N° 4145

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 5 mai 2021

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DE la défense nationale et des forces armées

en conclusion des travaux d’une mission d’information (1)

sur les enjeux de la transition écologique pour le ministère des Armées

ET PRÉSENTÉ PAR

M. Jean-Marie fiévet et Mme Isabelle Santiago

Députés

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(1) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.


La mission d’information sur les enjeux de la transition écologique pour le ministère des Armées est composée de : M. Jean-Marie Fiévet et Mme Isabelle Santiago, rapporteurs, MM. Stéphane Baudu, Fabien Gouttefarde, Bastien Lachaud, Jean-Charles Larsonneur et Stéphane Trompille, membres.

 


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SOMMAIRE

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Pages

Introduction

Première partie : Le ministère des armées, un acteur historique de la préservation de l’environnement et de la transition écologique

A. Un premier plan d’action environnemental en 2007

1. L’intégration du volet environnemental aux équipements de défense

2. Le démantèlement des matériels militaires

3. La préservation de la biodiversité des terrains militaires

4. Des infrastructures et des activités respectueuses de l’environnement

5. Des rapports annuels de développement durable

B. La stratégie de développement durable de la défense de 2010

C. La stratégie ministérielle de performance énergétique de 2012

1. L’achat

2. La connaissance

3. La gouvernance

4. La rationalisation

5. L’autonomie

D. La stratégie défense durable de 2016

1. Préserver les milieux et les territoires

a. Participer à la gestion des crises

b. Protéger les milieux et territoires d’intervention

2. Éco-concevoir et maîtriser l’empreinte environnementale

a. Prévenir les risques et réduire l’impact des infrastructures sur l’environnement

b. Limiter l’empreinte environnementale des systèmes d’armes

3. Affirmer une gouvernance structurée

a. Renforcer le travail en réseaux des acteurs

b. Développer les connaissances autour de la transition écologique

c. Inscrire le développement durable dans les collaborations internationales

E. Le mandat ministériel de transformation « développement durable et environnement », dit chantier n°16, de 2019

1. Se conformer aux obligations légales

2. Maîtriser l’empreinte environnementale du ministère

3. Contribuer au développement des énergies renouvelables

4. Protéger la biodiversité

5. Piloter la politique environnementale

F. La stratégie ministérielle de performance énergétique de 2020

1. La réduction des consommations énergétiques

a. Évoluer vers la mobilité propre

b. Améliorer l’efficacité énergétique des bases de défense

2. Le développement des énergies renouvelables

a. Installer des centrales photovoltaïques sur les terrains militaires

b. Privilégier le raccordement des emprises militaires aux réseaux urbains

c. Expérimenter l’autoconsommation d’énergies renouvelables

G. La stratégie de développement durable de l’État-major des armées de 2020

1. L’organisation et le pilotage

2. L’expertise et la sensibilisation

3. Les actions concrètes

4. Les relations extérieures

5. La communication interne, externe et d’influence

Deuxième partie : Le ministère des armées mène une politique ambitieuse et méconnue en faveur de la préservation de l’environnement

A. Un acteur de la préservation de la biodiversité

1. Un ministère engagé dans la préservation de la biodiversité des terrains militaires

a. Les terrains militaires, des havres de biodiversité présentant un intérêt faunistique et floristique majeur

b. Des partenariats ont été conclus par le ministère des Armées pour l’entretien et la gestion des sites

i. La Fédération des Conservatoires d’espaces naturels

ii. La Ligue pour la protection des oiseaux

iii. Le Museum national d’histoire naturelle

iv. L’Office national des forêts

c. Pour une meilleure gestion des terrains militaires

d. La question spécifique des installations classées

e. La politique de traitement des déchets miliaires

B. Au-delà des terrains militaires, les armées mènent également des actions en faveur de la préservation de la biodiversité auprès du secteur civil

1. Les actions en mer de la Marine nationale

2. La dimension environnementale de l’opération Harpie

Troisième partie : la transition énergétique des armées, un enjeu capital pour leur autonomie d’action et l’indépendance de la France

A. L’énergie, facteur essentiel de l’autonomie stratégique des armées, sera un élément clé au cœur des tensions géopolitiques au XXIe siècle

1. Une forte instabilité mondiale pour l’accès aux ressources énergétiques fossiles et alternatives

a. Un déclin inexorable des énergies fossiles

b. Des zones de production et de transit marquées par une forte instabilité

c. Les nouvelles dépendances stratégiques suscitées par la transition énergétique

2. Une approche stratégique de l’accès aux ressources énergétiques par les armées

a. Le rôle des armées dans la sécurisation des flux énergétiques

b. Une diversification des approvisionnements énergétiques

i. Le pétrole

ii. Le gaz

iii. Le combustible nucléaire

iv. Les minerais stratégiques

c. Un renforcement des interdépendances européennes

B. Le ministère des armées a édité une stratégie énergétique de défense en 2020 pour impulser une dynamique de transition énergétique À destination des armées

1. Une stratégie basée sur le constat d’une forte consommation énergétique par le ministère des Armées

2. Deux acteurs majeurs dans le cadre de la stratégie énergétique de défense : le service de l’énergie opérationnelle et le service d’infrastructure de la Défense

a. Le service de l’énergie opérationnelle

b. Le service d’infrastructure de la Défense

3. Une stratégie fondée sur le trilemme énergétique « consommer moins, consommer mieux et consommer sûr »

4. Une nouvelle gouvernance adaptée aux besoins et aux ambitions du ministère

C. La transition énergétique des armées : un domaine aux enjeux variables selon les milieux et investi par la base industrielle et technologique de dÉfense

1. Le milieu terrestre : un recours croissant à l’hybridation prometteur permettant un gain opérationnel

a. L’hybridation des véhicules terrestres : un défi prometteur mais encore relativement théorique

b. L’hybridation : une opportunité à condition de maitriser le processus de standardisation

2. Le milieu aéronautique : des développements du secteur civil intéressants mais qui demeurent limités pour les armées à court terme

a. Le défi environnemental a été pris en compte par les industriels du secteur aéronautique de défense

b. Des pistes intéressantes dans le secteur aéronautique civil mais limitées à court terme pour le secteur aéronautique de défense

3. Le milieu naval : des évolutions rapides dans le secteur civil qui demeurent cependant difficilement adaptables au secteur de la défense

a. Le rôle du GICAN en matière de transition énergétique

b. Des aboutissements concrets en matière de transition énergétique dans le secteur naval

c. Des perspectives de modernisation énergétique des navires militaires qui restent cependant limitées

D. La transition énergétique des armées : des actions concrètes et ambitieuses sur le plan des infrastructures

1. Le plan de remplacement des chaudières au fioul

2. Les contrats de performance énergétique

3. Le plan « Place au Soleil »

4. Le projet d’écocamp

E. Un atout opérationnel potentiel pour les armées qui implique de relever plusieurs défis

1. Des risques pesant sur l’approvisionnement énergétique suffisamment pris en compte ?

i. Les chaines d’approvisionnement, des cibles vulnérables

ii. Le risque cyber, une menace sérieuse à mieux prendre en compte

2. Une dépendance potentiellement préjudiciable des armées vis-à-vis des entreprises du secteur civil énergétique

a. Une dépendance aux entreprises du secteur énergétique civil, cibles de multiples attaques…

b. … qui plaide pour la constitution d’une base énergétique de défense à l’échelle nationale, voire européenne

3. Une stratégie énergétique de défense reposant sur des paris sur l’avenir discutables

a. Une évolution nécessaire mais peu probable de la politique du carburant unique

b. Le recours aux biocarburants : une alternative satisfaisante à court terme

4. Un renforcement indispensable de la politique d’innovation de défense en matière de transition énergétique

a. Un axe d’effort identifié par l’Agence de l’innovation de défense

b. L’Agence de l’innovation de défense est-elle en mesure de répondre au défi de la transition énergétique des armées ?

5. L’empreinte environnementale du numérique : une future source d’émissions à prendre en compte dès maintenant

6. L’enjeu de l’énergie nucléaire pour les armées

7. La question des débris spatiaux

F. Faire des armées un leader européen et international en matière de transition énergétique

1. Susciter et soutenir des projets de coopération à l’échelle européenne au sein desquels la France jouerait un rôle cardinal

a. L’Agence européenne de défense, levier indispensable de promotion de la transition énergétique des armées européennes

b. Les projets financés par le fonds européen de défense et le programme « Horizon Europe »

c. La fonction « énergie opérationnelle » dans le cadre de la coopération structurée permanente

d. Le projet européen de centrale d’achat de produits pétroliers

e. Les initiatives dans le cadre de la présidence française du Conseil de l’UE

2. Tirer parti des initiatives européennes du secteur civil au bénéfice des armées

a. Le plan de relance européen

b. L’alliance européenne des batteries

3. Faire de la France un pays précurseur pour la transition écologique des armées sur la scène internationale

a. Au sein de l’OTAN

b. La COP26 de Glasgow

Conclusion

Synthèse des propositions

Travaux de la commission

I. Audition de Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée auprès de la ministre des Armées, chargée de la mémoire et des anciens combattants

II. Examen du rapport en commission

Annexe 1 :  Auditions des rapporteurs

Annexe 2 :  Déplacements des rapporteurs

Annexe 3 :  Glossaire des acronymes

 


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   Introduction

 

Pour la première fois, le Parlement s’est saisi de la question relative aux enjeux de la transition écologique pour le ministère des Armées. Cette politique, menée depuis 2007, est liée à la responsabilité particulièrement qu’a le ministère des Armées en matière environnementale. Premier utilisateur du domaine de l’État, avec des espaces naturels importants, il se voit confier de facto des responsabilités fortes et directes dans le domaine de la biodiversité, des installations classées, de la gestion de l’eau et des déchets, des sites et sols pollués, des substances dangereuses et de la fin de vie des matériels de guerre.

Dans le cadre de ce rapport, les rapporteurs ont entendu concentrer leurs travaux sur les enjeux de la transition écologique pour le ministère des Armées, et non sur les enjeux du développement durable au sens large. Ainsi, les dimensions économiques et sociales du développement durable ne rentrent pas dans le cadre de ce rapport, même si ces sujets présentent un intérêt majeur. Ils ont souhaité s’intéresser à la politique menée par le ministère des Armées en matière de préservation de la biodiversité et d’entretien des terrains militaires.

Le second axe de ce rapport a trait plus spécifiquement à la question de la transition énergétique, qui est un des volets de la transition écologique. Cette dimension essentielle pour l’avenir des armées françaises trouve aujourd’hui un écho particulier depuis l’annonce par la ministre des Armées d’une stratégie énergétique de défense le 25 septembre 2020. Si le processus de transition énergétique a déjà bien progressé dans le secteur civil, cette question demeure encore relativement nouvelle pour les armées et implique de relever de nombreux défis.

Les rapporteurs ont ainsi entendu dresser un état des lieux de la politique menée par le ministère des Armées en matière environnementale afin de cerner les enjeux qui se posent à ce dernier en matière de transition écologique. Ils ont souhaité tout particulièrement formuler des recommandations afin de contribuer à la réflexion générale sur cet enjeu crucial.


 

 

 


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   Première partie : Le ministère des armées, un acteur historique de la préservation de l’environnement et de la transition écologique

Le ministère des Armées est engagé depuis 2007 dans la préservation de l’environnement et la préparation de la transition écologique et énergétique. Si cette action n’est, à l’origine, que la déclinaison des objectifs nationaux par le premier propriétaire foncier de l’État, ces sujets sont rapidement devenus incontournables pour ce ministère attachant une importance particulière à la sécurité de ses sources énergétiques, dans un souci de résilience et de continuité des activités opérationnelles.

Cependant, la multiplication et la superposition des stratégies au fil des années peuvent en altérer la compréhension, d’autant plus que le suivi des éventuels résultats ne fait que rarement l’objet d’une communication spécifique. Par ailleurs, certains engagements reviennent fréquemment dans les différentes stratégies, à l’image de la gouvernance, presque systématiquement mentionnée par les feuilles de route ministérielles, suggérant ainsi que les armées n’ont, malgré les nombreuses initiatives avancées, pas su répondre à ce défi.

Une dynamique doit toutefois être relevée : ces stratégies sont de plus en plus précises et détaillées dans les mesures proposées et les objectifs à atteindre, facilitant ainsi l’élaboration des futurs bilans.

A.   Un premier plan d’action environnemental en 2007

Dans la foulée du Grenelle de l’environnement, organisé fin 2007, le ministère chargé de la Défense s’est doté de son premier plan d’action environnemental interarmées le 21 décembre.

Celui-ci a, par la suite, été actualisé à deux reprises, en décembre 2009 puis en août 2011. Il comprenait cinq objectifs principaux.

1.   L’intégration du volet environnemental aux équipements de défense

Le ministère chargé de la Défense s’est fixé une enveloppe annuelle de 10 millions d’euros de crédits de recherche pour l’intégration de la dimension environnementale aux équipements de défense. Cela concernait par exemple des études prospectives sur les matériaux de substitution du chrome et du cadmium dans les futurs équipements, ou bien des études relatives à leur autonomie.

42 programmes d’armement étaient, en parallèle, menés en écoconception, parmi lesquels :

– l’A400 M sur la limitation du bruit et des rejets de dioxyde de carbone (CO2) et l’identification des substances dangereuses ;

– le programme bâtiment de projection et de commandement (BPC) quant aux systèmes de gestion intégrée des déchets solides ;

– le programme de frégates multi-missions (FREMM) sur l’épuration biologique des eaux usées et la réduction des volumes de déchets solides à bord.

Grâce à ces efforts et évolutions techniques, le ministère chargé de la Défense espérait améliorer la performance énergétique de ses équipements : plus grande autonomie, moindre consommation d’énergie, fin de vie préparée…

2.   Le démantèlement des matériels militaires

Pour financer le démantèlement des matériels militaires, 139 millions d’euros ont été inscrits dans la loi de programmation militaire pour la période 2009-2014. Étaient concernées 250 000 tonnes de matériels de guerre en fin de vie, dont il fallait faire un inventaire des substances dangereuses contenues ; cela concernait avant tout les navires de la Marine nationale retirés du service.

Par ailleurs, le ministère chargé de la Défense prévoyait l’élimination de ses armes à sous-munitions entre 2010 et 2016, en application d’une convention d’interdiction de ces armes signée en 2008 – à l’époque en discussion –, dite convention de Dublin.

Le ministère planifiait la destruction d’environ 80 coques de navire, 400 cellules d’aéronefs, 5 000 véhicules terrestres, 300 tonnes de déchets électroniques et de nombreux missiles.

3.   La préservation de la biodiversité des terrains militaires

Propriétaires de 270 000 hectares essentiellement destinés à l’entraînement des forces, les armées ont permis à leur vaste domaine foncier d’échapper à l’étalement urbain, à l’industrialisation et au développement de certains modes d’agriculture intensive. Ces terrains présentent par ailleurs un intérêt en raison de la faune et de la flore qu’ils abritent.

Le ministère chargé de la Défense s’est donc engagé dans la protection de ces espaces, en développant les accords de gestion écologique avec trois opérateurs privilégiés : l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), l’Office national des forêts (ONF) et la Fédération des Conservatoires des espaces naturels (FCEN).

Grâce à des plans de gestion concertés, l’objectif de ces partenariats est de concilier le maintien des activités de manœuvres de tirs et la protection de la biodiversité des terrains militaires. Ces plans comportent des actions d’expertise, des actions de gestion (débroussaillage, restauration de pelouse sèche ou création d’une ferme de 550 ovins sur le camp de la Valbonne dans l’Ain) et de sensibilisation.

4.   Des infrastructures et des activités respectueuses de l’environnement

Un effort particulier a été effectué par le ministère sur sa politique immobilière, avec :

– 28 opérations appliquant la démarche « haute qualité environnementale » (HQE), laquelle prend en compte l’impact environnemental d’une infrastructure sur l’ensemble de son cycle de vie, de sa construction à sa démolition ;

– 7 opérations de rénovation de bâtiments à basse consommation, c’est-à-dire ayant besoin d’une moindre quantité d’énergie pour le chauffage ou la climatisation ;

– 2 constructions de BBC, dont l’emblématique regroupement de l’administration centrale et des états-majors sur l’actuel site de Balard ;

– 2 opérations de bâtiments à énergie positive (BEPOS), produisant plus d’énergie qu’ils n’en consomment, à Épinal au 1er régiment de tirailleurs et à Charleville-Mézières au 3e régiment du génie.

En outre, l’ensemble des projets de constructions neuves non spécifiques devaient intégrer le niveau basse consommation d’énergie fixé en 2005.

À la suite de différents audits environnementaux sur différents sites, le ministère s’était également engagé dans un programme d’optimisation énergétique, visant à mettre en place des compteurs à l’intérieur des bases de défense, à raccorder aux réseaux de chaleur urbains, à optimiser les contrats d’exploitation et de maintenance des installations de génie climatique, et de signer un premier contrat de performance énergétique (CPE) sur le site de Chambéry Roc Noir.

Le Contrat de Performance Energétique du site de Chambéry Roc Noir

En 2011, le ministère a signé un CPE avec Dalkia Smart Building, filiale du Groupe EDF, en vue de la rénovation de 30 bâtiments du site de Chambéry Roc Noir, abritant le 13e bataillon de chasseurs alpins.

Un mix de solutions énergétiques adaptées aux spécificités des bâtiments rénovés a permis de réduire les dépenses énergétiques globales du quartier militaire, en parvenant à réduire les déperditions. Le quartier est désormais alimenté en chauffage et eau chaude sanitaire par des énergies renouvelables locales (biomasse, solaire thermique et aérothermie).

Une gestion technique centralisée permet de suivre et d’optimiser les performances des bâtiments selon leurs consommations ; ces consommations énergétiques sont d’ailleurs affichées en temps réel sur des écrans afin de sensibiliser les usagers du quartier militaire.

Selon Dalkia Smart Building, l’opération a permis 46 % d’économies d’énergie sur le site, soit 200 000 euros par an, et une réduction de 50 % des émissions de CO2. Aujourd’hui 58 % des besoins énergétiques sont couverts par des sources d’énergie renouvelables.

Source : Dalkia Smart Building (groupe EDF)

Enfin, en ce qui concerne les énergies renouvelables, le ministère a décidé de développer les chaufferies bois. En 2011, une chaufferie a ainsi été mise en service sur le camp de La Courtine dans la Creuse, tandis que le 516e régiment du train en Meurthe-et-Moselle a été raccordé à la chaufferie bois intercommunale. Les efforts ont également abouti à l’ouverture d’une centrale biomasse biénergies (gaz et bois) à l’école de transmissions de Cesson-Sévigné-Rennes.

5.   Des rapports annuels de développement durable

Par ce premier plan d’action environnementale, le ministère s’était engagé à produire un rapport annuel de développement durable qui retracerait l’impact environnemental, économique et social de ses activités et des éventuelles mesures mises en œuvre pour les compenser. Ces rapports n’ont toutefois pas été publiés, ce qui est dommageable eu égard à la faible connaissance du grand public sur les actions portées par les armées en la matière.

B.   La stratégie de développement durable de la défense de 2010

Dans la continuité de cet esprit du Grenelle de l’environnement, le ministère a élaboré une stratégie de développement durable de la défense (S3D) pour la période 2010-2013, sous la direction du Haut-fonctionnaire au développement durable (HFDD), associant les états-majors, les directions et les services.

Le HFDD a eu pour mission de coordonner les travaux et de s’assurer du respect des engagements et des actions déployés par la S3D. Cette réflexion était avant tout tournée vers l’avenir, afin d’adapter les forces françaises aux défis du XXIe siècle, comme les changements climatiques, l’épuisement des ressources énergétique ou la déstabilisation de l’ordre mondial. Déjà en 2010, l’idée que le climat et l’environnement pouvaient bouleverser la sécurité internationale était présente et appréhendée par le ministère.

Neuf défis, reflétant les engagements nationaux, européens et internationaux de la France ont alors été identifiés en matière de développement durable, c’est-à-dire environnemental, économique et social. Chacun de ces défis s’accompagne de choix stratégiques et propose des mesures à mettre en œuvre.

Le premier défi portait sur la consommation et la production durables. Pour limiter l’empreinte environnementale de leurs matériels, les armées doivent privilégier l’écoconception sur l’ensemble du cycle de vie, et ainsi stimuler tout un tissu économique autour des activités de la défense. Cela s’accompagne également de mesures d’achats responsables ou de gestions des déchets (recyclage ou valorisation). Naturellement, ces initiatives sont toujours d’actualité en 2021.

Le deuxième défi était relatif à la société de la connaissance, c’est-à-dire l’instruction et la formation continues du personnel des armées et leur sensibilisation aux enjeux du développement durable, notamment par la signature d’une « charte du personnel Défense écoresponsable ». Néanmoins, les difficultés auxquelles sont aujourd’hui confrontées les armées dans la mise en œuvre de leur stratégie laissent à penser que peu de personnes ont été effectivement sensibilisées à ces problématiques sur les dix dernières années.

Le troisième défi reprenait les enjeux de gouvernance, afin que les objectifs de la stratégie soient bien pris en compte et déclinés à tous les niveaux de responsabilité du ministère. Ainsi, les états-majors, directions et services devaient identifier un référent développement durable avec une vision transverse. La stratégie accorde une place particulière aux innovations et initiatives du niveau local. Force est de constater qu’en dix ans, des développements positifs ont effectivement pu être réalisés dans les bases de défense mais que les résultats dépendaient fortement du niveau d’engagement des commandants et faisaient ainsi apparaître un contraste selon les territoires. Par ailleurs, la lecture de la stratégie énergétique de défense met en évidence les lacunes dans la gouvernance en matière de développement durable, en dépit des efforts entrepris par le ministère sur la dernière décennie.

Le quatrième défi concernait les changements climatiques et les énergies. Le ministère ambitionnait de parfaire sa connaissance de ces sujets et de mieux évaluer l’empreinte carbone de ses activités. Pour cela, il était prévu d’améliorer la performance énergétique des bâtiments. Un axe important était le renforcement de la politique énergétique, à la fois par une sécurisation de nos approvisionnements et une meilleure maîtrise de notre consommation et de nos émissions de gaz à effet de serre (GES). Au vu des engagements des armées dans le Golfe arabo-persique, ces objectifs semblent encore d’actualité aujourd’hui, et le défaut de publication des bilans carbones de la défense ne permettent pas de dégager une réelle dynamique de réduction des émissions.

Le cinquième défi proposait de développer les transports et la mobilité durables, en adoptant des modes moins consommateurs d’énergie et moins polluants, ainsi qu’en rationalisant les besoins de déplacements. Là aussi, le ministère semble reprendre cet objectif, plus de dix ans après la publication de la S3D.

Le sixième défi portait sur la conservation et la gestion durable de la biodiversité et des ressources naturelles abritées par les terrains militaires et les espaces maritimes. 100 % des terrains militaires conventionnés devaient ainsi se doter d’un plan de gestion de la biodiversité. Sur ce point, le ministère a effectivement persévéré dans les partenariats tissés avec les réseaux associatifs de protection de l’environnement.

Le septième défi sur la santé publique, la prévention et la gestion des risques n’intéresse la transition écologique que dans la mesure où le ministère proposait de poursuivre les efforts de réduction des impacts environnementaux de ses installations industrielles et technologiques.

Le huitième défi, relatif à la démographie, l’immigration et l’inclusion comportait une dimension exclusivement sociale.

Enfin, le neuvième défi visait à répondre aux enjeux internationaux en matière de développement durable et de pauvreté dans le monde, où les armées peuvent adopter une conduite environnementale exemplaire dans leurs activités hors du territoire national. Une attention particulière devait être portée sur la gestion de l’eau et des déchets.

Cette stratégie visait à renforcer la cohérence des actions ministérielles, mettre en lumière les priorités internes comme externes du ministère, et donner une nouvelle impulsion aux travaux d’ores et déjà engagés.

C.   La stratégie ministérielle de performance énergétique de 2012

En 2012, le ministère chargé de la Défense a publié une stratégie ministérielle de performance énergétique (SMPE), visant à adapter ses activités aux évolutions du secteur de l’énergie sur la période 2012-2017. Cette stratégie procédait à l’identification des efforts à réaliser pour sécuriser l’accès des armées à l’énergie, assurer la qualité du service, maîtriser les dépenses et les consommations, tout en contenant l’empreinte environnementale associée.

L’idée de cette stratégie était de mettre en cohérence l’ensemble des actions et des dispositifs existants en matière de performance énergétique, en associant les différents acteurs du ministère. Elle devait par conséquent faire office de document de référence pour les différentes politiques des armées, sur l’environnement, les achats ou les infrastructures, aussi bien en administration centrale que sur les bases de défense.

Ce choix de stratégie revêtait, de surcroît, un caractère symbolique fort pour ce ministère qui demeure le premier consommateur de carburant et le premier émetteur de GES de l’État.

Onze efforts, à court, moyen et long termes, ont ainsi été identifiés autour de cinq axes prioritaires : l’achat, la connaissance, la gouvernance, la rationalisation et l’autonomie.

1.   L’achat

Le premier effort était de parvenir à une contractualisation appropriée, c’est-à-dire permettant d’obtenir des gains économiques rapides cumulés dans le temps, dans un contexte de marché énergétique de plus en plus concurrentiel, volatile et complexe, notamment en raison de sa libéralisation sous impulsion européenne à partir des années 1990.

Ainsi, tout achat doit être amorcé par une expression du besoin tenant compte de la performance énergétique. Pour optimiser l’achat et tirer profit de l’ouverture des marchés, une bonne connaissance des mécanismes de marché, des stratégies et des offres des différents fournisseurs sont donc des conditions essentielles.

2.   La connaissance

Le deuxième effort concernait le déploiement de l’outil de suivi des fluides (OSF). En effet, le niveau de performance énergétique dépend directement de la qualité de la connaissance accumulée, pouvant servir de base à toute action de rationalisation ou de sensibilisation. Cet outil visait à permettre le développement d’une connaissance précise des consommations réelles et des usages énergétiques.

Un premier travail devait porter sur l’identification de l’ensemble des activités consommatrices d’énergie, afin de rassembler tous les inducteurs et leur marge d’amélioration envisageable.

3.   La gouvernance

Déjà identifiée par la S3D 2010-2013 deux années plus tôt, la gouvernance était à nouveau érigée en priorité par la SMPE. La nouvelle stratégie constatait que « chaque entité du ministère gère la problématique énergétique qui lui est propre », à l’exception du service des essences des armées (SEA) qui disposait d’une chaîne logistique intégrée de l’achat à la distribution. Dès lors, la dynamique de concertation promue par la S3D n’aurait pas porté ses fruits.

Le troisième effort visait à développer une gouvernance ministérielle, dès le début de l’année 2012, afin d’encadrer les actions dans le domaine de l’énergie avec l’ensemble des acteurs du ministère. Pour cela, la stratégie propose de sensibiliser les grands décideurs et d’instaurer des outils de pilotages opérationnels.

Le quatrième effort était de renforcer la prise en compte du paramètre énergétique dans les politiques du ministère, en particulier en matière immobilière. Il était ainsi proposé de prendre en compte cet aspect dans l’ensemble des schémas directeurs immobiliers des bases de défense à l’horizon 2015 et de rechercher les opportunités locales énergétiques pour les emprises des armées. Ici aussi, les actions ont été reprises dans les stratégies ultérieures, faisant donc douter de l’efficacité des mesures lorsqu’elles ont été annoncées une première fois.

Le cinquième effort était de créer une fonction énergie, clairement identifiée, structurée et compétente, au sein des organismes du ministère (états-majors, services, grand commandement, échelon territorial, etc.). Deux ans auparavant, la S3D proposait quant à elle de nommer un responsable en charge du développement durable dans chacune de ces entités.

4.   La rationalisation

Afin de limiter son impact environnemental et d’améliorer son efficacité énergétique, le ministère chargé de la Défense a fait de la rationalisation le quatrième axe d’action de sa stratégie.

Le sixième effort identifié portait sur le véritable changement des comportements ; l’usage du terme « véritable » peut sous-entendre une nouvelle fois que les efforts portés jusque-là n’ont pas abouti. Étaient ici concernées les attitudes individuelles mais également les habitudes collectives et les processus de travail, comme l’organisation des ateliers ou des chaînes logistiques.

Le septième effort était l’intégration de la dimension énergétique aux plans d’investissements. Cela concernait à la fois les équipements, les consommations liées, leur maintenance, les infrastructures les supportant et leurs réseaux d’approvisionnement.

Le huitième effort était de rénover l’approche des transports et des déplacements en métropole et dans les départements et régions d’Outre-mer, en développant les véhicules de liaison et les flottes captives.

5.   L’autonomie

Compte tenu des impératifs opérationnels du secteur de la défense, l’autonomie et la continuité des services sont une dimension fondamentale de la performance énergétique. Dès 2012, une potentielle rupture d’approvisionnement pouvant menacer les capacités opérationnelles constituait un point de préoccupation majeur pour les armées.

Le neuvième effort portait sur la sécurisation de la fourniture d’énergie des sites sensibles participant à la capacité opérationnelle du ministère, en développant une capacité de production en propre, régulièrement contrôlée.

Le dixième effort était de développer une doctrine d’emploi innovante des systèmes autonomes de production et de stockage de l’énergie, permettant de réaliser des économies dans des périodes ponctuelles de fortes tensions énergétiques et en cas de rupture d’approvisionnement. Cependant, la question des matériaux critiques entrant dans la composition de ces systèmes n’était, à l’époque, pas abordée.

Le onzième et dernier effort était décliné en un schéma d’emploi des énergies renouvelables, à travers une veille prospective permanente, technique et juridique.

D.   La stratégie défense durable de 2016

Déclinaison de la stratégie nationale de transition écologique vers un développement durable (SNTEDD), la stratégie « défense durable » (SDD) pour les années 2016 à 2020 s’inscrit dans la continuité de la conférence internationale Climat-Défense d’octobre 2015 qui s’est tenue en marge de la COP21 du Bourget.

À côté de cet engagement pour la défense du climat, cette stratégie vise à préparer les armées aux potentielles dégradations de l’environnement, afin de préserver les capacités opérationnelles en cas de crise majeure.

La SDD est organisée autour de quatre défis : la préservation des milieux et des territoires, l’écoconception et la maîtrise de l’empreinte environnementale, l’affirmation d’une gouvernance structurée, et la démonstration d’une démarche socialement responsable. Ce dernier défi ne sera pas étudié en raison de sa dimension exclusivement sociale.

Chaque défi comprend plusieurs ambitions, elles-mêmes illustrées par des choix stratégiques pour les armées.

1.   Préserver les milieux et les territoires

En tant que premier utilisateur du domaine foncier de l’État avec 270 000 hectares gérés en métropole, le ministère chargé de la Défense abordait ce défi sous un angle double : l’emploi des forces armées en réponse à des crises ou des conflits, engendrés par les bouleversements climatiques, et la préservation des espaces placés sous leur responsabilité.

a.   Participer à la gestion des crises

Face à la multiplication des événements extrêmes, le ministère affichait sa volonté de mieux contribuer à la réponse opérationnelle et sécuritaire, aussi bien sur la sauvegarde des personnes et des biens que sur celle de l’environnement.

b.   Protéger les milieux et territoires d’intervention

Un effort supplémentaire était prévu sur le renforcement des actions en faveur de la biodiversité terrestre et maritime, en s’appuyant particulièrement sur les initiatives de la marine nationale qui participent à la maîtrise des risques liés à ses activités et prennent une part importante dans la répression et la lutte contre les pollutions. Le ministère envisageait également de poursuivre son implication au sein du réseau Natura 2000 à terre, et de désigner de futurs sites en mer. Sur ce point, le partage des données a également son importance, d’où l’intérêt du ministère pour le géoportail « système d’information sur la nature et les paysages » (SINP) qui permet de structurer les connaissances sur la biodiversité, les paysages et les habitants naturels ou semi-naturels. Pour ce faire, les forces continueraient ainsi de s’appuyer sur leurs principaux partenaires (FCEN, ONF, ONCFS…), à qui les emprises devenues inutiles pourraient être progressivement cédées.

Les ressources en eau et toutes autres ressources naturelles doivent également être préservées, en poursuivant la mise aux normes des 1 400 installations, ouvrages, travaux, ou activités (IOTA) au titre de la loi sur l’eau et des 2 500 installations classées protection de l’environnement (ICPE) susceptibles d’impacter les eaux et le sous-sol. Une réduction des consommations était également prévue, en déployant un OSF en France métropolitaine. Cet engagement serait soutenu par une gouvernance ministérielle, assurée entre tous les acteurs, en particulier la direction des patrimoines, de la mémoire et des archives (DPMA) et le service d’infrastructure de la Défense (SID).

En lien avec ces deux derniers engagements, le ministère souhaitait agir sur la prévention et le traitement des pollutions dans les différents milieux, en recensant les espaces pollués, en interdisant l’utilisation des produits phytosanitaires pour les usages non-agricoles, ou bien en renforçant son action – en particulier de la marine – contre la pollution en mer.

Pour ce faire, un schéma directeur était prévu sur le transport, la collecte, le traitement, le regroupement et la valorisation des déchets, en s’appuyant sur les échelons territoriaux pertinents. Le tri des déchets devait être systématisé en vue de préparer et d’optimiser le recyclage. Ces déchets, notamment les papiers, devaient également être rationalisés et réduits. Cette démarche était conjuguée à un effort particulier sur les activités propres du ministère, en accompagnant les fermetures de dépôts de munitions et en progressant dans le traitement des munitions réformées et des munitions tirées.

2.   Éco-concevoir et maîtriser l’empreinte environnementale

En tant que premier investisseur de l’État avec près de 16,6 milliards d’euros de commandes publiques pour le seul équipement des forces, et en tant que premier consommateur public d’énergie avec 360 000 tonnes équivalent pétrole consommées, hors carburant opérationnel, le ministère chargé de la Défense est un maillon indispensable dans la maîtrise de l’empreinte environnementale du secteur public. Plusieurs actions ont été définies en 2016 pour le mettre à contribution.

a.   Prévenir les risques et réduire l’impact des infrastructures sur l’environnement

Dans l’exploitation de ses installations, le ministère a un rôle à jouer pour prévenir les risques technologiques et industriels. Une attention particulière devait être portée sur les émissions et les rejets dans les différents milieux, en élaborant des plans de prévention des risques technologiques (PPRT). Ces efforts devaient concerner en particulier les installations classées (ICPE et IOTA), afin de réduire leur empreinte environnementale, notamment en accompagnant la mise en œuvre de la directive Seveso 3 de l’UE, entrée en vigueur en 2015.

Le ministère envisageait aussi de privilégier l’écoconception et les standards de haute qualité dans la mise en œuvre des projets immobiliers. À cette fin, la performance énergétique des bâtiments existants devait être améliorée par les standards HQE ou BEPOS, les nouvelles installations devaient être éco-conçue, et la gestion des déchets de chantier et de démolition devait être améliorée et étendue.

Plusieurs mesures ont été identifiées par la SDD afin d’améliorer la performance environnementale des infrastructures sur le territoire national : assurer la sécurisation de la fourniture énergétique des sites sensibles, connaître la consommation pour agir sur la performance et baisser la consommation (par l’OSF notamment), poursuivre la sensibilisation des agents et la valorisation des comportements économes, et enfin, impliquer davantage les prescripteurs du ministère dans les opérations de conception et de démantèlement des équipements.

Une place importante était enfin accordée à l’utilisation des énergies renouvelables, aussi bien sur le territoire national – métropole et Outre-mer – qu’à l’étranger, par la mise en place de schéma d’emploi de ces énergies, en particulier dans les zones les plus éloignées des réseaux de distribution d’électricité, de gaz et de carburant, sans que cela n’ait d’impact sur les capacités opérationnelles. Les énergies maritimes constituaient ainsi une priorité.

b.   Limiter l’empreinte environnementale des systèmes d’armes

Dans un effort de réduction de leur empreinte environnementale, les armées s’engageaient à rationaliser les besoins de déplacements et à adapter leur flotte. Une nouvelle fois, cela passe par une incitation des personnels à adopter des attitudes plus respectueuses de l’environnement, y compris sur les théâtres extérieurs. Les véhicules électriques étaient identifiés comme un instrument intéressant pour limiter l’empreinte carbone, sans toutefois avancer de chiffres quant à leur déploiement.

Le ministère proposait aussi de poursuivre l’approche « cycle de vie » des systèmes d’armes, c’est-à-dire de favoriser leur écoconception en ayant recours aux énergies alternatives bas carbone et aux matériaux biosourcés, et poursuivre leurs cessions et leur démantèlement, le tout dans une démarche de maîtrise des risques en matière de substances dangereuses. Cela s’appuie par exemple sur l’outil « catalogue et cartographie des substances dangereuses et de leurs usages » (CACTUS).

Progressivement, cette approche du développement durable irriguera l’ensemble des politiques ministérielles, y compris en matière d’achats, en intégrant des clauses environnementales dans la plupart des contrats.

3.   Affirmer une gouvernance structurée

À nouveau identifiée comme prioritaire, la gouvernance constituait le dernier défi de cette SDD. Plusieurs actions autour du HFDD étaient proposées pour assurer la coordination de la mise en œuvre de la stratégie.

a.   Renforcer le travail en réseaux des acteurs

La gouvernance du développement durable du ministère devait être renforcée autour du HFDD, dont la mission principale était de veiller à la cohérence entre la stratégie nationale et celle du ministère. Il devait par ailleurs poursuivre la publication des rapports annuels de développement durable et mener le suivi des dépenses de financement des actions environnementales.

Dans cette dynamique, un vivier de compétences relatives au développement durable devait être constitué autour de personnels identifiés au sein de chaque entité du ministère, notamment au niveau des bases de défense où devaient être nommés des responsables de la performance énergétique. Cette gouvernance devait également mener à l’identification de référents « déchets » sur ces mêmes bases. L’ensemble s’accompagnerait d’une gestion prévisionnelle des effectifs, des emplois et des compétences (GPEEC) en matière environnementale.

Le SEA et le SID ont ainsi été identifiés par la SDD comme des acteurs clés et complémentaires pour la stratégie énergétique du ministère. Elle mettait ainsi l’accent sur la préservation de leurs expertises respectives et le renforcement de leur coopération au profit des installations déployées en opération extérieure (OPEX), notamment sur les énergies renouvelables.

Enfin, la cartographie et la rationalisation des indicateurs de mesure devaient faciliter le reporting à la Commission européenne et aux autres instances internationales.

b.   Développer les connaissances autour de la transition écologique

Un axe majeur pour le développement des connaissances était la promotion de la recherche de financements innovants dans le cadre de la transition écologique. Il s’agit par exemple du fonds d’intervention pour l’environnement (FIE), du fonds d’intéressement à la rationalisation du parc immobilier, des programmes européens menés dans le cadre de « Horizon 2020 » et des initiatives « LIFE », ainsi que du fonds européen de développement régional (FEDER) et du fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER).

Cette meilleure connaissance passe aussi par le développement ou l’intensification des partenariats techniques et scientifiques avec les spécialistes de la biodiversité terrestre et maritime : FCEN, ONF, ONCFS, institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (IFREMER) et institut de recherche de l’école navale (IRENav). Afin de renforcer son expertise en la matière, le ministère devait également contribuer à la formation de ses propres spécialistes, notamment du service de santé des armées (SSA), du SEA et de la Marine nationale.

c.   Inscrire le développement durable dans les collaborations internationales

La prise en compte de l’impact environnemental de l’action militaire ne peut se limiter à l’échelle nationale. C’est pourquoi le ministère chargé de la Défense proposait dans sa SDD de l’intégrer aux réflexions internationales, au niveau de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) et de l’UE.

Ainsi, le ministère entendait contribuer en amont à l’élaboration de la réglementation européenne en matière environnementale pour s’assurer de la préservation des intérêts de la défense. Au niveau de l’OTAN, la contribution devait avant tout porter sur la normalisation et l’utilisation des carburants, où le SEA joue un rôle important.

Avec un partage des bonnes pratiques, la définition d’une liste de substances prioritaires d’intérêt commun pour rechercher des substituts, et l’organisation d’une étude d’impact du secteur de la défense au niveau européen, les armées françaises souhaitaient poursuivre la coopération internationale pour la maîtrise de l’impact des systèmes d’armes sur les écosystèmes.

Pour finir, le ministère voulait renforcer la connaissance et la réflexion stratégique sur les enjeux de sécurité et de défense liés aux changements climatiques, en s’associant aux programmes et conférences internationaux, notamment les réflexions Climat-Défense en marge des COP. La création d’un observatoire géopolitique des enjeux des changements climatiques en matière de défense et de sécurité était alors proposée ; son inauguration a eu lieu en 2017 grâce à un partenariat entre l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS) et la Direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS).

E.   Le mandat ministériel de transformation « développement durable et environnement », dit chantier n°16, de 2019

Ce mandat ministériel n’est pas une stratégie à proprement parler et constitue davantage un récapitulatif des actions engagées par la SDD de 2016 et des axes à prendre en compte dans les politiques publiques de défense, en application de la SNTEDD 2015-2020. Beaucoup seront repris et détaillés par la SMPE 2020-2023.

Ce texte revêt néanmoins une certaine importance, puisqu’il est à la base des réflexions nouvelles au sein du ministère, ayant mené à l’élaboration de la nouvelle stratégie énergétique de défense fin 2020 et devant permettre la publication d’une prochaine stratégie en matière de protection de la biodiversité.

1.   Se conformer aux obligations légales

Une priorité est d’améliorer la connaissance de l’état des 3 600 installations classées du ministère, à travers des audits, et d’améliorer la mise en conformité administrative et technique de celles ne respectant pas les normes en vigueur. La responsabilité des installations classées de soutien commun devait ainsi être transférée au SID à partir de 2020.

D’ici 2022, les études de dangers sur les 220 établissements soumis à autorisation devront être rédigées ou bien actualisées, et le déploiement des 48 plans de prévention des risques technologiques devra être achevé.

2.   Maîtriser l’empreinte environnementale du ministère

Avec sa SMPE 202°-2023, le ministère des Armées s’engage dans la réduction de sa consommation énergétique, notamment à travers le développement des CPE.

Pour prévenir les pollutions engendrées par les activités du ministère, la flotte des véhicules administratifs sera progressivement renouvelée, avec une part minimale de 50 % de véhicules à faibles émissions d’ici 2030. Ces actions doivent aussi s’orienter vers la gestion et le traitement des déchets qui seront optimisés sur la base d’un plan et d’un état actualisé de leur nature et de leur volume.

3.   Contribuer au développement des énergies renouvelables

Dans la lignée des précédentes stratégies, notamment de la SDD de 2016, les énergies renouvelables occupent une place importante dans les ambitions ministérielles ; la démarche « Place au soleil », visant à céder ou mettre à disposition 2 000 hectares de parcelles d’ici 2022, en est l’illustration. Un raccordement des emprises aux réseaux de chaleur urbains sera privilégié dès que la solution apparaîtra opportune.

Par ailleurs, la production d’énergies renouvelables à des fins d’autoconsommation sera également expérimentée sur le solaire photovoltaïque et thermique, la biomasse et l’éolien, et une étude sera lancée pour accroître l’utilisation des carburants alternatifs.

4.   Protéger la biodiversité

Une nouvelle stratégie de la biodiversité devra être formalisée pour accentuer l’action du ministère en la matière. Elle sera la déclinaison du plan biodiversité gouvernemental, présenté en juillet 2018, sur les questions de défense nationale, en prenant naturellement en compte les contraintes et spécificités propres à ce domaine.

Le ministère compte, à cet effet, poursuivre la cartographie des espèces faunistiques et floristiques présentes sur ses terrains, et l’évaluation de l’impact de ses activités sur ces dernières. En règle générale, ces actions sont menées en partenariat avec des associations de défense de l’environnement et de la biodiversité.

5.   Piloter la politique environnementale

Comme toutes les stratégies qui se sont succédé depuis plus d’une douzaine d’années, la gouvernance constitue un point de vigilance pour le mandat ministériel, dit « chantier n°16 ». Plusieurs initiatives sont ici identifiées, comme le renforcement et la professionnalisation de la filière « environnement », afin que le SID puisse reprendre l’exploitation des installations classées de soutien commun. Le développement des instruments de mesure de la performance énergétique est un levier intéressant pour mener ces efforts.

La dotation du fonds d’intervention pour la performance énergétique (FIPE) a par ailleurs été portée de 2 à 3 millions d’euros à compter de 2019, et celle du FIE de 1 à 2 millions d’euros.

F.   La stratégie ministérielle de performance énergétique de 2020

Dans sa deuxième stratégie de performance énergétique, le ministère des Armées a décidé de renforcer les mesures touchant aux infrastructures et déplacements non-opérationnels. La stratégie pour les années 2020 à 2023 doit permettre aux armées de se conformer aux orientations de la stratégie nationale bas carbone (SNBC) de 2015 et de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) de 2018.

En introduction, la SMPE 2020-2023 tire un bilan de l’ancienne SMPE pour la période 2012-2017. Il s’agit d’un point positif, au vu du manque de données sur le suivi et les réalisations concrètes des stratégies environnementales et énergétiques du ministère. Ainsi, les consommations d’énergie, hors carburants opérationnels, se sont réduites de 15 % entre 2010 et 2018, pour passer de 3,32 à 2,83 térawattheures. La part des énergies fortement carbonées (charbon et fioul) a diminué dans le mix énergétique, de 22 à 15 % sur la même période, au profit des énergies faiblement carbonées (biomasse-bois, chaleur des réseaux urbains, gaz de pétrole liquéfié), passées de 2 à 7 %.

Elle repose autour de deux engagements : la réduction des consommations d’énergie et le développement des énergies renouvelables. Chacun de ces engagements est décliné en différents objectifs. Une feuille de route détaillée de 18 actions identifiant clairement les acteurs ministériels impliqués a été élaborée pour l’ensemble de ces cibles, ce qui représente une avancée positive. Sa réalisation s’accompagne par ailleurs de la dotation supplémentaire accordée au FIPE, prévue par le « chantier n°16 ».

1.   La réduction des consommations énergétiques

Pour répondre aux objectifs de la SNBC de réduction des émissions de GES de 29 % pour le secteur des transports et de 54 % pour le secteur du bâtiment à l’horizon 2028 par rapport à l’année 2013, le ministère des Armées se doit de mettre en œuvre des mesures ambitieuses pour ses 15 000 véhicules dits « administratifs » et ses 10 millions de mètres carrés à usage tertiaire.

a.   Évoluer vers la mobilité propre

D’ici 2030, la moitié de la flotte administrative des armées, soit environ 7 500 véhicules, devra être à faibles émissions de GES. Cet objectif devra être progressivement décliné par les bases de défense d’ici 2022, en les dotant d’un plan « mobilité propre ».

