N° 4314

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 6 juillet 2021

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 146-3, alinéa 8, du Règlement

PAR le comitÉ d’Évaluation et de contrÔle des politiques publiques

 

sur la mise en œuvre des conclusions du rapport d’information (n° 1822)
du 28 mars 2019 sur l’évaluation de la lutte contre la délinquance financière

ET PRÉSENTÉ PAR

MM. Ugo BERNALICIS et Jacques MAIRE

Députés

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SOMMAIRE

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Pages

SYNTHÈSE

TABLEAU DE SUIVI DES PROPOSITIONS

INTRODUCTION

I. LA DÉLINQUANCE ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE POURSUIT SA HAUSSE TOUT EN SE TRANSFORMANT, RENDANT INDISPENSABLES À LA FOIS L’ADOPTION DE RÉFÉRENCES COMMUNES ET UNE CIRCULATION DE L’INFORMATION PLUS FLUIDE

A. LA DÉLINQUANCE POURSUIT SA HAUSSE TOUT EN SE TRANSFORMANT

1. La hausse de la délinquance économique et financière se poursuit

a. Une hausse ininterrompue des escroqueries masquée par le confinement

b. La fraude aux moyens de paiement

c. Les atteintes à la probité

d. La fraude fiscale

e. La fraude à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

2. Sa transformation s’est accélérée avec la crise sanitaire

a. La multiplication des arnaques « numériques »

b. Les fraudes à l’identité et le projet d’identité numérique

B. UNE DOUBLE NÉCESSITÉ : UN RÉFÉRENTIEL STATISTIQUE COMMUN ET UN MEILLEUR PARTAGE DE L’INFORMATION

1. Les travaux engagés dans le cadre de l’évaluation de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (LCB-FT)

2. Les autres travaux en cours

a. La mesure de la fraude fiscale

b. Les travaux d’harmonisation des services statistiques du ministère de l’intérieur (service statistique ministériel de la sécurité intérieure – SSMSI) et de la justice (sous-direction de la statistique et des études – SDSE)

c. L’évolution du document de politique transversale consacré à la lutte contre la fraude fiscale

II. UNE INTERMINISTÉRIALITÉ EN COURS DE CONSTRUCTION ET PLUS OU MOINS ABOUTIE

A. L’ÉVALUATION PAR LE GAFI, AIGUILLON DE LA COOPÉRATION ENTRE ADMINISTRATIONS EN MATIÈRE DE LUTTE CONTRE LE BLANCHIMENT

1. Le COLB et son action

a. Le COLB et ses missions

b. L’analyse nationale des risques

c. Le plan d’action 2021-2022 contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme

2. Un dispositif robuste

a. Un périmètre d’assujettissement large qui arrive à maturité

b. Une plus grande transparence

c. Un mécanisme efficace de gel des avoirs criminels

3. Le rôle pivot de Tracfin dont l’activité continue d’augmenter

a. Les flux entrants

b. Les flux sortants

c. Une meilleure communication avec la justice

B. DES PROJETS EN COURS PLUS OU MOINS ABOUTIS

1. Une gestion commune des saisies sur la bonne voie

a. Une priorité absolue : une base de données commune

b. Le développement des ventes avant jugement

c. Simplifier les saisies-attributions au profit des services de l’État

d. L’indemnisation des victimes

e. Créer un régime juridique spécifique aux cessions des biens immobiliers faisant suite à des confiscations

2. Une nouvelle mission interministérielle pour coordonner et piloter la lutte contre la fraude aux finances publiques

3. Une coopération perfectible entre la justice et la DGFiP

4. L’Agence française anticorruption peine à trouver sa place

III. TOUJOURS MENACÉE D’ASPHYXIE, LA CHAÎNE PÉNALE PEINE À ATTIRER ET FIDÉLISER POLICIERS ET MAGISTRATS, D’OÙ LA NÉCESSITÉ DE DÉVELOPPER DES OUTILS PERMETTANT D’ACCÉLERER LE TRAITEMENT DES DOSSIERS

A. LA CHAÎNE PÉNALE TOUJOURS MENACÉE D’ASPHYXIE

1. Les services enquêteurs : une hausse des effectifs qui n’allège pas la pression

a. La détérioration des indicateurs malgré des effectifs en hausse

b. Des réorganisations qui se poursuivent

c. Le service d’enquêtes judiciaires des finances, une exception

2. Les juridictions spécialisées

a. Un parquet national financier insuffisamment renforcé au regard de son volume d’activité

b. Les autres juridictions spécialisées

B. LA FILIÈRE PEINE TOUJOURS À ATTIRER ET FIDÉLISER SES ACTEURS

1. Le ministère de l’intérieur

a. L’attractivité renvoyée au Beauvau de la sécurité

b. La formation

c. Le maintien dans le poste

2. Le ministère de la justice

a. La formation

b. Le maintien dans le poste

C. D’OÙ LA NÉCESSITÉ DE DÉVELOPPER DES OUTILS PERMETTANT UN TRAITEMENT PLUS EFFECTIF DES DOSSIERS

1. Les instruments visant à faciliter la tâche des services d’enquête

a. La plateforme d’échange banques-administrations (PEBA)

b. L’accès aux fichiers

c. Le devis judiciaire

d. Des équipes d’enquête mixtes

2. Des outils pour favoriser le travail des magistrats

a. Plateforme d’échanges pour les JIRS

b. La convention judiciaire d’intérêt public et la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité

c. Des risques potentiels dans le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire

EXAMEN PAR LE COMITÉ

ANNEXE : PERSONNES ENTENDUES PAR LES RAPPORTEURS


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   SYNTHÈSE

 



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   TABLEAU DE SUIVI DES PROPOSITIONS

 

Proposition rejetée ou n’ayant pas fait l’objet d’un début d’application

Proposition ayant fait l’objet d’un avis favorable et d’un début d’application

Proposition appliquée

Proposition n° 1 : assujettir les plateformes d’échange de cryptomonnaies entre elles et de crypto-actifs contre cryptomonnaies au dispositif de lutte contre le blanchiment, conformément aux recommandations du GAFI.

 

 

 

Proposition n° 2 : mettre en œuvre un dispositif d’identification numérique publique certifiée pour y soumettre la dématérialisation de la gestion des comptes bancaires.

 

 

 

Proposition n° 3 : mettre en œuvre une politique interministérielle de lutte contre la délinquance économique et financière reposant sur :

 un dispositif partagé de mesure et de suivi statistique ;

 un document de politique transversale annexé au projet de loi de finances ;

 une délégation interministérielle regroupant la délégation nationale à la lutte contre la fraude (DNLF) et le Conseil d’orientation de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (COLB).

 

 

 

Proposition n° 4 : assujettir les caisses autonomes des règlements pécuniaires des avocats (CARPA) à la déclaration de soupçon.

 

 

 

Proposition n° 5 : soumettre la poursuite des prestataires juridiques ayant conduit à un abus de droit ou à une fraude fiscale à la condamnation définitive de leurs clients.

 

 

 

Proposition n° 6 : consolider le positionnement de l’Agence française anticorruption :

 en lui attribuant un droit de communication pour que le secret professionnel ne lui soit pas opposable dans le cadre de ses missions ;

 en lui confiant la constitution d’une base de données relative aux atteintes à la probité pour établir une cartographie des risques.

 

 

 

Proposition n° 7 : pour lutter contre la fraude à la TVA et dans la perspective de l’assujettissement des livraisons intracommunautaires à la TVA, mettre à l’étude le paiement scindé.

 

 

 

Proposition n° 8 : rétablir le principe d’un secours financier au profit des lanceurs d’alerte en difficulté, complété par la possibilité d’un accès facilité à l’emploi public.

 

 

 

Proposition n° 9 : mettre à l’étude l’harmonisation des conditions de recevabilité de l’action civile associative.

 

 

 

Proposition n° 10 : simplifier l’organisation des services d’enquête spécialisés dans la délinquance financière en intégrant la sousdirection des affaires économiques et financières de la préfecture de police de Paris dans la direction centrale de la police judiciaire.

 

 

 

Proposition n° 11 : rationaliser le traitement des réquisitions des services de police aux établissements bancaires par la mise en place :

 d’une procédure et d’un format normalisés de transmission des réponses ;

 d’une plateforme unifiée de traitement des flux sous la responsabilité du ministère de la justice.

 

 

 

Proposition n° 12 : développer les outils d’exploitation et de croisement de données reposant notamment sur l’intelligence artificielle afin de contribuer au ciblage des enquêtes.

 

 

 

Proposition n° 13 : confier l’intégralité du traitement judiciaire de la fraude fiscale à des services d’enquête constitués d’officiers fiscaux judiciaires.

 

 

 

Proposition n° 14 : intégrer des agents de certaines administrations spécialisées (inspection du travail, direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes) dans des brigades de police judiciaire avec la qualité d’officiers de police judiciaire, sur le modèle des inspecteurs des finances publiques ou des agents des douanes.

 

 

 

Proposition n° 15 : doter l’Autorité des marchés financiers d’une unité d’investigations judiciaires afin de lui permettre d’assurer l’intégralité du traitement pénal des délits boursiers.

 

 

 

Proposition n° 16 : augmenter les effectifs des services de police spécialisés.

 

 

 

Proposition n° 17 : mettre en place une politique de ressources humaines renforçant l’attractivité de la police judiciaire financière (prime de technicité, adaptation des conditions d’avancement, formation initiale et continue).

 

 

 

Proposition n° 18 : augmenter et diversifier les effectifs du parquet national financier (magistrats, assistants spécialisés, personnel de greffe).

 

 

 

Proposition n° 19 : reconnaître au parquet national financier un pouvoir d’évocation des affaires sur l’ensemble du territoire..

 

 

 

Proposition n° 20 : mettre en place une gestion plus active (appels à candidatures profilés, suivi du vivier, adaptation des conditions d’avancement) de la spécialité économique et financière dans la magistrature.

 

 

 

Proposition n° 21 : adapter la conduite des enquêtes aux spécificités des dossiers économiques et financiers en recourant au devis judiciaire.

 

 

 

Proposition n° 22 : simplifier la procédure des saisiesattributions au bénéfice des services de l’État.

 

 

 

Proposition n° 23 : développer les ventes avant jugement de biens mobiliers (véhicules notamment) afin de maîtriser les coûts de gestion.

 

 

 

Proposition n° 24 : mettre en place une base de données assurant la traçabilité des actifs saisis puis confisqués, partagée entre l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC), les juridictions et les services d’enquête.

 

 

 

Proposition n° 25 : créer un régime juridique spécifique aux cessions des biens immobiliers de l’État issus de confiscations pénales, par dérogation aux dispositions du code général de la propriété des personnes publiques.

 

 

 

 


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   INTRODUCTION

Lors de sa réunion du 5 octobre 2017, le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC) avait inscrit à son programme de travail une évaluation de la lutte contre la délinquance financière, à la demande du groupe La France insoumise (FI). Il avait désigné comme rapporteurs M. Ugo Bernalicis (FI) et M. Jacques Maire (LaREM) le 27 septembre 2018.

Présenté le 28 mars 2019, le rapport s’attachait à mesurer les effets de l’intense activité législative sur le sujet dans les années qui précédaient :

– loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière (loi n° 2013‑1117 du 6 décembre 2013) et loi organique relative au procureur de la République financier (loi n° 2013‑1115 du 6 décembre 2013) ;

– loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale (loi n° 2016‑731 du 3 juin 2016) ;

– loi réformant le système de répression des abus de marché (loi n° 2016‑819 du 21 juin 2016) ;

– loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (loi n° 2016‑1691 du 9 décembre 2016), dite loi « Sapin 2 », qui fait elle-même l’objet depuis le 16 décembre 2020 d’une évaluation par une mission d’information confiée par la commission des lois à M. Raphaël Gauvain (LaREM) et à M. Olivier Marleix (LR).

Dans leur rapport, qui comptait vingt‑cinq propositions, les rapporteurs approuvaient le volontarisme affiché dans les textes, même s’il reposait sur une dynamique interministérielle insuffisante à leurs yeux et des outils conçus dans le seul intérêt de leurs utilisateurs, ce qui entravait leur partage par l’ensemble des acteurs. En revanche, ils se montaient préoccupés par l’insuffisance de moyens humains sur le plan tant quantitatif que qualitatif, qui risquait de compromettre l’efficacité de l’action publique contre la délinquance économique et financière. Pour pallier cette carence criante, ils recommandaient de raccourcir la durée des procédures pénales et de renforcer l’efficacité des amendes et confiscations, les sanctions pécuniaires étant particulièrement adaptées à ce type de délinquance.

Il était alors prématuré de tirer les conséquences de la loi n° 2018‑898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude, qui comportait des mesures importantes pour mieux détecter la fraude fiscale (accès des fonctionnaires aux fichiers, création de la police fiscale, obligations accrues des plateformes de vente à l’égard de l’administration fiscale…) et la sanctionner (fin du « verrou de Bercy », publicité des sanctions, extension de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité à la fraude fiscale). C’est une des raisons pour lesquelles le bureau du CEC, réuni le 7 octobre 2020, a décidé de lancer un suivi de l’évaluation initiale.

Deux ans plus tard, dont une année 2020 très atypique, la délinquance financière a accéléré sa métamorphose avec le confinement. L’importance qu’elle prend rend indispensables la définition des critères communs et l’amélioration de la circulation de l’information dans un cadre interministériel, d’autant que la chaîne pénale est toujours sous forte pression et qu’elle peine à attirer et fidéliser les vocations.

 


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I.   LA DÉLINQUANCE ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE POURSUIT SA HAUSSE TOUT EN SE TRANSFORMANT, RENDANT INDISPENSABLES À LA FOIS L’ADOPTION DE RÉFÉRENCES COMMUNES ET UNE CIRCULATION DE L’INFORMATION PLUS FLUIDE

A.   LA DÉLINQUANCE POURSUIT SA HAUSSE TOUT EN SE TRANSFORMANT

Malgré une année 2020 particulière du fait de la crise sanitaire, la délinquance économique et financière ne cesse d’augmenter, traduisant une persistance du phénomène en perpétuel renouvellement. L’année 2020 aura consacré la place écrasante – les trois quarts – des escroqueries dans la délinquance économique qui frappe les personnes privées.

1.   La hausse de la délinquance économique et financière se poursuit

a.   Une hausse ininterrompue des escroqueries masquée par le confinement

Les escroqueries enregistrées en 2020 sont en légère hausse par rapport à l’année précédente (362 700 contre 359 900 en 2019), les deux confinements ayant interrompu l’augmentation accélérée depuis 2018 avec une forte hausse de 11 % en 2019. La courbe présente un plateau bienvenu alors que les chiffres du ministère de l’intérieur font ressortir une augmentation de près de moitié du nombre de victimes ([1]) entre 2012 et 2019, soit + 6 % par an en moyenne, principalement en raison des escroqueries et abus de confiance.

Escroqueries enregistrées, cumul annuel

Champ : France métropolitaine.

Source : SSMSI, Insécurité et délinquance en 2020 : bilan statistique, avril 2021.

Pourtant, la stabilisation des escroqueries n’est qu’apparente. En effet, l’accélération est manifeste en se fiant au suivi trimestriel du nombre d’escroqueries. L’indicateur laisse apparaître un recul au cours des deux premiers trimestres de l’année 2020, c’est‑à‑dire pendant le premier confinement de la population, mais dans des proportions bien moindres que la plupart des autres indicateurs de la délinquance. Passé en dessous du seuil de 80 000 victimes, l’indicateur enregistre une pointe à presque 110 000 avant de baisser de nouveau au quatrième trimestre, autre période de confinement, mais là encore de façon moindre que pour les autres indicateurs. En définitive, le nombre d’escroqueries enregistrées à la fin de l’année 2020 se situe au‑dessus du niveau relevé avant le premier confinement.

ESCROQUERIES HORS FRAUDE AUX MOYENS DE PAIEMENT ENREGISTRÉES,
ÉVOLUTION TRIMESTRIELLE

Données corrigées des variations saisonnières.

Champ : France métropolitaine.

Source : SSMSI, Ibid.

b.   La fraude aux moyens de paiement

Le mouvement de recul très prononcé, puisque les infractions chutent de près de moitié entre 2013 et 2019, est amorcé depuis longtemps et s’est accentué avec la crise sanitaire, pendant laquelle la consommation a baissé et l’utilisation du chèque – le moyen de paiement le plus « fraudé » – restreinte du fait de la fermeture des commerces. D’autres explications proviennent sans doute de l’amélioration de la sécurité des moyens de paiement et du bon niveau d’indemnisation des victimes qui les dissuade de s’adresser aux autorités.

Depuis 2017, le nombre de victimes de falsifications et usages de chèques volés n’a fait que diminuer : ‑ 5 % en 2017, ‑ 7 % en 2018 et ‑ 8 % en 2019. Cette baisse se poursuit et s’amplifie, tombant à ‑ 21 % en 2020, dans le contexte de la crise sanitaire.

Escroqueries enregistrÉes,
Évolution annuelle des trois principales composantes

(en %)

Champ : France métropolitaine.

Source : SSMSI, Ibid.

Quant aux falsifications et usages de cartes de crédit, leur forte hausse de 16 % enregistrée en 2019 ne s’est pas poursuivie en 2020, l’année enregistrant une baisse de 9 %, s’expliquant par une nette baisse de la consommation.

Cette catégorie d’escroqueries représente une victime d’escroquerie enregistrée sur six.

c.   Les atteintes à la probité

Le Conseil d’orientation de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (COLB) identifie la corruption et les atteintes à la probité comme l’un des cinq risques majeurs pour la France, et en souligne l’impact social négatif. Il peut s’agir de corruption active (offre de pots de vin) ou passive (acceptation de pots de vin) de la part d’acteurs publics ou privés ou de détournement de fonds publics, commis sur le territoire français ou à l’international (corruption d’agents publics étrangers), et du blanchiment du produit sur le territoire national (« biens mal acquis »), un risque auquel la France est particulièrement exposée.

L’indice de perception de la corruption publié annuellement par l’ONG Transparency International classait la France en 21e position sur 180 pays en 2018, mais à la 23ème en 2020. En Europe, elle est devancée par tous les pays d’Europe du Nord, à l’exception de la Lettonie et de la Lituanie.

La détection de ce type de délinquance provient de trois sources :

– l’investigation classique de police ;

– la révélation spontanée, encouragée par la loi du 9 décembre 2016, à travers la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) ;

– le lancement d’alerte : c’est une source inestimable d’informations qu’il conviendrait de mieux exploiter.

Bien conscients de l’enjeu, les rapporteurs avaient proposé de mieux protéger les lanceurs d’alerte en prévoyant un secours financier et un accès facilité à l’emploi public (proposition n° 8). Ces mesures, reprises dans la proposition de loi visant à la protection effective des lanceuses et des lanceurs d’alerte, déposée par M. Ugo Bernalicis, notamment pour transposer la directive (UE) 2019/937 sur la protection des lanceurs d’alerte, ont été rejetées par votre commission des lois. Les rapporteurs considèrent que ces modalités de soutien des lanceurs d’alerte sont toujours nécessaires.

Par ailleurs, ils estimaient souhaitable de mener une étude sur l’harmonisation des conditions de recevabilité de l’action civile associative (proposition n° 9). Interrogé par vos rapporteurs, le ministère de la justice estime que la sédimentation est le fruit de textes successifs qui traitent de contentieux si différents qu’un traitement spécifique se justifie. Il ajoute que le travail le plus lourd consisterait à recenser les textes applicables pour tel ou tel cas d’espèce, avant même d’en mesurer l’impact pour chacun. Au fond, la situation est sans doute complexe intellectuellement mais les intéressés s’en accommodent plutôt bien, de sorte que l’équilibre coût/avantage d’une telle harmonisation n’est pas évident.

Les conditions de recevabilité de l’action civile des associations
(articles 2-2 à 2-24 du code de procédure pénale)

L’article 1er du code de procédure pénale (CPP) permet à la « partie lésée » de mettre en mouvement l’action publique dans certaines conditions (action directe devant le tribunal correctionnel – rare – ou plainte initiale avec constitution de partie civile devant le juge d’instruction après avis de classement sans suite du procureur de la République).

Les articles 2‑1 à 2‑24 du même code permettent, à titre dérogatoire, à certaines associations d’exercer les droits de la partie civile pour la poursuite d’infractions portant atteinte à des valeurs ou publics dont la défense fait partie intégrante de leurs statuts. L’article 2‑23, qui concerne les associations de lutte contre la corruption, énumère plusieurs conditions :

1. L’association doit exister (c’est-à-dire avoir été déclarée) depuis au moins cinq ans au jour de sa constitution de partie civile ; cette condition est commune à la plupart des associations visées par les articles 2‑1 et suivants (à l’exception des associations de défense de la langue française et de défense du patrimoine) ;

2. L’association doit avoir fait l’objet d’un agrément délivré selon des conditions fixées par décret (voir infra) ; cette condition est également exigée pour les associations de défense de victimes du terrorisme (art. 2‑9 du CPP), les associations de défense de la langue française (art. 214 du CPP), défense des victimes d’un accident collectif – notamment dans les transports collectifs – (art. 2‑15 du CPP) et les associations ayant pour but l’étude et la protection du patrimoine (art. 2‑21 du CPP) ;

3. L’association doit avoir pour mission statutaire notamment de lutter contre la corruption ;

4. Les faits dénoncés ou poursuivis doivent revêtir l’une des qualifications pénales visées spécifiquement par le texte.

Les conditions d’agrément des associations de lutte contre la corruption sont fixées par le décret n° 2014‑327 du 12 mars 2014.

Son article premier fixe cinq conditions cumulatives dont l’association doit justifier pour obtenir l’agrément délivré par le garde des sceaux :

«  Cinq années d’existence à compter de sa déclaration (condition “doublon” de l’article 2‑23 précité) ;

 Pendant ces années d’existence, une activité effective et publique en vue de lutter contre la corruption et les atteintes à la probité publique, appréciée notamment en fonction de l’utilisation majoritaire de ses ressources pour l’exercice de cette activité, de la réalisation et de la diffusion de publications, de l’organisation de manifestations et la tenue de réunions d’information dans ces domaines ;

 Un nombre suffisant de membres, cotisant soit individuellement, soit par l’intermédiaire d’associations fédérées ;

 Le caractère désintéressé ([2]) et indépendant de ses activités, apprécié notamment eu égard à la provenance de ses ressources ;

 Un fonctionnement régulier et conforme à ses statuts, présentant des garanties permettant l’information de ses membres et leur participation effective à sa gestion. »

L’agrément est accordé pour trois ans par le garde des sceaux.

Par rapport à des associations intervenant dans d’autres champs de l’action publique (associations de défense de la langue française ou de protection du patrimoine), le décret insiste sur :

– le caractère public de l’activité, outre son caractère effectif,

– l’indépendance.

En ce qui concerne le contenu de la demande d’agrément, les pièces exigées sont plus ou moins nombreuses selon les domaines, sans que ces différences soient justifiées en apparence. Dans tous les cas les statuts de l’association sont exigés. Dans la plupart des cas sont également demandés le dernier rapport moral et financier, ou encore la liste des membres des organes dirigeants. Une harmonisation pourrait ainsi intervenir à juste titre.

La question qui se pose notamment est celle des modalités d’agrément des associations de lutte contre la corruption, qui ne dépend que du garde des sceaux, avec un risque de conflit d’intérêt potentiel.

Les rapporteurs entendent appeler l’attention sur ce point après les vicissitudes rencontrées par l’association Anticor pour obtenir du ministère de la justice le renouvellement de son agrément. La procédure actuelle ne garantit pas suffisamment l’indépendance de la décision.

Sur la période 2017‑2019, le volume et le traitement des atteintes à la probité sont stables, mais les chiffres antérieurs étaient plus faibles (773 en 2015 et 758 en 2016).

