N° 3633

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 2 décembre 2020.

RAPPORT D’INFORMATION

 

 

 

DÉPOSÉ

 

en application de l’article 145 du Règlement

 

PAR LA MISSION D’INFORMATION ([1])

 

sur l’impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l’épidémie de Coronavirus-Covid 19,

 

(dotée des pouvoirs d’enquête)

 

ET PRÉSENTÉ PAR

 

M. Julien Borowczyk, Président,

 

et

 

M. Éric Ciotti, Rapporteur,

 

 

Députés.

 

——

 

 

 

La mission d’information, créée par la Conférence des présidents, est composée de : M. Julien Borowczyk, président ; M. Éric Ciotti, rapporteur ; M. Damien Abad, M. Julien Aubert, Mme Sophie Auconie, M. Olivier Becht, M. Pierre Dharréville, M. Nicolas Démoulin, M. Jean-Pierre Door, Mme Caroline Fiat, M. Jean-Jacques Gaultier, Mme Anne Genetet, Mme Valérie Gomez-Bassac, M. Guillaume Gouffier-Cha, M. David Habib, Mme Monique Iborra, M. François Jolivet, Mme Annaïg Le Meur, Mme Sereine Mauborgne, M. Patrick Mignola, M. Bertrand Pancher, M. Patrice Perrot, Mme Michèle Peyron, M. Jean-Pierre Pont, M. Bruno Questel, Mme Stéphanie Rist, M. Joachim Son-Forget, M. Bruno Studer, M. Jean Terlier, M. Philippe Vigier, M. Boris Vallaud ; et en tant que présidents ou représentants de groupe : M. Jean-Christophe Lagarde, Mme Valérie Rabault, M. Éric Coquerel, Mme Josiane Corneloup, Mme Pascale Fontenel-Personne, M. Stéphane Peu, Mme Martine Wonner.


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SOMMAIRE

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Pages

AVANT-PROPOS DE M. JULIEN BOROWCZYK, PRÉSIDENT DE LA MISSION

INTRODUCTION

PREMIÈRE PARTIE : UN PAYS MAL PRÉPARÉ FACE À UNE CRISE MAJEURE

I. Le dÉlaissement progressif de la prÉparation au risque pandÉmique et la réduction des stocks stratégiques

A. l’affaiblissement de la prÉparation au risque pandÉmique

B. une rÉduction des stocks stratÉgiques engagÉe, à bas bruit, depuis plusieurs annÉes

1. Une réduction des stocks stratégiques de l’État entre 2012 et 2020, en raison d’évolutions doctrinales supposées et d’une gestion critiquable

a. L’exclusion des soignants du périmètre des stocks stratégiques de masques sur la base d’une interprétation discutable

b. Le passage à un stock tampon de masques chirurgicaux n’a pas suffisamment pris en compte l’hypothèse d’une rupture d’approvisionnement

c. Un stock stratégique de médicaments antiviraux considérablement réduit reposant sur des capacités de commande sujettes à interrogation

2. L’absence de supervision des ministres et des cabinets sur le contenu de ces stocks ?

a. Une évolution constante des stocks à la baisse depuis 2012

b. Une évolution qui semble s’être opérée dans l’indifférence du pouvoir politique

II. l’approvisionnement en Équipements de protection individuelle : une crise logistique majeure

A. SPF : un outil qui s’est révélé inadapté et sous-dimensionné

1. L’intégration de l’EPRUS à Santé publique France : la perte d’un opérateur logistique efficace

2. La mise en place indispensable d’une cellule logistique pour suppléer Santé publique France

B. des commandes massives vers l’asie qui ont été passées au prix fort

1. Des premières commandes limitées et qui interviennent dans un marché international déjà tendu

2. Des commandes finalement massives mais passées au prix fort

a. Une mobilisation des capacités de production nationale limitée en raison du démantèlement de la filière

b. Le coût de l’impréparation : des commandes passées en Chine à des prix élevés à acheminer par un pont aérien

C. Une distribution chaotique organisée par un opérateur en surchauffe

1. Une distribution chaotique qui a perturbé l’activité des personnels soignants à l’hôpital ou en ville

2. L’impossibilité pour Santé publique France d’assurer une distribution efficace

a. Des capacités de stockage inadaptées

b. Une « libération » des produits trop lente

c. Des sous-effectifs chroniques qui traduisent une capacité logistique insuffisante

d. Une incapacité à assurer le suivi du stock

3. Le recours trop limité aux préfets et aux capacités logistiques des sapeurs-pompiers et de l’armée

D. la confusion et les messages contradictoires sur le port du masque grand public

E. La préparation logistique satisfaisante de la seconde vague doit être prolongée

1. La reconstitution des stocks d’EPI

2. L’adaptation du schéma logistique

DEUXIÈME PARTIE : UNE GESTION DE CRISE QUI A SOUFFERT DE L’ABSENCE DE PILOTAGE UNIFIÉ ET D’UNE DÉCLINAISON TERRITORIALE COMPLEXE

I. AU NIVEAU NATIONAL, L’ABSENCE DE PILOTAGE UNIFIÉ ET LA MULTIPLICATION DES INSTANCES ONT ENTRAÎNÉ CONFUSION ET PERTE D’EFFICACITÉ

A. une rÉaction décalÉe par rapport à la perception précoce des alertes

B. Une gestion trop longtemps insuffisamment interministérielle

1. Une gestion assurée par le ministère en charge de la santé et de ce fait principalement abordée sous le prisme sanitaire

2. L’activation tardive de la CIC, restée à l’écart du processus décisionnel

C. L’absence de pilotage unifiÉ a été source de confusion

1. La multiplication des instances décisionnelles et consultatives

2. La difficulté d’identifier un pilote unique

D. Le risque de paralysie de l’action publique par la judiciarisation

1. Le cadre général de la responsabilité des élus en cas d’infraction non intentionnelle

2. Une première étape, nécessaire, a été franchie par la loi du 11 mai 2020

3. Les enjeux d’une réflexion globale

E. des exemples Étrangers de gestion de crise

1. L’anticipation des pays asiatiques : facteur clé de la réussite de la réponse

2. La gouvernance de la crise en Allemagne : le fédéralisme et son adaptabilité ont permis une organisation générale efficace des pouvoirs publics

II. la nécessité de territorialiser les dispositifs de gestion des crises sanitaires

A. La gestion de crise a révélé les limites inhérentes aux ARS

1. Des agences paradoxalement centralisées et déconnectées de leur environnement territorial

2. La compétence des ARS en matière de gestion des crises sanitaires doit être revue

B. Une déconcentration et une décentralisation indispensables des politiques de santé

1. L’échelon départemental doit redevenir la tête de proue de l’État déconcentré

2. Faire des collectivités territoriales de véritables acteurs en matière sanitaire

C. Pourtant En première ligne, le rôle joué par les collectivités locales n’a pas été reconnu à sa juste valeur

1. La mobilisation, exemplaire, à tous les niveaux, des collectivités territoriales

2. Le binôme maire-préfet doit être consolidé

III. le retard initial en matière de tests virologiques a conduit à une stratégie incertaine : celle d’un rattrapage précipité

A. Entre janvier et avril, l’ABSENCE DE déploiement d’une stratégie de diagnostic ET de dépistage ambitieuse

1. Le développement des techniques de dépistage en France : un bon départ rapidement gâché

2. Une mobilisation des laboratoires qui n’a rien eu de « remarquable » dans les premiers temps de la crise sanitaire

a. Une montée en charge des laboratoires hospitaliers progressive mais qui est restée limitée

b. La participation des laboratoires de ville freinée par des lourdeurs administratives

c. Un retard difficile à justifier concernant les laboratoires publics

3. Les conséquences de quatre mois de tâtonnements

a. Entre janvier et avril, les incertitudes stratégiques ont affaibli la lutte contre l’épidémie

b. En comparaison avec l’Allemagne, un retard initial dans la capacité de tester fortement préjudiciable

B. De mai à septembre, la stratégie de déconfinement est progressivement mise en PÉril

1. Les fondations fragiles du pilier numéro un de la stratégie de déconfinement

2. Fallait-il massifier brusquement le dépistage ?

a. Cette décision peut s’expliquer par les retards initiaux

b. Des conséquences non anticipées sur le dispositif

3. L’embolie du mois du septembre

a. Impréparée, la massification du dépistage s’est avérée incompatible avec la stratégie de déconfinement

b. L’embolie du dispositif de dépistage s’est répercutée sur la lutte contre l’arrivée de la deuxième vague

4. Un nouvel élan dans la stratégie de dépistage

IV. La lutte contre la circulation de l’épidémie aurait dû passer par un contrôle renforcé des frontières

1. Une gestion désordonnée n’a pas permis de freiner l’arrivée du virus

2. L’organisation des contrôles sanitaires a été installée dans une certaine confusion

V. une sous-estimation du risque de seconde vague : des mesures insuffisamment restrictives à l’été ?

TROISIÈME PARTIE : UN SYSTÈME DE SOINS FORTEMENT ÉPROUVÉ PAR LA CRISE

I. L’hospitalo-centrisme a été un facteur AgGravant de la situation critique de L’hôpital

A. un dispositif de crise centré sur l’hôpital

1. Un dispositif de crise qui a reposé sur le 15 et les numéros d’urgence, avec le risque de leur saturation

2. La médecine de ville a été largement écartée de la première réponse à la crise

a. Des patients dissuadés de se rendre dans les cabinets médicaux

b. Un empêchement majeur : des praticiens dépourvus d’équipements de protection individuelle

c. La reconnaissance du rôle de la médecine de ville pour faire face la deuxième vague épidémique

3. Le temps perdu dans le recours au secteur hospitalier privé

a. Des établissements hospitaliers privés difficilement impliqués dans le dispositif de gestion de crise au démarrage de l’épidémie

b. Une implication progressive

B. UnE réponse à la crise menée auX dépenS de la continuité des soins et de la prise en charge de nos aînés

1. Un recul des soins aux lourdes conséquences

a. La lutte contre l’épidémie a été menée aux dépens de la continuité des soins

b. Des conséquences préoccupantes en termes de santé publique

2. Au cœur de la crise, l’accès à l’hôpital et en service de réanimation des personnes âgées en question

a. Les difficultés rencontrées pour l’accès des résidents à l’hôpital au pic de la crise

b. L’accès des personnes âgées en services de réanimation en question

II. Un système de soins éprouvé par l’épidémie

A. LE SYSTÈME HOSPITALIER FRAGILISÉ, A PRIS DE PLEIN FOUET LA CRISE SANITAIRE

1. Une situation critique face à l’ampleur et à la gravité de l’épidémie

a. Des régions en grande tension

b. Une première vague marquée par un nombre d’admissions à l’hôpital et en services de réanimation extrêmement important

c. Le personnel soignant n’a pas été épargné par la crise épidémique

2. Une crise intervenue sur un système de soins fragilisé

B. des MESURES d’urgence pour prendre en charge les malades graves

1. L’augmentation des capacités d’accueil à l’hôpital et en services de réanimation

2. Le transfert de patients vers d’autres régions pour soulager la saturation hospitalière

3. Le recours tous azimuts à des renforts en personnels soignants

C. Les difficultés de la réorganisation du systÈme de soins

1. Des besoins en respirateurs pour la réanimation

a. Un nombre de respirateurs insuffisant pour prendre en charge l’ensemble des patients en réanimation

b. Des commandes lancées rapidement mais qui n’ont pas toujours répondu aux besoins

2. Un manque de personnel soignant que la réserve sanitaire n’a pas été en mesure de pallier

a. Face à l’ampleur de la crise, la réserve sanitaire n’a pas été un outil suffisamment opérationnel

b. La crise a exacerbé des difficultés de personnel qui sont structurelles

3. De très fortes tensions s’agissant des médicaments nécessaires à la réanimation

a. Un risque de pénurie de médicaments lié à une consommation très importante et à l’explosion de la demande mondiale pour certaines molécules

b. Un plan d’action mis en place par l’État pour un approvisionnement sur le fil du rasoir

D. la persistance des tensions pendant la deuxième vague témoigne de difficultés structurelles

1. Le Ségur de la Santé traduit une prise conscience de la nécessité d’un investissement dans le système de soins

a. Les mesures à destination des personnels soignants

b. Des investissements supplémentaires dans le système de soins

2. Des tensions qui témoignent néanmoins de la persistance de problématiques structurelles

a. La seconde vague épidémique place de nouveau l’hôpital en situation critique

b. Le manque structurel de personnels soignants, demeure la principale limite à l’augmentation du nombre de lits de réanimation et de soins critiques

III. les EHPAD et les services d’aide à domicile, les oubliÉS de la premiÈre vague de l’ÉpidÉmie

A. une réponse qui a tardé à s’organiser malgré une situation critique

1. Les résidents des établissements pour personnes âgées ont été les premières victimes de l’épidémie

a. Ces établissements ont payé un très lourd tribut à la crise

b. Un comptage des décès d’abord défaillant

2. Le retard dans l’accompagnement fourni aux EHPA et aux services à domicile pour lutter contre l’épidémie

a. Le retard dans la prise de conscience de la gravité de la situation et dans les premières mesures

b. Des manques avérés en matériel de protection dans les établissements et les services d’aide à domicile

c. Un recours aux tests diagnostiques dans les EHPA qui aurait dû être dès le début prioritaire

3. Des consignes complexes à mettre en place dans les établissements

a. Des directives évolutives et parfois inadaptées à la situation des établissements et de leurs résidents

b. Des décisions qui ont posé des questions éthiques importantes

B. L’INSUFFISANTE MÉDICALISATION DES EHPAD DANS UN CONTEXTE DE CRISE SANITAIRE

1. Une prise en charge complexe des malades de la Covid-19 en établissement

a. Des établissements insuffisamment médicalisés pour prendre en charge les patients Covid

b. La mise en place, à partir de la fin mars, d’astreintes gériatriques et d’équipes mobiles de gériatrie pour soulager les établissements

2. La crise a mis en lumière les limites du modèle des EHPAD

a. Vers la fin d’un modèle ?

b. La nécessité d’une plus grande médicalisation de ces établissements

PROPOSITIONS

EXAMEN EN COMMISSION

PERSONNES AUDITIONNÉES

CONTRIBUTIONS

ANNEXES


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   AVANT-PROPOS DE M. JULIEN BOROWCZYK, PRÉSIDENT DE LA MISSION

Depuis le début de l’année 2020, le monde, l’Europe et la France sont confrontés à une crise sanitaire majeure, polymorphe et sans précédent. Face à l’ampleur et à la durée de cette crise, cet avant-propos ne pouvait commencer autrement que par l’expression renouvelée, au nom de l’ensemble des membres de la mission d’information, d’une profonde reconnaissance envers les personnels soignants pour leur courage et pour leur dévouement sans limites.

À titre liminaire, votre président souhaite saluer la sérénité avec laquelle le travail de la mission d’information, dotée des pouvoirs d’une commission d’enquête, a été conduit depuis six mois. Il entend également témoigner de la très grande implication des membres de la mission d’information et plus particulièrement celle de son rapporteur. De son côté, votre président s’est astreint à un strict respect du règlement de notre Assemblée en octroyant une totale liberté d’investigation au rapporteur et en communiquant les pièces annexes aux auditions aux commissaires. C’est avec cette volonté intransigeante de se conformer aux textes législatifs et réglementaires qu’il lui est apparu indispensable que ces six mois de travail se concluent par un rapport, quand bien même la crise sanitaire n’est pas encore terminée.

Il apparaît néanmoins regrettable que certaines des auditions aient été éludées dans le présent rapport. Elles revêtaient pourtant une importance capitale et témoignaient du professionnalisme des équipes soignantes et de leur bienveillance envers tous les patients nécessitant des soins. Si le présent rapport apparaît à charge, notamment envers les personnels soignants, votre Président souhaite insister sur le constat dressé, en creux, de la formidable capacité de notre pays à réagir dans une séquence en tous points redoutable. Le respect des recommandations sanitaires internationales et des avis spécialisés français et européens ont contraint une communication parfois complexe à assimiler pour nos concitoyens mais qui a été in fine éclairée par les évolutions des connaissances médicales sur l’épidémie.

Si certains processus de préparation ou de réaction doivent être urgemment remis en question, il convient de souligner que la réponse à d’éventuelles crises futures ne pourra s’opérer sans une plus grande fluidité et une meilleure agilité de nos institutions réformées. Une souplesse accrue des démarches est d’ailleurs instamment demandée par les équipes soignantes afin de faciliter leur tâche au quotidien. En complément de ce constat liminaire, votre président a jugé opportun d’apporter un éclairage spécifique sur les points de divergence qui sont apparus avec les conclusions présentées par rapporteur.


Premièrement, s’agissant de l’organisation de la réponse à la crise et de sa chronologie propre. Les alertes précoces ont été perçues, dès les premiers jours de janvier, par le ministère chargé de la santé. La réponse apportée a alors été conforme aux informations scientifiques et aux messages des autorités internationales : activation du niveau 1 du centre opérationnel de régulation et de réponse aux urgences sanitaires (CORRUS) le 2 janvier ; décision d’un suivi quotidien par la direction générale de la santé à partir du 7 janvier ; note quotidienne du CORRUS à la ministre à partir du 10 janvier. La menace a été prise au sérieux, comme l’illustre la décision d’organiser une conférence de presse quotidienne sur le sujet, par la ministre ou le directeur général de la santé, à partir du 21 janvier. Le centre de crise sanitaire du ministère de la santé est activé le 27 janvier, alors qu’il n’y a encore qu’un seul cas recensé sur le territoire français, importé de Wuhan. Enfin, dès la fin du mois de janvier, le test, l’isolement et le tracing des premières personnes contaminées ou suspectes de l’être sont organisés, et les premières commandes de masques sont passées. Ceci mérite d’autant plus d’être souligné que l’OMS ne déclare l’urgence de santé publique de portée internationale que le 30 janvier et que les inconnues scientifiques sont alors encore nombreuses.

 

Par ailleurs, il est essentiel de souligner que le travail interministériel n’a pas attendu la constitution de la cellule interministérielle de crise pour être engagé. Plusieurs réunions interministérielles ont lieu en janvier, dont une le 26 janvier à laquelle participe le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN). Le SGDSN organise ensuite, le 29 janvier, une réunion avec les hauts fonctionnaires de défense et de sécurité adjoints, sur le sujet de la continuité des activités gouvernementales. Mi-février est constituée une task force interministérielle pour aborder l’ensemble des conséquences de la crise. Par ailleurs, la nature essentiellement sanitaire de la crise justifie que son pilotage ait été, dans un premier temps, confié au ministère de la santé ; le transfert des responsabilités à d’autres directeurs de crise, en d’autres lieux, selon d’autres modalités aurait pu, au contraire, entraîner de la confusion et des retards s’il n’avait pas été opéré au bon moment. En revanche, les difficultés soulevées par le rapport du Général Lizurey relatif au contrôle qualité de la gestion de crise ont été corrigées au fur et à mesure : le dispositif de crise a ainsi été progressivement réorganisé pour unifier le pilotage autour du centre interministériel de crise qui sera créé fin mai, sur la base des recommandations formulées au fil de l’eau. Au total, quinze de ses vingt-et-une propositions ont été mises en œuvre.

 

Deuxièmement, s’agissant des approvisionnements en équipements de protection individuelle, qui ont représenté un défi logistique majeur. Santé publique France s’est, sans conteste, trouvée dans l’incapacité d’assurer ses missions de réponse aux crises sanitaires en raison de son sous-dimensionnement et de son manque de préparation à l’éventualité d’une crise de cette ampleur. Aussi, la réforme de cette agence ou, à tout le moins, de la fonction de gestion opérationnelle de crise qui lui incombe, apparaît indispensable. Néanmoins, l’organisation ad hoc qui a été mise en place au début du mois de mars s’est avérée particulièrement efficace : la cellule de coordination interministérielle logistique et des moyens sanitaires (CCIL) s’est ainsi assurée de la recherche de fournisseurs, a organisé les négociations et l’acheminement des équipements, etc. Elle a rendu possible l’obtention de masques et d’EPI dans un contexte international de pénurie auquel tous les pays ont été confrontés, situation certes accentuée en France par la réduction des stocks stratégiques engagée depuis plusieurs années. Cette évolution regrettable appelle également une réflexion stratégique sur la nature et le dimensionnement des stocks à conserver sous la responsabilité du ministère de la santé. Il n’en demeure pas moins que ces équipements ont été achetés, puis acheminés avec une grande réactivité, illustrée notamment par la mise en place historique d’un pont aérien puis maritime.

 

La priorité donnée à leur distribution aux régions en difficulté et aux personnels soignants a permis de résorber en premier lieu les tensions dans les établissements de santé. Si ces tensions sont indéniables, elles ont ainsi pu être gérées, et les pénuries évitées en beaucoup d’endroits, comme l’ont indiqué Mme Karine Lacombe, cheffe de service des maladies infectieuses à l’hôpital Saint-Antoine, à Paris ([2]) ou M. Christophe Gautier, directeur général des Hôpitaux universitaires de Strasbourg ([3]) lors de leurs auditions par la mission.

 

Troisièmement, s’agissant de la communication du Gouvernement et, en particulier, des messages relatifs au port du masque par le grand public. Ces messages ont été guidés par les connaissances scientifiques et les consignes internationales, émanant notamment de l’OMS. Alors que l’existence de formes asymptomatiques était inconnue, pourquoi aurait-il fallu recommander le masque à des personnes non malades ? Alors que la possible persistance du virus dans les aérosols était ignorée, pourquoi aurait-il fallu recommander le masque à des personnes qui pouvaient maintenir entre elles une distance suffisante pour limiter la contamination par gouttelettes ?

 

L’OMS indiquait elle-même, le 6 avril 2020, dans ses orientations provisoires, qu’« aucune donnée ne montre actuellement que le port du masque (médical ou d’un autre type) par les personnes en bonne santé dans les espaces collectifs, y compris s’il est généralisé, peut prévenir les infections par des virus respiratoires, dont celui de la covid-19 » précisant, au contraire, que « le port du masque médical dans les espaces collectifs peut créer un faux sentiment de sécurité et amener à négliger d’autres mesures essentielles, comme l’hygiène des mains et la distanciation physique, inciter les personnes à se toucher le visage ou les yeux, entraîner des coûts inutiles et priver de masques les soignants, qui en ont le plus besoin, surtout en cas de pénurie ».

 

Quatrièmement, s’agissant de la préparation de la seconde vague. Le risque de seconde vague n’a jamais été minoré ou ignoré, comme en témoignent les interventions du ministre de la santé et du Premier ministre pendant l’été ([4]). Cette vigilance, et l’adoption de mesures, ont ainsi permis d’endiguer la résurgence de l’épidémie en Mayenne. En revanche, les mesures prises de manière précoce dans certaines villes du Sud de la France où le virus recommençait à circuler, comme à Marseille, ont été mal reçues par la population et les élus locaux, mettant l’accent sur la nécessaire acceptabilité sociale de nouvelles restrictions.

 

Par ailleurs, en prévision de cette seconde vague, des stocks de sécurité de masques et d’EPI ont été constitués, permettant de dépasser la cible d’un milliard de masques au mois de septembre, et un nouveau schéma logistique a été conçu pour dépasser les difficultés de la mise en place de la distribution lors de la première vague. Cette anticipation est à saluer.

 

Cinquièmement, le déploiement des tests virologiques s’est en effet étalé sur plusieurs semaines, le Président de la République ayant reconnu, lors de son allocution du 28 octobre 2020, que la France n’était pas allée assez vite sur cet enjeu. Rappelons néanmoins que ce déploiement s’est organisé alors que les Français étaient confinés et que le passage en phase 3 de l’épidémie conduisait à ne plus effectuer de dépistage systématique des personnes symptomatiques. Surtout, le retard initial a fini par être rattrapé : aucun État paralysé par sa bureaucratie ou par son manque d’agilité n’aurait pu réaliser plus de 20 millions de tests depuis le début de la crise. Lors de la semaine du 19 octobre, la France a d’ailleurs effectué plus de tests que l’Allemagne : 1,4 million. La semaine suivante, ce sont même 1,5 million de Français qui étaient dépistés. Les autorités sanitaires, appuyées par une mobilisation générale des laboratoires, quel que soit leur statut, ont réussi le pari d’un déploiement massif et efficace des capacités de dépistage : cette réussite mérite d’être soulignée.  

Enfin, le système de soins dans son ensemble, a fait preuve d’une capacité d’adaptation inédite, face à une crise sanitaire d’une ampleur sans précédent. La rapidité avec laquelle s’est propagée l’épidémie et le  nombre très important de personnes atteintes de formes graves de la maladie ont certes constitué un véritable choc, expliquant les tensions rencontrées en termes de lits de  réanimation, particulièrement dans la région Grand-Est qui a été touchée en premier par l’épidémie. Ces tensions ont nécessité l’organisation, dans l’urgence, de transferts de patients vers des régions moins affectées par l’épidémie et l’envoi de renforts.

La prise en charge des malades de la Covid-19 nécessitant un suivi à l’hôpital a été permise par la mobilisation exceptionnelle des personnels soignants, ainsi que par la réorganisation massive des soins dans les établissements de santé. Grâce à la déprogrammation des activités médicales non urgentes, les établissements de santé, publics comme privés ont pu transformer des unités de soins en services de réanimation et armer de nombreux lits. Ces réorganisations ont permis, en six semaines, de doubler les capacités d’accueil en réanimation qui sont passées de 5 050 lits à 10 705. Comme l’a rappelé le ministre chargé de la santé lors de son audition du 4 novembre « cet effort sans précédent dans l’histoire de nos hôpitaux n’avait jamais été réalisé. » Il faut rappeler que du 1er janvier au 3 juillet, près de 142 000 patients ont été hospitalisés en établissements de médecine, chirurgie obstétrique (MCO), que le nombre de séjours en réanimation a concerné plus de 15 000 séjours ([5]) et qu’au pic de la première vague épidémique, 7 027 lits de réanimation ont été occupés ([6]).

 Votre président insiste sur le fait que tous les patients atteints de formes graves de la maladie ont pu être pris en charge et réfute en particulier la thèse du rapporteur selon laquelle une forme de tri fondé sur l’âge aurait été opéré pour l’accès en réanimation. Cette thèse s’appuie sur des chiffres de la DGOS relatifs à la baisse de la part de personnes âgées de plus de 75 ans admises en réanimation durant la crise, en comparaison avec les niveaux observés à la même pèriode les années précédentes. Or, ainsi que l’a rappelé le directeur général de l’ARS d’Île-de-France M. Aurélien Rousseau, cette comparaison brute entre des chiffres d’entrée à l’hôpital et en services de réanimation pour l’année 2020 ne peut se faire sans autre forme de précaution : en effet, d’une part, au pic de la crise épidémique, un nombre de patients bien plus important que les années précédentes étaient admis en services de réanimation (2700 patients en Île-de-France contre 1200 l’année précédente) et d’autre part, la déprogrammation des activités chirurgicales non urgentes, le profil des patients admis en réanimation était totalement différent de celui des années précédentes. Lors des auditions menées par la mission, des représentants du monde médical ont d’ailleurs  réfuté cette hypothèse ([7]), en rappelant que l’admission en réanimation était toujours une décision médicale, fondée sur une analyse des bénéfices-risques pour les patients. Votre président regrette ainsi que la thèse d’un tri selon le critère de l’âge ait été présentée comme l’une des conclusions du travail d’enquête de la mission d’information, alors qu’aucun témoignage avéré n’a pu la confirmer.

*

Pour conclure, il convient de souligner que le phénomène de résurgence de l’épidémie s’est manifesté dans l’ensemble des pays européens, y compris l’Allemagne qui a pourtant été érigée en modèle mais qui fait face, encore à la date de la publication du présent rapport, à la persistance d’une seconde vague. Dans la plupart des pays comparables au nôtre, les réponses, les échecs, les doutes et les réussites ont été plus ou moins les mêmes face à une épidémie dont les inconnues restent déstabilisatrices.

L’espoir raisonnable d’une évolution positive repose, à ce stade, sur la phase de vaccination qui devrait s’ouvrir prochainement et surtout sur son acceptation par la population.

 

 

 

 

 

 

 


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   INTRODUCTION

À la fin du mois de novembre 2020, l’épidémie de Covid-19 avait causé le décès de plus de 50 000 personnes dans notre pays. Si l’on rapporte ce chiffre à la population, la France est le quatrième pays le plus touché de l’Union européenne où près de 240 000 morts sont à déplorer. Était-il possible d’éviter ce bilan particulièrement lourd ? Si les statistiques doivent être maniées avec précaution – la situation épidémique fut loin d’être uniforme entre les pays – elles font néanmoins apparaître des écarts qui interpellent : alors que la moyenne des vingt-sept pays membres de l’Union européenne fait état de 532 décès pour un million d’habitants, le bilan de la France est de 727 alors qu’il est réduit à 170 en Allemagne.

À cette même période, le 22 novembre 2020, la France confinée célébrait le cent-trentième anniversaire de la naissance du Général de Gaulle qui servit, en son temps, de boussole à notre pays lorsque le doute, la défaite et la crise obscurcissaient l’horizon national.

Lorsqu’il s’est adressé aux Français le 16 mars 2020, le Président de la République a lui-même filé la métaphore guerrière pour qualifier la menace à laquelle la France était confrontée : « Nous sommes en guerre, en guerre sanitaire, certes : nous ne luttons ni contre une armée, ni contre une autre Nation. Mais l’ennemi est là, invisible, insaisissable, qui progresse. Et cela requiert notre mobilisation générale. » La crise qui bouleverse notre pays depuis le début de l’année 2020 est inédite par sa violence, notamment parce qu’elle ne s’est pas cantonnée à une dimension sanitaire. Son caractère total et l’ampleur de ses conséquences sont en effet, à bien des égards, sans précédent depuis la seconde guerre mondiale, la dernière que la France ait connue sur le territoire métropolitain, et malgré toutes les réserves historiques que cette comparaison impose.

À l’heure de dresser un premier bilan de la gestion de l’épidémie, un voile d’incertitude continue de recouvrir certains de ses aspects. D’aucuns diront qu’il est trop tôt pour savoir ; d’autres, à juste titre, qu’avant de savoir, on ne sait pas ; certains enfin qu’on ne saura jamais parce que personne ne savait. De telles mises en garde doivent être écoutées et inciter à la prudence : cette crise a été marquée par de nombreuses inconnues scientifiques qui se sont muées en hésitations pour parfois aboutir à de vives controverses. Cette donnée n’a pas facilité la prise de décision publique qui, pour sa part, était soumise à un impératif d’urgence. Cet enjeu ne saurait cependant faire obstacle au travail légitime d’analyse et de compréhension qu’attendent nos concitoyens.

Créée par la Conférence des présidents du 17 mars 2020 au premier jour du confinement, la mission d’information sur la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l’épidémie de Coronavirus-Covid19 a pris une nouvelle dimension le 3 juin dernier lorsqu’elle s’est dotée des prérogatives d’une commission d’enquête. Ce rapport, fruit de six mois de travaux et de 56 auditions, entend pointer les forces et les faiblesses d’un système dans son ensemble, même si, malheureusement, les faiblesses sont apparues nombreuses. Il n’a pas pour objet de mettre en cause tel ou tel alors que l’engagement constant et le travail acharné de tous ceux qui ont eu à lutter contre cette crise, y compris les agents publics quels que soient leur niveau de responsabilité et leur ligne de front, forcent le respect.

Lors de l’une de ces auditions, Mme Roselyne Bachelot rappelait qu’en « matière de santé publique, il n’existe pas de demi-choix. Sinon, on est dans l’attitude de la ligne Maginot, où l’on pense que l’ennemi n’attaquera qu’à certains endroits. » Avons-nous réagi suffisamment vite et de façon adéquate dans la guerre menée contre le virus aux mois de janvier et février ; étions-nous organisés pour affronter une crise sanitaire majeure ; nos positions défensives, que ce soit en première ligne dans les hôpitaux ou, en soutien, dans la gestion des stocks stratégiques nous permettaient-elles d’affronter l’ennemi ?

Pour être combattue efficacement, l’épidémie de la Covid-19 nécessitait des choix contraignants, cohérents et interdépendants qui avaient été dessinés en 2009 pour faire face à la pandémie de grippe A. Une succession d’impréparations, de pesanteurs et sans doute d’hésitations a conduit à un constat dont on ne peut se satisfaire.

C’est d’abord celui du désarmement de l’État face à l’émergence d’une telle crise sanitaire. Ce constat, qui résulte d’une lente évolution au cours de la précédente décennie pendant laquelle d’autres priorités ont peu à peu affaibli la préparation aux crises sanitaires, a abouti à la réduction des stocks stratégiques qui s’est illustrée, au pire moment, par la pénurie majeure en équipements de protection et en particulier en masques.

C’est ensuite celui d’une organisation nationale et territoriale de la gestion de la crise, et notamment de son pilotage, qui n’ont pas fonctionné aussi efficacement que souhaité en raison notamment de lourdeurs bureaucratiques et administratives. Celles-ci ne sont pas propres au secteur sanitaire, mais ont entravé les capacités d’adaptation et d’agilité qu’exigeait cette crise majeure. Ce constat s’est notamment illustré sur la question des tests ou encore de la gestion des frontières.

Enfin c’est celui d’un système de soins que l’on pensait solide et qui s’est retrouvé démuni, et a conduit à gérer dans l’urgence le risque de débordement de ses capacités face à l’ampleur de l’épidémie. Certes, ainsi que l’a rappelé Édouard Philippe en audition, « aucun système de santé au monde n'a été construit, pensé, dimensionné pour faire face à ce que nous vivons, à une vague de cette ampleur ». Pour autant, le dispositif de réponse à la crise, a été marqué par un important hospitalo-centrisme, qui a contribué à aggraver des tensions déjà exacerbées par l’affaiblissement structurel du système de santé. Si « l’hôpital a tenu », grâce à un immense effort de réorganisation et de mobilisation, on ne peut ignorer le fait que ceci n’a été possible qu’au prix de la déprogrammation généralisée des soins non urgents et de la question de la prise en charge de nos aînés en particulier dans les établissements pour personnes âgées, fortement éprouvés par l’épidémie.

Sur la base de ces constats, le présent rapport entend également dégager des recommandations et formuler des propositions afin de contribuer à une meilleure appréhension, à l’avenir, des crises sanitaires d’ampleur. Cela passerait par la création d’un ministère délégué, auprès du Premier ministre, à l’anticipation des crises, la restauration de la souveraineté sanitaire de la France ou encore la départementalisation des agences de santé et le transfert de la compétence territoriale de la gestion des crises sanitaires aux préfets de département.

Il reste que les inconnues sur l’épidémie sont encore nombreuses : les raisons de l’ampleur de la deuxième vague, les perspectives concernant les vaccins ou encore les conséquences à moyen et long terme de la déprogrammation médicale. Le travail entamé par la mission d’information le 17 mars 2020 continue. Après le rapport remis par le Président Richard Ferrand le 3 juin dernier, celui-ci, élaboré après que la mission d’information a été dotée de pouvoirs d’enquête marque une nouvelle étape mais n’en constitue pas l’achèvement. Qu’il soit néanmoins permis à votre rapporteur d’espérer pour les Français une sortie la plus rapide possible de cette crise.

 

 


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   PREMIÈRE PARTIE : UN PAYS MAL PRÉPARÉ FACE À UNE CRISE MAJEURE

I.   Le dÉlaissement progressif de la prÉparation au risque pandÉmique et la réduction des stocks stratégiques

Lorsqu’émerge l’épidémie de Covid-19, la France se retrouve désarmée, faute d’avoir suffisamment anticipé et préparé une possible crise de cette nature. La concrétisation la plus visible de ce manque de préparation s’incarne dans la question des masques : l’État ne dispose, en février 2020, que de stocks qui se sont réduits au fil des années, et son opérateur désigné pour en assurer la gestion est, depuis la réorganisation des agences sanitaires, largement sous-dimensionné pour faire face aux enjeux d’une crise majeure.

A.   l’affaiblissement de la prÉparation au risque pandÉmique

Un plan de prévention pandémique n’est pas fait pour être appliqué à la lettre, mais c’est une boîte à outils qui aide à la prise de décision et qui met en place une organisation de crise permettant une réaction rapide.

C’est la raison pour laquelle, après les craintes qu’avait fait naître l’épidémie de grippe H5N1 arrivée en Europe, en 2005, depuis l’est de l’Asie, la France, comme ses voisins européens, s’était armée d’un plan « pandémie grippale ». De leur côté, préfets et forces de sécurité intérieure ont l’habitude de réagir aux catastrophes par des réponses bien rodées.

Pourtant, comme l’a indiqué M. Édouard Philippe lors de son audition par la mission d’information, lorsque les premiers cas de Covid-19 sont identifiés sur le sol français, « nous ne disposions pas exactement des instruments adaptés en matière de planification et de programmation ».

Nul ne contestera que les caractéristiques de l’épidémie de la Covid-19 et les inconnues qu’elle recelait ne pouvaient être facilement anticipées (besoins et durée des réanimations, cas asymptomatiques, modes de transmission, absence de vaccin, etc.). D’ailleurs le plan pandémie s’est avéré inadapté et les pouvoirs publics se sont finalement appuyés sur le plan Orsan-REB (organisation de la réponse du système de santé en situations sanitaires exceptionnelles pour le risque épidémique et biologique) qui a été déclenché à la mi-février.

Il n’empêche, alors qu’une forte priorité avait été donnée, dans les années 2000, à la préparation au risque sanitaire au travers du plan pandémie grippale, force est de constater que cette préparation s’est progressivement émoussée à compter des années 2010, plus encore à partir de 2015 comme le montre le fait que ce plan, élaboré en octobre 2004, puis régulièrement actualisé (en 2006, 2007 et 2009), ne l’a plus été depuis 2011.

Les exercices « pandémie » régulièrement organisés dans les années 2000, se sont quant à eux progressivement espacés. Ainsi après les quatre exercices de crise menés en 2005, 2006, 2008 et 2009 (soit un rythme presque annuel) pour tester le plan « pandémie grippale » dans ses différentes versions, complétées par un exercice supplémentaire en 2013 pour tester la dernière version datant de 2011, plus aucun exercice spécifique aux pandémies grippales n’a été réalisé à partir de 2013. Si un exercice, programmé en 2017, a finalement été organisé en décembre 2019, il a été transformé en exercice « variole », d’ailleurs certainement indispensable. Mme Claire Landais, SGDSN de 2018 à 2020, entendue par la mission, a regretté cette évolution, ces exercices étant indispensables pour percevoir les éventuelles failles de certains dispositifs, mais aussi pour entretenir une culture de la prévention, développer des réflexes, et former les responsables en exercice aux outils qui seront, le cas échéant, mis à leur disposition.

L’on peut également regretter la suppression, en décembre 2017, du Conseil national de la sécurité civile, qui aurait pourtant permis de soutenir la préparation, notamment logistique, aux crises sanitaires ([8]).

Il ne faut pas sous-estimer dans cette évolution, l’effet des polémiques qui ont suivi l’action des responsables politiques dans la gestion de la grippe H1N1 en 2009, qui aurait entraîné des dépenses excessives, pour un risque finalement plus faible qu’anticipé ([9]) : elles auraient conduit les ministres successifs à penser « qu’il y avait moins de risque pour un politique à en faire moins qu’à en faire trop » ([10]).

M. Didier Houssin, directeur général de la santé en 2009-2010, estime que celles-ci ont joué un rôle majeur dans l’affaiblissement en France de la préparation au risque pandémique comme il l’a fait valoir lors de son audition : « Au lieu d’être félicités pour avoir limité le nombre de décès, nous avons été critiqués pour avoir trop dépensé. Dix ans ont passé. La violente critique de 2010 a, selon moi, joué un rôle majeur dans l’affaiblissement en France de la préparation au risque pandémique. Affaiblissement qui s’est révélé de façon dramatique, fin janvier 2020. Notre défaut de préparation est l’une des raisons de ces graves conséquences ».

Une absence de préparation financière pour faire face aux situations sanitaires exceptionnelles

L’absence de cadre financier permettant la prise en compte des situations sanitaires exceptionnelles doit être soulignée. Cette alerte a été portée par le directeur général de la Santé, M. benoît Vallet, dans une note au directeur de cabinet du ministre de la santé datée du 19 juillet 2016, regrettant l’inexistence d’un cadre financier pour les frais variables générés par la gestion d’une situation sanitaire exceptionnelle (évoquant un « réel vide juridique »). La note recensait les principaux postes de dépenses hors programmation qui nécessitaient l’identification de vecteurs de financement ad hoc : compensation de la déprogrammation d’activités, financement de la mobilisation des professionnels de santé, acquisition d’équipements et produits complémentaires, actions de prophylaxie collective (campagnes de dépistage), financement de la recherche en situation d’urgence, autant de postes de dépense qui ont dû faire l’objet de financements d’urgence pendant la première vague de la crise sanitaire. Cette note a été suivie d’une seconde, en date du 18 août 2016, à destination de la ministre des solidarités, qui proposait d’abonder le fonds national d’urgence pour le financement des actions nécessaires à la préservation de la santé de la population en cas de menace sanitaire grave, prévu à l’article L. 3131-5 du code de la santé publique. Ce fonds, dont la gestion aurait été confiée à Santé publique France et mobilisé à la demande du ministre chargé de la santé, aurait été financé par l’Assurance maladie. Cette proposition a fait l’objet d’un arbitrage défavorable dans le cadre de la préparation du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2017.

Une nouvelle proposition conjointe de la DGS et du secrétariat général des ministères chargés des affaires sociales, portant sur la constitution d’une enveloppe de 4 millions d’euros pour couvrir tout ou partie du financement des urgences sanitaires exceptionnelles supportées financièrement par les ARS a aussi fait l’objet d’un arbitrage défavorable du cabinet, sur l’avis de la direction de la sécurité sociale estimant que la grande majorité des situations d’urgence étaient déjà couvertes par d’autres vecteurs de financement.

Ainsi, alors que pour l’année 2020, la dotation de l’assurance maladie à Santé publique France est de 151 millions d’euros, stable par rapport aux années précédentes, cette dotation a dû être abondée à plusieurs reprises à partir de mars par l’assurance maladie pour un total de 4,8 milliards d’euros. Ceci doit permettre à Santé publique France, d’une part, de disposer des moyens budgétaires et financiers indispensables à la mise en œuvre des dépenses nécessaires à la lutte contre l’épidémie de Covid-19, et, d’autre part, d’abonder un fonds de concours versé par Santé publique France sur le programme 204 de l’État (pour un montant de 700 millions d’euros, dont 446 millions d’euros de crédits de paiement ont été dépensés à ce jour) ([11]).

En parallèle, d’autres risques ont émergé, au premier rang desquels la menace terroriste devenue critique sur le territoire national à partir de 2015. Ils ont fait légitimement glisser l’attention prioritaire des pouvoirs publics. Comme l’a indiqué Mme Claire Landais devant le Sénat : « il est vrai que, à partir de 2015, il y a eu évidemment une focalisation très forte, pendant au moins trois ou quatre ans, sur le terrorisme. On peut le regretter, bien sûr, et, moi aussi, je me dis que l’on aurait forcément été mieux préparé si, dans les quatre années précédentes, on avait pu faire beaucoup d’exercices de pandémie, même grippale ». Et si le risque sanitaire était envisagé, il l’était surtout sous l’angle d’une attaque bioterroriste ([12]).

Pourtant, le livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013 a identifié clairement le risque sanitaire : « En matière sanitaire, la circulation des personnes et des marchandises, la concentration de populations dans des mégalopoles et la défaillance des systèmes de santé dans certaines zones favorisent la survenue de crises majeures. Le risque existe notamment d’une nouvelle pandémie hautement pathogène et à forte létalité résultant, par exemple, de l’émergence d’un nouveau virus franchissant la barrière des espèces ou d’un virus échappé d’un laboratoire de confinement ». Cette menace est, également, présente dans la revue stratégique de défense et de sécurité nationale de 2017, selon des termes proches.

On ne peut donc pas dire que la conscience du risque épidémique en elle-même aurait diminué au fil du temps, mais paradoxalement, une évolution des priorités et la survenue régulière de crises sanitaires finalement maîtrisées a pu faussement laisser penser que l’État était toujours bien armé pour y faire face.

Finalement, la situation dans laquelle s’est trouvée la France en 2020 procède en partie d’un défaut de préparation, tant dans la planification que dans la répétition d’exercices interministériels, résultant, d’une part, d’un faux sentiment de sécurité et d’un souci d’économies budgétaires face à une situation que l’on croyait maîtriser après l’épisode de la grippe H1N1, et, d’autre part, d’une mobilisation des ressources sur le risque terroriste devenu critique.

Votre rapporteur formule deux propositions à cet égard :

 reprendre les exercices de crise de type « pandémie » à un rythme régulier ; le cas échéant, ne procéder qu’à des exercices partiels sur certains aspects du plan ;

 élaborer un plan « pandémie » générique (et non uniquement grippale), adapté à une plus large variété de situations et mobilisable rapidement, faisant l’objet d’actualisations régulières ; lui conférer un volet capacitaire établissant les ressources critiques nécessaires et leur volumétrie, en équipements et en ressources humaines.


 

Proposition : reprendre les exercices de crise à un rythme régulier ; le cas échéant, ne procéder qu’à des exercices partiels sur certains aspects du plan.

Proposition : élaborer un plan « pandémie » générique, non uniquement grippale, adapté à une plus large variété de situations et mobilisable rapidement, faisant l’objet d’actualisations régulières ; lui conférer un volet capacitaire établissant les ressources critiques nécessaires et leur volumétrie, en équipements et en ressources humaines.

Plus largement, votre rapporteur souhaite, pour mieux répondre aux exigences de préparation et de coordination des actions, que soit institué un ministre délégué, placé auprès du Premier ministre, qui serait chargé de l’anticipation des crises, qu’elles soient sanitaires ou d’une autre nature. Il disposerait des services du SGDSN et de la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises.

Lui reviendraient notamment :

– l’organisation de la planification de la réponse aux différents risques ;

– l’élaboration de la liste des produits et équipements devant figurer dans le stock stratégique, reconnus comme produits et équipements d’importance vitale, ainsi que la doctrine d’emploi de ces stocks stratégiques et le contrôle de leur gestion qui serait confiée à une structure dédiée du type de l’EPRUS (voir B) ;

– l’organisation de la formation à la gestion de crise et la diffusion d’une culture de prévention des risques dans la société ;

– la coordination des politiques de relocalisation des filières de production des équipements, produits et services d’importance vitale, celles-ci devant permettre de couvrir a minima 50 % des besoins nationaux en temps de crise (voir II. B) ;

Cette préoccupation a eu un précédent : la délégation interministérielle à la lutte contre la grippe aviaire, la DILGA, sur un champ de compétences plus étroit et investie d’un niveau de responsabilité moindre. Son action a montré la nécessité d’un organe d’impulsion et de coordination de la préparation aux crises dont tous s’accordent à penser que nous y serons de plus en plus régulièrement confrontés.

La création d’un ministère délégué donnerait à cette action une dimension supplémentaire indispensable à la restauration de la souveraineté nationale en matière de réponse aux crises. Son positionnement auprès du Premier ministre lui assurerait l’autorité et la dimension interministérielle nécessaire à l’exercice de ses missions.


 

Proposition : instituer un ministre délégué, placé auprès du Premier ministre, chargé de l’anticipation des crises, sanitaires ou d’une autre nature, disposant des services du SGDSN et de la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises et responsable :

– de l’organisation de la planification de la réponse aux différents risques ;

– de l’élaboration de la liste des produits et équipements devant figurer dans le stock stratégique, reconnus comme produits et équipements d’importance vitale, ainsi que le contrôle de ces stocks stratégiques ;

– de l’organisation de la formation à la gestion de crise et de la diffusion d’une culture de prévention des risques dans la société ;

– de la coordination des politiques de relocalisation des filières de production des équipements, produits et services d’importance vitale, celles-ci devant permettre de couvrir a minima 50 % des besoins nationaux en temps de crise.

B.   une rÉduction des stocks stratÉgiques engagÉe, à bas bruit, depuis plusieurs annÉes

La question des stocks stratégiques de l’État, de leur contenu, de leur utilisation et de leur gestion a brutalement émergé au début de la crise sanitaire quand les équipements de protection individuels (EPI) et les masques, ont fait défaut et que l’État a dû s’approvisionner rapidement, sur un marché international à un moment extrêmement tendu, pour fournir d’abord les personnels de santé.

Cette situation, qui est le résultat d’une répartition des responsabilités entre l’État, les hôpitaux, les agences régionales de santé et les employeurs, particulièrement confuse – confusion dont les conséquences sont aggravées par le brusque changement d’échelle de l’utilisation des masques – a participé de l’absence de ceux-ci en quantité à la veille de la crise, chacun semblant imputer cette responsabilité à autrui.

1.   Une réduction des stocks stratégiques de l’État entre 2012 et 2020, en raison d’évolutions doctrinales supposées et d’une gestion critiquable

L’instruction du 2 novembre 2011 prise par le ministère de la santé à l’intention des ARS nouvellement créées, rappelle que l’État constitue des stocks dits « stratégiques » de produits destinés à apporter une réponse aux risques biologiques, chimiques ou radiologiques, aux risques accidentels de radio-contamination ou aux menaces épidémiques de grande ampleur. Ces stocks, de dimension importante, peuvent venir en renfort de stocks dits « tactiques », positionnés dans certains établissements de santé pour assurer une réponse précoce dans l’attente de leur mobilisation si nécessaire ([13]).

Stocks stratégiques et stocks tactiques

L’instruction du 2 novembre 2011 relative à la préparation de la réponse aux situations exceptionnelles dans le domaine de la santé prévoit de distinguer les moyens de réponse aux situations sanitaires exceptionnelles selon deux catégories :

– les stocks tactiques : il s’agit des équipements principalement positionnés dans les établissements de santé sièges de SAMU ou de SMUR selon une répartition élaborée par les ARS, pour assurer une réponse précoce aux situations sanitaires exceptionnelles. Ces moyens, positionnés au plus près du terrain, sont financés par les établissements de santé, dans le cadre de leurs missions d’intérêt général et d’aide à la contractualisation (MIGAC), dont le financement est défini à l’article L. 162-22-13 du code de la sécurité sociale. Les stocks tactiques comportent notamment les postes sanitaires mobiles (PSM) de niveau 1 positionnés auprès des SAMU et de niveau 2 auprès des CHU, constitués de lots de produits de santé, de matériels et d’équipements permettant la prise en charge respectivement de 25 et de 200 victimes, de respirateurs mobiles et d’unités de décontamination pour les événements de type NRBC. Il n’y a pas de masques dans les stocks tactiques. Comme l’indique la DGS, « il s’agit principalement de matériels et d’équipements dont les établissements de santé n’ont pas l’usage courant dans leur activité mais dont la disponibilité en quelques heures est essentielle pour assurer la prise en charge des victimes en cas de situation sanitaire exceptionnelle » ;

– les stocks stratégiques : il s’agit des stocks acquis et gérés par l’État pour maintenir une capacité d’intervention en relais des stocks tactiques si nécessaire. Ces équipements, gérés par l’EPRUS depuis 2007, puis par Santé publique France depuis 2016, sont positionnés sur une plateforme de stockage nationale ainsi que sur des plateformes zonales.

a.   L’exclusion des soignants du périmètre des stocks stratégiques de masques sur la base d’une interprétation discutable

Les stocks stratégiques sont constitués sous la responsabilité du ministère chargé de la santé, et gérés par l’établissement public administratif Santé publique France (SpF), dont il assure la tutelle. Aux termes de l’article L. 1413-1 du code de la santé publique, SpF assure, pour le compte de l’État, la gestion administrative, financière et logistique de la réserve sanitaire et de stocks de produits, équipements et matériels ainsi que de services nécessaires à la protection des populations face aux menaces sanitaires graves. En application de l’article L. 1413-4, c’est à la demande du ministre chargé de la santé que l’agence procède à l’acquisition, la fabrication, l’importation, le stockage, le transport, la distribution et l’exportation des produits et services nécessaires à la protection de la population face aux menaces sanitaires graves. C’est également à elle qu’il revient d’assurer leur renouvellement et leur éventuelle destruction.

i.   L’interprétation discutable de la doctrine relative à la responsabilité des employeurs en matière de masques

À la suite de la pandémie liée au virus H1N1 en 2009-2010, plusieurs réflexions sont menées sur le bon dimensionnement du stock stratégique de l’État. Il en est résulté la décision implicite d’exclure progressivement la prise en charge des personnels soignants par les stocks stratégiques de masques en cas de crise sanitaire.

Cette décision repose sur la doctrine publiée par le SGDSN, datée du 16 mai 2013, relative à la protection des travailleurs face à un virus hautement pathogène à transmission respiratoire. Cette doctrine établissant qu’il revient aux employeurs d’évaluer l’opportunité de constituer des stocks de masques pour protéger leurs salariés en cas d’apparition d’un virus hautement pathogène à transmission respiratoire, il en est déduit par la direction générale de la santé ([14]), les deux ministres ayant précédé M. Olivier Véran ([15]), ainsi que par M. Louis Gautier, ancien SGDSN (2014-2018) entendu par la mission le 15 septembre 2020, qu’il revient désormais aux établissements hospitaliers, publics comme privés, mais également aux professionnels de santé libéraux et aux établissements médico-sociaux, ainsi qu’aux officines de pharmacie ou aux laboratoires de biologie, qui sont des employeurs, de constituer des stocks de masques – FFP2 et chirurgicaux – pour le cas d’une crise sanitaire, le stock de masques de l’État se recentrant sur la seule protection des personnes malades et de leurs contacts.

L’interprétation faite de cette doctrine est toutefois discutable.

Pour deux anciens secrétaires généraux de la défense et de la sécurité nationale auditionnés par la mission, M. Francis Delon, en poste au moment de l’élaboration de la doctrine (2004-2014), et Mme Claire Landais, en poste au moment de la crise sanitaire (2018-2020), ce texte n’avait pas vocation à s’appliquer au secteur de la santé, dont les personnels devaient continuer à relever du stock stratégique de l’État pour leur protection.

Selon les précisions apportées par M. Francis Delon, l’objectif de la doctrine était uniquement de rappeler aux employeurs, en particulier publics, notamment les administrations et les opérateurs d’importance vitale, leur responsabilité de prévention et de protection, pour garantir la continuité de la vie administrative et économique de la Nation en cas de crise sanitaire.

En tout état de cause, la doctrine, non contraignante, ne pouvait trouver à s’appliquer aux établissements et structures privées (cliniques, laboratoires de biologique, médecins libéraux, etc.) pour lesquels seul un texte de loi aurait pu fixer une obligation ferme.

S’agissant de la fonction publique hospitalière, M. Francis Delon comme Mme Landais estiment que l’esprit de la doctrine était bien, sans aucun changement par rapport au fonctionnement antérieur, de continuer à faire protéger les personnels en cas de crise grâce aux moyens des stocks stratégiques de l’État constitués sous la responsabilité du ministère de la santé ([16]) ([17]), comme en témoignent d’ailleurs explicitement les fiches techniques annexées au plan « Pandémie grippale » dans sa version de 2009 comme dans sa version de 2011.

Plans Pandémie Grippale (voir annexe 1)

Fiche mesure G4, 2009 : « Acquisition des appareils de protection respiratoire et des masques chirurgicaux. […] Le principe adopté est que l’organisme utilisateur est le payeur. À noter cependant que, pour tous les professionnels du monde de la santé, les stocks constitués par le ministère chargé de la santé seront distribués gratuitement, en situation de pandémie, à tous les professionnels libéraux, hospitaliers et assimilés notamment les sapeurs-pompiers intervenant dans la prise en charge des malades. »

Fiche mesure OD5/1, 2011: « la décision d’acquérir des produits de santé, des dispositifs médicaux ou des équipements de protection individuelle pour la prise en charge des personnes malades, des sujets contact et la protection des professionnels de santé, relève du ministre en charge de la santé et est mise en œuvre par l’établissement public de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS). »

En outre, en application de l’article 1142-8 du code de la défense, le ministre de la santé est responsable de la préparation du système de santé à une crise sanitaire : « Le ministre chargé de la santé est responsable de l’organisation et de la préparation du système de santé et des moyens sanitaires nécessaires à la connaissance des menaces sanitaires graves, à leur prévention, à la protection de la population contre ces dernières, ainsi qu’à la prise en charge des victimes », et ce même si l’article L. 1413-4 du code de la santé publique précise que Santé publique France « procède à l’acquisition, la fabrication, l’importation, le stockage, le transport, la distribution et l’exportation des produits et services nécessaires à la protection de la population face aux menaces sanitaires graves ».

Votre rapporteur considère que l’interprétation qui a été faite de cette doctrine pour supprimer les stocks de masques destinés à la protection des personnels soignants en cas de pandémie liée à un virus à transmission respiratoire est totalement erronée et que « cette doctrine ne pouvait pas être raisonnablement lue comme signifiant à l’État qu’il n’aurait plus à préparer le système de santé » selon les termes mêmes de la SGDSN Claire Landais lors de son audition.

ii.   En conséquence, la disparition des stocks de masques FFP2 et une participation à la pénurie en masques chirurgicaux

L’interprétation erronée de la doctrine de 2013 a, rétroactivement, servi de justification au manque d’anticipation et à la disparition des stocks de masques FFP2.

Cette évolution a été renforcée par la lecture, également discutable, de l’avis du Haut conseil de la santé publique de juillet 2011, qui limite l’usage des masques FFP2 (voir encadré).

L’avis du Haut conseil de la santé publique de juillet 2011

Alos que la doctrine qui prévaut entre 2006 et 2009 est fondée sur l’utilisation généralisée des masques FFP2, la pandémie grippale de 2009 conduit à reconsidérer ce choix, le port du masque FFP2 s’étant avéré peu fréquent et incommode.

Le HCSP rend un avis à ce sujet le 1er juillet 2011, qui a souvent été présenté comme justifiant la réduction des stocks de masques FFP2 des stocks stratégiques d’État. Cet avis, en effet, ne recommande dans le cas général le port de masques FFP2 qu’aux seuls soignants réalisant des actes particulièrement invasifs, justifiant que le stock stratégique de l’État, une fois recentré sur les seules personnes malades et leurs familles, se limite à des masques chirurgicaux. Ainsi, M. Jérôme Salomon, Directeur général de la santé, indique que, « s’agissant des masques, les recommandations du HCSP n’ont pas été modifiées : des masques de soins pour les patients symptomatiques ; en milieu hospitalier, des masques de soins dès l’entrée en chambre d’une maladie, et des masques FFP2 pour les soins intensifs ».

Cette recommandation vaut toutefois, selon le HCSP, dans le cadre de « situations de prise en charge courante présentant un risque élevé », et non dans le cadre de la circulation d’un virus hautement pathogène à transmission respiratoire. En effet, ce même avis, qui recommande d’ailleurs que « le stock État de masques respiratoires soit constitué de masques anti-projections et d’appareils de protection respiratoire » (masques de type FFP2), précise qu’en cas d’agent respiratoire « hautement pathogène », le port du masque pour les soignants doit être envisagé pour toute situation exposant à un risque de transmission aérienne, notamment « en cas d’entrée dans une pièce où se trouve un cas suspect ou confirmé potentiellement contagieux et ce, quel que soit le mode d’exercice (hospitalier ou libéral) et le lieu d’exercice (hôpitaux, cliniques, EHPAD, établissements pour handicapés, cabinets médicaux...) ». La principale modification apportée par cet avis consiste donc à recommander, pour les salariés autres que les professionnels de santé, au contact du public (métiers de guichet), le port de masques chirurgicaux de préférence aux masques FFP2, sur la base de plusieurs arguments, notamment l’observance potentiellement supérieure pour le port du masque chirurgical et l’absence d’efficacité inférieure démontrée chez les professionnels de santé du masque chirurgical par rapport à un appareil de protection respiratoire (APR) dans le contexte de la circulation d’un agent pathogène « courant ». À cet égard, la doctrine du SGDSN de 2013 est, s’agissant des employeurs des secteurs non-sanitaires, effectivement cohérente avec l’avis du HCSP de 2011.

Ceci aurait dû suffire à justifier le maintien d’un stock élevé de masques FFP2 pour les personnels soignants, masques dont la nécessité en cas d’épidémie d’un virus à transmission respiratoire explique l’achat en urgence lancée par la ministre Agnès Buzyn à la fin du mois de janvier 2020

La lettre de saisine de la DGS à l’EPRUS, en date du 22 juillet 2013 mentionne la doctrine du SGDSN et précise que « la déclinaison de cette doctrine sur le secteur de la santé impliquera probablement un redimensionnement des stocks stratégiques de l’État » en particulier pour ce qui concerne le renouvellement des masques FFP2 à partir de 2015 et le maintien de l’acquisition de masques chirurgicaux en 2014. Mme Agnès Buzyn a indiqué, dans des réponses écrites à un questionnaire, que « du fait de ce changement de doctrine, le stock d’État de masques FFP2 se périme au milieu des années 2010 et semble régulièrement détruit par l’EPRUS après péremption comme le prévoient ses missions ».

Aussi, alors que les stocks stratégiques de l’État comportaient, jusqu’en 2014, plus de 300 millions d’unités de masques FFP2, destinés essentiellement à la protection des soignants, plusieurs millions de ces masques arrivés à péremption ont été détruits et non renouvelés après cette date, portant le stock à un niveau nul à la veille de la crise sanitaire.

Évolution du stock de masques FFP2 gÉrÉs par l’EPRUS puis par SPF

(en millions d’unités)

Source : mission d’information, à partir des données de Santé publique France.

C’est bien l’absence totale de masques FFP2 dans les stocks de l’État au début de l’année 2020 ([18]), qui au moment des premières alertes relatives à l’émergence d’un virus à transmission respiratoire, a conduit la ministre de la santé Agnès Buzyn à demander qu’une commande soit passée pour 1,1 million de masques FFP2 fin janvier, puis pour 28,4 millions supplémentaires, le 7 février. Comme l’a expliqué la ministre, devant la mission : « Je ne vois pas pourquoi j’aurais anticipé une commande de masques FFP2 alors que cela ne relevait plus des stocks stratégiques ».

L’interprétation stricte de la doctrine dans la lecture retenue par le Gouvernement conduit aussi l’État à ne pas prévoir, de manière automatique, la distribution aux personnels de santé de kits de masques FFP2 comme cela avait été le cas lors de la pandémie de grippe en 2007 puis au cours de la pandémie de H1N1 en 2009. S’il est, tout de même, décidé de distribuer de tels kits, cela résulte d’une demande du DGS en date du 6 février, qui fait l’objet d’un accord de la ministre le 7 février (voir annexe 2).

Enfin, l’interprétation faite de la doctrine de 2013 a, également, contribué à la pénurie de masques chirurgicaux : le stock, destiné aux seuls patients malades et à leurs foyers, n’a pas été dimensionné pour tenir compte des professionnels de santé, qui s’en sont trouvés pénalisés lorsque l’utilisation de masques chirurgicaux a été rendue nécessaire, notamment faute de masques FFP2.

C’est d’autant plus le cas que le stock de masques chirurgicaux n’était pas même constitué à la hauteur de ce qu’il aurait dû être pour couvrir les patients malades. L’intégration explicite du secteur de la santé au sein des bénéficiaires du stock stratégique de masques aurait, au contraire, conduit à un dimensionnement plus élevé du stock de masques chirurgicaux pour tenir compte de leurs besoins en temps de crise.

iii.   L’absence d’information délivrée aux professionnels de santé

Cette interprétation est d’autant plus dommageable qu’elle ne s’est pas accompagnée des mesures destinées à garantir que les établissements de santé et professionnels libéraux l’avaient bien comprise et l’appliquaient de manière satisfaisante.

Votre rapporteur reconnaît l’ambiguïté de textes successifs sur le point précis de leur application aux professionnels de santé – les SGDSN eux-mêmes ne s’accordant pas entre eux sur ce point – et en particulier à la fonction publique hospitalière. Ce point aurait dû être rendu plus explicite, l’information mieux diffusée et des contrôles organisés sur les stocks constitués par les établissements.

Cette ambiguïté a été soulevée par le directeur général de Santé publique France dans un courrier adressé au directeur général de la santé le 26 septembre 2018 (voir annexe 3), dans lequel il estime important qu’une doctrine soit établie et communiquée ce qu’il a rappelé lors de son audition.([19]).

Il reste que le ministère de la Santé considérant que la doctrine s’appliquait au secteur de la santé – ce qui, s’agissant d’une simple doctrine, apparaît bancal pour ce qui concerne le secteur privé – ne s’est pas assuré que l’information a été bien reçue et bien appliquée par les établissements et par les professionnels de santé et qu’ils ont bien constitué des stocks de masques, non pour un fonctionnement courant, mais pour une utilisation en cas d’épidémie à transmission respiratoire. Si la fédération hospitalière de France indique en avoir eu connaissance ([20]), les établissements de santé privés ([21]), les établissements médico-sociaux ([22]), les laboratoires de biologie médicale ([23]), les médecins libéraux ([24]) ou encore les officines ([25]) ont indiqué n’avoir jamais été officiellement informés de l’existence de cette doctrine et de leurs obligations à son égard. La DGOS l’indiquait elle-même dans ses réponses écrites : « à notre connaissance, il n’y a pas eu de circulaire d’application ou d’instruction pour les professionnels de ville ».

Le niveau de constitution effectif des stocks dans les établissements est recensé en janvier 2020. Selon la note du 6 février 2020 adressée par le directeur général de la santé au cabinet de la ministre de la santé, qui fait état des remontées des ARS quant à la disponibilité de masques dans les établissements de leur ressort, ces stocks sont faibles : trois régions, le Grand-Est, la Guadeloupe et la Martinique signalent des stocks de masques en très forte tension, inférieurs à quinze jours. La région Hauts-de-France possède entre quinze et trente jours de stocks, et les autres régions plus de trente jours. Une majorité de professionnels, dans le secteur ambulatoire, ne disposent pas d’un stock minimum de masques FFP2. Aussi, M. Grégory Emery, conseiller sécurité sanitaire d’Agnès Buzyn le reconnaît : « La seule conclusion que je peux tirer de la lecture de la note du 6 février 2020 est que la doctrine n’est pas connue des acteurs ».

Alors que l’État se reposait désormais sur ces professionnels, en particulier les établissements de santé, pour assurer la protection des personnels soignants en cas de crise, comment expliquer qu’aucun contrôle de la constitution effective de ces stocks n’ait été organisé, notamment par les ARS ?

Selon la DGS, les stocks de masques détenus par les établissements de santé ne sont pas contrôlés par les ARS car ils ne font pas partie des moyens tactiques financés par la MIG. En tout état de cause il n’y a pas eu d’instructions relatives au contrôle de ces stocks ([26]). M. Aurélien Rousseau, directeur de l’ARS Île-de-France le reconnaît : « Aujourd’hui, même si nous n’avions pas d’instructions spécifiques, je dirais que nous aurions dû vérifier régulièrement le niveau et la nature de ces stocks ».

Enfin, comment justifier que l’État n’ait eu aucune visibilité en temps réel des volumes de masques acquis et stockés par les établissements, alors même que la capacité du système de santé à répondre à une crise sanitaire en dépendait ? Si un système d’information de gestion des moyens tactiques des établissements de santé a été développé à partir de 2015 (SIGESSE), il ne prévoyait qu’une faculté pour ces établissements de renseigner leur stock de masques, sur une base volontaire (ces masques n’étant pas compris dans les moyens tactiques).

C’est pourquoi, votre rapporteur souhaite que soit explicité le fait que la protection des personnels de santé en cas de crise sanitaire majeure (pandémique ou autre) relève des stocks stratégiques constitués par le ministère de la Santé, qui doit prévoir une distribution de produits à leur intention si nécessaire. En effet, si les établissements de santé peuvent gérer un stock courant lié à leurs besoins de fonctionnement, éventuellement majoré pour tenir compte d’événements imprévus de courte durée, leur mission doit demeurer le soin et non la logistique ou la prévention.

Proposition : redéfinir la liste des produits et équipements devant figurer dans les stocks stratégiques et leur dimensionnement sous l’autorité du ministre délégué chargé de l’anticipation des crises ; clarifier la doctrine d’emploi des stocks stratégiques en matière de santé et l’étendre explicitement à la protection des personnels de santé en cas de crise sanitaire majeure (pandémique ou autre) ; informer les différents acteurs de leurs responsabilités dans la constitution de stocks tactiques ou de stocks de sécurité le cas échéant et contrôler à échéances régulières la constitution effective de ces stocks.

b.   Le passage à un stock tampon de masques chirurgicaux n’a pas suffisamment pris en compte l’hypothèse d’une rupture d’approvisionnement

Pour les raisons qui viennent d’être explicitées, à compter de 2013, le stock stratégique de masques est recentré sur des masques chirurgicaux destinés à assurer la protection des malades et de leurs contacts en cas de pandémie.

Ce stock a, toutefois, été également considérablement réduit au fil des ans, en raison du non-renouvellement des masques périmés lié au passage d’une doctrine de stock « dormant » à une doctrine de stock « tampon ».

i.   La péremption du stock a été insuffisamment anticipée

Alors que le stock de masques chirurgicaux s’élevait à un milliard d’unités avant le début de la pandémie de grippe H1N1, il s’est stabilisé entre 730 et 760 millions d’unités jusqu’en 2018, avant de chuter brutalement autour de 100 millions d’unités disponibles et utilisables (hors masques périmés et non-conformes) en 2019 et 2020.

En effet, une grande partie des masques commandés dans les années 2003 à 2005 n’affichaient pas de date de péremption, celle-ci n’ayant été rendue obligatoire que par une modification de norme européenne intervenue en 2014. C’est pourquoi, dans un courrier du 19 avril 2017, le directeur général de la santé, Benoît Vallet, demande au directeur général de Santé publique France qu’une évaluation de la qualité des masques sans date de péremption (soit 613 millions de masques sur les 713 millions de masques adultes que compte alors le stock national) soit réalisée « afin d’évaluer, en sus de leur efficacité, leur adaptation aux normes chirurgicales et de tester la qualité de leurs élastiques ».