À moyen terme, les véhicules à faibles émissions devront donc correspondre à 50 % des achats, ce qui représente un coût annuel estimé entre 15 et 20 millions d’euros pour le ministère.

Des objectifs intermédiaires ont par ailleurs été déterminés pour assurer le suivi régulier de ces objectifs : 20 % en 2023 et 25 % en 2025, contre seulement 5 % de véhicules électriques ou hybrides en 2018. Cependant, l’essentiel de l’effort pesant sur les dernières années de la décennie 2020, cette orientation risque d’être remise en cause par les futurs choix politiques.

b.   Améliorer l’efficacité énergétique des bases de défense

Pour améliorer l’efficacité énergétique, le ministère envisage de notifier douze contrats de performance énergétique entre 2020 et 2025, afin d’améliorer la performance énergétique des bâtiments grâce à une exploitation optimisée des systèmes de production et de distribution d’énergie. Plusieurs sites ont d’ores et déjà été identifiés, comme la base aérienne de Nancy-Ochey ou le camp de Mourmelon. Cette idée s’inscrit dans la continuité des CPE établis pour le quartier militaire Roc Noir, le camp de La Valbonne ou bien les sites de Balard, dont les résultats détaillés précédemment apparaissent, dans l’ensemble, satisfaisants.

Sur les sites énergivores où les CPE ne se justifient pas, la SMPE propose de déployer des contrats d’exploitation et de maintenance des installations de chauffage-ventilation-climatisation à clause d’intéressement.

D’ici 2023, un système de management de l’énergie ISO 50001 devra également être mis en place dans les 15 bases de défense les plus consommatrices d’énergie. Dans le secteur civil et au sein des armées européennes les ayant expérimentés, ces systèmes permettent souvent une réduction des consommations allant de 10 à 20 %. Sur cette même période, les armées devront achever le déploiement de l’OSF et de l’outil DATA NRJ 360 de mesure et d’analyse des consommations courantes d’énergie de leurs infrastructures.

Outre les CPE et ces systèmes de management ou de mesure, les bâtiments existants verront leurs chaufferies au charbon et au fioul progressivement remplacées d’ici 2031 par des systèmes de production de chaleur moins polluants et plus économes. Les logements domaniaux utiles aux armées devront également faire l’objet d’une rénovation énergétique d’ici 2038. Par ailleurs, les obligations de réduction de la consommation d’énergie finale des bâtiments à usage tertiaire seront appliquées lors de la réhabilitation lourde des infrastructures existantes, à l’exception de certaines identifiées en raison des spécificités du secteur de la défense. Dans ce cadre, un plan prospectif à dix ans sur la mise en œuvre du décret de juillet 2019 relatif aux obligations d’actions de réduction de la consommation d’énergie finale dans des bâtiments à usage tertiaire devra accompagner la mesure.

Sur les nouvelles constructions de bâtiments à usage tertiaire, les normes « bâtiment à énergie positive et à haute performance environnementale » devront être respectées, tant que cela est possible.

Enfin, l’ensemble des prescriptions techniques devront être faites selon les critères des certificats d’économies d’énergie (CEE), dispositif mis en place par la loi de programmation fixant les orientations de la politique énergétique (POPE) en 2005. Ces CEE ont une contre-valeur financière échangeable, prouvant les économies énergétiques réalisées. Le dispositif doit être renouvelé à compter de 2021.

2.   Le développement des énergies renouvelables

Une véritable transition énergétique ne peut être possible sans un développement des énergies alternatives, complémentaire aux efforts de réduction de la consommation. En application de la politique énergétique nationale, 33 % de la consommation finale brute d’énergie devra provenir de sources renouvelables d’ici 2030, hors activités opérationnelles. Le ministère des Armées prévoit plusieurs mesures lui permettant de tendre vers ces objectifs.

a.   Installer des centrales photovoltaïques sur les terrains militaires

2 000 hectares de terrains pour y installer des panneaux solaires sont promis d’ici 2022, dans le cadre du plan « Place au soleil » de 2018. Environ 1 600 hectares seront loués, pour une durée déterminée d’environ 30 ans, à des exploitants sélectionnés à l’issue d’appels à projets. Les 400 hectares restants seront cédés aux collectivités locales qui s’engageront à y installer des parcs photovoltaïques.

L’identification des parcelles concernées par la mise en œuvre du plan sera déterminée par une équipe pluridisciplinaire spécifique, pilotée par le SID et la DPMA.

b.   Privilégier le raccordement des emprises militaires aux réseaux urbains

Le raccordement des emprises concerne aussi bien les réseaux de chauffage urbain que ceux de climatisation urbaine. En 2019, la France comptait 760 réseaux de ce type, soit deux fois plus qu’en 2008.

Ces réseaux sont principalement alimentés par le gaz naturel mais accordent également une place croissante aux énergies renouvelables, produites et valorisées localement. Raccorder les emprises des armées pourrait donc permettre de réduire les émissions de GES de 80 %, par rapport aux chaufferies et climatisations actuellement utilisées qui consomment de grandes quantités d’énergies carbonées.

En 2019, une cinquantaine de sites du ministère étaient déjà raccordés aux réseaux urbains.

c.   Expérimenter l’autoconsommation d’énergies renouvelables

À la différence des énergies fossiles, dont la production est souvent fortement centralisée, les énergies renouvelables permettent une production locale et donc une autoconsommation, renforçant ainsi la résilience des terrains militaires.

Si cette production locale n’est pour le moment que résiduelle, le ministère des Armées s’engage à la développer, en investissant dans les technologies de production et de stockage.

Il est ainsi proposé par la SMPE de poursuivre les projets expérimentaux de production d’énergie solaire photovoltaïque ou thermique à des fins d’autoconsommation, en s’assurant naturellement du respect des servitudes. Dans la perspective de leur généralisation progressive, le SID devra initier puis entretenir un recensement des sites pouvant potentiellement accueillir les technologies expérimentées.

D’autres expérimentations devront ensuite être lancées dans la production de biogaz et dans l’éolien. D’ici 2023, le camp de Coëtquidan sera ainsi impliqué dans la valorisation des déchets organiques – à savoir la biomasse locale – afin de produire du biogaz. Cela pourra éventuellement déboucher sur une généralisation à d’autres camps ou sites présentant un potentiel de valorisation semblable. Quant à l’énergie éolienne, un site devra être choisi en 2021 pour expérimenter une production par un petit parc d’éoliennes de faible ou de moyenne puissance, déployé à partir de 2022.

G.   La stratégie de développement durable de l’État-major des armées de 2020

En novembre de la même année, l’état-major des armées (EMA) a publié sa stratégie de développement durable, inscrite dans le cadre des engagements internationaux de la France en faveur des 17 objectifs de développement durable (ODD) adoptés par les États membres des Nations Unies en 2015 et organisés autour des dimensions environnementales, sociales et économiques.

Par cette nouvelle feuille de route, l’EMA cherche avant tout à renforcer les actions autour des six ODD relatifs à l’environnement, et à valoriser les actions et résultats atteints dans les volets social et économique. Le but de cette stratégie est de maîtriser les enjeux du développement durable à l’horizon 2022 en d’en saisir toutes les opportunités qu’il propose. Cet état final recherché (EFR) est décliné selon cinq lignes d’opérations.

1.   L’organisation et le pilotage

Le développement durable des armées est piloté par l’EMA comme un projet majeur, plus précisément par l’officier général « prospective et stratégie militaire » (OGPSM) de l’EMA, chargé de structurer et de piloter la stratégie jusqu’à l’été 2021.

Un réseau de correspondants sera établi au sein de l’EMA pour couvrir l’ensemble des 17 ODD. Il sera accompagné par un chef de projet au sein des états-majors, chargé de décliner le plan d’action et d’être le point de contact de l’OGPSM. Des organisations expertes seront établies pour conseiller les commandements à tous les niveaux de responsabilité ; au niveau local, ils complèteront ainsi le réseau des 137 chargés d’environnement que déploie actuellement le SID.

Pour piloter la stratégie, l’OGPSM pourra s’appuyer sur un comité de développement durable des armées, lequel réunit les chefs de projets désignés par les armées, divisions et services, ainsi que le réseau de correspondants au sein de l’EMA. Il disposera également d’un indicateur quantitatif pour chaque ODD, permettant de fixer des cibles annuelles avec des plans d’actions associés.

Cette gouvernance apparaît plus concrète et plus complète que celles promises par les précédentes stratégies.

2.   L’expertise et la sensibilisation

Objectif maintes fois répété par les anciennes stratégies, le personnel des armées, directions et services devra s’approprier les enjeux du développement durable. Trois initiatives sont ainsi proposées :

– redynamiser et revaloriser la filière de prévention et de maîtrise des risques environnementaux (PMRE) ;

– mettre en place des formations spécialisées, au profit du personnel expert chargé de conseiller le commandement ;

– sensibiliser l’ensemble du personnel, indépendamment de la fonction occupée, lors des formations initiales et de spécialité, pour que chacun puisse adopter et appliquer les gestes écoresponsables.

3.   Les actions concrètes

Les actions devront être réfléchies à travers le prisme du principe de subsidiarité qui accorde le plus de marge de manœuvre possible aux initiatives locales, par exemple en partenariat avec la FCEN. Celles-ci devront participer à la préservation de la biodiversité, réduire l’empreinte environnementale du ministère et poursuivre les thématiques définies par le chantier n°16, à savoir la régularisation des installations classées, le plan « Place au soleil », la mobilité propre, la performance énergétique des infrastructures ou bien la gestion des déchets.

Point essentiel, jusque-là peu ou pas abordé par les précédentes stratégies du ministère des Armées, le personnel sera sensibilisé à la frugalité numérique, en raison de l’empreinte environnementale des nouvelles technologies. Des écogestes simples existent pour réduire l’impact des usages numériques, comme le tri et la suppression réguliers des courriers électroniques.

En lien avec la DPMA, l’EMA propose également d’établir un bilan des émissions et des compensations de GES, étudiant le potentiel de captation du carbone dans les puits naturels des terrains militaires.

Enfin, l’EMA se chargera de réunir et de discuter des bonnes pratiques avec ses partenaires, notamment au niveau européen.

4.   Les relations extérieures

En matière de développement durable, les particularités des armées doivent être reconnues, sans toutefois justifier un traitement de faveur quant aux impératifs opérationnels, budgétaires et environnementaux. Les armées doivent être reconnues comme des acteurs proactifs et vertueux du développement durable, appliquant pleinement les directives et règlements en matière environnementale.

Pour cela, l’EMA cherchera à se positionner le plus en amont possible sur les projets de réglementation, afin de faire valoir la singularité des activités opérationnelles et des contraintes auxquelles sont soumises les armées. Cela peut impliquer la demande raisonnée de dérogations lorsque les évolutions réglementaires font peser un risque sur le bon fonctionnement des forces, particulièrement sur les terrains extérieurs.

En parallèle, les armées comptent se montrer exemplaires dans le domaine « commun », c’est-à-dire les activités les plus proches du domaine civil sur le territoire national mais également en OPEX, où les forces doivent avancer dans la construction de leur résilience énergétique.

5.   La communication interne, externe et d’influence

Une large communication sera déployée autour des actions de développement durable des armées, à la fois en interne, en externe et sous forme d’une campagne d’influence. Cette démarche favorisera la mise en commun des bonnes pratiques et un partage des retours d’expérience.

Une telle valorisation des actions des armées pourrait ainsi pallier le manque de connaissance et d’information qui entoure encore trop souvent les initiatives militaires – et notamment les stratégies successives – en matière environnementale.

De manière générale, les rapporteurs estiment que ces nombreuses stratégies gagneraient à être plus sérieusement évaluées dans la perspective de l’élaboration des futures. Ils constatent qu’un grand nombre de dispositifs, d’axes d’amélioration ou d’outils plus ou moins présentés comme nouveaux dans la stratégie énergétique de défense ou dans le chantier n°16 sont en réalité anciens et appellent, par conséquent, à une évaluation des échecs passés avant d’élaborer de nouvelles stratégies.


   Deuxième partie : Le ministère des armées mène une politique ambitieuse et méconnue en faveur de la préservation de l’environnement

Aussi surprenant que cela puisse paraitre, le ministère des Armées mène de nombreuses actions en faveur de la préservation de la biodiversité. Il mène une politique globale et ambitieuse en matière environnementale qui demeure malheureusement peu connue.

A.   Un acteur de la préservation de la biodiversité

1.   Un ministère engagé dans la préservation de la biodiversité des terrains militaires

a.   Les terrains militaires, des havres de biodiversité présentant un intérêt faunistique et floristique majeur

En 2021, le ministère des Armées dispose d’un domaine foncier de 270 000 hectares en métropole et dans les départements et régions d’outre-mer et collectivités d’outre-mer (DROM-COM), destinés à 70 % à assurer l’entraînement des forces. Ces terrains d’accès réglementés, préservés de l’urbanisation et de l’agriculture intensive, laissant les processus naturels d’érosion et de sédimentation se développer, présentent souvent une richesse faunistique et floristique reconnue au niveau national et européen.

Aujourd’hui, on estime que 80 % des terrains militaires en métropole font l’objet d’un classement au titre de la biodiversité ou font partie d’une zone d’intérêt faunistique et floristique. 17 % sont classés Natura 2000 et 100 % des espèces ou milieux d’intérêt communautaire y sont présents. Les sites militaires sont intégrés dans plus de 40 parcs naturels régionaux différents et dans d’autres types d’aires protégées comme les parcs nationaux ou les réserves naturelles nationales.

Le réseau Natura 2000

Le réseau Natura 2000 assure la protection de sites naturels européens, terrestres et marins, identifiés pour la rareté ou la fragilité de leurs habitats et de leurs espèces sauvages, animales ou végétales. Au total, ce sont 329 sites Natura 2000 qui comprennent une emprise militaire, soit 44 486 hectares, dont 11 sites qui se situent exclusivement sur un terrain militaire.

Source : ministère des Armées

b.   Des partenariats ont été conclus par le ministère des Armées pour l’entretien et la gestion des sites

Le ministère des Armées a conclu des partenariats avec plusieurs institutions afin de mener des actions de préservation de la biodiversité sur les terrains militaires.

i.   La Fédération des Conservatoires d’espaces naturels

Le partenariat le plus important est celui avec la FCEN. Depuis la première loi sur la biodiversité en 1976, les Conservatoires d’espaces naturels (CEN) se sont fortement développés. Aujourd’hui, ce réseau associatif est implanté à travers la quasi-totalité du territoire métropolitain et ultramarin. Leurs actions en faveur des espaces naturels, prévues par une charte, sont guidées selon cinq grands axes :

– la connaissance, notamment grâce à la mobilisation d’une importante expertise de terrain (équipes professionnelles des CEN et naturalistes bénévoles) et un partenariat avec le Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) (cf. infra) ;

– la protection, par la préservation des sites permettant d’assurer la maîtrise foncière et d’usage. C’est dans ce cadre que des conventions avec sont signées avec le ministère des Armées ;

– la gestion, par la conciliation de l’activité humaine et du respect des territoires et de la biodiversité ;

– la valorisation, par l’explication et des actions de sensibilisation en ouvrant certains sites au public (organisation de visites scolaires, journées portes ouvertes, chantiers participatifs…) ;

– et l’accompagnement des politiques publiques, par la promotion de projets de protection de sites naturels avec l’État, les établissements publics et les collectivités territoriales.

Aujourd’hui, 22 CEN employant un millier de salariés et mobilisant un budget de 60 millions d’euros ont la responsabilité de 3 700 sites couvrant 180 000 hectares, dont une partie significative de terrains militaires. En effet, sur les 275 000 hectares appartenant aux armées en France métropolitaine, 80 000 font l’objet d’une convention signée avec un CEN, soit une cinquantaine de sites. Par ces partenariats et conventions, les CEN accompagnent les autorités militaires dans leur prise en compte de la biodiversité. À ce titre, la ministre déléguée chargée de la mémoire et des anciens combattants, Mme Geneviève Darrieussecq, a récemment effectué une visite sur le camp militaire d’Avon pour valoriser les actions du ministère en matière de biodiversité. Par ailleurs, plus de 340 sites militaires font partie du réseau Natura 2000.

Le dialogue des CEN avec les armées sur les sujets de la biodiversité a beaucoup progressé. De nombreux progrès ont été réalisés et les trajectoires amorcées sont positives, même s’il y a toujours des marges d’amélioration. Le premier partenariat avec un CEN a été établi en 1991 avec l’aérodrome militaire de Marigny en Champagne-Ardenne. Plusieurs camps militaires ont ensuite accepté d’être approchés par les CEN, ce qui a abouti à la signature d’une convention-cadre nationale entre le ministère chargé de la Défense et la FCEN en 2009, alors qu’on ne comptait à l’époque que huit partenariats. Celle-ci a été renouvelée en 2015 pour dix années supplémentaires.

Les partenariats entre les conservatoires d’espaces naturels et les armÉes

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Source : ministère des Armées / Fédération des Conservatoires d’espaces naturels

Les CEN développent des actions au profit de la biodiversité sur une cinquantaine de sites militaires dans les domaines suivants :

– l’amélioration de la connaissance du patrimoine naturel du ministère des Armées : les inventaires demandent une démarche scientifique, quelques fois appuyée par le MNHN. Mais l’activité militaire impose des contraintes d’accès (temporelles et spatiales) qui ne permettent pas toujours d’obtenir des autorisations compatibles avec le suivi des protocoles. Une démarche globale pour répondre à ce problème est en cours de réflexion avec le ministère des Armées ;

– le développement d’une gestion des espaces naturels qui concilie l’activité militaire et la préservation de la biodiversité : ces actions sont planifiées grâce à un plan de gestion, la maitrise d’ouvrage de travaux (restauration ou entretien de milieux naturels), l’assistance à la maitrise d’ouvrage du ministère des Armées, le conseil pour la gestion des espaces naturels des sites (vidange d’étang, entretien des prairies et des abords des pistes…), l’expertise sur les cahiers des charges annexés aux autorisations d’occupation temporaires (AOT), assistance juridique sur des travaux touchant aux espaces naturels ;

– la formation des personnels du ministère des Armées ;

– et la valorisation du patrimoine militaire auprès du grand public par des animations, des chantiers participatifs ou encore la création d’outils de communication.

Sur quelques sites, le réseau des CEN s’appuie sur les projets LIFE qui permettent de déployer les financements européens nécessaires au développement d’actions ambitieuses aux échelons régional, national et européen. Trois projets LIFE sont particulièrement importants pour la protection de la biodiversité des terrains militaires :

– LIFE Défense Nature 2mil (2012-2017) : ce projet devait révéler les dysfonctionnements et y apporter des réponses sur quatre sites du Sud-Est, à savoir le camp de Garrigues (Gard), le camp de Chambaran (Isère), le Mont-Caume (Var) et la base navale d’Aspretto (Corse du Sud) ;

– LIFE La Valbonne (2019-2026) : il vise à restaurer les habitats et espèces prioritaires (par exemple : l’outarde canepetière) dans ce camp de l’Ain de 1 000 hectares. Toutefois, la réintroduction d’animaux n’est pas la priorité de la FCEN qui a d’abord vocation à préserver les nombreuses espèces présentes sur les terrains militaires ;

– et LIFE NaturArmy (2019-2023) : co-piloté par la FCEN et la DPMA du ministère des Armées, ce projet s’intéresse à la structure globale du ministère pour identifier les pistes d’amélioration des politiques publiques au niveau de la réglementation en vigueur, de l’usage et de la transmission des terrains, de la formation des agents et de la connaissance des sites.

Par ailleurs, les CEN mettent en place des partenariats avec le monde agricole sur les sites militaires, ce qui permet aux agriculteurs de développer des activités compatibles avec la préparation opérationnelle des armées. Le pâturage permet un entretien efficace et peu onéreux des prairies et des pelouses. Toutefois, de nombreux sites présentant un fort potentiel – à l’image de la base d’Orange, impliquée dans la protection et la réintroduction de l’outarde canepetière – ne sont pas inclus dans un périmètre Natura 2000.

Au niveau national, la FCEN est en contact quasi quotidien avec la DPMA. Les échanges sont cependant limités par le manque de moyens humains de la DPMA compte tenu de l’ampleur des enjeux et des actions à mener.

Au niveau local, les échanges se font principalement avec les commandants des camps, les commandants en second (C2), les personnes en charge des aspects liés à la sécurité des entraînements et les unités de soutien à l’infrastructure de la Défense (USID). Néanmoins, face aux difficultés d’organisation beaucoup plus présentes qu’au niveau national, un renforcement des liens entre les états-majors, les USID, les camps et les CEN sur les sujets de biodiversité serait appréciable. Certains camps possèdent également un chargé d’environnement ou un agent ayant reçu une qualification professionnelle (QP) en la matière à l’issue d’une formation. À ce stade, cela ne concerne que l’armée de Terre, puisqu’elle dispose de la majorité des espaces naturels terrestres.

En Europe, les constats autour de la biodiversité et de sa prise en compte par les forces armées sont convergents. Cela s’explique par l’existence du réseau Natura 2000 et des projets LIFE qui couvrent une majorité des États membres de l’UE. Toutefois, la France s’est intéressée à ces problématiques un peu plus tard par rapport à l’Allemagne ou le Royaume-Uni. Des échanges ont lieu entre les armées grâce au réseau Defence Network (DEFNET) réunissant 17 nations, y compris les États-Unis, autour de la thématique environnementale. Un groupe de travail sur la biodiversité est cours de création. Ces contacts permettent d’échanger les bonnes pratiques et de dégager des pistes d’amélioration.

Par ailleurs, certains pays ont pris des initiatives exemplaires. Outre-Rhin, l’accent a par exemple été mis sur le foncier, avec un plan de transfert de terrains militaires de l’ancienne Allemagne de l’Est vers des organisations non gouvernementales (ONG) spécialisées dans la protection de la biodiversité. Ce plan a été indolore pour l’armée allemande, puisqu’il n’a pas nécessité de renforcer les moyens financiers associés.

Le ministère des Armées a également élaboré des conventions de gestion écologique avec différents partenaires et en assure le suivi. Son objectif n’est pas de multiplier les partenariats sur l’ensemble des terrains militaires mais de mettre en œuvre des actions concrètes de préservation de la biodiversité pour répondre aux besoins de l’autorité militaire en termes de conseils et d’accompagnement. Depuis les années 1990, des conventions de partenariat locales ont été mises en place entre des camps militaires et des gestionnaires d’espaces naturels. Mais depuis 2009, le ministère des Armées a développé des partenariats nationaux avec trois principaux acteurs (en plus de la FCEN), dans le but de préserver la biodiversité de ces terrains militaires : le MNHN, la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) et l’ONF.

ii.   La Ligue pour la protection des oiseaux

Le ministère des Armées a un partenariat avec la LPO, première association de préservation de la biodiversité en France et gestionnaire de 12 réserves protégées. Plusieurs protocoles ont été signés avec le ministère des Armées afin de protéger les écosystèmes sur les terrains militaires. Dans ce cadre, plusieurs initiatives sont actuellement menées en partenariat avec le ministère :

– un projet de convention-cadre visant à limiter le survol des espaces protégés par les armées aux seuls endroits où il n’existe pas de trajet alternatif (par exemple, en zone montagneuse) ;

– la labélisation des terrains non utilisés, en partenariat avec des agriculteurs et des collectivités locales, notamment en région parisienne, où le ministère des Armées pourrait s’engager à ne pas utiliser de produits chimiques et à interdire la pratique de la chasse, ce qui pourrait à terme déboucher sur une cartographie des refuges à travers l’ensemble du territoire français ;

– le transport par la Marine nationale et, dans une moindre mesure, l’armée de l’Air et de l’Espace des personnes engagées dans les programmes de restauration dans les DROM-COM (Caraïbes et océan Indien), en l’occurrence le retrait des rats introduits par erreur qui mettent en péril la biodiversité de certains atolls ; des discussions sont en cours pour étendre ces actions à la zone Pacifique ;

– et la surveillance par les armées des aires maritimes protégées à large échelle et la mise en place d’initiatives pour protéger leur biodiversité en mobilisant de nombreux services (renseignement satellitaire, survol de la zone, arraisonnement d’une activité illégale menaçant la biodiversité…).

iii.   Le Museum national d’histoire naturelle

Le ministère des Armées a également un partenariat avec le MNHN. À titre d’exemple, une convention de coopération a été signée le 22 février 2019 au terme duquel le MNHN s’est vu confié la réalisation d’une mission de conseil afin de bénéficier de son expertise scientifique dans la réalisation de plusieurs projets pilotes pour les armées. La convention assigne 4 objectifs :

– l’identification des terrains militaires encore non-identifiés et propices aux actions de préservation de la biodiversité, en Métropole et dans les DROM-COM ;

– l’évaluation des modes d’action du ministère des Armées sur la base d’une méthodologie des plans de gestion scientifique des terrains militaires ;

– l’amélioration des outils de cartographie des terrains militaires ;

– et la sensibilisation des usagers.

De plus, le MNHN mène un travail important de bibliographie pour répertorier toute la littérature scientifique sur l’impact des activités militaires sur la biodiversité, afin d’en faire une synthèse et de repérer les manques à cet égard. À titre d’exemple, les impacts des tirs sous-marins sur la biodiversité ne sont pas encore connus à ce jour, même si les scientifiques estiment que ceux-ci sont encore faibles.

iv.   L’Office national des forêts

Le partenariat entre le ministère des Armées et l’ONF est ancien et a été revu en 2012. Il concerne la gestion de 67 forêts situées sur les terrains militaires, qui représentent environ 85 000 hectares. 42 conventions sont en cours.

c.   Pour une meilleure gestion des terrains militaires

Lors de leurs travaux et de leurs déplacements, les rapporteurs ont constaté que la politique de préservation de la biodiversité menée par le ministère des Armées pourrait être améliorée selon plusieurs axes.

Premièrement, les rapporteurs estiment qu’une plus grande sensibilisation des agents du ministère des Armées à ces enjeux par une intégration de modules liés à la protection de la biodiversité dans l’ensemble des formations de défense, y compris à l’attention des officiers supérieurs dans les écoles militaires, serait souhaitable. Il est important de prendre le temps d’intégrer cela dans les différentes sphères de formation du ministère. Le développement de la formation des agents du ministère des Armées par l’Office français de la biodiversité (OFB) serait opportun.

Deuxièmement, les rapporteurs plaident pour qu’une amélioration du mode de financement de la gestion des espaces naturels soit impulsée. Si le FIE a bien été doublé en 2019 pour atteindre 600 000 euros, il ne permet de financer que les projets ponctuels portés par les agents du ministère. La gestion des camps reste de la responsabilité de l’autorité militaire. La prise en compte de la biodiversité en faisant partie, il convient de participer à son financement en s’appuyant par ailleurs sur la capacité des CEN à trouver des financements complémentaires. Il est important de chiffrer les moyens nécessaires à la préservation de la biodiversité selon les camps et de les intégrer à la loi de programmation militaire (LPM).

Par ailleurs, les rapporteurs estiment qu’il conviendrait d’assurer une plus grande compatibilité des enjeux de protection de la biodiversité avec le développement des énergies renouvelables, notamment dans le cadre du plan « Place au Soleil ». 2 000 hectares (Ha) sont recherchés pour déployer des panneaux photovoltaïques mais cela doit être fait dans le respect de la nature. Or une convention entre la FCEN et la base aérienne (BA) de Creil a été annulée suite au projet d’installation de 80 Ha de panneaux photovoltaïques dans le cadre du plan « Place au Soleil ». Il convient de privilégier l’implantation des panneaux photovoltaïques dans les zones déjà urbanisées ou sur les toits des infrastructures pour éviter de déstabiliser les espaces naturels qui abritent de nombreuses espèces fragiles. Les rapporteurs appellent à une plus grande cohérence entre les diverses actions menées au titre de l’environnement.

De plus, les rapporteurs appellent à une protection renforcée des terrains militaires devenus inutiles. Certains d’entre eux sont amenés à être vendus alors qu’ils présentent un intérêt important en matière de biodiversité. Les enjeux liés à la biodiversité devraient être intégrés en amont de la procédure de cession. En utilisant l’outil de l’obligation réelle environnementale (ORE), les enjeux de biodiversité, attachés aux droits de propriété, s’imposeraient aux nouveaux propriétaires.

Enfin, un autre problème porte sur la mobilité. En effet, la FCEN travaille avec des interlocuteurs changeant régulièrement de poste, avec lesquels il faut parfois reprendre les actions depuis le départ et dont le niveau d’implication et d’engagement est très variable. Par conséquent, certaines conventions ne sont pas renouvelées avec des camps. Les rapporteurs plaident pour que le volet biodiversité soit plus clairement identifié dans la feuille de route des responsables de camp.

Mais de manière générale, les rapporteurs estiment qu’il est impératif de mieux valoriser les actions des armées en matière environnementale. Ils constatent que les armées mènent de nombreuses actions en faveur de l’environnement et que les critiques adressées au ministère des Armées quant à son empreinte environnementale – qui est réelle – doivent être appréciées au regard de son investissement pour y remédier.

d.   La question spécifique des installations classées

Les ICPE sont les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique (extrait article L.511-1 du code de l'environnement).

Au 1er décembre 2020, sur les 3 614 installations classées au ministère des Armées, on dénombre :

– 2 314 ICPE (dépôts d’essence, de munitions, chenils, chaufferies, stockage de poutres, garages, etc.) ;

– 1 300 IOTA pour l’eau : le ministère des Armées est auto-consommateur de sa propre eau dans un but de résilience (captage, forage, réseaux, châteaux d’eau, stations d’épuration, etc.) ;

– et 48 sites Seveso seuil haut, avec plans de prévention des risques technologiques, visant à gérer le danger pour les emprises privées autour (il y a environ 400 habitations privées autour d’une dizaine de sites au total).

Pour les sites Seveso, il y a un accompagnement des propriétaires de résidence principale dans les zones de danger où existe un risque de chute de tuiles, de bris de vitre, etc. Des subventions du ministère des Armées et de l’Agence nationale de l’habitat (Anah) sont proposées. Des réflexions ont lieu en parallèle pour réduire le risque à la source et diminuer les seuils de danger de ces installations. Cependant, les sites Seveso du ministère sont confrontés à la même situation que dans le civil : l’urbanisation est parfois venue très près de ces emprises.

Pour ces installations, le ministère des Armées est soumis au code de l'environnement (régime de l'autorisation, de l'enregistrement et de la déclaration) dans les mêmes conditions que les entreprises du secteur privé. Le code de l'environnement prévoit seulement des procédures particulières pour les installations couvertes par le secret défense (dépôt de munitions par exemple) et donne au ministre de la Défense les pouvoirs exercés par le préfet pour la signature des actes administratifs liés au fonctionnement de ces installations (arrêtés d'autorisation, récépissés de déclaration) et le contrôle ce ces installations à travers l'inspection des installations classées du ministère des Armées.

Pour les installations du ministère soumises à autorisation, les études d'impact sont soumises à évaluation environnementale. L'autorité administrative compétente est le ministre chargé de l'environnement et plus précisément le Commissariat général au développement durable. Le dossier comprenant l'étude d'impact est transmis par l'inspecteur des installations classées au ministre chargé de l'environnement, qui en accuse réception auprès de l'exploitant et qui donne son avis dans les trois mois. Il joint l'avis de l'autorité administrative de l'État compétente en matière d'environnement au dossier soumis à enquête publique et en transmet un exemplaire au pétitionnaire.

e.   La politique de traitement des déchets miliaires

La question des déchets militaires se décline en deux catégories : les déchets dits « communs » et les déchets « opérationnels ».

Premièrement, concernant les déchets « communs » (papier, déchets ménagers, etc.), le sujet est déconcentré au niveau des bases de défense. Peu d’informations étaient donc centralisées jusqu’en 2018, et l’engagement des bases était relativement hétérogène : certaines avaient une gestion exemplaire (par exemple : BA 133 de Nancy-Ochey), tandis que d’autres ne s’y intéressaient que modérément. La première étape a été d’établir une cartographie des déchets – un des axes du chantier n°16 – pour connaître la quantité produite par le ministère, les types de déchets produits et les taux de valorisation pour chacun. La seconde étape est désormais de fixer des objectifs de réduction des déchets et d’augmentation de leur valorisation, assortis de mesures et actions à l’attention de tous les organismes afin d’atteindre ces objectifs. Cette stratégie ministérielle des déchets, déclinant la politique nationale, est attendue d’ici mi-2021. Elle concernera également les déchets opérationnels.

Secondement, concernant les déchets opérationnels, des services experts existent dans chaque armée, disposant de solutions différentes. Le démantèlement des aéronefs est complexe en raison notamment de l’amiante présente dans certains joints. Pour les bateaux, une cartographie des substances dangereuses permet un démantèlement adapté. Enfin, dans le cas des munitions déclassées (c’est-à-dire dont le ministère n’a plus l’usage), elles relevaient à la fois de la réglementation des déchets – et du régime de l’armement tant qu’elles ne sont pas démilitarisées. L’application de la réglementation déchets à ces munitions était problématique. En l’absence d’industriel pour les prendre en charge en France, un prestataire a été retenu en Allemagne, où la législation déchets ne s’applique pas aux munitions déclassées. La différence entre les deux réglementations empêchait la mise en œuvre de la procédure obligatoire en cas de transfert transfrontalier de déchets dangereux, et empêchait donc l’envoi en Allemagne. Début 2020, une loi relative aux déchets a résolu ce problème : les munitions déclassées en attente de démilitarisation ne sont pas soumises à la réglementation déchets ; ce qui permet l’export vers la filière allemande.

Il y a une trentaine d’années, l’attention du ministère des Armées s’est d’abord portée vers les déchets opérationnels, afin de créer des chaînes de démontage et de recyclage, étant donné la lourde responsabilité des Armées. La réflexion sur les déchets dits « communs », est intervenue plus tard, dans le cadre des marchés publics du ministère. Par exemple, en matière d’alimentation, lorsqu’un restaurant était externalisé, une clause du marché portait sur la façon dont les déchets seraient recyclés. Il n’y avait donc pas de politique globale, et tout était géré par filière : alimentation, habillement, papier, etc. Une stratégie achat relative aux marchés de collecte et traitement des déchets de bureau et de restauration a permis d’avancer vers une gestion des déchets plus durable dans ces secteurs. Les travaux en cours du ministère mettront en cohérence l’ensemble des filières.

B.   Au-delà des terrains militaires, les armées mènent également des actions en faveur de la préservation de la biodiversité auprès du secteur civil

1.   Les actions en mer de la Marine nationale

La Marine nationale est responsable de la lutte contre les pollutions en mer. Elle agit dans les espaces maritimes relevant de la compétence d’une autorité maritime (préfet maritime en métropole ou délégué du Gouvernement dans les DROM-COM). La Marine peut également apporter son aide aux autorités terrestres en charge de la lutte sur le littoral.

Plus précisément, la Marine nationale est chargée :

– de la définition et de l’expérimentation des produits, équipements et matériels dédiés à lutte contre la pollution en mer ;

– de la formation des personnels chargés de la lutte contre la pollution en mer ;

– de la liaison avec les administrations centrales concernées par la politique de lutte contre la pollution en mer ;

– de l’affrètement des remorqueurs d’intervention, d’assistance et de sauvetage (RIAS) et des bâtiments de soutien, d’assistance et de dépollution (BSAD) nécessaires aux opérations ;

– de l’approvisionnement, du stockage et de l’entretien des matériels et produits de lutte contre la pollution en mer ;

– et de la mise à jour d’une documentation centralisée sur ce thème.

En cas de pollution en mer, la Marine nationale est à la disposition de l’autorité maritime en charge des opérations. Les opérations de lutte contre la pollution en mer peuvent consister en l’assistance à un navire en difficulté qui transporte des produits dangereux et polluants, la récupération de ces produits, la pose d’un barrage flottant afin de protéger une zone naturelle sensible, ou encore le nettoyage et la restauration d’une plage.

Au sein de la Marine nationale, c’est le commandant de la zone Atlantique et préfet maritime de l’Atlantique qui a la charge de la politique de lutte contre la pollution en mer. Par ailleurs, le Centre d’expertises pratiques de lutte antipollution (CEPPOL) est l’unité de la Marine nationale qui prépare et met en œuvre les décisions permettant de garantir la cohérence entre la doctrine, l’organisation, les moyens, les équipements et les ressources humaines de la Marine nationale en matière de lutte contre la pollution en mer.

Au-delà du respect des réglementations internationales, nationales et locales et des missions qui visent à la protection de l’environnement précitées, la Marine nationale tente également de réduire son empreinte environnementale par différents modes d’actions, tels que :

– la gestion des déchets à quai et en mer ;

– la réduction des émissions de GES des bateaux par l’hybridation (cf. infra) ;

– l’utilisation de peintures de coque sans tributylétain ;

– la prise en compte des habitats et des lieux de reproduction des mammifères marins dans l’utilisation des sonars ;

– et le choix d’une conception plus responsable de ses bâtiments de nouvelle génération ainsi que la déconstruction propre des vieilles coques.

La Marine nationale s’implique également dans la préservation des rivages et espaces littoraux par des « contrats de baie » avec les collectivités locales ou par des opérations « rades propres » chaque année à Toulon, Brest et Cherbourg. En 2019, plus de 2 tonnes de déchets ont été collectées par la Marine nationale.

2.   La dimension environnementale de l’opération Harpie

L’opération Harpie est conduite conjointement par les Forces armées en Guyane (FAG), la Gendarmerie et d’autres services de l’État tels que la Police aux frontières, l’ONF et la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) de Guyane. Elle vise à exercer une pression constante sur l’orpaillage illégal afin de limiter l’exploitation clandestine des ressources aurifères du département.

Au titre de leurs actions, les FAG garantissent la protection du territoire national et contribuent notamment à la lutte contre l’orpaillage illégal (opération Harpie) et à la lutte contre la pêche illégale. Par ailleurs, les FAG garantissent la souveraineté de la France sur les eaux placées sous sa juridiction par ses actions en matière de police des pêches, ce qui permet à la France de respecter ses engagements en matière de préservation des ressources halieutiques et de combattre les activités maritimes illicites.

En 2020, 2 894 patrouilles conduites en forêt, sur les criques et aux embouchures des fleuves de Guyane ont permis la saisie de plus de 23,7 millions d’euros d’avoirs criminels pour du matériel essentiel à l’activité des orpailleurs illégaux.

 


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   Troisième partie : la transition énergétique des armées, un enjeu capital pour leur autonomie d’action et l’indépendance de la France

A.   L’énergie, facteur essentiel de l’autonomie stratégique des armées, sera un élément clé au cœur des tensions géopolitiques au XXIe siècle

Avec l’accélération de la mondialisation et la croissante soutenue des nations en développement, les flux énergétiques se sont intensifiés dans les dernières décennies. Manne financière pour les pays producteurs, les énergies sont logiquement la cible de toutes les convoitises. Cette situation peut, à terme, déboucher sur des tensions régionales menaçant l’accès aux ressources, fossiles comme alternatives. Dans ce cadre, les forces armées françaises et européennes se doivent de développer une approche stratégique pour leur assurer un approvisionnement énergétique régulier et pleinement adapté à leurs besoins.

1.   Une forte instabilité mondiale pour l’accès aux ressources énergétiques fossiles et alternatives

La situation internationale est marquée par une hausse de la demande globale en énergie, sur fond de rivalités économiques et politiques croissantes autour de l’accès et du contrôle des ressources énergétiques. Cette dynamique concerne tout autant les énergies fossiles, se trouvant dans un déclin inexorable, que les énergies alternatives, sources de nouvelles rivalités géostratégiques.

a.   Un déclin inexorable des énergies fossiles

Malgré les politiques de réduction des émissions carbones et en dépit de la réduction des activités due à la pandémie de Covid-19, le pétrole, le gaz ou le charbon demeurent des ressources stratégiques. Nos modes de vie actuels accordent encore une place majoritaire aux ressources fossiles, en particulier le pétrole et le charbon. La demande en énergies fossiles continue de progresser en raison de la croissance démographique des pays en développement, en particulier en Asie. Ainsi, les besoins énergétiques mondiaux devraient augmenter de 30 % d’ici 2040, horizon auquel les énergies fossiles pourraient encore représenter 80 % du mix énergétique planétaire. L’enjeu est donc de développer les sources durables et renouvelables pour qu’elles puissent répondre au mieux à la hausse de ces besoins, et permettre l’abandon progressif des énergies fossiles.

Au-delà des objectifs environnementaux qui encouragent à passer du fossile au renouvelable, les énergies fossiles se trouvent sur une pente déclinante risquant de remettre en cause leur modèle économique. Si le pétrole conserve une place prépondérante dans le secteur des transports avec 92 % de la consommation, ses gisements conventionnels, c’est-à-dire les plus accessibles et donc les moins coûteux à exploiter, ont tous été découverts. Les champs existants étant en diminution, de l’ordre de 3 à 4 millions de barils par jour, à savoir 4 % de la consommation mondiale, un pic de la production mondiale de carburant liquide pourrait intervenir dès 2030. Face à ce constat, les sources dites « non conventionnelles » se développent, comme l’extraction de pétrole de schiste aux États-Unis, au Canada ou dans l’Arctique. La crise sanitaire a cependant démontré la vulnérabilité de ce secteur aux fluctuations des marchés pétroliers, puisque sa rentabilité repose sur un prix élevé du baril de pétrole, aux alentours de 55 dollars américains.

Au contraire du pétrole, le gaz naturel peut participer à la transition énergétique, en tant qu’énergie fossile la moins émettrice de GES. Ses ressources sont abondantes, avec des réserves encore disponibles pour près d’un siècle, contre seulement trois décennies dans le cas du pétrole. Le gaz peut constituer le maillon clé entre le déclin du pétrole et l’avènement des énergies renouvelables. En raison de cette importance stratégique croissante, sa maîtrise s’accompagne d’une intensification des tensions, en particulier sur le continent européen, convoité à la fois par les Russes et les Américains, cherchant à écouler leurs productions gazières, et ciblé par des investissements massifs venus de Chine.

b.   Des zones de production et de transit marquées par une forte instabilité

À quelques exceptions notables – à l’image de la Norvège, grande productrice pétrolière en Europe du Nord –, les principales zones de production et de transit des énergies fossiles sont le théâtre de tensions géopolitiques récurrentes (rivalités entre puissances régionales, guerres civiles, piraterie, instabilité politique et économique…).

En ce qui concerne les zones de transit, plus de 60 % des flux pétroliers dans le monde et une large part des échanges de gaz naturel liquéfié (GNL) passent aujourd’hui par les mers, soulignant ainsi la nécessité de sécuriser ces routes, souvent déstabilisées par des tensions régionales. Les principaux points de passage énergétiques dans le monde sont :

– le détroit d’Ormuz, où transitent chaque jour 21 millions de barils de pétrole, soit un cinquième de la consommation mondiale et un tiers du pétrole transporté par voie maritime, tandis que la région est depuis longtemps en proie à la rivalité grandissante entre l’Arabie Saoudite et l’Iran ;

– le détroit de Malacca, deuxième voie pour le transit de pétrole avec 16 millions de barils quotidiens, malgré les appétits de la Chine dans la région et la persistance de la piraterie ;

– le détroit de Bab-el-Mandeb et le canal de Suez, respectivement troisième et quatrième points de passage du pétrole (5,5 et 4,6 millions de barils par jour), dans un contexte marqué par la piraterie et la guerre civile yéménite ;

– et le canal du Mozambique, important point de passage commercial également menacé par la piraterie, où ont été découverts des ressources pétrolières et gazières offshore.

Pour ce qui est des zones de production, les récentes évolutions – qu’elles soient liées à la pandémie de Covid-19, aux aspirations de puissances désinhibées, à la volatilité des marchés ou aux changements climatiques – font apparaître des fragilités structurelles, pouvant menacer l’approvisionnement énergétique de la France, de ses partenaires européens et, a fortiori, de leurs armées.

Première énergie au monde, le pétrole représente par exemple 92 % de la consommation du secteur des transports. Bien que l’Arabie Saoudite se soit imposée comme un régulateur du prix du pétrole mondial, la pandémie et les affrontements politiques avec la Russie ont accentué la volatilité du marché. Depuis le début de l’année 2020, ces effets cumulatifs de la Covid-19 et de la chute des prix ont pu fragiliser les pays exportateurs et engendrer des déstabilisations régionales, de surcroît au sein des États avec une économie de rente, dépendante de l’exportation des hydrocarbures et en proie à des tensions internes (Ukraine, Libye, Algérie, Irak et certains pays du Golfe arabo-persique aux faibles revenus comme Bahreïn ou Oman).

Cette volatilité met en péril les projets d’investissement dans l’exploration et l’exploitation des ressources pétrolières, enfermant les États producteurs dans un cercle vicieux qui les maintient dans une instabilité économique et politique chronique, demandant parfois l’intervention des armées étrangères pour apaiser la zone. Ce contexte peu favorable à l’or noir et sa raréfaction progressive deviennent une préoccupation majeure des puissances occidentales, expliquant les recherches de sources non-conventionnelles d’énergie par certains États, comme le gaz et le pétrole de schiste.

Autre ressource abondante et convoitée, le gaz est destiné à prendre une place stratégique dans la modification des consommations mondiales. Son importance se manifeste particulièrement dans le canal du Mozambique, dans l’Arctique et en Méditerranée orientale, où les ressources de gaz offshore ont accru les tensions entre la Turquie et ses voisins européens à l’été 2020, perturbant ainsi l’activité des entreprises étrangères, y compris françaises. Ces dernières années, Ankara cherche en effet à consolider sa stratégie de hub régional – déjà confortée par le gazoduc trans-anatolien (Trans-Anatolian Natural Gas Pipeline, TANAP) ou le TurkStream – en entravant les projets de gazoduc contournant sa zone économique exclusive (ZEE) menés par la Grèce, Chypre et Israël (Eastern Mediterranean pipeline, EastMed pipeline). Ces rivalités sont également alimentées par le GNL, dont des gisements ont été découverts au large du Mozambique (Cabo Delgado), alors que l’instabilité politique et sociale et les conséquences de la crise sanitaire ralentissent les projets d’exploitation, sans toutefois les remettre en cause.

c.   Les nouvelles dépendances stratégiques suscitées par la transition énergétique

Confrontées aux conséquences des changements climatiques (événements extrêmes, vulnérabilité des écosystèmes et déplacements de populations) et aux exigences croissantes de la société civile, les autorités, notamment le ministère des Armées, s’engagent vers les sources d’énergie renouvelables, moins émettrices de GES, et les technologies de stockage permettant de pallier leur intermittence et leur saisonnalité. Cette évolution se décline en deux mouvements concomitants : l’augmentation de la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique français et la hausse considérable de la demande en électricité, stimulée par les technologies numériques et l’électrification des transports.

