N° 3817
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUINZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 27 janvier 2021.
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l’article 145 du Règlement
PAR LA MISSION D’INFORMATION
sur la filière du recyclage du papier
AU NOM DE LA COMMISSION DU DÉVELOPPEMENT DURABLE ([1])
ET DE L’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE
ET PRÉSENTÉ PAR
Mme Isabelle VALENTIN,
Présidente,
ET
Mme Camille GALLIARD-MINIER,
Rapporteure,
Députées.
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La mission d’information sur la filière du recyclage du papier est composée de : Mmes Marguerite Deprez-Audebert, Camille Galliard-Minier, Stéphanie Kerbarh, M. François-Michel Lambert, Mmes Laurence Maillart-Méhaignerie, Claire O’Petit, Mathilde Panot, Isabelle Valentin, MM. Michel Vialay, Stéphane Viry et Hubert Wulfranc.
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SOMMAIRE
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Pages
A. chapelle darblay, propriété du groupe finlandais upm
B. une usine aux caractéristiques environnementales évidentes
1. La production de papier recyclé
A. Le site a connu des difficultés CROISSANTES, CONDUISANT à UNE fermeture INéluctable
1. Trois phases de recherche d’un repreneur ont eu lieu depuis septembre 2019
2. Le site présente des débouchés certains à valoriser
A. QUELQUES élÉments factuels concernant le recyclage du papier et du carton
a. Les différents types de produits finis de la filière papier-carton
b. Les différentes sortes papetières servant à la fabrication des produits finis
2. La chaîne du recyclage du papier
c. La vente des PCR et la fabrication de papier recyclé
3. Éléments chiffrés sur le recyclage du papier et du carton en France
i. La consommation française de papiers-cartons
ii. La production papetière française
iii. Le paysage industriel français de la production de papier et de carton
b. Éléments sur les gisements des PCR et la performance de recyclage
B. Les vertus du recyclage du papier, l’une des formes les plus abouties d’Économie circulaire
C. Une filiÈre REP bien Établie
1. Le champ d’application de la REP « Papiers graphiques »
3. La contribution financière (« éco-contribution »)
5. La suppression prochaine de la contribution en nature pour les publications de presse
D. Mieux valoriser le papier recyclÉ et ses usages, partout oÙ cela est possible et pertinent
1. Accroître l’incorporation de fibres recyclées : une question complexe
2. La commande publique, un levier pour le développement de la demande de papier recyclé ?
a. Une obligation légale d’écoresponsabilité dans les achats de produits papetiers
b. La stratégie de l’État 2020-2024 pour le papier de reprographie blanc (mai 2019)
c. L’article 58 de la loi « AGEC »
d. La circulaire du 25 février 2020 pour des services publics écoresponsables
A. la crise actuelle est avant tout une crise de la demande de PCR, qui enclenche un cercle vicieux
1. Une crise structurelle de la demande, accentuée par la conjoncture
2. Des difficultés considérables pour les collectivités territoriales
1. En amont, améliorer la collecte et le tri
b. Des gisements négligés, inexploités ou insuffisamment collectés
ii. Pour un développement de l’apport volontaire pour les papiers des ménages
iii. Le gisement des manuels scolaires obsolètes
c. La situation particulière des territoires ultramarins
2. Du point de vue industriel, réorienter la production : marchés et débouchés possibles
a. Réorienter les gisements papetiers vers des marchés nouveaux ou à approfondir
iii. La production d’une pâte à papier recyclée marchande
b. Renforcer l’usage de fibres recyclées dans certaines utilisations existantes
3. En aval, sensibiliser encore davantage le consommateur et opérer un changement culturel
A. les acteurs n’agissent pas en filière
B. ne pas sacrifier la filière bois-forêt, ni la filière pâte vierge
1. Il convient de maintenir une production de pâte vierge pour certains usages
Recommandations de la mission d’information
EXAMEN du rapport en commission
liste des personnes auditionnées
déplacement de la mission d’information dans les vosges
LISTE des acteurs ayant transmis des CONTRIBUTIONS ÉCRITES
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Votre rapporteure souhaite à titre liminaire remercier chaleureusement Madame la députée Stéphanie Kerbarh d’avoir mis en lumière la situation de l’usine de Chapelle Darblay et d’avoir ainsi conduit à la création de la mission d’information.
Dans chaque domicile, chaque école, chaque bureau en entreprise et même à l’Assemblée nationale se trouve une poubelle où chacun jette ses papiers et ses cartons. Une ambition doit répondre à ce geste de tri quotidien, à cet effort demandé aux Français, celle de la valorisation des papiers ainsi triés. Ce contrat de confiance passé avec les Français est aujourd’hui mis à mal, avec une filière française de papier recyclé qui est en grande difficulté : fermeture d’usines, démantèlement de machines... La fermeture de l’usine de Chapelle Darblay est symptomatique de cette crise : installée dans le paysage industriel depuis des décennies et première usine en France à produire du papier journal à partir de fibres 100 % recyclées, l’entreprise a dû fermer ses portes au mois de juillet 2020.
Alors que la France se place dans le peloton de tête des pays européens pour le recyclage de papiers et cartons, avec un taux de plus de 79 %, sa filière industrielle est en crise bien qu’elle repose sur des bases solides : des acteurs mobilisés, une recherche innovante et un outil industriel de qualité.
En outre, cette crise s’inscrit dans le contexte difficile d’une baisse continue et inexorable de la consommation de papier graphique, qui oblige à repenser les débouchés de demain.
Ce tableau sombre pourrait donner l’image d’une industrie finie, destinée à disparaître. La conviction de votre rapporteure en est toute contraire : la filière du papier recyclé peut demain être l’un des atouts majeurs de la politique de l’économie circulaire en France si des mesures bien choisies sont prises. Elle en est déjà l’un des symboles : « faire du papier avec du papier ». Elle a les atouts pour en devenir demain l’un des étendards. Les recommandations déclinées dans ce rapport sont autant de préconisations destinées à consolider cette filière et à l’inscrire dans l’élan de réindustrialisation de la France lancé par le Gouvernement à travers France Relance.
Votre rapporteure est convaincue qu’il convient au prime abord de se défaire d’une opposition sous-jacente entre le papier fabriqué à partir de pâte vierge et le papier recyclé, plus largement entre la filière de papier vierge et celle du papier recyclé. Le destin de ces deux filières est en effet intimement lié : l’acceptabilité de l’industrie papetière suppose la permanence d’une filière du papier recyclé et la fabrication de papier recyclé ne peut se passer d’un apport minimum de fibres vierges. Repenser ce lien, c’est déjà avancer vers l’idée d’une structuration globale du secteur de l’industrie papetière plutôt qu’une organisation distincte et en silos des filières.
