N° 4316

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 6 juillet 2021.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DE la dÉfense nationale et des forces armÉes

en conclusion des travaux d’une mission d’information (1)

sur la stabilité au Moyen-Orient dans la perspective de l’après Chammal

 

ET PRÉSENTÉ PAR

 

Mme Françoise dumas
Présidente,

MM.  Philippe meyer et Gwendal rouillard

Rapporteurs

 

Députés

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(1) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.


La mission d’information sur la stabilité au Moyen-Orient dans la perspective de l’après Chammal est composée de : Mme Françoise Dumas, présidente, MM. Philippe Meyer et Gwendal Rouillard, rapporteurs, MM. Yannick Favennec-Bécot, Fabien Gouttefarde, Jean-Michel Jacques, Loïc Kervran, Jean Lassalle, Philippe Michel-Kleisbauer et Mme Nathalie Serre, membres.

 


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  SOMMAIRE

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Pages

avant-propos de la présidente

Introduction

synthèse des recommandations

Première partie : le moyen-orient, une région caractérisée par une instabilité chronique, taraudée par des conflits aux racines historiques profondes et aux sources plurielles

I. Le moyen-orient, une région hétéroclite vis-à-vis de laquelle la France a développé une politique étrangère évolutive

A. Le MOYEn-Orient, un ensemble géographique unitaire en apparence traversé par de profondes évolutions

1. Le Moyen-Orient, une unité en trompe-l’œil

2. Une zone portée par des évolutions sociologiques et des dynamiques fortes

a. L’affirmation des jeunes et des femmes

b. Le sort des « composantes » confessionnelles

c. L’influence ancienne mais grandissante des médias et des réseaux sociaux

B. Comprendre les évolutions géopolitiques du moyen-orient pour y adapter sa politique étrangère en conséquence

1. Histoire, stabilité et stratégie : trois notions fondamentales pour comprendre la géopolitique du Moyen-Orient

2. La politique étrangère de la France au Moyen-Orient et ses évolutions

II. trois foyers d’instabilité majeurs au moyen-orient : la guerre civile au yémen, le conflit israélo-palestinien et la situation politique, économique et sociale du liban

A. le yémen, un pays en proie à la guerre civile dont l’issue ne peut être que politique

1. Une situation très fortement dégradée sur le plan intérieur, marquée par un enlisement de la guerre civile et une situation humanitaire très alarmante

2. L’implication de l’Iran et du Hezbollah libanais auprès des Houthis

3. Une situation économique déjà très faible mais fortement dégradée par la guerre civile

B. l’interminable conflit israélo-palestinien au dÉfi de la paix

1. La France, puissance d’équilibre au Proche-Orient, plaide depuis toujours pour la solution à deux États vivant côte-à-côte en paix et en sécurité, dans le respect du droit international

2. La poursuite de la colonisation israélienne, illégale au regard du droit international, qui est au cœur des tensions entre Israël et les Territoires palestiniens

3. Un conflit gelé en apparence qui n’a que trop duré

C. Le Liban, un État quasi-failli au bord de l’écroulement

1. Le Liban aujourd’hui : un pays très gravement fragilisé et sans réelle perspective à court terme

a. Mosaïque confessionnelle, le Liban est peuplé à environ 75 % de Libanais et à 25 % de réfugiés

b. Le modèle économique libanais, caractérisé par des faiblesses structurelles, fait face à une très grave crise depuis fin 2019

c. Le Liban est à nouveau confronté à un blocage politique prolongé alors même qu’il doit répondre aux conséquences de la crise et des explosions dans le port de Beyrouth

d. La neutralité du Liban sur la scène régionale est mise à mal par les activités militaires du Hezbollah et la tentation d’une normalisation avec la Syrie de Bachar Al-Assad

2. Les forces armées libanaises et les forces de sécurité intérieure sont les deux derniers piliers permettant au Liban de tenir encore debout.

a. Les forces armées libanaises, bien qu’étant toujours debout, sont considérablement affaiblies par la crise économique

b. Un niveau de fragilité très inquiétant des forces de sécurité intérieure

c. Le soutien de la France et de ses partenaires aux FAL et aux FSI

3. L’action humanitaire et l’accompagnement de la transition par la France

a. Pour la mise en place d’une task force internationale humanitaire et civile au Liban

b. La France doit soutenir l’émergence d’un sentiment d’appartenance à une citoyenneté commune et accompagner la transition

