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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUINZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 2 décembre 2020.
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES (1)
sur la sécurité alimentaire dans l’Union européenne,
ET PRÉSENTÉ
par M. AndrÉ CHASSAIGNE et Mme Catherine OSSON,
Députés
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(1) La composition de la commission figure au verso de la présente page.
La Commission des affaires européennes est composée de : Mme Sabine THILLAYE, présidente ; MM. Pieyre-Alexandre ANGLADE, Jean-Louis BOURLANGES, Bernard DEFLESSELLES, Mme Liliana TANGUY, vice‑présidents ; M. André CHASSAIGNE, Mme Marietta KARAMANLI, M. Christophe NAEGELEN, Mme Danièle OBONO, secrétaires ; MM. Damien ABAD, Patrice ANATO, Mme Aude BONO-VANDORME, MM. Éric BOTHOREL, Vincent BRU, Mmes Fannette CHARVIER, Yolaine de COURSON, Typhanie DEGOIS, Marguerite DEPREZ-AUDEBERT, Coralie DUBOST, Françoise DUMAS, Frédérique DUMAS, MM. Pierre-Henri DUMONT, Alexandre FRESCHI, Mmes Valérie GOMEZ-BASSAC, Carole GRANDJEAN, Christine HENNION, MM. Michel HERBILLON, Alexandre HOLROYD, Mme Caroline JANVIER, MM. Christophe JERRETIE, Mme Chantal JOURDAN, M. Jérôme LAMBERT, Mmes Constance Le GRIP, Nicole Le PEIH, MM. Jean-Claude LECLABART, Patrick LOISEAU, David LORION, Thierry MICHELS, Jean-Baptiste MOREAU, Mme Catherine OSSON, MM. Xavier PALUSZKIEWICZ, Damien PICHEREAU, Jean‑Pierre PONT, Didier QUENTIN, Mme Maina SAGE, MM. Benoit SIMIAN, Mme Michèle TABAROT
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SOMMAIRE
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Pages
1. La législation européenne prévoit trois volets dans l’analyse des risques
b. La gestion et la communication des risques
iii. Communication sur le risque
2. Un rôle central de veille donné aux exploitants du secteur agroalimentaire et aux États membres
3. L’information des consommateurs
1. Une résurgence en « trompe-l’œil » des scandales alimentaires
1. Renforcer la traçabilité et les contrôles pour faire advenir une PAC « de l’amont à l’aval »
ii. L’utilisation des nouvelles technologies pour renforcer la traçabilité
i. Une organisation et une harmonisation européenne des contrôles encore sous-performantes
ii. Des moyens insuffisants alloués aux contrôles par les États membres
iv. Accroître la transparence des résultats des contrôles
a. L’information aux consommateurs et la responsabilité des distributeurs
b. Renforcer l’éducation à l’alimentation et à la sécurité sanitaire
3. Harmoniser les systèmes nationaux de surveillance sanitaire
4. Se donner les moyens d’une expertise scientifiques indépendante
5. Réduire le gaspillage alimentaire : une législation européenne à construire
proposition de rÉsolution europÉenne initiale
Amendements examinÉs par la commission
proposition de rÉsolution europÉenne adoptÉe par la commission
annexe n° 1 : Liste des personnes auditionnÉes par les rapporteurs
1. Universitaires, chercheurs, organismes de recherche
2. Organisations non-gouvernementales et associations
3. Organisations professionnelles et entreprises
4. Administrations nationales et européennes
Annexe n° 2 : Liste des propositions
Annexe n° 3 : lÉgislation europÉenne en matiÈre de sÉcuritÉ alimentaire
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Mesdames, Messieurs,
« 80 % de ce que nous mangeons est régulé par le droit communautaire ». ([1]) C’est pourquoi les consommateurs peuvent légitimement se tourner vers l’Union européenne lorsque des scandales alimentaires sont révélés. Ces derniers, qui se sont succédé ces dernières années à l’échelle européenne ou mondiale, montrent à quel point l’Union européenne a besoin d’une législation structurée et efficace pour garantir aux consommateurs l’origine et la conformité aux normes fondamentales des produits alimentaires qu’ils consomment. Cette question se pose à la fois pour les produits importés par l’Union et pour ceux qui sont issus du territoire européen lui-même.
En parallèle, cinq des sept plus grands facteurs de risque de décès prématurés sont liés à l’alimentation et à la boisson ([2]), faisant de l’enjeu de l’éducation à une alimentation de qualité une question centrale des politiques sanitaires au sein de l’Union européenne.
La « sécurité alimentaire » comprend deux domaines différents. Selon le programme alimentaire mondial de l’Organisation des Nations-Unies, il peut d’abord s’agir de la capacité pour toute personne de posséder à tout moment un accès physique et économique aux besoins alimentaires de base. ([3]) Le second sens (traduit par « food safety ») concerne plutôt la capacité des autorités publiques et de toute la chaîne agroalimentaire à garantir des denrées alimentaires sûres et nutritives ainsi qu’une diffusion transparente et adéquate des informations sur l’origine, le contenu, l’étiquetage et l’utilisation des denrées alimentaires. Le premier sens vise donc à répondre à la question « est-ce qu’on mange ? » et le second à la question « qu’est-ce qu’on mange ? ».
Au regard du champ potentiel que recouvre ce terme, vos rapporteurs ont décidé de se focaliser sur le second sens, qui est celui que les institutions européennes donnent à ce terme ([4]) malgré des confusions récurrentes dans plusieurs textes européens entre les deux sens, qui ont commencé à être rectifiées à partir de 2013. ([5])
Si des règles européennes d’hygiène alimentaire existent depuis 1964, c’est véritablement au tournant des années 2000 que l’Union européenne s’est dotée d’une réglementation solide sur cette thématique, visant à « garantir aux citoyens européens des denrées alimentaires sûres et nutritives produites à partir de végétaux et d’animaux sains, tout en permettant à l’industrie alimentaire de fonctionner dans les meilleures conditions possibles ». ([6])
Cette politique est une garantie indispensable à la confiance des consommateurs dans les denrées alimentaires et à la conservation d’un haut niveau de protection sanitaire. L’industrie agro-alimentaire, deuxième plus grand secteur économique européen, employant environ 48 millions de personnes et générant quelques 750 milliards d’euros de chiffre d’affaire chaque année, a également besoin de cette confiance des consommateurs dans les produits commercialisés.
Il s’agit enfin de permettre que les produits qui circulent au sein du marché intérieur soient soumis aux mêmes règles et aux mêmes contrôles au sein de tous les États membres, devant ainsi assurer une concurrence loyale au sein de l’Union européenne. Celle-ci revendique de disposer de normes parmi « les plus strictes du monde » ([7]), en effectuant des contrôles nombreux et obligatoires à chaque étape de la chaîne agroalimentaire. Le budget affecté à la sécurité alimentaire pour la période 2014-2020 s’élève à 2,2 milliards d’euros.
Après la publication d’un « Livre blanc sur la sécurité alimentaire » en 2000 ([8]), deux règlements européens encadrent principalement cette législation en matière de sécurité alimentaire :
- le règlement n° 178/2002 qui en établit les grands principes, en particulier la responsabilité des opérateurs, la traçabilité, l’analyse des risques, le principe de précaution et le système d’alerte rapide ;
- le règlement n° 1169/2011 qui concerne plus spécifiquement l’information apportée aux consommateurs sur les denrées alimentaires.
Ces normes sont considérées comme « un véritable progrès » ([9]), en ce qu’elles ont permis à l’Union de se doter d’une législation ambitieuse et nécessaire pour endiguer des phénomènes de contamination par les denrées alimentaires. Ainsi, le cadre européen en matière de sécurité alimentaire est présenté comme une « référence ». ([10])
Il apparaît toutefois que, vingt après son entrée en vigueur, cette législation nécessite une actualisation, afin de s’adapter aux enjeux nouveaux de la sécurité alimentaire et surtout d’en assurer une application plus rigoureuse et harmonisée. En effet, la mondialisation des sources alimentaires a fait augmenter les risques pesant sur les denrées. En outre, les moyens accordés par les États membres à la fois aux contrôles qu’ils doivent mener et à une analyse scientifique indépendante s’avèrent désormais insuffisants.
Parallèlement, la segmentation créée par les politiques européennes entre l’amont de la filière alimentaire, régi par la politique agricole commune, et son aval, régi par la réglementation sur la législation alimentaire, empêche de penser globalement la chaîne agroalimentaire.
Le présent rapport commence donc par examiner l’état et les principaux apports de la législation alimentaire européenne, qui ont permis de répondre à de nombreux enjeux soulevés à la fin des années 1990 et qui assure à l’Union un très haut niveau de performance globale en matière de sécurité sanitaire des aliments (I).
Toutefois, le rapport analyse également les failles et difficultés de cette législation, face à la mondialisation des échanges de denrées alimentaires et à la nécessité de prévenir plus fortement les fraudes. Ainsi, vos rapporteurs formulent des recommandations pour adapter cette législation aux nouveaux enjeux alimentaires (II).
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I. À la suite de différentes crises sanitaires, l’Union européenne s’est dotée d’une législation de sécurité alimentaire qui a fait la preuve de son efficacité
A. Une succession de scandales alimentaires a conduit l’Union européenne a se saisir de la question de la sÉcurité sanitaire des aliments
C’est une succession de crises alimentaires entre la fin des années 1990 et le début des années 2000 qui a conduit l’Union européenne à se doter d’une véritable législation alimentaire.
En effet, c’est à cette période que se sont déclenchées les crises de l’encéphalopathie spongiforme bovine (dite de la « vache folle »), de la fièvre aphteuse et de la dioxine. Ces événements ont constitué non seulement une menace majeure à la santé publique mais ont porté atteinte à la confiance que les consommateurs européens portent dans leur alimentation et dans la sécurité sanitaire des aliments. En outre, ces crises « ont coûté très cher en termes de mesures de soutien en faveur du marché et de perturbation des échanges. » ([11])
Dès l’année 2000, la Commission européenne a donc publié un « livre blanc sur la sécurité alimentaire » ([12]), qui développe une nouvelle approche, plus intégrée, allant du producteur au consommateur. Ce livre blanc ouvre la voie à une révision complète des normes européennes en la matière, en insistant sur l’exigence de séparation de la fonction de leur évaluation et de celle de gestion des risques. Dès le départ, l’objectif est de couvrir l’ensemble des étapes de chaîne agro-alimentaire, « de la ferme à la table ».
Désormais, la protection des consommateurs est un enjeu majeur des politiques européennes. L’article 169 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) prévoit qu’afin de « promouvoir les intérêts des consommateurs et d’assurer un niveau élevé de protection des consommateurs, l’Union contribue à la protection de la santé, de la sécurité et des intérêts économiques des consommateurs ainsi qu’à la promotion de leur droit à l’information, à l’éducation et à s’organiser afin de préserver leurs intérêts. » La Charte des droits fondamentaux exige également que l’Union assure « un niveau élevé de protection des consommateurs » (article 38). Cet objectif traverse l’ensemble des politiques et actions de l’Union européenne, selon l’article 12 du TFUE.
B. L’Union dispose désormais d’outils puissants et efficaces pour éviter les problèmes de sécurité sanitaire des aliments
1. La législation européenne prévoit trois volets dans l’analyse des risques
Le règlement européen n° 178/2002 du 28 janvier 2002 ([13]) constitue le texte majeur sur lequel s’appuie la politique européenne de sécurité alimentaire. Ce règlement prévoit trois pans dans l’analyse des risques au niveau européen : l’évaluation, la gestion et la communication sur ces risques.
Il s’applique à l’ensemble de la filière agroalimentaire, depuis la production primaire, animale et végétale jusqu’au consommateur en passant par l’industrie agroalimentaire, les métiers de bouche, le transport et la distribution. Son objectif est d’harmoniser le niveau de sécurité sanitaire en impliquant l’ensemble des acteurs de la chaîne alimentaire, soumis ainsi aux mêmes exigences, en officialisant la responsabilité des professionnels et en optimisant les contrôles des autorités sanitaires.
Le règlement n° 178/2002 fait partie d’une série de textes relative à la sécurité des aliments, appelée « paquet hygiène », qui comprend également le règlement n° 852/2004 ([14]) qui a pour objectif d’établir des règles générales d’hygiène applicables à toutes les denrées alimentaires, par toutes les entreprises du secteur alimentaire et à tous les stades de la chaîne alimentaire humaine. Il définit les obligations majeures pour lesquelles les professionnels doivent s’engager, avec notamment l’obligation de mettre en place des procédures basées sur les principes de l’analyse des dangers et points critiques pour leur maîtrise (dite « HACCP » ([15])).
En complément, le règlement n° 853/2004 ([16]) est établi à l’attention des exploitants du secteur alimentaire travaillant avec des produits d’origine animale. Il définit les règles d’hygiène spécifiques à chaque catégorie de denrées d’origine animale et s’applique aussi bien aux produits d’origine animale non transformés que transformés.
LES TROIS VOLETS DE L’ANALYSE DES RISQUES AU NIVEAU EUROPÉEN
Source : Cour des comptes européenne, 2019
La politique européenne de sécurité alimentaire se fonde sur plusieurs principes fondamentaux, dont le plus important reste l’analyse des risques scientifiques par des agences indépendantes, et notamment l’Agence européenne de sécurité des aliments (EFSA), créé par le règlement de 2002.
Cette agence a pour rôle d’évaluer les risques de certaines denrées alimentaires avant leur autorisation de mise sur le marché. L’EFSA conseille la Commission européenne et les États membres pour les aider à prendre des décisions en matière de sécurité alimentaire et peut s’autosaisir pour formuler des avis scientifiques sur toutes questions relatives à l’alimentation.
L’évaluation des risques repose sur quatre étapes : l’identification des dangers ([17]), leur caractérisation, l’évaluation de l’exposition et la caractérisation des risques. ([18]) L’Union européenne se concentre par exemple sur la question des additifs et arômes alimentaires, souvent ajoutés pour améliorer le goût, la texture ou l’apparence. Les normes européennes visent à s’assurer que ces produits ne présentent aucun risque pour la santé. Les additifs alimentaires et résidus de produits végétaux et de médicaments vétérinaires sont également examinés.
Vos rapporteurs remarquent que le nombre d’additifs utilisés a fortement diminué dans la période récente au sein de l’Union européenne.
INTÉGRATION D'ADDITIFS SÉLECTIONNÉS DANS LES NOUVEAUX PRODUITS ALIMENTAIRES ET BOISSONS AU SEIN DES ÉTATS MEMBRES
Source : Mintel GNPD
De la même manière, les matériaux en contact avec les aliments (emballages, machines, vaisselle) sont soumis à des critères précis de sécurité. L’EFSA évalue la dangerosité éventuelle de ces matériaux pour la santé, avant d’autoriser la mise sur le marché des produits concernés. Les aliments dits « spécifiques », tels que la « novel food » ([19]) ou les organismes génétiquement modifiés sont également pris en compte dans le règlement de 2002.
La politique européenne de sécurité alimentaire vise à lutter contre trois types de dangers ([20]) :
- les dangers physiques, représentés par des objets présents dans les denrées alimentaires et susceptibles de provoquer des blessures s’ils sont ingérés ;
- les dangers biologiques, constitués par des germes (parasites, virus, bactéries) susceptibles de rendre les personnes malades ;
- les dangers chimiques, liés à des substances susceptibles d’avoir des effets néfastes sur la santé. Ces substances peuvent être naturellement ou artificiellement présentes dans les denrées alimentaires.
Une distinction majeure existe entre le risque et le danger. Le premier est une source potentielle de préjudice alors que le second est défini comme la probabilité que survienne un danger qui entraîne un préjudice.
b. La gestion et la communication des risques
Une fois un risque identifié, la gestion de celui-ci consiste à « mettre en balance les différentes politiques possibles, en consultation avec les parties intéressées, à prendre en compte l’évaluation des risques et d’autres facteurs légitimes, et, au besoin, à choisir les mesures de prévention et de contrôle appropriées. » ([21])
La politique européenne de gestion des risques se fonde donc sur la multiplication des contrôles, qui s’appliquent à tous les produits entrant dans la chaîne alimentaire. Ces contrôles, régis par le règlement n° 882/2004, ont pour objectif de s’assurer que ces produits ne contiennent pas de résidus de médicaments vétérinaires, de pesticides et de contaminants. Les exploitations agricoles et les entreprises agroalimentaires font également l’objet de contrôles, tout comme les frontières européennes.
En cas de danger, le système d’alerte rapide pour les denrées alimentaires et les aliments pour animaux (RASFF) peut être déclenché. ([22]) Défini par l’article 50 du règlement n° 178/2002, le RASFF permet aux autorités nationales et européennes de partager rapidement toutes les informations disponibles sur les produits concernés, qu’ils soient en provenance de pays extra-européens ou à l’intérieur de l’Union. Cela doit notamment permettre aux gouvernements de prendre toutes les décisions nécessaires pour prévenir les risques en matière de sécurité sanitaire. Les États disposent de 24 heures au maximum pour notifier aux autres États membres toute menace sur la sûreté alimentaire.
Le règlement n° 178/2002 précise l’ensemble des informations que les États membres doivent notifier à la Commission européenne par l’intermédiaire du système d’alerte rapide :
- les mesures visant à restreindre du marché ou en retirer les denrées alimentaires présentant un risque pour la santé ;
- les accords passés avec les professionnels pour empêcher ou limiter la mise sur le marché d’un tel produit ;
- les cas de rejet d’un lot de denrées alimentaires par une autorité compétente d’un poste frontalier de l’Union européenne.
Ce dispositif a fait la preuve de son efficacité et s’avère aujourd’hui indispensable pour une information mutuelle et rapide des autorités compétentes des États membres en cas de détection de denrées alimentaires ou d’aliments pour animaux faisant courir un risque de santé humaine et/ou animale, mais également pour informer précocement les États membres d’un événement de santé publique lié à des aliments.
En 2018, 3 699 notifications ont été déclenchées, dont 18 % concernaient les noix et graines, 12 % les fruits et légumes et 9 % les poissons et produits de la mer. En termes de danger, 26 % des notifications concernaient des micro-organismes pathogènes, 18 % des mycotoxines et 7 % des résidus de pesticides. ([23])
Le règlement n° 16/2011 ([24]) décrit également la procédure de transmission des différents types de notification, en faisant une distinction entre les notifications nécessitant une action rapide et celles qui relèvent d’une simple information. Ces différents types de notifications peuvent être classés en plusieurs catégories :
- les alertes, lorsqu’un aliment présentant un risque sérieux se trouve sur un marché et qu’une action rapide est nécessaire ;
- les informations, lorsqu’un aliment présentant un risque sérieux se trouve sur un marché mais qu’une action rapide n’est pas nécessaire. Une distinction est faite entre les produits qui peuvent être présents sur le marché d’un autre État membre (« information for follow-up ») et les produits qui sont présents sur le marché de l’État membre qui fait la notification ou qui ne sont plus sur le marché (« information for attention ») ;
- les informations liées au rejet à une frontière extérieure de l’Union d’une denrée alimentaire (« border rejection notification ») ;
- les autres informations (« news notification ») pouvant intéresser les États membres.
Parmi l’ensemble de ces catégories, on constate que ce sont les rejets à la frontière qui constituent la notification la plus massivement déclenchée, ce qui doit conduire à interroger l’efficacité de la politique européenne en matière de contrôle des denrées alimentaires aux frontières de l’Union.