Dès le début des travaux et après validation par les membres de la mission d’information lors de la réunion constitutive, la présidente Mme Isabelle Valentin, députée de Haute-Loire – avec qui votre rapporteure a eu le plaisir de travailler et dont elle salue l’engagement sincère et sans faille tout au long des travaux – et votre rapporteure ont décidé d’élargir les travaux au recyclage du carton. Ceci est très vite apparu comme une évidence tant les statistiques disponibles, le procédé de recyclage, ses possibles applications et les débouchés potentiels du papier et du carton se sont révélés extrêmement liés. Il était également important de s’interroger sur le recyclage du papier et du carton de manière intégrée et de ne pas en rester à des considérations strictement industrielles. La situation a nécessité de s’interroger tout autant sur la qualité du tri en amont que sur les attentes des consommateurs en aval. Les auditions ont conforté cette idée en insistant sur la diversité des causes de la crise.
Le présent rapport a été rédigé à l’issue d’un déplacement de la mission d’information dans les usines de Norske Skog Golbey et Clairefontaine, de six visites réalisées par votre rapporteure en dehors du strict cadre de la mission, et de 33 auditions et tables rondes. Vingt recommandations sont proposées, issues d’un travail de fond et d’une concertation avec des industriels de la papeterie, des représentants des collectivités territoriales (communes et intercommunalités), des associations environnementales, des administrations nationales, des acteurs du bois, de l’édition et de la ouate cellulosique. Votre rapporteure tient à remercier chacun des acteurs entendus pour leur contribution à ses réflexions.
Les mesures proposées sont multiples, allant de la nécessaire diversification des débouchés à l’amélioration de la pédagogie auprès des entreprises et des consommateurs, mais aussi vers une nouvelle organisation du secteur, ou à l’instauration ou l’amélioration de mesures d’incitation.
Elles sont remises dans les mains des acteurs du secteur et aux acteurs institutionnels avec confiance et vigilance. Vous pouvez compter sur l’engagement de votre rapporteure pour en suivre l’application. La fermeture de l’usine UPM de Chapelle Darblay est significative de la crise traversée par la filière du papier recyclé. C’est pourquoi ce rapport analyse, dans une première partie, la situation de l’usine, les difficultés rencontrées et les projets en cours de définition. Il est ensuite proposé, dans une seconde partie, de préciser chaque étape du cycle de recyclage afin de dégager, pour chacune, des préconisations concrètes en vue de remédier à la crise du secteur, tout en rappelant que ces solutions doivent s’inscrire dans une recherche d’un nouvel équilibre entre les filières.
L’enjeu du renouveau de la filière du recyclage du papier est industriel mais aussi politique : c’est celui de la restauration du contrat de confiance passé avec les Français.
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PREMIère partie :
le point d’entrée du travail de la mission d’information : la situation de l’usine d’upm « chapelle darblay »
Tout au long des travaux de la mission d’information, la situation du site Chapelle Darblay du groupe UPM à Grand-Couronne a constitué pour les membres de la mission un exemple concret des difficultés de la filière du recyclage du papier.
Du point de vue des causes de la fermeture, le sort de cette usine illustre d’abord le phénomène contre-intuitif dans lequel la filière tout entière se trouve enfermée. L’usine de Chapelle Darblay utilise en effet uniquement des papiers et cartons à recycler (PCR) comme matière première et contribue ainsi à écouler un matériau dont la quantité augmente au fur et à mesure de l’amélioration constatée de la quantité, du tri et de la collecte de déchets fibreux.
D’une manière plus générale, cette contradiction est d’autant plus importante au regard de la valorisation sociétale grandissante de l’économie circulaire, présentée comme une « industrie du futur » et un outil fécond de respect des grands objectifs du développement durable. La filière du recyclage du papier est d’une étonnante modernité en ce qu’elle concilie production économique et protection de l’environnement, tradition et innovation.
Par ailleurs, ni le site en lui-même, ni sa situation géographique ne sont en cause : cette usine est ancienne, de qualité et bien insérée dans le paysage industriel local. Les causes de cette situation éclairent donc partiellement sur les difficultés globales de la filière du recyclage du papier.
Les conséquences de la fermeture de cette usine vont également renforcer les difficultés de la filière. Outre la fragilisation du tissu industriel du territoire et les conséquences sociales qui en découlent, c’est la surabondance de la matière première PCR en France et en Europe, déjà prégnante depuis la diminution puis l’arrêt des exportations vers la Chine, qui va être encore renforcée. Cette inadéquation entre la matière collectée et la demande industrielle va entraîner la poursuite de la chute des cours de reprise des PCR, avec des conséquences pour les collectivités territoriales.
Enfin, les difficultés pour trouver un repreneur illustrent également différentes failles comme l’absence de structuration en filière et un trop grand fonctionnement « en silos » des industriels.
Cependant, précisément parce que ce site est, sur de nombreux points, illustratif de la crise de la filière du recyclage du papier en France, l’ensemble des membres de la mission d’information et plus particulièrement votre rapporteure considèrent qu’il peut également préfigurer son renouveau. La réindustrialisation possible du site Chapelle Darblay doit constituer un exemple et un moteur pour la réhabilitation de l’ensemble de la filière. Plus largement, l’abandon d’un site vertueux sur le plan environnemental s’inscrirait à rebours de l’enjeu majeur de la réindustrialisation de la France.
I. le site chapelle darblay de grand-couronne, une usine sacrifiée malgré son exemplarité environnementale
A. chapelle darblay, propriété du groupe finlandais upm
Le propriétaire du site de Chapelle Darblay depuis plus de trente ans est UPM. Ce groupe finlandais, coté en bourse, réalise un chiffre d’affaires annuel d’environ 10,2 milliards d’euros et emploie 18 700 collaborateurs ([2]). D’après les données contenues dans une annexe de l’étude des marchés potentiels en vue d’une réindustrialisation de la papeterie Chapelle Darblay ([3]), UPM se situait en 2018 au premier rang européen des producteurs de pâte et de papier (production de pâte marchande et de papier-carton) et au cinquième rang mondial, avec une production de 11,6 millions de tonnes ([4]).
Bien que sa production originelle soit celle, constituée notamment à Chapelle Darblay, de papier pour la presse, l’activité du groupe s’est largement développée avec le temps et s’organise aujourd’hui autour de douze divisions, qui correspondent à autant de domaines d’activité différents : pâte à papier ; bois ; biocarburants ; énergie ; étiquettes ; papiers spéciaux ; papiers de communication (papiers graphiques) ; contreplaqué ; biocomposites ; produits biochimiques ; produits biomédicaux ; approvisionnement en bois.
