N° 3775

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 19 janvier 2021.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES (1)

portant observations sur le projet de loi autorisant l’approbation de la décision (UE, Euratom) 2020/2053 du Conseil du 14 décembre 2020 relative au système des ressources propres de l’Union européenne et abrogeant la décision 2014/335/UE, Euratom (n° 3734),

 

ET PRÉSENTÉ

par M. Christophe JERRETIE

Député

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(1)     La composition de la commission figure au verso de la présente page.


 

La Commission des affaires européennes est composée de : Mme Sabine THILLAYE, présidente ; MM. Pieyre-Alexandre ANGLADE, Jean-Louis BOURLANGES, Bernard DEFLESSELLES, Mme Liliana TANGUY, viceprésidents ; M. André CHASSAIGNE, Mme Marietta KARAMANLI, M. Christophe NAEGELEN, Mme Danièle OBONO, secrétaires ; MM. Damien ABAD, Patrice ANATO, Mme Aude BONO-VANDORME, MM. Éric BOTHOREL, Vincent BRU, Mmes Fannette CHARVIER, Yolaine de COURSON, Typhanie DEGOIS, Marguerite DEPREZ-AUDEBERT, Coralie DUBOST, Françoise DUMAS, Frédérique DUMAS, MM. Pierre-Henri DUMONT, Alexandre FRESCHI, Mmes Valérie GOMEZ-BASSAC, Carole GRANDJEAN, Christine HENNION, MM. Michel HERBILLON, Alexandre HOLROYD, Mme Caroline JANVIER, MM. Christophe JERRETIE, Mme Chantal JOURDAN, M. Jérôme LAMBERT, Mmes Constance Le GRIP, Nicole Le PEIH, MM. Jean-Claude LECLABART, Patrick LOISEAU, David LORION, Ludovic MENDES, Thierry MICHELS, Jean-Baptiste MOREAU, Xavier PALUSZKIEWICZ, Damien PICHEREAU, JeanPierre PONT, Didier QUENTIN, Mme Maina SAGE, MM. Benoit SIMIAN, Mme Michèle TABAROT.

 


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SOMMAIRE

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Pages

Introduction

I. Une modification à la marge du financement du cadre financier pluriannuel

A. le relèvement du plafond des ressources propres

B. une nouvelle ressource propre au rendement modeste

C. des rabais simplifiés, mais augmentés

1. Une fusion des rabais existants

2. Une augmentation du taux de retenue sur les ressources propres traditionnelles

3. Des réductions forfaitaires sur la contribution « plastiques »

D. Les conséquences budgétaires de la nouvelle décision pour la France

II. L’acte fondateur du plan de relance européen

A. Un endettement en commun pour la relance des économies européennes

B. Une innovation juridique au service d’un saut politique

1. Les emprunts destinés à des dépenses sont-ils compatibles avec les principes d’équilibre budgétaire et de discipline budgétaire (article 310 du TFUE) ?

2. Le recours à grande échelle à des recettes affectées externes est-il compatible avec l’intégrité du système des ressources propres de l’Union et avec les principes budgétaires fondamentaux (article 311 du TFUE) ?

3. L’architecture du plan de relance est-elle compatible avec la clause de non-renflouement (article 125 du TFUE) ?

III. La première étape d’une refonte plus ambitieuse du système des ressources propres de l’Union européenne

Conclusion

TRAVAUX DE LA COMMISSION


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   Introduction

 

 

Mesdames, Messieurs,

Après plus de deux ans de négociations, interrompues par la plus grave crise sanitaire et économique depuis la création de la Communauté économique européenne, le Parlement européen et le Conseil sont parvenus, in extremis, à un accord global sur le cadre financier pluriannuel pour les années 2021 à 2027 ([1]), un plan de relance européen ([2]) et une nouvelle décision sur les ressources propres (DRP) de l’Union européenne ([3]). Si les règlements sectoriels de chaque programme ne sont pas encore tous adoptés formellement, des accords politiques entre le Parlement européen et le Conseil sont intervenus pour la plupart d’entre eux au cours du mois de décembre, qu’il ne reste plus qu’à valider officiellement. Les institutions européennes se sont dotées de tous les outils juridiques nécessaires au bon fonctionnement des politiques européennes pour les sept prochaines années et à un renforcement décisif des plans de relance des États membres. Il nous incombe désormais de permettre à ces dispositifs de fonctionner en autorisant l’approbation de la décision sur les ressources propres.

En application de l’article 311 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), la décision sur les ressources propres, qui fixe les modalités de financement du budget européen, doit être adoptée à l’unanimité par le Conseil, après consultation du Parlement européen ([4]), puis approuvée par les États membres selon leurs règles constitutionnelles respectives. Conformément à l’article 53 de notre Constitution, la décision sur les ressources propres engageant les finances de l’État, elle ne peut être approuvée qu’après autorisation législative.

La décision sur les ressources propres est négociée et adoptée parallèlement au cadre financier pluriannuel, afin que les recettes correspondent aux dépenses. Les calendriers d’entrée en vigueur sont toutefois généralement distincts. Le cadre financier pluriannuel doit entrer en vigueur avant le début de la première année de son application, faute de quoi le budget devrait être adopté sur la base des « douzièmes provisoires » ([5]). En raison des procédures nationales d’approbation, la décision sur les ressources propres entre généralement en vigueur plus tardivement, environ deux ans après son adoption. Ainsi, la précédente décision sur les ressources propres avait été adoptée par le Conseil le 26 mai 2014 ([6]), et était entrée en vigueur le 1er octobre 2016, avec application rétroactive au 1er janvier 2014 ([7]).

À la différence du cadre financier pluriannuel, la décision sur les ressources propres n’est pas limitée dans le temps. Ainsi, si elle entre en vigueur après le début d’un nouveau cadre financier pluriannuel, les dispositions de l’ancienne décision sur les ressources propres restent applicables jusqu’à l’entrée en vigueur de la nouvelle. Lors de son entrée en vigueur, celle-ci produit des effets rétroactifs à la date du début du CFP et les contributions des États membres sont recalculées en conséquence.

Le contexte est toutefois différent pour la présente décision sur les ressources propres. D’une part, en raison du Brexit et de la chute du revenu national brut provoquée par la crise dans l’ensemble de l’Union, le plafond des ressources propres de la décision de 2014 pourrait théoriquement s’avérer insuffisant pour le financement du nouveau CFP ([8]), ce qui justifie une augmentation de ce plafond dans la nouvelle décision (cf. infra).

D’autre part, et surtout, la décision sur les ressources propres comprend l’autorisation donnée à la Commission d’emprunter sur les marchés pour financer le plan de relance européen historique de 750 milliards d’euros dont toutes les économies européennes ont un besoin urgent. Tant qu’elle ne sera pas approuvée par tous les pays selon leurs procédures nationales, le plan de relance européen ne pourra pas être lancé. Cette approbation, déjà retardée par le véto brandi par la Hongrie et la Pologne du 16 novembre au 11 décembre 2020 pour s’opposer au règlement instaurant une conditionnalité budgétaire en matière d’état de droit ([9]), ne peut désormais plus attendre et notre pays, qui a joué un rôle moteur dans la conception du plan de relance européen se doit de montrer l’exemple en figurant parmi les premiers États à approuver la décision.

 

 


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I.   Une modification à la marge du financement du cadre financier pluriannuel

Par rapport à la décision de 2014, la nouvelle décision sur les ressources propres n’apporte pas de changement radical aux modalités de financement du budget à long terme de l’Union européenne, distinct de celui du plan de relance, sur lequel le rapporteur reviendra ultérieurement (II). Les principales adaptations prévues portent sur le relèvement du plafond des ressources propres, l’instauration d’une nouvelle catégorie de ressources propres et la simplification du système des rabais.

A.   le relèvement du plafond des ressources propres

Chaque décision sur les ressources propres fixe le plafond des ressources propres, c’est-à-dire le montant maximal de ressources propres que l’Union peut appeler chaque année, en pourcentage du revenu national brut (RNB), pour ses crédits de paiements. Une marge doit toujours être préservée entre les paiements et le plafond des ressources propres pour que l’Union soit en mesure, en toutes circonstances, de s’acquitter de ses obligations financières, même en période de récession. En outre, au-delà des besoins en crédits de paiement pour le cadre financier pluriannuel, les ressources budgétaires nécessaires pour couvrir des engagements financiers liés à des prêts ou des mécanismes de financement garantis par le budget de l’Union doivent rester en-deçà du plafond.

Dans le système actuel, le montant total des ressources propres attribué à l’Union pour couvrir les crédits annuels pour paiements est plafonné à 1,20 % ([10]) de la somme des revenus nationaux bruts de tous les États membres. La nouvelle décision porte ce plafond à 1,4 % (article 3). Parallèlement, le plafond des crédits d’engagement est porté de 1,26 % à 1,46 %.