III. L’égypte ET la jordanie, deux PAYS de stabilité sur lesquels la France peut et doit compter

A. l’égypte, un pays allié et ami de la France qui jouit d’une relative stabilité depuis l’arrivée au pouvoir du PRESIDENT Al-sissi

1. Une situation intérieure relativement stable, malgré la persistance de la menace terroriste, en particulier dans le Sinaï

2. Une politique étrangère volontariste marquée par le désir d’être un acteur important sur la scène internationale

3. L’Égypte et la France entretiennent d’excellentes relations bilatérales, notamment sur le plan militaire

B. La Jordanie, acteur essentiel pour la préservation de la paix au Moyen-Orient dont la stabilité est réelle mais demeure fragile

1. Une situation économique détériorée mais soutenue par les bailleurs internationaux

a. La détérioration de l’économie jordanienne, durement affectée par la pandémie de Covid-19, renforce une insatisfaction sociale latente

b. La Jordanie reste toutefois soutenue économiquement par ses bailleurs et politiquement sous contrôle.

2. Une politique étrangère équilibrée qui en fait un partenaire indispensable pour la résolution des conflits dans la région

a. En Syrie, la Jordanie privilégie une approche pragmatique guidée par le souci de sécuriser ses frontières et d’alléger le « fardeau » des réfugiés

b. La Jordanie est directement concernée par les différents paramètres du processus de paix entre la Palestine et Israël

c. La Jordanie trouve un intérêt direct à la stabilisation de l’Irak et à la réouverture depuis 2017 de sa frontière commune

3. Les relations bilatérales avec la Jordanie se déclinent tant dans le domaine militaire que sur le plan économique

a. Notre coopération avec la Jordanie en matière sécuritaire est un axe essentiel de notre relation bilatérale dans le contexte sécuritaire dégradé que connaît la région

b. La France soutient économiquement la Jordanie par l’aide au développement de ses infrastructures et l’appui aux réformes économiques.

c. À l’échelle du pays, la France dispose d’une présence économique importante

Deuxième partie : la présence militaire française au Moyen-Orient, vecteur indispensable de stabilisation de la région

I. L’opération amitié et la Force intérimaire des Nations unies au LibaN, manifestations concrètes du soutien de la France au liban et modèles de référence en matière de coopération civilo-militaire à l’échelle internationale

A. L’opération Amitié, Une intervention militaire d’urgence suite à l’explosion au port de beyrouth

1. Une opération qui témoigne de la grande réactivité des armées françaises en situation d’urgence et en un temps limité

2. Une forte mobilisation des trois armées

a. Une opération menée grâce aux rotations aériennes de l’armée de l’Air et de l’Espace

b. Le rôle de la Marine nationale illustré par l’engagement du porte-hélicoptères amphibie Tonnerre et du MN Calao

c. L’action du groupement terre Ventoux

3. L’opération Amitié, symbole de la coopération franco-libanaise, dispose d’un bilan remarquable

B. LA Force intérimaire des Nations Unies au Liban incarne l’implication et de la solidarité françaises et internationales pour la stabilité du sud-liban

1. Un contexte régional et local au Sud-Liban caractérisé par de multiples sources d’instabilité

2. Les ressorts de la dynamique stratégique et sécuritaire de la zone

3. L’action de la Force intérimaire des Nations Unies au Liban

4. L’opération Daman : le contingent français de la Force intérimaire des Nations Unies au Liban

5. Un bilan globalement positif pour la Force intérimaire des Nations Unies au Liban…

6. … qui ne doit pas éluder les difficultés auxquelles la Force doit faire face

7. Plusieurs perspectives envisageables pour l’avenir de la Force

II. Les forces françaises aux emirats arabes unis constituent la forme la plus aboutie de la coopération militaire française au Moyen-Orient

A. Les forces françaises aux emirats arabes unis, symboles de la présence militaire française au moyen-orient

1. Un dispositif militaire complet et stratégique impliqué dans plusieurs théâtres

2. La France est également présente à Bahreïn et a signé des accords de défense avec le Qatar et le Koweït

B. L’opération agénor, volet militaire de la mission européenne de surveillance maritime dans le détroit d’Ormuz, a joue un rôle central dans la réduction de la menace dans le détroit d’ormuz mais doit désormais évoluer