TYPES DE NOTIFICATIONS PASSANT PAR LE SYSTÈME RASSF
Source : RASFF, Rapport annuel 2018
Ce système a ainsi été utilisé lors des crises récentes de sécurité alimentaire, à la fois en provenance d’États tiers (comme dans le cas de la graine de sésame en provenance d’Inde en 2020) et au sein même de l’Union européenne, comme dans les cas de l’épidémie due à la bactérie d’E. coli ou celle, en 2013, dite de « la viande de cheval ». La France a par exemple notifié aux autorités polonaises la constatation de non-conformités sur les livraisons de steaks hachés dans le cadre du Fonds européen d’aide aux plus démunis (FEAD) via le réseau « Food Fraud », ce qui a déclenché une enquête des autorités polonaises sur l’industriel concerné. ([25])
L’EXEMPLE DES GRAINES DE SÉSAME CONTAMINÉES
A L’OXYDE D’ÉTHYLÈNE
Au deuxième semestre de l’année 2020, une « crise alimentaire » a été déclenchée par 250 tonnes de graines de sésame en provenance d’Inde, contenant des résidus d’oxyde d’éthylène, désinfectant gazeux interdit au sein de l’Union mais qui a été retrouvé sur des aliments en doses mille fois supérieures à la limite maximale tolérée en Europe (0,05 mg/kg). L’alerte a été lancée à partir de la fin du mois d’août 2020, quand l’Agence fédérale belge pour la sécurité de la chaîne alimentaire a été sollicitée. ([26]) Une première alerte a été partagée sur le système RASFF le 9 septembre 2020.
La Commission européenne considère que « de tels niveaux de contamination représentent un risque grave pour la santé humaine dans l’Union car l’oxyde d’éthylène est classé comme mutagène (…), cancérogène (...) et toxique pour la reproduction (…). » ([27]) L’oxyde d'éthylène est utilisé sous forme de gaz comme désinfectant, pour éviter la formation de moisissures. Sans qu’un historique précis des événements n’ait encore pu être établi, le produit aurait été aspergé sur les silos où d’importantes quantités de graines de sésame sont stockées.
En France, après une alerte formulée en septembre 2020, un avis de rappel a été émis par les services de répression des fraudes le 19 novembre 2020. ([28]) Au 20 novembre, plus de 300 produits avaient été retirés des rayons des grandes et moyennes surfaces en France. Il s’agit pour 14 % des rappels de pains (baguettes, bagels, pains pour hamburgers, avec un risque que ces produits soient stockés chez les consommateurs car conservés surgelés), pour 11,5 % des céréales, mais également des biscuits sucrés (7,5 % des rappels) ou salés (8,2 %). ([29])
La Commission européenne a, quant à elle, imposé une augmentation de 50 % la fréquence des contrôles physiques et des contrôles d’identité à effectuer aux frontières de l’Union pour détecter la présence de résidus de pesticides sur les graines de sésame originaires de l’Inde. Ainsi, depuis la fin du mois d’octobre 2020, chaque lot de graines de sésame en provenance d’Inde doit être accompagné d'un certificat officiel qui stipule que les semences sont bien conformes aux normes européennes. Un lot sur deux doit désormais faire l’objet d'un contrôle de résidus de pesticides incluant l'oxyde d’éthylène, nécessitant une méthode d’analyse spécifique.
L’article 7 du règlement 178/2002 encadre en outre l’application du « principe de précaution », qui doit guider les autorités dans la gestion du risque. Ainsi, dans les cas particuliers où une évaluation des informations disponibles révèle la possibilité d’effets nocifs pour la santé mais où subsiste une incertitude scientifique, des mesures provisoires de gestion du risque peuvent être adoptées, en attendant d’autres informations scientifiques en vue d’une évaluation plus complète du risque.
Les mesures prises sous l’empire du principe de précaution doivent respecter la non-discrimination et la proportionnalité et être provisoires, jusqu’au moment où des informations plus complètes en ce qui concerne le risque considéré puissent être rassemblées. La Commission européenne a, dès 2000, listé les restrictions qui s’appliquent à l’application du principe de précaution. ([30])
Plus généralement, une échelle des risques permet de déterminer le principe d’action qui doit être appliqué :
- en cas de risque inconnaissable ou de risque de développement, le principe d’exonération est appliqué ;
- en cas de risque suspecté, c’est le principe de précaution qui prévaut ;
- en cas de risque avéré, il s’agit du principe de prévention ;
- enfin, en cas de risque réalisé, le principe de réparation s’applique.
Lorsqu’une infraction à la législation alimentaire européenne est détectée, l’État membre doit prendre toutes les mesures nécessaires pour que les denrées alimentaires n’arrivent pas sur le marché et pour que l’exploitant concerné puisse faire évoluer rapidement la situation. Plusieurs mesures sont possibles : destruction du produit, retrait du marché, suspension ou arrêt de l’activité. Le règlement n° 882/2004 fait obligation aux État membres de prendre des mesures « efficaces, proportionnées et dissuasives ».
iii. Communication sur le risque
Enfin, dernier pan de la législation alimentaire générale, la communication sur les risques est définie comme « l’échange interactif (…) d’informations et d’avis sur les dangers et les risques, les facteurs liés aux risques et les perceptions des risques entre les responsables de l’évaluation des risques et de la gestion des risques, les consommateurs, les entreprises du secteur alimentaire et du secteur de l’alimentation animale et les milieux universitaires. » ([31])
2. Un rôle central de veille donné aux exploitants du secteur agroalimentaire et aux États membres
Le principe de responsabilité des exploitants du secteur alimentaire découle directement du « paquet hygiène ». Ainsi, conformément à l’article 17 du règlement n° 178/2002, ce sont les exploitants du secteur agroalimentaire ([32]) qui ont pour responsabilité de veiller à la sûreté des denrées alimentaires qu’ils mettent sur le marché, sous le contrôle des autorités sanitaires.
Cette responsabilité s’exerce désormais sous la forme d’une obligation de résultat et non plus de moyens. À ce titre, les exploitants sont libres d’utiliser les outils et méthodes qu’ils souhaitent tant qu’ils arrivent à démontrer qu’ils remplissent leurs obligations.
En France, différents outils sont à leur disposition pour les aider à remplir cette obligation. Par exemple, le plan de maîtrise sanitaire (PMS) ainsi que le système d’analyse des dangers et points critiques pour leur maîtrise (HACCP), constituent des méthodes de maîtrise de la sécurité sanitaire des denrées alimentaires dont l’objectif est la prévention, l’élimination ou la réduction à un niveau acceptable de tout danger biologique, physique, chimique et allergène.
Il existe également des « guides de bonnes pratiques d’hygiène », proposés par les filières et validés par l’administration, qui permettent d’aider les exploitants dans leur analyse et gestion des risques lors de la fabrication des denrées alimentaires. En France, le contrôle du principe de responsabilité des exploitants du secteur alimentaire répond bien aux objectifs, et paraît suffisant et bien organisé.
In fine, les exploitants du secteur alimentaire sont concernés par :
- le règlement n° 183/2005 en ce qui concerne l’alimentation animale ;
- le règlement n° 852/2004, en ce qui concerne les denrées alimentaires
- le règlement n° 853/2004, en ce qui concerne les denrées alimentaires d’origine animale.
Cette législation européenne impose plusieurs responsabilités aux exploitants ([33]), notamment celle de garantir la conformité avec toutes les exigences des législations alimentaires nationales et européennes, pertinentes pour leurs activités et dans les entreprises qu’ils contrôlent. Les exploitants doivent également effectuer, dans cet objectif, leurs propres contrôles.
En France, l’article 50 de la loi du 30 octobre 2018 dite « Egalim » ([34]) modifie l’article L.201-7 du code rural et des pêches maritimes, en prévoyant que tout acteur de la chaîne agroalimentaire « qui détecte ou suspecte l’apparition d’un danger sanitaire de première catégorie ou la première apparition sur le territoire national d’un danger sanitaire en informe immédiatement l’autorité administrative ». Cette obligation de transmission des résultats des autocontrôles constitue une avancée importante pour la détection des risques sanitaires des aliments en France. Les autorités administratives, en particulier les préfectures, disposent désormais d’un panel d’informations beaucoup plus complet qui leur permet d’affiner leurs plans de contrôle.
Cette évolution a notamment permis de constater d’importantes différences dans les pratiques et les résultats de ces autocontrôles en fonction de la taille des entreprises. C’est pourquoi il peut être proposé que la Commission européenne entame des réflexions, avec les parties prenantes, pour aider à la structuration d’une aide externalisée aux petites et moyennes entreprises dans le domaine de la sécurité sanitaire des aliments. En France, les chambres de commerce et d’industrie pourraient, par exemple, assurer cette fonction, en leur donnant les moyens budgétaires nécessaires, d’autant plus qu’elles ont une mission de formation en faveur des entreprises des territoires.
Proposition 1. Demander à la Commission européenne d’entamer des travaux sur des dispositifs de soutien aux petites et moyennes entreprises de l’agroalimentaire dans le domaine de la sécurité sanitaire des aliments.
Afin de garantir la sécurité sanitaire, les exploitants du secteur alimentaire doivent :
- réaliser une évaluation des risques liés à leur activité en vue d’en faire la surveillance ;
- mettre en place des procédures de traçabilité permettant le cas échéant le retrait et le rappel des denrées alimentaires pouvant présenter un danger et en avertir les autorités compétentes ;
- appliquer les principes généraux de l’hygiène alimentaire ou prérequis avant la mise en œuvre d’une méthode basée sur les principes de l’HACCP ;
- posséder un agrément sanitaire lorsqu’ils transforment des denrées animales ou d’origine animale (DAOA) ou produisent certains types d’aliments pour animaux ;
- apposer une marque de salubrité sur le produit si celui-ci est d’origine animale.
La formation des professionnels à la sécurité sanitaire relève également de la responsabilité des exploitants du secteur, qui peuvent disposer de plusieurs moyens de formations, que cela soit par exemple en France auprès de leurs fédérations, des instituts de formation ou des instituts techniques.
La réalisation des contrôles officiels auprès des opérateurs peut permettre d’identifier des secteurs d’activité où la formation n’est pas suffisante. Cela a par exemple pu être le cas pour les abattoirs, qui sont contrôlés par la direction générale de l’alimentation du ministère de l’agriculture et de l’alimentation. Malgré la nécessité d’une connaissance large du domaine agro-alimentaire, il n’existe pas de cursus de formation obligatoire pour le personnel d'encadrement des abattoirs, les aspects sanitaires et sécurité des aliments n’étant pas toujours pris en compte à leur juste importance. Concernant les opérateurs travaillant en abattoir, s’il existe une obligation de formation relevant de la responsabilité de l’abatteur, il s’agit dans la majorité des cas d’un dispositif de formation interne à l’entreprise pour lequel le contenu et les messages ne sont pas toujours conformes aux exigences réglementaires. ([35])
Ainsi, le dispositif de formation à la sécurité des aliments mériterait d'être renforcé, mieux structuré et mieux encadré, en associant les professionnels et l’administration.
Proposition 2. Renforcer et mieux structurer la formation des professionnels aux enjeux et pratiques de sécurité sanitaire des aliments. Pour cela, il serait possible d’imaginer, à l’échelle nationale ou européenne, une certification d’aptitude en matière de sécurité sanitaire.
L’Union européenne fait donc reposer une grande responsabilité sur les exploitants, considérant qu’il s’agit d’une méthode qui est source de « gains d’efficience dans le bilan de la qualité de la législation alimentaire générale. » ([36]) Cette méthode permet également de mettre en place un système demandant un moindre investissement public, qu’il soit européen ou national.
Les exploitants ne portent toutefois pas seuls toute la responsabilité dans l’application de cette législation. En effet, les États membres sont responsables également de l’application et du respect des règles européennes. Le règlement n° 882/2004 relatif aux contrôles officiels, ainsi que certaines législations sectorielles, établissent ou précisent les conditions dans lesquelles les États membres doivent effectuer les contrôles, sur leur territoire et aux frontières extérieures de l’Union européenne. Ainsi, les services de contrôle des autorités compétentes agissent en second niveau auprès des exploitants. ([37]) Ils s’assurent que les exploitants ont tout mis en place pour s’assurer de la qualité sanitaire des denrées alimentaires qu’ils mettent sur le marché.
La Commission européenne doit s’assurer que les États transposent et appliquent correctement la législation européenne. Elle s’appuie sur son Office alimentaire et vétérinaire (OAV) ([38]) qui diligente des inspections dans les États membres. Les contrôles officiels sont effectués en vertu du règlement n° 882/2004 du 29 avril 2004. Ce règlement établit également des règles spécifiques pour ce qui concerne les contrôles des produits importés.
Trois types de contrôles peuvent donc potentiellement être effectués : des contrôles privés par les exploitants du secteur et des contrôles publics nationaux ou européens. ([39]) La coordination entre ces types de contrôle est donc un enjeu central dans la bonne vérification du respect des règles. L’article 2 du règlement 882/2004 détaille les types de contrôles qui doivent être effectués :
- des contrôles documentaires, qui consistent en un examen des documents commerciaux et de certificats, notamment sanitaires ;
- des contrôles d’identité, principalement visuels, permettant de vérifier si les documents correspondent effectivement au produit concerné ;
- des contrôles physiques, qui permettent de contrôler la denrée alimentaire elle-même, avec une possibilité de prélever des échantillons.
Selon le programme que la Commission européenne s’était fixé en 2018 pour l’année 2019, 23 % des visites étaient prévues dans le domaine de la santé et portent sur les dispositifs médicaux, la résistance aux antimicrobiens et les ingrédients pharmaceutiques actifs ; 34 % des audits et missions d’information portent sur la sécurité des denrées alimentaires, 14 % sur la santé et le bien-être des animaux, et 9 % sur la santé des végétaux ; 6 % des audits sont réalisés dans chacun des domaines de la qualité des denrées alimentaires et de la sécurité des aliments pour animaux, tandis que 4 % des audits portent respectivement sur les contrôles à l’importation et leur suivi. ([40])
NOMBRE DE PROJETS D’AUDIT ET D’ANALYSE DE LA COMMISSION EUROPÉENNE
EN 2019, PAR DOMAINE PRINCIPAL
Source : Commission européenne, DG de la santé et de la sécurité alimentaire, « Audits et analyses dans les domaines de la santé et de l’alimentation. Programme 2019 »
3. L’information des consommateurs
La politique européenne de sécurité alimentaire s’appuie également sur l’étiquetage, principal vecteur de l’information donnée aux consommateurs sur les denrées alimentaires qu’ils consomment. Aujourd’hui régi par le règlement n° 1924/2006 (dit « INCO » pour « information du consommateur »), cet étiquetage doit notamment comprendre les informations essentielles sur les allergènes, la valeur nutritionnelle et énergétique ainsi que la teneur en matières grasses, en graisses saturées, en glucides, en sucres, en protéines et en sel. L’étiquetage doit aussi préciser l’origine ou la provenance pour les viandes, le miel, l’huile d’olive, les fruits et les légumes frais. D’autres informations doivent également figurer sur cet étiquetage, en ce qui concerne le fabricant, le vendeur, l’importateur, les conditions de stockage, la préparation de certaines denrées alimentaires, ainsi que la présence de nano-ingrédients pour les produits pré-emballés.
En parallèle, toujours dans un objectif d’information du consommateur, l’Union européenne contrôle les « allégations de santé », qui sont définies comme le fait de présenter des aliments comme étant bénéfiques pour la santé. Il faut que ces allégations soient scientifiquement validées par les analyses de l’EFSA.
Le sujet d’un renforcement de l’étiquetage de l’origine a été également placé dans le débat national et européen, notamment par la pétition « Eat Original ». ([41]) En France, la loi sur la transparence et l’étiquetage des produits alimentaires a été adoptée à l’unanimité le 27 mai 2020 à l’Assemblée nationale. ([42]) Cette loi doit renforcer l’information offerte aux consommateurs, notamment en rendant obligatoire l’étiquetage de l’origine des viandes de porcs, volailles, ovins, caprins et de la viande hachée bovine dans la restauration hors domicile. Elle renforce également l’obligation d’information du consommateur sur la provenance ou de la dénomination de l’AOP / IGP des vins. Enfin, la loi interdit désormais l’emploi des dénominations utilisées pour désigner les denrées alimentaires d’origine animale, pour décrire, commercialiser et promouvoir les denrées alimentaires contenant des protéines végétales.
En parallèle, un groupe de travail a été lancé au Comité national de la consommation (CNC) sous l’égide du Ministère de l’économie et des finances, sur l’étiquetage de l’origine des denrées alimentaires. Il a notamment pour objectif d’accompagner la mise en œuvre du règlement INCO. Celui-ci prévoit en effet de rendre obligatoire l’indication de l’origine de l’ingrédient primaire entrant dans la composition d’un produit transformé, si l’origine de ce dernier est différente du lieu de fabrication du produit en question. L’objectif du CNC est également de pouvoir mettre en place une méthodologie commune en matière d’indication de l’origine au regard des multiples initiatives privées en la matière.
Ce règlement va dans le sens de l’expérimentation française relative à l’étiquetage de l’origine du lait, du lait incorporé dans des produits laitiers et des viandes utilisées comme ingrédients dans des produits transformés depuis le 1er janvier 2017. ([43]) Cette expérimentation, après avoir été reconduite à la fin de l’année 2018 jusqu’au 31 mars 2020, vient d’être prolongée jusqu’au 31 décembre 2021, ce qui constitue un nouveau pas vers une meilleure traçabilité, et une valorisation de « l’origine France ». Vos rapporteurs formulent, en seconde partie, des propositions pour continuer à accroître l’information du consommateur en ce qui concerne l’origine des produits consommés.
4. Cette législation alimentaire européenne, assortie d’un budget conséquent, a prouvé toute son efficacité
Au niveau européen, le bilan d’activité de la direction générale de la santé de la Commission européenne de 2018 indique que le budget global pour le « Health Programme » (programme pour la santé) pour la période 2014 à 2020 est de 449,4 millions d’euros. Cette enveloppe comprend le budget attribué à la sécurité sanitaire des aliments ainsi que celui de la santé publique. ([44])
En France, le programme 206 « Sécurité et qualité sanitaires de l’alimentation » finance les contrôles dans le champ du plan national de contrôles officiels pluriannuel (PNCOPA) pilotés par la direction générale de l’alimentation (environ 335 millions d’euros par an) et contribue au financement de l’ANSES (à hauteur d’environ 60 millions d’euros par an).
Pour en mesurer l’efficacité, chaque année, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) et le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) publient un rapport annuel sur les tendances et les sources des zoonoses. Ce rapport européen se fonde sur des éléments chiffrés remontés par chaque État membre. Le rapport de 2018 donne quelques éléments de résultats ([45]) :
- presque un foyer épidémique sur trois d'origine alimentaire dans l’Union européenne en 2018 a été causé par Salmonella ([46]) ;
- la salmonellose est la deuxième infection gastro-intestinale la plus fréquemment signalée chez l’être humain dans l’Union européenne en 2018 (91 857 cas signalés), après la campylobactériose (246 571 cas) ;
- la bactérie E. coli est devenue la troisième cause de zoonose d’origine alimentaire avec 8 161 cas signalés, remplaçant la yersiniose avec une augmentation de 37 % par rapport à 2017.