Plusieurs facteurs expliquent cette augmentation :

– deux éléments structurels avaient conduit la Commission à proposer un premier relèvement du plafond de 1,20 à 1,29 %. D’une part, il s’agissait de compenser la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne : à la suite du Brexit, la valeur du montant sous ce plafond diminue d’environ 16 %, soit la part du revenu national brut du Royaume-Uni dans celui de l’Union. D’autre part, le Fonds européen de développement, jusqu’ici financé par des contributions nationales des États membres, est intégré au budget européen à travers le nouvel instrument de voisinage, de développement et de coopération internationale ;

– à ces deux éléments structurels s’est ajoutée la très forte dégradation de la conjoncture économique, qui a conduit la Commission à demander en mai 2020 un relèvement supplémentaire du plafond de 0,11 point. Même si les prévisions économiques sont entachées d’une grande incertitude pour les prochains mois, il ne fait aucun doute que, les plafonds de ressources propres étant fixés en pourcentage du RNB, leur maintien au niveau initialement envisagé conduirait à une diminution en valeur absolue compte tenu de la diminution du RNB des États membres.

Ce choix était nécessaire et inévitable pour la continuité des politiques européennes.

B.   une nouvelle ressource propre au rendement modeste

Dans sa proposition de mai 2018, la Commission avait proposé un panier de nouvelles ressources propres liées à des politiques clés de l’Union européenne concernant le changement climatique, l’environnement et le marché unique. Ce panier comprenait une part de l’assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS), une part des recettes tirées de la mise aux enchères des quotas du système européen d’échange de quotas d’émission et une contribution nationale calculée en fonction du volume des déchets d’emballages en plastique non recyclés.

Ces nouvelles ressources n’auraient certes pas donné lieu à des flux de recettes entièrement nouveaux, mais elles auraient permis de lier davantage les ressources du budget européen à sa valeur ajoutée et d’atténuer les conséquences du Brexit sur les contributions nationales fondées sur le revenu national brut, qui donnent davantage prise à la logique délétère du « juste retour ».

Ces propositions n’ont pas abouti, mais le Conseil européen a pris acte, lors de sa réunion de juillet 2020, de la nécessité de réformer le système des ressources propres de l’Union et d’introduire de nouvelles ressources.

Dans un premier temps, la présente décision sur les ressources propres introduit une nouvelle catégorie de ressources propres fondée sur des contributions nationales calculées sur la base des déchets d’emballages en plastique non recyclées. Elle porte ainsi à quatre le nombre de catégories de ressources propres (article 2) :

– les ressources propres traditionnelles (droits de douane), dont les administrations nationales assurent la collecte pour le compte de l’Union. Les États membres retiennent, à titre de perception, 25 % du montant perçu (article 9) ;

– la ressource fondée sur la TVA, calculée par l’application d’un taux d’appel uniforme de 0,3 % à une assiette harmonisée pour tous les États membres. Il ne s’agit pas d’une affectation de TVA nationale, mais d’un versement, inclus dans le prélèvement sur recettes, dont le montant est calculé sur la base de l’assiette de TVA harmonisée. Pour chaque État membre, l’assiette TVA à prendre en compte est plafonnée à 50 % du RNB afin d’éviter que les États membres les moins prospères, dans lesquels la consommation représente une part plus importante du RNB, ne paient une part disproportionnée. Le règlement concernant le régime de perception de la ressource TVA est modifié ([11]) pour simplifier le calcul de l’assiette ;

– une nouvelle ressource, applicable à partir de 2021, fondée sur les emballages plastiques non recyclés. Le montant de la « ressource plastique » dû par chaque État membre est calculé par l’application d’un taux d’appel de 0,8 euro par kilogramme à une assiette exprimée en kilogrammes d’emballages plastiques non recyclés, calculée comme la différence entre le poids des déchets d’emballages en plastique produits dans un État membre au cours d’une année donnée et le poids des déchets d’emballages en plastique recyclés au cours de la même année (deux agrégats harmonisés au niveau de l’UE par Eurostat). Le rendement de cette ressource devrait être modeste (environ 6 milliards d’euros en 2021) et décroîtra au fur et à mesure que les États progresseront dans le recyclage des emballages. C’est pourquoi le rapporteur est réservé sur la pertinence d’une telle recette, comme il l’avait déjà évoqué lors des précédents travaux sur le cadre financier pluriannuel ;

– la ressource fondée sur le revenu national brut, versée par les États membres au prorata de leur part dans le revenu national brut total de l’Union. Cette ressource constitue la ressource d’équilibre du budget, après prise en compte de toutes les autres ressources. Il s’agit de la principale ressource du budget de l’Union (environ les deux tiers du total des ressources).

Répartition des ressources de l’Union selon le projet de budget pour 2021

Source : Annexe au projet de loi de finances pour 2021 Relations financières avec l’Union européenne.

Dans un deuxième temps, d’autres ressources seront introduites, mais elles ne figurent pas dans la présente décision (cf. infra). Elles nécessitent de continuer le travail de fond, mais celui-ci se doit d’aboutir concrètement pendant ce nouveau CFP.

C.   des rabais simplifiés, mais augmentés

Alors que le départ du Royaume-Uni aurait pu conduire à la disparition de tous les rabais, il n’en a rien été. Les rabais existants ont été rationalisés mais augmentés, et la création de la nouvelle ressource sur les emballages plastiques non recyclés s’accompagne de nouveaux rabais.

1.   Une fusion des rabais existants

Le mécanisme des rabais est simplifié en conséquence du départ du Royaume-Uni. Sous le régime de la décision sur les ressources propres de 2014, il existait trois types de rabais différents : la correction britannique et le « rabais sur le rabais » (Allemagne, Pays-Bas, Autriche et Suède), des rabais forfaitaires sur la ressource RNB (Autriche jusqu’en 2016, Danemark, Pays-Bas et Suède) et des taux d’appel réduit pour la ressource TVA (Allemagne, Pays-Bas et Suède).

Ces trois corrections sont réunies en une seule correction forfaitaire annuelle (article 2). Le président du Conseil européen avait dans un premier temps proposé de définir ce montant forfaitaire par la fusion des dispositifs précédents à leur niveau de 2020, mais le montant de ces corrections a ensuite été relevé au cours des négociations, à l’exception de celui de l’Allemagne.

Évolution des Montants des rabais

(en millions d’euros)

 

Montant année 2020

Montant annuel CFP 2021-2027 (aux prix de 2020)

Danemark

197

377

Allemagne

3 671

3 671

Pays-Bas

1 576

1 921

Autriche

237

565

Suède

798

1 069

Source : proposition du président du Conseil européen du 10 juillet 2020 et texte de la décision sur les ressources propres.

2.   Une augmentation du taux de retenue sur les ressources propres traditionnelles

Les ressources propres traditionnelles (droits de douane) sont perçues auprès des opérateurs économiques par les États membres pour le compte de l’UE. Les États membres retiennent un pourcentage des montants perçus au titre des frais de perception. Égal à 10 % avant 2001, ce pourcentage a été relevé à 25 % par la DRP de 2000-2006, puis rebaissé à 20 % par la DRP 2014-2020. Avec l’entrée en vigueur de la DRP 2021-2027, le taux de retenue s’élèvera de nouveau à 25 %, alors que la Commission avait proposé de le ramener à 10 %.

Un taux élevé bénéficie aux grands États importateurs, tels que la Belgique ou les Pays-Bas, et peut ainsi être apparenté à une forme de rabais pour ces États. À l’inverse, une hausse de ce taux pénalise les États dont la part dans le RNB de l’Union est importante (notamment la France), puisque la diminution des ressources propres traditionnelles versées au budget de l’Union consécutive à la hausse du taux de retenue conduit à une augmentation du besoin de financement résiduel via la contribution RNB. En 2019, la Belgique ne finançait qu’à hauteur de 3 % le besoin en contribution RNB induit par la retenue sur les ressources propres traditionnelles alors qu’elle acquittait 10 % des ressources propres traditionnelles. De même, les Pays-Bas ne financent le ressaut de contribution qu’à hauteur de 5 % alors qu’ils versent 13 % des ressources propres traditionnelles. Inversement, la clé RNB de la France était d’environ 15 % alors qu’elle n’acquittait que 8 % des ressources propres traditionnelles.

En 2019, ces retenues se sont élevées à 5,3 milliards d’euros. Elles sont particulièrement importantes pour la Belgique et les Pays-Bas, pour lesquels ces montants ont représenté en 2019 plus de 13 % de leur contribution nationale (en prenant en compte la contribution sur le RNB et la contribution assise sur la TVA) : 560 millions d’euros pour la Belgique, 682 millions d’euros pour les Pays-Bas.