Cette évaluation, menée par le cabinet belge Centexbel, révèle en septembre 2018 que la majorité des masques des lots analysés (références représentant 78 % du total des masques concernés) s’avèrent défectueux par rapport aux exigences prévues par la nouvelle norme EN14683, certains en raison d’échec aux tests de respirabilité, d’autres en raison d’échec aux tests de filtration bactérienne.

En conséquence, dans un courrier du 3 octobre 2018, le directeur général de Santé publique France, M. François Bourdillon, recommande au directeur général de la santé, qui a succédé à M. Vallet, M. Jérôme Salomon, la destruction de l’ensemble des lots acquis dans les années 2000 et ne présentant pas de date de péremption (y compris ceux non analysés), soit 613 millions de masques chirurgicaux adultes, portant le stock utilisable à 99 millions. Ces destructions débutent en 2018 (19,6 millions de masques détruits) et se poursuivent en 2019 (232,9 millions de masques détruits).

362 millions de masques restaient à détruire au début de l’année 2020. Cette valeur élevée s’explique par l’interruption de la campagne de destruction en septembre, en raison de l’incendie de l’usine Lubrizol, proche duquel se situe le site d’incinération, ce qui a finalement permis qu’une partie de ces masques soit réutilisée en masques non sanitaires … 

ii.   Le passage à un stock tampon aurait dû s’accompagner de davantage de garanties s’agissant des capacités des fournisseurs à abonder le stock stratégique en cas de crise

En parallèle, une réflexion est menée depuis plusieurs années sur le passage, d’un stock « dormant », constitué de produits immobilisés jusqu’à leur utilisation, et détruits une fois passée leur péremption, à un stock « tournant », géré de manière dynamique. Cette réflexion, accentuée après la crise sanitaire liée au virus H1N1, et les problèmes de stockage de trop grande ampleur qui se sont ensuite posés, figure déjà dans le rapport du Haut conseil de santé publique de juillet 2011, qui évoque « la constitution d’un stock tournant impliquant la libération (par exemple vers les hôpitaux pour l’usage en soins courants) et la reconstitution régulières d’une partie du stock, et ce compte tenu des durées de péremption de ces masques ». Il s’agit alors d’éviter que l’ensemble du stock n’arrive à péremption à une date unique, imposant une commande massive de produits qui, à nouveau, arriveront à péremption simultanément s’ils ne sont pas utilisés.

L’avis d’experts relatif à la stratégie de constitution d’un stock de contre-mesures médicales face à une pandémie grippale, dirigé par le professeur Stahl, et remis à la DGS en 2018, évoque aussi « un stock minimal à renouveler, l’objectif étant que ce stock puisse tourner pour être utilisé dans les établissements de santé et médico-sociaux un an avant leur péremption ». Enfin, elle est également envisagée par M. Jean-Yves Grall, ancien directeur général de la santé, qui évoque pour sa part « la cible d’un stock tournant de 1 milliard avec un renouvellement lissé de 100 millions par an selon les dates de péremption » ([27]).

La définition du stock tournant repose sur des entrées et sorties permanentes du stock : les masques les plus anciens seraient, à l’approche de leur péremption, distribués aux établissements de santé, pendant que de nouvelles livraisons seraient organisées, maintenant le stock à un niveau constant, avec des dates de péremption échelonnées dans le temps.

Un autre modèle de dynamisation du stock semble toutefois avoir été retenu par le ministère de la santé, reposant sur la constitution d’un stock minimal, dit « tampon », de faible dimension donc facile à suivre et à renouveler, complété de réservations de capacités de production chez des fournisseurs, nationaux ou internationaux, capables de venir abonder le stock en cas de crise. Ainsi, une note du directeur général de l’EPRUS au directeur général de la santé du 7 août 2015 relative à la dynamisation de la gestion du stock stratégique national propose plusieurs orientations pour une « dynamique fondée sur les flux », notamment celle de la réservation de stocks potentiels chez les producteurs, qu’il estime particulièrement pertinent lorsque l’usage du produit n’est pas immédiat (par exemple pour des vaccins pandémiques qui ne peuvent être développés avant l’identification de la souche à combattre). C’est également l’option évoquée par le directeur général de la santé, M. Benoît Vallet dans son courrier du 19 avril 2017 au directeur général de Santé publique France ([28]). Une telle proposition figurait également dans le rapport du sénateur Delattre de 2015 s’agissant, cependant, uniquement des produits instables, les produits stables devant continuer à faire l’objet d’un stock physique ([29]) :  « Recommandation n° 5 : afin de réduire les coûts d’acquisition et de stockage, poursuivre le développement de la réservation de capacités de production de produits de santé, tout en maintenant des stocks physiques pour les produits stables et, en particulier, pour les comprimés d’iode ».

Mme Marisol Touraine a indiqué, lors de son audition devant la mission d’information, avoir refusé cette évolution lorsqu’elle était ministre : « Lorsque je suis arrivée, il y avait eu un changement de doctrine en 2011. Je me suis alors demandé si elle était bonne et adaptée. Dans des discussions informelles, j’ai appris qu’il existait une alternative : le passage à des stocks tampons. Cela consiste à diminuer les quantités en stock, tout en s’assurant de pouvoir monter en puissance rapidement, si nécessaire. La question a donc été débattue avec la DGS et les équipes spécialisées. Je n’ai jamais accepté de changement de doctrine et j’ai maintenu qu’il fallait disposer de stocks importants – et pas uniquement pour les masques. C’est la raison pour laquelle le stock s’élevait à 754 millions de masques à la fin de mon mandat ».

La dynamisation du stock guide, par la suite, l’orientation des objectifs fixés à Santé publique France, dans le contrat d’objectif et de performances 2018-2022, conclu entre l’agence et le ministère de la santé, avec l’aval de la ministre, Mme Agnès Buzyn en 2017, sans qu’il n’y soit toutefois explicitement fait mention d’un stock « tampon » et de capacités de réservation : il y figure la simple mention de l’« utilisation efficiente des stocks stratégiques et tactiques » ([30]), déjà évoquée dans le cadre du « dossier-ministre » qui avait été remis à Mme Buzyn à son arrivée au ministère, lequel indique, comme l’ont précisé M. Jérôme Salomon, directeur général de la santé, et M. Grégory Emery, conseiller « sécurité sanitaire » que « pour les stocks stratégiques, il est nécessaire de questionner l’intérêt du recours systématique à des stocks physiques, pour aller vers des modèles plus agiles (exemple : réservation de doses) afin de gagner en efficience ».

Ceci figure de manière plus précise dans le cadre d’emploi des stocks stratégiques, publié en janvier 2018 par le ministère de la Santé.

Cadre d’emploi des stocks stratégiques

« Dans le cas des événements à cinétique lente nécessitant une mise à disposition des produits de santé dans un délai maximal de 24 à 48 heures, les stocks sont dans la mesure du possible, mis au point selon une logique de précaution :

– Soit d’une fraction physique réservée à un usage en « tampon » permettant de répondre à une éventuelle hausse de la demande ne pouvant être couverte dans les délais escomptés par les circuits classiques ;

– Soit d’une fraction virtuelle réservée à un usage de « réserve » : l’activation de ces marchés de réservation n’est activée qu’au début de l’événement afin de pouvoir être en capacité de pallier des difficultés progressives d’approvisionnement ;

– Soit des 2 fractions le cas échéant ».

Comme l’a indiqué M. Jérôme Salomon lors de son audition devant la mission, « nous avons considéré avec Santé publique France que l’option d’un stock de masques dormant n’était pas nécessairement la meilleure solution et que l’on avait davantage intérêt à fonctionner avec des stocks régulièrement renforcés, rénovés ou remplacés […]. Le choix a été fait de disposer de stocks tampons et de capacités de commande rapides ».

Aussi, en réponse à l’information qui lui parvient le 26 septembre 2018 du directeur général de Santé publique France, faisant état de la péremption de la majorité des stocks de masques chirurgicaux, le directeur général de la santé ne donne l’ordre que d’une commande de 50 millions de masques, éventuellement de 50 millions supplémentaires en fonction de marges dégagées sur la procédure d’acquisition de vaccins pandémiques, dont la livraison est prévue entre octobre 2019 et mars 2020 (lettre du 30 octobre 2018, voir annexe 4). De même, le compte rendu d’une réunion tenue le 12 septembre 2019 entre la DGS et Santé publique France établit qu’il est décidé de ne pas « renforcer à ce jour le stock stratégique en masques mais de prévoir un lissage de 20 millions de masques par an dès 2021 », pour atteindre une cible désormais fixée à 100 millions de masques (compte tenu de la péremption, fin 2024, des 100 millions de masques acquis en 2019).

Finalement, au 31 décembre 2019, le stock stratégique d’État est composé de 64 millions de masques chirurgicaux pour adultes et de 33 millions de masques pédiatriques, soit 97 millions de masques. Au total, le volume stocké sur les différentes plateformes représente plus de 500 millions de masques, si on y inclut les 75,1 millions de masques périmés au cours de l’année 2019 et les 362 millions de masques datant des années 2003-2005, déclarés non conformes, mais non encore détruits en raison du retard pris dans la campagne de destruction.

En février 2020, ce sont 118 millions de masques chirurgicaux adultes qui sont immédiatement disponibles, 54 millions supplémentaires des 100 millions commandés en octobre 2018 ayant été livrés en début d’année. S’y ajoutent 44 millions de masques pédiatriques.

Ce faible stock conduira à mobiliser une partie des 75 millions de masques périmés en 2019 et des 362 millions de masques non-conformes datant des années 2003-2005 : leur non-destruction et leur recyclage, après évaluations, en masques sanitaires pour les premiers, en masques non-sanitaires pour les seconds, ont représenté une circonstance favorable ayant permis d’atténuer la pénurie que le seul stock directement utilisable aurait rendue plus sévère encore.

Évolution du stock de masques chirurgicaux gérés par l’EPRUS puis par SPF

Masques pédiatriques et adultes, en millions d’unités, au 31 décembre de chaque année

Source : mission d’information, à partir des données de Santé publique France.

La volonté de dynamiser la gestion des stocks n’est pas contestable en tant que telle, la constitution de stocks « dormants », immobilisés, arrivant tous à péremption à une date unique pouvant poser de grandes difficultés ([31]).

Toutefois, cette stratégie impose de s’assurer que les fournisseurs identifiés sont effectivement en mesure de venir abonder le stock rapidement en cas de besoin, avec un préavis court et pour des volumes potentiellement importants. Le dimensionnement du stock minimal « tampon » doit prendre en compte ces capacités de production complémentaires, pour permettre d’assurer une première réponse de suffisamment longue durée et éviter toute pénurie.

Ainsi, le Haut conseil de la santé publique, dans son avis du 11 juillet 2011 relatif au stock stratégique de masques, préconisait « d’évaluer auprès des fabricants les capacités de fabrication et d’approvisionnement en période épidémique, dans un contexte où la demande internationale pourrait être élevée ; en fonction de celles-ci, de définir une durée minimale que le stock permanent devra couvrir en attente d’approvisionnement complémentaire ». Le rapport du groupe d’experts présidé par M. Jean-Paul Stahl indique qu’en cas de pandémie, « l’importance du stock [minimal] est à considérer en fonction des capacités d’approvisionnement garanties par les fabricants » et que la situation actuelle n’avait pas été anticipée ([32]).

Ces préconisations ont-elles été suivies ?

En tout cas, l’hypothèse d’une rupture d’approvisionnement liée à une demande mondiale simultanée et massive a manifestement été sous-estimée. Il n’a pas été indiqué à la mission à quelle durée minimale le stock permanent « tampon » fixé comme cible, devait correspondre, ni même si un tel calcul avait été opéré. Enfin, s’agissant des fournisseurs identifiés, lesquels auraient dû être majoritairement français (les fournisseurs internationaux ayant par exemple, dans le courant de la crise, avancé la « préférence nationale » pour procéder, de manière inédite, à des reprises de commande), leur stabilité et l’entretien de leur capacité de production auraient dû être soutenus par la passation de commandes régulières, ce qui n’a pas été le cas (aucune commande n’ayant été passée entre octobre 2018 et janvier 2020).

Si la question est posée, en 2018, aucune réponse n’y est apportée alors que les stocks restent faibles. Comme l’indique la DGS, « une évaluation des capacités de production et d’approvisionnement en France de masques chirurgicaux a été menée en 2019 en lien avec le SNITEM, qui s’est avéré peu compétent en la matière (seule l’entreprise 3M a répondu) et n’a pas permis d’apprécier la réactivité du marché traditionnel et en urgence ».

En revanche, des considérations budgétaires ont sans doute présidé à ce choix d’un stock tampon, permettant des économies considérables sur les coûts d’achat, de stockage et de destruction. Comme indiqué par M. Xavier Bertrand lors de son audition, la pénurie et le souci d’économies budgétaires ont dicté la doctrine plus que la doctrine n’a présidé au dimensionnement du stock ([33]).

Faute d’avoir défini un stock minimal suffisamment important pour assurer la protection des personnes malades et de leurs contacts (et moins encore des personnels soignants, qui auraient pourtant dû être pris en charge par les stocks stratégiques), faute d’avoir anticipé l’hypothèse d’une rupture d’approvisionnement généralisée, et faute d’avoir assuré la disponibilité des capacités de production françaises par des commandes régulières, le stock stratégique de masques chirurgicaux, particulièrement faible au début de la crise, n’a pu jouer son rôle de « tampon » dans l’attente de livraisons complémentaires rapides, mais a constitué l’intégralité des moyens qu’il a fallu mettre prioritairement à disposition des personnels soignants et des malades pendant plusieurs jours voire plusieurs semaines.

c.   Un stock stratégique de médicaments antiviraux considérablement réduit reposant sur des capacités de commande sujettes à interrogation

Le dimensionnement du stock d’antiviraux repose sur l’avis du Haut Conseil de la santé publique du 4 mars 2011 relatif à la stratégie d’utilisation des antiviraux et au dimensionnement des stocks stratégiques nationaux d’antiviraux dans le cadre d’une pandémie grippale. Cet avis recommande la constitution d’un stock soit pour 20 à 30 % de la population (option n° 1), soit pour une proportion de sujets à traiter plus faible (10 % de la population) doublé d’un stock complémentaire adapté aux besoins (option n° 2).

Fin 2015, le stock comprenait, conformément à l’option n° 1 retenue, 303 millions d’unités d’antiviraux.

Dans un courrier du 14 novembre 2016 au directeur général de Santé publique France, le directeur général de la santé constate qu’une partie substantielle du stock arrivera à péremption à la fin de l’année 2017. Il charge SpF de lui transmettre des scénarios d’évolution du stock, et notamment de considérer la possibilité de mettre en œuvre l’option n° 2 permettant son resserrement.

Le rapport du groupe d’expert présidé par le professeur Stahl, remis en septembre 2018 en réponse à la saisine de SpF, ne modifie pas la recommandation consistant à couvrir 30 % de la population en antiviraux, comme le HCSP auparavant. Or, à cette date, 95 % des médicaments antiviraux stockés sont déjà périmés ([34]).

Le directeur général de la santé fait alors le choix, dans son courrier du 30 octobre 2018, de retenir « l’option 2 », consistant à disposer de stocks permettant de traiter 10 % de la population, complété par des capacités de production permettant de traiter 20 % de la population supplémentaires. Il est demandé à Santé publique France d’atteindre dès 2019 un stock de 6,7 millions de traitements (soit un nombre d’unités de médicaments supérieur) correspondant à la couverture cible de 10 %. Il est également demandé à Santé publique France de préparer, en 2019, une étude de marché auprès des laboratoires fabricants et, en cas de résultat positif, de lancer un marché de réservation et d’acquisition permettant la couverture complémentaire de 20 % de la population, soit un total de 13,3 millions de traitements réservés.

Or, la défection des deux seuls fabricants présents sur le marché français, Teva et Roche ([35]) va rendre impossible d’atteindre la cible visant à obtenir une capacité de réservation pour 30 % de la population ([36]).  Dès lors, il est décidé de « prévoir chaque année une enveloppe complémentaire permettant de couvrir l’équivalent de 5 % de la population en nombre de traitements d’antiviraux entre 2020 et 2023 ».

Si le traitement par antiviraux n’a pas été requis dans le cadre particulier de la Covid-19, il convient toutefois de souligner que les stocks disponibles auraient, si tel avait été le cas, été inférieurs aux besoins en début d’année 2020, le choix de recourir, ici encore, à un stock minimal complété de capacités de production, n’ayant pas été assorti, en amont, de suffisamment de garanties permettant la mobilisation effective, dans les délais requis, de ces capacités de production.

Évolution du stock de médicaments antiviraux

Source : mission d’information, à partir des données de Santé publique France.


 

Proposition : mettre fin à la doctrine du stock « tampon » pour instaurer un véritable stock « tournant », dans lequel les commandes sont lissées en fonction de la durée de validité des produits et les produits arrivant à péremption distribués aux établissements de santé, tout en maintenant un stock minimal élevé (un milliard de masques chirurgicaux).

2.   L’absence de supervision des ministres et des cabinets sur le contenu de ces stocks ?

La réduction des stocks stratégiques de l’État semble s’être opérée dans l’indifférence ou l’ignorance du pouvoir politique, qu’il s’agisse des ministres de la santé ou de leurs cabinets et, en tout état de cause, n’a jamais été portée dans le débat public.

a.   Une évolution constante des stocks à la baisse depuis 2012

Au total, alors que le stock stratégique comprenait 1,5 milliard d’unités d’une grande variété de produits ([37]) d’une valeur totale de 297 millions d’euros en 2015, il n’était plus doté que de 794 millions d’unités d’une valeur totale de 158 millions d’euros en 2019 laissant la France dans un état d’incapacité à faire face à une crise sanitaire de l’ampleur de celle que nous avons connue (voir annexe 5).

Ce stock avait déjà considérablement diminué entre 2010 et 2014 pour passer d’une valeur maximale de 992 millions d’euros à la fin de l’année 2010, à 472 millions d’euros fin 2014 ([38]).

Évolution des stocks stratégiques en volume et en valeur entre 2015 et 2020

Source : mission d’information, à partir des données de Santé publique France.

Évolution des stocks de certains produits en volume entre 2015 et 2020

Note de lecture : les valeurs des stocks de masques chirurgicaux ne tiennent pas compte des masques déclarés non-conformes (613 millions à l’été 2018, dont 362 millions restent à détruire au 31 décembre 2019)

Source : mission d’information, à partir des données de Santé publique France

 

L’évolution du financement des stocks stratégiques

Le cadre financier de la gestion des stocks stratégiques a évolué à plusieurs reprises et témoigne d’une certaine instabilité.

Alors que, jusqu’en 2017, le financement des stocks stratégiques était partagé entre l’État et l’Assurance-maladie au travers du financement paritaire de l’EPRUS, la loi de finances pour 2017 organise le financement de SpF uniquement par l’État, via une subvention pour charge de service public prélevée sur le programme 204, « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins ». Puis, en sens inverse, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 transfère finalement ce financement à la seule assurance maladie, par une dotation du régime obligatoire à SpF.

Si pour certains, ce transfert du financement avait pour objet de sanctuariser le budget de l’agence et d’éviter les financements croisés ([39]), pour votre rapporteur, au contraire, il traduit un désengagement de l’État, contestable au regard du caractère régalien que recouvre la préparation au risque de crise sanitaire. Ainsi, en 2015, le rapport précité du Sénateur Francis Delattre consacré à l’EPRUS recommandait d’appliquer « le principe de cofinancement à parité par l’État et l’assurance maladie à la future agence nationale de santé publique, afin de maintenir un niveau de participation critique de l’État en matière de sécurité sanitaire et de prévention ».

b.   Une évolution qui semble s’être opérée dans l’indifférence du pouvoir politique

Au moment de la création de l’EPRUS et de l’élaboration des plans de lutte contre une pandémie grippale, la question des stocks stratégiques paraissait un enjeu central, sur lequel les ministres eux-mêmes se sont engagés et, en tout état de cause, tenus informés.

Ainsi, M. Xavier Bertrand décidait-il, par exemple, d’organiser une filière de production nationale de masques en 2005 pour consolider le stock stratégique et sa capacité à être mobilisé rapidement en cas de crise, puis adressait en 2007 au Premier ministre un tableau récapitulatif des besoins de chaque ministère en masques FFP2, avant de s’investir personnellement pour préserver les moyens de l’EPRUS.

 

 

Mme Roselyne Bachelot a estimé également, lors de son audition, qu’un ministre devait être informé de l’état des stocks régulièrement et, qu’en tout état de cause, la politique des masques relevait de sa responsabilité ([40]). M. Georges-François Leclerc, son directeur de cabinet, l’a confirmé : « le stock stratégique était constitué des deux catégories de masques, chirurgicaux et FFP2. Il m’en était fait scrupuleusement rapport et j’en informais tout aussi scrupuleusement mon ministre […]. J’étais, en qualité de directeur de cabinet, tenu informé à la fois par le directeur général de la santé et par le directeur général de l’EPRUS de l’état stratégique des stocks qui était concentré entre les mains de l’établissement ».([41])

Qu’en a-t-il été par la suite ? Pour quelle raison ce sujet n’a-t-il plus semblé intéresser les ministres ou leurs cabinets ?

Ainsi, alors qu’une réunion de sécurité sanitaire rassemble, chaque semaine, le cabinet du ministre chargé de la santé, la direction générale de la santé et l’ensemble des agences sanitaires, notamment Santé publique France, Mme Agnès Buzyn et les membres de son cabinet ont affirmé n’avoir jamais reçu la moindre alerte relative à la question des stocks stratégiques.

Comme l’a indiqué Mme Agnès Buzyn : « C’est une réunion très importante où remontent toutes les alertes sanitaires ; or il n’y en a pas eu » [sur le stock stratégique]. Son conseiller sécurité sanitaire à compter d’octobre 2018 le confirmait : « il est très clair qu’entre octobre 2018 et janvier 2020, rien de particulier n’est remonté au cabinet de la ministre concernant les stocks stratégiques gérés par Santé publique France », pensant que cela résultait du fait que ce dossier « ne faisait pas l’objet d’un niveau d’alerte prioritaire, pas plus en octobre 2018 qu’en octobre 2017 ». Il indiquait n’avoir été alerté ni ne s’être enquis du sujet : « ai-je personnellement, sur la période courant d’octobre 2018 à janvier 2020, cherché à m’enquérir de la situation des stocks stratégiques de masques ou des autres stocks ? La réponse est non. Ai-je reçu une alerte ? La réponse est non ».

Ceci paraît d’autant plus surprenant que la non-conformité de la majorité du stock de masques et de médicaments antiviraux en 2018 aurait dû constituer une information notable portée à la connaissance de la ministre pour requérir son arbitrage sur les mesures à prendre. Pour le DGS, cette information ne constituait pas une « alerte » justifiant d’être remontée au niveau de la ministre : « Pour être très clair, la réponse de François Bourdillon annonçant ces centaines de millions de masques périmés constituait à mes yeux, non pas une alerte, mais une très mauvaise nouvelle pour tous les acteurs concernés par la réponse aux crises » (audition par la mission du 28 octobre 2020).

Le passage à un stock tampon, qui, bien qu’évoqué depuis plusieurs années, se concrétise à partir de 2018, n’a pas davantage fait l’objet d’une information précise de la ministre ce qu’elle explique par l’absence d’arbitrage à rendre, comme elle l’a indiqué par écrit : « J’ai appris depuis, grâce aux archives, que des réunions et des échanges de courriers avaient eu lieu entre la DGS et Santé publique France, aux cours desquelles il a été décidé de mettre en œuvre la doctrine de stock tampon tournant et de diversification des achats prévus dans le contrat d’objectifs et de performance (COP) que j’ai signé en 2018 […] ([42]). Aucun arbitrage n’est remonté à mon cabinet et à moi-même directement, ce qui me conduit à penser que la DGS et SpF étaient d’accord à l’issue de ces échanges. Je ne peux pas imaginer qu’un arbitrage n’aurait pas été demandé, si un désaccord avait subsisté sur un point considéré comme stratégique par l’une ou l’autre partie […]. La DGS et SpF selon moi mettaient déjà en œuvre de concert cette demande de stock minimal tournant et de diversification des sources d’achat lors de la commande d’octobre 2018. L’un et l’autre n’ont pas sollicité d’arbitrage du cabinet ».

Le rapporteur considère que la question des stocks stratégiques ne saurait être ignorée du Gouvernement, et notamment du ministre de la santé à qui il incombe de préparer le système de santé à une crise sanitaire. Si la gestion quotidienne des stocks relève de Santé publique France, l’agence agit à la demande du ministre chargé de la santé, pour l’acquisition, la fabrication, le stockage, ou encore la distribution des produits de santé, lequel ne saurait en ignorer les évolutions notables, y compris hors temps de crise, pour être en mesure d’opérer les choix stratégiques qui s’imposent.

Proposition : formaliser dans le cadre de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale un débat sur le volume et l’état des stocks stratégiques.

II.   l’approvisionnement en Équipements de protection individuelle : une crise logistique majeure

Les premières semaines de la crise sanitaire ont été marquées par des images de soignants équipés parfois de moyens de fortune et déplorant le manque d’équipements de protection, alors qu’ils étaient les plus exposés et risquaient eux-mêmes d’être des vecteurs de contamination.

Les stocks en EPI constitués par les établissements de santé et les professionnels libéraux, lorsqu’ils existaient, n’avaient en effet vocation qu’à assurer quelques semaines de fonctionnement courant, permettant éventuellement de faire face à une difficulté ponctuelle d’approvisionnement, mais aucunement à gérer une situation pandémique sur longue durée, et ce d’autant plus que du fait de l’épidémie la consommation de masques et d’EPI a augmenté massivement.

Très vite, la crise sanitaire est donc devenue une crise de logistique, en l’absence de stocks stratégiques d’État constitués : comment se procurer dans l’urgence et en quantité considérable des masques, des blouses, des charlottes et des gants. Comment les acheter, les acheminer, les stocker, les distribuer rapidement et au plus près des besoins ?

Cette mission est celle de Santé publique France, en application de l’article L. 1413-4 du code de la santé : « À la demande du ministre chargé de la santé, l’agence procède à l’acquisition, la fabrication, l’importation, le stockage, le transport, la distribution et l’exportation des produits et services nécessaires à la protection de la population face aux menaces sanitaires graves ». C’est la raison même qui a présidé à la création de l’EPRUS, chargé d’assurer ce rôle logistique avant qu’il ne soit repris par la nouvelle agence.

Toutefois, des problèmes manifestes d’anticipation, de dimensionnement et d’organisation de l’agence ont contraint l’État à se tourner vers des solutions alternatives pour se procurer et distribuer des EPI en urgence.

Des équipements ont pu être fournis aux établissements de santé grâce au dispositif monté dans l’urgence, mais aussi aux dons, à la réutilisation de masques périmés conservés de l’épisode H1N1, à l’utilisation rigoureuse des stocks disponibles et aux premières livraisons qui leur ont été prioritairement affectés. Des situations de tensions fortes ont cependant existé dans les établissements des premières régions touchées. Et la pénurie de masques a également affecté, plus fortement encore, les professionnels libéraux et les établissements médico-sociaux, non prioritaires dans les premières livraisons des masques du stock d’État.

Enfin, au-delà des professionnels, la distribution de masques au grand public a également été complexe en raison de messages contradictoires liés à l’évolution des connaissances scientifiques quant à leur utilité, mais également de la nécessité de réserver ces masques aux professionnels de santé.

A.   SPF : un outil qui s’est révélé inadapté et sous-dimensionné

La crise a mis en avant l’absence d’anticipation par l’État des implications logistiques d’une crise sanitaire de grande ampleur, telle que l’épidémie de Covid-19 l’a été. Elle a, en effet, exposé un véritable déficit logistique, l’opérateur désigné, Santé publique France, étant manifestement sous-dimensionné en compétences et en effectifs, et trop peu préparé à faire face.

Comme l’indiquait Mme Claire Landais, ancienne SGDSN, « collectivement, nous avons péché au fil des ans dans le sentiment que l’intendance suivrait, alors que la logistique apparaît éminemment stratégique lors d’une pandémie ».

Cette situation a conduit à difficultés particulièrement importantes s’agissant de l’acheminement des masques aux professionnels de santé, présenté comme l’un des principaux points noirs de la crise.

1.   L’intégration de l’EPRUS à Santé publique France : la perte d’un opérateur logistique efficace

La capacité logistique de réponse aux crises sanitaires a été affaiblie par l’intégration de l’établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS), créé en 2007, dans la nouvelle agence nationale de santé publique, Santé publique France, en 2016.

Alors que l’EPRUS, créé de manière très consensuelle après une succession de crises sanitaires (épidémie de SARS-CoV-1 en 2002-2003, canicule en 2003, épidémie de chikungunya à La Réunion en 2005-2006, épisode de grippe aviaire en 2006, etc.) pour gérer la réserve sanitaire d’une part et les stocks stratégiques de l’État d’autre part, avait fait ses preuves lors de la crise H1N1 en 2009 ([43])  en ayant permis de mettre en place une gestion « fiable » des stocks, sa fusion au sein de Santé publique France a conduit à diluer ses compétences propres en matière de logistique au sein d’un établissement aux missions bien plus larges, et qui paraît s’être prioritairement centré sur la veille épidémiologique.

Créé par la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, ce nouvel établissement avait vocation à rassembler plusieurs agences pour rationaliser l’organisation sanitaire et assurer une forme de « continuum » cohérent, allant de la prévention à la réponse aux crises en passant par la veille. L’agence ainsi créée, nommée Santé publique France, est alors dotée de six missions : l’observation épidémiologique et la surveillance de l’état de santé des populations ; la veille sur les risques sanitaires menaçant les populations ; la promotion de la santé et la réduction des risques pour la santé ; le développement de la prévention et de l’éducation pour la santé ; la préparation et la réponse aux menaces, alertes et crises sanitaires ; le lancement de l’alerte sanitaire.

L’EPRUS était composé d’une trentaine d’agents fin 2014, avant son intégration à Santé publique France, notamment de militaires issus du service de santé des armées, dotés de compétences spécifiques en matière de logistique et d’approvisionnement. Lors de la fusion des organismes, ces agents ont peu pesé au sein des quelque 600 agents de Santé publique France, majoritairement des chercheurs issus de l’Institut national de veille sanitaire. Ce risque était redouté par le sénateur Francis Delattre dans son rapport de 2015 sur l’EPRUS ([44]), qui recommandait alors que les fonctions de réponses aux crises sanitaires auparavant assumées par cet organisme conservent une certaine autonomie au sein de Santé publique France.

Cette appréciation a été confirmée par M. William Dab, ancien directeur général de la santé (2003-2005) : « Intégrer l’EPRUS dans Santé publique France n’était pas déraisonnable. Le problème, c’est son rôle de variable de régulation ou d’ajustement budgétaire. Il fallait sanctuariser ces missions ».

De surcroît, cette fusion a entraîné une réduction des effectifs globaux (- 20 % depuis 2010, sur l’ensemble du périmètre de l’agence) ([45]), qui, si elle n’a pas conduit à une réduction des effectifs sur le périmètre de l’EPRUS ([46]), n’a pas permis de compenser le sous-dimensionnement de l’établissement pharmaceutique, chargé de la gestion des stocks. Cette faiblesse du dimensionnement de l’établissement pharmaceutique a été soulignée par François Bourdillon, directeur général de SpF de 2016 à 2019.

En définitive, l’absorption de l’EPRUS par Santé publique France a nui à la capacité de l’agence à constituer et à gérer les stocks stratégiques, mais également à sa réactivité face à la crise et à son caractère opérationnel, ce cœur de métier de l’EPRUS s’étant dilué dans une entité aux missions étendues. L’établissement, qui n’avait jamais eu l’occasion de se confronter au terrain, est apparu désarmé, à toutes les étapes où son intervention était nécessaire – commandes, acheminement, stockage, distribution, traçabilité, etc. – et ce, alors même que le contrat d’objectifs et de performances (COP) qui le lie à l’État et le code de la santé lui assignent la mission de répondre aux crises sanitaires avec l’objectif « d’assurer de façon optimale la préparation et la réponse aux menaces, alertes et crises sanitaires » (objectif n° 3 du COP). L’article R.1413-1 du code de la santé publique confie de même à Santé publique France la mission de « contribuer à la préparation et à la gestion des situations de crise et à la mise en œuvre des plans de réponse aux menaces, alertes et crises sanitaires, notamment en fournissant à l’État une expertise logistique et en mobilisant les moyens dont elle dispose ».

Aussi, votre rapporteur appelle à la création d’un EPRUS renouvelé, d’un établissement responsable de la seule gestion des stocks stratégiques. Cet établissement devrait être placé sous le contrôle du ministre délégué auprès du Premier ministre chargé de l’anticipation des crises pour disposer de l’autorité nécessaire à l’exercice de ses missions et garantir son prisme interministériel.

Proposition : confier la gestion des stocks stratégiques à un opérateur dont cela constituerait la mission principale, placé sous le contrôle du ministre délégué auprès du Premier ministre chargé de l’anticipation des crises.

2.   La mise en place indispensable d’une cellule logistique pour suppléer Santé publique France

Les commandes, passées dans l’urgence, et l’ensemble de la logistique associée, ont requis la mise en place d’une organisation nouvelle pour suppléer les équipes de Santé publique France, manifestement sous-dimensionnées pour assurer l’ensemble des missions indispensables à l’approvisionnement en équipements de santé : l’identification des fournisseurs potentiels (sourcing), les négociations des marchés, ou encore l’organisation de l’acheminement puis de la distribution.

Ainsi, à compter de début mars, une cellule logistique interministérielle est constituée, la cellule de coordination interministérielle logistique et moyens sanitaires (CCIL-MS). Ses moyens humains ont varié entre sa constitution et sa dissolution début octobre 2020, entre 20 et 50 personnes, avec les effectifs les plus importants entre avril et juillet.

Pôles organisés au sein de la CCIL-MS

– un pôle sourcing, composé d’acheteurs publics de la direction des achats de l’État, de centrales d’achats publics, du programme PHARE de la DGOS et d’établissements, qui avait pour mission de recenser les offres de fournisseurs, de négocier les conditions d’acquisition des produits pour le stock de l’État et de transmettre ces éléments à SpF pour la conclusion du marché après validation par le cabinet du ministre de la santé (jusqu’à juillet) ou du directeur général de la santé (à partir de juillet) ;

– un pôle amont et approvisionnement, qui avait pour mission de programmer le transport et de cadencer les arrivées dans les entrepôts de Santé publique France ;

– un pôle aval, qui passait les ordres de distribution chaque semaine à Santé publique France (en précisant les quantités et les destinataires) et organisait les distributions avec Geodis. D’éventuelles priorisations étaient arbitrées par le ministre.

Les missions de SpF ont pour l’essentiel été limitées, dans la crise, à la passation de commande dont les ordres formels lui parvenaient de la DGS, ainsi qu’à la réception des produits dans ses plateformes et à l’organisation des contrôles qualité.

Schéma des missions de la CCIL-MS

Source : direction générale de la santé, réponse au questionnaire.

La CCIL-MS a ainsi constitué une cellule indispensable sans laquelle SpF n’aurait pas été en mesure d’assurer la réponse à la crise sanitaire s’agissant de l’équipement des professionnels de santé et de la population.

Le sourcing assuré par la CCIL-MS a, en effet, permis d’aboutir à la signature de contrats fermes de commande de 4,71 milliards de masques (3,59 milliards de chirurgicaux et 1,07 milliard de masques FFP2) et de l’équivalent de 500 millions d’euros en équipements de protection individuelle, auprès d’un grand nombre de fournisseurs (voir annexe 6).

Toutefois, la répartition des rôles entre les deux structures semble avoir été source de coûts de coordination importants, en raison de la complexité des échanges et du partage d’information alors qu’un suivi fin de l’état des stocks en temps réel était indispensable, de la complexification des processus de validation, et, de manière générale, de la segmentation d’une chaîne logistique habituellement unifiée sous l’égide d’un seul acteur disposant d’une vue d’ensemble.


B.   des commandes massives vers l’asie qui ont été passées au prix fort

1.   Des premières commandes limitées et qui interviennent dans un marché international déjà tendu

L’information sur l’existence d’une forme nouvelle de coronavirus circulant dès la fin du mois de décembre, SpF conformément à sa mission de veille et de prévention, élabore, le 26 janvier 2020, à la demande de la ministre de la santé formulée la veille, plusieurs scénarios épidémiques possibles.

L’agence estime alors que le scénario le plus probable est celui d’une pandémie qui toucherait le territoire national avec des « impacts sanitaires et sociaux significatifs, avec persistance de ce nouveau virus qui nous ferait entrer dans une vague pandémique » ([47]).

Le ministère de la santé ne passe toutefois une commande, le 30 janvier, que pour 1,1 million de masques FFP2, commande très largement sous-dimensionnée pour faire face aux besoins du système de santé, et ce d’autant plus que l’absence de masques FFP2 dans le stock stratégique est connue et que des distributions bien plus importantes avaient eu lieu au cours de la crise pandémique entre 2009 et 2010 : 93 millions de masques FFP2 avaient alors été délivrés aux professionnels de santé ([48]). Cette commande est complétée le 7 février par une commande additionnelle elle aussi très limitée de 28,4 millions de masques FFP2.

Au ministère de la santé, ministre comme DGS estiment avoir ainsi agi précocement compte tenu de la propagation effective de l’épidémie encore très réduite début février, comme en témoignent les auditions de Mme Agnès Buzyn et de M. Jérôme Salomon ([49]) par la mission.

Votre rapporteur considère cependant qu’à cette date le risque d’une propagation sur le territoire national était clairement identifié et que les commandes de masques produits en Asie passées par d’autres États étaient déjà très importantes, mettant l’acheminement de ces commandes tardives vers la France en difficulté. Comme l’a indiqué Mme Buzyn lors de son audition, « lorsque nous lançons des commandes, le 30 janvier, le 7 février, il n’y a plus moyen d’obtenir les produits. Le trafic aérien est arrêté, l’acheminement par bateau prend un mois. Nous sommes face à une situation inédite qui nous montre que nous n’avons pas pris la mesure de la centralisation de la production en Chine, qu’il s’agisse des produits finis ou des matières premières ». Ceci a été confirmé par M. Grégory Émery lors de son audition : « dès fin janvier et en février, des commandes de masques FFP2 sont passées par Santé publique France, qui rencontre des difficultés liées à l’état du marché et à sa reconcentration : tous les pays, à l’époque, cherchent à acquérir ce type de masques. Des échanges ont lieu avec la DGS et Santé publique France indique qu’elle ne pourra recevoir que d’ici à fin avril 7 millions de masques FFP2 et identifie une phase critique ».

Le rapporteur souligne, d’ailleurs, que le risque de dépendance à l’égard de la production chinoise – qui s’est traduit de manière particulièrement forte dans la mesure où la région de Wuhan, première touchée par l’épidémie, est un site de production important d’EPI – était identifié depuis l’épidémie de H5N1 en 2005 (voir infra) et dès les premières semaines de la crise ([50]).

Or ce n’est que le 25 février qu’une commande massive de 170,5 millions de masques FFP2 est passée.

La situation est la même s’agissant des masques chirurgicaux, destinés initialement aux personnes malades, mais finalement attribués aux soignants : la ministre Agnès Buzyn estimait, le 26 janvier dans une interview diffusée sur la chaîne BFMTV qu’à cette date, il n’y avait « aucune indication à acheter des masques pour la population française, nous avons des dizaines de millions de masques en stock. En cas d’épidémie, ce sont des choses qui sont d’ores et déjà programmées ». Le 24 février, le ministre Olivier Véran déclarait encore, lors d’un point de situation sur la crise du coronavirus, que « la France dispose de stocks massifs de masques chirurgicaux si nous avions besoin d’en distribuer », tandis que M. Salomon affirmait le 26 février, devant la commission des affaires sociales du Sénat que « Santé publique France détient des stocks stratégiques importants de masques chirurgicaux. Nous n’avons pas d’inquiétude sur ce plan. Il n’y a donc pas de pénurie à redouter, ce n’est pas un sujet ».

Une première commande est passée le 26 février, pour seulement 4 millions de masques chirurgicaux. Les premières commandes massives n’interviendront que le 9 mars, pour 200 millions de masques chirurgicaux, suivies d’une commande, le 13 mars, de 200 millions de masques (FFP2 et chirurgicaux confondus) et d’une commande le 24 mars de 655 millions de masques chirurgicaux.

En parallèle, le ministre annonce, le 26 février, avoir demandé le déstockage de 15 millions de masques chirurgicaux (anti-projection) présents dans les stocks stratégiques pour qu’ils soient distribués dans les pharmacies, les hôpitaux, aux professionnels de santé et aux personnes à risque, revenant de zones à risque ou cas contact ([51]). Par courrier du 30 mars au directeur général de la santé, le ministre de la santé, M. Olivier Véran, demande également que les lots dont la date de péremption est expirée au cours de l’année 2019 (72,1 millions de masques chirurgicaux), qui étaient réputés détruits, puissent être mobilisés au bénéfice des professionnels de santé, sous réserve d’une vérification de leur conditionnement, de leur apparence et de la solidité des élastiques.

L’État a également procédé par trois décrets successifs ([52]) à la réquisition de l’ensemble des masques FFP2 détenus par des personnes morales, publiques ou privées, ainsi que des masques chirurgicaux détenus par des entreprises qui en assurent la fabrication ou la distribution, puis à la réquisition potentielle des masques importés dépassant le seuil de 5 millions d’unités par trimestre et par personne morale, afin de les distribuer aux personnels soignants. Selon les informations fournies par Santé publique France, le nombre total de masques réquisitionnés s’est élevé, au 31 mai, à 44 millions d’unités, pour un montant de 55,34 millions d’euros. Une entreprise française produisant en Chine est également tombée sous le régime de la réquisition, pour 58,8 millions de masques représentant 33,87 millions d’euros. Ces réquisitions ont cependant créé localement des tensions pour l’utilisation par les professionnels de santé de masques pourtant disponibles ou pour leur approvisionnement auprès de leurs fournisseurs habituels ([53]).

La réquisition ou les dons de masques au profit des personnels soignants les ayant rendus indisponibles pour d’autres professions exposées au contact potentiel de personnes malades – caissiers, salariés d’opérateurs d’importance vitale (énergie, transport, etc.) – il est décidé de mener une nouvelle analyse des 362 millions de masques acquis dans les années 2003-2005, déclarés non conformes en 2018, mais non encore détruits, pour évaluer leur potentiel de réemploi à des fins non sanitaires. Cette étude, commandée par la DGS le 27 mars 2020, a été menée par la direction générale de l’armement qui conclue, le 7 avril, à la possibilité de reclasser certains de ces masques en masques à usage non sanitaire, aux fins de les rendre utilisables par des personnels non médicaux en contact avec le public.

Au 16 juillet 2020, Santé publique France indique que 108 millions de masques déclarés non conformes (deux références) ont été reclassés pour un usage non-sanitaire ([54]).

2.   Des commandes finalement massives mais passées au prix fort

a.   Une mobilisation des capacités de production nationale limitée en raison du démantèlement de la filière

La filière nationale de production de masques sanitaires a été la première mobilisée. Ainsi, la lettre de saisine du 7 février de la DGS pour une commande de 28,4 millions de masques FFP2 demande à Santé publique France de prendre sans attendre l’attache des quatre producteurs français historiques de masques, identifiés par le SGDSN (Boye, Macopharma, Valmy et Kolmi) pour mettre en œuvre avec eux une procédure accélérée d’achat.

La France a cependant, en quelques années, perdu son indépendance stratégique en matière de production de masques (voir encadré), devenant vulnérable aux aléas de l’approvisionnement international et n’étant plus en mesure de répondre seule aux besoins de son système de santé.

Cette filière de production a, en effet, été affectée par des fermetures de sites de production comme l’usine Bacou-Dalloz (devenue Sperian Protection) de Plaintel (Côtes d’Armor) en 2018, et ne peut répondre à l’augmentation de la demande.

Les capacités de production des producteurs existants réduites à 3,5 millions de masques par semaine (voir encadré) ont, certes, été renforcées (passage à une production de à 10 millions de masques par semaine en avril) et complétées par la mobilisation de quatre nouveaux producteurs (production de 10 millions de masques supplémentaires par semaine à partir de mai) grâce à l’action menée notamment par la ministre déléguée à l’industrie ([55]), mais leur montée en puissance progressive a été tardive par rapport à la cinétique de la crise. La fourniture française en masques est donc restée faible par rapport aux besoins en période de crise (consommation de 40 millions de masques chirurgicaux par semaine pour le seul secteur hospitalier), témoignant de la dépendance à l’égard de la production asiatique.

Acquisitions de masques sanitaires auprès du secteur industriel français

(en millions d’unités)

Source : CCIL-MS

 

L’affaiblissement de la capacité de production de masques en France :

le cas Bacou-Dalloz

Alors qu’entre 2005 et 2010, une véritable filière française de production de masques, en particulier de masques FFP2 avait été organisée, celle-ci s’est peu à peu été rétrécie, réduisant considérablement les capacités de production à la veille de la crise.

Il avait, en effet, décidé, en 2005, de constituer une industrie française de la production de masques FFP2, en raison du risque suscité par le virus H5N1 et de la prise de conscience de la dépendance de la France à l’égard des importations. Le risque de rupture des approvisionnements en cas de pandémie mondiale  arrêt des exportations et préférence nationale opposée par les producteurs  est alors nettement identifié. M. Xavier Bertrand, lors de son audition par la mission indique que : « s’agissant des masques, lorsque je prends conscience de notre dépendance vis-à-vis de la Chine et des autres pays d’Asie, je propose au Président de la République de créer une force de production nationale. Nous prenons la décision de passer des commandes très importantes de masques auprès d’usines françaises : certaines existent déjà et s’adjoignent cette spécialité ; d’autres sont créées de toutes pièces ».

Un accord est signé avec l’entreprise Bacou-Dalloz, sise à Plaintel, dans les côtes d’Armor, le 26 décembre 2005, dont le préambule précise que « devant le risque avéré de survenue d’une pandémie grippale, le gouvernement a décidé la constitution des stocks d’équipements nécessaires à la protection des personnes particulièrement exposées de par leur profession, au premier rang desquels les professionnels de santé. Dans cette optique, l’approvisionnement en quantité massive de masques de type FFP2 doit être assuré. Cela exclut de dépendre massivement d’importations qui se trouveraient interrompues dans un contexte de pandémie. C’est pourquoi, il est demandé aux industriels du textile technique non tissé d’installer sur le territoire national des ateliers de production de masques FFP2 », la réalisation de cette opération étant attendue « dans les plus brefs délais possible ».

Aux termes de cet accord, l’entreprise doit organiser « une filière d’approvisionnement permettant de garantir une production de masques en grande quantité, soit 180 millions par an » et prendre l’engagement de « réserver prioritairement sa production aux acheteurs désignés par l’État ou l’union des groupements d’achats publics (UGAP) dans la période prépandémique », ainsi que d’assurer « la gestion d’un stock tampon, dont le volume sera fixé à 10 millions de masques, soit 10 % de la production annuelle hors situation de pandémie, et garantir pour les besoins de l’État sa pérennité au moyen d’une rotation dans le cadre du volume des ventes à sa clientèle privée ».

L’État s’engage, de son côté, à commander 30 millions de masques en 2006, 140 millions en 2007 et 30 millions en 2008. Le prix de vente du masque pliable est fixé à 35 centimes. L’article 11 de l’accord indique que l’État assurera le renouvellement de son stock arrivé à péremption.

L’entreprise est pourtant fermée en 2018 et les chaînes de production détruites. Après son rachat en 2010 par un groupe américain, les effectifs avaient déjà été réduits de 140 à 38 salariés sur la période, la production de masques, délocalisée en Tunisie, passant d’une capacité de 180 millions par an à une production effective de 8 millions par an. Son ancien dirigeant, M. Roland Fangeat, l’expliquait ainsi : « de janvier 2009 à septembre 2010, nous avons livré 160 millions de masques FFP2 à l’État. Puis, il y a eu un désengagement de l’État, la chute des commandes a été catastrophique pour l’usine » ([56]). En l’absence de commandes de l’État entre 2011 et 2017, le site est devenu déficitaire.

Si M. Xavier Bertrand estime que le contrat avait été signé pour 5 ans et que l’entreprise aurait dû chercher d’autres clients pour ne pas reposer sur les seules commandes de l’État ([57]), son ancien dirigeant indique qu’en application de l’accord, l’État aurait dû renouveler par de nouvelles commandes le stock arrivant à péremption, ce qui n’a pas été le cas.

Quoi qu’il en soit, la filière française de production de masques s’est affaiblie, faute de commandes régulières de l’État. À la veille de la crise sanitaire, la capacité de production était de 3,5 millions de masques par semaine, ce qui est évidemment très insuffisant en situation de pandémie. M. Roland Fangeat alertait pourtant dès 2005, dans une audition devant l’Assemblée nationale ([58]), sur l’importance du maintien d’une capacité de production française, en des termes qui ont été vérifiés par les faits : « par rapport aux besoins actuels du marché, la capacité de production est largement suffisante. Mais on peut prévoir qu’en période de crise, la demande mondiale serait multipliée au moins par dix et que des problèmes se poseraient […]. Si une pandémie se déclarait aujourd’hui, il est évident que toutes les sociétés spécialisées du monde fabriqueraient d’abord pour les pays où elles sont implantées, et donc pas pour la France. Chaque pays devant se contenter de sa production nationale, le nôtre n’aurait pas les moyens de s’équiper. D’où une réflexion nécessaire sur l’implantation, en France, d’autres unités de fabrications ».

En outre, les approvisionnements en masques d’origine française ont été affectés par des retards de production. Ainsi, alors que 228 millions de masques produits ou mis à disposition par des distributeurs français en France étaient attendus début juillet, seuls 181 millions avaient été réceptionnés, cet écart s’expliquant, selon Santé publique France, « soit par des problématiques de maintenance sur certaines machines pour certains fournisseurs, soit par des problèmes de disponibilité de matières premières ou bien encore de retards pris dans l’obtention des certificats de conformité » ([59]).

En définitive, selon un rapport de l’Inspection des affaires sociales ([60]), au 15 juin 2020 les masques commandés en France ont représenté 30 % des volumes (1,15 milliard de masques) et 28 % des coûts (793 millions d’euros), la majorité des masques (pour 2,67 milliards d’unités et 1,99 milliard d’euros) ayant été commandés en Chine ([61]).

Ceci apparaît d’autant plus dommageable que, comme le rapporte l’IGAS, Santé publique France estime que les masques produits en France sont de meilleure qualité globale (avec une moindre hétérogénéité) et moins chers sans même tenir compte des coûts de transport – compte tenu de leur durée de vie plus longue.

Pour les mois qui viennent, les commandes ont été poursuivies auprès des producteurs français pour contractualiser la production et prévoir l’achat, au total, de plus d’1 milliard de masques fabriqués en France, progressivement livrés jusqu’à la fin de l’année 2020 (la majorité, 846 millions de masques, devant être livrés entre mai et décembre) auprès des quatre producteurs historiques et des quatre nouveaux producteurs. Au total, la capacité de production des masques sanitaires en France devrait être multipliée par 30, passant de 3,5 millions avant la crise à 100 millions par semaine en décembre 2020, avec un décollage prévu à partir de la fin de l’été et un pic au mois d’octobre ([62]).

Cette évolution à la hausse des capacités de production françaises de masques doit impérativement être pérennisée et accompagnée par des commandes régulières de l’État, dans le cadre de la mise en œuvre d’un stock tournant.

De plus, alors que la fermeture de l’usine de Plaintel n’a pas fait l’objet d’une information particulière du SGDSN, il apparaît que les entreprises productrices de masques sanitaires doivent impérativement bénéficier du statut d’opérateurs d’importance vitale, ce statut garantissant une vigilance particulière de l’État, s’agissant notamment des opérations d’investissement ou de cessions.

Proposition : consolider les capacités de production françaises d’équipements de protection individuels et en particulier de masques sanitaires pour garantir la souveraineté et l’indépendance française en la matière, y compris en temps de crise ; garantir une production au moins égale à 50 % des besoins en temps de crise sur le territoire national ; reconnaître aux usines de production de masques sanitaires le statut d’opérateurs d’importance vitale et aux produits et services concernés celui de produits et services d’importance vitale.

b.   Le coût de l’impréparation : des commandes passées en Chine à des prix élevés à acheminer par un pont aérien

i.   Des commandes importantes pour faire face aux besoins mais qui ont subi une forte augmentation des prix

Les commandes de masques auprès de fournisseurs étrangers se sont intensifiées, à partir de la fin du mois de février s’agissant des masques FFP2, et de la fin du mois de mars s’agissant des masques chirurgicaux.

Évolution des saisines du Ministère de la santé en masques chirurgicaux

(en millions de masques)

Note de lecture : la commande du 13 mars porte sur 200 millions de masques, chirurgicaux et FFP2 confondus sans détail de la répartition, ici comptabilisée comme masques chirurgicaux.

Source : mission d’information, à partir des données de Santé publique France.

Évolution des saisines du ministère de la santé en masques FFP2

(en millions de masques)

Source : mission d’information, à partir des données de Santé publique France.

Au total, ces commandes ont représenté un volume important, indispensable pour faire face aux besoins, mais également un coût particulièrement élevé.

Selon les données transmises par SpF :

– au 28 mai 2020, l’agence avait procédé à l’acquisition de 3,42 milliards de masques, pour 2,55 milliards d’euros (dont 2,4 milliards de masques chirurgicaux pour 1,14 milliard d’euros) ;

– au 8 octobre, l’agence indiquait avoir commandé depuis le début de la crise sanitaire 4,6 milliards de masques, dont 3,6 milliards de masques chirurgicaux, pour un coût avoisinant 3 milliards d’euros (dont 1,4 milliard d’euros pour les masques chirurgicaux, 1,6 milliard d’euros pour les masques FFP2 et 27 millions d’euros pour les masques pédiatriques).

S’y ajoute une commande passée directement par la DGS, le 20 mars 2020, pour acquérir 39 millions de masques FFP2 pour 119,74 millions d’euros et 32 millions de masques chirurgicaux pour 28,1 millions d’euros. Cette commande a été passée afin d’épauler Santé publique France qui devait passer dans le même temps un nombre important d’autres marchés similaires.

S’agissant des EPI, au 28 mai 2020, 443 millions d’euros avaient été engagés par Santé publique France et 430 millions d’euros restaient à engager pour l’acquisition de blouses, charlottes et gants. Au 8 octobre 2020, 1,2 milliard de gants avaient été commandés, ainsi que 630 millions de surblouses et tabliers, 40 millions de surchaussures, charlottes et lunettes.

Ces commandes se sont heurtées à plusieurs difficultés, qui ont été amplifiées par une préparation insuffisante :

 la difficulté à trouver des fournisseurs, en particulier pour certains EPI. Une contractualisation a pu être opérée pour l’approvisionnement en charlottes à hauteur de 800 000 par semaine pour les semaines 17 à 19 (20 avril-10 mai), alors que le besoin estimé était de 1,2 million par semaine ; de même, une contractualisation a été opérée pour l’approvisionnement en surchaussures à hauteur de 1 million par semaine pour les semaines 18 à 23 alors que le besoin estimé était de 4,5 millions ([63]) ;

 l’augmentation du coût des produits : alors que les masques chirurgicaux étaient vendus autour de 3 centimes TTC l’unité avant la crise, ils ont été vendus au prix moyen de 27 centimes au 25 mai 2020 s’agissant des masques produits en France, et de 45 centimes (hors coût de transport) s’agissant des masques produits à l’étranger ([64]), soit un coût moyen de 0,41 centime pour l’ensemble des masques chirurgicaux. Le tarif des gants a, également, fortement augmenté, de 111 % pour les gants en vinyle (passant de 4,50 euros la boîte de 100 gants en mars à 9,50 euros en septembre) et de 66 % pour les gants en nitrile (passant de 5,99 euros en novembre à 9,94 euros en juillet).

Les prix négociés par le ministère de la santé pour les masques chirurgicaux ont atteint un maximum de 0,75 euro HT l’unité à la mi-mars pour redescendre à 0,50 euro HT en avril, puis 0,40 euro HT en mai (hors transport), puis 0,20 euro TTC en juin (transport compris). Depuis le mois de septembre, les prix sont de l’ordre de 0,06 euro à 0,10 euro TTC selon les quantités commandées, soit un prix qui s’est rapproché de ce qu’il était avant la crise ([65]).

Le Conseil d’administration de Santé publique France a autorisé des achats jusqu’à 90 centimes pour les masques chirurgicaux et 3,65 euros pour les masques FFP2 ou équivalent ([66]) ;

 la perte du pouvoir de négociation : si les premières acquisitions de masques ont été réalisées via le grossiste répartiteur Alliance Healthcare, auprès duquel SpF a souscrit un accord-cadre relatif à la fourniture de produits pharmaceutiques signé en 2016, cet accord-cadre s’est avéré insuffisant pour répondre aux volumes d’acquisition demandés par le ministère des solidarités et de la santé, les fournisseurs référencés n’étant pas nécessairement en mesure de répondre aux quantités demandées ou ayant des exigences non permises par l’accord-cadre. SpF a donc été conduite à lancer des procédures d’achat sans publicité ni mise en concurrence, avec un caractère confidentiel, sur le fondement de la procédure d’urgence impérieuse définie à l’article R.2122-1 du code de la commande publique ([67]). La loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, ainsi que l’ordonnance n° 2020-319 du 25 mars assouplissent, en outre, les règles de passation, de procédure ou d’exécution des marchés publics ([68]). En définitive, les contrats de fourniture de masques négociés dans l’urgence l’ont été à des conditions entraînant l’augmentation du risque financier par l’obligation imposée par les fournisseurs de verser une avance importante (jusqu’à 60 % de la prestation due), le raccourcissement des délais de paiement (de 30 à 7 jours) et l’achat de produits de qualité moindre ou de durée de vie plus courte. Selon la CCIL-MS, « les engagements d’achats devaient s’adapter aux conditions du marché : le paiement d’avance et l’achat de masques avec une durée de péremption courte ont fait partie des contraintes connues par l’ensemble des acheteurs de masques en France et dans le monde ». Selon la DGS, ces nouvelles règles ont permis de faciliter la négociation des contrats publics avec les fournisseurs chinois.

ii.   L’acheminement par un pont aérien monté dans l’urgence

Au coût des commandes s’est ajouté celui de la mise en place, en urgence, d’un pont aérien pour l’acheminement des produits acquis.

Le ministère des solidarités et de la santé a, ainsi, conclu à la fin du mois de mars un marché de transport avec l’entreprise Geodis déjà titulaire d’un marché avec la direction des achats de l’État – pour l’organisation du transport exceptionnel d’un milliard de masques sur 14 semaines en provenance de Chine par la mise en place d’un pont aérien. Le premier vol, contenant 8,5 millions de masques, est arrivé de Shenzhen à Paris-Vatry le lundi 30 mars.

Selon les données transmises par Geodis, au 31 octobre, 119 vols ont été réalisés – majoritairement via les compagnies Volga et Air France – permettant l’acheminement de 873 millions de masques, pour un coût total de 90,6 millions d’euros. Le groupe Geodis indique avoir dégagé une marge brute de 8,9 % sur ces opérations, intégrant la rémunération des 40 collaborateurs mobilisés sur le sujet.

Les données transmises par la DGS font état d’un total de 132 vols (ainsi que de réservation de volume dans 10 autres vols), ayant permis d’acheminer 817 millions de masques, 9,5 millions de blouses, 46,8 millions de gants, 5 millions d’écouvillons, 100 000 tests ainsi que des médicaments et d’autres équipements de protection individuelle.

Au 15 octobre, le coût total du pont aérien s’élève pour le prestataire Geodis, ainsi qu’un autre prestataire mobilisé (CEVA), à 102 547 187 euros.

Le pont aérien a été complété, à partir du mois de mai, par la mise en place d’un pont maritime, plus lent mais moins coûteux, également opéré par Geodis. À ce jour, 38 navires sont arrivés en France, acheminant 1,2 milliard de masques, pour un coût total de 12,4 millions d’euros selon Geodis. La DGS fait état, au 15 octobre, d’un total de 36 navires sur 42 rotations prévues (6 restant à effectuer), pour un total d’1,17 milliard de masques acheminés ainsi que 57 millions de blouses, 139 millions de gants ou encore 75 millions de tabliers, pour un coût de 12,4 millions d’euros. Les dernières arrivées de containers sont attendues en janvier 2021.

Cet acheminement s’est heurté à d’importantes difficultés, liées à la délocalisation d’une partie des contrôles qualité en Chine. Comme l’indique la CCIL-MS, « compte tenu de la situation du marché, il s’est avéré que des fabricants peu scrupuleux fournissaient une marchandise dont la qualité laissait grandement à désirer. Jusqu’à 30 % des masques se sont révélés parfois impropres lors des contrôles qualités réalisés par Santé publique France. Afin d’éviter de découvrir ces problématiques une fois la marchandise en France, il a été décidé de mettre en place en Chine, avant la montée dans l’avion, un contrôle qualité pour pouvoir rendre la marchandise et procéder à des échanges plus facilement ». La délocalisation du contrôle qualité est également liée à la mise en œuvre du transport par voie maritime, le contrôle à destination étant trop tardif pour débloquer les fonds dans des délais compatibles avec les exigences des fournisseurs. À partir du 7 mai, Santé publique France a fait appel à l’entreprise QIMA pour effectuer ces contrôles.

Il ressort toutefois des échanges entre la CCIL-MS et la DGS que la mise en œuvre de ce contrôle qualité, quoique nécessaire, a été la source d’importants délais, conduisant à un engorgement important.

Le manque de préparation et de préavis, ainsi que des consignes trop strictes auraient contraint Geodis à fermer ses entrepôts de Shanghai et de Shenzhen une semaine entière début juin. L’engorgement, résorbé un temps, s’est ensuite recréé du fait d’un délai trop long entre le contrôle qualité opéré par la société QIMA et l’accord pour l’embarquement délivré par Santé publique France, sans lequel la CCIL-MS et Geodis ne peuvent agir.

Pour SpF, l’accélération de l’admission dépendait surtout, fin mai, de Geodis, afin que l’entreprise lui transmette toutes les informations nécessaires à la bonne planification des contrôles qualité. L’agence indique également avoir mis en place des procédures de « contrôle dégradé » permettant de libérer des marchandises pour le transport maritime, les vérifications complémentaires (notamment documentaires) permettant d’identifier la marchandise étant alors réalisées avant le débarquement en France. Selon la CCIL-MS, « la durée des contrôles sur de tels volumes, qui devaient être validés par SpF, a induit des retards sur le planning prévisionnel d’acheminement, sans tarir le flux du pont aérien, et abouti temporairement à une situation d’engorgement des entrepôts en Chine, occupés par la marchandise qui devait être récupérée par les fournisseurs car déclarée impropre et devant accueillir en permanence de nouveaux arrivages pour les contrôles ». Cet engorgement résulte également d’une augmentation des quantités produites par les fournisseurs chinois.

En conséquence, des retards ont été notés dans les arrivées effectives des produits en France, liés aussi à une forte proportion de lots non-conformes. Selon Santé publique France, alors qu’1,84 milliard de masques étaient attendus début juillet, seuls 861 millions avaient été réceptionnés en France à cette date.

Au total, les premières importations sont arrivées tardivement en France, alors que certaines régions connaissaient déjà un pic épidémique.

Importations de masques sanitaires

(en millions d’unités)

Source : CCIL-MS.

À ce jour, une partie des produits commandés en Asie restent encore à livrer, les approvisionnements devant s’échelonner jusqu’au milieu de l’année 2021. Selon les données transmises par la DGS, les dernières commandes massives de masques ont été passées en juillet ; des commandes de gants sont, en revanche, toujours en cours de négociation.

C.   Une distribution chaotique organisée par un opérateur en surchauffe

Une fois arrivés en France, les masques ont fait l’objet d’une distribution aux différents bénéficiaires, qui a semblé imprévisible et parfois incohérente, témoignant de l’incapacité de Santé publique France à assurer une logistique de crise.

1.   Une distribution chaotique qui a perturbé l’activité des personnels soignants à l’hôpital ou en ville

À partir du 16 mars, le Gouvernement organise la distribution de masques aux professionnels de santé par deux flux :

– l’un vers les 136 groupements hospitaliers de territoire (GHT), chargés ensuite de doter les 14 000 établissements de santé, EHPAD et autres établissements médico-sociaux dans leur zone de responsabilité, ainsi que les services à domicile et les transporteurs sanitaires ;

– l’autre vers les 21 000 pharmacies d’officine, chargées de doter les professionnels de santé du secteur libéral (médecins, infirmiers, sages-femmes, kinésithérapeutes, etc.) et assimilés (aides à domicile, accueillants familiaux, etc.).

Le ministère envoyait alors les ordres de distribution en fin de semaine N- 1, pour une distribution en semaine N.

La quantité de masques distribués, ainsi que les types de bénéficiaires, ont évolué au cours de la crise sanitaire en fonction des ressources disponibles et de la situation.

Jusqu’à la semaine du 30 mars, la distribution a porté sur environ 25 millions de masques par semaine, avant de s’élever à 40 millions de masques à compter de la première semaine d’avril pour atteindre enfin 100 millions de masques par semaine du 11 mai au 15 juin environ.

Du 15 juin au 17 août, les volumes du flux à destination des établissements sont restés stables (de l’ordre de 50 millions de masques par semaine), mais les volumes du flux à destination des pharmacies d’officine, basés sur leurs commandes en raison du passage au « flux tiré » ([69]) ont été plus faibles que prévu (de l’ordre de 10 à 15 millions par semaine), soit une distribution hebdomadaire de 60 à 65 millions de masques.

À partir de la fin du mois d’août, avec la reprise épidémique, les commandes des pharmacies ont à nouveau augmenté (30 millions par semaine), portant la distribution à un volume de 80 millions de masques.

Ces distributions se sont achevées au 8 octobre 2020, à l’exception des gants.

Livraison d’EPI au 4 novembre 2020 (source DGS)

1,7 milliard de masques chirurgicaux ont été livrés et 215 millions de masques FFP2, dont :

– 1,1 milliard de masques chirurgicaux et 147 millions de masques FFP2 pour les GHT (ainsi que 166 millions de gants, 100 millions de surblouses et 375 000 lunettes) ;

– 552 millions de masques chirurgicaux et 63,4 millions de masques FFP2 pour les officines ;

– 9,3 millions de masques chirurgicaux et 1,3 million de masques FFP2 pour les flux spécifiques et urgences (pompiers, dépannages ponctuels), ainsi que 18,4 millions de gants, 4,4 millions de surblouses, 102 000 lunettes.

En outre, 35,3 millions de masques chirurgicaux, 3 millions de masques FFP2, 1,2 million de gants, 670 000 surblouses, 69 000 charlottes et 31 250 lunettes ont été livrées outre-mer.

 

Distribution de masques par région métropolitaine du 16 mars au 6 juillet

Source : DGS.


Distribution de masques par type de bénéficiaire du 16 mars au 3 juillet

(en millions, hors masques pédiatriques)

Source : mission d’information, à partir des données de Santé publique France.

Si les valeurs peuvent sembler importantes (voir annexe 7), ces masques et EPI sont, d’une part, arrivés tardivement et, d’autre part, ont fait l’objet d’une distribution opérée dans la confusion, en particulier pendant la phase de confinement. La porte-parole du Gouvernement, Mme Sibeth Ndiaye, reconnaissait elle-même, le 18 mars, des « difficultés logistiques » dans la fourniture de masques aux soignants, tout en indiquant que ces masques arriveraient rapidement.

Tous les secteurs ont été affectés par cette désorganisation.

Les officines présentent ainsi la distribution comme le principal point noir de la crise : elles n’ont pas reçu les masques correspondant à leurs besoins effectifs (ceux des professionnels libéraux de leur ressort), ont parfois reçu des masques en mauvais état, et ont été dans l’impossibilité de connaître l’état des stocks en temps réel, faute de traçabilité ([70]). Dans un communiqué du 3 avril 2020 cosigné par plusieurs organisations, la fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) indiquait que « les syndicats de professionnels libéraux de santé […] sont arrivés au bout de leur patience au regard des promesses non tenues concernant les livraisons de masques issus du stock de l’État. À titre d’exemple, les 8 millions de masques promis pour le milieu de cette semaine par le Premier ministre et le ministre de la Santé lors de leur conférence de presse, samedi 28 mars, sont arrivés de façon très hétérogène et de nombreuses officines ne sont toujours pas livrées aujourd’hui vendredi 3 avril. Les syndicats signataires de ce communiqué dénoncent une gestion inefficace du stock et de la livraison des masques par l’État ».

En conséquence, la médecine de ville a souffert également de ce manque d’organisation, étant dépendante des livraisons aux officines ([71]).

Les établissements de santé en ont également fait les frais, en particulier s’agissant des EPI. Ainsi, selon M. Frédéric Valletoux, président de la fédération hospitalière de France, les stocks de masques dont disposaient les établissements de santé au début de la crise « ont filé très vite sans qu’il y ait effectivement de réponses précises quant à la suite. Pour les équipements de protection individuelle, du point de vue d’un médecin de base, cela a été pour nous – pardonnez-moi l’expression – un foutoir sans nom. Entre les différentes chaînes logistiques de l’État, l’ARS, Santé publique France, les départements, les régions, les municipalités, nous ne savions jamais quand, combien, réceptionner et à qui donner ces masques ».