La politique européenne visant à l’éradication des maladies animales aurait par ailleurs permis de réduire de 2 124 à 18 le nombre annuel de cas d’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) au cours des dix dernières années. ([47]) Ainsi, l’Union européenne dispose donc d’une législation très performante, qui assure aux consommateurs européens un risque minimal en matière alimentaire, en particulier si on compare la situation européenne avec celle du monde. En effet, les maladies d’origine alimentaire représentent encore, au niveau mondial, une « charge non négligeable », comme le rappelle l’Organisation mondiale de la santé. ([48]) Ainsi, chaque année dans le monde, en raison de causes alimentaires, presque une personne sur dix tombe malade, 33 millions d’années de vie en bonne santé sont perdues, 420 000 personnes décèdent. Un tiers de ces décès concerne des enfants.
Par ailleurs, en 2014, la Commission européenne a organisé une évaluation dite « REFIT » ([49]) du règlement 178/2002. ([50]) Dans ses conclusions de janvier 2018, la Commission européenne considère que la législation européenne a atteint ses objectifs de protection des fraudes et des risques et de fonctionnement fluide du marché intérieur. ([51]) Le principal amendement que la Commission a porté concerne donc le modèle d’évaluation et la communication des risques ([52]), ne proposant ainsi aucune réforme structurelle de la législation alimentaire européenne. ([53]) En conséquence, la stratégie européenne « de la ferme à la table » ([54]), publiée en mai 2020, ne prévoit pas de révision de la législation sur la sécurité sanitaire des aliments. ([55])
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II. face aux fraudes, l’union européenne doit rénover sa législation alimentaire et en assurer une application plus effective
A. malgré une forte performance de la législation européenne, la sécurité sanitaire de l’alimentation fait face à des enjeux nouveaux
1. Une résurgence en « trompe-l’œil » des scandales alimentaires
Les années 2010 ont été celles d’un retour important et régulier des dysfonctionnements dans la chaîne agroalimentaire et des fraudes alimentaires. Si la législation alimentaire européenne peut être considérée comme très avancée, elle reste toutefois « fragile » et n’est « pas toujours fiable », selon les constats du Parlement européen formulés dès 2014. ([56]) Les différentes fraudes alimentaires constatées ces dernières années ont entraîné une érosion de la confiance des consommateurs dans les normes alimentaires censées les protéger.
En particulier, la persistance voire l’aggravation des zoonoses dans le monde montre que l’objectif du contrôle des maladies animales, que l’on a cru atteint avec la quasi-éradication des cas de « vache folle », est toujours d’actualité. En effet, l’Organisation mondiale de la santé animale rappelle que 60 % des maladies infectieuses humaines existantes sont zoonotiques et que trois des cinq nouvelles maladies humaines qui apparaissent chaque année sont d’origine animale, comme cela a été le cas de la Covid-19. ([57])
Cette situation est due à un grand nombre de facteurs, notamment la multiplication des acteurs impliqués dans la chaîne agroalimentaire et la globalisation croissante de la chaîne agroalimentaire.
Toutefois, vos rapporteurs veulent souligner que, comme cela a déjà été indiqué, l’Union européenne est un espace de très forte sécurité sanitaire pour les aliments, en particulier en France. Il ne faut pas sous-estimer le fait que les fraudes et dysfonctionnements de la chaîne alimentaire sont beaucoup mieux détectés aujourd’hui, notamment grâce aux outils fournis par l’Union européenne. En effet, l’importante amélioration des outils de détection des contaminations, notamment les nouvelles techniques de génomique qui permettent d’établir une même cause de contamination pour des individus malades jusqu’alors isolés, favorisent une meilleure connaissance des évènements sanitaires et donc une meilleure information du citoyen pour limiter les impacts des éventuelles crises. Cela entraîne nécessairement une augmentation du nombre de cas de fraudes ou de dysfonctionnements détectés, ce qui peut faire croire à une résurgence des situations problématiques.
Si l’information est davantage disponible, il n’apparaît cependant pas de recrudescence des crises liées à l’alimentation. En matière de TIAC (toxi-infections alimentaires collectives) par exemple, Santé Publique France en réalise chaque année un bilan. ([58]) Depuis 2012, on observe entre 10 000 à 13 000 personnes touchées chaque année par une TIAC, ce qui représente entre 1 200 et 1 500 TIAC notifiées chaque année. Ce bilan est relativement stable.
2. Les fraudes alimentaires nécessitent toutefois un renforcement de l’application de la législation alimentaire européenne
Les fraudes alimentaires, qui se distinguent des dysfonctionnements dans la chaîne agroalimentaire par leur aspect intentionnel, sont nombreuses et variées. Plusieurs d’entre elles ont été particulièrement marquantes, en particulier le scandale dit « de la viande de cheval », révélé en 2013, par lequel les fabricants concernés ont mélangé au moins 750 tonnes de viande de cheval, moins chère, à de la viande de bœuf, ce qui leur a permis d’augmenter fortement leurs marges bénéficiaires. Ce scandale a suscité de nombreux rapports et analyses ([59]) qui pointent l’enjeu d’un contrôle accru de la chaîne agroalimentaire pour prévenir au maximum les fraudes, sans qu’il ne soit possible de les éradiquer totalement.
Généralement, ces fraudes peuvent impliquer, comme le rappelle le Parlement européen ([60]), la commercialisation de viande de cheval comme étant du bœuf, de viande de cheval d’animaux traités au phénylbutazone comme de la viande de cheval comestible, de farine ordinaire comme de la farine biologique, d’œufs de pondeuses élevées en batterie comme des œufs biologiques, de sel de voirie comme du sel alimentaire, l’utilisation d’alcool contenant du méthanol dans les spiritueux, l’utilisation de graisses contaminées à la dioxine pour la production d’aliments pour animaux, la mention erronée de l'espèce de poisson utilisée et l’étiquetage erroné des produits de la mer.
Il faut toutefois bien distinguer la sécurité alimentaire des fraudes alimentaires : la sécurité alimentaire a vocation à s’assurer que, tout au long de la chaîne agroalimentaire, les principes généraux d’hygiène et de sécurité sanitaire sont respectés. Les fraudes alimentaires, qui sont issues d’une volonté de contrevenir à certaines règles alimentaires fondamentales, ne peuvent être totalement évacuées. L’objectif est alors de permettre une traçabilité optimale des aliments litigieux et l’information la plus rapide et la plus claire possible aux consommateurs.
Globalement, vos rapporteurs constatent que, si l’objectif de sécurité alimentaire est largement atteint au sein de l’Union européenne, celui de la prévention des scandales alimentaires, fixé par le règlement n° 178/2002, est beaucoup plus difficilement atteint sur la dernière décennie. C’est par rapport à ce manque que la législation européenne doit, selon vos rapporteurs, être complétée et renforcée.
Le principe de précaution semble en effet assez peu utilisé pour ce qui concerne par exemple l’usage des pesticides, des additifs ou encore des médicaments vétérinaires. Les limites fixées à l’utilisation d’agents contaminants tels que les dioxines, les huiles minérales ou les métaux lourds font également assez peu l’objet d’une analyse sous l’angle du principe de précaution.
La fraude alimentaire constitue souvent un enjeu qui dépasse les frontières nationales et pourrait être beaucoup plus efficacement traité au niveau européen. Toutefois, l’absence de définition harmonisée à l’échelle européenne d’une « fraude alimentaire » contrevient à cet objectif d’efficacité et peut mettre à mal le marché intérieur.
Proposition 3. Adopter une définition européenne de la « fraude alimentaire » et demander à la Commission européenne de définir un plan d’action pluriannuel pour lutter contre cette fraude.
En outre, le système RASFF, globalement très performant pour assurer une transmission fluide d’informations entre les États membres, est encore insuffisamment tourné vers les remontées d’informations concernant les fraudes alimentaires. ([61]) En 2019, environ 15 000 échanges d’informations ont eu lieu au sein du système RASFF, parmi lesquels 4 000 concernaient des « notifications originales » et 10 000 des suivis de notification. Sur ces 15 000 échanges, environ 2 000 concernaient des problématiques de non-conformité, parmi lesquels 300 constituaient des suspicions de fraude alimentaire. ([62])
Ainsi, la suspicion de fraude constitue seulement 2 % des échanges sur la plateforme RASFF en 2019 et 15 % des échanges relatifs à des problématiques de non-conformité. Ce faible taux n’est pas nécessairement représentatif du risque de fraude alimentaire. En effet, si les établissements de l’agro-alimentaire ont désormais l’obligation de faire remonter les informations liées à la sécurité des aliments, cette même obligation n’existe pas en ce qui concerne les cas de suspicions de fraudes alimentaires. Cela est directement lié à l’absence de définition européenne du concept de « fraude alimentaire ».
Proposition 4. Réviser la réglementation européenne pour renforcer les obligations et les sanctions pesant sur les opérateurs du secteur agro-alimentaire en ce qui concerne les informations relatives aux suspicions de fraudes alimentaires.
La « mondialisation alimentaire » et l’augmentation des échanges qu’elle induit posent à la sécurité alimentaire d’importants défis encore non résolus. En effet, l’Union européenne constitue le premier importateur et exportateur mondial de produits agricoles et agroalimentaires. ([63]) Environ 13 % des produits consommés dans l’Union européenne sont importés. ([64]) L’agriculture française n’échappe bien entendu pas à ce phénomène de « mondialisation alimentaire », puisque son taux d’internationalisation est passé de 13,6 % en 1961 à 35,5 % en 2011. ([65])
L’évolution des niveaux d’importations de produits agroalimentaires en France a ainsi fortement augmenté depuis le début des années 2000.
IMPORTATIONS AGROALIMENTAIRES EN FRANCE (MILLIARDS D’EUROS COURANTS)
Source : Sénat, rapport d’information fait au nom de la commission des Affaires économiques par le groupe d’études « agriculture et alimentation », sur la place de l’agriculture française sur les marchés mondiaux, par M. Laurent Duplomb, 28 mai 2019
L’excédent agricole français a ainsi été divisé par deux entre 2011 et 2017. Selon les analyses du Sénat, « à ce rythme de décroissance, la France constatera son premier déficit agricole en 2023 ». ([66]) Cette situation interroge les rapporteurs au regard de l’enjeu de souveraineté agricole et alimentaire de la France et de l’Union européenne.
SOLDE AGROALIMENTAIRE FRANÇAIS (MILLIARDS D’EUROS)
Source : Sénat, rapport d’information fait au nom de la commission des Affaires économiques par le groupe d’études « agriculture et alimentation », sur la place de l’agriculture française sur les marchés mondiaux, par M. Laurent Duplomb, 28 mai 2019
Cette évolution structurelle de l’agriculture française fait du contrôle de la conformité des produits importés aux normes européennes un enjeu central, non seulement pour la sécurité alimentaire des consommateurs mais aussi pour la compétitivité des producteurs européens. La mondialisation alimentaire accroît en effet les risques en matière de production et de distribution des aliments, comme le soulignait la FAO dès 2003. ([67])
Les importations et leur niveau de conformité à la législation nationale et européenne peuvent être un bon indicateur pour mesurer les effets de cette « mondialisation alimentaire » sur la sécurité sanitaire des aliments. La question de l’efficacité des contrôles se pose en effet avec une force toute particulière pour les importations. Les produits importés sont soumis, une fois entrés sur le territoire européen, aux mêmes règles et au même régime de contrôle que les produits fabriqués au sein de l’Union européenne. Pour organiser ses contrôles de produits importés, l’Union se base sur le risque pour la santé, en présumant qu’un risque plus élevé existe pour les denrées d’origine animale ([68]), ce qui conduit à accroître les contrôles pour ces types de produits.
Il est cependant très complexe d’évaluer le taux de non-conformité des importations de denrées alimentaires avec les normes européennes en matière de sécurité sanitaire. Pour la France, il a été évalué qu’entre « 8 et 12 % des denrées alimentaires importées de pays tiers ne respectent pas les normes européennes de production », pouvant entraîner des risques sanitaires. ([69]) Le Sénat estime ainsi que « chaque année, ce sont entre 5 et 10 milliards d’euros de produits illégaux qui seraient vendus en France et exerceraient une pression à la baisse sur les prix des produits français. » ([70])
La Cour des comptes avait évalué en France que, dans le cadre des contrôles sur les produits importés de l’Union européenne, la direction générale de l’alimentation avait relevé des taux de non-conformité de 17 % pour les viandes fraîches de boucherie, 13 % pour les viandes fraîches de volaille, 25 % pour les produits à base de viande et 21 % pour le lait cru ou traité thermiquement et les produits à base de lait. ([71])
À l’échelle nationale, l’article 44 de la loi « EGAlim » stipule qu’il est proscrit de proposer à la vente ou de distribuer à titre gratuit, en vue de la consommation humaine ou animale, des denrées alimentaires ou produits agricoles pour lesquels il a été fait usage de produits phytopharmaceutiques ou vétérinaires, ou d’aliments pour animaux non autorisés par la réglementation européenne, ou ne respectant pas les exigences d’identification et de traçabilité imposées par la réglementation. À ce jour, son application ne dispose d’aucune garantie solide permettant une réelle mise en œuvre. Plus encore, les autorités nationales et européennes spécialisées dans le contrôle ont indiqué à vos rapporteurs qu’il leur était impossible d’appliquer cet article dans sa totalité, notamment pour ce qui concerne l’aspect environnemental.
À titre d’exemple, la Commission européenne a indiqué, dans un audit publié en mai 2020 ([72]), qu’il existait des « défaillances » dans le contrôle de la traçabilité du bétail canadien. Or, celle-ci est accessible au marché européen grâce à l’accord dit du « CETA » entre l’Union européenne et le Canada. L’audit précise également que les vétérinaires canadiens qui sont en charge de l’évaluation des normes sanitaires pourraient présenter un « conflit d’intérêt potentiel », dans la mesure où ils sont rémunérés par les exploitants qu’ils contrôlent. L’audit conclut donc que ce système « n’est pas en mesure d’apporter la garantie que seuls les établissements pleinement conformes continuent à figurer sur la liste des établissements autorisés à exporter vers l’Union européenne ».
De la même manière, la commission d’experts qui était chargée par la France d’évaluer les impacts de l’accord entre l’Union européenne et les États du Mercosur a notamment conclu ([73]) que les garanties sanitaires n’étaient pas apportées. La commission a mis en avant le fait que l’accord procédait à une « consécration incomplète du principe de précaution » et ne rendait pas « impossible un abaissement des normes environnementales et sanitaires européennes ». Les experts rappellent notamment que des mesures sanitaires et phytosanitaires fondées sur le principe de précaution peuvent être considérées comme des « obstacles injustifiés au commerce entre les Parties », rendant les mesures sanitaires européennes justiciables d’un contrôle devant les organes juridictionnels établis par l’accord.
En outre, le rapport souligne que « pour la première fois en 2019, le Brésil a procédé à 66 notifications relatives à l’introduction de nouvelles réglementations relatives à des pesticides en rupture avec les standards internationaux du Codex Alimentarius » Cela permet au Brésil d’utiliser des pesticides dans les produits agricoles en méconnaissance des standards internationaux. Le rapport juge également la clause de sauvegarde agricole, contenue dans l’accord, « peu fonctionnelle ». C’est pourquoi cette commission recommande notamment d’améliorer la traçabilité et l’étiquetage et de renforcer la coopération et les contrôles sur le plan sanitaire.
Pourtant, par principe, les conditions sanitaires et phytosanitaires applicables aux marchandises importées en provenance des pays tiers doivent être au moins équivalentes à celles concernant la production et la mise sur le marché de l’Union européenne. Les critères sont définis par des textes européens ou, à défaut, par des textes nationaux. À terme, l’ensemble des conditions d’importation qui ne le sont pas encore doivent être harmonisées au niveau européen.
Pour assurer la plus grande harmonisation possible des normes alimentaires dans le monde, l’Union européenne travaille avec 188 pays au développement du « codex alimentarius », qui rassemble des normes, des lignes directrices et des bonnes pratiques. Toutefois, les normes contenues dans ce code peuvent diverger fortement avec celles appliquées au sein de l’Union européenne.
Vos rapporteurs constatent toutefois que, les contrôles directement effectués au sein des États tiers étant très limités voire inexistants, l’arsenal juridique et technique de l’Union européenne pour contrôler les denrées alimentaires en provenance de pays tiers est encore très insuffisant. La réglementation européenne, révisée en 2017 par le règlement 2017/625, entré en vigueur en décembre 2019, ne suffira sans doute pas à faire face aux nouveaux enjeux posés par la massification des importations en provenance de pays tiers. Pour l’instant, sur la base de règlements d’exécution, la Commission européenne renforce, souvent temporairement, les contrôles de produits en provenance de certains pays tiers, jugés plus à risque. ([74])
Proposition 5. L’Union européenne et les États membres doivent se doter à la fois de moyens techniques et financiers spécifiques pour le contrôle de la conformité des produits agroalimentaires importés ainsi que d’une liste publique et actualisée des États tiers vis-à-vis desquels les contrôles aux frontières sont renforcés et pour lesquels des interdictions d’importation pourraient être prononcées rapidement en cas de traçabilité jugée insuffisante.
Les contrôles destinés aux productions proprement européennes peuvent également révéler d’importantes défaillances. En effet, la Cour des comptes européenne avait dès 2019 alerté sur le fait que « les tests effectués par les États membres sur les denrées alimentaires commercialisés dans l’Union européenne ne couvrent pas tous les groupes de substances chimiques avec la même fréquence ». ([75]) Les États membres doivent en effet programmer leurs plans de contrôle en fonction du risque et ne sont pas tenus d’y inclure toutes les substances réglementées par l’Union européenne. La sortie d’un État membre, en l’occurrence le Royaume-Uni, de l’Union européenne peut ainsi poser d’importants problèmes de contrôles sanitaires et phytosanitaires pour les denrées alimentaires.
Le Brexit : un enjeu majeur en matière de sécurité sanitaire des aliments en France
La sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne constitue un enjeu majeur en terme de sécurité sanitaire des aliments. En effet, le 1er janvier 2021, le Royaume-Uni va sortir du marché unique européen et de l’Union douanière. Le Royaume-Uni sera ainsi libre de nouer des accords de libre-échange (ALE) avec d’autres États. Le gouvernement britannique a d’ores et déjà manifesté sa forte volonté de conclure des ALE avec d’autres régions comme les États-Unis, la Nouvelle-Zélande, le Japon ou l’Australie. À ce jour, la capacité de contrôle du Royaume-Uni sur l’ensemble de ces aspects reste à mettre en place. Selon l’accord négocié entre l’Union européenne et le Royaume-Uni, il existe donc un risque que des produits issus de pays où les normes sanitaires et environnementales, et de traçabilité sont moins exigeantes de celles en vigueur dans l’Union européenne, soient importés au Royaume-Uni et réexportés vers l’Union européenne. ([76])
La France sera de loin l’État membre le plus impacté par l’augmentation considérable des contrôles à l’import. Le Royaume-Uni constitue en effet un partenaire commercial essentiel pour elle dans les secteurs agricoles et agroalimentaires. En matière d’importations de produits agroalimentaires, il constitue le sixième pays fournisseur de la France, avec 2,1 milliards d’euros de produits agro-alimentaires britanniques importés annuellement, et en particulier le deuxième fournisseur de produits de la pêche.
