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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUINZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 mai 2021
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l’article 145 du Règlement
PAR LA COMMISSION DE la dÉfense nationale et des forces armÉes
en conclusion des travaux d’une mission d’information (1)
sur les réserves
ET PRÉSENTÉ PAR
MM. christophe blanchet et Jean-François parigi
Députés
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(1) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.
La mission d’information sur les réserves est composée de : MM. Christophe Blanchet et Jean-François Parigi, rapporteurs, MM. Xavier Batut, Alexis Corbière et Jean-Pierre Cubertafon, Mme Marianne Dubois, MM. Thomas Gassilloud et David Habib, Mmes Manuela Kéclard-Mondésir et Florence Morlighem, membres.
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SOMMAIRE
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Pages
Première partie : les réserves : l’urgence d’une stratégie cohérente
I. Une sédimentation et un foisonnement de dispositifs très disparates
A. Une notion ancienne, bouleversée depuis 1999
1. De réserves de masse à des réserves d’emploi
a. Les sapeurs-pompiers volontaires : la plus ancienne et la plus importante des réserves
b. La réserve opérationnelle militaire de premier niveau : de l’obligation au volontariat
c. La réserve opérationnelle militaire de deuxième niveau : une force théorique
2. De nouvelles réserves pour faire face aux crises dans les années 2000
a. La réserve civile de la police nationale
b. Les réserves communales de sécurité civile
3. Des dispositifs de cumul emploi retraite inspirés des réserves militaires
4. Le service civique : un engagement indemnisé pour les jeunes
5. Des réserves « civiques » depuis 2015 pour réaffirmer les valeurs de la République
b. La réserve citoyenne de l’Éducation nationale
B. Des statuts, budgets et objectifs qui ne constituent pourtant pas une politique
1. Divers statuts juridiques qui confèrent à l’emploi de réserviste une grande souplesse
a. Une obligation de disponibilité en passe de tomber en désuétude
b. Une réserve opérationnelle d’engagement qui offre des emplois particulièrement variés
c. Des statuts ad hoc pour des collaborateurs occasionnels du service public
d. Des contributeurs bénévoles au service public
2. Des budgets en augmentation mais rarement identifiés
3. Des objectifs essentiellement quantitatifs au niveau national
C. Une gestion ministérielle voire infra ministérielle
1. Une gouvernance spécifique et ancienne au ministère des Armées
a. Le Codir Réserves du ministère des Armées
b. Le Conseil supérieur des réserves militaires
c. Le délégué interarmées aux réserves et les délégués aux réserves
2. Une gestion ministérielle ou des agences ad hoc pour les autres réserves
3. Des tentatives de coordination interministérielle inachevées
a. La réserve de sécurité nationale
c. La tentation d’une intégration des réserves
II. Un atout pour la France, qui souffre d’un déficit d’attention politique
A. Des dispositifs difficilement lisibles
1. Un défaut d’information souligné par tous les acteurs entendus par la mission
a. La difficulté à s’orienter dans le maquis des réserves pour les candidats
b. Les préjugés et les craintes de beaucoup d’employeurs
c. Les préjugés et l’indifférence du grand public
d. Un ancrage territorial variable qui ne contribue pas à la visibilité de certaines réserves
2. Des objectifs multiples, souvent tacites, sources de malentendus
a. Le lien armées-Nation ou la participation citoyenne
b. La formation professionnelle et le pré-recrutement
c. La résilience de la Nation : un objectif abandonné ?
d. Un intérim d’État pour répondre aux besoins de souplesse et de solidarité entre territoires
3. Une frustration et un agacement qui menacent la dynamique d’engagement
a. Le cauchemar du sous-emploi pour tous les réservistes
b. Un manque de visibilité et de reconnaissance unanimement ressenti
c. Des outils de gestion sclérosants, une numérisation souvent inachevée
d. Une gestion des compétences parfois insuffisante
B. Un déficit de pilotage avant tout politique
1. Une doctrine d’emploi qui reste floue tout comme les budgets
a. Une gestion souvent opportuniste sans expression de besoins préalable
b. Une réflexion doctrinale parfois imposée par les circonstances
c. Des budgets considérés comme une variable d’ajustement
2. Une information et une implication insuffisante du Parlement
a. Des budgets non identifiés et pas d’indicateurs de performance
b. Des évolutions législatives fréquentes mais dont la mise en œuvre n’est pas suivie
c. Une évaluation insuffisante
C. Des succès réels mais largement méconnus
2. Un succès pour la formation et l’insertion des jeunes
3. Un succès pour la cohésion nationale
III. Une nouvelle ambition à définir pour 2030
1. Des réserves « stratégiques » pour le temps de crise ou de guerre
a. Investir dans une réaction rapide de proximité : la réserve de la gendarmerie nationale
b. Permettre aux citoyens de s’organiser : les réserves communales
c. Disposer d’une réserve stratégique militarisée : l’armée de terre
d. Disposer de capacités sanitaires de réaction rapide et de proximité
2. Conforter les facteurs de souplesse mais exercer un suivi renforcé
a. Encadrer rigoureusement les réserves d’efficience
b. Mieux intégrer les compétences
c. Développer les partenariats qui permettent de partager le coût d’animation d’une réserve
d. Empêcher d’éventuelles dérives et limiter les conflits d’intérêts
3. Renforcer la cohésion nationale et l’insertion des jeunes
B. Des réserves mieux connues et mieux reconnues
1. Adopter une politique de communication multi-publics plus ambitieuse
a. Sensibiliser et présenter les possibilités d’engagement à la jeunesse
c. Donner de la visibilité dans les médias et sur les réseaux sociaux
d. Organiser des évènements emblématiques pour favoriser les rencontres entre réservistes
a. Renforcer l’animation du réseau des correspondants de défense municipaux
b. Créer les conditions du développement des réserves communales
3. Favoriser des relations de confiance avec les employeurs
4. Renforcer certains statuts de réservistes
a. L’exonération d’impôt sur le revenu
b. Les droits et garanties attachés au statut de réserviste
c. Une protection sociale qui peut encore être améliorée
5. Être attentifs aux symboles
a. Davantage de souplesse dans la gestion des réservistes
b. Mieux s’adapter aux évolutions dans la vie des réservistes
c. Des parcours de réservistes à imaginer
Deuxième partie : des défis propres à chaque réserve
I. Les réserves de défense et de sécurité
A. Les réserves opérationnelles de premier niveau et les réservistes dits spécialistes
1. Des objectifs incohérents avec la ressource budgétaire
a. Une « sincérisation » récente et fragile dans les armées
b. Une ressource aléatoire dans la police et la gendarmerie nationales
2. Des réserves qui pourraient changer de paradigme
3. Une possible remontée en puissance dans l’armée de terre
a. Un complément indispensable aujourd’hui
b. Une réserve contribuant mieux à la défense opérationnelle du territoire demain
4. Un succès à conforter dans la gendarmerie nationale
a. Un bel exemple d’intégration
b. Un modèle en termes de gestion et de formation
c. Des aléas budgétaires très pénalisants
d. Des innovations très intéressantes
5. Un projet d’ouverture dans la police nationale
a. Une réserve d’anciens professionnels
b. Le projet d’une nouvelle réserve opérationnelle avec un fort ancrage local
c. Une ouverture qui suscite des inquiétudes légitimes
2. Un défi pour le recrutement mais pas pour la disponibilité ou la fidélisation
3. Une intégration et une valorisation spécifiques
a. Un investissement dans la durée
b. Une valorisation et des parcours qui doivent être adaptés
4. Un contrôle rigoureux des motivations et des conflits d’intérêts
1. Un concept en proie à beaucoup d’évolutions depuis 1999
a. Du réservoir de force au think tank
b. Des bénévoles employés dans le renseignement ou la cyberdéfense
2. Un cadre et une doctrine d’emploi peut-être trop informels à ce jour
c. Une confusion délétère avec les réservistes opérationnels et l’active
D. Les réserves opérationnelles de deuxième niveau
1. Une utilité discutée dans l’armée de l’air et la marine nationale
3. Un potentiel supérieur dans la gendarmerie et dans la police nationales
II. Une nouvelle réserve opérationnelle, demain, dans les douanes ?
1. Une réflexion en cours sur les missions et l’identité de la douane
2. Des sollicitations croissantes
3. Une agence d’intérim interne déjà créée
4. Un projet de réserve des garde-côtes inspiré par la marine nationale
1. Le recrutement, la formation et l’animation
b. Un coût d’animation du dispositif qui n’a pas encore été évalué
2. Une nécessaire coordination avec la marine nationale
3. La disponibilité des volontaires
4. Une doctrine d’emploi à élaborer
III. Les réserves de sécurité civile : une refondation nécessaire
A. Les sapeurs-pompiers volontaires
1. Une réserve d’emploi très employée
a. Un modèle de sécurité civile reposant historiquement sur le volontariat
b. Un recours massif au volontariat dans un souci d’efficience
2. Des dérives insuffisamment combattues
a. Une dérive vers une quasi professionnalisation de SPV à temps partiel
b. Un cumul des engagements à l’origine d’effets d’aubaine et de surcoûts
3. Une crise du volontariat depuis 2011
a. Des effectifs insuffisants au regard des missions et une disponibilité en baisse
b. Des mesures de fidélisation sans effet significatif
c. Des mesures à destination des employeurs pour améliorer la disponibilité
d. Un plan national en faveur du volontariat
4. Le modèle français à la croisée des chemins
b. Une recomposition de la sécurité civile, des SDIS et du volontariat
B. Les grands réseaux de la sécurité civile
2. Un recoupement avec les réservistes civiques
C. Les réserves communales de sécurité civile
1. Une réserve civique véritablement animée
b. Les atouts considérables de la proximité
2. Un cadre rigoureux à respecter
a. Une coordination indispensable avec les autres acteurs de la sécurité civile
b. Un encadrement rigoureux, gage d’efficacité et de protection
c. Une information insuffisante des maires
d. Une modalité pour organiser des volontaires ayant d’autres engagements au niveau local
IV. La réserve sanitaire : un grand malentendu
A. Un dispositif centralisé, unique au monde, d’échanges de professionnels qualifiés
1. Des réservistes d’un haut niveau de qualification
a. Des conditions d’accès strictes
b. Des formations dispensées par la réserve sanitaire insuffisamment reconnues
2. Un mécanisme de solidarité entre territoires ou établissements
a. Pas une réserve sanitaire de masse, mais un renfort multi-individuel
b. Une disponibilité qui repose beaucoup sur la bonne volonté d’établissements de soins
3. Un recours à la réserve sanitaire rigoureusement encadré
a. Des réservistes parfois mal accueillis
b. Une doctrine d’emploi qui a dû être précisée
B. Une réserve qui souffre d’un manque de visibilité et de reconnaissance
1. Une réserve mal connue, y compris des professionnels de santé
b. Une rénovation de la communication à poursuivre
2. Des réservistes freinés par des conditions d’indemnisation dissuasives
a. Des conditions d’indemnisation peu incitatives
b. Des conditions carrément dissuasives pour les professionnels libéraux
c. Des soignants sans employeurs pénalisés faute d’attestation d’emploi
3. Une animation qui devrait être renforcée
a. Des ARS insuffisamment impliquées dans l’information des professionnels sur la réserve sanitaire
b. Des missions plus attirantes que d’autres
c. Le défi de la fidélisation pour les nouvelles recrues de 2020
a. Un budget réduit depuis la fusion des agences de santé publique
b. Un renfort de l’équipe centrale écarté même pendant la crise sanitaire
C. D’autres outils à imaginer face à la diversification des situations sanitaires exceptionnelles
1. Une clarification du champ d’intervention de chaque acteur qui serait bienvenue
a. Le service de santé des armées : un renfort apprécié mais tardif
b. L’ESCRIM : un renfort inadapté
c. La sécurité civile : un acteur autonome et bien préparé
2. D’autres outils de renfort sanitaire à concevoir
a. Des « parrainages » entre établissements
b. Des réseaux de solidarité locaux
V. Les réserves du ministère de la Justice : des retraités en renfort
1. Une ressource flexible à la main des directions interrégionales de l’administration pénitentiaire
a. Des missions restreintes mais importantes
b. Une grande souplesse d’emploi pour les gestionnaires
c. Une gestion non spécifique peu onéreuse
2. Une formule avantageuse pour de jeunes retraités
a. Une réserve de volontaires exclusivement
c. Des effets d’aubaine limités
a. Des effectifs bien en-deçà des ambitions initiales mais en croissance
b. Des revendications quant au montant des indemnités
c. Une expression des besoins à reprendre
VI. Le service civique : un volontariat indemnisé et encadré
A. Un statut pour favoriser l’engagement des jeunes
1. Une simplification très attendue, au bénéfice des jeunes et de l’économie sociale et solidaire
2. Un encadrement individuel et une formation
3. Une indemnisation destinée à éviter des effets d’éviction ou de substitution
B. Une dynamique positive depuis plus de dix ans
1. Une ressource budgétaire et des effectifs en hausse
2. Un objectif très ambitieux financé par le plan de relance
C. Une meilleure articulation avec les réserves à rechercher
1. Des dispositifs encore foisonnants du point de vue des jeunes
2. Des risques d’effets d’éviction
3. Des passerelles à imaginer avec d’autres réserves
VII. Les réserves civiques : un besoin d’animation
1. Un vocable « martial » problématique à maints égards
2. Un cadre pour l’engagement multi-individuel ponctuel
3. Un effet pendant la crise Covid qui reste à évaluer
B. La réserve de l’Éducation nationale
1. Un statut pour des intervenants extérieurs
a. Un cadre pour l’engagement individuel
b. Un accès rigoureusement contrôlé
2. Une ouverture à la société civile manifestement inachevée
a. Une part considérable de réservistes qui ne sont jamais employés
b. Un maillage territorial insuffisant
c. Une diversité qui paraît décevante
3. Une animation qui mériterait d’être améliorée
a. Un dispositif de promotion multimodal et décentralisé
b. Une application mobile très utile
c. Une reconnaissance institutionnelle anecdotique
Annexe I : Auditions de la mission d’information
Annexe II : Synthèse des premiers résultats de la consultation citoyenne sur les réserves
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Le 28 octobre 2020, la commission de la Défense nationale et des forces armées a décidé la création d’une mission d’information sur les réserves et en a désigné MM. Christophe Blanchet et Jean-François Parigi, rapporteurs.
Les rapporteurs ont conduit une quarantaine d’auditions et de tables rondes en visioconférence, observant rigoureusement les règles imposées par l’épidémie de Covid-19. Un seul déplacement a pu être organisé avec le concours de la gendarmerie nationale, au camp de Beynes, pour assister à une demi-journée de formation de futurs réservistes de la garde républicaine. Les rapporteurs tiennent à remercier toutes les personnes qui ont pris la peine de répondre à leurs questions et de participer à leur réflexion.
Les rapporteurs ont décidé de conduire une consultation citoyenne via le site Internet de l’Assemblée nationale. Cette consultation citoyenne, la première organisée à l’initiative et pour le compte de commissaires chargés de la défense, a permis de collecter près de 10 000 réponses en trois semaines, ce qui en fait la quatrième consultation la plus populaire depuis l’inauguration de ce type d’exercice, après la consultation portant sur le changement d’heure, la consultation relative à l’usage récréatif du cannabis et la consultation sur les moyens des forces de sécurité. Le rapport propose quelques extraits des données recueillies. L’ensemble des données, anonymes, sera disponible sur le site de l’Assemblée nationale en open data, afin de nourrir la réflexion et le débat public sur les réserves. Les rapporteurs espèrent, à l’instar de plusieurs personnes qu’ils ont entendues en audition, que davantage de travaux d’évaluation seront conduits à l’avenir sur les réserves.
Des questionnaires écrits ont été adressés à cinq ministères et deux services de renseignement. Si les rapporteurs ont obtenu la plupart des réponses, quoique rarement dans le temps imparti, ils déplorent l’absence totale de réponse de la direction générale de la sécurité extérieure, avec laquelle un contact téléphonique avait pourtant été établi, et pour un questionnaire qui ne présentait a priori pas de difficulté particulière. Leurs demandes d’informations se sont par ailleurs souvent heurtées à l’absence de données sur les réserves, ce qui constitue un enseignement en soi sur les lacunes du suivi des réserves.
Les rapporteurs ne prétendent pas à l’exhaustivité ou à ce que leur rapport fasse référence en dehors du champ des réserves militaires. Travailler sur l’ensemble des réserves n’allait pas de soi pour des rapporteurs de la commission chargée de la défense, tant les « réserves » recouvrent des réalités différentes relevant de champs ministériels différents. Ce travail de comparaison a toutefois eu l’intérêt de montrer que les réserves militaires pouvaient être affectées par les évolutions d’autres dispositifs appelés « réserves » ou non, et relevant d’autres ministères que celui des armées. Cette étude transversale invite ainsi à remettre de l’ordre dans les réserves pour éviter des phénomènes de concurrence délétères entre dispositifs. Elle met aussi en lumière des bonnes pratiques qui pourraient être étendues à l’ensemble des réserves et souligne des enjeux de coordination et de coopération entre les ministères pour un fonctionnement plus efficient.
Les rapporteurs espèrent que ce rapport contribuera à alimenter la réflexion de leurs collègues parlementaires, et au-delà un débat public plus informé sur des dispositifs qui constituent une chance pour la résilience et la cohésion nationale, véritablement un trésor, qu’il convient de préserver.
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Première partie :
les réserves : l’urgence d’une stratégie cohérente
La multiplication des statuts de réservistes démontre la résonance particulière que conserve l’idée de réserve chez nos concitoyens et témoigne de leur volonté de s’engager au service de la Nation.
Travailler sur l’ensemble des réserves n’allait pas de soi tant ce mot recoupe des réalités contrastées appartenant à divers champs de l’action gouvernementale. Pourtant, deux constantes se dégagent : la volonté d’engagement et l’enjeu de résilience.
Par ce travail, les rapporteurs ont pu procéder à des comparaisons plus utiles que des comparaisons internationales, dont la portée est limitée par des différences culturelles importantes, pour interroger le bien-fondé du fonctionnement actuel des réserves.
I. Une sédimentation et un foisonnement de dispositifs très disparates
Pour conduire leur étude, les rapporteurs ont d’abord défini les réserves comme les renforts auxquels les pouvoirs publics (armées mais aussi sécurité civile, forces de l’ordre, hôpitaux, prisons, tribunaux et communes), peuvent avoir recours pour mieux assurer la continuité des services publics, notamment en cas de crise – mais pas seulement. Ce renfort est organisé soit grâce à des anciens du service actif ou des professionnels encore en activité, en mettant à profit leur expérience et leurs compétences, soit grâce à des citoyens volontaires sans formation préalable, bénévoles ou non, qu’il s’agit justement d’intégrer. Ces caractéristiques sont partagées par des dispositifs qui n’ont pas le nom de réserve comme les sapeurs-pompiers volontaires ou le service civique mais que les rapporteurs ont choisi d’intégrer à l’étude.
A. Une notion ancienne, bouleversée depuis 1999
La notion de réserve a connu un bouleversement en 1999 à l’origine de nombreuses confusions.
1. De réserves de masse à des réserves d’emploi
Depuis la suspension de la conscription, en 1997, il n’y a plus de réserve de masse ou de réserves parfois dites « de rente ». Les réserves sont toutes aujourd’hui des réserves d’emploi.
a. Les sapeurs-pompiers volontaires : la plus ancienne et la plus importante des réserves
Sans en porter le nom, les sapeurs-pompiers volontaires constituent – et de longue date, puisque l’origine des sapeurs-pompiers volontaires remonte à une ordonnance royale de 1716 instituant les « Gardes Pompes » dans les grandes villes – une première réserve de sécurité civile.
Le modèle français de sécurité civile a d’abord reposé entièrement sur le volontariat, organisé à un niveau communal. En d’autres termes, les réservistes ont précédé l’active. Ce n’est que depuis le XXe siècle que la fonction de pompier est devenue un métier. Cette professionnalisation a été de surcroît fortement tempérée, à partir des années 2000, par un recours massif au volontariat dans les services départementaux et de secours (SDIS) pour faire face à l’accroissement des missions et à la réforme des 35 heures.
Avec plus de 198 000 volontaires, les sapeurs-pompiers volontaires forment en quelque sorte la première des réserves, et indéniablement une réserve d’emploi. La comparaison avec les réserves militaires est d’autant plus justifiée que beaucoup de mesures censées favoriser le recrutement de sapeurs-pompiers volontaires ont progressivement été étendues aux réservistes militaires.
b. La réserve opérationnelle militaire de premier niveau : de l’obligation au volontariat
La réserve opérationnelle militaire existe sous diverses formes depuis 1791. Au moment du tournant de la professionnalisation des armées, qui a fait suite à la décision du président de la République de suspendre la conscription, en 1997, la réserve de premier niveau (RO1) des armées est devenue une réserve d’emploi constituée de volontaires, et non plus une réserve de masse reposant sur l’obligation faite aux hommes âgés de moins de 35 ans de la rejoindre à l’issue de leur service national.
Comme en témoignent les travaux parlementaires préalables à l’adoption de la loi portant organisation de la réserve militaire et du service de défense ([1]), il s’agissait d’abandonner une réserve pléthorique, mal équipée, au profit de réservistes mieux formés, bien équipés, réellement employés. Dans le contexte de la professionnalisation des armées, la volonté du Législateur était de sélectionner parmi tous les réservistes (incluant à l’époque tous les anciens appelés du contingent, ce qui en faisait une réserve au moins aussi importante que l’armée d’active) une réserve proprement opérationnelle. Les travaux préparatoires, notamment ceux du député Michel Dasseux, pointaient en effet l’équipement de seconde main de la réserve et les milliers de véhicules qui seraient nécessaires en cas de réquisition. ([2]) Comme le montrera la suite du présent rapport, ce tournant a été salutaire et les visées du Législateur de 1999 ont encore toute leur pertinence aujourd’hui. La parfaite intégration des réservistes dans les forces d’active est un succès à porter au crédit des forces armées.
Désormais, l’engagement dans la réserve opérationnelle de premier niveau, possible sous condition d’aptitude, est souscrit pour une durée allant d’un à cinq ans via un engagement à servir dans la réserve (ESR) qui n’est pas un contrat de travail mais se rapproche davantage d’une convention. ([3]) À la suite de l’attentat de Nice du 14 juillet 2016, le président de la République a porté à quarante ans la limite d’âge pour un premier engagement. Les volontaires sans passé militaire doivent suivre une formation initiale militaire rigoureuse. Le code de la défense reconnaît aux réservistes opérationnels régulièrement convoqués la qualité de militaire. De ce fait, leur statut, est très peu dérogatoire par rapport aux militaires d’active, y compris s’agissant de la solde. La durée annuelle cumulée maximale de leurs renforts est en principe de 60 jours ([4]). Toutefois, en cas de nécessité ou de circonstances exceptionnelles, cette durée peut être portée à 90, voire à 150 jours et 210 jours pour une mission à l’étranger.
Les réservistes de la RO1 incluent des réservistes dits « spécialistes » prévus à l’article L. 4221‑3 du code de la défense. Créé en 1999, ce statut a été pensé pour éviter de priver les armées de compétences apportées par certains appelés du contingent. Les réservistes spécialistes ne sont pas soumis aux conditions d’aptitude physique, ne se voient dispenser aucune formation militaire ou entraînement systématiques et reçoivent un grade en fonction de leur niveau de qualification « qui ne donne aucune autorité en matière de commandement et de pouvoir hiérarchique, en dehors des fonctions particulières pour lesquelles le réserviste a été sollicité » ([5]). Ce statut particulier devait « offrir la possibilité de gérer au mieux les spécialistes de haut niveau, qui sont souvent très recherchés mais qui sont peu nombreux et ont rarement le temps de suivre un cursus de plusieurs années dans la réserve. On peut citer dans cette catégorie, à titre d’exemple, le personnel médical, (chirurgiens, anesthésistes, infirmiers), les spécialistes de la maîtrise de l’énergie (électricité, gaz), les juristes, les professionnels des travaux publics, etc. » ([6]), ainsi que les réservistes de cyberdéfense et les aumôniers militaires, qui sont employés comme réservistes au service du commissariat des Armées. Comme les autres réservistes opérationnels, les réservistes spécialistes reçoivent une solde. Des réservistes spécialistes sont ainsi employés dans la plupart des directions et services du ministère des armées, outre les forces à proprement parler : au service de santé des armées, au service du commissariat, au service des essences, à la direction générale de l’armement, à la direction du renseignement militaire, au commandement cyber (Comcyber), etc.
Un unique statut de réserviste opérationnelle de premier niveau est commun aux trois armées, aux formations rattachées et à la gendarmerie nationale.
c. La réserve opérationnelle militaire de deuxième niveau : une force théorique
Une réserve de deuxième niveau (RO2) composée des « anciens militaires de carrière ou sous contrat et personnes qui ont accompli un volontariat dans les armées, dans la limite de cinq ans à compter de la fin de leur lien au service » ([7]) complète le panel des réservistes opérationnels militaires. Un préjugé fréquent conduit à présenter la RO1 comme étant composée de jeunes volontaires quand la RO2 serait composée d’anciens militaires, plutôt âgés. Ce n’est pas conforme à la réalité. Ainsi, beaucoup d’anciens militaires plutôt âgés, ayant atteint les limites d’âge de leur grade, servent dans la RO1 comme « compléments individuels », souvent au même poste que celui qu’ils occupaient dans l’active (environ 40 % de la RO1 de l’armée de terre qui effectue environ 60 % des jours d’activité). A contrario, les anciens militaires susceptibles d’être rappelés dans le cadre de la RO2 peuvent être très jeunes s’ils ont quitté le service actif après une courte carrière.
Il faut aussi préciser que si les militaires de la RO2 sont soumis à une obligation de disponibilité pendant cinq ans, les volontaires qui servent dans la RO1 sont aussi soumis à l’obligation de disponibilité s’ils sont mobilisés par décret. Il s’agit d’une sujétion inhérente à l’état militaire et qui s’explique par des objectifs de défense. Virtuellement, ce sont donc 92 000 militaires qui pourraient être mobilisés en application de l’article L. 2171‑1 du code de la défense.
Cette réserve dite « de disponibilité », qui correspond peut-être le mieux à la notion historique de réserve, n’a en réalité que peu de chances de servir face à un ennemi ou dans une situation de crise exceptionnelle. Comme l’a très bien résumé le général de division Walter Lalubin, délégué interarmées aux réserves (DIAR), « cette réserve a une existence légale et administrative mais n’a plus de consistance opérationnelle ». ([8]) D’abord, parce que sa disponibilité est toute relative. Seuls 40 % des effectifs de la RO2 de l’armée de terre convoqués se déplacent en moyenne. Dans la marine nationale, le taux de présence est inférieur à 11 %. Les états-majors peinent à suivre les changements de résidence des anciens militaires et de surcroît, aucune disposition légale ne sanctionne véritablement la non présentation. Les états-majors le déplorent mais craignent à juste titre que des obligations renforcées à l’égard des anciens militaires ne limitent leur employabilité et ne constituent un frein à leur reconversion.
Le deuxième frein réel à la mobilisation des réserves a trait au manque de matériel. Comme l’a bien précisé le chef d’état-major de l’armée de terre (CEMAT) aux rapporteurs, il n’existe pas de centres de mobilisation où les réservistes pourraient venir percevoir du matériel supplémentaire et il n’y a d’ailleurs pas de stocks de matériels supplémentaires. ([9]) Comme l’avait déjà mis en lumière M. Thomas Gassilloud dans la partie thématique de son avis budgétaire consacré à la réserve de l’armée de terre, les armées n’ont plus de stocks de véhicules, d’armement ou d’équipements pour d’éventuels réservistes et n’ont plus la capacité de les héberger. ([10])
Enfin, la direction du personnel militaire de la marine nationale (DPMM) a très justement fait remarquer aux rapporteurs qu’il n’existait aucun scénario d’emploi pour sa RO2, en dehors du renforcement des états-majors. En effet, il n’existe aucun bâtiment de la marine nationale inemployé actuellement qui pourrait être armé par des réservistes. Le même raisonnement peut vraisemblablement être tenu pour l’armée de l’air et de l’espace, limitée par sa flotte d’aéronefs.
Le DIAR en appelle donc à juste titre à une « étude de fond » sur la RO2, à laquelle les rapporteurs ont consacré une réflexion dans la seconde partie du présent rapport.
2. De nouvelles réserves pour faire face aux crises dans les années 2000
À mesure que se confirmaient la pertinence et l’utilité d’une réserve d’emploi dans les forces armées, le Législateur a vu tout l’intérêt qu’il pourrait y avoir à transposer ce succès dans d’autres domaines de l’action publique, particulièrement exposés à des crises.
a. La réserve civile de la police nationale
Évoquée dès la préparation de la loi du 29 août 2002 d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, dans le contexte des attentats du 11 septembre 2001, la réserve civile de la police nationale a été instituée par la loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure. Elle concernait initialement exclusivement les retraités des corps actifs de la police nationale pour lesquels deux dispositifs ont été mis en place.
Une réserve statutaire : dans la limite de cinq ans à compter de la fin de leur carrière, les fonctionnaires de police sont tenus à une obligation de disponibilité qui ne peut excéder l’âge de soixante ans et quatre-vingt-dix jours par an. Ils peuvent être rappelés en cas de menaces ou de troubles graves à l’ordre public. Toutefois, dès la présentation du projet de loi sur la sécurité intérieure, il avait été indiqué que « le recours aux réservistes de second niveau devrait rester théorique ». ([11])
Une réserve contractuelle : ces mêmes fonctionnaires peuvent, dans la limite de cinq ans à compter de la fin de leur carrière et sans excéder l’âge de 65 ans, demander à servir en qualité de volontaires pour une durée d’un an renouvelable.
Ces réservistes possèdent la qualité d’agent de police judiciaire et agissent en priorité dans le département dans le ressort duquel se trouve leur domicile pour des missions de soutien aux forces de sécurité (à l’exception des tâches de maintien et de rétablissement de l’ordre) et de solidarité. Ils perçoivent une indemnité journalière ainsi que des frais de mission. Par ailleurs, ils ont droit à la réparation intégrale des dommages subis dans l’exercice de leurs fonctions, selon les règles de la responsabilité administrative. Selon la Cour des comptes, dans un rapport établi en avril 2019 pour la commission des Finances de l’Assemblée nationale, le taux de réponse des réservistes statutaires de la police nationale aux convocations oscille entre 60 et 92 % selon les régions. ([12])
Depuis 2011 ([13]), la réserve dite « contractuelle » peut aussi employer des volontaires issus de la société civile ainsi que, depuis 2016 ([14]), d’anciens adjoints de sécurité (ADS). Ces évolutions législatives sont restées lettre morte jusqu’en 2020, date à laquelle le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a confié au commissaire divisionnaire Stéphane Folcher la mission de préfigurer une nouvelle réserve opérationnelle de 30 000 volontaires issus de la société civile.
b. Les réserves communales de sécurité civile
La loi de modernisation de la sécurité civile du 13 août 2004 a créé les réserves communales de sécurité civile, destinées à apporter un soutien aux populations en situation de catastrophe ou de crise, sans se substituer aux services de secours et d’urgence ou les concurrencer.
La participation à ce corps, placé sous la seule autorité du maire, est facultative et bénévole. Elle est ouverte à tous les citoyens, sans conditions d’âge ni d’aptitude physique. Un contrat d’engagement est signé entre le réserviste et la commune pour préciser les garanties dont il bénéficie comme collaborateur du service public. La création de cette réserve est décidée par le conseil municipal et son fonctionnement pris en charge par la commune. Elle peut cependant être gérée administrativement en intercommunalité.
La loi du 27 janvier 2017 précitée a placé cette réserve dans le cadre de la réserve civique, en cohérence avec la nature bénévole de l’engagement (voir infra).
La canicule de 2006, la diffusion du chikungunya et la crainte d’une pandémie grippale ont motivé la création d’une réserve sanitaire. Issue d’une proposition portée par le sénateur Francis Giraud, la réserve sanitaire a été créée en 2007. ([15]) Composée de professionnels de santé volontaires (par exemple, médecin, psychologue, pharmacien, infirmier, ambulancier), de retraités de moins de cinq ans et d’étudiants en médecine, la réserve sanitaire intervient en renfort, en France ou à l’étranger, dans des situations sanitaires exceptionnelles (épidémie, catastrophe naturelle, attentat...). Toute la difficulté réside dans le manque de disponibilité de ces volontaires qui, sauf les retraités et les étudiants, ne sont pas véritablement en réserve, mais ont une autre activité.
3. Des dispositifs de cumul emploi retraite inspirés des réserves militaires
Le mot de « réserve » a été utilisé à la fin des années 2000 pour désigner, par analogie avec les réserves militaires statutaires, des dispositifs de cumul emploi-retraite proposés aux fonctionnaires d’administration ayant besoin de renforts face à des pics d’activité.
En 2009 ([16]), le ministère de la Justice a obtenu la création d’une réserve d’anciens professionnels de l’administration pénitentiaire, contractuels, analogue à celle de la police nationale. D’après les débats parlementaires de l’époque, il s’agissait de donner un cadre à une pratique antérieure. Composée exclusivement d’anciens professionnels volontaires, cette réserve concilie l’intérêt de l’administration avec celui de jeunes retraités souhaitant continuer leur activité à temps partiel.
Quelques mois plus tard, en 2010, un amendement au projet de loi de finances pour 2011 a créé une réserve judiciaire, composée, d’une part, de magistrats honoraires exerçant des fonctions non juridictionnelles et de personnels des greffes retraités. La pratique de magistrats honoraires exerçant des fonctions juridictionnelles était déjà répandue. Les dispositions adoptées en 2010 ([17]) ont été largement réécrites en 2016 lors de la réforme du statut de la magistrature. Depuis cette date, il n’est plus fait référence à des magistrats « réservistes » mais à des magistrats honoraires exerçant des fonctions non juridictionnelles (MHFNJ) et des magistrats honoraires exerçant des fonctions juridictionnelles. La réserve judiciaire reste formellement composée des anciens professionnels du corps des greffes.
4. Le service civique : un engagement indemnisé pour les jeunes
Les rapporteurs ont choisi d’intégrer dans leur étude les volontaires du service civique qui n’ont pas le nom de « réservistes » mais partagent pourtant avec eux plusieurs caractéristiques.
Créé par la loi n° 2010-241 du 10 mars 2010, prévu à l’article L. 120-1 du code du service national, le service civique avait vocation à unifier de nombreux dispositifs de volontariats accessibles aux jeunes et leur offrant de premières expériences « professionnalisantes » au service d’associations, d’entreprises ou de la Nation. Le service civique a aussi permis de mieux indemniser les jeunes volontaires et de leur offrir une protection sociale adéquate.
Les jeunes Français qui souhaitent s’engager ont le choix entre de multiples engagements bénévoles et, pour ce qui est d’engagements indemnisés, du service civique ou des réserves de défense et de sécurité. La comparaison de ces dispositifs est donc pertinente. Ainsi, la Cour des comptes, dans son rapport d’avril 2019, précité, sur les réserves de la gendarmerie et de la police nationales, notait que la police nationale proposait des missions bénévoles sur le site de la réserve civique, missions qui auraient pu être exercées par des réservistes civils contractuels de la police nationale ou par des réservistes citoyens, mais qui ne trouvaient pas preneurs et ce d’autant que les jeunes volontaires pouvaient postuler dans un cadre plus avantageux pour eux, celui du service civique.
5. Des réserves « civiques » depuis 2015 pour réaffirmer les valeurs de la République
Dans le contexte marqué par les tragiques attentats terroristes de 2015 et 2016, la puissance symbolique du vocable de réserve a incité le législateur à créer de nouvelles réserves destinées à susciter et organiser l’élan citoyen.
Après les attentats de 2015, le président de la République a confié à M. Claude Onesta, l’entraîneur de l’équipe de France de handball, et M. Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’État, la mission de préfigurer une « réserve citoyenne » que tous les Français soucieux de faire vivre « les valeurs de la République » auraient la possibilité de rejoindre. Rebaptisée « réserve civique » pour ne pas donner le sentiment d’en exclure les ressortissants étrangers vivant sur le sol français, cette réserve est en réalité un statut juridique censé faciliter l’engagement individuel ponctuel auprès des pouvoirs publics. La loi n° 2017‑86 du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté a instauré un cadre commun pour des contributeurs bénévoles au service public exerçant des missions aussi diverses que l’explication et l’illustration des valeurs de la République à l’école, l’accompagnement de personnes en perte d’autonomie, l’intervention dans les prisons, ou la prévention des feux de forêts.
Le terme de « réserve » pour désigner un cadre propice à l’engagement individuel ponctuel est problématique à maints égards. Les circonstances de la création de ces « réserves », juste après le traumatisme des attentats de 2015 et 2016, expliquent certainement le choix de ce vocable. Toutefois, il est une source de confusion et la valeur ajoutée de ces « réserves » par rapport aux associations prévues par la loi de 1901 reste encore à démontrer.
b. La réserve citoyenne de l’Éducation nationale
Lancée le 12 mai 2015 par une simple circulaire, la Réserve citoyenne de l’Éducation nationale (RCEN) est composée de volontaires intervenant au sein des établissements scolaires pour faire partager leurs expériences personnelles et professionnelles et contribuer à la transmission des valeurs de la République. Complémentaire des actions conduites par les associations partenaires de l’Éducation nationale, la RCEN constitue une forme d’engagement individuel bénévole.
Elle permet aux équipes éducatives des écoles et établissements scolaires, publics et privés, de faire appel plus facilement à des intervenants extérieurs pour illustrer leur enseignement ou leurs activités éducatives, notamment en matière d’éducation à la citoyenneté et à la laïcité ; d’éducation à l’égalité entre filles et garçons ; de lutte contre toutes les formes de discriminations ; de lutte contre le racisme et l’antisémitisme ; de rapprochement de l’école et du monde professionnel ; d’éducation aux médias et à l’information.
Un cadre légal a été institué par l’article 6 de la loi du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté précitée. La loi a ainsi introduit un nouvel article L. 911‑6‑1 dans le code de l’éducation.
Réserve |
Effectif |
Part du total général (%) |
Part de la réserve de sécurité nationale (%) |
Part de la Garde nationale (%) |
RO1 Armée de terre |
24 711 |
4,48 |
6,18 |
32,33 |
RO1 Marine nationale |
5 400 |
0,98 |
1,35 |
7,07 |
RO1 Armée de l’air et de l’espace |
5 800 |
1,05 |
1,45 |
7,59 |
RO1 Gendarmerie nationale |
30 000 |
5,43 |
7,50 |
39,25 |
RO1 Service de santé des armées |
3 325 |
0,60 |
0,83 |
4,35 |
RO1 Direction générale de l’armement |
100 |
0,02 |
0,03 |
0,13 |
RO1 Service des infrastructures de la défense |
230 |
0,04 |
0,06 |
0,30 |
RO1 Service de l’énergie opérationnelle |
200 |
0,04 |
0,05 |
0,26 |
RO1 Service du commissariat des armées |
160 |
0,03 |
0,04 |
0,21 |
Réserve civile de la police nationale - contractuels |
6 500 |
1,18 |
1,63 |
8,50 |
SOUS-TOTAL GARDE NATIONALE |
76 426 |
13,84 |
19 |
100 |
Sapeurs-pompiers volontaires |
198 900 |
36,02 |
49,75 |
|
Réserves communales de sécurité civile |
14 000 |
2,54 |
3,50 |
|
RO2 Armée de terre |
36 638 |
6,64 |
9,16 |
|
RO2 Marine nationale |
10 452 |
1,89 |
2,61 |
|
RO2 Armée de l’air et de l’espace |
11 074 |
2,01 |
2,77 |
|
RO2 Gendarmerie nationale |
34 621 |
6,27 |
8,66 |
|
RO2 Service de santé des armées |
1 162 |
0,21 |
0,29 |
|
RO2 Direction générale de l’armement |
344 |
0,06 |
0,09 |
|
RO2 Service des infrastructures de la défense |
20 |
0,00 |
0,01 |
|
RO2 Service de l’énergie opérationnelle |
420 |
0,08 |
0,11 |
|
RO2 Service du commissariat des armées |
383 |
0,07 |
0,10 |
|
Réserve civile de la police nationale – réserve statutaire |
11 348 |
2,06 |
2,84 |
|
Réserve sanitaire |
3 800 |
0,69 |
0,95 |
|
Réserve pénitentiaire |
227 |
0,04 |
0,06 |
|
SOUS-TOTAL RESERVE DE SÉCURITÉ NATIONALE |
399 815 |
72,41 |
100 |
|
Réserve judiciaire |
194 |
0,04 |
|
|
Réservistes citoyens Armée de terre |
1 717 |
0,31 |
|
|
Réservistes citoyens Marine nationale |
350 |
0,06 |
|
|
Réservistes citoyens Armée de l’air et de l’espace |
1 600 |
0,29 |
|
|
Réservistes citoyens Gendarmerie nationale |
1 700 |
0,31 |
|
|
Réserve citoyenne cyberdéfense |
70 |
0,01 |
|
|
Réservistes citoyens de la police nationale |
115 |
0,02 |
|
|
Réserve citoyenne de l’Éducation nationale |
6 600 |
1,20 |
|
|
Jeunes volontaires du service civique |
140 000 |
25,35 |
|
|
TOTAL GÉNÉRAL |
552 161 |
100 |
|
|
Effectifs des rÉserves et part dans les ensembles interministÉriels
Source : secrétariat général de la Garde nationale, réponses écrites des ministères.
