Logo2003modif

N° 4275

______

 

ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 23 juin 2021.

 

 

RAPPORT  D’INFORMATION

 

 

 

DÉPOSÉ

 

 

en application de l’article 145 du Règlement

 

 

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

 

 

en conclusion des travaux de la mission d’information sur
les médicaments

 

 

ET PRÉSENTÉ PAR

 

 

Mme Audrey DUFEU et M. Jean-Louis TOURAINE,

 

Députés.

 

——

 

 


—  1  —

 

La mission d’information est composée de :

 

M. Pierre Dharréville, président ; Mme Audrey Dufeu et M. JeanLouis Touraine, rapporteurs ; M. Philippe Berta, Mme Gisèle Biémouret, M. Paul Christophe, Mme Josiane Corneloup, Mme Caroline Fiat, Mme Marie-Pierre Rixain, Mme Valérie Six et Mme Martine Wonner.

 

 

 

 

 

 


—  1  —

SOMMAIRE

___

Pages

AVANT-PROPOS DU PRÉSIDENT de la mission d’information

INTRODUCTION

PremiÈre partie : un secteur en pleine mutation dans lequel la France peine À conserver son rang

I. Les mÉdicaments : des biens hybrides produits par le secteur privÉ mais fortement rÉgulÉs par la puissance publique

A. L’accÈs aux mÉdicaments, partie intÉgrante du droit À la santÉ

B. En France, une rÉgulation publique sur toutes les étapes du parcours du médicament

1. La phase de recherche

2. L’autorisation de mise sur le marché

3. L’évaluation des médicaments

4. La négociation des prix

5. La fixation du taux de remboursement

II. Les mÉdicaments : un monde en pleine mutation

A. DES changements de stratÉgie des entreprises pharmaceutiques

1. La recomposition du paysage de l’industrie pharmaceutique

a. Une dynamique accrue de spécialisation et de concentration

b. Un recours croissant à l’externalisation

c. Un secteur de plus en plus financiarisé

d. Un impact environnemental important

2. Des conséquences préoccupantes

B. Un changement de paradigme technologique et mÉdical

1. L’importance croissante des biotechnologies et de la génomique

2. Des conséquences sur les modalités de production et la prise en charge des patients

C. DE NOMBREUSES ET IMPORTANTES questions Éthiques

1. Une augmentation fulgurante du prix des médicaments

a. Des prix qui atteignent aujourd’hui des sommets

b. Une hausse qui n’est pas toujours justifiée

2. Un manque de transparence injustifiable

a. Une procédure opaque de négociation des prix

b. Un flou autour des coûts réellement supportés par les entreprises

3. Un accès parfois inéquitable aux innovations thérapeutiques

a. Un principe d’accès aux médicaments pour tous...

b. ... menacé face à la hausse très forte du prix des médicaments innovants

c. Des disparités dans l’accès précoce aux innovations

4. Un système de propriété intellectuelle freinant l’accès aux innovations dans de nombreux pays

a. Une nécessaire protection de l’innovation...

b. ... générant des inégalités entre les États

III. La France du mÉdicament : un dÉclin sans appel

A. LE DÉCLASSEMENT de la France en matiÈre de recherche et d’innovation en santÉ

1. Une insuffisance des moyens consacrés à la recherche et développement en santé

2. Une forte perte d’attractivité en matière d’essais cliniques

3. Un écosystème de l’innovation en santé insuffisamment développé

4. Des procédures extrêmement longues d’accès au marché et de fixation des prix

B. Le dÉclin de la production pharmaceutique française

1. Malgré les atouts incontestables de la France...

2. ... une perte de sa position de leader en matière de production

a. Un déclin de la production chimique

b. Un retard particulièrement marqué dans la bioproduction

3. Une souveraineté sanitaire très fragilisée

C. Des pÉnuries croissantes, aux rÉpercussions inquiÉtantes

1. Des pénuries qui se multiplient

2. Une chaîne d’approvisionnement de plus en plus complexe

3. Des conséquences particulièrement préoccupantes

a. Des effets parfois dramatiques sur la prise en charge des patients

b. Un défi pour les professionnels de santé

4. Un exemple évocateur : le cas des pénuries pendant la crise de la covid19

DeuxiÈme partie : amÉliorer la gouvernance de la chaÎne des mÉdicaments

I. Mettre en place une gouvernance forte, simplifiÉe et mieux coordonnÉe avec les instances europÉennes

A. Renforcer et unifier nos instances de dÉcision et de rÉgulation

1. Mettre en place une gouvernance unifiée et proactive

a. Un manque de pilotage stratégique...

b. ... que pourrait résoudre la création d’une fonction de haut-commissaire aux produits de santé

2. Instaurer une gouvernance forte et dotée d’expertise

a. Un manque criant de moyens humains et financiers...

b. ... qu’il est impératif de combler au plus vite

B. Simplifier la gouvernance et mieux la coordonner avec les instances europÉennes

1. Favoriser davantage de synergies et d’efficacité dans le domaine de la recherche et de l’innovation

a. Une dispersion des moyens publics qui nuit à la recherche publique et à sa valorisation

b. Opérer une simplification en profondeur de la gouvernance de la recherche et l’innovation en santé

c. Être vigilant quant aux modalités de création d’une nouvelle Agence de l’innovation en santé

d. Favoriser une recherche en santé partenariale plus forte et plus efficace à l’échelon européen

2. Instituer des mécanismes de régulation plus adaptés tout au long du parcours du médicament

a. Simplifier de manière significative le fonctionnement des instances nationales et assurer concrètement une meilleure coordination entre elles

b. Mieux coordonner les instances nationales à l’échelle européenne et confier davantage de compétences à l’Union

II. RÉÉquilibrer les rapports de force avec les industriels

A. Faire du prix un levier de rÉgulation transparenT et efficace

1. Le prix des médicaments, résultat d’une négociation entre le CEPS et les industriels

a. Les critères fixés par le code de la sécurité sociale

b. Les critères pris en compte à titre complémentaire

2. Renforcer la transparence du prix des médicaments

3. Fixer les prix des médicaments au niveau européen

a. La fixation d’un prix unique européen doit constituer un objectif à moyen terme

b. Une plus grande transparence des prix pratiqués en Europe doit être garantie dès à présent

4. Modifier les critères de fixation du prix

a. La valeur thérapeutique doit rester l’élément central

b. Les enjeux de souveraineté sanitaire et de sécurité d’approvisionnement doivent être davantage pris en compte

B. Garantir la soutenabilitÉ de notre système DE SANTÉ grÂce À une gestion renouvelÉe des dÉpenses de mÉdicaments

1. Réfléchir urgemment à l’avenir de notre modèle de financement

2. Mettre en place une politique plus dynamique de révision des prix

a. Une trop grande inertie dans les dispositifs actuels

b. Fixer dans la loi les critères de la révision des prix

c. Évaluer les nouveaux critères d’inscription sur la liste en sus

3. Réévaluer le prix des médicaments en fonction des données en vie réelle

a. Des données en vie réelle beaucoup trop peu utilisées aujourd’hui

b. Une nouvelle impulsion donnée par le récent accordcadre

c. Les conditions de réussite de l’utilisation des données en vie réelle

4. Réviser l’ONDAM pour permettre une gestion consolidée, proactive et pluriannuelle des dépenses de médicaments

C. aligner les stratÉgies des entreprises AVEC les objectifs de santÉ publique

1. Mettre en place une relation partenariale entre entreprises et pouvoirs publics

2. Conditionner les aides publiques à un accès facilité aux médicaments

3. Mieux contrôler le crédit d’impôt recherche

4. Développer les entreprises pharmaceutiques à mission

TroisiÈme partie : REconquérir notre souverainetÉ sanitaire

I. Refaire de la France un territoire d’innovation thÉrapeutique

A. ACCROÎTRE le soutien public À la recherche fondamentale en santÉ

1. Renforcer et différencier les montants octroyés aux projets de recherche

2. Aligner le salaire des chercheurs français sur les meilleurs standards internationaux

B. INSTAURER UN continuum entre la recherche fondamentale et le dÉveloppement des mÉdicaments

1. Des progrès sensibles ont été réalisés ces dernières années

2. Donner une impulsion politique à la recherche collaborative et aux partenariats public-privé

a. Créer une culture commune et partagée de l’innovation en santé

b. Faire émerger un écosystème à une échelle suffisamment significative

c. Approfondir la logique hospitalo-universitaire

d. Accroître l’efficacité et l’agilité de nos structures de valorisation

C. Faciliter la production de mÉdicaments innovants, tels que les cellules CART, par les acteurs acadÉmiques

1. Les raisons de recourir à une production académique de cellules CART

a. Les limites de la production industrielle

b. Les avantages d’une production académique

2. L’absence de vrai obstacle à la production académique

3. Se donner les moyens d’une production académique ambitieuse

D. S’assurer du dÉveloppement, en France, des innovations thÉrapeutiques

1. Aider les biotechs à grandir et valoriser leurs innovations en France

2. Arrêter le saupoudrage d’aides publiques

3. Soutenir le développement de technologies de production innovantes

4. Réformer la contribution sur les dépenses de promotion, aujourd’hui défavorable à l’innovation

E. Rendre de nouveau la France attractive en matiÈre d’essais cliniques

1. Renforcer le soutien public

2. Assurer une pleine coopération entre les acteurs

3. Garantir l’accès de tous aux essais cliniques

4. Raccourcir considérablement les délais de mise en œuvre des essais

a. Des délais encore trop longs

b. Renforcer l’efficacité des CPP

5. Assurer en toute transparence le suivi des essais cliniques

II. Assurer un accÈs aux mÉdicaments essentiels et innovants et lutter contre les pÉnuries

A. Lutter contre les pÉnuries en sÉcurisant la chaÎne d’approvisionnement du mÉdicament

1. Renforcer la prévention des pénuries et améliorer la connaissance de la chaîne du médicament

a. Consolider les dispositifs existants en matière de prévention et de gestion du risque

b. Améliorer la connaissance de la chaîne d’approvisionnement et s’accorder au niveau européen sur la notion de pénurie

2. Accroître le partage d’informations entre acteurs et la fluidité de la chaîne d’approvisionnement

a. Renforcer la communication entre les différents maillons de la chaîne de distribution

b. Améliorer la fluidité de la chaîne de distribution du médicament

3. Responsabiliser les acteurs et mieux sanctionner les comportements répréhensibles

a. Faire des obligations de stockage des médicaments un outil de lutte contre les pénuries, harmonisé à l’échelon européen

b. Assurer l’effectivité des sanctions contre les industriels en cas de méconnaissance de leurs obligations

c. Lutter contre les comportements problématiques de certains acteurs de la répartition

B. Lutter contre les pÉnuries en relocalisant et en inventant de nouveaux modÈleS de production

1. Encourager la production pharmaceutique en France et en Europe

a. Produire davantage sur le territoire : un objectif depuis plusieurs années

b. Le tournant de la crise sanitaire : la relocalisation élevée au rang de priorité

c. La nécessité d’une stratégie intégrée

2. Réfléchir à de nouveaux modèles de production de médicaments

a. Certains médicaments font déjà l’objet d’une production publique

b. Mettre en place un mode de production partenarial, associant des acteurs publics et privés

3. Lutter contre les pénuries en favorisant la percée des médicaments génériques et biosimilaires

a. Un retard très regrettable

b. La nécessité de mesures beaucoup plus ambitieuses en faveur de ces médicaments

4. Le renforcement de l’indépendance de la France dans les médicaments dérivés du sang

C. Faire des brevets un outil protecteur mais flexible, au service de la santÉ publique

1. Prendre en compte le bénéfice thérapeutique et la spécificité des médicaments innovants

2. Assurer un accès équitable aux innovations

a. Lutter contre les pratiques abusives

b. Faire usage des flexibilités prévues par le régime des brevets

TRAVAUX DE LA COMMISSION

ANNEXE 1 : synthÈse des propositions

ANNEXE 2 : LISTE DES Personnes auditionnÉes par LA MISSION D’INFORMATION


— 1 —

   AVANT-PROPOS DU PRÉSIDENT de la mission d’information

Il faut soigner le médicament

La crise du covid-19 a éclairé d’une lumière crue les enjeux sanitaires. Et particulièrement ceux du médicament : recherche, production, pénuries, prix... Toutes les questions soulevées dans le débat public se posaient déjà avant l’irruption du virus. Et les investigations de notre mission d’information ont confirmé que la chaîne du médicament est malade et que notre pays prend de moins en moins sa part dans l’effort de recherche et de production, pour ne pas dire qu’il recule. La financiarisation du secteur n’en finit plus de progresser, entre valeurs refuges et prises de bénéfices. La recherche est asphyxiée, la production trop souvent délocalisée. Les pénuries se multiplient, les prix atteignent parfois des sommets et la transparence n’est pas au rendez‑vous. Au bout du compte, l’absence de politique publique est criante. Or, malgré les savoirs et les savoir‑faire remarquables, on ne peut pas se satisfaire du résultat en matière de santé. Dans notre pays, nous disposons, même si elle n’a pas été portée à sa plénitude et même si elle a été entravée, d’une formidable invention sociale qui garantit collectivement l’accès aux soins : nous devons protéger la sécurité sociale, financée par le travail, de toute tentative d’abuser de ses mannes et s’assurer qu’autour d’elle s’organise la meilleure réponse sanitaire. Pour qui veut garantir le droit à la santé pour toutes et pour tous, démonstration est faite qu’on ne peut s’en remettre purement et simplement au marché pour ce qui concerne le médicament : sans quoi le risque que l’on court depuis cet endroit du champ sanitaire, c’est que la santé devienne une marchandise... Et qu’elle ne soit pas partagée, d’où la réflexion à engager pour faire du médicament non pas un bien de consommation mais un bien commun de toute l’humanité.

Ainsi, depuis le 20 janvier dernier, à travers un rythme d’auditions soutenu, la mission d’information sur les médicaments a entendu un grand nombre d’acteurs d’un écosystème, en pleine mutation. Faut-il indiquer que la création de cette mission, finalement actée en pleine crise sanitaire, avait été demandée de longue date, et ce par plusieurs groupes politiques ? En effet, le constat selon lequel le monde du médicament va mal ne date pas du covid-19. La crise, en mettant crûment en lumière les fragilités de notre système et leurs conséquences potentiellement dramatiques, n’a fait que confirmer l’urgence d’agir.

La démarche mise en place par la mission est relativement novatrice dans la mesure où elle a cherché à disposer d’une vision de l’ensemble de la chaîne du médicament, de la recherche à la commercialisation, en passant par la production, tandis que jusqu’ici, les rapports existants s’étaient, utilement, le plus souvent centrés sur tel ou tel aspect problématique.

La mission s’est toutefois focalisée sur les médicaments et non pas sur l’ensemble des produits de santé – un rapport résultant d’une mission que j’ai conduite avec Julien Borowczyk, s’est récemment penché sur les dispositifs médicaux. Il est néanmoins certain que l’ensemble des produits de santé connaissent des mutations relativement similaires auxquelles il convient de s’intéresser de manière globale.

Dans un premier temps, la mission s’est attachée à établir un état des lieux. L’ensemble des auditions l’ont bien montré : l’idéal du médicament comme bien commun s’éloigne de par les transformations que connaît l’industrie pharmaceutique et l’impuissance des États en la matière. L’enjeu de l’accès aux médicaments essentiels et innovants ne concerne plus seulement les pays à faible revenu. Les pays les plus développés, dont la France, sont aujourd’hui également fortement touchés par ces problématiques.

Le médicament n’est pas un bien comme les autres. Depuis la constitution de l’Organisation mondiale de la santé, en 1946, et la Déclaration universelle des droits de l’homme en 1948, la santé est considérée comme étant un droit humain et de justice sociale placé sous la responsabilité des États. L’accès aux médicaments fait partie intégrante de ce droit à un état de complet bienêtre physique, psychique et social. Certains diront que le médicament est un bien « hybride », produit par des entreprises privées et régulé par les pouvoirs publics. C’est déjà accepter qu’on puisse soumettre l’enjeu de santé et notamment celui de l’égal accès aux soins, à des objectifs de rentabilité. C’est d’ailleurs l’une des missions originelles, en France, de la sécurité sociale que de solvabiliser la dépense de médicaments en la socialisant, et de garantir que chacun puisse avoir accès aux traitements thérapeutiques dont il a besoin. Mais en définitive, la sécurité sociale ne finance-t-elle que cela, et a-t-elle toujours véritablement les moyens de le financer ?

La financiarisation et la marchandisation croissante de la santé en France, en Europe et dans le monde, est véritablement alarmante. Le médicament tend en effet à devenir un bien comme les autres, voire plus rentable et profitable que les autres ! Parallèlement, le dispositif des brevets tel qu’il fonctionne, privatisant des découvertes, des connaissances et des procédés d’intérêt général, s’inscrit dans la logique plus globale du secret des affaires ; sur ces bases se développent la concurrence et la spéculation au lieu de la coopération, tandis que les entreprises pharmaceutiques s’octroient un pouvoir discrétionnaire dans la fixation des prix et l’orientation des recherches. Nous avons pu voir à travers les auditions combien l’objectif de rentabilité et de versement de dividendes pèse sur les choix stratégiques. Or, dans ces conditions, qui est garant de la nécessité de répondre à des besoins thérapeutiques ? En définitive, qui décide et au regard de quelles ambitions ?

La profitabilité de l’industrie pharmaceutique, censée remplir une mission d’intérêt général, est d’ailleurs paradoxalement beaucoup plus importante que celle d’autres industries ayant des coûts de R&D comparables. Ce paradoxe nous a été rappelé avec force, si besoin était, par la crise sanitaire, réveillant des questionnements éthiques profonds. Pour rappel, le PDG et la vice-présidente de Pfizer ont vendu, respectivement pour 5,6 millions et 1,8 million de dollars d’actions le jour où l’action de l’entreprise a connu une hausse de 7 %. Quant au groupe Sanofi, malgré son retard sur les projets de vaccins contre le covid-19, il a annoncé une hausse de son bénéfice net par action de 338,4 % en 2020. Nonobstant les 110 millions d’euros de crédit d’impôt recherche (CIR) perçus en 2020, l’entreprise a encore annoncé la suppression de 300 postes de recherche en France. Est-ce vraiment justifiable ? N’avons-nous pas besoin de ces chercheurs, de ces laboratoires, de ce travail ?

La recherche de profitabilité s’accompagne d’une reconfiguration significative du modèle des multinationales pharmaceutiques. Trois évolutions majeures sont à l’œuvre. D’une part, on constate une tendance à centrer les activités de production sur les domaines les plus rentables, délaissant alors des champs thérapeutiques majeurs. D’autre part, s’exprime le choix constant de réduire les coûts de production notamment en recourant de plus en plus massivement à la délocalisation de la fabrication des principes actifs dans des pays où les salaires sont moindres et les normes sociales et environnementales moins exigeantes, ce qui engendre une perte grandissante de souveraineté sanitaire. Enfin, s’organise l’affaiblissement des pôles de recherche. Les grandes entreprises pharmaceutiques se tournent désormais vers des start-up vers lesquelles elles externalisent le risque (mais pas les moyens) : elles achètent désormais les molécules prometteuses aux biotechs, dont deux tiers sont issues de travaux de recherche publique ou académique, voire achètent directement à prix d’or les start-up qui les intéressent. Il n’y a donc plus de pilotage basé sur les possibles et les besoins. Le caractère aléatoire et soumis à des stratégies financières de cette organisation de la chaîne, qui correspond à ce que l’on appelle la « vallée de la mort », ne saurait plus longtemps être admis comme étant dans l’ordre des choses. Nous ne pouvons nous en remettre à un tel système pour faire face aux besoins de santé.

Il faut ajouter à cela l’émergence de nouveaux médicaments issus des biotechnologies, beaucoup plus personnalisés, parfois à prise unique, qui peuvent modifier l’approche thérapeutique dans certains domaines, mais toujours garder à l’esprit que les médicaments issus de la chimie apportent et continueront d’apporter de nombreuses solutions aux patients.

La délocalisation des activités ainsi que la volonté des industriels de ne se concentrer que sur les produits les plus rentables engendrent une forte hausse des pénuries de médicaments. Les pénuries touchent en effet très largement les produits les plus anciens et les moins onéreux (ce qui pose aussi la question de la fixation d’un juste prix sous conditions sociales et environnementales). Il nous a été rapporté que certains industriels vont même jusqu’à rationner la production de certains médicaments pour agir sur le cours. Or les pénuries engendrent de réelles pertes de chances pour les patients, d’ailleurs encore trop peu documentées.

L’abandon, par les industriels, de leurs activités de R&D au profit de rachat, à des prix très élevés, de start-up issues du monde académique est triplement problématique. D’une part, il engendre une confiscation de la recherche publique par le privé. Certes, des outils de partage de la valeur de l’innovation peuvent exister, comme les contrats de licence de brevet, permettant aux structures académiques de recevoir des redevances. Néanmoins, ce partage de la valeur demeure extrêmement déséquilibré : le brevet risque de devenir un moyen de privatiser un bien public.

D’autre part, l’abandon des activités de recherche par les entreprises pharmaceutiques engendre une hausse sans précédent des prix des médicaments, les industriels cherchant à répercuter, dans ces prix, les investissements parfois colossaux de rachats de start-up. Paradoxalement, les prix explosent donc alors que la recherche est le plus souvent faite par des structures académiques financées par des fonds publics ! Sous prétexte de médicaments très innovants, un jeu de dupes s’est établi entre les pouvoirs publics et les firmes pharmaceutiques, qui obtiennent de vendre leurs produits à des prix indécents alors même que le service médical est parfois modeste. Il faut ainsi rappeler l’exemple du Sovaldi, vendu à 84 000 euros aux États-Unis et 42 000 euros en Europe. Ou celui des CAR-T, vendues 300 000 euros pour des coûts réels de 30 000 euros. Les cancérologues alertent depuis longtemps sur les prix des médicaments contre le cancer. Ces prix menacent gravement le principe d’accès universel aux médicament et peuvent conduire à installer des logiques inacceptables de tri entre patients.

Les mutations de l’industrie pharmaceutique engendrent également des modifications dans le rapport que chacun peut avoir aux médicaments. Un phénomène de marchandisation des médicaments est à l’œuvre, renforcé par les dépenses des entreprises du médicament en frais de marketing et de commercialisation ainsi que de lobbying, aujourd’hui plus importantes que les dépenses en R&D... Et que nous payons. Le médicament ne peut être enfermé dans des logiques de consumérisme bien éloignées des principes du soin.

Face à l’ensemble de ces mutations, les pouvoirs publics, à l’échelle nationale ou européenne, et a fortiori mondiale sont trop impuissants. Les causes de cette impuissance sont multiples. L’État s’est éparpillé dans des logiques d’agences sans colonne vertébrale mais avec consigne d’austérité et s’est privé de leviers directs. En réalité, il est admis, comme cela s’est manifesté dans la crise sanitaire, que la réponse résiderait nécessairement dans le marché. Tant à l’échelle nationale qu’européenne, nous manquons d’une vision stratégique en matière de médicaments qui orienterait les investissements vers les besoins thérapeutiques non couverts et qui garantirait un accès sûr, effectif et abordable aux médicaments.

La mission a pu établir un diagnostic assez largement partagé et l’économie générale des propositions établies par la mission va dans le bon sens, portant l’exigence d’une refondation. Le panorama et les préconisations doivent permettre la réflexion et l’interrogation pour déboucher au plus vite sur des décisions fortes.

En tant que Président, j’ai poussé les feux des questionnements sur l’exigence de transparence, sur la nécessité de revoir les mécanismes de fixation des prix qui se trouvent aujourd’hui totalement décorrélés des coûts réels de recherche et de production, ou encore sur l’urgence à se doter d’outils publics de recherche et de production autrement plus puissants, en nous appuyant sur les atouts existants. En clair, n’est-il pas temps de réfléchir à la création d’un pôle public du médicament ? Cela n’aurait-il pas quelque utilité pour lutter contre les pénuries, contre les impasses de recherche, contre les abus et les positions dominantes, contre la financiarisation et la marchandisation débridées ? Cela ne doit pas empêcher, comme y insistent les co-rapporteurs de se pencher urgemment sur la mise en œuvre des décisions prises concernant l’obligation pour les industriels de constituer des stocks de sécurité d’approvisionnement.

Si l’enchevêtrement administratif interroge parfois, il est essentiel que les projets d’aménagement ne soient pas marqués du sceau de la contraction budgétaire qui a déjà largement affaibli l’État, ainsi que l’ont montré les travaux de la commission d’enquête sur la gestion de la crise covid-19. Dans le domaine de la recherche, le sousinvestissement chronique a déjà fait de nombreux dégâts et la course aux appels à projets occupe le temps précieux de chercheurs et chercheuses qui pourraient être plus investis encore dans leurs missions. N’est-ce pas à mettre en lien avec l’absence de conditions accompagnant le crédit d’impôt recherche, sur laquelle les co-rapporteurs s’interrogent avec raison. Quant aux procédures d’autorisation et de mise à disposition des médicaments, elles doivent sans doute être revues pour être organisées plus efficacement, et, par exemple la question des essais cliniques, avec celle des comités de protection des personnes, demande un soin particulier.

Il y a donc urgence à rééquilibrer les rapports entre les pouvoirs publics et les industriels, ce qui ne peut se faire sans essayer de peser sur l’organisation de la chaîne du médicament. Il y a urgence à se réapproprier le médicament. C’est une question de droit à la santé pour toutes et tous, qui a nécessairement une dimension internationale mais sur laquelle nous pouvons agir en France et en Europe. C’est aussi une question de confiance à rétablir, que l’on ne saurait balayer d’un revers de la main. C’est aussi pourquoi toute stratégie publique doit faire l’objet d’une démarche démocratique qui ne peut se résumer à une discussion avec les dirigeants des grandes entreprises du secteur.

Les travaux de la mission ont été conduits dans un esprit de travail et d’échanges qui ne s’est jamais démenti, n’abolissant pas toutes les divergences, mais traçant à chaque fois que possible des convergences, certaines parfois inattendues. Que l’ensemble des membres de la mission qui y ont contribué, au premier rang desquels les deux co-rapporteurs, Audrey Dufeu et Jean-Louis Touraine, en soient remerciés. Que soit également salué le travail précieux des administratrices de l’Assemblé nationale qui nous ont accompagnés. Que soient enfin remerciés l’ensemble des interlocuteurs que nous avons pu auditionner et avec qui, sans doute, le débat n’est pas clos.

La santé était, avant la crise, en tête des préoccupations. Plus que jamais, nous sommes devant l’exigence d’agir.


— 1 —

   INTRODUCTION

« La France du médicament ne va pas bien ». C’est à partir de ce constat que le président et les rapporteurs de la présente mission d’information ont souhaité engager une profonde réflexion sur le monde des médicaments, ses évolutions et la manière d’adapter nos outils de régulation pour répondre aux enjeux sociétaux, économiques et environnementaux qui se posent à lui.

La création de cette mission d’information, finalement actée en pleine crise sanitaire, n’est pas directement liée à celle-ci. Les limites de notre modèle pharmaceutique, caractérisé par une financiarisation galopante et une insuffisante coopération à l’échelle mondiale, ainsi que les faiblesses de la France et de l’Union européenne en matière de recherche et de production de médicaments, ne sont pas nouvelles. Elles ont néanmoins été mises en lumière par la crise sanitaire que nous traversons. Celle-ci a rappelé avec force notre dépendance vis-à-vis des pays étrangers pour des médicaments d’importance vitale et montré les conséquences potentiellement dramatiques des pénuries de médicaments.

Le présent rapport ne prétend pas être le premier à engager une réflexion sur le monde des médicaments et les manières de le faire évoluer. De nombreux rapports, études ou avis ont été publiés au cours des dernières années sur le sujet des médicaments, tant par les acteurs institutionnels (Cour des comptes, Parlement, Conseil économique, social et environnemental, etc.), que par les acteurs de la société civile (think tanks, associations, etc.) ou par les industriels eux-mêmes. La mission a d’ailleurs souhaité partir de ces travaux et a auditionné un certain nombre de leurs auteurs. Le présent rapport se distingue néanmoins des études existantes car il aborde les problématiques du monde des médicaments de manière transversale. La mission n’a pas souhaité uniquement se concentrer sur l’amont de la chaîne du médicament (la recherche et l’innovation), ou sur l’aval (la production et la distribution de médicaments et la manière de lutter contre les pénuries). Nous avons souhaité porter un regard englobant sur l’ensemble de cette chaîne pour mieux tenter de la réformer en profondeur.

La mission a, dès le départ, dû faire un certain nombre de choix et n’a pas pu traiter l’ensemble des thématiques qui lui tenaient pourtant à cœur. Ainsi, elle a concentré ses travaux sur les médicaments à usage humain, excluant de fait les médicaments à usage vétérinaire ainsi que l’ensemble des produits de santé qui ne constituent pas des médicaments, comme les dispositifs médicaux ([1]).

Le présent rapport se concentre donc sur trois thématiques principales que sont la recherche et l’innovation thérapeutique, la souveraineté sanitaire et la lutte contre les pénuries de médicaments. Pour mener à bien ses travaux, la mission a entendu près de 100 acteurs, ce qui lui a permis de recueillir les points de vue à la fois des chercheurs, des professionnels de santé, des acteurs de la société civile, des entreprises, des instances de régulation au niveau européen et national ainsi que des médias. Le monde des médicaments a ceci de particulier que les acteurs y sont extrêmement nombreux, divers et interdépendants. La mission n’a pas pu, en raison de la crise sanitaire, effectuer de déplacements. Elle a néanmoins souhaité disposer de données comparatives internationales et a sollicité pour ce faire tant les services des ambassades françaises à l’étranger que les Parlements membres du Centre européen de recherche et de documentation parlementaires.

Après plus de six mois d’auditions, les impressions qui étaient celles des rapporteurs avant le début de leurs travaux ont été plus que confortées. Le monde des médicaments est en pleine mutation et la France a connu un déclin certain au cours des quinze dernières années.

Le contrat social qui lie les industries pharmaceutiques aux pays développés est extrêmement fragilisé ([2]). Ce contrat implicite repose pourtant sur des principes clairs. D’un côté, les États s’engagent à venir en aide aux entreprises pharmaceutiques pour leur permettre d’exercer la responsabilité sociale qui est la leur, à savoir assurer la production et la mise à disposition des biens publics que sont les médicaments. De l’autre, les entreprises pharmaceutiques s’engagent à servir l’intérêt général, en garantissant un accès abordable et équitable aux médicaments et en répondant aux besoins thérapeutiques non couverts.

Dans l’ensemble des pays développés, l’État et les sociétés semblent remplir leur part du contrat : les aides au secteur pharmaceutique y sont nombreuses et variées. Elles passent par des subventions, des crédits d’impôt et, plus indirectement, par le transfert de connaissances de la recherche académique vers le privé, par l’octroi de brevets permettant aux industriels de disposer d’un monopole sur la vente de leurs médicaments ainsi que par la solvabilisation (plus ou moins importante) de la demande de médicaments.

À l’inverse, les industriels ne semblent plus en mesure d’honorer totalement leur part du contrat. La financiarisation à outrance de la chaîne des médicaments qui s’est développée à partir des années 1980 a conduit, entre autres, à décorréler les objectifs de santé publique des stratégies des entreprises pharmaceutiques. La financiarisation du secteur s’est traduite dans la gouvernance même des grandes entreprises pharmaceutiques, dont les dirigeants, de moins en moins nombreux à avoir une culture médicale ou pharmaceutique, cherchent à satisfaire les exigences des actionnaires en maximisant le retour sur fonds propres. Les évolutions de ce secteur ont également conduit les grands groupes à externaliser la recherche et développement (R&D). Hier effectuée au sein des grands groupes industriels, la recherche est maintenant l’apanage d’une multitude de start‑ups souvent issues de laboratoires de recherche publique. Ce modèle est fortement inflationniste car les firmes pharmaceutiques répercutent, dans les prix des médicaments, les investissements lourds qu’elles réalisent en rachetant à prix d’or ces start‑ups innovantes.

Il ne s’agit pas ici de diaboliser les industries pharmaceutiques. Ces dernières font œuvre d’un professionnalisme irremplaçable et ont une utilité sociale majeure ; elles souffrent dans l’opinion publique d’une image délétère loin d’être toujours justifiée. Il s’agit surtout de pointer les limites, dans le monde des médicaments, d’une certaine forme de gouvernance néolibérale actionnariale. Ainsi, alors que les prix des biothérapies explosent et rendent compliqué l’accès de tous à ces médicaments, les vingt premières entreprises pharmaceutiques devraient obtenir, grâce aux biothérapies, un chiffre d’affaires cumulé de 324 milliards de dollars entre 2018 et 2024 ([3])... Les questions sociétales et éthiques sont donc devenues extrêmement prégnantes.

Au sein de ce monde des médicaments en pleine mutation, la France connaît un déclassement certain qui la fragilise et qui nuit à l’accès des patients Français aux médicaments essentiels et aux innovations thérapeutiques. Le manque de moyens octroyés à la recherche et à l’innovation, la complexité du paysage administratif français et la longueur excessive des procédures de mise sur le marché et de fixation du prix des médicaments semblent bien être les principaux facteurs d’explication de ce déclin national.

Ainsi, les crédits consacrés à la recherche fondamentale en biologie­santé se sont considérablement réduits. Ils sont plus de deux fois inférieurs à ceux de l’Allemagne et ont diminué de 28 % entre 2011 et 2018 quand ils augmentaient de 11 % en Allemagne et de 16 % au Royaume-Uni sur la même période ([4]). En matière de production, la France est passée du premier au quatrième rang des pays producteurs de médicaments (en valeur) en Europe, derrière la Suisse, l’Allemagne et l’Italie. Alors que l’Agence européenne du médicament a autorisé quatre‑vingt‑onze nouveaux médicaments en 2017, seuls six sont ou seront produits en France ([5]). En 2019, sur soixante et un traitements thérapeutiques ayant obtenu une autorisation européenne, seuls cinq sont produits en France, plaçant notre pays au sixième rang, derrière l’Allemagne, l’Irlande, l’Italie, le Royaume‑Uni et les Pays‑Bas ([6]). La France n’est pas meilleure en matière de délais de commercialisation. Une étude menée par la société américaine IQVIA ([7]) montre ainsi que les délais entre l’autorisation de mise sur le marché (AMM) et la fin de la procédure administrative post-AMM (évaluation et négociation de prix) sont plus élevés en France (498 jours) que la moyenne européenne (426) et bien plus élevés qu’en Allemagne (119 jours). Les conséquences de ce déclassement pour les patients sont parfois lourdes. Si elle n’en constitue pas le seul facteur d’explication, la perte d’attractivité de la France, contribue à la forte hausse des pénuries de médicaments. Pour rappel, le nombre de médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM) déclarés en rupture d’approvisionnement en France est passé de 404 en 2013 à 1 499 en 2019 et a été multiplié par vingt depuis dix ans.

Au-delà du déclassement en matière de recherche, d’innovation, de production et de mise à disposition de médicaments, la soutenabilité de notre modèle est questionnée. Nos outils de régulation ne sont plus adaptés à l’arrivée de biothérapies de plus en plus onéreuses, et ce d’autant plus que les biothérapies innovantes ne se limitent pas aux maladies rares. Ils reposent aujourd’hui sur une enveloppe budgétaire fermée dans laquelle les économies réalisées sur les produits les plus matures, pourtant parfois essentiels, financent les médicaments les plus innovants, dont la valeur thérapeutique est pourtant souvent incertaine.

Surtout, une révolution est en route. Le modèle fréquent des médicaments du XXe siècle reposait sur des produits chimiques relativement peu onéreux, pris quotidiennement et prescrits de façon très prolongée pour traiter des maladies chroniques. Demain, le traitement sera beaucoup plus cher, très court (parfois, « one shot »), curatif, constitué de produits des biotechnologies. Le paradigme est donc tout différent et nous oblige à penser d’une façon complètement autre et novatrice la chaîne du médicament.

Les pouvoirs publics ont quelque peu pris conscience, ces dernières années, de la nécessité de s’attaquer aux faiblesses de la France en matière de médicaments et de mieux valoriser ses atouts. La France bénéficie en effet toujours d’une compétence scientifique et intellectuelle reconnue. La production pharmaceutique française est encore relativement dynamique, source d’emplois et d’excédent commercial. Notre système d’accès précoce aux médicaments (les autorisations temporaires d’utilisation [ATU]) est internationalement salué.

Ainsi, à la suite du Conseil stratégique des industries de santé (CSIS) de 2018, des mesures ont été actées et mises en œuvre. Les délais de mise sur le marché des médicaments ont été quelque peu réduits. Notre système d’accès précoce reposant sur les ATU a fait l’objet d’une récente simplification et amélioration. Des partenariats public-privé ont été créés au sein de structures de recherche plus collaboratives. Des outils pour mieux gérer les pénuries de médicaments ont été peu à peu instaurés. Le présent rapport fait état de l’ensemble de ces améliorations, tout en montrant qu’elles sont encore très parcellaires et qu’elles doivent aller beaucoup plus loin pour être à la hauteur des enjeux.

L’ambition de la présente mission d’information est double : remédier aux faiblesses de la France et engager une réflexion, en profondeur, sur la manière d’engager le bouleversement nécessaire dans le paysage français des médicaments.

La première ambition de la mission est donc d’établir des propositions opérationnelles de court terme, dont les rapporteurs espèrent qu’elles pourront faire l’objet d’une discussion approfondie au sein du CSIS qui se tiendra cet été. Ces propositions visent à fluidifier l’ensemble de la chaîne des médicaments et à améliorer l’accès des patients français tant aux médicaments essentiels qui font face à des risques de pénuries importants qu’aux innovations thérapeutiques qui sont porteuses d’espoir pour un grand nombre de malades. En matière de recherche et d’innovation, la mission appelle de ses vœux un renforcement massif des moyens octroyés à la recherche fondamentale et à la recherche collaborative ainsi que des mesures fortes pour rendre la France de nouveau attractive en matière d’essais cliniques et pour garantir in fine le développement, en France, des innovations thérapeutiques issues de notre recherche académique. La recherche pharmaceutique doit désormais être axée sur les besoins thérapeutiques plutôt qu’en fonction des opportunités de marchés. En matière de production et de lutte contre les pénuries, il paraît essentiel de valoriser davantage la production en France ou en Europe de médicaments ou de principes actifs. Il apparaît primordial de s’assurer que la chaîne de production d’un médicament ne repose pas sur un nombre trop limité de fournisseurs et d’anticiper les risques de pénuries en renforçant la transparence et les échanges d’information entre l’ensemble des acteurs, notamment à l’échelon européen.

La seconde ambition de la mission est d’impulser un changement de paradigme à plus long terme. Le rapport esquisse un certain nombre de pistes qui devraient être approfondies dans le cadre de concertations avec l’ensemble des acteurs concernés.

Les rapporteurs sont convaincus que ce nouveau paradigme passera par une refonte des relations entre les États et les industriels. Le rapport de force, aujourd’hui favorable aux industriels, doit pouvoir être rééquilibré et une relation partenariale doit pouvoir s’instaurer. Une telle relation partenariale passera par un meilleur partage du risque, en amont du développement du médicament, entre pouvoirs publics et entreprises pharmaceutiques, en contrepartie du renforcement de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises. Les rapporteurs insistent sur l’importance de faire des données en vie réelle des médicaments la « colonne vertébrale » de nos outils de régulation pour qu’une relation transparente et équilibrée s’instaure réellement entre pouvoirs publics et industriels, au bénéfice des patients. Chacune des instances de régulation pourrait recourir à ces données, que ce soit pour mieux réévaluer les médicaments, recourir aux contrats de partage des risques avec les industriels, faire de la veille sanitaire ou contrôler le mésusage des médicaments et en promouvoir une prescription efficiente.

Les rapporteurs ont identifié trois points d’attention pour qu’une telle relation partenariale puisse être effective.

Tout d’abord, les relations entre pouvoirs publics et industriels gagneraient à évoluer à l’échelon européen, voire international. Les industriels ne devraient plus pouvoir utiliser le manque de coopération entre les États pour imposer leurs pratiques, notamment en matière de fixation des prix. À ce sujet, les collaborations qui ont émergé pendant la crise sanitaire sont porteuses d’espoir et méritent d’être approfondies. La stratégie de coalition pour l’achat de vaccins lancée par l’Union européenne le 17 juin 2020 est un exemple emblématique du rapprochement possible entre les laboratoires et les pays qui souhaitent mutualiser leurs financements. Pour la Commission européenne, le rapprochement qui a été opéré « transfère une partie du risque de l’industrie vers les autorités publiques et, en contrepartie, garantit aux États membres un accès équitable et abordable à un vaccin, si un vaccin est produit » ([8]). Au niveau mondial, le dispositif COVAX pourrait servir d’exemple à bien d’autres actions à l’avenir. Pour rappel, ce dispositif vise à centraliser un financement conjoint de gouvernements, de laboratoires pharmaceutiques, de fondations et d’ONG afin d’assurer un accès équitable et juste des vaccins à tous les pays du monde. La France peut avoir un rôle à jouer dans la promotion de ces coopérations, notamment au niveau européen. La présidence française de l’Union européenne en 2022 doit permettre d’affirmer l’Europe des médicaments, et plus largement l’Europe de la santé.

Ensuite, les rapporteurs sont convaincus que l’industrie pharmaceutique ne changera pas si les États, eux-mêmes, ne modifient pas leurs pratiques et leur manière de concevoir le monde des médicaments. Les États doivent se doter d’une vraie vision stratégique et d’une gouvernance simple, lisible et forte de la chaîne des médicaments. L’État français a encore une réelle marge de progression en la matière. Le manque de vision proactive, la dispersion et la multiplicité des instances de gouvernance ont été regrettés par l’ensemble des acteurs auditionnés. Il est donc essentiel et urgent de simplifier nos instances de gouvernance, de les doter de plus de moyens humains et financiers ainsi que d’un chef de file au positionnement interministériel. Le manque de communication, les querelles de pouvoir et de périmètre, entre nos instances de gouvernance et différentes agences expliquent, en grande partie, la perte d’attractivité de notre territoire en matière de médicaments. Le présent rapport fait donc un certain nombre de propositions pour simplifier en profondeur et renforcer la gouvernance française de la chaîne du médicament.

Enfin, si les relations entre les États et les entreprises pharmaceutiques doivent être rééquilibrées, les autres acteurs concernés ne doivent pas pour autant être oubliés. Les rapporteurs sont convaincus que les acteurs de la société civile, au premier rang desquels les associations de patients, ont un rôle majeur à jouer dans la nouvelle gouvernance du monde des médicaments et cette déclinaison de la démocratie sanitaire est fortement souhaitable. Les acteurs académiques et les acteurs de l’économie sociale et solidaire pourraient également être davantage impliqués dans l’innovation thérapeutique et dans la production de certains médicaments. Cela permettrait de mettre en place des pratiques alternatives ou complémentaires à celles proposées par les firmes industrielles dans le choix des centres cliniques, dans la caractérisation des médicaments, dans les indications et les modes d’administration.

Ce changement de paradigme n’est pas utopique. L’ensemble des acteurs auditionnés l’appellent de leurs vœux. Le fonctionnement actuel, s’il devait perdurer, serait contreproductif et n’aurait aucun avenir. En effet, un modèle qui est susceptible d’engendrer de regrettables inégalités d’accès à la santé, qui met en péril la soutenabilité de nos modèles de protection sociale et qui n’est pas suffisamment respectueux de l’environnement n’est pas viable à long terme. Et cela, les industries pharmaceutiques le perçoivent aussi, même s’il est difficile pour beaucoup d’entre elles de l’anticiper et de l’organiser, compte tenu des bouleversements financiers engendrés.

L’ensemble de ces préconisations et pistes de réflexions requièrent que nous nous donnions les moyens de nos ambitions. Les moyens financiers nécessaires pour engager la transformation du monde des médicaments ont souvent tendance à être vus comme des « dépenses » supplémentaires qui viendraient grever le budget de l’État ou de la sécurité sociale. Or, ces moyens supplémentaires constituent des investissements qui nous permettront de renforcer notre tissu industriel et de réaliser, à terme des économies budgétaires considérables (prix des médicaments plus abordables ; réduction du nombre de pénuries, lesquelles sont particulièrement coûteuses ; moindre dépendance vis-à-vis des innovations thérapeutiques développées à l’étranger, etc.). Surtout, il s’agit d’investissements nécessaires pour relever, demain, les enjeux éthiques, sociétaux, sanitaires et environnementaux auxquels le monde des médicaments est tout particulièrement confronté.

 


— 1 —

   PremiÈre partie : un secteur en pleine mutation dans lequel la France peine À conserver son rang

Le médicament fait l’objet d’un parcours complexe faisant appel à une multitude d’acteurs, qui interviennent aux différentes étapes de recherche, de fabrication et de distribution. Sa nature même et son rôle en matière de santé publique justifient une réglementation spécifique et l’intervention de la puissance publique dans chacune de ces étapes, pour assurer aux patients un accès équitable aux médicaments les plus performants.

L’industrie pharmaceutique joue un rôle de premier plan dans l’élaboration du médicament. Investie d’une responsabilité spécifique qui justifie souvent un soutien important de la part de l’État, elle doit assurer la production, l’approvisionnement et la mise à disposition des médicaments à des prix abordables.

Or, les rapporteurs s’inquiètent des évolutions de cette industrie, marquée par une forte financiarisation. Cette logique financière favorise une conception différente, plus marchande et moins éthique, du médicament. Par ailleurs, les traitements innovants et d’avenir, fondés sur des technologies toujours plus complexes et sophistiquées, atteignent aujourd’hui des prix exorbitants, qui menacent à terme la soutenabilité de notre système de santé et la disponibilité des médicaments pour tous les patients.

Au-delà de la question de la financiarisation, constatée au niveau mondial, cette partie vise à explorer les raisons du déclin de la France du médicament. Elle vise à dresser un constat lucide sur le recul de la France dans le champ de l’innovation et de la production de médicaments ainsi que sur la multiplication des pénuries, particulièrement préoccupantes depuis plusieurs années.

I.   Les mÉdicaments : des biens hybrides produits par le secteur privÉ mais fortement rÉgulÉs par la puissance publique

Le médicament n’est pas un bien comme les autres. Il s’agit d’un bien hybride qui, s’il est produit par des entreprises privées, n’en demeure pas moins régulé très fortement par la puissance publique.

A.   L’accÈs aux mÉdicaments, partie intÉgrante du droit À la santÉ

Depuis la constitution de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en 1946 et la Déclaration universelle des droits de l’homme en 1948, la santé est considérée comme étant un droit humain et de justice sociale placée sous la responsabilité des États. L’accès aux médicaments essentiels fait partie intégrante de ce droit. Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies en 1966, désigne en effet l’accès aux installations, aux produits et services de santé comme l’un des moyens de rendre pleinement effectif le droit à la santé.

Qu’est-ce qu’un médicament ?

En France, selon l’article L. 5111-1 du code de la santé publique, on entend par médicament « toute substance ou composition présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l’égard des maladies humaines ou animales, ainsi que toute substance ou composition pouvant être utilisée chez l’homme ou chez l’animal ou pouvant leur être administrée, en vue d’établir un diagnostic médical ou de restaurer, corriger ou modifier leurs fonctions physiologiques en exerçant une action pharmacologique, immunologique ou métabolique ».

Trois notions permettent de qualifier un produit de médicament. Les deux premières correspondent à la définition donnée par la directive européenne 65/65/CEE du 26 janvier 1965 (1), la troisième est propre au droit français :

– les médicaments par présentation : il s’agit des substances présentées comme telles. Le juge a recours à un faisceau d’indices (conditionnement, posologie...) pour qualifier un produit de médicament ;

– les médicaments par fonction : il s’agit des substances « pouvant être utilisée[s] [...] en vue d’établir un diagnostic médical ou de restaurer, corriger ou modifier leurs fonctions physiologiques ». Ce sont les effets produits (préventifs ou curatifs) qui permettent ici de qualifier une substance de médicament ;

– les médicaments par composition : il s’agit des produits contenant des substances habituellement présentes dans les médicaments. Le juge prend en compte la nature des substances utilisées ainsi que leur dosage pour qualifier un produit de médicament.

(1) Directive 65/65/CEE du Conseil, du 26 janvier 1965, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives, relatives aux spécialités pharmaceutiques.

Le système français de sécurité sociale a été conçu pour garantir un accès aux soins équitable et financièrement abordable pour tous. Afin que la maladie ne soit pas source d’appauvrissement, l’assurance maladie prévoit une déconnexion entre le financement des soins et l’utilisation des soins, au travers d’un système de solidarité entre les citoyens.

En France, la dépense de médicaments repose ainsi essentiellement sur l’assurance maladie obligatoire. Selon la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) ([9]), en 2019, l’assurance maladie obligatoire prenait en charge 74 % de la dépense de médicaments en ambulatoire (24,2 milliards d’euros) et l’assurance maladie complémentaire 12,4 %.

LA DÉPENSE DE MÉDICAMENTS EN AMBULATOIRE PAR TYPE DE FINANCEUR EN 2019
ET PART DANS LE TOTAL DE LA DÉPENSE

(en millions d’euros)

 

Sécurité sociale

État et CMU-C

Mutuelles

Sociétés d’assurance

Institutions de prévoyance

Ménages

Total

Médicaments en ambulatoire

24 220

(74 %)

477

(1,5 %)

2 093

(6,4 %)

1 245

(3,9 %)

697

(2,1 %)

3 860

(11,9 %)

32 592

 

Source : « Les dépenses de santé en 2019 », Drees, 2020.

Des dispositifs spécifiques existent par ailleurs pour les médicaments prescrits à l’hôpital et notamment pour les traitements innovants. Ainsi, à l’hôpital, les dépenses sont intégrées dans la tarification à l’activité (T2A). Tout séjour est en effet classé dans un groupe homogène de séjour (GHS), doté d’un tarif et destiné à couvrir les charges supportées par les établissements pour le séjour d’un patient. Les hôpitaux reçoivent de la sécurité sociale un paiement forfaitaire global avec lequel ils doivent payer les médicaments comme les autres charges ([10]). Un financement dérogatoire est assuré pour certains produits – médicaments et dispositifs médicaux – innovants et particulièrement onéreux. Pour ces médicaments, inscrits sur la « liste en sus » ([11]), les établissements sont remboursés de l’intégralité du coût des traitements, sur la base d’un prix limite fixé par l’assurance maladie. La dépense pour les médicaments et dispositifs médicaux figurant sur la liste en sus s’élève en 2018 à 5,4 milliards d’euros ([12]). Cette dépense représente 5,7 % de la consommation hospitalière et se concentre sur un faible nombre de médicaments et de dispositifs médicaux.

B.   En France, une rÉgulation publique sur toutes les étapes du parcours du médicament

Entre la conception de la molécule active d’un médicament en laboratoire et sa mise sur le marché, plusieurs phases jalonnent le parcours d’un nouveau médicament.

1.   La phase de recherche

Le développement d’un médicament passe nécessairement par une phase de recherche, se déroulant en plusieurs étapes.

Une fois qu’une cible est découverte, elle est mise en contact in vitro avec des milliers de molécules chimiques et seule une petite partie d’entre elles est testée in vivo sur des modèles animaux. Les plus prometteuses sont ensuite testées chez l’homme. Les premiers essais sont effectués sur des sujets volontaires sains (phase I) pour préciser la sécurité d’emploi ainsi que le devenir du produit dans l’organisme. L’efficacité thérapeutique de la molécule, sa posologie optimale et sa tolérance sont ensuite confirmées sur un nombre restreint de malades (phase II) puis, sur une période plus longue, sur des centaines voire des milliers de malades (phase III). Au cours de la phase III, l’efficacité du traitement est évaluée en comparaison à un traitement de référence ou à un placebo.

La recherche clinique est une activité hautement réglementée : la loi française, les règlements européens et standards internationaux encadrent tous les aspects et les étapes des essais cliniques. En France, ces essais nécessitent une autorisation délivrée par l’Agence de sécurité du médicament et des produits de santé et un avis favorable des comités de protection des personnes (CPP).

Une fois les essais cliniques réussis, quatre nouvelles étapes interviennent : l’autorisation de mise sur le marché, l’évaluation du médicament pour la détermination de son taux de remboursement et de son prix, la négociation du prix et la fixation du taux de remboursement. À ces quatre étapes correspondent quatre instances : l’Agence de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) pour l’autorisation de mise sur le marché, lorsque celle-ci ne relève pas de la procédure européenne centralisée ; la Haute Autorité de santé (HAS) pour l’évaluation ; le Comité économique des produits de santé (CEPS) pour la négociation du prix du médicament avec les industriels ; enfin l’Union nationale des caisses d’assurance maladie (UNCAM) pour la fixation du taux de remboursement.

LeS ÉTAPES de commercialisation d’un mÉdicament

 

Source : Commission des affaires sociales à partir d’un document de la HAS.

2.   L’autorisation de mise sur le marché

Pour être commercialisée, une spécialité pharmaceutique doit obtenir préalablement une autorisation de mise sur le marché (AMM). La délivrance d’une AMM est fondée sur l’examen de la balance bénéfice/risque du produit, à savoir l’examen de la démonstration de son efficacité au regard des indications visées, des effets indésirables prévisibles recueillis au moment des essais non cliniques et cliniques, de la qualité chimique, biologique ou microbiologique du médicament ainsi que de la qualité des procédés de fabrication.

Les quatre procédures d’autorisation de mise sur le marché dans l’Union européenne

La procédure centralisée permet la commercialisation d’un médicament sur la base d’une évaluation unique à l’échelle de l’Union et d’une autorisation de mise sur le marché valide dans toute l’Union. C’est la Commission européenne qui délivre cette autorisation à partir de la recommandation de l’Agence européenne du médicament (EMA). En 2020, l’EMA a recommandé l’autorisation de mise sur le marché de 97 médicaments nouveaux à usage humain. Cette procédure est obligatoire pour les médicaments de thérapie innovante, les médicaments issus des biotechnologies, les médicaments innovants contenant une nouvelle substance active et dont l’indication thérapeutique est le traitement de certaines affections (sida, cancer, maladie neurodégénérative, diabète, maladies auto‑immunes et maladies virales) ainsi que pour les médicaments orphelins indiqués dans le traitement des maladies rares. Pour les autres pathologies, elle reste optionnelle.

La procédure décentralisée s’applique pour les médicaments qui ne sont pas encore autorisés dans l’Union européenne et qui sont destinés à au moins deux États membres. Dans ce cas, l’industriel demande à un État membre d’agir en tant qu’État de référence parmi les États dans lesquels il souhaite autoriser son médicament.

La procédure de reconnaissance mutuelle est fondée sur la reconnaissance d’une AMM déjà accordée dans un des États membres de l’Union européenne.

La procédure nationale concerne les médicaments uniquement autorisés sur le territoire national. La majorité des demandes d’AMM soumises selon la procédure nationale concerne des médicaments génériques. En 2019 en France, 1 016 AMM et enregistrements ont été délivrés par l’ANSM (procédure nationale et procédures européennes décentralisées et de reconnaissance mutuelle).

Source : ANSM, Rapport d’activité 2019 (4 novembre 2020).

3.   L’évaluation des médicaments

La HAS a pour mission d’évaluer les médicaments en vue de leur admission ou maintien au remboursement par l’assurance maladie et de la négociation de leur prix, dès lors qu’ils ont reçu une AMM. Deux commissions de la HAS interviennent : la commission de la transparence et la commission d’évaluation économique et de santé publique.

La commission de la transparence rend, pour chaque médicament, un avis qui inclut deux éléments : le service médical rendu (SMR) et l’amélioration du service médical rendu (ASMR). Le SMR permet de décider du remboursement du médicament et de son taux de remboursement et l’ASMR contribue à la fixation de son prix.

Le SMR et l’ASMR

– Le service médical rendu (SMR) répond à la question : « Ce médicament a-t-il suffisamment d’intérêt clinique pour être pris en charge par la solidarité nationale ? ».

Les critères d’évaluation du SMR sont définis par voie réglementaire (article R. 162-37-3 du code de la sécurité sociale). Il s’agit de l’efficacité et des effets indésirables du médicament, de sa place dans la stratégie thérapeutique, de la gravité de l’affection à laquelle il est destiné, du caractère préventif, curatif ou symptomatique du traitement médicamenteux et de son intérêt pour la santé publique.

En fonction de l’appréciation de ces critères, plusieurs niveaux de SMR ont été définis : SMR majeur ou important, SMR modéré ou faible, mais justifiant cependant le remboursement, et SMR insuffisant pour justifier une prise en charge par la collectivité.

– L’amélioration du service médical rendu (ASMR) répond à la question : « Quel est le progrès apporté par ce médicament par rapport aux thérapies existantes ? ».

Contrairement au SMR, les critères de l’ASMR ne sont pas définis par voie réglementaire mais la doctrine de la HAS précise les éléments pris en compte pour apprécier l’ASMR d’un médicament :

– le ou les médicaments de comparaison (« les comparateurs ») considérés comme cliniquement pertinents et disponibles ;

– la qualité de la démonstration du progrès apporté par le médicament ;

– la quantité d’effets supplémentaires par rapport au comparateur en termes d’efficacité, de qualité de vie ou de tolérance ;

– la pertinence clinique de l’effet supplémentaire ;

– le besoin médical.

En fonction de l’appréciation, plusieurs niveaux d’ASMR ont été définis : ASMR I (majeure), ASMR II (importante), ASMR III (modérée), ASMR IV (mineure), ASMR V (inexistante), ce qui signifie « absence de progrès thérapeutique ».

Dans le cas où le médicament est présumé innovant et pouvant avoir un impact significatif sur les dépenses de santé, la commission d’évaluation économique et de santé publique évalue son efficience ([13]) et son impact budgétaire. L’enjeu est de guider les choix de financement par la collectivité et d’aider à définir le « juste prix » d’un traitement innovant. Quel sera son surcoût au regard de ses bénéfices pour la santé ?

4.   La négociation des prix

En ville, les prix sont régulés pour les médicaments remboursables. À l’hôpital, les prix sont régulés pour les médicaments de la liste en sus et les médicaments rétrocédables ([14]). Pour les autres, ceux inclus de façon forfaitaire dans la tarification à l’activité et les groupes homogènes de séjour (GHS), les prix sont libres depuis 1987 et les prix d’achat sont négociés par les hôpitaux par appels d’offres.

Lorsque le prix est régulé, il est fixé par le Comité économique des produits de santé (CEPS) à la suite d’une négociation avec l’entreprise exploitant le médicament, sur la base notamment de l’ASMR, du prix des médicaments à même visée thérapeutique, des volumes de vente envisagés, de la population cible et des prix pratiqués à l’étranger.

5.   La fixation du taux de remboursement

L’Union nationale des caisses d’assurance maladie définit le taux de remboursement sur la base du service médical rendu et de la gravité de l’affection concernée.

Taux de remboursement des mÉdicaments

Catégories de médicaments

Taux de remboursement

Médicament irremplaçable pour affections graves et invalidantes

100 %

Médicament à SMR majeur ou important et préparations magistrales

65 %

Médicament à SMR modéré

30 %

Médicament à SMR faible

15 %

 

II.   Les mÉdicaments : un monde en pleine mutation

Si les pouvoirs publics interviennent largement dans le parcours du médicament, l’industrie pharmaceutique joue un rôle premier dans le développement des médicaments. Or, cette industrie connaît, depuis plusieurs années, d’importantes évolutions. Elle est en particulier marquée par une financiarisation aux multiples dimensions.

A.   DES changements de stratÉgie des entreprises pharmaceutiques

L’industrie du médicament connaît une série de transformations, lesquelles concernent tant le modèle même des firmes pharmaceutiques que leurs pratiques, de plus en plus assimilables à celles d’entreprises financières.

1.   La recomposition du paysage de l’industrie pharmaceutique

a.   Une dynamique accrue de spécialisation et de concentration

Depuis les années 1990, les grandes firmes pharmaceutiques constituées au début des années 1970 et intégrées verticalement ont amorcé une phase de désintégration et de cession de certaines de leurs activités. De nombreuses firmes pharmaceutiques ont ainsi été amenées à scinder leurs activités – le plus souvent entre la chimie et la pharmacie – à l’instar du groupe britannique ICI, l’un des premiers à avoir séparé ces deux activités en 1993. Ce processus de transformation s’est caractérisé par un recentrage des firmes sur certains segments d’activités, domaines thérapeutiques ou étapes de production.

Parallèlement à cette spécialisation, un vaste mouvement de fusions et d’acquisitions est à l’œuvre depuis plusieurs années. La plupart des grands groupes pharmaceutiques se sont en effet construits par des opérations successives de concentration et de recentrage sur leur cœur de métier, à l’instar des firmes Glaxo- SmithKline (GSK), Aventis ou encore du groupe Pfizer, constitué par l’acquisition successive des groupes Warner-Lamber, Pharmacia et Wyeth ([15]).

Souvent qualifiées de « méga-fusions » en raison de leur ampleur, ces opérations représentent des montants de plus en plus importants. Alors qu’elles s’élevaient déjà à plus de 200 milliards de dollars en 2014 et 2016 ([16]), les fusions‑acquisitions ont atteint un coût record d’environ 357 milliards de dollars en 2019 ([17]).

Ce mouvement de concentration a inévitablement contribué à l’émergence de groupes pharmaceutiques d’envergure mondiale souvent appelés « big pharmas ». Ainsi, les dix premiers groupes pharmaceutiques mondiaux représentent en 2019 41,2 % du marché.

classement des dix premiÈres entreprises pharmaceutiques mondiales (2019)

C:\Users\aderoubin\AppData\Local\Microsoft\Windows\INetCache\Content.Word\entreprises classement.PNG

Source : Leem, données générales du marché mondial, 29 septembre 2020.

Cette concentration du secteur de l’industrie pharmaceutique s’est nécessairement accompagnée d’une diminution du nombre d’acteurs de l’industrie du médicament. Ainsi, en France, le nombre d’entreprises a presque diminué de moitié entre 1970 et 2018, passant de 422 à 240 ([18]).

b.   Un recours croissant à l’externalisation

Parallèlement à ce mouvement de concentration, les grands groupes recourent de plus en plus à l’externalisation de leurs activités.

L’externalisation concerne en particulier l’activité de recherche et développement, assurée aujourd’hui en grande partie par une multitude de start‑up de petite taille, souvent très spécialisées. Les grands groupes assurent ainsi une veille technologique qui leur permet de sélectionner et acheter les jeunes entreprises les plus innovantes. Par ailleurs, ils ont de plus en plus recours à des contrats avec des laboratoires publics, des équipes ou des chercheurs qui mènent des recherches pour leur compte.

Cette tendance s’inscrit dans un contexte d’apparition de nouveaux champs thérapeutiques comme les biotechnologies ou la génomique, pour lesquels les efforts de recherche et développement sont coûteux et très spécialisés. Le processus de développement du médicament est dès lors de plus en plus scindé en deux phases distinctes : d’une part, la phase d’innovation, confiée aux start‑ups et d’autre part, la phase de production et de commercialisation dans laquelle interviennent les grandes firmes pharmaceutiques.

Le rachat par les entreprises pharmaceutiques des start‑ups ou de molécules qu’elles développent se fait à un coût croissant, comme en témoignent par exemple le rachat par Novartis de la start‑up Avexis, spécialisée dans le traitement contre l’amyotropie spinale pour 8,7 milliards de dollars ou, le rachat en 2019, de la biotech Celgene par le groupe Bristol-Buyers qui a représenté un montant de 75 milliards de dollars.

Ces évolutions conduisent à transférer le risque de la phase de recherche et développement vers les petites entreprises, lesquelles ne sont ensuite pas en mesure d’absorber les coûts liés aux phases 2 et 3 de la recherche clinique, ni d’assumer la commercialisation. Par ailleurs, ce modèle d’externalisation tend à accroître de façon importante les prix des médicaments puisque les grandes entreprises cherchent à se faire rembourser, à travers ces prix, leurs investissements colossaux dans le rachat de start-ups.

 

c.   Un secteur de plus en plus financiarisé

● L’industrie pharmaceutique apparaît d’abord comme un secteur de plus en plus lucratif et marqué par une recherche croissante de profitabilité.

La financiarisation du secteur se traduit dans la gouvernance même des grandes entreprises pharmaceutiques, dont les dirigeants, de moins en moins nombreux à avoir une culture médicale, cherchent à satisfaire les exigences des actionnaires en maximisant le retour sur fonds propres. Lors de son audition par la mission d’information le président du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), le professeur Jean‑François Delfraissy a ainsi évoqué des « entreprises du médicament devenues des entreprises financières » ainsi qu’un « changement profond de la big pharma à l’œuvre depuis vingt ans, à la fois dans son fonctionnement et ses dirigeants ».

La recherche de rentabilité amène les firmes à réduire leurs coûts de production en recourant de plus en plus massivement à la délocalisation de la fabrication des principes actifs ou en déléguant le façonnage à des sous-traitants, dans des pays où les salaires sont moindres et les normes sociales sont moins exigeantes. Il est en effet aujourd’hui estimé que l’Inde et la Chine produisent 80 % des principes actifs des médicaments passés dans le domaine public et que 30 à 40 % des produits finis sont manufacturés en dehors de l’Europe ([19]).

Les grandes entreprises pharmaceutiques tendent également à centrer leur activité de production sur les domaines thérapeutiques les plus rentables, ce qui conduit souvent les entreprises à délaisser d’autres champs thérapeutiques. L’analyse des pénuries de médicaments les plus courantes montre ainsi que les ruptures d’approvisionnement touchent à un degré significativement plus élevé les médicaments peu onéreux, en raison de la faible incitation des industriels à assurer leur production et leur commercialisation. Dans une étude publiée le 9 novembre 2020 ([20]), l’UFC‑Que choisir indique que les trois quarts des médicaments faisant l’objet de tensions d’approvisionnement coûtent moins de 25 euros la boîte.

De fait, l’industrie du médicament est un secteur particulièrement rentable, qui connaît une croissance quasiment ininterrompue depuis la Seconde Guerre mondiale. Le montant du chiffre d’affaires mondial de l’industrie pharmaceutique est en effet en forte progression : d’un montant de 200 milliards de dollars en 1990, il a atteint 1 106 milliards de dollars en 2019 ([21]), soit une progression d’environ 13,4 % par an. Les montants importants versés aux actionnaires témoignent de cette rentabilité. Le groupe français Sanofi a par exemple distribué 6,7 milliards d’euros à ses actionnaires en 2016, faisant de la firme le plus gros distributeur de dividendes du CAC 40 ([22]).

La financiarisation de l’industrie pharmaceutique s’illustre en outre par ailleurs par quelques pratiques délétères de certaines grandes entreprises pharmaceutiques, en contradiction avec l’objectif d’innovation en santé publique.

Ces pratiques reposent notamment sur un usage détourné des brevets, dénoncé par les associations auditionnées par la mission d’information ([23]). Dans une récente note ([24]), le Conseil d’analyse économique liste l’ensemble de ces pratiques. Certaines entreprises utilisent une définition très étroite de la maladie pour qualifier un produit en traitement orphelin et bénéficier de la protection étendue pour ce type de médicament. Les pratiques d’evergreening, par lesquelles les entreprises couvrant des modifications mineures, des méthodes de fabrication ou de nouvelles utilisations, constituent également une pratique courante empêchant notamment le passage aux génériques.

Au-delà de la question des brevets, certaines entreprises acquièrent également des start‑ups dans le but de faire avorter une innovation qui menacerait leur position. Une récente étude ([25]) montre ainsi que 5 à 7 % de toutes les acquisitions de start‑ups par des grands groupes pharmaceutiques peuvent être considérées comme des « acquisitions tueuses ».

d.   Un impact environnemental important

Les évolutions de l’industrie pharmaceutique posent enfin d’importantes questions quant à la soutenabilité du modèle d’un point de vue environnemental.

En effet, l’industrie pharmaceutique fait appel à des procédés et matières souvent néfastes pour l’environnement. La fabrication des médicaments pose d’une part, la question de l’usage des ressources, puisque la majorité des médicaments utilisés actuellement sont d’origine naturelle ou synthétisés à partir d’une molécule-base issue de la flore ou de la faune. D’autre part, les matières chimiques rejetées en grande quantité lors du processus de fabrication des médicaments sont particulièrement polluantes.

Ainsi, l’industrie pharmaceutique pollue davantage que le secteur automobile : elle produit en effet 52 millions de tonnes de CO2 par an contre 46,4 millions pour l’automobile ([26]).

Or, les répercussions de cette industrie sur l’environnement sont décuplées par le modèle actuel de production du médicament, fortement parcellisé et faisant appel à une multitude d’étapes (notamment la fabrication du principe actif, le façonnage et le conditionnement) et d’acteurs. En effet, la pollution se fait à différents niveaux, que ce soit lors de la fabrication du principe actif dans l’usine de production, du façonnage ou de la distribution. En ce sens, la hausse de l’impact environnemental de l’industrie du médicament est indissociable du modèle actuel des grands groupes pharmaceutiques, qui recourent de manière croissante à l’externalisation.

2.   Des conséquences préoccupantes

La financiarisation des entreprises pharmaceutiques, avec la multiplication des scandales sanitaires au cours de ces dernières années, alimente une défiance de plus en plus forte de la population envers l’industrie du médicament et le monde scientifique et médical.

La plupart des acteurs auditionnés par la mission d’information ont ainsi évoqué, à l’instar de l’Académie de Médecine, une « image délétère de l’industrie pharmaceutique ». Si la confiance envers les médicaments est importante – 78 % des Français déclaraient avoir confiance envers les médicaments en 2017 et 87 % s’agissant des médicaments remboursés et prescrits par les médecins ; la défiance envers l’industrie pharmaceutique est importante et apparaît comme paradoxale. Ainsi, il est estimé que seuls 52 % des Français faisaient confiance à cette industrie en 2019, derrière l’aéronautique (82 %), le BTP (69 %), l’automobile (56 %) et le numérique (54 %) ([27]).

Cette image dégradée de l’industrie pharmaceutique se répercute également sur la confiance envers le monde scientifique. L’indépendance des scientifiques est ainsi remise en question : seuls 35 % des Français pensent par exemple qu’ils ne se laissent pas influencer par les groupes de pression industriels ([28]).

Or, cette défiance vis-à-vis de l’industrie pharmaceutique et du monde scientifique pharmaceutique est dommageable à l’innovation thérapeutique. Elle a notamment pour conséquence une réticence de certains acteurs publics et chercheurs à travailler en lien avec les industriels, en raison de suspicions immédiates de conflits d’intérêts. Cela ne permet pas de favoriser un partage d’expertise pourtant essentiel entre les différents acteurs et constitue clairement un frein à la réalisation d’essais cliniques en France. Lors de son audition par la mission d’information, l’Institut national du cancer (INCa) évoquait ainsi une « diabolisation des gens travaillant avec les industriels ».

B.   Un changement de paradigme technologique et mÉdical

L’innovation thérapeutique est marquée, depuis une vingtaine d’années, par un changement de paradigme aux conséquences majeures pour les modalités de fabrication de médicaments et la prise en charge des patients.

1.   L’importance croissante des biotechnologies et de la génomique

Les avancées de la recherche ont conduit au développement et la mise sur le marché d’un nombre croissant de médicaments très innovants et à haute valeur ajoutée. L’innovation thérapeutique est en particulier marquée par le développement d’une médecine dite personnalisée, qui consiste à adapter les traitements en fonction des caractéristiques des patients et de leurs maladies.

 

Si ces innovations percutent la classe de médicaments dits classiques – issus de procédés chimiques –, l’innovation thérapeutique est surtout marquée par un virage important vers les technologies basées sur les biotechnologies et la génomique.

La maîtrise croissante du génie génétique contribue en effet à la montée en puissance des biotechnologies, fondées sur l’utilisation d’éléments du vivant. De plus en plus de traitements reposant sur ces nouvelles technologies sont ainsi développés, à l’instar des médicaments de thérapie innovante (MTI) que sont la thérapie génique, la thérapie cellulaire et l’ingénierie tissulaire. Les biomédicaments comptent aujourd’hui pour environ 20 % du marché pharmaceutique global et font l’objet d’une production croissante. Il est prévu en moyenne cinquante‑quatre lancements de nouvelles substances actives par an au cours des cinq prochaines années contre quarante‑sept au cours des cinq dernières. Les deux tiers des innovations seront des produits spécialisés de biotechnologie ([29]).

Les médicaments biologiques

Est considéré par les textes européens (1) comme médicament biologique un « produit dont la substance active est une substance biologique. Une substance biologique est une substance qui est produite à partir d’une source biologique ou en est extraite et dont la caractérisation et la détermination de la qualité nécessitent une combinaison d’essais physico-chimico-biologiques, ainsi que la connaissance de son procédé de fabrication et de son contrôle. » ([30])

Les médicaments biologiques se répartissent en plusieurs catégories dont les vaccins, les protéines thérapeutiques, les anticorps monoclonaux mais également les produits dérivés du sang ou encore les thérapies cellulaires.

(1) Directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001.

La recherche en médecine personnalisée ciblait au départ principalement le cancer, mais de nombreux essais sont actuellement menés sur des pathologies chroniques et des maladies rares. Il est ainsi estimé que trente à soixante produits de thérapie génique destinés au traitement du cancer et des maladies rares devraient atteindre le marché dans les dix années à venir et pourraient concerner plusieurs centaines de milliers de patients à travers le monde ([31]).

2.   Des conséquences sur les modalités de production et la prise en charge des patients

Ce virage technologique complexifie les procédés de production. En effet, les médicaments biologiques, qui font appel à une source biologique comme matière première du principe actif qu’ils renferment, reposent sur une véritable ingénierie du vivant.

Par ailleurs, les médicaments innovants tendent à s’adresser à un public de plus en plus ciblé, à l’inverse des médicaments dits « blockbusters », destinés à une large population. Cette évolution se traduit par la multiplication de traitements dits de précision, conçus pour agir sur un mécanisme biologique spécifique. Dans le cas des cellules CAR‑T, le traitement du patient est véritablement conçu sur mesure, puisqu’il s’agit de prélever sur un patient, de modifier génétiquement et de lui réinjecter des lymphocytes T pour déclencher une réaction immunitaire face aux cellules cancéreuses.

Le développement de ces nouveaux médicaments s’accompagne enfin d’évolutions importantes dans l’approche même du soin et de la prise en charge des malades. Ces nouvelles thérapies engendrent en effet un véritable changement de paradigme médical, caractérisé par un espoir de guérison dans des situations où les traitements actuels sont souvent chroniques ou palliatifs. Nombre de biomédicaments, à l’instar de la thérapie chimique Sofosbuvir développée pour le traitement de l’hépatite C, permettent aujourd’hui d’espérer une guérison, voire une éradication de la maladie par un traitement court, au maximum grâce à une prise unique, comme c’est souvent le cas avec la thérapie génique.