L’activité du groupe est largement internationale. Celui-ci détient 54 sites de production, répartis dans douze pays et ses produits sont commercialisés dans 120 pays. Une large majorité de ses ventes se réalise néanmoins en Europe, à hauteur de 62 %, contre 19 % en Asie, 13 % en Amérique du Nord et 6 % dans le reste du monde.
Comme cela a été présenté par M. Daniel Schwab, président du conseil de surveillance d’UPM France, lors de son audition par la mission d’information, la division papier du groupe est en décroissance de plus en plus forte depuis 2008. Celui-ci a en effet indiqué qu’au début des années 2000, la société disposait de 64 machines à papier. Depuis, plus de la moitié a fermé afin de s’adapter à un marché annuellement en décroissance. Ce mouvement est encore visible en 2020‑2021 puisque la présentation aux investisseurs de novembre 2020 fait état d’une réduction des coûts concentrée sur la fermeture de nombreux sites de fabrication de papier journal (Chapelle Darblay bien sûr, mais également le site de Kaipola en Finlande et celui de Shotton au Royaume-Uni) et à l’inverse de nouveaux investissements vers les produits biochimiques.
Dans cette même présentation aux investisseurs, le groupe met en avant un investissement dans une nouvelle usine de pâte à papier en Uruguay à base de fibres d’eucalyptus, type de production régulièrement présenté lors des auditions comme insuffisamment vertueux du point de vue environnemental. Cette information rend la décision de fermeture de Chapelle Darblay d’autant plus insatisfaisante que cette dernière utilisait uniquement de la fibre recyclée comme matière première.
Chapelle Darblay est un site relativement ancien, situé à Grand-Couronne en Seine-Maritime, et fondé en 1927, d’abord sous le nom de « Sonopa ». En 1959, à la suite d’un rachat, elle est renommée « Darblay », puis, en 1968 « Chapelle Darblay » en raison d’une fusion.
Cette usine est souvent présentée comme celle ayant inventé le procédé de désencrage et de recyclage du papier journal au milieu des années 1980, avec un passage à une production de papier 100 % recyclé dès 1999.
Appartenant au papetier finlandais Kymmene depuis 1990, l’usine devient propriété d’UPM en 1996 à la suite de la naissance de ce groupe par fusion de Kymmene avec une autre entreprise. UPM y a investi 200 millions d’euros pour améliorer les machines (ces dernières étaient au nombre de deux avant la fermeture de l’une d’entre elles en 2015, évoquée infra) et les processus de fabrication mais aussi, comme évoqué infra, en y installant une chaudière de biomasse et un centre de tri.
L’atout économique, industriel et social de cet établissement pour le territoire est indiscutable. Le préfet de Normandie, M. Pierre-André Durand, a indiqué à la mission d’information que le site avait réalisé un chiffre d’affaires annuel de 100 millions d’euros, une valeur ajoutée annuelle de 30 millions d’euros, employait 217 salariés et générait 567 emplois indirects, dont 262 en Normandie, principalement dans les centres de tri de matières papiers recyclables, les plateformes fournissant de l’énergie biomasse en Normandie mais aussi les entreprises prestataires et l’intérim.
L’observation du plan du site témoigne de sa qualité et des facilités logistiques qui y sont associées, de la proximité des axes routiers à l’accès direct à la Seine et à la haute-mer.
VUE Aérienne du site d’upm chapelle darblay
Source : Document de présentation de l’usine établi par Business France et les services de l’État dans le cadre de la troisième démarche de recherche d’un repreneur.
De par son histoire essentiellement, mais également en raison des apports d’UPM, ce site est ainsi symbolique d’une usine vertueuse sur le plan environnemental.
B. une usine aux caractéristiques environnementales évidentes
1. La production de papier recyclé
Le site Chapelle Darblay fabrique exclusivement du papier journal à partir de fibres 100 % recyclées ([5]). Elle récupère annuellement 350 000 tonnes de journaux, revues, magazines et prospectus ([6]) par le biais de 350 contrats passés avec les collectivités territoriales, représentant une population de 24 millions de personnes, y compris dans la région parisienne ([7]) avec un transport par voie fluviale depuis 2008.
C’est alors une véritable opération de recyclage qui s’opère sur le site : le papier est désencré pour en faire de la pâte permettant de fabriquer du papier journal, avec une capacité annuelle de 240 000 tonnes environ, 220 000 tonnes dans les dernières années avant la fermeture. Selon M. Daniel Schwab, 30 % de ces volumes sont commercialisés en France et 70 % à l’exportation.
L’établissement Chapelle Darblay constitue donc bel et bien une usine de production au cœur de l’économie circulaire. Cet engagement environnemental originel a été renforcé par la modernisation du site, engagée notamment par UPM.
2. D’autres éléments, en lien avec la modernisation du site, font état d’un impact environnemental positif
Répondant à un appel d’offres, UPM a souscrit en 2007 un contrat d’achat avec la Commission de régulation de l’énergie (CRE) et installé une chaudière biomasse de 85 mégawattheure (MWh), un investissement représentant alors 80 millions d’euros. Lors de son audition, M. Jean Kubiak, directeur général de l’établissement, est revenu sur son fonctionnement : par ce biais, UPM produit de l’électricité en turbinant de la vapeur produite par la chaudière alimentée par du bois de recyclage (200 000 tonnes par an environ) mais aussi les boues de désencrage (100 000 tonnes par an environ).
Cette chaudière a ainsi représenté pour UPM une source de revenus mais également et surtout un nouvel outil de valorisation des déchets permettant de produire de l’électricité verte.
Le deuxième investissement majeur réalisé par UPM sur le site a été l’installation d’un centre d’affinage (encore appelé centre de sur-tri). Il s’agissait d’y faire entrer le flux principal des ménages mais également de créer un point d’apport volontaire dans lequel la population pouvait déposer toutes leurs sortes ([8]) de papier (sorte papetière 5.01 « Papiers mélangés »). Cette matière 5.01 n’a « jamais été au rendez-vous » selon l’expression employée par M. Jean Kubiak lors de son audition. Alors que ce centre de tri a été construit pour traiter 100 000 tonnes de papiers par an, il n’a jamais dépassé les 50 000 tonnes. Sa vertu environnementale était pourtant certaine en permettant d’augmenter encore davantage la quantité de papiers recyclés.
Ainsi, que ce soit en raison de l’activité principale de production de papier 100 % recyclé ou des développements annexes ensuite, votre rapporteure considère, à l’unisson des représentants des salariés auditionnés par la mission d’information, que Chapelle Darblay est une « industrie du futur ». Si cette conscience et cet engagement n’ont pas suffi à maintenir l’activité, ils doivent en revanche nous encourager à trouver une nouvelle vie pour cet établissement.