B. Des statuts, budgets et objectifs qui ne constituent pourtant pas une politique
Les « réserves » désignent donc une myriade de statuts juridiques très différents, parfois assortis de budgets rarement identifiés dans la documentation budgétaire, d’objectifs essentiellement quantitatifs et d’une gestion principalement ministérielle.
1. Divers statuts juridiques qui confèrent à l’emploi de réserviste une grande souplesse
L’appellation de « réserve » est utilisée à la fois pour désigner l’obligation statutaire de disponibilité de certains agents publics, l’engagement de volontaires susceptibles d’être mobilisés en cas de crise majeure, par ailleurs souvent employés comme renfort au quotidien, des vacations effectuées par des retraités et le concours occasionnel, bénévole ou non, de citoyens à l’action de l’État. Cette grande confusion a encore été aggravée par la mise en place de cadres successifs (« réserve de sécurité nationale », « réserve civique ») qui recouvrent certaines de ces réserves en fonction des circonstances.
Essai de typologie des réservistes
a. Une obligation de disponibilité en passe de tomber en désuétude
Le réserviste statutaire, inclus dans une réserve dite de disponibilité (RO2), est ce qui correspond le plus sûrement à la notion historique de la réserve.
Outre les militaires soumis à l’obligation de disponibilité, cette réserve inclut aussi théoriquement tous les policiers ayant quitté le service actif depuis moins de cinq ans.
Comme en témoigne l’évolution de la réserve opérationnelle de deuxième niveau dans les armées, l’obligation de disponibilité semble en passe de tomber en désuétude et les réserves reposent de manière croissante sur le volontariat, y compris dans les réserves de défense et de sécurité ou dans la réserve sanitaire.
Si la question a été librement abordée au cours des auditions, presqu’aucun acteur entendu par la mission d’information ne considère souhaitable de rendre obligatoire la participation à une réserve. Signe des temps ou nécessité opérationnelle, le volontariat est jugé préférable, assorti à des mécanismes d’incitation financière.
Les rapporteurs ont en effet compris des différentes auditions que toute obligation de disponibilité à laquelle serait assujettie un collaborateur dans une organisation ou une entreprise le rend immédiatement moins « compétitif » qu’un autre qui n’a pas de tels engagements. Cette situation a aussi une explication culturelle. En effet, aux États-Unis, au Canada ou au Royaume-Uni, l’engagement dans une réserve militaire suscite plutôt une réaction admirative et un soutien immédiat.
Une autre explication réside dans l’engagement qui est aujourd’hui attendu du réserviste. Les pouvoirs publics ont cessé de compter sur une masse de personnes diversement motivées pour concentrer leurs efforts de recrutement et d’animation sur un plus petit nombre de volontaires fidélisés et mieux formés qui peuvent se voir confier davantage de responsabilités. Certains volontaires s’engagent toutefois à être mobilisés dans des circonstances exceptionnelles. C’est le cas des réservistes opérationnels militaires.
b. Une réserve opérationnelle d’engagement qui offre des emplois particulièrement variés
Les rapporteurs rappellent que tous les réservistes dits opérationnels sont susceptibles d’être appelés dans les conditions prévues aux articles L. 2141-1 et suivants du code de la défense, sous le régime de la mise en garde ou de la mobilisation partielle ou générale, ou sous le régime créé par la loi de 2011 sur la « réserve de sécurité nationale » prévu aux articles L. 2171-1 à L. 2171-7. En pratique, ces dispositions ne sont pas utilisées. En attendant, la réserve opérationnelle militaire d’engagement – ou RO1 – permet aujourd’hui aux armées, formations rattachées et à la gendarmerie d’avoir recours à des renforts extrêmement variés au quotidien.
Si les anciens du service actif ne sont plus réellement mobilisés dans les réserves de disponibilité reposant sur l’obligation, ils sont invités à rejoindre la RO1 où, forts de leurs compétences, ils apportent beaucoup. Les pensionnés du ministère des Armées ([18]), en particulier les officiers et les sous-officiers, ont ainsi été nombreux à revenir exercer leurs fonctions sous le statut de réserviste après leur départ du service actif à partir de 2009. Les réductions de format et d’effectifs imposées aux armées accompagnant les importantes restructurations décidées à la suite de la révision générale des politiques publiques (RGPP) ont rendu ces intérimaires qualifiés particulièrement nécessaires pour exercer des missions par nature fluctuantes. Comme le soulignait le délégué interarmées aux réserves dans l’avis précité de M. Thomas Gassilloud, « la réserve offre aux chefs de corps une marge de manœuvre en termes d’effectifs. C’est la seule. Les états-majors de brigade sont en manque d’officiers. Ils ne peuvent fonctionner aujourd’hui qu’en se renforçant de réservistes, qui sont recrutés en fonction de la disponibilité à laquelle ils s’engagent. » ([19])
Cette formule de cumul emploi et retraite est avantageuse pour les deux parties : les armées assurent le maintien et la transmission des compétences tout en s’aménageant la possibilité d’avoir recours à un emploi intérimaire payé 1/20e de solde par jour ; le professionnel poursuit son activité à temps partiel ou sur un éventail de missions réduit, comme il le souhaite, et peut cumuler la rémunération tirée de cette activité avec sa pension de retraite, dans la limite du plafond défini aux articles L. 84 à L. 86.1 du code des pensions civiles et militaires. La retraite est écrêtée si la rémunération perçue dépasse le tiers du montant brut de la retraite, sauf s’ils sont âgés de plus de 65 ans ou, si leur âge étant compris entre 60 et 65 ans, ils comptent une durée d’assurance suffisante pour bénéficier de leurs droits à taux plein. Ce statut est d’autant plus avantageux que la solde est exonérée d’impôt sur le revenu. Les effets d’aubaine sont limités, d’une part par ces règles relatives au cumul de rémunération, ensuite par les limites d’âge (cinq années de plus que pour l’active), et enfin par le plafonnement du nombre de jours d’activité possibles sous le statut de réserviste opérationnel, il est vrai particulièrement libéral pour les réservistes militaires.
Cette utilisation du statut de réserviste a fait des émules et inspiré la création des réserves des ministères de l’Intérieur et de la Justice.
Le statut de réserviste militaire permet aussi de recruter des professionnels ayant une autre activité parallèle. Ces actifs sont recherchés pour leurs compétences, la diversité de leurs origines professionnelles ou tout simplement leur nombre. Leur disponibilité est en revanche réduite, ce qui constitue une préoccupation constante de toutes les réserves s’appuyant sur des actifs (sapeurs-pompiers volontaires, réserves opérationnelles de défense et de sécurité, réserve sanitaire). D’après les résultats de la consultation citoyenne réalisée par les rapporteurs grâce au site internet de l’Assemblée nationale, les contraintes professionnelles sont en effet, et de loin, le premier frein à l’engagement des réservistes qui, de ce fait, accomplissent leurs renforts sur leur temps libre. Marginalement, des actifs réservistes organisent leur vie autour de leur activité de réserve, consentant par exemple à combiner leur activité de réserviste avec une activité intérimaire ou saisonnière.
Le statut de réserviste spécialiste a permis aux forces armées de recruter des réservistes en dérogeant aux critères de l’aptitude médicale et de la formation militaire initiale, notamment dans le cyber. L’article 19 de la loi de programmation militaire 2019-2025 ([20]) a reporté à dix ans (et non plus cinq) les limites d’âge (limite d’âge de l’active + 10 ans) dans la limite de 72 ans. Ce statut est aujourd’hui perçu comme une modalité très désirable permettant de faire ponctuellement appel à des compétences rares ou coûteuses sur le marché du travail grâce à l’attrait de missions douées de sens pour le réserviste ou tout simplement d’un complément d’expérience. Le succès de cet usage du réserviste atteste des besoins de compétences et de transversalité des administrations, d’une part, et de la recherche de parcours professionnels diversifiés de la part des actifs, d’autre part. Il suscite néanmoins des défis inédits pour les employeurs de ces professionnels, notamment pour la protection du secret (professionnel ou défense) ou en termes de conflits d’intérêts. Il porte aussi en germe le risque d’une professionnalisation de la réserve militaire, au détriment de son ouverture à tout citoyen.
Les jeunes en formation constituent une part importante de la RO1 militaire (20 % en moyenne). Relativement disponibles, le plus souvent étudiants, ils rejoignent les réserves mus par une envie de servir mais aussi par le désir de contribuer à leur formation et à leur employabilité par une activité rémunératrice qui finance leurs études. Leur nombre, leur disponibilité et leur moindre coût compensent leurs moindres compétences. Le relèvement des plafonds appliqués au nombre de jours d’activité dans la réserve peut leur causer indirectement du tort, en favorisant une concentration du nombre de jours d’emploi sur les réservistes les plus qualifiés (les anciens professionnels et, dans une moindre mesure, les spécialistes).
c. Des statuts ad hoc pour des collaborateurs occasionnels du service public
S’inspirant de la RO1 militaire, d’autres administrations ont obtenu la création de statuts ad hoc pour permettre l’emploi d’anciens professionnels en retraite. S’apparentent à cette catégorie les retraités réservistes civils de la police nationale, ceux de l’administration pénitentiaire et de la magistrature (magistrats et greffiers).
Ces « réserves » – que les rapporteurs ont baptisé « réserves d’efficience » – ne supportent pas le coût d’une formation initiale puisqu’elles ont exclusivement recours à des professionnels déjà formés et dans la limite d’un délai au-delà duquel leurs compétences sont jugées dépassées. Elles ne sont assorties d’aucune obligation de mobilisation, la réserve de sécurité intérieure créée en 2011 n’ayant jamais véritablement été mise en œuvre.
Les réservistes sanitaires, qui comptent aussi des professionnels de santé en activité dans leurs rangs, ne sont pas tout à fait assimilables à ces réserves d’efficience, tout comme les volontaires du service civique, dont le statut est aussi très original.
d. Des contributeurs bénévoles au service public
Aux côtés des réservistes opérationnels, une réserve bénévole, dite « citoyenne », destinée à renforcer le lien entre les armées et la nation, a été mise en place. Composée de citoyens intéressés par la défense, cette réserve a beaucoup contribué à l’organisation des journées d’appel et de préparation à la défense, jusqu’en 2015, ainsi qu’aux commémorations. Certaines forces armées, en particulier la marine et la gendarmerie nationales, ont rapidement utilisé ce statut pour constituer un réseau d’influence, formé essentiellement de cadres supérieurs des secteurs public et privé et d’élus. Dans l’armée de l’air ou l’armée de terre, cette réserve contribue aussi à l’ancrage local, beaucoup d’élus locaux ou de chefs d’entreprises locales étant agréés. Les réservistes appartenant à la réserve citoyenne peuvent être admis à participer bénévolement à des activités définies ou agréées par l’autorité militaire. Ils ont alors le statut de collaborateurs bénévoles au service public, et leurs activités n’ouvrent droit à aucune solde ou indemnité. Comme le montre l’exemple de la réserve cyber, leur emploi à des fins opérationnelles n’est pas exclu, ce qui peut éventuellement susciter des effets d’éviction si le recours aux bénévoles n’est pas rigoureusement encadré.
La réserve citoyenne des armées a ainsi été copiée par la police nationale qui l’a utilisée pour avoir recours à des bénévoles dans son exercice quotidien. Mais, comme l’a noté la Cour des comptes, ces bénévoles ont été concurrencés dans les faits par les jeunes volontaires du service civique qui bénéficient d’une indemnisation de 580 euros par mois dont le financement est partagé entre l’agence du service civique (81 %) et l’organisme d’accueil (19 %).
Les réserves communales de sécurité civile, la réserve citoyenne de l’Éducation nationale et la réserve civique (qui englobe les deux précédentes) ont aussi comme point commun de s’appuyer sur des contributeurs bénévoles au service public, protégés par la loi à ce titre.
2. Des budgets en augmentation mais rarement identifiés
Tous les budgets afférents aux réserves sont en augmentation sans que cela procède toujours d’une volonté politique clairement affirmée au moment du vote de la loi de finances ou d’une loi de programmation :
– le budget annuel de fonctionnement (T2 et hors T2) des réserves militaires a été porté de 80 à 200 millions d’euros par la loi de programmation militaire 2019-2025 ;
– le budget annuel de l’agence du service civique a été porté à 500 millions d’euros à partir de 2017, et vient d’être augmenté pour être porté à 847 millions d’euros dans le cadre du plan de relance ([21]) ;
– dans la gendarmerie et la police nationales, la ressource budgétaire allouée a augmenté significativement, passant de 56 millions d’euros environ en 2015 (74,5 millions d’euros exécutés) à plus de 137,8 millions d’euros en 2017 (et 115,41 millions d’euros finalement exécutés) mais cette hausse s’est accompagnée de nombreux aléas et d’à-coups très préjudiciables à ces réserves ;
– bien qu’incluses dans la masse salariale générale et régulièrement sous-exécutées, les dépenses afférentes à l’emploi de réservistes ont cru de 12 % environ entre 2016 et 2020 dans l’administration pénitentiaire et dépassent régulièrement les 2 millions d’euros dans la magistrature (voir la deuxième partie du présent rapport, V.) ;
– les autorisations d’engagement ([22]) de la réserve sanitaire ont crû de 30 % entre 2017 et 2019, passant de 4,0 millions d’euros à 5,2 millions d’euros, avant une hausse spectaculaire en 2020 (22 millions d’euros) ;
– dans les services départementaux d’incendie et de secours, la charge d’indemnisation des volontaires a crû d’1,8 % en moyenne chaque année entre 2011 et 2017 sous l’effet d’un recours accru et de mesures de fidélisation, atteignant 578 millions d’euros en 2017.
Le détail de ces évolutions n’est que très marginalement retracé dans la documentation budgétaire. Depuis 2020, il est par exemple devenu plus difficile de suivre le budget alloué à Santé publique France, et plus particulièrement celui prévu pour la réserve sanitaire. En outre, plusieurs dépenses fiscales ou exonérations de cotisations sociales participent au financement des réserves sans aucun fondement législatif, parfois sans textes publiés, et leur coût n’est donc ni mesuré, ni mis en relation avec le budget des réserves.
Les besoins financiers afférents aux réserves sont par ailleurs très disparates. Les réserves qui dispensent une formation à des volontaires dits ab initio supportent un coût de recrutement, de formation, d’habillement, d’équipement et d’animation beaucoup plus élevé que les réserves qui s’appuient sur d’anciens professionnels.
3. Des objectifs essentiellement quantitatifs au niveau national
Les objectifs assignés aux réserves par la loi sont multiples, souvent tacites (voir infra) et ne sont pas réellement évalués, faute de données permettant, par exemple, de mesurer la contribution des réserves militaires au lien armées-Nation.
Les réserves d’efficience ne sont généralement assorties d’aucun autre objectif que celui de favoriser la rencontre entre une offre et une demande de travail (pénitentiaire, judiciaire, police) dans le respect de l’enveloppe budgétaire allouée à la réserve et du plafond d’emploi du ministère.
Les réserves civiques, bénévoles, sans doute parce qu’elles « ne coûtent rien », ne font l’objet d’aucun objectif. Leur succès est toutefois fréquemment mesuré à l’aune du nombre de bénévoles ou de leur activité.
Le renforcement des moyens dédiés au service civique a un objectif très clair, celui de servir d’amortisseur social pour des milliers de jeunes affectés par la crise sanitaire. Si elle s’accompagne d’un objectif de recrutement très ambitieux (245 000 jeunes), la hausse du budget de l’agence du service civique doit aussi offrir des volontariats d’une durée plus longue (huit mois), gage de qualité.
Les réserves opérationnelles d’engagement se sont vues assigner de forts objectifs de recrutement et d’emploi sans qu’à cette montée en puissance n’aient été clairement associés une doctrine d’emploi et des objectifs opérationnels. Au lendemain des attentats de 2015, les armées ont ainsi été chargées de recruter 40 000 réservistes opérationnels et de leur faire effectuer une moyenne de 36,5 jours d’emploi par an. La gendarmerie nationale s’est vue assigner le même objectif, réduit à 30 000 en 2017, revu à la hausse (50 000 à horizon 2025) en 2020. Au terme de leurs auditions, les rapporteurs ne sont pas parvenus à trouver la justification de ces cibles de recrutement et de jours d’emploi. Il semble que ces cibles aient été déduites du budget qu’il paraissait acceptable d’allouer aux réserves et d’une volonté générale de remontée en puissance, sans autre expression de besoins préalable. Il en résulte une déconnexion manifeste entre la ressource budgétaire, les objectifs de recrutement et les objectifs d’emploi des réservistes que les rapporteurs exposent dans la suite du présent rapport.
C. Une gestion ministérielle voire infra ministérielle
Le fonctionnement « tubulaire » ([23]) ou « en silos » ([24]) des réserves a été mis en cause à maintes reprises au cours des auditions. Toutes les tentatives de coordination interministérielle ont pour l’instant donné des résultats mitigés. Une coordination est pourtant impérative, en évitant la tentation d’une fusion des réserves dans un grand ensemble indifférencié ou la création de nouvelles structures aux titres ronflants mais inopérantes.
1. Une gouvernance spécifique et ancienne au ministère des Armées
Le ministère des Armées est doté de plusieurs instances chargées de la direction politique et stratégique des réserves, leur emploi étant in fine du ressort des états-majors, directions et services. Ces instances sont aussi en partie compétentes pour les questions relatives au recrutement et à la communication des réservistes de la gendarmerie nationale. Le rattachement de cette dernière au ministère de l’Intérieur en 2009 et les caractéristiques de sa réserve l’ont amenée à développer une politique relativement autonome de celle des armées.
a. Le Codir Réserves du ministère des Armées
Le comité directeur de la réserve militaire (CDRM, ou Codir Réserve) constitue l’instance de gouvernance des réserves dépendant du ministère des Armées. Il a pour mission d’examiner toute question et de préparer les orientations et décisions concernant le format, la politique d’emploi, les missions et l’administration de la réserve. Le comité peut de la sorte examiner, en particulier, toute question concernant le budget, les effectifs, le recrutement, la gestion du personnel, la formation, les procédures, etc.
Présidé par le ministre ou son représentant, ce Codir rassemble, notamment, les représentants du secrétaire général du Conseil supérieur des réserves militaires, du chef d’état-major des armées et des chefs d’état-major d’armée, ainsi que du délégué général pour l’armement et des autres directions et services concernés du ministère. Un groupe de pilotage de la réserve militaire (GPRM) est responsable de la mise en œuvre et du suivi des actions décidées par le ministre de la défense sur la proposition du comité.
b. Le Conseil supérieur des réserves militaires
Créé par la loi de 1999 portant organisation de la réserve militaire, le Conseil supérieur de la réserve militaire (CSRM), organisme de réflexion et de proposition, était compétent pour ce qui touche à la politique de la réserve d’une façon générale, et plus particulièrement la consultation des réservistes, les relations avec les employeurs et la communication sur la réserve. Les missions, la composition, l’organisation, le fonctionnement et les modalités de désignation des membres du CSRM sont fixées par décret.
Aussi bien les missions que la composition du CSRM ont été modifiées à plusieurs reprises ces dernières années. ([25]) Ses missions ont été réduites pour tenir compte du développement de la Garde nationale (cf. infra) : il n’est plus chargé de favoriser un partenariat durable entre les armées, les formations rattachées, les réservistes et les employeurs, ni d’établir un rapport annuel transmis au Parlement. Sa composition a été substantiellement modifiée. La part des représentants de salariés et d’employeurs a été réduite au profit de réservistes désignés par leurs autorités militaires. À l’instar des représentants des syndicats de salariés ([26]), les rapporteurs observent que ces représentants des réservistes n’ont pas la même liberté de parole que des représentants des employeurs et des salariés.
D’après les représentants des employeurs ([27]) et des salariés entendus par la mission d’information, ces dernières évolutions ont dévitalisé cette instance de consultation. Le CSRM est ainsi devenu, pour beaucoup, « une chambre d’enregistrement », « atone », qui « n’affiche aucune ambition », se réunit rarement (aucune réunion en 2019 et 2020) et n’avertit ses membres de la tenue de réunions qu’avec un préavis d’une semaine. Les participants s’indignent de découvrir les thèmes de discussion en cours de réunion. Les organisations représentatives des salariés et des employeurs pointent par ailleurs le manque de connaissances, voire « l’opacité », qui entoure les réserves. Les membres les plus anciens du CSRM se souviennent de débats beaucoup plus dynamiques, avec des débats nourris sur l’évolution du statut ou sur la protection sociale du réserviste. Le CSRM ne constitue plus de groupes de travail en son sein, ce qui annihile sa capacité à formuler des recommandations.
Les rapporteurs regrettent ces évolutions. Le CSRM pourrait être redynamisé et devenir une véritable instance d’évaluation de la condition des réservistes, de veille juridique et de coordination avec les autres réserves. Avec des moyens adaptés et des groupes de travail, il pourrait être une force de proposition pour améliorer le statut des réservistes ou favoriser la complémentarité avec l’active. Ses représentants pourraient surtout être entendus au Parlement lors de l’examen de textes afférents à la réserve.
Proposition n° 1 : redynamiser le fonctionnement du CSRM
– augmenter la part des représentants d’employeurs et de salariés dans le collège ;
– veiller à l’organisation de réunions régulières, programmées, annoncées avec un préavis suffisant ;
– recréer des groupes de travail permettant aux membres du CSRM de conduire des évaluations et de formuler des recommandations ;
– organiser l’audition régulière de représentants du CSRM par les commissions parlementaires chargées de la défense.
c. Le délégué interarmées aux réserves et les délégués aux réserves
Des délégations aux réserves, chacune dirigée par un délégué, sont en place au sein de l’état-major des armées, de chaque état-major d’armée (armée de terre, armée de l’air et de l’espace, marine nationale), des services de santé, de l’énergie opérationnelle et du commissariat des armées ainsi que de la DGA, comme à la direction générale de la gendarmerie nationale. En lien avec les directions des ressources humaines concernées, elles pilotent les aspects de recrutement, de gestion et d’emploi de leurs réserves respectives. Chaque délégué aux réserves, en liaison avec le CSRM et, selon les orientations arrêtées par le CODIR Réserve, contribue à l’élaboration de la politique qui le concerne, définit et coordonne les études à conduire et les actions à mettre en œuvre en la matière. En outre, le DIAR, rattaché à l’état-major des armées, a la charge de coordonner l’action des délégués aux réserves du ministère de la défense ; il anime la réflexion et rend les arbitrages nécessaires au sein de ce collège.
Les rapporteurs soulignent l’importance de cette « tour de contrôle » des réserves au ministère des Armées mais observent qu’elle n’a pas autorité sur les délégués aux réserves de chaque armée. Cette situation est cohérente avec une conception des réserves militaires proche des réserves d’efficience. Néanmoins, si d’autres objectifs doivent être assignés aux réserves (ouverture, mixité sociale, formation, résilience…), cette situation n’est pas satisfaisante. Plusieurs interlocuteurs de la mission d’information, parmi lesquels M. Jean-Marie Bockel, ancien secrétaire d’État chargé de la défense et des anciens combattants ([28]), et le président de la réunion des officiers de réserve du service état-major (Rorsem) ([29]), soutiennent l’idée de créer une inspection générale de la réserve, avec, à sa tête, un grand subordonné placé auprès du ministre de la défense, à l’instar du rôle qui était celui du général Claude Ascensi jusqu’en 2010.
Proposition n° 2 : créer la fonction d’inspecteur général de la réserve au ministère des Armées, chargé de faire prévaloir des objectifs d’ouverture et de résilience et d’assurer l’allocation de la ressource budgétaire en conséquence
2. Une gestion ministérielle ou des agences ad hoc pour les autres réserves
En dehors du ministère des Armées, la gestion des réserves s’appuie sur les administrations qui les recrutent (direction générale de la gendarmerie nationale, direction générale de la police nationale, direction de l’administration pénitentiaire, direction générale de l’enseignement scolaire, etc.) et sur quelques agences ad hoc.
Ainsi, Santé publique France, qui résulte de la fusion de l’établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Éprus) créé par le ministre Xavier Bertrand, en 2007, de l’institut de veille sanitaire (INVS) et l’institut national pour la prévention sanitaire (INPES), abrite la direction alertes et crises qui comprend l’équipe chargée d’animer la réserve sanitaire. Cette réforme ne s’est pas traduite par davantage de moyens ou de transparence.
Un haut-commissaire à l’engagement civique est théoriquement responsable de l’animation et la coordination de l’action interministérielle en faveur de l’engagement civique, le développement du service civique, la coordination de la réflexion sur l’extension de la journée défense et citoyenneté et la création et la promotion d’une réserve citoyenne (devenue « civique »). ([30]) Le haut-commissaire est aussi le président de l’agence du service civique, créée en 2015, qui promeut le service civique, lui-même créé en 2010. Depuis 2017, le haut-commissaire n’est plus véritablement mentionné en tant que tel et la présidente de l’agence du service civique n’a pas récupéré ses missions.
3. Des tentatives de coordination interministérielle inachevées
Le rattachement de la gendarmerie nationale au ministère de l’Intérieur, la création d’une réserve de la police nationale et le souci de mieux coordonner les réserves en cas de crise majeure ont conduit à imaginer de nouvelles formes de gouvernance des réserves de défense et de sécurité. Ces initiatives n’ont toutefois pas complètement abouti.
a. La réserve de sécurité nationale
À la suite d’un rapport sénatorial de 2010 ([31]), une « réserve de sécurité nationale » a été instituée à l’article L. 2171-1 du code de la défense ([32]) , comprenant les réservistes opérationnels militaires, les réservistes civils de la police nationale, les réservistes sanitaires, les réservistes civils de l’administration pénitentiaire et les réservistes de la sécurité civile. Il s’agissait d’offrir au Premier ministre la capacité de mobiliser les réservistes en cas de crise majeure par décret.
Comme le notait la Cour des comptes dans son rapport d’avril 2019 précité, « ce dispositif n’a pas été réellement organisé ». Il s’est en effet heurté au niveau de préparation très variable des réserves dites statutaires ou « de disponibilité », au coût d’une mise à niveau de cette préparation constitué des frais de déplacements et indemnités journalières à verser à tous les réservistes convoqués et à l’intrication des réserves et des services d’active puisque certains réservistes volontaires peuvent appartenir à des corps d’active susceptibles d’être mobilisés en cas de crise (par exemple, une partie des réservistes de la gendarmerie nationale sont aussi policiers nationaux, municipaux ou pompiers professionnels). Dans certaines circonstances, il est possible d’imaginer que le réserviste soit à la fois appelé au titre de son emploi principal et à la fois requis ou mobilisé dans le cadre de la réserve. Aucun texte ne prévoit aujourd’hui à quel engagement il devrait donner la priorité.
Enfin, la loi du 28 juillet 2015 ([33]) d’actualisation de la LPM 2014-2019, qui se situe dans une logique de crise « menaçant la sécurité nationale », a modifié les règles de convocation et de durée de service opposables aux employeurs des réservistes sous engagement à servir dans la réserve (ESR) des armées et de la gendarmerie, uniquement, de sorte que les conditions de mobilisation diffèrent par rapport aux autres réservistes notamment ceux de la police nationale.
De manière générale, les rapporteurs constatent que les régimes juridiques de défense afférents à la mobilisation des réservistes ne sont pas utilisés en pratique. Ils ne l’ont été à l’occasion d’aucune crise récente, des attentats terroristes comme de la crise sanitaire. Ils recommandent de conduire une étude approfondie en lien avec une expression préalable des besoins et appuyée sur des scénarios de crise. En tout état de cause, il conviendrait de supprimer les dispositions inapplicables, source de confusion et d’inquiétude pour les employeurs de réservistes militaires.
Proposition n° 3 : rénover les régimes juridiques permettant de mobiliser les réserves à partir d’une rigoureuse expression de besoins
Le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) devrait s’y pencher à la faveur de l’élaboration de sa nouvelle « stratégie nationale de résilience » avec chaque ministère.
À la suite des attentats terroristes du 13 novembre 2015, le Président de la République a évoqué l’idée d’une « garde nationale » lors du discours prononcé le 16 novembre devant les parlementaires réunis en Congrès. Après l’attentat de Nice du 14 juillet 2016, ce projet a été précisé, tandis que les ministres de la Défense et de l’Intérieur appelaient les citoyens, en particulier les jeunes, à rejoindre la réserve opérationnelle. Parallèlement, en juillet 2016, les sénateurs Jean-Marie Bockel et Gisèle Jourda ont remis un rapport intitulé Garde nationale : une réserve militaire forte et territorialisée pour faire face aux crises. ([34]) Des réunions interministérielles se sont tenues dans le courant de l’été 2016 sous l’égide du secrétariat général de défense et de sécurité nationale (SGDSN) pour déterminer le périmètre de la Garde nationale dont le principe avait été arrêté en conseil de défense le 22 juillet 2016. Il a été décidé que « les réserves en armes, seules à même de faire face à une menace armée » constitueraient la Garde nationale qui s’appuierait sur deux piliers, un pilier « forces de sécurité intérieures » et un pilier « armées ». Les ambitions de l’annonce présidentielle de novembre 2015 ont donc été limitées puisque le périmètre de la Garde nationale n’inclut que les réserves, déjà existantes, constituées par les volontaires servant sous ESR dans les armées, la gendarmerie et la police.
Finalement créée en octobre 2016, la Garde nationale a pour vocation de regrouper l’ensemble des réserves d’engagement sous un vocable fédérateur et à fournir un cadre pour le renforcement de l’attractivité des réserves. Cette structure a été placée sous la double autorité du ministère de l’Intérieur et du ministère des Armées alors qu’on aurait pu envisager de la rattacher au SGDSN, comme l’a pointé la Cour des comptes dans son rapport d’avril 2019 précité.
Avec la création de la Garde nationale, un comité directeur de la Garde nationale a été mis en place. Il est présidé conjointement « par le ministre de la Défense et le ministre de l’Intérieur ». Il contribue « à la définition des politiques conduites au titre de la Garde nationale en termes de recrutement, d’attractivité, de développement de partenariats et de communication. La préparation et l’emploi des forces relèvent des prérogatives de chacune des chaînes opérationnelles concernées ». À ses côtés, le conseil consultatif de la Garde nationale est chargé d’émettre des avis et des recommandations sur les politiques conduites au titre de la Garde nationale. Un arrêté du 1er octobre 2018 a consolidé l’organisation et le fonctionnement du secrétariat général de la Garde nationale (SGGN) qui avaient été dessinés par l’arrêté du 27 mars 2017 : le secrétariat général du CSRM a été mutualisé avec le secrétariat général de la Garde nationale avec un même secrétaire général. Bien que la Garde nationale soit avant tout chargée de la communication sur les réserves opérationnelles qu’elle a « labellisées », plusieurs missions du CSRM lui ont été transférées, qui ont privé celui-ci de bon nombre de ses prérogatives, notamment en matière de relations avec les employeurs et de communication. L’élaboration du rapport annuel d’évaluation de la réserve militaire et de la Garde nationale destiné au Parlement a été confiée au SGGN bien que le champ de compétence de celle-ci ne couvre ni la réserve statutaire ni la réserve citoyenne de défense et de sécurité.
Le secrétariat de la Garde nationale s’est essentiellement concentré sur la politique de partenariats avec les employeurs de réservistes et sur la gestion de mesures d’attractivité, notamment financières. Le bilan des premières mesures d’incitation financière s’étant révélé décevant, le SGGN a développé d’autres mesures telles que la valorisation de l’engagement étudiant ([35]), l’accès à certaines activités privées de sécurité ([36]) , la médaille des réservistes volontaires de défense et de sécurité intérieure, la gratuité des musées. D’autres sont en cours d’étude, notamment pour l’accès aux concours de la fonction publique.
En somme, la Garde nationale est une structure légère de coordination entre le ministère de l’Intérieur et le ministère des Armées pour élaborer une politique cohérente d’animation des réserves, ce dont il faut se féliciter. Elle est aussi un secrétariat général chargé de produire un rapport transmis au Parlement, dont le contenu est aujourd’hui insatisfaisant. Bras armé d’une politique partenariale active et dynamique, elle s’est en revanche coupée de l’apport des représentants des employeurs et des salariés siégeant au CSRM. Comme les rapporteurs le montrent dans la suite du rapport, cette politique partenariale n’est pas évaluée et il semble que nombre de conventions ne soient pas réellement appliquées quand certaines, conclues avec des administrations publiques ou des collectivités territoriales, ne sont pas tout simplement contraires aux règles énoncées par la circulaire du Premier ministre du 2 août 2005 relative à l’emploi d’agents publics au sein de la réserve militaire. Agence de communication des réserves, la Garde nationale a des moyens réduits pour ce faire et son nom est une source de confusion, soit avec son homologue américain, soit avec son homologue français du XIXe siècle. À la Garde nationale n’est en effet attaché aucun pouvoir de commandement sur l’ensemble des réserves en armes.
La Cour des comptes, dans son rapport précité, préconise de fusionner le CSRM et le conseil consultatif de la Garde nationale. Concrètement, cela revient à élargir le champ du CSRM aux réserves de la police nationale. Les rapporteurs ne sont pas convaincus de l’utilité d’une telle évolution compte tenu des spécificités des réserves militaires qui restent fortes.
Ils ne sont pas certains non plus que la Garde nationale soit le meilleur vecteur de communication pour inciter à s’engager dans les réserves militaires. Les états-majors auraient beaucoup plus de leviers pour ce faire. Eu égard à son champ de compétence, restreint aux réserves d’engagement de défense et de sécurité, sa communication ne permet pas de simplifier le paysage particulièrement illisible de l’engagement en France aujourd’hui. Dans sa conduite d’une politique partenariale avec les employeurs, elle pourrait aussi s’adresser aux employeurs de sapeurs-pompiers volontaires ou à ceux des réservistes sanitaires (et de la police nationale ou des douanes, demain), afin d’éviter une concurrence délétère des réserves par le biais des mesures favorables qu’elles imaginent pour inciter les employeurs à libérer leurs réservistes.
Dans cette optique, les rapporteurs ne voient pas l’intérêt qu’une agence de communication doublée d’un secrétariat permanent chargé de missions d’évaluation, d’études juridiques et de faire signer des conventions entre employeurs reste dirigé par un officier général, indépendamment des grandes qualités des officiers généraux, notamment celles des titulaires de la fonction ces dernières années.
Proposition n° 4 : réfléchir à une extension des missions du secrétariat général de la Garde nationale (relations avec les employeurs, communication sur les réserves, suivi des dispositions statutaires, évaluation) à d’autres réserves (sapeurs-pompiers volontaires, réserve sanitaire) et à un changement de nom plus conforme à ces nouvelles missions
Dans cette optique, il serait bon de veiller à ce que ce nouvel organisme soit alimenté par les contributions du CSRM, du nouvel inspecteur général aux réserves du ministère des Armées, mais aussi du conseil national des sapeurs-pompiers volontaires (CNSPV), de la direction générale de la gendarmerie nationale, de la direction générale de la police nationale, de Santé publique France, des SDIS, et du ministère de la Justice.
Des conseils consultatifs mériteraient d’être mis en place pour chaque réserve (police nationale, pénitentiaire, judiciaire, éducation nationale) sur le modèle du CSRM.
c. La tentation d’une intégration des réserves
Plusieurs personnes entendues par la mission ont mis en garde les rapporteurs contre la tentation d’intégrer les réserves dans un grand ensemble ou de créer une structure interministérielle chargée du recrutement ou de la valorisation des réserves. Les échecs des précédentes tentatives ne plaident pas, en effet, en faveur de ces formules.
Plus précisément, il apparaît que « l’interministérielle apporte peu en termes d’animation des réserves » ([37]), pour reprendre les mots du préfet Nicolas de Maistre, directeur de la protection et de la sécurité de l’État au SGDSN. La formation, la gestion et l’emploi des réservistes sont en effet très disparates, parce qu’ils répondent aux besoins – différents – des ministères. Il convient de rappeler que les réservistes ont vocation à compléter l’action des professionnels d’active. Par ailleurs, comme l’a souligné le préfet, les réservistes sont avant tout avide de la reconnaissance de leurs pairs d’active, que le ministère qui les emploie est le mieux placer pour manifester, bien davantage que d’une reconnaissance au titre de leur appartenance à une communauté d’engagés volontaires à travers tout le pays.
En somme, si l’on souhaite que les réserves restent opérationnelles, elles doivent rester animées directement par les ministères. Pour les rapporteurs, cela ne doit pas dispenser ces mêmes ministères de se coordonner afin d’éviter une concurrence délétère entre dispositifs.
II. Un atout pour la France, qui souffre d’un déficit d’attention politique
Comme en témoigne la multiplication de textes législatifs créant des réserves ou modifiant des statuts de réservistes, les réserves ont le vent en poupe en France. Depuis 2015, elles sont devenues une priorité politique affichée. Pourtant, l’application des textes adoptés n’est que très peu évaluée, elle ne fait que très peu l’objet de travaux de contrôle parlementaire et ces dispositifs sont toujours largement méconnus du grand public.
A. Des dispositifs difficilement lisibles
S’il faut se féliciter de l’élan citoyen qui se manifeste avec vigueur depuis 2015 et que les réserves cherchent actuellement à organiser, il faut aussi reconnaître que la multiplication de statuts de réservistes très différents coexistant avec d’autres statuts de contributeurs occasionnels plus ou moins bénévoles au service public sans parler des engagements associatifs ne forme pas un paysage lisible, accessible pour tout citoyen.
1. Un défaut d’information souligné par tous les acteurs entendus par la mission
Les rapporteurs ont constaté que la réserve restait une affaire d’initiés avec un recrutement relativement endogame dans les réserves de sécurité et de défense pourtant censées être largement ouvertes à la société civile. La bonne connaissance des dispositifs par les réservistes et ceux qui les gèrent contraste avec la méconnaissance des réserves dans la population générale.
a. La difficulté à s’orienter dans le maquis des réserves pour les candidats
D’après une enquête conduite auprès de 335 volontaires de l’association des Jeunes IHEDN ([38]), le défaut d’information claire sur les réserves militaires fait partie des freins à l’engagement : 44 % des répondants indiquaient en effet qu’ils avaient mené leurs recherches seuls et 9 % précisaient que le manque d’information les avait freinés pour s’engager. Un sentiment de confusion et d’abandon provient du fait que l’information disponible tout au long du parcours du candidat n’est soit pas pertinente, soit beaucoup trop complexe, soit confuse, soit diffusée par des canaux qui ne sont pas appropriés. Il s’agit des informations utiles pour choisir son armée, pour comprendre les missions assignées à la réserve, les démarches administratives, le processus de recrutement. Une majorité des répondants pointe la nécessité de connaître des personnels d’active ou des réservistes pour mener à bien ce parcours. L’offre numérique, normalement la plus accessible pour les jeunes, est insuffisante. L’accès à l’information reste très difficile pour les réservistes après la signature de leur ESR : sur les démarches administratives, les postes disponibles, sur le parcours d’avancement, la formation disponible, etc.