C.   DE NOMBREUSES ET IMPORTANTES questions Éthiques

Le contrat social qui lie les industries pharmaceutiques aux sociétés des États développés est extrêmement fragilisé ([32]). Ce contrat implicite repose pourtant sur des principes clairs. D’un côté, les États s’engagent à venir en aide aux entreprises pharmaceutiques pour leur permettre d’exercer la responsabilité sociale qui est la leur, à savoir assurer la production et la mise à disposition des biens publics que sont les médicaments. De l’autre, les entreprises pharmaceutiques s’engagent à servir l’intérêt général, en garantissant un accès abordable et équitable aux médicaments et en répondant aux besoins thérapeutiques non couverts.

Force est de constater que les industriels ne semblent plus honorer totalement leur part du contrat. L’augmentation importante et continue du prix des traitements innovants menace, à terme, la soutenabilité du système de santé. Le manque de transparence dans la procédure de fixation des prix des thérapies innovantes ainsi que les inégalités d’accès au médicament au niveau national et international soulèvent par ailleurs d’importantes questions éthiques.

1.   Une augmentation fulgurante du prix des médicaments

a.   Des prix qui atteignent aujourd’hui des sommets

La percée de médicaments issus de technologies de pointe s’accompagne d’une hausse très importante du prix des traitements innovants. Certains atteignent en effet des coûts unitaires très élevés, qu’il s’agisse de médicaments issus de molécules chimiques très innovantes ou de thérapies géniques.

Lors de sa mise sur le marché par le laboratoire Gilead en 2013, le prix du traitement contre l’hépatite C Sofosbuvir avait atteint un montant sans précédent de 1 000 dollars par comprimé. Vendu à 13 667 euros par boîte en France, il représentait ainsi un coût de 41 000 euros pour un traitement curatif standard de trois mois. Parmi les traitements récents les plus onéreux figure également le médicament contre la mucoviscidose Trikafta, commercialisé au prix d’environ 300 000 dollars par an – soit un peu plus de 275 000 euros– aux États‑Unis. Le traitement par thérapie génique de l’amyotrophie spirale (Zolgensma) représente quant à lui un coût d’environ 2,1 millions de dollars, soit 1,8 million d’euros ([33]).

L’augmentation des prix est particulièrement sensible s’agissant des anticancéreux. Selon la Ligue nationale contre le cancer, aux États‑Unis, le prix de lancement des médicaments contre le cancer – c’est-à-dire le prix appliqué lors de la première commercialisation – a été multiplié par quatre en vingt ans ([34]). Le coût annuel pour une personne des nouveaux traitements contre le cancer dépasse régulièrement les 100 000 dollars, soit 94 230 euros. En France, le coût des médicaments anticancéreux a également fortement augmenté. Lors de son audition, le Pr Anthony Gonçalves, responsable du département d’oncologie médicale à l’Institut Paoli-Calmettes de Marseille, a rappelé que le prix des médicaments anticancéreux a augmenté de 47 % entre 2004 et 2017 ([35]). Le montant des thérapies ciblées contre le cancer représente aujourd’hui un coût moyen de 50 000 euros par an et par patient, soit cinq à dix fois plus qu’une chimiothérapie classique ([36]).

La hausse très importante du prix de médicaments à forte valeur ajoutée suscite de vives réactions de la part d’associations et de la communauté médicale. Lors de la dernière session de la Société américaine d’oncologie (ASCO) à Chicago en 2016, plusieurs cancérologues américains ont fortement dénoncé la hausse continue des prix de médicaments innovants et menacé de ne plus prescrire ce type de traitements. En 2019, les professeurs français et belge Alain Fischer et Michel Goldman ainsi que l’économiste Mathias Dewatripont ont dénoncé à leur tour, à l’occasion d’une tribune publiée dans la revue Nature Medicine, le prix exorbitant des thérapies géniques et autres traitements innovants, ce qui pose d’importantes questions de soutenabilité et d’égalité d’accès, alors même que ces traitements ont vocation à se développer de plus en plus ([37]).

b.   Une hausse qui n’est pas toujours justifiée

i.   Un processus de fabrication certes plus complexe...

La phase de recherche et développement de ces médicaments de plus en plus sophistiqués est évidemment très coûteuse et nécessite des investissements importants et risqués, en particulier dans les phases d’expérimentation clinique qui précèdent l’autorisation réglementaire. L’industrialisation de produits très complexes, à l’instar des cellules CAR‑T nécessite en outre un savoir très spécifique et implique des normes de qualité exigeantes afin d’éliminer les risques pour les patients. Selon une étude réalisée par des représentants de l’industrie pharmaceutique – dont la méthodologie a été fortement contestée –, le coût nécessaire pour amener une nouvelle entité chimique ou biologique sur le marché serait passé de 1,22 à 2,6 milliards de dollars de 2003 à 2014 ([38]).

Selon les représentants du secteur, l’augmentation des coûts de R&D s’explique par une très forte hausse des coûts de développement, estimée à 10 % par an par le syndicat Les Entreprises du médicament (Leem). Pour ce dernier, cette envolée est liée à trois facteurs principaux, que sont l’enchérissement des études cliniques et la complexification des protocoles ([39]), l’allongement de la durée des études, particulièrement en cancérologie et pour les maladies du système nerveux central, ainsi que l’augmentation du taux d’échec dans les nouveaux domaines comme les maladies chroniques et dégénératives ([40]).

Par ailleurs, dans la mesure où de plus en plus de traitements tels que les thérapies géniques ont une visée curative et sont administrés en une seule fois, leur tarification ne peut répondre aux règles en vigueur pour les médicaments conventionnels. Pour les industriels, l’investissement dans certaines thérapies comme les thérapies géniques doit être perçu comme une dépense d’investissement de long terme.

Les coûts de recherche et développement sont enfin d’autant plus importants qu’ils concernent souvent un public très restreint. Dans le cas des médicaments destinés à un marché réduit, il est en effet plus difficile pour les firmes d’amortir l’investissement consacré au développement du produit.

ii.   ... mais des arguments contestables avancés par les industriels

Les éléments avancés par les industriels pour justifier l’augmentation très forte des prix ne sont néanmoins pas toujours avérés.

De nombreux acteurs auditionnés ont ainsi souligné l’absence de correspondance entre les prix des médicaments et les coûts associés à la recherche, au développement et à la production.

S’agissant des coûts de recherche et développement, il n’existe aujourd’hui aucune donnée chiffrée qui permettrait d’évaluer précisément les répercussions de ces investissements sur le prix des médicaments. Il est par ailleurs estimé que les dépenses en R&D sont souvent largement inférieures aux dépenses de marketing, qui peuvent aller jusqu’au quart du coût total de développement du médicament ([41]). À titre d’exemple, les dépenses de R&D du groupe Sanofi se sont élevées à 5,5 milliards d’euros en 2020, soit 15,3 % du chiffre d’affaires de l’entreprise, alors que les frais commerciaux et généraux ont représenté 9,4 milliards d’euros, soit 26,1 % du chiffre d’affaires. En outre, les groupes pharmaceutiques bénéficient largement de la contribution académique considérable au développement des médicaments (voir infra).

La hausse du prix des médicaments innovants ne s’explique pas non plus par les coûts de production requis pour développer les traitements, qui représentent en moyenne 5 % du coût total ([42]). De nombreux exemples attestent d’ailleurs d’un profond décalage entre le coût de production et le prix de vente final du médicament. Dans un rapport publié en 2015, des sénateurs américains ont ainsi dénoncé la totale déconnexion entre l’investissement nécessaire pour produire le Sovaldi (Sofosbuvir) vendu à 67 000 euros aux États‑Unis et les coûts réels de production du médicament. Il est en effet estimé que le coût marginal de fabrication de ce produit se situe plutôt autour de 75 à 100 euros.

Les prix des médicaments ne sont enfin pas toujours corrélés avec la qualité du service médical rendu. Une étude conduite à l’Institut Paoli-Calmettes ([43]) de 2004 à 2017, qui a cherché à évaluer le lien entre l’augmentation des prix de nouveaux traitements anticancéreux et l’amélioration du service médical apporté, a conclu à « l’absence de corrélation significative avec la valeur ajoutée thérapeutique en termes d’efficacité et/ou de qualité de vie ».

La hausse très importante du prix des médicaments est largement liée à la complexification du processus de développement du médicament qui repose sur le rachat de start‑up innovantes par les grands groupes. Lors de son audition par la mission d’information, le Pr Anthony Gonçalves a ainsi évoqué « un modèle fondé sur la rentabilité extrême des découvertes, particulièrement inflationniste ». En effet, les start‑up, souvent issues de laboratoires de recherche publique, sont financées par des capitaux à haut risque, qui encouragent par la suite le rachat des start‑up par les grandes entreprises pharmaceutiques et favorisent l’augmentation des prix sur toute la chaîne de développement du médicament.

Les firmes pharmaceutiques tendent ainsi à répercuter les investissements particulièrement importants qu’elles ont réalisés pour acquérir ces start‑up innovantes. Le médicament Sovaldi évoqué supra résulte par exemple d’une acquisition du brevet par le laboratoire Gilead, qui a racheté l’entreprise Pharmasset à l’origine de la molécule pour 9,7 milliards d’euros.

2.   Un manque de transparence injustifiable

Un grand nombre d’acteurs ont dénoncé lors de leur audition, l’opacité autour du prix des médicaments. Ce manque de transparence affecte tant les citoyens, écartés de la procédure de fixation des prix, que les pouvoirs publics eux-mêmes, qui disposent de peu d’informations sur les coûts réels supportés par les firmes pharmaceutiques.

a.   Une procédure opaque de négociation des prix

Le manque de transparence concerne d’abord la procédure de fixation des prix. La multiplication des remises ([44]) accordées par les laboratoires aux pouvoirs publics lors de la négociation des prix pose particulièrement question. Les remises peuvent prendre plusieurs formes, qu’il s’agisse d’accords prix-volumes, de remises « à la première boîte » ou encore de clauses sur le coût du traitement journalier. Si elles permettent de contenir les dépenses de remboursement, les remises créent une multitude d’effets pervers.

Le système des remises aboutit en effet à une différence problématique entre le coût « réel » de fabrication du médicament et son prix « facial » (communiqué publiquement), contraire au principe de transparence qui s’impose à la commande publique. Dans la mesure où les citoyens n’ont pas accès aux remises négociées, l’allocation de la dépense publique devient dès lors illisible pour les contribuables. Les associations de patients auditionnées regrettent fortement cette opacité qui empêche la tenue d’un débat informé sur ce qu’est, et devrait être, le coût réel des médicaments pour notre système de santé. La société civile se mobilise régulièrement pour dénoncer des remises de routine, qui « polluent une gestion saine, lisible et transparente de la dépense du médicament » ([45]).

Par ailleurs, ce système crée un risque d’escalade des prix faciaux dans l’Union européenne, dans la mesure où les négociations s’appuient sur les prix pratiqués dans d’autres pays et répertoriés dans le référencement international des prix faciaux. La France doit notamment respecter la garantie de prix européens, spécifique aux produits innovants ([46]), qui lui impose de fixer ses prix en cohérence avec les prix pratiqués sur les marchés au Royaume-Uni, en Espagne, en Allemagne et en Italie.

Or, il existe aujourd’hui une importante asymétrie entre les informations dont bénéficient les industriels et les pouvoirs publics. En effet, le Gouvernement ne connaît pas précisément les prix en vigueur dans les autres pays européens, alors que les firmes pharmaceutiques disposent de données précises sur la géographie des prix pratiqués au niveau européen. Le CEPS a indiqué à la mission qu’aucune donnée ne lui était transmise par les pays voisins et qu’il ne pouvait disposer que des prix faciaux publics dans chaque pays de référence par le biais d’une base de données commerciale (IQVIA). Les laboratoires pharmaceutiques intègrent ces enjeux dans leurs stratégies d’accès aux différents marchés européens. Ils cherchent, d’abord, à négocier des prix élevés dans les pays où ils savent qu’ils auront plus de chance de les obtenir, car ces prix conditionnent ensuite les prix pratiqués dans les autres pays.

La résolution sur l’amélioration de la transparence des marchés de médicaments, de vaccins et d’autres produits sanitaires signée en 2019 par les pays membres de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), laisse espérer une plus grande transparence entre pays sur le prix du médicament ([47]). Cette résolution exhorte en effet les États à améliorer l’échange public d’informations sur les prix effectivement payés par les gouvernements et à accroître la transparence sur les brevets pharmaceutiques, les résultats et les autres déterminants des prix le long de la chaîne d’élaboration du médicament. Lors de son audition, M. Luca Li Bassi, ancien directeur général de l’Agence italienne du médicament, a ainsi évoqué le cas de l’Italie, qui à la suite de cette à cette résolution, a profondément réformé les règles entourant la procédure de négociation entre l’industrie pharmaceutique et les pouvoirs publics.

La recherche d’une plus grande transparence sur les prix des médicaments : l’exemple de l’Italie

L’Italie a été un des premiers pays à mettre en œuvre la résolution sur la transparence qu’elle a portée à l’OMS, aux côtés de plusieurs autres pays. Le décret du 2 août 2019 prévoit une série d’obligations nouvelles pour les entreprises :

– les firmes pharmaceutiques doivent divulguer des informations concernant la mise sur le marché, les ventes, les remboursements et les prix dans d’autres pays, lorsqu’elles font une demande de remboursement de leurs produits par le système de santé national. Si le prix demandé par les firmes pharmaceutiques diverge de celui du prix du médicament de référence, les entreprises doivent communiquer les informations concernant le financement de la recherche et du développement (R&D) et les contributions publiques reçues ;

– le décret exige par ailleurs des informations claires et mises à jour sur le statut des brevets sur le produit de santé concerné ;

– enfin, les firmes pharmaceutiques, dans le cadre d’un accord final dans les négociations de remboursement des médicaments par le système de santé national, sont obligées de divulguer des rapports annuels sur les ventes, les profits et des dépenses en marketing.

Le manque de transparence sur le coût réel des médicaments engendre enfin, une asymétrie d’information majeure pour les établissements de santé dans la mesure où, lorsqu’ils négocient avec les entreprises pharmaceutiques leurs achats de médicaments au titre de la liste en sus, ils ne connaissent pas les remises confidentielles négociées par le CEPS. Ce manque de transparence brouille aussi le « signal prix » adressé aux médecins et peut favoriser une sur-prescription de médicaments dont l’apport thérapeutique est pourtant moindre.

b.   Un flou autour des coûts réellement supportés par les entreprises

Les prix extrêmement élevés des médicaments posent aussi question dans la mesure où la contribution publique à la recherche a parfois été très importante. Ainsi, l’État participe largement à la recherche et développement par les aides publiques accordées aux entreprises, à l’instar du crédit d’impôt recherche, dépense fiscale d’environ 6,5 milliards d’euros en 2020.

Par ailleurs, l’État contribue directement à la recherche et au développement en finançant la recherche académique, centrale dans la découverte de molécules qui deviendront par la suite des médicaments innovants. Or, les montants des contributions publiques ou philanthropiques à la recherche fondamentale dont bénéficient les entreprises pharmaceutiques sont souvent passés sous silence lors de l’établissement des prix. Ces contributions sont pourtant considérables. La Commission européenne a par exemple consacré 1 milliard d’euros à la recherche en thérapie génique de 2007 à 2017, domaine pour lequel les prix des médicaments atteignent les montants les plus importants ([48]). Lors de son audition, l’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament (OTMeds) a également évoqué l’exemple du médicament Zolgensma ([49]), commercialisé à 2 millions d’euros par injection ([50]), après avoir pourtant été développé grâce aux efforts de recherche et contributions financières de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et du Téléthon.

Un pas vers plus de transparence a été franchi en France, avec le vote de l’article 79 de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2021 ([51]), qui a visé à renforcer la transparence autour de la contribution publique dont ont pu bénéficier les entreprises pharmaceutiques pour l’élaboration de leurs produits. Les industriels doivent en effet désormais communiquer au CEPS le montant des investissements publics de recherche et développement dont ils ont bénéficié pour le développement de leurs médicaments. Le décret d’application de cette disposition n’a néanmoins pas encore été publié.

3.   Un accès parfois inéquitable aux innovations thérapeutiques

La question de l’accès aux médicaments ne concerne pas seulement les pays à faible revenu. En effet, l’inflation très forte du prix des médicaments pose de plus en plus la question de leur disponibilité pour l’ensemble des patients.

a.   Un principe d’accès aux médicaments pour tous...

Le système de prise en charge des médicaments en France, reposant essentiellement sur un financeur public unique (voir infra), permet d’assurer une couverture équitable de tous les assurés. Le reste à charge sur les dépenses en produits pharmaceutiques au détail par habitant, situé à 13 %, est ainsi le plus faible de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ([52]), devant l’Allemagne (16 %), l’Irlande (22 %) et les États‑Unis (27 %).

Par comparaison, aux États‑Unis, où l’assurance privée joue un rôle beaucoup plus important, la couverture des soins dépend des ressources économiques des assurés. Ainsi, des millions de patients américains, ne bénéficiant ni d’une aide de l’État, ni d’une assurance maladie personnelle, ne peuvent avoir accès aux médicaments les plus innovants. Selon l’association de malades Cancer Support Community, près de la moitié des patients concernés par le cancer déclarent avoir vu leurs charges augmenter et un tiers craint la faillite due à la maladie. Une étude conduite par des chercheurs d’Harvard a par ailleurs montré que 62 % des personnes qui se sont déclarées en faillite personnelle en 2007, ont cité des raisons médicales comme principale raison ([53]).

 

b.   ... menacé face à la hausse très forte du prix des médicaments innovants

Les prix croissants des médicaments très innovants amènent à s’interroger sur la soutenabilité de notre modèle de santé. Ces prix posent également la question de l’égalité d’accès aux thérapies innovantes.

En France, la dépense publique en matière de médicaments s’inscrit dans un cadre budgétaire contraint. En effet depuis 1996 ([54]), l’enveloppe budgétaire du médicament s’inscrit dans le cadre de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (ONDAM), outil destiné à maîtriser les dépenses de l’assurance maladie en matière de soins de ville, de médicaments et de soins hospitaliers, déterminé chaque année par la loi de financement de la sécurité sociale. Ainsi, l’objectif fixé par le Gouvernement est la stabilité des dépenses de médicaments remboursés.

Jusqu’à présent, l’enveloppe financière dédiée aux médicaments a dans l’ensemble été bien maîtrisée, grâce aux économies permises par la montée en puissance des génériques et au déremboursement de médicaments considérés comme peu efficaces. Entre 2007 et 2017, la dépense en ville a quasiment stagné, passant de 32,4 milliards d’euros à 32,6 milliards d’euros et la partie remboursée par la sécurité sociale est passée de 22,3 à 23,7 milliards d’euros. De 2012 à 2017, les lois de financement de la sécurité sociale ont même fait porter la moitié des économies réalisées par l’assurance maladie sur la dépense du médicament, soit une baisse des dépenses d’un milliard par an. La dépense consacrée aux médicaments très innovants connaît néanmoins une croissance importante : les montants associés à la liste en sus ont ainsi augmenté de 31 % entre 2011 et 2017 ([55]).

Dans ce contexte, on peut craindre que le coût d’accès à l’innovation oblige à réduire la prise en charge d’autres soins par la sécurité sociale ou pire, à procéder à une sélection entre patients. Ce dernier scénario s’est effectivement réalisé lors de l’introduction du traitement contre l’hépatite C (Sovaldi ou Sofosbuvir, précédemment évoqué) dont seuls les malades les plus graves (souffrant de fibroses de type 3 et 4) ont pu bénéficier. Cette restriction qui a engendré une rupture d’égalité et un rationnement de l’accès aux soins, a été fortement contestée ([56]).

La question des disparités d’accès aux médicaments innovants en fonction de l’établissement se pose par ailleurs de manière croissante. Ainsi, le Pr Jean-Yves Blay, président d’Unicancer ([57]), a attiré l’attention de la mission d’information sur des inégalités d’accès à certains médicaments à l’hôpital. L’accès de divers traitements particulièrement onéreux – le plus souvent des anticancéreux – qui ne sont pas pris en charge au titre de la liste en sus, dépend de la capacité financière des établissements. Une réforme récente ([58]) a en effet réduit les possibilités d’accès à certains traitements que les établissements doivent désormais financer sur leurs ressources propres. Les médicaments qui ont une ASMR IV (qui n’est donc pas nulle) ne sont pas nécessairement inscrits sur la liste en sus ou peuvent en être radiés alors qu’ils peuvent contrôler la maladie de manière significative. Cela génère une iniquité d’accès des malades aux traitements en fonction de la situation financière de chaque établissement puisque certains peuvent accepter de financer des traitements sur leurs fonds propres, ou selon leurs modes de prise en charge. Ainsi, la politique d’accès aux traitements innovants repose sur une politique financière propre à chaque établissement et place les directions administratives et médicales en position difficile au coup par coup sans cohérence éthique définie.

L’inscription des médicaments sur la liste en sus

Au sein des établissements de santé, la liste en sus mise en place en 2004 ([59]) permet la prise en charge par l’assurance maladie de spécialités pharmaceutiques en sus des tarifs d’hospitalisation, lorsque ces spécialités présentent un caractère innovant. Cette liste est fixée par arrêté des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale et précise les indications concernées, conformément à l’article L. 162-22-6 du code de la sécurité sociale.

Le décret du 24 mars 2016 ([60]) a modifié les critères d’inscription et de radiation de la liste en sus. Pour être inscrits sur cette liste, les médicaments doivent remplir les conditions suivantes :

– apporter un service médical rendu (SMR) « majeur » ou « important » ;

– présenter une amélioration du service médical rendu (ASMR) « importante » ou « modérée » (ASMR I à III). Les médicaments ASMR IV « (mineure ») ne peuvent être inscrits que s’ils traitent une maladie pour laquelle on ne dispose d’aucune autre alternative (qu’il s’agisse d’une alternative médicamenteuse ou chirurgicale) et s’il est estimé que ce médicament a un intérêt de santé publique, ce qui engendre des disparités entre établissements de santé ;

– être majoritairement utilisés à l’hôpital et leur coût doit dépasser de 30 % le montant du séjour hospitalier au cours duquel ils sont administrés.

 

c.   Des disparités dans l’accès précoce aux innovations

Les auditions menées par la mission d’information ont souligné l’atout que représentait le régime des autorisations temporaires d’utilisation (ATU), qui permet de faire bénéficier les patients atteints de maladies graves des thérapies innovantes les plus prometteuses, avant leur autorisation de mise sur le marché (AMM). Depuis sa création en 1994, ce dispositif quasiment unique en Europe, a permis de mettre un grand nombre de médicaments innovants à la disposition des malades en situation d’impasse thérapeutique, parfois plus d’un an avant la délivrance de l’AMM.

Le dispositif des ATU comme modèle dans l’Union européenne : l’exemple de l’Allemagne

Le dispositif français des ATU a été imité par d’autres pays européens comme l’Allemagne, où il existe, depuis 2014, un système d’accès précoce pour les médicaments remplissant des conditions similaires à celles de l’ATU française : le traitement doit faire l’objet d’essais cliniques en cours, avoir fait l’objet d’une demande d’AMM et cibler des patients ne pouvant être traités autrement (impasse thérapeutique). La durée du programme est cependant limitée à douze mois et les produits sont mis à disposition à titre gracieux par les laboratoires (on parle de mise à disposition « compassionnelle »).

Toutefois, les acteurs auditionnés ont évoqué un accès très inégal à ce dispositif, qui ne concerne que 10 % de la population cible des produits. On peut en particulier déplorer les disparités territoriales d’accès aux ATU, liées à la centralisation des essais cliniques dans les grandes villes. Un rapport du Sénat de 2018 ([61]) a ainsi souligné un manque de formation et d’information des professionnels de santé, ainsi qu’un défaut d’information des patients, souvent à l’origine de ruptures d’égalité selon les territoires et les établissements de santé.

Les critères d’entrée dans le régime post-ATU, très précis, ne permettent par ailleurs pas de couvrir la totalité de la population cible du médicament ([62]). La réforme du régime des ATU prévue par la LFSS 2021 a visé à simplifier le dispositif afin de le rendre plus lisible en créant notamment un « guichet unique » pour la demande d’octroi d’accès précoce et celle de remboursement. Elle n’est néanmoins pas véritablement revenue sur les critères de l’ATU, qui demeurent restrictifs, donc générateurs de profondes inégalités.

Le régime des autorisations temporaires d’utilisation (ATU) et la réforme de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021

Créé par un décret du 8 juillet 1994, le régime des ATU permet aux patients d’accéder à certains médicaments qui ne disposent pas d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) mais dont l’efficacité et la sécurité d’emploi sont fortement présumées afin de traiter des maladies graves ou rares, pour lesquelles aucun traitement approprié n’est encore identifié.

Afin de gagner en simplicité, en prévisibilité, et ainsi en attractivité, ce régime a fait l’objet d’une refonte totale par LFSS 2021 et repose désormais sur deux dispositifs : l’accès précoce et l’accès compassionnel.

Les conditions d’attribution de l’autorisation d’accès précoce (AAP) reprennent celles de l’ATU (absence de traitement approprié, caractère urgent de la mise en œuvre du traitement, forte présomption d’efficacité au vu de résultat d’essais cliniques) en ajoutant que, pour en bénéficier, le médicament doit être présumé innovant, « notamment au regard d’un éventuel comparateur cliniquement pertinent ».

L’AAP sera désormais accordée par la Haute Autorité de santé (HAS), après avis conforme de l’Agence nationale de la sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Ce nouveau mode d’autorisation vise à limiter les interruptions de parcours de spécialités qui, aujourd’hui autorisées par l’ANSM, voient parfois leur demande d’inscription au remboursement rejetée par la HAS alors que le circuit d’accès précoce est déjà pleinement entamé.

L’accès compassionnel vise quant à lui des médicaments non nécessairement destinés à obtenir une AMM, mais qui répondent à un besoin thérapeutique. Cette utilisation exceptionnelle, placée sous le contrôle de l’ANSM, devra répondre à trois conditions : le médicament ne fait pas l’objet d’une recherche impliquant la personne humaine à des fins commerciales dans l’indication considérée, il n’existe dans l’indication concernée aucun traitement approprié et l’efficacité et la sécurité du médicament sont présumées.

4.   Un système de propriété intellectuelle freinant l’accès aux innovations dans de nombreux pays

Parfois inéquitable sur le territoire national, l’accès aux innovations est par ailleurs marqué par d’importantes disparités internationales. Ces inégalités sont pour partie liées au régime de propriété intellectuelle des médicaments, lequel est particulièrement contraignant.

a.   Une nécessaire protection de l’innovation...

L’investissement requis pour développer un médicament rend indispensable la mise en place d’un régime de protection des innovations. En effet, les médicaments se caractérisent par des coûts fixes de développement très élevés, alors que les coûts de production sont généralement beaucoup plus faibles, rendant financièrement accessible le développement d’une copie. Si les imitateurs – ou génériqueurs – pouvaient produire directement le produit, l’investisseur ne pourrait pas récupérer les coûts de développement et n’aurait aucun intérêt à investir. Comme dans les autres domaines industriels, les brevets protègent ainsi les innovations en permettant aux firmes de commercialiser leur produit sans concurrence pendant une durée déterminée.

L’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) ([63]), signé à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 1994, encadre les règles régissant la protection des innovations thérapeutiques au niveau international. Selon cet accord, les brevets assurent à l’innovateur un monopole d’exploitation d’une durée de vingt ans à compter de leur dépôt, même si des dispositifs complémentaires existent selon les pays. À la tombée du brevet dans le domaine public, la molécule est « génériquée », réduisant les profits de la firme innovante par effet de concurrence et de baisse de prix sur l’ensemble de la classe thérapeutique.

Le certificat complémentaire de protection européen

Les vingt années de monopole d’exploitation du médicament, prévues par l’accord ADPIC, ne correspondent pas à la durée d’exploitation commerciale du produit et incluent la période de tests et d’essais cliniques, ainsi que le processus administratif de mise sur le marché. Dès lors, certains pays ont mis en place des dispositifs complémentaires. L’Union européenne permet ainsi une extension de cinq ans de la protection du brevet par un certificat complémentaire de protection, ainsi qu’une période de dix ans d’exclusivité des données et du marché à partir de la première AMM dans un pays de l’Union ([64]).

b.   ... générant des inégalités entre les États

La question de la protection intellectuelle des innovations se heurte à la problématique de l’accès aux médicaments des pays moins développés.

Le régime international des brevets prévoit certaines souplesses pour permettre aux pays de faire face aux situations d’urgence sanitaire (voir infra). Ainsi, un pays peut, dans cette situation particulière, suspendre le monopole d’exploitation associé à la détention d’un brevet. Il peut en effet produire un médicament, sous licence obligatoire, c’est-à-dire sans l’autorisation du titulaire du brevet. À la suite du procès de Pretoria en 2001, où les firmes pharmaceutiques ont contesté le droit de l’Afrique du Sud à recourir aux médicaments génériques avant l’échéance des brevets, l’OMC a par ailleurs reconnu la primauté du droit aux soins sur le droit des brevets. Depuis 2003, si un pays ne dispose pas d’une capacité de production locale, il peut en effet importer un produit fabriqué sous licence obligatoire dans un pays tiers (accord du 30 août 2003). La licence obligatoire s’accompagne alors du versement d’une compensation au détenteur du brevet.

L’accord ADPIC et ses exceptions et flexibilités

L’accord sur les ADPIC dispose que toutes les innovations thérapeutiques doivent pouvoir être protégées par un brevet pendant vingt ans, qu’il s’agisse d’un produit (comme un médicament) ou d’un procédé (méthode de production d’un ingrédient entrant dans la composition d’un médicament). Pour être brevetée, une invention doit être nouvelle, impliquer une activité inventive et avoir une application industrielle. De plus, les inventions brevetées doivent être divulguées, ce qui permet à un tiers de les étudier même lorsqu’elles sont protégées par un brevet.

L’accord sur les ADPIC prévoit deux systèmes de flexibilité principaux : les licences obligatoires et les importations parallèles, dans l’objectif de trouver un équilibre entre le souci de promouvoir l’accès aux médicaments existants et la promotion de la recherche et du développement de nouveaux médicaments.

 Les licences obligatoires

Les gouvernements peuvent délivrer des licences obligatoires, qui autorisent un tiers à fabriquer un produit breveté ou à utiliser le produit breveté sans le consentement préalable de son titulaire. Les délivrances de ces licences obligatoires sont cependant très encadrées :

-          les pays doivent au préalable essayer d’obtenir l’autorisation du détenteur du brevet et négocier les termes commerciaux d’une licence volontaire (cette obligation devient caduque en cas d’urgence nationale, d’urgence extrême ou d’utilisation non commerciale de l’innovation brevetée) ;

-          les pays ont l’obligation de faire figurer la destination et la quantité précise des médicaments dans la demande de licence obligatoire (tout surcroît de production est subordonné à une nouvelle demande).

 Les importations parallèles

On parle d’importations parallèles lorsque des produits fabriqués et commercialisés par le titulaire d’un brevet dans un pays sont importés par une autre firme. Cette pratique repose sur le « principe de l’épuisement », selon lequel lorsqu’une firme a vendu un médicament, elle n’a plus aucun droit sur ce qu’il advient sur le produit. Chaque membre de l’OMC demeure néanmoins libre de fixer son propre régime d’épuisement.

Lors de leur audition, les représentants de l’OMS ont néanmoins souligné les nombreuses restrictions à l’utilisation de ces outils qui sont dans les faits, peu utilisés. Les conditions de délivrance des licences obligatoires sont en effet très encadrées (voir encadré supra). Entre 1995 et 2011, seules vingt‑quatre licences obligatoires ont été autorisées dans dix‑sept pays ([65]).

L’accès aux brevets est en effet toujours marqué par d’importantes disparités entre pays. Les pays n’ont par ailleurs pas toujours les moyens de recourir aux flexibilités prévues par l’accord ADPIC ou de vérifier si les conditions de brevetabilité sont respectées. Ainsi, l’Afrique du Sud et le Nigeria avaient par exemple validé les brevets de Sanofi pour le médicament rifapentine, indiqué contre la tuberculose, qui rendaient ce traitement indisponible sur leur territoire jusqu’en 2035. Ce traitement associait pourtant deux molécules connues depuis des décennies, ce qui a engendré une mobilisation de la communauté internationale, laquelle a amené Sanofi à abandonner ses brevets et à ne poursuivre aucun concurrent utilisant la formulation de ce médicament.

III.   La France du mÉdicament : un dÉclin sans appel

A.   LE DÉCLASSEMENT de la France en matiÈre de recherche et d’innovation en santÉ

Le déclin de la France en matière de recherche et d’innovation en santé est palpable et continu depuis un certain nombre d’années déjà. La France a perdu de son attractivité tant en matière de recherche fondamentale que de recherche clinique ou de recherche appliquée. Le manque de moyens octroyés à la recherche et à l’innovation, la complexité du paysage administratif français et la longueur excessive des procédures de mise sur le marché et de fixation du prix des médicaments semblent bien être les principaux facteurs expliquant ce déclassement.

Un tel déclin n’est pas sans conséquences dans la mesure où les pays qui participent peu à l’innovation thérapeutique n’ont que très peu de place dans le développement et la production des médicaments innovants. L’enjeu est loin d’être purement économique : il est avant tout sanitaire. Le déclassement de la France rend plus difficile un accès équitable et rapide des patients français aux innovations thérapeutiques.

De la recherche exploratoire À la commercialisation

Source : LEEM.

1.   Une insuffisance des moyens consacrés à la recherche et développement en santé

Le constat n’est pas nouveau. On observe, depuis de nombreuses années, un sous‑financement structurel de la recherche et développement (R&D) en France. Notre pays n’y consacre en effet que 2,20 % de son produit intérieur brut (PIB). Ses efforts, qui s’étaient intensifiés entre 2004 (2,09 %) et 2014 (2,28 %), ne font plus que stagner depuis lors et ont même légèrement eu tendance à diminuer depuis trois ans. Vingt ans après le Conseil européen de Lisbonne, la France est toujours loin d’atteindre l’objectif de 3 % fixé à l’époque pour toute l’Union européenne, contrairement à un certain nombre de pays, dont l’Allemagne, qui consacre 3,13 % de son PIB à la R&D.

L’écart avec notre voisin allemand s’est accru, faisant peser le risque d’un décrochage pour la recherche française. Ce trop faible financement se traduit par un manque d’universités de pointe et donc une fuite des chercheurs à l’étranger où les salaires proposés sont bien plus attractifs. En début de carrière, le salaire annuel brut des chercheurs en France ne représente, en parité de pouvoir d’achat, que 63 % du salaire moyen d’entrée perçu par les chercheurs dans les pays de l’OCDE.

Au sein de la maigre enveloppe publique consacrée à la recherche fondamentale, les crédits dédiés à la biologie­santé se sont considérablement réduits. Ces crédits sont plus de deux fois inférieurs à ceux de l’Allemagne et ont diminué de 28 % entre 2011 et 2018, quand ils augmentaient de 11 % en Allemagne et de 16 % au Royaume-Uni sur la même période ([66]).

Cette baisse du financement public français de la R&D en biologie-santé est d’autant moins compréhensible que nous connaissons un changement de paradigme majeur et que, comme l’a rappelé M. Frédéric Bizard, économiste, lors de son audition, la santé « est un domaine de recherche sur lequel on sait que l’on peut être, en France, très performant ». Les académies de médecine et de pharmacie regrettent en particulier la disparition de grands programmes nationaux dans le domaine de la chimie, comme il en existait auparavant.

La dépense intérieure de R&D en santé : quelques données chiffrées

La dépense intérieure de recherche et développement (DIRD) correspond à l’ensemble des travaux exécutés sur le territoire national, quelles que soient l’origine et la nationalité des bailleurs de fonds. La DIRD est obtenue en additionnant les dépenses intérieures de R&D des entreprises (DIRDE) et celles des administrations (DIRDA) au sein de laquelle peuvent être distinguées la dépense intérieure de R&D de l’État (DIRDET) et la dépense intérieure de R&D de l’enseignement supérieur (DIRDES).

La DIRD en santé a diminué entre 2015 et 2018, passant de 4 697 à 4 364 millions d’euros. Le montant de la DIRDE en santé est passé de 3 461 à 3 232 millions d’euros quand celui de la DIRDA en santé a baissé de 1 235 à 1 041 millions d’euros.

La DIRDA santé représente, en 2018, 23,9 % de la DIRD santé et 5,8 % de la DIRDA totale.

Source : données transmises par le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.

Des moyens supplémentaires ont été votés dans le cadre de la loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) pour les années 2021 à 2030 ([67]). Les financements de l’Agence nationale de la recherche (ANR) sont augmentés de 1 milliard d’euros pour lui permettre de porter à 30 % le taux de succès de ses appels à projets. Néanmoins, ces moyens supplémentaires ne seront pas suffisants. D’une part la trajectoire budgétaire prévue par la LPPR court jusqu’en 2030 et concentre l’effort budgétaire sur les dernières années. D’autre part, les moyens qui seront spécifiquement consacrés au secteur de la santé et à la recherche en médicaments ne sont pas sanctuarisés au sein de l’ensemble des nouveaux financements.

Ces moyens supplémentaires sont d’ailleurs relativement modestes par rapport aux efforts consacrés par un certain nombre d’États à travers le monde. La Chine en est l’exemple emblématique. Entre 2003 et 2020, les investissements publics dans le secteur de la santé auraient été multipliés par 14 et les dépenses de recherche publique en santé représenteraient aujourd’hui 20 % du total des dépenses de recherche publique ([68]). Le plan d’action 2019-2030 du Conseil des affaires de l’État (gouvernement) prévoit en outre une augmentation de ces financements.

La faiblesse du financement français de la R&D en santé s’est manifestée de manière criante lors de la crise sanitaire de la covid‑19. Si l’insuffisance des financements n’est pas le seul facteur d’explication, force est de constater qu’aucun des vaccins français (de l’Institut Pasteur ou de l’entreprise Sanofi notamment) n’est aujourd’hui sur le marché.

Au-delà de la faiblesse des financements, la complexité de la gouvernance de notre recherche publique contribue à sa perte d’attractivité. Cette complexité est analysée dans la deuxième partie du présent rapport.

2.   Une forte perte d’attractivité en matière d’essais cliniques

La France a perdu de son attractivité en matière d’essais cliniques. La part des essais cliniques effectués en France a ainsi diminué, tout comme leur nombre. La France est passée de la troisième à la quatrième place européenne derrière l’Allemagne, le Royaume-Uni et l’Espagne en matière de participation aux essais mondiaux ([69]). 0,5% des essais industriels sur le médicament sont conduits exclusivement en France contre 3 % en Allemagne et 3,3 % au Royaume-Uni.

La perte d’attractivitÉ de la France en matiÈre de recherche clinique

 

Source : « Attractivité de la France pour la recherche clinique. Enquête 2020 », Leem, 15 octobre 2020

L’ensemble des pays européens participent moins aux essais précoces que les seuls États‑Unis. La France n’occupe que le cinquième rang européen en la matière. Cette perte d’attractivité en matière d’essais cliniques n’est néanmoins pas vérifiée dans l’ensemble des champs médicaux. Ainsi, en oncologie, la France est au deuxième rang européen, avec une participation à hauteur de 19 % des essais cliniques mondiaux, derrière l’Espagne (22 %).

Le fait que relativement peu d’essais cliniques soient réalisés en France constitue une perte de chance pour les patients français, qui peuvent moins facilement accéder à de nouvelles thérapies

Cette moindre attractivité en matière d’essais cliniques s’explique par la complexité des procédures d’autorisation. Selon le LEEM, le délai entre la première démarche administrative et l’inclusion du premier patient dans un essai clinique en France est de 204 jours. Il est, à titre de comparaison, de 189 jours en Espagne. Or, la vitesse de mise en place des essais constitue un critère essentiel dans le choix d’implantation géographique du projet de recherche. Si l’ANSM a réussi à relativement réduire les délais avec lesquelles elle évalue les demandes d’autorisations d’essais cliniques, ce n’est pas le cas des comités de protection des personnes (CPP). Les délais avec lesquels les CPP rendent leurs avis dépassent largement les délais fixés par le code de la santé publique et, surtout, sont bien supérieurs aux délais pratiqués dans les autres pays européens ([70]).

Certes, pendant la crise sanitaire, la France s’est fortement mobilisée pour participer aux essais cliniques contre la covid‑19, allant même jusqu’à se positionner au deuxième rang mondial en la matière, derrière les États‑Unis. Malheureusement, cette très bonne performance, qu’il faut saluer, est allée de pair avec la mise sur pause d’un grand nombre d’essais cliniques dans les autres domaines thérapeutiques.

Au-delà de la perte d’attractivité française en matière de recherche fondamentale et d’essais cliniques, le plus inquiétant semble être l’acceptation, par un certain nombre d’acteurs publics, du déclassement de la France. « Les phases de R&D et les essais cliniques en santé étant à la fois risqués et consommateurs de financements, il a été décidé de se concentrer sur la phase plus aval d’innovation » a ainsi expliqué et regretté Bpifrance lors de son audition. Ce choix stratégique repose sur une mauvaise analyse du continuum entre la recherche fondamentale, la recherche appliquée et l’innovation. En sciences du vivant tout particulièrement, de nombreux projets de recherche, qui ne présentaient a priori aucune application pratique, ont permis de concevoir de nouveaux traitements et d’avoir des applications inattendues.

3.   Un écosystème de l’innovation en santé insuffisamment développé

La concentration des financements sur la phase plus avale de l’innovation porte, en partie, ses fruits. Chaque année, une soixantaine de start‑up dans le domaine de la santé, appelées « Healthtechs », se créent, dont la majorité développent des actifs issus de la sphère académique française.

Néanmoins, le secteur français des start‑up en biotechnologie, appelées « biotechs », reste en retrait de ses homologues européens, que ce soit en nombre de start‑up financées (111 en 2020 contre 158 au Royaume-Uni) ou en montants alloués (ticket moyen de 8 millions d’euros en France contre 12 millions d’euros au Royaume-Uni et 25 millions d’euros en Allemagne) et la part des biotechs françaises dans le paysage européen est en diminution ([71]).

Ainsi, même si un grand nombre de start‑up françaises dans le domaine du médicament sont créées et amorcées avec des fonds publics importants, elles rencontrent des difficultés de taille pour financer les phases d’industrialisation et d’essais cliniques post‑phase I, c’est-à-dire pour traverser ce qu’on appelle la « vallée de la mort » ([72]). De ce fait, la France n’apparaît pas dans les classements mondiaux ni même européens des grands « bioclusters » contrairement aux États‑Unis, au Royaume-Uni ou même au Danemark.

Les acteurs publics n’accordent aujourd’hui pas suffisamment d’importance à l’innovation en santé. La culture de l’évaluation bénéfices/risques n’est pas suffisamment développée dans les administrations, ce qui conduit parfois à une application stricte du principe de précaution et donc à une mauvaise appréhension de l’innovation. Les partenariats public-privé sont insuffisamment développés, contrairement à nos pays voisins. Les moyens financiers et humains consacrés à l’innovation en santé sont totalement dispersés entre une multitude d’acteurs publics ou parapublics. Nous souffrons, en France, de l’absence d’un chef de file à même de définir une stratégie claire et de concilier les différents enjeux de l’innovation en santé : besoins de santé publique, développement du tissu industriel et économique, politique de souveraineté, maîtrise des dépenses publiques, etc.

4.   Des procédures extrêmement longues d’accès au marché et de fixation des prix

La phase de recherche et développement du médicament peut durer entre dix et quinze ans. Une fois cette phase terminée, le médicament doit encore être autorisé à être mis sur le marché puis évalué en vue de la fixation de son prix et de son taux de remboursement. Ces deux étapes durent particulièrement longtemps en France (entre un et trois ans).

Une étude menée par la société américaine IQVIA ([73]) montre ainsi que les délais entre l’AMM et la fin de la procédure administrative post-AMM (évaluation et négociation de prix) sont plus élevés en France (498 jours) que la moyenne européenne (426). Les trois meilleurs élèves en matière de délais administratifs sont l’Allemagne (119 jours), le Danemark (146 jours) et la Suisse (171 jours). Cette étude a ses limites puisque d’une part, elle n’opère pas de distinction entre les délais qui relèvent des autorités de santé et ceux qui relèvent du temps de préparation des dossiers de soumission par les industriels et que, d’autre part, elle ne prend pas en compte l’accès précoce permis par les ATU. Néanmoins, elle est révélatrice de la moindre compétitivité de la France en matière d’accès au marché des médicaments.

Si l’on ne prend en compte que le délai global des procédures d’évaluation et de négociation de prix, la France a bien respecté, en 2019, le délai maximal de 180 jours ([74]) fixé par la directive « transparence » pour les inscriptions en ville et sur la liste en sus (144 et 147 jours respectivement) ([75]). Le délai légal de 75 jours pour l’inscription sur la liste rétrocession a également été respecté.

Néanmoins, force est de constater que les délais d’accès restent globalement très supérieurs à 180 jours pour les médicaments innovants. Ils sont, en moyenne, de 229 jours pour les médicaments non génériques. Les rapporteurs partagent le constat de l’Institut Montaigne ([76]) pour qui la procédure est efficace dans le cas général mais trop rigide pour permettre un parcours d’accès fluide aux cas particuliers que constituent souvent les innovations. L’accès précoce via l’ATU compense partiellement la longueur des délais, mais ne le permet pas pour l’ensemble des médicaments ni pour l’ensemble des populations éligibles au traitement. Le système des ATU ne doit pas nous exonérer de réfléchir aux leviers pour réduire de manière drastique les délais d’accès au marché de l’ensemble des médicaments.

B.   Le dÉclin de la production pharmaceutique française

Pionnière en matière de production de médicaments, la France conserve d’importants atouts. Toutefois, sous l’effet des mutations du secteur pharmaceutique, la production pharmaceutique française a décliné et perdu sa position dominante. Comme l’a montré la crise sanitaire, notre souveraineté en matière de médicaments est fragilisée, la France étant en situation de forte dépendance vis-à-vis de pays étrangers.

1.   Malgré les atouts incontestables de la France...

En matière de production pharmaceutique, la France occupe la cinquième position dans le monde et la quatrième position en Europe, derrière la Suisse, l’Allemagne et l’Italie ([77]). Ainsi, l’industrie pharmaceutique française, avec 271 sites de production implantés sur l’ensemble du territoire ([78]), demeure un secteur dynamique.

Contrairement à nombre d’idées reçues la production pharmaceutique française continue de croître à un rythme soutenu. Elle a augmenté de 17,9 % en volume entre 2013 et 2017 ([79]). En septembre 2020, malgré la crise sanitaire, la production était toujours en hausse, avec une augmentation de 6,5 % par rapport à février 2020 ([80]). Grâce à ce dynamisme, la production pharmaceutique est source d’emplois. En 2016, 44 136 emplois ont été générés dans ce secteur, en hausse de 1,1 % par rapport à 2015 ([81]). La production de médicaments représente ainsi plus de 40 % des emplois de l’industrie pharmaceutique en 2016, contre 34 % en 2003 ([82]).

La production pharmaceutique est également un secteur dynamique en matière d’exportations. L’industrie pharmaceutique était, en 2018, le quatrième secteur de l’industrie manufacturière en matière d’excédent commercial (près de 4,5 milliards d’euros) ([83]).

Les travaux de la mission d’information ont par ailleurs permis de souligner le dynamisme de l’industrie chimique française. Ces entreprises, en majorité des petites et moyennes entreprises (PME) et entreprises de taille intermédiaire (ETI), produisent les précurseurs et principes actifs qui entrent dans la composition des médicaments sur quatre‑vingts sites de production répartis sur l’ensemble du territoire. Il s’agit d’un secteur prometteur, qui « ne demande qu’à se développer » ([84]). Ce constat est partagé par le Pôle interministériel de prospective et d’anticipation des mutations économiques (Pipame), qui, en 2017, soulignait le regain de compétitivité de l’industrie des principes actifs ([85]).

Toutefois, malgré ses atouts et son dynamisme, la production pharmaceutique française s’est considérablement érodée.

2.   ... une perte de sa position de leader en matière de production

Si la France occupe aujourd’hui la cinquième place en matière de production pharmaceutique, elle occupait auparavant la première place en Europe ([86]). Ce déclassement s’accompagne nécessairement d’une baisse généralisée de l’emploi dans l’industrie pharmaceutique. Près de 9 800 emplois ont ainsi été supprimés dans cette industrie depuis 2012 ([87]). Ainsi, notre pays a perdu sa position de leader. Ses atouts ne lui ont pas permis de faire face aux mutations du secteur pharmaceutique.

a.   Un déclin de la production chimique

L’écart entre la France et ses voisins s’est creusé en matière de production pharmaceutique. Aujourd’hui, la France produit relativement peu de médicaments. Sur les 315 médicaments autorisés par l’Agence européenne du médicament (EMA) entre 2016 et 2019, 25 sont produits en France, contre 56 au Royaume-Uni et en Allemagne, 46 en Irlande et 28 en Italie ([88]).

Ce déclin de la production chimique française s’inscrit dans le processus de financiarisation de l’industrie pharmaceutique. Les industriels ont en effet délocalisé la production de médicaments chimiques et de principes actifs dans des pays où les coûts de production sont moins importants et les contraintes réglementaires moins exigeantes. Ainsi, près de 40 % des médicaments finis commercialisés dans l’Union européenne proviennent d’un pays tiers ([89]) et 80 % des sites de production de substances pharmaceutiques actives utilisés pour les médicaments disponibles en Europe sont situés hors de l’Union européenne ([90]). Plus précisément, la production se concentre dans un nombre restreint de pays. Ainsi, en 2018, la Chine et l’Inde rassemblent 61 % des sites de production de substances pharmaceutiques actives destinées à des médicaments commercialisés en Europe ([91]).

Le processus de délocalisation s’explique aussi par d’autres facteurs. Tout d’abord, la croissance des marchés émergents dans la consommation de médicaments a pu inciter les industriels à s’implanter à l’étranger. Certains acteurs auditionnés pointent aussi la politique continue de baisse des prix des médicaments en France, qui aurait entraîné une pression importante sur les fournisseurs, au détriment des acteurs nationaux et européens.

Ce mouvement de délocalisation n’est pas irréversible : la tendance pourrait s’inverser. Le SICOS Biochimie, représentant des industriels de la chimie fine pharmaceutique ([92]), observe un changement de stratégie dans le contexte de la crise sanitaire : les industriels chercheraient davantage la sécurité et auraient tendance à réimplanter leur production en France. La délocalisation pourrait également se révéler moins avantageuse dans un contexte de rehaussement des normes environnementales et d’augmentation des salaires en Chine.

b.   Un retard particulièrement marqué dans la bioproduction

Le recul de la France est particulièrement marqué pour la production de médicaments biologiques. Sur les soixante-seize médicaments biologiques autorisés par l’EMA entre 2012 et 2016, cinq sont produits en France, contre vingt et un en Allemagne et douze en Italie ([93]). Par ailleurs, entre 2010 et 2015, alors que les investissements dans les sites de production chimiques sont restés stables (– 0,9 %), ils ont diminué dans les sites de production de vaccins (– 15,5 %) et de médicaments biologiques (– 4,2 %) ([94]). Il apparaît que les unités de bioproduction françaises sont davantage adaptées à la production de lots de petite taille pour les essais cliniques que de lots commerciaux. Ce constat est partagé par l’association France Biotech ([95]), selon laquelle les sites de bioproduction français seraient moins performants que ceux des pays voisins.

Contrairement à la production chimique, la bioproduction n’est pas délocalisée en Asie. Les médicaments biologiques sont principalement produits en Europe, où le marché est devenu concurrentiel. L’écart s’est ainsi accru entre la France et certains de ses voisins, plus réactifs et capables de produire des lots commerciaux.

Ce recul est préoccupant, dans la mesure où les innovations pharmaceutiques et la valeur ajoutée se concentrent aujourd’hui sur les médicaments biologiques : en 2017, quatre nouveaux médicaments sur dix étaient des médicaments biologiques ([96]).

3.   Une souveraineté sanitaire très fragilisée

Le déclin de la production pharmaceutique et la délocalisation ont entraîné une perte de souveraineté sanitaire de la France.

La France, pionnière en matière de production pharmaceutique, a perdu son contrôle sur une chaîne du médicament désormais éclatée. Elle se trouve désormais dans une situation de dépendance vis-à-vis de pays tiers et d’acteurs étrangers. Par conséquent, la capacité de la France à mener en toute autonomie sa politique du médicament est aujourd’hui remise en question, comme l’a mis en lumière la pandémie de la covid‑19. Cette perte de souveraineté est d’autant plus importante que la France ne peut pas s’en remettre à l’Union européenne, elle aussi touchée par un déclin de la production et une situation de forte dépendance vis-à-vis des pays étrangers. Elle empêche la France de jouer un rôle de premier plan pour promouvoir l’accès aux médicaments au niveau mondial, rôle qu’elle détenait pourtant historiquement.

La perte de souveraineté française et européenne pose par ailleurs de graves problèmes en termes de santé publique, avec notamment une multiplication des pénuries.

C.   Des pÉnuries croissantes, aux rÉpercussions inquiÉtantes

L’augmentation des pénuries, constatée depuis plusieurs années, constitue un phénomène très alarmant dont les causes sont multiples. Au-delà des contraintes importantes qu’elles génèrent pour les professionnels de santé, les pénuries ont des conséquences parfois dramatiques pour les patients, particulièrement mises en lumière à l’occasion de la crise de la covid‑19.

1.   Des pénuries qui se multiplient

Les pénuries de médicaments revêtent deux formes principales selon le stade auquel elles interviennent : on distingue en effet les ruptures de stock des ruptures d’approvisionnement. Le phénomène des pénuries est complexe et renvoie à plusieurs réalités. En effet, si les suspensions sèches et de longue durée de l’approvisionnement des pharmacies d’officine et hospitalières sont les plus connues, les professionnels de santé sont également confrontés à des pénuries de courte durée, plus diffuses mais très déstabilisatrices pour la prise en charge des patients et la continuité des soins.

Les deux formes de pénuries de médicaments

Le décret du 20 juillet 2016 ([97]) établit une distinction entre les ruptures de stock et les ruptures d’approvisionnement.

Une rupture de stock se définit comme l’impossibilité pour un laboratoire pharmaceutique de fabriquer un médicament, entraînant par conséquent une rupture de l’approvisionnement des pharmacies de ville ou hospitalières, qui se retrouvent dans l’incapacité de dispenser un médicament à un patient. La rupture de stock a le plus souvent un impact européen ou mondial.

Une rupture d’approvisionnement est définie de manière plus large comme l’incapacité pour une pharmacie d’officine ou une pharmacie à usage intérieur (PUI) hospitalière de dispenser un médicament à un patient dans un délai de 72 heures après avoir fait une demande auprès de deux entreprises exerçant une activité de distribution de médicaments. La rupture d’approvisionnement peut résulter d’une rupture de stock ou d’une difficulté rencontrée dans la chaîne de distribution.

Les pénuries sont en augmentation constante depuis plusieurs années et concernent de nombreux médicaments essentiels. Ainsi, d’après les données fournies par l’ANSM en audition, le nombre de pénuries de médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM) (voir infra) s’élève à 2 474 en 2020.

Les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM)

Aux termes de l’article L. 5111-4 du code de la santé publique, on entend par médicaments ou classes de médicaments d’intérêt thérapeutique majeur les médicaments ou classes de médicaments pour lesquels une interruption de traitement est susceptible de mettre en jeu le pronostic vital des patients à court ou moyen terme, ou représente une perte de chance importante pour les patients au regard de la gravité ou du potentiel évolutif de la maladie.

Si l’année 2020 a été spécifiquement marquée par les pénuries dues à la crise sanitaire mondiale de la covid‑19, les pénuries de MITM sont en hausse constante. Le nombre de MITM déclarés en rupture d’approvisionnement est ainsi passé de 404 en 2013 à 1499 en 2019 et a été multiplié par 20 en dix ans. Selon le Leem, la durée moyenne d’une rupture était, en 2017, de 14 semaines et sa durée médiane de 7,5 semaines.

Hausse des signalements de tensions ou ruptures d’approvisionnement de MITM de 2013 à 2014

C:\Users\aderoubin\Desktop\augmentation pénuries.PNG

Source : ANSM.

Les pénuries concernent la plupart des classes thérapeutiques mais touchent plus particulièrement les anti-infectieux, des médicaments du système nerveux et des anticancéreux (voir infra).

Les DIX classes thÉrapeutiques les plus touchÉes par les ruptures de stock de mÉdicaments en 2017 selon le LEEM

C:\Users\aderoubin\Desktop\leem pénuries.PNG

Source : enquête 2018 du Leem sur les déclarations de tensions d’approvisionnement et de ruptures de stock faites en 2017 auprès de l’ANSM.

S’il n’existe aucune base de données publiques sur les pénuries de médicaments qui ne constituent pas des MITM, les auditions menées par la mission d’information amènent à conclure que les médicaments d’usage quotidien sont également fortement concernés par les ruptures de stock et d’approvisionnement. Ainsi, l’outil DP-Ruptures, système d’alerte directe entre les pharmacies et les industriels sur les ruptures de médicaments mis en place en 2013, identifiait en moyenne 300 références pharmaceutiques par mois toutes catégories confondues en rupture d’approvisionnement sur la période de février 2017 à avril 2018 ([98]).

Les pénuries constituent enfin une problématique mondiale. Une enquête ([99]) réalisée par le groupe pharmaceutique de l’Union européenne menée dans vingt‑six pays européens a montré que l’ensemble des pays avaient rencontré des pénuries en 2020. Dans la majorité de ces pays (65 %), plus de 200 médicaments étaient en rupture d’approvisionnement au moment de l’enquête.

2.   Une chaîne d’approvisionnement de plus en plus complexe

Les causes des pénuries sont multifactorielles et renvoient à diverses étapes de la chaîne de production et de distribution du médicament. Les auditions menées par la mission d’information ont permis d’identifier trois causes principales aux pénuries.

On distingue généralement d’abord les causes industrielles des pénuries de médicaments, qui renvoient aux problématiques liées aux incidents de production mais également aux défauts de qualité des principes actifs des médicaments. Les problématiques industrielles sont largement liées à l’externalisation et à la division internationale du processus de production du médicament. Les ruptures d’approvisionnement en principes actifs, qui peuvent elles-mêmes avoir des causes économiques, environnementales, sanitaires ou industrielles, sont ainsi à l’origine de 20 à 30 % des pénuries. Les ruptures peuvent également intervenir au stade de la répartition et du conditionnement primaire ou secondaire des médicaments.

Les causes économiques constituent un deuxième facteur de pénuries. Ces dernières s’expliquent souvent par un déséquilibre entre l’offre et la demande de médicaments. Ces déséquilibres, de plus en plus courants, sont liés à la hausse très importante de la demande dans certains pays comme la Chine, où les systèmes de santé connaissent une pleine expansion. Les pénuries s’expliquent aussi par un arrêt de commercialisation par les industriels, en raison de la rentabilité insuffisante d’un produit. Les pénuries touchent en effet beaucoup plus les médicaments peu coûteux. 75 % des MITM en rupture de stock sur le site de l’ANSM sont vendus à un prix inférieur à 25 euros la boîte et 25 % le sont à moins de 4 euros ([100]).

Les pénuries résultent enfin de dysfonctionnements dans le processus de distribution du médicament. Parmi ces dysfonctionnements, on peut notamment citer les difficultés de transport et les défauts dans la circulation de l’information entre les différents acteurs de la chaîne d’approvisionnement. Certaines pratiques commerciales des distributeurs telles que les exportations parallèles ([101]) de médicaments sont également à l’origine de ruptures récurrentes.

Ces causes amènent à conclure que les pénuries s’expliquent principalement par la complexification croissante de la chaîne de production et de distribution du médicament. En effet, le processus de production du médicament implique une succession d’étapes de plus en plus nombreuses – notamment la synthèse du principe actif, la mise sous forme pharmaceutique et le conditionnement – impliquant des dizaines d’actions successives. Ainsi, comme l’a indiqué M. Jacques Biot, auteur d’un rapport sur les pénuries ([102]) dans sa réponse écrite à un questionnaire de la mission d’information, « il suffit que l’une des étapes soit réalisée de manière monopolistique ou oligopolistique par un nombre limité voire unique de soustraitants, et que ce sous-traitant soit en difficulté, pour que cette difficulté se répercute sur l’ensemble des acteurs du marché en aval ».

Les vulnérabilités de la chaîne d’approvisionnement en médicaments ont des conséquences encore plus importantes dans les régions les plus isolées et notamment dans les territoires ultramarins. Ces vulnérabilités ont été mises en lumière avec force à La Réunion, qui a été confrontée début mai 2021, à une pénurie très problématique d’antidouleurs. À la suite du blocage du canal de Suez, le 7 mai, plus aucune boîte d’Efferalgan n’était en effet disponible chez les grossistes répartiteurs de l’île. Alors que les grossistes répartiteurs sont tenus de pouvoir approvisionner l’ensemble des pharmacies pendant quinze jours, ces règles ne sont pas toujours respectées dans les faits.

Dans les territoires ultramarins, ces tensions dans les stocks sont particulièrement inquiétantes dans la mesure où, plus éloignés des grands centres de production, ces territoires peuvent à tout moment être privés de livraison. Cet exemple illustre avec force, l’impact que peut avoir la défaillance d’un maillon sur l’ensemble de la chaîne de distribution du médicament.

3.   Des conséquences particulièrement préoccupantes

a.   Des effets parfois dramatiques sur la prise en charge des patients

La hausse très forte des pénuries a des conséquences directes pour les patients, pouvant parfois s’avérer dramatiques. Les pénuries affectent ainsi les patients atteints de maladies chroniques pour qui la non‑observance d’un traitement est très problématique. Plusieurs personnes auditionnées ont ainsi cité l’exemple des antibiothérapies qui, lorsqu’elles ne sont pas correctement suivies, peuvent générer des résistances microbiennes.

Lorsqu’elles touchent les MITM, les conséquences des pénuries peuvent être particulièrement graves, et les traitements de substitution ne sont pas toujours efficaces et sont souvent très contraignants pour les patients. Selon l’étude réalisée par l’UFC‑Que choisir, dans 30 % des situations, les industriels renvoient vers un autre médicament, solution parfois médiocre dans la mesure où les substitutions peuvent entraîner des effets secondaires ou nécessiter un temps d’adaptation à la nouvelle posologie. Dans 12 % des cas, les producteurs orientent vers des solutions de dernier recours comme la diminution de la posologie. Enfin, dans près d’un cas sur cinq (18 %), les laboratoires ne proposent tout simplement pas de traitement de substitution.

Selon la Ligue nationale contre le cancer dans son rapport sur les pénuries transmis à la mission d’information ([103]), 75 % des professionnels de santé sont ainsi d’accord pour dire que malgré l’existence de traitements de substitution, les pénuries de médicaments entraînent une perte de chance pour les personnes malades. Elles peuvent par ailleurs nécessiter de recourir à des prises en charge lourdes. De nombreux acteurs ont évoqué l’exemple de la pénurie du traitement contre le cancer de la vessie (BCG ([104]) intravésical), qui a engendré un recours croissant aux ablations de vessies, opérations chirurgicales invasives et très éprouvantes pour les patients.

Or, les associations d’usagers du système de santé ont alerté la mission d’information sur le manque d’information et d’accompagnement des patients, pourtant concernés en premier par ces pénuries. L’annonce des pénuries de médicament peut constituer pour eux une véritable épreuve. Ainsi toujours selon la Ligue nationale contre le cancer, 67 % des personnes malades du cancer s’estiment être mal informées sur les pénuries de médicaments. Par ailleurs, 51 % des personnes concernées par une rupture d’approvisionnement interrogées lors de cette même enquête ont ressenti de l’inquiétude, 51 % d’entre elles de l’incompréhension et 39 % d’entre elles de la colère. En cas de substitution de traitement, il arrive également que le patient doive gérer seul d’éventuels nouveaux effets secondaires.

b.   Un défi pour les professionnels de santé

La multiplication des pénuries a également un impact certain sur les professionnels de santé, qui sont contraints de s’adapter et de répondre en permanence à la non-disponibilité des produits. Les pénuries de médicaments engendrent une mobilisation de ressources humaines et médicales coûteuse et fortement chronophage.

Ainsi, pour les pharmaciens d’officine, ces ruptures d’approvisionnement représentent un temps de gestion important. Ils doivent notamment trouver d’autres modes d’approvisionnement (par exemple commander directement auprès du laboratoire, échanger avec le prescripteur pour envisager une alternative thérapeutique et expliquer au patient la raison d’une dispensation différée). Une enquête menée par l’Union des syndicats de pharmacies d’officine (USPO) entre le 13 et le 30 septembre 2017 montre ainsi que 39 % des pharmaciens indiquent dix à vingt lignes de médicaments en rupture par jour, 27 % entre vingt et trente par jour et 19 % plus de trente par jour. Selon cette même étude, 75 % des pharmaciens ont passé de 15 minutes à 1 heure par jour pour gérer les incidents de ruptures, et 15 % plus d’une heure (voir infra).

TEMPS QUOTIDIEN PASSÉ PAR LES PHARMACIENS D’OFFICINE pour rÉpondre aux situations de rupture d’approvisionnement

C:\Users\aderoubin\Desktop\ruptures.PNG

Source : enquête USPO sur les ruptures de stock menée entre le 13 et le 30 septembre 2017, communiquée à la mission d’information à la suite de l’audition de l’USPO.

Les pénuries de médicaments ont également des répercussions importantes pour les professionnels de santé à l’hôpital. Les acteurs auditionnés ont ainsi insisté sur la forte désorganisation des services engendrée par les pénuries de médicaments, qui nécessitent une modification des livrets du médicament et des protocoles de soins. Selon un sondage réalisé de juin à septembre 2013 auprès de pharmaciens hospitaliers européens, le temps total consacré sur cette période à la gestion de ruptures d’approvisionnement s’élève à environ 12,8 heures par semaine ([105]). La nécessité de répondre rapidement aux situations de pénuries est par ailleurs particulièrement consommatrice en ressources humaines. Ainsi, selon la Fédération hospitalière de France (FHF), la gestion des situations de pénuries nécessite la mobilisation de seize équivalents temps plein (ETP) par semaine au sein de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP).

4.   Un exemple évocateur : le cas des pénuries pendant la crise de la covid‑19

La crise de la covid‑19 a montré avec force notre dépendance vis-à-vis des pays étrangers pour des médicaments d’importance vitale et mis en lumière les conséquences potentiellement dramatiques des pénuries de médicaments.

La première vague de l’épidémie de covid‑19 s’est en effet caractérisée par des tensions très fortes concernant les médicaments utilisés en services de réanimation. Ces tensions résultaient d’une augmentation très importante des besoins pour certains médicaments, notamment utilisés pour le coma artificiel et la réanimation, mais également du fait qu’un grand nombre de pays étaient frappés par l’épidémie au même moment. La demande mondiale pour les médicaments de la catégorie des curares, des hypnotiques, des anesthésiques et des sédatifs a ainsi été multipliée, atteignant parfois 2 000 %. Dans ce contexte, l’approvisionnement en médicaments a été compromis, les industriels ne pouvant pas, par conséquent, garantir la mobilisation de volumes supplémentaires aux établissements de santé.

Ainsi, mi-mars, l’ANSM a notamment alerté sur le risque de pénuries pesant sur cinq molécules principales : les curares (atracurium, cisatracurium, rocuronium) et les hypnotiques (midazolam, propofol). Selon le Pr Bruno Riou, directeur médical de crise de l’AP-HP, au pic de la première vague, l’AP-HP n’avait ainsi un approvisionnement garanti que pour huit jours.

Le plan d’action mis en place pour lutter contre les pénuries
durant la crise de la covid‑19

Pour répondre aux tensions très fortes pesant sur les médicaments les plus essentiels en service de réanimation, un plan d’action, piloté par le centre de crise sanitaire, a été mis en place fin mars 2020. Ce plan reposait sur trois axes :

– la régulation des médicaments disponibles via la mise en place d’un système d’information permettant de connaître quotidiennement l’état des stocks disponibles au sein des établissements de santé et de procéder à des dépannages interétablissements, en lien avec les agences régionales de santé ;

– l’achat par l’État, via Santé publique France, des stocks disponibles auprès des laboratoires français et étrangers. En application du décret du 23 avril 2020 ([106]) prévoyant la centralisation de l’achat de certains médicaments, l’État a acheté l’intégralité des stocks disponibles chez les fournisseurs des cinq molécules critiques pour organiser une distribution des établissements de santé en fonction de leurs besoins ;

– la production et l’internalisation de la fabrication, avec l’acquisition de matières premières et leur transformation auprès de façonniers nationaux ou de pharmacies hospitalières.

Si le plan d’action mis en place par l’État (voir supra) a permis d’éviter des ruptures sèches de médicaments pour les soins de réanimation, les tensions rencontrées ont été extrêmement fortes et particulièrement éprouvantes pour les professionnels de santé. Elles ont en effet constitué une source de préoccupation constante des praticiens qui ne savaient pas avec certitude de quel stock de médicaments ils allaient disposer pour prendre en charge leurs patients. Lors de son audition, le Pr Bruno Riou indiquait ainsi : « Les conséquences de ces pénuries étaient graves [...] cela a remis en question la capacité à maintenir en bonne condition des patients intubés ; c’était vraiment très angoissant de ne pas avoir des médicaments essentiels pour les patients ».

Ces tensions ont par ailleurs rendu nécessaire une régulation, loin d’être anodine, de l’usage des médicaments critiques pour l’ensemble des soins au cours desquels ils sont habituellement utilisés. L’instruction du 25 avril 2020 a en ce sens appelé les établissements de santé et les professionnels de santé en leur sein à envisager « toutes les mesures permettant l’économie la plus stricte de ces médicaments ». De même, l’AP-HP a élaboré fin mars 2020 une recommandation sur « l’optimisation de l’utilisation des thérapeutiques durant la crise sanitaire », visant à encourager l’utilisation parcimonieuse des médicaments sous tension. Selon le Pr Bruno Riou, ces recommandations devaient permettre de faire baisser de 20 % la consommation des molécules critiques.

 

 


— 1 —

   DeuxiÈme partie : amÉliorer la gouvernance de la chaÎne des mÉdicaments

Le déclin de la France en matière d’innovation thérapeutique et de production de médicaments ne s’explique pas, à lui seul, par la complexité de notre système de gouvernance des médicaments, par ses travers bureaucratiques ou par la longueur excessive de ses procédures. Les causes de ce déclin sont bien plus variées et ne sont d’ailleurs pas propres à la France.

Néanmoins, les rapporteurs sont convaincus que toute réforme visant à améliorer l’accès des patients français aux médicaments innovants et essentiels ne sera pleinement effective que si nous engageons, préalablement, une refonte de notre système de gouvernance. Cela requiert un certain courage politique, puisque si la très grande majorité des acteurs s’accorde sur l’objectif – à savoir mettre en place un système plus efficace, plus efficient et plus juste, l’accord est plus difficile à trouver quant aux moyens à mettre en œuvre pour y parvenir. Aucune agence existante, aussi bien intentionnée qu’elle soit, ne souhaite sa propre disparition ou sa fusion avec une autre.

Il ne s’agit donc pas de formuler des propositions pour améliorer, à la marge, les processus existants mais bien de donner aux pouvoirs publics les moyens de mettre en œuvre la stratégie pharmaceutique identifiée comme étant la mieux à même de répondre aux besoins de santé publique. Tout en reconnaissant le rôle central et indispensable des industriels dans la production et la distribution de médicaments, les propositions élaborées par la mission visent à réfléchir à de nouvelles modalités de gouvernance permettant de rééquilibrer le rapport de force entre autorités publiques et laboratoires pharmaceutiques. La France ne sera réellement crédible pour porter des propositions à l’échelon européen en la matière que si elle engage, préalablement, des actions fortes au niveau national.

Le présent rapport se concentre sur la mise en place d’une nouvelle gouvernance aux niveaux national et européen. Néanmoins, les rapporteurs sont bien conscients qu’une gouvernance internationale plus forte des médicaments est nécessaire. En 2016, la question de la mise en place de mécanismes de régulation communs avait été mise sur la table par la France à l’occasion du G7 des ministres de la santé au Japon. La crise sanitaire que nous traversons démontre bien l’importance de poursuivre les réflexions et les actions en la matière.

I.   Mettre en place une gouvernance forte, simplifiÉe et mieux coordonnÉe avec les instances europÉennes

Une réforme de la gouvernance de la chaîne des médicaments apparaît, aux yeux des rapporteurs ainsi que de l’ensemble des acteurs non institutionnels auditionnés, comme étant l’une des principales priorités. Elle ne doit pas seulement viser à corriger nos faiblesses mais elle doit contribuer à instaurer une tout autre chaîne du médicament, afin de garantir à l’ensemble de la population un accès continu aux médicaments essentiels et un accès rapide aux innovations. Pour cela, une meilleure articulation entre les instances nationales et européennes est nécessaire.

A.   Renforcer et unifier nos instances de dÉcision et de rÉgulation

La multitude d’acteurs publics, d’administrations ou d’agences, et l’absence de synergie entre eux nuisent à la cohérence de la politique du médicament et affaiblissent la capacité de négociation des pouvoirs publics face aux industriels.

1.   Mettre en place une gouvernance unifiée et proactive

a.   Un manque de pilotage stratégique...

Le constat, tiré de l’ensemble des auditions, est sans appel : l’administration ne dispose pas de chef de file en matière de médicaments, ce qui l’empêche d’avoir une parole commune et concertée face aux industriels au sein d’instances de pilotage comme le Conseil stratégique des industries de santé (CSIS).

À l’exception de quelques administrations parfois réfractaires à la remise en question, ce constat est partagé par l’ensemble des acteurs auditionnés. Certaines administrations ont même regretté l’absence de coordination entre les trois ministères, alors même que ces derniers sont parfois amenés à siéger dans les mêmes instances, comme au CEPS. Elles ont indiqué à la mission ne pas toujours connaître leurs collègues travaillant sur le sujet des médicaments dans les autres administrations et appelé de leurs vœux « quelqu’un qui [les] mette tous en ordre de bataille ».

Les trois ministères impliqués dans la politique du médicament

La direction générale de la recherche et de l’innovation du ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation est compétente en matière de recherche amont et d’accompagnement de l’innovation.

La direction générale des entreprises du ministère de l’économie, des finances et de la relance intervient, elle aussi, sur le plan de l’innovation et de l’accompagnement des entreprises.

La direction générale de l’offre de soins (DGOS), la direction générale de la santé (DGS) et la direction de la sécurité sociale (DSS) du ministère des solidarités et de la santé ont de nombreuses missions. En matière de médicaments, elles sont compétentes pour toutes les problématiques relatives aux essais cliniques, aux comités de protection des personnes, à l’autorisation réglementaire délivrée par l’ANSM et à la procédure de fixation du prix de remboursement par le CEPS.