Orientation des atteintes à la probité en 2017 et 2019

Source : DACG.

La caractérisation du délit est souvent délicate en matière de corruption si bien que la proportion d’affaires poursuivables est faible. S’agissant du taux de réponse pénale, il était de 94,9 % en 2017 et de 88,5 % en 2019 ; le taux de procédures alternatives respectivement de 23,7 % et 27,3 %. Corrélativement, le taux de poursuites s’inscrit en recul : 76,3 % contre 72,6 %.

La direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) détaille pour l’année 2019 le sort réservé aux affaires selon leur nature :

STRUCTURE DE LA RÉPONSE PÉNALE
PAR DÉLIT ÉCONOMIQUE ET FINANCIER EN 2019

Source : SG-SDSE SID/CASSIOPEE-Traitement DACG/Pôle d’évaluation des politiques pénales.

Les atteintes à la probité font l’objet d’une réponse pénale dans près de 9 cas sur 10 alors que le taux de réponse pénale pour les escroqueries est de 48,9 %. Les procédures alternatives ne sont pas privilégiées, loin s’en faut, à l’exception de l’ingérence/prise illégale d’intérêt (42,9 %) alors que cette proportion atteint 57 % pour les escroqueries. Les atteintes à la probité sont donc sanctionnées plus durement que le reste.

d.   La fraude fiscale

Comme en matière d’atteintes à la probité, la délinquance fiscale s’apprécie seulement à l’aune des affaires détectées et sanctionnées.

Après une année 2019 jugée très satisfaisante – la communication gouvernementale autour des 9 milliards d’euros recouvrés au titre du contrôle fiscal avait pris une dimension inédite –, l’année 2020 s’est révélée plus morne. La direction générale des finances publiques (DGFiP) a annoncé des encaissements faisant suite à des contrôles fiscaux de 7,79 milliards d’euros, à un niveau proche de ceux de l’année 2018 (7,73 milliards d’euros), avec une amélioration du recouvrement après contrôle ([3]).

Pour mieux exploiter les potentialités de l’intelligence artificielle, la DGFiP s’est dotée depuis le 1er janvier 2021 d’une délégation à la transformation numérique dont un pôle se consacre aux données. Avant cette date, la Mission requêtes et valorisation (MRV) s’était vue confier l’élaboration de plans de contrôle « numériques », qui ont pris une place croissante. Ainsi, entre 2019 et 2020, la proportion des contrôles diligentés à partir du data mining a augmenté, et atteint la cible de 33 %, conformément aux engagements. Les résultats, mesurés par les montants redressés, ont nettement progressé, alors même que le nombre de contrôles a diminué : de 100 millions d’euros en 2017 à 800 millions en 2020. Cette même année, 150 000 propositions de contrôle issues du data mining ont été adressées aux services, soit 50 % de plus par rapport à 2019. Deux tiers des dossiers concernent des particuliers et un tiers des entreprises. La programmation des contrôles fiscaux par le big data a pris une place très significative. L’objectif, fixé à 50 % uniquement pour les entreprises à l’horizon 2022, opérera un changement d’échelle et de nature des travaux.

Le data mining modifie aussi quelque peu la philosophie des contrôles. De plus en plus ciblés, ils portent surtout sur des points précis. Le résultat est donc plus binaire que dans le cadre d’une vérification générale si bien que, sur les six ou sept points examinés, la probabilité de redressement est plus faible ; mais le ciblage débouche sur des résultats dans un nombre plus important de cas et permet d’augmenter le montant moyen unitaire des redressements.

Il convient de noter qu’une partie des dossiers ne relève pas de la fraude en tant que telle mais correspond à des irrégularités, que la DGFiP cherche à traiter sur le mode de la conformité et non du redressement. En 2020, plus du tiers des contrôles s’est conclu par une régularisation en cours de contrôle, ce que les chiffres du contrôle fiscal ne refléteront pas.

Tels sont les arguments de la DGFiP en réponse à la Cour des comptes qui, dans son rapport sur les prélèvements obligatoires, déplorait la moindre pertinence des contrôles fiscaux opérés ces dernières années. En effet, le nombre d’affaires à faible rendement a eu tendance à augmenter, pour représenter plus d’un quart des affaires qui donnent lieu à un contrôle. Circonstance aggravante, le taux de conformité augmente également.

évolution du nombre d’affaires à faible rendement ([4])
et d’affaires conformes

Les affaires conformes désignent les situations où le contrôle fiscal n’a donné lieu à aucun redressement ; les affaires à faible rendement comprennent les affaires conformes.

Source : Cour des comptes.

Pareil décalage entre les discours et les chiffres mérite une attention particulière de la part de la représentation nationale, qui pourrait réclamer des indicateurs de performance différenciés selon la méthode à l’origine du contrôle. Sans doute faudra‑t‑il attendre quelques années avant de porter un jugement plus circonstancié.

Un autre des acquis des dernières années repose sur les échanges de données à l’international. La DGFiP travaille avec 92 pays partenaires aux termes de la directive DAC2 n° 2014/107/EU qui introduit l’échange automatique d’informations relatives aux comptes financiers. La DGFiP reçoit chaque année plus de 800 000 informations sur des résidents fiscaux français avec un taux de recoupement très satisfaisant, supérieur à 90 %.

Les flux s’intensifient puisque :

– 20 % de comptes bancaires en plus ont été déclarés entre pays en 2019 ;

– les valeurs d’actifs identifiées et transmises ont augmenté de 43 % pour atteindre 327 milliards d’euros ;

– des informations relatives à 2,9 millions de comptes ont été transmises, soit une augmentation de 15 % par rapport à 2018.

Ces échanges génèrent en retour des demandes d’informations plus ponctuelles de la part des services car il faut ensuite transformer les données entrantes en matière utile à la programmation, et c’est un travail complexe. La Cour des comptes a d’ailleurs indiqué aux rapporteurs que la France était à l’origine de la moitié des questions qui sont posées dans l’UE au titre de la coopération fiscale. Ainsi, des dizaines de milliers de courriers ont été envoyées pour vérifier les informations données, or les taux de retour sont faibles. Il faut donc partir à la pêche pour obtenir des compléments d’informations.

Avec les dernières directives (directive anti‑blanchiment (UE) n° 2018/843 dite « AML5 » sur l’identification des flux financiers et de leurs bénéficiaires effectifs et directive DAC6 (UE) n° 2018/822 relative à l’obligation de déclarer les montages transfrontières), la DGFiP a accès à une masse d’informations considérable mais, pour en extraire des données pertinentes et procéder à des analyses et des recoupements, il est nécessaire d’avoir auparavant développé des outils d’analyse automatisés. La DGFiP en est donc à un stade intermédiaire.

La loi n° 2018‑898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude a créé une amende administrative applicable aux professionnels qui réalisent des montages frauduleux ou abusifs. Cette disposition, codifiée à l’article 1740 A bis du code général des impôts (CGI), donne la possibilité à l’administration fiscale de sanctionner les professionnels du droit ou du chiffre dont les agissements portent une grave atteinte au principe d’équité entre les contribuables et aux règles de leur profession.

L’amende peut être mise en œuvre à l’encontre du conseil si son client a été sanctionné par l’application d’une majoration de 80 %. Afin de dissuader les professionnels de concevoir de tels montages, le législateur a souhaité instaurer une sanction exemplaire : son montant est égal à 50 % du revenu tiré de la prestation et ne peut être inférieur à 10 000 euros. Cette mesure, qui faisait l’objet de la proposition n° 5 demandant à ce que la sanction ne soit appliquée qu’en cas de condamnation définitive, n’a pas été appliquée en 2019 selon le document de politique transversale (DPT) Lutte contre l’évasion fiscale et la fraude en matière d’impositions de toutes natures et de cotisations sociales.

e.   La fraude à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

La TVA est la principale recette de l’État ([5]) ; aussi occupe‑t‑elle une place centrale dans les préoccupations de l’administration fiscale, d’autant que la fraude en la matière est facile à commettre, comme l’a rappelé Mme Nathalie Bécache, à la tête du nouveau service d’enquêtes judiciaires des finances (SEJF), et qu’à partir de schémas classiques, elle évolue régulièrement. Conscients de l’ampleur du problème, les rapporteurs avaient demandé la mise à l’étude du paiement scindé pour tenter de limiter le phénomène (proposition n° 7). La tâche a été confiée à l’inspection générale des finances (IGF) dont le rapport « Sécurisation du recouvrement de la TVA » conclut à une préférence pour la facturation électronique, et met en évidence une fraude massive dans le commerce électronique facilitée par le non‑respect de l’obligation de représentation fiscale.

L’objectif du paiement scindé est de sécuriser le paiement de la TVA. L’IGF estime que ce dispositif ne serait pas adapté au regard de son coût en termes de gestion ou de contraction de la trésorerie des entreprises, des règles juridiques qu’il faudrait modifier sans garantie de succès, et surtout de son inadaptation à lutter contre certaines formes de fraude. En particulier, un nouveau schéma de fraude au carrousel arrive à prospérer dans un mécanisme de paiement scindé reposant sur des comptes bancaires TVA obligatoires.

Le paiement scindé

Le paiement scindé consiste à dissocier, au moment du règlement d’une facture, le montant hors taxe du montant correspondant à la TVA. Deux modalités peuvent être envisagées :

– la retenue à la source : le flux correspondant au montant de la TVA part directement vers l’administration fiscale. Cette option ne concerne que les paiements électroniques ;

– le compte bancaire bloqué : le montant correspondant à la TVA est porté sur un compte bancaire dédié bloqué au nom de l’entreprise.

SchÉma des deux principaux mÉcanismes de paiement scindÉ

Source : IGF.

Dans les faits, seule la retenue à la source serait de nature à sécuriser le versement au Trésor puisque la TVA ne transiterait plus par les comptes de l’entreprise, sachant que la fraude consiste à collecter la TVA et à ne pas la régler au Trésor ou bien à se faire rembourser des crédits de TVA fictifs. Or, dans la pratique, seul le second dispositif existe.

Les expériences en Europe ont connu des fortunes diverses. Le paiement scindé subsiste en Italie et en Pologne, et a été abandonné en Bulgarie et en Roumanie faute d’avoir obtenu des résultats satisfaisants.

En Italie, il concerne le règlement des marchés publics. En Pologne, le paiement scindé, jusque‑là facultatif, est devenu obligatoire le 1er novembre 2019, pour certains types de biens, et au‑delà d’un montant de 3 500 euros. Parallèlement, l’autoliquidation ([6]) a été supprimée. Les comptes bloqués TVA sont gratuits pour les entreprises. Le Royaume‑Uni s’est lancé dans une étude de faisabilité et, en 2019, examinait les aménagements des infrastructures de paiement qui en découleraient.

Le paiement scindé ne permet pas de répondre à l’ensemble de la fraude à la TVA et risque de faire se développer de nouvelles formes de fraudes par l’existence des crédits de TVA. Confier aux établissements bancaires la collecte de la TVA pèserait sur la trésorerie des entreprises. Puisqu’elles deviendraient toutes créditrices, toutes pourraient être fondées à demander des remboursements de crédits de TVA, ce qui augmenterait la zone de risque.

Le dispositif technique serait très coûteux pour tous les acteurs impliqués : entreprises, banques et administrations. Qui plus est, la réforme serait surbordonnée à des changements dans les règles juridiques, qu’il serait difficile d’obtenir : la modification de la réglementation SEPA de l’Union européenne des paiements et la dérogation à la directive TVA que la Commission n’octroie que sur des critères stricts de proportionnalité.

Le bilan était déjà très incertain. Il devient franchement négatif avec l’entrée en vigueur de la facturation électronique obligatoire dans les relations interentreprises, votée dans la loi de finances initiale pour 2020 et dont l’entrée en vigueur s’étalera entre 2023 et 2025. L’obligation, qui anticipe les consignes de la Commission européenne qui a annoncé une proposition législative d’ici 2022 visant à moderniser les obligations de déclaration à travers le développement de la facturation électronique et la transmission des données, devrait donner une visibilité complète et fiable sur les transactions et être plus efficace pour lutter contre les carrousels. En outre, la réforme ne semble pas rencontrer d’obstacle de la part des entreprises.

La facturation électronique obligatoire

L’article 153 de la loi de finances pour 2020 demandait au Gouvernement un rapport sur la mise en œuvre de la réforme. Remis en octobre 2020 par la DGFiP et intitulé « La TVA à l’ère du digital en France », il préconise un système couplant facturation électronique (einvoicing) et transmission de données à l’administration fiscale (ereporting) qui conduira à une réduction des coûts de gestion pour les entreprises et à une meilleure information de l’administration pour mieux lutter contre la fraude à la TVA à tous les niveaux (B2B*, B2C** et ventes à distance notamment).

La facturation électronique permet d’avoir une visibilité complète et fiable sur les transactions, luttant plus efficacement contre la fraude à la TVA carrousel. Le Gouvernement préconise d’ailleurs cette solution, complétée par la collecte de certaines données via une transmission numérique.

La facturation électronique consiste en la transmission des factures de vente entre le fournisseur et son client en format électronique par le biais d’une plateforme, le tout en associant l’administration fiscale qui obtient alors les informations en temps réel.

FACTURATION ÉLECTRONIQUE

Source : DGFiP.

La transmission de données, quant à elle, repose sur la transmission par l’assujetti à l’administration fiscale du contenu des factures des ventes et des achats. Cette solution implique un double flux des mêmes données par le client et par le fournisseur pour être efficace.

TRANSMISSION DES DONNÉES SIMPLIFIÉE

Source : DGFiP.

Dans son rapport, la DGFiP préconise « une obligation de facturation électronique à toutes les entreprises, sans exception ni condition de seuil », s’assurant ainsi d’une lutte efficace contre la fraude par la transmission de toutes les informations utiles à l’administration fiscale. Cette facturation électronique s’accompagnerait d’une obligation de transmission électronique de trois catégories de données complémentaires : les données de paiement, les données de transactions B2C** et les données sur les ventes non domestiques.

* B2B : commerce interentreprises. ** B2C : commerce avec les particuliers.

Au sein de l’UE, les 12 États qui recourent à la facturation électronique ont constaté une amélioration de l’efficacité des contrôles fiscaux et d’importants effets de seuil, ce qui les a conduits à les abaisser ou les supprimer. En définitive, la facturation électronique rend inutile le paiement scindé, ce qu’avait relevé la Commission dans la dérogation qu’elle a accordée à l’Italie en 2017.

La France est le deuxième marché pour le commerce électronique ([7]) en Europe, après le Royaume‑Uni. La Fédération du e‑commerce et de la vente à distance annonçait un chiffre d’affaires de plus de 100 milliards en 2019 et une croissance annuelle des livraisons de colis supérieure à 10 % ces trois dernières années. Avant même le confinement, le commerce électronique affichait un dynamisme insolent porté surtout par les places de marché qui mettent en relation les clients et des vendeurs tiers. Ce sont autant de raisons de porter une vigilance particulière à ce secteur.

Les investigations de la direction nationale d’enquêtes fiscales (DNEF) sur lesquelles l’IGF s’est appuyée montrent que 98 % des entreprises de l’échantillon ne respectent pas leurs obligations d’immatriculation au regard de la TVA. Les obstacles mis tant par le Luxembourg que par l’acteur dominant du marché ont empêché de fournir une estimation valable des montants esquivés, mais il demeure que la fraude est massive, et bien organisée ([8]) selon l’auteure du rapport de l’IGF. Il faut aussi avoir en tête que les tensions avec la Chine laissent peu de chances d’aboutir aux demandes d’entraide pénale internationale.

Les obligations fiscales des vendeurs en ligne extra-européens

L’article 289 A du code général des impôts impose à tout établissement qui veut faire commerce dans l’UE et qui n’y est pas établi de désigner un représentant fiscal qui remplit les formalités et se porte garant du paiement de la TVA.

En France, le marché est étroit et ce service est proposé par une vingtaine d’entreprises, qui se classent en deux catégories :

– des sociétés traditionnellement établies sur ce marché, une dizaine environ, et les Big Four, qui ont très peu de clients dans le e‑commerce car les informations dont elles disposent sont insuffisantes pour accepter le mandat compte tenu du risque qu’il comporte ;

– des sociétés opportunistes nouvellement créées ayant des objectifs massifs d’immatriculation de sociétés du e‑commerce, plusieurs milliers parfois, mais qui n’ont pas la surface financière nécessaire.

Les plateformes les plus connues ont été tentées de proposer ce service à leurs clients, mais elles ont souvent reculé car elles auraient pu, en raison du principe d’unicité de la représentation fiscale, être appelées en garantie pour des ventes conclues sur des marketplaces concurrentes qu’elles auraient donc ignorées.

À deux reprises, en 2017 et en 2019, la DNEF a effectué un sondage pour évaluer le respect de leurs obligations par les vendeurs en ligne. Les deux fois, elle a établi que 98 % des sociétés étrangères actives sur les plateformes n’étaient pas immatriculées à la TVA en France. La seconde fois, l’échantillon était le double du précédent : 107 941 vendeurs contrôlés contre 57 149 en 2017, dont 43 188 domiciliés en Chine contre 6 619 en 2017, soit 40 % du total.

Selon les règles en vigueur, les vendeurs extra-européens sont tenus de s’immatriculer en France si leurs ventes y dépassent 35 000 euros HT, et ce seuil est supprimé s’ils disposent de marchandises prépositionnées en France ([9]), dans les entrepôts logistiques de la plateforme par l’intermédiaire de laquelle ils commercialisent leurs produits.

La DNEF n’a pas pu obtenir de la part de la principale plateforme – elle s’est abritée derrière le secret des affaires et a seulement assuré que le chiffre d’affaires de la plupart de ses clients n’excédait pas le seuil fatidique – les chiffres qui lui auraient permis de vérifier si les vendeurs étaient en règle ou non.

De fait, en analysant un échantillon de 100 vendeurs opérant sur Amazon, la DNEF a trouvé que 48 % utilisaient les services d’expédition de la plateforme, et la proportion atteignait 82 % chez les vendeurs asiatiques, leurs marchandises étant de ce fait prépositionnées.

Au vu des conclusions de cette enquête, l’IGF recommande de maintenir l’obligation de représentation pour mieux contrôler le commerce interentreprises en ligne qui croît rapidement, et d’adopter les critères de domiciliation et de représentation des entreprises étrangères dans la programmation du contrôle fiscal. En outre, elle invite à réexaminer le principe d’unicité du représentant fiscal pour favoriser le recouvrement de la TVA dans le commerce électronique.

Source : IGF, Sécurisation du recouvrement de la TVA, novembre 2019.

Au-delà des enjeux financiers déjà considérables ([10]), il s’agit là d’une distorsion majeure de concurrence pour les commerces physiques et tous les vendeurs qui respectent leurs obligations.

Des mesures d’endiguement ont été prises. La loi de finances pour 2020 a ainsi transposé à l’article 293 A du CGI la directive (UE) 2017/2455 sur le régime de TVA applicable aux ventes en ligne.

À des fins de contrôle, les interfaces électroniques seront désormais astreintes à la tenue d’un registre qui devra être conservé dix ans afin de permettre aux États membres de vérifier où ces livraisons et prestations sont imposables et si la TVA a été correctement acquittée.

Avec un an de retard, puisque l’entrée en vigueur a été repoussée au 1er juillet 2021, les plateformes seront ellesmêmes redevables de la TVA pour les pour les ventes des biens importés de moins de 150 euros et pour les importations des biens faisant l’objet d’une vente à distance, sans condition de seuil.

Il en résulte que, pour les biens de moins de 150 euros, la plateforme collecte la TVA sur l’importation (qu’elle déduit ou pour laquelle elle bénéficie d’une exonération) et sur la vente.

Pour les biens de plus de 150 euros, la plateforme collecte la TVA sur l’importation et la vente ne génère aucune TVA.

Laissons l’IGF conclure sur le sujet, conclusion qui vaut pour l’ensemble de la fraude à la TVA : « Cela étant, la sécurisation du dispositif national doit s’accompagner d’une action au niveau européen pour lutter efficacement contre la fraude à la TVA, dont les causes sont à chercher souvent aux portes d’entrée de l’Union européenne. À cet égard, une prise de conscience et une mobilisation de nos partenaires sont nécessaires ». Il reste à espérer que le parquet européen prendra à bras‑le‑corps le problème, surtout avec la perspective de l’entrée en vigueur du dédouanement centralisé communautaire ([11]), permettant de dissocier les flux déclaratifs des flux de marchandises.

2.   Sa transformation s’est accélérée avec la crise sanitaire

La crise sanitaire aura donc accéléré la mutation de la délinquance économique et financière.

a.   La multiplication des arnaques « numériques »

En gelant les déplacements et interdisant les contacts physiques, la crise sanitaire a accéléré la dématérialisation, et multiplié les opportunités d’une délinquance astucieuse qui exploitait déjà le potentiel du numérique, qu’il s’agisse de leurrer un particulier seul devant son écran par des offres mirobolantes et des messages frauduleux destinés à lui voler ses identifiants ou bien d’entreprises dans l’incapacité de procéder à des vérifications auprès des tiers de documents transmis par leurs clients ou d’ordres de paiement. De fait, l’année 2020 aura vu une recrudescence des faux ordres de virement, la prolifération d’annonces de faux produits sanitaires ou de faux tests… Les ressorts sur lesquels jouent les escrocs – la naïveté, la peur, la solitude et l’appât du gain – sont bien connus.

Désormais, une arnaque sur deux passe par internet.

Le service national des enquêtes (SNE) de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a maintenu une veille active, afin de limiter les nuisances.

Le bilan du service national des enquêtes en 2020

Depuis le début de la crise sanitaire de la Covid‑19, le SNE est fortement mobilisé. En effet, une forte accélération des pratiques illicites « en ligne » est apparue avec la mise en confinement de la population, sujette aux peurs et aux angoisses générées par l’évolution de la pandémie.

Dans ce contexte, ce sont plusieurs milliers de sites internet liés à la crise sanitaire qui ont été contrôlés par le SNE, qu’il s’agisse de l’identification des responsables, de la vérification des contenus, de demandes de blocage ou de la mise en œuvre de suites correctives et/ou répressives.

Les enquêtes menées ayant souvent conduit la DGCCRF à se coordonner avec d’autres services de l’État, celle-ci a proposé au ministre chargé de l’économie et des finances la mise en place d’une « task force » de lutte contre les fraudes Covid‑19, dont la mise en place a été coordonnée par le SNE (cf. infra).

Quelques chiffres :

– plus de 2 966 sites examinés par le SNE ;

– 1 309 sites traités dans le cadre de la coordination avec le réseau (de l’absence de transparence sur l’éditeur de contenu à l’arnaque, en passant par des problématiques de sécurité) ;

– 453 réquisitions adressées aux opérateurs de téléphonie, hébergeurs, banques, prestataires de services de paiement (PSP)… ;

– offres de gels hydroalcooliques (GHA) à des prix non conformes aux plafonds réglementaires : 2 932 offres de GHA supprimées pour prix non conformes (identifiées par le « scraping » mis en place sur les sites des plateformes étrangères suivies par le SNE) ;

– 70 demandes de blocage de site, de suppression d’URL ou de contenu auprès d’intermédiaires (Association française pour le nommage internet en coopération – AFNIC –, Shopify, Google, Facebook…) ;

– plusieurs centaines de cagnottes en ligne examinées ;

– 43 sites (plateformes) de soutien aux petits commerces contrôlés.

Source : DGCCRF.