Pour Mme Béatrice Angrand, présidente de l’agence du service civique, les possibilités d’engagement accessibles aux jeunes forment un ensemble difficilement lisible. Les rapporteurs constatent en effet qu’un jeune volontaire de moins de 26 ans peut s’engager sous cinq statuts au ministère des Armées et bientôt neuf au ministère de l’Intérieur (voir infra, deuxième partie, VI.C.), sans compter les dispositifs d’emplois jeunes comme les cadets de la République ou les adjoints de sécurité. La mise en place du service civique avait justement procédé d’une démarche de simplification en fusionnant de nombreux dispositifs de volontariat. Les rapporteurs ont d’ailleurs pu constater que les jeunes du service civique n’étaient pas spontanément informés sur l’existence des réserves dans lesquelles ils pourraient pourtant s’engager.
b. Les préjugés et les craintes de beaucoup d’employeurs
D’après l’enquête des Jeunes IHEDN, l’articulation entre la vie professionnelle et l’engagement dans une réserve militaire n’est pas facile à comprendre et n’est pas évoquée sur les sites institutionnels. Les jeunes ne disposent pas de ressources pour expliquer leur statut de réserviste à leur employeur ; les employeurs eux-mêmes sont très peu informés, notamment les directeurs généraux, les responsables des ressources humaines et les encadrants de proximité. Selon les Jeunes IHEDN, une action déterminée de communication devrait donc être menée en ciblant différents publics : à la fois les individus que l’on souhaite recruter comme réservistes mais aussi les acteurs qui gravitent dans leur environnement (famille, employeur civil, organisations professionnelles, enseignement supérieur…).
Les représentants des employeurs entendus par la mission d’information ont souligné les spécificités des réserves opérationnelles militaires par rapport aux autres réserves, qui doivent être constamment réexpliquées et suscitent parfois la méfiance des employeurs. Les plus petites entreprises, en particulier, manquent d’information sur le monde des armées et le statut des réservistes. Leurs salariés, pourtant fréquemment engagés dans la vie de la Cité comme élus ou sapeurs-pompiers volontaires, craignent d’être particulièrement discriminés comme réservistes militaires. D’après leurs représentants, les employeurs ne connaissent pas ou mal le parcours de formation des réservistes opérationnels, ainsi que les savoir-faire et les savoir-être qu’ils y acquièrent. Si de nombreux employeurs ont apparemment une perception erronée de la réalité des réserves et si des préjugés à l’encontre des forces de défense et de sécurité persistent dans plusieurs milieux professionnels, les rapporteurs notent aussi que le cadre légal qui régit les relations entre les réservistes militaires et leurs employeurs est particulièrement contraignant. À la suite de l’adoption de la loi de programmation militaire 2019-2025 et, en particulier son article 17 relatif à la durée d’absence pour les salariés afin de pouvoir effectuer leur activité de réserviste, l’article L. 3142-89 du Code du travail a été modifié pour porter cette durée à huit jours sauf pour les entreprises de moins de 250 salariés : « Tout salarié ayant souscrit un engagement à servir dans la réserve opérationnelle bénéficie d’une autorisation d’absence de huit jours par année civile au titre de ses activités dans la réserve. Cependant, pour les entreprises de moins de deux cent cinquante salariés, l’employeur peut décider, afin de conserver le bon fonctionnement de l’entreprise, de limiter ce temps à cinq jours ». Les rapporteurs s’interrogent : ces obligations ne sont-elles pas finalement contreproductives ?
Les sapeurs-pompiers volontaires bénéficient de préjugés plus favorables et leur ancrage local est un atout en ce qu’il rend immédiatement perceptible leur utilité. Néanmoins, les rapporteurs observent aussi que les relations entre un sapeur-pompier volontaire et son employeur sont indéniablement placées sous le signe de l’intéressement et de l’incitation. L’emploi de salariés ou d’agents publics ayant la qualité de sapeur-pompier volontaire ouvre droit à un abattement sur la prime d’assurance incendie, à des exonérations de cotisations sociales et d’impôt sur les sociétés (voir infra deuxième partie, III.). L’employeur du sapeur-pompier volontaire peut être subrogé dans les droits à rémunération de celui-ci s’il lui maintient sa rémunération, tout comme l’employeur public d’un réserviste sanitaire.
Dans la police, l’accord de l’employeur n’est indispensable qu’au-delà de dix jours ouvrés par année civile pris sur le temps de travail (article L. 411‑13 du code de la sécurité intérieure), sans précision quant à un délai de prévenance. Ces dispositions paraissent excessivement contraignantes dans l’optique d’une réelle ouverture de la réserve de la police nationale à la société civile.
Enfin, jusqu’à 80 % des professionnels de santé ne connaissaient pas la réserve sanitaire, d’après des enquêtes menées par Santé publique France ([39]). Les réservistes sanitaires entendus par la mission d’information ont tous fait état des réticences de leurs employeurs à les libérer pour effectuer des renforts ([40]). Une politique partenariale avait été engagée. Elle a été abandonnée vis-à-vis des établissements publics qui peuvent toutefois se faire rembourser par Santé publique France les salaires versés aux réservistes pendant leurs missions. Des conventions demeurent avec les établissements privés. En tout état de cause, le montant de la compensation versée au titre de l’absence d’un professionnel réserviste est jugé très peu incitatif.
c. Les préjugés et l’indifférence du grand public
Contrairement à ce qui devrait être leur vocation, les réserves civiques et militaires restent relativement endogames. Les présidents des associations des réserves militaires reconnaissent que « les réservistes sont souvent issus de milieux déjà proches de l’institution » ([41]) quand les cadres supérieurs franciliens apparaissent surreprésentés dans la réserve citoyenne de l’Éducation nationale (voir deuxième partie, VII, B.).
M. Sébastien Jakubowski, sociologue, directeur de l’Institut national supérieur du professorat et de l’éducation (INSPÉ), a souligné, pour le déplorer, le manque d’études sociologiques récentes sur les réserves militaires. La professionnalisation a, selon lui, banalisé le rapport des Français à l’institution militaire, banalisation qui se traduit par « un rapport d’indifférence positive » à l’égard des armées. Les Français leur accordent leur confiance, sans pour autant les connaître. Contrairement aux sociétés nord-américaines ou britannique, la société française est peu encline à se réunir autour des valeurs nationales et de ses marqueurs, comme le drapeau. L’engagement, s’il est valorisé, ne bénéficie pas pour autant d’une reconnaissance, même symbolique, au niveau national. Les réserves restent assez peu connues du grand public, sauf des Français proches du milieu militaire. C’est donc aussi toute la communication qu’il conviendrait de renforcer. ([42])
Si les sapeurs-pompiers volontaires forment une réserve relativement ouverte, les représentants du groupement syndical national des sapeurs-pompiers volontaires (GSNSPV) ont eux aussi pointé qu’en dépit des campagnes de communication, beaucoup de Français pensent qu’il s’agit d’un métier, et qui plus est, d’un métier militaire. ([43])
La création des nouvelles réserves depuis 2009, et plus particulièrement depuis 2015, est un facteur de confusion. La plupart des associations de réservistes entendues par la mission d’information se sont félicitées du dynamisme des réserves mais ne mesuraient apparemment pas les difficultés liées au manque de lisibilité ou aux effets d’éviction ou de substitution des dispositifs les uns par rapport aux autres, faute de les connaître. Les rapporteurs ont d’ailleurs été frappés par la faible connaissance mutuelle qu’ont les réservistes du statut des uns et des autres, y compris au sein du même ministère.
d. Un ancrage territorial variable qui ne contribue pas à la visibilité de certaines réserves
L’ancrage territorial est un atout indéniable pour les sapeurs-pompiers volontaires ou les réservistes opérationnels de la gendarmerie. Il contribue à améliorer la disponibilité de ces réservistes, d’une part parce que les renforts qu’ils effectuent ont lieu près de chez eux ou du lieu de leur activité professionnelle, d’autre part parce que leurs proches et leurs employeurs mesurent concrètement leur contribution à la sécurité collective.
Forts de ce constat, les sénateurs Jean-Marie Bockel et Gisèle Jourda, auteurs d’un rapport en 2016, précité, proposaient de « territorialiser » les réserves c’est-à-dire de « concevoir un maillage territorial qui ancre la réserve, et à travers elle les armées, sur l’ensemble du territoire national, notamment dans les “déserts militaires” et les secteurs identifiés comme présentant un risque de crise ou de troubles importants ». L’armée de terre, en particulier, réfléchit à la manière d’améliorer son implantation territoriale et son recrutement dans les régions de France où la présence militaire n’est que celle de la gendarmerie. Dans le rapport de M. Gassilloud, également précité, il était aussi question de jumeler des villes et des unités de réserve à l’instar de l’initiative du 6e régiment du génie avec la ville de Nantes : « Cette pratique contribue à lutter contre le phénomène des déserts militaires, offre aux réservistes une implantation locale qui étend le vivier de recrutement et offre à la collectivité des effectifs militaires supplémentaires pour organiser des commémorations ou d’autres événements autour de la défense et de la mémoire. » ([44])
Pourtant, au-delà de ces démarches symboliques, les armées excluent de recréer des unités dérivées à l’instar de celles qui existaient avant 1999. Privilégiant l’intégration des réservistes avec leurs pairs d’active, les armées n’ont aucune intention d’envoyer des compagnies de réservistes s’entraîner ou patrouiller de manière autonome dans des territoires. Les réserves opérationnelles des armées continueront donc de pâtir structurellement d’un manque de visibilité lié à la nature même de leurs activités et compteront toujours dans leurs rangs des réservistes résidant loin du lieu de leur engagement. Comme le résumait le colonel (R) Bernard Bon, président de la réunion des officiers de réserve du service état-major (Rorsem), « les sapeurs-pompiers volontaires comme les réservistes de la gendarmerie sont employés localement, de manière visible, pour de courtes périodes, quand le réserviste des armées s’éloigne pour plusieurs jours voire semaines pour un emploi invisible de son entourage : mission Sentinelle, formation ou entraînement. » ([45]) Ces spécificités justifient une animation et une politique de communication adaptées.
L’ancrage territorial de la réserve sanitaire fait aussi débat. Mécanisme « jacobin » ([46]), pour reprendre l’expression de la directrice d’une agence régionale de santé (ARS), de solidarité entre établissements, la réserve sanitaire n’a pas d’équivalent ou de déclinaisons territoriales. Plusieurs directeurs d’ARS auraient cependant souhaité pouvoir connaître les réservistes sanitaires travaillant dans leur ressort pour faire appel à eux directement pendant la crise sanitaire.
2. Des objectifs multiples, souvent tacites, sources de malentendus
Les réserves militaires se voient assignées une pluralité d’objectifs comme aucune autre réserve en France. Même si les sapeurs-pompiers volontaires contribuent à la résilience de la Nation, acquièrent des compétences très utiles et sont largement ouverts à la société civile, ce ne sont pas là des objectifs qui leur ont été assignés par le législateur.
a. Le lien armées-Nation ou la participation citoyenne
Le premier objectif des réserves militaires, mis en évidence par l’article L. 4211-1 du code de la défense, c’est de permettre « à tout citoyen d’exercer son droit à contribuer à la défense de la nation ». Il est remarquable que l’article qui inaugure le chapitre sur les réserves commence par évoquer le devoir de contribuer à la défense de la nation par des moyens qui peuvent être militaires, mais pas seulement, mais aussi le droit d’y contribuer en intégrant la réserve. Cette formulation, assez générale et plutôt théorique, ne reconnaît pas le droit spécifique pour chacun de servir dans la réserve, dans la mesure où les candidatures des volontaires doivent être agréées par l’autorité militaire. Mais un des objectifs de la réserve, bien avant de pourvoir les armées en main d’œuvre intérimaire, est bien de permettre aux citoyens d’exercer un droit à la défense, au besoin par la participation à la réserve citoyenne qui doit être « la plus ouverte possible » selon les travaux préparatoires. ([47])
Dispenser une formation minimale dans le domaine des premiers secours, apprendre des techniques de défense contribuent à la résilience globale de la nation et au débat démocratique. Dans le contexte d’une évolution des modes de conflictualité, où les agressions restent souvent en-deçà du conflit armé, pour prendre des formes plus insidieuses que la doctrine a regroupées sous le terme de « menaces hybrides » ou la forme d’attentats terroristes, la sensibilisation du plus grand nombre à la géopolitique et aux menaces éventuelles participe de la résilience et pourrait être un grand objectif de la réserve. Les réserves favorisent aussi la mixité sociale, font travailler ensemble des gens issus de milieux et de cultures professionnelles différents. Toutefois, ces nombreux effets positifs ne sont jamais mesurés ; aucun indicateur ne leur est associé, ni aucun objectif. Les réserves pourraient pourtant complètement participer d’une forme de « service national universel tout au long de la vie ».
Les rapporteurs rappellent leur attachement à ce que les réserves militaires soient largement ouvertes aux citoyens. Le lien armées-nation est une mission qui incombe aux armées et qui justifie une partie des financements alloués à la réserve militaire.
La multiplication des réserves « civiques » a, elle aussi, vocation à favoriser la mixité sociale et la participation citoyenne. Leur accès est d’autant plus universel qu’il ne repose sur aucune condition d’aptitude, ni aucun engagement en termes de disponibilités. En contrepartie, cet engagement n’est pas véritablement un engagement opérationnel et ne donne pas accès à des formations qualifiantes.
b. La formation professionnelle et le pré-recrutement
La formation et, plus généralement la transmission de savoir-faire et de savoir-être, est au cœur de la logique des réserves et au cœur des motivations des réservistes. La puissance publique s’appuie sur des volontaires, moins coûteux que des professionnels d’active, en échange de quoi elle leur dispense une formation. La jeunesse est particulièrement intéressée par ce troc service / employabilité. C’est ce qui explique l’importance de l’encadrement et de l’exercice de missions au contact du public chez les volontaires du service civique et ce qui justifierait un effort supplémentaire du ministère des Armées pour mieux communiquer sur les compétences de ses réservistes opérationnels ab initio.
Comme en témoigne le nombre important de réservistes militaires qui quittent la réserve pour rejoindre l’active, les réserves sont aussi utilisées comme des modalités de pré-recrutement. Dans la gendarmerie, 20 % des réservistes démissionnaires rejoignent l’active dans la gendarmerie, favorisés par l’article 13‑1 du décret n° 2008-952 du 12 septembre 2008 qui leur permet, pour devenir sous-officier, de passer le deuxième concours, c’est-à-dire le concours interne, ce qui les dispense du baccalauréat. Dans la marine nationale, les préparations militaires servent davantage à recruter dans l’active (environ 15 % des stagiaires) que dans la réserve (1 à 4 %).
c. La résilience de la Nation : un objectif abandonné ?
Contrairement à une idée tenace, les réserves rassemblent aujourd’hui des vacataires plus ou moins indemnisés. La France ne dispose plus d’effectifs, d’équipements ou de stocks en réserve, qu’il s’agisse de lits dans les hôpitaux ou d’équipements pour des réservistes militaires. Les réserves reposent sur le volontariat. Les modalités contraignantes de recours à la réserve sont tombées en désuétude. La réserve sanitaire est une modalité de solidarité entre territoires et entre établissements, pas une force capable de faire face à une crise généralisée.
Cette évolution est le résultat de choix politiques allant dans le sens de davantage d’efficience. Bien que ce ne soit pas l’objet de leur mission d’information, les rapporteurs s’interrogent sur cette situation qui peut expliquer le dévoiement progressif du concept de réserves qu’ils constatent.
En effet, il est paradoxal d’ériger en priorité le recrutement et la formation de réservistes à hauteur de 80 000 réservistes des forces armées sans prévoir d’équipements leur permettant d’être véritablement utiles en cas de crise majeure. Il est paradoxal de conserver une réserve sanitaire avec des moyens si ténus et un vivier réduit par l’indisponibilité des professionnels de santé.
d. Un intérim d’État pour répondre aux besoins de souplesse et de solidarité entre territoires
Force est de constater que les réserves sont aujourd’hui massivement utilisées comme un intérim d’État pour pallier des carences plus ou moins structurelles, apporter des compétences spécialisées ponctuellement (réservistes spécialistes, moniteurs de plongée et atomiciens dans la marine) ou s’adjoindre le concours de professionnels du civil dans les armées (aviateurs civils dans l’armée de l’air).
Comme le montre l’exemple de la sécurité civile et des sapeurs-pompiers volontaires, cet usage de la réserve doit être rigoureusement encadré pour lutter contre l’éviction de personnels permanents, bien formés et disponibles à temps plein par des volontaires moins chers mais aussi moins disponibles et moins formés, et s’estimant rapidement insuffisamment considérés.
3. Une frustration et un agacement qui menacent la dynamique d’engagement
La frustration et l’agacement de beaucoup de réservistes est à l’origine du questionnement des rapporteurs. Du point de vue des gestionnaires des réserves, en effet, ces dispositifs sont très satisfaisants. Le ressenti de beaucoup de réservistes est, en revanche, très différent.
a. Le cauchemar du sous-emploi pour tous les réservistes
Comme en témoignent toutes les enquêtes réalisées sur les motivations des réservistes, ceux-ci rejoignent les réserves non pour avoir un complément de revenu mais pour « servir », autrement dit « être utile ».
La volonté de servir des réservistes se heurtent bien évidemment à leurs contraintes professionnelles et personnelles. Les données issues de la consultation citoyenne confirment néanmoins ce que les rapporteurs ont entendu au cours de nombreuses auditions, à savoir que les réservistes aimeraient, dans leur grande majorité, être davantage employés.
Comme le notait la Cour des comptes, en avril 2019, « pour les réservistes militaires, plus le nombre de jours d’ESR augmente, plus la satisfaction du réserviste est grande ». ([48]) « L’offre d’emploi dans la réserve n’est pas du tout au niveau des attentes des jeunes », a insisté la pilote de la task force Réserves des Jeunes IHEDN. ([49])
Cette frustration trouve son origine dans la contraction de la ressource budgétaire, qui frappe surtout les réserves de la gendarmerie et de la police nationales, mais aussi dans une concentration des jours d’activité sur les réservistes les plus disponibles et les plus employables, bien souvent les anciens professionnels, au détriment des jeunes volontaires ab initio. Pour les armées, la gendarmerie ou la police, les avantages liés à l’emploi de ces anciens professionnels sont considérables : proximité culturelle, disponibilité, employabilité immédiate… Ils « coûtent » en revanche « plus cher » et consomment la majeure partie du budget, faisant de surcroît tendre vers un recrutement endogame contraire à l’esprit de la réserve. Cette frustration des jeunes ab initio a d’ailleurs aussi son pendant chez les réservistes les plus gradés. Par exemple, plusieurs officiers de réserve ont fait remarquer aux rapporteurs qu’ils étaient de moins en moins employés à mesure qu’ils avançaient dans la carrière. Le général Lalubin, délégué interarmées aux réserves, a aussi signalé une situation inverse : « certains réservistes d’excellent niveau sont employés avec un haut niveau de responsabilité malgré un niveau de grade modeste, leur faible disponibilité les empêchant de progresser dans les grades de la réserve. » ([50])
Les principales sources de motivation pour l’engagement dans une réserve
Réponse à la question « Selon vous, quelles sont les trois premières raisons pour lesquelles vous plébisciteriez un engagement dans une réserve (le vôtre ou celui de vos collaborateurs ou de vos proches) ? », ensemble des répondants réservistes.
Source : consultation citoyenne.
Les principaux freins à l’engagement des réservistes
Réponse à la question « Quels sont, dans l’ordre d’importance, les trois principaux freins à votre envie de vous engager davantage ? », ensemble des répondants réservistes.
Source : consultation citoyenne.
Comme l’ont signalé beaucoup de réservistes militaires, les mesures d’attractivité prises sous l’égide de la Garde nationale ont manqué leur cible. La participation au financement du permis de conduire méconnaissait le fait que beaucoup de réservistes devaient déjà de facto avoir le permis de conduire pour devenir réservistes. Ensuite, l’allocation d’études et la prime de fidélité n’ont pas eu l’effet escompté. Enfin, en finançant ces mesures par le budget d’activité des réserves, la Garde nationale a en réalité amoindri, certes marginalement, le véritable levier de la satisfaction des réservistes. Pour le lieutenant-colonel Philippe Ribatto, président de l’Union nationale des officiers de réserves (UNOR), « il n’y a guère eu d’élan dans le recrutement, la fidélisation ou la disponibilité des réservistes après la mise en place de ces mesures ». Pour lui, la fidélisation des volontaires « ne s’achète pas », et est « principalement motivée par la volonté de servir son pays quand il semble attaqué. Il convient dès lors de s’intéresser aux conditions d’emploi des réservistes, et de faire en sorte que chacun soit satisfait de son premier engagement à servir dans la réserve (ESR), par exemple. Si les réservistes se sentent suffisamment utiles et reconnus, il y a toutes les chances qu’ils prolongent leur engagement. » Ancien du contingent, le lieutenant-colonel (R) a alerté les rapporteurs sur le tarissement progressif de cette source de recrutement. ([51])
De manière générale, les rapporteurs constatent une inadéquation manifeste entre les budgets alloués à la réserve et les objectifs de recrutement fixés. Dans les armées, la hausse du budget des réserves à partir de 2016 s’est d’abord traduite par une augmentation du nombre de jours d’activité, faute d’avoir encore atteint les cibles de recrutement fixées par le Gouvernement et inscrites dans la LPM. Par la suite, la poursuite des objectifs de recrutement a obligé les gestionnaires à réduire l’activité, avec un effet désastreux sur le moral et la fidélisation des réservistes. La marine nationale en a fait l’amère l’expérience. Après avoir significativement dépassé l’enveloppe budgétaire pour l’emploi des réservistes en 2019, écart qu’elle espérait financer par une réaffectation de crédits de masse salariale non consommés pour l’active, la direction du personnel militaire de la marine a dû procéder à une correction brutale en 2020. Ce retour à « l’orthodoxie budgétaire » a conduit les unités de la marine à revoir à la baisse le nombre de réservistes et le nombre de jours d’activité, en sacrifiant d’abord les postes dédiés aux plus jeunes, moins indispensables. Pour le général Lalubin, le respect rigoureux des crédits qui prévaut actuellement est perçu comme « contraignant » puisque ce budget semble tout juste calibré pour les nouveaux effectifs de la réserve opérationnelle.
Les aléas infligés au budget de la réserve de la gendarmerie nationale créent aussi une situation de sous-emploi chronique des réservistes de cette force qui est extrêmement préjudiciable à leur fidélisation.
Enfin, beaucoup de réservistes ont été très frustrés et déçus de n’être pas davantage employés pendant la crise sanitaire. Même si les chefs d’état-major comme les responsables de la réserve sanitaire ont rivalisé de pédagogie pour expliquer pourquoi les réserves n’avaient pu être davantage employées, il est certain que l’emploi d’un vocabulaire martial par le président de la République au soir du 16 mars 2020 a résonné comme le son du tocsin et suscité un élan massif. Cet élan s’est brisé sur l’écueil des nombreux malentendus qui entourent les réserves, sur un recours somme toute limité aux armées dans la gestion de la crise et sur l’incapacité des pouvoirs publics à accueillir un afflux de nouveaux volontaires sans intermédiation. L’offre de services de beaucoup de réservistes « civiques » est ainsi restée sans réponse jusqu’à ce qu’ils rejoignent des associations.
b. Un manque de visibilité et de reconnaissance unanimement ressenti
Le mot le plus entendu par les rapporteurs au cours de leurs auditions a été, toutes réserves confondues, le mot « reconnaissance ». C’est donc sans surprise mais avec toujours la même émotion qu’ils ont constaté que le manque de reconnaissance de la part de l’active ou des pouvoirs publics, selon la réserve, était cité comme la première source de déception par les réservistes.
Ce ressenti est désolant. D’après les auditions et les données tirées de la consultation citoyenne, il est moins lié à une rémunération insuffisante (quoiqu’elle apparaisse comme un sujet de préoccupation pour certains volontaires du service civique et des volontaires de la réserve civile de la police nationale) ou à des problèmes de chancellerie (cités néanmoins), qu’à des problèmes d’organisation qui manifestent, aux yeux des réservistes, un manque de considération (voir infra) et l’absence de visibilité de la contribution des réservistes en général à la réalisation des missions des pouvoirs publics. A contrario, le défilé des réservistes sanitaires sur les Champs-Élysées le 14 juillet 2020 a été très apprécié.
Les principaux irritants dans le vécu des réservistes
Réponse à la question « Qu’est-ce qui vous irrite le plus aujourd’hui dans votre vécu de réserviste ? », ensemble des répondants réservistes.
Source : consultation citoyenne.
Les rapporteurs notent que dans les forces armées, les forces de sécurité intérieure et chez les sapeurs-pompiers volontaires, où la progression est manifestée par des grades, les réservistes ressentent logiquement et rapidement des limites dans cette progression. Cela nourrit des revendications sur le nombre de jours devant être pris en compte pour la notation, des admissions automatiques au grade supérieur etc. Cet écueil est inhérent au principe d’intégration qui prévaut aujourd’hui et élaborer un statut plus dérogatoire pour les réservistes ne semble ni souhaitable, ni souhaité par les réservistes. Les rapporteurs constatent néanmoins que ces difficultés sont insuffisamment compensées par un effort de reconnaissance prenant d’autres formes, comme des lettres de satisfaction, notamment.
Ils pensent aussi que les autorités publiques dans leur ensemble pourraient davantage témoigner de la reconnaissance aux réservistes à des moments dédiés.
c. Des outils de gestion sclérosants, une numérisation souvent inachevée
Comme l’avait souligné M. Thomas Gassilloud à propos de la réserve de l’armée de terre, les outils de gestion des réservistes sont souvent jugés « sclérosants ». Ces difficultés semblent plus prégnantes pour les réserves centralisées et ouvertes. La gestion de la réserve de l’administration pénitentiaire ne suscite pas les mêmes défis que celle d’une réserve de volontaires massive, comme dans la gendarmerie ou l’armée de terre. Considérablement réduit par l’automaticité apportée par le système Minot@ur (Moyen d’information opérationnelle du traitement automatisé des réserves), le délai de paiement de la solde, reste encore souvent supérieur à 45 jours dans l’armée de terre, du fait de défauts d’organisation dans les unités.
Le ministère des Armées a engagé un projet de système d’information commun aux trois armées pour le recrutement et la gestion de leurs réservistes pour un coût total depuis le début de 15,6 millions d’euros. Ce projet dit ROC pour « réserviste opérationnel connecté » semble avoir été lancé après 2015, sans que les rapporteurs puissent en avoir la certitude, faute de réponses précises du ministère des Armées sur ce point. Il est suivi à la direction du numérique du ministère des Armées et fera partie des systèmes d’information, d’administration et de gestion du ministère. L’enjeu du projet est d’insérer parmi les autres systèmes d’information RH des armées, directions et services quatorze blocs fonctionnels reliant le réserviste dans ses actes de gestion courante aux nombreux systèmes d’information du ministère des armées (les SIRH d’armées, directions et services, le SI d’organisation CREDO, le SI des transports TACITE, les SI des domaines santé, habillement, etc.). Cette complexité explique pour partie les retards constatés, avec les multiples réformes affectant les systèmes d’information du ministère des Armées.
Si la gendarmerie fait figure de modèle avec son système Minot@ur – inventé par un réserviste, standardisé par la gendarmerie, et bientôt disponible sous la forme d’une application mobile –, elle aurait été favorisée, selon le DIAR, par le fait de n’avoir qu’un SIRH.
Le projet ROC : des retards mais de grandes ambitions
Le bloc « Mes activités » a connu des retards dans sa réalisation (fin de développement de 2018 à mai 2019) et dans sa première mise en service (le 2 juin 2020 au lieu de juin 2019). En 2018, la réalisation du bloc « Mes activités » a été effectuée en parallèle de la fonctionnalité e-billets réalisation avancée du fait de la disparition imposée du bulletin unique de transport (BUT) par la SNCF, ce qui explique une grande partie du retard. Le retard pris pour le bloc « Mes activités » a entraîné de fait un retard pour tous les autres blocs.
La réalisation du flux « candidats recrutés » avec le SIRH CONCERTO de l’armée de terre a été finalisée avec retard (plus d’un an) du fait de la complexité de l’architecture technique et d’un manque de ressource humaine.
Le bloc « Mon suivi médical » a été reporté de plus de deux ans (été 2019 à fin 2021) en commun accord avec la DCSSA afin d’être en phase avec le SI AXONE.
L’intégration (de 2020 à 2021) de nouvelles fonctionnalités pour la réserve opérationnelle de disponibilité (R02), décidée en comité directeur Réserves de juin 2019, a aussi provoqué un retard (5 mois) de réalisation des blocs fonctionnels initialement prévus.
Enfin, un retard a été constaté pendant la phase de confinement d’une semaine par mois (du fait de la difficulté de coordination et de contacts plus précis) pendant la période de confinement (mars à mai 2020) et d’une semaine par trimestre pendant les phases de restrictions de déplacements de juin 2020 à ce jour.
Source : ministère des Armées.
En tout état de cause, l’achèvement du projet ROC est un élément-clé pour l’attractivité des réserves du ministère des Armées à l’avenir. Il a pris beaucoup de retard. Parmi les blocs officiellement mis en service, beaucoup seraient encore inopérants pour la plupart des réservistes, comme le bloc « mes activités ». Le bloc « mes contrats » ne contiendrait qu’un modèle de contrat type. Seul le bloc « e-billet » ou « mes déplacements » suscite une unanime satisfaction.
Selon de jeunes réservistes militaires, le manque de digitalisation se traduit également par l’absence d’outils de communication sécurisés pour les réservistes contraints d’échanger ou de recevoir des informations sensibles sur des plateformes numériques insuffisamment protégées.
Les réservistes sanitaires attendent, eux, parfois plus de huit mois pour être indemnisés, ce qui suscite des difficultés de trésorerie pour les professionnels exerçant en libéral. Le système d’information et les serveurs de la réserve sanitaire ont « planté » dès le début de l’épidémie de Covid-19 face à l’afflux de connexion de candidats réservistes, comme en 2017 après l’ouragan Irma, une situation extrêmement problématique qui a suscité une grande incompréhension.
d. Une gestion des compétences parfois insuffisante
Beaucoup de réservistes rejoignent les réserves avec l’intention d’acquérir des compétences ou, au moins, d’augmenter leur employabilité. La problématique des compétences est en réalité triple :
– les réservistes souhaitent que soient mieux reconnues les compétences dont ils disposent au titre de leur activité principale dans la réserve ;
– ils souhaitent que les compétences qu’ils acquièrent au titre de la réserve soient mieux reconnues dans la société civile, au moyen de diplômes, de labels ou d’équivalences ou grâce à une meilleure communication en direction du grand public et des employeurs ;
– ils veulent construire un parcours dans la réserve, qui les amène à acquérir de nouvelles compétences et/ou à exercer des responsabilités.
Le manque de communication des armées sur les activités de leurs réservistes et sur les compétences qu’elles mobilisent a été signalé à plusieurs reprises comme pénalisant, un représentant des employeurs regrettant même « le recroquevillement des armées qui n’ont pas continué leurs efforts de communication vers l’entreprise après la création de la Garde nationale. » Dans la plupart des entreprises, le commandement n’est pas considéré comme une expérience de management et les qualifications nécessaires pour exercer certaines missions militaires sont méconnues quand elles ne font pas l’objet d’un dénigrement alimenté par des clichés. La valorisation des acquis par l’expérience (VAE) est très limitée aujourd’hui et devrait pouvoir se voir donner plus d’ambition. Le lieutenant-colonel (R) Philippe Maze-Sencier, responsable des relations internationales de l’UNOR, a souligné que les réservistes britanniques bénéficiaient de formations reconnues dans le monde civil.
Bien qu’elle s’appuie sur des professionnels déjà formés, la réserve sanitaire dispense aussi des formations permettant de réagir à l’imprévu en adoptant les bons gestes, de prodiguer des soins dans un environnement dégradé, de savoir organiser la prise en charge des victimes, de détecter les traumatismes psychiques et de savoir les prévenir chez les populations touchées, d’organiser un camp de vie pour le quotidien des réservistes. La responsable de la réserve sanitaire, a aussi regretté que les formations dispensées dans ce cadre ne soient pas encore reconnues au titre du développement professionnel continu (DPC). Ce sera bientôt chose faite même si toutes les formations dispensées par la réserve ne pourront y prétendre et devront donc être valorisées autrement.
Les principaux facilitateurs d’engagement pour les réservistes
Réponse à la question « Quels sont, par ordre d’importance, les trois facteurs qui contribueraient le plus à faciliter votre engagement ? », ensemble des répondants réservistes.
Source : consultation citoyenne.
Les réservistes sont aussi très affectés par des rigidités qui ne sont pas toujours justifiées. Certaines découlent des conditions d’accès à certaines réserves (aptitude physique, compétences professionnelles) et doivent sans doute être mieux expliquées ou une réorientation doit être rapidement proposée au réserviste en adéquation avec son envie de servir. D’autres mériteraient d’être simplement remises en cause.
De manière générale, les jeunes volontaires, dont la situation personnelle peut connaître des évolutions rapides et importantes durant leur engagement (changement de résidence, fin d’études, nouvel emploi, changement de la situation familiale) sont nombreux à souhaiter que la réserve offre des passerelles ou des parcours permettant de mieux faire face à une disponibilité fluctuante. De l’avis des représentants de l’UNOR, en effet, il n’est pas judicieux de se priver d’un réserviste formé. Il est préférable de le conserver avec un faible nombre de jours d’activité plutôt que de le « perdre » totalement. Le général de division Olivier Kim a ainsi indiqué aux rapporteurs que la gendarmerie nationale avait cessé de faire « la chasse aux dormants » pour cette raison.
Les réservistes de la gendarmerie nationale font état de difficultés incommensurables pour passer d’une région à une autre quand ceux des armées pointent la difficulté de changer d’unité.
Les rapporteurs pensent aussi que l’impossibilité d’employer un réserviste militaire à la demi-journée pourrait être reconsidérée.
B. Un déficit de pilotage avant tout politique
Les rapporteurs déduisent des analyses qui précèdent qu’un risque de dévoiement des réserves est constitué, ainsi qu’un risque de porter atteinte durablement à la dynamique d’engagement dans notre pays. Ce risque advient alors que deux gouvernements successifs ont fait des réserves une priorité politique. Cette priorité affichée ne s’est pas accompagnée d’une clarification des missions assignées aux réserves, de leur doctrine d’emploi, d’orientations budgétaires cohérentes ou stables, de mécanismes de contrôle ou d’évaluation.
Il est temps que les réserves reviennent au cœur du débat politique et que le Parlement se saisisse de cette question.
1. Une doctrine d’emploi qui reste floue tout comme les budgets
Les rapporteurs observent en premier lieu que la doctrine d’emploi des réserves est souvent floue.
a. Une gestion souvent opportuniste sans expression de besoins préalable
Un défaut fondamental caractérise de longue date l’organisation de la réserve opérationnelle des armées, dûment identifié et exposé en 2010 par les sénateurs Michel Boutant et Joëlle Garriaud-Maylam dans leur rapport d’information précité : « l’absence d’une réflexion approfondie, d’ordre doctrinal, sur l’emploi des réserves, qui – comme toute bonne doctrine militaire – serait fondée sur l’analyse d’un besoin et la construction de différents scénarios en fonction de l’intensité de ce besoin. » Toutefois, depuis 2015, les armées intègrent la réserve dans la réponse aux contrats opérationnels.
D’après les données tirées de la consultation citoyenne lancée par les rapporteurs via le site Internet de l’Assemblée nationale, les réservistes opérationnels de premier niveau des forces armées sont plus de 30 % en moyenne à réaliser des tâches qui ne paraissent pas directement liées à leur formation militaire ou à leur rôle dans la réserve (création d’une base de données, rénovation d’un site Internet, kinésithérapie, tâches administratives…) contre 22 % dans la gendarmerie nationale. Plus les réservistes sont jeunes, plus ils ont de chances d’effectuer ces tâches.
b. Une réflexion doctrinale parfois imposée par les circonstances
L’expérience des sapeurs-pompiers volontaires et de la réserve sanitaire montre combien cette réflexion doctrinale est nécessaire.
Comme l’ont relaté plusieurs réservistes sanitaires, la réserve sanitaire a été quelques fois utilisée pour compenser des carences structurelles de l’offre de soins dans certaines régions, ce qui est un dévoiement de ses missions, et a valu aux réservistes sanitaires arrivant dans certains hôpitaux un accueil hostile. Pour la responsable de la réserve sanitaire, ce genre de pratiques menace directement la réserve sanitaire, tout comme le recours à la réserve sanitaire en cas de grève. En dépit de la réticence de la responsable de la réserve sanitaire et du directeur général de Santé publique France, en mai 2019, à la demande du ministère, une alerte a été envoyée aux réservistes sanitaires après une demande formulée par une ARS de mobilisation d’urgentistes et d’infirmiers pour pallier l’absence de grévistes. Un seul professionnel s’est porté volontaire, les autres refusant de se mobiliser par solidarité. Cet épisode a conduit le directeur général de Santé publique France à proposer l’instauration d’une interdiction pure et simple du recours à la réserve sanitaire en cas de mouvement de grève. La doctrine d’emploi de la réserve sanitaire a depuis été rigoureusement définie. Elle ne peut être saisie que dans des circonstances particulières. Toute demande implique de remplir un formulaire écrit justifiant la demande de renfort. Pourtant, l’équipe de la réserve sanitaire reçoit encore régulièrement des demandes de renfort qui vise à compenser des carences structurelles de l’offre de soins.
Le recours massif aux sapeurs-pompiers volontaires, au point que ceux-ci assurent aujourd’hui 80 % des secours en France, soumet l’organisation de la sécurité civile aux aléas de la disponibilité de ces volontaires. Elle porte en germe un risque financier considérable si l’application du droit européen conduisait en effet à considérer qu’un sapeur-pompier volontaire doit respecter la durée maximale du travail fixée par les traités européens. Cette réserve est donc à l’aube d’une profonde refondation.
c. Des budgets considérés comme une variable d’ajustement
Comme l’a conclu la Cour des comptes dans son rapport d’avril 2019 sur les réserves de la gendarmerie et de la police nationale, « le recours accru à la réserve et la définition d’objectifs d’augmentation de son activité, n’ont pas été accompagnés des choix budgétaires correspondant à ces ambitions fortement médiatisées. »
Si les rapporteurs se félicitent de la stabilisation du budget alloué aux réserves au ministère des Armées, ils constatent que c’est l’utilisation des réservistes pour pallier des carences structurelles qui fait des réserves une variable d’ajustement. Il convient de sortir de cette logique et de réaffirmer des priorités.
Un effort doit aussi être consenti au profit du budget de la réserve sanitaire pour qu’elle ait une crédibilité.
2. Une information et une implication insuffisante du Parlement
Les rapporteurs constatent que les parlementaires n’ont aucun moyen de suivre régulièrement l’évolution des budgets relatifs aux réserves.
a. Des budgets non identifiés et pas d’indicateurs de performance
Un rapport annuel est théoriquement adressé au Parlement chaque année par la Garde nationale mais il est présenté avec un an de décalage en moyenne et n’a que rarement donné lieu à une présentation au sein des commissions. Par ailleurs, les informations qu’il contient en font davantage une brochure promotionnelle qu’un véritable rapport.
Les rapporteurs demandent que les projets et rapports annuels de performances (PAP et RAP) incluent dorénavant les indicateurs suivants, pour toutes les réserves :
– le nombre de réservistes, en distinguant la part des anciens professionnels des volontaires issus de la société civile ;
– le taux de sélection lors du recrutement, ainsi que différents taux d’attrition à un an, deux ans, cinq ans, dix ans, et la durée moyenne d’engagement ;
– la répartition socio-démographique des réservistes et leur moyenne d’âge permettant d’apprécier la diversité de la réserve et son ancrage dans la société civile ;
– le nombre de vacations effectuées et le nombre d’ETPT correspondant, par an et pour chaque mois de l’année ;
– le taux d’emploi des réservistes, qui permet d’évaluer la qualité de la gestion du vivier ;
– la répartition de l’emploi, afin de repérer une éventuelle concentration de l’emploi sur certains profils, source d’insatisfaction et surtout signe d’un éventuel problème de recrutement, de formation ou de disponibilité du vivier, ainsi que des « trappes à activité » ;
– le délai moyen de paiement de la solde ou de l’indemnité ;
– une distribution des rémunérations perçues par les réservistes.
Les PAP et les RAP devront aussi rappeler les objectifs de la réserve, les conditions de rémunération des réservistes (solde, indemnité, défraiements…) ainsi que les prélèvements fiscaux et sociaux dont ils sont, le cas échéant, exonérés, les règles de cumul de rémunération en vigueur, ainsi que les limites afférentes au nombre de jours d’activité, à l’aptitude ou à l’âge.
La création d’un document de politique transversale (DPT) pourrait aussi être envisagé afin de prévenir la généralisation de mesures adoptées dans un ministère sans nécessité ou, au contraire, d’harmoniser certaines dispositions pour éviter une concurrence délétère entre les réserves.