3.   Des réductions forfaitaires sur la contribution « plastiques »

Un rabais sur la nouvelle ressource « plastiques » a été consenti aux États membres dont le revenu national brut par habitant était inférieur à la moyenne de l’UE en 2017, soit dix-sept pays. Elle correspond à 3,8 € par habitant (population de 2017). Une réduction annuelle forfaitaire, exprimée en prix courants, est accordée aux États membres suivants : Bulgarie (22 millions d’euros), République Tchèque (32,2 millions d’euros), Estonie (4 millions d’euros), Grèce (33 millions d’euros), Espagne (142 millions d’euros), Croatie (13 millions d’euros), Italie (184 millions d’euros), Chypre (3 millions d’euros), Lettonie (6 millions d’euros), Lituanie (9 millions d’euros), Hongrie (30 millions d’euros), Malte (1,4 millions d’euros), Pologne (117 millions d’euros), Portugal (31,3 millions d’euros), Roumanie (60 millions d’euros), Slovénie (6,3 millions d’euros) et Slovaquie (17 millions d’euros).

La création d’une nouvelle contribution a donc ouvert de nouveaux rabais. Les corrections issues des négociations entraînent une augmentation des contributions fondées sur le revenu national brut.

D.   Les conséquences budgétaires de la nouvelle décision pour la France

Comme l’a mis en lumière le débat sur le prélèvement sur recettes au profit de l’Union européenne organisé dans le cadre du projet de loi de finances pour 2021, le nouveau cadre financier pluriannuel et la nouvelle décision sur les ressources propres, compte tenu du départ du Royaume-Uni, se traduiront par une augmentation substantielle de la contribution française au budget européen au cours du prochain CFP. Cette augmentation est sans lien avec le plan de relance européen, puisque le capital des emprunts souscrits dans ce cadre ne sera pas remboursé sur la période (cf. infra).

Selon les estimations de la direction du budget, la contribution de la France au budget de l’Union européenne, en incluant le prélèvement sur recettes et les droits de douane nets, devrait s’élever à environ 207,5 milliards d’euros pour l’ensemble de la période 2021-2027, soit 29,6 milliards d’euros en moyenne par an. Elle supportera donc une augmentation d’environ 55,8 milliards d’euros par rapport au CFP 2014-2020, soit environ 8 milliards d’euros en moyenne par an. Le ressaut attendu sur le PSR-UE en 2021 (27,2 milliards d’euros prévus en loi de finances initiale, en hausse de 27 % par rapport à la loi de finances pour 2020) devrait être amené à se renforcer sur la deuxième partie du cadre financier pluriannuel, compte tenu des prévisions de paiements.

Malgré le renforcement des rabais dont bénéficient certains États membres, la contribution de la France au titre du paiement des rabais devrait diminuer par rapport à la période précédente compte tenu du départ du Royaume-Uni. Elle devrait s’élever à environ 1,5 milliard d’euros par an (1,4 milliard d’euros au titre des rabais forfaitaires sur le RNB et 0,1 milliard d’euros pour les rabais sur la ressource « plastique »). À titre de comparaison, la contribution française au paiement des rabais était en moyenne de 2 milliards d’euros par an sur la période 2014-2020.

La hausse de la contribution de la France est un vrai choix et marque un réel engagement en faveur des politiques publiques européennes.

II.   L’acte fondateur du plan de relance européen

Face à la gravité de la crise économique, et malgré des positions de départ très éloignées, tous les États membres ont convenu qu’aucun d’entre eux ne pourrait sortir de cette crise, compte tenu de l’interdépendance des économies européennes, si certains pays sombraient et si le marché unique se fracturait. C’est pourquoi le Conseil européen de juillet 2020 a acté la mise en place d’un plan de relance européen reprenant largement l’architecture proposée par la France et l’Allemagne d’un endettement commun permettant de financer non seulement des prêts aux États dont les conditions d’emprunt sont moins avantageuses que celles de l’Union, mais des dépenses s’inscrivant dans le cadre du budget européen, à travers des programmes décidés conjointement et remboursés conjointement.

A.   Un endettement en commun pour la relance des économies européennes

Le plan de relance européen se fonde sur l’article 122 du TFUE, dont le paragraphe 1 dispose que « le Conseil, sur proposition de la Commission, peut décider, dans un esprit de solidarité entre les États membres, des mesures appropriées à la situation économique, en particulier si de graves difficultés surviennent dans l’approvisionnement en certains produits, notamment dans le domaine de l’énergie ».

La décision sur les ressources propres (article 5) habilite la Commission, à titre exceptionnel, à emprunter temporairement sur les marchés de capitaux, au nom de l’Union jusqu’à 750 milliards d’euros (aux prix de 2018), « à la seule fin de faire face aux conséquences de la crise de la COVID-19 ». Elle fixe également la répartition entre la part de l’emprunt pouvant être consacrée à des dépenses (390 milliards d’euros) et la part destinée à fournir des prêts aux États les sollicitant (360 milliards d’euros).

Le soutien sera limité dans le temps : les engagements au titre d’un programme financé par ces ressources supplémentaires devront être pris au plus tard le 31 décembre 2023. La nouvelle activité d’emprunt net devra cesser au plus tard fin 2026. Après cette date, elle devra être strictement limitée aux opérations de refinancement afin d’assurer une gestion efficace de la dette.

Compte tenu des caractéristiques de l’habilitation exceptionnelle, temporaire et limitée de la Commission à emprunter des fonds aux fins de faire face aux conséquences de la crise de la COVID-19, la DRP précise que l’Union ne peut pas utiliser les fonds empruntés sur les marchés de capitaux pour le financement de dépenses opérationnelles (article 4).

Le fait que la Commission emprunte sur les marchés au nom de l’Union ne constitue pas en soi une nouveauté. Elle est déjà habilitée à le faire dans le cadre de l’octroi d’une assistance financière aux États membres ou aux pays tiers ([12]) tels que le Mécanisme européen de stabilité financière (MESF) ([13]), le mécanisme de soutien à la balance des paiements ([14]), l’assistance macro-financière permise par l’article 212 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ou l’instrument SURE de soutien aux dispositifs nationaux de chômage partiel dans le cadre de la crise de la COVID-19 ([15]).

L’emprunt dans le cadre de l’instrument pour la relance se distingue toutefois de ces soutiens financiers par deux aspects :

– premièrement, le produit de ces emprunts viendra abonder des programmes de l’Union, en tant que recettes affectées externes au lieu d’être rétrocédés à des États membres auxquels il incomberait de les rembourser ;

– deuxièmement, le montant prévu est sans commune mesure avec les activités d’emprunt conduites par la Commission jusqu’ici. Il s’agira d’emprunter 750 milliards d’euros, dont 390 milliards pour des dépenses, entre 2021 et 2026, alors que l’encours était de 52,6 milliards d’euros au 31 décembre 2019 ([16]). En 2019, la Commission n’avait émis que pour 420 millions d’euros d’emprunts.

Volume d’émissions de l’Union européenne entre 2010 et 2019

(en millions d’euros)

Source : Commission européenne, Investor presentation, 29 octobre 2020.

À partir de 2020, le programme d’émission de l’Union européenne connaît déjà un saut quantitatif important en raison de la création du mécanisme SURE. Hors plan de relance, il s’élève à environ 100 milliards d’euros sur les années 2020-2021 :

– 90,3 milliards d’euros dans le cadre de SURE (dont 39,5 milliards d’euros déjà émis en 2020) ;

– 3 milliards d’euros pour l’assistance macro-financière en faveur de dix pays tiers dans le cadre de la crise de la COVID-19 ;

– 9,75 milliards d’euros dans le cadre du mécanisme européen de stabilité financière en faveur du Portugal et de l’Irlande.

L’emprunt en commun permettra à tous les pays de l’Union de bénéficier des taux d’intérêt avantageux consentis à l’Union européenne, qui étaient en décembre 2020 négatifs pour des maturités jusqu’à plus de 30 ans.

courbes de taux de l’Union européenne,
de l’Allemagne et de la France au 14 décembre 2020

Source : Commission européenne, d’après Bloomberg.

Dans une déclaration commune annexée au projet de règlement établissant la facilité pour la reprise et la résilience, arrêté en trilogue en décembre, la Commission confirme son engagement de lever au moins 30 % des fonds du plan de relance sous forme d’obligations « vertes » contribuant aux objectifs environnementaux de l’Union. Ces émissions conforteront la place prépondérante des pays européens sur ce marché, puisque plus de 45 % des obligations vertes en circulation sont déjà libellées en euros ([17]).

Pour emprunter, la Commission utilisera comme garantie la marge budgétaire, c’est-à-dire l’écart entre le plafond des ressources propres (le montant maximal de ressources pour une année donnée qui peut être appelée auprès des États membres) et le plafond des paiements du budget. Outre l’augmentation du plafond des ressources propres pour le financement du CFP (cf. supra), la décision sur les ressources propres prévoit par conséquent un relèvement temporaire du plafond de 0,6 point pour couvrir les obligations financières et les passifs éventuels découlant de l’emprunt (article 6). Ce relèvement temporaire ne pourra pas être utilisé pour faire face à d’autres engagements de l’Union que ceux qui découlent de l’emprunt pour l’instrument de relance. Il prendra fin lorsque tous les fonds auront été remboursés et que tous les passifs éventuels liés aux prêts octroyés sur la base de ces fonds seront éteints, et au plus tard le 31 décembre 2058.