Les EHPA, quant à eux, n’ont reçu de masques de manière significative qu’à compter du 16 mars (500 000 par jour, soit 5 par lit et par semaine) comme l’indiquait Mme Marie-Sophie Desaulle, présidente de la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privée non lucratif : « Je voudrais redire à quel point l’approvisionnement a été compliqué entre le moment où l’on a décidé cinq masques par semaine et par place et l’arrivée de ces masques dans chaque structure médico-sociale – et je ne parle pas du domicile ! D’ailleurs, le dispositif a évolué, on a commencé par les officines, puis par les GHT, considérant que la distribution serait plus rapide. Un long temps s’est écoulé entre la réalité de la décision et la concrétisation sur le terrain ».

Alors même que des masques étaient disponibles, et ont été livrés aux professionnels dans les différentes régions, dès la mi-mars, la perception de la distribution est très négative.

Distribution de masques chirurgicaux dans trois régions

Source : mission d’information, à partir des données de Santé publique France.

Distribution de masques chirurgicaux selon les bénéficiaires

Source : mission d’information, à partir des données de Santé publique France.

distribution de masques FFP2 dans trois régions

Source : mission d’information, à partir des données de Santé publique France.

distribution de masques FFP2 selon les bénéficiaires

Source : mission d’information, à partir des données de Santé publique France.

 

La distribution auprès des officines par Geodis

Pour l’approvisionnement des 21 000 officines pharmaceutiques, le Gouvernement a d’abord eu recours à la chambre syndicale de la répartition pharmaceutique (CSRP) et au principal dépositaire pharmaceutique ([72]), CSP, pour assurer la livraison ponctuelle des officines en masques à la fin du mois de février et au début du mois de mars (pour un premier stock d’amorce de 10 millions de masques).

À compter de la mi-mars, lorsque la distribution est passée à une plus grande échelle, le dispositif d’approvisionnement a été modifié en fonction de deux priorités énoncées par Santé publique France :

– l’adaptation des quantités livrées dans chaque département selon son niveau d’épidémie ;

– la rapidité des livraisons en urgence dans un délai de 24 à 48 heures des officines des zones les plus touchées, avec un délai de 24 heures supplémentaires pour les autres territoires.

Il a été décidé de recourir à Geodis, avec lequel SpF disposait déjà d’un accord-cadre pour l’acheminement de produits de santé. Geodis a, ainsi, préparé les colis que le groupe a acheminés aux officines par son réseau de distribution expresse, à partir du 17 mars. Cette opération de livraison a fait l’objet de nombreuses critiques, notamment de la part d’officines indiquant n’avoir pas été livrées dans les temps ou dans des quantités inférieures à ce qui avait été prévu. Les syndicats de pharmaciens d’officines pointent, en particulier, la méconnaissance par Geodis du réseau des officines, qui aurait conduit à des retards importants dans les livraisons. La livraison des 17 et 18 mars s’est ainsi, finalement, étalée jusqu’au 24 mars. Geodis évoque, en revanche, des listes de distribution incomplètes et un nombre de colis par palette inférieur aux normes annoncées par le ministère de la Santé, ainsi qu’une grande complexité induite par la nécessité de déconditionner et reconditionner les produits pour les allotir par officine, ce qui n’avait pas été anticipé.

SpF fait valoir que, « cette livraison a atteint les objectifs de délais et d’adaptation aux zones les plus touchées par l’épidémie ». Toutefois, l’agence reconnaît des « problèmes de qualité de livraison (colis ouverts ou abîmés) » et indique qu’« après cette opération, de nouveaux échanges entre le ministère de la chambre syndicale de la répartition pharmaceutique ont permis de revenir à un modèle de livraison plus standard pour les officines, via CSP et les grossistes répartiteurs ».

Une semaine plus tard, le circuit classique faisant intervenir les dépositaires et les grossistes répartiteurs était effectivement remis en place.

2.   L’impossibilité pour Santé publique France d’assurer une distribution efficace

De manière générale, les difficultés importantes survenues dans la distribution des masques et EPI aux professionnels de santé résultent de l’organisation et du sous-dimensionnement de Santé publique France, dont la « surchauffe » pendant la crise a fait courir des risques de rupture de la chaîne d’approvisionnement, alors même que le COP conclu avec l’État lui assigne pour mission d’« assurer de façon optimale la préparation et la réponse aux menaces, alertes et crises sanitaires ».

Ceci apparaît d’autant moins acceptable que, quand les approvisionnements sont devenus suffisamment importants, la distribution a été principalement responsable du manque persistant d’équipements.

Plusieurs éléments sont en cause : l’inadaptation des capacités de stockage de Santé publique France pour faire face à des flux de volumes et de fréquence exceptionnels, la lenteur du processus de contrôle des stocks avant distribution, les sous-effectifs ou encore la difficulté à suivre l’état des stocks en temps réel.

a.   Des capacités de stockage inadaptées

Le réseau logistique de Santé publique France a été revu en 2015, pour passer d’une multitude de sites de stockage (38 en 2010) à une plateforme nationale de volume important, située à Marolles-Vitry et à 7 plateformes de zone correspondant aux sept zones de défense, dont la gestion est sous-traitée à des prestataires. La plateforme nationale représentait, en 2019, plus de 85 % de l’ensemble des stocks disponibles sur le territoire national (en volume). Selon Mme Marisol Touraine, ministre au moment de cette réorganisation, dont le coût s’est élevé à 30 millions d’euros, « la création des entrepôts de Vitry-le-François a constitué un élément décisif de la stratégie appliquée entre 2012 et 2017 pour concentrer, rationaliser et sécuriser le maintien de stocks de natures différentes ».

i.   Une plateforme nationale sous-capacitaire

Malgré la refonte récente, les capacités des plateformes de stockage de Santé publique France ont été rapidement dépassées, contraignant l’agence à ouvrir plusieurs superstructures de stockage dans le cadre de l’urgence impérieuse, par la conclusion de marchés pour la réception, le stockage et la distribution. Au total, 21 plateformes sont désormais ouvertes en plus de la plateforme nationale jusqu’au 31 décembre 2020, SpF demandant que les marchés soient prolongés jusqu’au 31 mars 2021.

La difficulté principale tient au fait que la plateforme nationale, la plus importante, a été conçue dans une logique de stocks de longue durée, et non de flux. Comme le souligne le rapport de l’inspection générale des affaires sociales de juillet 2020 : « la conception mise en œuvre début 2016 est celle d’une très importante plateforme nationale dédiée à un stockage de longue durée et hautement sécurisée, aucunement destinée à des flux logistiques intenses et permanents […]. Chaque emplacement de palette est double, la palette du fond n’étant accessible qu’après avoir enlevé la palette de devant. Cette conception, rarissime en logistique, est adaptée au stockage de masse mais pas aux flux rapides, car elle n’a prévu que des accès limités ». Les mouvements de masques (entrées et sorties) ont d’ailleurs été très faibles entre la création du site et le début de la crise sanitaire.

Cette plateforme a, très vite, atteint ses limites capacitaires : s’y croisaient en effet les flux des arrivées du pont aérien, les flux de départ vers les plateformes zonales, les flux des masques pédiatriques destinés au ministère de l’éducation nationale, les flux des masques périmés, sur un entrepôt déjà encombré par les lots en quarantaine.

Plusieurs solutions ont été mises en œuvre de manière combinée par le ministère de la Santé, notamment les tractions directes vers les plateformes de zone ou encore l’entreposage dans les locaux de stockage de l’aéroport d’arrivée des masques du pont aérien. Santé publique France a, également, pris des mesures pour optimiser les flux en spécialisant et en transformant le rôle de certaines plateformes zonales.

La situation n’en a pas moins été extrêmement complexe et gérée dans l’urgence, témoignant de l’absence de préparation de l’agence pour participer à la réponse à une crise sanitaire.

ii.   Une répartition des stocks inefficace

La centralisation des stocks de masques sur la seule plateforme de Marolles a contribué aux difficultés rencontrées pendant la crise. SpF avait pourtant alerté sur ce risque, plus d’un an avant la survenance de la crise.

Ainsi, par courrier du 19 septembre 2018, la DGS demande à Santé publique France d’étudier la faisabilité technique et l’impact budgétaire d’une éventuelle relocalisation des masques chirurgicaux et antiviraux sur la plateforme nationale de Marolles. Les stocks sont alors répartis à 90 % sur la plateforme nationale et à 10 % sur les 7 plateformes zonales (soit 2 900 palettes).

Dans sa réponse du 3 octobre 2018, le directeur général de Santé publique France alerte sur les risques qu’une centralisation de l’ensemble des masques sur la plateforme de Marolles ferait courir, pour des gains budgétaires faibles :

« Lorganisation dune logistique de distribution des produits de santé impose de disposer de ressources humaines avec une expertise dans le domaine des transports. Actuellement, seul un ingénieur gère cette mission au sein de Santé publique France, avec un ou deux renforts internes possibles. La compétence logistique est une compétence rare au sein de Santé publique France et du ministère en charge de la santé qui sera extrêmement mobilisée au cours dune crise majeure. Un renforcement externe peut difficilement être envisagé du fait de la rareté du profil sur le marché de l’emploi et de limpératif de maîtriser préalablement les dispositifs de stockage et distribution et les procédures imposées par les marchés publics.

Par ailleurs, seuls deux collaborateurs de Santé publique France travaillent au sein de la plateforme de stockage nationale ce qui implique également de disposer de renforts par des intérimaires en cas de déstockage important. Ainsi, la capacité de chargement et déchargement est limitée à 150 palettes/semaine avec un intérimaire.

En cas de survenue de crise, les 2 900 palettes [de produits alors stockés sur les plateformes nationales, 2 550 palettes de masques et 350 palettes d’antiviraux] devraient alors être renvoyées sur les plateformes zonales ce qui mobiliserait pleinement Santé publique France pendant trois mois et ne permettrait pas de préparer efficacement le reste de la distribution induisant une situation de crise pourtant évitable ».

Pourtant, fin 2019, les plateformes zonales ne stockaient toujours que 2,68 millions de masques sur 534 millions détenus par Santé publique France (1,7 million de masques sont positionnés en outre-mer), soit moins de 1 % des stocks, 3 % environ si l’on considère les seuls 97 millions de masques distribuables à la fin de l’année 2019.

Répartition des stocks de masques au 31 décembre 2019

SITE DE STOCKAGE

Nombre de masques chirurgicaux

ALLOGA - AMIENS

278 400

ALLOGA - Lyon

310 400

EURODEP - MITRY-MORY

880 000

GEODIS - St Cyr en Val

310 400

GEODIS - Vatry

235 200

LAPHAL Industries - Allauch

310 400

LOGIPHARM BLANQUEFORT

350 400

Plateforme Mayotte de LONGONI

171 200

GPG - GUADELOUPE

600 000

LABOREX - SAINT MARTIN

40 500

CGS MANGOT VULCIN

856 000

SPG - GUYANE

96 000

EPRUS - Marolles

530 070 700

Total général

534 509 600

Note de lecture : les lignes 2 à 8 du tableau correspondent aux sept plateformes zonales. Les lignes 9 à 13 correspondent aux stocks positionnés outre-mer. La ligne 14 correspond au stock situé sur la plateforme nationale.

Source : Santé publique France.

Cette répartition a joué défavorablement sur la capacité de distribution des produits de santé.

b.   Une « libération » des produits trop lente

La mise sur le circuit de distribution des produits arrivés sur les sites de Santé publique France a, également, été trop lente, pour deux raisons :

– le fort taux de « repalletisation » (de 30 à 100 % selon les fournisseurs) a ralenti la mise à disposition de ces masques, ce qui, dans le cadre d’une gestion en flux tendu et sans stock tampon, a rendu Santé publique France très vulnérable aux aléas (notamment aux annulations d’avion). Des moyens supplémentaires pour la repalletisation ont été positionnés à Marolles et Vatry, pour une capacité hebdomadaire de reconditionnement de 1 000 palettes, mais trop tardivement. Le ministère de la santé est également intervenu pour autoriser SpF à avoir recours, à la sous-traitance, à l’intérim, ou à diverses prestations pour rendre la marchandise distribuable ;

– la lenteur des procédures de contrôle de la qualité des stocks en raison d’un dispositif sous-dimensionné.

Au 24 mai, 39 % des masques chirurgicaux reçus avaient été mis en quarantaine à réception, dont 71 % restaient à contrôler ou pour lesquels le contrôle devait être finalisé. 57 % des masques FFP2 avaient été mis en quarantaine à réception, dont 81 % restaient à contrôler ou pour lesquels le contrôle devait être finalisé ([73]).

Ces mises en quarantaine ont, ponctuellement, pu générer d’importantes difficultés : cela a été le cas d’un lot de la marque Girodmédical de 130 millions de masques, mis en quarantaine dans les premiers jours du déconfinement, suite à des observations de certaines ARS concernant l’extrême fragilité des élastiques, les odeurs de moisissures ainsi que des réactions allergiques de certains soignants. Le stock disponible pour être distribué n’était alors plus que de 26 millions de masques (chirurgicaux et FFP2) pour les GHT et 44 millions pour les officines, 156 millions de masques étant en quarantaine dans l’attente de résultats d’analyses et 130 millions de masques Girodmédical étant bloqués dans les entrepôts de Santé publique France, menaçant les capacités de distribution des semaines 19 et 20. La CCIL-MS indique cependant que « la mise à disposition de 100 millions de masques par semaine à compter de la semaine 19 n’a pas été mise en péril ».

L’incertitude a perduré : une semaine après le déconfinement, il existait encore une inquiétude que les quantités de masques importées par le pont aérien (80 millions de masques par semaine en moyenne) ne permettant pas d’alimenter les flux de distribution (100 millions de masques par semaine) compte tenu des règles de contrôle à l’arrivée encore appliquées dans l’attente de la montée en puissance du contrôle en Chine et de la suspicion de non-conformité appliquée par défaut par SpF, ainsi que de la lenteur des flux de contrôle par le laboratoire national de métrologie et d’essais (LNE).

Mi-mai, le directeur général de la santé demandait un plan d’action (à remettre sous 24 heures) à la directrice générale de SpF pour que l’agence « se mette en situation de remplir la mission de distribution » qui lui incombe, en revenant sous 15 jours à des niveaux de stocks distribuables suffisant pour permettre l’application stricte de la politique de distribution de 100 millions d’unités par semaine.

Ce plan visait à :

– accélérer l’admission en stock distribuable des masques arrivés de Chine ;

– obtenir urgemment les résultats d’analyses confiées au LNE ;

– appliquer autant que possible un principe de validation par défaut de lots provenant de fabrications connues (au niveau de l’usine et non de l’importateur), libérer les produits bénéficiant du marquage CE, et si nécessaire, concentrer les efforts d’analyse sur les lots les plus volumineux en priorité ;

– trouver des méthodes de validation plus sommaires sous réserve de les assortir de précautions telles que la distribution vers des destinataires en mesure de pratiquer des tests plus poussés en cas de doute.

La seule nécessité de demander un tel plan d’action en pleine crise sanitaire témoigne de l’inadéquation de la réponse de l’opérateur.

c.   Des sous-effectifs chroniques qui traduisent une capacité logistique insuffisante

En 2019, les effectifs affectés à l’établissement pharmaceutique, responsable au sein de Santé publique France de l’acquisition et de la distribution du stock stratégique en produits de santé, étaient de 10,4 équivalents temps plein travaillé (ETPT), sept personnes travaillant à la manutention logistique sous l’autorité d’un pharmacien responsable.

Ces effectifs, qui peuvent sembler suffisants en « temps de paix », ont été dépassés par le changement d’échelle de la problématique logistique, qui n’avait pas été anticipé, et ce d’autant plus que l’organisation des équipes a semblé inadaptée : des échanges entre la CCIL-MS et le ministère de la santé mi-mai soulignent le fait que seuls quelques personnels d’astreinte travaillent les week-ends et les ponts, nombreux au mois de mai.

Si des renforts ont été employés, ils l’ont été dans l’urgence, sans qu’une telle montée en puissance des effectifs n’ait été prévue ou organisée en amont ([74]). De plus, majoritairement recrutés en mai, ces renforts n’ont été opérationnels qu’une fois que la première vague se retirait. Santé publique France en réponse aux demandes de la DGS sur ce point a accru ses moyens logistiques.

Renforts logistiques à compter du mois de mai

– au siège : nouveau responsable de la cellule logistique à compter du 18 mai, 4 opérateurs arrivés entre le 11 et le 25 mai, maintien de prestation de consultants ;

– sur la plateforme de Marolles : prise de fonctions d’un responsable d’exploitation et d’une gestionnaire de stocks le 11 mai en renfort des deux titulaires ; équipe de 5 intérimaires chargés de la repalettisation des dons et pour le contrôle qualité : prise de fonction le 18 mai de deux pharmaciens et d’un ingénieur qualité en renfort des équipes actuelles ; recrutement d’un second pharmacien et de quatre renforts.

De manière générale, la situation traduit l’absence de ressources internes au sein de Santé publique France pour gérer la réponse à une crise sanitaire et la persistance d’une organisation qui n’anticipe pas un changement d’échelle logistique.

d.   Une incapacité à assurer le suivi du stock

Santé publique France n’a pas toujours pu, dans le cours de la crise, produire en temps réel un état des stocks fiable, pourtant indispensable pour assurer une distribution efficace aux différentes entités à livrer et connaître les besoins à chaque instant.

Le système d’information de la plateforme de Marolles, calibré pour assurer le suivi de flux dormants selon une logique d’inventaire, n’était pas adapté à une situation de crise de grande ampleur, faisant intervenir des mouvements particulièrement importants en volume et en fréquence. Des difficultés liées aux remontées d’informations des plateformes zonales sur l’état de leur stock, non automatisées et hétérogènes, ont également été notées. Si des outils de reporting ont été conçus dans l’urgence, ils n’ont, selon le rapport de l’IGAS précité, pas permis de remontée d’information fiable en temps réel.

Globalement, selon l’IGAS, les informations relatives à l’état des stocks, à leur statut (disponible ou non), aux mouvements et aux prévisions sont bien produites par Santé publique France, « mais de façon insuffisamment coordonnée, immédiate et fiable en l’état ». En outre, « elles ne sont pas mises en projection, à partir des hypothèses de doctrine venant du ministère, pour permettre d’appréhender avec suffisamment de visibilité les quantités à distribuer, les voies d’acheminement, les relations avec les établissements professionnels et les ARS ».

Ceci a conduit le cabinet du ministre de la santé à demander, à la fin du mois d’avril, à Santé publique France que l’agence soit en mesure de donner un visuel stabilisé et exact des stocks, partagé avec la CCIL-MS, à des fréquences compatibles avec les travaux de prévision et de planification conduits par la cellule.

Un nouvel outil informatique, fluid-e, a été déployé à compter du 18 mai, qui devait permettre d’avoir une visibilité deux fois par jour des stocks de l’ensemble des sites de stockage et de piloter l’ensemble des flux, de l’arrivée des avions jusqu’à la livraison aux GHT. Le rapport de l’IGAS estime toutefois que ce système, monté dans l’urgence, ne pourrait constituer une solution pérenne.

La fédération nationale des dépositaires pharmaceutiques, LOGsanté pointe trois difficultés qui paraissent résumer la situation :

– « la coordination difficile avec Santé publique France par manque de clarté des informations apportées, accentuée par la multiplicité et le changement des interlocuteurs ;

 le manque d’informations logistiques fiables et en mouvances permanentes, nécessitant une adaptation de nos outils, de nos infrastructures et de nos ressources humaines quotidiennement ;

 la qualité aléatoire de la palettisation des masques ne permettant pas une optimisation du traitement logistique de masse ».

Pour votre rapporteur, ce n’est pas tant l’action de Santé publique France pendant la crise qui est en cause que son manque de préparation, d’outils de réponse et de moyens alloués en amont pour y faire face qui doit interroger, l’agence ayant semblé désarmée, sous-dotée pour assurer une mission logistique qui s’est avérée cardinale.

Il est donc, aujourd’hui, indispensable de repenser le rôle de Santé publique France dans la logistique de crise et, le cas échéant, de lui allouer les moyens humains et financiers nécessaires pour lui permettre d’être en capacité de répondre à la mission qui lui incombe. Davantage de compétences en logistique sont nécessaires, en termes de ressources humaines et de ressources informatiques, ainsi qu’une revue du réseau et de la configuration des plateformes de stockage. Des procédures de réponse à une crise de cette nature doivent également être anticipées et formalisées, pour mobiliser, par exemple, des moyens de contrôle qualité adaptés aux temps de crise ou permettre une augmentation ponctuelle rapide des effectifs.

Proposition : repenser le rôle de Santé publique France dans la logistique de crise et, le cas échéant, adapter le réseau des sites de stockage ; anticiper et planifier des procédures de réponse à une crise sanitaire par Santé publique France dans sa dimension logistique, s’agissant notamment de la montée en puissance des effectifs ou de l’adaptation des procédures ; garantir un suivi en temps réel des stocks, notamment en cas flux importants en fréquence et en volume.

3.   Le recours trop limité aux préfets et aux capacités logistiques des sapeurs-pompiers et de l’armée

Alors même que Santé publique France apparaissait dans l’incapacité d’assurer de manière autonome la gestion de la distribution, il est regrettable que le schéma logistique retenu n’ait pas fait davantage de place à l’autorité préfectorale d’une part, mais également aux sapeurs-pompiers ou à l’armée d’autre part.

En effet, les modalités de distribution retenues ont laissé peu de marge de manœuvre aux préfets, alors même que la circulaire du ministre de l’intérieur et du ministre de la santé du 21 août 2013 ([75]) leur donne un rôle central dans la distribution du stock stratégique en temps de crise. Cette circulaire a eu pour objectif de « disposer de circuits de distribution pouvant être mobilisés localement ou à l’échelle nationale pour répondre à un évènement NRBC-E (ex : antibiotiques pour un grand nombre de personnes), une pandémie de grippe (mise en place d’une campagne de vaccination, mise à disposition d’antiviraux), ou faire face à tout autre évènement sanitaire nécessitant une distribution de produits de santé à la population à partir des stocks stratégiques de l’État (masques de protection, etc.) ».

Elle prévoit, en cas de situation exceptionnelle d’ampleur importante, nécessitant l’administration de produits de santé à un grand nombre de personnes dans des délais restreints, la mobilisation d’un circuit de distribution exceptionnelle par l’approvisionnement de sites pré-identifiés de distribution à la population au niveau des communes, ainsi que des sites de rupture de charge au niveau du département pour les alimenter (stockage intermédiaire entre les stocks zonaux et les sites de distribution à la population).

Les préfets sont chargés de définir un plan de distribution qui liste les sites de rupture de charge et les sites de distribution à la population pour préétablir les dotations nécessaires si possible (en lien avec les ARS et les communes concernées). C’est également aux préfets qu’il revient d’assurer l’approvisionnement des sites de distribution en produits de santé à partir des sites de rupture de charge, en s’appuyant sur les moyens de transport locaux disponibles (moyens des collectivités territoriales, moyens d’associations agréées de sécurité civile, moyens privés, etc.).

Si cette organisation de crise semble davantage adaptée à la distribution de produits à la population qu’aux professionnels de santé, il n’en reste pas moins que l’autorité préfectorale, qui aurait pu être mobilisée pour assurer l’approvisionnement des sites de distribution à la population si le choix en avait été fait, apparaît comme le bon interlocuteur et dispose des moyens et des compétences pour assurer une telle mission logistique sur son territoire.

En région Grand Est, par exemple, face à une situation de la distribution particulièrement critique, une organisation alternative a été mise en place sous l’égide de la préfecture de région comme l’a exposé M. Christophe Lannelongue, ancien directeur de l’agence régionale de santé en poste jusqu’au 8 avril 2020, lors de son audition : « Le 20 mars, nous décidons avec la préfète de région de mettre en place une nouvelle organisation […]. La logistique était entièrement pilotée par Santé publique France, au niveau national. Je le redis : les pouvoirs publics auraient dû faire davantage confiance aux préfectures et aux ARS. Pour ce qui me concerne, j’ai fait confiance aux préfectures de la région pour organiser la distribution de masques, sous l’égide de la préfète de région, également préfète de zone. La préfecture de zone a des spécialistes de ces questions, des militaires par exemple ».

De la même manière, les sapeurs-pompiers, qui disposent pourtant de l’expérience et des moyens adéquats, ont été sous-employés s’agissant de la distribution. En particulier, les établissements de soutien opérationnels et logistiques (ESOL) de la direction de la sécurité civile ont été trop peu exploités.

De fait, dans les territoires où les préfets et sapeurs-pompiers ont été mobilisés, la logistique a, semble-t-il, été assurée. Le colonel Grégory Allione, président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France, l’a fait valoir à la mission : « Quand l’autorité préfectorale s’est vue confier, avec les moyens dont elle dispose – notamment les gendarmes et les pompiers – les opérations de logistique, elle n’a jamais failli, il n’y a jamais eu de délai d’attente, de réception et de conditionnement. Les stocks ont été sécurisés grâce aux forces de police et de gendarmerie, la distribution a été réalisée grâce à la mobilisation de l’ensemble des sapeurs-pompiers, notamment lors de la phase de confinement, pendant laquelle les sapeurs-pompiers volontaires étaient tous disponibles ».

Enfin, s’il a été fait recours à l’armée, dans le cadre de l’opération Résilience, pour apporter un concours aux autorités civiles dans le domaine logistique, via le transport de fret aérien, terrestre, ou maritime, la mise à disposition d’emprises, l’affectation d’experts logistiques auprès des autorités civiles et sanitaires ou encore la protection de sites sensibles de production et de stockage de matériel sanitaire, cette coopération aurait gagné à être davantage anticipée et organisée en amont pour qu’elle soit aussi efficace que possible.

Ainsi l’indiquait notamment M. François Baroin, président de l’association des maires de France : l’armée « n’a pas été assez sollicitée pour la distribution et l’accompagnement, à mon sens. Cela s’est fait au coup par coup, ce qui est dommage. Le Président de la République avait proposé de mettre l’armée à la disposition de la nation, ce qui n’a été fait que de manière parcimonieuse et pas assez coordonnée. En revanche, quand elle est intervenue, elle l’a fait de manière remarquable, et cela a eu un effet psychologique très positif sur la population. Cela doit nous faire réfléchir – je ne parle pas seulement des hôpitaux de campagne mais, plus généralement, du savoir-faire en matière de logistique, de distribution, de la problématique du dernier kilomètre ».

Proposition : accroître le rôle des préfets dans l’organisation logistique de la distribution de produits sanitaires en cas de crise ; définir en amont le rôle de la sécurité civile, des sapeurs-pompiers et de l’armée, dont les moyens et les compétences doivent être largement employés, dans la distribution de produits sanitaires en cas de crise.

D.   la confusion et les messages contradictoires sur le port du masque grand public

L’utilité des masques pour le grand public a fait l’objet de messages contradictoires, certes, dépendants de l’évolution des connaissances scientifiques sur les modes de transmission – notamment s’agissant de la possibilité de contamination par une personne asymptomatique, puis de la persistance du virus dans les aérosols – mais également déterminés par l’état des stocks pouvant effectivement être mis à la disposition du grand public.

Si le ministre Olivier Véran déclare, le 24 février, que « le port du masque pour la population non malade et n’ayant pas voyagé dans une zone à risque n’est pas recommandé car son efficacité n’est pas démontrée », plusieurs scientifiques recommandent au contraire, relativement tôt, le port du masque, notamment M. Antoine Flahault, dès fin janvier ([76]), comme c’est, en outre, le cas dans un certain nombre de pays asiatiques.

La Chancelière allemande, Angela Merkel, préconise également le port du masque dès le 15 avril en faisant preuve d’un grand pragmatisme et en incitant les citoyens à porter en l’absence de masque, à tout le moins, une écharpe. Cette obligation sera instaurée entre le 16 et le 27 avril dans les différents Länder, dans les transports en commun mais également dans les commerces. De même, en République tchèque, le Gouvernement annonce l’obligation du port d’une « protection respiratoire, quelle qu’elle soit », dès le 19 mars, et incite les particuliers à les fabriquer eux-mêmes, faute de stocks suffisants pour pouvoir les distribuer.

La communication sur le port du masque en France a empêché cette stratégie. Au contraire, alors que l’Académie de médecine recommande, dès début avril, que le port d’un masque alternatif (les masques sanitaires étant à réserver prioritairement aux soignants) soit rendu obligatoire pour toute sortie nécessaire durant le confinement ([77]), celui-ci ne l’est qu’à partir du 20 juillet dans les lieux publics clos, avant qu’il ne soit permis aux préfets d’en imposer le port en extérieur, dans les zones de circulation active du virus à partir du mois d’août.

Au-delà de la question de doctrine, la distribution de ces masques au public a rencontré de plusieurs difficultés.

● S’agissant des masques chirurgicaux du stock État

Les dotations du stock stratégique de l’État distribuées aux officines ayant été, dans un premier temps, exclusivement réservées aux soignants et aux professionnels, le 31 mars, puis le 5 avril deux instructions interministérielles précisent que « les équipements de protection individuelle […] ne doivent pas être commercialisés à destination des consommateurs ». Le 8 avril, un message « DGS-urgent » précise que les masques ne doivent pas être délivrés sur prescription médicale, interdisant aux pharmaciens de délivrer des masques du stock d’État aux patients et les plaçant en grande difficulté, face à l’incompréhension de malades de la Covid-19 pourtant munis d’une ordonnance : le fait que la mise à disposition des masques ait été limitée au personnel soignant, au sein des officines qui sont des repères de proximité pour le grand public, a entraîné une grande confusion. Comme l’a indiqué Mme Karine Lacombe lors de son audition par la mission, « fin février et début mars, [les masques] ont manqué en pharmacie quand nous avons voulu en prescrire aux patients que l’on renvoyait chez eux avec un diagnostic de SARS CoV 2. Cela a été l’un des éléments les plus représentatifs du discours qui a pu décrédibiliser nos institutions à l’occasion de cette crise ».

Ce n’est qu’à partir du 5 mai que les pharmaciens peuvent délivrer des masques du stock État aux patients malades, à leurs contacts et aux personnes fragiles.

● S’agissant des masques chirurgicaux du stock privé des officines et de la grande distribution

Si rien n’empêche juridiquement les officines de vendre les masques de leurs propres stocks, importés depuis le 20 mars ([78]), à la population, les représentants de la profession recommandent toutefois jusqu’à la fin avril aux pharmaciens d’officine de réserver ces masques aux professionnels éligibles tant que leur quantité restera insuffisante. La complexité de la gestion différenciée d’un stock public et d’un stock privé a également pu peser dans cette décision. À compter du 29 avril 2020, dans la mesure où les stocks disponibles en masques chirurgicaux ont été augmentés et à l’approche de la date du déconfinement, l’Ordre national des pharmaciens et les syndicats représentatifs de l’officine invitent les pharmaciens à vendre les masques chirurgicaux de leur propre stock avec discernement, en les délivrant en priorité aux personnes fragiles ou à risque.

En parallèle, l’Ordre national des pharmaciens a exprimé son incompréhension à la suite des annonces de la grande distribution fin avril de mettre en vente, dès le 4 mai, un nombre important de masques grand public (en tissu et réutilisables) et de masques à usage unique de leurs propres réserves.

L’Ordre s’interrogeait, en particulier, sur la constitution de « stocks » par la grande distribution, en prévision d’une commercialisation à venir, alors que les personnels soignants s’étaient trouvés démunis pendant plusieurs semaines. Il regrettait que l’autorisation de vente ait été donnée à la grande distribution sans qu’ils n’en aient été informés, eux qui avaient dû refuser la vente de masques pendant plusieurs semaines. ([79]) La FSPF a également demandé, dans une lettre ouverte au ministre de la santé du 30 avril de réquisitionner les masques importés massivement par la grande distribution afin que ces derniers soient remis prioritairement aux publics en ayant le plus besoin, professionnels de santé notamment.

Les représentants de la grande distribution, entendus par la mission, ont démenti la constitution de stocks cachés, indiquant que les chiffres avancés représentaient des commandes en cours, et non des stocks physiquement présents dans leurs magasins, ces commandes ayant été engagées après la demande qui leur avait été adressée par le Gouvernement de participer à la distribution de masques au grand public à la fin du mois d’avril.

● S’agissant des masques alternatifs en textile

Plusieurs difficultés sont notables :

 alors que l’Ordre national des pharmaciens et les syndicats représentatifs exprimaient le souhait que les pouvoirs publics prennent les mesures nécessaires pour permettre aux pharmaciens de distribuer des masques alternatifs non sanitaires (en tissu) à la population ([80]), ce n’est que le 25 avril qu’est publié l’arrêté les autorisant à le faire ;

– alors qu’un très grand nombre d’entreprises se sont lancées dans la confection de ces masques textiles ([81]), elles sont aujourd’hui confrontées à des sur stocks qu’elles n’arrivent pas à écouler, les employeurs fournissant désormais des masques, souvent à usage unique, à leurs salariés.

E.   La préparation logistique satisfaisante de la seconde vague doit être prolongée

1.   La reconstitution des stocks d’EPI

Les difficultés d’approvisionnement rencontrées lors de la première vague paraissent avoir été résolues s’agissant de l’équipement des personnels soignant et de la population en masques et en équipements de protection individuelle.

En effet, l’été a été consacré à la reconstitution progressive des stocks, pour atteindre une valeur cible élevée en septembre, permettant d’affronter une éventuelle recrudescence de l’épidémie. Les commandes passées auprès des producteurs français, notamment, ont été importantes.

Projection des stocks de masques chirurgicaux et FFP2 établie par la CCIL-MS au 19 août 2020

Note de lecture : les lignes horizontales correspondent au stock stratégique théorique : 200 millions de masques FFP2 et 800 millions de masques chirurgicaux, portant le stock stratégique total à un milliard de masques. Le stock stratégique est atteint en semaine 38 pour les masques FFP2 et en semaine 40 pour les masques chirurgicaux.

Source : CCIL-MS.

Projection des stocks d’équipements de protection individuelle établie par la CCIL-MS au 19 août 2020

Source : CCIL-MS.

Ainsi, selon les données communiquées par la direction générale de la santé, au 4 novembre, 1,321 milliard de masques sont stockés sur le territoire français, dont 973 millions de masques chirurgicaux et 348 millions FFP2. Ce stock est, pour l’instant, statique, les distributions qui se sont arrêtées au 6 octobre n’ayant pas repris. Il est « prêt à être remobilisé » et de nouvelles commandes sont prévues en 2021 pour en organiser la rotation.

Des consignes claires ont été données aux établissements de santé, à qui il a été demandé de constituer des stocks de sécurité en masques, gants, surblouses et tabliers, charlottes, lunettes correspondant à 3 semaines de consommation en période de crise épidémique. Une application, EPI-Stock, permettant de centraliser, d’harmoniser et de systématiser la veille sur les stocks des établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux a été conçue et a fait l’objet d’une communication du ministère auprès des établissements de santé. Il a, par ailleurs, été demandé aux ARS de veiller à ce que les établissements de santé mettent à jour, de façon hebdomadaire, les stocks disponibles pour chaque type d’équipement.

Toutefois, la fin de la distribution en « flux poussé » à partir de la première semaine d’octobre (semaine 40) pose des questions qui devront être résolues, en particulier s’agissant de l’accompagnement financier des structures de santé pour constituer un stock, et, par conséquent, de leur constitution effective.

Les entreprises ont également été incitées à constituer des stocks d’EPI, pour un dimensionnement correspondant à dix semaines d’activité ([82]).

2.   L’adaptation du schéma logistique

Par ailleurs, face aux difficultés manifestes et reconnues de la chaîne logistique, le schéma a été revu, dès le mois de juillet, pour être mise en place au mois de septembre.

Selon une note du ministère de la santé du 23 juillet, Santé publique France serait ainsi chargée de l’approvisionnement et de la distribution sur les canaux des officines, des laboratoires et des 250 principaux établissements publics et en complément un consortium serait mis en place pour les autres établissements de santé et médico-sociaux.

Organisation d’un nouveau dispositif logistique

En complément des actions de SpF, un consortium, spécialiste de l’approvisionnement des établissements de santé et de la distribution serait mis en place.

Il gérerait la distribution auprès des 27 000 autres établissements de santé et médico-sociaux : l’approvisionnement (sourcing, commande, transport) serait réalisé par Santé publique France, soit directement par ses équipes, soit avec le soutien des équipes du consortium ; la distribution serait assurée grâce à une plateforme de commande pour les établissements, développée par le consortium et propriété du ministère de la santé, paramétrable pour le contingentement et le pilotage ; le consortium distribuerait à partir d’espaces de stockage réservés, au sein de plateformes logistiques fonctionnant hors temps de crise.

Le consortium envisagé allierait des spécialistes de l’achat pour les établissements de santé et médico-sociaux (réseau des acheteurs hospitaliers Resah, Union des hôpitaux pour les achats UniHA) et un professionnel de la distribution du dernier kilomètre, y compris sur de faibles volumes et de fortes fréquences : La Poste.

Il devait être conçu entre juillet et septembre, pour un fonctionnement en octobre, « compte tenu de l’objectif d’anticiper un rebond épidémique, par hypothèse au 1er octobre 2020 ». Le coût de l’opération est estimé entre 13 et 16 millions d’euros, notamment pour la mise en place d’un portail de commande et d’espaces de stockage.

La DGS a indiqué que « le dispositif logistique nouveau, en lien avec le consortium, n’a pas encore été activé […]. Toutefois, le dispositif est opérationnel et pourra être activé si le pic épidémique correspond à nouveau à une tension forte des approvisionnements en masques et EPI ».

Une réflexion sur un nouveau modèle logistique au-delà de 2021 est en cours. Celle-ci devra, nécessairement, intégrer les réflexions évoquées.

 

 


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   DEUXIÈME PARTIE : UNE GESTION DE CRISE QUI A SOUFFERT DE L’ABSENCE DE PILOTAGE UNIFIÉ ET D’UNE DÉCLINAISON TERRITORIALE COMPLEXE

I.   AU NIVEAU NATIONAL, L’ABSENCE DE PILOTAGE UNIFIÉ ET LA MULTIPLICATION DES INSTANCES ONT ENTRAÎNÉ CONFUSION ET PERTE D’EFFICACITÉ

S’il n’est aucunement question de contester l’engagement total des responsables politiques et administratifs à tous les niveaux, il n’en demeure pas moins que des failles sont apparues dans l’organisation mise en place.

Alors que la dimension interministérielle aurait dû primer dès les premières semaines, la gestion de la crise, jusqu’au début du confinement, a été confiée au ministère de la santé. Il en est résulté une moindre prise en compte d’aspects non-sanitaires essentiels et ceci s’est répercuté sur la déclinaison territoriale de la réponse. Par ailleurs, la multiplication des cellules de crise, doublée de la création d’instances consultatives nouvelles, a brouillé le pilotage et rendu difficile, pour les acteurs de terrain, de disposer d’une information fiable et d’un interlocuteur identifié.

A.   une rÉaction décalÉe par rapport à la perception précoce des alertes

Les signaux faibles de la crise ont été perçus tôt, et ont donné lieu à une vigilance particulière dès le début du mois de janvier.

Ainsi, alors que la notification de l’OMS sur les 27 cas de pneumonie inexpliqués en Chine est faite le 31 décembre, la direction générale de la santé décide d’un suivi quotidien à compter du 7 janvier. Le 9 janvier, le DGS alerte formellement la ministre de la santé et, à partir du 10 janvier, lui adresse une note quotidienne. Le 10 janvier, de premiers messages sont également adressés aux ARS et aux sociétés savantes pour identifier les cas et leur indiquer la conduite à tenir, ainsi qu’à l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle concernant les avions français en provenance de Wuhan.

La séquence du virus est publiée le 11 janvier. Le 14, le premier message d’urgence aux professionnels de santé libéraux et le premier message d’alerte rapide aux établissements de santé sont diffusés pour préciser la conduite à tenir et la définition des cas.

Le 17 janvier, le centre européen de prévention et de contrôle des maladies estime qu’il n’y a « pas de notion de transmission interhumaine » et évalue à « faible » le risque d’importation dans l’Union européenne faible. Le 21 janvier, alors que 282 cas sont recensés en Chine, et qu’un cas probable est en cours d’exploration en France, la ministre donne sa première conférence de presse. Le cabinet du Premier ministre en est informé par le cabinet de la ministre de la santé. Le ministère de la santé demande à la DGS un point sur les stocks stratégiques et décide l’organisation d’une conférence de presse quotidienne.

Le 22 janvier, bien que l’OMS ne déclare pas l’urgence de santé publique de portée internationale, la ministre active le niveau 2 du centre opérationnel de régulation et de réponse aux urgences sanitaires et sociales (CORRUSS). Le 24 janvier, 3 cas sont détectés en France et la ministre en informe le Président de la République et le Premier ministre. Le tracing et l’isolement des contacts de ces trois patients sont organisés, de même que l’organisation de réunions à Matignon, des services et cabinet le samedi 25 janvier et des ministres le dimanche 26 janvier.

Le 26 janvier, Santé publique France remet à la ministre une note dans laquelle l’agence estime que le scénario le plus probable est celui d’une pandémie touchant le territoire français avec impacts sanitaires et sociétaux significatifs. Le 27 janvier, le ministère de la santé active son centre de crise. Le 28 janvier, une première commande de masque est lancée. Le 30 janvier, l’OMS déclare l’urgence de santé publique de portée internationale.

Cette réactivité est à souligner, et ce d’autant plus que les informations en provenance de Chine pouvaient être sujettes à caution ([83]).

Il apparaît toutefois que, malgré ces alertes et cette vigilance, les décisions se sont, elles, échelonnées au long du mois de février. Du retard a été pris, qui a joué sur la cinétique de propagation de l’épidémie.

Pourtant, les autorités françaises avaient sous les yeux la situation italienne. Alors que le pays connaît une vague épidémique qui précède celle de la France de 10 à 12 jours, les premières mesures de confinement y sont instaurées dans une dizaine de villes dès le 21 février, quand la France ne sera confinée que le 17 mars, soit 24 jours plus tard ([84]). Pendant que l’Italie se confine, le salon de l’agriculture, qui accueillera jusqu’au 1er mars 483 000 visiteurs et 1 050 exposants, est maintenu. Fin février, la France a pourtant déjà enregistré plusieurs clusters ([85]), qui, certes, ont été maîtrisés.

Participe de ce constat le retard dans les commandes massives de masques (voir première partie) ou encore la mise à disposition de tests en nombre qui ne suit pas : pendant les premières semaines de la crise le nombre de test qu’il est possible d’effectuer reste très limité (voir III ci-dessous).

Enfin, c’est dans l’urgence le 16 mars que le confinement est annoncé, alors que la situation semble avoir basculé dès le 6 mars, date de déclenchement du plan blanc permettant la déprogrammation des interventions non-urgentes dans les hôpitaux.

De manière générale, tout au long des premières semaines de la crise sanitaire, les Français ont assisté à une succession précipitée de décisions prises au pied du mur, alors qu’elles étaient indispensables.

B.   Une gestion trop longtemps insuffisamment interministérielle

1.   Une gestion assurée par le ministère en charge de la santé et de ce fait principalement abordée sous le prisme sanitaire

Pendant près de deux mois, le pilotage de la gestion de crise repose exclusivement sur le ministère de la santé. À l’issue de la réunion interministérielle tenue le 26 janvier, en présence des ministres de l’économie et des finances, des armées, de la santé, du secrétaire d’État aux transports et du directeur de cabinet du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, il est en effet décidé que la conduite en interministériel de la crise lui serait confiée.

Aussi, le centre de crise sanitaire (CSS) du ministère de la santé, qui est activé le lendemain, le 27 janvier, trois jours après l’identification d’un premier patient contaminé en France, demeure, jusqu’au 17 mars, la seule instance de coordination. Le 10 mars, une note du DGS précise encore que « le pilotage interministériel de la crise liée au nouveau coronavirus Covid-19 a été confié au ministère des solidarités et de la santé » et identifie les missions de la direction de crise, structurée autour de trois axes : la définition de la stratégie, la réponse institutionnelle et la réponse sanitaire. Le CCS est également chargé de définir la stratégie de communication et d’élaborer les outils nécessaires à sa mise en œuvre.

À l’appui de cette organisation, le caractère prépondérant de la dimension sanitaire de la situation dans les premières semaines est avancé. Pour Mme Claire Landais, alors SGDSN, cette décision apparaît la plus logique comme elle l’a indiqué lors de son audition.

Le caractère interministériel de la crise était pourtant manifeste très tôt et a bien dû être pris en compte, comme en témoignent les nombreuses réunions interministérielles organisées dès la fin du mois de janvier ou l’organisation de Conseil des ministres consacré à cette seule question ([86]). Si une taskforce, animée par un préfet, et dans laquelle sont représentés l’ensemble des ministères est créée en février, dans le but de traduire les différentes décisions dans les champs hors sanitaires et d’impliquer les autres acteurs non sanitaires, comme le précise Claire Landais, elle reste placée auprès de M. Jérôme Salomon, DGS et directeur de crise.

Le plan pandémie grippale, dans sa version de 2009, prévoit pourtant l’activation de la cellule interministérielle de crise (CIC) en cas de pandémie, dès la présence de cas humains isolés sur le territoire français ([87]) : pourquoi ne s’y est-on pas référé ?

Cette organisation a entraîné des conséquences importantes :

 la moindre prise en compte des dimensions non-sanitaires de la crise : avec le risque d’un « effet tunnel », le ministère de la santé n’ayant pas forcément un recul suffisant pour apprécier l’ensemble du spectre ([88]) ni les moyens nécessaires pour y apporter les réponses.

En particulier, la crise s’est avérée, dès les premières semaines, soulever de considérables problèmes de logistique qui certes portaient sur des produits de santé et devait impliquer Santé publique France dont l’autorité de tutelle est la DGS, mais pour laquelle le ministère de la santé n’était sans doute pas la structure décisionnelle ou organisationnelle la plus adaptée.

Comme l’a indiqué M. François Baroin, « Qui sont les professionnels de la logistique en France ? C’est normalement la sécurité civile, le ministère de l’intérieur, éventuellement associé au ministère de la défense – une partie importante de la logistique s’effectue en général avec l’armée […]. Il n’a pas été acté que c’était au ministère de l’intérieur de gérer la crise, qui est une crise de logistique […]. Nous avons été nombreux à dire qu’il y a eu un effondrement de l’État – aucun territoire n’a échappé à l’effondrement de la logistique. Si le ministère de l’intérieur avait été désigné, comme cela aurait paru logique aux élus locaux, pilote de cette partie logistique de la crise – car il s’agissait d’un problème d’acheminement – on aurait gagné du temps » ;

– des répercussions sur la gestion de crise au niveau local : la crise n’étant pas, au niveau central, pilotée par le ministère de l’intérieur, les préfets n’ont pas été considérés comme des interlocuteurs naturels et la déclinaison territoriale des plans de réponse a relevé des ARS, mal outillées pour l’assurer dans toutes ses dimensions. Ceci a été regretté par le Président de l’Association des régions de France, Renaud Muselier : « c’est la première fois qu’une crise est gérée par le ministère de la santé – et non par le ministère de l’intérieur –, ce qui a privé les préfets des éléments d’information au profit des ARS, qui ne sont pas conçues pour faire de la gestion de crise. Tout l’appareil de l’État – préfets, sécurité, sécurité civile – a été mis sur la touche, et le système hospitalier s’est débrouillé seul ».

2.   L’activation tardive de la CIC, restée à l’écart du processus décisionnel

L’activation de la cellule interministérielle de crise n’a lieu, formellement, que le 17 mars, soit à une date particulièrement tardive compte tenu de l’évolution de la situation. Comme l’indique Mme Claire Landais, « c’est à ce moment-là que les autorités politiques ont considéré que la polarisation du sujet, même si les déterminants étaient d’abord sanitaires, avait un impact sur la vie de la société tout entière » : alors que 67 millions de Français sont confinés, que les écoles sont fermées, tout comme les magasins non essentiels, cette considération apparaît, somme toute, à la fois particulièrement évidente et très anachronique…

La non-installation précoce de la CIC apparaît d’autant plus surprenante que la circulaire du 2 janvier 2012 relative à l’organisation gouvernementale pour la gestion des crises majeures, qui attribue au Premier ministre la direction politique et stratégique des crises majeures, venait d’être actualisée en juillet 2019, sous la signature de M. Édouard Philippe.

Cette circulaire a pour objet d’améliorer « l’action gouvernementale et le bon fonctionnement de la coordination interministérielle ». Elle rappelle que la direction politique et stratégique des crises majeures est assurée par le Premier ministre en liaison avec le Président de la République, le ministre de l’intérieur étant chargé de la conduite opérationnelle des crises sur le territoire et de la transposition et de l’application au niveau déconcentré des plans gouvernementaux. Surtout, cette circulaire précise que « la décision de constituer la CIC peut être prise dès la survenance d’une crise ou lors de son développement. La CIC peut également être activée en prévision d’un événement majeur en fonction des informations recueillies sur l’ampleur ou les désordres attendus. Selon son intensité, une crise en peut effet être qualifiée de majeure dès son apparition ou pendant son développement. L’État doit être en mesure d’anticiper cette évolution et de se préparer à la montée en puissance progressive de son dispositif de réponse ».

Il y est ajouté que la dimension interministérielle doit être anticipée dès les premiers développements d’une crise et que la CIC doit être activée suffisamment en amont, dès lors que l’extension de la crise à plusieurs secteurs est envisagée, afin de pouvoir monter en puissance et exercer au mieux la capacité d’anticipation ([89]).

Sa non-activation avant le 17 mars le cadre de la crise de la Covid-19 s’explique difficilement, et est d’autant plus regrettable que M. Louis Gautier, ancien SGDSN (2014-2018) l’indiquait en connaissance de cause, « plus tôt on forme une cellule interministérielle de crise, mieux on mobilise les responsables ministériels, mieux on fait remonter les informations du terrain, des préfets, des agences régionales de santé (ARS), des recteurs […]. Cet outil est mieux à même de s’adapter aux crises complexes, car plus une crise est complexe, plus l’information vient de sources diverses, plus il est facile de se tromper […]. Qui plus est, la cellule interministérielle de crise peut être activée et désactivée en tant que de besoin » ([90]). M. Didier Houssin, ancien DGS, l’a confirmé : « alors que l’unité d’action reste une règle de la gestion de crise, il a fallu attendre de longues semaines pour qu’un centre interministériel de crise unique gère la situation liée au Covid-19. Une préparation plus active et la répétition d’exercices dans les années précédentes auraient peut-être permis d’éviter cela »,

Des précédents existent pourtant, le ministère de l’intérieur ayant été le pilote de la crise H1N1. La nouvelle direction de planification de sécurité nationale (DPSN) en assurait le secrétariat et organisait les travaux de la cellule interministérielle de crise (CIC), activée de manière précoce, soit cinq jours après la déclaration par l’OMS de l’urgence de santé publique de portée internationale ([91]).

La CIC, une fois installée sous l’autorité du Premier ministre et, en particulier, de son directeur de cabinet M. Benoît Ribadeau-Dumas, quoique placée au ministère de l’Intérieur et armée par des agents de la direction générale de la sécurité civile et de la gestion de crise, a eu une activité dense et mené, sur la période de crise, quatre réunions quotidiennes. Elle a pourtant semblé peiner à assurer véritablement le caractère interministériel qui lui incombait.

En effet, à sa création, elle ne supplante pas le centre de crise sanitaire du ministère de la santé (CCS) qui continue à exister de manière parallèle. Qui plus est, « il a été fait le choix de placer le CCS sur le même plan que la CIC et non sous sa coordination », en raison de la nature principalement sanitaire de la crise. En conséquence, la CIC a été principalement perçue comme la cellule de crise du ministère de l’intérieur et mise dans l’incapacité de rendre des arbitrages par l’absence du ministère de la santé à ses réunions ou l’envoi de profils « junior » ([92]).

Les échanges d’information entre les deux structures ont été complexes, et ont eu lieu principalement au travers de la réunion de synthèse quotidienne menée par le directeur de cabinet du Premier ministre, ceci ne pouvant suffire à assurer une communication fluide.

Ces dysfonctionnements apparaissent de manière très nette dans la lettre de mission adressée au Préfet Denis Robin par le Premier ministre Édouard Philippe, lui confiant la responsabilité de la direction d’une nouvelle instance, le centre interministériel de crise, qui se substitue à la CIC à partir de la fin du mois de mai. Cette lettre précise que le Premier ministre « souhaite que cette nouvelle phase soit accompagnée par une réorganisation du pilotage de la crise permettant d’en unifier la conduite et de l’inscrire sur la durée. En effet, l’organisation actuelle repose sur la mobilisation quasi-permanente de mon directeur de cabinet et de celui du ministre de l’intérieur qui doivent, tout en continuant à rendre très régulièrement les arbitrages nécessaires, pouvoir déléguer la conduite quotidienne de la crise à une personnalité qualifiée, expérimentée et dotée d’une légitimité interministérielle lui permettant de prendre les décisions relevant de ce niveau de conduite. L’organisation actuelle fait de l’instance dite CIC-synthèse le seul lieu de la coordination entre le champ santé et les autres champs. Enfin, la CIC n’est que partiellement interministérielle et ne comporte aucune dimension inter-institutionnelle ».

Une plus grande intégration entre le ministère de la santé et le ministère de l’intérieur était recherchée, l’instance nouvelle devant devenir l’unique coordinateur de la réponse de l’État à la crise, intégrant les cellules des ministères de l’intérieur et de la santé et associant systématiquement les préfets et les directeurs généraux des ARS.

Schéma d’organisation gouvernementale de conduite de crise annexÉ à la Circulaire du 1er juillet 2019 relative à l'organisation gouvernementale pour la gestion des crises majeures

Note de lecture : ce schéma est celui qui a présidé à la gestion de crise du 17 mars au 20 mai

Source : Rapport de la mission relative au contrôle qualité de la gestion de crise sanitaire, par M. Richard Lizurey, général d’armée (2s) rappelé à l’activité, juin 2020.

C.   L’absence de pilotage unifiÉ a été source de confusion

1.   La multiplication des instances décisionnelles et consultatives

À la dualité CCS/CIC s’est ajoutée la multiplication des instances consultatives et décisionnelles, entraînant une grande confusion et, pour les acteurs de terrain, des difficultés à identifier le « pilote ».

Ainsi, dès le début de la crise, la nécessité pour le Gouvernement de s’entourer d’une expertise scientifique et médicale est apparue nettement. Toutefois, alors qu’il aurait pu s’appuyer sur des instances existantes, reconnues comme indépendantes et qualifiées, comme le Haut conseil de la santé publique qui compte, parmi ses missions, celle de fournir aux pouvoirs publics, en lien avec les agences sanitaires, l’expertise nécessaire à la gestion des risques sanitaires ou la Haute autorité de santé ([93]), le Gouvernement a fait le choix de les doubler par des organes créés ex nihilo, dont la légitimité a pu être discutée s’agissant notamment de leur composition ([94]).

Le Conseil scientifique est ainsi institué à partir du 11 mars et reconnu par la loi du 23 mars 2020. Composé de 11 membres, il a pour mission d « éclairer la décision publique dans la gestion de la situation sanitaire liée au coronavirus ». Il a produit vingt avis et six notes dont l’accès est public, dont le premier au lendemain de sa nomination, alertant l’État sur le risque sanitaire en préalable à la décision de fermeture des écoles puis de confinement.

Les avis du conseil scientifique ont été une tentative d’asseoir la légitimité de la décision publique en en publiant les éléments scientifiques qui l’ont éclairée. Le Gouvernement a pu, parfois, donner l’impression de s’appuyer sur le Conseil scientifique pour justifier des décisions de nature politique, comme l’illustre la présence de son président, M. Delfraissy, au côté du Premier ministre lors de l’annonce du maintien du premier tour des élections municipales le 15 mars 2020, deux jours avant l’entrée en vigueur du confinement. L’avis du conseil scientifique du 12 mars précise cependant que « cette décision, éminemment politique, ne pouvait lui incomber » et que « si les élections se tenaient, elles devaient être organisées dans des conditions sanitaires appropriées ».

Les multiplications des prises de parole ont pu aussi avoir un effet inverse et contribuer à une certaine décrédibilisation de celle-ci, alors qu’ont émergé, en parallèle, et en nombre considérable des figures médicales médiatiques. Comme l’a indiqué l’ancien Premier ministre Édouard Philippe lors de son audition, « nous ne sommes pas parvenus, dans cette crise sanitaire, à avoir un débat public ordonné sur les questions médicales et scientifiques. J’ignore comment il faut faire pour corriger cela, mais je suis profondément convaincu que ce climat d’invectives et de critiques violentes et permanentes, sur des questions si complexes et si incertaines qu’elles méritent probablement un peu de mise en perspective, a considérablement nui à la façon dont nos concitoyens ont appréhendé la part du combat qui dépendait de nous […]. Cette question en soulève une autre, relative à notre organisation administrative : comment organiser une parole médicale légitime ? ».

Le 24 mars est également créé le Comité analyse, recherche et expertise (CARE) Covid-19, composé de douze chercheurs et médecins, présidé par Mme Françoise Barré-Sinoussi, Prix Nobel de médecine. Ce comité est principalement destiné à faire des recommandations sur des aspects de science fondamentale ainsi que sur des essais cliniques et thérapeutiques. Si un seul avis est publié sur le site du ministère de la santé, il aurait rédigé plusieurs avis sur des projets de recherche ainsi que des notes stratégiques.

En parallèle, des instances plus politiques de réflexion stratégique ont également été conçues, au premier chef desquelles la mission de préfiguration du déconfinement confiée à M. Jean Castex et directement rattachée au Premier ministre, à partir du 2 avril. En outre, les cellules de crise ministérielles, notamment celle du ministère de l’Europe et des affaires étrangères consacrée au lien avec les Français de l’étranger, ont été maintenues, et une cellule interministérielle complémentaire sur le sujet de la logistique des moyens sanitaires a été instituée (voir infra).

Enfin, si la CIC assure la gestion opérationnelle de la crise et prépare les arbitrages, c’est en Conseil de défense et de sécurité nationale, sous l’autorité du Président de la République, que sont prises les principales décisions. Selon le rapport du Général Lizurey, cette instance, qui entraîne un formalisme lourd et subit une forte pression médiatique a, toutefois, « parfois privilégié l’information au détriment de [son] rôle de décision », ce qui s’est avéré très chronophage. De plus, le rapport précise que « certains acteurs ont pu exercer indistinctement plusieurs niveaux de responsabilité, mélangeant notamment rôle stratégique et conduite opérationnelle. Cela soulève le risque que la conduite ait parfois pris le pas sur la stratégie pour les acteurs en charge de cette dernière, et que le niveau responsable de la conduite se soit trouvé en partie déresponsabilisé ».

De manière générale, cette multiplication des structures, éphémères, alors que des instances permanentes auraient pu en assumer les missions, a brouillé la gestion de crise et engendré des complexités dans le partage de l’information regrettables.

2.   La difficulté d’identifier un pilote unique

Pour les acteurs de terrain, cette situation a rendu impossible l’identification du « pilote » ou, à tout le moins, de l’interlocuteur compétent pour répondre à leurs questions ou faire remonter leurs difficultés, ceci étant renforcé par le caractère mouvant des organigrammes eu égard à la rotation des personnels (contaminés par la Covid-19 ou rappelés pour nécessité de service dans leur administration d’origine).

Cela a contribué à donner l’image d’une gestion de crise hors-sol, trop éloignée des réalités et des besoins exprimés sur le terrain, les échanges étant complexes et, de fait, rares.

Ainsi l’indiquait M. Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France, « les acteurs de terrain doivent savoir qui sont les responsables de la gestion de crise », ce que confirmait M. Gilles Bonnefond, président de l’Union syndicale des pharmaciens d’officine : « un autre problème a été la coordination entre les organes de décision et les opérateurs que nous étions : nous n’avons jamais su à qui nous adresser pour obtenir des modifications dans la gestion du système. Était-ce à Chorus, à Santé publique France, aux différentes cellules de crise, à la direction générale de l’offre de soins (DGOS), à la direction générale de la santé (DGS), au cabinet du ministre de la santé ou à celui du Premier ministre ? J’ai fini par interpeller le Président de la République à la télévision pour demander des réponses […]. Il a fallu que nous envoyions à Olivier Véran une lettre ouverte commune pour avoir enfin, au milieu de la crise, une ou deux réunions téléphoniques avec la cellule de crise ; ensuite, la communication a cessé à nouveau. Il faut dire qu’elle était d’autant plus difficile que les interlocuteurs changeaient : au bout de vingt jours ils étaient épuisés, passaient à d’autres dossiers et étaient remplacés, ce qui fait que nous n’arrivions jamais à avoir un véritable suivi et des contacts réguliers ».

Dans un point de situation daté du 30 mars, le Général Lizurey recommandait ainsi, notamment, de « clarifier l’organisation de la CIC afin de préciser les points de contacts dans les différents domaines thématiques » en précisant que c’était « URGENT ».

D.   Le risque de paralysie de l’action publique par la judiciarisation

1.   Le cadre général de la responsabilité des élus en cas d’infraction non intentionnelle

Si le premier alinéa de l’article 121‑3 du code pénal dispose qu’il n’y a pas de crime ou de délit sans intention de le commettre, les troisième et quatrième alinéas de ce même article distinguent néanmoins deux régimes d’engagement de la responsabilité d’un élu pour une infraction non intentionnelle, selon que la faute commise soit directe ou indirecte.

● En application du troisième alinéa, il y a délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement.

La loi du 13 mai 1996 ([95]) est venue encadrer l’appréciation de cette faute directe en précisant qu’il doit être établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait.

● Le quatrième alinéa a été introduit par la loi « Fauchon » du 10 juillet 2000 ([96]). Il vise les personnes physiques qui n’ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter.

L’appréciation de cette faute indirecte est elle aussi encadrée. Ces personnes ne sont responsables pénalement que s’il est établi qu’elles ont :

– soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement ;

– soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer.

Dans un rapport de 2019, l’Observatoire de la société mutuelle d’assurance des collectivités locales estime pour les années 2014 à 2020 à 1 634 le nombre de poursuites d’élus locaux, en hausse de 28 % par rapport au mandat 2008-2014, et à 672 le nombre de condamnations. 2,63 % de ces poursuites concernent des faits involontaires. Pour M. Luc Brunet, responsable de l’Observatoire, 31 condamnations ont été comptabilisées depuis 2000 pour homicides et violences involontaires ([97]).

2.   Une première étape, nécessaire, a été franchie par la loi du 11 mai 2020

La préparation du déconfinement a placé les maires en première ligne, et ce afin d’organiser notamment la réouverture des écoles.

Pour leur donner les marges de manœuvre nécessaires pour agir malgré le contexte sanitaire incertain et propre à l’épidémie de Covid-19, la discussion parlementaire de la loi du 11 mai 2020 ([98]) a abordé la question de leur responsabilité, ainsi que celles des chefs d’établissements, en cas de faute non intentionnelle pouvant être commise dans le cadre du processus de déconfinement et pouvant conduire, notamment, à des contaminations.

L’Assemblée nationale et le Sénat se sont accordés sur une disposition ([99]) permettant au juge d’apprécier la manière dont il doit être fait application de l’article 121‑3 du code pénal dans le contexte de l’état d’urgence sanitaire.

Le président Richard Ferrand explique, dans le rapport d’étape de la mission d’information en date du 3 juin 2020, la portée du nouvel article L. 3136‑2 du code de la santé publique que : « Pour répondre à la question de la responsabilité juridique des exécutifs locaux et des chefs d’établissement, le Parlement a adopté, dans le cadre de l’examen du projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire, une disposition prévoyant que l’engagement de la responsabilité pénale au titre de l’article L. 1213 du code pénal devait tenir compte des compétences, du pouvoir et des moyens dont les personnes disposaient dans la situation de crise ayant justifié l’état d’urgence sanitaire, ainsi que de la nature de leurs missions ou de leurs fonctions, notamment en tant qu’autorité locale ou employeur. »

Cette disposition, qui a été saluée par les associations d’élus locaux ([100]), constituait le préalable indispensable à la bonne organisation du déconfinement.

La réflexion plus globale qui doit s’engager, à l’aune des leçons qu’il faudra tirer de la crise, n’a pas vocation à remettre en cause les fondements de l’article 123‑1 du code pénal : il apparaît préférable de préserver un régime de la responsabilité non intentionnelle des élus. Celui-ci a fait preuve d’une grande stabilité depuis vingt ans et la loi du 11 mai 2020 ne le modifie d’ailleurs pas.

Dans l’immédiat, si le nouvel article L. 3136‑2 du code de la santé publique vise notamment les autorités locales et les employeurs, cette précision n’est pas limitative : cet article s’applique à l’ensemble des décideurs publics.

3.   Les enjeux d’une réflexion globale

Ainsi l’a expliqué le Premier ministre Édouard Philippe lors de son audition par la mission : « comment gérer une crise sanitaire, avec des échelons de décision très dispersés, quand le risque pénal est immédiat ? Si vous voulez que les échelons administratifs ou politiques soient moins réactifs, associez à chaque élément de décision ou à chaque jour passé un risque pénal. Ainsi, entre le moment la décision a été prise d’intégrer les laboratoires vétérinaires dans le circuit des tests et celui où cela s’est effectivement fait, il s’est passé du temps, parce que, en matière sanitaire, quand, pour aller plus vite, vous voulez passer outre une norme écrite, qui a été définie dans le but de protéger les gens, vous vous exposez immanquablement à un risque pénal ».

M. Christophe Castaner l’a confirmé lors de son audition par la mission : « le risque pénal peut générer de l’inhibition. Au niveau du Président de la République comme du Premier ministre je n’ai jamais vu ce risque d’inhibition empêcher une décision – même avec le risque que cette décision ne soit pas la bonne. C’est le propre de la nature des décisions politiques que nous devons prendre […]. En revanche, je pense qu’il peut y avoir une forme d’hésitation, de blocage ou d’inhibition notamment dans nos administrations, qui sont très souvent poursuivies aussi, ce qu’il ne faut pas négliger. Je suis d’ailleurs descendu, et je l’assume, à un niveau d’instruction écrite que nous n’aurions pas forcément eu en d’autres temps, pour protéger l’administration et peut-être aussi parce que je sentais qu’elle en avait besoin pour bien exécuter les orientations du ministre ».

En témoignent, notamment, les perquisitions et les informations judiciaires ouvertes par le Parquet de Paris, contre X des chefs d’abstention volontaire de combattre un sinistre et les plaintes reçues par la CJR visant spécifiquement certains membres du Gouvernement.

Le temps de la gestion de crise et le temps de la justice ne doivent pas être confondus.

S’il est, évidemment, nécessaire de faire la lumière sur la gestion de la crise par le Gouvernement ou l’administration, sans les exempter de leur responsabilité, ceci ne saurait intervenir au plein cœur de la crise sanitaire qu’ils ont encore à gérer et sur laquelle leurs ressources doivent pouvoir être entièrement mobilisées, ni conduire à annihiler toute capacité de décision.

E.   des exemples Étrangers de gestion de crise

1.   L’anticipation des pays asiatiques : facteur clé de la réussite de la réponse

Les pays d’Asie ont, pour certains, pu apporter une réponse efficace dans la lutte contre la propagation de l’épidémie, en raison de leur préparation à une crise de cette nature, héritée notamment des retours d’expérience de l’épidémie de SRAS de 2002-2003.

Ainsi, plusieurs États ont donné l’alerte avant même qu’un premier cas ne soit détecté sur leur sol, et ont pris des mesures restrictives de manière particulièrement précoce. Dès le 4 janvier, Hong-Kong déclenche l’alerte sanitaire, alors que le premier cas ne sera identifié sur le territoire que le 23 janvier. Deux jours plus tard, le 25 janvier, l’alerte maximale est déclenchée et les écoles fermées. Singapour met en place un contrôle aux aéroports dès le 2 janvier, par le contrôle de la température, alors que le premier cas ne sera détecté que 3 semaines plus tard. En Corée du Sud, des mesures de dépistage et de quarantaine sont imposées à toute personne arrivant de Wuhan à partir du 3 janvier. À Taïwan, la présidente fixe un plan d’action dès le 31 décembre 2019 ; le Gouvernement reconnaît la Covid-19 comme une maladie infectieuse transmissible le 15 janvier, soit 5 jours avant la Chine, ce qui permet d’appliquer des mesures d’isolement et de traçage des individus ([101]).

Ces États ont également pour caractéristique d’avoir des institutions spécialisées et une planification fine, qui ont permis d’apporter une réponse efficace à la crise sanitaire : en Corée du Sud, l’organisation repose sur le centre coréen de contrôle et de prévention des maladies (KCDC), créé en 2004 à la suite de la crise du SRAS, et dont les pouvoirs ont été accrus et en 2015 à la suite de l’épisode de MERS. Affilié au ministère de la santé, il jouit cependant d’une certaine indépendance compte tenu de son expertise, et a notamment pu imposer ses recommandations au ministère des affaires étrangères s’agissant de la gestion des frontières ([102]). La planification est également élaborée : la loi sur le contrôle et la prévention des maladies infectieuses de 2010, révisée en 2015, prévoit l’élaboration d’un plan de prévention et de contrôle des maladies infectieuses par le ministère de la santé tous les cinq ans, qui doit fixer la répartition des responsabilités, les mesures de contrôle, etc. Un bureau du ministère de l’intérieur est, par ailleurs, consacré à la coordination avec le ministère de la santé en cas de crise sanitaire : le bureau des crises sanitaires. De surcroît, les 17 provinces ou métropoles sont également chargées de définir un plan de gestion de crise ainsi qu’un plan spécifique de prévention des maladies infectieuses ([103]). Cet ensemble constitue l’un des points clés de la réponse de la Corée du Sud, comme l’indique l’ambassadeur de France, M. Philippe Lefort : un des atouts, « c’est l’existence d’une véritable structure d’état-major prépositionnée, montée en puissance au moment de la crise, avec un plan d’escalade préétabli. De façon générale, la gestion d’une crise se passe toujours à peu près de la même façon, et le modèle est foncièrement militaire : cela repose d’abord sur le renseignement et l’information, ensuite sur l’analyse, puis sur le commandement, et, enfin, sur l’échelle d’exécution » ([104]).