Certes, pendant la crise sanitaire, les trois ministères se sont réunis de manière relativement régulière sur des problématiques liées au vaccin contre la covid‑19. Néanmoins, il ne s’agit là que d’une ébauche très insuffisante de ce qu’il faudrait mettre en place en matière de coordination.

b.   ... que pourrait résoudre la création d’une fonction de haut-commissaire aux produits de santé

Les rapporteurs en sont convaincus : nous avons besoin, en France, d’un chef de file bien identifié par l’ensemble des acteurs qui soit en charge de définir les orientations stratégiques en matière de médicaments. Un haut-commissaire aux produits de santé aurait le mérite de disposer d’un vrai poids politique et d’une vision interministérielle, aujourd’hui défaillante.

Il ne s’agit pas, en instaurant un unique chef de file, d’imposer unilatéralement un nouveau mode de régulation de la chaîne du médicament. Au contraire, le rôle du haut-commissaire devra être de prendre en compte l’ensemble des points de vue et de dégager une vision stratégique. Les rapporteurs insistent sur la nécessité d’associer l’ensemble des acteurs concernés à la construction d’une vision globale du monde des médicaments. Les auditions ont mis en évidence le fait que certains acteurs sont insuffisamment concertés aujourd’hui. Ainsi, les biotechs ne sont pas toujours associées aux réflexions, alors même qu’elles jouent un rôle central en matière d’innovation. De même, les acteurs relevant du privé non lucratif ne sont pas reconnus à leur juste valeur, à l’image de certaines associations, telles qu’AFM‑Téléthon, qui joue pourtant un rôle majeur en matière de production de thérapies innovantes et de recherche, en particulier pour le traitement des maladies rares. Les associations de patients doivent également être bien davantage consultées dans le cadre d’une authentique démocratie sanitaire.

La création d’un poste de haut-commissaire aux produits de santé est une première étape. Elle devra s’accompagner de la définition d’une stratégie globale et proactive en matière de médicaments. La gouvernance du monde des médicaments ne peut pas être laissée à la main des industriels dont les choix stratégiques reposent essentiellement sur des calculs de rentabilité économique. L’État doit s’investir le plus en amont possible dans la chaîne du médicament et définir des grandes orientations, en matière de recherche ou de production, en fonction des besoins de santé publique. Si le présent rapport n’a pas pour objectif de définir ces priorités, les auditions ont démontré que l’accent pourrait notamment être mis sur les maladies rares, les antibiotiques ainsi que les traitements contre le cancer et contre les maladies neurodégénératives.

Cette stratégie globale et proactive pourrait utilement trouver à s’incarner dans le cadre d’une loi de programmation sur la santé, sur le modèle des lois de programmation en matière de défense ou de justice. Dans un récent rapport ([107]), le Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM) montre bien qu’une telle loi de programmation pourrait se justifier par l’ampleur des transformations à mener et l’exigence d’un débat démocratique.

Proposition n° 1 : Mettre en place une gouvernance unifiée et proactive en créant une fonction de haut-commissaire aux produits de santé

Le haut-commissaire serait chargé de définir une stratégie globale en matière de médicaments, laquelle pourrait utilement trouver à s’incarner dans le cadre d’une loi de programmation sur la santé. Cette stratégie serait ensuite déclinée par chacune des agences de régulation (HAS, ANSM, CEPS et CNAM).

2.   Instaurer une gouvernance forte et dotée d’expertise

a.   Un manque criant de moyens humains et financiers...

L’ensemble des auditions ont mis en évidence le manque de moyens et d’expertise de nos instances de régulation. Ce manque de moyens est préjudiciable, en tout premier lieu, aux patients, puisqu’il contribue aux délais trop longs pour les autorisations d’essais cliniques ou de mise sur le marché. Il nuit également au rôle que ces instances pourraient jouer à l’échelon européen, voire international. Tant l’Agence européenne du médicament que l’OMS ont appelé, lors de leur audition, à ce que la France retrouve un rôle de premier plan en matière de régulation des médicaments.

i.   Un manque de moyens

Le manque de moyens constaté par la mission d’information concerne autant le CEPS que l’ANSM ou la HAS.

Si les moyens du CEPS ont été renforcés il y a trois ans, ils sont encore bien trop insuffisants. Le secrétariat général du CEPS n’est constitué que d’une équipe resserrée de vingt-cinq personnes chargées d’instruire les dossiers, de préparer et de mettre en œuvre l’ensemble des décisions. Les rapporteurs ne sont malheureusement pas les premiers à constater le manque de moyen du CEPS. Le président de la mission d’information avait d’ailleurs préconisé, il y a deux ans, d’augmenter les moyens humains du CEPS ([108]) et avait été rejoint, sur cette proposition, par la Cour des comptes ([109]). Étant donné le nombre de contentieux qu’il doit désormais gérer, le CEPS a notamment besoin d’être bien mieux outillé en expertise juridique. La réorganisation de la direction des affaires juridiques des ministères sociaux ne permettra pas, à elle seule, de répondre à cette préoccupation.

L’ANSM dispose de moyens humains insuffisants. Son plafond d’emplois est en diminution puisqu’entre 2017 et 2019, 44,75 équivalents temps plein travaillé (ETPT) sous plafond ont été supprimés, soit une diminution des effectifs de 4,7 %. Au 31 décembre 2021, l’ANSM ne comptait plus que 986 agents présents ([110]). Le constat du manque de moyens humains de l’ANSM est partagé à l’échelle européenne. L’Agence européenne du médicament (EMA) a ainsi indiqué à la mission qu’il était « important que l’agence française dispose de ressources adéquates pour maintenir la qualité de son travail ». À l’heure actuelle, la France ne préside aucun comité de l’EMA et elle ne préside que deux des groupes d’experts de l’institution. Certes, la France est aujourd’hui responsable de 112 produits autorisés, ce qui la place à la quatrième place en la matière. Cependant, le rôle joué par la France sur les nouveaux produits est modeste. En 2020, la France n’a exercé les fonctions de rapporteur que pour cinq nouvelles demandes d’AMM. Selon l’EMA, il n’est, de plus, pas rare que la France remette ses rapports d’évaluation avec un retard notable.

Le rôle des agences nationales dans l’évaluation des médicaments par l’EMA

Pour toute demande concernant un nouveau médicament, deux membres du comité originaires de pays différents – le rapporteur et le corapporteur – sont désignés pour diriger l’évaluation (pour les médicaments génériques, un seul rapporteur est désigné). Ils sont désignés en fonction de critères objectifs pour tirer le meilleur parti de l’expertise disponible dans l’Union. Un pays rapporteur pour l’autorisation initiale de mise sur le marché est responsable de ce produit pour toute sa durée de vie (il reste ainsi rapporteur pour les demandes de variations de l’AMM).

Les besoins en ressources humaines de l’ANSM ont été bien identifiés par la DGOS, laquelle a indiqué à la mission tout faire pour que des nouvelles ressources soient octroyées à l’agence, sans grand succès pour l’instant. Si le manque de moyens humains est criant, il en est de même des moyens techniques et numériques. Comme l’indiquait M. Jacques Biot dans son rapport ([111]), il est désormais essentiel de mettre en place, au sein de l’ANSM, un système informatisé et automatisé de gestion des bases de données.

Étant donnée la nécessité d’accélérer le traitement des dossiers, les moyens financiers (56,53 millions d’euros de budget exécuté en 2019) et humains (399 collaborateurs au 31 décembre 2018([112])) de la HAS ne semblent plus suffisants et devront également être prochainement augmentés. Si le projet de règlement européen sur la réforme de l’évaluation des produits de santé ([113]) était adopté, il conviendrait alors de renforcer encore davantage les équipes d’évaluation de la HAS, afin que celles-ci participent pleinement aux évaluations communes, de la même manière que les moyens de l’ANSM avaient été augmentés (certes, insuffisamment) lorsque les AMM centralisées avaient été établies. Les évaluations conjointes sont, en effet, plus chronophages et consommatrices de ressources humaines que les évaluations nationales.

ii.   Un manque d’expertise

Les instances de régulation éprouvent aujourd’hui des difficultés très importantes à recruter des experts ayant les compétences idoines pour instruire les dossiers. Les récents scandales sanitaires, et notamment celui du Mediator, ont conduit à un encadrement extrêmement strict du recours à l’expertise dans le milieu de la santé. La loi du 29 décembre 2011, dite loi « Bertrand » ([114]), impose ainsi une transparence quasi absolue des liens d’intérêts. Cette loi prévoit qu’il revient à l’expert de signaler tous les liens susceptibles d’un soupçon de conflit d’intérêts et à l’organisme responsable de l’expertise de juger si, oui ou non, il existe un réel conflit d’intérêts à même de remettre en cause l’expertise diligentée.

Les notions de lien et de conflit d’intérêts

La charte de l’expertise sanitaire (1) prévue à l’article L. 1452-2 du code de la santé publique définit et distingue les notions de liens et de conflits d’intérêts :

 – la notion de lien d’intérêt recouvre les intérêts ou les activités, passés ou présents, d’ordre patrimonial, professionnel ou familial, de l’expert en relation avec l’objet de l’expertise qui lui est confiée ;

– un conflit d’intérêts naît, lui, d’une situation dans laquelle les liens d’intérêts d’un expert sont susceptibles, par leur nature ou leur intensité, de mettre en cause son impartialité ou son indépendance dans l’exercice de sa mission d’expertise au regard du dossier à traiter.

(1)    La charte est disponible au lien suivant : https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000027434015/

Il ne s’agit pas ici de remettre en cause la loi dite « Bertrand », laquelle permet de lutter contre les conflits d’intérêts et de légitimer les actions réalisées par les différents experts. Néanmoins, les auditions ont bien montré qu’une application drastique était faite aujourd’hui de la notion de lien d’intérêts, la rapprochant de celle de conflit d’intérêts. « Les investigateurs ([115]) sont suspectés de conflits d’intérêts permanents ce qui est en très grande partie faux. De ce fait, leur expertise qui pourrait être utile à la France et aux différentes agences sanitaires (ANSM, HAS...) n’est plus reconnue » ont ainsi regretté les académies de médecine et de pharmacie lors de leur audition. Le domaine sanitaire se voit ainsi malheureusement privé de ses meilleurs experts ([116]).

b.   ... qu’il est impératif de combler au plus vite

L’enjeu est double. Il s’agit de donner des moyens humains, techniques et financiers aux instances de régulation mais également de faire en sorte qu’elles puissent s’appuyer sur des experts compétents.

Comme l’a bien indiqué le rapport de l’Institut Montaigne ([117]), deux principales sources de financement peuvent être identifiées pour accroître les moyens de nos instances de régulation : l’augmentation des dotations de l’État et/ou l’augmentation des frais de dépôt de dossier qu’acquittent les laboratoires pharmaceutiques. S’il était décidé de mettre en œuvre cette seconde possibilité, il faudra veiller à ce que les montants demandés aux industriels ne créent pas de désincitation à innover, produire un médicament ou le mettre sur le marché en France. Cela ne sera sans doute pas le cas si l’augmentation des frais de dossier permet, parallèlement, aux agences de réduire de manière notable leurs délais d’instruction des dossiers, ce que tous les industriels appellent de leurs vœux.

Afin d’aider nos instances à recourir aux meilleurs experts, les rapporteurs souhaitent mettre en avant un certain nombre de propositions qui visent à prévenir les conflits d’intérêts sans pour autant écarter de manière dogmatique tout expert avec un lien d’intérêt. Il faudrait, tout d’abord, clarifier la notion de « lien d’intérêt » pour ne plus en faire une application excessive. Il semble également indispensable de mieux rémunérer les experts, de faire davantage appel aux praticiens libéraux en matière d’expertise et de valoriser les expériences qu’une personne peut avoir en tant qu’expert de la HAS, de l’ANSM ou du CEPS dans sa carrière de praticien hospitalier ou pour l’accès aux postes de professeur de médecine.

Proposition n° 2 : Mettre en place une gouvernance forte et dotée d’expertise en renforçant les moyens humains et financiers de nos agences de régulation (HAS, CEPS, ANSM) et en facilitant leur recours aux meilleurs experts

– Augmenter les dotations de l’État aux agences de régulation et/ou étudier l’opportunité d’augmenter les frais de dépôt de dossier qu’acquittent les laboratoires pharmaceutiques ;

– Mieux valoriser les expériences qu’une personne peut avoir en tant qu’expert de la HAS, de l’ANSM ou du CEPS dans sa carrière de praticien hospitalier ou pour l’accès aux postes de professeurs de médecine ;

– Faire davantage appel aux praticiens libéraux en matière d’expertise et ne pas se limiter au seul personnel hospitalo-universitaire ;

– Mieux rémunérer les experts ;

– Clarifier la notion de « lien d’intérêt » pour ne plus en faire une application excessive, en la distinguant précisément de la notion de « conflit d’intérêts ».

B.   Simplifier la gouvernance et mieux la coordonner avec les instances europÉennes

La simplification des instances de gouvernance n’est jamais chose aisée à mettre en œuvre et reste souvent un vœu pieux. Dans le domaine des médicaments, cette simplification ne peut plus attendre. Les rapporteurs ont été frappés lors des auditions par l’extrême complexité à laquelle font face l’ensemble des acteurs, qu’ils soient chercheurs, professionnels de santé, petites entreprises, ou patients. Le rapport vise donc à élaborer un certain nombre de propositions pour remédier à court et moyen terme aux excès de bureaucratie que connaît notre pays. La France ne sera crédible pour porter des propositions à l’échelon européen en matière de médicaments que si, préalablement, elle a elle-même engagé des réformes pour simplifier ses instances de gouvernance et améliorer l’accès de tous aux médicaments.

1.   Favoriser davantage de synergies et d’efficacité dans le domaine de la recherche et de l’innovation

a.   Une dispersion des moyens publics qui nuit à la recherche publique et à sa valorisation

La multiplicité des guichets de financement, l’absence de liens entre eux et le manque de transparence sur les projets aidés sont dommageables. Cela favorise le financement de projets concurrents et ne permet pas toujours d’assurer le continuum entre la recherche fondamentale, la recherche clinique et la recherche appliquée.

i.   Le financement de la recherche fondamentale et clinique en santé : un manque de continuité criant

La recherche en santé est financée par deux sources principales dont les budgets ne sont pas fongibles (voir encadré ci-après). Comme l’a indiqué la direction générale de la recherche et de l’innovation (DGRI) lors de son audition, l’existence de ces deux guichets, la non-fongibilité des fonds et les différences de modalités de fonctionnement des appels à projets entraînent une discontinuité dans la programmation, le financement et l’évaluation des projets, alors même que la recherche gagnerait à ce qu’une plus forte continuité soit mise en place.

Certains programmes visent à combler ce manque de continuité en finançant la recherche translationnelle, à savoir la phase de la recherche entre la recherche fondamentale et la recherche clinique, mais ils sont encore peu nombreux. Il s’agit principalement des deux instruments du programme d’investissements d’avenir (PIA) que sont les instituts hospitalo‑universitaires (IHU) et les projets de recherche hospitalo-universitaire (RHU).

Le financement de la recherche amont en matière de médicaments

La recherche dite « fondamentale », est financée sur les programmes 150 et 172 de la mission Recherche et enseignement supérieur, qui financent les établissements (universités, Inserm, CNRS, CEA, notamment les salaires des chercheurs, y compris des professeurs des universités-praticiens hospitaliers) et les projets de recherche via l’Agence nationale de la recherche (ANR).

La recherche dite « clinique », c’est-à-dire impliquant des patients et donc des remboursements par la sécurité sociale, est financée sur le budget de la sécurité sociale, par un mécanisme appelé MERRI (missions d’enseignement, de recherche, de référence et d’innovation) qui fait partie des missions d’intérêt général et d’aide à la contractualisation (MIGAC).

Ce système, fondé sur la discontinuité des financements entre la recherche fondamentale et la recherche clinique, est d’autant plus complexe qu’il comprend, en outre, deux exceptions :

– l’INCa, qui regroupe les financements pour la recherche fondamentale et la recherche clinique en matière de cancérologie ;

– la nouvelle agence ANRS-Maladies infectieuses émergentes, qui regroupe également les financements pour la recherche fondamentale et la recherche clinique dans son champ de compétences ([118]).

ii.   L’organisation de la recherche publique : une complexité qui nuit aux travaux de recherche

Une des spécificités de l’organisation de la recherche publique en France est la dualité entre les universités et les organismes nationaux (Inserm, CNRS, etc.). Une grande partie des laboratoires publics est d’ailleurs constituée par des unités mixtes de recherche (UMR) entre universités et organismes de recherche. Cette dualité contribue à l’excellence scientifique et technologique de notre pays mais engendre également un certain nombre de complexités. La multiplicité des acteurs et la diversité de leurs statuts, tutelles et pratiques conduisent malheureusement trop souvent à un saupoudrage des aides publiques et à un accroissement des charges administratives pour les chercheurs et enseignants-chercheurs.

Ces derniers voient leurs missions de recherche bridées du fait de tâches administratives envahissantes. Ces tâches sont d’autant plus longues et complexes qu’il existe autant de procédures d’appels à projets que d’organismes de recherche. Les taux de succès étant très faibles, chaque laboratoire doit chaque année répondre à un grand nombre d’appels à projets, afin de disposer d’un budget suffisant. Comme l’a indiqué le CNRS à la mission, « ce fonctionnement épuise les chercheurs, les démotive, et surtout ne permet pas de mener une recherche à risque dans la continuité, qui pourtant ne peut être que le gage d’un succès ».

iii.   La valorisation de la recherche : des structures multiples encore trop peu coordonnées entre elles

Les structures de valorisation de la recherche publique ont pour mission d’assurer l’interface entre les laboratoires publics et le monde socio‑économique, c’est-à-dire de traduire les découvertes de la recherche publique en applications concrètes. Leur activité se traduit surtout par des dépôts de brevets ou des créations de start‑up.

Les structures de valorisation de la recherche

Ces structures sont très nombreuses :

– d’une part, les organismes de recherche et les universités se sont dotés de services de valorisation et d’offices de transfert de technologies (comme CNRS Innovation ou Inserm Transfert) ;

– d’autre part, treize sociétés d’accélération du transfert de technologies (SATT) ont été créées dans le cadre du PIA. Elles interviennent en tant que prestataires de services en matière de valorisation de la recherche pour le compte de leurs actionnaires (universités, écoles, organismes de recherche) et d’autres clients potentiels. À ce jour l’ensemble des SATT ont financé plus de 2 000 projets de maturation dans le secteur de la santé, ce qui représente environ 216 millions d’euros.

La création des SATT visait à instaurer dans chaque territoire un guichet unique de valorisation auquel pourraient s’adresser chercheurs et entreprises. Force est néanmoins de constater que l’objectif attendu n’a pas été atteint.

La multiplicité des structures de valorisation, rattachées à divers organismes publics, et la complexité administrative des procédures engendrent encore aujourd’hui un manque de transparence dommageable et des délais de négociation entre chercheurs et organismes de valorisation souvent extrêmement longs, pouvant aller jusqu’à dix‑huit mois ([119]). Les unités mixtes entre universités et organismes de recherche pouvant faire gérer leur activité de valorisation par chacune de leurs tutelles, une forme de « concurrence administrative » peut ainsi s’instaurer entre elles, chacune prétendant à un retour (financier, de réputation scientifique) sur les moyens investis. Ce constat n’est pas nouveau. Un rapport d’inspection datant de 2007 ([120]) évoquait déjà un « émiettement excessif des services de valorisation » jugé peu satisfaisant car engendrant des redondances entre services de valorisation, une dispersion des moyens et une faible lisibilité extérieure.

b.   Opérer une simplification en profondeur de la gouvernance de la recherche et l’innovation en santé

i.   Mettre en place un portail unique pour l’ensemble des appels à projets et expérimenter un nouveau modèle de financement

Alors que le manque d’harmonisation des pratiques entre les agences de financement est, depuis longtemps, identifié comme problématique, peu de mesures concrètes ont été prises pour y remédier. Dans le cadre de la dernière loi de programmation de la recherche, le Gouvernement s’est engagé à mettre en place un portail unique où figureront les appels à projets relevant notamment de l’Institut national du cancer, de l’Agence nationale de la recherche sur le sida et les hépatites virales, du programme hospitalier de recherche clinique et de l’Agence nationale de la recherche dans le domaine de la biologie et de la santé. La direction générale de la recherche et de l’innovation a indiqué à la mission que ce projet était « en cours de réalisation » et qu’une ouverture du portail était prévue pour septembre 2021, avec pour premier objectif d’offrir aux chercheurs une visibilité sur l’ensemble des appels à projets portés par les entités partenaires du portail unique. Les rapporteurs insistent sur la nécessité d’inclure les appels à projets relevant des autres organismes de recherche, comme le CNRS par exemple.

Au-delà de la mise en place d’un portail unique où figureront l’ensemble des appels à projets, une harmonisation des dossiers de demande de financement est cruciale pour réduire la charge administrative qu’ils représentent pour les chercheurs. La simplification des appels à projets doit aller de pair avec d’autres mesures de simplification de la vie des laboratoires de recherche. Le rapport annexé à la loi de programmation de la recherche prévoit la mise en place d’un « baromètre de la simplification de la vie des laboratoires ». Une publication en 2021 des premiers résultats en la matière serait plus que bienvenue.

Les rapporteurs estiment qu’il serait également intéressant d’expérimenter, en parallèle, un autre modèle de financement des projets de recherche, lequel ne reposerait plus sur des appels d’offres rédigés par les grands organismes de recherche. Dans ce nouveau modèle de financement, que l’on peut qualifier de « bottom-up » ([121]), il reviendrait aux chercheurs de déposer des dossiers de demande de financement et aux acteurs publics, ensuite, de choisir les projets qu’ils souhaitent financer. Un modèle simple de dossier de demande de financement serait mis à la disposition des chercheurs sur une plateforme unique. Les chercheurs pourraient compléter leur dossier au fur et à mesure de l’avancement de leur projet de recherche, permettant, en cela, à de nouveaux financeurs de s’investir dans le projet. Ce modèle de financement aurait le mérite de faire émerger des projets qui, aujourd’hui, ne parviennent pas jusqu’aux organismes de recherche car les chercheurs à l’origine de ces projets ne candidatent pas aux bons appels d’offres. Une expérimentation permettrait de s’assurer que les bénéfices de ce nouveau modèle de financement sont bien supérieurs aux coûts induits par la charge administrative supplémentaire pour les administrations et les organismes de recherche. La mobilisation d’outils numériques reposant sur l’intelligence artificielle pourrait réduire cette charge administrative en permettant une sélection rapide des dossiers les plus innovants et les plus prometteurs.

ii.   À moyen terme, rationaliser le paysage des grands organismes de recherche

Les rapporteurs sont convaincus qu’une réorganisation et une simplification de la recherche publique en France, notamment en matière de biologie-santé, permettrait de générer des gains d’efficience et d’améliorer nos performances en matière de recherche et d’innovation. Il ne s’agit pas ici de préconiser une baisse des effectifs travaillant au sein des différents organismes de recherche. Au contraire ! Ces organismes ne disposent souvent pas des ressources humaines à la hauteur de leurs missions et des défis que devrait relever la recherche publique.

Il s’agit de réfléchir à la meilleure manière de rationaliser le paysage de la recherche publique en France, pour simplifier la vie des chercheurs et accompagner au mieux les projets de recherche les plus prometteurs. Une Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé ([122]) a été créée il y a plus de dix ans et visait à renforcer la position de la recherche française dans ce secteur par une programmation concertée. Cette Alliance, structure légère d’échanges et de coordination sans moyens spécifiques ([123]), n’a pas permis de mettre en place une coordination effective et efficace. Il faut désormais aller plus loin.

La mission n’a pas pour objectif de préconiser la disparition ou la fusion de tel et tel organisme de recherche. Elle considère néanmoins qu’une réflexion en la matière devrait être prochainement engagée en concertation avec l’ensemble des acteurs. Une structure unique accompagnant les projets de recherche en matière de biologie-santé pourrait être instaurée, à condition que sa gouvernance soit relativement souple et qu’elle permette le financement de projets dans des domaines thérapeutiques variés.

iii.   Rapprocher les guichets de financement

Les rapporteurs préconisent un renforcement des partenariats entre les acteurs en charge du financement de la recherche fondamentale, clinique et appliquée. Certes, deux partenariats ont été mis en place entre l’ANR et Bpifrance d’une part, et entre l’ANR et la DGOS d’autre part.

Néanmoins, ces partenariats ne sont pas à la hauteur des enjeux. Le partenariat entre Bpifrance et l’ANR vise à renforcer l’articulation entre leurs différents outils de financement et simplifier l’offre à destination des entreprises. Son ambition est donc limitée et il ne permet pas toujours d’orienter les projets de recherche « preuve de concept » prometteurs vers les services de Bpifrance. Quant au partenariat entre l’ANR et la DGOS ([124]), la complexité du montage des dossiers limite le nombre de projets communs réellement financés. Ainsi, le budget prévu pour ces projets, pourtant faible (5 millions d’euros en 2021), est très rarement entièrement consommé. Les dépenses effectives sur ce budget ont été limitées à 1 et 2 millions d’euros ces dernières années.

À moyen terme, une fusion des guichets ANR et DGOS doit être envisagée. Un certain nombre d’acteurs souhaitent, en effet, la mise en place d’un guichet unique pour les financements de la recherche fondamentale et clinique, sur le modèle de l’INCa ou de l’ANRS.

Proposition n° 3 : Simplifier en profondeur la gouvernance de la recherche et de l’innovation en santé

– À court terme, mettre en place un portail unique où figureront l’ensemble des appels à projets dans le domaine de la biologie-santé et harmoniser les dossiers d’appels à projets ;

– Expérimenter un nouveau modèle de financement des projets de recherche dans lequel il reviendrait aux chercheurs de déposer une demande de financement pour une recherche dans un domaine innovant et aux organismes de recherche, en s’appuyant notamment sur les technologies d’intelligence artificielle, de sélectionner les projets les plus prometteurs ;

– Poursuivre les travaux de simplification de la vie des laboratoires et publier, dès que possible, un premier baromètre des mesures prises en la matière ;

– À moyen terme, envisager une fusion des organismes de recherche compétents en matière de biologie-santé ;

– Renforcer les partenariats entre la DGOS et Bpifrance ainsi qu’entre la DGOS et l’ANR et, à long terme, fusionner les deux guichets de financement pour la recherche clinique et la recherche fondamentale.

c.   Être vigilant quant aux modalités de création d’une nouvelle Agence de l’innovation en santé

Le Gouvernement envisage la création d’une Agence de l’innovation en santé afin de simplifier en profondeur la gouvernance de l’innovation en santé. Pour l’instant, les missions de l’agence n’ont pas encore été précisément définies. Une mission de préfiguration ([125]) a été mise en place pour définir les moyens et la place qui pourraient être donnés à cette nouvelle agence. Elle devrait rendre son rapport à la fin du mois de juillet 2021.

La création de cette agence est l’une des principales préconisations du plan Health Tech ([126]) élaboré par le Boston Consulting Group, Bpifrance, BioUp et France Biotech. Pour les auteurs de ce plan, cette agence pourrait être chargée de structurer une politique industrielle en santé pour concentrer les moyens, donner de la visibilité à l’ensemble des acteurs, accompagner au mieux les entreprises et soutenir le développement d’une infrastructure industrielle.

Les rapporteurs partagent la volonté de simplifier le soutien aux entreprises innovantes en santé et n’ont rien contre la mise en place d’une telle agence. Ils souhaitent néanmoins rappeler qu’une agence ne permettra pas, à elle seule, de répondre à l’ensemble des difficultés auxquelles fait face notre écosystème d’innovation en santé. Cette agence pourrait même se révéler contre‑productive et être source de complexité pour les entreprises si son existence ne faisait que créer une strate administrative supplémentaire. Les rapporteurs souhaitent donc insister sur les prérequis suivants :

– la création de l’agence devra être concomitante à une rationalisation du paysage administratif. Les offices de transfert de technologie des organismes de recherche pourraient utilement être intégrés dans cette nouvelle agence ;

– l’agence devra avoir un rôle de guichet unique pour les entreprises et notamment les biotechs.

Les rapporteurs souhaitent insister sur le fait que cette nouvelle agence ne remet en rien en cause la création d’une fonction de haut-commissaire aux produits de santé, qu’ils appellent de leurs vœux. Les missions de ce dernier vont en effet bien au-delà de la seule innovation en santé.

Proposition n° 4 : Être vigilant quant aux modalités de création d’une nouvelle Agence de l’innovation en santé

– La création de l’agence devra être concomitante à une rationalisation du paysage administratif ;

– L’agence devra avoir un rôle de guichet unique pour les entreprises et notamment les biotechs.

d.   Favoriser une recherche en santé partenariale plus forte et plus efficace à l’échelon européen

Le soutien européen à la R&D repose principalement sur le programme‑cadre Horizon Europe qui vient d’être lancé ([127]). Le pôle « santé » sera doté de 6,9 milliards d’euros sur la période 2021-2027.

Un plan d’action national d’amélioration de la participation française aux programmes européens de recherche et d’innovation a été élaboré en 2017-2018 et mis en œuvre depuis 2019, avec un pilotage confié au ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Ce plan d’action gagnerait à disposer d’un pilotage interministériel, de manière à renforcer les capacités d’influence française sur les programmes européens et leur mise en œuvre.

Les rapporteurs partagent la conviction de leur collègue Philippe Berta ([128]), membre de la mission d’information, pour qui la présidence française de l’Union européenne en 2022 doit être l’occasion pour notre pays de renouer avec une vision plus équitable et plus efficace de la prise en charge des maladies rares ([129]). Toutes les coopérations en matière de R&D que nous pourrons mettre en place avec les autres États membres dans ce domaine pourront ouvrir la voie à une recherche en santé partenariale plus forte et plus efficace à l’échelon européen. La réouverture du règlement européen concernant les médicaments orphelins ([130]) devra être suivie avec une extrême vigilance.

Au-delà du renforcement des partenariats de recherche au sein de l’Union européenne et d’une meilleure coordination de l’offre de financement, il semble nécessaire d’avoir une vision partagée des priorités stratégiques en matière d’innovation en santé.

L’Agence européenne des médicaments (EMA) rend déjà un certain nombre d’avis sur ce qu’elle considère être les principaux besoins européens non-couverts en matière d’innovation. Une des missions du haut‑commissaire aux produits de santé pourrait être de s’assurer que ces avis sont pris en compte à l’échelon national dans l’élaboration de nos priorités stratégiques et, réciproquement, que nos instances nationales, comme la future Agence de l’innovation en santé, participent bien à la définition des besoins non couverts à l’échelon européen.

Proposition n° 5 : Garantir une recherche en santé partenariale plus forte et plus efficace à l’échelon européen

– Renforcer le plan d’action national d’amélioration de la participation française aux programmes européens de recherche et d’innovation et le doter d’un pilotage interministériel ;

– Faire de la lutte contre les maladies rares l’une des priorités de la présidence française de l’Union européenne en 2022. Les coopérations en matière de R&D dans ce domaine pourront ouvrir la voie à une recherche en santé partenariale plus forte et plus efficace à l’échelon européen ;

– S’assurer que nos instances nationales, comme la future Agence de l’innovation en santé, participent bien à la définition des besoins thérapeutiques considérés par l’Agence européenne du médicament comme non couverts à l’échelon européen.

2.   Instituer des mécanismes de régulation plus adaptés tout au long du parcours du médicament

Différentes instances se succèdent tout au long du parcours du médicament : l’ANSM délivre l’AMM lorsque celle-ci n’est pas délivrée par la Commission européenne, la HAS est en charge de l’évaluation des médicaments, le CEPS est compétent pour la fixation des prix, l’UNCAM définit le taux de remboursement et la CNAM surveille l’usage des médicaments, du moins ceux délivrés en ville.

L’intervention de ces différentes instances se justifie par la nature bien spécifique des missions qui sont les leurs. Néanmoins, la plupart des acteurs auditionnés regrettent ce qu’ils appellent le « mille-feuille administratif français ». Il existe de très grandes marges de progression pour mieux coordonner ces instances entre elles et les rendre plus efficaces et réactives. Il en va de l’attractivité de la France comme territoire d’innovation et de production pharmaceutique mais également, et surtout, de l’accès rapide des patients français aux médicaments essentiels et innovants.

a.   Simplifier de manière significative le fonctionnement des instances nationales et assurer concrètement une meilleure coordination entre elles

i.   Renforcer la coordination entre les instances de régulation

Il faut, tout d’abord, se féliciter des quelques rapprochements ([131]) qui sont intervenus ces dernières années, notamment entre la HAS et le CEPS pour les études post-inscription ([132]), ou entre l’ANSM et la CNAM pour construire un programme d’études conjoint pour surveiller les conditions de prescription et l’impact de certains produits.

Néanmoins, les auditions ont montré que ces quelques rapprochements étaient bien loin d’être suffisants. Les acteurs auditionnés ont regretté encore l’absence de communication entre les instances et l’existence d’un certain nombre de « doublons », c’est-à-dire de missions qui sont aujourd’hui exercées inutilement par plusieurs instances. Il ne s’agit pas, ici, de proposer une fusion des agences mais bien de renforcer considérablement la coordination entre elles. Les propositions formulées ci-après ne sont pas limitatives.

La création d’une fonction de haut-commissaire aux produits de santé devrait, à elle seule, faciliter la coordination et la coopération entre les agences, en fixant des lignes stratégiques claires en matière de fixation des prix du médicament, de suivi des innovations thérapeutiques en vie réelle ou de lutte contre les pénuries. Les coopérations entre agences devraient être, par ailleurs, améliorées.

La coordination entre la HAS et l’ANSM doit être améliorée. À titre d’exemple, tant la HAS que l’ANSM conduisent des rencontres précoces avec les industriels pour les aider à monter leurs dossiers. Ces rencontres précoces pourraient être mutualisées afin de faire gagner du temps aux industriels et les aider à mieux comprendre les différences entre les documents demandés par chacune des instances. Idéalement, un guichet unique pourrait être mis en place, sur le modèle de ce qui est prévu pour les ATU. Pour rappel, la réforme des ATU prévoit que les industriels n’auront plus qu’à déposer un unique dossier auprès de la HAS et de l’ANSM, lequel permettra aux instances de décider à la fois de l’autorisation d’accès précoce et des modalités de prise en charge.

La coordination entre la HAS et la CNAM doit également être considérablement renforcée. Des progrès ont été faits en la matière et doivent être soulignés. Ainsi, la HAS est amenée à donner son avis sur les fiches mémos élaborées par la CNAM sur des médicaments pour lesquels un enjeu de bon usage se pose ([133]). La HAS a intégré la CNAM au groupe de travail pluridisciplinaire chargé de proposer des messages de bon usage à destination des professionnels de santé et des patients. Néanmoins, les données dont on dispose sur la consommation et l’usage des médicaments en France sont très largement sous-exploitées. Le constat établi par le rapport de Mme Dominique Polton ([134]) est malheureusement toujours d’actualité : la CNAM utilise certes les avis de la HAS pour définir les cibles de ses actions de gestion du risque mais il n’y a pas de procédure systématique d’analyse des prescriptions, ni d’échange systématique avec la HAS sur les résultats dans la perspective des réévaluations ou des réinscriptions. De tels échanges permettraient pourtant de favoriser le bon usage des médicaments, véritable enjeu de santé publique.

La coordination entre la HAS et le CEPS mériterait, aussi, d’être accrue. Certains acteurs auditionnés ont appelé de leurs vœux une fusion de la HAS et du CEPS. Sans aller jusque-là, les rapporteurs préconisent que le CEPS fasse un usage plus important des analyses médico-économiques que lui transmet la HAS et proposent que la HAS soit systématiquement associée à la définition des indicateurs retenus par le CEPS dans le cadre d’un accord de partage des risques ([135]) avec les industriels.

Au-delà des coordinations bilatérales, les rapporteurs sont convaincus que l’ensemble des agences doivent se coordonner pour mettre en place un outil commun de suivi en vie réelle des médicaments (voir infra). Elles sont aujourd’hui trop cloisonnées pour porter ce projet conjointement mais y ont tout intérêt, que ce soit pour réévaluer les médicaments (HAS), recourir aux contrats de partage des risques avec les industriels (CEPS), faire de la veille sanitaire (ANSM) ou contrôler le mésusage des médicaments et en promouvoir une prescription efficiente (CNAM).

ii.   S’assurer de la mise en œuvre de changements organisationnels et de management au sein de chacune des instances

Une meilleure coordination entre les instances doit aller de pair avec la recherche d’une plus grande efficacité de chacune d’entre elles.

Certaines ont opéré des changements organisationnels et de management. L’ANSM a, par exemple, mis en place un guichet innovation, permettant aux porteurs de projets d’effectuer une demande d’accompagnement auprès de ses équipes.

La HAS a, quant à elle, cherché à mieux prioriser les demandes d’évaluation, mis en place une plateforme dématérialisée de dépôt de dossiers, décidé d’une plus grande implication des patients et usagers dans ses processus de décision et renforcé la transparence de ses actions. À la suite d’un audit interne réalisé en 2019, la HAS a fait un certain nombre de propositions de réorganisation, lesquelles se sont concrétisées dans un récent décret ([136]). Ce décret recentre le périmètre d’évaluation de la HAS sur les missions à forte valeur ajoutée, c’est-à-dire l’évaluation des nouveaux médicaments et des nouvelles indications (hors génériques, biosimilaires ou hybrides). Il supprime les réévaluations quinquennales systématiques des médicaments et permet à la HAS d’identifier les réévaluations les plus pertinentes (notamment en cas de mésusage, de modification substantielle de la stratégie thérapeutique ou lorsque l’agence dispose de nouvelles données d’efficacité ou de tolérance). La HAS a indiqué à la mission qu’un projet de réorganisation visant à rapprocher la commission de la transparence et la commission d’évaluation économique et de santé publique était à l’étude ([137]).

S’il faut saluer ces évolutions qui témoignent de la bonne volonté des instances de régulation, force est de constater qu’elles sont très loin d’être suffisantes aux yeux des acteurs de terrain, demandeurs de plus de simplification et de réactivité.

Le rôle du haut-commissaire aux produits de santé, dont la mission d’information souhaite la création, devrait être de conduire ces changements organisationnels et d’aider les agences à faire évoluer leurs pratiques. Dans le cas de l’ANSM, qui est un établissement public, ces changements organisationnels pourraient être prévus par le contrat d’objectifs et de performance (COP) que l’agence signe avec l’État et pourraient faire l’objet d’une évaluation spécifique dans le cadre du comité de suivi en charge du bilan annuel de la mise en œuvre du COP. Dans le cas du CEPS, qui est un organisme interministériel placé sous l’autorité conjointe des ministres chargés de la santé, de la sécurité sociale et de l’économie, les changements organisationnels à mettre en place pourraient être précisés plus clairement dans la lettre de mission rédigée par les ministres au président du CEPS. Quant à la HAS, qui est une autorité administrative indépendante, son rapport annuel d’activité adressé au Gouvernement et au Parlement pourrait utilement faire état des indicateurs de résultats retenus pour évaluer l’efficacité des changements organisationnels mis en place.

iii.   Réduire encore les délais de commercialisation des médicaments

Les agences ont mis en place un certain nombre de procédures pour accélérer les délais avec lesquelles elles rendent leurs décisions.

Ainsi, à la HAS, deux procédures de « fast-tracking » (circuits courts) coexistent : la procédure d’instruction anticipée ciblée sur des médicaments au caractère « présumé innovant » et la procédure de pré-dépôt de dossier pour tout autre médicament. La HAS implémente aujourd’hui une procédure de fast-tracking pour le nouveau dispositif des accès précoces.

À la suite du CSIS de 2018, l’ANSM a, elle aussi, mis en place des procédures de fast-tracking. Ces dernières visent les essais cliniques de traitements innovants et les nouveaux essais avec une molécule connue. Les délais d’instruction sont au maximum de quarante ou vingt‑cinq jours selon le type d’essai, contre soixante jours auparavant.

Le CEPS a lui aussi prévu une procédure accélérée de fixation du prix pour certains médicaments énumérés à l’article 14 du nouvel accord-cadre ([138]).

Force est néanmoins de constater que ces procédures sont souvent insuffisamment utilisées par les industriels. La HAS a indiqué à la mission qu’en 2020, seuls 14 % des dossiers ont été déposés dans le cadre de la procédure de pré-dépôt de dossiers et seuls sept industriels ont sollicité la reconnaissance du caractère présumé innovant pour dix médicaments. Les freins rencontrés par les industriels pour s’engager dans les procédures de fast-tracking gagneraient à être identifiés lors du prochain CSIS.

 

Proposition n° 6 : Simplifier de manière significative le fonctionnement des instances nationales et assurer concrètement une meilleure coordination entre elles

– Confier au haut-commissaire aux produits de santé la charge d’aider les agences (CEPS, HAS, ANSM) à faire évoluer leurs pratiques organisationnelles et managériales. Dans le cas de l’ANSM, les changements organisationnels à mettre en place pourraient faire l’objet d’une évaluation spécifique dans le cadre du comité de suivi du contrat d’objectifs et de performance ;

– Renforcer la coordination entre l’ensemble des agences :

* Systématiser les échanges entre la CNAM et la HAS dans la perspective des réévaluations ou des réinscriptions de médicaments ;

* Systématiser l’association de la HAS à la définition des indicateurs retenus par le CEPS dans le cadre d’un accord de partage des risques avec les industriels ;

* Mutualiser les rencontres précoces que la HAS et l’ANSM organisent avec les industriels ;

* Confier au haut-commissaire aux produits de santé la charge de coordonner la mise en place d’un outil commun de suivi en vie réelle des médicaments ;

– Identifier, lors du prochain CSIS, les freins rencontrés par les industriels dans l’utilisation des procédures de fast-tracking mises en place par les agences.

b.   Mieux coordonner les instances nationales à l’échelle européenne et confier davantage de compétences à l’Union

Un certain nombre de pays européens sont prêts à aller plus loin dans la construction d’une Europe du médicament. La France doit saisir l’opportunité de la présidence du Conseil de l’Union européenne en 2022 pour convaincre l’ensemble des États membres de la nécessité de mettre rapidement en œuvre la stratégie pharmaceutique proposée par la Commission européenne mais également de compléter cette stratégie par de nouveaux transferts de compétence à l’Union européenne.

i.   La crise sanitaire a mis en lumière l’insuffisance des compétences de l’Union européenne en matière de santé publique et de médicaments

En vertu du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, l’Union ne dispose que d’une compétence d’appui des États membres en matière de santé.

En matière de médicaments, l’Union intervient indirectement au travers de la mise en œuvre des grands principes du droit communautaire, notamment de la libre circulation des technologies de santé. La plupart des médicaments innovants doivent être autorisés par la Commission européenne après une évaluation de l’EMA. Les conditions de remboursement par les systèmes de sécurité sociale et les prix des médicaments restent néanmoins déterminés par les États membres.

Pendant la crise sanitaire, l’Union européenne a considérablement renforcé son action sur l’ensemble de ses champs de compétence, et notamment en matière de médicaments et de dispositifs médicaux. La Commission a, tout d’abord, lancé des procédures conjointes de passation de marché afin de permettre aux États membres de disposer de certains équipements sanitaires à un tarif plus avantageux et a créé une réserve stratégique d’équipements médicaux dans le cadre du mécanisme RescEU de protection civile renforcé de l’Union. Elle a également publié des lignes directrices ([139]) à l’attention des États membres pour éviter la pénurie de médicaments et négocié avec les industriels pour qu’ils augmentent leurs capacités de production. La Commission a également encouragé l’effort européen de recherche sur le coronavirus. Elle a proposé un règlement, adopté en juillet 2020 ([140]), facilitant les essais cliniques liés à la covid‑19 en leur permettant de se poursuivre sans tenir compte des dispositions des deux directives relatives aux organismes génétiquement modifiés (OGM). Plus récemment, la Commission a mis en place une politique d’achats groupés de vaccins, permettant une solidarité de fait entre les États membres par l’intermédiaire d’une répartition de l’approvisionnement en vaccins basée sur la taille respective des populations nationales.

Parallèlement, le rôle des agences de l’Union que sont le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) et l’Agence européenne des médicaments (EMA) ont vu leur rôle renforcé. L’ECDC, dont l’objectif est de renforcer les défenses de l’Europe contre les maladies infectieuses, a fourni des évaluations des risques et des orientations scientifiques en fonction des données épidémiologiques de propagation du virus. L’EMA a, quant à elle, rationalisé ses procédures d’évaluation afin de permettre une évaluation plus efficace des vaccins ou des traitements prometteurs contre la covid‑19.

Malgré l’ensemble des efforts déployés par la Commission et les agences européennes, l’ensemble des acteurs s’accordent à dire que l’absence d’une politique européenne de santé à part entière a limité les échanges d’informations entre États membres et n’a pas permis d’assurer un bon approvisionnement en médicaments et en équipements dans toute l’Union européenne. La politique d’achats groupés de vaccins connaît aujourd’hui de nombreuses limites, liées à l’insuffisante capacité de négociation de la Commission et aux difficultés qu’elle rencontre pour forcer le respect des engagements contractuels.

Si les compétences de l’Union doivent être étendues pour mieux faire face aux prochaines crises sanitaires, les rapporteurs insistent également sur l’importance d’élargir, plus largement, le rôle de l’Union en matière de médicaments, pour garantir, même en l’absence de crise, un approvisionnement de qualité, efficace et sûr.

ii.   La stratégie pharmaceutique de la Commission européenne doit être soutenue mais le rôle des différentes agences européennes gagnerait à être rapidement clarifié

La Commission européenne a présenté, le 11 novembre 2020, une communication intitulée « Construire une Union européenne de la santé : renforcer la résilience de l’Union européenne face aux menaces transfrontières graves ». Cette communication s’accompagne de trois propositions de règlement visant respectivement :

– à renforcer la coordination au niveau de l’Union face aux menaces transfrontières pour la santé ([141]). Dans ce cadre, la Commission a annoncé la création d’une Autorité européenne d’intervention en cas d’urgence sanitaire (HERA) pour améliorer la réponse à ces menaces. Ses missions seront précisées d’ici la fin de l’année 2021, afin qu’elle puisse entrer en service en 2023 ;

– à renforcer le mandat de l’ECDC. La proposition de règlement ([142]) lui donne un rôle plus opérationnel, tant dans le domaine de la préparation et de la réaction face aux maladies transmissibles que dans celui de la surveillance épidémiologique ;

– à étendre le mandat de l’EMA, avec pour objectif qu’elle serve de « plaque tournante de l’excellence scientifique ». La proposition de règlement ([143]) permet notamment à l’agence d’accélérer les procédures d’avis et d’évaluation scientifiques, d’évaluer la capacité d’approvisionnement et de surveiller, de quantifier et d’atténuer les pénuries de médicaments critiques en cas de crise.

Quelques semaines après avoir présenté le paquet « Union européenne pour la santé », la Commission européenne a publié sa stratégie pharmaceutique pour l’Europe. Cette stratégie repose sur quatre piliers : garantir l’accès des patients à des médicaments abordables et répondre aux besoins médicaux non satisfaits ; soutenir la compétitivité, l’innovation et la durabilité de l’industrie pharmaceutique de l’Union ; améliorer les mécanismes de préparation et de réaction aux crises et renforcer la sécurité de l’approvisionnement ; faire entendre la voix de l’Union dans le monde, en promouvant des normes d’un niveau élevé de qualité, d’efficacité et de sécurité.

Les rapporteurs soutiennent le souhait de la Commission de renforcer le rôle des instances européennes de gouvernance en matière de médicaments. Ils souhaitent néanmoins attirer l’attention sur les trois points suivants :

– le renforcement, sur le papier, du rôle des différentes agences européennes ainsi que la création d’HERA n’ont de sens que s’ils s’accompagnent de moyens financiers conséquents ;

– la création d’HERA ne doit pas avoir pour unique conséquence de créer une nouvelle « strate » et de complexifier davantage la gouvernance européenne du médicament ;

– la refonte des instances de gouvernance doit prendre en compte des enjeux qui vont bien au-delà de l’anticipation et de la gestion des crises sanitaires.

iii.   Le renforcement, sur le papier, du rôle des différentes agences européennes ainsi que la création d’HERA n’auront de sens que s’ils s’accompagnent de moyens financiers conséquents

En 2020, le budget des deux agences (ECDC et EMA) s’élevait à environ 400 millions d’euros, dont 358 millions d’euros pour l’EMA et 67 millions d’euros pour l’ECDC, soit 0,003 % du PIB de l’UE-27. Par comparaison, le budget des agences qui s’occupent, aux États‑Unis, de la prévention et du contrôle des maladies, s’élève à 0,06 % du PIB américain. Pour représenter le même pourcentage du PIB qu’aux États‑Unis, le budget de l’EMA et de l’ECDC devrait être porté à 6,8 milliards d’euros par an. Nous en sommes encore très loin...

Les budgets des deux agences européennes ont certes été augmentés pour l’année 2021, afin de faire face à la crise sanitaire. Néanmoins, la hausse est encore très timide. Ainsi, le budget de l’EMA s’élève désormais à 385 millions d’euros et celui de l’ECDC à 75 millions d’euros. De nouvelles hausses budgétaires devront nécessairement être actées dans les années à venir, s’il était effectivement décidé d’élargir le mandat de ces deux agences. Au-delà des moyens financiers, les rapporteurs souhaitent insister sur l’importance, pour l’EMA et l’ECDC, de disposer de moyens humains suffisants. L’EMA a indiqué, lors de son audition, avoir dû suspendre provisoirement la publication des données cliniques, faute de ressources humaines suffisantes.

Des moyens conséquents devront également être prévus pour permettre à la nouvelle agence HERA d’exercer ses missions, et ce d’autant plus si l’objectif est de calquer cette agence sur le modèle de l’agence fédérale américaine, la Biomedical Advanced Research and Development Authority (BARDA). Avant le début de la crise de la covid‑19, la BARDA gérait déjà un budget annuel de 1,6 milliard de dollars. Ces montants ont été décuplés pour faire face à la pandémie : l’État américain a consacré 18 milliards de dollars à l’opération Warp Speed ([144]), dont 12 milliards pour le développement et la production de vaccins.

Pour l’instant, force est de constater que les moyens budgétaires ne sont pas au rendez-vous. Certes, le programme EU4Health ([145]) bénéficiera d’un budget de 5 milliards d’euros entre 2021 et 2027, soit dix fois plus que lors du précédent exercice. Néanmoins, le budget que l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) estime nécessaire pour mener une politique de santé européenne à la hauteur des défis des prochaines années s’élève à environ 20 milliards d’euros par an ([146]).

iv.   La refonte des instances de gouvernance doit prendre en compte des enjeux qui vont bien au-delà de l’anticipation et de la gestion des crises sanitaires

Les rapporteurs insistent sur l’importance de lutter contre la tendance actuelle, naturellement compréhensible, consistant à focaliser notre attention sur la gestion des crises sanitaires. Tant la nouvelle agence HERA que l’EMA gagneraient à jouer un rôle central en matière de médicaments hors période de crise.

Les missions que pourrait avoir la nouvelle agence ne sont pas encore précisément définies. Pour l’instant, seul un « incubateur HERA » a été mis en place. Son rôle est circonscrit aux variants contre la covid‑19 puisqu’il vise à rassembler chercheurs, entreprises de biotechnologie, fabricants, autorités de réglementation et pouvoirs publics afin de surveiller les variants, d’échanger des données et de coopérer en ce qui concerne l’adaptation des vaccins. Une consultation publique a été mise en ligne le 31 mars ([147]) afin que chacun puisse exprimer ses attentes quant au rôle de cette nouvelle agence.

Lors de son audition par la mission, la commissaire européenne a surtout insisté sur le rôle de préparation et de réponse aux crises sanitaires que la nouvelle agence pourrait jouer. Ce rôle est, bien entendu, essentiel mais, pour les rapporteurs, HERA devra aussi avoir un rôle à jouer en matière de soutien à l’innovation et de prospective.

Les rapporteurs appellent de leurs vœux un renforcement du mandat de l’EMA, au-delà de ce qui est actuellement prévu par la proposition de règlement européen, et au-delà de la seule gestion des crises sanitaires et des pénuries. L’agence pourrait ainsi utilement avoir un rôle plus important en matière de mise sur le marché des médicaments, d’évaluation des médicaments, voire de fixation du prix :

– l’EMA pourrait jouer un rôle plus important en matière d’autorisation de mise sur le marché de médicaments. La procédure centralisée pourrait, ainsi, être étendue à davantage de médicaments, voire à l’ensemble des médicaments. À noter que cette proposition ne fait pas consensus, l’EMA considérant notamment que la répartition actuelle des rôles entre les États membres et la Commission européenne permet une utilisation efficace des ressources ;

– l’EMA pourrait également jouer un rôle plus important en matière d’évaluation des médicaments, c’est-à-dire dans l’évaluation des conséquences (à court et à long termes), de l’usage des médicaments sur les individus (intérêt clinique) et sur la société dans son ensemble (service rendu à la collectivité).

Actuellement, cette évaluation est très fragmentée dans l’Union, ce qui pose plusieurs difficultés. D’une part, les instances nationales en charge de l’évaluation (la HAS en France) peuvent être amenées, sur un même médicament, à réaliser parallèlement et simultanément des évaluations similaires, ce qui se traduit par une utilisation inefficiente des ressources. D’autre part, en raison des méthodes d’évaluation différentes selon les États membres, les industriels doivent satisfaire à des exigences multiples en matière de données.

A minima, les rapporteurs appellent de leurs vœux une adoption rapide de la proposition de règlement concernant l’évaluation des technologies de la santé ([148]) qui permettra une meilleure coopération entre États membres sur ce qui est attendu des développeurs de médicaments en matière de preuves cliniques. La Commission et le Parlement se sont mis assez rapidement d’accord sur ce texte mais ce dernier semble bloqué par un certain nombre d’États membres ([149]). Si ce texte n’était pas adopté sous la présidence portugaise de l’Union européenne, la présidence française pourrait en faire une priorité. Les rapporteurs se félicitent de l’implication active de la HAS dans les travaux de préfiguration de cette évaluation clinique commune. Elle permettra d’asseoir une position forte de la France dans l’organisation future, si celle-ci était décidée.

L’évaluation commune prévue par la proposition de règlement ne portera que sur les seules données cliniques et non pas sur l’évaluation médico-économique ni sur l’appréciation du service rendu par le médicament (ASMR et SMR), lesquelles resteront une compétence nationale. À moyen terme, notamment si l’EMA était amenée à fixer le prix des médicaments à l’échelon européen (voir infra), l’évaluation commune réalisée par l’EMA pourrait utilement également porter sur l’évaluation médico-économique et sur l’appréciation du service rendu par le médicament. Cela pourrait accélérer la mise sur le marché des médicaments, assurer une utilisation plus efficiente des ressources et garantir davantage de prévisibilité aux développeurs des médicaments. Dans ce cas, les missions de la HAS devraient être redéfinies.

v.   La création d’HERA ne doit pas avoir pour unique conséquence de créer une nouvelle « strate » et de complexifier davantage la gouvernance européenne du médicament

Il est légitime de s’interroger sur l’opportunité de créer encore une nouvelle agence, et ce d’autant plus que les mandats des agences existantes sont, eux aussi, étendus. La création de nouvelles agences est rarement une bonne solution si elle ne s’accompagne pas d’une simplification du paysage existant ou, du moins, d’une délimitation précise du périmètre de compétences de chaque acteur.

Pour les rapporteurs, la proposition émise récemment par l’OFCE et consistant à créer une agence de santé européenne unique ([150]), mériterait d’être davantage étudiée. Cette agence européenne unique, qui de facto remplacerait HERA, serait créée à partir de l’EMA et de l’ECDC. Elle serait chargée de promouvoir une meilleure prévention des épidémies mais aussi de coordonner les politiques de santé en temps « normaux », de négocier avec les producteurs de biens et services en santé et d’organiser des politiques de formation afin d’assurer une meilleure cohésion en Europe dans le domaine de l’accès aux soins.

Proposition n° 7 : Renforcer le rôle des instances européennes de gouvernance en matière de médicaments

Le renforcement du rôle des instances européennes doit prendre en compte les trois considérations suivantes :

– le renforcement du rôle de l’Agence européenne du médicament (EMA) et du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) ainsi que la création de la nouvelle agence HERA n’ont de sens que s’ils s’accompagnent de moyens financiers conséquents et de ressources humaines supplémentaires ;

– la création d’HERA ne doit pas avoir pour unique conséquence de créer une nouvelle « strate » et de complexifier davantage la gouvernance européenne du médicament. La proposition émise récemment par l’OFCE et consistant à créer une agence de santé européenne unique, fusionnant l’EMA et l’ECDC, mériterait d’être davantage étudiée ;

– la refonte des instances de gouvernance doit prendre en compte des enjeux qui vont bien au‑delà de l’anticipation et de la gestion des crises sanitaires. HERA devra aussi avoir un rôle à jouer en matière de soutien à l’innovation et de prospective. Quant à l’EMA, elle pourrait utilement se voir confier, à terme, l’évaluation des médicaments.

II.   RÉÉquilibrer les rapports de force avec les industriels

Le monde des médicaments est relativement complexe car l’ensemble des acteurs sont interdépendants. Les industriels s’appuient sur les différents soutiens publics et les transferts de connaissance permis par les efforts de recherche académique pour produire leurs médicaments. Réciproquement, les pouvoirs publics ont besoin des capacités de production et de distribution des industriels pour tenter de garantir à tous un accès rapide et équitable aux médicaments. Ce partage des rôles, acté depuis un certain nombre d’années, pose néanmoins divers problèmes. Les stratégies des industriels et les priorités en matière de santé publique sont loin d’être toujours alignées. L’asymétrie informationnelle dans laquelle se trouvent les pouvoirs publics les empêche parfois de faire les meilleurs choix en matière de stratégie thérapeutique.

A.   Faire du prix un levier de rÉgulation transparenT et efficace

La négociation des prix entre le CEPS et les industriels est relativement récente. C’est la création du CEPS en 1994 qui a mis fin à l’administration unilatérale des prix par l’État, laquelle prévalait depuis l’après-guerre. Certains pensaient que le passage à une politique partenariale permettrait à l’État d’accroître son regard sur l’activité des laboratoires pharmaceutiques, notamment via la maîtrise médicalisée. Or, force est de constater que le CEPS n’a pas toujours les moyens suffisants pour négocier de manière équilibrée avec les industriels. Les propositions de la mission visent à faire du prix un véritable levier de régulation qui soit transparent et au service de l’intérêt général.

1.   Le prix des médicaments, résultat d’une négociation entre le CEPS et les industriels

Le prix de vente des médicaments est fixé par la voie de conventions bilatérales entre le CEPS et les entreprises pour une durée de quatre ans, que les médicaments soient vendus en officine, rétrocédés (vendus au public par des pharmacies des établissements de santé) ou inscrits sur la « liste en sus ». Les critères de fixation de ce prix sont définis par des règles, d’une part législatives ou réglementaires, et d’autre part conventionnelles.

a.   Les critères fixés par le code de la sécurité sociale

L’article L. 162-16-4 du code de la sécurité sociale prévoit que la fixation du prix des médicaments tient compte principalement de l’amélioration du service médical rendu (ASMR) par le médicament, le cas échéant des résultats de l’évaluation médico‑économique, des prix des médicaments à même visée thérapeutique, des volumes de vente prévus ou constatés ainsi que des conditions prévisibles et réelles d’utilisation du médicament.

Le principal élément dont le CEPS tient compte dans la fixation du prix est donc l’ASMR, calculée par la HAS, qui retrace le progrès thérapeutique relatif apporté par un médicament pour une indication thérapeutique donnée. Si un médicament présente un progrès par rapport aux autres produits existants dans une indication thérapeutique (ASMR comprise entre I et IV), son prix peut être supérieur à celui de ses comparateurs. En revanche, si le médicament n’apporte aucun progrès thérapeutique (AMSR de niveau V), il ne sera admis au remboursement que s’il permet une économie dans le coût du traitement, conformément à l’article R. 163‑5 du code de la sécurité sociale.

b.   Les critères pris en compte à titre complémentaire

Pour fixer le prix d’un médicament, le CEPS peut également se fonder sur trois autres sources textuelles :

– la lettre d’orientation ministérielle, la dernière datant du 19 février 2021 ([151]) ;

– la « doctrine » formalisée par le CEPS dans son rapport annuel d’activité ([152]) ;

– l’accord-cadre pluriannuel conclu entre le CEPS et le groupement professionnel « Les entreprises du médicament » (LEEM). Un nouvel accord-cadre a été récemment signé, le 5 mars 2021 ([153]), et aborde des sujets jusque-là non traités dans les accords-cadres précédents, à savoir la tarification des médicaments dont l’ASMR est de niveau IV, les médicaments de thérapie innovante, les exportations et la transparence des aides publiques.

Parmi les ajouts notables des accords-cadres successifs figure la garantie de prix européen. Cette garantie consiste à accorder à certains médicaments un prix fabricant hors taxes qui ne peut être inférieur au plus bas prix pratiqué par un panel de quatre autres pays européens : Allemagne, Espagne, Italie et Royaume‑Uni. Le nouvel accord-cadre étend à davantage de médicaments le bénéfice de la garantie de prix européen ([154]).

2.   Renforcer la transparence du prix des médicaments

Comme le démontre la première partie du rapport, le manque de transparence est double : d’une part, le CEPS ne dispose pas de l’ensemble des informations qui lui permettraient de fixer le prix des médicaments de la manière la plus pertinente possible ; d’autre part, la collectivité n’a pas accès aux prix réels des médicaments mais uniquement à leurs prix faciaux hors remise.

Pour améliorer la transparence des informations transmises au CEPS par les industriels, un premier pas a été franchi lors du vote de la LFSS 2021. Les entreprises doivent désormais communiquer au CEPS le montant des investissements publics de recherche et développement dont elles ont bénéficié pour le développement de leurs médicaments. Cette obligation, reprise à l’article 2 du nouvel accord‑cadre, ne fait pas encore l’objet d’une application réglementaire. Les rapporteurs ont été alertés par un certain nombre d’acteurs qui s’inquiètent de ce que le projet de décret ne prendrait pas en compte certaines aides publiques à la R&D. Interrogée sur ce point par les rapporteurs, la direction de la sécurité sociale n’a pas apporté de réponse. Les rapporteurs souhaiteraient donc que le projet de décret soit rapidement communiqué à la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, de manière à vérifier si l’esprit de la loi est bien respecté.

Les rapporteurs préconisent également d’aller plus loin dans les informations que les entreprises doivent transmettre au CEPS, en s’inspirant du décret italien du 2 août 2019 ([155]) ou des législations mises en place dans une trentaine d’États américains. Dans ces États, au-delà d’un certain niveau de prix d’un médicament, les laboratoires doivent rendre transparents les coûts de R&D et de marketing, les bénéfices et les prix pratiqués dans d’autres pays ([156]).

Pour améliorer la transparence des informations communiquées au public, le CEPS publie désormais, dans son rapport annuel, des statistiques agrégées sur le taux de remise moyen par classe thérapeutique. Cette démarche, qu’il faut saluer, est loin d’être suffisante. S’il ne s’agit pas de mettre fin à la pratique des remises, les rapporteurs considèrent que le recours à ces dernières pourrait être davantage limité. Le CEPS pourrait ainsi refuser de faire bénéficier une entreprise de prix faciaux plus élevés en échange de remises lorsqu’il considère que les informations qu’elle lui transmet sont insuffisamment complètes ou transparentes. Ces informations pourraient notamment concerner les déclarations faites par l’entreprise au sujet des données prospectives, des montants publics de R&D perçus, des dates d’échéance des brevets ou de ses engagements à maîtriser sa politique de promotion et à assurer le bon usage du médicament.

Proposition n° 8 : Renforcer la transparence du prix des médicaments

– Améliorer la transparence des informations transmises au CEPS par les industriels. Obliger les laboratoires, au-delà d’un certain niveau de prix d’un médicament, à rendre transparents les coûts de R&D, de marketing, les bénéfices et les prix pratiqués dans d’autres pays ;

– Limiter le recours aux remises. À cette fin, permettre au CEPS de refuser de faire bénéficier une entreprise de prix faciaux plus élevés en échange de remise lorsque les informations qu’elle lui transmet sont insuffisamment complètes ou transparentes.

3.   Fixer les prix des médicaments au niveau européen

a.   La fixation d’un prix unique européen doit constituer un objectif à moyen terme

Dans la mesure où la stratégie de l’industrie pharmaceutique se déploie à l’échelle internationale, c’est à cette échelle que les pouvoirs publics gagneraient à placer leur capacité d’action et de négociation. La fixation d’un prix unique à l’échelon européen serait une première étape pour rééquilibrer le rapport de force entre les industriels et les pouvoirs publics.

Les rapporteurs sont néanmoins conscients des difficultés que poserait la fixation d’un prix unique à l’échelon européen. Les questions qu’il faudrait préalablement résoudre sont d’ordre technique (une telle mesure engendrerait un transfert de compétences des agences nationales à l’EMA ou à une nouvelle agence européenne de fixation des prix), politique (une telle mesure nécessiterait que l’ensemble des pays se mettent d’accord sur les critères de fixation du prix à prendre en compte) mais également éthique. Elle nous interroge sur ce qu’est le juste prix d’un médicament. Doit-il être identique dans l’ensemble des pays européens ou doit‑il être adapté en fonction du niveau de vie d’un pays et/ou de sa prédisposition à payer pour soigner telle ou telle affection ?

b.   Une plus grande transparence des prix pratiqués en Europe doit être garantie dès à présent

À court terme, un renforcement des échanges d’information entre États membres permettrait d’améliorer la position de négociation des autorités nationales face aux entreprises pharmaceutiques. Des initiatives ont déjà été mises en place pour ce faire, comme l’initiative BeNeLuxA ([157]) ou le Groupe de La Valette ([158]), mais elles ne concernent encore qu’un nombre relativement limité de pays et la France n’en fait, malheureusement, pas partie. Interrogée par les rapporteurs sur les raisons pour lesquelles la France ne participait pas à ces coopérations, la direction de la sécurité sociale n’a pas apporté de réponse.

S’il nous faut soutenir de telles initiatives intergouvernementales, les coopérations entre États membres gagneraient à être davantage institutionnalisées au sein de l’Union européenne. La Commission européenne semble en avoir pris conscience puisqu’elle s’engage, dans sa communication présentant la stratégie pharmaceutique pour l’Europe, à « favoriser la transparence des informations sur les prix » en instaurant un groupe chargé de piloter la coopération entre les autorités nationales de tarification et de remboursement et les organismes payeurs de soins de santé. Il est essentiel que la HAS et le CEPS participent de manière active à ce groupe de travail.

Enfin, la France pourrait encourager, à l’échelon européen, les négociations conjointes de médicaments, notamment des plus onéreux, sur le modèle de ce qui a été mis en place pendant la crise sanitaire en matière de vaccination. Le regroupement d’acheteurs publics est un des moyens d’inverser le rapport de force avec les industriels et de faire bénéficier les Européens de prix abordables.

Proposition n° 9 : Fixer les prix des médicaments à l’échelon européen

– Participer aux initiatives intergouvernementales visant à renforcer les échanges d’information sur le prix des médicaments, comme l’initiative BeNeLuxA ou La Valette ;

– S’assurer que la HAS et le CEPS participent de manière active au groupe de travail que mettra en place la Commission européenne pour piloter la coopération entre les autorités nationales de tarification et de remboursement des médicaments ;

– À moyen terme, fixer le prix des médicaments (du moins ceux qui bénéficient de la procédure centralisée) à l’échelon européen ;

– Encourager, au niveau européen, les négociations conjointes de médicaments, notamment des plus onéreux, sur le modèle de ce qui a été mis en place en urgence pendant la crise sanitaire en matière de vaccination, en le perfectionnant.

4.   Modifier les critères de fixation du prix

a.   La valeur thérapeutique doit rester l’élément central

Pour les rapporteurs, si d’autres considérations peuvent entrer en ligne de compte, c’est bien l’apport thérapeutique du médicament (aujourd’hui son ASMR) qui doit principalement servir à fixer son prix.

Une réforme des critères que sont l’ASMR et le SMR avait été envisagée, à la suite du rapport de Mme Dominique Polton ([159]), mais n’a pas été menée à terme. Les rapporteurs appellent de leurs vœux une reprise des réflexions en la matière, non pas tant pour aboutir à une fusion des deux indicateurs – laquelle est rendue difficile par la multiplicité, en France, des taux de remboursement – que pour affiner l’évaluation du caractère innovant des médicaments. Comme le rappelle le Conseil économique, social et environnemental (CESE) ([160]), il est essentiel de couper la dynamique inflationniste de l’innovation, dans laquelle chaque produit nouveau se prévalant d’un apport à une thérapeutique existante peut se voir attribuer un prix supérieur au produit déjà sur le marché. Une fois redéfinis, les critères qui fondent l’appréciation de l’ASMR pourraient être précisés dans la loi, comme tel est le cas aujourd’hui pour le SMR, de manière à assurer davantage de lisibilité et de prévisibilité aux industriels.

Certains acteurs auditionnés souhaiteraient élargir le concept de valeur thérapeutique à l’ensemble des externalités engendrées par le médicament. Pour eux, devraient être pris en compte les gains « organisationnels » (moins d’hospitalisations ou d’opérations coûteuses), les gains macro-économiques (facilitation du retour à l’emploi du patient, augmentation de sa productivité, de sa consommation et des recettes fiscales liées) et les gains épidémiologiques. Les rapporteurs souhaitent attirer l’attention sur la double limite d’une telle approche. D’une part, penser que l’ensemble de ces externalités devrait conduire à la fixation d’un prix plus élevé, et donc bénéficier uniquement à l’industriel, n’est pas forcément justifié. Les rapporteurs sont convaincus qu’une large part des économies réalisées devrait revenir à la collectivité. D’autre part, ces externalités sont bien souvent surévaluées par les acteurs qui en demandent la prise en compte dans le prix des médicaments. Ainsi, alors que les industriels avaient mis en avant, au moment de la mise sur le marché du Sofosbuvir, nouveau traitement contre l’hépatite C, le fait que le nombre de greffes de foie allait considérablement baisser, une telle baisse ne s’est pas produite. Le nombre de greffes de foie, très fortement corrélé au nombre de donneurs, est resté stable malgré l’arrivée du nouveau traitement.

Certains acteurs auditionnés souhaitent que le prix des médicaments soit principalement calculé sur la base des coûts de recherche et de production. Une telle approche est intellectuellement séduisante. Ses promoteurs considèrent qu’elle pourrait à la fois permettre de mieux rémunérer les médicaments innovants (pour lesquels les coûts de R&D sont très importants) et d’assurer un prix suffisant aux médicaments anciens (dont le prix est très bas alors qu’ils restent encore relativement coûteux à produire). Néanmoins, une approche qui reposerait principalement sur le report, dans le prix du médicament, des coûts de recherche et de production rencontrerait des écueils majeurs. Elle conduirait à accorder des prix élevés à des médicaments coûteux à produire techniquement mais de faible utilité thérapeutique. De plus, elle nécessiterait que l’on soit capable de calculer précisément les investissements nécessaires à la création du médicament et de distinguer la part des investissements publics des investissements privés. Enfin, cette approche n’inciterait pas les entreprises à être efficientes et à réduire leurs coûts, bien au contraire. S’ils ne doivent pas faire l’objet d’un report automatique dans le prix du médicament, les coûts de recherche et de production doivent être communiqués au CEPS afin que ce dernier en tienne compte, lorsque cela est pertinent, dans le cadre des négociations avec les industriels.

b.   Les enjeux de souveraineté sanitaire et de sécurité d’approvisionnement doivent être davantage pris en compte

L’objectif n’est pas de placer les enjeux de santé publique au second plan par rapport aux enjeux économiques mais bien de reconnaître, dans le prix, la valeur qu’ont, pour la société, la garantie de sécurité d’approvisionnement et l’assurance d’une certaine souveraineté sanitaire. Cette valeur varie en fonction des modalités de production des médicaments.

i.   Les avancées du dernier accord-cadre

Le dernier accord‑cadre vise à renforcer l’attractivité du territoire français et européen pour le développement et la production des médicaments. Un certain nombre de mesures sont prévues en la matière :

– un avantage de prix facial explicite est accordé aux produits innovants fabriqués en France (article 11). Ainsi, dans le cas où les principales étapes de fabrication sont réalisées en France, le prix facial ne peut être inférieur à l’un des prix pratiqués sur les quatre marchés européens qui servent de comparaison ;

– une stabilité du prix facial de cinq ans au maximum peut être accordée à un produit si des investissements importants dans les capacités de production, la R&D ou les solutions numériques sont réalisés dans l’Union européenne (article 27). Si cette garantie de stabilité existait déjà dans l’accord‑cadre précédent (article 18), le nouvel accord‑cadre l’étend aux solutions numériques ;

– davantage de possibilités pour un médicament de voir son prix augmenté (article 28). Désormais, le CEPS peut se saisir d’une révision de prix pour un motif de santé publique, notamment pour préserver les capacités d’approvisionnement, ou en cas de hausse du coût du principe actif liée à des relocalisations ;

– un soutien à l’exportation est prévu (articles 30 et 31). Les produits dont la fabrication vise massivement l’exportation depuis l’Union européenne peuvent bénéficier d’une stabilité de prix pendant quatre ans au maximum, ou dans certaines circonstances, solliciter un tarif forfaitaire de responsabilité pour protéger leur prix à l’international ;

– un triplement du montant des avoirs sur remises au titre du guichet du Conseil stratégique des industries de santé (CSIS) est prévu (article 29). Ces crédits CSIS, qui atteignent désormais 150 millions d’euros, permettent aux entreprises de réduire les remises qu’elles doivent au CEPS et sont accordés sur la base d’investissements dans le développement des produits ou les capacités de production. Le nouvel accord‑cadre mentionne expressément que les sociétés éligibles doivent avoir réalisé des investissements « dans l’Union européenne et notamment en France ». Les rapporteurs regrettent néanmoins que le nouvel accord‑cadre ne mentionne plus, parmi les sociétés éligibles, celles qui ont réalisé des investissements pour le maintien ou le développement de la recherche ou pour le respect de normes sociétales ou environnementales (cette précision figurait à l’article 35 de l’ancien accord‑cadre).

ii.   Faut-il aller plus loin ?

