N° 4089

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 14 avril 2021.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DE la dÉfense nationale et des forces armÉes

en conclusion des travaux d’une mission d’information (1)

sur l’Opération Barkhane

 

ET PRÉSENTÉ PAR

 

Mme Françoise dumas
Présidente,

Mmes sereine mauborgne et nathalie serre

Rapporteures

 

Députées

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(1) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.


La mission d’information sur l’Opération Barkhane est composée de : Mme Françoise Dumas, présidente, Mmes Sereine Mauborgne et Nathalie Serre, rapporteures, MM. Olivier Faure et Thomas Gassilloud, Mme Manuéla Kéclard-Mondésir, MM. Bastien Lachaud et Jean-Christophe Lagarde, Mmes Patricia Mirallès, Josy Poueyto et Muriel Roques-Etienne et M. Jean-Louis Thiériot, membres.

 


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SOMMAIRE

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Pages

Avant-propos de la Présidente

Introduction

Première partie

Le Sahel est en proie à de multiples menaces, au premier rang desquelles se trouve la menace terroriste

I. La menace terroriste n’a cessé d’évoluer depuis l’éclatement de la crise malienne

A. La crise de 2012 a confirmé l’influence croissante des groupes terroristes au Sahel

1. Dans les années 2000, l’émergence progressive d’un terrorisme sahélien

a. Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI)

b. Le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest

c. Ansar Dine

2. La rébellion touarègue de 2012 a été dépassée par une coalition terroriste

a. Un nouvel embrasement touareg

b. La défaite du mouvement touareg face aux terroristes

3. L’opération Serval a stoppé net l’offensive djihadiste vers Bamako

a. La volonté des groupes terroristes de conquérir le pouvoir central

b. Le succès incontestable de l’opération Serval

B. Aujourd’hui, la menace terroriste s’est diversifiée et reconstituée autour de deux grandes nébuleuses

1. La recomposition du paysage terroriste au Sahel a fait apparaître une nouvelle menace, parfaitement identifiée

a. L’État islamique au Grand Sahara

b. Le Rassemblement pour la victoire de l’islam et des musulmans

2. Les groupes terroristes se nourrissent des frustrations et de la colère de certaines populations

a. L’attisement des tensions communautaires

b. L’exploitation de la pauvreté

c. Les failles de l’État

3. L’expansion territoriale des groupes terroristes est indéniable

a. Du sud du pays à l’ensemble du Sahel

b. Au sud du Sahel

c. Le risque de voir l’Europe frappée depuis le Sahel est manifeste

4. L’accroissement des violences est manifeste

II. Les groupes terroristes ne constituent pas la seule menace pour la stabilité du Sahel

A. Le Nord du Mali, objet permanent de lutte et de déstabilisation

1. L’Accord pour la paix et la réconciliation de 2015 est pour l’heure un échec

2. Le rôle ambivalent des groupes armés signataires de l’Accord de paix et de réconciliation de 2015

B. Les tensions communautaires sont au plus haut

1. La crise sécuritaire a exacerbé les tensions communautaires

2. Des groupes d’auto-défense violents ont émergé

C. Le banditisme n’a pas faibli

1. Le Sahel est historiquement une zone de trafic

2. La crise sécuritaire a favorisé l’accroissement des actes de criminalité

Deuxième partie

Barkhane, une opération au cœur de l’action en faveur de la stabilisation du Sahel

I. Barkhane, socle robuste de la lutte contre le terrorisme

A. Une opération dynamique, en perpétuelle adaptation

1. La mission de Barkhane

a. Un objectif ultime : contenir la menace à un niveau jugé acceptable

b. Une logique : le partenariat

i. Les forces armées maliennes

ii. La Force conjointe du G5 Sahel

iii. La MINUSMA

iv. EUTM Mali ()

2. Le défi de la coordination

a. Au plan national

b. Au plan international

3. Les moyens de Barkhane

a. Les moyens terrestres et aéroterrestres

b. Les moyens aériens

c. Les moyens de renseignement

4. Sabre : l’action des forces spéciales au Sahel

B. Le bilan de Barkhane est incontestablement positif

1. Barkhane est une opération exigeante

a. Le défi logistique est relevé, dans une zone d’action imposante

b. Des conditions climatiques difficiles

c. Un ennemi difficile à saisir

2. La France n’est pas seule au Sahel

a. Le soutien bilatéral de nos alliés est important

b. Les opérations avec les forces locales sont montées en puissance

c. Takuba : un succès pour la France

3. Barkhane remporte d’indéniables succès

a. Barkhane a affaibli les groupes terroristes

b. L’action de Barkhane est unanimement saluée

C. Barkhane fait toutefois face à de nombreux défis

1. La menace terroriste demeure

a. La capacité d’adaptation des groupes terroristes

b. Barkhane ne peut pas occuper le terrain dans la durée

2. Barkhane face au défi de « durer »

a. Barkhane face aux accusations d’enlisement

b. Les limites capacitaires des forces armées

c. L’impact de l’opération sur la régénération organique des forces

3. La bataille du récit est loin d’être remportée

a. La guerre informationnelle

b. Une opération méconnue, et parfois incomprise

II. Barkhane, maillon central d’une approche globale de la résolution de la crise sahélienne

A. Dès l’origine de la crise malienne, le choix d’une approche multidimensionnelle

1. Des missions multilatérales ont précédé Barkhane

a. La MINUSMA

b. L’action de l’Union européenne

2. Face à l’accroissement du nombre de partenaires, un besoin accru de coordination

a. Des partenaires de plus en plus nombreux

i. Des engagements bilatéraux : l’exemple de l’Allemagne

ii. Des structures de coordination ont été progressivement mises en place

b. Le G5 Sahel, réponse sahélienne à l’accroissement du nombre de partenaires

B. La Coalition pour le Sahel : répondre au défi de la coordination

Troisième partie

Le défi de la conversion des succès tactiques en victoire stratégique

I. Approfondir le sursaut militaire

A. La sahélisation des opérations est encore trop faible pour que Barkhane puisse passer le relais

1. Le défi de la montée en puissance des forces locales

a. La formation et l’équipement des armées sahéliennes : le défi malien

b. La réforme des armées sahéliennes

2. L’affermissement de la force conjointe

a. Malgré sa montée en puissance, la force conjointe reste fragile

b. Le soutien des organisations régionales africaines reste à préciser

3. Le renforcement des acteurs de la sécurité intérieure

B. L’internationalisation des engagements doit être confortée

1. L’enjeu de l’approfondissement de l’engagement de la communauté internationale

a. L’action de l’Union européenne pourrait être amplifiée

b. Le mandat de la MINUSMA doit être clarifié

c. Les incertitudes quant à l’engagement américain doivent être levées

2. L’enjeu de la pérennisation de la force Takuba

C. La lutte contre les exactions et la protection des populations doivent être érigées en principes cardinaux

1. Les populations civiles sont aussi les victimes des forces de défense et de sécurité

2. La formation aux droits de l’homme et au droit international humanitaire doit être intensifiée

3. La lutte contre l’impunité doit être renforcée

II. Mettre en œuvre le sursaut civil

A. La question malienne face au défi de l’unité et de la démocratie

1. La mise en œuvre de l’APR pose de nombreuses questions

a. L’APR est-il une chimère ?

b. Faut-il un nouvel accord ?

c. Faut-il négocier avec les groupes terroristes ?

2. La transition politique ne doit souffrir aucun retard

B. Le redéploiement de l’État doit se faire au bénéfice des populations civiles

1. L’accent doit être mis sur les services de bases

2. Les indispensables réforme de gouvernance

C. S’attaquer aux causes profondes de l’insécurité : l’enjeu du développement

1. Une action forte pour le développement humain est nécessaire pour remédier aux causes structurelles de l’instabilité sahélienne

2. L’action de la communauté internationale pourrait gagner en lisibilité comme en efficacité

Conclusion : Quel avenir pour Barkhane ?

Examen en commission

Contributions

I. Contribution de M. Thomas Gassilloud, député, membre de la mission d’information

II. Contribution de M. Bastien Lachaud, député, membre de la mission d’information

III. Contribution de Mme Josy Poueyto, députée, membre de la mission d’information

Annexes

Annexe  1 : Auditions, entretiens et déplacements de la mission d’information

1. Auditions

2. Auditions de la commission de la Défense nationale et des forces armées

3. Déplacement

Annexe  2 : Cartes des pays du G5 Sahel

Annexe n° 3 : Compte rendu de l’audition de M. le général de division Marc Conruyt, commandant de la force Barkhane du 25 novembre 2020

Annexe n° 4 : Compte rendu de l’audition de M. le général de corps aérien Stéphane Mille, sous-chef « Opérations » (SCOPS) à l’État-major des armées

Annexe n° 5 : Compte rendu de l’audition de M. le général Oumarou Namata Gazama, commandant de la force conjointe du G5 Sahel

Annexe n°6  :  Glossaire des Principaux acronymes


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EN HOMMAGE AUX MILITAIRES FRANÇAIS MORTS POUR LA FRANCE

AU SAHEL DEPUIS LE 11 JANVIER 2013

57 militaires français sont décédés au Sahel depuis le 11 janvier 2013, dans le cadre des opérations Épervier, Serval et Barkhane. 51 d’entre eux y sont « morts pour la France ». C’est aussi l’objet du présent rapport de leur rendre hommage et de saluer leur mémoire. Que soient renouvelées la pleine solidarité et l’entière reconnaissance de la Nation à leurs familles, leurs proches et leurs frères d’armes. Leurs noms resteront gravés à jamais dans la mémoire collective de notre pays.

 

 

* * *

Cette liste ne tient pas compte des militaires décédés sur le théâtre d’opérations, mais ne s’étant pas vu attribuer la mention « Mort pour la France.

 

 



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   Avant-propos de la Présidente

Le 29 octobre 2014, l’adjudant Thomas Dupuy tombait au combat au Mali, dans le massif du Tigharghar : il fut le premier militaire « mort pour la France » de l’opération Barkhane. Dans un remarquable article paru dans la revue de l’armée de terre Inflexions, sa mère, Mme Marie-Christine Jaillet, directrice de recherche au CNRS, confie : « Cette manière, la sienne, d’avoir mis en jeu sa vie pour lutter pour des valeurs que nous avons partagées, de paix, de liberté, de justice sociale, d’égalité entre les hommes et les femmes, me rend infiniment humble sur ma manière à moi de les porter, tellement plus confortable, plus légère. »

Une telle réalité nous oblige. Et c’est à l’aune des sacrifices que la Nation exige de ses soldats que nous pouvons utilement nous pencher sur l’évaluation d’une opération militaire conduite depuis maintenant sept années, au service des populations sahéliennes et d’enjeux de sécurité qui concernent l’Europe entière.

C’est le sens du travail que j’ai voulu que la commission de la Défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale conduise de l’automne 2020 au printemps 2021.

Quelles sont les actions que Barkhane mène dans la bande sahélo-saharienne ? Pourquoi nos forces s’y battent-elles ? Pourquoi des soldats de France y meurent-ils ? Quelles sont les responsabilités politiques qui incombent à la France ? Quels sont les résultats obtenus ? Quelles sont les perspectives ?

Ces questions ont d’autant plus d’acuité que le débat public ne les éclaire, la plupart du temps, que de façon trop partielle, au rythme des pertes que les forces françaises ont à déplorer ou des polémiques qu’une guerre des perceptions attise souvent jusqu’à la déraison, ce dont témoignent les slogans cycliques sur « l’enlisement français au Sahel » ou la désinformation qui a accompagné les frappes du 3 janvier 2021 près de Bounti.

Le travail des co-rapporteures Sereine Mauborgne et Nathalie Serre est ainsi à saluer, car il apporte une synthèse pertinente et actualisée pour éclairer la représentation nationale et, plus largement, l’ensemble de nos concitoyens de l’importance de ces questions. Ce travail a d’ailleurs été accompagné par un cycle spécifique d’auditions, réunissant tous les membres de la commission, pour entendre le commandant de la force Barkhane, le sous-chef opérations de l’état-major des armées et le commandant nigérien de la force conjointe du G5 Sahel.

L’ampleur des auditions réalisées, en complément, par les co-rapporteures témoignent de notre volonté de couvrir très largement le sujet, puisqu’à une vaste représentation des principaux acteurs militaires, diplomatiques, associatifs ou politiques concernés, y compris chez nos alliés et partenaires, ont été associés de nombreux chercheurs, issus d’horizons très divers.

Le rapport est publié à un moment charnière dans le déroulement des opérations. Débuté après le sommet de Pau qui a décidé en janvier 2020 un rehaussement de l’effort militaire contre le terrorisme dans la zone dite des trois frontières entre le Niger, le Mali et le Burkina Faso, il parait peu après le sommet de N’Djamena qui, en février dernier, a fixé comme priorité l’investissement dans la consolidation des États, le retour des services publics dans les territoires et l’accentuation des actions de développement économique.

Le travail des co-rapporteures permet donc d’évaluer l’évolution de la situation sécuritaire et politique, mais aussi d’estimer les fruits des efforts décidés à Pau ainsi que les perspectives ouvertes par celui de N’Djamena.

Je retire des six mois passés comme présidente de cette mission d’information que la voie tracée par la France, les États sahéliens et la communauté internationale est la bonne.

Pourquoi nous battons-nous au Sahel ?

Si la France est présente aujourd’hui dans la bande sahélo-saharienne, c’est parce que les États locaux, pressés par une menace imminente, le lui ont demandé en raison de la place singulière que la France tient dans l’Union européenne, au Conseil de sécurité de l’Onu et dans l’histoire de l’Afrique. La France y a répondu favorablement parce qu’une partie de l’avenir du continent européen se joue sur son flanc Sud, et que la situation du Sahel y tient une place centrale. Au-delà des objectifs stratégiques européens de long terme, la France combat aussi au Sahel, aux côtés d’alliés africains, parce que la sécurité de ses citoyens l’exige : le rassemblement pour la victoire de l’islam et des musulmans (RVIM) et l’état islamique en grand Sahara (EIGS), financés par de multiples trafics déstabilisateurs, non contents d’être, pour certains, les héritiers de ceux qui ont durement frappé le sol français dans les années 1990, ciblent aujourd’hui nos ressortissants et nos intérêts, se coordonnant avec les continuateurs d’Al Qaida et de Daech.

Dans ce combat, Barkhane accumule les succès tactiques qui permettent de contenir la menace djihadiste, malgré le trop lent renforcement des armées locales, et peut capitaliser sur l’européanisation des forces militaires déployées. Le meilleur exemple en est que le Sahel est le lieu de déploiement des plus forts contingents engagés en opérations de l’Espagne et de l’Allemagne.

Quels sont les objectifs poursuivis ?

La priorité donnée à l’action contre-terroriste ne signifie pas qu’elle est l’alpha et l’oméga des objectifs politiques poursuivis. Si l’action militaire est la condition sine qua non de la consolidation des États et de leur développement économique, elle n’est pas la finalité de la mobilisation internationale au profit du Sahel. Focaliser l’attention sur les seuls succès tactiques de Barkhane ou la lente consolidation des forces armés locales, c’est confondre les moyens avec les finalités ou, pour le dire autrement, c’est méconnaître les véritables enjeux de l’évolution du Sahel. La démarche de la France et de ses alliés vise à consolider les États et leur gouvernance pour leur permettre de déployer des services publics auprès des populations locales dans tous les territoires et de favoriser le développement économique au service des droits sociaux et humains. Dans ce contexte le « sursaut civil » évoqué à N’Djamena est une urgente nécessité qui doit trouver, dans l’ajustement de l’action de la MINUSMA et l’intensification de la coordination des multiples projets internationaux, de robustes leviers. Le retrait de Barkhane que certains évoquent signerait l’abandon de ces objectifs : ce n’est ni souhaitable pour la stabilité des frontières Sud de l’Europe, ni enviable pour des populations appauvries et menacées qui se trouveraient alors face à des logiques prédatrices et violentes qui sont la négation de toutes les valeurs promues par la France et l’Europe.

Combien de temps l’opération peut-elle encore durer ?

N’ayons pas peur des conséquences : la crise au Sahel est d’une telle ampleur que sa résolution n’est pas atteignable à court terme. Nous sommes tous engagés dans une action de long terme. Cette perspective doit être bien expliquée à nos concitoyens pour que leur adhésion garantisse l’engagement durable de l’Europe, condition essentielle à une amélioration significative de la situation. Dans cette équation, des solutions politiques doivent être trouvées par les États sahéliens, avec le soutien de leurs partenaires occidentaux. Les lignes rouges à leur appliquer sont simples : aucune négociation n’est envisageable avec l’EIGS ni avec les responsables sommitaux du RVIM qui ont fait le choix de l’action terroriste ; s’y abaisser serait une insulte aux populations sahéliennes massacrées comme aux pertes françaises. Cela laisse beaucoup de place à de multiples initiatives pour retisser les fils d’une nécessaire concorde nationale dans chaque État.

Barkhane doit-elle évoluer ?

Tout cela, enfin, ne signifie pas que Barkhane ne doit pas évoluer. D’ailleurs Barkhane n’a jamais été figée. Depuis sa création, l’opération n’a pas cessé de s’adapter tant dans ses implantations, que dans son organisation, ses capacités ou ses effectifs ; elle continuera à le faire. C’est la nature d’une opération militaire que de s’ajuster aux menaces et à l’évolution de la situation stratégique, opérative et tactique. Il serait illusoire de vouloir prédéfinir tous les champs possibles des ajustements potentiels. Il y aurait d’ailleurs une erreur de perception à vouloir le tenter : la représentation nationale doit s’attacher au contrôle politico-stratégique des opérations militaires conduites par la France mais se tromperait à vouloir définir politiquement les modalités d’adaptation tactique à imposer à la conduite des opérations. Laissons faire l’exécutif, mais contrôlons la bonne articulation des mesures d’application qu’il prend aux objectifs politiques que nous soutenons.

Pour terminer, je tiens à rendre ici un hommage appuyé à nos soldats qui se battent depuis 2013 dans la bande sahélo-saharienne. Le présent rapport est aussi l’occasion pour la représentation nationale de témoigner de sa reconnaissance à ceux qui acceptent d’exposer leur vie pour le service de la Nation, la protection de nos concitoyens et le soutien de la politique, juste et ambitieuse, que la France conduit au Sahel.

Je salue tout particulièrement la mémoire des 57 militaires qui ont laissé leur vie sur ce théâtre exigeant, et dont 51 sont « morts pour la France ». Sachant pouvoir associer l’ensemble des membres de la commission de la défense à ces lignes, j’assure de notre considération et de notre gratitude ceux qui portent, dans leur chair ou dans leur esprit, les stigmates des blessures reçues dans ces opérations. Je pense enfin à leurs familles et à leurs proches qui peuvent compter sur notre entier et durable soutien.

Les Français peuvent être fiers de l’action conduite par la France au Sahel ; ils peuvent l’être de ceux qui, parmi eux, portent les armes pour donner un avenir à une région meurtrie, menacée par le pire de l’extrémisme djihadiste.


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   Introduction

57 militaires français sont morts au Sahel depuis le déclenchement de l’opération Serval, le 11 janvier 2013, dont 51 « pour la France ». Et pourtant, force est de constater que plus de huit ans après le début de notre engagement, celui-ci est encore largement méconnu de la population, et parfois incompris.

Prenant la suite, le 1er août 2014, de l’opération Serval, « Barkhane » constitue, à l’aune des moyens déployés, le premier engagement militaire de la France en opération extérieure. Dans l’aridité du désert sahélien, sur un théâtre d’opération de la taille de l’Europe, autour de 5 100 militaires français combattent aujourd’hui afin de réduire la menace terroriste représentée par le Rassemblement pour la victoire de l’islam et des musulmans (RVIM) et l’État islamique au Grand Sahara (EIGS), deux nébuleuses djihadistes respectivement affiliées à Al-Qaida et Daech. Déployée à la demande des États sahéliens, l’armée française a pour mission de placer cette menace à la portée des forces locales, et de protéger les populations civiles, qui sont les premières victimes de l’accroissement des violences dans la région. Pour ce faire, la France n’est pas seule. Elle combat aux côtés de nombreux partenaires, au premier rang desquelles les armées nationales sahéliennes et la Force conjointe du G5 Sahel. Elle combat aussi aux côtés de nos alliés européens et internationaux, dont l’engagement au Sahel est croissant, notamment au sein de la force Takuba, créée dans la foulée du Sommet de Pau du 13 janvier 2020.

Réunissant le président de la République et les chefs d’État des pays du G5 Sahel, ce sommet a été l’occasion d’appeler à un « sursaut militaire » afin d’intensifier la lutte contre la menace terroriste selon deux axes : le renforcement de la sahélisation des opérations, d’une part, et l’internationalisation des engagements, d’autre part. Un an plus tard, cette approche porte ses fruits.

Toutefois, l’action militaire ne peut évidemment pas constituer l’unique réponse à une crise par essence multifactorielle. C’est pourquoi a été mise en place au Sahel une stratégie de stabilisation fondée sur une « approche globale », matérialisée aujourd’hui par la Coalition internationale pour le Sahel, également lancée dans la foulée du Sommet de Pau. Organisée autour de quatre piliers complémentaires, celle-ci vise à lutter contre le terrorisme, accompagner la montée en puissance des armées locales, assurer le « retour de l’État » dans les territoires, et accroître les efforts en faveur du développement de la région.

L’action militaire ne constitue ainsi que le premier pilier de cette stratégie globale. Elle en est en fait le socle, car sans elle, l’ensemble du dispositif s’effondrerait, tel un château de cartes. Dans ce contexte, Barkhane est au cœur de la lutte contre le terrorisme, agrégeant autour d’elle les forces locales et nos partenaires internationaux. Aujourd’hui, Barkhane demeure donc indispensable à la stabilisation du Sahel.

Mais pour transformer les succès tactiques en victoire stratégique, il est indispensable d’intensifier les efforts sur les autres piliers de la Coalition, qui semblent à ce jour défaillants. C’est en ce sens que le Sommet de N’Djamena des 15 et 16 février 2021 a appelé à un « sursaut civil », seul à même de déboucher sur une solution politique et civile qui apportera la paix aux populations sahéliennes. Dans ce contexte, les États sahéliens doivent assumer leurs responsabilités, afin de mettre en œuvre les réformes nécessaires pour reprendre pied sur les territoires et restaurer la confiance avec les populations, ce qui suppose d’agir avec fermeté pour assurer un juste partage des richesses, offrir des perspectives valorisantes aux populations, les protéger de la corruption et des exactions. C’est notamment le cas au Mali, où la vie démocratique est en suspens depuis le coup d’État du 18 août dernier.

C’est dans ce contexte qu’à l’initiative de la présidente de la commission de la Défense nationale et des forces armées, Mme Françoise Dumas, une mission d’information sur l’opération Barkhane a été créée, le 28 octobre 2020. Il s’agit de la première mission d’information de la commission consacrée à cette opération, huit ans après une mission sur l’opération Serval. Certes, de nombreux travaux de la commission permettent de suivre, très régulièrement, les développements de notre engagement au Sahel. Et plusieurs de nos collègues ont également abordé cette opération dans le cadre de rapports d’information ou de rapports budgétaires. Il était toutefois nécessaire de créer une mission dédiée à Barkhane. Car Barkhane fait l’objet de débats nourris, voire de remises en cause autour d’accusations d’enlisement. Pour les rapporteures, il est évidemment légitime que l’engagement des armées françaises puisse être débattu, surtout au Parlement, mais les questionnements doivent être éclairés. C’est pourquoi le présent rapport se donne aussi un but pédagogique.

Ce travail est le fruit d’une trentaine d’auditions et d’entretiens, qui ont permis aux rapporteures d’échanger avec de hauts responsables des armées et de la diplomatie françaises, mais également avec des chercheurs, des représentants d’organisations non gouvernementales, ainsi que des représentants de nos partenaires, sahéliens et internationaux. Avec la présidente de la commission, qui a présidé la mission d’information, les rapporteures se sont également rendues sur le théâtre sahélien, à Niamey et Gao, à la rencontre des militaires français déployés au Sahel, mais également de représentants des autorités maliennes, par la voix du Gouverneur de Gao ou d’officiers des forces armées maliennes, ainsi que de la Mission des Nations unies au Mali.

Alors que la situation reste fragile au Sahel, le présent rapport a ainsi vocation à apporter sa contribution au débat sur Barkhane. Car il faut débattre de Barkhane, pour mieux connaître cette opération, mieux en comprendre le sens, la rendre plus visible. Nous le devons à nos soldats.


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   Première partie

   Le Sahel est en proie à de multiples menaces, au premier rang desquelles se trouve la menace terroriste

I.   La menace terroriste n’a cessé d’évoluer depuis l’éclatement de la crise malienne

A.   La crise de 2012 a confirmé l’influence croissante des groupes terroristes au Sahel

1.   Dans les années 2000, l’émergence progressive d’un terrorisme sahélien

Les groupes terroristes qui sévissent au Sahel ne sont pas brusquement apparus en 2012, à la faveur d’un énième soulèvement touareg. Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008 relève ainsi déjà que la bande sahélienne apparaît comme « un lieu de menaces imbriquées », parmi lesquelles l’implantation de groupes terroristes se réclamant d’Al-Qaida. La même année, un « Plan Sahel » avait été établi, sous la conduite du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), afin de dégager les axes d’effort permettant de limiter l’influence croissance du groupe Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) dans la région. De fait, l’observation des zones d’influences des principaux groupes terroristes sévissant au Sahel avant le déclenchement de l’opération Serval, le 11 janvier 2013, montre que la crise de 2012 n’a fait que confirmer leur poids croissant.

Zones d’activitÉs des groupes terroristes avant le dÉclenchement de l’opÉration Serval

Source : état-major des armées. Publié dans le rapport d’information n° 1288 du 18 juillet 2013 sur l’opération Serval.

a.   Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI)

Le groupe Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) est formellement né le 25 janvier 2007, à la suite de l’acceptation par l’état-major d’Al-Qaida de la demande d’allégeance formulée par les responsables du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), et en particulier de Mokhtar Belmokhtar et d’Abdelmalek Droukdel, « émir » du GSPC puis d’AQMI. Le GSPC est lui-même une émanation du Groupe islamiste armé (GIA), à l’origine du détournement du vol AF 8969, dans le but de le faire s’écraser sur Paris, le 24 décembre 1994, ainsi que des attentats ayant frappé la France en 1995, dont celui du RER B, à la station Saint-Michel, le 25 juillet. AQMI a progressivement étendu son aire d’influence au Sahel, poussée vers le sud par l’action vigoureuse des autorités algériennes à son encontre. À l’époque, ses principaux modes opératoires sont les prises d’otages de ressortissants occidentaux et les attentats suicides.

b.   Le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest

Comme le soulignaient MM. Christophe Guilloteau et Philippe Nauche dans leur rapport d’information sur l’opération Serval au Mali ([1]), le MUJAO s’est fait connaître le 10 décembre 2011, en revendiquant le rapt de trois Européens à Tindouf (Algérie). Ce groupe issu d’une scission de combattants en provenance d’AQMI, et notamment de la katiba Al-Moulathamine de Mokhtar Belmokhtar, s’est rapidement affirmé comme un acteur majeur. Le MUJAO regroupe alors des effectifs très hétérogènes, autour d’un noyau de Mauritaniens et d’Arabes maliens, et serait parvenu à rallier assez rapidement une part non négligeable de miliciens ruraux Peul et Songhaï. Initialement fortement implanté autour de Gao, particulièrement actif et violent, promouvant une application des plus rigoristes de la charia, il s’est progressivement allié aux trafiquants, ce qui lui a permis d’accroître sensiblement ses ressources financières. Le 22 août 2013, il fusionne avec Les Signataires par le sang, mouvement fondé par Mokhtar Belmokhtar en décembre 2012, pour former Al-Mourabitoune.

c.   Ansar Dine

Créé en 2012 par Iyad ag Ghali, Ansar Dine (ou Ansar Eddine) s’est illustré la première fois en mars de la même année par la prise conjointe des principales grandes villes du nord-Mali. Il est communément considéré qu’Ansar Dine a été fondé avec le soutien du chef d’AQMI, Abdelmalek Droukdel, dont l’objectif était d’en faire la vitrine politique d’Al-Qaida dans la région. Le 18 mars 2012, Ansar Dine adresse un communiqué à l’Agence France Presse, dans lequel le mouvement affirme combattre pour instaurer la charia dans l’ensemble du Mali. Le texte du communiqué fait ainsi état de la volonté des dirigeants d’Ansar Dine de créer une « république islamique du Mali », et de leur résolution à engager « la lutte armée sans merci pour l’application de la charia, dans un premier temps dans l’Adrar des Iforas ». L’animosité des membres du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) vis-à-vis d’Iyad ag Ghali a conduit Ansar Dine à s’opposer frontalement au groupe rebelle.

2.   La rébellion touarègue de 2012 a été dépassée par une coalition terroriste

a.   Un nouvel embrasement touareg

S’il ne s’agit pas ici de revenir en détail sur l’histoire du mouvement touareg et de son opposition à l’État malien, rappelons que l’insurrection de 2012 marque la cinquième vague de rébellions touarègues depuis l’indépendance du Mali, après celles de 1963-1964, de 1990-1994, de 2006 et de 2007-2009. Systématiquement défaits, les Touaregs ne se sont jamais satisfaits des différents accords censés ramener la paix dans le Nord du Mali, essentiellement en raison de leur non-application et du sentiment – parfois avéré – des populations touarègues d’être marginalisées par les autorités centrales, voire victimes de persécution. De manière plus globale, les populations touarègues revendiquent une forme d’autonomie, et pour certaines l’indépendance, d’une partie des territoires du Nord du Mali, qu’ils désignent sous le nom d’Azawad. Ces revendications se nourrissent du lent déclin des communautés touarègues, sous le coup d’événements climatiques ayant durablement affaibli ces sociétés nomades, à l’instar des grandes sécheresses des années 1973-1974 et 1984-1986 ayant décimé le bétail et, plus largement, de la crise du pastoralisme.

Dans ce contexte, la création du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), le 16 octobre 2011, n’est en fait que la fusion de deux mouvements plus anciens, le Mouvement touareg du Nord-Mali (MTNM) et le Mouvement national de l’Azawad (MNA), eux-mêmes héritiers du Mouvement populaire de libération de l’Azawad (MPLA), fondée par Iyad Ag Ghali en 1988, du Mouvement populaire de l’Azawad (MPA), qui prend sa suite quelques années plus tard, tous deux dominés par des membres de la tribu des Ifoghas, ou encore d’autres groupes comme le Front populaire de libération de l’Azawad (FPLA), créé à l’initiative de Chamanamas, ou l’Armée révolutionnaire de libération de l’Azawad (ARLA), à celle d’Imghads.

Le Mouvement National de Libération de l’Azawad (MNLA)

Un mouvement issu des derniers soubresauts libyens. Le MNLA est né à l’automne 2011 de la fusion de plusieurs groupes touareg. Une grande partie d’entre eux étaient d’anciens volontaires ayant servi dans l’armée de Mouammar Kadhafi et ayant quitté la Libye dans les dernières heures qui ont précédé l’effondrement du régime. Il trouve ses origines dans l’absence de règlement politique de la question touarègue.

Un but originel, l’indépendance. Contrairement aux premières rébellions, qui ne visaient qu’à une plus grande reconnaissance de la cause touarègue, les principales revendications récentes du MNLA sont la dénonciation des accords d’Alger de 2006 ([2]) et l’autodétermination de l’Azawad. Le mouvement n’est jamais parvenu à fédérer l’ensemble des populations du Nord-Mali (Touareg, Arabes, Songhaï et Peul).

Une victoire initialement perdue. Initialement, le MNLA dont les effectifs étaient évalués à 4 000 hommes, disposait d’un noyau dur mobilisable de plus de 1 500 combattants. Faute de ressources et de soutiens extérieurs, il s’est rapidement trouvé confronté à une forte démobilisation de ses troupes et à la défection d’une partie de ses membres au profit d’Ansar Eddine.

Une renaissance inattendue mais des divisions persistantes. La marginalisation d’Ansar Eddine et d’Iyad Ag Ghali a provoqué une inversion totale des tendances après le déclenchement de l’opération Serval. Le MNLA est ainsi le principal acteur touareg avec le Haut Conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA) dans les accords de Ouagadougou.

Source ; Rapport d’information n°1288 précité.

Allié aux groupes terroristes présents au Sahel, et en particulier Ansar Dine, le MNLA déclenche une offensive depuis l’Adrar des Ifoghas, en direction de villes situées plus au sud comme Ménaka, Tessalit, Aguelhok et Léré, et proclame unilatéralement, le 6 mars 2012, l’indépendance du Nord-Mali. Malgré les condamnations unanimes de la communauté internationale, appelant à la préservation de l’unité et de l’intégrité territoriale du Mali, le MNLA parvient à conquérir, en une dizaine de jours, les régions de Gao, de Tombouctou et de Kidal.

Quelques jours plus tard, le 22 mars 2012, un nouveau coup d’État, mené par le capitaine Amadou Haya Sanogo, un officier malien ayant suivi plusieurs formations aux États-Unis, renverse le Président Amadou Toumani Touré, dit ATT, déclenchant une crise institutionnelle – il a fallu attendre l’accord-cadre du 6 avril 2012 pour qu’un gouvernement de transition soit mis en place et que Dioncounda Traoré soit nommé Président par intérim – contribuant à l’affaiblissement des forces armées maliennes.

b.   La défaite du mouvement touareg face aux terroristes

La victoire des mouvements indépendantistes et autonomistes touaregs est cependant de courte durée, non pas en raison d’une réaction des forces armées maliennes (FAMa), alors en déroute, mais du fait des prétentions des groupes terroristes sahéliens relatives au contrôle des territoires nouvellement conquis. Au-delà de l’ambition proprement djihadiste – au sens de l’utilisation de la violence en vue de l’instauration d’un califat islamique – d’une partie de ces groupes, il s’agissait aussi de prendre le contrôle des principaux axes caravaniers de trafics, licites et illicites, qui traversent le Nord du Mali, passages incontournables entre le Golfe de Guinée, l’Afrique subsaharienne et l’Afrique du Nord puis, au-delà, l’Europe. Une étude de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture a ainsi montré comment des groupes rebelles contrôlaient les principaux axes de transport dans le Nord, gênant la mobilité et le commerce du bétail et entraînant une augmentation des vols et des pertes ([3]). Il faut également y voir la manifestation d’une revanche, en particulier de la part de Iyad Ag Ghali, qui avait fondé Ansar Dine après avoir, dit-on, échoué à prendre la tête du MNLA.

C’est ainsi que les groupes terroristes armés défont le mouvement touareg et prennent le contrôle des grandes villes et des territoires du Nord, marquant le début « d’une période de domination par un islam radical étranger à la région, d’application intégrale de la charia et de destruction du patrimoine culturel et religieux traditionnel, comme en témoignent les destructions de mausolées de saints musulmans dans la ville de Tombouctou » ([4]). En définitive, comme le souligne un récent rapport d’International crisis group ([5]), c’est bien « la rébellion de populations arabo-touareg et le coup d’État de 2012 qui ont conduit à un effondrement temporaire de l’État malien, permettant à des groupes liés à Al-Qaida de s’emparer du nord du pays ».

3.   L’opération Serval a stoppé net l’offensive djihadiste vers Bamako

a.   La volonté des groupes terroristes de conquérir le pouvoir central

Au début de l’année 2013, profitant de la désorganisation des forces armées maliennes et, plus globalement, de l’État malien, un certain nombre de groupes terroristes armés, sous l’impulsion du groupe Ansar Dine d’Iyad Ag Ghali, déclenchent une offensive en direction du sud de la boucle du Niger, dans le but de s’emparer de la ville de Sévaré, et de son aéroport, et à terme de Bamako. La ville de Konna est prise par les combattants d’Ansar Dine, d’AQMI et du MUJAO le 10 janvier 2013. Le lendemain, le déclenchement de l’opération Serval permet de stopper net l’avancée des colonnes terroristes vers Mopti et Sévaré, grâce à l’intervention combinée des hélicoptères du commandement des opérations spéciales (COS) et d’opérations aériennes lancées depuis les terrains de N’Djamena, pour la chasse, et de Dakar pour les Atlantique 2 de la marine nationale.

La ligne de front au 11 janvier 2013

Source : état-major des armées. Publiée par le rapport d’information n° 1288 précité.

L’intervention de la France au Mali se fonde sur une demande d’aide formulée le 10 janvier 2013 par le Président du Mali Traoré, adressée à la France et au Conseil de sécurité des Nations unies, ainsi que sur les dispositions de l’article 51 de la Charte des Nations unies relatif à la légitime défense. En effet, c’est l’existence même de la République du Mali qui était alors menacée, tandis que pointait le risque de voir instauré un « sanctuaire contrôlé par des djihadistes et des narcotrafiquants au cœur de l’Afrique de l’ouest [qui] faisait peser une menace directe sur la sécurité régionale et internationale » ([6]). Comme l’a indiqué aux rapporteures le colonel (ER) Michel Goya, une intervention militaire était alors le seul moyen de contrer la menace djihadiste qui déferlait vers Bamako et la France était alors le seul pays à même de pouvoir intervenir. Si elle s’était concrétisée, cette menace djihadiste aurait alors durablement déstabilisé la zone avec d’importantes répercussions sur la France et l’Europe. Plusieurs camps d’entraînement djihadistes avaient ainsi été constitués, à l’instar d’un lieu d’entraînement ([7]) de plusieurs hectares, découvert en mars 2013 et ayant servi au MUJAO, au nord du Mali, pour y entraîner jusqu’à 1 000 combattants durant une période de « formation » de près de cinquante jours.

b.   Le succès incontestable de l’opération Serval

En déclenchant l’opération Serval en 2013, qui a mobilisé jusqu’à 6 600 personnels, la France a lancé une opération d’une forme inédite en Afrique subsaharienne depuis l’opération Tacaud, conduite au Tchad en février 1978. L’opération Serval a rencontré un incontestable succès, qu’il a du reste été aisé de médiatiser et de valoriser en raison d’un clair séquençage et de la facilité à suivre l’avancée des forces françaises et l’atteinte d’objectifs concrets (comme la reprise de villes). Cette opération a connu quatre grandes phases :

– le coup d’arrêt porté à l’offensive des groupes armés terroristes, entre le 11 et le 25 janvier ;

– la conquête de la boucle du Niger et la libération des villes prises par les groupes terroristes, entre le 25 janvier 1er février ;

– l’action dans la profondeur, permettant d’aller dénicher les terroristes de leurs zones refuges, entre le 1er février et le 1er mai ;

– la transition vers les armées africaines et la préparation de la transition vers l’opération Barkhane, intervenue le 1er août 2014.

Le présent rapport n’a pas pour objet de dresser le bilan de l’opération Serval, ni d’en tirer les enseignements. Pour ce faire, les rapporteures renvoient au rapport précité de leurs collègues Christophe Guilloteau et Philippe Nauche. Succès tactique et stratégique, l’opération Serval n’a toutefois pas permis de pleinement éradiquer la menace terroriste. Bien que proclamant que l’opération Serval avait été réussie « du début jusqu’à la fin », le Président François Hollande a rapidement pressenti ses effets limités dans le temps, reconnaissant, dès septembre 2013, que les armées françaises « ont vaincu l’ennemi, chassé les terroristes, même si nous pouvons les voir revenir. » Ajoutant : « C’est pourquoi nous devons assurer une certaine permanence » ([8]). Passé le temps de l’urgence, l’opération Barkhane a donc pris le relais de Serval le 1er août 2014, face à une menace terroriste toujours vive.

B.   Aujourd’hui, la menace terroriste s’est diversifiée et reconstituée autour de deux grandes nébuleuses

1.   La recomposition du paysage terroriste au Sahel a fait apparaître une nouvelle menace, parfaitement identifiée

La plongée dans la galaxie des groupes terroristes qui sévissent au Sahel se révèle d’une grande complexité, tant les différents groupes se sont scindés, regroupés, affrontés, ou alliés au fil des années. Aujourd’hui, la menace terroriste est le fait de deux grandes nébuleuses : le Rassemblement pour la victoire de l’islam et des musulmans (RVIM), affilié à Al-Qaida ; et l’État islamique au Grand Sahara (EIGS), franchise de Daech.

Ces deux groupes se distinguent par leur composition, leur « projet » comme leurs méthodes. Après des années de collaboration, ils s’affrontent également depuis l’été 2019. Ces combats ont essentiellement lieu dans la région du Gourma, en raison des velléités d’expansion de l’EIGS en direction des zones d’influence du RVIM, et en particulier de la katiba du Macina, ainsi que de concurrence pour la perception de la zakat, de gestion des ressources naturelles, de contrôle et allégeance des combattants.

Mais ainsi que l’a indiqué aux rapporteures M. Bernard Émié, directeur général de la sécurité extérieure, ils se ressemblent avant tout par la dangerosité de leurs chefs et leur détermination à imposer leurs lois et leur agenda international. À l’occasion d’un « comité exécutif » consacré au contre-terrorisme, organisé le 1er février 2021 sur la base aérienne d’Orléans-Bricy, M. Émié a ainsi assuré que « depuis le Mali, ils [les terroristes] ont travaillé à des attaques contre nous, contre nos partenaires, ils réfléchissent à des attaques dans la région et en Europe » ([9]).

a.   L’État islamique au Grand Sahara

L’État islamique au Grand Sahara (EIGS) constitue la branche sahélienne de l’État islamique en Afrique de l’Ouest (Wilāyat al-Sūdān al-Gharbī / Islamic State’s West Africa Province – ISWAP), créée à la suite de l’éclatement du groupe Boko Haram.

L’EIGS est dirigé par Adnane Abou Walid al-Sahraoui, ancien porte-parole du MUJAO, décrit publiquement par M. Bernard Émié comme un personnage « sanguinaire », à la tête d’un groupe d’une particulière « sauvagerie » ([10]). En raison de son passé, Al-Sahraoui est un fin connaisseur de l’organisation et du fonctionnement d’AQMI, et prend aujourd’hui ses ordres directement auprès de l’état-major de Daech.

L’EIGS commet des actes terroristes au sens propre du terme, en ciblant ainsi fortement les populations civiles, en particulier dans la zone des trois frontières. Ainsi que l’a indiqué aux rapporteures Mme Niagalé Bagayoko, docteure en sciences politiques et directrice de l’African security sector network, les acteurs civils sur lesquels s’abat la violence de l’EIGS sont le plus souvent identifiés selon des critères rationnels : appartenance à certaines communautés, mode de vie jugé incompatible avec la vision salafiste violente de l’islam portée l’EIGS, coopération avec les forces de sécurité nationales ou internationales ou constitutions de groupes d’auto-défense susceptibles de résister aux injonctions du groupe. L’EIGS cible également les acteurs humanitaires, présentés comme des « croisés », et a ainsi revendiqué l’attaque ayant coûté la vie à six humanitaires français et deux Nigériens de l’organisation non gouvernementale Acted dans le parc nigérien de Kouré, au mois d’août 2020. Il semble d’ailleurs y avoir là un point de divergence majeur avec le RVIM, qui avait immédiatement démenti son implication dans ce massacre.

b.   Le Rassemblement pour la victoire de l’islam et des musulmans

Lors de son audition par les rapporteures, Mme Niagalé Bagayoko a rappelé que si le RVIM ([11]) avait été officiellement créé en 2017, il s’agit d’abord d’un groupe réunissant la plupart des organisations ayant participé à l’offensive de 2013, et regroupant ainsi une partie de l’organisation Al-Mourabitoune, d’Ansar Dine, d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), ainsi que d’autres « katibas », au premier rang desquelles la Katiba du Macina.

Le RVIM rassemble des figures connues, dont certaines ont joué un rôle dans la politique malienne. C’est notamment le cas de son chef, Iyad Ag Ghali, qui fut un temps consul du Mali à Djeddah, en Arabie saoudite, et qui prend aujourd’hui ses ordres directement depuis l’état-major d’Al-Qaida. En audition, Mme Bagayoko a ainsi dressé le portrait d’un homme connu de longue date par les services français, ayant participé à plusieurs reprises à des négociations de libération d’otages, maîtrisant parfaitement les dynamiques politiques maliennes.

Après avoir participé à plusieurs mouvements insurrectionnels touarègues, et ayant longtemps frayé avec les groupes terroristes, il a fondé Ansar Dine en 2012. Il se veut porteur d’un projet politique alternatif de celui proposé par les autorités centrales, reposant sur l’application d’un islam rigoriste, et présente son mouvement comme un acteur défendant les populations face à un État prédateur et des forces étrangères présentées comme occupantes. C’est d’ailleurs dans cette perspective que le RVIM concentre ses actions contre les membres des forces armées nationales et internationales ainsi que les symboles de l’État, laissant au contraire les acteurs humanitaires intervenir plus ou moins librement dans ses zones d’influence.

Au sein du RVIM, la katiba du Macina représente le groupe le plus menaçant, en raison tant de son implantation dans le Centre du Mali, zone ô combien stratégique, que de son influence au sein des populations. Pour un certain nombre de chercheurs auditionnés par les rapporteures, l’implantation durable de la katiba du Macina, dans le centre du pays, s’explique par la mise en place d’un système politico-administratif permettant, notamment, de gérer la répartition des droits d’accès aux ressources naturelles, terres, espaces de pâturage, eau, etc. Elle s’explique aussi par l’identité de son chef, Amadou Koufa, un Peul bénéficiant d’une forte et ancienne popularité au sein de sa communauté. Un rapport de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH) et l’Association malienne des Droits de l’Homme (ADMH) souligne ainsi qu’il a « très vite acquis une certaine notoriété chez les jeunes Peuls. Dans les années 1990-2000, les enregistrements de ses prêches s’arrachent. […]. S’il séduit les jeunes, c’est aussi parce que ses prêches et ses poèmes, qu’il déclame à la radio, sont autant de remises en cause du système. Koufa dénonce l’hypocrisie des « aristocrates » et des familles maraboutiques. Il critique la mendicité des talibés qui servent à enrichir les marabouts. Il pointe du doigt les voleurs ou les femmes légèrement vêtues. Il célèbre les bergers. Plus globalement, il dénonce – sans employer ces termes – l’absence d’ascenseur social ». La parfaite maîtrise des environnements sociétaux, normatifs, économiques, sociaux, communautaires par ces groupes djihadistes constituent l’un de leurs plus grands atouts. Ce discours « politique » ne doit néanmoins pas cacher la violence qui se trouve au cœur de l’action terroriste de la katiba du Macina. Le même rapport souligne ainsi la « stratégie d’exécutions et l’administration brutale » mise en place par le groupe d’Amadou Koufa dans le Centre du Mali, où « tous ceux qui s’opposent à eux n’ont qu’un seul choix : partir ou mourir. ([12]) »

Du reste, l’implantation de ce lieutenant d’Iyad Ag Ghali dans la région centre relève d’une stratégie délibérée des émissaires d’Al-Qaida, le grand journaliste malien Adam Thiam, tout récemment décédé, soulignant ainsi dans un rapport pour l’Institut du Macina qu’il était « prévu, dès 2013, au moment de l’intervention de Konna, que [Koufa] porte le djihad dans la zone en tant qu’Émir de Konna. ([13]) ».

2.   Les groupes terroristes se nourrissent des frustrations et de la colère de certaines populations

La stratégie d’élimination des membres des groupes armés terroristes se heurte parfois à la grande capacité de régénération dont ces derniers semblent faire preuve. Ceci s’explique d’abord par la capacité des groupes terroristes à se nourrir des frustrations et de la colère des populations, comme en témoigne la volonté des chefs terroristes, et en particulier du RVIM, de se substituer à l’État. De ce point de vue, comme l’a indiqué aux rapporteures M. Yvan Guichaoua, enseignant-chercheur en analyse des conflits à la Brussels school of international studies (BSIS), « les groupes armés terroristes prétendent gouverner certaines zones du pays en proposant leur propre cadre idéologique ». Dans cette perspective, les groupes terroristes exploitent les fragilités des sociétés sahéliennes ou leurs lignes de fractures afin d’attirer à eux des recrues dans un flux rarement interrompu.

a.   L’attisement des tensions communautaires

La fragmentation ethnique et communautaire du Mali est pleinement exploitée par les groupes armés terroristes, comme l’a confirmé aux rapporteures M. Vianney Bisimwa, directeur régional « Sahel » du Centre pour les civils en conflit (CIVIC - center for civilians in conflict), pour lequel les groupes terroristes n’hésitent pas à s’en prendre à des communautés rivales pour attiser les tensions entre elles. Selon M. Bisimwa, il s’agit ainsi de créer une situation de « chaos », propice aux recrutements car il est plus aisé de « pêcher en eaux troubles ».

RÉpartition simplifiÉe des principaux groupes ethniques au Mali, en nombre et en pourcentage de la population

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Source : le Data Lab, Alternatives économiques.

 

Dans le rapport précité, International crisis group souligne d’ailleurs que dans les zones rurales, « le GSIM [RVIM], comme l’État islamique, exploite les frustrations des populations vivant dans ces régions et recrute particulièrement au sein de groupes ethniques où prédomine un fort sentiment d’injustice, comme chez les pasteurs peuls. Les insurgés font bénéficier ces populations de leur protection et de leur influence lorsque celles-ci font face à des litiges locaux ; ils leur proposent également leur aide lorsqu’il s’agit de mener des arbitrages et de réglementer l’accès aux ressources. ([14]) » Cette stratégie ne se limite d’ailleurs pas au Mali, le même rapport indiquant par exemple que « dans les provinces du Soum et la région du Centre-Nord du Burkina Faso, les jihadistes ont exploité les tensions intercommunautaires entre Peul et Mossi. Dans la région de Tillabéri, au sud-ouest du Niger, où des insurgés ont récemment tué plus de 100 personnes dans des attaques menées contre deux villages, et de l’autre côté de la frontière, dans la région malienne de Ménaka, la branche locale de l’État islamique a profité de la vive compétition autour des ressources naturelles et des luttes locales de pouvoir entre (et parmi) les Peul, les Djerma, les Touareg et les Daosahak pour s’implanter en tant que force insurgée ».

b.   L’exploitation de la pauvreté

Au Sahel, le terrorisme prospère aussi sur le terreau de la pauvreté. Les cinq pays du G5 Sahel, c’est-à-dire la Mauritanie, le Mali, le Niger, le Tchad et le Burkina Faso, se trouvent ainsi en bas du classement des pays établi par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) s’agissant de l’indice de développement humain. Les cinq pays se trouvent répertoriés dans la catégorie « Développement humain faible », et quatre d’entre eux se trouvent parmi les sept pays les moins avancés en la matière.

Indice de dÉveloppement humain des pays du Sahel (PNUD, 2019)

Mauritanie

157/189

Burkina Faso

182/189

Mali

184/189

Tchad

187/189

Niger

189/189

Source : Rapport sur le développement humain 2020, PNUD.

Dans ce contexte, il est aisé pour les groupes terroristes de séduire de jeunes gens frustrés, pauvres et sans grandes perspectives en leur proposant quelques faibles sommes d’argent pour rejoindre leurs rangs ou simplement effectuer quelques missions à leurs profits, comme du guet ou du renseignement. C’est ainsi que le rapport de la FIDH et de l’ADMH précité indique que « la katiba [du Macina] recrute aussi parmi les étudiants des écoles coraniques, qui sont souvent de jeunes adolescents attirés par une promesse de meilleur apprentissage de la religion, ou par la possibilité de gagner de l’argent « facilement » ». Des témoins interrogés par les auteurs du rapport reconnaissent également avoir rejoint les groupes terroristes « pour l’argent », comme un dénommé Brahima, ou après s’être « laissé convaincre qu’il s’agissait du meilleur moyen de rejoindre l’Europe, et notamment l’Espagne, où il [Abdou] souhaitait rejoindre des amis » ([15]).

c.   Les failles de l’État

Dans ce contexte, l’État s’est montré défaillant, voire prédateur – c’est-à-dire non protecteur – pour des populations qui se sentent marginalisées, et se montrent de plus en plus impatientes face à la persistance de pratiques corruptives parmi les classes politiques et l’administration. L’état-major des armées dresse d’ailleurs le portrait de combattants pour lesquels la motivation djihadiste n’est pas centrale, mais bien plus marqués par le sentiment d’abandon de l’État. La réponse sécuritaire a d’ailleurs parfois aggravé le sentiment d’injustice qui prévalait en raison des exactions qu’ont pu commettre les forces de défense et de sécurité des pays sahéliens ([16]).

De manière plus générale, les États sahéliens se trouvent dans l’incapacité de mettre leurs pays sur les rails du développement, de rendre la justice de manière équitable et d’assurer une régulation et une résolution pacifiques des conflits, en particulier fonciers. Selon M. Alain Antil, directeur du Centre Afrique Subsaharienne de l’Institut français des relations internationales, on peut ainsi estimer que les trois-quarts des instances engagées devant les tribunaux concernent des désaccords fonciers, et face aux insuffisances de la justice, nombre d’entre eux donnent lieu à des dérives violentes.

Ces difficultés sont amplifiées par des facteurs structurels, au premier rang desquels une croissance démographique très vigoureuse, qui constitue un défi de premier ordre pour des États insuffisamment robustes. L’évolution démographique est si intense – au Niger, selon la Banque mondiale, le taux de fécondité est d’un peu plus de sept enfants par femme, ce qui contribue au taux de croissance démographique le plus élevé (3,8 %) au monde – que sa population devrait passer d’environ 23 millions d’habitants en 2019 à 30 millions en 2030 et atteindre 70 millions en 2050. Dans ce contexte, il est déjà certain que l’augmentation des budgets alloués à l’éducation et à la santé ne permettra sans doute pas d’offrir à l’avenir le même niveau de service – déjà très médiocre – aux populations.

La croissance démographique, combinée à l’exode rural, contribue à une croissance urbaine encore plus rapide, ce qui conduit les États à consacrer une part très importante des investissements dans les infrastructures et les espaces urbains, et à délaisser les territoires ruraux, où prospèrent les groupes terroristes et les violences.

3.   L’expansion territoriale des groupes terroristes est indéniable

Près de dix ans après l’éclatement de la crise malienne de 2012, force est de constater que les groupes armés terroristes ont élargi leur espace d’influence, et encore davantage depuis 2008, au moment où avait été lancé le « Plan Sahel ». La crise libyenne n’est pas non plus sans conséquence sur la diffusion de la menace terroriste au Sahel, et au-delà, en raison de l’accroissement des trafics d’armes et de la présence sur le sol libyen de nombreux combattants, y compris de combattants étrangers, qui ont suivi l’intervention militaire en Libye de 2011. À l’occasion de sa rencontre avec le président libyen Mohamed Al Menfi, le 23 mars à l’Élysée, le Président Macron a d’ailleurs indiqué qu’« il n’y aura pas de paix en Méditerranée centrale et orientale, au Sahel et dans toute cette région de l’Afrique si nous n’arrivons pas à avoir la paix et la stabilité en Libye, si nous n’arrivons pas à y éradiquer les groupes terroristes, les trafiquants de tous ordres qui déstabilisent la Libye et toute la région. » Ajoutant « nous avons une dette envers la Libye, très claire : une décennie de désordre. »

a.   Du sud du pays à l’ensemble du Sahel

L’expansion territoriale de la menace terroriste s’est accélérée à la mesure du vide sécuritaire créé par les défaites et le retrait des forces armées maliennes d’un certain nombre de zones du territoire, le RVIM poursuivant par ailleurs son projet d’expansion territorial vers le sud, comme en a témoigné la création de la katiba du Macina. L’aire d’influence des groupes violents a largement dépassé le Nord, et se concentre aujourd’hui davantage vers le Centre du Mali, véritable épicentre de la crise, et la zone des trois frontières, la porosité des frontières et les failles de la coordination inter-étatiques permettant aux groupes terroristes d’y trouver des zones refuge. En outre, souvent éloignés des centres politiques, administratifs et économiques, les territoires frontaliers de certains pays les plus concernés par la crise – Burkina Faso, Mali, voire Niger – ne sont pas ceux faisant l’objet de la plus grande attention de la part des élites politiques. Autrement dit, comme l’ont confié aux rapporteures certaines personnes auditionnées : « à Bamako, on peut tout à fait ne pas concevoir la réalité de la menace terroriste ».

La Mauritanie et le Tchad apparaissent davantage épargnés par la propagation de la menace constituée par les groupes terroristes qui frappent le cœur du Sahel. Toutefois, le Tchad fait également face à une recrudescence de l’activité de l’État islamique en Afrique de l’Ouest (ISWAP), auquel est rallié l’EIGS, dans la région du lac Tchad, tandis que les zones frontalières avec la Libye ont été déclarées « zones d’opérations militaires » en janvier 2017. La frontière avec la Libye est à ce stade fermée. S’agissant de la Mauritanie, si le pays semble être parvenu à juguler la menace terroriste après avoir été le premier des pays du Sahel frappé par AQMI – le 24 décembre 2007, trois hommes de la katiba de Mokhtar Belmokhtar attaquent un groupe de cinq touristes français et tuent quatre d’entre eux près d’Aleg en Mauritanie, ce qui conduira à l’annulation de l’édition 2008 du Paris-Dakar – sa proximité avec le Mali expose le territoire mauritanien à des risques d’infiltration de groupes terroristes. Si la déclassification par l’administration américaine, en 2016, de certains documents attribués à Oussama Ben Laden a conduit à penser que le gouvernement mauritanien aurait passé, en 2010, un pacte de non-agression avec AQMI ([17]), rien dans les travaux des rapporteures ne permet d’étayer une telle hypothèse.

Quoi qu’il en soit, le Mali et la zone des trois frontières restent les zones principales d’influence des groupes terroristes, comme l’illustrent les cartes ci-dessous.

Emprise gÉographique du RVIM et de l’EIGS au dÉbut de l’annÉe 2021

Source : état-major des armées, centre de planification et de conduite des opérations.

Emprise gÉographique des principaux GAT sahÉliens au dÉbut de l’annÉe 2020

Source : « La crise sécuritaire sahélienne », lieutenant-colonel Thibault Ricci, sous la direction du général de corps aérien Patrick Charaix, IRIS SUP, septembre 2020.

b.   Au sud du Sahel

En outre, la plupart des personnes auditionnées par les rapporteures pointent le risque d’une dilution de la menace vers des territoires comme le nord du Bénin, du Ghana, du Togo ou de la Côte d’Ivoire, et plus largement en direction du Sénégal et de l’ensemble des pays riverains du Golfe de Guinée. Il y a donc tout lieu de faire preuve de vigilance et de sensibiliser les autorités des pays concernés.

Cette expansion n’est pas tant le reflet d’un échec de la stratégie militaire à l’œuvre que de l’incapacité collective des États sahéliens et de leurs partenaires à offrir des perspectives aux populations locales. Dans ces zones elles aussi délaissées par l’État central, on constate la radicalisation de certains groupes, présents dans des régions prédisposées au basculement : marginalisation des populations, pauvreté, défaillance de l’État et des services publics, absence de perspectives, ferment religieux. L’extension de la menace n’est ainsi pas la traduction de l’extension géographique des groupes qui sévissent au Mali, mais plutôt celle de la diffusion de leur idéologie. Le 1er février 2021, M. Bernard Émié a toutefois reconnu, à l’occasion du comité exécutif consacré au contre-terrorisme, que les pays du Golfe de Guinée « sont désormais des cibles, eux aussi. Pour desserrer l’étau dans lequel ils sont pris, et pour s’étendre vers le Sud, les terroristes financent déjà des hommes qui se disséminent en Côte d’Ivoire ou au Bénin. ([18]) »

c.   Le risque de voir l’Europe frappée depuis le Sahel est manifeste

Si, lors de son audition, le directeur général de la sécurité extérieure est convenu qu’à l’heure actuelle, la menace projetée était sans doute plus forte depuis le Levant, il a confirmé aux membres de la mission d’information qui l’interrogeaient que des renseignements permettaient de caractériser la volonté d’AQMI de commettre des attentats en Europe depuis le Sahel, volonté déclinant un ordre de l’état-major d’Al-Qaida. Ce risque est dorénavant pris en compte par nos partenaires internationaux, convaincus que la lutte contre le terrorisme au Sahel est un enjeu majeur qui dépasse les frontières sahéliennes.

En outre, au-delà de la menace que ces groupes font peser sur la France et l’Europe, ils ont déjà directement visé des Occidentaux et nos intérêts sur place. Le 1er février dernier, le directeur général de la sécurité extérieure rappelait ainsi qu’Al-Qaida était « responsable des attentats meurtriers qui ont ensanglanté la région et visé des Occidentaux, comme en 2015 à Bamako, en 2016 à Grand Bassam en Côte d’Ivoire, en 2017 comme en 2018 à Ouagadougou. À cela s’ajoute une liste de près de 60 ressortissants étrangers kidnappés, parmi lesquels de nombreux Français, dont plusieurs ont été lâchement assassinés ([19]) » : Michel Germaneau, enlevé le 20 avril 2010 au Niger, exécuté le 24 juillet 2010 au Mali, Antoine de Leocour et Vincent Delory, enlevés le 7 janvier 2011 à Niamey, tués le 8 janvier 2011 lors de leur opération de libération, Philippe Verdon, enlevé le 24 novembre 2011 au Mali, assassiné le 10 mars 2013, Gilberto Rodrigues Leal, enlevé le 20 novembre 2012 au Mali, décédé en détention au second semestre 2013.

4.   L’accroissement des violences est manifeste

L’expansion territoriale des groupes terroristes s’est mécaniquement accompagnée d’un accroissement du niveau de violence, la déstabilisation terroriste venant déclencher des tensions latentes. Celui-ci s’est accru au cours des années 2018 et 2019, qui ont été particulièrement dures pour les forces locales, les forces internationales – notamment françaises – et surtout les populations civiles. Le 11 juin 2019, auditionné par la commission de la Défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale, le général d’armée François Lecointre, chef d’état-major des armées, indiquait d’ailleurs penser que « la réalité est que l’expression de la violence vient aggraver une dégradation générale des conditions de vie de ces populations, et que nous sommes, nous militaires, confrontés à nos propres limites : nous ne pouvons agir que dans cette mise en œuvre de la force ». Ajoutant penser « malheureusement qu’aujourd’hui, les conditions d’une extension de la déstabilisation de la zone sont réunies » ([20]).

Huit ans après le déclenchement de l’opération Serval, on dénombre ainsi davantage d’attaques, davantage de victimes et davantage de réfugiés.

Incidents au Sahel (2013-2020)

Source : ACLED (Armed Conflict Event Data Project), 2020. Rapport de l’International crisis group (ISG) » Réordonner les stratégies de stabilisation du Sahel », 1er février 2021.

Les populations civiles sont évidemment les premières victimes de l’accroissement des violences. Lors de son audition par les rapporteures, M. Vianney Bisimwa a ainsi souligné qu’entre 2017 et 2020, les attaques contre les civils ont quintuplé, 2020 ayant été l’année la plus meurtrière avec 2 300 morts au Niger, au Burkina Faso et au Mali, un chiffre multiplié par sept par rapport à l’année 2017. Durant la même période, plus de 1 000 membres des forces de défense et de sécurité de ces trois pays ont également été tués, soit trois fois plus qu’en 2017. Les civils pâtissent également directement de la pose par les terroristes d’engins explosifs improvisés (EEI ou, selon l’acronyme anglais, IED pour improvised explosive devices). Le dernier rapport du Secrétaire général de l’ONU sur la situation au Mali, publié le 28 décembre 2020, indique ainsi qu’au cours du dernier semestre de l’année 2020, « 6 civils ont été tués et 10 ont été blessés dans les régions de Gao, de Kidal et de Sikasso » du fait des EEI. De même, le rapport fait état, au 1er décembre 2020, de 82 civils tués, 175 blessés et 163 enlevés dans tout le Mali au cours des trois mois précédents, ajoutant que « dans la région de Tombouctou, les menaces que les groupes extrémistes violents continuent de faire peser sur les civils restent très préoccupantes. » ([21])

Les violences ont également entraîné un accroissement du nombre de personnes déplacées. À titre d’exemple, le nombre de réfugiés a été multiplié par sept au Burkina Faso entre 2018 et 2020, évolution d’autant plus spectaculaire que le pays ne comptait aucun réfugié cinq ans auparavant.

Une analyse plus fine de l’évolution des violences commises en bande sahélo-saharienne illustre de manière incontestable le tournant qu’ont représenté les années 2018 et 2019.

Actes de violences au Sahel en 2020 et Évolution depuis 2016

Source : ACLED (Armed Conflict Event Data Project).

II.   Les groupes terroristes ne constituent pas la seule menace pour la stabilité du Sahel

Les actes de violences et de déstabilisation qui frappent le Sahel ne sont toutefois pas le seul fait des groupes terroristes. Ils sont aussi celui des groupes armés signataires (GAS) de l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger, mais également le résultat des tensions communautaires, voire ethniques, qui parcourent la région, ainsi que des activités criminelles de groupes de bandits.

A.   Le Nord du Mali, objet permanent de lutte et de déstabilisation

Ce n’est pas uniquement la crise qui agite le Mali depuis le début des années 2010 qui a fait de certains territoires des zones de droit contestées. Le Nord du Mali l’était déjà dans les années 2000 et l’État était absent de nombreuses parties du pays. Comme l’a rappelé aux rapporteures M. Yvan Guichaoua, cette région est un objet de lutte depuis la première rébellion touarègue de 1963, matée par la violence, et dont le souvenir continue de mobiliser les combattants actuels.

1.   L’Accord pour la paix et la réconciliation de 2015 est pour l’heure un échec

Trois ans après l’éclatement de la crise de 2012, l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali (APR) ([22]), issu du processus d’Alger, est signé entre le gouvernement malien et deux coalitions de groupes armés issus du Nord du pays, la Plateforme du 14 juin, dite « la Plateforme », alors réputée proche du gouvernement, et la Coalition des mouvements de l’Azawad (CMA), fédération de mouvements entrés en rébellion contre l’État malien, partisane d’une très forte autonomie des régions du Nord et composée de groupes prônant une vision plus conservatrice de l’islam. Paraphé à Alger le 1er mars 2015, cet accord a ensuite été signé à Bamako en deux temps, le 15 mai avec la Plateforme, puis le 20 juin 2015 avec la CMA. L’incapacité de réunir les différentes parties plaçait dès l’origine l’APR sous d’obscures hospices, d’autant que l’accord de Ouagadougou, signé le 18 juin 2013 entre la République du Mali et les groupes armés rebelles touaregs s’était rapidement soldé par un échec.

Ainsi va d’ailleurs la vie des accords censés apaiser les relations entre l’État malien et les mouvements touaregs, car avant l’APR, un autre accord avait été signé, en 2008, entre le gouvernement malien et la rébellion touarègue, représentée par l’Alliance démocratique du 23 mai pour le changement, déjà à Alger. Cet accord faisait lui-même suite à un accord de paix signé, également à Alger, en juillet 2006.

De manière schématique, l’APR prévoit notamment de rétablir la paix au Mali par une décentralisation soutenue (dite « régionalisation »), la création d’une armée reconstituée intégrant les anciens groupes armés signataires – dans le cadre d’un processus de désarmement, de démobilisation et de réintégration, dit DDR –, et des mesures de développement économique spécifiques au Nord du pays, le tout appuyé par un effort de dialogue, de justice et de réconciliation nationale ([23]).

Dans une étude publiée le 24 juin 2020 consacrée à la mise en œuvre de l’Accord d’Alger ([24]), l’organisation non gouvernementale International crisis group relève que celle-ci « demeure incomplète et laborieuse cinq ans après sa signature ». L’étude rappelle notamment que selon le Centre Carter, qui s’est vu confier, à la fin de l’année 2017, le rôle d’observateur indépendant au Mali, le processus de mise en œuvre de l’accord ne progresse quasiment pas : « 22 % des dispositions de l’accord étaient mis en œuvre en 2017, contre 23 % trois ans plus tard ; aucun des cinq piliers sur lesquels se fonde l’accord n’a été appliqué de façon satisfaisante ». Et souligne que les lenteurs concernent en particulier la réforme de la régionalisation.

La mise en œuvre du processus de désarmement, de démobilisation et de réintégration (DDR) illustre à elle seule l’échec de la mise en œuvre de l’APR. En 2018, une note publiée par la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) relevait déjà qu’il s’agissait d’un parcours « semé d’embûches » ([25]), soulignant par exemple que le processus de DDR a débuté trois ans après la signature de l’Accord, alors qu’il aurait dû être engagé au bout de soixante jours, soit en septembre 2015. L’étude relève que « l’absence de confiance entre les parties entraîne des délais » à chaque étape, d’autant que près de 85 000 combattants ont finalement été enregistrés par les groupes signataires. À l’été 2020, selon les chiffres publiés par ICG, seuls 1 840 combattants avaient été intégrés dans le processus de DDR, un chiffre bien éloigné de l’objectif fixé par le Conseil de sécurité des Nations unies ([26]) de voir réintégrés 3 000 combattants en juin 2020.

Le désarmement est pour l’heure théorique et n’a concerné à ce jour, selon M. Nicolas Normand, ancien ambassadeur de France au Mali, « que 1 840 armes légères et obsolètes sur 26 108 armes enregistrées. Les mouvements armés n’ont déposé que des fusils mauser et des petits pistolets, alors que l’armement enregistré, selon le rapport d’étape de septembre 2018 de la commission compétente, dénombrait 990 mitrailleuses, 225 roquettes, 490 armes lourdes, six missiles, 201 obus, 5 943 pistolet-mitrailleurs, 3 736 carabines, etc. » ([27]).

En définitive, ainsi que l’a indiqué aux rapporteures le colonel (ER) Michel Goya, le Nord du Mali demeure un foyer de crise explosif, car si le conflit de « l’Azawad » semble gelé, il reste latent, et ce d’autant que les groupes armés signataires de l’accord jouent un rôle ambivalent.

2.   Le rôle ambivalent des groupes armés signataires de l’Accord de paix et de réconciliation de 2015

Le 7 septembre 2019, à l’occasion d’un déplacement à Bamako, le président nigérien Mahamadou Issoufou déclare que « Kidal est une menace pour la sécurité intérieure du Niger », précisant constater : « avec beaucoup de regret, qu’il y a des mouvements signataires des accords de paix d’Alger qui ont une position ambiguë, qu’il y a des mouvements signataires des accords de paix d’Alger qui sont de connivence avec les terroristes. Nous ne pouvons l’admettre. » ([28])

Les groupes armés rebelles de nature autonomiste ou indépendantiste, particulièrement les groupes armés signataires (GAS) de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali (APR) issu du processus d’Alger, jouent en effet un rôle trouble, et contribuent à la déstabilisation de la zone. Comme l’a expliqué aux rapporteures Mme Niagalé Bagayoko, les dernières années ont été marquées par une profonde reconfiguration de ces mouvements. Ainsi, la CMA, principalement articulée autour du Haut conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA), mouvement politique et militaire touareg formé le 2 mai 2013 et tenu par les autorités traditionnelles de la ville de Kidal, est parvenue à rallier d’anciens combattants des groupes affiliés à la Plateforme.