À Taïwan, le traumatisme de l’expérience du SRAS a dicté la réponse à la crise. Comme l’indique le représentant de Taïwan en France, M. François Chih-Chung Wu, « nous avons su tirer les leçons du passé. Taïwan a été l’un des pays les plus touchés par l’épidémie de SRAS en 2003. À l’époque, 346 personnes ont été infectées et 81 sont décédées, soit un taux de plus de 20 % de létalité. Par manque de coordination entre le gouvernement central et local, un hôpital municipal de Taïpei a été confiné, causant la mort de 7 professionnels et des suicides. Des images apocalyptiques de personnes confinées voulant forcer la ligne de confinement et la directrice municipale de la santé portant une combinaison spatiale pour rentrer à l’hôpital ont traumatisé la population de Taïwan » ([105]). Le Centre de commandement central des épidémies (CECC), créé à la suite de cette épidémie, est activé le 20 janvier. Cette structure temporaire est dotée d’un pouvoir exécutif et dispose d’une capacité de réponse rapide : sous la responsabilité du ministre de la santé, elle dispose de toutes les ressources de l’exécutif, y compris du recours à l’armée si nécessaire. Comme l’indique une note de l’Institut Montaigne, son fonctionnement en trois piliers est directement inspiré du monde militaire : le renseignement, pour disposer d’informations précises ; le combat, qui recouvre notamment les mesures restrictives ; la logistique, qui recouvre l’équipement médical, mais également l’administration, les affaires juridiques ou la communication. Par ailleurs, le Centre de contrôle des maladies a joué un grand rôle, dans la formulation des politiques de contrôle des maladies infectieuses, dans la collecte d’information en temps réel, notamment sur la propagation de l’épidémie, et dans la mise en œuvre des mesures de contrôle ([106]).

Ces pays, en outre, avaient des stocks stratégiques de matériel importants et des stratégies préétablies de stockage, d’approvisionnement, de production d’urgence et de distribution de matériel pour faire face à une crise de grande ampleur. Si des tensions sur les approvisionnements ont pu être notées, ils ont pris très tôt des mesures pour sécuriser la production, notamment en prenant le contrôle des filières nationales de production.

2.   La gouvernance de la crise en Allemagne : le fédéralisme et son adaptabilité ont permis une organisation générale efficace des pouvoirs publics

L’organisation de la gestion de crise en Allemagne a paru garantir un équilibre entre la centralisation nécessaire des décisions au niveau du gouvernement fédéral et les marges de manœuvre laissées aux Länder, traditionnellement compétents en matière de santé pour l’organisation de l’offre de soin, la gestion des crises sanitaires ou encore les politiques de prévention. L’interministérialité a été organisée, la parole scientifique canalisée au sein d’un organe reconnu comme légitime, et les compétences propres du secteur privé, notamment en matière logistique pleinement exploitées.

Ainsi, l’organisation de la gestion de la crise en Allemagne a reposé sur la loi sur la protection contre les infections (Infektionsschutzgesetzt) qui est en vigueur depuis le 1er janvier 2001. Cette loi est principalement mise en œuvre par les seize Länder qui sont compétents pour instaurer les mesures de mise en quarantaine, de couvre-feu et d’état d’urgence en cas de menace épidémique.

Comme l’indique l’ambassade de France en Allemagne dans ses réponses écrites, le gouvernement fédéral allemand ne dispose initialement pas de tous les outils de supervision utiles pour une gestion de crise sanitaire, notamment pour ce qui concerne les tensions d’approvisionnement de médicaments, le taux d’occupation des lits de soins intensifs (qu’il ne supervisera qu’à partir du 17 avril) ou les stocks de matériels de protection, dont les masques, gérés aux niveaux régional et local.

Pour pallier ces difficultés, l’Allemagne a instauré des mécanismes de coordination entre l’État fédéral et les Länder. Ainsi, au début de la crise, le Gouvernement fédéral et les Länder se sont accordés sur les mesures de distanciation sociale à adopter, par ordonnances et dans chaque Land, pour faire face à l’épidémie. Seuls les Länder de Bavière, de Berlin, de Sarre et de Saxe ont instauré des mesures de couvre-feu. Ceci n’exclut pas toutefois quelques désaccords, s’agissant par exemple du port obligatoire du masque ou du calendrier du déconfinement.

En outre, dans le contexte de l’épidémie de Covid-19, la loi sur la protection contre les infections a été modifiée, le 25 mars, dans le but de permettre au Bundestag de déclarer « l’état d’épidémie d’importance nationale » (epidemische Lage von nationaler Tragweite). Du fait du caractère national de l’épidémie, la loi a autorisé le ministre fédéral de la santé à prendre des mesures, par voie réglementaire, concernant l’organisation du système de santé. Le pays a, également, adopté des ordonnances renforçant les compétences de l’État fédéral, notamment du ministère fédéral de la santé, en cas de situation épidémique d’ampleur nationale (contrôle des voyages transfrontaliers, introduction d’obligations de déclaration pour le transport par rail et par bus, obligations de déclaration et de tests, mesures visant à assurer l’approvisionnement de base en médicaments, etc.).

Comme l’explique une note de l’Institut Montaigne ([107]), le caractère national de cette crise a conduit à renforcer la compétence de l’échelon fédéral au sein d’un système de santé qui accord généralement une place prépondérante aux Länder. Tout au long de la crise, la chancelière Angela Merkel a néanmoins souhaité mettre en avant sa proximité et sa relation constante avec les Ministre-Présidents des Länder ainsi que la cohésion et l’opérationnalité de son gouvernement. Ainsi, une interministérialité a été mise en place, notamment par la réunion des principaux ministres concernés par la crise (santé, intérieur, affaires étrangères, économie et finances et défense) chaque semaine auprès de la chancelière, en amont du Conseil des ministres (le Corona-Kabinett).

Durant cette période, l’Institut Robert Koch, l’établissement fédéral fondé en 1891 en charge du contrôle et de la lutte contre les maladies, a joué un rôle majeur en matière d’action et de veille. Son action se positionne au croisement des missions de l’Institut Pasteur et de Santé Publique France dans notre pays. Il a, notamment, assuré le suivi centralisé des données épidémiologiques et la publication des recommandations scientifiques.

S’agissant de la logistique, alors que l’État, en France, réquisitionnait les masques des stocks privés des entreprises et centralisait l’ensemble des commandes entre le 3 mars et le 20 mars, l’Allemagne a fait le choix de demander à ses grandes entreprises importatrices de mettre leur force de frappe au profit de la logistique de crise, pour acheminer des masques vers le territoire allemand. Ont ainsi contribué les entreprises BASF, Volkswagen ou Lufthansa, pour l’acheminement de plusieurs centaines de millions de masques.

II.   la nécessité de territorialiser les dispositifs de gestion des crises sanitaires

A.   La gestion de crise a révélé les limites inhérentes aux ARS

1.   Des agences paradoxalement centralisées et déconnectées de leur environnement territorial

Les agences régionales de santé (ARS) ont été créées, au 1er avril 2010, par la loi n° 2009‑879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (HPST). Elles se sont substituées à sept organismes, dont les agences régionales de l’hospitalisation (ARH), la direction régionale et les directions départementales de l’action sanitaire et sociale (DRASS et DDASS) et l’union et les caisses régionales d’assurance maladie (URCAM et CRAM).

Les ARS ont un statut administratif particulier : ce ne sont pas des services déconcentrés de l’État mais des établissements publics administratifs qui sont placés sous la tutelle du ministère chargé de la santé. Elles établissent avec celuici une relation contractuelle qui se manifeste par la signature d’un contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens.

Comment expliquer les critiques qui sont adressées aux agences et qui pointent le caractère centralisé de celles-ci alors qu’il s’agit pourtant d’institutions régionales ? Comment a-t-on pu en arriver à une telle situation pour qu’une personne auditionnée déclare que « les ARS sont hors sol, n’écoutent pas ce qui se passe sur le terrain, ne savent pas, ne veulent pas entendre » ([108]) ?

Le paradoxe d’agences n’ayant un caractère régional que dans leur titre était pourtant assumé dès la préfiguration de ces agences : le préfet honoraire Philippe Ritter indiquait, dans son rapport sur la création des ARS, remis en janvier 2008, que celles-ci permettraient la mise en place d’un « pilotage unifié et responsabilisé du système territorial de santé ».

L’écart dénoncé entre les ARS et les acteurs d’un territoire de santé a certainement été accentué par la réduction, le 1er janvier 2016, du nombre d’ARS de vingt-six à dix-sept puis à dix-huit ([109]) consécutive au redécoupage des régions métropolitaines opéré par la loi n° 2015-29 du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral dont les conséquences non anticipées continuent, cinq ans plus tard, de produire des effets négatifs.

Lors de son audition par la mission d’information le 1er juillet 2020, Mme Roselyne Bachelot, ministre de la santé, de la jeunesse et des sports au moment de porter la loi HPST en 2008, a déclaré « regretter que la désastreuse réforme territoriale de 2015, de réduction du nombre des régions (…) ait porté un coup fatal [aux ARS], obligeant cette administration adolescente à se reconfigurer ».

Les ARS et leur environnement territorial

Si les ARS sont décrites comme isolées de leur environnement territorial, à savoir des préfets de département, des élus locaux et des professionnels du secteur médical et médico-social, elles n’en demeurent pas moins liées à celui-ci par l’intermédiaire d’une nébuleuse de structures ou d’interactions organisées par le code de la santé publique.

– une conférence régionale de la santé et de l’autonomie, où sont notamment représentés les collectivités territoriales, les usagers et associations, les conseils territoriaux de santé ou les professionnels du système de santé, est chargée de participer, par ses avis, à la définition des objectifs et des actions de l’agence dans ses domaines de compétences (art. L. 1432‑1).

– trois commissions de coordination des politiques publiques de santé (prévention et accompagnement de la santé, prises et charge et accompagnements médico-sociaux et organisation territoriale des soins), qui peuvent être fusionnées, associent les services de l’État, les collectivités territoriales et leurs groupements et les organismes de sécurité sociale (art. L. 1432‑1).

– le conseil territorial de santé est notamment composé des députés et sénateurs élus dans le ressort du territoire concerné, de représentants des élus des collectivités territoriales (art. L. 1434‑10).

– les communautés professionnelles territoriales de santé, constituées par les professionnels de santé, peuvent élaborer un projet de santé avec l’ARS (art. L. 1434­12).

– dans chaque département, les élus sont concertés sur l’organisation territoriale des soins au moins une fois par an par le directeur général ou par le directeur de la délégation départementale de l’ARS (art. L. 1434‑15).

– le projet régional de santé est élaboré par l’ARS après une large consultation et en concertation avec les acteurs du territoire.

– seize cellules régionales de Santé publique France, placées auprès des ARS, sont compétentes en matière de veille, de surveillance et d’alerte sanitaires, d’observation de la santé et d’évaluation de programme pour l’aide à la décision des politiques de santé régionales.

Il n’est pas question ici de nier l’engagement personnel et la mobilisation tout au long de la crise des personnels des ARS à tous les niveaux. Ils ont eu à affronter brutalement dans certaines régions et dans l’urgence dans toutes, les défis considérables posés au système de soins par l’épidémie. On doit, au contraire s’en féliciter, ceci n’empêche pas de regretter des problèmes organisationnels.

La principale faiblesse des ARS est apparue, à l’aune de la crise sanitaire, au niveau départemental : c’est cet échelon, et non celui des grandes régions, qui constitue l’échelle de relation pertinente avec le préfet de département et avec la plupart des élus locaux – notamment les maires, mais aussi les présidents de département, également compétents sur les sujets médico-sociaux. L’article L. 14321 du code de la santé publique dispose simplement que les ARS « mettent en place des délégations départementales ». La présence des ARS dans les départements est en réalité trop variable en termes de moyens et de personnels pour constituer un véritable acteur sanitaire sur le territoire et un interlocuteur direct pour les autres institutions.

De fait, les critiques formulées devant la mission d’information envers les délégations départementales des ARS ont été récurrentes :

– M. Frédéric Valletoux, président de la Fédération Hospitalière de France, le 8 juillet 2020 : « Le fonctionnement des ARS est également à améliorer, notamment dans les départements des très grandes régions où le siège de l’ARS s’est beaucoup éloigné des territoires. On a souvent évoqué les problèmes de coordination entre l’appareil d’État, côté sécurité civile intérieure qui est organisé au niveau des départements, et les ARS organisées au niveau des régions. La faiblesse des ARS dans leurs représentations départementales a été mise en lumière lors de cette crise. »

– M. Jean-Paul Ortiz, président de la Confédération des syndicats médicaux français, le 9 juillet 2020 : « Le problème des ARS et de leurs délégations territoriales se pose très clairement. Il faudra avoir le courage d’analyser pourquoi nombre d’ARS et de délégations territoriales ont constitué des obstacles et des freins à ce que l’on essayait de mettre en place sur le terrain. »

– Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé entre 2012 et 2017, le 1er juillet 2020 : « L’échelon départemental constitue leur principale faiblesse : si la direction générale des ARS est très solide, les compétences des directeurs et directrices départementaux sont plus variables. »

2.   La compétence des ARS en matière de gestion des crises sanitaires doit être revue

Jusqu’en 2010, la veille et la sécurité sanitaires relevaient des directions régionales et départementales des affaires sanitaires qui étaient placées sous l’autorité des préfets de département. Elles s’appuyaient sur les cellules interrégionales d’épidémiologie, copilotées par l’Institut de veille sanitaire en lien avec la direction générale de la santé. Depuis la loi HPST, en application de l’article L. 14312 du code de la santé publique, les ARS « contribuent, dans le respect des attributions du représentant de l’État territorialement compétent et, le cas échéant, en relation avec le ministre de la défense, à l’organisation de la réponse aux urgences sanitaires et à la gestion des situations de crise sanitaire ».

Les conséquences du transfert de la compétence de gestion des crises sanitaires du préfet de département, qui relève du ministère de l’intérieur, à des agences régionales placées sous l’autorité du ministère chargé de la santé avaient clairement été posées en 2008 lors des travaux de préfiguration des ARS. Devant la mission d’information conduite par le député Yves Bur, le secrétariat général du ministère de l’intérieur avait pointé les risques de placer auprès des ARS les activités de veille et de sécurité sanitaires du fait de leur caractère régalien et de leur « cinétique rapide ».

Afin de ménager les marges de manœuvre de préfets pour gérer les crises tout en organisant le transfert de cette compétence aux ARS, un compromis s’est dessiné pour permettre aux préfets de mobiliser les moyens des ARS dans la gestion des crises sanitaires. Le code de la santé publique prévoit cette collaboration sur plusieurs niveaux :

– pour l’exercice de ses compétences dans les domaines sanitaires et de la salubrité et de l’hygiène publiques, le représentant de l’État territorialement compétent dispose à tout moment des moyens de l’agence (art. L. 1435‑1) ;

– les services de l’agence sont placés pour emploi sous l’autorité du représentant de l’État territorialement compétent lorsqu’un événement porteur d’un risque sanitaire peut constituer un trouble à l’ordre public (art. L. 1435‑1) ;

– dans les zones de défense, le préfet de zone dispose, pour l’exercice de ses compétences, des moyens des ARS de la zone de défense. Leurs services sont placés pour emploi sous son autorité lorsqu’un événement porteur d’un risque sanitaire peut constituer un trouble à l’ordre public au sein de la zone (art. L. 1435‑2).             

Dans les faits, et ainsi que l’indique le rapport du Général Lizurey, les dispositions de l’article L. 1435–1 du code de la santé publique n’ont pas été appliquées, aboutissant à une imbrication partielle et inaboutie des services déconcentrés de l’État et des ARS qui s’est traduite par une organisation asymétrique.

Au niveau zonal, la cellule zonale d’appui (CZA) mise en place par l’ARS de zone est le pendant du centre opérationnel de zone (COZ) instaurée sous l’autorité du préfet de zone. En revanche, le centre opérationnel départemental (COD) que dirige le préfet de département n’a pas de correspondant sanitaire à son niveau, même si des représentants de l’ARS siègent au COD. Entre le niveau zonal et le niveau départemental, les ARS sont également les seules intervenantes au niveau régional pour mettre en œuvre la cellule régionale d’appui et de pilotage sanitaire.

Schéma de l’organisation de la réponse aux crises sanitaires

Source : ministère des solidarités et de la santé.

Le décalage qui a pu apparaître entre les ARS et les préfets a été patent dans certains territoires, conduisant à la mise en place d’une double chaîne de commandement distincte entre les ARS et les préfets. Le colonel Grégory Allione, président de la Fédération nationale des sapeurs‑pompiers de France (FNSPF), a estimé, le 21 juillet 2020, devant la mission d’information, que « la façon de procéder a été très éloignée des principes guidant habituellement la gestion des crises », à savoir la mise en place d’un commandement unique qui s’appuie sur une déclinaison territoriale revenant aux préfets et sur la mobilisation de la totalité des forces locales. Pour le président de la FNSPF, « la crise a été plus administrée que gérée, et ce pour une seule et unique raison : le choix a été fait de confier le déroulement des opérations à celles et ceux qui, certes, administrent la santé au quotidien, notamment les ARS, mais qui n’ont pas pour habitude de gérer des crises ».

Si l’action des ARS dans la gestion de la crise de la Covid-19 a connu des succès incontestables en matière d’augmentation des capacités de réanimation ou de transferts des patients notamment, elles ont aussi participé de l’approche hospitalo-centrée qui a caractérisé l’organisation de la réaction à la crise, en focalisant leur action sur l’urgence du moment, c’est-à-dire le risque de saturation des hôpitaux, sans doute au détriment des acteurs du médico-social, par exemple, qui ont pu se trouver sans interlocuteurs.

Et leur action est parfois jugée bureaucratique et insuffisamment réactive ([110]). Au cours de ses travaux, la mission d’information a pu constater que la gestion de la crise par les ARS dépendait pour une large part de la personnalité de leurs directeurs généraux et de leur capacité à travailler en confiance avec le préfet : le travail de certains a été salué pendant que d’autres faisaient l’objet de vives critiques.

Ce constat d’une importante disparité de gestion qui a pu exister d’une région pose la question du statut de leur directeur : les ARS sont dirigées par un directeur général, nommé en conseil des ministres, souvent qualifié de « superpréfet sanitaire ». Il rend compte au conseil de surveillance ([111]) qui est présidé par le préfet de région mais dont les pouvoirs restent limités ([112]). Malgré la profusion des instances de coordination, le directeur général et les services de l’ARS qu’il dirige bénéficient en réalité d’une large autonomie dans leur action, y compris vis-à-vis du conseil de surveillance.

Mais en période de crise, partout sur le territoire les ARS doivent pouvoir fonctionner avec efficacité et tous les acteurs de santé pouvoir compter sur leur action.

B.   Une déconcentration et une décentralisation indispensables des politiques de santé

1.   L’échelon départemental doit redevenir la tête de proue de l’État déconcentré

Votre rapporteur préconise de mettre fin au mouvement qui a abouti, dans l’organisation territoriale de l’État, à affaiblir les marges de manœuvre et l’autorité du préfet de département au profit de technostructures trop larges qui n’ont pas de prise avec la réalité des territoires.

La crise sanitaire doit être l’occasion d’engager une refonte systémique de l’organisation de notre politique de santé dans les territoires. Celle-ci ne pourra se faire avec le maintien des ARS dans leur forme actuelle, quand bien même leurs unités territoriales seraient renforcées. M. Xavier Bertrand l’indiquait à la mission d’information, le 2 juillet 2020 : « les ARS ont un problème de structure : elles sont trop grandes et s’occupent de trop de choses ».

C’est pourquoi la départementalisation des agences régionales de santé constitue le préalable indispensable aux préconisations formulées par votre rapporteur. Cette mesure permettra en effet de restaurer la compétence du préfet de département en matière de gestion des crises sanitaires et d’engager un véritable mouvement de décentralisation des politiques sanitaires.

Dans les faits, l’échelle régionale des ARS ne serait conservée qu’aux fins de coordonner le réseau des agences départementales. Celles-ci seraient néanmoins placées sous l’autorité hiérarchique des préfets de département.

Proposition : instaurer des agences départementales de santé sous l’autorité hiérarchique des préfets afin de faire de ces agences de véritables acteurs sanitaires de proximité.

En parallèle, les compétences de principe en matière de gestion des crises doivent être réattribuées aux préfets de département, au-delà du dispositif mis actuellement en place par le code de la santé publique et qui a montré ses limites. Ils disposeront d’un interlocuteur immédiat grâce aux agences départementales de santé sur lesquelles ils disposeront d’une pleine autorité en cas de crise.

Les préfets ont la compétence et l’expérience pour gérer les crises, ils doivent devenir les décideurs uniques lorsque la situation l’exige afin de renforcer la lisibilité et l’efficacité de l’action. Il est indispensable d’instaurer ce pilotage unique qui a fait défaut pendant la crise sanitaire.

Proposition : pour mettre fin à la dualité de la chaîne de commandement qui a été préjudiciable dans la gestion de la crise sanitaire, rendre aux préfets de département la compétence de la gestion des crises sanitaires.

Afin de mieux préparer et anticiper les crises sanitaires, il apparaît également indispensable que les préfets puissent disposer d’un droit de regard sur les stocks stratégiques positionnés au niveau zonal et gérés par Santé publique France.

Proposition : donner un droit de regard aux préfets sur les stocks stratégiques positionnés au niveau zonal.

2.   Faire des collectivités territoriales de véritables acteurs en matière sanitaire

L’implication des départements dans la crise sanitaire, du fait de leurs compétences dans le secteur médico-social, a été importante, notamment en direction des établissements d’hébergement pour personnes âgées. Néanmoins, du fait de la cotutelle exercée avec les ARS dans ce secteur, les relations se sont avérées complexes, incohérentes selon les territoires et inadaptées aux enjeux territoriaux de la crise qui exigeaient notamment une grande proximité et une meilleure réactivité.

Lors de son audition par la mission d’information le 28 octobre 2020, M. Dominique Bussereau, président de l’Association des départements de France, mentionnait le cas, dans le département de la Charente-Maritime, d’un EHPAD qui a eu à déplorer quatorze décès : « ni le maire de la commune, ni le président du département – co-autorité de tutelle de l’EHPAD – ni le préfet, ni la préfète de région, ni le cabinet du ministre n’étaient au courant. Nous avons appris cette nouvelle par la presse, parce qu’un journaliste local avait eu l’information. Aucun de nous n’a pu jouer un rôle dans la crise de l’établissement. »

Le bilan de la crise dans les EHPAD plaide pour un sursaut collectif afin que la situation sanitaire dramatique qui s’y est produite ne se reproduise pas.

C.   Pourtant En première ligne, le rôle joué par les collectivités locales n’a pas été reconnu à sa juste valeur

1.   La mobilisation, exemplaire, à tous les niveaux, des collectivités territoriales

Au cœur de la crise, les collectivités locales se sont positionnées en première ligne pour pallier l’absence de l’État, notamment en matière de commande et de distribution des masques de protection.

Les auditions conduites par la mission d’information ont notamment mis en lumière les difficultés pour assurer la logistique du dernier kilomètre. Dans la mesure où les ARS ne disposaient pas des réseaux de proximité suffisants, ce sont les communes, les intercommunalités, les départements et les régions qui ont souvent pris le relais.

Surtout, les carences de l’État ont été aggravées par une mobilisation insuffisante des moyens de la sécurité civile. Sous l’autorité de la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises du ministère de l’intérieur, ceux-ci sont pourtant adaptés aux situations de crise et s’avèrent particulièrement utiles lorsqu’ils sont employés. Le colonel Grégory Allione regrettait notamment que les capacités offertes par les quatre établissements de soutien opérationnel et logistique (ESOL) en termes de projection et de logistique n’aient pas été employées pendant la crise ([113]) alors qu’ils ont justement pour mission d’assurer un soutien logistique aux moyens terrestres de la Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) et peuvent répondent directement aux demandes ponctuelles en renfort logistique exprimées par les préfectures et les États-majors de zone.

Ce constat a également été partagé par M. François Baroin, président de l’Association des maires de France, qui a fait part à la mission d’information, le 28 octobre 2020, de son sentiment d’avoir assisté à un « effondrement de l’État » au cours de la crise.

Dans ce contexte, les collectivités locales ont prouvé leur complémentarité et leur utilité pour maintenir ouverts les services publics de proximité – ce fut notamment le cas des communes dans le cadre du déconfinement – et assurer des commandes et des distributions de masques complémentaires. Si les débuts ont été quelque peu chaotiques – des commandes de masques de collectivités territoriales ont été réquisitionnées par le représentant de l’État le 5 avril 2020 à l’aéroport de Bâle-Mulhouse au profit des hôpitaux du Grand-Est – les relations entre les pouvoirs publics ont néanmoins fini par s’organiser en bonne intelligence ([114]).

2.   Le binôme maire-préfet doit être consolidé

Les maires, au moyen de leur pouvoir de police municipale conféré par le code général des collectivités territoriales ([115]), ont joué un rôle prépondérant, sur le terrain pour maintenir les services municipaux et lutter contre la propagation de l’épidémie. Ce pouvoir s’est exercé en parallèle et dans le respect du pouvoir de police spéciale confié aux préfets dans le cadre l’état d’urgence sanitaire instauré par la loi du 23 mars 2020.

Après la période particulière du premier confinement qui a imposé que l’État prenne des décisions rapides et immédiates, les relations qui se sont établies entre les maires et les préfets dans le cadre de la préparation du déconfinement et de la reprise de l’activité se sont caractérisées par leur souci d’efficacité et de proximité et ont concerné la réouverture de marchés, de plages ou de lieux culturels. L’action des maires a également été soutenue et protégée par loi du 11 mai 2020 afin que leur responsabilité ne soit pas engagée de manière dilatoire.

Néanmoins, il est manifeste que certaines intuitions des maires ont été freinées alors qu’elles étaient fondées et utiles d’un point de vue sanitaire. C’est le cas des mesures de couvre-feu au début du premier confinement qui ont été contestées avant d’être reprises par les préfets. Surtout, le maire de Sceaux a eu raison avant tout le monde en imposant le port du masque dans sa commune pour préparer le déconfinement : il a vu son arrêté contesté puis annulé par le Conseil d’État.

La lutte contre la reprise épidémique a surtout montré les limites du mouvement de concertation qui avait été initié par l’État avec les élus locaux dans le cadre du déconfinement, qu’il se soit agi de la limitation des horaires d’ouverture des bars et restaurants à la fin de l’été ou encore de la fermeture des commerces de détail dans le cadre du reconfinement. Il apparaît que le cadre de l’état d’urgence sanitaire rend difficile la conciliation des mesures qui doivent être prises de manière uniforme au niveau national – et ce afin d’être lisibles et efficaces – et leur adaptation à la situation sanitaire locale.

La reprise en main par le ministère de l’intérieur et par les préfets de la gestion de la crise, préconisée par votre rapporteur, devrait néanmoins permettre de mieux appréhender cette question.

III.   le retard initial en matière de tests virologiques a conduit à une stratégie incertaine : celle d’un rattrapage précipité

Dans une allocution liminaire, le 16 mars 2020, lors d’un point presse sur la Covid-19, le directeur général de l’OMS, Dr Tedros Adhamon Ghebreyesus, a déclaré : « Nous avons un message simple pour tous les pays : testez, testez, testez ».

Auditionné le mardi 16 juin 2020 par la mission d’information, le directeur général de la Santé affirmait que « les propos du directeur général de l’OMS relatifs aux tests ne visaient pas la France, mais les nombreux pays qui n’avaient pas encore accès aux tests et n’étaient pas équipés de laboratoires de référence ». Et selon M. Jérôme Salomon, la France a « répondu à la demande de l’OMS par une mobilisation remarquable des laboratoires  laboratoires hospitaliers, laboratoires d’analyses de biologie médicale, laboratoires départementaux, laboratoires vétérinaires et laboratoires de recherche ».

Or, les travaux de la mission d’information ont montré que malgré la mise au point très rapide par l’institut Pasteur d’un test de diagnostic, le déploiement des capacités de tests s’est avéré laborieux : il s’est, en effet, étalé sur près de deux mois et demi entre le 24 janvier et le 5 avril 2020. Les tâtonnements et les pesanteurs administratives sur cette question pourtant décisive ont pesé sur les stratégies suivies, sur la capacité à identifier les malades, en particulier les asymptomatiques et, finalement, sur le contrôle de l’épidémie. Le Président de la République l’a reconnu, le 28 octobre 2020, en indiquant que la France aurait « pu aller plus vite, au début sur les tests ».

Si les ratés initiaux en matière de développement des tests sont regrettables, il s’avère aussi qu’après les premières semaines de maîtrise réussie de la propagation du virus à la sortie du confinement, les limites du dispositif de testing et de traçage à la fin de l’été et au début de l’automne ont affaibli la lutte contre la reprise épidémique alors que l’enjeu du dépistage avait été justement mis au cœur de la stratégie de déconfinement.

A.   Entre janvier et avril, l’ABSENCE DE déploiement d’une stratégie de diagnostic ET de dépistage ambitieuse

1.   Le développement des techniques de dépistage en France : un bon départ rapidement gâché

La France, grâce aux moyens du centre national de référence (CNR) pour des virus des infections respiratoires de l’Institut Pasteur, a été en mesure de détecter le virus de la Covid-19 par la technique de réaction en chaîne par polymérase après transcription inverse, dite RT PCR, dès le 24 janvier 2020. Cette grande réactivité de la recherche française doit être saluée.

Cette technique de diagnostic virologique par prélèvement naso-pharyngé n’a néanmoins pas été conçue pour être utilisée à grande échelle, les industriels devant par la suite prendre le relais pour fournir les laboratoires en kits de diagnostic, et permettre la généralisation des tests, au moyen de leur commercialisation.

Or, au cours du mois de février 2020, des obstacles ont entravé le passage de relais entre les secteurs publics et privés, contribuant à freiner la montée en puissance du déploiement des tests en France.

Il faut tout d’abord souligner les difficultés liées à la disponibilité et à la logistique de livraison de certains matériaux de prélèvement, notamment les écouvillons, ou de diagnostic, tels que les réactifs ([116]), dans un contexte mondial où la demande était forte, les capacités de transport limitées. Sur ce marché en tension ([117]) notre pays est arrivé tardivement et insuffisamment organisé du fait de l’absence, à ce moment-là, d’un dispositif de pilotage unique.

Dans ce contexte international critique, la France a été pénalisée par la faiblesse de son industrie du réactif et par sa dépendance aux importations pour satisfaire ses besoins. Sur ce point, le rôle des ambassades, et notamment celle de France en Chine, a été précieux ([118]). Cette question qui s’inscrit dans celle, plus large, de l’indépendance de la France sur des produits essentiels en matière de santé, pose la question de la relocalisation d’une partie de cette production.

principaux pays d’origine des consommables
et DES matières premières critiques

Source : Direction générale de la santé.

Proposition : engager la relocalisation en France de l’industrie du diagnostic in vitro afin de ne plus être dépendant des importations mondiales et retrouver une réelle souveraineté sanitaire.

Il reste que la transition nécessaire entre la mise au point du test par l’Institut Pasteur et le déploiement des techniques de test dans l’ensemble du pays n’a pas été mise en œuvre dans des délais suffisamment rapides pour être efficace. Les causes sont diverses et toutes ne sont pas imputables à l’action du Gouvernement, néanmoins, l’absence de pilotage dédié pour conduire cette transition a incontestablement manqué pour lever certains obstacles et insuffler une réelle dynamique. La mise en place, à compter du 30 mars, de la cellule interministérielle de test au sein du ministère des solidarités et de la santé qui a permis de se doter des moyens changer de dimension en matière de testing est intervenue à un moment où le retard pris par la France sur les tests virologiques était déjà considérable.

2.   Une mobilisation des laboratoires qui n’a rien eu de « remarquable » dans les premiers temps de la crise sanitaire

a.   Une montée en charge des laboratoires hospitaliers progressive mais qui est restée limitée

La technique de diagnostic mise au point par le CNR a, dans un premier temps, été déployée dans les établissements de référence disposant de laboratoires classifiés en type 3. Le 26 février, la liste des laboratoires autorisés à mettre en œuvre cette technique a été étendue aux laboratoires de niveau de type 2. Tous n’étaient cependant pas, à cette date, en mesure d’utiliser la technique du CNR. Le nombre de laboratoires hospitaliers en mesure de réaliser un test virologique par RT PCR a, de fait, lentement évolué : il est passé de 6 au 31 janvier, à 20 le 21 février, à 38 le 28 février et à 43 le 7 mars.

Aux mois de février et mars 2020, le déploiement des tests virologiques en France a été limité au secteur hospitalier et à des fins essentiellement de diagnostic des patients et non de dépistage de la population en dehors des hôpitaux.

Une structure a cependant mis en œuvre une large stratégie de dépistage de la population dès le début de l’épidémie : l’Institut hospitalo-universitaire ([119]) (IHU) en maladies infectieuses de Marseille dirigé par le professeur Didier Raoult. Cet institut a déployé rapidement des capacités de dépistage importantes pour permettre l’accès aux tests au plus grand nombre, en testant les personnes qui s’y présentaient, au rebours des consignes nationales.

Le fait qu’un tel dispositif n’ait pu être déployé dans aucune autre structure hospitalière est une question qui doit être posée. Dans la perspective de la préparation des prochaines crises pandémiques, il serait essentiel de pouvoir compter, dans chacune des zones de défense, sur une structure réactive et spécialisée en matière de maladies infectieuses.

Proposition : déployer un réseau d’IHU en maladies infectieuses sur l’ensemble du territoire national couvrant chaque zone de défense afin d’être mieux préparé à l’avenir et de réagir plus vite en cas de nouvelle pandémie.

b.   La participation des laboratoires de ville freinée par des lourdeurs administratives

Initialement limitée au secteur hospitalier, la détection du génome du SARS‑CoV‑2 par RT PCR n’a été inscrite sur la liste des actes et prestations pris en charge par l’assurance maladie ([120]) que le 8 mars. Il s’agissait pourtant de la condition indispensable à la réalisation des tests par les laboratoires de biologie médicale, dits « de ville », conformément à l’avis de la Haute autorité de santé rendu le 6 mars ([121]). Lors de leur audition par la mission d’information le 22 juillet, les syndicats de biologistes médicaux libéraux ont déploré cette mobilisation tardive.

Elle a, par ailleurs, été rendue complexe en raison du faible nombre de techniques de diagnostic autorisées et commercialisées début mars : seulement six kits de diagnostics étaient alors autorisés sur le marché français. En amont de leur introduction sur le marché, les tests virologiques, comme tous les dispositifs médicaux de diagnostic in vitro, doivent faire l’objet d’une déclaration obligatoire à l’Agence nationale de sécurité du médicament et respecter les exigences de la directive européenne 98/79/CE. S’il remplit ce dernier critère, le fabricant engage sa responsabilité en établissant lui-même le marquage dit « CE » du test.

Si elle est n’est pas obligatoire, la procédure d’évaluation des performances du kit de détection réalisée par le CNR ([122]) constitue néanmoins une phase essentielle de l’introduction d’un dispositif sur le marché car elle apporte la garantie, aux laboratoires appelés à réaliser d’importants investissements, que les tests sont performants. Lors de son audition du 24 juin 2020, le professeur Didier Raoult a cependant qualifié cette procédure d’archaïque : « Il est tout à fait ridicule que les CNR aient eu à se prononcer sur la valeur des tests qui sont passés au marquage CE (conformité européenne) et FDA (Food and Drug Administration) ». Cette procédure, n’a pas favorisé une commercialisation rapide des kits de diagnostic en France.

Un temps d’adaptation a enfin été nécessaire pour que les kits commerciaux de prélèvement introduits sur le marché par les industriels puissent être utilisés, dans les laboratoires, sur leurs appareils d’analyses qui sont, le plus souvent pour des raisons commerciales, vendus en système fermé et ne sont donc pas toujours adaptables à de nouveaux kits. Les laboratoires ont dû soit adapter leur matériel ou acquérir d’autres appareils, soit attendre que l’offre commerciale se diversifie.

c.   Un retard difficile à justifier concernant les laboratoires publics

La participation des laboratoires dits « publics » quant à elle témoigne d’un manque de réactivité des autorités sanitaires qui, en l’espèce, s’avère particulièrement préoccupant, car elle n’a pu intervenir qu’au début du mois d’avril, soit presque trois semaines après le début du confinement, c’est-à-dire au moment où la situation sanitaire est particulièrement grave.

Il est ici question :

– des soixante-quinze laboratoires départementaux d’analyse agréés, qui dépendent des départements et sont spécialisés dans l’analyse du contrôle des eaux, de l’hygiène alimentaire ou de la santé animale ;

– des laboratoires accrédités suivant la norme ISO/CEI 17025 (les laboratoires de la police scientifique et de la gendarmerie et les laboratoires vétérinaires privés) ;

– et des laboratoires de recherche publics, notamment dans le domaine scientifique.

À partir du milieu du mois de mars, des présidents de conseils départementaux, l’association française des directeurs et cadres de laboratoires vétérinaires publics d’analyses, l’Académie de médecine ou encore des chercheurs de laboratoires publics ont alerté le Gouvernement et les autorités sanitaires sur la disponibilité des laboratoires pour participer au déploiement des capacités de diagnostic du virus, alors encore très limitées, ce que ne leur permettait pas la réglementation existante. En effet, en application de l’article L. 6211‑18 du code de la santé publique, la phase analytique d’un examen de biologie médicale ne peut être réalisée – sauf exceptions non pertinentes dans le cas de l’épidémie de Covid-19 – que dans un laboratoire de biologie médicale.

La procédure reste cependant complexe. Lorsque la phase analytique de l’examen n’est réalisée ni dans un laboratoire de biologie médicale, ni dans l’établissement de santé dont relève ce laboratoire, une convention doit être signée, pour prévoir notamment l’articulation de la phase analytique avec celle qui la précède (à savoir le prélèvement) et celle qui lui succède (à savoir la transmission des résultats) qui continuent de relever du laboratoire de biologie médicale.

La loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 a rapidement donné les outils nécessaires au Gouvernement pour agir efficacement dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire ([123]). Il a néanmoins fallu attendre le 5 avril pour qu’un décret et qu’un arrêté permettent d’avancer sur cette question au moyen de deux instruments confiés aux préfets de départements :

– la possibilité de réquisitionner des laboratoires, autres que de biologique médicale, leurs équipements et leurs personnels, afin de réaliser l’examen de détection du virus ([124]) ;

– la possibilité d’autoriser les laboratoires utilisant des équipements et des techniques de biologie moléculaire à réaliser la phase analytique de l’examen, en lien avec un laboratoire de biologie médicale qui réalise le prélèvement et en délivre le résultat ([125]).

Une fois ces outils juridiques mis en place, à partir du 8 avril et jusqu’au 10 juillet, date à laquelle a pris fin le premier état d’urgence sanitaire, quarante-neuf arrêtés d’autorisation ont été publiés dans vingt-cinq départements et quinze arrêtés de réquisition de laboratoires ont été pris par douze préfets.

L’enjeu de la mobilisation de la filière vétérinaire n’a rien eu d’anecdotique. Outre les capacités d’analyse conséquentes qu’apportent les laboratoires vétérinaires départementaux, estimées entre 150 000 et 300 000 tests par semaine, la participation de l’industrie vétérinaire à la production et à la commercialisation de kits de dépistage a également été décisive. Les capacités de production des trois principaux fabricants sur le marché français – Biosellal, IDvet et IDEXX – ont été estimées à 120 000 kits par semaine dans la perspective du déconfinement.

Elle s’est néanmoins aussi heurtée, initialement, à un autre obstacle juridique : l’impossibilité d’introduire sur le marché des dispositifs non marqués « CE », marquage dont ne peuvent bénéficier les techniques de diagnostic vétérinaire. Un arrêté du 14 avril 2020 ([126]) a permis à l’ensemble des laboratoires réalisant l’examen de détection de la Covid-19 de recourir à des dispositifs ne disposant pas d’un marquage CE mais devant néanmoins être validés par le CNR.

3.   Les conséquences de quatre mois de tâtonnements

Les difficultés posées par la covid 19 sont multiples : une période d’incubation particulièrement longue, le fait que la contagiosité précède l’apparition des symptômes et, enfin, le nombre important de porteurs asymptomatiques du virus. Sur ces points, l’avancée des connaissances scientifiques n’a été que progressive chacun le sait, ce qui a conduit à une adaptation constante du dispositif. Celui-ci est resté cependant fortement contraint par une capacité de tests limitée.

a.   Entre janvier et avril, les incertitudes stratégiques ont affaibli la lutte contre l’épidémie

i.   Une stratégie dépendante des capacités de tests

Lors de la première phase épidémique, en janvier et février, alors que les autorités sanitaires considèrent que le virus ne circule pas sur le territoire national, la stratégie de diagnostic s’appuie sur le dépistage systématique des cas possibles et probables, par exemple les personnes présentant des symptômes et revenant d’une zone de circulation active du virus – notamment Wuhan en Chine – ou ayant été en contact avec un malade avéré.

En l’absence d’une connaissance complète du virus, la définition des cas repose sur des critères partiels, définis et actualisés régulièrement par Santé publique France. À partir du 28 février, une nouvelle phase d’action a pour conséquence d’élargir ces critères à un nombre plus important de syndromes respiratoires, et ce afin de renforcer la stratégie diagnostique.

La définition d’une doctrine de diagnostic médical ciblée n’a cependant pas été couplée avec une doctrine plus large de dépistage, à la fois précoce et ambitieuse car le pays n’en avait pas les capacités : elle aurait pourtant permis d’identifier les zones de circulation initiale du virus et de protéger les personnes vulnérables, notamment dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées (EHPAD) ([127]).

Or, le 14 mars 2020, l’épidémie passe en stade 3 (objectif d’atténuation de la vague épidémique sur le territoire) ce qui conduit à un arrêt du dépistage systématique et à la priorisation de la réalisation des tests biologiques aux patients présentant un tableau clinique évocateur du Covid 19.

Le coordinateur de l’action interministérielle en matière de tests virologiques et sérologiques, M. Nicolas Castoldi, a indiqué à la mission d’information que c’était « à la fin du mois de mars [que] s’engage un virage, en France comme dans les autres pays : à l’usage de diagnostic s’ajoute la finalité de dépistage » ([128]).

En effet, ce n’est qu’à partir du 24 mars, lorsque la circulation active du virus sur le territoire est constatée, qu’une doctrine plus large est amorcée en définissant et hiérarchisant les publics prioritaires ([129]). Elle est néanmoins fortement contrainte par des capacités de test très limitées. Le 9 avril 2020, une circulaire du ministre des solidarités et de la santé et du ministère de l’intérieur relative définit comme prioritaires les populations suivantes : les personnels soignants, les personnels et résidents des établissements médico-sociaux, et en particulier des EHPAD, les détenus et les personnels de l’administration pénitentiaire, les personnes accueillies dans les structures collectivités d’hébergement d’urgence et les équipes critiques des opérateurs d’importance vitale.

Dans le même temps, et en l’absence de traitement unanimement reconnu scientifiquement, les personnes dont les symptômes sont légers ne sont plus nécessairement testées. Cette absence de dépistage systématique et la réalisation des tests virologiques priorisée vers les patients présentant un tableau clinique évocateur de la Covid-19, ont pour conséquence de laisser des malades dans l’incertitude et d’empêcher un suivi épidémiologique précis.

ii.   Quel rôle pour les tests sérologiques ?

Un suivi épidémiologique fin de la circulation du virus aurait pu être permis par la définition d’une stratégie concernant l’utilisation des tests sérologiques, une fois ceux-ci disponibles dans le courant du mois d’avril.

Dès le 27 mars, le Conseil scientifique avait préconisé, dans une note non rendue publique, le déploiement d’une stratégie de sérodiagnostic à grande échelle. Le 1er mai 2020, la Haute autorité de santé (HAS) soulignait dans son rapport d’évaluation relatif à la place des tests sérologiques dans la stratégie de prise en charge de la maladie Covid-19 la « place dans la surveillance épidémiologique » qu’étaient appelés à prendre ces tests.

La faiblesse du suivi épidémiologique a été aggravée, pendant le confinement et avant la mise en place de SIDEP, par l’absence de système centralisé de remontée des tests réalisés et surtout de leurs résultats, faisant de l’indicateur de la disponibilité des lits de réanimation la seule boussole des autorités sanitaires.

b.   En comparaison avec l’Allemagne, un retard initial dans la capacité de tester fortement préjudiciable

La France est entrée en confinement, le 17 mars 2020 à midi, en ayant effectué seulement 13 000 tests ([130]), c’est-à-dire vingt fois moins que l’Allemagne qui, à la même date, en avait réalisé plus de 250 000.

Pendant le confinement, seulement 574 000 tests ont été réalisés ([131])  alors que la politique de tests se poursuit en Allemagne pour atteindre le nombre de 2,9 millions. Il y a été très tôt affiché un objectif de 200 000 tests par jour, considérant que cette politique de tests généralisés à l’ensemble des cas suspects – et ensuite étendue à tous – permettrait en partie de maintenir le nombre des décès à un niveau relativement bas.


évolution du nombre de tests réalisés
en France et en Allemagne jusqu’au déconfinement

Semaine

Allemagne

Cumul Allemagne

France

Cumul France

02-mars

124 716

124 716

12 940

12 940

09-mars

127 457

252 173

16-mars

348 619

600 792

574 000

586 940

23-mars

361 515

962 307

30-mars

408 348

1 370 655

06-avr

380 197

1 750 852

13-avr

331 902

2 082 754

20-avr

363 890

2 446 644

27-avr

326 788

2 773 432

04-mai

403 875

3 177 307

Source : Direction générale de la santé et Institut Robert Coche.

Le 11 mai 2020, jour de son déconfinement, la France cumulait 26 643 décès de la Covid-19 quand l’Allemagne en dénombrait 7 417. Rapportée à la population ([132]), la mortalité du virus a été 4,4 fois supérieure en France qu’en Allemagne. Cette différence majeure ne saurait s’expliquer uniquement par une réactivité différente en matière de dépistage, mais elle doit nécessairement être prise en compte pour tenter d’en éclaircir le constat. Pour le professeur Antoine Flahault, auditionné le mardi 15 septembre 2020 par la mission d’information, « le retard dans le dépistage […] a été préjudiciable : les taux de létalité sont un très bon indicateur de l’efficacité comparée des stratégies de testing et la France a connu, rapportée au nombre d’habitants, une plus forte mortalité due au coronavirus que l’Allemagne ».

Le rapport d’étape de la mission d’information présenté en juin 2020 par le président Richard Ferrand a montré comment la montée en puissance des capacités de dépistage s’est progressivement organisée, notamment au moyen de l’achat, au cours du mois d’avril, de vingt-et-un automates à haut débit qui ont été fournis aux hôpitaux. Cette augmentation des capacités de dépistage s’est incontestablement construite tout au long du déconfinement puisqu’elle a permis de réaliser 232 000 tests la semaine du 18 mai.

Néanmoins, du temps a été perdu au début de la crise sanitaire : il a surtout manqué aux autorités sanitaires, et notamment à la direction générale de la santé, les capacités d’anticipation et de réaction qu’exigeait une politique ambitieuse de déploiement des capacités de dépistage. Elles étaient nécessaires pour sortir du mode de fonctionnement étanche et déconcentré ([133]) qui a entravé la mobilisation des acteurs qu’il s’agisse des industriels, des différents types de laboratoires ou des autorités sanitaires. Les pesanteurs administratives ont, à tous les niveaux, ralenti la prise de décision.

M. Nicolas Castoldi, coordinateur de l’action interministérielle en matière de tests virologiques et sérologiques, a ainsi exposé, devant la mission d’information, qu’il avait fallu « changer en profondeur, du jour au lendemain, les manières de travailler avec les acteurs – les laboratoires, […] les experts scientifiques et les acteurs industriels […] à rebours de toutes les normes imposées au secteur de la santé depuis des décennies [et] passer, du jour au lendemain, d’une logique d’État régulateur, à distance des intérêts privés, à une logique d’État organisateur et planificateur d’un effort national qui engage aussi bien les acteurs publics que les acteurs privés » sachant que « le paysage français dans lequel les laboratoires hospitaliers, d’une part, et les laboratoires de ville, d’autre part, constituent deux univers distincts et séparés, n’était pas celui où le basculement était le plus aisé ».

Allemagne : les ressorts d’une mobilisation particulièrement efficace sur les tests

La réactivité initiale des chercheurs a été plus ou moins identique en France et en Allemagne : la mise au point du premier dispositif de dépistage par RT PCR a été réalisée le 17 janvier à l’hôpital de la Charité de Berlin et le 24 janvier à l’Institut Pasteur.

Par la suite, l’Allemagne a immédiatement fait la différence grâce à une doctrine claire et large de dépistage – avant même le début de la crise épidémique sur son sol – et une mobilisation immédiate, importante et intégrée de l’industrie pharmaceutique et des laboratoires publics et privés, portée par un volontarisme public affirmé. Ainsi, il y a été réalisé 124 000 tests dès la semaine du 2 mars et 348 000 tests par semaine à partir du 16 mars.

Au 7 mars, 43 laboratoires hospitaliers étaient en mesure de réaliser le dépistage par RT PCR en France alors que 90 laboratoires étaient déjà mobilisés en Allemagne. Au 24 mars, la France était en mesure de mobiliser 64 laboratoires publics et privés contre 152 laboratoires en Allemagne.

Ces capacités de dépistage ont été couplées à un suivi épidémiologique efficace qui a permis d’identifier les zones du territoire où est arrivé le virus, notamment en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, dans le Bade-Wurtemberg et en Bavière, et d’y limiter précocement sa circulation.

Par la suite le nombre de laboratoires mobilisés est resté stable en Allemagne, dans la mesure où la plupart avaient été mobilisés dès le début de l’arrivée de l’épidémie contrairement à la France où il a continué de croître, grâce à une organisation concentrée qui a montré son efficacité.


B.   De mai à septembre, la stratégie de déconfinement est progressivement mise en PÉril

Si la brutalité de l’arrivée de l’épidémie peut expliquer une partie du lent démarrage constaté aux mois de février et mars derniers en termes de développement des tests virologiques, un tel argument ne saurait faire oublier certaines décisions prises depuis le mois de juillet.

Les prochains mois permettront d’éclairer les raisons pour lesquelles la deuxième vague a touché aussi vite et aussi fort notre pays. Il apparaît néanmoins a minima que la stratégie de déconfinement n’a pas permis de suffisamment lutter contre son arrivée.

1.   Les fondations fragiles du pilier numéro un de la stratégie de déconfinement

Alors que la France est entrée dans le confinement sans stratégie claire ni repères – ne serait-ce que quantitatifs : le pays testait peu et ne savait pas combien de tests étaient réalisés – la préparation sérieuse et méthodique du déconfinement a permis de mettre au premier plan l’enjeu du dépistage qui a fondé la stratégie de l’après-10 mai. À cette fin, une mission « dépistage virologique et sérologique », a été confiée à M. Nicolas Castoldi, directeur de cabinet de la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, au sein de la task force déconfinement.

L’allocution du Président de la République, le 13 avril, a amplifié cette mobilisation dans la perspective du 11 mai : « L’utilisation la plus large possible des tests et la détection est une arme privilégiée pour sortir au bon moment du confinement. » Pour cela, le Président de la République a annoncé que les tests seraient pratiqués en priorité sur les personnes âgées, les soignants et les plus fragiles ainsi que sur toute personne présentant des symptômes.

Pour casser les chaînes de transmission, le plan de déconfinement prévoit également que sera testé tout « cas contact », c’est-à-dire toute personne ayant été en contact, avec un risque de transmission, avec une personne atteinte par le virus. Cette stratégie est validée par le Conseil scientifique dans son avis du 20 avril « Sortie progressive du confinement. Prérequis et mesures phares ». Le dépistage constitue ainsi le premier pilier de la stratégie « Tester, tracer, isoler » définie par le Gouvernement.

À la suite de l’annonce du Président de la République, la question du chiffrage de l’objectif du nombre de tests à réaliser s’est posée. Elle a fait l’objet d’échanges nourris, que le rapporteur de la mission d’information a pu consulter, entre Santé publique France, la mission confiée à M. Castoldi et l’exécutif. Il en ressort que la présidence de la République, puis Matignon, ont exprimé le souhait auprès de la mission « dépistage » d’un chiffrage le plus haut possible, et ce afin d’encourager l’accélération du déploiement des capacités de dépistage dans le pays.

Dans une note du 17 avril, Santé Publique France détaille son chiffrage : le besoin en tests est estimé à 481 600 par semaine au déconfinement. Il se base sur les travaux de l’équipe de l’Institut de modélisation des maladies infectieuses de l’Institut Pasteur et de l’Institut Pierre Louis d’épidémiologie et de santé publique Inserm-Sorbonne Université qui estime le nombre de nouvelles infections quotidiennes lors du déconfinement à 2 000. Parmi ces nouvelles contaminations, le nombre de personnes effectivement testées est estimé à 1 600. Sur une base de 30 cas contacts par personne infectée, le besoin hebdomadaire est donc estimé à 336 000. Il est augmenté à 481 600 (soit + 145 600) pour couvrir les autres besoins (EHPAD, cas d’infections respiratoires), et arrondi in fine à 500 000. C’est ce chiffre de 500 000 tests par semaine qui est annoncé par le Premier ministre Édouard Philippe, le 19 avril, lors d’une conférence de presse.

Neuf jours plus tard, dans le cadre de la déclaration du Gouvernement devant l’Assemblée nationale relative à la stratégie nationale du plan de déconfinement dans le contexte de la lutte contre l’épidémie de Covid-19, le même Premier ministre indique : « Nous nous sommes fixé l’objectif de réaliser au moins 700 000 tests virologiques par semaine au 11 mai. Pourquoi 700 000 ? Parce que le Conseil scientifique nous dit, à ce stade, que les modèles épidémiologiques prévoient entre 1 000 et 3 000 cas nouveaux chaque jour à partir du 11 mai. Parce qu’à chaque cas nouveau correspondra en moyenne le test d’au moins 20 à 25 personnes l’ayant croisé dans les jours précédents. 3 000 fois 25 fois 7, cela donne 525 000 tests par semaine. 700 000 nous donne la marge qui nous permettra, en plus des tests des chaînes de contamination de mettre en œuvre des campagnes de dépistage comme nous l’avons déjà engagé pour les EHPAD notamment. »

Cette estimation, revue à la hausse, et qui retient le chiffre maximal de la fourchette de nouvelles contaminations que le Conseil scientifique, dans son avis du 20 avril précité avait évalué entre 1 000 et 3 000, a le mérite d’afficher un objectif mobilisateur en termes de communication : celle de 100 000 tests à réaliser par jour.

Dans les faits, il est rapidement apparu que les besoins pendant les premières semaines avaient été surestimés – y compris par les scientifiques – l’estimation de la fourchette basse fournie par le Conseil scientifique est celle qui s’est approchée le plus de la réalité. Le nombre de nouvelles contaminations quotidiennes moyennes a en effet oscillé, dans les premières semaines du déconfinement et grâce aux effets de celui-ci, autour de 500. Le seuil des 3 000 contaminations n’a été franchi que lors de la semaine du 24 août (semaine 35).

évolution du nombre de nouveaux cas confirmés ([134])

Source : Mission d’information, à partir des données publiées par SPF.

Lors de son audition par la mission d’information, M. Castoldi a expliqué que cet écart trouvait également son origine dans la définition du nombre de cas contacts par Santé publique France, qui « dans les semaines qui ont suivi le 11 mai, […] a été légèrement supérieur à deux » en raison du caractère limité de la reprise de la vie sociale.

Or, cette estimation a eu comme effet collatéral de conduire à ouvrir sans limite l’accès au dépistage, ce qui a finalement conduit à un engorgement des laboratoires.

2.   Fallait-il massifier brusquement le dépistage ?

a.   Cette décision peut s’expliquer par les retards initiaux

Les premières semaines du déconfinement ont été marquées par une stagnation du nombre de tests réalisés : le seuil des 300 000 tests n’a été franchi que la semaine du 29 juin.

L’objectif élevé de 700 000 tests par semaine qui a été retenu ensuite a permis de donner un signal mobilisateur aux laboratoires privés appelés à réaliser d’importants investissements pour s’équiper en appareils d’analyse. Sans ce volontarisme politique, le déploiement des capacités de dépistage ne serait jamais intervenu et la France n’aurait jamais rattrapé son retard en la matière : « c’était impératif et l’on ne doit vraiment pas regretter d’avoir installé cette capacité » a expliqué à la mission d’information le professeur Flahault ([135]).

En effet, il est ici nécessaire de dissocier la question des tests effectivement réalisés de celle de l’augmentation des capacités théoriques des laboratoires : pendant que le nombre de tests réalisés stagnait du fait de la faible circulation du virus, les capacités de dépistage ont, quant à elles, continué de croître tout au long du déconfinement progressif. Ainsi, au 11 mai, les capacités de dépistage étaient estimées à 900 000 tests par semaine. Elles ont été portées à 1 million à compter du 4 juin, date à laquelle 1 162 structures d’analyse, dont 258 centres hospitaliers et centres hospitaliers universitaires et 827 laboratoires privés étaient en mesure d’utiliser les 86 techniques de diagnostic par RT PCR disponibles sur le marché.

Néanmoins, la stagnation à un niveau bas du nombre de tests effectivement réalisés a posé la question de la stratégie à suivre. Le rapport du professeur Didier Pittet ([136]) laisse entendre que cette situation a provoqué la décision de l’exécutif d’enclencher une massification du dépistage : « C’est finalement dans le cadre de la préparation du déconfinement qu’un objectif de déploiement a été fixé par les pouvoirs publics sur la base d’une évaluation de SPF de l’ordre de 700 000 tests hebdomadaires dans le cadre d’une stratégie de « tester, tracer et isoler ». Ce besoin s’est révélé largement surestimé (seulement 250 000 tests réalisés après le déconfinement), conduisant fin juillet à une ouverture plus large des conditions d’accès (suppression de la prescription obligatoire). »

Alors que la prise en charge du dépistage était réservée aux personnes symptomatiques sur une prescription médicale et aux cas contacts des personnes diagnostiquées positives, le Président de la République a annoncé, le 14 juillet, avoir demandé au Gouvernement d’élargir le dispositif de dépistage aux personnes asymptomatiques ([137]) et de supprimer l’obligation de produire un certificat médical pour y accéder ([138]). Le dépistage par RT PCR de la Covid-19 étant pris en charge à 100 % par l’Assurance maladie depuis le 5 mai ([139]), cette décision a permis un accès gratuit et illimité de l’ensemble de la population au dépistage.

b.   Des conséquences non anticipées sur le dispositif

Cette décision annoncée en semaine 29 a eu un effet accélérateur significatif sur le nombre de tests effectués. À compter de la semaine 31, leur nombre n’a cessé de croître. L’objectif des 700 000 tests a été franchi lors de la semaine du 17 août, près d’1,2 million de tests ont été réalisés à partir de la semaine du 7 septembre et un pic de 1,9 million de tests a même été atteint lors de la semaine du 19 octobre.

évolution du nombre de tests réalisés chaque semaine

Source : Mission d’information, à partir des données publiées par SPF.

Cette politique a eu un coût : 73,59 euros ([140]) par test pour l’Assurance maladie. Au 31 octobre 2020, 15,8 millions de tests avaient été réalisés en France pour un coût total supérieur à 1 milliard d’euros.

Au-delà de la question financière, il se trouve qu’elle a coïncidé avec la reprise épidémique sur le territoire national. Le caractère fortuit de cette concomitance ne saurait être questionné : après deux mois et demi de circulation ralentie, la reprise épidémique a démarré et l’augmentation du nombre des tests a permis de suivre avec précision son évolution. En testant plus, notamment les personnes asymptomatiques, il est également logique de diagnostiquer plus de cas positifs. Néanmoins, en intervenant en plein contexte de reprise épidémique, la massification du dépistage a eu pour conséquence immédiate l’engorgement du dispositif.

évolution du taux de positivité des tests

Source : Mission d’information, à partir des données publiées par SPF.

3.   L’embolie du mois du septembre

La préparation du déconfinement avait permis au Gouvernement de proposer une stratégie claire, ambitieuse et efficace pour favoriser la reprise de l’activité dans des conditions qui permettent de prévenir le risque de reprise épidémique. Force est de constater que les préconisations qui fondaient cette stratégie n’ont pas été suivies et que la fragilisation du dispositif de dépistage, provoquée notamment par sa massification insuffisamment préparée, n’a pas permis à la stratégie « Tester, tracer, isoler » de produire les effets escomptés pour lutter contre l’accélération de la circulation du virus.

a.   Impréparée, la massification du dépistage s’est avérée incompatible avec la stratégie de déconfinement

Le rapport du coordinateur national à la stratégie de déconfinement, M. Jean Castex ([141]) a fait du dépistage l’enjeu du déconfinement : il s’agit en effet du premier pilier de la stratégie « Tester, tracer, isoler ». Il est précisé dans le plan que : « la mise en œuvre de ce dispositif suppose que soient mises en œuvre dans des délais les plus rapprochés possible les différentes étapes » que constituent :

– la prescription médicale (en vigueur jusqu’au 24 juillet) ;

– le prélèvement ;

– la transmission du résultat du test ;

– et l’identification des cas contact.

Selon ce rapport, « le succès du dépistage repose sur la capacité à informer très rapidement chaque personne prélevée du résultat des analyses, dans un délai inférieur à 24 heures ».

Dans une note non publiée en date du 2 mai 2020, le Conseil scientifique est encore plus précis sur ce délai de vingt-quatre heures qui participe de la stratégie de déconfinement : le prélèvement doit être accessible dans les six heures après une demande de rendez-vous, le résultat du test doit être transmis dans les douze heures suivantes (si besoin grâce à des outils numériques) et, enfin, la personne positive doit être contactée dans les six heures afin que s’ouvre la phase de contact et d’isolement. Pour le Conseil scientifique, le succès de la sortie du confinement dépend en effet d’une organisation d’ensemble lisible, minutieuse et réactive.

Deux jours avant la publication de l’arrêté du 24 juillet, la mission d’information a organisé une table ronde réunissant des syndicats de biologistes médicaux libéraux. Celle-ci a permis de mettre en lumière les difficultés posées par l’annonce de massification du dépistage et l’incapacité, en l’état de la situation, des laboratoires de ville d’absorber l’augmentation de la demande.

Les alertes exprimées par les biologistes furent très claires :

– « si on veut faire des dépistages massifs, il faut avoir un plan B d’organisation de masse et employer les grands moyens » ([142]) ;

– « si le Gouvernement souhaite réaliser autant de tests, il faudrait nous aider à en assurer la logistique administrative. Sinon, nous ne pourrons pas y arriver. » ([143]) ;

– « en l’état, les laboratoires privés ne peuvent répondre individuellement aux dépistages massifs qui leur sont demandés » ([144]).

Une forte sollicitation des laboratoires de ville a, en effet, été constatée à partir du mois de juillet. Pour y faire face, les techniciens de laboratoires ont été autorisés par arrêté, à compter 10 juillet, à effectuer la phase du prélèvement naso-pharyngé, en plus des biologistes et des infirmiers. Cette mesure s’est néanmoins avérée insuffisante pour alléger les contraintes logistiques chronophages de prélèvement et d’enregistrement pesant sur les laboratoires. À partir du 24 juillet, elle a donc été étendue à d’autres professionnels ([145]).

Puis au cours de l’été, la reprise épidémique s’est combinée avec une forte hausse de la demande de tests. Les laboratoires de ville n’ont pu faire face à cette situation qui a entraîné un accroissement des délais des phases de prélèvement (l’obtention d’un rendez-vous dans un laboratoire) et d’analyse (la transmission des résultats du test). Selon Santé publique France, le délai d’accès au dépistage a atteint une moyenne de 3,8 jours lors de la semaine du 24 août. Lors de son audition par la mission d’information le 4 novembre 2020, le ministre des solidarités et de la santé a reconnu que ces délais s’étaient encore allongés à la rentrée scolaire.

Cette situation a provoqué une embolie du système de dépistage et finalement une mise en échec de la stratégie gouvernementale « Tester, tracer, isoler » alors que l’enjeu d’enserrer le dispositif de dépistage dans délais les plus courts possible était pourtant posé dès le mois de mai. Force est de constater que les objectifs fixés pour le déconfinement n’ont pas été remplis.

Pour tenter limiter les conséquences épidémiques de l’engorgement du système de dépistage, le Gouvernement a évoqué, au cours du mois d’août, l’idée de définir de nouveau une priorisation dans l’accès aux tests. Cette intention a été partiellement mise en œuvre, le Premier ministre, étant conduit à annoncer, le 11 septembre, un renforcement des circuits dédiés au dépistage sans pour autant remettre en cause l’accès gratuit et sans condition au système.

Or, dès le 24 septembre, M. Olivier Véran reconnaissait que la priorisation, mise en place de manière limitée et tardive, ne fonctionnait déjà plus dans la mesure où « plus la pression sanitaire augmente, plus le public prioritaire s’accroît » ([146]). Ce retard dans la prise de décision est d’autant plus critiquable que la situation pouvait être anticipée, l’alerte ayant été donnée par les laboratoires dès le mois de juillet.

b.   L’embolie du dispositif de dépistage s’est répercutée sur la lutte contre l’arrivée de la deuxième vague

La fragilisation du dispositif de tests s’est mécaniquement répercutée sur les dispositifs de traçage et d’isolement. Comme cela a été dit, la réussite de la stratégie d’isolement repose sur la nécessité de tester et de tracer dans des délais resserrés afin de contenir la propagation de l’épidémie pour pouvoir isoler les cas qui le nécessitent de façon efficace.

Or, les retards constatés pour réaliser les tests et les délais pour en obtenir les résultats n’ont pas permis d’agir avec une vraie efficacité sur la dynamique de l’épidémie. Cette situation a fragilisé notamment le travail des brigades sanitaires, organisées par l’assurance maladie au sein de plateformes départementales, dont le rôle est pourtant décisif.

Les 8 000 agents composant ces brigades ont effectué un travail considérable qui mérite d’être salué : au 26 septembre, 380 000 patients zéro avaient été contactés en moins d’un jour et un million de cas contact l’avaient été dans les vingt-quatre heures suivantes.

● Deux facteurs ont contribué à affaiblir la stratégie de traçage malgré le dispositif mis en place : d’une part la difficulté croissante pour les brigades sanitaires à faire face à l’augmentation du nombre de cas et à identifier et à contacter tous les cas contacts dans les délais nécessaires pour maîtriser la propagation de l’épidémie et, d’autre part, l’absence de ciblage de la stratégie de traçage alors même que les besoins devenaient exponentiels.

Le traçage des cas contacts de personnes contaminées par les brigades sanitaires a rapidement été mis en difficulté par l’augmentation des nouvelles contaminations détectées, au mois de septembre, et ce malgré l’annonce du Premier ministre, le 11 septembre, d’un renfort de 2 000 agents au sein des caisses primaires d’assurance maladie et des agences régionales de santé pour assurer cette tâche. Mi-septembre, Santé publique France ([147]) reconnaissait « l’existence de nombreux cas pour lesquels aucune personne-contact à risque n’est enregistrée » et s’inquiétait du « faible nombre de nouveaux cas précédemment identifiés comme personnes-contacts à risque (20 %) ». L’agence suggérait ainsi « l’existence de nombreuses chaînes de transmission non identifiées et non rattachées à des clusters ».

Dès la fin de l’été, les épidémiologistes, dont le professeur Antoine Flahault, ont non seulement mis en garde contre l’absence de ciblage des tests mais aussi contre les risques d’un épuisement des équipes de traçage si une stratégie efficace n’était pas mise en place, notamment pour identifier et casser les principales chaînes de contamination. Il semble, en effet, que les capacités propagatrices du virus varient considérablement d’une personne contaminée à l’autre. Lors de son audition par la mission d’information le 15 septembre 2020, le professeur a cité l’exemple japonais du traçage rétrospectif qui ne se concentre « pas tant [sur] la recherche des contacts passés […] que [sur] la recherche de tous les contacts qui risqueraient de « superpropager » la pandémie dans le futur ». Le professeur Flahault insistait sur l’autre mérite que présentait le développement d’une stratégie de traçage : celui de rationaliser la tâche des autorités sanitaires qui n’étaient de toute façon pas en mesure de « continuer d’investiguer tous les cas de façon systématique ».

Le 28 octobre 2020, le Président de la République a en effet reconnu que « si ce système peut être efficace avec quelques milliers de cas par jour », tel ne peut être le cas lorsque 40 000 à 50 000 contaminations quotidiennes sont dépistées.

Enfin, si le dispositif de traçage a reposé sur deux systèmes d’information particulièrement efficaces – SIDEP et Contact-Covid – alors même qu’ils ont été mis en œuvre dans des délais extrêmement contraints, il n’a pu compter sur les bénéfices escomptés de l’application « StopCovid » dont l’inutilité sanitaire aura été manifeste.

À cet égard, le développement de la nouvelle application « TousAntiCovid » constitue une amélioration très sensible en termes d’ergonomie et de fonctionnalités qui se traduit par des téléchargements en nombre bien supérieur. Le 21 novembre 2020, l’application indiquait 9,3 millions d’enregistrements nets – téléchargements et activations – pour 13 106 notifications. À titre de comparaison, l’application allemande « Corona-Warn app » avait été téléchargée par plus de 22 millions d’utilisateurs à la même date.

