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N° 3886

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 12 février 2021

RAPPORT D’INFORMATION

FAIT

 

AU NOM DE LA DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES
ET À L’ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES ([1]) ,

sur le projet de loi n° 3699 de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales

par

M. guillaume GOUFFIER-CHA,

Député

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La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes est composée de :

 

Mme Marie-Pierre Rixain, présidente ; Mme Marie‑Noëlle Battistel, Mme Fiona Lazaar, M. Gaël Le Bohec, Mme Laurence Trastour-Isnart, vice-présidents ; Mme Isabelle Florennes, Mme Sophie Panonacle, secrétaires ; Mme Emmanuelle Anthoine ; Mme Sophie Auconie ; M. Erwan Balanant ; M. Pierre Cabaré, Mme Céline Calvez ; Mme Annie Chapelier ; M. Guillaume Chiche ; Mme Bérangère Couillard ; Mme Virginie Duby-Muller ; M. Philippe Dunoyer ; Mme Laurence Gayte ; Mme Annie Genevard ; M. Guillaume Gouffier-Cha ; Mme Sonia Krimi ; M. Mustapha Laabid ; Mme Nicole Le Peih ; Mme Karine Lebon ; Mme Geneviève Levy ; Mme Brigitte Liso ; M. Thomas Mesnier ; Mme Frédérique Meunier ; Mme Cécile Muschotti ; M. Mickaël Nogal ; Mme Josy Poueyto ; Mme Isabelle Rauch ; Mme Laëtitia Romeiro Dias ; Mme Isabelle Santiago ; Mme Bénédicte Taurine ; M. Stéphane Viry.

 

SOMMAIRE

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Pages

Synthèse des recommandations

introduction

I. DEPUIS 2017, un FORT eNGAGEMENT de la france pour une DIPLOMATIE Féministe

A. la France est fortement engagée dans la défense des droits des femmes sur le plan international

1. L’action de la France promeut la pleine effectivité des droits des femmes sur le plan international

2. La France s’est dotée d’outils spécifiques pour défendre les droits des femmes sur le plan international

3. Un engagement renforcé depuis le G7 de Biarritz de 2019

B. La notion de diplomatie féministe est récente et se traduit essentiellement dans l’aide au développement

1. Le terme de « diplomatie féministe » est apparu récemment pour qualifier la politique étrangère en faveur des droits des femmes

2. Son champ encore restreint à l’aide au développement a vocation à s’élargir progressivement

II. Des moyens en forte hausse qui invitent à améliorer les conditions de presentation et de gestion des crédits

A. Une progression notable des financements

1. Les ressources consacrées à la diplomatie féministe sont en forte hausse depuis 2017

2. Ces ressources relèvent essentiellement de l’aide publique au développement

a. Le programme 209 « Solidarité à l’égard des pays en développement »

i. L’action bilatérale

ii. L’action multilatérale

b. Le programme 110 « Aide économique et financière au développement »

c. Les autres programmes

3. Des documents budgétaires qui pourraient gagner en clarté

B. Poursuivre la politique de parité dans les administrations pilotant la diplomaTie féministe

1. Consolider l’organisation et les moyens humains dédiés à la diplomatie féministe

2. La politique de parité au sein des postes de pilotage de la diplomatie féministe doit être poursuivie

III. Le projet de loi offre l’opportunité de concrétiser l’ambition d’une diplomatie féministe de la france

A. un premier cadre législatif qu’il convient de renforcer

1. Le cadre budgétaire

2. Les actions prioritaires

3. Une prise en compte transversale de l’impératif d’égalité

4. L’égalité femmes-hommes au cœur de la promotion des droits humains

5. Les modalités du contrôle parlementaire

B. Traduire l’ambition féministe dans la gouvernance de l’aide au développement

1. Le conseil national du développement et de la solidarité internationale

2. Le conseil d’administration de l’AFD

3. Expertise France

4. La commission d'évaluation de la politique de développement solidaire et de lutte contre les inégalités mondiales

Liste des personnes auditionnÉes


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   Synthèse des recommandations

Recommandation n° 1 : affirmer le droit à l’interruption volontaire de grossesse comme liberté fondamentale et mentionner explicitement l’objectif de lutte contre les mutilations sexuelles faites aux femmes dans le rapport annexé au projet de loi.

Recommandation n° 2 : prendre en compte l’égalité femmes-hommes parmi les objectifs de l’APD en matière de commerce et de gouvernance.

Recommandation n° 3 : définir, dans un document d’orientation interministériel, le cadre d’action de la France en matière de diplomatie et de politique extérieure féministes.

Recommandation n° 4 : améliorer la lisibilité des crédits concourant à la diplomatie féministe dans le document de politique transversale. 

Recommandation n° 5 : regrouper au sein de l’administration centrale les services concourant à la politique étrangère féministe.

Recommandation n° 6 : fixer un objectif de 85 % d’actions et programmes principalement ou significativement orientés vers l’égalité femmes-hommes, dont 20 % relevant principalement de l’égalité des genres.

Recommandation n° 7 : améliorer le cadre de redevabilité pour y inclure des indicateurs de résultats et d’impact sur les objectifs transversaux.

Recommandation n° 8 : préciser les indicateurs de suivi de la programmation afin de prendre en compte l’impact des projets et programmes en matière d’égalité femmes‑hommes et filles-garçons.

Recommandation n° 9 : systématiser les mesures garantissant une représentation équilibrée de chaque sexe au sein des instances chargées de la conception, du pilotage et du contrôle de la politique de développement solidaire

 

Recommandation n° 10 : accélérer la politique de féminisation des postes à responsabilité du ministère de l’Europe et des affaires étrangères.

 


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   introduction

 

 

 

La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a, de longue date, porté l’ambition d’une véritable diplomatie féministe de la France, inspirée par les exemples suédois et canadien. Les objectifs qu’elle sous-tend ont connu un écho au cours des dernières années, la défense et la promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes constituant la grande cause du quinquennat et marquant les engagements internationaux de la France, qui accueillera au printemps de cette année le Forum Génération Égalité.

La notion même de « diplomatie féministe » a fortement progressé. Lors d’un discours prononcé le 8 mars 2018, à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères en a esquissé les contours, rappelant qu’à la faveur d’« une diplomatie qui se veut féministe, la question du genre sera prise en compte dans l’ensemble des actions du ministère et de ses opérateurs, et dans toutes les zones géographiques. ». L’aide publique au développement (APD) constitue l’instrument privilégié de mise en œuvre de cette ambition.

C’est donc tout naturellement que la Délégation aux droits des femmes a été saisie du projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales : entre autres dispositions, il prévoit une progression substantielle des ressources dévolues à l’APD française et consacre la notion de « diplomatie féministe ». Il fait de la promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes une véritable priorité, déclinant les objectifs de la stratégie internationale de la France pour l’égalité entre les femmes et les hommes qui couvre la période 2018-2022. Cette ambition est d’autant plus nécessaire que les femmes sont les premières victimes de la crise consécutive au Covid-19.

Votre rapporteur a analysé ce texte du point de vue des droits des femmes, en veillant particulièrement au caractère transversal de l’objectif d’égalité entre les femmes et les hommes.

Au terme de ses travaux et de ses auditions, votre rapporteur formule une série de propositions de nature à renforcer ce texte et à améliorer la réalisation des ambitions qu’il porte.


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I.   DEPUIS 2017, un FORT eNGAGEMENT de la france pour une DIPLOMATIE Féministe

Le projet de loi n° 3699 de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales rappelle l’engagement international de la France en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes.

A.   la France est fortement engagée dans la défense des droits des femmes sur le plan international

1.   L’action de la France promeut la pleine effectivité des droits des femmes sur le plan international

Depuis les années 1980, la France a fait de l’égalité entre les femmes et les hommes un marqueur important de sa diplomatie.