En outre, la porosité entre les GAS et les GAT est bel et bien réelle. C’est ainsi que le HCUA est constitué de Touaregs de la tribu des Ifoghas et de transfuges du groupe terroriste Ansar Dine. Dans un article du Monde daté du 28 août 2018 ([29]), la journaliste Morgane Le Cam, correspondante à Bamako, indique ainsi que « les Nations unies (ONU), via leur groupe d’experts indépendants sur le Mali, dénoncent, noms à l’appui, l’implication de membres de groupes armés signataires de l’accord de paix d’Alger ou désignés comme « coopératifs » dans des attaques terroristes, mais aussi dans le trafic de migrants et de drogues » ajoutant « D’autant que des membres de groupes qui ont directement signé l’accord d’Alger sont également mis en cause. Le maire de Talataye, dans la région de Gao, est l’un d’eux : « Salah Ag Ahmed a été présenté au panel par plusieurs sources indépendantes comme membre proéminent du HCUA [Haut Conseil pour l’unité de l’Azawad], proche d’Iyad Ag Ghali (…) et comme agent de liaison entre les groupes djihadistes Ansar Eddine et l’EIGS. » Cette porosité a éclaté au grand jour lorsque les affrontements inter-djihadistes sont apparus, des membres du HCUA ayant prêté main forte au RVIM face à l’EIGS.

Les GAS semblent ainsi poursuivre leur propre agenda, afin de tirer le meilleur parti de la situation politique actuelle.

B.   Les tensions communautaires sont au plus haut

1.   La crise sécuritaire a exacerbé les tensions communautaires

La crise a également attisé les violences entre les groupes communautaires dans toute la région, provoquée probablement par les difficultés d’accès aux ressources, notamment  à l’eau et à la terre. C’est ainsi que « la récurrence des aléas climatiques extrêmes observée ces dernières années, notamment avec des sécheresses plus intenses et fréquentes, modifie les habitudes de transhumance des pasteurs, conduisant à des mouvements de plus en plus précoces qui sont sources de conflits autour de l’accès aux ressources. […] Les conflits localisés autour de l’accès aux ressources et la précarité économique des acteurs, accentuée en période de sécheresse, peuvent être alors à l’origine de conflits régionaux plus généralisés. » ([30]) Dans ce contexte, le climat de violence propagé par les groupes terroristes et la plus grande circulation des armes a décomplexé certaines communautés, et attisé des tensions inter-ethniques. Dans le centre du pays, on distingue ainsi clairement le plateau Dogon, à l’est, et le cœur de la zone d’influence de la katiba du Macina, à dominante peule, à l’ouest. Ces tensions intercommunautaires rendent encore plus complexe l’appréhension de la situation sécuritaire, d’autant qu’elles se superposent parfois à la menace terroriste. C’est ainsi que certains groupes sont réputés pour être composés en majorité de combattants peuls : la katiba du Macina, la katiba Serma, la faction burkinabè Ansarul Islam, enfin, l’État islamique au Grand Sahara (EIGS). Et même si ces groupes comptent des combattants de nombreuses autres communautés (Touaregs, Arabes, Songhaïs, Dogons, Sénoufos, Mossis), les Peuls sont réputés particulièrement engagés dans les groupes terroristes ([31]). Pour certains observateurs, à l’instar de M. Bernard Lugan, les rivalités ethniques constituent le cœur de la crise qui touche le Sahel.

En outre, comme le relevait M. Adam Thiam dans le rapport précité, « on occulte trop souvent la dimension intra-ethnique des tensions », avec des « différences statutaires héritées notamment de l’empire peul de Macina (XIXe siècle), [qui] sont intégrées à un ensemble de règles et pratiques qui structurent l’économie politique de l’élevage et de l’agriculture dans le Delta du Niger ». Le rapport de la FIDH et de l’AMDH précité indique ainsi : « la société peule est loin d’être homogène. On y trouve des catégories de dominants et de dominés, elles-mêmes divisées en sous-catégories. Les « nobles » ou « libres » (rimbe) dominent statutairement les castes artisanes (neenbe) et les descendants d’esclaves (rimaybe) ».

Dans ce contexte, Mme Niagalé Bagayoko a notamment mis en lumière, lors de son audition, la sous-estimation des bouleversements sociétaux introduits sous le fait des réformes inspirées par les partenaires internationaux (démocratisation, décentralisation, promotion du genre, etc.) dans des sociétés sahéliennes encore extrêmement hiérarchisées. À titre d’exemple, les modes de désignation démocratique des responsables politiques au niveau local heurtent parfois la détermination des autorités traditionnelles à conserver leurs prérogatives : l’introduction du modèle représentatif a ainsi pu conduire à l’élection de personnes issues de catégories sociales jugées « inférieures », et donc mal acceptées.

Considérée comme l’activité la plus noble et la plus aristocratique dans certaines communautés, le pastoralisme est aujourd’hui en crise, notamment en raison du soutien à l’agriculture promu par de nombreuses politiques de développement. Par ailleurs, des membres de catégories sociales traditionnellement jugées « inférieures » peuvent choisir de rejoindre des groupes violents dans le but de modifier l’ordre établi.

Il résulte de ces bouleversements et de l’attisement des tensions d’importantes violences prenant quasiment la forme d’expéditions punitives ethniques. Celles-ci visent tant les Peuls, au travers notamment des actions de la milice d’autodéfense de l’ethnie Dogon Dan Na Ambassagou ([32]) ou d’exactions commises par les forces armées maliennes (FAMas), que les Dogons ; le Peul Amadou Koufa, à la tête de la katiba du Macina, s’est aussi fait connaître en dénonçant les injustices faites à ses « frères ».

2.   Des groupes d’auto-défense violents ont émergé

L’émergence de groupes d’auto-défense ne date pas de l’éclatement de la crise de 2012, comme en témoignent les exemples des milices songhaïe Gandakoye et Ganda Izo, qui existent depuis les années 1990. Toutefois, ces groupes d’autodéfense se sont multipliés à la faveur de la crise, d’abord au Burkina Faso, de manière autonome, comme les groupes d’auto-défense « keogl-weogo » ou des groupes de chasseurs dozos. Ces groupes sont d’ailleurs largement soutenus par les populations qui refusent leur démantèlement.

Au Burkina Faso, l’institutionnalisation de certains d’entre eux a été actée par la loi sur les Volontaires pour la défense de la patrie (VDP), promulguée le 21 janvier 2020, qui permet d’enrôler les Burkinabè âgés de plus de 18 ans, comme « auxiliaires des forces de défense et de sécurité (FDS), pour servir de façon volontaire les intérêts sécuritaires de leur village ou de leur secteur de résidence » ([33]). Les missions du volontaire sont « de contribuer, au besoin par la force des armes, à la défense et à la protection des personnes et des biens de son village ou de son secteur de résidence, en vertu d’un contrat signé entre le volontaire et l’État ». Ce contrat est valable pour une durée d’un an, renouvelable chaque année dans la limite de cinq ans. Pour les autorités burkinabè, il s’agit ainsi de mettre en place des forces de proximité, en assumant le fait que les différentes communautés doivent jouer un rôle central dans l’offre de sécurité.

Ces groupes d’auto-défense sont rapidement devenus des groupes communautaires, dont certains se sont montrés particulièrement violents, à l’instar de la milice Dan Na Ambassagou, tristement célèbre depuis qu’elle a été accusée de se livrer à des massacres à l’encontre de la communauté peule, comme dans le village malien d’Ogossagou, qui a coûté la vie à 157 Peuls, dont 46 enfants, et a blessé 65 autres civils, 95 % du village ayant été incendié selon le bilan établi par la MINUSMA ([34]).

Après le Burkina Faso et le Mali, il semblerait qu’à l’aune des massacres de civils qui se produisent dans la zone des trois frontières, côté nigérien, certaines communautés nigériennes s’organisent progressivement pour assurer leur propre défense dans l’ouest du Niger, en particulier parmi les Zermas, les Peuls et les Touaregs, selon les informations communiquées aux rapporteures.

C.   Le banditisme n’a pas faibli

1.   Le Sahel est historiquement une zone de trafic

Le rapport d’information de MM. Christophe Guilloteau et Philippe Nauche soulignait déjà, à l’été 2013, combien le Sahel constituait un « champ d’opération privilégié pour les organisations criminelles » ([35]). Un article de la revue Politique internationale du printemps 2013 ([36]) montrait ainsi la diversité de ces trafics, qu’il s’agisse de stupéfiants (résine de cannabis, cocaïne et héroïne), de voitures volées, d’armes légères, de médicaments, de carburant ou de trafic de migrants.

Les acteurs criminels, qui se livrent à des trafics de biens licites (denrées alimentaires, voitures, notamment) et de biens illicites (cigarettes contrefaites, drogues principalement) participent ainsi à la déstabilisation de la bande sahélo-saharienne. Certains GAS sont impliqués dans de tels trafics et ces acteurs criminels entretiennent aussi des liens avec certains groupes terroristes. Le rapport d’information précité relevait ainsi que le MUJAO, établi dans la région de Gao, souvent appelée « cocaïne city » à l’époque, était davantage impliqué dans des trafics mafieux.

2.   La crise sécuritaire a favorisé l’accroissement des actes de criminalité

Le contrôle d’aires géographiques revêt d’abord un enjeu de contrôle des flux (marchandises, armes, drogues, personnes), par la mise en place de « péages » permettant de capter une manne financière considérable. Le Sahel constitue ainsi une zone stratégique, au cœur des flux, comme le montre la carte ci-dessous s’agissant des flux de bétail.

Mobilité du bÉtail au Sahel

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Source : « Le pastoralisme, un facteur de stabilité essentiel dans le Sahel », Lucie Royer et Stéphanie Brunelin, Idées pour le développement, 18 juin 2020.

Au-delà, le dernier rapport du Secrétaire général des Nations unies sur la situation au Mali, précité, note ainsi que « la criminalité et l’intimidation par la violence ont persisté le long des axes routiers Ansongo-Labézanga et Ansongo-Ménaka, ce qui montre la nécessité d’un renforcement de la présence des forces de sécurité. Des enlèvements de filles et de femmes dont on soupçonne qu’ils sont le fait d’éléments armés radicaux ont été signalés et la violence contre les civils s’est poursuivie dans la commune d’In-Tillit, en particulier contre les chercheurs d’or se livrant à des activités minières illégales. »

L’affaiblissement de la présence de l’État et la multiplication des zones de non-droit a donc conduit à l’accroissement des actes de criminalité, d’autant que leur résorption ne fait pas partie du mandat des forces internationales engagées au Sahel, et notamment pas de l’opération Barkhane, pilier de la lutte contre le terrorisme sahélien.


   Deuxième partie

   Barkhane, une opération au cœur de l’action en faveur de la stabilisation du Sahel

I.   Barkhane, socle robuste de la lutte contre le terrorisme

A.   Une opération dynamique, en perpétuelle adaptation

1.   La mission de Barkhane

a.   Un objectif ultime : contenir la menace à un niveau jugé acceptable

Prenant la suite de l’opération Serval, le 1er août 2014, Barkhane a consisté à régionaliser l’action des forces françaises à l’échelle des cinq pays du Sahel : la Mauritanie, le Mali, le Niger, le Burkina Faso et le Tchad. Dans les faits, les forces françaises interviennent essentiellement au Mali et dans la zone des trois frontières. Barkhane n’a eu de cesse de s’adapter à l’évolution de la menace, du contexte politique et des moyens consentis. Plus largement, depuis le déclenchement de l’opération Serval, l’engagement des forces françaises a ainsi connu plusieurs phases, que l’on peut résumer de manière schématique, et donc forcément réductrice, de la manière suivante :

– le temps de l’urgence, entre 2013 et 2014, afin de stopper l’avancée des colonnes rebello-terroristes déferlant du nord du Mali vers Bamako ;

– l’endiguement de la menace terroriste dans le Nord, entre 2015 et 2017, dans le cadre de la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation (APR), dit accord d’Alger, de juin 2015 ;

– le temps de la transition d’une logique cinétique à une logique de plus en plus partenariale, depuis 2018.

Malgré ces différentes phases, le but de l’opération Barkhane – ce que les militaires appellent « l’état recherché (EFR) » – est, quant à lui, plutôt stable, et sa pertinence n’est pas en question.

Il s’agit de mettre la menace terroriste à la portée des forces locales, ce qui suppose d’actionner deux leviers : d’une part, affaiblir les groupes armés terroristes (GAT), cœur de l’opération Barkhane ; d’autre part, contribuer à l’autonomisation progressive des forces locales, grâce à des actions de formation et, surtout, un accompagnement des forces locales sur le terrain. D’ailleurs, lors de leur déplacement à Niamey et Gao, réalisé au début du mois de novembre, les rapporteures ont pu mesurer que tous les militaires rencontrés sont conscients qu’il ne s’agit pas pour eux d’éradiquer l’ensemble des groupes terroristes, mais bien de les contenir pour permettre aux capacités sécuritaires des États de la sous-région de se développer suffisamment pour initier un cercle vertueux conduisant au retour de l’État, au développement économique et à la paix civile.

b.   Une logique : le partenariat

La logique partenariale se trouve au cœur de l’action de Barkhane. Elle constitue même le « principe fondateur » de l’opération selon le ministère des Armées, afin de « favoriser l’appropriation par les pays partenaires du G5 Sahel de la lutte contre les groupes armés terroristes » ([37]).

De manière schématique, s’agissant de la lutte contre le terrorisme, Barkhane intervient d’abord en partenariat avec les forces armées locales, et d’abord les forces armées maliennes (FAMa) et la force conjointe du G5 Sahel, et également avec les missions multilatérales onusiennes et européennes. Concernant le deuxième volet de son action, celui de l’appui aux forces locales, les initiatives et acteurs sont plus nombreux mais Barkhane, au travers de son partenariat de combat, continue d’appuyer au plus près les forces armées du G5 Sahel.

i.   Les forces armées maliennes

Les (FAMa) sont composées théoriquement de 37 000 militaires ([38]), pour un budget de 420 millions d’euros. Elles sont déployées sur trois théâtres d’opérations : Ouest, Centre (Mopti), Est (Gao). 6 000 hommes sont théoriquement déployés autour de Gao, mais il a été indiqué aux rapporteures que ce chiffre était sans doute sur-évalué, et que les effectifs réellement déployés seraient plutôt de 2 000 personnels. Parmi eux, 600 environ ont été formés par Barkhane, soit trois unités légères de reconnaissance et d’intervention (ULRI – trois étaient encore à former au moment du déplacement effectué par les rapporteures, au début du mois de novembre) et deux unités spéciales anti-terroristes (USAT – cinq en attente de formation à la même époque).

Cet écart témoigne de l’ampleur des formations qui restent encore à réaliser alors que l’objectif stratégique des FAMa est d’être en capacité de sécuriser les élections maliennes qui doivent se tenir début 2022.

ii.   La Force conjointe du G5 Sahel

La Force conjointe du G5 Sahel, créée le 2 juillet 2017 à l’occasion d’un Sommet du G5 Sahel organisé à Bamako, compte environ 6 000 hommes et dispose de huit bataillons, depuis le déploiement du nouveau bataillon tchadien dans la zone des trois frontières décidé lors du Sommet de N’Djamena. Elle a pour mission de coordonner la lutte contre le terrorisme et le crime organisé dans les zones transfrontalières. De fait, seuls les quatre bataillons du fuseau Centre, répartis dans la région des trois frontières en un bataillon burkinabé, un bataillon malien, un bataillon nigérien et le bataillon tchadien précité, conduisent des missions conjointes grâce au poste de commandement conjoint (PCC), opérationnel depuis mars 2020, enrichi par une cellule de fusionnement du renseignement tactique (voir infra). Après une longue gestation due, notamment, à la complexité qui préside à la constitution d’un état-major interallié, la Force conjointe est désormais opérationnelle et produit des effets tactiques complémentaires de Barkhane.

Aux yeux des rapporteures, il est désormais possible d’assurer que deux forces participent pleinement à la lutte contre les GAT : la Force conjointe et Barkhane.

La force conjointe du G5 Sahel

Source : état-major des armées.

iii.   La MINUSMA

La Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) ([39]), créée par la résolution 2100 du Conseil de sécurité des Nations unies du 25 avril 2013, constitue également un partenaire de Barkhane, selon une logique de soutien mutuel. C’est ainsi que certains moyens de la mission onusienne ont pu être employés au profit de Barkhane, en particulier dans le domaine du transport logistique.

En revanche, les moyens de la MINUSMA ne peuvent participer directement aux interventions cinétiques de Barkhane comme, du reste, des autres forces nationales ou internationales engagées au Sahel. De manière concrète, cela signifie notamment que les renseignements collectés par les moyens de la MINUSMA ne contribuent pas au processus de ciblage conduit par les forces françaises. Un tel cloisonnement suscite parfois quelques incompréhensions au sein de Barkhane, où il peut être regretté que l’ensemble des moyens disponibles ne concourent pas entièrement à l’action militaire, surtout quand ils sont mis en œuvre par nos partenaires européens. Des drones allemands Heron y sont par exemple déployés. Tel n’est toutefois heureusement pas le cas si les moyens de la MINUSMA détectent une menace imminente sur l’un de ses partenaires, qu’il s’agisse de Barkhane, des forces armées nationales ou de la force conjointe du G5 Sahel.

Le rôle militaire de la MINUSMA est toutefois important pour le contrôle des principaux axes logistiques reliant le Mali au Niger et le Liptako au Gourma. Il l’est aussi au soutien de l’armée malienne revenue à Kidal comme à la sécurisation des « colonnes foraines » (voir infra) et à la reconstruction des postes des FAMa. La MINUSMA joue également un rôle de soutien – certes perfectible – à la force conjointe dans le cadre du mécanisme tripartite.

iv.   EUTM Mali ([40])

Le premier mandat de la Mission de formation de l’Union européenne au Mali (European Union training mission – EUTM Mali) a été fixé par la décision du Conseil n° 2013/34/PESC du 17 janvier 2013. L’objectif de cette mission est de « fournir, dans le sud du Mali, des conseils en matière militaire et en ce qui concerne la formation aux forces armées maliennes opérant sous le contrôle des autorités civiles légitimes, afin de contribuer à rétablir leurs capacités militaires et de leur permettre de mener des opérations militaires visant à rétablir l’intégrité territoriale du Mali et à réduire la menace constituée par les groupes terroristes ». Après avoir précisé que les personnels de la mission ne participeront pas à des opérations de combat, la décision indique qu’EUTM Mali fournira :

– un appui à la formation des forces armées maliennes ;

– des formations et conseils en ce qui concerne le commandement et le contrôle, la chaîne logistique et les ressources humaines, ainsi que des formations en matière de droit international humanitaire, de protection des civils et de droits de l’homme.

Lors de son audition, l’amiral Bléjean a indiqué aux rapporteures qu’une récente visite de terrain l’ayant conduit à Koulikoro, Gao, Sévaré et Mopti, lui avait permis de mesurer combien la coordination entre EUTM Mali et les autres forces comme la MINUSMA ou Barkhane donnait satisfaction, grâce notamment à la présence d’officiers de liaison au sein des différentes entités. EUTM Mali s’appuie également sur Barkhane sur le plan logistique.

Les différents mandats d’EUTM Mali

- Le premier mandat de l’EUTM Mali a été approuvé par la décision 2013/34/PESC du Conseil du 17 janvier 2013.

Concrètement, le premier mandat prévoyait la formation de Groupements tactiques interarmes (GTIA) composés de 700 à 800 soldats, pour un total de 6 000 à 7 000 soldats. En douze semaines, EUTM Mali doit former des bataillons de Maliens, qui arrivent parfois sans formation antérieure et qu’elle ne sélectionne pas, et leur permettre d’être opérationnels rapidement contre les groupes terroristes. Les deux premières semaines sont consacrées aux fondamentaux, base de la formation spécialisée (infanterie, génie, commando, logistique…), puis vient une formation en petits groupes. L’entraînement se conclut par trois semaines d’exercices par spécialité et un exercice de synthèse final pour l’ensemble du bataillon. Ce choix de former des bataillons et non des individus est une demande des Maliens qui avaient besoin, de manière urgente, de troupes opérationnelles pour lutter contre les djihadistes au Nord.

De plus, EUTM Mali conseille au niveau central le Ministère de la Défense malien et les FAMa ainsi que les commandements militaires de régions militaires en vue de les assister dans la mise en place des réformes structurelles décidées par la Loi de programmation militaire, ainsi que dans l’évaluation de leur avancée.

- L’approbation de la décision 2014/220/PESC du Conseil du 15 avril 2014 a marqué le début du deuxième mandat de l’EUTM Mali, sans variations significatives, sauf pour sa prorogation jusqu’au 18 mai 2016.

- Le troisième Mandat a débuté avec l’adoption de la décision 2016/446/PESC du Conseil du 23 mars 2016.

À la suite d’un réexamen stratégique en 2016, le Comité politique et de sécurité (COPS) a en effet recommandé d’adapter le mandat d’EUTM Mali et de le proroger pour une période de deux ans, jusqu’au 18 mai 2018. Cette recommandation a été suivie par le Conseil dans sa décision 2 016/446/PESC du 23 mars 2016. Si l’objectif général de la mission reste le même, désormais, « ses actions s’étendent jusqu’à la boucle du fleuve Niger comprenant les communes de Gao et de Tombouctou ». Toute référence au sud du Mali a donc été supprimée, en lien avec la volonté de déployer de véritables garnisons au Nord du Mali et non plus seulement dans le Centre et le Sud. Surtout deux nouveaux objectifs ont été ajoutés :

- Le quatrième mandat a été approuvé par la décision 2018/716/PESC du Conseil du 14 mai 2018. Dans le cadre de ce nouveau mandat, l’appui au G5 Sahel a été renforcé par des activités de formation, d’encadrement et de conseil, et la mission est prolongée jusqu’au 18 mai 2020.

- Le 23 mars 2020, le Conseil de l’Union Européenne (UE) a décidé de prolonger le mandat de l’EUTM Mali jusqu’au 18 mai 2024. Cette décision fait suite à un processus de révision stratégique conduit par l’Union européenne.

C’est la première fois que le mandat a été prolongé pour une période de quatre ans. La zone d’opérations de la Mission a été élargie et comprend maintenant l’ensemble du Mali. En outre, le Conseil a également autorisé l’extension de la zone d’opérations de l’EUTM Mali afin de fournir une assistance militaire au Burkina Faso et au Niger (voir infra). Le Conseil a alloué à la mission un budget de 133,7 millions d’euros pour l’ensemble de la période.

La crise sanitaire de la Covid-19 et la décision de l’UE de suspendre la mission EUTM Mali après le coup d’État du 18 août au Mali ont conduit à une quasi-suspension des actions de formation d’avril à mi-octobre 2020.

Cette situation s’est révélée dramatique pour les FAMa et a conduit à des transferts de charge sur Barkhane. La situation était d’autant plus critique que les huit groupements tactiques interarmes (GTIA) formés par EUTM Mali n’avaient jamais pu être régénérés, ce qui signifie que leur capacité opérationnelle était déjà significativement entamée au moment de la suspension des formations.

2.   Le défi de la coordination

a.   Au plan national

Au Sahel, la France mène donc des opérations conventionnelles, au travers de Barkhane, des opérations spéciales, au travers de Sabre, ainsi que des opérations clandestines.

La coordination inter-armées et inter-services constitue un enjeu de premier ordre et, de l’avis de l’ensemble des personnes auditionnées par les rapporteures, elle ne pose aucune difficulté majeure. Comme leur ont indiqué les représentants du centre de planification et de conduite des opérations, l’arbitrage peut parfois se révéler plus délicat en inter-théâtres, s’agissant des demandes de déploiement de matériels comptés. C’est notamment le cas pour le Transall C160 Gabriel, appareil dédié à la collecte de renseignements.

b.   Au plan international

Sur le plan international, la coordination entre les différentes forces engagées est d’autant plus importante que les mandats sont différents, et que les zones d’intervention se recoupent par endroits. Il s’agit donc de mettre en œuvre des processus de « déconfliction », c’est-à-dire de coordination entre les différentes chaînes de commandement, qui permettent par exemple d’éviter des tirs fratricides. Pour ce faire, plusieurs structures ad hoc ont été constituées, à l’instar de l’Instance de coordination militaire du Mali (ICMM) ou du Mécanisme de commandement conjoint (MCC) de la force du G5 Sahel.

L’ICMM réunit les quatre commandeurs des forces internationales engagées au Mali – MINUSMA, EUTM Mali, force conjointe du G5 Sahel et Barkhane – ainsi que le chef d’état-major des forces armées maliennes (FAMa). Cette instance a pour objectif de « renforcer la coopération en matière de sécurité, d’échange d’informations et de soutien entre les principaux acteurs de la paix et la sécurité au profit du peuple malien » ([41]). Il s’agit ainsi de répondre à l’exigence de coordination fixée par le Conseil de sécurité des Nations unies, et rappelée dans la résolution 2531 du 3 juillet 2020, aux termes de laquelle « Le Conseil prie le Secrétaire général de veiller à ce que la MINUSMA, les Forces de défense et de sécurité maliennes, la Force conjointe du G5 Sahel, les forces françaises et les missions de l’Union européenne au Mali coordonnent leurs activités, échangent des informations et se prêtent l’appui voulu. La MINUSMA, poursuit le Conseil, doit organiser régulièrement des réunions de l’Instance de coordination au Mali, principal cadre permettant cette coordination » ([42]).

En outre, au Sommet de Pau a également été acté le renforcement de l’interopérabilité entre les forces des États sahéliens, la force conjointe du G5 Sahel et Barkhane, au travers d’une plus grande coordination entre leurs opérations. S’agissant de la zone des trois frontières, l’institution du Mécanisme de commandement conjoint (MCC) a permis de synchroniser les opérations conduites dans cette zone, et à la force conjointe du G5 Sahel de monter en puissance en planifiant ses propres opérations, d’autant qu’une cellule de fusionnement du renseignement lui a été accolée.

Source : état-major des armées.

3.   Les moyens de Barkhane

Illustration du dynamisme de l’opération Barkhane, son dispositif s’est adapté au fil des années, avec un accroissement progressif et quasi continu des effectifs déployés :

– 3 500 personnels à son lancement ;

– 4050 personnels en 2016 ;

– 4 800 personnels en 2017, dans le cadre d’un recentrage des opérations dans la boucle du Niger, accompagné d’un effort dans la région du Liptako (Mali) ;

– 4 650 personnels en 2019, malgré une extension de la zone d’intervention vers le Gourma (Mali) ;

– 5 250 personnels au maximum en 2020, dans la foulée du Sommet de Pau, afin de mettre en place le renfort (« surge ») qui y avait été décidé. À l’occasion du Sommet de N’Djamena des 15 et 16 février 2021, le Président de la République a décidé de maintenir le surge, au moins pour quatre mois, afin d’accompagner la montée en puissance de la force Takuba et de nos partenaires sahéliens dans la zone des trois frontières.

Dispositif de l’opération Barkhane

Source : dossier de presse de l’opération Barkhane, 2 mars 2021.

a.   Les moyens terrestres et aéroterrestres

Le volet terrestre de l’opération Barkhane regroupe environ 1 500 militaires, répartis entre la plateforme opérationnelle désert (PfOD) de Gao et différents détachements à Kidal, Ménaka, Tessalit, Gossi et Tombouctou. Les hélicoptères de l’ALAT sont également compris parmi les moyens terrestres et aéroterrestres.

Comme l’indique le site du ministère des Armées ([43]), les nombreuses relèves intervenues au cours des dernières semaines ont été l’occasion d’adapter le dispositif de Barkhane, aujourd’hui réorganisés autour de cinq Groupements tactiques désert (GTD) et du groupement commando :

– le GTD Bison

Succédant au GTD Lamy, le GTD Bison est armé par le 126e régiment d’infanterie (126e RI), renforcé du 2e régiment d’infanterie de marine (2e RIMa), du régiment d’infanterie chars de marine (RICM) et des appuis du 6e régiment du génie (6e RG) et du 11e régiment d’artillerie de marine (11e RAMa) est opérationnel depuis le 10 mars. Assurant la protection du dispositif français, il mènera également des actions de combat dans la région des trois frontières ;

– le GTD Douaumont

Le GTD Douaumont est armé par le régiment d’infanterie chars de marine (RICM), renforcé par les 2e et 3e régiments d’infanterie de marine (RIMa), le 126e régiment d’infanterie (126e RI) et des appuis du 6e régiment du génie (6e RG) et du 11e régiment d’artillerie de marine (11e RAMa) a pris la place du GTD Conti le 22 février. Le GTD Douamont sera au cœur du partenariat de combat en accompagnant les forces partenaires sur le terrain.

– le GTD Chimère

Armé par le 8e régiment de parachutistes d’infanterie de marine (8e RPIMa) et renforcé d’éléments des autres unités la 11e brigade parachutiste (11e BP), le GTD Chimère forme un troisième GTD créé dans le cadre de l’adaptation permanente du dispositif. Opérationnel ce jour, il va opérer avec un bataillon tchadien de la force conjointe du G5 Sahel dans la zone des trois frontières.

– le groupement commando

Le groupement commando intègre désormais des groupements d’aide à l’engagement débarqué (GAED). Le groupement commando est directement sous le contrôle opérationnel du COMANFOR.

En outre, le dispositif comprend un GTD « transmissions » et, depuis le 7 février, le GTD « logistique » (GTD-LOG) Mayence a cédé sa place au GTD LOG Charente, qui comprend des éléments du 515e régiment du train (515e RT) et du 2e régiment de matériel (2e RMAT).

S’agissant des matériels terrestres, à la date de l’élaboration du présent rapport, sont déployés en BSS 260 véhicules blindés lourds, 210 véhicules blindés légers et 360 véhicules logistiques.

Concernant le volet aéroterrestre, la réorganisation du dispositif évoqué ci-dessus a également concerné le Groupement tactique désert aérocombat. C’est ainsi que le GTD-A Hombori XXVI est armé par le 3e régiment d’hélicoptères de combat (3e RHC) renforcés d’éléments des autres unités de la 4e brigade d’aérocombat. Il met en œuvre 23 hélicoptères d’attaque et de transport, incluant le renfort ponctuel de trois Puma en provenance des Forces françaises stationnées à Djibouti (FFDj).

Lors du déplacement effectué par les rapporteures au début du mois de novembre, le GTD-A comptait cinq hélicoptères Tigre HAD, quatre Gazelle, cinq Caïman, deux Cougar, et un avion Pilatus permettant d’apporter une aide au commandement, cet appareil constituant un « relais-radio ». S’ajoutent des capacités alliées de transport lourd, placées sous le commandement du GTD-A : trois hélicoptères britanniques Chinook CH-47 et, jusqu’à la fin de l’année 2020, deux hélicoptères danois Merlin.

b.   Les moyens aériens

La composante aérienne de l’opération Barkhane contribue à la lutte contre les groupes armés terroristes au travers de missions de renseignement, d’appui feu, de protection des forces et de mobilité tactique. Elle intervient sur deux fuseaux : un fuseau « est », à partir de la base aérienne projetée (BAP) de N’Djamena ; un fuseau « ouest », à partir de la base aérienne projetée de Niamey.

Pour mener à bien ces missions, le commandant de la force Barkhane peut mettre en œuvre, à partir du commandement des opérations aériennes en Afrique de l’Ouest et centrale (JFACC AFCO – Joint Force Air Component Command) :

– sept avions de chasse – au jour de l’élaboration du rapport, cinq Mirage 2000D et deux Mirage 2000C ;

– deux avions ravitailleurs – un C135 et un MRTT Phénix, ce dernier permettant d’effectuer des missions de ravitaillement comme du transport de fret ou de personnels, réduisant ainsi la dépendance aux forces américaines ;

– des avions de transport tactique – deux CASA, effectuant également des missions d’évacuation sanitaire en configuration MEDEVAC, un C130J, un ou deux A400M – complétés par deux avions de transport espagnols et des avions américains et canadiens, les États-Unis ayant effectué 740 heures de vol et le Canada 170 heures de vol en 2020 au profit de Barkhane ;

– des moyens de renseignement, avec notamment des avions légers de surveillance et de reconnaissance (ALSR) affrétés, des personnels français armant la tranche arrière, pour la collecte d’informations, ainsi que ponctuellement (environ un mois tous les semestres) un Transall C160 Gabriel et un Atlantique 2 (un déploiement de quatre mois par an en moyenne), appareil de la marine nationale placé sous le commandement du JFAC AFCO. En outre, une fois par an, des Rafale équipés de pods de reconnaissance RECO NG sont déployés durant trois semaines, dans le cadre de l’opération Chistera, afin de recueillir des informations permettant de mettre à jour les bases de données des forces, notamment dans le Nord du Mali ;

– un système de trois drones Reaper, qui se relaient continuellement en vol. Les drones ont constitué un véritable « game changer », en offrant une capacité de permanence et de tir en opportunité. Les Reaper sont par ailleurs parfaitement adaptés au théâtre sahélien, en raison notamment de l’absence de menace aérienne, qu’il s’agisse d’une flotte de chasse ou de systèmes sol-air de longue portée.

L’armement des drones depuis fin 2019 apporte un appui décisif aux opérations : les drones volent toujours armés et délivrent, depuis le début de l’année 2020, environ 45 % des frappes. Les exigences de l’opération confirment le choix fait de déployer les équipages sur le théâtre d’opérations pour des raisons pratiques – proximité avec les personnels appuyés, échanges avec le détachement de chasse, etc – tout autant qu’éthiques – débriefing des frappes sur place, accompagnement psychologique, absence d’effet de virtualisation.

Le JFAC AFCO, situé sur la base aérienne 942 de Lyon Mont-Verdun, s’appuie sur des échelons locaux, au plus près du théâtre et du poste de commandement interarmées de théâtre (PCIAT), avec lesquels sont organisées des visioconférences classifiées quotidiennes. Sa zone de compétence dépasse la zone d’intervention de Barkhane, et couvre notamment la zone de responsabilité des éléments français au Sénégal, des éléments français au Gabon et des forces françaises en Côte d’Ivoire.

L’opération Barkhane bénéficie également de moyens spatiaux dans le domaine des communications satellitaires et dans celui du renseignement d’origine image depuis les satellites.

c.   Les moyens de renseignement

L’essence même d’un service de renseignement est d’assurer une présence dans la durée, de manière complémentaire à l’action diplomatique et militaire. C’est ainsi que pour les acteurs du renseignement, qu’il s’agisse de la direction du renseignement militaire (DRM) ou de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), le Sahel constitue une zone d’intérêt et d’intervention depuis longtemps, bien avant le déclenchement de l’opération Serval, et le restera après le départ des forces françaises. Lors de son audition par les rapporteures, M. Bernard Émié, directeur général de la sécurité extérieure, a ainsi indiqué qu’avant même le déclenchement de l’opération Serval, la DGSE avait développé une expertise certaine dans la connaissance et le suivi des groupes armés terroristes évoluant dans le Nord du Mali, ce qui lui a permis de rapidement mettre à la disposition des forces des renseignements dits « actionnables », tant d’origine humaine que technique. Aujourd’hui, ainsi que M. Émié l’a déclaré lors du comité exécutif du 1er février, « la DGSE anime la mission de contre-terrorisme du ministère des Armées, en liaison avec la DRM, [le] COS, [le] COMCYBER et nos armées ».

Plus largement, comme l’a indiqué aux rapporteures le général de corps aérien Jean-François Ferlet, directeur du renseignement militaire, les moyens de renseignement mis en œuvre sur le théâtre sahélien sont pour l’essentiel placés sous le commandement du COMANFOR, qui se trouve à la tête de la manœuvre de renseignement. Pour ce faire, il dispose d’une panoplie de moyens, parmi lesquels :

– le renseignement d’origine image (ROIM), fourni par les drones, les chasseurs, les avions légers de surveillance et de reconnaissance (ALSR), d’autres vecteurs aériens, ainsi que les moyens d’observation spatiales. En la matière, le commandement des États-Unis pour l’Afrique (AFRICOM) apporte une aide jugée « primordiale », d’autant que le nombre de moyens déployés sur la zone apparaît relativement faible au regard de l’étendue de cette dernière ;

– le renseignement d’origine électromagnétique, recueilli essentiellement par les ALSR, qui captent les signaux permettant d’identifier des cibles à haute valeur ajoutée, mais également par des moyens dédiés, tels le Transall C160 Gabriel ou l’Atlantique 2, dont le déploiement est plus ponctuel – rappelons à ce sujet que la France ne comptant que deux C160-G, il est matériellement impossible de dédier un appareil au théâtre sahélien ;

– le renseignement d’origine humaine (ROHUM), élaboré principalement par le groupe de recherche multicapteurs (GRM). Ce GRM, composé de personnels issus d’unités renseignement des armées (fonction interarmées du renseignement – FIR) traite des sources localisées au Sahel, parfois selon une logique dite de SSE (sensitive site exploitation) afin d’exploiter les matériels saisis sur des sites sensibles (ordinateurs, tablettes, téléphones, etc.) ;

– le renseignement d’origine biométrique. Lors de son audition devant la commission de la Défense, le 8 mars 2018, le général Ferlet se félicitait ainsi de la nouvelle possibilité offerte « de pouvoir appliquer ces techniques de biométrie un peu plus largement à toute personne représentant une menace pour la sécurité de nos forces ou des populations civiles locales. Cela ouvre, par exemple, des perspectives d’identification de terroristes qui se seraient dissimulés au sein de la population locale, à partir de traces relevées sur des engins explosifs ou des caches d’armes. ([44]) »

La DRM contribue également à la planification et à la conduite des opérations au niveau stratégique ainsi qu’à l’orientation de la manœuvre au niveau tactique, essentiellement depuis le territoire national (en reachback), au travers du plateau « Sahel » que la direction a constitué au sein du centre de planification et de conduite des opérations. Ce plateau exploite notamment les données recueillies et analysées par plusieurs des centres spécialisés de la DRM :

– le centre de contre-terrorisme d’intérêt militaire (C2TIM) – qui assure également des fonctions de liaison avec la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et le commandement des opérations spéciales (COS) pour l’identification de cibles à haute valeur ajoutée,

– le centre de recherche et d’analyse cyber – même si l’Afrique n’est pas le continent le plus numérisé ;

– le centre de formation et d’emploi relatif aux émissions électromagnétiques (CF3E) – qui exploite la production en renseignement d’origine électromagnétique ;

– le centre de formation et d’interprétation interarmées de l’imagerie (CF3I) – qui analyse les prises de vue spatiales

– et le centre de renseignement géospatial interarmées (CRGI) – qui permet de doter la DRM d’une forme de capacité prédictive.

La DRM analyse également les renseignements provenant des renforts positionnés auprès des ambassades de France au Sahel ainsi que les données transmises par nos partenaires étrangers, au premier rang desquels figurent les forces partenaires sahéliennes qui disposent d’une connaissance inégalée des dynamiques locales.

En outre, pour la conduite de sa mission, Barkhane continue de bénéficier des renseignements qui lui sont fournis par la direction générale de la sécurité extérieure.

4.   Sabre : l’action des forces spéciales au Sahel

Ainsi que l’a rappelé aux rapporteures le général de division Éric Vidaud, commandant des opérations spéciales (COS), les forces spéciales françaises sont déployées au Sahel depuis plus de dix ans, l’opération Sabre ayant été déclenchée en 2008. Dès l’origine, le choix a été fait d’intégrer les unités des forces spéciales au plus près des forces locales, en particulier en Mauritanie, au Mali et au Niger, avec une capacité de force de réaction rapide (QRF) stationnée à Ouagadougou, au Burkina Faso. Le schéma général reste aujourd’hui le même, malgré la transformation de Sabre en une task force (TF).

Aujourd’hui, Sabre exerce une triple mission.

En premier lieu, elle assure la conduite des opérations ciblant le commandement des groupes armés terroristes, en particulier ceux qui se réclament de la mouvance du Rassemblement pour la victoire de l’islam et des musulmans (RVIM), et visant la réduction de leurs capacités militaires.

En deuxième lieu, Sabre mène des actions de formation et d’accompagnement des forces d’élite locales : au Burkina Faso depuis la création du groupe des opérations spéciales (GOS), en 2018. De manière plus large, le commandement des opérations spéciales (COS) conduit également ce type d’action dans la zone des trois frontières, dans le cadre de la montée en puissance de la task force Takuba, ainsi qu’en Côte d’Ivoire avec l’inauguration, en septembre 2020, de l’Académie internationale de lutte contre le terrorisme (AILCT), installée en périphérie d’Abidjan.

En troisième lieu, les effectifs de Sabre sont en permanence en alerte afin de répondre en urgence à toute attaque qui surviendrait à l’encontre des ressortissants ou intérêts français dans la zone sahélienne élargie. Les unités étaient ainsi prêtes à intervenir en Côte d’Ivoire si la situation sécuritaire avait dégénéré en marge de l’élection présidentielle d’octobre 2020. Elles avaient été engagées lors de l’attaque terroriste qui a visé l’hôtel Radisson Blu de Bamako, le 20 novembre 2015, ainsi qu’au moment de l’attaque djihadiste contre l’ambassade de France à Ouagadougou, le 2 mars 2018.

Avec près de 40 opérations par an, soit près d’une par semaine, la force Sabre a une activité intense, mise en œuvre par environ 400 militaires, dont tous n’appartiennent pas aux forces spéciales. Elle agit en complémentarité de la force Barkhane et comprend de façon non exhaustive : un état-major, qui accueille une cellule américaine – l’état-major est également chargé de l’animation des relations interministérielles, interservices et interalliées ; de groupes actions qui conduisent les opérations sur le terrain ; des moyens aériens, offrant un appui et une plus grande mobilité à Sabre ; des capacités sanitaires autonomes.

En outre, Sabre peut compter sur un dispositif de soutien intégré, ainsi que sur les capacités françaises de l’opération Barkhane pour appuyer son action. En la matière l’appui des drones aériens français est particulièrement précieux, tant pour une intervention que pour suivre des individus aux comportements suspects.

Basée à Ouagadougou, la force Sabre dispose également de points d’appui, souvent tenus par la force Barkhane, lui permettant de demeurer réactive sur un théâtre aux fortes élongations, et de disposer de capacités de ravitaillement au plus près des zones d’engagement.

B.   Le bilan de Barkhane est incontestablement positif

1.   Barkhane est une opération exigeante

a.   Le défi logistique est relevé, dans une zone d’action imposante

La zone de l’opération Barkhane s’étire sur un territoire grand comme dix fois la France, s’étendant sur 3 500 kilomètres d’est en ouest et 2 000 kilomètres du nord au sud.

Le thÉÂtre sahÉlien, une zone grande comme l’Europe occidentale

Source : état-major des armées.

L’acheminement de fret et de personnels constitue donc un défi quotidien et malgré la montée en puissance de l’A400 M et de l’A330 MRTT Phénix, l’affrètement demeure indispensable s’agissant du transport stratégique, c’est-à-dire depuis la métropole. Toutefois, pour le transport stratégique des passagers – 210 000 personnes ont été déployées depuis le début de l’opération –, la grande majorité des mouvements est assurée par des vecteurs militaires, à hauteur de 94 % par des moyens français – essentiellement les avions « blancs » de l’Esterel – et 2 % par des capacités alliées, notamment allemandes, 4 % des personnels étant transportés par voie aérienne commerciale.

Sur le théâtre, l’organisation du soutien repose sur une logistique dite « d’archipel », visant à compenser en permanence la dispersion des forces à soutenir par le pré-positionnement des ressources sur le site et une adaptation du dispositif logistique en soutien direct des unités de combat. Des mesures concrètes sont prises en permanence afin de mieux maitriser les dépenses liées au soutien des opérations dans de nombreuses sous-fonctions logistiques. Elles permettent d’optimiser le dispositif en matière d’organisation, de capacité et de stationnement, de rechercher le juste équilibre entre l’indispensable mobilité de la Force et la qualité du soutien et, enfin, de veiller à la préservation du potentiel des moyens majeurs affectés en BSS afin de garantir dans la durée leur aptitude au combat.

Ces efforts sont essentiels, à tous les échelons, afin de pouvoir assurer un soutien de qualité malgré la dispersion des forces et sa ré-articulation permanente.

La carence en équipements de transport stratégique et tactique patrimoniaux, quel qu’en soit le mode (maritime, aérien, routier), rend toutefois également inévitable le recours à l’externalisation du soutien de la Force Barkhane.

Le dispositif logistique de Barkhane

Source : dossier de presse de l’opération Barkhane, 2 mars 2021.

Il ressort des auditions conduites par les rapporteures qu’en matière logistique, une révision de l’accord technique entre Barkhane et la MINUSMA permettrait sans doute de gagner en efficacité en dégageant de nouvelles synergies. Du point de vue de Barkhane « les opérations de soutien mutuel entre Barkhane et la MINUSMA sont complexes, peu fiables et peu opératoires en général. » Il pourrait ainsi être envisagé de travailler à l’intégration de vecteurs logistiques sous-traités dans des convois routiers organisés par l’une ou l’autre des parties ou de mettre en place un soutien croisé pour l’entretien des pistes d’atterrissage. En outre, il a été porté à la connaissance des rapporteures que la MINUSMA et Barkhane pouvaient se trouver en situation de concurrence en matière de soutien, par exemple pour des marchés de fourniture de matières premières ou dans leurs relations avec des entreprises locales de construction.

b.   Des conditions climatiques difficiles

L’opération Barkhane met à mal un certain nombre de matériels, fortement sollicités dans un milieu désertique, abrasif. Les matériels modernes sont ceux qui souffrent le plus. À titre d’exemple, les effets des conditions climatiques sahéliennes sur les hélicoptères des forces armées ont été maintes fois commentés. Dans un rapport flash consacré aux hélicoptères des armées ([45]), MM. Jean-Pierre Cubertafon et Jean-Jacques Ferrara notaient deux points méritant une attention particulière : « les pales, pour lesquels la pose d’un revêtement supplémentaire de protection est en cours d’expérimentation ; les pare-brise, qui ont tendance à fêler, et pour lesquels un film protecteur à effet hydrofuge a été conçu sans toutefois donner entière satisfaction ».

En outre, l’engagement en bande sahélo-saharienne a conduit à des ajustements spécifiques de la préparation opérationnelle afin, notamment de préparer les forces aéroterrestres aux conditions opérationnelles de l’opération Barkhane. Le théâtre de la BSS se distingue en effet des autres théâtres d’opérations par l’importance des élongations et des saisons. Appui à la mobilité, conduite en terrain sablonneux, protection des convois et maintenance opérationnelle en opération font ainsi l’objet d’une attention particulière dans le cycle de mise en condition finale des unités de l’armée de terre avant leur déploiement en opération. En outre, l’isolement des unités requiert d’elles une aptitude à durer, notamment pour la stabilisation des blessés et l’autonomie de décision des chefs, ainsi qu’une formation et un entraînement méthodiques à la mise en œuvre des transmissions par satellites, qui font l’objet de formations et de rappels spécifiques lors de la phase de mise en condition finale.

c.   Un ennemi difficile à saisir

À l’issue du Sommet de N’Djamena des 15 et 16 février 2021, le Président de la République a indiqué que l’un des objectifs des forces françaises était de « décapiter » les organisations terroristes liées à Al-Qaïda, c’est-à-dire de parvenir à neutraliser Iyad Ag Ghali, chef du RVIM, et Amadou Koufa, chef de la katiba du Macina. Dans ce contexte, les armées françaises, en particulier la TF Sabre, poursuivent leurs efforts pour rechercher et capturer les leaders des groupes armés terroristes.

Pour le général Jean-François Ferlet, il importe de mesurer combien il est difficile d’identifier, de repérer et de neutraliser les têtes de pont des groupes terroristes, qui sont extrêmement prudents et bien organisés.

En outre, comme le relèvent l’ensemble des militaires auditionnés par les rapporteures ou rencontrés sur le théâtre, « bergers le matin, terroristes l’après-midi » les membres des groupes terroristes parviennent sans difficulté à se fondre dans les populations, ce qui les rend difficile à identifier et à neutraliser. Se sachant en infériorité opérationnelle face aux forces françaises, les groupes terroristes ont tendance à « fuir le combat », ce qui conduit certains commentateurs, comme le colonel (ER) Michel Goya, à estimer que « si la mission n’a pas été couronnée de succès, c’est d’abord car le nombre de combats a été trop faible ».

2.   La France n’est pas seule au Sahel

Barkhane a entraîné de nombreux partenaires dans la lutte contre le terrorisme au Sahel. C’est d’ailleurs pour l’illustrer que les rapporteures ont tenu à recevoir, dans le cadre de leurs travaux, des représentants de nos principaux alliés engagés à nos côtés.

a.   Le soutien bilatéral de nos alliés est important

Les pays européens engagés de manière bilatérale au sein de Barkhane offrent des capacités d’aéromobilité (Royaume-Uni, Danemark jusqu’à la fin de l’année 2020), de protection (Estonie), de transport (Allemagne, Canada, Espagne), mais Barkhane peut également compter sur l’appui des forces américaines.

L’Estonie a ainsi été le premier pays à accepter de placer des forces sous le commandement de Barkhane, pour assurer des missions de protection des emprises militaires. Comme l’a expliqué aux rapporteures Mme Tuuli Duneton, directrice des affaires politiques du ministère de la défense de la République d’Estonie, les forces estoniennes et françaises entretiennent une véritable relation de confiance. Il arrive d’ailleurs que des militaires estoniens retrouvent à Gao leurs partenaires français avec lesquels ils se sont entraînés, auparavant, dans les forêts estoniennes dans le cadre des mesures de réassurance de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord, qui conduisent aussi la France à assurer des missions de police du ciel dans le ciel balte. De manière plus précise, dans le cadre de Barkhane, une cinquantaine de militaires estoniens assurent la sécurité de la base de Gao, et sont intégrés, si nécessaire, dans la force de réaction rapide. Les autorités estoniennes estiment que le contingent a été « bien accueilli », et est parfaitement intégré. Il convient par ailleurs de noter que le déploiement de troupes au Mali n’allait pas de soi, le pays n’y comptant pas d’ambassade. Du reste, le Mali est un pays lointain, avec lequel l’Estonie n’entretient aucun lien historique. La volonté d’appuyer l’action d’un allié fiable a toutefois emporté la décision des autorités estoniennes, qui ont fourni les efforts nécessaires et conclu des accords bilatéraux avec le Mali dans de très brefs délais, notamment pour déterminer les règles relatives au stationnement des troupes.

Si la prolongation du mandat estonien sera examinée à l’été 2021, l’engagement au Sahel fait globalement l’objet d’un large consensus au sein de la population, d’autant qu’il bénéficie d’une large couverture médiatique dans le pays, avec des reportages quasi hebdomadaires. L’Estonie n’a en outre eu à déplorer que quelques blessés légers, à la suite de l’attaque de la base de Gao, il y a dix-huit mois.

En outre, Barkhane a pu compter sur la mise à disposition de capacités d’hélicoptères de transport lourd par les forces britanniques et danoises.

S’agissant du Royaume-Uni, trois hélicoptères Chinook CH-47 sont intégrés au Groupement tactique désert aérocombat (GTD-A), basé à Gao, ce qui représente 5 % de la flotte britannique. Pour les représentants des autorités britanniques rencontrés par les rapporteures, il importe de prendre la mesure de l’importance de cet engagement, le déploiement opérationnel de Chinook étant une décision « sensible » au regard de la fragilité de cette capacité. Il témoigne ainsi de la volonté des autorités britanniques de soutenir un partenaire jugé fiable et robuste, comme de la vigueur de la coopération franco-britannique dans le domaine de la défense. Le déploiement d’une unité britannique de reconnaissance au sein de la MINUSMA (300 hommes) ne devrait conduire à aucun effet d’éviction sur le soutien aéromobile britannique apporté à Barkhane, selon M. James Heappey, secrétaire d’État britannique aux forces armées, tant que les Chinook sont déployés.

De la même manière, deux hélicoptères de transport lourd danois Merlin ont été intégrés au GTD-A au cours de l’année 2020, permettant de décharger Barkhane des missions à caractère logistique. En un an, les Merlin ont conduit 500 missions représentant 1 000 heures de vol, plus de 4 600 soldats transportés pour des mises en place ou des relèves, et 150 tonnes de fret transportées ou hélitreuillées. Ces deux appareils ont toutefois quitté le théâtre à la fin de l’année 2020. Les rapporteures espèrent que les autorités danoises décideront d’engager un nouveau déploiement, l’expérience ayant été jugée « positive » par le général Joachim, prince du Danemark, attaché de défense à Paris.

Malgré le cadre restrictif d’emploi imposé par les autorités danoises et britanniques, limitant par exemple la possibilité pour les équipages d’effectuer des vols de nuit ou d’évoluer « au feu », les officiers français rencontrés par les rapporteures estiment que leur engagement à nos côtés constitue une véritable plus-value nous permettant de concentrer nos efforts sur d’autres priorités.

Il convient donc de se féliciter de ce soutien et Barkhane gagnerait à ce que soient explorées toutes les pistes permettant un renforcement de ses moyens héliportés, très comptés, y compris auprès de ses alliés européens pour qu’ils aillent plus loin dans leurs ambitions opérationnelles au Sahel.

Barkhane peut également compter sur le soutien des forces allemandes, espagnoles et canadiennes dans le domaine du transport aérien. À titre d’exemple, l’Allemagne soutient dans ce cadre l’opération Barkhane, ayant transporté près de 15 000 Français, plus de 2 000 tonnes de matériels et 35 patients.

Enfin, les États-Unis fournissent un soutien essentiel en matière de ravitaillement en vol, de transport et de renseignement.

De manière plus précise, le soutien des forces américaines prend la forme :

– de la fourniture de moyens de renseignement, au travers de capacités dont la France ne dispose pas, basées à Ouagadougou, Niamey ou Agadez ;

– de capacité de ravitaillement en vol depuis la base aérienne de Morón, dans les environs de Séville, en Espagne, à hauteur de 140 heures de vol par mois environ ;

– de capacités de transport, au travers de C17 ou de C130 J, à hauteur de 80 heures de vol par mois en moyenne.

Ce soutien représente un coût de 40 millions de dollars par an en moyenne, et devrait descendre à hauteur de 25 millions de dollars en 2021 en raison de la montée en puissance des capacités françaises. Comme l’a indiqué aux rapporteures le colonel Pepper, attaché de défense américain à Paris, ces chiffres sont néanmoins trompeurs, puisqu’ils ne concernent que le coût du ravitaillement en vol et du transport aérien, mais pas de l’activité des drones aériens, ni de celle des 1 000 soldats américains déployés au sol. La réduction de la participation américaine n’est toutefois pas sans conséquence sur l’activité des forces françaises, qui ont exprimé une demande de réévaluation, à la hausse, au titre de l’année 2021. Si les autorités américaines n’ont pas encore répondu à cette demande, les informations portées à la connaissance des rapporteures leur donnent néanmoins confiance.

La coopération franco-américaine est facilitée sur le terrain par la parfaite interopérabilité entre les armées, confortée par l’acquisition par la France de matériels américains, notamment dans le domaine du renseignement (drones Reaper). En outre, avec des troupes déployées au sol, les Américains estiment partager le prix du sang avec leurs camarades français, d’autant qu’ils ont essuyé des pertes, comme lors de l’embuscade de Tongo Tongo, le 4 octobre 2017, qui a coûté la vie à quatre militaires américains (et deux blessés) et cinq militaires nigériens (et huit blessés). Barkhane était alors intervenue avec le déploiement d’une patrouille de Mirage 2000 et le déploiement de deux hélicoptères Tigre et deux hélicoptères Puma, transportant notamment des militaires américains. Les forces spéciales américaines sont en effet engagées au Niger, dans le cadre d’actions de formation et de renforcement des institutions militaires – approche dite Advise, Assist, Accompany and Enable (A3E). En outre, les forces françaises et américaines sont co-localisées à N’Djamena, Niamey ou encore Ouagadougou.

Enfin, il convient également de souligner que l’Algérie constitue un partenaire solide pour la France dans le cadre de la conduite de l’opération Barkhane, au travers de l’autorisation de survol du territoire (environ 1 000 heures de vol en 2019), de la fourniture de carburant et d’eau, mais aussi de la mobilisation accrue dans la mise en œuvre des APR depuis le changement de régime, de la surveillance des frontières ou de la formation des forces armées maliennes et des forces armées nigériennes.

b.   Les opérations avec les forces locales sont montées en puissance

Depuis le sommet de Pau, Barkhane met l’accent sur le partenariat militaire opérationnel, qui permet in fine de combattre aux côtés des forces locales. L’objectif est d’arriver à ce que 50 % des actions de combat soient réalisées par l’armée nigérienne au Niger, et 75 % à terme. La situation au Mali est plus difficile : il s’agit dans le courant du premier semestre 2021 de laisser la responsabilité des actions dans la Liptako Malien aux FAMa, appuyées par la task force Takuba, objectif semblant aujourd’hui encore difficile à atteindre.

 

Ces partenariats de combat passent par :

– d’importantes missions de formation, y compris sous la forme de détachement d’instruction opérationnel, réalisée par Barkhane, éventuellement par les pôles de coopération situés en Afrique de l’Ouest – éléments français au Sénégal, éléments français au Gabon, forces françaises en Côte d’Ivoire –, ou par les missions internationales. L’ampleur de ces actions de formation pèse sur la force Barkhane et indirectement, la question des effectifs de la force pose la question de la poursuite de ces indispensables formations ;

– l’équipement de certaines unités, comme les trois unités légères de reconnaissance et d’intervention (ULRI) maliennes, formées à Gao, Gossi et Ménaka ;

– des actions de combat conjoint au plus petit échelon.

La « sahélisation » est à la fois un objectif stratégique pour permettre aux États de garantir la sécurité nécessaire aux déploiements des administrations locales sur les territoires et un objectif tactique, utile à l’acceptation de la force, mais préparant en même temps les conditions possibles de son retrait.

Trois opérations récentes démontrent la montée en puissance des opérations conduites avec les forces locales.

Venant de prendre fin lorsque les rapporteures se sont rendues sur le théâtre, l’opération Bourrasque a mobilisé plus de 3 000 militaires, dont 1 100 Nigériens et 300 Maliens (soit 46,5 % de militaires sahéliens) et avait pour objectif de réduire la menace constituée par l’EIGS dans la zone des trois frontières. Elle s’est déroulée en trois temps.

D’abord, une phase de mise en place, du 28 septembre au 7 octobre, ayant combiné des actions dites de « déception », visant à tromper l’ennemi, et des actions de renseignement, de montage et rodage du poste de commandement puis d’infiltration. Ensuite, du 8 au 16 octobre, le premier volet de l’intervention, consistant à réaliser des saisies et des fouilles de caches et de zones refuge, avec un raid conduit par Takuba dans le centre du Liptako et le « bouclage » de la forêt de Fana et des environs de Tamalat depuis le Niger. Enfin, du 17 au 28 octobre, une phase de relance et d’exploitation de la supériorité acquise, par des opérations conduites dans la profondeur des zones refuges comme dans les oueds de la frontière malo-nigérienne.

En définitive, Bourrasque a atteint son objectif en s’attaquant à l’EIGS dès la fin de la saison des pluies, à une époque où les GAT sont en phase de régénération, et en accompagnant les forces armées maliennes et les forces armées nigériennes vers des victoires tactiques. Une cinquantaine de membres de l’EIGS ont été neutralisés, 120 motos et de nombreuses armes ont été saisies. L’opération a également mis en lumière la pertinence d’une opération multi-domaines, comprenant des actions relevant des domaines cyber et psychologiques, ainsi que la robustesse du soutien américain, des drones américains passant quasiment sous contrôle opérationnel français.

La coopération entre l’ULRI de Gao et la task force Takuba s’est traduite par une participation significative à l’opération Bourrasque, la progression de l’unité malienne étant sans cesse valorisée pour démontrer à la population locale qu’il s’agissait du retour de l’État malien, avec par exemple l’entrée en premier des Maliens dans les localités.

Du 2 janvier au 3 février 2021, une opération militaire conjointe d’ampleur a été conduite dans la région dite des trois frontières. Engageant la Force Barkhane, les Forces armées maliennes (FAMa), les forces armées burkinabè et nigériennes, des éléments de la Force conjointe du G5 Sahel (FC G5 Sahel), cette opération, baptisée Éclipse, avait un objectif triple :

- lutter contre les groupes armés terroristes (GAT) dans leurs zones refuges du Gourma et des trois frontières :

- poursuivre le processus de Sahélisation des opérations en engageant des unités mixées et en déployant un poste de commandement avancé multinational ;

- desserrer l’étau sur la RN16 qui relie Gao à Gossi en passant par Hombori, et alléger indirectement la pression sur le centre du Mali.

À l’instar de l’opération Bourrasque conduite en octobre 2020, l’opération Éclipse a, elle aussi, vu l’engagement de plus de 3 400 militaires dont 1500 Français et 1900 partenaires dont 900 Burkinabés, 850 Maliens et 150 Nigériens.

Renseignée et appuyée non seulement par des aéronefs français, mais aussi des armées du Sahel et alliées (américains, britanniques), cette force a opéré pendant un mois dans une zone de 400 kilomètres de front pour 200 kilomètres de profondeur à cheval sur plusieurs frontières. Fort de près de 500 véhicules et d’hélicoptères de manoeuvre et d’aéronefs de transport tactique, elle a fait preuve d’une grande mobilité, permettant ainsi de surprendre l’ennemi et de ne lui laisser aucun répit.

Côté français, la Force Barkhane a engagé les Groupements tactiques désert (GTD) Lamy et Conti, les hélicoptères de manoeuvre et d’attaque du Groupement tactique désert aérocombat (GTD-A) Hombori, le Groupement Commando, et sa composante aérienne. Durant ce mois, les avions de la Force Barkhane dont les 7 Mirage 2000D et 2000C, les 3 drones Reaper, un A400M Atlas, un C 130J ont totalisé près de 600 heures de vol, permettant de collecter et diffuser du renseignement, d’appuyer les troupes au sol, de conduire des frappes, mais également de ravitailler différentes unités.

Source : état-major des armées.

Dernière en date, l’opération Équinoxe s’inscrit dans la continuité de l’opération Éclipse, afin de finaliser la bascule d’effort de Barkhane en direction du centre du Mali, vers le Gourma, le long de la RN 16, dans le but d’intensifier les actions contre le RVIM. Cette opération vise à pérenniser les gains remportés par l’opération Éclipse, et de les concrétiser dans une zone susceptible de réunir tous les partenaires.

L’objectif du COMANFOR est ainsi de permettre aux piliers 3 et 4 de la Coalition, les deux piliers « malades », de prendre de l’ampleur en y déployant des projets concrets et visibles. Il s’agit d’arrimer des projets civils et de développement aux efforts de sécurisation. L’axe de la RN 16 est vital, car lieu de nombreuses attaques visant tant les civils que les forces locales et la MINUSMA, au travers d’IED, à un rythme quasi hebdomadaire.

L’opération Équinoxe se poursuivra ainsi jusqu’à l’été et le début de la saison des pluies. Du point de vue de Barkhane il s’agit ainsi d’arrêter de « jouer les pompiers » mais de mettre en œuvre une stratégie d’approche globale séquencée : neutraliser les GAT, réduire la menace, faciliter le redéploiement des FAMa, les appuyer vers la voie de l’autonomie pour assurer la sécurisation, permettre le retour de l’État et des services sociaux, concrétiser des enjeux de développement. Dans ce contexte, l’enjeu est de parvenir à compresser le temps entre chaque phase, afin de pouvoir capitaliser autant que possible sur les actions de sécurisation.

Le soutien apporté par la France aux armées locales : l’exemple du renseignement

L’accroissement des capacités de renseignement des forces locales est indispensable pour renforcer leur action. Dans ce contexte, le directeur du renseignement militaire tient des réunions semestrielles avec ses homologues des pays du G5 Sahel afin de faire avancer les choses et de contribuer à leur montée en puissance.

Plusieurs axes d’actions doivent être soulignés :

- dans le cadre de partenariats bilatéraux, la DRM a mis en place des actions de mentorat et de formation, et proposé l’insertion d’officiers de liaison au sein des forces locales ;

- la cellule de fusionnement du renseignement (Intelligence fusion cell) installée à Niamey, auprès du poste de commandement conjoint (PCC) du fuseau centre de la FC-G5 Sahel, continue de monter en gamme, bien qu’il soit nécessaire d’accroître le volume de données qui lui sont transmises comme le nombre de ses personnels. L’IFC, qui doit être vue comme un forum de partage de renseignement entre les forces locales, le G5 Sahel, les forces américaines et françaises, associe également les services de renseignement sahéliens.

Pour le DRM, il faut renforcer la sahélisation de la collecte du renseignement car nos partenaires sahéliens sont souvent les plus à même de réellement comprendre les dynamiques locales au travers notamment de leurs réseaux de collecte de renseignement humain incomparablement plus riches que ceux des forces étrangères ;

- la DRM participe également à la mise en place de l’Académie internationale de lutte contre le terrorisme (AILCT) dans les environs d’Abidjan, dont le pilier « renseignement » sera opérationnel à l’été 2021, avec l’accueil d’un premier contingent de personnels des États d’Afrique de l’ouest engagés dans le projet. L’installation de l’AILCT a été fortement pertubée par l’éclatement de la crise sanitaire.

c.   Takuba : un succès pour la France

Lors du Sommet de Pau, les différentes parties ont estimé nécessaire d’ajouter une strate dans le dispositif militaire. Celle-ci a pris la forme de la task force Takuba, lancée le 27 mars 2020. Comme l’ont indiqué aux rapporteures les représentants du centre de planification et de conduite des opérations (CPCO), il s’agit d’une initiative inédite, dans la mesure où pour la première fois, des unités des forces spéciales de plusieurs pays européens se réunissent sous une même bannière. Placée sous le commandement du commandant de la force Barkhane (COMANFOR), Takuba est chargée d’une mission principale : l’accompagnement des forces maliennes au combat. De manière complémentaire et ponctuelle, dans des cas particuliers, il peut être envisagé qu’elle conduise des missions de contre-terrorisme de manière autonome et en intra-européen. Aujourd’hui commandée par un Français, le troisième mandat de la TF Takuba devrait d’ailleurs être placé sous le commandement d’un officier suédois.

En déplacement au Mali les 1er et 2 avril 2021, Mme Florence Parly, ministre des Armées, son homologue estonien, M. Kalle Laanet, et son homologue tchèque, M. Lubomir Metnar, ont acté la pleine capacité opérationnelle de la force Takuba.

En date du 2 avril, la TF Takuba compte deux task group – un franco-estonien et un franco-tchèque – un task groupe de force réaction rapide (quick response force-QRF) suédois, armé d’hélicoptères Black Hawk, représentant au total 600 personnes, dont 300 Français. À l’issue du Sommet de N’Djamena, le Président Macron a fixé comme objectif le déploiement de 2 000 hommes dont 500 Français.

Takuba est un exemple de l’internationalisation que la France promeut au Sahel, avec une mise en commun et une complémentarité des moyens. La force a vocation à prendre le relais de l’opération Barkhane dans le Liptako, afin de permettre à la force Barkhane d’intervenir davantage à l’ouest du Mali, contre des entités du RVIM, en particulier la katiba du Macina. Les effectifs de Takuba y interviennent déjà depuis l’automne 2020, et ont réalisé plus d’une vingtaine de missions. La force a été engagée au feu à plusieurs reprises et a été déployée dans les dernières opérations majeures de Barkhane, Bourrasque et Éclipse.

Lors de son audition par les rapporteures, le colonel (ER) Michel Goya a relevé que si certains s’interrogent sur la pertinence de n’y déployer que des forces spéciales, il y a là un enjeu politique, notamment pour les autres pays européens – le déploiement de forces spéciales implique des volumes moindres et, souvent, une plus grande acceptabilité en cas de pertes. En outre, il convient de préciser que Takuba intègre également des forces conventionnelles – escortes, soutien logistique, médical, et protection des emprises. Par ailleurs, la présence de militaires locaux aux côtés de forces étrangères constitue un véritable atout s’agissant de la connaissance du terrain, des populations ou encore de la langue.

Présentation du dispositif de Takuba

Source : état-major des armées.

3.   Barkhane remporte d’indéniables succès

a.   Barkhane a affaibli les groupes terroristes

D’un point de vue militaire, l’affaiblissement de la menace terroriste repose tant sur la lutte contre les groupes de combattants que sur la neutralisation des chefs terroristes. Dans ce contexte, Sabre se concentre sur la neutralisation des cibles dites de haute valeur tandis que Barkhane intervient sur la réduction de la menace globale, ce qui l’amène aussi à mener des opérations de neutralisation de certains chefs de groupes, ainsi que des missions dites de SSE (sensitive site exploitation), consistant à exploiter les données et matériels – téléphones portables, ordinateurs, documents, armements – retrouvés à l’occasion d’une intervention. Le matériel collecté et son exploitation augmentent les chances d’obtenir du renseignement utile à la conduite de futures actions et permettent de mieux connaître l’organisation des groupes terroristes afin de faciliter leur déstabilisation.

Depuis le début de l’engagement au Sahel, la France a fait la démonstration de ses capacités de renseignement et d’opérations ciblées en éliminant d’importants chefs terroristes sévissant au Sahel, comme Abdelhamid Abou Zeïd, émir de la katiba Tarik Ibn Ziyad, en février 2013, Abou Bakr Al-Nasr, chef d’Al-Mourabitoune, en avril 2014, Ahmed al-Tilemsi, ancien dirigeant du Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO) puis chef d’Al-Mourabitoune, en décembre 2014, Hamada Ag Hama , dit Abdelkrim el-Targui, le chef de la katiba Al-Ansar, en mai 2015, Mohamed Ould Nouini, dit Abou Hassan al-Ansari, chef d’Al-Mourabitoune au Mali, en février 2018, ou encore Djamel Okacha, dit Yahya Abou Al-Hammam, chef de l’émirat de Tombouctou, en février 2019. En neutralisant les chefs, il s’agit de désorganiser les réseaux et d’éliminer les têtes pensantes des réseaux terroristes, capables de construire des opérations complexes. Au cours de l’année 2020, l’action de la force Sabre a permis d’atteindre les hauts responsables d’AQMI mais aussi de l’EIGS :

– en juin 2020, Abdelmalek Droukdel, chef d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Comme l’a précisé aux rapporteurs le directeur général de la sécurité extérieure, sa neutralisation a permis d’affaiblir la chaîne de commandement entre Iyad Ag Ghali et le commandement central d’Al-Qaïda ;

– en novembre 2020, Bah Ag Moussa, considéré comme le chef militaire du Rassemblement pour la victoire de l’islam et des musulmans (RVIM), ayant conçu nombre d’attentats contre des militaires français.

Comme l’a rappelé aux rapporteures le général de division Éric Vidaud, commandant les opérations spéciales, les missions de ciblage ont d’abord pour objectif premier de capturer l’ennemi, afin de pouvoir procéder à des interrogatoires et obtenir du renseignement sur l’organisation des groupes terroristes. Il a néanmoins attiré l’attention des rapporteures sur le fait que ce choix a cependant un prix : celui du « risque accru encouru par nos opérateurs en mission pour donner à nos ennemis l’occasion de se rendre. Cela ne fonctionne pas toujours. Nous ne savons jamais les réactions de l’ennemi ; nous lui offrons toujours la possibilité de se rendre. »

S’agissant de l’opération Barkhane en tant que tel, le directeur du renseignement militaire a rappelé aux rapporteures que les forces françaises avaient remporté d’indéniables succès tactiques sur le terrain, avec par exemple, 859 membres de l’EIGS tués, 169 capturés, 34 véhicules détruits et des centaines de motos détruites depuis le Sommet de Pau. En outre, les forces recueillent régulièrement des documents permettant d’approfondir la connaissance de l’organisation des groupes terroristes et de leurs dynamiques.

