autorités répressives et judiciaires nationales détiennent la compétence exclusive pour les enquêtes, poursuites et renvois en jugement d’infractions terroristes. Leurs pouvoirs s’arrêtent aux frontières nationales, tandis que les infractions et activités terroristes revêtent souvent une dimension transfrontière. L’évolution du nombre de dossiers liés à la lutte contre les infractions terroristes traités par Eurojust en témoigne ([68]).

Face au constat d’enquêtes et poursuites parallèles et isolées dans plusieurs États membres, votre rapporteure souhaite donc apporter, à l’instar des députés au Parlement européen du groupe Renew ([69]), tout son soutien à cette extension des compétences à terme du Parquet européen à la lutte contre la criminalité grave transfrontière.

Cette extension ne saurait faire oublier le nécessaire renforcement des échanges d’information et de la coopération policière, menée par Europol, essentielle à la prévention des infractions, dont il est à souhaiter qu’il soit si efficace qu’il laisse peu de travail aux autorités de poursuites.

2.   La préservation de l’environnement

La protection de l’environnement est un domaine dans lequel il existe un réel esprit européen, ce dont il y a lieu de se féliciter, d’autant plus lorsque la volonté se traduit en actes concrets. Dans le contexte de l’effort budgétaire considérable que fournira l’Union au titre du cadre financier pluriannuel (CFP) pour la période 2021‑2027 et du plan de relance européen Next Generation EU, les questions environnementales et climatiques joueront un rôle primordial. Ainsi, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, a affirmé que 37 % des allocations nationales émanant du plan de relance européen devraient être consacrés à la transition écologique ([70]).

Compétent pour la poursuite des délits dits PIF et de toute activité illégale inextricablement liée à ces délits, le Parquet européen sera susceptible d’enquêter et poursuivre des détournements de fonds européens prévus pour le financement de la transition écologique, ce qui est heureux.

Le volontarisme européen en matière environnementale se reflète dans les différentes mesures prises dans le cadre du Pacte vert pour l’Europe, une orientation politique forte de la nouvelle Commission ayant vocation à irriguer l’ensemble des politiques publiques européennes. Elle révèle une croyance forte dans la valeur ajoutée que peut avoir une intervention européenne en matière de préservation de l’environnement. L’Union européenne a également joué un rôle décisif dans la négociation de l’accord de Paris sur le climat, auquel elle est partie, ainsi que les vingt-sept États membres. Aussi, une réelle conception commune de la protection de l’environnement est en train d’émerger à l’échelle de l’Union, et pourrait justifier un renforcement de la capacité d’action européenne en la matière.

En conséquent, il pourrait être pertinent de tirer avantage de la fenêtre d’opportunité concomitante à la mise en place du Pacte vert pour définir des délits relevant de la criminalité environnementale au niveau européen, comme l’instauration d’un délit de mise en danger délibérée de l’environnement, qui relèverait de la criminalité grave transfrontière. L’introduction de cette notion dans la directive 2008/99/CE ([71]) permettrait de faire obligation aux États membres de prévoir dans leur législation nationale des sanctions pénales pour les violations des dispositions relatives au droit de l’environnement.

Par nature moins sensible que la question du terrorisme, l’extension des compétences du Parquet européen à la criminalité environnementale pourrait paradoxalement, et alors qu’elle n’est pas prévue explicitement par le traité, faire l’objet d’une mise en œuvre plus rapide car elle se heurterait probablement à des oppositions moins tranchées.


L’élargissement des compétences du Parquet européen à la protection de l’environnement serait, par ailleurs, un message très positif envoyé aux citoyens européens. La sauvegarde de notre maison commune est une mission porteuse d’espoir, qui touche particulièrement les jeunes générations, dont il faut reconnaître qu’elles savent se monter plus engagées que leurs aînés dans ce combat. Notre ambition collective pour une conception plus harmonisée des infractions pénales ne doit pas perdre de vue l’optimisme ayant toujours présidé à la construction européenne, qui est un projet de dignité humaine.


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   Conclusion

 

Le Parquet européen est en train d’éclore. Fruit d’un long travail et de volontés affirmées, il est porteur de promesses réjouissantes pour la protection des intérêts des citoyens européens. C’est un projet fédérateur, empreint d’idéal mais non dénué de pragmatisme, avec un horizon de résultats concrets. Il est l’illustration même du principe de subsidiarité, qui veut que les États membres mettent en commun les compétences qu’ils ont intérêt à exercer ensemble.

Face à l’émergence de pôles d’influence juridique très puissants que sont les États-Unis et, de plus en plus, la Chine, l’Union européenne a tout intérêt à affirmer son pouvoir en tant que régulateur. Le Parquet européen peut être un instrument de notre puissance normative, pour peu que les États participants s’en donnent les moyens.  

Comme tout projet naissant, son suivi sera essentiel. Le premier rapport annuel remis par le Parquet européen sera lu avec grande attention. Il faut espérer que ces nouveaux procureurs puissent rapidement présenter des résultats encourageants, ce qui assoirait leur légitimité par l’efficacité.

Conformément à l’article 7 du Règlement, la cheffe du Parquet européen se présente une fois par an devant le Parlement européen et le Conseil, mais aussi, à leur demande, devant les Parlements nationaux, afin de rendre compte de ses activités. Votre rapporteure invite la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale à mener cet exercice régulièrement, afin de s’informer des avancées en matière de lutte contre la délinquance financière comme pour donner l’opportunité aux citoyens français de mieux connaître le Parquet européen.

 


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   TRAVAUX DE LA COMMISSION

 

1.   Audition de Mme Laura Codruța Kövesi, procureure générale du Parquet européen, et de M. Frédéric Baab, procureur européen français

La Commission s’est réunie le mercredi 4 novembre 2020, sous la présidence de Mme Sabine Thillaye, Présidente, pour entendre en audition Mme Laura Codruța Kövesi, procureure générale du Parquet européen, et M. Frédéric Baab, procureur européen français.

 

Mme la Présidente Sabine Thillaye. Je souhaite la bienvenue à Mme Laura Codruța Kövesi, procureure générale du Parquet européen, et M. Frédéric Baab, procureur européen français.

Pour notre information à tous, je signale qu’en application des décisions de la conférence des présidents, notre réunion d’aujourd’hui se tient en format mixte, en salle et en visioconférence, parce que nous serons appelés à examiner et à voter sur une proposition de résolution européenne.

Mme Kövesi et M. Baab, nous sommes particulièrement intéressés par le fait de vous entendre car la France, avec son partenaire allemand, a joué un rôle actif dans l’installation de ce procureur européen. Sa mission fait l’unanimité, puisqu’il est chargé de lutter contre la fraude aux intérêts financiers de l’Union. Cette rencontre virtuelle est donc l’occasion de témoigner du soutien des parlementaires au Parquet européen.

Ses membres, qui ont été désignés au terme d’une procédure exigeante, ont prêté serment devant la Cour de justice de l’Union européenne le 28 septembre dernier. Cette institution toute neuve est très attendue, et il s’agit d’un grand pas dans l’intégration de l’espace de liberté, de sécurité et de justice européen. Nous avons tout à gagner à ce que ses débuts soient un succès : ce Parquet européen peut devenir la démonstration éclatante que la criminalité transfrontalière ne résiste pas à une coopération avancée entre des pays partenaires aux intérêts convergents. C’est le cas des vingt-deux États qui ont choisi de déléguer leurs pouvoirs de poursuite dans un champ bien défini.

Pour cela, la France doit adapter son droit interne à l’arrivée des procureurs européens délégués, qui seront les relais du Parquet européen dans les États. C’est l’objet du projet de loi relatif au Parquet européen, actuellement examiné à l’Assemblée nationale, qui fera la semaine prochaine l’objet d’un rapport pour observations de Liliana Tanguy.

Madame la Procureure générale, Monsieur le Procureur, pourriez-vous nous présenter vos attentes et vos priorités quant à la mise en place du Parquet européen ?