Elle a souscrit à de nombreux engagements portant sur cet enjeu :

–  la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discriminations à l’encontre des femmes (CEDEF), adoptée en 1979 par l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies (ONU) et ratifiée en 1983 par la France, ainsi que son protocole facultatif. Cette Convention vise à assurer le développement des femmes dans tous les domaines de la vie sociale, à lutter contre les stéréotypes de genre et à éliminer toutes les formes de discriminations dans la vie civile et politique. Le protocole facultatif fait obligation aux États signataires d’enregistrer et de prendre en considération les plaintes des victimes de viol ;

– le programme d’action de la Conférence internationale pour la population et le développement (CIPD) du Caire de 1994, qui vise notamment à promouvoir l’égalité entre les sexes et l’accès à un système de santé le plus complet possible ;

– la déclaration et le programme d’action de la Conférence mondiale sur les femmes de Pékin, adoptés en 1995, visant l’autonomisation des femmes dans 12 domaines (santé, conflits, économie, médias, etc.), et qui constitue un cadre de référence pour les droits des femmes. Pour la première fois, les 189 États signataires se sont engagés à inclure effectivement l’égalité des femmes et des hommes dans tous les domaines de leur action gouvernementale ;

– la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies, adoptée en 2000, portant sur le rôle des femmes dans la prévention des conflits armés et la lutte contre les violences sexuelles envers les femmes en temps de conflit, ainsi que toutes les résolutions « Femmes, Paix et Sécurité » suivantes.

–  la Convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (dite Convention d’Istanbul), adoptée en 2011 par le Conseil de l’Europe et ratifiée par la France en 2014.

Cet engagement se décline également au niveau européen. Ainsi, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, adoptée en 2000, a prévu à son article 23 que « l’égalité entre les hommes et les femmes doit être assurée dans tous les domaines ». C’est dans ce cadre que des stratégies quinquennales ont été mises en place. Ainsi, la Stratégie de la Commission européenne en faveur de l’égalité femmes-hommes, qui couvre la période 2020-2025, vise, notamment, à étendre les domaines relevant de la criminalité aux violences sexuelles et sexistes. De même, la Stratégie Europe 2020 pour l’emploi et la croissance inclut des mesures en faveur de l’égalité économique entre les femmes et les hommes. Enfin, le groupe de travail « Femmes, paix et sécurité » rassemble tous les trois mois les États membres de l’Union européenne pour la mise en œuvre de la résolution 1 325 du Conseil de sécurité de l’ONU.

Enfin, la France a adopté, en septembre 2015, l’Agenda 2030 pour le développement durable qui fixe 17 objectifs de développement durable (ODD), déclinés en 169 cibles. Ces objectifs sont aujourd’hui au cœur des priorités de l’action internationale de la France. L’ODD n° 5 vise à « parvenir à l’égalité des sexes et autonomiser toutes les femmes et les filles » et comprend neuf cibles. En outre, 11 des 17 ODD incluent des cibles genrées.

2.   La France s’est dotée d’outils spécifiques pour défendre les droits des femmes sur le plan international

La France s’est dotée en 2007 d’une première stratégie « Genre et développement », prenant en compte, dans sa politique de développement, l’égalité entre les femmes et les hommes. Une deuxième stratégie a été adoptée en 2013.

Pour évaluer les projets d’aide au développement, le Gouvernement se fonde sur le système de notation à trois valeurs qui régit l’application du marqueur du Comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE. Une valeur 0 signifie que le projet n’est pas orienté vers l’égalité entre les femmes et les hommes ; une valeur 1 indique que l’égalité est un « objectif significatif » c’està-dire que, sans constituer le principal motif de sa réalisation, il s’agit d’un objectif important et délibéré ; tandis qu’une valeur 2 témoigne du fait que l’égalité entre les femmes et les hommes est l’« objectif principal » du projet, qui n’aurait pas été entrepris sans cet objectif ([2]).

En outre, la loi n °2014-773 du 7 juillet 2014 d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale (LOP-DSI), qui fait de la promotion des droits des femmes une des priorités de l’action internationale de la France, fixe comme objectif d’APD, un taux de 50 % de projets de développement ayant pour objectif principal ou significatif l’amélioration de l’égalité entre les femmes et les hommes. Le HCE estime, dans son rapport d’évaluation de 2017, que ce ratio s’élevait à 28 % fin 2017.

À la suite du CICID du 8 février 2018, la France a adopté une nouvelle Stratégie internationale, nommée « Pour l’égalité entre les femmes et les hommes (2018-2022) ». Plus ambitieuse que les précédentes, elle se fixe pour objectif « d’intégrer le genre dans l’ensemble de l’action extérieure de la France », de façon transversale et systématique.

Cette stratégie décline cinq objectifs spécifiques entrant dans le cadre de redevabilité pour le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (MEAE) et ses 12 opérateurs ([3]) :

– favoriser le renforcement de la culture institutionnelle en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes et la prise en compte du genre au sein du ministère et de ses opérateurs ;

– intensifier le plaidoyer politique de la France en matière d’égalité entre les femmes et les hommes ;

– augmenter et améliorer la prise en compte de l’égalité entre les femmes et les hommes dans l’aide publique au développement ;

– améliorer et renforcer la visibilité, la transparence et la redevabilité de l’action du ministère et de ses opérateurs en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes ;

– renforcer les liens avec les acteurs de la société civile, le secteur privé et la recherche pour lutter contre les inégalités entre les femmes et les hommes.

En complément, cinq priorités sectorielles, n’entrant pas dans le cadre de la redevabilité, sont également mises en avant : le libre et égal accès aux services ; l’accès aux ressources productives et économiques ; la protection des femmes et des filles contre toutes les formes de violence ; la participation effective des femmes dans les espaces de décisions économiques, politiques et sociaux, ainsi que la participation égale des femmes aux processus de paix et sécurité.

Cette approche se fonde donc essentiellement sur l’aide publique au développement, dont le seul volet bilatéral (objectif spécifique 3 du cadre de redevabilité) est soumis à des objectifs chiffrés à savoir :

– 50 % de l’aide publique au développement programmable en volume finançant des projets ou programmes marqués 1 et 2 en volume d’engagement annuel à l’horizon 2022 ;

– 50 % de projets relevant des marqueurs 1 et 2 financés par l’AFD en volume, d’engagement annuel à l’horizon 2022 ;

– une cible de 700 millions d’euros annuels de programmes marqués 2 (c’est-à-dire avec pour objectif principal l’égalité entre les femmes et les hommes) financés par l’AFD à horizon 2022, « sous réserve de la disponibilité de ressources en subventions suffisantes ».

La France s’engage également à augmenter ses contributions à ONU‑Femmes et au Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP) pour se placer dans les 20 premiers contributeurs.

Ces objectifs chiffrés sont importants. Les membres de l’association Coordination Sud, auditionnés par votre rapporteur le 5 février 2021, ont toutefois relevé que cet objectif « ne rend compte ni de la qualité des politiques en faveur de l’égalité de genre, ni de la participation effective des femmes et filles aux processus de décision quel que soit le secteur concerné, ni de l’égal accès aux services ».

Votre rapporteur propose donc de revoir le cadre de redevabilité de la Stratégie internationale, en y incluant des indicateurs de résultat étendus aux objectifs transversaux.

Recommandation : améliorer le cadre de redevabilité pour y inclure des indicateurs de résultats et d’impact sur les objectifs transversaux.

3.   Un engagement renforcé depuis le G7 de Biarritz de 2019

L’engagement de la France pour la promotion des droits des femmes sur le plan international s’est particulièrement manifesté lors de la présidence française du G7 qui s’est tenu à Biarritz les 24 au 26 août 2019.

Elle a initié le Partenariat de Biarritz pour l’égalité entre les femmes et les hommes, cosigné par 10 autres États. Ces États se sont engagés à mettre en place des mesures pour favoriser la pleine autonomisation des filles et des femmes dans le monde, notamment à travers l’adoption de législations portant l’égalité. Cette déclaration vise également à soutenir l’entrepreneuriat féminin et à lutter contre les violences sexuelles et sexistes.

De plus, la France s’est engagée à soutenir des coopérations multilatérales en faveur de l’égalité entre les hommes et les femmes, à savoir :

– l’Initiative Affirmative finance action for Women in Africa (AFAWA), facilitant l’accès aux financements pour les femmes entrepreneures ;

– le fonds du docteur Denis Mukwege, luttant contre les violences sexuelles et aidant à la réintégration sociale des femmes ([4]) ;

– le soutien à l’inclusion financière des femmes en Afrique, sous l’égide de la Fondation Gates ([5]) en faveur de l’inclusion numérique des femmes ;

– le soutien à l’initiative « Priorité à l’égalité » au Sahel pour intégrer le genre dans les politiques de planification sectorielles d’éducation, sous l’égide notamment de l’Initiative des Nations Unies pour l’éducation des filles (UNGEI), du Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) et de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) ([6]) .