1. Une mission des États européens destinée à contenir les tensions dans le Golfe et dans le détroit d’Ormuz pour garantir la liberté de navigation

2. Face à la maîtrise de la menace et au désintérêt patent des États européens, l’opération Agénor devrait être mise en sommeil

III. la politique d’exportation d’armements de la France au moyen-orient ET le soutien à la souverainete des etats

A. Une politique d’exportation d’armements dynamique et reconnue par les Etats de la région

1. Quatre États du Moyen-Orient figurent parmi les principaux clients de la France en matière d’exportation d’armements

2. La qualité des matériels vendus par la France est unanimement appréciée par les États de la région

B. Renforcer le rôle de la DCSD et de DCI pour contribuer a la souverainete des etats, a la formation des forces de securite Militaires et civiles, au soutien aux populations

1. Pour une présence plus accrue de la DCSD au Moyen-Orient

2. Renforcer le rôle de DCI au Moyen-Orient

troisième partie : quel avenir pour l’opération chammal ?

I. la région irako-syrienne, marquée par l’émergence de Daech entre 2014 et 2017, demeure fragilisee malgré une amelioration de la situation

A. L’Irak, un pays allié de la France qui demeure confronté à de multiples defis en dépit du recul de Daech

1. Une situation intérieure marquée par de grandes fragilités malgré le recul de Daech

2. L’Irak essaie d’adopter une position d’équilibre au Moyen-Orient pour s’émanciper de la tutelle du duopole irano-américain

3. La relation franco-irakienne est dynamique et fondée sur le soutien apporté par la France à la construction de la souveraineté de l’Irak

B. L’impasse politique en Syrie bloque toute perspective de résolution de la crise qui mine le pays depuis 2011

1. La France se préoccupe de la situation en Syrie

2. La France est très fortement impliquée pour palier la situation humanitaire dramatique en Syrie

II. L’opération chammal, instrument indispensable pour la stabilisation de l’Irak et de la Syrie, jouit d’un excellent bilan et se justifie toujours face aux menaces

A. une contribution française qui compte

1. Une opération comportant deux piliers : le pilier « appui » et le pilier « formation »

a. Le pilier « appui »

b. Le pilier « formation »

2. Un dispositif relativement important au sein de la coalition internationale

3. L’action des forces spéciales déployées au sein de la task force Hydra

B. Le théâtre irako-syrien demeure confronté à des menaces Majeures, dont la résurgence de Daech

1. La menace représentée par Daech demeure encore forte, malgré la perte d’assise territoriale du groupe terroriste

2. La question des camps de prisonniers et de réfugiés

3. Le Moyen-Orient, laboratoire des conflits de demain ?

III. Dans un contexte de desengagement des etats-unis, L’après chammal devra s’articuler autour de deux axes complementaires

A. Un contexte de désengagement des etats-unis regrettable mais porteur d’opportunités pour la france

B. Le nécessaire maintien du mandat de l’opération Inherent Resolve et l’approfondissement des coopérations bilatérales en Orient

1. Une opération qui doit rester dédiée à la lutte contre le terrorisme incarné par Daech et Al Qaïda

2. Un développement indispensable de la relation bilatérale avec les États de la région

conclusion

Examen en commission

annexe 1 : la base aérienne projetée h5 au Levant

annexe 2 : la task force narvik

annexe 3 : la task force monsabert

annexe 4 : texte de la résolution adoptée par l’assemblee nationale le 2 décembre 2014 portant sur la reconnaissance de l’état de Palestine

annexe 5 : l’Institut français d’archeologie orientale

annexe 6 : Auditions et deplacements de la mission d’information

1. Auditions

2. Déplacements

annexe 7 : liste des acronymes


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« On sent bien qu’il s’agit ici d’entreprendre la géographie d’un certain désert.

Mais ce désert singulier n’est sensible qu’à ceux capables d’y vivre sans jamais tromper leur soif.

C’est alors, et alors seulement, qu’il se peuple des eaux vives du bonheur. »

 

Albert Camus, Noces, « Le désert »

 


 

   avant-propos de la présidente

 

Afin d’en évaluer la portée et les évolutions possibles, il m’a semblé opportun d’entreprendre un cycle de missions d’information sur les principaux engagements extérieurs de nos forces armées.