Toutefois, au-delà des importations destinées directement à notre pays, la France constitue, par sa position géographique, le premier point d’entrée continental des exportations britanniques destinées à l’ensemble de l’Union européenne. Le transport des marchandises entre le Royaume-Uni et le continent européen est majoritairement effectué par camion, et aujourd’hui caractérisé par une grande fluidité. On estime qu’environ 80 % de ces marchandises échangées empruntent le détroit du Pas-de-Calais, cette route étant aujourd’hui la plus rapide pour rallier le continent. Le nombre de lots à inspecter introduits depuis le Royaume-Uni par cette route pourrait représenter jusqu'à 1 million de contrôles SPS à effectuer, à l’importation, par an. ([77])
Les estimations effectuées par le ministère de l’agriculture et de l’alimentation concernant l’évaluation des besoins humains à mobiliser par la France en préparation des contrôles à l’importation requis dans une hypothèse de Brexit au 1er janvier 2021 portent sur 316 à 346 ETPt ([78]) en 2021. ([79]) Elles prennent en compte la volonté de plusieurs gestionnaires de points d’entrée sur la façade Transmanche de construire de nouvelles infrastructures de contrôle. Ces effectifs, dont le recrutement se poursuit, sont affectés dans huit points d’entrée de la façade Manche-Mer du Nord. ([80]) Certains de ces points de contrôle seront ouverts 7 jours sur 7, 24 heures sur 24 (Calais-port, Calais-tunnel et Dunkerque).
De plus, le Royaume-Uni fait actuellement face à un déficit de vétérinaires nationaux sur son territoire, aujourd’hui comblé par des vétérinaires originaires de l’Union européenne. Les travailleurs européens au Royaume-Uni seront, au 1er janvier 2021, soumis au droit des travailleurs immigrés au Royaume-Uni. Si cette main-d’œuvre européenne n’était plus en droit de travailler sur le territoire britannique, des problèmes sanitaires pourraient survenir du fait d’un manque de vétérinaires. Le Royaume-Uni pourrait alors devenir un foyer d’épizooties, menaçant les cheptels européens. ([81])
Cette « mondialisation alimentaire » peut enfin créer une concurrence normative entre l’Union européenne et d’autres puissances économiques mondiales, en particulier la Chine, dont l’ambition géopolitique, illustrée par les « routes de la soie » lancées en 2013, conduit certains analystes à parler de « sino-mondialisation ». ([82]) Celle-ci est également visible dans le domaine des normes alimentaires. Si les nouvelles technologies et l’intelligence artificielle constituent des éléments régulièrement mis en avant pour illustrer l’ambition chinoise dans la mondialisation, l’alimentation ne doit pas être omise, tant la Chine sait qu’elle doit se reposer massivement sur les approvisionnements extérieurs pour satisfaire son marché intérieur.
La victoire du candidat chinois pour la direction de la FAO en 2019, au détriment de la candidate européenne, avait été marquante, tant elle pourra avoir un impact sur l’orientation des travaux en cours autour du « Codex alimentarius ». ([83]) En 2018, la plateforme « Covantis » ([84]) a été créée, dans l’objectif de standardiser, digitaliser et moderniser les opérations de commerce international de produits agroalimentaires. La Chine pèserait également dans la redéfinition des normes au sein de l’Organisation internationale de normalisation (ISO) afin de promouvoir des normes qui lui sont propres, au sein du « comité technique 34 » ([85]) qui est chargé des normes pour l’alimentation humaine et animale.
Une éventuelle redéfinition des normes sanitaires au niveau mondial aurait pour conséquence d’abord d’affaiblir l’Union européenne dans les échanges agroalimentaires mondiaux mais aussi de risquer de diminuer le niveau global de sécurité sanitaire des aliments.
B. L’Union européenne doit compléter sa législation alimentaire générale pour mieux lutter contre les fraudes et en assurer une application beaucoup plus efficace
Il apparaît ainsi que, si le règlement 178/2002 a effectivement à l’Union européenne de se doter d’un système performant de prévention des risques de sécurité sanitaire des aliments, celui-ci doit être complété et renforcé sur plusieurs points, afin de faire face aux nouveaux défis alimentaires qui sont nés depuis vingt ans.
1. Renforcer la traçabilité et les contrôles pour faire advenir une PAC « de l’amont à l’aval »
a. Une traçabilité qui pourrait être encore renforcée : étiquetage de l’origine et utilisation des nouvelles technologies
L’article 18 du règlement 178/2002 fait de la traçabilité un objectif majeur de la législation alimentaire européenne. Cet article impose aux exploitants du secteur alimentaire d’être « en mesure d’identifier toute personne leur ayant fourni une denrée alimentaire » et exige que ces derniers « disposent de systèmes et de procédures permettant d’identifier les entreprises auxquelles leurs produits ont été fournis ». L’article 18 encadre également l’étiquetage des denrées alimentaires, afin que celui-ci permette une réelle traçabilité des aliments.
La traçabilité débute par la déclaration ([86]) des sites de production ([87]) : pour cela, il est essentiel de disposer d’un registre des opérateurs. La bonne mise en œuvre de la traçabilité relève de l’opérateur lui-même. L’application de bonnes pratiques propres à assurer la traçabilité complète diffère selon les filières. Il existe encore des opérateurs et des filières qui, selon leur niveau de formation sanitaire et d’équipement, peuvent avoir des difficultés d’édition de la traçabilité, particulièrement en urgence, notamment dans un contexte de retrait et de rappel, ce qui peut imposer une action des États membres par carence.
Certains distributeurs tendent également, possiblement pour des raisons économiques, à privilégier pour les « retraits rappels » une information globale de leurs points de vente. Ils ont ainsi pour charge de vérifier la présence du produit sur le site sans être en capacité d’éditer une liste en temps réel des points qui ont reçu le produit à retirer. Si cela peut s’avérer efficace, ce n’est pas une situation qui est conforme à la législation.
Afin de contrôler les produits alimentaires qui sont importés ou commercialisés au sein de l’Union européenne, celle-ci a mis en place un système expert de contrôle des échanges, appelé TRACES ([88]), créé par une décision datant de 2003. ([89]) L’Union dispose ainsi d’une base de données centralisée destinée à la surveillance du mouvement des animaux et des produits d’origine animale, ainsi que des produits organiques, de la pêche, végétaux et phytopharmaceutiques ainsi que du bois. ([90]) Le système TRACES devrait toutefois disposer d’un meilleur interfaçage avec le système RASFF.
Selon vos rapporteurs, deux moyens peuvent permettre d’accroître la traçabilité des produits alimentaires : un étiquetage plus précis de l’origine et l’utilisation, encore insuffisante, des nouvelles technologies.
L’étiquetage de l’origine des denrées alimentaires est aujourd’hui très limité au sein de l’Union européenne. Le règlement 1169/2011, dit règlement « INCO », relatif à l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires rend obligatoire l’étiquetage de l’origine de l’ingrédient primaire dans les produits transformés si celle-ci est différente de l’origine du produit mise en avant sur l’emballage.
En outre, le règlement n° 1169/2011 ([91])prévoit l’identification obligatoire du pays d’origine ou du lieu de provenance des denrées alimentaires autres que certaines catégories de viandes, dans les cas où l’omission de cette indication serait susceptible d’induire en erreur les consommateurs. Cependant, la Cour de Justice de l’Union européenne a clairement indiqué que cette harmonisation ne s’oppose pas à ce que les États membres adoptent des mesures prévoyant des mentions obligatoires complémentaires d’origine ou de provenance, si celles-ci respectent les conditions énumérées dans le règlement n° 1169/2011. ([92])
Le règlement (UE) 2018/775 ([93]), applicable depuis le 1er avril 2020 ([94]), a permis de détailler les modalités d’application du règlement « INCO ». Tous les produits alimentaires ne sont pas concernés par le règlement 2018/775. Les produits concernés sont ceux dont l’origine de l’ingrédient primaire (dans le cas des produits alimentaires transformés) est différente de celle mise en avant volontairement sur l’emballage du produit. L’origine de l’ingrédient en question peut être indiquée par les mentions « UE », « non-UE » ou « UE et non-UE », le nom d’une région ou toute autre zone géographique au sein de l’Union européenne ou en dehors, que ce soit au sein d’un État ou sur plusieurs États, une zone de pêche, un État membre, notamment.
La définition de l’ingrédient primaire a été publiée par la Commission européenne dès 2018 : il s’agit de l’ingrédient représentant plus de 50 % de la denrée alimentaire transformée, ou l’ingrédient caractéristique de la denrée en question, c’est-à-dire habituellement associé par le consommateur à la dénomination du produit. Il peut ainsi exister plusieurs ingrédients primaires dans un même produit, ou alors aucun.
L’étiquetage de l’origine des denrées alimentaires connaît une application différenciée au sein de l’Union européenne. En effet, les États membres sont autorisés à mener des expérimentations d’une durée de dans ans dans ce domaine. Certains États membres sont en cours d’expérimentation ou ont déjà mené de telles expérimentations. ([95])
TABLEAU RÉCAPITULATIF DES DIFFÉRENTES EXPÉRIMENTATIONS DE L’ÉTIQUETAGE D’ORIGINE AU SEIN DE L’UNION EUROPÉENNE
État membre |
Étiquetage expérimental sur l’origine des denrées alimentaires |
Période d’application |
Espagne |
Lait, lait en ingrédient (dans les produits laitiers uniquement) |
Depuis novembre 2019 |
Finlande |
Lait, lait en ingrédient (dans les produits laitiers uniquement), viande ingrédient, viande fraîche ou congelée, poisson ingrédient |
De juin 2017 à mai 2019 |
France |
Lait, lait et viande en ingrédients |
Depuis avril 2016 (prolongé à deux reprises, aujourd’hui en vigueur jusqu’au 31 mars 2021). |
Grèce |
Lait, lait en ingrédient (dans les produits laitiers uniquement), viande de lapin, gelée royale |
D’octobre 2017 à septembre 2019 |
Italie |
Lait, lait en ingrédient (dans les produits laitiers uniquement), farine de blé dur utilisée dans la production de pâtes, riz, tous les dérivés de la tomate lorsque la tomate est l’ingrédient primaire du produit |
Périodes d’application différentes selon les denrées alimentaires concernées par l’expérimentation |
Lituanie |
Lait, lait en ingrédient (dans les produits laitiers uniquement) |
De septembre 2016 à août 2018 |
Portugal |
Lait, lait en ingrédient (dans les produits laitiers uniquement) |
De juillet 2017 à juin 2019 |
Roumanie |
Lait, produits laitiers |
Depuis le 1er janvier 2018 (exception faite au délai d’expérimentation de deux ans car cette expérimentation n’est pas limitée dans le temps) |
Source : rapporteurs
Il faut toutefois, selon vos rapporteurs, ne pas s’arrêter à cette étape mais au contraire continuer les travaux européens pour aboutir à une nouvelle réglementation européenne sur l’étiquetage de l’origine géographique précise, au sein du marché unique, des denrées alimentaires.
Proposition 6. Amplifier et accélérer les travaux européens en cours visant à définir un étiquetage de l’origine géographique des denrées alimentaires, y compris pour les États membres.
Globalement, l’ensemble de ce système de traçabilité et de contrôle a montré des failles importantes. Le cas des œufs contaminés au fipronil, révélé en 2017, est une illustration des lacunes persistantes de ce système. En effet, confrontés à une invasion de poux rouges, certains aviculteurs en Belgique, aux Pays-Bas et en Allemagne ont désinfecté leurs élevages de poules pondeuses avec du fipronil, insecticide toxique dont l’utilisation est interdite sur les animaux destinés à la consommation humaine.
Cet usage frauduleux a pu durer plusieurs mois, sans que les autorités de contrôles ne puissent s’en apercevoir. Ces œufs sont exportés dans 45 pays. Ainsi, les autorités de contrôles se sont rapidement retrouvées démunies, allant jusqu’à admettre, pour certaines d’entre elles, leur incapacité à estimer le nombre d’œufs concernés. ([96]) Cela a démontré que les États membres n’ont pas appliqué l’ensemble des prescriptions posées par le règlement de 2002 en ce qui concerne la traçabilité des produits alimentaires. Ainsi, le système de traçabilité doit, au global, être mieux assuré, notamment en permettant au système RASFF d’être plus opérationnel en ce qui concerne les fraudes alimentaires.
ii. L’utilisation des nouvelles technologies pour renforcer la traçabilité
Ensuite, vos rapporteurs regrettent que l’Union européenne ne fasse pas un plus grand usage des nouvelles technologies pour continuer à garantir la transparence et la traçabilité, en complément de l’étiquetage traditionnel, pour une grande exhaustivité.
L’utilisation de la technologie Blockchain peut d’ores-et-déjà permettre, pour la filière canard en France, sur l’initiative de la coopérative agricole « Terres du Sud », de mettre en place un « QR Code », placé sur l’étiquette des produits, pour permettre aux consommateurs de disposer de toutes les informations de traçabilité, depuis sa production jusqu’à sa commercialisation. D’autres initiatives similaires commencent à voir le jour, en particulier en provenance de l’industrie de la distribution agroalimentaire, pour l’instant majoritairement dans le domaine de l’élevage.
La Blockchain, technologie de stockage et de transmission d’informations, transparente et sécurisée, qui fonctionne sans organe central de contrôle, apparaît comme particulièrement adaptée aux problématiques de traçabilité, car l’information y est infalsifiable. ([97]) L’enjeu est d’inciter les exploitants du secteur agro-alimentaires à assurer une traçabilité toujours plus précise, qu’ils pourront valoriser auprès des consommateurs, sans pour autant encombrer l’étiquetage d’informations non-hiérarchisées.
Vos rapporteurs sont toutefois conscients qu’une telle proposition ne pourra être mise en œuvre qu’en prenant pleinement en considération la nécessité que certains consommateurs pourraient ne pas avoir accès de prime abord à cette information, pour de nombreuses raisons, notamment l’impossible de disposer des outils nécessaires ou l’incapacité de les utiliser. Il importera de mettre en place toutes les dispositions nécessaires pour qu’il n’existe pas de fractures sociales ou technologiques dans l’accès à cette information.
Proposition 7. Demander à la Commission européenne de lancer des travaux sur la mise en place, via la technologie Blockchain, de « QR code » permettant de disposer de l’ensemble des informations de traçabilité.
b. Des contrôles parfois mal ciblés, très hétérogènes selon les États membres et auxquels sont attribués des moyens encore insuffisants
i. Une organisation et une harmonisation européenne des contrôles encore sous-performantes
L’organisation des contrôles en matière de sécurité sanitaire des aliments relève des États membres, qui doivent respecter les divers règlements européens qui régissent les différents types de contrôle. ([98]) Le règlement n° 853/2004 du 29 avril 2004 fixant des règles spécifiques d’hygiène applicables aux denrées alimentaires d’origine animale impose aux autorités nationales de définir des priorités d’action. En France, ces priorités d’actions sont définies dans le plan national de contrôles officiels pluriannuel (PNCOPA) ([99]), qui rend compte de l’organisation française à l’Office alimentaire et vétérinaire (OAV) de la Commission européenne.
RÉPARTITION DES THÉMATIQUES DE CONTRÔLES DE LA CHAINE ALIMENTAIRE
EN FRANCE EN 2019
Source : Plan national de contrôles officiels pluriannuels 2016-2020, rapport annuel 2019, « Contrôles de la chaîne alimentaire en France » (page 9)
Ces plans d’actions sont déterminés en fonction de la note de risque attribuée aux établissements travaillant sur les denrées alimentaires d’origine animale, ce que fait, en France, la direction générale de l’alimentation du Ministère de l’agriculture et de l’alimentation. ([100]) Certains de ces établissements sont agréés, en vertu du droit européen, mais celui-ci autorise également un grand nombre de dérogations à ce principe, qui « viennent grever l’efficacité du dispositif ». ([101])
Celles-ci concernent en particulier les opérations se limitant au stockage et au transport, ainsi que pour la fourniture des denrées alimentaires d’origine animale d’un établissement de vente au détail à un autre. La Cour des comptes relève qu’en France, le nombre d’établissement bénéficiant d’une dérogation est passé, entre 2013 et 2017, de 9 659 à 13 845. Or, ces établissements bénéficiant de dérogations font l’objet d’un nombre très faible de contrôles.
Les audits menés par la Commission européenne montrent que les pratiques de contrôles sont très « hétérogènes » selon les États membres, conduisant à « s’interroger sur l’inégale application des États membres à respecter l’objectif de sécurité sanitaire des aliments ». ([102])
Proposition 8. Réviser le règlement n° 853/2004 pour limiter voire supprimer les dérogations permettant à certains établissements agroalimentaires de ne pas être soumis à la procédure d’agrément.
En outre, comme mentionné précédemment, la question des contrôles doit également considérer la problématique de la bonne coordination entre tous les contrôles privés et publics, menés dans tous les États membres, du fait de la responsabilité qui incombe aussi aux exploitants privés. La question de l’harmonisation des contrôles assurés par les différents États membres est d’autant plus pertinente qu’en raison de libre circulation au sein de l’Union européenne, une fois une marchandise contrôlée au premier point d’entrée dans l’Union, elle peut être acheminée puis consommée dans n’importe quel autre État membre sans qu’aucun autre contrôle ne soit nécessaire.
Or, les États membres se distinguent par des pratiques et des organisations des contrôles très différentes, certains disposant d’unités policières spécialisées contre la fraude alimentaire, d’autres déléguant une partie de ces contrôles à des organismes privés. ([103]) La mise en œuvre des contrôles officiels en matière de sécurité sanitaire des aliments est théoriquement encadrée au niveau européen par le règlement sur les contrôles officiels (RCO) ([104]), qui limite ainsi « l’hétérogénéité dans les pratiques de contrôle des autorités publiques » et « l’inégale application des États membres à respecter l’objectif de sécurité sanitaire des aliments » dont s’inquiète le rapport du Sénat. ([105]) Ces divergences nationales se retrouvent également dans l’analyse des pratiques de « retraits‑rappels » réalisées dans les différents États membres.
COMPARAISON DES AUTORITÉS PUBLIQUES
CHARGÉES DU CONTRÔLE DE LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE
Source : Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux, « Parangonnage sur les moyens affectés par différents pays à la politique de sécurité sanitaire des aliments », 2016 (pages 37 et 38)
La gestion des contrôles sanitaires des aliments en France
En France, le ministère de l’agriculture et de l’alimentation (MAA) est en charge du contrôle vétérinaire à l'importation des animaux vivants et des produits d'origine animale. Ce contrôle vise à vérifier les garanties sanitaires apportées par ces importations en matière de santé animale et de santé publique. Le MAA est également en charge des contrôles phytosanitaires à l'importation sur les végétaux, c’est-à-dire de contrôles afférents à la santé des végétaux. Leur objectif est de prévenir l'introduction d'organismes nuisibles pour les cultures végétales.
Au sein du MAA, depuis le 1er janvier 2010, les postes de contrôle frontaliers (PCF) en charge des contrôles vétérinaires des animaux vivants et des produits d'origine animale, des contrôles phytosanitaires des végétaux et produits végétaux et des contrôles sanitaires des aliments pour animaux d'origine non animale ont été regroupés au sein d'un service à compétence nationale, appelé le Service d’inspection vétérinaire et phytosanitaire aux frontières (SIVEP), rattaché à la Direction générale de l'alimentation (DGAL). Ce dispositif permet de rapprocher les compétences des différents postes, lorsque le regroupement géographique est possible, et d’améliorer le service public offert aux importateurs. Leur pilotage direct par le niveau national permet de mieux harmoniser les contrôles afin de s’assurer que les marchandises sont traitées de manière homogène quel que soit leur point d’entrée.
Certains contrôles sanitaires à l’importation ne sont pas du ressort du MAA. C’est le cas des contrôles sanitaires à l’importation des denrées végétales pour l’alimentation humaine (distincts du contrôle phytosanitaire), qui relèvent des services de la direction générale de concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) du ministère de l’économie, des finances et de la relance, et des contrôles sanitaires des animaux de compagnie voyageant avec les passagers qui relèvent du service des douanes.