Pour le prochain CFP, le plafond des ressources propres est ainsi porté, au total, à 2,06 % du revenu national brut en engagements et 2 % en paiements, contre respectivement 1,26 % et 1,20 % dans la décision sur les ressources propres de 2014 ([18]).

Cette marge n’a pas vocation à être utilisée, mais à rassurer les investisseurs et à conserver l’excellente notation dont bénéficient les emprunts européens auprès des grandes agences de notation. À titre de comparaison, le tableau ci-après recense les notes de l’Union européenne et de la France selon ces agences.

Notations financières de l’Union européenne et de la France

 

Agence

Note

Perspective

France

Fitch Ratings

AAA

Stable

AA négative

Moody’s

Aaa

Stable

Aa2 stable

Standard & Poor’s

AA

Positive

AA stable

DBRS

AAA

Stable

AAA négative

Scope

AAA

Stable

 

Source : Commission européenne et Agence France Trésor.

Afin de garantir que l’Union est toujours en mesure de remplir ses obligations juridiques à l’égard de tiers en temps utile, la DRP prévoit des règles spéciales autorisant la Commission, pendant la période de relèvement temporaire des plafonds des ressources propres, à appeler les États membres à mettre provisoirement à disposition les ressources en liquidités correspondantes si les crédits autorisés inscrits au budget sont insuffisants pour couvrir les engagements découlant de l’emprunt. En dernier ressort, la Commission pourra demander des ressources en liquidités si elle ne peut pas générer les liquidités nécessaires en recourant à d’autres mesures de gestion de trésorerie active afin de garantir le respect des obligations de l’Union à l’égard des prêteurs. Ces appels seront effectués au prorata de la prévision des recettes du budget provenant de chaque État membre et, en tout état de cause, limités à leur part du plafond des ressources propres temporairement relevé. Toutefois, si un État membre n’honore pas à temps un appel, la Commission est autorisée, de manière provisoire, à effectuer des appels supplémentaires auprès d’autres États membres, l’État membre qui n’a pas honoré un appel restant tenu de l’honorer.

Le remboursement des fonds empruntés en vue de fournir des subventions ou des garanties, ainsi que le paiement des intérêts, est à la charge du budget de l’Union. Les fonds empruntés qui sont utilisés pour accorder des prêts aux États membres sont remboursés au moyen des sommes reçues de la part des États membres bénéficiaires. Les montants dus par l’Union au cours d’une année donnée pour le remboursement du principal ne pourront pas dépasser 7,5 % du montant maximal de 390 milliards d’euros prévu pour des dépenses.

Le CFP 2021-2027, d’un montant total de 1 074 milliards d’euros, prévoit 12,9 milliards d’euros (en euros constants 2018) sur la période pour le paiement des coupons des emprunts de Next Generation EU. Le capital ne commencera pour sa part à être remboursé avant 2028 que si l’enveloppe consacrée au paiement des intérêts n’est pas consommée en intégralité ou si de nouvelles ressources propres sont introduites (cf. infra). Hors ces cas de figure, le budget européen remboursera les emprunts entre 2028 et 2058, ce qui permet de lisser les remboursements annuels sur une longue période pour étaler le coût de la crise.

Lorsque les calendriers des paiements relatifs aux politiques à financer par l’emprunt seront connus, la Commission communiquera au Parlement européen et au Conseil un calendrier des émissions précisant les dates et les volumes d’émission prévus pour l’année à venir, ainsi qu’un plan indiquant les remboursements de principal et les paiements d’intérêts prévus.

Le recours à l’emprunt constitue une ressource spécifique et unique pour le plan de relance. Cet emprunt lie financièrement, mais également politiquement, les États membres.

B.   Une innovation juridique au service d’un saut politique

Après l’initiative franco-allemande pour la relance européenne et la proposition de plan de relance de la Commission européenne de mai 2020, des interrogations se sont exprimées dans plusieurs États membres sur la compatibilité de l’ensemble de mesures proposées dans le cadre de Next Generation EU avec les principes de l’Union d’équilibre budgétaire et de discipline budgétaire énoncés à l’article 310 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), ainsi qu’avec l’intégrité du système des ressources propres prévu à l’article 311 du TFUE. Au terme d’une analyse approfondie, le service juridique du Conseil a considéré que le mécanisme proposé par la Commission ne contrevenait pas aux traités, position à laquelle ont finalement adhéré tous les États membres ([19]).

1.   Les emprunts destinés à des dépenses sont-ils compatibles avec les principes d’équilibre budgétaire et de discipline budgétaire (article 310 du TFUE) ?

Le principe d’équilibre budgétaire est énoncé à l’article 310, paragraphe 1, du TFUE : « Le budget doit être équilibré en recettes et en dépenses » et repris à l’article 17 du règlement financier : « L’Union et les organismes de l’Union visés aux articles 70 et 71 ne souscrivent pas des emprunts dans le cadre du budget. »

La discipline budgétaire est quant à elle abordée au paragraphe 4 de l’article 310 du TFUE : « En vue d’assurer la discipline budgétaire, l’Union n’adopte pas d’actes susceptibles d’avoir des incidences notables sur le budget sans donner l’assurance que les dépenses découlant de ces actes peuvent être financées dans la limite des ressources propres de l’Union […]. »

Le principe d’équilibre budgétaire est directement lié au système des ressources propres de l’Union, en vertu duquel les États membres allouent des ressources propres à l’Union pour garantir le financement de son budget annuel. Alors qu’emprunter en vue d’une rétrocession des fonds empruntés est devenu une pratique relativement courante, emprunter en vue de financer des dépenses de l’Union comme le ferait un État ne serait pas compatible avec le principe d’équilibre budgétaire. Toutefois, ni l’article 310 du TFUE, ni l’article 17 du règlement financier n’empêchent l’Union d’avoir recours à des emprunts dans la mesure où ceux-ci constituent une opération neutre qui n’est pas de nature à compromettre l’équilibre budgétaire et dans la mesure où des garanties suffisantes sont fournies pour faire face aux engagements qui en découlent.

En l’espèce, les emprunts destinés à des dépenses comportent deux étapes : dans un premier temps, l’Union emprunte sur les marchés et transfère le produit vers les programmes concernés en tant que recette affectée externe. Dans un second temps, l’Union rembourse l’argent en recourant aux ressources propres allouées à l’Union à l’échéance des emprunts.

Du point de vue de la pure technique budgétaire, l’instrument de relance ne compromet pas l’équilibre des dépenses et des recettes dans le budget, puisque l’argent sera alloué aux différents programmes en tant que recette affectée externe, et ne fera donc pas partie des crédits ouverts au budget. Le budget comporte une structure d’accueil des recettes affectées, mais cela n’entraîne pas l’inscription des montants sur les lignes budgétaires correspondantes.

Au-delà de ce respect très formel du traité, il convient de s’assurer que les emprunts destinés à des dépenses sont budgétairement neutres, c’est-à-dire dûment compensés par un actif. Cette neutralité est assurée par les dispositions prévues dans la décision sur les ressources propres : le remboursement de la dette de l’Union est garanti dans les limites des plafonds des ressources propres par un compartiment spécialisé qui ne peut servir qu’à cette fin et par des dispositions supplémentaires en vertu desquelles les États membres s’engagent à mettre à disposition des ressources à concurrence du montant maximal des emprunts indiqué dans la décision sur les ressources propres. L’effet combiné de ces deux dispositions constitue une garantie de paiement irrévocable, définitive et exécutoire.

2.   Le recours à grande échelle à des recettes affectées externes est-il compatible avec l’intégrité du système des ressources propres de l’Union et avec les principes budgétaires fondamentaux (article 311 du TFUE) ?

L’intégrité du système des ressources propres de l’Union découle du deuxième alinéa de l’article 311 du TFUE, aux termes duquel : « Le budget est, sans préjudice des autres recettes, intégralement financé par des ressources propres. » Les recettes affectées ne sont pas des ressources propres, mais font partie des « autres recettes » explicitement mentionnées dans cet article. Le terme « intégralement » implique cependant que la première source de financement du budget de l’Union doit provenir des ressources propres, en raison des solides garanties qui accompagnent la décision sur les ressources propres.

Les recettes affectées, qui dérogent au principe d’universalité, doivent être complémentaires par rapport aux crédits inscrits au budget et ne sauraient devenir un moyen généralisé de financer les besoins de l’Union qui contournerait les procédures budgétaires habituelles ([20]).

Le volume des recettes affectées externes proposé pour Next Generation EU est sans précédent. Pour déterminer si le mécanisme demeure dans les limites acceptables, il convient de se fonder non pas sur la seule quantité, mais de prendre en compte les circonstances économiques et le contexte particuliers entourant ce mécanisme ainsi que les garanties mises en place.

Next Generation EU n’est en aucun cas un programme de dépenses ordinaire, mais un instrument exceptionnel, temporaire et unique, s’appuyant sur le principe fondamental de solidarité qui sous-tend les traités. Selon le service juridique du Conseil, le montant substantiel des recettes affectées externes peut être exceptionnellement justifié car il est strictement destiné à couvrir les mesures liées à la pandémie de COVID-19 et limité, en volume et en durée, à ce qui est nécessaire à cette fin. En outre, la solidité juridique du mécanisme a été renforcée par l’accord du 10 novembre, qui assure la participation de l’autorité budgétaire à la gouvernance des recettes affectées externes de Next Generation EU.