Une première mission s’est penchée sur l’opération Barkhane et a rendu ses conclusions en avril dernier.

Philippe Meyer et Gwendal Rouillard se sont quant à eux intéressés à l’opération Chammal et à la contribution de la France à la stabilité du Proche et du Moyen-Orient.

Le présent rapport en rend compte, alors qu’une autre mission a débuté ses travaux sur notre action militaire dans la zone indopacifique.

*

*       *

Le 29 juin 2014 à Mossoul, Daech proclamait un « pseudo-califat » censé s’étendre sur le territoire que l’organisation terroriste contrôlait en Irak et en Syrie. Usant sans retenue d’une violence débridée, justifiée par un extrémisme sans conscience, Daech apparaissait à la face du monde comme un dévoiement de l’Islam et l’exact inverse des valeurs que défend la communauté internationale.

À la demande de l’Irak, 80 États et organisations se sont aussitôt unis dans une coalition pour lutter contre ce groupe terroriste. La France y prit sa part dès le 19 septembre 2014 en lançant l’opération Chammal, volet français de l’opération internationale Inherent Resolve sous commandement américain. À chaque étape de la lutte, la France a pu dire « nous y sommes » : auprès des forces irakiennes, des peshmergas kurdes ou encore des forces démocratiques syriennes (FDS), ses aviateurs, ses artilleurs, ses marins et ses forces spéciales furent en première ligne. La France peut être fière de son engagement militaire au Levant où elle a contribué à défaire un groupe terroriste qui a frappé son territoire et sa population.

L’opération Inherent Resolve se poursuit pour éviter que Daech ne se reconstitue ou ne transforme des zones mal contrôlées en territoire refuge, mais elle est face à un tournant au moment où les États-Unis reconfigurent leur engagement au Moyen-Orient pour mieux répondre à une bascule stratégique vers l’Asie, endiguer l’Iran et réussir le retrait d’Afghanistan. Cette évolution a un impact direct sur l’opération française Chammal et incite à se projeter sans attendre dans son adaptation.

Dans un contexte où aucune évolution positive n’est à attendre en Syrie, la réarticulation américaine est un risque pour l’Irak, qui n’est pas encore pleinement stabilisé. Le pays fait en effet face à la résurgence de Daech dans certaines régions et à l’emprise croissante de milices issues des forces de la mobilisation populaire. Il faut ainsi éviter à tout prix la réitération du schéma de 2011 : le retrait précipité des forces américaines avait alors favorisé l’effondrement, trois ans plus tard, des forces irakiennes face à Daech puis l’entrisme ultérieur de la Russie et de la Turquie.

La France dispose d’atouts indéniables dans une région où elle n’a jamais manqué de clairvoyance depuis 2003 et où elle mène traditionnellement une politique diplomatique active.

Le présent rapport dessine plusieurs lignes que notre action gagnerait à mettre en œuvre pour réussir l’adaptation de Chammal. Citons-en les principales :

– la France devra rester partie prenante de ce qui ne manquera pas de succéder à Inherent Resolve, en veillant à ce que la finalité de cette future mission reste bien la lutte contre la résurgence de mouvements terroristes et non l’endiguement de la puissance iranienne et de ses proxies, qui relève d’autres logiques ;

– la France devra approfondir le partenariat stratégique bilatéral avec l’Irak, en développant une dimension capacitaire adossée à un accompagnement opérationnel, sachant allier formation et coopération structurelle renouvelées autour de la Direction de la coopération de sécurité et de défense (DCSD). Celle-ci devra saisir le moment pour réorienter une partie de ses efforts vers le Proche et le Moyen-Orient, en s’appuyant éventuellement sur une présence accrue du groupe Défense conseil international (DCI), opérateur du transfert de savoir-faire militaire français ;

– la France devra conserver des capacités de combat en Irak et en Syrie à partir de détachements de forces spéciales mais également de moyens aériens coordonnés, en Jordanie et aux Émirats arabes unis, où notre présence doit aussi servir à approfondir nos coopérations militaires ;

– la France devra soutenir la mission de l’OTAN en Irak (NATO Mission in Iraq, NMI) et la mission de l’Union européenne (European Union Advisory Mission in Iraq, EUAM) en veillant toutefois à ne pas s’y épuiser ;

– enfin, la France devra rechercher avec la communauté internationale une solution pour traiter de l’avenir judiciaire des djihadistes détenus dans les camps situés dans le Nord-Est syrien car leur avenir ne peut pas être de n’en avoir aucun.

