N° 4218

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 3 juin 2021.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES (1)

sur l’évolution du cadre juridique européen
applicable à la production d’électricité,

 

 

 

ET PRÉSENTÉ

par Mme Sabine THILLAYE

Députée

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(1)    La composition de la commission figure au verso de la présente page.


 

La Commission des affaires européennes est composée de : Mme Sabine THILLAYE, présidente ; MM. Pieyre-Alexandre ANGLADE, Jean-Louis BOURLANGES, Bernard DEFLESSELLES, Mme Liliana TANGUY, vice‑présidents ; Mme Marietta KARAMANLI, M. Christophe NAEGELEN, Mme Danièle OBONO, secrétaires ; MM. Patrice ANATO, Philippe BENASSAYA, Mme Aude BONO-VANDORME, MM. Éric BOTHOREL, Vincent BRU, Mmes Fannette CHARVIER, Yolaine de COURSON, Typhanie DEGOIS, Marguerite DEPREZ-AUDEBERT, M. Julien DIVE, Mmes Coralie DUBOST, Frédérique DUMAS, MM. Pierre-Henri DUMONT, Jean‑Marie FIÉVET, Alexandre FRESCHI, Mmes Valérie GOMEZ-BASSAC, Carole GRANDJEAN, Christine HENNION, MM. Michel HERBILLON, Alexandre HOLROYD, Mme Caroline JANVIER, M. Christophe JERRETIE, Mme Chantal JOURDAN, M. Jérôme LAMBERT, Mmes Constance Le GRIP, Nicole Le PEIH, MM. Jean-Claude LECLABART, Patrick LOISEAU, David LORION, Ludovic MENDES, Thierry MICHELS, Jean-Baptiste MOREAU, Xavier PALUSZKIEWICZ, Damien PICHEREAU, Jean‑Pierre PONT, Didier QUENTIN, Mme Maina SAGE, M. Benoit SIMIAN, Mme Michèle TABAROT, M. Hubert WULFRANC.

 


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SOMMAIRE

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 Pages

Introduction

PREMIÈRE PARTIE : L’Évolution du mÉcanisme de l’ARENH implique un accord de la Commission europÉenne au regard de la rÉglementation sur les aides d’État

I. Le mÉcanisme de l’ARENH, en raison de son caractÈre asymÉtrique, PARTICIPE FORTEMENT A LA situation structurellement dÉficitaire d’EDF

A. Le fonctionnement de l’ARENH

B. Les effets de l’ARENH sur la situation de l’entreprise EDF

II. L’ARENH doit Évoluer pour couvrir les coûts de fonctionnement et les investissements d’EDF

A. Les pistes d’Évolution de l’ARENH

1. Un changement de nature de l’ARENH

2. Une revalorisation de son montant

B. La nÉcessitÉ du respect du cadre posÉe par la Commission europÉenne

DEUXIÈME PARTIE : une évolution possible avec l’introduction d’un service d’intérêt économique général, permettant une compensation des obligations de service public de l’entreprise edf

I. La notion de service d’intÉRÊt Économique gÉNÉral relÈve des États membres sous le contrÔle de la Commission et de la Cour de Justice de l’Union europÉenne

A. Les critÈres de dÉfinition du service d’intÉRÊt Économique gÉNÉral SONT LARGES, VOIRE IMPRÉCIS

1. L’existence d’une activité économique

2. Un critère organique : le lien avec une personne publique

3. Un critère matériel : l’intérêt général de l’activité en cause

B. La qualification d’un SIEG est contrÔLÉe par la Commission europÉenne et la Cour de Justice de l’Union EuropÉenne

II. La reconnaissance d’un SIEG de production d’ÉLECTRICITÉ pourrait permettre À la puissance publique de subventionner les ENTREPRISES DU SECTEUR, DONT EDF

A. L’activitÉ de production d’ÉLECTRICITÉ remplit les caractÉristiques d’un SIEG

1. L’existence d’une activité économique de production d’électricité

2. Les obligations imposées par la puissance publique à EDF permettent de remplir le critère organique de reconnaissance des SIEG

3. La production d’électricité pourrait être considérée comme une activité d’intérêt général, remplissant le critère matériel de reconnaissance des SIEG

B. La qualitÉ de SIEG du service de production d’ÉLECTRICITÉ peut fonder une dÉrogation aux rÈgles europÉennes de concurrence

1. La possibilité pour les SIEG de déroger aux règles européennes de concurrence

2. Le SIEG de production d’électricité pourrait ainsi bénéficier d’une compensation aux obligations de service public dans le cadre de la réforme de l’ARENH

TROISIEME PARTIE : UNE EVOLUTION POSSIBLE AVEC L’INTRODUCTION D’UNE AIDE D’ETAT SUR LE NUCLEAIRE HISTORIQUE

Conclusion

TRAVAUX DE LA COMMISSION

Proposition de rÉsolution europÉenne INITIALE

amendements examinés par la commission

proposition de résolution européenne

Annexe I : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES


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   Introduction

 

Mesdames, Messieurs,

Le marché de l’électricité fait l’objet d’une libéralisation progressive dans l’Union européenne depuis le début des années 1990. Ce mouvement a pris deux formes distinctes.

D’une part, une séparation a été actée entre les gestionnaires des réseaux et les opérateurs économiques opérant sur ces réseaux pour le transport et la distribution de l’électricité produite. Les activités de transport et de distribution d’électricité sont encore en situation de monopole, mais ont été séparées de l’opérateur historique Électricité de France (EDF). L’entreprise Réseau Transport d’électricité (RTE), gestionnaire du réseau de transport d’électricité français est ainsi une société anonyme depuis 2005, tandis que l’entreprise Enedis, gestionnaire du réseau de distribution, est une filiale de l’opérateur historique EDF.

D’autre part, les marchés de production et de fourniture d’électricité ont été ouverts à la concurrence, par une première directive européenne de 1996 ([1]), puis par une seconde directive européenne de 2003 ([2]).

Ce mouvement a conduit à une évolution profonde du marché de la production d’électricité, et de la position de l’entreprise EDF sur ce marché. Les mécanismes d’ouverture à la concurrence, notamment l’accès régulé à l’énergie nucléaire historique (ARENH), ont contribué à une dégradation de l’équilibre financier de l’opérateur historique. Dans ce contexte, le Gouvernement français négocie avec la Commission européenne depuis plus de deux ans, pour obtenir une évolution du mécanisme de l’ARENH.

La réforme de l’ARENH pourrait conduire à la création d’une garantie de ressources pour l’entreprise EDF. La première option pour garantir la conformité du nouveau dispositif avec les traités européens est la reconnaissance d’un service d’intérêt économique général (SIEG) en matière de production d’électricité. Si les critères doivent être encore précisés, notamment au regard de la grille d’analyse complexe de la Commission et de la Cour de justice de l’Union Européenne, la reconnaissance d’un SIEG de la production d’électricité permettrait d’envisager le versement de compensations aux obligations de service public assumées par les opérateurs économiques sur le marché, dont l’entreprise EDF. La seconde option est de recourir à un régime d’aides d’Etat en matière de production d’électricité, qui seraient notifiées et acceptées par la Commission.


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   PREMIÈRE PARTIE :
L’Évolution du mÉcanisme de l’ARENH implique un accord de la Commission europÉenne au regard de la rÉglementation sur les aides d’État

 

I.   Le mÉcanisme de l’ARENH, en raison de son caractÈre asymÉtrique, PARTICIPE FORTEMENT A LA situation structurellement dÉficitaire d’EDF

A.   Le fonctionnement de l’ARENH

L’accès régulé à l’énergie nucléaire historique (ARENH) est issu de la loi n° 2010-1488 du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l’électricité (dite loi « NOME »), pour permettre l’ouverture effective à la concurrence du marché de la production d’électricité, en application de la directive 2009/72/CE. Le mécanisme, entré en vigueur le 1er juillet 2011 et qui doit s’éteindre le 31 décembre 2025, est codifié aux articles L.336-1 et suivants du code de l’énergie.

L’ARENH consiste en une obligation pour l’opérateur historique, soit l’entreprise EDF, de vendre l’électricité nucléaire produite à ses concurrents, à un tarif déterminé. Le dispositif doit également permettre d’offrir durablement aux consommateurs des prix stables reflétant les coûts du parc nucléaire historique, quel que soit le fournisseur qu’ils avaient choisi.

Selon l’article L. 337-14 du code de l’énergie, le prix de l’ARENH est représentatif des conditions économiques de production d’électricité par les centrales nucléaires et tient compte d’une rémunération des capitaux prenant notamment en compte la nature de l’activité, les coûts d’exploitation, et les coûts des investissements de maintenance.

Le tarif, fixé après consultation de la commission de régulation de l’énergie (CRE), est de 42 euros par mégawattheure (MWh) depuis le 1er janvier 2012. Ce prix n’a toutefois pas été réévalué depuis cette date.

Le volume maximal d’électricité pouvant être cédé par EDF au titre de l’ARENH aux fournisseurs concurrents, initialement fixé à 100 térawattheure (TWh) a été relevé à 150 TWh en 2019 ([3]).