À l’importation au sein de l’Union européenne depuis un pays tiers, la vérification du respect des exigences en vigueur visant à prévenir le risque en matière de sécurité sanitaire des aliments destinés à l’alimentation humaine n’est donc prise en charge par le SIVEP que concernant les produits d’origine animale. Le SIVEP assure aussi la vérification du respect des exigences sanitaires concernant l'alimentation animale d'origine non animale.
Concernant les postes de contrôle frontaliers en activité, la France compte 22 PCF pour les contrôles vétérinaires et 6points d’entrée autorisés pour les contrôles vétérinaires localisés dans les départements régions d'outre-mer bénéficiant d'un dispositif dérogatoire tel que prévu par le règlement délégué (UE) 2019/2126. Au cours de l’année 2019, 3 858 envois d'animaux et 38 539 envois de produits animaux ont fait l'objet d'un contrôle vétérinaire ; et 2 846 envois d'aliments pour animaux d'origine non animale ont fait l’objet d’un contrôle sanitaire par le MAA.
Le tableau ci-dessous récapitule le nombre de lots non conformes ayant donné lieu à une décision de refus d’admission sur le territoire par catégorie d’envois. ([106])
Le financement des contrôles à l’importation est assuré par le programme 206 « Sécurité et qualité sanitaires de l’alimentation » dont le directeur général de l’alimentation est responsable. Les frais de fonctionnement du service d'inspection vétérinaire et phytosanitaire aux frontières (SIVEP), intégrant la masse salariale, sont estimés à 6 millions d’euros pour 2019.
Des redevances sanitaires et phytosanitaires sont perçues par l’administration des douanes sur les importations d’animaux, de végétaux et de leurs produits, en provenance des pays tiers. En 2019, le montant perçu de ces redevances s'établit à 4,2 millions d’euros. ([107]) Ces redevances ont pour objectif de couvrir le coût des contrôles sanitaires et phytosanitaires à l'importation supporté par l'État. On constate que le montant perçu de ces redevances permet de couvrir 70 % des frais de fonctionnement des PCF en 2019.
Enfin, les contrôles peuvent être améliorés par l’utilisation des nouvelles technologies, de l’intelligence artificielle et de la solution Blockchain. La France a commencé à s’engager dans cette voie depuis novembre 2019 avec le projet « IAlim » ([108]), qui doit permettre de mieux cibler les contrôles sanitaires dans les établissements de restauration identifiés comme les plus à risque, après analyse des commentaires et des notes laissés par les consommateurs sur les plateformes numériques.
L’Union européenne semble toutefois accuser un retard considérable en la matière, notamment par rapport aux États-Unis. L’entreprise IBM a par exemple développé, au début de l’année 2020, un outil dit « proof of concept » (POC) qui permet d’améliorer considérablement le suivi de l’approvisionnement en viande et autres denrées. Cet outil sera mis à disposition des autorités nationales nord-américaines chargées des contrôles. Cette solution devrait permettre d’enregistrer les flux d’informations associés à la chaîne logistique et aux termes des contrats établis avec les pays exportateurs.
Proposition 9. Lancer des travaux européens sur l’utilisation des nouvelles technologies, notamment la Blockchain et l’intelligence artificielle, pour assurer des contrôles prédictifs dans le domaine de la sécurité sanitaire des aliments.
ii. Des moyens insuffisants alloués aux contrôles par les États membres
En plus d’une organisation dont la performance pourrait être sensiblement améliorée, les moyens attribués par les différents États membres aux contrôles sanitaires semblent encore très insuffisants pour permettre une pleine application de la législation alimentaire européenne.
En 2019, la Cour des comptes avait ainsi montré qu’en France, sur la période 2013-2017, les contrôles réalisés par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes avait baissé, en particulier en ce qui concerne les établissements de distribution et de restauration (moins 20 %), portant le taux de couverture de ces établissements à 4 % en 2017. En parallèle, les taux d’anomalies repérées lors des contrôles est passé de 42 à 49 %. ([109])
À titre d’exemple, au sein de la direction départementale de la protection des populations de la préfecture du Nord, auditionnée par vos rapporteurs, les effectifs des agents de la concurrence et de la répression des fraudes ont diminué de 10 % entre 2015 et 2020, passant de 65 à 57 agents. Globalement, le ratio entre le nombre d’agents de la répression des fraudes par rapport au nombre de normes en matière de sécurité sanitaire des aliments ne cesse de diminuer. En outre, les agents « de terrain » ont également fait part à vos rapporteurs de la nécessité de continuer à maintenir des agents en administration centrale, sans quoi le travail d’interprétation et d’explication des normes et de planification des contrôles est impossible.
Globalement, cette diminution continue des moyens affectés à la sécurité sanitaire se fait au détriment des dimensions de prévention et de conseil auprès des exploitants du secteur. Cela peut avoir pour conséquence un moindre respect des normes ou un échange moins fluide entre les autorités de contrôle et les entreprises concernées.
Enfin, la circulaire n° 6029/SG du Premier Ministre, en date du 24 juillet 2018, listait les missions pour lesquelles « le rôle de l’État doit être réaffirmé, en renforçant si nécessaire ses moyens ». Parmi ces missions figure la « sécurité sanitaire et alimentaire », ainsi reconnue comme de première importance.
Parallèlement, le rapport du Comité action publique 2022 ([110]) a constaté, dans sa proposition 22, que « la comparaison avec les autres membres de l’Union européenne montre que la pression de contrôle est bien moindre en France. Pourtant, ces contrôles sont utiles pour les consommateurs mais également pour les professionnels ».
Vos rapporteurs rappellent qu’en Provence-Alpes-Côte-D’azur par exemple, un restaurant est contrôlé tous les quatorze ans en moyenne, alors que dans beaucoup d’États membres de l’Union européenne les contrôles sont annuels. Cette augmentation de la fréquence des contrôles est d’ailleurs souhaitée par les professionnels, car elle leur permet de doper leurs exportations et d’éviter des intoxications.
iii. Créer une police sanitaire européenne avec des compétences en matière de répression des fraudes alimentaires
Afin d’assurer des contrôles plus harmonisés au niveau européen, l’Office alimentaire et vétérinaire (OAV) de la Commission européenne doit impérativement être renforcé. En effet, ses audits sont « habituellement annoncés à l’avance et préparés en collaboration avec les autorités compétentes » et l’OAV ne réalise qu’un nombre « limité » d’audits chaque année. ([111])
Dans son « discours de la Sorbonne » en septembre 2017, le président de la République française avait proposé d’établir « une force européenne d’enquête et de contrôle pour lutter contre les fraudes, garantir la sécurité alimentaire, assurer le respect des standards de qualité partout en Europe », afin de palier « les dysfonctionnements à un endroit de l’Europe, parce que nous sommes un marché intégré, ont des conséquences partout en Europe qui peuvent jeter le doute sur notre sécurité alimentaire, avec une demande parfaitement légitime de nos concitoyens qui est d’avoir la vérité en temps réel sur tous ces sujets. »
Pour réaliser cet objectif, la France a travaillé en lien avec les autres États membres pour trouver une solution européenne à ces difficultés de contrôle. Si l’idée semble largement partagée, certains États membres sont réticents à l’idée de créer un « contrôleur européen » sur leurs territoires nationaux, pouvant y voir une forme d’ingérence. La Commission européenne a ainsi proposé, dans sa stratégie « de la ferme à la table », que le mandat de l’Office européen de lutte anti-fraude (OLAF) puisse être étendu aux questions de sécurité sanitaire des aliments, afin d’être en mesure de coordonner plus étroitement les contrôles nationaux et de mieux tracer les produits en cas de crise.
L’option envisagée par la Commission européenne de favoriser une extension des compétences de l’OLAF semble, selon vos rapporteurs, très en deçà des ambitions qui requièrent l’enjeu d’un contrôle plus massif et plus harmonisé en matière de sécurité sanitaire des aliments. C’est pourquoi les réflexions devraient plutôt porter sur la création d’une véritable force de police sanitaire, capable de tracer les produits alimentaires et de permettre une fluidification des transmissions d’informations à l’échelle européenne.
Proposition 10. Créer une police sanitaire européenne qui aille au-delà du simple contrôle par audits, avec des prérogatives relatives à la répression des fraudes.
iv. Accroître la transparence des résultats des contrôles
Le principe de transparence est défini aux articles 9 et 10 du règlement n° 178/2002 et vise à l’information et à la consultation des citoyens sur les risques et les mesures mises en place en réponse. Plus généralement, la transparence est présentée dans le règlement n° 178/2002 comme l’un des moyens pour asseoir la confiance du citoyen dans les décisions prises au niveau européen dans le domaine alimentaire.
La question de la transparence dans la communication des résultats des contrôles et audits menés par les institutions européennes compétentes est aussi régulièrement posée. En effet, il apparaît que « la DG SANTE n’assure pas l’échange complet des résultats entre les services de contrôle des différents pays européens, notamment pour les contrôles à l’importation dans l’Union européenne ». ([112])
En outre, la question de la publicité des résultats des contrôles est également centrale. En France, la loi du 13 octobre 2014 ([113]) prévoit cette publicité, dont les conditions de mise en œuvre sont précisées par décret. ([114]) Ainsi, les consommateurs français ont accès aux résultats des inspections menées par la direction générale de l’alimentation.
Depuis mars 2017, le dispositif « Alim’confiance » permet, en France, à chaque citoyen de consulter les résultats des contrôles officiels réalisés en matière de sécurité sanitaire des aliments. Toutefois, la Cour des comptes soulignait en 2019 que la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) n’appliquait pas ce décret, considérant que cela pouvait préjudice à certaines entreprises. ([115]) Cette situation que la Cour qualifiait « d’anormale » exige donc que le droit européen impose à toutes les autorités nationales de contrôle de publier les résultats des inspections.
Proposition 11. Imposer, au niveau européen, à toutes les autorités nationales de contrôle de publier les résultats des inspections sur un site internet unifié.
c. Ces renforcements doivent s’inscrire dans l’objectif de créer une « politique agricole et alimentaire commune » qui assure la sécurité alimentaire tout au long de la chaîne
Si la législation alimentaire générale dispose d’une cohérence et d’une efficacité propres, vos rapporteurs constatent son insuffisante intégration au sein de la PAC, qui est une politique uniquement de « l’amont de la chaîne ». Or, il importe désormais, pour parfaire ce système, que la PAC devienne véritablement une politique agricole et agroalimentaire commune.
Pour cela, l’intégration du règlement 178/2002 dans les règlements régissant la PAC est une nécessité. Or, « organiser, voire contrôler, l’ensemble de la chaîne alimentaire, du champ (ou de l’élevage, l’atelier de fabrication, le lieu de pêche, etc.) à l’assiette implique la bonne cohésion dans l’élaboration des normes des différents intervenants, puis une véritable collaboration des États et organismes de contrôle, publics ou privés, dans l’application de ces normes » ([116])
La stratégie « de la ferme à la table », publiée en mai 2020 par la Commission européenne, doit permettre de prendre en compte cette continuité entre l’amont et l’aval de la filière. Toutefois, vos rapporteurs constatent que cette prise en compte n’est pas suffisante et que cette stratégie ne prévoit que des éléments mineurs en ce qui concerne la sécurité sanitaire. Ces éléments ne sont pas intégrés dans la discussion en cours de la réforme de la politique agricole commune, ce que vos rapporteurs regrettent.
Il est également à craindre que le nouveau modèle applicable pour la PAC 2023-2027, fondé sur des « plans stratégiques nationaux », ne soit propice à une fragmentation accrue non seulement de la chaîne agro-alimentaire mais aussi des pratiques entre les États membres. Comme en matière environnementale, il faudra que la Commission européenne exerce un contrôle très poussé pour s’assurer que ces plans stratégiques permettent une traçabilité de l’ensemble de la chaîne agroalimentaire.
Il faut désormais disposer d’une totale cohérence normative en faisant du slogan « de la ferme à la table » une réalité pour les producteurs, les transformateurs, les distributeurs, les transporteurs et les consommateurs. La séparation législative qui existe entre la PAC et la législation alimentaire générale nuit à la réalisation de cet objectif. C’est pourquoi certains acteurs ont appelé à la création d’une « politique agricole et alimentaire commune » (PAAC) ([117]) qui soit à même de prendre en compte tous ces objectifs.
Proposition 12. Créer une véritable politique agricole et alimentaire commune (PAAC), en intégrant notamment les dispositions de la législation alimentaire dans la PAC et en organisant une totale cohérence normative entre l’amont et l’aval de la filière.
2. Clarifier l’information des consommateurs et renforcer la responsabilité des distributeurs et l’éducation à l’alimentation
a. L’information aux consommateurs et la responsabilité des distributeurs
Les cas de laits infantiles contaminés ou risquant de l’être par des salmonelles, révélé à la fin de l’année 2017 et ayant entraîné la contamination de 37 nourrissons, ont démontré que les règles européennes ne permettaient qu’une information encore insuffisante à destination des consommateurs. Le règlement est encore trop vague sur ce point et les prescriptions européennes relatives à la transparence et à la communication en cas de crise vis-à-vis des consommateurs doivent être, selon vos rapporteurs, renforcées.
Il s’agit en particulier d’obliger les autorités publiques nationales et européennes à communiquer auprès du grand public lorsqu’elles ont connaissance de difficultés liées à la sécurité sanitaire des aliments. Les entreprises du secteur agroalimentaire, dont les responsabilités sont très importantes dans ce domaine, doivent également renforcer leurs actions en matière de transparence vis-à-vis des consommateurs.
Proposition 13. Renforcer les obligations des entreprises et des autorités publiques concernant les informations à mettre à la disposition des consommateurs.
L’Union européenne et les États membres doivent également se questionner sur la lisibilité des étiquettes à destination des consommateurs. Celles-ci pâtissent en effet d’une mise en page et de couleurs qui rendent souvent difficiles leur lecture. Certes, le règlement INCO prévoit une typographie obligatoire, avec une taille de caractère de 1,2 mm au minimum. ([118]) Il faut toutefois revoir cette typographie car elle peut s’avérer difficilement lisible et limiter la possibilité de faire varier la couleur des étiquettes, qui peut être utilisée par les industriels comme un outil limitant la lisibilité des étiquettes.
En outre, certains industriels s’engagent dans des démarches plus développées de sécurité sanitaire, au travers notamment du concept « Clean Label ». ([119]) Cela permet notamment de mettre en avant à la fois la réduction du nombre d’ingrédients dans les produits transformés, ce qui est source de sécurité sanitaire, et de souligner la présence d’ingrédients dits « naturels ». Ces ingrédients sont notamment définis par la certification ISO 19657. ([120])
Plusieurs critères permettent de définir un ingrédient naturel : celui-ci n’est pas obtenu par synthèse chimique, provient de plante, algue, champignon, animal et/ou microorganisme, est obtenu par des procédés physiques, enzymatiques ou microbiologiques et peut être purifié par certains procédés si la structure chimique n’est pas modifiée.
Il n’existe toutefois pas de reconnaissance et de définition européenne de ce qu’est un « ingrédient naturel ». Ce sujet pourrait donc être pris en compte par les institutions européennes car il correspond à une demande de plus en plus importante des consommateurs et constitue un moyen d’améliorer la sécurité sanitaire des aliments, notamment transformés.
b. Renforcer l’éducation à l’alimentation et à la sécurité sanitaire
En 2017, la Commission européenne a lancé un « programme de distribution de lait et de fruits et légumes aux écoliers. » ([121]) Ce programme vise à « encourager des habitudes alimentaires saines chez les enfants » et à leur « expliquer […] l’importance d’une bonne nutrition ainsi que de la façon dont les denrées alimentaires sont produites ». Le choix des produits distribués s’inscrit également dans une démarche favorisant « le caractère saisonnier, la variété des produits » proposés ainsi que des « considérations sanitaires et environnementales ».
L’initiative a été mise en œuvre pour la première fois durant l’année scolaire 2017/2018, s’adressant à plus de 30 millions d’enfants dans toute l’Union européenne répartis dans 159 000 écoles. ([122]) Le programme a été renouvelé pour l’année scolaire 2019/2020 et a bénéficié à autant d’écoliers européens et d’écoles.
Concernant le budget alloué à cette initiative, le Commission prévoit, pour chaque année scolaire, un montant de 250 millions d’euros chaque année pour ce programme en faveur d’une alimentation saine. Pour l’année scolaire 2017/2018, 150 millions d’euros ont été accordés pour la distribution de fruits et de légumes dans les écoles, et 100 millions d’euros pour la distribution de lait et d’autres produits laitiers. Pour l’année 2019/2020, le budget global n’a pas été modifié, mais 145 millions d’euros ont été accordés pour les fruits et les légumes et 105 millions d’euros pour le lait et les autres produits laitiers.
Sur les deux années d’application du programme européen, 182 millions d’euros sur les 250 du budget global ont été financés par l’Union européenne, le reste venant de contributions des États participants.
Bien que ce programme ne soit en aucun cas obligatoire, tous les États membres ont décidé d’y prendre part. Par le biais de l’initiative de distribution alimentaire, les États membres peuvent également choisir de favoriser les circuits courts et les produits biologiques. De plus, chaque distribution s’accompagne « d’une série d’activités éducatives » à la charge des États membres. ([123])
En outre, la Commission européenne a lancé en 2007 un « groupe de haut niveau sur la nutrition et l’activité physique » des enfants et des adolescents. Ce groupe a débouché sur la création, en 2014, de l’Action conjointe européenne sur la nutrition et l’activité physique (JANPA). ([124]) Celle-ci permet aux États membres d’échanger sur les stratégies de prévention des maladies liées à la malnutrition avec l’objectif de stopper, d’ici fin 2020, l’augmentation du surpoids et de l’obésité chez les enfants et adolescents européens.
Cet objectif s’inscrit dans le Plan d’action européen sur l’obésité de l’enfant et dans le Plan d’action européen pour une politique alimentaire et nutritionnelle, tous deux fixés par la Commission européenne pour la période 2014-2020. Pour ce qui est des ressources financières de l’Action conjointe, la Commission finance 60 % de son budget, le reste étant à la charge des États membres participant (25 États membres et la Norvège).
En France, la loi « anti-gaspillage » de février 2016 ([125]) prévoit des programmes de sensibilisation à la nutrition et à un régime alimentaire équilibré dans les écoles. Ces programmes peuvent se dérouler en salle de classe ou lors d’activités spécifiques comme des ateliers culinaires. ([126])
De plus, la France s’est dotée depuis 2001 d’un « Programme national nutrition santé » (PNNS) ([127]) destiné à l’ensemble de la population et visant à « améliorer l’état de santé de la population en agissant sur l’un de ses déterminants majeurs : la nutrition ». Ce programme repose en grande partie sur de grandes campagnes de communication dans le but de sensibiliser l’ensemble de la population aux bienfaits d’une alimentation saine et équilibrée.
Des mesures concrètes ont également été mises en œuvre par le PNNS comme la réduction de la pression marketing sur les enfants et adolescents en diminuant leur temps d’exposition à la publicité pour des aliments et boissons non recommandés et en régulant la promotion des échantillons gratuits lors des événements sportifs. ([128])
Dans le reste de l’Union européenne, de nombreux États membres ont mis en œuvre des actions en faveur de l’éducation alimentaire, bien que les situations diffèrent fortement entre pays. Dès 1998, conformément aux recommandations de la Conférence internationale de 1992 sur la nutrition (ICN), certains États membres avaient déjà défini et adopté un Plan national d’action sur la nutrition avec un volet éducation alimentaire. ([129]) En revanche, d’autres États membres n’avaient toujours pas défini leur Plan d’action ou le réduisait à quelques actions ponctuelles.