3.   L’architecture du plan de relance est-elle compatible avec la clause de non-renflouement (article 125 du TFUE) ?

L’article 125 du TFUE dispose que « l’Union ne répond pas des engagements des administrations […] d’un État membre, ni ne les prend à sa charge, sans préjudice des garanties financières mutuelles pour la réalisation en commun d’un projet spécifique. Un État membre ne répond pas des engagements des administrations […] d’un autre État membre, ni ne les prend à sa charge, sans préjudice des garanties financières mutuelles pour la réalisation en commun d’un projet spécifique. »

La question a été soulevée de savoir si la structure juridique de Next Generation EU respectait cette « clause de non-renflouement ». Elle peut être examinée sous deux angles différents. Le premier consiste à déterminer si les contributions dues par les États membres pour rembourser la dette supposent qu’ils répondent, de manière conjointe et solidaire, des engagements pris par les autres États membres. Le second consiste à déterminer si le financement octroyé au titre du plan de relance aurait pour conséquence que l’Union serait responsable des engagements des États membres.

La décision sur les ressources propres est fondée sur un système de responsabilités au prorata. Chaque État demeure seul responsable de la part d’engagement qu’il a assumée envers l’Union pour le remboursement futur de la dette émise au titre de Next Generation EU. Les responsabilités incombant aux États membres n’entraînent donc pas la prise en charge des engagements d’autres États membres.

Next Generation EU ne consiste pas à fournir aux États membres une assistance financière qui se substituerait aux marchés, mais à donner un coup de fouet à l’économie à la suite du grave choc économique provoqué par la pandémie de COVID-19. Il n’entraîne aucune prise en charge par l’Union des engagements des États membres par rapport aux marchés, ni ne vise à compléter le financement des États membres sur les marchés par un financement de l’Union.

Le plan de relance et son financement sont juridiquement compatibles avec les traités. Cette innovation ouvre une nouvelle voie politique.

III.   La première étape d’une refonte plus ambitieuse du système des ressources propres de l’Union européenne

Le 10 novembre 2020, la présidence allemande du Conseil, le Parlement européen et la Commission se sont mis d’accord sur une feuille de route pour l’introduction de nouvelles ressources propres (outre la ressource calculée en fonction du poids d’emballages plastiques non recyclés) destinées à couvrir les coûts du remboursement du principal et des intérêts de Next Generation EU, soit environ 17 milliards d’euros par an. Cette feuille de route figure en annexe à l’accord interinstitutionnel sur la discipline budgétaire, la coopération en matière budgétaire et la bonne gestion financière qui accompagne le cadre financier pluriannuel ([21]). Cette feuille de route était une exigence du Parlement européen pour donner son approbation au CFP, que la commission des affaires européennes a soutenue en adoptant des conclusions le 14 octobre.

À la suite de l’accord trouvé avec le Conseil, les négociateurs du Parlement européen se sont félicités de l’introduction de cette feuille de route dans un « texte juridiquement contraignant ». La portée de cette contrainte doit toutefois être relativisée. L’engagement des trois institutions à travailler à l’introduction de ces nouvelles ressources propres est une bonne nouvelle mais, si l’accord interinstitutionnel prévoit des dates limites pour la présentation de propositions de textes par la Commission et pour leur délibération au Conseil, il ne saurait préjuger ni de leur adoption par le Conseil selon les procédures prévues par les traités, ni de la ratification par chacun des parlements nationaux de la décision les intégrant au système des ressources propres de l’Union. Il s’agit donc d’une obligation de moyens et non de résultat.

L’entrée en vigueur de chacune des nouvelles ressources à la date mentionnée dans l’accord peut d’autant moins être garantie que l’unanimité est requise lorsque le Conseil statue en matière fiscale ([22]) (taxe numérique, taxe sur les transactions financières, assiette commune de l’impôt sur les sociétés, etc.). L’unanimité n’est certes pas requise pour l’adoption des textes relatifs aux propositions non fiscales, comme le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières et le système d’échange de quotas d’émission, mais elle l’est pour intégrer ces dispositifs au système des ressources propres de l’Union.

En outre, dans l’hypothèse où ces nouvelles ressources seraient adoptées, leur rendement dépendra des paramètres des différents dispositifs à l’issue des négociations. À ce stade, il ne peut par conséquent pas être garanti que les nouvelles ressources rempliront l’objectif fixé par la feuille de route de couvrir les coûts de remboursement du principal et des intérêts de Next Generation EU pour éviter à la fois une réduction indue des dépenses du CFP et une augmentation des contributions RNB des États membres.

La feuille de route prévoit trois étapes, organisées pour éviter des modifications trop fréquentes de la décision sur les ressources propres, compte tenu de la lourdeur de sa procédure d’adoption :

– avant juin 2021 : publication de propositions de la Commission européenne pour une redevance numérique, une ressource fondée sur le système d’échange de quotas d’émission (ETS) et un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières. Les trois institutions conviennent que le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières et la ressource ETS sont liés et doivent donc être discutés conjointement ;

– 2022 et 2023 : délibération du Conseil sur ces propositions avant le 1er juillet 2022, en vue de leur mise en œuvre le 1er janvier 2023 ;

– 2024-2026 : publication par la Commission avant juin 2024 de propositions pour de nouvelles ressources propres « qui pourraient inclure » une taxe sur les transactions financières ([23]), une contribution financière des entreprises ou une nouvelle assiette commune pour l’impôt sur les sociétés. Le Conseil est invité à délibérer de ces propositions avant le 1er juillet 2025 en vue de leur introduction au 1er janvier 2026.

Cette feuille de route pour de nouvelles ressources propres est essentielle pour l’Union européenne. La volonté de disposer de ressources propres pour le budget européen et de ne pas augmenter les contributions fondées sur le revenu national brut reflète la nécessité de ne pas augmenter la pression fiscale en France. Si de nouvelles ressources propres étaient introduites, les contributions nationales devraient être ajustées en conséquence.

Par ailleurs, il est essentiel de renforcer la relation entre les compétences, les dépenses et les ressources, et donc d’améliorer l’articulation entre dépenses budgétaires européennes et nationales.

 


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   Conclusion

Le rapporteur note que la nouvelle décision sur les ressources propres se traduira par une augmentation de la contribution française au budget européen, ce qui pèsera sur le budget national. Cela marque un vrai choix politique.

Comme toute décision européenne, a fortiori prise à l’unanimité, la décision sur les ressources propres est le fruit d’un compromis où chaque pays a dû faire un pas pour se rapprocher de ceux qui avaient une position différente.

Le rapporteur aurait certes préféré que les rabais soient supprimés (au moins de manière progressive) et que de nouvelles ressources propres pérennes – ce que la ressource « plastiques » n’est pas – soient créées sans renvoyer à des décisions ultérieures, mais c’est sans aucune hésitation qu’il appelle à adopter le présent projet de loi, pour plusieurs raisons. Il s’agit en effet de :

– tourner la page financière de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne ;

– créer un financement européen sur un élément commun, en l’occurrence la relance de l’économie à la suite de la pandémie de COVID-19 ;

– renforcer les liens entre les États membres et l’UE ;

– permettre la relance et la résilience des économies de l’ensemble des États membres ;

– accentuer le développement intrinsèque de l’Union européenne.

En moins d’un an, après que le début de la crise du coronavirus a fait craindre le pire, l’Union européenne a su s’élever à la hauteur du défi historique auquel nous sommes confrontés. En bousculant les tabous de certains pays et en faisant preuve de créativité juridique pour mettre en place des outils financiers innovants sans modifier les traités, elle a transformé un risque vital en nouvelle dynamique pour l’intégration européenne et l’adaptation de nos économies au changement climatique.

Il nous appartient désormais de veiller, au niveau national, à ce que la mise en œuvre du plan de relance européen soit un succès et de continuer à appuyer l’action du Parlement européen pour la création de nouvelles ressources propres à la hauteur des enjeux.

 

 


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   TRAVAUX DE LA COMMISSION

La Commission s’est réunie le mardi 29 janvier 2021, sous la présidence de Mme Sabine Thillaye, Présidente, pour examiner le présent rapport d’information.

Mme la Présidente Sabine Thillaye. Nous allons procéder à l’examen du rapport d’information portant observations sur le projet de loi autorisant l’approbation de la décision du Conseil du 14 décembre 2020 relative au système des ressources propres de l’Union européenne.

J’avais proposé au bureau de nous saisir de ce projet de loi considérant que, sur un texte d’une telle importance pour l’avenir de la construction européenne, il n’était pas envisageable que notre commission soit absente du débat.

Il faut remercier notre rapporteur d’avoir pu, dans des délais aussi courts, faire un travail approfondi et pertinent. Je vous rappelle que ce texte sera examiné au fond par la commission des affaires étrangères demain et en séance publique le 26 janvier après les questions au gouvernement.