La France a également créé un Fonds de soutien aux organisations féministes (FOSF) doté de 120 millions d’euros sur trois ans pour soutenir les organisations de la société civile (OSC) des pays du Sud en favorisant des projets d’égalité entre les femmes et les hommes.

Enfin, la France s’est engagée à co-organiser, avec ONU Femmes et le Mexique, le Forum Génération Égalité « Pékin+25 », à l’occasion des 25 ans de la Conférence mondiale de Pékin, initialement prévu en juillet 2020, et reporté au premier semestre 2021. Elle a annoncé qu’elle prendrait, dans ce cadre, la tête d’une coalition consacrée aux droits et à la santé sexuelle et reproductive, qui sera lancée lors de ce Forum et financée à hauteur de 20 millions d’euros dans le projet de loi de finances pour 2021 ([7]). L’ambassadrice et ancienne députée Mme Delphine O a été nommée, en mai 2019, secrétaire générale du Forum Génération Égalité.

B.   La notion de diplomatie féministe est récente et se traduit essentiellement dans l’aide au développement

1.   Le terme de « diplomatie féministe » est apparu récemment pour qualifier la politique étrangère en faveur des droits des femmes

S’inspirant de la Suède en 2014 et du Canada en 2017, la France utilise le terme de « diplomatie féministe » depuis 2018, sans y associer de cadrage théorique. Le terme est apparu dans le Document de politique transversale (DPT) « Politique de l’égalité entre les femmes et les hommes » du projet de loi de finances (PLF) pour 2020.

Le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, dans un discours prononcé lors de la Journée internationale pour les droits des femmes en 2019 y voit la volonté de faire de l’égalité entre les femmes et les hommes « un enjeu politique à l’échelle globale » qui doit « s’imposer comme un marqueur de la conception que [la France se fait] de l’ordre international et de l’idée de progrès humain » ([8]) .

La Suède s’est dotée en 2015 d’un plan d’action pour la politique étrangère féministe (2015-2018) et a désigné une ambassadrice en charge de l’égalité femmes‑hommes et de la coordination de la politique étrangère féministe. Elle a rédigé un manuel de la politique étrangère féministe de la Suède, édité par le ministère des affaires étrangères suédois, indiquant que la « politique étrangère féministe (…) est une méthode de travail et une approche (…) [qui] impliquent que l’ensemble des services extérieurs suédois doivent aspirer à renforcer les droits, la représentation et les ressources (ressources) de toutes les femmes et les filles, en s’appuyant sur la réalité dans lesquelles elles vivent ». Il s’agit d’un « programme de transformation qui vise à changer les structures et renforcer la visibilité des femmes et des filles en tant qu’acteurs. La discrimination et les inégalités liées au genre, quels que soient les étapes de la vie et le contexte, doivent être combattues ». Elle s’appuie sur une approche intersectionnelle, prenant en compte le fait que « les personnes ont des conditions de vie, des niveaux d’influence et des besoins différents » ([9]).

Le domaine d’action de la politique étrangère féministe suédoise est large. Le plan d’action 2019-2022 vise six objectifs : assurer la pleine jouissance, par les femmes et les filles, de leurs droits humains ; lutter contre toutes les formes de violences ; inclure les femmes dans la participation à la prévention et à la résolution des conflits ainsi qu’à la construction de la paix ; assurer la participation politique des femmes dans tous les domaines de la société ; promouvoir les droits économiques et sociaux ; promouvoir les droits à la santé, sexuels et reproductifs.

Cette politique est connue comme celle des trois « R », faisant référence au triptyque suivant :

2.   Son champ encore restreint à l’aide au développement a vocation à s’élargir progressivement

La Stratégie internationale de la France pour l’égalité entre les femmes et les hommes se centre sur des objectifs chiffrés en matière d’aide publique au développement.

Selon les données de l’OCDE, 26 % de l’APD française vise l’égalité entre les femmes et les hommes (marqueur 1 et 2) dont 3 % pour le marqueur 2 en 2017‑2018, loin des objectifs affichés pour 2017 de 50 %. Notre pays se situe donc en deçà de la moyenne des pays du comité d’aide au développement de l’OCDE (42 % dont 4 % pour le marqueur 2).

Le HCE ([10]) relève que seul un tiers des ambassades aurait engagé un dialogue politique sur les questions d’égalité entre les femmes et les hommes en 2018-2019 et « moins de 15 % des ambassades disposent d’un cadre de concertation formel sur ce sujet avec leur pays d’accueil ».

Il se félicite cependant de la multiplication des relais de cette diplomatie d’influence. Ainsi, le groupe France Médias Monde (FMM), qui regroupe des médias français à diffusion internationale, dont la chaîne d’information en continu France 24 et la radio RFI, s’est engagé dans la diplomatie féministe, en mettant en place un comptage des femmes sur leur antenne ainsi qu’un comité exécutif paritaire ([11]) et « en plaçant le statut et les droits des femmes au cœur de la ligne éditoriale de FMM ».

Deux nouveaux champs d’action pourront être davantage pris en compte à savoir :

– la politique de défense et de sécurité. La résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies d’octobre 2000 demande aux États-parties d’impliquer les femmes dans les processus de prévention, de résolution des conflits, de maintien et de consolidation de la paix. La France a mis en place depuis 2011 des plans nationaux d’action « Femmes, Paix et Sécurité » permettant de prendre en compte le genre dans la planification et la conduite des opérations.

– la politique commerciale. De ce point de vue, la résolution du Parlement européen du 13 mars 2018 sur l’égalité des genres dans les accords commerciaux de l’Union européenne rappelle que « les accords et politiques de commerce et d’investissement (…) ne sont pas neutres du point de vue du genre, autrement dit qu’[ils] n’ont pas la même incidence sur les femmes et sur les hommes en raison d’inégalités structurelles ; que les femmes sont confrontées à des contraintes de genre telles que l’accès limité aux ressources et le contrôle restreint sur [celles-ci], les discriminations juridiques ainsi que la surcharge causée par l’exécution des tâches familiales non rémunérées résultant des rôles traditionnels attribués aux hommes et aux femmes ». Le HCE souligne que « seuls 20 % des accords commerciaux de l’UE mentionnent les droits des femmes et 40 % font la promotion de l’égalité femmes-hommes » ([12]).

Les représentantes de l’association Coordination Sud, auditionnées par votre rapporteur le 5 février 2021, ont en outre souhaité une meilleure prise en compte de certains enjeux de santé, en favorisant notamment « les synergies entre les enjeux de droits sexuels et reproductifs, de VIH et de genre ».

Votre rapporteur recommande donc de définir, dans un document à portée interministérielle, les visées et les objectifs de la diplomatie féministe. La définition d’une doctrine française en matière de diplomatie sera en effet d’autant plus utile que les femmes sont aujourd’hui les premières victimes, en France et à l’étranger, des conséquences de la crise liée au coronavirus. Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) a ainsi rappelé les principaux dangers auxquels sont exposées les femmes en cette période : l’entrave à l’accès aux soins sexuels et reproductifs ; l’augmentation des violences domestiques ; les restrictions d’accès à l’éducation ; une pression économique et financière redoublée liée à leur vulnérabilité préexistante sur le marché du travail ; ou encore la précarisation des métiers du sanitaires et sociaux, qui se sont pourtant révélés indispensables ([13]).

Recommandation : définir, dans un document d’orientation interministériel, le cadre d’action de la France en matière de diplomatie et de politique extérieure féministes.

II.   Des moyens en forte hausse qui invitent à améliorer les conditions de presentation et de gestion des crédits

A.   Une progression notable des financements

1.   Les ressources consacrées à la diplomatie féministe sont en forte hausse depuis 2017

Les ressources consacrées à la diplomatie féministe de la France ont connu une forte hausse au cours des dernières années, en raison notamment de l’accroissement des actions menées dans le cadre de la politique de développement solidaire menée par la France.

Le document de politique transversale (DPT) annexé chaque année au projet de loi de finances, rassemble l’ensemble des ressources consacrées par l’État à la politique d’égalité entre les femmes et les hommes. La diplomatie féministe y occupe une place prépondérante. Ainsi, en 2019, 49 % des autorisations d’engagement (AE) et 30 % des crédits de paiement (CP) décrits par le DPT y étaient consacrés. Le projet de loi de finances pour 2021 prévoit une hausse de 17 % des AE et de 38 % des CP par rapport à l’exécution 2019.

Pour les seuls crédits du ministère de l’Europe et des affaires étrangères dédiés à l’aide publique au développement ([14]), entre 2017 et 2021, la hausse est de 256 % en CP, et de 540 % en AE.