Une réduction progressive de notre dépendance aux énergies fossiles n’est toutefois pas synonyme d’une réduction des tensions. Au contraire, la transition énergétique place les Armées au cœur de nouvelles rivalités, entourant particulièrement les minerais critiques indispensables aux outils « bas carbone » (batteries, panneaux photovoltaïques, éoliennes, technologies numériques, etc.), que sont le lithium, le cobalt, les terres rares et les métaux des superalliages (tungstène, titane, tantale et niobium). En 2011, l’UE a pour la première fois publié une liste de métaux dits « critiques », au nombre de 27 depuis 2017. Sur ces 27 métaux, l’Union dépend à 97 % d’approvisionnements extérieurs.

Progressivement, l’Europe prend conscience de sa dépendance à ces minerais stratégiques et opère un changement de paradigme : des éléments auparavant considérés comme banals revêtent désormais un caractère essentiel pour notre souveraineté énergétique, à l’image des batteries qui permettent de compenser les désavantages des énergies renouvelables, comme leur intermittence ou leur saisonnalité. Les batteries sont produites à partir de lithium et de cobalt, des minerais soulevant par ailleurs de nombreuses interrogations sociales et politiques. En République démocratique du Congo (RDC), producteur majoritaire sur le marché du cobalt (60 % de la production mondiale), les conditions de travail seraient en effet très éloignées des standards établis par le règlement européen 3TG, entré en vigueur le 1er janvier 2021 pour uniquement quatre minerais : l’étain, le tantale, le tungstène et l’or. En outre, la production de la RDC est presque exclusivement contrôlée par les investissements chinois, à l’image de la mine de Tenke Fungurme dans le Sud du pays, riche en cobalt et en cuivre, détenue à 56 % par l’entreprise China Molybdenum.

En réalité, les terres rares présentent une appellation trompeuse. Leur rareté ne réside pas tant dans les quantités existantes, par ailleurs relativement bien réparties à l’échelle mondiale, mais dans leur extraction, leur séparation, leur raffinage et leur transformation qui nécessitent d’importantes industries. Cette chaîne de valeur se trouve aujourd’hui majoritairement en Chine qui produit plus de 90 % de ces 17 métaux, alors qu’elle ne disposerait que de 44 % des réserves mondiales. La Chine a déployé une stratégie industrielle lui permettant aujourd’hui de bloquer le marché aux Européens et Nord-Américains, comme elle l’a fait en 2010 en suspendant les exportations de terres rares vers le Japon, à la suite d’un incident maritime avec Tokyo. Autrefois acteurs de la chaîne de valeur des terres rares, les pays développés se sont progressivement désengagés de cette industrie polluante et ont opéré des délocalisations vers les pays d’Asie, où les normes environnementales sont moins contraignantes et le coût de la main d’œuvre plus attractif. Conséquence de ce transfert industriel, Pékin a désormais acquis un savoir-faire que les Occidentaux ont presque perdu et peinent à retrouver. En l’état actuel des choses, une réouverture des mines européennes semble peu vraisemblable, eu égard à la forte pollution dégagée, dans un contexte d’importante pression sociétale pour réduire les émissions de GES.

Pourtant, les besoins de l’industrie de défense en minerais critiques continuent d’augmenter et constituent par conséquent un point de préoccupation majeur, nécessitant la mise en place d’une stratégie pour assurer la disponibilité et la sécurité des ressources. À l’heure actuelle, Pékin fournit environ 58 % des matières premières du secteur de la défense. Dans les systèmes d’arme, les métaux rares sont présents sous différentes formes (métalliques, chimiques, composants, poudres…). Ainsi, 32 éléments stratégiques sont présents dans un Rafale, 29 dans un A400 M, 18 dans un char Leclerc, 8 dans un fusil d’assaut de la manufacture d’armes de Saint-Étienne (FAMAS) (dont 6 pour le seul canon), 22 dans un missile, 16 dans une frégate et 20 dans un sous-marin. La directrice générale des relations internationales et de la stratégie du ministère des Armées, Alice Guitton, a indiqué aux rapporteurs avoir entrepris un travail de cartographie des sources et des filières d’approvisionnement dans le domaine des minerais stratégiques, avec l’appui de la Direction générale de l’armement (DGA) et de l’EMA. Ce travail doit être la base de l’agenda des armées, pour assurer la souveraineté technologique et l’autonomie stratégique de la France et de l’UE.

Les minerais rares ne sont pas les seuls à intervenir dans les technologies de la transition énergétique. En 2050, le montant cumulé des métaux de base, à savoir l’acier, l’aluminium et le cuivre, contenus dans les installations hydroélectriques, éoliennes et solaires pourrait être 13 fois supérieur à celui de la production de ces mêmes métaux en 2010. Un quart des réserves de cuivre connues se situant dans des pays à la gouvernance déficiente, leur extraction risque de soulever de nombreux problèmes dans les prochaines décennies, d’autant plus que les cycles sont longs : la mise en exploitation d’une mine de cuivre varie entre 13 et 23 ans.

À l’exception du nickel de Nouvelle-Calédonie, correspondant à 10 % de la production mondiale et utile dans le développement de la technologie NMC (nickel, manganèse, cobalt) pour les batteries lithium-ion, la France ne dispose que de peu de ressources pour affronter la transition énergétique. L’élaboration d’une stratégie avec ses alliés européens apparaît donc indispensable, afin de sécuriser les approvisionnements et de constituer des stocks. Une attention particulière doit être portée à la réduction des quantités et au recyclage des métaux, filière où l’Europe pourrait gagner à porter une ambition industrielle forte. Même si la consommation est marginale en comparaison des volumes consommés par le secteur civil, les métaux critiques sont dimensionnants pour l’industrie de défense et ses besoins énergétiques. À la suite de la crise de la Covid-19, la France a donc porté la constitution d’une souveraineté technologique européenne, déclinée en une chaîne d’approvisionnement spécifique qui pourrait faire office d’amortisseur en cas de choc profond. Sur ce point, les Européens peuvent également s’associer à leurs alliés également concernés par ces enjeux, comme les Australiens ou les Canadiens.

Dans l’élaboration de notre stratégie nationale de transition énergétique, il est important de bien prendre l’intégralité des chaînes de production. La France s’oriente par exemple vers la production locale d’hydrogène, notamment l’hydrogène vert réalisé à partir de l’électrolyse de l’eau. Or, les métaux nécessaires à la construction des électrolyseurs proviennent avant tout du groupe des platinoïdes, principalement localisés en Russie et en Afrique du Sud. Nous devons nous montrer attentifs et vigilants à ce qu’une dépendance – par exemple, au gaz russe – ne soit pas remplacée par une nouvelle – en l’occurrence, aux platinoïdes russes.

En outre, le secteur des énergies renouvelables semble être plus vulnérable aux attaques informatiques, en raison de son caractère récent, numérisé et de la rapidité avec laquelle il se développe. Au vu de cette vulnérabilité, un effort semble indispensable pour garantir la cybersécurité de ce secteur. De manière générale, tout processus de numérisation doit nécessairement impliquer un investissement au moins équivalent pour garantir la cybersécurité du système.

2.   Une approche stratégique de l’accès aux ressources énergétiques par les armées

Compte tenu des fragilités évoquées précédemment, touchant à la fois les énergies fossiles classiques et les énergies renouvelables nouvelles, la France a dû développer une approche stratégique, garantissant l’accès des forces armées à ces ressources. Cette approche va de la sécurisation militaire des zones de production et de transit à la constitution d’interdépendances européennes, en passant par l’indispensable diversification de nos approvisionnements.

a.   Le rôle des armées dans la sécurisation des flux énergétiques

Au cœur de la sécurisation des flux maritimes et des infrastructures critiques, comme les terminaux pétroliers ou les centrales électriques, les armées mènent des actions participant à la réduction des risques et des menaces pesant sur nos approvisionnements énergétiques.

Eu égard à l’immensité des zones concernées, les forces armées déploient des moyens de renseignement et de surveillance (navires, satellites, aéronefs, drones et radars). Grâce aux forces de souveraineté postées à Djibouti, aux Émirats arabes unis, en Côte d’Ivoire et au Gabon, ainsi qu’aux forces de présence en Outre-mer, la France est implantée dans les zones stratégiques de passage des flux énergétiques, ce qui facilite son travail de sécurisation.

En outre, des points d’appui et de déploiement de moyens militaires permanents ou temporaires dans les voies de passage stratégiques pour les approvisionnements énergétiques français participent à cet objectif :

– l’opération européenne Agénor dans le détroit d’Ormuz, volet militaire de l’initiative européenne de surveillance maritime (European-led Maritime Awareness in the Strait of Hormuz (EMASoH), lancée en février 2020 en réaction à l’escalade des tensions dans le Golfe persique et en partenariat avec les alliés américains de l’opération Sentinel ;

– la mission Corymbe dans le golfe de Guinée qui assure la présence d’un porte-hélicoptère amphibie et d’un avion de surveillance maritime dans le cadre du processus de Yaoundé, une coopération avec les États de la région pour améliorer la sécurité des espaces maritimes d’Afrique centrale et d’Afrique de l’Ouest ;

– une frégate présente en permanence en océan Indien et en Méditerranée, avec des renforts apportés par le groupe aéronaval, des avions de patrouille maritime ou le groupe de guerre des mines (GGDM) ;

– des troupes terrestres présentes sur les îles éparses d’Europa et de Juan de Nova dans le canal du Mozambique ;

– la mission Pégase, permettant la projection d’un dispositif aérien d’envergure en Asie du Sud-Est par l’armée de l’air et de l’espace.

LA MISSION EUROPÉENNE DE SURVEILLANCE MARITIME DANS LE DÉTROIT D’ORMUZ

Le Golfe persique et le détroit d’Ormuz ont été le théâtre de nombreux incidents maritimes comme non maritimes en 2019, en raison de l’augmentation des tensions régionales, en particulier entre l’Arabie Saoudite et l’Iran. Ces incidents ont porté atteinte à la liberté de la navigation et à la sécurité des navires et des équipages, y compris européens, et a fortiori des approvisionnements énergétiques et des échanges commerciaux passant par la région. Au vu de ces évolutions, le risque d’un conflit majeur entre pays voisins ne peut plus être exclu au Moyen-Orient.

Dans ce contexte, huit États européens (Allemagne, Belgique, Danemark, France, Grèce, Italie, Pays-Bas et Portugal) ont décidé de lancer la mission européenne de surveillance maritime dans le détroit d’Ormuz (EMASoH), afin de stabiliser cette partie du globe essentielle au commerce international et de procéder à une désescalade des tensions entre puissances locales, en complément des moyens diplomatiques déjà déployés dans la région.

EMASoH est mené dans le respect du droit international, en particulier de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, plus communément appelée « Convention de Montego Bay ». La mission fournit une connaissance et une surveillance renforcées de la situation maritime du Golfe persique et du détroit d’Ormuz.

Située à plus de 2 000 miles nautiques des côtes européennes, cette initiative permet de renforcer l’interopérabilité des marines européennes et réitère l’attachement de l’Europe au droit de la mer et à la liberté de circulation.

Source : ministère des Armées

Cette sécurisation est complétée par des partenariats établis avec des acteurs privés, à l’image de la structure de coopération navale volontaire pilotée par le Maritime Information Cooperation & Awareness Center (MICA Center), organisée par des conventions entre la marine nationale et les armateurs français afin d’établir un échange d’informations relatives à la sécurité des zones sensibles. Les actions des armées se font également au profit des acteurs privés français de l’énergie dans les régions concernées ; ainsi, en cas de crise majeure, les armées ont la capacité d’évacuer les résidents expatriés, employés par les entreprises énergétiques françaises.

Un effort particulier se concentre sur le Golfe arabo-persique, l’Arabie Saoudite, l’Irak, l’Iran, les Émirats arabes unis et le Koweït représentant un tiers de la production mondiale de pétrole. Il s’agit d’une zone de tensions où la France et l’UE ont un devoir de prévention pour assurer la pérennité de leur approvisionnement énergétique et éviter l’escalade : les attaques contre les sites pétroliers saoudiens d’Abqaïq et de Khurais de septembre 2019 en sont la preuve.

Ces incidents imposent de trouver des solutions alternatives, notamment en identifiant de nouvelles sources d’approvisionnement. Il convient toutefois de noter que, quelles que soient les crises, le Golfe persique n’a jamais été fermé.

Les consÉquences du blocage du canal de suez pour les armÉes françaises

Entre les 23 et 29 mars 2021, le canal de Suez a été obstrué par le porte-contenaires Ever Given qui s’est échoué en heurtant le fond du canal. À la réouverture du trafic, plus de 400 navires étaient en attente pour la traversée de cette voie représentant 12 % du commerce international.

Dans un entretien au Figaro, le porte-parole du ministère des Armées, Hervé Grandjean, a été interrogé sur les conséquences pour les forces françaises de l’interruption du trafic dans le canal de Suez, qu’il définit comme une « voie maritime privilégiée pour les déploiements de bâtiments de la marine nationale vers l’océan Indien, l’Afrique de l’Est, le golfe arabo-persique et au-delà vers tout l’espace Indopacifique. »

Le canal de Suez est en effet essentiel pour le déploiement de la marine nationale en mer Rouge ou dans le Golfe arabo persique, où les armées sont engagées pour apaiser les tensions et sécuriser les flux commerciaux et énergétiques.

Si un blocage du canal devait à nouveau survenir, les armées seraient en mesure de contourner le continent africain par le cap de Bonne-Espérance, bien que cette route rallonge de huit à dix jours le temps de trajet. Elles profiteraient alors de leurs nombreux points d’appui leur permettant de se projeter sur une longue durée : le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Gabon, Djibouti et les Émirats arabes unis, sans oublier les territoires d’Outre-mer.

Source : Le Figaro

b.   Une diversification des approvisionnements énergétiques

En matière de fourniture d’énergie ou de matériaux nécessaires à sa production, il est important de réduire les dépendances de la France et de l’UE à l’égard des tiers non européens qui peuvent représenter une source de vulnérabilité pour notre sécurité énergétique, notre souveraineté et l’autonomie de nos forces armées. Les stratégies de diversification des approvisionnements varient cependant selon la ressource dont il est question.

Il convient toutefois de porter un regard nuancé sur la notion de dépendance. 40 % du gaz consommé en France est importé de Norvège, ce qui constitue davantage un partenariat qu’une dépendance, à l’image de l’entente saoudo-américaine autour du pétrole. En outre, l’énergie est souvent source d’interdépendances, les pays producteurs ayant eux-aussi fortement besoin des revenus qu’ils retirent de l’exportation de leurs ressources naturelles.

Sur la sensibilité de ses approvisionnements, la France présente des avantages par rapport à ses partenaires européens. Premièrement, les points clés de passage ne représentent pas la majorité des approvisionnements français en hydrocarbures qui proviennent également de voisins plus proches, comme la Russie dont la production n’emprunte pas ces mêmes routes. Secondement, le développement massif du GNL sur ces dix dernières années a réduit notre dépendance aux oléoducs, le gaz pouvant aussi être transporté par des méthaniers de manière sécurisée.

En définitive, le blocage d’une voie commerciale, comme cela a été le cas du canal de Suez entre les 23 et 29 mars 2021, d’autant plus sur une période limitée, ne présente pas de risque critique pour les approvisionnements français.

i.   Le pétrole

Dans un souci de sécurité et pour éviter toute pénurie, aucun des fournisseurs de pétrole de la France ne l’approvisionne à plus de 15 % de sa consommation. L’Hexagone importe la majeure partie de son pétrole par les mers.

Avec sept raffineries en Métropole et une aux Antilles, la France disposait en 2017 d’une capacité de raffinage équivalente à 70 % de ses besoins. Pourtant, une décennie plus tôt, sa capacité couvrait 93 % des besoins. Cette évolution doit donc constituer un point de vigilance à l’avenir.

Il convient cependant d’indiquer que le marché du pétrole se caractérise par une certaine fluidité, rendant la substitution d’une cargaison par une autre ou d’un fournisseur par un autre assez aisée, à condition que le pétrole corresponde aux critères demandés par les raffineries.

ii.   Le gaz

Le gaz français provient à 40 % de Norvège et à 20 % de Russie mais également d’Afrique du Nord et du Golfe persique. Si certaines crises peuvent avoir un impact sur ses approvisionnements, à l’image du conflit russo-ukrainien en 2013-2014, les conséquences demeurent limitées grâce à de grandes capacités de stockage correspondant à 26 % de la consommation annuelle. Par ailleurs, la France dispose d’importantes capacités d’importation de GNL par voie maritime, en provenance du Qatar, de Russie ou des États-Unis.

À l’échelle européenne, le gaz est devenu un enjeu géopolitique sur lequel s’affrontent Russes et Américains. Première exportatrice vers l’Europe, la Russie cherche à diversifier ses voies d’entrée, en passant par la mer Baltique (Nord Stream 2) et la mer Noire (TurkStream), avec le double objectif de sécuriser ses approvisionnements et de contourner l’Ukraine. Désireux d’exporter leur GNL en Europe, les États-Unis, avec le soutien des pays baltes, ont donc adopté des sanctions contre des entreprises russes présentes dans l’UE et développent une intense stratégie de promotion de leurs ressources (investissements dans des terminaux GNL en Croatie ou en Pologne et corridor Nord-Sud). De son côté, la Chine poursuit également une stratégie de conquête, essentiellement à travers des investissements diversifiés, adossés aux projets des routes de la soie, en Europe mais aussi en Afrique. Les dépendances de la France et de l’UE vis-à-vis de ces pays tiers constituent des sources de vulnérabilités qui doivent être prises en compte.

En effet, ces deux dernières décennies, en dépit des tensions diplomatiques, la dépendance de l’UE aux ressources naturelles russes s’est accrue. Aujourd’hui, la Russie représente la moitié des importations en gaz de l’Union, contre 30 % en 2000. Ce phénomène a été alimenté à la fois par la diminution de la production européenne, due à la raréfaction des ressources en mer du Nord, et l’augmentation de la production russe. Les Européens n’ont pas su réduire leur consommation de gaz et doivent donc en importer, de plus en plus souvent depuis la Russie qui, parallèlement, a augmenté ses capacités d’exportation vers l’Europe, par le Nord et par le Sud.

Une réduction de la dépendance à l’égard de Moscou a été engagée depuis l’annexion de la Crimée en 2014. Le TANAP ou le gazoduc trans-adriatique (Trans Adriatic Pipeline, TAP) qui acheminent du gaz depuis l’Azerbaïdjan jusqu’en Europe du Sud-Est sont désormais privilégiés.

iii.   Le combustible nucléaire

Les 58 réacteurs nucléaires français sont alimentés par 9 000 tonnes d’uranium, provenant de différentes zones dans le monde : le Kazakhstan, l’Australie, le Niger et le Canada sont ses principaux fournisseurs.

iv.   Les minerais stratégiques

Au vu de la dépendance croissante à ces minerais pour la construction des technologies « bas carbone », les Européens réfléchissent à la constitution de chaînes de valeur alternatives à celle aujourd’hui pleinement contrôlée par la Chine. Les associations avec des pays tiers alliés, à l’image de l’Australie, sont prometteuses pour les pays de l’Union.

c.   Un renforcement des interdépendances européennes

Dans un tel contexte, il apparaît nécessaire d’adopter une approche stratégique d’autonomie pour assurer notre souveraineté énergétique au niveau européen. Les énergies fossiles représentent encore une part majoritaire du mix énergétique dans le cas français : environ 70 %, dont 45 % pour le pétrole, 20 % pour le gaz et 2,5 % pour le charbon.

Depuis les traités de Lisbonne, les pays de l’UE ont abouti à un réseau énergétique interconnecté et interdépendant, grâce à un développement normatif et matériel. L’énergie est désormais une compétence partagée entre les États membres et l’Union. La politique de libéralisation conduite par les communautés européennes depuis les années 1980 a mené au découplage des activités de production, de transport et de distribution qui étaient historiquement intégrées en France.

Cependant, l’UE est passée d’une approche presque exclusivement libérale dans les années 1990 (intégration par les normes, les réseaux et les marchés) à une approche sécuritaire et environnementale dans les années 2000, en se donnant comme objectif d’assurer la sécurité d’approvisionnement de l’UE, la compétitivité du secteur énergétique et la durabilité du modèle.

Des normes techniques communes ont été élaborées par les gestionnaires de réseaux afin d’établir des mécanismes de coopération en cas de crise et de développer une vision commune des réseaux intégrés. Par conséquent, les choix politiques des autres États membres, en particulier frontaliers, peuvent avoir des conséquences sur les systèmes français, aussi bien au niveau du prix de l’énergie que de l’équilibrage des flux selon les saisons. Ces interdépendances concernent avant tout le secteur de l’électricité, dans lequel l’UE ambitionne de développer un grand réseau européen intégré, permettant aux États membres d’échanger 15 % de leur production nationale avec leurs voisins. L’objectif est triple : créer des économies d’échelle sur l’ensemble du continent, établir une concurrence entre les différentes sources d’énergie et réguler l’écoulement d’électricité issue de sources renouvelables en raison de leur intermittence et de leur saisonnalité.

Réseau de transport d’électricité (RTE), le gestionnaire du réseau public de transport d’électricité en France métropolitaine, a ainsi indiqué aux rapporteurs avoir des contacts quotidiens avec ses partenaires européens. La sécurité de l’approvisionnement électrique se conçoit en effet à l’échelle européenne, et à ce titre, RTE opère la gestion d’une cinquantaine d’interconnexions avec les pays frontaliers. Le 8 janvier 2021, un incident croate a eu des répercussions en France, ce qui témoigne de la forte interconnexion européenne ; la coopération a permis de rétablir très rapidement la fréquence (50 hertz). Nos modèles à long terme doivent ainsi nécessairement intégrer les politiques énergétiques de nos voisins européens.

Néanmoins, l’interconnexion du réseau d’infrastructures énergétiques français à l’échelle européenne génère des vulnérabilités techniques et politiques, et les nouveaux risques terroristes ou cybers ne sauraient être ignorés de nos stratégies pour assurer la résilience des armées.

 

B.   Le ministère des armées a édité une stratégie énergétique de défense en 2020 pour impulser une dynamique de transition énergétique À destination des armées

1.   Une stratégie basée sur le constat d’une forte consommation énergétique par le ministère des Armées

La consommation énergétique mondiale n’a cessé de croitre depuis le début du XXe siècle, pour atteindre aujourd’hui des niveaux inégalés. Les projections pour l’avenir ne font que confirmer cette tendance. Dans le domaine des armées, une augmentation des besoins en carburant pour les matériels terrestres ainsi qu’une forte dépendance à l’électricité sont les deux tendances principales. Or, l’énergie est une source de coût financier et logistique tant sur le territoire national pour les entrainements qu’en opération intérieure ou extérieure. En particulier, la consommation énergétique des systèmes d’armes est en progression constante, à cause de la mobilité accrue, de l’électrification, de la performance croissante des systèmes d’information et de communication ainsi que des capteurs, et du recours grandissant à la climatisation en OPEX. Cette consommation n’est pas uniquement le fait des systèmes d’armes et des infrastructures mais est également le fait des soldats qui sont de plus en plus équipés de matériels énergivores. Le processus de robotisation ainsi que le recours accru aux drones sur les théâtres d’opération devraient également entrainer une hausse des besoins en énergie.

En 2019, le ministère des Armées a consommé 835 000 m3 de produits pétroliers pour un coût total de 667 millions d’euros et plus de 2,6 térawatts heure ont été délivrés aux infrastructures pour un coût de 222 millions d’euros. Dans le secteur du bâtiment, les émissions annuelles de GES s’élèvent à 450 000 tonnes d’équivalent CO2, soit 0,5 % des émissions nationales. La part consacrée à l’énergie de mobilité s’élève à environ 75 % de la consommation totale du ministère des Armées, contre 25 % pour l’énergie nécessaires aux infrastructures. Le carburant consommé est principalement le carburéacteur à usage aéronautique, qui représente 50 % de la consommation, contre 25 % pour la Marine nationale et 20 % pour l’armée de Terre. Au total, la part du ministère des Armées dans la consommation nationale de carburant représente 0,8 %, dont 0,2 % des carburants terrestres, 5 % des gazoles de navigation et 7 % du carburéacteur.

rÉpartition des consommations du ministÈre des armÉes par usage

Source : ministère des Armées

En dehors des carburants, les énergies consommées par le ministère des Armées comprennent l’électricité (44 %), le gaz (41 %), le fioul (6 %), la chaleur issue des réseaux de chaleur urbains (RCU) (4 %) et d’autres sources d’énergie telles que le charbon, le solaire thermique ou la biomasse. Les projections sont telles qu’il peut légitiment être attendu que la part de l’électricité, déjà prépondérante aujourd’hui, continue de croitre à l’avenir, notamment à cause de l’informatisation, le développement de la simulation ou le processus d’hybridation.

2.   Deux acteurs majeurs dans le cadre de la stratégie énergétique de défense : le service de l’énergie opérationnelle et le service d’infrastructure de la Défense

Au sein du ministère des Armées, l’énergie est délivrée et gérée par deux principaux opérateurs : le service de l’énergie opérationnelle (SEO) pour l’énergie de mobilité et le SID pour l’énergie d’infrastructure.

a.   Le service de l’énergie opérationnelle

Le SEO, anciennement appelé « service des essences des armées », est un service interarmées dépendant de l’EMA. Il assure le soutien pétrolier pour l’ensemble des carburants, des lubrifiants et de divers produits associés. Au-delà des trois armées et services, tous les organismes du ministère des Armées peuvent bénéficier de ses prestations. À ce jour, ce soutien s’étend au-delà du ministère des Armées et concerne notamment la Gendarmerie nationale et la Sécurité civile.

 

 

Le ravitaillement des forces en produits pétroliers donne au SEO un double rôle :

 – d’une part, celui de responsable de l’approvisionnement pour tous les produits pétroliers indispensables au soutien des forces ;

– et d’autre part, celui de soutien direct des forces, responsable de la distribution terminale au plus près de l’utilisateur (navire, aéronef ou camion-citerne tactique).

Pour l’exercice de ses attributions, le SEO est composé :

– d’une direction centrale, qui dirige et coordonne le fonctionnement du service sous les ordres directs du directeur central ;

– d’une direction de l’exploitation et de la logistique pétrolières interarmées (DELPIA), qui dirige et soutient les dépôts en métropole, passe les marchés, gère et assure les missions techniques des infrastructures et matériels et pétroliers ;

– d’une base pétrolière interarmées (BPIA), responsable de la formation et de l’entraînement des personnels, de la mise sur pied des détachements opérationnels pour les OPEX et de leur soutien ;

– d’un centre d’expertise pétrolière interarmées (CEPIA), pour le contrôle qualité des produits, le développement et l’expertise ;

– de détachements de liaison outre-mer et auprès de tous les grands états-majors ;

– et de 35 dépôts en métropole (28 dédiés ou multifonctions auprès des bases aériennes, navales, aéronavales, de l’aviation légère de l’armée de Terre (ALAT), 5 annexes et 2 externalisés) et de 9 dépôts outre-mer ou à l’étranger (hors OPEX).

Par ailleurs, le SEO joue le rôle de conseiller technique du ministère des Armées pour les questions pétrolières. À ce titre, il assume trois attributions, parfois partagées avec d’autres organismes des armées :

– la définition des spécifications et l’homologation des produits pétroliers et assimilés nécessaires aux armées et à la Gendarmerie nationale ;

– la définition, la réalisation et le soutien des matériels pétroliers ;

– et le contrôle technique et l’expertise des produits pétroliers

b.   Le service d’infrastructure de la Défense

Le SID a été créé en 2005, suite à la fusion de plusieurs directions, mais il n’a été réellement constitué qu’à partir de 2011 avec la création des USID rattachées aux établissements du service d’infrastructure de la Défense (ESID). Ses effectifs ont baissé de 41 % entre 2005 et 2020 (de 11 500 à 6 700 personnes) tandis que son plan d’engagements a augmenté de 1,1 milliard d’euros entre 2008 et 2020 (de 1 à 2,1 milliards d’euros, hors crédits consacrés à l’énergie). Le SID se fixe comme objectif d’atteindre les 2,5 milliards d’euros d’engagement de crédits d’ici 2025.

Au niveau national, le SID est composé d’une direction centrale, et d’un réseau composé de 7 ESID et de 50 USID répartis sur le territoire métropolitain. Par ailleurs, 9 directions d’infrastructure de la Défense (DID) sont réparties dans les DROM-COM et à l’étranger. Le SID s’appuie également sur son centre d’expertise des techniques d’infrastructure de la Défense (CETID) et sur l’école nationale supérieure des ingénieurs de l’infrastructure militaire (ENSIM).

Le SID a pour rôle principal de gérer le patrimoine immobilier du ministère des Armées (construction, maintenance et exploitation), qui, à lui seul, représente 40 % du parc immobilier de l’État. Depuis 2010, le SID est aussi responsable de l’achat et de la maitrise des consommations énergétiques pour les infrastructures, d’où son rôle et sa compétence en matière de transition énergétique des infrastructures. Par ailleurs, le SID est également impliqué dans la dissuasion, participe au contrat opérationnel des armées en OPEX et, via ses ESID, gère les marchés publics dans son domaine de compétence.

Aujourd’hui, le SID est composé de 6 700 collaborateurs, dont les deux tiers sont des personnels civils. Elle notifie plus de 20 000 marchés par an et a acheté pour plus de 217 millions d’euros en énergie (électricité et gaz, hors biomasse). Il représente 4 100 immeubles et 2,8 milliards de m2 de terrain (soit l’équivalent de la surface de Paris et de sa banlieue) ainsi que 30,5 millions de m2 de surface bâtie active.

Le SID intervient sur 4 segments :

– la dissuasion, pour la conception et le soutien des infrastructures de la composante océanique et des BA à vocation nucléaire ;

– la prévention des crises, par son intégration au sein des forces pré-positionnées dans les DROM COM et à l’étranger ainsi que dans les plans de crise en métropole (notamment en cas de catastrophe écologique, naturelle ou technologique) ;

– la projection, pour la conception et le soutien du stationnement en OPEX (pour l’ensemble des infrastructures depuis l’hébergement au dimensionnement et à l’installation des dépôts de munitions, la production et la distribution d’énergie électrique par l’installation de centrales et des réseaux, l’alimentation et le traitement des eaux par l’installation d’unités de traitement d’eau, etc) ;

– et les infrastructures opérationnelles, pour la conception et le maintien en condition des aéroports, des ports, des espaces d’entrainement et des hôpitaux.

Enfin, le SID a mené plusieurs projets en matière de transition énergétique. À titre d’exemple, une ferme solaire a été installée à Istres, dont les panneaux chauffent un circuit primaire d’eau chaude qui, à son tour, alimente un service secondaire. Le camp du plateau d’Albion est alimenté par une centrale biomasse et une centrale solaire, et le camp de Mailly est chauffé par la plus grande centrale biomasse d’Europe.

3.   Une stratégie fondée sur le trilemme énergétique « consommer moins, consommer mieux et consommer sûr »

La politique du ministère des Armées en matière de transition énergétique dans le cadre de la stratégie énergétique de défense comprend deux volets : la SMPE 2020-2023 (cf. supra) et la politique de l’énergie opérationnelle. Cette dernière repose sur 4 points essentiels :

– la transition énergétique comme facteur de supériorité opérationnelle ;

– la transition énergétique comme atout, pour permettre aux forces de combattre de manière plus autonome et d’économiser l’énergie ;

– l’écoconception des systèmes d’armes, afin d’intégrer le facteur énergétique dans le développement capacitaire en amont dans le cadre des programmes d’armement ;

– et le développement de technologies de rupture pour parer les effets du dérèglement climatique sur les équipements.

Au titre de cette stratégie, le ministère des Armées a développé un triptyque qui résume son ambition en matière de transition énergétique : consommer mieux, consommer moins et consommer sûr.

Le volet consacré à la réduction de la consommation a trait aux risques pesant sur l’approvisionnement énergétique des armées (consommer sûr). Les menaces pesant sur l’approvisionnement énergétique des forces identifiées par la stratégie énergétique de défense sont de deux ordres : la sécurisation des flux d’approvisionnement à l’échelle internationale d’une part (cf. supra), et la réduction des menaces induites par le risque cyber. Elles concernent donc l’accès aux ressources et la hausse de la compétition pour y accéder, la vulnérabilité des chaines d’approvisionnement – en particulier en OPEX – et le risque cyber. L’approvisionnement énergétique des forces est une condition sine qua non pour permettre aux armées de bénéficier d’une liberté d’action dans le cadre de leurs opérations. Toute faiblesse dans les manœuvres logistiques entrainement un stress pouvant entraver l’atteinte des objectifs opérationnels, comme ce fut le cas notamment en Afghanistan.

Par ailleurs, le ministère des Armées s’intéresse aussi aux autres sources d’énergie (consommer mieux), qu’il faut cependant « dérisquer », telles que les gaz ou l’hydrogène, qui sont déjà utilisées dans le secteur civil. Concernant l’hydrogène, produite par électrolyse de l’eau – technique qui permet d’émettre de l’eau et non du CO2, ce qui présente un intérêt majeur en termes de réduction des GES –, le principal problème concerne son stockage et sa production. À cet égard, le ministère des Armées est attentif aux avancées du secteur civil afin de l’utiliser pour ses systèmes d’armes, en particulier eu égard aux problématiques de coût encore prohibitif des énergies alternatives par rapport aux énergies fossiles et à l’encombrement qu’elles génèrent.

Le recours à l’énergie électrique présente également un intérêt mais, à ce stade, le marché est trop coûteux et pas suffisamment opérant. Cette source d’énergie est une technologie de rupture potentielle qui ne sera pleinement opérante qu’après avoir résolu les problématiques liées à la masse des batteries. Pour l’instant, le ministère des Armées mise plutôt sur l’hybridation des moteurs, comme pour les Griffon, qui, pour l’instant, ne sont pas hybrides mais pour lesquels un démonstrateur est en cours de développement à horizon 2025 pour une mise en service à partir de 2028 ou 2030. Des projets d’hybridation sont également retenus pour le véhicule blindé de combat d’infanterie (VBCI) et les camions dans le cadre d’un programme spécifique. On estime que l’hybridation du Griffon pourrait permettre un gain de carburant de 10 à 15 % ainsi que des progrès en termes de furtivité par une réduction du bruit et un accroissement de la mobilité. La piste de l’hybridation est également évoquée dans le cadre des grands programmes d’armement comme le Main Ground Combat System (MGCS) d’ici 2040. De plus, le ministère des Armées s’intéresse au recours au raccordement de véhicules blindés d’aide à l’engagement (VBAE) afin de générer un réseau collaboratif électrique permettant de recharger et d’alimenter les véhicules. La notion d’« énergie collaborative » permet d’éviter le recours à un groupe électrogène mis sur une plateforme dédiée à cet effet.

Enfin, pour réduire la consommation énergétique du ministère des Armées (consommer moins), la stratégie énergétique de défense mise principalement sur le recours aux simulations et l’évaluation des besoins énergétiques futurs afin de mieux les anticiper. Concernant la simulation, aujourd’hui, les pilotes font beaucoup d’heures de vol par simulateur pour éviter de consommer du carburéacteur. Dans le domaine terrestre, des progrès notables ont été menés en la matière. Mais cela suppose de mettre à disposition des outils de simulation suffisamment performants. Par ailleurs, par la maitrise et l’optimisation de ses consommation, le ministère des Armées entend répondre à un enjeu de réduction de son empreinte énergétique, de son empreinte logistique et, in fine, de son empreinte environnementale.

Concernant ce dernier volet, il ressort des diverses auditions menées par les rapporteurs que la réduction de la consommation demeure, à tort, le parent pauvre du triptyque, alors que, comme l’a indiqué une personne auditionnée, « le seul carburant qui émet 0 % de CO2 est celui qu’on ne consomme pas ». Les rapporteurs estiment donc qu’il est nécessaire d’établir une feuille de route claire, à la charge du COMEX, pour impulser une politique de sobriété énergétique dans l’ensemble des armées, directions et services du ministère des Armées (hors OPEX), eu égard au caractère fondamental de la réduction de la consommation énergétique pour l’atteinte des objectifs fixés par la SMPE 2020-2023 à l’horizon 2030 et, par extension, des objectifs fixés par l’accord de Paris à horizon 2050.

4.   Une nouvelle gouvernance adaptée aux besoins et aux ambitions du ministère

L’énergie est par essence un domaine transverse qui nécessite une forte coordination entre les armées, directions et services du ministère. Avant l’annonce de la stratégie énergétique de défense, l’énergie était appréhendée de manière dispersée et cloisonnée entre les différents services. Afin d’y remédier, une nouvelle gouvernance a été mise en place par la stratégie énergétique de défense qui comprend deux niveaux principaux :

– un comité exécutif (COMEX), qui se réunit une fois par an, ou sur décision de la ministre des Armées, pour arbitrer les grandes décisions en matière de transition énergétique ;

– et un comité ministériel énergie (CME), qui se réunit une à deux fois par an afin de coordonner et d’organiser la mise en œuvre de la stratégie énergétique de défense.

Par ailleurs, un autre niveau concerne les quatre piliers thématiques, constitués autour des divers domaines qui concernent l’énergie :

– le pilier « relations internationales et stratégie », piloté par la DGRIS, dont le rôle est de produire des analyses stratégiques sur les enjeux géopolitiques relatifs aux domaines de l’énergie afin de permettre au ministère des Armées de consommer sûr (par l’identification des zones géographiques pour lesquelles l’énergie est un facteur structurant afin de sécuriser les flux d’approvisionnement) ;

– le pilier « énergie opérationnelle », piloté par la division « énergie opérationnelle » de l’EMA, dont le rôle est de traiter, hors du domaine du nucléaire, les questions relatives aux énergies nécessaires aux fonctions opérationnelles des armées ;

– le pilier « capacitaire et innovation », piloté par la DGA et l’AID, dont le rôle est d’élaborer les choix en matière d’énergie sur le plan capacitaire, d’assurer la cohérence des actions et des coopérations touchant à l’énergie dans les plans et programmes d’armement, et de soutenir l’effort d’innovation en matière de transition énergétique ;

– et le pilier « énergie des infrastructures », piloté par le SID, qui traite l’ensemble des questions relatives aux énergies consommées par le parc immobilier du ministère des Armées et ses équipements.

La mission de chaque pilier est d’assurer que la thématique de l’énergie est suffisamment prise en compte au sein du ministère des Armées. Chaque pilier pourra mener des réflexions et des travaux de manière autonome.

Par ailleurs, une division « énergie opérationnelle » au sein de l’EMA a été créée en septembre 2020 dans le cadre de la stratégie énergétique de défense. Sa création a été motivée par la montée en puissance des énergies alternatives et au souci croissant de préservation de l’environnement. Son rôle sera de piloter l’ensemble des activités relatives à l’énergie opérationnelle au sein du ministère des Armées, et en particulier dans le cadre de la stratégie énergétique de défense. La division sera l’instance qui pilotera l’action de chacun des acteurs de la stratégie énergétique de défense dans le domaine des activités opérationnelles. L’objectif de la division « énergie opérationnelle » de l’EMA est de faire de la transition énergétique un atout opérationnel pour les forces armées, ainsi qu’une source de résilience et d’opportunités. Cet objectif sera au cœur de la politique de l’énergie opérationnelle.

La création de la division « énergie opérationnelle » de l’EMA a également pour objectif de coordonner l’action de l’ensemble des acteurs concernés par la transition énergétique au sein du ministère des Armées : le SEO, mais également le SID, la DGA ou encore la DGRIS. Ainsi, le but de la division est que le chef d’état-major des armées (CEMA), qui est, in fine, le garant du bon déroulement des opérations militaires, coordonne l’action du ministère des Armées relative à la transition énergétique des armées et qu’il s’assure que les acteurs sont en phase avec les besoins opérationnels. L’objectif est également de renforcer la résilience des armées en cas de survenance d’une crise, car même si celle-ci est déjà une réalité, son renforcement devra être une préoccupation dans les années à venir.

LE RÔle de la DGA pour la transition Énergétique des armÉes

La dimension environnementale est prise en compte depuis plusieurs années par la DGA et s’inscrit dans la démarche dite « capacitaire renforcée » dont l’objectif est d’intégrer le plus en amont possible les changements à venir tels que l’évolution des menaces à horizon de 30 ans ainsi que les conditions de déroulement des opérations militaires. Aujourd’hui, la démarche environnementale « s’intègre naturellement dans la démarche capacitaire ». Deux facteurs principaux expliquent cette intégration :

– le dérèglement climatique, avec ses conséquences sur les activités militaires, et au sujet duquel un retour d’expérience (RETEX) a pu être fait notamment grâce aux enseignements tirés des OPEX comme Barkhane concernant l’évolution des équipements en service mais également pour la conception des équipements futurs. À titre d’exemple, des leçons ont été tirées quant au déploiement d’hélicoptères dans un environnement sablonneux, qui a entraîné des difficultés en termes de maintien en condition opérationnelle (MCO) ;

– et la transition énergétique, eu égard à la hausse constante de la consommation en énergie des systèmes d’armes du fait de la multiplication des équipements, du recours accru aux systèmes de climatisation dans des environnements chauds en OPEX ou encore de la hausse des performances. L’étude « Gestion ÉNergétique OPTimisée des plateformes militAIREs » (GENOPTAIRE) est une des études menées par la DGA pour améliorer la gestion de l’énergie à bord des plateformes militaires pour les trois armées.

Par ailleurs, la DGA souhaite faire de l’efficacité énergétique un atout opérationnel et un facteur de supériorité sur le terrain. Pour ce faire, le service d’architecture du système de défense (SASD) a décidé de prendre systématiquement en compte un volet énergétique dans la conduite et la préparation des opérations d’armement. Concrètement, cela se traduit par la fixation d’exigences d’écoconception et d’efficacité énergétique en amont des programmes d’armement. Par exemple, le programme de patrouilleur outre-mer (POM) a fait l’objet d’une mise en compétition dont un des critères était celui relatif à l’efficience énergétique. Il en va de même pour le programme de patrouilleur océanique (PO). Dans le domaine naval, en 2021, 8 chalands multi-mission (CMM) ont été équipés de moteurs hybrides. Dans le domaine terrestre, des travaux sont en cours pour l’élaboration de blindés hybrides afin d’améliorer les performances du véhicule blindé multi-rôles (VBMR) Griffon et du VBCI. Enfin, des travaux sont menés pour l’hybridation des futurs chars dans le cadre du MGCS et des travaux sont menés dans le domaine de l’aviation de combat pour améliorer l’efficacité de la gestion énergétique à bord.

En outre, la DGA mise sur la captation des innovations issues du secteur civil pour les décliner dans le domaine de la défense. À plus long terme, la DGA étudie l’intérêt et la faisabilité des nouvelles technologiques de l’énergie – en particulier l’hydrogène – sur les plateformes aéroterrestres en tenant compte des contraintes militaires dans le cadre de l’étude technico-opérationnelle (ETO) « ENERTOP » lancée en 2020. Avec l’Agence de l’innovation de défense (AID), la DGA s’intéresse aux initiatives issues du plan de relance, et en particulier son volet relatif à l’accélération de la filière hydrogène décarbonée. À ce titre, la DGA travaille avec la Direction générale de l’aviation civile (DGAC) pour coordonner leurs feuilles de route mutuelles en matière de propulsion.

C.   La transition énergétique des armées : un domaine aux enjeux variables selon les milieux et investi par la base industrielle et technologique de dÉfense

1.   Le milieu terrestre : un recours croissant à l’hybridation prometteur permettant un gain opérationnel

a.   L’hybridation des véhicules terrestres : un défi prometteur mais encore relativement théorique

Les véhicules terrestres militaires consomment toujours plus d’électricité. De ce point de vue, l’hybridation de la motorisation couplée à une gestion optimisée de l’énergie apparait comme une solution d’avenir. La faisabilité et l’intérêt de l’hybridation dépend du type de véhicule et de l’usage qu’il est prévu d’en faire, mais, de manière générale, ce processus apporte non seulement des gains opérationnels conséquents mais également un surcroît de puissance électrique, une plus grande furtivité, voire une économie de carburant.

Désormais, l’hybridation est intégrée dès la conception des véhicules terrestres. Dans le cas du Griffon, des réserves de volume ont été allouées pour potentiellement intégrer un moteur hybride dans les dix prochaines années. Le groupement momentané d’entreprises constitué par Nexter, Thales et Arquus a proposé cette possibilité à la DGA au regard des caractéristiques du véhicule, à la fois utile au combat et en logistique. La stratégie énergétique de défense évoque le développement en 2022 d’un démonstrateur d’hybridation de blindés pour fournir les critères de choix de motorisation du Griffon en 2025.

Il convient néanmoins de rappeler les contraintes spécifiques du milieu militaire pour le déploiement de l’énergie électrique. Si un parc de véhicules terrestres 100 % électriques est envisageable en milieu urbain et pour de petits déplacements avec des véhicules légers, cela n’est pas le cas en OPEX, où les véhicules sont soumis à des contraintes environnementales bien plus fortes. Par exemple, le sable rend presque impossible l’utilisation d’un moteur en mode électrique ; seul le mode thermique est fonctionnel. Or, diminuer le moteur thermique par une hybridation a pour effet de réduire la vitesse et de progresser plus difficilement sur les terrains durs. Cela peut donc être dangereux sur le plan opérationnel.

Il est par conséquent préférable de différencier les usages : un char électrique est difficilement concevable, mais la déclinaison des technologies civiles sur des systèmes ayant moins de contraintes de combat peut constituer une piste. Sur ce point, l’hydrogène pourrait être une source intéressante. En effet, les puissances délivrées pourront correspondre aux besoins des forces, une fois que les problèmes de conservation de l’hydrogène et de fabrication des combustibles seront réglés et compatibles avec l’environnement militaire.