La CRE a constaté une forte augmentation du nombre de fournisseurs ayant recours au mécanisme ARENH : en novembre 2019, elle a reçu 73 dossiers de demande contre seulement 30 en 2017 ([4]).

B.   Les effets de l’ARENH sur la situation de l’entreprise EDF

Le mécanisme de l’ARENH pose deux difficultés à l’entreprise EDF, liées à sa nature et à son prix, expliquant en grande partie la situation déficitaire de l’opérateur historique.

Concernant la nature de l’ARENH, le mécanisme constitue en pratique un prix plafond de vente par l’entreprise EDF de l’énergie nucléaire qu’elle produit, en raison de son caractère optionnel. En effet, lorsque les prix de marché sont élevés, les fournisseurs d’électricité bénéficient du prix fixé par l’ARENH, plus attractif. En revanche, lorsque les prix du marché sont moins élevés que le tarif de référence de l’ARENH, soit les fournisseurs n’achètent pas l’électricité à EDF, soit l’entreprise EDF est contrainte de vendre son électricité à un prix plus faible que celui fixé.

Concernant le montant de l’ARENH, le prix fixé de 42 euros par MWh ne tient compte ni de l’évolution des coûts de production et de maintenance pour EDF depuis 2012, ni de l’inflation. L’ARENH reflète ainsi une vision du parc nucléaire historique qui n’est pas actualisée depuis 2012.

D’un point de vue financier, l’ARENH a donc affaibli l’entreprise EDF qui vend quasiment la totalité de son électricité à travers ce mécanisme. L’ARENH limite ainsi les revenus d’EDF alors même que ses investissements représentent 15 milliards d’euros annuels. La dette de l’entreprise augmente ainsi de 3 à 4 milliards d’euros tous les ans, et EDF est devenue l’entreprise qui emprunte le plus dans l’Union Européenne.

II.   L’ARENH doit Évoluer pour couvrir les coûts de fonctionnement et les investissements d’EDF

A.   Les pistes d’Évolution de l’ARENH

1.   Un changement de nature de l’ARENH

La principale piste d’évolution est de faire en sorte que l’ARENH ne représente plus seulement un prix plafond de vente pour EDF de l’électricité nucléaire produite, mais soit également un prix plancher.

Ainsi, dans l’hypothèse où le prix de marché est plus élevé que le prix fixé, l’entreprise EDF vendrait à ses concurrents l’énergie nucléaire au tarif de référence. Le nouveau dispositif continuerait ainsi de représenter, sans changement de ce point de vue, un prix plafond.

En revanche, dans l’hypothèse où le prix de marché est plus faible que le prix fixé, EDF percevrait tout de même le montant déterminé par le nouveau dispositif, grâce à un mécanisme de compensation de la différence entre le prix de vente sur le marché et le tarif de référence. Le nouveau dispositif représenterait ainsi également un prix plancher de vente par l’entreprise EDF de l’énergie nucléaire produite. La nouvelle régulation deviendrait dès lors symétrique.

Le système de compensation est notamment inspiré des projets de nouveaux réacteurs nucléaires au Royaume-Uni, avec un « contract for difference », qui comble l’écart entre le tarif de référence et le prix de vente obtenu sur les marchés.

2.   Une revalorisation de son montant

La création d’un nouveau dispositif est également l’occasion d’une meilleure prise en compte des coûts engagés par EDF pour la production de l’énergie nucléaire, la maintenance des installations, et la rémunération des capitaux, conformément à l’esprit de l’actuel article L. 337‑14 du code de l’énergie. D’après la presse, le prix de 48 euros par MWh aurait ainsi été proposé par la CRE.

La revalorisation du montant de l’ARENH, avec la création d’un nouveau dispositif, doit contribuerait ainsi au redressement la situation structurellement déficitaire de l’entreprise EDF, qui deviendrait ainsi autosuffisante financièrement.

B.   La nÉcessitÉ du respect du cadre posÉe par la Commission europÉenne

Des échanges avec la Commission européenne ont lieu depuis plus de deux ans pour la réforme du mécanisme de l’ARENH. La Commission a imposé un cadre que le nouveau dispositif devra respecter ([5]). En premier lieu, le nouveau mécanisme doit s’intégrer pleinement dans le droit de l’Union européenne et respecter les conditions de nécessité et de proportionnalité que celui-ci impose. En second lieu, le dispositif ne doit pas conduire à une sur-rémunération de l’opérateur historique, ni à une aide aux entreprises en concurrence sur le marché intérieur.

La révision du mécanisme de l’ARENH doit ainsi respecter la législation européenne sur les aides d’État, afin de ne pas conduire à l’attribution d’une subvention à l’entreprise EDF non conforme avec les traités européens.

 


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   DEUXIÈME PARTIE :
une évolution possible avec l’introduction d’un service d’intérêt économique général, permettant une compensation des obligations de service public de l’entreprise edf

 

Selon une disposition remontant au traité de Rome, aujourd’hui prévue au paragraphe 2 de l’article 106 du TFUE « Les entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général ou présentant le caractère d'un monopole fiscal sont soumises aux règles des traités, notamment aux règles de concurrence, dans les limites où l'application de ces règles ne fait pas échec à l'accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie ». Le principe est donc la soumission du service d’intérêt économique général aux règles de la concurrence, auxquelles il peut déroger par exception, seulement dans la mesure où l’application de ces règles fait échec à l’accomplissement de ses obligations de service public.

Ajouté par le traité d’Amsterdam, l’article 14 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) prévoit qu’« eu égard à la place qu'occupent les services d'intérêt économique général parmi les valeurs communes de l'Union ainsi qu'au rôle qu'ils jouent dans la promotion de la cohésion sociale et territoriale de l'Union, l'Union et ses États membres, chacun dans les limites de leurs compétences respectives et dans les limites du champ d'application des traités, veillent à ce que ces services fonctionnent sur la base de principes et dans des conditions, notamment économiques et financières, qui leur permettent d'accomplir leurs missions ».

Enfin, le protocole n° 26 sur les services d’intérêt général, inséré par le traité de Lisbonne, souligne le large pouvoir discrétionnaire des autorités nationales, régionales et locales pour fournir, faire exécuter et organiser les services d’intérêt économique général et rappelle les principes applicables aux services d’intérêt économique général (niveau élevé de qualité, égalité de traitement, accès universel des usagers).

Par conséquent, la reconnaissance du caractère de service d’intérêt économique général de la mission de production d’électricité, assurée en partie par l’entreprise EDF, peut fonder une dérogation aux règles du traité en matière de concurrence.

I.   La notion de service d’intÉRÊt Économique gÉNÉral relÈve des États membres sous le contrÔle de la Commission et de la Cour de Justice de l’Union europÉenne

A.   Les critÈres de dÉfinition du service d’intÉRÊt Économique gÉNÉral SONT LARGES, VOIRE IMPRÉCIS

Les critères de qualification d’un service d’intérêt économique général (SIEG) sont définis de façon large par les textes et institutions européennes, de manière à laisser une marge d’appréciation aux États membres dans leur reconnaissance. La mise en place d’un SIEG est néanmoins en pratique soumise à l’accord de la Commission européenne.

1.   L’existence d’une activité économique

La reconnaissance d’un SIEG nécessite l’exercice d’une activité économique, entendue de façon large comme « toute activité consistant à offrir des biens ou des services sur un marché donné » ([6]). Le SIEG est en effet, par principe, exercé sur un marché concurrentiel.

Les activités économiques sont définies en creux par le droit de l’Union européenne, comme toutes les activités n’étant pas qualifiées de « non économiques ». Le domaine non économique recouvre ainsi les activités dont la nature est particulière, principalement dans le domaine régalien ([7]), et les activités obéissant à des modalités particulières d’exercice, à l’image des activités ayant une vocation purement sociale ([8]).

Un SIEG peut ainsi être reconnu dans de très nombreux domaines, au regard de la conception extensive de la notion d’activité économique.

2.   Un critère organique : le lien avec une personne publique

Pour qu’un service puisse être qualifié de SIEG, la Cour de justice de l’Union européenne exige un « rapport étroit » entre l’activité en cause et les pouvoirs publics ([9]). Ce rapport étroit se concrétise par un acte de puissance publique, qui investit l’entreprise de l’activité en cause d’obligations de service public. L’acte d’investiture peut être individuel ou réglementaire ([10]).

3.   Un critère matériel : l’intérêt général de l’activité en cause

L’activité qualifiée de SIEG doit présenter un caractère d’intérêt général. Le caractère obligatoire de l’activité est essentiel : il s’agit de l’obligation pour l’entreprise d’exécuter l’activité qui lui est conférée par l’acte de puissance publique. Le caractère obligatoire du service pour l’opérateur économique qui le délivre, va révéler l’intérêt général de l’activité en cause : il faut que l’opérateur chargé d’un SIEG se trouve dans l’obligation de fournir ce service à tout utilisateur qui en fait la demande ([11]).