Si le bilan de l’opération Barkhane a ainsi été particulièrement positif au cours de l’année 2020, c’est d’abord en raison du renforcement de nos moyens humains – avec le déploiement de 600 militaires supplémentaires dans le cadre du « surge » décidé lors du Sommet de Pau – et techniques – avec l’armement des drones mis en œuvre à la fin de l’année 2019 – ainsi que de la mise en œuvre de nouveaux modes d’action, dont les opérations Bourrasque, Éclipse et Équinoxe sont les illustrations. Au début de l’année 2020, le déploiement du 2e régiment étranger de parachutistes, basé à Calvi, en Corse, a également permis aux forces françaises de se montrer davantage à l’initiative, grâce à une mobilité et une discrétion accrues.

Pour le colonel (ER) Michel Goya, la France a connu davantage de pertes mais, paradoxalement, celles-ci sont davantage le signe d’une reprise en main de la situation que d’un échec stratégique. Selon lui, « le seuil de 80 ennemis neutralisés mensuellement a été dépassé, et Barkhane remplit dorénavant pleinement sa mission ».

L’État islamique au Grand Sahara (EIGS) a été largement affaibli, et une partie de l’état-major du RVIM et d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) a été décapitée. Ces derniers semblent enclins à entamer des négociations, du moins c’est ce qu’il ressort de la lecture de leurs communiqués de presse, ce qui est le signe d’une forme d’affaiblissement. D’ailleurs, il faut sans doute voir la recrudescence récente de leurs attaques comme une volonté de se placer en position plus favorable dans le cas de l’ouverture d’un processus de négociation.

Bilan de l’opÉration Barkhane en 2020

Source : état-major des armées.

b.   L’action de Barkhane est unanimement saluée

Les auditions conduites par les rapporteures ont montré que l’action de l’opération Barkhane était unanimement saluée par nos partenaires. C’est ainsi que le colonel Pepper s’inscrit en faux contre ceux qualifiant l’action militaire française d’échec, M. Stefano Tomat directeur « Approche intégrée pour la sécurité et la paix (ISP) » au sein du Service européen pour l’action extérieure estimant quant à lui que l’engagement de la France au Sahel était « à saluer », tant sur le pilier sécuritaire incarné par l’opération Barkhane que pour ses actions en faveur d’une amélioration de la gouvernance et du développement des pays de la zone. Selon lui, il ne fait guère de doute que le système sécuritaire malien s’effondrerait en cas de départ de Barkhane.

Lors de leur audition, Mme aus Dem Siepen, cheffe du département « Politique » de l’ambassade d’Allemagne en France, et le général de brigade Gerhard Klaffus, attaché de défense allemand à Paris, ont assuré que pour les autorités allemandes, il ne faisait guère de doute que Barkhane joue un rôle clé au Sahel.

Surtout, la préparation du Sommet de N’Djamena des 15 et 16 février a été l’occasion pour les chefs d’État des pays du G5 Sahel de réaffirmer leur soutien à l’engagement militaire de la France au Sahel, tout comme le général Oumarou Namata, commandant de la force conjointe, qui a publiquement déclaré au sujet d’un départ de la force Barkhane, combien il serait « prématuré d’envisager cela et hasardeux pour le G5 Sahel ».

C.   Barkhane fait toutefois face à de nombreux défis

1.   La menace terroriste demeure

a.   La capacité d’adaptation des groupes terroristes

Malgré les importants succès rencontrés par Barkhane et ses partenaires depuis le début de l’année 2020, la menace terroriste demeure élevée et ce serait une erreur de sous-estimer l’intelligence des chefs terroristes, qui parviennent à actionner tous les leviers leur permettant d’arriver à leurs fins : tensions intercommunautaires, frustrations liées à l’accès aux ressources naturelles, usage croissant de drones de petits format, interventions dans le champ informationnel. Ces GAT continueront de s’adapter et d’évoluer : le RVIM est particulièrement efficace pour susciter l’adhésion des populations, l’EIGS pratiquant davantage une politique de la terre brûlée, très violente, qui se retourne parfois contre lui.

De fait, l’état-major des armées estime qu’aujourd’hui, l’EIGS n’est pas en mesure de mener des opérations de même ampleur qu’en 2019, lorsque que le général d’armée François Lecointre reconnaissait que la situation se détériorait et contenait en germe des similitudes avec ce qui a conduit au déclenchement de l’opération Serval, en janvier 2013. Toutefois, il convient de rester vigilant, l’assassinat de 300 civils au Niger depuis le début de l’année 2021 témoignant de la volonté de l’EIGS de se régénérer. Paradoxalement, si ces violences atroces ont un fort retentissement médiatique – tout à fait légitime – elles illustrent aussi l’affaiblissement du groupe, qui s’attaque à des populations vulnérables – des paysans, des femmes, des enfants.

Quant au RVIM, il s’agit d’un adversaire virulent, comme en témoignent les quatre attaques IED dont a été l’objet Barkhane depuis le début de l’opération Équinoxe, sans faire de blessés. Logiquement, le renforcement de la présence de Barkhane dans sa zone d’influence va le conduire à mener davantage d’attaques à l’encontre des forces françaises.

b.   Barkhane ne peut pas occuper le terrain dans la durée

En outre, dans une zone grande comme l’Europe, les effectifs limités de l’opération Barkhane l’empêchent d’occuper le terrain dans des proportions suffisantes pour annihiler les velléités de retour de la part des groupes terroristes. Pour le colonel (ER) Michel Goya, les multiples engagements des armées françaises au même moment, sur le territoire national dans le cadre de l’opération Sentinelle comme en opérations extérieures, au Levant comme au Liban, ont entraîné une dispersion des moyens peu propice à la concentration des efforts qu’exige une stratégie militaire efficace.

Aux yeux des rapporteures, il s’agit surtout d’intensifier la montée en puissance des forces locales ainsi que les efforts sur les piliers 3 et 4 de la Coalition pour le Sahel (voir infra) afin d’assurer une présence militaire et sécuritaire créant les conditions d’un redéploiement des services publics, au profit des populations, et permettant d’arrimer des projets de développement qui les sortiront de la pauvreté et leur offriront de nouvelles perspectives. Et en l’espèce, il ne s’agit pas de la mission de Barkhane.

2.   Barkhane face au défi de « durer »

a.   Barkhane face aux accusations d’enlisement

Un certain nombre de commentateurs estiment que la France s’enlise au Sahel. C’est notamment le cas du chercheur Marc-Antoine Pérouse de Montclos, auditionné par les rapporteures, qui considère qu’il est « temps de partir » ([46]). Pour les partisans d’un tel scénario, Barkhane n’obtient pas de résultats suffisamment tangibles, ce qui lui serait du reste impossible au regard de la complexité d’une crise devenue essentiellement insurrectionnelle, manifestation de la volonté des populations sahéliennes d’en finir avec des régimes corrompus et inefficaces, maintenus au pouvoir grâce à la seule présence des forces internationales. En conséquence, les dirigeants sahéliens ne verraient aucun intérêt à engager les réformes nécessaires à la stabilisation politique de la zone, qui conduirait mécaniquement à leur éviction du pouvoir. Dans ce contexte, les forces internationales, au premier rang desquelles les forces françaises, seraient perçues chaque jour davantage comme des forces d’occupation, comme en attesterait l’accroissement d’un sentiment « anti-français ».

Les rapporteures ne partagent pas cette opinion, qui leur paraît refléter une analyse trop peu nuancée de la situation. Car pour les rapporteures et la très grande majorité des personnes auditionnées, il est évident qu’en cas de départ de Barkhane, l’ensemble de l’édifice construit en faveur de la stabilisation du Sahel s’effondrerait, au détriment premier des populations locales. Elles estiment également que le sentiment prétendument « anti-français » est d’une bien moindre vigueur que voudraient le faire croire certaines voix, y compris locales, comme en témoignent la faible mobilisation lors de manifestations organisées dans le but de dénoncer la présence française. Du reste, la MINUSMA a, elle aussi, dû faire face à de telles accusations.

Néanmoins, Barkhane est bien confrontée au défi de durer, et d’abord pour des raisons symboliques liées au « coût humain » de la guerre. Lors de son audition, le colonel (ER) Michel Goya s’interrogeait de la manière suivante : « après neuf années de présence sur le terrain, est-il encore acceptable par la société de perdre un soldat par mois dans le cadre d’une opération dont le coût annuel atteint un milliard d’euros ? »

Car nos soldats meurent en effet au Sahel. Depuis le début de l’engagement des forces françaises, 57 militaires français y ont perdu la vie, dont 51 « morts pour la France ». Chacun a évidemment en mémoire l’accident d’hélicoptères survenu le 25 novembre 2019 dans la vallée d’Eranga, qui a coûté la vie à treize militaires. Au-delà, les soldats français sont surtout tués ou blessés dans le cadre d’attaques à l’engin explosif improvisé. Cinq d’entre eux sont ainsi morts le 28 décembre 2020 et le 2 janvier 2021. Dorénavant, chaque perte sera plus davantage ressentie par l’opinion et relancera les débats sur le bien-fondé de notre présence au Sahel.

En parallèle, le coût financier de Barkhane fait l’objet de débats nourris.

Évolution du coÛt de Barkhane

En millions d’euros

 

2014

2015

2016

2017

2018

2019

2020

Surcoûts complets (T2-HT2-ex posts)

522,14

570,89

593,16

689,92

772,63

799,97

Environ 880

Source : état-major des armées

Pour la France, le premier des enjeux consiste à identifier des solutions permettant de poursuivre le combat dans la longue durée. Car à moins que l’on procède à un réexamen du contexte stratégique et que l’on décide que, finalement, la déstabilisation du Sahel ne constitue plus une menace pour la région, la France et l’Europe, un retrait complet à court terme apparaît peu probable.

Or, dans le même temps, l’opération Barkhane met aussi en lumière certaines fragilités au sein des armées.

b.   Les limites capacitaires des forces armées

La conduite de l’opération Barkhane révèle qu’en certains domaines, les capacités de la France sont limitées. C’est le cas des hélicoptères de manœuvre, mais aussi de nos moyens de renseignement, en particulier les avions légers de surveillance et de reconnaissance (ALSR) et le C160 Gabriel comme l’Atlantique 2, qui sont des moyens comptés, ou encore le transport stratégique. Dans la plupart des cas, la France peut s’appuyer sur des moyens fournis par des alliés. Ces fragilités capacitaires n’ont toutefois aucun impact sur les opérations même s’il a récemment été fait appel aux forces françaises stationnées à Djibouti pour acheminer trois hélicoptères Puma pendant une durée de huit semaines. Elles doivent néanmoins être prises en compte alors que le Gouvernement doit prochainement faire part des ajustements qui seront apportés à la loi de programmation militaire 2019-2025.

L’évolution des modes d’action des groupes terroristes doit également conduire à conforter notre dispositif, notamment dans le domaine de la lutte anti-drones, où beaucoup reste à construire. Selon les informations recueillies par les rapporteures, plusieurs sources de renseignement laissent en effet entendre que sur le théâtre, les groupes armés terroristes seraient dorénavant à même de conduire des attaques à partir de drones, comme cela s’est déjà produit sur d’autres théâtres, en particulier au Levant. C’est dans ce contexte que le système BASSALT a récemment été testé à Gao, tandis qu’à Niamey, les Américains ont proposé de déployer leur propre système, qui a montré toute son efficacité.

De la même manière, il est temps de mettre en œuvre la montée en puissance de la composante « drones », freinée pour des raisons de ressources humaines, en raison d’un sur-emploi des équipages opérationnels ralentissant le rythme prévu de formation des jeunes équipages. Nous disposons aujourd’hui des équipements, mais nous peinons à les mettre en œuvre, et ce alors même que chacun s’accorde sur leur rôle primordial dans la conduite des opérations.

En outre, la disponibilité des matériels terrestres comme des hélicoptères est juste suffisante pour mener les opérations.

S’agissant des matériels terrestres, elle se trouve limitée par :

– une charge de travail élevée, en raison de la diversité des matériels soutenus et de l’abrasivité du terrain qui augmente les détériorations et le rythme des entretiens ;

– des élongations importantes, qui nécessitent de combiner les flux réguliers d’approvisionnement avec l’augmentation de capacités de maintenance locales ;

– des solutions limitées, malgré le développement de réponses artisanales, comme des expérimentations d’impression 3D de pièces n’engageant pas la sécurité des biens et des personnes ou la projection d’équipes temporaires depuis la métropole.

Quant aux hélicoptères, les forces pâtissent toujours des défauts de jeunesse de certains appareils de nouvelle génération et des dysfonctionnements connus sur certains éléments mécaniques d’aéronefs non résolus à ce jour par l’industriel, qui entrainent une surconsommation de pièces de rechange et des délais d’acheminement accrus depuis la métropole.

c.   L’impact de l’opération sur la régénération organique des forces

En outre, l’opération Barkhane n’est pas sans impact sur la régénération organique des forces.

À titre d’exemple, s’agissant de l’armée de l’air et de l’espace, si les missions aériennes effectuées au Sahel permettent aux pilotes de chasse de mettre en œuvre leurs savoir-faire, la mission cible un domaine précis de compétences, relevant du « bas du spectre » : un vol en haute altitude sans menace symétrique, par beau temps, pour délivrer de l’armement. Or, les pilotes ont besoin de maintenir leurs compétences dans le « haut du spectre » (combat aérien, suivi de terrain, vols tout temps, vols au sein de raids à plusieurs avions), en particulier dans la perspective d’une intensification de la préparation à la haute intensité. En outre, la moindre disponibilité des appareils en France métropolitaine limite les capacités d’entraînement sur ces domaines de compétences. Comme l’a indiqué aux rapporteures le général de division aérienne Philippe Morales, sous-chef « activités » à l’état-major de l’armée de l’air et de l’espace, les pilotes devraient normalement effectuer 180 heures de vol par an pour être « pleinement opérationnels », seuil correspondant à une norme fixée par l’OTAN ([47]) ; ils en effectuent en moyenne 152 par an, dont seulement 100 à l’entraînement. En théorie, 75 % des heures prévues devraient être consacrées à l’entraînement, soit un total de 130 heures.

L’ALAT rencontre les mêmes difficultés pour l’entraînement de ses pilotes aux compétences les plus critiques, dans un contexte de sur-projection du personnel dans certaines spécialités. La régénération organique des capacités d’aérocombat constitue ainsi un sujet d’attention pour l’armée de terre, car l’engagement de ce type d’unités requiert un effort particulièrement intense en matière de formation et d’entraînement.

3.   La bataille du récit est loin d’être remportée

a.   La guerre informationnelle

Alors que l’ennemi diversifie ses modes d’action, il est plus que jamais temps d’adapter notre propre réponse, en intensifiant notamment notre action dans le domaine de l’influence, seul moyen de remporter la guerre des perceptions qui se joue aussi au Sahel. Dans ce contexte, l’action militaire classique doit être complétée d’actions dans le domaine du cyber et de la guerre informationnelle. Les groupes armés terroristes interviennent de plus en plus dans ce champ, afin de décrédibiliser l’action des forces internationales et emporter l’adhésion des populations.

Dans ce domaine, la France doit également affronter des puissances étatiques décomplexées, à l’instar de la Russie, qui joue sans conteste un rôle dans le domaine de l’influence, avec des attaques systématiques – notamment sur les réseaux sociaux – à l’encontre de la France régulièrement dénigrée. Du point de vue de certains officiers rencontrés sur le théâtre, la Russie mène dans la région des opérations de guerre informationnelle dont on a le sentiment que le seul et unique but est de semer le chaos. Pour les contrer, il est nécessaire d’agir selon deux vecteurs : d’une part, sans cesse expliquer son action et la promouvoir par des campagnes de communication et de valorisation ; d’autre part, se montrer plus agiles et plus rapides, ce en quoi les armées occidentales ont toujours éprouvé des difficultés : il faut donc se montrer préventif et réactif, surtout sur les réseaux sociaux.

La guerre informationnelle se double parfois d’une guerre d’influence. La Russie, qui accroît son influence et fait preuve d’un activisme renouvelé, avec la signature d’une vingtaine d’accords avec des pays africains depuis 2017, parmi lesquels un accord militaire d’assistance technique avec le Burkina Faso, un accord de coopération militaire avec le Mali, un accord dans le domaine des infrastructures militaires avec le Tchad et un accord dans le domaine de l’exploitation des ressources avec le Niger. La présence croissante de la Russie dans la zone est source d’inquiétudes, car elle constitue, pour la France et ses alliés, un compétiteur stratégique de premier plan, comme l’a d’ailleurs déjà démontré l’influence croissante de la Russie en République centrafricaine – où sont présents de nombreux militaires russes ainsi que de mercenaires de la société de sécurité privée Wagner.

De la même manière, la Turquie a récemment conforté sa présence dans les domaines économique (BTP, aéroport de Niamey, etc.) et culturel (écoles, coopération culturelle), conformément à la volonté du Président Erdogan d’apparaître comme le nouveau chef de file des pays de confession musulmane sunnite, tandis que les Pays du Golfe renforcent progressivement leur présence économique et culturelle.

Quant à la Chine, elle semble pour l’heure limiter sa présence au domaine économique. Sur le plan militaire, elle est engagée dans la MINUSMA, dans le champ du soutien médical, et a conclu un accord portant sur la fourniture d’équipements avec l’Union africaine.

En outre, comme l’a indiqué aux rapporteures Mme Niagalé Bagayoko, la lecture des communiqués de presse du RVIM révèle une stratégie de communication très élaborée, le groupe s’adressant parfois directement aux populations occidentales, et notamment française, en s’interrogeant par exemple sur la pertinence de l’opération Barkhane dont le coût financier pourrait, selon lui, être plus utilement destiné à la lutte contre le chômage, ou affirmant clairement son refus de porter ses attaques sur le territoire français et son intention consécutive de limiter au seul théâtre sahélien son combat « pour la liberté des population sahéliennes de vivre selon leurs propres standards, débarrassés de toute influence coloniale ».

 

Bounti : la France a-t-elle perdu une bataille informationnelle ?

Le 3 janvier 2021, une patrouille de Mirage 2000 de la force Barkhane a procédé à une unique frappe dans la région de Douentza, un kilomètre au nord du village de Bounti (ou Bounty, selon l’orthographe retenue). Cette frappe (trois bombes) est localisée en 30 PWB 4436 83140 (coordonnées GPS), à plus d’un kilomètre au nord des premières habitations de Bounti. Il s’agit d’un espace ouvert et semi-boisé. Elle est intervenue après une longue phase de renseignement, mobilisant notamment un drone Reaper, et a été conduite conformément aux principes de ciblage en vigueur (voir infra).

Le ministère des Armées indique que cette frappe a permis de neutraliser une trentaine de membres d’un groupe armé terroriste, la katiba Serma.

Pourtant, le jour même, des civils et une association malienne peule, Jeunesse Tabital Pulaaku, ont dénoncé cette frappe, l’accusant d’avoir tué des civils réunis à l’occasion d’un mariage. D’autres associations, comme Médecins sans frontières, ont indiqué avoir pris en charge des blessés.

Le ministère des Armées, par la voix notamment du porte-parole de l’état-major des armées, M. le colonel Frédéric Barbry, a rapidement confirmé qu’une frappe avait bien eu lieu dans la zone, en en précisant les conditions. Pour le ministère, il n’existe aucun doute quant à l’identité des personnes neutralisées par cette frappe, et aucun mariage n’avait lieu. Mme Florence Parly, ministre des armées, l’a confirmé devant la représentation nationale, de même que le général d’armée François Lecointre, chef d’état-major des armées, qui s’est également exprimé publiquement dans les médias.

À l’inverse, la description des événements par les personnes sur place ou leurs « portes-paroles » ont été plus confuses. Ont ainsi été évoquées des frappes depuis des hélicoptères volant à basse altitude, ou décrivant un avion volant également bas, avant que les témoignages convergent.

Ces différentes allégations et les demandes de plusieurs organisations non gouvernementales ont conduit la MINUSMA à initier une enquête, dont le rapport a été rendu public le 30 mars 2021 ([48]). Ce rapport contredit la version donnée par le ministère des Armées. Il affirme qu’un mariage était célébré au moment de la frappe, réunissant une centaine de civils, dont cinq membres de la katiba Serma. Trois d’entre eux auraient été tués par la frappe françaises, aux côtés d’au moins 19 civils. La MINUSMA pointe donc la responsabilité de la France, mise en cause pour avoir eu un usage disproportionné de la force, et appelle à :

« - mener une enquête indépendante et transparente afin d’examiner les circonstances de la frappe et son impact sur la population civile de Bounty ;

- examiner de manière approfondie les processus de mise en œuvre des précautions lors de la préparation d’une frappe ainsi que des critères utilisés pour déterminer la nature militaire de l’objectif aux fins de l’application du principe de distinction y compris l’appartenance à un groupe armé à la lumière de cet incident et à y apporter des modifications si nécessaires ;

- enquêter sur les possibles violations du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme et d’établir les différentes responsabilités ;

- octroyer, le cas échéant une réparation appropriée aux victimes et aux membres de leurs familles. »

Le ministère des Armées a réagi vigoureusement à ces conclusions, en maintenant sa position quant à l’identité des personnes visées par cette frappe ([49]).

Les rapporteures n’ont pas eu accès à d’autres informations que celles rendues publiques. Elles ont participé à la réunion à huis clos que le Bureau de la commission de la Défense nationale et des forces armées a tenu, mercredi 7 avril 2021, en présence du chef d’état-major des armées.

Les rapporteures sont convaincues de la rigueur avec laquelle l’armée française conduit ses frappes, et de la robustesse du processus de ciblage qu’elles suivent. Elles sont également convaincues que ni la ministre, ni le chef d’état-major, ni leurs portes-paroles n’ont menti dans la description des événements du 3 janvier 2021.

Les rapporteures partagent en revanche les interrogations soulevées par le ministère des Armées quant à la méthodologie suivie par les équipes de la Division des droits de l’homme et de la protection (DDHP) de la MINUSMA, et en particulier la faiblesse des investigations de police scientifique et les insuffisances de la prise en compte de l’influence des groupes terroristes dans la région.

En outre, plusieurs zones d’ombre fragilisent les conclusions de la MINUSMA :

- aucune manifestation ou contestation publique n’a été organisée dans la localité de Douentza, chef-lieu de la région ;

- aucune image n’a été diffusée dans les médias ou sur les réseaux sociaux dans la foulée de la frappe, alors que le rapport de la MINUSMA indique qu’une centaine de personnes se trouvaient à proximité, et que l’on pourrait imaginer qu’une « bavure » donne lieu à des dénonciations publiques ;

- la frappe est intervenue dans une zone marquée par une forte influence des groupes terroristes, et en particulier de la katiba Serma visée, influence qui ne semble pas avoir été réellement prise en compte par les équipes de la MINUSMA lors de la collecte des témoignages anonymes.

La possibilité d’une instrumentalisation de la Division des droits de l’homme et de la protection de la MINUSMA ne doit donc pas être écartée. Et les rapporteures soutiennent en tout cas pleinement les forces françaises.

La France a toutefois perdu une bataille informationnelle, comme en témoigne également le traitement médiatique de cette frappe, et doit en tirer les enseignements pour éviter la reproduction d’un tel scénario.

b.   Une opération méconnue, et parfois incomprise

Au-delà, les rapporteures font le constat d’une opération méconnue, tant sur le théâtre que sur le territoire national, par les Français.

Sur le théâtre, il semble que les populations comme les élites administratives et politiques doutent parfois de la capacité de la France et, plus largement, de la communauté internationale, à peser sur l’évolution de la situation. En outre, certains chercheurs ont alerté les rapporteures quant à des maladresses que pouvait commettre la Force Barkhane dans la mise en œuvre de ses opérations de communication en raison d’une moindre connaissance des spécificités humaines de l’environnement d’intervention. À titre d’exemple, il leur a été indiqué que des tracts avaient été largués en différentes langues locales portant la mention « Barkhane vous surveille », alors que la version française du document indiquait « Barkhane vous protège ». De la même manière, le choix d’un mot tamasheq pour désigner la force Takuba, dans un contexte de suspicion entourant les relations de la France avec les communautés touarègues, a pu susciter des incompréhensions de la part de certaines populations.

Pour les rapporteures, de telles situations appellent deux remarques :

– d’une part, elles témoignent de l’affaiblissement de la connaissance profonde des réalités locales par les armées françaises, en raison de la réduction du dispositif militaire français en Afrique de l’Ouest, et en particulier des coopérants, comme de la diminution des contingents d’officiers africains accueillis en France dans le cadre des différentes formations militaires. C’est en partie d’ailleurs aussi ce qui explique l’incapacité de la France à anticiper le coup d’État du 18 août 2021 au Mali et, avant lui, le coup d’État de 2012 ou l’évolution du paysage terroriste ;

– d’autre part, elles constituent un appel en faveur d’un rapprochement entre le monde de la recherche et les armées, entre lesquels une certaine défiance semble parfois s’être installée. Nombre de chercheurs rencontrés par les rapporteures regrettent ainsi de ne pouvoir suffisamment se rendre sur le terrain, auprès des forces – d’autant plus depuis l’éclatement de la crise sanitaire – tandis qu’un grand nombre d’officiers se montrent fort critiques à l’égard de travaux de recherches jugés « hors sol ». Pour autant, l’ensemble des acteurs semble regretter un manque de connaissance mutuelle, qui pourrait être résorbé par l’organisation, par exemple, d’un dialogue plus approfondi dans le cadre de missions permettant aux chercheurs d’être intégrés auprès des forces, temporairement et dans le respect des règles de confidentialité.

En France, la couverture politique et médiatique de l’opération Barkhane peine à toucher un large public. Plus précisément, un fort écho est donné aux hérauts de la remise en cause de l’opération Barkhane, ce qui n’est pas sans conséquence sur la perception des enjeux par l’opinion publique, voire sur le moral des soldats. Lors d’un échange avec le chef d’état-major de l’armée de terre, le général d’armée Thierry Burkhard, les rapporteures ont ainsi pu mesurer combien la remise en cause médiatique, voire politique, du bien-fondé de l’engagement français en BSS pouvait être perçue de façon plutôt négative par le personnel déployé en opération et leurs familles. Si nul ne conteste que l’action des forces armées puisse être discutée, ce climat nécessite un effort de pédagogie de la part de l’encadrement en direction de leurs subordonnés, et plus particulièrement des jeunes soldats, particulièrement sensibles à ces débats.

Il ressort des entretiens que les rapporteures ont pu conduire avec certains d’entre eux que ceux-ci peinent parfois à comprendre que des personnalités médiatiques ou politiques remettent en cause les résultats obtenus, insinuent que Barkhane serait une force d’occupation pillant les ressources d’un pays incapable de se défendre ou encore mettent en doute la maîtrise de l’usage du feu par les soldats, alors qu’ils s’engagent pleinement et résolument, toujours de manière responsable, parfois au prix du sang.

Les allégations de dommage collatéral, bien que nécessaires et légitimes lorsqu’elles sont avérées, sont parfois difficilement acceptées, d’autant plus qu’à plusieurs reprises, les soldats français ont été blessés en raison d’une volonté délibérée de retarder l’usage de la force ou d’en limiter les conséquences.

De manière plus générale, la communication faite par le ministère des Armées au sujet de l’opération Barkhane présente des marges de progrès, étant pour l’heure trop souvent réduite à une « guerre de statistiques », peu lisible pour la société. Pourtant, le chef d’état-major des armées lui-même rejette une telle approche, comme en témoigne ses propos devant la commission de la Défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale, le 17 juillet 2018, lorsqu’il déclarait, à propos du Sahel : « Je refuse toujours d’évoquer le nombre de terroristes mis hors de combat, parce que, j’en suis persuadé, l’efficacité de l’action militaire ne se mesure pas au nombre de pertes chez l’ennemi, pas plus que notre force ou notre faiblesse ne se mesurerait au nombre de pertes que nous aurions subies. » ([50]) Pour les rapporteures, il y a donc lieu de repenser la stratégie de communication du ministère des Armées au sujet de l’opération Barkhane, en l’axant non plus sur un bilan comptable mais bien plus sur le sens de notre action. Elles partagent en cela le constat du colonel (ER) Michel Goya qui, lors de son audition, affirmait que « ce dont l’opinion a horreur, c’est l’impression de conduire des guerres inutiles, provoquant des morts inutiles ».

Les rapporteures notent toutefois que l’action militaire conduite au Sahel, et en particulier l’action des armées françaises, accapare une large part de l’attention politique et médiatique. Si Barkhane constitue le socle sur lequel se déploie une action civile et politique bien plus large, cette dernière fait en revanche l’objet d’une couverture plus réduite, alors qu’elle présente de nombreuses fragilités. Il y a sans doute là aussi un axe d’effort en matière de communication, afin de replacer Barkhane à sa juste place, celle d’un maillon au service d’une approche globale en faveur de la stabilisation du Sahel.

II.   Barkhane, maillon central d’une approche globale de la résolution de la crise sahélienne

La crise sécuritaire qui frappe le Sahel n’est qu’un aspect d’une crise plurifactorielle. Si les rapporteures ont déjà pu en exposer la complexité, il convient ici de rappeler que la crise sahélienne est d’abord une crise de l’État et une crise du développement. Comme l’indiquait d’ailleurs le général d’armée François Lecointre, chef d’état-major des armées, lors de son audition du 11 juin 2019, par la commission de la Défense nationale et des forces armées, le « sujet malien, ou sahélien en général, est bien un sujet politique au sens le plus large du terme – social, de gouvernance et de développement autant que militaire ou de lutte contre le terrorisme » ([51]).

Crise de l’État, d’abord, car au cœur de la déstabilisation du Sahel se trouve la contestation du modèle d’État issu des indépendances, perçu comme prédateur plutôt que protecteur – et considéré par les populations, notamment dans les zones périphériques, comme ayant failli en matière de démocratisation, de sécurisation, d’éducation, d’urbanisation, de décentralisation, de santé, de développement.

Crise de développement, ensuite, car le Sahel regroupe des pays parmi les plus pauvres au monde, confrontés à des défis d’ordre structurel, avec une croissance démographique débridée, faisant passer sa population de 80 millions à 200 millions de personnes d’ici 2050.

C’est pourquoi dès l’éclatement de la crise, les États sahéliens et leurs partenaires internationaux ont mis en place une stratégie reposant sur quatre piliers complémentaires, selon une approche dite « globale ».

A.   Dès l’origine de la crise malienne, le choix d’une approche multidimensionnelle

1.   Des missions multilatérales ont précédé Barkhane

Dès avant le déclenchement de l’opération Serval, la France a œuvré en faveur de la mise en place d’opérations multilatérales au Sahel. C’est ainsi qu’en septembre 2012, la France, par la voix du Président de la République François Hollande devant l’Assemblée générale des Nations unies, a sensibilisé l’opinion publique internationale sur les dangers de la situation au Mali. La France a ainsi joué un rôle « crucial » ([52]) dans la mise sur pied d’une coalition internationale appuyant les efforts de stabilisation du Mali.

a.   La MINUSMA

L’intervention de la MINUSMA ([53]) repose sur plusieurs résolutions de l’Organisation des Nations Unies, dont quatre principales :

– la résolution 2013-100, par laquelle le Conseil de sécurité a décidé à l’unanimité de la création de la MINUSMA. Cette résolution a été fortement inspirée par la France ;

– la résolution 2391, adoptée en décembre 2017, aux termes de laquelle la MINUSMA devient apte à assister la force conjointe du G5 Sahel d’un point de vue logistique.

– la résolution 2489, adoptée en juin 2019, qui n’a pas simplement prorogé la MINUSMA, mais également précisé son mandat, en la chargeant d’appuyer la mise en place des accords pour la paix et la réconciliation (APR) d’Alger, d’assurer la protection des civils et de contribuer à la réduction des violences intracommunautaires et, enfin, de soutenir le rétablissement de l’État dans le centre du Mali ;

– la résolution 2531, adoptée en juin 2020, qui la complète afin d’exercer une forme de pression sur les autorités maliennes pour conduire les réformes institutionnelles, engager des efforts soutenus en faveur du développement économique dans le Nord et le Centre du Mali, lutter contre les exactions et intensifier la réconciliation nationale au travers d’un programme de désarmement, démobilisation et réintégration (DDR) plus abouti. La résolution demande également aux autorités maliennes d’établir une feuille de route, qui devra identifier les jalons pouvant éventuellement mener au déclenchement, sur le long terme et sous conditions, d’une stratégie de sortie. Selon les informations transmises aux rapporteures, cette feuille de route a été présentée au Conseil de sécurité le 6 avril 2021.

La MINUSMA poursuit deux priorités stratégiques :

– la première, qui reste la principale priorité stratégique, est l’appui à la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali par les parties maliennes et par d’autres acteurs maliens concernés ;

– la seconde vise à faciliter la mise en œuvre d’une stratégie malienne globale à orientation politique pour protéger les civils, réduire la violence intercommunautaire et rétablir l’autorité et la présence de l’État ainsi que les services sociaux de base dans le centre du Mali.

Pour conduire sa mission, la MINUSMA compte 12 877 militaires, 1 718 policiers et 1 180 civils, dont 661 Maliens, soit un peu moins que les plafonds autorisés dans chaque domaine d’intervention. La MINUSMA constitue de loin l’opération de maintien de la paix la plus meurtrie, avec près de 150 personnels tués en raison d’actes hostiles.

b.   L’action de l’Union européenne

L’action de l’Union européenne au Sahel repose sur une stratégie régionale publiée en 2011 ([54]), et dont une actualisation devrait être publiée d’ici la fin du moins d’avril 2021. Cette nouvelle stratégie reposera toujours sur une approche intégrée, mais devrait mettre davantage l’accent sur l’enjeu de bonne gouvernance, le respect des droits de l’homme et du droit international humanitaire. Quatre aspects ont structuré la réflexion sur l’actualisation de la stratégie européenne au Sahel : la définition de l’axe géographique d’intervention prioritaire, la définition des thématiques d’intervention prioritaire, le cadre et le soutien financiers, le cadre temporel d’intervention. Comme l’a indiqué aux rapporteures M. Stefano Tomat, directeur « Approche intégrée pour la sécurité et la paix (ISP) » au sein du Service européen pour l’action extérieure, l’Union européenne intervient toutefois au Sahel depuis 2003, et constitue ainsi un partenaire « du temps long ».

De manière générale, l’action de l’Union européenne se concentre donc sur le bas du spectre de l’intervention, c’est-à-dire la formation et la gouvernance, notamment dans le secteur de la sécurité, quand le segment du milieu du spectre est géré par la MINUSMA, et le haut du spectre par la France, au travers de Barkhane et Takuba, dont la montée en puissance est en cours.

L’Union européenne déploie d’abord trois missions dans le cadre de la Politique de Sécurité et de Défense Commune (PSDC), dont les objectifs sont définis à l’article 42 du Traité sur l’Union européenne. Leur conduite est assurée par la capacité militaire de planification et de conduite militaire (MPCC) sous le commandement de l’EMUE et la capacité de planification et de conduite civile (CPCC).

L’état-major de l’Union européenne

Créé en 2001, l’état-major de l’Union européenne (EMUE) (en anglais European Union military staff – EUMS) est placé depuis le Traité de Lisbonne de 2007 sous l’autorité du Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. La structure de l’EMUE est entièrement multinationale et interarmées. Elle est dirigée par un général de corps d’armée, nommé directeur général, actuellement l’amiral français Hervé Bléjean. Avec moins de 200 personnels, l’EMUE planifie et exécute les décisions du Comité militaire de l’Union européenne (CMUE), notamment grâce à sa nouvelle capacité militaire de planification et de conduite, désignée par son acronyme anglais MPCC. Créé par une décision du Conseil en juin 2017, ce centre de commandement commun des missions militaires à mandat non exécutif (missions d’observation ou de formation) est aujourd’hui considéré comme un embryon de « quartier général » des forces armées de l’UE.

L’UE est actuellement présente sur trois continents, où sont déployées 17 missions civiles ou militaires (19 autres sont aujourd’hui terminées).

Six opérations militaires sont ainsi en cours, parmi lesquelles la mission de formation militaire EUTM Mali, lancée en 2013.

L’UE mène parallèlement 11 missions civiles de police et de soutien aux forces de sécurité ou à l’État de droit, de renforcement capacitaire ou d’assistance aux frontières, parmi lesquelles les missions de renforcement des capacités (EUCAP) au Mali et au Niger.

Il s’agit d’abord des deux missions de renforcement des capacités au Sahel, dites « EUCAP ».

Au Niger, la Mission soutient depuis 2012 les forces de sécurité intérieure, les autorités nigériennes ainsi que les acteurs non-gouvernementaux au travers d’une diversité de programmes et d’activités. Environ 120 Européens issus de forces de sécurité et d’institutions civiles sont déployés en permanence à la Mission pour appuyer les autorités nigériennes dans le renforcement du secteur de la sécurité intérieure afin de protéger les populations locales et garantir les intérêts liés à la sécurité en Europe.

Au Mali, l’EUCAP Sahel Mali fournit depuis 2015 une assistance et des conseils à la police nationale, à la gendarmerie nationale et à la garde nationale dans la mise en œuvre de la réforme de la sécurité, en étroite coordination avec d’autres partenaires internationaux, y compris la délégation de l’Union européenne et la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA). M. Hervé Flahaut, commissaire général de police français, est le chef de la mission EUCAP Sahel Mali depuis le 1er janvier 2021. Le Conseil a décidé de proroger le mandat de la mission civile de l’UE EUCAP Sahel Mali jusqu’au 31 janvier 2023, lui allouant un budget de plus de 89 millions d’euros pour la période allant du 15 janvier 2021 au 31 janvier 2023. Cette mission réunit 16 États membres, ainsi que le Canada, la Norvège et la Suisse.

La mission européenne de formation au Mali – EUTM Mali – consiste quant à elle à apporter une assistance militaire aux forces armées maliennes (FAMa), en agissant sur deux piliers, le premier visant à former et apporter du conseil, pour faire monter en compétences les combattants et former des cadres à même d’accompagner la restructuration des FAMa, le second étant l’entraînement.

Depuis 2013, environ 16 000 militaires des FAMa ont bénéficié d’une formation, délivrée aux niveaux tactique et stratégique. Ces missions engagées dans la continuité depuis leur mise en place sont au contact permanent des forces armées maliennes. Les efforts entrepris pour le développement d’une politique de gestion des ressources humaines ainsi que leur suivi, notamment avec la mise en place d’un système informatisé des ressources humaines (SIRH) restent une priorité afin d’assurer le suivi des personnels formés.

L’action d’EUTM Mali a été fortement entravée par la pandémie de Covid-19 : 400 personnels sur 700 ont été rapatriés au printemps – puis par le coup d’État survenu le 18 août 2020 au Mali.

Les conséquences du Brexit sur l’engagement britannique au sein d’EUTM Mali

Le dernier mandat du Royaume-Uni auprès de la EUTM comprenait des personnels militaires ainsi que des personnels civils.

Deux officiers militaires ont été intégrés dans l’état-major – tous deux étaient des officiers de l’armée de Terre et tous deux portaient le grade de lieutenant-colonel : l’un d’eux occupait la fonction du « Executive Officer » (ou adjoint au commandant de la Mission) et l’autre, étant un officier détaché des services de santé des armées britanniques, la fonction du « joint medical planner » (ou planificateur interarmées médicale).

Il y avait aussi une équipe de quatre personnels de l’armée de terre (un lieutenant, un sous-officier et deux militaires du rang) chargée de la formation, de l’entraînement et de l’éducation des troupes des forces armées maliennes pour accroître leurs capacités. Deux personnels civils ont été projetés en tant que conseillers en « international humanitarian law » : l’un d’eux intégré dans l’état-major à Bamako et l’autre engagé auprès du centre d’entraînement à Koulikoro.

Ces personnels ont quitté la Mission en 2020, soit à cause de restrictions liées au Covid-19, soit au moment de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne

Source : ambassade du Royaume-Uni à Paris.

La prolongation du mandat d’EUTM Mali a été décidée le 23 mars 2020. Ce cinquième mandat court jusqu’au 18 mai 2024, alors qu’il est plus habituel de proroger les missions pour une durée de deux ans. Le Conseil a également doté la mission d’un budget indicatif accru, de 133,7 millions d’euros, pour la période de quatre ans. Il faut donc se féliciter de l’engagement accru de l’Union européenne au Sahel, qui témoigne de la prise de conscience des États membres quant à la nécessité de poursuivre la mission de formation des troupes maliennes. Ce haut niveau de soutien se traduit également par le fort niveau d’engagement des États membres : 22 états-majors contribuant à EUTM Mali, contre respectivement huit et six pour les missions similaires en République centrafricaine et en Somalie.

En outre, le Conseil a décidé de rehausser ses ambitions pour ce nouveau mandat, selon plusieurs axes :

– la régionalisation de l’action d’EUTM, lui permettant de ne pas se limiter au Mali mais de proposer une offre de formation au Burkina Faso et au Niger. Cet élargissement ne se traduira pas par une réduction de l’effort fourni au profit des forces armées maliennes, puisqu’en parallèle les effectifs de la mission sont passés de 700 personnels à 1 300 personnels entre le quatrième mandat et le mandat actuel. S’ajouteront également les 200 personnels allemands actuellement engagés dans l’opération Gazelle de formation des forces spéciales nigériennes, que les autorités allemandes souhaitent voir passer sous un mandat européen ;

– le renforcement du soutien aux infrastructures, qui passe notamment par la consolidation de la colonne vertébrale des FAMa. Des discussions sont notamment en cours pour boucler le financement de la reconstruction de l’école des sous-officiers de Banankoro (ESO). Sur le fond, l’EMUE travaille à la réduction de la durée des formations, actuellement de deux ans, à six mois. Il s’agit de permettre aux jeunes sous-officiers d’être plus rapidement en mesure de conduire leur section au combat, et donc de gagner la guerre ;

– l’accroissement de l’agilité de la mission, afin de répondre de manière plus réactive aux demandes des partenaires sahéliens ;

– l’approfondissement de l’accompagnement non exécutif des troupes, qui permet de maintenir une présence au plus près des troupes formées de l’entraînement jusqu’à l’engagement. Pour ce faire, EUTM entend aussi décentraliser son activité, en se rapprochant des combats. C’est dans cette logique qu’un camp d’entraînement permanent pourrait être implanté à Sévaré, dans la région de Mopti (centre du Mali).

2.   Face à l’accroissement du nombre de partenaires, un besoin accru de coordination

a.   Des partenaires de plus en plus nombreux

Au fil des années, de plus en plus d’acteurs se sont engagés au Sahel. Lors de leur audition, les représentants de la MINUSMA ont ainsi évalué à une vingtaine le nombre de « stratégie pour le Sahel » mises en œuvre dans le cadre de partenariats bilatéraux ou multilatéraux. S’il faut se réjouir de telles initiatives, elles imposent la mise en place d’un dispositif de coordination robuste.

i.   Des engagements bilatéraux : l’exemple de l’Allemagne

Lors de son audition, Mme aus Dem Siepen, cheffe du département « politique » de l’ambassade d’Allemagne à Paris, a indiqué aux rapporteures que le Sahel constituait un axe prioritaire de la politique étrangère, de sécurité et de développement de l’Allemagne, qui investit des moyens conséquents en ces trois domaines. Elle a également assuré les rapporteures de la conviction des autorités allemandes selon laquelle la stabilité du Sahel représente un intérêt vital pour l’Europe et, ce faisant, pour l’Allemagne, partageant ainsi l’appréciation de la France.

Au Sahel, l’Allemagne déploie une stratégie d’approche globale, qui la conduit à ne pas s’engager uniquement sur le plan militaire, mais également sur le plan du développement, de l’aide humanitaire, de la stabilisation et du renforcement des capacités des États (capacity building). En outre, l’Allemagne privilégie de manière systématique l’approche multilatérale, convaincue qu’elle renforce l’ordre international en place.

Pour autant, du point de vue des autorités allemandes, il ne fait guère de doute que l’action militaire est indispensable à court terme, afin de créer les conditions d’une stabilisation sécuritaire à même de constituer le terreau d’une solution politique, seule voie possible pour consolider les États et rendre la région stable dans le temps. L’Allemagne a d’ailleurs mis en place la mission de formation « Gazelle », dans le cadre d’une coopération bilatérale avec le Niger. Le contingent allemand est actuellement déployé à Tahoua, et son redéploiement vers Tillia a débuté en 2020, avant son intégration souhaitée au sein de la mission EUTM Mali.

De manière plus précise, ainsi que l’a indiqué Mme aus Dem Siepen, l’Allemagne tente de concentrer ses efforts dans le champ civil sur des actions bénéficiant directement à la population. Cela passe notamment par les programmes de renforcement des capacités, visant en particulier à lutter contre la criminalité, à renforcer les capacités judiciaires et à lutter contre les exactions et l’impunité, ainsi qu’à mettre en œuvre des projets de développement des infrastructures. Au titre de ces actions de « capacity building », 104 millions seront dépensés en 2021, contre 200 millions sur la période 2016-2020.

S’agissant du deuxième volet de l’action de l’Allemagne, à savoir la stabilisation, l’accent est notamment mis sur la création de plateformes permettant d’améliorer le dialogue et la coopération entre l’action civile et l’action militaire. Après la Facilité régionale de stabilisation pour la région du Lac Tchad, l’Allemagne monte actuellement, avec le Programme des Nations Unies pour le développement, une deuxième Facilité au Sahel central à la zone frontalière entre le Burkina Faso, le Mali et le Niger.

Troisième axe, le domaine du développement, pour lequel l’effort budgétaire allemand s’élève à 1,6 milliard d’euros entre 2017 et 2020, essentiellement dans les domaines de la gouvernance, de l’agriculture et de la sécurité alimentaire, de l’eau potable et de l’assainissement, du travail des jeunes et de l’émancipation des femmes.

Enfin, s’agissant du volet humanitaire, l’Allemagne s’est engagée, en octobre 2020, à verser 100 millions d’euros au profit du Sahel entre 2020 et 2023.

En outre, l’Allemagne est fortement engagée dans des programmes multilatéraux, à l’instar du programme « Construire la Résilience dans le Sahel » de l’Unicef, sa contribution s’élevant à 73 millions depuis 2019.

ii.   Des structures de coordination ont été progressivement mises en place

Plusieurs structures ont été mises en place au fil des années afin de coordonner l’action de la communauté internationale en faveur du Sahel. Il s’agit notamment :

– de l’Alliance Sahel, créée en juillet 2017 à l’initiative de l’Allemagne, de la France et de l’Union européenne, rejoints par la suite par d’autres bailleurs comme la Banque mondiale, la Banque africaine de développement, le Programme des Nations Unies pour le développement ainsi que le Danemark, l’Espagne, l’Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas et le Royaume-Uni. L’Alliance Sahel est une sorte de plateforme de coopération permettant d’accompagner des projets contribuant au développement global du Sahel. En 2020, l’Alliance Sahel a soutenu environ 800 projets, pour un montant global de 11,6 milliards d’euros.

– le Partenariat pour la Sécurité et la Stabilité au Sahel (P3S), lancé en août 2019 lors du Sommet du G7 organisé à Biarritz, sous l’impulsion du couple franco-allemand. Comme l’indique la déclaration finale du Sommet du G7 ([55]), le P3S a pour « objectif d’identifier les besoins en termes de sécurité et d’accroître l’efficacité des efforts déployés en matière de défense et de sécurité intérieures, notamment en améliorant la coordination internationale, en soutenant la réforme du secteur de la sécurité et en renforçant les forces de sécurité tout en augmentant leur obligation de rendre des comptes. Ses travaux s’appuieront sur les efforts déployés actuellement par les partenaires internationaux et complèteront les actions menées dans le cadre de l’Alliance Sahel, en se fondant sur l’idée que des actions de développement à long terme et des mesures de sécurité efficaces font partie de la solution à l’instabilité dans la région ».

Depuis novembre 2020, le service européen pour l’action extérieure de l’Union européenne accueille en son sein le secrétariat du P3S, afin d’assurer la coordination entre les différentes initiatives conduites par le G5 Sahel, l’Union européenne, les États membres et d’autres partenaires comme les États-Unis. Pour ce faire, le secrétariat du P3S travaille étroitement avec les délégations européennes des cinq pays concernés.

b.   Le G5 Sahel, réponse sahélienne à l’accroissement du nombre de partenaires

Le G5 Sahel a été créé à l’issue d’un sommet réunissant les chefs d’État sahéliens, organisé à Nouakchott du 15 au 17 février 2015. Réunissant le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Tchad, il s’agit d’un cadre de coopération intergouvernemental, destiné à assurer la coordination et le suivi de la coopération régionale en matière de politiques de développement et de sécurité.

Le G5 Sahel s’est doté d’une Convention, signée le 19 décembre 2014, et a son siège en Mauritanie.

De manière plus précise, le G Sahel poursuit quatre grands objectifs :

– garantir des conditions de développement et de sécurité dans l’espace des pays membres. Dans ce cadre le G5 Sahel a vocation à lutter contre la menace terroriste, mais également contre le crime organisé et le trafic d’êtres humains ;

– offrir un cadre stratégique d’intervention permettant d’améliorer les conditions de vie des populations ;

– allier le développement et la sécurité, soutenus par la démocratie et la bonne gouvernance dans un cadre de coopération régionale et internationale mutuellement bénéfique ;

– promouvoir un développement régional inclusif et durable.

Au titre de l’axe « développement », le G5 Sahel soutient une quarantaine de projets régionaux, destinés à améliorer les infrastructures et l’accès aux ressources, pour un coût total de 2,4 milliards d’euros.

Le G5 Sahel a également vocation à coordonner les projets conduits au Sahel par la communauté internationale. Un certain nombre d’observateurs avertis estiment d’ailleurs que la création de l’Alliance Sahel et de la Coalition internationale pour le Sahel ont mis en lumière son insuffisance, la multiplication des structures n’étant jamais le signe de la réussite d’un projet.

B.   La Coalition pour le Sahel : répondre au défi de la coordination

Annoncée lors du Sommet de Pau et créée formellement le 28 avril 2020 lors du Sommet réunissant l’Union européenne et le G5 Sahel, la Coalition internationale pour le Sahel constitue une plateforme réunissant les partenaires européens selon une logique de quatre piliers. Cette Coalition a vocation à travailler de concert avec le G5 Sahel, et c’est en ce sens qu’un Memorandum of understanding (MoU) a été signé entre les deux structures le 20 octobre 2020.

La création de la Coalition internationale pour le Sahel a pu susciter quelques interrogations au sein du G5 Sahel, puisque c’est à lui que revient normalement la responsabilité de coordonner l’action internationale au Sahel. La signature d’un MoU était donc indispensable pour clarifier les responsabilités de chaque structure.

À l’heure de l’élaboration du présent rapport, 45 pays et organisations internationales ont rejoint la Coalition internationale pour le Sahel. Le secrétariat de la Coalition pour le Sahel, doté d’un Haut-Représentant, le Tchadien Djimé Adoum, désigné à l’occasion du Sommet de N’Djamena, sera installé à Bruxelles au mois de juin 2021.

La Coalition pour le Sahel repose sur quatre piliers complémentaires :

– le premier pilier : la lutte contre le terrorisme

Piloté conjointement par les pays du G5 Sahel et la France, il a pour objectif de lutter contre les groupes armés terroristes en coordonnant l’ensemble des efforts menés par les armées africaines et la force conjointe du G5 Sahel avec leurs partenaires – Barkhane, dont Takuba, MINUSMA.

L’Union européenne intervient peu sur le premier pilier, délégué à la force conjointe du G5 Sahel, à la France dans le cadre de l’opération Barkhane et la force Takuba, même si elle a soutenu la force conjointe à hauteur de 260 millions d’euros (depuis sa création en 2020), notamment pour l’équiper de 120 véhicules, lui fournir du carburant et des rations de combat             

– le pilier 2 : la montée en puissance des armées locales

Piloté par l’Union européenne (EUTM Mali, P3S) en lien avec le G5 Sahel, il vise à coordonner toutes les actions de renforcement des capacités de défense des pays du G5, notamment l’ensemble des offres de formation et d’équipements au profit des forces armées nationales et de la Force conjointe du G5 Sahel (FCG5S).

L’UE intervient également directement au travers de son action de formation déployée dans le cadre du deuxième pilier, en insistant notamment sur le cadre éthique et le respect du droit international humanitaire (DIH). La transformation des armées locales et de la force conjointe constitue un enjeu de premier plan, alors que l’Organisation des Nations Unies et des ONG ont dénoncé des exactions commises par les forces locales à l’encontre des populations.

– le pilier 3 : le retour de l’État

Piloté par l’Union européenne (P3S, EUCAP Mali, EUCAP Niger) en lien avec le G5 Sahel, il vise à coordonner l’ensemble des offres de formation et d’équipement au profit des forces de sécurité intérieure nationales (police, gendarmerie, garde nationale) et des prévôts de la Force conjointe du G5 Sahel. Le but est d’appuyer le renforcement de l’État dans sa dimension régalienne. Le renforcement de la présence de l’État nécessite également de reconstruire des capacités judiciaires et une administration territoriale des pays du G5, en agissant prioritairement dans les zones les plus fragilisées. Il place également au centre de ses priorités l’accès aux services publics et de base pour les populations impactées par les crises.

L’Union européenne intervient en particulier au travers de deux missions civiles de la PSDC : les missions EUCAP Sahel Niger et EUCAP Sahel Mali. Elle mobilise également d’autres outils européens, comme l’Instrument contribuant à la stabilité et la paix, et le fonds fiduciaire d’urgence pour l’Afrique.

– le pilier 4 : le développement

Piloté conjointement par le G5 Sahel et l’Alliance Sahel, il a pour objectif de répondre aux défis en termes d’emploi, de pauvreté, d’éducation, de santé, d’infrastructures.

L’Union européenne constitue de loin le premier bailleur, avec 3,6 milliards d’euros d’aides au développement sur la période 2014-2020, et un montant total d’environ 8 milliards d’euros en ajoutant l’aide bilatérale des États membres. S’y ajoute 1,12 milliard d’euros au titre de l’aide humanitaire.

 

L’organisation de la coalition pour le sahel : une usine à gaz ?

Source : établi par les rapporteures à partir des informations collectées en auditions.

La Coalition pour le Sahel poursuit sa montée en puissance. Le 19 mars s’est tenue la deuxième réunion des ministres des Affaires étrangères de la Coalition pour le Sahel, sous la présidence conjointe du secrétariat de la coalition pour le Sahel, de la présidence du G5 Sahel, du secrétariat exécutif du G5 Sahel et de l’Union européenne. Une feuille de route reprenant les objectifs définis au Sommet de N’Djamena a été adoptée.

S’il est encore trop tôt pour juger de l’efficacité de cette nouvelle architecture en faveur de la stabilisation du Sahel, les rapporteures s’inquiètent d’un empilement des structures, qui n’est jamais le signe d’une action efficace et lisible. Annoncée lors du Sommet de Pau, en janvier 2020, la Coalition pour le Sahel ne sera réellement effective que dix-huit mois plus tard, au moment de l’installation définitive de son secrétariat à Bruxelles. En outre, malgré la désignation d’un Sahélien au poste de Haut Représentant et celle du G5 Sahel comme co-pilote de chacun des piliers, elles craignent de voir les actions de la Coalition échapper aux Sahéliens, ce qui fait courir le risque de leur inadéquation aux besoins des populations.

Il est pourtant indispensable de mettre l’ensemble des acteurs en ordre de bataille afin de convertir les succès tactiques en victoire stratégique.


   Troisième partie

   Le défi de la conversion des succès tactiques en victoire stratégique

Le 6 avril 2021, à l’occasion d’une réunion Conseil de sécurité des Nations Unies consacrée à la situation au Mali, le Secrétaire général adjoint de l’ONU aux opérations de paix, M. Jean-Pierre Lacroix, a réitéré l’appel du Secrétaire général de l’ONU, M. António Guterres, aux parties prenantes concernées pour qu’elles intensifient et renforcent la réponse de la communauté internationale face aux problèmes du terrorisme et de l’extrémisme violent dans la région du Sahel. Soulignant que cette réponse internationale passait notamment par la mise en œuvre rapide des recommandations faites lors des sommets du G5 Sahel de2020 et 2021. ([56])

En somme, il s’agit donc d’approfondir le sursaut militaire décidé à Pau et de mettre en œuvre le sursaut civil décidé à N’Djamena.

I.   Approfondir le sursaut militaire

L’effort engagé au début de l’année 2020, dans la foulée du Sommet de Pau, porte ses fruits, et ce en dépit d’une dégradation générale du contexte dans lequel se déploie Barkhane – éclosion de l’épidémie de la Covid-19, saison des pluies d’une exceptionnelle intensité, forte instabilité politique marquée par le coup d’État du 18 août 2020.

La clarification du positionnement de l’opération Barkhane parmi les différents piliers de la Coalition internationale pour le Sahel a constitué une étape importante, conduisant à articuler l’effort autour des deux principaux axes de la stratégie militaire française au Sahel : la sahélisation des opérations et l’internationalisation de notre engagement.

Il est encore trop tôt pour envisager un retrait marqué des forces françaises. Car si l’action combinée des différentes forces partenaires engagées sur le terrain permet de maintenir la pression sur les groupes armés terroristes et de les placer à la portée des forces locales, il ne fait toutefois guère de doute, pour les services de renseignement français, qu’un départ précipité de la force Barkhane conduirait à l’effondrement du Mali puis, par un effet de conséquence, du Burkina Faso, voire du Niger. Et au-delà, c’est l’ensemble de l’édifice de la Coalition pour le Sahel qui s’effondrerait comme un château de cartes.

A.   La sahélisation des opérations est encore trop faible pour que Barkhane puisse passer le relais

Lors de son audition, le général de division Éric Vidaud, commandant les opérations spéciales, a estimé que « bien qu’affaiblie la menace demeure et les forces locales ne sont pas encore en mesure de conduire des opérations de même nature que celles menées par les armées françaises ». Pour ce faire, il convient d’intensifier les efforts en faveur de la réforme des forces de défenses et de sécurité locales et de leur montée en compétence.

1.   Le défi de la montée en puissance des forces locales

Les forces partenaires africaines ont plus que jamais besoin d’un soutien accru, sans lequel les succès militaires remportés demeureront vains. Et plutôt que d’accabler les Forces armées maliennes (FAMa), les rapporteures invitent à mesurer l’ampleur des défis auxquels elles font face, puisqu’il leur est demandé de se réformer et de se réorganiser en profondeur tout en conduisant une guerre.

a.   La formation et l’équipement des armées sahéliennes : le défi malien

De l’avis de tous les commentateurs spécialisés, les armées sahéliennes ne présentent pas des niveaux comparables. Les forces armées tchadiennes et les forces armées mauritaniennes sont considérées comme aguerries et robustes. L’armée mauritanienne s’est notamment renforcée et restructurée au cours des dix dernières années, après avoir connu de sérieux revers dans les années 2000. Aujourd’hui, elle fait même figure d’exemple, grâce notamment à l’action de ses unités mobiles : les Groupements spéciaux d’intervention (GSI), créés après l’embuscade de Tourine en 2008. Il n’est d’ailleurs pas anodin que la capitale mauritanienne accueille le Collège de défense du G5 Sahel (CDG5S), école militaire régionale de formation des officiers supérieurs dont l’action est saluée par l’ensemble des acteurs.

En revanche, les forces armées maliennes et burkinabè et, dans une moindre mesure, les forces armées nigériennes, sont réputées moins solides. C’est en particulier le cas des forces armées maliennes (FAMa), qui concentrent l’attention et les initiatives.

L’année 2019 a été révélatrice des fragilités des FAMa, qui ont essuyé de nombreux échecs. Celles-ci sont connues : manque de chefs, manque de cadres de niveau intermédiaire (sous-officiers), peu de munitions, faiblesse des infrastructures – à titre d’exemple, le camp de Boulikessi, qui a fait l’objet d’une attaque les 30 septembre et 1er octobre, n’était absolument pas protégé. Dans ce contexte, il est alors parfois compréhensible que les militaires maliens battent en retraite face à des attaques coordonnées, « lorsqu’ils ont cinq cartouches et aucune protection ». Si les actions mises en œuvre ont permis d’éviter leur complet effondrement, les FAMa sont encore affaiblies, et ce malgré les incontestables améliorations constatées au cours de l’année 2020. Les lourdes pertes – 33 morts – subies récemment, dans une embuscade tendue par l’EIGS alors qu’elles s’apprêtaient à relever un poste de la force conjointe à Tessit, dans la région de Gao, sont venues occulter les progrès constatés depuis un an.

Ces progrès sont notamment la conséquence de l’action d’EUTM Mali, qui aurait formé 16 000 militaires maliens depuis 2013, aux niveaux tactique et stratégique. Toutefois, en l’absence d’un SIRH de qualité, il reste impossible d’assurer un suivi efficace des personnels formés, et notamment d’être certain qu’ils sont toujours engagés dans les forces. Malgré tout, les retours d’expérience partagés avec la MINUSMA et Barkhane témoignent de la qualité des formations délivrées par EUTM Mali, les unités maliennes déployées à leurs côtés donnant toute satisfaction. C’est notamment le cas des unités légères de reconnaissance et d’intervention (ULRI), dont certaines sont engagées dans Takuba. De manière plus concrète, le 4 mars, les FAMa ont résisté à une attaque du poste de sécurité de Dinangourou, sans l’appui de la force Barkhane. Cette victoire tactique a été le fait d’une unité qui venait d’être formée par EUTM Mali, et a entraîné les félicitations du chef d’état-major général malien et du commandant de la force Barkhane.

Les FAMa présentent toujours certaines fragilités (personnels et équipements en nombre insuffisant) et des marges de progrès en matière de planification et de coordination. L’embuscade de Tessit a toutefois provoqué un électrochoc parmi les responsables militaires, qui ont décidé de lancer une enquête interne afin d’identifier les dysfonctionnements et d’y remédier.

En outre, les FAMa éprouvent des difficultés à agir en pleine autonomie et à tenir un rythme d’engagement élevé, ce qui s’explique par l’absence d’un cycle opérationnel cohérent. Les difficultés rencontrées en matière de génération de forces les ont ainsi empêchées de déployer, comme prévu, deux unités attendues dans le cadre de l’opération Équinoxe. En revanche, en janvier 2021, 400 personnels du 33e régiment des commandos parachutistes (RCP) l’avaient été dans le cadre de l’opération Éclipse, en particulier dans le cadre d’une opération menée le long de la RN 16, qui relie Gao à Douentza, afin de rapprocher la zone d’action de Barkhane de la zone d’influence du RVIM. On peut bien sûr regretter qu’elles ne soient pas davantage en mesure d’accompagner les opérations d’envergure conduites sous l’impulsion de Barkhane ou de la force conjointe, mais il faut mesurer l’intensité du rythme opérationnel sur des unités jeunes, qui continuent de se former. Mieux formée et mieux équipée, l’armée nigérienne a su, quant à elle, retrouver des « forces morales » au cours de l’année 2020, et a été capable d’engager 1 100 militaires dans l’opération Bourrasque en octobre dernier. Ses moyens restent toutefois limités : Bourrasque a épuisé ses crédits de fonctionnement, ce qui l’a aussi obligée à effectuer une pause tactique jusqu’au début de l’année 2021.

En définitive, les perspectives apparaissent plutôt encourageantes, mais la montée en puissance des forces locales reste conditionnée à un approfondissement de l’accompagnement des forces maliennes, dans tous les domaines. Un certain nombre de voix se montrent toutefois plus critiques, estimant que la remise à niveau des forces locales prendra du temps, « au moins dix ans, jusqu’à ce que certains officiers supérieurs particulièrement corrompus et promus par copinage, actuellement aux responsabilités, soient remplacés par une génération d’officiers mieux formés, plus honnêtes et plus aguerris. »

Au-delà de l’action d’EUTM Mali, un certain nombre d’armées occidentales sont engagées auprès des forces locales dans le cadre de partenariats militaires opérationnels, à l’instar des forces allemandes dans le cadre de l’opération Gazelle, et surtout des forces françaises, dont les éléments situés au Sénégal, au Gabon ou en Côte d’Ivoire délivrent des formations aux forces locales.

Le partenariat militaire opérationnel « air » mis en œuvre par l’armée de l’air et de l’espace

L’armée de l’air et de l’espace travaille à la mise en place d’un partenariat militaire opérationnel (PMO) « air » dans le but de former les armées du G5 Sahel (développé supra), en particulier au profit des forces armées maliennes (FAMa) et des forces armées nigériennes (FAN).

La mise en place du PMO « air » constitue un projet essentiel pour l’armée de l’air et de l’espace. C’est un véritable défi dans la mesure où le coût des équipements aériens est bien supérieur à celui d’équipements terrestres dans le cadre d’un PMO « terre », en raison du coût des matériels volants. En conséquence, l’objectif est de se concentrer sur la formation et la montée en puissance des structures de planification et de commandement, la collecte du renseignement et la formation de spécialistes du contrôle de l’appui aérien (Joint terminal attack controller /JTAC), à même de demander et de piloter, depuis le sol, un appui aérien. Pour la mise en place de ce PMO, l’armée de l’air et de l’espace travaille à susciter un engagement européen, à l’image de la task force Takuba, permettant d’accroître le nombre de formateurs ou de bénéficier de contributions financières permettant de prendre en charge, par exemple, la location d’heures de vol. Pour l’heure, l’armée de l’air et de l’espace entend appuyer son action sur l’école de l’air de Thiès, au Sénégal, et sur projet de centre d’expertise aérienne, qui pourrait être implanté au Mali. L’objectif est également de se doter des moyens de suivre avec davantage d’acuité le vivier de personnels militaires formés, afin de valoriser leurs emplois et de formaliser des parcours qualifiants (alternance de périodes de formation et d’emploi en opération). L’objectif est également de parvenir, in fine, à former des formateurs, ce qui suppose d’inscrire le projet dans la durée.

Les rapporteures soulignent également que les initiatives régionales telles l’AILCT ou le Collège de défense du G5 Sahel sont de nature à renforcer les armées locales.

b.   La réforme des armées sahéliennes

Au-delà, les armées nationales doivent également conduire des réformes structurelles.

Premièrement, il est indispensable de réformer le cycle d’engagement des forces en mettant en place un cycle vertueux intégrant des périodes de permission et de préparation opérationnelle. À titre d’exemple, le rythme d’engagement des forces armées maliennes peut être de six mois d’engagement – une semaine de permission – six mois d’engagement, certains militaires pouvant être affectés durant plus d’un an très loin de leurs familles. Un tel rythme nuit à la fidélisation des personnels et, ce faisant, amoindrit l’impact des formations délivrées. Plus concrètement, doit être mis en place un cycle associant une formation initiale robuste, des formations complémentaires approfondies, la mise en place de missions d’entraînement, le déploiement en opération, les permissions, et entre deux déploiements, des retours d’expérience et la reprise d’une phase de préparation opérationnelle.

Deuxièmement, il paraît tout aussi indispensable que les armées locales conduisent les réformes nécessaires pour mieux considérer les militaires, ce qui concerne tant le versement des soldes que l’octroi de jours de permission, la prise en charge des blessés ou l’accompagnement des familles endeuillées. S’agissant des soldes, la mise en place d’un SIRH fiable pourrait s’accompagner d’une bancarisation des soldes empêchant leur évaporation.

Pour l’heure, le processus est en cours s’agissant des officiers, mais il faudra sans doute attendre encore quelque temps pour qu’il le soit pour les sous-officiers (fin 2021-2022) et pour les militaires du rang (2023-2024). Selon le rapport de M. Jean-Michel Jacques et de Mme Manuéla Kéclard-Mondésir précité, « certains en concluent que c’est la réticence des hauts gradés maliens » qui explique ce retard, alors que « la moitié des sommes investies sont frappées d’évaporation ». En la matière, la mission de conseil d’EUTM Mali pourrait être accrue si elle était mieux armée, le directeur général de l’EMUE ayant confié aux rapporteures éprouver des difficultés en la matière.

Interrogé par les rapporteures lors de son audition, l’amiral Bléjean a en revanche assuré que tout était dorénavant mis en œuvre pour assurer la récupération des corps des soldats tués au combat et leur rapatriement auprès de leurs familles, le plus souvent à Bamako. De manière complémentaire, il convient de saluer les efforts de communication mis en œuvre par l’état-major général malien au sujet des opérations conduites par les FAMa, y compris via Twitter.

Troisièmement, les armées locales ont commencé à travailler à leur réorganisation, afin d’identifier de nouveaux modes d’action, plus mobiles, mais également de renforcer leurs infrastructures, notamment pour la protection des camps. Au Mali, le plan « Maliko » conduit ainsi à la mise en place d’une nouvelle stratégie, plus offensive, reposant sur des moyens plus mobiles comme des véhicules légers ou des motos : les ULRI sont ainsi le nouveau visage des forces maliennes.

Mais surtout, les forces locales doivent être plus nombreuses, afin de pouvoir assurer une présence sur l’ensemble du territoire. Du reste, c’est à cette condition que les forces internationales pourront engager un retrait, même si elles apporteront sans doute pour longtemps un appui dans les domaines de la chasse, des hélicoptères d’attaques et, de manière plus basique, dans l’appui à la conduite des manœuvres opérationnelles.

2.   L’affermissement de la force conjointe

a.   Malgré sa montée en puissance, la force conjointe reste fragile

La force conjointe a « changé de braquet », selon l’expression des représentants du centre de planification et de conduite des opérations (CPCO) sous le commandement du général Namata, qui a décidé de lancer des opérations ambitieuses, malgré les fragilités de la force, afin de démontrer sa pertinence et d’attirer des financements internationaux. C’est dans cette perspective qu’a été conçue l’opération SAMA 1, première opération d’ampleur de la forme conjointe. Par la suite, les opérations SAMA 2 et SAMA 3 sont venues confirmer la montée en puissance de la force conjointe, de même que sa légitimité.

Les opérations de la force conjointe

« De ses débuts à ce jour, la force conjointe a déjà mené vingt-quatre opérations, dont neuf opérations majeures depuis octobre 2019 : quatre dans le fuseau est (AMANE 2, OBANNA 2, 3 et 4), une dans le fuseau ouest (DAREA) et quatre dans le fuseau centre (PAGNALI 2, SAMPARGA 3, PAGNALI 3 et SAMA 1). Cela donne une idée du chemin parcouru en termes d’activité opérationnelle.

L’opération SAMA 2, au centre, a démarré le 1er août pour une période de six mois, c’est-à-dire jusqu’à la fin janvier 2021. Elle a pris la suite de l’opération SAMA 1, engagée en mars 2020.

En résumé, sur l’ensemble des trois Fuseaux, les opérations de ces dix derniers mois, ont globalement permis :

- de neutraliser ou capturer cent vingt-trois terroristes ;

- d’arraisonner cent quatre orpailleurs clandestins et autres trafiquants ;

- de saisir, récupérer ou détruire deux cent quatorze motos et dix-sept véhicules ;

- de détruire plusieurs dépôts logistiques ou lieux de fabrication d’EEI ;

- de récupérer plus de deux cents armes et des milliers de munitions de tous calibres ;

- de libérer six otages dans la zone des trois frontières ;

- de récupérer une trentaine de matériels de transmission ;

- la mise à la disposition des organisations humanitaires, pour installation dans les camps de réfugiés, de cent quarante-six personnes recueillies, dont une majorité de femmes et d’enfants fuyant les exactions et autres représailles des groupes armés terroristes. »

Source : Audition du général Namata par la commission de la Défense nationale et des forces armées, 2 décembre 2020 (voir annexes).