Faute de pouvoir mettre rapidement hors d’état de nuire les auteurs de ces arnaques, le Gouvernement a publié dès la fin mars un guide de prévention contenant neuf fiches thématiques très claires sur les escroqueries les plus courantes ([12]). Un tel outil répond à un réel besoin mais il conviendrait de réfléchir davantage à la façon de lui faire atteindre sa cible, un public vulnérable et peu familier des sites officiels. En l’état, et cette remarque vaut pour d’autres documents ou services de ce type, ils sont sous‑utilisés, notamment parce qu’ils ne sont pas diffusés par les mêmes canaux que ceux empruntés par les délinquants.

Avec les mesures d’urgence destinées à empêcher l’effondrement de l’économie française, le Gouvernement a voulu agir vite et débloquer les fonds rapidement, créant fatalement un effet d’aubaine pour les escrocs. De fait, les administrations ont signalé aux rapporteurs des arnaques destinées à détourner les fonds publics versés au titre de l’indemnisation du chômage partiel et du soutien des entreprises, en créant des entreprises pour la circonstance ou en ranimant des structures en sommeil. À titre d’illustration, plusieurs membres d’une même famille viennent d’être arrêtés et mis en examen pour des soupçons de fraude au chômage partiel. Ils auraient, à eux seuls, détourné 11 millions d’euros en usurpant l’identité de 3 600 entreprises. La fraude aux finances publiques devrait donc être plus importante en 2020 et 2021 que les années précédentes.

Enfin, autre caractéristique liée au blanchiment des produits des infractions, Tracfin relève qu’il passe davantage par les banques en ligne ou les établissements de monnaie électronique – plus du tiers des déclarations de soupçon de ces organismes portent sur des escroqueries potentielles. De même, les services d’enquête confirment que les crypto‑actifs sont davantage utilisés par les délinquants.

b.   Les fraudes à l’identité et le projet d’identité numérique

Conscients des risques qui accompagnent la numérisation, les rapporteurs avaient suggéré de mettre en place un dispositif d’identification numérique certifiée pour sécuriser les relations entre les banques et leurs clients (proposition n° 2).

Le projet d’identité numérique n’en est pas à son coup d’essai, et c’est même à un projet comparable, dénommé « Safari » et destiné à l’identification informatique des Français, que la Commission nationale de l’informatique et des libertés doit son existence. Les autres tentatives, les projets INES et Idé‑Num, n’ont pas été plus heureuses. La perspective d’une identité unique suscite toujours le rejet si bien que, en 2013, le Gouvernement a pris le contrepied des approches antérieures et misé sur le regroupement de plusieurs identifiants accessibles dont l’utilisation serait facilitée par une plateforme commune, considérée comme un tiers de confiance s’interposant entre fournisseurs d’identités et fournisseurs de services.

Le projet a été relancé en 2018 dans le cadre des assises de l’identité numérique, afin de lever les freins à l’usage du numérique en France pour faciliter la vie quotidienne. France identité numérique, fondé sur la plateforme FranceConnect, cherche donc à mettre à disposition du citoyen « un moyen d’identification […] protégeant ses données d’identité, sans centralisation ni traçabilité de ses transactions », selon la directrice du programme, Mme Valérie Péneau. Alors que la connexion aux services publics repose sur le degré le plus faible de sécurité (identifiant + mot de passe), la sécurisation des contacts constitue un outil essentiel pour lutter contre les usurpations d’identité qui se multiplient avec la dématérialisation des démarches, dans la sphère privée autant que dans la sphère publique.

L’équipe est lancée depuis 2018 dans une course de vitesse car, de leur côté, les banques développent leur propre système à l’ombre des géants américains qui ont une longueur d’avance. Outre l’enjeu de souveraineté que représente le projet, auquel l’État aura consacré 500 millions d’euros en dix ans, il devra aussi emporter l’adhésion du public. Il reposera sur la nouvelle carte d’identité et sera disponible seulement sur smartphone dans un premier temps.

Cette identification numérique certifiée ne révolutionnera pas les usages du numérique mais elle les sécurisera. Les premiers bénéficiaires en seront les services publics numériques existants qui n’ont pas pour autant calé leur modernisation sur le rythme du projet France identité numérique. La direction interministérielle de la transformation publique (DITP) n’a été sollicitée pour explorer de nouvelles potentialités qu’en 2019. Un rapport, étayé par des études très complètes, fournit une cartographie des usages possibles de cette identité.

Identification des usages À fort potentiel de crÉation
de valeur de l’identitÉ numÉrique

Source : rapport BCG & EY-Parthenon pour la DITP (2019) in Acteurs publics n° 150, mars-avril 2021.

Il est ainsi apparu que, au-delà des démarches administratives, les banques et les assurances, que la réglementation anti-blanchiment contraint à vérifier l’identité de leurs clients (principe du Know Your Customer), pourraient être intéressées, de même que le transport aérien ou les entreprises vendant des prestations réservées aux majeurs (jeux, spectacles pornographiques…) qui pourraient ainsi vérifier l’âge des clients potentiels. À plus long terme, la certification pourrait être aussi utilisée à l’occasion des dépôts de plainte, de la demande de procuration pour des élections ou de pièce d’identité.

Pour le moment, les banques suivent le projet, sans plus, se réservant la possibilité de lui préférer des solutions privées.

B.   UNE DOUBLE NÉCESSITÉ : UN RÉFÉRENTIEL STATISTIQUE COMMUN ET UN MEILLEUR PARTAGE DE L’INFORMATION

L’efficacité de la lutte contre la délinquance financière se heurte depuis longtemps au cloisonnement qui existe entre les administrations qui participent à cette politique. Les rapporteurs considèrent que les problèmes de cohérence statistique ne sont que l’illustration d’« une absence préoccupante de coordination interministérielle ».

Construire une politique commune demande en effet un cadre commun, de façon à parler le même langage et à mener des initiatives partagées. Dans ce domaine particulier, la tâche est particulièrement complexe et les travaux n’ont pas encore abouti, chaque administration s’attachant à ses propres priorités.

1.   Les travaux engagés dans le cadre de l’évaluation de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (LCB-FT)

Sur ce plan, l’évaluation de la France par le Groupe d’action financière (GAFI) a galvanisé les énergies. Le GAFI a été créé en 1989 à l’issue d’une réunion du G7 qui se tenait à Paris. Cette instance intergouvernementale entend contribuer à la stabilité du système financier international, et tout particulièrement lutter contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Pour promouvoir de bonnes pratiques, le Groupe organise des évaluations périodiques par les pairs selon une méthodologie préalablement définie. La dernière évaluation de la France remontait à 2010.

La visite sur place est prévue du 28 juin au 29 juillet 2021 et les échanges se poursuivront avec le GAFI, jusqu’en mai 2022 (date de publication du rapport d’évaluation de la France).

Pour assurer un pilotage éclairé du dispositif LCB‑FT, le COLB, qui en est le chef de file, doit s’appuyer sur des statistiques fiables, exhaustives et cohérentes entre les différents acteurs ministériels impliqués. Or, elles font défaut et cette carence, qui avait été relevée par le GAFI lors de sa précédente évaluation de la lutte contre le blanchiment en 2010, vaut pour l’ensemble de la délinquance financière.

Face à ce problème particulièrement ardu, compte tenu de ses composantes juridiques, administratives, techniques et même internationales, une mission de préfiguration quadripartite a été confiée en février 2021 aux inspections générales de l’administration, des finances, de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) et de la justice, par les ministres de l’économie et des finances, de l’intérieur et de la justice, et par le ministre délégué chargé des comptes publics, avec pour objectif de :

– dresser la liste des statistiques nécessaires pour respecter les engagements internationaux de notre pays en matière d’information sur la LCB‑FT et conformes aux exigences de la statistique publique, et disposer d’indicateurs permettant de mesurer l’efficacité des politiques publiques ;

– formuler des recommandations pour aboutir à un cadre harmonisé selon des méthodes et des indicateurs communs ;

– envisager les évolutions requises pour améliorer la fiabilité et la traçabilité des données, et, partant, l’interconnexion des systèmes d’information ministériels de façon à renforcer la qualité des statistiques ministérielles.

La rédaction d’un cahier des charges d’un outil statistique répondant aux attentes constitue la première étape de mise en œuvre de la proposition n° 3 du rapport : « mettre en œuvre une politique interministérielle de lutte contre la délinquance économique et financière reposant sur un dispositif partagé de mesure et de suivi statistique ». Il s’agit d’un premier pas puisque, seule, la politique LCB‑FT est concernée pour le moment mais il est décisif. Élaborer un outil commun accessible à l’ensemble des acteurs exige déjà un travail considérable qui devrait ensuite profiter, au moins partiellement, à chacun d’entre eux.

2.   Les autres travaux en cours

a.   La mesure de la fraude fiscale

Dans le sillage du Grand débat, le Président de la République avait annoncé le 25 avril 2019, lors d’une conférence de presse, que le Gouvernement confierait à la Cour des comptes une enquête sur la fraude fiscale. Son Premier président a indiqué vouloir élargir l’étude à l’ensemble des prélèvements obligatoires et elle a été rendue en novembre 2019 ([13]).

La Cour rappelle que plusieurs notions – fraude, évasion, optimisation pouvant aller jusqu’à l’abus de droit qui est punissable, ou écart fiscal – sont maniées par les experts et que la frontière entre elles est d’autant plus poreuse que les règles sont sujettes à interprétation et d’application complexe, ce qui est le cas en France.

Typologie des comportements fiscaux

Source : Cour des comptes.

La Cour dresse un panorama des expériences étrangères dont il ressort que rares sont les pays qui déterminent un indicateur – généralement l’écart fiscal – pour l’ensemble des impôts et que le calcul peut être fait sans être pour autant publié, dans la mesure où il ne s’agit que d’un outil de pilotage.

Part des États qui calculent et publient des estimations de l’Écart fiscal pour au moins un impÔt

Source : Cour des comptes.

Dans ce domaine, les pays anglo-saxons et scandinaves donnent le tempo et la France et l’Allemagne sont en retard. Sur les 58 États du panel ayant servi aux travaux de la Cour, 31 calculent régulièrement une estimation des irrégularités ou de la fraude fiscales pour au moins la TVA, l’impôt sur les sociétés (IS) ou l’impôt sur le revenu (IR). Par ailleurs, 18 publient leurs résultats ; les autres ne souhaitent pas donner de publicité à leurs travaux.

Part des États qui calculent des estimations de l’écart fiscal par impôt

FTA : forum de l’administration fiscale de l’OCDE. UE : Union européenne.

Source : OCDE, Tax administration 2019.

La TVA est l’impôt qui recueille la plus grande attention, d’autant que la Commission européenne a publié une méthodologie pour procéder à ce calcul qu’elle effectue chaque année.

La Commission européenne établit l’écart TVA pour la France à 7,1 % du PIB, et sa tendance est à la baisse.

Écart TVA de la France

(en % du PIB)

Source : Commission européenne.

La tâche est plus facile que pour d’autres impôts puisque l’écart est déterminé à partir de données macroéconomiques (méthode descendante). Représentant une part importante des ressources fiscales (20 % en moyenne dans l’OCDE), la TVA revêt un caractère stratégique. Il s’agit généralement d’une première étape.

La TVA est donc le seul impôt pour lequel la Cour des comptes ait tenté, avec l’aide de l’INSEE, d’estimer la fraude, qu’elle évalue à une quinzaine de milliards d’euros, soit un montant supérieur à celui de la Commission européenne, mais du même ordre de grandeur. M. Christophe Strassel, rapporteur, a toutefois insisté sur deux points :

– la sensibilité du résultat à certaines hypothèses telles que l’intégration de l’économie souterraine ;

– l’importance, pour tous les types d’impôt, d’une approche sur le long terme. Le plus important réside dans les variations de l’indicateur qu’il faut pouvoir expliquer. Le Canada a mis cinq ans à mettre au point un outil convaincant.

L’exercice est plus difficile pour les autres impôts car il faut faire appel aux méthodes ascendantes, c’est‑à‑dire à un échantillon aléatoire. Or, en France, le contrôle fiscal est ciblé, l’échantillon des contribuables contrôlés n’est donc pas représentatif. L’issue des études dépend de la capacité à récupérer des informations statistiques de bonne qualité auprès de l’administration fiscale et de la possibilité d’aménager les systèmes d’information pour extraire les données pertinentes.

En réponse aux observations de la Cour, la DGFiP a développé une stratégie à trois branches :

     partir des travaux de la Cour des comptes, en particulier sur la TVA, pour les approfondir en enrichissant les bases d’information à partir des contrôles effectués et mieux exploiter ALPAGE ([14]) ;

     commencer à travailler avec l’INSEE sur la modélisation d’une évaluation de la fraude à l’IR et à l’IS qui pose des difficultés importantes ;

     identifier et se mettre dans une logique statistique sur une évaluation via des contrôles aléatoires sur quelques secteurs.

Le directeur de la DGFiP, M. Jérôme Fournel, a fait état de travaux de long cours engagés avec l’INSEE, mais le volet aléatoire – la constitution d’échantillons représentatifs – a pris du retard du fait des moindres contrôles effectués en 2020 et d’une base statistique moins pertinente, puisque certains secteurs n’ont pas été contrôlés. De fait, il faudra attendre encore quelques années avant de disposer d’une estimation incontestable.

Une fois les résultats fiabilisés, il restera à décider de la publication ou non, et du canal de diffusion de façon à ne pas susciter la défiance du public. L’INSEE est certainement l’institution la plus à même de procéder au calcul, mais il n’est pas certain que, aux yeux de l’opinion, il soit assez indépendant du Gouvernement, malgré la rigueur méthodologique imposée à la statistique ministérielle.

En avril 2018, les ministres de l’économie et des finances de l’UE ont convenu d’engager des discussions sur la manière de renforcer la coopération entre les administrations fiscales à la suite d’une série de rapports de la Commission révélant des lacunes dans la coopération administrative. Le programme TADEUS, lancé à leur initiative, s’articule autour de sujets d’application du droit de l’Union européenne et de chantiers opérationnels stratégiques.

Lors de la dernière assemblée, le 25 novembre 2020, deux priorités ont été retenues : la coopération administrative dans le domaine fiscal et l’amélioration de la coordination du développement des systèmes informatiques intra‑européens. Trois axes de travail ont été définis :

– Eurofisc (pour intensifier la lutte contre la fraude à la TVA),

– le plan stratégique pluriannuel pour la coordination des projets informatiques dans le domaine de la fiscalité,

– et le projet TAXGAP.

En effet, pour tenir compte des besoins accrus de transparence et d’amélioration de l’observation fiscale, le projet TAXGAP est dédié à l’estimation des écarts fiscaux pour plusieurs impôts et secteurs spécifiques. Ce projet complexe, dirigé par l’Italie ([15]), est développé en collaboration avec la Commission européenne, avec l’ambition d’identifier les meilleures pratiques et d’initier de nouvelles approches méthodologiques du calcul de l’écart entre les recettes prévues et les recettes réellement perçues. Le projet, prévu pour durer entre deux et quatre ans, sera structuré en quatre groupes de travail :

– Impôt sur le revenu des sociétés (TCI),

– Impôt sur le revenu des particuliers et cotisations de sécurité sociale (PIT/SSC),

– Fraude intracommunautaire (MTIC) en matière de TVA,

– Écart TVA sur le commerce électronique (interne et transfrontière).

La nécessité d’intensifier la lutte contre la fraude fiscale et l’évasion fiscale est une priorité partagée dans l’ensemble de l’UE. Alors que la Commission a lancé le plan d’action de juillet 2020 pour une fiscalité juste et simple, le Parlement européen et la Cour des comptes européenne ont demandé aux États membres et à la Commission de prendre des mesures pour calculer et réduire les écarts fiscaux. Certains États membres calculent et publient déjà des estimations robustes des différents écarts fiscaux, tandis que d’autres s’emploient à élaborer des études sur les écarts fiscaux, après avoir demandé l’aide de programmes de l’UE (instrument d’appui technique, ancien programme d’appui à la réforme structurelle). Les États membres de l’UE peuvent ainsi bénéficier du partage des meilleures pratiques par les administrations fiscales pour aider à surmonter les difficultés techniques en élaborant une approche européenne commune pour le calcul des différents écarts fiscaux (impôts directs, TVA, accises, cotisations de sécurité sociale…).

Grâce à un effort conjoint, par l’intermédiaire du programme TADEUS, les administrations fiscales pourront ensuite développer ou améliorer les méthodologies relatives aux écarts fiscaux et, à leur tour, adapter leurs stratégies d’observation fiscale. Il est à souhaiter que cette initiative réussisse tant est nécessaire une juste contribution de chaque agent économique à la reprise après la crise sanitaire.

b.   Les travaux d’harmonisation des services statistiques du ministère de l’intérieur (service statistique ministériel de la sécurité intérieure – SSMSI) et de la justice (sous-direction de la statistique et des études – SDSE)

La dimension internationale du sujet ne doit pas être oubliée. Qu’il s’agisse de l’ONU ou de l’Union européenne, la France en tant que membre a souscrit des engagements et participe à l’amélioration des informations statistiques. Deux initiatives en cours se conjuguent et se complètent pour améliorer les statistiques françaises.

La première est l’adoption en 2015 dans le cadre de l’ONU d’une nomenclature internationale des infractions (ICCS pour International Classification of Crime for Statistical purposes) qui doit être transposée par chaque pays. Compte tenu de l’extrême hétérogénéité des législations pénales, la définition se fait non sur des critères juridiques mais sur le comportement du ou des auteurs des actes répréhensibles. Cette nomenclature propose onze sections, elles‑mêmes réparties en sous‑sections, de plus en plus détaillées. La délinquance financière est retracée dans la section 7.

La seconde est le plan d’action pluriannuel du système statistique européen (SSE) 2021‑2027 ([16]) qui prévoit le développement d’études pilotes sur le champ « Violence-criminalité-justice » avec un axe spécifique sur la consolidation méthodologique du volet « Blanchiment des capitaux et financement du terrorisme ».

Pour adopter la nouvelle nomenclature, l’INSEE a mis en place dès 2016 un groupe de travail composé du SSMSI et du pôle d’études de la DACG, qui s’est élargi en 2018 aux représentants de la police et de la gendarmerie. Il a entrepris d’élaborer une table de passage entre la nouvelle grille et l’ensemble des 16 000 infractions (les NATINF pour nature d’infraction) que comporte le code pénal qui devait être finalisée en avril 2021. Il en résultera une nouvelle nomenclature française des infractions (NFI) compatible à la fois avec l’approche internationale et le droit français.

Des travaux de rapprochement ont été engagés par le SSMSI et la SDSE mais seulement sur la lutte contre les stupéfiants et les violences conjugales. Il est à noter que ces deux services ont en commun d’être des services statistiques ministériels, soumis à une déontologie scientifique qui ne s’impose pas à d’autres administrations.

c.   L’évolution du document de politique transversale consacré à la lutte contre la fraude fiscale

Dans leur rapport initial, les rapporteurs avaient réclamé un document de politique transversale annexé au projet de loi de finances, pour retracer l’ensemble des moyens consacrés à la lutte contre la délinquance financière.

Il existe depuis 2005 un document de politique transversale consacré à la lutte contre la fraude fiscale qui a été progressivement enrichi. Les dernières modifications votées depuis la publication du rapport initial portent, d’une part, sur le champ couvert par le document qui s’étend désormais à la fraude « en matière d’impositions de toutes natures et de cotisations sociales », d’autre part, sur l’obligation de mentionner l’organisation et les moyens consacrés par les forces de l’ordre et la justice à cette politique interministérielle, ainsi qu’« une analyse statistique interministérielle consolidant les poursuites administratives et judiciaires, les jugements et les recouvrements par typologie d’infractions ».

Ainsi, une partie du chemin a été parcourue dans le sens où le DPT est plus complet que celui présenté dans le cadre de la loi de finances pour 2019, mais il reste lacunaire. En effet, il ne traite que de la fraude aux finances publiques et qu’incidemment des moyens affectés à la lutte contre la délinquance financière.

Ni le ministère de l’intérieur ni, a fortiori, le ministère de la justice ne sont en mesure de détailler les moyens qu’ils consacrent à lutter contre la fraude aux finances publiques ou à la délinquance financière.

Les obstacles rencontrés par les ministères de l’intérieur et de la justice
pour remplir leurs engagements pour renseigner le DPT

L’organigramme de l’administration centrale du ministère de l’intérieur isole la brigade nationale de répression de la délinquance financière (BNRDF) qui se dédie à la lutte contre la délinquance fiscale et l’Office central de lutte contre le travail illégal (OCLTI) qui relève de la gendarmerie. Ces deux entités ont une vocation exclusive qui permet d’affecter leur personnel (mais aucun crédit) à la politique transversale – encore que la fraude au travail illégal ne porte pas seulement préjudice aux finances publiques, elle fausse également la concurrence quand les règles relatives aux conditions de travail ne sont pas respectées –, mais d’autres offices centraux tels que l’OCLCIFF, l’OCRGDF ou l’OCLAESP qui traque les trafics de médicaments sont régulièrement sollicités. Par ailleurs, il est quasiment impossible de descendre à l’échelon territorial surtout que la direction centrale de la sécurité publique envisage la disparition de certaines brigades financières pour les fondre au sein d’unités plus généralistes.

Du côté de la justice, l’exercice se révèle sans doute encore plus compliqué malgré l’existence de juridictions spécialisées. Le PNF traite essentiellement de fraude aux finances publiques (carrousels de TVA, trafic d’influence…) et de délinquance financière (corruption, délits boursiers…), mais les juridictions interrégionales spécialisées (JIRS), dont la JUNALCO, la section F2 du parquet de Paris, sont amenées à se saisir d’affaires liées au crime organisé, c’est‑à‑dire au trafic de stupéfiants et à la traite d’êtres humains qui n’entrent pas dans le périmètre de la délinquance financière.

En l’état, une définition plus précise de la délinquance financière et un travail de comptabilité analytique sont indispensables pour que les administrations puissent répondre aux exigences du législateur. En tout état de cause, le DPT relatif à la lutte contre la fraude aux finances publiques ne représente qu’une partie de la proposition n° 3 des rapporteurs sur ce point précis.

Néanmoins, le DPT comporte des informations intéressantes sur le traitement judiciaire des dossiers de fraude fiscale (cf. infra), bien qu’il ne s’agisse que de fraude fiscale stricto sensu, et il conviendra de suivre les tableaux fournis et de les comparer avec d’autres, tout particulièrement les données portant sur les condamnations.

 


—  1  —

II.   UNE INTERMINISTÉRIALITÉ EN COURS DE CONSTRUCTION ET PLUS OU MOINS ABOUTIE

La nécessité d’améliorer la coordination entre les ministères se fait sentir depuis longtemps. L’une des premières structures interministérielles à voir le jour a été la task force TVA créée en 2014 pour contrer une fraude considérable et très difficile à arrêter compte tenu de sa volatilité (sociétés éphémères) et de sa composante internationale. Depuis, elle a fait école.

A.   L’ÉVALUATION PAR LE GAFI, AIGUILLON DE LA COOPÉRATION ENTRE ADMINISTRATIONS EN MATIÈRE DE LUTTE CONTRE LE BLANCHIMENT

L’évaluation par le GAFI a été l’occasion pour le COLB de stimuler les efforts de tous les participants pour parfaire un dispositif anti-blanchiment français déjà robuste et renforcer la coordination entre les nombreux acteurs engagés dans cette politique.

1.   Le COLB et son action

a.   Le COLB et ses missions

Créé en 2010, le COLB a pour rôle de piloter et de coordonner la lutte contre le blanchiment, et c’est la direction générale du Trésor qui en assure le secrétariat. Depuis l’ordonnance n° 2020‑115 du 12 février 2020 de transposition de la 5ème directive européenne anti-blanchiment, ses missions, énumérées dans l’article D. 565‑51 du code monétaire et financier, ont été élargies et sont désormais au nombre de cinq :

– assurer la coordination entre les différentes instances chargées de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme pour améliorer leur efficacité ;

– renforcer les échanges d’information entre les instances de prévention et de répression ;

– favoriser la concertation avec les professions assujetties à une obligation de vigilance, de façon à mieux s’assurer de leur coopération ;

– proposer des améliorations au dispositif national, préventif et répressif, de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme visant à alimenter un plan d’actions interministériel, en suivre la mise en œuvre et en apprécier l’efficacité ;

– établir et publier les statistiques relatives aux moyens mis en œuvre et aux résultats de la LCB‑FT.