Proposition n° 5 : inclure dans la documentation budgétaire des indicateurs de performance et des données permettant de mesurer la contribution des réserves aux programmes
Proposition n° 6 : créer un document de politique transversale (DPT) regroupant les dépenses afférentes aux réserves et permettant notamment de suivre les exonérations de prélèvements fiscaux et sociaux
b. Des évolutions législatives fréquentes mais dont la mise en œuvre n’est pas suivie
Le secrétaire général de la Garde nationale n’a été entendu qu’une seule fois depuis le début de la XVe législature à l’Assemblée nationale. Il n’a jamais été entendu au Sénat. Les associations de réservistes ou des représentants du CSRM n’ont jamais été entendues en commission par l’une ou l’autre des deux assemblées. Le contrôle du Parlement sur l’usage de ces deniers publics est donc largement perfectible.
Les rapporteurs estiment que l’application des dispositions législatives adoptées ces dernières années doit être mieux suivie.
Comme l’avait relevé M. Gassilloud, l’article 12 de la loi de programmation militaire de la loi de programmation militaire 2019-2025, permettant à un militaire placé en congé pour convenances personnelles de souscrire un engagement à servir dans la réserve opérationnelle pour élever un enfant de moins de huit ans, n’a en effet jamais été appliqué.
Les dispositions de l’article L. 4221‑5 du code de la défense qui prévoient que si l’employeur maintient la rémunération du salarié, celle-ci, ainsi que les prélèvements sociaux y afférent entrent dans le champ de l’article L. 6331‑1 du code du travail et sont inclus dans le cadre de la participation des employeurs au financement de la formation professionnelle, n’a pas d’équivalent dans le code de la sécurité intérieure, tandis qu’il a son pendant chez les sapeurs-pompiers volontaires.
Proposition n° 7 : obtenir un bilan détaillé des dispositions législatives adoptées relatives aux réserves
c. Une évaluation insuffisante
Les conséquences de l’augmentation très significative du nombre de jours d’activité pouvant être effectués par un réserviste militaire par l’article 17 de la même loi n’ont pas non plus été évaluées alors qu’elles pourraient se traduire par une quasi-professionnalisation préjudiciable à l’ouverture de la réserve et manifestée par l’éviction, ou la moindre participation, des jeunes volontaires ab initio. Les effets du report de la limite d’âge pour les réservistes spécialistes, prévu à l’article 19 de la LPM, devra aussi être évalué.
Les rapporteurs demandent, à l’instar de la Cour des comptes, que soit enrichi le rapport annuel destiné au Parlement sur l’état des réserves militaires et civiles des armées, de la gendarmerie et de la police et que soit adoptée, pour toutes les composantes de la réserve une même définition des données. Le rapport devra respecter un modèle normé qui permette de suivre, dans la durée, l’évolution et la réalisation des objectifs des réserves.
Proposition n° 8 : enrichir le rapport annuel destiné au Parlement sur l’état des réserves militaires et civiles de défense et de sécurité avec des données comparables permettant de suivre l’évolution des objectifs fixés aux réserves
C. Des succès réels mais largement méconnus
Toutes les limites soulignées ci-dessous ne doivent pas faire oublier les exceptionnelles réussites des réserves et la chance qu’elles représentent pour notre pays.
Il convient de souligner à nouveau la parfaite intégration des réservistes de la RO1 dans nos armées. La RO1 de 2020 n’a ainsi plus grand-chose à voir avec celle d’avant 1999 qui était une armée prête à la mobilisation générale avec des unités de réserve dérivées des unités d’active jusqu’au niveau de la division. L’armée d’active était ainsi doublée d’une armée de réserve avec des équipements en propre, de moindre qualité. Cette armée de réserve qu’on a pu appeler « l’armée fantôme » comportait avant la réforme de 1999 trois millions de soldats. Cet héritage a une forte prégnance sur l’image du réserviste dans l’opinion publique.
Aujourd’hui, rien ne permet plus de distinguer un réserviste opérationnel d’un militaire d’active ou d’un sapeur-pompier professionnel. Leur équipement est similaire à celui des professionnels du service actif. Leur formation leur permet de contribuer véritablement aux missions opérationnelles. Les réservistes opérationnels contribuent de manière importante au dispositif Sentinelle, sans aucun accroc à ce jour. Au contraire : en 2017, c’est une caporale-cheffe de réserve de la base aérienne de Nancy et deux de ses camarades qui sont attaqués par un assaillant et parviennent à le neutraliser avec un sang-froid remarquable ; la même année, c’est un caporal de réserve de 24 ans, du 1er régiment du génie de Laudun, dans le Gard, qui a abattu l’attaquant au couteau à la gare de Marseille-Saint-Charles après qu’il a poignardé deux jeunes filles ; en 2018, à Strasbourg, une patrouille de réservistes a fait feu sur l’attaquant, touchant son arme. Dans chaque armée et service employeur, ces réservistes apportent en outre un concours régulier à l’encadrement et à la réalisation des actions de recrutement et de formation. Ils sont notamment mobilisés pour les besoins de l’organisation des préparations militaires.
En 2017, après le passage de l’ouragan Irma dans les îles du nord de l’arc antillais, 700 réservistes de la gendarmerie nationale ont répondu, en quelques heures, à l’appel à volontaires pour un engagement de trois mois dans des conditions difficiles : 145 ont été déployés, dont 91 étaient des réservistes opérationnels « ab initio ». 73 % des employeurs de ces réservistes ont spontanément accepté leur départ.
Les armées ont rempli les objectifs de remontée en puissance qui leur ont été assignés aux lendemains des attentats de 2015 et 2016. En cinq ans, les effectifs des réserves des armées ont augmenté de 50 %. Le budget a lui aussi été doublé et il a permis de porter la moyenne du nombre de jours à d’emploi à 37 jours, conformément aux objectifs fixés, contre 17 jours en moyenne en 2014. Cette prouesse, en termes de recrutement et de formation, mérite d’être soulignée, même si elle doit aujourd’hui laisser la place à une approche plus qualitative.
Dans la gendarmerie nationale, même si les cibles ont été revues à la baisse (de 40 000 à 30 000), l’emploi des réservistes contribue aux missions de la gendarmerie à hauteur de 5 % des équivalents temps plein travaillés. Et 80 % des missions de secours sont aujourd’hui assurées par des sapeurs-pompiers volontaires.
À l’approche des grands évènements prévus d’ici 2030, à savoir la coupe du monde de rugby en 2023 ou les Jeux olympiques et paralympiques de 2024, les états-majors comptent plus que jamais sur les réservistes pour assurer la sécurité de tous.
2. Un succès pour la formation et l’insertion des jeunes
Les réserves sont aussi un tremplin pour accéder à l’emploi ou pour découvrir des formes d’engagement pour des milliers de jeunes. À l’issue des préparations militaires de la marine nationale, par exemple, environ 15 % des stagiaires s’engagent comme militaire d’active et environ 3 % s’engagent dans la réserve. 20 % des réservistes opérationnels démissionnaires de la gendarmerie nationale deviennent ainsi militaires d’active, beaucoup utilisant la possibilité de devenir sous-officier par concours interne.
Le service civique a permis à près de 500 000 jeunes volontaires de s’engager depuis 2010, en France et à l’étranger. À l’issue d’un service civique, 44 % des anciens volontaires estiment que le dispositif a eu une influence positive sur leur envie de faire du bénévolat. Ils sont 20 % à donner du temps toutes les semaines contre 15 % pour les jeunes de 18-25 ans en général. ([52])
3. Un succès pour la cohésion nationale
Les réserves contribuent directement à la cohésion nationale, soit par l’expérience d’une mixité sociale retrouvée, citée comme un atout et une des premières motivations de s’engager par beaucoup de réservistes. 68 % des volontaires du service civique ont eu le sentiment de vivre une expérience de mixité sociale.
Les réservistes contribuent plus largement à la cohésion nationale, par leurs missions. Les réservistes opérationnels de défense et de sécurité permettent d’améliorer le maillage territorial, de renforcer la présence des forces de défense et de sécurité sur le territoire. Ils sont fréquemment employés dans les délégations militaires départementales où ils contribuent à l’animation – particulièrement nécessaire en temps de crise – des relations civilo-militaires. Les réservistes sanitaires sont, par définition, une modalité de solidarité nationale.
Les réservistes citoyens participent directement aussi de ces relations grâce à leur rôle facilitateur.
III. Une nouvelle ambition à définir pour 2030
Les rapporteurs constatent que la volonté d’engagement est toujours aussi vive chez nos concitoyens, et qu’elle tend même à s’accroître en réaction aux multiples crises que traverse notre pays. Comme l’a souligné à juste titre une personne entendue par les rapporteurs, « au-delà d’un coup de projecteur, c’est de réflexion et de réformes pérennes dont la réserve a besoin. »
Conscients que leurs propositions mériteront d’être débattues et affinées, les rapporteurs estiment que le meilleur service qu’ils puissent rendre aux réservistes, c’est de proposer une stratégie nationale avec des objectifs clairs à horizon 2030 à laquelle doivent être associées des priorités budgétaires stables.
Comme l’ont mis en évidence le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013 et la Revue stratégique de défense et de sécurité nationale en 2017 et 2021, nous ferons face, de manière croissante, à des crises plus complexes, articulant, par exemple, les dimensions diplomatiques, économiques, militaires ou cyber ; associant des catastrophes climatiques et sanitaires ; requérant de lutter contre la propagation de fausses nouvelles et de maintenir un haut niveau de confiance entre les citoyens et leurs services publics.
Les réserves peuvent contribuer de manière déterminante à rendre notre Nation plus résiliente à l’avenir. Elles offrent une opportunité de s’engager au service des autres, de découvrir d’autres mondes professionnels, de connaître le fonctionnement des pouvoirs publics de l’intérieur, d’être acteur et non pas uniquement observateur ou consommateur d’un service public, de jouer un rôle en cas de crise et ne pas seulement subir.
1. Des réserves « stratégiques » pour le temps de crise ou de guerre
Face au risque de crises sur le territoire national et à l’envie d’action des citoyens, il faut réinvestir dans une défense opérationnelle du territoire adaptée aux nouveaux enjeux et sanctuariser une ressource budgétaire cohérente avec les objectifs fixés. Pour autant, il ne faut pas oublier qu’une réserve utile est une réserve bien formée et employée. L’emploi régulier des réservistes doit donc être pris en compte dans le dimensionnement de la réserve.
a. Investir dans une réaction rapide de proximité : la réserve de la gendarmerie nationale
La réserve de la gendarmerie nationale est celle qui paraît la mieux à même aujourd’hui d’être mobilisée rapidement, en tous points du territoire, sous un commandement efficace, pour faire face à une crise nationale ou locale. Le général de division Olivier Kim, commandant des réserves de la gendarmerie nationale, a souligné la spécificité des missions de la gendarmerie, qui contribuent à faire de sa RO1 une réserve « véritablement interministérielle ».
La taille de cette RO1 pourrait être augmentée compte tenu des nombreuses possibilités d’emploi décuplées par la politique de partenariat conduite par la gendarmerie et de la persistance de la menace terroriste. L’entretien de la RO1 de la gendarmerie nationale doit être une priorité budgétaire et non plus une variable d’ajustement.
Face à la menace terroriste militarisée, la formation des gendarmes d’active comme de réserve continuera d’inclure la manipulation d’armes longues.
La RO2 (ou RO21) devrait être davantage convoquée et entraînée.
La réserve de la police nationale pourra compléter ce dispositif sous réserve qu’elle fasse ses preuves en termes d’intégration, de formation et d’emploi des volontaires. Il faudra veiller à ce que cette réserve ne soit ni une variable d’ajustement budgétaire, ni une boîte d’intérim pour combler des lacunes dans la police nationale.
Proposition n° 9 : « sanctuariser » des budgets des réserves de la gendarmerie et de la police nationales cohérents avec leurs objectifs en termes d’effectifs, de formation et d’emploi
Proposition n° 10 : assurer une convocation régulière de la RO21 de la gendarmerie nationale et lui fixer une doctrine d’emploi assortie, au besoin, d’équipements supplémentaires
b. Permettre aux citoyens de s’organiser : les réserves communales
Les rapporteurs ont été profondément convaincu de l’intérêt des réserves communales et saluent l’engagement des maires qui les animent.
Pour un coût très faible, les réserves communales peuvent offrir des possibilités d’engagement ponctuel ou de longue durée à tous les citoyens, quels que soient leurs autres engagements. Il n’est ainsi pas exclu que les réservistes sanitaires ou militaires soient aussi des réservistes communaux. Un engagement de ce type aurait pu leur permettre de mettre à profit leurs compétences et leur bonne volonté pendant la crise sanitaire, de rencontrer d’autres volontaires, d’autres réservistes, ainsi que des citoyens désireux d’apporter un concours ponctuel.
Parce qu’elles sont locales, ces réserves ont une multitude d’atouts pour offrir aux réservistes davantage de reconnaissance, un sentiment d’utilité, et de la mixité sociale. Elles surmontent toutes les difficultés habituellement associées à l’engagement dans la réserve (voir infra, deuxième partie, III. C.).
À l’instar des maires qu’ils ont entendu, les rapporteurs soulignent le besoin d’information des maires sur le cadre d’emploi de ces réserves qui doit rester rigoureux.
c. Disposer d’une réserve stratégique militarisée : l’armée de terre
Les rapporteurs observent que le deuxième objectif de la vision stratégique du chef d’état-major de l’armée de terre a trait à la réserve, ce qui confirme l’importance que l’armée de terre reconnaît à ce sujet. Des trois armées, elle est la seule à avoir engagé une réflexion sur sa stratégie dans ce domaine. Les choix relatifs à l’avenir de cette réserve sont étroitement liés à l’analyse que l’armée de terre fait du contexte sécuritaire et à la manière dont elle envisage de remplir ses contrats opérationnels.
Pour les rapporteurs, un surinvestissement dans les missions de type Sentinelle n’est vraisemblablement pas la bonne orientation à donner aux réserves de l’armée de terre à horizon 2030. En premier lieu, parce que la gendarmerie et la police nationales sont compétentes sur le territoire national et en maîtrisent pleinement le droit. En second lieu, parce que l’armée de terre a d’autres missions qui lui sont propres et doit pouvoir se concentrer sur celles-ci.
À horizon 2030, l’armée de terre devra disposer d’une réserve mieux formée, susceptible de réaliser des missions plus complexes pour répondre à des besoins opérationnels sur le territoire national dans le cadre d’un potentiel conflit de haute intensité. Dans cette optique, l’armée de terre ne doit pas décourager les réservistes qui le souhaitent de participer à des opérations extérieures, sur le modèle de ce que fait l’armée britannique (entre 10 et 30 % des réservistes opérationnels de l’Army partiraient en OPEX).
La dimension de la réserve opérationnelle de premier niveau doit être adaptée à cet objectif de qualification. Il est préférable d’avoir une réserve moins nombreuse, mieux formée et surtout plus employée. Comme l’a fait remarquer le président de l’association nationale des réservistes de l’armée de terre (ANRAT), le taux d’attrition des réservistes opérationnels de l’armée e terre (entre 20 et 22 %) est trop élevé. Il impose à l’armée de terre un effort de recrutement de 5 000 nouveaux volontaires par an, ce qui est coûteux et d’autant plus préjudiciable que les budgets consacrés au recrutement et à la formation de ces milliers de volontaires ne peuvent être utilisés pour d’autres missions, pourtant prioritaires, comme l’emploi des réservistes opérationnels. Les rapporteurs estiment qu’un juste équilibre doit être trouvé entre l’objectif de s’appuyer sur une réserve mieux formée et l’objectif d’ouverture, avec, au besoin, les moyens budgétaires afférents. Il n’est pas exclu qu’une hausse du budget d’activité n’améliore par ailleurs la fidélisation des réservistes. Corrélativement, il faudra consentir des investissements pour équiper et véhiculer cette RO1 rénovée.
La part des volontaires ab initio par rapport aux anciens d’active doit être maintenue proche des 60 % pour garantir la transmission des compétences mais pas en-deçà pour satisfaire à l’impératif de jeunesse et assurer un renouvellement. La part des ab initio dans l’emploi doit augmenter et tendre vers un minimum de 50 %.
Dans un souci d’efficience, les rapporteurs proposent de réinvestir de manière ciblée dans la réserve opérationnelle de deuxième niveau de l’armée de terre, en commençant par les réservistes ayant quitté les forces armées depuis moins de deux ans (RO21). A contrario, il n’est pas utile d’investir au même niveau dans les RO2 des deux autres armées qui sont de toute façon limitée par le nombre de matériels (aéronefs et bateaux). Des exercices de convocation devront être régulièrement organisés, les processus fiabilisés, des centres de mobilisation constitués pouvant abriter des équipements en réserve.
D’ici 2030, l’armée de terre devra préciser de quels équipements ou armements elle aurait besoin en plus selon divers scénarios de crise majeure.
Proposition n° 11 : s’appuyer davantage sur la réserve de la gendarmerie nationale pour la mission Sentinelle
Proposition n° 12 : élaborer une doctrine d’emploi pour la RO1 de l’armée de terre en cas de conflit majeur, avec un budget d’équipement en conséquence
Proposition n° 13 : maintenir au-dessus de 60 % la part des réservistes ab initio dans les effectifs de l’armée de terre et au-dessus de 50 % leur part dans l’emploi à horizon 2030, en application d’un impératif de jeunesse et afin d’assurer une transmission des compétences
Proposition n° 14 : réinvestir de manière ciblée dans la RO21 de l’armée de terre en définissant une doctrine d’emploi de cette réserve en cas de conflit majeur et en lui associant un budget d’équipement
d. Disposer de capacités sanitaires de réaction rapide et de proximité
La réserve sanitaire est une modalité de solidarité entre établissements et entre territoires. Ce qui s’apparente le plus à une capacité de réaction rapide et de proximité de volontaires face à une crise sanitaire, en réalité, ce sont les forces et les réserves de la sécurité civile, autrement dit les sapeurs-pompiers volontaires et les bénévoles des associations agrées de sécurité civile qui ont apporté un soutien précieux car très bien organisé dans certaines régions, en particulier outre-mer, et qui animent encore aujourd’hui de nombreux vaccinodromes. Cela n’a pas été assez dit au moment de la crise sanitaire.
Le budget de la réserve sanitaire doit évidemment être revu à la hausse pour pouvoir doter cette réserve d’outils de gestion crédibles. Les rapporteurs formulent d’autres recommandations dans la seconde partie du présent rapport comme d’imaginer un système à points pour valoriser certains renforts en métropole qui peinent à attirer des réservistes.
Proposition n° 15 : augmenter le budget dédié aux systèmes d’information et à la gestion de la réserve sanitaire
Proposition n° 16 : engager une réflexion sur le rôle que pourrait jouer Santé publique France dans l’animation d’un réseau de professionnels volontaires formés à gérer des situations de crises majeures
Proposition n° 17 : engager une réflexion sur des partenariats solidaires entre établissements de santé de type parrainage
Une réflexion devrait aussi être engagée sur le rôle que devrait jouer Santé publique France dans l’animation d’un réseau de professionnels de santé volontaires formés pour faire face à des crises (attentats, menaces NRBC), sur des partenariats solidaires entre établissements permettant d’ajouter au renfort multi individuel de la réserve sanitaire une modalité de renfort collectif, d’équipes déjà constituées ainsi que sur une organisation du système de santé permettant d’intégrer rapidement des praticiens non hospitaliers (professions libérales, intérimaires, etc.).
2. Conforter les facteurs de souplesse mais exercer un suivi renforcé
Les réserves apportent une souplesse indispensable dans nos forces armées et sont un facteur d’optimisation des ressources dans beaucoup d’administrations. Ces réserves que les rapporteurs ont baptisées « réserves d’efficience » n’offrent pas les mêmes garanties de mixité sociale et d’ouverture à la société civile, ni ne contribuent à la résilience en cas de crise. Leur articulation avec les professionnels du service actif doit être mieux assurée et elles ne devraient pas faire l’objet d’investissements significatifs à l’avenir.
a. Encadrer rigoureusement les réserves d’efficience
Dans les forces armées et la police, les rapporteurs invitent à s’assurer que les réserves ne couvrent pas de besoins permanents et que la disponibilité des volontaires n’est pas un aléa susceptible de remettre en cause l’accomplissement des missions régaliennes de défense et de sécurité, conformément à la logique qui a prévalu au moment de la professionnalisation des armées.
Le recours aux réserves de défense et de sécurité pour compenser des insuffisances structurelles éloigne ces réserves de leur vocation qui est de contribuer à la sécurité de nos concitoyens, à la cohésion nationale et à l’affermissement d’un esprit de défense.
Les rapporteurs invitent à se prémunir contre la tentation de recourir de manière accrue aux réservistes pour faire face à une hausse de l’activité ou des difficultés de recrutement, au prix de mesures indemnitaires coûteuses. Les sapeurs-pompiers volontaires pourraient servir d’exemple à cet égard et inspirer l’administration pénitentiaire.
Il ne s’agit pas d’une critique générale adressée aux réserves de certaines armées ou de certaines directions. Les retraités réservistes de la police nationale sont bien évidemment mobilisés à bon escient lorsqu’il s’agit d’animer une plateforme téléphonique d’urgence de l’unité de coordination de la lutte antiterroriste (Uclat). Il est aussi tout à fait judicieux que la marine nationale se renforce d’atomiciens et de marins pompiers pendant les arrêts techniques du porte-avion Charles-de-Gaulle ou qu’elle fasse appel à des plongeurs réservistes pour mener à bien ses campagnes de recrutement et de sélection de plongeurs.
Proposition n° 18 : évaluer régulièrement le rapport coût / bénéfice des réserves d’efficience
Proposition n° 19 : adopter des doctrines d’emploi rigoureuses destinées à éviter l’éviction de l’emploi permanent par des réservistes
b. Mieux intégrer les compétences
Le statut des réservistes spécialistes, par son caractère dérogatoire, suscite des enjeux inédits en termes de valorisation et d’animation de la réserve. Plutôt que d’investir dans une surenchère de mesures « d’attractivité », les rapporteurs préconisent de miser sur la valorisation de leurs compétences en faisant mieux connaître leur contribution à l’action des forces armées, en étudiant la possibilité pour ces réservistes de faire valider les acquis de leur expérience, en leur offrant davantage l’opportunité d’intégrer des formations, à l’instar de l’école de guerre canadienne qui a créé une filière spéciale pour les réservistes, une formation aussi valorisée dans le civil.
Il pourrait être aussi opportun d’animer des réseaux de spécialistes et de faciliter leur passage d’une réserve à une autre.
Proposition n° 20 : valoriser les compétences acquises dans les réserves dans le secteur civil ou l’emploi principal
Proposition n° 21 : mieux communiquer sur les savoir-faire, les savoir-être, et les compétences développées par les réserves
Proposition n° 22 : favoriser la constitution de réseaux de professionnels réservistes dans les entreprises ou par branche professionnelle
Proposition n° 23 : accorder davantage de places aux réservistes dans les cursus d’enseignement militaires et étudier la possibilité de créer des filières ad hoc pour offrir aux réservistes un parcours qualifiant
c. Développer les partenariats qui permettent de partager le coût d’animation d’une réserve
La gendarmerie nationale a récemment développé une politique de partenariats lui permettant de partager le coût d’animation de sa réserve avec d’autres acteurs publics en échange de la réalisation de mission. Par exemple, le Royaume-Uni finance l’emploi des réservistes engagés dans la mission Poséidon, à Calais. Île-de-France Mobilités et la SNCF ont signé une convention avec la gendarmerie pour que soit assurée la sécurité des transports régionaux. Ce faisant, la gendarmerie trouve des opportunités d’emploi pour ses réservistes et des moyens financiers. Ce partenariat est d’autant plus vertueux que la gendarmerie compte parmi ses réservistes des salariés de ces entreprises qui connaissent bien le terrain.
Suivant cette idée, les rapporteurs se sont demandés si la direction générale des douanes, par exemple, n’aurait pas intérêt à conclure un partenariat avec la marine nationale pour partager un vivier de réservistes disposant de compétences communes, ou si l’administration pénitentiaire, qui semble avoir besoin de renforts pour faire face à la reprise des missions de transfèrement, ne pourrait pas conclure un partenariat avec la gendarmerie nationale en attendant d’avoir augmenté ses effectifs et plutôt que de consentir à de coûteuses mesures indemnitaires pour ses réservistes.
Proposition n° 24 : évaluer la politique partenariale mise en œuvre par la gendarmerie nationale et étudier l’opportunité de la développer au profit d’autres collectivités territoriales, administrations ou entreprises
Proposition n° 25 : étudier les possibilités de partage du coût de formation de certains réservistes en développant des troncs communs à plusieurs réserves
d. Empêcher d’éventuelles dérives et limiter les conflits d’intérêts
Le cadre d’emploi des réserves devrait être précisé et mieux connu, c’est-à-dire publié. Il n’est pas acceptable que des réservistes soient employés pour « casser » une grève des professionnels du service actif, qu’ils pallient des carences structurelles ou qu’ils effectuent des tâches manifestement sans rapport avec leur engagement.
L’emploi des réservistes n’a pas non plus vocation à être au service d’ambitions individuelles : ainsi, le réserviste communal n’appartient pas à « la milice du maire » et le réserviste citoyen des armées n’est pas un conseiller en reconversion professionnelle à la disposition de son autorité. Il n’est pas non plus acceptable qu’un réserviste en contact avec le public profite de son engagement pour faire la promotion des services de sa société.
Pour lutter contre ces dérives, évidemment très marginales, il faut que la doctrine d’emploi soit formalisée. Les chartes en tout genre n’ont guère d’intérêt si elles ne sont pas assorties de mécanismes de contrôle. Les réservistes doivent avoir des droits, notamment celui de connaître la motivation de leur non-emploi ou du non-renouvellement de leur engagement, et disposer d’instances de recours.
Proposition n° 26 : systématiquement motiver le non-emploi d’un réserviste ou le non-renouvellement de son engagement
Proposition n° 27 : mettre à la disposition des réservistes des voies de recours en cas de conflit ou pour signaler des infractions déontologiques, à l’instar de ce dont disposent les professionnels du service actif
Proposition n° 28 : conduire des inspections internes régulières sur le respect de la doctrine d’emploi des réservistes et le respect des règles déontologiques
Les rapporteurs notent qu’un sapeur-pompier volontaire condamné pour escroquerie – il avait conservé le produit de la vente des calendriers – a pu rester sapeur-pompier volontaire, faute d’avoir signalé cette condamnation. Cet épisode montre quels défis nouveaux suscite l’emploi de réservistes par les armées, les forces de sécurité intérieure et les pouvoirs publics.
Aucune disposition légale n’oblige un militaire, et donc un réserviste, à informer sa hiérarchie d’une condamnation pénale. Si les faits sont commis dans l’exercice du service, l’autorité militaire sera soit à l’origine de la dénonciation soit informée des faits par le biais de la demande d’avis prévue à l’article 698-1 du code de procédure pénale. Le ministère public a la possibilité d’informer par écrit l’administration des décisions de condamnation, même non définitives, rendues contre une personne qu’elle emploie, sous réserve que cette transmission, portant un sur un crime ou un délit puni d’emprisonnement, soit nécessaire pour mettre fin ou prévenir un trouble à l’ordre public ou assurer la sécurité des personnes ou des biens (art. 11-2 du code de procédure pénale). L’information de l’administration d’emploi par le procureur de la République devient obligatoire dans le cadre de la procédure applicable aux mineurs victimes d’infractions sexuelles (art. 706-47-4 du code de procédure pénale) pour les personnes exerçant une activité professionnelle ou sociale contrôlée par l’administration impliquant un contact habituel avec des mineurs. Pris en application, l’article 47-9-1 II. du code de procédure pénale vise notamment les personnels exerçant une activité dans une école ou un établissement scolaire relevant du ministre chargé de la défense. L’appartenance à une réserve complique bien évidemment la mise en œuvre de ces dispositions.
Proposition n° 29 : s’assurer que les réservistes aient l’obligation de signaler toute condamnation pénale à leur autorité de gestion
Santé publique France s’assure pour sa part que les professionnels de santé qu’elle envoie en mission sont bien inscrits à l’ordre dont ils dépendent. Ce contrôle est renforcé par le fait qu’elle demande un curriculum vitae à jour et des bulletins de salaire récents avant chaque mission.
3. Renforcer la cohésion nationale et l’insertion des jeunes
Le lien armées-nation et le renforcement de la cohésion nationale sont des objectifs de politique publique qui justifient l’octroi de crédits budgétaires. Une partie de la ressource budgétaire allouée aux réserves dites « stratégiques » devra donc correspondre à cette mission en sus des investissements requis par l’objectif de résilience. Les rapporteurs souhaitent en effet que les réserves qui offrent une formation à des volontaires continuent de les accueillir (gendarmerie nationale, armées, service civique). La ressource budgétaire devra être fonction de ce que les services de l’État précités sont en mesure d’offrir à ces citoyens, en termes de qualifications et de perspectives d’emploi. Cette doctrine permet par exemple de continuer à accueillir des jeunes dans les réserves opérationnelles de certaines, au titre du pré-recrutement et/ou du rayonnement, entendu comme de la formation qualifiante.
Le budget de la réserve sanitaire, mécanisme de solidarité nationale dans le domaine de la santé capable de répondre à des crises locales à la cinétique lente, mérite aussi d’être revalorisé à ce titre. Afin que la réserve sanitaire reste une modalité de solidarité nationale, et qu’elle bénéficie à tous les territoires, les rapporteurs suggèrent aussi d’examiner l’opportunité de mettre en place un système à points pour valoriser certains renforts et engager en priorité à Tahiti ou en Polynésie française les réservistes les plus efficaces ou dévoués. Cette idée n’est pas exclusive d’une revalorisation ciblée de l’indemnité de réserviste en fonction des missions, cette option étant certainement plus adaptée pour des missions ou des compétences rares.
Proposition n° 30 : étudier l’idée d’un système à points ou d’une valorisation différenciée des renforts effectués en métropole pour les réservistes sanitaires
La réserve civique, qui offre un cadre pour un engagement bénévole ponctuel, peu contraignant, mérite peut-être d’être davantage animée. À ce jour, sa plus-value par rapport au secteur associatif n’est pas avérée et il n’est pas certain que son existence ne nuise pas au secteur associatif. Les rapporteurs préconisent au moins d’envisager un changement de terminologie et de resserrer la notion de « réserve » à des ensembles de volontaires formés, fidélisés, disposant d’une identité stable dans le temps et d’une tenue distinctive. Un rapport régulier du Gouvernement à la représentation nationale pourrait faire le point sur l’impact de la création et de la montée en puissance de la réserve civique et du service civique et sur la manière dont ces projets s’articulent avec le secteur associatif, d’une part, et les réserves, d’autre part. Un tel bilan permettrait de bien mesurer les atouts et les difficultés de la coopération entre des initiatives publiques et le secteur associatif. Il consoliderait l’ouverture des collectivités publiques à la société civile et poserait les jalons d’une confiance restaurée et d’un dialogue renouvelé.
Proposition n° 31 : évaluer l’apport du statut de réserviste civique par rapport à l’engagement associatif et les besoins financiers nécessaires à une meilleure animation des réserves civiques
B. Des réserves mieux connues et mieux reconnues
Améliorer la visibilité des réserves est un impératif à double titre : d’abord pour favoriser le recrutement, mais aussi, et surtout, pour témoigner davantage de reconnaissance aux réservistes.
1. Adopter une politique de communication multi-publics plus ambitieuse
Une politique de communication ambitieuse et professionnelle doit être conduite en s’appuyant sur plusieurs canaux.
a. Sensibiliser et présenter les possibilités d’engagement à la jeunesse
Un consensus se dégage sur l’idée de renforcer l’information sur les réserves militaires et de sécurité civile à l’école, plus précisément durant l’enseignement secondaire. La promotion des réserves pendant la journée Défense et citoyenneté (JDC), pendant laquelle elles sont généralement citées, est jugée insuffisante. Il n’y a pas de passerelles vers le site de la Garde nationale depuis le portail numérique permettant le recensement.
La formation civique et citoyenne obligatoire de trois jours des jeunes volontaires du service civique pourrait être complétée par une présentation des réserves, dans l’intérêt de celles-ci mais aussi des jeunes, qui pourraient y trouver des perspectives d’emploi à terme. Le livret d’accueil en service civique, en cours de refonte, pourrait lui aussi intégrer des éléments sur les réserves. Bien que l’accès au service civique et à la réserve civique soit universel (sans conditions) et que l’accès à la plupart des réserves repose sur des conditions d’aptitude et de motivation, leur recrutement est largement ouvert.
Proposition n° 32 : intégrer une présentation des réserves dans la formation civique et citoyenne et dans le livret d’accueil des jeunes volontaires du service civique
Le service national universel (SNU) constitue évidemment une opportunité de sensibiliser les jeunes participants à l’importance des réserves dans lesquelles ils pourraient d’ailleurs s’engager pour la phase 3 du SNU. Le renforcement du dispositif des « cadets de la défense » qui propose aux jeunes un programme de 14 demi-journées d’initiation dans leur lycée, suivies d’un stage de cinq jours sur un camp militaire, mériterait évidemment d’être développé. Au Royaume-Uni, les cadets de l’Army sont environ 30 000.
Proposition n° 33 : poursuivre le soutien au dispositif des cadets de la défense et s’appuyer sur le SNU pour présenter les opportunités d’engagement dans les réserves
Enfin, comme cela a été souligné à maintes reprises au cours des auditions, le phénomène du réserviste « clandestin » a aussi des causes culturelles, en l’espèce les préjugés dont sont encore l’objet les armées et les forces de sécurité. Si les réserves peuvent directement contribuer à réduire ces préjugés – c’est d’ailleurs une de leurs ambitions – l’enseignement de la défense à l’école doit aussi y contribuer. Comme l’ont proposé les Jeunes IHEDN, les rapporteurs estiment que les ministères devraient travailler à l’élaboration de ressources pédagogiques claires à mettre à la disposition de tous les acteurs en lien avec la jeunesse. Outre les enseignants, il faudrait aussi penser à rendre destinataires de cette « malette pédagogique » les animateurs de centres de loisirs, les conseillers d’orientation, les associations sportives, etc.
Proposition n° 34 : élaborer une « mallette pédagogique » sur les réserves à destination de tous les acteurs en contact avec les jeunes (enseignants mais aussi animateurs de centres de loisirs, conseillers d’orientation, associations sportives, etc.)
b. Élaborer un vade-mecum clair sur l’engagement citoyen en France en plus de l’information ministérielle
Il manque indubitablement un vade-mecum clair et attractif sur l’engagement citoyen en France en plus des nombreuses plateformes internet et de l’information ministérielle.
Comme l’a souligné le chef d’état-major de l’armée de terre, le recours au vocable de l’engagement n’est pas sans ambiguïté. Le site www.sengager.fr est en réalité le site de recrutement dans l’active de l’armée de terre.
À l’instar de Mme Béatrice Angrand, présidente de l’agence du service civique, les rapporteurs considèrent qu’un portail Internet unique doit présenter toutes les options disponibles à destination des jeunes tandis qu’une publication pourrait concerner plus spécifiquement l’engagement tout au long de la vie en donnant des exemples de parcours.
Proposition n° 35 : élaborer un portail Internet unique présentant l’ensemble des possibilités d’engagement et d’emploi pour les jeunes
Proposition n° 36 : élaborer un autre portail destiné à tous les âges et éditer une brochure sur « l’engagement tout au long de la vie » avec des exemples de parcours de réservistes et de bénévoles
Ce vade-mecum doit être complété par une publication dédiée aux relations entre les volontaires ou réservistes et leurs employeurs, rappelant aussi les règles relatives au temps de repos obligatoire, les règles relatives à la protection sociale. Les employeurs étant particulièrement demandeurs d’information et d’interlocuteurs, il serait judicieux d’émailler la publication de numéros gratuits renvoyant à des interlocuteurs susceptibles de les conseiller à propos de leurs relations avec leurs réservistes dans les différents ministères.
Proposition n° 37 : éditer un vade-mecum clair des relations entre les volontaires, les réservistes et leurs employeurs
Proposition n° 38 : mettre en relation les employeurs avec des conseillers susceptibles de leur présenter le droit en vigueur et de les rassurer sur la conciliation entre activité de réserve et activité professionnelle
c. Donner de la visibilité dans les médias et sur les réseaux sociaux
Une meilleure connaissance et une meilleure reconnaissance des réservistes impliquent que ceux-ci soient plus visibles de la population en général. Les médias télévisuels et les réseaux sociaux, parce qu’ils permettent de manifester visuellement l’intégration des réservistes à l’active et de valoriser leur expérience, sont des canaux de communication indispensable. Un effort doit être consenti dans ce domaine.
L’intégration des réservistes militaires dans les unités d’active a été citée comme un frein à l’organisation de cette visibilité. Certains peuvent craindre que mettre en avant les réservistes ne soit dévalorisant pour l’active ou que cela ne réduise les moyens dédiés au recrutement dans l’active. Pour les rapporteurs, il n’en est rien. Valoriser l’activité des forces armées contribue indirectement à valoriser les réservistes et l’active.
La responsable de la réserve sanitaire considère elle aussi que ces médias sont indispensables et souhaiterait que le ministère de la Santé achète des espaces publicitaires pour promouvoir la réserve sanitaire.
Proposition n° 39 : valoriser la formation et le rôle des réservistes au moyen de spots télévisés également diffusés dans des formats cours sur les réseaux sociaux
d. Organiser des évènements emblématiques pour favoriser les rencontres entre réservistes
Les rapporteurs estiment que des évènements dédiés, au niveau national et local, pourraient contribuer à valoriser les réservistes.
Au niveau national, la participation au défilé du 14-Juillet a été une mesure très appréciée par les réservistes sanitaires. Cette mesure symbolique a un intérêt évident. Toutefois, de nombreux réservistes militaires ont mis en garde contre la tentation de les faire défiler à part de leurs pairs d’active, une mesure qui ne serait pas souhaitable. Il existe néanmoins d’autres manières de mettre les réservistes à l’honneur en ce jour de fête nationale.
Proposition n° 40 : utiliser le 14-Juillet pour mettre à l’honneur les réservistes
La journée nationale du réserviste, instituée en 1999 et prévue à l’article L. 4211‑8 du code de la défense, a été judicieusement étalée sur plusieurs jours au cours d’un même mois afin de mieux tenir compte des disponibilités variables des réservistes, de celles de leurs pairs d’active ainsi que des spécificités locales. Elle donne lieu à une multitude d’évènements. Cependant, de l’avis de la plupart des associations entendues, il manque aujourd’hui un temps fort dédié aux réservistes militaires.
Les rapporteurs estiment qu’une réflexion devrait être engagée avec les acteurs de la mémoire et du monde combattant pour faire des commémorations nationales un moment fort de la transmission entre les anciens d’active et les combattants d’aujourd’hui, dont les réservistes.
Proposition n° 41 : engager une réflexion avec le monde associatif combattant sur la manière de faire des commémorations nationales un moment fort de la transmission entre les anciens et les combattants d’aujourd’hui, dont les réservistes
Au niveau local, les rapporteurs estiment que les maires pourraient davantage chercher à organiser des évènements en l’honneur des citoyens engagés, qu’ils soient bénévoles dans des associations ou réservistes. Il n’est pas question pour le maire d’être destinataire de listes de réservistes ou de bénévoles mais plutôt de sensibiliser ces élus de terrain aux nombreux réservistes qu’ils peuvent rencontrer au cours de leur mandat et qui pourraient, dans certaines circonstances, être d’une aide précieuse s’ils intègrent leur réserve communale de sécurité civile.
Proposition n° 42 : renforcer l’information des maires sur les réserves et les inciter à organiser des évènements dédiés aux réservistes et bénévoles de la commune afin de rendre hommage à leur engagement et de les inciter à intégrer une réserve communale
L’information des élus, et en particulier des maires, a un intérêt pour la promotion des réserves et en cas de crise.
a. Renforcer l’animation du réseau des correspondants de défense municipaux
Comme l’ont déjà mis en évidence nos collègues Joaquim Pueyo et Pierre Venteau, dans leur rapport de juillet 2020, les relations civilo-militaires pâtissent d’un manque de moyens. Beaucoup de réservistes renforcent d’ailleurs les délégations militaires départementales.
Les correspondants défense des communes forment un ensemble hétéroclite, avec un intérêt variable pour les armées. L’animation de ce réseau est confiée à la direction de la communication du ministère de la Défense (DiCoD). Certains DMD parviennent toutefois à organiser des convocations avec le concours matériel d’une municipalité mettant à la disposition une salle, faute d’un budget prévu pour l’animation de ce réseau. Plusieurs DMD entendus par la mission d’information ont estimé que le réseau des correspondants municipaux était sous-exploité.