Quelles sont les dernières étapes avant qu’il puisse être pleinement opérationnel ? On pense par exemple à la transposition de la directive « PIF » de 2017, qui est relative à la protection des intérêts financiers de l’Union.

Je vous laisse désormais la parole depuis Luxembourg, où se trouve le siège du Parquet.

Mme Laura Codruța Kövesi, Procureure générale du Parquet européen. Je vous remercie, Madame la Présidente, pour cette opportunité que vous m’offrez d’engager le dialogue avec les parlementaires français. Aux côtés de la Cour de justice de l’Union européenne, le Parquet européen renforcera le pilier judiciaire européen. Lorsqu’il sera pleinement opérationnel, il protégera efficacement les valeurs, les citoyens et les intérêts financiers européens.

Pour la première fois, un organe européen sera en charge de réaliser des enquêtes, de poursuivre et de porter devant les juridictions les infractions pénales à l’encontre des intérêts financiers européens. À la différence d’Eurojust, le Parquet européen ne sera pas un simple outil de coopération judiciaire ; à la différence de l’OLAF, il n’émettra pas de simples recommandations. Parquet spécialisé, sa compétence sera obligatoire pour tout soupçon de fraude impliquant les fonds européens ou de fraude transfrontalière à la TVA. Les procureurs européens délégués seront des membres actifs de leur système judiciaire national au sein duquel ils engageront les poursuites nécessaires. Le Parquet européen est ainsi un projet sans précédent et c’est un défi enthousiasmant. Notre objectif est qu’il soit opérationnel à la fin de cette année.

Depuis plusieurs mois, nous échangeons intensément avec les autorités budgétaires s’agissant du budget du Parquet européen car il nous manque encore 18 millions d’euros pour remplir nos missions. Le risque d’un blocage de notre budget est réel et c’est pourquoi nous attendons votre soutien dans ces échanges. De notre côté, nous travaillons sans relâche à compléter notre régime juridique. J’attire votre attention sur le fait que le Parquet européen se voit chargé des dépenses liées à la sécurité sociale et à la retraite des procureurs, à la demande de plusieurs États membres, dont la France. Je regrette également que la France fasse partie des États membres avec lesquels nous n’avons pas encore d’accord formel sur le nombre de procureurs européens délégués et qui n’ont pas encore finalisé l’adaptation de leur droit interne. Je compte là aussi sur votre soutien pour accélérer le processus.

La question qui se pose est très simple. Souhaite-t-on avoir un Parquet européen pour le principe, ou le veut-on indépendant et efficace ? C’est mon cas. Je veux que cette institution soit une institution forte qui renforce l’État de droit et dans laquelle les citoyens européens ont confiance. Elle doit devenir un centre d’excellence pour la confiscation des avoirs criminels, la réparation des préjudices et changer la donne en matière de lutte contre la fraude transfrontalière à la TVA.

M. Frédéric Baab, procureur européen français. Je suis heureux de ce premier contact avec vous alors que le Parquet européen est encore en phase d’installation et que toutes les adaptations législatives n’ont pas encore été faites en France.

Pour compléter le propos de Mme Kövesi, la création du Parquet européen représente d’abord un défi juridique. Il s’agit en effet de faire cohabiter deux niveaux décisionnels, un échelon central et un échelon décentralisé, celui des procureurs européens délégués, avec lesquels nous aurons à travailler au quotidien, qui dirigeront les enquêtes et exerceront des poursuites sur instruction de l’échelon central. Le Parquet européen inscrira ainsi son action dans le cadre de 22 procédures pénales différentes.

C’est également un défi institutionnel car il faudra inscrire le Parquet européen dans une galaxie déjà existante d’agences et de services européens, parmi lesquels l’OLAF, Europol et Eurojust. Nous sommes d’ores et déjà en train de négocier des accords de coopération avec ces trois organismes.

Enfin, nous aurons à relever le défi de l’opinion publique : soit nous parvenons à faire fonctionner le Parquet européen et à obtenir des résultats, notamment des condamnations, soit ce n’est pas le cas et alors, il nous sera très difficile de démontrer l’utilité et la nécessité du Parquet européen.

Mme Liliana Tanguy. L’institution du Parquet européen est un grand pas dans la consolidation du principe de l’État de droit qui fait de l’UE une communauté de droit. En participant à la coopération renforcée, vingt-deux États dont la France ont fait le choix de lutter ensemble contre la fraude aux intérêts financiers européens. C’est une victoire pour le contribuable européen qui aura ainsi l’assurance que les fonds européens iront à ce à quoi ils sont destinés : projets réels, relance économique, formation des jeunes… Je me réjouis que ce projet de Parquet européen avance et qu’il soit composé de juristes reconnus, notamment Mme Kövesi dont la pugnacité en matière de lutte contre la fraude n’est plus à démontrer.

Il n’en reste pas moins que tous les États n’en sont pas au même point s’agissant de l’adaptation de leur droit national. Que pouvez-vous nous dire des choix de la France par rapport à ceux des autres États-membres ? En tant que rapporteure pour observations du projet de loi français, je suis attaché à ce qu’on avance en cohérence avec nos partenaires européens. Je souhaite que la France reste moteur, comme elle l’est depuis le début, dans le projet de Parquet européen. Comme toute nouvelle institution, elle devra faire ses preuves et, de fait, les moyens dont elle disposera seront déterminants. Pouvez-vous nous éclairer sur le budget du Parquet européen et sur ses perspectives ?

M. Michel Herbillon. En ce qui concerne le budget du Parquet européen, vous avez indiqué qu'il manquait 18 millions d'euros : où en est-on pour la résolution de ce problème et quel budget espérez-vous obtenir ? D'autre part, quels sont les obstacles principaux à surmonter pour la mise en place du parquet, notamment du côté de la France ? Vous voulez que le Parquet européen soit une institution efficace et s'illustrant par des résultats de nature opérationnelle. Quels sont selon vous les critères clé qui permettront de mesurer le succès de cette nouvelle institution ?

M. Jean-Louis Bourlanges. Je suis heureux de ce dialogue car nous sommes nombreux à avoir voulu cette institution, et à œuvrer pour la faire aboutir. Je me réjouis de voir que vous prenez votre essor.

Je voudrais vous interroger sur la triple amputation que suppose ce mandat. D'abord sur la première, qui était voulue et nous semblait gérable au Parlement européen, et qui consiste en la séparation entre un parquet de l'Union européenne et des formations de jugement qui restent nationales. Où en êtes-vous de l'articulation concrète de vos relations avec les parquets nationaux ?

La deuxième amputation est celle du champ de compétence, limité par le règlement aux intérêts financiers, ce qui reste une notion un peu floue. Ainsi, la chute de la Commission Santer était partie d'une fraude par la direction ECHO qui a abouti à une crise politique générale. Comment comptez-vous gérer cette limitation ?

La troisième amputation tient à l’existence d’une coopération renforcée, puisque vous comprenez la majorité des États membres mais certains restent encore à l'extérieur du système. Vous allez poursuivre des infractions de caractère transfrontalier et vous retrouver en conséquence avec des acteurs situés, soit dans, soit hors du système. Enfin, nous souhaitons savoir comment vous aider pour faire de cette institution, comme nous le souhaitons dans cette commission, un vrai succès.

M. André Chassaigne. Vous avez le 28 septembre tenu une séance d'installation pour marquer les débuts officiels du Parquet européen. C'est à cette occasion que nous avons appris que cette nouvelle juridiction était prête à travailler en anglais, ce qui ne manque pas de sel au moment où nos amis britanniques quittent définitivement l'Union européenne.