La décision des autorités tchadiennes de déployer dans la zone des trois frontières le 8e bataillon de la force conjointe est inédite. Fort de 1 200 personnels, il apporte de la mobilité à la force conjointe, ayant vocation à manœuvrer dans la zone du Liptako-Gourma, alors que les unités de la force conjointe ou des FAMa qui y sont actuellement engagées se montrent plutôt statiques. Cette mobilité accrue, dans la durée, permettra de patrouiller des deux côtés de la frontière malo-burkinabè, et ainsi de poursuivre les actions en vue de la réduction de la menace constituée par l’EIGS.

Mais alors que le mandat du général Namata s’achève, il y a tout lieu de veiller à ce que le changement de commandement ne freine pas la dynamique engagée. Car les avancées ne doivent pas masquer les difficultés que rencontre encore la force conjointe à conduire des opérations de manière pleinement autonome au-delà du niveau de la compagnie. Elle en a la volonté, ce qu’il faut bien entendu saluer, même si la force conjointe demeure la somme des fragilités des armées nationales.

La force conjointe présente également des fragilités qui lui sont propres : nombreux personnels au niveau du commandement, bataillons de petites tailles, rivalités nationales, financement. Dans le domaine du soutien, c’est ainsi la France qui a appuyé financièrement le déploiement du bataillon tchadien (nourriture, carburant, cantonnement), pour un montant d’1,8 million d’euros, et si la force conjointe a provisionné de quoi le soutenir durant deux mois, des incertitudes demeurent quant à sa réelle capacité à le faire matériellement.

La question de l’équipement des unités et celle du soutien de la force restent ainsi des facteurs limitants, malgré le financement européen et l’entremise d’Expertise France, notamment parce que le soutien reste du ressort de chaque État et demeure financièrement très limité. Les dispositifs de soutien additionnel en provenance de la MINUSMA sont trop réduits tandis que Barkhane ne peut soutenir, par le soutien exceptionnel qu’elle délivre, l’ensemble de la force conjointe.

La question de la formation et de l’entraînement de la force conjointe n’est pas encore pleinement réglée. Certains officiers du PCC ont ainsi indiqué aux rapporteures que les formations d’état-major sont trop nombreuses alors que l’enjeu principal est la formation technique, voire tactique, des unités de terrain. La force conjointe attend beaucoup de l’extension du mandat d’EUTM Mali au Burkina-Faso et au Niger.

Concernant ses ressources financières, la délivrance par l’ONU d’un mandat dans le cadre du Chapitre VII de sa Charte permettrait sans doute de pérenniser le financement de ses activités, et les rapporteures estiment que la France pourrait utilement soutenir une telle évolution.

b.   Le soutien des organisations régionales africaines reste à préciser

Au moment de l’éclatement de la crise, les organisations régionales africaines s’étaient pleinement engagées dans sa résolution, au travers notamment d’une mission militaire de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) déployée en 2013 : la Mission internationale de soutien au Mali (MISMA), sous conduite africaine, dont la MINUSMA a pris le relais. L’action opérationnelle de la CEDEAO est aujourd’hui limitée, même si elle intervient dans le champ de la sécurité. À ce titre, il serait utile d’œuvrer à la rationalisation du dispositif régional et international mobilisé sur le Sahel afin d’éviter les redondances. À titre d’exemple, l’Union européenne et les Nations unies ont financé la mise en place, au profit du G5 Sahel, d’une plateforme de coopération en matière de sécurité (PCMS), venue concurrencer le projet de système d’information policière en Afrique de l’ouest (SIPAO/WAPIS) développé à l’initiative de la CEDEAO. Notons également que la CEDEAO a joué un rôle crucial afin de stabiliser la situation au lendemain du coup d’État survenu au Mali le 18 août.

À l’échelon supérieur, la question d’une plus grande mobilisation de l’Union africaine mérite également d’être posée, tant elle se montre pour l’heure discrète sur le plan opérationnel. L’Union africaine a toutefois annoncé, par la voix de son commissaire à la paix et à la sécurité, M. Smaïl Chergui, son intention de déployer 3 000 soldats dans la région et appelé à une réévaluation stratégique qui permettrait aux acteurs africains de prendre davantage la main. Depuis cette annonce, survenue le 27 février 2020, il semblerait que des discussions aient été engagées, notamment avec le G5 Sahel, mais de l’avis de la plupart des experts de la zone, une telle force a peu de chance de voir le jour. Du reste, les rapporteures ont le sentiment que le déploiement d’une telle force pourrait venir ajouter de la complexité au mikado déjà en place au Sahel.

En revanche, l’Union africaine comme la CEDEAO pourraient sans doute accompagner encore davantage les initiatives régionales, y compris celles portées par le G5 Sahel comme le Collège de défense du G5 Sahel. Imaginée sur un modèle semblable, une Académie régionale de police doit d’ailleurs voir le jour à N’Djamena. Les rapporteures n’ont toutefois pas eu l’occasion d’échanger avec des représentants de l’Union africaine ou de la CEDEAO, ce qui les a empêchées d’approfondir ces questions.

3.   Le renforcement des acteurs de la sécurité intérieure

La stabilisation du Sahel reposera toutefois sur la capacité à coordonner l’action des forces armées – pour détruire la menace de nature guerrière – puis l’action des forces de sécurité intérieure.

Les États sahéliens doivent ainsi pouvoir compter sur des forces de gendarmerie et de police robustes, ainsi que sur une justice efficace et non corrompue – à ce sujet, le colonel (ER) Michel Goya a rappelé qu’en Afghanistan, l’une des principales forces des Talibans était qu’ils étaient perçus comme honnêtes.

Ceci est d’autant plus nécessaire qu’au Sahel, et au Mali particulièrement, les facteurs de déstabilisation ne sont pas tous liés à la présence de groupes armés terroristes, mais résultent aussi de conflits plus anciens entre communautés, dont une partie vit notamment de trafics en tous genres, en particulier dans le Nord du Mali.

Les rapporteures n’ont pas exploré plus avant le domaine du renforcement des capacités des États sahéliens dans le domaine de la sécurité intérieure, sur lequel la MINUSMA intervient au titre de sa compétence « police ». Il a toutefois été porté à leur connaissance que les marges de progrès en la matière étaient importantes.

B.   L’internationalisation des engagements doit être confortée

1.   L’enjeu de l’approfondissement de l’engagement de la communauté internationale

L’approfondissement du sursaut militaire suppose aussi que l’ensemble des acteurs concernés – en particulier ceux engagés dans la force conjointe et Takuba, mais aussi des partenaires bilatéraux comme les États-Unis – tiennent leurs engagements.

a.   L’action de l’Union européenne pourrait être amplifiée

La prolongation du mandat d’EUTM Mali est évidemment à saluer, même si son élargissement n’est pas sans poser question. En effet, de nombreux témoignages font état du manque d’impact d’EUTM Mali, en raison du turnover touchant, d’une part, les formateurs et, d’autre part, les publics formés. Ainsi, parmi les formateurs, se succèdent des représentants de diverses armées, aux langues, méthodes et procédures différentes, ce qui nuit à la cohérence de l’ensemble. À l’autre bout de la chaîne, parmi les publics formés, on trouve parfois des personnels qui reçoivent des enseignements inadaptés à leurs responsabilités, ou qui changent d’affectation (pour un poste éloigné du cœur de la formation reçue) juste après leur formation. Dans ce contexte, s’il n’est pas question de remettre en cause les besoins des armées nigériennes et burkinabè en termes d’accompagnement, il est à craindre que l’élargissement du mandat n’entraîne une dispersion des efforts.

Lors de son audition, l’amiral Bléjean, directeur général de l’état-major de l’Union européenne, a tenu à rassurer les rapporteures, comme du reste, il a assuré avoir garanti aux autorités maliennes que l’accroissement des effectifs d’EUTM Mali lui permettrait de diversifier son action sans réduire l’ampleur de son soutien aux FAMa.

Toutefois, le général d’armée François Lecointre a adressé une lettre, début 2021, au président du Comité militaire de l’Union européenne, appelant à un approfondissement de l’action d’EUTM tout en veillant à ne pas disperser les efforts. Il ressort à ce sujet des auditions conduites par les rapporteures que s’agissant de l’approfondissement de l’action d’EUTM, deux lignes semblent s’opposer : la première, à laquelle souscrit la France, promeut la décentralisation des actions d’DEU, pour aller davantage « au contact » ; la seconde, consiste à faire venir les FAMa au sud, loin des théâtres d’opérations. Si les rapporteures n’ont pas vocation à se substituer aux chefs militaires pour l’établissement de la tactique à suivre, il leur semble que le renforcement de l’impact d’EUTM Mali passe par le rapprochement de ses effectifs des théâtres d’opérations.

b.   Le mandat de la MINUSMA doit être clarifié

L’évolution du mandat de la MINUSMA ne s’est, pour l’heure, pas encore accompagné des changements opérationnels qui auraient dû la conduire à modifier ses modes d’action dans le combat contre les groupes terroristes. Alors que depuis 2019 ([57]), le mandat de la MINUSMA a été élargi à la stabilisation du Centre du Mali, érigé comme seconde priorité stratégique de la Mission, la force de la MINUSMA tarde à y déployer une action d’imposition de la paix (peace enforcement) en lieu et place d’une logique de maintien de la paix (peace keeping), qui prévaut dans le Nord du Mali. Pourtant, le Centre du Mali est bel et bien en proie à des violences émanant de groupes n’ayant signé aucun accord, ce qui empêche de facto la MINUSMA d’agir en tant que force d’interposition. Il ressort donc des auditions conduites par les rapporteures que la MINUSMA se trouve « au milieu du gué » et qu’il lui reste à véritablement tirer les conséquences militaires de l’élargissement de son mandat. Il y a là la marque de la dichotomie, consubstantielle d’une opération onusienne, entre le pilier civil et la force de la MINUSMA. Il lui faudrait ainsi se montrer davantage offensive, en particulier dans le Centre du Mali, afin de lutter véritablement contre une menace grandissante, matérialisée par la katiba du Macina. Une telle évolution apparaît d’autant plus nécessaire qu’elle transparaît des débats et de la décision du Conseil de sécurité des Nations Unies d’élargir le mandat de la mission onusienne à la stabilisation du pays, et que c’est sa mise en œuvre qui semble pêcher sur le terrain.

Le relatif cantonnement de l’action de la MINUSMA dans son rôle initial d’opération de maintien de la paix est d’autant plus étonnant que dès avril 2019, M. Mahamad Saleh Annadif, représentant spécial du secrétaire général de l’Organisation des Nations unies et chef de la MINUSMA, reconnaissait que « nous étions une mission de paix mais qui s’est trouvé déployée dans un environnement complexifié par la présence des terroristes, complexifié par des conflits intercommunautaires qui sont souvent nourris et enrichis par les terroristes eux-mêmes. (…) Je crois que nous sommes tous conscients qu’il faut se réadapter, se réajuster. On est face à une guerre asymétrique où l’ennemi est invisible, où l’ennemi est mobile, où l’ennemi n’a pas de frontières », évoquant également un « changement de mentalité » ayant conduit à la Force à « fournir beaucoup d’efforts en termes de mobilité, ont été faits, de patrouilles à l’extérieur de nos camps » ([58])

S’il convient de saluer la volonté du Représentant spécial, force est de constater que pour l’heure, elle tarde à se concrétiser sur le terrain.

Une première étape pourrait être franchie avec la réalisation du Plan d’adaptation de la Force de la MINUSMA, dont la mise en œuvre a été proposée par le général de corps d’armée suédois Dennis Gyllensporre, commandant de la Force. Comme l’indiquait le général Pierre-Joseph Givre, chef d’état-major de la Force, à l’occasion d’un point presse du 10 décembre 2020, ce Plan soutient « un changement d’état d’esprit, avec des opérations plus proactives. C’est aller plus loin, dans des endroits plus reculés avec les Forces armées maliennes et de ne pas hésiter, quand c’est nécessaire, à engager ceux qui menaceraient ou menacent la population civile. Il est à noter que dans le secteur Nord et très récemment dans le secteur Centre, les Casques bleus ont engagé par le feu des agresseurs terroristes. ([59]) » Lors de son audition, le général Givre a indiqué aux rapporteures que ce Plan doterait la MINUSMA de nouveaux moyens, avec le déploiement dans ses quatre secteurs d’intervention – Kidal, Gao, Mopti-Sévaré et Tombouctou – de moyens de renseignement (drones ou avions), d’hélicoptères armés et d’hélicoptères de manœuvre, permettant notamment le déploiement d’unités légères d’infanterie, y compris des éléments des forces spéciales, et ainsi de renforcer la capacité de déploiement et de projection de sa force mobile (Mobile Task Force, MTF). Dans ce contexte, le renforcement de l’engagement de certaines armées occidentales, avec l’arrivée de contingents britanniques notamment, contribue à la montée en puissance de la MTF.

Rappelons qu’à l’heure actuelle, la MINUSMA ne compte que trois hélicoptères de transport fournis par les forces pakistanaises, et cinq hélicoptères armés de mitrailleuses légères fournis par les forces salvadoriennes. Elle est donc contrainte de s’appuyer sur une offre civile pour la plupart de ses missions de transport et d’évacuation, ce qui limite grandement son action. En outre la faiblesse de ses moyens aéroportés contraint également la MINUSMA dans sa mission de protection des civils, ainsi que l’a montré une enquête du Centre pour les civils en conflit (Civic) publiée en mai 2020 ([60]), et dont les rapporteures ont auditionné la directrice « Europe », Mme Béatrice Godefroy et le directeur régional « Sahel », M. Vianney Bisimwa.

En outre, il n’y a pas lieu de contester la capacité des contingents de la MINUSMA à combattre les groupes terroristes. Certes, le niveau d’entraînement et d’expérience au combat des différents contingents est divers, mais nombre d’entre eux comptent des personnels aguerris et déterminés. La récente riposte du contingent tchadien à l’attaque complexe de leur camp d’Aguelhoc, dans le nord-est du Mali en est un exemple criant. Si les Casques bleus ont perdu quatre des leurs, un bilan provisoire fait état de quarante terroristes neutralisés, dont un cadre du RVIM.

Une activité accrue de la MINUSMA dans le Centre du Mali permettrait par ailleurs d’intensifier la coordination entre les différentes forces. D’ores et déjà, Barkhane bénéficie indirectement des interventions de la MINUSMA. C’est ainsi que celle-ci continue de protéger les grands axes de circulation quand Barkhane mène une opération d’envergure. De la même manière, comme l’indiquait le général Givre à l’occasion du point presse précité, la Force a, depuis la fin de la saison des pluies, « conduit de manière inédite une série d’opérations dites « proactives » en coordination étroite avec les forces de sécurité maliennes, [à l’instar des] opérations Cobra 1 et 2 » cette dernière ayant conduit à l’arrestation de huit terroristes et au démantèlement d’une cache servant à la confection d’engins explosifs improvisés.

Dès lors, à l’approche de l’ouverture des discussions, à New York, quant au renouvellement du mandat de la MINUSMA, il semble aux rapporteures que la France et ses partenaires devraient s’assurer, d’une part, de la prorogation du mandat et, d’autre part, de l’affermissement de celui-ci selon une logique d’imposition de la paix lui permettant d’être toujours plus pro-active et combattive face aux groupes terroristes, en particulier dans le Centre du Mali. Pour les rapporteures, ce n’est qu’à ce prix que les efforts déployés par la MINUSMA sur le pilier civil produiront leurs pleins effets.

Rappelons également que la prorogation du mandat de la MINUSMA n’est pas acquise, alors que la précédente administration américaine s’est montrée à plusieurs reprises « sceptique », selon les mots de Mme Nikki Halley, alors ambassadrice américaine à l’ONU, s’agissant des opérations de maintien de la paix, dont fait partie la MINUSMA. L’une des principales critiques formulées à l’encontre de ces opérations porte sur les modes d’action des Casques bleus, qui les conduisent parfois à rester dans les garnisons, à se protéger, plutôt que de patrouiller et de « faire le job ». L’adhésion des autorités américaines est d’autant plus importante que les États-Unis financent au moins 25 % du budget annuel de la MINUSMA.

Quoi qu’il en soit, les rapporteures appellent de leurs vœux une action volontariste de la diplomatie française en faveur d’un affermissement du mandat de la MINUSMA dans le sens de l’imposition de la paix, en particulier dans le Centre du Mali.

c.   Les incertitudes quant à l’engagement américain doivent être levées

Comme l’ont montré les rapporteures, le maintien de l’engagement américain au Sahel est crucial, tant pour la conduite de l’opération Barkhane que pour l’action de la MINUSMA et le fonctionnement du G5 Sahel, et ce bien que, lors de son audition, le colonel Pepper, attaché de défense américain à Paris, ait indiqué qu’il était encore trop tôt pour savoir si la nouvelle administration souhaiterait s’investir au-delà de l’aide bilatérale très conséquente que les États-Unis fournissent déjà aux pays membres de l’organisation.

Si le discours officiel des autorités politiques et militaires françaises ne laisse pas planer de doute sur la robustesse de l’engagement américain ni son ancrage dans la durée, ce-dernier a toutefois fait l’objet d’interrogations :

– il y a un an, lorsque le chef d’état-major américain, le général Mark Milley avait estimé, en amont d’une réunion du comité militaire de l’OTAN, que « les ressources que le Pentagone consacre à l’Afrique ou au Moyen-Orient pourraient être réduites et ensuite redirigées, soit pour améliorer la préparation de nos forces aux États-Unis soit vers le Pacifique ». Selon RFI, le Pentagone envisageait alors l’abandon d’une nouvelle base de drones construite près d’Agadez au Niger pour un montant de 110 millions de dollars ;

– après l’entrée en fonction de l’administration Biden, le porte-parole du nouveau chef du Pentagone, M. Lloyd Austin, ayant indiqué que ce dernier n’avait « pris aucun engagement dans un sens ou dans un autre, mais il a évidemment exprimé sa reconnaissance pour le travail que la France accomplit en termes de lutte de contre le terrorisme » lors de son entretien, le 28 janvier, avec la ministre française des Armées, Mme Florence Parly.

Pour autant, en septembre dernier, Mme Marissa Scott-Torres, la porte-parole « Afrique » du département d’État américain relevait : « Nous avons adopté une approche différente et nous avons obtenu des résultats différents, affirme-t-elle. Par exemple, les responsables africains ont loué la réussite des raids menés par la France en juin qui a tué un des principaux commandants d’al-Qaïda, Abdelmalek Droukdel. Les renseignements collectés par les États-Unis avaient contribué à faciliter la mission qui ciblait le chef d’al-Qaïda au Maghreb. Les États-Unis fournissent actuellement des renseignements, des éléments logistiques, des formations, etc. en Afrique de l’Ouest. Donc, même s’il y a une réduction de personnes, de militaires, il n’y a pas de réduction de notre engagement au Sahel. »

En conséquence, bien que selon certains experts ([61]), « l’importance que l’équipe du Président Biden accorde à la relation transatlantique avec plusieurs pays européens, dont la France, rend la perspective d’un désengagement de type militaire ou budgétaire au Sahel peu probable », il est nécessaire d’amener les États-Unis à rapidement sortir de l’ambiguïté, et ce d’autant qu’il n’y a guère de doute quant à la volonté des autorités américaines de se concentrer d’abord sur la questions des « 2 (Russie, Chine) + 3 (Iran, Corée du Nord, groupes armés terroristes) » et que dans ce contexte, un effort particulier sera fourni sur la préparation à la haute intensité.

2.   L’enjeu de la pérennisation de la force Takuba

Attendue initialement au début de l’année 2021, repoussée à l’été, la pleine capacité opérationnelle de la force Takuba vient d’être actée, au début du mois d’avril, par la ministre des Armées, Mme Florence Parly, son homologue estonien, M. Kalle Laanet et son homologue tchèque, M. Lubomir Metnar, à l’occasion de déplacement commun au Mali, qui les mène à Bamako, Gao et Ménaka. Des effectifs italiens devraient y être déployés avant l’été pour assurer le support médical. Des éléments belges, hollandais et grecs devraient les rejoindre. Et le 8 avril 2021, les autorités danoises a fait part de sa décision d’y déployer une centaine de soldats au début de l’année 2022.

Takuba monte donc en puissance, et d’autres nations européennes ont manifesté un intérêt à s’engager, comme l’Ukraine, la Grèce, la Slovaquie et la Hongrie.

La concrétisation de leur engagement sera décisive au regard de la date de fin des mandats des principaux partenaires, en 2022, et de la nécessité d’assurer les relèves, en particulier s’agissant du remplacement de la force de réaction rapide suédoise.

C.   La lutte contre les exactions et la protection des populations doivent être érigées en principes cardinaux

1.   Les populations civiles sont aussi les victimes des forces de défense et de sécurité

La commission d’exactions par les forces de défense et de sécurité locales est largement documentée. Tout récemment, des soldats tchadiens engagés au sein de la force conjointe ont été accusés d’actes de viol sur une fille mineure de 11 ans et deux femmes âgées de 23 ans et de 32 ans, ce qu’a d’ailleurs reconnu le ministère tchadien des Affaires étrangères.

Certaines armées locales sont réputées brutales, et des exactions ont été dénoncées par un certain nombre d’acteurs non gouvernementaux, ainsi que par la MINUSMA. Dans sa note sur les tendances des violations et abus de droits de l’homme entre le 1er avril et le 30 juin 2020, la division des droits de l’homme et de la protection de la MINUSMA indique ainsi que sur les 632 abus relevés durant ce trimestre, 126 sont imputés aux forces de défense et de sécurité maliennes, dont 94 exécutions sommaires et arbitraires. Le rapport du Secrétaire général sur la situation au Mali de septembre 2020 souligne également que « les forces nationales ont commis des violations des droits humains dans le cadre d’opérations antiterroristes, notamment l’exécution sommaire d’au moins 37 personnes (31 hommes, 3 femmes et 3 enfants) et l’incendie d’habitations lors d’une opération militaire menée le 5 juin à Binédama, dans la région de Mopti. Les forces nationales ont eu l’appui des chasseurs traditionnels dogons (dozos) des villages environnants pendant cette opération. » Autre exemple macabre : il y a un an, l’organisation Human Rights Watch dénonçait également le fait que des soldats burkinabè auraient arrêté et exécuté sommairement 31 hommes à Djibo, le 9 avril 2020, après une opération antiterroriste dans la région.

Pour Mme Niagalé Bagayoko, le principal défi dans la gestion de la crise sahélienne est aujourd’hui d’œuvrer à la protection des populations civiles victimes de toutes les formes d’insécurité qui gangrènent l’espace sahélien, d’autant que les civils sont les premières victimes des violences perpétrées par les différents acteurs mais aussi de certaines unités des forces de défense et de sécurité (FDS). En 2020, celles-ci auraient ainsi été à l’origine de davantage de morts que les GAT ([62]), même si l’ampleur des massacres au Niger depuis le début de l’année 2021 tend à inverser les choses.

2.   La formation aux droits de l’homme et au droit international humanitaire doit être intensifiée

Dès lors, il est indispensable d’améliorer la formation des forces locales aux droits de l’homme, aux questions éthiques et au droit international humanitaire. D’une part, et surtout, afin de protéger les civils, d’autre part, car la manière dont une armée agit a un lien direct avec son acceptabilité, et que la commission d’exactions par les forces de défense et de sécurité locales, formées par des armées occidentales, pourraient venir entacher l’action de ces dernières. En outre, pour entretenir une dynamique internationale initiée à Pau, il est indispensable que nos partenaires n’aient aucun doute sur l’éthique des forces engagées au Sahel

Les FDS sont formées au droit international humanitaire (DIH) et au droit des conflits armés mais très peu aux droits de l’homme. C’est ce déficit qui explique notamment que certaines forces formées par les partenaires internationaux (par exemple la Force spéciale antiterroriste au Mali) puissent en arriver à tirer sur des manifestants désarmés, qu’elles perçoivent comme une menace et non comme une foule exerçant son droit fondamental d’expression et de manifestation.

Par ailleurs, ainsi que l’a indiqué aux rapporteures Mme Niagalé Bagayoko, la formation apparaît très clairement comme un instrument insuffisant qui devrait être complété par des mécanismes beaucoup plus larges, tels le renforcement des unités prévôtales, de la justice militaire, des inspections générales des armées ou encore du rôle de supervision des Commissions nationales des droits humains.

Au-delà, l’accentuation de la diversité des forces armées locales constitue l’un des axes d’actions pour combattre les exactions, alors que celles-ci agissent parfois par peur, incompétence, vengeance, notamment dans les régions majoritairement peules, réputées favorables à l’ennemi. Or, comme le général de brigade Régis Colcombet, chef du service des affaires de sécurité internationale de la direction générale des relations internationales et de la stratégie l’a indiqué aux rapporteures, les 25 000 soldats maliens supplémentaires, dont le recrutement a été annoncé au début de l’année 2020 par l’EMGA malien seront majoritairement Bambaras.

La lutte contre les exactions passe également par leur plus grande reconnaissance par les autorités concernées. Dans ce contexte, la mise en place récente du Mécanisme d’identification, de suivi et d’analyse des dommages causés aux civils (MISAD) au sein de la force conjointe va dans le bon sens, de même que le développement de la Stratégie de protection des civils du G5 Sahel. Ceux-ci ont d’ailleurs été salués par le communiqué final du Sommet de N’Djamena, ce qui témoigne du reste de l’importance croissance de la prise en compte de cet enjeu.

Le MISAD

Le Mécanisme d’identification, de suivi et d’analyse des dommages aux civils (MISAD) a été mis en place dans le cadre du projet d’appui au Cadre de conformité aux droits de l’homme de la Force conjointe du G5 SAhel (CCDH) avec la collaboration du Centre pour les civils en conflits (Center for civilians in conflict – CIVIC), partenaire du Haut-commissariat aux droits de l’homme (HCDH) qui dirige le projet d’appui au CCDH de la force conjointe. Décliné en sept piliers, le cadre de conformité recommande, dans son sixième pilier, un mécanisme de contrôle et de rapport sur la conduite des opérations, notamment des éventuels incidents et leurs l’impact sur les civils.

Le déclenchement du MISAD conduit à collecter les informations sur les incidents et les enregistrer dans une base de données, identifier ces informations et les traiter, analyser les causes d’un incident, ses conséquences et construire une réponse appropriée, formuler des recommandations au commandant de la force et, enfin, organiser un suivi dans la durée à travers des retours d’expérience (RETEX).

Les recommandations du MISAD peuvent conduire le commandant de la force conjointe à donner de nouvelles instructions pour les opérations à venir, à décider d’un redéploiement des nouvelles dispositions sur le terrain, à communiquer sur l’incident constaté, à engager un dialogue avec les populations et les partenaires, ainsi qu’à prendre des mesures unilatérales de réparation, par exemple sous la forme de dédommagement, précédé d’efforts de reconnaissance de l’incident ou de l’expression de regret et de compassion selon les pratiques locales.

En définitive, ce mécanisme a pour objectif de permettre à la force conjointe de démontrer que la protection des civils est au cœur de ses opérations, de mieux comprendre l’impact de ses opérations sur les civils, de faire progresser la mise en œuvre du cadre de conformité aux droits de l’homme, de renforcer ses liens avec les populations civiles, de concevoir une stratégie de communication efficace et fiable, de renforcer la crédibilité de la force conjointe auprès des populations et de la société civile locale, des institutions nationales et internationales, des agences des Nations Unies, des ONG et d’autres acteurs clés et, surtout, d’assurer l’intégration de la protection des civils dans la planification et la conduite des opérations en vue de limiter les dommages causés aux civils dans le cadre des opérations militaires.

La cérémonie officielle de lancement du MISAD s’est tenue le 27 janvier 2021, en présence de M. Mahamat Saleh Annadif, Représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU au Mali et chef de la MINUSMA (RSSG).

Source : CIVIC.

De la même manière, il convient de reconnaître que les autorités tchadiennes ont rapidement réagi à la suite des accusations d’exaction portées contre des éléments des forces tchadiennes engagées au sein de la force conjointe, à Tera. Le ministère des Affaires étrangères, de l’intégration africaine et des Tchadiens de l’étranger a publié un communiqué de presse, dès le 3 avril 2021 ([63]), soit deux jours après les faits, assurant que les auteurs des faits avaient « déjà été arrêtés et subiront les sanctions qui s’imposeront ».

Au niveau de la Force conjointe, le MISAD a été immédiatement activé à la suite de ces accusations. Même si des consultations avec les populations civiles et les unités stationnées à Tera sont toujours en cours, il a déjà permis la rédaction et publication d’un communiqué de presse de la Force conjointe, le 3 avril 2021.

Communiqué de presse de la Force conjointe du 3 avril 2021

Niamey, le 3 avril 2021- La Force conjointe G5 Sahel (FC-G5S) a pris connaissance d’allégations de viol et de tentatives de viol concernant les soldats du 8ème bataillon, déployé dans la zone des trois frontières. Par conséquent, la Brigade prévôtale de la FC-G5S de Téra (Niger) a été saisie. Elle a établi que trois cas de viols sont avérés, dont l’un sur une fille de 11 ans, et deux autres sur des femmes mariées en présence de leurs époux sous la menace d’armes à feu.

Une mission conduite par le Commandant du Fuseau Centre de la Force s’est rendue à Téra pour prendre connaissance des faits et rencontrer les autorités administratives et les responsables du bataillon. Il a été noté, entre autres, que la fille victime de viol a été immédiatement prise en charge.

Face à des faits d’une telle gravité, en lien avec les autorités nigériennes et tchadiennes, la FC-G5S a pris des mesures idoines.

Il s’agit :

1- Du retrait des effectifs de la Force des soldats incriminés ;

2- Du rapatriement dans leurs pays d’origine ;

3- De l’initiation de sanctions disciplinaires ;

4- De l’ouverture d’une enquête pénale de concert avec les systèmes de justice pénale en vigueur (y compris coopération pénale judiciaire entre le Niger et le Tchad) ;

5- De l’assistance immédiate aux victimes, nonobstant les autres mécanismes qui accompagnent la Force ;

6- Du rappel formel de l’exigence de respect des droits de l’homme et du devoir d’exemplarité des militaires de la Force, qui devra être fait par chaque commandant de bataillon aux militaires placés sous ses ordres.

La FC-G5S obéit à des règles strictes en la matière et dispose d’outils et de procédures internes destinés à prévenir et réprimer ce type d’actes contraires aux valeurs sahéliennes. Ce cadre institutionnel régional, conforme aux règles du droit international, complète les dispositions juridiques de chaque État membre du G5 SAHEL – qui reste souverain pour décider des suites judiciaires à donner. Ainsi, une commission d’enquête a été érigée et est placée sous le contrôle du procureur de la République du Niger. Elle a pour mission de recueillir toutes les informations indispensables à la hiérarchie pour apprécier les événements survenus à Téra afin que les coupables répondent de leurs actes et que des dispositions soient prises pour qu’ils ne se reproduisent plus. Enfin, la Force Conjointe rappelle qu’elle applique une politique de « tolérance zéro » en matière d’actes contraires aux droits de l’Homme, y compris les violences sexuelles sur le genre.

Toutefois, ainsi que l’a indiqué aux rapporteures M. Vianney Bisimwa, il pourrait être envisagé d’aller encore plus loin en la matière, en invitant les forces locales et internationales engagées au Sahel à ne plus uniquement communiquer sur l’impact de leurs opérations sur les groupes armés terroristes, mais également à indiquer leurs conséquences sur les populations civiles. C’est d’ailleurs ce qu’a fait le ministère des Armées au tout début du mois d’avril, en rendant public le fait qu’une femme avait été tuée en marge d’une intervention de la force Barkhane à l’encontre de cadres du RVIM, conduite dans la nuit du 31 mars au 1er avril dans la région de Tessalit ([64]).

3.   La lutte contre l’impunité doit être renforcée

La lutte contre les exactions passe aussi par la lutte contre l’impunité, tant des membres des forces de défense et de sécurité que de l’ensemble des acteurs. Interrogé à ce sujet par les rapporteures, le général de corps aérien Luc de Rancourt, directeur général adjoint de la DGRIS, a souligné l’importance fondamentale du troisième pilier d’action de la Coalition internationale pour le Sahel, car si les pays sahéliens n’instituent pas une chaîne pénale robuste et équitable et que les crimes des milices communautaires ou les exactions des forces de défense et de sécurité demeurent impunis, les populations locales seront « jetées dans les bras des GAT ».

Il s’agit là d’un combat collectif, l’Union européenne comme la MINUSMA invitant régulièrement les autorités locales à ne faire preuve d’aucune complaisance en la matière, et à lutter fermement contre l’impunité. Les autorités locales sont ainsi sommées de démontrer aux yeux du monde qu’il y a une réaction judiciaire (civile ou militaire), consistant à identifier les responsables, engager des poursuites et, le cas échéant, sanctionner. Il convient d’ailleurs de noter que les nouvelles autorités maliennes semblent faire preuve de davantage de volontarisme en la matière et que pour la première fois, un procès doit bientôt s’ouvrir au Mali pour juger de la culpabilité de militaires accusés d’exaction. Toutefois, comme il l’a été indiqué aux rapporteures par plusieurs de leurs interlocuteurs, « les délits les plus graves n’ont pas encore été jugés ».

II.   Mettre en œuvre le sursaut civil

Un an après l’appel du Sommet de Pau en faveur d’un « sursaut militaire », le Sommet de N’Djamena des 15 et 16 février a été celui de l’appel à un « sursaut civil » devant conduire les États sahéliens, soutenus par la communauté internationale, à engager les réformes et actions nécessaires pour assurer le retour de l’État et des services publics sur l’ensemble de leurs territoires respectifs, au profit des populations, ainsi que pour créer les conditions d’un développement économique et social robuste et équitable.

Le Sommet de N’Djamena a ainsi été l’occasion de rappeler que nul ne doute en effet que l’action militaire n’a de sens qu’au service d’une action politique et civile : la résolution de la crise passe par l’application de l’APR, mais aussi par la sécurisation du territoire, le développement économique et l’implantation ou la réimplantation des services publics (éducation, santé, justice, infrastructures).

Il s’agit donc de transformer les gains opérationnels constatés au gré des sommets – Sommet de Nouakchott, le 30 juin 2020 et Sommet de N’Djamena, les 15 et 16 février 2021 – en avancées politiques.

Pour un certain nombre de chercheurs et de think tank, il devrait être plus clairement établi que l’émergence d’une solution politique doive primer la conduite d’opérations de luttes anti-terroriste. Tel était le sens du rapport de l’International crisis group précité, qui appelait à « réordonner les stratégies de stabilisation du Sahel ». De la même manière, Mme Niagalé Bagayoko, a fait part aux rapporteures de sa conviction de la nécessité de mettre fin à une approche fondée uniquement sur le prisme de la lutte anti-terroriste, au risque de ne pas comprendre les dynamiques qui traversent le Sahel aujourd’hui, tandis que M. Yvan Guichaoua, tout en saluant les annonces du Sommet de N’Djamena, relevait que les dispositions relevant du pilier civil étaient peu étayées, à l’inverse de celles concernant le pilier militaire.

Les rapporteures sont convaincues que la voie politique constitue la seule issue de long terme à la crise du Sahel. La menace terroriste ne s’éteindra qu’une fois épuisé le terreau sur lequel elle prospère. Autrement, les groupes terroristes continueront de bénéficier d’une capacité de régénération quasi infinie. Elles notent toutefois que celle-ci ne peut que reposer sur une action militaire déterminée, pour sécuriser les territoires et permettre à l’action civile de se déployer. En outre, elles estiment que l’action militaire offre une fenêtre d’opportunité aux États concernés pour leur permettre de conduire les réformes nécessaires à la restauration de la confiance avec leurs populations et à la restauration de leur souveraineté sur l’ensemble de leurs territoires.

De manière plus concrète, la déclaration finale du Sommet de N’Djamena met l’accent sur trois axes d’action prioritaires : la mise en œuvre effective de l’APR, condition de la restauration de la stabilité du Mali ; le retour des États sur l’ensemble de leur territoire, qui suppose de renouer des liens de confiance avec une partie des populations ; un effort massif de développement, afin de traiter les causes profondes de l’insécurité.

A.   La question malienne face au défi de l’unité et de la démocratie

1.   La mise en œuvre de l’APR pose de nombreuses questions

La déclaration finale du Sommet de N’Djamena indique que les chefs d’État « ont appelé à une accélération de la mise en œuvre de l’Accord pour la Paix et la Réconciliation (APR) au Mali issu du processus d’Alger, conformément aux conclusions des réunions du Comité de Suivi de l’Accord (CSA) qui se sont tenues en novembre 2020 à Bamako et en février 2021 à Kidal. »Après des années de quasi gel, l’APR semble de nouveau susciter l’intérêt des différentes parties, et en particulier du gouvernement de transition malien. Il n’en demeure pas moins que pour nombre d’observateurs avisés, l’APR pose davantage de questions qu’il n’apporte de réponse. Or, la question de la robustesse de l’Accord pour la paix et la réconciliation et celle de la pertinence de sa mise en œuvre sont cruciales, car, au-delà des conclusions du Sommet de N’Djamena, cette dernière constitue toujours la première priorité stratégique de la MINUSMA.

a.   L’APR est-il une chimère ?

Cette question a récemment été posée dans la presse ([65]) par M. Nicolas Normand, ancien ambassadeur de France au Mali. À ses yeux, l’APR repose une erreur d’analyse initiale, conduisant à considérer que la rébellion touarègue de 2012 est la manifestation d’une opposition entre le centre (Bamako) et la périphérie (le Nord du Mali), alors qu’elle serait davantage la matérialisation d’une confrontation inter-touarègue opposant la caste noble de deux tribus – les Ifoghas et les Idnanes – à leurs anciens tributaires – les Imghads, majoritaires – qui se sont progressivement emparés du pouvoir à travers les élections successives. De fait, un rapport de l’International crisis group consacré à la question ([66])  pointait, dès avant la signature de l’APR, le fait qu’en « réduisant la crise à un problème entre le centre et la périphérie, il [le processus d’Alger] ne dit presque rien des fractures entre les communautés du Nord. » Dès lors, pour M. Normand, l’accord aurait « fait la part belle à une minorité ethnique non élue », et particulièrement aux groupes armés, au détriment des Touaregs ne s’étant pas rebellés, comme les Oulliminden, de la société civile et des autres communautés majoritaires au nord (Songhaïs, Peuls et Bellas).

En conséquence, l’APR serait, en l’état, voué à l’échec, d’autant que les groupes armés signataires se satisfont de son relatif enlisement. La coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) bénéficie ainsi d’une véritable autonomie dans le Nord-Mali, comme en témoigne ses opérations de sécurisation lancées de manière unilatérale, en dehors du cadre des accords de paix, à l’instar de l’opération Acharouchou, conduite en 2019. Le Nord du Mali semble désormais en partie soumis à des règles et des dynamiques de gouvernance qui échappent totalement à l’État malien. Les autorités maliennes comme la MINUSMA, pourtant chargée d’assurer le contrôle des agissements des groupes armés signataire et de leur armement, paraissent se satisfaire d’une telle situation.

Certes, le Gouvernement de transition malien semble désireux de relancer la mise en œuvre de l’accord. L’audition des représentants de la MINUSMA a ainsi été l’occasion de souligner l’approche décomplexée du Gouvernement de transition à l’égard du Nord, qui serait très appréciée par les groupes armés signataires. De la même manière, la désignation de représentants des GAS au sein du Conseil national de transition (CNT), c’est-à-dire le Parlement de transition, a été perçu de manière positive.

Au Sommet de N’Djamena, les chefs d’État ont d’ailleurs salué :

– la tenue de la réunion de haut niveau du Comité de suivi de l’accord à Kidal le 11 février ;

– l’annonce, par les parties maliennes, de la poursuite des réunions de niveau décisionnel pour parvenir à un compromis définitif sur les questions de défense et de sécurité au Mali ;

– l’annonce du déploiement prochain à Kidal des éléments attendus de l’armée malienne reconstituée avec l’appui décisif de la MINUSMA ainsi que des nouveaux services aux populations ;

– l’annonce du lancement très prochainement des projets de développement dans certaines localités dans le nord du Mali dans le cadre du fonds de développement durable (FDD).

Depuis lors, la 42ème session ordinaire du Comité du suivi de l’accord s’est déroulée dans la ville de Kayes (ouest du Mali) le 29 mars dernier.

Mais malgré la tenue de ces réunions, parfois présentées comme de notables avancées dans la mise en œuvre de l’APR, la plupart des acteurs rencontrés par les rapporteures considèrent que celle-ci demeure largement incantatoire. Si le dialogue a été renoué entre les différentes parties prenantes, les mesures concrètes se font encore attendre, en particulier s’agissant de la régionalisation, de la réintégration des ex-rebelles dans l’armée malienne et du rattrapage en matière de développement des régions septentrionales.

En outre, au regard de la porosité avérée entre certains groupes armés terroristes et certains groupes armés signataires, il peut paraître surprenant de considérer que la mise en œuvre de l’APR constitue une voie privilégiée de sortie à la crise malienne. Et ce d’autant que l’APR prévoit le « retour de l’État », dans des territoires où la présence même de l’État constitue le nœud du problème et le motif de la contestation. La promotion de l’APR n’est d’ailleurs pas sans conséquence pour la France, alors que lui est encore reproché une forme de bienveillance à l’égard des communautés touarègues – la « libération » de la ville Kidal sans les forces armées maliennes constitue encore un douloureux souvenir – sentiment conforté par l’étroitesse des relations que Barkhane a pu entretenir avec certains groupes de la Plateforme tels le Mouvement pour le salut de l’Azawad (MSA), dirigé par Moussa Ag Acharatoumane, et le Groupe autodéfense touareg Imghad et alliés (GATIA) du Général El Hadj Ag Gamou.

Pour les autorités maliennes et la communauté internationale, la mise en œuvre effective de l’APR constitue toutefois l’unique voie pour s’attaquer au nœud de la crise, et désamorcer la poudrière que constitue « l’Azawad ». Elle permettrait également de « remettre dans le jeu » les groupes armés signataires (GAS), et d’en faire ainsi des pôles d’attraction à même de concurrencer les groupes armés terroristes. La situation demeure d’autant plus fragile qu’à la veille de la présentation des conclusions du présent rapport, le président de la Coordination des mouvements de l’Azawad, M. Sidi Brahim Ould Sidati, a été assassiné à Bamako, le 13 avril 2021.

Mais plus largement, il s’agit de se demander si l’APR ne serait que l’un des piliers d’un accord de sécurité plus global.

b.   Faut-il un nouvel accord ?

L’expansion de la menace terroriste dans le Centre du Mali et la zone des trois frontières comme l’apparition de nouveaux groupes violents conduisent à questionner l’opportunité d’un nouveau processus de dialogue national, à même de déboucher sur un accord de sécurité plus global dont l’APR ne serait que l’un des piliers.

Dans ce contexte, la reprise d’un dialogue avec les groupes armés signataires pourrait être l’occasion d’engager une réflexion plus large sur une nouvelle organisation territoriale et constitutionnelle, aboutissant à proposer un nouveau modèle d’aménagement territorial, plus équilibré, mettant l’accent sur les régions les plus fragiles (nord, centre, est) comme sur les régions potentiellement fragiles (ouest, sud). La relance de l’APR serait ainsi l’occasion d’apaiser les tensions avec d’autres régions, en mettant toutes les questions sur la table. À titre d’exemple, il pourrait être imaginé qu’un processus de DDR soit proposé aux membres des groupes et milices d’auto-défense.

Au-delà, il pourrait même être envisagé que la reprise du processus débouche sur une actualisation des dispositions de l’accord, afin de tenir compte de l’évolution tant des positionnements des groupes armés signataires que de la situation politique et sécuritaire au Nord du Mali.

Quoi qu’il en soit, c’est bien aux autorités et aux populations maliennes qu’il revient de trancher cette question, et en aucun cas à des États étrangers.

c.   Faut-il négocier avec les groupes terroristes ?

L’ouverture d’un dialogue national renforcé pose indubitablement la question de l’ouverture de canaux de discussion avec les groupes armés terroristes, perspective que la France rejette avec la plus grande fermeté.

Les auditions conduites par les rapporteures ont confirmé qu’au Sahel, une telle perspective faisait l’objet de débats plus nuancés. Si certains acteurs maliens ont publiquement déclaré leur stricte opposition à l’ouverture de telles négociations, à l’instar de Mamadou Goudienkilé, président de la coordination dogon Dan Na Ambassagou ([67]), les représentants de la MINUSMA entendus par les rapporteures leur ont rappelé que la population malienne s’était montrée favorable à l’ouverture de discussions avec les groupes terroristes, et ce tant dans le cadre de la Conférence d’entente nationale qui s’est tenue du 27 mars au 2 avril 2017 que dans celui du Dialogue national inclusif (DNI), du 14 au 22 décembre 2019, et ce bien que l’ouverture de négociations avec les groupes terroristes ne figure pas dans les quatre résolutions issues du DNI. La feuille de route de la Transition, adoptée en septembre 2020, préconise également d’engager un dialogue avec les groupes armés radicaux, tandis que les autorités maliennes, par la voix du Premier ministre de la transition, Moctar Ouane, ont clairement fait valoir qu’elles entendaient poursuivre les échanges engagés par le gouvernement du président Ibrahim Boubacar Keïta avant la chute de celui-ci. ([68]) Dans les pays voisins, le discours relatif à l’ouverture de discussions avec les groupes armés terroristes s’est également infléchi. Il s’agit toutefois d’une question si sensible que le Gouvernement burkinabè s’est empressé de démentir, au début du mois de mars, avoir engagé de telles discussions avec Iyad Ag Ghali et Amadou Koufa ([69]). Il convient du reste de noter qu’au Sommet de N’Djamena, l’ensemble des chefs d’États « ont affirmé leur détermination commune à poursuivre la lutte contre le haut commandement du GSIM [RVIM] et l’État islamique au Grand Sahara (EIGS) » et sont convenus de soutenir l’objectif assignés par le Président Macron à Barkhane de neutraliser Iyad Ag Ghali et Amadou Koufa. Au niveau local, il est en revanche établi que des négociations ont été conduites à l’initiative d’acteurs traditionnels, coutumiers ou religieux, selon une logique de réconciliation et d’apaisement des tensions.

Dans ce contexte, la question de l’ouverture de négociations avec les terroristes est particulièrement sensible en France, d’autant que la libération par les autorités maliennes de 200 terroristes présumés, au début du mois d’octobre, en échange de la libération de quatre otages retenus par le RVIM, dont Mme Sophie Pétronin, avait déjà provoqué quelques remous.

D’abord, rappelons que la position française est des plus claires : il est exclu d’entamer des négociations avec les terroristes. Le Président Macron l’a affirmé avec force dans un entretien accordé à Jeune Afrique ([70]), le 20 novembre 2020, en déclarant : « Avec les terroristes, on ne discute pas. »

Une telle position, aussi ferme soit-elle, appelle plusieurs commentaires.

Premièrement, comme l’a rappelé devant les rapporteures le colonel (ER) Michel Goya, l’ouverture d’une phase de négociation constitue la fin habituelle de tout conflit armé.

Deuxièmement, une telle décision n’appartient pas aux autorités françaises, mais bien aux autorités et aux populations sahéliennes. Et s’il est inenvisageable de penser pouvoir négocier avec l’EIGS, dont l’idéologie absolument radicalisée empêche l’ouverture de discussions, la situation du RVIM est plus complexe. Quoi qu’il en soit, il convient de distinguer la situation des chefs terroristes, porteurs d’un agenda internationaliste difficilement compatible avec l’ouverture de négociations, de celles des combattants, dont beaucoup sont avant tout des jeunes gens, désœuvrés, pauvres, en mal de perspectives et donc « récupérables » au travers d’un processus de réintégration. Quoi qu’il en soit, interrogé sur la question par les rapporteures, le général Luc de Rancourt leur a indiqué que si des négociations n’étaient pas acceptables, il serait vain, selon lui, de penser pouvoir empêcher ou contrôler le lancement d’un tel dialogue si les autorités des pays concernés souhaitent l’engager. À ce sujet, comme l’expose RFI, un « accord de cessez-le-feu inédit [a été] conclu le 14 mars pour une durée d’un mois entre les jihadistes de la katiba Macina, liés à al-Qaïda au Maghreb islamique, et les chasseurs Dozos qui les affrontaient pour tenter de protéger certains villages, notamment celui de Farabougou, dans le cercle de Niono. L’État malien, qui a mandaté les négociateurs, doit encore se prononcer d’ici la fin de la semaine [semaine de publication du présent rapport] sur un point précis de cet accord. » ([71])

Troisièmement, de l’avis de la plupart des personnes rencontrées par les rapporteures, l’ouverture de négociations avec certains groupes terroristes paraît à terme inévitable, car telle est la volonté des autorités et des populations sahéliennes.

Dans ce contexte, la France doit s’y préparer. Moralement d’abord, car comme l’a souligné lors de son audition M. Jean-Hervé Jezequel, directeur de projet « Sahel » à International crisis group, le jour où les États sahéliens feront le choix de discuter avec les groupes terroristes, la France devra trouver la force de l’accepter, alors qu’elle est l’acteur militaire principal au Sahel, qu’elle a investi d’importantes ressources humaines, matérielles et financières dans la lutte contre le terrorisme et que des militaires français y sont morts. Ce n’est qu’en acceptant l’idée d’une possible ouverture de telles négociations que la France pourrait peser sur elles.

Plusieurs points d’attention doivent donc être pris en compte :

– la nécessité de s’assurer que nos partenaires sahéliens n’ouvrent pas des canaux de discussions à notre insu, alors que l’on peut s’interroger sur le niveau de transparence dont le Mali et le Burkina Faso font preuve en la matière. Ils ne se cachent toutefois pas de leur souhait d’engager des discussions, arguant que telle est la volonté des populations. Il convient donc de demeurer vigilant, face au danger que constituerait l’acceptation par les pays concernés de conditions insupportables, susceptible par exemple de conduire à une islamisation de l’Afrique de l’ouest ;

– la nécessité de déterminer les « lignes rouges » à ne pas franchir dans le cadre d’éventuelles discussions. S’il appartient aux populations et aux autorités sahéliennes de les fixer, la France et l’Europe pourraient utilement inciter leurs partenaires à ne pas « tout accepter ». L’intégrité territoriale, la liberté religieuse, l’uniformité des services publics régaliens (dont la justice) pourraient constituer de telles lignes rouges ;

– l’identification des conditions que poseraient les groupes terroristes pour l’ouverture de telles négociations, tant dans la forme que dans le fond, et ce afin notamment de mesurer le potentiel de réussites de telles discussions. À titre d’exemple, le RVIM aurait posé comme condition préalable à l’ouverture de négociations le retrait de la MINUSMA et de Barkhane. De la même manière, un certain nombre de groupes appellent de leurs vœux une réorganisation d’ordre constitutionnel et institutionnel, autour d’une plus grande déconcentration des services de l’État ;

– la nécessité de retarder l’ouverture de telles discussions, le temps de se trouver dans la position la plus favorable possible, c’est-à-dire idéalement parvenir à neutraliser les chefs des groupes terroristes. C’est alors, en position de force, que l’ouverture de négociations permettrait plus facilement de réintégrer dans la société les membres « de base », tombés dans le terrorisme presque par accident.

Si les rapporteures ne sont pas favorables à l’ouverture de telles négociations, elles considèrent toutefois qu’il s’agit d’un scénario hautement probable, et qu’il convient donc de s’y préparer. Du reste, il paraît intenable, à terme, de soutenir la mise en œuvre de l’APR tout en excluant toute discussion avec les groupes terroristes en raison de la grande porosité entre les groupes terroristes et les groupes signataires.

2.   La transition politique ne doit souffrir aucun retard

Le 18 août 2020, le président malien Ibrahim Boubacar Keïta, dit IBK, est renversé par un coup d’État que nul ne semblait avoir anticipé. Ce coup d’État marque l’aboutissement d’une longue crise politique, ouverte avec la réélection du président IBK en 2018 et renforcée à l’occasion des élections législatives d’avril 2020. Cette crise avait conduit un certain nombre d’acteurs à tenter de trouver une issue pacifique, à l’instar de la CEDEAO, qui a dépêché à Bamako, le 23 juillet, une délégation composée des chefs d’État ivoirien, ghanéen, nigérien, sénégalais et nigérian.

Le déroulement du coup d’État du 18 août 2020 au Mali et l’installation des autorités de la Transition

Dans la matinée du 18 août, des soldats et des officiers de l’armée se sont mutinés dans la ville de garnison de Kati, au nord-ouest de Bamako. Ils ont rapidement gagné la capitale, où ils ont pris le contrôle d’installations stratégiques, sans rencontrer de résistance. Quelques heures plus tard, ils ont arrêté le Président et le Premier Ministre. Des ministres, de hauts fonctionnaires, des officiers militaires de haut rang et des membres du Parlement, dont le Président de l’Assemblée nationale, ont également été arrêtés. Tous ont été conduits au camp militaire de Kati. Vers minuit, dans une émission diffusée à la télévision nationale, le Président a annoncé sa démission et la dissolution du Gouvernement et de l’Assemblée nationale

Dans la matinée du 19 août, des officiers militaires ont annoncé à la télévision nationale que leur groupe, dénommé Comité national pour le salut du peuple (CNSP), avait pris le pouvoir au Mali. Le groupe a justifié ses actes par la nécessité de lutter contre la corruption et la mauvaise gouvernance et de mettre fin à l’instabilité dans le centre et le nord du Mali. Le colonel Assimi Goïta, commandant d’un bataillon des forces spéciales basé au centre du Mali, a été présenté comme le Président du CNSP. Il a annoncé que le CNSP tiendrait des consultations avec les acteurs politiques et la société civile afin d’établir une transition civile et d’organiser des élections générales dans un « délai raisonnable ». Il a également déclaré que le CNSP assurerait la continuité de l’État malien et respecterait tous les engagements internationaux, y compris ceux concernant la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali et la présence de forces internationales au Mali, dont la MINUSMA.

Les partis politiques de la majorité au pouvoir – l’Alliance pour la démocratie au Mali-Parti africain pour la solidarité et la justice, la Convergence des forces républicaines et le Rassemblement pour le Mali – ont condamné ce qu’ils ont qualifié de destitution anticonstitutionnelle du Président. Le principal parti d’opposition, l’Union pour la République et la Démocratie, s’est déclaré prêt à travailler avec les militaires en vue d’une transition politique. Un autre parti d’opposition, Yelema, a condamné la mutinerie, mais considéré la démission du Président comme étant l’occasion de régler la crise institutionnelle. Le Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP) a salué la chute du Président et s’est déclaré prêt à discuter avec le CNSP des modalités de la transition politique.

Le 21 août, à l’initiative du M5-RFP, plus de 15 000 personnes se sont massées sur la Place de l’Indépendance pour célébrer la « victoire du peuple ». L’imam Dicko, le Vice-Président du CNSP, le colonel Malick Diaw, et le porte-parole du Comité, le colonel Ismaël Wagué, ont participé au rassemblement

Les organisations régionales et sous-régionales ont rapidement condamné la mutinerie et l’arrestation du Président. L’Organisation des Nations Unies, l’Union africaine, la CEDEAO, l’Union européenne et l’Organisation internationale de la Francophonie ont exigé la libération immédiate du Président et des autres hauts responsables du Gouvernement, ainsi que le rétablissement immédiat de l’ordre constitutionnel. L’Union africaine, la CEDEAO et l’Organisation internationale de la Francophonie ont suspendu la participation du Mali en leur sein. Le 20 août, la Conférence des chefs d’État et de gouvernement de la CEDEAO a tenu un sommet extraordinaire à l’occasion duquel elle a condamné le renversement du Président démocratiquement élu, destitution intervenue en violation des traités et protocoles de la Communauté et demandé son retour immédiat à la tête de l’État. La CEDAO a également imposé un régime de sanctions et fermé toutes les frontières terrestres et aériennes. Elle a suspendu les transactions financières et économiques ainsi que les échanges commerciaux entre ses États membres et le Mali, faisant une exception pour les biens de consommation de base, les médicaments, l’électricité et le carburant.

Du 22 au 24 août, une délégation de la CEDEAO, dirigée par l’ancien Président du Nigéria, Goodluck Jonathan, s’est rendue à Bamako, où elle a rencontré les dirigeants du CNSP ainsi que mon représentant spécial et d’autres membres de la communauté internationale.

Le 24 août, le CNSP a publié l’Acte fondamental, document constitutionnel provisoire, qui vise à donner une base juridique aux décisions à venir et qui prévoit un certain nombre de dispositions, portant notamment sur les droits de l’homme, les questions relatives à l’État et à la souveraineté, et les traités et les accords internationaux. Le 27 août, il a procédé à une série de nominations à des postes clés en son sein et à la tête des forces de défense et de sécurité du Mali

Le 21 septembre, le CNSP a annoncé la désignation officielle par un collège électoral de l’ancien Ministre de la défense et colonel-major à la retraite, Bah N’Daou, à la présidence du Gouvernement de transition de 18 mois, et du colonel Assimi Goïta à la vice-présidence. Des membres du M5-RFP ont rejeté ces désignations, estimant que la procédure n’avait pas été inclusive, tandis que la Coordination des mouvements de l’Azawad a demandé, dans un communiqué distinct, que l’accent soit davantage mis sur le processus de paix pendant la transition.

Le 1er octobre, les autorités maliennes ont publié la Charte de la transition qui avait été adoptée en septembre lors de consultations avec des dirigeants politiques, des représentants de la société civile et d’autres acteurs nationaux. La Charte définit les priorités, les institutions et les modalités de la période de transition de 18 mois qui doit se conclure par la tenue d’élections présidentielles et législatives. Elle respecte la plupart des recommandations formulées par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), tient compte des principales dispositions de l‘Accord pour la paix et la réconciliation au Mali signé en 2015 et accorde l’amnistie aux dirigeants du coup d’État.

Le 5 octobre, le Président de la transition, Bah N’Daou, a nommé un gouvernement de transition composé de 25 membres, conformément aux recommandations issues des consultations qui ont réuni en septembre les principaux acteurs de la sphère politique et de la société civile. Le nouveau Gouvernement comprend quatre femmes, soit une proportion de 16 %, contre 23,6 % précédemment. Il comprend aussi de hauts responsables militaires, parmi lesquels trois dirigeants du coup d’État, ainsi que des membres du M5-RFP, la coalition de partis d’opposition et de groupes de la société civile qui a dirigé les manifestations ayant précédé la chute de l’ancien Président Keïta. Il comprend en outre des représentants de la société civile et, pour la première fois, quatre représentants des mouvements signataires de l’Accord.

Le 9 novembre, le Président Bah N’Daou a publié deux décrets portant création du Conseil national de transition. L’un deux définissait les critères et les modalités de nomination des membres du parlement de transition et l’autre attribuait ses 121 sièges à différents groupes. Le groupe ayant obtenu le plus grand nombre de sièges (22 au total) est celui constitué des représentants des forces de défense et de sécurité ; 11 sièges ont été attribués à des partis et organisations politiques, 4 à des groupes de jeunes et 5 à des mouvements armés signataires. De nombreux autres groupes et organisations, notamment des organisations de défense des droits humains et des syndicats, étaient également représentés.

Le 3 décembre, le Président N’Daou a publié un décret portant nomination des 121 membres du Conseil national de transition. Le 5 décembre, lors de leur première session à Bamako, les membres du Conseil ont élu Malick Diaw, l’un des dirigeants du coup d’État et l’unique candidat à ce poste, à la présidence de l’organe. M. Diaw a obtenu 111 voix sur les 118 votes exprimés. Plusieurs parties prenantes, notamment des partis politiques, des mouvements signataires et des organisations de la société civile, ont critiqué le processus qui a conduit à la nomination des membres du CNT, en faisant remarquer que celui-ci n’avait pas tenu compte de l’issue des consultations qui avaient été préalablement menées.

Source : MINUSMA, extraits des rapports sur la situation au Mali de septembre et de décembre 2020, précités.

Le coup d’État n’a eu que peu d’impact sur la conduite des opérations. Les putschistes ont rapidement affirmé leur souhait de voir les partenaires internationaux du Mali poursuivre leur action, et leur rapide acceptation des conditions posées par la CEDEAO a permis de clarifier la situation. De fait, bien qu’il ne soit évidemment pas question de légitimer le coup d’État, les rapporteures observent que pour la plupart de leurs interlocuteurs et des observateurs avertis de la situation sahélienne, les autorités de la Transition se révèlent des interlocuteurs fiables et déterminés. Le Président Macron a lui-même déclaré, en marge du Sommet de N’Djamena, qu’« en quelques mois, je dois bien dire que ces autorités de transition ont donné plus de gages que les autorités précédentes en trois ans ». En outre, à la différence du coup d’État de 2012, une majorité de la population malienne n’a pas mal accueilli cette intervention militaire, voire l’a accueillie avec un certain soulagement. La période de grâce s’amenuise, même si les nouvelles autorités de la transition bénéficient toujours d’un certain « capital sympathie ».

 

Toutefois, il convient de se montrer vigilant quant au respect des engagements pris par les équipes de la Transition, et notamment s’agissant du calendrier électoral. Auditionné par les rapporteures, M. Joël Meyer, ambassadeur de France au Mali, a ainsi fait état de l’attention accordée par la France au respect de l’engagement d’un retour à une normalité constitutionnelle et à la démocratie, assorti d’efforts d’assainissement de la vie publique et politique.

Le retour à la normalité constitutionnelle suppose d’organiser des élections, dans un an, et pour ce faire de réformer le code électoral. Il ressort des auditions conduites par les rapporteures que d’importants retards ont été pris qui, s’ils se prolongent, peuvent faire douter de la sincérité des autorités à redonner le pouvoir aux civils. Lors de leur audition, les représentants de la MINUSMA ont également souligné « l’ambition » du plan présenté par le gouvernement de transition, et fait part de leurs craintes de voir le temps manqué pour le mener à bien et pour organiser les élections selon le calendrier prévu.

La France apporte en la matière un soutien important, en collaboration avec de nombreux partenaires, et travaillera notamment à former des observateurs locaux pour favoriser la neutralité et la transparence des élections.

Quoiqu’il en soit, il importe que le calendrier de la transition ne souffre aucun retard, ne serait-ce que parce que la mise entre parenthèses prolongée de la vie démocratique peut être exploitée par ceux qui veulent déstabiliser le pays, qu’il s’agisse des groupes terroristes ou de certains religieux qui, tel l’imam Mahmoud Dicko, pourrait tenter de proposer une troisième voie, hasardeuse pour le Mali et les Maliens.

Actualisation

Le 15 avril 2021, au lendemain de la présentation des conclusions de la mission d’information, et à la veille de la publication du présent rapport, les autorités de transition ont annoncé que les premiers tours des élections présidentielle et législatives auront lieu le 27 février 2022, et d’éventuels seconds tours respectivement les 13 et 20 mars, à des dates respectant le calendrier initialement fixé. En outre, un référendum sera organisé le le 31 octobre, afin d’engager une révision de la Constitution.

B.   Le redéploiement de l’État doit se faire au bénéfice des populations civiles

Si la plupart des interlocuteurs des rapporteures considèrent que la faillite des États est l’une des raisons de la crise sahélienne, nombre d’entre eux se méfient des appels généraux à un « retour de l’État ». Car dans nombre de territoires, l’État n’a jamais été présent, ou était perçu comme « prédateur » : c’est le gendarme qui rackette ou le juge corrompu. En outre, comme l’a souligné M. Jezequel lors de son audition, l’État pouvait également paraître lointain, géographiquement, d’abord, lorsque les services étaient concentrés dans le chef-lieu, mais également culturellement, quand le juge rendait la justice dans une langue inconnue, ou mal maîtrisée, et lentement, alors qu’un litige d’accès aux ressources a des conséquences immédiates. Dans ce contexte, il peut arriver que certaines communautés estiment que l’alternative proposée par les groupes terroristes n’est pas pire, d’autant que certains, en particulier le RVIM, appliquent des règles claires et offrent un modèle de gouvernance concurrent.

1.   L’accent doit être mis sur les services de bases

S’il est indispensable de redéployer les services de l’État sur les territoires, nous nous trouvons à ce stade « au pied de la montagne » selon l’expression employée par M. Yvan Guichaoua lors de son audition. Au Mali, les autorités de transition ont commencé à travailler à l’élaboration d’une stratégie de « retour de l’État », dont la mise en œuvre sera pilotée au niveau des services du Premier ministre.

De premières initiatives ponctuelles ont été mises place, sous la forme de « colonnes foraines », conditionnées par une stabilisation de la situation sécuritaire. Comme l’a exposé aux rapporteures le Gouverneur de Gao, rencontré lors de leur déplacement effectué sur le terrain, au début du mois de novembre, ces colonnes foraines permettent un retour des administrations s’accompagnant de réhabilitation d’écoles ou de bâtiments publics, de projets de développement, d’une justice ambulante, voire de la construction d’un poste pour les FAMa. Chaque opération vise à faire « tâche d’huile » en sécurisant un bourg et en incitant ceux qui s’y sont réfugiés à regagner les villages alentour pour élargir encore la zone sécurisée. Les « colonnes foraines » sont en partie sécurisées par Barkhane, qui cherche toutefois à ne pas être trop visible pour conforter le succès malien de chaque opération. Début novembre, deux « colonnes » avaient permis le retour de l’État à Tessit et Labezanga, au cœur de la zone des trois frontières. De telles initiatives sont toutefois jugées largement insuffisantes par la plupart des chercheurs rencontrés par les rapporteures. À leurs yeux, les présenter comme un succès relève de l’illusion, dans la mesure où elles s’apparentent au déploiement d’un État expéditionnaire, n’agissant que sous escorte armée. De la même manière, la mise en place de pôles sécurisés de développement et de gouvernance (PSDG) – qui bénéficient notamment du soutien de l’Union européenne, de l’Agence française de développement et d’Expertise France – est parfois critiquée, dans la mesure où il s’agirait de « cités administratives-blockhaus » au sein desquelles les fonctionnaires se réfugieraient, bien loin des populations. Il s’agit pourtant de permettre aux services de l’État de revenir sur les territoires de manière sécurisée, et les rapporteures estiment que ces pôles pourraient constituer une première étape intéressante, sur laquelle capitaliser pour approfondir ensuite un redéploiement plus conséquent, au plus près des zones rurales.

L’implantation de services de base – justice, santé, éducation, résolution des conflits liés à l’accès aux ressources – dans les zones rurales devrait constituer l’axe prioritaire d’action pour couper l’herbe sous le pied des terroristes, qui y trouvent leurs principaux foyers de recrutements. Une telle stratégie nécessiterait des investissements colossaux, mais ce n’est qu’à ce prix que l’État parviendra à emporter l’adhésion des populations, dont une partie s’est tournée vers les terroristes, en particulier dans le Macina, où des éleveurs nomades leur demandent de sécuriser les troupeaux et de réglementer l’accès aux pâturages ([72]). Dans ces zones où les terroristes jouent parfois le rôle de médiateur entre agriculteurs et éleveurs, ces derniers craignent parfois l’intervention de l’État, qu’ils associent à d’anciennes politiques agricoles ayant plutôt favorisé les agriculteurs à leur détriment.

C’est pourquoi le redéploiement des services de l’État doit s’accompagner d’actions de médiations en direction des populations, à l’instar des forums organisés pour permettre aux habitants et aux forces de sécurité d’exposer leurs griefs et établir des liens de confiance. Il en va de même des discussions ouvertes entre les communautés belligérantes, susceptibles de mener à des cessez-le-feu locaux, comme des initiatives associant éleveurs et agriculteurs pour les aider à résoudre les litiges. À ce titre, l’International crisis group souligne que la médiation agropastorale lancée par le Centre pour le dialogue humanitaire dans la zone des trois frontières et les mesures de soutien aux dialogues intercommunautaires qui ont permis de parvenir à un cessez-le-feu dans le nord de Tillabéri au Niger sont deux exemples réussis de telles médiations ([73]).

2.   Les indispensables réforme de gouvernance

Le redéploiement des services étatiques sur les territoires doit s’accompagner d’une profonde réforme des États eux-mêmes, en vue notamment de mettre un terme à la corruption endémique qui les minent à tous les étages. C’est ainsi que la lenteur des progrès accomplis dans le domaine civil tient également au trop faible engagement de certaines autorités politiques, qui n’ont pas toujours intérêt à ce que la situation globale s’améliore.

Le haut niveau de corruption de certaines élites est de plus en plus décrié localement, tandis que de nombreuses voix s’interrogent sur la détermination de la communauté internationale à y mettre un terme. À titre d’exemple, il paraît étonnant que les bailleurs internationaux, ne soient pas parvenus à empêcher, ni même alerter, que l’équivalent de plusieurs années de budget militaire se soient évaporés au Niger ([74]), pays pourtant en lutte contre les groupes armés terroristes aux côtés des forces françaises et internationales. De nombreuses études ([75]) ont ainsi mis en lumière le haut niveau de corruption au sein des appareils sécuritaires (vol, détournement, marchés publics attribués à des « copains/coquins »).

Il est donc indispensable que la communauté internationale et les populations locales exercent une pression forte et continue sur les classes dirigeantes pour conduire les réformes nécessaires à la restauration de la confiance et de l’État. Il s’agirait en premier lieu de mieux contrôler les flux financiers, alors que la capacité à décaisser reste encore un critère d’évaluation important des politiques de développement. La Banque mondiale a ainsi récemment relevé que l’aide financière était bien trop souvent accaparée par les élites ([76]). Elle note ainsi que pour les 22 pays les plus dépendants de son aide, les versements de ces aides coïncident avec « des hausses significatives des dépôts dans les paradis fiscaux » : pour une aide équivalente à 1 % du PIB, les dépôts dans les paradis fiscaux progressent de 3,4 %.

C.   S’attaquer aux causes profondes de l’insécurité : l’enjeu du développement

1.   Une action forte pour le développement humain est nécessaire pour remédier aux causes structurelles de l’instabilité sahélienne

Au sens large, le Sahel est aujourd’hui la région d’Afrique présentant le plus faible niveau de PIB par habitant – 865 dollars au Sahel, contre 3 386 dollars en Afrique du Nord.

Deux groupes de pays se distinguent toutefois au sein de la région :

– six pays affichent un PIB par habitant inférieur à 1 000 dollars et sont classés parmi les pays les moins avancés (PMA) par l’ONU. Il s’agit du Mali, du Tchad, de la Guinée Bissau, de la Gambie, du Burkina Faso et du Niger ;

– trois autres pays ont un niveau de PIB par habitant plus élevé et sont classés Pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure (PRITI) par la Banque mondiale. Il s’agit du Sénégal, de la Mauritanie et du Cap Vert.

Avec un PIB de 87 milliards de dollars, la région représente seulement 4 % du PIB du continent, le Sénégal et le Mali représentant 40 % du PIB de la région.

Le Sahel enregistre la dynamique démographique la plus élevée en Afrique (+3,1 %), ce qui se traduira par une augmentation de la part des Sahéliens dans la population africaine, à hauteur de 10 % en 2 050. La              région accuse un retard en services de base, comme en témoigne le taux d’accès à l’électricité (33 %), ou le taux d’alphabétisation (51 %) et le taux d’achèvement de l’éducation secondaire (30 %).

Le faible niveau de développement du Sahel est l’une des causes de sa déstabilisation, des jeunes sans perspectives basculant dans le terrorisme dans l’espoir d’acquérir une position sociale et de s’enrichir. Si le constat est connu, l’action pour y remédier pourrait être amplifiée.