Compte tenu de l’importance que revêtiraient les relations civilo-militaires en cas de crise majeure, les opportunités de partenariats avec des communes et l’enjeu de mieux reconnaître les réservistes, les rapporteurs estiment que des moyens supplémentaires devraient être alloués aux DMD pour l’animation de ce réseau. En effet, beaucoup de DMD ne disposent que de faibles moyens alors que les attentes à leur égard de la part des préfets augmentent. Les DMD qui commandent par ailleurs une base aérienne ou une base navale sont trop peu disponibles et restent en poste trop peu de temps pour nouer des relations durables.
Proposition n° 43 : revaloriser les moyens dédiés à l’animation des relations civilo-militaires, en particulier les délégations militaires départementales (DMD)
b. Créer les conditions du développement des réserves communales
Plus spécifiquement, sous l’égide du préfet, une nouvelle campagne de promotion des réserves communales de sécurité civile pourrait être lancée. Pendant la crise sanitaire, certaines de ces réserves se sont montrées beaucoup plus pertinentes et efficaces que beaucoup de dispositifs nationaux. Elles ont permis de surmonter le sentiment d’inutilité ressenti par beaucoup pendant le premier confinement. Les rapporteurs observent cependant que l’animation d’une réserve communale de sécurité doit éviter beaucoup d’écueils, ce qui impose que le maire soit très bien informé sur le positionnement qu’il peut donner à sa réserve et sur les dérives à éviter.
Proposition n° 44 : conduire une campagne d’information et de sensibilisation avec l’association des maires de France et les préfets sur les réserves communales ; élaborer un kit de lancement incluant des éléments d’information et des contacts utiles pour les maires ; prévoir l’évaluation de ce dispositif et des réserves communales dans les cinq prochaines années
3. Favoriser des relations de confiance avec les employeurs
Les relations entre les réserves, les employeurs et les réservistes qu’ils emploient sont un déterminant crucial du bon fonctionnement des réserves.
Au terme de leur étude, les rapporteurs estiment qu’il faut abandonner les dispositions contraignantes qui n’ont en réalité aucune portée pratique, sont stigmatisantes, suscitent la méfiance des employeurs, poussent les réservistes dans la clandestinité et ne seraient de toute façon appliquées qu’au prix de l’employabilité des réservistes dans la plupart des secteurs professionnels, avec quelques exceptions notables comme la cybersécurité, du fait des conditions très concurrentielles sur ce marché du travail.
Proposition n° 45 : rationaliser voire supprimer les dispositions contraignantes s’appliquant aux réservistes de défense et de sécurité à l’occasion d’une réflexion plus globale sur les régimes juridiques de défense
Notant qu’une écrasante majorité d’employeurs (73 %) avait été favorables au déploiement de leurs collaborateurs réservistes pour une période de trois mois aux Antilles après le passage de l’ouragan Irma ([53]), les rapporteurs préconisent de miser davantage sur l’information et sur l’implication des employeurs. L’emploi d’un réserviste doit être un motif de fierté et une plus-value pour l’entreprise.
Ils notent aussi que beaucoup d’employeurs, en particulier dans les plus petites structures, demandent de la prévisibilité afin d’organiser leurs activités d’une année sur l’autre. Les rapporteurs estiment que les forces de défense et de sécurité pourraient faire un effort en ce sens, s’agissant des activités programmées des réservistes, en particulier.
Proposition n° 46 : inciter les gestionnaires de réservistes à faire un effort pour leur donner une visibilité annuelle sur leurs activités de réserve
La politique de partenariat engagée par la Garde nationale doit être poursuivie mais l’application des conventions doit être mieux suivies, en particulier dans le secteur public. D’après les travaux des rapporteurs, nombre de conventions sont signées sans avoir de suites et ne sont même pas connues des gestionnaires.
Proposition n° 47 : évaluer l’application des conventions signées sous l’égide de la Garde nationale par des sondages réguliers, réactualiser les conventions dont les dispositions contreviennent à la loi
Les rapporteurs notent que les mesures d’exonération d’impôts ou de prélèvements sociaux manquent leur cible. Ces dispositifs sont si compliqués à mettre en œuvre que les grandes entreprises n’y ont pas recours – « cela ne vaut pas le coup » – et que les petites entreprises s’y perdent, quand elles ne sont tout simplement pas exclues du dispositif du fait de leur taille. Ils jugent plus intéressante l’idée de créer des dispositifs de remplacement de ressources pour les salariés de TPE ou de PME, artisans, travailleurs indépendants, libéraux, agriculteurs etc. ou celle d’une garantie en cas d’absence inattendue de l’employé grâce à un contrat de prévoyance spécial qui pourrait ouvrir le droit à un crédit d’impôt.
Proposition n° 48 : étudier l’opportunité de substituer à toutes les mesures d’incitation existantes en faveur des employeurs de réservistes un même crédit d’impôt, qui doit surtout être simple à mettre en œuvre
Il est intolérable que des professionnels de santé exerçant en libéral connaissent des difficultés de trésorerie importantes en effectuant des renforts au titre de la réserve sanitaire. Les rapporteurs estiment que les indemnités des réservistes sanitaires devraient être revues à la hausse en général et que cette catégorie de réservistes sanitaires, issue d’un vivier important, disponible en cas de crise, devrait être indemnisée beaucoup plus rapidement.
Proposition n° 49 : revaloriser les indemnités des réservistes sanitaires, en incluant éventuellement une bonification en fonction des missions effectuées
Proposition n° 50 : veiller à réduire les délais de paiement des réservistes sanitaires, en étudiant l’intérêt que pourrait avoir un mécanisme d’avance
4. Renforcer certains statuts de réservistes
Sans aller jusqu’à une harmonisation des statuts de réservistes qui n’aurait pas grand sens compte tenu de leurs niveaux de qualification ou de leurs missions différentes, les rapporteurs estiment que certaines différences devraient être réduites.
a. L’exonération d’impôt sur le revenu
Est exonérée d’impôt sur le revenu l’indemnité ou la solde des réservistes suivants :
– les réservistes militaires ;
– les réservistes de la police nationale ;
– les sapeurs-pompiers volontaires ;
– les volontaires du service civique.
La Cour des comptes note que cette exonération n’a pas de fondement législatif et recommande par ailleurs qu’elle soit plafonnée. De nombreux acteurs entendus par la mission d’information (DMD, associations de réservistes) ont alerté les rapporteurs sur l’enjeu de maintenir l’exonération d’impôt sur le revenu pour les réservistes au risque de perdre près de la moitié d’entre eux.
Cette exonération évite en effet des passages de tranches d’imposition malheureux pour les plus disponibles, simplifie la vie des plus jeunes et les effets d’aubaine sont relativement limités par le plafonnement du nombre de jours d’activité.
En revanche, les réservistes sanitaires n’ont droit à aucune exonération d’impôt sur le revenu. L’audition de réservistes sanitaires a montré que cette situation était particulièrement préjudiciable aux professions libérales qui sont, de surcroît, payées avec retard. Les rapporteurs préconisent l’adoption d’un régime similaire d’exonération, qui ne devrait pas représenter un coût insurmontable pour les finances publiques, compte tenu du nombre de réservistes sanitaires et de leur activité annuelle, ou une revalorisation significative des indemnités des réservistes sanitaires, qui pourrait éventuellement prendre la forme de bonus attachés à certaines missions moins attractives a priori.
Proposition n° 51 : étendre aux réservistes sanitaires l’exonération d’impôt sur le revenu dont bénéficient les autres réservistes qui contribuent à la résilience de la nation
b. Les droits et garanties attachés au statut de réserviste
Toute évolution indemnitaire, statutaire ou d’attractivité obtenue par les réservistes d’un corps de l’État est immédiatement revendiquée par d’autres. Ces mesures peuvent aussi créer des effets d’éviction ou de substitution, en incitant les volontaires à choisir tel type d’engagement plutôt qu’un autre, ou des abus. Les rapporteurs préconisent de mieux évaluer ces mesures à l’avenir pour éviter ce genre d’effets négatifs ainsi qu’une surenchère préjudiciable aux finances publiques.
Il paraît essentiel que l’ensemble des réservistes aient les mêmes garanties prévues par le code de la défense et le code de la sécurité intérieure concernant la reconnaissance de l’ancienneté, l’avancement, les congés payés et les prestations sociales. Aucun réserviste ne devrait pouvoir être licencié, déclassé ou sanctionné au motif de ses absences dans la réserve, à plus forte raison si ces absences sont dorénavant négociées.
Les rapporteurs ont constaté qu’il demeurait des différences importantes quant à la prise en charge des frais de déplacement ou les limites d’âge, qui ne paraissent pas toujours justifiées.
Comme l’ont déjà signalé les rapporteurs, les motifs de non-renouvellement d’engagement à servir dans la réserve ou de non-emploi devraient être notifiés aux réservistes. Les droits à formation acquis au titre de l’engagement mériteraient d’être harmonisés selon les réserves (20 heures à partir de 90 jours de renfort dans une réserve militaire, 75 dans la police nationale).
Les rapporteurs notent que les réservistes britanniques disposent depuis 2020 de la possibilité de bénéficier, eux et leurs familles, de réductions de 34 % sur leurs billets de transport ferroviaire en échange d’une carte à 15 livres par an. D’après le chargé des relations internationales de l’UNOR, cette mesure, en profitant à la famille du réserviste qui subit aussi ses absences, est un facteur d’acceptabilité et donc de reconnaissance. L’application d’une telle mesure aux réservistes militaires des armées pourrait être envisagée, justement pour compenser leur éloignement spécifique.
Proposition n° 52 : étudier la possibilité d’accorder aux réservistes des armées, exclusivement, parce que leur engagement les éloigne de leurs proches, le bénéfice de réductions dans les transports ferroviaires pour eux et leurs familles
c. Une protection sociale qui peut encore être améliorée
Bien que cette question n’ait pas été au cœur des préoccupations des réservistes qu’ils ont rencontrés, les rapporteurs ont le sentiment qu’une évaluation transverse de la protection sociale et des mesures de reconnaissance destinées aux réservistes blessés devrait être conduite.
La loi de 1991 relative à leur protection sociale ([54]) assure une protection sociale complète aux sapeurs-pompiers volontaires en cas d’accident ou de maladie lié à l’accomplissement de leurs missions. Les pompiers volontaires pourront notamment bénéficier, en cas d’accident ou de maladie, leur vie durant, de la gratuité de tous les frais médicaux – chirurgicaux, pharmaceutiques, de transport, d’hospitalisation, d’appareillage, de réadaptation fonctionnelle et de rééducation professionnelle, etc. – directement entraînés par cet accident ou cette maladie. Toutefois, un rapport de 2018 ([55]) suggérait encore de remédier à de nombreuses carences et la proposition de loi actuellement examinée au Parlement comprend plusieurs dispositions modifiant la protection sociale, la prise en charge de celle-ci ainsi que les droits à retraite des sapeurs-pompiers volontaires. Elle prévoit aussi l’extension du bénéfice des dispositions de l’article L. 411‑5 du code des pensions civiles et militaires aux sapeurs-pompiers participants aux opérations secours en cas de crise majeure pour donner la qualité de pupille de la Nation aux enfants des sapeurs‑pompiers tués pendant ces opérations ou décédés des suites d’une blessure reçue ou d’une maladie contractée ou aggravée du fait de ces opérations.
La protection sociale du réserviste de défense et de sécurité, un des grands chantiers du CSRM, a fait l’objet de plusieurs améliorations ces dernières années ([56]), en particulier dans la gestion des dossiers et le suivi des réservistes. ([57]) Le code de la défense (article L. 4251-2) et le code de la sécurité intérieure (article L. 411-14) garantissent aux réservistes militaires et aux réservistes civils de la police nationale, pendant les périodes d’activité́, le bénéfice des prestations des assurances maladie, maternité́, invalidité́ et décès du régime de sécurité́ sociale dont il relève, en dehors de son service dans la réserve pour les affections sans lien avec l’activité de réserve. Aux termes de l’article L. 4251-7 du code de la défense et de l’article L. 411‑16 du code de la sécurité intérieure, les réservistes de défense et de sécurité bénéficient d’un droit à la réparation intégrale du préjudice subi pendant les périodes d’activité dans la réserve, en complément de la prise en charge des frais de santé et, le cas échéant, du dispositif spécifique des pensions militaires d’invalidité.
En complément, les réservistes sont incités à souscrire une couverture complémentaire pour s’assurer sur les trajets entre leur domicile ou leur lieu de travail et le lieu sur lequel ils sont convoqués, par exemple, ou pour bénéficier d’une indemnisation rapide lorsqu’une invalidité temporaire ou définitive compromet leur activité principale. Comme l’admet le commandement des réserves de la gendarmerie nationale, certains dossiers lourds prennent du temps avant l’indemnisation définitive. ([58])
Parce que ses réservistes sont particulièrement exposés à des risques, du fait d’un emploi opérationnel quotidien au contact de la population, la gendarmerie nationale est l’employeur de réservistes qui déplore le plus de blessés, jusqu’à 96 réservistes blessés en 2020, dont 44 à la suite d’une agression physique en service. Trois décès ont aussi été enregistrés (deux accidents vasculaires-cérébraux et un accident de la route). ([59]) En moyenne, la gendarmerie nationale déplore une centaine de réservistes blessés chaque année. Un bureau de trois personnels au sein du commandement des réserves de la gendarmerie anime donc un réseau régional de conseillers dans la protection sociale du réserviste – des réservistes qui sont eux-mêmes assureurs ou juristes – pour faciliter l’indemnisation des réservistes blessés en service. Le commandement des réserves s’est aussi rapproché des assureurs pour qu’ils proposent des produits d’assurance adaptés, et notamment des assurances compensant la perte de revenus en attendant l’indemnisation définitive de l’État. Enfin, la fondation Maison de la gendarmerie peut dans certains cas débloquer des fonds d’urgence pour parer aux situations délicates.
Pour autant, plusieurs associations de réservistes comme l’Union nationale des officiers de réserve (Unor) ou la fédération nationale des réservistes opérationnels et citoyens de la gendarmerie nationale (Anorgend) plaident en faveur d’un socle de protection sociale commun à tous les réservistes, rapide à mettre en œuvre et pris en charge par l’État. L’Unor a par ailleurs souligné que la protection sociale prenait fin en même temps que l’engagement à servir dans la réserve, ce qui nuirait à la prise en charge de certaines pathologies, dont le déclenchement ou simplement le diagnostic seraient différé. Plusieurs réservistes du service de santé des armées seraient concernés.
Enfin, Santé publique France assure la responsabilité civile professionnelle (RCP) pendant toute la durée de la mission. Si un réserviste sanitaire subit un accident du travail, la déclaration est effectuée par les services de Santé publique France auprès de la caisse d’assurance maladie à laquelle cotise l’agence. Des indemnités journalières sont versées si un arrêt de travail suit l’accident. Si la perte de revenus est importante, les réservistes sanitaires peuvent faire un recours contre Santé publique France pour bénéficier d’un complément aux indemnités journalière – essentiellement pour les professions libérales. En pratique, la responsable de la réserve sanitaire de Santé publique France a indiqué qu’aucun arrêt de travail long, ni accident de travail avec séquelles, n’avaient été à déplorer.
5. Être attentifs aux symboles
La légitime reconnaissance qui doit être manifestée aux réservistes citoyens de défense et de sécurité a suscité des troubles chez les réservistes opérationnels et les réservistes opérationnels honoraires.
Pour le président de la Rorsem, le colonel (R) Bernard Bon, en étant incapables de voir leurs réservistes opérationnels autrement que comme des militaires en service, les armées se privent de connaissances et de savoir-faire civils transposables dans le monde militaire. Le recensement des qualifications des réservistes devrait être facilité par la mise en service du projet ROC. En attendant, cette carence a, selon le colonel (R) Bernard Bon, fait le succès de la réserve citoyenne : « des profils civils considérés comme intéressant et auxquels on attribue un grade militaire ! » Ainsi, les réservistes opérationnels voient régulièrement leurs autorités féliciter chaleureusement des réservistes citoyens par ailleurs chefs d’entreprise ou cadres pour leur engagement, alors que dans la même salle se trouvent des cadres et des chefs d’entreprises, réservistes opérationnels, en uniforme, indistincts.
Les anciens réservistes opérationnels peuvent ensuite être admis à l’honorariat s’ils respectent les conditions fixées par l’article R. 4211‑6 du code de la défense et participer bénévolement, à ce titre, à des activités de renforcement du lien armées - Nation. Ils étaient, jusqu’alors, les seuls à pouvoir porter l’uniforme et à disposer d’un grade. ([60]) Les conditions d’accès à l’honorariat étant plutôt restrictives – il faut avoir été blessé, décoré ou être âgé de plus de 35 ans et justifier de plus de 200 jours d’activité – l’accueil fait par les forces armées aux réservistes citoyens a été perçu, par certains réservistes opérationnels honoraires, comme un manque de considération, outre l’effet d’éviction qu’il a provoqué. Selon un représentant de l’ANRAT, les réservistes ayant dépassé la limite d’âge doivent obligatoirement choisir entre l’honorariat (et donc la conservation de leur grade) et la réserve citoyenne. Le faible recours aux réservistes honoraires entraîne une perte importante de personnes pourtant volontaires et bénévoles.
La marine nationale qui accordait le port de l’uniforme aux réservistes citoyens en aurait finalement restreint les conditions récemment (relevé de décisions du 20 janvier 2020). Pour le chef d’état-major de l’armée de terre, permettre aux réservistes citoyens de porter une tenue militaire est une source de confusion, tout comme l’emploi de grades. Il a indiqué pour sa part qu’il serait plus favorable à l’attribution d’un titre plus neutre d’officier de la réserve citoyenne, sans grade ou échelonnement, ces derniers n’étant pas toujours pertinents et parfois sources d’ambiguïtés.
Proposition n° 53 : renoncer à accorder aux réservistes citoyens des grades ainsi que le port de la même tenue que les militaires d’active ou les réservistes opérationnels et élaborer d’autres signes distinctifs
De manière générale, la tenue du réserviste est un enjeu symbolique fort pour l’intégration, la visibilité et la reconnaissance.
Les réflexions en cours au sein de la police nationale ont mis en évidence tout l’enjeu de la qualité de la tenue et l’équipement des 30 000 volontaires que la police ambitionne de recruter.
Le port ou justement le non port de la tenue est un facteur d’intégration. La responsable de la réserve sanitaire a ainsi expliqué que la réserve sanitaire pouvait envoyer deux types de renforts : des renforts « classiques » envoyés dans des structures existantes (cliniques, hôpitaux, Ephads), non différentiables des personnels locaux, et des renforts envoyés dans des installations ad hoc (par exemple, dans le cas de la campagne de tests PCR effectuée en Mayenne en juillet 2020), qui bénéficient d’un uniforme clairement identifiable – un gilet multipoches, un badge nominatif, un écusson avec le drapeau français. L’uniforme est également revêtu dans l’avion ou le train par le réserviste en mission parce qu’alors il représente la réserve sanitaire et la France. A contrario la responsable de la réserve sanitaire de Santé publique France estime qu’il ne serait pas pertinent de différencier visuellement les réservistes des professionnels de santé locaux dans les établissements de soins.
Les rapporteurs ont aussi interrogé les réservistes sur l’intérêt symbolique de revêtir leur tenue une journée par an sur leur lieu de travail pour donner de la visibilité à leur engagement, suscitant des réactions contrastées. Sans surprise, les réservistes de défense et de sécurité y sont moins favorables, à la fois dans le souci de se protéger de réactions malveillantes mais aussi dans le souci d’affirmer l’autorité et les prérogatives attachées à leur tenue. Ces réflexions rejoignent celles du commandant des réserves de la gendarmerie nationale, le général de division Olivier Kim, qui souligne également que la population ne comprendrait pas qu’un individu revêtu de la tenue de gendarme n’intervienne pas sur un différend ou un accident. Pour le général Kim, le port de la tenue est indissociable du port d’arme et de la pleine capacité d’intervention du gendarme. Les rapporteurs notent que les conditions ne sont donc pas réunies aujourd’hui pour inciter tous les réservistes à aller travailler dans leur tenue de réserviste une journée par an, à l’instar de ce qui se fait au Canada. Ils regrettent cette situation qui a des causes sécuritaires et culturelles. Ils forment le vœu que cette pratique puisse être considérée comme normale, sans risque, à horizon 2030.
Comme l’a clairement montré la consultation citoyenne, la modernisation de la gestion attendue par les réservistes a moins trait aux systèmes d’information qu’à une meilleure prise en compte de leurs contraintes.
a. Davantage de souplesse dans la gestion des réservistes
Les réservistes militaires sont demandeurs de la possibilité d’être employés à la demi-journée à l’instar des réservistes pénitentiaires. Il semble que rien en droit ne s’oppose à cette pratique.
Les représentants du groupement syndical national des sapeurs‑pompiers volontaires (GSNSPV) ont également invité les professionnels d’active à être plus souples dans l’encadrement des volontaires : un sapeur-pompier volontaire doit parfois terminer sa garde un peu plus tôt pour être à l’heure au travail. Dans un centre d’incendie et de secours essentiellement armé de sapeurs-pompiers volontaires, cela ne pose pas de problème. Chez les professionnels, si la garde se termine à huit heures, impossible de partir à sept heures et demie. Le GSNSPV plaide pour davantage de souplesse, considérant qu’il vaut mieux se priver d’un volontaire une demi-heure que de s’en priver les douze heures réglementaires.
b. Mieux s’adapter aux évolutions dans la vie des réservistes
Les jeunes sont particulièrement demandeurs d’assouplissements du fonctionnement actuel des réserves. Les Jeunes IHEDN ont par exemple proposé de permettre des engagements à temps plein pour des jeunes en césure ou en congé sabbatique. Les rapporteurs observent que cette option nécessiterait de remettre en cause les limites relatives au nombre de jours d’activité, ce qui présente un risque pour l’ouverture de la réserve. Les réservistes peuvent aujourd’hui servir jusqu’à 210 jours en cas d’engagement à l’étranger ou 150 jours si les besoins des forces armées sont avérés, ce qui représente déjà l’équivalent d’un temps plein pendant sept mois et demi à raison de cinq jours par semaine. Par ailleurs, les missions qui pourraient être confiées à un jeune volontaire resteraient nécessairement limitées, compte tenu de l’incertitude pesant sur sa disponibilité. L’intérêt opérationnel des armées leur commande d’avoir plutôt recours à des personnels engagés dans la durée, que ce soit dans l’active ou dans la réserve, pour rentabiliser leur effort de formation.
Les rapporteurs préfèrent mettre l’accent sur l’idée de promouvoir des cursus universitaires incluant des activités de réserve. Le décret n° 2017-962 du 11 mai 2017 relatif à la reconnaissance de l’engagement des étudiants dans la vie associative, sociale ou professionnelle (articles L. 611-9 et L. 611-11 du code de l’éducation) a prévu que des aménagements « dans l’organisation et le déroulement des études et des examens ainsi que les droits spécifiques, qui permettent de concilier l’exercice des activités mentionnées à l’article L. 611-11 avec la poursuite de ses études ». Il permet également que les services dans la réserve puissent être validés « au titre de la formation suivie par l’étudiant et sur sa demande, les compétences, connaissances et aptitudes qu’il a acquises dans l’exercice des activités mentionnées à l’article L. 611-9 et qui relèvent de celles attendues dans son cursus d’études. » Théoriquement, ces dispositions permettent de majorer sa moyenne générale, d’obtenir des crédits ECTS ou d’être dispensé de stage. Le bilan de ces dispositions, certes récentes, n’a pas été effectué.
Ils soulignent également l’intérêt de mieux accompagner les jeunes dans leur mobilité géographique, en facilitant leur réengagement dans une autre unité, ce qui semble être un point faible dans toutes les réserves territorialisées.
c. Des parcours de réservistes à imaginer
Suivant la logique précédemment énoncée, les armées comme les autres services publics ont besoin de réservistes formés, ce qui plaide, s’agissant des volontaires issus de la société civile, pour des réservistes mieux fidélisés suivant des parcours qualifiants. Le lieutenant-colonel (R) Philippe Maze-Sencier (UNOR) a ainsi indiqué qu’il fallait en moyenne deux ans pour former un réserviste véritablement qualifié. La définition d’un plan de carrière dans les réserves serait donc bénéfique et il serait judicieux d’y inclure les différentes formations à prévoir en accompagnement de la montée en compétences du volontaire.
Compte tenu de l’évolution de la disponibilité fluctuante des réservistes, les rapporteurs se sont demandés comment créer des parcours combinant peut-être plusieurs formes d’engagement ou de réserves pour mieux s’adapter aux évolutions dans la vie du volontaire et ne pas « perdre » les réservistes à l’occasion d’un déménagement ou d’une baisse temporaire de la disponibilité de celui-ci. S’il apparaît possible de combiner un engagement dans une réserve « stratégique » et une réserve « civique » (réserve communale de sécurité civile, réserve citoyenne de l’Éducation nationale), il n’apparaît pas judicieux d’organiser des passages d’un domaine ministériel à un autre.
Comme l’a fait remarquer le préfet de Maistre aux rapporteurs, les ministères ayant formé des réservistes peuvent être soucieux que la ressource qu’ils ont formée ne soit pas captée par un autre acteur public à son profit. Pour les rapporteurs, c’est aussi la raison pour laquelle il faut éviter des phénomènes de concurrence délétère entre les dispositifs et ce qui justifie que les réserves soient animées à un niveau national, avec un coût de formation partagé.
Néanmoins, la logique partenariale développée par la gendarmerie nationale pourrait aussi, en diversifiant les possibilités d’emploi de ses réservistes, donner lieu à l’organisation de formes de parcours.
Deuxième partie : des défis propres à chaque réserve
L’étude comparée de réserves ressortissant de différents ministères montre combien les enjeux relatifs aux réserves sont insuffisamment maîtrisés aujourd’hui. La transposition de dispositifs d’inspiration militaire à d’autres ministères sans réflexion sur les conditions de recrutement, de valorisation, d’animation, de formation et d’emploi de ces réserves spécifiques peut s’avérer coûteuse pour les finances publiques, susciter la frustration de citoyens sincèrement désireux de s’engager, désorganiser les services de l’État et porter atteinte à la résilience des pouvoirs publics.
I. Les réserves de défense et de sécurité
En leur sein, les réservistes militaires se distinguent par les sujétions inhérentes à leur état militaire – discipline, loyalisme, esprit de sacrifice et neutralité – auxquelles ils ne dérogent que du point de vue de la disponibilité en tout temps et tous lieux. Jusqu’à présent, en attendant l’ouverture à la société civile de la réserve de la police nationale, les réserves militaires se distinguent aussi par leur capacité d’intégration de volontaires ab initio et donc de formation, et par une reconnaissance qui prend la forme d’un avancement – sauf pour les réservistes spécialistes – et de décorations.
L’engagement de beaucoup de réservistes opérationnels de défense et de sécurité se caractérise aussi par une certaine « clandestinité », même si celle-ci tend à se réduire. La discrétion des réservistes à l’égard de leur employeur tient autant à la crainte que pourraient susciter les sujétions des réservistes militaires qu’à la crainte du collaborateur d’être discriminé ou pire, menacé en dehors du service. Les rapporteurs observent que les sapeurs-pompiers volontaires, pourtant eux aussi soumis à des astreintes, rencontrent souvent moins de difficultés.
Le rattachement de la gendarmerie nationale au ministère de l’Intérieur en 2009, la succession des crises sécuritaires affectant notre pays et l’évolution des menaces ont favorisé une coordination plus étroite entre le ministère des Armées et le ministère de l’Intérieur, qui s’est manifestée par la création de structures légères de coordination communes mais aussi par une tentation accrue d’emprunter des pratiques, des dispositions, des statuts ou des mesures indemnitaires en vigueur dans l’autre ministère, avec des effets qui restent à évaluer et dont les enjeux n’apparaissent pas toujours maîtrisés.
A. Les réserves opérationnelles de premier niveau et les réservistes dits spécialistes
1. Des objectifs incohérents avec la ressource budgétaire
Les réserves de défense et de sécurité souffrent d’un décalage manifeste entre les objectifs qui leur sont assignés et leurs ressources budgétaires. Comme le note la Cour des comptes à propos des réserves opérationnelles de la police et de la gendarmerie nationales, le taux d’emploi est un des déterminants de la satisfaction du réserviste. « Pour les réservistes militaires, plus le nombre de jours d’ESR augmente, plus la satisfaction du réserviste est grande. […] Par ailleurs le taux d’emploi doit être suffisamment important pour maintenir la compétence et l’implication des réservistes. Il doit être également suffisant pour justifier le coût des formations initiales effectuées, en particulier dans la gendarmerie, mais être adapté aux possibilités réelles des personnes issues de la société civile qui ont par ailleurs parfois un emploi ou effectuent des études. »
a. Une « sincérisation » récente et fragile dans les armées
La réserve militaire, de sa réorganisation par la loi du 22 octobre 1999 jusqu’à la LPM pour les années 2014 à 2019, a constamment vécu au rythme des coupes budgétaires : sur la période, à peu près aucune annuité prévisionnelle n’a été respectée. Les enveloppes financières qui se trouvaient prévues au titre de la réserve dans la programmation militaire puis, chaque année, dans la loi de finances, ont en effet très couramment servi de variable d’ajustement du budget de la défense – lequel, il est vrai, devait dans le même temps supporter les charges d’importantes restructurations. Par rapport aux prévisions de la LPM pour les années 2009 à 2014, les budgets réels de cette période ont été abattus de 30 %, contraignant les gestionnaires de la réserve à chercher un équilibre délicat entre le recrutement de volontaires sous ESR et l’emploi de ces derniers.
Rompant avec ce passé, la loi du 28 juillet 2015, précitée, actualisant la programmation militaire en fixant l’objectif d’accroître le nombre de réservistes opérationnels de 26 000 à 40 000 et d’augmenter leur durée d’emploi à hauteur de 30 jours par individu, a rehaussé le budget de la réserve des armées de 75 millions d’euros supplémentaires sur la période 2016-2019. Enfin, la LPM a confirmé ces objectifs pour 2019-2025 et a prévu un budget total (incluant les crédits de fonctionnement) annuel de 200 millions d’euros pour les réserves opérationnelles des trois armées, ainsi qu’une durée moyenne d’emploi de 36,5 jours. Le budget annuel dévolu à l’emploi des réservistes a ainsi plus que doublé, passant de 70 à 153 millions d’euros depuis 2014. ([61])
Quoiqu’importantes, les hausses d’effectifs enregistrées de 2015 à 2918 ont été insuffisantes, dans un premier temps, au regard des ressources budgétaires allouées depuis 2015. Jusqu’en 2018 donc, ce phénomène a conduit à une sous-consommation des crédits alloués, une tendance qui s’est inversée en 2019 : cette année-là, un allongement significatif des durées d’emploi (plus de 40 jours en moyenne) s’est ajouté à l’augmentation des effectifs, conduisant pour la première fois à un dépassement du budget des réserves. Rappelés à l’ordre par le contrôleur budgétaire, le DIAR et les états-majors ont depuis adopté un pilotage plus rigoureux de l’activité, qui a permis une consommation quasi-parfaite des budgets alloués (98 % en 2020). Le général Lalubin a estimé que ce respect rigoureux des crédits était perçu comme « contraignant » puisque ce budget semble tout juste calibré pour les nouveaux effectifs de la réserve opérationnelle. Pour lui, la limitation actuelle d’un budget des réserves qui ne devrait plus évoluer à court terme est vécue comme « contraignante et contrariante », dans la mesure où le respect de l’autorisation budgétaire lors de l’exercice 2020 était autant le résultat d’un pilotage rigoureux que d’une sous-activité des réserves causée par la crise sanitaire.
En d’autres termes, la poursuite des objectifs de recrutement actuels n’est pas cohérente avec la ressource budgétaire allouée, sauf à réduire l’emploi des réservistes, ce qui sera nécessairement une source de frustration et de déception.
Les rapporteurs ont cherché à savoir comment avait été déterminé l’objectif de 40 000 réservistes. Au terme de leurs travaux, ce nombre ne paraît pas avoir été déterminé par une analyse des besoins. Il fut déduit de la ressource budgétaire qu’il paraissait acceptable d’allouer à la réserve et réparti en fonction du poids de chaque armée dans le total des effectifs militaires du ministère des Armées.
b. Une ressource aléatoire dans la police et la gendarmerie nationales
À la suite des attentats de 2015 et 2016 qui ont conduit le Gouvernement à placer les réserves opérationnelles d’engagement du ministère des Armées et du ministère de l’Intérieur dans le cadre de la Garde nationale, des objectifs ambitieux de recrutement et d’emploi ont été fixés à la gendarmerie nationale : 40 000 réservistes opérationnels, employés en moyenne 30 jours par an. La cible de recrutement a ensuite été réduite à 30 000. Cette priorité politique s’est traduite par une hausse des budgets prévus pour les rémunérations des réservistes qui sont passées, en loi de finances initiale, de 40 millions d’euros en 2015 à 98,7 millions d’euros en 2018. Comme l’a souligné la Cour des comptes dans son rapport d’avril 2019 (précité) sur les réserves de la gendarmerie et de la police nationales, « cette augmentation de crédits, qui n’a toutefois jamais été à la hauteur des ambitions affichées, a depuis cédé le pas face à d’autres priorités, en particulier la nécessité d’abonder les rémunérations des personnels d’active ».
D’une part, les crédits votés en loi de finances initiale, bien qu’en croissance, n’ont pas suivi les augmentations prévues de l’activité ; d’autre part, les tensions persistantes sur les crédits de personnel des programmes 152 et 176 ont entraîné des mesures de transferts entre des budgets de la réserve vers ceux des personnels d’active. Cette situation s’est traduite par un manque de visibilité sur les crédits disponibles et des à-coups dans l’emploi des réservistes, parfois sans lien avec les nécessités opérationnelles.
Évolution des crédits de titre 2 de la réserve opérationnelle
Gendarmerie nationale
(en millions d’euros)
|
2015 |
2016 |
2017 |
2018 |
2019 |
2020 |
2021 |
LFI |
40 |
62 |
62 |
98,7 |
98,7 |
70,7 |
70,7 |
Exécuté |
52,62 |
66,12 |
101,67 |
55,5 |
89,31 |
63,4 |
nc |
Écart |
+12,62 |
+4,12 |
+39,67 |
-43 |
-9,4 |
-7,3 |
nc |
Source : Cour des comptes, SSP BSB/DGGN.
Police nationale
(en millions d’euros)
|
2015 |
2016 |
2017 |
2018 |
2019 |
2020 |
2021 |
LFI |
15,97 |
24,1 |
28,18 |
39,1 |
39,1 |
29,1 |
29,1 |
Exécuté |
21,88 |
27,4 |
33,4 |
29,9 |
26,1 |
24,3 |
nc |
Écart |
+5,91 |
+3,3 |
+5,22 |
-9,12 |
-13 |
-4,8 |
nc |
Source : Cour des comptes, DROPN/DRCPN.
L’emploi des réservistes a nettement progressé jusqu’en 2018 avant d’être brutalement réduit pour financer les autres priorités du ministère. Cette rupture a conduit à différer l’ouverture de la réserve de la police nationale à la société civile et à un sous-emploi des réservistes particulièrement délétère pour leur fidélisation.
À plus long terme, la poursuite des mêmes cibles de recrutement avec une ressource budgétaire amoindrie est évidemment un facteur de sous-emploi et donc de frustration des réservistes.
2. Des réserves qui pourraient changer de paradigme
Les rapporteurs invitent à reconsidérer les objectifs d’accroissement des effectifs fixés à certaines réserves opérationnelles militaires qui paraissent aujourd’hui déconnectés de leurs besoins réels.
La frustration exprimée par plusieurs jeunes réservistes de la marine nationale et de l’armée de l’air à propos de leur nombre de jours d’emploi, la part relative des ab initio dans les effectifs de ces réserves opérationnelles de premier niveau (moins de 40 % contre 65 % dans la gendarmerie) et dans l’activité suggèrent que la poursuite d’une politique de recrutement massive et indifférenciée doit laisser place à une politique de recrutement plus adaptée aux caractéristiques des forces armées. Mieux vaut moins de réservistes employés que des objectifs de recrutement indifférenciés et un sous-emploi frustrant.
Les besoins de la marine nationale, de l’armée de l’air, ainsi que des directions et des services du ministère des Armées sont réels. Ils concernent avant tout des profils spécialisés qui servent dans les états-majors, les directions ou les services où ils sont souvent indispensables, comme en témoignent le nombre de jours d’activité rapporté aux missions exercées. D’après les réponses fournies par la direction du personnel militaire de la marine, « le concept d’emploi de la réserve à l’horizon 2030 doit prendre en compte les nouvelles menaces qui sont liées au domaine de la cyber défense, la lutte contre les drones ainsi que la protection de nos satellites. Le recours à des réservistes spécialistes sera donc indispensable pour être au rendez-vous. » Pour l’armée de l’air, « les réservistes de haut niveau devraient […] faire l’objet d’une attention particulière, leur recrutement étant facilité par l’établissement de conventions entre certaines grandes écoles et universités et la Garde nationale, tout comme les réservistes spécialistes, qui ne sont pas encore assez nombreux. » Pour autant, ces deux armées n’exposent pas de doctrine sur le rapport souhaitable entre réservistes, spécialistes sous contrat (au besoin à temps partiel) et militaires d’active.
S’agissant des jeunes, le recrutement dans la réserve est souvent indissociable de celui de l’active et la réserve opérationnelle est utilisée comme un outil de pré-recrutement. Dans la marine nationale, par exemple, à l’issue d’une préparation militaire, environ 15 % des stagiaires s’engagent comme militaire d’active et environ 3 % s’engagent dans la réserve.
Si, compte tenu de la nature de leurs missions, la marine nationale, l’armée de l’air, ainsi que les autres directions et services du ministère des Armées qui emploient des réservistes peuvent être exonérées de l’objectif de contribuer à la résilience de la Nation, au lien armée-Nation et à la sensibilisation de la jeunesse aux besoins de la défense nationale par l’animation d’une réserve de masse, il devrait être envisagé de permettre une fongibilité entre les dépenses de titre 2 de l’active et celles de la réserve. Dans cette hypothèse, les gestionnaires auraient toute latitude pour déterminer comment employer les ressources humaines à leur disposition pour accomplir leurs missions, sous réserve du respect de certaines règles pour éviter des dérives ou des conflits d’intérêts. Paradoxalement, en favorisant l’emploi, cette mesure pourrait contribuer à améliorer l’expérience et la satisfaction des réservistes ab initio, qui seraient mieux sélectionnés mais plus employés.
En somme, il s’agit de substituer à un pilotage par enveloppe budgétaire un pilotage par objectifs et règles d’emploi. Les objectifs doivent être de satisfaire les besoins des armées, directions et services du ministère des Armées et des organismes interarmées, notamment de la chaîne OTIAD, en offrant des parcours satisfaisants pour des réservistes mieux fidélisés.
Les rapporteurs constatent qu’il est difficile de définir une autre norme que celle de la satisfaction réciproque avec des indicateurs associés. Imposer un minimum ou un maximum de jours d’emploi, par exemple, serait contreproductif pour des réservistes temporairement moins disponibles à la suite d’un évènement professionnel ou personnel ou au contraire pour des réservistes très impliqués. La réserve opérationnelle doit rester une modalité d’emploi souple pour les états-majors comme pour les réservistes et reposer sur le volontariat. Mais les candidats à la réserve opérationnelle de la marine nationale doivent savoir qu’ils n’ont quasiment aucune chance d’embarquer sur un navire avant de s’engager.
En conclusion, les rapporteurs alertent sur le fait que ce changement de paradigme n’est pas forcément synonyme de moindres besoins financiers, la rémunération des réservistes spécialistes et de réservistes opérationnels qualifiés étant nécessairement élevée.
3. Une possible remontée en puissance dans l’armée de terre
Toutes les remarques faites précédemment sont valables pour l’armée de terre qui pourrait toutefois avoir un objectif supplémentaire, structurant, celui d’animer une réserve contribuant à la défense opérationnelle du territoire et affermissant le lien armée-Nation, et se voir conférer un budget associé.
a. Un complément indispensable aujourd’hui
S’entretenant avec les rapporteurs, le chef d’état-major de l’armée de terre a fait un double constat. Premièrement, la situation internationale impose désormais de se préparer à des conflits de haute intensité et le contrat opérationnel « TN 10 000 », autrement dit, l’obligation de projeter 10 000 hommes sur le territoire national, est devenue une mission quasi permanente qui pèse directement sur la capacité d’entraînement de l’armée de terre. Deuxièmement, les conflits à venir, s’ils nécessiteront toujours sans doute de projeter des troupes à l’étranger, imposeront de maintenir un haut niveau de protection du territoire national.