Les rapporteurs seront, tout d’abord, très attentifs à l’application de l’accord‑cadre. Ce dernier n’est, en effet, pas toujours pleinement appliqué. Ainsi, l’article 18 de l’ancien accord‑cadre, qui visait à donner la possibilité au CEPS de prendre en compte les investissements réalisés par l’industriel dans l’Union européenne, n’a pu bénéficier qu’à dix médicaments entre 2016 et 2019. Selon le LEEM, le CEPS aurait réduit le champ d’application de l’article 18 aux seuls investissements dans de nouvelles installations et non aux investissements permettant d’améliorer des capacités de production existantes. Les rapporteurs insistent sur l’importance de bien prendre en compte les investissements visant à améliorer les installations existantes dans l’Union européenne, pour autant que ces investissements soient suffisamment massifs.

Au-delà de l’accord‑cadre, les rapporteurs sont favorables à inscrire dans la loi la possibilité pour le CEPS d’offrir un avantage, en matière de prix facial ou de stabilité du prix, aux médicaments dont la chaîne de production et de distribution répond à des normes sociétales et environnementales élevées et permet de réduire le risque de rupture d’approvisionnement.

Un label « développement durable » pourrait être octroyé par l’ANSM à certains médicaments en fonction des caractéristiques de l’appareil productif (économies de ressources naturelles, performances énergétiques, maîtrise des déchets, etc.), de la conception des produits (utilisation de matières premières durables, emballages, etc.) et de la chaîne d’approvisionnement (nombre de fournisseurs et emplacement géographique, impact carbone de la chaîne de distribution, etc.). Ce label « développement durable » n’interviendrait que de manière subsidiaire dans la fixation du prix, ce dernier devant rester principalement fixé en fonction de l’apport thérapeutique du produit. Il gagnerait à être mis en place au niveau européen.

Une telle mesure supposerait de renforcer considérablement les moyens de l’ANSM et d’améliorer les inspections de sites pharmaceutiques réalisées par les différentes agences européennes, sur le modèle de ce que fait aujourd’hui la Food and Drug Administration américaine (FDA) ([161]).

Proposition n° 10 : Modifier les critères de fixation du prix, pour mieux prendre en compte les enjeux de souveraineté et de sécurité d’approvisionnement

– S’assurer que la valeur thérapeutique reste l’élément central de fixation du prix des médicaments. Définir, dans la loi, les critères qui fondent l’appréciation de l’ASMR et couper la dynamique inflationniste de l’innovation, dans laquelle chaque produit nouveau se prévalant d’un apport à une thérapeutique existante peut se voir attribuer un prix supérieur au produit déjà sur le marché ;

– Inscrire dans la loi la possibilité pour le CEPS d’offrir un avantage, en matière de prix facial ou de stabilité du prix, aux médicaments dont la chaîne de production et de distribution répond à des normes sociétales et environnementales élevées et permet de réduire le risque de rupture d’approvisionnement ;

– Créer un label « développement durable » octroyé par l’ANSM, qui interviendrait, de manière subsidiaire, dans la fixation du prix.

B.   Garantir la soutenabilitÉ de notre système DE SANTÉ grÂce À une gestion renouvelÉe des dÉpenses de mÉdicaments

Nous nous devons de réfléchir aux moyens de garantir, à l’avenir, la soutenabilité économique de notre système de santé. Jusqu’à présent, les dépenses de médicament ont pu être contenues tant bien que mal mais les leviers de régulation dont nous disposons ne sont plus du tout adaptés aux enjeux à venir, et notamment à l’arrivée de médicaments très onéreux sur le marché.

Plusieurs moyens d’action sont aujourd’hui mis en œuvre pour assurer l’optimisation des ressources. Ils visent principalement à tirer parti des économies potentielles engendrées par les produits génériques et biosimilaires, à encourager une prescription responsable et à améliorer l’adhésion thérapeutique des patients. Il est possible et souhaitable d’aller encore plus loin dans ces directions. Il faudrait, par exemple, chercher à réduire encore les actes et prescriptions non pertinents, dont la proportion est aujourd’hui évaluée à 30 %. Néanmoins, viendra un jour prochain où ces sources d’économies ne suffiront plus.

Les rapporteurs attendent beaucoup du rapport que le Gouvernement doit remettre au Parlement sur l’avenir des mécanismes actuels de soutenabilité des dépenses des médicaments face au développement des biothérapies ([162]). Avant même la remise de ce rapport gouvernemental, les rapporteurs souhaitent mettre en avant un certain nombre de pistes d’action pour assurer la soutenabilité de notre modèle.

1.   Réfléchir urgemment à l’avenir de notre modèle de financement

La France se distingue d’autres pays par une organisation très spécifique, dans laquelle la même dépense de médicaments a vocation à être couverte pour partie par la sécurité sociale et, pour une autre partie, par les assurances complémentaires.

Ces dernières ont fait part à la mission de leurs interrogations quant au rôle qu’elles pourraient être amenées à jouer, à l’avenir, face à l’arrivée sur le marché de médicaments très onéreux. Elles ne souhaitent pas se diriger vers un modèle où la sécurité sociale ne prendrait plus en charge que les médicaments très innovants, faute de moyens, et transfèrerait aux organismes complémentaires le remboursement des médicaments plus anciens et moins coûteux.

Une réflexion de fond doit être engagée sur les défis que posent le changement de paradigme technologique et l’arrivée des thérapies personnalisées sur la répartition des rôles entre assurances obligatoire et complémentaire.

2.   Mettre en place une politique plus dynamique de révision des prix

Le premier levier identifié par la mission pour garantir la soutenabilité de notre modèle repose sur une gestion beaucoup plus dynamique des prix que celle actuellement mise en œuvre par le CEPS.

a.   Une trop grande inertie dans les dispositifs actuels

Le CEPS dispose de deux outils principaux de régulation que sont la fixation des prix mais également leur révision. L’article 98 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2017 ([163]) a défini un certain nombre de critères, non limitatifs, en fonction desquels le CEPS peut baisser le prix de vente d’un médicament ([164]). Le législateur n’a néanmoins pas précisé les critères en fonction desquels une hausse de prix peut intervenir, ni les critères en fonction desquels des révisions de prix doivent être obligatoirement engagées. Les modalités de révision des prix des médicaments sont précisées par les accords-cadres (voir encadré ci-après).

La révision du prix des médicaments dans le nouvel accord-cadre

Sauf accord conventionnel particulier, le prix facial d’un médicament ne peut pas être révisé dans les cinq années qui suivent sa commercialisation (pour les médicaments d’ASMR I à III dont le prix est fixé en référence aux prix européens) ou dans les trois années qui suivent sa commercialisation (pour les autres médicaments).

Néanmoins, en cas de modification importante des données initiales (par exemple lorsque les prix dans les pays européens ont évolué ou lorsque le niveau d’ASMR a été réévalué), les conditions de prix peuvent être révisées à la demande de l’entreprise ou du CEPS avant l’échéance de ces délais (articles 1.3 et 17 du nouvel accord-cadre).

Le nouvel accord-cadre précise également les situations dans lesquelles le prix d’un médicament peut être revu à la baisse ou à la hausse. Une baisse peut intervenir principalement dans les trois situations suivantes :

– lorsque, dans une classe pharmaco-thérapeutique apparaît une offre significative de médicaments moins chers (génériques, hybrides ou biosimilaires), les prix des médicaments les plus coûteux peuvent être mis progressivement en cohérence (article 18) ;

– les remises peuvent être transformées en baisses de prix sous certaines conditions (article 19) ;

– le CEPS peut proposer des baisses de prix des génériques au regard des prix pratiques en Europe dans les pays de référence (article 24).

En 2020, le montant d’économies au titre des baisses de prix s’élevait à 826 millions d’euros.

Quant aux hausses de prix, elles peuvent surtout intervenir lorsqu’une entreprise fait état d’un risque important pouvant impacter la production ou la commercialisation d’une de ses spécialités pharmaceutiques répondant à un besoin thérapeutique qui ne serait plus couvert au cas où elle disparaîtrait du marché (article 28). En 2020, les hausses de prix ont concerné deux classes thérapeutiques : les vaccins antigrippaux et les immunoglobulines humaines.

Si un certain nombre de cas de figure permettent, sur le papier, une baisse ou une hausse des prix des médicaments, l’ensemble des acteurs s’accordent à dire que la gestion des prix par le CEPS est insuffisamment dynamique. Le renforcement des moyens du CEPS, que les rapporteurs appellent de leurs vœux, pourrait remédier, partiellement, à ce constat. Comme l’a bien rappelé la Cour des comptes, la capacité du CEPS à engager des révisions de prix portant sur un périmètre élargi de médicaments est directement proportionnée à la mise à niveau de ses effectifs et de ses systèmes d’information.

b.   Fixer dans la loi les critères de la révision des prix

Il semble nécessaire d’aller encore plus loin en fixant par voie législative des critères en fonction desquels des révisions de prix devraient être obligatoirement engagées. Ces critères pourraient faire l’objet d’un débat dans le cadre du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Pour les rapporteurs, des révisions de prix devraient obligatoirement être engagées pour les spécialités anciennes essentielles dont le prix de vente devient asymptotique au prix de revient pour l’industriel. Si les prix bas n’expliquent pas à eux seuls les risques de pénuries auxquels font face certains médicaments, force est de constater que les acteurs industriels ont tendance, en cas de tension sur un médicament, à privilégier l’approvisionnement des marchés les plus rémunérateurs.

Pour M. Jacques Biot, auditionné par la mission, il faudrait alors que le CEPS puisse s’appuyer sur l’avis d’une instance ad hoc (à définir) étudiant la validité des perspectives économiques présentées par les industriels. Cette instance pourrait être la HAS, qui dispose déjà d’un certain nombre de données pour réaliser ses analyses médico-économiques, ou bien l’ANSM, qui a le mérite d’avoir une vision relativement globale des tensions pesant sur les médicaments (même si cette vision ne concerne, aujourd’hui, que les MITM).

La décision du CEPS d’annuler les baisses de prix voire d’augmenter le prix de certaines spécialités essentielles devenues trop coûteuses à produire pourrait être conditionnée à un engagement de l’entreprise à approvisionner le marché français.

c.   Évaluer les nouveaux critères d’inscription sur la liste en sus

Les pouvoirs publics ont pris conscience des enjeux liés à la soutenabilité de la dépense de médicaments innovants à l’hôpital et de la nécessité d’assurer une gestion dynamique de la liste en sus ([165]). C’est dans cette logique qu’est intervenu le décret du 24 mars 2016 ([166]) modifiant les critères d’inscription des médicaments sur la liste en sus. Comme indiqué dans la première partie du rapport, ce décret a eu pour conséquence d’exclure la très grande majorité des médicaments d’ASMR IV et V de la liste en sus ([167]). Pour certains acteurs auditionnés, ce texte est donc source d’inégalités entre les malades des hôpitaux susceptibles de financer certains médicaments innovants sur leur budget propre et les autres, qui ne peuvent financer ces médicaments que grâce à la liste en sus. Les rapporteurs préconisent, à l’instar du CESE ([168]), d’évaluer les conséquences de ce décret et de le modifier s’il est démontré qu’il compromet l’accès aux thérapies innovantes. Les modifications proposées par la HAS devront être finement étudiées. Celle-ci propose que tous les médicaments à ASMR IV, puissent, sans autres conditions, être éligibles à une inscription sur la liste en sus, avec en contrepartie des exigences sur :

– la mise en place d’une négociation tarifaire systématique pour les médicaments avec ASMR IV revendiquant l’inscription de la liste en sus ;

– le conditionnement de la prise en charge à une collecte de données d’usage en vie réelle ;

– le principe d’une inscription sur la liste pour une durée limitée avec, à échéance, une réévaluation par la HAS. Le caractère indispensable d’un médicament pour la stratégie thérapeutique deviendrait l’un des critères de son maintien ou non dans la liste en sus ;

– la sortie anticipée et accélérée des médicaments dès lors que des génériques ou des biosimilaires sont rendus disponibles.

Les rapporteurs insistent également sur l’importance d’ajuster régulièrement les tarifs des groupes homogènes de séjour (GHS). Il est en effet essentiel que le coût des produits qui quittent la liste en sus soit intégré autant que possible dans les GHS.

Proposition n° 11 : Assurer une gestion plus dynamique des prix des médicaments

 Fixer par voie législative des critères en fonction desquels des révisions de prix devraient obligatoirement intervenir ;

– Engager automatiquement des révisions de prix pour les spécialités essentielles dont le prix de vente devient asymptotique au prix de revient pour l’industriel. Pour cela, le CEPS gagnerait à s’appuyer sur l’avis d’une instance ad hoc (HAS ou ANSM) à même d’étudier la validité des perspectives économiques présentées par les industriels ;

– Conditionner la hausse du prix de certaines spécialités essentielles devenues trop coûteuses à produire à un engagement de l’entreprise à approvisionner le marché français ;

– Évaluer les conséquences du décret du 25 mars 2016 relatif à la liste en sus, en associant l’ensemble des parties prenantes, et modifier ce décret s’il est démontré qu’il compromet l’accès aux thérapies innovantes ;

– Adapter plus régulièrement les tarifs des groupes homogènes de séjour (GHS).

3.   Réévaluer le prix des médicaments en fonction des données en vie réelle

Un recours plus important, voire systématique, aux études en vie réelle permettrait de fixer de manière plus pertinente le prix des médicaments et contribuerait à garantir la soutenabilité de notre modèle.

Les prix très élevés revendiqués aujourd’hui pour les thérapies innovantes sont problématiques dans la mesure où une incertitude subsiste souvent, après l’obtention de l’AMM, sur la véritable valeur thérapeutique de ces produits. Les résultats issus des essais cliniques peuvent d’ailleurs être différents de ceux observés en vie réelle, et ce d’autant plus quand l’évaluation des essais cliniques est complexe (faibles populations, notamment pour les thérapies ciblées, rendant la démonstration statistique difficile).

a.   Des données en vie réelle beaucoup trop peu utilisées aujourd’hui

Contrairement à d’autres pays comme l’Allemagne ou l’Italie, la France ne fait qu’un usage très partiel des données en vie réelle. Ces dernières peuvent pourtant être demandées à chaque étape administrative du parcours du médicament (délivrance de l’AMM, évaluation du SMR et de l’ASMR, fixation du prix).

i.   Lors de la délivrance de l’AMM

Lors de la délivrance de l’AMM, l’EMA et l’ANSM peuvent imposer la réalisation d’études de sécurité ou d’efficacité post‑autorisation ([169]). Lorsque les données fournies post‑autorisation ne confirment pas un rapport bénéfice/risque favorable, un retrait de l’AMM peut être demandé. Ainsi, en 2019, l’EMA a demandé le retrait d’une AMM pour un médicament anticancéreux.

Pour ce qui est des ATU, un protocole d’utilisation thérapeutique et de recueil d’informations (PUT) doit être établi entre l’ANSM et le titulaire des droits d’exploitation du médicament et doit prévoir le recueil de données portant sur l’efficacité, les effets indésirables et les conditions réelles d’utilisation du médicament. Le recueil des données en vie réelle dans le cadre des ATU n’est pas efficient aujourd’hui (données non transmises ou de mauvaise qualité). C’est la raison pour laquelle le suivi en vie réelle des ATU a été significativement renforcé par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 ([170]). Celle-ci précise que le PUT est désormais défini par la HAS et annexé à la décision d’autorisation et prévoit que sa mise en œuvre se fait à la charge exclusive de l’exploitant. Les rapporteurs seront très attentifs à ce que cette disposition se traduise bien, dans les faits, par une amélioration des données de vie réelle des ATU.

ii.   Lors de l’évaluation du SMR et de l’ASMR

Lors de l’évaluation du SMR et de l’ASMR, la HAS peut considérer que des données complémentaires sont indispensables pour la réévaluation du médicament ([171]). Aujourd’hui environ 10 % des évaluations en vue du remboursement de nouveaux médicaments font l’objet d’une demande de données observationnelles par la HAS afin de documenter les modalités d’utilisation, l’efficacité dans la population traitée ou la tolérance à plus long terme. La HAS a indiqué à la mission que dans la majorité des cas, elle n’avait pas de réelle difficulté à obtenir des résultats aux études qu’elle demandait. Elle a néanmoins précisé que cela était moins le cas pour les études comparatives (et non seulement descriptives) en vie réelle.

En 2018, la HAS a inscrit dans sa doctrine la possibilité d’octroyer un remboursement (SMR) conditionnel dans les situations où l’absence de remboursement au regard des données préliminaires est susceptible d’entraîner une perte de chance pour les patients. Elle demande alors aux industriels des données (cliniques et/ou de vie réelle) complémentaires, dans l’optique d’une réévaluation à court terme. Récemment, un médicament ([172]) ayant obtenu un SMR conditionnel « important » lors de sa première évaluation a vu son SMR être abaissé à « faible ».

iii.   Lors de la fixation du prix d’un médicament

Lors de la fixation du prix d’un médicament, le CEPS peut faire usage de deux outils reposant sur la collecte ultérieure de données en vie réelle ([173]). Ces deux outils sont :

– les contrats de « prix conditionnels ». Dans ce cas, le CEPS fait l’hypothèse d’une ASMR supérieure à celle réellement octroyée par la HAS et accorde de meilleures conditions de prix que celles qui auraient été justifiées, à la condition que l’entreprise soumette à la HAS, sous trois à cinq ans, des données supplémentaires en vue d’une nouvelle évaluation censée relever le niveau d’ASMR ;

– les contrats de performance. Dans ce cas, le CEPS et l’industriel se mettent d’accord sur un prix provisoire. Au terme de l’évaluation de la performance en vie réelle, le dénouement du contrat de performance peut aboutir à la réévaluation du prix ou au versement de remises selon les conditions définies contractuellement.

Le CEPS fait un usage très modéré des contrats de performance et de prix conditionnel. Tous les contrats de prix conditionnel (quatorze) ont été dénoués à ce jour et aucun contrat de ce type n’a été conclu depuis 2016. Quant aux contrats de performance, les deux derniers ont été conclus en 2019. Le CEPS ne recourt pas davantage à ces contrats car il considère, d’une part, que ces types de contrat ne suffisent pas à régler la question du niveau du prix. Le fait qu’un résultat non conforme à ce qui est attendu donne lieu à un remboursement n’exonère en effet pas le CEPS de déterminer un prix initial. Le Comité considère, d’autre part, que ces contrats représentent des risques juridiques non négligeables. Dans son dernier rapport d’activité ([174]), il rappelle qu’aucun contrat de prix conditionnel n’a vu l’hypothèse favorable (réévaluation de l’ASMR à la hausse) se vérifier et que leur dénouement n’a pas respecté les clauses initialement prévues, entraînant alors de nouvelles négociations délicates et générant des contentieux.

b.   Une nouvelle impulsion donnée par le récent accord‑cadre

Le nouvel accord‑cadre prévoit de donner un nouveau souffle aux outils de régulation du prix fondés sur des données de vie réelle en remplaçant les contrats de performance (article 12 de l’ancien accord‑cadre) par les contrats « de gestion de l’incertitude » (article 16). En pratique, le contrat de gestion de l’incertitude diffère peu de l’ancien contrat de performance mais des précisions sont apportées quant à son contenu et à ses conditions de débouclage, afin d’éviter les contentieux.

Les rapporteurs appellent de leurs vœux le recours à de tels contrats, notamment pour les médicaments innovants.

c.   Les conditions de réussite de l’utilisation des données en vie réelle

Pour que les contrats de gestion de l’incertitude jouent pleinement leur rôle, un certain nombre de conditions de réussite doivent être réunies.

Tout d’abord, tous les contrats de gestion de l’incertitude ne se valent pas. Les rapporteurs insistent sur le fait que la puissance publique devrait favoriser les contrats où elle s’engage à fixer un prix plus élevé en cas de bons résultats en vie réelle, plutôt que de se concentrer essentiellement sur les contrats où le laboratoire s’engage à verser des remises en cas de moins bons résultats en vie réelle.

Ensuite, l’évaluation de la performance du médicament en vie réelle doit reposer sur des critères simples et opérationnels. Il est essentiel d’éviter toute défiance entre acteurs publics et privés quant à la manipulation des règles dans le but d’optimiser ce type de contrats. Comme le suggère le rapport de l’Institut Montaigne ([175]), ces critères pourraient directement être suggérés dans l’avis de la HAS.

Il est également indispensable de pouvoir disposer de données en vie réelle fiables et de qualité. Comme le regrettait déjà il y a quelques années le rapport réalisé par Mme Dominique Polton ([176]), il n’existe pas de recueil d’informations permettant d’emblée, pour un ensemble de produits pour lesquels cela apparaît nécessaire, de documenter de manière systématique l’utilisation en vie réelle. La France dispose du système national des données de santé ([177]), une base de données de dépenses de très bonne qualité mais relativement limitée si elle n’est pas reliée à d’autres bases de données. L’ambition du Health Data Hub ([178]) est bien d’accroître notre capacité à exploiter intelligemment l’ensemble de ces données. Les rapporteurs appellent de leurs vœux une accélération du déploiement du Health Data Hub.

Les études post-inscription réalisées dans le cadre de partenariats public/privé paraissent également devoir être favorisées. Selon la HAS, les quelques expériences en la matière sont très positives quant à la qualité des données collectées et à leur intérêt scientifique (les cohortes Hepather, Melbase ou Ofsep par exemple).

Il serait pertinent de systématiser, non pas seulement la collecte en vie réelle de données relatives à l’efficacité du médicament, sa tolérance ou ses modalités d’utilisation mais également des données médico‑économiques afin de permettre une évaluation médico-économique postérieure à la mise sur le marché.

Enfin, il faut que la culture de l’évaluation en conditions réelles d’utilisation et l’utilisation effective des résultats qui en sont issus se développent au sein des instances d’évaluation et de régulation, notamment au sein du CEPS, lequel s’est montré extrêmement réticent, lors de son audition, à recourir aux contrats de gestion de l’incertitude.

Proposition n° 12 : Recourir davantage aux données de vie réelle des médicaments, notamment pour la fixation des prix

– Faire des données en vie réelle la « colonne vertébrale » de nos politiques d’évaluation des médicaments et de fixation du prix ;

– Favoriser les contrats où la puissance publique s’engage à fixer un prix plus élevé en cas de bons résultats en vie réelle, plutôt que de se concentrer essentiellement sur les contrats où le laboratoire s’engage à verser des remises en cas de moins bons résultats en vie réelle ;

– Systématiser la collecte de données médico-économiques en vie réelle afin de permettre une évaluation médico-économique postérieure à la mise sur le marché.

– Confier à la HAS le soin de définir des critères simples et opérationnels en fonction desquels la performance du médicament en vie réelle sera évaluée ;

– Accélérer le déploiement du Health Data Hub ;

– Privilégier les études post-inscription réalisées dans le cadre de partenariats public/privé ;

– Développer la culture de l’évaluation en conditions réelles d’utilisation et l’utilisation effective des résultats qui en sont issus au sein des différentes instances de régulation, notamment le CEPS.

4.   Réviser l’ONDAM pour permettre une gestion consolidée, proactive et pluriannuelle des dépenses de médicaments

L’ONDAM, du moins tel qu’il existe aujourd’hui, n’est pas un instrument adapté à la régulation des dépenses de médicament. Il rencontre d’ailleurs de nombreuses autres limites, ce qui a conduit le Gouvernement à confier récemment au Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM) une mission pour proposer, plus largement, des pistes de refonte de cet outil.

L’ONDAM et la clause de sauvegarde

Chaque année, le Parlement vote en loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) le montant de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (ONDAM). Si l’ONDAM ne revêt pas en lui-même un caractère impératif, les décisions prises pour en assurer le respect fixent des financements limitatifs ou comportent des mécanismes de régulation a posteriori qui lui donnent une portée impérative.

Afin de respecter le taux d’évolution de l’ONDAM adopté en LFSS, le CEPS dispose de deux leviers en matière de médicaments :

– la régulation a priori, produit par produit, mise en œuvre sous la forme de baisses de prix ;

– la régulation a posteriori, également appelée « clause de sauvegarde ». Les entreprises commercialisant des médicaments sont redevables d’une contribution lorsque leur chiffre d’affaires global hors taxes réalisé en France au titre des produits remboursables dépasse un seuil fixé chaque année en LFSS (1). Il existe deux possibilités, pour les entreprises, de réduire cette contribution (article L. 138-13 du code de la sécurité sociale). Elles peuvent conclure avec le CEPS un accord les exonérant de la contribution en échange du versement d’une remise supérieure ou égale à 95 % du montant de cette dernière. Si elles acceptent, en plus, une baisse du prix net d’une ou plusieurs des spécialités qu’elles exploitent, elles peuvent alors être exonérées de la contribution en échange du versement d’une remise comprise entre 80 et 95 % du montant dû au titre de cette dernière.

(1)    Il existe également une clause de sauvegarde pour les dispositifs médicaux inscrits sur la liste en sus.

L’objet de la mission n’est pas d’engager une réflexion générale sur la refonte de l’ONDAM. Néanmoins, afin d’assurer la soutenabilité de notre système, les rapporteurs préconisent de retenir un certain nombre d’orientations en la matière :

– mieux anticiper, à un horizon de trois à cinq ans, les innovations arrivant sur le marché et leurs conséquences organisationnelles et financières.

Comme l’a suggéré le HCAAM aux rapporteurs, il pourrait être demandé à un groupe de travail ou à un corps d’inspection de proposer, dans des délais assez courts, un dispositif fonctionnel de veille prospective. En parallèle, la France pourrait rejoindre l’International health scanning initiative (IHSI), créée par un ensemble de pays européens qui souhaitaient construire des outils de veille communs et mutualiser leurs expertises ([179]) ;

– assurer une plus grande transparence et une vision consolidée de la dépense de produits de santé.

L’ONDAM actuel ne délivre pas de vision transversale des dépenses de médicaments car celles-ci sont éclatées entre plusieurs enveloppes de l’ONDAM : en l’occurrence celle des soins de ville pour les médicaments délivrés en officine de ville ou ceux en rétrocession, et celle des établissements de santé pour ce qui est de la liste en sus ou des ATU.

La proposition de loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale ([180]) récemment déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale vise à compléter l’annexe 7 du PLFSS pour qu’y figurent des données précises, actualisées et consolidées en matière de dépenses de médicaments. La question se pose désormais de savoir s’il faut aller plus loin et prévoir, par la voie réglementaire, la création d’un sous-ONDAM « médicaments » ou « produits de santé ». Les rapporteurs n’y sont pas forcément favorables et partagent en cela l’avis du HCAAM, lequel considère qu’il existe un risque, en multipliant les sous-enveloppes avec un découpage sectoriel toujours plus fin de l’ONDAM, de renforcer encore les rigidités du système ;

– assurer une gestion pluriannuelle de la dépense de médicaments et réfléchir au fractionnement des paiements. Comme le préconisent un grand nombre d’acteurs, dont l’Institut Montaigne, il pourrait être envisagé de recourir à des lois de programmation pluriannuelle de financement de la sécurité sociale qui serviraient de cadre aux LFSS adoptées chaque année. Il faudra alors attentivement réfléchir à l’articulation entre ces lois de financement et les lois de programmation dans le domaine de la santé, que les rapporteurs appellent de leurs vœux (voir supra).

Il pourrait également être opportun de réfléchir à l’opportunité de lisser, de manière pluriannuelle, le coût de certains traitements innovants. Il s’agit d’une demande forte des industriels, lesquels mettent en avant, et ce à juste titre, que l’impact budgétaire des thérapies géniques se caractérise par une forte concentration des coûts à court terme liée au traitement de la population prévalente ([181]). Le nouvel accord‑cadre ouvre la possibilité d’un fractionnement des paiements, sous réserve de l’adoption du cadre légal le permettant (article 15). Les rapporteurs souhaitent néanmoins attirer l’attention sur le risque inhérent au fractionnement des paiements. Si un tel système venait à être mis en place, il faudrait absolument s’assurer qu’il n’engendre pas de distorsion dans la négociation en augmentant l’acceptabilité de prix très élevés (plus supportables puisque non payés d’emblée).

Proposition n° 13 : Réviser l’ONDAM pour permettre une gestion consolidée, proactive et pluriannuelle des dépenses de médicaments

– Mieux anticiper, à un horizon de trois à cinq ans, les innovations arrivant sur le marché et leurs conséquences organisationnelles et financières. À cette fin, confier à un corps d’inspection la préfiguration d’un dispositif fonctionnel de veille prospective ;

– Assurer une plus grande transparence et une vision consolidée de la dépense de produits de santé en complétant l’annexe 7 du PLFSS, comme le prévoit la proposition de loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale récemment déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale ;

– Assurer une gestion pluriannuelle de la dépense de médicaments. Prévoir des lois de programmation pluriannuelle de financement de la sécurité sociale qui serviraient de cadre aux LFSS adoptées chaque année ;

– Réfléchir à l’opportunité d’instaurer un fractionnement des paiements, à condition qu’un tel système n’engendre pas de distorsion dans la négociation en augmentant l’acceptabilité de prix très élevés (plus supportables puisque non payés d’emblée).

La soutenabilité de notre modèle ne pourra pas reposer uniquement sur la refonte de nos outils de régulation. Il faut aussi agir plus en amont et à l’échelon européen pour assurer un meilleur partage du risque entre les industriels et les pouvoirs publics. Seule une plus grande implication des acteurs publics dans la phase amont du développement des médicaments pourra, in fine, contraindre les industriels à ne pas chercher, lors de la fixation du prix du médicament, à se faire rembourser le facteur risque de manière démesurée.

C.   aligner les stratÉgies des entreprises AVEC les objectifs de santÉ publique

Les mutations, et plus particulièrement la financiarisation du secteur pharmaceutique, invitent à repenser le soutien aux entreprises du médicament. En effet, alors que celles-ci bénéficient d’aides publiques importantes, leurs stratégies sont loin d’être toujours alignées avec les priorités de santé publique. La mission a identifié plusieurs leviers permettant à l’État d’imposer des contreparties à son soutien, afin de permettre un accès plus équitable et plus rapide aux médicaments.

1.   Mettre en place une relation partenariale entre entreprises et pouvoirs publics

Un nouveau pacte social, basé sur un partage des risques et des succès, pourrait être instauré entre l’État et les entreprises pharmaceutiques. C’est ce que Mme Nathalie Gimenes, chercheuse, appelle, dans un récent ouvrage ([182]), « l’économie pharmaceutique de coopération et de fonctionnalité ». Dans ce modèle économique, c’est la performance d’usage des médicaments, autrement dit leur impact sur la vie réelle des citoyens, qui est valorisée par les pouvoirs publics (amélioration de la prise en charge globale du patient, réduction des inégalités d’accès, etc.). Dans ce système, les pouvoirs publics s’impliquent de manière précoce dans le développement du médicament et tant les risques que les succès sont partagés.

Une relation équilibrée et partenariale passe par la hausse des financements octroyés à la recherche publique, le recours quasi systématique à des partenariats public‑privé et le renforcement de la transparence. Elle peut également passer par l’association du soutien public à la R&D avec des contrats d’achat.

De tels dispositifs, instaurant une forme de « planification contractuelle entre la puissance publique et les entreprises » ([183]), présentent plusieurs avantages. Ils permettent de réduire les risques inhérents à la R&D en garantissant aux industriels un achat public et incitent les industriels à développer et produire des médicaments désignés par l’État comme étant des médicaments d’intérêt.

Encore peu utilisés en France, ils ont déjà été mis en place aux États‑Unis, où les financements de la BARDA s’accompagnent de contrats d’achat. Au niveau européen, les contrats d’achat des vaccins contre la covid‑19 ont été signés en avance de phase, sans démonstration de leur efficacité puisqu’ils étaient encore en cours de développement, favorisant de fait la R&D des entreprises concernées et ouvrant la voie à de nouvelles modalités de couplage en financement de la R&D et de l’achat public.

2.   Conditionner les aides publiques à un accès facilité aux médicaments

Aujourd’hui, les aides publiques octroyées aux entreprises du médicament sont nombreuses. Elles revêtent des formes distinctes : subvention, allégement fiscal, prise de participation, prêt, avance remboursable, exonération de charges sociales, etc.

Ces aides ne sont que très rarement conditionnées. Quand elles le sont, la conditionnalité n’est qu’ex ante : l’octroi de l’aide repose alors sur certains critères (chiffre d’affaires, nombre de salariés, investissements dans la recherche, etc.). Les aides ne sont pas conditionnées à l’accomplissement, postérieurement à leur délivrance, d’un certain nombre d’engagements. Si la conditionnalité ex post est peu utilisée, c’est qu’elle est complexe à mettre en œuvre, notamment dans le secteur pharmaceutique. Le développement d’un médicament est un processus long et risqué et il est souvent difficile de prévoir, à l’avance, les résultats qui seront obtenus.

Pourtant, la conditionnalité ex post permettrait à l’État de mettre en œuvre plus facilement ses priorités en matière de développement et de production de médicaments. Certains pays l’ont d’ailleurs bien compris. Ainsi, aux États‑Unis, la BARDA conditionne sur une base contractuelle les aides allouées aux biotechs à des résultats probants. À ce titre, la BARDA a interrompu cette année les financements octroyés à deux start‑up qui développent des traitements à base d’anticorps monoclonaux ([184]), faute de résultats satisfaisants.

Les entreprises françaises voient d’ailleurs parfois les aides qu’elles reçoivent de pays étrangers être conditionnées. Ainsi, au Royaume-Uni, les pouvoirs publics ont financé le développement du vaccin contre la covid‑19 développé par l’entreprise française Valneva, en contrepartie d’engagements de livraison ([185]). Le directeur général du groupe Sanofi, M. Paul Hudson, a annoncé en mai 2020, que dans le cadre de son partenariat avec la BARDA, l’entreprise servirait « en premier » les États‑Unis avec son vaccin contre la Covid‑19 ([186]).

La France commence tout juste à prendre conscience de l’importance des dispositifs de conditionnalité. Ces derniers se sont récemment développés pendant la crise sanitaire. Ainsi, les appels à projets structurants pour la compétitivité spécifique à la crise sanitaire (PSPC Covid‑19) prévoient qu’en contrepartie de l’aide accordée, l’État pourra se voir accorder un droit préférentiel d’accès aux produits finaux développés.

La conditionnalité ex post du soutien public octroyé aux entreprises pharmaceutiques a été plébiscitée par un grand nombre d’acteurs auditionnés. Les aides publiques pourraient ainsi utilement être conditionnées à :

– une plus grande accessibilité du brevet (durée de protection plus courte, transfert du brevet, concession d’une licence sur brevet ([187]), limitation des redevances, etc.) ;

– à la possibilité de laisser des acteurs académiques mener les essais cliniques au côté des industriels ;

– à des exigences en matière de pérennité et de sécurisation de l’approvisionnement (l’industriel pourrait devoir s’engager à ne pas retirer certains médicaments du marché) ;

– au respect de normes sociales ou environnementales.

Les rapporteurs sont conscients de la complexité technique de la conditionnalité ex post ([188]). Pour être efficace, elle doit être actée de manière précoce, bien avant la mise sur le marché du médicament. Elle doit s’accompagner d’un processus de suivi et de contrôle et, idéalement, être mise en place au niveau européen, là où le pouvoir de négociation des États est le plus important.

Le droit européen laisse la possibilité de conditionner les aides publiques ([189]). La nouvelle stratégie pharmaceutique européenne explore d’ailleurs la possibilité d’inclure une « conditionnalité accrue des mesures incitatives » ([190]). Les acheteurs publics sont invités à délaisser les procédures dans lesquelles « le gagnant emporte toute la mise », au profit de procédures conditionnées à des exigences en termes de prix, d’approvisionnement ou encore de respect de l’environnement. Toutefois, au même titre que les aides d’État, les conditionnalités doivent être proportionnelles à la poursuite d’un intérêt général et ne doivent pas être discriminatoires ou entraîner d’effets restrictifs sur les échanges.

3.   Mieux contrôler le crédit d’impôt recherche

Le crédit d’impôt recherche (CIR) est le plus généreux des dispositifs et des aides fiscales des pays de l’OCDE. Il permet aux entreprises d’obtenir un crédit d’impôt proportionnel au volume des dépenses de recherche et développement engagées ([191]). Les entreprises du médicament figurent parmi les principales bénéficiaires de ce crédit d’impôt. En effet, le secteur de la « Pharmacie, parfumerie et entretien » ([192]) est le deuxième secteur à bénéficier du CIR, avec 10,8 % du total de la créance, soit environ 700 millions d’euros en 2018 ([193]), après le secteur « Industrie électrique et électronique » (14,6 %).

Lors de leurs auditions, les acteurs industriels ont bien insisté sur le fait que le CIR était, selon eux, une mesure clé pour l’investissement en France. La récente évaluation conduite par France Stratégie ([194]) est, elle, beaucoup plus nuancée. Elle montre en effet que le CIR a des effets positifs sur les PME, mais pas d’effet significatif clairement établi en ce qui concerne les ETI et les grandes entreprises. Elle montre également que le CIR n’a eu qu’un effet modeste sur l’attractivité du site France pour la localisation de la R&D des entreprises multinationales.

Cette évaluation nuancée conforte les rapporteurs dans leur conviction que le CIR ne bénéficie aujourd’hui pas forcément aux entreprises qui en ont le plus besoin. Ainsi, alors que Sanofi bénéfice du CIR à hauteur de 110 millions d’euros, l’entreprise a annoncé la suppression de 364 postes de recherche en France, a annoncé l’arrêt de la recherche sur le diabète et les maladies cardio-vasculaires ([195]) et semble en passe de déplacer le centre de gravité de sa recherche de la France vers les États‑Unis.

Les rapporteurs préconisent de mieux contrôler l’usage du CIR et d’engager, lors du prochain projet de loi de finances, une discussion sur l’opportunité de le recentrer sur les entreprises qui en ont le plus besoin. Dans le domaine des médicaments, ne devraient bénéficier du CIR que les entreprises qui ont réellement engagé des dépenses de R&D, à savoir souvent les entreprises (start‑up, TPE ou PME) à l’interface entre la recherche fondamentale académique et le développement du médicament.

4.   Développer les entreprises pharmaceutiques à mission

La loi « Pacte » ([196]) introduit la qualité de société à mission. Ce statut permet à une société de faire publiquement état de la qualité de société à mission en précisant sa raison d’être ainsi qu’un ou plusieurs objectifs sociaux et environnementaux que la société se donne pour mission de poursuivre dans le cadre de son activité.

Il n’existe aujourd’hui qu’une entreprise pharmaceutique ([197]) disposant du statut de société à mission alors même que ces entreprises portent une responsabilité sociale, sanitaire, écologique et économique singulière, et que la société attend d’elles des engagements très forts.

Les rapporteurs recommandent donc de promouvoir ce statut pour les entreprises pharmaceutiques, éventuellement par des mesures incitatives. Le statut de société à mission permettrait en effet de mobiliser davantage la responsabilité des entreprises pharmaceutiques, d’inscrire leur activité dans les logiques d’intérêt général et de redéfinir les contours du contrat social qui les lie à la société. Elle contribuerait sans doute ainsi à renforcer la confiance des citoyens envers les entreprises pharmaceutiques. En tout état de cause, cela permettrait d’ouvrir la voie au développement d’une « économie pharmaceutique de coopération et de fonctionnalité basée sur un modèle de partage du risque, autrement dit un modèle de progrès partagé » ([198]).

Ce statut ne doit toutefois pas être instrumentalisé par les entreprises pharmaceutiques pour se donner une bonne image sans pour autant renforcer leur responsabilité sociétale et environnementale. Il doit aller de pair avec des engagements forts. On pourrait ainsi imaginer que les entreprises pharmaceutiques s’engagent à conditionner à des critères de performance extra‑financière une partie de la rémunération des dirigeants et des managers et à stopper les primes variables indexées sur les volumes de vente de médicaments ([199]).

Proposition n° 14 : Aligner les stratégies des entreprises avec les objectifs de santé publique

– Conditionner les aides publiques à un accès facilité au médicament ;

– Contrôler l’usage du crédit d’impôt recherche et engager une discussion, lors du prochain projet de loi de finances, sur l’opportunité de le recentrer sur les entreprises qui en ont le plus besoin. Dans le domaine des médicaments, ne devraient bénéficier du CIR que les entreprises qui ont réellement engagé des dépenses de R&D, à savoir souvent les entreprises (start‑up, TPE ou PME) à l’interface entre la recherche fondamentale académique et le développement du médicament ;

– Mettre en place des dispositifs associant soutien public et contrats d’achat de médicaments à l’échelon national mais surtout européen ;

– Promouvoir le statut de société à mission pour les entreprises pharmaceutiques, éventuellement par des mesures incitatives.

 

 


— 1 —

   TroisiÈme partie : REconquérir notre souverainetÉ sanitaire

La crise de la covid‑19 n’a fait que confirmer le constat dressé depuis plusieurs années d’une dépendance trop forte de la France et de l’Union européenne vis-à-vis de l’étranger dans le domaine sanitaire. Cette dernière partie vise dès lors à identifier les principaux leviers à activer pour reconquérir notre souveraineté sanitaire.

Rebâtir cette souveraineté nécessite d’intervenir à tous les stades de la chaîne du médicament, et notamment à celui de la recherche et du développement. Il est en effet nécessaire d’intervenir en amont pour soutenir la recherche et créer un véritable écosystème de l’innovation en santé, afin que les découvertes fondamentales se traduisent autant que possible en traitements innovants fabriqués en France et en Europe.

La production de médicaments sur le territoire national et européen doit, à l’évidence, constituer une priorité, qui passera principalement par la redynamisation du tissu industriel existant et par des mesures en faveur de la relocalisation des médicaments les plus essentiels. Pour porter leurs fruits, ces efforts devront répondre à une stratégie claire, visant à mettre en cohérence la politique industrielle avec les priorités de santé publique.

Il est également impératif de reprendre le contrôle de la chaîne d’approvisionnement des médicaments, dont la complexité est fortement déstabilisatrice et contribue à la multiplication des ruptures de médicaments. La reconquête d’une indépendance sanitaire passe nécessairement par la mise en place d’une réponse robuste à la problématique des pénuries, construite au niveau européen.

Il faut enfin agir sur l’outil des brevets, afin d’assurer leur pleine utilité dans la protection des médicaments les plus innovants mais d’éviter qu’ils ne constituent une entrave à la diffusion des innovations, en particulier en période de crises sanitaires.

I.   Refaire de la France un territoire d’innovation thÉrapeutique

Le déclin de la France en matière de recherche et d’innovation en santé est réel mais n’est pas pour autant irréversible. Il est possible de redonner à la France un rôle de premier plan. Bien sûr, une telle politique ne sera pas sans coût pour nos finances publiques à court terme. Néanmoins, les investissements dans la R&D en santé sont loin d’être des investissements à perte. Ils permettront à la France, à terme, non seulement d’être moins dépendant des pays étrangers pour l’importation d’innovations thérapeutique mais également d’exporter davantage nos propres innovations.

A.   ACCROÎTRE le soutien public À la recherche fondamentale en santÉ

Si la France a toujours été caractérisée par les difficultés que rencontrent ses entreprises à traverser la « vallée de la mort », elle présente malheureusement désormais également des faiblesses dans les phases amont de la recherche. Le constat est bien documenté et a été rappelé dans la première partie du présent rapport.

1.   Renforcer et différencier les montants octroyés aux projets de recherche

Pour remédier à nos faiblesses, il est essentiel de renforcer le soutien public à la recherche fondamentale en santé, à savoir à la fois les moyens de fonctionnement des laboratoires de recherche et les montants octroyés aux projets qui remportent des appels d’offres. Les moyens spécifiquement consacrés au secteur de la santé et à la recherche en médicaments gagneraient à être sanctuarisés au sein de l’ensemble des nouveaux financements, d’ailleurs encore trop insuffisants, prévus par la LPPR.

Au-delà du montant même des moyens à octroyer à la recherche fondamentale, il semble nécessaire de mieux répartir ces moyens. Pour M. Frédéric Bizard, économiste, auditionné par la mission d’information, nous souffrons en France d’un « excès d’égalitarisme ». Nous devrions davantage mettre en avant les chercheurs les plus prometteurs ou les projets les plus innovants en leur octroyant des primes ou des financements beaucoup plus importants. Les rapporteurs ne peuvent que souscrire à cette préconisation.

Le financement de la recherche fondamentale repose sur une ligne de crête. Il est nécessaire de soutenir, tout en évitant une dispersion des financements, les projets de recherche qui n’ont pas forcément de finalités prédéfinies tout en définissant des axes stratégiques forts en matière d’innovation en santé. Comme l’ont rappelé les académies de médecine et de pharmacie, « la recherche fondamentale peut déboucher sur une innovation imprévisible ». La crise sanitaire l’a démontré une fois de plus puisque les équipes qui travaillaient sur l’encapsulation de siRNA et mRNA dans des nanoparticules lipidiques pour l’oncologie et l’amyloïdose à transthyrétine ont accumulé des technologies innovantes qui ont pu être repositionnées rapidement sur le vaccin contre la covid‑19.

2.   Aligner le salaire des chercheurs français sur les meilleurs standards internationaux

Le soutien à la recherche fondamentale passe par des financements plus importants octroyés aux divers projets de recherche mais, surtout, par la revalorisation du salaire des chercheurs et l’amélioration de leurs conditions de travail. La réduction des lourdeurs bureaucratiques est un des leviers pour améliorer l’attractivité de la recherche en France. L’alignement du salaire des chercheurs français sur celui de leurs homologues européens en est un autre, non moins important et qui devrait être une évidence.

Les salaires des chercheurs et enseignants-chercheurs de la recherche publique en France sont loin des standards internationaux, comme l’ont constaté la mission d’évaluation et de contrôle (MEC) sur l’évaluation du financement public de la recherche dans les universités ([200]) et le groupe de travail préparatoire de la LPPR sur l’attractivité des emplois et des carrières scientifiques ([201]). Ce différentiel est particulièrement marqué en début de carrière puisque le salaire annuel brut d’entrée moyen des chercheurs en France représente, en parité de pouvoir d’achat, 63 % du salaire moyen d’entrée perçu par les chercheurs en Europe et dans les pays de l’OCDE. Les niveaux de rémunération dans le secteur privé contribuent également au déficit d’attractivité de la recherche publique. En 2016, le salaire net moyen des cadres – toutes catégories confondues : cadres, cadres supérieurs et cadres dirigeants – s’élevait à 4 060 euros, à comparer aux 3 699 euros nets perçus par l’ensemble des chercheurs et enseignants-chercheurs ([202]).

La revalorisation des niveaux de rémunération des chercheurs et enseignants‑chercheurs prévue par la LPPR est bienvenue mais insuffisante. Les rémunérations proposées aux ingénieurs et personnels techniques exerçant des fonctions support ou de soutien dans les organismes de recherche et les universités devront également faire l’objet d’une forte revalorisation.

La revalorisation des rémunérations des chercheurs prévue par la LPPR

Pour les doctorants, le montant minimum du contrat doctoral de droit public, qui est de 1 768 euros bruts mensuels actuellement, passera progressivement d’ici 2023 à 2 300 euros bruts mensuels (1,5 SMIC), soit une hausse de 30 %.

Les chercheurs des organismes de recherche et des universités en début de carrière (chargé de recherche et maître de conférences) bénéficieront de l’adaptation des modalités de classement dans les grilles indiciaires de la fonction publique afin qu’aucun d’eux ne perçoive une rémunération inférieure à 2 SMIC.

Toutes les rémunérations des personnels de recherche seront augmentées en revalorisant les primes pour les aligner sur les primes des corps comparables de la fonction publique (92 millions d’euros par an sur la durée de la loi y seront consacrés). Les gains seront plus élevés pour les chercheurs et enseignants-chercheurs. Aux primes, les chefs d’établissement pourront ajouter des dispositifs d’intéressement.

Le renforcement de l’attractivité du métier de chercheur passe par une hausse des salaires mais également par la revalorisation de la culture scientifique auprès de l’ensemble des citoyens, à l’heure où la défiance des Français à l’égard de la science ne cesse de croître. Il faut davantage donner aux élèves l’envie et les moyens de s’engager dans la voie de la recherche, notamment en santé, et d’y réussir ([203]). Les rapporteurs seront particulièrement attentifs à la mise en œuvre de l’ensemble des actions envisagées par le Gouvernement pour enrayer la baisse générale et tendancielle du niveau des élèves français en sciences et en mathématiques. En effet, selon le dernier classement TIMSS ([204]), le niveau des élèves français de CM1 et de quatrième en mathématiques et en sciences se situe en dessous de la moyenne européenne.

Proposition n° 15 : Renforcer et différencier les montants octroyés aux projets de recherche

– Renforcer le soutien public à la recherche fondamentale en différenciant davantage les montants de financement en fonction des projets, sur la base de critères d’excellence scientifique ;

– Aligner le salaire des chercheurs français sur les meilleurs standards internationaux ;

– Accélérer la mise en œuvre des actions visant à revaloriser la culture scientifique ainsi qu’à enrayer la baisse générale et tendancielle du niveau des élèves français en sciences et en mathématiques.

B.   INSTAURER UN continuum entre la recherche fondamentale et le dÉveloppement des mÉdicaments

Comme le décrit la première partie du présent rapport, le modèle de la R&D a radicalement changé ces quinze dernières années. Les grandes entreprises pharmaceutiques ont aujourd’hui mis fin à leurs activités, en interne, de recherche de molécules princeps. Elles achètent désormais les molécules prometteuses aux start‑ups issues, pour la majorité des cas, des organismes académiques. Près des deux tiers des biotechs sont issues de travaux de recherche publique ou académique ([205]). Les grandes entreprises pharmaceutiques sont également souvent amenées à acheter, non pas seulement les molécules, mais directement les start‑up qui développent les princeps qui les intéressent.

Il ne s’agit pas ici de remettre complètement en cause ce modèle, lequel ne prévaut pas uniquement en France mais dans l’ensemble des pays développés et repose d’ailleurs sur une certaine rationalité. La production industrielle doit rester le cœur de métier des grands industriels, dans la mesure où les start‑up, les organismes académiques ou les centres hospitaliers universitaires n’ont ni les capacités de construire leurs propres usines, ni la compétence professionnelle leur permettant de produire des médicaments en nombre jusqu’à la mise sur le marché. Néanmoins, sans être totalement remis en cause, ce modèle mériterait d’évoluer afin de renforcer encore le continuum entre la recherche fondamentale et le développement des médicaments.

1.   Des progrès sensibles ont été réalisés ces dernières années

Les pouvoirs publics ont pris conscience de la nécessité de rapprocher les acteurs publics et privés de la recherche et de l’innovation en santé. Aussi, de nouvelles modalités de collaboration ont été peu à peu encouragées. Elles reposent principalement sur :

– des dispositifs visant à favoriser la recherche partenariale entre les laboratoires publics et les entreprises (voir encadré ci-après) ;

– des dispositifs visant à améliorer les transferts de technologie, c’est‑à-dire à permettre l’exploitation commerciale par les entreprises de la propriété intellectuelle et du savoir-faire développés par les laboratoires de recherche. Comme indiqué dans la deuxième partie du rapport, ces dispositifs reposent sur les services de valorisation des organismes de recherche et des universités mais également sur les SATT ;

– des dispositifs visant à faciliter la mobilité des chercheurs entre la sphère publique et la sphère marchande. La loi « Allègre » de 1999 sur l’innovation et la recherche ([206]) a permis de faciliter le rapprochement entre les universités, les organismes de recherche et les entreprises, en offrant aux chercheurs la possibilité de créer des sociétés innovantes de type start‑up et de déposer des brevets. Plus récemment, la loi « Pacte » ([207]) et la loi de programmation de la recherche ([208]) ont élargi les possibilités ouvertes aux fonctionnaires et aux contractuels de la recherche publique de participer à titre personnel à une entreprise existante ou à la création d’une entreprise, en qualité d’associé ou de dirigeant.

La recherche partenariale entre les laboratoires publics et les entreprises

Les principaux dispositifs en la matière (liste non limitative) sont les suivants :

– les cinq pôles de compétitivité en santé ;

– les sept cancéropôles soutenus par l’Institut national du cancer (INCa) et par de nombreuses collectivités territoriales, qui permettent à l’échelle régionale ou interrégionale une meilleure coordination de la recherche en cancérologie en décloisonnant secteurs et disciplines ;

– les instituts hospitaliers universitaires (IHU), issus du premier programme d’investissements d’avenir, qui regroupent des équipes de chercheurs, des soignants et des entreprises autour d’une thématique clinique unique en un seul lieu (ICM, ICAN) ;

– l’institut de recherche technologique (IRT) Bioaster, qui pilote d’ambitieux programmes de R&D dans l’infectiologie et la microbiologie ;

– les trois bioclusters : le Génopole localisé à Évry, focalisé sur la génomique, lequel comporte des instituts de recherche (CEA et INSERM) et est associé à l’université d’Évry ; l’Oncopole de Toulouse, spécialisé en oncologie et rassemblant un grand nombre d’acteurs ; le futur Parisanté Campus (Val‑de‑Grâce), centré sur l’utilisation du digital pour améliorer la santé, et qui devrait voir le jour à l’horizon 2028 ;

– les outils mis en place par l’ANR, au titre desquels figurent, notamment, les chaires industrielles, le programme « Labcom » permettant de soutenir la création de laboratoires communs entre un laboratoire public et une PME ou une ETI, le programme Carnot ou l’instrument PRCE ; visant à soutenir des projets de rechrche collaborative public-privé.

Selon le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, grâce à l’ensemble de ces outils, le secteur de la santé et pharmaceutique est aujourd’hui celui où la collaboration public-privé est la plus forte. Le ministère met notamment en avant le fait qu’il s’agit du secteur industriel leader en termes de co-brevets public‑privé, dans lequel la part d’entreprises qui sous-traitent leur R&D à des acteurs publics est particulièrement importante (environ 45 %).

Pour les rapporteurs, le nombre élevé de co-brevets ou la part importante d’entreprises sous-traitant leur R&D à des acteurs publics ne sont pas nécessairement les indicateurs d’une bonne coopération entre l’ensemble des acteurs publics et privés. Sur le terrain, tous s’accordent à dire que les acteurs impliqués dans la R&D du médicament travaillent encore bien trop souvent en silos, et ce pour des raisons culturelles, réglementaires, ou en raison de l’absence d’infrastructures adaptées.

2.   Donner une impulsion politique à la recherche collaborative et aux partenariats public-privé

Les rapporteurs partagent le constat établi par l’Institut Montaigne ([209]), selon lequel un véritable « changement de logiciel » est nécessaire en France. Ils sont néanmoins convaincus qu’une impulsion politique forte peut bien permettre de développer davantage les partenariats public-privé, de renforcer la compréhension mutuelle des cultures de recherches publiques et privées et de fluidifier les activités de transfert de technologies.

Le présent rapport se concentre sur les partenariats public-privé à l’échelon national mais, bien sûr, ces derniers gagneraient aussi à être développés au niveau européen.

a.   Créer une culture commune et partagée de l’innovation en santé

La coopération entre les différents acteurs est aujourd’hui freinée par les différences qui peuvent exister en termes de méthodes de travail et de pratiques. Les rapporteurs préconisent donc, en premier lieu, d’encourager les rencontres et le dialogue entre les laboratoires, la communauté hospitalière et les entreprises, pour développer la connaissance mutuelle, les projets partagés ainsi que les mobilités.

Le développement des mobilités entre le public et le privé ne pourra toutefois se faire qu’à condition de ne pas faire une application drastique du concept de lien d’intérêt et de valoriser les expériences qu’auront pu avoir les chercheurs dans le secteur privé.

b.   Faire émerger un écosystème à une échelle suffisamment significative

La création d’une culture commune et partagée est fondamentale mais elle n’est pas suffisante. La mise en relation de l’ensemble des acteurs doit pouvoir reposer sur l’existence physique de plateformes tripartites entre les universités, les organismes de recherche, les établissements de santé et l’industrie.

Les dispositifs visant à favoriser la recherche partenariale existent certes en France mais leur nombre les rend parfois peu lisibles et peu efficaces. Ils sont d’ailleurs d’ambition relativement limitée. Les deux bioclusters dont nous disposons aujourd’hui en France ne peuvent, en rien, être comparés aux bioclusters de Boston ou de Cambridge.

Un grand nombre d’acteurs auditionnés ont donc préconisé la création d’un « méga-hub » en santé, sur le modèle de ce qui a été fait à Boston. Pour l’Institut Montaigne ([210]), ce hub pourrait être basé à Lyon, ville à partir de laquelle pourrait se nouer un réseau d’éco‑systèmes « satellites » et de pointe, sur plusieurs autres villes françaises. Quel que soit l’emplacement choisi, il faut que ce hub puisse créer un effet visible d’entraînement et d’attractivité sur l’ensemble de la filière.

La création de ce hub pourrait se traduire par la suppression d’un certain nombre de structures concurrentes et dispersées sur le territoire. Les rapporteurs ne préconisent néanmoins pas la suppression des pôles de compétitivité. Ils souscrivent à la proposition de leur collègue Philippe Berta, membre de la mission d’information ayant participé à la création du pôle de compétitivité santé français Eurobiomed, de consolider ces pôles dans leur rôle principal de mise en réseau, d’animation territoriale et d’accompagnement de projets précoces avec un cofinancement par les régions et les entreprises. Ces pôles jouent aujourd’hui trop souvent un rôle d’opérateurs de services aux entreprises alors que ce n’est pas leur vocation.

Les rapporteurs sont conscients des difficultés que peut poser l’intensification de la recherche collaborative entre le public et le privé en matière de santé. Il faut donc faire preuve d’une grande vigilance quant aux risques potentiels de conflits d’intérêts et de captation des capacités de la recherche publique par des intérêts privés. Pour prévenir ces risques, la solution est avant tout d’octroyer des moyens importants à la recherche publique pour permettre aux chercheurs de ne pas être dans un rapport de force déséquilibré avec les industriels mais également de définir en amont des priorités stratégiques nationales et européennes fortes en matière d’innovation en santé.

c.   Approfondir la logique hospitalo-universitaire

La logique hospitalo‑universitaire est aujourd’hui affaiblie par les relations souvent malaisées entre le ministère de la santé et celui de l’enseignement supérieur et de la recherche, co-porteurs de cette logique.

Une plus grande coordination des efforts de recherche entre hôpitaux, universités et organismes de recherche est aujourd’hui indispensable. Une disposition, discutée dans le cadre du projet de loi de programmation de la recherche, avait cet objectif. Finalement rejetée, elle visait à créer des comités territoriaux de santé rassemblant tous les acteurs autour du centre hospitalier et de l’université pour coordonner la recherche et l’ouvrir vers l’ambulatoire et la ville. Son rejet s’explique par les tensions entre, d’un côté, les partisans d’une vision hospitalo-centrée, qui souhaitaient confier la responsabilité du dispositif à l’hôpital et, de l’autre, les défenseurs de l’université, pour qui celle-ci aurait seule vocation à coordonner la recherche en santé, par nature pluridisciplinaire. Il est essentiel d’engager, de nouveau, une concertation de l’ensemble des acteurs concernés pour aboutir à un dispositif satisfaisant permettant de renforcer la recherche hospitalo‑universitaire.

d.   Accroître l’efficacité et l’agilité de nos structures de valorisation

Le constat établi il y a quelques années déjà par les corps d’inspection ([211]) semble toujours valable. Encore trop peu d’universités et d’écoles d’ingénieurs se sont approprié une politique de recherche contractuelle en construisant des partenariats avec les industriels. Lorsque c’est le cas, les services de valorisation sont disparates, souvent insuffisamment professionnalisés et rarement à même de discuter d’égal à égal avec les juristes des grands groupes industriels. Il semble donc essentiel de regrouper et de faire monter en compétences les services de valorisation des universités mais également des centres hospitaliers universitaires.

Afin d’encourager les chercheurs à participer aux activités de valorisation de la recherche, leur évaluation ne devrait plus seulement reposer sur des critères bibliométriques mais devrait davantage tenir compte de leurs autres activités, notamment de leurs contributions aux innovations médicales faisant l’objet de développements industriels. D’autres pays l’ont bien compris. En Chine ([212]), un parcours de carrière universitaire intégrant les transferts de technologie a été ajouté aux critères d’évaluation requis pour devenir professeur, complétant les carrières classiques d’enseignants-chercheurs fondées sur les seules publications.

Les SATT pourraient également utilement faire l’objet d’une réforme en profondeur. Les rapporteurs souscrivent à la proposition de leur collègue Philippe Berta, membre de la mission d’information, qui préconise de revoir le modèle économique et de consolider les SATT dans leur rôle principal de gestion de la recherche collaborative et de gestion de la propriété intellectuelle jusqu’à la cession de licence, sans objectif de rentabilité.

Proposition n° 16 : Donner une impulsion politique forte à l’intensification de la recherche collaborative et aux partenariats public-privé

– Encourager les rencontres et le dialogue entre les laboratoires, la communauté hospitalière et les entreprises, pour développer la connaissance mutuelle, les projets partagés ainsi que les mobilités. Y inclure les acteurs de l’économie sociale et solidaire ;

– Créer un « méga-hub » en santé, sur le modèle de ce qui a été fait à Boston ;

– Consolider les pôles de compétitivité dans leur rôle principal de mise en réseau, d’animation territoriale et d’accompagnement de projets précoces (et non pas d’opérateurs de services aux entreprises) ;

– Renforcer la logique hospitalo-universitaire en coordonnant davantage les efforts de recherche entre les universités, les organismes de recherche et les hôpitaux et en l’ouvrant vers l’ambulatoire et la ville ;

– Regrouper et professionnaliser les services de valorisation des universités et tenir compte, dans l’évaluation des chercheurs de toutes leurs activités, notamment leurs contributions aux innovations médicales faisant l’objet de développements industriels ;

– Revoir le modèle économique et consolider les SATT dans leur rôle principal de gestion de la recherche collaborative, sans objectif de rentabilité.

C.   Faciliter la production de mÉdicaments innovants, tels que les cellules CAR‑T, par les acteurs acadÉmiques

Les acteurs académiques – établissements de santé ou établissements publics comme l’Établissement français du sang (EFS) – n’ont pas vocation à produire, de manière industrielle, des médicaments. Ils n’en auraient, de toute façon, pas les moyens. Néanmoins, une production académique de médicaments innovants, à une moindre échelle, aurait de nombreux avantages. L’État doit aujourd’hui se donner les moyens d’une production académique ambitieuse au service de tous, comme de nombreux pays voisins ont déjà commencé à le faire.

1.   Les raisons de recourir à une production académique de cellules CAR‑T

a.   Les limites de la production industrielle

Les cellules CAR‑T (pour cellules T porteuses d’un récepteur chimérique) sont des thérapies géniques et cellulaires. Ces nouveaux traitements – utilisés pour le moment en onco-hématologie – sont fabriqués à partir des lymphocytes T du patient qui, une fois modifiés génétiquement et réinjectés, sont capables de reconnaître et de détruire spécifiquement les cellules cancéreuses. Elles sont généralement administrées en une perfusion unique.

En France, deux médicaments CAR‑T disposent déjà d’une AMM dans l’indication du lymphome diffus à grandes cellules B (médicament Yescarta du laboratoire Gilead et médicament Kymriah du laboratoire Novartis), du lymphome médiastinal primitif à grandes cellules B réfractaire ou en rechute (Yescarta) et de la leucémie lymphoblastique aiguë à cellules B (Kymriah). Depuis octobre dernier en Europe, les cellules CAR‑-T Tecartus sont indiquées dans le traitement des lymphomes à cellules du manteau. Une ATU pour ces cellules existe depuis décembre dernier en France.

Le site de production du médicament Yescarta est situé, depuis 2020, à Amsterdam pour toute l’Europe. Le site français de production du médicament Kymriah se situe, lui, aux Ulis en Île‑de‑France. Lors de son audition, la filiale CELLforCURE de l’entreprise Novartis, en charge de la production du médicament Kymriah, a annoncé avoir pour objectif de soigner, à court terme, 900 patients par an.

Le schéma d’organisation de la production et de la distribution de ces cellules est complexe et repose sur plusieurs étapes. Tout d’abord, les cellules de départ sont collectées dans une unité de cytaphérèse dans un établissement de santé ou dans un site de l’EFS. Les cellules collectées sont ensuite expédiées via une unité de thérapie cellulaire vers le site centralisé de fabrication du médicament. Une fois fabriqué par l’établissement pharmaceutique, le produit fini est expédié vers l’établissement de santé où il est administré au patient.

Les prix des cellules CAR‑T sont extrêmement élevés. Ainsi, le prix de Yescarta a été fixé à 327 000 euros et celui de Kymriah à 297 266 euros. Ces prix très élevés sont d’autant moins compréhensibles que le développement de ces cellules a été permis grâce à la recherche académique. Rappelons qu’à Besançon, ce sont des chercheurs de l’EFS qui ont intégralement conçu, en collaboration avec le service d’hématologie du centre hospitalier universitaire, la première immunothérapie cellulaire ciblant IL1-RAP.

b.   Les avantages d’une production académique

Une production académique de CAR‑T permettrait, tout d’abord, de faire considérablement baisser le prix de ces médicaments. À titre d’exemple, certains acteurs académiques estiment pouvoir produire des CAR‑T pour un coût unitaire de 40 000 euros, soit un prix dix fois inférieur.

Elle permettrait également de proposer des pratiques alternatives ou complémentaires à celles imposées par les firmes industrielles dans la caractérisation du médicament ainsi que dans les indications et les modes d’administration. On peut légitimement penser que la proximité géographique serait plus forte entre l’acteur académique produisant le médicament innovant et le service clinique prenant en charge le patient traité, ce qui est de nature à accroître les chances de survie des patients. L’expédition voire l’export des cellules de départ vers le site de production ne serait plus nécessaire. La distribution pourrait être organisée directement de l’établissement producteur vers le service de soins.

D’autres pays ont compris l’ensemble des avantages d’une production académique. L’Espagne, l’Allemagne et l’Australie ont, par exemple, expérimenté ou mis en place une production publique de cellules CAR‑T.

Les productions académiques de cellules CART : quelques exemples étrangers

Les équipes de l’hôpital clinique de Barcelone produisent leurs propres cellules CAR‑T anti-CD19. Lors du quatrième symposium international de la thérapie par lymphocytes T modifiés qui s’est tenu à Lille en janvier 2020, les équipes barcelonaises ont souligné à quel point une production académique de cellules CAR‑T permettait de mettre en place un process de production moins coûteux, plus rapide et plus individualisé (1).

Le gouvernement australien a récemment investi 80 millions de dollars pour installer une capacité de production de cellules CAR‑T au sein de l’institut Peter Mac, centre de recherche contre le cancer. Auparavant, les cellules des patients australiens devaient être envoyées aux États‑Unis pour être traitées par des centres industriels américains.

En Allemagne, une expérimentation de production de cellules CAR‑T par une structure à but non lucratif a récemment fait l’objet d’une évaluation par les chercheurs de l’université d’Heidelberg (2). Ces derniers montrent qu’une production décentralisée de cellules CAR‑T peut être moins coûteuse (le coût variable de production s’élevant à 35 000 euros) et plus efficace qu’une production industrielle centralisée.

(1)    « Manufacturing CART Cells in an European academic setting », présentation réalisée par l’hôpital clinique de Barcelone et l’université de Barcelone.

(2)    « Cost of decentralized CAR T-cell production in an academic nonprofit setting », Tao Ran, Stefan B. Eichmüller, Patrick Schmidt, Michael Schlander, décembre 2020.

Pourquoi les acteurs académiques français ne sont-ils pas plus impliqués dans la production de médicaments très innovants, et plus spécifiquement de cellules CAR‑T, alors même que la production de ces cellules n’est pas particulièrement coûteuse ?

2.   L’absence de vrai obstacle à la production académique

Les obstacles ne sont pas d’ordre réglementaire. Notre droit européen et français permet la production de cellules CAR‑T, à petite échelle, par des équipes hospitalières, éventuellement associées à des équipes de l’EFS ou d’autres institutions publiques.

Bien que le règlement européen sur les médicaments de thérapie innovante (MTI) ait été clairement conçu pour des médicaments destinés à être commercialisés, il a instauré un régime dérogatoire intitulé « exemption hospitalière ». Ainsi, un certain nombre de structures du monde académique, notamment les organismes à but non lucratif ou les organismes publics (autres que les établissements de santé), disposent aujourd’hui du statut d’établissement pharmaceutique leur permettant de produire des MTI comme les cellules CAR‑T. Quant aux établissements de santé, s’ils n’ont pas ce statut (à l’exception de l’AP‑HP), ils peuvent produire des médicaments de thérapie innovante préparés ponctuellement (MTI-PP) ou des médicaments de thérapie innovante expérimentaux (MTI expérimentaux) si l’ANSM les y autorise.

Les MTIPP et MTI expérimentaux

Les médicaments de thérapie innovante préparés ponctuellement (MTI‑PP) sont des MTI préparés de façon ponctuelle, selon des normes de qualité spécifiques, et utilisés au sein du même État membre, dans un hôpital, sous la responsabilité professionnelle exclusive d’un médecin, pour exécuter une prescription médicale déterminée pour un produit spécialement conçu à l’intention d’un malade déterminé. La réglementation française définit les établissements pouvant assurer leur préparation. Il s’agit notamment des établissements pharmaceutiques, des établissements de santé, de l’Établissement français du sang (EFS) et du Centre de transfusion sanguine des armées (CTSA).

Les MTI expérimentaux sont destinés à être évalués dans le cadre d’une recherche impliquant la personne humaine (RIPH). Souvent, les MTI expérimentaux n’ont pas d’équivalent autorisé ni commercialisé, parce qu’ils ciblent des antigènes tumoraux autres que ceux ciblés par les cellules CAR‑T prochainement commercialisées.

Les personnes auditionnées ont souvent mis en avant le fait que des acteurs publics comme l’Établissement français du sang, établissement public, et le laboratoire biopharmaceutique français (LFB), société anonyme ayant pour unique actionnaire l’État français, disposaient, selon eux, de l’infrastructure nécessaire pour prendre en charge une production de médicaments innovants, et notamment de cellules CAR‑T.

Certes, tous les acteurs académiques, notamment les structures hospitalières, ne sont pas aujourd’hui aux normes de production exigées pour les MTI. Néanmoins, les rapporteurs sont convaincus que l’octroi de financements publics supplémentaires permettrait à un certain nombre de structures de respecter les bonnes pratiques de fabrication européennes spécifiques aux cellules CAR‑T (normes de qualité très exigeantes, locaux adaptés aux normes les plus strictes, qualification des équipements, formation du personnel, mise en place d’un plan de gestion de la continuité en cas de rupture de stock de matériel ou de consommable).

Une alternative à des infrastructures propres aux hôpitaux ou à l’EFS serait que les investigateurs français se tournent vers des CMO (central manufacturing organisation([213]) nationales qui assurent la production de CAR‑T pour le compte d’industriels détenteurs d’une AMM ([214]). Ces CMO pourraient proposer aux investigateurs académiques français des prestations de production de cellules CAR‑T innovantes à petite échelle. Cela permettrait aux structures académiques de ne pas avoir à assumer les coûts de construction et de fonctionnement, en leur sein, d’infrastructures de production de cellules CAR‑T.

D’après les acteurs académiques auditionnés, une production académique ne rencontrerait pas d’obstacle majeur lié à la propriété intellectuelle.

Les obstacles à une production académique semblent, en réalité, davantage relever d’un manque de volonté politique. La cession à Novartis de la filiale CELLforCURE du LFB en est un exemple emblématique. Cette filiale, spécialisée dans la fabrication de médicaments de thérapies cellulaires et géniques, aurait pu rester dans le giron public français si nous nous en étions donné les moyens. Elle avait d’ailleurs été créée grâce à un soutien public très important.

3.   Se donner les moyens d’une production académique ambitieuse

Face à l’absence d’obstacle réglementaire ou technique, il est désormais urgent de favoriser une production académique ambitieuse de certains médicaments très innovants comme les cellules CAR‑T. Des financements spécifiques pourraient être octroyés aux établissements de santé pour les aider à se mettre aux normes de production européennes ([215]) en matière de MTI.

Pour faciliter le développement de médicaments par des acteurs académiques, il pourrait être également prévu de lancer des appels à projets avec financement spécifique pour les développements technologiques situés entre la preuve de concept en laboratoire et l’essai clinique de phase I. Comme l’a rappelé l’EFS, cette phase est très coûteuse dans le domaine des médicaments très innovants. Or, il s’agit d’une phase qui est difficilement finançable par des appels à projets actuels et qui ne trouve pas de financement industriel. Les industriels attendent en effet souvent des preuves de concepts plus avancées pour manifester leur intérêt.

Enfin, il faudrait revoir la définition des produits innovants. Aujourd’hui, certains produits innovants ne sont pas qualifiés de MTI, ce qui empêche par exemple l’EFS de produire ces médicaments sur ses plateformes alors même qu’ils ont été conçus dans ses propres laboratoires de recherche. C’est une véritable ineptie n’ayant que des effets négatifs.

Proposition n° 17 : Faciliter la production de médicaments innovants, notamment de cellules CART, par les acteurs académiques

– Se doter d’une vraie volonté politique en la matière et expérimenter une production académique de cellules CAR‑T en s’inspirant des modèles mis en place dans les pays étrangers et en s’appuyant sur les plateformes existantes de l’Établissement français du sang ;

– Octroyer des financements importants pour permettre à des structures hospitalières de se mettre aux normes des bonnes pratiques européennes en matière de production de médicaments de thérapie innovante ;

– Faciliter le développement de médicaments par les acteurs académiques en prévoyant des appels à projets et des financements spécifiques pour les développements technologiques situés entre la preuve de concept en laboratoire et l’essai clinique de phase I ;

– Revoir la définition des médicaments de thérapie innovante ou permettre à l’Établissement français du sang de produire certains médicaments biologiques innovants conçus dans ses propres laboratoires de recherche.

D.   S’assurer du dÉveloppement, en France, des innovations thÉrapeutiques

Le soutien public est important pour l’amorçage des start‑up, mais ne permet pas, ensuite, à ces dernières de se développer et de maintenir leur activité sur le long terme. Les start‑up françaises sont en effet souvent rachetées par des groupes industriels étrangers une fois qu’elles ont franchi la phase clinique IIA ([216]). S’il est irréaliste de penser que toutes les biotechs resteront dans le giron français et ne se tourneront pas, à un moment ou à un autre vers d’autres pays comme les États‑Unis, il est essentiel que les découvertes fondamentales françaises se traduisent autant que possible en des traitements innovants produits en France ou en Europe.

1.   Aider les biotechs à grandir et valoriser leurs innovations en France

Le secteur de la santé est un secteur à fort besoin capitalistique. Les cycles de développement sont très longs et nécessitent de mobiliser beaucoup de capitaux. Ainsi, par exemple, une phase III d’essais cliniques coûte, en moyenne entre 150 et 200 millions d’euros ([217]). Faute de structures suffisamment solides en France et en Europe pour les accompagner([218]), les start‑up françaises n’ont que deux possibilités : se faire racheter par une grosse entreprise, souvent étrangère, ou s’introduire en bourse. Cette seconde option résulte souvent en un échec. Lors de son audition, Bpifrance a rappelé que les sociétés françaises ont tendance à s’introduire en bourse de manière trop précoce et avec des capitalisations insuffisantes pour avoir le niveau de liquidité requis permettant de susciter l’intérêt des investisseurs. Cela les conduit dans une spirale baissière qui les contraint à lever de l’argent avec des valorisations toujours plus basses, et ce jusqu’à l’épuisement.