2.   L’action de la communauté internationale pourrait gagner en lisibilité comme en efficacité

La déclaration finale du Sommet de N’Djamena salue le « renforcement des actions de développement, rendu possible par l’Alliance Sahel, dont le portefeuille de projets atteint désormais les 17 milliards d’euros d’encours ». Il s’agit d’une somme considérable. Pour autant, les perspectives de développement de la zone sahélienne demeurent étroites, en raison de l’ampleur des défis à relever et, aussi, des difficultés que les États sahéliens rencontreront pour absorber de tels volumes d’aides. Ainsi que le souligne le rapport de l’International crisis group précité ([77])  d’ici 2022, « l’Alliance Sahel aura par exemple financé et coordonné 730 projets dans les pays du G5, mais beaucoup d’entre eux sont axés sur la construction d’infrastructures, et ne prennent pas suffisamment en compte les problématiques liées à leur utilisation et à l’accès donné aux populations censées en bénéficier. »

Le quatrième pilier de la Coalition internationale pour le Sahel semble pâtir des difficultés structurelles des politiques de développement : l’attention des bailleurs est souvent portée sur le niveau de décaissement, et moins sur la cohérence globale des différents projets. L’action de coopération et de développement au Sahel semble ainsi parfois mue par une logique de projets et non par une vision stratégique de long terme, définie en concertation avec les acteurs sahéliens. C’est d’ailleurs dans cette perspective qu’il a été décidé d’axer les projets et actions de développement vers des zones prioritaires identifiées, comme le quadrilatère Téra-Douentza-Gao-Ménaka, et les axes Ouagadougou-Dori et Mopti-Gao en coordination avec l’action militaire. Il est ainsi indispensable de mieux coordonner les actions de sécurisation et de développement, afin de réellement donner corps à l’approche globale que chacun appelle de ses vœux. En outre, ainsi que l’ont indiqué aux rapporteures les représentants de la MINUSMA, le manque de coordination reste criant entre les actions des différents bailleurs, essentiellement en raison tant du nombre de partenaires – on compte ainsi près d’une vingtaine de stratégies pour le Sahel.

L’action de l’Agence française de développement au Sahel

Entre 2015 et 2019, l’AFD a considérablement augmenté son intervention dans les pays du G5 Sahel, sans perdre en efficacité comme en témoigne la bonne qualité globale des projets et l’amélioration du profil des versements. Cette croissance est avant tout le fait d’un développement accru depuis 2018 des projets relevant du fonds MINKA de consolidation de la paix. Le recours à ces nouveaux instruments s’est fait globalement de manière additionnelle aux approches préexistantes et non en substitution : les prêts, les gros projets d’infrastructures, les projets avec les entreprises publiques (utilities) ne diminuent pas sur les années récentes. Malgré la dégradation du contexte, l’AFD a poursuivi ses interventions dans tous ses secteurs d’intervention.

Une nouvelle stratégie Groupe a été adoptée en novembre 2020. Convaincu que la région ne peut être réduite à une seule zone en crise, le Groupe accompagnera la résilience et les dynamiques du Sahel vers une paix et un développement durables. Le Groupe interviendra autour de cinq objectifs prioritaires :

- l’amélioration de la gouvernance et le renforcement des acteurs,

- la prévention et l’endiguement des conflits violents,

- l’autonomisation des femmes et des filles,

- le renforcement des capacités de la population, en particulier les jeunes, et

- l’appui aux potentiels de développement.

Les interventions doivent reposer sur des approches nouvelles :

- l’approche territoriale, à développer au-delà des zones de crise, pour replacer les populations et les espaces au cœur des efforts de développement, en se basant sur les dynamiques locales, les atouts spécifiques des territoires et leurs interdépendances. Cette approche consiste à établir des plans d’actions par territoires sur la base de diagnostics approfondis et de dialogues entre les acteurs locaux ;

- l’approche thématique (gouvernance ; fragilités, crises et conflits ; genre ; capital humain ; développement territorial) plutôt que par les secteurs, pour décloisonner les interventions et mieux répondre aux besoins multisectoriels des territoires concernés et des bénéficiaires qui les peuplent ;

- l’approche par les acteurs plutôt que par les institutions, dans une optique de renforcement de la société dans son ensemble et de pragmatisme pour l’atteinte de résultats rapides, dans une logique de temporalité – concilier actions de court et long termes dans lesquels on retrouve, pour ce dernier, notre accompagnement plus classique des institutions publiques.

Source : Agence française de développement.

Par ailleurs, il convient de veiller à ce que les projets de développement tiennent toujours compte des réalités locales, afin de ne pas venir perturber le fonctionnement des sociétés et, ce faisant, contribuer à leur déstabilisation. Il a ainsi été documenté que les politiques de développement en faveur de l’essor de l’agriculture ont bouleversé des dynamiques sociales ancestrales, et participé à la frustration des populations pastorales soudainement marginalisées. Dans ce contexte, il est sans doute nécessaire de réfléchir à de nouvelles méthodologies d’évaluation des politiques de développement, encore trop fondées sur la capacité à « décaisser », et revoir les mécanismes d’évaluation et des indicateurs quantitatifs de performance élaborés au fil des années, et voués à l’échec.

La mise en œuvre des actions de développement est toutefois conditionnée à la stabilisation de la situation sécuritaire. C’est ainsi que la dégradation de la situation sécuritaire a entraîné la suspension ponctuelle et la reprogrammation de certaines activités. Celles des ONG ont ainsi été suspendues à Ménaka de décembre 2019 à mars 2020 et, dans l’ensemble du Mali, 28 communes ont été déclarées inaccessibles et 15 partiellement accessibles sur 67 appuyées par l’Agence française de développement. En définitive, la sécurisation des territoires constitue bien le socle sur lequel peuvent s’appuyer les piliers 3 et 4 de la Coalition.


   Conclusion : Quel avenir pour Barkhane ?

La France ne s’enlise pas au Sahel : il n’y a aujourd’hui aucune solution sans Barkhane. En revanche, ainsi que l’a maintes fois rappelé le général d’armée François Lecointre, chef d’état-major des armées, la patience stratégique s’impose à la France, en raison de « la complexité de la situation, [de] l’aspect systémique de cette crise ainsi que [de] son lien avec les enjeux démographiques ou environnementaux » ([78]).

La stabilisation du Sahel prendra de nombreuses années, et l’honneur de la France serait de rester engagée auprès d’États et de populations amis aussi longtemps qu’il le faudra, pour que cesse le gâchis qui éloigne les services publics des territoires, les enfants des écoles, fait courir le risque d’une crise alimentaire, et sape la confiance en l’avenir de populations qui aspirent à la paix.

La lutte contre le terrorisme constitue le socle sur lequel pourront se déployer les actions civiles et politiques permettant d’atteindre cet objectif et sous réserve de la décision des États sahéliens de maintenir leur demande d’assistance à l’égard de la France, comme de celle des autorités françaises de maintenir leur engagement, les forces françaises pourraient donc rester déployées au Sahel de longues années.

Le format du dispositif français au Sahel n’est toutefois pas figé, et Barkhane évoluera à mesure de l’affermissement de la montée en puissance des forces locales et de l’amplification de l’engagement de nos partenaires, sahéliens et occidentaux.

D’une opération extérieure, Barkhane – qui pourrait changer de nom – pourrait ainsi évoluer vers un dispositif de coopération structurelle régionale, la responsabilisation croissante des forces locales n’induisant pas le retrait complet des troupes françaises. Sous réserve de la décision du Président de la République, chef des armées, les forces françaises pourraient ainsi rester engagées aux côtés des pays africains afin d’apporter un soutien sur des moyens critiques – comme la chasse ou le renseignement – d’être en mesure d’agir à des fins de réassurance – sous la forme d’une force de réaction rapide maintenue sur le théâtre – de poursuivre la lutte contre le terrorisme et de mettre en œuvre un partenariat de combat approfondi avec les forces locales, en fonction de leurs besoins et de leurs demandes.

Ce faisant, l’armée française contribuerait aussi à la défense de la France et de l’Europe, car l’Europe ne peut être stable si l’Afrique de l’Ouest ne l’est pas.

Examen en commission

La commission procède à l’examen du rapport de la mission d’information sur l'opération Barkhane au cours de sa réunion du mercredi 14 avril 2021.

Mme la présidente Françoise Dumas. Chers collègues, je suis heureuse de vous retrouver pour entendre nos deux co-rapporteures, Sereine Mauborgne et Nathalie Serre, qui viennent nous présenter leur rapport sur l’opération Barkhane, réalisé dans le cadre d’une mission d’information que j’ai présidée.

 L’opération Barkhane résulte de la fusion en 2014 de l’opération Serval, lancée en 2013 à la demande de l’État malien pour stopper une offensive djihadiste vers Bamako, et de l’opération Épervier, engagée au Tchad en 1986 : seule une approche régionale permettait en effet de faire face à une menace djihadiste qui se jouait des frontières.

 Barkhane est aujourd’hui la plus importante opération française, couvrant un territoire plus grand que l’Union européenne. Plus de 5 000 militaires sont déployés au Tchad, au Mali et au Niger, en lien avec l’opération des forces spéciales Sabre, présente notamment au Burkina-Faso. Les militaires de Barkhane mènent des opérations de contre-terrorisme contre le RVIM, c’est-à-dire Al-Qaida, et l’EIGS, c’est-à-dire l’état islamique, auprès des forces locales et de la force conjointe du G5 Sahel, en complément des missions de maintien de la paix conduites par la MINUSMA.

 Votre rapport est important : il intervient à un moment charnière dans le déroulement des opérations. Après le Sommet de Pau qui a acté, en janvier 2020, un rehaussement de l’effort militaire contre le terrorisme dans la zone des trois frontières, il parait également après le Sommet de N’Djamena qui, en février dernier, a fixé comme priorité l’investissement dans les trois autres piliers que sont le renforcement des forces de sécurité, la consolidation des États et l’accentuation des actions de développement.

 Vos travaux nous permettront donc d’évaluer l’évolution de la situation sécuritaire et politique, mais aussi d’estimer les fruits des efforts décidés à Pau ainsi que les perspectives ouvertes par celui de N’Djamena.

 Mais votre rapport est aussi attendu pour mesurer la cohérence globale d’une opération qui s’inscrit dans un agenda qui dépasse les seules préoccupations militaires et les seuls intérêts français.

 Barkhane est en effet bien plus qu’une opération française. Elle a aussi une dimension européenne et les États européens ne s’y sont pas trompés, la situation au Sahel représentant la principale menace pesant sur le flanc Sud de l’Union. Plus de 3 000 militaires européens sont déployés dans la région, sous commandement national, sous commandement français – la task force Takuba est une réussite –, sous commandement européen ou sous-direction onusienne. Pour ne prendre qu’un exemple, le Sahel représente le plus gros déploiement de la Bundeswehr.

 Mais beaucoup plus largement encore, Barkhane est le socle de l’implication de la communauté internationale auprès d’États confrontés à des crises multiples et plurifactorielles, dont l’évolution concerne l’Europe, l’Afrique et tout le bassin méditerranéen et dont la complexité explique l’ampleur des efforts de l’ONU – la MINUSMA est l’une de ses principales missions –, mais aussi l’ambition des démarches telles que l’Alliance Sahel, la Coalition pour le Sahel ou le Partenariat pour la Sécurité et la Stabilité au Sahel.

 La situation reste précaire et difficile dans de nombreuses zones, sur fond de conflits sociaux et de tensions inter et intra-communautaires : les groupes terroristes prospèrent, par métastases, sur la trop grande faiblesse des États de la région et s’adaptent aux coups portés par nos forces et les armées sahéliennes, sans que le terreau propice aux retours des États et au développement économique ne soit encore totalement prêt. L’action de la France elle-même n’est pas épargnée : nos forces perdent des hommes et de sourdes luttes autour des perceptions cherchent à saper notre légitimité à intervenir au profit des populations sahéliennes, comme les infox relatives à Bounti nous le démontrent encore.

 C’est pourquoi il était important, pour notre commission et pour nos concitoyens, que vous meniez cette mission d’information en vous rendant sur le terrain et en discutant avec la plupart des parties prenantes concernées. Je tiens à saluer l’ampleur du travail que vous avez réalisé pour mettre en perspectives les enjeux de la crise au Sahel, ses répercussions sur les intérêts européens, ainsi que sur les voies et moyens qui permettront de réussir la sortie de crise.

 Avant de laisser la parole à Sereine Mauborgne et à Nathalie Serre, je tiens à rendre un hommage appuyé à nos soldats qui se battent depuis 2013 dans la bande sahélo-saharienne. Je tiens à les assurer, et je sais que je peux le faire en votre nom à tous, de la reconnaissance de la représentation nationale. Je renouvelle l’expression de notre gratitude vis-à-vis de ceux qui acceptent d’exposer leur vie pour le service de la Nation, la protection de nos concitoyens et le soutien de notre politique, juste et ambitieuse, au Sahel.

 Je salue la mémoire des 57 militaires qui ont laissé leur vie sur ce théâtre exigeant, et dont 51 sont « morts pour la France ». J’assure leurs familles de notre entier soutien et de notre considération.

 Mes chères collègues, je vous cède la parole.

 Mme Sereine Mauborgne, co-rapporteure. Madame la présidente, chers collègues, Nathalie Serre et moi sommes ravies de nous trouver devant vous ce matin, afin de vous présenter les conclusions de la mission d’information sur l’opération Barkhane. Nous aurions évidemment préféré que cette réunion puisse se tenir en présentiel, dans des conditions plus favorables à un débat dynamique, mais l’heure n’est malheureusement pas encore au retour à une vie « normale ».

 Je dois toutefois dire que les contraintes sanitaires n’ont pas trop perturbé la conduite de nos travaux. Certes, il a fallu nous adapter, comme l’ensemble des Français, en recourant largement à la visioconférence. Nous avons également pu tenir certaines auditions en présentiel, accueillis dans les locaux de nos interlocuteurs, ou à l’Assemblée, quand les échanges pouvaient conduire à évoquer des sujets relevant du secret de la défense nationale.

 Nous avons également eu le privilège de nous rendre au Sahel, à vos côtés Madame la présidente, et plus précisément à Niamey et Gao. Nous y avons été accompagnés durant tout notre séjour par le général Marc Conruyt, commandant de la force Barkhane, et avons pu échanger avec le colonel Malard, commandant la base aérienne projetée de Niamey, le colonel Frédéric Delacotte, commandant la Plateforme opérationnelle Désert de Gao, et de nombreux militaires alors déployés sur les deux sites. Nous avons aussi été à la rencontre des détachements alliés – les Britanniques, les Danois, les Estoniens – ainsi que des Forces armées maliennes déployés à Gao. Notre déplacement nous a également permis d’échanger, au Mali, avec le Gouverneur de Gao et des représentants de la MINUSMA ainsi qu’au Niger, avec des représentants de la Force conjointe, puisque nous nous sommes rendus au Poste de commandement conjoint de Niamey.

 Ce fut notre seul déplacement, la situation sanitaire ayant eu raison de nos projets de nous rendre à Canjuers, pour lequel j’ai un attachement particulier en tant que députée du Var, afin de mieux comprendre le déroulement de la mise en condition finale des personnels de l’armée de terre sur le point d’être déployés en bande sahélo-saharienne, mais aussi à Lyon, où se trouve le commandement des opérations aériennes en Afrique de l’Ouest, et à Cognac, où est stationné l’escadron de drones 1/33 Belfort.

 Mme Nathalie Serre, co-rapporteure. Nous avons également conduit une trentaine d’auditions. Celles-ci se répartissent en trois grands groupes. Le premier groupe réunit les représentants de l’exécutif, et en particulier du ministère des Armées. Nous avons ainsi entendu les responsables des opérations conventionnelles et spéciales, ceux des services de renseignement, ainsi que des activités diplomatiques, qu’il s’agisse de la direction générale des relations internationales et de la stratégie ou du Quai d’Orsay. Au sein du deuxième groupe, les représentants du monde de la recherche et des organisations non gouvernementales. Nous avons reçu de nombreux chercheurs, représentant, si vous me passez l’expression, différentes chapelles. L’une d’entre elle a suscité un certain nombre de commentaires désagréables, qui nous ont paru déplacés s’agissant de travaux parlementaires dont la liberté doit être totale. Le troisième groupe, enfin, est celui de nos alliés et partenaires. Il nous a d’abord semblé important de nous entretenir avec des représentants des pays concernés, c’est-à-dire des pays du G5 Sahel. Malheureusement, nous ne sommes pas parvenus à organiser de rencontres avec des représentants des autorités du Mali comme du Tchad. Cela reste un véritable regret.

 Nous avons aussi échangé avec nos alliés et partenaires non-africains, et en particulier avec des représentants des autorités allemandes, américaines, britanniques, danoises et estoniennes, ainsi qu’avec des représentants de la MINUSMA et de l’Union européenne.

 Bref, une trentaine d’auditions pour un large tour d’horizon qui nous a paru indispensable pour aborder une question aussi cruciale que celle de l’engagement de nos forces armées au Sahel.

 Cruciale car Barkhane constitue la plus importante des opérations extérieures actuellement conduite par la France. Cruciale car nos soldats meurent au Sahel. Vous l’avez dit, Madame la présidente, 57 y ont perdu la vie, dont 51 « pour la France », sous les coups de l’ennemi. Nos dernières pertes sont survenues le 28 décembre 2020 et le 2 janvier 2021, comme souvent à la suite de l’explosion d’engins explosifs improvisés : les IED comme les désigne l’acronyme anglais.

 Cruciale, enfin, car Barkhane fait l’objet de débats nourris et de nombreux questionnements. Les derniers ont conduit un certain nombre de commentateurs à appeler à la fin de cette opération, arguant d’un prétendu enlisement.

Mme Sereine Mauborgne, co-rapporteure. Dans ce contexte, il était essentiel pour notre commission de créer une mission d’information dédiée à Barkhane.

 D’une part, car aucune mission d’information n’a été consacrée à Barkhane depuis le lancement de l’opération, il y a bientôt sept ans.

 Il y a bien eu une mission sur Serval, dont les conclusions ont été rendues en juillet 2013, mais rien sur Barkhane.

 Notre commission a certes conduit de nombreuses auditions consacrées à cette opération, et je sais que de nombreux rapports l’ont abordée. Je pense par exemple au rapport de nos collègues Jean-Michel Jacques et Manuela Kéclard-Mondésir sur le continuum sécurité-développement, ou à l’avis budgétaire que notre collègue Jean-Jacques Ferrara avait consacré au transport aérien. Vos travaux ont aussi nourri notre réflexion, chers collègues.

 D’autre part, car s’il nous semble légitime que l’engagement des armées françaises puisse être débattu, surtout au Parlement, les questionnements doivent être éclairés. Et force est de constater qu’en France, et parfois sur les bancs de notre assemblée, on ne sait souvent pas très bien ce que nous « faisons » au Sahel.

 C’est aussi pourquoi, avec Nathalie Serre, nous avons rapidement considéré que notre rapport devait aussi poursuivre un but pédagogique, afin de permettre à chacun de comprendre le sens de notre engagement au Sahel, ses contours et ses perspectives.

 C’est donc tout à votre honneur, Madame la présidente, d’avoir souhaité créer cette mission d’information. Et nous mesurons notre privilège d’en avoir été désignées les co-rapporteures.

 Mais il est à présent temps d’en venir au cœur de notre sujet !

 Comme vous le savez, l’opération Barkhane a pris la suite de l’opération Serval, déclenchée le 11 janvier 2013 par François Hollande afin de répondre à l’appel à l’aide des autorités maliennes face à la « descente » de colonnes djihadistes vers Bamako.

 Car si l’on ne compte plus les rébellions Touarègues contre l’État central, pour la première fois, celle-ci s’accompagnait d’un véritable projet terroriste, à tendance islamiste. Certains d’entre vous se souviennent sans doute des reportages diffusés sur les grandes chaînes de télévision montrant comment le terrorisme était alors industrialisé, avec des camps d’entraînement ne laissant guère planer le doute quant à la volonté de ces groupes de projeter des attaques sur le sol européen.

Mme Nathalie Serre, co-rapporteure. Notre rapport rappelle en détail l’histoire de l’émergence progressive du terrorisme djihadiste au Sahel, et la manière dont Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), Ansar Dine et le Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest (MUJAO) ont instrumentalisé puis défait le mouvement Touareg tout au long de l’année 2012.

C’est bien à l’appel de l’État malien, qui menaçait de s’effondrer tel un château de cartes, que la France est intervenue rapidement, massivement, et a stoppé l’avancée terroriste. Les territoires conquis par les groupes terroristes ont été repris, afin de permettre aux autorités maliennes d’y reprendre pied. Serval a été un succès militaire et politique incontestable sur lequel je ne m’attarderai néanmoins pas plus avant.

Toujours est-il qu’en 2014, la France a pu transférer la mission de stabilisation aux autorités maliennes et à l’ONU, au travers de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour le Mali : la MINUSMA.

Nous aurions alors pu en rester là, plier bagage et rapatrier l’ensemble de nos soldats.

Pourquoi ne l’avons-nous pas fait ?

Tout simplement car la menace demeurait prégnante, et que les forces locales n’étaient pas en mesure d’assurer la sécurité sur leur territoire. En outre, dans le désert sahélien, la menace se joue des frontières, et les réseaux terroristes possèdent des ramifications dans l’ensemble de la zone, et en particulier au Mali, au Niger et au Burkina Faso.

C’est pourquoi, à la demande des autorités maliennes et des autres pays du G5 Sahel – Mauritanie, Mali, Niger, Burkina Faso, Tchad –, la France est restée engagée, adoptant une approche en trois axes : appuyer les forces armées des pays sahéliens dans leur montée en puissance, renforcer la coordination des moyens militaires internationaux, empêcher la reconstitution de zones refuges terroristes dans la région.

Et c’est ainsi que le 1er août 2014, l’opération Barkhane a pris la suite de l’opération Serval.

Mme Sereine Mauborgne, co-rapporteure. Nous ne reviendrons pas en détail sur le déroulement de notre opération entre 2014 et 2019, préférant nous concentrer sur la nouvelle dynamique enclenchée depuis le début de l’année 2020.

Durant ces cinq années, nos forces ont remporté de précieux succès tactiques. Nous y avons déployé environ 4 500 hommes en permanence, à partir de différentes emprises au Niger, au Tchad et au Mali, pour l’essentiel.

Nous avons également subi de nombreuses pertes, essentiellement du fait d’engin explosifs improvisés. Le 25 novembre 2019, nous perdions 13 soldats, à la suite de la collision accidentelle de deux de nos hélicoptères – un hélicoptère d’attaque Tigre et un hélicoptère de transport Cougar –, lors d’une opération de combat, par nuit noire, dans la vallée d’Eranga, au Mali.

Nous avons tous ce terrible accident en mémoire, et je sais combien il a particulièrement frappé la ville de Pau, chère à Josy Poueyto et la rapporteure du budget de l’armée de terre que je suis.

Cet accident a provoqué un sursaut. Car il faut le reconnaître, nous vivions alors des temps difficiles.

Mais comment pouvait-il en être autrement, alors que nous ne déployions que 4 500 hommes pour couvrir une zone grande comme l’Europe occidentale, et que nous étions alors bien seuls ?

Auditionné par notre commission, le chef d’état-major des armées reconnaissait lui-même, à l’automne 2019, que la situation se détériorait, et que nous peinions à contenir l’évolution de la menace. Celle-ci contenait en germes des similitudes avec ce qui a conduit au déclenchement de l’opération Serval.

Mme Nathalie Serre, co-rapporteure. Quelle est telle, précisément, cette menace ?

Au Sahel, nous combattons deux grandes organisations terroristes. Premièrement, le Rassemblement pour la victoire de l’Islam et des musulmans (RVIM), également connu sous le nom de Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans (GSIM) ou encore JNIM, en arabe. Avec à sa tête Iyad Ag Ghali, un touarègue, ce groupe est affilié à Al-Qaïda, et réunit en son sein divers groupes tels que la katiba Macina, qui œuvre dans le centre du Mali sous la direction d’Amadou Koufa, ou encore AQMI au Sahel et Ansar Dine, d’ailleurs fondée par Iyad Ag Ghali. Le RVIM est particulièrement actif dans le Nord et dans le Centre du Mali.

Deuxièmement, l’État islamique au grand Sahara (EIGS), affilié à Daech, qui est particulièrement actif dans la région des trois frontières, c’est-à-dire à l’intersection dans le Mali, le Niger et le Burkina Faso, dans la zone du Liptako. Son chef, Adnane Abou Walid al-Sahraoui, ancien porte-parole du MUJAO, décrit publiquement par M. Bernard Émié, le directeur général de la sécurité extérieure, comme un personnage « sanguinaire », à la tête d’un groupe d’une particulière « sauvagerie ». C’est l’EIGS qui a commandité et revendiqué l’attaque contre les humanitaires de l’ONG Acted, qui a coûté la vie à six Français et deux Nigériens dans le parc de Kouré, en août 2020.

Ces deux groupes se distinguent par leur composition, leur « projet » comme leurs méthodes. Après des années de collaboration, ils s’affrontent également depuis l’été 2020. Ces combats ont essentiellement lieu dans la région du Gourma, en raison des velléités d’expansion de l’EIGS en direction des zones d’influence du RVIM, et en particulier de la katiba du Macina, ainsi que de concurrences pour la perception de la zakat, de gestion des ressources naturelles, de contrôle et allégeance des combattants.

2019 avait été une année difficile, pour les forces françaises, les forces locales, les Casques bleus, mais surtout les populations civiles.

Mme Sereine Mauborgne, co-rapporteure. Il y avait alors urgence à réagir pour éviter toute velléité de reconstitution d’un califat territorial, qui aurait également représenté une menace de premier plan pour la France et l’Europe. C’est dans ce contexte qu’a été organisé le Sommet de Pau, le 13 janvier 2020, afin de redéfinir les objectifs et les modalités de l’engagement sahélien, français et international au Sahel. Ce Sommet avait en fait plusieurs objectifs : réaffirmer la demande des États sahéliens d’être soutenus et accompagnés par la France ; trouver les moyens d’intensifier la lutte contre les groupes armés terroristes, au travers d’une double logique : sahélisation des opérations, et internationalisation des engagements Pour la France, cela s’est traduit par un renforcement des moyens humains (le déploiement de 600 militaires supplémentaires) et techniques (l’armement des drones français, effectif depuis fin 2019).

Aujourd’hui, 5 100 militaires français sont donc déployés au Sahel. Je ne reviendrai pas sur notre dispositif ni nos moyens, dont vous avez pu trouver une description détaillée dans le projet de rapport qui vous a été adressé hier.

En outre, le Sommet de Pau a mis l’accent sur le renforcement de la force conjointe du G5 Sahel, dont la création avait été annoncée en juillet 2017, soit trois ans après la création du G5 Sahel. Constituée de 5 000 hommes issus des pays du G5 Sahel, cette force se concentre sur la sécurisation des zones frontalières, et lutte contre les groupes terroristes et le crime organisé.

Enfin, le Sommet de Pau a été l’occasion de renforcer l’action de nos partenaires internationaux. Renforcer, car si j’ai dit tout à l’heure que la France pouvait se sentir seule dans la lutte contre les GAT, les choses sont évidemment plus complexes. Sur le théâtre, nous recevions déjà un soutien important des américains – dans les domaines du renseignement, du ravitaillement, du transport –, mais aussi des allemands, des canadiens et des espagnols – transport stratégique, c’est-à-dire les relèves –, des britanniques et des danois – transport tactique, sur les théâtres, par hélicoptères de transport lourd –, des estoniens, pour la protection des sites.

La contribution des forces occidentales a toutefois franchi un palier supplémentaire avec le lancement de la force Takuba, qui réunit des forces spéciales européennes dont la mission est de former et d’accompagner sur le terrain des unités maliennes.

En outre, je n’oublie par l’apport de la mission militaire européenne de formation EUTM Mali, qui forme les forces armées maliennes, et la mission onusienne MINUSMA, qui contribue à la stabilisation du pays. Nous reviendrons plus tard sur ces deux missions et leurs marges de « progrès ».

Mme Nathalie Serre, co-rapporteure. En définitive, l’année 2020 a été celle du renouveau sur le plan militaire.

Érigé en ennemi principal, l’EIGS a été fortement touché par notre action et celle de nos partenaires, et a vu sa zone d’influence sérieusement réduite.

Quant à la nébuleuse Al-Qaïda, les forces françaises ont neutralisé de hauts responsables terroristes, parmi lesquels Abdelmalek Droukdel, émir d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) ou Bah ag Moussa, chef militaire du RVIM.

En outre, depuis Pau, nous avons continué à entraîner nos alliés à nos côtés et intensifié nos opérations avec la force conjointe, comme l’ont montré les opérations Bourrasque, Éclipse et Équinoxe, qui se poursuivra au cours des prochains mois.

Barkhane et ses partenaires ont donc remporté de précieux succès tactiques.

S’il faut le saluer, Barkhane fait toutefois face à de nombreux défis. Citons en trois. Premièrement, la menace demeure vive en raison de la capacité d’adaptation des groupes terroristes à nos modes d’action et dispose, il faut le reconnaître, d’une importante capacité de régénération. Deuxièmement, Barkhane fait face au défi de « durer », d’une part en raison des accusations d’enlisement dont l’opération fait l’objet, mais surtout, d’autre part, car notre engagement met en lumière certaines fragilités capacitaires, et pèse sur la capacité de régénération organiques des armées. Il s’agit d’un défi particulièrement criant à l’heure où il nous faut aussi nous préparer à d’autres conflits, plus intenses. Troisièmement, la bataille du récit est loin d’être gagnée, notamment du fait d’une guerre informationnelle toujours plus intense, comme nous avons récemment pu l’expérimenter. Au-delà, Barkhane demeure méconnue, et mal comprise, au Sahel comme en France.

Il nous semble surtout que c’est le positionnement de Barkhane dans le dispositif global mis du Sahel qui est méconnu. Car l’action militaire n’est qu’un élément de réponse à sa déstabilisation. Elle en constitue le socle mais est évidemment insuffisante à elle seule.

Mme Sereine Mauborgne, co-rapporteure. La déstabilisation du Sahel n’est pas le seul fait de l’irruption, au début de la décennie, de groupes armés terroristes. Car la crise malienne, devenue crise sahélienne, est multifactorielle. Elle est liée à l’activité des groupes terroristes, c’est un fait. Mais d’autres facteurs doivent être pris en compte. Premièrement, le manque d’unité du Mali, avec une volonté farouche des populations du Nord de gagner en indépendance ou, du moins, en autonomie. L’offensive djihadiste de 2012-2013 s’appuie d’ailleurs largement sur ces revendications, et Iyad Ag Ghali lui-même a d’abord combattu en faveur de l’autonomie de l’Azawad. Dans ce contexte, certains groupes rebelles ont signé avec l’État malien, en juin 2015, des accords pour la paix et la réconciliation, plus connus par leur acronyme – APR – ou « Accords d’Alger ».

Ces groupes – la coalition des mouvements de l’Azawad (CMA) et la « plateforme » – sont d’ailleurs parfois proches des groupes terroristes : nous savons par exemple qu’il y a ainsi une certaine porosité entre des membres de la CMA et le groupe terroriste Ansar Dine.

Mme Nathalie Serre, co-rapporteure. Deuxième facteur : les rivalités entre communautés, sous le fait notamment de la crise du pastoralisme et du changement climatique qui assèche les terres et réduit les points d’eau. Les conflits climatiques sont déjà une réalité au Sahel, comme en témoignent par exemple les affrontements entre Peuls et Dogons. Au Burkina Faso comme au Mali, des groupes d’autodéfense ou des milices communautaires ont vu le jour, se prêtant parfois à des massacres ethniques. L’exemple le plus emblématique est le massacre de près de 160 Peuls à Ogossagou, il y a deux ans, pour lequel a été mise en cause la milice Dogon Dan Na Ambassagou.

A contrario, nombre de Peuls sont venus gonfler les rangs du RVIM et de l’EIGS afin d’obtenir les moyens de lutter contre leur marginalisation sociale et économique : dans le centre du Mali, Amadou Koufa, chef de la katiba du Macina, est un peul qui attise les rivalités communautaires.

Mme Sereine Mauborgne, co-rapporteure. Troisième facteur de crise : la défaillance générale des États, sous le fait de la corruption, d’exactions, de l’incapacité à assurer la présence de l’État dans certaines parties des territoires et de l’incapacité à assurer le développement équitable et l’accès aux services de bases.

C’est d’ailleurs là aussi notre échec collectif, après des décennies d’aide au développement provenant de la communauté internationale.

Les groupes terroristes se nourrissent de ces fragilités, et n’hésitent pas à exploiter les frustrations, les tensions communautaires, la pauvreté, la fragmentation des sociétés sahéliennes.

C’est pourquoi, pour toutes ces raisons, jamais il n’a été imaginé que la réponse militaire puisse seule permettre de stabiliser le pays.

Celle-ci constitue en revanche le socle d’une approche dite globale, matérialisée par la Coalition internationale pour le Sahel créée dans la foulée du Sommet de Pau, afin de coordonner l’action des différents partenaires sahéliens et internationaux et des initiatives lancées depuis 2013.

Je ne reviendrai pas en détail sur ces différentes initiatives. Mais retenez simplement que la Coalition internationale pour le Sahel est structurée en quatre piliers.

Premier pilier : la « Lutte contre le terrorisme », piloté conjointement par les pays du G5 Sahel et la France.

Deuxième pilier : le « Renforcement des capacités militaires », piloté par l’Union européenne (EUTM Mali, P3S) en lien avec le G5 Sahel.

Troisième pilier : l’« Appui au retour de l’État », piloté par l’Union européenne (Partenariat pour la sécurité et la stabilité au Sahel, missions européennes EUCAP Mali et EUCAP Niger) en lien avec le G5 Sahel.

Quatrième pilier : l’« Aide au développement », piloté conjointement par le G5 Sahel et l’Alliance Sahel.

Les initiatives sont nombreuses, l’argent est là – 17 milliards pour l’Alliance Sahel ! – l’engagement de la communauté internationale est incontestable et pourtant, nous peinons à concrétiser ces efforts.

Or, ce n’est qu’en relevant le défi de la montée en puissance des forces locales, du retour des États et du développement que nous parviendrons à transformer les succès tactiques en victoire stratégique. Et dans cette perspective qu’à l’occasion du Sommet de N’Djamena, qui s’est tenu les 15 et 16 février, la nécessité d’un « sursaut civil » a été soulignée.

Mme Nathalie Serre, co-rapporteure. La troisième et dernière partie de notre rapport a justement pour objet de définir les conditions de cette « victoire stratégique ». Nous n’avons pas fait preuve d’originalité en l’organisant autour de deux axes : l’approfondissement du sursaut militaire décidé à Pau et la mise en œuvre du sursaut civil décidé à N’Djamena.

Nous n’évoquerons que brièvement les principaux éléments développés dans notre rapport, puisque vous avez pu en prendre connaissance.

S’agissant de l’approfondissement du sursaut militaire, trois axes d’effort nous paraissent devoir être développés. Premier axe, le renforcement de la sahélisation des opérations, encore trop faible pour que Barkhane puisse passer le relais. Cela passe par un renforcement des efforts en faveur de la montée en puissance des forces locales, et en particulier maliennes. Jouant un rôle essentiel, la mission européenne de formation EUTM dispose toutefois de marges progrès. Il est ainsi annoncé que 16 000 militaires maliens ont été formés depuis 2013, mais en l’absence d’un système d’information de gestion des ressources humaines performant, impossible de savoir avec précisions ce qu’ils sont devenus ! Paradoxalement, la crise sanitaire a toutefois mis en lumière l’apport d’EUTM, dans la mesure où la suspension de son activité, durant près de sept mois, s’est immédiatement ressentie sur le niveau d’entraînement des forces armées maliennes (FAMa).

Alors que le cinquième mandat d’EUTM conduira à élargir son action en direction du Niger et du Burkina, il conviendra de se montrer vigilant pour qu’élargissement ne se transforme en dispersion ! et ce d’autant qu’EUTM a ses propres fragilités, liées notamment à son effet « tour de Babel » et au turnover des personnels.

Mme Sereine Mauborgne, co-rapporteure. La montée en puissance des forces locales passe aussi par des réformes structurelles, permettant de mettre en place un cycle opérationnel vertueux et de mieux considérer les militaires, en commençant par « bancariser » les soldes. Pour l’heure, au Mali, la bancarisation ne concerne que les officiers…

Au-delà, il s’agit de poursuivre l’accompagnement de la force conjointe et d’accroître ses capacités. À terme, il pourrait être envisagé de la placer sous « Chapitre VII » de l’ONU, afin notamment d’espérer pérenniser ses financements.

J’en viens immédiatement au deuxième axe : l’approfondissement de l’internationalisation.

Je me concentrerai sur trois points :

- la clarification du mandat de la MINUSMA, qui semble au milieu du gué et hésiter à basculer dans une logique d’imposition de la paix dans le Centre du Mali, comme son mandat l’y invite pourtant depuis 2019. Nous pourrons y revenir dans les questions ;

- la levée des doutes quant à la pérennité de l’engagement américain, si essentiel au Sahel.

- l’ancrage de la durée de la force Takuba, ce qui suppose que l’ensemble de nos partenaires tiennent leurs engagements.

Le troisième axe d’effort que nous avons identifié est particulièrement sensible. Il s’agit d’ériger en principes cardinaux la lutte contre les exactions et la protection des populations civiles.

Vous avez tous lu dans la presse qu’il y a deux semaines, des militaires tchadiens déployés au sein du 8e bataillon de la force conjointe avaient violé trois femmes, au moins, âgées de 32, 23 et 11 ans dans le village de Tera, au Niger. Il ne s’agit malheureusement que d’un exemple parmi d’autres des exactions commises par les forces de défense et de sécurité locales dont sont victimes les populations civiles. Au printemps 2020, l’ONU relevait ainsi que les forces de défense et de sécurité maliennes avaient procédé à près d’une centaine d’exécutions sommaires et arbitraires en trois mois.

En la matière, il est aussi de la responsabilité des armées occidentales, qui forment les armées locales, d’intensifier la formation aux droits de l’homme et au droit international humanitaire, comme d’accompagner les réformes des armées locales. À ce titre, il faut d’ailleurs se féliciter que la force conjointe se soit doté d’un dispositif ad hoc, le Mécanisme d’identification, de suivi et d’analyse des dommages causés aux civils, ou MISAD, dont vous pouvez trouver la présentation dans le rapport.

En outre, la lutte contre les exactions passe aussi par la lutte contre l’impunité. D’autant que si les pays sahéliens n’instituent pas une chaîne pénale robuste et équitable et que les crimes des milices communautaires ou les exactions des forces de défense et de sécurité demeurent impunis, les populations locales seront « jetées dans les bras des GAT ».

Mme Nathalie Serre, co-rapporteure. Mais parce que la voie politique constitue la seule issue de long terme à la crise du Sahel. Parce que la menace terroriste ne s’épuisera qu’une fois épuisé le terreau sur lequel elle prospère. Il faut surtout mettre en œuvre le « sursaut civil ».

Pour ce faire, il est d’abord indispensable que le Mali retrouve la paix.

À N’Djamena, l’accent a été porté sur la mise en œuvre de l’APR. Si l’on ne peut que souhaiter un apaisement de la question du Nord du Mali, l’APR semble aujourd’hui poser davantage de questions qu’il n’en résout. D’abord, car l’APR lui-même est au point mort, qu’il fait l’objet de nombreuses critiques de la part de la population elle-même et que les groupes armés signataires ont fortement changé depuis 2015.

Par ailleurs, alors que le Mali apparaît toujours plus fragmenté, la question qu’il faut se poser est celle de l’opportunité d’un nouveau processus de dialogue national, à même de déboucher sur un accord de sécurité plus global dont l’APR ne serait que l’un des piliers. En somme faut-il un nouvel accord ?

Et ce faisant, surgit une question particulièrement sensible pour nous, Français : faut-il négocier avec les terroristes ?

La position officielle de la France est claire : c’est non.

Mais de notre point de vue, aussi ferme soit elle, cette position appelle plusieurs commentaires, car pour la plupart de nos interlocuteurs, l’ouverture de négociations avec certains groupes terroristes paraît à terme inévitable, car telle est la volonté des autorités et des populations sahéliennes.

D’après nous, il faut donc anticiper les choses et :

- nous assurer que nos partenaires sahéliens n’ouvrent pas des canaux de discussions à notre insu ;

- déterminer les « lignes rouges » à ne pas franchir dans le cadre d’éventuelles discussions, comme l’intégrité du territoire malien, la liberté religieuse, l’exercice uniforme des services régaliens ;

- identifier les conditions que poseraient les groupes terroristes pour l’ouverture de telles négociations ;

- retarder l’ouverture de telles discussions, le temps de se trouver dans la position la plus favorable possible, c’est-à-dire idéalement parvenir à neutraliser les chefs des groupes terroristes.

Si nous sommes évidemment défavorables à l’ouverture de telles négociations, il s’agit d’un scénario hautement probable auquel il faut donc se préparer, y compris moralement. Car au Sahel, des négociations ont déjà été engagées au niveau local, parfois avec l’assentiment du gouvernement.

Pour que le Mali retrouve la paix, il faut aussi que le retour à une vie démocratique « normale » ne souffre aucun retard, près de huit mois après le coup d’État du 18 août. Il convient en effet de nous montrer vigilants quant au respect des engagements pris par les équipes de la Transition, et notamment s’agissant du calendrier électoral. Et ce d’autant que d’importants retard ont d’ores et déjà été constatés.

Or, la mise entre parenthèses prolongée de la vie démocratique peut être exploitée par ceux qui veulent déstabiliser le pays, qu’il s’agisse des groupes terroristes ou de certains religieux qui, tel l’imam Dicko, pourraient tenter de proposer une troisième voie, hasardeuse pour le Mali et les Maliens.

Mme Sereine Mauborgne, co-rapporteure. Mais le sursaut civil, c’est aussi un affermissement des piliers 3 et 4 de la Coalition, c’est-à-dire le retour de l’État et le développement. Je ne détaillerai pas les choses faute de temps, mais tiens à insister sur un point qui nous semble primordial : méfions-nous du « retour de l’État » !

Car dans nombre de territoires, pour une partie de la population, l’État n’a jamais été présent, et quand il l’était, il agissait non comme un État protecteur, mais comme un État prédateur : c’est le gendarme qui rackette ou le juge corrompu. L’État peut également paraître lointain, géographiquement, d’abord, lorsque les services sont concentrés dans le chef-lieu, mais également culturellement, quand le juge rend la justice dans une langue inconnue, ou mal maîtrisée, et lentement, alors qu’un litige d’accès aux ressources a des conséquences immédiates. Dans ce contexte, il peut arriver que certaines communautés estiment que l’alternative proposée par les groupes terroristes n’est pas pire, d’autant que certains, en particulier le RVIM, appliquent des règles claires et offrent un modèle de gouvernance concurrent.

Pour couper l’herbe sous le pied des terroristes, il est donc indispensable de concentrer le redéploiement des services de l’État sur les services de base : éducation, santé, justice. Surtout dans les zones rurales.

Par ailleurs, le redéploiement des services étatiques sur les territoires doit s’accompagner d’une profonde réforme des États eux-mêmes, en vue notamment de mettre un terme à la corruption endémique qui les minent à tous les étages. Le haut niveau de corruption de certaines élites est de plus en plus décrié localement, tandis que de nombreuses voix s’interrogent sur la détermination de la communauté internationale à y mettre un terme.

Ce n’est qu’à ce prix que nous parviendrons, collectivement, à permettre les conditions d’une stabilisation du Sahel.

Mais si Barkhane ne peut constituer la seule réponse à la crise sahélienne – nul ne l’a jamais pensé du reste, Barkhane reste indispensable.

La stabilisation du Sahel prendra de nombreuses années, et, comme le dit régulièrement le chef d’état-major des armées, il nous faut apprendre la « patience stratégique ».              Le format du dispositif français au Sahel n’est toutefois pas figé, et Barkhane évoluera à mesure de l’affermissement de la montée en puissance des forces locales et de l’amplification de l’engagement de nos partenaires, sahéliens et occidentaux.

Opération extérieure, Barkhane pourrait changer de nom, et évoluer vers un dispositif de coopération structurelle régionale, sans que la responsabilisation croissante des forces locales n’induise le retrait complet des troupes françaises. Des décisions seront sans doute prises à l’été, et je ne doute pas que nous aurons alors l’occasion de débattre à nouveau de Barkhane. Il le faut, car en débattant de Barkhane, on apprend à mieux connaître cette opération, à mieux en comprendre le sens, à la rendre plus visible. Et nos soldats le méritent.

Je vous remercie. Et avant de conclure, je souhaite aussi vous remercier, Madame la présidente, pour la grande disponibilité dont vous avez fait preuve, ainsi que l’ensemble des membres de la mission et les personnes auditionnées. Je dirai enfin que les qualités qui ont présidé à nos travaux ont été la bienveillance, l’écoute et la tolérance.

Mme Nathalie Serre, co-rapporteure. Je souhaiterais également vous remercier et vous dire combien j’ai été honorée de conduire cette mission aux côtés de Sereine Mauborgne.

Mme la présidente Françoise Dumas. Je vous remercie pour votre intervention et la qualité du rapport que vous avez présenté. Nous avons la chance, dans notre commission, quand l’intérieur supérieur nous le demande, de pouvoir travailler sur des sujets aussi fondamentaux que celui-ci. Et par respect pour nos militaires, nous devons faire preuve de sens républicain et participer à l’unité nationale. Vous l’avez brillamment démontré.

Votre rapport fera sans nul doute date, et j’ai été ravie de me trouver à vos côtés, notamment à l’occasion du déplacement que nous avons pu effectuer sur le terrain.

Mme Muriel Roques-Etienne. Avant toute chose, je souhaiterais remercier devant nous tous les deux rapporteures de cette mission d’information, dont les travaux ont été particulièrement intéressants à suivre, pour le travail fourni dans l’établissement de ce rapport et la présentation qui vient de nous en être faite. Très rapidement, j’aurai plusieurs questions à vous soumettre suite à la lecture de votre rapport. Dans la partie « Mettre en œuvre le sursaut civil » du rapport, vous rappelez que le sommet de N’Djamena devait lancer un tel sursaut, devant conduire les États sahéliens à engager les réformes et actions nécessaires pour assurer le retour de l’État et des services publics sur l’ensemble de leurs territoires respectifs, au profit des populations, ainsi que pour créer les conditions d’un développement économique et social robuste et équitable. Une des conditions de ce sursaut est que les populations aient accès à des interlocuteurs étatiques et que ceux-ci se substituent aux groupes terroristes pour l’assurance de missions régaliennes telles que la sécurité du quotidien et les négociations entre parties d’un conflit. Alors, que penser des négociations visant à obtenir une désescalade des violences et prises en étau qui sont menées dans certains villages directement par les habitants ou des représentants ethniques avec les groupes violents qui contrôlent les territoires, que ce soient des groupes terroristes ou des milices d’autodéfense ? Vous l’aurez compris, je fais là référence au reportage de RFI sorti le 12 avril, « Dans les coulisses de l’accord de Niono au Mali ». Ces négociations qui sortent de tout cadre officiel étatique ne risquent-elles pas de doucement convertir les populations locales aux arguments de ceux même qui leur empêchent d’avoir accès même physiquement à l’État, en entretenant un dialogue direct avec les populations et en leur accordant la levée de certaines contraintes ?

Sur le volet militaire, votre rapport montre que la coopération internationale fonctionne à plein régime, notamment au moyen de la task force Takuba que vous qualifiez de « succès pour la diplomatie française » mais que l’on peut presque qualifier de manifestation de la possibilité d’une défense européenne.

Avec une nouvelle présidence américaine mais aussi une doctrine internationale à certains égards moins en rupture qu’escompté, faut-il craindre à court ou moyen terme un retrait américain qui serait malgré tout difficile pour les Européens et Sahéliens à compenser, notamment en termes de renseignement ? Aussi, à votre connaissance, certains de nos alliés européens au sein de Barkhane pourraient-ils se laisser entraîner dans la voie d’un retrait que pourrait ouvrir les États-Unis ? A contrario, disposez-vous d’éléments d’actualité concrets relatifs aux intérêts à s’engager de nouvelles nations européennes, telles que l’Ukraine, la Grèce, la Slovaquie ou la Hongrie que vous citez dans le rapport ?

M. Jean-Louis Thiériot. Je tiens à remercier les co-rapporteurs pour la qualité remarquable de leur travail mené dans un esprit républicain et d’unité nationale. Au sein de notre commission, nous avons aussi pour mission de montrer aux soldats engagés sur le terrain de montrer que la Représentation nationale et le pays tout entier sont derrière eux. Et de faire prendre conscience que la sécurité à Paris se gagne aussi à Gao et dans les boucles du Niger. Merci pour ce rapport d’information qui donne du sens à l’engagement de la France et le replace en perspective, à la fois dans l’histoire et pour son avenir. C’est précieux quand nos soldats versent leur sang au Sahel. La question que je souhaite poser aux co-rapporteures porte sur la guerre informationnelle. Comme vous l’avez brièvement évoqué, la France est sur place l’objet d’attaques de désinformation venant de groupes locaux ou de puissances étrangères. Je souhaitais donc connaître votre analyse de cette guerre informationnelle. Que pensez-vous notamment des répliques françaises ? Sont-elles suffisantes ? Doivent-elles être renforcées ? Car ces attaques ont lieu aujourd’hui au Sahel, mais elles pourraient se produire sur tous les théâtres d’opérations. C’est une réalité à laquelle donc il faut se préparer.

Mme Josy Poueyto. Je voudrais tout d’abord vous remercier pour avoir souligné à plusieurs reprises à quel point Barkhane et Pau étaient intimement liées à travers la présence des forces spéciales et du 5e régiment d’hélicoptères de combat qui a payé un lourd tribut. Je leur adresse mon respect profond, ma reconnaissance et mon affection.

La lecture du rapport nous rappelle à nos fondamentaux : Barkhane joue un rôle majeur au Sahel mais gagner la guerre sur le plan militaire ne sera jamais suffisant. Il faut aussi – et surtout – gagner les populations. Par conséquent, la solution sera politique avec le relais des programmes d’aides au développement. Cette approche globale militaire, économique, sociale et environnementale, nous la soutenons, tous, depuis le début. Toute la difficulté consiste à traduire, concrètement et rapidement, cette volonté auprès des civils. Le rapport montre bien comment l’action internationale peut gagner en efficacité dans ce domaine. Il me semble primordial en effet, aujourd’hui, de rompre avec un certain nombre d’habitudes, de valoriser notamment les projets de nature à avoir un impact direct sur les populations et ne plus se focaliser sur des dossiers d’infrastructures ou sur des opérations qui se déploient en priorité sur les zones les plus habitées, parfois au détriment des plus démunies.

Déjà en janvier 2020, le groupe des démocrates et démocrates apparentés que je représentais, souhaitait, à l’occasion d’une question au gouvernement, que nous marquions très vite un tournant dans les actions engagées au Sahel. Nous étions alors en attente de la loi de programmation relatif au développement et à la lutte contre les inégalités mondiales. Le texte est désormais en discussion devant le parlement.

L’aide publique française devrait ainsi passer de 0,37 % du revenu national brut à 0,55 % en 2022 et à 0,7 % en 2025. En même temps, les lignes bougent. L’aide au développement veut privilégier les partenariats, mais aussi par exemple s’adresser au secteur privé, aux diasporas et se donner les moyens d’un contrôle plus qualitatif. Mais surtout se concentrer sur les pays les plus vulnérables.

Avez-vous une opinion, ou des éléments, sur l’effet de levier que pourrait avoir, dans ce nouveau contexte législatif, l’aide publique française au Sahel ?

Mme Isabelle Santiago. En préambule, je vous remercie sincèrement pour le rapport que vous avez rédigé et les éclairages que vous avez fournis. Je souhaiterais saluer le travail des co-rapporteures de la mission d’information et mentionner l’accord de mon groupe sur les grandes conclusions qui sont tirées quant à l’opportunité de la poursuite de l’opération Barkhane ainsi que son utilité pour la stabilité régionale et plus largement pour la sécurité de l’Union européenne.

Permettez-moi également de souligner l’engagement remarquable des militaires français de l’opération Barkhane, ainsi que des troupes de nos partenaires maliens et nigériens notamment, qui ont permis d’assurer de nombreux succès sur le terrain en 2020.

Les chefs de nos forces armées, que notre commission a l’habitude d’auditionner, soulignent régulièrement que le dispositif et le format de Barkhane n’ont jamais été monolithiques. Ils sont en constante adaptation et par nature évolutifs, il ne s’agit donc pas de savoir s’il faut faire évoluer l’opération Barkhane mais bien comment, selon quels objectifs, selon quelles modalités et à quel horizon. De ce point de vue, il convient de tracer un certain nombre de perspectives. L’objectif est indéniablement de renforcer à la fois la sahélisation et l’internationalisation du dispositif, autrement dit l’implication des armées de nos partenaires locaux principalement maliens et nigériens et la participation sur le terrain des armées de nos partenaires européens, voire internationaux.

La perspective est claire. D’une mission menée sous la forme d’une opération extérieure faisant intervenir massivement des militaires de la troupe, on passerait à un dispositif plus léger faisant intervenir principalement les forces spéciales ouvertes à la participation de nos partenaires européens qui viendraient en appui des forces armées locales maliennes et nigériennes qui, elles, deviendraient majoritaires sur le terrain.

L’opération Barkhane semble ainsi être amenée à être relayée progressivement par la montée en puissance de la task force Takuba qui devrait regrouper à terme selon les mots du Président de la République « 2 000 hommes, avec un pilier français autour de 500 hommes ». Cette dernière viendrait donc « en appui », « aux côtés des militaires sahéliens », « ce qui est une logique différente de celle des opérations extérieures ». Cette adaptation n’est évidemment pas pour tout de suite mais elle doit être envisagée selon les progrès effectués sur le terrain dans différents domaines à un horizon de 18 mois, avec les conditions et précautions nécessaires.

Enfin, en conclusion, je tiens à souligner que les succès du volet militaire de l’opération Barkhane, aussi important qu’ils soient, ne pourront être pérennisés dans le temps et sur la durée que si le volet politique prend le relais. De ce point de vue, le respect des accords d’Alger de 2015, comme les discussions internes aux différents acteurs maliens en vue de restaurer l’autorité de l’État sur ses frontières ainsi que sur les services de base assurés auprès de l’ensemble de la population, restent cruciales. Quels que soient les succès militaires, il nous faudra gagner la bataille politique.

Ces éléments, Mesdames les rapporteures, pour rappeler que l’avenir de l’opération Barkhane ne peut pas être improvisé – vous l’avez largement démontré dans votre rapport – et ses forces de transformation doivent déjà faire l’objet de débats. Je souhaitais donc savoir quelles pistes les informations recueillies dans votre rapport ont fait ressortir à ce sujet.

M. Thomas Gassilloud. Je remercie nos collègues pour ce rapport et veux saluer tous ceux qui se mobilisent pour le Sahel, nos militaires mais aussi leurs frères d’armes européens et sahéliens. Ce rapport est une excellente synthèse qui met en lumière la complexité de la situation sahélienne et contribue à améliorer notre connaissance du sujet. Au-delà des rapports visant à évaluer l’action publique, il semble important au groupe « Agir ensemble » que le Parlement soit force de proposition quant à l’évolution des opérations extérieures. La capacité du président de la République à agir seul et à engager la France et la force est un élément clé de notre crédibilité stratégique, mais ce mode de gouvernance, qui permet une grande réactivité, impose également une réflexion parlementaire dense, non seulement pour suivre les opérations extérieures mais également pour animer une réflexion stratégique prospective et être force de propositions. Il s’agit là du cœur de notre mission politique : au-delà d’évaluer, proposer dans l’intérêt de notre pays.

C’est pourquoi le groupe « Agir ensemble », parmi d’autres, s’est beaucoup mobilisé sur la question sahélienne. Ainsi, nous avons inscrit ce sujet à l’ordre du jour de la séance publique, le 4 mars dernier, ce qui a permis à chaque groupe politique de notre Assemblée de s’exprimer et d’interroger simultanément le ministre des Affaires étrangères et la ministre des Armées. La proposition du groupe « Agir ensemble » est de dépasser l’alternative entre partir et rester pour une troisième voie nommée « rester autrement »., que je ne détaillerai pas ici. L’été 2021 nous semble le bon moment pour choisir cette voie. Le rapport reprend l’historique de notre intervention, analyse la situation, dans ses principales dimensions, et rappelle les objectifs de notre pays, autour de la sahélisation et de l’internationalisation et de la mise en œuvre du sursaut civil.

À mon sens, le rapport aujourd’hui présenté aurait pu avoir un aspect prospectif, c’est-à-dire proposer des voies d’évolution de notre dispositif militaire. Le rapport, dans sa conclusion et sa troisième partie, s’y essaye et reprend la politique énoncée par le discours du Président de la République au Sommet de N’Djamena, visant à faire muter l’opération extérieure vers un projet de coopération structurelle régionale. Quelles évolutions envisagent les co-rapporteures pour notre mission au Sahel et notamment sur le format du dispositif ?

M. Bastien Lachaud. Madame la Présidente, mes chers collègues, je ne veux pas évoquer Barkhane sans rendre hommage à toutes les victimes du conflit au Sahel, aux civils et à nos militaires morts ou blessés dans l’exercice de leur mission. Leur souvenir nous oblige à la gravité, à la pondération mais aussi à la clarté.

Le rapport qui nous est présenté est le fruit d’un long travail que je remercie les rapporteures d’avoir accompli. Bien sûr, il mérite d’être publié, malgré les nombreux points de désaccord que j’y trouve. Je regrette, par exemple, qu’il n’aille pas plus loin et que les auteurs n’aient par exemple pas choisi de profiter de ce travail pour chercher à se procurer des éléments matériels concernant le bombardement de Bounti. Il est vrai que le contrôle de l’action de l’exécutif nous incombe à tous et je crois que nous ne devrions pas y renoncer.

Plus généralement, le point de vue des auteurs et celui de mon groupe divergent profondément. La contribution que je déposerai entrera davantage dans le détail. Pour l’heure, disons surtout que je ne partage pas l’enthousiasme des rapporteurs qui voit dans Barkhane une opération au bilan, je cite, « incontestablement positif ». Dans la mesure où le nombre des combattants, leur zone d’actions et d’influence, le nombre des morts, des blessés et des déplacés se sont considérablement accrus, dans la mesure où le Mali a connu un coup d’État l’été dernier et la démocratie ne s’est affermie nulle part, je suis forcé de m’interroger sur ce que les auteurs pourraient appeler un « bilan mitigé ».

Je dois surtout attirer l’attention sur l’avenir de l’opération : alors que l’idée et les conditions du retrait de nos troupes devraient être selon moi le cœur du texte, il lui substitue l’idée de pérenniser Barkhane encore, je cite, de « nombreuses années ». Je mets en garde : les populations se résigneront peut-être mais ne l’accepteront pas.

Cette idée d’installer l’opération pour de nombreuses années découle bien sûr du fait qu’on ne se soit pas affranchi de la notion de « guerre au terrorisme » qui est une impasse et un bon prétexte à tous les régimes autoritaires pour négocier le parrainage d’une puissance étrangère. Pour ma part, je refuse que Barkhane devienne une version remaniée de la mission Épervier, installée au Tchad depuis 1986.

Je le redis : notre objectif doit être d’organiser, de façon progressive et méthodique, en concertation avec les peuples, qui ne sont jamais sérieusement consultés, le retrait des soldats français.

M. Jean Lassalle. Je suis très touché par l’extrême sensibilité des rapporteures qui, au-delà du travail qui a été fait dans un esprit républicain, vient apporter une touche très humaine. J’aimerais poser une question plus large, après un bilan pareil. Combien de temps la France va-t-elle pouvoir tenir tous ses engagements ?

Nous assurons pour l’Europe la force de dissuasion, et sur Barkhane, nous sommes seuls pour mener à la fois une action militaire et d’aide publique au développement, avec un appui déterminé aux opérations de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) et de l’Organisation des Nations unies (ONU). Je me demande si nous ne devrions pas être plus clair vis-à-vis de la charge d'engagement de l’Union européenne à nos côtés. On parle beaucoup de l’Union européenne, mais c’est quand même surtout la France qui agit. De l’autre côté, nous ne participerons pas du tout à la reconstruction de la Syrie et de la Libye, compte tenu de nos positionnements politiques et militaires, mais combien de temps allons-nous tenir ? Or, il est évident en écoutant la commission, et les deux co-rapporteures, que si nous partons, la situation va dégénérer. Il suffit de regarder la carte de l’Afrique à cet endroit-là pour en être totalement conscient. Que peut-on faire ? N’y a-t-il pas à dire la vérité sur cette réalité et essayer de proposer une autre stratégie ?

Mme Patricia Mirallès. Vous connaissez mon attachement et mon attention particulière aux opérations extérieures, tant pour l’engagement, que pour la protection de nos soldats déployés. La rédaction de ce rapport permet de mettre en lumière l’importance de l’opération Barkhane pour notre sécurité nationale. Alors que la guerre informationnelle s’intensifie afin de la déstabiliser et pousser au retrait de nos troupes, le choix de se pencher plus en détail sur cette intervention au Sahel contribue ainsi à éclairer les enjeux qu’elle couvre, sans omettre le moindre aspect.

Les auditions et les réflexions que nous avons pu mener dans le cadre de cette mission d’information nous ont permis de dresser un tableau fidèle de la situation dans cette zone de tension persistante, pour aboutir à la conclusion que la poursuite de l’opération Barkhane est un enjeu de sécurité majeur pour la France et pour ses alliés. Comme de coutume, les membres issus de l’opposition ont été pleinement impliqués dans ces travaux et je tiens à souligner ici combien il est démocratiquement sain que notre commission se penche avec une telle transparence sur un sujet aussi sensible. En effet, le regard du Parlement sur les engagements militaires de la France est essentiel pour s’assurer du bien-fondé de ses interventions, et je me réjouis qu’on ait, ici, pleinement exercé ce regard.

Au-delà des considérations stratégiques, diplomatiques et techniques qu’illustre parfaitement ce rapport, je tiens à rappeler la dimension humaine de ce sujet. En effet chaque jour, depuis dix ans, des milliers d’hommes et de femmes sont engagés au Sahel, engagés dans un combat sans répit pour notre pays et pour nos valeurs. Je salue l’engagement de tous ces soldats français. Nous sommes pleinement conscients des sacrifices personnels et collectifs que représente un tel engagement. Je salue également avec respect et affection la mémoire de tous ces Français qui ont consenti à payer de leur sang notre sécurité. Beaucoup d’entre eux ayant trouvé la blessure ou la mort. Je renouvelle une fois encore à leurs familles, à leurs proches, et à leurs frères d’armes, notre pleine solidarité dans ces douleurs. Accomplir jusqu’au bout la mission Barkhane c’est aussi respecter nos soldats qui y ont laissé leurs vies.

Mme Nathalie Serre, co-rapporteure. Madame Roques-Etienne, vous avez soulevé la délicate question des négociations initiées au niveau local entre certaines communautés et des groupes armés terroristes. Mais comment en vouloir en populations locales ? On peut tout à fait comprendre qu’elles engagent de telles discussions car elles y sont contraintes pour survivre, et qu’elles ont évidemment envie que la situation s'améliore. Évidemment, nous ne sommes pas favorables à la négociation avec les groupes armés terroristes, mais il nous semble important de distinguer d’une part les chefs, dont le projet est de détruire l’État, d’imposer la charia ou encore de constituer un califat, avec une réelle volonté de viser l’Europe et la France, et d’autre part les combattants « de base » qui rejoignent ces groupes armés pour d’autres préoccupations, souvent plus basiques, rarement par choix idéologique. La négociation fait partie de la volonté des États du Sahel, comme nous l’avons expliqué dans le rapport, mais le cas échéant, il faut pouvoir le faire dans de bonnes conditions.

J’en viens à présent à la question de l’engagement international de nos partenaires. Il ne semble pas y avoir d’inquiétude concernant les États-Unis, mais il faut effectivement sortir de l'ambiguïté, car pour l’instant, toutes les réponses n’ont pas été clairement apportées. Il est absolument primordial que les États-Unis soient à nos côtés, car le soutien qu’ils apportent en plusieurs domaines est crucial à nos opérations. Il en est de même s’agissant de la pérennisation de Takuba, dont les unités sont aux côtés des FAMa. Nous attendons de nouvelles participations, dont celle des Italiens, et le Danemark a récemment annoncé, au début du mois d’avril, qu’une centaine de militaires seraient déployés au début de l’année 2022. La force Takuba monte en puissance ; il faut encore que l’on travaille au niveau européen pour que nos partenaires s'engagent davantage à nos côtés, mais je crois que c’est en bonne voie.

Mme Sereine Mauborgne, co-rapporteure. Deux mots reviennent dorénavant souvent pour parler de la guerre : l’hybridation et l’asymétrie. Et pour répondre à votre question, Monsieur Thiériot, je pense que s’il y a bien un exemple concret pour les illustrer, c’est la guerre informationnelle. D’abord l’hybridation, parce que la guerre ne se joue pas que sur le terrain physique et cinétique, mais aussi sur les réseaux sociaux. Tout le monde a un téléphone portable, et c’est le cas de beaucoup de monde dans la bande sahélo-saharienne. L’asymétrie, ensuite, parce que les forces en présence sont totalement asymétriques : comment comparer les Mirage 2000 de Barkhane aux kalachnikovs et aux motos des groupes terroristes ?

Dans ce contexte, la guerre informationnelle repose sur des technologies assez peu coûteuses, y compris d’ailleurs s’agissant des bots qui permettent d’augmenter la diffusion des messages que les groupes armés terroristes diffusent sur les réseaux sociaux. Cela permet aussi une fuite de la confrontation cinétique. Les moyens des groupes armés terroristes sont très variés : des tracts, la désinformation par la radio, l’instrumentalisation de toutes les failles identifiées ou créées, etc. La compétition est également stratégique sur ce terrain avec des compétiteurs qui souhaitent élargir leurs zones d’influence, voire occuper le premier plan. On pense par exemple à la Russie, qui présente des moyens et des objectifs de dénigrement et de désinformation, que ce soit par les médias ou les réseaux sociaux.

Comment nous montrer plus réactifs ? La pédagogie, la transparence, mais aussi la protection et la préparation de nos soldats et de leurs familles. On voit bien qu’à travers cela, c’est l’affaiblissement du moral des troupes qui est visé. Le harcèlement par les engins explosifs improvisés, les attaques régulières, mais aussi le dénigrement sur les réseaux sociaux et l’éventuelle atteinte de leurs familles, peut être un très bon moyen de déstabiliser les forces en présence.

Mme Nathalie Serre, co-rapporteure. Je ne suis pas certain, Monsieur Gassilloud, qu’il soit de notre responsabilité de nous prononcer sur l’évolution du niveau tactique. Cependant, nous savons qu’à l’été 2021, le président de la République devrait se prononcer à nouveau sur la prolongation, ou non, du surge décidé dans la foulée du Sommet de Pau. Nous pouvons ensuite parfaitement imaginer qu’en fonction de la montée en puissance des forces armées locales du G5 Sahel, notre dispositif terrestre se réduise et que nous maintenions seulement certaines capacités au profit des États sahéliens, telles que, par exemple, des capacités critiques comme la chasse, nos moyens de renseignement ou d’évacuation médicale.

Je pense aussi, qu’il nous faudra maintenir des capacités de réassurance, en cas de coup dur, ainsi que des dispositifs plus légers, plus mobiles, autour de la force Takuba. La montée en puissance des unités légères de reconnaissance et d'intervention (ULRI) maliennes est, dans ce contexte, à saluer, car il s’agit d’unités qui donnent satisfaction et qu’il faut continuer à aguerrir. Enfin, je pense aux éléments français postés au Sénégal, au Gabon, ou même les Forces françaises en Côte d’Ivoire. Quand ces évolutions interviendront-elles ? 2021 ou 2022 ? Plus tard ? Cela dépend de nous, certes, mais surtout de l’agenda et de la volonté des pays sahéliens.

Mme Sereine Mauborgne, co-rapporteure. Merci, chère Josy Poueyto, de souligner le rôle de l’aviation légère de l’armée de Terre. Nous avons en commun d’avoir sur nos territoires des emprises de cette grande institution. C’est une grande fierté d’accompagner nos équipages d’hélicoptères pour qui la préparation opérationnelle est un défi au Sahel, où les conditions climatiques sont extrêmement dures, où l’élongation du théâtre d’opérations est une problématique importante, y compris sur le plan de l’engagement physique.

S’agissant de l’action de l’Agence française de développement (AFD), permettez-moi de vous donner des quelques chiffres qui figurent dans notre rapport. L’AFD au Sahel, c’est 5,3 milliards d’euros entre 2012 et 2020, dont 598 millions d’euros en 2020. Mais plus largement, je pense que les évolutions portées par le projet de loi qui vient d’être voté à l’Assemblée – notre collègue Jacques Maire, qui suit également cette réunion, reviendra sans doute sur ce sujet – aura un impact capital. Parce qu’effectivement on perçoit bien l’importance d’améliorer la gouvernance des politiques de développement, à la fois en matière de transparence de l’utilisation des fonds, mais aussi de lutte contre la corruption au niveau local, et de suivi de la mise en œuvre d’actions concrètes. De ce point de vue, il nous faudra également veiller à ce que l’aide internationale porte ses fruits, sous l’égide de l’Alliance Sahel.

Dans ce contexte, l’action parlementaire peut aussi constituer un levier d’action facilitant la prise de conscience d’enjeux partagés – et je pense notamment au G5 Sahel parlementaire, dans lequel Jacques Maire est particulièrement impliqué. De manière plus large, je suis convaincu qu’à l’avenir, il faudrait mener plus régulièrement des travaux parlementaires communs entre la commission des Affaires étrangères et la commission de la Défense, comme l’ont initié la Présidente et le nouveau président de la commission des Affaires étrangères.

Mme Nathalie Serre, co-rapporteure. Monsieur Lachaud, sur Bounti, vous avez participé comme nous à l’échange de la semaine dernière avec le général François Lecointre, chef d’état-major des armées, organisé à l’initiative de la Présidente. Nous n’avons pas pu obtenir par nous-mêmes plus d’informations, même si nous avons échangé avec des représentants du centre de planification et de conduite des opérations (CPCO) et de la MINUSMA. Du reste, notre mission n’est pas une commission d’enquête, et quand bien même, le secret-défense nous aurait été opposé. Mais surtout, et je pense qu’il est important qu’on le rappelle, nous faisons confiance à la ministre, au chef d’état-major des armées, et nous ne pensons pas qu’ils mentent à la représentation nationale ou aux Français.

Concernant la question de l’acceptabilité de notre engagement, je rappelle que la France est déployée au Sahel à la demande des États sahéliens et, s’ils nous le demandent, nous quitterons évidemment leurs territoires. Je ne pense pas qu’il y ait le moindre doute en la matière. S’agissant plus précisément du sentiment anti-français, il semble moins intense qu’on l’a dit, ou lu dans la presse, du moins si l’on en croit les chercheurs que nous avons rencontrés. Nous savons toutefois que la situation n’est pas parfaite.