B.   La qualification d’un SIEG est contrÔLÉe par la Commission europÉenne et la Cour de Justice de l’Union EuropÉenne

La Cour de Justice de l’Union Européenne rappelle que les États membres sont libres, en droit, dans le respect des textes européens, de définir l’étendue et l’organisation de leurs services d’intérêt économique général en tenant compte en particulier d’objectifs propres à leur politique national. Les États membres disposent à cet égard d’un large pouvoir d’appréciation ([12]). Toutefois, la jurisprudence de la CJUE et les décisions de la Commission en la matière démontrent que leur intervention vise à éviter les erreurs manifestes d’appréciation, et conduisent à une lecture plus restrictive de la qualification de SIEG.

Constitue, par exemple, une erreur manifeste d’appréciation l’inclusion, dans un SIEG de l’audiovisuel, des activités de publicité, de commerce électronique et d’utilisation de numéros de téléphone spéciaux pour des jeux dotés de prix ([13]). De même, la Cour de justice a censuré pour erreur manifeste d’appréciation la qualification de SIEG de certaines activités liées au domaine des opérations portuaires, comme le débarquement des marchandises, qui ne revêtent pas nécessairement un intérêt économique général spécifique par rapport à celui que revêtent d’autres activités de la vie économique ([14]).

 

Malgré un caractère large des critères de qualification des SIEG, la Commission européenne et la Cour de justice de l’Union Européenne en font une lecture restrictive, de manière à ne pas créer un obstacle trop large à l’application des règles de concurrence. Cette analyse nuit toutefois à la clarté des critères de définition d’un SIEG. Dès lors, la lecture institutionnelle et jurisprudentielle des critères de qualification d’un SIEG doit être précisée, afin de donner une grille d’analyse claire et prévisible aux États membres dans la reconnaissance de ces services.

 

II.   La reconnaissance d’un SIEG de production d’ÉLECTRICITÉ pourrait permettre À la puissance publique de subventionner les ENTREPRISES DU SECTEUR, DONT EDF

A.   L’activitÉ de production d’ÉLECTRICITÉ remplit les caractÉristiques d’un SIEG

1.   L’existence d’une activité économique de production d’électricité

La production d’électricité est en effet une activité économique, consistant à offrir de l’électricité sur un marché concurrentiel. Au sens de la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne, ni la nature ni les conditions d’exercice (qui ne sont pas purement sociales), ne justifieraient en effet de considérer comme étant de nature non économique.

2.   Les obligations imposées par la puissance publique à EDF permettent de remplir le critère organique de reconnaissance des SIEG

L’activité de production d’électricité est également en « lien étroit » avec la puissance publique. Le paragraphe 2 de l’article 9 de la directive 2019/944([15]) prévoit ainsi que : «  En tenant pleinement compte des dispositions pertinentes du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, et en particulier de son article 106, les États membres peuvent imposer aux entreprises du secteur de l'électricité, dans l'intérêt économique général, des obligations de service public qui peuvent porter sur la sécurité, y compris la sécurité d'approvisionnement, la régularité, la qualité et le prix de fourniture, ainsi que la protection de l'environnement, y compris l'efficacité énergétique, l'énergie produite à partir de sources renouvelables et la protection du climat. Ces obligations sont clairement définies, transparentes, non discriminatoires et vérifiables et garantissent aux entreprises d'électricité de l'Union une égalité d'accès aux consommateurs nationaux ». Cet article fournit ainsi une liste exhaustive des obligations de service public que les États-membres peuvent mettre en place et définit plusieurs conditions à remplir.

En application de la directive, l’article L.121-1 du code de l’énergie prévoit que « Le service public de l’électricité a pour objet de garantir, dans le respect de l’intérêt général, l’approvisionnement en électricité sur l’ensemble du territoire national ». En outre, d’après l’article L. 121-3 du même code, des obligations de service public peuvent être imposées à des opérateurs afin de faire en sorte que la production d’électricité réponde aux objectifs de la programmation pluriannuelle de l’énergie.

Le critère organique, qui exige un lien avec une personne publique pour l’assignation d’obligations de service public, serait ainsi rempli, puisque les textes nationaux et européens font peser sur les entreprises productrices d’électricité des obligations de service public.

3.   La production d’électricité pourrait être considérée comme une activité d’intérêt général, remplissant le critère matériel de reconnaissance des SIEG

Le service de production d’électricité est obligatoire pour les entreprises opérant sur ce marché : l’électricité est en effet considérée comme un bien de première nécessité. D’après Marie Lamoureux ([16]), le caractère stratégique du secteur de l’électricité et cette qualification de bien de première nécessité justifient en effet que « les pouvoirs publics encadrent l’exercice des activités de ces secteurs et que les entreprises se voient imposer certaines obligations en vue de satisfaire aux exigences d’intérêt général ». En outre, le paragraphe 2 de l’article 9 de la directive 2019/944 et l’article L. 121-1 du code de l’énergie précisent que les obligations de service public se justifient par l’intérêt économique général.

Le critère matériel de qualification d’un SIEG, lié à la reconnaissance de l’intérêt général de l’activité de production d’électricité, pourrait dès lors également être rempli.

 

L’activité de production d’électricité pourrait ainsi remplir les critères de qualification du service d’intérêt économique général.

B.   La qualitÉ de SIEG du service de production d’ÉLECTRICITÉ peut fonder une dÉrogation aux rÈgles europÉennes de concurrence

1.   La possibilité pour les SIEG de déroger aux règles européennes de concurrence

Le paragraphe 1 de l’article 106 du TFUE prévoit que les règles des traités en matière de concurrence s’appliquent aux SIEG – comme aux autres opérateurs économiques – pour autant qu’elles ne font pas obstacle à l’accomplissement de leur mission d’intérêt général.

Autrement dit, les dispositions des traités relatives à l’interdiction des aides d’État ou à la liberté de prestation de services s’appliquent en principe aux SIEG mais peuvent être écartées si elles ont pour résultat de mettre en échec « l’accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie ».

Ainsi, selon la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, les aides aux SIEG compensant des obligations de service public ne sont pas des aides d’État – et échappent ainsi à l’obligation de notification auprès de la Commission européenne – si quatre critères sont remplis :

 

-         L’entreprise bénéficiaire doit effectivement être chargée de l’exécution d’obligations de service public clairement définies ;

 

-         La compensation doit être préalablement établie sur la base d’un paramétrage objectif et transparent permettant de prévenir toute surcompensation des coûts induits par l’exécution des obligations de service public ;

 

-         La compensation ne doit couvrir que ce qui est nécessaire à l’exécution des obligations de service public ;

 

-         La compensation peut être accordée au terme d’une procédure de marché public ayant permis de minimiser les coûts pour l’autorité publique ou sur la base d’un cadre de référence permettant d’identifier a priori les coûts des obligations de service public d’une entreprise moyenne bien gérée et adéquatement dotée en infrastructure, en charge du SIEG.

Cette jurisprudence a été reprise dans le droit dérivé de l’Union européenne ([17]). La compensation d’obligations de service public peut prendre la forme d’une subvention, mais peut s’exercer selon d’autres modalités comme l’attribution de droits exclusifs à l’opérateur chargé de l’exploitation du SIEG. C’est notamment le cas de SIEG de distribution d’électricité ([18]).

2.   Le SIEG de production d’électricité pourrait ainsi bénéficier d’une compensation aux obligations de service public dans le cadre de la réforme de l’ARENH

L’application du mécanisme concurrentiel de l’ARENH est un motif important d’explication de la situation structurellement déficitaire d’EDF. À ce titre, il doit être considéré comme faisant obstacle à l’accomplissement par l’opérateur économique de sa mission d’intérêt général.

Dès lors que la production d’électricité remplit tous les critères lui permettant d’être qualifiée de SIEG, une compensation des obligations de service public de cette activité peut être envisagée, dont bénéficierait notamment l’entreprise EDF. L’attribution de la compensation devrait néanmoins respecter les conditions définies par la Cour de justice dans l’arrêt précité Altmark.

L’attribution de la compensation pourrait s’articuler avec la réforme du mécanisme de l’ARENH. Par exemple, si la création d’un prix plancher pour l’ARENH est retenue, afin de rendre le dispositif symétrique, la société EDF bénéficierait d’une garantie de ressources, dans l’hypothèse où les prix du marché de l’électricité seraient durablement inférieurs à ceux fixés par le nouveau dispositif. Cette garantie de ressource pourrait être considérée comme compatible avec les traités européens et les règles de concurrence, dans la mesure où elle correspondrait à une compensation des obligations de service public du SIEG de la production d’électricité.

Toutefois, l’article 5 de la directive 2019/944 prévoit une interdiction d’interventions sur les prix. Cette dernière condition serait susceptible de poser des difficultés juridiques pour la réforme de l’ARENH. Les compensations aux obligations de service public envisagées pour l’entreprise EDF, sur le fondement du SIEG, en instaurant une garantie de ressources pour l’entreprise EDF, pourraient constituer une intervention sur les prix au sens de cette directive.