Dans ce contexte, la RO1 est aujourd’hui un complément indispensable qui permet à l’armée d’active de mieux remplir ses missions. La réserve de masse antérieure à 1999, qui reposait sur l’obligation, est devenue une réserve de volontaires régulièrement employés en réponse à des menaces dites « du bas du spectre », c’est-à-dire de faible intensité, et de compléments individuels permettant de combler des lacunes dans les états-majors et dans le soutien. Ce modèle repose sur l’adéquation entre des besoins de l’armée de terre et les disponibilités de réservistes volontaires.
Si elle est un complément tout à fait appréciable, il ne saurait être question de transférer la mission de protection du territoire national à la réserve opérationnelle de l’armée de terre. Chaque année, le 24e régiment d’infanterie (24e RI), seul régiment uniquement composé de réservistes de l’armée de terre, parvient à projeter au mieux trois unités Proterre de trente réservistes pendant deux mois. Par ailleurs, avec 120 réservistes en moyenne, chaque régiment projette en moyenne deux sections Proterre (60 réservistes en tout) pendant un mois par an. Or, le contrat opérationnel « TN 10 000 » requiert 330 unités Proterre chaque mois, pendant plusieurs mois parfois. Autrement dit, sur deux mois et lorsque Sentinelle est déployée à 7 000 hommes, le 24e RI contribue au mieux à hauteur d’1,28 % à l’effort demandé. Même pour remplir la mission « TN 3 000 », qui requiert une centaine d’unités Proterre, le 24e RI ne représente que 3 % de l’effort. « C’est tout à fait remarquable mais ce n’est pas à proprement parler un game changer », selon le général Thierry Burkhard. Pour assurer la remontée en puissance à 7 000 de la force Sentinelle entre novembre 2020 et mars 2021 comme l’a demandé le président de la République, le général Burkhard avait imaginé mobiliser environ 50 % de la RO1 au bout de deux mois, grâce au préavis ainsi donné. Cela n’a pas été possible.
Chacun comprend que confier la mission Sentinelle à la réserve opérationnelle n’aurait pas de sens. Le vivier de réservistes devrait être incommensurablement plus élevé, sauf à ce que le cadre légal contraigne davantage les employeurs à libérer leurs collaborateurs. Par ailleurs, tous ces réservistes devraient être hébergés sur leur lieu de convocation puis d’emploi, compte tenu du fait que le plan de stationnement des forces ne couvre pas l’ensemble du territoire, vêtus, équipés et véhiculés en propre tandis qu’aujourd’hui ils partagent avec l’active les matériels, certains équipements et les infrastructures d’entraînement. Des difficultés de ce type ont déjà été recensées lorsque des patrouilles Sentinelle se sont déployées dans des villes éloignées de toute implantation militaire.
b. Une réserve contribuant mieux à la défense opérationnelle du territoire demain
Les rapporteurs jugent plus utile de considérer le projet alternatif du chef d’état-major de l’armée de terre, plus conforme aux missions de celle-ci et à l’évolution des menaces. À plus long terme, c’est-à-dire à partir de 2025, le CEMAT estime qu’il sera nécessaire de disposer d’une réserve qui pourrait mieux contribuer à l’effort de l’armée de terre en cas de conflit de haute intensité. Le projet retenu devrait alors s’accompagner d’un budget cohérent et d’un cadre budgétaire adapté.
La RO1 de l’armée de terre n’est pas aujourd’hui pensée, entraînée et équipée pour s’engager sur d’autres missions que la garde d’emprise, la surveillance ou des patrouilles telles que celles réalisées dans le cadre de l’opération Sentinelle. Ces unités ne sont pas prêtes à être engagées dans un combat de haute intensité.
Un premier axe d’étude porte sur l’idée d’employer davantage la réserve opérationnelle sur le territoire national, comme une force constituée, sur le modèle du 24e RI. Cet axe suscite beaucoup de questions : le modèle du 24e RI est-il imaginable ailleurs qu’à Paris où résident beaucoup d’étudiants ? Est-il envisageable dans des régions dépourvues de régiments ? Et enfin, le cadre réglementaire serait-il adapté ? Si le fait de devenir réserviste reste un acte de volontariat, faut-il imaginer des exigences renforcées en termes de disponibilité ? Les réservistes n’y sont généralement pas opposés mais font état des inquiétudes de leurs employeurs. Le cadre légal devrait-il les contraindre davantage à libérer leurs collaborateurs ? Faut-il imaginer des formes de compensation ? Des convocations plus contraignantes en fonction de la situation sur le territoire national ? La Garde nationale, créée en 2016, semble bien positionnée pour conduire les réflexions sur l’évolution du cadre réglementaire ainsi que les mesures d’accompagnement et de valorisation. Elle a déjà permis des avancées significatives dans ce domaine. Mais, selon le général Burkhard, les accords avec les administrations ou les entreprises sont très peu contraignants. « Ne nous leurrons pas ; on n’a pas changé le regard des entreprises françaises et des administrations sur la nécessité des réserves sauf pour une petite minorité », a-t-il estimé.
Un deuxième axe d’étude porte sur l’idée d’unités équipées et formées pour un engagement de haute intensité. Pourrait-on avoir des escadrons de transport qui seraient d’une grande utilité en cas de conflit et dont l’utilité en temps de paix n’est pas indispensable ? Des batteries d’artillerie de réservistes ? Des escadrons de circulation ? Cela impliquerait d’entraîner les réservistes sur des savoir-faire spécifiques et de les équiper à cette fin. Il faudrait toutefois se garder de la tentation de remplacer des unités d’active par des unités de réservistes : ces dernières venant en complément des premières et non en substitution.
Compte tenu des contraintes de disponibilité des réservistes qu’il ne serait possible de lever qu’au prix de leur employabilité ou de mécanismes de dédommagement très coûteux pour les employeurs civils, les rapporteurs préconisent plutôt d’investir dans le recrutement et la formation de réservistes plus formés et mieux fidélisés, à l’instar de ce qu’ils recommandent pour les autres armées, directions et services. Le financement du projet de disposer de petites unités de réserves très agiles se justifie en vertu de l’objectif de résilience face aux nouvelles menaces mais aussi parce qu’il répond à l’objectif qui pourrait continuer d’être assigné au ministère des Armées via l’armée de terre d’affermir le lien entre les armées et la Nation, et plus particulièrement entre les armées et la jeunesse.
4. Un succès à conforter dans la gendarmerie nationale
Première des réserves militaires en effectifs, la RO1 de la gendarmerie nationale est l’autre réserve militaire dont les rapporteurs jugent opportun de continuer à augmenter les effectifs, à condition toutefois que ceux-ci puissent être correctement formés et véritablement employés et que la gendarmerie parvienne à se prémunir contre des dérives telle que la quasi-professionnalisation de réservistes à temps partiel et la surenchère indemnitaire qu’ont connu les sapeurs-pompiers volontaires (cf. infra III.A).
a. Un bel exemple d’intégration
Le maillage territorial étroit de la gendarmerie nationale et la perspective d’un emploi véritablement opérationnel, intégré dans les forces, au quotidien, expliquent en grande partie le succès de sa réserve opérationnelle, qui suscite beaucoup d’envies dans d’autres administrations.
Tandis que les anciens militaires manifestent un souci de transmettre et de rester en contact avec l’institution, les volontaires issus de la société civile (deux tiers des effectifs) viennent y assouvir le désir de servir leur pays en protégeant leurs concitoyens – une motivation accrue par les attentats terroristes –, d’occuper une fonction opérationnelle, d’évoluer dans un cadre militaire, avec ses valeurs, et d’avoir une première expérience dans un univers professionnel qu’ils envisagent de rejoindre. Parmi eux, il existe une forte proportion d’étudiants, de l’ordre de 25 %, dont beaucoup utilisent la réserve opérationnelle comme tremplin vers les concours de la gendarmerie. 20 % des réservistes opérationnels démissionnaires deviennent ainsi militaires d’active, beaucoup utilisant la possibilité de devenir sous-officier par concours interne. Plus d’un tiers des réservistes opérationnels ont moins de trente ans. 21 % des réservistes sont des femmes, ce qui fait de la RO1 de la gendarmerie la plus féminisée des réserves militaires.
Pour les rapporteurs, cette large ouverture à la société civile et en particulier à la jeunesse et la transmission aux réservistes de savoir-faire et savoir-être qui contribuent à la sécurité collective au quotidien et à la résilience de la Nation en cas de crise majeure justifient pleinement qu’un investissement financier soit consenti pour la réserve de la gendarmerie nationale, à l’instar de celle de l’armée de terre. Les effectifs de la RO1 de la gendarmerie nationale représentent déjà 39 % du total des effectifs de la Garde nationale et 43 % des effectifs des réserves opérationnelles militaires, ce dont les rapporteurs se félicitent.
Si l’emploi des réservistes est indéniablement avantageux financièrement pour la gendarmerie nationale, et lui offre des marges de manœuvre appréciables, ce n’est pas là la raison d’être d’une réserve. L’emploi quotidien des réservistes représente l’équivalent de près de 5 % du personnel d’active dans la gendarmerie. Pour autant, la forte augmentation de la contribution des réservistes pose la question de l’arbitrage entre le recrutement de personnels permanents et celui de réservistes dont le coût est, il est vrai, bien inférieur. Les rapporteurs souscrivent à la volonté affirmée par le commandement des réserves de la gendarmerie de « professionnaliser » les réservistes de la gendarmerie, avec, en ligne de mire, l’organisation des grands événements internationaux de 2023 et 2024 (Coupe du monde de Rugby, Jeux Olympiques). Cette professionnalisation, souhaitable dans une certaine mesure, ne doit pas remettre en cause l’ouverture de la RO1 de la gendarmerie, en concentrant l’emploi sur les réservistes les plus disponibles (150 jours par an) au détriment de la capacité d’intégration de nouveaux volontaires (disponibles entre 10 et 30 jours par an), ni aboutir à une semi-professionnalisation de réservistes à temps partiel à l’instar de la dérive observée chez les sapeurs-pompiers volontaires. Cette professionnalisation paraît en outre contradictoire avec les budgets et les objectifs de recrutement annoncés (voir infra).
b. Un modèle en termes de gestion et de formation
La capacité de la gendarmerie nationale à animer sa RO1 et à l’employer est un autre motif de satisfaction et justifie que la priorité à accorder à cette réserve. Elle peut s’appuyer sur des outils performants, à l’instar du logiciel Minot@ur (Moyen d’information opérationnelle du traitement automatisé des réserves) – inventé par un réserviste, standardisé par la gendarmerie, et bientôt disponible sous la forme d’une application mobile.
Le logiciel Minot@ur permet à la gendarmerie de signaler des besoins particuliers (durée de la mission, localisation, profil recherché), qui peuvent être diffusés au niveau départemental, régional ou national. Ainsi pour la mise sur pied des compagnies de réservistes qui sont intervenues à Saint-Martin après l’ouragan Irma, plusieurs appels à volontaires ont été mis en ligne au niveau national. Ils ont permis de sélectionner 145 réservistes parmi 1 500 candidats, ce qui montre la réactivité des réservistes. La possibilité pour certains réservistes d’être déployés à l’international dans le cadre d’un groupe de projection international est un nouveau facteur d’attractivité important.
Les rapporteurs soulignent aussi la qualité de la formation dispensée aux réservistes à l’issue de laquelle ils sont reconnus aptes au port d’une arme et ont la qualité d’agent de police judiciaire adjoint (APJA). L’usage de modalités d’enseignement à distance, sur Internet, permet d’optimiser le temps de formation en présentiel et de garantir un haut niveau de compétences chez les réservistes. C’est une prouesse que les rapporteurs jugent insuffisamment mise en avant.
Compte tenu de son ouverture et de son contact avec le public, les rapporteurs ont exprimé leur souci que la gendarmerie soit effectivement en mesure de se prémunir contre le détournement de la réserve par certains individus à des fins commerciales, prosélytes ou radicales. Il n’est pas admissible en effet qu’un réserviste profite de ses patrouilles pour faire de la publicité pour une offre de vidéosurveillance ou que la réserve permette indirectement à des délinquants de s’informer sur l’organisation de la gendarmerie. Le général Kim a indiqué a que le principal risque résidait dans le conflit d’intérêts – une situation dans laquelle le recrutement était tout simplement annulé. Pour le reste, il a expliqué que les candidats devaient obligatoirement fournir une copie du bulletin numéro deux de leur casier judiciaire, et qu’ils étaient systématiquement passés au fichier de traitement des antécédents judiciaires (TAJ). Il a insisté sur le fait que les réservistes en activité étaient soumis au même contrôle hiérarchique que les gendarmes d’active, et qu’en cas de dérives, une exclusion de la réserve était possible.
Le commandant des réserves de la gendarmerie nationale indique enfin avoir mis en œuvre les recommandations de la Cour des comptes relatives au recrutement de réservistes spécialistes, certains recrutements ayant paru « discrétionnaires » à la Cour des comptes. Les rapporteurs s’en félicitent en rappelant leur souhait que des mécanismes rigoureux de contrôle permettent d’éviter les conflits d’intérêts ou une instrumentalisation de la réserve.
c. Des aléas budgétaires très pénalisants
Les aléas qui caractérisent les ressources budgétaires de la réserve de la gendarmerie nationale sont, comme indiqué précédemment, particulièrement délétères. Il convient d’y mettre fin dans les meilleurs délais, conformément aux priorités définis dans la stratégie nationale que les rapporteurs appellent de leurs vœux.
Les efforts de gestion que la gendarmerie avait entrepris pour accélérer les paiements des soldes des réservistes ont ainsi été rendus inopérants puisqu’elle n’a plus été en mesure de payer les indemnités journalières dues aux réservistes à partir de juillet 2018.
Les variations infra annuelles brutales sont lourdes de conséquence pour beaucoup de réservistes qui organisent leur vie en fonction de leur activité de réserve (intérimaires, saisonniers, sportifs de haut niveau) ou ont besoin du complément de revenu apporté par la réserve (étudiants, demandeurs d’emploi, parents en congé parental). Elles nuisent considérablement à la fidélisation des réservistes en limitant la capacité de la gendarmerie à leur donner de la prévisibilité – pourtant un atout de la RO1 de la gendarmerie nationale par rapport à d’autres réserves. Surtout, comme dans d’autres réserves, il est indispensable de mettre fin à la décorrélation entre les objectifs fixés en termes d’effectifs et les ressources budgétaires permettant d’employer effectivement les réservistes recrutés.
Le général de division Kim a précisé que 26 millions d’euros de budget supplémentaires devaient être consacrés aux dépenses de titre 2 de la réserve de la gendarmerie en 2022, suffisamment pour employer 6 700 réservistes supplémentaires. Mais les effectifs de la réserve opérationnelle de la gendarmerie devraient être portés à 50 000 personnes d’ici 2024 en application des nouveaux objectifs fixés par le Gouvernement, un objectif de recrutement à nouveau très élevé par rapport au budget d’emploi de cette réserve qui fera nécessairement chuter le nombre moyen de jours d’emploi.
La gendarmerie nationale a peut-être trouvé, à la marge, une solution à cette équation apparemment insolvable dans le développement de partenariats (voir infra).
d. Des innovations très intéressantes
Grâce à sa plateforme Minot@ur, la gendarmerie nationale optimise l’emploi des réservistes sur l’ensemble du territoire national. Elle peut en effet adresser des appels à volontaires pour des missions d’intérêt national. Après l’ouragan Irma, par exemple, en quelques heures, 1500 réservistes avaient répondu à l’appel à volontaires de la gendarmerie pour un engagement de trois mois dans des conditions difficiles ; 145 ont été déployés.
Des réservistes ont aussi été mobilisés lors des crises sociales de 2018 et 2019, notamment sur les manifestations « gilets jaunes ». Ils ont aussi apporté un renfort décisif dans la lutte contre le terrorisme, une mission qui a elle aussi permis de projeter les réservistes en dehors de leur région d’origine. Le commandant des réserves de la gendarmerie a aussi cité l’exemple de l’opération Limes pour la protection des frontières après l’attentat de Nice en octobre 2020, pour laquelle le ministre de l’Intérieur a décidé un engagement massif des réservistes – qui ont souvent été déployés en dehors de leur groupement.
Pour le commandant des réserves de la gendarmerie, la réserve opérationnelle est une « composante modulaire du temps de paix qui est en mesure de faire face en temps de crise ».
La mission Poséidon, en charge de la lutte contre les migrations clandestines vers le Royaume-Uni, emploie elle-aussi 90 réservistes par jour en moyenne, dont une moitié de locaux seulement. Or, le financement de cette mission est en partie apporté par le Royaume-Uni, a indiqué le général Kim. La gendarmerie nationale a en effet conclu un contrat avec les autorités britanniques encadrant la mise à disposition des réservistes de la gendarmerie au profit du Royaume-Uni afin de soutenir les forces britanniques dans la lutte contre l’immigration clandestine, notamment via les small boats qui traversent la Manche. Un protocole d’accord, daté du 13 novembre 2019 prévoyait la mise à disposition de 45 réservistes par jour pour 750 000 euros. Un avenant du 12 mars 2020 a ensuite prévu la mise à la disposition de 45 réservistes par jour pour 1,05 million d’euros. Le dernier protocole, signé le 23 novembre 2020, couvrait une période du 1er janvier 2021 au 7 mai 2021, et prévoyait le remboursement du passif (mise à disposition de réservistes depuis le 21 mars 2020) et le financement d’une compagnie de réserve territoriale de 90 personnels à partir 1er décembre 2020 jusqu’au 30 avril 2021 puis d’une compagnie de 45 personnels de réserve du 1er mai 2021 au 7 mai 2021. La somme de 8,2 millions d’euros sera ainsi remboursée par le gouvernement britannique et dévolue à l’activité des réservistes, dont 6,36 millions d’euros pour les dépenses de masse salariale. Une nouvelle convention est en cours de négociation pour la mise à disposition de gendarmes réservistes à partir de mai 2021.
La gendarmerie nationale a conclu d’autres partenariats lui permettant de partager le coût de l’animation de sa réserve et d’employer effectivement ses réservistes. Elle a par exemple conclu des partenariats avec des entreprises ou des collectivités territoriales prévoyant la mise à disposition de gendarmes pour assurer certaines missions, de sécurité ferroviaire notamment, avec la SNCF ([62]) ou Île-de-France Mobilités. ([63]) Ce partenariat est d’autant plus vertueux que la gendarmerie nationale compte parmi ses réservistes des salariés de ces entreprises de transport qui connaissent bien le terrain. Le général Kim a indiqué qu’il s’agissait d’un modèle activement développé par ses services qui participe d’une « coconstruction » de sécurité. Dans ces situations, le réserviste est financé par l’entreprise ou la collectivité territoriale – ce qui favorise son emploi sans peser sur le budget des réserves de la gendarmerie. Le général a souligné la spécificité des missions de la gendarmerie, qui contribuent à faire de sa RO1 une réserve « véritablement interministérielle ».
Suivant cette idée, les rapporteurs ont demandé à la direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI) qui réfléchit actuellement à l’opportunité de créer une réserve, s’il ne serait pas plus opportun de conclure un partenariat avec la gendarmerie nationale (ou la marine nationale) pour la fourniture d’une prestation de sécurité qui, indirectement, fournirait à la gendarmerie une opportunité d’emploi pour ses réservistes. Compte tenu de ses besoins – à ce stade, la douane réfléchit plutôt à la fondation d’une réserve des garde-côtes disposant de compétences spécialisées –, ce partenariat n’a pas été envisagé mais les rapporteurs considèrent que cette piste pourrait être développée, par exemple avec l’administration pénitentiaire, pour certaines de ses missions.
Le président de la fédération nationale des réservistes opérationnels et citoyens de la gendarmerie nationale (Anorgend), le capitaine Renaud Ramillon-Deffarges a toutefois mis en garde contre la tentation d’utiliser des réservistes de la gendarmerie nationale en zone police. L’expérience a été tentée par certains préfets et a suscité des tensions lorsque certains de ces réservistes ont été affectés dans des commissariats. L’Anorgend est également hostile à la fusion des réserves de la gendarmerie et de la police dans une vaste réserve de sécurité intérieure.
5. Un projet d’ouverture dans la police nationale
La réserve dite « civile » de la police nationale a deux composantes : une réserve statutaire, qui correspond à la RO2 militaire, et une réserve contractuelle de 6 500 anciens professionnels (anciens policiers et anciens adjoints de sécurité), proche de la RO1 militaire, à ceci près qu’elle n’emploie que peu de réservistes ab initio.
a. Une réserve d’anciens professionnels
En théorie, depuis 2011 ([64]), la réserve dite « contractuelle » peut aussi employer des volontaires issus de la société civile. Les civils intégrés (9 % des effectifs de la réserve) ne peuvent en réalité exercer que des missions de soutien administratif et technique. Contrairement à la règle en vigueur dans les forces armées, la police nationale ne peut armer un réserviste issu de la société civile, même après une formation. Cela exclut les réservistes de quasiment toutes les missions en contact avec le public.
D’après le rapport de la Cour des comptes d’avril 2019 précité, cela semble « avoir découragé leur candidature dans la police nationale et, pour ceux qui ont persisté dans leur volonté de souscrire un ESR, les délais d’attente, le faible nombre des contrats signés et la faible appétence des services à les employer ont pu susciter des déceptions. Néanmoins les SGAMI, qui sont en charge du recrutement, font état d’une demande pour servir comme réserviste volontaire bien que le volume des candidatures soit en baisse. » La Cour dénonce « un décalage entre la communication effectuée par la Garde nationale et la réalité de la réponse. La communication effectuée sur le site internet de la DGPN maintient cette ambiguïté. Cette dernière indique que les missions réservées au civil sont limitées aux situations qui ne nécessitent pas de port d’arme, tout en laissant à penser que l’emploi de personnes issues de la société civile est possible. »
En 2020, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a confié au commissaire divisionnaire Stéphane Folcher la mission de préfigurer une nouvelle réserve de 30 000 volontaires issus de la société civile, avec une première intégration d’environ 2 000 réservistes prévue en 2022, une deuxième de 3 000 réservistes l’année suivante puis une moyenne de 2 500 réservistes recrutés et formés par an à l’horizon 2024. L’objectif devrait dès lors être atteint à la fin des années 2020.
Pour le commandant, pour réussir cette transformation, la police nationale doit repenser son organisation et ses schémas d’emploi. Ce bouleversement fournit également une opportunité d’affermir le lien entre la police et la population, et plus particulièrement la jeunesse, qui a pu se distendre ces dernières années, « mais n’est pas rompu », a insisté le commandant Folcher.
« La police ne doit pas rester en marge d’un mouvement d’intégration des réservistes opéré de longue date dans les armées et dans la gendarmerie nationale », a assuré le commissaire divisionnaire. Cette rénovation de la réserve de la police nationale a vocation à garantir à la jeunesse une place prépondérante. « Il n’est en effet pas envisageable que la réserve de la police nationale ne soit pas à l’image de la population au service de laquelle elle exerce la mission de sûreté des biens et des personnes et n’accueille pas les citoyens soucieux du respect des valeurs de la République. Camus disait dans Les Justes : “Je me suis fait policier pour être au cœur des choses”. » Le commandant Folcher espère qu’un boulanger pourra demain dire la même chose.
b. Le projet d’une nouvelle réserve opérationnelle avec un fort ancrage local
L’ancrage territorial de la police, à travers son important maillage territorial, est un atout-clé pour la future réserve. Le commandant Folcher a également souligné l’important travail de communication d’ores-et-déjà engagé par la police nationale afin de préparer les futures campagnes de recrutement de cette réserve. Une montée en grade devrait être également prévue pour les réservistes opérationnels de la police, au nom de l’attractivité de la réserve. Le commandant Folcher a rappelé qu’il était important pour le réserviste de s’identifier pleinement à l’active, comme c’est le cas dans la gendarmerie ou dans les armées. Pour lui, cela peut également permettre de fidéliser les réservistes sur le temps long. L’idée est véritablement de créer une « carrière du réserviste », en lui permettant de progresser, y compris dans des postes de direction. Cette politique doit s’accompagner, pour le commissaire divisionnaire, de la mise en place de modules de formation adaptées. « Par ailleurs, une des raisons pour lesquelles les réservistes quittent les armées ou la gendarmerie est leur sous-emploi : la future réserve opérationnelle de la police doit éviter cet écueil ».
Après avoir fait acte de candidature, le volontaire serait reçu pour une audition puis ferait l’objet d’une sélection avant d’effectuer sa formation initiale, qui se déroulerait au moins en partie en immersion et devrait inclure une phase en hébergement commun.
Les services dans lesquels les réservistes opérationnels pourront exercer devraient avant tout être les services de sécurité publique. Pour le commandant Folcher, la mission principale du réserviste sera de s’investir dans le travail de relation au quotidien entre la police et la population, d’être au plus près des administrés et donc au contact dans des patrouilles. Les réservistes pourront également être affectés dans d’autres services, notamment au sein de la police aux frontières et de la préfecture de police.
c. Une ouverture qui suscite des inquiétudes légitimes
Ce projet d’ouverture suscite des inquiétudes auxquelles le commandant Folcher s’emploie à répondre.
En premier lieu, à l’instar de la Cour des comptes, dans son rapport d’avril 2019 précité, les rapporteurs notent que la réserve de la police nationale se caractérise par sa fragmentation entre ses différentes directions, ce qui fait augmenter son coût de gestion. L’ouverture à la société civile implique une capacité d’encadrement des réservistes au quotidien qui ne doit pas être sous-estimée.
Les rapporteurs se sont interrogés sur la capacité du ministère de l’Intérieur à former convenablement plus de 30 000 individus supplémentaires quand les gardiens de la paix ne recevaient d’ores et déjà qu’une formation réduite. Le commandant Folcher a concédé que la montée en puissance de la réserve de la police nationale ne pourrait s’opérer dans des conditions satisfaisantes que si la police nationale « s’en donnait réellement les moyens ». L’évolution vers une réserve opérationnelle de volontaires impliquera nécessairement une formation, sans quoi les citoyens volontaires ne pourront s’insérer dans des services opérationnels de manière crédible et fiable. Si la gendarmerie nationale fait naturellement office de modèle, le commandant a aussi souligné que des adaptations seraient nécessaires. La formation initiale des réservistes de la gendarmerie, d’une durée de deux semaines, sera par exemple insuffisante dans le cas de la police : les spécificités des bassins de délinquance et la forte densité des zones police exigent en effet une formation plus importante, qui pourrait durer trois semaines. 44 heures de formation au tir et à l’usage des armes doivent être effectuées pour être apte au port d’une arme au sein de la police nationale, compte tenu de la densité dans les villes. Une formation initiale longue a un coût important, ce qui devra amener à effectuer un certain nombre d’arbitrages budgétaires. En tout état de cause, il faudra un budget conséquent et stable dans la durée.
Enfin, les rapporteurs observent que les réservistes de la police nationale bénéficient eux aussi, à l’instar des réservistes militaires, d’une exonération à l’impôt sur le revenu qui repose sur une décision du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie du 11 juin 2004, confirmée par une note de la direction générale des impôts du 2 mars 2012. Ces textes ne sont pas publiés et cette dépense fiscale n’est pas évaluée. Il va de soi qu’une augmentation importante du nombre de réservistes de la police nationale représentera un coût pour les finances publiques qui ne sera pas uniquement supporté par le ministère de l’Intérieur. Il pourrait aussi susciter des effets d’éviction avec les adjoints de sécurité, dont la rémunération, supérieure au SMIC, ne bénéficie pas de la même exemption.
La création et l’animation d’une réserve cyber n’a pas donné lieu à la création, en droit, d’un statut spécifique mais cette réserve fait un usage singulier des différents statuts de réservistes et éprouve plus particulièrement certains atouts et certaines limites de ces statuts.
Historiquement, la réserve de cyberdéfense s’est beaucoup appuyée sur le statut de réserviste citoyen. En 2016, le réseau de la réserve citoyenne cyberdéfense (RCC) se composait de 150 membres répartis en sept groupes de travail et huit équipes régionales ([65]). En juin 2019, environ 500 réservistes citoyens étaient agréés dans le domaine de la cyberdéfense et l’objectif était d’atteindre un effectif de 4 000. L’objectif était de déployer un groupe chargé d’animer une équipe de réservistes cyber dans chacune des régions de France. Cette réserve citoyenne remplit des missions de sensibilisation aux risques cyber, d’aide au recrutement d’experts cyber et de rayonnement au sein des écosystèmes cyber industriel et académique. En termes d’effectifs, cette réserve citoyenne n’est pas contingentée et les agréments sont donnés au fur et à mesure des besoins pour les missions précitées.
Les réservistes bénévoles contribuent aux réflexions entourant l’avenir de la cyber sécurité et du numérique en général, et participent à la veille technologique et au rayonnement du Comcyber. Cette action en faveur du recrutement est d’autant plus importante que certaines spécialités rares sont particulièrement difficiles à trouver en nombre suffisant. Certaines spécialités de haut niveau ne sont en effet pas suffisamment représentées sur le marché du travail, une situation délicate qui contribue à mettre le Comcyber en concurrence avec le secteur privé qui propose bien souvent des rémunérations plus attractives après quelques années de carrière.
Le projet de réserve partagée entre le commandement de cyberdéfense (Comcyber), la gendarmerie nationale et l’agence nationale des systèmes d’information (ANSSI) n’a finalement pas vu le jour, faute d’intérêt opérationnel. Les effectifs de réservistes cyber se répartissent principalement aujourd’hui entre la gendarmerie nationale et le Comcyber. Les rapporteurs n’ont pas pu obtenir en temps utile d’information sur la réserve cyber de la gendarmerie nationale.
Créé en 2017, le Comcyber s’est vu doté de moyens conséquents conformément aux priorités fixées par les deux précédents Livres blancs, confirmées par La revue stratégique de défense et de sécurité nationale et son actualisation : 3 800 cybercombattants (4 500 prévus à horizon 2025) et 1,6 milliard d’euros pour la période couverte par la loi de programmation militaire 2019-2025. Le Comcyber emploie en outre 300 réservistes opérationnels en moyenne 30 jours par an, pour un budget de 314 000 euros (2019) et 70 réservistes citoyens historiquement rattachés à l’officier général de cyberdéfense qui a précédé la création du Comcyber.
Les réservistes opérationnels sont quant à eux répartis et intégrés dans les différentes unités de cyberdéfense comme le centre d’analyse de la lutte informatique défensive (CALID) – centre de responsabilité pour l’identification et la réponse aux cyberattaques. Une partie de ces réservistes est affectée au Comcyber mais rattachée administrativement à une des trois armées (et donc, pas sous le commandement « organique » de leur unité d’affectation). 10 % sont des experts de très hauts niveaux – surnommés « super geeks » – 50 % sont des informaticiens et des administrateurs réseaux au sens plus classique du terme et 40 % ne disposent pas de compétences avancées en informatique. Cette dernière catégorie, tout aussi essentielle, est composée d’experts en géopolitique, de linguistes, de psychologues et d’officiers et sous-officiers capables d’insérer les actions cyber dans les opérations conventionnelles des armées françaises.
2. Un défi pour le recrutement mais pas pour la disponibilité ou la fidélisation
La communication habituelle des armées n’est pas adaptée à la cible du Comcyber. Une série télévisée comme Le Bureau des légendes a plus fait pour le recrutement de cyber combattants de réserve ou d’active que les campagnes de recrutement du ministère des Armées, la participation du Comcyber à des salons ou les Journées nationales de la réserve, d’autant que la cyberdéfense dépeinte dans la série est plutôt réaliste, d’après le général Philippe de Montenon, adjoint au général commandant la cyberdéfense. Le premier argument de recrutement du Comcyber est d’offrir un accès à un niveau de technologie rare et une participation à des actions dont la portée est exceptionnelle.
Les employeurs civils des réservistes étant très souvent des acteurs de la cyber sécurité eux-mêmes, ils reconnaissent volontiers la réelle plus-value représentée par l’engagement du réserviste. La disponibilité du réserviste cyber s’en trouve améliorée, d’autant qu’il peut effectuer une partie de son travail à distance.
Les motivations à servir dans la réserve sont nombreuses – technologie de pointe, valorisation professionnelle de cette expérience, adrénaline liée aux outils opérés et aux missions – de sorte que la fidélisation des réservistes est satisfaisante. Mais les rémunérations, plutôt attractives en sortie d’école d’ingénieur, sont moindres que celles du secteur privé en seconde partie de carrière. Tout en acceptant un certain roulement des effectifs, le Comcyber parvient à conserver ses effectifs pendant cinq ans, une durée en-deçà de laquelle le recrutement du réserviste n’est pas rentable.
3. Une intégration et une valorisation spécifiques
a. Un investissement dans la durée
Pour le général de Montenon, la mise sur pieds d’une réserve pleinement opérationnelle et parfaitement intégrée se fait nécessairement sur le temps long, et ce malgré le support de budgets et d’effectifs conséquents. Comme l’a montré sa propre expérience de chef de corps de régiment des forces spéciales, la constitution d’une réserve de 150 hommes, sur les 900 du régiment, a pris un temps important. Ainsi, dans le cas de la cyberdéfense, l’existence d’une ressource disponible et de qualité ne suffit pas à une intégration rapide : de nombreux volontaires se sont manifestés après les attentats de 2015, pourtant, les intégrer et les adapter aux besoins opérationnels du Comcyber nécessite un délai que le général de Montenon a jugé incompressible, et doit inclure un minimum de formation militaire. Le général a insisté sur transmission des fondamentaux que sont la loyauté, l’esprit de sacrifice, le respect de la mission et la conviction que tout ce qui est fait contribue globalement au succès des armes de la France.
Ce long processus d’intégration exige également une certaine évolution des mentalités dans certaines unités d’active. Pour le général, il est parfois difficile, en tant que chef d’une unité militaire encore en gestation, de concilier gestion des opérations et accueil de réservistes à la disponibilité fluctuante et parfois dépourvus de culture de l’organisation militaire.
b. Une valorisation et des parcours qui doivent être adaptés
Les spécificités des réservistes spécialistes employés dans la cyberdéfense créent des opportunités mais suscitent des besoins particuliers.
Ainsi, les critères d’aptitude médicale peuvent être adaptés, ce qui a notamment permis de recruter un réserviste opérationnel à mobilité réduite.
En revanche, les compétences spécialisées nécessaires au recrutement impliquent une surreprésentation des cadres parmi les réservistes, qui sont souvent intégrés avec un statut de réserviste spécialiste – qui permet l’attribution directe de grades élevés, mais ni la montée en grade ni la mobilité. Cette situation a amené le général de Montenon à se rapprocher du délégué interarmées aux réserves pour entamer une réflexion sur les parcours de carrière des réservistes opérationnels cyber. Il s’agit de leur permettre d’évoluer au cours du temps, sans pour autant les obliger à valider un nombre trop important de stages ou de formations sur leurs jours d’engagement à servir dans la réserve (ESR).
4. Un contrôle rigoureux des motivations et des conflits d’intérêts
Le général de Montenon a mis en garde contre certains écueils : il ne serait pas admissible que des volontaires provenant d’entreprises du cyber cherchent à s’engager dans un but mercantile, en promouvant leur entreprise.
Le Comcyber veille à ce que les règles du secret défense, le besoin d’en connaître et les procédures d’habilitation soient rigoureusement appliquées. La direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD) joue un rôle important dans ce domaine en examinant le profil des candidats réservistes et en exerçant un suivi.
Les réserves citoyennes du ministère des Armées forment un ensemble protéiforme dont l’animation et l’utilité sont variables.
1. Un concept en proie à beaucoup d’évolutions depuis 1999
Créée par l’article 19 de la loi n° 99-894 du 22 octobre 1999 relative à l’organisation de la réserve militaire et du service de défense, la réserve citoyenne avait « pour objet d’entretenir l’esprit de défense, de renforcer le lien entre la Nation et ses forces armées et de fournir, dans les conditions prévues à l’article 21, les renforts nécessaires à la réserve opérationnelle ». Autrement dit, il s’agissait d’un vivier, d’un réservoir pour la réserve opérationnelle. Aujourd’hui, les réserves citoyennes sont devenues des outils de rayonnement ou d’ouverture.
Les effectifs des réserves citoyennes de défense et de sécurité en 2021
(unités)
Force |
Effectif |
Armée de terre |
1 717 |
Marine nationale |
350 |
Armée de l’air et de l’espace |
1 600 |
Gendarmerie nationale |
1 700 |
Police nationale |
115 |
Cyberdéfense |
70 |
Source : secrétariat général de la Garde nationale.
a. Du réservoir de force au think tank
Cette évolution a incité les forces armées à développer un réseau d’influence en agréant des chefs d’entreprise, des avocats, des décideurs publics, etc., au bénéfice des relations civilo-militaires. Si tous signent une lettre de mission, en pratique, leur action au service des armées est très variable et ne semble pas avoir fait l’objet d’une évaluation.
Jusqu’en 2015, la réserve citoyenne des forces armées a surtout contribué bénévolement aux Journées d’appel et de préparation à la défense ainsi qu’aux commémorations. En 2003, ont été créés les réservistes locaux à la jeunesse et à la citoyenneté pour favoriser l’action des armées dans les banlieues (y compris le recrutement) puis contribuer aux plans « égalité des chances ».
L’armée de terre et l’armée de l’air et de l’espace ont longtemps privilégié les réseaux locaux autour des régiments et des bases aériennes, le statut de réserviste citoyen étant utilisé comme une distinction dans le cadre d’une sorte de politique de bon voisinage. Les missions confiées au réserviste citoyen peuvent être de participer ou d’organiser des commémorations, d’organiser des manifestations culturelles, des activités pour les jeunes, de participer à des enseignements sur la défense à l’école, de contribuer aux relations avec le trinôme académique, de favoriser le recrutement dans l’active et la réserve, la reconversion des anciens militaires et en particulier des blessés, de contribuer au rayonnement des armées ou d’apporter des expertises variées.
Dans la marine nationale, « le critère principal de recrutement est que le candidat réponde à un besoin de la marine. Est aussi prise en compte la capacité du candidat à participer au rayonnement de la marine, ce qui est évalué en considérant ses réseaux, sa position professionnelle, sa motivation dans ce domaine. » ([66]) À l’instar de la gendarmerie nationale, qui présente ses réservistes citoyens comme « le think tank de la DGGN », la marine a constitué un réseau de professionnels de haut niveau dans 17 secteurs professionnels.
Le service de santé des armées a une politique de recrutement beaucoup plus précise appuyée sur une doctrine d’emploi : « les orientations actualisées (plan d’action pour la réserve du SSA 2020-2021) en matière de recrutement pour sa réserve citoyenne et pour son renouvellement sont le rajeunissement (âge inférieur à 75 ans), une réelle insertion dans les différents milieux professionnels, universitaires, ordinaux, associatifs etc. et une implication dynamique de ses membres ». La réserve citoyenne du SSA a ainsi vocation à contribuer au recrutement de l’active et de la réserve de ce service.
Au service de l’énergie opérationnelle, la réserve citoyenne est « en refondation depuis un an ». Constituée jusqu’alors en grande partie d’anciens cadres du service reconvertis dans le secteur pétrolier, elle devrait dorénavant accueillir davantage « des experts, issus notamment de la société civile, pouvant ainsi constituer un apport pertinent dans le cadre de l’élargissement des missions du SEO avec notamment la création de la division “Energie opérationnelle” au sein de l’état-major des armées. »
b. Des bénévoles employés dans le renseignement ou la cyberdéfense
La loi n° 2015‑912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement a modifié les dispositions codifiées aux articles L. 4211‑1 et L. 4111‑2 du code de la défense. La nouvelle rédaction, issue d’un amendement du rapporteur de la commission des Lois de l’Assemblée nationale, Jean-Jacques Urvoas, a permis aux services de renseignement spécialisés du ministère de la Défense, en particulier la direction du renseignement militaire (DRM), d’avoir recours à des volontaires de la réserve opérationnelle et de la réserve citoyenne pour exercer des fonctions correspondant à leur qualification professionnelle civile, sans formation militaire spécifique. On retrouve l’ancienne distinction entre une réserve opérationnelle et une réserve citoyenne, réservoir de forces de la première, en particulier dans le domaine de la cyberdéfense.