Le COLB recrute au‑delà de la sphère ministérielle puisqu’il réunit tous les mois une trentaine d’acteurs :

– du volet préventif : la direction générale du Trésor, les autorités de contrôle et de sanction, les instances ordinales des professions réglementées (notaires, avocats, experts-comptables) ;

– du volet répressif : les services de renseignement, les services d’enquêteurs spécialisés.

Pour couvrir l’ensemble du spectre de la délinquance financière et compléter sa connaissance des phénomènes criminels, le COLB s’est vu adjoindre de nouveaux membres en 2020 : la Mission interministérielle de coordination anti‑fraude – la MICAF – (cf. infra), la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), l’Agence française anticorruption (AFA) et le SSMSI.

Pour garantir le succès de l’évaluation, le Gouvernement a très tôt mis en place une structure de pilotage interministérielle, en « mode projet ». Sous l’égide du ministère de l’économie et des finances, les ministères de l’intérieur, de la justice, de l’action et des comptes publics, mais aussi le ministère des affaires étrangères se sont mobilisés. La task force, d’une vingtaine de personnes dédiées exclusivement à la préparation de l’évaluation, se réunit chaque semaine. Cette équipe s’appuie sur des référents GAFI désignés dans chaque administration.

Ce type de fonctionnement interministériel a créé un cadre d’échanges propice au retour d’expérience des différents acteurs et permis de travailler à des solutions concrètes à l’échelle administrative. Il a été salué par le sous‑directeur de la lutte contre la criminalité financière (SDLCF) du ministère de l’intérieur, qui a déclaré aux rapporteurs que cette mobilisation autour d’un objectif commun avait appris aux services à mieux coopérer. Il est à souhaiter que ce jugement soit partagé par l’équipe du GAFI chargée de l’évaluation qui se rendra à Paris au cours de l’été 2021 car le précédent rapport avait souligné la faiblesse de la coordination entre les différents acteurs et donnant pour conclusion la création du COLB.

b.   L’analyse nationale des risques

Le COLB, en concertation avec les acteurs concernés, a donc dressé une typologie des risques auxquels les différents secteurs sont exposés et évalué leur degré de vulnérabilité qui varie en fonction des mesures de prévention et de surveillance déjà en vigueur.

RÉcapitulatif des cotations de risque

Source : COLB.

La dernière version, publique, est parue en septembre 2019 et fait suite à deux ans de travaux.

Les circuits de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme

Il ressort de l’analyse nationale des risques (ANR) que, s’agissant du blanchiment de capitaux, la France est exposée à trois menaces criminelles majeures et deux menaces, moins importantes en volume, mais à l’impact social fort :

– les fraudes fiscales, sociales et douanières ;

– le trafic de stupéfiants ;

– l’ensemble des escroqueries et des vols ;

– le trafic d’êtres humains ;

– la corruption et les atteintes à la probité.

En matière de financement du terrorisme, les vecteurs principaux sont :

– les réseaux de collecteurs de fonds ;

– l’instrumentalisation du secteur associatif ;

– le recours à des modes de financement innovants.

Les secteurs identifiés à risques en matière de financement du terrorisme sont certains crédits à la consommation et certaines associations en secteurs sensibles.

Le secteur financier français, de par la forte accessibilité des services bancaires et financiers et un maniement direct des fonds par les établissements financiers, concentre l’essentiel des risques de blanchiment des capitaux. C’est ce qui justifie la régulation extrêmement forte et le cadre préventif mis en œuvre sur ce secteur.

Le secteur non financier peut également être instrumentalisé à des fins de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme. Du fait de son poids dans l’économie et de son dynamisme, le secteur immobilier est exposé à une menace importante, en ce qui concerne notamment les acquisitions immobilières. Les secteurs des jeux, de l’art et du luxe, plus réduits, sont caractérisés par un anonymat important et donc plus susceptibles d’être instrumentalisés à des fins criminelles. Les professions du chiffre et du droit, et les professions proposant des services aux particuliers et aux entreprises (comme la domiciliation) sont également exposées à la menace soit du fait de leur activité de maniement de fonds, soit du fait de leur exposition à une clientèle risquée.

Les services de change manuel et de transmission de fonds, les prestataires de monnaies électroniques, les banques privées, les plateformes de financement participatif et les secteurs de l’art et du luxe sont identifiés comme les secteurs les plus à risque.

L’ANR a vocation à être actualisée tous les deux ans, la prochaine version paraîtra donc à la fin de l’année 2021, afin d’actualiser les connaissances avec les autorités de régulation et Tracfin qui dresse chaque année une cartographie des risques.

c.   Le plan d’action 2021-2022 contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme

Depuis l’année dernière, le COLB est chargé de proposer et de suivre un plan d’action interministériel destiné à adapter le dispositif national à l’évolution des formes de délinquance. Signé par le Premier ministre et cinq ministres, le premier plan, qui couvre la période 2021‑2022, a été publié le 24 mars 2021. Il constitue une réponse à l’ANR de 2019, aux faiblesses identifiées à l’occasion de la préparation de l’évaluation GAFI et aux discussions informelles entre les différentes autorités de la task force.

Le secrétariat du COLB en assurera le suivi continu.

Le plan d’action 2021-2022
contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme

Le plan s’articule autour de cinq axes prioritaires, chacun se déclinant en plusieurs actions opérationnelles dont quinze ont été mises en œuvre.

– Le premier axe concerne le volet préventif ou « la connaissance client » : il prévoit un renforcement du dialogue entre les acteurs du préventif et les acteurs du répressif, ainsi qu’une intensification de la supervision sur les secteurs financier et non financier, particulièrement le secteur de l’or et des pierres précieuses. Un réseau sera mis en place, composé de référents locaux LCB‑FT dans chaque territoire d’outre‑mer, permettant aux autorités locales de partager leurs expériences pour, in fine, améliorer l’efficacité du dispositif dans ces territoires.

– Le deuxième axe traite de la transparence financière : l’existence d’un registre des bénéficiaires effectifs permettant aux professionnels assujettis et aux autorités compétentes de systématiquement identifier la personne physique derrière chaque personne morale constitue la pierre angulaire du système français. L’ouverture gratuite des données de ce registre au public consolidera encore les garanties de transparence financière.

Le plan prévoit également la modernisation et la refonte du répertoire national des associations afin d’en améliorer l’ergonomie.

– Le troisième axe concerne les enquêtes et les poursuites : les prérogatives de Tracfin sont renforcées afin de permettre à la cellule de renseignement d’intercepter les flux illicites et d’empêcher leur réalisation, notamment par le recours accru à l’intelligence artificielle rendant le traitement des déclarations de soupçons et la supervision des autorités de contrôle plus efficients.

Le plan formalise la coordination des autorités compétentes avec la détermination d’une stratégie répressive partagée par tous les acteurs. Plusieurs actions concourant à mieux expliciter la politique pénale anti-blanchiment passeront par une circulaire du garde des sceaux ainsi que l’animation d’un réseau de référents blanchiment dans tous les parquets.

– Le quatrième axe est relatif au dispositif de gel des avoirs : l’ordonnance n° 2020‑1342 du 4 novembre 2020 permet une mise en œuvre sans délai de toutes les mesures de gel. L’ordonnance n° 2020‑1544 du 9 décembre 2020 renforce le dispositif applicable aux crypto‑actifs, démontrant la réactivité des autorités françaises face à cette menace émergente et complexe, notamment à la suite du démantèlement d’un vaste réseau de financement du terrorisme qui utilisait les cryptomonnaies.

– Le dernier axe renforce la coordination de la politique nationale, en particulier dans le domaine statistique (cf. infra).

2.   Un dispositif robuste

Notre pays a toujours été en pointe dans la lutte contre le blanchiment et pris des initiatives au plan international. Ce volontarisme explique que le dispositif national se déploie largement et soit considéré comme efficace par les institutions répressives.

Les établissements assujettis sont tenus d’adresser des déclarations de soupçon à Tracfin qui recueille également des signalements (appelés informations de soupçon) de la part des administrations (fisc, services de renseignement, greffes des tribunaux de commerce…) et des organismes de supervision (Autorité de contrôle prudentiel et de résolution – ACPR –, greffes des tribunaux de commerce…). Le service exploite ces informations centralisées et adresse des signalements principalement aux autorités judiciaires, à la DGFiP, mais aussi aux organismes sociaux et surtout aux services de renseignement au titre de la lutte contre le terrorisme.

REPRÉSENTATION SCHÉMATIQUE DU DISPOSITIF DE LCB-FT FRANÇAIS

* La direction des affaires civiles et du sceau (DACS) du ministère de la justice exerce une tutelle sur l’ensemble des professions du chiffre et du droit, à l’exception des experts-comptables, dont la tutelle est assurée par la direction générale des finances publiques (DGFiP).

Source : COLB.

L’organisation repose sur :

– un modèle équilibré entre les obligations de détection incombant aux assujettis et à leurs autorités de tutelle et la répression – enquêtes et poursuites – ;

– une coordination efficace passant par le COLB et par Tracfin, qui favorisent les échanges entre les deux versants du dispositif.

a.   Un périmètre d’assujettissement large qui arrive à maturité

Depuis 2019, le périmètre des professions assujetties a été ajusté et élargi pour mieux cerner les activités à risque, notamment les opérations sur crypto‑actifs. Ainsi, les rapporteurs se félicitent que leurs propositions en la matière aient été mises en œuvre. Désormais les caisses autonomes des règlements pécuniaires des avocats (CARPA) sont tenues à une obligation de vigilance depuis l’ordonnance de transposition de la 5ème directive anti-blanchiment du 12 février 2020, dépassant ainsi les exigences du GAFI (proposition n° 4).

De même, les obligations déclaratives se sont renforcées pour les opérateurs de cryptoactifs (proposition n° 1) depuis l’ordonnance n° 2020‑1544 du 9 décembre 2020. Sont désormais inclus, outre les activités désignées dans la loi PACTE :

– les services d’échange d’actifs numériques contre d’autres actifs numériques ;

– l’exploitation d’une plateforme de négociation d’actifs numériques.

En outre, tous ces professionnels ont interdiction de tenir des comptes anonymes et ont obligation de s’enregistrer auprès de l’Autorité des marchés financiers (AMF). Ces obligations vont au‑delà des recommandations du GAFI.

Sont également entrés dans le périmètre les greffiers des tribunaux de commerce.

b.   Une plus grande transparence

L’augmentation des exigences en matière de transparence des personnes morales (les sociétés, les fiducies et les trusts) à travers la connaissance de leurs bénéficiaires effectifs (les personnes physiques derrière les personnes morales) est un des instruments de lutte contre le blanchiment de capitaux et la fraude fiscale. Les données financières et nominatives sont recensées dans le registre des bénéficiaires effectifs qui est tenu à jour par les greffiers des tribunaux de commerce. Ce fichier est désormais accessible gratuitement.

Le registre des bénéficiaires effectifs

La directive (UE) 2018/843 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018, modifiant la directive (UE) 2015/849 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme, a renforcé les modalités de tenue des registres des bénéficiaires effectifs.

Elle a été transposée en droit français par l’ordonnance n° 2020‑115 du 12 février 2020 et les décrets n° 2020‑118 et n° 2020‑119 du 12 février 2020. L’article L. 561‑2‑2 du code monétaire et financier dispose que « le bénéficiaire effectif est la ou les personnes physiques : soit qui contrôlent en dernier lieu, directement ou indirectement, le client ; soit pour laquelle une opération est exécutée ou une activité exercée ».

Les inscriptions se font auprès du greffe des tribunaux de commerce.

Déployé à compter du 1er août 2017, le registre des bénéficiaires effectifs est censé comporter l’ensemble des sociétés cotées, GIE et autres personnes morales inscrites au registre du commerce et des sociétés (RCS), soit les personnes qui détiennent, directement ou indirectement, plus de 25 % du capital ou des droits de vote de la société. Le dispositif est progressivement monté en charge puisque les sociétés constituées avant cette date avaient jusqu’au 1er avril 2018 pour déposer la liste de leurs bénéficiaires. Actuellement, les greffiers estiment que fort de 3,5 millions d’informations sur les bénéficiaires effectifs, le registre a un degré de complétude de ¾ de la cible attendue. Les principales structures défaillantes sont les sociétés civiles (SCI notamment).

Cette complétude partielle empêche de considérer cet outil comme totalement performant pour l’élucidation des schémas de blanchiment. Il demeure néanmoins un adjuvant intéressant dans la confrontation des informations à la disposition des services d’enquête qui ont par ailleurs accès à la base nationale des données patrimoniales de la DGFiP, pour reconstituer les organigrammes et réseaux criminels.

Le registre est ouvert au public par l’intermédiaire de l’Institut national de la propriété industrielle (INPI) depuis la mi‑avril 2021. Son accès est gratuit.

c.   Un mécanisme efficace de gel des avoirs criminels

Un mécanisme rapide et efficace de gel des avoirs criminels est un puissant outil d’entrave financière à toutes les activités illicites. C’est pourquoi il est devenu un outil central dans l’arsenal antiterroriste. Le dispositif permet la mise en œuvre efficace et rapide des désignations des conseils de sécurité des Nations unies et de l’Union européenne.

Depuis 2015, la France a intensifié son recours aux mesures nationales de gel des avoirs par les services chargés de lutter contre le terrorisme. Entre 2015 et 2019, 198 mesures nationales initiales de gel des avoirs à titre de lutte contre le terrorisme et 243 renouvellements ont été pris.

Depuis décembre 2020, le COLB s’est assuré de la mise en œuvre sans délai, c’est‑à‑dire en moins de 24 heures, des mesures de gel décidées par l’ONU.

Le COLB assure également la communication sur ces sujets auprès des assujettis, du secteur financier comme du secteur non financier. Un flash info permet de les informer immédiatement de l’adoption d’une mesure de gel. Un registre centralisé recense plus de 2 500 mesures de gel d’avoirs, assurant leur bonne mise en œuvre. En outre, et c’est une amélioration sensible, les superviseurs opèrent des contrôles réguliers pour vérifier la mise en œuvre de ces mesures.

3.   Le rôle pivot de Tracfin dont l’activité continue d’augmenter

Pour adapter son action à l’évolution des techniques de blanchiment et de financement du terrorisme, Tracfin, qui est la pierre angulaire du dispositif de surveillance, s’est réorganisé.

Nouvelle organisation de Tracfin à partir d’avril 2021

Le Service comptera quatre départements et une cellule spécialisée.

→ Le département « renseignement et lutte contre le terrorisme » (DRLT) est en charge de la défense et de la promotion des intérêts fondamentaux de la Nation. Partenaire prioritaire des services de la communauté du renseignement, le DRLT contribue activement à l’exécution de la doctrine nationale énoncée par le plan national d’orientation du renseignement (PNOR). Il intervient ainsi dans les domaines de la lutte anti‑terrorisme, de la contre-prolifération, du renseignement d’intérêt économique, de la lutte contre toute forme d’ingérence criminelle et notamment dans le cadre de la lutte contre la criminalité organisée transnationale.

→ Le département « lutte contre la fraude » (DLCF) exerce les missions de lutte contre la fraude fiscale et sociale. Il est également en charge de la lutte contre la fraude douanière et la lutte contre les réseaux structurés de détournements de fonds publics et leur blanchiment.

→ Le département « lutte contre la criminalité économique et financière » (DCEFI) se compose de divisions généralistes incorporant chacune des cellules spécialisées en matière d’atteintes à la probité, d’usage de vecteurs spécialisés (domaines des jeux, de l’art, du secteur immobilier, etc.) et des réseaux criminels économiques et financiers complexes.

→ Le département « affaires institutionnelles et internationales » (DAII) assure l’animation des relations institutionnelles au niveau national avec les professionnels assujettis aux obligations du dispositif LCB‑FT, leurs autorités de contrôle, et au niveau international, avec les partenaires étrangers et les entités intervenant dans le domaine de la coopération internationale. Ce département est également en charge de la gestion des flux d’informations entrantes et de l’analyse typologique ou thématique destinée à orienter les capteurs du Service. Enfin, il assure la coopération internationale dans sa dimension opérationnelle.

→ La cellule « Cyber », rattachée à la direction, retrace les transactions financières effectuées sur la blockchain et identifie les flux financiers résultant d’opérations délictueuses commises sur le deep ou le dark web. La cellule assure également un rôle transverse en apportant son expertise à l’ensemble du Service sur tous les aspects de la cybercriminalité et des crypto-actifs.

Source : Tracfin.

a.   Les flux entrants

Le nombre annuel de déclarations de soupçon parvenant à Tracfin a plus que doublé depuis 2015 et il a été multiplié par cinq en dix ans, preuve de l’appropriation par les assujettis de leurs obligations.

DÉclarations de soupçon

Tracfin

 

2017

2018

2019

Variation

2019/2017

Professions financières

64 045

71 605

89 573

+ 39,9 %

Immobilier

178

274

376

+ 111,2%

Professions assermentées

3 107

3 048

3 837

+ 23,5 %

Opérateurs de jeu

1 226

1 311

1 839

+ 50,0 %

Autres

106

78

106

------------

Total prof. non fin.

4 617

4 711

6 158

+ 33,4 %

TOTAL

68 862

76 316

95 731

+ 39,4 %

Source : Tracfin.

Les professions financières sont évidemment la principale source d’information de Tracfin mais les efforts de sensibilisation auprès des autres professions, considérées comme exposées, commencent à porter leurs fruits. Mme Maryvonne Le Brignonen, directrice du service, se dit globalement satisfaite du bilan de la mise à disposition de lignes directrices par secteur ([17]), qui constituent des guides pour les entreprises, qui se double de rencontres régulières avec les partenaires pour dresser des bilans et définir des orientations.

Tracfin a relevé l’augmentation du nombre de déclarations de soupçon émanant des banques en ligne et des établissements de monnaie électronique (EME), lesquels ont doublé en deux ans le volume de leurs déclarations. Ces deux types d’entreprise étaient jusque‑là assez peu engagés dans le dispositif. Leur activité n’en reste pas moins en phase de rodage.

Parmi les professions non financières, ce sont les notaires qui déclarent le plus. L’activité de conseil fiscal des avocats est désormais assujettie et les caisses autonomes des règlements pécuniaires des avocats (CARPA) le sont également, et elles ont transmis à ce jour 14 déclarations de soupçon à Tracfin. L’immobilier, un secteur pourtant exposé, reste marginal, au moins en nombre d’opérations, malgré les contrôles opérés par les services de la DGCCRF qui exerce la tutelle. La Direction qui a effectué plus de 200 visites en 2018 constate à la fois une baisse du taux d’anomalie, bien qu’élevé, passé de 63 % en 2016 à 56 % en 2018 (principalement un défaut d’évaluation des risques) et un faible nombre de déclarations de soupçon.

Tracfin mesure la qualité des déclarations de soupçon par la proportion de celles qui font l’objet d’un flux sortant. Les « externalisations » ont été multipliées par quatre en dix ans et les déclarations de soupçon par cinq. Cette progression différenciée doit être interprétée à la lumière de l’élargissement du périmètre du dispositif de surveillance. Certaines professions exposées, très éloignées de ces préoccupations, ont dû faire leur apprentissage.

Dans le secteur financier, qui représentait 93,6 % des déclarations de soupçon en 2018, les transmissions sont plus étayées et plus exploitables qu’auparavant. Ainsi, le taux d’externalisation des banques augmente régulièrement ; celui des « banques privées » gérant les avoirs de la clientèle fortunée est passé de 40 % en 2017 à 53 % en 2019.

Dans le secteur non financier, plus poreux aux différents risques car la culture de la lutte contre le blanchiment y est moins ancrée, Tracfin a souligné l’implication des administrateurs et mandataires judiciaires, mais également des greffiers des tribunaux de commerce qui, dès leur assujettissement, se sont montrés très coopératifs, notamment en matière de fraude à la TVA et de sociétés éphémères.

La typologie des déclarants établie par Tracfin

Selon la typologie établie par Tracfin, il faut distinguer à grands traits :

– les professions très impliquées en matière de lutte LCB‑FT, disposant d’une bonne appréhension globale des enjeux et risques liés à leur activité respective : les administrateurs et mandataires judiciaires et les greffiers des tribunaux de commerce, avec lesquels des partenariats étroits à visées opérationnelles ont été développés ; dans une moindre mesure, les opérateurs de jeux sous droit exclusif (FDJ, PMU) et le secteur des jeux en ligne qui ont mis en place des outils de détection performants ;

– les professions qui remplissent leurs obligations déclaratives, mais dont les signalements, de qualité très disparate, révèlent des faiblesses récurrentes d’analyse et de contextualisation du soupçon qui nuisent à l’exploitabilité opérationnelle des informations : les notaires, premier contributeur non financier en termes quantitatifs, mais qui éprouvent des difficultés à correctement identifier les situations à risque et à interpréter de manière pertinente les critères d’alerte, souvent par manque de formation en matière de LCB‑FT ; les casinos, qui présentent des bilans très différenciés en fonction de la taille des établissements et un maillage inégal du territoire national ;

– les professions dont l’activité déclarative est très en-deçà, tant d’un point de vue quantitatif que qualitatif, de ce qui pourrait être attendu au regard des risques identifiés : les huissiers, experts-comptables et commissaires aux comptes, professions sur lesquelles un effort qualitatif et quantitatif notable est attendu ; les professionnels de l’immobilier, dont la contribution, concentrée sur quelques régions uniquement, ne reflète pas le volume des transactions immobilières réalisées sur l’ensemble du territoire, les maisons de vente ;

– les professions dont le nombre de déclarations de soupçon (DS) est très faible : les avocats, et généralement, les professions du chiffre et du droit. Parmi les autres professions qui font très peu de déclarations, on retrouve les sociétés de domiciliation (volume déclaratif faible de 23 DS au regard de la population des domiciliataires, entre 2 500 et 3 000) ; les galeristes et antiquaires ; enfin les agents sportifs (aucune DS depuis leur assujettissement en 2010) et les vendeurs de métaux précieux.

Tout d’abord, Tracfin souligne l’hétérogénéité des déclarations dans tous les secteurs. Au sein des professions financières, ont été pointés du doigt les compagnies d’assurance, les établissements de monnaie électronique, les changeurs manuels. En général, les acteurs de poids se montrent plus vigilants. Par ailleurs, la banque privée se focalise sur le bas du spectre de sa clientèle. En effet, 71,5 % des déclarations concernent des signalements inférieurs à 100 000 euros. Une plus grande attention devrait être portée au comportement des personnes morales et aux montages juridiques. La directrice du service a également signalé un défaut d’enregistrement des intermédiaires en financement participatif, les « cagnottes », la plupart par méconnaissance de leurs obligations.

Par ailleurs, la supervision des organismes indépendants, comme l’ACPR ou l’AMF, est plus rigoureuse que les instances ordinales.

Les contrôles de l’ACPR en 2019

En matière de LCB‑FT, 34 missions de contrôle sur place ont été diligentées en 2019, dont 4 outre‑mer. À l’issue des contrôles sur place, l’ACPR transmet à Tracfin les défauts de déclaration de soupçon relevés au cours des missions, ainsi qu’à l’administration fiscale en présence d’un critère de fraude fiscale.