Sur le fond, nous regardons avec bienveillance l'émergence de cette institution dans la version collégiale actuelle, même s'il reste à nous convaincre sur la question de l'inamovibilité des magistrats français qui seront détachés pour endosser les fonctions de procureur européen délégué. Nous demeurons dubitatifs sur ce point, comme sur celui de la procédure inventée pour s'adapter au Parquet européen : les États membres sont pour la plupart inscrits dans une tradition inquisitoire avec un juge représentant l'intérêt général, avec un pouvoir d'investigation, avec des procédures écrites, souvent secrètes, non contradictoire, contrairement à la tradition contradictoire d'autres pays. Nous pensons, à l'instar du Syndicat de la magistrature, que cette évolution pourrait nous conduire à terme vers la suppression du juge d'instruction.

Mais notre plus grande inquiétude concerne l'avenir d'un Parquet européen aujourd'hui heureusement cantonné aux affaires financières, dont nous craignons que le champ de compétence soit élargi à l'avenir, au risque d'une perte de souveraineté. Permettez-moi donc de ne pas partager l'enthousiasme de la professeure du Collège de France Mireille DelmasMarty. Nous pensons en ce qui nous concerne que la priorité doit demeurer en nos institutions nationales. Nous souhaitons que le Parquet européen reste concentré dans le champ précité, escroqueries à la TVA, faits de corruption, détournement de fonds publics, abus de confiance, blanchiment d'argent et délits douaniers. La tâche est déjà conséquente comme la manne financière à récupérer, plusieurs milliards par exemple pour la France, qui pourraient servir à la résolution de la crise que nous traversons. Pour la feuille de route, vous avez en partie répondu et j'ai noté vos trois objectifs prioritaires d'indépendance, d'efficacité et de fiabilité : avez-vous les moyens nécessaires pour assurer cette mission ?

Mme Aude Bono-Vandorme. Chargé de rechercher, de poursuivre et de renvoyer en jugement les auteurs d'infraction portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union, le Parquet européen se bâtit sur une ligne de crête entre une nouvelle volonté d'intégration européenne et le respect de la souveraineté des États. Lors de la première crise du coronavirus, des instruments de coopération judiciaire telles que les décisions d'enquêtes européennes ou les demandes d'entraide judiciaire ont pu être affectées par les contraintes liées au confinement et au télétravail avec des ordinateurs personnels non sécurisés. Ces difficultés ont par exemple conduit à la mise en place d'un groupe de gestion de crise sur le mandat d'arrêt européen en coopération avec Eurojust et le réseau judiciaire européen.

Alors que l'Europe connaît une résurgence de l'épidémie et de nouveaux confinements, quelles mesures concrètes prendrez-vous pour que le Parquet européen ne connaisse pas dès son installation les mêmes difficultés ?

Il est désormais acté que la langue de travail sera l'anglais, bien qu'aucun des pays membres de cette institution ne soit anglophone, alors que ce choix linguistique aura des conséquences très concrètes. Une langue véhicule en effet des concepts, et le droit anglo-saxon est très différent de celui pratiqué dans les autres pays continentaux, notamment au regard des mesures d'instruction ou des mesures privatives de liberté. Comment comptez-vous pallier les possibles difficultés liées à l'interprétation et aux références juridiques ?

Mme Laura Codruța Kövesi, procureure générale du Parquet européen. Concernant le montant nécessaire au lancement des opérations du parquet et nos moyens, il faut que nous ayons des procureurs européens délégués dans l'ensemble des vingt-deux États membres : on ne pourra pas commencer à fonctionner dans certains pays et pas d'autres. Il faut aussi que la directive « PIF » soit mise en place dans tous les États membres, avec une transposition effective dans la procédure nationale.

Pour les procureurs européens délégués, il y a la question de leur nombre, puis de leur mode de travail dans chaque État membre. Le nombre de procureurs européens délégués est établi par le procureur général sur la base de consultations et d'accords avec chacun des États. Pour établir le bon nombre, un des critères est celui du nombre d'affaires. Quand j'ai commencé mes travaux, ma première lettre a été envoyée aux ministères de la justice pour qu'on m'envoie les statistiques concernant le nombre d'affaires ouvertes au cours des quatre dernières années relevant des compétences du Parquet européen.

J’ai déjà un accord avec une majorité d’États membres, mais pas avec la France, puisque nos discussions en sont à leurs débuts. J’ai rencontré en France plusieurs ministres, ainsi que le procureur du parquet national financier.

Deuxième problème à traiter : le fonctionnement des procureurs européens délégués. Les procureurs délégués pourraient travailler à temps plein ou à mi-temps. Notre souhait serait d’avoir uniquement des procureurs travaillant à temps plein, car ce serait la meilleure façon d’assurer leur efficacité et leur indépendance.

Troisième point qui est à traiter : le budget. La Commission a proposé un budget de 37,5 millions d’euros, mais selon nos estimations nous aurions besoin de 55 millions d’euros pour être véritablement efficace dans notre travail. Nous avons une compétence de juridiction obligatoire : tous les délits relevant de la compétence du Parquet européen doivent faire l’objet d’une instruction. Nous devons nous saisir de toutes ces affaires, ce qui devrait représenter environ trois cent mille affaires.

Une autre question portait sur les critères de notre succès. L’enjeu est d’instaurer une véritable confiance avec les citoyens européens. Je pense que notre efficacité ne pourra être mesurée qu’à horizon deux ou trois ans. Car même si nous commençons rapidement nos instructions, aucune décision ne saurait être rendue en moins d’un an, du fait de nos spécificités et de notre obligation de respecter les droits fondamentaux. Toute décision de la Cour devra impliquer le Tribunal de première instance.

Sur la répartition des magistrats entre le parquet et le siège, nous serons en relation avec les parquets des vingt-deux États participants. Toutes les personnes appelées devant les tribunaux devront pouvoir utiliser leur langue, ce qui constitue un défi pour la traduction.

Certaines dispositions du règlement devront être interprétées par la Cour européenne de justice. Mais la compétence du Parquet européen est clairement établie dans le règlement : elle couvre la protection des intérêts financiers et la lutte contre les fraudes à la TVA transfrontalières à partir de dix millions d’euros.

Nous devrons prendre en compte de nombreux acteurs, y compris les États de l’Union européenne ne participant pas au Parquet européen, et les États tiers comme le Royaume-Uni. Il existait déjà des outils de coopération à l’échelle européenne : d’autres outils pourraient également être créés afin d’intégrer les États ne participant pas à la coopération renforcée.

Je souhaiterais parvenir à un accord avec la France sur le nombre de procureurs européens délégués. Je souhaiterais aussi que le processus de sélection de ces procureurs soit lancé : il faudrait que ces procureurs délégués soient nommés dans tous les États concernés d’ici la fin de l’année. Pour ce qui est du droit interne français, il pourrait y avoir des difficultés liées au rôle du juge d’instruction et à son articulation avec les missions du parquet.

À propos de l’indépendance du Parquet européen, mon devoir sera de m’assurer que tous les procureurs européens délégués sont effectivement indépendants et qu’il n’y aura aucune interférence avec leurs activités. Nous avons des chambres permanentes qui garantiront l’indépendance des instructions. Ces chambres représentent un nouveau système ; elles seront constituées d’au moins trois procureurs européens : par exemple un Français, un Allemand et un Slovaque, et ces trois procureurs vont superviser une instruction en Roumanie.

Du point de vue des moyens, nous disposons pour l’instant de tous les moyens juridiques dont nous avons besoin : c’est plutôt les moyens budgétaires qui risquent d’être insuffisants.

En ces temps de pandémie, nous prenons nos dispositions pour fonctionner de manière hybride, en présentiel et à distance, comme cela se passe d’ailleurs dans les États membres.