Les approches des États membres sur la question de la nutrition et de l’éducation alimentaire divergent toujours fortement au sein de l’Union européenne. Certains États n’ont tout simplement aucune approche en termes d’éducation alimentaire mais traitent le problème sous d’autres angles (par exemple en définissant des groupes cibles de la population et en réduisant leur exposition à de la publicité pour des aliments jugés mauvais pour la santé).
Proposition 14. Compléter les programmes européens d’éducation à l’alimentation en y ajoutant des éléments sur l’éducation à la sécurité sanitaire des aliments et y adjoindre des financements spécifiques.
En outre, vos rapporteurs ont également constaté que les personnels de l’éducation et de l’alimentation, notamment en France, ne sont pas toujours pleinement informés à la fois de l’existence de programmes nationaux et européens en matière d’éducation à l’alimentation et des directives qui peuvent être proposées par les différentes autorités compétentes. Il est donc primordial de compléter les programmes existants par des actions de sensibilisation et d’information et un accès numérique aisé aux documents qui présentent ces différentes stratégies.
Proposition 15. Compléter les programmes d’éducation à l’alimentation dans le cadre scolaire par des dispositifs de meilleure information et par un accès numérique aisé des documents qui présentent les différentes stratégies en la matière.
3. Harmoniser les systèmes nationaux de surveillance sanitaire
Malgré la forte intégration européenne en matière de sécurité alimentaire, permise par l’utilisation de l’outil du règlement européen en 2002, il est clair que « les systèmes de surveillance sanitaire [nationaux] suivent des modèles différenciés et paraissent affectés d’une effectivité inégale ». ([130]) Or, l’interdépendance entre les États européens en la matière est telle qu’une trop grande disparité dans les systèmes nationaux de surveillance sanitaire peut avoir des conséquences majeures dans l’efficacité de la réponse publique qui sera apportée.
La réglementation européenne autorise les États membres à organiser, selon les modalités qu’ils auront choisies, leurs systèmes nationaux de surveillance. Toutefois, les divergences sont telles qu’elles posent la question de la possibilité de respecter les objectifs de sécurité alimentaire dans un contexte de libre-circulation des denrées alimentaires.
En France, la gestion de la sécurité sanitaire des aliments fait intervenir trois administrations relevant de trois ministères. ([131]) La direction générale de la santé (DGS), compétente pour l’eau potable et les eaux conditionnées, peut intervenir en cas de crise sanitaire et s’appuie sur les travaux de Santé Publique France et de l’ANSES. La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a pour responsabilité d’assurer une surveillance permanente des marchés, avec une compétence spécifique pour ce qui concerne les denrées d’origine végétale, l’information du consommateur sur les denrées alimentaires, les organismes génétiquement modifiés, les matériaux au contact des denrées alimentaires. Enfin, la direction générale de l’alimentation (DGAL) a pour compétence les aspects relevant de la production animale et végétale, intervenant également sur les questions d’hygiène et de sécurité des denrées d’origine animale.
En outre, les contrôles, qui sont normalement répartis entre la direction générale de l’alimentation, celle de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes et celle de la santé, peuvent également être effectués par d’autres entités (ministère des armées ([132]), Institut national de l’origine et de la qualité ([133])).
Cette gouvernance française, qualifiée de « complexe » par la Cour des comptes, impose selon elle une « clarification », qui doit passer par la « désignation d’un chef de file au niveau central et un renforcement du pilotage au niveau régional. ([134]) La France a, en effet, fait le choix unique en Europe de distinguer le pilotage de la sécurité sanitaire des aliments d’origine animale (DGAL), de celle des aliments d’origine végétale (DGCCRF) et le contrôle de la qualité des eaux (DGS).
La Cour des comptes rappelle également que, dans la plupart des autres États européens, il existe une plus grande cohérence dans la mise en œuvre de cette politique. Le Royaume-Uni dispose d’une agence dédiée (Food Standards Agency) et dans d’autres États, ce sont soit le ministère de l’agriculture (Allemagne, Danemark) soit celui de la santé (Pologne, Italie) qui ont pour charge la sécurité sanitaire des aliments. En termes d’exécution des contrôles, certains États préfèrent le monopole des services administratifs (Pologne, Danemark) alors que d’autres, comme la France ou les Pays-Bas, ont privilégié une imbrication des administrations et des regroupements privés. ([135])
COMPARAISON DES AUTORITÉS DE PILOTAGE DE LA SÉCURITÉ SANITAIRE
DES ALIMENTS
Source : Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux, « Parangonnage sur les moyens affectés par différents pays à la politique de sécurité sanitaire des aliments », 2016 (page 30).
La question de la simplification de la gestion administrative française de la sécurité sanitaire des aliments a été plusieurs fois posée, en particulier suite à la commission d’enquête sur « l’affaire Lactalis ». ([136]) Cette question s’inscrit donc dans le cadre plus large des réflexions sur la nécessité de mieux harmoniser les systèmes nationaux de surveillance de la sécurité alimentaire. Il est clair désormais que la pleine efficacité de cette politique européenne est entravée par la multiplicité des modèles nationaux de surveillance. Aujourd’hui, « tous les cas de figure existent en matière de gouvernance (…) ; de coordination (nationale ou décentralisée), de périmètre et de réalisation des missions (…). » ([137]) Il importe donc d’y remédier.
Le rapport du Sénat sur « l’affaire Lactalis » ([138]) soulignait également l’importance d’une rationalisation de l’organisation du contrôle sanitaire. Il indiquait que « l’affaire Lactalis a mis en lumière de potentielles failles dans l’articulation des contrôles entrez la DGAL et la DGCCRF. Dès lors, il est nécessaire que les rôles de chacun soient précisés pour mieux identifier les responsabilités, éviter les redondances et surtout les risques de manquements dans la chaîne des contrôles ayant trait à la sécurité sanitaire des aliments ». Il proposait aussi que « l’ensemble des contrôles en matière de sécurité alimentaires soit placé soit un seul chef de file, qui devrait être le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation ».
La France, comme du reste les autres États membres, ne dispose pas d’un responsable unique sur la sécurité alimentaire. L’absence d’un responsable unique pour chaque État rend difficile de mettre en place une action concertée entre les pays.
Le gouvernement français a ainsi lancé, en avril 2019, une mission interministérielle sur l’organisation des contrôles relatifs à la sécurité sanitaire des aliments, dont les résultats ont été présentés en octobre 2019, sans que le rapport ne soit rendu public. L’analyse des avantages et inconvénients de la création d’une agence conduit la mission à ne pas retenir cette option. Elle propose une nouvelle répartition des compétences entre la DGAL et la DGCCRF fondée sur le cœur de métier des directions (risque sanitaire des aliments pour la première, loyauté et protection des consommateurs pour la seconde) avec différentes options et scénarios possibles, allant du transfert complet ou non des compétences de la DGCCRF à la DGAL, assorti ou non des moyens correspondants au recours aux délégations. Les arbitrages n’ont pas été rendus dans le cadre des discussions interministérielles en vue du projet de loi de finances pour 2021.
Proposition 16. Engager des travaux, au niveau européen, sur l’harmonisation à l’échelle européenne des systèmes de surveillance des denrées alimentaires.
4. Se donner les moyens d’une expertise scientifiques indépendante
Annoncée dans sa communication relative à l’initiative citoyenne européenne « Interdire le glyphosate et protéger la population et l’environnement contre les pesticides toxiques » ([139]), la proposition de règlement européen COM(2018) 179 visait à renforcer l’exigence de transparence de transparence des évaluations scientifiques de la qualité et de l’indépendance des études scientifiques ainsi que de la gouvernance de l’EFSA. ([140])
Cette proposition fait directement écho au scandale qui a touché l’EFSA en ce qui concerne « l’évaluation et de gestion des substances sensibles, telles que les organismes génétiquement modifiés, et des produits phytosanitaires, en particulier les produits contenant du glyphosate ou les produits susceptibles d’avoir une incidence négative sur la santé du fait de perturbateurs endocriniens. » ([141])
En effet, en septembre 2017, l’ONG autrichienne Global 2000 avait révélé que de longs passages du rapport d’évaluation de l’EFSA sur la toxicité du glyphosate étaient identiques au dossier déposé par l’entreprise qui le commercialise, Monsanto, afin de solliciter le renouvellement de l’autorisation de mise sur le marché de ce produit. Or, ces éléments avaient permis à l’EFSA de conclure que le glyphosate n’était ni toxique pour la reproduction, ni cancérogène, ni génotoxique.
Selon un rapport externe de 2012 ([142]), l’EFSA a autorisé un nombre croissant de produits entre 2006 et 2012 et 60 % de son activité était constituée par le traitement de demandes, dont un tiers concernait de nouveaux produits. Les industriels peuvent donc accaparer l’EFSA et la contraindre à utiliser toutes ses ressources pour répondre à ses demandes.
En outre, l’EFSA peut également faire face à des réticences de la part des États membres à lui fournir les données nécessaires à la réalisation des évaluations scientifiques, comme par exemple la présence de substances chimiques, alors que les États membres y sont juridiquement contraints. ([143])
Le nouveau règlement européen, adopté en avril 2019 ([144]), dispose que les études et informations étayant une demande de production scientifique de l’EFSA doivent être rendues publiques automatiquement lorsqu’une demande est validée ou jugée recevable. Ce nouveau règlement impose également aux demandeurs et aux laboratoires de notifier lorsque des études sont commandées, ainsi que la création d’une base de données regroupant les études commandées. ([145])
Toutefois, ce règlement ne règle pas la question du risque lié à la dépendance de l’EFSA vis-à-vis de la recherche privée. En effet, « la contre‑expertise faite par l’agence de sécurité alimentaire demeure tributaire du budget abondé par les États membres, ce qui ne lui garantit pas une indépendance financière suffisante pour mener des études suffisamment ambitieuses en termes de contre-expertise. » ([146])
Le degré important de précision des études demandées commande en effet, dans certains cas, que l’EFSA fasse appel à des laboratoires spécialisés qui ont pu aussi travailler pour l’industriel qui a développé la substance contrôlée.
Ces débats s’inscrivent dans un contexte général de remise en cause de l’expertise scientifique dans une partie de l’opinion publique européenne.
Dans ce cadre, des « expertises alternatives » se font jour et viennent parfois concurrencer celles des autorités scientifiques mandatées. Cela a pour conséquence de réduire l’acceptabilité sociale et politique des décisions publiques prises sur le fondement de ces expertises scientifiques. Il est donc crucial, selon vos rapporteurs, de maintenir un haut niveau d’investissement dans la recherche scientifique publique sur les aliments et de continuer à accroître la transparence dans la conduite de ces études.
C’est pourquoi la commission d’enquête parlementaire sur l’alimentation industrielle proposait de créer une taxe affectée visant à abonder le budget de l’EFSA pour les industriels soumissionnaires demandant un avis scientifique à l’agence, comme ce qui peut exister pour d’autres agences, notamment l’Agence européenne des produits chimiques et l’Agence du médicament. ([147])
En effet, le budget annuel de l'EFSA en 2018 était de 80 millions d’euros. La proposition de règlement prévoyait une hausse du budget de l’EFSA de 62 millions d'euros à l’horizon 2023, ce qui porterait le budget de l’agence à 142 millions d’euros. Sur ces 62 millions d’euros, 15 millions sont prévus spécifiquement pour les études de vérification. ([148])
Les recherches relatives à la sécurité alimentaire sont coordonnées au niveau européen par l’EFSA. Une enveloppe budgétaire annuelle lui est attribuée, pour toutes ses activités de recherche, quel que soit le domaine d’activité. Cette enveloppe peut être réajustée en cours d’année en fonction des besoins. L’enveloppe pour l’année 2020 s’élève à 103 millions d’euros, contre 79,2 millions d’euros en 2019.
Proposition 17. Créer une taxe visant à abonder le budget de l’EFSA pour les industriels soumissionnaires demandant un avis scientifique à l’agence comme ce qui peut exister pour d’autres agences, notamment l’Agence européenne des produits chimiques et l’Agence du médicament.
Le sous-financement chronique de l’EFSA conduit également à des retards dans l’évaluation des produits sur lesquels des risques peuvent exister. C’est le cas par exemple de l’utilisation du dioxyde de titane (E171) dans les denrées alimentaires ([149]), qui a été suspendue en France pour une durée d’un an par l’arrêté du 17 avril 2019. ([150]) En octobre 2020, le Parlement européen a rejeté la décision de la Commission européenne visant à autoriser la vente et l’utilisation du dioxyde de titane. Toutefois, l’EFSA n’a pas encore rendu ses conclusions quant à la réévaluation de l’utilisation du produit. En l’absence d’une évaluation similaire à celle qui a été rendue par l’ANSES ([151]), ce produit devra être ré-autorisé.
Le mode de fonctionnement de l’EFSA, de plus en plus fondé sur les demandes des industriels, peut aussi conduire à sous-estimer certains enjeux d’avenir en matière de sécurité alimentaire. Les analyses ont montré que trois phénomènes devraient irriguer beaucoup plus fortement les travaux de l’EFSA :
- les effets cocktails, dont l’enjeu majeur sur la santé publique commence à être de mieux en mieux documenté. Il s’agit d’un phénomène conduisant à ce que des substances sans danger pour l’être humain individuellement puissent devenir nocives lorsqu’elles sont mélangées. Les connaissances scientifiques manquent toutefois encore sur ce sujet, même si la recherche développe de nouvelles approches et de nouvelles méthodologies pour renforcer les études toxicologiques ([152]) ;
- la présence de nanomatériaux manufacturés dans l’alimentation, du fait de leur utilisation de plus en plus importante par l’industrie agroalimentaire depuis une trentaine d’années, en raison de leurs propriétés permettant de modifier notamment l’aspect et l’appétence d’un produit alimentaire. En France, la déclaration des substances à l'état nano-particulaire, obligatoire depuis 2013 via le registre « R-Nano » géré par l’ANSES. Ce système a permis, à l’échelle nationale, d’identifier 37 nanomatériaux manufacturés utilisés en tant qu’additifs ou ingrédients alimentaires. Si la thématique est connue, une recherche plus poussée reste nécessaire, avec une approche adaptée, pour évaluer les risques sanitaires de ces nanomatériaux pour les consommateurs. L’ANSES doit proposer une méthodologie d’évaluation du risque nano-spécifique d’ici début 2021 ([153]), mais il est clair que l’EFSA devrait se saisir plus fortement de cette question ;
- les « nouveaux aliments » ou « novel food », qui se définissent comme les aliments ou ingrédients dont la consommation était négligeable voire inexistante dans l’Union européenne avant le 15 mai 1997. Ces « nouveaux aliments » peuvent être d’origine végétale, animale ou issus de la recherche scientifique et technologique, mais également consommés traditionnellement en dehors de l’Union européenne. Ces produits doivent remplir certains critères non cumulatifs pour entrer dans cette catégorie : structure moléculaire primaire nouvelle ou délibérément modifiée, être composé de champignons, microorganismes, ou algues, être isolés à partir de végétaux ou d’animaux ou encore résulter d’un procédé de production non couramment utilisé. Parmi ces nouveaux aliments, on trouve par exemple la graine de chia (autorisée en octobre 2009), l’extrait de Cranberry ou encore les extraits d’algue verte unicellulaire Haematococcus pluvialis, refusés en 2014. ([154]) S’ils font l’objet d’un règlement européen spécifique ([155]) qui impose une autorisation préalable avant mise sur le marché après avis de l’EFSA, les analyses continuent de manquer pour éclairer le consommateur sur les risques potentiels que ces aliments peuvent faire peser sur la santé.
Proposition 18. Mieux orienter les travaux de l’EFSA vers des enjeux d’avenir en matière alimentaire, en particulier les « effets cocktails », la présence de nanomatériaux dans l’alimentation et les « nouveaux aliments »
Enfin, la coordination peut parfois être complexe entre l’EFSA et l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA), chargée par le règlement dit « REACH » ([156]) d’évaluer les substances chimiques avant leur mise sur le marché. L’articulation entre les missions de l’EFSA et de l’ECHA peut, sur certaines substances, s’avérer très peu optimale, pouvant conduire les deux agences à se prononcer sur le même produit, créant ainsi, en plus du doublon administratif, un risque de contradiction dans les résultats des expertises.
La Commission européenne, dans sa nouvelle stratégie sur les produits chimiques publiée en octobre 2020, a proposé de mettre en œuvre l’approche dite « une substance, une évaluation » qui doit garantir que « les évaluations des risques seront entreprises et leurs priorités fixées d’une manière coordonnée, transparente et, dans la mesure du possible, synchronisée, compte tenu des spécificités de chaque secteur. » ([157])
Proposition 19. Clarifier la répartition des compétences entre l’EFSA et l’ECHA, en déléguant par exemple la compétence sur l’ensemble des produits chimiques, y compris à vocation alimentaire, à l’ECHA.
5. Réduire le gaspillage alimentaire : une législation européenne à construire
Le Pacte national « anti-gaspi » de 2013 définit le gaspillage alimentaire comme « toute nourriture destinée à la consommation humaine qui, à une étape de la chaîne alimentaire, est perdue, jetée, dégradée. » ([158]) Les pratiques agricoles laissant des céréales dans les champs après récolte par exemple, ou la méthanisation des fruits et légumes jugés non esthétiques ou mal calibrés pour être vendus sont donc considéré comme du gaspillage alimentaire. ([159]) Le gaspillage alimentaire représente 88 millions de tonnes de nourriture par an au sein de l’Union européenne, soit 173 kilogrammes par citoyens européens chaque année. ([160])
Une distinction doit cependant être faite entre gaspillage alimentaire et déchets alimentaires incompressibles. Il s’agit en effet de pertes inévitables au cours de la chaîne de production (os, épluchures de légumes ou coquilles d’œufs). En revanche, les déchets alimentaires liés au retrait de la vente de produits pour des raisons de fraîcheur et de dates de péremption sont considérés comme du gaspillage alimentaire car ils ne représentent pas des « pertes inévitables ».
Dans les pays industrialisés, le gaspillage alimentaire est principalement le fait des derniers maillons de la chaîne, à savoir la distribution et la consommation : aujourd’hui, 53 % des denrées alimentaires gaspillées le sont au sein des ménages. ([161]) Néanmoins, le gaspillage alimentaire est présent sur toute la chaîne de production et de consommation des aliments. ([162])
En ce qui concerne la France, selon un rapport de 2016 de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) ([163]), le gaspillage alimentaire proviendrait à 32 % de la production agricole, à 21 % des processus industriels de production, à 14 % de la distribution et de la restauration collective, et à 19 % de la consommation à domicile des ménages. Ces chiffres sont comparables aux données des autres États membres de l’Union européenne. Les associations d’aide alimentaire peuvent également être à l’origine d’un certain gaspillage alimentaire, du fait d’une organisation logistique difficile à mettre en place.
Ce phénomène s’explique par plusieurs raisons parmi lesquelles des crises de surproduction, les critères esthétiques et de calibrage (surtout pour les fruits et légumes), des problèmes de rupture de la chaîne du froid, une mauvaise gestion des stocks ou encore une inadéquation entre l’offre et la demande.