Mais la situation régionale incite surtout à concevoir l’après Chammal dans une approche régionale élargie qui ne peut se limiter au seul théâtre syro-irakien.

L’évolution d’Inherent Resolve dans un proche avenir répond en effet à des transformations stratégiques qu’une approche sous-régionale ne permettra jamais de rendre cohérentes. L’avenir de l’opération Chammal doit donc être pensé à l’échelle du Proche et du Moyen Orient. Il devra intégrer les limites des stratégies de pression maximale et s’articuler avec un retour souhaitable de l’Iran dans les accords de Vienne prenant en compte les ambitions balistiques et le rôle déstabilisateur du régime iranien, de la Méditerranée au détroit d’Ormuz, sans adopter la vision erronée qui voit en tout Chiite un agent iranien.

L’avenir de Chammal devra être cohérent avec la position soutenue par la France d’une reprise d’un processus de paix israélo-palestinien dans le cadre d’une solution à deux États et du soutien au groupe d’Amman qui aura tout à gagner d’un axe fort entre l’Égypte, la Jordanie et l’Irak, que la France doit conforter. Il devra respecter la souveraineté des États et contribuer à la protection des plus faibles d’entre eux. Au bord de l’effondrement, la situation du Liban est à cet égard particulièrement préoccupante. Le Liban – qu’une classe politique défaillante n’a pas su protéger contre la corruption, ni préserver des tensions communautaires – doit bénéficier de l’appui d’une task force internationale civile et humanitaire, sous l’égide des Nations unies et de la Banque mondiale, pour coordonner et amplifier l’aide d’urgence dont le peuple libanais a besoin.

Enfin, les opérations militaires françaises n’atteindront leurs objectifs qu’à l’aune d’une politique culturelle et linguistique plus ambitieuse au service du développement de la citoyenneté des habitants de la région. Aucun d’entre eux ne doit être cantonné à un déterminisme communautaire qui rejetterait dans l’insurrection armée les minorités dédaignées, comme certains Sunnites en Irak, ou les désignerait à une discrimination continue, comme certains Chrétiens d’Orient. Vecteur d’influence, la politique culturelle promue par la France est d’abord une contribution au dialogue des cultures et un moyen de lutter contre tous les extrémismes. Dans ce cadre, le développement de l’apprentissage du français et le soutien des établissements scolaires, culturels ou de recherche doivent redevenir un levier au service de l’universalisme, du respect des communautés et d’une citoyenneté possible, au-delà des attachements confessionnels. La participation de la Jordanie et de l’Irak aux travaux de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) est, en ce sens, à promouvoir.

*

*       *

Ce rapport est aussi l’occasion de saluer l’engagement de nos diplomates qui, dans cet Orient complexe, font rayonner la France et y déploient une politique ambitieuse malgré les difficultés locales et des moyens extrêmement comptés. Nos compatriotes doivent par exemple connaitre l’admirable engagement personnel et professionnel de nos ambassadeur, consul général et agents des services de l’ambassade de France à Bagdad comme du consulat général de France à Erbil qui, constamment protégés par nos forces du Groupe d’intervention de la Gendarmerie nationale (GIGN), aident à porter la voix de la France, à défendre nos intérêts dans l’insécurité, l’inconfort et l’isolement. La commission de la Défense nationale et des forces armées a souvent l’occasion de souligner à quel point nos soldats engagés au combat méritent la reconnaissance de la Nation : nos équipes diplomatiques et nos services de sécurité le méritent tout autant.


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   Introduction

 

La mission d’information sur la stabilité au Moyen-Orient dans la perspective de l’après Chammal se proposait d’évaluer la politique étrangère de la France dans la région, de faire un bilan de la présence militaire française dans la zone et de dresser des perspectives pour penser l’avenir de l’opération Chammal.