Cette hausse des ressources est la conséquence d’une meilleure évaluation des crédits destinés à la diplomatie féministe et des engagements pris par le Gouvernement depuis 2018.

Dans le détail, les ressources consacrées à la diplomatie féministe agrègent des crédits de quatre programmes. Le tableau ci-après décrit leur contribution à ces actions sur la période 2017-2021 (en milliers d’euros), en autorisations d’engagement.

 

 

2017

2018

2019

2020

2021

Diplomatie culturelle et d'influence

84

161

9

92

50

Solidarité à l'égard des pays en développement

37 019

37 502

293 687

195 277

234 352

dont

Coopération bilatérale

30 291

20 711

275 711

159 011

179 411

Coopération multilatérale

6 728

16 792

17 977

36 266

54 9401

Aide économique et financière au développement

394 689

101 882

265 475

738 094

371 600

Action de la France en Europe et dans le monde

nd

nd

3 645

4 960

2 555

dont

Coordination de l'action diplomatique

nd

nd

1 845

2 545

2 545

Soutien

nd

nd

1 800

2 415

10

Total

431 792

139 545

562 816

938 423

608 557

Source : documents de politique transversale Politique de l’égalité entre les femmes et les hommes (DPT) annexés aux projets de loi de finances pour 2019 à 2021


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En dehors de l’exécution 2018 ([15]), les crédits consacrés à la politique étrangère en faveur des droits des femmes sont donc en constante augmentation. Cette hausse constante se traduit, depuis 2019, dans les crédits de paiement.

Le graphique ci-après présente l’évolution des crédits de paiement, en milliers d’euros, en faveur de la diplomatie féministe.

Source : DPT annexés aux projets de loi de finances pour 2019 à 2021 et Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.

2.   Ces ressources relèvent essentiellement de l’aide publique au développement

Les ressources de la diplomatie féministe relèvent principalement de deux programmes. Ils sont pilotés par deux ministères : le MEAE et le ministère de l’économie, des finances et de la relance. Plusieurs opérateurs agissent pour le compte de ces ministères, dont le principal est l’Agence française de développement (AFD).

a.   Le programme 209 « Solidarité à l’égard des pays en développement »

Le programme 209 participe à la mise en œuvre de la politique d’aide publique au développement, conjointement avec le programme 110 « Aide économique et financière au développement ». Il est piloté par le MEAE, en particulier par la direction générale de la mondialisation, de la culture, de l’enseignement et du développement international, et mis en œuvre par 12 opérateurs, principalement l’AFD, par laquelle transitent les fonds.

Le tableau ci-dessous présente la ventilation des crédits de ce programme en millions d’euros, entre 2017 et 2021, en distinguant l’aide bilatérale et l’aide multilatérale.

 

 

Autorisations d'engagement

Crédits de paiement

 

Total

Bilatéral

Multilatéral

Total

Bilatéral

Multilatéral

2017

37

30,3

6,8

29,2

22,5

6,7

2018

37,5

20,7

16,8

37,5

30,7

16,8

2019

293,7

275,7

18

31,7

13,7

18

2020 (LF)

195,3

159

36,3

66,7

30,4

36,3

2021 (PLF)

234,3

179,4

54,9

104,3

49,4

54,9

Source : DPT annexés aux projets de loi de finances de 2018 à 2021.

Le graphique ci-dessous retrace les crédits de paiement de ce programme, mettant en exergue la place prise par l’aide multilatérale à la suite des engagements pris lors du G7 de Biarritz de 2019.

Source : DPT annexés aux projets de loi de finances pour 2019 à 2021 et Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.

Les crédits de ces programmes sont nettement en hausse, avec une augmentation des AE entre 2018 et 2019 de plus de 256 millions d’euros (contre un montant de 13 millions d’euros supplémentaires prévus initialement en loi de finances). Comme l’a expliqué M. Philippe Lacoste, directeur du développement durable au MEAE, lors de son audition par votre rapporteur, cette forte augmentation est liée à l’octroi à l’AFD d’un milliard d’euros d’autorisations d’engagement additionnelles en subvention.

i.   L’action bilatérale

La coopération bilatérale se caractérise par des subventions versées à travers deux canaux principaux.

  Le Fonds de solidarité prioritaire (FSP), devenu Fonds de solidarité pour les projets innovants, la société civile, la francophonie et le développement humain (FSPI) en 2017, est l’instrument de financement du MEAE de ses interventions bilatérales au titre de l’aide publique au développement dans une zone géographique resserrée de 16 pays prioritaires. La France ambitionne d’accroître les crédits de ces fonds (augmentation de 16 millions d’euros entre l’exécution 2019 et la loi de finances de 2020, en hausse de 20 millions d’euros entre 2020 et 2021).

Le tableau ci-après retrace le nombre de projets FSP/FSPI financés depuis 2017, et notamment la part de ceux-ci évalués selon les marqueurs de genre et les montants versés.

 

Année

Nombre de projets FSP/FSPI évalués selon le genre

dont projets marqueur 1 ou 2

dont projet marqueur 2

Montants versés au titre du FSP/FSPI par année (en millions d’euros, crédits de paiement)

2017

33

32

6

9

2018

37

32

2

9,3

2019

96

91

nd

9,3

2020

99

66

nd

25,8

Source : DPT annexés aux projets de loi de finances de 2019 à 2021, Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.

Il en ressort une augmentation des projets évalués selon le genre, ainsi que du nombre de projets marqueur 1 ou 2.

 – En ce qui concerne les projets qui sont financés par l’AFD, et notés selon l’indicateur de genre CAD de l’OCDE, la part des projets consacrés prioritairement à la réduction des inégalités de genre a fortement augmenté. Alors qu’ils ne concernaient que 5 projets en 2014 pour 6 % des financements, ils représentent 10 % des octrois de crédits en 2018 (avec neuf subventions), pour un montant d’engagement de 7 millions d’euros. À partir de 2019, l’AFD a fait le choix de systématiser son approche fondée sur le genre, de la conception à l’évaluation des projets. Les crédits consacrés aux projets de l’AFD et fléchés genre ont ainsi connu une forte hausse, de plus de 244 millions d’euros (en autorisations d’engagement) entre 2018 et 2019. L’objectif de l’AFD est de réaliser, d’ici à 2022, d’une part, 50 % du volume d’engagement en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes (4,4 milliards d’euros) et, d’autre part, 700 millions d’euros annuels de projet CAD 2.

Depuis 2020, et pendant 3 ans, le Fonds de soutien aux organisations féministes (FOSF) mobilise 120 millions d’euros pour financer les organisations de la société civile (OSC), à travers 3 financements bilatéraux : deux canaux de l’AFD (projets et appels à projets et le guichet initiative OSC) et le FSPI du MEAE. Ce fonds est priorisé à hauteur de 65 % en faveur des initiatives localisées en Afrique. Votre Rapporteur regrette cependant de ne pas trouver plus de détails sur son fonctionnement dans les documents budgétaires du PLF de 2021. Il conviendrait de préciser s’il s’agit là de fonds supplémentaires ou d’un nouveau fléchage des fonds existants.

Lors de son audition par la Délégation, le directeur du développement durable a indiqué que 40 millions d’euros ont été mobilisés sur l’année 2020, dont 35 millions sur le canal projets et appels à projets et 5 millions sur le guichet initiative OSC de l’AFD. 5 millions d’euros devraient être mobilisés en 2021grâce au FSPI et 35 millions via l’AFD.

ii.   L’action multilatérale

La France finance des organismes ayant une approche transversale du genre au travers de leurs ressources. Les crédits sont évalués en utilisant le pourcentage des ressources affectées à cette politique par rapport au montant des contributions versées par la France. Ils ont connu une forte hausse depuis 2017 (plus de 48 millions d’euros), notamment en raison des engagements pris par la France depuis le G7 de Biarritz, ainsi que par la réallocation du Fonds français Muskoka en aide multilatérale.

Le tableau ci-dessous retrace, de 2017 à 2021, en millions d’euros, la répartition de l’aide multilatérale au titre de l’égalité entre les hommes et les femmes ([16]) .