Face à ce constat, des outils tant défensifs qu’offensifs ont été mis en place pour aider les biotechs à grandir et à valoriser, en France, leurs innovations. Tout d’abord, les biotechnologies ont été récemment incluses dans la liste des technologies critiques soumises à la procédure de contrôle des investissements étrangers ([219]). Ensuite, un fonds « French Tech Souveraineté », doté de plus de 500 millions d’euros, a été lancé pour intervenir en fonds propres dans des entreprises ayant une activité sur le territoire national et développant des technologies souveraines d’avenir. L’objectif de ce fonds est à la fois défensif (protéger les entreprises de la prédation des grands acteurs étrangers) et offensif (sécuriser le développement d’entreprises technologiques d’avenir dans un environnement concurrentiel encore plus marqué du fait de la crise sanitaire). Enfin, l’initiative publique « Tibi » a permis de convaincre une vingtaine d’investisseurs institutionnels français, banquiers et assureurs, de s’engager à financer, pour 6 milliards d’euros, l’essor industriel et commercial de start‑up. Neuf fonds spécialisés en santé sont d’ores et déjà labellisés « Tibi ».

Les rapporteurs se félicitent de la mise en place de tels outils. Ils souhaitent néanmoins attirer l’attention sur un certain nombre de points.

Tout d’abord, s’il ne paraît pas opportun de flécher les fonds « Tibi » ou le fonds French Tech Souveraineté vers tel ou tel secteur, il faudra s’assurer qu’une large partie de ces financements bénéficiera bien aux start‑up de la santé, et plus spécifiquement du médicament, là où les besoins capitalistiques sont particulièrement importants.

Ensuite, il faudra garantir que ces fonds servent bien à financer des projets qui, quoique prometteurs, peuvent apparaître risqués aux yeux des investisseurs.

Enfin, et surtout, il faudra s’assurer que l’intervention des fonds « Tibi » ne renforce pas le phénomène délétère de financiarisation de la chaîne du médicament. Les normes de profitabilité du capital-risque comportent toujours le danger de renchérir outre mesure le coût d’innovation des nouvelles molécules. Lors de l’octroi du label « Tibi », le Gouvernement doit absolument s’assurer que l’objectif des fonds n’est pas uniquement de revendre les start‑up en obtenant une forte rentabilité financière. Dans les domaines de la santé, seuls devraient être labellisés « Tibi » les fonds qui prennent pleinement en compte dans leur stratégie les enjeux de souveraineté sanitaire.

2.   Arrêter le saupoudrage d’aides publiques

La France est marquée par son incapacité à concentrer les soutiens publics sur les structures les plus prometteuses, ce qui empêche l’émergence d’entreprises de taille critique. Alors que, comme en Allemagne, 800 millions à 1 milliard d’euros sont investis par an en capital-risque dans la santé, nous finançons en France deux fois plus d’entreprises qu’en Allemagne ([220]). Notre politique de création entrepreneuriale conduit, paradoxalement, à la rareté de nos champions en matière de biotechnologies.

Il est donc urgent de réfléchir aux leviers permettant la consolidation des entreprises. Plutôt que de créer de nouveaux dispositifs de nature fiscale pour inciter au regroupement des entreprises, les rapporteurs souscrivent à la proposition du président de France Biotech, à savoir confier aux organismes de transfert de technologies une mission de consolidation des biotechs auxquelles elles viennent en aide. Cela signifie qu’au lieu de créer plusieurs entreprises développant des actifs potentiellement concurrentiels, les organismes de transfert devraient systématiquement mieux communiquer entre eux pour concentrer les actifs au sein d’un nombre réduit d’entreprises. Une telle mission pourrait aussi être confiée à l’Agence de l’innovation en santé si sa création était actée prochainement.

3.   Soutenir le développement de technologies de production innovantes

Le soutien aux entreprises qui développent de nouvelles molécules est important mais il doit s’accompagner d’un soutien aux entreprises qui travaillent sur des technologies et procédés industriels susceptibles de transformer la recherche et le développement de médicaments en France.

La nécessité de remédier à l’insuffisance de l’innovation dans les technologies de production a bien été identifiée par le Gouvernement, lequel a récemment lancé un appel à manifestation d’intérêt (AMI) ([221]) ciblant les technologies à même de stimuler l’innovation en santé. Certaines technologies permettent de réduire drastiquement les coûts de production et les temps de développement des médicaments. D’autres créent des capacités de production de médicaments qui sont à la fois modulaires, flexibles et respectueuses de l’environnement. Les technologies numériques ont un rôle particulièrement important à jouer pour faciliter le développement de médicaments (identification plus efficace de cibles thérapeutiques, recrutement rapide des patients pour les essais cliniques, simulation des effets du médicament sur chaque patient grâce à des clones virtuels, etc.).

Les rapporteurs espèrent, comme le Gouvernement, que cet appel à manifestation d’intérêt permettra, par la suite, le lancement d’un PIIEC (projet important d’intérêt européen commun) en santé destiné à accompagner le développement des innovations en santé. La présidence française du Conseil de l’Union européenne devrait se donner comme objectif de concrétiser ce projet.

Proposition n° 18 : S’assurer du développement, en France, des innovations thérapeutiques

– Assurer un soutien financier suffisant aux start‑up (sous forme de fonds propres) pour les aider à traverser la « vallée de la mort ». À cette fin, s’appuyer sur le dispositif des fonds « Tibi » en veillant néanmoins à ne labelliser que des fonds qui prennent pleinement en compte, dans leur stratégie, les enjeux de souveraineté sanitaire et non pas des fonds visant à revendre les biotechs pour obtenir la plus forte rentabilité financière possible ;

– Confier aux organismes de transfert de technologies, voire à la future Agence de l’innovation en santé, une mission de consolidation des biotechs, pour concentrer les actifs innovants au sein d’un nombre réduit d’entreprises ;

– Porter, au niveau européen, le projet d’un PIIEC (projet important d’intérêt européen commun) en santé destiné à accompagner le développement des technologies innovantes en santé.

4.   Réformer la contribution sur les dépenses de promotion, aujourd’hui défavorable à l’innovation

Aux termes des articles L. 245-1 à L. 245-5-1 A du code de la sécurité sociale, les entreprises pharmaceutiques dont le chiffre d’affaires hors taxes est égal ou supérieur à 15 millions d’euros ([222]) sont redevables d’une contribution sur les dépenses de promotion du médicament ([223]). Le montant de la contribution est calculé, après application d’un abattement forfaitaire d’un montant de 2,5 millions d’euros et d’abattements spécifiques ([224]), sur la base du ratio, intitulé « R », entre les dépenses engagées au titre de la promotion des médicaments remboursables ([225]) et le chiffre d’affaires réalisé au titre des médicaments remboursables.

Taux applicable À chaque tranche

Part de l’assiette

Taux de la contribution par tranche

R < 6,5 %

19 %

6,5 % < R < 12 %

29 %

12 % < R < 14 %

36 %

R > 14 %

39 %

Source : article L. 245-2 du code de la sécurité sociale.

Cette taxe poursuit un objectif de régulation et « d’orientation des comportements dans un sens vertueux pour les comptes publics » ([226]) : il s’agit de modérer les actions de promotion pour réduire les volumes prescrits et ainsi faire participer les industriels à l’objectif de maîtrise des dépenses de médicaments.

Toutefois, certains acteurs ont attiré l’attention de la mission d’information sur les potentiels effets néfastes de cette contribution. Tout d’abord, en raison de son mode de calcul, elle exerce une pression plus importante sur les PME que sur les grandes entreprises ([227]). Par ailleurs, elle a un effet désincitatif sur l’innovation : le lancement d’un produit innovant implique une augmentation des dépenses de promotion, ce qui génère automatiquement une hausse du taux d’imposition, sans augmentation concomitante du chiffre d’affaires.

Les rapporteurs ne sont pas favorables à la suppression de cette taxe. Bien que son rendement soit limité et en baisse ([228]), elle demeure légitime : les entreprises pharmaceutiques doivent continuer à participer à l’objectif de maîtrise des dépenses de médicaments. Toutefois, il convient de réfléchir à de nouvelles modalités de calcul afin de s’assurer que la contribution ne pèse pas sur l’innovation, souvent portée par les PME. Pour cela, deux leviers ont été identifiés par les rapporteurs : une élévation du seuil d’assujettissement, afin d’exonérer les plus petites entreprises, ou l’instauration d’un abattement spécifique pour les médicaments innovants, sur le modèle des abattements pour les génériques et médicaments orphelins, en vigueur aujourd’hui.

Proposition n° 19 : Réformer la contribution sur les dépenses de promotion

Réfléchir à de nouvelles modalités de calcul afin de s’assurer que la contribution ne pèse pas sur l’innovation portée par les PME :

– étudier l’opportunité d’augmenter le seuil d’assujettissement à cette contribution, afin d’exonérer les plus petites entreprises ;

– réfléchir à instaurer un abattement spécifique pour les médicaments innovants, sur le modèle des abattements existant pour les génériques et les médicaments orphelins.

E.   Rendre de nouveau la France attractive en matiÈre d’essais cliniques

La France n’est plus un pays attractif pour la réalisation d’essais cliniques. Les centres qui réalisent des essais cliniques en France sont en position de faiblesse en raison du manque de financements publics, de la lenteur et de la lourdeur des procédures administratives ainsi que de leur dépendance aux groupes pharmaceutiques qui orientent les projets d’essais cliniques en fonction de leur rentabilité.

Le recul de la France dans la réalisation des essais cliniques induit une perte de chances pour les patients qui ne peuvent pas participer aux essais mais également un retard, plus général, dans l’accès aux innovations. Un médicament est, en effet, souvent commercialisé en premier lieu là où ont été réalisés les essais cliniques.

Il s’agit donc à la fois de réfléchir aux moyens de renforcer l’attractivité de la France en matière d’essais cliniques et d’éviter que les laboratoires pharmaceutiques ne disposent d’un monopole sur la stratégie de recherche clinique.

1.   Renforcer le soutien public

Les financements publics consacrés aux essais cliniques ont diminué ces dernières années et sont grandement insuffisants. Bpifrance a rappelé à la mission d’information qu’en 2018, le choix a été fait de baisser les taux des aides aux essais cliniques versées dans le cadre du PIA, au motif que le secteur de la santé représentait des montants d’aide publique trop importants au regard des autres secteurs. Certes, de nouveaux moyens pour le financement d’essais cliniques ont été octroyés à la suite de la crise sanitaire dans le cadre du Plan de relance mais ces moyens devront être pérennisés et encore augmentés si l’on souhaite remédier aux difficultés de financement que rencontrent les chercheurs et les startup qui souhaitent engager des essais.

Le renforcement du soutien public est nécessaire pour garantir aux chercheurs académiques une plus grande autonomie dans leur stratégie de recherche clinique. Il permettra notamment de réaliser des essais cliniques que les industriels ne souhaitent pas financer, car considérés comme trop peu rentables, à l’image des essais dits « de niche » pour les maladies rares. Les rapporteurs préconisent, à ce sujet, une reprise rapide du programme AcSé ([229]) qui avait été lancé par l’INCa avant d’être interrompu.

Les rapporteurs souhaitent insister sur le bon usage qui devra être fait des nouveaux moyens publics consacrés aux essais cliniques :

– le soutien public devra être ciblé sur les essais multicentriques et sur les essais avec des normes élevées de preuve scientifique. Si la qualité des essais cliniques réalisés en France a souvent été saluée par les acteurs auditionnés, surtout en oncologie, de nombreux essais ont encore des normes scientifiques faibles, notamment lorsqu’ils sont non randomisés, ce qui est encore fréquent en France ([230]) ;

 ces moyens supplémentaires devront, en partie, être fléchés vers le soutien à l’innovation. Ainsi, par exemple, la nouvelle technologie des jumeaux numériques qui consiste à simuler les essais non plus in vivo mais in silico (sur l’ordinateur) pourrait présenter des atouts majeurs. Cette nouvelle pratique d’essai numérique présente l’avantage d’accélérer la phase de développement des traitements ;

 il faudra s’assurer que les financements perçus par les directions des centres hospitaliers pour la réalisation des essais cliniques sont bien affectés aux équipes de recherche clinique. Certains acteurs auditionnés ont en effet indiqué que les ressources destinées à la recherche clinique étaient parfois « confisquées » par les établissements et ne parvenaient pas jusqu’au service investigateur.

2.   Assurer une pleine coopération entre les acteurs

Si la coopération est forte en oncologie, notamment grâce aux plans Cancer successifs, elle est encore trop peu développée dans les autres domaines. Il est donc essentiel de favoriser davantage les synergies entre les acteurs réalisant les essais cliniques pour regrouper l’expertise française en la matière et pour faciliter l’inclusion de patients dans les essais.

Les rapporteurs porteront, lorsqu’un prochain texte de loi s’y prêtera, un amendement ([231]) visant à créer un guichet administratif commun aux centres hospitaliers universitaires (CHU) et centres hospitaliers (CH) d’un même territoire. Cette mesure, proposée par le Comité national de coordination de la recherche (CNCR), permettrait de simplifier les démarches pour les promoteurs de recherche en attente de centres investigateurs de grande envergure capables de concurrencer les centres de recherche internationaux. Afin qu’une telle mesure soit réellement efficace en pratique, il faudra réussir à dépasser les luttes internes entre professeurs universitaires-praticiens hospitaliers (PU-PH) ainsi que les potentiels conflits entre centres hospitaliers, lesquels ont tendance à tous souhaiter être les principaux investigateurs des essais cliniques.

Au-delà du rapprochement entre CHU et CH, un renforcement de la coopération entre acteurs publics et acteurs privés est également nécessaire. Pour ce faire, il nous faut opérer un changement d’état d’esprit. La situation dans laquelle se trouvent aujourd’hui les praticiens hospitaliers manque de cohérence. Notre système hospitalo‑universitaire, insuffisamment financé par les pouvoirs publics, incite les praticiens hospitaliers à nouer des liens avec l’industrie afin de maintenir en France une capacité de recherche, donc d’innovation et d’accès précoce des patients aux traitements. Or, dans le même temps, ces mêmes praticiens hospitaliers sont immédiatement pointés du doigt et diabolisés parce qu’ils travaillent avec des industriels pour la réalisation d’essais cliniques.

La loi dite « anti-cadeaux » (voir encadré ci-après) mériterait d’être modifiée sur certains points. Comme indiqué précédemment, il ne s’agit en rien de remettre en cause cette loi, essentielle pour lutter contre les conflits d’intérêts. Il s’agit uniquement d’identifier ses effets pervers et d’y remédier au mieux. Aujourd’hui, des dérogations au principe d’interdiction d’octroi d’avantages financiers aux professionnels de santé par les industriels peuvent être accordées par les ARS et les ordres professionnels, notamment pour le financement d’essais cliniques. Or, les ARS et les ordres mettent parfois tellement de temps à octroyer ces dérogations que les industriels se détournent de la France pour la réalisation de leurs essais. À court terme, il est donc absolument nécessaire d’accélérer les délais avec lesquels les dérogations sont accordées. Lors de son audition, la DGOS s’est engagée à regarder ce sujet de plus près. Certains acteurs, comme le syndicat CFE-CGC, préconisent de remplacer l’autorisation préalable par un contrôle a posteriori. Cette proposition pourrait être étudiée. À moyen terme, l’opportunité d’exclure de nouveau les groupes coopérateurs ([232]) de la législation anti‑cadeaux doit être envisagée.

La loi anti-cadeaux

Le principe général de la loi anti-cadeaux, dont la première mouture date de 1993 (1), repose sur l’interdiction des avantages accordés aux professionnels de santé par toute personne, physique ou morale, produisant ou commercialisant des produits de santé ou assurant des prestations de santé faisant l’objet d’une prise en charge par l’assurance-maladie.

À l’origine, seuls les médecins étaient concernés par ce dispositif mais son champ a été considérablement étendu (2) et concerne désormais également les associations de professionnels de santé (parmi lesquelles les groupes coopérateurs).

Des dérogations au principe d’interdiction sont prévues dans certains cas, notamment pour la rémunération d’activités liées à la recherche ou d’évaluation scientifique. L’octroi d’un avantage est alors conditionné à la signature d’une convention entre l’entreprise et le bénéficiaire qui, selon le montant de l’avantage, doit faire l’objet d’une déclaration ou d’une autorisation auprès de l’ordre professionnel concerné (ou de l’ARS lorsqu’il n’y a pas d’ordre compétent).

(1)     Loi n° 93‑121 du 27 janvier 1993 portant diverses mesures d’ordre social (« DMOS »), renforcée par la loi n° 2011‑2012 du 29 décembre 2011 (« loi Bertrand »). Les dispositions sont précisées par les articles L. 1453-3 à L. 1453-6 du code de la santé publique.

(2)     Par l’ordonnance n° 2017-49 du 19 janvier 2017 relative aux avantages offerts par les personnes fabriquant ou commercialisant des produits ou des prestations de santé.

La coopération entre acteurs ne doit pas seulement être renforcée au niveau national mais également au niveau européen. La France n’est pas suffisamment ouverte sur l’Europe en matière d’essais cliniques. Les pouvoirs publics doivent être davantage proactifs et aider des équipes de chercheurs à se lancer dans des projets européens de grande envergure. Dans le domaine des maladies rares, les essais cliniques doivent absolument être organisés à l’échelle européenne pour permettre un accès à des cohortes significatives de patients. Une plus grande coopération entre États membres sur les essais relatifs aux maladies rares pourrait être une des premières étapes vers une Europe des médicaments renforcée. La mise en œuvre à venir du règlement européen de 2014 ([233]) sur les essais cliniques devrait faciliter ces coopérations.

3.   Garantir l’accès de tous aux essais cliniques

Des progrès importants ont été réalisés pour améliorer l’accès des femmes et, dans une moindre mesure, des enfants, aux essais cliniques. Néanmoins, l’accès à ces essais reste très fortement inégalitaire. Les personnes les plus éloignées des CHU, par exemple, ne peuvent pas y participer.

La création d’un guichet administratif commun aux CHU et CH d’un même territoire pourra faciliter l’inclusion, dans les essais, de patients éloignés des grands centres hospitaliers. Pour que cette mesure soit pleinement efficace, il faudra également s’assurer que les déplacements des patients éloignés des centres des essais sont bien pris en charge, ce qui n’est pas toujours le cas.

La participation aux essais cliniques des personnes qui vivent dans les zones rurales ou qui sont incapables de se déplacer (par exemple, les personnes âgées, les personnes handicapées et les nourrissons) pourrait également être facilitée via le développement des essais cliniques en ambulatoire. Les outils numériques ont un rôle essentiel à jouer, à l’image des biocapteurs, qui permettent aux laboratoires de constituer une cohorte de patients sans les réunir physiquement.

4.   Raccourcir considérablement les délais de mise en œuvre des essais

a.   Des délais encore trop longs

La longueur des procédures d’autorisation des essais cliniques semble constituer la principale difficulté que rencontrent les promoteurs d’essais en France. Comme indiqué dans la première partie du rapport, 204 jours sont nécessaires entre la première démarche administrative du promoteur et l’inclusion du premier patient dans un essai clinique en France, contre 189 jours en Espagne.

DÉmarrage d’un essai clinique en France

Source : Bpifrance

La convention unique a pour objectif de simplifier et d’accélérer la mise en place des recherches à promotion industrielle dans les établissements de santé en France. Avec cette convention unique, seul l’établissement de santé coordonnateur négocie le montant des surcoûts hospitaliers avec le promoteur. Cette évaluation financière est ensuite imposée aux établissements publics de santé associés participant à l’essai clinique.

Certes, entre 2018 et 2019, les temps d’initiation des essais cliniques ont diminué mais de manière encore bien trop insuffisante : de 59 à 41 jours pour l’autorisation par l’ANSM, de 89 à 76 jours pour l’avis rendu par le CPP, de 76 à 70 jours pour la signature de la convention unique.

Le rôle des CPP et de l’ANSM en matière d’essais cliniques

La loi n° 2012-300 du 5 mars 2012 relative aux recherches impliquant la personne humaine (RIPH), dite « loi Jardé », telle que modifiée par l’ordonnance n° 2016-800 du 16 juin 2016 relative aux recherches impliquant la personne humaine, distingue trois catégories de recherches :

– les recherches qui comportent une intervention sur les personnes, non dénuée de risques pour celles-ci (RIPH de catégorie 1). Elles ne peuvent être mises en œuvre qu’après autorisation de l’ANSM et avis favorable d’un comité de protection des personnes (CPP) (article L. 1121-4 du code de la santé publique) ;

– les recherches à risque et contraintes minimes (RIPH de catégorie 2), qui ne peuvent être mises en œuvre qu’après avis favorable d’un CPP ;

– les recherches dites observationnelles (RIPH de catégorie 3), qui ne peuvent être mises en œuvre qu’après avis favorable d’un CPP.

Les trente‑neuf CPP existant en France sont des structures agréées par le ministère de la santé qui comportent chacun vingt-huit membres bénévoles répartis en deux collèges : l’un composé de scientifiques (médecins, pharmaciens, infirmiers) et l’autre de non‑scientifiques (juristes, spécialistes de l’éthique, représentants des usagers, etc.), tous spécialisés en RIPH. Ils peuvent faire appel à des experts et spécialistes pour les aider dans l’évaluation des dossiers.

Les CPP évaluent la recherche dans ses aspects scientifiques et éthiques. Ils évaluent les conditions d’information et de consentement des participants, le bien-fondé et la pertinence du projet ainsi que sa qualité méthodologique. Ils vérifient également que les droits des patients seront bien respectés et s’assurent tout particulièrement du respect de la confidentialité et de la gestion des données personnelles.

L’évaluation par l’ANSM des demandes d’autorisations d’essais cliniques couvre, elle, la sécurité et la qualité des produits utilisés au cours de l’essai ainsi que la sécurité des personnes participant à ces recherches.

La répartition des rôles entre l’ANSM et les CPP sera quelque peu modifiée par l’entrée en vigueur du règlement européen relatif aux essais cliniques. Ce règlement institue une procédure d’examen des projets d’essais cliniques de médicaments commune à tous les États membres comprenant une évaluation en deux parties, l’une consacrée à l’évaluation scientifique (dite « partie I »), l’autre consacrée à l’évaluation éthique (dite « partie II »). En France, l’évalution scientifique de l’essai clinique, et par suite, de sa méthodologie, sera confiée à l’ANSM et son évaluation strictement éthique sera conduite par un CPP.

Si l’ANSM a réussi à réduire de manière relativement significative les délais avec lesquelles elle évalue les demandes d’autorisations d’essais cliniques, ce n’est pas le cas des comités de protection des personnes (CPP). Les délais avec lesquels les CPP rendent leurs avis dépassent les délais fixés par le code de la santé publique et, surtout, sont bien supérieurs aux délais pratiqués dans les autres pays européens. Les CPP sont censés rendre leurs avis au plus tard quarante‑cinq jours ([234]) après la notification au demandeur par la commission nationale des recherches impliquant la personne humaine (CNRIPH) ([235]) de la réception du dossier complet. Ce délai est étendu à soixante jours dans le cas où le CPP demande des informations complémentaires au promoteur. Or, d’après le Leem, ce délai est de soixante‑seize jours. Une enquête réalisée par la coordination des promoteurs institutionnels (CPI) ([236]) conclut également à des délais bien supérieurs à soixante jours. Selon cette enquête, le délai moyen serait de quatre‑vingt‑trois jours pour les recherches de catégorie I, de quatre‑vingt‑deux jours pour les recherches de catégorie II et de soixante‑dix‑huit jours pour les recherches de catégorie III. Il est difficile d’établir des comparaisons avec les autres pays européens, tant le rôle des CPP peut différer. Les quelques enquêtes qui existent font état de délais particulièrement importants en France, comme le montre le tableau ci‑après.

DurÉe moyenne de l’Évaluation par les CPP dans diffÉrents pays europÉens

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Source : statistiques présentées au colloque de la Conférence nationale des comités de protection des personnes (CNCPP) en juin 2019 par Mme Hansel-Esteller, professeur des universités-praticien hospitalier.

i.   Les CPP souffrent d’un manque considérable de moyens

Si les délais d’évaluation par les CPP sont aussi longs, c’est avant tout parce que les CPP font aujourd’hui face à un manque considérable de moyens humains, financiers et logistiques :

– les moyens matériels mis à leur disposition par les structures hospitalières qui les accueillent sont très inégaux. Une récente enquête ([237]) menée par la Conférence nationale des comités de protection des personnes (CNCPP) fait état de la vétusté de leurs locaux et de l’insuffisance ou de l’obsolescence du matériel qui leur est fourni (sous-équipement en informatique et en mobilier notamment) ;

– les moyens budgétaires sont aussi très insuffisants. La loi de finances pour 2021 ([238]) prévoit que 4,1 millions d’euros seront consentis aux CPP, un montant inchangé par rapport à 2020 alors même que la charge de travail des CPP a été considérablement accrue pour accompagner l’effort de recherche clinique déployé pendant la crise sanitaire ;

– quant aux moyens humains octroyés aux CPP, ils ne sont, là encore, pas à la hauteur des missions qui sont les leurs. Ainsi, les secrétariats des CPP ne fonctionnent au mieux qu’avec 1,5 équivalent temps plein (ETP).

Les CPP font également face à des difficultés de recrutement importantes. Cela est dû, en partie, au faible nombre d’experts spécialisés dans les nouvelles aires thérapeutiques mais également au déficit d’attractivité des fonctions de rapporteur ou d’expert. Pour rappel, les fonctions de membre d’un CPP sont exercées à titre gracieux ([239]) et les fonctions de président et de vice-président de CPP ne sont pas indemnisées. Quant aux fonctions de rapporteur, d’expert ou de spécialiste, elles le sont, mais à un niveau très faible (67 euros bruts) ([240]). En plus d’être insuffisamment indemnisées, ces fonctions ne sont pas valorisées dans le parcours professionnel de ceux qui les exercent. Les rapporteurs le regrettent profondément et souhaitent, à cet égard, saluer la très forte mobilisation des membres des CPP pendant la crise sanitaire et, plus généralement, le dévouement avec lequel ils analysent l’ensemble des dossiers pour lesquels ils doivent rendre des avis.

ii.   Le fonctionnement même des CPP est source d’inefficacités

Au-delà du manque de moyens, le fonctionnement même des CPP est source d’inefficacités. Avant l’introduction du tirage au sort par la loi « Jardé » ([241]), le CPP sélectionné pour donner son avis sur un essai clinique était nécessairement l’un des CPP de l’interrégion dans laquelle exerçait le promoteur ou l’investigateur coordonnateur du projet de recherche.

Le tirage au sort des CPP a été rendu pleinement effectif en 2016. Pour être soumis à l’avis d’un CPP, chaque promoteur devait alors déposer un dossier auprès de la CNRIPH, laquelle procédait au tirage au sort permettant d’attribuer un dossier à l’un des trente‑neuf CPP existant en France. Cette procédure ne tenait pas compte des différentes charges de travail entre CPP et de l’hétérogénéité de leur composition et expertise, variable d’un territoire à l’autre.

C’est la raison pour laquelle en 2018, à l’initiative de nos collègues Cyrille Isaac‑Sibille et Philippe Berta, la loi relative à la désignation aléatoire des comités de protection des personnes ([242]) a modulé le tirage au sort des CPP. Ce tirage au sort tient désormais compte, pour l’attribution d’un dossier de recherche, de la disponibilité des CPP et de leur compétence dans le domaine concerné. La modulation introduite en 2018 était nécessaire mais elle ne donne pas entière satisfaction. Elle ne permet toujours pas de garantir l’expertise nécessaire à l’évaluation des projets de recherche.

Un décret ([243]) est intervenu récemment pour améliorer l’efficacité des CPP et en simplifier le fonctionnement. Si ce décret est bienvenu, il ne résoudra pas, à lui seul, les problèmes de délais trop longs. Les rapporteurs souhaitent insister sur la nécessité de mettre en place des mesures plus fortes, détaillées ci-après, pour renforcer l’efficacité des CPP, lesquels sont un maillon essentiel de la confiance en la recherche clinique. Une plus grande agilité du système d’évaluation scientifique et éthique s’impose d’ailleurs avec l’entrée en vigueur prochaine du règlement européen relatif aux essais cliniques de médicaments. Pour rappel, désormais, le dépassement du délai réglementaire vaudra accord tacite et non plus rejet de la demande d’essai clinique.

Le décret du 19 mars 2021 visant à améliorer le fonctionnement des CPP

Ses principales mesures sont les suivantes :

– introduction de la possibilité d’indemniser particulièrement les membres des CPP (même non rapporteurs) en raison des responsabilités qu’ils exercent ou de leur volume d’activité au sein du comité ;

– précision des modalités du tirage au sort. Le décret respecte, en cela, l’esprit de la loi puisque les CPP sont les seuls à pouvoir déterminer s’ils disposent du temps et des moyens humains nécessaires pour évaluer tel ou tel dossier ;

– introduction de nouveaux délais pour réduire le délai global d’examen par le CPP : chaque CPP a désormais deux jours pour se déclarer indisponible puis le promoteur dispose de dix jours pour répondre aux demandes de documents complémentaires souhaités par le CPP, lequel dispose ensuite de cinq jours au maximum pour notifier la réception du dossier.

b.   Renforcer l’efficacité des CPP

i.   Donner plus de moyens aux CPP et renforcer la visibilité de leur tutelle

Avant toute chose, les moyens des CPP doivent être très fortement augmentés. Les rapporteurs se félicitent que le financement des CPP ait été quelque peu revu à la hausse par la LFSS 2021 ([244]). Celle-ci prévoit l’augmentation du taux de la contribution sur le chiffre d’affaires des industries pharmaceutiques en vue d’en affecter le rendement supplémentaire au financement des CPP. Les rapporteurs seront néanmoins très attentifs à ce que ces recettes supplémentaires permettent bien l’amélioration, sur le terrain, des conditions de travail des CPP. Si ces recettes supplémentaires ne se révélaient pas suffisantes, il faudrait en tirer les conséquences lors d’une prochaine LFSS.

Le manque des moyens octroyés aux CPP s’explique, en partie, par le manque de visibilité, eu égard aux enjeux, de leur tutelle budgétaire et organisationnelle. Celle-ci est aujourd’hui assurée par une sous-direction ([245]) au sein de la direction générale de la santé (DGS). Certains acteurs appellent de leurs vœux un positionnement direct de la tutelle auprès de la direction générale de la DGS, d’autres un rattachement à l’ANSM. L’ensemble des acteurs concernés gagneraient à être concertés sur l’opportunité de modifier ou non le positionnement de la tutelle des CPP.

ii.   Consolider l’expertise des CPP

Parallèlement au renforcement des moyens financiers et matériels des CPP, leur expertise doit être consolidée. Pour cela, les rapporteurs jugent nécessaire de :

 renforcer les formations à destination des membres bénévoles des CPP. Le système de formation est en progrès puisqu’il fait aujourd’hui l’objet d’une convention en cours de signature entre l’École des hautes études en santé publique, la DGS et la CNRIPH. Néanmoins, comme l’a indiqué la CNRIPH lors de son audition, le portage de ce système de formation, fortement dépendant du bénévolat, est à pérenniser et à renforcer ;

 faciliter le recours, par les CPP, à des experts et spécialistes. Pour ce faire, il est nécessaire d’accélérer la mise en place d’un fichier d’experts auquel les CPP pourraient facilement avoir accès. Une plus grande coordination avec l’ANSM devrait permettre de finaliser un tel fichier. L’ANSM dispose en effet déjà d’un système d’accès à l’expertise bien construit ;

 valoriser davantage les missions exercées au sein des CPP dans les parcours professionnels de leurs secrétaires, de leurs membres et de leurs experts.

iii.   Engager une réflexion de fond sur la refonte du mode de fonctionnement actuel des CPP

Les rapporteurs sont convaincus de la nécessité d’engager une réflexion de fond sur la refonte du mode de fonctionnement actuel des CPP. Cette réflexion est rendue nécessaire par l’entrée en vigueur prochaine du règlement européen qui requiert que nous disposions, en France, de CPP capables d’évaluer rapidement des dossiers en anglais.

La DGS a récemment lancé un appel à volontariat pour identifier les comités à même de répondre aux exigences de délais européens et de rédiger leur avis en langue anglaise. Selon la DGS, une douzaine de comités aurait répondu favorablement à cet appel. Le risque de cette solution est de créer un système d’évaluation à deux vitesses : des CPP performants pour évaluer les essais cliniques européens et des CPP moins efficaces pour les autres essais cliniques.

Il n’est pas question de remettre complètement en cause le système du tirage au sort, lequel a des mérites certains. Il permet à la fois de se prémunir contre les conflits d’intérêts et de répartir plus équitablement la charge de travail entre les CPP. Néanmoins, comme le préconise la CNRIPH, une souplesse supplémentaire pourrait être introduite dans l’attribution des dossiers :

 il serait tout d’abord opportun d’autoriser les promoteurs à déposer, en amont, leurs dossiers dans un espace de « pré-soumission ». Le CPP en charge de l’évaluation resterait choisi par le système (et non par le promoteur) mais pourrait commencer à s’approprier le dossier en amont de l’évaluation et à apprécier la faisabilité du projet. Il pourrait solliciter un échange avec le promoteur s’il le souhaite ;

– il serait également pertinent de mettre en place, pour certains essais cliniques définis et labellisés comme prioritaires, une attribution directe par le ministère, lequel serait chargé de s’assurer de la disponibilité du comité choisi. Ce système a été mis en place pendant la crise sanitaire pour les essais cliniques relatifs à la covid‑19 et a très bien fonctionné ;

– il doit être envisagé de spécialiser un nombre restreint de CPP, non plus seulement pour les essais conduits sur les médicaments à l’échelon européen, mais sur des aires thérapeutiques très innovantes et éventuellement sur les essais précoces, lesquels requièrent souvent une expertise plus importante ;

– une réflexion pourrait également être engagée sur la possibilité de confier les RIPH de catégorie 3, non interventionnelles, à d’autres instances. La CNRIPH y est favorable, contrairement à la CNCPP qui invoque la potentielle dangerosité de ces essais et les erreurs de classification entre catégories de RIPH (1, 2 et 3). Les rapporteurs ne sont pas totalement fermés à cette proposition, estimant qu’elle pourrait permettre de dégager des ressources pour les RIPH de catégorie 1 et 2. Ils alertent néanmoins sur le risque de complexification si d’autres instances d’évaluation éthique et scientifique sont créées aux côtés des CPP.

5.   Assurer en toute transparence le suivi des essais cliniques

Une certaine opacité règne actuellement en matière d’essais cliniques. Une récente étude ([246]) montre que les promoteurs d’essais français ne rendent pas publics la plupart des résultats de leurs essais sur le registre européen. Lorsqu’ils le font, les données publiées sont souvent de mauvaise qualité, incomplètes, incorrectes, incohérentes ou obsolètes. Cette même étude montre que tous les promoteurs d’essais cliniques sont concernés par ce manque de transparence, tant les promoteurs à but non lucratif que les industriels.

Les rapporteurs sont convaincus qu’il est possible de préserver les intérêts économiques des promoteurs tout en renforçant la transparence en matière d’essais cliniques. La transparence des essais cliniques est une exigence éthique et scientifique. Elle contribue à la fois à la protection de la santé publique et à la capacité d’innovation de la recherche médicale européenne.

Comme le suggèrent les auteurs de l’étude précitée, l’ANSM pourrait être chargée de contacter les promoteurs d’essais cliniques dont les résultats sont en retard et de s’assurer que les données du registre sont cohérentes et exactes, voire d’imposer des sanctions aux promoteurs qui ne respectent pas les nouvelles obligations en matière de transparence prévues par le nouveau règlement européen sur les essais cliniques ([247]).

Proposition  20 : Rendre la France de nouveau attractive en matière d’essais cliniques

– Augmenter le soutien public aux essais cliniques. Centrer une large part de ce soutien sur les essais multicentriques, sur les essais européens (notamment pour les maladies rares) ainsi que sur les essais avec des normes élevées de preuve scientifique et s’assurer que les financements perçus par les directions des centres hospitaliers pour la réalisation des essais cliniques sont bien affectés aux équipes de recherche clinique ;

– Renforcer la coopération entre les acteurs réalisant des essais cliniques. Pour cela, créer notamment un guichet administratif commun aux centres hospitaliers universitaires (CHU) et centres hospitaliers (CH) d’un même territoire ;

– Améliorer l’accès de tous aux essais cliniques en indemnisant les déplacements des patients éloignés des centres des essais et en réalisant davantage d’essais en ambulatoire ;

– Remédier aux difficultés posées par la loi dite « anticadeaux » en accélérant les délais avec lesquels les dérogations sont accordées aux praticiens hospitaliers pour leurs activités de recherche ou d’évaluation scientifique. Exclure les groupes coopérateurs de cette législation ;

– Renforcer l’efficacité des comités de protection des personnes (CPP) :

* S’assurer que les recettes supplémentaires votées en LFSS 2021 permettent bien l’amélioration, sur le terrain, des conditions de travail des CPP. Concerter l’ensemble des acteurs concernés sur l’opportunité de modifier le positionnement, au sein de la DGS, de la tutelle budgétaire et organisationnelle des CPP ;

* Consolider l’expertise des CPP en renforçant les formations à destination de leurs membres bénévoles, en accélérant, en lien avec l’ANSM, la mise en place d’un fichier d’experts ainsi qu’en valorisant davantage les missions exercées au sein des CPP dans les parcours professionnels de leurs secrétaires, de leurs membres et de leurs experts ;

* Introduire davantage de souplesse dans le fonctionnement des CPP, sans remettre en cause le tirage au sort. À cette fin, permettre aux CPP de s’approprier le dossier en amont de l’évaluation grâce à son dépôt dans un espace de « pré-soumission », mettre en place, pour certains essais cliniques labellisés comme prioritaires, une attribution directe à un CPP par le ministère, et spécialiser un nombre restreint de CPP, non plus seulement sur les essais conduits à l’échelon européen, mais sur des aires thérapeutiques innovantes et, éventuellement, sur les essais précoces ;

– Assurer un suivi transparent des essais cliniques en chargeant l’ANSM d’imposer des sanctions aux promoteurs qui ne respectent pas les obligations en matière de transparence prévues par le nouveau règlement européen sur les essais cliniques.

 

 

 

II.   Assurer un accÈs aux mÉdicaments essentiels et innovants et lutter contre les pÉnuries

La problématique des pénuries de médicaments est aujourd’hui largement connue, comme en témoigne la multiplication de rapports récemment publiés à ce sujet ([248]). Les auditions menées par la mission d’information ont mis en lumière une grande attente de la part des acteurs et une certaine lassitude face à un phénomène ancien mais de plus en plus important.

L’arsenal d’outils de réponse aux pénuries, indispensable mais insuffisant, doit être complété de mesures ambitieuses pour soutenir la production de médicaments sur le territoire français et européen.

A.   Lutter contre les pÉnuries en sÉcurisant la chaÎne d’approvisionnement du mÉdicament

Pour lutter contre les pénuries, il est d’abord nécessaire de reprendre le contrôle de la chaîne d’approvisionnement du médicament.

1.   Renforcer la prévention des pénuries et améliorer la connaissance de la chaîne du médicament

a.   Consolider les dispositifs existants en matière de prévention et de gestion du risque

i.   Des avancées récentes

De nouveaux outils ont été développés au niveau national pour prévenir davantage les tensions sur les médicaments, en particulier lorsque ces tensions peuvent avoir des conséquences particulièrement dommageables pour les patients.

La loi de modernisation de notre système de santé de 2016 et le décret du 20 juillet 2016 ([249]) ont ainsi procédé à un renforcement conséquent des dispositifs de lutte contre les ruptures d’approvisionnement.

● La loi de 2016 a d’abord consacré la catégorie des médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM) à l’article L. 5111-4 du code de la santé publique, médicaments pour lesquels une interruption de traitement est susceptible de mettre en jeu le pronostic vital des patients à court ou moyen terme, ou représente une perte de chance importante pour les patients au regard de la gravité ou du potentiel évolutif de la maladie.

Pour ces MITM, les entreprises sont tenues d’assurer un approvisionnement approprié et continu du marché. Les stocks de tous ces médicaments font l’objet d’une surveillance renforcée et d’un signalement précoce à l’ANSM en cas de rupture. Le décret précise par ailleurs que l’exploitant doit communiquer sans délai les informations suivantes à l’ANSM : délais de survenue, stocks disponibles, délais prévisionnels de remise à disposition et identification de spécialités pouvant se substituer à la spécialité pharmaceutique en défaut. La liste des MITM pour lesquels une rupture ou un risque de rupture a été signalé ou mis en évidence est publiée sur le site de l’ANSM.

● D’autre part, la loi de 2016 impose aux exploitants d’élaborer et de mettre en place des plans de gestion des pénuries (PGP) destinés à prévenir et pallier une rupture de stock. Ainsi, à l’occasion du signalement à l’ANSM d’une rupture ou d’un risque de rupture d’un MITM considéré comme indispensable, l’exploitant est tenu de communiquer à l’ANSM le PGP correspondant, sous peine de sanction financière. La LFSS 2020 puis le décret du 30 mars 2021 ([250]) ont étendu l’obligation pour les laboratoires de mettre en œuvre des PGP, au départ limités aux seuls MITM « pour lesquels une rupture ou un risque de rupture présenterait pour les patients un risque grave et immédiat », à l’ensemble des MITM.

Les critères d’identification des MITM
devant faire l’objet de PGP par les entreprises

Il revient aux exploitants d’identifier les MITM pour lesquels ils sont tenus de mettre en place des PGP, en fonction des caractéristiques de ces médicaments déterminées par décret et de leur appartenance aux classes thérapeutiques définies par arrêté du ministre des solidarités et de la santé.

Le décret du 20 juillet 2016 a défini les caractéristiques permettant aux entreprises d’identifier, parmi les MITM, les médicaments devant systématiquement faire l’objet d’un PGP en cas de rupture. Ces caractéristiques sont les suivantes :

-          l’état du marché pour la spécialité concernée : les PGP sont nécessaires en cas d’absence, au regard de l’importance de la part de marché du médicament concerné en France, de médicaments contenant la même substance active ou appartenant à la même classe thérapeutique et disponibles en quantités suffisantes sur le territoire français ;

-          les caractéristiques liées au processus de fabrication du médicament : il s’agit de prendre en compte les fragilités inhérentes à la fabrication du médicament concerné, notamment l’absence d’autres sites pour la fabrication ou le conditionnement des matières premières à usage pharmaceutique, du produit fini ou des articles de conditionnement, ainsi que la complexité de la réalisation des opérations précitées ou de celles relatives au stockage ou au transport du médicament concerné.

Le décret du 20 juillet 2016 a par ailleurs défini des critères pour le contenu même des PGP, qui doivent tenir compte des principes de gestion du risque du cycle de fabrication et de distribution de la spécialité concernée. Les PGP peuvent notamment prévoir la constitution de stocks de médicaments destinés au marché national en fonction des parts de marché de chaque entreprise pharmaceutique, d’autres sites de fabrication de matières premières à usage pharmaceutique, d’autres sites de fabrication des spécialités pharmaceutiques, ainsi que, le cas échéant, l’identification de spécialités pharmaceutiques pouvant constituer une alternative à la spécialité pharmaceutique en défaut.

ii.   Rendre les outils de prévention et de gestion du risque plus opérationnels

Le renforcement de l’arsenal juridique de lutte contre les ruptures d’approvisionnement est salué par l’ensemble des acteurs. La consécration de la notion de MITM a ainsi constitué un pas important en permettant de définir des critères permettant d’identifier les spécialités thérapeutiques pour lesquelles l’indisponibilité représente un danger pour la survie des patients.

Les auditions menées par la mission d’information ont néanmoins mis en lumière les incertitudes autour de ces nouveaux outils, ainsi que leur caractère insuffisamment opérationnel. Le flou autour de la notion même de MITM apparaît particulièrement problématique (voir supra). Par exemple, les notions d’alternative thérapeutique comme les risques liés à la capacité d’approvisionnement ne sont pas nécessairement pris en compte dans la qualification en MITM.

Les critères réglementaires de déclenchement des PGP sont par ailleurs diversement appliqués par les industriels. Les critères relatifs aux parts de marché, au nombre d’acteurs en présence et à la durée des ruptures sont insuffisamment définis, ce qui engendre une grande hétérogénéité entre les PGP déclarés par les exploitants.

Les rapporteurs préconisent ainsi de clarifier, en lien avec l’ANSM, les critères devant présider à la classification d’un médicament en MITM.

Enfin, il est indispensable, selon les rapporteurs, de définir plus précisément le contenu exact des PGP et les éléments qu’ils doivent nécessairement contenir, afin d’harmoniser les PGP présentés par les industriels et de les rendre plus robustes. Il est également proposé d’imposer leur publication par les entreprises.

Proposition  21 : Renforcer et préciser les dispositifs juridiques de prévention et de gestion des pénuries de médicaments

– Clarifier, en lien avec l’ANSM, les critères de définition des MITM ;

– Harmoniser et renforcer la qualité des plans de gestion des pénuries en définissant des critères précis et obligatoires. Imposer par ailleurs leur publication aux entreprises.

b.   Améliorer la connaissance de la chaîne d’approvisionnement et s’accorder au niveau européen sur la notion de pénurie

i.   Créer une base de données sur la chaîne d’approvisionnement des MITM

La multiplication des pénuries de médicaments s’explique principalement par la complexité croissante de la chaîne de fabrication des médicaments. Le processus d’élaboration des médicaments est en effet de plus en plus parcellisé et fait appel à un enchevêtrement d’étapes (principe actif, conditionnement, répartition) qui sont souvent réalisées dans des sites de production et pays différents. Cette division internationale du processus de production rend difficile l’identification précise de l’ensemble de la chaîne de production des médicaments, pourtant essentielle pour lutter efficacement contre les pénuries.

Dans ce contexte, les rapporteurs appellent à donner les moyens à l’ANSM permettant de créer une base de données sur la chaîne d’approvisionnement des MITM, depuis les matières premières nécessaires aux substances actives et aux excipients jusqu’au produit final. Les auditions menées par la mission d’information ont montré que ces informations sont connues, mais ne sont pas répertoriées dans une base consolidée et informatisée. Cette base de données pourra permettre de visualiser l’ensemble du processus de production et d’identifier les fournisseurs communs (souvent en Asie) des matières premières ou des produits pour plusieurs entreprises. Cette analyse permettra d’identifier à l’avance les étapes placées dans des mains monopolistiques ou oligopolistiques, afin de favoriser l’émergence d’une offre alternative en priorité sur ces étapes. Elle permettra par ailleurs de définir les besoins en matière de relocalisation pour assurer un meilleur contrôle de l’approvisionnement des médicaments (voir II. B du présent rapport). Cette proposition pourrait également être portée au niveau européen.

ii.   Définir la notion de ruptures d’approvisionnement et de pénurie à l’échelon européen

Il est essentiel de définir à l’échelon européen une stratégie commune de lutte contre les pénuries. C’est en effet à cet échelon qu’il est possible de recréer les conditions d’une production et d’un approvisionnement sécurisés.

Le dispositif législatif français de prévention et de gestion des ruptures de stock s’inscrit largement dans le cadre réglementaire européen défini par la directive du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2011 ([251]). Cette directive consacre en effet l’obligation qui incombe aux titulaires d’une AMM d’un médicament ainsi qu’aux distributeurs d’assurer, dans la limite de leurs responsabilités effectives, un approvisionnement approprié et continu de ce médicament de manière à couvrir les besoins des patients de l’État membre concerné ([252]). De même, cette directive prévoit l’obligation pour les titulaires d’AMM de prévenir l’autorité compétente de l’État membre qui l’a délivrée, si le médicament n’est plus mis sur le marché dans l’État membre, de manière provisoire ou définitive ([253]).

Au-delà de la définition des obligations des industriels, il est nécessaire d’intégrer au niveau européen les outils de lutte contre les pénuries et de définir une stratégie cohérente dans l’ensemble de l’Union. Les rapporteurs saluent la mise en place de la stratégie pharmaceutique pour l’Europe annoncée début 2020 par la présidente de la Commission européenne et publiée le 25 novembre 2020, qui fait de la lutte contre les pénuries un objectif majeur. Il est néanmoins regrettable qu’il n’existe toujours pas de définitions harmonisées entre les États membres de notions essentielles telles que celles de « pénurie », de « tension », de « rupture d’approvisionnement » ou encore de « stockage » et « déstockage », ce qui entrave largement la capacité de mise en place d’une réponse cohérente et unifiée à la problématique des pénuries de médicaments. Pour les rapporteurs, il est impératif d’établir au plus vite une définition commune des notions de pénurie et de rupture d’approvisionnement.

Proposition  22 : Améliorer la connaissance de la chaîne d’approvisionnement du médicament et identifier à l’échelon européen les outils de lutte contre les pénuries

– Mettre en place une base de données à destination de l’ANSM sur la chaîne d’approvisionnement des MITM particulièrement indispensables et porter cette proposition auprès de l’Agence européenne du médicament ;

– Établir à l’échelon européen une définition des notions de pénurie et de rupture d’approvisionnement.

2.   Accroître le partage d’informations entre acteurs et la fluidité de la chaîne d’approvisionnement

a.   Renforcer la communication entre les différents maillons de la chaîne de distribution

● La phase de distribution des médicaments fait intervenir un grand nombre d’acteurs. On distingue principalement les dépositaires pharmaceutiques, les grossistes-répartiteurs ainsi que les groupements et centrales d’achat, responsables de la distribution en gros de médicaments. La dispensation des médicaments et vaccins est, elle, effectuée par une officine ou une pharmacie hospitalière (pharmacie à usage intérieur).

Les principaux acteurs de la chaîne de distribution du médicament

– Les dépositaires des médicaments constituent le premier maillon de la chaîne de distribution. Ils assurent le stockage et la distribution des produits de santé pour environ 67 % des flux distribués en France, à destination principalement des grossistes‑répartiteurs, mais également des officines et des hôpitaux.

– Les grossistesrépartiteurs, deuxième maillon essentiel de la chaîne d’approvisionnement, assurent l’approvisionnement de l’ensemble du réseau officinal ainsi que de certains établissements établissements hospitaliers. Les grossistes répartiteurs sont soumis à des obligations de service public définies à l’article R. 5124-59 du code de la santé publique. Ils doivent ainsi référencer au moins les neuf dixièmes des présentations de médicaments exploités en France, disposer d’un stock permettant de satisfaire à tout moment la consommation de leur clientèle habituelle durant au moins deux semaines et pouvoir livrer tout médicament de leur stock dans les 24 heures suivant la réception d’une commande. Les grossistes‑répartiteurs ne peuvent par ailleurs pas exporter de MITM en situation de rupture ou risque de rupture et doivent participer à un sytème d’astreinte les jours feriés et les week-ends pour permettre la livraison des médicaments dans les situations d’urgence.

Ainsi, les répartiteurs approvisionnent quotidiennement les 21 000 pharmacies françaises (6 millions de boîtes de médicaments distribuées quotidiennement). Selon la Chambre syndicale de la répartition pharmaceutique (CSRP), les laboratoires pharmaceutiques livrent 85 % des produits demandés par les répartiteurs, tandis que les répartiteurs sont capables de répondre à 95 % aux demandes des pharmacies.

Les médicaments peuvent néanmoins être directement vendus aux officines de pharmacie, sans passage par les grossistes‑répartiteurs.

– Les pharmacies hospitalières et d’officine constituent enfin le dernier maillon de la chaîne du médicament et sont chargées de dispenser les médicaments et vaccins aux patients.

Les acteurs ont unanimement salué la mise en place du dispositif DP‑Ruptures, qui constitue un vrai progrès pour l’échange d’informations entre les protagonistes de la chaîne d’approvisionnement. Cet outil, mis en place en novembre 2016 à la suite d’une expérimentation amorcée en 2013, est un système d’alerte directe entre les industriels et les pharmacies. Ouvert aux officines, aux pharmacies à usage intérieur et aux laboratoires pharmaceutiques adhérents au logiciel sur la base du volontariat, il permet de recenser les ruptures constatées dans les pharmacies et les déclarations faites par les industriels et d’optimiser la communication entre les différentes parties prenantes. Ainsi, dès lors qu’un pharmacien ne peut plus s’approvisionner dans un médicament pendant 72 heures, une déclaration de rupture est automatiquement créée via le logiciel.

Le partage d’informations entre acteurs de la chaîne du médicament demeure néanmoins limité.

En premier lieu, le dispositif DP‑Ruptures n’est pas accessible à l’ensemble des protagonistes du circuit de distribution du médicament. D’une part, il n’est pas ouvert aux grossistes‑répartiteurs, alors que cet accès constitue une demande forte de la profession. D’autre part, fondé sur le volontariat, le dispositif n’est pas utilisé par l’ensemble des parties prenantes, en particulier par les pharmacies hospitalières.

S’agissant des informations fournies aux officines, leur qualité, leur périodicité et leur précision sont très variables en fonction des industriels et des produits concernés, selon la Fédération hospitalière de France (FHF). L’audition des pharmacies d’officine a par ailleurs permis de mettre en évidence le manque d’exhaustivité des informations fournies par les industriels. En effet, si les entreprises signalent les ruptures d’approvisionnement en cours, elles ne donnent souvent aucune indication quant aux causes de ces tensions, ni sur les dates de remise sur le marché des produits. Les pharmaciens d’officine se trouvent dès lors démunis face à ces ruptures et ne peuvent donner d’informations claires au patient ce qui selon l’USPO ([254]) « impacte la crédibilité de la chaîne du médicament et de ses acteurs ».

Les rapporteurs appellent à améliorer significativement ce partage d’informations entre acteurs de la chaîne du médicament en rendant le dispositif DP‑Ruptures obligatoire et en y incluant tous les acteurs. Ils proposent également de définir plusieurs éléments précis devant être renseignés par les industriels lorsqu’ils informent les pharmaciens des ruptures d’approvisionnement en cours (notamment la cause de la rupture et la date de remise sur le marché du produit). Ils appellent enfin à inclure les médecins prescripteurs, qui se retrouvent en première ligne face aux conséquences des pénuries parmi les premiers destinataires des informations sur les pénuries, notamment de MITM, afin de leur permettre d’accompagner au mieux leurs patients.

b.   Améliorer la fluidité de la chaîne de distribution du médicament

Le grand nombre d’acteurs impliqués dans la chaîne d’approvisionnement du médicament est source de complexité. Les rapporteurs appellent à mettre en place toutes les mesures pouvant potentiellement alléger ou fluidifier le circuit de distribution du médicament.

i.   Harmoniser les règles de conditionnement des médicaments au niveau européen

L’hétérogénéité des règles de conditionnement secondaire (qui touchent principalement aux boîtes de médicaments) pose de nombreuses difficultés. En effet, en cas de rupture d’approvisionnement de certains produits, les spécificités par pays demandent des reconditionnements qui retardent l’arrivée des médicaments de substitution et créent de plus petits marchés pour chaque type de boîte. S’il est compréhensible que les notices et les inscriptions sur les boîtes soient dans la langue du pays, il est nécessaire d’éviter les particularités nationales comme la modification unilatérale de codification des médicaments ou l’ajout de pictogrammes spécifiques à un État.

Dans la lignée des recommandations formulées par M. Jacques Biot lors de son audition, les rapporteurs invitent à harmoniser au niveau européen les règles de conditionnement secondaire et les notices pour les médicaments indispensables. À plus long terme, il est également souhaitable d’harmoniser les règles de conditionnement primaire des médicaments essentiels, en définissant en commun les règles de dosage et le nombre de comprimés par boîte et en faisant figurer un QR code permettant d’obtenir en ligne toutes les informations sur le produit. Cette harmonisation permettrait de servir tout le marché européen avec un seul produit et de procéder à une répartition plus efficace entre pays en cas de pénurie.

ii.   Améliorer la distribution des médicaments sur les sites de répartition

S’agissant de l’échelon national, l’audition des grossistes‑répartiteurs a mis en lumière l’inefficacité du modèle actuel de distribution des médicaments aux grossistes‑répartiteurs lors des périodes de tensions d’approvisionnement. En effet, la livraison des produits de santé sur l’ensemble des sites de répartition entraîne une dissémination des stocks disponibles et par conséquent, une distribution inefficace. Pourtant, les grossistes‑répartiteurs sont aujourd’hui capables de piloter l’approvisionnement de leurs agences locales depuis des établissements-pivots, qui se trouvent au niveau national ou régional. Cette capacité leur permet d’adapter leur mode de fonctionnement lors des épisodes de tensions d’approvisionnement.

Les rapporteurs proposent ainsi, en sortie d’épisodes de ruptures d’approvisionnement et à l’initiative de l’ANSM, de concentrer l’approvisionnement des médicaments concernés sur les établissements-pivots. Une telle distribution permettrait en effet d’assurer un pilotage de l’approvisionnement dans les agences locales plus pertinent. En effet, les agences qui ont besoin de produits seront livrées rapidement, alors que celles qui n’en ont pas besoin ne se verront pas allouer des stocks inutiles.

Proposition n° 23 : Renforcer le partage d’informations entre les acteurs et améliorer la fluidité de la chaîne de distribution du médicament

– Inclure l’ensemble de la chaîne de distribution, dont les grossistes‑répartiteurs et les dépositaires, dans le dispositif DP‑Ruptures et le rendre obligatoire ;

– Renforcer l’obligation d’information sur les ruptures d’approvisionnement qui incombe aux industriels : imposer de préciser l’origine des tensions et la date de remise sur le marché des produits ;

– Informer en première ligne les médecins prescripteurs des pénuries de MITM, afin de leur permettre d’assurer au mieux l’accompagnement de leurs patients ;

– Harmoniser les règles de conditionnement secondaire des médicaments au niveau européen et viser, à terme, l’harmonisation des règles de conditionnement primaire ;

– En sortie d’épisodes de ruptures d’approvisionnement, et à l’initiative de l’ANSM, approvisionner les établissements-pivots (nationaux ou régionaux) des répartiteurs pharmaceutiques.

3.   Responsabiliser les acteurs et mieux sanctionner les comportements répréhensibles

a.   Faire des obligations de stockage des médicaments un outil de lutte contre les pénuries, harmonisé à l’échelon européen

La production de médicaments à flux tendu, donc avec très peu de stocks, constitue un facteur particulièrement propice à la multiplication des pénuries. En effet, en l’absence de stocks, la moindre rupture d’approvisionnement en amont – qu’elle ait lieu au stade de la fabrication du principe actif ou, plus souvent, à celui du façonnage – expose à une perturbation de toute la chaîne d’approvisionnement du médicament.

Dans ce contexte, la mise en œuvre de l’article 48 de la LFSS 2020, qui impose aux industriels la constitution d’un stock de sécurité destiné au marché national afin d’assurer l’approvisionnement en cas de pénuries constituait une demande très forte des acteurs. À l’exception des industriels, la quasi‑totalité des acteurs auditionnés ont fait part à la mission d’information de leur attente très forte du décret d’application d’une telle mesure, paru plus d’un an après l’entrée en vigueur de la loi.

Le décret du 30 mars 2021 ([255]) prévoit ainsi pour les MITM, une obligation de constitution d’un stock de sécurité minimal fixé à deux mois. Une hausse du niveau de stock attendu à quatre mois est possible, sur décision de l’ANSM, en cas de risques de ruptures ou de ruptures de stock réguliers constatés dans les deux années civiles précédentes. Pour les autres médicaments, l’obligation de stock est d’une semaine mais peut être portée à un mois pour les médicaments contribuant à une politique de santé publique définie par le ministre chargé de la santé.

Pour de nombreux acteurs, l’obligation de constituer un stock de sécurité de deux mois pour les MITM – alors même que la loi permet d’aller jusqu’à quatre mois – et d’une semaine pour les autres médicaments est particulièrement insuffisante, comparée à la durée moyenne des ruptures d’approvisionnement, de quatorze semaines en 2017. France Assos Santé souligne ainsi le peu d’ambition de cette disposition, au regard des obligations de stockage prévues par plusieurs partenaires européens. La Finlande impose par exemple depuis 2009 des stocks de sécurité pour une liste d’environ 1 500 médicaments, d’une durée de trois à dix mois selon les classes thérapeutiques.

Les auditions menées par la mission d’information ont mis en lumière la sensibilité de la question de la constitution de stocks de médicaments, décrite par les industriels comme inutile et fortement coûteuse. Si l’augmentation de la durée des stocks devant être constitués par les laboratoires pharmaceutiques semble dès lors difficilement envisageable à court terme, les rapporteurs appellent à renforcer significativement la transparence et l’information sur les stocks de médicaments disponibles et à établir des règles de stockage harmonisées au niveau européen.

Ainsi, il est nécessaire de mettre en place une transparence accrue des stocks tout au long de la chaîne d’approvisionnement, incluant l’ensemble des acteurs. Ce partage d’information doit être envisagé au niveau européen, afin d’identifier précocement les risques de rupture d’approvisionnement. Les rapporteurs soutiennent la proposition émise par le Parlement européen, dans sa résolution du 17 septembre 2020 ([256]), de mettre en place une plateforme numérique pour signaler et notifier les informations harmonisées fournies par les agences nationales et l’ensemble des acteurs, y compris les producteurs, les grossistes et les pharmaciens en matière de stocks disponibles et de pénuries de médicaments.

La définition de règles communes de stockage de médicaments dans l’Union européenne apparaît aussi essentielle pour limiter les éventuels déséquilibres de marché entre les pays améliorer la résilience de l’Union face aux pénuries. La mise en place de stocks au niveau européen, pour les médicaments les plus stratégiques, envisagée par la stratégie pharmaceutique pour l’Europe, doit également être particulièrement soutenue. Ainsi que l’a indiqué Mme Véronique Trillet‑Lenoir, députée européenne, il pourrait en effet revenir à la nouvelle agence HERA de stocker les médicaments stratégiques et indispensables, selon une liste prédéfinie.

Proposition  24 : Renforcer la transparence sur les stocks disponibles tout au long de la chaîne d’approvisionnement et harmoniser les règles de stockage des médicaments au niveau européen

– Créer une plateforme numérique au niveau européen permettant de recenser l’état des stocks de l’ensemble des acteurs de la chaîne d’approvisionnement ;

– Harmoniser les règles de stockage de médicaments entre les pays européens et définir une liste de médicaments stratégiques et indispensable devant être stockés au niveau européen, par l’agence HERA.

b.   Assurer l’effectivité des sanctions contre les industriels en cas de méconnaissance de leurs obligations

Malgré l’obligation qui incombe aux exploitants d’assurer un approvisionnement approprié et continu du marché national ([257]), les manquements à cette mission ont jusqu’à présent été très peu sanctionnés.

Les obligations incombant aux exploitants de médicaments

Les obligations s’imposant aux industriels ont peu à peu été renforcées. Ainsi, l’article L. 5124‑6 du code de la santé publique oblige depuis 2004 les établissements pharmaceutiques à informer les autorités de toute action engagée pour suspendre la commercialisation ou retirer du marché un médicament, et de tout risque de rupture de stock sur un médicament ou produit sans alternative thérapeutique disponible, dont il assure l’exploitation. La loi dite « Médicament » de 2011 ([258]) a ensuite complété cette obligation en faisant passer à un an le préavis que doivent respecter les industriels après information de l’ANSM avant de suspendre ou d’arrêter la commercialisation d’un médicament utilisé dans une ou des pathologies graves dans lesquelles elle ne disposerait pas d’alternatives disponibles sur le marché. La loi de modernisation du système de santé de 2016 impose par ailleurs à l’exploitant d’un MITM d’informer l’ANSM de tout risque de rupture de stock ou de toute rupture de stock sur ce médicament, et de mettre en place des solutions alternatives permettant de faire face à cette situation et, le cas échéant, son plan de gestion des pénuries ([259]).

En effet, les sanctions financières prévues contre les industriels en cas de manquement à leurs obligations ont longtemps été très limitées : jusqu’à la LFSS 2020, seul le défaut d’information des ruptures de stock ou les arrêts de commercialisation ainsi que la non mise en œuvre des solutions alternatives ou des mesures prévues par le plan de gestion des pénuries pouvaient faire l’objet de sanctions financières.

De fait, on ne peut être qu’interpellé par le faible nombre de sanctions prononcées contre les laboratoires, malgré l’augmentation continue des pénuries depuis plusieurs années. Ainsi, en 2018, l’ANSM a prononcé une seule sanction, contre le laboratoire MSD France. En 2019, seules deux sanctions ont été prononcées, contre les groupes Sandoz et Pfizer, pour défaut d’information suite à des ruptures de stock et ont représenté des montants dérisoires : l’une de 830 euros (pour le médicament Fludarabine de Sandoz) et une autre de 5 807 euros (pour le médicament Aracytine de Pfizer).

Le renforcement, par la LFSS 2020 ([260]), des obligations des laboratoires ainsi que de la portée des sanctions applicables sont à saluer. Cette loi a apporté trois principales avancées :

– elle prévoit, en premier lieu, l’obligation pour les laboratoires pharmaceutiques de constituer, pour chaque médicament, un stock de sécurité destiné au marché national ([261]) ;

– elle met en place un dispositif permettant, en cas de rupture de stock et en dehors de cas de force majeure, au directeur général de l’ANSM d’imposer à l’entreprise pharmaceutique exploitante d’importer toute alternative au produit en rupture, après mise en œuvre d’une procédure contradictoire ;

Importation des alternatives à la charge des industriels

Le dispositif d’importations alternatives à la charge des industriels, prévu à l’article 48 de la LFSS 2020 est, dans les faits, très encadré.

Cette obligation ne peut s’imposer que s’il s’agit d’un MITM ou d’un vaccin pour lequel la rupture ou le risque de rupture de stock présente pour les patients un risque grave et immédiat et si ni les alternatives éventuellement disponibles sur le territoire national, ni les mesures communiquées par l’entreprise exploitante ne permettent de couvrir les besoins nationaux. Cette obligation est par ailleurs limitée à la durée de cette rupture.

L’entreprise défaillante devra prendre en charge le coût de l’importation et verser à l’assurance maladie la différence entre les montants remboursés afférents à l’alternative au médicament et ceux qui auraient résulté du remboursement du médicament initial pendant la période de rupture, dans la limite de sa part dans la couverture des besoins au cours des six mois avant la rupture.

– surtout, la LFSS 2020 élargit le champ des sanctions financières en matière de tensions d’approvisionnement en créant un article L. 5223-9 au sein du code de la santé publique rassemblant l’ensemble des sanctions pouvant être prises à l’encontre des laboratoires. Peuvent ainsi être sanctionnés le non-respect des obligations de stocks ou le fait de ne pas collaborer avec l’ANSM pour importer des solutions alternatives. Ces sanctions pourront être prononcées par l’ANSM, dans la limite de 30 % du chiffre d’affaires réalisé lors du dernier exercice clos pour le produit concerné, dans la limite de 1 million d’euros.

Si le renforcement des obligations incombant aux laboratoires pharmaceutiques et des sanctions applicables constitue indéniablement une avancée, le caractère dissuasif des sanctions pourrait être renforcé.

Ainsi plusieurs acteurs regrettent le manque de publicité autour des sanctions, qui pourrait pourtant inciter les industriels à remplir leurs obligations. En effet, l’efficacité des sanctions réside sans doute moins dans le montant décidé que dans la communication autour des sanctions. On peut par ailleurs déplorer que la durée de publication des sanctions soit limitée à un mois, ce qui limite significativement la transparence autour des actions des laboratoires pharmaceutiques.

La méthode de calcul des sanctions retenue est par ailleurs critiquée. En effet, la sanction se calcule en fonction du chiffre d’affaires du médicament en rupture, alors que ces médicaments sont souvent les moins rémunérateurs pour le laboratoire concerné.

Afin de faire des sanctions un dispositif réellement dissuasif pour lutter contre les pratiques abusives des laboratoires, les rapporteurs proposent de renforcer la publicité autour des sanctions en rendant obligatoire la publication sur le site de l’ANSM de l’historique des ruptures de stock des exploitants ainsi que des sanctions prononcées à leur encontre. Les rapporteurs souhaitent également revoir les modes de fixation du montant des sanctions en les calculant sur le chiffre d’affaires global des entreprises.

c.   Lutter contre les comportements problématiques de certains acteurs de la répartition

● Les auditions menées par la mission d’information ont mis en lumière la problématique des grossistes‑répartiteurs dits « short liners », dont les pratiques sont déstabilisatrices pour la chaîne d’approvisionnement et sont contraires à leurs obligations de service public. Attirés par la rentabilité du marché du médicament, les short liners concentrent leur activité sur la vente directe de quelques références pourvoyeuses de marge importante pour eux et de conditions commerciales importantes pour les pharmaciens. Ils sont en effet qualifiés de short liners en opposition aux full liners, qui assurent, eux, la répartition en distribuant une large gamme de médicaments.

Par ailleurs, ces acteurs ont la plupart du temps une activité d’export importante, notamment dans le cadre des exportations parallèles, le plus souvent sur des produits contingentés par les laboratoires. Les short liners ne respectent pas, en outre, tout ou partie de leurs obligations, en particulier celle de disposer d’un stock de médicaments et la nécessité d’être en mesure de livrer les officines dans les 24 heures. Les ARS procèdent à des inspections au sein des établissements pharmaceutiques des grossistes‑répartiteurs et sanctionnent les acteurs qui ne remplissent pas leurs obligations de service public. En 2018, l’ANSM a ainsi prononcé cinq injonctions et cinq sanctions financières à l’encontre de short liners, pour un montant total de 480 500 euros. On estime à trente‑six ([262]) le nombre de short liners en 2021, contre quinze en 2021.

Au-delà de la question de l’équité entre les acteurs de la répartition, ces comportements peuvent, selon l’ANSM, favoriser l’introduction de médicaments falsifiés dans la chaîne de distribution, rendre plus difficile la traçabilité des médicaments et entraîner un asséchement du marché car certains acteurs achètent des médicaments à moindre coût en France pour les revendre dans d’autres pays européens.

Les rapporteurs recommandent de renforcer les contrôles pour s’assurer du respect par les grossistes‑répartiteurs de leurs obligations de service public. Ils appellent également à engager un travail juridique visant à distinguer l’activité des short liners de celles des full liners pour éviter d’accorder des autorisations d’ouverture à des établissements dont les pratiques sont contestables.

Proposition  25 : Renforcer les sanctions prévues en cas de manquement par les laboratoires et les acteurs de la répartition de leurs obligations

– Rendre public sur le site de l’ANSM, sans limitation de durée, l’historique des ruptures de stock et des sanctions prononcées contre les laboratoires ;

– Revoir le mode de calcul des sanctions en les fondant sur le chiffre d’affaires global de l’entreprise, et non le seul chiffre d’affaires du médicament en rupture ;

– Renforcer les contrôles sur les pratiques des grossistes répartiteurs et engager un travail juridique visant à distinguer l’activité des short liners de celle des full liners.

B.   Lutter contre les pÉnuries en relocalisant et en inventant de nouveaux modÈleS de production

Les dispositifs de gestion des pénuries sont, comme on l’a vu, essentiels, et doivent être renforcés. Il est néanmoins indispensable d’agir également en amont, en menant des politiques contribuant à renforcer l’indépendance sanitaire, au niveau national et européen.

1.   Encourager la production pharmaceutique en France et en Europe

Pour restaurer la souveraineté sanitaire et lutter contre les pénuries, les pouvoirs publics cherchent, depuis plusieurs années, à encourager la production pharmaceutique. Cet objectif doit s’intégrer dans une stratégie cohérente et ciblée, déployée à l’échelon national et européen.

a.   Produire davantage sur le territoire : un objectif depuis plusieurs années

Les politiques visant à encourager la production de médicaments en France et en Europe se sont essentiellement traduites, jusqu’à présent, par des mesures de soutien au tissu industriel existant.

Ce soutien à l’industrie du médicament était notamment l’objectif du CSIS en 2016 ([263]), lequel entendait valoriser la production pharmaceutique en luttant contre la sous‑utilisation des outils de production français. Des mesures ont ainsi été mises en place, notamment les appels à projets de recherche et développement structurants pour la compétitivité (PSPC), qui, au sein du programme d’investissements d’avenir (PIA), soutiennent des projets stratégiques présentant des objectifs industriels. Depuis 2019, les fonds « Tibi », dont neuf sont consacrés à la santé, visent également à soutenir les entreprises dans leur développement industriel et commercial.

La priorité a surtout été donnée au renforcement des capacités de bioproduction. Ainsi, en 2018, une des mesures phares du CSIS était de favoriser le développement d’une filière de médicaments de thérapie innovante ([264]). Cette priorité a été reprise en 2019 par le contrat stratégique de la filière « Industries et technologies de santé » (CSF-ITS, voir infra([265]), qui avait pour objectif de « développer une filière innovante de fabrication de produits biologiques ». Dans la continuité de ces travaux, l’Alliance France Bioproduction a été lancée en décembre 2020. Cette structure de pilotage scientifique et industriel vise à structurer la filière des biothérapies, notamment en favorisant la coopération entre acteurs publics et privés.

Le comité stratégique de la filière « Industries et technologies de santé »

Les comités stratégiques de filière (CSF) ont pour mission d’instaurer un dialogue régulier entre les différents acteurs des secteurs stratégiques de l’industrie française. Ce dialogue régulier s’articule au travers d’une gouvernance qui intègre l’État, les entreprises et les représentants des salariés. Ces acteurs identifient, de façon convergente avec l’État, dans des « contrats de filière », les enjeux clés de la filière et les moyens d’y répondre.

Le CSF de l’industrie pharmaceutique est le CSF Industries et technologies de santé (ITS), qui comprend l’ensemble des entreprises du territoire français concourant à la recherche, au développement, à la production et à la commercialisation dans le domaine de la santé : laboratoires pharmaceutiques, dispositifs médicaux, diagnostic in vitro et entreprises du numérique.