 

Une option serait ainsi de reconnaître un SIEG de production d’électricité, afin de soutenir la transformation de l’ARENH en un nouveau mécanisme symétrique pour l’entreprise EDF. Les compensations aux obligations de service public octroyées à l’entreprise EDF devraient néanmoins être compatibles avec les prévisions de l’article 5 de la directive 2019/944.

 


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   TROISIEME PARTIE : UNE EVOLUTION POSSIBLE AVEC L’INTRODUCTION D’UNE AIDE D’ETAT SUR LE NUCLEAIRE HISTORIQUE

Une piste alternative au (SIEG) pourrait être mise en œuvre afin de fonder une nouvelle régulation du nucléaire existant. Cette régulation devrait couvrir l’ensemble des coûts supportés par EDF, c’est-à-dire non seulement les coûts futurs liés au fonctionnement des équipements, mais aussi les coûts découlant d’investissements passés, ainsi que les coûts à venir mais prévisibles au titre du démantèlement des installations existantes.

Dans la mesure où cette régulation constituerait une aide d’Etat au bénéfice d’EDF, elle pourrait être assise sur le point c) du paragraphe 3 de l’article 107 du TFUE, qui dispose que « Les aides facilitant le développement de certaines activités ou régions économiques, si elles n’altèrent pas les conditions des échanges dans une mesure contraire à l’intérêt commun » peuvent être considérées comme compatibles avec le marché intérieur.

Certaines conditions doivent toutefois être remplies pour qu’une aide soit considérée comme compatible sur le fondement de cet article. Afin d’apprécier la compatibilité d’une aide en application du point c) du paragraphe 3 de l’article 107 du TFUE, la Commission opère une mise en balance entre ses effets négatifs sur les échanges et la concurrence au sein du marché commun et ses effets positifs, dans la mesure où l'aide contribue à atteindre des objectifs d'intérêt commun clairement définis.

Les critères généralement retenus par la Commission, résumés dans un document intitulé « Principes communs d'évaluation économique de la compatibilité des aides d'Etat en application de l'article 87, paragraphe 3 » sont les suivants :

(a) l'aide vise-t-elle un objectif d'intérêt européen commun clairement défini ?

(b) l'aide est-elle conçue de manière à atteindre l'objectif d'intérêt commun, c'est-à-dire l'aide proposée permet-elle de remédier à une défaillance du marché ou d'atteindre d'autres objectifs? Cette question se subdivise en trois sous-questions :

(i) l'aide est-elle appropriée pour atteindre cet objectif ?

(ii) l'aide est-elle proportionnée au problème traité ?

(iii) l'aide a-t-elle un effet incitatif ?

(c) les distorsions de concurrence et les effets sur les échanges sont-ils limités, de sorte que le bilan global est positif ?

Dans sa pratique décisionnelle, la Commission ajoute généralement une condition supplémentaire, à savoir celle du caractère nécessaire de l'aide.

Sous réserve de discussions additionnelles avec la Commission européenne et en tirant parti des décisions communautaires et des positions de la Cour de justice de l’Union européenne sur le projet de réacteurs nucléaires d’Hinkley Point, une régulation fondée sur les aides d’Etat semble pouvoir être mise en œuvre. Cette dernière pourrait alors assurer la juste couverture des coûts du parc nucléaire d’EDF.

Une option alternative à la reconnaissance d’un SIEG de production d’électricité serait ainsi de recourir à une aide d’Etat sur le fondement du point c) du paragraphe 3 de l’article 107 du TFUE, qui serait notifiée et déclarée compatible avec les traités européens par la Commission.

 

 


   Conclusion

 

L’ARENH doit être réformée et le nouveau dispositif pourrait prendre la forme d’un mécanisme symétrique, de manière à prendre en compte l’ensemble des coûts de production de l’électricité et de maintenance des installations de l’entreprise EDF. Le caractère symétrique du nouveau dispositif pourrait néanmoins conduire à accorder une garantie de ressources à l’opérateur historique, qui serait indemnisé à hauteur d’un tarif de référence pour la vente de l’électricité nucléaire produite, même dans l’hypothèse où les prix de marché seraient inférieurs à ce tarif.

La compatibilité de cette réforme avec les traités européens est essentielle et deux moyens juridiques alternatifs peuvent être envisagés pour autoriser la création d’une garantie de ressources à EDF.

D’une part, la création d’un service d’intérêt économique général (SIEG) pour la production d’électricité serait justifiée et nécessaire au regard de la nature des missions et des obligations qui incombent aux entreprises qui opèrent sur ce marché, notamment l’entreprise EDF. L’opérateur historique pourrait, dans cette hypothèse, bénéficier d’une compensation à ses obligations de service public.

À l’occasion de la reconnaissance de ce SIEG, les institutions européennes, et en particulier la Commission européenne, pourraient contribuer à une clarification de la notion même de service d’intérêt économique général, et de ses critères de qualification.

D’autre part, le recours à un régime d’aides d’Etat en matière de production d’électricité, notifiées et déclarées compatibles avec les traités européens par la Commission, serait une autre option pour permettre une évolution de l’ARENH vers un mécanisme symétrique, et fonder un soutien public à l’entreprise EDF.

 


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   TRAVAUX DE LA COMMISSION

La Commission s’est réunie le mercredi 2 juin 2021, sous la présidence de Mme Sabine Thillaye, Présidente, pour examiner le présent rapport d’information.

 

Mme la Présidente Sabine Thillaye. L’ordre du jour de notre réunion appelle l’examen de deux propositions de résolution européenne, l’une en conclusion d’un rapport d’information dont je suis l’auteur sur l’évolution du cadre juridique européen applicable à la production d’électricité, l’autre déposée par Sébastien Jumel et plusieurs de ses collègues du groupe GDR relative à la reconnaissance d’une « exception énergétique » au sein de l’Union européenne. Cette proposition de résolution européenne sera examinée en séance publique le 17 juin dans le cadre de la « niche » du groupe GDR.

Comme ces deux sujets sont très liés, je vous propose que Hubert Wulfranc, rapporteur sur la proposition de résolution déposée par Sébastien Jumel, et moi‑même vous fassions une présentation commune de nos deux rapports et que la discussion générale soit également commune.

Nous procéderons ensuite successivement à l’examen de la proposition de résolution européenne dont je suis l’auteur, puis à celle du groupe GDR.

Le Gouvernement négocie depuis plus de deux ans maintenant avec la Commission européenne pour obtenir la révision du mécanisme de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique, dit « ARENH ». Ce dispositif, créé par la loi du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l’électricité, en application d’une directive de 2009, est entré en vigueur en 2011 et doit s’éteindre au 31 décembre 2025. Il consiste en une obligation pour l’opérateur historique, l’entreprise EDF, de vendre l’électricité nucléaire à ses concurrents, à un tarif déterminé.

L’objectif du mécanisme était simple : permettre un accès à l’énergie nucléaire pour les concurrents d’EDF, entreprise qui bénéficiait historiquement du monopole d’accès au parc nucléaire. Cela devait permettre de stimuler la concurrence sur le marché de l’électricité, et d’offrir durablement aux consommateurs des prix stables reflétant les coûts de production du parc nucléaire, quel que soit le fournisseur qu’ils avaient choisi. En outre, l’ARENH devait également contribuer à la libéralisation du marché de production d’électricité et in fine permettre aux opérateurs alternatifs d’investir dans leurs propres moyens de production d’électricité à moyen terme.

Toutefois, le prix de l’ARENH, fixé à 42 € par mégawattheure, n’a pas été révisé depuis 2012 et ne tient donc pas compte de l’évolution des coûts de production de l’entreprise EDF, ni de l’inflation. Il faut également souligner que l’ARENH est un mécanisme asymétrique, qui constitue en pratique un prix plafond de vente par l’entreprise EDF de l’énergie nucléaire qu’elle produit. Le dispositif est en effet optionnel, conduisant ainsi les opérateurs alternatifs à se fournir sur le marché lorsque les prix sont plus faibles que le tarif de référence.

L’ARENH contribue donc fortement au déficit d’EDF, qui a atteint le niveau de 42 milliards d’euros au 31 décembre 2020, en augmentation de 3 à 4 milliards d’euros tous les ans. À côté, l’opérateur historique continue d’investir annuellement 15 milliards d’euros pour offrir le meilleur service possible et renforcer sa compétitivité sur le marché international.

Le premier objectif de la proposition de résolution européenne que je vous présente aujourd’hui est donc de soutenir l’évolution de l’ARENH, de manière à rendre le dispositif symétrique, et à garantir la stabilité financière de l’entreprise EDF.

Cette situation m’a conduit également à m’interroger sur les moyens juridiques dont la France dispose pour aider non seulement l’entreprise et ses salariés, mais aussi pour garantir le service public de l’électricité dans le respect des règles du droit de l’Union européenne.