 

2017

2018

2019

2020 (LF)

2021 (PLF)

UNICEF

3,4

3,4

3,4

4,4

4,4

ONU Femme

1,1

1,2

1,8

2,4

2,4

PNUD

1,2

1,1

1,1

1,5

1,5

FNUAP

1

1

1,6

2,2

2,2

Muskoka

10  ([17])

10

10

10,3

10,3

AFAWA

nd

nd

nd

4,5

4,5

Fonds Mukwege

nd

nd

nd

1,4

2,6

Forum Génération égalité

nd

nd

nd

0

27

Total (en CP)

6,7

16,8

18

26,7 ([18])

55

Source : DPT annexés aux projets de loi de finances pour 2018 à 2021.

Cette aide multilatérale transite par plusieurs organismes :

– Tout d’abord, elle permet de financer les principales organisations internationales qui mènent une action spécifique à destination des femmes et des filles (UNICEF, ONU Femmes, le Programme des Nations Unies pour le développement, le Fonds des Nations Unies pour la population). Par exemple, le financement du PNUD à destination de l’objectif de l’égalité entre les femmes et les hommes est évalué sur la base des objectifs fixés pour la promotion de l’égalité des sexes (en l’espèce, évaluation de 15 %). Le CICID du 8 février 2018 a acté le doublement de la contribution à ONU-Femmes et la poursuite du soutien au FNUAP.

– Ensuite, l’aide multilatérale sert à financer des initiatives relatives à l’égalité des genres :

– Enfin, le projet de loi de finances pour 2021 consacre 27 millions d’euros au forum Génération Égalité, dont 20 millions au titre de la Coalition sur les droits et la santé sexuelle et reproductive.

b.   Le programme 110 « Aide économique et financière au développement »

Ce programme est évalué dans les DPT sous l’angle de l’égalité entre les femmes et les hommes depuis le PLF 2019. Les montants de crédits représentent la part des financements d’aide économique et financière au développement identifiées par les statistiques d’aide publique au développement ayant comme objectif, « principal » ou « significatif », l’égalité entre les femmes et les hommes. Ces montants sont mis en œuvre par la Direction générale du Trésor du ministère de l’économie, des finances et de la relance. Ces données doivent être analysées avec précaution car elles sont tributaires de la déclaration à l’OCDE par les organismes bénéficiaires de financement de programmes avec comme objectif le genre.

Les actions du programme 110 prennent trois formes :

– l’aide économique et financière multilatérale : contribution à des organisations multilatérales telles que le Fonds africain de développement, la Banque asiatique de développement ou l’Association internationale de développement (AID) ;

– l’aide économique et financière bilatérale : financement de bonifications d’intérêts des prêts octroyés par l’AFD aux pays en développement ;

– le traitement de la dette des pays pauvres.

Depuis 2020, les crédits fléchés « égalité entre les femmes et les hommes » ont des objectifs de genre spécifiques liés aux engagements du G7 :

– sur la période 2020-2022, 25 millions USD sont destinés au financement d’initiatives en faveur de l’inclusion numérique et financière des femmes en Afrique ;

– sur la période 2020-2024, 45 millions d’euros sont destinés à financer le volet « Garantie » de l’initiative AFAWA.

L’importance du programme 110 en autorisations d’engagement, depuis 2020, est liée à la fois au nouveau cycle de contributions triennales, à destination des banques publiques de développement, et aux engagements pris dans le cadre de la présidence du G7. Le tableau ci-après présente l’évolution, en AE et en CP, des crédits de l’aide économique et financière (en millions d’euros) évalués à destination de projets portant le marqueur genre.

Année

AE

CP

2017

394,7

152,9

2018

101,8

156

2019

265,5

124,3

2020 (LFI)

738,1

147,5

2021 (PLF)

371,6

183,5

Source : DPT des projets de loi de finances de 2018 à 2021.

c.   Les autres programmes

Deux autres programmes, retracés dans les documents budgétaires et pilotés par le MEAE, concourent à la diplomatie féministe.

D’une part, le programme 185 « Diplomatie culturelle et d’influence », qui regroupe l’ensemble des crédits en faveur de la politique de coopération culturelle, linguistique, universitaire et au service de l’enseignement public français à l’étranger. Les crédits de ce programme permettent de financer des actions menées par les ambassades en matière d’égalité et de défense des droits des femmes (colloques, conférences, échanges d’expertise)

D’autre part, le programme 105 « Action de la France en Europe et dans le monde », qui n’est pris en compte que depuis le PLF 2021. Il retrace des subventions allouées par le ministère à des projets dont l’objectif est de promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes, ou des contributions versées à ONU Femmes.

3.   Des documents budgétaires qui pourraient gagner en clarté

Les documents budgétaires relatifs à la diplomatie féministe pourraient gagner en clarté. En premier lieu, les financements aux organisations internationales des programmes 209 et 110 et fléchés vers l’égalité entre les femmes et les hommes, constituent des estimations. Comme l’explique le HCE, les contributions françaises à ces organisations sont affectées au budget général de ces organisations et non à des programmes spécifiques. L’administration leur applique ensuite un pourcentage, en fonction de la part d’aide publique au développement nette affectée pour les objectifs de genre de l’OCDE. Ainsi, pour la contribution au Fonds africain de développement du programme 110, l’estimation est fondée sur la part des projets de la Banque africaine de développement obtenant des « résultats satisfaisants » en terme d’égalité de genre, nomenclature très approximative qui n’a pas permis d’obtenir des chiffres pour le DTP du PLF 2021.

Les crédits accordés aux projets bilatéraux financés par l’AFD sont aussi une évaluation de la part des projets financés qui vont être notés marqueur 1 ou marqueur 2 selon les critères de l’OCDE. Votre rapporteur se félicite cependant de l’ambition affichés par l’AFD, et transcrite dans son contrat d’objectifs et de moyens 2020-2022, d’ajouter un marqueur genre dans toutes les analyses de projets de développement durable et d’attribuer 15 % du financement exclusivement à des projets spécifiquement en lien avec l’égalité femmes-hommes (CAD 2).

Ces considérations méthodologiques s’insèrent dans un contextes d’importantes variations des crédits affectés à la diplomatie féministe. S’il on peut se féliciter de l’évaluation de plus en plus fine des crédits promouvant ou encourageant l’égalité entre les femmes et les hommes, notamment depuis le PLF 2019 avec l’ajout des crédits du programme 110, certains programmes manquent encore de lisibilité.

Ainsi le DPT annexé au PLF 2020 retrace l’action « Actions nationales, européennes et internationales en faveur du développement durable » du programme 217 « Conduite et pilotage des politiques de l’écologie, du développement et de la mobilité durable ». Cette action permettait d’évaluer la part des financements consacrés à la promotion du développement durable dans les instances internationales et européennes, et notamment de faire le lien entre les questions de genre et de climat. Cette action n’est plus retracée dans le DPT du PLF 2021.

Le DPT annexé au PLF 2021 inclut, pour la première fois, le programme 105 « Action de la France en Europe et dans le Monde » et décrit les subventions accordées par le MEAE à destination d’associations ou d’organisations internationales promouvant l’égalité entre les femmes et les hommes.

Votre rapporteur recommande, pour l’édition des prochains documents de politique transversale annexés aux projets de loi de finances, de clarifier et de préciser les montants de crédits concourant à la diplomatie féministe. Il s’agit de rendre plus lisible la part des crédits alloués au financement de projets, selon leur marqueur de genre (1 ou 2), et leur opérateur, ainsi que la part dédiée aux ressources humaines et à l’organisation d’événements plus ponctuels (colloques, communication des ambassades, etc.).

Recommandation : améliorer la lisibilité des crédits concourant à la diplomatie féministe dans le document de politique transversale. 

B.   Poursuivre la politique de parité dans les administrations pilotant la diplomaTie féministe

1.   Consolider l’organisation et les moyens humains dédiés à la diplomatie féministe

Les enjeux d’égalité entre les femmes et les hommes sont davantage pris en compte par la diplomatie française, grâce à un pilotage de haut niveau de la stratégie. Des réunions du comité de pilotage de la Stratégie internationale ont lieu tous les six mois. Des actions de sensibilisation et de formation des agents sont organisées pour tous les nouveaux agents du ministère. En outre, le réseau des correspondants égalité entre les femmes et les hommes comptait 170 personnes en 2019 ([19]). Ce réseau, chargé de l’articulation entre l’administration centrale et le réseau du ministère, a pour vocation de dialoguer avec les partenaires locaux, d’assurer une veille sur la thématique de l’égalité et de communiquer sur la politique française et la Stratégie internationale. Pour le HCE, il constitue « la condition d’une réelle appropriation des enjeux et des objectifs de la diplomatie féministe » ([20]).