À cette fin, les rapporteurs ont participé à près de 80 entretiens (17 auditions en France et une soixantaine aux Émirats arabes unis, en Irak, en Jordanie, en Égypte et au Liban). Ils y ont rencontré les militaires français déployés sur place et les diplomates mais également les autorités politiques et militaires locales, des acteurs associatifs ou encore des chercheurs. Ils profitent de cette occasion pour remercier l’ensemble des acteurs avec lesquels ils ont interagi dans le cadre de cette mission, et en particulier lors de leurs déplacements. Ils saluent l’engagement sans faille de nos militaires, qui font honneur à la France par leur dévouement et qui forcent le respect, ainsi que de nos diplomates, qui contribuent activement au rayonnement de la France à l’étranger.

Dans le cadre de leurs travaux, les rapporteurs ont délibérément limité le périmètre de leur champ d’étude. En effet, le Moyen-Orient désigne un espace géographique particulièrement large, dont les contours peuvent faire légitimement l’objet de discussions. Ils ont par exemple choisi d’inclure l’Égypte dans leur périmètre car il s’agit d’un partenaire pivot dans la région. Cela ne les a évidemment pas empêchés de s’intéresser à l’influence et à la politique des États environnants dans la zone, parmi lesquels l’Iran et la Turquie, ou d’autres États plus éloignés mais influents comme la Russie ou la Chine.

Par ailleurs, ils ont dû procéder à des choix et se sont concentrés sur certains États et sur certains sujets, parfois au détriment d’autres. À titre d’exemple, la politique étrangère de la France vis-à-vis du Qatar n’a pas été étudiée dans le cadre de ce rapport.

Ainsi, le rapport comprend trois axes :

– un premier axe qui a trait à la géopolitique de la région, perçue par le prisme de l’enjeu de la stabilité, avec, dans un premier temps, une approche globale sur les grandes tendances géopolitiques dans la zone, puis une focalisation sur les trois principaux foyers d’instabilité en plus de l’Irak et la Syrie que sont la guerre civile au Yémen, le conflit israélo-palestinien et la situation du Liban, et une présentation des deux États centraux pour la coopération bilatérale que sont l’Égypte et la Jordanie ;

– un deuxième axe qui traite de la présence militaire de la France dans la zone (hors opération Chammal), au sein de laquelle il sera question de l’opération Amitié au Liban, de la FINUL, des Forces françaises aux Émirats arabes unis (FFEAU) et de l’opération Agénor, ainsi que de la politique d’exportation d’armements française dans la région ;

– et un troisième axe qui traitera spécifiquement de l’opération Chammal, et en particulier de ses perspectives.

Enfin, au-delà de la dimension informative du rapport, les rapporteurs ont souhaité tout particulièrement formuler et proposer des recommandations afin de contribuer à la réflexion générale sur cet enjeu crucial.

   synthèse des recommandations

 

1. Dans le contexte de désengagement américain du Moyen-Orient, la France doit augmenter ses moyens opérationnels et financiers afin de promouvoir ses intérêts, soutenir ses partenaires et participer à la promotion de la citoyenneté et de l’égalité des droits. Il s’agit d’une condition fondamentale si la France souhaite encore « compter » dans cette région et jouer véritablement son rôle de « puissance d’équilibre ». Nous devons obtenir des résultats tangibles ces prochaines années afin de contribuer à la stabilité et au développement en Orient, y compris avec les États européens partenaires.

2. Afin de lutter contre Daech, Al Qaïda et leurs filiales, nous recommandons la poursuite ces prochaines années de l’opération Chammal dans le cadre de la Coalition internationale en Irak et en Syrie. À ce titre, il nous faut approfondir la cohérence de notre dispositif militaire et sécuritaire dans la région, par exemple entre la base aérienne projetée (BAP) H5 en Jordanie et la base aérienne (BA) 104 Al Dhafra aux Émirats arabes unis. De plus, nous suggérons la mise en sommeil de l’opération Agénor conduite par plusieurs États Européens dans le détroit d’Ormuz. Nous pourrons réactiver ce dispositif en cas de nouvelles escalades dans la zone afin de garantir la liberté de navigation, et plus particulièrement de protéger nos marines marchandes et de sécuriser nos approvisionnements. Dans la perspective de la présidence française de l’Union européenne (PFUE), nous recommandons une réflexion avec nos partenaires européens sur l’évolution du dispositif naval dans la région.