II. À la suite de sa fermeture, terme d’une fragilisation progressive, l’établissement est en recherche d’un repreneur et d’un renouvellement de son activité
A. Le site a connu des difficultés CROISSANTES, CONDUISANT à UNE fermeture INéluctable
1. La fragilisation de l’établissement est corrélée au déclin du papier graphique en général et du papier journal en particulier
Comme indiqué supra, le papier journal constitue l’unique production du site et ses clients sont donc exclusivement la presse nationale, la presse quotidienne régionale, les éditeurs de catalogue et quelques sociétés de communication publicitaire. La concentration de l’activité, commune dans le secteur très capitalistique du papier, est évidemment vectrice de fragilité. La dépendance de l’usine à cette seule et unique production l’a rendue très sensible à l’évolution de la demande de papier graphique.
M. Daniel Schwab a évoqué devant la mission d’information une baisse de consommation du papier graphique d’environ 5 % par an depuis 2010 et même, depuis 2019, plutôt de 10 %, situation aggravée ponctuellement ([9]) en 2020 par les effets de la pandémie de covid-19. Tous les chiffres mis à la disposition de la mission d’information confirment évidemment cette tendance : la consommation apparente de papier journal en France serait ainsi passée de 5,3 millions de tonnes en 2007 à 3 millions de tonnes en 2018, soit une diminution de 43 % ([10]).
Cette situation s’explique par une baisse structurelle de l’usage de papier graphique par les consommateurs français – mais également plus largement européens – en raison du développement du numérique et du rejet plus important de la publicité distribuée dans les boîtes aux lettres.
2. Après la fermeture d’une première machine en 2015, UPM a annoncé sa décision de fermer entièrement le site de Chapelle Darblay
Face à la contraction du marché, UPM a décidé, dès 2015, la fermeture d’une première machine sur les deux que comportait à l’origine l’établissement. Il s’agissait alors de la moins performante des deux : la « petite machine », appelée n° 3. Cette dernière produisait du papier journal de qualité supérieure. Depuis lors, elle continue d’être ventilée et lubrifiée régulièrement mais la production de ce papier de qualité supérieure a été reprise par la machine n° 6, qui était, jusqu’en juin dernier, la dernière en service. À l’époque, 150 emplois avaient déjà été supprimés.
Cette réduction de capacité n’a visiblement pas suffi au groupe qui a annoncé en septembre 2019 sa volonté de mettre en vente la papeterie. Dans son communiqué ([11]), la société présente l’établissement Chapelle Darblay comme l’actif industriel le moins compétitif sur son segment de produits et annonce la procédure suivie pour la mise en vente : l’ouverture d’un appel d’offres pour la vente de l’usine et, en cas d’absence d’offre crédible à la mi-janvier 2020, une consultation pour la fermeture de l’usine engagée parallèlement à la poursuite de recherche d’un repreneur. L’horizon temporel alors fixé pour la finalisation de la procédure était la fin du deuxième trimestre 2020.
C’est ainsi qu’après la signature d’un accord majoritaire relatif au plan de sauvegarde de l’emploi en juillet 2020, les machines ont été arrêtées « proprement » selon l’expression de MM. Daniel Schwab et Jean Kubiak (équipements sécurisés, éléments chimiques ou consommables évacués) et UPM a mis le site en sommeil jusqu’en juin 2021, date limite fixée pour trouver un repreneur. Les salariés ont été licenciés en juillet 2020, à l’exception des salariés protégés.
Votre rapporteure, qui a pu se rendre sur place en octobre 2020, a constaté avec regret la fermeture de ce site industriel ainsi que l’arrêt des machines. Elle a échangé avec les salariés encore présents sur le site, le directeur du site et le préfet de la région Normandie et leur a rappelé son engagement total pour tenter à leurs côtés de sauver Chapelle Darblay, notamment au travers des solutions plus générales qu’elle entend recommander pour la filière papetière.
B. LA RECHERCHE D’uN REPRENEUR doit se poursuivre en ayant conscience des potentialités diverses que recouvre le site
1. Trois phases de recherche d’un repreneur ont eu lieu depuis septembre 2019
Dès l’annonce d’UPM de sa volonté de fermer l’usine, une première phase de recherche d’un repreneur a été opérée en coopération directe avec les services de l’État. Elle a permis de contacter 250 repreneurs possibles mais n’a malheureusement pas abouti.
Une deuxième tentative a été opérée dans le cadre légal de la loi dite « Florange » ([12]) jusqu’en juillet 2020. D’après M. Daniel Schwab, des marques d’intérêt ont été avancées parmi les 300 repreneurs potentiels contactés à cette occasion mais plusieurs obstacles, structurels ou conjoncturels, ont été mis en avant :
– d’un point de vue conjoncturel, la crise de la covid-19, en fragilisant certaines entreprises et par l’horizon économique plus incertain qu’elle a induit, a rendu les acteurs frileux dans la perspective de racheter un site et d’y opérer des investissements importants ;
– du point de vue structurel, l’industrie papetière est très capitalistique et ce site n’y fait pas exception, avec des frais fixes élevés et des investissements importants nécessaires pour tout changement d’activité.
M. le préfet Pierre-André Durand a néanmoins indiqué, lors de son audition devant la mission d’information, qu’une troisième et dernière recherche de repreneur de grande ampleur, sur le plan national et international, en coopération entre les services de l’État et Business France, avait démarré. Un groupe de travail a été mis en place avec des points d’étape réguliers jusqu’à l’aboutissement de cette dernière tentative à la fin du mois de janvier 2021. Dans son travail de prospection, Business France a diffusé à grande échelle un document de présentation du site et de ses potentialités, en s’appuyant notamment sur les travaux du comité technique ([13]) démontrant les transformations possibles de l’établissement. Cette troisième prospection est menée en ciblant les industriels sur la base des potentialités mises en avant par les études techniques réalisées et en relançant notamment les industriels ayant manifesté leur intérêt lors des premières recherches.
Dans l’attente, le site est fermé depuis juillet 2020 et l’échec de la deuxième tentative. S’en est suivie une première vague de licenciements à cette même période. La question posée de la prise en charge salariale, qui avait pu être un obstacle pour un éventuel repreneur dans les deux premières phases, ne l’est donc plus pour cette dernière tentative. Dans l’attente de l’expiration de la période de recherche d’un repreneur en juin 2021, UPM assure comme prévu un gardiennage 24 heures sur 24 de l’usine. Ne restent actuellement en fonction qu’une dizaine de salariés « protégés » dont l’autorisation du licenciement, qui était prévu le 31 octobre 2020, a été refusée. D’après les éléments communiqués par les représentants du personnel, ce refus a été justifié par un « motif d’intérêt général » concernant des « interlocuteurs mobilisés et actifs sur le projet de réindustrialisation d’un site unanimement considéré comme un modèle d’économie circulaire » dont les « licenciements ne présentent pas un caractère déraisonnable et disproportionné pour l’entreprise et ses intérêts dans la mesure où l’engagement de recherche de repreneur a été pris par UPM France auprès du CSE Chapelle Darblay » avec « l’engagement de maintenir l’attractivité industrielle du site jusqu’en juin 2021 pour permettre sa visite par des potentiels repreneurs » ([14]).