Le HCE regrette cependant l’absence d’une direction ou d’un service dédié à la politique étrangère féministe. « Les enjeux d’égalité femmes-hommes sont répartis entre différents services du MEAE : Direction générale de la mondialisation (4 ETP, hors encadrement), Direction des Nations Unies (0,5 ETP, hors encadrement), Ressources humaines (3 ETP), Haute Fonctionnaire à l’Égalité (1,5 ETP), auxquels s’ajoutent exceptionnellement, en 2020-2021, 5 ETP pour l’équipe d’organisation du Forum Génération Égalité » ([21]). La Haute fonctionnaire à l’égalité, Mme Agnès Von Der Mühll, cumule cette fonction avec la charge de directrice de la communication et de la presse, même si elle dispose, depuis 2019, d’un poste de chargé de mission à temps plein dédié à l’égalité. Le HCE relate une enquête menée par le MEAE auprès des postes diplomatiques début 2020 qui montre que la fonction de correspondant égalité n’est pas explicitement mentionnée dans la majorité des fiches de mission et que près des trois quarts des correspondants égalité « n’ont pas connaissance de la lettre de mission propre à leur fonction ».

Votre rapporteur relève donc l’importance de renforcer la prise en compte de la spécificité des enjeux de genre dans l’organisation du MEAE. Celle-ci permettrait de rendre encore plus visible la volonté de faire de la promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes un élément structurant de l’action internationale de la France. Une telle initiative ne serait pas inédite, la Suède disposant depuis 2015 ([22]) d’un Ambassadeur en charge de la politique étrangère féministe.

2.   La politique de parité au sein des postes de pilotage de la diplomatie féministe doit être poursuivie

Le ministre s’est engagé en mars 2020 à renforcer la parité dans la diplomatie française. Le MEAE compte ainsi 52 % de femmes diplomates. Cependant, le rapport annuel de la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP) sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans la fonction publique de 2019 dénombre une proportion 26 % d’ambassadrices (contre 11 % en 2012) et de 20 % de consules générales en poste en 2018. Les postes de directeurs et directrices et de chefs de service ne sont occupés qu’à 25 % par des femmes (contre 22 % en 2012). Par ailleurs, près d’un tiers des femmes ambassadrices le sont dans des « postes à présence diplomatique » (postes aux missions et aux effectifs réduits).

Le tableau ci-dessous présente l’évolution de la féminisation des postes à responsabilités de ce ministère.

 

 

Nominations féminines

Femmes en poste au 31 décembre 2018

2013

2014

2015

2016

2017

2018

2015

2016

2017

2018

Secrétaires généraux, directeurs généraux et directeurs d'administration centrale

25 %

0 %

0 %

25 %

50 %

100 % (1er janvier)

8 %

18 %

18 %

17 %

(3/11)

Ambassadeurs

26 %

24 %

27 %

25 %

27 %

29 % (13/45)

22 %

25 %

25 %

26 %

(51/197)

Chefs de service

43 %

43 %

20 %

11 %

26 %

0 % (0/3)

33 %

25 %

29 %

24 %

(5/21)

Sous-directeurs

29 %

37 %

23 %

30 %

30 %

26 % (13/51)

28 %

29 %

25 %

30 %

(19/64)

Source : Rapport de la DGAFP, édité en 2019 ([23])

Il convient donc de poursuivre et d’accélérer la politique de parité du ministère. Le rapport du HCE salue en ce sens les engagements pris par le Ministre en matière de politique de ressources humaines, avec :

–  la préparation d’un plan Parité ;

–  la levée du verrou statutaire empêchant les secrétaires des Affaires étrangères principaux d’accéder aux postes d’encadrement ;

–  l’intégration du critère de respect des temps de vie professionnelle/vie familiale aux procédures d’évaluation de la hiérarchie administrative ;

–  la fixation d’un objectif de primo-nomination de 50 % d’ambassadrices d’ici à 2025 ;

– le lancement d’un plan de sensibilisation au sexisme.

Votre rapporteur se félicite du plan proposé par le Ministre, et propose de l’accélérer et de réfléchir à la possibilité, à l’image de la Suède, de former, au sein de l’administration centrale, une direction, ou tout du moins un service, en charge de l’égalité entre les hommes et les femmes sur le plan l’international. Ce service aurait notamment vocation à piloter la mise en œuvre de la Stratégie internationale pour l’égalité entre les hommes et les femmes.

 

Recommandation : regrouper au sein de l’administration centrale les services concourant à la politique étrangère féministe.

 

Recommandation : accélérer la politique de féminisation des postes à responsabilité du ministère de l’Europe et des affaires étrangères.

Enfin, la diplomatie féministe ne peut se limiter au seul MEAE, la politique étrangère s’engageant sur d’autres domaines, notamment la sécurité ou le commerce extérieur. Il convient de développer une approche interministérielle de la diplomatie féministe, en impliquant en particulier le ministère des Armées et le ministère de l’Économie, des finances et de la relance, ces ministères étant très présents à l’étranger.

III.   Le projet de loi offre l’opportunité de concrétiser l’ambition d’une diplomatie féministe de la france

A.   un premier cadre législatif qu’il convient de renforcer

Le projet de loi aborde à plusieurs reprises l’objectif de promotion de l’égalité femmes-hommes et filles-garçons, dont il fait un axe d’orientation prioritaire de l’APD française. Il est l’objet de mentions précises dans le rapport annexé, dont l’adoption est proposée à l’article 1er et qui décrit le cadre financier et méthodologique de l’APD française.

1.   Le cadre budgétaire

L’article 1er prévoit un accroissement marqué des volumes d’APD française au cours de la période 2020-2022, les crédits de paiement de la mission « aide publique au développement » passant de 3,3 milliards d’euros à 4,8 milliards d’euros. La France atteindra ainsi un niveau d’engagement équivalent à 0,55 % de son revenu national brut.

Cet effort remarquable bénéficiera mécaniquement à la diplomatie féministe de la France, annoncée comme un axe majeur de la politique d’aide publique au développement dans le rapport annexé au projet de loi.

Le II de l’article 1er prévoit l’adoption de ce rapport annexé, qui fixe le cadre général de la politique d’aide publique au développement. L’égalité entre les femmes et les hommes y compte parmi les objectifs généraux assignés à la politique de développement solidaire et de lutte contre les inégalités mondiales, dont elle constitue le septième et dernier terme des objectifs assignés à cette politique.

Le rapport annexé consacre en outre le concept de « diplomatie féministe », et ménage une place importante aux objectifs de promotion de l’égalité femmes-hommes et filles-garçons.

La notion de « diplomatie féministe » s’y concrétise à travers la stratégie internationale de la France pour l’égalité entre les femmes et les hommes pour la période 2018-2022, qui fixe les objectifs suivants : « d’ici 2022, 100 % des projets et programmes de l’AFD devront être marqués genre et 50 % des volumes annuels d’engagements de l’AFD devront avoir le genre pour objectif principal ou significatif ».

Cette approche appelle plusieurs observations :

- le périmètre visé ne correspond pas à l’enveloppe globale de l’APD française mais à celui des « projets et programmes de l’AFD » ;

- les volumes visés correspondent à 50 % des projets et programmes présentant le genre comme objectif principal ou significatif : ce niveau correspond à l’existant et ne préfigure donc pas, en l’état, de renforcement de la diplomatie féministe.

- le critère fondé sur « l’objectif principal ou significatif » confond en un seul ensemble deux niveaux d’exigence particulièrement éloignés : le critère dit « significatif » traduit la prise en compte d’objectifs genrés dans le projet ou le programme (indicateur CAD 1 dans la classification de l’OCDE). Le critère dit « principal » est plus ambitieux. Il suppose que l’objet du projet ou du programme relève essentiellement de l’égalité des genres (indicateur CAD 2 dans la classification de l’OCDE).

L’absence de distinction entre ces deux critères pose un problème méthodologique. Le travail de contrôle parlementaire de la diplomatie féministe ne sera réellement possible que si les deux critères sont distingués a priori, avec des objectifs de progression clairement déterminés dès le projet de loi de programmation, et assortis dans leur déclinaison d’indicateurs précis et transparents dont l’évolution pourra être suivie année après année. Faute de quoi, le dispositif proposé se contentera de consacrer l’existant sans saisir l’occasion de fixer une nouvelle ambition. À cette fin, votre rapporteur propose de modifier la rédaction de ces dispositions en :

- fixant un objectif de 85 % d’actions et programmes principalement ou significativement orientés vers l’égalité femmes-hommes ;

- assortissant cet objectif d’une part de 20 % de projets ou de programmes relevant principalement de l’égalité des genres.