Par la suite, dans le contexte d’engouement pour la réserve qui a suivi les attentats de 2015, la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté a renommé la « réserve citoyenne » : « réserve citoyenne de défense et de sécurité », et l’a incluse dans l’ensemble plus vaste des « réserves civiques » comprenant les réserves citoyennes d’autres ministères comme celle de l’Éducation nationale (voir infra). Comme en témoignent les travaux préparatoires, la volonté du Législateur était d’instituer « une réserve citoyenne de portée générale [afin] d’offrir à tous la possibilité de participer, à titre bénévole et occasionnel, à la réalisation de projets d’intérêt général [… et de] contribuer à développer la fraternité, la cohésion nationale et la mixité sociale. » Il s’agissait aussi de donner un cadre à l’engagement de citoyens ayant dépassé la limite d’âge pour s’engager dans la réserve opérationnelle ou souhaitant mettre bénévolement leurs compétences à la disposition des forces armées.
D’une conception très différente de celle des réserves citoyennes des armées et de la gendarmerie, la réserve citoyenne de la police est destinée à « renforcer le lien entre la Nation et la police nationale, à des missions de solidarité, de médiation sociale, d’éducation à la loi et de prévention, à l’exclusion de l’exercice de toute prérogative de puissance publique ». Elle fait appel à des citoyens qui seraient disposés à accomplir bénévolement des missions de soutien (dans les commissariats, dans les aéroports ou en administration régionale ou centrale, etc.).
2. Un cadre et une doctrine d’emploi peut-être trop informels à ce jour
Parce qu’ils « ne coûtent rien », le recrutement des réservistes citoyens a pu et peut encore être assez libéral. Les forces armées, directions et services du ministère des Armées et la police nationale n’ont pas d’objectifs chiffrés en la matière. Leurs politiques de recrutement, leurs objectifs et leur investissement dans l’animation de ces réserves est variable, ce qui peut présenter des risques.
En application de la loi précitée du 27 janvier 2017, les refus d’agrément dans une réserve citoyenne ou de renouvellement de cet agrément doivent être motivés. Il semble que cela ne soit pas systématiquement le cas.
Les candidats réservistes citoyens ne font l’objet d’enquêtes de sécurité que depuis mars 2019 dans les forces armées alors que leur appartenance à la RCDS favorise leur proximité avec la sphère opérationnelle et donc avec des informations sensibles que leur statut pourrait, en atténuant la réserve de leurs interlocuteurs, leur permettre d’obtenir plus facilement.
Les rapporteurs alertent aussi sur le fait que, compte tenu des missions qui leur sont parfois assignées, des réservistes citoyens peuvent se trouver en situation de réaliser bénévolement au profit des armées des prestations intellectuelles (conseil en organisation, conseil en ressources humaines, conseil dans les systèmes d’information) qui sont par ailleurs commercialisées par les entreprises pour lesquelles ils travaillent. Cela peut mettre en difficulté des salariés eu égard à la loyauté qu’ils doivent à leur employeur mais pourrait aussi influencer certains choix capacitaires ou organisationnels et être considéré comme des pratiques anticoncurrentielles au sens du code des marchés publics. Les rapporteurs estiment que les directives internes qui régissent le recrutement et l’emploi des réservistes citoyens devraient prévoir certaines incompatibilités afin de mieux prévenir d’éventuels conflits d’intérêts.
Tous ces risques ont été bien aperçus au Comcyber qui emploie beaucoup de réservistes spécialistes et citoyens, dont les employeurs civils sont très souvent des acteurs de la cybersécurité. Ces réservistes sont rigoureusement enquêtés au préalable par la DRSD. Les réservistes citoyens du Comcyber sont systématiquement pourvu d’une lettre mission personnalisée et clairement cadrée – et ce dans le but d’éviter toute dérive éventuelle. Ils doivent réussir à faire la part des choses entre leur mission au titre de la réserve, l’intérêt de leur employeur et le leur. La réaction du commandement doit être immédiate en cas de dérive, ce qui suppose un effort particulier de suivi et de contrôle.
Une certaine ambiguïté autour des missions des réservistes citoyens et la difficulté de nombreux « employeurs » à les utiliser créent aussi de la déception chez les réservistes citoyens eux-mêmes, dont beaucoup s’estiment mal ou sous-employés voire utilisés à des tâches inutiles. D’autres s’estiment insuffisamment informés. L’animation de la RCDS semble en effet inégale. Pendant la crise sanitaire, par exemple, nombre de réservistes citoyens auraient aimé qu’on fasse appel à eux pour concevoir des manœuvres logistiques ou y participer ou, pour les professionnels du monde de la santé, qu’on leur propose de leur mettre à disposition des compétences dans le cadre de ce réseau. Cela n’a pas été le cas, ce que certaines personnes entendues par la mission d’information ont regretté.
Les réservistes citoyens sont majoritairement des hommes et des cadres ou des professions intellectuelles supérieures. Si cet état de fait n’est pas nécessairement problématique, il interroge : le recrutement de jeunes ne serait-il pas de nature à contribuer à une politique de recrutement dans l’active et la réserve ? Les forces armées, direction et services ne parviennent-elles pas à susciter l’intérêt des femmes ou des plus jeunes ?
c. Une confusion délétère avec les réservistes opérationnels et l’active
L’âge moyen et médian des réservistes citoyens du ministère des Armées s’établit ainsi à 55 ans environ, ce qui explique qu’ils entrent en concurrence symbolique avec les réservistes opérationnels honoraires qui souffrent de l’accueil chaleureux réservé à ces bénévoles qui se voient attribuer des grades très élevés eu égard à leur niveau de responsabilité dans le civil.
D. Les réserves opérationnelles de deuxième niveau
Les hypothèses de mobilisation des réserves de deuxième niveau sont prévues par la loi (articles L. 2141-1 et suivants du code de la défense). Le rappel de ces réservistes peut ainsi s’effectuer, comme celui de l’ensemble des réservistes militaires opérationnels :
– en cas de mobilisation générale ou de mise en garde ;
– en cas de troubles graves ou de menaces de troubles graves à l’ordre public ;
– sur décret du Premier ministre, en cas de crise majeure mettant en péril la continuité de l’action de l’État, la sécurité de la population ou la capacité de survie de la Nation, conformément aux dispositions prévues par la loi n° 2011-892 sur la réserve de sécurité nationale.
Les effectifs de la RO2 des armées sont théoriquement significatifs mais décroissent chaque année à la suite de la professionnalisation des armées et de la révision à la baisse de leur format. Ils sont beaucoup plus importants dans la gendarmerie et la police nationales.
Les effectifs des réserves opérationnelles de deuxième niveau du ministère des armées
(unités)
Armées, direction ou service |
Effectif 2021 |
Rappel effectif 2015 |
Armée de terre |
36 000 |
36 000 |
Marine nationale |
10 500 |
24 689 |
Armée de l’air et de l’espace |
11 200 |
30 377 |
Service de santé des armées |
2 000 |
1 742 |
Servie du commissariat des armées |
320 |
nc |
Service de l’énergie opérationnelle |
450 |
450 |
Direction générale de l’armement |
344 |
nc |
Source : ministère des Armées et secrétariat général de la Garde nationale
Les effectifs des réserves opérationnelles de deuxième niveau du ministère de l’Intérieur
(unités)
Direction |
Effectif 2021 |
Rappel effectif 2017 |
Direction générale de la gendarmerie nationale |
34 621 |
27 180 |
Direction générale de la police nationale |
11 348 |
11 348 |
Source : secrétariat général de la Garde nationale et Cour des comptes. ([67])
1. Une utilité discutée dans l’armée de l’air et la marine nationale
Selon l’état-major de la marine nationale, la ressource de la RO2 représente un potentiel utile en renfort des forces d’active, en cas de situation dégradée, par le vivier quantitatif et qualitatif qu’elle représente. La R02 est aussi un vivier naturel et privilégié pour le recrutement de la réserve de premier niveau. En revanche, la RO2 n’a, hors temps de crise, aucune utilité pour les armées dans la mesure où elle ne répond à aucun scénario d’emploi et ne bénéficie pas du soutien spécifique (infrastructures d’hébergement, centres de mobilisation, matériels, équipement et habillement supplémentaires) nécessaire à son rappel de masse.
L’état-major de la marine fait aussi observer que le ministère ne dispose pas de l’arsenal juridique pour contraindre un réserviste de rallier son armée en dehors du cas d’un rappel réel de la réserve de sécurité nationale (RSN) pour répondre à une crise grave. S’il était mis en place et utilisé régulièrement pour de simples exercices de mécanisation ou une catastrophe naturelle « mineure », il pourrait nuire à la reconversion des militaires : les employeurs civils pourraient ainsi craindre de voir les anciens militaires régulièrement rappelés, et donc absents.
Selon l’état-major de la marine, la connaissance de la R02 par les armées est à ce stade très imprécise (données personnelles non mises à jour dans les SIRH d’armées). Le taux de ralliement est donc très incertain, ce qui complique de facto l’organisation du rappel de cette RO2. Le taux de présence des marins réservistes aux exercices de convocations de la marine, qui ne portent que sur la RO21, c’est-à-dire des réservistes opérationnels de deuxième niveau ayant quitté le service actif depuis moins de deux ans, oscille entre 5,5 % et 11 %, ce qui est très faible.
Enfin, le coût global du rappel massif/total de la RO2, ultime renfort des armées après le rappel préalable de la RO1 et avant une éventuelle mobilisation générale, et celui des soutiens associés, est très difficile à chiffrer : ils dépendent de la nature de la crise.
Plus fondamentalement, les rapporteurs observent que l’emploi d’une RO2 en cas de crise majeure dans l’armée de l’air et de l’espace ainsi que dans la marine nationale paraît intrinsèquement limité par la taille des flottes d’appareils (navires et aéronefs) pouvant être armés par les militaires. Faute de capacités en réserve, les marins et les aviateurs de la RO2 ne pourraient être employés que marginalement dans les états-majors.
Dans ces conditions, les rapporteurs estiment qu’il serait préférable de concentrer les efforts financiers sur l’entretien d’une RO2 terrestre.
2. Une utilité à considérer dans l’armée de terre sous réserve de consentir des investissements supplémentaires
Dans l’armée de terre, les effectifs sont conséquents et la doctrine d’emploi est claire : les réservistes de la RO2 ont vocation à satisfaire le contrat opérationnel au titre de la régénération, dans l’hypothèse d’un engagement majeur et/ou à protéger le territoire national en état-major ou en unité de combat terrestre. Lors de rappels ciblés, le recours à la RO1 est privilégié. Pour un rappel massif, l’armée de terre rappellerait la RO2 grâce à une trentaine de centres de rappel des réservistes (CRR) reliés aux services de soutien qui restent à mettre en place.
L’armée de terre a réinvesti dans des exercices de convocation (Vortex) partiels depuis 2016. Depuis 2018, seuls les réservistes de deuxième niveau partis depuis plus de deux ans ont été convoqués pour renouveler leur certificat d’aptitude médicale. Deux constantes se dégagent : 40 % de l’effectif convoqué se présente effectivement et le taux d’aptitude de l’effectif présent est de 80 %.
En fonction de l’évolution de la menace, les rapporteurs préconisent de réinvestir graduellement dans la RO2 terrestre en commençant par la RO21, dont les membres ont plus de chances d’être physiquement aptes et de maîtriser l’ensemble des savoir-faire opérationnels. L’animation de cette réserve, outre des moyens dédiés à la mise à jour des données personnelles des anciens militaires, susciterait des coûts supplémentaires au titre du soutien. La réduction du nombre et de la taille des emprises du ministère des Armées constituent un défi supplémentaire pour pouvoir organiser des exercices dont le contenu pourrait être amélioré, d’après les quelques rares témoignages de réservistes de deuxième niveau recueillis par les rapporteurs.
L’activation de cette réserve, enfin, devrait nécessairement s’appuyer sur des équipements supplémentaires (habillement, véhicules, armes) qui n’existent pas aujourd’hui. Des stocks devraient alors être constitués et conservés dans les centres de mobilisation sur l’ensemble du territoire. En l’absence de capacités d’hébergement excédentaires, des palliatifs devraient être trouvés (camps de toile, aménagement de bâtiments inoccupés) qui demandent néanmoins un effort significatif des services du soutien.
Les risques que l’entretien d’une RO21 terrestre fait peser sur la reconversion des anciens militaires doivent être mesurés et pris en compte. C’est pourquoi le recours à la RO1 doit bien évidemment être privilégié. Le fait d’avoir ensuite recours prioritairement à la RO21 concentre aussi le risque d’absence sur une période plus réduite. Un intéressement des employeurs à la participation de leurs collaborateurs à des exercices de convocation organisés par la RO21 devrait être préféré à l’instauration d’une contrainte plus forte. Il serait certainement plus utile et justifié que les mesures d’attractivité prises sous l’égide de la Garde nationale en faveur de l’engagement des jeunes dans la RO1. Le cadre légal actuel paraît suffisant quoiqu’il n’ait pas été utilisé ni actualisé depuis la professionnalisation.
3. Un potentiel supérieur dans la gendarmerie et dans la police nationales
Proximité, maillage territorial étroit, volume d’effectifs potentiels, nature probable des crises futures font qu’investir dans les réserves de deuxième niveau de la gendarmerie et de la police nationales paraît légitime en vue d’une crise majeure. En outre, les taux de réponses aux convocations sont encourageants. Selon la Cour des comptes, dans un rapport établi en avril 2019 pour la commission des Finances de l’Assemblée nationale, le taux de réponse des réservistes statutaires de la police nationale aux convocations oscille entre 60 et 92 % selon les régions. ([68])
La gendarmerie nationale obtient pour l’instant de moins bons résultats. Elle s’efforce de faire passer à tous ses personnels sur le point de partir en retraite une visite médicale et un test d’aptitude au tir pour garantir la possibilité de les employer en cas de crise grave pendant une année, durée de validité de cette aptitude au tir. Elle n’est toutefois pas en mesure d’assurer le maintien de ces aptitudes pendant les cinq années suivant le départ du service actif, faute de plan de convocation, tel que prévu par le code de la défense, et d’une base de données de contact fiable. D’après le général Olivier Kim, commandant des réserves de la gendarmerie, en 2021, la RO2 de la gendarmerie ne dispose que de 4 000 contacts vérifiés, sur les 30 000 réservistes statutaires théoriques que comptent la force. En outre, en décembre 2015, la gendarmerie estimait ainsi que seuls 45 % de ses réservistes statutaires auraient pu répondre à un rappel avec des différences régionales marquées. Ainsi, la région Lorraine estimait qu’à la suite de cet exercice, seuls 200 des 600 réservistes statuaires identifiés pourraient être joints dans la perspective d’un rappel. La Cour des comptes a recommandé la réalisation d’un plan biennal de convocation.
Les rapporteurs recommandent également d’investir graduellement dans ces réserves, en concentrant d’abord les efforts financiers sur l’entretien d’une « RO21 » comme y incitent les réflexions en cours dans les armées et en établissant une doctrine d’emploi pour les personnels ayant quitté l’active depuis plus de deux ans. Si l’aptitude au tir requiert un examen annuel, il y certainement d’autres compétences qui peuvent être maintenues pendant deux, ou cinq ans.
En tout état de cause, la base de données des coordonnées des anciens professionnels doit être fiabilisée, ce qui requiert des moyens dédiés, stables dans le temps.
II. Une nouvelle réserve opérationnelle, demain, dans les douanes ?
D’autres projets de réserves sont à l’étude, ce qui montre combien cette modalité d’emploi répond à des défis transversaux. Les rapporteurs ont été particulièrement intéressés par la direction générale des douanes (DGDDI), qui mène actuellement une réflexion sur l’opportunité de créer des réserves, notamment une réserve des garde-côtes, alors qu’elle dispose déjà d’une organisation lui permettant d’absorber des variations d’activités.
1. Une réflexion en cours sur les missions et l’identité de la douane
La DGDDI compte environ 17 000 personnels, ses effectifs ayant récemment été renforcés, en deux vagues, d’abord en 2015, afin de lutter contre le terrorisme dans le cadre du Plan de lutte anti-terroriste (PLAT), à hauteur de 500 ETP (solde net), puis, en réaction au « Brexit », avec 700 ETP supplémentaires. Il convient d’ailleurs de souligner que la DGDDI est la seule administration du ministère de l’économie et des finances qui échappe aux réductions d’effectifs. En outre, le transfert en cours des missions fiscales de la douane vers la direction générale des finances publiques (DGFip) s’accompagnera d’un transfert de 700 personnels, ce qui a conduit la DGDDI à engager une réflexion sur son identité. Aujourd’hui, la douane s’affirme comme une « administration de la frontière et de la marchandise », ce qui se traduit par l’identification de plusieurs axes de renforcement, parmi lesquels :
– une gestion plus intégrée des frontières, dans un contexte d’intensification des flux de marchandises et du commerce international. Si le « Brexit » a été l’occasion pour la douane de mettre en place de nouveaux modes d’actions, des réflexions sont également en cours s’agissant de la frontière franco-suisse et des grands ports internationaux situés en France ;
– la question du e-commerce et la gestion des frontières numériques ;
– le contrôle migratoire, qui a fait l’objet d’un financement budgétaire accru afin de permettre à la douane d’être plus présente aux frontières physiques, de manière complémentaire et cohérente avec l’action des autres services compétences en la matière ;
– la frontière maritime, de manière générale.
2. Des sollicitations croissantes
De manière générale – et comme l’a mis en lumière la crise sanitaire – la mission de gestion de frontière semble « réapparaître », et la douane est de plus en plus sollicitée sur ce segment, sous l’effet de deux facteurs principaux : l’accroissement des flux de marchandises et une exigence accrue de protection du territoire national.
La douane fait également face au défi d’améliorer la lutte contre la fraude.
L’évolution du contexte dans lequel évolue la DGDDI et l’élargissement de ses missions sont à rapprocher de la question d’une réserve opérationnelle propre car, pour la directrice générale des douanes, Mme Isabelle Braun-Lemaire, il s’agit d’arbitrer entre un renforcement pérenne d’effectifs ou la constitution d’une réserve permettant de s’adapter aux évolutions du contexte. Cette question est d’autant plus actuelle que dans le cadre de la réactualisation de ses priorités, la douane a travaillé à l’élaboration d’un contrat d’objectifs et de performance (COP) avec la direction du budget, afin de faire correspondre aux nouveaux objectifs assignés à la douane les effectifs correspondants, et ce dans un cadre pluriannuel.
3. Une agence d’intérim interne déjà créée
Mme Braun-Lemaire a présenté aux rapporteurs le dispositif « Paris-Spécial », sorte « d’agence d’intérim de la douane » selon les mots de sa directrice générale.
Il s’agit d’un groupe de personnes missionnées pour combler les vacances de postes ou effectuer des missions saisonnières (hiver dans les stations de ski, été dans les stations balnéaires), pour renforcer par exemple certains aérodromes. Il s’agit d’une forme de réserve, qui présente toutefois des limites en raison du profil généraliste de ces 200 à 300 agents polyvalents, qui ne peuvent pas répondre aux besoins d’expertise technique tels que ceux de la direction nationale des garde-côtes des douanes (DNGCD) ni à une situation de crise exceptionnelle, telle la crise sanitaire.
Pour Mme Braun-Lemaire, Paris-Spécial constitue toutefois un outil particulièrement efficace en raison de sa souplesse, qui a notamment permis d’armer rapidement les Haut-de-France de 100 personnes supplémentaires au moment de l’entrée en vigueur du « Brexit », alors que le processus de gestion des ressources humaines habituel n’aurait pas permis une telle réactivité.
Cet exemple est précieux pour les rapporteurs en ce qu’il démontre que la réserve n’est pas nécessairement l’outil idoine pour faire face à un surcroît d’activité ou des besoins saisonniers. Les rapporteurs observent que la création d’une réserve est ici justifié par un besoin de renfort spécialisé.
4. Un projet de réserve des garde-côtes inspiré par la marine nationale
Une réflexion sur la création d’une réserve s’est fait jour à la DNGCD. La plus grande sensibilité de la DNGCD à l’égard de la création d’une réserve opérationnelle – une revendication de cette direction – s’explique par son caractère interministériel. Plus fréquemment en contact avec des militaires – et notamment ceux de la marine nationale – que les autres personnels de la DGDDI, les garde-côtes ont pu être davantage acculturés à l’emploi de réservistes. Les garde-côtes des douanes constituent en effet la première administration civile « à la mer » dans le cadre de l’action de l’État en mer, ce qui amène ces personnels à travailler au quotidien dans un contexte interministériel et au contact d’autres administrations, qu’il s’agisse de la marine nationale ou de la direction des affaires maritimes, ainsi que d’autres acteurs comme la Société nationale de sauvetage en mer (SNSM). En outre, l’évolution des trafics maritimes et, plus largement, de la « vie en mer », modifie l’action des garde-côtes, davantage soumis qu’auparavant à la nécessité d’opérer des bascules d’efforts entre des zones parfois éloignées, ce qui nécessite de renforcer son agilité. Ce constat a conduit la DNGCD à s’interroger sur l’apport que pourraient présenter des réservistes, et à identifier trois grands besoins auxquels ils pourraient répondre :
1.- le renforcement ponctuel des moyens des garde-côtes, dans le cas de l’apparition d’une nouvelle menace ou, à titre d’exemple, du renforcement ponctuel des besoins de contrôle migratoire à la frontière franco-italienne comme, au large de Boulogne-sur-Mer, pour le contrôle des flux migratoires vers la Grande-Bretagne. Dans ce cadre, une réserve permettrait d’armer davantage les bateaux, d’accroître leur activité et de relever plus régulièrement les équipages ;
2.- la fourniture d’une expertise technique recherchée, alors que les 894 personnes de la DNGCD mettent en œuvre des moyens divers (aériens et navals), et exercent 35 spécialités différentes. Il pourrait ainsi être envisagé que des réservistes soient sollicités pour apporter leur expertise dans l’entretien et la mise en œuvre des moyens héliportés de la douane, de la gestion de marché d’entretien des matériels navals ou, plus largement de l’activité de la douane, dans le cas de réservistes ayant auparavant travaillé dans la marine marchande ;
3.- la création et l’entretien du lien entre les brigades des garde-côtes, réparties sur l’ensemble des façades maritimes du territoire national, y compris dans la zone Antilles-Guyane, et les territoires sur lesquelles elles sont implantées, qu’il s’agisse du lien avec les élus, les acteurs de la sécurité publique, le monde de l’entreprise ou les acteurs de la protection de l’environnement. Ce lien entre les brigades et les territoires ne justifieraient pas l’emploi d’effectifs permanents mais apparaît essentiel pour mieux faire connaître les activités des garde-côtes dans le cadre d’activité de rayonnement.
Certaines missions ne pourraient être effectuées par des réservistes, comme celles des « aviseurs » des douanes, qui ne sont pas toujours des personnes « recommandables ». Or, les réservistes seraient recrutés selon des critères comparables à ceux retenus pour le recrutement de personnels permanents, ce qui suppose notamment de vérifier les antécédents judiciaires des personnes concernées.
Au-delà de la DNGCD, il ne fait guère de doute que la douane dans son ensemble bénéficierait d’un renfort de réservistes pour répondre à un pic d’activité ou apporter une expertise rare et recherchée, l’activité de rayonnement étant sans doute moins pertinente pour la douane dans son ensemble que pour les brigades de garde-côtes.
Les rapporteurs n’ont pas manqué de demander à M. Ronan Boillot, le directeur national des garde-côtes des douanes, comment il entendait attirer des volontaires, les former, les fidéliser, comment il tiendrait compte d’une disponibilité nécessairement aléatoire et comment allaient réagir les organisations représentatives du personnel.
1. Le recrutement, la formation et l’animation
À défaut de disposer du capital historique et symbolique des réserves militaires, la question se pose, dans la police nationale comme pour les douanes, les moyens à mettre en œuvre pour attirer des volontaires dont la disponibilité, les motivations et le profil intéressent la douane.
Outre le complément de revenu, la douane pourrait faire valoir l’intérêt de ses missions et de la formation qu’elle dispenserait aux réservistes. Selon M. Boillot, pourraient être ainsi mobilisés d’anciens marins de la marine nationale qui, après quinze ans passés dans les forces, exerçant un emploi public ou privé, pourraient apporter leur connaissance de la mer.
La direction générale des garde-côtes espère aussi attirer des experts de la marine marchande ou des personnes simplement intéressées par les missions des garde-côtes et souhaitant y contribuer, comme bien sûr d’anciens douaniers, pour effectuer des missions d’expertises à l’étranger, armer les centres opérationnels ou participer à des missions internationales, par exemple dans le cadre de Frontex.
Mme Braun-Lemaire a ajouté que la douane présentait un fort potentiel d’attractivité au regard de la nature des missions (protection des citoyens) et de leur dimension très opérationnelle. M. Boillot est par ailleurs convaincu que la mer constitue un « ferment solide », à même d’attirer des personnes souhaitant s’engager au profit des garde-côtes.
b. Un coût d’animation du dispositif qui n’a pas encore été évalué
Mme Braun-Lemaire a reconnu qu’à l’heure de l’audition, aucun moyen budgétaire n’avait été dévolu à la création d’une réserve, M. Boillot soulignant que la DNGCD n’en était qu’aux prémices de sa réflexion quant aux besoins que pourraient combler les réservistes.
L’ambition et les profils ont été définis, des réflexions ont été engagées quant à la formation de ces réservistes (formation générale sur la douane et l’action de l’État en mer – en lien avec le secrétariat général de la mer –, activités de mentorat pour des formations spécialisées, et stages d’immersion réguliers pour actualiser les connaissances) et aux questions d’ordre juridique (statut, recrutement, etc.) mais, pour l’heure, aucune traduction budgétaire n’a été faite – il s’agira de « l’étape d’après ».
2. Une nécessaire coordination avec la marine nationale
Les rapporteurs ont demandé aux deux représentants des douanes s’ils avaient envisagé la possibilité de conclure une convention avec la marine nationale pour obtenir la mise à disposition de réservistes, à l’instar de ce que pratique la gendarmerie nationale avec la région Île-de-France ou avec le Royaume-Uni, pour la mission Poséidon.
Si la marine nationale comprend tout à fait le besoin de la DNGCD – d’autant qu’elle compte des douaniers parmi ses réservistes et qu’une réserve douanière bénéficierait directement aux activités de la marine – la directrice générale des douanes et le directeur général des garde-côtes ont jugé peu probable que la marine accepte de mettre ses réservistes à la disposition des garde-côtes, car elle-même compte sur eux pour la conduite de ses missions. Toutefois, il pourrait en effet être imaginé que le vivier de réservistes soit partagé, même si la douane a besoin de compétences particulières qui ne sont pas toujours maîtrisées par les marins.
Mme Braun-Lemaire a ajouté que le domaine maritime étant par essence interministériel, la douane et la marine nationale conduisaient déjà de multiples activités en commun, y compris non opérationnelles, des douaniers ayant par exemple suivi des formations au sein de l’école navale. Au-delà du domaine de la formation, la douane entend s’appuyer davantage sur les administrations disposant de plus de moyens – comme la marine – afin de bénéficier de leur expertise dans des secteurs où la DGDDI, limitée par ses ressources moins importantes, rencontre des difficultés à développer de nouvelles compétences. La mutualisation des réserves lui semble plus complexe à mettre en œuvre en raison des arbitrages qu’elle impliquerait, bien que dans le domaine maritime, une telle idée apparaisse tout à fait pertinente au regard de la proximité des enjeux comme des compétences requises. M. Boillot a précisé que les échanges d’expertises pourraient être intensifiés ; à titre d’exemple, la douane forme ponctuellement des personnels de la marine nationale à la fouille de bâtiments ou la lutte contre les pollutions marines.
Pour les rapporteurs, un vivier partagé de réservistes serait peut-être de nature à offrir des opportunités d’emploi aux jeunes réservistes de la marine nationale, très frustrés aujourd’hui par le sous-emploi. À tout le moins, les garde-côtes et la marine nationale devraient se pencher sur les aspects communs à la formation de leurs réservistes qui pourraient être partagés si cela pouvait être une source d’économies.
En tout état de cause, il faudrait s’assurer que les conditions offertes par la douane à ses réservistes ne nuisent pas au recrutement ou à la fidélisation des réservistes de la marine nationale, et réciproquement, aboutissant ensuite à une forme d’escalade de revendications indemnitaires. Les rapporteurs observent par exemple que l’indemnité des réservistes de la marine nationale n’est soumise ni à l’impôt sur le revenu, ni aux prélèvements sociaux. Si la douane crée sa réserve, elle sera tentée de demander un régime similaire pour ses réservistes, ce qui ne saurait être justifié par la nécessité d’entretenir le lien armées-Nation, d’assurer la défense opérationnelle du territoire ou de contribuer à la résilience de la Nation.
3. La disponibilité des volontaires
La disponibilité des volontaires sera vraisemblablement une autre difficulté à surmonter.
Mme Braun-Lemaire indiqué que dans le cadre de ses anciennes fonctions, comme secrétaire générale du ministère de l’Économie, des Finances et de la Relance, il lui avait fallu « batailler » avec les chefs de service pour qu’ils autorisent les personnels réservistes à effectuer leur période de réserve. Ce constat s’applique du reste à la douane : pendant la crise sanitaire, certains réservistes ont fait l’objet de remarques désobligeantes de la part de certains chefs de service alors qu’ils voulaient effectuer leur période de réserve. Pour Mme Braun-Lemaire, il est particulièrement regrettable que de telles difficultés se fassent jour au sein des administrations, qui devraient montrer l’exemple et être particulièrement sensibles à la volonté de leurs personnels de s’engager davantage au service de la collectivité.
Les rapporteurs observent que tous les employeurs ont des moyens humains comptés et optimisent leurs ressources humaines pour faire face aux variations d’activité. C’est l’objet de toutes les réformes structurelles conduites depuis plus de trente ans y compris au sein de la sphère publique. Les administrations ont de moins en moins de marges de manœuvre leur permettant de libérer leurs personnels au profit d’un autre acteur public. En dehors de la sphère militaire où cette mise à disposition a été rendue obligatoire au nom de la sauvegarde de la Nation, et où elle est en passe d’être abandonnée parce qu’elle nuit à l’employabilité des réservistes militaires, les rapporteurs voient mal pourquoi une administration accepterait de mettre son personnel à la disposition d’une autre sans contrepartie.
Cela signifie qu’en dehors de réservistes faisant délibérément le choix de carrières partagées ou à temps partiel, de cumul emploi retraite et de jeunes en formation, il faudra indemniser les employeurs des réservistes qui travaillent à temps plein ou les employer sur leur temps de congés dans la limite du temps de travail maximal autorisé (voir infra IV. B. 4. a) ou institutionnaliser des échanges de personnels. Cela renchérit nécessairement le coût du réserviste, a fortiori du réserviste expérimenté. Mais cela peut être un outil utile de pré-recrutement ou de gestion des carrières.
En tout état de cause, un réserviste n’étant pas un collaborateur à temps plein, il requiert un encadrement, une formation et des missions adaptées. S’il est formé par la DGDDI, la direction aura intérêt à ce que le réserviste soit fidélisé, ce qui impose de réfléchir aux moyens de favoriser cette fidélisation (valorisation, parcours interne, etc.).
4. Une doctrine d’emploi à élaborer
Si la réflexion semble devoir encore être approfondie s’agissant de l’ensemble de la douane, le besoin d’appui complémentaire fait l’objet d’un relatif consensus s’agissant des garde-côtes, en particulier s’agissant du deuxième axe évoqué par M. Boillot, l’expertise technique. Mme Braun-Lemaire estime que les organisations syndicales pourraient s’y rallier, de même s’agissant du troisième axe relatif aux activités de rayonnement. En revanche, il se pourrait que les organisations syndicales contestent l’emploi de réservistes pour renforcer la capacité opérationnelle, au motif qu’il s’agirait d’un besoin permanent et non ponctuel.
Les rapporteurs notent que l’emploi de réservistes pour renforcer les capacités opérationnelles ne pourra qu’être marginal, compte tenu des limites inhérentes au vivier, à la disponibilité des réservistes et au coût de leur emploi, qui sera vraisemblablement élevé s’agissant de profils experts. La douane pourrait éventuellement avoir recours à des réservistes ab initio avec un profit moindre que la marine nationale, faute de proposer une indemnité exonérée des prélèvements fiscaux et sociaux. Cela imposerait alors de leur donner une formation et des missions attractives à un coût acceptable pour la douane compte tenu des missions qu’elle pourrait leur confier. Il est vraisemblable que cela nécessiterait une adaptation des services pour intégrer ces personnels à temps partiel et en formation continue, un peu à l’instar d’apprentis.
Il conviendra aussi de veiller à prévenir les éventuels conflits d’intérêts.
La douane pourrait tirer des leçons utiles de l’expérience du Comcyber, retracée plus haut, et de celles des réserves de sécurité civile, présentées infra.
III. Les réserves de sécurité civile : une refondation nécessaire
La protection et la sécurité civile sont des missions régaliennes par excellence, partagées entre l’État et les collectivités territoriales, compte tenu d’un impératif de proximité, et exercées par plusieurs types d’acteurs au niveau national et local dont la coordination est un enjeu essentiel : des pompiers militaires à Paris et Marseille, des sapeurs-pompiers professionnels et des sapeurs-pompiers volontaires partout ailleurs, ainsi que par des associations agréées de sécurité civile et des réserves communales de sécurité civile dans certaines communes.
A. Les sapeurs-pompiers volontaires
Toute personne, qu’elle soit ou non en activité et quelle que soit son activité professionnelle, peut devenir sapeur-pompier volontaire, sous réserve de satisfaire aux conditions d’engagement. Les volontaires doivent avoir entre 16 et 56 ans, sauf à Paris et Marseille (entre 18 et 25 ans), être aptes physiquement à exercer leurs missions. Ils s’engagent pour une période de cinq ans, renouvelable, pour des missions ponctuelles ou récurrentes.
La principale différence par rapport à d’autres réserves d’emploi est que les SPV sont indemnisés pour des périodes d’astreinte (1 euro de l’heure, obligation de se rendre en huit minutes au centre de secours) pendant lesquelles ils sont mobilisables en plus des activités opérationnelles et des gardes postées (6 euros par heure) proprement dites. Par ailleurs, le montant des indemnités pouvant être perçu par un SPV n’est pas plafonné, à l’instar du nombre de jours d’emploi qu’il peut effectuer.
1. Une réserve d’emploi très employée
Comme l’ont mis en évidence plusieurs rapports, le recours au volontariat dans la sécurité civile n’a pas fait l’objet d’une doctrine d’emploi distinguant les missions pouvant être confiées à des volontaires et celles relevant du personnel du service actif ou limitant la part des missions pouvant être assurées par des volontaires. Cette lacune, liée à l’histoire du modèle de sécurité civile français, a favorisé un recours massif au volontariat permettant d’assurer les missions de lutte contre l’incendie et de secours à moindre coût. Cette économie est aujourd’hui profondément remise en cause par un affaiblissement de la disponibilité des volontaires et une jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne tendant à considérer ceux-ci comme des « travailleurs » et à leur appliquer les règles relatives au temps de travail.
a. Un modèle de sécurité civile reposant historiquement sur le volontariat
Pour mémoire, le modèle français de sécurité civile a longtemps reposé exclusivement sur le volontariat organisé à un niveau communal. Il fallut attendre le XVIIIe siècle et plus particulièrement l’ordonnance royale de 1716 pour qu’un service public permanent et gratuit de Gardes-Pompes soit institué dans les grandes villes. Servir comme sapeur-pompier volontaire constituait avant tout un moyen de s’engager personnellement dans et pour sa commune. Les sapeurs-pompiers volontaires représentaient alors l’immense majorité des pompiers exerçant en France, une réalité profondément transformée par la professionnalisation à partir du XXe siècle. La professionnalisation avait vocation à pallier un manque de disponibilité des volontaires, notamment en journée. Le rapport s’est alors inversé, et les volontaires ont été utilisés pour compenser les manques d’effectifs professionnels.
b. Un recours massif au volontariat dans un souci d’efficience
Un transfert des moyens de lutte contre l’incendie des communes et de leurs groupements à des services départementaux d’incendie et de secours (SDIS), a été décidé en 1996 ([69]) dans le souci d’une rationalisation de ces moyens et d’une plus grande efficience.
À la mise en place des 35 heures ([70]), en 2000, les SDIS n’ont pas comblé les pertes d’équivalents temps plein par un recrutement de sapeurs-pompiers professionnels (SPP). Une pratique, plus ou moins généralisée, a consisté à faire appel aux sapeurs-pompiers volontaires, beaucoup moins coûteux. ([71]) Le recours aux SPV s’est ensuite généralisé dans le contexte d’une augmentation des missions des SDIS – liée à un ensemble de facteurs comme la désertification médicale, un accroissement du nombre d’incidents climatiques et la multiplication de crises d’ampleur nationale –, d’une progression dynamique des dépenses afférentes à la rémunération des SPP sous l’effet de plusieurs réformes statutaires (2012, 2013, 2016, 2017) et de mesures catégorielles, et des contraintes pesant sur les finances publiques locales.
Ainsi, au 1er janvier 2018, on dénombrait 248 012 sapeurs-pompiers, dont 40 537 (16,4 %) ayant le statut de sapeurs-pompiers professionnels, 194 975 (78,6 %) celui de sapeurs-pompiers volontaires et 12 500 (5 %) un statut militaire. 66 % du temps d’intervention des SDIS était effectué par des volontaires en 2018. ([72])
2. Des dérives insuffisamment combattues
Une part croissante des missions des SDIS ont été assurées par des SPV. Associée à d’autres facteurs qu’il est intéressant d’analyser, cette évolution a conduit à une quasi professionnalisation de certains SPV et un dévoiement du dispositif par certains SPP.
a. Une dérive vers une quasi professionnalisation de SPV à temps partiel
Alimentée par l’éloignement croissant entre le domicile, le travail et la caserne de nombreux SPV – beaucoup de petits centres d’incendie et de secours ayant fermé dans un souci de rationalisation –, la pratique des gardes postées, autrefois quasiment réservée aux SPP, s’est développée dans près d’un centre d’incendie et de secours sur sept. ([73]) Elle est indemnisée 6 euros de l’heure contre 1 euro pour une astreinte à domicile ou sur son lieu de travail.
Les exigences élevées imposées par la technicité croissante de certaines missions, la fréquence des interventions et le volume des indemnités horaires ont achevé de conduire une partie des volontaires les plus impliqués à se considérer comme des « sapeurs-pompiers à temps partiel » plus que comme des volontaires.
Cette dérive n’a pas été vigoureusement combattue pour des raisons de coût. Avantageuse pour les financeurs publics, elle a aussi constitué une ressource complémentaire non négligeable, puisque défiscalisée, pour nombre de SPV, ayant une importante disponibilité du fait de la nature de leur activité professionnelle ou demandeurs d’emploi. Elle fait toutefois courir le risque d’une requalification du volontariat en contrat de travail et soumet l’employeur public aux aléas de la motivation ou de la disponibilité du SPV.
b. Un cumul des engagements à l’origine d’effets d’aubaine et de surcoûts
Les SPP sont autorisés à exercer concomitamment, le cas échéant au sein des centres de secours où ils sont affectés, leur activité professionnelle et une activité de volontaire, cumulant ainsi leur rémunération principale et les indemnités servies au titre du volontariat. Ce cumul d’activités est expressément prévu par le décret n° 2013-412 du 17 mai 2013 et n’a pas été encadré. Il est particulièrement avantageux, puisque les indemnités attribuées aux sapeurs-pompiers volontaires, qui s’accompagnent d’un avantage retraite sont exonérées de contributions sociales et d’impôt sur le revenu. Ainsi, près de 45 % des SPP souscrivent également un contrat de volontariat. Dans son rapport précité, la formation interjuridictionnelle de la Cour des comptes note que ni les gendarmes ni les militaires ne sont autorisés à exercer simultanément leur activité professionnelle et celle de réserviste au sein de leur unité ou de leur arme.