Or, à ce stade, hormis l’hybridation du Griffon, le processus d’hybridation du secteur civil ne peut pas être décliné directement dans le domaine militaire. Il convient d’abord de lever les risques liés à l’intégration de batteries lithium-ion, et en particulier les risques d’inflammation ou d’explosion en environnement balistique, d’emballement thermique en températures extrêmes ou encore de vieillissement prématuré. Si une coopération européenne s’est formée autour des processus d’hybridation via l’Agence européenne de défense et si des fonds européens ont récemment été accordés aux recherches sur l’hybridation, toutefois, l’ensemble des États européens sont actuellement au même niveau, et aucun système hybride n’est en service. De leur côté, les Américains, qui bénéficient de financements importants et de capacités de recherche supérieures, disposent de nombreux démonstrateurs hybrides, mais n’ont pas non plus de système en service.

b.   L’hybridation : une opportunité à condition de maitriser le processus de standardisation

L’hybridation constitue donc, théoriquement à ce stade, une grande opportunité pour les armées dans la mesure où cela permet des gains en termes de consommation énergétique mais également de performance, de discrétion et de furtivité. Néanmoins, l’enjeu principal à cet égard est celui de la standardisation. Les batteries devront répondre à des normes de conception fixées à l’échelle européenne. Or, à cet égard, la France doit impérativement mener des négociations pour éviter que des normes inadaptées ou « imposant des désavantages compétitifs » vis-à-vis des autres acteurs européens soient imposées par l’UE. L’Allemagne est très active en matière de standardisation car, selon le GICAT, « c’est par ce biais qu’elle défend ou soutient ses industries ». La France ne s’investit pas assez dans ce domaine alors qu’il s’agit « d’une arme de puissance et de souveraineté considérable ».

la prise en compte de la transition ÉnergÉtique des systÈmes d’armes par arquus

Le groupe Volvo, dont Arquus est une des filiales, a pris des engagements depuis une dizaine d’années en matière de réduction des émissions de GES. Dans le cadre du programme Climate Savers de WWF, le groupe Volvo ainsi qu’Arquus se sont engagés depuis 2010 à réduire leurs émissions de GES tant au niveau de l’activité de l’entreprise qu’au niveau des matériels produits. Depuis 2013, le groupe Volvo, dont Arquus, a réduit ses émissions de GES de plus de 30 %. De plus, le groupe Volvo, dont Arquus, a également pris des engagements en matière environnementale. Par ailleurs, dans le cadre de la Science Based Targets initiative (SBTi), le groupe Volvo s’est engagé à développer des solutions de transport sans énergie fossile et à réduire l’empreinte environnementale de ses productions. Plus précisément, Arquus s’est engagé, comme le groupe Volvo, à contribuer à la neutralité carbone en 2050 et à proposer des produits dont le fonctionnement ne nécessite pas de recourir aux énergies fossiles. Pour ce faire, Arquus, comme le groupe Volvo mise sur les biocarburants durables, l’électrification, l’amélioration de l’efficacité énergétique, la réduction de la consommation de carburant et, à plus long terme, sur l’hydrogène.

Cependant, pour le secteur de la défense, les ambitions doivent nécessairement être mises en perspective avec les enjeux opérationnels des armées. Les matériels ont des durées et des cycles de vie très longs et sont utilisés dans des contextes particuliers, notamment en OPEX. Aujourd’hui, Arquus mise sur l’hybridation des véhicules, ce qui permet de réduire l’empreinte environnementale tout en gardant l’autonomie et l’efficacité des systèmes. En matière d’écoconception, Arquus s’est engagé à réduire l’empreinte environnementale du Griffon, voire du Jaguar, dans le cadre du programme SCORPION, mais également dans le cadre d’un plan d’études amont (PEA) sur l’optimisation de la fabrication des protections anti-blast et des pièces de rechange pour véhicules légers (OPTIFAB) pour les technologies relatives à la fabrication additive ainsi que pour les véhicules tactiques de combat des forces spéciales (VTCFS).

Arquus s’est engagé dans l’hybridation des systèmes d’armes depuis 10 ans, notamment avec le développement dans le cadre d’un PEA du véhicule de l’avant blindé (VAB) Electer. Ce véhicule dispose d’une autonomie supérieure de 15 % grâce à son hybridation et voit ses capacités augmenter en matière de production et de stockage d’énergie, d’esquive ou de furtivité. Aujourd’hui, le ministère des Armées envisage d’hybrider le Griffon ainsi que les VBCI. Par ailleurs, le Jaguar et les camions tactiques ainsi que les chars Leclerc en voie d’obsolescence (en attendant le MGCS) devront également être hybridés. Enfin, le Scarabée présente une architecture innovante et son hybridation en fait un véhicule présentant des avantages majeurs pour les armées en matière de reconnaissance.

Par ailleurs, l’optimisation de l’énergie permettrait jusqu’à 38 % d’économie de carburant, en incluant l’hybridation. La gestion optimisée de l’énergie grâce à l’intelligence artificielle (IA) permet une gestion adaptative en temps réel de l’énergie en fonction des caractéristiques de l’environnement, ce qui permet de prioriser les performances de mobilité en mission de combat et de limiter la consommation en mission de ralliement.

La mobilité prédictive permet de faire une analyse de traficabilité automatisée d’itinéraires basée sur des données géographiques et météorologiques ouvertes et des données provenant d’un drone d’ouverture d’itinéraire avec une dimension d’auto-apprentissage. Cette méthode permet de prévoir le passage des convois, de rechercher automatiquement des itinéraires de contournement et d’anticiper le franchissement d’obstacles.

En outre, la technique du smart grid permet de mutualiser l’énergie par la connexion de matériels hybrides qui stockent de l’énergie qu’ils peuvent fournir une fois de retour à la base opérationnelle avancée (BOA) en guise d’énergie supplémentaire. Grâce à cette technique, le véhicule peut également se transformer en groupe électrogène pour produire de l’énergie.

Enfin, Arquus mise à moyen, voire à long terme, sur les moteurs à hydrogène à combustion interne ainsi que sur les piles à hydrogène, et en particulier en vue d’un appel à projets dans le cadre du plan de relance pour lequel la DGA l’a sollicité. Arquus doit proposer un démonstrateur de levée de risques, en particulier celui relatif à son stockage. Deux projets vont être proposés à l’Agence de la transition écologique (Ademe) et à la région Auvergne-Rhône-Alpes pour étudier les risques induits par le recours à cette source d’énergie en milieu hostile.

2.   Le milieu aéronautique : des développements du secteur civil intéressants mais qui demeurent limités pour les armées à court terme

a.   Le défi environnemental a été pris en compte par les industriels du secteur aéronautique de défense

L’environnement fait partie des défis actuels de l’industrie aéronautique française, aux côtés de la concurrence accrue, de la sécurité des vols et du maintien de la sûreté au meilleur niveau. L’industrie aéronautique a des cycles de développement très longs et doit être en mesure de réparer les équipements sur l’ensemble de leur vie, à savoir sur des dizaines d’années. Il convient de rappeler que le transport aérien a été le premier secteur économique à s’engager dans la réduction des émissions de GES au niveau mondial. Il représente actuellement 2 % des émissions mondiales. Dès 2009, lors de la COP15 de Copenhague, la filière s’est engagée dans l’objectif ambitieux de diviser par deux ses émissions entre 2005 et 2050, malgré la croissance du trafic. Cela place le secteur en cohérence avec la limitation du réchauffement climatique à 2°C par l’accord de Paris.

En France, le Conseil pour la recherche aéronautique civile (CORAC) a été créé dans le cadre du Grenelle de l’environnement. Il rassemble les industriels, les compagnies aériennes, les aéroports, la DGAC, l’Office national d’études et de recherches aérospatiales (ONERA), le groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS) et les services des ministères concernés (notamment la DGA). Son objectif est de mettre en œuvre des actions de recherche et d’innovation afin d’atteindre les objectifs environnementaux, ainsi que de renforcer la compétitivité du secteur. La crise de la Covid-19 n’a pas changé ces engagements : elle les a au contraire accélérés. Suite à l’annonce du plan de relance, les travaux du CORAC sont orientés sur un avion décarboné à horizon 2035.

En outre, la France et l’UE comptent parmi les règlementations environnementales les plus ambitieuses au monde. La règlementation relative aux ICPE en témoigne : L’utilisation de produits dangereux est surveillée via des autorisations préfectorales. Ces obligations s’imposent également aux entreprises de la BITD. Grâce à ce cadre réglementaire, la France est en pointe sur le reporting environnemental des sociétés, depuis maintenant une vingtaine d’années.

L’immense majorité des industriels ont pris les enjeux environnementaux en compte, que ce soit dans leurs produits ou bien sur leurs sites industriels. Les bilans des émissions de GES sont obligatoires pour les sociétés de plus de 500 personnes depuis le Grenelle de l’environnement, tout comme les audits environnementaux pour les sociétés avec plus de 250 employés. En outre, les entreprises ont d’elles-mêmes compris l’intérêt lié à l’économie circulaire : en réduisant leurs consommations, elles réduisent aussi leur facture. Les industriels vont donc parfois au-delà de la réglementation en vigueur, en affichant des objectifs volontaires de réduction. Dans son dernier rapport annuel, Airbus s’engage par exemple à réduire de 20 % sa consommation d’énergie entre 2015 et 2030, et de 50 % sa consommation d’eau, et ce malgré une augmentation de la production. Certaines ETI ou PME prennent également des engagements du même type.

b.   Des pistes intéressantes dans le secteur aéronautique civil mais limitées à court terme pour le secteur aéronautique de défense

Les trois piliers « consommer moins, consommer mieux, consommer sûr » de la stratégie énergétique de défense sont en phase avec la conception des industriels de l’aéronautique sur la frugalité des ressources, l’économie circulaire et la sécurité des approvisionnements des matériaux critiques. Réduire les quantités de matières et de ressources, notamment énergétiques, permet non seulement de limiter l’empreinte environnementale, mais aussi de faire des économies. Dans ce cadre, le GIFAS est impliqué dans les discussions sur les clauses environnementales et d’écoconception présentes dans les contrats d’armement.

Le carburéacteur à usage aéronautique représentant la moitié de la consommation de carburant des armées, de nouvelles technologies et de nouveaux usages en matière d’efficacité énergétique sont en cours de développement. Les simulateurs de vol permettent par exemple d’économiser de l’énergie, sans pour autant remplacer l’intégralité des entraînements. Ces systèmes sont destinés à être améliorés par l’IA en permettant aux simulateurs de créer des « hostiles » de plus en plus réalistes, en phase avec le champ de bataille.

Le système de combat aérien du futur (SCAF) est un système très ambitieux pour remplacer le Rafale : le nouvel avion de combat devra à la fois produire des poussées en supersonique et voler à basse altitude sur des temps longs, avec un moteur polyvalent, plus compact et plus léger. Il faut donc envisager l’hybridation, notamment du réacteur pour gérer l’énergie à bord de l’avion. De nouvelles recherches auront lieu sur les matériaux plus légers et plus résistants sur le temps long. Le Forum Innovation Défense (FID) organisé en décembre dernier a été l’occasion de présenter des exemples de recherches sur les convertisseurs électroniques haute performance et haute intensité pour les radars embarqués de dernière génération. Il s’agit d’un gain énergétique avec des performances accrues, faisant appel à du carbure de silicium et du nitrure de gallium, deux points forts de l’industrie française.

Sur le carburant, l’utilisation des biocarburants sera privilégiée. Le SEO cherche à ce que ces carburants soient économiquement viables, tout en répondant aux exigences environnementales sur l’ensemble du cycle de vie. L’avantage de ces carburants dits « drop in » est de pouvoir être mélangés au kérosène, jusqu’à 50 % actuellement. D’une part, il y a les carburants issus de la biomasse, pour le moment très coûteux (3 à 4 fois plus que le kérosène), mais qui devront être incorporés au kérosène à hauteur de 2 % en 2025 et de 5 % en 2030, selon une feuille de route nationale. D’autre part, il y a également les carburants de synthèse, liquides, qui utilisent les énergies renouvelables pour produire de l’hydrogène et du monoxyde de carbone (CO) à partir du CO2 capté dans l’air.

Par ailleurs, l’hydrogène liquide est une orientation pour les futurs avions civils. Il pourrait également être utilisé par de petits drones militaires, ce qui leur confèrerait une meilleure furtivité.

Les études sur l’électrique (hybridation) se poursuivent, malgré l’arrêt du programme E-Fan d’Airbus. Il y a cependant des barrières technologiques, faisant que les avions classiques A320 avec batteries ne seraient pas viables, ces dernières étant trop lourdes. Néanmoins, les industriels ont engrangé une expérience qui continue d’être utilisée dans les travaux de recherche et développement (R&D) : en trente ans, la consommation énergétique par passager a été divisée par 2, ce qui représente une économie de 15 à 20 % de carburant. L’hybridation des batteries servirait sur les avions régionaux – économes en carburant car volant à basse altitude et à vitesse modérée – pour les courts et moyens courriers. L’entreprise Daher est impliquée dans ce dernier projet. Les premiers avions hybrides pourraient être lancés en 2035.

En parallèle, il y a des avancées sur des ruptures technologiques comme l’avion à hydrogène liquide (à -250°C). Safran travaille sur les changements de tuyauterie pour permettre d’acheminer cet hydrogène liquide dans le moteur. Quant à Airbus, l’entreprise travaille sur trois configurations d’avion pour savoir où loger les réservoirs d’hydrogène. Par ailleurs, la société Delair a présenté un drone de petite taille fonctionnant à l’hydrogène et pouvant voler plusieurs heures lors du FID.

Néanmoins, les énergies renouvelables ont un problème de stockage car elles sont intermittentes. Pour l’hydrogène, aura-t-on les ressources nécessaires, si tous les secteurs industriels veulent l’utiliser ? Des projets ont été lancés au niveau national ou européen, avec notamment une feuille de route détaillée par M. Nicolas Hulot en 2018, reprise dans le plan de relance cette année. Selon Air Liquide, acteur majeur en la matière, l’hydrogène est intéressant pour les industries avec des flottes captives, comme les avions, car les points de ravitaillement se situent dans les aéroports. Il convient également de rappeler que si les premiers avions à hydrogène seront mis en service à partir de 2035, le renouvellement de la flotte ne sera pas immédiat et prendra du temps. Un projet a été lancé dans le CORAC « Energia » (réunissant l’ONERA, Safran et Airbus) afin de quantifier avec différents scénarios en fonction des dates d’introduction des technologies et d’avoir des hypothèses plus détaillées sur les volumes dont la filière aura besoin.

La politique « hygiÈne, sÉcuritÉ et environnement » du groupe thales

Thales a développé des objectifs environnementaux via la déclinaison de sa politique « hygiène, sécurité et environnement » (HSE) dès 2007, en adoptant différents objectifs, en particulier en matière d’efficience énergétique et d’empreinte carbone. En 2019, cette politique s’est renforcée illustrant sa raison d’être : la construction d’un avenir de confiance. Une accélération est notable sur les cinq dernières années : Thales a communiqué sur ses objectifs quinquennaux définis en 2018 vers ses clients, ses actionnaires et sa communauté financière, puis, en 2019, ces objectifs ont été renforcés par l’adoption de sa politique pour un futur bas carbone intégrant des objectifs ambitieux, afin de les aligner sur les ambitions de l’accord de Paris sur le climat.

À terme, les efforts en matière de transition énergétique devront permettre de répondre à plusieurs défis, en phase avec ceux identifiés dans la stratégie énergétique de défense :

– le risque géopolitique, auquel la France et l’Europe peuvent se heurter dans un contexte économique sous tension entre les États-Unis et la Chine ayant pour conséquence de ralentir les approvisionnements, par exemple en puces électroniques, utiles à de nombreuses industries (informatique, automobile…) ;

– le risque technologique, tel que décrit par le ministère des Armées, démontrant la nécessité de développer notre autonomie, dans les secteurs civil et militaire ;

– et le risque environnemental, qui affecte particulièrement les développeurs, préoccupés par les effets que pourront avoir les dérèglements climatiques sur la tenue des équipements, mais également l’autonomie des troupes sur le terrain.

La stratégie bas carbone du groupe est ainsi déclinée autour de trois axes :

– premièrement, la réduction des émissions, à la fois directes – celles des activités opérationnelles de Thales – et indirectes – celles des produits développés par Thales et celles des clients, en particulier dans l’aéronautique. Les objectifs fixés en 2019 sont de réduire les émissions directes de 20 % en 2023 en référence à la base définie en 2018, puis de 40 % en 2030 en référence à la base définie en 2018. Pour les émissions indirectes, la réduction ciblée est de 7 % puis de 15 % sur ces mêmes périodes. Ces objectifs sont déclinés annuellement pour en assurer un suivi régulier. En outre, la réduction des émissions a été intégrée aux fiches d’objectifs RSE de la part de rémunération variable des managers et ingénieurs du groupe, à savoir les deux tiers de ses employés à travers le monde (54 000 personnes). Près de 500 collaborateurs en politique produit ont bénéficié d’une formation approfondie relative à l’écoconception des produits ;

– deuxièmement, Thales propose à ses clients de nouveaux services ou systèmes permettant de réduire leurs propres émissions (stratégie d’avoidance, ou d’évitement). Sur l’aéronautique, ces systèmes de « flight management » permettent d’optimiser les trajectoires des avions et d’économiser du fioul. Sur le ferroviaire, ils permettent une meilleure gestion de l’efficience énergétique et de la dynamique des trains ou des métros, plus adaptée à la demande ;

– et troisièmement, le groupe entend développer une meilleure compréhension des phénomènes climatiques, essentiellement via l’unité spatiale et les stations d’observation de l’environnement. Grâce à sa gamme satellitaire achetée par l’Agence spatiale européenne (European Space Agency, ESA), Thales Alenia Space fournit les moyens qui permettent de mesurer, constater l’augmentation des niveaux de CO2, la fonte des glaces, la montée des eaux ou bien la pollution des océans et eaux intérieures, contribuer à la connaissance scientifique et permettre la modélisation des phénomènes observés.

L’aéronautique se dirige vers une diversification des sources d’énergie, qui permettra une réduction de l’empreinte environnementale et une meilleure adaptation aux besoins par des usages spécialisés. De nombreuses solutions existent : batteries, turbines, hydrogène, biocarburants… chacune optimisée pour une mission donnée en fonction des contraintes d’usage. L’électrique ou l’hydrogène (pile à combustible) peut avoir un sens pour les petits aéronefs ou drones de reconnaissance. Pour les avions à plus long rayon d’action / capacité d’emport, les solutions biocarburants ou carburants synthétiques (« efuels ») semblent être un passage obligé. Ainsi, pour un avion de chasse ou de transport, les technologies électriques sont loin d’être suffisamment performantes en matière d’autonomie. Il en va de même pour le réservoir d’hydrogène qui, dans un A400M, réduirait notablement la place réservée au matériel transporté.

En effet, sur l’avion électrique, la principale question ne porte pas sur la propulsion mais sur le stockage de l’électricité. Les batteries sont aujourd’hui le moyen le plus avancé, mais elles présentent des contraintes en termes de poids. Une pile à combustible, alimentée par de l’hydrogène, pourrait augmenter l’autonomie de ces appareils, mais là aussi la contrainte de poids est vite rédhibitoire (en l’état actuel des technologies) pour des aéronefs de taille conséquente. De plus, le problème du stockage (liquide, comprimé, solide ou sous forme chimique) ne serait pas résolu. En outre, il convient de différencier l’avion électrique de l’électrification de l’avion, le premier étant un projet de long terme, tandis que le second est un processus devant concerner l’ensemble des aéronefs, avec de plus en plus de briques électriques à bord (pour alimenter les appareils électroniques par exemple). Cette électrification permettra à la fois d’optimiser la consommation et d’être plus efficace sur certaines manœuvres. Elle permettra également de nouvelles fonctionnalités liées à la demande croissante en électricité des systèmes avion et systèmes d’armes.

Pour un usage militaire, l’hydrogène pourrait présenter sur le papier des caractéristiques intéressantes, notamment sur la logistique en OPEX puisqu’il constitue de facto un carburant unique (la même molécule serait utilisée pour les aéronefs, les véhicules terrestres et l’énergie stationnaire). Il pourrait de plus être potentiellement produit sur place. Néanmoins, l’usage de l’hydrogène dans le domaine militaire, et notamment les aéronefs, reste peu probable à court et moyen terme, pour plusieurs raisons. Le principal défi demeure l’approvisionnement en vol et le stockage en grande quantité : soit l’hydrogène est stocké à très grande pression (700 bars) comme ce qui se fait sur les véhicules actuels – mais dans ce cas, le poids du système de stockage limitera fortement l’efficacité de l’aéronef et son autonomie – soit il est utilisé sous forme liquide, mais dans les conditions de température extrêmement basses (-250°C) et donc extrêmement complexes à gérer. Par ailleurs, il semble difficile d’envisager un ravitaillement en vol en hydrogène liquide. D’autres modes de stockage peuvent être envisagés, tels que le stockage solide (hydrures, silices…) ou sous forme chimique (ammoniac). Ces technologies souffrent cependant d’une efficacité massique faible au regard des contraintes de poids des aéronefs, notamment militaires, et resteront cantonnées à des usages terrestres ou maritimes. Par ailleurs, la technologie même de l’aéronef à hydrogène reste à un faible niveau de maturité et nécessite des développements importants.

Ces considérations font qu’il est peu probable d’imaginer un usage de l’hydrogène sur un aéronef d’arme ou de transport à court et moyen terme. Un développement pourrait cependant être envisagé sur les petits véhicules (drones). Les carburants durables liquides resteront donc une voie privilégiée pendant encore une longue période pour assurer la transition énergétique des aéronefs, qu’ils soient civils ou militaires. La filière biocarburants est étudiée depuis plusieurs années maintenant et un certain nombre de filières sont d’ores et déjà certifiées. Une autre solution serait d’utiliser l’hydrogène pour produire du carburant liquide, compatible avec les appareils et technologies actuels, à partir d’hydrogène et de CO2. Le coût de la production et la captation carbone sont cependant d’importants verrous pour leur usage massif dans le civil. L’usage militaire doit être couplé avec les développements des usages civils pour permettre le développement de ces filières, le domaine militaire pouvant servir de catalyseur au déploiement de filières sur le territoire national.

3.   Le milieu naval : des évolutions rapides dans le secteur civil qui demeurent cependant difficilement adaptables au secteur de la défense

Les industriels du secteur naval voient dans la transition énergétique une opportunité de développement pour leurs solutions, qui doit mener vers un navire plus vert et plus propre : la propulsion au GNL, la propulsion vélique, l’usage innovant des foils pour réduire la consommation de carburant, l’optimisation des carènes et hélices, le développement des navires hybrides… Il y a donc des technologies matures pour engager la transition énergétique du secteur maritime. Le but est d’obtenir un mix énergétique optimal pour verdir les navires civils. Ces évolutions pourront in fine être utiles aux navires militaires dans une logique incitative.

Si « les armées disposent de la propulsion la plus propre qui soit » – selon les mots du président de la République au Creusot le 8 décembre 2020 – grâce au nucléaire, ses grands navires restent principalement dépendants des énergies fossiles (propulsion diesel). Les industriels du secteur naval cherchent donc un équilibre entre leurs clients civils, poussés par les nouvelles normes internationales à verdir leurs navires, et leurs clients militaires, dont la priorité demeure les capacités opérationnelles.

a.   Le rôle du GICAN en matière de transition énergétique

Les entreprises de la BITD cherchent à favoriser l’innovation duale, aussi bien civile que militaire, avec des interactions entre ces deux milieux. Dans cet objectif, le Groupement des industries de construction et activités navales (GICAN) a créé le Conseil d’orientation de la recherche et de l’innovation pour la mer (CORIMER) dans le cadre du contrat stratégique de filière des industriels de la mer, aux côtés des représentants des secteurs du nautisme, de l’off-shore et des énergies marines renouvelables. Le CORIMER est l’instance unique, réunissant pouvoirs publics et industriels, visant à identifier et sélectionner des projets de R&D maritime, puis à les orienter vers les financements publics pertinents. Par ailleurs, le CORIMER consacre deux grands axes de R&D à la transition énergétique maritime : un axe sur les nouvelles énergies et la propulsion, et un axe sur les nouveaux matériaux et le chantier intelligent, afin de systématiser l’écoconception des navires.

Jusqu’à présent, le CORIMER a lancé deux appels à projets. L’an dernier, 21 projets ont été sélectionnés pour une demande totale de financement de 60 millions d’euros. Cette année, l’appel a mobilisé 51 projets, représentant une demande totale de 360 millions d’euros. L’objectif est de porter un financement total de 100 millions d’euros après la sélection. Il s’agit donc d’un outil indispensable pour catalyser l’innovation maritime. Le GICAN a également lancé en octobre 2019 un accélérateur de start-ups : SEAstart. Plusieurs start-ups engagées dans la transition verte ont depuis rejoint le groupement : Olenergies, entreprise développant une batterie en lithium, ou Eodyn, travaillant sur un système de routage des navires intelligent.

b.   Des aboutissements concrets en matière de transition énergétique dans le secteur naval

Les industriels voient dans la transition énergétique une opportunité de développement pour leurs solutions, qui doit mener vers un navire plus vert et plus propre : la propulsion Naval Group et les Chantiers de l’Atlantique sont les deux principaux acteurs du GICAN à la pointe en matière de verdissement des chantiers navals, aussi bien sur le plan de la construction que du produit : baisse des émissions de GES, économies en énergie, diminution du bruit, et autres actions opérationnelles des chantiers (par exemple pour les déchets). D’autres acteurs du secteur naval français se situent au-delà des standards élevés de l’UE en matière de protection de l’environnement. Même si ce sont des plus petits chantiers, il y a également une offre de produits sophistiqués : pour la propulsion, la construction légère, le traitement eaux de ballast, la sécurité passive, etc. De nombreuses technologies sont déjà matures et développées en France : l’optimisation des hélices, les outils de propulseur (ADV Propulse) ou la simulation numérique 3D (HydrOcéan) permettent d’optimiser la consommation de carburant pour des moteurs de faible puissance.

En matière de carburants, le GNL d’origine fossile permet de quasiment éliminer les émissions de soufre et de particules fines et de réduire de plus de 80 % les émissions d’azote et jusqu'à 21 % celles de GES. Le biométhane et le e-méthane permettent quant à eux une baisse des émissions de GES de plus de 80 %. Enfin, l’usage combiné de biométhane et d’un dispositif de capture du CO2 permettrait d’obtenir un bilan carbone négatif, et constituerait ainsi un puits de carbone. Néanmoins, l’installation de postes de ravitaillement en GNL soulève des questions dans les ports.

Les biocarburants sont en cours de développement et seront facilement utilisables, notamment dans divers moteurs au fioul. Après 2030, les e-carburants (méthane synthétique, méthanol…) pourraient prendre la relève. Il ne faut toutefois pas mener une politique de carburant unique selon le GICAN, car cela soulève des problèmes de gestion à long terme pour des unités en service pendant 40 à 50 ans, alors que nous ne connaissons pas les modes de gestion du carburant dans 20 ans. Au contraire, les armées doivent avoir un ensemble de choix technologiques et développer les énergies duales, d’autant plus que les batteries ou les sources de stockage électriques peuvent rapidement trouver une place, puisqu’elles réussissent à stocker de plus en plus d’énergie.

Le traitement des fumées est plus largement utilisé puisqu’il permet d’utiliser les combustibles actuels, notamment l’hydrofluoroléfine, et qu’il est à un coût plus accessible. Cette technique peut d’ailleurs être adaptée sur les navires déjà existants (retrofit). Il existe ainsi deux types de traitement des fumées : le développement des scrubbers ou de selective catalytic reduction. Il s’agit d’une réaction catalytique qui permet la réduction des fumées dans lesquelles de l’urée a été préalablement ajoutée.

Enfin, l’électricité est la seule énergie intelligente, dont la gestion peut être faite de multiples manières. Cette énergie offre donc une grande flexibilité. Grâce aux progrès des convertisseurs, des onduleurs ou des redresseurs, l’électricité de puissance a largement progressé ces dernières années : elle se prête donc particulièrement bien aux recherches d’amélioration de puissance. En la matière, EN Moteurs développe des solutions 100 % françaises. Les adhérents du GICAN travaillent sur l’optimisation de l’énergie dans le cadre du smart green, afin de dépenser moins, de dépenser mieux et d’être capable d’utiliser le moins d’énergie possible pour utiliser les armes (par exemple : les armes laser). Des centres de recherche s’occupent de ces questions, comme le groupe Schneider Electric qui travaille avec le Groupement des industries françaises de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres (GICAT).

Le chaland multi missions

La DGA a réceptionné le 10 décembre 2019 les CMM Fourmi, Scarabée et Araignée, respectivement n° 4, 5 et 6 de la série des 8 CMM à propulsion hybride, notifiée le 16 décembre 2015 aux deux sociétés iXblue H2X (La Ciotat) et CEGELEC Défense et Naval Sud-Est (Toulon). À cette même date, ils ont été pris en compte par la Marine nationale dans leurs ports d’attache respectifs : Brest pour les Fourmi et Scarabée, Cherbourg pour l’Araignée.

Les CMM sont destinés à effectuer des missions de travaux sous-marins, de formation des plongeurs, de transport de matériel ou encore de lutte antipollution en remplacement des moyens de servitude portuaire employés jusqu’à présent. Les trois premiers navires ont été livrés à l’école de plongée de Saint-Mandrier (la Cigale) et à la base navale de Toulon (les Criquet et Grillon).

Le programme CMM répond au besoin exprimé par la Marine nationale de renouveler et rationaliser ses moyens portuaires avec de nouveaux navires, puissants et modernes. L’équipe de programme intégrée, regroupant la DGA et la Marine nationale, a retenu le principe d’une propulsion hybride qui offre un double profil d'emploi : un mode classique autorisant une vitesse de 10 nœuds avec des groupes électrogènes fonctionnant au gasoil, et un mode d'exploitation à basse vitesse en mode zéro émission grâce à des batteries rechargeables à quai ou en mer. Ce second mode accroît particulièrement le confort des marins en réduisant les nuisances olfactives et sonores. Il est actionné entre 65 et 80 % du temps d’utilisation du chaland.

D’une longueur de 24 mètres et d’une largeur de 8 mètres pour 53 tonnes de déplacement, les CMM peuvent embarquer jusqu’à 36 marins ou 12 tonnes de fret ; ils disposent d’une capacité de levage et de relevage leur permettant de manutentionner une charge d’une tonne depuis leur pont de travail. Cette aptitude n’existait pas sur les moyens portuaires actuellement en service au sein de la Marine nationale. L’ajout d’un propulseur d’étrave azimutal et de commandes déportées permettent aussi d’améliorer significativement l’ergonomie et la manœuvrabilité des CMM.

Source : ministère des Armées

c.   Des perspectives de modernisation énergétique des navires militaires qui restent cependant limitées

La modernisation des navires est menée à intervalles réguliers : après 5 ans, 10 ans, puis à mi-vie après environ 20 années de service. Naval Group et les Chantiers de l’Atlantique travaillent donc sur la conception de navires qui pourront être, tout au long de leur vie, adaptés aux nouvelles énergies et aux innovations. Cela fait partie de la démarche d’écoconception.

Pour le moment, les technologies ne sont pas assez matures pour le militaire. D’un côté, le carburant est trop explosif, de l’autre, le carburant n’est pas des plus efficaces ou n’est pas suffisamment disponible. D’où l’idée d’avoir une vision globale des types de production. Les sujets de propulsion et d’énergie, au-delà du nucléaire, sont en cours d’exploration : l’hydrogène, la fission, la pile à combustible sont à l’étude, notamment au sein des grands groupes, pour ensuite être intégrés. Auparavant, les développements dans le militaire permettaient les développements dans le civil. Aujourd’hui c’est plus partagé et interactif : le civil peut pousser et s’intégrer au militaire, et réciproquement, afin de créer un cercle vertueux. Le GICAN s’inscrit dans cette dualité très croisée.

Il y a actuellement des solutions pour verdir les navires civils : l’éventail de solutions est important et les technologies sont multiples. Tandis que l’aéronautique concentre les efforts pour l’avion vert sur l’hydrogène, le navire du futur devra mixer plusieurs sources de propulsion. Cependant, dans le champ militaire, l’éventail est plus réduit, en raison des besoins d’autonomie en énergie. Par exemple, si la propulsion vélique ou le GNL sont des solutions pour le civil, leur utilisation par les FREMM soulèverait des questions.

D.   La transition énergétique des armées : des actions concrètes et ambitieuses sur le plan des infrastructures

1.   Le plan de remplacement des chaudières au fioul

La SMPE 2020-2023 prévoit le remplacement de chaudières au fioul à horizon 2031. Plusieurs chaudières au fioul ont d’ores et déjà été remplacées. Aujourd’hui, il reste encore quelques chaudières au charbon et 1 600 chaudières au fioul à remplacer. Les chaudières qui devront être remplacées au plus tôt sont celles des centrales à charbon puis les chaudières fioul. Le SID privilégie le raccordement aux réseaux de chaleur urbains et aux réseaux de gaz, qui est certes une énergie fossile mais qui est moins émettrice, dès lors qu’une source de distribution de chaleur ou de gaz existe à proximité. Pour les sites éloignés, en l’absence de réseaux urbains à proximité, le SID passe par des énergies stockées en privilégiant les énergies vertes (biomasse). Ce choix permet de respecter les engagements du ministère des Armées en matière de réduction des émissions de CO2. Par ailleurs, le calendrier de remplacement des chaudières au fioul ne dépend pas totalement du ministère des Armées car celui-ci doit être compatible avec les projets de déploiement de réseaux des communes ou des communautés de commune.

2.   Les contrats de performance énergétique

Pour les sites du ministère des Armées qui consomment le plus d’énergie, des CPE sont passés afin de tenir les objectifs du ministère de réduction des émissions de GES et de recours aux énergies alternatives. Ces contrats développent une approche globale et permettent d’intervenir pour l’isolation des bâtiments, la production de chaleur et les réseaux de distribution, le développement d’énergies renouvelables. Ces contrats globaux de performance, en engageant un opérateur sur des résultats et sur un temps long, permettent d’externaliser le risque pour le ministère.

Par ailleurs, via les CPE, le SID travaille également sur les comportements des usagers en veillant au respect de la norme ISO 50001 car la seule modification des comportements permet d’avoir des gains substantiels allant de 5 à 15 % d’économies selon les sites. 5 CPE ont déjà été signés et 16 ont été identifiés, à raison de 1 à 2 par an. L’action sur ces seuls sites permettra au ministère des Armées d’atteindre ses objectifs de réduction des émissions de GES.

Le SID déploie également des systèmes de management de l’énergie type ISO 50001 en dehors des CPE : 22 sites ont déjà été identifiés pour déployer ce système sur les bases de défense les plus énergivores.

3.   Le plan « Place au Soleil »

Le ministère des Armées, compte tenu de son foncier important, participe au plan Place au soleil qui vise la mise à disposition de surfaces solarisables à des opérateurs privés d’électricité photovoltaïque. Dans le cadre de ce plan « Place au Soleil », qui ne sert pas les besoins énergétiques du ministère des Armées, seuls 800 Ha ont été identifiés à ce stade. Les premiers appels à manifestation d’intérêt (AMI) ont été passés et d’autres sont en cours mais il semble difficile d’aller au-delà de l’objectif d’identification des 2 000 Ha fixé dans le plan. En effet, les terrains militaires doivent avant tout servir de terrains d’exercice pour les forces et les capacités d’extension des régiments et des bases ne sauraient être obérées par ces installations. Par ailleurs, parmi les terrains identifiés, certains ne peuvent pas être retenus car le SID se heurte à des dispositions réglementaires opposables : servitudes aéronautiques, préservation des espaces protégés type Natura 2000, règles environnementales fixées par la loi dite « littoral ».

Le ministère des Armées est allé prospecter d’autres surfaces solarisables comme les surfaces de parking ou de toitures pouvant accueillir des ombrières photovoltaïques ou des panneaux. Mais de telles initiatives ne suffiront pas à couvrir l’objectif des 2 000 Ha fixé dans le plan « Place au Soleil ». De plus, ce mitage de petite surface ne répond pas aux attendus des opérateurs, intéressés par des surfaces importantes pour développer des fermes photovoltaïques et rencontre une difficulté technique de discrimination entre l’énergie nécessaire au site et celle reversée au réseau public. Par ailleurs, le recours aux panneaux solaires peut obérer les capacités d’action des armées, dont les besoins sont constants, tant en matière d’entrainement qu’en opération.

Il peut être théoriquement envisagé de déployer des panneaux photovoltaïques en OPEX, en particulier en Afrique, eu égard au niveau d’ensoleillement. Il pourrait également être envisagé d’installer des éoliennes dans les zones venteuses. Mais l’expérience montre que le caractère abrasif du sable et le taux d’empoussièrement sont tels que le recours à ces dispositifs semble inefficace. Le SID réfléchit néanmoins à l’installation de panneaux autonettoyants, qui seraient intégrés dans le projet d’écocamp. En outre, le ministère des Armées envisage de verdir sa flotte par le développement d’ombrières photovoltaïques pour la recharge des véhicules électriques ou par l’installation de panneaux photovoltaïques sur les surfaces de toiture, principalement dans les camps situés dans le sud de la France.

4.   Le projet d’écocamp

Le SID a la charge de la gestion des infrastructures de stationnement au profit des forces déployées sur les théâtres d’opération. Dans ce cadre, il a la charge de la production de l’énergie, de l’alimentation en eau potable et de la dépollution des sols après la fin d’une opération. Il est également chargé de la veille technologique des équipements et matériels équipant les camps déployables. Aujourd’hui, les camps en stationnement sont fortement dépendants des flux extérieurs entrants et/ou sortants et l’énergie des camps est produite exclusivement par des groupes électrogènes fonctionnant au gazole. Ainsi, les flux entrants et sortants génèrent des failles de sécurité, un coût logistique considérable, des nuisances sonores et olfactives dues aux groupes électrogènes, une dépendance du camp vis-à-vis de l’extérieur et des sources de pollution accidentelles.

L’idée du SID est de tendre vers l’autonomie des camps en OPEX afin de diminuer leur vulnérabilité au quotidien. C’est le but principal du projet d’écocamp, porté par le CETID, dont les objectifs sont la réduction des consommations (eau et énergie) tout en intégrant les nouveaux besoins des armées, le développement de modes de production alternatifs de l’eau et de l’énergie, et l’optimisation des nouveaux équipements. Ce projet devrait permettre de diminuer les consommations d’énergie fossile des camps en stationnement de 40 % en 2030, en recourant aux énergies renouvelables et en améliorant l’efficacité énergétique des équipements de production et terminaux.

Dans le cadre de ce projet, le CETID travaille sur le recours à différents types d’énergies et la mise en place d’un mix énergétique piloté par un smart grid pour optimiser la consommation énergétique. Des travaux sur l’isolation des bâtiments sont également menés et une réflexion sur le stockage de l’énergie, sous différentes formes, est en cours, vecteur indispensable pour répondre à la variabilité de production intrinsèque aux énergies renouvelables comme le photovoltaïque. En particulier, la piste du stockage de l’hydrogène pour l’alimentation des groupes électrogènes par piles à combustible est expérimentée sur les iles Glorieuses où des panneaux photovoltaïques produisent de l’électricité qui est stockée sous forme d’hydrogène après électrolyse. Lorsque nécessaire, cet hydrogène est injecté dans des piles à combustible pour régénérer de l’électricité.

Par ailleurs, du stockage d’énergie sous forme de froid est expérimenté aux Antilles. L’électricité produite par panneaux photovoltaïque sert à générer du froid dont une partie est stocké pour avoir un poste de commandement abrité en période cyclonique capable de fonctionner de manière autonome. Le projet le plus important à venir dans ce domaine est le projet « ENergy Self SUfficient and REsilient military base » (ENSSURE) de l’Agence européenne de défense (AED).

Les rapporteurs plaident pour qu’un soutien accru soit apportée au projet d’écocamp, notamment sur le plan financier. Par ailleurs, ils plaident, de manière générale, pour que le CETID soit davantage associé dans le processus de transition énergétique du ministère des Armées.

E.   Un atout opérationnel potentiel pour les armées qui implique de relever plusieurs défis

La transition énergétique est une source réelle d’efficacité opérationnelle pour les armées. Néanmoins, pour qu’elle puisse porter ses fruits, il apparait nécessaire de relever plusieurs défis qui, à ce stade, restent peu ou insuffisamment abordés par la stratégie énergétique de défense.

1.   Des risques pesant sur l’approvisionnement énergétique suffisamment pris en compte ?

Le ministère des Armées est conscient des risques qui pèsent sur l’approvisionnement énergétique et a mis en place des stratégies pour s’en prémunir en cas de crise. Ces risques existent tant en OPEX que sur le territoire national et portent à la fois sur les chaines d’approvisionnement que sur le risque cyber.

i.   Les chaines d’approvisionnement, des cibles vulnérables

Pour les OPEX, le SEO doit vérifier que des producteurs locaux seront en mesure d’approvisionner les forces armées en carburéacteur. De ce point de vue, le risque est que le SEO ne dépende que d’un seul approvisionneur. Les officiers du SEO, avec l’aide du Centre de planification et de conduite des opérations (CPCO), mènent cependant des recherches actives d’approvisionneurs potentiels afin de diversifier leurs sources. Ce choix est motivé par une expérience passée au cours de laquelle les forces armées, en provenance du Bénin et en route vers Gao, ont été approvisionnées à mi-chemin avec des produits pétroliers qui se sont avérés être de mauvaise qualité. Le SEO disposait de réserves d’avance dans ses stocks, ce qui a permis aux forces armées de poursuivre leur route. Par ailleurs, les infrastructures pétrolières d’Afrique ne sont pas dimensionnées pour soutenir des forces armées aussi importantes. À titre d’exemple, lorsque les forces armées atterrissent à l’aéroport de Niamey, celles-ci doivent disposer très vite de sources énergétiques abondantes car celles dont dispose l’aéroport ne suffisent pas.

De plus, si l’approvisionnement énergétique en OPEX fait l’objet de préoccupations fort légitimes, il peut également y avoir des difficultés d’approvisionnement sur le territoire national. Si les forces armées disposent d’opérateurs pétroliers fiables sur le territoire national, l’approvisionnement énergétique ne s’en trouve pas nécessairement garanti. De ce point de vue, une crise d’approvisionnement peut avoir des conséquences à la fois sur les OPEX mais également sur les opérations menées sur le territoire national. Il est de la responsabilité du SEO de garantir un approvisionnement des forces armées, y compris quand la logistique pétrolière civile fait défaut, ce qui suppose de disposer d’une chaîne logistique pétrolière indépendante et résiliente qui permet aux forces armées de poursuivre leurs opérations tant sur le territoire national qu’en OPEX en cas de crise d’approvisionnement dans le secteur civil.

Par ailleurs, le SEO dispose de stocks de réserve en cas de crise d’approvisionnement. Ceux-ci se divisent en deux catégories :

– les stocks de crise, qui peuvent être mobilisés en cas de crise sur le territoire national empêchant l’approvisionnement des forces armées (grève, arrêt des raffineries, etc.) ;

– et les stocks stratégiques, en cas de rupture d’approvisionnement (fermeture des ports, crise géopolitique dans un État producteur, etc.

Au total, le SEO garantit pour l’EMA un stock total de 250 000 m3, essentiellement composé de carburéacteur mais également, dans une très faible mesure, de gasoil et d’essence pour les véhicules ne fonctionnant pas avec du carburéacteur. De ce point de vue, la stratégie de transition énergétique pose un défi majeur car les véhicules à essence ou diésel ne fonctionnant pas avec du carburéacteur risquent de se multiplier, ce qui nécessitera, pour le SEO, d’adapter ses stocks pour demeurer en capacité d’approvisionner les forces armées en cas de crise. Aujourd’hui, les moteurs compatibles avec les carburants des stocks stratégiques sont d’ancienne génération, de type Euro3 ou Euro5. À ce stade, il n’est pas possible d’avoir des véhicules militaires opérationnels avec des moteurs de type Euro6.

En outre, les stocks étant composés de carburéacteur, ceux-ci ne pourraient pas être utilisés pour tous les véhicules du secteur civil en cas de crise. De plus, si le SEO dispose de plus de 500 camions, dont 200 dédiés au transport et 200 à la distribution, ceux-ci ne sauraient être suffisants pour soutenir massivement l’économie française en cas de crise d’approvisionnement, mais pourraient apporter une contribution ponctuelle sur réquisition des autorités civiles.  Mais, en cas de survenance d’une crise nationale dans le secteur civil, les stocks stratégiques nationaux civils, équivalents à une consommation nationale de 90 jours en vertu du droit européen et gérés par la Société anonyme de gestion des stocks stratégiques (Sagess), permettraient de garantir l’autonomie de fonctionnement de l’État.

Dans le domaine des infrastructures, le SID participe à des exercices de crise ayant des conséquences sur la continuité des activités du ministère des Armées, voire de la présidence de la République. En particulier, le SID joue régulièrement l’exercice de crue de la Seine, dont l’objectif est de parer la paralysie du réseau électrique de l’Ile-de-France. Mais contrairement aux États-Unis où la culture des stress tests est importante, en France, la pratique d’exercices d’entrainement reste limitée, notamment à l’échelle interministérielle. Le SID n’a cependant jamais participé à un exercice national de rupture d’approvisionnement énergétique. Il a néanmoins proposé le projet ENSSURE dans le cadre de l’AED pour développer l’autonomie énergétique des sites militaires par le développement de capacités d’autoproduction, de stockage, et d’optimisation de l’énergie. De plus, des exercices sont menés au niveau des bases pour leur apprendre à survivre en autarcie en cas de crise d’approvisionnement énergétique.

ii.   Le risque cyber, une menace sérieuse à mieux prendre en compte

Les acteurs en matière de prévention du risque cyber sont le commandement de la cyberdéfense (COMCYBER) et l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI).

La stratégie énergétique de défense fixe 4 grands axes en matière de cyberdéfense au COMCYBER :

– le risque cyber induit par la numérisation de la consommation énergétique ;

– la résilience des entreprises du secteur énergétique face aux cyberattaques ;

– l’enjeu relatif à la hausse des besoins en électricité pour l’ensemble des systèmes d’information ;

– et la mesure et la connaissance des données relatives à la consommation énergétique.

Le COMCYBER est un des acteurs de la stratégie énergétique de défense, eu égard à la place accordée au numérique dans cette dernière en matière de pilotage des systèmes énergétiques et de maitrise de la production, de la diffusion et de l’utilisation des énergies. Les systèmes d’approvisionnement énergétique et les systèmes d’armes étant désormais plus numérisés que par le passé – augmentation de la « surface d’exposition numérique » –, de nouvelles sources de vulnérabilités doivent être prises en compte.