Le bilan de Stop-Covid

Lors de son audition devant la commission des Lois du Sénat, le 27 mai 2020, M. Cédric O, secrétaire d’État chargé du numérique, a affirmé que « la participation [gratuite] des organisations publiques et privées à la phase de développement […] a permis de mettre au point « StopCovid » pour quelques milliers d’euros par mois ».

La première version de l’application a en effet été développée et mise à disposition du ministère des solidarités et de la santé à titre gracieux par un consortium dirigé par l’Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique, qui a assuré la maîtrise d’ouvrage, et associant les entreprises Lunabee, Orange, Cap Gemini, 3DS et Outscale.

Le coût total du développement est estimé à 2,5 millions d’euros TTC.

Les frais à la charge du ministère sont les suivants :

– exploitation : 1 128 000 euros TTC/an ;

– licences : 69 876 euros TTC/an ;

– support utilisateur : 720 000 euros TTC/an ;

– animation du déploiement : 432 000 euros TTC/an ;

– hébergement : 576 000 euros TTC/an.

Par ailleurs, 2 793 000 euros TTC ont été investis dans la campagne de communication de lancement de l’application.

Le coût total estimé de Stop-Covid, sur ses cinq mois d’existence (du 3 juin au 22 octobre 2020), est donc de 6,5 millions d’euros TTC.

De juin à septembre, l’application a été installée 2,5 millions de fois pour 1 million de désinstallations et 300 000 réinstallations. 5 553 tests positifs ont été scannés dans l’application qui a émis seulement 346 alertes, dont 296 ont été effectivement transmises.

Sur l’enjeu déterminant du traçage, la Corée du Sud, a mis en place une stratégie précoce, réactive et innovante mise. Ce choix déterminant s’est couplé avec une politique de dépistage tout de suite opérationnelle qui est ensuite restée assez stable. Le pays, qui compte 52 millions d’habitants, a rapidement atteint une capacité de dépistage de 40 000 tests par jour qui avait été portée à 70 000 début septembre, soit un peu moins de 500 000 tests par semaine ([148]).

Si l’utilisation qui est faite en Asie des outils numériques reste difficilement transposable dans notre pays, l’adhésion de la population allemande à l’application « Corona-Warn-App » montre qu’une stratégie numérique offensive peut être esquissée en Europe tout en préservant les droits et libertés fondamentaux, incluant le respect de la vie privée et la protection des données personnelles.

« Tracer » : synthèse des réussites identifiées dans les pays étrangers

– en Corée du Sud : une politique précoce, réactive et innovante pour tracer efficacement les cas contacts

– au Japon : une stratégie de traçage ciblée pour identifier les super-propagateurs et briser les chaînes de contamination

– en Allemagne : une application de tracing téléchargée par plus de 22 millions d’utilisateurs

● Les difficultés posées par l’allongement des délais d’accès au dépistage et de transmission du résultat des tests ont fragilisé la stratégie qui nécessite, pour freiner la diffusion de l’épidémie, d’isoler les malades et les malades potentiels – leurs cas contact – durant la période pendant laquelle ils sont contagieux.

Même si une meilleure connaissance du virus a conduit le conseil scientifique à préconiser, à partir du 11 septembre, une réduction de la durée de l’isolement de quatorze à sept jours dans l’objectif de mieux garantir son respect effectif, l’enjeu d’une meilleure sensibilité des tests à la détection de la contagiosité réelle d’une personne diagnostiquée positive se pose avec acuité, dans l’hypothèse d’une persistance à moyen terme de la circulation du virus, afin de ne pas imposer l’isolement, et ses conséquences, à des personnes qui bien que positives ne seraient finalement pas contagieuses.

Proposition : soutenir les travaux permettant de mieux apprécier et de prendre en compte la contagiosité réelle d’une personne positive à la Covid-19 afin de mieux cibler la stratégie d’isolement.

4.   Un nouvel élan dans la stratégie de dépistage

Le déploiement des tests antigéniques dont les résultats, sont disponibles immédiatement a renforcé utilement le dispositif de dépistage qui étant désormais canalisé, permet de tester massivement et de répondre à la situation actuelle pendant laquelle le nombre de tests réalisés se maintient à niveau très haut : 1,6 million de Français se sont fait dépister pendant la semaine du 9 novembre.

Par arrêté du 15 septembre 2020, la réalisation des tests rapides d’orientation diagnostique antigéniques a été autorisée mais seulement dans le cadre d’opérations collectives de dépistage du SARS-CoV-2 ; c’est-à-dire qu’ils ne s’adressent pas à ce stade aux personnes symptomatiques ou repérées comme cas contact.

Le 17 septembre 2020, lors d’une conférence de presse, le ministre des solidarités et de la santé annonçait l’acquisition de 5 millions de ces tests et leur mise à disposition pour le début du mois d’octobre. C’est l’arrêté du 16 octobre 2020 ([149]), suivant l’avis favorable de la HAS en date des 24 septembre et 8 octobre justifié par la sensibilité plus faible de ces tests, que leur prise en charge par l’Assurance maladie a ouvert la voie à leur commercialisation pour les personnes symptomatiques.

Le déploiement du dispositif se poursuit alors que les barnums se multiplient, à même les rues, en face des pharmacies : le 12 novembre, le ministre des solidarités et de la santé confirmait la commande de 12 millions de tests supplémentaires.

IV.   La lutte contre la circulation de l’épidémie aurait dû passer par un contrôle renforcé des frontières

1.   Une gestion désordonnée n’a pas permis de freiner l’arrivée du virus

Les alertes en provenance de Chine concernant l’apparition puis la diffusion de la Covid-19 n’ont pas conduit à la mise en place de dispositifs de contrôle spécifiques en France. L’annonce de la ministre des solidarités et de la santé, à la mi-janvier, de l’affichage de notices d’information dans les aéroports a été perçue comme insuffisante au regard des enjeux sanitaires.

Le 1er février, ce sont tous les pays de l’espace Schengen, sauf la France, qui suspendent les visas des ressortissants chinois et ferment donc leurs frontières extérieures à ce pays. Alors qu’Air France avait annoncé la suspension de ses vols à destination et en provenance de la Chine le 30 janvier, les compagnies aériennes chinoises Air China, China Eastern et China Southern ont néanmoins maintenu leurs liaisons avec la France.

Le confinement se traduit par la fermeture des frontières intérieures et extérieures du pays à compter du 17 mars. Dans le but de limiter au strict minimum les déplacements, y compris internationaux, tous les ressortissants de pays non-membres de l’Union européenne, de l’espace Schengen ou du Royaume-Uni qui n’ont pas de raison impérative de se rendre en Europe ou en France doivent s’en voir refuser l’accès ([150]).

La frontière franco-espagnole pendant le confinement

L’Espagne a réintroduit ses contrôles aux frontières intérieures le 17 mars 2020, comme la France, et les a maintenus jusqu’au 11 mai.

La frontière terrestre franco-espagnole compte trente-cinq points de passages autorisés (PPA) terrestres et un PPA maritime. La France et l’Espagne ont procédé, d’un commun accord, à la fermeture de vingt-et-un PPA pendant le confinement.

Conformément aux recommandations formulées par la Commission européenne pour garantir la continuité du transport de marchandises, cinq Green lanes ont été identifiées et sont restées ouvertes à la circulation : Le Perthus sur l’A9, le pont du Roy à Melles, Biriatou sur l’A63, le tunnel du Somport et Bourg Madame.

2.   L’organisation des contrôles sanitaires a été installée dans une certaine confusion

Les outils juridiques étaient à la disposition du Gouvernement pour anticiper dès le début de l’été la reprise des déplacements transfrontaliers. Dès le 3 mai ([151]), les préfets ont été en mesure d’autoriser les laboratoires à prélever les échantillons nécessaires à la réalisation de l’examen dans un autre lieu que le laboratoire de biologie médicale, qu’un établissement de santé ou qu’au domicile du patient. Il a néanmoins fallu attendre le 16 juillet pour que le préfet de police de Paris prenne trois de ces arrêtés afin de mettre en place des dispositifs de dépistage restreints et peu opérants dans les aéroports de Paris puisqu’ils n’étaient ni généralisés, ni obligatoires.

Dans le cadre de la loi n° 2020‑856 du 9 juillet 2020 organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire, le législateur avait pourtant autorisé le Premier ministre, en application du 4° du I de l’article 1er, à imposer aux personnes souhaitant se déplacer par transport public aérien à destination ou en provenance du territoire métropolitain ou de l’une des collectivités d’outre-mer de présenter le résultat d’un examen biologique de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la Covid-19.

Après des semaines de confusion, le décret du 27 juillet 2020 ([152]) a finalement mis en place, à compter du 1er août, un dispositif sur quatre niveaux difficilement lisible :

– les pays « verts » : leurs ressortissants ne font l’objet d’aucun contrôle ni d’aucune mesure préventive dans la mesure où ils ne constituent pas, selon l’arrêté du 10 juillet ([153]), une zone de circulation de l’infection. Il s’agissait, au 17 septembre 2020, des pays suivants : États membres de l’Union européenne, Andorre, Australie, Canada, Corée du sud, Géorgie, Islande, Japon, Liechtenstein, Monaco, Norvège, Nouvelle-Zélande, Royaume-Uni, Rwanda, Saint-Marin, Saint-Siège, Suisse, Thaïlande, Tunisie et Uruguay.

Alors que des mesures de réciprocité avaient été annoncées contre la décision du Royaume-Uni d’imposer, à compter du 15 août 2020, une quarantaine aux voyageurs rentrant de France, aucun dispositif n’a été mis en œuvre et le Royaume-Uni a continué d’être considéré, en application de l’arrêté précité, comme une zone où ne circule pas le virus alors que la reprise épidémique y a été importante dès le mois de septembre.

– les pays « très rouges catégorie 1 » : leurs ressortissants doivent obligatoirement présenter un test de dépistage virologique de moins de 72 heures (États-Unis, Émirats arabes unis, Panama et Bahreïn).

– les pays « très rouges catégorie 2 » : leurs ressortissants doivent soit présenter un test de moins de 72 heures, soit effectuer un test à leur arrivée à l’aéroport (Afrique du Sud, Algérie, Argentine, Arménie, Bolivie, Bosnie-Herzégovine, Brésil, Chili, Colombie, Costa Rica, Guinée équatoriale, Inde, Israël, Kirghizistan, Kosovo, Koweït, Liban, Madagascar, Maldives, Mexique, Moldavie, Monténégro, Oman, Pérou, Qatar, République dominicaine, Serbie, Territoires palestiniens et Turquie). En cas de refus du test, l’étranger fait l’objet d’un arrêté de placement en quarantaine.

– les pays « rouges » : les étrangers en provenance des autres pays sont invités, lorsqu’ils n’ont pas réalisé de test PCR, à respecter une quatorzaine volontaire. Ils peuvent solliciter un dépistage à leur arrivée à l’aéroport.

Sur les mois d’août et de septembre, ce dispositif sanitaire a permis le contrôle de 300 000 passagers. À l’aéroport d’Orly, 17 000 tests PCR ont été pratiqués sur cette période.

Les arrivées sur le territoire national ne se limitent cependant pas aux déplacements aériens. Ce n’est que dans le cadre du deuxième confinement et du décret du 29 octobre 2020 ([154]) que le dispositif de contrôle sanitaire aux frontières a été étendu à l’ensemble des voies d’accès au territoire, qu’elles soient terrestres, aériennes ou maritimes.

V.   une sous-estimation du risque de seconde vague : des mesures insuffisamment restrictives à l’été ?

Dresser un constat a posteriori de la préparation de la seconde vague de la crise sanitaire est certes plus facile que d’adapter au fur et à mesure les décisions à l’évolution de la situation épidémique.

La préparation de la seconde vague de la crise sanitaire semble toutefois, à plusieurs égards, avoir été insuffisante. Si des leçons ont été tirées s’agissant des masques et des EPI et des modalités de leur distribution, la chronologie des mesures prises pour endiguer la reprise de l’épidémie conduit cependant à s’interroger sur leur adéquation à la préparation d’une seconde vague épidémique. Celle-ci a pourtant été annoncée par le conseil scientifique dès le 27 juillet : il était alors déjà « hautement probable qu’une seconde vague épidémique soit observée à l’automne ou hiver prochain. L’anticipation des autorités sanitaires à mettre en place opérationnellement les plans de prévention, de prise en charge, de suivi et de précaution est un élément majeur ».

M. Jean-François Delfraissy avait, en outre, alerté dès son audition devant la mission, le 18 juin, sur le risque de deuxième vague et les nécessités de l’anticipation : « compte tenu des particularités de ce virus, qui ressemble à un virus grippal, l’ensemble du conseil scientifique estime que le risque d’une deuxième vague venant de l’hémisphère sud et revenant vers l’Europe à la fin du mois d’octobre, en novembre ou en décembre doit être considéré. Nous avons fait part de cette position aux autorités politiques de notre pays. Il faut se préparer pour éviter de se retrouver dans la même situation que le 12 mars […]. On peut imaginer qu’un médicament de prévention sera mis au point d’ici là mais nous n’aurons pas de vaccin, à cette période, contrairement à ce que nous entendons trop souvent en ce moment […]. Notre rôle est d’exposer ce qui pourrait éventuellement se passer. Il s’agit d’anticiper pour prendre toutes les dispositions nécessaires et préparer les Français à ce type de situation […]. Le Gouvernement et les autorités sanitaires doivent mettre noir sur blanc dès le début du mois de juillet ce qu’ils prévoient pour le 6 septembre. Notre principal retour d’expérience, le voici : la préparation pour lutter contre l’impréparation ».

M. Antoine Flahault l’a également dit lors de son audition, le 15 septembre : « On sait que le virus circule très activement, en particulier dans les départements du sud de la France, avec l’augmentation des hospitalisations, notamment en réanimation. Aussi n’est-on peut-être pas très loin, en effet, d’une augmentation de la mortalité qu’il ne faudrait pas attendre les bras croisés mais à laquelle il faudrait véritablement se préparer pour éviter l’engorgement du système de santé ». Il précisait : « l’hypothèse selon laquelle le virus serait moins dangereux ne convainc guère les scientifiques. Celui qui circule aujourd’hui en Europe est le même que celui que circule au Pérou, en Colombie, au Texas, en Arizona, où il a pour conséquence un fort taux de mortalité. Je ne parierais donc pas, aujourd’hui, sur un virus beaucoup moins virulent. Il se pourrait que le virus, à force de muter comme ils le font tous, finisse par s’atténuer légèrement mais je crains que l’on n’y soit pas encore. Il a été question de saisonnalité et de chaleur. En réalité, la saisonnalité des virus n’obéit pas qu’à la chaleur, comme on le voit en des lieux très chauds d’Afrique et d’Amérique latine ».

Il faut également souligner que les contradictions de la communauté médicale, s’agissant notamment de possibles mutations du virus, n’ont pas facilité la prise de conscience collective et n’ont pas participé à une prise de décision sereine.

En particulier, l’été a été une période de progressif relâchement des mesures de prévention contre le Covid-19, compréhensible s’agissant des populations au regard des mois éprouvants écoulés, mais qui aurait dû faire davantage l’objet d’une réponse précoce des pouvoirs publics. Cette période a, en effet, été marquée par une très forte diffusion du virus chez de jeunes adultes, l’épidémie restant cependant « silencieuse » et se traduisant par peu d’hospitalisations. De nouveaux clusters ont également émergé, notamment en Mayenne.

Le premier ministre a insisté devant la mission sur la persistance des messages d’alerte pendant cette période et sur les mesures prises au cours des mois d’été pour certaines villes particulièrement exposées, ayant fait l’objet d’une réception très négative des élus et de la population.

On peut cependant relever que le port obligatoire du masque n’a été imposé qu’à partir de la fin du mois de juillet dans l’ensemble des lieux clos, puis, sur décision du préfet ou du maire, à partir du mois d’août en extérieur dans les lieux fréquentés, alors qu’il l’était de manière plus précoce dans d’autres États européens aussi peu acculturés que les Français à cette pratique ([155]).

M. Jean-Paul Ortiz, président de la Confédération des syndicats médicaux français, alertait sur ce point dès le 9 juillet la mission : « depuis hier, la Catalogne impose le port du masque dans tous les lieux confinés. Pourquoi ne le fait-on pas en France ? Qu’attend-on ? Que les clusters se multiplient ? Il faut être clair vis-à-vis des Français. Ce type d’instructions a manqué. Avec le déconfinement, tout le monde oublie les gestes barrières. Nous sommes encore dans une situation sous contrôle, mais il faut donner des instructions claires quant au port du masque et au respect des mesures barrières, tout particulièrement dans les endroits confinés ».

Ensuite à la rentrée de septembre, un temps précieux n’a-t-il pas été perdu ?

Un conseil de défense et de sécurité nationale se tient le 11 septembre. Il en résulte une communication du Premier ministre en conférence de presse, qui malgré des constats clairs sur l’évolution de l’épidémie se limite à un rappel de l’importance des gestes barrière qui apparaît bien disproportionné face à l’ampleur du risque. Selon les mots mêmes du Premier ministre on connaît pourtant à ce moment « une dégradation manifeste de la situation : le virus circule de plus en plus en France. Le taux d’incidence est monté à 72 cas pour 100 000 personnes, contre 57 il y a une semaine. Le pourcentage des cas positifs augmente » et pourtant, il est seulement rappelé aux Français : « nous devons impérativement respecter les règles de distanciation physique, nous laver régulièrement les mains, porter le masque, ce que l’immense majorité de nos concitoyens fait, en application des dispositions que nous avons prises, et je les en remercie ».

Certes l’acceptabilité des mesures est un élément déterminant de leur succès et bien entendu toute règle restrictive pèse sur l’activité économique et sur des professions qui ont déjà été mises en danger par le premier confinement, mais à la mi-septembre toutes les raisons d’être inquiets étaient réunies et le rapporteur considère que l’on aurait pu attendre de le part du Gouvernement des décisions plus fermes qui, prises plus tôt, aurait été plus efficaces et ainsi levées plus tôt, voire auraient peut-être permis d’éviter un deuxième confinement.

 

 


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TROISIÈME PARTIE : UN SYSTÈME DE SOINS FORTEMENT ÉPROUVÉ PAR LA CRISE

La prise en charge des malades de la Covid-19 a été rendue possible par la mobilisation totale du système de santé. Les soignants ont fait preuve – et font toujours preuve – d’un engagement total et prolongé, pour soigner, souvent dans l’incertitude sur les caractéristiques de la pathologie et toujours dans l’urgence, les malades graves qui dès les premières semaines de mars ont afflué dans les hôpitaux des régions touchées par l’épidémie.

La situation critique qui en est résultée doit conduire à se poser la question du choix du « tout hôpital » qui a structuré la gestion de l’épidémie dès ses prémices et qui a participé du risque permanent de saturation auquel ont été confrontés les services hospitaliers. « L’hôpital a tenu », se félicite le ministre des solidarités et de la santé. Si on ne peut, bien entendu que s’en féliciter avec lui, on ne peut aussi ignorer, outre la part de l’engagement des personnels dans ce résultat, le fait qu’il n’a été possible qu’au prix de la déprogrammation généralisée des soins non urgents et donc au prix du suivi des pathologies usuelles et chroniques. L’orientation des malades par les seuls numéros d’urgence les a tenus éloignés de leur médecin, qui aurait pourtant dû constituer un échelon essentiel dans le parcours de soins des malades de la Covid-19 et permettre de soulager un hôpital public saturé. Il est trop tôt pour évaluer en détail les conséquences sanitaires du report des activités chirurgicales non urgentes, du renoncement aux soins et des retards de diagnostics, mais elles pourront s’avérer coûteuses en termes de santé publique.

Si « l’hôpital a tenu », c’est aussi au prix d’une prise en charge d’une partie des personnes âgées malades de la Covid-19 au sein des établissements dans lesquels elles résidaient et de difficultés dans leur accès à l’hôpital et en services de réanimation. En effet, la crise sanitaire a également particulièrement affecté les établissements pour personnes âgées (EHPA) qui ont payé un lourd tribut à l’épidémie. Malgré le déclenchement du plan bleu ([156]), le 6 mars, dans les établissements sociaux et médico-sociaux (ESMS), nombre d’entre eux se sont trouvés, comme les services d’aide à domicile, démunis face à l’épidémie. La réponse apportée aux EHPA est apparue tardive et souvent inadaptée à la réalité de ces établissements. La crise sanitaire a par ailleurs mis en lumière les limites du modèle des EHPAD, établissements insuffisamment médicalisés pour affronter ce type de crises.

I.   L’hospitalo-centrisme a été un facteur AgGravant de la situation critique de L’hôpital

Les mesures de réorganisation hospitalière ont permis d’éviter qu’au pic de la crise épidémique, la saturation du système hospitalier ne se transforme en un débordement redouté de ses capacités d’accueil qui aurait été évidemment préjudiciable à la santé des malades graves pris en charge à l’hôpital. Cette réponse à la crise centrée sur l’hôpital et le dispositif d’urgence a cependant eu des répercussions sur la prise en charge des malades dans leur ensemble, en particulier en raison de la marginalisation des praticiens libéraux dans le dispositif du début de crise.

A.   un dispositif de crise centré sur l’hôpital

L’ampleur de l’effort déployé pour prendre en charge les patients gravement malades à l’hôpital est reconnue par tous. La situation de tensions extrêmes dans laquelle s’est trouvé le système de soins pour affronter l’épidémie a néanmoins été aggravée par un dispositif de crise centré autour de l’hôpital public.

En effet, alors que le secteur privé a été mobilisé avec un décalage par rapport aux structures publiques, la réponse à la crise ne s’est par ailleurs pas suffisamment appuyée sur les soins primaires qui auraient pourtant pu jouer un rôle important dans le parcours de soins des malades de la Covid-19.

1.   Un dispositif de crise qui a reposé sur le 15 et les numéros d’urgence, avec le risque de leur saturation

Le dispositif de gestion de crise s’est appuyé sur l’action des personnels des services de secours d’urgence qui sont accoutumés aux situations de crises sanitaires et dont la mobilisation exceptionnelle tout au long de l’épidémie a été indispensable.

Le choix de renvoyer l’ensemble des appels relatifs au Covid-19 au numéro 15 portait néanmoins le risque d’engendrer une saturation des lignes d’urgence. Les SAMU-centres 15 se sont trouvés confrontés tant aux demandes de soins qu’aux demandes d’informations sur le virus.

Il ressort des auditions menées par la mission d’information la difficulté d’établir avec certitude l’existence de pertes de chances pour des malades qui ne seraient pas parvenus à joindre les urgences. Sur la base d’une enquête réalisée par la DGOS, un pic d’appels inefficaces, c’est-à-dire d’appels n’ayant pas pu être accueillis du fait d’un évènement instantané ou persistant (ex : saturation des lignes, panne, etc.) a néanmoins été observé aux alentours du 12 mars, 60 000 appels inefficaces étant recensés ce jour-là ([157]).

Évolution du nombre d’appels inefficaces AU SAMU avec prÉcision des valeurs tous les 1er et 15 du mois

appels inefficaces

DGOS, 31 juillet 2020 (enquête réalisée sur 88/101 SAMU).

Le nombre d’appels inefficaces a diminué de manière significative à partir du 14 mars et s’est stabilisé aux alentours du 22 mars. Cette baisse est liée à la diminution globale du nombre d’appels à partir du 14 mars (voir infra) mais également au renforcement des moyens techniques et humains au sein des SAMU- centre 15 pour faire face au surcroît d’activité (voir annexe 8).

Pour répondre à l’état d’urgence sanitaire, les sapeurs-pompiers ont également démontré une grande polyvalence et une capacité d’adaptation face à l’urgence de la prise en charge de nombreux malades. Les coopérations nouées localement entre les professionnels de santé hospitaliers et libéraux et les sapeurs-pompiers, qui ont réalisé près de 100 000 interventions relatives au Covid-19 ([158]) lors de la première vague de l’épidémie, sont apparues essentielles.

PROPORTION D’APPELS EFFICACES ET INEFFICACES SUR TOUS LES APPELS PASSÉs au 15

appels inefficaces

Données fournies par la DGOS le 31 juillet (enquête réalisée sur 88/101 SAMU).

La centralisation des appels sur les numéros d’urgence a fait sauter un échelon dans le dispositif de gestion de crise, qui aurait sans doute permis de soulager un système sous tension extrême et d’améliorer la qualité globale de l’accompagnement des malades de la Covid-19.

Les patients Covid nécessitent en effet un suivi régulier de leurs symptômes, pour surveiller l’évolution de leur état général et respiratoire et prévenir d’éventuelles complications vitales. Des malades peuvent développer soudainement des symptômes graves (essentiellement des problèmes cardio-respiratoires et thrombo-emboliques) qui auraient peut-être pu être mieux anticipés s’ils avaient fait l’objet d’un suivi médical plus resserré.

Une plus grande mobilisation des médecins de ville aurait contribué à l’allègement de l’engorgement des hôpitaux par une meilleure coordination des acteurs en matière de diagnostic et d’orientation du parcours de soins. Les professionnels de santé de ville sont à même d’identifier les patients souffrant d’une pathologie banale et les malades développant des symptômes alarmants nécessitant une hospitalisation. Les médecins généralistes connaissent, par ailleurs, leurs patients et leurs facteurs de risques.

Pourtant, partout où elle a été associée, la médecine de ville a démontré son utilité dans la gestion de crise. En Île-de-France par exemple, le dispositif Covidom a permis aux médecins généralistes d’assurer, en lien avec l’hôpital, un suivi à distance et à domicile de malades de la Covid-19 ne présentant pas de signes de gravité. Déployé à partir du 9 mars dans les hôpitaux Bichat et La Pitié-Salpêtrière, ce dispositif a permis de prendre en charge jusqu’à 60 000 patients ([159]). La création de centres de consultations ambulatoires ([160]), temporaires ou adossés à des structures de santé existantes, a également permis de prendre en charge des patients ayant des symptômes évocateurs de la Covid-19 (voir annexe 9).

2.   La médecine de ville a été largement écartée de la première réponse à la crise

La gestion hospitalo-centrée de la crise sanitaire, dans sa première phase, a donné lieu à une dualisation du système de santé avec d’un côté, un hôpital public sous une extrême tension et de l’autre, des médecins de ville disposant de ressources et de capacités inutilisées. Lors de son audition par la mission d’information le 16 juillet, le Dr Patrick Bouet, président du Conseil national de l’ordre des médecins a ainsi décrit une situation avec « d’un côté des acteurs hyper-engagés et hyper- sollicités et de l’autre, des acteurs qui ne demandaient qu’à s’engager. »

Ces médecins de ville se sont sentis, en outre, démunis, face à la montée en puissance de l’épidémie pour laquelle ils n’ont disposé au départ, ni d’équipements de protection appropriés pour eux et pour leurs malades, ni de protocoles sanitaires suffisamment adaptés.

Les représentants de la médecine libérale entendus par la mission ont ainsi regretté des premières directives inscrites dans des protocoles excessivement longs et inadaptés à la réalité de la prise en charge des patients en cabinet. Une consultation des professionnels de santé sur la prise en charge en ville de l’épidémie de Covid-19 publiée par la commission des affaires sociales du Sénat, le 14 avril, montrait qu’un peu plus de la moitié des médecins interrogés (50,2 %) remettait en question la pertinence, la clarté et la cohérence des recommandations relatives aux traitements susceptibles d’être administrés à leurs patients.

Mais le problème majeur, a été celui de la non-fourniture aux médecins de ville et aux autres professionnels de santé libéraux d’équipements de protection comme cela avait été le cas lors d’épidémies précédentes.

a.   Des patients dissuadés de se rendre dans les cabinets médicaux

La diffusion de messages de précaution sur le risque de transmission de la Covid-19 a eu pour effet de dissuader les patients de se rendre chez leur médecin, par peur de la contamination. Les recommandations officielles –  notamment la page « puis-je me rendre chez un professionnel de santé ? ([161]) » publiée le 20 mars par le ministère des solidarités et de la santé – invitaient en effet les personnes ressentant des symptômes évocateurs de la Covid-19 à ne pas se rendre dans les cabinets médicaux, mais à passer par la téléconsultation ou l’appel au 15.

Ces messages ont pu à la fois dissuader des malades de consulter leur médecin traitant, pour ne pas risquer de transmettre la Covid-19 – dans la mesure où les symptômes de la Covid sont communs à de nombreuses pathologies –  mais également engendrer une peur de la contamination, pour les autres patients.

Le développement significatif de la télémédecine (voir infra) a pallié en partie le recul des consultations en cabinet et a permis de ne pas interrompre totalement la continuité des soins. Cet outil n’a néanmoins pas été pleinement satisfaisant, d’une part, parce que les téléconsultations ne remplacent jamais véritablement un examen clinique en présence du médecin et d’autre part, en raison de la persistance de nombreux citoyens ne disposant pas des équipements nécessaires à ce type de consultations.

Les représentants de la médecine de ville regrettent d’autant plus que la population n’ait pas été informée, même après les premiers temps de la crise, des précautions sanitaires prises par les cabinets médicaux. Un sondage réalisé à la demande la Fédération de l’Hospitalisation Privée (FHP) a montré que début mai, 36 % des personnes interrogées craignaient encore de retourner en consultation ([162]).

b.   Un empêchement majeur : des praticiens dépourvus d’équipements de protection individuelle

i.   La course aux masques

Le manque d’équipements de protection individuelle et en particulier de masques, pour eux-mêmes, leurs personnels et leurs malades a incontestablement constitué la principale difficulté rencontrée par les praticiens libéraux pour la prise en charge des patients dans le contexte de la crise sanitaire.

Au mois de février et alors que la montée en puissance de l’épidémie était croissante, les professionnels de santé de ville ont dû compter sur les stocks usuels qu’ils avaient constitués pour la prise en charge de risques infectieux ([163]).

Comme l’a précisé M. Jean-Paul Ortiz, président de la confédération des syndicats médicaux français (CSMF) à la mission : « Il est normal que nous ayons un petit stock de masques en permanence, mais en situation de crise, l’État a la responsabilité de nous en fournir. Si chacun doit garder des stocks importants, la question du financement se pose, et nous n’avons aucun accompagnement financier pour l’instant. On ne peut pas demander à chaque cabinet médical de stocker des cartons entiers de masques, c’est de la responsabilité de l’État ».

Lors de son audition le 2 juillet, M. Xavier Bertrand, ancien ministre de la santé a ainsi évoqué en comparaison, la distribution en 2007 de kits de protection à 400 000 professionnels de santé, dans le contexte de l’épidémie de grippe A H1N1.

Or, n’étant pas prioritaires pour les premières livraisons de masques de stock d’État, les médecins et autres praticiens ont tardé à voir arriver les commandes d’équipements de protection qui leur ont pourtant été annoncées. En effet, à la pénurie elle-même à l’amorce de la crise, se sont ajoutées des difficultés dans la distribution qui les ont particulièrement pénalisés (voir première partie).

Ces questions d’accès aux masques pour les praticiens libéraux se sont posées jusqu’à fin mars-début avril ([164]). L’enquête précitée réalisée par le Sénat auprès des professionnels de santé de ville révèle ainsi que seuls 24,5 % des médecins, 32,2 % des pharmaciens et 14 % des infirmiers s’estimaient mi-avril convenablement équipés.

Les infirmiers libéraux, seule profession de santé libérale dont l’activité n’a pas reculé durant le confinement ([165]), ont été eux aussi particulièrement pénalisés et ont pour la plupart poursuivi leurs interventions dans des conditions ne leur permettant pas une protection suffisante. Selon le syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI), sur la base d’une enquête en ligne menée auprès de plus de 30 000 adhérents entre le 31 mars et le 4 avril, plus de la moitié d’entre eux (53 %) a « constaté un manque » de masques chirurgicaux et plus des trois-quarts (81 %) de masques FFP2.

D’autres professions comme les sages-femmes y ont aussi été confrontées alors que comme les infirmiers elles étaient amenées à prendre en charge des personnes à risque.

ii.   Le recours à la téléconsultation

Les praticiens de ville se sont organisés pour pouvoir prendre en charge leurs patients dans le contexte de l’épidémie grâce à un recours massif à la télémédecine, mais également aux consultations par téléphone, pratiques dont les conditions d’exercice et de remboursement ont été facilitées par mesures réglementaires ([166]).

Le nombre de téléconsultations a considérablement augmenté dans le contexte du confinement. Les téléconsultations réalisées par les généralistes de ville sont ainsi passées de moins de 5 000 par semaine avant la crise à près de 600 000 à 650 000 par semaine au plus fort du confinement.

À cette période, les téléconsultations des généralistes ont représenté jusqu’à 20 % de leur activité de consultation. S’agissant des médecins spécialistes, le recours aux téléconsultations a été particulièrement important pour les endocrinologues (jusqu’à 55 % de leurs consultations hebdomadaires), les pneumologues (jusqu’à 48 %), les neurologues (jusqu’à 43 %), les dermatologues (jusqu’à 29 %) et les psychiatres (jusqu’à 37 %) ([167]).

évolution du nombre de téléconsultations chez les praticiens de ville durant la crise sanitaire

Source : données fournies par la CNAM à la mission d’information le 29 septembre 2020.

Il faut cependant préciser que cette montée en puissance de la téléconsultation a eu lieu durant la période du confinement. La téléconsultation connaît depuis fin avril, une décroissance régulière.

c.   La reconnaissance du rôle de la médecine de ville pour faire face la deuxième vague épidémique

Dans le contexte de la montée en puissance d’une deuxième vague épidémique, les directives et recommandations issues du ministère de la santé ont évolué et témoignent de la prise de conscience du rôle essentiel de la médecine de ville dans la prise en charge des patients Covid.

Le message DGS urgent de la direction générale de la santé (DGS) et de la direction générale de l’offre de soins (DGOS) sur la stratégie d’adaptation de l’offre de soins à la reprise épidémique, adressé aux professionnels de santé de ville le 15 octobre 2020, souligne ainsi l’importance de cette mobilisation et rappelle l’enjeu « d’organiser simultanément, et pour les patients Covid et pour les patients non-Covid, la filière médecine en lien étroit avec la ville, l’HAD et les EHPAD d’une part et la filière de prise en charge de soins critiques, médecine et SSR d’autre part. »

Il est clair que le fait que les médecins de ville disposent aujourd’hui d’équipements de protection leur permettant d’exercer leur activité dans le respect des conditions sanitaires requises est un facteur déterminant de cette évolution.

Votre rapporteur invite de manière générale à renforcer autant que possible la coopération entre la médecine de ville et la médecine hospitalière et à renforcer la confiance envers les acteurs des soins primaires qui jouent un rôle indispensable en temps de crise sanitaire.

Proposition : renforcer les liens entre la médecine de ville et la médecine hospitalière et développer des plans de crise qui prévoient l’intégration des soins primaires à la réponse sanitaire.

3.   Le temps perdu dans le recours au secteur hospitalier privé

Dans le cadre des stades 1 et 2 du plan Orsan-REB (organisation de la réponse du système de santé en situations sanitaires exceptionnelles-Risque épidémique et biologique), respectivement déclenchés les 14 et 29 février, la réponse à la crise a été centrée sur une « première ligne » d’établissements de santé constituée par 38 établissements publics habilités Covid-19. Le guide méthodologique de préparation au risque épidémique Covid-19, publié par le ministère des solidarités et de la santé le 20 février précise ainsi que les établissements de santé ne faisant pas partie de ces établissements de référence et qui diagnostiqueraient un cas de Covid-19 doivent « organiser le transfert du patient vers un établissement habilité pour le Covid-19 avec le SAMU centre 15. »

Une gestion de crise organisée en mobilisant l’ensemble du système de santé, aurait pourtant pu permettre au secteur privé de se préparer plus efficacement à la montée de l’épidémie. Lors de son audition par la mission d’information le 8 juillet, le président de la FHP M. Lamine Gharbi déclarait ainsi « dès le début de la pandémie, j’ai ressenti que les compétences de nos plateaux techniques, de nos médecins, de nos salariés étaient laissées de côté. »

a.   Des établissements hospitaliers privés difficilement impliqués dans le dispositif de gestion de crise au démarrage de l’épidémie

Une demande de déprogrammation des activités chirurgicales non urgentes a été adressée à l’ensemble des établissements publics et privés en application du plan blanc déclenché le 6 mars et généralisé le 12, qui correspond au stade 3 du plan Orsan-REB.

Sont alors entrés dans le processus de soins les quelque mille hôpitaux et cliniques privés « médecine, chirurgie, obstétrique » (MCO), soins de suite et de réadaptation (SSR) dans le but de soulager et désengorger les hôpitaux publics. Selon la Fédération de l’Hospitalisation Privée, ce secteur était alors en capacité de mettre à disposition 4 000 lits en réanimation et soins critiques.

Alors que toutes les ressources médicales auraient dû être mobilisées en urgence, le recours aux établissements privés a pris du temps pour s’organiser particulièrement dans les régions en situation critique comme le Grand-Est. En effet, les cliniques et les hôpitaux privés ont eux aussi engagé à partir du 14 mars, la déprogrammation massive des soins non urgents – 100 000 opérations non urgentes ont en tout été déprogrammées – mais il a fallu un temps d’ajustement pour utiliser les capacités disponibles dans le secteur privé. Des lits sont restés inoccupés quelques jours, voire quelques semaines. Ce retard a été particulièrement mal perçu alors même qu’une opération d’évacuation sanitaire de patients Covid de la région Grand- Est vers la région Provence- Alpes-Côte d’Azur était organisée le 17 mars.

À cette date, le secteur privé recensait pourtant 70 places inoccupées en service de réanimation ([168]) dans les villes de Strasbourg, Metz et Nancy. Le 22 mars, M. Lamine Gharbi lançait dans la presse ([169]) un appel solennel à la réquisition des cliniques et des hôpitaux privés afin de soulager l’hôpital public. Le même jour, la FHP déclarait dans un communiqué « Dans plusieurs régions y compris parmi les plus touchées, des lits de réanimation et de soins critiques libérés dans les cliniques restent vides ou sous-occupées. Les médecins et anesthésistes libéraux des établissements privés sont peu sollicités alors que les capacités hospitalières publiques sont ici ou là en passe d’être dépassées. ».

La sous-mobilisation du secteur privé au début de l’épidémie est révélatrice d’un système de soins qui tend à s’appuyer uniquement sur l’hôpital public en temps de crise. Le recours au secteur privé n’apparaît que comme une solution « d’ultime recours », envisagée lorsque l’hôpital public arrive à saturation ([170]) .

Il est vrai que la tradition de régulation médicale centrée sur l’hôpital public ne fait qu’accentuer ce constat. Les habitudes de travail du service d’aide médicale d’urgence (SAMU) et de la régulation médicale qui tendent à orienter les patients vers le secteur public ont joué. Ces modes de fonctionnement ont pu être observés au début de la crise, dans un contexte où les hôpitaux publics arrivaient pourtant à saturation : comme indiqué par Mme Marie-Sophie Desaulle, présidente de la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privée non lucratif (FEHAP) dans le Grand-Est, le document d’orientation du SAMU demandait ainsi un transport exclusif des patients Covid vers les hôpitaux publics alors même que le secteur privé indique qu’il disposait de lits de réanimation ([171]).

b.   Une implication progressive

Après les difficultés rencontrées dans certaines régions, la participation des hôpitaux et cliniques privés à la gestion de crise a néanmoins été croissante : leur part dans la prise en charge des hospitalisations est ainsi passée de 19 % le 2 avril à 33 % au 30 avril.

La mobilisation du secteur privé a été rendue possible par l’activation du dispositif d’autorisations exceptionnelles prévu à l’article L. 6122-9-1 du code de la santé publique. Ce dispositif prévoit en effet qu’en cas de menace sanitaire grave constatée par le ministre de la santé, le directeur général de l’Agence Régionale de Santé peut autoriser un établissement de santé à exercer pour une durée limitée, une activité de soins autre que celle au titre de laquelle il a été autorisé ([172]). Selon les données de la DGOS, le 31 juillet 2020, 119 établissements de santé ont bénéficié de 131 autorisations exceptionnelles et 23 établissements de santé privés non lucratifs ont bénéficié de 25 autorisations exceptionnelles jusqu’en juillet (voir annexe 10).

S’agissant des réanimations, la place du secteur public est demeurée particulièrement importante, mais conforme à la répartition habituelle des capacités de réanimation entre les établissements de santé publics et privés. Ainsi, au 30 avril, 21 % seulement des patients admis en services de réanimation étaient pris en charge dans le secteur privé, contre 79 % dans le secteur public, cette proportion étant restée quasiment stable par rapport au 2 avril. Cette répartition des places disponibles en services de réanimation reflète la prépondérance structurelle de l’hôpital public pour ce type de soins : 84 % des lits de réanimation avant la crise se trouvaient dans le secteur public, contre 11 % dans le secteur privé non lucratif et 5 % dans le secteur privé lucratif.

Les chiffres observés au printemps témoignent dès lors d’une mobilisation légèrement supérieure du secteur privé, en comparaison avec la tendance habituelle, mais sont révélateurs d’un secteur privé en seconde ligne pour les soins de réanimation.

PATIENTS ATTEINTS De la COVID-19, PRIS EN CHARGE AU TITRE DE L’HOSPITALISATION DANS LE SECTEUR PUBLIC ET LE SECTEUR PRIVÉ

hospitalisations 2 avril

30 avril

Source : direction générale de l’offre de soins.

B.   UnE réponse à la crise menée auX dépenS de la continuité des soins et de la prise en charge de nos aînés

La nécessité de prendre en charge en urgence les malades de la Covid-19 a été rendue possible par une réorientation du système de soins qui s’est faite au détriment de la prise en charge des autres pathologies.

Au pic de l’épidémie, dans une situation de tensions extrêmes pesant sur le système hospitalier, les établissements pour personnes âgées ont par ailleurs pu rencontrer des difficultés pour faire admettre leurs résidents à l’hôpital. La baisse de la part de personnes âgées de plus de 75 ans en services de réanimation amène par ailleurs à penser qu’une forme de régulation fondée sur l’âge a pu parfois être réalisée pour l’accès à ces services.

1.   Un recul des soins aux lourdes conséquences

a.   La lutte contre l’épidémie a été menée aux dépens de la continuité des soins

La première vague de l’épidémie de Covid-19 s’est accompagnée d’un recul de l’activité médicale hors Covid. D’une part, un important renoncement aux soins a été constaté durant la période de confinement ; d’autre part, une déprogrammation des activités médicales non indispensables a été menée sur l’ensemble du territoire.

i.   Un recul des soins préoccupant durant le confinement

Le recul du recours aux soins n’a clairement pas été suffisamment anticipé au début de la première vague épidémique. Il a touché de nombreux champs de l’activité médicale et a concerné tant le suivi des pathologies chroniques que les actes de diagnostic et de prévention (voir annexe 11).

● À l’exception des infirmiers, la plupart des postes de remboursement de soins de ville ont connu une baisse d’activité immédiate et significative pendant le confinement ([173]).

– les médecins généralistes ont été confrontés à une importante baisse de leur activité. En mars et en avril, les remboursements de soins pour la médecine générale ont respectivement baissé de 15 % et 28 %, par rapport à l’année précédente.

– la baisse d’activité a particulièrement touché les spécialistes, les remboursements pour ce poste de soins ayant baissé de 34 % en mars et de 57 % en avril, par rapport à l’année précédente.

– les dentistes et les kinésithérapeutes ont pratiquement cessé leur activité. En avril, les remboursements de soins ont en effet baissé de 93 % pour les dentistes et de 82 % pour les masseurs-kinésithérapeutes, par rapport à l’année précédente.

Évolution des remboursements par poste de soins en avril 2020
(en comparaison avec l’année 2019)

Source : Caisse nationale d’assurance maladie

 La fréquentation des urgences a également connu un important recul durant la période du confinement (voir annexe 12). Le nombre de passage quotidien aux urgences a décru à partir de fin février. Il est en effet passé de 50 000 à 40 000 entre le 24 février et le 13 mars, date à laquelle il a décru beaucoup plus rapidement, jusqu’à atteindre environ 21 000 passages aux urgences par jour le 22 mars, soit moitié moins qu’un mois plus tôt. À l’inverse, cette période correspond à l’augmentation très forte de la part d’activité de suspicion Covid dans l’activité totale des urgences (voir infra).

La baisse du recours aux urgences, qui a évité un engorgement de ces services qui aurait eu de graves conséquences, s’explique en partie par le recul des besoins d’interventions en période de confinement (dû notamment au recul des accidents corporels durant la période) mais aussi, au-delà de la peur de la contamination, par la crainte de participer à l’engorgement du système de soins, en particulier dans les services hospitaliers.

On constate ainsi, au début du confinement (semaines 12 et 13), une diminution du nombre de passages aux urgences et d’hospitalisations pour des pathologies cardio et neuromusculaires susceptibles de représenter des urgences vitales et nécessitant une prise en charge immédiate ([174]).

nombre quotidien de passages totaux aux urgences codÉs et part d’activitÉ de suspicion de covid dans l’activitÉ totale des urgences

urgences

Données fournies par la DGOS à la mission d’information, le 31 juillet 2020.

● Parmi les actes les plus concernés par le recul des soins, figurent, en particulier au mois d’avril, les dépistages. La CNAM a ainsi enregistré pour ce mois une baisse de 86,5 % pour le cancer colorectal, de 86,2 % pour le cancer du sein et de 43,9 % pour les frottis, par rapport à l’année précédente. Une faible remontée s’est dessinée en mai même si les examens demeurent moins nombreux que le même mois l’année précédente (– 59,6 % pour le dépistage du cancer colorectal, – 53,6 % pour les mammographies, – 46,7 % pour les frottis). Ce retard dans les actes de dépistages n’a pas été totalement rattrapé ([175]).

 Dans un rapport du 5 octobre ([176]), le GIS EPIPHARE (groupement d’intérêt scientifique créé en 2018 par l’ANSM et la CNAM) constate une très forte diminution de la délivrance et de l’utilisation de produits qui nécessitent une administration par un professionnel de santé comme les vaccins et les produits pour les actes diagnostiques médicaux. Selon cette étude, qui couvre la période du 16 mars au 13 septembre, cet « effondrement » de la consommation sur la période du confinement et après « ne fait pas l’objet d’un rattrapage à ce jour et le retard ne pourra pas être comblé en 2020. »

Données sur la baisse de la délivrance et de l’utilisation de produits nécessitant une administration par un professionnel de santé

GIS EPIPHARE : étude sur l’usage des médicaments en ville en France durant l’épidémie de Covid-19, publiée le 9 octobre

Sur la période du 16 mars au 13 septembre, on comptabilise – 75 000 doses pour injections intraoculaires d'anti-VEGF dans la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) ou dans l’œdème maculaire diabétique (– 4 000 instaurations), – 14 000 dispositifs intra-utérins (stérilets) avec progestatifs, – 250 000 préparations pour coloscopie, – 500 000 produits iodés pour scanner et – 280 000 produits de contraste pour IRM.

Les vaccinations avaient effectivement connu un très fort recul pendant la période du confinement. L’étude du 9 juin ([177]) évaluait le nombre de vaccins non réalisés sur les huit semaines de confinement et à rattraper, à 44 000 pour les vaccins destinés aux nourrissons âgés de 3 à 18 mois, 90 000 pour les vaccins anti-HPV, 123 000 pour les vaccins ROR et 450 000 pour les vaccins antitétaniques destinés aux rappels des enfants, adolescents et adultes. Ce recul de la vaccination avait conduit la Haute Autorité de Santé (HAS) à appeler à « reprendre d’urgence les vaccinations, en particulier chez les nourrissons et les personnes fragiles », dans un communiqué du 16 juin.

Ces données montrent que l’instauration de traitements pour de nouveaux patients avait également fortement baissé pendant le confinement, de près de 50 % pour les statines et les antidiabétiques par exemple et ce, malgré le développement de la téléconsultation.

ii.   Une déprogrammation massive des activités chirurgicales non urgentes indifférenciée sur l’ensemble du territoire

Afin de pouvoir prendre en charge l’ensemble des patients Covid nécessitant des soins à l’hôpital, le plan blanc, qui repose essentiellement sur la déprogrammation de toute activité chirurgicale ou médicale non urgente, a été déclenché le 6 mars dans les hôpitaux publics et les établissements privés et généralisé sur tout le territoire le 12 mars (voir II-B).

● Si la quantification de l’ampleur des déprogrammations au niveau national est difficile à établir de manière exhaustive compte tenu de l’hétérogénéité des systèmes d’information au sein des établissements, il est établi que l’arrêt de l’activité chirurgicale a été massif, en particulier pour les mois de mars à mai.

Un collectif international de chirurgiens CovidSurg a estimé dans une étude publiée en mai ([178]), qu’environ 700 000 interventions programmées ont été annulées ou repoussées en France pendant la première période épidémique de douze semaines.

Une enquête récente ([179]), menée par la Fédération Hospitalière de France (FHF) a mis en lumière la baisse significative du volume d’hospitalisations ou d’opérations non liées à la Covid-19 entre début mars et fin août 2020, par rapport à la même période en 2019. Selon cette étude, deux millions de séjours hospitaliers n’ont pas été réalisés entre la mi-mars et la fin juin. Entre le 16 mars et le 10 mai, la baisse d’activité a été évaluée à 58 % pour la chirurgie en hospitalisation complète et a atteint 80 % pour les actes de chirurgie ambulatoire.

Évolution des activités de chirurgie en hospitalisation complète, du 1er janvier au 31 août pour les années 2019 et 2020

La courbe rouge représente le nombre d’activités de chirurgie en hospitalisation complète pour les patients non Covid entre le 1er et le 31 août 2019 ; la courbe violette représente l’évolution des mêmes activités pour l’année 2020. Le différentiel d’activité est matérialisé par l’aplat rose. Source : enquête réalisée par la FHF.

Des enquêtes ont également été réalisées sur certaines activités opératoires. Les résultats d’une enquête réalisée par le comité national « Covid et cancer ([180]) », et analysés par l’Institut National du Cancer (INCa) présentent ainsi une estimation de mi-mars à fin mai d’environ 44 000 séjours de chirurgie d’exérèse des tumeurs annulées, soit – 59 % par rapport à l’activité de la même période en 2019 ([181]). De même, selon l’étude réalisée par la FHF, les hospitalisations pour accidents cardio-vasculaires cérébraux (AVC) et pour infarctus du myocarde (IDM) ont respectivement baissé de 17 % et de 24 % durant la période du confinement, en comparaison avec l’année précédente.

● La déprogrammation des activités chirurgicales non urgentes menée de manière indifférenciée sur l’ensemble du territoire apparaît discutable, dans la mesure où certaines régions ont été significativement moins touchées par l’épidémie.

Si elle a pu connaître des variations selon les régions – selon la FHF, l’activité de chirurgie a par exemple baissé de 50 % en Bretagne contre 64 % dans le Grand-Est – l’ampleur de la déprogrammation s’est ressentie sur l’ensemble du territoire national (voir carte infra).

 

Évolution de l’activitÉ chirurgicale par région pendant le confinement, en comparaison avec l’année précédente

carte activité chir FHF

Source : enquête réalisée par la FHF.

Des hôpitaux publics et privés ont été mobilisés entièrement pour faire face à l’épidémie, alors même qu’ils n’ont eu peu de patients Covid à prendre en charge. Il est vrai cependant que le report des actes non indispensables sur l’ensemble du territoire a facilité l’envoi de renforts en personnes soignants des territoires les moins touchées vers les régions les plus affectées par l’épidémie.

Pour certains, il s’agit important « gâchis » en ressources humaines, en matériel et équipements ([182]), alors même que les déprogrammations exigées pourraient avoir des répercussions importantes en termes de santé publique.

b.   Des conséquences préoccupantes en termes de santé publique

La baisse du recours aux soins risque de se traduire à court terme par un effet de rattrapage, défi supplémentaire pour le système de santé également confronté à la montée d’une « deuxième vague » épidémique (voir infra). À plus long terme, le recul des soins pourrait avoir des conséquences lourdes en termes de santé publique.

i.   À court terme, un rattrapage des soins problématique dans un contexte de reprise épidémique

L’annulation des activités médicales non urgentes prévues pour les mois de mars, avril et mai a nécessité leur reprogrammation ultérieure. La reprise des activités chirurgicales pose néanmoins de nombreuses difficultés dans le contexte de la montée en puissance d’une deuxième vague épidémique. D’une part, les protocoles sanitaires – l’utilisation de chambres à deux lits est par exemple rendue plus difficile – ralentissent l’activité opératoire. D’autre part, la reprogrammation des activités annulées constitue un défi supplémentaire pour le système hospitalier, saturé par les besoins de prise en charge des patients Covid.

À partir du déconfinement, la reprise des soins programmés a été envisagée de manière extrêmement prudente, prévoyant la réversibilité des lits dans un délai rapide afin de pouvoir disposer de capacités de réanimation en cas de reprise de l’épidémie. La fiche ARS sur les lignes directrices relatives à l’organisation générale de l’offre de soins après déconfinement publiée par le ministère des solidarités et de la santé le 6 mai prévoit ainsi que « tout désarmement de lits de réanimation devra demeurer progressif et pouvoir être réversible très rapidement (dans des délais de 24, 48 ou 72 heures selon les lits) pour faire face à un nouvel afflux de patients ayant un besoin de prise en charge en réanimation. Cette notion de réversibilité est essentielle pour faire face à toute évolution de l’épidémie. »

En complément de ces directives, un MINSANTE n° 135 intitulé « recommandations d’organisation des réanimations en prévision d’une nouvelle vague de Covid-19 » a été publié le 17 juillet. Ce document recommande à chaque région de disposer d’une stratégie élaborée par l’ARS avec les acteurs concernés visant à mettre en place un plan d’augmentation du capacitaire en fonction des besoins, de la disponibilité et de la capacité de réanimation et de soins critiques dans la région, y compris en déprogrammant des soins et interventions non urgents.

De fait, des déprogrammations ont de nouveau lieu depuis mi-octobre et soulèvent à nouveau la problématique des reports de soins. La stratégie actuelle repose sur des déprogrammations par « paliers », décidées en lien avec l’ARS qui assure la coopération régionale et l’adaptation aux tensions observées sur le territoire ([183]).

Dans une lettre adressée le 28 octobre aux directeurs d’établissements de santé, le ministre des solidarités et de la santé a néanmoins demandé à tous les établissements de santé de déclencher les premiers paliers de la déprogrammation et de déclencher le niveau 2 du plan blanc. S’agissant des établissements des régions les plus touchées, il est demandé « d’activer sans attendre les piliers de déprogrammation plus élevés, en déprogrammant toutes les activités chirurgicales (y compris ambulatoires) et médicales pouvant l’être, dès lors qu’elles sont consommatrices de ressources humaines et pourraient être utilement affectées dans les services de soins critiques et de médecine prenant en charge les patients covid. »

Par ailleurs, le report des activités médicales non indispensables fait craindre une aggravation de certaines pathologies. Certains gestes semi-urgents, apparaissent aujourd’hui urgents et requièrent des soins plus importants ([184]).

ii.   À plus long terme, des conséquences préoccupantes du recul des soins sont à craindre

● Le retard de soins pour le suivi de certaines maladies – en particulier les pathologies chroniques– pourrait se traduire par une aggravation limitant les chances de guérison des patients concernés.

S’agissant des cancers par exemple, il est estimé que trois mois de retard équivalent à une réduction des chances de guérison de 5 à 10 % sur le long terme ([185]). Le retard de prise en charge de patients atteints de pathologies telles que la maladie de Parkinson ou d’Alzheimer – par exemple en kinésithérapie ou orthophonie – ont par ailleurs donné lieu à des dégradations, parfois irréversibles, sur le plan moteur et psychique.

● Les conséquences sanitaires de la crise apparaissent particulièrement préoccupantes s’agissant du retard de diagnostic. Au sortir du confinement, les services d’urgence ont par exemple été confrontés aux conséquences lourdes du refus de soins de certains patients, en particulier s’agissant de maladies cardio et neuromusculaires. En semaine 17, une augmentation importante des hospitalisations aux urgences pour ces mêmes pathologies a été observée ([186]). Lors de son audition par la mission d’information le 15 juillet 2020, M. François Braun, président de SAMU-urgences France a décrit une situation dans laquelle « dès le déconfinement, on a vu arriver des patients avec des infarctus datant d’une semaine et déjà en insuffisance cardiaque, et des diabétiques déjà décompensés. »

Ces conséquences préoccupantes ont d’ailleurs conduit le ministère des solidarités et de la santé, l’Assurance maladie et Santé publique France à alerter sur la nécessité de continuer à se faire soigner par un communiqué en date du 7 mai 2020 ([187]).

S’agissant de la prise en charge des cancers, les retards de diagnostics pourraient avoir de lourdes conséquences. Lors de son audition devant la mission d’information le 23 septembre, le Professeur Jean-Yves Blay, président du réseau UNICANCER indiquait ainsi que le nombre de diagnostics posés durant les huit semaines ayant suivi l’annonce du confinement était en moyenne inférieur de 20 à 25 %. Suivant les estimations de la fédération UNICANCER se référant à une étude menée sur neuf centres du réseau, les conséquences de ce retard de diagnostic à long terme s’élèveraient à environ 5 000 à 10 000 décès. En effet, si les patients déjà connus ont pu continuer à être suivis, la difficulté à prendre en charge les potentiels nouveaux malades est restée entière.

Par manque de recul, il est aujourd’hui difficile de mesurer l’impact de ce retard de diagnostic, en particulier pour les pathologies les plus graves. Votre rapporteur appelle néanmoins à ce que les conséquences en termes de santé publique du recul des soins et en particulier du retard de diagnostic observé durant la première vague de l’épidémie soient impérativement étudiées.

Proposition : mener une enquête approfondie sur les conséquences en termes de santé publique du recul des soins durant la première vague de l’épidémie de Covid-19.

2.   Au cœur de la crise, l’accès à l’hôpital et en service de réanimation des personnes âgées en question

Le cadre sanitaire recommandé lors de la première flambée épidémique a consisté à ne pas hospitaliser les personnes contaminées et atteintes de formes non graves, vivant en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes et à les prendre en charge au sein des établissements en créant des « zones covid » qui permettent de les isoler du reste des résidents.

Le guide de préparation à la phase épidémique du 16 mars 2020 évoque ainsi la nécessité « d’assurer dans la mesure du possible la prise en charge des malades dans ces structures, en renforçant leur médicalisation en lien avec la médecine de ville y compris par téléconsultation. Ces dispositions visent à prévenir la saturation des établissements de santé. »

Le contexte de tensions extrêmement fortes et de saturation des services hospitaliers dans le cadre duquel cette doctrine a été prise, oblige à se poser la question de ses conséquences et des difficultés d’accès à l’hôpital de certains résidents d’EHPA dont l’état de santé aurait pu pourtant le justifier.

a.   Les difficultés rencontrées pour l’accès des résidents à l’hôpital au pic de la crise

Les représentants des établissements ont évoqué des délais très importants pour joindre les services d’urgence, en raison de la saturation des lignes ([188]). Le fait que les EHPA aient dû passer par le numéro 15 et aient été soumis au même canal d’accès que l’ensemble de la population a été problématique. Confrontés à des délais importants et à l’inaboutissement de nombreux appels, plusieurs établissements se seraient alors résignés à ne pas envoyer leurs résidents à l’hôpital ([189]). Cette question a été résolue par la mise en place, le 23 mars, d’une ligne directe permettant aux EHPAD de joindre le SAMU sans passer par le 15.

Au-delà de la difficulté de joindre les services, des directeurs d’établissements ont également signalé s’être parfois vus refuser l’accès à l’hôpital pour leurs résidents, dans le contexte de saturation des capacités. Des difficultés d’accès aux services d’urgences au pic de l’épidémie – vers la mi-mars – ont été signalées aux représentants du secteur des EHPA, en particulier dans la région Grand-Est ([190]).

Parmi les explications potentielles à ces refus, figure la possibilité que les personnes résidentes en EHPAD accompagnées par un médecin coordonnateur n’aient pas été considérées prioritaires dans la mesure où elles pouvaient bénéficier d’un accompagnement médical en établissement.

Mme Odile Reynaud, vice-présidente de l’association nationale des médecins coordonnateurs et du secteur médico-social a évoqué ces difficultés d’accès : « En ce qui concerne l’accès à l’hospitalisation, dans la phase initiale de l’épidémie, bien que les médecins coordonnateurs aient parfois obtenu l’accord téléphonique du centre 15 pour le transfert de leurs résidents, ceux-ci ont été renvoyés à l’EHPAD sans même avoir pu être admis aux urgences. Il est à noter que les confrères qui nous ont fait remonter de tels événements ont déclaré que ceux-ci avaient cessé dans la deuxième phase de l’épidémie. Toutefois, il en est résulté une autocensure de certains médecins, qui ne prenaient plus contact avec les services hospitaliers, pensant que plus aucun résident d’un EHPAD n’y serait accueilli. »

Ces difficultés ont été soulevées pendant une période qui correspond au pic de l’épidémie. Sur l’ensemble de la période du 1er janvier au 30 juin, la part de personnes âgées admises dans les établissements de Médecine, Chirurgie et Obstétrique (MCO) pour Covid s’est établie à 44 % des hospitalisations pour les patients covid âgés de 70 ans et plus, dont 27 % ont concerné des patients Covid âgés de 80 ans et plus ([191]).

b.   L’accès des personnes âgées en services de réanimation en question

i.   Le constat : une baisse de la part de personnes âgées de plus de 75 ans admises en services de réanimation pendant la crise

Les données disponibles relatives au profil des patients admis en services de réanimation durant la crise, mettent en évidence une baisse du pourcentage de personnes âgées de plus de 75 ans admises en services de réanimation à partir du début du mois de mars 2020 (voir annexe 13).

● La proportion de personnes de plus de 75 ans en services de réanimation est restée stable sur la période de début 2018 à 2020, oscillant entre 22 et 25 % ([192]). Elle a nettement baissé à partir du début du mois de mars 2020. Ainsi, au niveau national, la part de patients âgés de plus de 75 ans sur l’ensemble des personnes admises en réanimation est passée de 24 % au début du mois de mars à seulement 14 % lors de la semaine du 30 mars au 5 avril (période du pic de l’épidémie), avant de se stabiliser à environ 17 % (10 à 20 % selon les régions).

Part des plus de 75 ans sur l’ensemble des personnes admises en services de réanimation, en comparaison avec les deux années précédentes

Source : direction générale de l’offre de soins (DGOS), 31 juillet.

● Parmi les patients atteints de la Covid, les données de la DGOS montrent également une baisse particulièrement importante de la part des personnes âgées de plus de 75 ans admises en services de réanimation.

La part des personnes de plus de 75 ans admises en services de réanimation a décru jusqu’en semaine 14 pendant laquelle elle a été deux fois plus faible que les niveaux observés en 2018 et 2019 pour les patients covid (11 % en semaine 14) et 30 % plus faible pour les patients non covid (17 % en semaine 14).

Part des patients (covid et non covid) De plus de 75 ans sur l’ensemble des patients admis en réanimation par rapport À la part des plus de 75 ans admis en réanimation les deux années précédentes

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Source : données issues de la DGOS, transmises par la DGCS le 14 octobre.

 

● La baisse du pourcentage de personnes âgées de plus de 75 ans admises en réanimation (COVID et non COVID) est encore plus marquée dans la région Île-de-France. Elle est en effet passée de 24 % lors de la première semaine de mars à 6 % seulement lors de la semaine du 30 mars au 5 avril, avant de se stabiliser autour de 10 % à la mi-avril.

Part des plus de 75 ans sur l’ensemble des personnes admises en réanimation dans la région île De France, en comparaison avec les deux années précédentes

Source : direction générale de l’offre de soins à la mission d’information, 31 juillet 2020.

● Parallèlement, l’âge médian d’entrée en services de réanimation a nettement baissé. Situé autour de 66 ans au début de la crise, il s’est ensuite situé autour de 63 ans la semaine du 30 mars au 5 avril, avant de remonter et d’atteindre 64 ans mi-avril. Il est remonté aujourd’hui à 68 ans ([193]).

Âge médian d’entrée en services de réanimation sur la France entière

Source : données transmises par la DGOS à la mission d’information le 20 juillet.

Les données SI-VIC ([194]) montrent que les patients COVID-19 âgés de plus de 75 ans et déclarés par les établissements de santé en hospitalisation réanimatoire (réa/SI/SC) représentent en moyenne 17,5 % du total des patients COVID-19 admis à l’hôpital sur la période du 2 mars au 31 mai 2020. Les proportions varient cependant dans le temps, avec des données hebdomadaires comprises entre 13 et 30 % (voir annexe 14).

POurcentage de personnes âgées de plus de 75 ans admises en réanimation pour covid du 2 mars au 31 MAI

 

2 au 8 mars

9-15 mars

16-22 mars

23-29 mars

30-03

au

05-04

06-12

avril

13-19

avril

20-26

avril

27-04

Au

03-05

4-10

mai

11-17 mai

18-24

mai

25-31 mai

Nombre de plus de 75 ans

34

143

380

592

482

372

293

229

134

112

79

63

37

%

28 %

27 %

17 %

13 %

13 %

18 %

22 %

26 %

24 %

27 %

29 %

30 %

25 %

Source : données issues du système d’information pour le suivi des victimes (SI-VIC), panel construction DGOS

ii.   Des données qui doivent conduire à se poser la question de l’admission des personnes âgées en réanimation

Ces données conduisent à s’interroger sur la possibilité effective pour les personnes âgées et très âgées, et notamment celles hébergées en établissement, d’être admises dans les services de réanimation au plus fort du pic épidémique et posent la question d’un « tri » fondé, notamment, sur le critère de l’âge qui aurait été opéré entre les patients.

Cette hypothèse a été réfutée, notamment par le directeur de l’ARS d’Île- de-France, M. Aurélien Rousseau, et le ministre des solidarités et de la santé, M. Olivier Véran, qui ont affirmé lors de leurs auditions ([195]), qu’aucune régulation fondée sur l’âge n’avait été opérée pour l’accès en services de réanimation.

Deux raisons expliqueraient selon Aurélien Rousseau la baisse de la part des personnes de plus de 75 ans dans les services de réanimation : d’une part, le nombre de personnes admises en réanimation était au pic de l’épidémie de Covid-19, beaucoup plus important que les années précédentes, ce qui rend difficile toute comparaison (en Île-de-France par exemple, plus de 2 700 personnes étaient hospitalisées en réanimation, contre moins de 1 200 à la même date l’année précédente) ; d’autre part, la déprogrammation des activités chirurgicales non urgentes a eu un effet sur le profil des patients, ainsi très différent de ce qu’il était en 2019.

Le constat que votre rapporteur tire de cette situation est le suivant :

Il n’y a pas eu de doctrine ministérielle ou régionale officielle recommandant d’opérer une régulation fondée sur l’âge, pour l’accès en services de réanimation mais la baisse de la part des personnes âgées de plus de 75 ans admises dans ces services au pic de la crise sanitaire, pose cependant question.

● L’existence d’une doctrine recommandant d’opérer un tri entre les patients fondés sur l’âge pour l’accès aux services de réanimation n’est pas avérée. Le document intitulé : Décision d’admission des patients en unités de réanimation et unités de soins critiques dans un contexte d’épidémie à Covid-19, publié par l’Agence Régionale de Santé (ARS) Île-de-France le 19 mars, mentionne le fait que « dans un contexte d’exception où les ressources humaines, thérapeutiques et matérielles pourraient être ou devenir immédiatement limitées, il est possible que les praticiens sur-sollicités dans la durée soient amenés à faire des choix difficiles et des priorisations dans l’urgence concernant l’accès à la réanimation. » Ce document rappelle néanmoins que la décision d’hospitaliser un patient en réanimation est toujours une décision médicale, qui fait l’objet d’une analyse bénéfices-risques pour les malades indépendamment de l’âge.

Aurélien Rousseau a précisé devant la mission qu’une doctrine dégradée, dont il est fait état dans ce document, a bien été travaillée à la demande de l’ARS, qu’elle l’a été dans une visée prospective, pour fournir aux réanimateurs des critères de discernement si jamais le système était totalement débordé et que ces critères n’ont pas été utilisés.

● Même si plusieurs facteurs peuvent jouer sur ces chiffres, la baisse de la part des personnes âgées de plus de 75 ans admises en service de réanimation est néanmoins difficilement compréhensible. L’épidémie de Covid-19 se caractérise en effet par la vulnérabilité particulière des personnes âgées, particulièrement sujettes au développement de formes graves de la maladie. Il faut en effet rappeler que 93 % des personnes décédées des suites de la Covid-19 ont plus de 65 ans.

On n’en retrouve pas l’effet dans les admissions en réanimation, même si on admet que le profil des admissions a évolué par rapport aux années précédentes, la part des personnes âgées qui sont les premières et les plus gravement atteintes, n’aurait pas dû chuter de façon aussi significative.

Certes, en situation épidémique se traduisant par un nombre plus important d’hospitalisations, le nombre absolu de malades âgés a évidemment augmenté par rapport à une situation « normale ». L’âge médian qui baisse reste cependant significatif d’une évolution de la répartition des malades vers des malades moins âgés.

Les données issues des points épidémiologiques de Santé publique France qui reposent sur la surveillance d’un réseau de services volontaires de réanimation ([196]) montrent une évolution de l’âge moyen au cours des différentes périodes de la crise : le 24 mars, l’âge moyen des patients admis en services de réanimation depuis le 16 mars était de 65 ans ([197]). Cet âge moyen a baissé durant la période la plus critique de la crise pour s’établir à 60 ans sur la période du 16 mars au 5 avril ([198]).

En outre, il est aussi avancé que le refus d’envoyer des personnes âgées en réanimation s’est fondé sur une analyse « bénéfices/risques » et sur la conclusion que ces soins seraient trop lourds pour les patients très âgés compte tenu en particulier de la durée des réanimations nécessaires des malades graves de la Covid 19. Cette analyse bénéfices/risques est d’une application constante pour les décisions d’envoi en réanimation. Elle n’a dès lors pas constitué un critère nouveau dans la décision d’hospitaliser les patients en réanimation.