Le gaspillage alimentaire comporte des enjeux éthiques, économiques et environnementaux :
- au sein de l’Union européenne, 6 millions d’adultes sont en situation d’insécurité alimentaire, alors que 20 % de la production annuelle européenne de denrées alimentaires est perdue ;
- d’un point de vue financier, le gaspillage alimentaire représente 143 milliards d’euros de pertes par an au sein de l’Union européenne et 16 milliards en France, soit 240 euros par personne ([164]) ;
- enfin, le gaspillage alimentaire est un coût pour l’environnement : au niveau européen, le gaspillage alimentaire représente au moins 227 millions de tonnes d’équivalent CO2 par an, soit environ 6 % des émissions totales de l’Union en 2012. ([165]) Cela reflète un gaspillage en ressources (terres cultivables et eau) et une pollution environnementale inutile (utilisation de produits phytosanitaires), alors qu’une réduction de 30 % du gaspillage alimentaire de l’Union permettrait de préserver 400 000 hectares de terres cultivables. ([166])
Alors que la Commission européenne s’est engagée à réduire de moitié le gaspillage alimentaire par habitant aux niveaux du commerce de détail et du consommateur d’ici à 2030 (ODD 12.3), l’Union européenne ne dispose aujourd’hui d’aucune législation contraignante spécifique en la matière. Un rapport de la Cour des comptes européenne publié en 2016 ([167]) souligne d’ailleurs que les ambitions de la Commission sur le sujet ont été revues à la baisse au fil des plans stratégiques présentés en matière d’alimentation.
Cependant, le « paquet déchets » ([168]), présenté en mars 2017, encourage les États membres à légiférer pour lutter contre le gaspillage alimentaire. Ce paquet propose notamment que les supermarchés européens soient exonérés de TVA sur les invendus donnés et que soit instaurée une « hiérarchisation des déchets ». Dans le cadre de son « Pacte vert pour l’Europe », la Commission européenne a adopté, en mars 2020, un nouveau plan d’action en faveur de l’économie circulaire, qui prévoit notamment de nouvelles initiatives en matière de denrées alimentaires et d’emballages. ([169])
La Commission européenne a également mis en place une « Plateforme de lutte contre le gaspillage alimentaire », réunissant l’ensemble des États membres ainsi que les parties prenantes professionnelles et associatives. Cette plateforme a développé un certain nombre d’outils et de recommandations ([170]) en faveur de la lutte contre le gaspillage alimentaire.
Au niveau réglementaire, la directive 2008/98/CE ([171]) impose aux États membres d’inclure la prévention des déchets alimentaires dans leurs programmes de prévention des déchets et de surveiller et d’évaluer la mise en œuvre de leurs mesures de prévention des déchets alimentaires en mesurant les niveaux de déchets alimentaires selon une méthodologie commune.
Au niveau des États membres, la législation en matière de gaspillage alimentaire n’est pas uniforme. Certains États membres ont adopté des législations ambitieuses et contraignantes pour lutter contre ce phénomène. Le Conseil des ministres de l’agriculture du 16 novembre 2020 ([172]) a permis à la présidence allemande de regretter l’absence, au sein de certains États membre, de stratégie et d’objectifs précis en matière de réduction des pertes alimentaires.
En France, la loi dite « anti-gaspillage » de février 2016 ([173]) interdit aux grandes surfaces de rendre leurs invendus impropres à la consommation (en les « javélisant » notamment), sous peine de sanctions financières, et les incite à signer des conventions avec des associations caritatives afin de donner leurs invendus alimentaires. Le texte prévoit également des programmes de sensibilisation dans les écoles. De plus, la loi « Egalim » ([174]) traite de la question du gaspillage alimentaire dans les restaurants collectifs et l’industrie agroalimentaire, en imposant le recours aux dons en cas de surplus.
En Italie, une loi d’août 2016 s’est inspirée du modèle français en facilitant les procédures administratives pour les acteurs de l’alimentation qui décideraient de faire don des surplus ou des invendus. Cette loi est purement incitative : les acteurs recourant aux dons reçoivent en échange un abattage fiscal.
En Roumanie, une législation d’octobre 2016 oblige les grandes surfaces à brader le prix des produits dont la date de péremption est proche et encourage l’exploitation maximale des produits alimentaires qui ne sont plus consommables par l’homme (dons à des fermes pour nourrir le bétail, compostage des invendus ou transformation en biogaz). En cas de non-respect, les supermarchés s’exposent à des sanctions financières.
Néanmoins, l’objectif des législations nationales reste surtout de porter l’attention du public sur le sujet du gaspillage alimentaire, de sensibiliser et de faire évoluer les pratiques.
Dans son « paquet déchets », la Commission européenne propose de mettre l’accent sur l’information aux consommateurs concernant la notion de « date de péremption ». En effet, cette notion est souvent mal comprise par les consommateurs. 53 % des Européens ne connaissent pas la signification de la mention « à consommer de préférence avant le » et 60 % celle de la mention « à consommer jusqu’au ». ([175]) Au total, un peu moins de la moitié des citoyens européens comprennent la différence entre ces deux indications sur les produits qu’ils achètent. ([176]) Les cahiers des charges des grandes surfaces européennes se révèlent également trop contraignants, mettant hors circuits de nombreux produits pourtant encore consommables.
La stratégie « de la ferme à la table » de la Commission européenne prévoit une révision du règlement n° 1169/2011 (règlement « INCO ») pour clarifier les différences entre les « dates limites de consommation » (DLC, « à consommer avant ») et les « dates de durabilité minimales » (DDM, « à consommer de préférence avant »). Vos rapporteurs considèrent qu’une refonte totale du système de dates de péremption doit urgemment être engagée, dans un objectif de clarification des indications et surtout d’efficacité dans la lutte contre le gaspillage alimentaire, sans compromettre l’objectif de sécurité sanitaire.
Proposition 20. Engager des travaux européens de refonte du calcul et la présentation sur les produits des dates de péremption. Vos rapporteurs proposent de remplacer les intitulés actuels de dates de péremption par « à consommer impérativement avant le » et « est meilleur jusqu’au ».
En outre, le rapport de la Cour des comptes de 2016 recommande une meilleure harmonisation des politiques de lutte contre le gaspillage alimentaire entre les États membres ainsi qu’une clarification des mesures concernant les dons alimentaires aux associations.
Enfin, la directive 2008/98 prévoit l’obligation pour les États membres de communiquer à la Commission européenne, au plus tard au 31 décembre 2022 sur les données de l’année 2020, les niveaux de gaspillage alimentaire par secteur. ([177]) À partir de ces données, la Commission prévoit, dans sa stratégie « de la ferme à la table », de définir des objectifs contraignants juridiquement de réduction du gaspillage alimentaire pour les États membres pour la fin 2023.
La Commission européenne a enfin adopté en mai 2019 une nouvelle méthodologie permettant d’harmoniser les données du gaspillage alimentaire des États membres. ([178]) Cela permettra de mieux mesurer les résultats des actions prises par les pays afin de construire une stratégie communautaire inspirée des politiques ayant les meilleurs résultats.
Une fois ces données harmonisées, vos rapporteurs préconisent d’engager au plus vite des travaux européens en vue de la définition d’une nouvelle directive « anti-gaspillage alimentaire » qui rehausse les objectifs européens en la matière, notamment dans les sanctions relatives à la destruction des invendues, à la sensibilisation encore très insuffisante des ménages et des entreprises et un encadrement européen du don de produits alimentaires.
Proposition 21. Définir une nouvelle « directive anti-gaspillage alimentaire », visant à renforcer les sanctions relatives à la destruction des invendus, sensibiliser les ménages et faciliter le don de produits alimentaires.
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La politique européenne de sécurité sanitaire des aliments se situe aujourd’hui au milieu du gué. Elle est en effet l’objet de critiques récurrentes, notamment dans les situations de crise, certains acteurs associatifs pointant une efficacité qui pourrait être renforcée et l’absence d’harmonisation totale dans les structures et les contrôles qui encadrent l’application de cette politique. En même temps, les États membres peuvent considérer que l’Union fait peser sur eux une « emprise excessive » en matière de sécurité alimentaire. ([179])
Globalement, vos rapporteurs constatent que l’Union européenne dispose d’une sécurité sanitaire en matière alimentaire particulièrement performante par rapport au reste du monde. Les consommateurs peuvent légitimement avoir une confiance très élevée dans leur alimentation, même si ce n’est paradoxalement pas toujours le cas.
En parallèle, les « scandales alimentaires », qui relèvent désormais la plupart du temps de cas de fraudes impossibles à prévenir intégralement, bénéficient d’une médiatisation importante, liée à l’attention croissante que les consommateurs portent sur leur alimentation. Ces scandales ne sont pas pour autant révélateurs d’une résurgence massive des cas de dysfonctionnements en matière de sécurité alimentaire. Cette situation est permise par une législation alimentaire européenne particulièrement précise et efficace.
En outre, l’Union européenne dispose également d’agences scientifiques dont l’expertise est unanimement reconnue, tant au niveau national qu’européen. C’est sur cette base scientifique que sont prises les décisions publiques visant à assurer une sécurité alimentaire toujours plus performante. Il s’agit là d’un acquis précieux, qu’il faut valoriser et maintenir, malgré un financement encore insuffisant pour assurer une totale transparence dans les études scientifiques et pour permettre d’explorer en profondeur les nouveaux enjeux sanitaires qui seront essentiels pour l’avenir.
Toutefois, vos rapporteurs tiennent à souligner deux difficultés principales qu’ils ont identifiées. D’abord, cette législation ne peut être efficace sans des moyens suffisamment importants pour la mettre en œuvre. Or, il apparaît que les systèmes nationaux de contrôle de la sécurité des aliments sont non seulement très hétérogènes en termes de structuration mais aussi insuffisamment dotés en moyens pour être totalement efficaces. Le système français, particulièrement complexe et dont les moyens n’ont cessé de décroître depuis les années 2010, est en cela une bonne illustration.
En outre, cette législation ne permet qu’insuffisamment d’anticiper et de réprimer les cas de fraudes alimentaires. Il s’agit de la principale lacune réglementaire de la législation alimentaire générale. Si celle-ci permet à l’Union européenne de disposer d’un niveau inégalé de sécurité sanitaire, les fraudes alimentaires, dont la définition n’est toujours pas harmonisée au niveau européen, sont encore mal détectées et les réactions des États membres sont souvent tardives et mal organisées.
Plus généralement, vos rapporteurs ont constaté une importante rupture entre l’amont de la filière, réglementé par la PAC, et l’aval (transformation, distribution), réglementé par la législation alimentaire générale. L’objectif d’une politique européenne « de la ferme à la table » reste encore, de ce point de vue, largement théorique. La PAC doit véritablement devenir une politique agricole et alimentaire commune (PAAC), prenant en compte l’ensemble de la filière, pour assurer une production durable, une véritable traçabilité des produits et des contrôles harmonisés.
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La Commission s’est réunie le mercredi 2 décembre 2020, sous la présidence de Mme Sabine Thillaye, Présidente, pour examiner le présent rapport d’information.
Mme la Présidente Sabine Thillaye. Nous allons procéder à l’examen du rapport d’information sur la sécurité alimentaire dans l’Union européenne. C’est un rapport très riche, qui aborde une multitude de points et qui est assorti d’une proposition de résolution.
M. André Chassaigne, rapporteur. Nous avons l’honneur de vous présenter les résultats de nos travaux sur la sécurité alimentaire au sein de l’Union européenne, dont les enseignements et préconisations sont résumés dans la proposition de résolution européenne qui vous est soumise.
Comme vous vous en doutez, ces travaux ont été menés dans des conditions particulières liées à la crise sanitaire, mais nous avons tout de même réussi à auditionner les administrations concernées, des entreprises, des associations, des chercheurs et des organismes de recherche, afin de disposer d’un panorama complet sur cette question.
Avant tout, je voudrais faire une précision sémantique. Nous avons été confrontés, dans l’analyse du sujet, à la pluralité de définitions du terme de « sécurité alimentaire ». Deux sens peuvent en effet lui être attribués. D’abord, il peut s’agir de la possibilité, pour chacun d’entre nous, de se nourrir régulièrement et en quantité suffisante, c’est-à-dire notre capacité à assurer une suffisance alimentaire pour l’ensemble de la population. Ensuite, il peut s’agir de la sécurité au sens sanitaire, c’est-à-dire de la capacité des autorités publiques et des entreprises de l’agroalimentaire à garantir des denrées sûres et nutritives et une diffusion transparente des informations. Le premier sens vise donc à répondre à la question « est-ce qu’on mange ? » et le second à la question « qu’est-ce qu’on mange ? ».
Nous avons choisi, comme nous l’indiquons dans le rapport, de nous focaliser sur le second sens, d’ordre sanitaire, pour deux raisons principales. D’abord, parce que le premier sens est extrêmement large et renvoie plutôt à l’objectif de « souveraineté alimentaire » ; ensuite, parce que le second sens est celui que les institutions européennes donnent au terme de sécurité alimentaire.
Nous avons donc traité ce sujet avec le sens de « sécurité sanitaire des aliments », pour laquelle il existe une législation européenne très structurée.
En effet, l’Union européenne a été confrontée, au début des années 2000, à une série de crises sanitaires dans l’alimentation, avec notamment la crise de la « vache folle », mais aussi celle de la fièvre aphteuse ou encore de la dioxine. Ces crises ont miné la confiance des consommateurs dans leur alimentation et ont été très coûteuses pour les États membres. Ces crises ont aussi fragilisé l’industrie agroalimentaire, deuxième secteur économique européen.
Ainsi, en 2002, l’Union européenne s’est dotée d’un nouveau règlement, dit de « législation alimentaire générale », qui a profondément rénové les règles en matière de sécurité alimentaire. Il s’applique à tous les acteurs de la filière : production, transformation, distribution et transport.
Mme Catherine Osson, rapporteure. Pour résumer, ce règlement prévoit trois actions : l’évaluation, la gestion et la communication sur les risques alimentaires. L’évaluation est assurée par l’agence européenne de sécurité des aliments (EFSA). Celle-ci évalue les dangers physiques, biologiques et chimiques dans l’alimentation.
Une fois un risque identifié, la gestion de ce risque est assurée par les autorités publiques, notamment grâce à un système d’alerte rapide pour les denrées alimentaires (RASFF) qui permet aux autorités de communiquer rapidement. Ce RASFF a fait la preuve de toute son efficacité et s’avère aujourd’hui indispensable. Enfin, les autorités sont tenues de communiquer sur le risque, notamment avec les consommateurs, les entreprises et les chercheurs.
Surtout, il faut bien comprendre que cette législation donne un rôle central aux industriels du secteur agroalimentaire, qui sont désormais tenus à une obligation de résultat (et non plus de moyens) en matière de sécurité sanitaire. Ils doivent donc réaliser leurs propres contrôles dont les résultats doivent, en France, être communiqués aux autorités.
On constate d’ores et déjà que les entreprises ne sont pas égales face à ces exigences. C’est pourquoi nous demandons des dispositifs de soutien aux petites et moyennes entreprises de l’agroalimentaire dans le domaine de la sécurité sanitaire des aliments. Cela pose en effet la question de la formation des professionnels à la sécurité sanitaire, formation qui peut être insuffisante, notamment dans les abattoirs.
Les États membres ont bien entendu aussi une responsabilité : ils doivent effectuer des contrôles sur leur territoire et aux frontières extérieures de l’Union. Enfin, la Commission européenne diligente des audits pour s’assurer que les contrôles sont bien effectués. Ces audits recouvrent des thématiques variées : santé animale et végétale, qualité des denrées, contrôles à l’importation, etc.
Enfin, je voudrais insister sur la place prépondérante que la législation européenne offre à l’information du consommateur. Un règlement spécifique, appelé INCO, est dédié à cette question depuis 2011.
Globalement, nous voulons surtout insister sur la forte performance de toute cette législation. L’ensemble des personnes que nous avons auditionnées nous a bien indiqué que l’Union européenne dispose d’un niveau inégalé de sécurité alimentaire, notamment par rapport au reste du monde où les maladies d’origine alimentaire représentent encore, je cite l’Organisation mondiale de la santé (OMS), une « charge non négligeable ».
C’est pourquoi, dans l’évaluation qu’elle a faite de sa législation alimentaire en 2014, la Commission européenne a considéré que celle-ci était très performante et ne nécessitait pas de révision particulière.
Les cas de « scandales alimentaires », qui font souvent la « une » de l’actualité, ne sont pas plus nombreux qu’il y a vingt ans. Au contraire, les fraudes et dysfonctionnements sont beaucoup mieux détectés aujourd’hui, notamment grâce aux outils fournis par l’Union européenne. Cela entraîne nécessairement une augmentation du nombre de cas de dysfonctionnements détectés, ce qui peut faire croire à une résurgence des situations problématiques. Cette résurgence, comme nous le montrons, n’est donc en réalité qu’un « trompe-l’œil ».
M. André Chassaigne, rapporteur. Cependant, tout n’est bien entendu pas parfait. La législation pourrait d’abord être améliorée en adoptant une définition européenne de la « fraude alimentaire ». L’absence de définition harmonisée peut entraîner des retards de réaction de la part des États membres, ce qui a pu leur être reproché dans les derniers scandales alimentaires récents : la fraude à la viande polonaise avariée en 2019, le cas des œufs contaminés au fipronil, la crise du lait infantile en 2017 et bien entendu le scandale dit de « la viande de cheval » en 2013.
De plus, depuis 2002, date du début de la mise en œuvre de la législation alimentaire européenne, le contexte mondial a profondément évolué, notamment sous l’influence de ce que l’on peut appeler la « mondialisation alimentaire ». Celle-ci a induit un éclatement de la chaîne agroalimentaire dans le monde et une augmentation des échanges de denrées. L’Union européenne constitue ainsi le premier importateur et exportateur mondial de produits agroalimentaires.
Il nous faut donc être très vigilants sur le contrôle de la conformité des produits importés aux normes européennes. En effet, la mondialisation alimentaire accroît les risques en matière de production et de distribution des aliments. Or, des analyses montrent qu’entre 8 et 12 % des denrées alimentaires importées de pays tiers ne respectent pas les normes européennes. De plus, parmi les différents types de notification que les États membres envoient aux autres États lorsqu’un risque est détecté, ce sont les rejets aux frontières extérieures de l’UE qui sont majoritaires.
Encore très récemment, l’Union européenne a été confrontée à un cas de fraude alimentaire en lien avec des graines de sésame importées d’Inde et qui ont été contaminées avec un produit, l’oxyde d’éthylène, présent dans des doses mille fois supérieures aux normes européennes. Or, ce produit est considéré comme cancérogène et toxique pour la reproduction.
Le système d’alerte rapide a été déclenché par les autorités belges le 9 septembre dernier et 300 produits ont d’ores-et-déjà été rappelés en France. La Commission européenne a imposé une augmentation de 50 % de la fréquence des contrôles et chaque lot de graines de sésames originaires de l’Inde doit faire l’objet d’un certificat officiel et un lot sur deux fait l’objet d’un contrôle. Il s’agit d’un exemple typique de cette « mondialisation alimentaire » qui n’est pas sans risque pour la sécurité des aliments.
Or, en France, l’article 44 de la loi « Egalim » précise qu’il est proscrit de vendre des denrées alimentaires pour lesquelles il a été fait usage de produits phytopharmaceutiques non autorisés par la réglementation européenne.
Nos auditions nous ont bien montré à quel point cet article ne peut pas aujourd’hui être appliqué. On le voit notamment avec l’accord économique et commercial global entre l’Union européenne et le Canada (CETA), pour lequel un audit de la Commission européenne a démontré qu’il existait des « défaillances » dans le contrôle de la traçabilité du bétail canadien. De la même manière, la commission d’experts qui était chargée par la France d’évaluer les impacts de l’accord avec les États du Mercosur a conclu que les garanties sanitaires n’étaient pas apportées.