Enfin, parmi les axes d’action identifiés dans notre rapport, nous avons insisté sur la nécessité, d’accroître la protection des civils, qui devient et qui est la première des priorités : et cela fera aussi partie de l’acceptabilité de la mission. En revanche, nous n’avons jamais écrit ou dit que nous devrions rester au Sahel ad vitam aeternam Nous avons dit que Barkhane s’adaptait, s’adapte encore et continuera de le faire, à la faveur de la montée en puissance des forces locales et internationales ; cela ne dépend pas uniquement de notre volonté.

Mme Sereine Mauborgne, co-rapporteure. Madame Santiago, je tiens d’abord à remercier, à travers vous, notre collègue Olivier Faure pour son engagement dans la mission, car nous mesurons que sa participation a été faite au prix d’arbitrages compliqués. S’il n’y avait pas foncièrement de grande question dans votre propos, le soutien nécessaire de l’ensemble de la Nation à cette mission me paraît toujours heureux à être rappelé. Sur les pistes, nous les avons évoquées et elles sont détaillées dans le rapport, en particulier s’agissant de l’approfondissement du sursaut militaire et de la mise en œuvre du sursaut civil, deux axes qui doivent avancer ensemble et poursuivent un même objectif.

Cher Jean Lassalle, nous ne sommes pas seuls au Sahel, et la lecture de notre rapport vous le montrera. Je crois qu’il est vraiment très important de le dire et de le rappeler, pour sortir des idées préconçues qui peuvent être parfois extrêmement problématiques dans la perception de la mission Barkhane. Les partenaires dont nous avons entendu des représentants, notamment de l’Allemagne, ont tenu à saluer l’action de la France, qui accepte de payer le prix du sang, et nous ont assuré de leur engagement, à nos côtés, sur les autres missions que celles de l’engagement armé. En outre, on ne peut pas dire que quand le Royaume-Uni déploie 5 % de sa flotte de Chinook au sein de Barkhane, ou quand l’Estonie déploie 10 % de ses forces spéciales, tous les six mois, dans Takuba, ce qui signifie qu’en trois ans, l’ensemble des forces spéciales estoniennes auront été engagées sur le théâtre d’opérations, il ne s’agit pas d’un choix fort.

Madame Mirallès, nul mieux que vous ne témoigne de l’engagement personnel des soldats, et je dois dire qu’à chaque fois, c’est toujours une grande émotion de vous écouter. Nous devons évidemment travailler à la protection des soldats, notamment contre les IED. J’avais évoqué, par le passé, l’importance du déploiement des Griffons, notamment dès l’automne à Barkhane, mais aussi l’extraordinaire travail qui est conduit à la fois la direction générale de l’armement et le service de la maintenance industrielle terrestre autour des véhicules blindés légers, essentiellement employés pour des actions de reconnaissance et qui sont, en raison de leur structure et de leur usage, particulièrement vulnérables aux IED. L’ensemble de l’armée se mobilise pour renforcer la protection de nos soldats.

Je pense qu’évidemment, il faut aussi accompagner les familles, surtout quand le traitement médiatique peut parfois les heurter. Mais j’ajouterai que cette préoccupation que l’on a pour les forces françaises engagées, et pour les forces européennes, nous devons aussi l’avoir pour les forces maliennes. La guerre qu’ils mènent est aussi très sanglante pour eux.

M. Jean-Michel Jacques. J’adresse mes félicitations aux rapporteures pour ce travail très intéressant. Ma question porte sur différentes capacités que l’on a sur place, qui sont nécessaires. Comme vous l’avez dit, la mission Barkhane va évoluer. Bien entendu, comme vous l’avez très justement dit, elle évoluera au moment où nos partenaires africains prendront leur juste place, c’est-à-dire lorsqu’ils seront pleinement engagés sur le terrain.

Avec Manuela Kéclard-Mondésir, nous avions pu faire les mêmes constats lors de notre mission sur le continuum entre la sécurité et le développement, il y a maintenant plus de deux ans. Barkhane changera donc de visage, pour sans doute prendre la forme d’un dispositif plus mobile, ressemblant à l’action conduite par les forces spéciales – et d’ailleurs je profite de cette prise de parole pour souligner que la force Sabre, des forces spéciales françaises, réalise un travail remarquable – et si l’opération Barkhane doit se rapprocher de ce format, grâce à la présence de nos partenaires africains sur le terrain, deux capacités me semblent indispensables à ce moment-là : l’aéromobilité, qui a été souvent mise en valeur par mon collègue Jean-Jacques Ferrara, et puis les capacités de renseignement et de destruction, à travers les drones.

Actuellement, nos amis européens et américains nous aident sur ces deux capacités, mais pouvez-vous faire un focus sur ces deux capacités ?

M. Jean-Jacques Ferrara. Merci à mes collègues d’avoir évoqué mes travaux, et bravo aux rapporteures pour la qualité de leur travail, et leur engagement, qui est à la mesure de la mission qui leur a été confiée.

J’aurais deux questions. La première concerne nos moyens capacitaires au Sahel, ou plutôt, les moyens capacitaires dont nous ne disposons pas au Sahel. Sans revenir sur le transport stratégique et tactique, qui nous conduit à affréter tantôt un Antonov russe, tantôt un Beechcraft sud-africain, avez-vous identifié des fragilités capacitaires, des manques, et surtout les moyens d’y remédier ?

La deuxième question concerne ce que l’on appelle un peu pompeusement le « retour de l’État », et vous l’avez largement évoqué. Avec vous, j’ai rencontré le gouverneur de Gao et les représentants de la MINUSMA, et je suis un peu perplexe face au dispositif des colonnes foraines qui nous a été présenté. J’ai compris que vous l’étiez également à la lecture de votre rapport, d’où ma question : comment l’État peut-il durablement réinvestir des territoires abandonnés depuis des années, voire sur lesquels il n’a jamais été présent, et ce, alors même que les populations n’y sont pas toujours favorables. Car l’État, vous le disiez, y était perçu comme une menace. Je ne reviens pas sur la corruption ou les exactions, mais nous en sommes quand même à un point où certaines populations semblent s’accommoder de la présence des djihadistes et de leur idéologie.

Je lis dans la presse que dans certaines parties du Mali, des accords sont signés entre les locaux et certains groupes armés terroristes, notamment dans le centre avec la Katiba du Macina, il y a là une bataille qui me semble relever du plan idéologique, du plan des valeurs – pas occidentales, et ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit – mais des valeurs humanistes et universelles. La liberté religieuse, la liberté d’aller à l’école, de s’habiller comme on veut… j’avoue ressentir parfois quelques inquiétudes car si l’action militaire fonctionne, l’action politique et civile me semble au point mort.

M. Charles de la Verpillère. Merci, Mesdames les rapporteures, pour cet excellent travail. Ma question sera plutôt factuelle : pouvez-vous faire un focus sur l’implication du Tchad en marge de l’opération Barkhane dans la zone des trois frontières ?

M. Christophe Blanchet. Merci à nos collègues pour ce rapport très complet, sur cette mission si emblématique pour nos forces et qui produit ses effets dans toute la bande sahélo-saharienne, et au-delà. Merci pour vos propositions et vos points de vue nécessaires et francs. Beaucoup de vos propositions montrent un meilleur avenir possible, mais avec une levée de valeurs philosophiques et intellectuelles bien-pensantes à dix mille lieues du théâtre d’action où nos soldats se battent, et meurent.

J’ai attentivement suivi votre exposé, lorsque vous soulignez l’importance de la coopération avec les forces locales, et notamment les armées du G5 Sahel. Sur ce sujet précis, pouvez-vous nous en dire un peu plus sur la bancarisation des soldes. Au Mali, c’est une question qui n’est pas neuve. Pour le paiement des soldes, nous savions que des pratiques peu régulières étaient à l’œuvre, avec des doubles bulletins et des bulletins sans solde. Le Premier ministre malien a présenté un plan d’action il y a environ un mois, avez-vous pu aborder ce plan d’action à travers votre rapport. Le cas échéant, estimez-vous qu’il aille dans le bon sens ? Avez-vous des éléments de calendrier à nous communiquer ?

M. Jacques Marilossian. Merci pour cette présentation et les conclusions de votre rapport. Je m’interroge sur l’engagement de l’Union européenne au Mali. Le projet de rapport qui nous a été transmis fait état de vos interrogations sur le mandat de la mission de formation de l’Union européenne (EUTM Mali). Cette EUTM agit au Mali depuis 2013 maintenant, et ses missions semblent devoir être élargies, ce qui d’ailleurs suscite l’inquiétude de notre état-major, qui pense qu’elle pourrait se disperser à travers toutes ces missions. Deux questions semblent émerger de votre rapport sur le rôle futur de l’EUTM Mali. Doit-elle se rapprocher des théâtres d’opérations où interviennent les forces, décentraliser ses actions et donc aller au contact ? Et là il y a un problème, car les missions de formation sont limitées à la formation, et si elles vont au contact, elles pourraient risquer d’être prises pour cible directement.

Doit-elle au contraire former les forces armées maliennes plus au sud, et donc plus loin des théâtres d’opérations ? Et dans ce cas, il y a un autre problème : les forces armées maliennes peuvent être inopérables voire dangereuses pour les populations civiles du Nord du pays. Vous recommandez finalement que les missions d’EUTM Mali se rapprochent des théâtres d’opérations. Ma question est assez simple : quelle forme et quels objectifs devraient alors prendre ce rapprochement ? Je vous remercie.

M. Gérard Menuel. Je voudrais féliciter les deux rapporteures, qui nous ont présenté un rapport très complet, bien construit et pertinent. Concernant l’avenir de Barkhane, vous le dites parfaitement, il y a besoin de pédagogie, et ne dire seulement que la France ne s’enlise pas ne suffit pas en termes pédagogiques.

Pour faire court, vous nous dites aussi, qu’au cœur de notre présence se trouve la population locale, et la nécessité d’un sursaut local avec des besoins de services publics, de services de base. Je pense à l’éducation, au besoin de cohésion et de justice sociale, cela paraît évident. Je comprends aussi votre regard qui vise aussi à agir sur les classes dirigeantes et la restauration d’un minimum de confiance. Cela semble nécessaire et interroge sur les moyens à mettre en place. Concrètement, quelles sont les premières pistes d’actions, les moyens qu’il faudrait mettre en place pour répondre à ces enjeux fondamentaux ?

M. Jean-Philippe Ardouin. Chères collègues, merci pour la qualité de votre rapport et de votre mission. Ces derniers mois, l’opération Barkhane s’est vue appuyée sur le plan logistique par plusieurs partenaires historiques, notamment par les Britanniques et les Américains.

Sur le plan opérationnel, des questions demeurent quant à l’engagement des pays du partenariat européen et à l’implication des Américains au Sahel. Aussi, pouvez-vous nous résumer l’engagement actuel des forces alliées présentes autour de l’opération Barkhane ? Et s’agissant du sentiment de la population malienne, qui semblait quelque peu lassée de la présence française il y a quelques mois, qu’en est-il aujourd’hui ?

M. Jacques Maire. Je voudrais d’abord assurer à la commission de la Défense toute la solidarité de mes collègues et de moi-même pour les travaux que vous faites. Vous avez un niveau d’engagement et d’analyse dans le sujet qui est extrêmement utile à l’Assemblée et au Parlement, et qui lui donne un éclairage complémentaire très fort. J’ai lu votre rapport, je l’ai trouvé remarquable avec une très grande profondeur à la fois historique, sociologique, politique et militaire. Je pense que vous avez aussi eu le mérite de traiter de sujets difficiles, et je retiens comme moment fort du rapport la question des perspectives à donner à la mise en œuvre des Accords d’Alger, et notamment celle des négociations.

Vous avez vraiment mené une analyse très forte sur cette question de la discussion avec les terroristes, la question du cadre des négociations, de l’évolution des positions de la France à un moment donné. Je vous remercie pour ce travail parlementaire qui nous fait honneur. Je voudrais simplement formuler une observation.

Je me trouvais il y a quelques jours sur le terrain, avec les acteurs de la base aérienne projetée de Niamey. Je perçois très bien la différence entre la période d’avant le Sommet de Pau et celle que nous connaissons, avec les opérations Bourrasque, Éclipse et Équinoxe. Je vois très bien la qualité de l’intégration avec les forces locales, plus forte à travers le mécanisme de commandement conjoint (MCC), à travers la cellule de fusionnement du renseignement (Intelligence Fusion Cell), mais je pense que cela met en évidence un problème assez fort. Dans beaucoup d’endroits, et notamment au Niger, l’État n’a pas disparu, et finalement, les cibles sont à la portée des forces armées nationales. La vraie question réside dans leur capacité et leur volonté à aller combattre. On voit très bien qu’un des problèmes tient au fait que les armées sont formées d’ethnies non-combattantes, si je puis dire, face à des ethnies beaucoup plus versées dans le combat, qui elles-mêmes alimentent les rangs du terrorisme.

Je voudrais simplement faire état d’une réflexion : il y a un espoir avec l’élection de l’actuel président du Niger, M. Mohamed Bazoum, qui a décidé de doubler les forces armées nationales en termes quantitatifs, et de mettre en œuvre un recrutement spécifique et rapide dans les ethnies et les régions où le recrutement des groupes armés terroristes est favorisé. Je pense notamment aux Peuls, aux Touaregs et aux Arabes. L’idée n’est pas de les mettre en situation de milices d’autodéfense, mais de les intégrer de façon très dynamique dans la Garde nationale, avec un encadrement très fort. Je vois ce qu’il se passe au Niger, cela me donne plutôt confiance. Je ne vois pas la même chose au Mali, notamment en ce qui concerne les forces armées nationales, et j’aimerais bien connaître votre avis sur le sujet.

Sur la communication, il y a toujours le mythe d’un Barkhane omnipotent, omniscient mais n’intervenant pas partout et donc finalement coupable. Je pense que ce mythe doit être cassé, et donc vous est adressé la question de la communication : je pense que nous devrions aller un petit peu plus loin sur les recommandations concernant la communication. Est-ce que vous pouvez nous en dire un peu plus ? Parce que c’est un vrai défaut de Barkhane aujourd’hui.

Mme Françoise Ballet-Blu. Mesdames les rapporteures, je tenais à vous remercier sincèrement pour votre travail, pour votre enthousiasme et votre pédagogie. Travail qui a permis de mettre en valeur les 5 100 militaires qui se sont engagés à protéger les populations du Sahel, notre pays et l’Europe dans cette opération. Un certain nombre d’entre eux ont payé de leur sang cet engagement depuis 2013, je souhaite donc leur rendre hommage ainsi qu’à tout leur entourage.

Comme vous avez pu le montrer de façon exhaustive, l’opération Barkhane se renforce dans la région du Sahel, avec à ses côtés un accroissement de l’engagement de nos partenaires internationaux dans la région, sans compter les opérations multilatérales comme la MINUSMA ou l’EUTM Mali. Ces nouvelles approches ont permis de remporter de nombreux succès tactiques. Or, nous le savons, cette crise est multifactorielle. Le sommet du G5 Sahel de N’Djamena a ainsi désigné trois priorités : la défense, le développement et la diplomatie. Cette stratégie suppose que les États sahéliens puissent regagner la confiance de leurs populations, tout en reprenant le contrôle de leurs territoires, face aux groupes armés. Ainsi dans ce contexte, pouvez-vous nous dire comment, à partir de l’opération Barkhane, la France peut-elle renforcer son aide pour que les États du Sahel puissent rebâtir une souveraineté démocratique.

M. François Cornier-Bouligeon. Je tiens à ajouter mes félicitations à celles, nombreuses, formulées par mes collègues avant moi. Votre rapport est non seulement d’une grande qualité, mais il est aussi capital au regard des enjeux de sécurité importants de l’opération Barkhane au Sahel, mais aussi pour l’Europe et pour la France.

Aux côtés des victimes civiles, 57 militaires français ont perdu la vie dans cette opération, notre commission ne peut que saluer leur mémoire. Près du tiers de nos soldats tués ont été victimes de mines ou d’engins explosifs improvisés (EEI). Les EEI, ou IED pour la dénomination anglaise, arme du pauvre, ou plutôt arme du lâche, déciment les populations civiles et nos militaires. La réponse à cette arme se fait à la fois par une meilleure analyse sur le terrain, mais aussi par le blindage de nos véhicules militaires. En tant que député de l’école du matériel et de la logistique de Bourges, ma question porte sur ce dernier point, au terme de vos travaux, quelle est votre opinion concernant la capacité de réaction de nos forces armées concernant ces EEI ? Quelles pistes de réflexion proposez-vous pour améliorer, à terme, le blindage de nos véhicules ?

M. Christophe Lejeune. Je m’associe pleinement aux félicitations qui sont venues souligner la qualité de vos travaux. Le nouveau président du Niger, M. Mohamed Bazoum, a déclaré il y a quelques semaines dans une interview pour France24 et RFI, que l’opération Barkhane était un échec relatif dans son pays. De plus, lorsqu’il a été interrogé par les journalistes sur un possible retrait partiel de la force Barkhane, M. Mohamed Bazoum a assuré qu’il ne ressentirait pas cela comme un abandon de la part des Français. Selon lui, cette décision serait davantage, je le cite, « symbolique, politique qu’opérationnelle ». Je le cite encore : « l’armée française n’est pas impliquée physiquement au sol contre les djihadistes ».

Malgré ce sévère constat, que nous sommes très nombreux à ne pas partager, il a toutefois appelé la force Barkhane à conserver son aide au niveau aérien, même en cas de retrait partiel. Quelle réponse la France doit apporter au Président Bazoum, eu égard aux soldats français qui ont payé le prix du sang au combat au Sahel depuis 2013. Cette remise en question peut-elle mettre en difficulté l’opération Barkhane et nos militaires au Niger, et plus largement au Sahel ?

M. Philippe Meyer. Je tiens à remercier les rapporteures pour le travail qui a été réalisé. Si nous venons à prolonger notre présence sur place ces prochaines années, avec tous les sacrifices humains et financiers que cela représente, il faudra nous assurer de l’acceptabilité de notre présence sur le long terme, puisque c’est un des éléments de la réflexion. Il y a toujours, malheureusement, des risques sérieux pour les civils lorsque nous traquons les terroristes. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur l'acceptation de la présence de nos soldats par les populations locales ?

M. Bruno Fuchs. Sur le terrain, on voit que le profil des groupes armés évolue et se transforme. Ce sont maintenant des fédérations de groupes armés qui s’organisent, et surtout, leur stratégie vers une expansion est constatée. Plusieurs signaux évoquent cette stratégie d'expansion. En 2016, AQMI a revendiqué des attaques en Côte d’Ivoire, dans la cité de Grand-Bassam ; une autre attaque a fait 20 morts au poste-frontière de Kafolo le 29 mars dernier ; il y a également eu une attaque entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso où 15 militaires ivoiriens ont été tués par des groupes terroristes en juin 2020. Le Sénégal, pôle de stabilité de la région est sur le qui-vive, Dakar indique multiplier les arrestations d’individus liés aux groupes terroristes sur la frontière avec le Mali. En février, le patron du renseignement extérieur français a prévenu qu’Al-Qaida au Sahel est en train de préparer un projet d’extension vers le golfe de Guinée, la Côte d’Ivoire et le Bénin.

Mesdames les rapporteures, la tendance actuelle de la force Barkhane est à la réduction du nombre d’hommes sur le terrain, tel que cela a été constaté à N’Djamena, en même temps nous avons besoin d’étendre la traque contre le terrorisme et donc le déploiement de nos forces à des endroits où cela n’était auparavant pas nécessaire. À la lumière de votre travail, pouvez-vous nous dire comment concilier réduction du nombre de soldats et la nécessaire extension des zones sur lesquelles nous sommes amenés à intervenir ?

Enfin, vous avez évoqué une meilleure gouvernance des États du Sahel, pour une meilleure efficacité dans l’action. Un coup d’État a eu lieu au Mali récemment, des militaires occupent aujourd’hui des postes clés, avez-vous observé, depuis ce changement de gouvernance, une meilleure efficacité opérationnelle sur le terrain ?

Mme Laurence Trastour-Isnart. Merci aux deux co-rapporteures pour votre travail de grande qualité, très exhaustif, et qui nous permet de mieux comprendre le fonctionnement de nos forces au Sahel et l’engagement de nos militaires que je salue lors de cette audition. Je souhaite aborder un volet plus sociétal : dans le regard d’un peuple, toute force étrangère présente sur son sol peut être perçue comme une force d’occupation. Je voudrais savoir comment les forces françaises sont perçues, et pour maintenir notre amitié franco-sahélienne pour qu’elle perdure, comment devons-nous nous positionner dans cette zone ? Finalement, comment est vue l’arrivée de cette coalition européenne pour les accompagner dans le rétablissement de leur autorité ?

Mme Nathalie Serre, co-rapporteure. Concernant la question de notre collègue Jean-Michel Jacques sur l’aéromobilité, nous avons pu compter sur les trois hélicoptères Chinook britanniques qui restent à nos côtés, ainsi que sur les deux Merlin danois. Effectivement, en ce qui concerne ces hélicoptères lourds, c’est une capacité qui est fragile, il nous faut donc poursuivre nos efforts pour trouver plus de partenaires au Sahel. Cependant, jusqu’à maintenant, nous avons toujours réussi à faire ce que nous devions faire. Il y a un réel point d’attention concernant ces hélicoptères lourds.

Concernant les drones, un système de trois drones a été déployé. C’est une capacité extrêmement cruciale puisqu’elle nous sert au renseignement, mais également à environ 45 % des frappes aériennes qui ont eu lieu en 2020. Il faut accélérer la formation des équipages pour pouvoir très prochainement développer et déployer des équipages sur les drones MQ-9 Reaper block 5, qui sont basés à Cognac.

Mme Sereine Mauborgne, co-rapporteure. Sur les limites capacitaires, comme l’évoquait Mme Nathalie Serre, il y a très certainement le transport lourd. Je voudrais juste profiter de cette question pour rappeler à quel point nous avons pu constater sur le théâtre, et nous y étions ensemble avec d’excellents souvenirs, que les règles d’engagement de chaque pays étaient un souci quotidien pour les états-majors. Je me souviens par exemple de l’incapacité des Merlin danois à se poser de nuit sur des terrains sableux, qui obligeait à calculer sans-arrêt les départs et retours de mission pour respecter cette règle d’engagement donnée par les parlementaires aux militaires danois, règle donc parfaitement respectée par la France. C’est quand même assez extraordinaire de constater que non seulement nous imposons nos propres règles à nos militaires, mais qu’à travers la coopération, ils prennent à leur charge les règles pour les autres. Évidemment que le départ des Merlin danois est un sujet aujourd’hui, il nous reste sur le segment du transport lourd les Chinooks anglais, avec, pour l’instant, un maintien de la capacité. Tous les pays européens sont dotés de capacités de transport lourd, on espère que la promotion du besoin donnera une réponse des autres pays qui la possède.

Sur la question des drones, il faut accroître nos moyens capacitaires, avec des objectifs importants, à la fois en termes de certification de nouveaux matériels, mais aussi en matière de formation des équipages, parce que nous sommes au début de l’utilisation des drones, nous avons assez peu d’équipages formés et c’est un grand défi pour la base aérienne de Cognac, que malheureusement nous n’avons pas pu visiter, mais dont on connaît la nature des défis. Au rang des enjeux : la lutte anti-drone (LAD), qui demeure capitale pour protéger les sites, puisqu’actuellement nous avons des pôles très sécurisés pour la protection de nos soldats contre les attaques extérieures.

Sur la question de M. Ferrara concernant le retour de l’État, il faut faire attention à comment et pourquoi remet-on l’État dans les territoires. La question des colonnes foraines qui avait été abordée devant nous, nous l’avons beaucoup creusée, notamment avec les chercheurs, de toute « obédience intellectuelle ». Ces derniers doutent de la durabilité dans le temps. Par exemple, ils ont peur que le préfet qui était revenu s’installer reparte au bout de quelques mois parce que le développement local n’est pas suffisant pour lui et sa famille par rapport aux grandes villes, et donc que la conquête des zones rurales soit un problème, et qu’on s’en tienne à une forme d’État bunker concentré dans des zones plus sécurisées et plus urbaines. Évidemment que l’accès à des services de base est très important : nous avons parlé de la santé, de la justice ou encore de l’éducation. Il a parfois été compliqué d’entendre lors des auditions, et je le dis en nos deux noms, que la charia pouvait représenter une vraie alternative en matière de justice pour les populations locales. S’il est compliqué pour des Occidentaux comme nous d’entendre cela, je pense qu’il faut accepter l’idée qu’aujourd’hui, c’est une forme de réalité et notamment dans les zones d’implantation du RVIM. Nous pouvons y observer une stratégie moins violente, davantage dans la négociation, avec une volonté affichée d’être une alternative à l’État. Lors de son audition, la docteure Niagalé Bagayoko nous a aussi rappelé certaines choses éclairantes sur les décisions de justice ; lorsque vous êtes dans un système de castes, et que vous donnez raison à quelqu’un d’une caste inférieure, cela n’a pas de sens, y compris quand vous êtes Malien. Comment des gens peuvent faire leur, une justice qui est rendue dans une langue qui n’est pas la leur, avec des valeurs qui, sans être occidentales, peuvent être plaquées sur des échelles de valeurs qui ne sont pas celles de toutes les ethnies présentes ?

Mme Nathalie Serre, co-rapporteure. Monsieur de la Verpillière, le Tchad a déployé 1 200 militaires au sein de la force conjointe, qui constituent son 8e bataillon. Les militaires tchadiens sont réputés aguerris, et apporteront de la mobilité à la force conjointe, alors qu’il a pu être considéré que les unités maliennes ou burkinabè en manquaient. En revanche, il faut nous montrer vigilants car les forces tchadiennes sont aussi réputées brutales, comme l’a du reste montré les viols commis par certains de leurs éléments au Niger. Viols que le gouvernement tchadien a rapidement reconnus.

Mme Sereine Mauborgne, co-rapporteure. S’agissant de la bancarisation des soldes, sur laquelle M. Blanchet nous a interrogées, je dois dire qu’il s’agit d’un sujet qui nous a un peu surpris. Nous pensions dur comme fer que la bancarisation des soldes était bien avancée au Mali, mais en fait, seuls les officiers sont pour l’heure concernés. Pour rappel, la bancarisation des soldes implique que chaque soldat créé un compte bancaire, et que les soldes soient versées par virement, et non plus en espèces, transportées dans des valises, afin d’assurer un paiement égalitaire entre les hommes. Alors, ce choix a-t-il été fait car il est plus facile de commencer par un contingent plus étroit ? Est-ce parce que le niveau de transparence est moins élevé plus on monte dans le niveau hiérarchique ? Nous n’avons pas la réponse. Pour les sous-officiers, les soldes pourraient être bancarisées d’ici deux ans. Et quant aux militaires du rang… Mais au-delà de cette question, il faut avoir conscience du fait que l’état-major malien éprouve des difficultés à assurer l’ensemble du soutien. Qu’il s’agisse de la gestion des stocks – d’abord éviter que des détournements aient lieu sur les pièces, le fuel, la nourriture – mais aussi de l’acheminement du soutien, avec des forces maliennes ravitaillées par les forces françaises en raison de l’incapacité de l’armée malienne à pouvoir le faire. Cela ne doit pas nous surprendre au regard de l’élongation des théâtres. D’autres questions se posent, notamment sur le niveau de stock des munitions, qui peut expliquer une moindre combativité.

Mme Nathalie Serre, co-rapporteure. Pour répondre à M. Marilossian, nous pensons en effet qu’il est indispensable que les formations dispensées par EUTM Mali se fassent au plus près des théâtres d’opérations. Cela commence, alors qu’auparavant, les militaires maliens devaient descendre dans le sud du pays pour y être formés. Ce besoin d’être au plus près des zones de combat a été reconnu, avec la construction en cours d’un camp plus proche du Centre. EUTM Mali est fortement critiquée, mais il a été porté à notre connaissance que les sept mois d’interruption de la mission du fait de la Covid-19 se sont immédiatement fait sentir sur le terrain.

Mme Sereine Mauborgne, co-rapporteure. En réponse à M. Ardouin, je rappellerai que les Britanniques apportent un soutien essentiel avec trois hélicoptères Chinook, que les Danois ont mis à disposition deux hélicoptères Merlin qui, depuis le 1er janvier 2021, ont été transférés au Levant – nous espérons les voir revenir ! – et que les Estoniens assurent des missions de protection des emprises. Au sein de Takuba, ces derniers déploient 10 % de leurs forces spéciales – ce qu’il faut souligner – et sont également engagées des unités tchèques et suédoises. Demain participeront des Italiens, des Grecs, des Belges, et d’autres nations listées dans notre rapport. Les Américains apportent un soutien essentiel en matière de ravitaillement en vol – crucial au regard de l’élongation des théâtres – ainsi que de renseignement, mais aussi de transport. Les Allemands participent à la formation des forces spéciales nigériennes dans le cadre de la mission Gazelle.

Mme Nathalie Serre, co-rapporteure. Monsieur Lejeune, le président Bazoum évoquait non pas Barkhane, mais l’ensemble de l’action conduite par la communauté internationale. Quant aux perspectives, il a tenu un discours qui rejoint, parfois, ce que nous avons évoqué : moins d’emprise terrestre, maintien des capacités critiques. La France est présente au Niger au travers de sa base aérienne projetée, conséquente. La France et le Niger sont des alliés fidèles et je crois que cette affaire a donné lieu à des gros titres exagérant les choses.

Mme Sereine Mauborgne, co-rapporteure. Je rejoins tout à fait ce qu’a dit Jacques Maire et, au Mali, les Bambaras seront majoritaires parmi les 25 000 nouveaux recrutements annoncés. Or, la diversité de l’armée est un moyen important de lutte contre les exactions et, au fond, comme nous avons pu le vivre en France, l’armée est un facteur d’intégration nationale.

S’agissant de la communication, nous avons évoqué, tout à l’heure, l’importance de la bataille « du récit ». Cela recouvre, en particulier pour les forces locales, l’instauration d’un chemin mémoriel. De prime abord, cela peut ne sembler vital. Pourtant, l’on voit bien en France combien importent les traditions, la connaissance de l’histoire des unités et l’entretien de la mémoire de ceux qui sont partis. Il en est de même de l’accompagnement et de la protection des familles de ceux qui ont versé leur sang, ne serait-ce par exemple pour que les orphelins ne gardent pas de rancœur à l’égard de l’État et ne rejouent pas, demain, les conflits que nous voyons aujourd’hui.

En outre, la mise en place du MISAD, que nous évoquions plus tôt, constitue une avancée notable, et le mécanisme a d’ailleurs été déclenché par la force conjointe à la suite des viols commis par des éléments des forces tchadiennes à Téra, au Niger, dont nous avons parlé tout à l’heure.

Mme Nathalie Serre, co-rapporteure. Monsieur Fuchs, l’extension de la menace terroriste vers le sud, en direction du Golfe de Guinée ou du Sénégal, plus à l’ouest, est bel et bien réelle. Il s’agit d’un projet documenté de la part des groupes terroristes, qu’il s’agisse d’Al-Qaida ou de Daech. L’enjeu est donc de parvenir à y sensibiliser les autorités de ces pays, car, soyons honnêtes, nous pourrions nous trouver dans une situation comparable à celle que l’on trouve au Mali, où ce qu’il se passe au Nord peut paraître très loin lorsque l’on se trouve à Bamako. Dans les pays riverains du Golfe de Guinée, où les capitales se trouvent pour la plupart au sud, de même que les centres économiques, nous pourrions tout à fait nous trouver dans une situation comparable, avec des régions septentrionales qui peuvent parfois être quelque peu marginalisées. Dans ces conditions, il est primordial de ne pas se laisser dépasser.

Concernant les autorités de transition au Mali, le chef de l’État a déclaré qu’en quelques mois, elles avaient réalisé davantage de progrès qu’au cours des mois précédents. S’il n’est évidemment pas question de considérer qu’un coup d’État puisse constituer un mode légitime de transmission du pouvoir, nous sommes aussi contraints de dialoguer avec les interlocuteurs qui se trouvent face à nous. Et force est de constater que le Gouvernement de transition semble faire preuve de davantage de pragmatisme. Même s’il nous faut rester vigilant quant au respect du calendrier électoral : comme nous l’indiquons dans le rapport, il y a aujourd’hui des retards.

Mme Sereine Mauborgne, co-rapporteure. Merci à François Cormier-Bouligeon d’avoir souligné l’importance du Centre de la France au profit de nos forces, région névralgique du soutien. J’ai eu la chance de pouvoir m’y rendre et mon déplacement a nourri une partie de mon dernier avis budgétaire. Le niveau de protection des véhicules blindés légers pose effectivement questions, puisque nombre de nos blessés ou de nos morts ont été frappés alors qu’ils se trouvaient dans ce type de véhicules, notamment en décembre et en janvier. Depuis près de deux ans, des actions ont été entreprises par les différents acteurs intervenant dans le domaine du soutien et de la régénération des forces, notamment la direction générale de l’armement, la structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres (SIMMT) et les régiments du matériel. Soucieux de déployer des matériels efficaces et performants, chacun a pour projet de travailler à améliorer la protection de leurs « frères d’armes ». J’emploie l’expression à dessein car c’est ainsi qu’ils le vivent, et qu’ils conçoivent leur mission. Le VBL n’a aujourd’hui pas de remplaçant immédiatement disponible. La projection des véhicules Griffon, à l’automne, permettra sans aucun doute d’améliorer la protection de l’avant-blindé, mais pas du segment occupé par les VBL, qui remplissent une mission fugace, et dont la maniabilité est aussi une force pour nos soldats. Deux modifications principales ont été envisagées : la pose d’un blindage extérieur et un tapis de protection anti-explosion, dit anti-blast, qui permettra de mieux protéger les corps des soldats. L’engagement de travaux en ce sens a été annoncé en novembre et, à la suite des pertes que nous avons connues en début d’année, les régiments du matériel ont mis en place un plan de charge dédié, conduisant à mettre entre parenthèses certaines missions et à passer à un régime de trois-huit afin de pouvoir projeter des véhicules plus sécurisés. Les premiers VBL surblindés et mieux protégés arriveront au Sahel dans le courant du printemps. Et bien qu’il demeure impossible de prévoir un système de protection contre une charge très lourde, il s’agit d’un signe fort adressé à nos militaires et à l’ensemble de la communauté militaire, en même temps qu’un témoignage du dynamisme de Barkhane, qui n’est pas une opération figée et s’adapter à l’évolution des circonstances.

Mme Nathalie Serre, co-rapporteure. Je répondrai en même temps à Philippe Meyer et Laurence Trastour-Isnard, qui ont tous deux évoqué la question de l’acceptabilité de notre engagement et de l’accroissement d’un sentiment anti-français. Comme nous l’avons dit dans nos propos liminaires, un tel accroissement n’est pas confirmé par la plupart des chercheurs que nous avons entendus, même s’il faut s’attendre à ce que l’ancrage dans le temps de cette opération puisse lui porter préjudice. Surtout, cela témoigne de l’importance du récit fait de l’opération, et de parvenir à ce que le positionnement de Barkhane soit justement perçu. Car Barkhane n’est que le premier pilier de la stratégie de stabilisation mise en œuvre au Sahel. Elle est en le socle – car sans Barkhane, l’ensemble de l’édifice s’effondre – elle obtient des résultats. Ce qui n’est pas le cas des autres piliers qui sont défaillants, au moins en partie, et c’est pour cette raison que le Sommet de N’Djamena a appelé à la mise en œuvre d’un sursaut civil, en faveur du développement et des populations. Le sentiment anti-français existe, mais nous semble surmédiatisé. Il faut donc nous montrer vigilant mais je tiens à rappeler que la MINUSMa ou d’autres forces alliées présentes au Sahel sont confrontées aux mêmes défis.

Mme Sereine Mauborgne, co-rapporteure. Mme Ballet-Blu nous a interrogées sur le soutien que la France pouvait apporter au sursaut démocratique. Lors de son audition, l’ambassade de France au Mali nous a indiqué que la France accompagnait le processus de retour à la vie démocratique « normale », afin de refermer la parenthèse de la junte militaire du gouvernement de transition. En particulier, dans la perspective de l’organisation d’élections les plus équilibrées possible, la France contribue à la formation d’observateurs locaux afin de garantir que l’ensemble des Maliens soient convaincus de la sincérité des résultats qui seront proclamés à l’issue des prochaines élections. Notre ambassadeur me semble pleinement assurer son rôle de promotion des actions de la France au profit de la démocratie au Mali, au travers de conférence de presse et de la mise en valeur de personnes et d’organisations qui se battent, au Mali, pour la démocratie, les droits de l’homme et la liberté d’expression.

Mme Nathalie Serre, co-rapporteure. L’approfondissement du sursaut militaire et la mise en œuvre du sursaut civil constituent, Monsieur Menuel, les axes d’action qui sont particulièrement détaillés dans notre rapport s’agissant des perspectives de sortie de crise. J’aimerais profiter de cette question pour évoquer un point qui me semble particulièrement important : la clarification du mandat de la MINUSMa. Des discussions vont bientôt s’engager, à New York, au sujet du renouvellement de son mandat. La décision est attendue en juin prochain. Dans cette perspective, nous sommes convaincues que la diplomatie française devrait œuvrer pour que la seconde priorité du mandat de la MINUSMa – la stabilisation du Centre – soit réellement mise en œuvre, ce qui supposerait de passer d’une logique de maintien de la paix à une mission d’imposition de la paix. Il semble y avoir des dissensions au sein de la MINUSMa et nous avons tout notre rôle à jouer.

M. Joachim Son-Forget. Merci d’accepter de me donner la parole pour une ultime question. S’agissant de la participation des forces étrangères à nos côtés, pourriez-vous m’en dire plus sur la non-participation de l’Allemagne à nos côtés, sur le plan opérationnel – j’ai bien noté que l’Allemagne était engagée sur d’autres volets, y compris la formation – en particulier dans Takuba, et ce alors que la France et l’Allemagne sont engagées dans un rapprochement dans le domaine de l’industrie de défense. En outre, j’ai eu quelques retours de nombreux amis – officiers, sous-officiers – militaires du rang –, qui partent régulièrement sur ce théâtre, et qui semblent s’interroger sur le sens de leur mission et ce qui sera accompli à l’issue de leur passage au Sahel.

Mme la présidente Françoise Dumas. Avant de laisser la parole aux rapporteures, j’avoue m’étonner que des militaires puissent se poser ce type de question. Je veux bien croire que l’on puisse avoir des doutes légitimes lorsque l’on ne connaît pas cette mission mais s’agissant des militaires, je ne crois pas que cela puisse être le cas.

Mme Nathalie Serre, co-rapporteure. Nous avons reçu, dans le cadre de nos travaux, des représentants de l’ambassade d’Allemagne à Paris, et avons évidemment débattu de ces questions. L’Allemagne participe à la formation de forces spéciales nigériennes dans le cadre de la mission Gazelle, que les Allemands souhaiteraient d’ailleurs voir intégrée au sein d’EUTM Mali. Leur position est toutefois claire : d’après eux, aller au combat serait en revanche impossible en raison des dispositions de la loi fondamentale allemande, et ce pour des raisons historiques.

Mme Sereine Mauborgne, co-rapporteure. Si je comprends bien votre question, chers collègues, vos interlocuteurs ne doutent pas de la pertinence de leur mission lorsqu’ils sont déployés – ne serait-ce que parce que la préparation qu’ils ont reçue avant leur départ, tant physique que stratégique, les a formés – mais ils s’interrogent davantage sur les perspectives d’avenir. Cela me semble assez logique car il est, en effet, fort difficile de prévoir l’avenir. C’est d’ailleurs ce que s’attache à démontrer notre rapport : Barkhane évolue dans un contexte multidimensionnel, qui nous empêche de dire quel sera le format de Barkhane demain. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous avons conduit de très larges auditions, et nous pensons en effet que sur cette question, il faut approfondir les relations entre les chercheurs, qui connaissent bien le terrain et ont une autre analyse des dynamiques à l’œuvre et des populations, et les états-majors. Il faut dépasser le choix, parfois personnel, de travailler avec tel ou tel mais ouvrir très largement le champ des possibles.

Pour conclure, si je devais dire une seule chose à nos soldats, je reprendrai le récit d’un capitaine que l’état-major a diffusé sur les réseaux sociaux (LinkedIn) – et il a raison d’ainsi communiquer – qui déclare « j’ai vu la population à certains endroits se réfugier dans les camps des FAMa…c’est un très bon signal. C’est avec la confiance des populations que l’on gagnera cette guerre. »

Mme la présidente Françoise Dumas. Un grand merci, chers collègues, pour la hauteur de vue et la hauteur de pensée dont vous avez fait montre tout au long de vos travaux. Je suis très fière d’avoir pu vous accompagner ans certains d’entre eux. Barkhane n’est effectivement que le premier pilier d’une stratégie plus large. Pour poursuivre votre propos, Madame la co-rapporteure, j’aimerais évoquer l’adjudant Thomas Dupuy, tombé me 29 octobre 2014 au Mali, dans le massif du Tigharghar : il fut le premier militaire « mort pour la France » de l’opération Barkhane. Dans un remarquable article paru dans la revue de l’armée de terre Inflexions, sa mère, Mme Marie-Christine Jaillet, directrice de recherche au CNRS, confiait : « Cette manière, la sienne, d’avoir mis en jeu sa vie pour lutter pour des valeurs que nous avons partagées, de paix, de liberté, de justice sociale, d’égalité entre les hommes et les femmes, me rend infiniment humble sur ma manière à moi de les porter, tellement plus confortable, plus légère. » Je crois que vous avez contribué à porter ce poids de la responsabilité et de l’engagement de nos militaires, de tous les militaires, qu’ils soient Européens ou membres des forces sahéliennes. Nous montrer mesurés dans nos jugements, telle est la première marque de respect que nous leur devons.

La voie tracée par la France, le G5 Sahel et la communauté internationale est la bonne. Barkhane est un socle militaire qui permet le développement des autres piliers qui conduiront à une sortie de crise, du moins si chacun reste mobilisé à la hauteur de ses engagements. Barkhane est en perpétuelle adaptation pour répondre aux enjeux sécuritaire, et peut dorénavant bénéficier des progrès de la démarche de sahélisation et d’européisation, comme vous l’avez démontré. Si le niveau de la menace n’est pas encore à la portée des seuls armées locales, un seuil a été franchi. La crise sahélienne est d’une telle ampleur que sa résolution ne se fera pas à court terme, comme vous l’avez dit. Nous sommes engagés dans une action de bien plus long terme, au service des États locaux et de leurs populations, mais aussi de l’Europe, non seulement dans son flanc sud, mais aussi dans son ensemble. Cette perspective doit être bien expliquée à nos concitoyens pour que leur adhésion garantisse l’engagement durable de l’Europe, condition essentielle à une amélioration significative de la situation. Ne nous trompons pas. Une partie de notre avenir se joue dans le sable du Sahel. Et il nous faut à chaque fois porter le regard le plus sérieux, le plus grave sur ces questions. Vous l’avez d’ailleurs démontré par les réponses précises que vous avez apportées aux nombreuses questions, légitimes, de nos collègues.

La commission de la Défense nationale et des forces armées autorise à l’unanimité le dépôt du rapport d’information sur l’opération Barkhane en vue de sa publication.

 

 

 

 


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   Contributions

 

I.   Contribution de M. Thomas Gassilloud, député, membre de la mission d’information

Le groupe Agir Ensemble souhaite dans un premier temps saluer tous ceux qui s’engagent, ou se sont engagés, pour la paix et le développement au Sahel. L’ensemble des membres du groupe s’incline respectueusement devant la mémoire de ceux qui sont allés jusqu'à donner leurs vies pour remplir leur mission et apporte tout son soutien à leurs proches.

Le groupe Agir Ensemble est particulièrement mobilisé sur la problématique de l’engagement de la France au Sahel, en l’abordant de façon globale. Après avoir porté ce sujet lors de l’examen des crédits de la mission défense en octobre dernier, nous nous sommes félicités de la création de cette mission et, afin de permettre un large débat, bien au-delà de la commission, avons inscrit ce sujet à l’ordre du jour de la séance publique de l’Assemblée nationale ce 4 mars.

Nous tenons également à saluer l’important travail réalisé par les rapporteurs de la mission d'information et par les services de la commission. Premier rapport d'information sur les opérations extérieures depuis le début du quinquennat, traitant de surcroît de celle qui mobilise le plus d’efforts, la publication de ses conclusions est très attendue par la communauté de défense.

Ces écrits sont utiles pour analyser une situation extrêmement complexe, au sein de laquelle des crises de nature différente s’imbriquent. Ils permettent également de dégager quelques pistes de réflexion et de mettre en valeur les résultats produits par nos Armées dans cet environnement particulièrement exigeant.

En complément de ce travail, il nous semble nécessaire, dans l’intérêt national, que le Parlement soit également force de proposition sur les grandes orientations stratégiques de cette opération, afin de dépasser la simple approche disposant que “la stabilisation du Sahel prendra de nombreuses années, et l’honneur de la France serait de rester engagée auprès d’États et de populations amies aussi longtemps qu’il le faudra”.

En effet, si la décision prise par le président de la République au sommet de Pau d’envoyer un renfort de 600 militaires, dit “surge”, a certainement permis de sauver une seconde fois le Sahel, la marge de manœuvre stratégique que nous avons durement gagnée doit maintenant être habilement utilisée.

C’est pourquoi nous proposons d’ouvrir un troisième chapitre de notre engagement au Sahel. Ce “rester autrement”, après Serval et Barkhane, doit être celui du transfert progressif des responsabilités de toute nature aux pays sahéliens, appuyés par une Europe plus unie et plus volontaire.

Tout l’enjeu nous semble désormais de convenir avec l’organisation des Nations Unies, l’Union Européenne et nos partenaires africains d’un calendrier de transfert bâti à partir de jalons et de critères objectifs ; le rôle de la France sur le plan militaire basculant progressivement vers l’accompagnement, puis le soutien vers le maintien d’une garantie de réassurance.

Ce rééquilibrage des forces doit s’accompagner par les autorités sahéliennes des réformes nécessaires pour l’efficacité de leur appareil sécuritaire mais aussi d’un sursaut civil, notamment pour un retour de l’État, et d’un bon État, sur l’ensemble des territoires.

Notre approche globale doit également viser une meilleure implication du secteur privé, des ONG et de la société civile. En ce sens, nous devons rester vigilants à ce que le projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, adopté en première lecture à l’Assemblée Nationale et prévoyant d'augmenter l'aide publique au développement à 0,7 % d’ici 2025, soit pleinement intégré dans une stratégie globale.

Nous devons également mener un exercice plus large de réflexion sur le rôle du parlement en matière de suivi des opérations extérieures (OPEX). Notre Constitution permet au chef de l’État d’engager seul, et donc rapidement, nos Forces. Dans un monde instable, cette spécificité doit être préservée, constituant un avantage stratégique majeur dont peu de démocraties disposent.

Cet avantage impose en contrepartie un suivi rigoureux et permanent des OPEX par le Parlement, afin de s'assurer que les objectifs visés sont conformes aux intérêts de notre pays et que la stratégie mise en œuvre atteigne bien ses objectifs.

Par ailleurs, un tel exercice permettrait de mener un exercice pédagogique à vocation plus large sur la pertinence et les raisons de nos engagements, y compris dans nos propres assemblées. In fine, c’est bien sur la doctrine des OPEX même que nous devons nous interroger et non leur seule déclinaison opérationnelle.

Enfin, à l’heure où l'Europe doit parler d’une voix plus unie si elle ne veut pas subir un déclassement géopolitique, le renforcement du rôle du parlement sur le suivi des OPEX constituerait un avantage supplémentaire pour faciliter l’engagement de nos partenaires et tendre vers une culture stratégique commune.

 

II.   Contribution de M. Bastien Lachaud, député, membre de la mission d’information

Depuis plusieurs années, le niveau d’engagement militaire de la France à l’étranger est exceptionnellement élevé. Depuis l’Afghanistan, la Libye la Centrafrique le Levant et la bande sahélo-saharienne, et en particulier le Mali, ont été et sont parfois encore d’importants théâtres d’opérations pour les forces françaises.

Pourtant ces opérations n’ont fait l’objet d’aucun bilan public de la part des autorités. Très tôt les députés de la France insoumise ont réclamé ce bilan géostratégique considérant notamment qu’il était déterminant dans la définition des objectifs que devrait permettre d’atteindre la Loi de Programmation Militaire. La majorité a refusé de se prêter à l’exercice : ni l’exécutif, ni l’Assemblée n’ont produit de document qui permette de répondre à deux questions simples :

1/ Les situations issues de nos engagements militaires récents sont-elles meilleures que celles qui ont déterminé ces engagements ?

2/ Les opérations en question ont-elles permis de remplir les objectifs préalablement formulés par les autorités politiques ?

Pour le groupe de la France insoumise, il y a fort à parier, au cas où ce travail serait mené de façon impartiale, que l’on doive le plus souvent répondre par la négative. Dans le cas de la deuxième question, il est même probable qu’on ne soit pas réellement en mesure de répondre tant les objectifs réellement poursuivis ont pu être vagues, incertains ou douteux, en particulier en Libye.

Avec la mission d’information parlementaire sur l’opération Barkhane, le groupe de la France insoumise avait espéré qu’on poserait une première pierre à l’édifice de ce bilan géostratégique des OPEX, qu’elle appelait de ses vœux.

Malheureusement, en dépit de l’important travail de documentation fourni par les rapporteurs, qu’il faut saluer, force est de constater que leurs conclusions ne répondent pas aux deux questions posées plus haut.

Ainsi, il ne nous paraît pas possible d’admettre sans broncher que « l’opération Barkhane est un succès incontestable » ou qu’elle est « unanimement saluée ». Dans la mesure où l’aire d’influence et d’action des groupes armés, le nombre de leurs membres, le nombre des morts, des blessés et des déplacés n’a cessé d’augmenter depuis le déploiement des forces françaises dans la zone, il est impossible d’affirmer d’une façon aussi cavalière que la situation est aujourd’hui meilleure qu’en 2014. Cela l’est d’autant moins, si l’on veut bien se rappeler qu’en août 2020 un coup d’État a eu lieu à Bamako et que la junte en place depuis semble chaque jour moins encline à organiser les élections libres qu’elle avait promises devant le mouvement populaire qui avait porté le coup de grâce à la présidence d’Ibrahim Boubacar Keïta.

Quant au fait qu’elle soit « unanimement saluée », on ne peut qu’émettre des réserves quand pour appuyer cette affirmation les rapporteurs ne trouvent que le propos de « nos partenaires » les plus traditionnels.

Au rebours de cet enthousiasme, la thèse générale défendue par les auteurs du rapport nous semble extrêmement fragile. Une lecture un tant soit peu attentive de la première phrase de leur conclusion nous paraît le dévoiler sans peine. On lit ainsi : « L’enlisement de la France au Sahel est un mythe : il n’y a aujourd’hui aucune solution sans Barkhane. »

Que nos forces soient déployées depuis huit ans sans que le territoire contesté par les groupes que nous affrontons ne se soit réduit, cela nous paraît pouvoir au contraire être qualifié d’enlisement. Quant au fait que la situation soit telle qu’elle ne permette pas aux auteurs du rapport d’envisager de solution alternative à la crise malienne que le maintien de l’opération Barkhane, il nous semble même que c’est précisément la définition de l’enlisement.

À notre avis, cette fois encore la contradiction au cœur de cette double affirmation provient d’une définition particulièrement vague et même inadéquate de la mission de nos soldats. En effet, en l’absence de propos clairs de l’exécutif dans ce sens ces dernières années, les auteurs du rapport ne se sont pas affranchies de l’idée paresseuse et désastreuse selon laquelle la France livre au Mali une « guerre contre le terrorisme ».

Du point de vue strict de l’antiterrorisme il faut rappeler que la ministre des Armées a concédé dans l’hémicycle le 4 mars 2021 qu’aucun attentat visant le territoire national ([79]) et préparé au Mali n’avait été déjoué depuis son entrée en fonction. Plus généralement la « guerre contre le terrorisme » mène à une impasse : le terrorisme n’est pas un ennemi, c’est un procédé qu’il est toujours loisible à n’importe quel individu ou groupe, aussi marginal soit-il, d’utiliser. Dans ces conditions, il devient extrêmement difficile de définir quand prend fin une guerre n’opposant pas des États entre eux ([80]).

De proche en proche, d’une « guerre au terrorisme » on conclut à la nécessité « d‘une guerre sans fin », exactement comme le font les auteurs du rapport, selon lesquelles l’opération, éventuellement sous un autre nom, est vouée à muter et à durer encore de « nombreuses années ». Une telle idée nous semble entièrement contraire aux principes politiques de notre République et aux intérêts de la France, dont le crédit, déjà érodé, pâtirait beaucoup si elle paraissait assurer durablement une sorte de tutelle sécuritaire sur un État africain. Nous assurons au contraire que la France doit travailler dès maintenant, avec le peuple malien et les organisations internationales légitimes comme l’ONU et l’Union africaine à la définition d’une feuille de route en vue du retrait des troupes françaises.

Nous ne pouvons accepter le dispositif esquissé par les rapporteurs, conforme aux suggestions faites par le nouveau président nigérien Mohamed Bazoum dans un entretien à France24/RFI le 29 mars 2021 ([81]) , et qui semble le produit de l’hybridation de la guerre par drones menée par les États-Unis depuis maintenant environ vingt ans, et de la stratégie de forces prépositionnées françaises dont l’archétype est la mission Épervier déployée au Tchad depuis 1986.

Pour la France insoumise, ni l’un ni l’autre de ces modèles n’en est un. Ils exposent la France à la détestation des peuples soit parce qu’ils multiplient les risques de bavures, soit parce qu’ils finissent par être l’assurance-vie de régimes détestables voire sanguinaires, comme l’est actuellement celui d’Idriss Déby, au bénéfice duquel par exemple l’aviation française a bombardé sur ordre du président de la République une colonne rebelle en février 2019.

Les discussions autour du bombardement de Bounti offrent une préfiguration emblématique de l’impasse stratégique dans laquelle les préconisations des rapporteurs pourraient placer la France si elles étaient suivies. À cet égard, et dans la mesure où deux institutions dignes de foi, le ministère des armées et la délégation des droits de l’Homme de l’ONU, proposent des récits divergents des événements, il nous paraît regrettable que les rapporteurs n’aient pas essayé d’obtenir des éléments matériels qui auraient permis d’établir avec plus de certitude les faits et concluent que la notoriété de cet événement repose entièrement sur la « guerre informationnelle ». La présidente de la mission d’information, également présidente de la commission de la défense nationale, aurait dû selon nous, user de ses prérogatives pour demander que les images éventuelles de la frappe et des moments qui l’ont précédée et lui ont succédé soient déclassifiées pour pouvoir leur être présentée.

À tout le moins, il nous paraît qu’il aurait été plus fécond d’interroger la discordance des récits plutôt que de les juger entièrement incompatibles et de se croire sommées de prendre le parti de l’une ou l’autre des honorables institutions impliquées dans la controverse. Ce faisant, elles auraient pu conclure que l’erreur d’appréciation est une possibilité inhérente à tout conflit armé et que les autorités politiques doivent en assumer le risque sans en faire peser la responsabilité sur les autorités militaires. Elles auraient pu observer également que le rapport de la Minusma et du ministère des armées s’accordent en fait suffisamment pour faire l’hypothèse que les djihadistes d’abord pris en chasse et participant au mariage présumé de Bounti, pouvaient se trouver lors de la frappe au milieu d’une population civile qui ne leur était pas hostile. Les rapporteurs auraient été amenées à s’interroger sur les perspectives de succès de Barkhane dans un contexte où ni les forces françaises ni les autorités locales ne semblent pouvoir compter sur un soutien franc et massif de la population.

Pour le groupe de la France insoumise, ce point est tout à fait déterminant. En effet, même si depuis quelques années l’action civile et politique a été présentée comme un enjeu déterminant pour le règlement de la crise, il nous semble que les réflexions sur le développement économique ou en faveur de la « bonne gouvernance » tiennent trop peu compte des spécificités socio-économiques de la région. D’autre part, nous regrettons qu’une des caractéristiques essentielles de l’action conjointe de la France et de ses partenaires dans la région ces huit dernières années tient précisément au fait qu’ils n’ont pas assez soutenu l’aspiration à la démocratie du peuple malien et de ses voisins.

Par exemple, la présence de forces étrangères sur le territoire malien est considérée comme un fait établi ne pouvant faire l’objet d’aucune consultation de la population, de même que la mise en œuvre des accords d’Alger, quoique sans cesse remise aux calendes grecques ([82]), comme un préalable au règlement de la crise. Ne pas voir que de tels verrous posés sur le débat démocratique ne permet pas d’apporter de réponse politique à ce que tout le monde accepte pourtant aujourd’hui de considérer comme un problème politique, nous semble l’une des premières urgences à traiter pour permettre qu’enfin nos soldats reviennent à la maison.

 

 

 

 


III.   Contribution de Mme Josy Poueyto, députée, membre de la mission d’information

Le 13 janvier 2020, à Pau, réunis à l’invitation du Président de la République, les chefs d’État des pays du G5 Sahel – Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger, Tchad – et le Président Macron se réunissaient pour ce qu’ils qualifiaient de « moment important après ce que nos pays ont subi ces dernières semaines ». Sept ans après le début de l’opération Serval, déclenchée pour répondre à l’appel à l’aide du président malien, l’année 2019 avait été particulièrement rude. Prenant la suite de cette opération à compter du 1er août 2014, Barkhane rencontrait certes des succès tactiques, mais faisait face à une résurgence de la menace terroriste. Les forces locales, les Casques bleus et l’armée française ont essuyé de lourdes pertes, les populations civiles étant de loin les plus frappées par l’hydre terroriste.

Face à une situation dégradée, le Sommet de Pau a créé les conditions d’un « sursaut militaire », qui s’est matérialisé par le déploiement de 600 militaires supplémentaires, portant le nombre de nos soldats engagés au Sahel à environ 5 100 personnels, ainsi que par le renforcement de nos capacités, avec l’armement des drones Reaper qui y sont déployés. Surtout, l’action militaire s’est renforcée autour de deux axes : la sahélisation des opérations et l’internationalisation des engagements.

Profondément attaché à l’Europe, le groupe Mouvement démocrate tient à souligner, sur ce dernier point, le succès que représente la task force européenne Takuba, lancée dans la foulée du Sommet de Pau, et dont la pleine capacité opérationnelle vient d’être actée par Mme Florence Parly, ministre des Armées, et ses homologues estonien, M. Kalle Laanet, et tchèque, M. Lubomir Metnar. Dans le cadre de Takuba, des unités maliennes sont aujourd’hui accompagnées par des unités des forces spéciales françaises, estoniennes, suédoises et tchèques. Demain, elles seront rejointes par des unités italiennes, puis par d’autres unités belges, danoises, grecques, hollandaises, voire hongroises, slovaques ou ukrainiennes. Takuba est l’illustration concrète de la montée en puissance de l’Europe de la défense.

Et ce d’autant que nombre de nos alliés européens sont également engagés à nos côtés, au sein de Barkhane. C’est en particulier le cas du Royaume-Uni, qui malgré le Brexit reste un allié fidèle, et du Danemark, qui ont respectivement placé, sous le commandement du Groupement tactique désert « aérocombat » (GTD-A), trois hélicoptères Chinook CH-47 et deux hélicoptères Merlin. Le détachement danois ayant rejoint le Levant au 1er janvier 2021. Ces appareils de transport lourd fournissent un appui essentiel à nos opérations, en offrant une capacité de mobilité tactique dont les forces françaises sont dépourvues. Et nos alliés se sont montrés tout à fait satisfaits de cet engagement et de leur intégration au sein des personnels de l’Aviation Légère de l’Armée de Terre (ALAT). Au-delà, les forces allemandes et espagnoles contribuent à nos missions de transport stratégique, et des personnels estoniens participent à la sécurisation de nos emprises sahéliennes. Et s’il ne faut pas oublier le soutien crucial des États-Unis et celui du Canada en matière de transport, là aussi, il faut nous féliciter du rapprochement stratégique opéré en Europe. Ou encore, des nombreuses collaborations engagées dans bien des domaines comme celles portées par l’École des Troupes Aéroportées (ETAP), premier formateur de parachutistes en Europe.

Il importe également de relever que l’engagement européen au Sahel n’est pas uniquement militaire. La crise qui frappe cette région est d’abord civile et politique, en raison des défaillances de certains États. Dans ce contexte, l’Union européenne s’est rapidement mobilisée en faveur d’une approche dite « globale », consacrée par la création de la Coalition pour le Sahel, annoncée lors du Sommet de Pau. Celle-ci réunit notamment en son sein plusieurs initiatives déjà mises sur pied par l’Union européenne ou les États membres, comme l’Alliance Sahel, créée en juillet 2017 à l’initiative de l’Allemagne, de la France et de l’Union européenne, ou comme le Partenariat pour la sécurité et la stabilité au Sahel (P3S), lancé en août 2019 lors du Sommet du G7 organisé à Biarritz, sous l’impulsion du couple franco-allemand. Au Sahel, l’Union européenne mène également trois missions dans le cadre de la politique de sécurité et de défense commune, dont la mission de formation EUTM Mali. Les Européens sont aussi pleinement engagés dans la mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali, chargée de contribuer à la stabilisation du Nord et du Centre du pays. L’Europe est donc déjà au rendez-vous du défi que constitue la stabilisation du Sahel et il faut en prendre conscience, le saluer et le valoriser, même si des progrès restent possibles.

La Mission d’information représente, par ailleurs, une nouvelle occasion de souligner le rôle majeur de l’ALAT dans l’opération Barkhane. C’est aussi une opportunité pour mettre en avant des enjeux placés en amont des missions sur lesquels reposent les succès de l’aval. En effet, la composante héliportée joue un rôle essentiel dans les actions de combat, de protection ou d’appuis.

La préparation au vol opérationnel, particulièrement exigeante, représente une des clés de la réussite, dans un contexte où il faut aussi envisager le retour du risque de haute intensité. Mais force est de constater que la question du nombre d’heures de vols réellement accompli pour atteindre l’ensemble des objectifs reste posée, même si le volume horaire de ces vols a augmenté ces trois dernières années. Il semble ainsi nécessaire de s’interroger sur les leviers susceptibles d’être mis en œuvre pour se maintenir dans la trajectoire de la loi de programmation militaire dans ce domaine. L’équation consiste à ne pas porter atteinte aux justes équilibres entre formation, entraînement et engagement, aussi bien pour les Forces conventionnelles que pour les Forces spéciales.

Barkhane représente l’essentiel des missions aujourd’hui. Il s’agit d’une opération qui se démarque, par exemple, du premier engagement de l’ALAT en Afghanistan. Au Sahel, les régiments se sont adaptés à l’évolution des missions et à des conditions environnementales plus sensibles. Le sable, la chaleur et l’immense superficie à couvrir exigent, plus que jamais, la résilience du matériel et des soldats. Dans cette configuration et dans une perspective de projection, traiter le sujet de la maintenance, du maintien en condition opérationnelle, ne touche pas seulement l’organisation des heures de vols, les aéronefs et leur disponibilité. Cet écosystème est à appréhender dans un vaste ensemble d’interactions, tant en France qu’en opérations extérieures, qui va, à titre d’exemples, du contrôle aérien, aux pompiers, en passant par l’impératif de sauvegarder les savoir-faire dans le domaine de la maintenance et de la logistique, notamment dans notre capacité à préserver un système de soutien projetable à l’heure où nos armées se lient de contrats avec le secteur privé.

Le cas du 5e Régiment d’Hélicoptères de Combat (5e RHC), qui entretient sur la plate-forme militaire de Pau une relation de proximité avec le 4e Régiment d’Hélicoptères des Forces spéciales (4e RHFS), illustre une réussite. Le contrat CHELEM (Contrat pour les Hélicoptères Lourds et de Manœuvre) dont il bénéficie donne satisfaction en raison d’une implication remarquable de l’industriel, lui-même implanté sur le même territoire. À une plus grande échelle, la pertinence de ce type de partenariat, outre la soutenabilité du coût potentiellement facteur indirect de limitation d’activités, doit être observée avec clarté pour éviter la multiplication et l’éloignement des sites et des guichets dans le but de ne pas perdre en efficacité.

C’est au service de cette stratégie militaire, civile et politique que Barkhane contribue chaque jour. L’ensemble du dispositif de stabilisation du Sahel s’effondrerait sans l’engagement quotidien de nos soldats, prêts au sacrifice suprême aux côtés de leurs partenaires sahéliens et internationaux. Chacun se souvient du drame du 25 novembre 2019, quand deux hélicoptères armés par les personnels du 5e Régiment d’hélicoptères de combat se sont percutés en mission dans la vallée d’Eranga, entraînant la mort de 13 militaires français. Au total, 57 militaires français sont morts au Sahel, dont 51 « morts pour la France ». La Nation leur doit une reconnaissance éternelle.


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   Annexes

   Annexe n° 1 :
Auditions, entretiens et déplacements de la mission d’information

(Par ordre chronologique)

 

1.   Auditions

 Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères ‒ M. Clément Leclerc, directeur adjoint à la direction d’Afrique et de l’océan Indien ;

 Direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) M. le général de corps aérien Luc de Rancourt de Mimerand, directeur général adjoint, M. le général Régis Colcombet, chef du service des affaires de sécurité internationale, M. le colonel Bruno Pithois, chef du département Afrique ;

M. le général Pascal Facon, ancien commandant de la force Barkhane, chargé de mission auprès du chef d’état-major des armées ;

 Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS)M. Olivier de France, directeur de recherche, Mme Caroline Roussy, chercheuse ;

 Agence française de développement (AFD)M. Rémy Rioux, directeur général, Mme Rima Le Coguic, directrice du département « Afrique » ;

Son Excellence M. Alain Francis Ilboudo, ambassadeur du Burkina Faso en France, M. Jean Claude Bakiono, premier conseiller, M. Tuandaba Coulibaly, attaché de défense ;

M. Mohamed El Bechir Mohamdy, conseiller à l’ambassade de Mauritanie en France ;

Commandement des opérations spéciales M. le général Éric Vidaud, commandant des opérations spéciales ;

Son Excellence M. Ado Elhadji Abou, ambassadeur du Niger en France ;

 Institut de recherche pour le développement (IRD)M. Marc-Antoine Pérouse de Montclos, directeur de recherche ;

M. le colonel (ER) Michel Goya, docteur en histoire contemporaine, chercheur indépendant ;

 Direction du renseignement militaire ‒ M. le général Jean-François Ferlet, directeur du renseignement militaire ;

 Institut français des relations internationales (IFRI)M. Alain Antil, chercheur, directeur du centre de l’Afrique subsaharienne ;

M. Bernard Lugan, historien ;

Ambassade des États-Unis en France, M. le colonel Allen Pepper, attaché de défense à Paris ;

Commission européenne, M. Stefano Tomat, directeur de l’approche intégrée pour la sécurité et la paix (ISP) au sein du service européen pour l’action extérieure et M. le vice-amiral Hervé Bléjean, directeur général de l’état-major de l’Union européenne ;

 Ambassade de France au Mali, M. Joël Meyer, ambassadeur de France, M. le colonel Olivier de Charnace, attaché de défense ;

Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) M. Bernard Émié, directeur général ;

 Ambassade de la République fédérale d’Allemagne en France ‒ M. le général Gerhard Klaffus, attaché de défense, Mme Katrin aus Dem Siepen, chef du département « politique » ;

 Mme Niagalé Bagayoko, docteure en science-politique, politologue, présidente de l’African Security Sector Network ;

 Représentants des autorités de la République de l’Estonie Mme Tuuli Duneton, directrice des affaires politiques au ministère de la Défense, M. le colonel Andres Helm-Rosin, attaché de défense à Paris ;

M. Yvan Guichaoua, enseignant-chercheur en analyse des conflits à la Brussels school of international studies (BSIS) ;

 Center for civilians in conflict (CIVIC) ‒ Mme Béatrice Godefroy, directrice « Europe », M. Vianney Bisimwa, directeur régional « Sahel » ;

 International crisis group ‒ M. Jean-Hervé Jezequel, directeur de projet « Sahel » ;

 État-major de l’armée de terre, M. le général Thierry Burkhard, chef d’état-major, à l’occasion d’un entretien avec la présidente et les rapporteures ;

 Ambassade du Royaume de Danemark en France ‒ M. le général Joachim, Prince de Danemark, attaché de défense, M. Kristian Rasmussen, ministre conseiller, M. le capitaine de frégate Dennis Armand Vad, attaché de défense adjoint, Mme Kathrine Møller Schütz, stagiaire du service « politique » ;

 État-major de l'armée de l’air et de l’espace M. le général Philippe Moralès, sous-chef activités, Mme Anne-Charlotte Bedino, chargée de mission « analyse et synthèse » ;

 Représentants des autorités du Royaume-Uni Mme Clare Simpson, directrice adjointe chargée de l'Afrique sub-saharienne, de l'Amérique latine et des Caraïbes à la direction des affaires internationales du ministère de la Défense, M. le général Tim Below, attaché de défense à Paris, M. le colonel Howard Wilkinson, attaché de défense-adjoint « Terre » à Paris ;

 Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA)M. le général Dennis Gyllensporre, commandant de la force, Mme Claudia Banz, cheffe de cabinet ;

 Centre de planification et de conduite des opérations (CPCO) M. le lieutenant-colonel Aurélien Moy, adjoint du chef du bureau « opérations » (J3) Afrique, M. le lieutenant-colonel Franck Bellanger, adjoint du chef du bureau « planification » (J5) Afrique ;

M. le général Pierre-Joseph Givre, chef d’état-major de la MINUSMA.

2.   Auditions de la commission de la Défense nationale et des forces armées

M. le général de division Marc Conruyt, commandant de la force Barkhane ;

M. le général de corps aérien Stéphane Mille, sous-chef « Opérations » (SCOPS) à l’état-major des Armées sur l’opération Barkhane ;

M. le général Oumarou Namata Gazama, commandant de la force conjointe du G5 Sahel.

3.   Déplacement

● Niamey (Niger) et Gao (Mali) – 6-9 novembre 2020

– Entretien avec M. Alexandre Garcia, ambassadeur de France au Niger ;

– Entretien avec M. le général Marc Conruyt, commandant de la force Barkhane ;

– Entretien avec le colonel Fabien Delacotte, représentant du commandant de la Force Barkhane à Gao, et les personnels déployés sur la Plateforme opérationnelle « désert » de Gao, y compris les personnels des détachements britanniques et danois ;

– Entretien avec les personnels de la force Takuba, y compris les personnels des détachements estoniens et suédois, ainsi que le capitaine Hamza, commandant d’unité légère de reconnaissance d’intervention des Forces armées maliennes ;

– Entretien avec M. le Gouverneur de Gao ;

– Entretien avec M. Mohamed El-Amine Souef, chef du bureau régional de la MINUSMA à Gao ;

– Entretien avec M. le colonel Coulibaly, commandant le secteur 1 d’intervention des forces armées maliennes ;

– Entretien avec M. le colonel Yann Malard, commandant de la base aérienne projetée de Niamey, et les personnels déployés sur la base.