Au-delà de l’enjeu numérique, le secteur de l’approvisionnement énergétique est de plus en plus soumis aux cyberattaques. Aujourd’hui, les cyber-attaquants étatiques privilégient les attaques dirigées contre les soutiens et les chaines logistiques plutôt que celles visant les capacités, à des fins de renseignement ou encore d’entrave. Le processus d’acheminement des énergies nécessaires à la menée des opérations n’échappe pas à ce phénomène. L’enjeu pour les armées est de garantir l’approvisionnement des forces en électricité et en carburant tant sur le territoire national qu’en OPEX. Les entreprises sont devenues des cibles particulières des cyberattaques étatiques, comme en témoignent les attaques dont ont été victimes l’Ukraine en 2015 ou encore l’Allemagne en 2018.

Le COMCYBER travaille également avec le SEO et la division « énergie opérationnelle » de l’EMA en apportant à ces derniers une vision technique spécifique au domaine cyber, eu égard notamment à leur rôle en matière d’approvisionnement énergétique. Ce soutien est d’autant plus important que le SEO est une cible des cyberattaques, comme en témoigne celle menée il y a quelques années, à l’occasion de laquelle un système de messagerie du service a été ciblé afin de capter des informations relatives au système d’approvisionnement énergétique du ministère des Armées. Le SEO s’appuie aujourd’hui sur le système centralisé d’appui à la logistique pétrolière (SCALP), mis en œuvre le 1er janvier 2020 et qui poursuit son déploiement afin de garantir le bon fonctionnement de l’ensemble de la chaine d’approvisionnement des forces. Le SCALP devrait être pleinement opérationnel d’ici 2025 sur le territoire national et en OPEX.

Par ailleurs, le COMCYBER travaille avec le SID, qui a également recours au numérique dans le cadre de ses activités, notamment pour ses outils de maitrise de la consommation énergétique. L’enjeu le concernant est l’évaluation du niveau de cybersécurité de ses SI, eu égard à leur nombre (plus de 10 000) et au caractère relatif et disparate de leur numérisation.

Le COMCYBER n’intervient qu’en cas de cyberattaque dirigée contre les organismes relevant de l’autorité de la ministre des Armées, directement ou par voie de tutelle, à l’exception de la Direction du renseignement et de la sécurité de la Défense (DRSD) et de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et, en tant que de besoin, aux prestataires sous contrat. Ainsi, à tire d’exemple, le COMCYBER n’agira qu’en cas de cyberattaque dirigée contre le SEO ou le SID.

Dans la mesure où certaines entreprises du secteur énergétique sont des opérateurs d’importance vitale (OIV) au sens de la loi de programmation militaire (LPM), ces dernières sont accompagnées par l’ANSSI qui définit des mesures de sécurité, parfois très précises. Il est à noter aussi que la directive européenne dite « Network and Information Security » (NIS) renforce et complète le périmètre des OIV concernés et ajoute des mesures de cybersécurité.

La coordination interministérielle en matière de prévention et de lutte contre les cyberattaques ne relève pas du COMCYBER mais de l’ANSSI et, par extension, du Secrétariat général de la Défense et de la sécurité nationale (SGDSN) dont elle dépend. Le COMCYBER coordonne son action avec l’ANSSI et contribue notamment par le partage d’informations relatives aux risques et aux menaces avec l’ensemble des ministères concernés.

Dans le cadre de ses missions, l’ANSSI prête une attention particulière au secteur énergétique. Trois domaines, directement liés ou très fortement dépendants du secteur énergétique, font l’objet d’une attention accrue, eu égard aux conséquences qui pourraient résulter de cyberattaques : l’énergie électrique, les télécommunications et le secteur des transports. L’ANSSI met en place des réglementations qui contraignent les opérateurs de ces secteurs à respecter des standards de sécurité informatique, les accompagne dans la sécurisation de leurs systèmes d’information et leur communique des informations sur la menace cyber. En cas d’attaque, l’ANSSI leur vient en aide. De plus, l’ANSSI traite également en partie des problématiques liées à la cybersécurité des chaines d’approvisionnement.

En matière de transition énergétique, le risque est d’autant plus accru que les armées, directions et services du ministère des Armées prévoient de recourir à des systèmes connectés intelligents tels que les smart grid. Naturellement, l’ANSSI ne s’oppose pas au recours à ce type de systèmes mais appelle à la vigilance quant à la nécessité de prendre en compte les cybermenaces qui résultent de leur utilisation et qui n’existaient pas auparavant.

Par ailleurs, l’ANSSI estime que les outils informatiques auxquels le ministère des Armées a recours dans le cadre de la transition énergétique des armées doivent systématiquement être envisagés sous l’angle de sa souveraineté numérique. À cet égard, les armées ont récemment travaillé avec l’entreprise OVHcloud afin de constituer un cloud pour les armées. Dans le cadre de ce projet, comme dans tous les projets de cette nature, la sécurité et la souveraineté numériques doivent être des priorités.

Les rapporteurs estiment nécessaire de fixer dès à présent une feuille de route claire en matière de lutte contre le risque cyber dans le domaine énergétique au COMCYBER pour renforcer la cybersécurité du SEO et du SID. Cela suppose également de travailler en étroite collaboration avec l’ANSSI, eu égard au fait que les entreprises du secteur énergétique sont des OIV en vertu de la LPM.

Les rapporteurs estiment également nécessaire d’organiser régulièrement des exercices de crise d’approvisionnement énergétique et de crise cyber à l’échelle interministérielle ainsi qu’avec les industriels du secteur énergétique, si nécessaire coordonnés par le SGDSN, voire à l’échelle européenne, eu égard à la forte interdépendance entre les États en la matière.

2.   Une dépendance potentiellement préjudiciable des armées vis-à-vis des entreprises du secteur civil énergétique

a.   Une dépendance aux entreprises du secteur énergétique civil, cibles de multiples attaques…

Le ministère des Armées dépend quasi exclusivement du secteur civil pour son approvisionnement énergétique, et ce tant sur le territoire national qu’en OPEX. Les deux tableaux ci-après rendent compte de cette dépendance des armées au secteur civil.

L’utilisation des rÉseaux d’olÉoducs par le service de l’Énergie opÉrationnelle

Le SEO ravitaille plusieurs de ses dépôts par oléoducs. Mais il affecte ou détache plusieurs de ses personnels auprès du Service national des oléoducs interalliés (SNOI) et de TRAPIL, une entreprise privée à laquelle a été confiée l’exploitation de la partie française de l’oléoduc de l’OTAN, le Central Europe Pipeline System (CEPS).

En effet, le SEO utilise les réseaux du CEPS, dont la mission consiste à assurer de manière continue le ravitaillement en carburants des bases militaires aériennes et logistiques implantées au centre de l’Europe, mais aussi à l’extérieur de ce territoire par le recours à des moyens de transport complémentaires. Cette mission s’exerce en temps de paix comme en temps de crise ou de guerre. Cette activité militaire a été étendue au transport et au stockage de carburants civils, non seulement pour diminuer le déficit de fonctionnement du réseau en effectuant des recettes, mais aussi pour maintenir une activité suffisamment soutenue pour que les personnels et les équipements puissent rester à leur meilleur niveau. Au fil des ans, cette activité est devenue majoritaire, représentant aujourd’hui plus de 85 % du trafic total, même si les besoins militaires restent prioritaires en cas de besoin.

Les missions essentielles du SNOI sont d’assurer les responsabilités de la France en tant que pays hôte du CEPS en matière d’administration et d’entretien de la partie du réseau située en France, de coordonner l’action des directeurs des divisions françaises et de traiter les questions de sécurité, de protection, de mobilisation et de réquisition des personnes et des installations.

La société TRAPIL, outre le réseau français du CEPS, opère deux autres réseaux : le réseau « Le Havre – Paris », dont elle est propriétaire, et le réseau « Méditerranée – Rhône » pour le compte d’une autre société. Opérateur d’oléoducs depuis près de 50 ans, TRAPIL est un partenaire historique du CEPS en France.

Source : ministère des Armées

 


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LA CHAINE D’APPROVISIONNEMENT ÉnergÉtique militaire sur le territoire national

 

 

Domaine d’application

Type d’énergie

Fournisseurs

Transporteurs

Distributeurs

Gestion des stocks

Gestion des infrastructures

Territoire national

Systèmes d’armes

 

Gazole

Agip, Antar, Avia, BP, Elf, Esso, Total, Irving, Shell

Réseaux de pipelines et d’oléoducs

SEO

SEO

Carburants terrestres

Carburéacteur

Combustible de navigation

Autres (huiles, graisses, etc)

Infrastructures

Électricité

Solaire

EDF, Engie, Total

OU

Autoproduction par les armées (solaire, éolien, bioénergie…)

RTE

ENEDIS

SID

SID en cas d’autoproduction par les armées

Nucléaire

Éolien

Hydraulique

Thermique à combustible fossile

Bioénergies

Gaz

Engie

TIGF et GRTGaz

GRDF

Pétrole

Total, BP, Shell

Réseaux de pipelines et d’oléoducs

SEO

SEO

LA CHAINE D’APPROVISIONNEMENT ÉnergÉtique militaire en opÉration extÉrieure

 

 

Domaine d’application

Type d’énergie

Fournisseurs

Transporteurs

Distributeurs

Gestion des stocks

Gestion des infrastructures

OPEX

Systèmes d’armes

Gazole

Fournisseurs locaux

SEO

SEO

SEO

Carburants terrestres

Carburéacteur

Fournisseurs locaux (ressource centralisée dans les aéroports)

Combustible de navigation

Fournisseurs locaux

Autres (huiles, graisses, etc)

Infrastructures

Électricité

Solaire

Fournisseurs locaux ou autoproduction par les armées (solaire, éolien, bioénergie…)

SID

SID

SID

SID en cas d’autoproduction par les armées

Nucléaire

Éolien

Hydraulique

Thermique à combustible fossile

Bioénergies

Gaz

Fournisseurs locaux

Pétrole

SEO

 

 

 


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b.   … qui plaide pour la constitution d’une base énergétique de défense à l’échelle nationale, voire européenne

Même si des dispositifs ont été mis en place par le ministère des Armées pour sécuriser autant que possible l’approvisionnement énergétique des forces, les vulnérabilités demeurent grandes en cas de survenance d’une crise. Cela est d’autant plus vrai dans le secteur des énergies renouvelables, qui est encore relativement fragile, et qui est, de l’avis de nombreuses personnes auditionnées, plus concerné encore par les risques précités. L’accès aux technologies de l’énergie nécessaires à l’équipement des forces constitue en effet un enjeu crucial pour le ministère des Armées, en particulier pour l’avenir. À cet égard, il convient à la fois de porter une attention aux enjeux spécifiques du secteur de la défense en matière énergétique mais également de veiller aux évolutions dans le secteur civil, y compris pour les énergies qui ne peuvent pas encore être utilisées par les armées, eu égard aux risques induits par leurs recours.

Dans l’attente de la constitution éventuelle d’une base énergétique de défense à l’échelle européenne, les rapporteurs estiment qu’il est nécessaire de travailler dès à présent à l’échelle nationale avec les entreprises du secteur civil dont dépendent les armées afin de garantir des sources d’approvisionnement en énergies alternatives accessibles sur l’ensemble du territoire national pour les activités non-opérationnelles en constituant une base énergétique de défense dédiée à l’approvisionnement énergétique des armées.

3.   Une stratégie énergétique de défense reposant sur des paris sur l’avenir discutables

a.   Une évolution nécessaire mais peu probable de la politique du carburant unique

La politique du carburant unique, initiée par l’OTAN dans les années 70, a été adoptée par les forces françaises à la fin des années 1990. Son principe repose sur l’utilisation d’un seul et unique carburant : le carburéacteur pour turbomachines d’aviation avec anti-glace, dit F-34, sur les théâtres d’opération. La France a cependant choisi de ne recourir au F-34 qu’en cas d’urgence et a préféré recourir au carburéacteur diésel, codifié F-63, auquel est ajouté un additif avant utilisation. Cette politique ne s’applique qu’aux moyens militaires à vocation opérationnelle.

Le carburéacteur F-34 répond à des spécifications internationales très strictes pour lui permettre de respecter les mêmes standards de qualités partout où il est disponible ; contrairement au gazole, dont la qualité sur certains théâtres d’opérations peut être très éloignée de celle rencontrée en Europe. Sur les théâtres d’opération, le recours au F-63 permet précisément d’éviter les problèmes liés à l’utilisation de gazoles de mauvaise qualité. L’utilisation du seul F-63 permet des gains d’économie substantiels, notamment en matière de personnels, d’infrastructures et de moyens de transport et de stockage. Cela permet également de bénéficier d’avantages opérationnels considérables car les conditions climatiques sur certains théâtres d’opération requièrent l’utilisation de carburants fluides à très basses températures. En outre, la politique du carburant unique est mise en œuvre par la grande majorité des alliés de la France, et notamment par l’armée américaine. Par conséquent, disposer de matériels compatibles avec le F-63 est une condition sine qua non pour que la France puisse participer aux opérations interalliées. À titre d’exemple, cette politique est actuellement mise en œuvre sur l’ensemble de l’opération Barkhane au Sahel.

Les volumes de consommation en OPEX empêchent le SEO d’importer des produits pétroliers à partir du TN. Par conséquent, les forces armées sont contraintes de rechercher la ressource pétrolière au plus près du théâtre d’opération. Dans le cadre de l’opération Barkhane, dans la mesure où le Mali ne produit aucune ressource pétrolière et s’approvisionne uniquement auprès des États voisins, il est impératif d’évaluer le contexte et les capacités de soutien pétrolier existantes sur le lieu de l’intervention, de prendre en compte les capacités de production des États voisins et d’estimer s’ils sont en mesure de fournir des ressources pétrolières. À titre d’exemple, lorsqu’il faut approvisionner des troupes stationnées à Gao, il faut développer une chaine pétrolière de plus de 1 500 km à partir de camions-citernes.

De ce point de vue, le recours au carburant unique de l’OTAN facilite grandement la logistique énergétique des forces armées en OPEX. L’objectif de la politique du carburant unique est, pour chaque armée, d’utiliser un seul carburant indifférencié pour tous les véhicules terrestres ou aériens. Cette politique facilite le déploiement des forces armées en OPEX car le fait de devoir recourir à plusieurs carburants poserait de nombreux problèmes logistiques : le recours à cette politique permet de n’avoir qu’une seule chaîne logistique. Le carburant utilisé dans le cadre de cette politique est le carburéacteur utilisé pour les avions. Grâce à ce carburéacteur, le moteur diésel d’un char ou d’un VAB pourra fonctionner sans qu’il ne faille l’alimenter en gasoil.

Dans le cadre de la stratégie énergétique de défense, le SEO et la division « énergie opérationnelle » de l’EMA ont pour mission de faire monter le seuil de carburants propres admis dans les moteurs à 50 % d’ici 2050. Cela suppose de mener des discussions avec les motoristes afin que la « spécification » (SPEC) des moteurs intègre ce critère. À ce jour, il est inscrit dans la SPEC que le carburéacteur doit être composé à 100 % d’énergie fossile. La mission confiée au SEO et à la division « énergie opérationnelle » de l’EMA consiste à obtenir que la SPEC évolue afin de permettre au carburéacteur d’être composé à hauteur de 50 % en carburants propres d’ici 2050. Si la production des énergies propres nécessaires pour atteindre cet objectif ne pose pas de problème, la difficulté tient davantage à l’absence relative de producteurs capables d’estimer le prix de vente du carburéacteur composé à 50 % de carburant propre. Les faibles volumes de production d’un tel carburant ainsi que l’étroitesse du marché afférent auront nécessairement pour conséquence, dans un premier temps, de faire augmenter substantiellement le prix du carburéacteur propre par rapport au carburéacteur composé à 100 % d’énergies fossiles. Le marché devrait cependant évoluer à mesure que la réglementation imposera d’augmenter la teneur en biocarburants. Les prix augmenteront donc inévitablement dans un premier temps, avant de baisser quand le marché se sera stabilisé, à un horizon qui reste à déterminer. Aujourd’hui, le SEO dispose d’une première filière de production potentielle en biocarburants aéronautiques en France et d’une seconde en Finlande.

Les rapporteurs plaident, d’une part, pour qu’une politique forte soit menée dès à présent par la France au sein de l’OTAN pour verdir la politique du carburant unique, et d’autre part, pour que le ministère des Armées s’implique pour la constitution d’un marché des biocarburants à l’échelle de l’OTAN afin de contribuer à la baisse de leurs prix encore prohibitifs aujourd’hui.

b.   Le recours aux biocarburants : une alternative satisfaisante à court terme

Les biocarburants apparaissent comme la solution de transition entre les carburants fossiles et les énergies de rupture. Ils présentent l’avantage de pouvoir être mélangés aux carburants conventionnels et de pouvoir être utilisés dans les moteurs à combustion et les turboréacteurs existants sans modification technique (carburants dits « drop-in »).

Il existe aujourd’hui six filières de biocarburants certifiés, permettant jusqu’à 50 % d’incorporation pour une utilisation aéronautique. À ce jour, les armées ne peuvent recourir aux énergies renouvelables pour approvisionner les moteurs qu’à hauteur maximale de 50 % (voire moins pour certaines filières de biocarburants). Il n’est pas possible, sur le plan technique, de substituer 100 % des carburants d’origine fossile par des énergies renouvelables. Dans le cadre de la stratégie énergétique de défense, les moteurs des aéronefs devront être approvisionnés à 50 % par des énergies renouvelables d’ici 2050. La progression devrait démarrer dès 2021 pour atteindre 5 % de biocarburants dans les carburants aéronautiques en 2030. Les biocarburants ont déjà été utilisés par les armées, lors de la cérémonie du 14 juillet 2020, à l’occasion de laquelle des aéronefs ont été approvisionnés avec des énergies renouvelables à hauteur de 5 %.

Les rapporteurs attirent l’attention du ministère des Armées sur le caractère limité de cette alternative pour réduire les émissions de GES des véhicules des armées. Le recours aux biocarburants ne peut être qu’une alternative de court terme : seules les énergies alternatives, encore trop risquées pour les armées, permettront de réduire de manière effective les émissions de GES. Ils estiment néanmoins que cette solution est satisfaisante à court terme, en attendant de bénéficier d’alternatives viables aux énergies fossiles.

4.   Un renforcement indispensable de la politique d’innovation de défense en matière de transition énergétique

a.   Un axe d’effort identifié par l’Agence de l’innovation de défense

L’AID est chargée de trois missions principales : l’orientation et le pilotage de l’innovation de défense (notamment dans le domaine capacitaire), la captation et l’identification des innovations du secteur civil et des ruptures technologiques. Elle est donc au service de l’ensemble des acteurs du ministère, à savoir de ses armées, directions et services (ADS). Quatre types de projets sont financés par l’AID : les projets de technologie de défense (PTD), dont la passation et l’exécution du marché est effectuée en coordination avec la direction des opérations de la DGA, les projets de recherche (PR), les projets d’innovation participative (PIP) et les projets d’accélération de l’innovation (PAI).

En 2020, l’AID a publié un document de référence de l’orientation de l’innovation de défense (DrOID) – anciennement document d’orientation de l’innovation de défense (DOID) – qui précise les axes prioritaires de l’AID pour une période de cinq ans (2021-2026). Ce document est le résultat d’une démarche coordonnée des acteurs du ministère des Armées visant à établir les besoins technologiques et industriels dans le cadre des moyens déterminés par LPM. Il est mis à jour annuellement afin de s’adapter à l’évolution du contexte stratégique et à la rapidité des évolutions technologiques. Il ne s’agit pas d’une cible mouvante mais d’un ajustement continu.

La rédaction du DrOID a été coordonnée par l’AID et guidée par le retour d’expérience de sa première année d’existence, dont les priorités portaient par exemple sur l’IA et le cyber. En 2020, ces thèmes restent prioritaires et de nouveaux enjeux sont venus en complément, parmi lesquelles figurent la politique énergétique, la lutte anti-drone et les technologies quantiques. Le DrOID liste des axes prioritaires mais n’est pas un contrat d’objectifs et de performance (COP) : il n’a vocation qu’à fixer un cadre général. Par conséquent, le facteur environnemental est pleinement intégré à la grille d’analyse des projets soumis à l’AID. L’an dernier, l’AID a d’ailleurs participé au groupe de travail pour l’élaboration de la stratégie énergétique de défense. L’AID travaille également avec la Red Team sur des scénarios qui prennent en compte des transformations en profondeur provoquées par le dérèglement climatique et ses impacts sur les contextes stratégiques et donc sur les missions des armées, afin d’imaginer les réponses adéquates.

Engagée depuis plus de 10 ans, la transition énergétique fait aujourd’hui l’objet d’un consensus au sein du ministère des Armées selon l’AID. Une stratégie nouvelle s’oriente vers des systèmes conciliant le respect de l’environnement et les exigences opérationnelles : plus efficaces, plus discrets et moins énergivores. L’AID se doit donc d’être la tour de contrôle et le chef d’orchestre des liens réguliers entre la DGA – en particulier le SASD –, le Secrétariat général pour l’administration (SGA), la DGRIS et la division « énergie opérationnelle » de l’EMA, pour l’innovation en matière énergétique. À titre d’exemple, la DGA et l’AID ont établi une feuille de route commune et se réunissent tous les trois mois pour l’animation du pilier capacitaire et innovation de la stratégie énergétique du ministère. Chaque semestre, un compte-rendu est ainsi adressé au comité ministériel énergétique.

Les contacts sont également entretenus au niveau interministériel, notamment récemment avec le ministère de la Transition écologique, chargé des Transports. En effet, les armées doivent se doter des instruments correspondant aux conditions nouvelles liées au dérèglement climatique et devront être en mesure de s’adapter aux sources d’énergies disponibles pour accomplir leurs missions. Ainsi, l’énergie apparait comme un impératif absolu pour rester opérationnel au plus haut niveau.

Les principaux dispositifs de soutien à l’innovation pour les PME sont le régime d’appui à l’innovation duale (RAPID) et l’accompagnement spécifique des travaux de recherches et d’innovation défense (ASTRID). Le premier est doté de 50 millions d’euros annuels et délivre une subvention moyenne de 700 000 euros par projet, pouvant aller jusqu’à 75 % du financement du projet. Le second, qui était jusqu’ici un appel à projets généraliste et continu, fera en outre l’objet d’un appel à projets spécifique sur les problématiques énergétiques en 2021, en partenariat avec l’AID nationale de la recherche (ANR). Actuellement, on compte une trentaine de projets d’innovation dans le domaine de l’énergie ou de l’écologie, dont la moitié relève du RAPID. Certains d’entre eux sont très précis (groupes auxiliaires de puissance, groupes à hydrogène, moteurs électriques, etc.) et ont été présentés lors de l’université d’été de la Défense à Avord.

L’AID doit agir sur les deux plans, en soutenant les innovations duales comme non-duales. Elle ne saurait se contenter d’attendre que des technologies issues du secteur civil soient matures pour les décliner dans le secteur de la défense. Il s’agit d’identifier les technologies issues du secteur civil prometteuses pour le secteur de la défense et de mener des projets permettant de les adapter aux besoins et aux réalités opérationnelles. Il est nécessaire de conserver les moyens de financer la militarisation de ces technologies le plus en amont possible. Les batteries illustrent ces différences : la technologie peut être mature pour les besoins quotidiens sur le territoire national, tandis que les techniques de recharge sont quasiment inexistantes au Sahel. C’est pourquoi l’AID dispose de moyens pour chaîner les modes de soutien : un projet présentant un potentiel de dualité peut être financé par un RAPID, avant qu’un autre financement ne prenne le relais.

Cette idée a mené à la création fin 2020 du Fonds Innovation Défense (FID) – en coopération avec Bpifrance – dédié à l’accompagnement des phases de développement d’entreprises proposant une technologie duale innovante proposées à des entreprises ayant déjà montré une viabilité sur leur marché primaire, hors du secteur de la défense. Il est ainsi complémentaire de Definvest, dont le but est de financer des entreprises stratégiques du secteur de la défense. L’énergie figure parmi ses priorités. Doté de 200 millions d’euros initialement, avec un objectif de 400 millions d’euros à terme, ce fonds est en cours de finalisation.

Par ailleurs, il faut également conserver les moyens de financer des innovations non-duales, comme les armes électromagnétiques et lasers qui nécessitent de stocker beaucoup d’énergie et de pouvoir les relâcher de manière extrêmement rapide.

Les armées ne peuvent plus dépendre d’une seule énergie, et doivent aujourd’hui diversifier leurs sources. Plusieurs alternatives « bas carbone » sont à l’étude, comme les carburants synthétiques, mis en avant à l’occasion du dernier 14-Juillet, au cours duquel des aéronefs ont volé avec 5 % de biocarburant.

L’AID travaille également sur un prototype de nettoyeur de panneaux photovoltaïques sans eau, projetable en OPEX afin de lutter contre l’empoussièrement desdits panneaux qui réduit leur production solaire, notamment au Sahel. De plus, l’AID travaille sur un projet de centrale solaire à air chaud avec deux PME, fonctionnant avec un récepteur solaire et un stockage thermique, ce qui permet de délivrer de l’énergie de jour comme de nuit. Cette solution présente un réel avantage concurrentiel et devra être pérennisée, notamment dans le cadre du fonds européen de la défense (FEDef). Enfin, l’AID travaille sur un projet de pile à combustible pour les soldats qui fonctionne avec de l’eau et de la poudre qu’on mélange pour produire de l’hydrogène capable de faire fonctionner la pile.

Au-delà de la recherche de nouvelles sources, la transition énergétique passe aussi par l’optimisation de l’énergie disponible. Fin 2020, le ministère a ainsi lancé le projet GENOPTAIRE visant à optimiser les plateformes militaires sur le plan énergétique. Ce projet est réalisé en coopération avec la division « énergie opérationnelle » de l’EMA. Son objectif est de disposer d’un outil informatique permettant de connaitre l’efficacité énergétique des systèmes d’armes pour les trois armées. Il comprend deux volets :

– un volet méthodologique pour développer les outils permettant d’optimiser l’utilisation et le stockage de l’énergie des plateformes ;

– et un volet consacré aux carburants et aux biojets en particulier.

Enfin, l’AID travaille sur le recours aux innovations liées à l’hydrogène dans le secteur civil pour les OPEX, en s’intéressant notamment aux fonds alloués à cette source d’énergie dans le plan de relance ainsi que sur un projet de remplacement des groupes électrogènes des forces.

L’avenir doit accorder une place plus importante au numérique, en particulier dans deux domaines : la simulation et l’IA. Par le biais de la simulation, il est possible de concevoir des architectures plus efficientes, mais aussi d’économiser une partie non négligeable de l’énergie utilisée lors des exercices de terrain. Bien sûr, il ne peut y avoir de substitution totale, mais le développement de cette technologie peut optimiser l’entraînement : un mix réalité-simulation crée un cercle vertueux pour les soldats. Quant à l’IA, des techniques permettent de trouver des compromis entre différentes contraintes – notamment sur la planification des missions – et assurent une efficacité opérationnelle au plus haut niveau.

Si l’AID travaille sur de nombreux sujets numériques, elle n’est pas directement en charge de l’empreinte énergétique et environnementale de ces systèmes. Cependant, elle peut toujours être saisie sur ces questions par la direction générale du numérique et des systèmes d’information et de communication (DGNUM), ou par tout autre opérateur en lien avec ce sujet. L’AID se dit tout à fait disposée à travailler sur ce sujet, dès lors qu’elle sera saisie par les services concernés.

Avec le SCAF et le MGCS, les forces armées s’engagent pour au moins trois décennies, sans véritablement connaître la situation à cet horizon. La priorité est donc d’anticiper cet avenir à moyen terme. L’ONERA est pleinement impliqué dans cet effort. Pour le SCAF, les travaux portent notamment sur les gains en consommation, avec une optimisation du moteur en tout point du domaine de vol. Les études doivent s’intensifier en 2021. Pour le MGCS, les travaux incluent également l’énergie embarquée.

Sur l’avion hybride électrique, une douzaine d’entreprises ont déjà contacté l’AID. Malheureusement, l’AID n’a pas systématiquement les capacités d’identifier l’ensemble des acteurs car l’avion électrique n’a pas fait l’objet d’une demande particulière, ni de l’armée de Terre, ni de l’armée de l’Air.

b.   L’Agence de l’innovation de défense est-elle en mesure de répondre au défi de la transition énergétique des armées ?

Le dialogue entre l’AID et les industriels de la défense peut prendre deux formes : soit l’AID fait état de ses besoins capacitaires avec précision afin d’orienter l’innovation des entreprises, soit elle cherche à capter l’innovation dite « ouverte ». Ainsi, l’AID est libre d’orienter les dispositifs vers des enjeux définis, comme cela a été le cas au printemps dernier lorsqu’une enveloppe de 10 millions d’euros avait été consacrée aux innovations dans le secteur de la santé suite à la survenance de la crise de la Covid-19.

L’AID est en contact avec les grandes entreprises de la défense via le Conseil des industries de défense françaises (CIDEF). Elle a également conclu des conventions avec les trois principaux groupements professionnels (GICAT, GICAN et GIFAS) dans le but de repérer les entreprises innovantes répondant aux besoins répertoriés. Ces conventions s’appuient, pour le GICAN et le GICAT, sur les programmes d’accélération de start-ups SeaStart et GENERATE permettant d’aider les entreprises davantage axées sur les marchés civils mais présentant un potentiel de dualité à s’intégrer sur le marché militaire. Depuis la création de l’AID, plus de 400 startups ont été référencées grâce aux efforts de détection déployés, parmi lesquelles 140 ont été reçues pour un entretien individuel dans les locaux de l’AID. Ces entreprises sont contactées en fonction des priorités définies, comme la transition énergétique.

Récemment, un processus simplifié a été inauguré afin de faciliter l’accès à l’AID, notamment les start-ups et PME. Jusqu’en 2018, on comptait en effet une dizaine de dispositifs d’appui à l’innovation répartis au sein du ministère des Armées, rendant difficile l’identification d’un interlocuteur. Désormais, il existe un guichet unique permettant aux entreprises de déposer directement leurs projets. Il incombe ensuite à l’AID de trouver le meilleur dispositif de financement et les sponsors opérationnels internes au ministère. Cette nouvelle organisation n’est cependant pas la seule façon dont l’AID repère les sociétés à même d’intéresser les armées. En effet, lorsqu’un secteur ne fait pas l’objet d’une demande expresse du ministère, il relève directement des capacités d’exploration de l’AID, lesquelles sont forcément limitées par des ressources humaines qui ne sont pas infinies face au champ d’action qui lui, est immense.

Les rapporteurs estiment qu’il est nécessaire de renforcer la politique d’innovation de l’AID en lui fixant des objectifs clairs en matière d’innovation dans le secteur énergétique et en renforçant ses effectifs. À ce titre, tout en ayant conscience des apports du secteur civil, le ministère des Armées doit être un acteur qui investit le champ de la recherche pour innover et ne doit pas se contenter d’attendre que le secteur civil, certes très en avance et porteur, développe les technologies nécessaires.

Les rapporteurs estiment également qu’il est nécessaire d’investir dès à présent dans des programmes de recherche pour le développement d’énergies alternatives opérationnelles dans le secteur civil mais ne pouvant pas encore être déclinées dans le secteur de la défense (hydrogène, GNL, électro-carburants, carburants synthétiques, micro-algues…).

5.   L’empreinte environnementale du numérique : une future source d’émissions à prendre en compte dès maintenant

La stratégie énergétique de défense plaide pour la mise en place d’une politique de sobriété numérique. Le ministère des Armées s’est engagé à conduire une réflexion sur l’impact écologique de sa transformation numérique tant au niveau de ses équipements que de ses services numériques. Cette politique de sobriété numérique a quatre objectifs :

– veiller à la prise en compte de l’empreinte environnementale dans le choix des solutions d’hébergement interne et externe ;

– réaliser les futurs data centers en intégrant la récupération systématique de la chaleur émise par les équipements ;

– encourager le développement informatique écologique en favorisant l’écoconception des logiciels et en introduisant ce critère dans les marchés ;

– et intégrer la dimension Green Tech à l’offre de formation de l’Académie du numérique et promouvoir cette dimension au sein du ministère.

Dans le cadre de la stratégie énergétique de défense, la Direction interarmées des réseaux d'infrastructure et des systèmes d'information (DIRISI) a vocation à être un partenaire clé dans la réponse au trilemme énergétique, notamment sur la cybersécurité en coopération avec le COMCYBER (consommer sûr), l’exploitation des data centers et la sobriété numérique (consommer moins) ou encore l’optimisation des processus métiers et la dématérialisation des informations (consommer mieux). La DIRISI contribue donc à la mise en œuvre de la stratégie énergétique et environnementale tout au long du cycle de vie des systèmes informatiques du ministère des Armées. À titre d’exemple, la DIRISI a travaillé au profit du SEO sur une application logistique permettant d’améliorer la cohérence globale du processus de distribution des carburants.

La DIRISI est également en lien avec ses partenaires du ministère pour la mise en œuvre de la stratégie, comme le SID qui assure la maitrise d’ouvrage des data centers. Les échanges avec la DGA dans le cadre de la conduite des programmes et projets de SIC intègrent les préoccupations environnementales et relatives à la diminution des consommations d’énergie, tout comme les contrats que passe la DIRISI avec les 240 PME partenaires dans son domaine. À titre d’exemple, la DIRISI et la DGA travaillent avec une start-up qui propose d’utiliser un logiciel pour mesurer les consommations numériques et avec la société Atos pour réduire la consommation énergétique des équipements et accroitre leur efficience. Cependant, la DIRISI n’est associée qu’aux programmes et projets du domaine des SIC interarmées, comme les systèmes d’information de commandement ou les réseaux d’infrastructure, à la différence des systèmes d’information opérationnels intégrés comme ceux du Rafale par exemple, auxquels elle ne contribue pas.

La DIRISI dispose par ailleurs de 4 data centers principaux. Eu égard à l’augmentation exponentielle des transmissions d’informations, la DIRISI dispose de salles secondaires plus petites. Leur implantation soulève plusieurs questions quant à leur empreinte écologique. Il semble nécessaire de développer une stratégie propre pour répondre à ces besoins croissants, tout en les conciliant avec les objectifs énergétiques et environnementaux. Avec l’augmentation du numérique, les émissions de CO2 qui y sont rattachées sont elles aussi en phase ascendante. Le ministère des Armées a donc décidé d’optimiser les consommations de ces quatre centres principaux, afin de réduire son empreinte carbone.

Une solution peut être de capter la chaleur dégagée par ces centres pour l’utiliser dans les bâtiments de travail et de logement. Cela est déjà le cas au ministère où les serveurs des salles secondaires de Balard contribuent pour plus de 50 % au chauffage de l’Hexagone de Balard. Un nouveau data center doit d’ailleurs être livré à Bordeaux cette année, avec la faculté de capter la chaleur pour la redistribuer vers les infrastructures.

Les rapporteurs estiment qu’il est nécessaire d’établir une stratégie précise et complète en matière de réduction de l’empreinte environnementale du numérique, à la charge de la DIRISI, eu égard à la hausse prévisible de sa consommation en énergie pour les armées. À cet égard, l’association plus étroite de la DIRISI dans la gouvernance de la stratégie énergétique de défense serait bénéfique.

6.   L’enjeu de l’énergie nucléaire pour les armées

Le nucléaire militaire désigne principalement l’exploitation de l’énergie nucléaire pour la production de l’arme nucléaire ainsi que les réacteurs nucléaires pour la propulsion de navires militaires ou de sous-marins nucléaires. Cette source d’énergie concerne donc principalement la Marine nationale.

Le ministère des Armées a besoin de l’énergie nucléaire en raison de sa densité : cette énergie est la seule que l’on peut utiliser dans un sous-marin sans qu’il n’y ait besoin de refaire surface régulièrement. Il y a aussi l’obligation de maintenir cette filière spécifique en France, ce qui explique le choix d’une propulsion nucléaire pour le porte-avions de nouvelle génération (PANG).

Le porte-avions de nouvelle gÉnÉration

Le 8 décembre 2020, le président de la République a annoncé que le PANG sera doté d’une propulsion nucléaire. Ce choix clôt la phase d’étude des différentes hypothèses d’architecture et de propulsion du PANG. La réalisation des plans se poursuivra jusqu’en 2025, date à laquelle les travaux de construction du bâtiment débuteront. Après deux ans d’essais en mer, le PANG devrait être pleinement opérationnel en 2038.

D’une masse d’environ 75 000 tonnes, le PANG mesurera de l’ordre de 300 mètres de long et 80 mètres de large. Avec une vitesse de 27 nœuds, soit 50 km/h, il pourra embarquer des catapultes électromagnétiques et une trentaine d’avions de combat de nouvelle génération (SCAF).

Le choix de la propulsion nucléaire permettra au porte-avions de gagner en autonome, puisque ses besoins en ravitaillements seront limités. Ce choix augmente aussi sa disponibilité, dans la mesure où les arrêts techniques n’interviendront que tous les 10 ans contre 7 à 8 ans aujourd’hui.

Source : ministère des Armées

Ce choix résulte d’une analyse globale, y compris opérationnelle : besoin de moins de ravitaillements, plus grande fiabilité par rapport à un moteur thermique… Au-delà des performances, le nucléaire reste la source d’énergie préférentielle pour produire de l’électricité. Or, tout fonctionnera à l’électricité sur le PANG, notamment les catapultes électromagnétiques.

Une propulsion nucléaire permet également de maintenir les compétences : pérenniser les capacités scientifiques et industrielles pour savoir intégrer une propulsion nucléaire dans un petit navire. Ce savoir-faire particulier est tiré par un tissu industriel de PME dont la France a besoin. Sans le programme nucléaire, ces PME disparaitraient car beaucoup de ces industries n’ont pas nécessairement besoin de l’énergie nucléaire pour vivre. In fine, nous perdrions les compétences associées à la fabrication des pièces.

Ainsi, à l’heure actuelle, aucune énergie ne permet le même rapport énergétique que le nucléaire. Tant que l’hydrogène, la fission ou la pile à combustible ne seront pas développés, il n’y aura pas d’alternative. La décision du président de la République de doter le PANG d’une composante nucléaire s’explique aussi par les enjeux de préservation des compétences associées, essentielles pour conserver la propulsion nucléaire des sous-marins. Des mini centrales pour alimenter en énergie les bateaux de premier rang ne sont toutefois pas envisageables. Cela engendrerait des problèmes en matière de rendement énergétique pour la vitesse, cela encombrerait le navire, lequel serait de surcroît exposé au risque d’un missile. Sur ce dernier point, le porte-avions est protégé par le groupe aéronaval.

7.   La question des débris spatiaux

Les débris spatiaux ont toujours été une préoccupation des puissances spatiales du fait d’une détérioration possible, par collision, de satellites actifs, sans réparation envisageable, et d’endommagement d’équipements de la station orbitale internationale. Le nombre d’objets en orbite ne cesse en effet d’augmenter depuis le début de l’ère spatiale, et tout particulièrement avec la multiplication des constellations de microsatellites, constituant ainsi une source croissante de débris : étages supérieurs de lanceurs, satellites inactifs non désorbités, et surtout produits de collisions successives, produisant à chaque fois une nouvelle population de débris.

Selon lESA, qui publie un rapport annuel consacré aux débris spatiaux, on estime en 2020, grâce à un modèle statistique, qu’il y a, en orbite autour de la terre, environ 34.000 objets de plus de 10 centimètres, 900 000 objets de plus d'un centimètre et 130 millions d’objets de plus d'un millimètre. Ce décompte inclut 20 000 objets « référencés » et suivis quotidiennement pour leur impact potentiel en cas de collision (avec un satellite en service) ou d’explosion (s’il existe des résidus de combustibles). Sans surprise les objets répertoriés sont des satellites inactifs, certains sur une orbite dite « cimetière » en l’absence de capacité de désorbitation, des restes de missions spatiales comme les coiffes des fusées par exemple, des corps de fusées et des petits fragments issues d’explosions ou de collisions. On estime que la collision d’un satellite actif avec un débris de taille supérieure à 1 mm peut entrainer des perforations et l’endommagement d’équipements critiques alors que des débris supérieurs à 2 cm de diamètre entrainent une perte de fonctionnement du satellite. Au-delà de 10 cm, la collision produit plus d’un millier de petits débris supplémentaires. L’ESA compte en moyenne 12 épisodes de fragmentation par an.

Quelques pays comme les États-Unis, la Russie, la Chine, l’Inde ou la France (et l’Allemagne dans une moindre mesure) ont la capacité de réaliser une surveillance de l’espace, sur tout ou partie des orbites utilisées. La France dispose du radar Graves capable de surveiller les objets jusqu’à une altitude de 1000 km et utilise également les services Geotracker (détection optique des satellites géostationnaires opéré par ArianeGroup) et ainsi que sur le système WeTrack (opéré par Safran Data System, fonctionnant par triangulation des signaux radiofréquence émis par les satellites actifs en orbites basses et moyennes). Néanmoins les États-Unis demeurent prédominants. Ils disposent depuis la Guerre froide d’un réseau de 26 capteurs au sol et en orbite répartis sur l’ensemble de la planète leur permettant d’avoir une connaissance extrêmement approfondie de l’activité orbitale et d’alerter les autres États des risques de collision. Il s’agit également d’un sujet de politique de défense : surveiller les objets dans l’espace au-delà des débris permet de repérer des manœuvres inamicales de potentiels satellites-espions comme cela a été le cas en 2017 lorsque le satellite-espion russe Louch-Olympe avait tenté de s'approcher du satellite militaire franco-italien Athena-Fidus.

Deux mesures de prévention de la prolifération des débris sont aujourd’hui imposées aux opérateurs français. La première limite à 25 ans le temps de présence d’un satellite dans l'espace après la fin de sa mission. La deuxième prévoit la passivation des étages supérieurs de lanceurs après utilisation, par largage du carburant résiduel, pour limiter le risque d'une explosion des imbrûlés qui engendrerait des milliers de nouveaux débris. Cependant bien des pays n’appliquent pas encore ces règles, notamment la Chine, et il est à craindre qu’à l’instar des négociations de la COP il faille attendre encore de nombreuses années avant de faire adopter ces règles de limitations des débris spatiaux.

Dans le cadre du projet Adrios (Active Debris Removal/In-Orbit Servicing), l’ESA a signé en 2020 un contrat avec la startup suisse Clear Space afin de tester un satellite « nettoyeur » en charge de s’arrimer aux débris (ici le dernier étage d’une fusée Vega en orbite depuis 2012) à l’aide d’un bras robotique en forme de pince puis de désorbiter l’objet ainsi capturé, qui se désintègrera lors de son retour dans l’atmosphère. En 2018 puis 2019, une démonstration de harponnage et de capture par filet de débris de grande taille a également été effectuée dans le cadre de la mission RemoveDebris sous la responsabilité d’Airbus. Enfin des techniques de destruction par laser sont également à l’étude.

F.   Faire des armées un leader européen et international en matière de transition énergétique

Plusieurs leviers sont à la disposition des armées françaises pour endosser le rôle de leader européen et international de la transition énergétique, en particulier au sein de l’UE et de l’OTAN. Au-delà de l’implication dans les projets de coopération propres au domaine de la défense, elles peuvent par exemple tirer parti des initiatives principalement destinées au secteur civil mais qui, dans une certaine mesure, peuvent avoir des répercussions positives sur le monde militaire. Enfin, deux échéances doivent en particulier retenir l’attention de l’armée française pour convaincre ses partenaires sur la scène internationale : la COP26 de Glasgow en novembre 2021 et la présidence française du Conseil de l’UE du 1er janvier au 30 juin 2022.

1.   Susciter et soutenir des projets de coopération à l’échelle européenne au sein desquels la France jouerait un rôle cardinal

Première puissance militaire de l’UE, la France est particulièrement suivie et observée par ses partenaires sur les sujets de défense. À ce titre, les attentes grandissantes de la société civile envers les armées en matière de respect de l’environnement font peser sur notre pays une lourde responsabilité. Attendue, la France se doit de répondre à ses partenaires et de prendre la tête d’une dynamique européenne en faveur de la transition écologique des armées, notamment à l’occasion de sa présidence du Conseil de l’UE qui débutera pour six mois à partir du 1er janvier 2022.

a.   L’Agence européenne de défense, levier indispensable de promotion de la transition énergétique des armées européennes

Fondée en 2004, l’AED réunit 26 États membres de l’UE (tous à l’exception du Danemark) et facilite la coopération et l’émergence d’initiatives communes pour améliorer les capacités de défense nationales et européennes. Ces dernières années, l’AED s’intéresse de plus en plus aux enjeux de la transition énergétique, en s’appuyant sur deux instruments principaux.

Premièrement, le forum consultatif sur l’énergie dans le secteur de la défense et de la sécurité (Consultation Forum for Sustainable Energy in the Defence and Security Sector, CF SEDSS), financé par la Commission européenne, qui vise à concevoir une stratégie énergétique commune aux armées de l’UE. Cette structure présente un double intérêt : d’une part, la sensibilisation des différents ministères de la défense aux règlementations énergétiques, et d’autre part, l’échange de bonnes pratiques, notamment sur les projets de rénovation permettant de réaliser des économies d’énergie. Outre les 26 États membres de l’AED, le forum réunit quatre États tiers ayant signé un arrangement administratif (Suisse, Norvège, Serbie et Ukraine) ainsi que l’OTAN, invitée en observateur. Dans ce cadre, les ministères européens de la défense sont aidés à développer leurs stratégies énergétiques ; pour l’heure, une quinzaine d’États, dont la France, ont déclaré une telle stratégie et six autres États indiquent se trouver en phase de conception. Le forum ne dispose pas de budget spécifique pour accompagner des projets mais peut faire office de porte d’entrée aux mécanismes civils de financement dédiés à l’énergie. C’est ainsi que la Slovénie a pu bénéficier des fonds de l’UE pour l’étude de faisabilité de son projet de réseau de stations-service à hydrogène pour les véhicules militaires.