Avant de donner la parole à notre rapporteur, permettez-moi de rendre un hommage à notre collègue présidente de la commission des affaires étrangères, Marielle de Sarnez. Sa disparition nous a tous beaucoup touchés. C’était rapide. Elle a été très courageuse. C’était une femme qui portait beaucoup de valeurs. Elle n’était pas toujours simple, mais je crois que lorsqu’on défend avec beaucoup de conviction certaines idées, il faut aussi avoir une rigueur, rigueur qu’elle avait. Je crois que nous pouvons tous nous inspirer de son travail. Nous avons tous besoin aujourd’hui de défendre la représentativité de notre institution, la liberté et aussi le rôle des femmes en politique. Merci de vous joindre à cet hommage au titre de notre commission.

M. Christophe Jerretie, rapporteur. J’éprouve respect et tristesse pour la grande femme politique qu’était Marielle de Sarnez, qui restera une référence en matière européenne.

La semaine prochaine, nous discuterons en séance de la décision sur ressources propres de l’Union européenne. C’est un sujet dont nous avons beaucoup parlé ces dernières années, dans le cadre des discussions sur le cadre financier pluriannuel et à l’occasion des débats sur le prélèvement sur les recettes de l’État. Je ferai le mois prochain un point sur l’avancée de la mise en œuvre du cadre financier pluriannuel.

Je partirai de l’article 1er de la décision sur les ressources propres, qui énonce l’objet même du rapport : « la présente décision établit les règles d’attribution des ressources propres de l’Union en vue d’assurer le financement du budget annuel de l’Union européenne ».

L’article 3 de la décision fixe le nouveau plafond des ressources propres. Par rapport à la décision de 2014, le montant maximum que l’Union peut appeler chaque année pour financer ses crédits de paiements est relevé de 1,2 à 1,4 % de la somme du revenu national brut de tous les États membres. Cette augmentation s’explique par trois facteurs : le Brexit, la crise économique que nous vivons et le changement de périmètre du budget européen, avec l’intégration dans le budget européen du fonds européen de développement, jusqu’ici financé par des contributions nationales. Cette augmentation était nécessaire pour la continuité des politiques européennes.

L’article 2 porte à quatre le nombre de ressources propres du budget de l’Union européenne. Outre les ressources propres traditionnelles, la ressource fondée sur la TVA et la ressource d’équilibre fondée sur le revenu national brut, une nouvelle contribution nationale calculée en fonction du poids des emballages plastiques non recyclés par chaque État membre est introduite. J’ai déjà eu l’occasion d’exprimer mes réserves sur cette ressource, qui est en fait un nouveau prélèvement sur les États, et dont le rendement déjà modeste décroîtra au fur et à mesure des progrès réalisés dans le recyclage. C’est une ressource que l’on peut qualifier de temporaire et qui ne représente que 4 % du budget. C’est une « petite » ressource mais elle est bienvenue.

Le troisième élément que je souhaitais évoquer, ce sont les rabais. Contrairement à ce que nous avions tous espéré, le Brexit ne s’est pas accompagné de la suppression des rabais. Hormis le Royaume-Uni, tous les Etats membres qui bénéficiaient déjà d’un rabais le conservent. Les différents rabais existants sont remplacés par une correction forfaitaire annuelle, qui s’élèvera à 3,7 milliards d’euros pour l’Allemagne, 1,9 milliard d’euros pour les Pays-Bas, 1,07 milliard d’euros pour la Suède, 565 millions d’euros pour l’Autriche et 377 millions d’euros pour le Danemark.

La création d’une nouvelle ressource propre sur les emballages plastiques non recyclés s’accompagne également de la création d’une correction pour dix-sept États membres. Cette correction annuelle correspond à 3,8 euros par habitant, pour les États les plus « pauvres » de l’Union, dont vous trouverez la liste dans le rapport.

Grâce à la suppression du rabais britannique, la contribution française au financement des rabais est toutefois moindre. Nous passons de 2 milliards à 1,5 milliard d’euros par an.

Pour en terminer avec le sujet des rabais, je précise que le pourcentage des droits de douane retenu par les États membres au titre des frais de perception est porté de 20 à 25 %. Même s’il ne s’agit pas d’une correction au sens strict, cela peut être considéré comme une forme de rabais pour les Pays-Bas et pour la Belgique et une perte de recettes pour l’Union européenne.

Il me semble ensuite intéressant d’évoquer les conséquences pour la France de cette décision. Au total, l’entrée en vigueur du nouveau CFP et de la nouvelle décision sur les ressources propres va se traduire par une augmentation significative de la contribution française. Ressources propres traditionnelles incluses, celle-ci devrait s’élever à environ 29,6 milliards d’euros par an en moyenne. C’est une augmentation de 8 milliards d’euros. Cela traduit un vrai engagement de la France dans les politiques publiques européennes. À partir du moment où nous nous engageons financièrement, nous nous engageons politiquement et nous nous engageons au développement de l’Union européenne. Je pense que c’est une bonne manière de procéder puisque nous souhaitons la construction intrinsèque de l’Union européenne et la consolidation de son économie. Cela représente une contribution supplémentaire pour notre budget national et je vous rappelle qu’il faut aussi, en étant parlementaires nationaux, que nous traitons notre budget national avec bienveillance.

Au-delà des modifications du mode de financement du budget européen, ce qui fait la spécificité et le caractère historique de la présente décision sur les ressources propres, c’est qu’elle constitue l’acte fondateur du plan de relance européen. Ce sont les articles 5 et 6 consacrés aux « moyens supplémentaires extraordinaires et temporaires pour faire face aux conséquences de la crise de la Covid-19 ». Les deux termes, « extraordinaires » et « temporaires », sont très importants.

Ce plan est constitué de 750 milliards d’euros empruntés sur les marchés, ce qui est historique. C’est une ressource importante qui va être injectée dans les États membres. Nous avons ici la clé de voûte d’une avancée peut-être historique de l’Union européenne pour le développement intrinsèque de son économie. L’objectif de cet argent, distribué en 390 milliards d’euros de dépenses et 360 milliards d’euros de prêts, est d’aboutir à la consolidation de notre économie ou au moins à son maintien.

Cet emprunt entraîne un relèvement temporaire du plafond des ressources propres de 0,6 point au-delà du 1,4 % déjà prévu pour le financement du cadre financier pluriannuel.

Le remboursement de cet emprunt commun n’interviendra pas dans le cadre financier qui débute, mais à partir de 2028. Les remboursements devront se terminer au plus tard le 31 décembre 2058.

Le dernier élément important, qui n’apparaît pas directement dans la décision sur les ressources propres, est la feuille de route incluse dans l’accord interinstitutionnel, qui fixe un calendrier précis pour l’introduction de nouvelles ressources.

Après l’introduction de la contribution sur les plastiques non recyclés dans la décision sur les ressources propres, la feuille de route prévoit deux étapes. D’ici juin, la Commission devrait proposer des textes pour un mécanisme d’inclusion carbone aux frontières, une ressource propre fondée sur le système d’échange de quotas d’émission et une redevance numérique, pour un examen au Conseil avant le 1er juillet 2022 et une mise en place pour le 1er janvier 2023.

Une seconde étape, moins précise, est fixée pour juin 2024. La Commission proposera alors de nouvelles ressources propres, qui « pourraient inclure » une taxe sur les transactions financières et une contribution financière liée au secteur des entreprises, voire une nouvelle assiette commune de l’impôt sur les sociétés (ACCIS).

L’engagement commun de la Commission, du Conseil et du Parlement européen à travailler à l’introduction de nouvelles ressources propres est assurément une excellente nouvelle. Nous espérons qu’il permettra d’aboutir.

En conclusion, quelles que soient les frustrations, il faut laisser place à la concrétisation. Nous allons tourner la page du Brexit, de la crise sanitaire, il faut préparer le rebond économique.

Nous allons pouvoir développer le développement intrinsèque de l’Union européenne. Il faut aujourd’hui consolider notre développement économique, l’activité et l’industrie de l’Union européenne.

Un engagement rapide des mesures préparées pourrait constituer ce que j’appellerai le premier vaccin économique européen.

 

L’exposé du rapporteur a été suivi d’un débat.

Mme la Présidente Sabine Thillaye. Nous sommes d’accord sur le fait qu’il y a eu un saut qualitatif, mais il subsiste des inquiétudes. Nous n’avons pas une grande visibilité sur les ratifications nationales et, comme vous l’avez souligné, la feuille de route pour l’introduction de nouvelles ressources propres est une obligation de moyens et non de résultat. On peut avoir quelques inquiétudes quand on constate la frilosité de l’Allemagne ou des Pays-Bas quant à la taxe numérique ou la tarification du carbone.

Nous avons également besoin de communiquer à l’endroit du grand public. Comment pouvons-nous renforcer l’acceptabilité de la décision ?