   Annexe n° 2 : Cartes des pays du G5 Sahel

 

C:\Users\sparis\AppData\Local\Microsoft\Windows\INetCache\Content.Outlook\H5IHS58F\Carte du Burkina Faso.jpg

 

 

 

C:\Users\sparis\AppData\Local\Microsoft\Windows\INetCache\Content.Outlook\H5IHS58F\Carte du Mali.jpg

 

 

 

 

C:\Users\sparis\AppData\Local\Microsoft\Windows\INetCache\Content.Outlook\H5IHS58F\Carte de la Mauritanie.jpg

 

 

C:\Users\sparis\AppData\Local\Microsoft\Windows\INetCache\Content.Outlook\H5IHS58F\Carte du Niger.jpg

 

 

C:\Users\sparis\AppData\Local\Microsoft\Windows\INetCache\Content.Outlook\H5IHS58F\Carte du Tchad.jpg


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   Annexe n° 3 : Compte rendu de l’audition de M. le général de division Marc Conruyt, commandant de la force Barkhane du 25 novembre 2020

Mme la présidente Françoise Dumas. Général, c’est un privilège pour notre commission de vous entendre aujourd’hui au sujet de l’évolution de l’opération Barkhane.

Votre audition s’inscrit dans le cadre d’un cycle que nous avons souhaité consacrer à notre engagement dans la bande sahélo-saharienne (BSS). Dès la semaine prochaine, nous recevrons le général Oumarou Namata, commandant la force conjointe du G5 Sahel, ainsi que le général Stéphane Mille, sous-chef « Opérations » à l’état-major des armées. Surtout, notre commission a créé une mission d’information sur l’opération Barkhane, confiée à nos collègues Sereine Mauborgne et Nathalie Serre.

Avec les co-rapporteures et Jean-Jacques Ferrara, nous nous sommes rendus à Niamey et Gao au début du mois. Nous avons eu le privilège de vous y rencontrer et nous vous remercions à nouveau pour la disponibilité dont vous avez fait preuve et tous les échanges que nous avons eus. Nous avons mesuré le plein engagement et le professionnalisme de nos militaires, ainsi que les progrès réalisés au cours de l’année écoulée, grâce à la montée en puissance des forces partenaires. L’opération Bourrasque en a été la parfaite illustration ; le court film de présentation que vous nous avez fait parvenir en donne quelques images.

Nous n’ignorons pas toutefois que d’importants défis se dressent encore devant nous. La dissémination de la menace terroriste constitue sa principale force ; même affaiblis, les groupes armés terroristes demeurent des ennemis difficiles à neutraliser. Cela explique que les choses n’aillent pas aussi vite que nous le souhaiterions sur les piliers complémentaires de l’action militaire que sont le renforcement des forces locales, l’aide au développement et le retour de l’État dans toutes ses dimensions.

En outre, l’européanisation et l’internationalisation de l’engagement au Sahel apparaissent encore trop limitées.

C’est donc d’abord sur l’état d’avancement de notre démarche partenariale, du Sahel à Bruxelles, que nous souhaiterions vous interroger.

Avant de vous céder la parole, je ne peux passer sous silence le fait que votre audition se tient un an jour pour jour après l’accident d’hélicoptères qui, dans le Liptako, a causé la mort de treize de nos militaires. Au nom de l’ensemble de mes collègues, je réitère l’expression de notre sympathie et notre soutien à leurs familles et à leurs frères d’armes. Je pense en particulier aux femmes et aux hommes du 5e régiment d’hélicoptères de combat, du 4e régiment de chasseurs, du 93e régiment d’artillerie de montagne et du 2e régiment étranger du génie.

Au-delà, alors que vous-même avez connu des pertes parmi vos hommes depuis votre prise de commandement cet été, soyez assuré de l’entier soutien et de la fierté de notre Assemblée à l’égard de celles et ceux qui se sont engagés au service des armes de la France.

Pour mes collègues comme pour moi-même, ces moments partagés resteront gravés dans nos pensées et dans nos cœurs. Nous avons pu mesurer le niveau d’abnégation de tous les soldats, quels que soient les grades et qualités.

M. le général Marc Conruyt, commandant de la force Barkhane. Madame la présidente, au nom de mes soldats, merci de vos paroles.

Mesdames et Messieurs les députés, je vous remercie de m’offrir la possibilité de m’exprimer devant la représentation nationale en qualité de commandant de la Force Barkhane. J’ai eu le plaisir d’accueillir très récemment plusieurs d’entre vous sur le théâtre d’opérations, dans le cadre de la mission d’information sur l’opération Barkhane. Il est important pour moi de témoigner devant votre commission de la réalité et du sens de cet engagement majeur des armées françaises.

J’ai pris mes fonctions cet été. Je tiens avant tout à saluer la mémoire de nos soldats tombés au Sahel. Depuis cette date, ils sont au nombre de quatre, autant de témoins de la dureté de l’engagement que nous menons. Puisque nous sommes le 25 novembre, je souhaiterais rendre hommage à nos treize frères d’armes morts pour la France, il y a un an, lors des combats de la vallée d’Eranga.

Le sommet de Pau a permis un sursaut, le 13 janvier dernier. Sursaut militaire, d’abord, qui s’est incarné par les renforts dont a bénéficié Barkhane et qui a permis de porter un coup sévère à l’ennemi alors désigné comme prioritaire par le Président de la République, à savoir le groupe « État islamique dans le grand Sahara » (EIGS). Sursaut politique, ensuite, dans la mesure où le lancement de la coalition pour le Sahel a donné un cadre intégré et international à notre effort, à la hauteur des ambitions de notre pays dans ce voisinage géographiquement si proche et stratégiquement si important pour nous.

Dans mon propos liminaire, je souhaiterais apporter un éclairage de niveau opératif sur Barkhane qui, depuis son déclenchement, ne cesse de se réinventer et, aujourd’hui encore, évolue profondément. Il n’y a pas deux mandats Barkhane similaires. La raison en est simple : l’ennemi a sa propre volonté, sa stratégie, le contexte évolue, l’environnement change. Nous faisons face au Sahel à un enchevêtrement de crises et de conflits dont on souligne à juste titre les racines complexes, mais dont on voudrait parfois que la réponse à y apporter soit simple et rapide. Ma conviction est que notre stratégie est cohérente et que ses objectifs sont atteignables. Mon constat est que sa mise en œuvre reste soumise aux circonstances, à l’art opératif, au jeu politique, à l’expertise tactique même et à la détermination des moyens que nous y consacrons. Ce sont ces paramètres, cette tension, ces dilemmes parfois, que je souhaite vous exposer.

Quels constats faire sur ces premiers mois ?

Premièrement, nous faisons face à un ennemi qui évolue. Au terme des opérations récentes, dont l’opération Bourrasque, en octobre, l’État islamique dans le grand Sahara a été affaibli dans le Liptako malo-nigérien, même s’il convient de garder une forme de prudence sur l’évaluation que nous faisons de cet ennemi. Si celui-ci conserve une capacité de nuisance et de régénération, il semble davantage à la portée des forces partenaires sahéliennes. Ses capacités actuelles ne lui permettent plus d’envisager la prise de postes avancés comme en 2019. S’il cherche toujours à se développer, c’est plus lentement, en reconstituant ses réseaux de racket et en visant les cadres de l’État ou les chefs locaux pour prendre l’ascendant sur les populations.

Dans le même temps, le rassemblement pour la victoire de l’islam et des musulmans (RVIM), nébuleuse de plusieurs groupes liés à Al-Qaïda, étend son influence, consolide son organisation et gagne en confiance. C’est à ce jour l’ennemi le plus dangereux pour la Force Barkhane, pour les forces internationales et pour le Mali. Non seulement il déstabilise les périphéries du nord du Mali, mais il a en outre porté la guerre au centre, qui est le cœur économique et le bassin de population du pays. À partir de là, il cherche à progresser vers le bassin côtier de l’Afrique de l’Ouest. Soyons clairs : cet ennemi nous cible au Sahel et le ferait probablement en France s’il en avait l’occasion. Cet ennemi est rusé, agile, capable à la fois d’une vision et de coups tactiques. Il dispose de compétences critiques et d’une expérience acquise sur le long cours. Prospérant sur la misère, l’endoctrinement, l’absence d’alternative sociale ou économique, de manière plus insidieuse et patiente que l’EIGS, il cherche à établir son propre mode de gouvernement. Il s’appuie pour cela sur les tensions communautaires existantes en attirant à lui les exclus, les relégués, les menacés, bref, ceux que l’État ne peut protéger ou aider.

Face à l’EIGS et au RVIM, nos partenaires sahéliens doivent poursuivre et amplifier leurs progrès militaires, mais aussi consentir un effort supplémentaire, avec le soutien de la communauté internationale, en termes de sécurité intérieure, de retour de l’État et de développement économique. C’est à ces conditions qu’une solution pour les populations se dessinera et permettra de donner une alternative que le recrutement des mouvements terroristes.

Deuxièmement, le contexte lui aussi évolue. Cinq éléments récents ont influencé l’environnement de l’opération Barkhane ces derniers mois.

Le premier est l’attaque de Kouré, au Niger, où six de nos ressortissants ont été assassinés. Cette attaque, que l’on attribue à un groupe lié à l’EIGS, a eu un double effet : en France, où elle a suscité dans l’opinion publique un débat légitime sur notre engagement, mais également au Niger, en ternissant les efforts que les autorités ont conduits et les résultats qu’elles ont obtenus depuis une année.

Le deuxième événement est la transition en cours au Mali, qui doit conduire à des élections générales au début de l’année 2022. Sur le plan opérationnel, cela n’a quasiment rien changé à notre coopération avec les forces armées maliennes (FAMa), qui est très bonne. La dynamique de notre relation avec la haute hiérarchie militaire qui a pris ses fonctions récemment offre même des opportunités nouvelles.

Le troisième événement est la libération des 204 prisonniers djihadistes, qui a suscité, là encore, des interrogations légitimes dans notre pays. Les déclarations du niveau stratégique et politique ont répondu à ces interrogations, qui sont restées limitées au sein de Barkhane et des familles de soldats. En ce qui me concerne, j’ai bien entendu un point d’attention particulier sur les conséquences sécuritaires.

Autre élément de contexte : la série d’élections dans la sous-région, dont le Burkina Faso, ce week-end. En tant que COMANFOR Barkhane, cela n’a pas diverti mes moyens, mais la plus grande vigilance reste de mise, car la sécurité de nos compatriotes peut être en jeu.

Enfin, le débat sur l’islam en France et ses répercussions à l’étranger n’est pas neutre pour une opération française qui se déroule dans des pays de religion et de culture musulmanes.

Quelle est la feuille de route de Barkhane ? Vous le savez, nos actions visent simultanément à réduire la capacité de nuisance des groupes terroristes et à renforcer les capacités des forces partenaires, de façon à mettre les premiers à la portée de celles-ci.

Il s’agit donc d’abord de mettre en échec l’ennemi en contrant sa stratégie. Il faut donc comprendre qui il est, quels sont ses objectifs, afin d’en désarticuler les différentes composantes et les traiter par les outils appropriés. Pour cela, notre manœuvre combine de multiples effets : neutraliser les cadres et les combattants ; perturber la coordination entre les katibas qui se renforcent par l’échange d’hommes, d’informations, d’équipements ; empêcher les bascules entre espaces sahariens et sahéliens, voire côtiers. Il faut aussi assécher les viviers de recrutement, désamorcer la dynamique d’exploitation des minorités qui alimentent le terrorisme.

Mais au-delà de ces actions directes ou indirectes sur l’ennemi, c’est bien des partenariats avec les forces armées africaines, nationales et internationales, que viendra la solution. L’action des forces et des organisations partenaires en appui direct de la montée en puissance de celles-ci, en premier lieu des FAMa, est à ce titre essentielle, car Barkhane ne peut pas faire cela seule.

Je souhaiterais donc maintenant explorer trois dimensions qui illustrent comment Barkhane soutient un écosystème stratégique varié.

La sahélisation d’abord, qui comprend deux volets : que nos partenaires occupent une part croissante, quantitativement et qualitativement, dans l’effort militaire global et qu’ils accroissent leur coordination entre eux, puisque le défi du terrorisme est transfrontalier.

L’opération Bourrasque est un exemple et a constitué un jalon important vers une victoire collective contre l’EIGS. En engageant près de 3 000 soldats, pour moitié de Barkhane, pour moitié des forces sahéliennes, comprenant notamment plus de 1 000 soldats nigériens, nous avons mis en œuvre une opération intégrée jusqu’aux plus bas échelons. Un poste de commandement avancé a été mis en place à Niamey, d’où des officiers français, nigériens, maliens, de la force conjointe du G5 Sahel ont planifié et conduit Bourrasque. Je souhaiterais également saluer la contribution américaine, moins connue, mais significative, dont l’intégration a encore franchi un cap.

De cette opération, je retiens plusieurs enseignements.

D’abord, l’importance pour Barkhane de développer la plus grande agilité tactique et interarmées, au sol et dans les airs ; la vitesse et la surprise, gages de supériorité ; et l’efficacité du caractère multi milieux de nos opérations, qui permet de synchroniser les différents effets que nous sommes capables de produire.

Ensuite, la complémentarité des avantages entre partenaires, à travers la combinaison de nos capacités cinétiques et technologiques avec la mobilité et la connaissance de terrain des armées sahéliennes : nos soldats ont pu vérifier sur le terrain que ce partenariat de combat était loin d’être à sens unique.

Enfin, le surcroît de force morale et de confiance au sein des forces partenaires, en particulier nigériennes, qui ouvre la voie à une réponse intégrée nationale pérenne.

Il nous faut reproduire cette dynamique avec nos autres partenaires. Les récents combats que nous avons menés avec les FAMa près de Boulikessi, dans le Gourma, à l’intensité égale de ceux d’Afghanistan, prouvent qu’eux aussi y sont prêts.

En parallèle, nous avons poursuivi notre effort visant à harmoniser les plans de campagne de chacun des pays du G5 Sahel, l’interopérabilité de leurs forces armées, bref, à garantir la cohérence opérative des efforts militaires au Sahel. Le Mali est un bon exemple de ce défi, puisque le pays réunit cinq forces : les FAMa, Barkhane, la MINUSMA, la mission de formation de l’Union européenne au Mali (EUTM) et la force conjointe du G5. Ces entités sont complémentaires et leur action permet à Barkhane de concentrer ses moyens sur ses objectifs opératifs.

Face à l’immensité des défis et sans cette complémentarité, je serais sans cesse sollicité au-delà de mes moyens. C’est donc une fonction importante et souvent méconnue de Barkhane que d’entraîner d’autres acteurs et de mettre en cohérence les différentes actions. Prenons l’exemple du maillage territorial de postes militaires avancés : pour les reconstruire, il faut que les intéressés établissent le besoin et les spécifications, que l’Union européenne trouve les financements, que la MINUSMA se charge des travaux et que Barkhane s’assure de la meilleure coordination de ceux-ci avec les opérations. Pour ce faire, nous nous appuyons sur notre réseau partenarial, composé d’éléments insérés dans les états-majors ou dans les unités de nos alliés, et que nous venons encore de densifier. Cette intégration nous est permise par une relation ancienne et de confiance avec des partenaires qui reconnaissent notre compétence et notre fidélité.

Après la sahélisation, le second aspect est l’européanisation qui est, en quelque sorte, le levier qui permet de démultiplier les effets produits par nos partenaires sahéliens, et, comme l’a récemment souligné votre commission, le témoignage du partage du fardeau.

En voici deux exemples importants.

Le premier task group de Takuba, composé de Français, d’Estoniens, et jumelé avec une unité malienne, a été engagé dans Bourrasque dans des zones difficiles du Liptako et a donné entière satisfaction. Il préfigure le modèle qui sera suivi au début de l’année prochaine par les contingents tchèque, suédois et italien. Ceux-ci donneront à Takuba son volume critique. Mais nous aurons besoin encore d’un à deux task groups, ainsi que de capacités rares essentielles.

Complémentaires à l’action de Barkhane, les missions de l’Union européenne au Sahel contribuent à renforcer les capacités de nos partenaires. C’est le cas d’EUTM qui, par ses actions de conseil, de formation, voire d’entraînement participe à la montée en puissance des armées sahéliennes et de la force conjointe du G5. Parce que les FAMa restent le centre de gravité de notre campagne au Sahel, EUTM doit toujours y consacrer l’essentiel de ses efforts.

Je dois aussi citer l’apport essentiel des hélicoptères danois et britanniques, totalement intégrés dans la force Barkhane.

Enfin, l’opération Barkhane s’inscrit dans le cadre d’une approche intégrée. Nous savons que la crise sahélienne nécessite la combinaison de trois actions : rétablir la sécurité, restaurer la bonne gouvernance et développer l’économie. Nous ne sommes que concourants dans les dimensions de stabilisation et de développement, mais la recherche de complémentarité est permanente car nécessaire. C’est le principe de la Coalition pour le Sahel lancée au printemps dernier. À mon niveau, je tire un bilan très positif du travail en commun que Barkhane conduit avec l’ensemble des acteurs français, notamment nos ambassades, les antennes locales de l’agence française de développement (AFD), les services de coopération et les autres acteurs internationaux.

Avant de conclure, je voudrais insister sur trois points.

D’abord, notre campagne militaire est cohérente et nous allons continuer à frapper tous les groupes terroristes indistinctement, tout en renforçant notre partenariat de combat avec les armées sahéliennes grâce à une intégration croissante.

Ensuite, mes moyens pour cela sont suffisants, mais il n’y a rien de superflu, et ma marge de manœuvre est ténue. J’en citerai deux exemples. Une section de soldats estoniens chargés de la force protection à Gao, cela peut paraître peu, mais cela permet par ricochet de compléter une compagnie française et de disposer d’un pion de manœuvre supplémentaire sur le terrain, pour conduire les opérations et accompagner nos partenaires. La même démonstration peut être faite pour les hélicoptères : je perdrai deux hélicoptères Merlin danois fin décembre, dont le mandat n’est pas renouvelé. Ce sera 20 % en moins de ma capacité d’héliportage, déjà juste suffisante.

Enfin, soyons clairs sur l’engagement des Européens : ce qui est fait l’est de manière excellente et fait la différence, mais c’est encore trop peu. Beaucoup pourraient faire davantage, notamment en soutien direct à Barkhane.

Pour conclure, j’exprimerai une interrogation. Que serait le Sahel sans notre engagement ? Il s’agit d’une démonstration difficile, mais je n’ai guère de doute sur la réponse. D’abord, Barkhane n’apporte certes qu’une partie de la réponse aux défis de la région, mais c’est une partie première et incontournable, car il y a, avant tout, un ennemi à défaire. Ensuite, cette contribution autorise d’autres acteurs, les pays du Sahel en premier lieu, à mettre en œuvre les processus politiques et les actions structurelles qui conditionnent une solution durable. Elle permet aussi que d’autres, issus d’Europe ou d’ailleurs, interviennent en supplément ou en complément de nos efforts. Enfin, même si la voie de sortie est avant tout politique, je reste convaincu que sans Barkhane, la question de la stabilité régionale serait posée à très court terme.

Mme Sereine Mauborgne, co-rapporteure de la mission d’information sur l’opération Barkhane. Général, tout comme ma présidente, je tiens à vous remercier de l’accueil et l’attention que vous nous avez réservés lors de notre visite.

Dans une interview donnée au magazine Jeune Afrique, le Président de la République a longuement évoqué notre engagement au Sahel et ses perspectives. Il a rappelé l’opposition de la France à discuter avec les groupes armés terroristes et souligné la nécessité de mettre en œuvre l’accord pour la paix et la réconciliation de 2015, le fameux accord d’Alger. Quel est votre sentiment quant à la mise en œuvre de ces accords et quelle est votre perception de la position des pays du G5 Sahel quant à d’éventuelles discussions de ce type ?

En outre, le chef de l’État a confirmé que le format de l’opération Barkhane pourrait évoluer au cours des prochains mois, sans doute à l’occasion de la prochaine relève, en mars 2021, après le renfort de 600 militaires supplémentaires décidé dans la foulée du sommet de Pau. Quelles sont les implications d’une telle évolution ? Quelles pourraient en être les modalités ?

Enfin, permettez-moi une question volontairement provocatrice : quand pensez-vous que l’opération Barkhane doive se terminer ?

Mme Nathalie Serre, co-rapporteure de la mission d’information sur l’opération Barkhane. Je joins mes remerciements à ceux de Sereine Mauborgne. Vous avez évoqué les progrès réalisés au cours de l’année écoulée en matière de partenariats, je n’y reviendrai pas, préférant aborder les manques et les défis qui se dressent devant nous.

La quasi-suspension des actions de formation de l’EUTM Mali d’avril à mi-octobre 2020 s’est révélée dramatique pour les forces armées maliennes. En outre, l’équipement et le soutien des unités de la force conjointe demeurent des facteurs limitants, alors même qu’elle est de plus en plus opérationnelle. Dans ce contexte, quel bilan faites-vous des actions de l’EUTM Mali et de la MINUSMA ? Au lendemain des élections au Burkina Faso et à la veille des élections au Niger, percevez-vous un risque de changement de pied de la part des autorités locales ?

Je crois avoir compris que le soutien américain ne se démentait pas, malgré certaines évocations d’une diminution de l’ambition d’AFRICOM. Pouvez-vous le confirmer ?

Quant à la task force Takuba, elle monte en puissance mais connaît des retards de mise en route. Quel en est l’impact ? Alors que nombre de nations européennes sont présentes au Sahel, au travers de différents instruments, quelles conséquences peuvent entraîner les caveats qui régissent leurs engagements ?

Mme Josy Poueyto. Permettez-moi d’abord d’avoir une pensée pour nos treize militaires tragiquement décédés il y a tout juste un an.

Ces dernières semaines, la force Barkhane a enchaîné plusieurs succès dans ses opérations contre les djihadistes. Dans ce contexte favorable, la multiplication du nombre de raids est associée à des annonces plus fortement médiatisées. À qui s’adressent ces messages dans un contexte où plusieurs enjeux restent ouverts ? Cinq ans après leur signature, les accords d’Alger reviennent de plus en plus souvent dans les discussions. J’entends aussi beaucoup parler de retards dans la mise en œuvre de la transition ou encore d’une réduction de la voilure française dès le début de l’année 2021. La situation actuelle pourrait pousser dans ce sens et les anticipations ne manquent pas d’être élaborées.

Cette interrogation prend un relief particulier à la lecture d’une de vos récentes déclarations reprise par l’AFP. Vous indiquez que l’État islamique au grand Sahara a subi plusieurs mois des pertes humaines, des frappes, des privations de moyens qui l’ont singulièrement affaibli, tout en précisant que l’autre faction, le RVIM, a eu tendance à en tirer profit au point de devenir l’ennemi le plus dangereux pour le Mali et les forces internationales. Que voulez-vous dire, dans le contexte d’incertitude que je viens sommairement de décrire ?

Ces questions sont un avant-goût de la mission d’information sur Barkhane à laquelle j’ai l’honneur de participer.

M. Thomas Gassilloud. Je salue, depuis la Mauritanie, l’engagement de nos soldats dans l’opération Barkhane qui, dans le prolongement du sommet de Pau, porte ses fruits sur le plan tactique. Mais ces succès ne suffisent pas pour aboutir à un résultat global.

Vous avez indiqué que cette contribution militaire autorise d’autres acteurs à mettre en place des solutions durables. Pour ma part, je pense que cette contribution militaire et le prix que nous en payons imposent aux acteurs politiques locaux de mettre en place des solutions durables. Il convient d’approfondir la dimension contractuelle de notre engagement, tel qu’initié à Pau, car nos résultats tactiques ne seront valorisés que s’ils sont suivis d’une transformation politique.

À mon sens, le cas de la Mauritanie est intéressant pour comprendre ce qui se passe au Sahel, parce qu’elle y occupe une place singulière. Elle accueille le secrétariat exécutif du G5 Sahel dont elle exerce actuellement la présidence et héberge le conseil de défense. Mais au-delà, la Mauritanie conduit une action exemplaire en matière de sécurité sur son propre territoire, puisqu’après une période difficile, elle connaît, depuis dix ans, une certaine stabilité : on peut même parler de modèle mauritanien. Partagez-vous ce constat ? Quelles sont les raisons de son succès ? Ce modèle mauritanien peut être utile à d’autres pays du Sahel et pour notre réflexion sur l’évolution inéluctable de notre propre stratégie.

M. Grégory Labille. J’appellerai votre attention sur l’inflation des discours anti-français au Sahel et sur le rôle qu’y jouent la Turquie et la Russie. Les réseaux sociaux sont la cible de campagnes de désinformation visant la force Barkhane. Pire, les responsables locaux, qu’ils soient dans l’opposition ou au pouvoir, peuvent être vecteurs de fausses informations : je pense notamment aux accusations mensongères sur le comportement des légionnaires français. Comme l’explique le Président de la République, ces discours sont indignes, parce qu’ils servent d’autres intérêts, soit ceux des groupements terroristes, soit ceux d’autres puissances étrangères qui veulent simplement voir les Européens s’éloigner, parce qu’elles ont leur propre agenda de mercenaires. Quel est votre avis sur l’effet de ces infox et sur les moyens mis en œuvre pour lutter contre ces manipulations de l’information ?

M. Bastien Lachaud. Comment organisez-vous les opérations afin d’éviter la dispersion des djihadistes au Niger et au Burkina Faso ? Sont-elles des souricières ou plutôt des coups de pied dans la fourmilière, susceptibles de provoquer une dissémination malheureuse dans les pays voisins ?

Quelles sont les règles d’engagement des cibles par les drones ? Existe-t-il une liste de HVT (high valuable targets) et si tel est le cas, quelle est sa base légale ?

Le général Lecointre a dit que nous affrontions 2 000 à 2 500 ennemis au Sahel. En mars 2020, on annonçait une centaine d’ennemis éliminés par mois, c’est-à-dire guère moins que les chiffres annoncés actuellement. Y a-t-il réellement une augmentation du nombre d’ennemis éliminés ces derniers mois ? Un calcul arithmétique pourrait laisser croire que, dans vingt-cinq mois, il ne devrait plus y avoir d’ennemis au Sahel et que l’opération Barkhane pourrait être interrompue. Quelles mesures prenons-nous pour éviter l’enrôlement de nouvelles populations par les groupes terroristes ? Les dommages collatéraux liés à nos opérations peuvent-ils alimenter le sentiment antifrançais au sein des populations, voire les inciter à rejoindre les groupes terroristes ?

M. André Chassaigne. Sitôt que se produisent des morts, des accidents tragiques, le doute et l’incompréhension s’emparent des esprits et nos compatriotes ont le sentiment que le bilan des interventions se résume trop souvent à des succès militaires sans lendemain : si, au Mali, les djihadistes sont empêchés de prendre le pouvoir, les attentats se multiplient dans une zone de plus en plus vaste et les communautés continuent de se déchirer. Conflits ethniques, religieux, ambitions régionales, manœuvres d’autres grandes puissances, criminalité tentaculaire, on connaît tout cela. On sait aussi la difficulté de répondre à deux exigences : d’un côté, le respect des conventions internationales et la protection d’une population tout à la fois enjeu et victime de la guerre, parfois aussi complice des opposants ; de l’autre, un ennemi qui évolue, ne respecte pas le droit international, use de méthodes d’intimidation par la terreur pour compenser son infériorité technique.

En Afrique, les relations humaines sont essentielles. Il faut établir la confiance et travailler sur le temps long. Certains invitent à s’inspirer d’un Faidherbe resté onze ans au Sénégal ou, plus récemment, du général Cortadellas, demeuré suffisamment longtemps en poste pour établir l’armée et l’administration tchadiennes. On peut comprendre qu’il faille remplacer les unités tous les six mois ; mais ne faudrait-il pas que le commandement reste en place pour trois ans, par exemple, et que les conseillers des armées locales restent présents plus longtemps ? N’y a-t-il pas là un handicap qu’il faudrait surmonter ?

M. Jean Lassalle. Je vous remercie pour votre exposé au travers duquel j’ai senti l’immense complexité dans laquelle vous êtes tenu d’évoluer.

Le changement politique au Mali est-il intervenu en relation avec la France ? S’agit-il d’un coup d’État ? Les nouvelles autorités sont-elles réellement de notre côté ?

La libération annoncée de 204 djihadistes a-t-elle vraiment eu lieu ?

Enfin, ne trouvez-vous pas que la France est un peu seule pour assumer une si grande mission dans un territoire aussi vaste ?

M. le général Marc Conruyt. La semaine dernière, nous avons assisté à une reprise encourageante lors de la 41e session du comité de suivi de l’accord d’Alger (CSA). Après de longues années de blocage et d’immobilisme, cette reprise doit se concrétiser. Du point de vue militaire, elle doit s’incarner dans le cadre des unités reconstituées, suivant le principe de l’inclusivité. Il faut espérer que la reprise du CSA débouche sur le déblocage de la reconstitution de ces unités, car les Forces armées maliennes en ont bien besoin.

Pour ce qui est des négociations, le Président de la République a été extrêmement clair. Je peux affirmer que ce facteur n’a jamais pesé sur nos opérations. Il ne m’a d’ailleurs pas semblé que les soldats maliens qui nous accompagnent lors des opérations se posent la question. N’oublions pas que l’argument du dialogue fait dans une certaine mesure partie du modus operandi d’Al-Qaïda : c’est pour eux un moyen de peser sur les processus en cours et d’avancer leurs pions. Il ne faut pas être naïf.

Vous m’avez interrogé sur l’évolution de Barkhane. Dans toute la BSS, notre dispositif représente un peu plus de 5 000 hommes, c’est-à-dire autant que ce que nous avions engagé dans la seule Côte-d’Ivoire en 2005 : c’est dire l’importance du défi qui est le nôtre. Depuis de longues années, ce dispositif a prouvé, et prouve encore quotidiennement son efficacité. Ses effets opérationnels sont reconnus. Mais l’ennemi reste fort et structuré. Dans plusieurs zones du Sahel, il n’est pas encore à la portée des forces sahéliennes. La semaine dernière, nous avons engagé de durs combats au sol dans le Gourma contre plusieurs dizaines de combattants djihadistes qui n’avaient pas peur de monter à l’assaut des troupes françaises, ce qui donne une idée de leur détermination. Par conséquent, nous ne devons pas relâcher l’effort, notamment dans la perspective d’accompagner la transition malienne qui doit conduire, au début de l’année 2022, à des élections générales et au retour d’un fonctionnement gouvernemental plus normal. C’est, à mon sens, davantage à cet horizon de 18 mois que pourra se poser la question de l’avenir de Barkhane.

Les forces partenaires de l’EUTM et de la MINUSMA font incontestablement partie de la solution. Leur principe est bon. Elles peinent parfois à réaliser l’effort qui leur est assigné : cela peut s’expliquer par des expériences opérationnelles différentes ou des contraintes juridiques, techniques ou administratives particulières, mais nous avons impérativement besoin d’elles, à des degrés divers. Je travaille étroitement avec le commandant de la force de la MINUSMA, le général suédois Gyllensporre, et avec le général tchèque Ridzak qui commande l’EUTM. Nous nous voyons régulièrement, nous conduisons des projets en étroite coordination. Nous sommes tous convaincus que la victoire ne peut être que collective. Je peux vous assurer que le général Ridzak relance résolument l’action de l’EUTM qui avait été bloquée pour différentes raisons et que l’EUTM est désormais pleinement engagée envers les FAMa. Son cahier des charges, bien rempli pour les mois de novembre et de décembre, a été élaboré en parfaite coordination avec Barkhane. Il en est de même pour la MINUSMA.

Je ne suis pas inquiet pour les suites des élections qui ont eu lieu au Burkina Faso et dont nous attendons les résultats. Celles qui se profilent au Niger pour la fin de l’année ne devraient pas entraîner d’inflexions majeures du partenariat que nous entretenons avec les forces militaires de ces deux pays.

Les Danois, les Britanniques, les Estoniens, les Tchèques qui commencent à arriver, les quelques éléments précurseurs suédois qui sont parmi nous font tous un travail admirable et dans le meilleur état d’esprit. Ils ont des caveats, ou restrictions nationales, comme chaque contingent national, mais vraiment mineurs, et qui ne perturbent pas leur emploi opérationnel. Je salue de nouveau l’engagement de ces contingents à nos côtés, qui agissent en véritables frères d’armes. D’autres grands pays européens pourraient probablement faire davantage au profit direct de Barkhane. Certains s’engagent plutôt au sein de l’EUTM, d’autres au sein de la MINUSMA, et j’espère toujours, bien entendu, avoir la surprise d’un engagement plus direct au profit de Barkhane. Mais n’oublions pas que la task force Takuba est sous mon commandement direct et fait partie intégrante de Barkhane. Je note que la montée en puissance des Task groups se poursuit et que leur action devrait s’intensifier dans les mois à venir.

Je peux confirmer que l’engagement américain à nos côtés est considérable. Ces derniers mois, il a augmenté et son apport est vraiment primordial, notamment en matière de renseignement et de ravitaillement en vol.

Vous dites que l’on pourrait croire que les succès récents de Barkhane sont plus médiatisés que les précédents. Je peux vous assurer que mes opérations, quelles qu’elles soient et quel que soit l’ennemi visé, ne sont aucunement dictées par une quelconque ligne médiatique ou de communication. Les opérations que nous menons sont décidées au regard des renseignements que nous obtenons, puis que nous exploitons. Les résultats obtenus, produisent à leur tour du renseignement, et ainsi de suite. On trouve que Barkhane communique davantage sur les résultats obtenus contre le RVIM : je peux vous assurer que ces deux groupes, l’État islamique et le RVIM (filiale d’Al-Qaïda), sont l’objet de la même attention en termes de renseignement, de ciblage et d’opérations. Enfin, le fait qu’un grand nombre d’emprises de Barkhane se trouvent dans des zones directement menacées par le RVIM explique que je conduise des opérations contre lui.

La Mauritanie est un pays que je connais bien. Il est toujours délicat d’établir des comparaisons d’un pays à un autre, car les histoires, les populations, les répartitions ethniques, voire les cultures militaires sont parfois très différentes : ce n’est pas parce que ces États sont tous dans le G5 Sahel que les méthodes de l’un sont forcément transposables à l’identique à un autre. Cela étant, le G5 est un excellent forum de discussion, d’échange et de partage des bonnes pratiques, dont nos partenaires profitent assez régulièrement, lors des rencontres de chefs d’état-major ou de niveau inférieur.

Nos partenaires mauritaniens ont été confrontés à la menace que connaissent nos amis maliens et nigériens dès le début des années 2000 : il a fallu une mobilisation générale de l’appareil d’État, avec notre aide entre autres, pour y répondre. Ils ont notamment restructuré leurs forces militaires selon des principes et des dispositifs efficaces contre l’ennemi qui les menaçait. D’ailleurs, les groupements spéciaux d’intervention (GSI) mauritaniens servent plus ou moins de référence aux compagnies spéciales d’intervention que les Nigériens sont en train de déployer ou aux unités légères de reconnaissance et d’intervention (ULRI) que les FAMa ont commencé à mettre en œuvre.

L’effet des discours anti-français et des opérations de désinformation, évoqué récemment par le Président de la République, reste limité. Il touche surtout, et de façon restreinte, le cercle bamakois, mais nous veillons à ce que ces manœuvres ne prennent pas d’ampleur. Même si quelques tentatives de désinformation, malheureusement relayées par certains médias locaux, peuvent laisser à penser que nos forces armées sont mal employées ou agissent mal, leur impact reste marginal. De notre côté, nous veillons à conduire une politique de communication pour expliquer et mettre en valeur auprès des populations locales des pays sahéliens ce que fait Barkhane, notamment avec les forces partenaires sahéliennes, et dans quel cadre. À chaque fois que des opérations de désinformation sont menées à notre encontre, nous veillons à tenir un discours à même de rétablir la vérité.

Comment s’assurer que lors d’une opération, l’ennemi ciblé ne s’échappe pas pour porter le fer dans un pays frontalier ? C’est un vrai défi compte tenu de l’étendue de la zone d’opérations et des tactiques utilisées par les groupes terroristes. Lors de l’opération Bourrasque, le mode d’action privilégié de l’État islamique consistait à se fondre dans la population, à cacher ses armes et ses motos pour rejoindre le plus rapidement possible un campement abritant femmes et enfants, sachant pertinemment qu’en pareil cas, nous ne pourrions pas le frapper. Les opérations sont toujours menées en coordination étroite avec les forces partenaires sahéliennes : en l’occurrence, nous agissions avec les Nigériens et les Maliens. Nous avons planifié l’opération en partant du principe que ceux que nous traquions au Mali pouvaient aller au Niger et que ceux que nous poursuivions au Niger pouvaient aller au Mali. Nous veillons toujours à ce qu’une solution trouvée à un endroit ne vienne pas créer un problème ailleurs. Ce n’est pas toujours facile, mais c’est une préoccupation constante dans notre réflexion tactique.

Les règles d’engagement des drones, qui ne sont pas des systèmes autonomes, sont exactement les mêmes que celles qui prévalent pour tous les autres moyens, c’est-à-dire nos avions et nos forces terrestres : il n’y a aucune différence entre les règles d’engagement du drone armé et de nos autres moyens de combat. Ces règles d’engagement respectent strictement le droit international et le droit des conflits armés. Elles sont validées à l’échelon stratégique au niveau parisien, et toute une chaîne de conseillers juridiques s’assure en permanence du respect du cadre fixé pour mener nos opérations.

Je suis toujours très prudent en matière d’arithmétique. Les chiffres des pertes sont à chaque fois vérifiés : je n’annonce jamais que des dizaines de combattants ont été neutralisés si ce n’est pas le cas. En fait, votre question porte surtout sur la capacité de régénération de ces groupes terroristes combattants, malgré l’attrition que nous leur imposons. Chacun d’entre eux s’articule autour d’un noyau composé des combattants les plus aguerris ou les plus anciens, dont le nombre n’augmente pas. C’est ce noyau que nous visons et c’est le plus difficile à atteindre. L’important est de savoir comment, autour de ce noyau, ils sont capables d’agréger une masse combattante plus importante. Comment s’assurer que des jeunes sans perspective, vivant parfois au sein de populations qui s’estiment peu écoutées, ne cèdent pas aux sirènes de groupes armés islamiques quand ils leur proposent une moto, une kalachnikov, quelques dizaines de milliers de francs CFA et les font rêver à un meilleur avenir ? Nos partenaires sahéliens sont parfaitement conscients du problème : il suffit de regarder certaines initiatives menées dans le cadre du processus de désarmement-démobilisation-réinsertion (DDR), pour comprendre que nos amis maliens s’attachent à éviter que ces populations basculent du mauvais côté et à les inciter à rejoindre les forces de sécurité gouvernementales. Le président nigérien, lui aussi très sensible à cette question, a pris des décisions courageuses pour offrir, dans certaines régions où des populations se sentent marginalisées, des possibilités de recrutement supplémentaires dans les forces de sécurité. Cela dépasse le cadre de Barkhane mais nous y sommes attentifs aux côtés de tous les partenaires sahéliens, de la MINUSMA et de tous les autres acteurs du théâtre.

Vous avez raison de souligner que les relations humaines sont essentielles dans le partenariat que nous conduisons avec nos partenaires africains. La question de la durée et de la stabilité du commandement peut se poser. Pour ma part, c’est ma deuxième mission d’un an au sein de Barkhane. Dans mon parcours professionnel, je me suis occupé de questions sahéliennes et de problèmes de sécurité et de défense au Sahel, depuis près de quinze ans, à différents postes, sur le terrain ou en état-major. Je connais quasiment tous les chefs militaires maliens, burkinabés, nigériens, mauritaniens et tchadiens, dont certains, depuis de longues années. Quant aux conseillers, les officiers servant au sein de la coopération structurelle, placés auprès des forces armées maliennes, nigériennes ou burkinabé, font généralement des mandats de trois ans. C’est de première importance dans le travail que nous faisons tous les jours et notre dispositif est suffisamment solide en ce domaine. Dans la sélection des principaux chefs appelés à servir à Barkhane, nous veillons à désigner des officiers dotés d’une longue expérience et capables d’allier connaissance de terrain et réflexion stratégique. La capacité de régénération de Barkhane repose aussi sur l’apport de nouvelles idées et l’inspiration de nouveaux chefs.

J’ai évoqué les négociations dans mon propos liminaire. Je les ai découvertes quasiment en même temps que tout le monde. Je n’y ai pas été mêlé, ni de près ni de loin.

À leur arrivée au pouvoir, les nouvelles autorités politiques maliennes ont remplacé tous les chefs militaires. Il y a aujourd’hui à la tête des armées maliennes des gens compétents, qui ont longtemps servi sur le terrain, qui sont conscients de la situation actuelle et qui travaillent très bien avec Barkhane. Je leur fais une grande confiance et j’attends beaucoup du partenariat qui s’est instauré avec eux. J’ai aussi rencontré les nouveaux chefs politiques de façon plus épisodique, parce que ce n’est pas le rôle du commandant de Barkhane. Ils m’ont affirmé que la coopération avec Barkhane restait centrale et indispensable pour le sort du Mali, qu’ils en espéraient beaucoup et qu’ils souhaitaient la poursuivre dans le cadre des objectifs définis en commun.

Sur le point de savoir si je ne pensais pas que la France était un peu seule, j’ai répondu en évoquant la position des alliés européens ou américains.

M. Jean-Jacques Ferrara. Lors de notre déplacement au début du mois avec la présidente et les co-rapporteures de la mission d’information sur l’opération Barkhane, nous avons pu mesurer combien les moyens aéromobiles étaient indispensables, compte tenu des élongations du théâtre et des besoins de mobilité opérationnelle. Ce qui confirmait les constats que j’avais établis il y a deux ans dans mon rapport sur le transport aérien.

Nos moyens sont comptés et ils le seront davantage demain, après le retrait programmé des deux hélicoptères danois Merlin et la probable reconfiguration de l’engagement des Chinooks CH-47 britanniques à la suite du déploiement de 250 soldats britanniques au sein de la MINUSMA. Bien que l’emploi de ces hélicoptères de transport lourd soit soumis à de lourdes contraintes, ils ont assuré de nombreuses heures de vol et de nombreuses missions au profit de Barkhane. Nous sommes quasiment les seuls en Europe à ne pas disposer d’une telle capacité. Nos alliés européens peuvent-ils combler ce trou ? Quelles pistes explorer pour renforcer nos moyens en hélicoptères ?

M. Jacques Marilossian. Mon collègue Charles de La Verpillière et moi-même avons rendu un rapport sur le bilan des accords de Lancaster House : dix ans de coopération franco-britannique. La disparition des Chinook britanniques peut poser un problème, mais les Britanniques restent nos alliés presque naturels dans la plupart des opérations extérieures, car notre culture militaire est similaire. L’interopérabilité des missions est précieuse, car ils sont capables d’intervenir à un haut niveau. Alors que le Premier ministre britannique a annoncé une hausse significative du budget de la défense britannique, avez-vous identifié des éléments particuliers de coopération franco-britannique dans le cadre d’un nouveau format de Barkhane, tel que le renforcement des moyens de transport en hélicoptères lourds ?

M. Jean-Michel Jacques. Je partage la préoccupation de mes collègues à propos de prochain départ des hélicoptères lourds danois et britanniques. Vous avez évoqué le partenariat avec les nouvelles autorités maliennes et l’engagement français au travers de l’EUTM. Lors de ma mission d’information sur le continuum entre sécurité et développement, j’ai constaté que l’action de l’EUTM était de qualité mais inefficace, par le fait qu’à l’issue de leur formation, les soldats étaient saupoudrés sur le territoire et ne se retrouvaient pas en unités constituées sur le terrain. Une grande partie de l’armée malienne rencontrait des problèmes de structuration ; certains soldats n’étaient pas payés ou pas équipés parce que les équipements de l’aide internationale n’arrivaient pas dans les unités. Certains officiers restaient à Bamako en laissant leurs troupes seules sur le terrain. Cela a-t-il évolué ? Est-ce que les nouvelles autorités politiques et militaires restructurent enfin l’armée, sortent de la corruption et sont vraiment sur le terrain ?

M. Jean-Louis Thiériot. Vous avez parlé du développement du RVIM et de l’EIGS. Certains échos font état de tentatives de déstabilisation en Côte-d’Ivoire, pays riverain du Mali où des élections viennent d’être organisées. Quel est votre sentiment là-dessus ?

Je suis convaincu que la sécurité de Paris se gagne à Niamey et à Gao et que la présence de Barkhane est indispensable. Néanmoins, si nous avions la fâcheuse idée d’envisager un retrait, quelles conséquences migratoires en résulteraient ?

M. Christophe Lejeune. Peu avant votre prise de fonctions à la tête de la force Barkhane, la France réalisait une opération militaire de grande ampleur aboutissant à l’élimination d’Abdelmalek Droukdel. Cette victoire stratégique contre les forces djihadistes au Sahel ne doit pas nous faire oublier la capacité de ces organisations à se réinventer. Le nom du nouveau leader d’AQMI a été dévoilé samedi : il s’agit de Youssef al-Annabi, qualifié de fin politique par les experts de la bande sahélo-saharienne. Ce profil nous interroge quand on sait que les négociations entre AQMI et le gouvernement malien sont de plus en plus étroites. Ne craignez-vous pas que l’arrivée de ce nouveau leader ne permette de renforcer l’ancrage malien d’AQMI ?

M. Stéphane Baudu. L’opération militaire Bourrasque conjointe avec la force Barkhane et les forces armées maliennes et nigériennes menée dans le Liptako a permis la coopération efficace de 1 400 soldats des forces partenaires et de 1 600 Français appuyés par des moyens aériens français et interalliés – une intervention du même genre avait déjà été conduite avec la task force Takuba. Inédite par son ampleur et le degré d’intégration des forces partenaires, cette opération répond à une logique de partenariat avec les forces des principaux pays de la bande sahélo-saharienne sur lesquelles se base l’opération Barkhane et représente une expérimentation conforme aux objectifs de soutien et de renforcement des forces armées régionales. De plus, ce modèle favorise l’acculturation des soldats à la lutte contre les groupes armés terroristes, une meilleure connaissance des enjeux locaux et un approfondissement de la coopération et coordination internationale. Pourrait-il s’appliquer dans d’autres expérimentations de ce type, afin de renforcer les forces partenaires et d’améliorer l’acceptation par les populations locales ainsi que par la presse française et internationale ? Est-il spécifique ou reproductible sur d’autres théâtres d’opérations extérieurs ?

Mme Patricia Mirallès. Des coups importants sont portés à l’ennemi. Nous ne pouvons que féliciter nos soldats et leurs officiers pour leur professionnalisme et leur abnégation au service de la nation. Après six années d’engagement intense qui ont permis à nos armées de développer leur expérience des conflits armés, quelles sont les évolutions de doctrine en matière de lutte contre ce type d’ennemi ? La contribution des drones Reaper pour le renseignement et les frappes est précieuse. Au vu de ces succès, leur rôle est-il appelé à s’accroître ? Comment s’intègrent-ils sur le théâtre d’opérations avec les autres composantes aériennes et terrestres ?

M. Charles de La Verpillière. Concernant les ingérences extérieures dans le conflit au Sahel, vous avez parlé des activités de désinformation de la Russie. La Chine est-elle d’une façon ou d’autre autre également impliquée ?

Si le succès militaire est un préalable, la victoire finale se jouera sur le terrain politique. La plupart des conflits coloniaux et postcoloniaux dans lesquels les armées occidentales ont été engagées depuis 1945 ont été gagnés militairement et perdus politiquement, parce que les États concernés n’étaient pas suffisamment forts – les contre-exemples comme le Tchad sont très rares. Cette analyse se vérifie au Sahel. La victoire militaire est possible, surtout si notre action est soutenue par les forces locales et nos alliés occidentaux, mais d’évidence, l’affaire se dénouera, dans un sens ou dans un autre, sur le plan politique.

M. Fabien Gouttefarde. Cette audition étant à huis clos, je vous interrogerai sur le cadre juridique et les modalités des interrogatoires des prisonniers faits par nos forces dans le cadre de l’opération Barkhane. Donnent-ils des résultats en termes d’informations ? Quel rôle jouent les armées locales, notamment l’armée malienne, à laquelle j’imagine que vous remettez les prisonniers au terme du processus ?

M. le général Marc Conruyt. Avant de répondre à la question sur les hélicoptères, je soulignerai que le succès de nos opérations dépend de notre capacité à combiner les différentes composantes qui nous sont confiées : on n’obtient des résultats que si l’on est capable d’utiliser le plus efficacement possible et en parfaite combinaison nos moyens aériens, chasseurs, avions de renseignement, drones, nos unités au sol dans leurs différentes spécialités, nos hélicoptères et nos forces spéciales. Le résultat de chacun dépend des résultats de tous. Je me garde toujours de dire que tel résultat a été obtenu grâce à telle composante ou à tel outil, car il n’est pas une opération dans laquelle des résultats n’aient été obtenus par la combinaison des composantes. On parle beaucoup des drones et des forces spéciales. Mais c’est passer sous silence nombre de réalités tactiques. Sur un théâtre comme le Sahel, la fulgurance et l’ubiquité ne sont possibles que grâce à l’emploi de toutes la panoplie des autres moyens. Il serait illusoire de croire que les résultats obtenus pourraient l’être en l’absence de ceux-ci.

Cela étant, les hélicoptères jouent un rôle très important dans le fonctionnement d’ensemble, ne serait-ce qu’en permettant d’aller chercher très rapidement nos blessés. Le seul fait de savoir qu’à bref délai, un médecin peut être auprès de vous et qu’un hélicoptère peut vous emmener à l’hôpital, a un effet considérable sur le moral de nos soldats. Leur assurer cette bulle d’évacuation médicale (EVM) est un impératif. Pour nos partenaires locaux, les moyens d’évacuation médicale (EVM) sont aussi souvent le soutien le plus important de Barkhane. Toutes les composantes de notre groupement d’hélicoptères, qu’il s’agisse du transport, de la reconnaissance avec les Gazelle, de l’appui au sol avec nos Tigre ou du transport des blessés jouent un rôle fondamental.

Tout cela, je le fais avec seize hélicoptères français, auxquels s’ajoutent trois hélicoptères britanniques et deux hélicoptères danois, sur toute la BSS, autrement dit sur un théâtre vaste comme l’Europe, ce qui impose une gestion dynamique d’une très grande complexité. Le colonel qui commande le groupement d’hélicoptères doit quotidiennement résoudre un véritable Tetris pour déterminer comment à la fois appuyer telle opération, assurer l’évacuation sanitaire de telle autre ou réagir à toute demande d’opération d’opportunité car à chaque fois qu’arrive un renseignement estimé pertinent, il faut l’exploiter au plus vite pour obtenir un résultat face à l’ennemi.

Vous avez parlé du départ des Merlin. L’aviation légère de l’armée de Terre (ALAT) consent un effort considérable pour offrir en permanence ces seize hélicoptères à Barkhane, et je sais combien cela pèse sur l’entraînement de nos pilotes en France. Il faut continuer à plaider auprès de nos alliés européens afin qu’ils viennent nous aider non seulement pour le remplacement des deux hélicoptères danois, mais aussi pour tout ce qui pourrait être fait dans le domaine de l’aéromobilité.

Vous avez dit que l’emploi des Chinook pourrait être perturbé par l’arrivée d’unités britanniques au sein de la MINUSMA. Le sujet est toujours en cours d’examen avec nos amis britanniques. Je ne peux encore vous dire quelle réponse sera apportée.

À travers la task force Takuba, nous attendons une contribution en hélicoptères de la part des Suédois et des Italiens ; ces derniers seront plus centrés sur l’évacuation militaire par voie aérienne (MEDEVAC), les Suédois davantage sur l’appui des troupes au sol : ce sera également pour Barkhane un apport très intéressant. Le message à retenir est l’importance cruciale de l’hélicoptère pour le succès des opérations ; tout apport extérieur de nos partenaires européens en contribution directe à Barkhane serait d’une grande utilité.

Je n’ai pas connaissance du lien éventuel entre la future adaptation de Barkhane et une participation britannique. Des travaux sur l’adaptation sont en cours, mais les arbitrages ne sont pas rendus. S’il devait y avoir une participation britannique supérieure à celle existante ou annoncée, cela serait traité au niveau de l’état-major des armées.

Comme je l’indiquais dans mon propos liminaire, la résilience et la capacité opérationnelle des FAMa sont déterminantes dans la résolution du problème sécuritaire dans la BSS. Vous avez parlé d’insuffisante exploitation des actions de formation de l’EUTM au profit de FAMa ; je serai plus mesuré au regard des circonstances dans lesquelles les forces armées maliennes doivent opérer. Au sortir des années 2012 et 2013, elles étaient entièrement à reconstruire. Face à des attaques sur toute l’étendue du territoire national, elles ont dû parer au plus pressé. Des gens formés par l’EUTM ont été envoyés le plus rapidement possible grossir les rangs des unités de contact pour tenir le choc. Faire la guerre tout en se restructurant en profondeur est un double défi ; je me demande même si une armée occidentale serait capable de le relever à due proportion. En étroite coopération avec Barkhane, les chefs militaires maliens se sont engagés dans une réflexion de fond visant à recréer un cycle opérationnel, c’est-à-dire un processus dans lequel les unités en cours de constitution ont le temps de se former, de s’entraîner avant d’être engagées en opération, et avec un temps de repos, de régénération pendant lequel ils ont la possibilité de revoir leurs familles après de nombreux mois d’absence. Avec eux, nous nous employons à faire en sorte que cette force soit capable de tenir le choc face aux groupes armés terroristes, en particulier dans le Centre, où se joue une grande partie de la question, tout en préparant des unités à relever celles qui sont engagées afin de leur permettre de se reposer. C’est un cycle que connaissent bien les armées françaises.

Ce travail s’accompagne d’opérations de recrutement importantes, non seulement au Mali mais aussi au Niger et au Burkina Faso ; nos amis maliens viennent de recruter plusieurs milliers de soldats qui sont en cours de formation et dont certains passeront par l’EUTM. Un recrutement conséquent devrait être relancé dès le début de l’année prochaine afin d’alimenter ce cycle, afin de ne plus subir la pression opérationnelle mais de la maîtriser.

Dans leur grande majorité, les unités maliennes présentes avec nous sur le terrain se comportent très bien. L’unité malienne qui était avec nos éléments au sol, la semaine dernière, s’est battue pendant plusieurs heures au coude-à-coude avec les hommes du détachement français. Elle a tenu la ligne avec nos soldats et occasionné des pertes sévères à l’adversaire. Ces unités sont courageuses et se battent bien lorsqu’elles sont bien encadrées, entraînées et équipées, ce qui était le cas. Les quelque 300 soldats maliens des unités engagées dans l’opération Bourrasque, notamment au sein du Task Group Takuba, se sont très bien comportés et ont occasionné des pertes sans en subir. Cela mérite d’être relevé : l’unité malienne engagée dans les combats de la semaine dernière n’a déploré aucune perte ; les unités maliennes engagées à nos côtés dans Bourrasque n’ont eu qu’un blessé. Des progrès restent à accomplir, des efforts restent à faire : les unités qui s’engagent avec nous sont bien équipées mais cela doit être mieux partagé avec toutes les unités maliennes. Les chefs militaires en ont parfaitement conscience, les dernières décisions en matière d’allocation de ressources financières au profit d’équipements nouveaux sont en cours de traduction. Je suis confiant dans la dynamique créée. Je sais que les autorités politiques apportent leur soutien aux autorités militaires maliennes.

La stratégie du RVIM et d’Al-Qaïda vise toujours à exporter la menace terroriste vers d’autres pays d’Afrique de l’Ouest, en particulier les pays frontaliers de la BSS. Il y a quelques mois, une opération a été menée par les forces armées ivoiriennes en liaison avec les forces armées burkinabé contre un groupe terroriste dans le nord de la Côte-d’Ivoire. On ne peut pas parler d’un déferlement de katibas terroristes vers ces pays côtiers, mais on constate une volonté continue, une infiltration insidieuse dans le nord des pays côtiers frontaliers de la BSS, qui doit être surveillée de très près. Nos pays partenaires y prêtent la plus grande attention.

Je n’ai ni la compétence ni l’expertise nécessaire pour en mesurer les conséquences migratoires. Les dangers principaux sont la déstabilisation, le risque sécuritaire et le risque d’établissement d’un califat territorial qui aurait d’autres répercussions, qui resteraient à apprécier.

Nous observons fréquemment la capacité des groupes armés terroristes, en particulier le RVIM, à se réinventer. Cet agrégat de mouvements différents a été capable de se structurer autour d’une stratégie, d’une vision, d’une communication communes. Cette stratégie définie par le cercle dirigeant se diffuse rapidement sur le terrain et est mise en œuvre par les groupes locaux : on voit se constituer des émirats, c’est-à-dire des échelons intermédiaires de commandement qui permettent à ces groupes de se structurer et de se coordonner.

Concernant les enseignements à tirer de l’opération Bourrasque, je suis toujours prudent à l’égard de la notion de modèle. Un ancien chef militaire appelait à lutter contre l’idée du prêt-à-porter, c’est-à-dire de la solution opérationnelle qui fonctionnerait partout et en tout temps. En revanche, nous devons garder notre capacité à tirer les enseignements d’une opération, regarder ce qui a fonctionné, ce qui n’a pas fonctionné et de le partager avec nos partenaires. Un regard extérieur permet d’apporter rapidement des corrections – c’est ce que je ferai pour la prochaine opération – afin de toujours disposer d’un modèle dynamique, face à des ennemis qui s’adaptent très vite à nos modes d’action sur le terrain : des groupes armés terroristes sont capables de modifier leurs TTP (tactics, techniques and procedures), autrement dit leurs procédés tactiques, en quelques jours, et de diffuser en quelques semaines de nouvelles doctrines contre Barkhane à l’échelle de toute la BSS ! D’où la nécessité de préserver notre agilité tactique et intellectuelle pour les surprendre, les prendre de vitesse et ne pas leur donner les moyens de contrer ce que nous mettons en œuvre sur le terrain.

Plutôt que d’analyser un résultat opérationnel à travers le prisme d’une seule composante ou d’un seul outil, il faut surtout le faire à l’aune du panel de tous ceux qui sont mis à notre disposition pour profiter de ce que l’on appelle la combinaison des effets, en reprenant ce que l’on fait dans la composante terrestre, dans la composante aérienne et dans la composante immatérielle et en mettant tout cela en mouvement afin de les rendre les plus efficaces possible les uns avec les autres.

Je n’ai pas été le témoin direct d’ingérences de la Chine. Des unités chinoises participent à la MINUSMA, mais nous avons peu de contact avec elles. La présence chinoise se manifeste certainement au Mali, comme dans le reste de l’Afrique de l’Ouest, par une politique d’investissements économiques, mais je serais en peine de fournir des éléments précis.

Vous avez raison de dire que la solution à la crise sahélienne ne viendra pas du seul succès militaire. Il est néanmoins nécessaire à une solution politique débouchant sur une victoire collective dans la crise sahélienne. Notre chef d’état-major des armées le rappelle très régulièrement.

Enfin, les armées font preuve de la plus grande transparence sur les modalités d’interrogation des personnes capturées. Régies par des textes dont la solidité juridique et la conformité au droit international des conflits sont vérifiées en permanence, celles-ci font l’objet d’un contrôle strict du comité international de la Croix-Rouge (CICR) avec lequel, localement, régionalement et nationalement, nous entretenons les meilleures relations. Il faut savoir que ces interrogatoires sont réalisés par des soldats très bien formés. Nous avons en effet en France des spécialistes, qui ont acquis une grande expertise et une grande expérience en la matière puisqu’ils se relaient dans cette mission depuis de nombreuses années. Je peux vous assurer qu’ils font preuve d’un très grand professionnalisme et que les interrogatoires qu’ils mènent sont particulièrement précieux.

Mme la présidente Françoise Dumas. La solution, vous venez de le dire, ne viendra pas des seuls succès militaires mais des avancées politiques menées concomitamment. Je retiens les perspectives positives de la sahélisation et de l’européanisation. Les évolutions, lentes mais réelles, nécessitent la poursuite du soutien des forces armées localement et le renforcement des actions de l’EUTM au profit des armées maliennes en toute première ligne.

Pour ce qui est de l’européanisation, l’évolution de Takuba est un bon signal, même si l’on pourrait espérer une contribution plus directe et plus importante de certains grands pays européens au profit de Barkhane. Nous devons l’avoir en tête dans nos discussions politiques.

Je retiens votre vision d’une opération cohérente, qui repose sur des moyens suffisants mais taillés au plus juste. Vous souligniez l’importance du soutien américain. On aurait pu craindre sa diminution ; nous nous réjouissons que ce ne soit pas le cas. Le soutien aéromobile de votre force est un sujet de vigilance ; nous l’avons nous-mêmes constaté de visu. Notre collègue Ferrara y sera particulièrement attentif.

Je vous remercie pour les éclairages stratégiques et les informations que vous nous avez fournis, aussi bien sur le terrain, lorsque nous sommes venus vous voir, que ce matin. Je veux témoigner à vous-même et à l’ensemble de vos hommes notre admiration. Nous sommes conscients que notre sécurité, en France, dépend aussi du combat qu’ils mènent contre les djihadistes dans le Sahel afin d’empêcher que celui-ci ne devienne pour eux un territoire refuge. Cela oblige les politiques que nous sommes à être attentifs à vos efforts et à vos besoins.

 

 

 

 

 

 

   Annexe n° 4 : Compte rendu de l’audition de M. le général de corps aérien Stéphane Mille, sous-chef « Opérations » (SCOPS) à l’État-major des armées

Mme la présidente Françoise Dumas. Nous avons le plaisir de recevoir le général de corps aérien Stéphane Mille, sous-chef d’état-major « opérations » (SCOPS). Celui-ci est l’un des principaux adjoints du chef d’état-major des armées (CEMA), notamment chargé de l’anticipation stratégique, de la planification « pré-décisionnelle » et opérationnelle, ainsi que de la conduite des opérations dont le commandement est, bien sûr, assuré par le CEMA.

Avec votre audition, général, notre commission poursuit le cycle « Barkhane » qu’elle a entamé avec l’audition du général Marc Conruyt, commandant de la force Barkhane (COMANFOR) et qu’elle poursuivra par celle du général Namata, commandant la force conjointe du G5 Sahel.

Vous connaissez bien l’opération Barkhane puisque vous avez servi en son sein en tant que général adjoint chargé des opérations en 2016, avant de rejoindre, en 2017, le centre de planification et de conduite des opérations (CPCO) dont vous avez assuré le commandement de 2018 à 2020.

Nous nous réjouissons de votre audition qui alimentera utilement, en outre, les travaux de la mission d’information sur l’opération Barkhane, que j’ai l’honneur de présider et dont Mmes Sereine Mauborgne et Nathalie Serre sont les deux co-rapporteures

Le COMANFOR nous a longuement exposé les effets de la nouvelle dynamique impulsée lors du sommet de Pau, dont l’opération Bourrasque est l’incarnation. Sur le terrain, les armées françaises continuent de porter de rudes coups aux groupes terroristes, en étroit partenariat avec les forces locales, la force conjointe du G5 Sahel et nos alliés européens et internationaux. En témoignent les actions menées par Barkhane et les forces armées maliennes (FAMa), la semaine passée, dans le secteur de Boulikessi. Toutefois, les attaques simultanées de lundi dernier contre trois bases françaises, heureusement sans victimes, montrent la persistance des capacités de riposte et de la menace.

Général, vous savez que les membres de la commission de la Défense sont attentifs à l’évolution de la situation au Sahel, à celle de notre dispositif comme aux moyens dont disposent nos militaires pour conduire leurs missions.

Je serai particulièrement intéressée de connaître votre analyse sur l’éclatement de la menace terroriste, notamment entre l’État islamique au Grand Sahara (EIGS) et le Rassemblement pour la victoire de l’islam et des musulmans (RVIM), sur les conséquences du coup d’État survenu le 18 août dernier au Mali sur la conduite de nos opérations ainsi que sur la coordination avec les forces africaines et internationales.

M. Stéphane Mille, général de corps aérien, sous-chef « Opérations » à l’état-major des armées. Madame la présidente, comme vous l’avez rappelé en introduction, je suis depuis quatre ans jour après jour l’opération Barkhane sous tous ses aspects. Avant de m’exprimer, j’aurai une pensée pour mes camarades tués au front, et je m’associerai aux familles et aux proches qui portent la peine de la disparition d’un de leurs proches.

Je voudrais souligner, pour le constater régulièrement sur le terrain, l’engagement constant de nos soldats qui, quoi qu’il arrive, poursuivent leur mission avec la même conviction et la même envie de bien faire. J’ai ainsi pu mesurer la semaine dernière, dans la région de Boulikessi où je me trouvais, leur haut niveau d’engagement et de réactivité, alors que la situation pouvait dégénérer très rapidement.

Avant de rappeler où nous en étions, il y a un an, avant le sommet de Pau, qui a fixé des orientations à l’opération Barkhane, de faire un bilan provisoire et de dresser quelques perspectives, je voudrais porter quelques points à votre attention.

Barkhane est, certes, le volet militaire essentiel d’une stratégie visant à la résolution de la crise sahélienne, mais ce n’est pas le seul. Ce n’est que dans le cadre de l’approche globale rappelée à Pau que nous obtiendrons des résultats durables.

J’entends parler, ici et là, d’« immobilisme » et d’« enlisement », termes forts qui ne reflètent pas la réalité de l’opération Barkhane. Depuis son lancement, en 2014, le dispositif n’a cessé d’évoluer quand bien même l’objectif et l’état final recherché de cette opération restent de maintenir la crise sécuritaire à un niveau de violence à la portée des forces armées locales.

Tout exposé de nature militaire commence par l’évocation de la menace. En 2019, la menace terroriste du RVIM est descendue vers le sud et s’est progressivement regroupée dans la boucle du Niger élargi, avant d’atteindre le nord du Burkina Faso et, ponctuellement, la frontière entre le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire. En 2019, nous avons également fait face à la remontée en puissance de l’EIGS. Particulièrement résilient, ce groupe a significativement augmenté sa capacité de combat au fil de ses nombreuses attaques d’emprises. Je n’en ferai pas la liste mais je note qu’il avait largement débordé le Liptako malien pour dépasser la frontière. Des attaques retentissantes au nord de Niamey avaient fait fuir les soldats nigériens de plusieurs camps à proximité de la frontière et nous observions une dynamique qui était favorable à ce groupe.

Ce bilan très lourd dans la zone où opère l’EIGS s’est traduit par l’abandon de postes frontaliers, tant au Mali qu’au Niger.

Fort de ces constats, le Président de la République a décidé, à l’occasion du sommet de Pau, d’adapter notre stratégie en concentrant nos efforts contre l’EIGS dans la zone des trois frontières, tout en maintenant notre vigilance sur le Centre et le Nord-Mali.

La clarification du cadre, des objectifs et de l’organisation de la réponse autour des quatre piliers – le pilier militaire, le pilier partenarial, le pilier gouvernance et le pilier développement – a impulsé une dynamique favorable et permis des progrès sur chacun d’eux, même si certains ne sont pas aussi rapides qu’on le souhaiterait. Cela étant, sur les piliers militaire et partenariat, nous constatons de réels succès tactiques.

L’impulsion présidentielle donnée au sommet de Pau a constitué une étape importante pour notre campagne au Sahel, reposant sur l’affaiblissement de notre adversaire, l’accompagnement de nos partenaires et l’entraînement de nos alliés. Je reviendrai sur la sahélisation, l’internationalisation et l’approche globale.

Je ne détaillerai pas ce qui s’est passé sur le terrain, dans la mesure où votre déplacement, il y a quelques jours, dans la bande sahélo-saharienne (BSS) et l’audition du général Conruyt ont probablement répondu à l’essentiel de vos questions, notamment sur la dernière opération majeure, Bourrasque, que je considère comme l’opération de synthèse d’une année d’effort dans le Liptako.

L’année 2020 est marquée par une diminution significative de la menace représentée par l’EIGS. Nous avons réduit ses capacités, après les attaques de 2019 que j’ai rappelées. En 2020, il n’a mené aucune attaque complexe ni gagné aucune zone. Un élan et un inversement de tendance significatifs sont à mettre à l’actif des combattants locaux engagés dans Bourrasque, qu’il s’agisse des forces armées maliennes ou des quelque 1 100 Nigériens venus en appui de Barkhane.

S’agissant des armées sahéliennes, Barkhane continue de développer, au travers de ce que nous appelons la « sahélisation », un véritable partenariat de combat. L’ambition de Barkhane est de passer à un véritable partenariat de combat, en accompagnement des partenaires sahéliens. Il s’agit d’inverser le ratio en faveur des armées sahéliennes dans les engagements dans la zone. Nous sommes passés de 25 % de forces locales pour 75 % de forces françaises, à 50/50 aujourd’hui et nous souhaitons atteindre 75 % de forces locales pour 25 % d’armée française.

Nous avons continué à former nos partenaires sahéliens dans un contexte particulier sur lequel je reviendrai. Nous avons contribué à la formation d’unités qui nous accompagnent directement, dont les unités légères de reconnaissance et d’intervention (ULRI) engagées avec Barkhane au cœur du Liptako.

Nous avons mis en œuvre des mécanismes de coordination opérationnelle avec la force conjointe G5. Je vous renvoie à ce sujet à l’audition du général Namata. On peut toujours les améliorer, mais ils sont désormais en place et ont permis notamment des échanges de renseignement inégalés, auxquels j’attache une grande importance. Nous avons renforcé les liens avec les armées locales et les dispositifs conjoints de commandement ont montré tout leur effet dans plusieurs opérations. L’échange de renseignement obtenu grâce à cette structure doit être renforcé.

Les progrès observés au cours de l’année 2020 ouvrent des perspectives en termes d’échange du renseignement en vue de l’engagement de Barkhane, de la force conjointe ou des armées locales.

Nous avons entretenu la dynamique d’internationalisation de notre campagne, qui est antérieure à 2020, grâce à l’intégration dans Barkhane d’Estoniens, de Britanniques ou de Danois. De nombreux efforts ont été nécessaires pour porter la force Takuba sur les fonts baptismaux. Sa capacité opérationnelle initiale (IOC : initial operational capability) a été déclarée l’été dernier et sa montée en puissance nécessite un lourd travail avec les capitales mais se poursuit.

Je suis impressionné par la capacité d’entraînement de Barkhane vis-à-vis de l’ensemble des acteurs qui sont tous impliqués dans la résolution de la crise. Je pense d’abord à la force conjointe du G5 Sahel. J’ai rencontré le général Namata sur le terrain, la semaine dernière ; son impulsion est essentielle pour faire progresser la force conjointe. Il a mis en œuvre une opération permanente à la frontière entre le Mali et le Burkina Faso qui doit gagner en épaisseur, en engagement et en capacité de réaction. Nous mettons en place une coordination ambitieuse avec la force conjointe, mais il convient de consolider les acquis.

La mission de formation de l’Union européenne au Mali (EUTM) est un élément essentiel. Après un « trou d’air » dû aux événements sanitaires de l’année 2020, l’EUTM reprend la formation des FAMa. La détermination du Force Commander et du directeur général de l’état-major militaire de l’Union européenne (DGMUE), que j’ai rencontrés la semaine dernière à Bruxelles, est entière pour reprendre les formations en mettant l’accent sur le corps des sous-officiers, colonne vertébrale des forces armées maliennes, afin de rehausser leur niveau.

La mission des Nations unies (MINUSMA), quant à elle, a accéléré le rythme de ses opérations, se concentrant sur le Centre, sans oublier le Nord-Mali. L’adaptation de sa structure est engagée. Elle est réelle mais lente, malgré la volonté farouche du Force Commander d’aller plus vite. Le général Gyllensporre souhaite disposer d’une MINUSMA plus réactive, plus mobile, en mesure de répondre aux défis, notamment dans le Centre.