2. Le site présente des débouchés certains à valoriser
En appui des travaux du comité technique de la commission industrielle évoqués supra, une étude des marchés potentiels en vue d’une réindustrialisation de la papeterie Chapelle Darblay a été réalisée en octobre 2020 sous l’autorité de M. Alain Tripier, que la mission d’information a pu auditionner.
Cette étude se concentre exclusivement sur les débouchés utilisant des PCR comme matière première, cette dernière étant encore surabondante dans les collectivités. Néanmoins, elle cherche à analyser le potentiel du site en dehors d’une production de papier journal qui a démontré ses limites.
Les trois ([15]) principales pistes de développement ([16]) pour la restructuration de Chapelle Darblay présentées dans l’étude des marchés et évoquées
par M. Alain Tripier lors de son audition
– La production de produits d’emballage (PPO – papier pour ondulé) est présentée comme une réelle opportunité pour le site en lien avec l’augmentation de la demande (notamment en raison de la croissance du commerce en ligne). La France doit en effet, selon ce rapport, se positionner sur ce marché porteur et qui n’est pas encore saturé. Le passage à cette production suppose une transformation de la machine n° 6, nécessitant un investissement évalué entre 80 et 100 millions d’euros. Il convient de noter que cette éventualité est celle qui a été le plus étudiée, un possible racheteur s’étant même positionné dans un premier temps sur ce segment.
Le rapport évoque deux conditions essentielles à un développement pérenne de cette production sur le site : i) l’installation d’un papetier asiatique, le cas échéant aidée par des allègements fiscaux et un accompagnement de l’Agence de la transition écologique (ADEME), qui pourrait être une solution plus facile, car elle permettrait une bonne maîtrise de l’écosystème papetier chinois, la Chine risquant de manquer à moyen terme de PPO avec des besoins pourtant toujours plus élevés (notamment pour ses exportations) ; ii) la recherche de coûts d’exploitation maîtrisés, avec notamment une réduction des coûts de l’énergie par la transformation de la chaudière biomasse vers la combustion de combustibles solides de récupération (CSR) et non plus de biomasse.
– Un nouveau marché correspondant à la fabrication de bobines de papier non désencré destinées à être transformées en ouate de cellulose pour l’isolation est également présenté comme une solution possible. Cet approvisionnement régulier et maîtrisé peut s’avérer utile pour les industriels de l’isolation utilisant ce matériau et ne se fournissant actuellement que d’invendus de presse, une ressource appelée à devenir de plus en plus rare. C’est une solution intéressante à l’heure où la rénovation énergétique des bâtiments est une priorité et où la construction cherche à diminuer son empreinte carbone. Contrairement aux affirmations de M. Jean Kubiak lors de son audition, il apparaît, selon M. Alain Tripier, que le prix de sortie d’usine pourrait être soutenable pour les industriels en faisant usage.
– La production de papier graphique recyclé (ramettes, bobines utilisées par les imprimeurs ou papier utilisé par les papeteries), un marché en devenir selon le rapport en raison des évolutions sociétales et d’un développement croissant des « achats exemplaires » pour les achats publics, constitue également un débouché possible. Il s’agirait soit de produire exclusivement de la pâte marchande, soit de viser la production intégrée de papier recyclé sur le site. Le choix de cette solution rendrait de surcroît nécessaire, pour l’industriel, l’installation d’une capacité de séchage et de pressage.
Toute transformation de l’activité suppose évidemment des investissements importants sur les machines. Néanmoins, comme indiqué par la plupart des acteurs auditionnés sur cette question, ce coût, mis en regard du coût global d’une machine de papier, est relativement bas à l’échelle de l’industrie. M. Alain Tripier a d’ailleurs confirmé que la transformation de ces machines pour ces trois solutions privilégiées « ne sont pas des transformations fondamentales ».
Toutes ces pistes sont néanmoins présentées comme beaucoup plus réalistes et disposant d’un potentiel nettement plus élevé si elles s’inscrivaient dans un cadre plus large de constitution, autour du site, de ce que le rapport qualifie d’« Écoparc » papetier permettant une diversification du site dans plusieurs directions, avec différents opérateurs autour d’un industriel « pivot ». Cette diversification peut être facilitée par la taille du site (créé initialement pour trois machines) et par la présence sur le site – et la maintenance préservée – de deux machines.
De même, M. Alain Tripier a longuement insisté devant la mission d’information sur l’accompagnement nécessaire du ou des futurs industriels avec, par exemple, des dispositifs fiscaux favorables (pouvant aller jusqu’à l’établissement d’une zone franche) ou encore la prise en charge des infrastructures (chaudière biomasse, station d’épuration) par un organisme de type société d’économie mixte (SEM).
D’ailleurs, dans le cas où aucun repreneur ne se manifesterait à la mi-janvier 2021, la solution de la constitution d’une SEM, à la main des collectivités territoriales, pourrait être envisagée. D’après le préfet, le président de la métropole de Rouen n’a pas exclu cette possibilité lors de la dernière réunion de la commission industrielle.
Votre rapporteure veut ici réaffirmer avec force sa volonté de participer à la construction de toute solution qui serait susceptible de sauver ce site. Les pouvoirs publics ont une responsabilité politique à préserver un établissement qui endosse, depuis plus de trente ans, une responsabilité sociale et environnementale exemplaire. Au-delà de l’accompagnement essentiel de la recherche d’un repreneur d’un point de vue microéconomique, c’est par la recherche de solutions pour tout le secteur papetier, à laquelle il s’agit ici de s’employer, qu’il sera possible d’avancer.
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seconde partie :
AFIN D’ANALYSER LES DIFFICULTÉS ET D’IMAGINER DES SOLUTIONS POUR CETTE FILIÈRE VERTUEUSE, RAISONNER SUR L’ENSEMBLE DE L’ACTION DE RECYCLAGE
Dès le début des travaux de la mission d’information, le risque d’un traitement trop parcellaire du sujet a été bien identifié. Le point de départ de la mission, évoqué supra, étant industriel, la tentation pouvait en effet être forte de polariser l’étude sur ce seul aspect.
Les premières auditions et les constats initiaux ont rapidement convaincu votre rapporteure de la nécessité d’élargir le thème de la mission d’information – par certains aspects, la matière carton allait devoir être analysée ([17]) – et surtout le champ d’étude de celle-ci, en s’arrêtant sur toutes les étapes constituant la chaîne du recyclage, de l’amont (collecte, tri) à l’aval (distribution du papier et consommation), en passant naturellement par la fabrication industrielle. Chacune de ces étapes présente en effet ses propres enjeux et renferme une partie de la solution. Votre rapporteure a ainsi souhaité inscrire ses recommandations dans un cadre global.