Selon l’article 1er de la décision du collège du 30 septembre, l’anglais sera la langue de travail pour les activités opérationnelles et administratives et le français sera utilisé, aux côtés de l’anglais, dans les relations avec la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Cette décision a fait l’objet de vifs débats, mais elle a été prise pour des raisons pragmatiques et d’efficacité. Notre travail consiste à mener des travaux d’instruction dans vingt-deux pays. Nous ne pouvons pas nous permettre de créer des délais supplémentaires qui auraient un impact sur les procédures judiciaires. Le parquet doit par exemple trancher le droit d’évocation en cinq jours. Si l’on devait traduire l’ensemble des informations dans une deuxième langue de travail, le Parquet européen ne pourrait pas remplir sa mission dans les délais impartis. Nous avons également dû tenir compte de considérations budgétaires : avec une seule langue de travail, nous estimons que les coûts de traduction s’élèveront déjà à 8,3 millions d’euros par an, alors que le projet de budget ne nous en accorde que 5,2 millions.

M. Frédéric Baab, procureur européen français. Plusieurs députés ont rappelé que la création du Parquet européen représentait un transfert de souveraineté à l’échelon européen. Transférer à l’échelon européen toutes les prérogatives d’action publique des parquets nationaux dans le domaine de la défense des intérêts financiers de l’Union européenne est en effet le premier objectif du Parquet européen.

Lors du lancement de l’initiative, en mars 2013, nous avons souhaité que les États membres ne disparaissent pas entièrement dans cette nouvelle structure de l’Union européenne. C’est pourquoi nous avons proposé, d’une part, que le Parquet européen ait une organisation collégiale, ce qui permet à chaque État membre d’y être représenté, et, d’autre part, que son action s’inscrive dans le cadre des procédures pénales nationales. Si nous avions fait de l’adoption d’une procédure pénale européenne le préalable à l’adoption du règlement sur le Parquet européen, nous n’aurions pas obtenu d’accord politique.

Dans le fonctionnement du Parquet européen, les enquêtes conduites dans chaque État membre seront supervisées par le procureur européen de l’État membre concerné. Le lien national entre le Parquet européen et les États membres sera donc conservé, même si la décision sur l’exercice ou non des poursuites sera prise à l’échelon européen par les chambres permanentes.

M. Bourlanges a demandé comment nous aider. Le premier moyen est d’adopter le cadre légal français dans les meilleurs délais.

Il faut aussi nous aider à résoudre la difficulté dans laquelle nous nous trouvons avec les procureurs européens délégués français. Le garde des Sceaux a récemment adressé une réponse à la Commission européenne expliquant que nous étions dans une situation de blocage en raison du statut particulier des procureurs européens délégués, qui a pour conséquence d’obliger les États membres à financer l’ensemble de leurs cotisations sociales, alors qu’ils travailleront pour le compte de l’Union européenne. En conséquence, la France ne pourra recruter des procureurs européens délégués qu’avec une ancienneté inférieure à 8 ans. Cela n’est pas compatible avec la mission du Parquet européen, qui requiert une compétence reconnue en matière économique et financière. D’ailleurs, aucun vice-procureur du parquet national financier n’a une ancienneté aussi faible.

Nous avons par ailleurs besoin d’un chef de service. Les procureurs européens délégués devront travailler en coopération étroite avec des autorités judiciaires de très haut niveau en France. Pour avoir un dialogue équilibré avec ces autorités, nous avons besoin d’avoir à la tête du service un magistrat d’un niveau hiérarchique suffisant.

Aujourd’hui, compte tenu de la position de la France, nous ne sommes pas en mesure de recruter des procureurs européens délégués et un chef de service qui aient la compétence et l’autorité nécessaires pour remplir leur mission.

Je reviens sur la question de la langue de travail. Le choix de l’anglais comme langue de travail étant sans doute la seule solution pour permettre au Parquet européen de fonctionner. Je prends l’exemple de la coopération judiciaire au sein des vingt-deux États participant au Parquet européen. La coopération entre les procureurs européens délégués sera beaucoup plus directe que dans le cadre commun de l’espace judiciaire européen : chacun devra travailler pour le compte de l’autre. Dans un système intégré, nous avons besoin d’une langue de travail unique. Nous avons été confrontés à cette question lorsque nous avons réfléchi aux conditions de recrutement des procureurs européens délégués. La première condition était les connaissances des candidats en matière économique et financière, mais la deuxième était qu’ils aient une connaissance suffisante d’une langue de travail commune qui leur permette de coopérer directement, entre eux et avec les chambres permanentes. Si nous avions exigé que le français soit la deuxième langue de travail pour le travail opérationnel, nous n’aurions eu quasiment aucun candidat.

Nous avons cependant tenu à ce que le français soit maintenu, de manière obligatoire, dans les relations du Parquet européen avec la CJUE.

Troisième sujet, la question du juge d’instruction et la manière dont sera transposé le règlement en droit français. En 2013, lorsque nous avons commencé à réfléchir à l’idée d’un Parquet européen, j’ai informé Christiane Taubira, dont j’étais le conseiller, que si nous soutenions le projet d’un Parquet européen, alors nous devrions accepter que le juge d’instruction français soit écarté de son champ de compétences. En effet, l’idée même d’un Parquet européen implique que les décisions d’action publique ainsi que le contrôle de l’enquête soient pleinement exercés au niveau européen. Or, si nous avions maintenu le juge d’instruction dans le système, nous aurions dû accepter que le Parquet européen délègue son pouvoir au profit du juge d’instruction qui aurait dirigé l’enquête et qui aurait pris lui-même la décision concernant l’exercice des poursuites. Ainsi, le maintien du juge d’instruction n’était pas compatible avec l’établissement d’un Parquet européen.

Dans le projet de loi qui vous est soumis, et que vous aurez à discuter après son passage au Sénat, le ministère de la justice a fait le choix de ne pas créer un nouveau statut spécifique pour les procureurs européens délégués. Ce nouveau statut aurait en effet pu entrer en concurrence directe avec le statut du juge d’instruction. Le choix qui a été fait permet d’intégrer dans la loi de transposition le cadre procédural français actuel, c’est-à-dire en permettant au procureur européen délégué d’exercer à la fois les compétences d’un procureur et celles d’un juge d’instruction. Ainsi, dans la loi de transposition, l’institution même du juge d’instruction n’a pas été supprimée ni écarté au profit d’un nouveau statut, mais qu’elle a été au contraire intégrée dans le cadre procédural des procureurs européens délégués.

Dernier sujet : l’extension de compétences du Parquet européen à d’autres formes de criminalité, comme les infractions terroristes notamment. Nous sommes encore, pour le moment, dans une phase de mise en place, d’installation. Réfléchir à une extension de compétences ne pourra se faire que lorsque nous aurons un premier retour d’expérience permettant de valider la pertinence d’un Parquet européen d’un point de vue opérationnel. De plus, l’article 86 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne prévoit que toute extension de compétences du Parquet européen à d’autres types d’infractions que la défense des intérêts financiers de l’Union devra être approuvée de manière unanime par le Conseil européen, autrement dit par les 22 pays participant au Parquet européen et les cinq autres États membres ne participant pas au projet. Pour obtenir un accord unanime du Conseil européen, il faudra alors que le projet d’extension des compétences du Parquet européen soit très sérieusement construit et motivé, et qu’il puisse s’appuyer sur un premier bilan d’activité.

Mme la Présidente Sabine Thillaye. Concernant le budget alloué au Parquet européen, son montant initial était de 13 millions d’euros. Par la suite, son montant a été rehaussé à 37 millions d’euros et, tout à l’heure, Madame la procureure générale a annoncé un besoin de 55 millions d’euros. Comment est en réalité financé le Parquet européen ? S’agit-il d’une ligne budgétaire faisant partie du cadre financier pluriannuel ou s’agit-il d’un financement direct des 22 États membres ?

Mme Laura Codruța Kövesi, procureure générale du Parquet européen. L’année dernière, la proposition pour le budget initial du Parquet européen était de 13,2 millions d’euros. Pour moi, il était évident que cela n’était pas suffisant pour lancer les opérations d’un Parquet européen. Sur la base de nos estimations concernant le nombre de cas potentiels, du personnel nécessaire pour assister le procureur général et pour le fonctionnement du siège, nous avons proposé un budget de 55 millions d’euros. Finalement, la proposition de la Commission a fait état d’un budget de 37,7 millions d’euros pour le Parquet européen. Ce montant couvrirait le nombre précédemment retenu de procureurs européens délégués.