Au-delà des forces internationales et des piliers 1 ou 2, la coordination renforcée a permis de tirer l’action de développement vers le haut. Suivant Barkhane depuis quatre ans, je mesure les progrès réalisés par l’AFD. Nous sommes passés d’une logique de présentation de projet à une logique d’engagement de projet, puis à une logique de décaissement, et il est désormais question d’inaugurations. Il a fallu du temps pour changer les esprits, mais chacun a compris que c’est en produisant et en coordonnant concrètement les effets sur le terrain que la situation s’améliorera.

Barkhane a aussi eu un effet d’entraînement significatif sur le pilier 3, c’est-à-dire le retour de la gouvernance, dont les progrès ne sont pas encore à la hauteur des attentes. Il s’agissait, au moyen des colonnes foraines, de revenir ponctuellement avec des services de l’État dans des zones délaissées. La première a été déployée à Labbézanga, au nord de la frontière avec le Niger, une autre l’a été à Tessit et une troisième pourrait l’être à l’est de Gao. Grâce à la capacité d’entraînement de Barkhane, la MINUSMA s’est associée aux colonnes foraines et devrait en reprendre le principe qu’elle compte étendre au centre du Mali.

Le contexte particulier du covid n’a guère affecté les opérations de Barkhane. Le rythme a été maintenu, des dispositifs de sécurisation ont été mis en place. Le coup d’État de cet été n’a pas eu de conséquences significatives sur la conduite des opérations. Bamako a même rapidement réaffirmé son soutien à Barkhane, sa volonté accrue de coopérer et de participer à la lutte contre le terrorisme. Ces éléments m’ont été confirmés il y a quinze jours, lors de mon déplacement au Mali, où j’ai rencontré tous les hauts responsables militaires en poste. À cela s’ajoute le contexte d’échéances électorales. Le Burkina Faso, concentré sur l’organisation de ses élections, s’est un peu détourné de la lutte, notamment au Nord.

Nous avons significativement réduit la menace de l’EIGS. Elle n’est pas éradiquée, mais il n’y a pas eu d’attaque importante cette année. L’EIGS reste présent mais affaibli. Entre octobre 2019 et janvier 2020, 400 membres des forces de défense et de sécurité maliennes ont été tués, contre moins de 50 en 2020. C’est toujours trop mais la réduction est significative.

La population locale reprend confiance envers ses forces locales. Nous le constatons au travers des échanges d’informations de la population avec les FAMa et Barkhane. Alors qu’à notre arrivée, nous étions regardés, au mieux, avec indifférence, au pire, avec hostilité, nous constatons dans les bourgs et le long de la route nationale, un réel changement d’état d’esprit de la population.

Côté nigérien, nous constatons aussi une volonté réelle de reprendre les postes abandonnés dans le courant de l’année 2019. Des postes ont été ponctuellement réoccupés par les forces armées nigériennes, autour desquels l’activité économique a repris.

Côté malien, nous ne sommes pas aussi avancés. Indelimane, un des points attaqués en 2019, est toujours déserté. Il n’y a pas de troupes installées en permanence, mais le calendrier malien prévoit une réoccupation ferme et permanente avant l’été 2021, par deux compagnies désignées à cette fin.

Concernant les perspectives et les enjeux à court et moyen termes, l’EIGS est diminué, mais la zone n’est pas encore sécurisée. Nous devons continuer à agir de façon dissuasive, pas nécessairement Barkhane en tant que telle, mais aussi toutes les autres forces nationales ou internationales capables de consolider les gains réalisés.

À l’horizon de l’été 2021, l’adaptation de la force se fera en parallèle de la montée en puissance effective de la task force Takuba. Celle-ci repose sur la mobilisation de nos partenaires, qui commence à se consolider, et sur la capacité des forces armées maliennes à envoyer des effectifs dans la zone pour patrouiller, car c’est bien un partenariat de combat qui est visé par la montée en puissance de Takuba. Il faudra aussi maintenir la synchronisation de l’ensemble des piliers de la coalition et des forces internationales dans la zone, afin d’assurer la cohérence d’ensemble.

L’engagement de nos partenaires européens et américain dans Barkhane doit être entretenu. L’opération comprend des Estoniens, des Britanniques et des Danois. Le départ des Danois à la fin de l’année est un sujet de préoccupation que le général Conruyt a dû mentionner. Ils ont fourni des capacités rares au cours de l’année 2020. Nous essayons de trouver des solutions pour compenser la perte entraînée par le départ de leurs deux hélicoptères de transport lourd.

En dépit des progrès que j’ai soulignés, il est nécessaire de continuer à soutenir la force conjointe. Bien qu’opérationnelle, elle souffre de faiblesses structurelles et de jeunesse, notamment en matière de soutien. Elle doit continuer à monter en puissance. Ses résultats sont liés au leadership du général Namata, dont la succession interviendra dans les mois à venir.

La robustesse de notre partenaire malien reste notre principale préoccupation. Il faut concentrer nos efforts, et j’y associe tous nos partenaires internationaux, en particulier l’EUTM, pour que les FAMa mettent en place un cycle opérationnel durable. Les armées maliennes sont à la limite de la rupture, avec des personnels engagés opérationnellement depuis plus de deux ans dans le Liptako. Une telle situation ne peut durer et doit être corrigée. Les nouvelles autorités maliennes sont décidées à mettre en place, grâce à un recrutement accéléré, un cycle opérationnel permettant d’occuper les postes avec des troupes rafraîchies, formées et reposées régulièrement.

Mme la présidente Françoise Dumas. Merci, général. Ceux qui sont allés sur le terrain peuvent témoigner des progrès accomplis par les forces locales.

M. Jacques Marilossian. Dans un article publié dans le magazine Défense et sécurité internationale, le colonel Goya analyse l’usure des forces françaises de l’opération Barkhane, anciennement Serval, depuis 2013. Il considère que le format actuel est acceptable pour le coût d’emploi humain – un million d’euros par ennemi éliminé –, mais que le coût humain lui-même, « la vulnérabilité à l’événement », comme une frappe par erreur sur des cibles civiles ou un accident, comme celui des hélicoptères français, en novembre 2019 entraînant la perte de 13 de nos soldats, est bien moins accepté. Cela peut-il affecter profondément le moral de nos hommes – c’est ce que recherchent sur le plan tactique les troupes djihadistes ? Faut-il recommander un allégement du format Barkhane pour revenir à celui du plan Sahel de 2019, engageant moins de soldats sur place mais davantage de moyens de renseignement et de surveillance ? Le retour des troupes n’interviendrait qu’en cas de nouvelles dégradations. Que pensez-vous d’une telle évolution tactique ?

M. Jean-Jacques Ferrara. La force Sabre et la force Barkhane contribuent aux opérations. Une partie des moyens est commune aux deux forces – je pense notamment à l’aéromobilité – et nos chasseurs interviennent parfois en soutien des forces spéciales. Existe-t-il parfois, entre les deux, une forme de « concurrence » – le terme est sans doute mal choisi –, susceptible, faute de moyens suffisants, de limiter nos interventions ?

Puisque nous sommes à huis clos, quel est votre sentiment sur la coordination des interventions de Barkhane et celles du service action de la DGSE ? Les tensions entre les deux grands services ont récemment fait l’objet de publications. Les ressentez-vous sur le terrain ?

Enfin, quelles sont nos principales fragilités sur le terrain ?

M. Yannick Favennec Becot. L’ancien CEMA avait évoqué devant notre commission l’hypothèse de l’envoi de chars Leclerc au Mali pour répondre au durcissement de la menace. Si cela vous paraît toujours envisageable, quels en seraient les risques, les avantages et le coût ? Le char Leclerc n’a jamais été employé dans des actions de feu par les forces françaises, au contraire de ceux des Émirats arabes unis au Yémen. Est-il employable dans ce conflit, en appui direct des forces ?

M. Jean-Charles Larsonneur. Le détachement de drones de la base aérienne projetée de Niamey est au cœur des opérations dans la BSS. Nos drones Reaper, armés depuis un an, sont fortement mobilisés. Lors de son audition, le 13 octobre dernier, le général Lavigne a indiqué qu’ils avaient effectué une quarantaine frappes dont la presse nous apprend qu’ils seraient à l’origine de 80 % des éliminations de terroristes dans la zone.

Vous disposez d’un système de trois drones au standard Block 5, équipés de nouveaux moyens de renseignement optique et électromagnétique. En 2021, nous passerons les premières commandes de missiles Hellfire pour les équiper. Quel bilan tirez-vous de l’emploi de cette capacité ? Quelles perspectives ouvrent l’évolution en Block 5 et l’armement Hellfire ? Faut-il adapter l’importance du déploiement à la montée en puissance de nos drones armés ? Comment concevoir leur complémentarité avec les Mirage 2000D ?

M. Bastien Lachaud. Existe-t-il une réelle différence entre Al-Qaïda et l’État islamique ? Les deux groupes sont-ils traités différemment ? De façon plus provocante, considérez-vous que l’opération Barkhane a atteint ses objectifs, alors que la situation au Mali n’est pas stabilisée ?

M. Jean Lassalle. Je reste perplexe sur le coup d’État au Mali d’autant qu’il a été suivi de la libération de terroristes. Sur qui pouvons-nous vraiment nous appuyer ? Les Estoniens et les Britanniques restent à nos côtés, mais les Danois partiront à la fin de l’année, et nous risquons de ne pas rester bien nombreux. Or la France reçoit tous les coups et paie l’addition en termes de politique internationale et de pertes militaires. Alors que Daech et Al-Qaïda reviennent dans les territoires où vous intervenez, la France pourra-t-elle faire face à la situation dans cet immense territoire sans moyens supplémentaires ?

M. le général Stéphane Mille. Barkhane n’est pas un format. La question est celle de notre ambition et des objectifs que nous fixons à l’opération Barkhane. Je ne soutiendrais pas la réduction du format de Barkhane si les objectifs actuels étaient maintenus. L’adaptation du format se fera naturellement si les ambitions sont révisées. Avant de parler d’adaptation du format, il faut s’interroger sur l’objectif car il est illusoire de penser que nous pourrions conduire les mêmes actions dans un format réduit.

Sur le moral des troupes sur le terrain, je suis toujours frappé de constater qu’elles sont toujours aussi engagées et combatives, malgré les événements marquants que nous avons évoqués. Perdre un camarade au combat marque les troupes, mais la mission continue.

Existe-t-il une concurrence entre Sabre et Barkhane ? Le centre de planification et de conduite des opérations (CPCO) peut avoir à rendre quelques arbitrages, mais leur nombre reste très limité. J’ai rarement à intervenir pour donner la priorité à telle ou telle mission, car les décisions sont prises en bonne intelligence par les deux commandants de force, qui échangent sur l’objectif de l’opération et les motifs de mobilisation des moyens. La coordination s’opère donc naturellement.

Je n’ai pas rencontré de difficulté de coordination avec la DGSE. Grâce au lien étroit que j’entretiens avec la DGSE, nous échangeons sur ce sujet, si nécessaire.

Sur le char Leclerc, l’hypothèse de son déploiement au Mali n’est pas à l’ordre du jour. En effet, nous avons engagé les armées maliennes dans la voie de la réactivité, de la mobilité et de la légèreté en formant les ULRI, qui sont équipées de pickups et de motos. Puisqu’on a coutume d’opposer protection et mobilité, je note que depuis leur engagement, cela n’a pas occasionné de difficultés particulières. L’utilisation éventuelle du char Leclerc n’est donc pas étudiée.

S’agissant des drones armés, je n’ai pas suivi toutes les déclarations faites dans la presse. Je crois que les 80 % évoqués concernaient, non pas les seuls drones armés, mais toutes les opérations relevant de la troisième dimension, hélicoptères inclus. Mais le tout s’intègre dans une manœuvre interarmées, multi-champs, multi-milieux où chacun a sa place et concourt au résultat d’ensemble. En tout cas, l’arrivée des drones armés modifie notre capacité. Il s’agit principalement de drones d’observation, armés pour saisir des opportunités fugaces. Nous ne disposions pas de cette possibilité jusqu’à présent. La complémentarité est liée à ce que je viens de dire. Dès lors que le drone peut rester pour observer et qu’on a le temps d’envoyer les Mirage 2000D, ce mode d’engagement est préférentiel. Car le drone permet à la fois d’ouvrir le feu et d’en surveiller les effets. Son autonomie est un paramètre important pour le maintenir sur la zone. Si une opportunité se présente et qu’elle est fugace, le fait qu’il soit armé est intéressant.

Je retiens que l’EIGS est plutôt mû par des ressorts idéologiques, de par son allégeance à Daech ou la recherche du califat, alors que le RVIM est mû par des ressorts politiques visant une alliance entre groupes terroristes et un agenda d’extension à l’échelle de la région. Les deux logiques sont aussi dangereuses l’une que l’autre pour les populations, dont la protection est au cœur des préoccupations des forces qui agissent au Mali. Nous avons concentré notre activité de l’année 2020 sur l’EIGS, mais lors des dernières opérations, des opportunités se sont présentées sur les franchises du RVIM. L’une et l’autre organisation sont aussi dangereuses dès lors qu’elles sont dans une phase d’expansion.

Je rappelle que le sommet de Pau nous a fixé pour objectif de nous concentrer sur la région des trois frontières. Nous n’avons pas les moyens de nous occuper de la totalité du Mali. Ceux d’entre vous qui se sont déplacés sur le théâtre ont vu l’immensité de la zone. Néanmoins, les 5 000 hommes de Barkhane, les effectifs de la MINUSMA et l’EUTM, ainsi que les armées de nos partenaires africains contribuent là où ils sont déployés au règlement de la situation dans le domaine militaire.

Concernant le coup d’État et la libération des terroristes, j’ai dit en introduction que je n’avais pas noté d’infléchissement de la volonté des autorités militaires de poursuivre l’action engagée par Barkhane. Je peux comprendre que l’on s’interroge sur l’état d’esprit réel des autorités politiques, mais pour ce qui concerne les autorités militaires que j’ai rencontrées longuement, la semaine dernière à Bamako, il existe un alignement total de vues du chef d’état-major général des armées du Mali (CEMGA), des chefs d’état-major, des commandants de théâtre et des commandants de secteur sur la mise en place d’un cycle opérationnel, le réinvestissement des camps du Liptako pour consolider les gains de Barkhane, la poursuite du combat contre le terrorisme au côté de Barkhane, etc. Notez en outre que les autorités militaires ont clairement mentionné comme première préoccupation l’organisation des élections dans un an.

Les Danois avaient annoncé dès le départ qu’ils étaient là pour un an et qu’ils réorienteraient ensuite leurs moyens vers le Levant. Nous sommes à la recherche de partenaires de remplacement dans Barkhane ou en soutien direct de la task force Takuba. La France n’est pas seule au Sahel. Takuba est déjà un premier succès et sera un succès complet quand nous aurons obtenu la pleine capacité de la force. C’est pour bientôt. Des pays vont progressivement s’y agréger. Les Estoniens sont déjà présents, les Tchèques arrivent prochainement, les Suédois au premier semestre 2021. D’autres nations sont déjà annoncées, qui pourraient venir avec des moyens aussi précieux que ceux perdus après le départ des moyens héliportés danois. J’attends confirmation de la date d’arrivée des Italiens qui manifestent l’intention de venir avec un volume significatif d’hélicoptères.

Charles de la Verpillière. En réponse à Bastien Lachaud, vous avez caractérisé l’EIGS et RVIM. J’aurai des questions complémentaires. Ces deux mouvements terroristes sont-ils en contact pour coordonner leurs actions ? Vous avez parlé de phase d’expansion. Pourriez-vous préciser leurs présences géographiques respectives ?

Mme Monica Michel. En Afrique, l’analyse française se concentre logiquement sur la situation sahélienne. La menace terroriste ne s’en propage pas moins à d’autres pays. Boko Haram lance ainsi des attaques au Nigeria, au Tchad, en Somalie, au Mozambique. Comment analysez-vous cette situation et quelles en sont les conséquences pour Barkhane ?

M. Jean-Louis Thiériot. En charge, avec ma collègue Françoise Ballet-Blu d’une deuxième mission flash sur le financement de la base industrielle et technologique de la défense (BITD), j’aimerais connaître votre analyse sur la mise en place sur le terrain des systèmes Scorpion, commencée fin 2019, et savoir si l’arrivée des Griffon est prévue pour bientôt.

Le renfort en hélicoptères lourds, comme les Chinook et les Merlin, nous a été bien utile. Quels trous dans la raquette identifiez-vous, auxquels nous pourrions apporter une réponse industrielle et capacitaire ?

Mme Laurence Trastour-Isnart. Trois attaques coordonnées ont eu lieu contre trois villes, trois camps, qui ont essuyé des tirs, Kidal, Gao et Menaka. Le défi de l’opération Barkhane est-il le renseignement pour garantir la sécurité de nos bases et de nos militaires et assurer notre succès face aux groupes terroristes ?

Le groupement Takuba a été officiellement envisagé avec 500 soldats fournis par une dizaine de pays contributeurs. Cette task force est-elle vraiment en place, même modestement ?

M. Jean-Pierre Cubertafon. Les hélicoptères Chinook et les Merlin ont été particulièrement mis à contribution. Quel regard portez-vous sur le rôle et la contribution de nos alliés européens à l’effort de guerre, en particulier sur le rôle des hélicoptères lourds britanniques et danois ? Les interrogations sur l’achat d’hélicoptères lourds restent-elles d’actualité malgré une collaboration efficace ?

Mme Natalia Pouzyreff. En matière de commandement de Barkhane et du futur déploiement de Takuba, les missions sont-elles réparties et les règles d’engagement gérées entre nos partenaires européens en fonction des capacités apportées ? Le commandement européen du transport aérien (EATC) est-il impliqué pour le transport logistique ? L’engagement de troupes allemandes à nos côtés serait-il soumis à l’approbation du Bundestag ? Quelles conditions préalables devraient être définies entre les états-majors pour intégrer cette nouvelle composante ?

M. Nicolas Meizonnet. Le président Ibrahim Boubacar Keïta, qui était notre allié dans la lutte contre les terroristes, a laissé place aux militaires qui tardent à constituer le Conseil national de transition (CNT) en raison de crispations politiques. Qui va gouverner le Mali ? L’iman wahhabite Mahmoud Dicko, leader très influent de l’opposition et capable de mobiliser les foules, semble partager les valeurs des djihadistes que nous combattons, alors que son parti, la Coordination des mouvements, associations et sympathisants (CMAS), siégera bientôt au CNT. L’ambition affichée de ce religieux peut le conduire à jouer un rôle déterminant pour l’avenir du Mali. Pensez-vous que cela puisse mettre en péril notre action dans ce pays ? Cette perspective peut-elle remettre en cause l’opération Barkhane ?

Mme Nathalie Serre, co-rapporteure de la mission d’information sur l’opération Barkhane. Évoquant le pourcentage relatif des forces de nos partenaires, passé de 25 à 50 %, vous avez dit qu’il serait bien de passer à 25 % de forces françaises et 75 % de forces sahéliennes. À quelle échéance cette répartition pourrait-elle être atteinte ?

Lors de notre déplacement, il nous a semblé comprendre qu’en arrivant sur le théâtre, nos militaires devaient d’abord « reprendre leur machine en main », faute d’avoir pu s’entraîner suffisamment en France. Cela semble le cas pour le pilotage de certains véhicules et le tir. La préparation opérationnelle de nos militaires est-elle satisfaisante ? La sursollicitation de nos militaires est-elle un facteur limitant de la préparation opérationnelle ?

M. le général Stéphane Mille. Les deux « franchises » terroristes sont physiquement en contact puisqu’elles se combattent, notamment dans le Gourma. Dans ce secteur, le RVIM profite de la faiblesse de l’EIGS pour tenter de regagner du terrain. La présence des terroristes qui étaient sur le point d’attaquer le poste de Boulikessi témoigne de la vigueur de l’engagement du RVIM dans la zone. Toutefois, bien qu’ils soient en conflit, on ne peut écarter quelques contacts pris localement entre eux pour s’opposer aux forces internationales. Ennemis, ils sont capables de s’unir pour mener une opération ponctuelle.

S’agissant de la question de la menace terroriste hors de la BSS, que vous avez même élargie au Mozambique, nous regardons bien au-delà de la zone du G5 en encourageant nos partenaires du Sud à prendre en compte cette possibilité. L’initiative prise à Dakar, le partenariat pour l’action en Afrique de l’Ouest (PAOA), vise à coordonner les actions de coopération des alliés en Afrique de l’Ouest, à partager le renseignement, en majeure partie de sources ouverte, avec nos partenaires africains et à les inciter à développer la culture du renseignement pour être plus forts si la menace se propageait sur leur terrain.

Une vaste opération d’adaptation du dispositif Barkhane a été engagée l’année dernière pour préparer l’arrivée du système Scorpion, mais nous en sommes pour l’instant au déploiement du réseau du système d’information du combat Scorpion (SICS). Scorpion sera visible sur le terrain en 2021. Je pourrai alors faire un retour d’expérience sur la mise en place du dispositif dans l’opération Barkhane.

S’agissant des trous dans la raquette capacitaire, certaines capacités sont effectivement critiques. Les hélicoptères lourds ont apporté une plus-value significative. Certes, on s’en passait auparavant, mais ils démultiplient notre capacité de projection de part et d’autre de la zone. Le renseignement est un autre élément important de protection et pour prendre l’initiative à l’encontre de groupes toujours actifs.

S’agissant de la cinématique de la task force Takuba, la première sortie a eu lieu au cours de l’été 2020 avec un bataillon franco-estonien, et Takuba atteindra sa pleine capacité à l’été 2021. Nous aurons alors un vrai dispositif reposant sur une task force associant des Français, des Estoniens, des Tchèques et des Suédois. Cela témoigne de la volonté de nos partenaires européens de s’engager dans la zone. Cela donne lieu également à beaucoup de discussions sur l’organisation et les moyens attendus. Les hélicoptères et le soutien médical sont des capacités critiques ; ils sont indispensables pour des engagements de combat. Nous démarchons nos partenaires alliés avec l’oreille attentive de certains pays. J’ai cité la Suède. La démarche est positive et dynamique et laisse augurer de belles perspectives de montée en puissance pour Takuba.

Nous avons défriché les règles de fonctionnement de la coalition lors de la montée en puissance des détachements étrangers dans Barkhane. Alors qu’il y a quatre ans, il était presque inimaginable d’y faire entrer un pays étranger, c’est devenu une réalité. Le plus important, et cela vaut pour un éventuel engagement allemand, est de s’accorder sur les objectifs de la campagne. Dès lors qu’une même unité ne fait pas deux campagnes distinctes, des limitations peuvent être imposées par tel ou tel partenaire. Par exemple, les hélicoptères danois ne font pas de poser poussière de nuit. Ils n’ont pas de caveat, pas d’opposition à l’emploi, mais ont fixé une contrainte technique. À partir du moment où l’on est d’accord sur l’objectif, il peut y avoir des restrictions d’emploi mais l’intégration de partenaires est simple.

Pour assurer la maîtrise de l’ouverture du feu dans une coalition, le plus simple est d’avoir des règles d’engagement (ROE) partagées par tous les partenaires. C’est bien ce qui est recherché pour Takuba, afin d’éviter des règles différentes en fonction de l’unité déployée, qui rendent complexe le commandement de l’opération. L’idée, et c’est le cas aujourd’hui, est d’avoir un dispositif de ROE commun pour la mission et partagé par tous.

Je partage vos interrogations sur le contexte politique au Mali après le coup d’État. C’est une question de nature politique que je regarde comme telle. Ma mission d’anticipation stratégique me conduit à préparer toutes les hypothèses, y compris celle d’une situation politique inacceptable à Bamako, pouvant entraîner une décision radicale. Je ne dis pas que celle que vous avez évoquée est envisagée, mais ce sont des options que nous examinons en permanence à l’état-major des armées.

Pour inverser le ratio, il faut d’abord des partenaires africains. C’est pourquoi j’ai insisté sur la programmation du retour des Maliens dans le Liptako. Les Africains doivent densifier leur présence sur le terrain ; ils prennent cet élément en compte. J’ai évoqué l’alignement de tous les responsables militaires sur la volonté de réinvestir la zone du Liptako.

Je peux attester de la qualité de la préparation des forces françaises avant le déploiement. Quatre ans de relève dans Barkhane me donnent la certitude que nos troupes sont entraînées et que les trois armées, puisque la marine nationale est également engagée, réalisent les efforts nécessaires avant de déployer leurs forces sur le théâtre de la BSS. Quelques particularités de théâtre nécessitent une adaptation. Je pense à quelques vols en ambiance sable pour les pilotes d’hélicoptère ou à des tirs de réglage pour des soldats prenant en main du matériel sur place. Mais ce n’est pas par défaut d’entraînement que sont faites ces opérations, qui durent le temps d’un ou deux vols ou une ou deux sorties, pour s’adapter aux conditions spécifiques du théâtre.

Mme la présidente Françoise Dumas. Merci, général.

Je retiens de vos propos que le troisième pilier de la stratégie Sahel, le retour de l’État dans les territoires, serait le plus en retard, malgré la mise en œuvre des premières colonnes foraines dont le gouverneur de Gao nous a décrit l’organisation. C’est néanmoins une piste de progression fort intéressante pour les mois à venir.

J’ai entendu que votre porte d’entrée n’était pas le format : la question est, pour vous, de savoir quels effets nous recherchons avec Barkhane. En effet, pour cette opération comme pour d’autres, c’est la meilleure façon de raisonner.

Je note vos propos raisonnablement optimistes sur le renforcement de l’européanisation de l’action militaire et l’accentuation de la sahélisation des opérations, aspects que nous pourrons développer lors de l’audition du général Namata, en charge des forces conjointes du G5 Sahel.

Nous vous remercions pour la précision de votre exposé, car nous sommes très désireux de comprendre cette évolution. Nous serons très attentifs au bilan du sommet de Pau, qui sera tiré à l’occasion de son premier anniversaire, et à la poursuite des actions sur les quatre piliers, conformément à la volonté exprimée par la Président de la République. Nous sommes dans une phase intermédiaire de renforcement de nos relations sur place avec nos partenaires de la force conjointe.

Je voudrais enfin saluer, au nom de l’ensemble de mes collègues, votre niveau d’implication. Nous avons conscience du coût que cela représente pour vos hommes et leurs familles. Merci encore pour votre recherche inlassable de consensus, de travail en commun avec les forces conjointes sur place comme avec nos partenaires européens.


   Annexe n° 5 : Compte rendu de l’audition de M. le général Oumarou Namata Gazama, commandant de la force conjointe du G5 Sahel

Mme la présidente Françoise Dumas. Général, c’est un privilège pour notre commission de vous rencontrer à l’occasion de votre venue à Paris, même si les conditions sanitaires nous contraignent à adopter l’outil de la visioconférence. Je me suis rendue récemment au Sahel, dans le cadre de la mission d’information sur l’opération Barkhane, que je préside, accompagnée de nos deux co-rapporteures, Sereine Mauborgne et Nathalie Serre, ainsi que de Jean-Jacques Ferrara. Nous avons pu rencontrer vos hommes au poste de commandement conjoint de Niamey et mesurer la réalité du caractère conjoint de la force que vous commandez. Sachez que nous avons été très impressionnés : nous sommes loin d’avoir atteint en Europe un tel niveau d’intégration.

Soyez assuré que nous sommes tous attentifs à l’évolution de la situation au Sahel comme à la montée en puissance de la force conjointe du G5 Sahel. Vous savez que nous avons même inventé un mot spécifique dans la langue française, puisque nous parlons désormais de la nécessaire « sahélisation » des opérations.

Créée en 2017, la Force conjointe est désormais opérationnelle. Elle connaît des succès tactiques conséquents dans sa lutte contre les groupes terroristes, comme en témoignent les opérations SAMA 1 et SAMA 2. La mise en place d’un commandement conjoint a permis de renforcer la coordination entre la force conjointe et ses partenaires, même si d’importants défis se dressent encore face à vous et que des difficultés subsistent, notamment concernant la disponibilité de certains équipements. C’est pour évoquer ces succès et vos besoins que nous vous recevons aujourd’hui.

Général Oumarou Namata Gazama, commandant la force conjointe du G5 Sahel. Madame la présidente, mesdames et Messieurs les députés, permettez-moi, avant tout propos, de vous remercier de l’occasion qui m’est offerte de vous édifier sur la situation de la Force conjointe, créée en février 2017, il y a de cela bientôt quatre ans, en vue d’aider à relever les défis sécuritaires qui assaillent la Bande sahélo-saharienne (BSS). C’est aussi le lieu de rendre un vibrant hommage à vos compatriotes qui y sont tombés.

Il vous souviendra que c’est avec une lecture régionale de la menace et le besoin impératif de synergie et de mutualisation face à la dégradation du contexte sécuritaire, que les pays de l’espace G5 Sahel avaient décidé de la création de cette Force, pour tenter de combler le gap sécuritaire transfrontalier et accompagner la réalisation des objectifs de l’institution autour de son crédo « Sécurité et Développement ».

Durant sa première année d’existence, la Force conjointe s’est essentiellement employée à la génération de forces, au déploiement des unités et à un début d’appropriation du terrain. La deuxième année, tout en mettant en œuvre un certain nombre d’opérations, a été surtout axée sur l’opérationnalisation capacitaire, qui passait par le soutien international en accompagnement des efforts individuels et collectifs des États membres du G5 Sahel, qui consacrent entre 15 et 30 % de leur budget à la défense. Pour le troisième mandat de la Force, nous nous sommes inscrits dans la dynamique de relancer, avec le plus de pragmatisme possible, sa montée en puissance et amorcer de façon plus pratique sa maturation opérationnelle.

Le 1er novembre 2020, la Force conjointe a entamé son quatrième mandat annuel avec la relève effective de l’ensemble des personnels de ses quatre postes de commandement multinationaux.

Depuis le sommet extraordinaire des chefs d’État du G5 Sahel, le 15 décembre 2019, à Niamey, marqué par la réappropriation clairement affirmée de la direction des questions militaro-sécuritaires par ce haut niveau politique du G5 Sahel, la Force conjointe a pu enregistrer des avancées fort significatives.

C’est ainsi que dans le but général de mettre en œuvre de façon effective et visible l’action de la Force conjointe, depuis notre prise de fonction, nous nous sommes évertués à orienter toutes nos actions vers plus de réalisme et de pragmatisme pour dépasser ou, dans certains cas, composer avec les difficultés persistantes qui minaient son essor.

Alors, malgré une situation sécuritaire très préoccupante, notamment à la fin de l’année 2019, la Force conjointe a pu engager des efforts relativement fructueux dans le domaine des opérations militaires et des relations avec les partenaires, même si, par ailleurs, d’importants défis restent encore à relever.

Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés,

Comme vous le savez, l’éradication du terrorisme est une lutte de longue haleine qui a mis à rude épreuve les meilleures armées du monde, partout où une intervention a été nécessaire.

Dans la Bande sahélo-saharienne, il faut dire qu’au cours de la période allant du mois d’août 2019 au mois de janvier 2020, la situation sécuritaire était restée assez préoccupante dans la zone de sécurité et d’intérêt de la force conjointe, au regard du grand nombre et très souvent de la violence des incidents relevés. Les Groupes armés terroristes (GAT) et autres Groupes de criminalité organisée (GCO) ont multiplié les actions contre les forces de défense et de sécurité (FDS), les populations civiles et les symboles de l’État, particulièrement au Burkina Faso, au Mali et au Niger. Les attaques complexes de positions des forces de défense et de sécurité par des effectifs ennemis de plus en plus importants ont permis de confirmer l’existence de véritables connexions opérationnelles et logistiques entre les groupes armés terroristes. Leurs interactions variaient au gré de leurs intérêts et se caractérisaient aussi par le nomadisme des combattants d’une organisation à une autre, souvent même à partir de certains Groupes armés signataires (GAS).

Parallèlement, il avait été relevé l’exacerbation par endroits des conflits à caractère intercommunautaires et interethniques, le plus souvent instrumentalisés par les divers groupes armés.

Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés,

Avant d’en venir aux opérations menées par la Force conjointe, je voudrais d’abord, si vous le voulez bien, partager avec vous la substance des orientations que j’avais fixées dès ma prise de fonctions, en août 2019, et les grandes lignes de mon agenda opérationnel.

Les orientations ont été déclinées dans un document dénommé « Vision du COMANFOR », dont six grands axes forment l’ossature :

1. Poursuivre la recherche de l’effectivité des pleines capacités opérationnelles des unités sous contrôle opérationnel (OPCON) de la Force conjointe ;

2. Systématiser les opérations coordonnées, voire conjointes, avec les forces concourantes nationales et avec les partenaires.

3. Rechercher la mise en place effective de tous les démembrements de la composante police (prévôté et unités d’investigation spécialisées) ;

4. Exercer une communication accrue pour une meilleure visibilité et partant, l’acceptation même de la force et s’assurer que la protection des populations reste une préoccupation importante de l’ensemble des composantes de la force ;

5. Œuvrer à l’élaboration des modalités pratiques permettant l’acheminement du soutien additionnel jusqu’aux troupes engagées dans les opérations ;

6. Œuvrer à la mise en place d’un dispositif de ciblage.

Après avoir fixé ces orientations comme lignes permanentes de conduite de nos actions, il s’agissait pour nous, de planifier et mettre en œuvre des opérations conformément à notre mandat, à travers des directives de planification, suivant un plan de campagne qui devrait courir d’août 2019 à août 2021. L’un des objectifs principaux de ce plan vise à mettre en harmonie les futures opérations de la Force conjointe avec les différents efforts des Armées nationales et des Forces partenaires que sont Barkhane et la Mission Multidimensionnelle Intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA). Ce plan de campagne vise aussi clairement à faire évoluer la posture et le format de la Force pour lui faire gagner en pragmatisme et en efficacité, afin de mieux faire face à la situation sécuritaire en constante dégradation, surtout dans le centre de l’espace du G5 Sahel.

Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés,

Pour ce qui des opérations, la Force conjointe, depuis sa création en 2017, tout en continuant à se constituer, a su mettre en œuvre un certain nombre d’opérations pour marquer sa présence dans le champ d’action de la lutte contre le terrorisme et de la criminalité organisée et afficher sa détermination à poursuivre sa mission.

C’est ainsi que, de ses débuts à ce jour, la force conjointe a déjà mené vingt-quatre opérations, dont neuf opérations majeures depuis octobre 2019 : quatre dans le fuseau est (AMANE 2, OBANNA 2, 3 et 4), une dans le fuseau ouest (DAREA) et quatre dans le fuseau centre (PAGNALI 2, SAMPARGA 3, PAGNALI 3 et SAMA 1). Cela donne une idée du chemin parcouru en termes d’activité opérationnelle.

L’opération SAMA 2, au centre, a démarré le 1er août pour une période de six mois, c’est-à-dire jusqu’à la fin janvier 2021. Elle a pris la suite de l’opération SAMA 1, engagée en mars 2020.

En résumé, sur l’ensemble des trois Fuseaux, les opérations de ces dix derniers mois, ont globalement permis :

 de neutraliser ou capturer cent vingt-trois terroristes ;

 d’arraisonner cent quatre orpailleurs clandestins et autres trafiquants ;

 de saisir, récupérer ou détruire deux cent quatorze motos et dix-sept véhicules ;

 de détruire plusieurs dépôts logistiques ou lieux de fabrication d’EEI ;

 de récupérer plus de deux cents armes et des milliers de munitions de tous calibres ;

 de libérer six otages dans la zone des trois frontières ;

 de récupérer une trentaine de matériels de transmission ;

 la mise à la disposition des organisations humanitaires, pour installation dans les camps de réfugiés, de cent quarante-six personnes recueillies, dont une majorité de femmes et d’enfants fuyant les exactions et autres représailles des groupes armés terroristes.

Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés,

Concernant l’état actuel de la Force conjointe du G5 Sahel, globalement, pour ce qui est des matériels, pour une grande partie des bataillons, le niveau capacitaire reste encore assez moyen. Pour certains bataillons, les effectifs restent encore en dessous des standards requis. En outre, dans le domaine logistique et pour ce qui est de certaines capacités comme le renseignement, la Force reste largement tributaire de certains partenaires présents sur le théâtre.

Il faut aussi noter la situation des Unités d’investigation spécialisée (UIS) de la composante police qui peinent encore à se déployer, faute d’équipements. Toutefois, les détachements prévôtaux sont en grande partie opérationnels.

Pour ce qui est du partenariat international soutenant la Force conjointe, à côté des efforts nationaux de nos cinq États, il s’applique sur un certain nombre de domaines.

Dans le domaine de la formation, les principaux partenaires de la Force conjointe sont l’EUTM Mali, l’EUCAP Sahel et le Haut-Commissariat des Nations unies aux Droits de l’Homme de la MINUSMA.

Le soutien à la mise en œuvre du cadre de conformité droits de l’homme s’appuie sur des fonds de l’Union européenne, dont le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme, à travers son bureau près la MINUSMA, a la responsabilité.

Le soutien logistique opérationnel qui lui s’appuie sur un mécanisme qu’il a été convenu d’appeler « soutien additionnel » basé sur des fonds de l’Union européenne dont la MINUSMA a la responsabilité. La question avance, certes lentement, mais elle avance quand même, grâce à des actions d’amélioration en cours suite aux nouvelles injonctions figurant dans la résolution 2531 du 29 juin 2020 du Conseil de sécurité des Nations unies.

L’appui en équipements, services et infrastructures au profit de la force conjointe suit principalement deux axes : un appui en bilatéral directement traité avec les structures nationales des cinq pays du G5S et un appui direct à la Force.

Un soutien purement opérationnel est fourni autant que possible par la Force Barkhane, en termes d’appuis aériens (survols ISR, appui feu au contact, transport) et de fourniture de rations de combat. Barkhane a aussi déjà soutenu certaines unités en termes d’accompagnement tactique de réassurance.

Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés,

Malgré les difficultés, un certain nombre d’avancées majeures bien notables ont été capitalisées depuis un certain temps. Il s’agit d’abord de l’évolution de la posture et du format.

Faisant partie des objectifs substantiels de notre plan de campagne, ce besoin d’évolution qui avait été soulevé dès les premiers temps du mandat 3 s’imposait pour débrider la Force Conjointe et lui permettre de mieux faire face à l’évolution de la situation sécuritaire. Il fallait se donner la possibilité de dépasser les actions et positionnements purement frontaliers qui finalement constituaient des carcans ne donnant pas la souplesse nécessaire pour s’adapter au contexte sécuritaire qui avait largement muté.

Autre avancée majeure, c’est l’effectivité de l’harmonisation des actions et la coordination entre les différents acteurs. En effet, dans la droite ligne du deuxième axe de la vision du COMANFOR, tendant à la systématisation des opérations coordonnées ou conjointes avec les Forces concourantes nationales et les Forces partenaires et qui est l’un des cadrages fondamentaux du plan de campagne de la Force conjointe, l’harmonisation et la coordination se sont vues propulsées au rang de directives politiques.

Car, à la suite du sommet extraordinaire de Niamey, le sommet du 13 janvier à Pau est venu confirmer certaines orientations et engagements dans le sens du besoin de coordination au sein d’un Mécanisme de Commandement Conjoint (MCC) des futures opérations au Sahel. serait ainsi la base indiquée de départ d’une coalition plus large envisagée pour le Sahel.

À ce jour, le niveau de coordination, d’harmonisation et d’actions conjointes entre la Force conjointe, la Force Barkhane et les Armées nationales du G5 Sahel a atteint un niveau inespéré et est effectif jusqu’au plus bas échelon tactique. Les résultats concrets qui continuent d’être capitalisés par ces actions conjointes confirment la pertinence de nos interactions.

Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés,

Au registre des défis importants face à nous, il faut d’abord noter que du point de vue fonctionnel, il est permis dans l’absolu d’affirmer que le niveau atteint paraît satisfaisant, si l’on ne tient pas compte des disparités d’un endroit à l’autre. Cependant, du point de vue capacitaire, à ce jour, beaucoup reste à faire. Ainsi, en termes de capacités, deux aspects méritent une attention particulière. Et la question du financement pérenne reste aussi un défi qu’il faut ici rappeler.

Ainsi, premièrement, la force ne dispose pas de capacité aérienne propre, alors même que le combat antiterroriste actuel ne peut se faire efficacement sans cette rallonge capacitaire. À ce titre, des alternatives devront être recherchées pour l’atteinte des résultats tant attendus. C’est pourquoi une proposition sous forme de requête d’un mécanisme d’accompagnement des vecteurs aériens des armées des pays membres pour leur mise à disposition de la Force conjointe a été évoquée. Dans ce cadre et en attendant l’atteinte d’une certaine autonomisation, les besoins opérationnels incompressibles nous imposent actuellement et en complément des fastidieux efforts nationaux, de poursuivre la collaboration avec les partenaires directement opérationnels comme Barkhane et, indirectement en soutien comme AFRICOM.

En second lieu, il s’agit du système de renseignement, l’autre grande faiblesse de la Force conjointe. L’acquisition de capteurs et de moyens de surveillance de type radars terrestres est à envisager sur les mêmes fonds qui ont formellement été annoncés. Fort heureusement, dans le cadre du MCC, la mise en place d’une cellule de fusion du renseignement IFC (Intelligence Fusion Cell), à l’intérieur de la base avancée projetée de Barkhane, a permis pour l’heure de faire face aux besoins de l’opération SAMA.

Enfin, s’agissant du soutien, la Force conjointe reçoit de nombreuses aides, même si leurs mises en place effectives sont souvent fastidieuses. Mais il est bon de rappeler que les États du G5 Sahel consentent en interne d’importants sacrifices. Ainsi, au moment où des avancées certaines sont capitalisées, où la Force conjointe gagne sans cesse en crédibilité, où les attentes sont de plus en plus fortes et où la situation globale milite pour un plus grand soutien, il est opportun de rappeler la nécessité de pérenniser le système de financement de la force conjointe, directement sous la responsabilité du COMANFOR, afin de mieux maîtriser la planification et la conduite des opérations.

Madame la présidente de la commission défense, Mesdames et Messieurs les députés,

Pour nous résumer, nous pouvons dire que des avancées fort significatives ont été enregistrées. Mais la situation opérationnelle de la zone de responsabilité reste encore volatile. Il est indispensable de prolonger la dynamique de coordination et de mutualisation des capacités. Les très bons résultats capitalisés ces derniers temps imposent à tous, tant à la force conjointe qu’aux autres forces engagées dans la zone, de tout mettre en œuvre pour exploiter notre relatif avantage sur l’ennemi en consolidant les acquis et en faisant obstacle à ses tentatives de rétablissement dans d’autres secteurs. Les engagements opérationnels envisagés, qu’il faut impérativement continuer à soutenir, seront décisifs pour la poursuite du redressement de la situation sécuritaire dans notre espace commun. Il s’agira aussi de maintenir, voire de redoubler les efforts de mobilisation des moyens matériels et financiers, tant en interne qu’à l’international.

Mme Monica Michel. Général, au nom du groupe La République en marche, permettez-moi de vous dire combien nous sommes heureux que cette audition ait pu être organisée. Ces moments d’échange avec les commandants des forces alliées agissant au Sahel revêtent un caractère essentiel. Je veux également remercier notre présidente de nous en offrir la possibilité.

Lors du sommet de Pau a été annoncée la révision du concept d’opération de la force conjointe afin qu’elle puisse agir au-delà de la zone des cinquante kilomètres de part et d’autre des frontières. Quel bilan tirez-vous de ce changement ?

Compte tenu de son financement incertain, la force conjointe parvient-elle à doter des hommes en équipements et à les entraîner correctement ? Les dotations sont-elles suffisantes pour tous les soldats de la force ?

Je me réjouis de la création du collège de défense du G5 Sahel soutenue par la France. Que permet cette nouvelle formation ? Le dispositif a-t-il vocation à être étoffé ou dupliqué ?

Mme Nathalie Serre. Général, c’est un réel plaisir pour moi de vous auditionner quelques semaines après avoir rencontré vos hommes à Niamey. J’associe à ma question Jean-Jacques Ferrara, qui vous prie de l’excuser.

Lors de notre déplacement, nous avons eu le sentiment que l’insuffisance du niveau d’équipement et de soutien restait un facteur limitant la montée en puissance de la force conjointe – vous-mêmes venez d’y faire allusion. Vous avez commencé à identifier les principales difficultés et évoqué les moyens d’y remédier en termes capacitaires et financiers. Au-delà de l’action de l’EUTM Mali, quel bilan pouvez-vous tirer de l’action de la MINUSMA ?

Nous avons eu le privilège d’échanger sur place avec le personnel de la cellule de fusion du renseignement, où les renseignements sont collectés, analysés, recroisés et fusionnés avant d’être diffusés en vue d’orienter les opérations conjointes conduites contre les groupes armés terroristes. Quelle est la nature de vos différents capteurs et comment est organisée la collecte du renseignement humain sur le terrain ? Estimez-vous le partage du renseignement suffisant ? Pouvez-vous nous préciser vos besoins pour améliorer vos capacités en la matière ?

Après les succès de SAMA 1 et de SAMA 2, la coordination entre la force conjointe et ses partenaires, au premier rang desquels Barkhane, est-elle encore améliorable ?

J’ai eu la chance de mesurer, tout comme mes collègues, les avancées réalisées au cours de l’année écoulée. Permettez-moi de vous féliciter et, à travers vous, vos hommes pour votre engagement dans la BSS.

M. Thomas Gassilloud. Jeudi dernier, j’ai rencontré en Mauritanie votre compatriote Maman Sambo Sidikou, secrétaire exécutif du G5 Sahel, et je salue l’implication forte du Niger dans cette organisation.

Sur le plan fonctionnel, la force conjointe a atteint son niveau de maturité, ce pourquoi nous vous devons beaucoup. Le collège de défense en est à sa troisième promotion. Confirmez-vous la grande qualité des officiers qui, au sortir de cette formation, rejoignent majoritairement la force conjointe ?

La question la plus importante est celle de l’effectivité de vos capacités opérationnelles. Au-delà de la maturité fonctionnelle, beaucoup reste à faire en matière capacitaire. Puisque la capacité opérationnelle repose sur la détermination des soldats, qu’en est-il de la bancarisation, qui permet de sincérité les effectifs, mais également de lutter contre l’évaporation des soldes ? J’espère que l’exemple de la force conjointe sera suivi par les armées locales.

Par ailleurs, la force conjointe reste tributaire des moyens extérieurs au Sahel pour les capacités aériennes et de renseignement. A-t-elle une ambition en matière aérienne ? Les Mauritaniens ont des propositions à faire en la matière. Êtes-vous en mesure de guider des tirs de la chasse française, puisque nous disposons sur place de Mirage 2000D ?

M. Jean-Christophe Lagarde. Vous avez dit que nous n’étions pas encore aux standards requis. Quel est le délai nécessaire pour y parvenir ?

Des combats entre filières djihadistes ont lieu régulièrement dans la bande sahélo-saharienne. Des affrontements ont-ils permis aux uns ou aux autres de prendre l’avantage ou peut-on encore profiter de leurs divisions ?

On a beaucoup lu en Europe qu’un certain nombre d’anciens combattants mercenaires djihadistes de Syrie étaient arrivés en Libye en passant par la Turquie. Sont-ils descendus vers le sud pour rejoindre la BSS ou restent-ils cantonnés dans le nord de la Libye ?

Général Oumarou Namata Gazama. Le concept d’opérations (CONOPS) stratégique de la force conjointe a fait l’objet de plusieurs révisions. La dernière, intervenue lors du Comité Défense et Sécurité (CDS) de Ouagadougou organisé du 24 au 25 janvier 2020, a entériné l’élargissement de la zone de poursuite de cinquante à cent kilomètres de part et d’autre de nos frontières, soit une profondeur de 200 kilomètres, suffisante pour manœuvrer. Ce CONOPS révisé offre davantage de flexibilité. Mieux, il consacre la possibilité de disposer, à terme, de capacité expéditionnaire entre les mains du COMANFOR.

Les dotations varient d’un pays à l’autre et sont fonction des concepts d’emploi qui y prévalent. Quant au niveau du financement, j’ai dit en introduction que la force conjointe recevait un soutien suffisant. En revanche, nous insistons sur le besoin de pérennité du soutien de la force elle-même. L’appui en équipements, services et infrastructures au profit de la force conjointe suit principalement deux axes : appui en bilatéral directement traité avec les structures nationales des cinq pays du G5S ; appui direct à la force, comme celui d’une partie des fonds de l’Union Européenne sur laquelle nous avons le plus de visibilité.

Le personnel de la force conjointe est composé de bataillons et de PC multinationaux. Avant leur projection, les bataillons reçoivent une formation de pré-déploiement, négociée en interne par les pays concernés auprès de certains partenaires. Ce sont les PC multinationaux qui, pour l’heure, sont concernés par la formation dispensée par l’EUTM Mali. L’école de guerre du G5 Sahel, qui assure les formations de niveau opératif, avait, pour le mandat 3, assuré la formation de pré-déploiement. Toutefois, en raison de la pandémie, nous avons été contraints d’organiser cette formation à Bamako, du 12 au 28 octobre.

Comme je l’ai dit, l’équipement de la force conjointe suit un processus assez fastidieux. Des promesses ont été faites notamment de l’Arabie saoudite, des Émirats arabes unis, de la Turquie et de la Chine. Ici, nous insistons surtout sur l’aide de l’Union européenne, sur laquelle nous avons une parfaite visibilité.

Notre partenariat avec la MINUSMA porte sur trois domaines essentiels : Il s’agit d’abord du projet du cadre de conformité ; Ensuite la gestion du soutien additionnel dont la MINUSMA a la responsabilité ; Et enfin, un partenariat de combat qui peine encore à se mettre en place. Sur les deux premiers volets, il faut le dire avec la solennité requise, la force conjointe s’est d’abord heurtée à une certaine difficulté de compréhension : entre ce que les juristes nous enseignaient et ce qu’ils faisaient, c’était le jour et la nuit. En lieu et place de communication préalable des allégations, ils s’étaient livrés sur des canaux à nos yeux inappropriés, ce qui avait entraîné un petit froid…

Le financement de l’appui additionnel est assuré par une enveloppe de 10 millions d’euros répartie en deux tranches dont la première a été consommée. Les difficultés rencontrées portaient sur les modalités de remise de ces ressources à nos bataillons. Pour vous donner un exemple, lorsque vous donnez un carton de rations de combat à Bamako, qu’il faut acheminer à Wour, à près de deux mille kilomètres de N’Djamena, ou à Madama, à 1 800 kilomètres de Niamey, les coûts de transport pour la force conjointe qui s’en charge… Nous avons dit à nos amis qu’il fallait revoir le mécanisme dès l’instant où ils détiennent la ressource nécessaire. Par respect pour le contribuable européen, j’ai demandé au comité d’état-major l’autorisation d’assumer ces dépenses sur le budget de fonctionnement de la force conjointe. En effet, il m’était arrivé à plusieurs reprises de payer un coût de transport supérieur à la valeur marchande de la ressource reçue.

Les capteurs de l’IFC (Intelligence Fusion Centre) sont la propriété de Barkhane. Nous ne disposons d’aucun capteur. Nos seules sources de renseignement sont humaines. C’est pourquoi nous avons classé le renseignement parmi nos faiblesses. Le partage du renseignement est assuré en parfaite fluidité. L’IFC mis en place dans le fuseau Centre associe les personnels de Barkhane et de la force conjointe, auquel nous avons ajouté un représentant de chacun des trois pays du centre. Il y a deux semaines, avec le COMANFOR Barkhane, nous avons convenu de prendre en compte, en complément du personnel du fuseau Centre, les éléments des armées nationales à insérer à l’IFC.

S’agissant de l’arrangement technique avec la MINUSMA, il convient de préciser qu’une réunion présidée par son excellence Mahamat Saleh Annadif, le 29 septembre, à Nouakchott et deux autres à Bamako, en bilatéral avec la MINUSMA, ont permis au dossier de progresser. Comme je vous l’ai dit, cela avance lentement, mais sûrement. Pour les 5 millions d’euros restants, les réunions techniques ont permis de trouver un mécanisme permettant aux deux parties (la force conjointe et la MINUSMA) de s’accorder sur les types de rations, les produits pétroliers, la fréquence et des lieux d’acheminement des ressources ; autant de sujets qui nous posaient d’énormes difficultés.

Nous entretenons des relations satisfaisantes avec tous nos partenaires. Avant le sommet de Pau, conformément à ce que j’ai indiqué, nous travaillions avec Barkhane. Pau est venu confirmer ce qui se faisait jusqu’alors sous forme de directives politiques. Barkhane est un allié indispensable de la force conjointe. Au-delà du partenariat de combat, nous agissons jusqu’au niveau tactique : vous trouverez sur le terrain des groupes mixtes d’une dizaine de soldats, français et sahéliens.

Au niveau du poste de commandement interarmées du théâtre (PCIAT), nous avons des officiers issus du collège de défense. C’est dire si nous apprécions à sa juste valeur la qualité de la formation. Bien que de création récente, cette école vient de décerner son premier master à ses stagiaires, ce qui montre l’efficacité de la formation dont les lauréats officiers représentent une incontestable valeur ajoutée pour nos armées.

Le terme de bancarisation concerne l’armée malienne dans le cadre des mesures d’accompagnement décidées par l’UE. Dans les autres armées, elle est entrée dans les faits depuis longtemps : au Niger, plus de 80 % des soldats ont un compte bancaire.

La composante aérienne a malheureusement été omise lors de la conception de la force conjointe. Les experts s’attachent à combler cette lacune. Nous avions appris que l’état-major de l’armée de l’air français initie un projet de partenariat militaire opérationnel (PMO) air. Au niveau du G5 Sahel, lors du comité défense et sécurité du 15 octobre dernier, présidé par l’état-major mauritanien, son chef d’état-major de l’armée de l’air s’est engagé, au nom de ses pairs, à relancer le processus de mutualisation des vecteurs aériens – la première réunion des chefs d’état-major de l’armée de l’air avait eu lieu en février 2018.

Quant aux tirs de Mirage, je peux vous assurer que toutes nos emprises disposent de personnels formés au guidage aérien tactique avancé (GATA) ; leur formation est assurée exclusivement par Barkhane par souci d’uniformité et pour nous prémunir d’erreurs de communication.

Il est difficile en l’état de parler d’uniformisation ou de standardisation du matériel car, je le répète, le concept d’emploi varie selon les armées. Le soutien dont dispose la force conjointe dans le domaine des capacités critiques provient de l’Union européenne. Il s’agit de quarante-six véhicules blindés de type Bastion, soit six à sept au maximum par bataillon, dont seulement quatre pour le transport de troupes, ce qui donne techniquement une capacité de transport d’un peloton par bataillon. C’est important mais cela doit être complété pour atteindre le niveau de l’unité élémentaire de combat.

L’avantage lié aux affrontements entre groupes armés terroristes n’est que de circonstance. Au gré des actions ponctuelles, nous apprenons que tantôt c’est l’État islamique dans le grand Sahara (EIGS) qui a pris le dessus, tantôt le Rassemblement pour la victoire de l’islam et des musulmans (RVIM). Les deux groupes armés n’obéissent pas à la même philosophie ; il est normal que, lorsqu’ils se rencontrent sur le terrain, le plus fort cherche à chasser l’autre, ce qui provoque ces combats meurtriers.

Les renseignements obtenus au niveau international font effectivement état de mouvements de mercenaires syriens ou turcs en direction de la Libye. Celle-ci constituant un déversoir, il est possible qu’ils poursuivent leur migration. Pour le moment, dans notre zone de responsabilité, nous n’avons pas constaté de présence étrangère. Il est possible que des mouvements de ce genre se soient produits, mais ils n’ont pas encore atteint notre zone d’opération.

Mme Patricia Mirallès. La fidélisation des troupes est un élément auquel le ministère des armées français accorde une grande attention. Dans des pays soumis à un environnement sécuritaire aussi complexe que les pays sahéliens, alimenté par de profondes difficultés socio-économiques, cette question revêt une importance cruciale. Pourriez-vous nous dresser un portrait de la situation sociale des forces composant le G5 Sahel ? Comment s’assurer de la pérennité de l’engagement de ces personnels ?

Général Oumarou Namata Gazama. Dans l’espace géographique du G5 Sahel qui me concerne particulièrement, la fidélisation des troupes tient à plusieurs éléments, dont un critère tout à fait particulier, et que j’utilise pour juger de l’adhésion de mes hommes : la fierté d’appartenir à la force conjointe. De Wour au Tchad, à Madama au Niger, à Dori au Burkina, comme à Boulikessi au Mali, j’ai pu mesurer cette fierté. Ceux qui n’ont pas encore reçu leur écusson, acquis grâce à des fonds de l’UE, le réclament tous les jours.

Au-delà, les hommes sont fiers de la formation dont ils bénéficient. Les bataillons dédiés, c’est-à-dire ceux qui n’effectuent pas de relèves périodiques, bénéficient, grâce à l’accompagnement de nos partenaires, de cours de rafraîchissement qui font d’eux des hommes différents de leurs frères d’armes restés sous le commandement national.

Mme la présidente Françoise Dumas. Général, merci pour cet échange particulièrement constructif. Nous sommes convaincus que l’éradication du terrorisme est une œuvre de longue haleine, mais nous retenons la convergence d’appréciation des situations entre les partenaires de combat qui agissent au Sahel. La situation évolue positivement depuis un an et nous savons ce que nous vous devons depuis votre accession à la tête de la force conjointe du G5 Sahel. Nous tenons à vous en féliciter et à vous en remercier.

Il persiste, vous l’avez dit, des facteurs limitants. Je retiens les attentes capacitaires dans le domaine aérien et en matière de renseignement ; je n’oublie pas les limites en matière de soutien, notamment les leviers financiers qui sont dans vos mains – ou qui devraient l’être. Nous pensons aussi au soutien additionnel délivré par la MINUSMA.

Je retiens le succès de la coordination – ceux qui sont allés vous rencontrer ont pu le mesurer – et la bonne articulation entre Barkhane, la force conjointe et les échelons nationaux. Lorsqu’il y a convergence des volontés, il y a toujours un chemin. Nous pouvons le visualiser sous la forme de ces colonnes foraines, symboles de repénétration des territoires et de retour des services de l’État malien. C’est aussi un moyen de reconquérir un territoire sur un ennemi qui sème la terreur et de redonner confiance dans la force du G5 Sahel. Vous incarnez la remontée de la confiance des populations, car la guerre contre le terrorisme est aussi psychologique. Cela montre l’approfondissement de la sahélisation, mais aussi l’accentuation de l’internationalisation et l’européanisation de Barkhane. C’est toute une synergie qu’il nous faut poursuivre à vos côtés et en lien étroit avec vous.

Une nouvelle fois, je tiens à vous remercier d’avoir accepté cet échange éclairant. Croyez à toute notre reconnaissance et notre respect.


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   Annexe n°6  :

Glossaire des Principaux acronymes

– APR : Accords pour la paix et la réconciliation au Mali ;

– AQMI : Al-Qaida au Maghreb islamique ;

– AILCT : Académie internationale de lutte contre le terrorisme ;

– ALSR : Avions légers de surveillance et de reconnaissance ;

– CEDEAO : Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest ;

– CMA : Coalition des mouvements de l’Azawad ;

– CPCO : Centre de planification et de conduite des opérations ;

– DDR : Désarmement, démobilisation et réintégration (processus) ;

– DIH : Droit international humanitaire ;

– EIGS : État islamique au Grand Sahara ;

– EMUE : État-major de l’Union européenne ;

– EUTM Mali : Mission de formation de l’Union européenne au Mali ;

– FAMa : Forces armées maliennes ;

– FAN : Forces armées nigériennes ;

– GAT : Groupes armés terroristes ;

– GAS : Groupes armés signataires des Accords d’Alger ;

– GIA : Groupe islamiste armé ;

– GSPC : Groupe salafiste pour la prédication et le combat ;

– HCUA : Haut Conseil pour l’unité de l’Azawad ;

– ISWAP : État islamique en Afrique de l’Ouest ;

– MINUSMA : Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies               pour la stabilisation au Mali ;

– MISAD : Mécanisme d’identification, de suivi et d’analyse des                dommages causés aux civils ;

– MNLA : Mouvement national de libération de l’Azawad ;

– MPCC : Capacité militaire de planification et de conduite militaire ;

– MUJAO : Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest ;

– PSDC : Politique de Sécurité et de Défense Commune de l’Union européenne ;

– RVIM : Rassemblement pour la victoire de l’islam et des musulmans ;

– PNUD : Programme des Nations unies pour le développement ;

– ULRI : Unités légères de reconnaissance et d’intervention ;

– SIRH : Système informatisé des ressources humaines ;

 

 

 


([1])  Rapport d’information n° 1288 de MM. Christophe Guilloteau et Philippe Nauche sur l’opération Serval au Mali, 18 juillet 2013.

([2])  Les accords d’Alger du 4 juillet 2006 rappellent les promesses du Pacte national du 11 avril 1992 (intégration massive des combattants rebelles dans les forces armées ; création d’un statut particulier pour les régions de Gao, Tombouctou et Kidal et création d’un Fond de développement et d’un Fond d’indemnisation contre l’abandon de toute revendication sécessionniste) et prévoient le désarmement des combattants.

([3])  Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, « la crise de 2012 au Mali et ses conséquences en matière de résilience et de sécurité alimentaire », Marco d’Errico, Francesca Grazioli, Aurélien Mellin, 2017. Accessible à partir de ce lien.

([4])  Rapport d’information n° 1288 précité.

([5])  International crisis group, « Réordonner les stratégies de stabilisation au Sahel », rapport n°299, 1er février 2021. Accessible à partir de ce lien.

([6])  Rapport d’information n° 1288 précité.

([7])  Reportage public de France Télévisions « Mali : un immense camp d’entraînement des jihadistes découvert à Gao », 5 mars 2013. Accessible à partir de ce lien.

([8])  Déclaration de M. François Hollande, Président de la République, sur la politique de défense de la France, à Paris le 30 septembre 2013. Accessible à partir de ce lien.

([9])  Le discours du directeur général de la sécurité extérieure est accessible à partir de ce lien.

([10])  Comité exécutif sur la contre-terrorisme du 1er février 2021.

([11])  Mme Bagayoko privilégie l’emploi de l’acronyme GSIM, se rapportant au Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, ou son équivalent arabe JNIM (Jamāʿat nuṣrat al-islām wal-muslimīn). Elle a indiqué aux rapporteures que selon elle, l’appellation retenue par les armées françaises était largement méconnue au Sahel.

([12])  « Centre Mali : les populations prises au piège du terrorisme et du contre-terrorisme », Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH) et l’Association malienne des Droits de l’Homme (ADMH), 11 novembre 2018. Accessible à partir de ce lien.

([13])  « Centre du Mali : enjeux et dangers d’une crise négligée », Adam Thiam, Institut du Macina, Humanitarian Dialogue (HD), mars 2017. Accessible à partir de ce lien.

([14])  International crisis group, rapport n° 299 précité.

([15])  Rapport de la FIDH et de l’AMDH précité, p.29.

([16])  Voir Troisième partie.

([17])  « La Mauritanie a-t-elle conclu un pacte de non-agression avec Aqmi ? », Radio France international, 2 mars 2016. Accessible à partir de ce lien.

([18])  Le discours du directeur général de la sécurité extérieure est accessible à partir de ce lien.

([19])  Discours précité.

([20])  Audition du général François Lecointre, chef d’État – major des armées, commission de la Défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale, 11 juin 2019. Compte-rendu accessible à partir de ce lien.

([21])  Rapport du Secrétaire général sur la situation au Mali, 28 décembre 2020. Accessible à partir de ce lien.

([22])  Le texte de l’accord est accessible à partir de ce lien.

([23])  « L’accord d’Alger cinq ans après : un calme précaire dont il ne faut pas se satisfaire », International crisis group, Mathieu Pellerin, 24 juin 2020. Accessible à partir de ce lien.

([24])  International crisis group, rapport précité.

([25])  « Le processus de Désarmement – Démobilisation – Réinsertion (DDR) au Mali : un parcours semé d’embûches ». Anne Savey, Marc-André Boisvert, 21 décembre 2018, Observatoire du monde arabo-musulman et du Sahel, Fondation pour la recherche stratégique. Accessible à partir de ce lien.

([26])  Résolution 2480 du 28 juin 2019 relative au renouvellement du mandat de la MINUSMA.

([27])  M. Nicolas Normand, « Mali : l’accord d’Alger aggrave-t-il l’insécurité au Sahel ? » Le Point, 6 avril 2021. Accessible à partir de ce lien.

([28])  Déclaration du Président Issoufou à Bamako (Mali), 7 septembre 2019, largement documentée dont à partir de ce lien.

([29])  Le Monde, Au Mali, des signataires de l’accord de paix accusés de terrorisme, Morgane Le Cam, 28 août 2018. Accessible à partir de ce lien.

([30])  « Le pastoralisme, un facteur de stabilité essentiel dans le Sahel », Lucie Royer et Stéphanie Brunelin, Idées pour le développement, 18 juin 2020. Accessible à partir de ce lien.

([31])  « Peuls et jihadisme au Sahel : le grand malentendu », Benjamin Roger, avec Aïssatou Diallo, Jeune Afrique, 6 juillet 2020. Accessible à partir de ce lien.

([32])  « Les chasseurs qui ont confiance en Dieu »

([33])  Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (GRIP), « Armer les civils : la loi des Volontaires pour la défense de la patrie au Burkina Faso », Claire Zutterling, 30 octobre 2020. Accessible à partir de ce lien.

([34])  Organisation des Nations unies, Rapport du Secrétaire général au Conseil de sécurité sur la situation au Mali, 31 mai 2019. Accessible à partir de ce lien.

([35])  Rapport d’information n° 1288 précité.

([36])  Politique internationale, N° 139 (printemps 2013), Drogues, mafias et trafics, Christophe Champin.

([37])  Dossier de presse de l’opération Barkhane, accessible à partir de ce lien.

([38])  Terre : 19 000, Air : 2 000, garde nationale : 10 000, Gendarmerie : 6 000.

([39])  Voir II. de la deuxième partie.

([40])  Voir II. de la deuxième partie.

([41])  Présentation de l’ICMM sur le site internet de la MINUSMA, accessible à partir de ce lien.

([42])  Résolution 2531 (2020), adoptée par le Conseil de sécurité le 29 juin 2020, accessible à partir de ce lien

([43])  Point de situation des opérations du 19 au 25 mars, accessible à partir de ce lien.

([44])  Audition du général Jean-François Ferlet par la commission de la Défense nationale et des forces armées, 8 mars 2018. Accessible à partir de ce lien.

([45])  Rapport flash sur les hélicoptères des armées de MM. Jean-Pierre Cubertafon et Jean-Jacques Ferrara, juillet 2020. Accessible à partir de ce lien.

([46])  « La France au Sahel : il est temps de partir ! », Marc-Antoine Pérouse de Montclos, Libération, 11 janvier 2021. Accessible à partir de ce lien.

([47])  Pour le cas spécifique du Rafale, la norme est fixée à 180 heures de vol + 60 heures de simulateurs.

([48])  Le rapport de la MINUSMA est accessible à partir de ce lien.

([49])  Communiqué de presse du ministère des Armées du 30 mars 2021, accessible à partir de ce lien.

([50])  Audition du général d’armée François Lecointre, chef d’état-major des armées, 17 juillet 2018. Compte-rendu accessible à partir de ce lien.

([51])  Audition précitée.

([52])  International crisis group, rapport n° 299 précité.

([53])  Sur la genèse de la MINUSMA, voir le rapport d’information précité sur l’opération Serval.

([54])  Document accessible à partir de ce lien.

([55])  Déclaration accessible à partir de ce lien.

([56])  Communiqué de presse de l’ONU du 6 avril 2021, accessible à partir de ce lien.

([57])  Résolution 2480 du 28 juin 2019.

([58])  Entretien avec le Chef de la MINUSMA, Mahamad Saleh Annadif, s’exprime sur la réunion du Conseil de sécurité de l’ONU sur le Mali et la situation dans le centre du pays, 12 avril 2019, accessible à partir de ce lien.

([59])  Point presse du 10 décembre 2020, accessible à partir de ce lien.

([60])  Rapport « Protection des civils au Mali : pourquoi les ressources aériennes sont décisives pour la Minusma », CIVIC, mai 2020, accessible à partir de ce lien.

([61])  International crisis group, rapport n°299 précité.

([62])  « State Atrocities in the Sahel : The Impetus for Counterinsurgency Results is Fueling Government Attacks on Civilians », ACLED, mai 2020.

([63])  Communiqué de presse accessible à partir de ce lien.

([64])  Communiqué de presse accessible à partir de ce lien.

([65])  Nicolas Normand, « Mali : l’accord d’Alger, chimère ou réalité ? », Le Point, 30 mars 2021, accessible à partir de ce lien.

([66])  International crisis group, rapport n° 104, « Mali : dernière chance à Alger », 18 novembre 2014. Accessible à partir de ce lien.

([67])  Entretien avec Mamadou Goudienkilé, Le Point Afrique, 13 avril 2021. Accessible à partir de ce lien.

([68])  « Faut-il négocier avec les terroristes ? C’est déjà le cas. » Niagalé Bagayoko, Jeune Afrique, 15 février 2021. Accessible à partir de ce lien.

([69])  « Burkina Faso : le gouvernement dément toute négociation avec des terroristes », RFI, 4 mars 2021. Accessible à partir de ce lien.

([70])  Accessible à partir de ce lien.

([71]) « Dans les coulisses de l’accord de Niono au Mali », David Baché, Radio France International, 12 avril 2020. Accessible à partir de ce lien.

([72])  « Au Mali, les jihadistes se font parrains de la paix », Célian Macé, Libération, 21 septembre 2020.

([73])  International crisis group, rapport n° 299, précité.

([74])  « Audit du ministère de la Défense au Niger : l’enquête préliminaire se termine. », Marie-Pierre Olphand, Radio France International, 3 juin 2020. Accessible à partir de ce lien.

([75])  « Des armées sahéliennes face au défi de la transparence et de la corruption. » Oswald Padonou, Idées pour le développement, 5 octobre 2020. Accessible à partir de ce lien.

([76])  « Elite Capture of Foreign Aid, Evidence from Offshore Bank Accounts », Jørgen Juel, AndersenNiels Johannesen, Bob Rijkers, Banque mondiale, février 2020. Accessible à partir de ce lien.

([77])  International crisis group, rapport n°299, précité.

([78])  Audition du général Lecointre par la commission de la Défense nationale et des forces armées, 11 juin 2019. Compte rendu accessible à partir de ce lien.

([79])  https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/comptes-rendus/seance/session-ordinaire-de-2020-2021/premiere-seance-du-jeudi-04-mars-2021

([80])  Rebecca Mignot-Mahdavi, « La fin de la guerre aura-t-elle lieu ? », La Revue des droits de l’homme [En ligne], Actualités Droits-Libertés, mis en ligne le 10 mars 2019, consulté le 15 avril 2021. URL : http://journals.openedition.org/revdh/6263 ; DOI : https://doi.org/10.4000/revdh.6263

([81])  https://www.rfi.fr/fr/podcasts/invit%C3%A9-international/20210329-entretien-exlusif-niger-le-pr%C3%A9sident-%C3%A9lu-mohamed-bazoum-demande-aux-fran%C3%A7ais-de-maintenir-leur-dispositif-a%C3%A9rien

([82])  https://www.lepoint.fr/afrique/mali-peut-on-encore-sauver-l-accord-d-alger-13-04-2021-2422004_3826.php