Face à la pluralité des acteurs intervenant dans ce procédé complexe et la pluralité des sortes papetières, il convient en premier lieu de bien identifier et de décrire l’action de recyclage, à travers quelques éléments factuels (I). L’analyse de la situation actuelle et des perspectives possibles pour préserver la filière mettra ensuite en avant la nécessité d’agir à tous les niveaux (II). Il importe de surcroît de le faire de façon coordonnée, dans une réflexion établie au sein d’une filière à constituer, ainsi que de maintenir un équilibre d’approvisionnement entre les vieux papiers et cartons récupérés et la fibre vierge, afin de ne pas aboutir à une situation où la sauvegarde d’une filière entraînerait la fragilisation d’une autre (III).
I. LE RECYCLAGE DU PAPIER ET DU CARTON FAIT INTERVENIR DES ACTEURS MULTIPLES AU SERVICE D’UNE ACTION VERTUEUSE
A. QUELQUES élÉments factuels concernant le recyclage du papier et du carton
Avant d’analyser les caractéristiques environnementales de l’utilisation de fibres recyclées dans la fabrication de papier, il importe de s’arrêter sur des éléments factuels permettant de mieux comprendre et situer la filière de recyclage du papier et du carton. Pour ce faire, votre rapporteure souhaite d’abord faire un point sur les typologies de papiers et cartons et les différentes « sortes papetières » récupérées puis utilisées par l’industrie du recyclage, chaque sorte ayant des caractéristiques et donc des usages possibles différents. Ensuite, il s’agira de présenter toute la chaîne et le procédé du recyclage en soi. Enfin, la mise en avant d’éléments chiffrés permettra de détailler la performance de recyclage du papier et du carton en France et ses caractéristiques.
1. Typologie des produits de la filière papier et carton et des sortes papetières faisant office de matière première
a. Les différents types de produits finis de la filière papier-carton
Il existe trois grands types de produits issus de la filière papier-carton :
– les papiers d’hygiène, appelés aussi « tissue » ou papier d’essuyage : essuie-tout, mouchoirs en papier, serviettes de table, etc. ;
– les papiers à usage graphique : journaux, magazines, articles de papeterie, ramettes de papiers bureautiques, livres, etc. ;
– les papiers et cartons d’emballage : papiers pour ondulé (PPO), cartons, papiers d’emballages souples, servant à produire des sacs, boîtes et autres emballages, etc.
Chacun de ces produits finis peut incorporer des quantités et des qualités différentes de papiers et cartons à recycler (PCR). En effet, en fonction des caractéristiques attendues pour le produit fini, la quantité de fibres recyclées utilisées différera. Les auditions de la mission d’information ont ainsi permis de mettre globalement en avant un usage systématique et très important de fibres recyclées comme matière première pour produire du papier journal. En revanche, en ce qui concerne les magazines ou les papiers d’hygiène par exemple, l’usage de PCR est nettement moins développé. De la même manière, tous les types de papiers et cartons collectés ne peuvent servir à contribuer à la fabrication de tous les types de produits finis ; il existe ainsi différentes « sortes papetières » utilisables par les industriels.
b. Les différentes sortes papetières servant à la fabrication des produits finis
Selon le type de papier ou de carton que l’industriel souhaite réaliser à partir de fibres recyclées, la matière première de récupération dont il a besoin diffère très sensiblement. Ainsi, dans le cadre de l’étape de tri présentée infra, les recycleurs et les centres de tri produisent des « sortes papetières » que l’Agence de la transition écologique (ADEME) définit ainsi : « lot de produit fibreux constitué de papier et carton à recycler (PCR) et correspondant à une qualité d’usage, utilisés comme matière première dans la fabrication de produits à base de papiers et de cartons dans l’industrie papetière » ([18]).
La norme EN 643, créée en 2002 et révisée en 2013, constitue la liste européenne des sortes standards de PCR. Il s’agit d’aider les industriels à acheter directement les types de matières premières dont ils ont besoin pour leur production sans qu’un tri supplémentaire soit indispensable. Les différentes sortes sont ainsi identifiées par un numéro de code composé d’un chiffre, suivi par un point, puis par deux autres chiffres, suivis eux-mêmes d’un nouveau point et enfin de deux autres chiffres :
– le premier chiffre, allant de 1 à 5, correspond au groupe auquel appartient la sorte : groupe 1 (sortes ordinaires), groupe 2 (sortes moyennes), groupe 3 (sortes supérieures), groupe 4 (sortes kraft) et groupe 5 (sortes spéciales) ;
– les deux chiffres suivants correspondent à la sorte qui définit plus précisément le type de papiers ;
– enfin, les deux derniers chiffres correspondent au sous-groupe et permettent ainsi de différencier encore plus finement des types de papiers similaires et entrant davantage dans le détail de la composition des PCR. Plusieurs sous-sortes ont ainsi été ajoutées lors de la révision de la norme EN 643 en 2013 afin de s’adapter aux besoins évolutifs du marché. Ces deux derniers chiffres ne sont pas systématiquement employés.
Pour chacune de ces sortes de papier à recycler, outre une description de sa composition par types de papiers, la norme définit des niveaux maximums de tolérance pour les composants non désirés.
Pour prendre un exemple concret, la sorte 1.11.00, déjà évoquée supra car utilisée par Chapelle Darblay, appartient aux sortes ordinaires de papiers (groupe 1). Le nombre 11 permet, au sein de ces sortes ordinaires, d’identifier qu’il s’agit de papiers graphiques triés pour désencrage. La description de la norme EN 643 de cette sorte est la suivante : « papier graphique trié, comprenant un minimum de 80 % de journaux et magazines. Ils doivent contenir au moins 30 % de journaux et 40 % de magazines. Des produits imprimés qui ne sont pas aptes au désencrage sont limités à 1,5 % ». Cette description constitue un cahier des charges pour le producteur de sorte et une garantie pour l’industriel acheteur.
Ainsi, parce que l’industriel qui souhaite produire du papier journal à base de PCR ne pourra le faire qu’à partir de ces papiers graphiques triés pour désencrage, la production de cette sorte permettra de lui fournir exclusivement ce dont il a besoin. Dans le cas où le producteur de matière fournit une matière qualifiée de « 1.11 » mais dans laquelle les papiers et les cartons sont non conformes à la définition de la sorte, l’acheteur peut refuser ces papiers et cartons à recycler. La définition de ces différentes sortes, fastidieuse, est ainsi essentielle pour faciliter le recyclage du papier et du carton, sans surcoût pour l’industriel.