Ce cadre donnera d’autant plus d’ampleur aux ambitions concrètes et attendues de la diplomatie féministe de la France.

Recommandation : fixer un objectif de 85 % d’actions et programmes principalement ou significativement orientés vers l’égalité femmes-hommes, dont 20 % relevant principalement de l’égalité des genres.

2.   Les actions prioritaires

Parmi de nombreux axes d’intervention, le projet de loi prévoit la mise en œuvre par l’AFD d’une nouvelle génération de projets ciblant les déterminants de la fécondité et la déscolarisation des filles et adoptant une approche fondée sur les droits à la santé sexuelle et reproductive.

Votre rapporteur propose de prendre plus explicitement en compte la question de la déscolarisation des adolescentes, qui constitue peut-être le principal défi pour l’émancipation sociale et économique des femmes. Il considère que la notion de droit à l’interruption volontaire de grossesse doit être explicitement mentionnée au titre des libertés fondamentales. En outre, il préconise de faire figurer explicitement la lutte contre les mutilations sexuelles faites aux femmes. Il est en effet indispensable de cibler précisément ces enjeux, en faveur desquels la Délégation aux droits des femmes est particulièrement engagée.

Recommandation : affirmer le droit à l’interruption volontaire de grossesse comme liberté fondamentale et mentionner explicitement l’objectif de lutte contre les mutilations sexuelles faites aux femmes dans le rapport annexé au projet de loi.

Le rapport annexé annonce la poursuite de l’action multilatérale de la France, en particulier dans le cadre du fonds Muskoka, de soutien à l’organisation ONU Femmes et au Fonds des Nations Unies pour les populations. Au niveau européen, la France défend la prise en compte de l’objectif défini par le plan d’action genre de l’Union européenne visant un niveau de 85 % de projets intégrant des co-bénéfices « genre » – un niveau que votre rapporteur propose à la France de revendiquer également pour ses propres projets et programmes.

3.   Une prise en compte transversale de l’impératif d’égalité

Le rapport annexé prévoit que l’objectif d’égalité femmes-hommes fera l’objet d’une « approche transversale », telle que portée par l’Agenda 2030. Ainsi, les grands objectifs de l’APD française prennent effectivement en considération les impératifs d’égalité de genre dans quatre des priorités sectorielles de la France, parmi lesquelles :

- le renforcement de l’action pour lutter contre les maladies et soutenir les systèmes de santé, évoquant en particulier « l’autonomisation des filles et des femmes, notamment au Sahel » ;

- le renforcement de l’effort sur l’éducation, la formation professionnelle, l’enseignement supérieur, la recherche et l’innovation, au profit de l’employabilité des jeunes ;

- l’action pour la sécurité alimentaire, la nutrition et l’agriculture durable ;

- l’amélioration de la gestion de l’eau et l’assainissement.

Ces impératifs ne sont cependant pas mentionnés dans les objectifs commerciaux et de gouvernance démocratique, économique et financière. Votre rapporteur propose de les compléter à cette fin.

Recommandation : prendre en compte l’égalité femmes-hommes parmi les objectifs de l’APD en matière de commerce et de gouvernance.

Il conviendra en outre de mettre en avant l’impact en faveur des filles et des femmes des actions menées dans le cadre de la première priorité transversale fixée par le projet de loi, visant à « relever les défis environnementaux et climatiques les plus urgents de la planète ». Les femmes étant les principales victimes du changement climatique, toutes les actions menées pour en atténuer les conséquences auront un impact direct sur leur situation.

4.   L’égalité femmes-hommes au cœur de la promotion des droits humains

Le projet de loi de programmation propose une véritable doctrine visant à « défendre une approche fondée sur les droits humains » dans le cadre de la politique de développement solidaire. Les droits constituent un socle comprenant, outre l’égalité entre les femmes et les hommes : les libertés d’expression, de croyance et d’information, la lutte contre la peine de mort, la dépénalisation universelle de l’homosexualité ainsi que la réalisation des droits économiques, sociaux et culturels.

Le rapport annexé prévoit que, dans le cadre de la politique de développement solidaire, « la France s’engage » en faveur de ces droits. Sans grande portée normative, cet engagement envoie néanmoins un message particulièrement positif.

5.   Les modalités du contrôle parlementaire

Le contrôle de la mise en œuvre de ces objectifs suppose la précision ainsi que la transparence des critères de sélection et indicateurs.

L’article 2 prévoit que le Gouvernement remette chaque année un rapport au Parlement sur les conditions de mise en œuvre de la programmation, suggérant aux assemblées parlementaires d’en débattre dans leur ordre du jour parlementaire.

Votre rapporteur salue la remise de ce rapport annuel et considère que la Délégation aux droits des femmes pourrait également s’en saisir. À cette fin, il préconise de compléter la rédaction de cet article en prévoyant la publication des indicateurs permettant d’identifier qu’un projet ou programme a le genre pour « objectif principal » ou « significatif », ainsi que leur évolution, conformément aux prescriptions du rapport annexé,

En outre, les dispositions du rapport annexé portant sur le cadre de résultats (VI), qui présentent les indicateurs de résultats de l’APD française, doivent être précisées et densifiées en ce qui concerne la lutte contre les inégalités entre les femmes et les hommes. En particulier, des améliorations semblent nécessaires dans le tableau récapitulant les modalités d’évaluation de la réalisation des axes prioritaires, qui propose des outils de mesure et de suivi particulièrement larges et imprécis.

Le tableau ci-après en extrait les données relatives à l’axe prioritaire égalité femmes-hommes.

 

Axe prioritaire

Objectif du développement

Objectifs par axe prioritaire

Mesure de l’atteinte des ODD
par les pays partenaires

Indicateurs de résultat de la politique de développement solidaire et de la lutte contre les inégalités mondiales
de la France

Indicateurs bilatéraux

Indicateurs multilatéraux

Égalité femmes/

hommes

45

Promouvoir l’autonomisation économique des femmes

5.5. Proxy ‑ Proportion de femmes parmi la population active dans les pays prioritaires

1.16 Part de projets financés par la France ayant pour objectif l’égalité femmes‑hommes et l’autonomisation économique des femmes

 

Assurer la participation effective des femmes dans les espaces de décisions économiques, politiques et sociaux

5.5.1 Proportion de sièges occupés par des femmes dans les parlements nationaux et les administrations locales dans les pays prioritaires

Adopter des politiques bien conçues et des dispositions législatives applicables en faveur de la promotion de l’égalité des sexes et de l’autonomisation des femmes et des filles

Assurer le libre et égal accès aux services, notamment les services sociaux de base tels que la santé sexuelle et reproductive

5.6.1 Proxy  Taux de prévalence des méthodes modernes de contraception dans les pays prioritaires

Source : rapport annexé au projet de loi.

Les outils mesurant la réalisation de l’« atteinte des objectifs par l’État bénéficiaire » sont trop peu significatifs voire inadaptés. Par exemple, à l’objectif « adopter des politiques bien conçues et des dispositions législatives applicables en faveur de l’égalité des sexes et de l’autonomisation des femmes et des filles » correspond la mesure de la « proportion des sièges occupés par des femmes dans les parlements nationaux et les administrations locales dans les pays prioritaires ». Si cette mesure intéresse naturellement les parlementaires, elle ne leur permettra pas d’évaluer la réalité et l’efficacité des ressources affectées à l’objectif.

En ce qui concerne les projets bilatéraux, le seul indicateur retenu porte sur un agrégat très large relatif à la « part de projets financés par la France ayant pour objectif l’égalité femmes-hommes et l’autonomisation économique des femmes ». Du côté des projets multilatéraux, l’axe « égalité femmes-hommes » compte malheureusement parmi les deux seuls, avec la croissance inclusive et durable, ne disposant pas d’indicateurs spécifiques. Les progrès en matière d’égalité femmes-hommes ne seront pas décrits par des indicateurs satisfaisants.

Votre rapporteur regrette que les autres objectifs de l’APD française ne comportent pas d’indicateurs explicitement genrés. Le tableau prévoit certes que « les indicateurs seront désagrégés par sexe dans la mesure du possible », mais cette disposition n’est pas contraignante.