Si la priorité demeure portée vers la mission opérationnelle, l’AED est consciente des bénéfices à agir sur l’énergie : un groupe de travail s’intéresse par exemple à la protection des infrastructures critiques et à l’amélioration des approvisionnements énergétiques pour rendre les armées plus résilientes. Cela passe par des solutions locales permettant aux bases, sur le territoire national comme en OPEX, de développer une meilleure autonomie énergétique. Par exemple, un projet de démonstrateur pour la mission de formation de l’UE au Mali (European Union Training Mission in Mali, EUTM Mali) couple à la fois l’installation de panneaux solaires et un système de gestion pour optimiser l’utilisation de l’énergie du camp, par exemple en régulant la température des climatiseurs. L’état-major de l’UE (EMUE) a souhaité rendre ce démonstrateur opérationnel et pérenniser les équipements.

Deuxièmement, l’agence s’appuie sur les « captechs », des groupes technologiques d’incubation qu’elle anime dans le but d’élaborer des feuilles de route dans un domaine technique donné, dès lors qu’au moins deux États membres souhaitent coopérer en la matière. L’AED leur fournit ainsi un cadre administratif avec un accord de projet (project agreement) et leur propose des acteurs industriels avec lesquels ils pourraient travailler. Par exemple, cela peut concerner les infrastructures ou bien les piles à combustible.

Grâce à ces deux instruments, l’agence est devenue un levier indispensable dans la promotion de la transition énergétique des armées européennes. Elle porte également plusieurs projets en lien avec ces problématiques, à l’image du projet « Projectiles for Increased Long-range effects Using Electro-Magnetic railgun » (PILUM), coordonné par le l’Institut franco-allemand de recherches de Saint-Louis (ISL) visant à développer un canon à rails électromagnétiques innovant. L’échelle européenne apparaît en effet adéquate pour explorer ce type de technologies, car les risques – et les éventuelles pertes – sont mutualisés.

De son côté, le ministère des Armées est engagé dans les actions de l’AED en matière d’énergie, aussi bien sur la partie recherche et développement que sur la coopération capacitaire. Pour occuper la scène européenne, le ministère doit intensifier ses échanges avec l’agence qui apparaît comme un acteur indispensable pour faire de la France le leader de la transition écologique des armées.

b.   Les projets financés par le fonds européen de défense et le programme « Horizon Europe »

À l’échelle européenne, deux structures de financement présentent un intérêt particulier dans la préparation de la transition écologique des forces armées : le FEDef et le programme de recherche Horizon 2020.

Proposé par la Commission européenne en 2016, le FEDef a été inauguré le 1er janvier 2021, en même temps que le nouveau cadre financier pluriannuel (CFP) de l’Union pour les années 2021 à 2017. Il est doté d’un montant de 8 milliards d’euros sur cette période, contre 13 milliards initialement annoncés. Son objectif est de faciliter les synergies et cohésions entre industriels européens sur la recherche et le développement dans le cadre de projets communs d’armement. Il participe ainsi pleinement à la constitution d’une autonome stratégique européenne.

Dès son lancement, la France a été très impliquée dans les développements du FEDef et a proposé plusieurs projets dans le cadre de l’action préparatoire pour la recherche en matière de défense (APRD) et du programme européen de développement de l’industrie de défense (PEDID). Le ministère des Armées indique attacher une importance à ce que les problématiques énergétiques soient bien intégrées par les programmes de travail du fonds. Ainsi, la composante « énergie » a été prise en compte dès les actions préparatoires, comme en témoigne le projet PILUM de l’ISL, retenu dans l’APRD.

Au-delà du FEDef, l’UE participe au financement de la recherche et de l’innovation via ses programmes-cadres, adossés aux CFP successifs. Entre 2014 et 2020, le programme-cadre « Horizon 2020 » a ainsi consacré 5,9 milliards d’euros à la recherche sur l’énergie durable. Pour la période 2021-2027, sur les 95,5 milliards d’euros alloués au nouveau programme-cadre « Horizon Europe », 15,1 milliards seront dédiés au climat, à l’énergie et à la mobilité.

Bien que l’outil de financement privilégié des projets intéressants le ministère des Armées demeure le FEDef, les initiatives menées par « Horizon Europe » doivent être suivies attentivement, eu égard à l’importance des technologies civiles et duales dans la transition énergétique des forces. Une veille doit être régulièrement menée, afin que les armées soient en mesure de faire entendre leurs intérêts et leurs particularités dans les discussions à l’échelle européenne.

c.   La fonction « énergie opérationnelle » dans le cadre de la coopération structurée permanente

Lancée en décembre 2017 par 25 des États membres de l’UE (tous sauf le Danemark, Malte et le Royaume-Uni), la coopération structurée permanente (CSP) permet d’approfondir le cadre de partenariat entre les nations européennes volontaire dans le domaine de la défense.

À ce titre, la France pilote depuis mars 2018 le projet « Fonction énergie opérationnelle » (FEO) auquel participent également trois de ses voisins : la Belgique, l’Espagne et l’Italie. Son objectif est de développer une approche opérationnelle de l’énergie qui permette l’améliorer l’autonomie et la résilience des forces armées, le tout au service de leurs performances opérationnelles. Ainsi, trois points retiennent particulièrement l’attention des pays impliqués :

– améliorer l’efficacité énergétique des camps déployables, sur le modèle du projet français de l’écocamp, à la fois en réduisant la consommation sans affecter le niveau de service et en développant des standards européens communs pour favoriser l’interopérabilité ;

– élaborer des standards européens pour les batteries destinées à la mobilité opérationnelle (pour les véhicules terrestres déployés en opération) qui pourrait, à terme, déboucher sur une organisation industrielle européenne pérenne en la matière ;

– développer un outil commun d’appui à la planification opérationnelle énergie, afin d’optimiser le mix énergétique en opération en conciliant la réduction de la consommation et la garantie de la résilience des forces.

Ce projet illustre le rôle de leader que la France est en mesure d’endosser sur la scène européenne dans le cadre de la transition énergétique des armées du vieux continent. Elle doit se servir de ces projets comme un tremplin pour de futures initiatives encore plus approfondies.

d.   Le projet européen de centrale d’achat de produits pétroliers

Dans le cadre de ces dynamiques poussant vers une Europe de la défense, la France, en coordination avec le SEO, souhaite proposer à ses partenaires européens de lancer une centrale d’achat de produits pétroliers au profit des forces armées de l’UE.

Une telle centrale permettrait de massifier et de mutualiser les achats afin de réaliser des économies d’échelle. Elle pourrait également s’accompagner d’une structure réactive et adaptée au soutien énergétique des forces européennes. Ses principales missions seraient la recherche des ressources en carburants nécessaires aux activités opérationnelles et leur mise à disposition au profit des armées, ainsi que le conseil aux nations clientes. Par ailleurs, la centrale n’a pas vocation à se limiter aux seuls membres de l’UE ; la France propose en effet d’y associer le Royaume-Uni.

Les travaux pour parvenir à la concrétisation de l’initiative sont encore longs. Il faudrait tout d’abord identifier les États membres volontaires, le statut juridique de l’agence et sa capacité à acquérir et vendre des produits pétroliers, le tout en fonction de la définition du segment d’achat. Enfin, les coûts de fonctionnement, la masse salariale et leur mode de financement devront faire l’objet de discussions.

En étant à l’initiative d’un tel projet, la France affirme sa position de moteur de l’Europe de la défense face aux défis du XXIe siècle. Le SEO du ministère des Armées apparaît à même de piloter le projet, au vu de son expertise en matière d’achat de produits pétroliers à l’international. Cependant, plusieurs personnes auditionnées par les rapporteurs ont tenu à attirer leur attention sur les risques que pourrait présenter cette centrale d’achat commune pour les armées françaises, soulignant ainsi le caractère décisif de la phase de définition du projet pour répondre à ces défis.

Auditionnée par les rapporteurs, l’entreprise Total a par exemple émis plusieurs réserves quant à la mise en place d’une centrale d’achat à l’échelle européenne. À ses yeux, les appels d’offres régionalisés ou concentrés sur des opérations particulières seront inévitables, puisqu’aucun fournisseur ne sera en mesure d’approvisionner l’ensemble des armées européennes. Dès lors, la société pétrolière estime qu’une telle centrale ne changerait pas significativement le fonctionnement du marché actuel, où les appels d’offres sont déjà fortement concurrentiels, y compris sur les théâtres extérieurs.

Pour sa part, l’AED a indiqué aux rapporteurs qu’il n’existait pas d’obstacle théorique à la mise en commun des achats par les États membres de l’UE ; cela est déjà le cas pour les satellites et les moyens de communication. L’agence retient les effets positifs que présenterait une telle initiative, notamment la réduction des coûts par la constitution d’un effet de groupement. Cependant, l’AED ne s’est pas encore penchée concrètement sur le projet et cherche actuellement à recenser les consommations énergétiques des différents ministères européens de la défense.

e.   Les initiatives dans le cadre de la présidence française du Conseil de l’UE

Au sein du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (MEAE), le pôle « énergies » a proposé à la direction de l’UE, en charge de la préparation de la présidence française du Conseil de l’UE du premier semestre 2022, d’intégrer la transition énergétique aux priorités de la France. Dans ce cadre, il serait intéressant de mettre en évidence les initiatives propres aux armées, en dépit des réticences de quelques pays moins favorables.

Des échanges européens lors de la PFUE peuvent nourrir des réflexions autour des solutions énergétiques pour la mobilité des forces armées, notamment l’hydrogène et l’énergie nucléaire. Sur cette dernière, la France pourrait tirer parti de ce moment européen pour la promouvoir comme une énergie verte et fortement décarbonée auprès de la Commission européenne, afin de la rendre éligible aux mécanismes de financements mis en place pour avancer dans la transition énergétique. Récemment, le centre de recherche commun (CRC) européen s’est d’ailleurs prononcé en faveur d’une telle intégration du nucléaire dans la stratégie européenne de transition.

La France pourrait également faire avancer les discussions sur le développement de filières européennes de recyclage, y compris pour les armées, non seulement pour des questions de coûts mais aussi pour le renforcement de leur autonomie stratégique. Le MEAE et le ministère des Armées, en particulier la DGRIS, travaillent étroitement autour de ces questions de souveraineté. L’exportation du savoir-faire énergétique des armées françaises sur le territoire national à l’occasion de la présidence du Conseil pourrait, de surcroît, ouvrir des débouchés supplémentaires pour notre diplomatie économique.

Enfin, la France espère accueillir la quatrième conférence de la troisième phase du forum consultatif sur l’énergie dans le secteur de la défense et de la sécurité lors de sa présidence du Conseil de l’Union. L’objectif de l’événement sera d’identifier de nouveaux financements disponibles pour mener les actions de recherche et d’innovation dans le domaine de l’énergie de défense, et surtout de mettre en avant les solutions développées par les armées françaises.

Il serait pertinent de croiser ces efforts avec les programmes en lien avec le Pacte vert pour l’Europe et le plan de relance, afin de créer une dynamique européenne et d’emmener les partenaires volontaires. Si les besoins des forces françaises sont certes particuliers en comparaison avec d’autres pays n’ayant pas la même culture militaire, des convergences d’intérêts peuvent exister, par exemple sur le verdissement des infrastructures, les armées étant souvent de grands propriétaires fonciers.

Les prioritÉs de la prÉsidence française du conseil de l’UE

Entre le 1er janvier et le 30 juin 2022, la France prendra pour la 13e fois la tête du Conseil de l’UE. Sa présidence suivra celles du Portugal et de la Slovénie et précèdera celles de la République tchèque et de la Suède.

La PFUE sera axée autour du triptyque « relance, puissance, appartenance ». La France ambitionne de construire une Europe plus solidaire et plus souveraine, en accélérant la relance économique pour faire face aux conséquences de la crise sanitaire, et en avançant vers les transitions écologique et numérique.

Source : Gouvernement

Cependant, le véritable défi pour la France sera d’occuper le terrain politique de Bruxelles jusqu’au 31 décembre 2021, c’est-à-dire avant le début de sa présidence. En effet, les travaux doivent être amorcés dès aujourd’hui et orientés vers les priorités françaises, notamment les initiatives climat-défense, afin que le passage de relai se déroule le mieux possible. Dans cet exercice, du retard a malheureusement été accumulé, en raison de la gestion de la pandémie et des difficultés de la reprise économique.

Le 1er juillet 2021, la Slovénie succèdera au Portugal à la tête du Conseil de l’UE. Ljubljana est d’ores et déjà l’un des pays les plus impliqués sur la transition énergétique des armées européennes, avec qui Paris entretient une relation de confiance. La France devra s’impliquer dans les initiatives slovènes, en proposant par exemple l’organisation d’événements réunissant think tanks, industriels et spécialistes des nouvelles technologies, lors desquels des experts français pourront présenter certains projets prometteurs portés par les armées, comme les travaux de l’écocamp ou les avancées de la fonction « énergie opérationnelle », menée dans le cadre de la CSP.

Les rapporteurs plaident donc pour que la France travaille dès à présent avec la Slovénie dans le cadre de sa future présidence de l’UE sur la thématique de la transition énergétique des armées européennes. Ils estiment par ailleurs que la France devra faire de la transition énergétique des armées européennes une des priorités de sa présidence de l’UE au premier semestre 2022 et être leader dans le domaine.

2.   Tirer parti des initiatives européennes du secteur civil au bénéfice des armées

En réaction aux tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine et, plus récemment, à la crise de la Covid-19, l’UE a lancé plusieurs initiatives de soutien au profit du secteur civil. Ces programmes pourraient également trouver une application intéressante au bénéfice des armées dans leur transition écologique et énergétique, à l’image du plan de relance et de l’alliance des batteries.

a.   Le plan de relance européen

Next Generation EU, le plan de relance européen, présente un double objectif : permettre la reprise des économies européennes, durement ébranlées par la crise de la Covid-19 depuis le printemps 2020, et accélérer les transitions écologique et numérique des États membres. La Commission européenne résume ces idées en deux termes : réparer et préparer. Ce plan comprend trois piliers, dont les fonds alloués pourraient trouver un écho dans la stratégie de transition écologique du ministère des Armées :

– soutenir les États dans leurs investissements et leurs réformes, en créant notamment une nouvelle facilité pour la reprise et la résilience d’un montant total de 560 milliards d’euros qui apportera un soutien financier pour accompagner les économies européennes vers les transitions écologique et numérique ;

– relancer l’économie de l’Union en attirant des investissements privés, à travers une nouvelle facilité d’investissement stratégique intégrée dans le programme InvestEU qui permettra de générer jusqu’à 150 milliards d’euros d’investissements destinés à stimuler la résilience des secteurs stratégiques, en particulier ceux des transitions écologique et numérique, et des chaînes de valeur clés du marché intérieur, grâce à une contribution de 15 milliards d’euros de Next Generation EU ;

– tirer les enseignements de la crise, en débloquant 95,1 milliards d’euros en faveur du programme « Horizon Europe », renforcé pour financer les domaines des transitions écologique et numérique, de la résilience et de la santé.

Par ailleurs, le Pacte vert pour l’Europe, présenté par la Commission européenne en 2019, a été placé au cœur de la stratégie de relance. Celui-ci doit aider les États, les entreprises et les particuliers à avancer vers la transition écologique en :

– facilitant la rénovation des bâtiments et infrastructures, dans une logique d’économie circulaire ;

– lançant des projets en lien avec les énergies renouvelables, notamment l’éolien, le solaire et l’hydrogène vert, où l’Europe peut devenir une championne à l’échelle mondiale ;

– développant les modes de transport et de déplacement plus respectueux de l’environnement, à travers l’implantation de bornes de recharge pour les véhicules électriques ;

– renforçant le fonds pour une transition juste qui soutient la reconversion des régions placées en difficultés par la transition écologique – en particulier les régions fortement carbonées d’Europe centrale et orientale – et les accompagne dans cette période de changements.

À l’exception du dernier point, l’ensemble de ces priorités présentent une utilité concrète dans la transition écologique des forces armées françaises. Le ministère des Armées doit donc profiter des mesures déployées par le plan de relance européen et le Pacte vert pour l’Europe, afin de mener et d’accompagner sa propre transition.

b.   L’alliance européenne des batteries

Dominé par les pays asiatiques, le marché des batteries est presque exclusivement porté par les initiatives du secteur civil, dont les volumes d’approvisionnements nécessaires à leurs diverses applications – comme les véhicules électriques et hybrides – sont sans commune mesure avec les volumes du secteur militaire. Actuellement, les pays de l’UE dépendent de fournisseurs extracommunautaires sur l’ensemble de la chaîne de valeur des batteries, en particulier pour son approvisionnement en matériaux critiques : 100 % pour le lithium, 98 % pour le graphite naturel et 86 % pour le cobalt. Pour réduire leur dépendance aux acteurs tiers, les Européens se réunissent autour du projet d’alliance européenne des batteries, à laquelle participent par exemple les fleurons industriels français Eramet et Saft (filière de Total).

Créée en octobre 2017 par l’ancien vice-président de la Commission européenne chargé de l’Union énergétique, Maroš Šefčovič, l’alliance réunit les États membres et les acteurs industriels du secteur. Son objectif premier est de développer les technologies et les capacités de production des batteries au sein de l’Union, en particulier pour le secteur automobile. Il vise aussi à garantir la sécurité des approvisionnements en matières premières. À terme, l’initiative permettra aux Européens de se diriger vers une mobilité à faibles émissions de GES, de stocker leur énergie de façon sécurisée et surtout de consolider la souveraineté économique et l’autonomie technologique du continent.

L’alliance repose sur une approche intégrée de l’ensemble de la chaîne de valeur des batteries avec une logique « horizontale », s’appuyant sur la coopération entre les différents acteurs industriels du secteur. À cet effet, plusieurs instruments financiers interviennent en soutien de l’alliance : prêts de la Banque européenne d’investissement (BEI), budget de l’UE et surtout les projets importants d’intérêt européen commun (PIIEC) qui permettent aux États membres de soutenir des projets transnationaux présentant une importance stratégique pour l’Union.

Enfin, l’alliance des batteries comprend un volet environnemental : l’objectif de la Commission est de faire de la durabilité du processus de fabrication des batteries un avantage concurrentiel pour les entreprises européennes. En effet, il faut éviter que l’électrification du parc automobile européen ne se traduise par l’importation de solutions présentant une lourde empreinte environnementale. Il convient ici de rappeler que les batteries soulèvent également des questions de gestion des déchets qui mériteraient de faire l’objet d’une stratégie conçue et coordonnée au niveau européen.

Plusieurs projets d’usines émergent en Europe. L’Observatoire de la sécurité des flux et des matières énergétiques de la DGRIS a par ailleurs publié un rapport sur le sujet en décembre 2020, et retient deux projets présentant un intérêt particulier :

– celui d’Automotive Cells Company, co-entreprise de PSA-Opel et de Total via sa filière Saft, qui vise à mettre au point et à fabriquer à grande échelle des cellules lithium-ion à haute performance pour les modèles électriques et hybrides rechargeables ;

– celui de la start-up suédoise Northvolt, fondée en 2016, qui ambitionne de devenir le fabricant de batteries lithium-ion le plus écoresponsable au monde en mettant en place une intégration verticale de ses activités sur l’ensemble de la chaîne de valeur des batteries, de l’extraction minière au recyclage, en passant par la fabrication des cellules.

Si son application est avant tout guidée par le secteur de l’automobile, en raison des volumes nécessaires au fonctionnement de ce dernier, l’industrie de la défense pourra elle-aussi profiter des avantages de la constitution d’une chaîne autonome des batteries à l’échelle européenne. Le ministère des Armées et ses homologues européens devront toutefois veiller à ce que les spécificités du domaine militaire soient, dès que cela est possible, prises en compte par l’alliance. Souvent, le domaine d’emploi est plus exigeant pour les batteries militaires : niveaux de fiabilité plus importants, logistique sur le terrain plus lourde, difficultés à changer régulièrement les batteries… Des financements complémentaires seront nécessaires pour répondre aux besoins croissants en batteries sur les bases militaires.

3.   Faire de la France un pays précurseur pour la transition écologique des armées sur la scène internationale

La France est l’un des pays disposant d’une des stratégies énergétiques les plus ambitieuses pour ses armées, qui a par ailleurs inspiré le Royaume-Uni dans l’élaboration de sa propre feuille de route. Paris peut, à ce titre, s’imposer comme un leader international, à la fois au sein de l’alliance transatlantique et à l’occasion de grandes échéances comme la prochaine COP26 à Glasgow. De nombreux États dans le monde sont en attente de ce leadership français, pour montrer qu’un pays accordant une grande importance aux capacités opérationnelles de ses forces peut, dans le même temps, progresser dans la transition écologique.

a.   Au sein de l’OTAN

Dans ses activités internationales, le SEO du ministère des Armées accorde une importance particulière à l’axe atlantique, en coopérant activement sur les sujets énergétiques afin de gagner en efficacité au sein des coalitions et de développer des solutions communes pour améliorer l’interopérabilité des forces. Ces réflexions sont toujours menées en prenant en compte la politique de carburant unique de l’OTAN, matrice de l’interopérabilité des alliés.

Au sein de l’alliance transatlantique, le SEO est déjà un leader reconnu, pouvant parler d’égal à égal avec les États-Unis. Le service a créé des concepts aujourd’hui repris au niveau de l’OTAN, à l’image de la Modular Combined Petroleum Unit (MCPU) qui permet de mettre immédiatement en place un système d’approvisionnement sur un territoire de projection. Grâce à ce dispositif, les relations entre les différents acteurs d’une OPEX sont fluidifiées, et leur réunion en cas de crise est facilitée. Ainsi, le SEO, reconnu et écouté pour sa compétence, peut, dans une certaine mesure, imposer ses vues à l’échelle de l’alliance. Si le SEO est pour le moment leader sur les énergies fossiles, il ambitionne désormais d’acquérir ce même titre pour l’ensemble des énergies opérationnelles, parmi lesquelles figurent les énergies renouvelables.

La Modular combined petroleum unit

Née d’un groupe de travail de Smart Defence de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord dont le SEO est leader, la MCPU est une unité multinationale ayant pour mission de stocker, de contrôler la qualité et d’approvisionner en carburant l’ensemble des forces présentes sur un théâtre d’opération jusqu’au niveau brigade.

Neuf nations alliées y ont adhéré : l’Allemagne, la Belgique, l’Espagne, les États-Unis, la France, la Hongrie, l’Italie, la Lituanie et le Royaume-Uni.

Eu égard à la particularité de la fonction pétrolière et à son positionnement stratégique dans la mobilité des forces, les neufs États membres ont décidé de mutualiser leurs moyens sous un commandement unique, confié à la France en tant que nation cadre pour l’exercice.

La MCPU constitue l’un des rares exemples d’intégration complète d’une fonction logistique mise en œuvre dans des conditions opérationnelles.

Source : ministère des Armées

b.   La COP26 de Glasgow

Du 1er au 12 novembre prochains, le Royaume-Uni accueillera à Glasgow la COP26 de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Le Premier ministre britannique, Boris Johnson, entend faire de cet événement un moment phare dans sa nouvelle stratégie diplomatique de « Global Britain ».

Les prioritÉs du Royaume-Uni pour la cop 26

En vue de sa présidence de la 26e conférence des parties, le Royaume-Uni a défini cinq priorités qui guideront les travaux :

– l’adaptation et la résilience, face aux conséquences déjà visibles des changements climatiques sur nos écosystèmes ;

– la nature, alors que l’agriculture, la déforestation et l’artificialisation des terres représentent près d’un quart des émissions globales de GES et contribuent à l’appauvrissement de la biodiversité mondiale ;

– la transition énergétique, en accélérant la décarbonation de l’électricité, notamment via les énergies renouvelables, afin d’atteindre les objectifs fixés par l’accord de Paris lors de la COP21 en 2015 ;

– la mobilité, pour développer les véhicules zéro émission et ainsi diminuer la part des transports routiers dans les émissions de GES (actuellement de 10 % à l’échelle mondiale) ;

– le financement, pour accompagner l’ensemble de ces initiatives, à la fois dans les sphères privées et dans le secteur public.

L’ensemble de ces priorités présentent des implications concrètes pour les forces armées et se retrouvent par ailleurs dans les stratégies de transition écologique du ministère des Armées. Ces problématiques devraient être déclinées à l’échelle des armées lors de la conférence de Glasgow.

Source : UN Climate Change Conference UK 2021

Londres entend ainsi inclure les aspects de sécurité et de défense aux discussions, alors que ceux-ci avaient été traités de manière séparée lors de la COP21, organisée au Bourget fin 2015. Pour appuyer cette volonté, le Premier ministre britannique a invité le secrétaire-général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, à participer à la COP26. Cette initiative est soutenue par Paris qui y voit une opportunité de présenter ses capacités d’innovation et la créativité au sein de ses forces armées pour améliorer la compréhension globale des changements climatiques.

L’objectif britannique est de former une coalition de pays prêts à signer une déclaration appelant à la transition écologique des armées et à la réduction de leurs émissions de GES à travers le monde. Le secrétaire-général de l’OTAN s’est dit prêt à appuyer l’initiative, à condition que celle-ci soit soutenue par un nombre significatif de pays. Outre la France, le Royaume-Uni s’est donc tourné vers d’autres pays partenaires au sein de l’Alliance, notamment les États-Unis l’Allemagne, la Pologne, ainsi que des pays européens de plus petite taille comme la Slovénie, le Luxembourg, l’Autriche ou la Suisse, tous prêts à s’engager sur cette question.

Par ailleurs, d’autres États plus éloignés géographiquement ont été contactés, par exemple le Chili, le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande ou plus spécifiquement des pays menacés par l’élévation du niveau des eaux, comme les Fidji ou le Bangladesh. Une intégration des armées indiennes et pakistanaises, en dépit des tensions qui les opposent, est également envisageable au vu des menaces climatiques auxquelles ces dernières font face. Désormais, le Royaume-Uni espère élargir cette coalition aux pays africains, comme le Niger ou le Kenya, qui pourraient y voir des opportunités en prévision des potentiels conflits que pourraient engendrer les changements climatiques.

Pour le moment, peu de pays ont amorcé une transition énergétique avec un volet spécifique dédié à la défense. On compte par exemple les États-Unis, l’Allemagne, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, le Canada, le Danemark ou l’Australie. Assez naturellement, les échanges se font donc prioritairement avec ces partenaires. De nombreux travaux sont à l’étude avec l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Italie et les États-Unis sur la certification des biocarburants pour le secteur aéronautique qui doivent se conformer à la politique de carburant unique de l’OTAN. Des échanges se font également avec l’Australie qui souhaite développer ses mines de terres rares pour faire concurrence à la Chine, et s’est à cet effet associée à des entreprises françaises. L’ensemble de ces sujets pourraient être repris à l’occasion de la COP26, au sein de coalitions dont les Français pourraient prendre la tête aux côtés des Britanniques.

En effet, le général Richard Nugee, responsable de la stratégie de transition écologique du ministère britannique de la Défense (Climate change and sustainability strategy), a assuré aux rapporteurs qu’un soutien de la France au plus haut niveau permettrait de renforcer l’initiative car nous sommes en mesure d’atteindre des pays avec lesquels le Royaume-Uni est moins lié. Londres insiste de plus sur le fait que cette initiative n’est pas un projet purement britannique mais bien une ambition globale, partagée par d’autres pays moteurs, aux rangs desquels la France peut occuper une place de choix.

Les rapporteurs estiment donc que la COP26 représente par conséquent une occasion unique pour mettre en avant les réussites du binôme franco-britannique, en particulier sur le sujet climat-défense, dans le cadre des traités de Lancaster House de 2010. La France et le Royaume-Uni ont tout avantage à avancer ensemble sur ces questions : ils partagent les mêmes enjeux, ont des moyens similaires, n’entrent pas en compétition et sont en mesure d’emporter avec eux la quasi-totalité des Européens et Occidentaux. Les rapporteurs appellent ainsi à une prise en compte de l’enjeu de transition énergétique des armées à l’échelle la plus pertinente, à savoir l’échelle internationale.

 


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   Conclusion

 

« Nous avons conscience que le ministère des Armées ne pourra pas passer à côté de la transition écologique ». Cette phrase, prononcée par une des personnes auditionnées dans le cadre des travaux des rapporteurs, est révélatrice de la prise de conscience au sein du ministère des Armées de l’importance de sa transition écologique. Au fil des auditions, les rapporteurs ont acquis la certitude que la dynamique enclenchée par le ministère des Armées depuis 2007 est réelle et solide.

Cependant, parce qu’ils ont conscience du caractère parfois fluctuant des engagements pris en la matière, soumis à des aléas de nature politique ou financiers, les rapporteurs estiment qu’il est nécessaire d’aller plus loin en matière d’engagement. Ils estiment également que le Parlement devra jouer un rôle plus important à l’avenir dans l’élaboration, le suivi et l’évaluation de la politique environnementale du ministère des Armées.

Ainsi, afin de garantir une bonne information du Parlement, les rapporteurs souhaitent conclure leur rapport en plaidant pour :

– d’une part, la fixation dans le rapport annexé à la LPM 2019-2025 et dans les suivantes des objectifs précis à atteindre chaque année en matière de transition énergétique, qui déclinent les objectifs fixés dans la stratégie énergétique de défense ;

– et d’autre part, l’inscription dans le rapport annexé à la LPM 2019-2025 de l’obligation pour le Gouvernement de remettre un rapport biannuel au Parlement rendant compte, de manière précise, claire et exhaustive, de l’ensemble des actions entreprises par le ministère des Armées pour atteindre les objectifs qu’il s’est fixés en matière de politique environnementale, en justifiant chaque échec éventuel.

La politique environnementale du ministère des Armées ne saurait être, à l’avenir, une variable d’ajustement ou un outil de communication. Les aléas dus aux alternances politiques ne doivent, en aucun cas, avoir pour effet d’entraver la dynamique enclenchée depuis 2007 au sein de ce ministère, et en particulier l’accélération récente consécutive à l’annonce de la stratégie énergétique de défense. La représentation nationale devra veiller au respect du suivi de cette trajectoire et se devra d’être une observatrice attentive des progrès accomplis en la matière.



   Synthèse des propositions

 

– procéder à un bilan régulier des diverses stratégies mises en place en matière de transition écologique afin de tirer les leçons des échecs passés dans l’élaboration des futures stratégies ;

– sensibiliser davantage les armées aux enjeux de préservation de l’environnement par la menée de modules de formation spécifiques ;

– chiffrer les besoins en matière de préservation de la biodiversité et de l’environnement et prévoir un budget consacré à cet enjeu afin de ne pas financer exclusivement ces actions par le biais du FIE ;

– veiller à une plus grande cohérence et une plus grande comptabilité entre les objectifs de préservation de la biodiversité et l’impératif de transition énergétique, afin d’éviter que des installations énergétiques telles que des panneaux photovoltaïques entrainent une dégradation de la biodiversité. À cet égard, il convient de garder l’objectif d’identification des 2 000 Ha dans le cadre du plan « Place au Soleil » tout en réfléchissant à des alternatives à l’installation de panneaux solaires sur les zones réservées aux entrainements (recours aux toits des infrastructures) ou présentant un intérêt en matière de biodiversité ;

– mieux protéger les terrains militaires devenus inutiles pour les armées ;

– poursuivre la politique de renforcement des connaissances relatives à la biodiversité des terrains militaires ;

– mieux identifier le volet « biodiversité » dans la feuille de route des responsables de camp ;

– mieux valoriser les actions environnementales des armées en faveur de l’environnement (actions de préservation de la biodiversité dans les bases et les camps militaires, partenariats avec des associations de préservation de l’environnement, opération Harpie en Guyane, projet d’écocamp…) ;

– renforcer le soutien au projet d’écocamp porté par le CETID, notamment sur le plan financier ;

– renforcer la politique d’innovation de l’AID en lui fixant des objectifs clairs en matière d’innovation dans le secteur énergétique et en renforçant ses effectifs. À ce titre, tout en ayant conscience des apports du secteur civil, le ministère des Armées doit être un acteur qui investit le champ de la recherche pour innover et ne doit pas se contenter d’attendre que le secteur civil, certes très en avance et porteur, développe les technologies nécessaires ;

– investir davantage dans la recherche de défense à la transition énergétique des armées et capter les fonds européens de recherche pour trouver des alternatives opérationnelles aux énergies fossiles ;

– à court terme, prévoir des exceptions aux réglementations environnementales pour les activités opérationnelles des armées en OPEX, dans la mesure où celles-ci dépendent des approvisionneurs locaux, de la politique du carburant unique de l’OTAN et des limites relatives aux critères de conservation des énergies alternatives (température, pression…). Cela suppose, en contrepartie, une vigilance accrue et des efforts soutenus en matière de transition écologique et énergétique sur le territoire national, notamment dans le remplacement des véhicules non-opérationnels ;

– établir une stratégie précise et complète en matière de réduction de l’empreinte environnementale du numérique, à la charge de la DIRISI, eu égard à la hausse prévisible de la consommation énergétique du numérique pour les armées. À cet égard, l’association plus étroite de la DIRISI dans la gouvernance de la stratégie énergétique de défense serait bénéfique ;

– fixer dès à présent une feuille de route claire en matière de lutte contre le risque cyber au COMCYBER pour renforcer la cybersécurité du SEO et du SID. Cela suppose également de travailler en étroite collaboration avec l’ANSSI, eu égard au fait que les entreprises du secteur énergétique sont des OIV au titre de la LPM ;

– organiser régulièrement des exercices de crise d’approvisionnement énergétique et de crise cyber à l’échelle interministérielle ainsi qu’avec les industriels du secteur énergétique, si nécessaire coordonnés par le SGDSN, voire à l’échelle européenne, eu égard à la forte interdépendance entre les États en la matière ;

– dans l’attente de la constitution éventuelle d’une base énergétique de défense à l’échelle européenne, travailler dès à présent à l’échelle nationale avec les entreprises du secteur civil dont dépendent les armées afin de garantir des sources d’approvisionnement en énergies alternatives accessibles sur l’ensemble du territoire national pour les activités non-opérationnelles, ce qui passe également par un investissement conséquent dans la R&D ;

– investir dès à présent dans des programmes de recherche pour le développement d’énergies alternatives opérationnelles dans le secteur civil mais ne pouvant pas encore être déclinées dans le secteur de la défense (hydrogène, GNL, électro-carburants, carburants synthétiques, micro-algues…) afin de ne pas se reposer exclusivement sur les biocarburants, qui ne constituent qu’une alternative temporaire et de court terme ;

– mener des actions ambitieuses pour verdir la politique du carburant unique de l’OTAN et impliquer le ministère des Armées pour la constitution d’un marché des biocarburants à l’échelle de l’OTAN afin de contribuer à la baisse de leurs prix encore prohibitifs aujourd’hui ;

– établir une feuille de route claire, à la charge du COMEX, pour impulser une politique de sobriété énergétique dans l’ensemble des armées, directions et services du ministère des Armées (hors OPEX), qui semble être le parent pauvre de la stratégie énergétique de défense et eu égard au caractère fondamental de la réduction de la consommation énergétique pour l’atteinte des objectifs fixés par la SMPE 2020-2023 à l’horizon 2030 et, par extension, des objectifs fixés par l’accord de Paris à horizon 2050 ;

– mener dès à présent des actions communes avec la Slovénie dans le cadre de sa future présidence de l’UE en matière de transition énergétique des armées européennes, en vue de la présidence française de l’UE au premier semestre 2022, afin que la France soit leader dans le domaine et entraine les autres États européens dans sa dynamique ;

– travailler avec le Royaume-Uni pour impulser une dynamique de transition énergétique des armées européennes et internationales dans le cadre de la COP26 de Glasgow ;

– fixer dans les futures LPM des objectifs précis à atteindre chaque année en matière de transition énergétique, qui déclinent les objectifs fixés dans la stratégie énergétique de défense ;

– et prévoir la remise par le Gouvernement d’un rapport biannuel au Parlement rendant compte, de manière précise, claire et exhaustive, de l’ensemble des actions entreprises par le ministère des Armées pour atteindre les objectifs qu’il s’est fixés en matière de politique environnementale, en justifiant chaque échec éventuel.

 


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   Travaux de la commission

 

I.   Audition de Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée auprès de la ministre des Armées, chargée de la mémoire et des anciens combattants

 

La commission a entendu Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée auprès de la ministre des Armées, chargée de la mémoire et des anciens combattants, au cours de sa réunion du mercredi 24 mars 2021.

Le compte rendu de cette audition est disponible sur le site internet de l’Assemblée nationale à l’adresse suivante : assnat.fr/qom9TL


II.   Examen du rapport en commission

 

La séance est ouverte à neuf heures trente.

 

Mme François Dumas, Présidente. Madame la rapporteure, Monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes réunis ce matin en visioconférence pour entendre les conclusions de nos collègues Jean-Marie Fiévet et Isabelle Santiago sur les enjeux de la transition écologique pour le ministère des Armées.

 

C’est le 28 octobre dernier que nous leur avons confié cette mission d’information sur cette dimension peu connue, mais pourtant cruciale, de l’action du ministère des Armées. La création de cette mission d’information était nécessaire à plus d’un titre, et au regard notamment des récentes annonces faites par le ministère des Armées en matière de transition écologique, annonces accompagnées fort logiquement du lancement de la stratégie énergétique de défense par la ministre des Armées le 25 septembre dernier. La commission de la Défense a déjà eu à connaître de ce sujet, notamment, vous vous en souvenez certainement, à travers l’audition de Mme Geneviève Darrieussecq en mars dernier sur la politique environnementale du ministère des Armées. Cette mission d’information a une valeur toute particulière car c’est la première fois que l’Assemblée nationale se saisit de cette question ; et à cet égard, votre rapport a vocation à faire figure de pionnier et éclairera très utilement la représentation nationale et l’opinion publique.

 

Avant de vous laisser la parole, je tiens à vous remercier pour la grande qualité de votre travail et à vous féliciter pour votre investissement. Vous avez mené plus de 40 auditions de personnes issues d’horizons très variés, issues du ministère des Armées bien sûr, mais également de la base industrielle et technologique de défense, du secteur civil de l’énergie ou encore d’associations de protection de l’environnement. Vous avez également effectué plusieurs déplacements dans des unités des armées comme à la base pétrolière interarmées du service de l’énergie opérationnelle.

 

Nous le savons tous, les actions des armées sur les terrains militaires ont un impact environnemental. Mais ce que nous savons moins c’est que les armées mènent des actions concrètes pour la sauvegarde de la richesse faunistique et floristique de leurs camps, en partenariat avec des associations engagées dans la préservation de l’environnement. Nous aimerions donc avoir votre regard sur cette politique menée par le ministère des Armées en matière de préservation de l’environnement, et en particulier sur les actions que les armées mènent pour la préservation de la biodiversité sur les terrains militaires.

 

Par ailleurs, le ministère des Armées, premier consommateur d’énergie de l’État, dépend aujourd’hui quasi exclusivement des énergies fossiles. La stratégie énergétique de défense entend répondre à cette dépendance ainsi qu’aux enjeux de transition écologique, de sobriété et de résilience énergétiques comme de réduction des empreintes logistiques en opérations. Le recours à des sources d’énergie alternatives y a toute sa place. Or, ce recours aux biocarburants, aux carburants de synthèse ou encore à l’hydrogène, pose de nombreux défis aux armées. Nous aimerions donc vous entendre sur la façon de les surmonter et d’accompagner la transition énergétique du ministère des Armées, dans le domaine des infrastructures, de la mobilité et des systèmes d’armes.

 

En se saisissant de ces enjeux stratégiques complexes, le ministère des Armées entend développer un modèle utile à ses opérations. Ces sujets dépassant le seul cadre national, vous nous direz comment cette dynamique peut aussi servir de modèle aux transitions écologiques des armées européennes, pour rendre nos efforts communs cohérents avec nos alliances, nos partenariats et nos coopérations. En ce domaine encore, l’Europe, loin d’être une contrainte est aussi une opportunité.

 

Enfin, bien sûr, nous serons tout particulièrement attentifs aux préconisations que vous formulerez pour permettre au ministère des Armées d’aller plus loin en matière de transition écologique.

 

Sans plus tarder, Madame la rapporteure, Monsieur le rapporteur, je vous cède la parole.

 

M. Jean-Marie Fiévet, co-rapporteur. Madame la présidente, chers collègues, je suis très heureux de vous présenter les conclusions des travaux de notre mission d’information sur les enjeux de la transition écologique pour le ministère des Armées. À titre préliminaire, j’aimerais remercier ma collègue Isabelle Santiago pour tout le travail que nous avons mené depuis novembre dernier, date à laquelle nous avons commencé cette belle mission d’information qui nous tenait à cœur et qui présentait le grand avantage d’être la première mission d’information parlementaire consacrée à cette question.

 

Avant de vous restituer les conclusions de ceux-ci, j’aimerais d’abord apporter quelques précisions d’ordre méthodologique. La mission d’information sur les enjeux de la transition écologique pour le ministère des Armées se proposait d’évaluer la politique menée par ce ministère en matière environnementale, que ce soit dans le cadre de ses actions relatives à la préservation de la biodiversité, à sa politique de recyclage et de gestion des déchets, ou encore à ses actions en matière de transition énergétique, tant au niveau des infrastructures que des systèmes d’armes.

 

À cette fin, nous avons conduit plus de 40 auditions et entendu près de 90 personnes issues de secteurs très variés, que ce soit au sein des armées, directions et services du ministère des Armées, des industriels de la base industrielle et technologique de défense, des services de l’État autres que le ministère des Armées, et en particulier le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et, bien entendu, le ministère de la Transition écologique. Nous avons également auditionné des entreprises du secteur énergétique comme Total, des start-up du secteur des énergies renouvelables ou encore des associations qui travaillent ou non avec le ministère des Armées en matière de préservation de l’environnement. Nous avons délibérément choisi d’interroger un panel très large d’acteurs car nous étions convaincus de la nécessité de nous ouvrir à des secteurs autres que le secteur de la défense pour nourrir notre réflexion sur un sujet si vaste et si riche. Nous avons également effectué 4 déplacements en métropole, à la base pétrolière interarmées du service de l’énergie opérationnelle – nouveau nom du service des essences des armées – mais également à la base navale de Toulon, à la base aérienne de Cazaux et au camp de La Valbonne. Nous avons ainsi tenté de dresser un état des lieux aussi complet que possible de cet enjeu crucial.

 

Mme Isabelle Santiago, co-rapporteure. Je tiens également à remercier mon collègue Jean-Marie Fiévet pour tout le travail que nous avons mené depuis novembre dernier.

 

Par ailleurs, nous avons délibérément circonscrit le périmètre de notre champ d’étude. En effet, dans le cadre de ce rapport, nous avons souhaité concentrer nos travaux sur les enjeux de la transition écologique pour le ministère des Armées, et non sur les enjeux du développement durable au sens large. Ainsi, les dimensions économiques et sociales du développement durable ne rentrent pas dans le cadre de ce rapport, même si ces sujets présentent un intérêt majeur. À ce titre, je me réjouis d’avoir été également nommée rapporteure de la mission d’information sur le plan famille, qui, elle rentre dans le périmètre de la politique de développement durable du ministère des Armées.

 

Comme l’a dit mon collègue, pour la première fois, le Parlement s’est saisi de la question relative aux enjeux de la transition écologique pour le ministère des Armées. Cette politique, menée depuis 2007, est liée à la responsabilité particulière qu’a le ministère des Armées en matière environnementale. Premier utilisateur du domaine de l’État, avec des espaces naturels importants, il se voit confier de facto des responsabilités fortes et directes dans le domaine de la biodiversité, de la gestion de ses installations classées, de la gestion de l’eau et des déchets, des sites et sols pollués, des substances dangereuses et de la fin de vie des matériels de guerre.

 

Le rapport que nous avons écrit avec notre collègue comprend deux axes :

 

– un premier axe qui a trait à la politique menée par le ministère des Armées en matière de préservation de l’environnement et de la biodiversité sur les terrains militaires, mais également aux enjeux plus spécifiques des installations classées ou de la politique de traitement des déchets militaires ;

 

– et un second axe qui a trait plus spécifiquement à la question de la transition énergétique, à la fois des systèmes d’armes mais également des infrastructures, dimension essentielle pour l’avenir des armées françaises qui trouve aujourd’hui un écho particulier depuis l’annonce par la ministre des Armées d’une stratégie énergétique de défense le 25 septembre dernier.

 

Nous avons donc entendu dresser un état des lieux de la politique menée par le ministère des Armées en matière environnementale afin de cerner les enjeux qui se posent à ce dernier en matière de transition écologique. Au-delà de la dimension informative du rapport, nous avons souhaité tout particulièrement formuler des recommandations afin de contribuer à la réflexion générale sur cet enjeu crucial.

 

M. Jean-Marie Fiévet, co-rapporteur. Venons-en donc au cœur de notre sujet, en commençant par la politique menée par le ministère des Armées en matière de préservation de l’environnement et de la biodiversité.

 

Aussi surprenant que cela puisse paraître, le ministère des Armées mène de nombreuses actions en faveur de la préservation de la biodiversité. Il mène une politique globale et ambitieuse en matière environnementale qui demeure malheureusement peu connue.

 

En 2021, le ministère des Armées dispose d’un domaine foncier de 270 000 hectares en métropole et dans les DROM-COM, destinés à 70 % à assurer l’entraînement des forces. Compte tenu de leur utilisation militaire, ces terrains, d’accès réglementés, préservés de l’urbanisation et de l’agriculture intensive présentent souvent une richesse faunistique et floristique reconnue au niveau national et européen.

 

Aujourd’hui, on estime que 80 % des terrains militaires en métropole font l’objet d’un classement au titre de la biodiversité ou font partie d’une zone naturelle d’intérêt faunistique et floristique. 17 % de ces terrains sont classés Natura 2000. Les sites militaires sont intégrés dans plus de 40 parcs naturels régionaux différents et sont également inclus dans d’autres types d’aires protégées comme les parcs nationaux ou les réserves naturelles nationales.

 

Par ailleurs, le ministère des Armées a conclu des partenariats avec plusieurs institutions afin de mener des actions de préservation de la biodiversité sur les terrains militaires.

 

Le partenariat le plus important est celui avec la Fédération des Conservatoires d’espaces naturels (FCEN). Depuis la première loi sur la biodiversité en 1976, les Conservatoires d’espaces naturels (CEN) se sont fortement développés. Aujourd’hui, ce réseau associatif est implanté à travers la quasi-totalité du territoire métropolitain et ultramarin. [diapositive 1] Comme vous pouvez le voir sur la carte qui devrait apparaître sur votre écran, le réseau des CEN est implanté sur tout le territoire métropolitain.