Les données présentées supra invitent à envisager qu’au pic de l’épidémie, dans un contexte d’engorgement des services d’urgences et de tensions très fortes en services de réanimation, une forme de régulation fondée sur le critère de l’âge a parfois pu être opérée.

II.   Un système de soins éprouvé par l’épidémie

Le système hospitalier s’est retrouvé, en l’absence de marge de manœuvre, en situation critique face à une crise sans précédent qui a révélé les conséquences de la baisse des dépenses consacrées à l’hôpital public depuis plusieurs années.

Malgré les engagements pris, l’arrivée d’une deuxième vague épidémique ne se produit pas sur un terrain fondamentalement différent et soulève une nouvelle fois, la persistance de difficultés profondes, au premier rang desquelles figure le manque structurel de personnel, encore plus problématique en temps de crise.

A.   LE SYSTÈME HOSPITALIER FRAGILISÉ, A PRIS DE PLEIN FOUET LA CRISE SANITAIRE

1.   Une situation critique face à l’ampleur et à la gravité de l’épidémie

a.   Des régions en grande tension

Dans la première phase de l’épidémie, le nombre de personnes atteintes de la Covid-19 a progressé de manière extrêmement rapide sur certains territoires. Entre le 10 et le 15 mars, les services d’aide médicale d’urgence ont fait face à un triplement, voire un quadruplement de leur activité en moins de 24 heures ([199]). Le nombre initial de 5 050 lits de réanimation disponibles au début de la crise ([200]) est devenu largement insuffisant. L’augmentation très importante du nombre de cas et du nombre de patients développant une forme grave de la maladie a en effet considérablement mis sous tension le système de soins et en particulier les capacités disponibles en services de réanimation.

La situation a d’abord été critique dans la région Grand-Est, premier territoire touché de plein fouet par l’épidémie à la suite du « cluster » apparu après un rassemblement évangélique à Mulhouse qui s’est tenu du 17 au 24 février. Le 15 mars, le Samu-urgences de France est alerté par des responsables de Samu de Mulhouse et de Colmar décrivant un flux incessant de patients présentant des critères d’hospitalisation, un taux d’hospitalisation après passage aux urgences de 40 % et la saturation des lits de réanimation de la région ([201]). Le nombre de lits de réanimation, fixé au départ à 471 dans l’ensemble de la région, s’est avéré rapidement insuffisant ([202]). Dans la semaine du 23 au 29 mars, la région comptait 4 416 passages aux urgences pour suspicion de Covid-19 et la semaine suivante, le 8 avril, 4 819 personnes étaient hospitalisées, dont plus de 900 en réanimation. Cette même semaine, la région a enregistré une surmortalité de 116 % par rapport à la période comparable l’année précédente.

Alors que la région ne comptait que 1 150 lits de réanimation à l’amorce de la crise, l’Île-de-France a également fait face à des tensions considérables. Le 25 mars, le directeur général de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) lançait sur France Info un appel solennel aux pouvoirs publics et indiquait avoir « une visibilité de trois jours » sur le nombre de places disponibles en réanimation. Le 31 mars, les places disponibles dans ces services étaient parvenues à une complète saturation ([203]). Le pic de patients en réanimation a été atteint le 8 avril, avec 2 681 patients hospitalisés en services de réanimation.

b.   Une première vague marquée par un nombre d’admissions à l’hôpital et en services de réanimation extrêmement important

● La première vague d’épidémie de Covid-19 s’est caractérisée par l’ampleur du nombre de patients pris en charge à l’hôpital.

Du 1er janvier au 2 juillet 2020, près de 141 900 patients ont été hospitalisés pour cause de Covid-19 en médecine chirurgie obstétrique (MCO), dans le cadre d’une hospitalisation conventionnelle ou en soins critiques. Le nombre de patients Covid-19 en MCO le plus élevé a été observé le 3 avril, date à laquelle le nombre de 30 000 patients hospitalisés a été franchi ([204]).

Le nombre de personnes admises en services de réanimation a connu la même évolution. Sur la période du 1er janvier au 30 juin on dénombre 15 300 hospitalisations en services de réanimation, soit une hospitalisation sur dix. Le nombre maximal de patients présents en réanimation sur une journée a été atteint le 8 avril 2020, avec 7 027 patients.

 

Évolution du nombre de lits de réanimation occupÉs par des patients covid entre mars et juin 2020

Réa

Source : recommandations d’organisation des réanimations en prévision d’une nouvelle vague de Covid-19, note publiée par le ministère des solidarités et de la santé le 17 juillet.

L’augmentation très importante du nombre d’hospitalisations depuis le mois d’octobre témoigne de la montée en puissance d’une seconde vague épidémique d’une ampleur au moins égale à la première, et s’étendant cette fois, à l’ensemble du territoire.

L’analyse des données d’hospitalisation SI-VIC ([205]) datées du 25 octobre montre que dans 10 régions sur 13, le nombre d’hospitalisations a doublé en moins de 14 jours ([206]). Le 10 novembre, 31 505 personnes étaient hospitalisées pour Covid-19, dont 4 750 en services de réanimations. L’observation d’une baisse de la mortalité pour les patients hospitalisés pour Covid-19 indique néanmoins des progrès dans la prise en charge des malades. Une étude à laquelle a contribué l’AP- HP ([207]) montre ainsi une baisse significative du taux de mortalité pour les hospitalisations de patients Covid, passé de 42 % à 25 % entre février et mai.

● L’épidémie de Covid-19 se traduit par une mortalité conséquente.

Le nombre total de décès dus à la Covid-19 enregistrés depuis début mars s’est établi à 50 237 le 24 novembre ([208]), dont 30 000 décès survenus pendant la première vague, décès à l’hôpital mais également dans les établissements sociaux et médico-sociaux et notamment dans les établissements pour personnes âgées (EHPA). Le point épidémiologique de Santé publique France publié le 9 juillet 2020 fait état de 29 933 décès dus à la Covid-19 entre le 1er mars et le 7 juillet 2020 dans ces établissements.

Plus de 17 000 décès de patients Covid-19 au cours d’une hospitalisation MCO ont été enregistrés du 1er janvier au 30 juin, soit 13 % des séjours hospitaliers. Sur cette même période, le quart des séjours en services de réanimation, s’est terminé par un décès.

c.   Le personnel soignant n’a pas été épargné par la crise épidémique

Au-delà de l’épuisement physique et moral causé par l’épreuve de la première vague, les personnels d’établissements de santé ont payé un fort tribut à l’épidémie de Covid-19 :

– du 1er mars au 2 novembre, 44 281 personnels d’établissements de santé ont été déclarés infectés par le Covid-19 ([209]).

– à la date du 5 novembre, au moins 17 personnels d’établissements de santé sont décédés des suites du Covid-19, dont 5 médecins, 4 aides-soignants, 2 professionnels de santé classés « autres » et 6 professionnels non soignants.

2.   Une crise intervenue sur un système de soins fragilisé

La gravité de la Covid-19 a nécessité une hospitalisation pour environ 20 % des personnes malades et un passage en réanimation pour 5 % d’entre elles. Lorsqu’ils ont été nécessaires, les séjours en réanimation ont été particulièrement longs. Pour la première vague de l’épidémie, la durée médiane d’un passage en réanimation pour Covid-19 était en effet de 12 jours, ce séjour ayant été généralement suivi de 10 jours d’hospitalisation conventionnelle en aval ([210]).

Or, cette épidémie est survenue dans un contexte de contraintes budgétaires croissantes pesant sur l’hôpital public qui s’est traduit par la fermeture d’un nombre important de lits ([211]). Les représentants du secteur hospitalier entendus par la mission d’information ont souligné les conditions particulièrement difficiles dans lesquelles l’hôpital public avait amorcé la crise, marquées en particulier par un manque conséquent de personnels soignants et la persistance de difficultés à recruter. Pour la seule AP-HP, son directeur général évalue le déficit en personnel à au moins un millier de personnels soignants et autant de postes vacants ([212]).

En plus des problèmes récurrents de personnel, la réponse hospitalière dans une situation de crise paie le prix d’une tendance longue au désinvestissement dans l’hôpital (un effort passé de 11 % à moins de 6 % des recettes entre 2009 et 2017 comme le montre le graphique suivant), par ailleurs grevé par un endettement croissant. La dette des hôpitaux a en effet régulièrement augmenté depuis 2002, pour atteindre aujourd’hui un montant d’environ 30 milliards d’euros.

Évolution de l’effort d’investissement des hôpitaux publics depuis 2002

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Source : Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statiques (DREES), La situation économique et financière des hôpitaux publics, 2019.

La baisse du nombre de lits d’hospitalisation complète constitue une tendance ancienne. En 2017, les établissements de santé comptaient 400 000 lits d’hospitalisation, soit 69 000 de moins qu’en 2003.

Depuis 2013, 17 500 lits d’hospitalisation complète ([213]) ont été fermés, soit une baisse de 4,2 % en cinq ans dont 4 172 lits pour la seule année 2018, même s’il ne s’agit pas de fermetures nettes : la réorientation des soins vers une prise en charge en ambulatoire qui vise à faire sortir les malades de l’hôpital en privilégiant leur suivi en ville s’est accompagnée de la création de 1 839 places d’hospitalisation partielle (pour la prise en charge ambulatoire). Les capacités en hospitalisation à temps partiel se sont développées pour atteindre un total de 75 000 places en 2017, contre 49 000 en 2003 ([214]).

Nombre de lits disponibles en hospitalisation complète : comparaison entre la France et l’Allemagne

Selon la fédération des hôpitaux allemands, l´Allemagne disposait début février 2020 de 497 000 lits d’hospitalisation à temps complet ([215]), contre environ 400 000 pour la France fin 2017 ([216]). L’Allemagne comptait en 2018, 8 lits pour 1 000 habitants contre 6 lits pour 1 000 habitants en France ([217]). Ce nombre élevé de lits d’hospitalisation s’explique en partie par le fait que l’Allemagne n’a pas opéré un virage aussi important que la France vers les soins ambulatoires. Il s’est révélé un atout important pour la prise en charge des malades de la Covid-19.

S’agissant des lits adaptés à la prise en charge de patients atteints de formes graves de la Covid-19, l’Allemagne disposait à l’amorce de la crise, de 28 000 lits en soins intensifs, dont 20 000 équipés de respirateurs et selon la société allemande des hôpitaux, cette capacité a pu être augmentée pour atteindre début avril, 40 000 lits de soins intensifs et 30 000 respirateurs ([218]).

La comparaison entre la France et l’Allemagne est complexe à établir dans la mesure où comme l’a rappelé le ministre des solidarités et de la santé lors de son audition du 4 novembre, la France opère une distinction entre lits de réanimation, lits de soins intensifs et lits de soins continus. En Allemagne et dans la plupart des pays étrangers, tout lit de ce type est considéré comme un lit « intensive care » – « Intensivbett » en Allemagne – et donc comme lit de réanimation. Le nombre de lits prévus pour la réanimation, les soins intensifs et les soins continus s’établissait néanmoins en France à 19 318 en 2018 ([219]), ce qui révèle une capacité inférieure à l’Allemagne pour la prise en charge des formes graves de la maladie.

La baisse du nombre de lits disponibles à l’hôpital et les tensions qui en ont résulté ont conduit à ce que le Gouvernement fasse des risques de saturation des lits de réanimation la seule boussole guidant la gestion de crise : aplatir la courbe afin d’éviter la surcharge du système de santé.

Évolution du nombre de lits et de places de 2013 À 2018

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Source : Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statiques (DREES), Études et Résultats, n° 1164, septembre 2020.

B.   des MESURES d’urgence pour prendre en charge les malades graves

La situation critique dans laquelle s’est trouvé le système de santé a nécessité la mise en place de mesures d’urgences pour la prise en charge à l’hôpital et en réanimation des malades de la Covid-19 nécessitant ce type de soins.

1.   L’augmentation des capacités d’accueil à l’hôpital et en services de réanimation

L’augmentation des capacités d’accueil à l’hôpital et en services de réanimation pour les patients atteints de formes graves de la Covid-19 n’a été possible que par la déprogrammation des activités médicales non urgentes engagée dans les hôpitaux publics comme privés de l’ensemble du territoire national à partir du 12 mars, dans le cadre du plan blanc (voir I-B). Cette déprogrammation devait permettre d’augmenter les capacités de soins critiques, de prioriser l’accueil des malades atteints de formes graves de Covid-19 et de mettre à disposition des personnels les matériels nécessaires à la prise en charge de ces patients. L’objectif était également de ne pas exposer les malades concernés à un risque de contamination infectieuse.

Parallèlement, l’augmentation des capacités d’accueil des patients Covid a nécessité une importante réorganisation des soins à l’hôpital et la conversion en lits de réanimation de lits qui n’étaient au départ pas adaptés ni prévus pour la réanimation.

Les ARS ont ainsi travaillé en lien étroit avec les établissements de santé pour identifier les réorganisations les plus adéquates permettant d’augmenter les capacités pour les prises en charge réanimatoires, notamment via la mobilisation et « l’armement » d’autres lits (salles de surveillance post-interventionnelle, soins intensifs, et surveillance continue notamment).

Selon les chiffres consolidés de la DGOS :

– la capacité en lits de réanimation adultes avant ré-organisations liées à l’épidémie était de 5 050 lits ;

– la capacité installée à la date du 25 mars a été de l’ordre de 7 400 lits ;

Les ARS font état à cette date d’une augmentation complémentaire possible d’environ 2 465 lits supplémentaires (voir annexe 15).

Les données disponibles dans le répertoire opérationnel des ressources (ROR) des ARS, extraites et consolidées au niveau national ont permis d’établir qu’au 15 avril 2020, 10 705 lits de réanimation adultes tous patients confondus (covid et non covid) étaient installés ([220]).

capacité en lits de réanimation adultes : extraction du fichier ROR et de l’enquête flash menée auprès des ars

capacités de réa

Source : DGOS. La notion de lits de réanimations adultes renvoie à tous les lits de réanimation, de type covid et non covid. Elle intègre les lits dits « autorisés » et les lits dits « upgradés » pour prise en charge réanimatoire du fait de l’épidémie.

Mi-avril, la capacité en lits de réanimation adultes avait ainsi augmenté de 158 % dans la région Grand-Est, de 138 % en Île-de-France, de 250 % en Corse, de 121 % en Auvergne-Rhône-Alpes, de 97 % dans les Hauts-de-France et de 66 % en Bourgogne-Franche-Comté depuis le début de la crise ([221]).

Beaucoup de lits de réanimation créés durant la crise correspondent à des lits issus de services proches de la réanimation, tels que les services de soins continus, qui ont été « upgradés » pour pouvoir prendre en charge des patients en réanimation. Un nombre conséquent des capacités nouvelles installées dans le contexte de la crise sanitaire correspond dès lors à une prise en charge en services de réanimation en mode « dégradé ([222]) ». Ainsi, s’agissant des lits de réanimation créés entre la mi-mars et la fin-mars :

– 47 % proviennent de lits de surveillance continue transformés en lits de réanimation ;

– 32 % ont été créés à partir d’emplacements de salle de réveil et de blocs opératoires ;

– 13 % proviennent d’unités de réanimation qui n’étaient pas ouvertes par manque de personnel en période pré-Covid ;

– 8 % sont issus d’unités d’hospitalisation et notamment des unités ambulatoires.

 

ORIGINE DES LITS DE RÉANIMATION SUPPLÉMENTAIRES COVID-19

Capture

Graphique issu de la note sur les Recommandations d’organisation des réanimations en prévision d’une nouvelle vague publiée par le ministère des solidarités et de la santé le 17 juillet.

Un hôpital de campagne, doté de 27 lits de réanimation, a été installé dans l’urgence en mars 2020 dans la ville de Mulhouse en raison de l’engorgement des hôpitaux de la région et a permis d’accueillir 47 patients atteints de forme grave de la Covid-19. Le service de santé des armées, à l’origine de cette installation, a fait l’objet d’une mobilisation remarquable durant la crise sanitaire et a porté en tout, sa capacité de lits disponibles en services de réanimation de 57 à 156. Ce service est apparu particulièrement indispensable lors des nombreuses opérations de transfert de patients (voir supra), où il a pu apporter son savoir-faire en termes de biosécurité et de décontamination ([223]). Alors que le SSA a pu apporter une expertise essentielle dans le cadre de la crise sanitaire, on peut regretter la baisse de ses effectifs, à l’œuvre depuis plusieurs années ([224]).

2.   Le transfert de patients vers d’autres régions pour soulager la saturation hospitalière

Face aux tensions critiques en lits de réanimation rencontrées dans les régions les plus touchées par l’épidémie, des opérations de transferts de patients vers des régions françaises ou de pays européens frontaliers disposant de capacités disponibles ont été organisées à partir du 13 mars. Ces opérations ont notamment été menées avec l’appui de l’opération Résilience qui a participé à l’évacuation de patients par train médicalisé, par avion ainsi que par transports terrestres.

Entre le 13 mars et le 10 avril 2020, 660 patients ont ainsi fait l’objet d’une évacuation sanitaire à partir des régions Île-de-France, Grand-Est, Bourgogne‑Franche-Comté et Corse.

Détail des opérations de transferts de patients vers d’autres régions durant la première vague épidémique

– 327 patients ont été transférés à partir de la région Grand-Est (dont 121 vers l’Allemagne, 88 vers la Nouvelle Aquitaine, 31 vers l’Occitanie, 28 vers la Suisse, 20 vers les Pays-de-la-Loire, 11 vers le Luxembourg et 3 en Autriche, notamment) ;

– 262 patients ont été transférés à partir d’Île-de-France (dont 76 vers la Bretagne, 47 vers la Normandie, 47 vers la Nouvelle Aquitaine, 45 vers les Pays-de-la-Loire, 27 vers le Centre-Val-de-Loire et 20 vers l’Auvergne-Rhône- Alpes) ;

– 56 patients ont été transférés à partir de la région Bourgogne-Franche-Comté (dont 41 d’entre eux vers la région Auvergne Rhône-Alpes, 10 vers la région PACA et 5 vers la Suisse) ;

– 15 patients ont été transférés de la Corse (tous vers la région PACA).

Au total, 492 patients ont été transférés dans d’autres régions françaises et 168 vers d’autres pays d’Europe (Allemagne, Autriche, Suisse et Luxembourg) durant la première vague de l’épidémie de Covid-19.

Depuis la fin du mois d’octobre 2020, les opérations de transferts de malades ont repris. À la date du 12 novembre, 120 évacuations sanitaires des régions les plus touchées par l’épidémie vers des régions moins affectées et vers l’Allemagne ont été menées ([225]). L’organisation de ces opérations de transferts de malades entre régions françaises s’annonce néanmoins plus complexe, dans la mesure où contrairement à la première vague de la crise, l’ensemble du territoire national est touché par l’épidémie. Ces transferts témoignent de la persistance de fortes tensions dans les capacités hospitalières.

 

3.   Le recours tous azimuts à des renforts en personnels soignants

L’augmentation des capacités d’accueil à l’hôpital et en particulier en services de réanimation, a nécessité le recours à de nombreux renforts en personnel. Des renforts dans les établissements de santé, mais également dans les établissements médico-sociaux et en particulier dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) ont été nécessaires pour assurer la prise en charge des malades soignés dans les établissements.

Ils ont été mobilisés via la mise en place de plateformes au niveau régional ou national, la réserve sanitaire, la réquisition de personnels par le ministère des solidarités et de la santé et directement par les établissements.

Les effectifs ont ainsi pu être significativement renforcés dans les régions les plus touchées par l’épidémie. Si le nombre de personnels mobilisés au sein des plateformes régionales, premier vecteur de renforts en ressources humaines durant la crise, n’a pas pu faire l’objet d’une consolidation nationale, il est estimé qu’à la date du 11 mai, 2 154 professionnels de santé avaient a minima été mobilisés en renfort des établissements de santé et 2 231 dans le secteur médico-social ([226]).

Principales modalités de mobilisation de renforts en personnels soignants

 

– Les renforts en personnels soignants ont principalement été mobilisés par l’intermédiaire des plateformes déployées par les Agences Régionales de Santé (ARS). Des plateformes telles que « #Renforts-Covid » mise en place via l’application « MedGo » ont ainsi permis de mettre en relation les établissements de santé et un vivier de personnels volontaires pour venir en appui aux établissements de santé et médicosociaux. Plus de 16 220 renforts auraient été affectés dans les établissements de santé de la région Île de France.

– La réserve sanitaire dont la gestion est confiée à Santé publique France a également été sollicitée à partir du 25 janvier. Créée en 2007, la réserve sanitaire a pour objectif d’intervenir en renfort, en cas de situation sanitaire exceptionnelle en France ou à l’étranger. Mi-avril, un peu plus de 1 000 renforts ([227]) avaient été mobilisés par la réserve sanitaire pour répondre aux besoins en termes de personnels soignants (voir II C).

– Un système de renforts interrégionaux a également été organisé par le ministère des solidarités et de la santé. À partir du 25 mars, un formulaire d’inscription de volontaires a en effet permis de recenser des renforts en personnels soignants mis à disposition des ARS par l’intermédiaire de la plateforme Symbiose. À la date du 6 mai, une quinzaine d’opérations de transferts de personnels des régions Auvergne-Rhône-Alpes, Bretagne, Nouvelle-Aquitaine, Occitanie et Provence-Alpes-Côte d’Azur vers les régions Grand-Est et Île-de-France avaient ainsi été organisées. En Île-de-France, à la date du 18 avril, la plateforme Symbiose avait permis de mobiliser 595 volontaires. À la même date, 95 volontaires avaient été mobilisés pour la région Grand-Est ([228]).

– La réquisition de personnels soignants afin de répondre aux besoins des régions particulièrement sous tension a enfin été organisée, dans le cadre des mesures réglementaires d’application de la loi du 23 mars 2020 instituant l’état d’urgence sanitaire ([229]). À la date du 21 avril 2020, 198 personnes avaient été réquisitionnées, 83 % d’entre elles l’ayant été par la région PACA et la région Île-de-France

 

 

 

 

 


—  1  —

C.   Les difficultés de la réorganisation du systÈme de soins

La réorganisation du système de soins pour faire face à l’afflux de malades s’est heurtée au manque d’équipements de protection individuelle, auquel se sont ajoutées les pénuries de matériel pour la prise en charge des patients et la crainte de manquer de médicaments.

1.   Des besoins en respirateurs pour la réanimation

La spécificité de la prise en charge des malades graves de la Covid était sans doute difficile à anticiper, mais le système de soins et en particulier, les unités de réanimation ont dû faire face à une augmentation extrêmement importante des besoins en matériel, personnels soignants et médicaments. En plus de lits, les services de réanimation nécessitent en effet des respirateurs et du personnel soignant spécialisé, dont le manque est particulièrement apparu durant la crise.

a.   Un nombre de respirateurs insuffisant pour prendre en charge l’ensemble des patients en réanimation

Le nombre important de patients atteints de formes graves de la Covid-19 a engendré un besoin croissant en respirateurs nécessaires pour assurer la prise en charge en réanimation des malades présentant un syndrome de détresse respiratoire aiguë.

Au début de l’épidémie, la France disposait d’un stock initial d’environ 12 000 respirateurs utilisables en services de réanimation, ce décompte ne prenant pas en compte les 6 000 respirateurs d’urgence et de transport simple ni les ventilateurs d’anesthésie ([230]). Les représentants du secteur hospitalier auditionnés par la mission d’information ont souligné les difficultés posées par le manque de respirateurs, en particulier dans les régions touchées en premier par la crise comme le Grand-Est et ont indiqué avoir lancé un « cri d’alarme ([231]) » pour que des mesures soient prises afin de renforcer leurs capacités. Ces tensions très fortes se sont traduites par une inquiétude profonde des soignants sur la capacité à prendre en charge l’ensemble des patients admis en réanimation. Auditionnée le 18 juin par la mission d’information, Mme Lila Bouadma, réanimatrice à l’hôpital Bichat s’en est fait l’écho : « tous les soirs dans mon service, nous nous posions la question de savoir si nous pourrions ventiler le prochain malade. »

Ce nombre insuffisant de respirateurs s’inscrit dans le contexte de marges de manœuvre financières de plus en plus contraintes pour les hôpitaux depuis plusieurs années et dans la mesure d’un investissement conséquent – de 50 000 et 60 000 euros – l’équipement en respirateurs lourds n’a pas constitué une priorité pour les directeurs d’établissements ([232]).

b.   Des commandes lancées rapidement mais qui n’ont pas toujours répondu aux besoins

Très vite, le besoin a été perçu et le chiffre de 10 000 respirateurs supplémentaires en commande a été annoncé ([233]).

L’industrie française a été mobilisée pour fournir les hôpitaux. Des commandes importantes ont été passées auprès de plusieurs entreprises dont Air Liquide, Schneider Electric, PSA et AIRBUS ; d’autres entreprises françaises sont également intervenues dans les processus d’achats de respirateurs sur le marché international, à l’instar de LVMH ou de L’Oréal.

10 141 respirateurs ont bien été commandés, pour un coût d’environ 54 millions d’euros, mais sur ce total, seuls 1 641 étaient des respirateurs consacrés aux soins de réanimation. Les 8 500 respirateurs de type Osiris 3 commandés à l’entreprise Air Liquide sont en effet des appareils destinés aux urgences et aux transports de patients. Cet usage a été précisé par la « doctrine d’usage des dispositifs de ventilation et des respirateurs pour les patients Covid-19 » transmise le 3 avril par le ministère des solidarités et de la santé aux établissements hospitaliers qui indique que les respirateurs de type « Osiris 3 » sont des appareils de niveau 5, c’est-à-dire réservés au transport des malades.

L’ensemble des personnels soignants interrogés à ce sujet ont indiqué à la mission d’information que ces respirateurs, s’ils ont pu soulager temporairement certaines tensions à l’hôpital, n’étaient pas adaptés à la prise en charge d’un afflux massif de patients en services de réanimation. Lors de son audition, Mme Lila Bouadma a ainsi indiqué à ce sujet que « des ventilateurs de transport ont été fabriqués en urgence, mais ils ne sont pas adaptés à la ventilation des malades en phase aiguë de Covid-19. Ils peuvent avoir une utilité quand il y a un grand nombre de patients, notamment pour ceux qui sont dans la phase de sevrage. Ces 8 500 ventilateurs conviennent pour le transport de malades qui ne sont pas dans un état grave. Ils ne sont pas adaptés à la prise en charge d’un afflux massif de patients. »

La donne est toutefois modifiée dans le bon sens par l’évolution de la prise en charge des malades de la Covid-19 à la suite de nouvelles méthodes de soin ayant prouvé leur efficacité. Lors de son audition le 4 novembre, le ministre des solidarités et de la santé a évoqué le recours à l’Optiflow, qui permet de fournir de l’oxygène à haut débit et de retarder le recours à l’intubation. Ces nouvelles méthodes pourraient avoir des conséquences importantes pour la prise en charge des patients covid dans la mesure où un certain nombre de patients placés sous oxygène à haut débit pourront éviter les soins réanimatoires.

2.   Un manque de personnel soignant que la réserve sanitaire n’a pas été en mesure de pallier

Le renforcement des effectifs dédiés à la prise en charge des patients Covid a été possible grâce à la déprogrammation des activités médicales non urgentes issue du plan blanc qui a permis de réaffecter des personnels. Mais le nombre important de patients admis en services de réanimation a rendu particulièrement nécessaire la mobilisation de personnel spécialisé supplémentaire. Le code de la santé publique prévoit en effet qu’une équipe médicale de réanimation doit comprendre au moins un ou plusieurs médecins qualifiés en réanimation et un ou plusieurs médecins qualifiés en anesthésie-réanimation ou du moins ayant une expérience attestée en réanimation. Une équipe de réanimation comprend par ailleurs au minimum deux infirmiers pour cinq patients et un aide-soignant pour quatre patients ([234]).

Le manque de personnel a constitué le principal obstacle à l’augmentation des capacités de prise en charge à l’hôpital et en réanimation. Le recours à de nombreux renforts et les opérations de réorganisation qui ont été menées n’ont pas permis de répondre aux tensions très fortes en personnels rencontrées durant la première vague de l’épidémie. La réserve sanitaire, qui devait constituer le premier vivier de mobilisation de renforts en professionnels de santé, en particulier, s’est révélée peu adaptée à une situation de crise aiguë.

a.   Face à l’ampleur de la crise, la réserve sanitaire n’a pas été un outil suffisamment opérationnel

Créée au même moment que l’EPRUS par la loi n° 2007-294 du 5 mars 2007 et pilotée aujourd’hui par Santé publique France, la réserve sanitaire est constituée de professionnels de santé volontaires, mais également d’étudiants et de retraités pouvant être appelés, sur demande des ARS, à participer à des missions ponctuelles sur le territoire national ou à l’étranger.

La réserve sanitaire a été mobilisée tôt dans la crise, dès le 25 janvier ([235]). D’abord victime de son succès (le site internet de Santé publique France qui lui est dédié n’a rapidement plus permis de renseigner des candidatures), elle s’est finalement avérée insuffisamment opérationnelle pour répondre aux besoins croissants en personnels et aux tensions très fortes sur certains métiers et a dû être suppléée par des dispositifs alternatifs montés directement par les ARS.

En effet, dans les premières semaines du 26 janvier au 20 mars, c’est-à-dire jusqu’au passage au stade 3 de l’épidémie, si la réserve a répondu à toutes les demandes qui lui ont été adressées, au total les effectifs ainsi fournis ont été bien inférieurs à ceux envoyés par les plateformes mises en place par les ARS (voir supra).

Alors que la réserve sanitaire comptait le 30 avril, 42 122 volontaires inscrits dont 2 094 étudiants et 5 454 retraités, un peu plus de 1 000 personnels soignants seulement avaient été mobilisés mi-avril. En comparaison, la plateforme #Renforts Covid avait fourni à la même date, plus de 16 220 renforts aux établissements de santé et aux établissements sociaux et médico-sociaux (ESMS) d’Île-de-France ([236]).

La difficulté de mobiliser un nombre conséquent de personnels soignants et dans des délais très courts s’explique, en partie, par les modalités de fonctionnement de la réserve sanitaire.

Santé publique France prend, en effet, en charge le traitement administratif des dossiers avant d’affecter les personnels dans les établissements, ce qui donne lieu à des vérifications exhaustives des diplômes, de l’inscription aux différents ordres et du déroulement de la carrière professionnelle. Ces procédures légitimes se transforment en temps de crise en obstacles administratifs et génèrent des temps de traitement des dossiers d’autant plus problématiques que le personnel dédié à leur gestion est réduit ([237]). Ce mode de fonctionnement s’explique par une conception de la réserve, paradoxalement, mal adaptée à une situation de crise aiguë : les réservistes sont en principe mobilisés pour des missions longues, à l’inverse des personnels recrutés par l’intermédiaire des plateformes, qui pouvaient répondre aux besoins ponctuels (parfois même à la demi-journée), exprimés par les établissements.

S’y ajoute le fait que les besoins ont porté en priorité sur des professionnels de santé comme les réanimateurs et les infirmières d’anesthésie-réanimation. Or, on retrouve logiquement chez les réservistes les mêmes manques de certaines spécialités qui font défaut structurellement dans l’offre de soins (urgentistes, médecins anesthésistes réanimateurs notamment).

Sur les 42 000 personnes inscrites au sein de la réserve sanitaire, moins de la moitié fait partie des principales spécialités recherchées dans le cadre de la crise du Covid-19 (voir infra). S’agissant des médecins, la réserve sanitaire ne comptait par exemple au 30 avril que 43 médecins réanimateurs et 503 urgentistes. De surcroît, comme l’a souligné Grégory Emery lors de son audition, la réserve sanitaire, telle qu’elle était construite, ne permettait pas toujours d’identifier les professionnels de santé concernés : 6 147 professionnels ont généré un compte réserviste sanitaire sans renseigner leur profession. En outre, elle ne disposait pas non plus des profils adaptés pour fournir des renforts dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées (EHPA) ([238]).

Dans le cadre de la deuxième vague d’épidémie de Covid-19, la plateforme « Renfort RH » a été lancée le 16 octobre 2020 par le ministère des solidarités et de la santé. Cette plateforme permet de mettre en relation tout professionnel volontaire au sein des établissements de santé ou des établissements médico-sociaux qui formulent une demande de renfort.

Le fonctionnement de la réserve sanitaire s’est finalement révélé inadapté aux besoins opérationnels urgents engendrés par la crise et nécessite une réforme profonde qui permette notamment de lui dédier des moyens supplémentaires.

Proposition : renforcer significativement les moyens humains et financiers consacrés à gestion de la réserve sanitaire. Assouplir les procédures de recrutement et de déploiement des personnels pour en faire un outil plus opérationnel en temps de crise.

b.   La crise a exacerbé des difficultés de personnel qui sont structurelles

La crise du Covid-19 a souligné avec force le manque de personnels soignants compétents dans certaines spécialités et en particulier en services de réanimation. Les professionnels recherchés sont toujours les mêmes : il s’agit principalement des médecins anesthésistes-réanimateurs, des infirmiers anesthésiques diplômés d’État (IADE), des infirmiers de blocs opératoires (IBODE) et d’aides-soignants pouvant exercer en services de réanimation.

Le déficit de personnels compétents pour la réanimation traduit les orientations des politiques de recrutement et de formation. Les représentants du secteur de l’hôpital auditionnés par la mission d’information ont en effet regretté des politiques de formation des professionnels déconnectées des besoins identifiés en termes de prise en charge médicale pour les années à venir et l’absence d’évaluation de la démographie médicale ou paramédicale spécialité par spécialité ([239]). Lors de son audition devant la mission d’information le 6 juillet, le professeur Bruno Riou, directeur médical de crise de l’AP-HP déclarait ainsi « Nous n’avons pas consenti les efforts nécessaires pour adapter la démographie médicale et paramédicale à la complexité de la médecine actuelle et à celle de demain. »

Les tensions en termes de personnel ont été désignées par l’ensemble des personnes auditionnées comme la problématique principale durant la crise et comme le plus grand obstacle à la montée en charge des capacités de réanimation.

Dans ce contexte, votre rapporteur appelle à renforcer l’évaluation de la démographie médicale et paramédicale et l’anticipation des besoins sanitaires futurs, afin d’ajuster les politiques de formation des personnels soignants aux problématiques de santé publique à venir.

Votre rapporteur invite également à tirer les conclusions des problèmes rencontrés en termes de polyvalence de certaines professions telles que les infirmiers, afin de leur permettre d’intervenir en soutien, par exemple en services de soins intensifs ou de réanimation, lors de crises sanitaires.

Proposition : adapter les politiques de formation des personnels soignants aux besoins sanitaires, en prenant en compte les postes disponibles dans chaque spécialité.

Proposition : améliorer la polyvalence de certaines professions médicales afin de répondre aux besoins issus de crises sanitaires et pouvoir renforcer les équipes des services les plus sous tension, comme la réanimation.

3.   De très fortes tensions s’agissant des médicaments nécessaires à la réanimation

a.   Un risque de pénurie de médicaments lié à une consommation très importante et à l’explosion de la demande mondiale pour certaines molécules

● La Covid-19 s’est caractérisée pendant la première vague de l’épidémie par un nombre important de patients atteints de pathologies lourdes, nécessitant des semaines de ventilation et l’administration de traitements spécifiques et en quantité bien supérieures à celles habituellement utilisées. Il en est résulté une augmentation très forte des besoins pour certains médicaments et notamment pour les produits utilisés pour le coma artificiel et la réanimation.

Parallèlement, un grand nombre de pays étant frappés par l’épidémie de Covid-19 au même moment, la demande mondiale pour les médicaments de la catégorie des curares, des hypnotiques, des anesthésiques et des sédatifs a ainsi été démultipliée, atteignant parfois 2 000 %. Dans ce contexte, l’approvisionnement des laboratoires a été soumis à de fortes tensions, les industriels ne pouvant pas, par conséquent, garantir la mobilisation de volumes supplémentaires aux établissements de santé.

● Dès la mi-mars, l’agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a signalé au centre de crise sanitaire l’existence de tensions très importantes pesant sur les molécules utilisées en réanimation. L’ANSM a notamment alerté sur le risque de pénuries pesant sur cinq molécules principales : les curares (atracurium, cisatracurium, rocuronium) et les hypnotiques (midazolam et propofol). Ces médicaments ont été utilisés dans des volumes inédits durant le pic de l’épidémie pour les soins de réanimation mais ont également dans d’autres cadres (le midazolam a par exemple été utilisé pour les soins palliatifs alors que les curares et le propofol l’ont été en chirurgie).

L’ANSM a identifié un scénario défavorable dans lequel des ruptures étaient à prévoir pour la plupart des spécialités : au regard des stocks disponibles début avril chez les fournisseurs, seuls 8 000 patients pourraient être traités avec les doses minimales d’hypnotiques, soit au total 10 jours de traitement pour la France entière. La situation relative aux curares était également particulièrement préoccupante ([240]).

b.   Un plan d’action mis en place par l’État pour un approvisionnement sur le fil du rasoir

● Face au risque de pénurie, un plan d’action, piloté par une cellule spécifique au sein du centre de crise a été mis en place à partir de la fin mars. Ce plan a reposé sur trois axes :

– la régulation des médicaments disponibles (voir annexe 16), par la mise en place d’un système d’information permettant de connaître quotidiennement l’état des stocks disponibles au sein des établissements de santé et de procéder à des dépannages interétablissements, en lien avec les ARS. Dans ce contexte, les stocks réquisitionnés ont été distribués selon une procédure de dotation nationale établie par l’ANSM. Les dotations étaient initialement calculées sur la base du nombre de patients admis en réanimation. Depuis la fin du confinement, les critères d’attribution reposent sur les besoins du système de santé en situation normale de fonctionnement ([241]) et le traitement des nouveaux patients Covid en réanimation par semaine et de manière récurrente.

– l’achat par l’État des stocks disponibles auprès des laboratoires et auprès de laboratoires identifiés via le réseau des ambassades. En application du décret du 23 avril 2020 ([242]) prévoyant la centralisation de l’achat de certains médicaments, l’État a acheté l’intégralité des stocks disponibles chez les fournisseurs des cinq molécules critiques pour organiser une distribution des établissements de santé en fonction de leurs besoins.

Total des achats réalisÉs et en cours de contractualisation sur les 7 molÉcules de rÉanimation rÉalisÉs jusqu’au 24/05

(en millions de mg)

DCI

Total acheté ou réservé
(marché SpF)

Total distribué
(à S21)

Stocks
(S22 à S31)

ATRACURIUM

200

30

170

CISATRACURIUM

34

9

25

ROCURONIUM

39

17,8

21,2

VECURONIUM

0,2

0

0,2

MIDAZOLAM

332

131

201

PROPOFOL

4 700

907

3 793

GAMMA OH

0,45

0

0,45

Source : données transmises par le ministère des solidarités et de la santé à la mission d’information le 28 mai.

– la production et l’internalisation de la fabrication, via l’acquisition de matières premières et leur transformation auprès de façonniers nationaux ou de pharmacies hospitalières.

Le rôle de SPF dans l’achat des molécules prioritaires

Depuis le 27 avril 2020, dans le contexte de tensions très fortes pesant sur les médicaments, SPF est devenue l’acquéreur exclusif pour le compte de l’État des molécules prioritaires nécessaires pour prendre en charge les patients Covid-19 en services de réanimation et assurer la continuité des soins vitaux dans les autres secteurs de soin y ayant recours.

Plusieurs contrats ont ainsi été passés avec l’ensemble des filiales françaises qui commercialisent ces spécialités, mais également avec des filiales ayant proposé leurs services en tant qu’importateurs de ces molécules ou encore avec Sanofi, afin de présélectionner des fournisseurs hors Union européenne. Un contrat a par ailleurs été signé avec trois dépositaires pour la réception, le stockage et la distribution des médicaments vers les établissements de santé.

 

● La stratégie mise en place semble avoir permis d’éviter sur le fil des ruptures sèches de médicaments pour les soins de réanimation. Les tensions rencontrées ont néanmoins été extrêmement fortes. Les professionnels auditionnés ont notamment souligné leurs incertitudes sur le stock de médicaments dont ils pourraient effectivement disposer pour prendre en charge leurs patients. La manière dont les établissements allaient être approvisionnés en médicaments a été une source de préoccupation importante.

Ces tensions ont rendu nécessaire une régulation de l’usage des médicaments critiques pour l’ensemble des soins pour lesquels ils sont normalement utilisés.

La direction générale de la santé dans une note du 13 avril, recense les prévisions relatives à la disponibilité des molécules prioritaires en avertissant cependant que ces données « sont calculées sous les hypothèses fortes de réduction des doses. Des chiffres beaucoup moins bons pourraient être observés si les doses élevées initialement annoncées par les réanimateurs étaient généralisées ou continuaient à être utilisées. À titre d’exemple, ces chiffres pourraient être divisés par deux sur le midazolam et propofol en termes de nombre de patients traitables. Une sensibilisation des professionnels de santé au respect de ces indications est en cours en lien avec les sociétés savantes ».

L’instruction du 25 avril 2020 a en ce sens appelé les établissements de santé et les professionnels de santé en leur sein à envisager « toutes les mesures permettant l’économie la plus stricte de ces médicaments. »

État des stocks disponibles sur le territoire national à la date du 11/04/2020 prenant en compte les stocks des fournisseurs et les stocks détenus dans les établissements de santé

* Si les posologies minimales recommandées par les sociétés savantes sont bien appliquées

Document issu d’une note de situation sur la situation des médicaments, transmise par la DGS à la mission d’information le 24 septembre.

Des mesures réglementaires ont également pu susciter des inquiétudes chez les professionnels soignants.

Face à la pénurie de midazolam, hypnotique sédatif, un décret en date du 28 mars 2020 ([243]) a facilité l’accès au rivotril, en prévoyant que ce médicament pouvait être dispensé par les pharmacies d’officine en vue de la prise en charge des patients atteints ou susceptibles d’être atteints de la Covid-19 et dont l’état clinique le justifie ([244]). Cette extension d’accès au rivotril, auparavant seulement délivré par les pharmacies hospitalières a soulevé un questionnement éthique, dans la mesure où il peut être utilisé comme sédatif en soins palliatifs. L’usage du rivotril dans le cadre de soins palliatifs est néanmoins demeuré soumis aux protocoles définis par la société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP) pour la prise en charge palliative de la détresse respiratoire.

D.   la persistance des tensions pendant la deuxième vague témoigne de difficultés structurelles

Si le système de santé était déjà fragilisé à l’amorce de la crise de la Covid-19, la première vague de l’épidémie a souligné avec force la nécessité d’une politique ambitieuse d’investissement en faveur du système de soins et des personnels soignants, auxquels ont cherché à répondre les accords du Ségur de la Santé.

L’ampleur de la seconde vague épidémique révèle néanmoins la persistance de problématiques structurelles fortes, appelant de nouvelles réformes à même de rendre le système de soins plus résilient et mieux armé face aux crises sanitaires futures.

1.   Le Ségur de la Santé traduit une prise conscience de la nécessité d’un investissement dans le système de soins

À la lumière de la crise et dans le contexte d’un système de santé particulièrement éprouvé par la première vague épidémique, les conclusions du « Ségur de la santé » ont été présentées par le Gouvernement le 21 juillet. Ces accords, signés le 13 juillet, sont issus d’une concertation conduite du 25 mai au 10 juillet avec les principaux représentants du secteur sanitaire et médico-social. Parmi les principales mesures décidées, figure un investissement fort en faveur du système de soins et des personnels soignants.

a.   Les mesures à destination des personnels soignants

La crise du Covid-19 a mis en lumière un déficit criant de professionnels de santé, limitant considérablement la capacité du système de santé à faire face à des crises sanitaires de grande ampleur. Les accords de Ségur entendent répondre à cette difficulté, en prévoyant un investissement important en faveur de ces professionnels.

Primes exceptionnelles accordées aux personnels soignants
à la suite de la crise sanitaire

Une prime exceptionnelle communément appelée « prime Covid » a été prévue par la loi de finances rectificatives pour 2020 du 25 avril, pour les agents publics dont la mobilisation a été particulièrement requise durant la crise, et notamment pour les agents de la fonction publique hospitalière. Cette prime défiscalisée et exonérée de cotisations sociales est accordée aux agents ayant exercé leurs fonctions de manière effective, y compris en télétravail, entre le 1er mars et le 30 avril 2020. Le montant de cette prime varie toutefois selon les situations :

– une prime de 1 500 euros a été versée à l’ensemble des personnels des services de santé mobilisés dans les quarante départements les plus touchés par l’épidémie, ainsi qu’aux agents ayant travaillé dans les services dédiés au Covid-19 des établissements de référence situés dans les départements les moins touchés et qui ont accueilli des patients contaminés d’autres régions ;

– une prime de 500 euros a été versée aux personnels de santé des autres départements.

– la LFR pour 2020 a par ailleurs prévu pour les personnels de santé une majoration de 50 % de leurs heures supplémentaires effectuées à l’hôpital durant la crise sanitaire.

– Dans la lignée des primes accordées aux personnels impliqués dans la lutte contre le Covid-19 (voir supra), les accords de Ségur prévoient d’abord un plan d’investissement de 8,2 milliards d’euros, reposant sur des hausses de salaires et des primes pour les personnels soignants. Ce plan d’investissement vise essentiellement à renforcer l’attractivité de ces métiers.

Principales mesures figurant dans l’accord sur les carrières,
les métiers et rémunérations.

– Une enveloppe de 7,6 milliards d’euros est d’abord allouée aux personnels paramédicaux (infirmiers, aides-soignants, masseurs-kinésithérapeutes) et non médicaux (agents administratifs, techniciens, brancardiers notamment). Cette somme est principalement destinée à financer une hausse de salaire « socle » pour les personnels des hôpitaux et des EHPAD publics, de 183 euros mensuels nets ([245]). Cet accord prévoit également une révision des grilles de salaires pour certaines professions (qui devra être achevée au printemps), des majorations pour les heures supplémentaires, des mesures visant à développer l’intéressement collectif ainsi qu’un plan de recrutement (voir infra). Les salariés du secteur privé bénéficieront également d’une revalorisation évaluée à 160 euros nets par mois.

– Un accord sur les médecins hospitaliers prévoit l’allocation d’une enveloppe de 450 millions d’euros pour ces professionnels. Cette somme a servi essentiellement à augmenter l’indemnité de « service public exclusif » versée à ces praticiens, à partir du 1er septembre. Une révision des grilles de salaires fusionne les trois premiers échelons et la création de trois échelons supplémentaires en fin de carrière.

– Des mesures spécifiques ont également été prises à destination des internes, des étudiants en médecine et en filières paramédicales. Une enveloppe de 200 millions d’euros est ainsi destinée à améliorer leurs indemnités ([246]).

– Pour répondre au manque de personnels apparu particulièrement préoccupant durant la crise, les accords de Ségur prévoient par ailleurs un plan de 15 000 recrutements, pour soutenir l’emploi hospitalier.

b.   Des investissements supplémentaires dans le système de soins

Au-delà des revalorisations salariales des professionnels de santé, dans le contexte de crise sanitaire que l’on sait, les accords du Ségur de la Santé prévoient un investissement important en faveur de l’ensemble du système de soins.

Alors que l’épidémie de Covid-19 a mis en lumière de façon critique les conséquences de la politique de réduction du nombre de lits à l’œuvre depuis plusieurs années (voir supra), les accords du Ségur de la Santé allouent 50 millions d’euros à la création de lits supplémentaires. Ceci permettra la création de 4 000 lits « à la demande » dans les hôpitaux.

Les accords du Ségur consacrent par ailleurs 6 milliards d’euros d’investissement dans le système de santé et médico-social (investissements, rénovations et équipements numériques pour les établissements de santé et les ESMS). Un effort financier important est également consacré pour soulager les établissements hospitaliers des importantes contraintes financières reposant sur eux. L’État s’est, en effet, engagé à la reprise de la dette hospitalière à hauteur de 13 milliards d’euros ([247]). Les accords de Ségur prévoient également différentes mesures relatives à la sortie d’un mode de financement des établissements de santé reposant entièrement sur la tarification à l’activité (T2A).

Parmi les engagements des accords de Ségur, figure également la simplification des organisations et du quotidien des équipes de santé et la mise en place de mesures de réforme de la gouvernance des hôpitaux. Plusieurs mesures sont prévues par la proposition de loi visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification ([248]), telles que la réintroduction du service hospitalier comme unité fonctionnelle et la restauration de la fonction de chef de service, l’expérimentation du regroupement de la commission médicale d’établissement et de la commission des soins, ou encore, l’ouverture du directoire des établissements de santé en rendant possible la participation de représentants des usagers et d’étudiants en santé.

Votre rapporteur soutient ces évolutions qui tendent à remédicaliser la gouvernance des hôpitaux à différents échelons (services et conférence médicale d’établissements notamment). Il insiste sur la nécessité de davantage rééquilibrer le partage des pouvoirs au sein de l’hôpital entre directeurs d’établissements et représentants des médecins, en renforçant de façon significative les pouvoirs de la conférence médicale d’établissement (CME).

Proposition : dans la lignée du Ségur de la santé, rééquilibrer le partage des pouvoirs à l’hôpital entre les directeurs d’établissements et les représentants du corps médical, en renforçant significativement les pouvoirs de la conférence médicale d’établissement (CME).

2.   Des tensions qui témoignent néanmoins de la persistance de problématiques structurelles

L’ampleur de la seconde vague d’épidémie de Covid-19 témoigne de la persistance de difficultés importantes, qui appellent la mise en place de réformes structurelles à même de rendre le système de santé plus robuste face aux risques épidémiques.

a.   La seconde vague épidémique place de nouveau l’hôpital en situation critique

Face à la montée en puissance de la seconde vague épidémique, les capacités d’accueil à l’hôpital et en services de réanimation sont soumises à de très fortes tensions.

À la date du 10 novembre 2020, 31 505 cas de Covid-19 étaient hospitalisés en France dont 4 750 en réanimation, atteignant dès lors des niveaux similaires à ceux observés durant la première vague. Contrairement à la première vague, l’épidémie touche aujourd’hui toutes les régions métropolitaines même si les régions actuellement les plus impactées sont l’Auvergne-Rhône-Alpes, les Hautsde-France, la Bourgogne-Franche-Comté, l’Île-de-France et Provence-Alpes-Côte d’Azur ([249]). Dans ces régions, les capacités d’accueil de patients en services de réanimation se trouvent une nouvelle fois en situation critique. Ces tensions très fortes ont donné lieu une nouvelle fois à des transferts de patients vers d’autres régions (voir I).

La mortalité liée à la Covid-19, qui était en net recul depuis le déconfinement a également de nouveau augmenté. 11 443 personnes sont décédées des suites de la maladie entre le 8 septembre et le 10 novembre ([250]).

b.   Le manque structurel de personnels soignants, demeure la principale limite à l’augmentation du nombre de lits de réanimation et de soins critiques

Dans le cadre de la seconde vague épidémique, le manque de personnels demeure le principal obstacle à la hausse du nombre de lits de réanimation et de soins critiques.

Certes, un nombre significatif de professionnels de santé ont suivi des formations à la suite de la première vague épidémique pour pouvoir intervenir en renfort des services les plus sous tensions, dans l’éventualité d’une reprise de l’épidémie. Le ministre des solidarités et de la santé, M. Olivier Véran, a annoncé le 4 novembre 2020 que plusieurs centaines d’infirmiers et d’aides-soignants ont ainsi été formées depuis cet été pour intervenir en renforts dans les services de réanimation. Ces mesures indispensables se heurtent toutefois à la durée des temps de formation. Comme l’a indiqué le ministre en charge de la santé lors de son audition : « on ne peut pas former de réanimateurs en trois ou six mois – c’est dix à douze ans qu’il faut ».

La plupart des établissements de santé rencontrent en effet des difficultés en termes de personnels soignants dans les spécialités les plus recherchées pour affronter la deuxième vague, telle que la réanimation.

Selon une enquête menée sur 3 000 établissements de santé par la Fédération Hospitalière de France (FHF) et publiée en novembre 2020, 80 % des établissements se trouvaient à cette date en « recherche active de renforcement de leurs effectifs » et la grande majorité d’entre eux rencontraient des difficultés pour ce faire.

Le manque de personnel spécialisé rend dès lors difficilement atteignable l’objectif de 12 000 lits de réanimation souvent avancé par le Gouvernement ([251]). L’augmentation du nombre de lits de réanimation a de nouveau été engagée pour répondre aux besoins issus de la reprise de l’épidémie. Alors qu’après la première vague épidémique, la France disposait de 5 800 lits de réanimation, ce chiffre était de 7 700 début novembre ([252]). La cible de 12 000 lits de réanimation n’a pas été reprise par le ministre lors de son audition, qui a évoqué un « prochain palier envisagé à 10 500 lits ». La note de recommandations d’organisation des réanimations en prévision d’une nouvelle vague de Covid-19 à destination des ARS et en date du 17 juillet, a rappelé que l’augmentation du nombre de lits « nécessite de nombreux effectifs supplémentaires en personnel qui ne sont pas présents directement et ne peuvent pas être disponibles sur tout le territoire national en même temps. ». Cette situation est d’autant plus préoccupante que la vague épidémique touchant cette fois l’ensemble du territoire national et rend plus difficile les transferts de soignants entre régions.

 


—  1  —

III.   les EHPAD et les services d’aide à domicile, les oubliÉS de la premiÈre vague de l’ÉpidÉmie

29 933 personnes sont décédées des suites de la Covid-19 entre le 1er mars et le 7 juillet, 14 081 d’entre elles, soit près de la moitié, étaient des résidents d’établissements d’hébergement pour personnes âgées (EHPA).

L’âge étant le premier facteur de risque (93 % des personnes décédées des suites de la COVID-19 sont âgées de 65 ans ou plus), l’hébergement collectif de ces personnes vulnérables en situation épidémique constitue un risque majeur. De fait, elles ont été les premières victimes de l’épidémie et les établissements qui les accueillent ont été particulièrement frappés par la première vague. Le contraste est pourtant marquant, entre la vulnérabilité particulière des personnes âgées à la maladie et le délai de déclenchement des premières mesures en direction des EHPA et des services à domicile.

Ce constat est d’ailleurs esquissé par le professeur Daniel Pittet dans le rapport qu’il a remis au Président de la République : « En l’état de ses investigations, la Mission ne peut encore se prononcer sur les conditions de prise en charge au sein du secteur médico-social (résidents d’établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes – EHPAD  et personnes porteuses de handicap). Des premières auditions, il ressort néanmoins que certains établissements se seraient trouvés initialement isolés et privés d’un soutien sanitaire adapté, avant que des mesures d’aide et de mise en réseau ne se mettent en place à l’initiative des agences régionales de santé (ARS) et des principaux établissements publics de santé. »

A.   une réponse qui a tardé à s’organiser malgré une situation critique

Les personnes âgées sont principalement prises en charge :

 dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées :

Les EHPAD, structures médicalisées qui accueillent des personnes âgées dépendantes. Établissements médico-sociaux, ils constituent les structures d’accueil pour personnes âgées les plus répandues. Il existe aujourd’hui 7 502 établissements accueillant environ 610 000 résidents ([253]). 50 % des EHPAD sont publics, 31 % privés à but non lucratif et 24 % privés à but lucratif ([254]). Ces établissements accueillent des personnes ayant des degrés d’autonomie très différents, d’autonomes à très dépendantes.

Les personnes âgées les plus autonomes peuvent être accueillies en établissements d’hébergement pour personnes âgées (EHPA([255]) (il en existe aujourd’hui 265) ou en résidences autonomies (il en existe aujourd’hui 2 294).

 à l’hôpital : les personnes âgées les plus dépendantes peuvent également être prises en charge dans les unités de soins de longue durée (USLD) des hôpitaux. 32 790 personnes étaient concernées fin 2015 ([256]).

 à domicile, avec un suivi : près de 886 000 personnes, dont la plupart sont des personnes âgées, font aujourd’hui l’objet d’une prise en charge à domicile. Les principaux services intervenant à domicile sont d’une part, les services de soins infirmiers à domicile (SSIAD) et les services polyvalents d’aide et de soins à domicile (SPASAD) qui prennent en charge 125 700 personnes et sont placés sous l’autorité des Agences Régionales de Santé et d’autre part, les services d’accompagnement et d’aide à domicile (SAAD) qui prennent en charge 760 000 personnes, sous l’autorité des conseils départementaux.

1.    Les résidents des établissements pour personnes âgées ont été les premières victimes de l’épidémie

Les établissements d’hébergement pour personnes âgées ont constitué des lieux propices à la propagation du virus et ont payé un lourd tribut à la crise.

a.   Ces établissements ont payé un très lourd tribut à la crise

L’hébergement collectif de personnes vulnérables en situation épidémique constitue de fait un risque majeur qui s’est malheureusement concrétisé par la forte propagation de l’épidémie de Covid-19 dans certains établissements dont les résidents, comme le personnel, ont été frappés de plein fouet dès le mois de mars avec des proportions de résidents touchés et malheureusement décédés parfois considérables ([257]).

Les contaminations en EHPA ([258])

(EHPAD et autres établissements-EHPA, résidences autonomes, résidences senior)

– du 1er mars au 22 novembre 2020, 12 202 signalements d’au moins un cas de Covid-19 biologiquement confirmé, ou non, ont été effectués par les EHPA. Au total, 96 059 cas de Covid-19 ont été comptabilisés parmi les résidents d’EHPA. L’impact de l’épidémie sur les établissements a été particulièrement fort dans certaines régions. Ainsi, 94 % des EHPAD ont été touchés pendant la première vague en Île-de-France, contre 47 % en Bretagne.

– sur la même période, 47 428 cas ont été comptabilisés parmi les professionnels travaillant au sein des EHPA ;

– les EHPAD constituent la collectivité pour laquelle la proportion de clusters critiques est la plus importante : du 9 mai au 8 novembre, 2 006 clusters ont été rapportés en EHPAD ([259]) .

Les résidents d’EHPA représentent environ la moitié de cas de décès intervenus en France dans le cadre de la première vague de Covid-19. Sur les 29 933 personnes décédées des suites de la Covid-19 du 1er mars au 7 juillet, 14 081 étaient ainsi des résidents d’EHPA ([260]).

Et, il faut le souligner, le nombre de décès parmi les résidents d’EHPA demeure important dans le cadre de la deuxième vague épidémique. À la date du 24 novembre, 7 563 décès supplémentaires étaient à déplorer depuis le 7 juillet parmi ces résidents, portant le nombre total de personnes décédées des suites de la Covid-19 et issues de ces établissements à 21 644 depuis le 1er mars sur un total de 50 237 décès comptabilisés sur la même période en France.

Durant la période la plus critique de la première vague épidémique, une surmortalité toutes causes confondues a été observée dans les établissements pour personnes âgées : du 1er mars au 30 avril, le nombre de décès dans ces établissements a augmenté de 52 %, par rapport à la même période en 2019. Cette surmortalité en EHPA a plus particulièrement touché deux régions : l’Île-de-France, où le nombre de décès a été multiplié par plus de trois par rapport à la même période l’année précédente et le Grand-Est, où ce nombre a été multiplié par deux ([261]) .

NOMBRE DE décès supplémentaires observés par lieu de décès du 1er mars au 30 AVRIL 2020, RAPPORTéS À L’ANNéE PRÉCÉDENTE

INSEE : nombre de décès quotidiens, France, régions et départements, 6 novembre 2020.

L’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) observe, par ailleurs, du 1er mars au 30 avril, une hausse de 32 %, des décès toutes causes confondues ayant eu lieu à domicile par rapport à la même période en 2019. Ces décès ont concerné pour 70 % d’entre eux, des personnes âgées de plus de 75 ans. Si la part liée à la Covid-19 est difficile à chiffrer pour l’heure, il est probable qu’une partie d’entre eux soit imputable aux suites de cette maladie.

b.   Un comptage des décès d’abord défaillant

Au vu de ce bilan, il est regrettable que la comptabilisation des décès dans les EHPA n’ait pas fait partie des premières données sur l’épidémie et on peut logiquement penser que cela a contribué au retard de prise de conscience de la gravité de la situation dans ces établissements.

Le nombre de personnes décédées de la Covid-19 dans les EHPA ne figurait en effet ni dans les points épidémiologiques de Santé publique France ni dans les points de situation réalisés quotidiennement par le directeur général de la santé. Ils n’ont été inclus dans le décompte des décès quotidien qu’à partir du 2 avril, à la suite de la mise en place d’un système de signalement des décès par les établissements.

Point sur la mise en place d’un système de signalement des décès liés à la Covid-19 auprès de Santé publique France (SPF)

– dès le 13 mars 2020, il a été demandé à tous les établissements de santé susceptibles de recevoir des patients diagnostiqués Covid-19 de rapporter chaque jour le nombre de nouveaux décès via une application développée pour le suivi intra-hospitalier des situations sanitaires exceptionnelles et activée dans le contexte de cette épidémie
(SI-VIC). Les établissements pour personnes âgées n’étaient pas inclus dans ce dispositif.

– à partir du 28 mars 2020, il a été demandé aux EHPA et plus largement, à l’ensemble des établissements médico-sociaux (EMS) d’indiquer quotidiennement à SPF, via un système de certification des décès, le nombre de décès associés à la Covid-19, qu’ils soient suspectés (clinique) ou confirmés (test PCR). Les établissements ont pu déclarer rétrospectivement les cas et les décès survenus entre le 1er et le 27 mars 2020.

Depuis 2007, les médecins peuvent également rédiger un certificat de décès par voie électronique à partir d’une application sécurisée. Les données issues des certificats électroniques de décès facilitent le suivi de l’épidémie et de la mortalité car elles permettent de disposer de façon réactive d’informations individuelles sur les personnes décédées (âge, sexe, lieu de décès, comorbidités). Le 30 mars 2020, il a été demandé à tous les établissements de santé, y compris les EHPAD, d’utiliser prioritairement la certification électronique des décès, en remplacement du certificat de décès papier.

Ce système permet aujourd’hui la transparence sur ce point.

Il faut toutefois préciser que la mortalité associée à la Covid-19 est susceptible d’avoir été légèrement surestimée. En effet, les décès déclarés dans les ESMS n’ont pas systématiquement fait l’objet d’une confirmation biologique d’infection par le virus du Covid-19. Dès lors qu’un foyer d’au moins un cas de Covid-19 était identifié dans un établissement, ce dernier déclarait quotidiennement, parmi d’autres indicateurs, le nombre de décès survenus dans l’établissement. En l’absence de tests PCR systématiques, certains décès déclarés ont donc pu être à tort attribués à la Covid-19.

L’expérience de la crise sanitaire plaide en faveur d’un renforcement de l’usage des certificats de décès électroniques, plus adaptés à la nécessité d’assurer un suivi réactif dans un contexte d’épidémie.

Alors qu’en 2018, seuls 8 % des décès intervenus dans les EHPA étaient signalés par certification électronique, contre environ 20 % ([262]) pour l’ensemble de la mortalité nationale début 2020, votre rapporteur appelle à accompagner plus particulièrement les EHPA dans le déploiement de cet outil.

Proposition : encourager le développement de la certification électronique des décès, en particulier dans les EHPA.

2.   Le retard dans l’accompagnement fourni aux EHPA et aux services à domicile pour lutter contre l’épidémie

a.   Le retard dans la prise de conscience de la gravité de la situation et dans les premières mesures

Le 6 mars, le ministre chargé de la santé déclenche le plan bleu, c’est-à-dire l’outil organisationnel des établissements pour la gestion d’une situation de crise. On peut trouver cette date précoce (les cas identifiés sur le territoire restent rares et le même jour le plan blanc est déclenché dans les hôpitaux), on peut aussi la trouver tardive. Ce n’est que début mars, soit 10 jours avant le confinement général de la population que sont décidées ces mesures de protection de personnes pourtant particulièrement vulnérables.

De fait, les semaines de mars ont été propices à la contagion en établissement avec 270 épisodes qui ont débuté en semaine 12 (du 16 au 22 mars) et 343 en semaine 13 (du 23 au 29 mars) ([263]). SpF note aussi que « des signalements antérieurs à la date de mise en œuvre de l’outil informatique ont été rapportés, dont certains remontent au 28 février 2020. »

Les représentants du secteur des EHPA entendus par la mission ont décrit une période « de flottement » jusqu’au 6 mars ([264]) et M. Frédéric Valletoux, président de la Fédération Hospitalière de France évoque, lors de son audition, une réponse « très clairement décalée dans le temps par rapport à la priorité portée d’abord, à l’appareil hospitalier et à l’appareil sanitaire. »

Or, durant ces premières semaines du mois de mars, certains EHPAD confrontés à la montée en puissance de l’épidémie ont dû mettre en place des mesures de protection de leurs résidents et de leur personnel. Cette absence de réaction a amené plusieurs représentants du secteur à interpeller le Gouvernement directement – une lettre signée par neuf acteurs du secteur a été adressée au ministre de la santé le 20 mars et à intervenir dans les médias, pour rappeler, selon les mots de M. Frédéric Valletoux ([265]) que les EHPA ne devaient pas constituer « l’angle mort de la prise en charge du Covid-19 par l’État. »

En effet, les premières recommandations diffusées aux établissements de santé pour la prise en charge de l’épidémie n’ont pas pris en compte la situation particulière des établissements pour personnes âgées. Le guide méthodologique de préparation au risque épidémique, publié le 20 février 2020 par le ministère de la santé ne mentionne par exemple pas le mot EHPA.

Les premières instructions ciblées pour ces établissements ont été adressées le 28 février puis le 5 mars, mais sont demeurées très sommaires. La fiche DGCS du 28 février n’évoque ainsi que la conduite à tenir envers les professionnels et les publics revenant ou arrivant de zones à risques, tandis que la fiche du 5 mars concerne principalement la tenue de gestes barrières et l’utilisation de masques dans les EHPAD, uniquement lorsqu’un résident est affecté par la Covid-19.

Le 11 mars des mesures de restriction des visites sont prises et le 13 mars, il est demandé aux établissements l’identification de secteurs dédiés pour la prise en charge des résidents atteints par la Covid. La première instruction complète sur la conduite à tenir dans les établissements sociaux et médico-sociaux au stade 3 de l’épidémie a été publiée le 20 mars par la DGCS ([266]).

Au-delà des EHPA, ce sont aussi les professionnels de l’aide à domicile qui ont pâti de ce retard dans la publication d’instructions sur les mesures à prendre pour lutter contre l’épidémie. La première fiche faisant l’objet de recommandations spécifiques pour les services d’aide à domicile n’a été publiée que le 2 avril ([267]). Jusqu’à cette date, les services à domicile n’ont pas reçu d’indication quant aux possibilités de réorganiser leurs activités et de prioriser leurs interventions, dans le contexte spécifique du confinement. Ce manque d’instruction a amené l’Union Nationale de l’aide, des Soins et des Services à domicile (UNA) à saisir la cellule de crise de la DGCS le 19 mars en soulignant « la nécessité que les services à domicile aient des informations plus précises sur les critères de priorisation des prestations et sur leur possibilité d’en annuler le cas échéant. »

b.   Des manques avérés en matériel de protection dans les établissements et les services d’aide à domicile

Pendant les premières semaines de mars des pénuries ont été constatées pour équiper les malades et les personnels de ces établissements.

i.   Un manque d’approvisionnement en équipements de protection individuelle et en particulier en masques

La lettre adressée au ministre des solidarités et de la santé le 20 mars ([268]) par les principaux représentants du secteur alerte sur le nombre très insuffisant de masques disponibles dans les établissements pour personnes âgées.

Le communiqué du 13 mars du ministère des solidarités et de la santé prévoit pourtant que pour les EHPAD, les structures médico-sociales accueillant des personnes fragiles (notamment les personnes en situation de handicap) et les sites régionaux identifiés pour accueillir des patients COVID-19 sans domicile ne relevant pas d’une hospitalisation : « en cas d’apparition de symptômes chez des résidents, les structures devront identifier un secteur dédié pour la prise en charge des patients COVID-19. Au sein de ces secteurs, le personnel aura à sa disposition des masques chirurgicaux. » ([269])

L’aide apportée aux établissements en termes de mise à disposition de matériels de protection et de capacités de dépistage ne s’est pourtant traduite que progressivement au cours du mois de mars.

Ce problème est particulièrement aigu dans la mesure où, d’une part, les personnes âgées sont une cible extrêmement vulnérable au risque d’infection au coronavirus Sars-CoV-2, et d’autre part l’hébergement en établissement réunit toutes les conditions pour qu’un virus fortement contagieux et se présentant sous des formes cliniques atypiques y entraîne des catastrophes.

Certains établissements ont pu constituer des stocks de masques, notamment en prévision des épidémies de grippe saisonnière et de gastro-entérite et tous les établissements ne se sont pas trouvés dans la même situation, certains établissements privés disposant, contrairement aux établissements publics, d’EPI en quantité suffisante ([270]). Cela n’a néanmoins pas exclu des situations tendues, même dans ce secteur, décrites par la présidente du Syndicat national des établissements et résidences privés pour personnes âgées, Mme Florence Arnaïz-Maumé : « Dans les quinze premiers jours, on se les arrache littéralement, parce que tout le monde a peur d’en manquer (…) Nous avons vécu trois semaines de vols de masques et de violence entre des directions qui comptaient les masques et le personnel qui en voulait davantage. »

Les représentants du SYNERPA décrivent une situation très anxiogène liée à la crainte d’une pénurie d’équipements de protection, marquée par des tensions parfois très importantes entre les directions et les personnels des établissements et ce d’autant plus que la réquisition des masques en date du 3 mars empêchait les établissements de s’en procurer. Les directeurs d’établissements ont parfois été contraints de réduire les horaires de travail de leurs personnels pour limiter l’utilisation de masques, alors même que la situation épidémique devenait de plus en plus critique.