La norme EN 643 décrit 95 sortes papetières. Il n’est pas nécessaire de toutes les présenter. Votre rapporteure tient néanmoins, suivant la méthodologie de l’ADEME dans le rapport précité, à revenir ici sur la description de celles qui représentent plus de (ou environ) 5 % du total de la production annuelle ([19]).
Description des principales sortes papetières produites en France
par grandes catégories (chiffres 2014)
– Emballages commerciaux, ondulés et plats récupérés (51 % de la production) : sorte 1.04.00 « Emballages en papier et carton ondulé » : « emballages en papier et carton usagés, comportant au moins 70 % de carton ondulé, le reste étant constitué d’autres papiers et cartons d’emballage » ; sorte 1.04.01 « Papiers et cartons ondulés ordinaires » : « emballages en papier et carton usagés, comportant au moins 70 % de carton ondulé, le reste étant constitué d’autres produits papier carton » ; sorte 1.04.02 « Papiers et cartons ondulés » : « emballages en papier et carton usagés, comportant au moins 80 % de carton ondulé, le reste étant constitué d’autres produits papier carton » ; sorte 1.05.00 « Carton ondulé ordinaire » : « boîtes et feuilles de carton ondulé usagées de différentes qualités, pouvant comprendre 10 % d’autres papiers et cartons d’emballage » ; sorte 1.05.01 « Carton ondulé » : « boîtes et feuilles de carton ondulé usagées, pouvant comprendre 5 % d’autres papiers et cartons d’emballage ».
– Papiers graphiques triés pour désencrage (16 % de la production) : sorte 1.11.00 « Papiers graphiques triés pour désencrage » : « papier graphique trié, comprenant un minimum de 80 % de journaux et magazines. Ils doivent contenir au moins 30 % de journaux et 40 % de magazines. Des produits imprimés qui ne sont pas aptes au désencrage sont limités à 1,5 % ».
– Chutes de production de caisserie (5,5 % de la production) : sorte 4.01 « Rognures neuves de carton ondulé ».
– Journaux et magazines mélangés (5,4 % de la production) : sorte 1.09.00 « Journaux et magazines » : « mélange de journaux et magazines (invendus pour la plupart) ; avec un minimum de 30 % de chaque ».
– Papiers et cartons mêlés (5,2 % de la production) : sorte 1.02.00 « Papiers et cartons mélangés » : « mélange de diverses qualités de papiers et de cartons, contenant au maximum 40 % de journaux et magazines » ; sorte 5.01.01 « Papiers mélangés » : « mélange de diverses sortes de papiers qui peuvent être trouvées dans les groupes 1 à 5 ».
– Papiers de bureau et archives (4,9 % de la production) : sorte 2.05.00 « Papiers de bureau triés ordinaires » : « papiers, tels qu’ils sont typiquement générés par les bureaux, broyés ou non, imprimés, pouvant comprendre des papiers colorés, avec un minimum de 60 % de papier sans bois ([20]), exempts de carbone et en majorité exempts de papier autocopiant sans carbone (ccp)/no carbon required (NCR), avec moins de 10 % de fibres non blanchies, y compris les enveloppes manille et chemises, moins de 5 % de journaux et emballages » ; sorte 2.05.01 « Papiers de bureau triés » : « papiers, tels qu’ils sont typiquement générés par les bureaux, broyés ou non, imprimés, pouvant comprendre des papiers colorés, avec un minimum de 80 % de papier sans bois, exempts de carbone et en majorité exempts de papier autocopiant sans carbone (ccp)/no carbon re-quired (NCR), avec moins de 5 % de fibres non blanchies, y compris les enveloppes manille et chemises » ; sorte 2.06.00 « Archives couleur ordinaires triées » : « papiers, tels qu’ils sont typiquement générés par les bureaux, broyés ou non, légèrement imprimés, papiers teintés dans la masse autorisés, mais pas les papiers de couleurs foncées, avec un minimum de 70 % de papier sans bois, exempt de carbone et en majorité exempts de papiers autocopiants sans carbone, (ccp)/no carbon required (NCR), exempts d’enveloppes manille et de chemises, de journaux et de cartons » ; sorte 2.06.01 « Archives de couleur triées » : « papiers, tels qu’ils sont typiquement générés par les bureaux, broyés ou non, légèrement imprimés, papiers teintés dans la masse autorisés, mais pas les papiers de couleurs foncées, avec un minimum de 90 % de papier sans bois, exempt de carbone et en majorité exempts de papiers autocopiants sans carbone (ccp)/no carbon required (NCR), exempts d’enveloppes manille et de chemises, de journaux et de cartons ».
Sources : Étude sur l’adéquation entre les sortes papetières produites et les besoins des utilisateurs, ADEME, mars 2017 ; guide d’application de la norme européenne révisée EN 643, Confédération européenne des industries papetières (CEPI), janvier 2014.
L’Union française des industries des cartons, papiers et celluloses (Copacel) regroupe l’ensemble des sortes de la norme EN 643 en quatre grandes catégories pour plus de clarté et de lisibilité, notamment statistique : sortes mêlées (mélanges de papiers et cartons à recycler d’origines diverses) ; sortes kraftées et assimilées caisses et cartons de récupération (CCR) (papiers et cartons d’emballages à recycler) ; sortes à désencrer (mélange de journaux, magazines, prospectus et autres papiers graphiques, issus notamment de la collecte municipale) ; sortes supérieures (papiers et cartons à recycler d’origine industrielle, provenant généralement d’usages graphiques comme les journaux et magazines invendus, des prospectus non distribués, des découpes et rognures d’imprimerie, etc.).
Le député honoraire M. Serge Bardy, dans son rapport ([21]) comme lors de son audition devant la mission d’information, a distingué quant à lui schématiquement deux grandes catégories de papiers récupérés : les sortes brunes (cartons et emballages) et les sortes blanches (collecte de bureau, magazines et journaux).
c. L’enjeu fondamental de l’adéquation entre les sortes papetières produites et les besoins des industriels
La production de papiers et cartons à base de fibres recyclées repose donc sur un équilibre délicat entre la production de sortes papetières issues des centres de tri et les besoins des industriels dont les développements supra ont montré qu’ils diffèrent selon les types de papiers et cartons produits en raison des propriétés spécifiques attendues pour chacun d’eux. Ainsi, schématiquement, le papier journal est destiné à un usage unique et limité, il n’est donc pas attendu un papier d’une grande résistance ou d’une grande blancheur. C’est l’inverse pour les papiers d’impression ou d’écriture. Dans le cas des papiers et cartons d’emballage, le critère de la blancheur n’est pas essentiel mais la résistance attendue l’est encore davantage. Enfin, les papiers à usage sanitaire doivent également être résistants et répondre à des critères de douceur.