Si les traités européens prévoient une législation stricte relative aux aides d’État, l’article 106 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) permet de limiter l’application de cette réglementation, lorsqu’une dérogation est indispensable pour permettre à l’entreprise d’accomplir une mission d’intérêt général. La reconnaissance par les États membres des services d’intérêt économique général ou SIEG permet ainsi à la puissance publique d’attribuer aux entreprises en charge d’une mission d’intérêt général des compensations à leurs obligations de service public, seulement dans la mesure où l’application des règles de concurrence fait échec à l’accomplissement de leur mission. La création des SIEG remonte au traité de Rome, tandis que leur importance a été mise en exergue lors du traité d’Amsterdam à l’article 14 du TFUE, qui souligne la place qu’ils occupent parmi les valeurs de l’Union et le rôle qu’ils jouent dans la promotion de la cohésion sociale et territoriale. La Commission européenne et la Cour de justice effectuent un contrôle limité à l’erreur manifeste d’appréciation de la qualification par les États membres des SIEG.

En m’intéressant à cette notion, je me suis toutefois aperçue que, malgré une définition théorique en apparence simple, les SIEG faisaient l’objet de critères de définition bien plus complexes en pratique, qu’il importe de clarifier. Ainsi, la qualification d’un SIEG nécessite en théorie la réunion de trois critères : l’exercice d’une activité économique, l’attribution d’obligations de service public par la puissance publique à un ou plusieurs opérateurs et la reconnaissance du caractère d’intérêt général de l’activité en cause. Toutefois, la Commission et la Cour de justice de l’Union européenne font une lecture restrictive de cette notion, de manière à ne pas créer un obstacle trop large à l’application des règles de concurrence. Cette analyse nuit à la clarté de définition d’un SIEG.

Par conséquent, le second objectif de la proposition de résolution européenne que je vous soumets aujourd’hui est d’inciter les institutions européennes à procéder à une précision des critères de lecture institutionnels et jurisprudentiels de la qualification des SIEG, afin de donner une grille d’analyse claire et prévisible aux États membres dans la reconnaissance de ces services. Il faut également prendre en compte l’existence d’une éventuelle défaillance du marché. Pour ce dernier critère, il y a un cadre juridique, mais, politiquement, il est interprété par les États membres de manière divergente.

Je me suis enfin interrogée, en lien avec la réflexion menée sur les SIEG, sur la possibilité et les moyens juridiques de fonder un soutien public à l’entreprise EDF avec la réforme du mécanisme de l’ARENH. L’une des pistes d’évolution de l’ARENH consiste en effet à rendre le mécanisme symétrique, en octroyant une garantie de recettes à l’entreprise EDF. L’opérateur historique disposerait donc, lorsque les prix du marché de l’électricité sont plus faibles que le tarif de référence, d’un complément de ressources. Cette évolution pourrait être contraire au droit de l’Union européenne, puisqu’une garantie de recettes constitue une aide d’État et qu’il n’existe pas de régime spécifique en matière de production d’électricité.

La proposition de résolution européenne que je vous soumets ouvre ainsi une première option pour soutenir la réforme du mécanisme de l’ARENH et sa transformation en un dispositif symétrique. La production d’électricité pourrait en effet remplir tous les critères de reconnaissance d’un SIEG. En premier lieu, il s’agit bien d’une activité économique, consistant à offrir de l’énergie sur un marché concurrentiel. En deuxième lieu, une directive européenne de 2009 et le code de l’énergie octroient aux entreprises agissant sur ce marché, des obligations de service public, notamment pour la sécurité d’approvisionnement. En dernier lieu, la production d’électricité est une activité d’intérêt général, comme le relève également le code de l’énergie. Reste la question des défaillances des marchés.

La reconnaissance d’un SIEG de l’électricité pourrait permettre de fonder une dérogation aux règles européennes de concurrence. Selon la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, codifiée dans le droit dérivé, les aides aux SIEG compensant des obligations de service public ne sont pas des aides d’État et échappent à l’obligation de notification auprès de la Commission européenne, si elles répondent à plusieurs critères visant à garantir le caractère nécessaire et limité des dérogations aux règles de la concurrence.

À la faveur de la reconnaissance d’un SIEG de la production d’électricité, la réforme envisagée pourrait être conforme aux traités, en considérant que l’aide octroyée est une compensation aux obligations de service public qui incombent à l’entreprise EDF.

Je voudrais toutefois introduire, par voie d’amendements, une seconde option, afin de donner davantage de marge de manœuvre au Gouvernement dans le cadre des négociations en cours. La mise en place d’une nouvelle régulation du nucléaire historique français pourrait également reposer sur une base légale d’aides d’État. La Commission européenne et le Conseil pourraient en effet accepter de créer un régime spécifique en matière d’aides d’État, sur le fondement des articles 107 et 108 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). La réforme de l’ARENH, qui consisterait à rendre le dispositif symétrique par l’octroi d’une garantie de ressources à l’entreprise EDF, constituerait ainsi une aide d’État, notifiée et acceptée par la Commission européenne, car considérée comme conforme aux règles du traité.

Je crois qu’il est important de faire cet ajout, afin que notre résolution européenne soit non seulement le plus en phase possible avec les négociations en cours, mais aussi pour laisser une marge de manœuvre suffisante au Gouvernement dans ce contexte.

Pour conclure, la proposition de résolution européenne qui vous est aujourd’hui soumise répond à un triple objectif, avec des conséquences importantes et souhaitables, tant au niveau européen qu’au niveau national : l’évolution du mécanisme de l’ARENH, de manière à le rendre symétrique ; la clarification des critères de création d’un SIEG par les institutions européennes ; la reconnaissance d’un SIEG de production de l’électricité, ou la création d’une base légale d’aides d’État, qui permettrait de soutenir en France la réforme de l’ARENH.

Ces évolutions me paraissent en effet essentielles, en particulier dans le contexte de négociation entre la France et la Commission européenne sur la restructuration des activités d’EDF. Nous pouvons, en tant que membres du Parlement français, envoyer un signe fort de notre détermination aux institutions de l’Union, de notre volonté de soutenir à la fois l’entreprise EDF et ses salariés, tout en rappelant l’importance que nous attachons à l’excellence du service public de la production d’électricité, dans le respect des traités européens.

M. Hubert Wulfranc, rapporteur. Je vous remercie de m’accueillir dans cette commission et d’avoir, au moins dans l’intention, convergé sur la problématique électrique au travers de votre proposition de résolution. Je présente aujourd’hui devant vous en tant que rapporteur et cosignataire de la proposition de résolution européenne relative à la reconnaissance d’une « exception énergétique » au sein de l’Union européenne. 

La proposition de résolution que nous défendrons en séance le 17 juin part d’un constat, que vous avez largement partagé : le bilan de la libéralisation du marché de l’électricité est décevant. L’ouverture de ce marché à la concurrence date de plus de 25 ans maintenant, avec des directives dans les années 1990 et 2000.

La première partie de mon propos s’attachera à montrer la défaillance du marché.

Les promesses de la libéralisation du marché étaient une diminution de la facture d’électricité pour les consommateurs et une meilleure incitation à l’innovation, tant pour l’opérateur historique que pour les opérateurs alternatifs, afin de parvenir à la création d’une énergie propre à faible coût. Néanmoins, le constat à ce jour est que ces objectifs ambitieux n’ont pas été atteints, et que les gains escomptés n’ont pas été concrétisés.

En premier lieu, les consommateurs n’ont pas tiré le bénéfice attendu de la libéralisation du marché de l’électricité. Les prix ont globalement explosé, et dans cette trajectoire la diminution pour les clients finaux a été particulièrement ténue, de l'ordre de 6 à 7 % de leur facture. Cette trajectoire s’explique par le fait que les opérateurs ont des coûts fixes importants et identiques, liés à l’approvisionnement nucléaire, et à l’utilisation du réseau de transport et de distribution. Il faut également souligner que l’augmentation des taxes sur l’électricité, dédiées notamment au développement des énergies renouvelables, ont fortement augmenté, contribuant à renforcer le coût de l’électricité pour les consommateurs. Au-delà de cette situation préjudiciable, les consommateurs ont été confrontés à l’apparition de pratiques commerciales agressives, qui se manifestent par un démarchage abusif, et par la présentation trompeuse d’offres par les opérateurs alternatifs. Le rapport du médiateur de l’énergie en 2019 faisait état d'une hausse de 65 % en 3 ans de ces pratiques désagréables et attentatoires aux droits des consommateurs.

En second lieu, l’innovation est restée limitée sur le marché de la production d’électricité. Là encore, cette déception s’explique par les caractéristiques propres du marché en cause : l’électricité n’implique pas de variété subjective, ni de variété d’usage, mais est un bien de première nécessité auquel l’ensemble des citoyens ont recours de la même manière. L’incitation à innover est donc moindre pour les entreprises. L’électricité est en outre distribuée par un réseau unique centralisé : le fournisseur ne peut donc pas proposer une électricité spécifique au consommateur qui le souhaiterait, constituant un frein important au développement d’énergies vertes.