En 2019, la Commission des sanctions de l’ACPR a prononcé 6 sanctions disciplinaires en matière de LCB‑FT, dont une radiation à l’encontre d’un changeur manuel, portant à 43 le nombre total de sanctions prononcées par l’ACPR en cette matière depuis 2011, dont 27 sur les quatre dernières années. Les sanctions prononcées en 2019 ont inclus des sanctions pécuniaires d’un montant cumulé atteignant 4,2 millions d’euros. En outre, 8 mises en demeure ont été prononcées et 18 lettres de suite ont été adressées aux organismes.

Source : ACPR, rapport annuel 2019.

Tracfin s’est aperçu également que certains membres des professions du chiffre et du droit ont élaboré une stratégie de contournement en développant, parallèlement à leur activité réglementée, des entités juridiquement distinctes, enregistrées sous des codes APE qui les exonèrent de leurs obligations puisqu’elles ne sont pas citées à l’article L. 561‑3 du code monétaire et financier ou dont les dirigeants désignés n’appartiennent pas aux professions assujetties.

Enfin, l’habileté de certains acteurs leur permet d’échapper aux mailles du filet d’une législation française particulièrement stricte. Ainsi, Tracfin a signalé aux rapporteurs qu’il existait des plateformes d’échange de crypto‑actifs qui, en jouant sur les subtilités juridiques, parvenaient à ne relever d’aucun ressort national, par exemple en s’implantant dans des pays où la localisation du serveur n’entre pas dans les critères d’assujettissement. Elles échappent donc à toute surveillance. Il faudrait pouvoir juridiquement forcer une plateforme à se rattacher à un pays.

Par ailleurs, Tracfin reçoit également des « informations de soupçon » en provenance d’autres sources, en particulier des services de renseignement ou d’organes de supervision qui collectent des informations liées à des faits de blanchiment, de fraude ou de financement du terrorisme. Ces informations sont passées successivement de 1 011 en 2017 à 1 136 en 2018, puis à 2 301 en 2019.

Cette progression est liée à la prise en compte de 465 informations reçues des greffes des tribunaux de commerce sans lesquelles la hausse s’élèverait à 62 %. Une forte hausse du nombre des informations reçues en provenance des membres de la communauté du renseignement est constatée : 1 315 informations reçues en 2019 contre 758 en 2018, soit une augmentation de 73 %, qu’elles le soient à des finalités uniquement documentaires (325 informations) ou dans un objectif d’exploitation opérationnelle (990 demandes). Les signalements en provenance de l’ACPR sont aussi en forte augmentation : 343 en 2019 contre 147 en 2018.

Le dernier rapport d’activité publié signale que la DGFiP a été à l’origine d’un nombre élevé de transmissions administratives liées à :

– des faux ordres de virement (57) car les tentatives de fraude sont reparties à la hausse ;

– des alertes de la task force TVA (20).

Parmi les informations reçues, 30 % concernent la fraude fiscale, une proportion identique à celle fournie en 2018.

b.   Les flux sortants

Toute la plus‑value de Tracfin réside dans l’analyse des données qu’il recueille et dans les informations qu’il transmet aux autorités publiques.

Source : Tracfin.

Les flux à destination de l’autorité judiciaire s’inscrivent en hausse depuis 2017, même si l’augmentation ralentit ces deux dernières années.

Nombre de transmissions judiciaires

Source : Tracfin, rapport annuel 2019.

Le nombre de présomptions d’infractions pénales est stable, compris dans une fourchette de 450 à 500 par an, pour un enjeu financier moyen de 790 000 euros.

Les infractions sous‑jacentes sont le blanchiment (45 % environ), le travail dissimulé (31 %) et l’escroquerie (19 %) ; et la cour d’appel de Paris a reçu plus de 47 % des transmissions du service et, si l’on ventile par JIRS, plus de 60 % des notes sont destinées à la JIRS de Paris.

Outre les soupçons d’infractions pénales, Tracfin diffuse l’information dont il dispose auprès de la justice ou des services d’enquête qui ont reçu en 2019 309 notes, dont 166 étaient adressées au parquet national antiterroriste (PNAT).

Tracfin répond également aux réquisitions judiciaires, au nombre de 128 en 2019 contre 184 en 2018. Elles ont concerné 4 278 personnes ou comptes bancaires et, dans 45 % des cas, le service détenait des informations potentiellement intéressantes pour les expéditeurs.

Entre 2014 et 2019, Tracfin a effectué 2 789 transmissions auprès de l’autorité judicaire. Sur ces 2 789 transmissions, Tracfin a obtenu – spontanément ou sur requête du département juridique et judiciaire – 80 % de retours.

c.   Une meilleure communication avec la justice

La communication avec la justice était une source de préoccupation pour les rapporteurs. Or, depuis deux ans, l’amélioration est sensible.

Afin de renforcer l’efficacité des retours justice, a été déployé dans l’ensemble des juridictions l’applicatif sécurisé TRAJET. Il a fait l’objet d’une dépêche de la DACG et de la DSJ le 4 mars 2021 annonçant son déploiement entre le 15 mars et le 15 avril 2021. Il permet dorénavant :

– de dématérialiser les transmissions judiciaires et spontanées effectuées par Tracfin à l’autorité judiciaire ;

– d’informer Tracfin des suites qui auront été apportées par l’autorité judiciaire, dans un premier temps aux seules transmissions judiciaires ([18]) fondées sur l’article L. 561‑30‑1 du code monétaire et financier (CMF), puis dans un second temps également aux transmissions d’informations ([19]) fondées sur l’article L. 561‑31 du CMF.

Bien que n’étant plus dirigé par un magistrat, le Service entretient des relations très étroites avec les parquets (principalement avec le parquet national financier – PNF –, le PNAT et le parquet du tribunal judiciaire de Paris). Il existe à la fois des relations opérationnelles très régulières entre les magistrats travaillant à Tracfin et ces parquets, avec des contacts quotidiens, à chaque transmission judiciaire. Des contacts existent par ailleurs avec les parquets des juridictions de la région parisienne (Bobigny, Créteil notamment), ainsi qu’en province dans une moindre mesure puisque les magistrats présents au sein de Tracfin tentent de se déplacer régulièrement, particulièrement dans les JIRS. La coopération opérationnelle et institutionnelle est de même qualité avec l’autorité judiciaire qu’avec les administrations fiscale et sociale. Dans le cadre de la fraude au chômage partiel, par exemple, les échanges avec les parquets ont été très efficaces, avec des chaînes de transmission et des prises de décisions particulièrement rapides, permettant ainsi des enchaînements efficients entre exercice du droit d’opposition par Tracfin et saisies pénales par les parquets.

Les autres transmissions se sont montées à 2 784 en 2019, contre 2 334 l’année précédente, soit une hausse de plus de 19 %. Cette activité a pris de l’importance avec l’effort toujours soutenu de lutte contre le terrorisme, objet de 1 190 notes à l’intention principalement de la communauté du renseignement, et de la procédure de note « flash », ciblant des dossiers de fraude plus simple et de moindre enjeu, qui ont permis une intensification des flux en sortie.

Dans le champ de la présente évaluation, le destinataire privilégié des notes est la DGFiP.

Notes destinÉes À la DGFiP

Source : Tracfin, rapport annuel 2019.

La typologie de la fraude sous-jacente se ventile de la façon suivante :

Cette répartition correspond peu ou prou à celle du flux entrant : l’activité non déclarée occupe la première place, suivie de la détention d’avoirs à l’étranger, et 13 % des notes ont trait à la TVA, une fraude qui concerne à 75 % des cas les activités déclarées.

Les deux tiers des notes adressées à la DGFiP donnent lieu à des contrôles, et, sur les trois années 2016‑2018, les droits rappelés ont atteint 205 millions d’euros, auxquels se sont ajoutées des pénalités à hauteur de 120 millions d’euros.

Les organismes sociaux sont également destinataires des notes de Tracfin, entre 220 et 260 par an depuis 2017. L’Agence centrale des organismes de sécurité sociale est destinataire de 81 % des notes qui portent surtout sur la fraude aux cotisations sociales (194 dossiers) et, dans une moindre proportion, aux prestations sociales (43 dossiers).

B.   DES PROJETS EN COURS PLUS OU MOINS ABOUTIS

La coopération interministérielle permet à la lutte contre la délinquance financière d’être plus efficace. Elle est donc à l’ordre du jour partout, mais avec des vicissitudes selon les domaines.

1.   Une gestion commune des saisies sur la bonne voie

La gestion des saisies et des confiscations est un enjeu essentiel – les saisies sont d’ailleurs intégrées aux indicateurs de performance des services – dans un contexte où la pertinence des peines d’emprisonnement est discutée, au moins pour certains délits et a fortiori pour la délinquance financière dont le but premier est l’enrichissement personnel ([20]). Dans ce domaine, l’activité a été intense même si les propositions du rapport ont connu des fortunes diverses.

Le contexte est ainsi favorable à l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, l’AGRASC. Elle a fait l’objet d’un rapport par nos collègues Jean‑Luc Warsmann et Laurent Saint‑Martin qui ont été chargés par le Premier ministre d’une mission pour proposer des améliorations de l’ensemble de la chaîne de gestion des saisies, qui implique services d’enquête, greffes et magistrats.

L’AGRASC, un établissement public administratif renforcé
pour une gestion dynamique des confiscations

La croissance des effectifs : depuis la fin de l’année 2018, les effectifs, composés approximativement de 55 % de magistrats et greffiers, et de 35 % d’agents des finances et de 10 % de gendarmes et policiers, sont passés de 35 à 61, soit une hausse de plus de 70 % en à peine plus de deux ans que le directeur justifie en rappelant qu’un euro investi dans l’AGRASC en rapporte trois au budget de l’État.

La nouveauté substantielle réside dans l’ouverture de deux antennes locales, couvrant les cours d’appel d’Aix‑en‑Provence et Lyon, où les portefeuilles étaient comparables en montants – entre 30 et 40 millions d’euros. Il s’agit d’un début de mise en œuvre d’une des recommandations du rapport Warsmann-Saint‑Martin, l’objectif visé étant de rapprocher la gestion des scellés des tribunaux, en lui donnant une tonalité interministérielle, afin d’apporter une assistance de proximité dans un domaine jugé non prioritaire dans les juridictions. Dix personnes y ont été affectées, six à Marseille et quatre à Lyon.

Un effort indispensable pour réduire le stock : au niveau central, le solde du compte ouvert à la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et sur lequel sont déposés les avoirs saisis ne cesse de gonfler.

Montant des fonds du compte de l’AGRASC à la Caisse des dépôts

Source : AGRASC.

Preuve que les consignes sont mieux appliquées, les entrées sur le compte augmentent régulièrement. Et, abstraction faite d’un dossier exceptionnel d’un montant de 90 millions d’euros en 2019, le niveau des nouvelles saisies aura été équivalent en 2020, voire légèrement supérieur, malgré le confinement.

Des mesures ont été prises pour solder les dossiers les plus anciens. Pour les dossiers dont la valeur en litige est inférieure à 10 000 euros, une disposition de la loi de finances pour 2020 autorise le versement automatique au budget général de l’État, soit 27 000 dossiers pour un total de 20 millions d’euros. L’équipe mobile de renfort, soit quatre personnes, s’attaquera aux 2 700 dossiers en souffrance, qui représentent un montant de 357 millions d’euros, et aux saisies immobilières en déshérence.

a.   Une priorité absolue : une base de données commune

L’AGRASC ne peut traiter que les dossiers dont elle a connaissance. Il est donc primordial qu’elle soit informée des saisies prononcées par les juridictions. Dans le cas contraire, les scellés sont abandonnés à leur sort, avec au mieux, une perte de valeur, au pire, des frais supplémentaires qui grèvent le budget de l’État. C’est pourquoi les rapporteurs préconisaient la création d’une base de données (proposition n° 24), une solution reprise par le rapport Warsmann-Saint‑Martin. Un guide utilisateur et un guide de bonnes pratiques, portant la marque de l’AGRASC et de la DSJ, viennent d’être diffusés pour inciter les juridictions à utiliser le module Cassiopée scellés, qui est désormais à la disposition des cours d’appel, en proposant des sessions de formation. Les parlementaires en mission franchissaient un pas supplémentaire en envisageant même un blocage du logiciel de procédure si les champs concernant les scellés n’étaient pas convenablement renseignés. Le ministère n’a pas voulu faire preuve d’une telle rigueur d’autant que la réforme bute sur le goulet d’étranglement que constituent les greffes qui sont en grande difficulté. Néanmoins, pour peu que Cassiopée scellés soit généralisé – ce qui est l’objectif d’une dépêche du 4 juin 2019 et l’applicatif est désormais déployé dans 149 tribunaux judiciaires sur 168 – et convenablement alimenté, la base de données qui en résulterait contribuerait incontestablement à dynamiser la gestion. Cela étant, la direction régionale de la police judiciaire (DRPJ) de la préfecture de police de Paris a déclaré aux rapporteurs ne pas avoir remarqué d’évolution notable pour ses enquêteurs.

b.   Le développement des ventes avant jugement

Toute entreprise le sait, les stocks génèrent des coûts. Pour ce qui est des biens saisis par la justice, il s’agit principalement de véhicules dont la valeur vénale se déprécie rapidement quand il ne faut pas payer des frais de gardiennage, voire de destruction car nombre de saisies sont de faible valeur. C’est pourquoi les rapporteurs avaient défendu la proposition n° 23 consistant à développer les ventes avant jugement de biens mobiliers (véhicules notamment) afin de maîtriser les coûts de gestion.

Les ventes avant jugement des biens meubles sont autorisées par les articles 41‑5 et 99‑2 du code de procédure pénale, et la récente dépêche de la DACG datée du 26 mars 2021 explique que la procédure doit être envisagée de manière systématique, y compris pour les immeubles dans le cadre de l’article 706‑152 du même code, c’est‑à‑dire quand les frais de garde ou d’entretien « sont disproportionnés par rapport à la valeur du bien ».

Pour fluidifier les procédures, et dans le sillage de l’ouverture de ses deux antennes locales, l’AGRASC est chargée depuis le 1er janvier dernier des ventes de biens meubles.

Deux points particuliers méritent attention.

D’une part, l’engorgement des chambres de l’instruction par le contentieux prioritaire de la détention provisoire est tel que le jugement en appel des ordonnances de saisie risque d’intervenir après la décision au fond. Un dysfonctionnement de ce type réduirait à néant les efforts de rationalisation de gestion ([21]).

D’autre part, il conviendrait de réfléchir à la politique à suivre en matière de crypto‑actifs. S’agissant de produits très spéculatifs, de plus en plus employés pour blanchir des fonds d’origine criminelle, leurs cours connaissent des variations d’ampleur considérable. Une conservation passive pourrait être mise en cause pour perte d’opportunité si la valeur du produit baisse, de même que si la vente intervient avant une envolée des cours.

c.   Simplifier les saisies-attributions au profit des services de l’État

Le développement des affectations aux services de l’État, recommandé par les rapporteurs (proposition n° 22), est intimement lié à celui des ventes avant jugement et ces deux points sont en cours de mise en œuvre.

La loi de finances pour 2021 a étendu le bénéfice de l’attribution de biens aux services judiciaires, si bien qu’une forme de concurrence pourrait s’instaurer entre les administrations puisque, auparavant, le dispositif existait au profit des seuls services d’enquête. Le directeur général de l’AGRASC a précisé que le mécanisme en cours de mise au point avec la DSJ veillera à préserver l’impartialité des magistrats qui seront à la fois juge et partie. Dans ce contexte, les ministères de l’intérieur et de l’environnement (puisque l’Office français de la biodiversité figure aussi dans la liste des attributaires potentiels) ont tout intérêt à revoir leurs circuits internes d’attribution, souvent sinueux et complexes. Par ailleurs, un mécanisme de péréquation est à l’étude au sein de l’AGRASC pour pouvoir attribuer un bien confisqué à un service d’un autre ressort. Il faudra veiller à conserver le souci de simplification qui a présidé aux récentes réformes.

d.   L’indemnisation des victimes

L’idée de puiser dans les confiscations des ressources pour venir en aide aux victimes n’est pas nouvelle. C’est d’ailleurs le schéma de financement retenu pour la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA), un schéma qui prévalait dans une certaine mesure pour l’Agence elle‑même qui, jusqu’à la fin de l’année 2020, s’autofinançait avec un prélèvement plafonné sur les confiscations et les revenus tirés de son compte à la CDC. La loi de finances pour 2021 a mis fin à cette anomalie, relevée par MM. Warsmann et Saint‑Martin puisque l’AGRASC est devenue un opérateur de l’État, dont le budget sera examiné par la représentation nationale ([22]).

Versements du produit des confiscations pénales

BGE : budget général de l’État.

* Les opérations exceptionnelles du BGE concernent en 2014 et 2016 le reversement du stock des tribunaux dont le statut n’a pas été identifié (article 24 de la loi n° 2013‑1117 du 6 décembre 2013) ; en 2019 le solde de trois assurances-vie confisquées et en 2020 : 90 % des affaires 2011‑2015 inférieures à 10 000 € dont le statut n’a pas été identifié (article de la LDF 2019).

** En 2019 une seule indemnisation représente 87 684 828 € (dossier Gecina).

Source : AGRASC.

Avec le temps, la liste des bénéficiaires a eu tendance à s’allonger. Ainsi, depuis la loi n° 2016‑444 du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées, le produit des confiscations prononcées à l’encontre des personnes coupables de proxénétisme et de trafic d’êtres humains peut abonder le financement d’actions de prévention et d’accompagnement des personnes prostituées. À ce titre, l’AGRASC a versé près de 450 000 euros en 2019, et 1 990 000 euros en 2020. Lors du débat du 26 mars dernier sur le rapport Warsmann-Saint‑Martin, a été évoqué l’accord franco‑italien mettant un appartement parisien, confisqué à un membre de la mafia calabraise, à la disposition de l’Amicale du Nid, qui aide les individus à sortir de la prostitution.

La loi du 8 avril 2021 améliorant l’efficacité de la justice de proximité et de la réponse pénale, issue d’une proposition de loi ([23]), prévoit que le procureur de la République pourra demander à l’auteur d’infractions de se dessaisir de l’instrument ou du produit de l’infraction au profit d’une personne morale sans but lucratif.

Se dessine ainsi une socialisation des biens confisqués telle qu’elle existe en Italie, laquelle saisit pour 2 milliards d’euros par an. La France n’en est pas là. M. Christophe Perruaux, chef de la JUNALCO, a toutefois expliqué aux rapporteurs l’intérêt de cette approche, notamment quand les enchères portent sur des biens immobiliers confisqués à des bandes criminelles et que les enchérisseurs sont rares.

Le projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, sur lequel députés et sénateurs se sont mis d’accord dans le cadre de la commission mixte paritaire le 24 juin dernier, devrait également changer la donne, s’agissant des « biens mal acquis », c’est‑à‑dire des biens acquis en France par des personnes politiquement exposées étrangères et corrompues. Il propose la création d’une cellule associant systématiquement l’AGRASC et l’Agence française de développement (AFD). Ce mécanisme, qui s’inspire d’une proposition de loi de M. Jean‑Pierre Sueur, adoptée à l’unanimité par le Sénat, permettra une réaffectation des biens mal acquis par l’intermédiaire d’un financement de projets de développement par l’AFD au bénéfice des populations victimes de corruption, en évitant le risque qu’ils ne soient détournés une nouvelle fois.

Au cours du récent débat, le Gouvernement a toutefois mis en garde contre cet enthousiasme unanime à verser le produit des saisies à des acteurs privés et renvoyé au résultat d’une expertise en cours chargée d’évaluer l’impact d’une telle réorientation des fonds qui ne doit pas se faire au détriment des forces de l’ordre.

Enfin, les rapporteurs souhaitent terminer en reprenant un sujet abordé par le rapport Warsmann-Saint‑Martin qui déplorait, d’une part, que les victimes soient mal informées des dispositions de l’article 706‑164 du code de procédure pénale qui leur permet d’être indemnisées rapidement par l’AGRASC. De ce fait, cette faculté est peu utilisée. D’autre part, ce même article prévoit que l’État peut ensuite exercer un recours à l’encontre du créancier pour récupérer les avances consenties aux parties civiles. Or, cette action récursoire n’a jamais été mise en mouvement, laissant ainsi échapper 8 millions d’euros pour l’année 2018. Le directeur général de l’AGRASC impute cette inertie de la DGFiP à l’analogie, fausse en l’occurrence, qu’elle établirait avec la Commission d’indemnisation des victimes d’infractions (CIVI). Dans ce domaine, les créanciers sont souvent impécunieux, et n’ont pour toutes ressources que les minima sociaux. En l’espèce, le cas de figure est bien différent, quand il s’agit de laboratoires médicaux par exemple. Des pourparlers sont en cours et il serait souhaitable qu’ils aboutissent rapidement pour mettre fin à cette anomalie et faire bénéficier l’État des actifs de certains délinquants.

e.   Créer un régime juridique spécifique aux cessions des biens immobiliers faisant suite à des confiscations

En revanche, aucun changement n’est intervenu en matière immobilière, et la proposition n° 25 visant à créer un régime spécifique de cession des biens immobiliers confisqués, de façon à s’extraire dans des circonstances particulières ([24]) du cadre très rigide du code général de la propriété des personnes publiques, est restée lettre morte. À la lumière des orientations de la politique pénale, les rapporteurs la réitèrent car ils sont convaincus de sa pertinence.

2.   Une nouvelle mission interministérielle pour coordonner et piloter la lutte contre la fraude aux finances publiques

Pour remédier au fonctionnement en silo des administrations impliquées dans la lutte contre la délinquance financière, les rapporteurs recommandaient d’en confier le pilotage à une délégation interministérielle issue de la fusion entre le COLB et la Délégation nationale de lutte contre la fraude (DNLF) (proposition n° 3). Cette option n’a pas été retenue par le Gouvernement qui a décidé de créer, par le décret n° 2020‑872 du 15 juillet 2020, le Comité interministériel anti‑fraude, qui remplace le Comité national de lutte contre la fraude, et la Mission interministérielle de coordination anti‑fraude (MICAF), dont les compétences recoupent largement celles de la DNLF à laquelle elle succède.

Le dispositif, qui se voit attribuer le qualificatif « interministériel », apparaît comme la réponse de l’exécutif au rapport de la Cour sur la fraude aux prélèvements obligatoires, publié en novembre 2019. La haute juridiction déplorait elle aussi le manque de coordination entre acteurs qu’elle attribuait notamment à l’absence de portage politique de l’action publique en ce domaine, pourtant essentiel à la cohésion nationale et à la lutte contre les inégalités.

La MICAF, placée sous l’autorité du ministre du budget par délégation du Premier ministre, est trop récente pour en dresser le bilan, surtout qu’elle porte le millésime d’une année fortement perturbée par la pandémie. Elle est dirigée par un magistrat, M. Éric Belfayol, qui a été nommé par arrêté conjoint du Premier ministre et du ministre de l’économie, des finances et de la relance.

Le schéma ci‑après détaille l’organisation mise en place et fait ressortir les différences par rapport à l’architecture précédente.

Lutte contre les atteintes aux finances publiques :
Structures de coordination

Par rapport à l’organisation précédente, la nouveauté réside surtout dans l’apparition d’un échelon intermédiaire, le groupe opérationnel national anti‑fraude (GONAF), conçu sur le modèle de la task force TVA, auquel le ministère de la justice est désormais systématiquement associé. Ainsi, les services d’enquête administratifs et judiciaires et l’institution judiciaire (DACG et parquets, notamment du PNF et de la JUNALCO) font désormais pleinement partie des GONAF. Dix thématiques ont été retenues :

– la fraude à la TVA ou task force TVA ;

– la fraude aux finances publiques via le e-commerce ;

– le travail illégal et les fraudes fiscales connexes ;

– la fraude à la résidence ;

– la fraude fiscale et sociale via la constitution de sociétés éphémères ;

– les trafics de tabac ;

– les contrefaçons ;

– la fraude à l’identité numérique et la fraude documentaire ;

– le recouvrement des créances en matière de fraude aux finances publiques ;

– l’adaptation des moyens d’enquêtes aux enjeux numériques.