Ainsi, l’arsenal juridique et technique de l’Union européenne pour contrôler les denrées alimentaires en provenance de pays tiers est encore très insuffisant. Pour l’instant, la Commission européenne renforce temporairement les contrôles de produits en provenance de certains pays tiers, jugés plus à risque.
C’est pourquoi nous proposons que l’Union européenne et les États membres se dotent de moyens techniques et financiers spécifiques pour le contrôle de la conformité des produits agroalimentaires importés. De plus, l’Union doit disposer d’une liste publique et actualisée des États tiers vis-à-vis desquels les contrôles aux frontières sont renforcés. Pour les États de cette liste, des interdictions d’importation pourraient être prononcées rapidement en cas de traçabilité insuffisante, même s’il existe un accord commercial.
Plus généralement, nous avons constaté que certains industriels et États membres rencontrent encore des difficultés pour démontrer une totale traçabilité des produits. C’est pourquoi nous proposons deux voies pour améliorer cette situation.
D’abord, il faut continuer à accroître l’étiquetage de l’origine. Le règlement INCO prévoit cet étiquetage pour certains aliments (viandes, miel, huile d’olive, fruits et les légumes frais) et des expérimentations ont lieu dans certains États membres pour d’autres produits, en particulier le lait. Toutefois, il ne faut pas s’arrêter à cette étape. Il nous faut plutôt une nouvelle réglementation européenne sur l’étiquetage de l’origine géographique, au sein du marché unique, des denrées alimentaires.
Ensuite, nous constatons un important retard européen en matière d’utilisation des nouvelles technologies pour renforcer la traçabilité. C’est pourquoi nous demandons à la Commission européenne de lancer des travaux sur la mise en place de « QR code » permettant de disposer de l’ensemble des informations de traçabilité.
Mme Catherine Osson, rapporteure. Nous avons aussi constaté qu’au sein des États membres l’organisation des contrôles est très diverse et souvent peu lisible. C’est en particulier le cas en France, où ces contrôles impliquent trois ministères : l’agriculture, l’économie et la santé. Surtout, les moyens de ces autorités publiques diminuent, comme nous l’ont confirmé les préfectures que nous avons auditionnées et qui sont en charge de la mise en œuvre de ces normes sur le terrain.
C’est pourquoi nous proposons de créer une véritable police sanitaire à l’échelle européenne. Le président de la République française avait évoqué cette idée lors de son « discours de la Sorbonne ». En réponse, la Commission européenne a proposé que le mandat de l’Office européen de lutte anti-fraude (OLAF) soit étendu aux questions de sécurité sanitaire des aliments.
Cette option nous paraît toutefois trop peu ambitieuse. En effet, la Commission européenne constate très régulièrement que les contrôles sont peu ou mal réalisés par les États membres, sans que des suites ne soient données. Nous proposons donc que les États puissent, sur certains sujets, mutualiser leurs efforts afin de créer une véritable police sanitaire européenne, avec des compétences en matière de répression des fraudes.
Par ailleurs, nos auditions nous ont également permis de constater à nouveau l’importante coupure qui peut exister entre l’amont de la filière, régi par la politique agricole commune (PAC), et son aval, régi par la législation alimentaire. Comme cela avait été proposé dans un rapport précédent dans cette commission, nous proposons à nouveau la création d’une véritable politique agricole et alimentaire commune, qui intègre les dispositions de la législation alimentaire au sein de la PAC.
Notre rapport traite également des questions de l’éducation à l’alimentation et du gaspillage alimentaire. L’Union européenne organise des programmes d’éducation alimentaire et y consacre un financement important. Toutefois, nous considérons qu’il faudrait orienter ces programmes vers l’éducation à la sécurité alimentaire (et non pas seulement sur les aspects nutritifs) et entreprendre de véritables démarches de sensibilisation des professionnels de l’éducation.
Concernant le gaspillage, nous constatons que la Commission européenne est très engagée sur ce sujet mais que les législations nationales restent très éparses, puisqu’aucun texte normatif européen ne traite de cette question. Nous proposons donc la définition d’une directive « anti-gaspillage » visant à renforcer les sanctions pour destruction des invendus, à sensibiliser les ménages, et à faciliter le don de produits alimentaires.
M. André Chassaigne, rapporteur. Enfin, notre rapport traite du sujet central de l’évaluation scientifique des risques. L’Agence européenne de sécurité des aliments, que nous avons auditionnée, réalise un travail exceptionnel et absolument indispensable, avec des moyens très limités. Toutefois, le programme de travail de l’EFSA est de plus en plus accaparé par les industriels qui soumettent des demandes de mise sur le marché de leurs produits. C’est pourquoi nous reprenons la proposition qui avait été formulée par la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur l’alimentation industrielle, demandant la création d’une taxe affectée qui serait acquittée par les industriels sollicitant l’EFSA.
Par ailleurs, nous demandons également à ce que l’EFSA puisse travailler sur des sujets d’avenir pour notre alimentation, ce qu’elle n’a pour l’instant ni les moyens ni le temps de faire. Nous avons identifié trois sujets : les « effets cocktail », la présence de nanomatériaux dans l’alimentation et ce que l’on appelle les « nouveaux aliments ».
Dans un avis rendu hier, l’ANSES a d’ailleurs indiqué que le registre français qui permet l’enregistrement des nanomatériaux est insuffisant. Il reste trop mal renseigné pour évaluer les risques sanitaires ou même tracer ces matériaux sur le seul territoire français. 90 % des données fournies sont jugées « inexploitables », alors que plus de 400 000 tonnes sont incorporées chaque année dans les produits de la vie courante. Cela prouve bien la nécessité d’une plus grande transparence et d’une expertise scientifique sur le sujet.
Mme Catherine Osson, rapporteure. En conclusion, nous voulons bien insister sur le fait que l’Union européenne dispose d’une législation alimentaire qui garantit un niveau exceptionnel de sécurité sanitaire des aliments.
Nous demandons toutefois à ce que l’Union européenne dispose de moyens réellement efficaces pour contrôler l’application de cette législation, via une police sanitaire dédiée, et qu’une définition harmonisée de la « fraude alimentaire » soit enfin trouvée.
Nous demandons également à ce que l’expertise scientifique publique dispose toujours des moyens suffisants pour garantir son indépendance, notamment vis-à-vis des industriels, et pour nous assurer que les enjeux essentiels pour l’avenir de notre alimentation seront toujours bien pris en compte. C’est tout l’objet de la proposition de résolution européenne que nous vous soumettons.
L’exposé des rapporteurs a été suivi d’un débat.
Mme la Présidente Sabine Thillaye. Merci beaucoup à nos rapporteurs pour ce travail et pour l’intérêt que vous portez à ce sujet qui soulève beaucoup de questions. En effet, il s’agit d’un sujet extrêmement vaste, par exemple lorsqu’il s’agit de définir à l’échelle européenne la fraude alimentaire. Sur ce sujet, la question d’une définition commune se heurte également à la manière dont nous nous nourrissons et à la question interculturelle concernant ce qui est acceptable ou non, d’un point de vue sanitaire et donc ce qui peut être considéré comme une fraude. Avez-vous approché cette question d’interculturalité dans vos auditions ?
J’ai eu la chance d’avoir pu rendre au siège de l’EFSA, à Parme, avec Mmes Brune Poirson et Nathalie Loiseau, lorsque nous avons discuté du glyphosate. Nous avons constaté que les moyens de l’EFSA sont effectivement limités dans le sens où les scientifiques sont mis à disposition par les Etats membres. À l’époque déjà, l’EFSA nous avait informées qu’avec la réduction des budgets nationaux, les États membres hésitaient à mettre à disposition les scientifiques. Or, lorsque vous soulevez des sujets tels que « l’effet cocktail », cela nécessite des ressources humaines importantes pour juger d’un tel effet et mener des recherches.
Enfin, la question de l’étiquetage est assez primordiale de mon point de vue pour pouvoir s’informer en tant que consommateur. Cependant, le risque est de se retrouver avec des étiquettes trop importantes. L’idée d’un « QR code » est une bonne proposition, mais entre les préconisations relatives à la nutrition et celles relatives à la question sanitaire des denrées alimentaires, quels éléments doivent figurer en priorité sur les étiquettes des produits ?
Mme Nicole Le Peih. Au nom du groupe La République en Marche, je tiens tout d’abord à souligner la qualité et le caractère quasi-consensuel de votre travail, à l’exception de quelques amendements essentiellement rédactionnels portés par notre collègue Jean-Louis Bourlanges, et que nous soutiendrons.
Cela étant, je souhaite revenir sur plusieurs points. Tout d’abord sur la traçabilité des produits agroalimentaires et l’information donnée aux consommateurs, nous partageons les objectifs énoncés dans le rapport : une meilleure coordination des procédures européennes pour des questions de lisibilité et de transparence ; une meilleure intégration de nos procédures nationales conformément à notre objectif d’harmonisation des règles appliquées, et non pas seulement applicables ; enfin, une meilleure utilisation des nouvelles technologies pour améliorer la traçabilité des produits et simplifier la lecture que peuvent en avoir les consommateurs. Alors même que nous appelons de plus en plus à la responsabilité du consommateur, notre mission est de lui donner les outils d’analyse.
En complément des éléments que vous apportez sur le gaspillage, il est à noter que l’EFSA a mis au point un outil pour aider les exploitations du secteur alimentaire dans leur décision d’application de la date limite de consommation ou la date de durabilité minimale de leurs produits. De plus, un travail est en cours sur l’information donnée aux consommateurs. Il faudra penser à en évaluer rapidement l’efficacité.
Enfin, sur le gaspillage alimentaire, je rappelle qu’avec M. Jean-Baptiste Moreau et d’autres collègues, nous avons apporté un amendement au projet de loi de finances pour 2021 visant à rémunérer la réduction du gaspillage alimentaire. C’est une option fiscale de dernier recours puisque l’essentiel, comme vous le soulignez, reste l’éducation. Est-il alors toujours possible d’être rentable sans être responsable ?
Mme Marguerite Deprez-Audebert. Votre rapport d’information nous permet de pleinement prendre conscience du besoin de bénéficier d’une législation européenne harmonisée, structurée, et efficace, pour garantir aux consommateurs l’origine et la conformité aux normes fondamentales des produits alimentaires qu’ils consomment. Aussi, la proposition de résolution qui en ressort rencontre notre total soutien, moyennant certaines adaptations que nous présentera notre collègue Jean-Louis Bourlanges.
Nous voyons bien, suite aux différents scandales, que notre législation, bien que la plus avancée au niveau mondial, comporte encore de nombreuses failles et difficultés. Votre rapport souligne parfaitement le retard européen face aux nouveaux enjeux induits par la mondialisation des échanges de denrées alimentaires. Il faut donc, comme vous le dites, penser globalement la chaîne agroalimentaire et rénover notre législation alimentaire européenne. Vos propositions traduisent ainsi les difficultés chroniques de notre droit, à savoir le manque de moyens empêchant une mise en œuvre optimale, et l’hétérogénéité des systèmes nationaux de contrôle de la sécurité des aliments.
Pour ce faire, vous préconisez dans votre proposition n°3 l’adoption d’une définition harmonisée de la fraude alimentaire. Quelle serait, selon vous, une définition optimale de cette notion ? Y a-t-il une grande disparité entre les différentes définitions nationales ?
Afin de contrôler le respect des bonnes pratiques et d’éviter en amont les fraudes, vous proposez la création d’une police sanitaire européenne ayant de véritables prérogatives relatives à la répression des fraudes. Ne serait-il pas plus simple et moins coûteux de renforcer la coopération actuelle entre les États membres à ce sujet, plutôt que de créer ce nouvel acteur ?
À ce sujet, la Commission européenne avait annoncé dans sa stratégie « de la ferme à la table » vouloir étendre les compétences de l’OLAF, afin que ce dernier puisse être en mesure de coordonner plus étroitement les contrôles nationaux. Peut-être, serait-il intéressant de rappeler à la Commission cette proposition.
Je salue l’attention portée à la question des moyens alloués à l’EFSA. Il est important que cette agence soit la plus indépendante possible, ce qui sous-entend notamment un renforcement de ses moyens. Toutefois, nous ne pouvons que nous étonner de la volonté de créer une taxe affectée qui serait une fausse solution pour remédier à la question de son financement. Il me semble que nous sommes tous d’accord pour dire qu’il est nécessaire de développer les ressources propres de l’Union. À notre sens, ces ressources propres doivent financer l’ensemble des politiques européennes et non être attribuées chacune à une politique en particulier. Plus encore, la taxe affectée risquerait d’augmenter les coûts de production des exploitants avec des conséquences sur la compétitivité du secteur agroalimentaire européen et, in fine, sur les prix pratiqués aux consommateurs. Enfin, les coûts de perception importants d’une telle taxe, pour un rendement qui serait faible, doivent nous interroger sur l’utilité d’un tel mécanisme.
En conclusion, je tiens une nouvelle fois à remercier les rapporteurs pour ce travail, qui doit pouvoir contribuer à mieux d’Europe. Je veux aussi les assurer de notre soutien dans le vote de cette résolution si nous parvenions, lors de nos délibérations, à corriger certaines imperfections.
M. Thierry Michels. Plus de 50 % des Français souhaitent consommer mieux. Cette tendance déjà présente depuis quelques années est montée en flèche face à la crise sanitaire qui met en lumière notre profonde vulnérabilité. Aujourd’hui notre alimentation est fortement dépendante des marchés mondiaux qui posent des problèmes en terme de contrôle de la qualité des aliments.
Pour améliorer la sécurité alimentaire vous proposez en particulier de nous appuyer sur l’innovation via l’utilisation de nouvelles technologies numériques et notamment la blockchain. Cette nouvelle technique de stockage de données est très intéressante car elle permet aux utilisateurs de créer une chaîne d’information incorruptible.
Toutefois, le développement de ces nouvelles technologies fait de la gestion et de la collecte des données un défi majeur pour les entreprises. En conséquence, toute entreprise qui n’investit pas dans la numérisation risque de se trouver en grande difficulté à moyen long terme. Dans ce contexte, quels types d’accompagnement pensez-vous nécessaires notamment pour les TPE-PME pour que ces technologies ne soient pas uniquement accessibles à des start-ups innovantes et aux grandes entreprises ? Voyez-vous par ailleurs dans cette évolution vers le numérique et la traçabilité un moyen de renforcer la compétitivité et l’attractivité des filières agroalimentaires de l’Union européenne à l’exportation ?
Mme Liliana Tanguy. L’Agence nationale de la sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail a rendu un rapport en début de mois sur la présence de nanomatériaux dans les produits alimentaires et demande que la traçabilité de ces produits soit renforcée. Celle-ci est essentielle pour informer au mieux les consommateurs. Cependant, malgré les législations nationales et européennes, des failles existent toujours. Aujourd’hui, au niveau européen, comme au niveau national, les consommateurs attendent que davantage d’informations soient présentes sur les produits. La transparence sur l’origine et la composition des produits agroalimentaires doit être renforcée.
La Convention citoyenne pour le climat a également pris en compte cette exigence et a formulé plusieurs propositions sur la thématique « se nourrir ». Il s’agit de mieux informer les consommateurs notamment sur le degré de transformation des produits et de réformer le fonctionnement des labels, l’objectif étant de rendre les consommateurs acteurs du changement de comportement nécessaire pour atteindre une alimentation moins polluante. Selon vous, est-ce que les objectifs européens sont à la hauteur de ceux portés par la Convention citoyenne pour le climat ?
Je tiens par ailleurs à souligner votre proposition portant sur la définition d’une nouvelle directive anti-gaspillage alimentaire qui vise à renforcer les sanctions relatives à la destruction des invendus, que je soutiens entièrement. Je travaille d’ailleurs sur ce sujet dans le cadre du projet de la loi climat issue des propositions de la Convention citoyenne pour le climat. Selon vous, quels éléments devraient apparaître en priorité dans cette directive que vous appelez de vos vœux ?
M. Jean-Louis Bourlanges. Mme Marguerite Deprez-Audebert a exprimé la position de notre groupe, mais je souhaite tout de même féliciter les auteurs du rapport. Ce dernier expose les réels problèmes que sont la traçabilité, l’intégration des administrations nationales, la surveillance et l’efficacité accrue de la traçabilité des produits importés et l’ouverture fondamentale aux innovations technologiques.
L’Union a l’une des meilleures législations en matière de contrôle sanitaire, pour autant il reste des points à améliorer. Sur la question de la taxe affectée, j’ai déposé un amendement car la proposition ne peut être retenue comme telle. J’ai soumis une proposition plus générale, demandant dans quelles conditions les entreprises concernées devaient être associées au financement. Le fait de proposer une taxe sans définir ni l’assiette, ni les assujettis, est trop imprécis.
Mme Yolaine de Courson. J’ai été très intéressée par votre proposition de résolution européenne. Je me pose cependant la question concernant les néonicotinoïdes et la culture de betterave française. Cette dernière a bénéficié d’une dérogation, justifiée par le fait qu’il existe dans d’autres pays d’Europe des dérogations similaires. Par le jeu des dérogations, nous arrivons finalement à une alimentation moins saine et cela pose problème. Je souhaite aussi interroger les rapporteurs sur le concept de « one health » : comment peut-on articuler cette notion avec les préconisations formulées dans votre rapport ?
M. André Chassaigne, rapporteur. Je souhaite revenir sur la question de Mme la Présidente concernant l’interculturalité. Si les déplacements avaient été possibles, nous aurions pu en apprendre davantage sur ce point en étudiant les différentes approches culturelles.
Pour ma part, je pense que l’interculturalité est présente au sein de chaque pays. En France, il y a indéniablement une confrontation culturelle entre les adeptes de la nourriture traditionnelle et ceux utilisant les nouveaux aliments. Nous découvrons de plus en plus de nouveaux produits (certains sont cités dans le rapport) et soulèvent la question des contrôles. Il est nécessaire que ces aliments puissent obtenir un agrément, et cela exige une expertise publique.
Mme Catherine Osson, rapporteure. Avant de répondre à la question de l’étiquetage, je tiens à dire que nous nous sommes engagés, lorsque cela sera possible, à nous rendre dans nos circonscriptions respectives afin de découvrir les spécialités culinaires locales.
L’étiquetage est un vrai enjeu, notamment un enjeu visuel, car parfois il n’est pas très lisible. Le « QR code » est une avancée technologique qui sera de plus en plus adoptée. Par ailleurs, il est nécessaire de faire attention à la multitude d’informations disponibles. Ces dernières doivent être couplées à la formation des citoyens afin qu’ils puissent les comprendre correctement.
Je souhaite revenir sur la taxe affectée. Les industriels sollicitent beaucoup l’EFSA : l’idée est donc d’établir une redevance. La participation financière permettra de répondre aux sollicitations multiples.
J’ai bien noté l’amendement déposé concernant la rémunération de la lutte contre le gaspillage alimentaire. Au sein de ma circonscription, j’ai constaté qu’il était indispensable d’accompagner la redistribution faite par les associations afin qu’il n’y ait pas de gaspillage. Elles n’ont pas toujours les moyens de conserver correctement les denrées ce qui provoque des pertes. Il faut donc aussi lutter contre le gaspillage alimentaire auprès des associations qui manque de moyens et d’accompagnement.
M. André Chassaigne, rapporteur. Même si le « QR code » est mis en place, il est nécessaire de laisser un étiquetage minimum sur le produit pour