Une autre explication tient au mécanisme de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique, dit mécanisme ARENH, qui oblige l’entreprise EDF à vendre à ses concurrents, à bas coût, l’énergie nucléaire qu’elle produit. Paradoxalement, ce dispositif n’a pas permis de stimuler la concurrence : les opérateurs alternatifs ne bénéficient pas de cet avantage pour augmenter leurs investissements dans la production d’électricité, mais en profitent pour augmenter leurs marges à court terme. La formule de M. Julien Tchernia, fondateur de l’entreprise EkWater, opérateur alternatif pour la fourniture d’électricité, est ainsi éloquente : « Nous ne sommes pas plus énergéticiens qu’Amazon est libraire. Nous sommes avant tout des commerçants digitaux ».

Pour l’ensemble de ces motifs, le secteur de l’électricité n’a pas connu la rupture technologique qui était attendue avec la libéralisation.

En dernier lieu, la conséquence collatérale de la libéralisation a été une dégradation de la situation financière de l’entreprise EDF, principalement à cause du mécanisme de l’ARENH. Ce constat est unanime : la présidente Mme. Sabine Thillaye a ainsi relevé le caractère asymétrique et inéquitable de l’ARENH pour l’entreprise EDF. Or la situation structurellement déficitaire d’EDF est particulièrement préjudiciable, en particulier au regard de la nécessité d’investissement, d’environ 15 milliards d’euros par an, pour la construction de nouvelles capacités productives et la maintenance des capacités existantes.

Ces premiers éléments de bilan plaident ainsi pour une évaluation plus large, au niveau européen, de la dérégulation du secteur de l’énergie en Europe. L’électricité est en effet un bien de première nécessité : la qualité du service public dans ce domaine ne peut donc pas être remise en cause au nom d’impératifs de concurrence. Avant de prendre de nouvelles orientations, ou d’approfondir la libéralisation, un bilan de l’état du marché de l’électricité 25 ans après son ouverture à la concurrence est donc essentiel. C’est le sens de la première demande de la proposition de résolution européenne « exception énergétique » qui vous est soumise aujourd’hui.

Toutefois, les premiers éléments d’évaluation disponibles nous incitent à aller plus loin que la seule demande d’un bilan : la situation des usagers et de l’opérateur historique se dégrade en effet sur le marché de l’électricité. Dans ce contexte, la création d’une « exception électrique » dans le droit de l’Union européenne paraît pleinement justifiée.

Deux solutions alternatives peuvent conduire, sur le plan juridique, à créer une exception électrique.

La première option consiste, au regard des caractéristiques économiques du marché de l’électricité, à créer dans les traités et dans le droit dérivé européen, une dérogation aux règles de concurrence qui s’appliquent sur le marché intérieur. L’ensemble des segments du marché de l’électricité sont concernés : la production et la fourniture d’une part, au regard des éléments de bilan que je viens de développer ; le transport et la distribution d’autre part, qui reposent sur infrastructures de réseau, en situation de monopole naturel.

La reconnaissance de l’exception électrique implique une modification du droit dérivé, voire des traités européens : il faut ainsi exclure le marché de l’électricité de la législation sur les aides d’État, en particulier de l’article 107 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). La création d’une dérogation de principe au droit de la commande publique est également nécessaire, en particulier pour l’énergie hydraulique : la France et une dizaine d’autres Etats membres de l’Union européenne, ont en effet été mis en demeure par la Commission en 2019, de mettre en concurrence les concessions des barrages hydroélectriques exploités par les opérateurs historiques. Pour exclure le marché de la production d’électricité des règles de la concurrence, il est dès lors nécessaire de prévoir une exception au champ d’application de la directive « Concessions » de 2014, par sa révision. L’exemple de l’Allemagne, qui a obtenu une dérogation pour les concessions dans le secteur de l’eau lors de la négociation de cette directive doit être suivi en matière électrique.

La seconde demande de la proposition de résolution européenne invite ainsi le Gouvernement à se rapprocher de ses partenaires européens afin d’exclure explicitement le marché de l’électricité du champ de la réglementation sur les aides d’État et de la commande publique.

Je souhaite également relever ici qu’il existe une deuxième option, qui consisterait en la création, à droit constant, d’un service d’intérêt économique général bas-carbone, ou SIEG bas-carbone, concernant la production d’électricité. Cette activité remplit en effet tous les critères de qualification d’un SIEG, au sens des textes européens : il s’agit d’une activité économique, pour laquelle la puissance publique impose des obligations de service public listées par le code de l’énergie, notamment en matière d’approvisionnement, et qui revêt un caractère d’intérêt général. La reconnaissance d’un SIEG bas carbone, qui engloberait les activités de production d’énergie nucléaire, renouvelable et hydraulique, serait en outre conforme aux objectifs européens en matière climatique, renforcés par le Pacte Vert pour l’Europe de la nouvelle Commission européenne. La création de ces trois énergies provoque en effet une émission quasi-nulle de gaz à effet de serre. Or, les SIEG sont, selon une résolution du Parlement européen de 2011, essentiels pour la lutte contre les inégalités au sein de la société, ainsi que, de plus en plus, pour le développement durable. Partant, la création d’un SIEG bas carbone correspondrait ainsi non seulement aux orientations juridiques, mais aussi politiques des institutions européennes.

La reconnaissance d’un SIEG bas carbone permettrait d’octroyer des compensations aux obligations de service public des entreprises productrices d’électricité, et ainsi de fonder une dérogation aux règles de la concurrence. Ce SIEG bas carbone compléterait le SIEG de distribution d’électricité, déjà reconnu par les États membres et les institutions européennes : le marché de l’électricité serait ainsi en grande partie extrait des règles de la concurrence. Ce serait dès lors la seconde option pour la reconnaissance d’une « exception électrique » au niveau de l’Union Européenne.

Quelle que soit l’option retenue, le message principal porté par cette proposition de résolution européenne, que je soutiens pleinement, est que les règles de la concurrence et du marché telles qu'elles se sont instaurées sont difficilement applicables au secteur de l’électricité, qui revêt des caractéristiques particulières par sa structure et par le service offert, l’électricité étant incontestablement un bien de première nécessité.

L’exposé des rapporteurs a été suivi d’un débat.

Mme la Présidente Sabine Thillaye. Je donne maintenant la parole aux orateurs de groupe et aux autres intervenants pour une discussion générale commune.

M. Jean-Marie Fiévet. La politique européenne de l'énergie est réglée par l'article 194 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Ce dernier dispose que dans le cadre de l'établissement et du fonctionnement du marché intérieur, et en tenant compte de l'exigence de préserver et d'améliorer la protection de l'environnement, la politique de l'Union dans le domaine de l'énergie a quatre objectifs : assurer le fonctionnement du marché de l'énergie ; assurer l'efficacité de l'approvisionnement énergétique dans l'Union ; promouvoir l'efficacité énergétique, les économies d'énergie ainsi que le développement des énergies nouvelles et renouvelables ; promouvoir l'interconnexion des réseaux électriques. Afin de réaliser le marché intérieur de l'énergie, l'ouverture progressive des marchés nationaux de l'électricité et du gaz a été réalisée par le paquet énergie de 1996, la directive 2003/96/CE et la directive 2009/28/CE. L'ouverture à la concurrence s'est faite à partir de 2004 pour les entreprises et les collectivités territoriales, et 2007 pour les particuliers.

L'objectif poursuivi est double : pour les consommateurs, le libre choix du fournisseur et une meilleure protection ; pour les producteurs, la liberté d'établissement au sein de l'Union. Depuis 2000, plusieurs lois se sont succédées pour engager et contrôler la libéralisation du marché de l'énergie en France, la dernière étant celle relative à l'énergie et au climat de 2019, fixant notamment à 2023 la disparition des tarifs de gaz réglementés pour les particuliers. Dans le même temps, la réforme de l'opérateur historique EDF est en cours. L'enjeu de cette restructuration est triple : assurer le financement des activités de production historiques de long terme (nucléaire et hydroélectrique) tout en dégageant de nouveaux moyens financiers pour les activités de plus court terme (commercialisation, énergies renouvelables et services) ; respecter les règles de concurrence européenne en maintenant l'accès à l'électricité nucléaire historique ; maintenir l'intégration du groupe, garantir les avantages sociaux acquis et éviter la scission refusée par les syndicats.

Tant la réforme de l'énergie que celle de l'opérateur historique sont menées avec sérieux et efficacité par les autorités de notre pays quelles que soient les autorités qui se sont succédées. Il s'agit d'un processus concerté avec nos partenaires européens, qui repose sur des objectifs clairs.

La proposition de résolution européenne déposée par la Présidente Mme Sabine Thillaye est un soutien au travail mené par le gouvernement et la majorité parlementaire. En conséquence, les députés de La République en Marche voteront favorablement cette proposition de résolution européenne. Nous la soutenons d’autant plus que les amendements introduits par la Présidente vont dans le bon sens.

Concernant la proposition de résolution européenne de notre collègue Hubert Wulfranc, je tiens à souligner la qualité du travail réalisé. Les députés de La République en Marche s'opposeront toutefois à cette proposition de résolution qui va à l'encontre de la mise en œuvre d'un marché intérieur de l'énergie à l'échelle de l'Union européenne.

La réalisation du marché intérieur de l’énergie se fait dans l’intérêt du citoyen européen et doit permettre la sécurité de l’approvisionnement, la protection des consommateurs et la promotion de l’efficacité énergétique et d’un mix énergétique plus vert. Le dispositif proposé tendrait à fragiliser ces acquis essentiels.