Au-delà des tensions liées à la crainte de la pénurie, le retard de mise à disposition des masques durant les premières semaines dans les EHPA n’a pu que contribuer à la propagation du virus dans les établissements. L’extension très rapide du nombre de cas dans certains d’entre eux a été, en effet, dans la très grande majorité des cas, consécutive à la transmission virale d’un soignant asymptomatique.

À la suite de cette interpellation ([271]), le ministre chargé de la santé a annoncé le 21 mars, la distribution dans les EHPA de 500 000 masques chirurgicaux par jour. Une distribution de masques à grande échelle a été mise en place à partir du 22 mars et a permis d’apaiser les tensions rencontrées dans le secteur de la prise en charge des personnes âgées.

Mais le problème ne s’est pas limité aux masques comme le signale Mme Odile Reynaud-Levy, vice-présidente de l’Association nationale des médecins coordonnateurs et du secteur médico-social : « Nous avons d’autant plus déploré l’absence de surblouses, de lunettes de protection et de masques FFP2, qu’il nous a été demandé de créer des unités Covid-19 destinées à héberger les patients atteints, lesquels présentaient les mêmes risques de transmission aux autres résidents et au personnel soignant qu’à l’hôpital. »

ii.   Les services d’aide à domicile ont particulièrement pâti de ce manque

L’accès aux équipements de protection individuelle a été encore plus difficile pour les services d’aide à domicile, qui n’ont pas été intégrés dans le circuit de distribution des masques mis en place au sein des groupements hospitaliers de territoire (GHT). En effet, comme l’a rappelé M. Éric Fregona, directeur adjoint de l’Association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA) lors de son audition, ces services ne sont pas financés par les ARS et devaient s’approvisionner en EPI au sein des officines, sans bénéficier du circuit mis en place pour les établissements de santé.

Or, l’approvisionnement par les pharmacies d’officine a généré d’importantes difficultés. Une communication adressée le 18 mars par l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine à ses adhérents a par exemple invité à restreindre la distribution de masques aux services d’aide à domicile, pour les interventions auprès de personnes atteintes du Covid-19 ou suspectées d’avoir contracté la maladie.

L’Union Nationale de l’aide, des Soins et des Services à domicile (UNA), regrette ainsi que de nombreuses pharmacies aient refusé de délivrer des masques aux personnels de l’aide à domicile, parce qu’elles n’en avaient pas suffisamment ou parce qu’elles estimaient ne pas devoir considérer les intervenants à domicile comme prioritaires ([272]). Ces refus apparaissaient pourtant en contradiction avec l’arrêté du 16 mars relatif au circuit de distribution qui a inclus les services à domicile dans la liste de professionnels pouvant faire l’objet d’une distribution de masques.

En dehors d’initiatives organisées par les départements qui ont fourni localement des équipements (appels aux dons de la part des entreprises par exemple), la situation relative à l’accès aux EPI pour les services d’aide à domicile ne s’est ainsi améliorée qu’à partir du 27 mars, date à laquelle ces services ont été intégrés dans le circuit de distribution des masques par les ARS/GHT. Pendant un quart, voire un tiers de la crise sanitaire du printemps, de nombreux professionnels ont été amenés à prendre des risques importants en travaillant sans masques.

Cette situation a fait l’objet de poursuites judiciaires, alors que le secteur considère ne pas avoir été en mesure de fournir les équipements de protection nécessaires à la continuité des interventions. Saisi par l’inspection du travail pour un cas de mise en danger de salariés d’une association d’aide à domicile, le tribunal judiciaire de Lille du 3 avril ([273]) a ainsi rappelé l’obligation de prévention des risques biologiques prévue par le code du travail et s’appliquant à l’ensemble des services d’aide à domicile.

c.   Un recours aux tests diagnostiques dans les EHPA qui aurait dû être dès le début prioritaire

En raison de la non-disponibilité de capacités de dépistage en nombre suffisant dans la première période de la crise sanitaire et alors que les EHPA auraient dû être prioritaires en raison de la vulnérabilité particulière des personnes âgées, le recours aux tests dans ces établissements a d’abord été limité.

● Au moment du passage au stade 3 de l’épidémie, les directives adressées aux EHPA recommandaient, en effet, de faire un usage restreint des tests au sein des établissements. Le MINSANTE du 13 mars 2020 prévoyait ainsi que les individus présentant un tableau clinique évocateur du Covid-19 n’étaient systématiquement testés qu’en amont d’une hospitalisation du fait de ces symptômes et à partir de deux cas suspects dans les EHPAD ([274]) .

Cet accès limité aux capacités de dépistage n’a pas permis d’identifier précisément les cas de Covid-19 parmi les résidents et les personnels d’EHPA. Comme l’a indiqué M. Éric Frégona, directeur adjoint de l’Association des directeurs au service des personnes âgées, lors de son audition : « les tests sont arrivés trop tard. Il est évident que si nous avions pu tester plus tôt, nous aurions pu organiser un confinement plus ciblé. Sans doute n’avons-nous pas repéré, au début, les bons symptômes de la Covid-19 et certaines personnes ont-elles été isolées alors qu’elles n’auraient pas dû l’être. Lorsqu’elles ont été testées, ensuite, et qu’elles ont été diagnostiquées positives, il a fallu les confiner à nouveau dans des chambres qui, en moyenne, font 20 mètres carrés. (…) Nous avons toujours dit qu’il fallait tester tout le monde, et pas seulement les premiers cas déclarés. »

● La reconnaissance des personnels et des résidents des EHPA comme prioritaires pour l’accès aux tests, n’est intervenue que le 9 avril, donc tardivement, au regard de la période du pic de propagation de l’épidémie (de mi‑mars à début avril), à la suite de la publication de l’avis du Haut Conseil de la Santé Publique (HCSP) du 8 avril.

Des équipes mobiles de dépistage ont alors été montées sous la coordination des ARS en lien étroit avec les collectivités territoriales concernées pour faciliter la réalisation de ces tests dans les établissements médico-sociaux.

En un mois, entre le 7 avril et le 10 mai, près de 300 000 tests ont été réalisés en EHPAD, dont plus de la moitié chez les résidents. Le recours aux tests s’est poursuivi au mois de juin. Du 7 avril au 10 juin, 344 000 personnes avaient fait l’objet d’un test au sein des EHPA, dont 186 000 résidents  sur un total de 600 000  et 158 000 personnels de ces établissements.

Doctrine d’utilisation prioritaire des tests virologiques RT-PCR,
selon l’instruction du 9 avril

L’instruction identifie deux situations devant faire l’objet d’une réponse différente :

Les établissements sans cas de Covid-19 connus :

-          S’agissant des personnels de l’établissement : tout professionnel présentant des symptômes évocateurs de Covid-19 doit être isolé et testé par un test RT-PCR. Si un premier cas est identifié parmi ces personnels, l’ensemble des personnels doivent bénéficier d’un test par RT-PCR.

-          S’agissant des résidents : il est recommandé de tester le premier résident symptomatique dès l’apparition de symptômes évocateurs de Covid-19. Dans l’éventualité où le cas serait confirmé, l’ensemble des personnels de santé ou personnels des structures médico-sociales de l’établissement devront bénéficier d’un test.

Les établissements avec cas Covid-19 connus :

-          Il est recommandé de tester les trois premiers patients dans le cadre de l’exploration d’un foyer de cas possibles au sein de l’EHPA ;

-          Tous les professionnels doivent être testés dès l’apparition des symptômes évocateurs de Covid-19.

L’instruction du 9 avril n’a toutefois pas préconisé de dépister les personnels et résidents d’établissements dans lesquels aucun cas de Covid-19 n’est suspecté, il ne s’agit donc pas d’un dépistage généralisé.

Certains représentants du secteur des EHPA ont critiqué la recommandation qui visait à cesser les opérations de dépistage lorsque trois résidents de l’établissement étaient déclarés positifs ([275]). Cette règle n’a pas permis aux établissements de détecter précisément les résidents atteints par la maladie. Elle est apparue d’autant moins adaptée que les personnes âgées ont tendance à développer des symptômes atypiques qui n’ont pas tout de suite été identifiés comme ceux de la Covid-19.

● À partir du 6 mai, un dépistage plus large dans les EHPA est préconisé et rendu possible par le renforcement des capacités de dépistage au niveau national, dans le contexte de la préparation du déconfinement. Ce n’est qu’à cette date que toutes les personnes présentant des symptômes évocateurs de la Covid-19 ainsi que tous les cas contacts confirmés dans les établissements doivent pouvoir procéder à un test PCR.

*

Les protocoles et recommandations diffusés à la suite du déconfinement montrent que des leçons ont été tirées de la première vague épidémique, le caractère prioritaire des EHPA étant à présent pleinement reconnu dans la doctrine de dépistage élaborée au niveau national.

À cet égard, la reprise de l’épidémie a conduit à renforcer les mesures de prévention pour ces établissements.

Protocole relatif au renforcement des mesures de prévention et de protection
des établissements médico-sociaux accompagnant des personnes à risque
de forme grave de Covid-19, en cas de dégradation de la situation épidémique

13 août 2020

Ce protocole a élargi les indications de dépistage en prévoyant qu’en cas de dégradation de la situation épidémique, un test devait systématiquement être proposé :

– aux résidents ou salariés présentant le moindre symptôme évocateur ;

– aux nouveaux professionnels permanents et temporaires intervenants ;

– aux professionnels de l’établissement au retour des congés ;

– et aux personnes demandant une admission en établissement.

Dans le cadre de l’actualisation de la doctrine de priorisation des tests tester/tracer/isoler, du 16 septembre, les professionnels de santé comme les professionnels d’ESMS doivent par ailleurs pouvoir disposer d’un test et obtenir les résultats dans les 24 heures dans le cas d’une suspicion de Covid-19.

Dans le contexte de la montée en puissance d’une seconde vague épidémique et dans l’éventualité de crises sanitaires futures, votre rapporteur appelle à rendre les EHPA et les services d’aide à domicile prioritaires dans l’accès aux EPI et aux capacités de dépistage.

3.   Des consignes complexes à mettre en place dans les établissements

Parfois inadaptées à la réalité des établissements et en tout cas difficiles à mettre en place, les directives adressées aux EHPA pour lutter contre l’épidémie ont posé d’importantes questions éthiques.

a.   Des directives évolutives et parfois inadaptées à la situation des établissements et de leurs résidents

● Les protocoles sanitaires transmis aux EHPA pour lutter contre la prolifération de l’épidémie en leur sein ont été particulièrement complexes à mettre en place dans les établissements.

En cas d’apparition d’un cas suspect ou confirmé de Covid-19 dans un établissement, la fiche de recommandations transmises aux ESMS le 20 mars ([276]) préconisait ainsi la structuration d’un secteur dédié et isolé pour les résidents concernés et si le bâtiment ne le permet pas, l’organisation d’un confinement des résidents en chambre. Ces directives se sont néanmoins heurtées à la réalité d’organisation des établissements. L’architecture des bâtiments ne se prêtait souvent pas, par exemple, à la création d’unités covid. L’isolement des malades est apparu par ailleurs difficile à envisager dans de nombreux EHPA proposant des chambres doubles à leurs résidents.

Principales évolutions des consignes relatives au confinement et à l’organisation des visites dans les EHPA

-          Email d’information DGCS du 7 mars : sur l’ensemble du territoire, les visites sont fortement déconseillées (sauf cas exceptionnels déterminés avec la direction de l’établissement en lien avec l’ARS).

-          Protocole du 11 mars : suspension des visites. Dans les EHPAD et les USLD, « l’intégralité des visites de personnes extérieures à l’établissement est suspendue ». Dans les résidences autonomie, « les visites sont fortement déconseillées ».

-          Conférence de presse du 20 avril : annonce de la reprise très limitée et encadrée des visites (à la demande du résident, deux personnes maximum, sans contact physique, conditions définies par les directions).

-          Communiqué de presse du 1er juin annonçant la reprise progressive des visites (qui demeurent néanmoins encadrées : les visites sont permises uniquement sur rendez-vous, avec signature d’une charte de bonne conduite).

-          Protocole du 16 juin ([277]) : obligation d’établir au plus tard le 22 juin 2020, des plans de retour progressif à la « normale » avec reprise des visites « normales », c’est-à-dire sans critère particulier du type prise de rendez-vous (si les établissements n’ont plus de cas Covid), reprise des activités collectives et de la vie sociale de l’établissement, la fin du confinement en chambre sauf exception et la reprise de l’ensemble des admissions en hébergement permanent.

-          Protocole du 11 août 2020 ([278]) : face à la reprise de la situation épidémique dans certains territoires, diffusion d’un nouveau protocole prévoyant notamment que les EHPAD doivent anticiper les mesures de limitation de la circulation et d’encadrement des visites, des sorties, des admissions et du fonctionnement des accueils de jour, à prendre en cas d’aggravation de la situation épidémique.

-          Le 1er octobre, un « plan de lutte contre l’épidémie de Covid-19 dans les ESMS hébergeant des personnes à risque de forme grave de Covid-19 » est diffusé. Ce plan prévoit des mesures de protection nationales renforcées dans tous les ESMS hébergeant des personnes à risque. Il rappelle que le principe général est d’éviter au maximum le confinement en chambre en le limitant à des situations exceptionnelles et que le principe général est de « maintenir le lien avec les proches et éviter les ruptures d’accompagnement médical et paramédical en conservant les visites des professionnels libéraux nécessaires au projet de soin et des bénévoles participant au projet de soin ».

Au-delà de la complexité de mise en œuvre des protocoles, le caractère évolutif des directives adressées aux EHPA a constitué une difficulté supplémentaire.

Les représentants du secteur ont critiqué le manque de concertation dans la prise de décision ([279]) et la difficulté d’avoir à adapter dans l’urgence, les mesures d’organisation de la vie des établissements aux dernières directives.

Cela a été particulièrement le cas des décisions relatives au confinement et aux visites des familles auxquels les établissements ont été peu associés. La reprise des visites a été décrite comme particulièrement complexe pour les établissements qui ont dû mettre en place dans des délais très courts, les conditions permettant aux personnes extérieures de venir voir leurs proches en établissements dans le respect des consignes sanitaires. Comme l’a indiqué M. Éric Frégona lors de son audition « il a été très difficile pour les professionnels d’organiser du jour au lendemain le confinement ou le déconfinement au sein des établissements, et cela a créé des tensions palpables entre les professionnels, les résidents et les familles. »

La gestion des décès s’est avérée particulièrement complexe, tant en raison de la spécificité de la procédure mortuaire exigée dans le contexte sanitaire, qu’en raison de l’évolution constante des directives adressées aux établissements qui ont donné l’impression d’un grand désordre sur un sujet pourtant très délicat. Les directives relatives à la durée avant mise en bière, à la possibilité de procéder à des soins mortuaires ou encore à la présence des familles ont fait l’objet de nombreux ajustements ([280]), rendant particulièrement difficile le suivi des procédures pour les établissements.

b.   Des décisions qui ont posé des questions éthiques importantes

Si les décisions relatives à l’isolement des résidents et à l’interdiction des visites ont été assumées par le Gouvernement comme un « mal nécessaire » pour préserver la vie des personnes âgées dans les établissements – le ministre de la santé a évoqué « des choix difficiles, lourds, souvent faits dans l’urgence ([281]) » –  elles ont néanmoins soulevé d’importantes questions éthiques et ont souvent été très mal vécues par les familles.

 Le confinement des établissements et l’isolement en chambre ont été très difficiles à instaurer dans les établissements. Comme l’a rappelé le Conseil scientifique dans son avis du 30 mars ([282]), le confinement individuel conduit en effet à priver les résidents « de ce qui fait souvent le sens de leur existence (échanges, promenades en plein air) ». Imposer l’isolement en chambre aux personnes atteintes de maladies neuro-dégénératives et qui par conséquent, ne comprenaient pas la portée de cette mesure a suscité de nombreux dilemmes chez les directeurs d’établissements. Saisi le 25 mars par le ministère des solidarités et de la santé, le Comité national consultatif d’éthique a formulé dans un avis du 30 mars ([283]), des réserves sur cette pratique. Il a ainsi rappelé que les mesures de santé publique et de confinement « reposent sur le principe de la compréhension, par chacun, de ces dynamiques de solidarité et que par conséquent, s’agissant des personnes atteintes de troubles cognitifs, toute mesure de contrainte forte doit être « le fruit d’une discussion préalable, interdisciplinaire et collégiale, associant des échanges avec des personnes extérieures à l’institution, comme les professionnels des équipes mobiles de gériatrie, ainsi que les proches. »

● L’interdiction des visites extérieures décidée brutalement a aussi constitué une épreuve pour les résidents et leurs proches. Les représentants du secteur des EHPA ont ainsi évoqué une décision de confinement prise du jour pour le lendemain, qui a laissé très peu de temps aux familles. L’interdiction a pu parfois briser des liens affectifs qui n’ont pas pu se rétablir, par exemple dans le cas de personnes atteintes par la maladie d’Alzheimer qui ne reconnaissaient plus leurs proches à la suite de la période de confinement. En conformité avec l’avis du Conseil scientifique du 20 avril ([284]), qui a préconisé la nécessité de trouver de façon urgente « des moyens de liaisons sociales entre les résidents et leur famille », les visites extérieures ont été à nouveau autorisées à partir du 20 avril (voir supra). Le protocole diffusé le 1er octobre (voir supra) qui rappelle que le principe général demeure celui d’un maintien du lien avec les proches, témoigne de la prise de conscience des effets délétères de l’isolement pour les résidents.

● De manière générale, toutes les mesures de restriction de la vie sociale retentissent avec force sur le quotidien des résidents et l’exercice de leur métier par les personnels. Les activités collectives habituellement essentielles pour la stimulation tant physique que psychique des résidents ont été interrompues. Au-delà des difficultés d’organisation importantes qu’elle a pu susciter, la systématisation des repas en chambre a été souvent néfaste pour de nombreuses personnes âgées, dans la mesure où les conditions souvent nécessaires à leur alimentation – dimension sociale du repas, effet d’entraînement de groupe– n’étaient plus réunies.

● Si l’effet des mesures de confinement sur la santé des résidents ne peut aujourd’hui, par manque de recul, être mesuré, les représentants du secteur des EHPA ont évoqué des phénomènes de décompensations liés au confinement et à l’isolement. Les résidents ont par exemple souffert de l’annulation d’interventions de professionnels de soins considérés comme non essentiels comme les podologues ou les kinésithérapeutes. Des situations d’aggravation de la perte d’autonomie au cours de la période de confinement, souvent désignées sous le qualificatif de « syndromes de glissement », ont également été rapportées : phénomènes de dénutrition des personnes âgées et perte d’appétit liés à des syndromes dépressifs ([285]) ; existence de « décès collatéraux », liés à une dégradation très importante de l’état des patients à la suite de la réduction de leurs lieux sociaux et affectifs ([286]).

Dans ce contexte, votre rapporteur appelle à s’appuyer davantage sur la démocratie médico - sociale et en particulier, sur le conseil de la vie sociale pour la prise de décisions ayant des conséquences importantes pour les résidents et les familles. Il appelle par ailleurs à informer les établissements plus en amont des mesures décidées au niveau national afin de faciliter leur mise en place sur le terrain.

Proposition : associer davantage le conseil de la vie sociale dans la prise de décisions ayant des conséquences pour les résidents et les familles y compris dans la gestion de crise.

Proposition : informer les établissements plus en amont de la mise en place de nouvelles mesures.

B.   L’INSUFFISANTE MÉDICALISATION DES EHPAD DANS UN CONTEXTE DE CRISE SANITAIRE

Confrontés à un manque de matériel et de personnel, les EHPAD ont rencontré d’importantes difficultés dans la prise en charge des personnes atteintes de la Covid-19. Si la mise en place d’un lien plus étroit avec le système de santé a permis d’améliorer leur situation, la crise sanitaire a mis en lumière les limites du modèle des EHPAD, confrontés à un public de plus en plus dépendant tout en étant insuffisamment médicalisés.

1.   Une prise en charge complexe des malades de la Covid-19 en établissement

a.   Des établissements insuffisamment médicalisés pour prendre en charge les patients Covid

Le maintien d’un nombre important de malades de la Covid-19 dans les établissements a constitué un véritable défi pour les EHPAD. Dans les unités Covid créées dans les établissements en particulier, la prise en charge des résidents a pu s’apparenter à une prise en charge hospitalière, sans que les EHPAD ne disposent des moyens de l’hôpital.

En particulier, les représentants du secteur ont insisté sur le manque de matériel adapté pour les patients nécessitant une oxygénothérapie. Mme Odile Reynaud-Levy, a souligné cette difficulté à l’occasion de son audition : « comment prendre en charge correctement ceux des résidents atteints qui doivent bénéficier, dans le cadre d’une oxygénothérapie, d’un débit supérieur à dix litres par minute lorsqu’il est très difficile d’obtenir des extracteurs d’oxygène et que la majorité des EHPAD sont dans l’incapacité de fournir des débits supérieurs à 5 litres par minute ? »

La prise en charge des malades au sein des EHPA a par ailleurs contribué à la propagation de la maladie, dans la mesure où la mise en place d’unités covid délimitant strictement les espaces propices à la contamination est apparue particulièrement complexe (voir supra).

Le manque de personnel a accru ces difficultés. Les protocoles adressés aux ESMS préconisaient notamment de consacrer un personnel renforcé de jour et de nuit dans les unités « dédiées » Covid-19. Or, ces directives se sont heurtées au à la sous-dotation structurelle de ces établissements en personnels soignants (voir infra), renforcée en phase d’épidémie par des intervenants eux-mêmes malades ou à l’isolement. Lors de son audition, Mme Annabelle Vêques-Malnou, directrice de la Fédération nationale des associations de directeurs d’établissements et de services pour personnes âgées (FNADEPA) a décrit cette situation : « Compte tenu des difficultés d’accès aux tests au début de la crise, les professionnels présentant des signes ont été mis en quatorzaine et chaque directeur se demandait comment il allait pouvoir faire face aux arrêts maladie. »

Dans ce contexte, la prise en charge des personnes en fin de vie s’est parfois déroulée dans des conditions extrêmement difficiles pour les personnels. Des aides-soignants ont pu être confrontés à la prise en charge de détresses respiratoires alors même qu’il n’y avait pas de médecin ou d’infirmière de nuit dans l’établissement. Des témoignages évoqués lors des auditions ont par ailleurs fait état de situations dans lesquelles les infirmiers et les aides-soignants ont dû prendre seuls la décision de déclenchement d’un protocole palliatif, notamment dans les établissements ne disposant pas de médecin coordonnateur ([287]). Si ces situations sont signalées de manière ponctuelle et durant une période limitée, elles témoignent cependant de la situation de tension extrême à laquelle ont été confrontés certains EHPAD lors du pic de l’épidémie.

b.   La mise en place, à partir de la fin mars, d’astreintes gériatriques et d’équipes mobiles de gériatrie pour soulager les établissements

De nouvelles consignes ont été adressées aux ARS le 30 mars ([288]) afin de développer les liens entre les EHPAD et le secteur sanitaire et d’apporter une aide à ces établissements dans la prise en charge des personnes atteintes par la Covid-19.

Deux outils principaux ont été développés qui révèlent, en creux, les besoins persistants de ce secteur :

– le déploiement de lignes d’astreintes gériatriques sur l’ensemble des territoires, afin de fournir une aide et un appui médical aux personnels des établissements. Ces astreintes ont permis aux médecins coordonnateurs de ne pas être seuls face à certaines décisions et d’avoir un accès privilégié à un travail d’équipe. Elles ont été organisées pour pouvoir être joignables par téléphone et par mail tous les jours de 8 heures à 19 heures. Au total, 253 astreintes ont été développées sur les territoires, couvrant pratiquement tous les EHPAD. 56 % des astreintes ont par ailleurs été étendues aux services d’aide à domicile ([289]) ;

– la constitution d’équipes mobiles de gériatrie et de soins palliatifs. Ces équipes composées de professionnels hospitaliers peuvent se rendre dans les EHPAD à la demande des médecins coordonnateurs pour les appuyer dans la prise en charge et le choix de traitements adaptés pour les personnes atteintes de formes sévères de la Covid-19. Elles permettent de soulager le personnel soignant des établissements, notamment face aux prises en charge complexes, soulevant des questions cliniques, thérapeutiques ou éthiques.

Votre rapporteur appelle à pérenniser le système d’astreintes gériatriques pour accompagner les personnels des EHPA dans la prise en charge des résidents. Il insiste également sur la nécessité de poursuivre le renforcement du lien entre les EHPA et les équipes mobiles de gériatrie et les équipes de soins palliatifs. Il invite aussi à renforcer la coopération entre les EHPA et l’hospitalisation à domicile (HAD) qui a fait défaut durant la crise.

Proposition : pérenniser le dispositif des astreintes gériatriques (hotlines) et soutenir la mobilisation des équipes mobiles de gériatrie et les équipes mobiles de soins palliatifs dans les EHPAD.

Proposition : renforcer le lien entre les EHPA et les services d’hospitalisation à domicile.

2.   La crise a mis en lumière les limites du modèle des EHPAD

a.   Vers la fin d’un modèle ?

La crise liée à l’épidémie de Covid-19 a mis, une nouvelle fois, en lumière l’ambiguïté croissante de la nature des EHPAD, à la fois lieux d’hébergement et de vie, mais également lieux de soins.

● Les EHPAD font face à un public de plus en plus dépendant. Aujourd’hui, ces résidents souffrent en moyenne de huit pathologies et pour plus d’un tiers d’entre eux, d’une maladie neuro-dégénérative. L’âge d’entrée en établissement des résidents est en moyenne de 85 ans. La prise en charge d’un public de moins en moins autonome dans les établissements résulte, en partie, de la fermeture de places disponibles dans les unités de soins de longue durée (USLD) à l’hôpital. En dix ans (2006-2016), plus de la moitié des lits en USLD accueillant des personnes très dépendantes et dont l’état nécessite une surveillance médicale importante a été convertie en places en EHPAD.

Malgré les besoins croissants suscités par ce public de plus en plus dépendant, les EHPAD rencontrent des difficultés de recrutement très importantes, liées au manque d’attractivité des métiers du secteur de la personne âgée et ne disposent ni des matériels, ni des compétences disponibles à l’hôpital.

Un quart d’entre eux, ne disposent par exemple pas de médecin coordonnateur. Alors que les EHPAD accueillent aujourd’hui des résidents au profil similaire des personnes prises en charge au sein des USLD, le taux d’encadrement y est bien plus faible ([290]).

b.   La nécessité d’une plus grande médicalisation de ces établissements

Les leçons tirées de la crise font de la réforme de la filière gériatrique une priorité absolue, afin de faire face aux enjeux du vieillissement et répondre aux difficultés structurelles des établissements pour personnes âgées, notamment en termes de personnels soignants.

Au-delà de la mise en place des primes et des revalorisations salariales visant à reconnaître le rôle joué par ces professionnels durant la crise, les métiers du secteur de la personne âgée doivent ainsi faire l’objet d’une véritable reconsidération (évolution du statut, conditions de travail, augmentation des effectifs) ne serait-ce que pour faciliter les recrutements.

Point sur les primes accordées aux personnels des EHPA à la suite de la première vague épidémique

À l’instar de la prime exceptionnelle versée aux personnels hospitaliers et afin de récompenser l’effort des personnels particulièrement mobilisés dans le cadre de la lutte contre l’épidémie de Covid-19, une prime exceptionnelle prévue à l’article 11 de la loi du 25 avril 2020 de finances rectificatives pour 2020 a été versée aux professionnels des établissements publics sociaux et médico-sociaux, dont ceux prenant en charge les personnes âgées, aux personnels des unités de soins de longue durée et à ceux des EHPAD. Cette prime est de 1 500 euros pour les agents exerçant dans un établissement situé dans l’un des 40 départements les plus touchés par l’épidémie et de 1 000 euros pour les personnels des autres départements.

Le Président de la République a par ailleurs annoncé le 4 août, la mobilisation d’une aide exceptionnelle de l’État en débloquant une enveloppe de 80 millions d’euros, calculée pour permettre le versement de primes de 1 000 euros au prorata du temps de travail des personnels des services d’aide et d’accompagnement à domicile (SSAD) avec une contribution au moins équivalente des départements. Les personnels des SAAD avaient en effet été exclus du dispositif de primes accordé aux professionnels des EHPAD (voir supra). Cette prime ne concerne néanmoins pas les salariés employés directement par les particuliers, comme les assistants de vie en emploi à domicile.

À ces primes, se sont ajoutées les revalorisations à la hauteur d’un peu plus de 200 euros ([291]) nets par mois, des salaires des personnels paramédicaux au sein des EHPAD publics et privés non-lucratifs (revalorisation de 163 euros pour les EHPAD privés lucratifs annoncée dans les accords du Ségur de la Santé – voir partie sur le système de soins).

Plus globalement, la crise a mis en lumière l’impératif d’une médicalisation croissante des EHPAD pour répondre au défi du vieillissement de la population et de l’arrivée de résidents atteints de pathologies de plus en plus nombreuses.

Alors que les rapprochements entre les EHPAD et le système de santé ont permis de pallier les difficultés structurelles rencontrées par les EHPAD pour faire face à la crise sanitaire, votre rapporteur appelle à aller plus loin et à rattacher chaque EHPAD à un établissement de santé, public ou privé.

 

Proposition : revoir en profondeur le modèle des établissements pour personnes âgées dans le cadre de la loi sur le grand âge et renforcer la prise en charge des résidents d’EHPAD, en organisant le rattachement de ces établissements à un établissement de santé, qu’il soit public ou privé.

 


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PROPOSITIONS

Anticipation

  1. Reprendre les exercices de crise de type « pandémie » à un rythme régulier ; le cas échéant, ne procéder qu’à des exercices partiels sur certains aspects du plan.
  2. Élaborer un plan « pandémie » générique, non uniquement grippale, adapté à une plus large variété de situations et mobilisable rapidement, faisant l’objet d’actualisations régulières ; lui conférer un volet capacitaire établissant les ressources critiques nécessaires et leur volumétrie, en équipements et en ressources humaines.
  3. Instituer un ministre délégué, placé auprès du Premier ministre, chargé de l’anticipation des crises, sanitaires ou d’une autre nature, disposant des services du SGDSN et de la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises et responsable :

– de l’organisation de la planification de la réponse aux différents risques ;

– de l’élaboration de la liste des produits, équipements et services devant figurer dans le stock stratégique, reconnus comme produits, équipements et services d’importance vitale, ainsi que le contrôle de ces stocks stratégiques.

– de l’organisation de la formation à la gestion de crise et la diffusion d’une culture de prévention des risques dans la société ;

– de la coordination des politiques de relocalisation des filières de production des équipements, produits et services d’importance vitale, celles-ci devant permettre de couvrir a minima 50 % des besoins nationaux en temps de crise.

 

Stocks stratégiques et logistiques

  1. Redéfinir la liste des produits et équipements devant figurer dans les stocks stratégiques et leur dimensionnement sous l’autorité du ministre délégué chargé de l’anticipation des crises ; clarifier la doctrine d’emploi des stocks stratégiques en matière de santé et l’étendre explicitement à la protection des personnels de santé en cas de crise sanitaire majeure (pandémique ou autre) ; informer les différents acteurs de leurs responsabilités dans la constitution de stocks tactiques ou de stocks de sécurité le cas échéant et contrôler à échéances régulières la constitution effective de ces stocks.
  2. Mettre fin à la doctrine du stock « tampon » pour instaurer un véritable stock « tournant », dans lequel les commandes sont lissées en fonction de la durée de validité des produits et les produits arrivant à péremption distribués aux établissements de santé, tout en maintenant un stock minimal élevé (un milliard de masques chirurgicaux).
  3. Formaliser dans le cadre de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale un débat sur le volume et l’état des stocks stratégiques.
  4. Confier la gestion des stocks stratégiques à un opérateur dont cela constituerait la mission principale, placé sous le contrôle du ministre délégué auprès du Premier ministre chargé de l’anticipation des crises.
  5. Consolider les capacités de production françaises d’équipements de protection individuels et en particulier de masques sanitaires pour garantir la souveraineté et l’indépendance française en la matière, y compris en temps de crise ; garantir une production au moins égale à 50 % des besoins en temps de crise sur le territoire national ; reconnaître aux usines de production de masques sanitaires le statut d’opérateurs d’importance vitale et aux produits et services concernés celui de produits et services d’importance vitale.
  6. Repenser le rôle de Santé publique France dans la logistique de crise et, le cas échéant, adapter le réseau des sites de stockage ; anticiper et planifier des procédures de réponse à une crise sanitaire par Santé publique France dans sa dimension logistique, s’agissant notamment de la montée en puissance des effectifs ou de l’adaptation des procédures ; garantir un suivi en temps réel des stocks, notamment en cas flux importants en fréquence et en volume.
  7. Accroître le rôle des préfets dans l’organisation logistique de la distribution de produits sanitaires en cas de crise ; définir en amont le rôle de la sécurité civile, des sapeurs-pompiers et de l’armée, dont les moyens et les compétences doivent être largement employés, dans la distribution de produits sanitaires.

 

 

Gestion de crise et territoires

  1. Instaurer des agences départementales de santé sous l’autorité hiérarchique des préfets afin de faire de ces agences de véritables acteurs sanitaires de proximité.
  2. Pour mettre fin à la dualité de la chaîne de commandement qui a été préjudiciable dans la gestion de la crise sanitaire, rendre aux préfets de département la compétence de la gestion des crises sanitaires.
  3. Donner un droit de regard aux préfets sur les stocks stratégiques positionnés au niveau zonal.

 

Dépistage

  1. Engager la relocalisation en France de l’industrie du diagnostic in vitro afin de ne plus être dépendant des importations mondiales et retrouver une réelle souveraineté sanitaire.
  2. Déployer un réseau d’IHU en maladies infectieuses sur l’ensemble du territoire national couvrant chaque zone de défense afin d’être mieux préparé à l’avenir et de réagir plus vite en cas de nouvelle pandémie.
  3. Soutenir les travaux permettant de mieux apprécier et de prendre en compte la contagiosité réelle d’une personne positive à la Covid-19 afin de mieux cibler la stratégie d’isolement.

 

Système de soins

  1. Renforcer les liens entre la médecine de ville et la médecine hospitalière et développer des plans de crise qui prévoient l’intégration des soins primaires à la réponse sanitaire.
  2. Mener une enquête approfondie sur les conséquences en termes de santé publique du recul des soins durant la première vague de l’épidémie de Covid-19.
  3. Renforcer significativement les moyens humains et financiers consacrés à la gestion de la réserve sanitaire. Assouplir les procédures de recrutement et de déploiement des personnels pour en faire un outil plus opérationnel en temps de crise.
  4. Adapter les politiques de formation des personnels médicaux et paramédicaux aux besoins sanitaires présents et futurs, en prenant en compte les postes disponibles dans chaque spécialité.
  5. Améliorer la polyvalence de certaines professions médicales afin de répondre aux besoins issus de crises sanitaires et pouvoir renforcer les équipes des services les plus sous tension, comme la réanimation.
  6. Dans la lignée du Ségur de la santé, rééquilibrer le partage des pouvoirs à l’hôpital entre les directeurs d’établissements et les représentants du corps médical, en renforçant significativement les pouvoirs de la conférence médicale d’établissement (CME).

 

EHPAD

 

  1. Encourager le développement de la certification électronique des décès, en particulier dans les EHPA.
  2. Associer davantage le conseil de la vie sociale dans la prise de décisions ayant des conséquences pour les résidents et les familles y compris dans la gestion de crise.

 

  1. Informer les établissements plus en amont de la mise en place de nouvelles mesures.
  2. Pérenniser le dispositif des astreintes gériatriques (hotlines) et soutenir la mobilisation des équipes mobiles de gériatrie et les équipes mobiles de soins palliatifs dans les EHPAD.
  3. Renforcer le lien entre les EHPA et les services d’hospitalisation à domicile.
  4. Revoir en profondeur le modèle des établissements pour personnes âgées dans le cadre de la loi sur le grand âge et renforcer la prise en charge des résidents d’EHPAD en organisant le rattachement de ces établissements à un établissement de santé, qu’il soit public ou privé.

 

 


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   EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa séance du mercredi 2 décembre 2020, à 9 heures 30, la mission d’information a procédé à l’examen des conclusions du présent rapport.

M. le président Julien Borowczyk. Mes chers collègues, nous nous réunissons ce matin pour examiner le rapport de la mission d’information dotée des pouvoirs d’enquête. Les membres de la mission ont pu le consulter hier. Un exemplaire vous a été remis à l’entrée de la salle ce matin, que je vous demanderai de nous rendre en sortant. Si vous souhaitez des explications sur ce point, je vous en fournirai tout à l’heure.

Je salue le travail important qui a été réalisé et je tiens à remercier les membres de cette mission pour leur implication. Cinquante-six auditions ont été menées. Elles nous ont permis de mieux comprendre la situation et d’en tirer des enseignements pour l’avenir.

À l’issue de cette réunion, nous procéderons au vote sur le rapport.

M. Éric Ciotti, rapporteur. À ce jour, l’épidémie de covid-19 a causé le décès de plus de 50 000 personnes dans notre pays, qui est le quatrième pays de l’Union européenne le plus touché en proportion de sa population. Cette crise est inédite par sa violence, notamment parce qu’elle ne s’est pas cantonnée à sa seule dimension sanitaire mais qu’elle affecte la vie de notre pays et de l’ensemble des Français.

Je tiens à souligner que la mission d’information a pu travailler sans rencontrer le moindre obstacle. Elle a mené toutes les auditions qu’elle souhaitait et ce rapport ne saurait s’apparenter au jugement d’un tribunal populaire ou judiciaire. Ce n’est pas notre objectif.

À l’heure de dresser un premier bilan de la gestion de cette crise, nous devons faire preuve d’humilité au regard des incertitudes qui pèsent encore en matière de connaissance scientifique sur le virus et sur la cinétique de l’épidémie et qui emportent nécessairement des conséquences sur l’action des décideurs publics ; il ne s’agit pas de le nier. Il ne s’agit pas non plus, je le réaffirme devant vous, par le rapport que nous étudions aujourd’hui, de mettre en cause tel ou tel. Je veux au contraire rendre hommage à ceux qui sont le pont, au front, depuis le mois de mars, pour lutter contre l’épidémie et ses conséquences.

Il n’en demeure pas moins que des failles sont apparues, de différentes natures. Elles doivent nous conduire à évoluer et à mieux nous organiser pour affronter dans de meilleures conditions une situation de ce type.

Notre mission d’information, créée le 17 mars 2020, s’est dotée à partir du 3 juin des prérogatives d’une commission d’enquête. Depuis cette date, plus de cinquante auditions ont été menées avec la participation active de chacun d’entre vous. Elles nous permettent de présenter ce rapport qui ne représente pas un achèvement mais bien une nouvelle étape dans la conduite de nos travaux.

Le premier constat est celui d’un pays mal préparé pour faire face à une telle crise. La situation dans laquelle nous nous sommes trouvés, en particulier au mois de février, après l’identification des premières alertes, révèle un manque d’anticipation qui, je le crois, résulte, d’une part, de l’affaiblissement de la préparation au risque pandémique face à l’aggravation de la menace terroriste qui prend progressivement le pas, et d’autre part, de la réduction significative des stocks stratégiques dans leur ensemble qui s’est illustrée, au pire moment, par une pénurie majeure en équipements de protection.

Alors que la priorité avait été donnée, dans les années 2000, à la préparation au risque sanitaire au travers du plan Pandémie grippale, cette priorité s’est progressivement émoussée à compter des années 2010, comme en témoigne la réduction des exercices de crise et l’absence d’actualisation du plan depuis 2011. Les polémiques qui ont suivi la gestion de la crise H1N1 ne sont pas étrangères à cette évolution regrettable. Pourtant, tout comme Roselyne Bachelot, je crois qu’en matière de santé publique, il n’existe pas de demi-choix. Sinon, on est dans l’attitude de la ligne Maginot, où l’on pense que l’ennemi n’attaquera qu’à certains endroits. La conscience du risque épidémique, en elle-même, n’a pas nécessairement diminué mais, paradoxalement, la survenue régulière de crises sanitaires finalement maîtrisées a pu laisser penser à tort que l’État était toujours bien armé pour y faire face.

C’est pourquoi je propose, notamment, que soit institué un ministre délégué chargé de l’anticipation des crises, placé auprès du Premier ministre, à qui il reviendrait d’organiser la planification de la réponse aux différents risques, l’élaboration de la liste des produits du stock stratégique ou encore l’organisation de la formation à la gestion de crise et la diffusion d’une culture de prévention des risques dans la société. Son positionnement auprès du Premier ministre lui assurerait l’autorité et la dimension interministérielle nécessaires à l’exercice de ses missions.

Par ailleurs, il est clair que la réduction constante des stocks stratégiques de masques, depuis le début des années 2010, et plus encore à partir de 2015, nous a mis en difficulté au pire moment et a retenti sur la stratégie de crise comme sur les messages délivrés à nos concitoyens. Ceci est le résultat de deux évolutions, l’une et l’autre contestables.

Tout d’abord, les soignants se sont retrouvés exclus du périmètre des destinataires du stock stratégique de masques. Cette situation résulte d’une lecture erronée de la doctrine du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale de 2013 confiant aux employeurs la responsabilité de prendre en charge l’équipement de leurs salariés, qui a servi a posteriori de justification abusive à la réduction du stock de masques FFP2, le stock passant de 480 millions en 2012 à zéro à la veille de la crise. Cette doctrine n’avait pourtant pas vocation à s’appliquer au secteur de la santé, dont la protection devait continuer à relever du ministère de la santé. Qui plus est, le secteur de la santé n’a pas été correctement informé de la nécessité de s’équiper pour faire face à une situation épidémique et les remontées en début de crise sur les équipements de protection individuelle (EPI) détenus par les établissements montrent qu’ils n’ont pas été suffisamment contrôlés.

Par ailleurs, nous sommes passés d’un stock dit dormant à un stock dit tampon, qui serait complété par la réservation de capacités de production. En 2018, on découvre la péremption de la majorité des stocks de masques gérés par Santé publique France, placée sous la tutelle de la Direction générale de la santé. Au lieu de les renouveler, la décision est prise de s’en tenir à un stock minimal assorti de réservations auprès de fournisseurs identifiés. Le stock, de près d’un milliard de masques chirurgicaux en 2011, est ainsi descendu à une centaine de millions en 2019. De surcroît, la capacité des fournisseurs à monter en puissance, dans des délais très brefs et alors que la demande simultanée pour des produits ou des matières premières pouvait être très forte, n’a pas été suffisamment garantie. Aussi, alors que le stock de 117 millions de masques en février 2020 aurait dû être « tampon » dans l’attente des premières livraisons, il a constitué l’intégralité des moyens disponibles pendant plusieurs semaines.

Qui plus est, cette réduction drastique s’est opérée en l’absence de regard porté par le pouvoir politique, la péremption des stocks n’étant pas considérée comme constituant une alerte devant remonter au ministre et le passage à un stock « tampon » n’ayant pas requis son arbitrage. C’est pourtant au Gouvernement, et notamment au ministre de la santé, qu’il incombe d’opérer les choix stratégiques qui s’imposent pour préparer la réponse à une crise sanitaire.

Aussi la crise, initialement sanitaire, est devenue très rapidement une crise logistique majeure quand, en raison de la pénurie, il a fallu, dans l’urgence, acheter, acheminer et distribuer des millions de masques sur l’ensemble du territoire. L’opérateur de l’État chargé de cette mission, Santé publique France, s’est avéré très largement sous-dimensionné pour cette tâche, ce qui a rendu indispensable la mise en place de cellules pour prendre le relais, lesquelles ont considérablement complexifié les opérations.

Les premières commandes massives de masques n’interviennent que fin février pour les masques FFP2 et mi-mars pour les masques chirurgicaux, alors que la concurrence internationale et les tensions sur l’approvisionnement sont déjà extrêmement fortes. Ces commandes sont passées au prix fort : au total, plus de 4,6 milliards de masques seront commandés pour environ 3 milliards d’euros, auxquels s’ajoute le coût du pont aérien et du pont maritime, d’environ 110 millions d’euros. Ces commandes, passées dans l’urgence, avec un pouvoir de négociation faible, ont dû intégrer une très forte augmentation du prix des masques, de 3 centimes avant la crise jusqu’à 75 centimes mi-mars pour les masques chirurgicaux.

La distribution aux professionnels comme au grand public a été chaotique, en raison de l’inadéquation des plateformes de stockage de Santé publique France pour supporter des flux de grande ampleur, des sous-effectifs de l’agence dont la montée en puissance n’avait pas été anticipée, de la lenteur des contrôles et de la libération des produits mis en quarantaine, ou encore des erreurs commises dans la délivrance des produits aux professionnels, des cartons étant ouverts, incomplets ou retardés. Si 1,7 milliard de masques chirurgicaux et 215 millions de masques FFP2 ont été distribués, leur distribution reste l’un des principaux points noirs de la crise. Et alors que le recours aux sapeurs-pompiers ou à l’armée aurait pu permettre de compenser ces défaillances, ceux-ci n’ont pas été suffisamment mobilisés.

Il est vrai, en revanche, que la préparation de la seconde vague a été satisfaisante, en raison de la reconstitution de stocks importants pendant l’été et de la définition d’un nouveau schéma logistique.

Sur le moyen terme, il faut absolument faire évoluer la doctrine et la gestion du stock stratégique ainsi que la logistique qui lui est associée. Cela suppose, en premier lieu, de rendre explicite et d’organiser la fourniture d’équipements de protection aux personnels de santé par le ministère de la santé. Ce n’est pas aux établissements hospitaliers ou médico-sociaux, ni aux professionnels libéraux, de gérer cette logistique.

Il conviendra ensuite de revoir la gestion des stocks, en recréant un organe tel que l’était l’EPRUS, l’établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires, dont cela constituait la mission principale et qui disposait d’une expertise logistique et d’une capacité de réponse opérationnelle bien supérieures à celle de Santé publique France. M. Jean-Pierre Door ne me contredira pas.

Enfin, il faudra garantir la relocalisation de filières de production de masques sanitaires, pour assurer la souveraineté française à cet égard et nous permettre de ne plus dépendre d’importations en cas de crise.

J’en viens au deuxième point, le pilotage de la crise.

Je regrette qu’il ait été trop longtemps confié au seul ministère de la santé, comme l’illustre l’activation tardive de la cellule interministérielle de crise, seulement au lendemain du confinement. Il en résulte la moindre prise en compte des aspects non sanitaires et une gestion qui s’appuie localement trop peu sur les préfets. Par ailleurs, la multiplication des instances ad hoc a complexifié la communication et rendu difficile l’identification d’un pilote unique, d’autant plus que les organigrammes étaient mouvants.

Cette absence de pilotage unique s’est aussi ressentie au niveau territorial avec une dualité de commandement entre les agences régionales de santé, les ARS, et les préfets de département. Particulièrement, l’action des ARS dans certaines régions a été critiquée par de nombreux acteurs que nous avons auditionnés. Je ne souhaite pas jeter l’opprobre sur l’action de ces agences qui n’étaient pas préparées à la gestion d’une crise d’une telle ampleur et dont les personnels ont été engagés sans discontinuer pour parer aux difficultés, mais des problèmes structurels demeurent. Les défauts initiaux des agences ont été accentués, en 2015, par le redécoupage des régions qui les a encore plus isolées de leur environnement territorial, notamment de l’échelon départemental où elles sont insuffisamment présentes malgré l’existence de délégations départementales. Il me semble nécessaire de rétablir la présence de l’État dans le département, par deux moyens.

Il faudrait tout d’abord départementaliser les agences de santé qui seraient placées sous l’autorité hiérarchique des préfets. Ces derniers récupéreraient par ailleurs la compétence pour gérer les crises sanitaires, qui n’aurait jamais dû leur être ôtée en 2009.

Ensuite, il conviendrait de revaloriser le rôle du préfet de département afin de consolider le binôme maire-préfet mais aussi le lien entre l’État et les collectivités territoriales dans leur ensemble.

Si ce lien a pu se tendre pendant la crise, il ne s’est jamais rompu. L’expérience du premier confinement a en effet montré que nous étions capables de travailler en bonne intelligence et que les collectivités locales avaient un rôle essentiel à jouer au plus près de la population, notamment d’un point de vue logistique.

La gestion de la crise soulève un autre point majeur, celui du déploiement des tests virologiques.

Or, leur montée en puissance effective a été très progressive et ralentie par des pesanteurs administratives et bureaucratiques préjudiciables : la France, en l’espèce, a clairement manqué de réactivité.

Alors que nous avons été à la pointe de la recherche grâce à l’Institut Pasteur dès le 24 janvier, la mobilisation des laboratoires hospitaliers d’abord, des laboratoires de ville ensuite et des laboratoires départementaux ou des autres laboratoires publics, s’est étalée jusqu’au 5 avril de manière très progressive, notamment au regard de ce qui se passait au même moment en Allemagne. Le 17 mars, la France est entrée en confinement en ayant réalisé vingt fois moins de tests qu’outre-Rhin : 13 000 tests en France contre 250 000 en Allemagne.

La préparation du déconfinement a permis d’organiser la montée en puissance des capacités de dépistage et de mettre au point une stratégie, celle du tester, tracer, isoler. Elle supposait néanmoins de tester et d’obtenir les résultats des tests dans des délais extrêmement contraints, pour être efficace, de l’ordre de vingt-quatre heures.

La décision de massifier le dépistage au cœur de l’été, par l’abandon de la nécessaire prescription médicale préalable, a eu pour effet d’allonger considérablement les délais. Soyons clairs, je ne dis pas qu’il ne fallait pas massifier le dépistage, au contraire, mais celui-ci n’a pas été suffisamment préparé. Les biologistes nous avaient d’ailleurs mis en garde à ce sujet lors de leur audition en juillet dernier. Finalement, du fait de l’embolie du système de dépistage, nous n’avons pas pu lutter efficacement contre l’arrivée de la seconde vague au mois de septembre dernier.

Dernier point mais non le moindre : les conséquences de la crise sanitaire pour notre système de soins, entièrement mobilisé pour prendre en charge les malades de la covid-19.

Les personnels soignants ont fait preuve, et continuent à le faire, d’un engagement total pour se battre sans relâche contre l’épidémie, parfois au péril de leur vie. Rappelons une fois encore combien leur courage et leur dévouement ont compté dans cette crise. Le système de santé a montré sa capacité d’adaptation et la possibilité d’augmenter significativement, dans l’urgence, les capacités d’accueil à l’hôpital et plus particulièrement de doubler les lits de réanimation. Cela s’est fait grâce aux renforts en personnels soignants notamment par les plateformes montées par les ARS qui ont dû prendre le relais de la réserve sanitaire car elle avait montré ses limites. C’est un outil qu’il faudra réformer en profondeur. Dans les régions les plus touchées ou encore aujourd’hui quand les établissements sont en trop forte tension, les transferts de malades sont nécessaires.

Mais cette crise sanitaire a mis en lumière les difficultés structurelles profondes de l’hôpital, particulièrement fragilisé à l’amorce de la crise.

Un problème crucial a été celui du manque de personnels de santé, formés dans les spécialités requises pour la prise en charge des malades graves de la covid-19. Tout le monde s’accorde sur ce point qui a constitué le principal obstacle à l’augmentation des capacités d’accueil à l’hôpital et en services de réanimation. Nous devrons adapter les politiques de formation des personnels soignants aux besoins sanitaires, en prenant en compte les postes disponibles dans chaque spécialité et améliorer la polyvalence de certaines professions médicales. S’agissant de l’hôpital, il me paraît en outre indispensable, pour améliorer ses capacités d’action et d’adaptation en situation de crise, de rééquilibrer le partage des pouvoirs entre les directeurs d’établissements et les représentants du corps médical, en renforçant notamment les pouvoirs de la conférence médicale d’établissement. Le temps est venu de dire clairement que la gouvernance médicale des établissements sanitaires doit être renforcée. En effet, la logique administrative, budgétaire, comptable, que l’on peut comprendre par ailleurs, a fini par s’imposer dans le fonctionnement des établissements, reléguant du même coup les préoccupations sanitaires au second plan, ce qui est paradoxal. C’est sans doute l’une des leçons les plus importantes à tirer de cette crise et nous proposerons, par conséquent, que les directeurs des hôpitaux soient des médecins. C’est ce qui se pratique pour les centres de lutte contre le cancer, qui ne s’en trouvent pas plus mal gérés, au contraire.

Au-delà de ces difficultés structurelles, le dispositif même de réponse à la crise a contribué à aggraver les tensions très importantes à l’hôpital. Édouard Philippe a rappelé devant notre mission d’information qu’« aucun système de santé au monde n’a été construit, pensé, dimensionné pour faire face à ce que nous vivons, à une vague d’une telle ampleur ». C’est vrai, mais je considère que la gestion de la crise sanitaire a pâti d’un hospitalo-centrisme qui a participé du risque permanent de saturation des services hospitaliers. Le dispositif de crise a été centré sur le 15 et les services d’urgence ; il ne s’est pas suffisamment appuyé sur les médecins de ville, qui auraient pourtant dû constituer un échelon essentiel dans le parcours de soins des malades. Dissuadés de se rendre chez leur médecin durant les premières semaines, ils ont d’abord été orientés vers les seules urgences, puis vers la téléconsultation. Le fait que les professionnels libéraux aient manqué de masques pour eux-mêmes et leurs patients et n’aient pas bénéficié de kits comme pendant l’épidémie de H1N1 n’y est pas étranger. Il me paraît nécessaire de rappeler, à ce stade, la nécessité de renforcer les liens entre la médecine de ville et la médecine hospitalière et de développer des plans de crise prévoyant l’intégration des soins primaires à la réponse sanitaire.

On a souvent entendu dire que « l’hôpital a tenu ». Cette formule, que le ministre des solidarités et de la santé répète fréquemment, n’est pas inexacte, mais on ne peut ignorer que cela n’a été possible qu’au prix de deux mesures lourdes de conséquences.

Je veux d’abord parler de la déprogrammation massive des activités médicales non urgentes, et donc du suivi de certaines pathologies. Le report de plusieurs dizaines de milliers d’interventions chirurgicales, le recul des soins préoccupant pendant le confinement – d’ailleurs toujours pas rattrapé – et le retard de diagnostics pourraient être particulièrement coûteux en termes de santé publique. Le président d’Unicancer a évoqué devant nous des pertes humaines pouvant atteindre 5 000 à 10 000 décès. Je propose à cet égard de mener, dans les années à venir, une enquête approfondie sur les conséquences du recul des soins durant l’épidémie.

Si « l’hôpital a tenu », c’est aussi au prix du maintien de la prise en charge d’une partie des personnes âgées malades de la covid-19 au sein des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) dans lesquels elles résidaient, compte tenu de difficultés d’accès à l’hôpital, notamment au moment du pic de l’épidémie. Selon les données de la direction générale de l’offre de soins (DGOS), on observe une baisse importante de la part de personnes âgées de plus de 75 ans admises en services de réanimation durant la période la plus critique de la crise – ce taux est passé de 24 % au début du mois de mars à 14 % lors de la semaine du 30 mars au 5 avril et seulement 6 % en Île-de-France. Alors même que les personnes âgées sont particulièrement vulnérables à la covid-19 et davantage susceptibles de développer les formes les plus graves de la maladie, je n’ai jamais compris cette diminution de leur prise en charge. Si nous pouvons exclure très clairement l’existence d’une doctrine ministérielle, nationale ou locale, officielle à ce sujet, ces données nous invitent néanmoins à considérer qu’au pic de la crise, dans un contexte d’engorgement des services d’urgence et de tensions très fortes en services de réanimation, une forme de régulation fondée sur l’âge a pu être opérée. C’est très grave.

La prise en charge de nos aînés en établissements pour personnes âgées ou par les services d’aide à domicile constitue aussi une problématique fondamentale et grave, sur laquelle j’ai souhaité insister dans ce rapport. Plus de la moitié des personnes décédées des suites de la covid-19 durant la première vague de l’épidémie sont des résidents d’établissements pour personnes âgées ; le nombre de décès parmi ces résidents dépasse aujourd’hui 21 640 personnes. Malgré la vulnérabilité particulière des personnes âgées à la maladie et le risque que constitue l’hébergement collectif, les mesures à destination des EHPAD et des services d’aide à domicile, qu’il s’agisse de la mise à disposition de protocoles sanitaires, de la fourniture en équipements de protection individuelle ou du déploiement d’une stratégie de tests à grande échelle, n’ont pas été à la hauteur de ce qu’une société évoluée doit à ses aînés. On voit bien, d’ailleurs, la sensibilité de cette question avec la priorisation des vaccinations dans les EHPAD qui vient d’être annoncée. Nous avons constaté, au début de la crise, des temps de retard dont nous payons le lourd tribut.

Si certaines mesures comme l’isolement en chambre ou l’interdiction des visites, par exemple, ont été assumées par le Gouvernement comme un mal nécessaire pour préserver la santé et la vie des personnes âgées dans les établissements – à titre personnel, je les comprends –, elles ont néanmoins soulevé d’importantes questions éthiques et constitué une véritable épreuve, psychologique et sociale, pour les familles et les résidents. C’est pourquoi il faudra renforcer une forme de démocratie médico-sociale en associant davantage le conseil de la vie sociale dans la prise de décisions ayant des conséquences pour les résidents et leurs familles, y compris en situation de crise.

La crise sanitaire a mis encore un peu plus en lumière les limites du modèle des EHPAD, qui accueillent des résidents de plus en plus dépendants tout en étant insuffisamment médicalisés. Ces limites ne datent pas de la crise, à laquelle elles survivront. L’une des failles est l’absence de lien institutionnel, structurel, entre l’hôpital et les EHPAD ; là où ces liens existaient, notamment dans les grands centres hospitaliers publics, les choses se sont mieux passées et les malades résidant en EHPAD ont été pris en charge de manière plus fluide. Il va falloir revoir en profondeur le modèle de ces établissements dans le cadre du prochain projet de loi relatif au grand âge. Je propose notamment d’améliorer la prise en charge des résidents en EHPAD en rattachant ces établissements à un établissement de santé, public ou privé.

Voilà, mes chers collègues, les principales conclusions que j’ai été amené à dresser, en votre nom à tous, je l’espère. Nous allons en débattre. Ce rapport est le fruit de nos auditions et des documents que nous avons recueillis ; au-delà des constats, qui ne sont peut-être pas l’essentiel, il doit nous permettre de formuler des propositions pour mieux armer et préparer notre pays aux situations de crise sanitaire, ou d’une tout autre nature, d’ailleurs.

M. Damien Abad. Permettez-moi tout d’abord de féliciter l’ensemble des membres de la mission d’information pour l’état d’esprit qui a régné pendant nos débats. Nous avons réalisé un travail constructif, intéressant et très approfondi.

Je félicite également M. le rapporteur pour la qualité de son rapport, très précis, très concret, qui pointe les défaillances et les dysfonctionnements de notre système de santé tout en ayant le souci permanent de formuler des propositions et d’essayer de sortir de cette crise par le haut.

La première vague a malheureusement été marquée par de grands oubliés. On a abordé la question des EHPAD ; le rapport évoque également les services d’aide à domicile, qui ont été particulièrement touchés. La déprogrammation de soins constitue aussi un enjeu très important : à cet égard, nous voyons bien la différence entre la première et la deuxième vague.

S’agissant des masques, le rapport est très fourni et très détaillé. On ne peut pas se cacher derrière une doctrine pour justifier le manque de stocks stratégiques, notamment en masques FFP2. Nous voyons aussi très clairement les conséquences des messages contradictoires envoyés à ce sujet : alors que les autorités allemandes ont demandé à la population de porter le masque mi-avril, la France a attendu mi-juillet – ces trois mois représentent une durée très longue à l’échelle de la crise sanitaire.

En ce qui concerne les tests, là encore, la situation a évolué entre la première et la deuxième vague : alors que la stratégie consistait, au printemps, à tester peu et à concentrer nos efforts sur les personnes présentant d’importants symptômes, la montée en charge des tests a été difficile, compte tenu de nombreuses contraintes administratives et réglementaires. Le rapport souligne les lourdeurs bureaucratiques, les pesanteurs administratives, la difficulté d’assurer un pilotage à la fois cohérent et interministériel, ainsi que l’absence de recours aux départements et aux préfets, notamment. J’ai bien entendu vos propositions, monsieur le rapporteur, s’agissant de l’évolution des agences régionales de santé.

Nous voterons évidemment ce rapport et soutiendrons sa publication. Il analyse clairement la gestion de la crise, les dysfonctionnements, les forces et les faiblesses de notre système de santé. Celui-ci est très hospitalocentré, ce qui présente certains avantages, mais aussi des inconvénients – vous avez évoqué le recours insuffisant à la médecine de ville et aux établissements privés. Il est très important que nous puissions transformer, le plus rapidement possible, l’ensemble des propositions et recommandations formulées en outils législatifs. Alors que les risques pandémiques ont peut-être été sous-estimés ces dernières années, cette crise aura au moins le mérite de rappeler leur existence ainsi que la nécessité d’y répondre de la manière la plus forte possible.

M. Patrick Mignola. J’ai pu prendre connaissance du rapport depuis quelques jours, dans la petite salle mise à disposition (Exclamations.). Les échanges entre collègues, notamment avec le rapporteur et le président de la mission d’information, ne sont pas impossibles – heureusement, d’ailleurs, s’agissant d’un rapport sur lequel nous avons à nous prononcer en peu de temps.

Comme le président Abad, dont l’analyse diffère pourtant de la mienne, je salue le travail de notre mission d’information, en particulier de notre rapporteur. Une seule chose me gêne – je l’ai déjà dit au nom du groupe que j’ai l’honneur de présider –, c’est que nous devons voter une analyse et des conclusions à propos d’une crise qui n’est malheureusement pas terminée, comme si l’Assemblée nationale avait dû adopter un rapport sur les stratégies militaires françaises en 1916, avant que la guerre ne soit finie. C’est exactement ce que nous sommes en train de faire en essayant de tirer de la crise un certain nombre de conclusions utiles au pays alors même que nous ne savons pas comment il va s’en sortir. Je sais que le rapporteur y est sensible car il aurait voulu que nous puissions prolonger notre travail, ce que notre règlement ne permet malheureusement pas. Il était parfaitement légitime de créer cette mission d’information, dotée des prérogatives d’une commission d’enquête, au moment où nous l’avons créée, mais nous nous trouvons aujourd’hui assez gênés par cette contrainte de calendrier.

Je pense que nous pouvons partager un certain nombre de constats sur les difficultés que nous avons rencontrées, comme d’autres pays, dans la gestion de la crise. Mais nous devons surtout avoir l’obsession de formuler des propositions pouvant être utiles à l’exécutif. D’ailleurs, Jean-Christophe Lagarde et Jean-Pierre Door ne me contrediront pas si j’affirme que, si des propositions émises par des commissions d’enquête précédentes avaient été appliquées, cela nous aurait aidés à gérer la crise que nous traversons. Un rapport de commission d’enquête parlementaire doit proposer des solutions ; or, contrairement à Damien Abad, je crois que le présent rapport recherche davantage des coupables que des solutions. Il comporte surtout des mises en cause.

Le problème de calendrier et la forme de ce rapport, qui vise plus à mettre en cause des personnes qu’à guérir ou à améliorer le système, conduiraient mon groupe à voter contre, mais en aucun cas nous ne voulons empêcher sa publication. Nous nous abstiendrons donc, pour qu’il soit publié et que l’ensemble des Français, ceux qui décident comme ceux qui subissent, puissent constater la même chose que nous : ce rapport dresse de bons constats, mais il cherche davantage à accuser qu’à proposer des solutions. Ce n’est pas un acte de défiance, monsieur le rapporteur, car nous reconnaissons votre travail…

M. Julien Aubert. Mais ce n’est pas un acte de confiance !

M. Patrick Mignola. …mais ce n’est pas non plus un acte de confiance, car votre rapport est trop politique et pas assez technique.

M. David Habib. Je commencerai par rendre hommage à celles et ceux qui ont permis la bonne organisation de nos travaux. Je pense aux fonctionnaires ainsi qu’à vous, monsieur le président et monsieur le rapporteur. Cela n’a pas été simple. Sur les cinquante et une auditions organisées, je n’en ai raté que trois ou quatre, et j’ai rarement vu une mission d’information aussi suivie par les députés qui la composent.

Je remercie Patrick Mignola pour la fraîcheur de son propos. Il a la générosité d’admettre qu’il a eu connaissance du rapport avant tout le monde, mais aussi de nous dire qu’il souhaite la publication de ce document, même imparfait.

Vous avez fait le choix, monsieur le rapporteur, de dire que la France était mal préparée, et vous commencez votre propos par la question de la logistique. Nous, socialistes, considérons que le pays était d’abord mal préparé d’un point de vue politique. En France, nous n’avons pas de culture du risque – vous le dites vous-même, puisque votre première proposition consiste justement à faire monter cette problématique au niveau gouvernemental. J’ajoute qu’aucun vrai discours sur la gravité de la crise n’a été tenu avant le 12 mars, si ce n’est par Mme Buzyn, qui a compris dès le début que quelque chose de grave allait se passer et a donc saisi Édouard Philippe le 22 ou le 23 décembre – je veux le dire ici car elle a été suffisamment mise en cause pour que soit souligné son esprit de responsabilité.

Nous n’avions pas non plus de plan de bataille. À la page 90 de votre rapport, que je n’ai eu la chance de consulter qu’hier, vous avez inséré un schéma illustrant parfaitement la complexité du processus de prise de décision dans notre pays. Avant d’évoquer la question des masques, j’aurais préféré que vous abordiez cette question-là, qui est plus fondamentale encore que celle de la logistique.

J’en viens donc aux masques, en faisant d’abord remarquer que la pénurie n’a pas concerné que ces équipements. La doctrine en la matière tient en quelques pages et émane d’un avis du Haut Conseil de la santé publique datant de 2011. Comme vous l’écrivez vous-même, l’évolution des normes européennes et la réorganisation des plateformes, juste avant la pandémie, ont incontestablement perturbé la distribution des masques.

Nous, socialistes, ne voulons pas occulter nos responsabilités. Nous avons tous le devoir de construire une gestion de crise indépendante des aléas de la santé publique, pour reprendre les mots de M. Door. La création de l’EPRUS était une bonne idée. Nous serons donc favorables à la reconstitution d’un organisme ou d’un outil nous permettant de disposer d’une capacité d’intervention indépendante, notamment, des choix budgétaires.

Nous exprimons notre accord sur la question de la territorialisation, notamment sur la départementalisation des ARS et sur la dimension européenne des décisions.

Nous nous interrogeons sur vos propositions d’évolution de la gouvernance des hôpitaux, qui mériteraient peut-être une expertise dont je ne dispose pas. Dans ma circonscription, cette gouvernance n’est pas l’affaire du seul directeur d’hôpital, mais d’un binôme que ce dernier forme avec le président de la commission médicale d’établissement.

Je sais que la question des frontières est pour vous un sujet presque fétiche, monsieur le rapporteur, mais pour ma part, je ne conçois pas qu’un pays ferme ses frontières, même en période de pandémie. J’ai vécu cette situation dans mon département.

Enfin, vous n’avez pas abordé un problème auquel nous avons tous été confrontés au quotidien, à savoir le climat général qui existe chez les médecins et qui a incontestablement complexifié la donne pour nos gouvernants. Tous les jours, des médecins vont sur les plateaux de télévision et y sont contredits par leurs confrères mêmes. En période de crise, il conviendrait peut-être que l’Académie de médecine ou une autre autorité intervienne dans le débat pour rappeler chacun à sa responsabilité.

M. Bertrand Pancher. Nous avons beaucoup apprécié la qualité de ces débats. Je vous en félicite et vous en remercie, monsieur le président et monsieur le rapporteur. Nous avons travaillé dans de très bonnes conditions et auditionné toutes les organisations qui comptaient. Mon groupe souscrit pleinement à ce rapport, qui ne fait que reprendre les témoignages que nous avons entendus – si tel n’avait pas été le cas, il aurait été faussé.

Nous nous retrouvons à 100 % dans votre analyse. Comment ne pas être frappé par le manque d’anticipation, de concertation et de transparence dans la gestion de la crise ? Ce rapport met le doigt sur des drames affreux et des souffrances inutiles, qui auraient pu être évitées si nous avions été préparés dans de meilleures conditions.

Je partage également une grande partie de vos préconisations, même si je ne comprends pas votre obsession à vouloir en permanence recréer des frontières – c’est peut-être la seule divergence importante que j’ai avec vous.

Nous avons besoin d’une instance forte, placée auprès du Premier ministre, pour gérer les crises de demain. La nomination d’un ministre délégué auprès du Premier ministre serait une bonne solution, même si nous pencherions plutôt pour un grand ministère chargé de la gestion du long terme, également placé auprès du Premier ministre. S’il est important d’éteindre les incendies, il est tout aussi important d’éviter qu’ils ne s’allument.

Il faut évidemment décentraliser nos politiques sanitaires. Vous le dites clairement, mais il ne faudrait pas que les ARS départementalisées demeurent placées sous la tutelle du ministère de la santé. Nous préconisons une véritable décentralisation des ARS. Elles pourraient être placées sous la responsabilité des présidents de région. Comment ne pas avoir été frappés par l’agilité dont ont fait preuve les pays voisins dans la gestion de la crise ? Or ils sont tous puissamment décentralisés, à commencer par l’Allemagne.

Vous évoquez la nécessité de créer un nouvel EPRUS, ou de remuscler Santé publique France. L’essentiel, à nos yeux, est de disposer d’une agence réellement indépendante en charge de la coordination des politiques de prévention. Si les directeurs successifs de Santé publique France avaient disposé d’une véritable autonomie, ils auraient pu interpeller leur ministère de tutelle avec toute la publicité nécessaire. Tel n’a pas été le cas. Nous avons découvert, à travers leurs échanges de correspondance, toutes les lacunes dans la gestion des politiques sanitaires : nous aurions préféré que ces observations soient rendues publiques afin que l’opinion et le Parlement soient pris à témoin.