D’après le rapport de la formation interjuridictionnelle de la Cour des comptes, dans certains SDIS, plus de 90 % des SPP seraient placés sous « double statut » sans qu’aucun cadre ne définisse leur service. Nombre d’entre eux effectuent des activités de volontariat dans leur centre d’affectation. Si plusieurs SDIS ont encadré la pratique du cumul d’activité, l’absence de limitation resterait fréquente. De manière générale, les heures effectuées en vacation par les SPP sous double statut ne sont pas plafonnées. Dans un SDIS cité par la formation interjuridictionnelle de la Cour des comptes, les indemnités perçues en franchise d’impôt peuvent dépasser 25 000 euros par an. Dans un autre encore, les vacations horaires de volontaires effectuées par les professionnels ont augmenté de plus de 40 % alors que celles réalisées par les seuls volontaires ont progressé de moins de 3 % entre 2011 et 2017. La Cour des comptes estime que ces pratiques constituent « un dévoiement de la loi et de l’effort budgétaire que la collectivité réalise au bénéfice d’une catégorie particulière d’agents publics qui utilisent ces dispositions pour bénéficier dans certains cas de substantiels compléments de rémunération en franchise d’impôt et de cotisations sociales. Elles posent également d’évidentes difficultés au regard du respect de la norme européenne encadrant le temps de travail. »
En effet, comme le souligne la Cour, la question se pose de savoir si les SPP « sous double statut » peuvent intervenir comme SPV durant leurs repos réglementaires. La plupart des SDIS ne sont pas en capacité de contrôler le respect de périodes de repos. Or, le respect des périodes de repos et du temps maximal de travail participe de la prévention des risques professionnels, de la bonne santé des agents et du maintien de leur vigilance en service.
En cas de crise majeure, en tout état de cause, ces effectifs à double statut ne pourraient pas se démultiplier, ce qui limite d’autant la réalité des réserves stratégiques dont dispose l’État. Les rapporteurs soulignent d’ailleurs que l’engagement volontaire des professionnels de la défense, de la sécurité ou de la sécurité civile est un des facteurs qui expliquent le caractère inopérant de la réserve de sécurité nationale créée en 2011 par le Législateur.
3. Une crise du volontariat depuis 2011
Cette organisation spécifique et, à maints égards, abusive, est entrée en crise à partir de 2011.
a. Des effectifs insuffisants au regard des missions et une disponibilité en baisse
À partir de 2011, les effectifs de SPV ont commencé à décroître. Même s’ils se sont stabilisés depuis 2014, ils ont globalement régressé depuis 2011, en dépit des initiatives prises pour les augmenter, comme le développement des jeunes sapeurs-pompiers ou la réalisation de campagnes de communication. En mai 2018, le nombre de volontaires avait diminué de 7 % par rapport à 2003 et le nombre d’interventions avait, lui, augmenté de 20 %. ([74]) Par ailleurs, la disponibilité des volontaires tend à se réduire, du fait de l’importance prise par les contraintes personnelles ou professionnelles.
Les rapporteurs de la mission Volontariat Sapeurs-Pompiers précitée préconisaient en outre d’attribuer aux SPV les mêmes mesures d’attractivité que celles adoptées sous l’égide de la Garde nationale pour les réservistes de la Garde nationale (proposition n° 17). Ces mesures ayant eu un effet très limité sur l’engagement et la fidélisation des réservistes de défense et de sécurité, les rapporteurs du présent rapport sont très dubitatifs sur l’intérêt de les étendre aux SPV. D’après le groupement syndical national des sapeurs-pompiers volontaires (GSNSPV) entendu par les rapporteurs, « il n’existe pas de réel problème de recrutement, du moins pour les jeunes recrues : les sapeurs-pompiers volontaires manquent en revanche de volontaires plus âgés, de 30 à 50 ans, stables et bien implantés dans les territoires. La problématique de gestion des ressources humaines la plus prégnante est la fidélisation, les exigences de l’engagement étant sources de contraintes importantes pour la vie personnelle et professionnelle des volontaires. Le cadre manque aujourd’hui de souplesse pour s’adapter aux variations de la disponibilité tout au long de la vie. »
Le manque de candidats constaté dans certaines régions s’explique sans doute par une méconnaissance générale du statut de sapeur-pompier volontaire. « En dépit des campagnes de communication, beaucoup de Français pensent qu’il s’agit d’un métier, voire d’un métier militaire », a souligné le président du GSNSPV. Pour lui, « c’est également le signe qu’il est de plus en plus difficile d’avoir un engagement dans le temps long, dans un contexte caractérisé par une importante incertitude. Il est plus facile pour des jeunes de s’engager ponctuellement pour aller aider des gens dans le besoin ou nettoyer une plage. »
Les représentants du GSNSPV estiment que davantage de souplesse dans l’organisation de la formation et de l’emploi des SPV (aménagements horaires, visioconférences pour certaines formations…) serait plus efficace.
b. Des mesures de fidélisation sans effet significatif
D’après le rapport de la formation interjuridictionnelle de la Cour des comptes précité, les départements ont alors entériné des mesures de fidélisation pour des SPV dont ils avaient un besoin impérieux. Une partie des charges liées au volontariat est ainsi consacrée au versement d’allocations aux sapeurs-pompiers volontaires qui ne sont plus en activité, lorsqu’ils satisfont aux conditions requises pour en bénéficier.
Le dispositif correspondant a pris la forme de l’allocation de vétérance jusqu’en 2004, puis de la prestation de fidélité et de reconnaissance (PFR) de 2005 à 2015. Cette dernière a fait l’objet d’une réforme en 2016, conduisant à l’instauration d’une nouvelle PFR, ou « NPFR ». Malheureusement, ces mesures n’ont pas eu l’effet significatif escompté sur la durée moyenne d’engagement. De 10 ans et 11 mois en 2011, elle est passée à 11 ans et 8 mois en 2016.
c. Des mesures à destination des employeurs pour améliorer la disponibilité
D’autres mesures ont eu, de longue date, vocation à intéresser les employeurs au volontariat sapeur-pompier de leurs collaborateurs. De l’avis général, si les employeurs ont toujours considéré d’un œil plus favorable les absences des SPV que les absences des réservistes militaires, c’est en raison d’un engagement dont l’utilité pour la collectivité – et l’entreprise en cas de besoin – est plus directement perceptible, grâce notamment à l’ancrage local des SPV.
Les rapporteurs observent quand même que les relations avec les employeurs des SPV ont toujours été placées sous le signe de l’incitation plus que de la contrainte. L’employeur de SPV n’a ainsi aucune obligation de libérer son collaborateur cinq jours par an telle que celle prévue par l’article L. 4221-4 du code de la défense.
Depuis 1996, l’emploi de salariés ou d’agents publics ayant la qualité de sapeur-pompier volontaire ouvre droit à un abattement sur la prime d’assurance due au titre des contrats garantissant les dommages d’incendie des assurés, d’un montant égal à la part des salariés ou agents publics sapeurs-pompiers volontaires dans l’effectif total des salariés ou agents publics de l’entreprise ou de la collectivité publique concernée, dans la limite d’un maximum de 10 % de la prime. ([75]) L’employeur public ou privé peut en outre être subrogé, à sa demande, dans le droit du sapeur-pompier volontaire à percevoir les indemnités en cas de maintien, durant son absence, de sa rémunération et des avantages y afférents dans la limite de ceux-ci. ([76]) Les indemnités perçues par l’employeur en application de cette subrogation ne sont assujetties à aucun impôt, ni soumises aux prélèvements sociaux. L’emploi d’un SPV ouvre également droit à des allègements de cotisations sociales : « lorsque l’employeur maintient la rémunération pendant l’absence pour la formation suivie par les salariés sapeurs-pompiers volontaires, la rémunération et les prélèvements sociaux afférents à cette absence sont admis au titre de la participation des employeurs au financement de la formation professionnelle continue prévue à l’article L. 950-1 du code du travail. » ([77])
Une réduction d’impôt prévue à l’article 238 bis du code général des impôts a été accordée en 2005 au titre de l’emploi d’un sapeur-pompier volontaire (et étendu aux réservistes de défense et de sécurité le 7 février 2017). Limité aux seules interventions opérationnelles, le bénéfice de ce régime a été étendu par une instruction du 3 janvier 2018 au Bulletin officiel des finances publiques et des impôts à la mise à disposition de salariés pendant les heures de travail pour les activités de formation nécessaires à la réalisation de leurs missions de sapeurs-pompiers. Il ouvre droit pour ces employeurs à une réduction d’impôt égale à 60 % de son montant dans la limite de 5 ‰ du chiffre d’affaires. Une limite réside dans le fait que ce mécénat d’entreprises ne concerne que les entreprises assujetties à l’impôt sur les sociétés.
Les rapporteurs de la mission Volontariat Sapeurs-Pompiers précitée préconisaient en outre de simplifier les dispositifs incitatifs existants pour les employeurs (proposition n° 18), de créer des dispositifs de remplacement de ressources pour les salariés de TPE ou de PME, artisans, travailleurs indépendants, libéraux, agriculteurs, etc. contre les pertes d’exploitation en cas d’accident survenu ou de maladie contractée en service commandé, de protéger les SPV chefs d’entreprise ou travailleurs indépendants, d’étendre les effets des visites d’aptitude effectuées par les médecins de sapeurs-pompiers au bénéfice du monde de l’entreprise ou dans d’autres domaines pertinents, d’encourager l’insertion de mesures favorables à la disponibilité des SPV dans les conventions collectives et les accords d’entreprise, d’intégrer dans le cadre de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises (RSE) un critère d’engagement dans le soutien au volontariat de sapeurs-pompiers à prendre en compte par les agences de notation ou lors de l’attribution de marchés publics et de développer le conventionnement entre les entreprises et les SIS. Surtout, ils proposaient de sensibiliser « l’ensemble des ministères non pourvus (santé, justice, finances, écologie…) à la signature de telles conventions semble particulièrement opportune, l’État devant se montrer exemplaire. »
Les rapporteurs observent que les mêmes propositions sont envisagées pour faciliter la disponibilité des réservistes de défense et de sécurité.
d. Un plan national en faveur du volontariat
En septembre 2018, le ministre de l’Intérieur a présenté un plan d’action ministériel en faveur du volontariat pour la période 2019-2021. Il entendait créer un « choc de recrutement », en assouplissant les procédures et en faisant en sorte que la population de SPV soit plus représentative de la société. L’objectif est d’attirer davantage de femmes et « d’approcher de nouveaux publics » issus des quartiers populaires.
Il s’agissait également de s’appuyer sur le vivier du service national universel (SNU) qui devait se mettre en place à l’été 2019. Le plan retenait par ailleurs le principe d’« engagements différenciés » : un volontaire pourrait désormais s’engager pour le seul secours d’urgence à personne s’il ne souhaite pas participer à la lutte contre l’incendie. Le plan devait aussi simplifier les dispositifs à destination des employeurs publics et privés : conventions, mécénat, label, réduction de prime d’assurance incendie.
Par ailleurs le Conseil national des sapeurs-pompiers volontaires (CNSPV) a été chargé de conduire « à brève échéance » deux concertations pour « revaloriser et harmoniser l’indemnisation de l’astreinte » et pour mettre en place « un dispositif d’indemnisation fixe des gardes postées en caserne et sur les dispositifs préventifs ».
Une proposition de loi n° 3162 visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers, déposée à l’Assemblée nationale le 30 juin 2020 par M. Fabien Matras et plusieurs de ses collègues est actuellement en cours de discussion à la commission des Lois.
4. Le modèle français à la croisée des chemins
Dans le même temps, la Cour de Justice de l’Union européenne a rendu un arrêt qui pourrait achever de bouleverser le modèle français, en assimilant les sapeurs-pompiers volontaires à des travailleurs au sens du droit de l’Union et en rappelant que les États membres ne peuvent pas déroger à leur égard aux dispositions de la directive du 4 novembre 2003.
a. D’importantes limites du fait de l’assimilation du volontariat à un travail par le droit de l’Union européenne
Dans cette affaire opposant un sapeur-pompier volontaire belge et la commune qui l’emploie (21 février 2018, Ville de Nivelles c/ Rudy Matzak), la CJUE a jugé que le temps de travail total annuel des SPV devait être plafonné à 2 304 heures par an, ce qui réduit de façon considérable la disponibilité pour les SDIS de ceux des SPV qui exercent à titre principal une autre activité salariée.
Cette jurisprudence a aussi assimilé les périodes d’astreinte à du temps de travail. La Cour a en effet jugé que « les États membres ne peuvent pas déroger, à l’égard de certaines catégories de sapeurs-pompiers recrutés par les services publics d’incendie, à l’ensemble des obligations découlant des dispositions de [la] directive [relative au temps de travail], […] notamment [aux] notions de « temps de travail » et de « période de repos » ; (ii) qu’ils ne peuvent maintenir ou adopter « une définition moins restrictive de la notion de temps de travail que celle énoncée » par cette directive, (iii) que « le temps de garde qu’un travailleur passe à domicile avec l’obligation de répondre aux appels de son employeur dans un délai de 8 minutes [ainsi que l’astreinte, au sens français du terme, était définie par le règlement intérieur de la ville de Nivelles], restreignant très significativement les possibilités d’avoir d’autres activités, doit être considéré comme temps de travail », mais (iv) qu’ils ne sont cependant pas tenus de « déterminer la rémunération de périodes de garde à domicile telles que celles en cause au principal en fonction de la qualification préalable de ces périodes en tant que temps de travail ou période de repos ».
La CJUE a ainsi identifié la qualité du temps passé sous astreinte comme critère déterminant de la requalification éventuelle en temps de travail. Les périodes pendant lesquelles le travailleur est obligé de se trouver physiquement dans un lieu déterminé et la contrainte de rejoindre dans un délai fixé le lieu de travail sont ainsi à considérer différemment des périodes de disponibilité, pendant lesquelles le travailleur doit seulement être joignable par son employeur.
b. Une recomposition de la sécurité civile, des SDIS et du volontariat
L’idée de recourir à des intérimaires ou de professionnaliser tout ou partie des SPV pour en faire des « SPP à temps partiel » comme dans de nombreux pays d’Europe (Royaume-Uni, Irlande, Suède, Danemark, Chypre, Grèce) a pour l’instant été exclue en raison de son coût financier, insupportable pour les départements.
Pour la Cour des comptes, dans son rapport précité, ces évolutions jurisprudentielles rendent avant tout indispensable une revue des missions de la sécurité civile. « En effet, l’augmentation régulière des interventions consacrées au secours d’urgence à personne et leur complexification n’apparaissent pas soutenables au regard des moyens que les collectivités territoriales peuvent durablement consacrer au financement des SDIS. »
Ensuite, il conviendra de définir les missions qui doivent relever des titulaires, à temps plein ou partiel, et celles qui peuvent rester du ressort de volontaires occasionnels en veillant à leur conserver cette qualité. Par exemple, la Cour des comptes souligne l’intérêt du système de disponibilité, utilisé notamment dans les SDIS de l’Allier, de la Haute-Saône et des Hautes-Alpes, ou de celui des gardes « gracieuses » mis en œuvre dans les Alpes-Maritimes, qui permettent aux agents de se déclarer disponibles pour des interventions, sur la base du volontariat, sans être contraints par les règles de présence physique et d’intervention dans un délai imparti, et qui n’entraînent aucun coût pour les SDIS. Une généralisation de ces dispositifs nécessiterait cependant qu’ils soient prévus réglementairement.
La mission Volontariat Sapeurs-Pompiers précitée a aussi fait une proposition originale en proposant la création d’une réserve de deuxième niveau composée d’anciens SPP et SPV, ou de SPP et SPV ayant temporairement moins de disponibilités (parents de jeunes enfants, notamment) mais étant susceptibles de revenir en cas d’impérieuse nécessité.
En définitive, la Cour des comptes considère que « la contrainte forte qu’introduit la jurisprudence Matzak va obliger les SDIS à rationaliser leur organisation et leur fonctionnement, afin de dégager les marges de manœuvre budgétaires nécessaires au financement de leur mise en conformité avec le droit européen. »
B. Les grands réseaux de la sécurité civile
En application des articles L. 725-1 à L. 725-9 du code de la sécurité intérieure, des associations agrées aux opérations de secours peuvent aussi intervenir aux côtés des pouvoirs publics en cas de crise ou en vertu d’une convention avec les centres hospitaliers, les communes ou des SDIS.
Au 31 mars 2021, quinze associations sont agréées parmi lesquelles la Croix-Rouge, la fédération nationale de protection civile, la société nationale de sauvetage en mer (SNSM), le Secours catholique ou encore la société française de spéléologie.
Les bénévoles des associations agrées peuvent être sollicités pour la mise en œuvre du plan Orsec mais aussi en cas d’accident, de sinistre ou de catastrophe. L’employeur ne peut s’opposer à son absence « sauf nécessité inhérente à la production ou à la marche de l’entreprise ». Dans ce cas, à l’instar des SPV, ils sont protégés par la loi : aucun licenciement ou déclassement professionnel, aucune sanction disciplinaire ne peuvent être prononcés à l’encontre du salarié mobilisé en raison de ces absences.
La protection sociale du bénévole est prise en charge par l’association qui souscrit une police d’assurance pour ce faire.
Bien que n’étant pas indemnisés, les bénévoles des associations agrées présentent aussi des similitudes avec les réservistes. Ils bénéficient d’une formation, et parfois d’une rémunération de la part de l’association si celle-ci les emploie comme salariés, par exemple, ainsi que d’une tenue distinctive.
2. Un recoupement avec les réservistes civiques
La crise sanitaire a été une source de frustrations pour beaucoup de citoyens désireux de répondre à l’appel du président de la République, à « s’inscrire dans l’union nationale qui a permis à notre pays de surmonter tant de crises par le passé » face à la « guerre » contre le coronavirus. Beaucoup ont alors voulu rejoindre la réserve civique créée aux lendemains des attentats de 2015.
Une frustration est née du décalage entre le succès du site gouvernemental de cette réserve civique, www.jeveuxaider.gouv.fr, qui a été rapidement saturé de demandes, et l’habitude des préfets de recourir à la Croix-Rouge, qui se charge d’organiser les bénévoles. Les services des préfectures n’étaient en effet ni en capacité de recenser les besoins, ni en mesure de les mettre en relation avec les citoyens offrant leur aide via cette plateforme Internet pour faire des courses ou aller chercher des médicaments. Les préfectures ne paraissaient pas non plus être en contact avec les municipalités qui, parfois, avaient fait ce recensement de besoins. En tout état de cause, les bénévoles n’auraient eu ni tenue distinctive, ni encadrement, deux éléments qui sont à la fois protecteurs et gage d’une intervention légitime et efficace.
Pour les rapporteurs, il est évident que l’intermédiation associative a des avantages certains en temps de crise pour les préfets. Les réserves dites « civiques » ont ainsi montré leurs limites pendant la crise sanitaire. Faute d’une organisation capable de mettre en relation les besoins et les offres d’aide, d’animer le dispositif, les réserves civiques sont en réalité inopérantes. Même en dehors du temps de crise, l’expérience de la réserve citoyenne de l’Éducation nationale (voir infra IX.) montre les limites de l’engagement multi-individuel direct.
De la frustration des réservistes et des militaires sont aussi nées des associations ad hoc. Par exemple, les rapporteurs ont entendu les bénévoles de l’association Résilience citoyenne, composée d’anciens militaires, de gendarmes d’active, de réservistes militaires, entre autres bénévoles, qui ont assuré, dans le cadre d’une convention signée avec l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris le brancardage de patients, le nettoyage et le convoyage de linge, la préparation des dépouilles avant présentation aux familles dans les chambres mortuaires ainsi que le nettoyage et la désinfection des chambres et lieux de soins des hôpitaux auxquels ils étaient affectés. Comme l’a mis en exergue le président de l’association, « les citoyens ont un mode de prise de décision émotionnel. À la suite des attentats de 2015, de la pandémie et d’autres crises, ils se sentent en danger, bousculés ou inquiets pour leurs proches ». Ils sont par ailleurs « mal informés » et peinent à rejoindre les structures adaptées, ce qui contribue à « un sentiment d’inutilité ». « Beaucoup ont inscrit leur nom sur les portails Internet de différentes réserves sans savoir à quoi s’attendre, faute d’un travail de sensibilisation et de recrutement en amont, et de formalisation des besoins pendant la crise. » ([78])
Les rapporteurs estiment que ces retours d’expérience manifestent le manque d’informations dont souffre la population en général sur le volontariat et l’engagement ainsi que la frustration croissante d’une partie des citoyens qui voudraient être utiles mais ne trouvent pas d’engagement adapté à leur disponibilité. La professionnalisation du volontariat marginalise ces citoyens qui ont pourtant des compétences utiles et qui ressentent un intense besoin de participer. Ces questions renvoient plus largement à l’enjeu de la place que doit avoir l’engagement dans la vie des citoyens, et sur la conciliation entre la vie professionnelle et la vie personnelle. Elles invitent à repenser l’engagement tout au long de la vie en imaginant des parcours citoyens.
Les rapporteurs en concluent aussi que les réserves civiques doivent être rigoureusement organisées ou laisser la place à des associations agréées capables d’animer effectivement une communauté de bénévoles.
C. Les réserves communales de sécurité civile
Les réserves communales de sécurité civile sont encore une réalité marginale en France. Pourtant, les échanges que les rapporteurs ont eus avec des maires et l’Association des maires de France (AMF) les ont convaincus que ces réserves ont un grand nombre d’atouts pour relever les défis précités.
1. Une réserve civique véritablement animée
La loi de modernisation de la sécurité civile du 13 août 2004 a créé les réserves communales de sécurité civile, destinées à apporter un soutien aux populations en situation de catastrophe ou de crise, sans se substituer aux services de secours et d’urgence ou les concurrencer.
Prévues aux articles L. 724-1 à L. 724-14 du code de la sécurité intérieure, elles ont pour objet « d’appuyer les services concourant à la sécurité civile en cas d’événements excédant leurs moyens habituels ou dans des situations particulières », notamment par l’assistance aux populations, l’appui logistique, l’aide au rétablissement des activités et la préparation des populations aux risques.
La participation à ce corps, placé sous la seule autorité du maire, est facultative et bénévole. Elle est ouverte à tous les citoyens, sans conditions d’âge ni d’aptitude physique. Un contrat d’engagement est signé entre le réserviste et la commune pour préciser les garanties dont il bénéficie comme collaborateur du service public. La création de cette réserve est décidée par le conseil municipal et son fonctionnement pris en charge par la commune. Elle peut cependant être gérée administrativement en intercommunalité.
La loi du 27 janvier 2017 précitée a placé cette réserve dans le cadre de la réserve civique.
b. Les atouts considérables de la proximité
Comme l’ont mis en lumière les travaux de la mission d’information, l’ancrage local est un gage d’efficacité, de simplicité et de reconnaissance pour toutes les réserves. L’exemple des réserves communales de sécurité civile le démontre pleinement.
L’exemple de la réserve communale de Laigneville
Sapeur-pompier volontaire pendant vingt-sept ans, dont quinze ans dans le Var, et aujourd’hui président du service départemental incendie et secours (SDIS) de l’Oise, M. Christophe Dietrich a également été policier pendant quinze ans. Réserviste citoyen de l’armée de l’air à Creil, le maire de Laigneville est également le correspondant défense de sa commune. Très attentif aux enjeux connexes aux réserves, il a créé une réserve communale de sécurité civile à Laigneville, la seule du département de l’Oise, avec l’ambition de « recycler » les sapeurs-pompiers volontaires du centre prioritaire d’intervention. Cette réserve a été sollicitée chaque fois que sa commune a été confrontée à des évènements exceptionnels, lors d’épisodes de canicules ou de fortes neiges, et plus récemment pendant la crise sanitaire. Elle permet d’apporter un soutien utile à la population, rapidement.
Le maire de Laigneville mise sur l’équipement et la communication pour dynamiser sa réserve communale. Il considère que c’est une première forme de reconnaissance. Il a rappelé que lorsqu’il était pompier du Var, les premiers comités de lutte contre les feux de forêts avaient été mis en place, avec des citoyens « qui partaient en jean et en T-shirt, avec un véhicule que la commune avait réussi à leur dégoter ». Par la suite, il leur a été conféré une véritable identité visuelle, des véhicules dédiés et un statut légal. Pour M. Dietrich, ce sont évidemment des bonnes pratiques à étendre aux réserves communales. À Laigneville, les réservistes communaux de sécurité civile ont un statut légal, mais aussi des tenues floquées, reconnaissables, et un véhicule. Le maire est sur le point de créer une page Facebook pour valoriser l’action des réservistes et recruter davantage de volontaires. « Il ne s’agit pas d’en recruter trop », a averti M. Dietrich, « de constituer une armée mexicaine. » Il a mis en garde contre le risque que la réserve communale de sécurité civile ne soit perçue, à tort ou à raison, comme la milice du maire. Il vaut mieux, selon lui, une réserve de dix personnes, conscients de ce qu’ils ont à faire, efficaces, identifiables et bien équipés, qu’une cinquantaine qui formerait « une espèce de garde prétorienne autour du maire ». Ce sont des dérives qu’il a déjà constatées. Il souligné l’enjeu de formation des maires et d’information de la population.
En plus de la réserve communale, M. Dietrich a mis en place un « réseau d’aide » pendant la pandémie. Il faisait appel à la population à travers les réseaux sociaux pour des missions quotidiennes à caractère social ou solidaire. 500 personnes suivent ainsi la page Facebook « Laigneville Solidaire », mise en place dès le premier jour du confinement, et une centaine de personnes se sont mobilisées. La commune a ainsi évité que cela « ne parte dans tous les sens ». Les bonnes volontés ont été fédérées, un gage d’efficacité et de respect de la loi. M. Dietrich a remarqué que la plupart des volontaires s’étaient ensuite naturellement tournés vers le centre communal d’action sociale, le comité des fêtes ou des associations caritatives comme les Restos du cœur, une fois la première vague passée, une façon de continuer à se rendre utile. M. Dietrich parvient désormais à remobiliser facilement ces personnes bien qu’elles ne soient pas dans la réserve communale, faute d’une disponibilité suffisante la plupart du temps, pour une aide ponctuelle. M. Dietrich a signalé que les grandes surfaces de sa région invitaient chaque année les sapeurs-pompiers et les gendarmes dans des journées de sensibilisation à la sécurité ou à la sécurité civile. Il trouverait normal qu’elles pensent aussi à inviter les réservistes communaux, même si ils sont encore très rares au nord de la Loire.
L’exemple de la réserve communale de Sorgues
Maire de Sorgues, M. Thierry Lagneau est le maire d’une commune exposée à plusieurs risques : inondations, feux de forêts et des risques technologiques. Il a donc aussi fait adopter le projet d’une réserve communale de sécurité civile, qui absorberait un comité de surveillance des feux de forêt déjà existant. Les citoyens lui paraissent demandeurs de modalités de participation à la vie et à la résilience de leur commune : pendant la première vague de l’épidémie de Covid-19 par exemple, plus de 200 Sorguais bénévoles se sont spontanément et rapidement portés volontaires pour confectionner des masques en tissu dans un atelier de couture improvisé par le maire dans la salle des fêtes de la commune. En trois semaines, ils ont confectionné 26 000 masques. Le maire de Sorgues est convaincu qu’une réserve communale de sécurité civile peut et doit répondre à un vaste panel de besoins, en manifestant par exemple une solidarité à l’endroit des aînés. Il a en effet observé que les réserves communales de sécurité civile mises en place uniquement pour faire face aux risques d’inondations s’étiolaient dans le temps. Il faut pouvoir maintenir un lien en dehors des évènements exceptionnels pour lesquels ces réserves sont créées.
2. Un cadre rigoureux à respecter
Le principal défi de la réserve communale consiste à ne pas se substituer à d’autres acteurs plus pertinents et à empêcher des dérives politiques du dispositif.
a. Une coordination indispensable avec les autres acteurs de la sécurité civile
Fort de ses expériences professionnelles, le maire de Laigneville n’a pas eu de mal à savoir où, quand et comment engager sa réserve. Il ne fera pas faire du nettoyage de route à ses réservistes ; c’est une mission qui relève des services techniques. En revanche, il pourra leur demander de pomper l’eau dans la cave d’une maison où les pompiers n’ont pas le temps d’intervenir, les engager pour assurer la circulation ou la surveillance de fêtes locales ou de manifestations.
Le succès d’une réserve communale de sécurité civile suppose que le maire ait une parfaite connaissance du rôle des autres acteurs publics. Des ressources devraient être davantage mises à la disposition des maires pour ce faire.
b. Un encadrement rigoureux, gage d’efficacité et de protection
Les réservistes doivent être bien encadrés pour ne pas prendre d’initiative malheureuse. M. Christophe Dietrich a aussi précisé que, dans la mesure où il s’agissait d’une réserve officielle et reconnue comme telle, y compris par le préfet, il avait pris une assurance pour ses réservistes au niveau de la commune. Il a néanmoins reconnu que de telles précautions n’avaient pas été prises dans le cadre de son initiative citoyenne pendant la première vague de l’épidémie de Covid-19, les volontaires ne réalisant cependant aucune mission nécessitant un transport ou un risque particulier. Le réseau « Laigneville Solidaire » ne commandait pas de missions, de surcroît. Il mettait en relation des citoyens volontaires et des personnes dans le besoin. Pour toutes les missions de confiance ou logistiques, le maire de Laigneville avait préférablement recours aux services communaux, mieux protégés.
c. Une information insuffisante des maires
Les rapporteurs ont été frappé du manque d’information des maires sur les réserves alors que ces derniers ont intérêt à ce que leurs concitoyens trouvent leur place.
S’il dirige spontanément les candidats aux réserves qui se manifestent auprès de lui vers la gendarmerie nationale, ou à défaut, vers des organismes associatifs comme la Croix rouge, le maire de Laigneville a regretté que les maires ne soient destinataires d’aucune information ou documentation particulière sur les réserves nationales, estimant que l’immense majorité des personnes ne connaissaient pas ou très peu les dispositifs d’engagement citoyen existants. Les deux maires entendus par la mission d’information ne connaissaient pas la Garde nationale, tout comme les deux permanents de l’AMF présents à l’audition. L’AMF a pourtant signé une convention avec la Garde nationale en en même temps que l’Association des départements de France et l’Association des régions de France au congrès des maires de France. Elle n’a de toute évidence pas eu de suites.
D’après les travaux de la mission d’information, le rôle des correspondants défense reste très limité, voire symbolique. Le contact de ces derniers avec les délégués militaires départementaux (DMD) est réduit, et l’action des correspondants se borne bien souvent à l’animation du lien entre la commune et les associations patriotiques et d’anciens combattants. Ils ne bénéficient d’aucune formation et d’aucun suivi particulier. La nécessité de densifier les relations civilo-militaire a par ailleurs déjà été soulignée par un autre rapport de la commission de la défense sous la XVe législature, celui de MM. Joaquim Pueyo et Pierre Venteau. ([79])
d. Une modalité pour organiser des volontaires ayant d’autres engagements au niveau local
Au terme de leurs travaux, les rapporteurs estiment que les réserves communales de sécurité civile ou d’autres réseaux de solidarité créés par les maires auraient pu accueillir les offres de bénévolat des citoyens avec beaucoup plus d’efficacité que la réserve civique matérialisée par le site www.jeveuxaider.gouv.fr, en particulier dans les petites communes, aux côtés des grands réseaux associatifs. L’expérience de Laigneville montre que le maire dispose d’atouts pour organiser les bonnes volontés, éviter qu’elles n’entrent en contradiction ou s’ajoutent à l’action de professionnels ou d’associations déjà présents sur le terrain.
Comme les associations, les réserves communales de sécurité civile sont un atout pour organiser des parcours citoyens pour des réservistes dont la disponibilité évolue et ne leur permet plus de poursuivre leur engagement sous cette forme. La réserve communale de Laigneville a d’ailleurs été fondée autour d’anciens sapeurs-pompiers volontaires. Les réservistes opérationnels de défense et de sécurité, les sapeurs-pompiers volontaires sont déjà formés et ont l’habitude de travailler dans un cadre réglementaire bien défini et en coordination avec d’autres acteurs. C’est pourquoi il serait évidemment intéressant pour le maire de les compter dans sa réserve communale de sécurité civile.
C’est pourquoi les rapporteurs soutiennent une proposition consistant à favoriser la connaissance mutuelle des réservistes à l’échelle communale. Il n’est pas question de faire passer des réservistes opérationnels ou des sapeurs-pompiers volontaires sous le commandement du maire ou de permettre à celui-ci d’obtenir des listes de réservistes. Mais en organisant des évènements destinés à tous les volontaires de sa commune, un maire aurait la possibilité de témoigner de la reconnaissance à ceux qui s’engagent au profit de tous, de contribuer à l’information sur les possibilités de volontariat et à favoriser des passerelles entre les réserves. Il va de soi que tout cela reposerait sur le volontariat des réservistes.
IV. La réserve sanitaire : un grand malentendu
La réserve sanitaire suscite beaucoup d’insatisfaction depuis le début de la crise sanitaire parce que ses missions et sa doctrine d’emploi sont mal connues mais aussi parce que ses moyens sont insuffisants. En outre, elle n’a pas été conçue pour faire face à une crise à cinétique longue comme celle qu’a causée l’épidémie de Covid-19.
A. Un dispositif centralisé, unique au monde, d’échanges de professionnels qualifiés
Composée de professionnels de santé volontaires (par exemple, médecin, psychologue, pharmacien, infirmier, ambulancier), de retraités de moins de cinq ans et d’étudiants en médecine, la réserve sanitaire intervient en renfort, en France ou à l’étranger, dans des situations sanitaires exceptionnelles (épidémie, catastrophe naturelle, attentat...). Elle a été créée en 2007 ([80]) pour permettre l’intervention en renfort de personnels de santé pour faire face à des crises sanitaires comme celle de l’épidémie de chikungunya à La Réunion et à Mayotte ou de la canicule de l’été 2006. À la connaissance des rapporteurs, elle n’a pas fait l’objet de travaux d’évaluation depuis.
1. Des réservistes d’un haut niveau de qualification
La réserve sanitaire fait exclusivement appel à des professionnels qualifiés : des professionnels en exercice, des retraités de moins de cinq ans et des étudiants en médecine. Elle n’assume donc pas le coût de leur formation initiale.
a. Des conditions d’accès strictes
L’exigence d’une pratique professionnelle de moins de cinq ans est justifiée par la rapidité avec laquelle évoluent les normes et les gestes professionnels dans le domaine de la santé. D’après les travaux des rapporteurs, des infirmiers et infirmières scolaires ou de la médecine du travail l’ont d’ailleurs éprouvé lorsqu’ils sont venus renforcer des hôpitaux pendant la crise sanitaire. La limite d’âge pour effectuer des renforts dans la réserve sanitaire est fixée à 65 ans. Les rapporteurs ont cependant rencontré d’anciens réservistes sanitaires qui poursuivaient leur engagement sous la forme d’un renfort administratif.
Pour alléger au maximum la charge administrative de l’établissement en demande de renfort, l’équipe de la réserve sanitaire de Santé publique France assume toute la gestion administrative du réserviste. Diplôme, RIB, adresse : tout est vérifié avant l’envoi en mission. De récentes expériences alternatives tentées pour faire face à la crise sanitaire ont apparemment montré toute la pertinence de ce modèle.
Les conditions d’accès à la réserve sanitaire sont donc légitimement strictes, ce qui a suscité une certaine frustration pendant la crise de la Covid-19. Un afflux de volontaires a été constaté lors de la première vague de l’épidémie, avec jusqu’à 19 000 nouveaux volontaires permettant d’atteindre plus de 45 000 inscrits au total. Beaucoup se sont plaints de n’être pas employés. Mais sur cet ensemble d’inscrits, 5 000 n’ont pas même renseigné leur profession. Ils ont été relancés deux fois, sans réel succès. Seuls 4 600 ont complété leur dossier administratif et signé un contrat d’engagement pour une durée de trois ans avec la réserve sanitaire.
L’autre limite a trait à la qualification. La réserve sanitaire est en effet composée à 62 % de professionnels paramédicaux (aides-soignants, infirmiers, infirmiers spécialisés, cadres de santé) et psychologues ; à 28 % de professionnels médicaux, pharmaceutiques et scientifiques (sages-femmes, médecins généralistes, pédiatres, médecins de santé publique, psychiatres, infectiologues, chirurgiens, épidémiologistes...) ; 9 % de professionnels administratifs (assistants de régulation médicale, secrétaires médicaux, directeurs des soins, directeurs d’hôpitaux...) et 1 % de professionnels techniques et médicotechniques (ambulanciers, techniciens et ingénieurs biomédicaux, techniciens et ingénieurs sanitaires...). Pendant la crise sanitaire, les ARS ont demandé des médecins-réanimateurs, pas des ergothérapeutes ou des kinésithérapeutes, par exemple, qui ont pu avoir le sentiment de rester l’arme au pied.
b. Des formations dispensées par la réserve sanitaire insuffisamment reconnues
Bien qu’elle s’appuie sur des professionnels déjà formés, la réserve sanitaire dispense aussi des formations permettant de réagir à l’imprévu en adoptant les bons gestes, de prodiguer des soins dans un environnement dégradé, de savoir organiser la prise en charge des victimes, de détecter les traumatismes psychiques et de savoir les prévenir chez les populations touchées, d’organiser un camp de vie pour le quotidien des réservistes. Certains réservistes sanitaires entendus par la mission d’information ont d’ailleurs regretté que la formation et la préparation des réservistes partant pour l’étranger ou l’outremer n’aient pas pu être dispensées à tous les réservistes à cause du contexte sanitaire, au vu de la réalité des conditions de travail voire de sécurité sur certaines missions.
Mme Catherine Lemorton, la responsable de la réserve sanitaire, a aussi regretté que les formations dispensées dans ce cadre ne soient pas reconnues au titre du développement professionnel continu (DPC), par exemple, la formation habillage - déshabillage pour faire face à une épidémie de type Ebola, qui donne lieu à une formation initiale et des « recyclages » réguliers, ou des journées appelées « exercices terrain » simulant un travail intense pendant cinq jours à soixante dans des conditions très spartiates en pluridisciplinarité ou encore la formation de chef de salle pour la prise en charge des victimes après un attentat proposé par la cellule de crise du ministère de l’Intérieur. Avant la crise sanitaire, la responsable de la réserve sanitaire avait pensé entamer les démarches d’homologation de ces formations pour le DPC, démarches qui prennent environ deux ans. Dès que la crise sanitaire sera terminée, cela redeviendra une priorité. Mais toutes les formations de la réserve sanitaire ne pourront pas y prétendre et mériteraient d’être reconnues autrement.
Comme l’ont suggéré des directeurs généraux d’ARS entendus par la mission d’information, les employeurs habituels de réservistes formés pourraient avoir un bonus financier ou des points valables dans le cadre de la certification. Cela constituerait une bonne manière d’inciter les employeurs à libérer leurs réservistes, y compris pour des formations qui sont d’intérêt général.
Une piste d’évolution pour la réserve sanitaire telle qu’elle est aujourd’hui ou, plus généralement pour le ministère de la Santé, pour tout autre mécanisme de réaction rapide en cas de crise, pourrait être de conditionner l’accès aux formations qualifiantes dans le domaine de la gestion de situations sanitaires exceptionnelles à la qualité de réserviste, et d’inciter les établissements à investir dans cette forme de formation continue par des bonus financiers.
2. Un mécanisme de solidarité entre territoires ou établissements
La réserve sanitaire n’est pas une réserve stratégique mais un mécanisme de solidarité entre établissements de santé ou entre territoires, une modalité de mise en relation entre des professionnels volontaires et des besoins éloignés. Elle n’est pas l’outil adapté pour faire face à un choc symétrique sur l’ensemble du territoire national ou une crise soudaine comme un attentat.
a. Pas une réserve sanitaire de masse, mais un renfort multi-individuel
Avec plus de vingt-cinq opérations par an en moyenne, la réserve sanitaire a assuré jusqu’en 2019 des missions telles que le renfort de cellules téléphoniques d’aide aux victimes en cas d’attentat, le renfort de l’offre de soins dans des territoires touchés par une situation sanitaire exceptionnelle comme l’ouragan Irma aux Antilles, l’accompagnement des centres de protection maternelle et infantile à Mayotte pendant deux mois chaque année, un renfort en cas de catastrophe impliquant des ressortissants français à l’étranger (attentat, accidents aériens, catastrophe naturelle…), des missions d’appui lors de campagnes de vaccination exceptionnelles dans les outre-mer, à l’occasion d’épidémies (méningite, hépatite A, rougeole, coqueluche) et dans les zones d’accueil de personnes migrantes.
Le cadre de mobilisation de 2013 prévoit explicitement que la réserve sanitaire est d’abord réservée aux départements et collectivités ultra marine, où le nombre de professionnels de santé est insuffisant. Elle est intervenue de manière très efficace après des épidémies de maladies infectieuses dans ces territoires, notamment l’épidémie de Zika.
Activité de la réserve sanitaire entre 2008 et 2019