La quasi-intégralité des acteurs est ainsi revenue sur cette question, permettant d’en déduire quelques constantes :
– pour la fabrication de papier journal, les PCR utilisés sont quasi‑exclusivement de la sorte 1.11 « Papiers graphiques triés pour désencrage », constituée de journaux, revues et magazines (JRM). Comme indiqué supra, Chapelle Darblay s’approvisionnait ainsi exclusivement dans cette sorte et recevait également un flux d’apport volontaire de 5.01 « Papiers mélangés » duquel elle extrayait, par le biais de son centre d’affinage, la matière correspondant au 1.11. Lors du déplacement de la mission d’information dans les Vosges et notamment de la visite de l’entreprise Norske Skog Golbey (NSG) le 8 septembre 2020, votre rapporteure a pu également constater que l’entreprise fabrique du papier journal en partie via l’apport de fibres recyclées issues de la sorte 1.11. Sans entrer dans le détail, le procédé de fabrication de la pâte et les machines y concourant sont ainsi adaptés à l’utilisation de cette sorte papetière ;
– pour la fabrication de papier d’hygiène, seules des sortes papetières supérieures (groupe 3) sont utilisables, les usines ne contenant généralement pas d’installations de désencrage et les critères de douceur et de blancheur l’imposant ;
– pour la fabrication de papier dit d’impression ou d’écriture, une sorte supérieure de papier graphique communément associée aux ramettes de papiers bureautiques, seules des sortes moyennes (groupe 2) ou supérieures (groupe 3) sont utilisables. En effet, il s’agit de ne disposer que de fibres blanches et stables dans le temps. Cela exclut les sortes contenant du carton et de l’emballage, pour leur couleur brune, mais également les sortes contenant du journal, qui jaunissent au fil du temps. Les usines fabriquant de tels types de papiers à partir de papiers récupérés ne sont, de surcroît, souvent pas équipées d’installations de désencrage. Cela implique de sélectionner une qualité supérieure de PCR pour fabriquer la pâte, ou de s’approvisionner d’une pâte à papier recyclée produite ailleurs. Cet élément a été confirmé à votre rapporteure par l’audition de M. Jean-Marie Nusse, directeur général délégué du groupe Exacompta Clairefontaine, lors du déplacement précité de la mission d’information dans les Vosges. Sa filiale Everbal, implantée près de Reims, fabrique ainsi sa propre pâte à partir de vieux papiers issus des sortes supérieures afin de procéder sans désencrage ([22]). Depuis 2018, les Papeteries de Clairefontaine, installées à Étival-Clairefontaine, que les membres de la mission d’information ont pu visiter, s’approvisionnent ainsi de pâtes recyclées produites en France ;
– pour la fabrication de papier pour ondulés, on utilise principalement du 1.05 « Carton ondulé », mais aussi du 1.04 « Papiers et cartons ondulés », du groupe 4 (sortes kraft) et, plus marginalement, du 1.02 « Papiers et cartons mélangés ».
Comme l’indique l’ADEME dans son étude précitée, les industriels se sont adaptés aux sortes papetières proposées et peu de changements semblent envisageables dans celles utilisées pour fabriquer leurs produits finis, même si des variations faibles des pourcentages utilisés de chaque sorte sont tolérables (ces possibilités sont d’ailleurs déjà utilisées par les papetiers pour faire face aux variations des prix et des disponibilités de la matière première). Cette rigidité est renforcée par des coûts très élevés d’adaptation des outils industriels. Ainsi, si les travaux du Centre technique du papier (CTP) et les innovations industrielles possibles pourraient rendre mouvantes certaines des concordances évoquées ci‑dessous, il est néanmoins peu probable qu’elles soient totalement remises en cause.
En 2017, l’étude de l’ADEME précitée apportait des éléments sur la concordance entre les sortes papetières produites et les besoins des industriels selon quatre critères d’adéquation : quantitative, qualitative, des délais, des prix.
Quelques conclusions de l’étude de l’ADEME sur l’adéquation entre les sortes papetières produites et les besoins des utilisateurs (2017)
– Adéquation quantitative : l’ADEME concluait schématiquement que la production française pouvait couvrir les besoins des usines papetières françaises, que les tensions étaient globalement faibles et relevaient souvent du ressenti, non confirmé par les données chiffrées. Le marché était déjà largement excédentaire sur les sortes à désencrer, situation qui s’est poursuivie et qui ne devrait pas s’améliorer avec la fermeture de Chapelle Darblay. Pour les autres sortes, aucune tension ne se faisait jour au moment de la rédaction de l’étude qui insistait toutefois sur une situation instable et pouvant s’inverser à tout moment (notamment pour les sortes supérieures).
– Adéquation qualitative : sur ce sujet, l’étude de l’ADEME était plus pessimiste, insistant sur de fortes tensions liées à des déviations de la norme de plus en plus fréquentes et importantes, notamment en raison d’une moindre qualité entrante dans les centres de tri des flux ménagers, d’une hausse de l’humidité ou encore de la présence importante d’indésirables ([23]). Malgré un dépassement régulier des seuils prévus par la norme EN 643, les industriels refusent rarement les camions pour éviter des problèmes d’approvisionnement, préférant négocier une décote. Cette situation, bien présentée par le représentant de l’ADEME lors de son audition devant la mission d’information, entraîne un effet pervers sur la qualité du tri. Ces problèmes de qualité ont pourtant des impacts très importants sur la production de papiers : endommagement de la machine, qualité finale moindre du papier, augmentation des coûts de production. M. Yves Bailly, président-directeur général de NSG, avait également insisté sur cette difficulté devant les membres de la mission d’information lors de leur déplacement sur son site de production, en septembre 2020.
– Adéquation des délais : Malgré une contractualisation plus développée permettant d’anticiper les besoins et de réguler le stockage, l’étude de l’ADEME faisait état de tensions persistantes sur la question des délais de livraison, avec l’existence de tensions saisonnières qui peuvent provoquer des ruptures dans les approvisionnements.
– Adéquation des prix : schématiquement, l’étude de l’ADEME relativise les tensions sur les prix, indiquant que ceux-ci, s’ils correspondent bien à une qualité souhaitée, sont acceptés.
Source : Étude sur l’adéquation entre les sortes papetières produites et les besoins des utilisateurs, ADEME, 2017.
2. La chaîne du recyclage du papier
Le recyclage des déchets de papiers et de cartons est un processus s’inscrivant parfaitement au cœur de l’économie circulaire. Le cycle de recyclage, et donc la valorisation des déchets, comprend en effet plusieurs étapes : la collecte, le tri, la vente de la matière première à recycler, puis les différentes étapes de fabrication et de façonnage du papier. Il importe de revenir sur chacune de ces étapes, notamment afin d’identifier l’ensemble des acteurs intervenant dans ce processus.