 

Aujourd’hui, 22 CEN employant un millier de salariés et mobilisant un budget de 60 millions d’euros ont la responsabilité de 3 700 sites couvrant 180 000 hectares, dont une partie significative de terrains militaires. Sur les 270 000 hectares appartenant aux armées en France métropolitaine et dans les DROM-COM, 80 000 font l’objet d’une convention signée avec un CEN, soit une cinquantaine de sites. Par ces partenariats et conventions, les CEN accompagnent les autorités militaires dans leur prise en compte de la biodiversité, comme j’ai pu le constater lors de mon déplacement au camp de La Valbonne.

 

Le ministère des Armées a également un partenariat avec la Ligue pour la protection des oiseaux, première association de préservation de la biodiversité en France et gestionnaire de 12 réserves protégées. Dans ce cadre, plusieurs initiatives sont actuellement menées en partenariat avec le ministère :

 

– un projet de convention-cadre visant à limiter le survol des espaces protégés par les armées aux seuls endroits où il n’existe pas de trajet alternatif ;

 

– la labélisation des terrains non utilisés, en partenariat avec des agriculteurs et des collectivités locales, notamment en région parisienne ;

 

– le transport par la Marine nationale et, dans une moindre mesure, l’armée de l’Air et de l’Espace des personnes engagées dans les programmes de restauration dans les Outre-Mer, en l’occurrence le retrait des rats introduits par erreur qui mettent en péril la biodiversité de certaines îles ;

 

– et la surveillance par les armées des aires maritimes protégées à large échelle et la mise en place d’initiatives pour protéger leur biodiversité.

 

Le ministère des Armées a également un partenariat avec le Museum national d’histoire naturelle. À titre d’exemple, une convention de coopération a été signée le 22 février 2019 au terme duquel le Muséum national d’histoire naturelle s’est vu confié la réalisation d’une mission de conseil afin de bénéficier de son expertise scientifique dans la réalisation de plusieurs projets pilotes pour les armées.

 

La convention assigne 4 objectifs :

 

– l’identification des terrains militaires encore non-identifiés et propices aux actions de préservation de la biodiversité, en Métropole et dans les DROM-COM ;

 

– l’évaluation des modes d’action du ministère des Armées sur la base d’une méthodologie des plans de gestion scientifique des terrains militaires ;

 

– l’amélioration des outils de cartographie des terrains militaires ;

 

– et la sensibilisation des usagers.

 

De plus, le Muséum national d’histoire naturelle mène un travail important de bibliographie pour répertorier toute la littérature scientifique sur l’impact des activités militaires sur la biodiversité.

 

Enfin, le ministère des Armées a un partenariat avec l’Office national des forêts. Il concerne la gestion de 67 forêts situées sur les terrains militaires, qui représentent environ 85 000 hectares. 42 conventions sont en cours.

 

Mme Isabelle Santiago, co-rapporteure. Lors de nos travaux et de nos déplacements, nous avons constaté que la politique de préservation de la biodiversité menée par le ministère des Armées pourrait être améliorée selon plusieurs axes.

 

Premièrement, une plus grande sensibilisation des agents du ministère des Armées à ces enjeux par une intégration de modules liés à la protection de la biodiversité dans l’ensemble des formations de défense, y compris à l’attention des officiers supérieurs dans les écoles militaires, serait souhaitable. Il est important de prendre le temps d’intégrer cela dans les différentes sphères de formation du ministère.

 

Deuxièmement, une amélioration du mode de financement de la gestion des espaces naturels serait également souhaitable. Si le fonds d’intervention pour l’environnement a bien été doublé en 2019 pour atteindre 600 000 euros, il ne permet de financer que les projets ponctuels portés par les agents du ministère. La gestion des camps reste de la responsabilité de l’autorité militaire.

 

Par ailleurs, il conviendrait d’assurer une plus grande compatibilité des enjeux de protection de la biodiversité avec le développement des énergies renouvelables, notamment dans le cadre du plan « Place au Soleil ». 2 000 hectares (ha) sont recherchés pour déployer des panneaux photovoltaïques mais cela doit être fait dans le respect de la nature. Or une convention entre la Fédération des Conservatoires d’espaces naturels et la base aérienne de Creil a été annulée suite au projet d’installation de 80 ha de panneaux photovoltaïques dans le cadre du plan « Place au Soleil ». Il convient de privilégier l’implantation des panneaux photovoltaïques dans les zones déjà urbanisées ou sur les toits des infrastructures pour éviter de déstabiliser les espaces naturels qui abritent de nombreuses espèces fragiles. Nous appelons donc à une plus grande cohérence entre les diverses actions menées par le ministère des Armées en matière d’environnement.

 

De plus, une protection renforcée des terrains devenus inutiles aux armées serait souhaitable. Certains d’entre eux sont amenés à être vendus alors qu’ils présentent un intérêt important en matière de biodiversité.

 

Enfin, un autre problème porte sur la mobilité. En effet, la Fédération des Conservatoires d’espaces naturels a indiqué lors de son audition qu’elle travaille avec des interlocuteurs changeant régulièrement de poste, avec lesquels il faut parfois reprendre les actions depuis le départ et dont le niveau d’implication et d’engagement est très variable. Par conséquent, certaines conventions ne sont pas renouvelées avec des camps. Le volet biodiversité gagnerait donc à être plus clairement identifié dans la feuille de route des responsables de camp.

 

Mais de manière générale, nous estimons qu’il est impératif de mieux valoriser les actions des armées en matière environnementale. Nous constatons que les armées mènent de nombreuses actions en faveur de l’environnement et que les critiques adressées au ministère des Armées quant à son empreinte environnementale – qui est réelle – doivent être appréciées au regard de son investissement pour y remédier.

 

M. Jean-Marie Fiévet, co-rapporteur. Venons-en maintenant au second axe de notre mission, sur les enjeux spécifiques de la transition énergétique des armées.

 

La consommation énergétique mondiale n’a cessé de croître depuis le début du XXe siècle, pour atteindre aujourd’hui des niveaux inégalés, et les projections pour l’avenir ne font que confirmer cette tendance. Dans le domaine des armées, une augmentation des besoins en carburant pour les matériels terrestres ainsi qu’une forte dépendance à l’électricité sont les deux tendances principales. Or, l’énergie est une source de coût financier et logistique tant sur le territoire national pour les entraînements qu’en opération intérieure ou extérieure. En particulier, la consommation énergétique des systèmes d’armes est en progression constante, en raison d’une mobilité accrue, d’une électrification croissante, de la performance croissante des systèmes d’information et de communication et un recours accru à la climatisation.

 

En 2019, le ministère des Armées a consommé 835 000 m3 de produits pétroliers pour un coût total de 667 millions d’euros, et plus de 2,6 térawatts heure ont été délivrés aux infrastructures de la défense pour un coût de 222 millions d’euros. Dans le secteur du bâtiment, les émissions annuelles de gaz à effet de serre s’élèvent à 450 000 tonnes d’équivalent CO2, soit 0,5 % des émissions nationales. [diapositive 2] Comme vous pouvez le voir sur la diapositive, la part consacrée à l’énergie de mobilité s’élève à environ 75 % de la consommation totale du ministère des Armées, contre 25 % pour l’énergie nécessaire aux infrastructures. Le carburant consommé est principalement le carburéacteur à usage aéronautique, qui représente 50 % de la consommation en carburants, contre 25 % pour la Marine nationale et 20 % pour l’armée de Terre. Au total, la part du ministère des Armées dans la consommation nationale de carburant représente moins de 1 %, dont 0,2 % des carburants terrestres, 5 % des gazoles de navigation et 7 % du carburéacteur. Ainsi, comme vous pouvez le noter, la consommation énergétique des armées représente une partie infime de la consommation énergétique nationale, et les critiques qui peuvent lui être adressées quant à son impact environnemental doivent également être appréciées au regard de cette réalité.

 

C’est dans ce contexte que la ministre des Armées a lancé une stratégie énergétique de défense le 25 septembre dernier. La politique du ministère des Armées en matière de transition énergétique dans le cadre de cette stratégie comprend deux volets : la stratégie ministérielle de performance énergétique 2019-2023 et la politique de l’énergie opérationnelle.

 

Cette dernière repose sur 4 points essentiels :

 

– la transition énergétique comme facteur de supériorité opérationnelle ;

 

– la transition énergétique comme atout, pour permettre aux forces de combattre de manière plus autonome et d’économiser l’énergie ;

 

– l’écoconception des systèmes d’armes, afin d’intégrer le facteur énergétique dans le développement capacitaire en amont dans le cadre des programmes d’armement ;

 

– et le développement de technologies de rupture pour parer les effets du dérèglement climatique sur les équipements.

 

À cet égard, afin d’illustrer concrètement les avantages induits par la transition énergétique des armées, nous aimerions vous montrer une vidéo du premier semi-rigide propulsé avec de l’énergie électrique en basse tension, développé par la Marine nationale et sur lequel nous avons eu l’occasion de monter lors de notre déplacement à la base navale de Toulon [vidéo].

 

Au titre de cette stratégie, le ministère des Armées a développé un triptyque qui résume son ambition en matière de transition énergétique : consommer mieux, consommer moins et consommer sûr [diapositive 3] :

 

– consommer sûr, ce qui implique de sécuriser l’accès à l’énergie et renforcer la cyberdéfense des infrastructures énergétiques et la protection des données ;

 

– consommer moins, c’est-à-dire maîtriser les consommations et développer une culture de la sobriété énergétique et numérique ;

 

– et consommer mieux, c’est-à-dire favoriser l’emploi des nouvelles technologies et des carburants de nouvelle génération afin d’améliorer les performances opérationnelles et la résilience énergétique des forces.

 

Enfin, une nouvelle gouvernance a été mise en place dans le cadre de cette stratégie, qui comprend deux niveaux principaux :

 

– un comité exécutif (COMEX), pour arbitrer les grandes décisions en matière de transition énergétique ;

 

– un comité ministériel énergie (CME), qui coordonne et organise la mise en œuvre de la stratégie énergétique de défense.

Par ailleurs, un autre niveau concerne les quatre piliers thématiques, constitués autour des divers domaines qui concernent l’énergie :

 

– le pilier « relations internationales et stratégie », piloté par la DGRIS, dont le rôle est de produire des analyses stratégiques sur les enjeux géopolitiques relatifs aux domaines de l’énergie afin de permettre au ministère des Armées de consommer sûr ;

 

– le pilier « énergie opérationnelle », piloté par la division « énergie opérationnelle » de l’EMA, dont le rôle est de traiter, hors du domaine du nucléaire, les questions relatives aux énergies nécessaires aux fonctions opérationnelles des armées ;

 

– le pilier « capacitaire et innovation », piloté par la DGA et l’AID, dont le rôle est d’élaborer les choix en matière d’énergie sur le plan capacitaire et de soutenir l’effort d’innovation en matière de transition énergétique ;

 

– et le pilier « énergie des infrastructures », piloté par le SID, qui traite l’ensemble des questions relatives aux énergies consommées par le parc immobilier du ministère des Armées et ses équipements.

 

Mme Isabelle Santiago, co-rapporteure. Au terme de nos travaux, il nous est apparu que la stratégie énergétique de défense présentait certes de nombreuses avancées mais également quelques limites et angles morts qui méritent d’être traités dès à présent afin de ne pas grever durablement le processus de transition énergétique des armées.

 

La première limite a trait à la politique d’innovation du ministère des Armées. La stratégie énergétique de défense identifie bien cet enjeu et prévoit quelques projets pour que l’innovation contribue au processus de transition énergétique des armées. Or, nous avons constaté lors de nos travaux qu’en dépit de l’identification de cet enjeu par l’Agence de l’innovation de défense dans son Document de référence de l’orientation de l’innovation de défense (DROID) et du financement de quelques projets, cette politique reste encore trop peu ambitieuse au regard des investissements colossaux qu’il conviendrait de faire pour permettre de dérisquer les énergies alternatives qui sont déjà déployées dans le secteur civil. En effet, la principale limite au développement des énergies renouvelables dans le secteur de la défense a trait aux risques qu’ils font peser, en particulier en opération extérieure. Or, le secteur civil ne s’attachera a priori pas à dérisquer ces technologies pour le secteur de la défense : seul le ministère des Armées peut le faire. Pour cela, des investissements tant financiers qu’humains importants nous semblent nécessaires afin d’être à la hauteur de l’enjeu, car, comme nous l’a dit le directeur de l’Agence de l’innovation de défense lors de son audition, son agence « ne peut pas être partout et voir toutes les innovations », en particulier eu égard au nombre important de chantiers prioritaires fixés dans le DROID. C’est pourquoi nous plaidons pour un renforcement de la politique d’innovation de l’Agence de l’innovation de défense en lui fixant des objectifs clairs en matière d’innovation dans le secteur énergétique et en renforçant ses effectifs. À ce titre, tout en ayant conscience des apports du secteur civil, le ministère des Armées se doit être un acteur qui investit le champ de la recherche pour innover et ne doit pas se contenter d’attendre que le secteur civil, certes très en avance et porteur, développe les technologies nécessaires. Nous estimons également qu’il est nécessaire d’investir dès à présent dans des programmes de recherche pour le développement d’énergies alternatives déjà opérationnelles dans le secteur civil mais ne pouvant pas encore être déclinées dans le secteur de la défense (hydrogène, gaz naturel liquéfié (GNL), électro carburants ou carburants synthétiques). Si la stratégie énergétique de défense est mise en place telle quelle, le ministère des Armées continuera de souffrir d’un retard chronique vis-à-vis du secteur civil, y compris à l’horizon 2050. Par ailleurs, la stratégie relative aux biocarburants, incorporés à hauteur de 50 % d’ici 2050, n’est pas viable à long terme car elle implique toujours une dépendance vis-à-vis des énergies fossiles, un recours à des matières premières dont l’exploitation n’est pas toujours respectueuse de l’environnement et dont le coût est encore prohibitif. L’opinion publique sera de moins en moins disposée à tolérer ces retards et le décalage entre les armées et la Nation pourrait, dans une certaine mesure, en pâtir. Or, les programmes d’armement étant lancés sur une période de 30 à 40 ans, il convient de prendre en main cet enjeu dès à présent pour ne pas avoir à payer à l’avenir les conséquences de renoncements d’aujourd’hui. Certes, une transition énergétique qui mettrait en péril l’autonomie opérationnelle des armées en OPEX est totalement inenvisageable. Mais, d’une part, un effort considérable doit être mené sur le territoire national afin de ne pas être accusé de laxisme en la matière, et d’autre part, pour l’avenir, il convient de s’attaquer dès à présent à ces sujets pour éviter de payer les conséquences de retards pris aujourd’hui.

 

Par ailleurs, pour réduire la consommation énergétique du ministère des Armées (consommer moins), la stratégie énergétique de défense mise principalement sur le recours aux simulations et l’évaluation des besoins énergétiques futurs afin de mieux les anticiper. Concernant la simulation, aujourd’hui, les pilotes font beaucoup d’heures de vol par simulateur pour éviter de consommer du carburéacteur. Dans le domaine terrestre, des progrès notables ont été menés en la matière. Mais cela suppose de mettre à disposition des outils de simulation suffisamment performants.

 

Concernant ce dernier volet, il ressort de nos diverses auditions que la réduction de la consommation demeure, à tort, le parent pauvre du triptyque, alors que, comme l’a indiqué une personne auditionnée, « le seul carburant qui émet 0 % de CO2 est celui qu’on ne consomme pas ». Nous estimons donc qu’il est nécessaire d’établir une feuille de route claire, à la charge du COMEX, pour impulser une politique de sobriété énergétique dans l’ensemble des armées, directions et services (ADS) du ministère des Armées (hors OPEX), eu égard au caractère fondamental de la réduction de la consommation énergétique pour l’atteinte des objectifs fixés par la stratégie ministérielle de performance énergétique 2019-2023 à l’horizon 2030 et, par extension, des objectifs fixés par l’accord de Paris à horizon 2050.

 

M. Jean-Marie Fiévet, co-rapporteur. Par ailleurs, la stratégie énergétique de défense plaide pour la mise en place d’une politique de sobriété numérique. Le ministère des Armées s’est engagé à conduire une réflexion sur l’impact écologique de sa transformation numérique tant au niveau de ses équipements que de ses services numériques.

 

Dans le cadre de la stratégie énergétique de défense, la Direction interarmées des réseaux d'infrastructure et des systèmes d'information (DIRISI) a vocation à être un partenaire clé dans la réponse au trilemme énergétique, notamment sur la cybersécurité en coopération avec le COMCYBER (consommer sûr), l’exploitation des data centers et la sobriété numérique (consommer moins) ou encore l’optimisation des processus métiers et la dématérialisation des informations (consommer mieux). La DIRISI contribue donc à la mise en œuvre de la stratégie énergétique et environnementale tout au long du cycle de vie des systèmes informatiques du ministère des Armées.

 

La DIRISI dispose par ailleurs de 4 data centers principaux. Leur implantation soulève plusieurs questions quant à leur empreinte écologique. Il semble nécessaire de développer une stratégie propre pour répondre à ces besoins croissants, tout en les conciliant avec les objectifs énergétiques et environnementaux. Avec l’augmentation du numérique, les émissions de CO2 qui y sont rattachées sont elles aussi en phase ascendante, comme l’a montré l’Arcep dans son rapport sur l’empreinte environnementale du numérique.

 

Une solution pourrait être de capter la chaleur dégagée par ces centres pour l’utiliser dans les bâtiments de travail et de logement. Cela est déjà le cas au ministère où les serveurs des salles secondaires de Balard contribuent pour plus de 50 % au chauffage de l’Hexagone de Balard.

 

La DIRISI, eu égard à la hausse prévisible de sa consommation en énergie pour les armées. À terme, l’empreinte environnementale du numérique pourrait même dépasser celle des carburants, eu égard à l’électrification croissante et au déclin relatif des énergies fossiles dans les consommations. Les contours de la politique de sobriété numérique dessinés par la stratégie énergétique de défense ne nous semblent en effet pas suffisants au regard de l’enjeu. Une association plus étroite de la DIRISI dans la gouvernance de la stratégie énergétique de défense serait bénéfique.

 

Mme Isabelle Santiago, co-rapporteure. En outre, concernant le volet cyber, il ressort de nos auditions de l’ANSSI et du COMCYBER que le risque qui pèse tant sur les chaînes d’approvisionnement énergétique que sur les entreprises du secteur civil est insuffisamment considéré, notamment pour les entreprises du secteur des énergies renouvelables qui, selon le général Tisseyre, sont plus vulnérables encore que les entreprises du secteur des énergies fossiles. La stratégie énergétique de défense identifie le risque mais n'y apporte pas de réponse spécifique. Nous pensons qu’il faut fixer dès à présent une feuille de route claire en matière de lutte contre le risque cyber au COMCYBER pour renforcer la cybersécurité du SEO et du SID. Cela suppose également de travailler en étroite collaboration avec l’ANSSI, eu égard au fait que les entreprises du secteur énergétique sont des opérateurs d’importance vitale au titre de la LPM. Il conviendrait par ailleurs d’organiser régulièrement des exercices de crise d’approvisionnement énergétique et de crise cyber à l’échelle interministérielle ainsi qu’avec les industriels du secteur énergétique, si nécessaire coordonnés par le SGDSN, voire à l’échelle européenne, eu égard à la forte interdépendance entre les États en la matière.

 

Enfin, nous avons été frappés par la situation de forte dépendance des armées au secteur civil de l’énergie pour la menée de ses opérations, tant en OPEX que sur le territoire national. Pour les OPEX, le SEO doit vérifier que des producteurs locaux seront en mesure d’approvisionner les forces armées en carburéacteur.

 

De plus, si l’approvisionnement énergétique en OPEX fait l’objet de préoccupations fort légitimes, il peut également y avoir des difficultés d’approvisionnement sur le TN. Si les forces armées disposent d’opérateurs pétroliers fiables sur le TN, l’approvisionnement énergétique ne s’en trouve pas nécessairement garanti. À cet égard, il est de la responsabilité du SEO de garantir un approvisionnement des forces armées, y compris quand la logistique pétrolière civile fait défaut.

 

Par ailleurs, le SEO dispose de stocks de réserve en cas de crise d’approvisionnement. Ceux-ci se divisent en deux catégories :

– les stocks de crise, qui peuvent être mobilisés en cas de crise sur le territoire national empêchant l’approvisionnement des forces armées (grève, arrêt des raffineries, etc.) ;

 

– et les stocks stratégiques, en cas de rupture d’approvisionnement (fermeture des ports, crise géopolitique dans un État producteur, etc).

 

Dans l’attente de la constitution éventuelle d’une base énergétique de défense à l’échelle européenne, nous pensons qu’il est indispensable de travailler dès à présent à l’échelle nationale avec les entreprises du secteur civil dont dépendent les armées afin de garantir des sources d’approvisionnement en énergies alternatives accessibles sur l’ensemble du territoire national pour les activités non-opérationnelles, ce qui passe également par un investissement conséquent dans la recherche et développement (R&D).

 

M. Jean-Marie Fiévet, co-rapporteur. Venons-en maintenant au volet européen et international de notre réflexion. Au sein du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, le pôle « énergies » a proposé à la direction de l’Union européenne, en charge de la préparation de la présidence française du Conseil de l’UE du premier semestre 2022, d’intégrer la transition énergétique aux priorités de la France. Dans ce cadre, il serait intéressant de mettre en évidence les initiatives propres aux armées, en dépit des réticences de quelques pays moins favorables.

 

Des échanges européens lors de la présidence française de l’Union européenne peuvent nourrir des réflexions autour des solutions énergétiques pour la mobilité des forces armées, notamment l’hydrogène et l’énergie nucléaire. Sur cette dernière, la France pourrait tirer parti de ce moment européen pour la promouvoir comme une énergie verte et fortement décarbonée auprès de la Commission européenne, afin de la rendre éligible aux mécanismes de financements mis en place pour avancer dans la transition énergétique.

 

La France pourrait également faire avancer les discussions sur le développement de filières européennes de recyclage, y compris pour les armées, non seulement pour des questions de coûts mais aussi pour le renforcement de leur autonomie stratégique. Le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et le ministère des Armées, en particulier la DGRIS, travaillent étroitement autour de ces questions de souveraineté. L’exportation du savoir-faire énergétique des armées françaises sur le territoire national à l’occasion de la présidence française du Conseil de l’Union pourrait, de surcroît, ouvrir des débouchés supplémentaires pour notre diplomatie économique.

 

Enfin, la France espère accueillir la quatrième conférence de la troisième phase du forum consultatif sur l’énergie dans le secteur de la défense et de la sécurité lors de sa présidence du Conseil de l’Union. L’objectif de l’événement sera d’identifier de nouveaux financements disponibles pour mener les actions de recherche et d’innovation dans le domaine de l’énergie de défense, et surtout de mettre en avant les solutions développées par les armées françaises.

 

Il serait pertinent de croiser ces efforts avec les programmes en lien avec le Pacte vert pour l’Europe et le plan de relance, afin de créer une dynamique européenne et d’emmener les partenaires volontaires. Si les besoins des forces françaises sont certes particuliers en comparaison avec d’autres pays n’ayant pas la même culture militaire, des convergences d’intérêts peuvent exister, par exemple sur le verdissement des infrastructures, les autres armées européennes étant souvent, comme l’armée française, de grands propriétaires fonciers.

 

Cependant, le véritable défi pour la France sera d’occuper le terrain politique de Bruxelles jusqu’au 31 décembre 2021, c’est-à-dire avant le début de sa présidence. En effet, les travaux doivent être amorcés dès aujourd’hui et orientés vers les priorités françaises, notamment les initiatives climat-défense, afin que le passage de relais se déroule le mieux possible. Dans cet exercice, du retard a malheureusement été accumulé, en raison de la gestion de la pandémie et des difficultés de la reprise économique.

 

Le 1er juillet 2021, la Slovénie succèdera au Portugal à la tête du Conseil de l’Union. La Slovénie est d’ores et déjà l’un des pays les plus impliqués sur la transition énergétique des armées européennes, avec qui Paris entretient une relation de confiance. La France devra s’impliquer dans les initiatives slovènes, en proposant par exemple l’organisation d’événements réunissant think tanks, industriels et spécialistes des nouvelles technologies, lors desquels des experts français pourront présenter certains projets prometteurs portés par les armées, comme les travaux de l’éco-camp ou les avancées de la fonction « énergie opérationnelle », menée dans le cadre de la coopération structurée permanente.

 

Nous plaidons donc pour que la France engage dès à présent un travail soutenu avec la Slovénie dans le cadre de sa future présidence du Conseil de l’Union, afin que, lors de la présidence française de l’Union européenne, la transition énergétique des armées à l’échelle européenne, pour laquelle la France serait leader, soit enclenchée.

 

Mme Isabelle Santiago, co-rapporteure. Par ailleurs, du 1er au 12 novembre prochain, le Royaume-Uni accueillera à Glasgow la 26e conférence des parties (COP 26) de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques.

 

Londres entend ainsi inclure les aspects de sécurité et de défense aux discussions, alors que ceux-ci avaient été traités de manière séparée lors de la COP 21, organisée au Bourget fin 2015. Pour appuyer cette volonté, le Premier ministre britannique a invité le secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg, à participer à la COP 26. Cette initiative est soutenue par Paris qui y voit une opportunité de présenter ses capacités d’innovation et la créativité au sein de ses forces armées pour améliorer la compréhension globale des changements climatiques.

 

L’objectif britannique est de former une coalition de pays prêts à signer une déclaration appelant à la transition écologique des armées et à la réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre à travers le monde. Le secrétaire général de l’Otan s’est dit prêt à appuyer l’initiative, à condition que celle-ci soit soutenue par un nombre significatif de pays. Outre la France, le Royaume-Uni s’est donc tourné vers d’autres pays partenaires au sein de l’Alliance, notamment les États-Unis l’Allemagne, la Pologne, ainsi que des pays européens de plus petite taille comme la Slovénie, le Luxembourg, l’Autriche ou la Suisse, tous prêts à s’engager sur cette question.

 

Par ailleurs, d’autres États plus éloignés géographiquement ont été contactés, par exemple le Chili, le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande ou plus spécifiquement des pays menacés par l’élévation du niveau des eaux, comme les îles Fidji ou le Bangladesh.

 

Pour le moment, peu de pays ont amorcé une transition énergétique avec un volet spécifique dédié à la défense. On compte par exemple les États-Unis, l’Allemagne, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, le Canada, le Danemark ou l’Australie. Assez naturellement, les échanges se font donc prioritairement avec ces partenaires. De nombreux travaux sont à l’étude avec l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Italie et les États-Unis sur la certification des biocarburants pour le secteur aéronautique qui doivent se conformer à la politique de carburant unique de l’Otan. Des échanges se font également avec l’Australie qui souhaite développer ses mines de terres rares pour faire concurrence à la Chine, et s’est à cet effet associée à des entreprises françaises.

 

L’ensemble de ces sujets pourraient être repris à l’occasion de la COP 26, au sein de coalitions dont les Français pourraient prendre la tête aux côtés des Britanniques. En effet, lors de son audition, le général Richard Nugee, responsable de la stratégie de transition écologique du ministère britannique de la Défense, nous a assuré qu’un soutien de la France au plus haut niveau permettrait de renforcer l’initiative car nous sommes en mesure d’atteindre des pays avec lesquels le Royaume-Uni est moins lié. Londres insiste de plus sur le fait que cette initiative n’est pas un projet purement britannique mais bien une ambition globale, partagée par d’autres pays moteurs, aux rangs desquels la France peut occuper une place stratégique en Europe.

 

La COP 26 représente par conséquent une occasion unique pour mettre en avant les réussites du binôme franco-britannique, en particulier sur le sujet climat-défense, dans le cadre des traités de Lancaster House de 2010. Nos deux pays ont tout avantage à avancer ensemble sur ces questions : nous partageons les mêmes enjeux, avons des moyens similaires, n’entrons pas en compétition, et sommes en mesure d’emporter avec nous la quasi-totalité des Européens et Occidentaux.

 

En conclusion, j’aimerais citer une des personnes que nous avons auditionnées, qui a prononcé la phrase suivante quand nous l’avions interrogée sur le degré de prise de conscience par le ministère des Armées du caractère impérieux de la transition écologique pour les armées : « Nous avons conscience que le ministère des Armées ne pourra pas passer à côté de la dynamique de transition écologique ». En dépit de la critique que pourrait susciter cette phrase – car elle pourrait en effet laisser entendre que s’il était possible de passer à côté la dynamique de transition écologique, alors les armées le feraient – est révélatrice de la prise de conscience au sein du ministère des Armées de l’importance de sa transition écologique. Au fil des auditions, nous avons acquis la certitude que la dynamique enclenchée par le ministère des Armées depuis 2007 est réelle et solide.

 

Cependant, parce que nous avons conscience du caractère parfois fluctuant des engagements pris en la matière, soumis à des aléas de nature politique et/ou budgétaires, nous estimons qu’il est nécessaire d’aller plus loin en matière d’engagement. Nous estimons également que le Parlement devra jouer un rôle plus important à l’avenir dans l’élaboration, le suivi et l’évaluation de la politique environnementale du ministère des Armées.

 

Ainsi, et ce sera là nos deux dernières recommandations, afin de garantir une bonne information du Parlement, nous souhaitons conclure ce propos liminaire en plaidant pour :

 

– d’une part, la fixation dans les futures lois de programmation militaire d’objectifs précis à atteindre chaque année en matière de transition énergétique, qui déclinent les objectifs fixés dans la stratégie énergétique de défense. À titre d’exemple, la trajectoire d’incorporation de biocarburant sur la période 2020-2050 pourrait y être inscrite, afin de marquer symboliquement l’engagement du ministère dans le processus de transition énergétique ;

 

– et d’autre part, afin d’éclairer régulièrement la représentation nationale, la remise d’un rapport biannuel au Parlement rendant compte, de manière précise, claire et exhaustive, de l’ensemble des actions entreprises par le ministère des Armées pour atteindre les objectifs qu’il s’est fixés en matière de politique environnementale, en justifiant chaque échec éventuel.

 

De notre point de vue, les aléas dus aux alternances politiques ne doivent, en aucun cas, avoir pour effet d’entraver la dynamique enclenchée depuis 2007 au sein de ce ministère, et en particulier l’accélération récente consécutive à l’annonce de la stratégie énergétique de défense. La représentation nationale devra veiller au respect du suivi de cette trajectoire et se devra d’être une observatrice attentive des progrès accomplis en la matière.

 

Nous vous remercions pour votre attention et sommes désormais disposés à répondre à toutes vos questions.

 

Mme Carole Bureau-Bonnard. Mme la ministre Florence Parly, lors de son audition, au vu de ses propos liminaires, nous a dit : « une communauté humaine forte et solidaire est au fondement de notre Défense ». On ne peut que le constater avec la participation des militaires à l’opération sentinelle, aux hôpitaux de campagne, aux transports de patients Covid et la participation au SSA.

 

La transition écologique est un sujet primordial dans nos sociétés pour préserver la planète, la protection des citoyens. En 2019, la ministre des Armées a pris le sujet à bras-le-corps et son ambition de diminuer l’empreinte environnementale par son ministère est clairement affichée.

 

Les six mois de mission d’information effectués vous ont permis de connaître et de découvrir l’application de cette politique sur la préservation de la biodiversité et de transition énergétique sur nos consommations de carburants en matière de classement de terrains, de parcs naturels, de partenariats pour des actions de biodiversité sur les terrains militaires et de gestion des forêts. L’exemple à Creil d’une ferme de panneaux voltaïques installée à la place des pistes de la base aérienne 110 en est un exemple.

 

Le choix des énergies semble diversifié et les diminutions des consommations à tous les niveaux se font. Vous avez souligné à juste titre dans votre rapport le partenariat avec l’Europe et le pacte vert mais il semble que cela doit être renforcé. La stratégie est bien en place. Cependant, les postes, les emplois à pourvoir dans le secteur de la transition écologique sont suffisamment attractifs, notamment pour que le ministère soit avant-gardiste et donne l’image d’une défense soucieuse de l’environnement.

 

M. Jean-Pierre Cubertafon. Je commencerai par saluer la qualité de votre travail et la pertinence de votre introduction. Votre propos était très instructif et je vous en remercie. Vous l’avez montré : tout aussi concerné que l’ensemble de la société, le Ministère des Armées n’est pas exempt d’entreprendre des efforts pour réaliser des économies d’énergie. Néanmoins, la quantité des données amassées au quotidien constitue aujourd’hui un obstacle à l’analyse qui doit être faite des différents usages. C’est dans cette perspective qu’au cours de l’année 2018 et devant la nécessité de recourir aux nouvelles technologies telles que le Big Data et l’intelligence artificielle, le Ministère s’est doté d’un logiciel dit DataNRJ 360, lequel lui permettrait une meilleure gestion de sa consommation énergétique. Notamment, la réduction de son empreinte carbone, la mesure de la consommation de chaque emprise et une voie à suivre pour la transition énergétique au sein de nos Armées.

 

Dès lors, mes chers collègues, pourriez-vous nous indiquer si les travaux que vous avez consciemment menés dans le cadre de la présente mission d’information vous ont permis de tirer le bilan de l’utilisation de DataNRJ 360 par le Ministère des Armées depuis son instauration ? Cela est-il pour le moment concluant et quel est votre avis sur la pertinence de cette utilisation ?

 

M. David Habib. J’ai constaté que généralement quand un homme politique n’a rien à dire il parle d’environnement. Et là dans ce rapport sur la stratégie verte des armées j’ai vu de la densité et des vraies propositions. Premièrement, je souhaitais poser une question sur les relations entre le ministère des Armées et les collectivités locales concernant les réserves foncières qui représentent des milliers d’hectares. Quelle appréciation avez-vous sur ces relations ? Deuxièmement, je ne suis pas d’accord avec votre proposition concernant les biocarburants. Pour ma part, je considère que c’est une vraie solution et que si le Ministère décide de se retirer, il doit le faire en sifflet afin de ne pas désorganiser les activités agricoles dans notre pays. Enfin avez-vous connaissance d’un projet d’un éco-campus Défense nationale au sein duquel public et privé pourraient travailler en synergie. Êtes-vous favorable à sa création ?

 

M. Jean-Charles Larsonneur. Je tiens à saluer la qualité de votre travail car je connais votre investissement sur ce sujet complexe et parfaitement aux prises avec les préoccupations d’une partie grandissante de nos concitoyens.

 

 

Comme toutes les institutions de l’État, les Armées doivent intégrer la dimension environnementale. Les armées font corps avec la nation, nos militaires sont des citoyens à part entière.

 

À l’heure actuelle, dans l’accomplissement de leurs missions, nos Armées, sur terre, sur mer, dans les airs dépendent principalement des énergies fossiles. Les innovations actuelles ne semblent pas en mesure d’enrayer cet état de fait. Cette situation n’est pas soutenable car elle nous place dans une situation de vulnérabilité quant à nos approvisionnements.

 

Il nous appartient donc de préparer cette transition en veillant à l’équilibre entre efficacité opérationnelle et ambition environnementale.

 

Aussi, j’aurai trois questions pour vous. Quelles sont vos préconisations s’agissant de la prise en compte des exigences écologiques dans la conduite des programmes d’armement ? Enfin, et surtout, le défi essentiel à relever est celui du développement des carburants alternatifs. Quels travaux sont actuellement menés ? Plus spécifiquement, des travaux sont-ils conduits dans ce domaine dans le cadre des programmes d’études amont ou dans le cadre de la recherche duale ?

 

M. Yannick Favennec-Bécot. Je tiens, tout d’abord, à vous remercier pour cette présentation et pour le travail réalisé. Je souhaiterais vous interroger sur deux projets américains qu’on a pu découvrir dans la presse spécialisée, à savoir la miniaturisation de centrales nucléaires transportables et projetables, ainsi que le développement d’une alimentation solaire spatiale sur rayonnement micro-onde.

 

Dans les deux cas, les États-Unis cherchent à trouver, notamment, des solutions permettant d’alimenter de manière autonome les bases américaines projetées sans faire appel aux réseaux électriques des pays hôtes par essence vulnérables et sans faire appel à des générateurs de sauvegarde employant du carburant traditionnel et nécessitant un flux logistique continu pour le combustible.

 

Si ces deux projets soulèvent des questions opérationnelles, financières et technologiques, ils ont le mérite de démontrer que nos alliés américains ont parfaitement conscience des enjeux énergétiques et climatiques et qu’ils entendent trouver rapidement des réponses.

 

Avez-vous eu l’occasion d’étudier ces deux projets ? De même, avez-vous connaissance d’autres initiatives et projets étrangers à application militaire pouvant inspirer la recherche française et européenne ?

 

M. André Chassaigne. Je souhaite d’abord souligner dans cet excellent rapport les perspectives ambitieuses et exigeantes proposées par les rapporteurs tant au niveau français qu’européen. L’objectif que s’est donné la France de réduire par quatre les émissions de gaz à effet de serre est très difficile à atteindre, et notamment pour le ministère des Armées qui est touché dans son cœur de métier. Ainsi, 50 % des émissions du ministère viennent du kérosène et du gasoil marin. Par ailleurs, les entraînements doivent avoir lieu. Il faut donc jouer sur plusieurs leviers. Ainsi, premièrement, une politique de l’achat responsable est-elle menée à l’échelle du ministère des Armées ? Qu’en est-il de l’achat environnemental avec l’utilisation des produits phytosanitaires, avec la réglementation REACH et la prise en compte de la réglementation relative aux déchets ?

Deuxièmement, Qu’en est-il de la création d’entités-pilotes, au sein du ministère, régies par la norme ISO 50001 ? Cette démarche ayant des gains assez importants a-t-elle été véritablement mise en œuvre ?

Troisièmement, qu’en est-il de la politique de démantèlement ? Entre 2010 et 2016, le démantèlement a été considérable avec l’élimination de 80 coques de navires, 400 aéronefs, 5 000 véhicules terrestres et 300 tonnes de matériel électronique. Ce rythme important de démantèlement a-t-il été maintenu et dans quelles conditions ?

 

M. Jean Lassalle. Je félicite les rapporteurs d’avoir réussi à traiter ce sujet si difficile que celui de la transition écologique dans le milieu de la guerre et à le rendre si passionnant. La guerre cause de considérables dégâts environnementaux, que l’on pense à la Seconde Guerre mondiale, à Hiroshima et Nagasaki ou aux munitions laissées dans l’environnement. L’armée pourrait envoyer dans le désert une nouvelle colonne pour retirer les douilles qui polluent le désert. Finalement, la préservation de l’environnement va de pair avec une limitation de la guerre. Ne pourrait-on donc pas mettre l’intelligence de l’armée pour éviter les guerres ?

 

Mme Isabelle Santiago, co-rapporteure. Pour répondre à Mme Carole Bureau-Bonnard sur la politique menée par les Armées, le ministère est à l’avant-garde sur les questions environnementales en matière d’innovation. Pour que l’on puisse être dans une dynamique d’innovation à destination du civil et du militaire, il faut qu’on repense la manière dont on travaille en recherche et développement, notamment en engageant un travail à l’échelle européenne pour se donner une force majeure et des moyens très importants. C’est à cette échelle que se joue cette question. Concernant les parties environnement et énergie du rapport, sur les formations de défense, cela permet aussi de répondre aux attentes de sobriété, sujet sur lequel les Armées doivent pouvoir travailler. Dans le même temps, nous avons tenu, dans ce rapport, à différencier le travail effectué à destination des opérations extérieures, qui ont des spécificités bien particulières, y compris sur le matériel militaire, et ce qui relève du territoire national. Sur le territoire national, les Armées peuvent faire encore beaucoup plus et beaucoup mieux. Il faut y mettre les moyens certes, mais nous pouvons aller plus vite et plus loin.

 

M. Jean-Marie Fiévet, co-rapporteur. Je voudrais d’abord répondre à notre collègue Jean-Pierre Cubertafon concernant le programme Data NRJ 360. C’est un outil utile qui sert à mesurer les consommations d’énergie et ainsi mieux anticiper les consommations excessives : in fine, permettre au ministère de consommer mieux. Néanmoins, ce n’est pas la première fois qu’un outil de ce type est déployé. Il y a eu un outil de suivi des fluides, qui s’appelait OSF à l’époque. Il avait été déployé dans le cadre de la stratégie ministérielle énergétique en 2012. Mais le bilan ne fut pas totalement satisfaisant, d’où la naissance de ce nouvel outil. Un hackathon est prévu sur la stratégie énergétique de défense pour améliorer l’outil. C’est un projet à suivre car il est prometteur et qu’il est extrêmement important que le ministère connaisse sa consommation.

 

Mme Isabelle Santiago, co-rapporteure. Je souhaiterais me pencher sur la question de notre collègue M. Yannick Favennec-Bécot concernant le développement de centrales nucléaires transportables et projetables, ainsi que le développement d’une alimentation solaire spatiale. Nous n’avons pas eu l’occasion d’échanger sur cette question très précise. Mais lors de nos échanges avec des interlocuteurs nationaux et internationaux, nous avons vu que le ministère des Armées travaille régulièrement avec l’ensemble des partenaires, dont les États-Unis. Ils échangent sur les pistes de travail et, rappelons-le, les États-Unis donnent des moyens très importants à leurs armées pour la recherche et développement. C’est cette dynamique vertueuse qui permet de faire des propositions comme celles que vous avez pu lire récemment.

 

Concernant la possibilité de regarder les choses de manière différenciée, à savoir les opérations extérieures et le territoire national, le recours à l’énergie solaire est une piste pour les OPEX. Nous l’avons évoqué dans plusieurs auditions et nos interlocuteurs ont tous précisé que les moyens étaient limités par les contraintes géographiques des OPEX en fonction de leur localisation. Les conditions climatiques sont problématiques. Pour l’opération Barkhane par exemple, le sable pourrait poser des problèmes majeurs sur les panneaux photovoltaïques. Il y a donc des difficultés en fonction des zones géographiques dans lesquelles on se trouve. Ce sont donc des pistes de recherche, passionnantes par ailleurs, qui avancent mais ne pourront pas répondre à toutes les questions qui sont posées en fonction du lieu de déploiement. Ces problématiques sont d’ailleurs partagées par tous les pays déployés ensemble au sein des coalitions.

 

M. Jean-Marie Fiévet, co-rapporteur. Je souhaiterais répondre à notre collègue M. David Habib sur la question des relations entre le ministère des Armées et les collectivités territoriales. Bien sûr, le ministère a des relations avec ces collectivités, et ces relations sont primordiales. Ces relations concernent notamment la gestion de réseaux et d’infrastructures. Par exemple, le service d’infrastructures de la Défense travaille avec les collectivités territoriales pour les contrats de performance énergétique car il doit se raccorder au réseau de valeur urbaine. C'est le cas en ce moment même avec une étude dans l’est de la France pour se raccorder au réseau urbain.

 

Par ailleurs, des échanges ont lieu en matière de biodiversité, dans beaucoup de sites. Nous en avons eu l’exemple à Toulon ou au camp de la Valbonne (Ain). Mais c’est un axe qu’il va falloir développer, vous avez tout à fait raison. Cette approche locale c’est quelque chose de nouveau. Au niveau national nous savons faire mais il va sûrement falloir régionaliser et être au plus près des collectivités pour aller plus vers cette biodiversité.

 

Concernant les biocarburants et les carburants, nous distinguons trois niveaux et générations. La première génération, ce sont des carburants d’énergies fossiles comme le pétrole. La deuxième génération, ce sont les biocarburants, sous forme d’essence ou de gaz. La troisième génération, qui arrive aujourd’hui, ce sont des carburants novateurs, de rupture, et qui sont l’hydrogène, l’électrocarburant ou encore les carburants à base de microalgues. Aujourd’hui, le biocarburant c’est un carburant de transition : si demain nous devions passer tous les carburants à base de pétrole en biocarburants, il faudrait une surface équivalente à la Russie pour pouvoir alimenter entièrement l’État français. Il ne faut pas tout miser sur le biocarburant : c’est un carburant qui pollue peu, ce qui est intéressant, mais il faut diversifier le carburant. Il faut que chacun puisse retrouver différents carburants. Aujourd’hui, nous avons différents carburants fossiles : le diesel, l’essence, différents niveaux d’essence. Demain nous devons aller vers le même principe et non pas aller vers un carburant unique. Il faut pouvoir laisser à chacun le choix du carburant qui s’y prête le mieux. Par ailleurs, les biocarburants ne sont pas entièrement écologiques contrairement à ce que l’on croit. Les biocarburants c’est une base de pétrole, soit le diesel, soit de l’essence, à laquelle on va ajouter des produits issus de l’agriculture, comme le colza. Il faut aussi conserver nos capacités de production alimentaire et ne pas oublier que la nourriture c’est la base de l’homme.

 

Mme Isabelle Santiago, co-rapporteure. Dans la stratégie énergétique de défense, il y a un axe de sécurisation des flux. Comme vous le savez, nos armées sont sur de nombreux terrains pour assurer la continuité de notre approvisionnement, comme avec l’opération Agénor dans le détroit d’Ormuz. Tout cela permet de réduire de réduire les tensions autour des ressources énergétiques et donc les potentielles sources de conflictualité.

 

Nous avons abordé les enjeux du rapport comme des briques, avec des approches différentes pour chaque question : les sujets stratégiques, la sécurité des armées, les OPEX. C’est ce qui donne tout son intérêt à ce rapport. Nous ne nous sommes pas concentrés seulement sur des problématiques de guerre mais sur tous les sujets relatifs aux armées, notamment les pistes pour rendre nos armées plus vertueuses. À l’échelle internationale, on le voit, une dynamique s’installe pour de profonds changements avant 2050. Cela concerne notamment les territoires nationaux, pour la France comme pour de nombreux pays en avance sur ces questions-là, mais aussi la question du changement climatique ou de l’énergie. Ces deux derniers n’étant pas dépourvus de problèmes géopolitiques inhérents aux lieux de production. C’est autour de toutes ces questions-là qu’il faut regarder les sujets présentés dans notre rapport.

 

Nous sommes conscients que cette situation géopolitique, je vous ai parlé tout à l’heure des îles des Fidji ou du Bangladesh, impose aux États de trouver des réponses à ces questions avant 2050.

 

 

M. Jean-Marie Fiévet, co-rapporteure. Il y a, au ministère des Armées, une politique d’achat responsable. C’est la DIRISI qui nous en parlait. Cela ne rentre pas cependant dans le périmètre de notre champ de réflexion, car relevant du développement durable. Mais il y a pour ça des outils, j’évoquais tout à l’heure le programme Data NRJ 360, l’OSF également et d’autres outils déjà en place. Ce sont des enjeux extrêmement importants, et il faut vraiment aller vers une politique d’achat responsable, vous avez entièrement raison M. Chassaigne.