Leur nombre ne figure pas dans le décret pour garantir davantage de souplesse et en créer en fonction des besoins, comme cela est envisagé pour le trafic de médicaments onéreux.

Ces groupes réunissent les directions des ministères concernés (comptes publics, intérieur, justice), dans le but de mutualiser les informations disponibles et d’engager des actions coordonnées plus pertinentes. Le pilotage en est confié à des chefs de file auxquels la MICAF apporte un appui opérationnel adapté.

La MICAF a pour objectif :

– de donner une dimension interministérielle au dispositif en assurant la liaison entre GONAF et avec les comités opérationnels départementaux anti‑fraude (CODAF), c’est‑à‑dire en organisant des réunions dont elle assure le secrétariat ;

– d’élaborer des stratégies communes d’enquête pour prendre en charge le plus tôt possible les fraudes complexes émergentes en tirant profit de l’information dont disposent les directions nationales alors que les services locaux ne sont pas à même de mesurer les enjeux et d’apporter la réponse adaptée ;

– d’exercer une veille juridique pour proposer des solutions juridiques ou opérationnelles pour combler les manques ou surmonter les difficultés des services déconcentrés.

Localement, les services d’enquête et les tribunaux n’ont ni les moyens ni les compétences de traiter les infractions sophistiquées. Les dossiers sont donc mal traités, voire pas traités du tout. La MICAF s’efforce donc de collecter, via les directions centrales et les services d’enquête, l’information montante sur ces fraudes, de manière à ce que les services d’enquête judiciaires et les juridictions compétentes déclinent les meilleures stratégies qui redescendront ensuite au niveau territorial.

Au niveau départemental, les CODAF sont maintenus, mais leur composition a été complétée par un arrêté du 12 octobre 2020, qui a ajouté aux membres prévus par l’arrêté du 25 mars 2010 l’agence régionale de santé (ARS), le régime de garantie des salaires (AGS), les directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) et le ministère des transports. Un bon équilibre a été trouvé entre d’une part, le CODAF plénier coprésidé par le procureur de la République et le préfet et d’autre part, la formation restreinte présidée par le procureur compétent. Le seul point qui a été modifié par le décret n° 2020‑872 du 15 juillet 2020 est l’inscription dans son article 8 d’une réunion du comité, en formation restreinte, au minimum trois fois par an. Ce seuil est la moyenne basse de ce qui se fait déjà dans les départements, les réunions pouvant aller jusqu’à six par an.

Exemples de travaux engagés par la MICAF

– GONAF « sociétés éphémères » : un guide de sensibilisation sur les sociétés éphémères destiné à l’ensemble des acteurs de terrain (et notamment des partenaires des CODAF) est en cours de finalisation. Des travaux ont par ailleurs été lancés pour améliorer les échanges entre administrations et greffiers de commerce en termes de détection des sociétés éphémères frauduleuses et des réflexions sont en cours sur d’éventuelles évolutions juridiques quant à leur rôle en termes de détection de la fraude.

– GONAF « travail illégal et fraude fiscale connexe » : des échanges d’informations ont pu être mis en place entre la DNEF, les services de police judiciaire, Tracfin, l’ASP, la DGEFP, la DGTravail, l’institution judiciaire en matière de fraude à l’activité partielle afin de mieux détecter les fraudes en amont pour tenter d’éviter le versement des sommes indues et renforcer l’efficacité des saisies judiciaires. Ces travaux ont aussi permis la diffusion rapide d’une circulaire de la DACG le 19 août 2020 visant à renforcer l’efficacité de la judiciarisation des dossiers relatifs à cette fraude. Ces travaux ont aussi été l’occasion d’identifier des évolutions juridiques nécessaires pour améliorer le partage d’informations (nouvelles levées de secret professionnel entre services, accès direct à FICOBA pour l’ASP et la DGTravail).

– GONAF « justice pénale et recouvrement des créances » : en s’appuyant sur les expériences menées à Paris et Reims, une convention type relative au recouvrement des amendes dans le cadre des gardes à vue associant DACG, DGFiP, DGPN, DGGN a récemment été finalisée et diffusée auprès des réseaux concernés. La découverte d’une somme égale ou supérieure à 300 euros en espèces sur une personne placée en garde à vue, lorsque cette somme ne paraît pas constituer le produit ou l’instrument d’une infraction, fait l’objet d’une information aux services de la DDFiP et d’un avis à la permanence du parquet. Le cas échéant, un projet d’acte de saisie est transmis à l’enquêteur et un huissier des finances publiques intervient en urgence dans les locaux de police ou de gendarmerie pour procéder à la saisie civile des espèces, dans la limite des amendes et droits fixes de procédure recouvrables.

– GONAF « adaptation des moyens d’enquête aux enjeux du numérique » : un suivi est organisé afin de parvenir à la mise en place effective des accès directs aux bases de données entre partenaires : accès aux bases fiscales (FICOBA, FICOVIE, BNDP, PATRIM) pour les organismes de protection sociale, les services de police et de gendarmerie et les services du ministère du travail en cours de finalisation ; accès direct aux bases sociales pour la DGFiP, la DGDDI et Tracfin. Des travaux associant la DGFiP ont également été lancés sur un outil interministériel permettant de mieux investiguer en matière d’actifs numériques. Un autre chantier visant à renforcer la rapidité des enquêtes concerne la dématérialisation des droits de communication bancaires (PEBA ([25])).

À destination des CODAF, la MICAF diffuse, outre des guides, une publication régulière, les Focus CODAF, destinée à appeler l’attention sur les fraudes à forts enjeux. Le premier numéro, consacré aux fraudes aux finances publiques commises dans le cadre de centres de santé associatifs dentaires, médicaux ou infirmiers est le résultat d’un travail organisé avec la MICAF, la direction générale de l’offre de soins, les agences régionales de santé, la Caisse nationale de l’assurance maladie et l’Office central de lutte contre le travail illégal dans le cadre d’un groupe de travail spécifique dédié à cette problématique particulièrement sensible en termes de fraude aux finances publiques.

À première vue, la MICAF, dont les moyens ont encore été réduits par rapport à la DNLF puisqu’elle ne compte que cinq chefs de projet, peut susciter un certain scepticisme tant la structure est légère. Son directeur se dit, lui, convaincu par le rattachement à Bercy, le ministère le plus directement concerné par la fraude aux finances publiques, et par l’abandon du plan national de lutte contre la fraude, qui mobilisait des moyens importants sans apporter l’assurance d’une plus grande efficacité. Un fonctionnement resserré, « en mode projet », selon les termes de la circulaire du Premier ministre du 27 avril 2021 qui présente le nouveau dispositif, est de nature à répondre à des exigences plus opérationnelles. Il se pourrait que la MICAF bénéficie de la meilleure implication du ministère de la justice, à condition d’établir des contacts réguliers et confiants avec les CODAF et de trouver sur le terrain les moyens et les compétences pour traduire en actes des textes toujours plus nombreux, plus complexes et plus répressifs.

3.   Une coopération perfectible entre la justice et la DGFiP

Le réaménagement du « verrou de Bercy » répondait largement à la volonté de donner à la lutte contre la fraude fiscale une dimension interministérielle en y impliquant davantage la justice. Si le calibrage de la réforme a été convenablement anticipé, à savoir un doublement des dossiers transmis à l’autorité judiciaire, les effets attendus de la réforme – sans doute une sévérité accrue à l’égard des contrevenants ([26]) – tardent à se concrétiser malgré les efforts entrepris pour fluidifier la circulation de l’information.

Nombre de dossiers transmis par la DGFiP À l’autoritÉ judiciaire

 

2019

2020

Nb de dénonciations obligatoires

965

env. 800

Nb de plaintes déposées après avis favorable de la CIF

672

472

Sous total

1 637

env. 1 272

Nb de plaintes pour présomption de fraude fiscale

41

41

Nb de plaintes pour escroquerie en matière fiscale

127

 

Source : DGFiP.

La loi de 2018 relative à la lutte contre la fraude a fait l’objet d’une circulaire commune de la DACG et de la DGFiP, datée du 7 mars 2019, pour mieux organiser les échanges devenus plus nombreux. En effet, les transmissions revêtent désormais un caractère automatique et des obstacles, tels que le secret professionnel des agents du fisc qui n’est plus opposable aux procureurs ou l’obligation d’initier une nouvelle procédure, ont été levés.

La DGFiP a toutefois fait part d’une certaine frustration en ce qui concerne les transmissions automatiques en observant l’écart entre les volumes entrants et les volumes sortants. Les directions locales saisissent le parquet territorialement compétent pour chaque dossier ([27]). Ensuite, l’administration perd la main puisque c’est au procureur de décider quelles suites donner. Or, malgré les incitations à faire saisir le SEJF ou la BNRDF, il arrive que des dossiers – souvent d’un montant assez faible – soient confiés à des services de police et de gendarmerie dont les compétences en la matière sont réduites. La DACG ne nie pas le problème mais elle répugne à faire traiter les dossiers fiscaux exclusivement par les services spécialisés et à voir disparaître purement et simplement toute compétence localement. Dans le même temps, la DGFiP insiste sur l’importance de la rapidité de la sanction dans la mesure où la probabilité de recouvrement des amendes diminue avec le temps. Le sous‑directeur de la lutte contre la criminalité financière doute également du bien‑fondé des transmissions automatiques à des tribunaux qui peinent à les prendre en charge alors même qu’une pénalité a déjà été payée. Cette question se pose avec d’autant plus d’acuité que la directrice du SEJF considère que le principal effet du réaménagement du « verrou de Bercy » était d’avoir fait basculer au pénal des dossiers de fraude fiscale simple.

À ce stade, l’examen des statistiques fournies pour le DPT par le ministère de la justice trouve tout son intérêt.

Orientations par le parquet des affaires de fraude fiscale
(non compris le recel et le blanchiment)

Source : DPT 2021.

Le nombre de dossiers transmis a eu tendance à diminuer, de même que le taux d’affaires poursuivables. Conséquence ou non de la loi de 2018, il est un peu tôt pour le dire, le taux de réponse pénale a chuté en 2019.

Condamnations prononcÉes en matiÈre de fraude fiscale
contre des personnes physiques entre 2013 et 2018*
et inscrites au casier judiciaire national

* Données provisoires.

Source : SG-SDSE, Tables statistiques du Casier judiciaire national, traitement DACG-Pôle d’évaluation des politiques pénales.

S’agissant des condamnations, la stabilité est de mise entre le début et la fin de la période.

Ventilation des infractions de fraude fiscale

* Données provisoires.

Source : SG-SDSE, Tables statistiques du Casier judiciaire national, traitement DACG-Pôle d’évaluation des politiques pénales.

Peines prononcÉes en matiÈre de fraude fiscale

Source : SG-SDSE, Tables statistiques du Casier judiciaire national, traitement DACG-Pôle d’évaluation des politiques pénales.

En revanche, la proportion de peines de prison ferme est tendanciellement à la hausse, alors que le nombre d’amendes infligées a augmenté de 10 % en cinq ans. Le montant moyen des amendes, quant à lui, s’est fortement accru : + 46 %.

Les condamnations des personnes morales sont peu nombreuses, oscillant entre 12 et 30. Néanmoins, en 2018, le montant moyen des dix amendes fermes prononcées a dépassé 1,5 million d’euros.

4.   L’Agence française anticorruption peine à trouver sa place

L’Agence française anticorruption (AFA) a été créée par la loi Sapin 2, notamment pour tenter de mettre un terme aux investigations très intrusives des autorités judiciaires américaines dans la vie des entreprises françaises. Il s’agissait de prouver que la France s’engageait plus activement dans la lutte contre la corruption. L’Agence s’est vue confier un rôle préventif que son nom ne laisse guère deviner, et le suivi des CJIP et des plans de mise en conformité quand une entreprise était sommée de prendre des mesures de lutte contre la corruption. Elle est par ailleurs mise à contribution par l’OCDE pour rédiger ses recommandations ([28]) et pour l’évaluation de la France en matière de lutte contre la corruption d’agents publics étrangers qui a eu lieu en mai 2021.

Pour ancrer la nouvelle venue dans le paysage, les rapporteurs avaient recommandé de lui attribuer un droit de communication pour qu’il ne lui soit pas opposé le secret professionnel et qu’elle puisse au moins avoir connaissance du périmètre de ses compétences (proposition n° 6). En effet, l’AFA doit veiller à l’existence de dispositifs anticorruption dans les sociétés employant au moins 500 salariés et réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 100 millions d’euros ([29]). Or, elle ne disposait pas de ces informations et n’en dispose toujours pas puisqu’aucune mesure dans ce sens n’a été prise. Si l’octroi d’un droit de communication général au profit de l’AFA vis‑à‑vis des administrations et autorités publiques, à l’égard duquel le ministère de la justice est très réservé, n’est pas envisagé, les rapporteurs considèrent que les administrations qui disposent des informations, notamment la DGFiP et la DGE, doivent au moins communiquer une liste annuelle des entités qui entrent dans les critères, à partir de laquelle l’AFA pourra établir un plan de contrôle, et sans laquelle il lui est difficile de travailler. Une autre piste pourrait être envisagée, celle de s’inspirer du fonctionnement de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) dont le président a des vues sur l’AFA : instaurer une obligation déclarative aux entreprises franchissant les seuils fixés et l’assortir, toujours comme le président de la HATVP le préconise, d’une faculté de sanction si elle n’est pas respectée par les assujettis.

Par ailleurs, les rapporteurs prônaient que l’Agence s’attache à dresser une cartographie des risques qui s’étende au‑delà des simples condamnations par la justice, lesquelles constituent un champ trop étroit pour évaluer convenablement les risques de corruption dans notre pays. Le résultat n’est pas à la hauteur des attentes, sans doute en partie en raison des difficultés à coordonner l’action de l’ensemble des administrations ([30]) et à des effectifs en‑deçà de ce qui était prévu, et dont le profil, au départ, ne correspondait pas à ce qui était attendu.

Un avis du ministre de l’économie, paru au Journal officiel du 12 janvier 2021, précise la portée juridique des recommandations de l’AFA. Elles n’ont pas de valeur contraignante en tant que telles et, si elles sont mal appliquées, c’est à l’AFA d’en apporter la preuve. Un assujetti peut aussi adopter d’autres méthodes pour se conformer à ses obligations, mais si, au cours d’un contrôle, l’AFA estime que les exigences légales ne sont pas respectées, ce sera à l’organisation contrôlée de prouver le contraire.

Des rivalités existent, notamment avec la HATVP qui a clairement fait connaître ses ambitions. Le directeur de l’AFA convient que les deux entités partagent, par-delà la différence de statut, autorité administrative indépendante (AAI) pour la Haute Autorité, service à compétence nationale pour l’Agence, le même objectif de probité et de transparence mais souligne que leurs tâches sont assez éloignées les unes des autres. La tenue du registre des lobbyistes et le contrôle des déclarations d’intérêt et de patrimoine sont des tâches assez éloignées du contrôle sur place et de la validité de mesures de prévention anti‑corruption. De même, il est reproché à l’AFA, parce qu’elle est la dernière venue, de faire double emploi avec le contrôle de la Cour des comptes dans le secteur public, mais là encore, il s’agit d’un contrôle juridictionnel, et non d’une action de prévention.

Les faiblesses législatives sont énumérées dans le dernier rapport d’activité de l’AFA :

– elle n’est pas autorisée à s’assurer que les groupes étrangers exerçant sur le territoire national se conforment aux mêmes exigences que les entreprises françaises, créant ainsi une distorsion de concurrence au détriment des groupes français ;

– elle ne dispose d’aucun pouvoir sur les acteurs publics, pas même celui d’adresser des injonctions ; la question se pose aussi de l’opportunité d’actions de prévention de la corruption dans des sociétés publiques locales ou de grandes associations recevant des fonds publics ;

– la méconnaissance de son périmètre d’intervention.

Le principe de soumettre à une même surveillance secteur privé et secteur public n’est pas mauvais en soi, mais, en tout état de cause, l’équilibre n’est pas atteint et il faudra soit mieux asseoir l’autorité de l’Agence anticorruption, soit réformer le dispositif.

 


—  1  —

III.   TOUJOURS MENACÉE D’ASPHYXIE, LA CHAÎNE PÉNALE PEINE À ATTIRER ET FIDÉLISER POLICIERS ET MAGISTRATS, D’OÙ LA NÉCESSITÉ DE DÉVELOPPER DES OUTILS PERMETTANT D’ACCÉLERER LE TRAITEMENT DES DOSSIERS

Si l’érosion des effectifs a été endiguée, leur augmentation reste sans rapport avec celle du phénomène qu’ils doivent combattre si bien que la charge de travail s’alourdit encore. Cause ou conséquence, les filières économiques et financières, qui exigent pourtant expertise et ténacité, peinent à recruter et à fidéliser. Dans ce contexte, l’accélération du traitement des dossiers ne peut passer que par la mise à disposition d’outils efficaces.

A.   LA CHAÎNE PÉNALE TOUJOURS MENACÉE D’ASPHYXIE

La baisse des effectifs semble enrayée mais elle n’a pas apporté d’amélioration pour le moment.

1.   Les services enquêteurs : une hausse des effectifs qui n’allège pas la pression

a.   La détérioration des indicateurs malgré des effectifs en hausse

Les effectifs des services d’enquête spécialisés ont enregistré entre 2018 et 2020 une hausse de 4,2 % pour atteindre 570 personnes. Pourtant cette hausse a été impuissante à éviter la détérioration des indicateurs : le stock des affaires vieillit et le nombre de dossiers par enquêteur augmente, à l’exception de l’OCLCIFF qui a certainement bénéficié de la création en 2019 au sein du ministère de l’action et des comptes publics d’un service d’enquêtes judiciaires des finances largement dimensionné.

Enquêteurs spécialisés de la direction centrale de la police judiciaire

Source : DCPJ.

Les effectifs évoluent dans le même sens à la sous‑direction des affaires économiques et financières (SDAEF) de la préfecture de police de Paris, qui a connu en outre une diminution de la proportion de fonctionnaires de catégorie A par rapport à celle de catégorie B : la première catégorie représentait 41,7 % en 2016 contre 32, 7 % en 2020 ; la seconde respectivement 53,8 % et 62,7 %.

Effectifs d’enquêteurs affectés à la délinquance financière
à la préfecture de police de paris

(en ETPT)

Source : DRPJ de la préfecture de police de Paris.

Les flux entrants ont été en recul en 2020 du fait de la crise sanitaire dans les services d’enquête, mais le phénomène est surtout marqué dans les offices centraux qui n’ont enregistré en 2020 que 278 procédures nouvelles contre près de 500 les deux années précédentes. En revanche, les services territoriaux n’ont enregistré une baisse que de 3 % par rapport à 2019, mais de près de 10 % par rapport à 2018. La baisse est encore plus accentuée pour la SDAEF de la préfecture de police de Paris.

Parallèlement, le rythme des sorties reste insuffisant pour éviter une augmentation du stock d’affaires qui augmente et vieillit.

La proportion des procédures de plus d’un an continue de croître ; elle dépasse désormais la moitié du stock dans plus de la moitié des onze directions de la police judiciaire puisqu’elle est passée globalement de 43,8 % en 2018 à 52,7 % en 2020. En outre, les chiffres des offices, chargés il est vrai des affaires les plus complexes, attirent particulièrement l’attention, qu’il s’agisse de la proportion elle‑même pour l’OCLCIFF (285 affaires correspondant à 425 procédures à la fin de 2020, contre 292 affaires correspondant à 439 procédures en cours en 2019) ou de son augmentation pour l’OCRGDF. Le procureur de la République financier a d’ailleurs précisé que lui‑même s’astreignait à des revues de portefeuille avec l’OCLCIFF et la BRNDF pour éviter l’enlisement, mais que certains de ses dossiers ne pouvaient aboutir faute de moyens dans les services d’enquête.

Flux entrant - Procédures établies

Source : DCPJ.

Proportion des procédures de plus d’un an en stock

Source : DCPJ.

Du côté de la Préfecture, la tendance est la même puisque la proportion est passée de 52 % en 2019 à 63 % alors que la chute du flux entrant a été de 22,3 %.

La hausse des effectifs n’a pas empêché une détérioration générale du ratio nombre de dossiers/enquêteur, l’OCLCIFF faisant figure d’exception en raison de la création du SEJF.

Stock-Dossiers en portefeuille (procédures) par enquêteur

Source : DCPJ.

La gendarmerie nationale observe le même phénomène, avec une dégradation du ratio de 5 à 5,71, mais l’organisation selon le principe de subsidiarité systématique ne permet pas de le comparer à d’autres structures organisées différemment. Idem au SDAEF de la préfecture de police de Paris, malgré une forte chute des affaires entrantes (– 22,3 %) : le nombre de dossiers par enquêteur augmente de 12,4 à 13,1.

Nombre de dossiers par enquêteur – SDAEF – Préfecture de police de Paris

Source : DRPJ de la préfecture de police de Paris.

Les arguments avancés pour expliquer ce paradoxe sont les mêmes de part et d’autre du périphérique : une complexité plus grande des affaires, l’inexpérience des recrues qui repartent avant d’être formées.

Dès lors, la proposition n° 16 visant à augmenter les effectifs des services de police spécialisés, même si elle s’est traduite dans les chiffres, conserve toute sa validité.

b.   Des réorganisations qui se poursuivent

Au niveau central, la réforme organisationnelle prévue pour 2019 s’est concrétisée. Une sous‑direction coiffe désormais les deux offices en charge de la lutte contre la délinquance financière et fiscale, l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) et l’Office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF) auxquels a été adjoint une division d’appui opérationnelle qui comporte des unités de support à l’investigation : un SIRASCO-financier, une section dédiée à la collecte et l’analyse de la preuve numérique, une section de la formation, des officiers de liaison de Tracfin et des douanes, ainsi qu’une division de la logistique opérationnelle. L’intérêt réside dans une meilleure coordination entre les grands offices.

Pour l’instant, la réforme est au milieu du gué car le but est, d’une part, de mieux mutualiser les services support et surtout, d’autre part, de clarifier les compétences respectives des services et leurs noms, pour l’instant confus et imprononçables. Le nombre d’offices passerait à 4, dédiés respectivement à la lutte contre :

– la fraude fiscale,

– le blanchiment,

– la corruption,

– et le quatrième se consacrerait à l’identification des avoirs.

Ainsi, la proposition n° 10 du rapport qui invitait à une simplification de l’organisation des services d’enquête spécialisés a été pour partie entendue, mais pas dans le sens indiqué par les rapporteurs puisque le mouvement de réforme n’a pas atteint la préfecture de police de Paris…

Il ne faut pas non plus oublier les réorganisations survenues dans le réseau territorial avec le décret n° 2020‑1776 du 30 décembre 2020 portant organisation des services territoriaux de police judiciaire de la police nationale qui remplace les directions interrégionales par les directions zonales, au nombre de 7. Ces directions ainsi que la DRPJ de Versailles disposent chacune d’unités spécialisées en matière financière.

c.   Le service d’enquêtes judiciaires des finances, une exception

Le SEJF a vu le jour quelques mois après la remise du rapport initial et il suscitait beaucoup d’espoir. De fait, fort de la longue expérience de son prédécesseur, le service national de douane judiciaire, il a pris en charge sans difficulté les affaires complexes qui lui ont été confiées : affaires purement douanières, blanchiment, contrebande, escroqueries à la TVA, affaires financières liées à des grands trafics, et de façon marginale financement du terrorisme. Rien de très nouveau, le véritable changement, selon sa directrice, réside dans le changement d’échelle. De fait, l’existence du SEJF explique en partie la diminution des affaires entrantes à l’OCLCIFF et à la DRPJ.