La différence entre un budget de 37,7 millions et de 55 millions aurait des conséquences sur le personnel dont nous aurions besoin au siège, notamment le personnel assistant les procureurs européens délégués et les procureurs européens dans le cadre des chambres permanentes. Les procureurs européens ne peuvent pas travailler sans assistance et superviser eux-mêmes les enquêtes dans leurs propres États membres respectifs. Chaque chambre permanente doit superviser les procureurs et prendre des décisions concernant les 200 ou 250 enquêtes potentielles dont le Parquet européen serait chargé. C’est la raison pour laquelle nous avons demandé un budget de 55 millions d’euros au lieu des 37,7 millions proposés par la Commission.

En outre, nous ne pouvons pas nous permettre de commencer avec un budget de 37,7 millions d’euros et de voir par la suite pour une possible augmentation. Les affaires pénales du Parquet européen vont impliquer des personnes dotées de droits. Nous ne pouvons pas nous permettre de traiter ces affaires de manière superficielle du fait d’un manque de ressources financières.

Mme Liliana Tanguy, rapporteure. Le projet d’élargissement des compétences du Parquet européen à la lutte contre le terrorisme a été évoqué. Je souhaite faire une observation sur ce point. D’une part, il faut l’unanimité pour qu’il y ait ce transfert de compétences. D’autre part, les États membres pourraient être moins enclins à concéder ce transfert.

Néanmoins, compte tenu du contexte dans lequel nous vivons de menace terroriste extrêmement élevée, je veux faire référence aux attaques qui ont eu lieu en Autriche et en France il y a quelques jours. Il apparaît à présent clairement qu’il s’agit d’une problématique européenne. Dans ce sens, l’exécutif français et les parlementaires européens du groupe Renew ont fait une proposition pour qu’il y ait une création d’un Parquet européen antiterroriste.

S’il faut une montée en compétences du parquet une fois qu’il sera mis en place et un retour d’expérience, nous avons intérêt à faire avancer ce sujet avant que d’autres drames ne se réalisent.

Mme Laura Codruța Kövesi, procureure générale du Parquet européen. Je compléterai la réponse de mon collègue, qui a bien expliqué les raisons liées à l’élargissement du périmètre et de la compétence du Parquet européen. Bien entendu, en tant que procureurs nous souhaiterions enquêter sur toutes les affaires nécessaires. Mais, pour ce faire, nous avons besoin d’autorité policière et de services de renseignement dans le cadre de nos enquêtes.

Or, sur la base des ressources qui seront les nôtres les quatre prochaines années, il est très difficile de commencer nos activités en incluant également des affaires terroristes et autres délits et crimes. Pour que le Parquet européen fonctionne, nous devons nous concentrer sur l’efficacité, et nous avons besoin d’un budget qui soit adapté à nos besoins opérationnels.

M. Jean-Louis Bourlanges. J’aimerais faire une modulation de la question précédente. Je crois que notre rapporteure, Mme Tanguy, a en tête qu’il y a une zone grise. Je prends un exemple précis : l’argent qui est donné par l’Union européenne à l’action humanitaire peut très bien faire l’objet de détournements importants par des organisations à caractère terroriste.

Si nous nous intéressons à ces sujets, nous entrons là dans des domaines hautement régaliens. Je comprends très bien votre prudence qui consiste à dire que vous allez d’abord commencer par asseoir votre autorité, là où elle ne vous est pas disputée, et si possible continuer par la suite. C’est sagesse que de vouloir ménager sa monture.

Mme Laura Codruța Kövesi, procureure générale du Parquet européen. Je souhaite simplement faire une observation : dans nos enquêtes, nous constaterons l’existence de liens entre des fraudes financières et certains actes terroristes. Mais il faut se souvenir que nous serons toujours en contact avec les parquets nationaux. Il y aura un échange de renseignements qui se fera en temps réel. Il est important de garder à l’esprit cet élément du point de vue des liens entre financement du terrorisme et fraude financière.


Mme la Présidente Sabine Thillaye. Il me reste à vous remercier, Madame la chef du Parquet européen et Monsieur le membre français du collège des Procureurs. Je vous souhaite également beaucoup de réussite dans la mise en place de cette nouvelle structure qui est très importante. Nous avons bien noté les messages que vous nous avez passés et serons attentifs du côté français aux décisions qui seront prises.

 

2.   Examen du rapport d’information

La Commission s’est réunie le mercredi 18 novembre 2020, sous la présidence de Mme Sabine Thillaye, Présidente, pour examiner le présent rapport d’information.

Mme la Présidente Sabine Thillaye. Après avoir entendu il y a deux semaines Mme Laura Kövesi, procureure générale du Parquet européen, et M. Frédéric Baab, procureur européen français au Parquet européen, nous allons examiner à présent le rapport d’information portant observations sur le projet de loi relatif au Parquet européen et à la justice spécialisée.

Mme Liliana Tanguy, rapporteure. Je suis heureuse de vous présenter aujourd’hui le résultat de mes travaux en tant que rapporteure d’observations sur le projet de loi relatif au Parquet européen et à la justice spécialisée. Ce texte est examiné au fond par la commission des lois. Il consacre son titre premier à l’adaptation du droit français à cette nouvelle autorité de coopération judiciaire, en particulier par la création des procureurs européens délégués (PED). C’est sur ce volet que j’ai formulé des observations et des propositions.

Qu’est-ce que le Parquet européen ? L’audition de Mme Kövesi et de M. Baab nous a permis de saisir un peu mieux les contours de ce nouvel organe de l’Union, qui siégera à Luxembourg, capitale judiciaire de l’Union et devra coopérer étroitement avec Europol, Eurojust et l’Office européen de lutte antifraude (OLAF). Il s’agit d’un organe collégial, avec son collège de vingt-deux procureurs européens, et décentralisé, puisque les PED exerceront, dans chaque État membre, la conduite concrète des enquêtes et des poursuites.

Le règlement du 12 octobre 2017, qui met en œuvre une coopération renforcée concernant la constitution du Parquet européen, crée cette instance européenne indépendante disposant pour la première fois de compétences judiciaires propres en matière pénale.

Sa compétence porte sur les fraudes aux intérêts financiers de l’Union européenne, définis par la directive 2017/1371 qu’on appelle « PIF ». Il est très pertinent d’avoir commencé par ce domaine, même si j’estime, à titre personnel, qu’il faudra aller plus loin – nous y reviendrons.

En effet, frauder le budget de l’Union, c’est priver les citoyens et les contribuables européens du bénéfice de politiques publiques auxquelles ils souscrivent par le biais de leurs représentants dans les institutions européennes et qu’ils financent directement par leurs impôts. Des fonds européens détournés, ce sont des fonds qui ne servent pas à la relance, à la formation, au soutien à nos agriculteurs et pêcheurs : c’est une grave atteinte à la confiance qu’il est indispensable de maintenir dans l’action de l’Union européenne.

Le Parquet européen pourrait être très consensuel, il est pourtant très politique. La preuve, c’est que certains pays continuent de s’y opposer, ce qui explique qu’il ait fallu passer par une coopération renforcée pour le mettre en œuvre. Ce mode de création était prévu par le traité, et nous a permis d’avancer à vingt-deux pays, ce qui est tout de même remarquable. Cela a pu se faire notamment grâce à la volonté franco-allemande et grâce à la réflexion approfondie d’un groupe d’experts conduite par la professeure française Mireille Delmas-Marty que j’ai eu le plaisir d’auditionner pour ce rapport.

Nous devons nous engager pleinement dans la réussite du Parquet européen, parce que c’est un projet qui répond parfaitement au principe de subsidiarité. Certes, c’est un transfert de souveraineté, puisque nous donnons à ces procureurs européens le droit d’évoquer des affaires qui reviendraient sans cela à des magistrats nationaux. Mais ce n’est que pour des infractions qui seront, par essence, mieux poursuivies au niveau européen qu’au niveau national. C’est une conviction que j’ai acquise au gré des auditions menées avec des juristes et magistrats qui partagent tous cet avis.