Il propose donc de rendre cette démarche plus systématique, en remplaçant, dans les dispositions de ce tableau, les catégories de « personnes » ou « enfants » par celles de « femmes et hommes » ou « filles et garçons ». Cela permettrait de décliner directement l’ambition de prise en compte de l’égalité femmes-hommes dans les principaux indicateurs, et notamment dans les objectifs suivants : crises et fragilités, éducation, santé, accès à l’eau et assainissement.

Recommandation : préciser les indicateurs de suivi de la programmation afin de prendre en compte l’impact des projets et programmes en matière d’égalité femmes‑hommes et filles-garçons.

B.   Traduire l’ambition féministe dans la gouvernance de l’aide au développement

La concrétisation d’une véritable diplomatie féministe suppose également de franchir une étape en matière de gouvernance de l’aide publique au développement.

Dans le droit fil des travaux de votre Délégation sur la gouvernance économique et de la fonction publique, votre rapporteur propose de saisir l’occasion offerte par le projet de loi pour promouvoir l’égalité femmes-hommes dans les structures de conception, de pilotage et de gestion de l’APD française.

Le législateur a posé de tels objectifs à la plupart des secteurs économiques et professionnels (grandes entreprises, secteur audiovisuel, haute fonction publique) et il semblerait incongru que les structures publiques chargées de la mise en œuvre de la diplomatie féministe comptent parmi les rares à en être dispensés.

1.   Le conseil national du développement et de la solidarité internationale

L’article 5 du projet de loi porte sur le conseil national du développement et de la solidarité internationale (CNDSI). Il s’agit d’une enceinte de concertation entre l’État et les acteurs de développement concourant depuis 2014 à la conception de la politique de développement solidaire et de lutte contre les inégalités mondiales. Il traitera des objectifs, des orientations, de la cohérence et des moyens de cette politique.

Il est essentiel que cette enceinte de conception et d’impulsion de la politique de développement prenne pleinement en compte les impératifs d’égalité femmes-hommes, ce que garantirait une représentation équilibrée de chaque sexe.

Votre rapporteur propose ainsi de compléter les dispositions de l’article 5 portant sur la composition du CNDSI afin de prévoir son caractère paritaire. Les modalités précises de désignation de ses membres seront précisées par décret. Ce dernier pourra prévoir des règles de désignation équilibrées des représentants désignés par l’État et préciser celles selon lesquelles le monde associatif serait représenté (par exemple en prévoyant la désignation de deux représentants ou des règles d’alternance).

2.   Le conseil d’administration de l’AFD

L’article 7 modifie les dispositions relatives à l’AFD, qui est la principale instance de conception et de mise en œuvre des actions de développement de la France. Elle joue un rôle fondamental dans la politique extérieure de la France et doit, à ce titre, être pilotée par des instances de gouvernance modernes, dont la composition prenne pleinement en compte l’impératif d’égalité femmes-hommes.

Votre rapporteur propose donc de saisir l’opportunité offerte par ce texte pour garantir une représentation équilibrée de chaque sexe au sein de son conseil d’administration.

3.   Expertise France

L’article 8 modifie le droit relatif à l’établissement public Agence française d’expertise technique internationale, de capital public, renommée à compter du 1er juillet 2021 « Expertise France ».

Cette agence créée en janvier 2015 est issue du rapprochement de six opérateurs publics préexistants. Elle gère un nombre croissant de programmes d’appui technique, essentiellement français ou européens, nombre d’entre eux ayant trait ou comportant une composante liée à l’égalité femmes-hommes. Elle jouit désormais d’une forte visibilité internationale.

Le III de l’article 8 décrit la composition de son conseil d’administration, sans mention d’objectifs de genre.

Votre rapporteur propose ici encore de saisir l’opportunité offerte par ce texte pour garantir une représentation équilibrée de chaque sexe au sein de son conseil d’administration.

4.   La commission d'évaluation de la politique de développement solidaire et de lutte contre les inégalités mondiales

L’article 9 instaure une commission d'évaluation de la politique de développement solidaire et de lutte contre les inégalités mondiales.

Il s’agira d’une enceinte indépendante concourant à l’évaluation la politique de développement solidaire et de lutte contre les inégalités mondiales. Elle traitera des objectifs, des orientations, de la cohérence et des moyens de cette politique.

Les modalités de désignation de ses membres seront précisées par décret, sans prévoir de règles de désignation paritaire de ses membres.

Votre rapporteur propose ici encore de saisir l’opportunité offerte par ce texte pour garantir une représentation équilibrée de chaque sexe au sein de cette nouvelle commission.

Recommandation : systématiser les mesures garantissant une représentation équilibrée de chaque sexe au sein des instances chargées de la conception, du pilotage et du contrôle de la politique de développement solidaire. 


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   Liste des personnes auditionnÉes

Ces auditions ont été organisées par visioconférence les vendredi 5, lundi 8 et mardi 9 février 2021.

 

● Vendredi 5 février 2021 :

Ministère de l’Europe et des affaires étrangères

– M. Philippe Lacoste, directeur du développement à la direction générale de la mondialisation.

Table ronde associative

– Mme Laura Audouard, chargée de plaidoyer à Plan International France, référente de la commission Genre et développement de Coordination SUD ;

– Mme Aurélie Gal-Régniez, directrice exécutive de EQUIPOP ;

– Mme Mathilde Casper, chargée de plaidoyer à ONE France ;

– Mme Yveline Nicolas, coordinatrice de Adéquations ;

– Mme Claudie Vouhé, présidente fondatrice de Genre en action.

 

● Lundi 8 février 2021 :

 

Forum Génération Égalité 2021 

 

 Mme Delphine O, Ambassadrice, secrétaire générale du Forum.

 

Agence française de développement

– M. Bertrand Walckenaer, directeur général délégué.

 

 

 

 

● Mardi 9 février 2021

Haut Conseil à l'Égalité entre les Femmes et les Hommes

– Mme Martine Storti, présidente de la commission sur les enjeux internationaux et européens ;

– Mme Cléa Le Cardeur, commissaire aux affaires internationales et européennes, chargée de mission sur les enjeux internationaux et européens.

 

 

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([1]) La composition de la Délégation figure au verso de la présente page.

([2]) Manuel relatif au marqueur de la politique d’aide à l’appui de l’égalité femmes-hommes établi par le CAD‑OCDE (2016).

([3]) Le cadre de redevabilité permet d’assurer le suivi et l’évaluation de la stratégie au sein du MEAE, grâce à des indicateurs qualitatifs et quantitatifs.

([4]) Le G7 s’engage à lever 45 millions d’euros d’ici 2022

([5]) Un engagement de 25 millions de dollars pour la France, traduit dans le programme 110 du PLF 2021

([6]) Financement de la France à hauteur de 2,5 millions d’euros

([7]) Programme 209, action 5 « aide multilatérale ».

([8])  Déclaration de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, sur l'action de la France en faveur de l'égalité entre les femmes et les hommes dans le monde, à Paris le 8 mars 2019.

([9]) Manuel de la politique étrangère féministe de la Suède, édité et traduit par le Gouvernement du Royaume de Suède (2019)

([10]) ibid

([11]) En 2019, 50,3 % de femmes sur les antennes au global pour seulement 30 % d’expertes sur France 24 et 36 % sur RFI, données reprises du rapport du HCE

([12]) Rapport de novembre 2020, op. cit.

([13])  https://www.ohchr.org/fr/NewsEvents/Pages/Women_COVID19.aspx [URL consultée le 12 février 2021]

([14]) Programmes 115 et 209, le programme 105 n’est comptabilisé que depuis le PLF 2021

([15]) En raison du fonctionnement en cycle triennal de l’aide apportée au titre du programme « Aide économique et financière au développement », les autorisations d’engagement sont plus faibles en fin de période (ici 2018 et 2021)

([16])  La part des crédits alloués à ces organismes à destination de l’égalité entre les hommes et les femmes sont des évaluations

([17]) Comptabilisés dans l’aide bilatérale

([18])  La différence entre le montant annoncé sur le tableau des crédits du programme 209 et sur ce tableau n’est pas expliquée dans le document de politique transversale

([19])  https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/le-ministere-et-son-reseau/missions-organisation/l-egalite-femmes-hommes-au-ministere-de-l-europe-et-des-affaires-etrangeres/ [URL consultée le 10 février 2021

([20]) Rapport de novembre 2020, op. cit.

([21]) Rapport de novembre 2020, op. cit.

([22]) Et le Canada depuis 2019

([23]) Op. cit.