Mme Nicole Le Peih. La décision traduit une trajectoire de renforcement de la solidarité européenne. Elle permet d’envisager une politique publique européenne s’affranchissant de la logique du « juste retour » sur les contributions étatiques. Cette décision sur les ressources propres intervient dans un contexte particulier. On se souvient que, lors de la crise des dettes souveraines, les États membres n’arrivaient pas à s’accorder pour venir en aide aux États les plus endettés. Ne pas accepter la réalité de notre interdépendance économique nous a coûté cher.

Au contraire, moins de trois mois après le début de la crise de la COVID‑19, nos États se sont accordés sur un plan de relance de 750 milliards d’euros et sur une extension des ressources propres pour participer à leur remboursement.

Il faut reconnaître et encourager le tournant environnemental en cours. Depuis la présentation du Pacte vert, la Commission s’est engagée dans un travail systémique visant à faire évoluer l’ensemble des politiques publiques pour qu’elles soient conformes à l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 55 % d’ici 2030.

Avec cette décision, qui crée une contribution sur les plastiques non recyclés, notre budget continue de se verdir en dépenses comme en recettes. C’est une première étape vers un mécanisme de taxation carbone.

Nous sommes favorables à l’adoption du projet de loi.

M. Jean-Louis Bourlanges. Le passage de 1,20 à 1,40 du plafond de ressources propres est pratiquement purement mécanique en conséquence du Brexit, de la crise et de l’intégration du Fonds européen de développement.

Pour l’introduction de nouvelles ressources propres, on commence par ce qui est le plus facile, et non le plus intéressant. Clément Beaune nous a dit avec beaucoup d’honnêteté que la contribution sur les emballages plastiques non recyclés ne constituait pas une réelle ressource propre. Elle a d’ailleurs vocation à disparaître puisqu’elle est indexée sur la mauvaise conduite. Si tout le monde progresse dans le recyclage, la recette s’éteindra. C’est ce qui est arrivé aux droits de douane : nous avons construit une communauté européenne sur le principe du libre-échange et créé une ressource propre à partir des droits de douane. Plus les tarifs ont baissé, plus la ressource s’est évanouie.

Le plus intéressant est sans doute l’impôt sur les sociétés. Or, nous en sommes très loin. Le prélèvement carbone serait également formidable, mais pose d’énormes problèmes techniques. Savoir à quelles étapes le produit qu’on importe a incorporé du carbone est un casse-tête administratif, mais il mérite qu’on s’y intéresse.

Je remercie le rapporteur d’avoir rappelé la mauvaise concession faite à nos amis néerlandais sur les frais de gestion liés à la collecte des droits de douane. Les Pays-Bas sont récompensés pour les avantages dont ils disposent en étant le grand point d’entrée des marchandises dans l’Union européenne. On ne fait jamais tout à fait ce qu’on veut en politique, il fallait faire une concession à M. Rutte pour qu’il accepte le plan de relance. Il est assez indécent d’avoir augmenté ce taux, alors qu’il aurait été logique de le baisser.

Le problème fondamental de la décision sur les ressources propres est un problème institutionnel. Il faut l’unanimité au Conseil et la ratification de chaque État par les moyens qui lui sont propres, qui peuvent impliquer une décision du Parlement ou un référendum. À vingt-sept États membres, la procédure est tellement lourde qu’elle est bloquante.

À terme, il faudrait faire sauter ce double verrou. C’est un sujet qu’il faut poser dans le cadre de la fameuse conférence sur l’avenir de l’Europe si l’on veut parler d’autre chose que de bons sentiments.

En attendant, il faut peut-être, pour amorcer la pompe, procéder à partir d’une coopération renforcée. En regardant l’histoire de la construction européenne, nous constatons que les initiatives de coopérations renforcées permettent de faire avancer l’Union. Lorsqu’une coopération renforcée entre un petit groupe d’États membres fonctionne, les autres demandent progressivement à la rejoindre.

Je pense que nous pourrions l’appliquer aux ressources propres. Nous pourrions créer une coopération renforcée avec un certain nombre d’États, en permettant à ceux qui y participent de rembourser leur quote-part de la dette commune. Nous attirerions par ce biais les États membres qui sont réticents aujourd’hui.

Le Gouvernement est transparent avec nous. Il nous a expliqué que la taxe sur les emballages plastiques n’en était pas réellement une. Clément Beaune nous a dit que la mise en place d’un impôt sur les sociétés semblait difficile à ce stade. Il nous a confié sa déception ne pas avoir obtenu des mesures sur les rabais lors des négociations. Cela s’explique par la difficulté d’obtenir à la fois le plan d’urgence qui représente un saut qualitatif et des mesures sur les rabais. Mark Rutte n’est pas sorti des négociations en grand vainqueur mais c’est un vaincu rémunéré.

M. André Chassaigne. Je constate une forme de contradiction voire de paradoxe au niveau de l’Union européenne. D’un côté, une injonction à mettre en place une souveraineté budgétaire et financière européenne et donc se détacher des prélèvements sur les PIB des États membres. De l’autre une injonction, propre au dogme néo-libéral, à limiter au maximum les taxes et l’intervention dans l’économie.

Je constate également, cela s’inscrit dans cette idée de dogme néo-libéral, que les accords de libre-échange se multiplient depuis quelques années. Ils ont pour but de supprimer les droits de douane de l’Union européenne. Combien de milliards d’euros en moins dans le budget de l’Union alors qu’elle prétend dans le même temps rechercher des ressources ?

Pourtant, ces droits de douane seraient utiles pour constituer des ressources propres. Ils permettraient de faire fonctionner le budget européen et également d’inciter notre industrie européenne à se relancer. Les autres pays, par exemple la Chine et les États-Unis, protègent leurs industries.

En 1988, la contribution des États membres représentait moins de 11 % du budget de l’Union contre 28 % provenant des droits de douane. Aujourd’hui, la contribution des États membres finance 72 % du budget communautaire et elle est complétée à hauteur de 15 % par les droits de douane. Je pense que cette évolution est néfaste.

Le débat sur les ressources propres ne doit pas faire l’impasse sur les accords de libre-échange qui sont nuisibles pour l’économie – puisqu’ils représentent une perte de ressources – mais aussi pour l’écologie au regard des conséquences que le libre-échange implique.

Concernant la taxe sur les transactions financières, cela fait plusieurs années que nous ne parvenons pas à nous mettre d’accord. Elle est débattue depuis près d’une décennie sans résultats concrets. Au vu des priorités de l’Union européenne aujourd’hui, je ne pense pas qu’elle verra le jour.

Enfin, partant du constat qu’il est nécessaire d’investir davantage, notamment sur la transition écologique, la levée de nouveaux impôts ne suffira pas. Dans les circonstances exceptionnelles d’aujourd’hui et au vu des défis de demain, il semble essentiel de penser à des solutions hors des cadres habituels.

J’ai souvent exprimé l’impératif de l’annulation des dettes. C’est une solution, bien qu’elle ne soit pas si révolutionnaire : elle ne va pas à l’encontre des traités européens et elle présente un cadre opérationnel intéressant, comme le considèrent de plus en plus d’économistes.

Une autre solution, qui irait cette fois-ci à l’encontre des traités, est celle de la monétisation. Elle serait utile pour gérer la crise sanitaire et prévenir la crise climatique car elle permettrait d’engager des dépenses de grande ampleur sans accroître la dette. Pour autant, elle présente certains inconvénients : comme elle implique une révision des traités, elle doit être débattue dans les institutions de l’Union. Cependant, je crois que devant la situation exceptionnelle à laquelle nous sommes confrontés, il ne faut pas avoir peur de modifier radicalement les traités.

M. Thierry Michels. Je voulais revenir sur la taxe européenne portant sur les emballages plastiques non recyclés. Pour ma part, j’y vois une façon de coordonner la réponse européenne face au réchauffement climatique, même si elle semble modeste.

Ma question porte sur l’application de cette taxe. Nous savons qu’aujourd’hui, seulement une partie des déchets provenant des emballages plastiques, celle qui relève de la responsabilité élargie du producteur, est correctement tracée et recyclée. Il s’agit des emballages ménagers. En revanche pour les emballages industriels et de la restauration, nous manquons de visibilité ce qui rend la traçabilité plus difficile.

Comment cet enjeu de traçabilité peut-il être pleinement pris en compte au niveau européen ? Pensez-vous qu’il serait judicieux d’adapter la taxe, c’est-à-dire de l’appliquer à deux vitesses en distinguant les emballages plastiques recyclés et non recyclés ? Au niveau européen, doit-on s’attendre à une accélération de la mise en place de la filière REP des emballages professionnels et de la restauration ?

J’ai également une question sur la France, où la gestion des déchets revient aux collectivités territoriales. Quelles mesures pourrions-nous envisager pour assurer la collecte effective de cette taxe ?

M. Jean Louis Bourlanges. Je suis d’accord avec M. Thierry Michels et je pense que le rapporteur également. Je précise que nous ne sommes pas hostiles à la contribution sur les emballages plastiques, nous estimons simplement qu’elle ne constitue pas réellement une ressource propre.