M. Patrick Loiseau. Nous partageons avec le groupe GDR le constat que l’extinction prochaine de l’ARENH doit être l’occasion de nous interroger sur les liens entre production d’électricité et droit de la concurrence. Tel est d’ailleurs l’objet de la négociation actuelle entre le gouvernement et la Commission européenne.

Les positions de cette proposition de résolution ne sont ni réalistes ni souhaitables car elles appellent à modifier les traités européens. Espérer réunir l’unanimité nécessaire est illusoire. En outre, reconnaître une exception énergétique européenne ne permettrait pas forcément une baisse du prix de l’électricité car celle‑ci serait en réalité payé par le consommateur en tant que contribuable. Enfin, l’exclusion de l’électricité des règles de concurrence entraînerait immanquablement un débat sur une telle exclusion en faveur d’autres secteurs.

C’est pourquoi ce que propose la présidente Thillaye est plus pertinent. Appliquer le régime des SIEG à la production d’électricité permettrait un aménagement des règles de concurrence et, en particulier, ouvrirait le droit à des aides d’Etat. Cette proposition est par ailleurs cohérente avec les positions du gouvernement.

Par conséquent, les députés démocrates voteront contre la proposition de résolution européenne du groupe GDR.

M. Thierry Michels. Je partage la conclusion de soutenir l’opérateur historique qui voit sa dette augmenter tous les ans. La présidente Thillaye propose une évolution du mécanisme de l’ARENH. Quand pensez-vous que cette négociation entamée par le gouvernement aboutira et comment espérer qu’elle soit conforme aux règles de concurrence ?

Si je ne partage pas les recommandations de la proposition de résolution européenne, je reconnais qu’elle constitue l’occasion d’échanger sur la politique européenne de l’énergie. La crise sanitaire n’a pas altéré les ambitions de l’Union en matière de transition énergétique, comme le prouvent les 250 milliards d’euros du plan de relance destinés à lutter contre le changement climatique. Si je suis si critique vis-à-vis de la proposition de résolution européenne, c’est que je suis convaincu qu’on ne peut pas réussir cette transition en allant à l’encontre de l’Union européenne. Bien au contraire, je pense qu’il faut saisir l’occasion de la PFUE pour accélérer la mise en œuvre du Green Deal, en portant par exemple la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique à 35 %.

Mme Marguerite Deprez-Audebert. Si la reconnaissance du SIEG est suffisante pour assurer le redressement financier d’EDF, quel impact aurait celle-ci sur l’interdiction du financement des énergies renouvelables par les recettes de l’ARENH ? Quelle conséquence sur l’intégrité d’EDF ? Il ne faut en effet pas oublier le niveau de dette – 40 milliards d’euros – de cette entreprise. Le ministre de l’économie a déclaré qu’il fallait donner à EDF les moyens d’investir, notamment dans la décarbonisation. Quelles solutions complémentaires à celles que vous proposez sont envisageables ?

Mme la présidente Sabine Thillaye. Nous sommes d’accords sur les constats mais nous divergeons sur les solutions. Je reste en effet convaincue qu’il faut rester dans le cadre actuel des traités afin de ne pas créer de précédents qui pourraient se révéler dommageables.

Avons-nous une chance d’aboutir ? Je le crois. Il y a une vraie prise de consciences des institutions européennes que le nucléaire fait partie de la solution pour lutter contre le changement climatique. Il faut dès lors trouver une solution à l’ARENH en remontant son prix, même si ce n’est pas l’unique cause des problèmes actuels d’EDF. Aucune entreprise ne peut tenir sur le long terme dans ces conditions. Les solutions, à traité constant, sont le SIEG et les aides d’État, objets de mes amendements.

M. Hubert Wulfranc. Ce que nous avons constaté lors des auditions, c’est que les conditions nécessaires à l’ouverture du marché ne sont pas réunies. Tant les consommateurs que les entreprises jugent qu’il y a une vraie défaillance de la qualité de service. Les entreprises nous ont dit que, malgré l’ouverture à la concurrence, rien n’avait en définitive changé pour qu’une vraie concurrence par les prix se fasse. 

Par ailleurs, pour répondre à l’une des questions, les énergies renouvelables se sont développées au détriment du nucléaire. Certes, on peut souhaiter une évolution du mix énergétique vers plus d’énergies renouvelables mais le nucléaire est et restera le socle de notre indépendance énergétique. Il est aussi le socle sur lequel décarboner notre économie. Enfin, au niveau européen, le nucléaire français est la soupape de sécurité en cas de problèmes d’approvisionnement.

Dans les négociations sur l’ARENH, la crainte d’EDF est le niveau du rehaussement. On parle de passer à 48 euros.  Aujourd’hui, selon EDF, cet objectif ne serait pas de nature à consolider l’avenir de l’entreprise. C’est un enjeu important.

Je souhaiterais également proposer un bilan à l’échelle européenne. Néanmoins, le plus important est de déterminer comment l’entreprise et ses salariés pourraient sortir de cette situation difficile, ce qui soulève la question de l’accès au service public de première nécessité que constitue l’énergie.

Nous avons une rupture idéologique majeure et le débat sur ce point devrait se poursuivre au sein de l’hémicycle.


La commission en vient à l’examen de l’article unique de la proposition de résolution relative à l’évolution du cadre juridique européen applicable à la production d’électricité.

Article unique

La commission examine l’amendement n°4 de Mme la Présidente Sabine Thillaye.

La commission adopte l’amendement.

Elle examine l’amendement n°1 de Mme la Présidente Sabine Thillaye.

Mme la Présidente Sabine Thillaye, rapporteure. Il s’agit d’un amendement rédactionnel. La reconnaissance d’un service d’intérêt général de production de l’électricité est souhaitable mais ne constitue pas pour autant une certitude.

La commission adopte l’amendement.

Elle examine l’amendement n°2 de Mme la Présidente Sabine Thillaye.

Mme la Présidente Sabine Thillaye, rapporteure. Cet amendement vise à rappeler que le mécanisme de l’accès régulé à l’énergie nucléaire est insuffisant pour couvrir les coûts de production de l’électricité. Le nouveau dispositif doit donc prendre en considération la nécessité de couvrir l’ensemble des coûts de production.

La commission adopte l’amendement.

La commission examine l’amendement n°3 de Mme la Présidente Sabine Thillaye.

La commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article unique modifié.

La proposition de résolution est donc ainsi adoptée modifiée.

La commission autorise la publication du rapport d’information.


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   Proposition de rÉsolution europÉenne INITIALE

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88-4 de la Constitution ;

Vu l’article 151-5 du règlement de l’Assemblée nationale ;

Vu l’article 14 du Traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne ;

Vu l’article 106 du Traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne ;

Vu l’article 194 du Traité de Lisbonne ;

Vu le protocole n° 26, attaché au Traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne, relatif aux services d'intérêt général ;

Vu le règlement (UE) 2018/1999 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 sur la gouvernance de l'union de l'énergie et de l'action pour le climat ;

Vu le règlement (UE) 2019/943 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 sur le marché intérieur de l'électricité ;

Vu la directive 2009/72/CE du 13 juillet 2009 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité ;

Vu la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur l’attribution des contrats de concessions ;

Vu la directive (UE) 2019/944 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité ;

Vu la résolution du Parlement européen du 15 novembre 2011 sur la réforme des règles de l’Union européenne en matière d’aides d’État applicables aux services d’intérêt économique général ;

Considérant les négociations entre le Gouvernement français et la Commission européenne sur le projet d’évolution du mécanisme d’accès régulé à l’énergie nucléaire historique (ARENH) et relatives à la restructuration des activités d’EDF ;

Considérant qu’en fixant un prix plafond, l’ARENH est un mécanisme asymétrique qui joue en défaveur de l’opérateur historique français de production d’électricité, la société Électricité de France (EDF) ;

Considérant que l’ARENH participe fortement au déficit d’EDF, alors que d’importants investissements sont nécessaires pour la rénovation du parc nucléaire français et le développement des énergies renouvelables ;

Considérant que les services d’intérêt économique général occupent une place importante au sein des valeurs communes de l’Union, qu’ils encouragent la cohésion sociale, économique et territoriale et qu’ils sont essentiels pour la lutte contre les inégalités au sein de la société ainsi que, de manière croissante, pour le développement durable ;

Considérant que l’opérateur historique EDF assure une mission d’intérêt général en garantissant l’approvisionnement en électricité pour tous les consommateurs sur l’ensemble du territoire national, à des conditions tarifaires abordables, avec un faible impact carbone et climatique ;

Considérant que l’opérateur historique EDF doit respecter à ce titre des obligations de service public prévues par le paragraphe 2 de l’article 3 de la directive 2009/72/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 concernant les règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et par les articles L121-1 et suivants du code de l’énergie ;

Considérant que le service de production d’électricité remplit les critères juridiques de caractérisation d’un service d’intérêt économique général ;

Soutient la position du Gouvernement français dans les négociations européennes afin de permettre une évolution du mécanisme de l’ARENH, de manière à le rendre moins asymétrique ;

Appelle à une clarification des critères de reconnaissance par le droit de l’Union européenne des services d’intérêt économique général ;

Demande la reconnaissance explicite, au sens du droit de l’Union Européenne, d’un service d’intérêt économique général de production d’électricité en France, dont la prestation est notamment assurée par l’entreprise EDF.