Le portefeuille est actuellement de 900 dossiers pour 240 officiers de douane judiciaire (ODJ) et 40 officiers fiscaux judiciaires (OFJ). Pour apprécier ce chiffre, il faut le comparer au nombre d’enquêteurs des offices centraux. De ce fait, le ratio nombre de dossiers par enquêteur est de 3,2, sensiblement inférieur à la norme dans les offices centraux. Au SEJF, 58 % des dossiers proviennent du PNF, 11 % des JIRS et le reste, 31 % des dossiers, provient d’autres parquets. Ces statistiques comprennent les plaintes et le blanchiment de fraude fiscale aggravée.

Cet état de fait conforte le bien‑fondé de notre proposition n° 13, à savoir confier l’intégralité du traitement judiciaire de la fraude fiscale à des services d’enquête constitués d’officiers fiscaux judiciaires.

2.   Les juridictions spécialisées

Par rapport à l’organisation judiciaire en vigueur à la fin de l’année 2018, deux nouveaux acteurs sont apparus, la juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée (JUNALCO) et le parquet européen, qui a été installé officiellement fin septembre 2020 à Luxembourg, trop récemment pour faire l’objet d’une évaluation. Ils épaulent désormais le parquet national financier (PNF) et les 8 juridictions interrégionales spécialisées (JIRS), celle de Paris étant fonctionnellement regroupée avec la JUNALCO au sein de la troisième division du parquet de Paris.

La circulaire du garde des sceaux du 17 décembre 2019 s’attache ainsi à délimiter le champ de compétence de la JUNALCO par rapport aux JIRS, lui attribuant les affaires présentant une « très grande complexité », appréciée en fonction de plusieurs critères pouvant se combiner entre eux :

– l’absence d’ancrage territorial,

– l’enjeu mesuré par le nombre de victimes éloignées géographiquement et la composante nationale ou internationale du dossier,

– la complexité de la matière.

Dans la pratique, les compétences concurrentes ne donnent guère lieu à des litiges entre juridictions, les plus petites, aux moyens très limités, ne font aucune difficulté pour se dessaisir d’un dossier, comme l’a déclaré le chef de la JUNALCO, M. Perruaux. Il a ajouté que l’article 6 de la loi n° 2020‑1672 relative au parquet européen, à la justice environnementale et à la justice spécialisée du 24 décembre 2020 a créé pour la juridiction la plus spécialisée un droit prioritaire pour se saisir tant que l’action publique n’a pas été mise en mouvement. Le nouvel article 43‑1 du code de procédure pénale s’exerce, tel le pouvoir d’évocation préconisé par la proposition n° 19, au bénéfice du parquet le plus spécialisé. Par ailleurs, la circulaire du 17 décembre 2019 relative à la compétence nationale concurrente du tribunal judiciaire de Paris dans la lutte contre la criminalité organisée place le parquet national financier, ainsi que la JUNALCO du tribunal judiciaire de Paris, comme les juridictions les plus spécialisées dans leurs champs de compétence respectifs. Le parquet européen, lui aussi, disposera d’un pouvoir d’évocation en matière de fraude au intérêts de l’Union.

a.   Un parquet national financier insuffisamment renforcé au regard de son volume d’activité

Le rapport initial (proposition n° 18) recommandait un renforcement des effectifs de chaque catégorie, pour traiter des dossiers lourds et complexes par définition. De fait, la Chancellerie, consciente du risque d’embolisation du PNF, s’est efforcée de consolider les dotations en personnel mais insuffisamment par rapport à la recommandation des rapporteurs.

Évolution des effectifs du PNF

Effectifs

2018

Proposition rapport initial

2020

ÉCART

Magistrats

18

23

17*

– 6*

Assistants spécialisés

5

13

7

– 6

Juristes assistants

1

5

1

– 4

Greffe

5

10

9

– 1

Fonctionnaires

5

5

5

Total

34

56

39

– 17

* Un poste supplémentaire sera ouvert en 2021 pour porter le nombre de magistrats à 18.

En l’état, les effectifs localisés de magistrats sont de 17, avec un engagement de surnombre en gestion qui n’est actuellement pas respecté, mais le sera en principe au 1er septembre 2021.

Actuellement, les effectifs sont répartis de cette façon :

 1 procureur de la République financier,

 2 procureurs de la République financiers adjoints pour 4 localisés,

 4 premiers vice-procureurs financiers pour 2 localisés,

 1 vice-procureur chargé d’un secrétariat général financier,

 7 vice-procureurs financiers,

 2 substituts financiers.

Dans le même temps le PNF, qui a connu des turbulences récemment, déploie une activité de plus en plus importante. Le nombre d’affaires en cours a connu une nouvelle poussée en 2019 avant une année 2020 forcément plus morne au cours de laquelle le nombre de dossiers clôturés (126) a été sensiblement inférieur aux années précédentes.

Procédures en cours en fin d’année

 

2014

2015

2016

2017

2018

2019

2020

Stock en fin de période

211

315

392

478

508

582

601

Taux d’accroissement annuel (en %)

 

+ 49,3

+ 24,4

+ 21,9

+ 6,3

+ 14,6

+ 3,3

Source : PNF.

Sur les 601 procédures en cours :

– 318 (53 %) concernent des atteintes à la probité : corruption publique, concussion, trafic d’influence, prise illégale d’intérêts, pantouflage, favoritisme, détournement de fonds publics, corruption de personnes privées n’exerçant pas une fonction publique, corruption en matière de paris sportifs ;

– 242 (40 %) concernent des atteintes aux finances publiques : fraude fiscale aggravée, blanchiment de fraude fiscale aggravée, escroquerie à la TVA ;

– 41 (7 %) se rapportent à des abus de marché : délit d’initié, manipulation de cours, diffusion d’informations fausses ou trompeuses, manipulation d’indices.

L’évolution dans le temps montre la place croissante prise par les affaires d’atteintes à la probité, dont la proportion n’était que de 41 % en 2015.

Fin 2015, les proportions étaient respectivement de 41,0 %, 43 % et de 15,5 %. En effet, le nombre d’affaires liées à des abus de marché est relativement stable, entre 40 et 50 dossiers.

Malgré une revue périodique de portefeuille avec les magistrats, procédure encore resserrée après le rapport de l’inspection générale de la justice ([31]), et même avec les services d’enquête, le stock augmente aussi du fait de la rotation des juges au tribunal de Paris pour ce qui est des dossiers à l’instruction et de l’embolie des services d’enquête. La composante internationale des dossiers, entre 75 et 80 % d’entre eux sont concernés, n’arrange rien puisque le PNF est alors tributaire des délais de traitement des demandes d’entraide internationale.

Flux entrants

Nombre

(en %)

2014

2015

2016

2017

2018

2019

2020

Transmissions par une autorité publique

36

(18)

91

(31)

115

(41)

94

(31)

50

(23)

62

(38)

76

(46)

Dessaisissements par les parquets

77

(39)

102

(35)

87

(31)

44

(14)

45

(27)

48

(30)

14

(8)

Plaintes reçues

73

(37)

86

(29)

69

(24)

147

(49)

93

(46)

48

(30)

73

(44)

Initiatives du PNF

11

(6)

15

(5)

12

(4)

18

(6)

11

(4)

4

(2)

3

(1)

Total

197

(100)

294

(100)

283

(100)

303

(100)

199

(100)

162

(100)

166

(100)

Source : DACG.

Hormis les dossiers d’initiative qui sont manifestement une variable d’ajustement, il est difficile d’interpréter les variations d’ampleur dans l’origine des flux. Les transmissions par les autorités publiques semblent s’imposer par rapport aux dessaisissements des parquets, nombreux au moment de l’installation du PNF, conséquence des mesures votées pour intensifier les relations entre les administrations et la justice.

Nature des procÉdures clÔturÉes

 

2014

2015

2016

2017

2018

2019

2020

Total

Classements sans suite

29

69

42

66

46

61

48

377

Dessaisissements

32

48

50

106

67

36

37

383

Jonctions

24

77

78

38

53

43

30

353

Jugements

3

14

7

12

7

16

6

68

CRPC Parquet

0

0

1

2

5

1

2

11

CRPC Information judiciaire

0

0

1

0

1

1

0

3

Ordonnances de non-lieu

0

7

2

3

3

4

5

24

Compositions pénales

0

0

1

1

0

0

0

2

CJIP

0

0

0

1

1

3

1

7

Autres

0

1

1

2

2

1

0

7

Nombre total de procédures clôturées

88

216

183

231

185

166

126

1 234

Source : PNF.

Depuis la création du PNF, 1 234 procédures ont été clôturées, dont 1 080 ont fait l’objet d’un classement sans suite, d’un dessaisissement ou d’une jonction avec une procédure en cours.

Au total, 24 ordonnances de non‑lieu ont été prononcées et 90 dossiers soumis au tribunal en six ans. 12 ont fait l’objet de poursuites par voie de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), deux par voie de composition pénale et cinq par la voie de la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP).

Compte tenu du déséquilibre entre flux entrants et flux sortants, la charge de travail s’alourdit malgré l’augmentation des effectifs.

Ratio nombre de dossiers/magistrat

 

2014

2015

2016

2017

2018

2019

2020

Nombre de procédures en cours

211

315

392

478

508

582

601

Nombre de magistrats opérationnels en poste*

8

14

13

16

16

16

15

Nombre moyen de dossiers par magistrat

26,4

22,5

30,2

29,9

31,8

36,4

40,1

* Hors le procureur de la République financier et la secrétaire générale qui ne suivent pas en propre de procédures.

Source : PNF.

Avec 601 procédures en cours au 1er décembre 2020 pour 15 magistrats opérationnels, le nombre de dossiers traités par magistrat s’élève à 40. Les magistrats travaillant par binôme, chacun traite un portefeuille de 80 procédures. L’arrivée d’un magistrat supplémentaire en septembre prochain soulagera un peu ses collègues pourvu que le stock n’excède pas 640 dossiers à son arrivée. Ces chiffres ne prennent en compte ni le traitement des demandes d’entraide pénale reçues, 64 en 2020, ni le nombre d’affaires en cours d’évaluation.

b.   Les autres juridictions spécialisées

Au sein du parquet de Paris, la réforme a consisté à séparer les affaires courantes des dossiers complexes qui ont été confiés à une nouvelle division, dénommée JIRS/JUNALCO. Auparavant, une seule section, comptant 20 magistrats, recevait la totalité du flux, soit 3 000 procédures par mois sans aucun rapport les unes avec les autres, ni dans leur objet, ni dans leur dimension. Elles allaient de la vente à la sauvette au pied de la tour Eiffel aux escroqueries internationales en ligne, ou aux signalements et aux dénonciations émanant d’administrations comme les URSSAF ou Tracfin. La gestion au quotidien était très compliquée et la tentation grande de se concentrer sur les affaires simples faute de pouvoir se consacrer exclusivement à des affaires complexes à l’issue aléatoire. La réforme était donc bienvenue. La circulaire du 17 décembre 2019 a été complétée par une doctrine d’emploi de la procureure générale près la cour d’appel de Paris qui indique notamment que la JUNALCO en matière économique et financière est prioritairement chargée de la lutte contre les groupes criminels se livrant sur l’ensemble du territoire national à des escroqueries en bande organisée ainsi qu’au blanchiment d’infractions économiques et financières.

Désormais, la division qui prend en charge les dossiers à très forts enjeux est divisée en trois sections :

– la première se consacre à la criminalité organisée « classique » : trafics de stupéfiants, traite des êtres humains, assassinats en bande organisée, etc. ;

– la deuxième traite non seulement des dossiers JIRS et JUNALCO, mais également des dossiers complexes qui ne sont ni JIRS ni JUNALCO, mais qui sont du ressort du tribunal judiciaire de Paris. Autour du noyau de 7 magistrats, gravitent 3 assistants spécialisés (un agent de la DGFiP, un agent de la DGDDI, et un assistant spécialisé formé à l’expertise comptable) ;

– la troisième est spécialisée dans la cybercriminalité (ransomware, attaques cyber…). Elle occupe trois magistrats, et sa compétence est en réalité quasiment nationale car le parquet de Paris est le seul à investir la question d’autant que, pour comprendre les mécanismes, la centralisation de l’information est nécessaire dans la mesure où les attaques proviennent surtout de l’étranger.

La réforme s’est faite à effectifs constants puisque les 7 magistrats JIRS/JUNALCO ont été prélevés sur l’ancienne section « à tout faire ».

Depuis 2020, 12 procédures ont été labellisées JUNALCO ; elles concernent essentiellement des faits d’escroquerie en bande organisée. Pour calculer le nombre de procédures par magistrat, il faut y ajouter les dossiers JIRS et les dossiers complexes du ressort parisien. M. Perruaux annonce un numérateur de 420, soit environ 60 dossiers par magistrat, soit 50 % de plus qu’au PNF.

La loi de finances pour 2020 annonçait la création de 100 postes de magistrat au profit de la délinquance financière et de la justice des mineurs. Selon la direction des services judiciaires (DSJ), les juridictions économiques et financières n’en récupéreront que 30 et devront se contenter d’un dialogue de gestion spécifique avec la DSJ, annoncé dans le projet de finances pour 2021 et destiné à ajuster les effectifs.

Les documents établis à cette occasion par la DSJ montrent une augmentation de l’activité en 2020 par rapport à 2019 : les enquêtes préliminaires en cours sont passées de 239 à 314, soit une augmentation de 31,4 %, du fait surtout de l’augmentation du stock au tribunal de Paris, sans doute à cause de la création de la JIRS/JUNALCO.

NOMBRE D’ENQUÊTES PRÉLIMINAIRES EN COURS

Source : DSJ, dialogue de gestion.

Du côté de l’instruction, le rythme des affaires nouvelles s’est accru également mais dans de moindres proportions sous réserve que les chiffres du tribunal de Lyon ne soient pas manquants en 2019 : 318 affaires nouvelles en 2019 contre 347 en 2020.

ÉVOLUTION DES AFFAIRES NOUVELLES

Source : DSJ, dialogue de gestion.

Les effectifs de magistrats sont très difficiles à calculer dans la mesure où le DPT fournit les habilitations (257 ([32])), et non les effectifs réels. D’après les chiffres transmis aux rapporteurs, les effectifs réels seraient de 300 magistrats environ, sachant que, dans le flux d’affaires traitées par les JIRS, environ trois quarts relèvent de la criminalité organisée et le quart restant de la délinquance économique et financière. Ces chiffres sont à prendre avec précaution car ils ne sont pas cohérents avec les calculs effectués par la DSJ pour la Cour des comptes en 2017, soit 225 magistrats ([33]).

Le DPT pour 2021 fait état de 29 assistants spécialisés, dont 24 affectés à la délinquance financière et un à la cybercriminalité.

Du côté des greffes, le total des emplois localisés dans les JIRS était de 500, en forte augmentation du fait de la fusion des greffes des juridictions de première instance. De son côté, le chiffre cité par la Cour des comptes était de 167.

Les rapporteurs ne sont donc pas en mesure de se faire une idée et souhaiteraient disposer de chiffres davantage stabilisés.

B.   LA FILIÈRE PEINE TOUJOURS À ATTIRER ET FIDÉLISER SES ACTEURS

Sur le défaut d’attrait de la filière et la difficulté de fidéliser les agents, magistrats et policiers sont unanimes. L’amont de la chaîne, c’est‑à‑dire les services d’enquête, est particulièrement concerné : la complexité de la procédure et l’investissement professionnel qu’elle exige, les conditions matérielles font que les jeunes se détournent de ces métiers abstraits et techniques. Les deux ministères sont aussi pénalisés par des éléments sur lesquels ils n’ont pas prise : la cherté de la vie en Île‑de‑France, en particulier de l’immobilier, et des déménagements des services ([34]) que leurs employés, surtout les plus anciens, rechignent à suivre, préférant demander leur mutation.

Pour hausser le niveau de compétences des agents, les deux leviers sont la reconnaissance, y compris financière, et la formation avec, pour corollaire, la stabilité dans le poste.

1.   Le ministère de l’intérieur

Déjà alertés sur ce sujet sensible, les rapporteurs avaient fait une proposition précise, n° 17, portant sur une prime de technicité, la possibilité d’un avancement sur place et un engagement de maintien en poste pour les bénéficiaires d’une formation longue, sanctionnée par un brevet, IMEF ([35]).

a.   L’attractivité renvoyée au Beauvau de la sécurité

Sur le plan financier, rien n’a été fait. Le sort de cette prime de technicité, plus que jamais justifiée aux yeux des rapporteurs à condition qu’elle soit liée aux fonctions exercées et non au grade, relève désormais des chantiers prioritaires du Beauvau de la sécurité lancé en février dernier. Les postes d’enquêteur spécialisé requièrent de réelles compétences juridiques et techniques qu’il importe de reconnaître pécuniairement.

b.   La formation

La formation est un problème pour tous les services, y compris le SEJF, où la tension est moindre et qui organise un tutorat pour les officiers fiscaux judiciaires inexpérimentés, mais eux restent sur place. Ailleurs, le formalisme est plus grand car l’échelle n’est pas la même.

La gendarmerie déploie son programme de formation DEFI.

Formation

Durée

Contenu

Nombre d’enquêteurs formés

Objectif 2024

DEFI 1

3 semaines

Enquête patrimoniale

720*

1 120

DEFI 2

4 semaines

Infractions financières courantes

92

300

DEFI 3

3 semaines

Infractions financières complexes

91

200

* + 400 gendarmes affectés dans d’autres unités que celles dédiées à la délinquance financière.

La formation est devenue un problème quasi insoluble pour la police nationale. M. Thomas de Ricolfis évoque des tensions pour dégager des formateurs et augmenter l’offre pour répondre aux besoins. Il serait question de décomposer la formation IMEF en deux niveaux, dont le premier module serait calqué sur DEFI 1.

Le directeur régional de la police judiciaire de la préfecture de police de Paris confirme le calibrage insuffisant et les difficultés considérables auxquelles il est confronté, d’autant que l’offre de formation est dans les mains des directions centrales de la DGPN qui, face à une offre rationnée, est tentée de se servir en priorité. Ainsi, la Préfecture évalue son besoin à 65 formations (56 à la SDAEF et 9 à la sous‑direction des services territoriaux – SDST –) ; or 10 agents seulement sont en formation pour un effectif diplômé de 126 (94 à la SDAEF et 32 à la SDST). Dans ces conditions, comment demander à des agents de se former et a fortiori les retenir ? L’équation est d’autant plus insoluble pour la DRPJ que certains formateurs relèvent de ses effectifs, ce qui réduit d’autant leur disponibilité.

c.   Le maintien dans le poste

Lors du rapport initial, des craintes s’étaient manifestées, notamment de voir les offices centraux « aspirer » les forces vives de la préfecture de police de Paris. Finalement, il n’en a rien été, d’une part, parce que les tensions se sont quelque peu apaisées avec la hausse des effectifs et l’arrivée du SEJF ; d’autre part, parce que le déménagement porte de Clichy a finalement rapproché, au moins sur le terrain géographique, les rivaux, si bien qu’un flux s’est établi entre les offices et la DRPJ.

Celle‑ci a néanmoins pâti du déménagement car nombre de ses agents expérimentés ne l’ont pas suivie au nord de Paris. De fait, l’âge moyen des agents a chuté, de 43,4 ans en 2018 à 42,6 ans en 2020, rendant d’autant plus nécessaires une montée en compétences et un maintien dans le poste.

En 2021, c’est plutôt la SDLCF qui s’inquiète de possibles changements dans la politique de ressources humaines de la DGFiP même si les OFJ ont jusqu’à présent toujours été remplacés. Il semblerait que Bercy veuille limiter la durée de mise à disposition de ses agents au ministère de l’intérieur. Interrogée, la DGFiP a confirmé que le cadre de la loi n° 84‑16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’État n’imposait aucune limitation de durée. L’adoption de la loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019, ainsi que la récente création du SEJF, ont conduit la DGFiP à ouvrir une réflexion sur le déroulement de carrière de ses agents en son sein, mais aucune décision n’a été prise à ce stade. Elle se dit consciente de la nécessité de maintenir en place les agents détachés pour une période longue compte tenu des compétences à acquérir. M. de Ricolfis plaide pour une durée de 10 à 12 ans, plus ou moins alignée sur celle observée chez les juges d’instruction spécialisés.

En tout état de cause, et les responsables en sont bien conscients, la stabilisation des effectifs dûment formés est indispensable, de façon à ce que chacun bénéficie d’un retour sur investissement. D’autres ministères ont déjà expérimenté des dispositifs. Pourquoi pas au ministère de l’intérieur ? Une telle approche ne serait pas forcément incompatible avec la création d’une filière d’investigation à laquelle la DGPN réfléchit.

2.   Le ministère de la justice

Le problème à la justice se pose en termes un peu moins aigus. Il existe néanmoins, et le procureur de la République financier l’a évoqué au cours de son audition. Il a observé une attractivité « qui n’est pas optimale » pour les personnels du greffe du tribunal de Paris – dont les conditions matérielles sont tout de même meilleures qu’ailleurs – et, dans une moindre mesure, pour les magistrats. La charge de travail y est très lourde et le traitement pas en rapport avec le coût de la vie en Île‑de‑France.

a.   La formation

Pour répondre au besoin, la formation initiale à l’École nationale de la magistrature (ENM) ne suffit pas. Aussi a‑t‑elle organisé des sessions de formation pour les plus chevronnés.

L’École propose aux auditeurs de justice des formations de plusieurs types ;

– des modules d’initiation à la comptabilité des entreprises et à l’examen de la situation financière des particuliers dispensés par des binômes magistrats/commissaires aux comptes et destinés à l’ensemble de la promotion ;

– une conférence sur l’AGRASC, destinée également à tous les auditeurs de justice ;

– des conférences dans le cadre de la préparation aux premières fonctions, dispensées par le SEJF ou la DNRED ;

– des stages auprès des autorités engagées dans la lutte contre la délinquance financière ou dans des entreprises.

Naturellement, les initiatives prises pour diversifier les formations ont pâti de la situation sanitaire et les conférences ont pris la forme de distribution de documentation technique.

Elle s’articule autour :

– de sessions de sensibilisation dispensées par l’ENM ou organisées dans le cadre d’un plan régional de formation continue déconcentrée

Thème

Nombre de magistrats participants en 2019

Audience correctionnelle en matière économique et financière

79

Le blanchiment de l’argent du crime dans les circuits économiques légaux

16

La lutte contre la criminalité organisée

97

Cybercriminalité et preuve numérique

34

Pratique des fonctions au sein des juridictions interrégionales spécialisées

31

Le traitement judiciaire du renseignement

63

La responsabilité pénale des personnes morales

44

– de parcours composés de modules plus longs pour les magistrats souhaitant acquérir ou approfondir une spécialité, qui peuvent être suivis d’un module de 5 jours qui approfondit les méthodes et stratégies d’investigation dans les dossiers complexes. Afin de permettre un échange sur les pratiques professionnelles, elle n’est ouverte qu’à une quinzaine de magistrats.

Thème

Durée

Nombre de magistrats participants en 2019

Approche du droit pénal économique et financier

9 jours

84

Approfondissement du droit pénal économique et financier

9 jours

41

Grande délinquance économique et financière : technique et stratégie d’enquête (suite des modules précédents)

5 jours

18

Des places sont également offertes à des formations dispensées par d’autres organismes tels que la Cour des comptes ou le Collège européen des investigations financières et analyse financière criminelle :

– un cycle approfondi d’études en droit de l’entreprise (CADDE), qui est une formation qualifiante proposée à une quinzaine de magistrats ;

– des stages dans les services d’enquête spécialisés et les autorités de régulation.

b.   Le maintien dans le poste

Pour favoriser le maintien dans le poste, la DSJ joue sur plusieurs registres. Le premier consiste à préciser les besoins dans le cadre du dialogue de gestion en amont de la nomination de magistrats. L’ouverture des postes donne lieu à diffusion d’un appel à candidatures afin de retenir les mieux adaptées. Ce processus permet à la fois de repérer les postes spécialisés et les profils correspondants.