Je souhaite clarifier mon propos précédent : lorsque j’évoquais la possibilité d’une coopération renforcée permettant de rembourser l’emprunt souscrit par l’Union au titre du plan de relance, je faisais allusion à la taxe sur les transactions financières. Sur ce point, je pense que M. André Chassaigne est trop pessimiste. La taxe sur les transactions financières ne verra le jour que si elle relève d’une coopération renforcée à laquelle pourraient ensuite se joindre d’autres Etats membres.

M. Christophe Jerretie. Je suis d’accord. Je pense que la coopération renforcée peut être utile dans de nombreux domaines et notamment la fiscalité.

Sur le processus de ratification, je ne dispose pas de beaucoup éléments. M. Clément Beaune a estimé que le texte devrait être ratifié par tous les Etats membres pour le mois de mai. À ce stade, trois pays l’ont déjà ratifié. Les autres États membres mettent en place la procédure de ratification. À ma connaissance, l’Espagne et la Pologne n’ont pas encore déposé de projets de lois. J’ai des interrogations concernant les Pays-Bas du fait de la démission du Gouvernement. Il y a également des Etats membres qui n’ont pas besoin d’autorisation parlementaire.

Je pense que les citoyens comprennent bien le sens de taxes comme la taxe numérique ou la taxe carbone. Les citoyens ne maîtrisent sans doute pas tous les détails techniques, mais ils comprennent bien pourquoi ces taxes sont nécessaires, souvent avant les élus. Je n’ai pas de craintes sur l’acceptabilité des taxes si nous disons la vérité à la population. Trop longtemps, notamment sur l’Europe, nous ne l’avons pas fait.

Les rabais ont également été évoqués. Ils ont fait partie des négociations. La France ayant défendu l’adoption du plan de relance, des concessions sur les rabais ont été nécessaires. Nous aurions cependant souhaité qu’une disparition progressive des rabais soit adoptée, ce qui n’a pas été le cas.

Mme Nicole Le Peih a mentionné les éléments symboliques. C’est plus qu’un symbole selon moi, c’est une décision historique. Comme nous l’entendons souvent, les crises permettent de faire avancer les positions des uns et des autres et en l’occurrence nous avons avancé sur l’approfondissement de l’Union européenne.

Je pense que le tournant environnemental se fera principalement sur les dépenses de l’Union et non sur les recettes. Je pense que nous verrons ce tournant environnemental lors de la mise en œuvre du cadre financier pluriannuel.

Pour revenir à ce qu’a dit Jean-Louis Bourlanges, je pense aussi que le gouvernement a été honnête sur ce qu’il a réussi à obtenir et sur les compromis qu’il a dû faire. L’unanimité est un sujet récurrent : tant que subsiste cette règle, seul le mécanisme de la coopération renforcée nous permettra d’avancer, notamment sur la question des ressources propres et sur la taxe sur les transactions financières. Il est d’ailleurs possible que le départ du Royaume-Uni facilite les coopérations renforcées futures.

André Chassaigne a raison de souligner une forme de contradiction : le libre-échange promu par l’Union européenne entraîne une baisse des droits de douane, qu’il faut compenser par des contributions sur le RNB plus fortes.

La réflexion sur la monétisation de la dette devra être évoquée lors de la conférence sur l’avenir de l’Europe, tant les enjeux politiques qui la sous-tendent sont importants. Il faut explorer toutes les pistes.

Concernant la contribution sur les emballages plastiques, on parle improprement de « taxe plastique ». Il s’agit d’une contribution payée par l’État, comme la ressource RNB, mais calculée en fonction des données recueillies par Eurostat en application de la directive du 20 décembre 1994 relative aux emballages et aux déchets d’emballages, qui fixe aux États membres des objectifs en matière de recyclage. Pour moi ce n’est pas une « ressource propre », mais une contribution supplémentaire qui a au moins l’avantage d’avoir un marqueur environnemental.

En conclusion je suis très favorable au vote du texte, même s’il a fallu faire des compromis pour y aboutir, notamment sur les rabais.

M. Jean-Louis Bourlanges. On pourrait dire que ce n’est pas vraiment une ressource « propre », mais que ce n’est pas non plus une ressource « sale » !

Mme la Présidente Sabine Thillaye. Je crois que nous sommes tous favorables à ce texte. Je vous remercie.

 

La commission a autorisé la publication du présent rapport.

 

 


([1]) Règlement (UE, Euratom) 2020/2093 du Conseil du 17 décembre 2020 fixant le cadre financier pluriannuel pour les années 2021 à 2027.

([2]) Règlement (UE) 2020/2094 du Conseil du 14 décembre 2020 établissant un instrument de l’Union européenne pour la relance en vue de soutenir la reprise à la suite de la crise liée à la COVID-19.

([3])  Décision (UE, Euratom) 2020/2053 du Conseil du 14 décembre 2020 relative au système des ressources propres de l’Union européenne et abrogeant la décision 2014/335/UE, Euratom.

([4]) Résolution législative du Parlement européen du 16 septembre 2020 sur le projet de décision du Conseil relative au système des ressources propres de l’Union européenne.

([5]) Articles 312 du TFUE et 16 du règlement financier.

([6]) Décision du Conseil du 26 mai 2014 relative au système des ressources propres de l’Union européenne (2014/335/UE, Euratom).

([7]) Voir le budget rectificatif n° 5 au budget général 2016 : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX:52016DC0660

([8]) D’après les estimations de la Commission, ce n’est pas le cas pour le budget 2021, puisqu’elle estime que les ressources propres nécessaires au financement du budget 2021 représentent 1,12 % du total du RNB, alors que le plafond de la décision de 2014 est de 1,20 %

([9]) Règlement (UE, Euratom) 2020/2092 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2020 sur un régime général de conditionnalité pour la protection du budget de l’Union.

([10]) Décision du Conseil du 26 mai 2014 relative au système des ressources propres de l’Union européenne et adaptation des plafonds par la communication de la Commission du 21 décembre 2016 [COM(2016) 829 final].

([11]) Projet de règlement (UE, Euratom) du Conseil modifiant le règlement (CEE, Euratom) n° 1553/89 concernant le régime uniforme définitif de perception des ressources propres provenant de la taxe sur la valeur ajoutée [COM(2018) 328 final].

([12])  Article 220 du « règlement financier » (Règlement (UE, Euratom) 2018/1046 du Parlement européen et du Conseil du 18 juillet 2018 relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union, modifiant les règlements (UE) n° 1296/2013, (UE) n° 1301/2013, (UE) n° 1303/2013, (UE) n° 1304/2013, (UE) n° 1309/2013, (UE) n° 1316/2013, (UE) n° 223/2014, (UE) n° 283/2014 et la décision n° 541/2014/UE, et abrogeant le règlement (UE, Euratom) n° 966/2012).

([13])  Règlement (UE) n° 407/2010 du Conseil du 11 mai 2010 établissant un mécanisme européen de stabilisation financière.

([14])  Règlement (CE) n° 332/2002 du Conseil du 18 février 2002 établissant un mécanisme de soutien financier à moyen terme des balances des paiements des États membres.

([15])  Règlement (UE) 2020/672 du Conseil du 19 mai 2020 portant création d’un instrument européen de soutien temporaire à l’atténuation des risques de chômage en situation d’urgence (SURE) engendrée par la propagation de la COVID-19.

([16])  Comptes annuels consolidés de l’Union européenne pour l’exercice 2019 [COM(2020) 288 final], 26 juin 2020, page 59.

([17]) https://www.lesechos.fr/finance-marches/marches-financiers/leurope-confirme-son-role-de-leader-sur-le-marche-de-la-finance-verte-1248170

([18])  Décision du Conseil du 26 mai 2014 relative au système des ressources propres de l’Union européenne (2014/335/UE, Euratom).

([19])  La controverse subsiste toutefois dans une partie de la société civile : https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/10/12/les-traites-europeens-n-autorisent-en-aucun-cas-l-union-a-s-endetter_6055663_3232.html

([20]) Les recettes affectées externes ne sont pas votées par l’autorité budgétaire dans le cadre de la procédure budgétaire annuelle et ne sont pas imputées sur les plafonds du CFP.

([21]) Accord interinstitutionnel du 16 décembre 2020 entre le Parlement européen, le Conseil de l’Union européenne et la Commission européenne sur la discipline budgétaire, la coopération en matière budgétaire et la bonne gestion financière, ainsi que sur de nouvelles ressources propres, comportant une feuille de route en vue de la mise en place de nouvelles ressources propres.

([22]) Voir Xavier Paluszkiewicz et Frédérique Dumas, L’espace fiscal européen, rapport d’information fait un nom de la commission des affaires européennes, Assemblée nationale, XVe législature, n° 3193, 9 juillet 2020.

([23]) La Commission précise par ailleurs dans une déclaration que, dans le cas où la coopération renforcée sur la taxe sur les transactions financières parviendrait à un accord avant 2022, elle proposerait d’en transférer les recettes au budget européen. En l’absence d’accord avant cette date, elle fera une nouvelle proposition avant juin 2024.