 


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   amendements examinés par la commission

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

2 juin 2021


Proposition de résolution européenne relative à l’évolution du cadre juridique européen applicable à la production d’électricité

 

AMENDEMENT

No 4

 

présenté par

Mme Sabine Thillaye

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ARTICLE UNIQUE

 

Supprimer l’alinéa 19

EXPOSÉ SOMMAIRE

Cet amendement vise à supprimer la référence à la directive 2009/72/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 concernant les règles communes pour le marché intérieur de l’électricité, qui a été révisée par la directive 2019/944 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cet amendement est adopté.

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

2 juin 2021


Proposition de résolution européenne relative à l’évolution du cadre juridique européen applicable à la production d’électricité

 

AMENDEMENT

No 1

 

présenté par

Mme Sabine Thillaye

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ARTICLE UNIQUE

 

À l’alinéa 20, remplacer le mot : « remplit » par les mots : « pourrait remplir »

EXPOSÉ SOMMAIRE

Cet amendement est rédactionnel : la reconnaissance d’un service d’intérêt économique général (SIEG) de production d’électricité est souhaitable, mais n’est pas une certitude.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cet amendement est adopté.

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

2 juin 2021


Proposition de résolution européenne relative à l’évolution du cadre juridique européen applicable à la production d’électricité

 

AMENDEMENT

No 2

 

présenté par

Mme Sabine Thillaye

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ARTICLE UNIQUE

 

À l’alinéa 21, après le mot « asymétrique », ajouter les mots « et à assurer une couverture des coûts »

EXPOSÉ SOMMAIRE

Cet amendement vise à rappeler que le mécanisme de l’accès régulé à l’énergie nucléaire historique (ARENH), sous sa forme actuelle, est insuffisant pour couvrir les coûts de production d’électricité pour l’entreprise EDF. Le nouveau dispositif, issu de la réforme de l’ARENH, doit ainsi prendre en considération la nécessité de couvrir l’ensemble des coûts de production.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cet amendement est adopté.

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

2 juin 2021


Proposition de résolution européenne relative à l’évolution du cadre juridique européen applicable à la production d’électricité

 

AMENDEMENT

No 3

 

présenté par

Mme Sabine Thillaye

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ARTICLE UNIQUE

 

À l’alinéa 23, après les mots « l’entreprise EDF », ajouter les mots « ou, sinon, la possibilité d’octroyer au nucléaire historique français des aides d’État dans des conditions compatibles avec les traités ».

EXPOSÉ SOMMAIRE

La reconnaissance d’un service d’intérêt économique général (SIEG) de production d’électricité pourrait permettre de fonder une dérogation aux règles européennes de concurrence, mais n’est pas la seule option.

Afin de donner davantage de marge de manouvre au Gouvernement dans le cadre des négociations avec la Commission européenne, la proposition de résolution européenne doit évoquer une seconde possibilité, qui consiste à reconnaître un régime d’aides d’État compatible avec les traités.

 

 

 

 

 

 

Cet amendement est adopté.


—  1  —

   proposition de résolution européenne

 

Article unique

 

LAssemblée nationale,

 

Vu larticle 88-4 de la Constitution ;

 

Vu larticle 151-5 du règlement de lAssemblée nationale ;

 

Vu larticle 14 du Traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne ;

 

Vu larticle 106 du Traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne ;

 

Vu larticle 194 du Traité de Lisbonne ;

 

Vu le protocole n° 26, attaché au Traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne, relatif aux services d'intérêt général ;

 

Vu le règlement (UE) 2018/1999 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 sur la gouvernance de l'union de l'énergie et de l'action pour le climat ;

 

Vu le règlement (UE) 2019/943 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 sur le marché intérieur de l'électricité ;

 

Vu la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur l’attribution des contrats de concessions ;

 

Vu la directive (UE) 2019/944 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité ;

 

Vu la résolution du Parlement européen du 15 novembre 2011 sur la réforme des règles de l’Union européenne en matière d’aides d’État applicables aux services d’intérêt économique général ;

Considérant les négociations entre le Gouvernement français et la Commission européenne sur le projet d’évolution du mécanisme d’accès régulé à l’énergie nucléaire historique (ARENH) et relatives à la restructuration des activités d’EDF ;

Considérant qu’en fixant un prix plafond, l’ARENH est un mécanisme asymétrique qui joue en défaveur de l’opérateur historique français de production d’électricité, la société Électricité de France (EDF) ;

Considérant que l’ARENH participe fortement au déficit d’EDF, alors que d’importants investissements sont nécessaires pour la rénovation du parc nucléaire français et le développement des énergies renouvelables ;

Considérant que les services d’intérêt économique général occupent une place importante au sein des valeurs communes de l’Union, qu’ils encouragent la cohésion sociale, économique et territoriale et qu’ils sont essentiels pour la lutte contre les inégalités au sein de la société ainsi que, de manière croissante, pour le développement durable ;

Considérant que l’opérateur historique EDF assure une mission d’intérêt général en garantissant l’approvisionnement en électricité pour tous les consommateurs sur l’ensemble du territoire national, à des conditions tarifaires abordables, avec un faible impact carbone et climatique ;

Considérant que le service de production d’électricité pourrait remplir les critères juridiques de caractérisation d’un service d’intérêt économique général ;

Soutient la position du Gouvernement français dans les négociations européennes afin de permettre une évolution du mécanisme de l’ARENH, de manière à le rendre moins asymétrique et à assurer une couverture des coûts ;

Appelle à une clarification des critères de reconnaissance par le droit de l’Union européenne des services d’intérêt économique général ;

Demande la reconnaissance explicite, au sens du droit de l’Union Européenne, d’un service d’intérêt économique général de production d’électricité en France, dont la prestation est notamment assurée par l’entreprise EDF ou, sinon, la possibilité d’octroyer au nucléaire historique français des aides d’État dans des conditions compatibles avec les traités.

 

 

 


—  1  —

   Annexe I :
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

 

Entreprise Électricité de France (EDF)

-         M. Alexandre Perra, directeur exécutif du groupe EDF

 

-         M. Bertrand Le Thiec, directeur des affaires publiques

 

-         Mme Véronique Loy, directrice adjointe des affaires publiques

 

Organisations syndicales de l’entreprise EDF

-         M. Christophe Béguinet, représentant de la CFDT (Confédération française démocratique du travail)

-         M. Jacky Chorin, représentant de FO (Force ouvrière)

-         M. Pascal Jacquelin, représentant de la CFE-CGC (Confédération française de l’encadrement – Confédération générale des cadres)

-         Mme Philippe Page Le Merour, représentante de la CGT (Confédération générale du travail)

 

 


([1]) Directive 96/92/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 décembre 1996 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité.

([2]) Directive 2003/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2003 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et abrogeant la directive 96/92/CE.

([3]) Loi n°2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat.

([4]) Rapport pour avis n° 3360 sur le projet de loi de finances pour 2021, Tome VII, Écologie, développement et mobilité durables – Énergie de Mme Marie-Noëlle Battistel.

([5]) Rapport pour avis n° 3360 sur le projet de loi de finances pour 2021, Tome VII, Écologie, développement et mobilité durables – Énergie de Mme Marie-Noëlle Battistel.

([6]) CJCE, aff. 118/85, 16 juin 1987, Commission c/Italie.

([7]) CJCE, aff. C-364/92, 19 janvier 1994, Eurocontrol.

([8]) CJCE, aff. C-159/91 et C-160/91, 17 février 1993, Poucet et Pistre.

([9]) CJCE, aff 10-71, 14 juillet 1971, Ministère public luxembourgeois contre Madeleine Muller, veuve J.P Hein et autres.

([10]) TPIUE, 3e chambre, aff. T-289/03, 12 février 2008, BUPA.

([11]) Op. cit.

([12]) CJUE, aff. C66/16, 20 décembre 2017, Comunidad Autónoma del País Vasco e.a./Commission.

([13]) Communication de la Commission concernant l’application aux services publics de radiodiffusion des règles relatives aux aides d’État, publiée au JO C 257 du 17 octobre 2009.

([14]) CJCE, aff. C-179/90, 10 décembre 1991, Merci conventionali porto di Genova.

([15]) Directive 2019/944 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité

([16]) Marie Lamoureux, Droit de l’énergie, Précis Domas, 2020, p. 252.

([17]  Décision 2012/21/UE de la Commission du 20 décembre 2011 relative à l’application de l’article 106, paragraphe 2, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne aux aides d’État sous forme de compensation de service public octroyées à certaines entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt économique général.

([18]) CJCE, aff. C-393/92, 27 avril 1994, Commune d’Almelo.