J’en viens au projet de loi dont est saisie l’Assemblée nationale. Il s’agit d’un texte satisfaisant, équilibré et qui répond aux grands objectifs fixés par le Règlement européen dont il assure la mise en œuvre.

Je dis qu’il est satisfaisant, parce qu’il crée les PED en droit français, ce qui est un préalable nécessaire à leur désignation, et donc au lancement des travaux du Parquet européen. Il les crée avec des garanties d’indépendance à l’égard du ministère public français, pour qu’ils ne répondent que de la cheffe du Parquet européen.

Je dis aussi qu’il est équilibré, parce que les PED vont disposer de compétences un peu particulières. Ils pourront en effet exercer des prérogatives d’un procureur et d’un juge d’instruction, ce qui est une construction totalement nouvelle en droit français. Toutefois, cela s’est fait à partir des catégories existantes et non en créant un nouveau type de procureur. Le projet de loi ne crée donc pas le bouleversement que pouvaient craindre ceux qui souhaitent que nous gardions un juge d’instruction dans notre procédure pénale nationale.

La France doit désormais créer les conditions adéquates pour que le Parquet européen puisse commencer à exercer sa mission dans les conditions les plus favorables possible.

Pour cela, il faut soutenir les moyens du Parquet européen, qu’ils soient budgétaires ou humains. Au niveau national, cela signifie que nous devrons veiller à ce que les procureurs européens délégués soient bien rémunérés, et qu’ils aient à leur disposition les moyens logistiques et l’expertise nécessaires pour mener à bien leur mission. Au niveau européen, cela signifie plaider en faveur de l’augmentation de la dotation budgétaire qui permet de faire fonctionner le Parquet, et que le commissaire à la justice, Didier Reynders, estime encore sous-dimensionnée.

Un bon démarrage est fondamental pour que le Parquet européen puisse faire la démonstration de sa pertinence : mieux il est doté, plus il est susceptible de faire revenir les fonds détournés dans le budget européen, ce qui créera un cercle vertueux.

Le succès du Parquet européen est un préalable nécessaire à ce qu’avait annoncé le président de la République dans son discours de la Sorbonne, à savoir l’élargissement de ses compétences à la lutte contre le terrorisme.

J’ai personnellement la conviction que cet élargissement est souhaitable. L’actualité récente nous a montré que ce type de criminalité s’attaque de plus en plus à des valeurs européennes. En attaquant la ville de Stefan Zweig, le terrorisme islamiste a frappé au cœur de l’Europe, et c’est une réponse européenne qui peut permettre d’y remédier. Cela passe naturellement avant tout par le renforcement des mesures de prévention et de la coopération policière. Toutefois, il serait remarquable que les enquêtes en matière de terrorisme bénéficient du même degré d’intégration que la matière financière, afin de faciliter l’obtention de la preuve au-delà des frontières.

Pour conclure, j’aimerais souligner que ces travaux ont constitué une opportunité de mettre en lumière le fonctionnement d’une autorité européenne en plein essor. La coopération judiciaire est une matière technique mais dont les implications sont éminemment politiques et, surtout, très concrètes pour les citoyens.

J’estime qu’en tant que députés de la commission des affaires européennes, nous serions pleinement dans notre rôle en assurant un suivi du travail du Parquet européen, notamment dans les premières années de son activité, ainsi que nous y invite le Règlement européen qui l’institue. Enfin, je me réjouis de la mise en œuvre effective du Parquet européen d’ici à la fin de l’année.

Je vous remercie pour votre attention et suis désormais à l’écoute de vos questions.

L’exposé de la rapporteure a été suivi d’un débat.

Mme la Présidente Sabine Thillaye. Merci pour ce travail. On voit bien que l’on a là une véritable volonté européenne de pousser cette coopération judiciaire, et certains sujets comme le terrorisme en démontrent toute la nécessité, même si de grands progrès restent à faire. Je m’interroge toutefois sur la capacité du Parquet européen à engager ses travaux tant que tous les pays de l’Union n’auront pas transposé la directive « PIF » : il me semble que deux États membres ne l’ont pas encore fait, c’est bien cela ?

Mme Marguerite Desprez-Audebert. Je m’interroge sur un effet pervers de cette coopération renforcée qui inciterait les méfaits à être commis dans les États membres n’en faisant pas partie. Est-ce une possibilité ?

Mme Marietta Karamanli. Ce travail a demandé de nombreuses années, ainsi dès 2013 nous avons fait dans cette commission un rapport sur la mise en place du Parquet européen, et nous étions à l’initiative d’une réunion comprenant vingt-deux parlements de l’Europe. Il faut saluer ce travail fait à la fois par les parlements européens et les gouvernements passés, et je pense ici notamment à Robert Badinter.

J’aurais une question sur la répartition des rôles entre le juge du siège et le parquet pour garantir les libertés fondamentales. Le procureur européen délégué mènera l’enquête selon les règles prévues par le parquet européen, c’est-à-dire sans l’intervention d’un juge d’instruction mais avec, à la place, un « juge d’enquête » qui doit autoriser les mesures privatives de liberté pendant les investigations. Le parquet européen s’inspire donc du modèle allemand. En France, ce juge d’enquête sera le juge des libertés et de la détention (JLD) à qui on reproche souvent une insuffisante maîtrise des dossiers. Quelles conséquences ce modèle du parquet européen aura sur le rôle du juge d’instruction en France ?

Par ailleurs, est-il toujours prévu qu’il y ait un nombre de 140 procureurs délégués ?

Quelles sont les statistiques sur la fraude à la TVA ?

Quelle sera la situation administrative des procureurs français placés auprès du Parquet européen ? Seront-ils mis à disposition ou détachés ? Bénéficieront-ils de l’antériorité de leurs droits à l’avancement et à la retraite ?

Mme Aude Bono-Vandorme. Vous proposez une mesure très symbolique : l’élargissement des compétences du parquet européen aux infractions liées aux atteintes à l’environnement. Cette proposition me semble importante car la réponse judiciaire aux atteintes à l’environnement est insuffisante : peu de poursuites sont engagées, les peines sont faibles. Le projet de loi que nous allons examiner la semaine prochaine à l’Assemblée fait d’ailleurs le lien entre les deux sujets, puisqu’il comprend deux parties : une première partie adapte la législation française à la création du parquet européen, une seconde partie améliore les dispositifs actuels relatifs à la justice pénale spécialisée, dont la justice sur l’environnement.

Pourriez-vous nous dire en quoi la justice environnementale serait rendue plus efficace par cette extension des compétences du parquet européen ? Qu’est-ce que cela permettra de plus par rapport aux dispositions existantes en droit national ? Comment le parquet européen travaillera avec les parquets nationaux sur ce sujet particulier ?

M. Jean-Louis Bourlanges. Le parquet européen est un progrès mais le système mis au point repose sur une double limitation de nos ambitions initiales.

En matière d’intégration d’abord, car ce système est beaucoup plus décentralisé, beaucoup plus fondé sur le principe de subsidiarité (conformément aux demandes des parlements nationaux) : ce n’est pas forcément plus mal, car l’Union européenne est fondée sur le principe du fédéralisme coopératif, différent du fédéralisme américain, c’est-à-dire sur une coopération entre les administrations nationales dont participe le système des procureurs délégués.

Deuxièmement, nous n’avons pas réussi à convaincre tous les États et il a fallu en passer par une coopération renforcée. Il est regrettable que des pays importants comme l’Irlande n’y participent pas.

Comment faire pour sortir du blocage bureaucratique suivant : parce qu’on n’a pas voulu que les procureurs européens délégués soient pris en charge par le budget européen, on a décidé qu’ils seraient rémunérés au niveau national, mais l’État français refuse de payer les cotisations patronales en disant qu’il n’est pas leur patron. Il y a une contradiction qu’il faudra résoudre.