Enfin, s’agissant de la gouvernance des hôpitaux, l’essentiel est pour nous que leurs directeurs remplissent leur mission en relation étroite avec leur environnement. Cela dit, nous sommes favorables à un renforcement des pouvoirs du conseil de surveillance.

M. Pierre Dharréville. Je salue à mon tour l’ampleur du travail effectué par notre mission d’information, qui a cherché, au travers de nombreuses auditions, à comprendre ce qui s’était réellement passé et à approfondir tous les sujets, ce qui était absolument nécessaire.

La focale a cependant été un peu resserrée par rapport à l’objet initial, que je rappelle : « l’impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l’épidémie de coronavirus ». À l’évidence, les dimensions sociale et économique de la crise, notamment, ont été un peu laissées de côté. Dès le début de nos travaux, j’avais critiqué cette orientation.

Il n’en reste pas moins que ce qui constitue le cœur de la crise sanitaire a été traité dans le rapport. Je n’aurais sans doute pas formulé les choses de la même façon que vous, monsieur le rapporteur, mais, globalement, je partage le tableau que vous brossez, aussi bien en ce qui concerne ce qui nous est arrivé que la manière dont la crise a été gérée. En outre, un grand nombre de vos propositions sont intéressantes.

La pandémie a passé notre société au révélateur, faisant ressortir un certain nombre de failles et d’insuffisances qui soulèvent des questions et dont nous devons tirer les leçons. Si nous nous sommes trouvés dans cette situation, c’est en partie à cause d’une forme d’affaiblissement de la puissance publique. Or cette évolution résulte de choix politiques : ce sont les politiques d’austérité qui sont en cause, et non telle ou telle décision mal ajustée. Je regrette que cela n’apparaisse pas dans le rapport, même si cela fait partie du jeu politique.

La question du pilotage mériterait d’être approfondie. Elle fera inévitablement l’objet de débats dans les mois qui viennent. L’État a eu du mal à assumer ses missions de prévention et d’approvisionnement, notamment en équipements de protection. Pour compenser ces insuffisances, de même que les difficultés de notre système de santé à faire face, notamment à l’hôpital, des choix de gestion verticaux, parfois infantilisants ont été faits. Nous devrions en débattre. Il en va de même s’agissant de la création du Conseil scientifique et de la place que cette instance a occupée. Était-elle nécessaire ? Si oui, cela signifie peut-être qu’il y avait un trou dans notre organisation institutionnelle, ce qui conduit à s’interroger sur la capacité de Santé publique France à assurer ses missions.

Même si j’ai quelques doutes en ce qui concerne l’usage que vous faites du terme « hospitalocentrisme » – il est très répandu et l’on devine les intentions qui le sous-tendent, que je ne partage pas –, je suis relativement d’accord sur le fond avec ce que vous écrivez.

Je ne partage pas, en revanche, la conception des frontières qui transparaît dans vos propos.

Le débat doit se poursuivre. Pour l’essentiel, l’état d’esprit dans lequel vous dites avoir travaillé – se tenir à l’écart de la polémique et s’efforcer de comprendre – se retrouve dans le rapport. Celui-ci reflète également les auditions que nous avons menées et rend compte des éléments que nous avons recueillis. Sa publication peut contribuer à alimenter un débat public utile et même nécessaire.

M. Nicolas Démoulin. Je salue la qualité de nos échanges et de notre travail, tout au long des cinquante-six auditions que nous avons menées. Nous avons travaillé dans un climat apaisé, dans la sérénité.

J’ai pris connaissance hier des 222 pages du rapport. C’est un texte dense, complet. Ma première réaction, monsieur le rapporteur, consiste à souligner un décalage entre ce que j’ai vécu durant ces mois d’auditions et le contenu du rapport. Il est vrai que l’exercice est compliqué, notamment parce que nous ne sommes pas encore sortis de la crise. Toutefois, le rôle du rapporteur est de refléter le plus fidèlement possible nos échanges et les positions des personnes auditionnées. Or, sur la forme, le compte n’y est pas. Vous avez souhaité, dans votre propos liminaire, que ce rapport soit fait au nom de tous. De ce point de vue, l’exercice est malheureusement raté, car on y trouve des prises de position très personnelles.

J’en veux pour preuve la question de la prise en charge, dans les services de réanimation, des personnes de 75 ans et plus, sujet extrêmement sérieux et que vous avez évoqué à de multiples reprises. Nous avons obtenu de la part des spécialistes des réponses extrêmement claires. En dépit de cela, vous persistez depuis le début à vouloir comparer deux paramètres différents : il y a un pourcentage, d’un côté, et une valeur absolue, de l’autre. Dans les faits, le nombre de personnes concernées n’a pas évolué. Il est dommage de bâtir ainsi une interprétation en rapprochant deux éléments qui ne sont pas comparables. Qui plus est, cette analyse sert à mettre en évidence ce qui s’apparente, selon vous, à des manquements – non pas du côté du Gouvernement, puisque vous avez bien insisté sur l’absence de toute doctrine consistant à ne pas prendre en charge les personnes âgées, mais du côté de certains professionnels. C’est un manque de respect envers ces derniers. En plus, cela montre que vous n’avez pas voulu les entendre.

Nous nous rejoignons pourtant sur certains sujets qui ont été traités de manière extrêmement pertinente. Je pense notamment à la nécessité de créer un nouvel EPRUS, dont la forme reste toutefois à déterminer.

Pour ces raisons, le groupe La République en marche ne votera pas pour ce rapport. Cependant, par souci de transparence et pour marquer notre respect à l’égard de ce long travail, nous ne voterons pas contre. Nous nous abstiendrons donc.

M. Joachim Son-Forget. Monsieur le rapporteur, ce rapport est quasiment exhaustif, même s’il n’aborde pas certaines questions qui m’intéressent, voire me passionnent, comme les divergences s’agissant du traitement de la maladie, ou encore les liens d’intérêt des uns et des autres. Cela dit, notre situation temporelle ne nous permet pas d’être conclusifs : je comprends que vous vous soyez concentrés sur des éléments plus factuels.

Je me contenterai de quelques commentaires d’ordre technique.

Tout d’abord, vous décrivez précisément, à la page 57, la volatilité du coût des masques. Les prix constatés lors des achats par Santé publique France et par la cellule interministérielle sont deux fois plus élevés que ceux du marché à la même période et que ceux obtenus par de gros acheteurs du secteur privé. Le benchmarking s’imposait.

À la mi-mars, le plafond a été fixé à 75 centimes pour un masque chirurgical, alors que, dans le privé, on le payait tout au plus 40 centimes, la moyenne se situant aux alentours de 25 à 30 centimes. Mme Chêne, lors de son audition, avait avancé le chiffre de 50 centimes. Quoi qu’il en soit, sur un budget d’achat auprès de la Chine de 2 milliards d’euros, quasiment 1 milliard a été dépensé en trop. J’ai du mal à le comprendre. À cela s’ajoute le fait que 30 % des masques en provenance de Chine se sont révélés impropres lors des contrôles qualité réalisés par Santé publique France, comme il est indiqué page 59.

Le rapport montre également que le prix d’achat moyen auprès des fabricants français était de 27 centimes. Au total, seuls 30 % des achats ont été réalisés auprès d’eux. On a préféré passer pour 2 milliards d’euros de commandes à la Chine, alors même que 30 % de la marchandise qu’elle nous envoyait était impropre à la protection.

Ce dernier point révèle d’ailleurs un problème de contrôle qualité à l’embarquement. Tous les acteurs privés effectuent des contrôles de ce type, que ce soit par l’intermédiaire de SGS ou d’autres organismes certifiés. Or la France a attendu le mois de mai pour le faire. Certains contrôles ont alors été confiés à la société QIMA, et leur effet a été de ralentir les livraisons.

Le rapport devrait enfoncer le clou en précisant que la politique de sourcing n’a pas été bonne, de même que le contrôle qualité et le suivi de la chaîne logistique.

Par ailleurs, vous citez l’exemple de la Corée du Sud, pages 96 et 129. Le leitmotiv de ce pays, en matière de gestion sanitaire, a été la transparence. Cela s’explique par les problèmes importants rencontrés en 2015 par le gouvernement lors de l’épidémie de coronavirus du syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS).

Vous évoquez, page 196, les manquements de Santé publique France, notamment au niveau statistique, plus précisément s’agissant de l’incidence et de la prévalence de la maladie dans les EHPAD. Or il faut préciser, comme l’avait fait Geneviève Chêne lors de son audition, que ces difficultés ont été causées par un problème informatique grave, empêchant les épidémiologistes de mener un travail pourtant fondamental, ce qui a ralenti la prise en compte de la gravité de la situation pour les personnes âgées.

M. Jean-Pierre Door. Je vous remercie pour votre travail, monsieur le rapporteur. Je connais d’expérience la difficulté de la tâche. Nous avons mené de nombreuses auditions, d’abord dans la première phase des travaux de la mission d’information, sous la conduite du président Richard Ferrand, puis à partir du moment où elle a été dotée des pouvoirs d’une commission d’enquête.

Votre rapport retrace en réalité vingt ans de crises sanitaires. Mon analyse est que la politique sanitaire a manqué de coordination du fait de l’inadaptation des structures administratives. C’est ce qu’ont révélé, notamment, l’audition du préfet de la Seine-Saint-Denis, M. Georges-François Leclerc, et celle de l’ancien délégué interministériel à la lutte contre la grippe aviaire, M. Didier Houssin, à l’origine du plan pandémie proposé en 2009-2010.

Je retiens les propositions contenues dans les trois premiers chapitres, en matière d’anticipation et de stocks. Il faut effectivement un pilote de la stratégie du pays en matière de défense sanitaire et biologique – car il ne faut pas écarter l’éventualité d’attaques bioterroristes. Vous appelez ce pilote « ministre délégué » ; cela rappelle le délégué interministériel, qui faisait équipe avec le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN).

Je me réjouis que vous proposiez de recréer un établissement sur le modèle de l’EPRUS. Mais je bats ma coulpe : en 2016, lorsque l’EPRUS a été fondu dans Santé publique France, il a perdu sa capacité à jouer un rôle majeur dans le domaine de la défense sanitaire – il concentrait les stocks de masques, de produits et matériels médicaux et de vaccins.

La déclinaison territoriale est un autre enjeu majeur. Peut-être faudrait-il créer un cadre administratif permettant de se préparer à la défense sanitaire, incluant les menaces biologiques, ou encore s’entourer d’un conseil sanitaire, à l’échelle des zones de défense plutôt qu’au niveau départemental.

M. Jean-Christophe Lagarde. Je m’interroge tout d’abord sur les conditions d’adoption du rapport : je suis toujours gêné de voter un texte que je n’ai pas lu entièrement. Or il était impossible de prendre connaissance de la totalité de son contenu hier, lors de la séance de consultation. C’est d’autant plus regrettable que nous ne pourrons quitter cette réunion avec un exemplaire, alors qu’il sera publié après son adoption. Pourriez-vous, monsieur le président, nous en expliquer la raison – de préférence avant le vote ?

Je regrette, sur le plan politique aussi bien personnel, que le travail que nous avons mené il y a dix ans avec Jean-Pierre Door, auquel le président Patrick Mignola a fait allusion tout à l’heure, n’ait pas été suivi d’effet. Plus exactement, il en a eu, mais, comme l’a relevé le rapporteur, la routine administrative a fini par faire perdre de vue l’objectif fixé par les responsables politiques. Si je suis assez réservé à propos de la nomination d’un ministre délégué, il faut sans conteste remettre du politique dans le contrôle de la préparation sanitaire. Le Parlement serait dans son rôle en assurant ce contrôle. L’Assemblée nationale pourrait ainsi créer un organe permanent d’évaluation, au lieu de se contenter d’un bilan dans le cadre du débat budgétaire.

La conclusion principale que je tire de ce qui s’est passé, c’est que nous avions dit comment il fallait faire pour être prêts, mais que nous ne l’avons pas été parce que l’administration a décidé par elle-même, sans en référer aux ministres. C’est à nous, parlementaires, de voir régulièrement ce qu’il en est.

Par ailleurs, la comparaison avec l’Allemagne, que je fais en permanence, montre que si nos voisins mettent autant d’argent que nous dans leur santé, ils comptent cinq fois moins de morts du covid-19, à la fois parce que leur système est très décentralisé, quand le nôtre est hypercentralisé – à cet égard, il faudrait aller encore plus loin dans la décentralisation que ne le propose le rapporteur –, et que leur hôpital n’est pas suradministré comme le nôtre peut l’être : en pourcentage, il y a 15 points de personnel administratif en moins. Cela leur permet, à effort budgétaire identique, de disposer de 15 points de personnel soignant de plus, à disposition des malades. Leur système a ainsi moins souffert que le nôtre et sauvé davantage de vies. Il y a là un problème structurel sur lequel nous devrions nous pencher.

Les remarques du rapporteur à propos de nos lourdeurs administratives, de nos retards à la détente et de nos contradictions me paraissent justifiées. Il ne s’agit pas de rechercher les responsabilités, mais, quand on se plante, il faut savoir comment et pourquoi, pour ne pas se planter de nouveau. Tel est, en définitive, l’objectif d’une commission d’enquête parlementaire.

Nous avons besoin d’unifier le dispositif de prévention en matière de santé autour des préfets de département. Dans cette perspective, monsieur le rapporteur, le ministère de l’intérieur est sans doute mieux placé que le ministre délégué pour élaborer les plans de préparation, d’autant qu’il dispose du centre interministériel de crise. Il n’en demeure pas moins qu’il agirait sous notre surveillance.

En matière d’organisation hospitalière, j’ai été frappé, au cours des auditions, mais également pour avoir entendu des témoignages, notamment à l’hôpital de Créteil, à la fois par l’incroyable mobilité des professionnels de santé lorsqu’il s’est agi d’adapter l’appareil, et par les blocages auxquels ils ont été confrontés de la part de leur administration pour l’ouverture de nouveaux lits de réanimation : on a perdu jusqu’à trois semaines au moment du pic de la crise. Le ministre de la santé le demandait, les professionnels étaient prêts, mais l’administration qui bloquait.

Je suis d’accord pour dire que la médecine de ville doit être davantage impliquée : nous le préconisions déjà il y a dix ans. Elle doit être étroitement associée à la campagne de vaccination, par exemple : il ne faudrait pas recommencer avec les vaccins les erreurs commises avec les masques et les tests.

Concernant les EHPAD, vos propos, monsieur le rapporteur, pourraient être mal interprétés. Il n’y a pas eu de consigne ministérielle, nous en sommes d’accord, mais il y a eu du retard à l’allumage. Par ailleurs, moi aussi, dans ma circonscription, j’ai observé qu’au moment du pic, les personnes de 75 ans et plus étaient moins facilement admises en réanimation, mais c’était dû aux arbitrages que tout médecin urgentiste opère en fonction des chances de survie du patient, du rapport bénéfices-risques et des risques d’aggravation de l’état des patients très âgés à la suite de la mise en œuvre des techniques de réanimation. Cela dit, il est vrai que, de ce fait, une partie au moins des médecins des EHPAD ont fini par ne plus appeler leurs homologues hospitaliers, pratiquant une forme d’autocensure.

Un autre point devrait être approfondi dans le rapport et trouver une traduction dans les politiques publiques : la détresse humaine et le vieillissement accéléré en EHPAD. Les plans de préparation doivent intégrer cet aspect psychologique, d’autant que nous pouvons être à nouveau contraints de confiner les EHPAD. Il faut y prévoir une forme de vie sociale qui ne soit pas destructrice. J’ai moi-même eu l’occasion de constater la dégradation accélérée, pendant le premier confinement, de l’état de certains résidents en EHPAD.

Le groupe UDI et indépendants votera pour le rapport, car il nous paraît nécessaire de tirer les conclusions de la crise.

Mme Martine Wonner. Monsieur le rapporteur, je vous remercie pour la qualité de votre rapport. Les cinquante-six auditions ont été toutes aussi intéressantes les unes que les autres. Sans doute l’enquête se poursuivra-t-elle sous une autre forme : il conviendrait de permettre à des professionnels de terrain de s’exprimer, car nous avons surtout entendu des représentants des fédérations professionnelles et des syndicats.

Ce rapport est très complet et très technique. Peut-être manque-t-il une interrogation sur la démarche de prévention dans notre pays. En effet, au cours de la crise, des décisions ont été prises en l’absence de stratégie thérapeutique initiale. Dans son avis du 22 mai, l’Académie de médecine a fait un certain nombre de recommandations, notamment concernant l’utilisation de la vitamine D. Certains professionnels libéraux de terrain ont eux aussi fait des propositions. Je pense en particulier à une proposition d’étude, adressée à la direction générale de la santé (DGS), qui aurait peut-être permis de prendre un chemin différent. Les conséquences d’une telle carence ne doivent pas être négligées : certains professionnels ayant proposé un accompagnement différent de leurs patients sont menacés, au point qu’ils en arrivent à remettre en cause leur attachement à la pratique médicale.

Votre proposition de créer un délégué interministériel me paraît tout à fait intéressante, car il manque un pilote, comme les professionnels de terrain l’ont relevé. Mais, pour savoir comment agit le délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie, il me semble que si, parallèlement à la nomination d’un délégué interministériel à la gestion de crise, on n’écarte pas de la prise de décision un certain nombre de personnes totalement inutiles, le nouveau délégué sera confronté, comme cela se passe d’habitude, à des pratiques davantage liées au fonctionnement de la haute administration qu’à la volonté d’agir.

Je trouve très intéressante l’idée de remettre en question la gestion des ARS, de modifier leur périmètre et surtout de les placer sous la tutelle des préfets. Cela dit, ayant participé à la création des agences régionales de l’hospitalisation, en 1996, j’ai eu l’occasion de constater que des structures de ce type fonctionnent mieux lorsqu’il y a, sinon un contre-pouvoir à l’administration, en tout cas une présence médicale aux côtés de cette dernière. Dans le même ordre d’idées, vous évoquez d’ailleurs, page 189, à propos des hôpitaux, un partage des pouvoirs. Au-delà de la dimension territoriale, il convient donc d’adjoindre à l’administration une présence médicale pour la prise de décision.

Vous avez traité en détail de l’hospitalocentrisme, je n’y reviens donc pas. Vous avez évoqué les soignants qui ont été contaminés à l’hôpital public et qui ont perdu la vie, mais pas les soignants du monde libéral qui ont subi le même sort, alors même qu’ils ont été plus nombreux.

Je voudrais également exprimer une réserve concernant la description des protocoles utilisés pour les personnes âgées. En effet, vous ne faites pas mention du rivotril. Sachez que, si le rapport est rendu public, il s’agit d’un point majeur sur lequel les citoyens attendent des explications – on en revient aux trois décrets pris par le ministre de la santé dans la troisième semaine du mois de mars. Je souhaiterais que le rapport procède à l’évaluation des décisions prises en tenant compte de la temporalité. Peut-être cela ne concerne-t-il qu’une seule personne ; peut-être ne s’agit-il que de passages à l’acte fondés sur l’émotion, mais la plus grande prudence s’impose : ces décrets ont eu des conséquences importantes dans notre pays.

Vous préconisez de développer la polyvalence des professionnels de santé, notamment pour les personnels hospitaliers – j’appelle cela être multitâche. Prenez garde : en cas de crise, la polyvalence peut être un facteur anxiogène supplémentaire. Le fait d’être déplacé peut être très mal vécu. Je pense à certaines personnes qui ont été envoyées dans des services de soins intensifs, voire de réanimation. J’en ai écouté un certain nombre et j’ai assuré le suivi psychologique de plusieurs.

Enfin, vous évoquez le dialogue dans les EHPAD et proposez, entre autres, d’associer le conseil de la vie sociale aux prises de décision. Les membres de cette instance, écrivez-vous, doivent être consultés le plus en amont possible. Cela me paraît beaucoup trop faible : elles doivent être associées à toutes les décisions. Si nous l’avions fait pendant la crise, cela aurait évité que les familles soient laissées de côté.

Mme Monique Iborra. Merci, monsieur le rapporteur, pour ce rapport riche en constatations. En revanche, je suis un peu déçue par la pauvreté de vos propositions – ce qui tend à prouver que vous n’auriez pas forcément mieux géré que le Gouvernement cette crise inédite qui a frappé l’ensemble des pays du monde.

Concernant les EHPAD, vous suggérez, sans l’affirmer, il est vrai, qu’une régulation fondée sur l’âge a été opérée. Sur ce sujet, dont les conséquences peuvent être nombreuses, nous devrons nous exprimer. Je déposerai d’ailleurs une contribution.

Vous ne nous avez pas parlé de la prise en charge à domicile des personnes âgées pendant l’épidémie, et il en est très peu question dans le rapport, alors que, de ce point de vue, il y a eu un vrai problème. Or cette prise en charge relève de la compétence des départements, non de celle de l’État, même si, heureusement, celui-ci est intervenu. Peut-être auriez-vous pu suggérer de revoir la gouvernance de ce secteur ? Force est de reconnaître que, dans la gestion de la crise, les départements n’ont pas fait tout ce qu’ils auraient pu.

M. Julien Aubert. Je regrette évidemment que six mois de travail se trouvent condensés dans une petite heure de discussion.

Faire un rapport de 200 pages sur un sujet aussi compliqué, dans des délais aussi restreints et dans un contexte aussi polémique, c’était une gageure. Je trouve le résultat tout à fait lisible.

Nos auditions se sont déroulées dans un climat serein, ce qui a permis d’aborder de manière apaisée un sujet compliqué. Le rapporteur a été d’une honnêteté intellectuelle remarquable compte tenu du fait qu’il n’avait pas caché ses opinions de départ. À cet égard, en ce qui me concerne, je n’ai pas vu dans ce rapport ce que certains de nos collègues ont bien voulu y trouver.

Premièrement, il ne faut pas se tromper sur la procédure : nous n’allons pas voter sur le fond du rapport.

M. le président Julien Borowczyk. Si !

M. Julien Aubert. C’est le rapport de M. le rapporteur. Vous pouvez regretter sa subjectivité, mais c’est le principe quand on désigne un rapporteur. Nous votons uniquement sur la question de savoir si le rapport doit être diffusé ou pas.

M. le président Julien Borowczyk. Non !

M. Julien Aubert. Notre mission est dotée des pouvoirs d’une commission d’enquête. Vous croyez adopter le rapport, mais vous vous prononcez en fait sur la possibilité de le rendre public, ce qui est différent.

Deuxièmement, je ne vois pas de mises en cause dans le rapport. Le rapporteur, en revanche, a été mis en cause. D’abord, il serait malhonnête de limiter à la seule question des frontières le travail important qui a été accompli. Ensuite, il me paraît difficile, dans une crise comme celle que nous connaissons, de ne pas pointer les responsabilités – ce qui ne veut pas dire pointer la culpabilité : cela relève d’un autre domaine. De toute évidence, dans la gestion d’une crise, il y a bel et bien des responsables. Ne pas les nommer, ce serait prendre nos concitoyens pour des ânes – à supposer, bien sûr, qu’ils aient la possibilité de lire ce rapport. Ils savent très bien qui a pris des décisions. On ne peut pas faire abstraction du fait qu’il y a un gouvernement, un ministre de la santé et diverses autorités. Je veux bien qu’on ne fasse pas de polémique, mais il y a quand même un moment où l’on est obligé d’expliquer le fonctionnement des choses.

Je ne suis pas non plus d’accord avec ceux qui disent que le rapport sort au mauvais moment, au motif que la crise n’est pas terminée. Heureusement que l’on n’a pas attendu la fin de la première guerre mondiale pour remplacer M. Joffre et M. Nivelle : un examen de la stratégie a conduit à un changement de généraux.

Par ailleurs, fédéraliser les ARS en en faisant des potentats régionaux, ce n’est pas décentraliser, c’est recentraliser au niveau local. « C’est le même marteau qui frappe mais on en a raccourci le manche », selon la formule d’un contempteur de Bonaparte. La proposition du rapporteur est bien plus pertinente.

Enfin, si je devais suggérer d’ajouter quelque chose à ce rapport déjà très complet, cela concernerait les influences extérieures : nous aurions pu creuser davantage cette question, si nous en avions eu le temps. Des accusations ont été portées à propos des médicaments proposés : certains laboratoires pharmaceutiques auraient fait du lobbying. Le Comité scientifique lui-même aurait fait montre de partialité. J’ai lu tout récemment que l’Union européenne avait acheté le remdesivir, produit par le laboratoire Gilead, alors même que ce médicament était parfaitement inefficace. La France, quant à elle, ne l’a pas fait. Nous sommes donc neutres dans cette affaire précise, mais il y a là des enjeux financiers très importants, qui nourrissent le complotisme et la défiance à l’égard des institutions. En outre, dans certains des débats scientifiques – ou prétendument scientifiques –, les prises de position de certains experts ne devaient rien au hasard : elles étaient liées à des intérêts bien cachés, que j’aurais souhaité pouvoir mettre un peu plus en lumière.

Quoi qu’il en soit, toutes mes félicitations, monsieur le rapporteur, pour ce travail qui, je pense, va permettre d’éclairer nos concitoyens.

M. le président Julien Borowczyk. Nous avons évoqué la semaine dernière le premier point que vous avez évoqué : c’est effectivement le rapport de M. le rapporteur, mais il fait l’objet d’un dépôt, ce qui suppose au préalable qu’il soit adopté. Le vote portera donc bien sur son adoption.

J’en profite pour vous expliquer, chers collègues, pourquoi je vous ai demandé de nous remettre à la fin de la réunion les exemplaires du rapport qui vous ont été distribués. En cas de rejet, le rapport ne sera pas publié, évidemment ; mais en cas d’adoption, il ne peut l’être avant l’expiration d’un délai de cinq jours francs, soit mardi prochain. C’est une pratique constante de notre assemblée s’agissant des commissions d’enquête. 

M. David Habib. Comment pourrons-nous préparer nos contributions si nous n’avons pas accès au rapport ?

M. le président Julien Borowczyk.  C’est ce qui s’est toujours fait, dans toutes les commissions d’enquête. Ce n’est pas une nouveauté, nous l’avions d’ailleurs acté la semaine dernière. Les contributions, qu’elles soient individuelles ou qu’elles émanent des groupes, devront être déposées avant lundi soir pour qu’elles soient publiées en annexe du rapport.

M. Pierre Dharréville. J’entends bien ce que vous nous dites à propos de la publication, mais qu’en est-il de la communication autour du rapport ?

M. le président Julien Borowczyk. Cela ne pose aucun problème : c’est la publication écrite du rapport qui ne doit intervenir qu’à l’expiration du délai.

M. David Habib. J’entends ce que vous dites, monsieur le président, mais il faut également tenir compte du fait que le contexte est un peu particulier. Par ailleurs, comment voulez-vous que nous rédigions nos contributions sans nous référer à un certain nombre de documents fournis dans le rapport ? Je pense notamment au tableau de la page 90, dont nous avons besoin pour évoquer la lisibilité du processus de décision.

Et puis, arrêtons de nous raconter des histoires : vous êtes en train, une fois de plus, d’instrumentaliser le fait que vous êtes majoritaires.

M. le président Julien Borowczyk. Je ne peux pas vous laisser dire cela !

M. David Habib. Excusez-moi, monsieur Borowczyk, mais Patrick Mignola avait déjà le rapport, il a eu l’honnêteté de le dire. Je suis persuadé que beaucoup d’autres membres de la majorité l’avaient eux aussi.

M. Nicolas Démoulin. Je puis vous assurer que ce n’est pas mon cas !

M. le président Julien Borowczyk. Monsieur Habib, je ne saurais tolérer ces accusations ! Jusqu’à présent – vous l’avez vous-même souligné –, les travaux de notre mission d’information s’étaient déroulés dans une relative sérénité. Je ne peux pas vous laisser insinuer de telles choses. Ce sont des supputations mais n’avez aucune preuve.

M. Mignola peut dire ce qu’il veut, c’est son droit ; malheureusement, il n’est plus parmi nous pour se justifier. Mais je ne tolérerai pas que vous sous-entendiez que certains membres de la majorité ont eu accès au rapport avant l’heure.

M. David Habib. C’est pourtant ce que vient de dire M. Mignola !

M. le président Julien Borowczyk. Voyez cela avec lui ! Ce sont ses déclarations, c’est sa responsabilité qu’elles engagent.

M. Damien Abad. Je comprends ce que vous dites, monsieur le président, et je suis tout à fait désolé de cette affaire. Permettez-moi de vous communiquer une information : alors que notre réunion n’est pas encore terminée et que nous n’avons pas encore voté, M. Mignola vient de dénoncer, en direct sur LCI, un rapport « de réquisitions et d’accusation ad hominem » contre les ministres et anciens ministres chargés de gérer la crise. (Exclamations.) Ses déclarations ont été reprises par la chaîne de l’Assemblée nationale.

Comment voulez-vous, dans ces conditions, que nous ne parlions pas du rapport ? Nous considérons que le huis clos a été bafoué et que, dès lors, plus personne n’est tenu de le respecter.

M. David Habib et M. Boris Vallaud. Exactement !

M. le président Julien Borowczyk.  Je viens de vous préciser que le fait de communiquer sur le rapport ne posait pas de problème. C’est sa publication officielle qui n’aura lieu que la semaine prochaine. Pour répondre à votre question, monsieur Habib, je puis entendre que vous ayez besoin des documents pour préparer votre contribution. Je vous propose donc que le rapport soit de nouveau consultable dans les jours à venir.

M. David Habib. Sinon, nous partirons avec ! Je saisirai le président de l’Assemblée nationale : M. Mignola s’exprime dans les médias alors que nous n’avons même pas encore voté !

M. Damien Abad. Il arrive après la présentation du rapporteur, ne reste que cinq minutes puis s’en va dénoncer publiquement le rapport !

M. Éric Ciotti, rapporteur. Et manifestement, il ne l’avait pas lu !

M. Jean-Christophe Lagarde. Dans le monde d’aujourd’hui, plus rien n’est secret, et je suis persuadé que le rapport sera diffusé avant les cinq jours en question.

Je n’accuse personne. Toujours est-il que, tout à l’heure, Patrick Mignola, arrivé en retard et n’ayant pas entendu ce que vous aviez dit au début de la réunion, a déclaré qu’il avait lu le rapport il y a plusieurs jours. Tel n’est pas notre cas. Cela est dommageable.

Monsieur le président, ne pourriez-vous pas faire en sorte que les présidents de groupe au moins disposent du rapport, sous leur responsabilité, pour rédiger leur contribution ? Nous pourrions également soumettre cette proposition au vote de notre mission d’information, ou tout simplement demander l’autorisation du président de l’Assemblée. M. Aubert disait tout à l’heure, sans doute à juste titre, que nous n’avions pas suffisamment travaillé sur les collusions existant entre certains spécialistes et les laboratoires, ni analysé à cette lumière les déclarations des uns et des autres, soit parce nous n’en avons pas eu le temps, soit parce que nous ne l’avons pas voulu. Quoi qu’il en soit, mon groupe souhaite s’exprimer sur ce sujet. Or je ne sais même pas si le rapporteur l’a abordé dans son texte, car je n’ai pas pu consacrer suffisamment de temps à sa lecture.

Je rappelle, enfin, qu’en cas de fuites de cette nature, il est possible d’engager des poursuites. Je précise d’ailleurs que si je me suis absenté quelques minutes de la réunion, ce n’était pas pour parler de ce sujet. Toujours est-il qu’en revenant, lorsque j’ai traversé la salle des quatre colonnes, j’ai constaté que des journalistes étaient en train de poser des questions sur le contenu de ce rapport dont nous allons parler pendant cinq jours sans l’avoir – et que les journalistes diffuseront, en réalité. Vous ne pouvez rien contre les faits médiatiques et les faits politiques.

Dans l’intérêt du travail parlementaire, vous devriez faire confiance aux présidents de groupe et leur permettre d’avoir le rapport. Si toutefois vous décidez que l’accès au rapport sera limité à une consultation, je vous demanderai que celle-ci soit autorisée pour l’un de mes collaborateurs.

M. Julien Aubert. L’article 114-2 du règlement dispose : « Le rapport adopté par une commission d’enquête est remis au Président de l’Assemblée. Le dépôt de ce rapport est publié au Journal officiel. Sauf décision contraire de l’Assemblée constituée en comité secret […], le rapport est imprimé et distribué. Il peut donner lieu à un débat sans vote en séance publique. » Sur la base de cet article, qu’est-ce qui justifie, juridiquement, que les membres de la commission d’enquête ne puissent pas partir avec un exemplaire du rapport une fois que celui-ci aura été adopté ?

M. le président Julien Borowczyk. Ce n’est pas écrit stricto sensu dans le règlement, monsieur Aubert, mais je vous croyais assez respectueux des règles habituelles de notre assemblée car c’est une règle qui, jusqu’à présent, a été respectée par tout le monde.

Chers collègues, je vous propose de suspendre la réunion quelques minutes. Nous entendrons ensuite la réponse de M. le rapporteur et, pour finir, nous procéderons au vote.

La réunion, suspendue à onze heures vingt-cinq, est reprise à onze heures trente-cinq.

 

M. le président Julien Borowczyk. Après consultation des précédents et du règlement, je maintiens ma demande : vous devrez restituer à votre départ les documents qui vous ont été distribués. L’article 144-2 du règlement précise en effet que l’Assemblée, constituée en comité secret, pourrait refuser la publication du rapport. Si vous l’emportiez avec vous, cela pourrait avoir des conséquences pénales, puisque, pour l’instant, sa publication n’a pas été autorisée.

M. Boris Vallaud. Ce qui est interdit, c’est de publier le document, pas de le détenir ! Il s’agit, je le répète, d’une pratique qui a toujours été observée dans cette assemblée jusqu’à présent.

M. Julien Aubert. Dire que le rapport ne doit pas être publié tant que nous n’avons pas encore pris la décision de le faire, c’est une chose ; m’interdire d’y avoir accès une fois qu’il a été adopté par cette mission, dont je suis membre, alors que le président et le rapporteur, eux, l’ont en leur possession, c’en est une autre. Je ne vois pas ce qui justifie cette différence de traitement entre les membres de la mission d’information.

M. le président Julien Borowczyk. Nous n’allons pas disserter sur ce sujet toute la matinée !

M. Damien Abad. Ce n’est pas disserter pour disserter : c’est un problème fondamental. L’article que vous avez cité ouvre une possibilité qui n’est pas une obligation. Vous utilisez cette possibilité ; c’est votre droit.

Cela veut dire, concrètement, que vous n’excluez pas que le comité secret refuse la publication du rapport. Je prends acte de cette position. Elle est respectable, mais elle signifie que vous n’avez pas forcément envie que le rapport soit publié. Dont acte.

M. le président Julien Borowczyk. J’aimerais que l’on évite de partir dans des digressions qui n’ont absolument rien à voir avec la réalité.

M. Damien Abad. Ce que je viens de dire est une réalité.

M. le président Julien Borowczyk. Je fais tout simplement respecter le règlement en tant que président de la mission d’information. Je ne suis pas en train de vous dire que le rapport ne sera pas publié ni qu’il le sera : je vous décris ce qui se passe habituellement, et ce que précise le règlement.

M. Damien Abad. Dans ce cas, monsieur le président, pouvez-vous vous engager à ce que le rapport soit publié ? Êtes-vous personnellement favorable à cette publication ?

M. le président Julien Borowczyk. Je suis le président de la mission d’information. Je ne suis pas en train de vous donner une position personnelle, je précise quelle est ma position en qualité de président, chargé de faire respecter le règlement.

M. Damien Abad.  Montrez-moi l’article du règlement qui stipule que le président d’une commission d’enquête a le droit de disposer du rapport, mais pas les autres membres. Nous, cela ne nous dérange pas que vous parliez de la non-publication du rapport 

M. le président Julien Borowczyk. Quand a-t-on vu certains membres d’une commission d’enquête souhaitant partir avec un exemplaire du rapport avant la publication officielle de celui-ci ?

M. Damien Abad. Là n’est pas la question…Monsieur le président, je vous le dis clairement et en toute amitié : je note que vous n’excluez pas la non-publication du rapport.

M. le président Julien Borowczyk. Monsieur Abad, je ne peux pas tolérer ce que vous êtes en train de dire. Je n’ai absolument pas dit cela. Je fais respecter le règlement.

M. Damien Abad. Si vous étiez favorable à la publication du rapport, vous le diriez !

M. le président Julien Borowczyk. Je ne vous donne pas ma position, monsieur Abad ; cela ne veut pas dire que je suis pour ou contre.

M. Damien Abad. Nous constatons simplement que la publication ne sera pas automatique, et nous en prenons acte.

M. le président Julien Borowczyk. Qu’entendez-vous par là ?

M. Damien Abad. Que vous n’êtes pas sûr de publier le rapport, puisque vous dites que vous ne pouvez pas me donner de réponse.

M. le président Julien Borowczyk. Je ne suis pas le comité secret !

M. Boris Vallaud. Allez-vous demander à votre groupe que l’Assemblée se réunisse en comité secret ? Moi, je peux vous dire que nous n’allons pas le demander…

M. Éric Ciotti, rapporteur. Nous non plus nous ne le ferons pas !

M. le président Julien Borowczyk. Voilà une position claire. Malheureusement, tout le monde n’est pas en mesure, ici, de se prononcer sur cette question. Moi-même, je ne suis pas président de groupe.

Chers collègues, je vous propose que nous entendions maintenant les réponses de M. le rapporteur.

M. Éric Ciotti, rapporteur. Je répondrai brièvement aux orateurs, monsieur le président, après quoi nous conclurons par un vote le débat que nous venons d’avoir.

Certes, il y a des divergences quant à l’interprétation du règlement, mais je vous rappelle que, lors de notre réunion de mercredi dernier nous avons eu un débat sur le sens du vote d’aujourd’hui. Il est clair qu’un vote positif signifie que le rapport est adopté. Par ailleurs, sauf erreur de ma part, nous étions convenus à l’unanimité que, si le rapport était adopté, nous ferions d’une certaine manière abstraction du délai de cinq jours francs, lié à la réunion d’un éventuel comité secret.

M. le président Julien Borowczyk. Non, je ne crois pas.

M. Éric Ciotti, rapporteur. Nous savons bien que personne ne va demander la constitution d’un comité secret.

Ce débat a pris des proportions inattendues, notamment du fait de l’intervention de Patrick Mignola. La seule chose que je peux répondre, c’est que ce n’est pas moi qui lui ai donné le rapport… Quand bien même il l’aurait eu, je suis à peu près certain qu’il ne l’a pas lu. En effet, il a dit qu’il ne pourrait pas le voter à cause des mises en cause personnelles qu’il contenait. Or il n’y en a aucune.

Cette mise au point étant faite, je remercie tous ceux qui ont exprimé une position positive sur le rapport, ainsi que les autres. Nous avons voulu faire un travail intellectuellement honnête. Chacun peut avoir des positions particulières. Certaines interprétations peuvent être divergentes. Les contributions personnelles et celles des groupes permettront de marquer ces différences.

En tout état de cause, ce que je n’ai pas voulu faire, c’est justement un procès personnel – à qui que ce soit. Il y a même un chapitre, que nous n’avons pas évoqué, consacré à la judiciarisation de ces procédures, dont je dis clairement qu’elle me paraît dangereuse en temps de crise. J’ai repris, à cet égard, ce qu’avait dit Édouard Philippe devant notre mission, et que je partage. Il n’y a donc aucune mise en cause personnelle, ni rien qui puisse y conduire.

Monsieur Démoulin, en ce qui concerne la prise en charge des personnes âgées, qui est une question essentielle, des points de vue divergents voire contradictoires ont été exprimés lors des auditions. J’en ai rendu compte, et j’ai mon analyse personnelle. Je ne suis pas convaincu par la distinction opérée entre la valeur absolue et le pourcentage. D’ailleurs, si l’on suit votre raisonnement, c’est précisément parce que ce sont les personnes âgées qui ont été très majoritairement touchées que l’on aurait dû retrouver un plus grand nombre d’entre elles dans les services de réanimation.

Mme Monique Iborra. Non !

M. Éric Ciotti, rapporteur. Nous ne nous mettrons pas d’accord à ce stade. Les courbes qui figurent dans le rapport montrent l’évolution du nombre de personnes hospitalisées. Elles émanent de la DGS et de la DGOS. Je ne les ai pas inventées, et personne, du reste, n’en conteste la réalité. Les éléments dont nous disposons montrent, dans la période critique que sont les deux semaines que j’évoque, une diminution de la moyenne d’âge, ce qui corrobore mon interprétation. Toutefois, je comprends que vous ne la partagiez pas. Il sera loisible à chacun de le dire.

Monsieur Lagarde, le contrôle du Parlement est un point important. Il fait l’objet de l’une de mes propositions. J’en profite pour rappeler que j’en formule 29 propositions – je le dis pour ceux qui pensent qu’il n’y en a pas assez. On ne peut pas faire les 110 propositions tout le temps, madame Iborra – cette référence doit vous rappeler certains souvenirs.

Mme Monique Iborra. Ce n’est pas le nombre qui importe !

M. Éric Ciotti, rapporteur. Certaines d’entre elles me paraissent importantes, notamment la nomination d’un ministre délégué qui sera chargé de la préparation à la crise, car je suis attaché à ce que l’on remette du temps long en politique.

Je propose aussi que chaque année, dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), un rapport sur l’état des stocks stratégiques soit soumis au Parlement.

Il y a certains débats dans lesquels je n’ai pas souhaité entrer, c’est vrai, notamment pour celui autour de l’hydroxychloroquine. Je ne me sentais pas de compétence particulière pour traiter de façon définitive ce sujet, qui fera sans doute l’objet d’une controverse interminable. Je ne suis pas sûr que nous aurions contribué à la sérénité du débat en venant sur ce terrain.

M. Nicolas Démoulin. Très bien !

M. Éric Ciotti, rapporteur. Enfin, je remercie chacun pour son travail et sa contribution.

M. le président Julien Borowczyk. Mes chers collègues, nous allons maintenant procéder au vote. Je rappelle que, conformément à la décision de la conférence des présidents du 31 mars, seuls les membres de la mission peuvent participer au vote, pas les présidents de groupe ou leurs représentants.

M. Jean-Christophe Lagarde. C’est dommage, j’aurais voté pour !

Mme Martine Wonner. Moi aussi j’aurais voté pour ! Vous pouvez considérer, monsieur le président, que ma main est virtuellement levée !

M. le président Julien Borowczyk. Nous en prenons bonne note, chers collègues.

 

La mission d’information adopte le rapport, le groupe Larem et le Modem s’étant abstenu.

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   PERSONNES AUDITIONNÉES

Les comptes rendus des auditions sont consultables à l’adresse suivante : http://www2.assemblee-nationale.fr/15/missions-d-information/missions-d-information-de-la-conference-des-presidents/impact-gestion-et-consequences-dans-toutes-ses-dimensions-de-l-epidemie-de-coronavirus-Covid-19/(block)/ComptesRendusCommission/(instance_leg)/15/(init)/0-15

 

Audition du 16 juin 2020

M. Jérôme Salomon, directeur général de la santé

Auditions du 17 juin 2020

M. François Bourdillon, ancien directeur général de Santé publique France (2016 à 2019)

Mme Geneviève Chêne, directrice générale de Santé publique France

Auditions du 18 juin 2020

M. Jean-François Delfraissy, président du Conseil scientifique Covid-19, M. Arnaud Fontanet, Mme Lila Bouadma, M. Bruno Lina, membres du Conseil scientifique Covid-19

M. Benoît Vallet, directeur général de la santé (2013 à 2018)

M. Jean-Yves Grall, directeur général de la santé (2011 à 2013)

Audition du 23 juin 2020

M. William Dab, ancien directeur général de la Santé (2003 à 2005)

Auditions du 24 juin 2020

M. Didier Houssin, ancien directeur général de la Santé (2005 à 2011)

M. Didier Raoult, directeur de l’institut hospitalo-universitaire Méditerranée Infection

Audition du 25 juin 2020

Mme Karine Lacombe, cheffe de service des maladies infectieuses à l’hôpital Saint-Antoine, à Paris

Audition du 30 juin 2020

Mme Agnès Buzyn, ancienne ministre des Solidarités et de la Santé (mai 2017 – février 2020)


Auditions du 1er juillet 2020

Mme Marisol Touraine, ancienne ministre des Affaires sociales et de la santé (2012 à 2017)

Mme Roselyne Bachelot, ancienne ministre de la santé et des sports (2007 à 2010)

Audition du 2 juillet 2020

M. Xavier Bertrand, ancien ministre de la santé et des solidarités (2005 à 2007) et ancien ministre du Travail, de l’emploi et de la santé (2010 à 2012)

Audition du 6 juillet 2020

M. Martin Hirsch, directeur général de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris, Mme Catherine Paugam-Burtz, directrice générale adjointe, M. Bruno Riou, directeur médical de crise de l’AP-HP, M. Christophe Gautier, directeur général des Hôpitaux universitaires de Strasbourg, M. Jean-Marie Danion, président de la commission médicale d’établissement, M. Rodolphe Soulié, directeur adjoint du CHU de Strasbourg

Audition du 7 juillet 2020

Table ronde réunissant les organisations représentatives des personnels hospitaliers : Mme Astrid Petit, membre de la direction fédérale de la fédération Santé et action sociale de la Confédération générale du travail (CGT) ; M. Gilles Gadier, secrétaire fédéral de la fédération des personnels des services publics et des services de santé Force ouvrière (FO) ; M. Olivier Youinou, cosecrétaire du syndicat Solidaires, unitaires et démocratiques (SUD) santé sociaux solidaires de l’Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP) ; Mme Clotilde Cornière, secrétaire nationale de la fédération santé sociaux de la Confédération française démocratique du travail (CFDT) ; M. Maxime Sorin, conseiller technique pour l’Union nationale des syndicats autonomes (UNSA) santé et sociaux public et privé

Auditions du 8 juillet 2020

M. Frédéric Valletoux, président de la Fédération Hospitalière de France (FHF) ; M. Jean-Marie Woehl, président de la commission médicale d'établissement (CME) des hôpitaux civils de Colmar ; M. Alexis Thomas, directeur de cabinet de la Fédération Hospitalière de France

M. Lamine Gharbi, président de la Fédération de l’Hospitalisation Privée (FHP) *, Mme Christine Schibler, déléguée générale, Mme Béatrice Noëllec, directrice des relations institutionnelles ; Mme Marie-Sophie Desaulle, présidente de la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privée non lucratifs (FEHAP*), M. Antoine Perrin, directeur général de la FEHAP

Audition du 9 juillet 2020

Table ronde réunissant les organisations représentatives des médecins libéraux : Mme Agnès Giannotti, Mme Valérie Duthil, vice-présidentes de MG France ; Mme Corinne Le Sauder, présidente de la Fédération des médecins de France, M. Jean-Paul Hamon, ancien président ; M. Jean-Paul Ortiz, président de la Confédération des syndicats médicaux français*; M. Philippe Vermesch, président du Syndicat des médecins libéraux

Audition du 15 juillet 2020

M. François Braun, président de Samu-Urgences de France et chef du pôle urgences du centre hospitalier régional de Metz-Thionville, M. Pierre-Albert Carli, vice-président et chef de service des urgences de l’hôpital Necker de Paris, M. Jean-Emmanuel de la Coussaye, vice-président et chef de service des urgences au centre hospitalier universitaire de Nîmes

Auditions du 16 juillet 2020

Mme Katia Julienne, directrice générale de l’offre de soins (DGOS), Mme Stéphanie Decoopman, cheffe de service à la DGOS

M. Patrick Bouet, président du Conseil national de l’ordre des médecins (CNOM)

Audition du 21 juillet 2020

Colonel Grégory Allione, président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF*), médecin-colonel Patrick Hertgen, vice-président chargé du secours d’urgence aux personnes et du service de santé et de secours médical

Mme Nathalie Maubourguet, présidente de la Fédération française des associations de médecins coordonnateurs en EHPAD (FFAMCO), Mme Odile Reynaud-Levy, vice-présidente de l’association nationale des médecins coordonnateurs et du secteur médico-social (MCOOR)

Auditions du 22 juillet 2020

M. Christophe Lannelongue, ancien directeur général de l’Agence régionale de santé (ARS) Grand Est

Table ronde réunissant des syndicats de biologistes médicaux libéraux : M. François Blanchecotte , président du syndicat des biologistes (SDB*), M. JeanFrançois Perotto, vice-président du syndicat des laboratoires de biologie clinique (SLBC), M. Claude Cohen, président du syndicat national des médecins biologistes (SNMB), Mme Stéphanie HaimBoukobza, membre du conseil d’administration, M. Julien Kimson Nguyen, membre du bureau du syndicat des jeunes biologistes médicaux (SJBM)

Audition du 23 juillet 2020

M. Aurélien Rousseau, directeur général de l’Agence Régionale de Santé (ARS) Île‑de‑France, Mme MarieAnge DesaillyChanson, directrice de l’Agence Régionale de Santé (ARS) Grand Est, Mme Anne Carli, déléguée territoriale du Val‑d’Oise, Mme Lamia Himer, déléguée territoriale de la Moselle

Auditions du 28 juillet 2020

Mme Agnès RicardHibon, présidente de la Société française de médecine d’urgence (SFMU) ; M. Hervé Bouaziz, président, MMarc Léone, secrétaire général adjoint de la Société française d’anesthésie et de réanimation (SFAR), M.  Éric Maury, président de la Société de réanimation de langue française (SRLF), M. Patrick Pelloux, président de l’Association des médecins urgentistes de France (AMUF)

Mme Annabelle VêquesMalnou, directrice de la Fédération nationale des associations de directeurs d’établissements et de services pour personnes âgées (FNADEPA), M. Éric Fregona, directeur adjoint de l’Association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA)

Auditions du 29 juillet 2020

M. Nicolas Castoldi, coordonnateur de la stratégie de dépistage Covid-19

M. Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), Mme Bénédicte Bertholom, déléguée générale, M. Guillaume Racle, délégué à l’économie et l’offre de santé ; M. Philippe Besset *, président de la fédération des pharmaciens d’officine (FSPF), M. Quentin Leprevost, chargé de veille en affaires publiques

Auditions du 15 septembre 2020

Pr Antoine Flahault, directeur de l’Institut de santé globale de l’Université de Genève

M. Louis Gautier, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) (2014 à 2018)

Auditions du 16 septembre 2020

Mme Claire Landais, secrétaire générale de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) (2018 à 2020)

Mme Maryline Gygax Généro, directrice centrale du service de santé des armées, M. Éric Valade, médecin en chef, chef du département de biologie des agents transmissibles

Audition du 17 septembre 2020

Mme Claudette Brialix, présidente de la Fédération nationale des associations et amis de personnes âgées et de leurs familles (FNAPAEF)

Auditions du 22 septembre 2020

Mme Florence Arnaiz-Maumé, déléguée générale du Syndicat national des établissements et résidences privés pour personnes âgées (SYNERPA*), Mme Carole Falguières, directrice des opérations et de la coordination, Mme Pauline Meyniel, responsable du pôle médico-social

M. Jean-Paul Stahl, ancien chef de service des maladies infectieuses et tropicales au CHU de Grenoble

Auditions du 23 septembre 2020

M. Georges-François Leclerc, préfet de la Seine-Saint-Denis, Mme Anne-Claire Mialot, préfète déléguée pour l’égalité des chances

M. Jean-Yves Blay , président du réseau UNICANCER*, Mme Sophie Beaupère, déléguée générale

Mme Dominique Le Guludec, présidente de la Haute Autorité de santé, M.  Thomas Wanecq, directeur général, M. Hubert Galmiche, chef de service évaluation des dispositifs, M. Pierre Gabach, chef de service des bonnes pratiques professionnelles, Mme Christine Vincent, cheffe du service juridique

Audition du 29 septembre 2020

M. Thomas Fatome, directeur général de la Caisse nationale de l’assurance maladie (CNAM), M. Claude Gissot, directeur de la stratégie, des études et des statistiques, Mme Annelore Coury, directrice déléguée à la gestion et à l’organisation des soins, M. Pierre Peix, directeur délégué des opérations, Mme Véronika Levendof, directrice juridique

Auditions du 30 septembre 2020

M. Francis Delon, secrétaire général de la défense nationale de 2004 à 2014

Mme Isabelle Braun-Lemaire, Directrice générale des douanes et droits indirects, M. Guillaume Vanderheyden, sous-directeur « Commerce international »

M. Stéphane Cassagne, directeur général du métier Distribution & Express de la société GEODIS, M. Éric Martin Neuville, membre du Comex, en charge de l’activité freight forwarding, Mme Virginie Guérin, CEO Chief of Staff & Public Affairs

Auditions du 6 octobre 2020

M. Fernand Gontier, directeur central de la police aux frontières, Mme Brigitte Lafourcade, directrice centrale adjointe, et M. Christian Lajarrige, chef d’état-major

Mme Claude Rambaud , vice-présidente de l’association France Assos Santé *et M. Jean-Pierre Thierry, conseiller médical

M. Jacques Creyssel, délégué général de la Fédération des Entreprises du Commerce de distribution (FCD*), Mme Élodie Tafournel, directrice qualité

Audition du 13 octobre 2020

Mme Virginie Lasserre, directrice générale de la cohésion sociale (DGCS)

Audition du 20 octobre 2020

M. Grégory Emery, conseiller de M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé, et ancien conseiller au cabinet de la ministre des solidarités et de la santé Mme Agnès Buzyn

Audition du 21 octobre 2020

M. Édouard Philippe, ancien Premier ministre

 

 

Audition du 22 octobre 2020

M. Christophe Castaner, ancien ministre de l’Intérieur

Auditions du 28 octobre 2020

M. Jérôme Salomon, directeur général de la santé

Table ronde réunissant des associations d’élus locaux : Association des maires de France (AMF) : M. François Baroin, président, Mme Aurore Mouysset, chef de Cabinet ; Assemblée des départements de France (ADF) : M. Dominique Bussereau, président, M. Pierre Monzani, préfet, directeur général de l’ADF, Mme Ann-Gaëlle Werner-Bernard, conseiller ; Régions de France (ARF) : M. Renaud Muselier, président, M. Jules Nyssen, délégué général

Audition du 2 novembre 2020

M. Laurent Bili, Ambassadeur de France en Chine, M. Olivier Guyonvarch, Consul général de France à Wuhan

Audition du 4 novembre 2020

M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé

Audition du 17 novembre 2020

M. Jean Castex, Premier ministre

 

 

 

 

 

 

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.


   CONTRIBUTIONS

 

Contribution présentée par les membres LaRem de la mission

 

La mission d’information sur l’impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l’épidémie de Coronavirus-Covid 19 en France, créée par la Conférence des présidents du 17 mars 2020 avait pour objectif, dans une première phase, d'assurer un suivi renforcé de la gestion de la crise sanitaire et des mesures prises dans le cadre de l’urgence sanitaire conformément à ce que prévoit la loi du 23 mars 2020. Le président de l’Assemblée nationale, président de la mission d’information en était le rapporteur général et les huit présidents de commission en étaient les co-rapporteurs. Le  mercredi 3 juin, à l’issue de cette première phase, la mission d’information a examiné puis autorisé la publication de son premier rapport d’étape.

Lors de cette même réunion, la mission d’information a entamé la deuxième phase de ses travaux en se dotant des prérogatives d’une commission d’enquête. Le champ des travaux de la mission a été élargi à l’évaluation de la gestion de la crise et à ses conséquences, notamment en matière économique, budgétaire, sociale, culturelle et internationale. Le présent rapport auquel est annexée cette contribution a été réalisé dans le cadre de cette seconde phase.

 

Monsieur le rapporteur a présenté son rapport le 2 décembre 2020. Les membres La république en Marche appartenant à la Mission d’information munie des pouvoirs d’enquête ont souhaité s’abstenir dans le cadre du vote relatif à l’adoption du rapport, qui a, de facto, été adopté et aura vocation à être publié. 

 

Le choix de ce vote nous est apparu évident pour deux raisons, comme souvent, l’une de fond et l’autre relevant du formalisme et de la procédure parlementaire. 

 

Des considérations de fond, d’abord, ont justifié que nous ne puissions voter pour ce rapport.

En effet, nous déplorons que le rapport ne reflète pas le contenu des échanges, de haute qualité, et avec des positionnements divers, que nous avons eus avec les nombreuses personnes auditionnées : certaines auditions, certains éléments significatifs sont tout simplement occultés par le rapporteur, qui a préféré sélectionner d’autres éléments, les sortant donc d’un contexte plus global, laissant l’impression qu’il ne souhaitait qu’étayer la vision qu’il entendait démontrer, et s’était forgée dès l’origine des auditions.  En somme, le rapporteur a posé des questions ciblées au cours des auditions, a utilisé les réponses des personnes auditionnées qui allaient dans le sens de ce qu’il entendait démontrer, en faisant fi des réponses, pourtant réelles et bel et bien majoritaires, qui allaient dans le sens parfaitement contraire. 

Certaines personnes auditionnées ont d’ailleurs elles-mêmes ressenti cette volonté du rapporteur de travestir leurs propos, par voie de presse, qui les ont amenées à réaffirmer médiatiquement leurs propos afin de rectifier avec fermeté ceux du rapporteur ([292]).

Le rapporteur a, par ailleurs, et sans qu’il ne soit nécessaire de s’appesantir sur ce point, été tenté d’intégrer des éléments issus de travaux extérieurs aux nôtres (auditions menées au Sénat de Messieurs Cédric O, secrétaire d’état chargé de la transition numérique et des communications électroniques ; Philippe Lefort, ambassadeur de France en Corée, François Chih-Chung Wu, représentant de Taïwan en France), toujours dans le but d’étayer ses thèses. 

Il nous semble donc que le rapport présenté par Monsieur Ciotti reflète sa position personnelle, éventuellement partagée par certains membres de la commission mais n’est néanmoins pas représentative des travaux de l’ensemble de la commission au nom de laquelle il est pourtant tenu de rapporter.

 

Pour illustrer nos propos, il ne sera pas nécessaire de commenter l’ensemble des thématiques abordées par le rapporteur, tant son traitement de la question des modalités d’admission des personnes de plus de 75 ans en services de réanimation pendant la crise révèle les intentions partiales et partielles du rapporteur. 

En effet, l’argumentaire du rapporteur part du constat selon lequel, parmi les patients atteints de la covid, il y a une baisse particulièrement importante de la part des personnes âgées de plus de 75 ans admises en services de réanimation.

Il énonce par ailleurs que l’âge médian d’entrée en services de réanimation a baissé depuis le début de la crise. Il énonce que 93% des personnes décédées de la covid ont plus de plus de 65 ans. Cette catégorie de personnes aurait donc dû être plus représentée en services de réanimation. 

Ces données doivent selon lui conduire à se poser la question de l’admission des personnes âgées en réanimation et va jusqu’à parler d’un « tri » fondé sur le critère d’âge qui aurait été opéré sur les patients, même si, prudent, il reconnait qu’il n’y a pas eu de doctrine ministérielle ou régionale officielle recommandant d’opérer une régulation fondée sur l’âge pour l’accès en service de réanimation. 

Nous laissons le rapporteur assumer sa position, que les médecins urgentistes, réanimateurs et l’ensemble du monde médical, dévoués tout au long de la crise et gérant du mieux qu’ils le peuvent des situations humaines et médicales terribles apprécieront.  

Nous précisons néanmoins que cette théorie, qu’il présente publiquement depuis de nombreux mois, sans qu’elle n’évolue à la lumière des nombreuses auditions corroborant pourtant l’idée contraire, n’est aucunement démontrée dans le rapport et demeure une simple hypothèse à laquelle le rapport veut croire. Elle ne reflète au demeurant pas le contenu de l’ensemble des auditions menées, les personnes auditionnées sur cette question ayant confirmé presque unanimement qu’elle ne repose sur aucun fondement factuel ni chiffré. 

L’argumentaire présenté par le rapporteur, basé presque exclusivement sur des données transmises par la DGOS à la mission d’information le 20 juillet, ne cite, au détour de quelques lignes symboliques, que deux personnes auditionnées, le directeur de l’ARS d’île de France et le Ministre de la santé Olivier Véran, ayant réfuté ces hypothèses. 

Il y en a pourtant eu bien d’autres qui ont affirmé qu’aucun tri n’avait été effectué sur la base de critère d’âge. 

Mme Agnès Ricard-Hibon, Présidente de la Société française de médecine d’urgence ([293])  a affirmé qu’« À chaque fois que nous avons été confrontés à cette question, nous y avons répondu en raisonnant sur la base de critères déterminés en fonction d’échelles de fragilité et de dépendance, comme nous le faisons tous les jours pour les cas n’ayant rien à voir avec le covid ».

M. Marc Léone, secrétaire général adjoint de la société française d’anesthésie et de réanimation (SFAR) ([294]) : « Vous avez parlé de triage à propos de la prise en charge des personnes âgées, mais le triage est le quotidien des réanimateurs. Ce triage est normal, encadré par des recommandations de sociétés savantes » ; « Nous n’avons jamais eu à faire un triage sur le critère de l’âge, nous nous en sommes tenus aux critères habituels : la volonté du patient et le bénéfice de la réanimation par rapport au risque et à la pénibilité de cette hospitalisation ». 

M. Éric Maury, président de la Société de réanimation de langue française (SRLF) : « La stratégie d’admission en réanimation des patients venant des EHPAD n’a pas changé pendant l’épidémie de covid-19 » ([295]).

M. Maxime Sorin, conseiller technique pour l’Union nationale des syndicats autonomes (UNSA) santé et sociaux public et privé : « on n’a pas fait des choix s’agissant des patients. Il existe des critères préétablis en matière de réanimation, et tous les patients sont examinés », « Je n’ai vu, à aucun moment, en réanimation, un médecin se poser la question : « j’ai deux patients, je choisis lequel ? ». À mon sens, cela n’est pas arrivé ». « Il faut reconnaître le professionnalisme du personnel paramédical et médical. Chacun a pris ses responsabilités, en évaluant le bénéfice et le risque – c’est ainsi que l’on travaille en médecine. Il n’y a pas eu de choix sur le plan humain » ([296]).

Mme Claude Rambaud, vice-présidente de l’Union nationale des associations agréées d’usagers du système de santé (France assos santé) ([297]), pourtant très à charge sur la prise en charge hospitalière des personnes âgées, n’a pas été aussi loin que Monsieur le rapporteur : lorsque M. le président Julien Borowczyk lui a rappelé qu’elle était sous serment, et que « tous les professionnels nous ont dit qu’ils n’avaient pas refusé d’entrées de patients, hormis la question éthique de savoir, au regard du rapport bénéfice/risque, s’il est mieux de maintenir des patients en EHPAD » ; elle finit par répondre qu’ « Il ne s’agit pas de refus. La plupart des gens ont été soignés dans les EHPAD ». « Je n’ai pas dit qu’ils n’avaient pas été soignés mais qu’ils avaient été soignés dans les EHPAD », avant de reconnaitre que « C’était sans doute le meilleur choix ».

 

Par ailleurs, le rapport fait une interprétation très personnelle des chiffres contestés par d’autres : certaines personnes auditionnées ont affirmé que l’âge moyen des patients covid. en réanimation est resté le même, même quand il y avait davantage de la place en réanimation, hors période de pic. Par ailleurs, pour analyser les chiffres il faut être précis : le nombre de lits en réanimation a été considérablement augmenté, donc les pourcentages sur une année ne peuvent pas être comparés aux pourcentages sur l’année actuelle (il s’agit de ne pas confondre pourcentage et valeur absolue). 

Ainsi, M. Aurélien Rousseau, directeur général de l’Agence régionale de santé Île-de-France, nous a indiqué lors de son audition qu’il s’agissait d’une problématique statistique : « Sur la même période, en 2018 et 2019, l’âge moyen est autour de 62 ans, et l’âge médian est entre 60 et 61 ans en réanimation. Durant la crise, dans toute l’Île-de-France, ce chiffre est resté totalement à ce niveau-là. En réponse au rapporteur, il précise « Je crois qu’il y a plusieurs biais dans les analyses telles que je les ai comprises – j’ai vu les mêmes graphiques que vous de la direction générale de l’offre de soins –, notamment au regard de la complétude des données de l’AP-HP, qui a été grandement affectée par la grève du codage ces derniers mois. Il nous manque donc des données pour calculer ces moyennes. ». « Au pic de la crise, les 7 et 8 avril, 14 000 patients covid étaient hospitalisés dans les établissements de la région – je ne parle pas de la seule réanimation. La moyenne d’âge de ces patients était de 69 ans ; 28 % d’entre eux avaient plus de 80 ans et 8 % plus de 90 ans. Selon notre analyse, le taux d’hospitalisation à partir des EHPAD est resté stable, à 12 %. C’est le même chiffre que les années précédentes, mais il n’est pas significatif pour autant. Le volume de personnes âgées dépendantes qui n’étaient pas éligibles à la réanimation, suivant les critères fixés par les sociétés savantes de réanimateurs, a été beaucoup plus important que les années précédentes, parce qu’il y a eu beaucoup plus de cas – c’est une question de moyenne et de proportion ».

M. Marc Léone introduit d’autres éléments qui ont pu influer sur les chiffres et dont il faut tenir compte scientifiquement pour les analyser : « Je n’ai pas eu accès aux chiffres que vous avez évoqués, mais je dispose de ceux fournis par une étude actuellement sous embargo menée dans le cadre du programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI). Il apparaît que 14 % des 14 000 patients admis en réanimation au cours de la crise de la Covid-19 avaient plus de 80 ans. Dans une autre étude publiée l’an dernier, qui portait sur des patients ayant séjourné dans un service de réanimation en 2013 et qui ont été suivis jusqu’en 2016, ce taux était de 16,5 %. On enregistre donc une légère baisse au cours de la crise. 

Peut-être les patients atteints par le coronavirus étaient-ils plus âgés que les patients usuels ? Ce n’est cependant pas certain dans la mesure où la déprogrammation d’interventions en chirurgie cardiaque a par exemple écarté de la réanimation une population qui représente une grosse partie des admissions en réanimation chirurgicale ([298]).

Ainsi, sur cette question, comme sur d’autres éléments du rapport, le rapport est bien partial et partiel.

 

Sur le fond, nous regrettons sincèrement ces biais présents au sein du rapport, alors que certaines pistes avancées par ailleurs par le rapporteur auraient pu être intéressantes à développer davantage ([299]).

Des conditions de forme et de procédure, ensuite, ont justifié que nous ne voulions pas voter contre le rapport. 

Un vote contre le contenu du rapport, au fond, aurait empêché automatiquement toute publication de celui-ci ainsi que des pièces qui y sont annexées. 

Or, la mission de contrôle de l’action du Gouvernement par le législateur est fondamentale au regard de la séparation des pouvoirs. La transparence et la publicité des débats a une vocation d’apaisement social. Dans le cadre d’une crise sanitaire mondiale dont les conséquences sont réelles, parfois dramatiques, concernent l’ensemble de nos concitoyens, nous avons choisi, en responsabilité, et bien au-delà d’un simple formalisme, de poursuivre la transparence que nous avons conféré à nos travaux, depuis la création de cette mission d’information.

En effet, la mission d’information a mené de nombreuses auditions. 

Elle a ensuite été dotée des pouvoirs d’une commission d’enquête, extrêmement importants. Elle bénéficie ainsi d’une part d’un droit de citation directe : les personnes dont une commission d’enquête a jugé l’audition utile sont tenues de déférer à la convocation qui leur est délivrée ; elles sont entendues sous serment ; sont tenues de déposer sous réserve des dispositions relatives au secret professionnel prévues aux articles 22613 et 226-14 du code pénal. Ces obligations sont assorties de sanctions pénales. Par ailleurs, les sanctions prévues en cas de faux témoignage ou de subornation de témoin sont applicables aux enquêtes parlementaires ; 

D’autre part, des pouvoirs spécifiques sont attribués au rapporteur qui exerce sa mission sur pièces et sur place, doit obtenir tous les renseignements de nature à faciliter leur mission et est  habilité à se faire communiquer tout document de service, à l’exception de ceux revêtant un caractère secret, concernant la défense nationale, les affaires étrangères, la sécurité intérieure ou extérieure de l’État, et sous réserve du respect du principe de la séparation de l’autorité judiciaire et des autres pouvoirs ;

Enfin, chaque commission d’enquête est libre d’organiser la publicité des auditions par les moyens de son choix, y compris par retransmission télévisée. Elle peut, à l’inverse, choisir de se placer sous le régime du secret. 

C’est exactement le choix contraire que nous avons fait : nous avons mené un grand nombre d’auditions, qui ont pris plus d’une centaine d’heures, en parfaite entente avec le rapporteur, notamment concernant le choix des personnes qu’il serait opportun d’auditionner et avons choisi que les auditions soient diffusées en direct et/ ou retransmises en différé lorsque les conditions techniques du direct n’étaient pas possibles. Elles font toutes l’objet de comptes rendus écrits d’auditions. 

 

En conclusion, la mission d’information devait émettre, sur les sujets faisant l’objet de son champ, toutes les recommandations et préconisations qu’elle jugeait utiles. 

Force est de constater que les propositions présentées dans le rapport sont maigres, fondées ou adossées à des constats, démonstrations ou raccourcis reflétant la position du rapporteur. 

Il y a des valeurs que nous estimons indispensables afin de préserver l’effectivité du contrôle parlementaire de l’action du Gouvernement : une parole donnée sous serment de dire la vérité devant une assemblée munie des pouvoirs d’une commission d’enquête engage la responsabilité de son auteur. Le respect des propos tenus sous serment commande une honnêteté intellectuelle dans leur analyse.

 


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CONTRIBUTION DES Socialistes et apparentÉs