Les magistrats identifiés peuvent alors réaliser, sous certaines conditions, leur avancement au sein de la même juridiction, c’est le cas par exemple au PNF et dans les JIRS. Ces possibilités d’« avancement sur place » favorisent les évolutions de carrière des magistrats du parquet (qui sont ceux qui en bénéficient majoritairement), tout en limitant le phénomène de turn-over qui génère des difficultés d’organisation et une perte d’efficience dans certains services à haut degré de spécialisation (pôles économiques et financiers, JIRS, services spécialisés du parquet de Paris notamment en matière de criminalité économique et financière).

Cette politique de fidélisation doit toutefois pouvoir se concilier avec les critères d’appréciation du Conseil supérieur de la magistrature, notamment l’ancienneté.

Les éléments fournis ne permettent pas de conclure que la gestion de la spécialité économique et financière par la DSJ serait vraiment devenue plus active, conformément à la proposition n° 20.

C.   D’OÙ LA NÉCESSITÉ DE DÉVELOPPER DES OUTILS PERMETTANT UN TRAITEMENT PLUS EFFECTIF DES DOSSIERS

Le grippage de la chaîne pénale est tel qu’il est impératif d’améliorer la productivité des travaux d’enquête. Dans la configuration actuelle, seuls des outils plus performants sont de nature à apporter une amélioration à brève échéance.

1.   Les instruments visant à faciliter la tâche des services d’enquête

a.   La plateforme d’échange banques-administrations (PEBA)

La gendarmerie était chargée de mettre en œuvre la dématérialisation des réquisitions judiciaires adressées aux établissements bancaires, conformément à l’amendement au projet de loi de réforme de la justice déposé par notre collègue Jean‑Noël Barrot. Il s’agissait de limiter les formalités et les risques d’erreur dus à des procédures manuelles.

Côté gendarmerie, le calendrier a été respecté et le dispositif expérimenté en 2019 et 2020 est opérationnel depuis le 12 novembre 2020 avec le Crédit du Nord, le Crédit lyonnais et la Société générale. En trois mois, 1 355 réquisitions ont été émises vers les établissements bancaires concernés.

Le problème vient de ce que ce module, développé par et pour la gendarmerie, n’est pas compatible avec l’actuel logiciel de procédure de la police nationale, en limitant donc singulièrement l’intérêt. En attendant le nouveau, prévu pour 2022, un GONAF suit le dossier et une solution devrait intervenir rapidement en passant par l’outil utilisé par Tracfin. La MICAF veillera à sa mise en service effective et son extension aux autres établissements bancaires, de façon à simplifier la tâche aux services d’enquête et à suivre la proposition n° 11 du rapport initial.

b.   L’accès aux fichiers

Parmi les « irritants » qui compliquent le travail d’enquête et que les rapporteurs avaient identifiés figurait l’accès aux fichiers administratifs. Les auditions ont permis de faire le point avec M. de Ricolfis qui a indiqué qu’une convention avec la DGFiP était en passe d’être signée pour les fichiers FICOVIE ([36]), recensant les contrats d’assurance‑vie, BNDP ([37]) et PATRIM ([38]). La MICAF travaille à l’accès du RNCPS ([39]) ainsi qu’à un protocole relatif à la lutte contre la fraude documentaire et à l’identité en cours d’élaboration entre la Mission de délivrance sécurisée des titres (MDST) et les organismes de protection sociale. En revanche, le sujet des titres sécurisés n’a pas avancé et l’intervention du juge est requise. Le constat initial des rapporteurs, à savoir que les dispositifs de détection de la fraude sociale étaient plus performants que ceux dont disposent les services de détection de la délinquance financière, reste donc valable.

De cette remarque découlait la proposition n° 12, recommandant l’utilisation de l’intelligence artificielle pour mieux cibler les enquêtes. Le préalable en est la constitution de bases de données pour effectuer des extractions et des croisements. À cet égard, il est regrettable que le projet THESEE, pour « traitement harmonisé des enquêtes et des signalements pour les e‑escroqueries », dont le but est de proposer une plateforme de dépôt de plaintes en ligne ([40]) ait pris du retard. Un arrêté portant sa création a été publié le 22 juin 2020, mais il n’est pas encore à disposition, ni du public, ni des services. Au vu du fléau que représentent les escroqueries en ligne – faut‑il rappeler que les faits enregistrés sont des flux et non des stocks ? –, il s’agit pourtant d’une urgence pour combattre une délinquance virulente.

c.   Le devis judiciaire

La DACG est tout à fait favorable au développement de la pratique du devis judiciaire, introduit par la gendarmerie en 2015 et que le rapport proposait d’étendre (proposition n° 21). La démarche consiste à définir avec les magistrats les objectifs et les étapes de l’enquête dès la saisine de l’affaire. Cette analyse partagée donne lieu à une sorte de contrat entre le service d’enquête et le parquet, pour cibler les infractions les plus graves et assorties du plus gros quantum de peines. L’objectif est de rationaliser le processus d’enquête et de mieux maîtriser les délais.

Un protocole d’assistance technique pour le traitement des dossiers économiques et financiers (« protocole DEFI ») a été signé le 10 février 2021 entre le procureur général près la cour d’appel de Toulouse et le commandant de la région de gendarmerie d’Occitanie. Un protocole similaire est également en vigueur entre la région de gendarmerie de Corse et les parquets d’Ajaccio et de Bastia ainsi qu’entre le commandement de la gendarmerie de la Réunion et les parquets de Saint‑Denis et Saint‑Pierre. Ce sont des pratiques dont les services de la police devraient s’inspirer.

Dans un même souci de rationalisation et consciente des difficultés à prendre en charge les affaires économiques et financières, la DACG a établi et met à disposition de l’ensemble des magistrats des soit‑transmis types d’enquête, qui recensent les principaux actes d’enquête pouvant être utiles dans certains contentieux techniques (fraude prestations sociales, travail dissimulé, fraude fiscale, escroqueries aux placements financiers…).

d.   Des équipes d’enquête mixtes

Les rapporteurs avaient partagé l’amertume des OPJ qui sont requis pour clôturer des procédures auxquelles ils n’ont participé à aucun moment et dont la présence ne se justifie que pour des raisons formelles. C’est dans cet esprit qu’ils avaient rédigé la proposition n° 14, consistant à constituer des brigades mixtes en accordant le statut d’OPJ à des agents des administrations, et la proposition n° 15 visant à doter l’Autorité des marchés financiers d’une unité d’investigations judiciaires.

Sur ce point précis, le DRPJ a expliqué au rapporteur que, pour les délits boursiers, le PNF requiert la Brigade financière car les offices ne prennent pas ce type d’enquête. En 2020, elle a dû consacrer 97 heures d’enquêteur uniquement dédiées à l’assistance à l’AMF, et, l’année précédente, ce ne sont pas moins de 600 heures qui ont été consacrées à des perquisitions fiscales. Le cas de l’AMF est sans doute assez délicat dans la mesure où il s’agit d’une AAI, soucieuse de préserver son impartialité et il ne faudrait pas qu’elle soit soupçonnée d’être à la fois juge et partie, surtout qu’elle dispose d’une commission des sanctions. Pour les autres cas, sans doute faudrait‑il chercher d’autres solutions si celle avancée par les rapporteurs ne convient pas. Tout doit être fait pour favoriser le travail d’investigation des services d’enquête.

2.   Des outils pour favoriser le travail des magistrats

a.   Plateforme d’échanges pour les JIRS

M. Perruaux, chef de la JUNALCO, a regretté de ne pas avoir d’autre outil de communication que le téléphone et le mail pour échanger avec ses collègues des JIRS en dépit d’une demande émise depuis 10 ans maintenant. Il n’existe toujours pas de plateforme pour échanger des informations entre juridictions spécialisées, surtout après la circulaire du 17 décembre 2019 qui prévoit un mécanisme de remontée obligatoire d’information des JIRS et des services centraux vers la JUNALCO s’ils rencontrent des faits susceptibles d’appartenir à la compétence de cette dernière. Une plateforme commune permettrait de partager des informations en une seule saisie donc sans erreur ni perte d’information.

b.   La convention judiciaire d’intérêt public et la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité

S’agissant des accords transactionnels – convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) pour les personnes morales et comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) pour les personnes physiques, étendue à la fraude fiscale par loi de 2018 –, tous les interlocuteurs auditionnés par les rapporteurs se sont prononcés en faveur de ce dispositif. Les circonstances décrites auparavant expliquent sûrement en partie un tel engouement. En effet, depuis la publication du rapport, 7 nouvelles conventions ont été signées portant sur un total de 9,8 milliards d’euros. Les chiffres parlent d’eux‑mêmes. Les conventions sont signées dans des délais très inférieurs au temps de la procédure pénale qui, en s’éternisant, peut menacer l’existence même de l’entreprise et l’emploi salarié. En outre, avec la procédure menée à l’encontre d’Airbus et l’amende record à laquelle le consortium a été condamné, le PNF a gagné la confiance de ses homologues étrangers et la France en crédibilité en matière de lutte contre la corruption.

Vos rapporteurs ont interrogé leurs interlocuteurs sur l’influence des avocats dans le déroulement de l’enquête. Le procureur de la République financier a répondu que les magistrats étaient tout à fait à même d’ordonner des actes d’enquête complémentaires et de décider des suites éventuelles à y donner, notamment un relèvement de l’amende publique si des agissements nouveaux étaient découverts. La sanction est évidemment fixée en fonction de la sincérité de la coopération de l’entreprise.

S’agissant de l’articulation entre la CJIP qui traite de la responsabilité des personnes morales et la CRPC qui s’applique aux personnes physiques dirigeant ces mêmes personnes morales, M. Bernard Cazeneuve, ancien Premier ministre et président du Club des juristes, qui a publié « Pour un droit européen de la compliance », a rappelé que rien ne permettait d’établir un lien automatique entre le sort de l’entreprise et celui de ses dirigeants. De fait, leur sort diffère : dans l’affaire HSBC, les personnes physiques poursuivies ont fait l’objet d’une CRPC qui a été homologuée ; dans celle de la Société générale, le parquet a finalement renoncé à poursuivre les personnes physiques alors que des poursuites sont encore en cours contre les anciens dirigeants d’Airbus, Carmignac Gestion et Egis Avia. Certaines situations sont plus complexes comme l’affaire Havas, dans laquelle la CJIP a été homologuée par le juge contrairement aux CRPC des personnes physiques. Le procureur de la République financier redoute que cette décision ne dissuade les dirigeants d’entreprises de recourir à ce type de procédure à l’avenir. Il a d’ailleurs introduit un recours contre cette ordonnance.

c.   Des risques potentiels dans le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire

En réponse à la durée exceptionnellement longue d’une procédure impliquant un ancien Président de la République et plusieurs avocats, le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire ([41]) entend limiter les enquêtes préliminaires à deux ans, une durée pouvant être prolongée d’un an sur autorisation motivée du procureur de la République.

Sans surprise, cette disposition a suscité l’inquiétude au parquet national financier (PNF), partagée par la procureure générale près la cour d’appel de Paris, au regard des spécificités des enquêtes financières qui exigent du temps. Dès l’origine, le PNF a privilégié la voie de l’enquête préliminaire pour éviter, dans un contexte où les moyens se font rares, les lourdeurs de l’instruction judiciaire.

Répartition des affaires en cours au PNF

 

Mars 2014

Fin 2014

Fin 2015

Fin 2016

Fin 2017

Fin 2018

Fin 2019

Fin 2020

Part des enquêtes préliminaires

37 %

63 %

67 %

75 %

78,9 %

78,8 %

84,2 %

83,9 %

Part des informations judiciaires

63 %

37 %

33 %

25 %

21,1 %

21,2 %

15,8 %

16,1 %

M. Jean‑François Bohnert rappelle que le PNF ne dispose que de 18 magistrats pour traiter 600 affaires, complexes. Qui plus est, nombre d’entre elles comporte un élément d’extranéité et la justice française est alors tributaire des délais de réponse aux demandes d’entraide pénale internationales, qui sont parfois très longs. Si l’objectif est d’ouvrir davantage d’informations judiciaires, il faut avoir aussi en tête que le tribunal judiciaire de Paris ne compte que 10 magistrats instructeurs spécialisés en délinquance économique et financière, et qu’ils ne travaillent pas que pour le PNF. Si, du jour au lendemain, 30 ou 40 % des enquêtes du PNF sont adressées à l’instruction (évidemment à effectifs constants), ces dossiers ne sortiront plus. Dans l’affaire Airbus, l’enquête préliminaire a duré en tout et pour tout 3 ans et demi, tandis qu’à l’instruction elle aurait probablement duré 10 à 12 ans.

Dans son rapport d’activité de 2020, le procureur de la République financier explique qu’il n’a pas attendu le projet de loi pour ouvrir les enquêtes au contradictoire. « Souhaitant apporter au principe du contradictoire sa pleine effectivité, le PNF a décidé de renforcer encore sa mise en œuvre dans le cadre des enquêtes préliminaires qu’il traite. À cette fin, le PNF a décidé d’ouvrir systématiquement au contradictoire, sans demande préalable de la personne mise en cause, les procédures pour lesquelles une citation directe ou une convocation par officier de police judiciaire est envisagée.

« En outre, l’avis d’ouverture au contradictoire est accompagné d’une note de synthèse du PNF contenant un exposé des faits ainsi que les qualifications développées applicables à chacune des personnes à l’encontre desquelles des poursuites sont envisagées.

« La mise en œuvre du contradictoire peut même survenir en cours d’enquête, voire au début de la procédure lorsque la personne mise en cause se montre désireuse de concourir ellemême à la manifestation de la vérité. »

Les rapporteurs partagent les préoccupations des magistrats.

 


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   EXAMEN PAR LE COMITÉ

Le Comité a procédé à l’examen du présent rapport d’information lors de sa réunion du mardi 6 juillet 2021 et a autorisé sa publication.

Les débats qui ont eu lieu au cours de cette réunion sont accessibles sur le portail vidéo du site de l’Assemblée nationale à l’adresse suivante :

https://videos.assemblee-nationale.fr/video.11030734_60e3fd6a5b59f.comite-d-evaluation-et-de-controle-des-politiques-publiques--lutte-contre-la-delinquance-financiere-6-juillet-2021

 


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   ANNEXE :
PERSONNES ENTENDUES PAR LES RAPPORTEURS

1. Auditions :

        M. Thomas de Ricolfis, sous-directeur de la lutte contre la criminalité financière à la direction générale de la police nationale (DGPN) du ministère de l’intérieur (4 février 2021)

        Mme Florence Gomez, inspectrice des finances, co-auteure du rapport « Sécurisation du recouvrement de la TVA » (4 février 2021)

        M. Christophe Strassel, conseiller maître à la Cour des comptes, rapporteur du rapport « La fraude aux prélèvements obligatoires – Évaluer, prévenir, réprimer » (11 février 2021)

        M. Christian Sainte, directeur régional de la police judiciaire, préfecture de police de Paris, accompagné de M. Denis Collas, sous-directeur des affaires économiques et financières (11 février 2021)

        M. Charles Duchaine, directeur de l’Agence française anticorruption (AFA) (18 février 2021)

        M. Bernard Cazeneuve, ancien Premier ministre, auteur du rapport « Pour un droit européen de la compliance » (18 février 2021)

        M. Éric Belfayol, chef de la Mission interministérielle de coordination anti‑fraude (MICAF), accompagné de Mme Marie-Laure Malcles, cheffe de projet « enjeux fiscaux » au sein de la MICAF (4 mars 2021)

        Mme Nathalie Bécache, directrice du service d’enquêtes judiciaires des finances (SEJF) (4 mars 2021)

        M. Didier Banquy, président du Conseil d’orientation de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (COLB), accompagné de Mme Eléonore Peyrat, cheffe du bureau MC3 « Lutte contre la criminalité financière et sanctions internationales » et cheffe de la délégation française au Groupe d’action financière (GAFI), Mme Violaine Biafora et M. Thibaut Herrero, adjoints à la cheffe de bureau, en charge de l’évaluation de la France par le GAFI et du pilotage interministériel de la politique LCB‑FT au sein du COLB, M. Pierre Offret, adjoint à la cheffe de bureau, en charge de la négociation et l’application du cadre juridique français de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, Mme Juliette Loisel, chargée de mission au sein du bureau MC3, et M. Baptiste Ledan, conseiller parlementaire et relations institutionnelles (11 mars 2021)

        M. Jérôme Fournel, directeur général des finances publiques, accompagné de MM. Frédéric Iannucci, chef du service de la sécurité juridique et du contrôle fiscal, Stéphane Créange, sous-directeur du contrôle fiscal, du pilotage et de l’expertise juridique, et Bruno Mauchauffée, adjoint au directeur de la législation fiscale (11 mars 2021)

        Mme Maryvonne Le Brignonen, directrice du service Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins (Tracfin) (18 mars 2021)

        Mme Christine Gonzalez-Demichel, cheffe du service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI) du ministère de l’intérieur ; et Mme Christine Chambaz, chargée de la sous-direction de la statistique et des études (SDSE) du ministère de la justice (18 mars 2021)

        M. Christophe Perruaux, procureur de la République adjoint, chef de la division JIRS/JUNALCO (25 mars 2021)

        M. Jean-François Bohnert, procureur de la République financier (25 mars 2021)

        M. Nicolas Bessone, directeur général de l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC) (8 avril 2021)

        M. Paul Huber, directeur des services judiciaires au ministère de la justice, accompagné de M. Frédéric Chastenet de Géry, son adjoint, et de M. Simon Lanes, chargé de mission (15 avril 2021)

        M. Olivier Christen, directeur des affaires criminelles et des grâces au ministère de la justice (22 avril 2021)

2. Contributions écrites :

        M. Damien Falco, enseignant chercheur à la faculté de droit de l’université Toulouse Capitole

        Mme Valérie Péneau, directrice du programme interministériel France Identité numérique

 


([1]) La victime est l’unité de compte retenue depuis 2016, les données antérieures ont été obtenues par rétropolation.

([2]) Condition supprimée dans le texte de la proposition de loi visant à la protection effective des lanceuses et des lanceurs d’alerte, adoptée par la commission des lois le 4 mars 2020.

([3]) Le taux brut de recouvrement est passé de 51 % à 59 %.

([4]) Depuis le 1er janvier 2015, sont considérées comme affaires à faible rendement les affaires où les droits bruts redressés sont inférieurs à 10 000 euros en DIRCOFI et à 7 500 euros en directions territoriales.

([5]) 186 milliards en 2019, soit 45 % des recettes fiscales brutes de l’État.

([6]) L’autoliquidation consiste à faire acquitter la TVA par l’acheteur, au lieu du vendeur.

([7]) Pour les ventes aux particuliers (B2C).

([8]) La DNEF a observé que le nombre de sociétés avec une adresse commerciale chinoise a été multiplié par plus de 6 entre 2017 et 2019, alors que le nombre de sociétés françaises est pratiquement stable.

([9]) Dans ce cas, les délais de livraison sont beaucoup plus courts, voisins de ceux pratiqués par les vendeurs installés sur place.

([10]) La DNEF estime le chiffre d’affaires non taxé en France à 285 millions d’euros pour 43 vendeurs déjà contrôlés, ce qui représente un manque à gagner de plus de 50 millions d’euros.

([11]) La procédure, prévue pour entrer en vigueur en 2021, a été repoussée à 2025 ; elle autorisera un dédouanement dans un pays et la livraison correspondante dans un autre.

([12]) Achats en ligne, gel hydroalcoolique, épargne/crédit, faux ordres de virement, hameçonnage/phishing, appels frauduleux aux dons, fraudes aux réparations, vols de coordonnées bancaires, rançongiciels.

([13]) Cour des comptes, « La fraude aux prélèvements obligatoires – Évaluer, prévenir, réprimer ».

([14]) L’application de suivi des opérations de contrôle de la DGFiP.

([15]) L’Italie est l’un des quatre pays à estimer l’écart fiscal pour l’ensemble des prélèvements obligatoires.

([16]) Règlement (UE) 2021/690 du 28 avril 2021.

([17]) Depuis 2019, les lignes directrices pour les sociétés de domiciliation ont été actualisées de même que celles des professionnels de l’immobilier et des banques et des assurances. Ont été publiées des lignes directrices pour le secteur de l’art, les opérateurs de jeux en ligne et pour les opérateurs de ventes volontaires et les marchands d’art.

([18]) Caractérisant une infraction.

([19]) Informations en lien avec une procédure en cours et ne comportant pas nécessairement la caractérisation d’une infraction.

([20]) Le rapport Warsmann-Saint-Martin mentionne spécifiquement que, quand les condamnations sont lourdes, souvent l’appel ne porte que sur la confiscation (p. 24).

([21]) L’AGRASC envisage une sorte de vente d’office pour les biens courants, mais avec un risque d’inconstitutionnalité puisqu’elle reviendrait à priver le prévenu de la possibilité de faire appel.

([22]) L’AGRASC est essentiellement financée d’une part par une fraction du produit des avoirs confisqués, plafonnée depuis 2020 à hauteur de 1,3 million d’euros, et d’autre part par le produit des intérêts perçus sur le stock des avoirs confisqués et saisis, soit 7,8 millions d’euros en 2020.

([23]) Proposition de loi n° 3427 améliorant l’efficacité de la justice de proximité et de la réponse pénale, présentée par MM. Dimitri Houbron et Olivier Becht.

([24]) Bien détenu en indivision, propriété démembrée, bien régulièrement loué, en encore bien de très faible valeur ou très dégradé.

([25]) Plateforme d’échange banques-administrations.

([26]) La Cour des comptes, dans son rapport sur la fraude aux prélèvements obligatoires, relève l’augmentation régulière des amendes encourues, plus lourdes qu’à l’étranger, en même temps qu’une moindre sévérité des peines prononcées.

([27]) Art. L. 231 du livre des procédures fiscales.

([28]) OCDE, Recommandation du Conseil sur l’intégrité publique

([29]) Dans le secteur public, le périmètre est moins mouvant car il est lié avant tout au statut. Il comprend notamment les administrations civiles et militaires, les collectivités territoriales, les opérateurs de l’État et les établissements publics.

([30]) Les différentes conventions conclues avec d’autres acteurs, comme la HATVP, Tracfin, le PNF, n’ont pas contribué à fluidifier les relations.

([31]) IGJ, Inspection de fonctionnement d’une enquête conduite par le parquet national financier, septembre 2020.

([32]) Dans le rapport initial, il est écrit que la DACG annonçait, quant à elle, 416 magistrats habilités JIRS.

([33]) 91 magistrats du parquet, 71 juges d’instruction, 63 membres des formations de jugement.

([34]) L’OCLCIF et l’OCRGDF à Nanterre, le tribunal judiciaire de Paris à la porte de Clichy rejoint par la  SDAEF de la préfecture de police rue du Bastion.

([35]) Investigateur en matière économique et financière (IMEF).

([36]) Fichier des contrats d’assurance-vie.

([37]) Base nationale de données patrimoniales.

([38]) Service d’estimation de biens immobiliers de la DGFiP.

([39]) Répertoire national commun de la protection sociale.

([40]) PHAROS permet seulement d’effectuer un signalement.

([41]) Adopté en première lecture par l’Assemblée nationale le 25 mai 2021.