Mme Liliana Tanguy, rapporteure. Concernant cinq États qui n’ont pas rejoint la coopération renforcée, ce n’est pas pour autant qu’ils ne participent pas à la coopération judiciaire à travers les agences que j’ai citées, Europol et Eurojust. On ne désespère pas qu’ils rejoignent un jour le parquet européen. Pour ce qui est du Danemark et de l’Irlande, cela s’explique par leur « opt out » sur une partie des politiques liées à l’espace de sécurité, de liberté et de justice ; pour ce qui est de la Pologne et de la Hongrie, cela s’explique par des raisons politiques. La Suède devrait rejoindre bientôt la coopération renforcée.

En réponse à Mme Karamanli, je pense en effet que le siège du parquet européen aurait pu être à La Haye. Le membre français du collège d’Eurojust, Baudoin Thouvenot, le regrettait également.

En Allemagne, comme vous le rappelez, il n’y a pas de juge d’instruction depuis 1975. Néanmoins, en France le juge de la liberté et de la détention interviendra pour les mesures portant atteinte aux libertés.

Concernant le nombre de procureurs européens délégués : il y en aura bien cent‑quarante, c’est-à-dire cinq par États.

La fraude à la TVA représente un manque à gagner de 50 milliards d’euros à l’échelle de l’Union européenne : il fallait donc mettre les moyens. Nous estimons qu’il y aura entre soixante et cent affaires par an devant le parquet européen.

Concernant le détachement des magistrats français, il reste en effet le problème des cotisations sociales. Pour le moment, il est prévu de les imputer sur leur rémunération, ce qui n'est pas satisfaisant. Comme cette question concerne spécifiquement la France, je renvoie aux débats de la semaine prochaine. Nous espérons trouver une solution par le biais de primes, par exemple.

Nous souhaitons que les candidats à ces postes disposent d’une expérience certaine et d’une expertise indispensable sur ces sujets très techniques. Pour que les postes soient attractifs au –delà de sept ou huit ans d’expérience, la rémunération doit l’être également.

Les questions environnementales sont aujourd’hui au centre de l’ensemble des politiques publiques européennes ; la lutte contre la criminalité environnementale est une question qui se pose, comme en témoigne la proposition de la convention citoyenne pour le climat de pénaliser les atteintes à l’environnement.

Les infractions à l’environnement sont de plus en plus de nature transnationale. Nous pourrions envisager de fixer des normes plus contraignantes pour instaurer un délit de mise en danger de l’environnement. Une autre orientation constituerait à renforcer les outils juridiques en donnant compétence au parquet européen en matière d’environnement, mais cela suppose d’abord de caractériser les infractions.

Jean-Louis Bourlanges a évoqué deux limites au projet actuel : le fédéralisme et l’exclusion de certains pays. Le parquet européen n’est effectivement pas aussi intégré que le prévoyait le premier projet de la Commission, mais je me réjouis de l’avancée que constitue la mise en place de ce parquet à vingt-deux États membres. Instaurer un dispositif plus intégré aurait sans doute été très difficile.

Le collège ayant décidé que les cotisations étaient assurées au niveau national, des discussions sont en cours pour trouver des solutions afin que les rémunérations puissent être suffisamment attractives.

La Commission a autorisé le dépôt en vue de sa publication du rapport d’information.

 

    


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   Annexe :
Liste des personnes auditionnées

 

Parquet européen

Mme Laura Codruța Kövesi, cheffe du Parquet européen

M. Frédéric Baab, procureur européen français

 

Secrétariat général des affaires européennes (SGAE)

M. Renaud Halem, responsable du secteur Justice pénale et civile – JUD  

M. David Michel, adjoint à la cheffe du secteur Parlement national – PARL

 

Représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne

Mme Pauline Dubarry, conseillère Justice

 

Parlement européen

Mme Fabienne Keller, députée européenne (Renew) membre de la commission LIBE

 

Eurojust

M. Baudoin Thouvenot, membre français du collège

 

Ministère de la justice – Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG)

M. Rémi Decout-Parolini, directeur adjoint du cabinet

M. Guillem Gervilla, conseiller parlementaire

Mme Isabelle Jegouzo, conseillère aux affaires européennes et internationales

M. Emmanuel Razous, conseiller politique pénale

M. Olivier Christen, directeur des affaires criminelles et des grâces

 

Parquet national financier (PNF)

M. Jean-François Bohnert, procureur national financier

 


Autres personnalités

Mme Mireille Delmas-Marty, professeure des Universités

M. Jean-Luc Sauron, professeur associé à l’université Paris-Dauphine

 

Contributions écrites

Union syndicale des magistrats (USM)

Unité magistrats (SNM-FO)

 


([1])  Robert Badinter, audition par la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale, 11 février 2014.

([2]) Conseil d’État, Réflexions sur l’institution d’un Parquet européen, La Documentation française, 24 février 2011.

([3]) Commission des Communautés européennes, Livre vert sur la protection pénale des intérêts financiers communautaires et la création d’un Procureur européen, 11 décembre 2001.

([4])  Signé à Rome le 29 octobre 2004, ce traité n’a pas été ratifié.

([5]) INSEE, Tableau de l’économie française édition 2020 – Union européenne, données pour l’année 2018, 27février 2020.

([6])  Commission européenne, Study and Reports on the VAT Gap in the EU-28 Member States, septembre 2020.

([7]) Commission européenne, Fiche d’information sur le Parquet européen, 7 août 2018.

([8]) Conseil des prélèvements obligatoires, La taxe sur la valeur ajoutée – La gestion de l’impôt et la fraude à la TVA, Rapport particulier n°5, juin 2015.

([9]) GAFI/OCDE, Blanchiment de capitaux et financement du terrorisme liés au Covid-19 – Risques et réponses politiques, mai 2020.

([10]) Patrice Joly, « Fraude aux fonds européens : l’Union européenne protège-t-elle efficacement ses intérêts financiers ? », Rapport d’information fait au nom de la commission des finances du Sénat, 17 juillet 2019.

([11]) Commission européenne, Protection des intérêts financiers de l’Union européenne – Lutte contre la fraude, Rapport annuel 2015, COM(2016) 472, 14 juillet 2016.

([12]) Bulletin quotidien, « Le budget de l’UE pour les sept années à venir et le plan de relance post-covid font l’objet d’un accord provisoire », 12 novembre 2020.

([13]) Proposition de règlement du Conseil portant création du Parquet européen, COM(2013) 534 final, 17 /juillet 2013.

([14]) Cette rédaction résulte de l’adoption du traité de Lisbonne le 31 décembre 2007.

([15]) Sophie Joissans, Proposition de résolution européenne portant avis motivé sur la proposition de règlement du Conseil portant création du Parquet européen, 3 octobre 2013

([16]) Commission européenne, Communication relative au réexamen de la proposition de règlement du Conseil portant création du Parquet européen au regard du principe de subsidiarité, COM(2013) 851 final, 27 novembre 2013.

([17])  Pierre Brana,, Rapport d’information sur la lutte contre la fraude dans l’Union européenne, délégation de l’Assemblée nationale pour l’Union européenne, 22 juin 2000.

([18]) René André, Jacques Floch, Rapport d’information sur la création d’un procureur européen, délégation de l’Assemblée nationale pour l’Union européenne, 28 novembre 2002.

([19]) Déclaration de la France et de l’Allemagne sur le Parquet européen, 8 décembre 2016.

([20]) Le Courrier d’Europe centrale, « Hongrie : le Parlement rejette l’adhésion au Parquet européen anti‑corruption », 31 octobre 2018.

([21]) De manière assez éloquente, le Danemark se désengage actuellement d’Eurojust, qui fonctionne pourtant sur une base intergouvernementale.  

([22]) Règlement (UE) 1259/2010 du 20 décembre 2010 mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la loi applicable au divorce et à la séparation de corps.