Au niveau européen, jusqu’en 2020, les mesures prises pour favoriser la production pharmaceutique ont été essentiellement centrées sur le développement de nouveaux médicaments. Ainsi, l’initiative pour les médicaments innovants (IMI) ([266]) et le Conseil européen de l’innovation (EIC), dotés respectivement de 1,5 milliard d’euros et 10 milliards d’euros ([267]), ont permis aux entreprises de bénéficier d’un soutien pour la mise au point de nouveaux médicaments.

b.   Le tournant de la crise sanitaire : la relocalisation élevée au rang de priorité

La crise de la covid‑19 a mis en évidence la forte dépendance de la France et de l’Europe vis‑à‑vis des pays tiers en matière sanitaire. En plus de soutenir le tissu industriel existant, les pouvoirs publics ont renforcé les efforts en faveur d’une relocalisation de la production pharmaceutique, indispensable pour regagner en souveraineté sanitaire.

i.   En France, la relocalisation comme priorité

En juin 2020, le ministre des solidarités et de la santé a présenté un plan d’action pour la relocalisation des industries de santé ([268]). Ce plan prévoit notamment la relocalisation de la production de principes actifs de paracétamol sur le territoire national, avec l’objectif de produire, conditionner et distribuer ce médicament d’ici trois ans. Le comité stratégique de filière a aussi été chargé d’élaborer un plan d’action, visant à recenser les projets industriels pouvant faire l’objet de relocalisations. Un appel à manifestation d’intérêt (AMI) « Capacity Building » a été lancé à l’été 2020 pour soutenir les projets pouvant faire croître la production de médicaments impliqués dans la prise en charge des patients atteints de la covid‑19. À ce jour, cet AMI a permis de soutenir dix‑sept entreprises, pour un total de 160 millions d’euros ([269]).

La relocalisation de la production est également l’un des axes du Plan de relance lancé le 3 septembre 2021, qui mobilise 6 milliards d’euros pour une diminution des impôts de production ([270]) ainsi que des dispositifs de soutien à l’investissement. Au total, selon un bilan partiel, soixante‑seize projets de relocalisation dans le domaine de la santé ont été soutenus ([271]). Ces objectifs de relocalisation ont par ailleurs été repris dans le nouveau CSIS ([272]), lancé en février 2021, qui entend faire de la France la « première nation européenne innovante et souveraine en santé ».

Ces mesures en faveur de la relocalisation ont été saluées par les acteurs industriels auditionnés. Ainsi, pour M. Olivier Bogillot, président de Sanofi France, les mesures annoncées jouent un rôle de soutien « essentiel » à la politique d’implantation. Toutefois, certaines difficultés doivent être soulignées, principalement financières. La relocalisation risque en effet d’engendrer une hausse des coûts de production et donc du prix des médicaments. Cependant, ce coût à court terme devrait être compensé par des bénéfices à long terme, en matière d’emploi, de sécurisation de l’approvisionnement, ou encore de protection de l’environnement.

ii.   Des mesures pour une « autonomie stratégie ouverte de l’Union européenne »

La crise sanitaire de la covid‑19 a marqué un tournant dans la prise de conscience d’une nécessaire relocalisation d’une partie de la production pharmaceutique. L’échelon européen a été reconnu comme le plus pertinent pour engager cette relocalisation. Celui-ci est en effet le plus compatible « avec les investissements et l’économie d’échelle que demande cette démarche compliquée et coûteuse », comme l’a souligné le président de Sanofi France. Par ailleurs, la coordination européenne est essentielle pour éviter les surcapacités de production, qui constitueraient à la fois une perte de ressources et une menace pour la pérennité des entreprises.

Selon la Commission européenne, la stratégie pharmaceutique pour l’Europe, qui vise à développer « l’autonomie stratégique ouverte de l’Union européenne », devra doter l’Union d’une capacité de fabrication de médicaments critiques. À cette fin, la stratégie prévoit de lancer un dialogue structuré entre les parties prenantes afin de recenser les dépendances stratégiques de l’Union en matière de santé, puis de proposer des mesures pour la réduire, notamment en encourageant la production sur le sol européen. Les pays européens pourront avoir recours aux projets importants d’intérêt européen commun (PIIEC), afin de mutualiser leurs ressources pour des projets communs. Si, à ce jour, aucun PIIEC n’a encore été lancé dans le domaine de la santé, les acteurs s’y montrent favorables. Comme indiqué dans la deuxième partie du présent rapport, la France s’est d’ailleurs montrée proactive en lançant un appel à manifestation, afin d’identifier les acteurs susceptibles de participer au PIIEC.

c.   La nécessité d’une stratégie intégrée

i.   Cibler les efforts de soutien et de relocalisation sur les médicaments les plus stratégiques

Les rapporteurs saluent les efforts en faveur de la production pharmaceutique en France et en Europe et la priorité donnée à la relocalisation dans le cadre de la crise sanitaire. Si ces efforts sont évidemment à pérenniser, ils doivent néanmoins s’inscrire dans une stratégie claire et cohérente entre l’échelon national et européen.

Comme l’ont souligné plusieurs acteurs auditionnés, il est en effet illusoire de penser que toute la production pharmaceutique pourra être relocalisée. Une telle mesure n’est d’ailleurs pas souhaitable : la globalisation de la chaîne de production permet d’assurer un approvisionnement et l’accès à une large gamme de produits.

Il est dès lors important de définir les priorités vers lesquelles doivent être orientées les mesures de soutien à l’industrie et de relocalisation. En ce sens, le recensement des projets industriels stratégiques confié au CSF sera particulièrement utile. Il est également nécessaire d’identifier quels médicaments sont indispensables à la sécurité sanitaire de la France et de l’Union européenne et dont il faudrait relocaliser la production.

Pour cela, il est primordial de s’accorder, au niveau européen, sur une définition commune de la notion de médicament essentiel ou de médicament d’intérêt thérapeutique majeur. La France doit ainsi s’impliquer tout particulièrement dans les travaux autour de l’élaboration de cette définition et pousser pour qu’elle soit rendue obligatoire dans l’ensemble des pays européens.

Il est par ailleurs nécessaire d’établir une liste de médicaments d’intérêt thérapeutique majeur, considérés comme essentiels pour l’autonomie stratégique de l’Union européenne et devant être relocalisés en priorité. Une telle mesure a déjà été mise en place aux États‑Unis : le décret présidentiel du 6 août 2020 ([273]) prévoit la garantie de production sur le sol américain des médicaments essentiels, contre‑mesures médicales et intrants critiques et charge la Food and Drug Administration (FDA) d’identifier une liste de ces produits ([274]).

Les rapporteurs proposent de s’inspirer du modèle utilisé pour les quarante‑trois médicaments anticancéreux indispensables, identifiés par l’INCa, dans le cadre du CSIS de juillet 2018 et dont l’ensemble des acteurs auditionnés ont souligné la pertinence. Les médicaments devant figurer sur cette liste sont les médicaments considérés comme indispensables (pour lesquels une rupture entraîne un risque grave et immédiat pour les patients) et concernés par une pénurie ou un risque de pénurie.

L’enjeu n’est pas de figer dans une catégorie les médicaments concernés comme MITM, mais de définir une liste de molécules appelant une réponse rapide et renforcée, qui pourrait être révisée régulièrement.

Une fois la liste établie, il conviendra, pour leur production, de s’appuyer sur une cartographie des capacités de production en France et en Europe.

ii.   Établir une cartographie des sites de production inutilisés en France et en Europe

La lutte contre les pénuries rend en outre nécessaire une connaissance fine des capacités de production de médicaments, en France et dans l’Union européenne, afin d’identifier les points de faiblesse et les capacités sous‑utilisées. En effet, comme l’a rappelé le Pr Jean‑Paul Vernant lors de son audition, il est possible de renforcer significativement l’indépendance sanitaire française et européenne en s’appuyant sur le tissu industriel existant.

Or, ainsi que l’a indiqué la direction générale des entreprises dans une réponse écrite, il n’existe pas de cartographie, de données ou d’outils équivalents permettant d’identifier les capacités actuelles des sites de production de principes actifs en France. Une cartographie a certes été faite pour des segments précis comme la bioproduction, mais il n’existe pas de recensement global des capacités de production pharmaceutiques. Le seul recueil public concernant les sites de production français se trouve dans les bases de données de l’ANSM. Les entreprises ont en effet l’obligation, lors d’un dépôt d’AMM ou de ses variations, d’indiquer les sites de production. Ce recueil n’est cependant pas informatisé.

Une telle cartographie peut pourtant s’avérer particulièrement utile. Lors de la crise sanitaire de la covid‑19, un travail de recensement des capacités de fabrication de vaccins a ainsi permis de signaler aux laboratoires les sites capables d’en produire et pouvant être rapidement mobilisés.

Les rapporteurs proposent ainsi d’établir une cartographie de l’ensemble des sites de production de médicaments au sein de l’Union européenne afin d’identifier l’ensemble des capacités de production et notamment celles qui sont sous-utilisées. Il est proposé de s’inspirer de la méthodologie utilisée par le Syndicat de l’industrie chimique organique de synthèse et de la biochimie (SICOS Biochimie), qui a rendu publique une liste des sites de production français par activité et par produit.

Proposition  26 : Cibler les relocalisations sur les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur confrontés à des risques de pénurie et établir une cartographie des capacités de production sous utilisées

– Définir au niveau européen la notion de médicament d’intérêt thérapeutique majeur (MITM) ou de médicament essentiel ;

– Établir une liste de MITM menacés par une pénurie et dont la production doit être relocalisée en priorité ;

– Établir une cartographie des sites de production de médicaments dans l’Union européenne, afin d’identifier l’ensemble des capacités pouvant être mobilisées.

iii.   Utiliser la commande publique comme levier

La commande publique, et notamment les appels d’offres hospitaliers, pourrait constituer un outil pertinent pour encourager et pérenniser la production pharmaceutique en France et en Europe. Un engagement pluriannuel des acteurs publics pourrait donner une visibilité aux producteurs français et européens. Comme le souligne M. Jacques Biot ([275]), « compte tenu de la lourdeur des investissements matériels et incorporels nécessaires pour implanter des étapes de production, les industriels ont avant tout besoin d’une visibilité économique à moyen et long termes, tant sur le plan des volumes attendus par la collectivité, que des prix que cette dernière sera prête à consacrer aux approvisionnements ».

Actuellement, selon les acteurs auditionnés, les appels d’offres hospitaliers ne prennent pas en compte les critères tels que la sécurité d’approvisionnement, la fiabilité de production, la sécurité ou encore le respect de normes environnementales ou sociétales. Or, une commande publique axée uniquement sur le prix conduit inévitablement à se tourner vers des pays étrangers et souvent, vers un seul fournisseur. Il est donc nécessaire d’intégrer ces critères dans la commande publique. Comme le propose le G5 Santé, il pourrait par ailleurs être pertinent d’introduire une clause de fabrication dans un pays de l’Union européenne dans ces appels d’offres.

Pour que la commande publique puisse prendre en compte ces critères plus poussés, il est nécessaire de renforcer le spectre des contrôles des sites de fabrication. Aujourd’hui, ces contrôles, menés par l’EMA, l’ANSM et les autorisés sanitaires des États membres, portent essentiellement sur la qualité et la sécurité de la production, en vérifiant la conformité de sites de production avec les bonnes pratiques de fabrication ([276]). Au contraire, aux États‑Unis, le contrôle mené par la FDA est plus poussé et porte sur la qualité et la sécurité, mais aussi la fiabilité de la chaîne, la fiabilité des producteurs et le respect de normes environnementales et sociales. L’Union européenne a tenté de se rapprocher des États‑Unis et de capitaliser sur les contrôles de la FDA, en mettant en place des audits croisés et une reconnaissance mutuelle. Il convient d’aller plus loin : l’Union devrait se doter d’un ensemble d’outils permettant le contrôle non seulement de la qualité mais également du respect de normes sociales et de l’environnement.

Proposition  27 : Utiliser le levier de la commande publique pour encourager la production française et européenne de médicaments, et favoriser la fiabilité des fournisseurs en s’appuyant sur des contrôles plus poussés des sites de production

2.   Réfléchir à de nouveaux modèles de production de médicaments

Parallèlement aux mesures de relocalisation, la lutte contre les pénuries passe par la mise en place de nouveaux modèles de production du médicament.

a.   Certains médicaments font déjà l’objet d’une production publique

En France, si les médicaments sont très majoritairement produits par les entreprises pharmaceutiques, une production est assurée, sous certaines conditions, par des organismes publics.

C’est notamment le cas des médicaments issus de la Pharmacie centrale des armées (PCA), établissement pharmaceutique militaire, rattaché au service de santé des armées, qui a pour mission le ravitaillement des armées et, sous certaines conditions, celui de la population générale. Créée en 2003, la PCA ([277]) assure à la fois la fabrication et le développement des médicaments et agit principalement sur deux domaines thérapeutiques : celui des contre-mesures médicales (contre les agents de la menace nucléaire, biologique, radiologique et chimique) et des molécules impliquées dans la prise en charge des blessés de guerre (antihémorragiques et antidouleurs notamment). Chaque année, en moyenne trois millions de boîtes de comprimés et 500 000 unités injectables sont ainsi fabriquées sur douze lignes de production pour le compte de l’armée et du ministère de la santé.

L’Établissement pharmaceutique (EP) de l’AP-HP, qui dépend de l’Agence générale des équipements et produits de santé (AGEPS), assure également une production de médicaments. Seul établissement pharmaceutique au sein d’un établissement de santé civil, celui-ci est autorisé à développer et produire sur le marché, des médicaments indispensables, non proposés par l’industrie pharmaceutique ([278]). Il produit aujourd’hui quarante‑trois références, dont dix‑sept sont des MITM, à destination de l’AP-HP et des établissements de l’ensemble du territoire national.

La production de médicaments par l’Établissement pharmaceutique de l’AP-HP

Selon les informations transmises à la mission dans une contribution écrite, l’EP a quarante‑trois références dans son livret thérapeutique. Elles comprennent :

-          trois AMM ;

-          trente‑neuf préparations hospitalières (PH) ;

-          une matière première à usage pharmaceutique (MP)

L’EP, en tant qu’établissement pharmaceutique autorisé par l’ANSM, fabrique ses médicaments selon le référentiel des bonnes pratiques de fabrication (BPF) et non selon les bonnes pratiques de préparation (BPP) que doivent respecter les pharmacies à usage intérieur (PUI) des établissements de santé.

À ce jour, l’EP fabrique ses références pour moitié sur son site de Nanterre et pour moitié en sous‑traitance. En 2018, il a néanmoins été décidé d’arrêter l’outil de production de l’établissement et le passage en sous-traitance totale des productions.

b.   Mettre en place un mode de production partenarial, associant des acteurs publics et privés

La production publique de médicaments constitue une perspective particulièrement intéressante pour lutter contre les pénuries de médicaments. Celle‑ci fait d’ailleurs l’objet d’une action spécifique (n° 20) au sein de la feuille de route ministérielle 2019-2022 ([279]) : « Expertiser la mise en place d’une solution publique pour organiser des approvisionnements en cas de pénurie avérée ».

Une production publique ou semi-publique pourrait en effet permettre de produire les médicaments dont le brevet est tombé dans le domaine public et considérés comme peu rentables, alors qu’ils sont indispensables pour la santé publique. Cette production permettrait de lutter contre les pénuries, tout en optimisant les dépenses de santé.

Si la perspective d’un pôle public du médicament ou d’un établissement pharmaceutique assurant seul la production des médicaments essentiels semble difficilement réalisable, il est possible de s’inspirer du groupement sans but lucratif Civica Rx, qui connaît un franc succès. Institué en 2018, ce projet rassemble plus de mille hôpitaux américains associés en vue de produire ou de passer des marchés pour l’acquisition de médicaments fortement exposés aux pénuries ou à d’importantes augmentations de prix. Initialement focalisée sur la fourniture de quatorze médicaments, l’entreprise Civica Rx assure aujourd’hui l’approvisionnement des établissements de santé pour environ quarante références et envisage de monter à cent références d’ici 2023.

Le groupement sans but lucratif Civica Rx aux ÉtatsUnis

Le groupement Civica-Rx a été créé en septembre 2018, à la suite d’une initiative rassemblant sept groupements sanitaires et trois structures à visée philanthropique. Ce projet repose sur le modèle d’une entreprise sans but lucratif et sans capital-actions, qui produit et passe des marchés pour l’acquisition de médicaments exposés à de fortes tensions d’approvisionnement ou d’importantes augmentations de prix. L’objectif est de lutter contre les pénuries et de garantir des volumes de médicaments aux hôpitaux et cliniques à un prix fixe, quelle que soit la quantité achetée. L’entreprise s’appuie sur des partenariats avec des entreprises et sous-traitants pharmaceutiques.

Les rapporteurs appellent ainsi vivement à mettre en place une structure de ce type, qui pourrait prendre la forme d’une entreprise à but non lucratif ou d’un réseau rassemblant des acteurs publics et privés (PUI des hôpitaux, établissements et entreprises pharmaceutiques, façonniers...) mais dont le pilotage serait public. L’objectif serait de produire les médicaments considérés comme indispensables pour la santé publique et soumis à de forts risques de pénuries. La production pourrait dès lors être ciblée sur la liste de MITM à fort risque de rupture proposée par les rapporteurs (proposition présentée supra).

Dans le cadre de l’option d’un réseau d’acteurs publics et privés, il pourrait être envisagé que l’Établissement pharmaceutique de l’AP-HP joue, pour le compte des pouvoirs publics, le rôle de coordinateur de ce réseau, à la croisée entre producteurs hospitaliers et industriels. En effet, l’EP de l’AP-HP est le seul acteur à bénéficier d’un statut hospitalier qui le rapproche des PUI et des cliniciens, avec lesquels il travaille régulièrement. De fait de sa taille et de la diversité de ses productions, l’EP a en effet une bonne connaissance des pratiques des façonniers.

Proposition  28 : Instaurer un groupement à but non lucratif ou un réseau d’acteurs publics et privés ayant pour mission de produire les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur fortement soumis aux risques de pénurie

 

3.   Lutter contre les pénuries en favorisant la percée des médicaments génériques et biosimilaires

a.   Un retard très regrettable

Le développement des médicaments génériques et biosimilaires constitue un outil efficace de lutte contre les pénuries. En effet, démultiplier l’offre de ces médicaments permet de diluer le risque de ruptures, en le répartissant sur un plus grand nombre d’acteurs. Le fait de disposer de plusieurs sources de production pour une même spécialité permet de surmonter une difficulté ponctuelle ou plus durable (technique ou industrielle par exemple) d’un laboratoire. Par ailleurs, le développement des génériques et des biosimilaires constitue une source importante d’économies pour l’assurance maladie. Ainsi, entre 2010 et 2014, l’économie liée à l’augmentation de la consommation des génériques est estimée à 7 milliards d’euros ([280]).

Les médicaments génériques et biosimilaires

Un médicament générique est un médicament conçu à partir de la molécule d’un médicament déjà autorisé (médicament d’origine ou princeps), dont le brevet est tombé dans le domaine public. Le générique doit avoir la même composition qualitative et quantitative en principes actifs ainsi que la même forme pharmaceutique que le princeps, et démontrer qu’il a la même efficacité thérapeutique (même biodisponibilité).

Un médicament biosimilaire constitue l’équivalent approximatif du générique pour les médicaments biologiques. Il doit avoir des propriétés physico-chimiques et biologiques très comparables, une substance et une forme pharmaceutique similaires au médicament de référence. De même son efficacité et sa sécurité doivent être équivalentes au médicament de référence.

À la différence des médicaments génériques, les médicaments biosimilaires ne sont néanmoins pas entièrement semblables à leur produit de référence. En effet, les biosimilaires sont fabriqués à partir de cellules vivantes, donc naturellement variables, à la différence des génériques, fabriqués par synthèse chimique.

Or, la France souffre d’un retard important dans le développement de médicaments génériques et biosimilaires. En 2020, le marché français du médicament générique ne représente toujours que 40 % du marché officinal remboursable, contre une moyenne supérieure à 50 % dans l’OCDE. Par comparaison, en Allemagne et au Royaume‑Uni, 75 à 80 % des médicaments remboursables sont des génériques. Le marché des biosimilaires est, lui aussi, très peu développé. Le taux de pénétration des biosimilaires est ainsi de 69 % à l’hôpital et de seulement 23 % en ville ([281]), bien loin de l’objectif d’un taux de pénétration sur le marché de 80 % d’ici 2022 fixé par la Stratégie nationale de santé ([282]).

b.   La nécessité de mesures beaucoup plus ambitieuses en faveur de ces médicaments

i.   Une baisse de prix préoccupante

Les pouvoirs publics ont largement utilisé le levier des génériques pour limiter les dépenses de santé et respecter l’ONDAM. Pour l’association GEnérique Même MEdicament (GEMME), la dimension industrielle du marché du générique n’est pas suffisamment prise en compte et le générique tend à être uniquement considéré comme « une variable d’ajustement des politiques de santé ».

Or, cette pression sur les prix fragilise l’industrie du médicament générique, dont les niveaux de rentabilité, très faibles, oscillent entre 2 et 3 %. Les baisses de prix sur les médicaments génériques ont représenté 1,5 Md€ depuis 2007 soit une baisse de 4,5 % en moyenne chaque année (voir infra).

historique de baisse des prix sur les mÉdicaments gÉnÉriques depuis 2007

C:\Users\aderoubin\Desktop\baisse prix génériques.PNG

Source : GEMME.

Pour les rapporteurs, cette baisse des prix risque à terme de décourager la production de ces médicaments, pourtant indispensables pour limiter les pénuries. L’instauration d’un prix plancher pour les médicaments génériques doit être dès lors envisagée. Elle traduirait la réelle volonté de la mise en cohérence d’une politique industrielle dynamique et d’une politique de santé efficiente.

ii.   Des mesures incitatives insuffisantes

La volonté de développer la place des génériques et des biosimilaires en France a justifié la mise en place de mesures d’incitation à destination des différents acteurs du système de santé.

Le marché du générique s’est ainsi essentiellement développé grâce au rôle déterminant joué par les pharmaciens dans la substitution des médicaments génériques ([283]). La dispensation de médicaments génériques a ainsi atteint un seuil particulièrement important dans les pharmacies d’officine. Selon les dernières informations de l’assurance maladie ([284]), le taux moyen de substitution constaté en 2020 était ainsi de 91,6 %, contre 87,7 % en 2019. La suppression du droit de substitution des médicaments biosimilaires par les pharmaciens d’officine par la LFSS 2020 ([285]) est néanmoins très regrettable. L’interdiction totale de la substitution de ces médicaments par les pharmaciens n’est en effet pas entendable par la profession, notamment car cela va à l’encontre des pratiques d’autres pays européens. L’Allemagne a ainsi adopté le 1er juillet 2019 une loi pour plus de sécurité dans l’approvisionnement en produits pharmaceutiques, autorisant la substitution des médicaments biologiques par les pharmacies d’officine.

Plusieurs mesures ont également visé à encourager les patients à recourir d’avantage aux médicaments génériques. Le patient est ainsi incité à choisir ce médicament, au travers de la mesure « générique contre tiers payant » qui, depuis 2007, réserve le tiers payant aux patients qui acceptent la dispensation en médicament générique pour le traitement qui leur est prescrit. Récemment, l’article 66 de la LFSS 2019 ([286]) a également cherché à responsabiliser le patient en prévoyant qu’à l’exception des situations où l’impossibilité de substitution est médicalement justifiée – et donc mentionnée sur l’ordonnance –, le remboursement à l’assuré est désormais limité à la base de remboursement la plus chère en vigueur pour la spécialité générique correspondante.

Les acteurs déplorent que les prescripteurs aient été très peu impliqués dans les mesures visant à développer les génériques et les biosimilaires. Les médecins ne prescrivent en effet qu’à 48 % dans le répertoire des médicaments génériques. S’agissant des biosimilaires, le taux de pénétration en ville plafonne en 2020, à 23 %, contre 69 % à l’hôpital. Une expérimentation visant à encourager la prescription des biosimilaires par les établissements de santé, lorsque la prescription est exécutée en ville a été prévue par la LFSS 2018 (voir infra). Selon l’association GEMME, l’expérimentation « article 51 » apparaît efficace pour toutes les spécialités intégrées dans l’expérimentation.

L’expérimentation prévue à l’article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 afin d’encourager la prescription de médicaments biosimilaires

L’article 51 de la LFSS 2018 vise notamment à expérimenter un mécanisme d’intéressement financier d’incitation à la prescription de médicaments biosimilaires par les services hospitaliers, y compris pour les prescriptions exécutées en ville. Ainsi, pour chaque prescription d’un médicament boiosimilaire, l’incitation versée directement au service correspond à 30 % du référentiel de prix entre celui du médicament de référence et celui du médicament biosimilaire prescrit.

L’expérimentation a été réalisée en deux temps, en s’appuyant sur une sélection de spécialités pour lesquelles des médicaments biosimilaires ont été récemment admis au remboursement (Etanercept de la classe des anti‑TNF alpha et Insuline Glargine à partir d’octobre 2018 ; Adalimumab de la classe des anti‑TNF alpha à partir de février 2019).

L’expérimentation est conduite par la DSS et la DGOS en lien avec les ARS et la CNAM. La durée retenue pour ce dispositif est de trois ans à partir du premier appel à projet. La fin de l’expérimentation interviendra le 1er octobre 2021.

Les rapporteurs appellent à impliquer l’ensemble des acteurs du système de santé, et en particulier les prescripteurs, dans les mesures en faveur du développement des génériques et biosimilaires.

Ils plaident pour l’adoption de mesures visant à assurer davantage les prescriptions dans le répertoire des génériques. Ces mesures pourraient passer par un dispositif gagnant‑gagnant entre l’assurance maladie et les médecins, à travers un honoraire lié à la consultation. Le GEMME propose par exemple d’instaurer un horaire par consultation ou une majoration de remboursement du tarif de consultation de 1 euro à 1,50 euro pour les médecins qui atteindraient un objectif de prescription dans ce répertoire. Il serait également possible d’étendre le répertoire des génériques, qui exclut encore un certain nombre de spécialités.

S’agissant des biosimilaires, ils appellent vivement à généraliser l’expérimentation menée dans le cadre de l’article 51 de la LFSS 2018 (voir encadré supra) à tous les établissements de santé et à l’étendre à toutes les spécialités éligibles.

Enfin, les rapporteurs sont favorables à la substitution des biosimilaires par le pharmacien, dans des conditions à définir, et rejoignent en cela les préconisations de l’Académie de pharmacie ([287]).

Proposition n° 29 : Encourager la percée des génériques et des biosimilaires en associant l’ensemble des professionnels de santé impliqués dans le parcours de soins du patient et en fixant un prix plancher pour certaines spécialités

– Fixer un prix plancher pour les médicaments génériques ;

– Élargir le périmètre du répertoire des médicaments génériques et instaurer un mécanisme incitatif pour favoriser la prescription des médicaments génériques et biosimilaires ;

– Généraliser l’expérimentation prévue à l’article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 à tous les établissements de santé et l’étendre à toutes les spécialités éligibles.

4.   Le renforcement de l’indépendance de la France dans les médicaments dérivés du sang

Le sang humain est une ressource précieuse qui permet de traiter plus d’un million de patients chaque année. Elle pourrait l’être encore davantage à l’avenir car, comme l’a rappelé l’EFS lors de son audition, toutes les ressources thérapeutiques issues du sang humain ne sont pas encore connues. À titre d’exemple, une spin-off ([288]) de l’EFS, MED’INN Pharma s’apprête à tester en évaluation clinique un produit anti‑inflammatoire, obtenu par incubation contrôlée des globules blancs, dont le potentiel démontré chez l’animal est inégalé à ce jour.

Les produits à finalité thérapeutique produits à partir de sang humain

Ces produits relèvent de deux catégories :

– les produits sanguins labiles (PSL), qui ont une durée de conservation limitée (plasma frais congelé ; concentrés de globules rouges ; plaquettes) et qui sont utilisés pour les transfusions de patients ;

– les médicaments dérivés du sang, qui sont extraits par fractionnement des protéines plasmatiques et qui ont un délai de péremption plus long de plusieurs années. Les principales classes sont les immunoglobulines, les facteurs de coagulation et l’albumine.

En France, la filière du sang s’est construite dans les années 1990 à la suite de deux crises sanitaires majeures, la crise dite « du sang contaminé » et la crise dite « de la vache folle ». Ainsi, en 1993, afin de renforcer la sécurité sanitaire, les missions qui étaient auparavant réunies au sein du Centre national de transfusion sanguine (CNTS) ont été réparties entre trois opérateurs : l’Agence française du sang, devenue ensuite l’Établissement français du sang (EFS), le Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies (LFB) et l’Institut national de la transfusion sanguine (INTS) ([289]). En 1998, la responsabilité de la sécurité sanitaire des produits issus du sang a été confiée à une agence, devenue l’ANSM en 2012.

Le système français repose donc désormais sur une stricte séparation entre le collecteur de produits sanguins labiles (EFS) et le fractionneur (LFB). L’EFS, établissement public administratif, a le monopole de la collecte de sang, de plasma et de plaquettes ainsi que le monopole de la commercialisation des produits sanguins labiles (PSL) aux établissements de santé. Le LFB, société anonyme dont l’État est l’unique actionnaire, fractionne le plasma acheté à l’EFS et commercialise les médicaments dérivés du plasma (MDP) sur un marché concurrentiel.

Ce système visait initialement à assurer la sécurité sanitaire et à garantir l’autosuffisance de la France en PSL et un approvisionnement suffisant en médicaments dérivés du sang, tout en assurant le respect de notre modèle éthique en matière de collecte de sang. Pour rappel, notre modèle éthique repose sur le volontariat des donneurs, leur anonymat et la gratuité du don ([290]). Lorsque le LFB fabrique des médicaments dérivés du sang destinés au marché français, il le fait à partir du sang ou de ses composants prélevés dans des conditions respectant notre modèle éthique ([291]).

Force est de constater aujourd’hui que ce système n’est plus satisfaisant, non plus seulement parce que les modèles économiques tant de l’EFS que du LFB sont fragilisés – ce constat est ancien et a été récemment rappelé par la Cour des comptes ([292]) – mais surtout parce qu’il nous entraîne dans une forme d’hypocrisie. Nous nous exonérons, en pratique, d’un certain nombre de règles éthiques qui sont pourtant le socle de notre modèle français :

– d’une part, le LFB, dont l’État est le seul actionnaire, se retrouve à faire à l’étranger ce qui, en France, est considéré comme contraire à nos règles éthiques. Ainsi, le LFB ne se cantonne plus seulement à son rôle de fractionneur mais construit des centres de collecte à l’étranger, issus de dons rémunérés, afin de renforcer ses parts de marché à l’international. Cette situation est pleinement acceptée par les pouvoirs publics, lesquels considèrent que l’implantation du LFB sur le marché international représente une condition essentielle de son développement, dans un contexte de concentration des grands groupes internationaux du fractionnement ;

– d’autre part, si la totalité des PSL sur le marché français sont d’origine éthique, ce n’est pas le cas des MDP, et notamment des immunoglobulines. La France est dépendante à plus de 65 % d’un approvisionnement international en MDP, lesquels sont majoritairement produits grâce au plasma collecté dans les centres de plasmaphérèse américains qui pratiquent une collecte rémunérée. Les fractionneurs étrangers qui fournissent, aux côtés du LFB, le marché français (Octapharma, Baxter et CSL‑Behring) fonctionnent en effet à partir de plasma essentiellement rémunéré.

Certes, le code de la santé publique prévoit la possibilité de délivrer des AMM pour des médicaments issus de sang prélevé dans des conditions non conformes à notre modèle éthique ([293]). Néanmoins, cette possibilité n’est censée être que dérogatoire. Une AMM peut être délivrée à un médicament préparé à partir de sang prélevé dans des conditions non éthiques uniquement s’il apporte une amélioration en termes d’efficacité ou de sécurité thérapeutiques ou si des médicaments équivalents issus du sang dit « éthique » ne sont pas disponibles en quantité suffisante pour satisfaire les besoins sanitaires. Force est aujourd’hui de constater et de regretter que les dérogations se sont multipliées et pérennisées. D’ailleurs, le système français qui repose sur un double système d’AMM ([294]) en fonction du caractère rémunéré ou non de la collecte de sang se heurte au système des AMM européennes centralisées, lequel ne prend pas du tout en compte l’origine du plasma dans le cadre de la procédure du Plasma Master File (PMF).

Au-delà de l’aspect purement éthique, cette situation n’est pas acceptable du point de vue de notre souveraineté sanitaire. Un tel niveau de dépendance vis‑à‑vis des États‑Unis est critique. En cas de problème sanitaire, un arrêt des usines de fractionnement américaines causerait des ruptures d’approvisionnement majeures en France. Il faut également garder à l’esprit que les États‑Unis peuvent à tout moment décider d’interrompre l’export des MDP qu’ils produisent sur leur territoire, le plasma figurant dans la liste des produits qu’ils considèrent comme stratégiques.

La nouvelle usine du LFB à Arras, dont la construction se révèle bien plus longue et coûteuse qu’anticipé, ne permettra malheureusement pas de renforcer la souveraineté sanitaire de la France en matière de produits dérivés du sang. Le LFB a indiqué à la mission que « cette usine servirait le marché français dans la limite de ce qu’il peut accepter » et qu’« elle permettrait peut-être au LFB de disposer de 32 à 33 % de parts de marché dans les immunoglobulines », ce qui est encore bien trop insuffisant. Le LFB explique principalement son incapacité à gagner plus de parts de marché en France par l’offensive commerciale assez agressive de ses principaux concurrents, à laquelle il ne peut pas faire face faute de capacités de fractionnement suffisantes mais également en raison des missions de service public qu’il doit remplir, contrairement à ses concurrents.

Il ne s’agit pas, ici, de pointer du doigt tel ou tel acteur mais bien de constater l’hypocrisie du système actuel et sa nécessité d’être complètement refondu. Cette nécessité est d’autant plus forte que les tensions d’approvisionnement en médicaments dérivés du sang se sont accrues ces dernières années. La demande mondiale d’immunoglobulines augmente de 8 à 12 % par an et est particulièrement importante en France. La consommation d’immunoglobulines a presque doublé en dix ans dans notre pays (de 5 à 9 tonnes). La crise de la covid‑19, en ralentissant la collecte rémunérée de plasma pour fractionnement en Europe et dans le monde, accroît ces tensions.

Les rapporteurs proposent de confier à la Cour des comptes ou à l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) une mission visant à restructurer la filière française du sang afin d’assurer quatre principaux objectifs que sont : l’autosuffisance en PSL, la sécurité d’approvisionnement en médicaments dérivés du sang, le respect de notre modèle éthique et notre sécurité sanitaire. Aux yeux des rapporteurs, les deux principales restructurations qui pourraient être envisagées sont les suivantes :

– revenir sur la séparation entre collecte et fractionnement en fusionnant l’EFS et le LFB. En 2013, le rapport rédigé par l’actuel ministre des solidarités et de la santé, M. Olivier Véran ([295]), n’avait pas choisi d’aller dans cette direction, estimant qu’une telle fusion n’apporterait pas de garantie de sécurité supplémentaire ni une plus grande efficacité et efficience du système. Huit ans après la publication de ce rapport, le contexte est profondément différent. Notre dépendance à l’égard des États‑Unis s’accroît et les modèles économiques du LFB et de l’EFS sont toujours aussi fragilisés. L’opportunité de créer un pôle public de la collecte et du fractionnement mériterait d’être, de nouveau, étudiée ;

– créer un fractionneur européen qui satisfasse d’abord les besoins de l’Union européenne. Cette option est toutefois limitée, d’une part, par la situation financière souvent dégradée des autres fractionneurs européens et, d’autre part, par la multiplicité des modèles éthiques en matière de collecte de sang en Europe. Si cette proposition était mise en œuvre, il faudrait alors s’assurer de chaînes de production distinctes pour le plasma rémunéré et le plasma bénévole.

Au-delà de la restructuration de la filière, les rapporteurs insistent sur l’importance d’inciter à modérer les prescriptions d’immunoglobulines, de renforcer l’effort de collecte de l’EFS et de promouvoir notre modèle à l’étranger au moment où s’engage la révision de la législation européenne sur le sang, les tissus et les cellules ([296]).

 Proposition n° 30 : Renforcer l’indépendance de la France en matière de médicaments dérivés du sang

– Confier à la Cour des comptes ou à l’Inspection générale des affaires sociales une mission visant à restructurer la filière française du sang. Deux principales restructurations pourraient être envisagées : revenir sur la séparation entre collecte et fractionnement en fusionnant l’EFS et le LFB ; créer un fractionneur européen qui satisfasse d’abord les besoins de l’Union européenne ;

– Inciter à modérer les prescriptions d’immunoglobulines ;

– Renforcer l’effort de collecte de l’EFS ;

– Promouvoir notre modèle éthique à l’étranger au moment où s’engage la révision de la législation européenne sur le sang, les tissus.

C.   Faire des brevets un outil protecteur mais flexible, au service de la santÉ publique

Les brevets constituent, on l’a vu, un outil indispensable dans le parcours du médicament. En permettant aux entreprises de bénéficier d’un monopole d’exploitation sur l’innovation thérapeutique pendant une certaine durée, ils incitent les entreprises à poursuivre leurs efforts d’innovation dans de nouveaux champs thérapeutiques au prix de recherches longues et coûteuses. À la lumière des auditions menées par la mission d’information, les brevets ne sont néanmoins pas toujours adaptés à la spécificité des médicaments les plus innovants. Il est par ailleurs essentiel de s’assurer qu’ils ne constituent pas une entrave à la diffusion des innovations et demeurent au service de la santé publique.

1.   Prendre en compte le bénéfice thérapeutique et la spécificité des médicaments innovants

De nombreux acteurs ont, lors de leur audition, déploré la rigidité du mécanisme des brevets de médicaments, qui offrent une protection indifférenciée en fonction des produits concernés. Cette uniformité des règles applicables apparaît en effet problématique, à plusieurs titres.

D’une part, elle conduit à soumettre au même régime toutes les innovations, quelle que soit leur valeur thérapeutique. Comme le rappelle la note du Conseil d’analyse économique (CAE) de janvier 2021 ([297]), « un défaut important de ce mécanisme est que le brevet traite sans distinction les percées importantes et les nouveautés marginales ».

D’autre part, ce système apparaît inadapté à la particularité des thérapies très innovantes. Le système actuel ne s’est pas adapté au virage technologique vers la biologie et la génomique. En effet, les médicaments innovants sont de plus en plus destinés à des publics restreints et apparaissent plus difficiles à rentabiliser. Les délais prévus pour les brevets semblent dès lors souvent trop courts pour ces médicaments et n’offrent pas un degré de protection suffisant, d’autant plus que les médicaments innovants ne sont par ailleurs commercialisés que plusieurs années après le dépôt du brevet ([298]). Cette protection insuffisante est particulièrement regrettable puisqu’elle décourage les firmes à investir dans les programmes de recherche longs.

Dès lors, les rapporteurs s’associent à la proposition, formulée par le CAE de permettre, à l’échelle européenne, l’élaboration de contrats dont la durée d’exclusivité commerciale pourrait varier selon le degré d’innovation et la valeur thérapeutique du produit. Cette perspective semble envisageable dans la mesure où avec le certificat complémentaire de protection, le droit européen prévoit déjà des mécanismes de prolongement de la durée de protection des brevets sous certaines conditions (voir infra).

Le certificat complémentaire de protection européen

Les vingt années de monopole d’exploitation du médicament, prévues par les accords ADPIC, ne correspondent pas à la durée d’exploitation commerciale du produit et incluent la période de tests et d’essais cliniques, ainsi que le processus administratif de mise sur le marché. Dès lors, certains pays ont mis en place des dispositifs complémentaires.

L’Union européenne permet ainsi une extension de cinq ans de la protection du brevet par un certificat complémentaire de protection, ainsi qu’une période de dix ans d’exclusivité des données et du marché à partir de la première AMM dans un pays de l’Union ([299]). Ce mécanisme a vocation à compenser le temps nécessaire à l’obtention de l’AMM, qui peut retarder significativement l’exploitation sous monopole du brevet.

2.   Assurer un accès équitable aux innovations

Si les brevets doivent ainsi être plus flexibles et adaptés à la spécificité des médicaments innovants, il est important qu’ils ne freinent pas la diffusion des innovations thérapeutiques, en particulier lorsqu’elles sont essentielles pour la santé publique.

a.   Lutter contre les pratiques abusives

Comme le montre la première partie du présent rapport, dans le contexte de la financiarisation du secteur pharmaceutique, les brevets apparaissent de plus en plus comme « des sources de revenu potentielles » ([300]). Cette logique financière encourage les pratiques abusives telles que l’evergreening, le dépôt de multiples brevets pour une même invention ou encore la qualification d’un produit en traitement orphelin pour bénéficier d’une protection étendue.

Ces pratiques, en limitant le développement de nouveaux produits et en maintenant des prix élevés, entravent l’innovation et l’accès aux médicaments. Pour que le système de protection intellectuelle puisse jouer pleinement son rôle en faveur de la santé publique, il est nécessaire de lutter contre ces excès. Plusieurs leviers ont été identifiés par la mission.

i.   Mobiliser les outils existants pour contrer les pratiques abusives

Des outils sont prévus par le droit international pour empêcher le détournement des brevets à des fins uniquement lucratives. Aux termes de l’article 27 de l’accord sur les ADPIC, les États signataires peuvent ainsi développer leurs propres définitions des concepts de « nouveauté », « étape inventive » et « application industrielle », ce qui introduit des flexibilités sur les critères de recevabilité des demandes de brevets.

Toutefois, aujourd’hui, comme le constate le Groupe de haut niveau du secrétaire général des Nations Unies sur l’accès aux médicaments ([301]), ces flexibilités sont peu utilisées par les États signataires. Plusieurs raisons sont avancées pour expliquer cette sous-utilisation. D’abord, les États peuvent faire l’objet de pressions économiques de la part de laboratoires pharmaceutiques, les dissuadant de mobiliser ces outils. De plus, certains accords de libre‑échange bilatéraux ou régionaux, à l’instar de l’accord de partenariat transpacifique ([302]), approfondissent les normes minimales requises par les accords avec des normes dites « ADPIC-plus », lesquelles restreignent la possibilité d’utiliser les flexibilités prévues.

Or, comme le rappelle le Groupe de haut niveau des Nations Unies, « les flexibilités ne sont pas des exceptions, mais plutôt une partie fondamentale du mécanisme des ADPIC ». Ainsi, le renoncement à ces flexibilités « viole l’intégrité et la légitimité du système juridique de droits et de devoirs créé par l’Accord sur les ADPIC » ([303]).

Il est donc nécessaire de mobiliser pleinement ces outils. L’adoption, comme le permet l’article 27 de l’accord sur les ADPIC, d’une définition des critères de recevabilité des brevets qui soit plus rigoureuse et favorable aux impératifs de santé publique, pourrait permettre de lutter contre le renouvellement continu des brevets ou le brevetage de fausses innovations. La mise en place de tels critères pourrait s’accompagner d’un renforcement des capacités des examinateurs de brevets ([304]).

Par ailleurs, sur la base de ces définitions, les États pourraient contester davantage les brevets abusifs. Aujourd’hui, la contestation est surtout le fait de la société civile. À plusieurs reprises, l’association Médecins du Monde s’est ainsi opposée aux brevets déposés pour le sofosbuvir en 2016 et sur une thérapie génique du laboratoire Novartis en 2019.

ii.   Lutter contre les pratiques défavorables au développement de génériques et biosimilaires

Certaines pratiques abusives en matière de brevets visent spécifiquement à empêcher le développement de médicaments génériques et biosimilaires. Ces comportements ont été documentés dans un rapport de l’IGAS relatif à la politique française des médicaments génériques ([305]). Il s’agit notamment des cas où les producteurs de princeps déposent, avant l’arrivée à échéance du brevet, un nouveau brevet sur un médicament très proche, empêchant ainsi le développement d’un médicament générique. Ces stratégies, motivées par des intérêts économiques, vont à l’encontre des impératifs de santé publique.

Il est donc, là encore, nécessaire de renforcer le cadre juridique existant pour lutter contre ces actions délétères : une fois le temps de protection du brevet passé, les médicaments génériques et biosimilaires doivent être disponibles pour les patients.

Des mesures ont été prises en ce sens, aux niveaux national et européen. Ainsi, l’article L. 5121-10 du code de la santé publique rend possible l’obtention d’une AMM pour un médicament générique avant l’expiration des droits de propriété intellectuelle. L’article 10.6 de la directive 2004/27/CE ([306]) permet également de réaliser des études et essais cliniques nécessaires en vue de la délivrance d’une AMM pour un médicament générique avant l’expiration des droits de propriété intellectuelle du produit princeps (« exemption Bolar »). L’objectif est de permettre aux médicaments génériques et biosimilaires d’entrer sur le marché dès l’expiration des protections.

Toutefois, pour plusieurs acteurs, l’exemption Bolar n’est pas suffisamment précise, ce qui constitue un obstacle au développement des médicaments génériques. La nouvelle stratégie pharmaceutique européenne prévoit une clarification de ces dispositions à laquelle les rapporteurs se montrent très favorables. Il pourrait être pertinent d’inclure dans le champ d’application de l’exception Bolar la fourniture de principes actifs par un tiers ou encore les démarches réglementaires nécessaires pour obtenir l’inscription du médicament sur les listes de remboursement et les appels d’offres.

Pour les rapporteurs, les certificats complémentaires de protection (CCP), qui offrent une protection de la propriété intellectuelle plus importante pour certains produits, doivent également faire l’objet d’une attention particulière. Si le règlement européen du 20 mai 2019 ([307]) a marqué une avancée en permettant de déroger aux CCP pour la fabrication et le stockage de médicaments génériques et biosimilaires, des lacunes sont toujours observées. Ainsi, selon une évaluation menée par la Commission européenne ([308]), le système des CCP peut être source d’inefficacités et d’un manque de transparence et de prévisibilité « qui freinent les fabricants de génériques » ([309]). Le plan d’action européen en faveur de la propriété intellectuelle précise que des travaux sont actuellement menés pour remédier aux lacunes. Est notamment étudiée la possibilité d’introduire un mécanisme unifié de délivrance des CCP.

b.   Faire usage des flexibilités prévues par le régime des brevets

Lorsque l’accès aux innovations constitue un impératif de santé publique, la pertinence des règles entourant les brevets est légitimement interrogée. Cette question se pose avec acuité dans le contexte de la crise sanitaire mondiale de la covid‑19, où la disponibilité des vaccins et thérapeutiques contre le virus constitue un enjeu majeur.

i.   Une application plus souple des règles des brevets au niveau international

Des initiatives ont été lancées au niveau international pour faciliter l’accès des pays aux traitements contre la covid‑19. L’OMS a ainsi annoncé le 29 mai 2021, la création du pool d’accès aux technologies covid‑19 (C‑TAP), qui répond aux objectifs de l’Accélérateur ACT (ACT‑A) ([310]) d’encourager le développement, la fabrication et la distribution équitable de vaccins, de diagnostics et de traitements. Dans le cadre du C‑TAP, les entreprises et gouvernements qui développent un vaccin sont invités à en partager les droits avec le pool. Des sous-licences peuvent ensuite être accordées sur le modèle du partage de brevet adopté pour le VIH et l’hépatite C. Les rapporteurs invitent vivement la France à rejoindre cette initiative dont elle ne fait pas encore partie.

Le maintien même des brevets fait aujourd’hui l’objet de discussions au niveau international. Emmenés par l’Inde et l’Afrique du Sud, une centaine d’États portent en effet devant l’OMC une requête de levée des droits de propriété intellectuelle sur les vaccins contre la covid‑19. Pour les rapporteurs, il est impératif que la France use de son influence dans le cadre des négociations au sein de l’OMC autour de la proposition de dérogation temporaire aux accords ADPIC, qu’a d’ailleurs préconisée le Parlement européen dans une résolution en date du 10 juin 2021 ([311]). Si l’ADPIC autorise déjà, en cas de pandémie, des flexibilités pour permettre aux pays d’accéder aux vaccins ou traitements lorsque la santé publique est en jeu, des pressions politiques et économiques excessives sont exercées pour dissuader les gouvernements d’utiliser ces flexibilités. Face à la pandémie actuelle et pour se préparer au mieux aux crises sanitaires futures, il est également indispensable d’engager des négociations pour réviser cet accord, lutter contre les obstacles à sa mise en œuvre et en garantir la pleine effectivité.

ii.   Rendre la licence d’office plus facilement mobilisable

La possibilité pour les États d’avoir recours aux licences obligatoires, qui permettent de mettre sous licence l’exploitation d’un brevet est, comme on l’a vu, très peu utilisée. Or, le Groupe de haut niveau du secrétaire général des Nations Unies sur l’accès aux médicaments ([312]) indique lui-même que les gouvernements doivent « adopter et mettre en œuvre des lois qui facilitent la délivrance de licences obligatoires. Cette législation devrait permettre l’obtention rapide de licences obligatoires équitables, prévisibles et facilement applicables pour les besoins légitimes de la santé publique, en particulier à l’égard des médicaments essentiels. » En effet, les licences obligatoires ou licences d’office, s’inscrivent pleinement dans le cadre de l’accord sur les ADPIC dans lequel les États se sont engagés.

En France, une licence d’office dans l’intérêt de la santé publique est prévue par la loi depuis 1968 ([313]). Selon l’article L. 163-16 du code de la propriété intellectuelle, si l’intérêt de la santé publique l’exige, et à défaut d’accord amiable avec le titulaire du brevet, le ministre chargé de la propriété industrielle peut en effet, sur demande du ministre chargé de la santé, soumettre par arrêté au régime de la licence d’office tout brevet délivré pour un médicament.

Le régime de la licence d’office

Selon l’article L. 163-16 du code de la propriété intellectuelle, plusieurs motifs peuvent justifier de soumettre un brevet au régime de la licence d’office dans l’intérêt de la santé publique :

– si ces produits ou méthodes sont mis à la disposition du public en quantité ou qualité insuffisantes, ou à des prix anormalement élevés ;

– si le brevet est exploité dans des conditions contraires à l’intérêt de la santé publique ;

– si le brevet est exploité dans des conditions constitutives de pratiques anticoncurrentielles, déclarées comme telles à la suite d’une décision administrative ou juridictionnelle.

Lorsque la licence a pour but de remédier à une pratique déclarée anticoncurrentielle ou en cas d’urgence, la loi prévoit que le ministre chargé de la propriété industrielle n’est pas tenu de rechercher un accord amiable.

L’article L. 3131-15 du code de la santé publique, introduit par la loi du 23 mars 2020 ([314]), a ouvert de nouvelles possibilités de déroger aux droits de propriété intellectuelle dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire. Le Premier ministre peut ainsi, aux seules fins de garantir la santé publique :

– ordonner la réquisition de tous biens et services nécessaires à la lutte contre la catastrophe sanitaire ainsi que de toute personne nécessaire au fonctionnement de ces services ou à l’usage de ces biens ;

– prendre toute mesure permettant la mise à la disposition des patients de médicaments appropriés pour l’éradication de la catastrophe sanitaire.

Cette licence d’office n’a jusqu’à présent jamais été utilisée. Or, selon un grand nombre d’acteurs entendus par la mission, cet outil permettrait de réintroduire un pouvoir de négociation et de rééquilibrer les rapports de force entre les acteurs publics et les industriels. Si la proposition de recourir à la licence d’office comme outil de dissuasion vis‑à‑vis des industriels – par exemple lorsque ceux‑ci fixent des prix injustifiés pour la vente des produits de santé – devra faire l’objet de réflexions, notamment au niveau européen, les rapporteurs invitent a minima à rendre la licence d’office plus facilement mobilisable dans les contextes d’urgence sanitaire.

Ils s’associent en cela aux recommandations formulées par un groupe de juristes dans une tribune publiée en mars 2021 ([315]) et reprises dans une proposition de loi déposée au Sénat le 8 avril 2021 ([316]), qui visent à améliorer le mécanisme de la licence d’office afin de le rendre plus efficace et agile dans le cas de crises sanitaires. Cette proposition de loi prévoit ainsi d’inscrire dans la loi un cas d’extrême urgence sanitaire auquel serait liée une procédure accélérée d’octroi de la licence. Elle prévoit en outre d’étendre la portée de la licence à l’ensemble du savoir‑faire nécessaire pour la fabrication du médicament ainsi qu’à tous les éléments nécessaires à la commercialisation de l’invention (notamment les documents permettant l’obtention d’une AMM). Il est enfin proposé de prévoir que les demandes de brevet elles-mêmes puissent faire l’objet d’une licence d’office. La possibilité de porter la licence sur les résultats des recherches à un stade plus précoce la rendrait en effet plus efficience.

 

 

Proposition n° 31 : Adapter les brevets à la spécificité des médicaments très innovants et lutter contre les pratiques abusives en matière de brevets

– Adapter la durée de protection des brevets au degré d’innovation et de valeur thérapeutique du médicament en recourant aux outils prévus par le droit européen (certificats complémentaires de protection européens) ;

– Mobiliser pleinement les outils prévus par le droit international pour contester les pratiques abusives en matière de brevets ;

– Envisager une révision de l’exemption Bolar et des certificats complémentaires de protection (CCP) pour encourager le développement de médicaments génériques et biosimilaires ;

– Plaider pour un accès le plus large possible aux vaccins et traitements contre la covid‑19 et porter au niveau international une proposition de révision de l’accord sur les ADPIC garantissant sa pleine effectivité ;

– Réviser l’outil de la licence d’office pour le rendre plus efficient en situation de crise sanitaire.

 

 


— 1 —

   TRAVAUX DE LA COMMISSION

Au cours de sa réunion du mercredi 23 juin 2021, la commission des affaires sociales a examiné le rapport de la mission d’information ([317]).

Mme la présidente Fadila Khattabi. Nous sommes réunis ce matin pour examiner les conclusions de la mission d’information sur les médicaments, qui a achevé ses travaux après un cycle de près de soixante auditions, débuté en janvier dernier. Il s’agit d’un sujet majeur, au carrefour de problématiques sanitaires, économiques, de recherche et de souveraineté.

La crise sanitaire que nous traversons a montré l’acuité de ces enjeux et illustré la nécessité de reconquérir notre souveraineté sanitaire pour sécuriser nos approvisionnements en médicaments et vaccins et éviter ainsi les pénuries. Je remercie nos collègues membres de cette mission qui ont mené un travail approfondi en retenant une approche large, très large même, portant sur l’amont comme sur l’aval de la chaîne du médicament.

Après le rapport de la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) sur les agences régionales de santé la semaine dernière, notre commission poursuit ainsi l’examen des conclusions des différents travaux de contrôle engagés depuis le début de l’année. Nous examinerons d’ici la fin du mois de juillet les rapports des missions d’information sur la prise en charge des patients atteints de la maladie de Lyme ainsi que sur la formation des professions paramédicales, sur l’effectivité des droits à l’allocation journalière de présence parentale et sur les professions de santé. Il me semble donc important de souligner l’ampleur du programme de contrôle mené à bien par notre commission au cours de ce premier semestre.

M. Pierre Dharréville, président de la mission d’information. La crise de la covid‑19 a éclairé d’une lumière crue les enjeux sanitaires et particulièrement ceux du médicament. Recherche, production, pénuries, prix, toutes les questions soulevées dans le débat public se posaient déjà avant l’irruption du virus. C’est pourquoi cette mission d’information sur le médicament était souhaitée depuis longtemps.

Nos investigations ont confirmé que la chaîne du médicament est malade. La financiarisation du secteur n’en finit plus de progresser, entre valeur refuge et prise de bénéfice. La recherche est asphyxiée, la production trop souvent délocalisée, les pénuries se multiplient, les prix atteignent parfois des sommets et la transparence n’est pas au rendez‑vous. Au bout du compte, le défaut de politique publique est criant.

Or, malgré nos savoirs et savoir‑faire remarquables, nous ne pouvons pas nous satisfaire du résultat pour notre santé. Dans notre pays, nous disposons d’une formidable invention sociale, même si elle n’a pas été portée à sa plénitude, même si elle a été entravée. Elle garantit collectivement l’accès aux soins. Nous devons protéger la sécurité sociale, financée par le travail, de toute tentative d’abuser de ses mannes et nous assurer qu’autour d’elle s’organise la meilleure réponse sanitaire.

Pour qui veut garantir le droit à la santé pour toutes et tous, démonstration est faite que nous ne pouvons pas nous en remettre purement et simplement au marché pour ce qui concerne le médicament, sans quoi nous courons le risque que la santé devienne une marchandise et qu’elle ne soit pas partagée. Nous devons donc engager une réflexion pour faire du médicament non pas un bien de consommation mais un bien commun de toute l’humanité.

Nous ne voulions pas d’un rapport conjoncturel se contentant du commentaire de la crise sanitaire, fût‑elle éminemment révélatrice, mais d’un regard inscrit dans le long terme. Aussi, ce rapport est le fruit de six mois de travail intense avec plus de cinquante auditions de plus de quatre‑vingts acteurs et actrices du secteur, professionnels de santé, chercheurs et chercheuses, industriels, organisations syndicales, associations et responsables des pouvoirs publics.

Dès le départ, sans pour autant prétendre à l’exhaustivité, nous avons fait ensemble le choix de poser un regard grand angle sur le médicament car tous les maillons de la chaîne sont interdépendants, du chercheur au patient.

Notre pays dispose d’atouts incontestables, depuis l’excellence de la recherche académique malgré le manque de moyens jusqu’au savoir‑faire et aux installations industrielles en passant par les centres hospitaliers universitaires (CHU) ou le Laboratoire de fractionnement biologique et j’en passe.

Cependant, l’état des lieux dressé par le rapport est alarmant. Nous sommes en perte de vitesse et en perte de maîtrise collective, comme en témoigne l’augmentation significative des pénuries. L’affaiblissement des capacités de recherche et de production des médicaments dans notre pays est une réalité à laquelle nous ne devons pas nous résoudre.

Nous le devons d’autant moins que cela n’est pas sans effet sur la qualité de la réponse sanitaire. Si des mutations sont à l’œuvre avec l’émergence de médicaments issus des biotechnologies, venant transformer en profondeur les approches dans certains domaines, comment assurer que ces médicaments ne soient pas hors de prix et hors de portée ?

Le moteur du profit ne peut rien nous garantir en la matière et nous ne pouvons pas nous en remettre au hasard et à la spéculation qui se sont glissés au milieu de la chaîne. Entre les phases de recherche et de production, nous sommes par exemple en grande partie suspendus à un système fragile de start‑up adossé aux marchés financiers, ce qui n’a rien de rassurant.

Nous avons pu mesurer combien l’objectif de rentabilité et de versement de dividendes pèse lourdement sur les choix stratégiques dans le cas de Sanofi. Dans ces conditions, qui est garant de la nécessité de répondre à des besoins thérapeutiques ? En définitive, qui décide et au regard de quelles ambitions ? Les pouvoirs publics doivent reprendre du pouvoir et s’imposer dans la détermination des priorités, voies et moyens de la santé publique, à l’échelle nationale, européenne et mondiale.

Le rapport présente donc de nombreuses pistes d’actions. L’un des leviers à utiliser est celui de la fixation des prix. Il est aujourd’hui totalement décorrélé des coûts réels de recherche et de production et dénué d’objectifs sociaux et environnementaux. Il n’obéit principalement qu’à des impératifs de compression budgétaire.

Sur un autre versant, l’efficacité du crédit d’impôt recherche au regard des objectifs affichés soulève de fortes interrogations. À l’échelle européenne, nous pouvons imaginer des coopérations plus fructueuses à condition de sortir là aussi du culte libéral. Au fil des auditions, je dois vous dire que ma conviction s’est renforcée de la nécessité, d’une part de construire une véritable politique en la matière, d’autre part de nous doter de moyens nouveaux en développant un pôle public à partir de l’existant.

Je vous invite à vous saisir de ce rapport, de ce diagnostic, de ces réflexions. Il en dit long sur la situation et ses dangers. Il est urgent de prendre des décisions pour que cette situation ne devienne pas totalement hors de contrôle. C’est d’autant plus essentiel que les questions soulevées ont une forte dimension éthique. C’est bien le droit à la santé et la confiance dans notre système de soins qui sont en jeu.

Je félicite pour leur travail Audrey Dufeu et Jean-Louis Touraine : les travaux de la mission ont été conduits dans un esprit de curiosité et d’échanges auquel nous avons pris goût, n’abolissant pas toutes les divergences mais traçant autant que possible des convergences. Je remercie également chaleureusement les administratrices qui nous ont accompagnés avec l’esprit d’écoute, l’expertise et l’intelligence que vous imaginez. Je remercie enfin l’ensemble des interlocuteurs que nous avons auditionnés, avec qui le débat n’est sans doute pas clos.

La santé était, avant la crise, en tête des préoccupations. Plus que jamais, nous sommes devant l’exigence d’agir. Il faut soigner le médicament.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Le président de la mission d’information l’a rappelé à l’instant : nos travaux ont été riches d’enseignements. Comme avant chaque diagnostic, nous avons commencé par une écoute attentive, en l’occurrence une écoute attentive de nombreuses personnes très diverses mais toutes impliquées d’une façon ou d’une autre dans la chaîne du médicament.

Nous savions, avant le lancement de la mission, que la France des médicaments n’allait pas bien, qu’elle comportait beaucoup de fragilités et que ses résultats étaient en déclin mais ce que nous avons observé, ce que nous avons entendu de façon quasi unanime, est plus préoccupant et urgent que ce que nous imaginions. Cela nous impose de refonder dès maintenant la chaîne du médicament, d’abord dans l’intérêt des malades de notre pays, ensuite pour développer une soutenabilité à notre modèle.

Je rappelle que cette économie du médicament a été extrêmement forte dans notre pays. Elle doit reprendre une place importante dans le système économique français. Le véritable déclin que notre pays a connu sur l’ensemble de la chaîne du médicament a lieu dès le stade initial de la recherche fondamentale jusqu’à la mise sur le marché en passant par la production. Le constat est sans appel. En Europe, la France était première voici dix ou quinze ans, autant pour l’innovation thérapeutique que pour la production de médicaments. Aujourd’hui, selon les critères pris en compte, nous sommes entre la quatrième et la sixième position, derrière des pays européens beaucoup plus petits, avec un produit intérieur brut (PIB) bien moindre. Il est donc nécessaire de retrouver cette place, méritée et importante, autant pour nos malades que pour l’économie du pays.

En matière de recherche fondamentale, les crédits consacrés à la biologie-santé sont plus de deux fois inférieurs à ceux de l’Allemagne et ont diminué de 28 % entre 2011 et 2018, quand ils augmentaient de 11 % en Allemagne et parfois plus dans d’autres pays.

La France n’est pas meilleure en matière de production. Ainsi, en 2019, sur soixante et un traitements nouveaux ayant obtenu une autorisation européenne, seuls cinq étaient produits en France. Quant à la mise sur le marché des médicaments, force est de constater que notre procédure administrative est anormalement longue. Il faut attendre près de cinq‑cents jours entre l’autorisation de mise sur le marché (AMM) et la fin de la négociation du prix en France quand il ne faut attendre que cent dix‑neuf jours en Allemagne. Nous mettons donc plus de trois fois plus de temps pour mettre le médicament à disposition.

Bien sûr, nous disposons d’un système d’autorisation d’accès précoce, qui nous est d’ailleurs envié à l’étranger et qui permet d’accélérer ces délais, mais les autorisations temporaires d’utilisation (ATU) ne concernent qu’une faible proportion des médicaments et qu’une part assez minime des patients, souvent ceux les plus proches des gros centres hospitaliers. Pour les patients éloignés des grandes villes, l’accès aux ATU est malheureusement difficile.

Le déclin de la France en matière de médicaments est lourd de conséquences. Celles-ci ne sont pas uniquement économiques et financières mais elles sont avant tout d’ordre médical, social et éthique. Notre rapport montre que le déclassement de notre pays fragilise notre souveraineté sanitaire, augmente le risque de pénuries qui a crû de façon considérable ces dernières années. Il engendre des inégalités dans l’accès aux médicaments essentiels et aux traitements très innovants.

Face à ce constat, que faire ? Nous devons d’abord développer une détermination farouche et une volonté politique. Deuxièmement, nous pouvons et devons être optimistes car nous avons la chance de disposer d’acteurs de grande qualité, autant dans la recherche fondamentale que dans la production de médicaments. Nous pouvons retrouver une place de premier plan en quelques années avec quelques investissements humains et financiers, pour peu que nous ayons la volonté de le faire.

Une opportunité spéciale apparaît d’attacher de l’importance à cette refondation. Nous sommes à un moment où, en ce qui concerne le médicament, tout doit être changé. Il ne faut plus se contenter de ce qui a été fait depuis le début du XXe siècle, c’est-à-dire des replâtrages, des corrections diverses, des ajouts de mesures bureaucratiques ou des créations d’agences supplémentaires. Ces méthodes ont montré leurs limites et la solution est ailleurs. Il faut aujourd’hui prévoir une refondation.

Nous changeons donc de paradigme pour le médicament. Je veux vraiment insister sur la révolution en cours, pas seulement en France mais dans le monde entier. Nous ne développerons plus du tout les traitements comme au XXe siècle. Je rappelle qu’au XXe siècle, un médicament consistait essentiellement en un produit chimique relativement peu onéreux, que le malade prenait quotidiennement durant des années, des décennies pour traiter des maladies chroniques. Aujourd’hui encore, à partir d’un certain âge, les malades prennent bien souvent ces traitements jusqu’à leur dernier jour.

Demain, les traitements seront différents. Ils seront beaucoup plus chers, de courte durée, parfois pris un seul jour – traitement one shot – comme la thérapie génique, cellulaire ou des médicaments issus des biotechnologies. Ces médicaments très innovants ne concernent actuellement qu’un nombre limité de patients mais seront amenés à se développer de façon très importante dans les prochaines années.

Plusieurs de ces médicaments sont dans le pipeline. Ils sont l’objet de préoccupations car le prix de ces médicaments très innovants atteint plusieurs centaines de milliers d’euros par injection. Ceci met en péril la soutenabilité de notre système de santé et la disponibilité des médicaments pour tous grâce à la solidarité nationale, sans inégalité d’accès selon le niveau de ressources.

L’enveloppe financière dédiée aux médicaments a jusqu’à maintenant été maîtrisée grâce aux économies permises, en particulier, par le développement des génériques et par le déremboursement de médicaments considérés comme peu efficaces. Toutefois, ceci n’est plus un modèle suffisant pour développer une soutenabilité compte tenu des enjeux et des prix atteints. Si nous ne faisons rien, le coût d’accès à l’innovation risque de nous obliger à procéder à une sélection des patients ou à ne pas développer en France des médicaments dont l’efficacité est pourtant prouvée. Il est urgent d’agir.

Nous constatons donc que le système est à bout de souffle et qu’il est nécessaire de refonder un nouveau système. C’est pourquoi nous parlons de changer de paradigme. Comment le faire ? Ma co-rapporteure Audrey Dufeu détaillera dans un instant les mesures concrètes que nous proposons pour refaire de la France un territoire d’innovation thérapeutique, pour reconquérir notre souveraineté sanitaire et ne plus vivre ces pénuries médicamenteuses quotidiennes.

J’insiste pour ma part sur le nécessaire rééquilibrage des relations entre les pouvoirs publics et les industriels du médicament. Le président de la mission vient de rappeler à quel point la financiarisation des entreprises pharmaceutiques – qui s’est développée de façon considérable durant ces dernières décennies – pouvait conduire à une décorrélation entre les objectifs de rentabilité financière qu’elles poursuivent et les objectifs de santé publique que nous devons protéger. Je partage bien évidemment ce constat.

Je rappelle pourtant que ces entreprises font très souvent preuve d’un professionnalisme irremplaçable et conservent une utilité sociale majeure. L’image délétère qu’elles ont dans l’opinion publique est loin d’être toujours justifiée.

Pour rééquilibrer le rapport de force entre pouvoirs publics et industriels, notre rapport prône la mise en place de relations partenariales, en France mais aussi à l’échelon international, en particulier au niveau européen.

Ce partenariat doit être établi très en amont de la chaîne, pas uniquement lorsque le médicament est développé, dix ans après les recherches initiales. Pour que de telles relations émergent, il nous faut avant tout instaurer en France une gouvernance forte et stratégique de la chaîne des médicaments. Notre actuel système de gouvernance est en effet marqué par une complexité extrême et une bureaucratie très excessive. Une multitude d’acteurs publics, d’administrations, d’agences interviennent, et même trois ministères différents, sans compter Bercy et l’assurance maladie, qui sont les deux financeurs.

Lorsqu’un industriel international veut téléphoner, de Boston ou d’ailleurs, pour savoir comment obtenir l’autorisation de commercialiser son médicament en France, il demande quel est le numéro de téléphone et s’entend répondre qu’il doit passer par une demi‑douzaine d’agences, trois ministères et encore d’autres personnes. C’est décourageant et induit des retards tout à fait préoccupants.

Cette absence de synergie nuit à la cohérence de la politique du médicament et affaiblit la capacité de négociation des pouvoirs publics face à ces industriels qui jouent bien entendu la concurrence entre les différents pays. Ce n’est pas un hasard si la France, qui offre parfois des médicaments à des coûts plus raisonnables que d’autres pays, se retrouve quelquefois en pénurie : c’est parce que l’industrie internationale privilégie les pays qui paient plus cher et la France se retrouve alors démunie d’un traitement pourtant classique, essentiel et pas extraordinairement onéreux. Il nous faut corriger ce problème.

Afin de coordonner tous ces acteurs, nous proposons donc la création d’un haut‑commissaire aux produits de santé. Ce dernier aurait un positionnement interministériel et serait le véritable chef d’orchestre de l’ensemble des acteurs publics du médicament. Il serait chargé de définir une stratégie globale et prospective en matière de médicaments, laquelle pourrait s’incarner dans le cadre d’une loi de programmation sur la santé.

Nous proposons également de simplifier de manière significative le fonctionnement de nos instances de régulation, d’assurer concrètement une meilleure coordination entre elles et de renforcer leur expertise. Pour cela, il nous paraît essentiel de mieux valoriser les experts auxquels ces instances font appel et de clarifier la notion de lien d’intérêt, qu’il faut différencier plus clairement de celle de conflit d’intérêts afin de ne plus en faire une application excessive et bloquante.

Au-delà de la réforme de la gouvernance nationale, nous sommes convaincus de l’urgence à renforcer le rôle des instances européennes en matière de médicaments. Pour nous, l’évaluation des médicaments et, à terme, la fixation de leurs prix devront relever de l’échelon européen. Ce sera une grande réforme, qui demandera du temps, mais résoudra beaucoup de problèmes.

Nous saluons la création annoncée d’une nouvelle agence à l’échelon européen, la Health Emergency Preparedness and Response Authority (HERA), mais nous insistons bien dans le rapport sur le fait qu’elle ne doit pas avoir pour unique conséquence d’instituer une nouvelle strate et de complexifier davantage la gouvernance européenne du médicament, qui n’est pas toujours simple. Les rôles respectifs entre les différentes agences européennes et nationales devront être clarifiés et simplifiés.

Le rééquilibrage de la relation entre les pouvoirs publics et les industriels passe nécessairement par un meilleur partage du risque. Nous sommes persuadés que seule une plus grande implication des acteurs publics dans les phases amont du développement des médicaments pourra, in fine, contraindre les industriels à ne pas chercher lors de la fixation du prix du médicament à se faire rembourser le facteur risque de manière démesurée. Prenons bien conscience du fait qu’un industriel qui a dû lancer des tentatives de développement de douze produits pour qu’un seul aboutisse aura tendance à demander un prix très élevé pour le produit finalement commercialisé.

Nous montrons dans notre rapport qu’une relation équilibrée et partenariale passe par la hausse des financements octroyés à la recherche publique, le recours quasi systématique à des partenariats entre public et privé ainsi que le renforcement de la transparence.

Nous avons également identifié plusieurs leviers permettant à l’État d’imposer des contreparties à son soutien. De tels dispositifs sont encore peu utilisés en France mais ils sont déjà mis en place aux États‑Unis. À l’échelon européen, les contrats d’achat des vaccins contre la covid‑19 ont été signés en avance de phase, sans démonstration de leur efficacité ou avant la démonstration de leur efficacité puisqu’ils étaient encore en cours de développement. Cela a ouvert la voie à de nouvelles modalités de couplage en financement de la recherche‑développement et de l’achat public.

Le rééquilibrage des relations entre pouvoirs publics et industriels passe par de nouvelles modalités de fixation du prix du médicament. Le prix doit devenir un levier de régulation transparent et efficace. Pour cela, nous proposons d’améliorer encore la transparence des informations transmises au Comité économique des produits de santé (CEPS) par les industriels, de limiter le recours aux remises et de modifier les critères de fixation du prix.

Il nous paraît essentiel de mieux prendre en compte les enjeux de souveraineté et de sécurité d’approvisionnement. C’est pourquoi nous souhaitons inscrire dans la loi la possibilité pour le CEPS d’offrir un avantage, en matière de prix facial ou de stabilité du prix, aux médicaments dont la chaîne de production et de distribution répond à des normes sociétales et environnementales élevées et permet de réduire le risque de rupture d’approvisionnement. Pour cela, nous proposons la création d’un label « développement durable » qui serait octroyé à l’échelon national ou européen.

Je me permets d’insister sur ces questions de prix. Nous avons observé une multiplicité des prix dans laquelle il est difficile de s’y retrouver. Cette jungle des différents prix n’est pas très transparente : il existe un prix officiel et des prix qui sont l’objet de remises diverses, ici et là, prix qui ne permettent pas d’avoir une action transparente. Ceci devra être corrigé.

Au-delà des prix, nous formulons dans le rapport des propositions pour garantir la soutenabilité économique de notre système de santé. Une réflexion de fond doit être engagée sur les défis que posent le changement de paradigme technologique et l’arrivée des thérapies personnalisées pour la soutenabilité de notre système de santé ainsi que sur la répartition des rôles entre assurances obligatoire et complémentaire. Nous devons garantir une gestion beaucoup plus dynamique des prix que celle actuellement mise en œuvre par le CEPS.

La principale proposition que nous faisons en la matière est de systématiser le recours aux données de vie réelle. Contrairement à d’autres pays comme l’Allemagne ou l’Italie, la France ne fait qu’un usage très partiel de ces données. Or, en vie réelle, c’est‑à‑dire des mois et des années après la mise sur le marché, nous nous rendons compte que le résultat n’est pas exactement ce qui avait été proposé lors des essais cliniques initiaux. Il faut donc établir la réalité des effets et des prix.

Ceci doit être réalisé tout au long de la chaîne : c’est utile à la Haute Autorité de santé (HAS) pour réévaluer les médicaments, au CEPS pour recourir aux contrats de partage des risques avec les industriels, à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) pour faire de la veille sanitaire ainsi qu’à la Caisse nationale de l’assurance maladie pour contrôler le mésusage des médicaments. En effet, 30 % des prescriptions et des actes sont réalisés de façon non pertinente. Ceci doit être corrigé. La France est l’un des pays dans lesquels des abus de médicaments dangereux et inutiles sont constatés. Il faut promouvoir une prescription efficiente.