 

Vous m’avez également parlé de la politique de démantèlement. Effectivement, le ministère des Armées a fait un gros effort sur le démantèlement des bateaux par exemple. Beaucoup ont été démantelés depuis quelques années, et ils sont actuellement démantelés en Bretagne, selon différents contrats. Le souci du démantèlement c’est que ce sont des engins qui ont aujourd’hui plus de quarante ans pour beaucoup, or la conception des bateaux de l’époque n’est plus celle d’aujourd’hui, avec des matières premières qui sont, pour certains, dangereuses. Il y a donc des difficultés à démanteler ces engins, mais on y arrive quand même, il n’y a pas de problématiques particulières. Prenons l’exemple des avions de chasse par exemple. Les avions sont conçus avec des matériaux de très grande qualité mais malheureusement beaucoup de joints sont faits avec des matières extrêmement dangereuses, qui n’étaient pas considérées comme telles à l’époque. Cela impose de prendre de très grandes précautions. On ne peut pas non plus démanteler avec une vitesse industrielle, il faut prendre le temps de démanteler pour ne pas que cette opération ne vienne polluer les surfaces qu’il y a autour et faire prendre des risques à ceux qui démantèlent, qui sont présents pour une mission très importante. Le ministère a pris à bras-le-corps tous ces démantèlements, concernant les armes en fin de fin de vie également : les missiles, les munitions, etc. Le souci concerne plus les armes utilisées pendant la Première ou la Seconde Guerre mondiale, qui ne concernent plus forcément le ministère des Armées car il ne s’agit pas d’un recyclage classique de fin de vie, mais d’un recyclage d’armes utilisées. Nous avons posé beaucoup de questions sur cette thématique qui était pour nous importante. On parle toujours de l'écoconception, mais rarement de la déconstruction. C’est un ensemble : on part d'un projet initial, et 40 ans après, ce projet il faut le démanteler. Pour certains projets, c’est titanesque.

 

Concernant la question de M. Jean-Charles Larsonneur sur les programmes d’armement : la Direction générale de l'armement a pris en compte la dimension environnementale dans les programmes d’armement. Elle a mis en place des fiches d’écoconception. Tous les projets, depuis 2018, doivent prendre en compte la dimension environnementale. Dès le départ, on part sur une fiche d’écoconception, c’est-à-dire qu’on anticipe l’avenir. Dans cette fiche, on part quand même sur du matériel terrestre, maritime ou aérien dont on sait qu’il va sûrement durer 40 ans. On prévoit donc les étapes de vie des matériels, avec la possibilité de faire des rétrofits sur ces engins. Grâce à cette écoconception, on peut se dire : « dans 20 ans, lorsque je devrais remplacer le moteur actuel qui fonctionne au carburant essence unique, mon anticipation me permet de le remplacer par un moteur électrique. L’écoconception fait que je connais déjà l’emplacement des batteries et du moteur ». Ce qui est compliqué pour la DGA, c’est qu’un véhicule ou un engin conçu aujourd’hui va être mis en service dans 10 ans ou dans 20 ans, puis être service pendant 40 ans. Donc c’est compliqué d’anticiper aujourd’hui quel carburant sera utilisé dans 20, 30 ou 40 ans. La DGA fait donc un travail phénoménal sur ces fiches d'écoconception. Ces fiches font aussi l’objet de travaux chez tous les industriels de la Défense, c’est obligatoire mais tout le monde a une opinion très positive de ces fiches d'écoconception.

 

Malheureusement, nous n’avons pas pu voir le fameux véhicule blindé de l’avant Electer d’Arquus, un prototype. Nous devrions y aller dans quelques semaines car la crise sanitaire a rendu impossible un déplacement avant cela. Arquus a mis en place ce VAB électrique, qui va servir de base au développement des véhicules blindés de combat d'infanterie et autres véhicules vers des modes de propulsion hybrides électriques et moteur à explosion. Concernant la conception de ses matériels, le ministère des Armées se projette vers l’avenir. L’avenir c’est peut-être la motorisation hybride, mais peut-être une autre direction dans un temps un peu plus long.

 

Mme Isabelle Santiago, co-rapporteure. Je souhaiterais également compléter notre réponse à M. David Habib concernant la proposition d’un campus privé-public. Dans le rapport nous parlons de l’Agence de l’innovation de défense qui, à mon avis, doit être densifiée et relevé d’une dynamique de campus à l’échelle nationale. Ce service, c’est le seul qui permet à toutes les entreprises de pouvoir amener l’innovation en direct, sas passer par tous les filtres habituels, normaux biens sûrs. L’Agence de l’Innovation de défense permet d’observer une synergie et une dynamique, et je crois que c’est cet esprit-là qui permet de trouver des axes fondamentaux de recherche. Certaines idées relevaient de la science-fiction et avancent aujourd’hui avec beaucoup de rapidité. Malheureusement, cette initiative de maillage entre le secteur privé et nos armées est à petite échelle et c’est pour ça que notre rapport précise que nous ne sommes pas au niveau, au volume nécessaire à nos ambitions d’innovation.

 

Mme Anissa Khedher. Je souhaite d’abord remercier nos collègues pour leurs travaux, qui nous font honneur puisque c’est la première fois que notre commission s’intéresse à cette question. Hasard du calendrier, votre présentation intervient au lendemain de l’adoption, par l’Assemblée, en première lecture, du projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets. Vous avez en partie répondu à ma question, qui portait sur la COP 26. Celle-ci se tiendra en novembre 2021 à Glasgow, et nous espérons qu’elle sera l’occasion d’adopter un nouvel accord ambitieux pour lutter contre le réchauffement climatique. Dans ce contexte, pourriez-vous nous indiquer en quoi l’action de l’armée française dans le domaine de la transition énergétique pourrait être considérée comme un modèle à suivre au niveau international. De la même manière, pensez-vous qu’au plan européen, la France occupe une place de leader en la matière ?

 

M. Xavier Batut. À mon tour de féliciter nos rapporteurs pour la qualité de leur travail et de leurs préconisations. Ma question porte sur la mise en place de l’éco-camp, attendue en 2025. Puisque vous l’avez présenté, dans vos propos liminaires, comme un projet de long terme, je souhaiterais savoir si vous pensiez qu’il verra bien le jour et sera opérationnel à la date prévue.

 

M. Jean-Philippe Ardouin. Bravo à nos collègues pour la qualité de leur rapport et leurs propositions que, pour ma part, j’ai trouvé fort instructives. L’un des enjeux de la transition énergétique est celui de notre dépendance aux matières rares, dans la production de nos véhicules, et notamment les terres rares. Produites quasi exclusivement par la Chine, celles-ci seront pourtant nombreuses et indispensables pour la fabrication des composants des voitures électriques. Pour notre industrie, nous nous trouvons donc là à la frontière de questions écologiques et de souveraineté. Aussi, pourriez-vous nous dire ce qu’il en est du recyclage de ces matériaux ou des travaux relatifs à leur substitution ?

 

M. Stéphane Trompille. Permettez-moi d’abord de féliciter et de remercier nos collègues pour leur présentation, et en particulier notre collègue Jean-Marie Fiévet pour s’être rendu au camp militaire de La Valbonne, dans mon beau département de l’Ain. Sans que Jean-Philippe Ardouin et moi-même ne nous soyons concertés, ma question porte également sur le recyclage des terres rares. Vous connaissez mon intérêt particulier pour les questions spatiales et, aujourd’hui, de nombreux déchets spatiaux qui encombrent les orbites contiennent des terres rares. À titre d’exemple, le 23 avril dernier, la navette Crew Dragon a failli percuter des débris spatiaux sur son trajet vers la station spatiale internationale. Soucieuse du problème que pouvaient constituer de tels débris pour les prochains voyages spatiaux, l’Agence spatiale européenne a décidé de lancer le programme CleanSpace-1, dont le premier vol doit intervenir en 2025, afin notamment de recycler ces débris en orbite. Il convient à mon sens de développer les partenariats entre des acteurs privés et publics afin de lancer de futures missions spatiales pour recycler de tels débris, mais aussi d’intensifier les activités de recherche et de développement dans ce secteur innovant pour pouvoir mener nos futurs voyages spatiaux de la meilleure des façons. En outre, il me semble important de rappeler que les États-Unis et la Chine sont déjà engagées dans une compétition dans le domaine des activités de minage spatial et nous paraissons un peu en retard aux niveaux français et européens. J’en viens donc à mes questions. Pensez-vous possible de récupérer des débris spatiaux et de les recycler sur Terre afin de récupérer des matériaux et des terres rares. Quels moyens sont mis en place par le Gouvernement, et en particulier le ministère des Armées, pour lutter contre ce futur fléau extra-atmosphérique, et récupérer là-aussi des terres rares ?

 

M. Fabien Gouttefarde. À mon tour de remercier les rapporteurs, que j’ai pu accompagner, en tant que membre de la mission d’information, lors d’une vingtaine de la quarantaine d’auditions qu’ils ont conduites, ainsi qu’à quelques-uns des déplacements qu’ils ont effectués en France. Ceci m’a permis de mesurer l’importance de ces enjeux, et aujourd’hui, de largement partager vos recommandations, en particulier celle portant sur l’augmentation des effectifs de l’Agence de l’innovation de défense. Pour élargir le débat au-delà de nos frontières, pourriez-vous nous renseigner sur le positionnement de la stratégie de transition écologique et énergétique des armées françaises – notamment en termes d’approche et de plan d’action – au regard de celles d’autres pays, et je pense en particulier au Royaume-Uni, puisque nos armées sont comparables.

 

M. Jacques Marilossian. Merci à nos collègues pour leur présentation et leurs premières réponses. Comme vous l’avez dit, le ministère des Armées a adopté, l’an dernier, une stratégie énergétique, et constitue le premier consommateur institutionnel en France, avec 0,3 % de la consommation énergétique nationale. Vous avez également évoqué le plan « Place au soleil », dans le cadre duquel le ministère des Armées s’engage mettre à disposition plus de 2 000 hectares de terrains avant 2025 pour développer des projets photovoltaïques. Et comme vous l’avez également rappelé, l’importance du patrimoine foncier du ministère des Armées constitue un atout indéniable pour l’installation de cellules photovoltaïques. Il me semble toutefois que nous ne disposons pas d’évaluation précise sur les économies que nous pourrions réaliser grâce à ce plan. De la même manière, il me paraît important d’identifier les infrastructures les plus adaptées à l’installation de telles cellules, car selon la géographie et l’environnement, toutes ne bénéficieront pas d’un niveau d’exposition à la lumière équivalent. Et même s’il en existe, toutes nos bases de défense ne sont pas situées sous les tropiques. En conséquence, ma question est relativement simple : pouvez-vous expliciter l’opportunité que constitue la mise en place du plan « Place au soleil » dédié à la mise à disposition de surfaces valorisables ?

 

Mme Monica Michel-Brassart. Félicitations à nos rapporteurs pour leur travail fouillé, qui démontre l’importance des enjeux de ce vaste sujet. Par sa géographie, le continent européen dispose de rares ressources d’énergie fossile. Pour être opérationnelle, l’armée a donc besoin d’importer massivement des ressources pétrolières et gazières de l’étranger, ce qui induit une relation de dépendance qui pourrait menacer l’autonomie stratégique de la France. Dans le cadre de sa stratégie énergétique de défense, dévoilée en septembre dernier, la France souhaite renforcer son indépendance sur le plan des approvisionnements énergétiques. Assurer la souveraineté des armées en ce domaine constitue un enjeu majeur à l’heure où les tensions géopolitiques croissent et les ressources naturelles se raréfient. Le soutien aux alternatives actuelles au tout pétrole et à l’innovation est donc très important pour accompagner et développer la transition écologique et énergétique de nos armées. Les innovations françaises en la matière sont nombreuses et vous en avez cité des exemples : propulsion électrique grâce à une vraie rupture technologique, démonstrateur hybride Griffon – annoncé pour 2025 – recherche pour alimenter des avions à réaction en biocarburant et hybridation des motorisations. Alors que la France présidera le Conseil de l’Union européenne au premier semestre 2022, comment pourrions-nous, grâce à notre expertise en la matière, encourager nos partenaires européens de défense vers cette thématique et ainsi évoluer vers une stratégie européenne renforcée, au-delà de la constitution d’une centrale européenne d’achat de produits pétroliers au profit des forces armées que la France compte proposer.

 

M. Didier Le Gac. Merci aux rapporteurs pour leur exposé. En tant que rapporteur budgétaire des crédits de la marine, je souhaite interroger les rapporteurs sur le transport maritime. Vos travaux, et notamment votre déplacement à Toulon, vous ont-ils permis d’aborder avec vos interlocuteurs la question de la transition écologique et énergétique de la marine nationale, sur le modèle de celui de la marine marchande. Je rappelle à ce sujet qu’en 2050, le transport maritime devra avoir réduit de 50 % ses émissions de dioxyde de carbone par rapport à 2008, ce qui a suscité de nombreuses réflexions visant à substituer du gaz naturel liquéfié au fioul lourd. Bien évidemment, la marine nationale ne compte pas autant de bateaux que la marine marchande – on est loin des 80 000 à 100 000 bateaux qui croisent sur les mers du monde, qu’il s’agisse de tankers, de super tankers et autres porte-conteneurs –, mais savez-vous si la marine nationale envisage d’opérer une transition du fioul lourd au GNL ?

 

M. Jean-Marie Fiévet, co-rapporteur. Merci à nos collègues pour ces nombreuses questions, à laquelle nous ne répondrons peut-être pas dans l’ordre. M. Batut nous a interrogés sur l’éco-camp. Il me semble important de rappeler d’abord qu’à l’origine, il s’agit d’un projet expérimental dont le premier prototype devait être livré, comme vous l’avez dit, en 2025. Ce projet a toutefois rapidement évolué et je tiens d’ailleurs à remercier les personnels du Centre d’expertise des techniques d’infrastructure de la Défense du Service d’infrastructures de la Défense pour le temps qu’ils nous ont accordé afin de nous exposer ses mutations. Aujourd’hui, la mise en service de l’éco-camp n’est plus attendue pour 2025, car le projet est aujourd’hui composé de multiples couches complémentaires, qui connaissent aujourd’hui différents stades d’avancement. Il me semble important de rappeler un élément fondamental : l’armée française est une armée de projection, composée de Gaulois qui se déploient avec un sac à dos et une toile de tente personnalisée, et ce n’est que sur le théâtre, dans un environnement dangereux, que sont installés des tentes collectives ou des bâtiments en dur et constitués des camps, voire une mini-ville. Or, comment est organisé un camp aujourd’hui ? En son cœur se trouve une centrale électrique qui alimente l’ensemble. Demain, l’éco-camp a été construit à partir d’une analyse complètement opposée, en partant des besoins des soldats, afin de déterminer les conditions nécessaires pour assurer le fonctionnement du camp à partir de … rien ! L’exemple qui nous a été donné est celui de la cellule-vie, où dorment les soldats, qui doit être complètement autonome. Cela paraît simple : il suffit en fait de placer des panneaux photovoltaïques sur le toit afin de produire l’énergie suffisante pour la cellule-vie. Mais pour fonctionner, un panneau photovoltaïque se doit d’être toujours propre, ce qui constitue un sérieux défi dans des zones où domine le sable, comme aujourd’hui la bande sahélo-saharienne. Alors devons-nous déployer un soldat armé d’un balai pour épousseter le panneau en permanence ? Chacun conviendra que telle n’est pas la mission de nos militaires. C’est pourquoi il a été décidé de confier cette tâche à un robot, qui doit pouvoir fonctionner de manière indépendante, y compris sur le plan énergétique, c’est-à-dire sans devoir être alimenté par ladite centrale électrique. À première vue, on pourrait penser que les concepteurs de l’éco-camp font les choses à l’envers, mais en creusant le sujet, on se rend compte à quel point ces enjeux sont passionnants.

 

De la même manière, si l’on s’intéresse aux téléphones portables, que chacun – y compris les militaires – a dans sa poche, ils sont aujourd’hui rechargés par une prise de 220 volts équipée d’un transformateur qui abaisse la tension à sept ou douze volts. Dans le cadre de l’éco-camp, il est envisagé de déployer dès le départ des lignes à basse tension, permettant de moins consommer d’énergie, pour un chargement normal.

 

Au fond, sur un théâtre d’opération, les militaires n’ont besoin que d’énergie électrique et d’eau pour être heureux. S’agissant justement de l’eau d’ailleurs, il nous a été indiqué que la production d’eau pouvait être séparée en deux paquets : d’un côté, de l’eau consommable, très filtré, destinée à être bue ; de l’autre, de l’eau moins filtré – mais toujours consommable – pour alimenter les douches et les sanitaires. En définitive, moins de filtres impliquent moins d’énergie, et donc moins de besoins énergétiques et de dépendance au fioul. L’éco-camp est donc un projet en perpétuelles adaptation et évolution, avec par exemple le déploiement en BSS, dans quelques mois, du premier robot-nettoyeur de panneaux photovoltaïques. Je tiens vraiment à saluer le travail des personnels du CETID, qui ont effectué un travail formidable. Et alors qu’au lancement de ce projet, il n’était pas très à la mode, disons-le, l’éco-camp est aujourd’hui regardé et observé par toutes les armées du monde. Il s’agit d’un très beau projet que je vous invite tous à regarder de près.

 

Mme Isabelle Santiago, co-rapporteure. En réponse à Fabien Gouttefarde, je dirais que si l’on observe peu de différences entre le Royaume-Uni et la France, force est tout de même de constater que les Britanniques ont avancé beaucoup plus vite que nous sur la question de la transition énergétique et écologique. La dynamique est différente, notamment car plutôt que d’inscrire leur stratégie de transition dans le cadre d’une loi de programmation militaire, les armées britanniques se sont fixées comme objectif d’opérer leur transition à l’horizon 2050. Il s’agit donc d’une vision de long terme et c’est en ce sens que nous divergeons en matière d’approche. La stratégie britannique a fait l’objet d’un rapport endossé par le Premier ministre, M. Boris Johnson, largement couvert par la presse nationale et internationale. Selon cette stratégie, la totalité du parc automobile non opérationnel des armées sera renouvelée d’ici 2050, et celui-ci sera donc uniquement composé de véhicules « 0-émissions », en l’espèce de véhicules électriques.

 

En outre, s’agissant de la contribution des forces à la résilience de la Nation, plusieurs chantiers ont été engagés, dans lesquels nous nous retrouvons. Je pense ainsi à la capacité de répondre aux catastrophes et d’apporter un soutien aux autorités civiles. La crise sanitaire a d’ailleurs démontré la capacité de la défense à agir rapidement et efficacement dans les moments de tension nationale. De la même manière, je pense à la capacité à apporter un secours humanitaire en cas de catastrophe, tant à l’échelle nationale qu’à l’échelle internationale. Il s’agit là aussi de répondre à de nouveaux défis, qui nous imposeront de collaborer. Dans le domaine de la recherche et de l’innovation, nos deux pays sont prêts à collaborer et nos communautés scientifiques respectives sont prêtes à travailler de concert. Côté britannique, un tel effort a fait l’objet d’une stratégie et d’une programmation dédiées. L’armée britannique s’engage également à construire des infrastructures aussi durables que possible, ce qui a trait aux normes de construction suivies. Le général Nudge appelle à la mise en place d’une dynamique occidentale permettant, dans la perspective de la COP26, de lier les enjeux de protection de l’environnement et les enjeux de défense, y compris dans les domaines cyber et spatial. En définitive, il me semble en effet que les Britanniques ont proposé une démarche innovante et intéressante.

 

M. Jean-Marie Fiévet, co-rapporteur. Monsieur Ardouin, la question du recyclage des terres rares est régulièrement revenue au cours de nos auditions. En fait, ces terres ne sont pas aussi rares qu’on le dit. On trouve partout dans le monde du cobalt, du lithium etc. Seulement, leur extraction suppose du personnel et malheureusement, dans de nombreux pays, les normes d’extraction ne sont pas les mêmes qu’en Europe. La Chine a pris le leadership en matière de transformation de tous ces minéraux si bien que tous les pays dépendent d’elle pour leur approvisionnement en la matière. La demande en terres rares est importante et va croissant. Les pays européens ont réfléchi à la manière de diversifier leurs sources d’approvisionnement en terres rares, notamment en cas de crise. Une solution serait peut-être de constituer un stock européen de différentes terres rares – sachant que dix-sept d’entre elles ont déjà été prises en compte pour les besoins de nos militaires et pour nos produits civils. On pourrait certes aussi recycler ces terres rares mais, d’une part, le volume obtenu resterait insuffisant et, d’autre part, cela coûte extrêmement cher – beaucoup plus cher que d’acheter des terres directement à la Chine, même en comptant le coût de transport. Il faudra peut-être développer le recyclage des terres rares dans les années à venir, comme on le fait dans de nombreux autres domaines au niveau national. S’il y a des terres rares dans tout – dans nos téléphones, nos ordinateurs, nos maisons, nos voitures… –, il faut aussi évoquer des matières qui ne sont pas des terres rares comme le cuivre, dont les carrières d’extraction vont diminuer en volume en 2030. Je rappelle qu’une voiture électrique nécessite quatre fois plus de cuivre qu’une voiture « classique ». On va donc assister demain à une explosion de la demande de cuivre et le coût de celui-ci risque aussi d’augmenter. Il va donc falloir aussi optimiser le recyclage des matériaux de haute qualité dont on a besoin pour différents usages. Il va falloir anticiper la demande en constituant des stocks pour ne pas être dépendant, dans l’urgence, d’un pays susceptible de couper court à nos échanges. Pour illustrer les besoins de terres rares en volume, on prend souvent l’exemple du FAMAS. La composition de ce fusil comprend huit terres rares, dont six dans le canon. Il y a vingt-huit éléments de terres rares dans le Rafale, seize dans l’A400M. Sans le savoir, on est dépendant dans tous les domaines des terres rares, véritable ressource d’avenir. Il va donc falloir anticiper pour pouvoir récupérer localement cette ressource.

 

Mme Isabelle Santiago, co-rapporteure. Monsieur Le Gac, la Marine nationale réfléchit à différentes innovations très intéressantes – qu’on a pu voir tout à l’heure en vidéo – de moteurs hybrides ou électriques qui rendent silencieux les bateaux en opération. Cependant, à l’échelle de la Marine nationale, ces innovations ne peuvent être considérées comme la seule solution d’autant que la recherche n’en est qu’à ses débuts. Les armées, en particulier la Marine, dépendront donc encore assez longtemps des énergies fossiles ou nucléaires.

 

Il est inenvisageable à ce stade de recourir sur les navires au gaz naturel liquéfié, jugé trop dangereux par une étude technico-opérationnelle qui a été menée. Le recours aux biocarburants reste la voie privilégiée dans le cadre du mix énergétique, avec les limites que nous avons évoquées tout à l’heure. Cette solution est envisagée à court terme mais la Marine nationale dépend essentiellement du nucléaire pour la propulsion – comme l’illustre l’option retenue pour le porte-avions de nouvelle génération. Cette option est aussi celle qui permet de réduire les émissions de gaz à effet de serre.

 

Nous avons eu des débats très intéressants sur le nucléaire lors de nos auditions. Ainsi, l’Allemagne a l’intention de fermer ses centrales nucléaires mais ne le fera pas avant 2038. En outre, elle a ouvert des usines à charbon et surtout, elle est désormais dépendante à plus de 70 % de la Russie, ce qui n’était pas le cas auparavant. Toutes les questions énergétiques sont à regarder à l’aune de la dépendance que le pays risque subir, même à l’égard de pays amis. Comme le disait Jean-Marie Fiévet tout à l’heure, s’agissant des terres rares, nous sommes tous dépendants de la Chine. L’Australie travaille sur cette question des terres rares et d’autres pistes se dessinent, tant la question des énergies aura des conséquences géostratégiques importantes dans les années à venir.

 

M. Jean-Marie Fiévet, co-rapporteur. Monsieur Trompille, si la question des débris de l’espace a été peu abordée durant nos auditions, nous menons quand même une réflexion sur cette thématique importante. On estime à environ 34 000 le nombre de déchets ou objets de plus de 10 centimètres dans l’espace, sans parler de ceux qui sont beaucoup plus petits. Vous l’avez dit, il y a quelques jours, on a frôlé l’incident, un déchet ayant approché de près la station orbitale. Il existe effectivement des projets de satellites nettoyeurs – dont un qui, à l’aide d’un bras, pourrait saisir les plus gros objets flottant dans l’espace pour les désorbiter et les renvoyer dans l’atmosphère où ils seraient automatiquement détruits. Il n’y aurait certes pas de récupération mais au moins destruction de ces déchets. Il y a également un projet de satellite doté d’un filet immense permettant de récupérer un maximum d’objets et de les désorbiter dans le haut espace – où il n’y a plus de satellites. Ces objets resteraient malheureusement dans la stratosphère mais plus dans les différentes couches où se trouvent nos satellites – ce qui éviterait les risques d’incidents importants. Vous avez raison de souligner que ces objets sont de très grande valeur ajoutée puisqu’ils sont faits des matières composant nos satellites. Cependant, les faire revenir sur terre aurait un coût phénoménal. Peut-être est-il donc plus intéressant de les renvoyer dans l’atmosphère pour qu’ils soient détruits. Monsieur Trompille, vous aviez abordé le sujet dans l’excellent rapport que vous avez publié sur l’air et l’espace, il y a deux ans environ, et j’avais trouvé votre analyse passionnante – analyse qui correspond aux échanges que nous avons eus avec différents acteurs.

 

Mme Isabelle Santiago, co-rapporteure. Madame Michel-Brassart, s’agissant de la centrale d’achat liée aux produits pétroliers, j’espère tout d’abord que vous prendrez connaissance de notre rapport, plus complet que notre présentation. Vous y trouverez beaucoup d’informations, fruit de nos auditions, ainsi que nos positions et propositions. La France est active en la matière puisque c’est elle qui est à l’initiative de cette centrale d’achat. Si le dossier avance lentement dans la mesure où il doit être porté à l’échelle européenne, il serait idéal que cette centrale d’achat soit créée à ce niveau, compte tenu de notre dépendance aux énergies fossiles et de la nécessité de diversifier, et ainsi, de diversifier nos sources d’approvisionnement. Dans le même temps, la France a la chance de dépendre, pour partie, de la Norvège, pays ami. En outre, les voies d’approvisionnement que nous empruntons nous permettent de sécuriser notre consommation énergétique. Le sujet serait très long à présenter ici – il faudrait en effet entrer dans le détail s’agissant du pétrole, du gaz et des autres énergies –, raison pour laquelle je vous en ai fait un petit résumé. Nous serons à votre disposition dans le cadre du suivi de notre rapport : nous allons en effet continuer à travailler sur la question européenne et en vue de la COP 26.

 

M. Jean-Marie Fiévet, co-rapporteur. Cher collègue Jacques Marilossian, le plan Place au Soleil lancé par la ministre des Armées, qui concerne 2 000 hectares – vous l’avez dit –, vise à injecter de l’énergie solaire dans le réseau national. Dès lors, pour que le plan soit efficace, il faut que les fermes photovoltaïques soient près de ce réseau. On ne peut les installer en plein milieu d’un camp – ce qui compliquerait d’ailleurs l’entraînement de nos soldats – mais si elles sont éloignées des réseaux, le raccordement aura un coût phénoménal et sera très compliqué. Les services que nous avons auditionnés sont tous à la recherche d’hectares disponibles. Aujourd’hui, 300 hectares font déjà l’objet de travaux de réalisation, environ 400 hectares sont en cours d’identification et l’on devrait parvenir aux 2 000 hectares annoncés par la ministre des Armées – même s’il est très compliqué de les trouver. Il ne faut pas que ces fermes empiètent sur les terrains de manœuvre ni sur les terrains classés Natura 2000 ou au titre de la protection de la biodiversité. Les services, auxquels nous avons demandé pourquoi ne pas installer des panneaux photovoltaïques sur les toitures, nous ont répondu que cela représentait des surfaces infimes et qu’il fallait que la structure des bâtiments, souvent anciens, puisse supporter le poids de ces panneaux. Tous les bâtiments neufs du ministère des Armées sont quant à eux équipés et couverts de panneau mais ce, à des fins d’autoconsommation. On sent que tout le monde, au sein du ministère, est vraiment mobilisé pour trouver ces 2 000 hectares. Certains terrains de manœuvre et champs de tir sont peu utilisés car c’est très compliqué : il faudrait pour cela neutraliser les surfaces au sol. Une solution consisterait à recouvrir ces surfaces de terre et de poser les panneaux photovoltaïques sur des plots en béton. Cependant, là aussi, ces terrains sont loin de tout de sorte qu’il est compliqué de les raccorder au réseau. Il reste que compte tenu de la mobilisation de tous, je ne suis pas inquiet quant au fait que l’on va trouver ces 2 000 hectares. Au-delà, je pense qu’il sera très compliqué de trouver de grandes surfaces pour y installer de grandes fermes photovoltaïques. Il faudra plutôt se concentrer sur la construction de bâtiments à énergie positive.

 

Mme la présidente Françoise Dumas. La diversité des questions posées, toutes très pertinentes, illustre que vous avez exploré un champ considérable, de l’espace au sous-sol en passant par les matières rares. Je suis fière du travail que vous avez mené.

 

M. Jean-Marie Fiévet, co-rapporteur. Je voudrais remercier les services de l’Assemblée nationale, ceux du ministère des Armées et les industriels que nous avons auditionnés. C’est grâce à eux que nous avons pu vous présenter ce rapport.

 

Mme la présidente Françoise Dumas. Je salue ce travail qui fait écho aux préoccupations des Français. Votre rapport illustre qu’on peut à la fois s’inspirer de l’existant et être innovant, tant dans le monde civil que dans le monde militaire, dans une logique d’enrichissement réciproque. Il n’est, j’en suis persuadée, que le début d’une réflexion qui se poursuivra, ici et ailleurs.

 

La commission de la Défense nationale et des forces armées autorise à l’unanimité le dépôt du rapport d’information sur les enjeux de la transition écologique pour le ministère des Armées en vue de sa publication.

 

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La séance est levée à onze heures quarante-cinq.

 

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   Annexe 1 :

Auditions des rapporteurs

(Par ordre chronologique)

 

 M. l’Ingénieur général de 1re classe Jean-Charles Ferré, directeur central du service de l’énergie opérationnelle et chef de la division « énergie opérationnelle » de l’état-major des armées, M. l’Ingénieur en chef de 1re classe Olivier Naegellen Roy, chef du bureau « politique énergétique et anticipation » de la division « énergie opérationnelle », Mme l’Ingénieure en chef de 2e classe Caroline Gaildry, officier expert « soutien pétrolier » au Centre de planification et de conduite des opérations (CPCO) ;

 État-major des armées (EMA)M. le général Vincent Breton, chef du pôle « prospective et stratégie militaire » ;

 Direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) ‒ Mme Alice Guitton, directrice générale ;

 Commandement de la cyberdéfense (COMCYBER)M. le général Didier Tisseyre, commandant, M. Sébastien Bombal, chargé du « pôle stratégie » ;

 Secrétariat général pour l’administration (SGA) ‒ Mme Isabelle Saurat, secrétaire générale ;

 Direction générale de l’armement (DGA) ‒ Mme l’Ingénieure générale de l’armement Cécile Sellier, directrice technique M. l’Ingénieur général de l’armement Jean-Christophe Videau, chef du service d’architecture du système de défense (SASD) ;

 Service d’infrastructure de la Défense (SID)M. le général Bernard Fontan, directeur ;

 État-major des armées (EMA) – M. le colonel Thierry Tricand de la Goutte, officier de cohérence opérationnelle « projection-mobilité-soutien » de la division « cohérence capacitaire » (COCA) ;

 Groupement des industries de construction et activités navales (GICAN) ‒ M. Philippe Missoffe, délégué général, M. Jacques Orjubin, délégué à la communication et aux relations publiques ;

 Groupement des industries françaises de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres (GICAT) ‒ M. Marc Darmon, président, M. Jean-Laurent Franchineau, directeur « grands comptes publics » chez VEDECOM, M. Jean-Marc Duquesne, délégué général du GICAT, M. François Mattens, directeur des affaires publiques et de l’innovation du GICAT ;

 Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS) ‒ Mme Corinne Lignet, directrice adjointe « R&D et environnement », M. Jérôme Jean, directeur des affaires publiques ;

 Arquus ‒ M. Emmanuel Levacher, président-directeur général, M. François Deloumeau, conseiller innovation auprès du directeur de la stratégie, M. Charles Maisonneuve, directeur des affaires publiques ;

 Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI) ‒ M. Guillaume Poupard, directeur général ;

 Ministère de la Transition écologique ‒ M. Laurent Michel, directeur général de l’énergie et du climat ;

 Agence de la transition écologique (Ademe) ‒ M. Fabrice Boissier, directeur général délégué ;

 Alcimed ‒ M. Pierre Gadrat, responsable de la division « industries », Mme Géraldine Gascons Viladomat, directrice commerciale ;

 Centre d’expertise des techniques de l’infrastructure de défense (CETID) ‒ M. l’ingénieur en chef Serge Régnier, directeur ;

 VoltAéro ‒ M. Jean Botti, président-directeur général ;

 Réseau de transport d’électricité (RTE) ‒ M. Xavier Piechaczyk, président, M. Philippe Pillevesse, directeur des relations institutionnelles ;

 Agence de l’innovation de défense (AID) ‒ M. Emmanuel Chiva, directeur, M. David Foricher, adjoint du chef du pôle « stratégie et technologies de défense », Mme Mathilde Herman, cheffe de la cellule « relations institutionnelles » ;

 Direction interarmées des réseaux d'infrastructure et des systèmes d'information (DIRISI) ‒ M. le général Jean-Marc Latapy, directeur central, M. l’ingénieur général Antoine Maucorps, chef de la division « performance » ;

  Safran M. Nicolas Jeuland, expert carburants, Mme Ève Roehrig, adjointe du directeur des affaires publiques ;

 Ascendance ‒ M. Jean-Christophe Lambert, président-directeur général ;

 Thales ‒ M. Jean-Loïc Galle, directeur général des opérations et de la performance, Mme Valérie Bertheau, directrice « politique produit », Mme Sophie Le Pennec, directrice « santé, sécurité, environnement », Mme Caroline Morénas, chargée de mission « direction générale et veille institutionnelle » ;

 Nexter ‒ M. Laurent Juvé, expert en systèmes électriques, M. Christophe Ramaen, directeur de l’ingénierie systèmes, M. Alexandre Dupuy, directeur des relations institutionnelles, de la communication et des ventes, M. Alexandre Ferrer, chargé des relations avec le Parlement ;

 Total ‒ M. Mathieu Soulas, vice-président en charge de la stratégie et des enjeux climatiques, M. Laurent Martin, directeur délégué des relations institutionnelles France ;

 Fédération des Conservatoires d’espaces naturels (FCEN)M. Bruno Mounier, directeur, Mme Perrine Paris, cheffe de projet ;

 Air Liquide M. Marc David, directeur en charge des affaires publiques et de la transition énergétique, M. Paul-Édouard Niel, directeur des affaires publiques ;

 Agence européenne de défense (AED) M. Jean-François Ripoche, directeur du domaine « recherche, technologies et innovation » ;

M. le général Richard Nugee, responsable de la Climate change and sustainability strategy au ministère de la Défense du Royaume-Uni ;

 Central Europe Pipeline System (CEPS)M. Marc Thoreson, directeur, M. Karl Pogarell, directeur adjoint et chef du département, M. Jean-Philippe Blanchard, chef du département « business », M. Éric Muls, chef des finances, M. Carlos Soares, administrateur « plans et politique » ;

M. Cédric Marteau, directeur du pôle Protection de la Nature de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), M. Jean-David Abel, vice-président de France Nature Environnement (FNE) ;

 Structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres (SIMMT) M. le général de corps d’armée Christian Jouslin de Noray, directeur central ;

 Syndicat des énergies renouvelables (SER) ‒ M. Jean-Louis Bal, président, M. Alexandre Roesch, délégué général, M. Jérémy Simon, délégué général adjoint, M. Alexandre de Montesquiou, consultant, directeur Associé d’Ai2P ;

 Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (MEAE) ‒ Mme Vanessa Salas-Pouget, cheffe du pôle « énergies » au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, M. Léo Desutter, rédacteur « métaux stratégiques et transition énergétique », M. Cyrille Karamitsos, rédacteur « hydrocarbures et géopolitique de l’énergie » ;

M. le vice-amiral Henri Schricke, représentant militaire de la France auprès de l’UE, représentant permanent militaire auprès de l’OTAN ;

 Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) ‒ M. Stéphane Sarrade, directeur des programmes énergies, directeur de recherche, Mme Hélène Burlet, directrice adjointe, M. Laurent Sellier, directeur de la propulsion nucléaire ;

 Direction des affaires financières (DAF) au ministère des Armées ‒ M. Christophe Mauriet, directeur, Mme Sylvie Pénot, cheffe du service « synthèses et pilotage budgétaire » ;

 Direction des patrimoines, de la mémoire et des archives (DPMA) ‒ M. le contrôleur général des armées Sylvain Mattiucci, directeur, Mme Marie-Laurence Teil, adjointe du sous-directeur de l’action immobilière, de l’environnement et du développement durable, Mme Hélène Perret, cheffe du bureau de l’environnement et du développement durable ;

 Direction des affaires juridiques (DAJ) du ministère des Armées ‒ Mme Camille Faure, directrice adjointe.

   Annexe 2 :

Déplacements des rapporteurs

(Par ordre chronologique)

 

 15 janvier 2021, Chalon-sur-Saône ‒ Visite de la base pétrolière interarmées (BPIA) du service de l’énergie opérationnelle (SEO) ;

 5 février 2021, Toulon ‒ Visite de la base navale de Toulon ;

  15 février 2021, Cazaux ‒ Visite de la base aérienne de Cazaux ;

 1er mars 2021, La Valbonne ‒ Visite du camp de La Valbonne.


   Annexe 3 :

Glossaire des acronymes

 

– ADS : armées, directions et services

– AED : Agence européenne de défense

– Ademe : Agence de la transition écologique

– AID : Agence de l’innovation de défense

– ALAT : aviation légère de l’armée de Terre

– AMI : appel à manifestation d’intérêt

– ANR : Agence nationale de la recherche

– ANSSI : Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information

– AOT : autorisations d’occupation temporaires

– APRD : action préparatoire pour la recherche en matière de défense

– ASTRID : accompagnement spécifique des travaux de recherches et d’innovation défense

– BA : base aérienne

– BEI : banque européenne d’investissement

– BEPOS : bâtiment à énergie positive

– BOA : base opérationnelle avancée

– BPC : bâtiment de projection et de commandement

– BPIA : base pétrolière interarmées

– BSAD : bâtiment de soutien, d’assistance et dépollution

– C2 : commandant en second

– CACTUS : catalogue et cartographie des substances dangereuses et de leurs usages

– CCE : certificat d’économie d’énergie

– CCNUCC : Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques

– CEA : Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives

– CEMA : chef d’état-major des armées

– CEN : Conservatoires d’espaces naturels

– CEPIA : centre d’expertise pétrolière interarmées

– CEPPOL : Centre d’expertises pratiques de lutte anti-pollution

CEPS : Central Europe Pipeline System

– CETID : centre d’expertise des techniques d’infrastructure de la Défense

CF SEDESS : Consultation Forum for Sustainable Energy in the Defence and Security Sector

– CFP : cadre financier pluriannuel

– CIDEF : conseil des industries de défense françaises

– CME : comité ministériel énergie

– CMM : chaland multi mission

– CO : monoxyde de carbone

– CO2 : dioxyde de carbone

– COCA : cohérence capacitaire

– COMCYBER : commandement de la cyberdéfense

– COMEX : comité exécutif

– COP : contrat d’objectifs et de performance

– CORAC : Conseil pour la recherche aéronautique civile

– CORIMER : Conseil d’orientation de la recherche et de l’innovation pour la mer

– CPCO : centre de planification et de conduite des opérations

– CPE : contrat de performance énergétique

– CRC : centre de recherche commun

– CSP : coopération structurée permanente

– DAF : direction des affaires financières

– DAJ : direction des affaires juridiques

DEFNET : Defence Network

– DGA : Direction générale de l’armement

– DGAC : direction générale de l’aviation civile

– DGNUM : direction générale du numérique et des systèmes d’information et de communication

– DGRIS : Direction générale des relations internationales et de la stratégie

– DGSE : Direction générale de la sécurité extérieure

– DID : direction d’infrastructure de la Défense

– DIRISI : direction interarmées des réseaux d’infrastructure et des systèmes d’information

– DOID : document d’orientation de l’innovation de défense

– DPMA : direction des patrimoines, de la mémoire et des archives

– DREAL : direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement

– DROID : document de référence de l’orientation de l’innovation de défense

– DROM-COM : départements et régions d’outre-mer et collectivités d’outre-mer

– DRSD : Direction du renseignement et de la sécurité de la Défense

EastMed pipeline : Eastern Mediterranean pipeline

– EFR : état final recherché

EMASoH : European-led Maritime Awareness in the Strait of Hormuz

– EMUE : état-major de l’Union européenne

– ENSIM : école nationale supérieure des ingénieurs de l’infrastructure militaire

ENSSURE : ENergy Self SUfficient and REsilient military base

ESA : European Space Agency

– ESID : établissement du service d’infrastructure de la Défense

– ETO : étude technico-opérationnelle

EUTM Mali : European Union Training Mission in Mal

– FAG : forces armées en Guyane

– FAMAS : fusil d’assaut de la manufacture d’armes de Saint-Étienne

– FCEN : Fédération des Conservatoire d’espaces naturels

– FEADER : fonds européen agricole pour le développement rural

– FEDef : fonds européen de la défense

– FEDER : fonds européen de développement régional

– FEO : Fonction énergie opérationnelle

– FIE : fonds d’intervention pour l’environnement

– FID : Forum Innovation Défense

– FID : Fonds Innovation Défense

– FIPE : fonds d’intervention pour la performance énergétique

– FNE : France Nature Environnement

– FREMM : frégates multi-missions

– GES : gaz à effet de serre

– GENOPTAIRE : Gestion ÉNergétique OPTimisée des plateformes militAIREs

– GGDM : groupe de guerre des mines

– GICAN : Groupement des industries de construction et activités navales

– GICAT : Groupement des industries françaises de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres

– GIFAS : groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales

– GNL : gaz naturel liquéfié

– GPEEC : gestion prévisionnelle des effectifs, des emplois et des compétences

– Ha : hectare

– HFDD : haut fonctionnaire au développement durable

– HQE : haute qualité environnementale

– HSE : hygiène, sécurité et environnement

– IA : intelligence artificielle

– ICPE : installations classées protection de l’environnement

– IFREMER : Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer

– ISL : Institut franco-allemand de recherches de Saint-Louis

– IOTA : installations, ouvrages, travaux et activités

– IRENav : Institut de recherche de l’école navale

– IRIS : Institut des relations internationales et stratégiques

– LPM : loi de programmation militaire

– LPO : Ligue pour la protection des oiseaux

– MCO : maintien en condition opérationnelle

MCPU : Modular Combined Petroleum Unit

– MEAE : ministère de l’Europe et des Affaires étrangères

MGCS : Main Ground Combat System

MICA Center : Maritime Information Cooperation & Awareness Center

– MNHN : Muséum national d’Histoire naturelle

NIS : Network and Information Security

– ODD : objectifs de développement durable

– OFB : Office français de la biodiversité

– OGPSM : officier général « prospective et stratégie militaire »

– OIV : opérateur d’importance vitale

– ONCFS : Office national de la chasse et de la faune sauvage

– ONERA : Office national d’études et de recherches aérospatiales

– ONF : Office national des forêts

– ONG : organisation non-gouvernementale

– OPEX : opération extérieure

– OPTIFAP : OPTImisation de la FABrication des protections anti-blast et des pièces de rechange pour véhicules légers

– ORE : obligation réelle environnementale

– OSF : outil de suivi des fluides

– OTAN : Organisation du traité de l’Atlantique nord

– PAI : projet d’accélération de l’innovation

– PANG : porte-avions de nouvelle génération

– PEA : plan d’études amont

– PEDID : programme européen de développement de l’industrie de défense

– PIIEC : projet important d’intérêt européen commun

PILUM : Projectiles for Increased Long-range effects Using Electro-Magnetic railgun

– PIP : projet d’innovation participative

– PMRE : prévention et maitrise des risques environnementaux

– PO : patrouilleur océanique

– POM : patrouilleur outre-mer

– POPE : programmation fixant les orientations de la politique énergétique

– PPE : programmation pluriannuelle de l’énergie

– PPRT : plans de prévention des risques technologiques

– PR : projet de recherche

– PTD : projets de technologie de défense

– R&D : recherche et développement

– RAPID : régime d’appui à l’innovation duale

– RCU : réseau de chaleur urbain

– RDC : République démocratique du Congo

– RETEX : retour d’expérience

– RIAS : remorqueur d’intervention, d’assistance et de sauvetage

– RTE : Réseau de transport d’électricité

– S3D : stratégie de développement durable de la défense

– SASD : service d’architecture du système de défense

SBTi : Science Based Targets initiative

– SCAF : système de combat aérien du futur

– SCALP : système centralisé d’appui à la logistique pétrolière

– SDD : stratégie « défense durable »

– SEA : service des essences des armées

– SEO : service de l’énergie opérationnelle

– SGA : Secrétariat général pour l’administration

– SGDSN : secrétariat général de la Défense et de la sécurité nationale

– SID : service d’infrastructure de la Défense

– SIMMT : structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres

– SINP : système d’information sur la nature et les paysages

– SNBC : stratégie nationale bas carbone

– SNOI : Service national des oléoducs interalliés

– SNTEDD : stratégie nationale de transition écologique vers un développement durable

– SPEC : spécification

– SSA : service de santé des armées

– SMPE : stratégie ministérielle de performance énergétique

TANAP : Trans-Anatolian Natural Gas Pipeline

TAP : Trans-Adriatic Pipeline

– USID : unité de soutien à l’infrastructure de la Défense

– VAB : véhicule de l’avant-blindé

– VBAE : véhicule blindé d’aide à l’engagement

– VBCI : véhicule blindé de combat d’infanterie

– VBMR : véhicule blindé multi-rôles

– VTCFS : véhicule tactique de combat des forces spéciales

– ZEE : zone économique exclusive