([23]) Le Conseil de l’Union européenne a adopté, le 28 février 2002, la décision 2002/187/JAI instituant Eurojust.

([24]) Voir en ce sens Cass. Crim., 9 décembre 2015, n° 15-82.300.

([25]) Lothar Kuhl, Romana Panait, « Les négociations pour un Parquet européen : Un organe d’enquête et de poursuite européen pour la lutte antifraude dans l’Union européenne, ou un deuxième acteur de coordination judiciaire ? », Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, Dalloz, 2017/1.

([26]) Reuters, « L’Union européenne se dote d’une unité de lutte contre la fraude financière favorisée par la pandémie », 5 juin 2020.

([27]) Le comité de sélection est prévu à l’article 14, paragraphe 3 du règlement (UE) 2017/1939 du Conseil.

([28]) CEDH, Kövesi c. Roumanie, 5 mai 2020, n° 3594/19.

([29]) Agence Europe, « Tentative de dissuasion roumaine sur la candidature de Laura Codruța Kövesi à la tête du Parquet européen », 13 février 2019.

([30]) Le candidat proposé par la France, Jean-François Bohnert, a été nommé à la tête du Parquet national financier (PNF) en octobre 2019.

([31]) Par une décision d’exécution modifiant la décision d’exécution (UE) 2018/1696 sur les règles de fonctionnement du comité de sélection, il a été convenu que les États puissent exceptionnellement ne présenter que deux candidatures, afin de débloquer la situation de Malte, qui ne parvenait pas à désigner suffisamment de candidats éligibles.

([32]) Katalin Cseh, Ramona Strugariu,, Petri Sarvamaa, Daniel Freund, Question écrite prioritaire au Conseil P‑005542/2020, 9 octobre 2020.  

([33])  Il s’agit des procureurs originaires de Grèce, d’Espagne, d’Italie, de Chypre, de Lituanie, des Pays-Bas, d’Autriche et du Portugal.

([34]) Marietta Karamanli, Rapport sur la proposition de résolution européenne sur la proposition de règlement du Conseil, du 17 juillet 2013, portant création du Parquet européen (COM [2013] 534 final), Commission des lois de l’Assemblée nationale, 15 janvier 2014.

([35]) Cet instrument de coopération vise à obtenir des éléments de preuve dans un autre pays de l’Union européenne (hors Danemark et Irlande). Il a été créé par la directive 2014/41/UE du Parlement européen et du Conseil du 3 avril 2014 concernant la décision d’enquête européenne en matière pénale.

([36]) Cette procédure est prévue au point 4 de l’article 28 du règlement (UE) 2017/1939.

([37]) La Cour de justice peut être saisie par le biais du recours préjudiciel et exerce un contrôle direct, entre autres, sur les classements sans suite.  

([38])  Jacques Bigot, Sophie Joissains, Rapport d’information n°509 (2018-2019) sur la coopération judiciaire en matière pénale et la mise en œuvre du Parquet européen fait au nom de la commission des affaires européennes du Sénat, 16 mai 2019.

([39]) Règlement (UE) 2018/1727 du 14 novembre 2018 relatif à l’Agence de l’Union européenne pour la coopération judiciaire en matière pénale (Eurojust) et remplaçant et abrogeant la décision 2002/187/JAI du Conseil.

([40]) Gesetzentwurf der Bundesregierung zur Umsetzung der EU-Verordnung 2017 / 1939 des EU-Rates vom 12. Oktober 2017 zur Durchführung einer verstärkten Zusammenarbeit zur Errichtung der Europäischen Staatsanwaltschaft, 28 mai 2020.

([41]) Didier Reynders, conférence de presse à l’issue du Conseil JAI, 9 octobre 2020.

([42]) Conformément à l’article 107 paragraphe 2 du Règlement.

([43]) Article 1er de la décision du collège des procureurs européens sur le régime linguistique interne, 30 septembre 2020.

([44]) À Malte, où l’anglais est la deuxième langue officielle, le maltais la langue maternelle de 95% de la population, tandis que l’anglais est parlé comme langue étrangère par 89 %. Commission européenne, Rapport Les Européens et leurs langues, février 2012.

([45]) Si le collège travaille en anglais, les réunions de coordination entre autorités de poursuite nationales se tiennent sous le régime du multilinguisme.  

([46]) Article 3, College Decision 001/2020 laying down rules on conditions of employment of the European Delegated Prosecutors, 29 septembre 2020.

([47]) Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. 

([48]) Philippe Bonnecarrère, Rapport n° 335 (2019-2020) fait au nom de la commission des lois du Sénat, 19 février 2020.

([49]) Jean-René Lecerf, Jean-Pierre Michel, Rapport d’information n° 162 (2010-2011) fait au nom de la commission des lois de l’Assemblée nationale, déposé le 8 décembre 2010.

([50]) Samuel Laurent, « Procédure pénale : histoire d’une réforme avortée », Le Monde, 14 mai 2010.

([51]) Pascal Gastineau, « Le procureur européen délégué est un faux procureur », Le Monde, 20 août 2019.

([52])  Les juges d’instruction existent dans une forme proche dans quelques pays européens (Pays-Bas, Grèce, Belgique, Luxembourg, Autriche, Slovaquie, Slovénie). Voir Jean Cédras, « La spécificité du juge d’instruction français au sein des procédures pénales européennes », Revue internationale de droit pénal, 2010/1-2.

([53]) Op. cit. Lecerf, Michel, 2010.

([54]) Amaury Bousquet, Sélim Brihi, « Clarifier le statut du parquet pour restaurer la confiance », Dalloz actualités (en ligne), 25 septembre 2020.

([55]) Possibilité prévue par l’article 72 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 relative au statut de la magistrature.

([56]) Syndicat de la magistrature, Observations sur le projet de loi relatif au Parquet européen et à la justice pénale spécialisée, 14 février 2020.

([57]) Op. cit. College Decision 001/2020.

([58]) Loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière.

([59])  AFP, « Jean-François Bohnert « Un magistrat au profil européen », 9 octobre 2020.

([60]) Camille Frati, « Reynders milite pour un Parquet européen mieux doté », Paperjam, 21 octobre 2020.

([61]) Ordonnance du 25 août 1539 sur le fait de la justice dite « ordonnance de Villers-Cotterêts »..

([62]) La base de données terminologique multilingue de l’Union européenne a été lancée en 1999. Elle est utilisée par les institutions et agences de l’UE depuis 2004.

([63]) Emmanuel Macron, Discours pour une Europe unie, souveraine et démocratique, Paris, 26 septembre 2017.

([64]) Communication de la Commission européenne, « Une Europe qui protège: une initiative pour étendre les compétences du Parquet européen aux infractions terroristes transfrontières », COM(2018) 641 final, 12 septembre 2018.

([65]) Ursula von der Leyen, candidate à la présidence de la Commission européenne, Une Union plus ambitieuse : Mon programme pour l’Europe, 2019.

([66])  Rapport de la Commission européenne au Parlement européen et au Conseil sur la mise en œuvre de la directive (UE) 2017/541 relative à la lutte contre le terrorisme, COM(2020) 619 final, 30 septembre 2019.

([67]) Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.

([68])  De 41 dossiers en 2015, il est passé à 67 dossiers en 2016 et 87 en 2017.

([69]) Une question écrite à la Commission a été posée en novembre 2020 par vingt-deux députés membres du groupe Renew au Parlement européen afin d’appeler à l’extension des compétences du Parquet européen à la criminalité terroriste transfrontière.

([70]) Urusla von der Leyen, Discours sur l’état de l’Union, 16 septembre 2020.

([71]) Directive 2008/99/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008 relative à la protection de l’environnement par le droit pénal. Cette directive n’a fait l’objet d’aucune mesure de transposition en droit français, car les autorités nationales ont estimé que ce n’était pas nécessaire, le droit national étant au moins aussi contraignant en l’état.