Pour faire des données en vie réelle la colonne vertébrale de nos politiques d’évaluation des médicaments et de fixation du prix, il nous faut développer la culture de l’évaluation en conditions réelles d’utilisation, pas lors des essais cliniques mais au moment de l’utilisation ultérieure chez les malades au sens large. Il convient d’accélérer le déploiement du health data hub en privilégiant les études post‑inscription réalisées dans le cadre de partenariats public privé.

Nous insistons dans le rapport sur la nécessité de favoriser les contrats où la puissance publique s’engage à fixer un prix plus élevé en cas de bons résultats en vie réelle, plutôt que de se concentrer seulement sur les contrats où le laboratoire s’engage à verser des remises en cas de moins bons résultats en vie réelle.

Pour garantir une gestion consolidée, proactive et pluriannuelle des dépenses de médicaments, il nous faut mieux anticiper, à un horizon de trois à cinq ans, les innovations arrivant sur le marché et leurs conséquences organisationnelles et financières. Pour cela, nous préconisons de confier à un corps d’inspection la préfiguration d’un dispositif fonctionnel de veille prospective.

Le changement de paradigme que nous appelons de nos vœux n’est pas si utopique qu’il peut en avoir l’air. Même les industriels commencent à en percevoir la nécessité. Certes, cela représente des investissements, pour augmenter les moyens de la recherche et de l’innovation, pour réindustrialiser notre pays d’une façon nouvelle, adaptée aux médicaments du XXIe siècle, avec des usines modernes permettant la production des traitements classiques qui seront encore utilisés mais aussi des produits des biotechnologies.

Tous ces investissements sont rentables à moyen terme. Ils sont rentables pour deux raisons. D’une part parce que les patients français traités avec ces produits représenteront un bénéfice notable dont les effets ne sont pas toujours aisés à calculer ; d’autre part parce que ces traitements coûteront moins cher que s’il faut les importer de l’étranger. Enfin, si notre système de production est à la hauteur de nos espérances, nous disposerons d’un excédent de production qui sera vendu à l’étranger, offert à l’exportation. Nous voyons donc que ce système suppose un investissement qui sera rentable dès le moyen terme.

Surtout, tout cela bénéficiera – et c’est le plus important – à nos patients français, qui pourront avoir accès rapidement aux meilleurs produits sans devoir attendre des produits venant d’autres pays. Je n’ai pas de doute bien entendu que les échanges internationaux se poursuivront mais un pays ayant une bonne place dans l’industrie pharmaceutique contribue beaucoup plus facilement aux échanges avec les autres pays que ceux qui sont malheureusement moins bien dotés. Nous pourrons ainsi assurer le meilleur accès aux médicaments dans notre pays et limiter les risques de pénurie.

En conclusion, je souhaite remercier l’ensemble des membres de la mission d’information, notamment Philippe Berta, qui a été particulièrement assidu et nous a apporté beaucoup d’idées nouvelles. J’adresse également de vifs remerciements aux administratrices qui m’ont impressionné par la qualité de leur travail.

Mme Audrey Dufeu, rapporteure. Nous appelions de nos vœux cette mission d’information depuis longtemps. Souvenez‑vous, à chaque projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), des nombreux amendements d’appel que nous avions pu porter ou de nos nombreuses demandes de rapport qui nous avaient déjà donné l’occasion de débattre du monde du médicament. Il a démontré d’évidentes fragilités et ses limites à la lumière de la crise sanitaire.

Mon collègue Jean-Louis Touraine et moi-même avons souhaité insister dans ce rapport sur la nécessité et l’urgence d’impulser un véritable changement de modèle et d’instaurer une gouvernance très forte et surtout unifiée dans le champ du médicament.

Je voudrais insister plus particulièrement sur l’urgence, pour la France et pour l’Europe, de retrouver notre souveraineté sanitaire, c’est-à-dire notre indépendance sanitaire. Il nous faut rebâtir l’autonomie médicamenteuse de notre pays. Il n’existe pas de solution magique, il n’existe malheureusement pas de solution unique car la difficulté réside dans le fait d’intervenir à tous les stades de la chaîne du médicament.

Il faut d’abord refaire de la France un territoire d’innovation thérapeutique. Le déclin de la France en matière de recherche et d’innovation n’est en effet pas sans conséquences. Nous devons avoir conscience que les pays qui participent peu à l’innovation thérapeutique n’ont que très peu de place dans le développement et dans la production des médicaments innovants.

L’enjeu est loin d’être purement économique : il est avant tout sanitaire. Le déclassement de la France en termes d’innovation rend plus difficile un accès équitable et rapide des patients français aux innovations thérapeutiques. Nous ne devons pas l’accepter.

Il est donc urgent d’intervenir pour soutenir la recherche dans le domaine du médicament. Nous proposons ainsi de renforcer significativement les montants octroyés aux projets de recherche plutôt que de disséminer des volumes financiers sur différents projets ce qui, finalement, a un impact beaucoup moins important.

Nous insistons sur le fait que l’alignement du salaire des chercheurs français a minima sur celui de leurs homologues européens doit constituer une priorité. Nous appelons aussi vivement à l’intensification de la recherche collaborative entre les universités, les organismes de recherche, les établissements de santé et l’industrie.

Il faut absolument sortir des guerres de chapelles. Ce point nous a vraiment interpellés lors des auditions : il existe de nombreux acteurs mais il est difficile pour ces acteurs de se remettre en cause au sein de leur propre entité et beaucoup plus facile de décaler la responsabilité sur les autres acteurs. Nous ne pourrons pas avancer ainsi ; il faut vraiment travailler cette culture du monde de la recherche et du médicament pour construire une véritable collaboration.

Nous recommandons la création d’une grande plateforme collaborative ou hub sur le modèle du biocluster de Boston. Il faut savoir qu’il existe en France autant de CHU qu’aux États‑Unis. Cela doit nous réinterroger sur la façon de créer plus de collaborations entre les acteurs pour être réellement efficaces et audibles sur la scène internationale.

Il faut faire cesser la confusion entre les notions de conflit d’intérêts et de lien d’intérêt, en raison des suspicions immédiates sur les chercheurs et leur prétendu seul leitmotiv mercantile. C’est souvent injustifié et entrave le partage d’expertise, pourtant essentiel, entre les acteurs du public et du privé. Ce partage permet de créer de nouvelles visions et de l’innovation.

Par exemple, nous avons auditionné l’Agence européenne du médicament, qui nous a clairement alertés sur le manque et même l’absence de Français aux tables de discussion et aux tables rondes de travail sur les différents rapports de travail remis à cette agence. C’est ubuesque : aucun Français n’est plus disponible parce que nous confondons lien d’intérêt et conflit d’intérêts. De même, l’ANSM a beaucoup de mal à recruter des ressources humaines parce qu’il faut des personnes vraiment expérimentées dans ces domaines, qui sont très pointus. L’expertise vient après un nombre important d’années de travail et, comme le lien d’intérêt est tout de suite pointé du doigt, l’ANSM ne parvient plus à recruter. Cela doit nous alerter.

À l’instar d’un grand nombre de pays voisins et de l’Australie, nous devons aussi nous donner les moyens d’une production académique pour certains médicaments très innovants et particulièrement onéreux, comme les cellules CAR‑T, ces thérapies géniques très prometteuses. J’en parle chaque année en PLFSS. Il faut savoir que la poche unique de CAR‑T coûte 300 000 à 500 000 euros et que le coût de production est estimé à 40 000 euros. Ces nouvelles thérapies géniques très prometteuses, qui seront de plus en plus utilisées, doivent nous interroger sur la soutenabilité de notre budget de santé. L’urgence est de faire baisser le prix de ces médicaments mais également de proposer des pratiques alternatives complémentaires à celles imposées par les firmes industrielles dans la caractérisation du médicament et dans les indications de ces poches. Une production académique élargirait ce nombre d’indications pour bénéficier plus largement aux patients qui en ont le plus besoin.

Il est par ailleurs essentiel de créer un véritable écosystème de l’innovation en santé afin que les découvertes fondamentales se traduisent non seulement en traitements innovants mais aussi en traitements fabriqués en France. Nous devons assurer un soutien financier suffisant aux start‑up pour les aider à traverser cette fameuse « vallée de la mort ». Nous ne devons pas laisser à ces start‑up uniquement les deux issues très réductrices que constituent soit une capitalisation en bourse, souvent sur des marchés étrangers, soit un rachat par une grande entreprise pharmaceutique qui, elle aussi, est souvent étrangère.

C’est là que réside le paradoxe : ces start‑up françaises sont le fruit de la recherche française publique. Elles ont été financées par les pouvoirs publics et par les Français. Il faut vraiment nous réinterroger sur les objectifs et la finalité de cette recherche que nous portons tous à ses débuts.

Cette capacité de soutenir financièrement nos entreprises à la hauteur des enjeux ne peut se concevoir qu’à l’échelle européenne. C’est une évidence et nous en sommes certains après ces nombreuses auditions. Nous avons besoin d’un projet de grande envergure et d’intérêt commun destiné à accompagner le développement des technologies innovantes en santé, en France bien sûr mais surtout en Europe.

Ce soutien à l’innovation ne peut s’exonérer d’efforts pour rendre la France à nouveau attractive en matière d’essais cliniques. Nous constatons en effet une décroissance dans la dynamique des essais cliniques français. Nous proposons dans notre rapport un certain nombre de mesures pour réduire considérablement les délais d’autorisation de ces essais. Avec le groupe Mouvement Démocrate (MoDem) et Démocrates apparentés, nous avions déjà porté une proposition de loi sur les comités de protection des personnes (CPP) et il est urgent de permettre cette accélération des autorisations d’essais cliniques. C’est un handicap pour notre système français et surtout, in fine, c’est un handicap et une inégalité dans l’accès à l’innovation pour les personnes malades. Je crois que nous devons vraiment nous responsabiliser et bouger en la matière.

Par ailleurs, tous nos concitoyens sont confrontés, à un moment ou un autre, à cette problématique grandissante des pénuries de médicaments. Nous avons senti en audition une forte inquiétude face à un phénomène qui ne fait qu’augmenter malgré les mesures successives prises ces dernières années. Je le rappelle, le nombre de médicaments dits « d’intérêt thérapeutique majeur » déclarés en rupture d’approvisionnement est passé de 404 en 2013 à 1 499 en 2019 ; il a été multiplié par vingt en dix ans. Au-delà de la désorganisation qu’elles représentent pour les professionnels de santé, puisque l’Assistant publique-Hôpitaux de Paris évalue la gestion des pénuries à 20 équivalents temps plein de pharmacien, ces pénuries engendrent parfois d’importantes pertes de chance pour les patients, ce que nous ne pouvons plus tolérer ni laisser au bon vouloir des laboratoires.

Nous devons significativement renforcer nos outils de réponse aux pénuries, notamment au niveau européen où cette notion doit absolument faire l’objet d’une définition commune. Notre rapport souligne l’urgence d’améliorer le partage d’information entre acteurs et agences sur sujet. Il faut savoir que, dans certaines agences, la gestion des pénuries se fait encore sur papier, à la main, sans système d’information centralisé. Il faut donc fluidifier la chaîne d’approvisionnement.

Nous devons aussi responsabiliser les acteurs et, en particulier, renforcer les sanctions contre les industriels et certains grossistes‑répartiteurs dont les pratiques abusives ont des conséquences inacceptables pour les patients. Les sanctions ne sont pas du tout dissuasives et n’incitent pas les laboratoires à stopper les pénuries. La sanction n’est que de quelques centaines d’euros pour un laboratoire qui a une longue pénurie alors que cette pénurie représente peut‑être pour le laboratoire des économies importantes dans la gestion de son organisation. Nous souhaitons notamment rendre public, sans limitation de durée, l’historique des ruptures de stocks et des sanctions prononcées contre les laboratoires, selon le fameux principe du name and shame.

La lutte contre les pénuries ne pourra cependant être efficace que si nous menons des politiques ambitieuses pour encourager la production pharmaceutique en France et en Europe. Il s’agit d’un élément essentiel pour recouvrer notre souveraineté sanitaire. En effet, la crise sanitaire a confirmé le constat dressé depuis des années d’une dépendance trop forte de la France et de l’Union européenne dans le domaine sanitaire.

Je rappelle que près de 40 % des médicaments finis commercialisés dans l’Union européenne proviennent d’un pays tiers et que 80 % des sites de production de substances pharmaceutiques actives utilisées dans les médicaments disponibles en Europe sont situés hors de l’Union européenne. Au-delà des mesures de soutien indispensables au tissu industriel existant, nous prenons peu à peu conscience de l’importance de relocaliser une partie de la production pharmaceutique sur notre territoire. Des annonces du Gouvernement vont dans ce sens et c’est très bien.

Il est néanmoins illusoire de penser que toute la production pharmaceutique pourra être relocalisée. Une telle mesure n’est d’ailleurs pas souhaitable car la globalisation de la chaîne production permet d’assurer un approvisionnement et l’accès à une large gamme de produits. Nous devons trouver un juste milieu, supportable, équitable et éthique.

Cet objectif s’inscrit pleinement dans le cadre de la stratégie pharmaceutique pour l’Europe annoncée début 2020 par la présidente de la Commission européenne. Nous recommandons de mener un travail conjoint aux échelons national et européen pour identifier quels médicaments sont indispensables à notre sécurité sanitaire et ceux concernés par une pénurie ou un risque de pénurie. Il nous faut une cartographie de l’ensemble des sites de production de médicaments au sein de l’Union européenne afin d’identifier l’ensemble des capacités de production, qui sont probablement sous‑évaluées. Il faut notamment identifier celles qui sont sous‑utilisées. Il n’est en effet pas normal que l’administration ne dispose aujourd’hui, en France, d’aucun recensement des capacités de production. Ce sujet est laissé à la main des industriels alors que nous devons être vraiment vigilants sur ce point.

La reconquête de notre souveraineté sanitaire passe aussi par la mise en place de nouveaux modèles de production des médicaments. Ces nouveaux modes de production qui reposent notamment sur une collaboration active entre des acteurs publics et privés constituent une perspective particulièrement intéressante pour lutter contre les pénuries. Nous proposons ainsi de mettre en place au plus vite, sur le modèle de l’initiative Civica aux États‑Unis, une structure ou un réseau rassemblant des acteurs publics et privés – pharmacies hospitalières, établissements et entreprises pharmaceutiques, façonniers... – mais dont le pilotage serait public. L’objectif serait de produire les médicaments dont les brevets sont tombés dans le domaine public et qui sont considérés comme peu rentables alors qu’ils sont indispensables pour la santé publique. Nous devons assurer notre souveraineté sur ces molécules d’intérêt thérapeutique majeur.

Nous nous devons aussi de rattraper notre retard dans le domaine des médicaments génériques et biosimilaires. Je rappelle que le marché français du médicament générique ne représente en 2020 encore que 40 % du marché officinal remboursable, contre 75 à 80 % en Allemagne et au Royaume‑Uni. Le marché des biosimilaires est, lui aussi, très peu développé. Le taux de pénétration des biosimilaires est ainsi de seulement 23 % en médecine de ville, bien loin de l’objectif d’un taux de pénétration sur le marché de 80 % d’ici 2022 fixé par la stratégie nationale de santé.

Nous proposons de fixer un prix plancher pour les médicaments génériques afin d’encourager l’industrie du générique, fragilisée par les baisses de prix très fortes de ces médicaments depuis plusieurs années. Il est par ailleurs essentiel d’associer pleinement les médecins aux mesures en faveur des génériques et biosimilaires, en les incitant à prescrire davantage ce type de médicaments. Nous sommes en France très complaisants en la matière comparativement aux Allemands et aux Britanniques.

Mes chers collègues, au terme de ces six mois d’auditions, nous avons mieux compris les faiblesses du modèle français du médicament. Nous avons aussi pu identifier de nombreux atouts et acquis la conviction profonde qu’il est aujourd’hui possible de redonner à la France une place de leader dans le domaine du médicament. Les choix et les orientations pris durant les prochains mois seront décisifs pour nos chances de réussite.

La France aura la présidence du Conseil de l’Union européenne dès janvier 2022. Nous connaissons l’engagement et l’investissement du Président de la République sur ces sujets. Nous sommes donc confiants, optimistes et pleins d’espoir. Notre pays peut redevenir une nation innovante et souveraine dans le champ sanitaire. À nous d’impulser la volonté politique et de nous en donner les moyens, pour nos concitoyens.

Je remercie les administratrices et collègues qui ont travaillé à ce rapport et tous les professionnels de santé que nous avons auditionnés. Ils ont une volonté et une énergie sans faille. Ils nous ont vraiment confortés sur la nécessité de ce rapport et des propositions retenues dans celui-ci pour changer le modèle du médicament.

Mme Marie-Pierre Rixain. Comme vous, je suis convaincue de la nécessité de revoir en profondeur la chaîne du médicament dans son ensemble. Très attentive aux enjeux de souveraineté sanitaire et de lutte contre les pénuries soulignées par la crise sanitaire actuelle, je suis particulièrement investie sur la question de l’innovation thérapeutique, qui me semble cruciale.

Les médicaments les plus innovants, souvent indispensables au traitement des maladies graves, sont actuellement considérés par la HAS comme ayant un niveau de preuve trop faible au regard de leur approche strictement méthodologique. Or, en cas d’avis négatif de la HAS, ces médicaments ne sont accessibles aux patients que si le budget du centre hospitalier dans lequel ils sont traités le permet. Cette situation d’iniquité doit évidemment nous interroger. C’est pourquoi il me paraît crucial de renforcer l’expertise médicale et la place donnée à l’expérience des patients dans l’évaluation des traitements en favorisant la prise en compte des données de vie réelle pour mieux apprécier la valeur des produits de santé par rapport aux besoins des patients. C’est un point que j’avais eu l’occasion de souligner lors du dernier PLFSS et sur lequel vous insistez dans votre rapport. J’aurais donc beaucoup aimé vous entendre plus particulièrement sur la proposition 12 de votre rapport et sur la façon dont vous souhaitez renforcer la prise en compte de ces données de vie réelle.

Je suis également convaincue qu’il faut évoluer vers un modèle de démocratie sanitaire où les associations de patients ont un rôle majeur à jouer. J’en profite également pour saluer votre engagement sur ce sujet.

Mme Josiane Corneloup. La crise sanitaire que nous traversons a mis en lumière un grand nombre de dysfonctionnements connus depuis plusieurs décennies dans le domaine de la santé, notamment en ce qui concerne les médicaments. Concentration de la production des principes actifs en Inde et en Chine, concurrence au prix d’achat entre pays, ruptures de stock de médicaments de plus en plus nombreuses au fil des ans, tous ces phénomènes génèrent des situations inacceptables qui peuvent conduire les malades à voir leur état de santé se dégrader. Ces problématiques doivent nous interroger collectivement et des pistes d’amélioration doivent être proposées. C’est ce que présente ce rapport et je tiens à saluer les nombreuses pistes de réflexion développées.

Il s’avère indispensable aujourd’hui de repenser notre modèle en matière de recherche pharmaceutique, de redonner plus d’indépendance à la France sans pour autant nous enfermer dans des logiques nationalistes et de mettre en place des solutions pour lutter contre les pénuries de médicaments. À ce titre, la chaîne d’approvisionnement du médicament doit impérativement être sécurisée et de nouveaux modèles de production inventés.

Il est vrai que la politique industrielle dans un secteur comme l’industrie pharmaceutique ne peut se concevoir uniquement au niveau national mais certains problèmes sont tout de même tout à fait spécifiques à la France. Notre pays peine à conserver son rang en raison, entre autres, de nombreuses et importantes questions éthiques, du niveau élevé des taxes et des réglementations ainsi que des relations difficiles avec les pouvoirs publics. Le déclassement de la France en matière de recherche et d’innovation et le déclin de la production pharmaceutique sont tout aussi alarmants. La crise de la covid‑19 doit nous permettre de desserrer les contraintes inutiles qui privent notre pays d’entrer pleinement dans le jeu de la compétitivité mondiale.

Parallèlement, nous notons la nécessité d’une meilleure coordination et d’une gouvernance forte mais simplifier avec les instances européennes, notamment avec la création d’une agence européenne sur le modèle des agences américaines en alliant les trois piliers essentiels que sont ressources, financement et souplesse.

À l’heure actuelle, les projets Horizon Europe et le Conseil européen de l’innovation sont des pistes intéressantes mais à travailler. Il ne faut pas perdre de vue que ces outils sont concentrés sur l’innovation qui n’est qu’une part de la politique industrielle.

M. Cyrille Isaac-Sibille. La mission d’information porte sur les deux bouts de la chaîne. Pour tout ce qui concerne l’innovation, nous vivons actuellement une véritable révolution en passant de la chimie à la thérapie biologique. Toute la question est donc d’imaginer un nouveau modèle économique et de trouver comment le financer. Comment passer d’un traitement de masse à des traitements individuels ?

En tant que député du Rhône, je me suis intéressé au paracétamol. En 2008, nous fabriquions du paracétamol en France, notamment dans l’Isère. J’ai rencontré la personne qui a fermé la dernière usine de paracétamol appartenant à Rhodia‑Rhône-Poulenc devenu maintenant Sanofi. Tout cela est très complexe. Depuis 2008, nous avons perdu en technologie. Il est bon de dire qu’il faut soutenir les industries qui respectent des critères sociaux et environnementaux mais le problème provient de ce que le paracétamol appartient à la chaîne du benzène. Le paracétamol est fabriqué à partir de chlorobenzène puis de chloronitrobenzène et toute la question est de savoir si dans nos pays, en Europe, nous acceptons ces technologies qui sont très dangereuses. Nous avons fait en sorte que cette pétrochimie se trouve en Inde ou en Chine. Nous ne l’acceptons plus sur notre territoire. Même si j’entends bien le côté environnemental, accepterions-nous de réintroduire sur notre sol ces technologies pour relancer la production du paracétamol et être indépendants ?

Mme Annie Chapelier. La crise sanitaire a mis en lumière les limites de notre modèle mais d’autres crises latentes dans notre système de santé mettaient déjà en évidence ces problématiques. Les fortes inégalités dans le domaine de la santé mettent en péril la soutenabilité de nos modèles de protection sociale. Je voudrais pointer le fait qu’ils sont également loin d’être respectueux de l’environnement.

Dans la recherche de reprise d’une souveraineté sanitaire et pharmaceutique que nous appelons de nos vœux, avez-vous pu identifier combien les règles et les enjeux de protection de l’environnement au niveau européen pourraient être un frein, voire un prétexte, à la relocalisation de certaines de ces filières de production sur le sol européen et en France en particulier ?

Le rapport met également en lumière certaines mesures opérationnelles déployables à court terme dans la perspective de fluidifier l’ensemble de la chaîne des médicaments et d’améliorer l’accès des patients français aux médicaments et aux innovations thérapeutiques. Vous appelez de vos vœux un renforcement massif des moyens octroyés à la recherche et au développement. Nous ne pouvons qu’aller dans votre sens, notamment dans la perspective de restaurer une souveraineté nationale en la matière.

À plus long terme, le rapport souligne le changement de paradigme qu’il serait essentiel d’opérer. Le contrat social, comme vous l’appelez, entre les industries pharmaceutiques et notre État n’est plus tenu. Il est aujourd’hui extrêmement fragilisé par l’importante financiarisation de la chaîne des médicaments qui génère un modèle inflationniste et rend onéreux l’accès aux médicaments.

Nous avons pourtant besoin que le médicament devienne un bien public et cet objectif est impérieux dans les années à venir, d’autant plus que de nouvelles crises sanitaires sont à prévoir, nécessitant la production de nouveaux médicaments. Dans cette perspective, vous développez beaucoup la piste de la coopération à l’échelon européen. Je voudrais des informations sur la proposition 9, notamment sur les moyens que l’Europe peut amener en matière de fixation des prix et surtout, des éléments supplémentaires sur cette nouvelle agence HERA Incubator. Qu’est‑elle ? Quand existera-t-elle ? Vous mettez en garde sur sa création.

Mme Valérie Six. Vous attribuez le déclin français en matière de recherche au manque de moyens octroyés à la recherche et à l’innovation, à la complexité du paysage administratif, à la longueur excessive des procédures de mise sur le marché et de la fixation des prix des médicaments. Nous investissons en effet chaque année dans ce domaine l’équivalent de 2,2 % de notre PIB alors que les Allemands y consacrent 3,13 %. Pourtant, au chapitre IV de la quatrième partie de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021, nous avons voté une série d’articles visant à simplifier l’ensemble du secteur du médicament. Selon vous, ces dispositions auront-elles un impact sur notre attractivité ?

Le médicament est aussi une question de souveraineté sanitaire. En effet, la multiplication des pénuries et la complexification des chaînes d’approvisionnement éloignent les Français de l’accès aux médicaments. Dans ce contexte de finances publiques fortement dégradées, il me semble difficile de surmonter notre déficit structurel d’investissement dans le médicament à moyen terme. Il nous faut nous appuyer sur l’Union européenne pour concurrencer les États-Unis d’une part et les pays d’Asie d’autre part. Vous préconisez un renforcement du rôle des instances européennes ainsi que des partenariats entre les différents pays et l’Union. Ne faudrait-il pas être plus ambitieux en confiant l’ensemble des investissements nationaux à une superstructure européenne du médicament ?

Rappelez-vous que, en 2017, la France avait candidaté pour accueillir à Lille l’Agence européenne du médicament mais l’image de l’ANSM était déjà bien dégradée. L’implication des pouvoirs publics est donc indispensable pour viser l’ambition escomptée.

Mme Jeanine Dubié. Je vous remercie pour le travail colossal réalisé. Je souhaite que le ministère se saisisse de ce rapport et en fasse bon usage car vous avez vraiment abordé tous les sujets.

Je reviens sur la fixation des prix. Une direction européenne, dite « transparence », a imposé en 1988 aux pays européens un cadre réglementaire pour la fixation des prix. Cette régulation portait sur le prix des fabricants, hors taxes. Elle favorisait une stratégie des firmes.

Bernard Bégaud, pharmacologue, dresse dans son livre paru à l’automne 2000 un bilan sévère de la façon dont les pouvoirs publics négocient la mise sur le marché et la surveillance des traitements. Sur le système de fixation des prix des médicaments, il dit clairement que le système qui prévaut aujourd’hui est une machine à perdre pour les États. Une tentative de modification de cette directive a eu lieu en 2012 et, finalement, elle a été retirée par la Commission en 2015. Vous préconisez un pôle public du médicament. Cette fixation des prix pourrait être européenne. Pensez-vous que la France puisse se saisir de sa présidence pour faire avancer le sujet ? L’Europe est-elle prête ?

Enfin, est-il réellement possible de relocaliser la production en France ?

M. Bernard Perrut. La crise sanitaire a fait apparaître au grand jour l’ampleur de la dépendance sanitaire de la France en matière de médicament, démontrant l’insuffisance des stocks et l’indisponibilité de certains médicaments, même pour des médicaments d’intérêt vital. Aujourd’hui, 80 % des principes actifs à usage pharmaceutique sont fabriqués dans des pays tiers à l’Union européenne, principalement en Inde et en Chine ; ils n’étaient que 20 % voici trente ans. La France est donc passée de la première place en Europe pour la production de médicaments à la quatrième place, derrière l’Italie.

Cette situation a des conséquences très graves pour les Français. Il est donc important de relocaliser la production des médicaments d’intérêt stratégique dans notre pays pour sortir de cette dépendance et gagner notre souveraineté sanitaire, en restructurant notre chaîne de production pour répondre aux besoins de la population et en nous appuyant sur notre tissu industriel, principalement pour les médicaments d’origine chimique. Nous sommes forts de 271 sites et presque 43 000 employés expérimentés.

Vous avez évoqué la coordination à l’échelon européen. Est-ce admettre que la France ne peut plus être compétitive dans ce domaine ? Comment réindustrialiser notre pays et devenir un acteur incontournable de la chaîne de production des médicaments ? Pensez‑vous que la gestion des stocks stratégiques doit s’appréhender à un niveau extranational sans risque de perte d’indépendance ? Nous avons vu, précisément, la coopération très limitée avec le Royaume-Uni sur les vaccins lors de cette dernière période.

La question du prix des médicaments est également une véritable préoccupation. Les mécanismes de régulation sont arrivés très récemment dans le débat public avec la mise sur le marché de plusieurs thérapies à des niveaux de prix très élevés. Je pense à des traitements innovants qui bouleversent la prise en charge de la vie des patients et ne s’intègrent plus au schéma classique d’évaluation. Ceci pose la question de la soutenabilité budgétaire des dépenses mais aussi de l’accès pour tous les patients à ces médicaments. Dans ces conditions, comment assurer l’accès rapide aux médicaments innovants à nos patients ? Les délais d’accès semblent certes se réduire mais ils restent globalement très supérieurs à ceux prévus dans la directive européenne. Certaines molécules ont aujourd’hui du mal à trouver le chemin de l’accès au marché dans le cadre de la procédure classique d’enregistrement. C’est une véritable préoccupation.

M. Thierry Michels. Le déclin de l’industrie pharmaceutique en France est comparable à ce que nous avons connu dans l’ensemble du secteur industriel. Comment favoriser une production française ou européenne selon votre proposition 27 d’agir sur le levier de la commande publique ? Avez-vous estimé le surcoût que cela pourrait entraîner pour nos comptes sociaux ? Une production européenne ou française répondant à des normes environnementales plus élevées est sans doute plus coûteuse qu’une production importée de Chine ou d’Inde.

Sur la recherche et l’innovation, je voudrais vous entendre sur les questions liées aux données en santé. Je pense que la possibilité d’accéder aux données est un levier très important, à la fois pour favoriser les essais cliniques et pour faire les études en vie réelle que vous préconisez. Quelles dispositions pensez-vous mettre en avant pour réaliser ceci, y compris au niveau européen qui semble être le niveau pertinent pour agir ?

Je salue d’ailleurs votre soutien à la création de l’agence HERA. Il faudra nous assurer qu’elle puisse effectivement disposer des moyens nécessaires pour soutenir l’innovation européenne.

Mme Isabelle Valentin. Je souhaite aborder plus particulièrement le problème des pénuries croissantes, préoccupation accentuée durant la crise sanitaire. Des solutions doivent être mises en place pour lutter contre ces pénuries. La chaîne d’approvisionnement du médicament doit impérativement être sécurisée et de nouveaux modèles de production doivent être inventés.

L’indisponibilité des médicaments et vaccins est un phénomène de plus en plus préoccupant. En 2017 déjà, plus de cinq cents médicaments essentiels avaient été signalés en tension ou en rupture d’approvisionnement, soit 30 % de plus qu’en 2016. Sont concernés des médicaments de première importance dans notre arsenal thérapeutique, notamment des anticancéreux, vaccins et antibiotiques.

Ces ruptures conduisent à des pertes de chance inacceptables pour les patients. Ils mettent en danger la qualité et le fonctionnement de notre système de santé. Du fait de la délocalisation à l’étranger de la plupart des structures de production de médicament, l’indépendance sanitaire de notre pays est désormais remise en cause. Il n’est pas compréhensible que la production de principes actifs soit localisée en Asie ou en Inde mais, comme l’a signalé notre collègue Cyrille Isaac-Sibille, notre pays est-il prêt à réintroduire la filière pétrochimique sur son territoire ? C’est une vraie question.

Face au défaut de transparence sur les origines de ces pénuries et les responsabilités en jeu, la défiance s’accroît entre les acteurs de la chaîne du médicament, du fabricant au pharmacien en passant par les dépositaires, les grossistes‑répartiteurs et les prescripteurs.

Comment prévenir les pénuries résultant de difficultés de production mais aussi de la financiarisation de la santé en France ? Quelle politique envisager pour stimuler la recherche et pour que nos chercheurs français puissent travailler dans notre pays ? Quelles visions stratégiques, européenne et française, devons-nous avoir en matière d’innovation et de production du médicament ?

M. Belkhir Belhaddad. Comme vous l’avez dit, les constats sont édifiants concernant le déclassement de notre pays, le prix des médicaments et la dépendance de la France à la production de certains produits. La solution passe par une plus forte régulation et vous proposez de nombreuses pistes extrêmement intéressantes sur la question de la gouvernance, de la gestion du médicament, la relocalisation et le rééquilibrage des rapports de force, notamment avec l’industrie pharmaceutique.

Toutefois, la soutenabilité de l’accès au médicament et à l’innovation rappelle aussi des enjeux de développement durable. Ne faudrait-il pas envisager deux autres pistes ? Je pense notamment à la baisse de la consommation. Ne sommes‑nous pas finalement malades d’un trop‑plein de consommation de médicaments depuis trop longtemps, particulièrement en France ? La seconde piste pourrait être de développer des traitements thérapeutiques non médicamenteux. Le coût de prise en charge des médicaments, notamment pour les personnes en affection de longue durée, représente tout de même les deux tiers du budget de la sécurité sociale. Ne pouvons‑nous pas envisager d’autres solutions que les traitements par des médicaments ?

M. Didier Martin. Mon intervention porte également sur notre consommation de médicaments, qui nous interroge sur notre rapport individuel et collectif aux médicaments. Bien sûr, vous avez abordé tous les aspects de la recherche, de la production, de la distribution et de la régulation. Vous soulignez la nécessité que l’Union européenne s’empare de ce problème.

Toutefois, nous sommes un continent vieillissant. Nous sommes un continent qui consommera de plus en plus de médicaments. Nous avons un pouvoir d’achat et un système de protection sociale ultradéveloppé. Stratégiquement, nous avons tout intérêt à développer cette réflexion autour du médicament.

La consommation du médicament doit être responsable, durable. Vous avez mentionné la possibilité de développer un label concernant le médicament. Je pense que nous ne l’éviterons pas car nous ne pouvons pas parler en même temps de traitements innovants à plusieurs centaines de milliers d’euros et de la consommation du paracétamol. Ce qui a été dit sur le paracétamol est très juste. Il est prescrit par tonnes et, à l’occasion de la vaccination, une prescription préventive du paracétamol a été réalisée. Nous revenons donc à question de la prescription préventive de médicaments qui interpelle à la fois le consommateur, le prescripteur et le système économique.

L’État n’inventera pas les molécules. L’État ne se substituera pas au réseau de distribution privé dans les pharmacies. Il peut intervenir dans la consommation publique des médicaments, dans la régulation au niveau public mais, globalement, que pensez-vous de ce rapport aux médicaments ? Qu’avez-vous en tête derrière ce label ?

M. le président de la mission d’information. La question du rapport au médicament et, quelque part, d’une forme de consumérisme médicamenteux qui peut exister est un vrai sujet. Parfois, lorsque nous sortons sans ordonnance d’un rendez‑vous médical, nous nous demandons si nous avons été bien pris en charge. Je pense que cette question est le pendant des logiques de marchandisation qui ont cours dans le domaine du médicament. Les deux se nourrissent l’une l’autre, avec une croissance des budgets, y compris de marketing. Nous avons vraiment intérêt à faire attention à ce couple infernal marchandisation et consumérisme qui n’est pas la garantie d’une politique de santé efficace et adaptée aux besoins.

Nous nous sommes interrogés sur ce sujet et nous y avons consacré des auditions. C’est très vrai en matière de psychiatrie par exemple : l’accompagnement humain étant en difficulté, le recours au médicament devient la solution mise sur la table.

Je précise toutefois que, même si cet excès de consommation existe, il en manque parfois aussi. Il nous faut aborder cette forme de contradiction puisque certains patients ne disposent pas des médicaments dont ils auraient besoin.

S’agissant de la relocalisation de la production, je pense qu’elle est non seulement possible mais nécessaire. Nous avons des savoir-faire, nous possédons encore des installations industrielles qui ne tournent pas à plein régime aujourd’hui du fait des délocalisations. Le problème environnemental ne peut pas être réglé en disant simplement que nous mettons l’industrie ailleurs. C’est vrai pour le médicament comme pour d’autres thématiques. Il faut sans doute produire autrement, changer nos modes de production.

Les problèmes que nous avons vu surgir en grand à la faveur de la crise sanitaire montrent la nécessité de changer aussi notre organisation de la recherche et de la production dans notre pays. Ils appellent à de nouveaux efforts de ce point de vue.

En ce qui concerne l’aspect européen, la présidence française peut être une occasion de porter plus fort ce sujet et je pense que nous ne pourrons pas en faire l’économie. Le débat sera sans doute âpre et cela doit se faire en acceptant de sortir des cadres posés jusqu’à présent. Il faudra des politiques publiques plus fortes si nous voulons mieux répondre aux enjeux.

Mme la rapporteure. La notion de consumérisme et le rapport des Français au médicament constituent un axe que nous n’avons pas approfondi comme tel parce que nous avions trois priorités, la souveraineté sanitaire, l’innovation et la recherche ainsi que la lutte contre les pénuries. Il faudrait presque un nouveau rapport sur la question pour aller chercher et comprendre en profondeur.

Il est difficile d’apprécier le trop‑plein de médicaments. Le médecin est légitime dans sa prescription et, si un médecin prescrit un médicament, c’est que celui‑ci est idoine ou, en tout cas, qu’il répond à la situation. En revanche, sur la notion de traitement non médicamenteux, il faut aller sur la logique de preuve. Cette preuve demande des programmes de recherche. Elle doit être démontrée, encore plus si nous voulons une prise en charge et un remboursement par la sécurité sociale.

Nous parlions de mettre l’accent et un véritable soutien financier sur des programmes de recherche spécifiques. Cela se fait par exemple déjà en cancérologie : l’Institut national du cancer (INCa) finance des sites de recherche intégrée sur le cancer. Il existe en France huit ou neuf de ces programmes de recherche très transversaux auxquels participent de nombreux acteurs, pas uniquement scientifiques. L’idée est de démontrer que, dans la prise en charge du cancer, la thérapeutique est certes essentielle mais ne doit pas être seule.

Cela demande aussi un changement de culture des chercheurs, qui doivent accepter d’ouvrir leur monde à d’autres acteurs un peu différents. Avec les guerres de chapelle que nous avons vues, nous avons ressenti cette nécessité d’ouvrir le regard et les portes de la recherche dans les différents groupes que nous avons auditionnés. C’est vrai aussi dans le domaine non médicamenteux et ce qui se fait en cancérologie devrait à mon avis se faire aussi pour d’autres pathologies.

Je souligne que l’approche en cancérologie est vraiment très coopérative. Je parlais du nombre de CHU en France comparé aux États-Unis. Il existe en France de nombreux groupes de coopérateurs en cancérologie. Nous voyons bien cette dynamique et ce n’est d’ailleurs pas un hasard si ce domaine de la cancérologie est moins impacté par les difficultés d’innovation et d’accès à l’innovation, justement parce que les médecins ont cette culture de collaboration et de travailler ensemble, ce qui n’est pas toujours le cas de toutes les spécialités. L’INCa a beaucoup aidé en la matière.

Je crois que la relocalisation est possible dans certains domaines en France ou en Europe mais qu’il est utopique de croire qu’elle pourrait être exclusive pour assurer notre souveraineté. C’est là qu’apparaissent les limites des agences. Elles doivent renforcer leur rôle de contrôle. Par exemple, l’homologue de l’ANSM aux États-Unis a des agents chargés d’aller contrôler dans les pays tiers assurant la production de substances actives. Ces agents contrôlent les normes environnementales et sociales, ce que l’ANSM n’est pas capable de faire faute de moyens et de ressources humaines.

Je pense que nous devons favoriser la relocalisation en France et en Europe mais aussi nous assurer que, lorsque la chaîne du médicament sollicite des pays étrangers, les normes sociétales et environnementales y soient respectées. Si l’ANSM ne peut pas le faire seule, il faut a minima une coordination avec ses homologues européens, ce qui ne semble pas être le cas. Chaque pays européen, avec les petits moyens dont chacun dispose, va contrôler comme il le peut, de manière assez aléatoire, les sites de production de substances nécessaires aux médicaments. Toute cette coopération européenne est extrêmement importante.

M. Isaac-Sibille, vous nous interrogiez sur la fixation des prix, la différence entre la chimie et la biothérapie. Le CEPS valorise les innovations thérapeutiques mais non la notion de valeur thérapeutique, ce qui explique pourquoi les médicaments chimiques ont vu leur prix diminuer au fil des ans. Ceci provoque des ruptures d’approvisionnement parce que la logique économique a trop été retenue ces dernières années. Une nouvelle charte de fonctionnement vient d’être signée et nous espérons que la vision du CEPS deviendra beaucoup plus large sur l’urgence à s’assurer que nous ne nous souffrions pas trop de pénuries sur les molécules chimiques.

Du coup, nous devons aussi en PLFSS prendre des mesures d’adaptation. Nous savons que le prix des médicaments et les dépenses médicamenteuses dans le budget de santé ont un impact sur l’équilibre de notre budget. Il s’agit de trouver un nouveau modèle dans la construction de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (ONDAM). M. Olivier Véran a demandé un rapport spécifique sur un nouvel ONDAM ; nous serons très attentifs à la place que prendra le médicament dans cet ONDAM.

Vous nous avez beaucoup interrogés sur l’échelon européen. L’agence HERA annoncée est une première pierre à mon avis. Mme Six a demandé si les moyens nationaux ne pourraient pas fusionner en une grande agence européenne. Dans un monde idéal, ce serait parfait mais il faudrait déjà faire un sacré ménage chez nous, au niveau national, car nous avons un millefeuille incroyable en France. Penser que nous pourrions rapidement passer à un échelon européen me paraît vraiment impossible à court ou moyen terme en tout cas. C’est la politique du petit pas.

Cette agence HERA commencera par un focus sur l’urgence sanitaire, c’est‑à‑dire la façon dont les pays européens s’assurent d’avoir des réponses en cas d’urgence sanitaire. Je pense que cette coopération et l’émulation qui naîtront de cette agence permettront par la suite de passer à d’autres paliers pour construire l’Europe de la santé et l’Europe du médicament.

M. Michels nous a interrogés sur l’accès aux données de santé. Il existe effectivement beaucoup de data. Le health data hub a été lancé l’an dernier. De nombreux acteurs l’ont souligné en présentant leurs félicitations, avec un petit bémol sur l’agilité dans l’utilisation et l’interprétation de ces données. Pour l’instant, un gros stockage est réalisé. C’est la première pierre mais il faut encore alléger les procédures pour que les professionnels de santé puissent réellement utiliser ces données. Le réseau Unicancer nous a alertés sur le sujet et nous avons tout de suite fait remonter cette observation aux ministères concernés.

Je reviens avec la question de M. Perrut sur la notion d’accès aux médicaments innovants. À mon sens, cela doit nous questionner à deux niveaux. Il faut passer à l’échelon de territoire de recherche ; il n’est pas normal que, en fonction de votre lieu d’habitation, selon si vous habitez près d’un CHU ou non, vous ayez ou non accès à cette compétence, à cette expertise et à cette facilité d’accès à une ATU donc à une molécule innovante. Si vous êtes dans un petit centre hospitalier, dans un territoire plus reculé où, au sein d’un même groupement hospitalier de territoire, les professionnels de santé ne travaillent pas toujours en coopération sur ces innovations, l’inégalité est considérable et il nous faut la combattre. J’avais porté des amendements sur ce sujet lors du dernier PLFSS pour créer la notion de territoire de recherche. Nous en parlons dans le rapport et je crois que nous devrions porter ensemble l’an prochain la création de ce territoire de recherche. Les citoyens ne comprennent pas et, en tant que politiques, je pense que nous ne pouvons pas accepter cette perte de chance en fonction des territoires. Ce rapport est né de notre volonté d’assurer cette souveraineté pour plus de justice pour les citoyens et pour prémunir de toute rupture dans l’accès à l’innovation pour tous les Français.

M. le rapporteur. Plusieurs d’entre vous ont rappelé que la crise sanitaire a révélé des phénomènes qui étaient connus, déjà appréciés, qui ont déjà l’objet de multiples rapports. Plusieurs ont été cités comme le rapport sur les CPP de Cyrille Isaac-Sibille ou le rapport de Jacques Biot sur la lutte contre les pénuries. Ces rapports nous ont été très utiles et nous pouvons nous demander si ce rapport ne sera pas un rapport supplémentaire n’aboutissant pas à ce que le problème soit pris dans sa globalité de façon holistique. Ne risquons-nous pas que seul tel ou tel point soit traité ?

Je crois quand même que l’important est de considérer que toute la chaîne du médicament est basée sur une sorte de contrat social entre les pouvoirs publics et les industriels, pour schématiser à outrance. Les pouvoirs publics sont censés donner les moyens et réguler le système. Il s’agit de donner des moyens pour la recherche en amont, la recherche fondamentale et certaines innovations et donner des règles pour les industriels restent bien sur leurs rails et contribuent à la santé publique. Les industriels sont censés répondre aux besoins de santé publique.

Que s’est-il passé dans les dernières décennies ? Chacun a dérivé. Les industriels ont abaissé leur obsession de santé publique pour la remplacer par une obsession de rentabilité, de dividendes à verser à leurs actionnaires ou de rechercher de profit. Il est vrai que l’économie du médicament a été la seule pendant plusieurs décennies à avoir une croissance à deux chiffres chaque année. C’était le secteur le plus rentable de toute l’économie. Évidemment, cela a entraîné des appétits et le symbole le plus évident en est que, si à la fin du XXe siècle beaucoup de directions de ces grands laboratoires étaient assurées par des médecins ou des pharmaciens, ce ne sont plus aujourd’hui que des financiers. Des professionnels y travaillent mais ils sont soumis à la coupe des financiers et sous leurs ordres.

Les pouvoirs publics ont peut-être moins dérivé, ils ont gardé leur objectif mais ils n’ont pas toujours assuré les nécessités de moyens pour la production d’innovation. La preuve en est que les moyens de la recherche ont été en diminution en France alors qu’ils augmentaient dans tous les autres pays.

Des start‑up sont apparues. Elles sont intermédiaires entre pouvoirs publics et privés puisque ce sont des chercheurs du public qui sortent de leur laboratoire public, créent une petite entreprise qui marche ou non une fois sur deux et, lorsque cela marche, elle est rachetée à coût élevé par un industriel.

Ce système de start‑up, d’entreprises de biotechnologie n’était pas le système prévu. Ce n’était pas le contrat prévu initialement. Il faut redonner du lien entre les deux parce que pouvoirs publics et industriels du médicament sont condamnés à travailler ensemble mais il faut redéfinir ce contrat et le faire de façon pragmatique. Nous ne forcerons pas des gens qui ont pris des habitudes différentes mais nous pourrons tout de même contraindre à ce que l’industrie ne soit pas indifférente aux besoins de santé publique. Elle ne l’est certes pas mais il nous faut des leviers qui nous permettent de dire que telle substance doit être produite sur notre territoire, que nous pouvons aider mais seulement si les industriels fabriquent ce dont les Français ont besoin. Ce contrat doit être renforcé.

Plusieurs ont remis en cause la nécessité du médicament ou, du moins, pointé l’abus d’utilisation. Il existe effectivement beaucoup d’iatrogénie, c’est-à-dire de complications dues à de traitements excessifs. Il faut lutter contre ces excès. Il faut aussi chercher des alternatives et la prévention est toujours préférable : mieux vaut prévenir que guérir. Cela va contre notre culture française ; par rapport à l’Europe du Nord, où de nombreux efforts de prévention sont effectués, nous attendons en France que les gens soient malades pour nous occuper d’eux avec des traitements curatifs. Nous devons sortir de cette approche car il vaut mieux prévenir l’apparition des maladies.

Malgré tout, nous avons aussi besoin de traitements curatifs. La mortalité prématurée a considérablement diminué en bonne partie grâce aux médicaments. Regardez les maladies infectieuses, le diabète, le traitement de l’insuffisance cardiaque, les antihypertenseurs, le traitement des cancers... Deux sur trois sont devenus curables alors que, sans médicament, c’était trois personnes sur trois qui étaient mortes. Nous n’avons pas à remettre en question les médicaments mais à mieux les utiliser, éviter les excès et nous concentrer sur ce qui est véritablement bénéfique.

Améliorer le bénéfice pour le patient suppose évidemment la lutte contre les inégalités territoriales. Il n’est pas admissible que, parce qu’une personne est admise dans un hôpital, celui-ci prend en charge le médicament et soigne tandis que, dans l’hôpital d’à côté, le même malade ne sera pas soigné parce que l’hôpital ne dispose pas des moyens de prise en charge du médicament, pour ceux des médicaments qui sont à prise en charge par l’établissement hospitalier. C’est une injustice, une inégalité.

Il existe aussi des inégalités de territoire puisque l’ATU est principalement accessible aux malades proches des CHU. Une minorité des patients atteints d’une pathologie ont accès à ces traitements durant un à deux ans, avant que le traitement soit en libre accès.

C’est tout de même un peu embêtant. Tant qu’il n’existe pas de médicament pour une pathologie, nous comprenons tous, par obligation, que nous devons subir notre pathologie. Toutefois, le jour où un traitement existe, surtout lorsque la maladie est grave, comme dans le cas d’un cancer, le jour où nous savons qu’un traitement existe, où les journaux en parlent, disent que le traitement est utilisé dans certains pays, disent que certes aux États‑Unis les patients sont obligés de payer et que certains n’ont pas assez d’argent mais que, heureusement en France, nous n’avons pas besoin de payer, il faut tout de même attendre deux ans pour y avoir accès. Durant ces deux ans, il est dur de se dire que le traitement est possible mais que nous traînons dans des réglementations, dans des évaluations, dans des bureaucraties qui retardent.

Tout notre système de santé est fondé sur l’égalité d’accès. Nous voyons que ce n’est pas parfait ; nous constatons des inégalités territoriales ou d’établissement d’accès à des médicaments et ceci doit être corrigé pour remplir notre mission.

Il faut aussi se rappeler que l’industrie du médicament représente 13 % du PIB sur le plan économique. Certes, la croissance n’est plus du tout de même nature que voici dix ou vingt ans mais des efforts doivent être faits et des exigences doivent être portées sur ceux qui agissent au niveau industriel. Les pouvoirs publics doivent être extraordinairement précis et rigoureux dans leurs exigences pour ce secteur.

Nous devons aussi inventer un modèle économique nouveau. Délibérément, nous n’avons pas précisé ce qu’il faudrait mettre en place. Nous estimons que nous n’avons pas les moyens de faire toutes les études qui permettront de choisir le système. Nous devons avoir conscience qu’un médicament pris one shot, un seul jour, coûtant par exemple 500 000 euros pour 1 000 ou 2 000 malades, aura un effet bénéfique, curatif pour toute la vie et se substituera donc à des traitements chroniques qui auraient été pris durant vingt ou trente ans par le malade. De plus, s’il est mieux guéri, il pourra reprendre une activité et tout ceci doit donc être pesé. Notre mission n’a pas la possibilité de réaliser toutes les évaluations mais nous devons inventer un système adapté, par exemple un lissage dans le temps du financement, une sorte d’emprunt payé progressivement puisque l’effet s’étale sur trente ans pour le malade. Le prix du médicament pourrait être versé au laboratoire de façon progressive par différents moyens. Sans entrer dans les détails, j’insiste simplement sur le fait que, contrairement à la situation actuelle, il ne s’agit plus de payer chaque jour le médicament, toujours au même prix.

Le principe a déjà été beaucoup chamboulé au moment du traitement de l’hépatite C par le Sovaldi, dont le coût important n’a pu être absorbé. Il a finalement été décidé de ne traiter la première année que les malades atteints de formes avancées d’hépatite C. S’il avait fallu prendre en charge tous les malades dès la première année, nous n’aurions pas disposé des ressources nécessaires. L’utilisation du médicament a donc été étalée dans le temps mais cette solution n’est pas idéale.

Un phénomène similaire s’est produit pour le traitement du sida. Souvenez‑vous, pour les plus anciens, que les trithérapies ont d’abord été données, en 1995, aux malades qui avaient très peu de lymphocytes T4 – moins de 200 – parce que nous savions que ces malades pouvaient basculer dans le sida avéré du jour au lendemain. Nous avons cherché des explications pour le fait que nous ne traitions pas les autres alors qu’il faut traiter tous les séropositifs pour deux raisons. La première est qu’il vaut toujours mieux traiter tôt une maladie et la seconde est que le malade traité n’est plus contagieux. Cela permet donc d’empêcher la propagation du virus mais nous avons mis une dizaine d’années à atteindre cet objectif parce que les ressources étaient insuffisantes par rapport au coût de ces nouveaux médicaments. Il est donc absolument nécessaire que nous trouvions une solution pour ne pas devoir chercher de mauvaises solutions consistant à ne pas traiter tous les malades.

Certes, nous ne sélectionnons pas les malades sur l’argent mais sur le niveau de gravité. Au début, nous ne traitons que ceux qui risquent de mourir dans l’année, puis ceux qui ont une espérance de vie de cinq ans... Ce n’est pas très raisonnable. Il vaudrait mieux pouvoir traiter de façon adaptée tous ceux qui souffrent d’une pathologie.

L’environnement ne doit pas être un prétexte pour une non‑relocalisation en France ou en Europe. La solution réside dans des dépenses pour contrôler les méfaits sur l’environnement. Cela coûte effectivement un peu plus cher mais tout peut être contrôlé et c’est très important. Ces investissements antipollution permettent de produire, certes pour un peu plus cher mais à prix abordable tout de même. De toute façon, la pollution est aussi grave pour les enfants et les travailleurs en Inde ou en Chine qu’en France. Nous ne devons pas imposer à d’autres les difficultés que nous ne saurions pas résoudre nous-mêmes, alors que, précisément, nous savons les résoudre et que c’est simplement une question de moyens pour contrôler les conséquences éventuelles des produits chimiques.

La relocalisation induit un surcoût mais il reste modeste. Nous ne l’avons pas calculé ; ceux que nous avons auditionnés nous ont dit que c’est en définitive de l’ordre de quelques centimes parce que la production de la substance n’est pas l’élément le plus important dans le prix. La production elle-même n’est pas, pour beaucoup de médicaments, ce qui coûte le plus cher et le surcoût de production ne provoquera pas une marche excessive mais un petit surcoût.

La fixation du prix en Europe est un objectif que nous devons nous donner. Il ne sera pas atteint immédiatement car il faudra convaincre tous nos partenaires. L’Europe a déjà été obligée de mettre en place de nouvelles solutions du fait de la crise sanitaire, puisqu’elle n’avait auparavant pas de compétence santé. Nous pourrons ensuite réfléchir à une unification beaucoup plus complète de toute la chaîne du médicament et développer une authentique Europe de la santé. Toutefois, je pense que nous sommes obligés d’avancer pas à pas. Il nous faut l’accord de tous nos partenaires et ils ne sont pas tous aussi convaincus que nous de l’intérêt de cette évolution.

Je ne crois pas qu’il existe une solution unique aux pénuries parce que leurs causes sont multiples. Le problème est assez complexe. Nous avons essayé de l’analyser et je pense que nous devons d’abord afficher notre volonté de considérer que les pénuries constituent un problème grave. C’est grave lorsqu’elles touchent des anticancéreux, des corticoïdes comme cela arrive très souvent, mais c’est aussi ennuyeux lorsque des produits antidouleur sont concernés. C’est très grave en cas de pénurie de curare, d’autres anesthésiants ou d’autres produits de réanimation.

En tout état de cause, je pense que nous devons établir une liste, malheureusement un peu longue, de produits essentiels. Cette liste est en cours d’écriture au niveau européen puisque les différences sont faibles entre un malade danois et un malade français ou italien. Lorsque nous serons d’accord sur cette liste, il faut que nous ayons au moins une usine de production en Europe pour chacun de ces produits.

Cela ne signifie pas que cette usine doit se substituer à celle de Chine ou d’Inde mais la difficulté est que pour beaucoup de molécules, il n’existe plus qu’un seul producteur au monde. Si l’usine ferme à New Delhi ou Calcutta ou en Chine, nous n’avons plus rien. Certes, la technique est connue et nous pouvons recréer une production mais remettre en route une chaîne de production n’est pas si facile et nécessite au moins un an, parfois plusieurs années. Nous ne pouvons pas accepter l’existence de tels monopoles pour des produits essentiels. Nous devons avoir au moins une production en Europe.

Lorsque nous parlons du surcoût de la relocalisation, nous devons aussi considérer les économies apportées par la relocalisation. Si nous voulons être responsables, ce que nous ne sommes pas encore complètement en Europe, nous devons faire comme les Américains, qui sont très responsables sur ce sujet. Ils vont visiter toutes les usines et ne certifient que celles qui respectent des conditions extrêmement strictes de sécurité, de qualité et d’environnement. Ils envoient sur place des délégations qui analysent tout dans le détail ; un nombre significatif d’usines asiatiques ne sont pas certifiées par les Américains. Cela coûte cher et ce n’est pas parce que nous faisons produire ailleurs que chez nous que nous n’avons pas à payer des contrôles de sécurité. Il est important de comprendre que la relocalisation faciliterait aussi le contrôle de ces produits. Nous devons vraiment nous obliger à ne pas être dépendants d’autres continents. Certains produits devraient même être fabriqués en France.

Nous avons fait trente et une propositions, et c’est peut-être déjà beaucoup. J’ai peur qu’on ne pioche dans la liste que les deux ou trois propositions les moins onéreuses afin de prétendre que le rapport a bien été pris en compte. J’espère que l’ensemble ou du moins l’esprit de l’ensemble sera pris en compte. Je sais bien que tout n’est pas réalisable dans l’année à venir, ni même dans les cinq ans à venir, mais l’esprit est de nous donner une obligation de résultat à relativement court terme pour ne pas subir à nouveau les angoisses que j’ai entendues de la part de responsables de services de réanimation. Ils disaient ne parfois plus avoir de quoi traiter le lendemain les malades actuellement en coma artificiel. Ils téléphonaient à toutes les cliniques aux alentours, à tous les hôpitaux de France. Certes, la consommation a été trente fois plus élevée que la normale mais cela n’a pas duré très longtemps. Nous n’avons pas beaucoup parlé des stocks mais il est aussi possible d’avoir au moins deux mois de stock pour faire face et avoir le temps de trouver des solutions.

Nous devons nous donner une obligation de résultat. L’esprit est de relever les défis de toute la chaîne du médicament, depuis l’innovation thérapeutique jusqu’à la production. L’accès égalitaire de tous les malades au médicament doit être un objectif atteint le plus vite possible.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Je vous remercie et vous félicite pour ce travail de très grande envergure et de très grande qualité ainsi que pour toutes les réponses apportées.

La commission autorise, en application de l’article 145, alinéa 7, du Règlement, la publication du rapport de la mission d’information.


— 1 —

   ANNEXE 1 : synthÈse des propositions

AMÉLIORER LA GOUVERNANCE DE LA CHAÎNE DES MÉDICAMENTS

I.   Mettre en place une gouvernance forte, simplifiÉe et mieux coordonnÉe avec les instances europÉennes

A.   Renforcer et unifier nos instances de dÉcision et de rÉgulation

Proposition n° 1 : Mettre en place une gouvernance unifiée et proactive en créant une fonction de haut-commissaire aux produits de santé

Le haut-commissaire serait chargé de définir une stratégie globale en matière de médicaments, laquelle pourrait utilement trouver à s’incarner dans le cadre d’une loi de programmation sur la santé. Cette stratégie serait ensuite déclinée par chacune des agences de régulation (HAS, ANSM, CEPS et CNAM).

 

Proposition n° 2 : Mettre en place une gouvernance forte et dotée d’expertise en renforçant les moyens humains et financiers de nos agences de régulation (HAS, CEPS, ANSM) et en facilitant leur recours aux meilleurs experts

– Augmenter les dotations de l’État aux agences de régulation et/ou étudier l’opportunité d’augmenter les frais de dépôt de dossier qu’acquittent les laboratoires pharmaceutiques ;

– Mieux valoriser les expériences qu’une personne peut avoir en tant qu’expert de la HAS, de l’ANSM ou du CEPS dans sa carrière de praticien hospitalier ou pour l’accès aux postes de professeurs de médecine ;

– Faire davantage appel aux praticiens libéraux en matière d’expertise et ne pas se limiter au seul personnel hospitalo-universitaire ;

– Mieux rémunérer les experts ;

– Clarifier la notion de « lien d’intérêt » pour ne plus en faire une application excessive, en la distinguant précisément de la notion de « conflit d’intérêts ».

B.   Simplifier la gouvernance et mieux la coordonner avec les instances europÉennes

Proposition n° 3 : Simplifier en profondeur la gouvernance de la recherche et de l’innovation en santé

– À court terme, mettre en place un portail unique où figureront l’ensemble des appels à projets dans le domaine de la biologie-santé et harmoniser les dossiers d’appels à projets ;

– Expérimenter un nouveau modèle de financement des projets de recherche dans lequel il reviendrait aux chercheurs de déposer une demande de financement pour une recherche dans un domaine innovant et aux organismes de recherche, en s’appuyant notamment sur les technologies d’intelligence artificielle, de sélectionner les projets les plus prometteurs ;

– Poursuivre les travaux de simplification de la vie des laboratoires et publier, dès que possible, un premier baromètre des mesures prises en la matière ;

– À moyen terme, envisager une fusion des organismes de recherche compétents en matière de biologie-santé ;

– Renforcer les partenariats entre la DGOS et Bpifrance ainsi qu’entre la DGOS et l’ANR et, à long terme, fusionner les deux guichets de financement pour la recherche clinique et la recherche fondamentale.

 

Proposition n° 4 : Être vigilant quant aux modalités de création d’une nouvelle Agence de l’innovation en santé

– La création de l’agence devra être concomitante à une rationalisation du paysage administratif ;

– L’agence devra avoir un rôle de guichet unique pour les entreprises et notamment les biotechs.

 

Proposition n° 5 : Garantir une recherche en santé partenariale plus forte et plus efficace à l’échelon européen

– Renforcer le plan d’action national d’amélioration de la participation française aux programmes européens de recherche et d’innovation et le doter d’un pilotage interministériel ;

– Faire de la lutte contre les maladies rares l’une des priorités de la présidence française de l’Union européenne en 2022. Les coopérations en matière de R&D dans ce domaine pourront ouvrir la voie à une recherche en santé partenariale plus forte et plus efficace à l’échelon européen ;

– S’assurer que nos instances nationales, comme la future Agence de l’innovation en santé, participent bien à la définition des besoins thérapeutiques considérés par l’Agence européenne du médicament comme non couverts à l’échelon européen.

 

Proposition n° 6 : Simplifier de manière significative le fonctionnement des instances nationales et assurer concrètement une meilleure coordination entre elles

– Confier au haut-commissaire aux produits de santé la charge d’aider les agences (CEPS, HAS, ANSM) à faire évoluer leurs pratiques organisationnelles et managériales. Dans le cas de l’ANSM, les changements organisationnels à mettre en place pourraient faire l’objet d’une évaluation spécifique dans le cadre du comité de suivi du contrat d’objectifs et de performance ;

– Renforcer la coordination entre l’ensemble des agences :

* Systématiser les échanges entre la CNAM et la HAS dans la perspective des réévaluations ou des réinscriptions de médicaments ;

* Systématiser l’association de la HAS à la définition des indicateurs retenus par le CEPS dans le cadre d’un accord de partage des risques avec les industriels ;

* Mutualiser les rencontres précoces que la HAS et l’ANSM organisent avec les industriels ;

* Confier au haut-commissaire aux produits de santé la charge de coordonner la mise en place d’un outil commun de suivi en vie réelle des médicaments ;

– Identifier, lors du prochain CSIS, les freins rencontrés par les industriels dans l’utilisation des procédures de fast-tracking mises en place par les agences.

 

Proposition n° 7 : Renforcer le rôle des instances européennes de gouvernance en matière de médicaments

Le renforcement du rôle des instances européennes doit prendre en compte les trois considérations suivantes :

– le renforcement du rôle de l’Agence européenne du médicament (EMA) et du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) ainsi que la création de la nouvelle agence HERA n’ont de sens que s’ils s’accompagnent de moyens financiers conséquents et de ressources humaines supplémentaires ;

– la création d’HERA ne doit pas avoir pour unique conséquence de créer une nouvelle « strate » et de complexifier davantage la gouvernance européenne du médicament. La proposition émise récemment par l’OFCE et consistant à créer une agence de santé européenne unique, fusionnant l’EMA et l’ECDC, mériterait d’être davantage étudiée ;

– la refonte des instances de gouvernance doit prendre en compte des enjeux qui vont bien au‑delà de l’anticipation et de la gestion des crises sanitaires. HERA devra aussi avoir un rôle à jouer en matière de soutien à l’innovation et de prospective. Quant à l’EMA, elle pourrait utilement se voir confier, à terme, l’évaluation des médicaments.

II.   RÉÉquilibrer les rapports de force avec les industriels

A.   Faire du prix un levier de rÉgulation transparenT et efficace

Proposition n° 8 : Renforcer la transparence du prix des médicaments

– Améliorer la transparence des informations transmises au CEPS par les industriels. Obliger les laboratoires, au-delà d’un certain niveau de prix d’un médicament, à rendre transparents les coûts de R&D, de marketing, les bénéfices et les prix pratiqués dans d’autres pays ;

– Limiter le recours aux remises. À cette fin, permettre au CEPS de refuser de faire bénéficier une entreprise de prix faciaux plus élevés en échange de remise lorsque les informations qu’elle lui transmet sont insuffisamment complètes ou transparentes.

 

Proposition n° 9 : Fixer les prix des médicaments à l’échelon européen

– Participer aux initiatives intergouvernementales visant à renforcer les échanges d’information sur le prix des médicaments, comme l’initiative BeNeLuxA ou La Valette ;

– S’assurer que la HAS et le CEPS participent de manière active au groupe de travail que mettra en place la Commission européenne pour piloter la coopération entre les autorités nationales de tarification et de remboursement des médicaments ;

– À moyen terme, fixer le prix des médicaments (du moins ceux qui bénéficient de la procédure centralisée) à l’échelon européen ;

– Encourager, au niveau européen, les négociations conjointes de médicaments, notamment des plus onéreux, sur le modèle de ce qui a été mis en place en urgence pendant la crise sanitaire en matière de vaccination, en le perfectionnant.

 

Proposition n° 10 : Modifier les critères de fixation du prix, pour mieux prendre en compte les enjeux de souveraineté et de sécurité d’approvisionnement

– S’assurer que la valeur thérapeutique reste l’élément central de fixation du prix des médicaments. Définir, dans la loi, les critères qui fondent l’appréciation de l’ASMR et couper la dynamique inflationniste de l’innovation, dans laquelle chaque produit nouveau se prévalant d’un apport à une thérapeutique existante peut se voir attribuer un prix supérieur au produit déjà sur le marché ;

– Inscrire dans la loi la possibilité pour le CEPS d’offrir un avantage, en matière de prix facial ou de stabilité du prix, aux médicaments dont la chaîne de production et de distribution répond à des normes sociétales et environnementales élevées et permet de réduire le risque de rupture d’approvisionnement ;

– Créer un label « développement durable » octroyé par l’ANSM, qui interviendrait, de manière subsidiaire, dans la fixation du prix.

B.   Garantir la soutenabilitÉ de notre systÈme DE SANTÉ grÂce À une gestion renouvelÉe de nos dÉpenses de mÉdicaments

Proposition n° 11 : Assurer une gestion plus dynamique des prix des médicaments

– Fixer par voie législative des critères en fonction desquels des révisions de prix devraient obligatoirement intervenir ;

– Engager automatiquement des révisions de prix pour les spécialités essentielles dont le prix de vente devient asymptotique au prix de revient pour l’industriel. Pour cela, le CEPS gagnerait à s’appuyer sur l’avis d’une instance ad hoc (HAS ou ANSM) à même d’étudier la validité des perspectives économiques présentées par les industriels ;

– Conditionner la hausse du prix de certaines spécialités essentielles devenues trop coûteuses à produire à un engagement de l’entreprise à approvisionner le marché français ;

– Évaluer les conséquences du décret du 25 mars 2016 relatif à la liste en sus, en associant l’ensemble des parties prenantes, et modifier ce décret s’il est démontré qu’il compromet l’accès aux thérapies innovantes ;

– Adapter plus régulièrement les tarifs des groupes homogènes de séjour (GHS).

 

Proposition n° 12 : Recourir davantage aux données de vie réelle des médicaments, notamment pour la fixation des prix

– Faire des données en vie réelle la « colonne vertébrale » de nos politiques d’évaluation des médicaments et de fixation du prix ;

– Favoriser les contrats où la puissance publique s’engage à fixer un prix plus élevé en cas de bons résultats en vie réelle, plutôt que de se concentrer essentiellement sur les contrats où le laboratoire s’engage à verser des remises en cas de moins bons résultats en vie réelle ;

– Systématiser la collecte de données médico-économiques en vie réelle afin de permettre une évaluation médico-économique postérieure à la mise sur le marché.

– Confier à la HAS le soin de définir des critères simples et opérationnels en fonction desquels la performance du médicament en vie réelle sera évaluée ;

– Accélérer le déploiement du Health Data Hub ;

– Privilégier les études post-inscription réalisées dans le cadre de partenariats public/privé ;

– Développer la culture de l’évaluation en conditions réelles d’utilisation et l’utilisation effective des résultats qui en sont issus au sein des différentes instances de régulation, notamment le CEPS.

 

Proposition n° 13 : Réviser l’ONDAM pour permettre une gestion consolidée, proactive et pluriannuelle des dépenses de médicaments

– Mieux anticiper, à un horizon de trois à cinq ans, les innovations arrivant sur le marché et leurs conséquences organisationnelles et financières. À cette fin, confier à un corps d’inspection la préfiguration d’un dispositif fonctionnel de veille prospective ;

– Assurer une plus grande transparence et une vision consolidée de la dépense de produits de santé en complétant l’annexe 7 du PLFSS, comme le prévoit la proposition de loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale récemment déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale ;

– Assurer une gestion pluriannuelle de la dépense de médicaments. Prévoir des lois de programmation pluriannuelle de financement de la sécurité sociale qui serviraient de cadre aux LFSS adoptées chaque année ;

– Réfléchir à l’opportunité d’instaurer un fractionnement des paiements, à condition qu’un tel système n’engendre pas de distorsion dans la négociation en augmentant l’acceptabilité de prix très élevés (plus supportables puisque non payés d’emblée).

C.   aligner les stratÉgies des entreprises AVEC les objectifs de santÉ publique

Proposition n° 14 : Aligner les stratégies des entreprises avec les objectifs de santé publique

– Conditionner les aides publiques à un accès facilité au médicament ;

– Contrôler l’usage du crédit d’impôt recherche et engager une discussion, lors du prochain projet de loi de finances, sur l’opportunité de le recentrer sur les entreprises qui en ont le plus besoin. Dans le domaine des médicaments, ne devraient bénéficier du CIR que les entreprises qui ont réellement engagé des dépenses de R&D, à savoir souvent les entreprises (start‑up, TPE ou PME) à l’interface entre la recherche fondamentale académique et le développement du médicament ;

– Mettre en place des dispositifs associant soutien public et contrats d’achat de médicaments à l’échelon national mais surtout européen ;

– Promouvoir le statut de société à mission pour les entreprises pharmaceutiques, éventuellement par des mesures incitatives.

RECONQUÉRIR NOTRE SOUVERAINETÉ SANITAIRE

I.   Refaire de la France un territoire d’innovation thÉrapeutique

A.   ACCROÎTRE le soutien public À la recherche fondamentale en santÉ

Proposition n° 15 : Renforcer et différencier les montants octroyés aux projets de recherche

– Renforcer le soutien public à la recherche fondamentale en différenciant davantage les montants de financement en fonction des projets, sur la base de critères d’excellence scientifique ;

– Aligner le salaire des chercheurs français sur les meilleurs standards internationaux ;

– Accélérer la mise en œuvre des actions visant à revaloriser la culture scientifique ainsi qu’à enrayer la baisse générale et tendancielle du niveau des élèves français en sciences et en mathématiques.

B.   INSTAURER UN continuum entre la recherche fondamentale et le dÉveloppement des mÉdicaments

Proposition n° 16 : Donner une impulsion politique forte à l’intensification de la recherche collaborative et aux partenariats public-privé

– Encourager les rencontres et le dialogue entre les laboratoires, la communauté hospitalière et les entreprises, pour développer la connaissance mutuelle, les projets partagés ainsi que les mobilités. Y inclure les acteurs de l’économie sociale et solidaire ;

– Créer un « méga-hub » en santé, sur le modèle de ce qui a été fait à Boston ;

– Consolider les pôles de compétitivité dans leur rôle principal de mise en réseau, d’animation territoriale et d’accompagnement de projets précoces (et non pas d’opérateurs de services aux entreprises) ;

– Renforcer la logique hospitalo-universitaire en coordonnant davantage les efforts de recherche entre les universités, les organismes de recherche et les hôpitaux et en l’ouvrant vers l’ambulatoire et la ville ;

– Regrouper et professionnaliser les services de valorisation des universités et tenir compte, dans l’évaluation des chercheurs de toutes leurs activités, notamment leurs contributions aux innovations médicales faisant l’objet de développements industriels ;

– Revoir le modèle économique et consolider les SATT dans leur rôle principal de gestion de la recherche collaborative, sans objectif de rentabilité.

C.   Faciliter la production de mÉdicaments innovants, tels que les cellules CAR‑T, par les acteurs acadÉmiques

Proposition n° 17 : Faciliter la production de médicaments innovants, notamment de cellules CART, par les acteurs académiques

 Se doter d’une vraie volonté politique en la matière et expérimenter une production académique de cellules CART en s’inspirant des modèles mis en place dans les pays étrangers et en s’appuyant sur les plateformes existantes de l’Établissement français du sang ;

– Octroyer des financements importants pour permettre à des structures hospitalières de se mettre aux normes des bonnes pratiques européennes en matière de production de médicaments de thérapie innovante ;

– Faciliter le développement de médicaments par les acteurs académiques en prévoyant des appels à projets et des financements spécifiques pour les développements technologiques situés entre la preuve de concept en laboratoire et l’essai clinique de phase I ;

– Revoir la définition des médicaments de thérapie innovante ou permettre à l’Établissement français du sang de produire certains médicaments biologiques innovants conçus dans ses propres laboratoires de recherche.

D.   S’assurer du dÉveloppement, en France, des innovations thÉrapeutiques

Proposition n° 18 : S’assurer du développement, en France, des innovations thérapeutiques

– Assurer un soutien financier suffisant aux start‑up (sous forme de fonds propres) pour les aider à traverser la « vallée de la mort ». À cette fin, s’appuyer sur le dispositif des fonds « Tibi » en veillant néanmoins à ne labelliser que des fonds qui prennent pleinement en compte, dans leur stratégie, les enjeux de souveraineté sanitaire et non pas des fonds visant à revendre les biotechs pour obtenir la plus forte rentabilité financière possible ;

– Confier aux organismes de transfert de technologies, voire à la future Agence de l’innovation en santé, une mission de consolidation des biotechs, pour concentrer les actifs innovants au sein d’un nombre réduit d’entreprises ;

– Porter, au niveau européen, le projet d’un PIIEC (projet important d’intérêt européen commun) en santé destiné à accompagner le développement des technologies innovantes en santé.

 

Proposition n° 19 : Réformer la contribution sur les dépenses de promotion

Réfléchir à de nouvelles modalités de calcul afin de s’assurer que la contribution ne pèse pas sur l’innovation portée par les PME :

– étudier l’opportunité d’augmenter le seuil d’assujettissement à cette contribution, afin d’exonérer les plus petites entreprises ;

– réfléchir à instaurer un abattement spécifique pour les médicaments innovants, sur le modèle des abattements existant pour les génériques et les médicaments orphelins.

E.   Rendre de nouveau la France attractive en matiÈre d’essais cliniques

Proposition  20 : Rendre la France de nouveau attractive en matière d’essais cliniques

– Augmenter le soutien public aux essais cliniques. Centrer une large part de ce soutien sur les essais multicentriques, sur les essais européens (notamment pour les maladies rares) ainsi que sur les essais avec des normes élevées de preuve scientifique et s’assurer que les financements perçus par les directions des centres hospitaliers pour la réalisation des essais cliniques sont bien affectés aux équipes de recherche clinique ;

– Renforcer la coopération entre les acteurs réalisant des essais cliniques. Pour cela, créer notamment un guichet administratif commun aux centres hospitaliers universitaires (CHU) et centres hospitaliers (CH) d’un même territoire ;

– Améliorer l’accès de tous aux essais cliniques en indemnisant les déplacements des patients éloignés des centres des essais et en réalisant davantage d’essais en ambulatoire ;

– Remédier aux difficultés posées par la loi dite « anti‑cadeaux » en accélérant les délais avec lesquels les dérogations sont accordées aux praticiens hospitaliers pour leurs activités de recherche ou d’évaluation scientifique. Exclure les groupes coopérateurs de cette législation ;

– Renforcer l’efficacité des comités de protection des personnes (CPP) :

* S’assurer que les recettes supplémentaires votées en LFSS 2021 permettent bien l’amélioration, sur le terrain, des conditions de travail des CPP. Concerter l’ensemble des acteurs concernés sur l’opportunité de modifier le positionnement, au sein de la DGS, de la tutelle budgétaire et organisationnelle des CPP ;

* Consolider l’expertise des CPP en renforçant les formations à destination de leurs membres bénévoles, en accélérant, en lien avec l’ANSM, la mise en place d’un fichier d’experts ainsi qu’en valorisant davantage les missions exercées au sein des CPP dans les parcours professionnels de leurs secrétaires, de leurs membres et de leurs experts ;

* Introduire davantage de souplesse dans le fonctionnement des CPP, sans remettre en cause le tirage au sort. À cette fin, permettre aux CPP de s’approprier le dossier en amont de l’évaluation grâce à son dépôt dans un espace de « pré-soumission », mettre en place, pour certains essais cliniques labellisés comme prioritaires, une attribution directe à un CPP par le ministère, et spécialiser un nombre restreint de CPP, non plus seulement sur les essais conduits à l’échelon européen, mais sur des aires thérapeutiques innovantes et, éventuellement, sur les essais précoces ;

– Assurer un suivi transparent des essais cliniques en chargeant l’ANSM d’imposer des sanctions aux promoteurs qui ne respectent pas les obligations en matière de transparence prévues par le nouveau règlement européen sur les essais cliniques.

II.   Assurer un accÈs aux médicaments essentiels et innovants et lutter contre les pÉnuries

A.   Lutter contre les pÉnuries en sÉcurisant la chaÎne d’approvisionnement du mÉdicament

Proposition  21 : Renforcer et préciser les dispositifs juridiques de prévention et de gestion des pénuries de médicaments

– Clarifier, en lien avec l’ANSM, les critères de définition des MITM ;

– Harmoniser et renforcer la qualité des plans de gestion des pénuries en définissant des critères précis et obligatoires. Imposer par ailleurs leur publication aux entreprises.

 

Proposition  22 : Améliorer la connaissance de la chaîne d’approvisionnement du médicament et identifier à l’échelon européen les outils de lutte contre les pénuries

– Mettre en place une base de données à destination de l’ANSM sur la chaîne d’approvisionnement des MITM particulièrement indispensables et porter cette proposition auprès de l’Agence européenne du médicament ;

– Établir à l’échelon européen une définition des notions de pénurie et de rupture d’approvisionnement.

 

Proposition n° 23 : Renforcer le partage d’informations entre les acteurs et améliorer la fluidité de la chaîne de distribution du médicament

– Inclure l’ensemble de la chaîne de distribution, dont les grossistes‑répartiteurs et les dépositaires, dans le dispositif DP‑Ruptures et le rendre obligatoire ;

– Renforcer l’obligation d’information sur les ruptures d’approvisionnement qui incombe aux industriels : imposer de préciser l’origine des tensions et la date de remise sur le marché des produits ;

– Informer en première ligne les médecins prescripteurs des pénuries de MITM, afin de leur permettre d’assurer au mieux l’accompagnement de leurs patients ;

– Harmoniser les règles de conditionnement secondaire des médicaments au niveau européen et viser, à terme, l’harmonisation des règles de conditionnement primaire ;

– En sortie d’épisodes de ruptures d’approvisionnement, et à l’initiative de l’ANSM, approvisionner les établissements-pivots (nationaux ou régionaux) des répartiteurs pharmaceutiques.

Proposition  24 : Renforcer la transparence sur les stocks disponibles tout au long de la chaîne d’approvisionnement et harmoniser les règles de stockage des médicaments au niveau européen

– Créer une plateforme numérique au niveau européen permettant de recenser l’état des stocks de l’ensemble des acteurs de la chaîne d’approvisionnement ;

– Harmoniser les règles de stockage de médicaments entre les pays européens et définir une liste de médicaments stratégiques et indispensable devant être stockés au niveau européen, par l’agence HERA.

 

Proposition  25 : Renforcer les sanctions prévues en cas de manquement par les laboratoires et les acteurs de la répartition de leurs obligations

– Rendre public sur le site de l’ANSM, sans limitation de durée, l’historique des ruptures de stock et des sanctions prononcées contre les laboratoires ;

– Revoir le mode de calcul des sanctions en les fondant sur le chiffre d’affaires global de l’entreprise, et non le seul chiffre d’affaires du médicament en rupture ;

– Renforcer les contrôles sur les pratiques des grossistes répartiteurs et engager un travail juridique visant à distinguer l’activité des short liners de celle des full liners.

B.   Lutter contre les pÉnuries en relocalisant et en inventant de nouveaux modÈleS de production

Proposition  26 : Cibler les relocalisations sur les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur confrontés à des risques de pénurie et établir une cartographie des capacités de production sous utilisées

– Définir au niveau européen la notion de médicament d’intérêt thérapeutique majeur (MITM) ou de médicament essentiel ;

– Établir une liste de MITM menacés par une pénurie et dont la production doit être relocalisée en priorité ;

– Établir une cartographie des sites de production de médicaments dans l’Union européenne, afin d’identifier l’ensemble des capacités pouvant être mobilisées.

 

Proposition  27 : Utiliser le levier de la commande publique pour encourager la production française et européenne de médicaments, et favoriser la fiabilité des fournisseurs en s’appuyant sur des contrôles plus poussés des sites de production

 

Proposition  28 : Instaurer un groupement à but non lucratif ou un réseau d’acteurs publics et privés ayant pour mission de produire les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur fortement soumis aux risques de pénurie

 

Proposition n° 29 : Encourager la percée des génériques et des biosimilaires en associant l’ensemble des professionnels de santé impliqués dans le parcours de soins du patient et en fixant un prix plancher pour certaines spécialités

– Fixer un prix plancher pour les médicaments génériques ;

– Élargir le périmètre du répertoire des médicaments génériques et instaurer un mécanisme incitatif pour favoriser la prescription des médicaments génériques et biosimilaires ;

– Généraliser l’expérimentation prévue à l’article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 à tous les établissements de santé et l’étendre à toutes les spécialités éligibles.

 

Proposition n° 30 : Renforcer l’indépendance de la France en matière de médicaments dérivés du sang

– Confier à la Cour des comptes ou à l’Inspection générale des affaires sociales une mission visant à restructurer la filière française du sang. Deux principales restructurations pourraient être envisagées : revenir sur la séparation entre collecte et fractionnement en fusionnant l’EFS et le LFB ; créer un fractionneur européen qui satisfasse d’abord les besoins de l’Union européenne ;

– Inciter à modérer les prescriptions d’immunoglobulines ;

– Renforcer l’effort de collecte de l’EFS ;

– Promouvoir notre modèle éthique à l’étranger au moment où s’engage la révision de la législation européenne sur le sang, les tissus.

C.   Faire des brevets un outil protecteur mais flexible, au service de la santÉ publique

Proposition n° 31 : Adapter les brevets à la spécificité des médicaments très innovants et lutter contre les pratiques abusives en matière de brevets

– Adapter la durée de protection des brevets au degré d’innovation et de valeur thérapeutique du médicament, en recourant aux outils prévus par le droit européen (certificats complémentaires de protection européens) ;

– Mobiliser pleinement les outils prévus par le droit international pour contester les pratiques abusives en matière de brevets ;

– Envisager une révision de l’exemption Bolar et des certificats complémentaires de protection (CCP) pour encourager le développement de médicaments génériques et biosimilaires ;

– Plaider pour un accès le plus large possible aux vaccins et traitements contre la covid‑19 et porter au niveau international une proposition de révision de l’accord sur les ADPIC garantissant sa pleine effectivité ;

 Réviser l’outil de la licence d’office pour le rendre plus efficient en situation de crise sanitaire.

ANNEXE 2 :
LISTE DES Personnes auditionnÉes par LA MISSION D’INFORMATION

(par ordre chronologique)

  Table ronde :

 Centre national de la recherche scientifique (CNRS) – Mme Florence Noble, directrice adjointe scientifique à l’Institut des sciences biologiques du CNRS, M. Thomas Borel, chargé des affaires publiques ; et Mme Johanna Michielin, directrice générale de CNRS Innovation

 Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) – Mme Pascale Auge, présidente du directoire d’Inserm Transfert, filiale privée de l’Inserm

 Agence nationale de la recherche (ANR)  M. Dominique DunonBluteau, responsable du département scientifique Biologie‑Santé, et Mme Cécile Schou, chargée de mission

  Intergroupe francophone du myélome (IFM)  M. Philippe Moreau, président

  France Biotech (*)  M. Franck Mouthon, président, M. Frédéric Girard, vice‑président en charge du groupe de travail « Accès au marché », M. Alexandre Regniault, vice-président en charge de la commission « Carré des juristes » et du groupe de travail « Essais cliniques », M. Olivier Chabanon, délégué général, et Mme Constance Montazel, responsable des relations institutionnelles et affaires publiques

  Audition conjointe :

 Académie nationale de médecine  Pr Yvon Lebranchu, professeur d’immunologie clinique, Pr Gilles Bouvenot, professeur de thérapeutique, président de la commission II « Thérapeutique - pharmacologie - toxicologie - médicaments et autres produits de santé », Pr Jean Sassard, docteur en pharmacie, secrétaire de la commission II, et Dr Yves Juillet, docteur en médecine, membre de la commission II

 Académie nationale de pharmacie (AnP)  M. Gilles Aulagner, président, M. Patrick Couvreur, président de l’AnP en 2020, et M. Bruno Bonnemain, animateur du groupe de travail sur les ruptures d’approvisionnement des médicaments

  Établissement français du sang (EFS)  M. François Toujas, président, Dr Pascal Morel, personne responsable Produits sanguins labiles, et Mme Nathalie Moretton, directrice de cabinet

  Table ronde :

– Sidaction (*)  Mme Serawit Bruck-Landais, directrice du pôle qualité et recherche en santé, Mme Anaïs Saint-Gal, responsable plaidoyer, et Mme Hélène Roger, directrice du pôle analyses et plaidoyer

– Aides (*) – M. Marc Dixneuf, directeur général, Mme Caroline Izambert, directrice plaidoyer, et Mme Inès Alaoui, chargée de mission

  Pr Anthony Gonçalves, chef du département d’oncologie médicale à l’Institut Paoli-Calmettes (IPC)

  Audition conjointe :

 Institut national du cancer (INCa) – Pr Norbert Ifrah, président, M. Thierry Breton, directeur général, et Mme Marianne Duperray, directrice des recommandations et du médicament

 Comité national de coordination de la recherche (CNCR) – Pr Didier Samuel, président, Mme Marie Lang, directrice, Mme Sylvie Deblois-Renaud, responsable de la filière industrielle, et Mme Anne Le Louarn, responsable des affaires juridiques

  Table ronde :

 Eurasanté – M. Didier Delmotte, président, et M. Étienne Vervaecke, directeur général

– Lyonbiopole – M. Philippe Sans, président, et Mme Florence AgostinoEtchetto, directrice générale

– Eurobiomed – M. Michaël Danon, président, et Mme Émilie Royère, directrice générale

  Table ronde :

 Alliance Maladies Rares  Mme Hélène Berrué-Gaillard, vice‑présidente

 France Assos Santé (*)  M. Gérard Raymond, président, et M. Yann Mazens, conseiller technique produits et technologies de la santé

 Ligue nationale contre le cancer (*)  Mme Catherine Simonin, vice‑présidente, et Mme Amandine Courtin, responsable du plaidoyer

– Médecins du Monde (*)  M. Théau Brigand, responsable de mission du plaidoyer prix du médicament et systèmes de santé, et Mme Juliana Veras, coordinatrice du plaidoyer prix du médicament et systèmes de santé

  Table ronde des économistes :

– M. Sylvain Pichetti, docteur en sciences économiques à l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES)

– M. Frédéric Bizard, économiste spécialiste des questions de protection sociale et de santé, professeur d’économie associé à l’ESCP Europe et à Paris Dauphine, président fondateur de l’Institut Santé

 Mme Izabela Jelovac, directrice de recherche au CNRS

  Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies (LFB) (*)  M. Denis Delval, président

  Audition conjointe :

– Mme Catherine Vidal, neurobiologiste, auteure du rapport du Haut Conseil à l’égalité intitulé « Prendre en compte le sexe et le genre pour mieux soigner : un enjeu de santé publique »

– Pr Gilles Vassal, pédiatre oncologue

  Table ronde des organisations représentatives dans l’industrie pharmaceutique :

 Confédération française démocratique du travail (CFDT)  M. Thierry Gontier, Mme Florence Faure et M. Stéphane Galine, représentants syndicaux

 Confédération générale des travailleurs (CGT)  M. Manu Blanco, membre de la direction confédérale, et Mme Ilona Delouette, conseillère confédérale

 Force ouvrière (FO) – M. Serge Legagnoa, secrétaire confédéral en charge du secteur protection sociale collective, M. Guillaume Commenge, assistant confédéral en charge de la branche maladie, secteur protection sociale collective, et M. Jean-Philippe Landais, délégué médical chez Novartis

 Confédération française de l’encadrement-Confédération générale des cadres (CFE-CGC)  Mme Raphaëlle Bertholon, secrétaire nationale à l’économie et l’industrie, M. François Reyrolle, président du syndicat des industries pharmaceutiques, et Mme Anaïs Filsoofi, chargée d’études économie et fiscalité

 Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) – M. Francis Orosco, vice-président chargé de l’industrie et de l’économie, et M. Pascal Framond, conseiller technique chargé des laboratoires pharmaceutiques

 Union nationale des syndicats autonomes (UNSA) – M. Dominique Corona, secrétaire général adjoint, et Mme Frédérique Galliat, conseillère nationale

  Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament (OTmeds) – Mme Pauline Londeix et M. Jérôme Martin, co‑fondateurs

  Les entreprises du médicament (LEEM) (*) – M. Frédéric Collet, président, M. Philippe Lamoureux, directeur général, M. Laurent Gainza, directeur pour les affaires publiques, et Mme Constance Vigier, chargée de mission pour les affaires publiques

  G5 santé (*)  M. Didier Véron, président

  Syndicat de l’industrie chimique organique de synthèse et de la biochimie (SICOS Biochimie) – M. Vincent Touraille, président du SICOS, directeur de la stratégie EuroAPI/Sanofi, M. Michel Spagnol, vice-président du SICOS, président-directeur général de NOVASEP Group, M. Pierre Luzeau, président de Seqens, M. Philippe Guerret, président‑directeur général de M2I, M. Gildas Barreyre, directeur Énergie et affaires publiques de Seqens, et Mme Catherine Lequime, déléguée générale du SICOS

  Audition commune sur notre rapport aux médicaments :

 M. Jean-Claude Dupont, historien des sciences, maître de conférences à l’Université de Picardie

– M. Roland Gori, psychanalyste et professeur émérite de psychologie et de psychopathologie clinique à l’université Aix-Marseille

  UFCQue choisir (*) – Mme Lauriane Le Menn, chargée de mission Santé, et M. Damien Barbosa, chargé de missions Relations institutionnelles

  Comité économique des produits de santé (CEPS)M. Philippe Bouyoux, président, et M. Jean-Patrick Sales, vice-président secteur Médicament

  Bpifrance (*)  M. Paul-François Fournier, directeur exécutif de l’innovation, et Mme Sophie Rémont, directrice de l’expertise

  GEnérique Même MEdicament (GEMME) (*)  M. Sébastien Michel, vice‑président pour les affaires publiques, M. Pascal Brière, vice-président pour les affaires économiques, et Mme Catherine Bourrienne-Bautista, déléguée générale

  Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) – Mme Christelle Ratignier-Carbonneil, directrice générale, et Mme Carole Le Saulnier, directrice des affaires juridiques et réglementaires

  Conférence nationale des comités de protection des personnes (CNCPP)  Mme Virginie Rage-Andrieu, présidente

  Cell for Cure – M. Frédéric Collet, président, Mme Marie Urtiaga, directrice générale, Mme Nathalie Pires Carius, directrice des affaires publiques, et Mme Marie Urtiaga, directrice générale

  Sanofi-Aventis France (*) – M. Olivier Bogillot, président

  Caisse nationale de l’assurance-maladie (CNAM) – M. Thomas Fatome, directeur général, Mme Paule Kujas, responsable du département des produits de santé, et Mme Veronika Levendof, responsable du département juridique

  Haute Autorité de santé (HAS) – Pr Dominique Le Guludec, présidente du collège de la HAS, et M. Thomas Wanecq, directeur général

  AFM-Téléthon (*)  Mme Laurence Tiennot-Herment, présidente, M. Christophe Duguet, directeur des affaires publiques, et M. Serge Braun, directeur scientifique

  Table ronde des syndicats de salariés de Sanofi

 Confédération française démocratique du travail (CFDT)  M. Humberto de Sousa, coordonnateur adjoint, et Mme Laurence Titeux, déléguée syndicale centrale adjointe

 Confédération générale du travail (CGT) MM. Fabien Mallet et JeanLouis Peyren, coordonnateurs

 Force ouvrière (FO)  M. Mohamed Belmir, coordinateur, et M. Adel Qalai

 Confédération française de l’encadrement-Confédération générale des cadres (CFECGC) –M. Michel Histe, secrétaire général adjoint, et M. Jean-Marc Burlet, délégué syndical

 Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) – M. Éric Descombris, coordonnateur, et Mme Carine Geniaut, coordonnatrice adjointe

  Mmes Anne Perrot, inspectrice générale des finances, et Margaret Kyle, professeure d’économie à Mines Paris Tech, co‑auteures de la note du Conseil d’analyse économique intitulée « Innovation pharmaceutique : comment combler le retard français ? »

  M. Jacques Biot, auteur du rapport au Premier ministre « Les solutions pour remédier aux ruptures de médicaments »

  Comité consultatif national d’éthique (CCNE) – Pr Jean-François Delfraissy, président

  Pharmacie centrale des armées – M. François Caire-Maurisier, commandant et pharmacien responsable

  Audition commune de praticiens ayant été confrontés à des situations de pénurie, notamment pendant la crise sanitaire :

 Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) – Pr Jean-Paul Vernant

 Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) – Pr Bruno Riou, directeur médical de crise

  Commission européenne  Mme Stella Kyriakides, commissaire à la santé et à la sécurité alimentaire

  Santé publique France  Mme Marie-Anne Jacquet, directrice générale adjointe, et Mme Christine Debeuret, pharmacien responsable

  Chambre syndicale de la répartition pharmaceutique (CSRP) (*) et OCP Répartition – M. Hubert Olivier, président

  Table ronde des pharmaciens :

 Conseil national de l’Ordre des pharmaciens (*)  Mme Carine WolfThal, présidente

 Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO) (*)  M. Gilles Bonnefond, président

 Fédération hospitalière de France (FHF) – Mme Zaynab Riet, déléguée générale, Mme Cécile Chevance, responsable du pôle finances, M. Jean-François Husson, pharmacien des hôpitaux, chargé de mission Produits de santé au pôle Finances, et M. Alexandre Mokédé, responsable du pôle Offre de soins

 Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) (*) –M. Philippe Besset, président, et M. Pierre Fernandez, directeur général

  Ministère de l’économie, des finances et de la relance – Direction générale des entreprises (DGE) – Mme Laurence Mégard, sous-directrice en charge des industries de santé, des biens de consommation et de l’agro‑alimentaire

  Mme Véronique Trillet-Lenoir, députée européenne, membre de la commission de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire

  Collectif « Médicament Bien commun »  M. Fabien Cohen, chirurgien‑dentiste de santé publique, M. Bruno Chevallier, ingénieur biochimiste, Mme Éliane Mandine, biologiste, et Mme Danielle Sanchez, ingénieure

  Agence européenne du médicament (EMA)  Mme Emer Cooke, directrice, et M. Alexis Nolte, responsable des médicaments à usage humain

  Ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation  Direction générale de la recherche et de l’innovation  M. Nicolas Chaillet, directeur général par intérim, et Mme Anne Paoletti, chef du département Biologie et santé

  Audition commune :

 Ministère des solidarités et de la santé – Direction générale de la santé (DGS)  M. Maurice-Pierre Planel, directeur général adjoint

 Ministère des solidarités et de la santé – Direction générale de l’offre de soins (DGOS)  Mme Katia Julienne, directrice générale, Mme Emmanuelle Cohn, adjointe à la sous-direction du pilotage de la performance des acteurs de l’offre de soins, et M. Harold Astre, chef de bureau à la sous-direction du pilotage de la performance des acteurs de l’offre de soins

  Organisation mondiale de la santé (OMS) – Bureau Médicaments essentiels et produits de santé M. Gilles Forte, coordonateur, bureau du directeur général adjoint pour l’accès aux médicaments et produits de santé, Mme Benedikt Huttner, secrétaire du comité d’experts pour la liste des médicaments essentiels, M. Christophe Rérat, conseiller, bureau du directeur général adjoint pour l’accès aux médicaments et produits de santé, Mme Erika Duenas, conseillère, département des politiques et standards pour les produits de santé, et M. Johathan Rodrigues, gestionnaire de projet à la division de la résistance antimicrobienne

  Unicancer (*) Pr Jean-Yves Blay, président, et Mme Sophie Beaupère, déléguée générale

  Cabinet de la ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie  Mme Lucile Poivert, conseillère en charge de la santé, des biens de consommation et de l’Europe

  Commission européenne  Direction générale de la recherche et de l’innovation  Mme Barbara Kerstiëns, cheffe de l’unité « Combattre les maladies »

  Table ronde des complémentaires santé :

 Fédération nationale de la mutualité française (FNMF) (*)  Mme Séverine Salgado, directrice déléguée à la santé, et M. Yannick Lucas, directeur des affaires publiques

 Fédération française de l’assurance (*)  Mme Véronique Cazals, directrice à la santé, Mme Cécile Malguid, directrice adjointe à la santé, et Mme Ludivine Azria, conseillère parlementaire

 Union nationale des organismes complémentaires d’assurance maladie (UNOCAM) (*)  Mme Delphine Benda, secrétaire générale administrative, et M. Mickaël Donati, économiste de la santé

 Centre technique des institutions de prévoyance (CTIP) (*)  Mme Magali Sierra, directrice santé et modernisation des déclarations sociales

  Institut Pasteur Pr Stewart Cole, directeur général

  M. Luca Li Bassi, ancien directeur général de l’Agence italienne du médicament

  Commission nationale des recherches impliquant la personne humaine (CNRIPH) – M. Pierre-Henri Bertoye, président, M. David Simhon, vice-président, et Mme Marie-Amélie Eudeline, membre, vice-présidente du CPP Sud-Est 4 (Lyon)

  Audition commune

 Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM)Dr Bruno Boyer, président de la section Santé publique, en charge du dossier sur les médicaments, et Mmes Cécile Bissonnier et Lucie Hug, conseillères juridiques de la section

 Revue Prescrire – M. Pierre Chirac, président

 

 

(*) Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le répertoire de la Haute Autorité de transparence pour la vie publique, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.


([1]) Sur le sujet des dispositifs médicaux, la mission renvoie à l’excellent rapport des députés Pierre Dharréville et Julien Borowczyk, publié le 6 mars 2019 et disponible au lien suivant : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion-soc/l15b1734_rapport-information#

([2]) Ce constat est également établi avec force dans un récent ouvrage de Nathalie Gimenes, intitulé « Industrie pharmaceutique : l’heure du choix » et publié en avril 2021.

([3]) « World Preview 2018, Outlook to 2024 », EvaluatePharma, 2018.

([4]) « Innovation pharmaceutique : comment combler le retard français ? », Conseil d’analyse économique, janvier 2021.

([5]) D’après les données du LEEM.

([6]) « La France peut-elle redevenir une puissance pharmaceutique ? », Le Figaro, 7 juin 2021.

([7]) IQVIA, EFPIA Patient W.A.I.T. Indicator 2018 Survey.

([8]) « Stratégie de l’Union européenne concernant les vaccins contre la Covid‑19 », Commission européenne, juin 2020.

([9]) Les dépenses de santé en 2019, Drees, 2020.

([10]) Le patient doit néanmoins s’acquitter du forfait hospitalier, qui représente la participation financière du patient aux frais d’hébergement et d’entretien entraînés par son hospitalisation. Il est dû pour chaque journée d’hospitalisation, y compris le jour de sortie.

([11]) La liste en sus permet le remboursement intégral aux hôpitaux, en plus du tarif de séjour, des médicaments coûteux. L’hôpital négocie les prix des médicaments de la liste en sus et récupère 50 % de l’écart entre le prix obtenu après appel d’offres et le tarif fixé par le Comité économique des produits de santé.

([12]) Les établissements de santé, Drees, 2020.

([13]) L’évaluation de l’efficience se traduit par l’estimation d’un ratio différentiel coût-résultat (RDCR) qui permet d’identifier quels sont les produits les plus efficients, c’est-à-dire ceux qui permettent de maximiser les gains de santé pour une quantité de ressources donnée.

([14]) Certains établissements de santé disposant d’une pharmacie à usage intérieur (PUI) peuvent être autorisés, par les agences régionales de santé (ARS), à dispenser des médicaments aux patients non hospitalisés (patients ambulatoires). On dit que ces médicaments sont « rétrocédés » par les PUI à ces patients.

([15]) Ces groupes ont respectivement été rachetés en 2000, 2002 et 2009

([16]) Abecassis Philippe, Coutinet Nathalie, « IV. L’organisation de la production et de la distribution », dans : éd., Économie du médicament, La Découverte, « Repères », 2018, pp. 77-94.

([17]) Site du LEEM, Données générales du marché mondial, 29 septembre 2020.

([18]) Comité consultatif national d’éthique, avis 135 : l’accès aux innovations thérapeutiques : enjeux éthiques, novembre 2020.

([19])  « European and US regulators agree on mutual recognition of inspections of medicines manufacturers », Press release, EMA, 2017.

([20]) « Pénuries de médicaments devant les comportements délétères des laboratoires, les pouvoirs publics doivent sortir de leur complaisance », étude de l’UFC-Que choisir, publiée le 9 novembre 2011.

([21]) Site du LEEM, Données générales du marché mondial, 29 septembre 2020.

([22]) Abecassis Philippe, Coutinet Nathalie, op. cit.

([23]) Audition d’Alliance Maladies Rares, de France Assos Santé, de la Ligue contre le cancer et de Médecins du Monde, le 11 février 2021.

([24]) « Innovation pharmaceutique : comment combler le retard français ? », Conseil d’analyse économique, janvier 2021.

([25])  Cunningham C., F. Ederer et M. Song (2020) : « Killer Acquisitions », Journal of Political Economy, à paraître.

([26]) « Carbon footprint of the global pharmaceutical industry and relative impact of its major players », Journal of Cleaner Production, 20 mars 2019.

([27]) Réponse écrite de l’Académie de pharmacie au questionnaire envoyé par la mission d’information.

([28]) Baromètre 2020 « science et société » de l’institut IPSOS.

([29]) Nathalie Gimenes, « Industrie pharmaceutique : l’heure du choix », avril 2021.

([30]) Directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001 instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain.

([31])  Bach PB., « National coverage analysis of CAR‑T therapies - Policy, evidence, and payment », N Engl J Med, 2018.

([32]) Ce constat est également établi avec force dans un récent ouvrage intitulé « Industrie pharmaceutique : l’heure du choix » de Nathalie Gimenes (avril 2021).

([33]) Fischer A, Dewatripont M et Goldman M (2020). « L’innovation thérapeutique, à quel prix ? », Med. Sci., 36, 389393.

([34]) « L’innovation en santé n’a de sens que si elle est accessible à toutes et tous ! », rapport de la Ligue contre le cancer, 2016.

([35]) Marc A. Rodwin, Julien Mancini, Ségolène Duran, Anne-Céline Jalbert, Patrice Viens, Dominique Maraninchi, Anthony Gonçalves, Patricia Marino, « The use of ‘added benefit’ to determine the price of new anti-cancer drugs in France », 2004–2017, European Journal of Cancer, Available online 11 May 2021/

([36]) Pajares y Sanchez Catherine et Saout Christian, « Prix et accès aux traitements et médicaments innovants », Les avis du CESE, janvier 2017.

([37]) Fischer A., Dewatripont M. et Goldman M, « Benefit Corporation : a path to affordable gene therapies ? », Nature Medicine, 2019.

([38]) DiMasi JA, Grabowski HG, Hansen RA, « Innovation in the pharmaceutical industry : new estimates of R&D costs », Journal of Health Economics, 2016; 47: 20-33.

([39]) Selon le LEEM, une analyse de l’association américaine PhRMA rapporte une augmentation de 57 % des protocoles (examens biologiques, radiologiques...) par étude entre 2008 et 2013.

([40]) Site du LEEM, Recherche et développement, consulté le 27 mai 2020 : https://www.LEEM.org/recherche-et-developpement#:~:text=Les%20co%C3%BBts%20de%20R%26D%20ont,tiers%20des%20co%C3%BBts%20de%20R%26D

([41]) Trouiller Patrice, « Chapitre 3. L’économie morale de la disponibilité des innovations thérapeutiques pour les maladies négligées », Journal international de bioéthique et d’éthique des sciences, 2018/2 (Vol. 29), pp. 53‑67. DOI : 10.3917/jibes.292.0053. URL : https://www.cairn.info/revue-journal-international-de-bioethique-et-d-ethique-des-sciences-2018-2-page-53.htm

([42]) DiMasi JA et al, 2016, op. cit.

([43]) « The use of ‘added benefit’ to determine the price of new anti-cancer drugs in France », 2004–2017, étude précédemment citée.

([44]) En France, l’article L. 162-18 du code de la sécurité sociale permet ainsi aux entreprises exploitant des spécialités pharmaceutiques remboursables aux assurés sociaux de s’engager à faire bénéficier la Caisse nationale de l’assurance maladie (CNAM) de remises sur tout ou partie du chiffre d’affaires de ces spécialités. Ces remises sont négociées avec le Comité économique des produits de santé (CEPS, voir infra), au nom et pour le compte de la CNAM, dans les conventions de prix.

([45]) Médecins du Monde, Médecins Sans Frontières, La Ligue contre le cancer et al., « Médicaments et progrès thérapeutique : garantir l’accès, maîtriser les prix. La contribution de la société civile au débat public en France », 2018.

([46]) Les médicaments d’ASMR IV et V.

([47]) Améliorer la transparence des marchés de médicaments, de vaccins et d’autres produits sanitaires, Projet de résolution proposé par l’Afrique du Sud, l’Andorre, le Brésil, l’Égypte, l’Eswatini, l’Espagne, la Fédération de Russie, la Grèce, l’Inde, l’Italie, le Kenya, le Luxembourg, la Malaisie, Malte, l’Ouganda, le Portugal, la Serbie, la Slovénie et Sri Lanka.

([48]) Avis n°135 du Comité consultatif national d’éthique précédemment cité.

([49]) Médicament indiqué pour le traitement de l’amyotrophie spinale proximale.

([50]) Fischer A, Dewatripont M et Goldman M (2020), op. cit.

([51])  Loi n° 2020-1576 du 14 décembre 2020 de financement de la sécurité sociale pour 2021.

([52]) Secteur pharmaceutique, Panorama de la santé 2019 : les indicateurs de l’OCDE, Éditions OCDE, 2019.

([53]) Avis du CESE de janvier 2017, op. cit.

([54]) Ordonnance n° 96-345 du 24 avril 1996 relative à la maîtrise médicalisée des dépenses de soins.

([55]) DREES, Les établissements de santé, 2019.

([56]) Il a été mis fin à cette mesure le 25 mai 2016, date à laquelle la ministre des affaires sociales et de la santé a annoncé la création d’un accès universel aux traitements innovants contre l’hépatite C. Cette initiative est allée de pair avec la renégociation du prix du traitement avec le laboratoire Gilead.

([57]) Audition du 6 mai 2021.

([58]) Le décret du 24 mars 2016 a modifié les critères d’inscription des médicaments sur la liste en sus et a exclu la très grande majorité des médicaments d’ASMR IV et V de cette liste.

([59]) Instituée par l’article 25 de la loi n° 2003-1199 du 18 décembre 2003 de financement de la sécurité sociale pour 2004.

([60]) Décret n° 2016-349 du 24 mars 2016 relatif à la procédure et aux conditions d’inscription des spécialités pharmaceutiques sur la liste mentionnée à l’article L. 162-22-7 du code de la sécurité sociale.

([61]) « Médicaments innovants : consolider le modèle français d’accès précoce », rapport d’information de M. Yves Daudigny, Mmes Catherine Deroche et Véronique Guillotin, fait au nom de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale et de la commission des affaires sociales (n° 569, 2017-2018), 13 juin 2018.

([62]) Cette problématique concerne en particulier les médicaments ayant fait l’objet d’ATU nominatives, dont la prise en charge post-ATU est limitée aux poursuites de traitement engagées sous le régime de l’ATU.

([63]) L’accord sur les ADPIC est reproduit à l’Annexe 1 C de l’Accord de Marrakech instituant l’Organisation mondiale du commerce, signé à Marrakech, au Maroc, le 15 avril 1994.

([64]) Règlement (CE) n° 1610/96 du Parlement européen et du Conseil du 23 juillet 1996 concernant la création d’un certificat complémentaire de protection pour les produits phytopharmaceutiques et règlement n° 469/2009 du Parlement européen et du Conseil du 6 mai 2009 concernant le certificat complémentaire de protection pour les médicaments.

([65]) Pajares y Sanchez Catherine et Saout Christian, op. cit..

([66]) « Innovation pharmaceutique : comment combler le retard français ? », Conseil d’analyse économique, janvier 2021.

([67]) Loi n° 2020-1674 du 24 décembre 2020 de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l’enseignement supérieur.

([68]) Données chiffrées transmises par le service économique de l’ambassade de France en Chine.

([69]) « Étude sur l’attractivité de la recherche clinique en France », LEEM, octobre 2020.

([70]) Voir les pages 152 et 153 du présent rapport.

([71]) « Panorama France Healthtech 2020 », France Biotech.

([72]) Selon la définition donnée par l’université Paris Sciences et Lettres, la « vallée de la mort » est la période qui sépare les investissements en amont dans une start‑up qui ne fait pas de profit de celle où elle dégage un cash-flow positif.

([73]) IQVIA, EFPIA Patient W.A.I.T. Indicator 2018 Survey.

([74]) La directive 89/105/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 concernant la transparence des mesures régissant la fixation des prix des médicaments à usage humain et leur inclusion dans le champ d’application des systèmes nationaux d’assurance-maladie, appelée directive « transparence », demande aux États membres de l’Union européenne de veiller à ce que le délai global des procédures d’évaluation et de négociation de prix « n’excède pas cent quatre-vingts jours ». Les délais d’accès au marché sont encadrés par la loi (180 jours pour la ville et la liste en sus, 75 jours pour la rétrocession s’agissant dans ce dernier cas de la seule fixation du prix).

([75]) Rapport d’activité 2019, CEPS, septembre 2020.

([76]) « Médicaments innovants : prévenir pour mieux guérir », Institut Montaigne, septembre 2019.

([77]) Bilan économique, LEEM, 2020.

([78]) Repères sur la production pharmaceutique, LEEM, 2018.

([79]) L’industrie manufacturière en 2017, Études économiques, Direction générale des entreprises, 2017.

([80]) « La production manufacturière continue d’augmenter en septembre 2020 », Insee, 2020.

([81]) Repères sur la production pharmaceutique, LEEM, 2018.

([82]) « Enjeux et perspectives des producteurs pour tiers de principes actifs et de médicaments », Études économiques, Pôle interministériel de prospective et d’anticipation des mutations économiques (Pipame), 2017.

([83]) « En 2018, la reprise de l’industrie manufacturière française se consolide », Direction générale des entreprises, 2019.

([84]) M. Jacques Biot, auditionné le 22 mars 2021.

([85]) « Enjeux et perspectives des producteurs pour tiers de principes actifs et de médicaments », op. cit.

([86]) Bilan économique, LEEM, 2019.

([87]) Selon l’Académie de pharmacie, s’appuyant sur des chiffres de l’Insee.

([88]) Bilan économique, LEEM, 2020.

([89]) « European and US regulators agree on mutual recognition of inspections of medicines manufacturers », Press release, EMA, 2017.

([90]) Ibid.

([91]) Rapport d’information de M. Jean-Pierre Decool, fait au nom de la mission d’information sur la pénurie de médicaments et de vaccins, Sénat, 2018.

([92]) Auditionné le 25 février 2021.

([93]) « Observatoire 2016 des investissements productifs pharmaceutiques et biotechnologiques en France », LEEM, 2017.

([94]) Repères sur la production pharmaceutique, LEEM, 2018.

([95]) Auditionnée le 1er février 2021.

([96]) Bilan économique, LEEM, 2020.

 

([98]) Rapport de l’Académie nationale de pharmacie, « Indisponibilité des médicaments », adopté le 20 juin 2018.

([99])  PGEU Medicine Shortages Survey 2020 Results.

([100]) UFC‑Que choisir, « Pénuries de médicaments : Devant la responsabilité criante des laboratoires, les pouvoirs publics doivent sortir de leur complaisance », 9 novembre 2020.

([101]) Qui permettent de vendre des médicaments d’un pays dans lesquels ils peuvent être acquis pour un prix relativement bas vers des pays où les prix de vente sont supérieurs.

([102]) Mission stratégique visant à réduire les pénuries de médicaments essentiels, rapport au Premier ministre.

([103]) « Pénuries de médicaments : une perte de chance pour toutes les personnes malades focus sur le cancer », 2020. Cette étude se fonde sur une enquête réalisée en 2019 auprès de 500 professionnels de santé et auprès de de 1 358 personnes en cours de traitement ou dont le traitement est terminé depuis moins de dix ans.

([104]) Bacille de Calmette et Guérin.

([105]) Kim Pauwels, Steven Simoens, Minne Casteels et Isabelle Huys, « Insights into European Durg Shortages : a Survey of Hospital Pharmacistes », PLos ONE, 16 mars 2015.

([106]) Décret n° 2020-466 du 23 avril 2020 complétant le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid‑19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire.

([107]) Avis du HCAAM du 22 avril 2021 sur la régulation du système de santé.

([108]) Rapport d’information déposé en conclusion des travaux de la mission d’information sur les dispositifs médicaux, rapportée par MM. Julien Borowczyk et Pierre Dharréville, mars 2019.

([109]) « Rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale », Cour des comptes, octobre 2020.

([110]) « Bilan social de l’année 2019 », ANSM.

([111]) Rapport au Premier ministre de la mission stratégique visant à réduire les pénuries de médicaments essentiels, M. Jacques Biot, juin 2020.

([112]) « Bilan social 2018 », HAS.

([113]) Un règlement européen sur la collaboration européenne en matière d’évaluation des technologies de santé est actuellement en cours de discussion. Il prévoit des évaluations communes sur les données cliniques.

([114]) Loi n° 2011-2012 du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé.

([115]) L’investigateur d’un essai clinique est un professionnel de santé qui dirige et surveille sa réalisation, il doit justifier d’une expérience appropriée dans la conduite des essais cliniques.

([116]) « Expertise sanitaire et conflits d’intérêts », Laora Tilman, Sciences de la société, 2015.

([117]) « Médicaments innovants : prévenir pour mieux guérir », Institut Montaigne, septembre 2019.

([118]) Cette nouvelle agence finance, coordonne et anime la recherche sur le VIH/sida, les hépatites virales, les infections sexuellement transmissibles (IST), la tuberculose et les maladies émergentes (infections respiratoires émergentes comme la covid‑19, fièvres hémorragiques virales, arboviroses...), dans toutes les disciplines (recherche fondamentale, clinique, santé publique et épidémiologie, sciences humaines et sociales...).

([119]) « Investir dans la deeptech, paroles de VCs », Bpifrance, mars 2020.

([120]) « Rapport sur la valorisation de la recherche », Inspection générale des finances et Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche, 2007.

([121]) En matière d’organisation, on oppose la démarche « top-down », hiérarchique et directive, à la démarche « bottom-up », où l’initiative de la base est déterminante pour le fonctionnement d’un système.

([122]) L’Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé a été créée par huit acteurs clés de la recherche française : le CEA, le CNRS, l’Inra, l’Inria, l’Inserm, l’IRD, l’Institut Pasteur et la Conférence des présidents d’université. Elle a pour mission de favoriser l’innovation, notamment en développant de nouvelles stratégies en matière de partenariats industriels et de valorisation.

([123]) L’Alliance ne dispose pas de moyens en propre. Elle s’appuie sur ceux de l’Inserm, qui assure aussi sa présidence.

([124]) Ce partenariat permet à des consortia incluant laboratoires de recherche académique et organismes de soins de déposer des projets de recherche communs à l’appel à projets générique de l’ANR. Les projets sélectionnés voient les équipes de recherche académiques financées par l’ANR tandis que les équipes relevant d’organismes de soins sont, elles, financées par la DGOS.

([125]) Mission confiée au Dr Grégory Emery, médecin de santé publique.

([126]) « Plan Health Tech : du vivier aux grandes réussites », avril 2021.

([127]) Règlement (UE) 2021/695 du Parlement européen et du Conseil du 28 avril 2021 portant établissement du programme-cadre pour la recherche et l’innovation «Horizon Europe» et définissant ses règles de participation et de diffusion, et abrogeant les règlements (UE) n° 1290/2013 et (UE) n° 1291/2013.

([128]) Travaux réalisés en vue du prochain CSIS par MM. Philippe Berta, député du Gard, et Hervé Brailly, entrepreneur biotech, dont les rapporteurs ont pu prendre connaissance.

([129]) Ces maladies regroupent plus de 7 000 pathologies et concernent environ 3 millions de patients en France.

([130]) Règlement (CE) nº 141/2000 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 1999, concernant les médicaments orphelins.

([131]) Ces quelques rapprochements sont documentés dans le rapport sur la réforme des modalités d’évaluation des médicaments remis en novembre 2015 par Mme Dominique Polton.

([132]) Il s’agit le plus souvent d’études observationnelles, parfois appelées « en vie réelle », c’est-à-dire d’études réalisées dans le cadre de la prise en charge habituelle du patient (à la différence des études cliniques qui sont réalisées dans un cadre expérimental).

([133]) En application de l’article L. 161-39 du code de la sécurité sociale.

([134]) Dominique Polton, Rapport sur la réforme des modalités d’évaluation des médicaments, novembre 2015.

([135]) Voir la page 114 du présent rapport.

([136]) Décret n° 2020-1090 du 25 août 2020 portant diverses mesures relatives à la prise en charge des produits de santé.

([137]) Une première étape dans le rapprochement de ces deux services a été mise en œuvre par l’ordonnance n° 2017‑84 du 26 janvier 2017 relative à la Haute Autorité de santé. Celle-ci a introduit la possibilité pour le président de la HAS de décider de réunir deux des commissions spécialisées sous sa présidence, en vue de rendre une délibération conjointe sur l’évaluation des produits de santé.

([138]) Sont concernés les médicaments d’ASMR I à III lorsque la stratégie thérapeutique les incluant est dominante en termes d’efficience et en l’absence de réserve majeure et de très forte incertitude, les médicaments d’ASMR IV lorsque la stratégie thérapeutique les incluant est dominante en termes d’efficience et avec un impact budgétaire négatif ainsi que les médicaments d’ASMR V lorsque le prix proposé est inférieur au prix du comparateur conventionnel.

([139]) https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:52020XC0408(03)&from=EN

([140]) https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:32020R1043&from=FR

([141]) https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/ALL/?uri=CELEX:52020PC0727

([142]) https://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=COM:2020:0726:FIN:FR:PDF

([143]) https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=COM:2020:725:FIN

([144]) L’opération Warp Speed est un partenariat public-privé du gouvernement fédéral des États‑Unis pour faciliter et accélérer le développement, la fabrication et la distribution de vaccins contre la covid‑19.

([145]) Auquel s’ajoutent les investissements de la Banque européenne d’investissement, qui a consacré 1,6 milliard d’euros à la santé depuis 2015, ainsi que 6,9 milliard d’euros du programme Horizon Europe consacré à l’innovation en santé.

([146]) « À la bonne santé de tous les Européens ! Pour une agence de santé européenne unique », Jérôme Creel, Francesco Saraceno, Jérôme Wittwer, Policy Brief, OFCE, mai 2021.

([147])  https://ec.europa.eu/info/law/better-regulation/have-your-say/initiatives/12870-Autorite-europeenne-de-preparation-et-de-reaction-en-cas-d%E2%80%99urgence-sanitaire-HERA-_fr

([148]) Cette proposition est disponible au lien suivant : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A52018PC0051

([149]) Quelques sujets de discussion importants doivent encore être tranchés, notamment l’opportunité d’instaurer ou non, pour les agences nationales, la contrainte de se fonder sur les évaluations communes.

([150]) « À la bonne santé de tous les Européens ! Pour une agence de santé européenne unique », op. cit.

([151]) https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/lettre_de_mission_m_philippe_bouyoux_signee.pdf

([152]) https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/ceps_rapport_d_activite_2019_20201001.pdf

([153]) https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/accord_cadre_21-24_signe.pdf

([154]) Ainsi, l’ensemble des médicaments apportant une ASMR I à III peuvent désormais bénéficier de cette garantie, alors que l’accord cadre précédent requérait le recueil d’un avis médico-économique de la HAS. Quant aux médicaments apportant une ASMR IV, la garantie de prix européens est étendue à ceux satisfaisant un besoin de santé publique ou un besoin médical non ou partiellement couvert. Précédemment, les seuls médicaments apportant une ASMR IV qui pouvaient bénéficier de la garantie étaient ceux auxquels avait été reconnue une ASMR IV par rapport à des médicaments ayant obtenu récemment une ASMR de niveau I à III.

([155]) Voir page 44 du présent rapport.

([156]) « L’industrie pharmaceutique : l’heure du choix », Nathalie Gimenes, avril 2021.

([157]) Il s’agit de l’abréviation des noms des pays initialement impliqués dans cette initiative politique : la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg et l’Autriche. Rejointe par l’Irlande, cette initiative s’est donnée pour mission d’assurer, grâce à la coopération, un accès à des médicaments innovants et abordables aux patients.

([158]) Le Groupe de La Valette a été créé en mai 2017 par Chypre, la Grèce, l’Italie, Malte, l’Espagne et le Portugal. L’Irlande et la Roumanie l’ont, par la suite, rejoint, tout comme la Slovénie et la Croatie (en tant qu’observateurs). L’ambition du Groupe de La Valette est d’adopter une approche concertée dans la négociation du prix des médicaments avec les compagnies pharmaceutiques. Les États qui en sont membres font de la veille prospective sur les produits en cours d’évaluation centralisée et échangent des informations sur leurs politiques, leurs procédures et sur les résultats des traitements.

([159]) Dominique Polton, Rapport sur la réforme des modalités d’évaluation des médicaments, novembre 2015.

([160]) Catherine Pajares y Sanchez et Christian Saout, « Prix et accès aux traitements médicamenteux innovants », janvier 2017.

([161]) Les États‑Unis n’ont pas mis en place de label « développement durable » mais exercent un contrôle sur l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement du médicament et s’intéressent notamment à l’aspect social ou environnemental de la fabrication des médicaments et produits, notamment importés.

([162]) Article 38 de la loi n° 2020-1576 du 14 décembre 2020 de financement de la sécurité sociale pour 2021 : « Avant le 1er septembre 2021, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur l’avenir de la clause de sauvegarde et des mécanismes actuels de soutenabilité des dépenses de médicaments face au développement des biothérapies. Ce rapport étudie l’opportunité de développer comme outil de soutenabilité la mise en place de bioproduction académique et notamment l’impact sur les dépenses de médicaments selon les modes d’organisation de la bioproduction académique. »

([163]) Loi n° 2016-1827 du 23 décembre 2016 de financement de la sécurité sociale pour 2017.

([164]) Ces critères, définis au II de l’article L. 162-16-4 du code de la sécurité sociale, comprennent l’ancienneté de l’inscription, le prix net ou le tarif net et le prix d’achat net par les établissements et les distributeurs du médicament concerné et de ceux à même visée thérapeutique, le coût net du traitement lorsque le médicament est utilisé avec d’autres médicaments, les montants remboursés, prévus et constatés par l’assurance maladie au titre du médicament concerné et de ceux à même visée thérapeutique, l’existence de prix ou de tarifs inférieurs dans d’autres pays européens ainsi que le fait, pour le médicament, de faire l’objet d’une importation ou d’une distribution parallèle.

([165]) Pour rappel, la liste en sus permet le remboursement intégral aux hôpitaux, en plus du tarif de séjour, des médicaments coûteux.

([166]) Décret n° 2016-349 du 24 mars 2016 relatif à la procédure et aux conditions d’inscription des spécialités pharmaceutiques sur la liste mentionnée à l’article L. 162-22-7 du code de la sécurité sociale.

([167]) Les médicaments d’ASMR IV ou V ne peuvent plus être inscrits sur la liste en sus, sauf si leurs comparateurs cliniquement pertinents sont déjà inscrits sur la liste en sus. Les médicaments avec un niveau d’ASMR IV peuvent être inscrits sur la liste s’ils ne disposent d’aucune alternative (thérapeutique ou chirurgicale) et que la HAS a estimé qu’il avait un intérêt de santé publique.

([168]) Catherine Pajares y Sanchez et Christian Saout, « Prix et accès aux traitements médicamenteux innovants », janvier 2017.

([169]) Les autorités nationales ne peuvent le faire que dans certaines circonstances cliniques, explicitement prévues par le règlement délégué n° 357/2014 du 3 février 2014 ou, de droit, quand il s’agit d’un médicament bénéficiant d’une AMM conditionnelle ou d’une AMM exceptionnelle, d’un médicament pédiatrique, d’un médicament de thérapie innovante ou lorsqu’une procédure d’arbitrage est engagée devant l’EMA.

([170]) Article 78 de la loi n° 2020-1576 du 14 décembre 2020 de financement de la sécurité sociale pour 2021.

([171]) Article R. 163-18 du code de la sécurité sociale.

([172]) Il s’agit du XALKORI (crizotinib), indiqué chez les patients avec cancer pulmonaire non à petites cellules avec réarrangement ROS 1 muté.

([173]) Le CEPS sollicite peu d’études en vie réelle et capitalise sur celles demandées par la HAS.

([174]) CEPS, Rapport d’activité 2019, septembre 2020.

([175]) « Médicaments innovants : prévenir pour mieux guérir », Institut Montaigne, septembre 2019.

([176]) Dominique Polton, Rapport sur la réforme des modalités d’évaluation des médicaments, novembre 2015.

([177]) SNDS, regroupant notamment le SNIIRAM, base de données de l’assurance maladie, et le PMSI pour l’hôpital.

([178]) Issue de la transformation de l’Institut national des données de santé, cette structure publique a pour objectif de permettre aux porteurs de projets – des acteurs publics comme privés – d’accéder facilement à certaines données de santé.

([179]) Neuf pays se sont associés au sein de cette initiative pour explorer l’horizon des médicaments et chercher des développements et des tendances potentiellement importants : la Belgique, le Danemark, l’Irlande, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Norvège, le Portugal, la Suède et la Suisse.

([180]) Proposition de loi organique n° 4111 présentée par M. Thomas Mesnier, enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 4 mai 2021.

([181]) La population prévalente correspond à la population qui présente une maladie à un moment donné du temps alors que la population incidente correspond aux nouveaux patients chaque année.

([182]) Nathalie Gimenes, op. cit.

([183]) Rapport d’information de l’Assemblée nationale sur la conditionnalité des aides publiques aux entreprises, M. Saïd Ahamada, Mme Barbara Bessot Ballot, M. Dominique Da Silva et Mme Laurianne Rossi, rapporteurs, 31 mars 2021.

([184]) « Vaccins : l’agence publique qui a sauvé l’Amérique », Hortense Goulard, Les Échos, avril 2021.

([185]) « À la bonne santé de tous les Européens ! Pour une agence de santé européenne unique », op. cit.

([186]) « Sanofi et un vaccin contre la Covid‑19 en priorité pour les États‑Unis : une polémique vite devenue politique en France », Le Monde, mai 2020.

([187]) Le titulaire du brevet accorde l’autorisation à un tiers de réaliser, d’utiliser ou encore de vendre l’invention brevetée, en échange du versement de redevances.

([188]) Les contraintes de la conditionnalité ont été décrites avec précision dans le rapport d’information de l’Assemblée nationale sur la conditionnalité des aides publiques aux entreprises, op. cit.

([189]) Ainsi, dans le cadre de la politique agricole commune (PAC), le versement des paiements directs aux agriculteurs est conditionné au respect de dix‑huit normes communautaires dans les domaines de la santé publique, de la santé des animaux et des végétaux, de l’environnement et du bien‑être des animaux.

([190]) « Stratégie pharmaceutique pour l’Europe », communication de la Commission européenne au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, 2020.

([191]) Les entreprises dont le montant de la dépense éligible est inférieur à 100 millions d’euros se voient appliquer un taux de 30 %. Pour les dépenses supérieures à 100 millions d’euros, le taux est réduit à 5 %. En pratique, les plafonds de dépenses éligibles peuvent être cumulés dans un groupe de sociétés, ce qui permet de limiter l’application du taux réduit en répartissant les dépenses de recherche et développement dans plusieurs filiales.

([192]) Il n’existe pas d’évaluation spécifique de la part du CIR attribuée à l’industrie pharmaceutique.

([193]) « Évaluation du crédit d’impôt recherche », Avis de la commission nationale d’évaluation des politiques d’innovation, juin 2021.

([194]) Ibid.

([195]) « Chez Sanofi, des salariés désabusés face à un nouveau plan social en recherche », Jules Thomas, Le Monde, février 2021.

([196]) Loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises.

([197]) « Chiesi : Premier laboratoire pharmaceutique à devenir société à mission », Vincent Daffourd, Forbes, 2021.

([198])  « L’industrie pharmaceutique : l’heure du choix », de Nathalie Gimenes, publié en avril 2021.

([199])  Ibid.

([200]) Rapport d’information n° 1213 présenté par Mme Danièle Hérin, M. Patrick Hetzel et Mme Amélie de Montchalin, 25 juillet 2018.

([201]) Groupe de travail rapporté par MM. Philippe Berta (professeur des universités et député), Philippe Mauguin (président de l’INRA) et Manuel Tunon de Lara (président de l’université de Bordeaux).

([202]) Données communiquées par le ministère de l’enseignement, de la recherche et de l’innovation (MESRI).

([203]) À ce sujet, les rapporteurs renvoie à la tribune publiée en février 2018 par Jean-Louis Touraine, Geneviève Fioraso et le Pr Jean-François Bach dans le Huffington Post, « La recherche est en panne, il est urgent que les jeunes Français y reprennent goût » : https://www.huffingtonpost.fr/jeanlouis-touraine/la-recherche-est-en-panne-il-est-urgent-que-les-jeunes-francais-y-reprennent-gout_a_23367311/

([204]) TIMSS (Trends in International Mathematics and Science Study) est une étude comparative qui mesure le niveau des connaissances scolaires des élèves de CM1 et de 4e en mathématiques et en sciences.

([205]) Données communiquées par le MESRI.

([206]) Loi n° 99-587 du 12 juillet 1999 sur l’innovation et la recherche.

([207])  Loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises.

([208])  Loi n° 2020-1674 du 24 décembre 2020 de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l’enseignement supérieur.

([209]) « Innovation en santé : soignons nos talents », Institut Montaigne, mars 2018.

([210]) Ibid.

([211]) Rapport sur la valorisation de la recherche, Inspection générale des finances et Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche, janvier 2007.

([212]) Données transmises par l’ambassade de France en Chine.

([213]) Un CMO est une infrastructure permettant de fabriquer des médicaments de thérapie innovante pour le compte d’un industriel bénéficiant d’une autorisation de mise sur le marché pour son médicament, ou pour le compte d’un investigateur souhaitant évaluer un médicament en développement dans le cadre d’essais cliniques.

([214])  « Réglementations applicables aux CAR‑T cells : comment les établissements de santé français peuvent-ils s’organiser pour participer à la production et permettre la délivrance de ces immunothérapies innovantes ? », Christian Chabannon et Jérôme Larghero, Bulletin du cancer, décembre 2018.

([215]) La directive 2003/94/CE de la Commission européenne du 8 octobre 2003 établissant les principes et lignes directrices de bonnes pratiques de fabrication concernant les médicaments à usage humain et les médicaments expérimentaux à usage humain a établi les principes et lignes directrices de bonnes pratiques de fabrication concernant les médicaments à usage humain.

([216]) La phase II peut être divisée en deux étapes : la phase IIa étudie le dosage et la phase IIb commence l’analyse de l’efficacité du traitement.

([217]) « Panorama France HealthTech 2020. 18ème édition », France Biotech, Bpifrance, EY, Euronext, QBE, février 2021.

([218]) Philippe Tibi, rapport au ministre de l’économie et des finances « Financer la IVème révolution industrielle - Lever le verrou du financement des entreprises technologiques », juillet 2019.

([219]) Arrêté du 27 avril 2020 relatif aux investissements étrangers en France.

([220]) « Panorama France HealthTech 2020. 18ème édition », France Biotech.

([221]) Cet appel à manifestation d’intérêt est disponible au lien suivant : https://www.entreprises.gouv.fr/fr/aap/appels-projets-appels-manifestation-d-interet/prolongation-de-l-ami-piiec-pour-developpement

([222]) Sont également assujetties les entreprises dont le chiffre d’affaires hors taxes est inférieur à 15 millions d’euros dès lors que ces entreprises sont des filiales à 50 % au moins d’un groupe dont le chiffre d’affaires hors taxes dépasse 15 millions d’euros, ou si ces entreprises possèdent au moins 50 % du capital d’une entreprise dont le chiffre d’affaires consolidé avec leur propre chiffre d’affaires dépasse 15 millions d’euros.

([223]) La contribution sur les dépenses de promotion du médicament a été instituée par l’article 3 de la loi n° 82‑25 du 19 janvier 1983 portant diverses mesures relatives à la sécurité sociale. Elle a connu diverses modifications. Sa rédaction actuelle date, pour l’essentiel, de l’article 15 de la loi n° 2002-1487 du 20 décembre 2002 de financement de la sécurité sociale pour 2003.

([224]) Abattement de 3 % au titre des rémunérations des visiteurs médicaux, abattement de 75 % du montant des frais de congrès scientifiques ou publicitaires, abattement à hauteur de 30 % du chiffre d’affaires réalisé au titre des spécialités génériques, abattement égal à 30 % du chiffres d’affaires hors taxes réalisé pour les médicaments orphelins.

([225]) L’assiette des dépenses de promotion comprend la rémunération des visiteurs médicaux (article L. 5122-11 du code de la santé publique) ainsi que les remboursements des frais de transport et des frais de publication et des achats d’espaces publicitaires.

([226]) Rapport d’information fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation sur la taxation de l’industrie du médicament, par M. Jean-Jacques Jégou, sénateur, 2008.

([227]) Pour un même montant de dépenses de promotion, les PME sont imposées plus fortement que les grandes entreprises car leur chiffre d’affaires est moins important.

([228]) Le rendement prévisionnel de la contribution est de 121 millions d’euros en 2020 (Annexe au projet de loi de finances pour 2020, Évaluation des voies et moyens) contre 182 millions d’euros en 2012 (« La fiscalité spécifique applicable aux produits de santé et à l’industrie qui les fabrique », Inspection générale des finances et Inspection générale des affaires sociales, 2012).

([229]) Le programme AcSé a été lancé par l’Institut en juin 2013 avec l’accord de l’ANSM. Il vise à proposer et sécuriser l’accès hors AMM à des thérapies ciblées pour lesquelles une indication existe déjà dans un autre organe. Ces traitements sont étudiés dans le cadre d’essais cliniques de phase II ouverts à des patients, adultes et enfants, atteints d’un cancer et en situation d’échec thérapeutique, et dont la tumeur présente une altération génétique ciblée par le médicament. Un sixième essai AcSé devrait démarrer en 2023. L’INCa est actuellement à la recherche d’un promoteur national.

([230]) « Innovation pharmaceutique : comment combler le retard français ? », Conseil d’analyse économique, janvier 2021.

([231]) À noter qu’un amendement avait déjà été déposé en ce sens en mars 2019 dans le cadre des débats sur la proposition de loi relative à l’organisation et à la transformation du système de santé, sans être adopté, et qu’une proposition de loi proposée par M. Jean-Carles Grelier et plusieurs de ses collègues a été déposée sur ce sujet, sans avoir été mise à l’ordre du jour. L’amendement peut être consulté au lien suivant : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/amendements_alt/1767/AN/1250

([232]) Selon la définition donnée par l’INCa, les groupes coopérateurs sont des groupes académiques indépendants et à but non lucratif, associant des médecins et des professionnels de la recherche médicale, qui collaborent pour développer et conduire des essais cliniques.

([233]) Pour rappel, ce règlement permettra aux promoteurs des essais de soumettre un dossier de demande unique via un portail centralisé pour tous les États membres où ils souhaitent conduire leur essai clinique. La demande fera l’objet d’une « évaluation scientifique » conjointe par les États membres concernés.

([234]) Article R. 1123-23 du code de la santé publique.

([235]) Composée de vingt‑deux membres, la CNRIPH assure la coordination et l’harmonisation du fonctionnement des CPP, notamment au moyen des recommandations qu’elle élabore.

([236]) Enquête publiée le 31 janvier 2018 et portant sur 839 essais.

([237]) Enquête transmise à la mission d’information portant sur l’état des moyens des CPP datant du 27 novembre 2020 et réalisée à partir de questionnaires transmis aux CPP.

([238])  Loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021.

([239])  Les membres du comité qui subissent une perte de revenu du fait de leur participation aux séances, les membres figurant sur une liste définie par arrêté du ministre chargé de la santé en raison des responsabilités qu’ils exercent ou de leur volume d’activité au sein du comité, les experts, les spécialistes et les rapporteurs bénéficient d’une indemnité dont le montant et les conditions sont fixés par arrêté des ministres chargés du budget et de la santé.

([240]) Arrêté du 23 janvier 2009 relatif au montant des indemnités susceptibles d’être allouées aux membres du comité de protection des personnes, aux experts et aux spécialistes appelés à participer aux travaux du comité.

([241]) Loi n° 2012-300 du 5 mars 2012 relative aux recherches impliquant la personne humaine.

([242]) Loi n° 2018-892 du 17 octobre 2018 relative à la désignation aléatoire des comités de protection des personnes.

([243]) Décret n° 2021-301 du 19 mars 2021 modifiant certains articles du titre II du livre Ier de la première partie du code de la santé publique (partie réglementaire) relatif aux recherches impliquant la personne humaine.

([244]) Loi n° 2020-1576 du 14 décembre 2020 de financement de la sécurité sociale pour 2021.

([245]) La tutelle est assurée par le bureau de la qualité des pratiques et des recherches biomédicales - PP1, dans la sous-direction de la politique des produits de santé et de la qualité des pratiques et des soins (PP) de la DGS.

([246]) « Transparence des essais cliniques en France. Recensement des essais de médicaments non déclarés », TranspariMed, Transparency International France, Melanome France, mars 2021.

([247])  L’article 37 indique que si le protocole de l’essai clinique prévoit une analyse intermédiaire des données avant la fin de l’essai clinique et si les résultats de cet essai sont disponibles, ces derniers sont transmis sous la forme d’un résumé à la base de données de l’Union dans un délai d’un an à compter de la date de l’analyse intermédiaire des données.

([248]) Notamment le rapport de l’Académie de pharmacie sur l’indisponibilité des médicaments (2018), le rapport d’information du Sénat sur la pénurie de médicaments et de vaccins (2018) et le rapport au Premier ministre de la mission stratégique visant à réduire les pénuries de médicaments essentiels remis par M. Jacques Biot (2020).

([249]) Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé et décret n° 2016-993 du 20 juillet 2016 relatif à la lutte contre les ruptures d’approvisionnement de médicaments.

([250]) Décret n° 2021-349 du 30 mars 2021 relatif au stock de sécurité destiné au marché national.

([251]) Directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001 instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain.

([252]) Article 81 de la directive.

([253]) Article 23 bis de la directive.

([254]) Dans sa réponse au questionnaire écrit adressé par la mission d’information.

([255]) Décret n° 2021-349 du 30 mars 2021 relatif au stock de sécurité destiné au marché national.

([256]) Résolution du Parlement européen du 17 septembre 2020 sur la pénurie de médicaments – comment faire face à un problème émergent (2020/2071(INI)).

([257]) Consacrée à l’article L. 5121-29 du code de la santé publique.

([258]) Loi n° 2011-2012 du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé.

([259]) Article L. 5121-32 du code de la santé publique.

([260]) Loi n° 2019-1446 du 24 décembre 2019 de financement de la sécurité sociale pour 2020.

([261]) Article L. 5121-29 du code de la santé publique.

([262]) Selon la Chambre syndicale de la répartition pharmaceutique (CSRP).

([263]) Conseil stratégique des industries de santé, 11 avril 2016.

([264]) « Notre ambition pour les industries de santé », 8ème Conseil stratégique des industries de santé (CSIS), 2018.

([265]) Contrat stratégique de filière des industries et technologies de santé, Conseil national de l’industrie, 2019.

([266]) En février 2021, il a été proposé de remplacer l’IMI par une initiative pour la santé innovante (IHI).

([267]) Selon Barbara Kerstiëns, cheffe de l’unité « Combattre les maladies » à la direction générale de la recherche et de l’innovation de la Commission européenne, auditionnée le 10 mai 2021.

([268]) Le plan d’action pour la relocalisation des industries de santé en France, Ministère de l’économie, des finances et de la relance, 2020.

([269]) Selon Mme Lucile Poivert, conseillère en charge de la santé, des biens de consommation et de l’Europe au cabinet de Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie, auditionnée le 7 mai 2021.

([270]) La baisse des impôts de production combine trois mesures : la réduction de moitié de la cotisation sur la valeur ajoutée, la réduction de moitié de la cotisation foncière des entreprises et l’abaissement de 3 % à 2 % du taux de plafonnement de la contribution économique territoriale.

([271]) Selon Mme Lucile Poivert, conseillère en charge de la santé, des biens de consommation et de l’Europe au cabinet Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie, auditionnée le 7 mai 2021.

([272]) Lancement du Conseil stratégique des industries de santé 2021 (CSIS), Communiqué de presse, 2021.

([273]) Executive Order 13944 on Ensuring Essential Medicines, Medical Countermeasures, and Critical Inputs Are Made in the United States.

([274]) La première liste d’octobre 2020 est disponible ici : https://www.fda.gov/media/143406/download.

([275]) Auditionné le 22 mars 2021.

([276]) Mme Christelle Ratignier-Carbonneil, directrice générale de l’ANSM, auditionnée le 8 mars 2021, précise que le référentiel d’inspection contient des critères environnementaux, mais confirme que les normes sociétales n’entrent pas dans le champ des contrôles.

([277]) Aux côtés de la PCA, le Centre de transfusion sanguine des armées, qui a pour mission d’assurer la collecte de produits sanguins au profit des armées, produit également du plasma cryodesséché, ainsi que des médicaments de thérapie innovante (médicaments de thérapie cellulaires et médicaments pour grands brûlés notamment). Les armées disposent également d’un établissement avec une activité de production du domaine de la lunetterie.

([278]) Selon l’article R. 55124-9 du code de la santé publique, les activités des établissements pharmaceutiques gérés par les établissements publics de santé ne peuvent concerner que des médicaments répondant à des besoins de santé publique qui ne sont pas déjà satisfaits par les médicaments disponibles en France et bénéficiant d’une autorisation de mise sur le marché ou d’une autorisation temporaire d’utilisation.

([279]) « Lutter contre les pénuries et améliorer la disponibilité des médicaments en France ».

([280]) Drees, 2019, « Médicaments biosimilaires : l’hôpital, premier vecteur de leur diffusion ».

([281]) Audition de l’association GEnérique Même MEdicament (GEMME).

([282]) Stratégie nationale de santé 2018-2022.

([283]) Depuis 1999, le pharmacien est en effet autorisé à substituer un médicament à celui prescrit, à condition que ce médicament soit dans le même groupe générique et que le médecin n’ait pas exclu cette possibilité par l’apposition de la mention manuscrite « non substituable » sur l’ordonnance (article L. 512523 du code de la santé publique).

([284]) Datant de mars 2021.

([285]) Loi n° 2019-1446 du 24 décembre 2019 de financement de la sécurité sociale pour 2020.

([286]) Loi n° 2018-1203 du 22 décembre 2018 de financement de la sécurité sociale pour 2019.

([287]) Communiqué de presse – BIOSIMILAIRES - Insulines, héparines et G-CSF - L’Académie soutient la substitution par les pharmaciens d’officine et définit ses conditions cadre, 18 novembre 2020.

([288]) Une spin-off désigne une nouvelle organisation créée par une organisation « mère » impliquant le départ des individus de l’organisation mère vers la nouvelle organisation.

([289])  Depuis le 1er avril 2021, l’Institut national de la transfusion sanguine (INTS) est entré en phase de liquidation. Les missions et ressources affectées à la mission de recherche de l’INTS ont été transférées à l’Inserm au 1er janvier 2021.

([290]) Article L. 1221-3 du code de la santé publique.

([291]) Article L. 5124-14 du code de la santé publique.

([292]) Rapport public annuel 2019.

([293]) Article L. 5121-11 du code de la santé publique.

([294]) Le système français repose sur un double système d’AMM : une AMM nationale classique pour les médicaments issus de sang « éthique » et une AMM dérogatoire de deux ans pour les médicaments issus de plasma rémunéré.

([295]) « La filière du sang en France », rapport remis au Gouvernement par M. Olivier Véran, alors député de l’Isère, juin 2013.

([296]) À la suite d’une évaluation de la législation de l’Union européenne sur le sang, les tissus et les cellules publiée en 2019, la Commission prévoit de proposer une révision de cette législation à la fin de 2021.

([297]) « Innovation pharmaceutique : comment combler le retard français ? », Les notes du Conseil d’analyse économique, janvier 2021, précédemment citée.

([298]) Il faut en effet prendre en compte la période de tests et d’essais cliniques, ainsi que le processus administratif de mise sur le marché.

([299]) Règlement (CE) n° 1610/96 — certificat complémentaire de protection pour les produits phytopharmaceutiques et règlement (CE) n° 469/2009 — certificat complémentaire de protection pour les produits pharmaceutiques.

 

([301]) Rapport du Groupe de haut niveau du secrétaire général des Nations Unies sur l’accès aux médicaments : promouvoir l’innovation et l’accès aux technologies de la santé.

([302]) Traité signé le 4 février 2016 par l’Australie, Brunei, le Canada, le Chili, le Japon, la Malaisie, le Mexique, la Nouvelle-Zélande, le Pérou, Singapour et le Vietnam. Ce traité est remplacé par le partenariat transpacifique global et progressiste, signé le 8 mars 2018, qui ne reprend pas les dispositions sur la propriété intellectuelle des produits pharmaceutiques.

([303]) Groupe de haut niveau du secrétaire général des Nations Unies, op. cit.

([304]) Dans l’Union européenne, l’Office européen des brevets (OEB).

([305]) Évaluation de la politique française des médicaments génériques, IGAS, 2012.

([306]) Directive 2004/27/CE du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004, transposée par l’article 10 de la loi n° 2007-248 du 26 février 2007 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine des médicaments.

([307]) Règlement 2019/933 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2019 modifiant le règlement (CE) n° 469/2009 concernant le certificat complémentaire de protection pour les médicaments.

([308]) Evaluation of the regulation concerning the supplementary protection certificate for medicinal products, European Commission, 2020.

([309]) « Exploiter au mieux le potentiel d’innovation de l’Union européenne : Un plan d’action en faveur de la propriété intellectuelle afin de soutenir la reprise et la résilience dans l’Union européenne », Communication de la Commission européenne au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, 2020.

([310]) Initiative multilatérale, pilotée par l’Organisation mondiale de la santé, qui vise à coordonner une réponse globale à la covid‑19 qui soit juste et solidaire.

([311]) Résolution du Parlement européen du 10 juin 2021 sur le thème «Relever le défi mondial de la COVID‑19 : les effets d’une dérogation à l’accord de l’OMC sur les ADPIC, en ce qui concerne les vaccins, le traitement, le matériel et l’augmentation des capacités de production et de fabrication dans les pays en développement » (2021/2692(RSP)).

([312]) Groupe de haut niveau du secrétaire général des Nations Unies sur l’accès aux médicaments, 2016.

([313]) Loi n° 68-1 du 2 janvier 1968 sur les brevets d’invention.

([314]) Loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid‑19.

([315]) Tribune collective « Pour une politique du brevet au service de la santé publique », Les Échos, 10 mars 2021.

([316]) Proposition de loi autorisant l’octroi d’une licence d’office de brevet dans l’intérêt de la santé publique en cas d’extrême urgence sanitaire, présentée par M. Ronan Le Gleut, sénateur (n° 524, 2020‑2021).

([317])  https://videos.assemblee-nationale.fr/video.10988397_60d47693dd904.le-medicament---presentation-du-rapport-d-information-23-juin-2021