3. Nous recommandons de conforter nos relations bilatérales stratégiques et sécuritaires, notamment avec l’Irak, les Émirats arabes unis, l’Arabie Saoudite, la Jordanie, l’Égypte, le Liban, le Koweït et Bahreïn. À ce titre, nous encourageons en particulier la préparation d’un accord stratégique avec l’Irak, la dynamique de coopération de la « Trilatérale » Le Caire/Amman/Bagdad, le développement des coopérations entre les acteurs français (centre de planification et de conduite des opérations (CPCO), commandement des opérations spéciales (COS), DCSD et Centre de crise et de soutien au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (MEAE), Agence française de développement (AFD), DCI…) et nos pays partenaires.

4. En cohérence avec nos partenariats stratégiques au Moyen-Orient, nous recommandons d’amplifier notre soutien à nos industries de la Défense et à nos industries civiles. Dans un contexte de forte concurrence internationale, nous devons traduire en actes l’excellence de nos produits et de nos savoir-faire reconnus par l’ensemble de nos interlocuteurs dans les pays de la région.

5. Concernant le conflit israélo-palestinien, nous recommandons la reprise d’un dialogue politique entre les deux parties encouragées par le groupe d’Amman (France, Allemagne, Jordanie et Égypte), la solution à deux États conformément aux résolutions des Nations Unies, l’arrêt définitif de la colonisation israélienne dans les Territoires palestiniens et le règlement de la question des réfugiés palestiniens. À titre personnel, M. le rapporteur Gwendal Rouillard plaide pour la reconnaissance de l’État de Palestine par la France.

6. Concernant la situation au Liban, nous recommandons l’installation urgente à Beyrouth d’une task force internationale humanitaire et civile sous l’égide des Nations Unies et de la Banque mondiale afin d’amplifier les actions humanitaires et de développement (alimentation, eau, médicaments, soins, écoles, électricité...). Nous encourageons la France et ses partenaires arabes et occidentaux à soutenir les Forces armées libanaises (FAL) et les Forces de sécurité intérieure (FSI) afin d’éviter leur effondrement et de poursuivre leur montée en puissance opérationnelle face à Daech et aux autres menaces (trafics de drogues...). Enfin, nous souhaitons que la France, ses partenaires et les Nations Unies puissent garantir la tenue des élections législatives, municipales et présidentielle en 2022. Les Libanaises et les Libanais doivent pouvoir s’exprimer librement afin de bâtir le changement et leur « Nouveau Liban ».

7. Concernant le Yémen, nous encourageons la France avec les Nations Unies et les États-Unis à poursuivre le dialogue politique avec l’ensemble des parties pour bâtir une solution de paix. Notre pays doit continuer à soutenir le Gouvernement yéménite légal et favoriser les échanges avec les Houthis qui souhaitent la paix et la reconstruction. Il faut bien évidemment poursuivre l’action humanitaire en faveur de la population. Enfin, la lutte contre Al Qaïda dans la Péninsule arabique (AQPA) et Daech au Yémen doit également être poursuivie avec nos partenaires arabes et occidentaux.

8. Face aux rivalités de puissances au Moyen-Orient et dans le monde, nous encourageons la France à poursuivre ses efforts pour réinventer et réaffirmer le multilatéralisme. Seules les coopérations et les dynamiques de dialogues permettront de construire des solutions politiques et de paix dans la durée. Par exemple, notre pays peut davantage contribuer à la lutte contre le sectarisme confessionnel au Moyen-Orient en accompagnant les États à bâtir les instruments de leur souveraineté et de leur développement. Enfin, rappelons que l’éducation et la culture demeurent les clés principales pour former les citoyennes et les citoyens. À ce titre, la Francophonie représente un enjeu majeur pour un rayonnement partagé.


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   Première partie : le moyen-orient, une région caractérisée par une instabilité chronique, taraudée par des conflits aux racines historiques profondes et aux sources plurielles

I.   Le moyen-orient, une région hétéroclite vis-à-vis de laquelle la France a développé une politique étrangère évolutive

A.   Le MOYEn-Orient, un ensemble géographique unitaire en apparence traversé par de profondes évolutions

1.   Le Moyen-Orient, une unité en trompe-l’œil

Eu égard à la complexité de la région, et comme indiqué précédemment, estimer que le « monde arabe », voire le « Moyen-Orient », constitue un bloc homogène ne rend pas compte de la complexité de la zone. Néanmoins, il est possible de distinguer quelques points de convergence entre les États de la région.

En dehors d’Israël, tout en reconnaissant le rôle et l’importance de la diversité des communautés religieuses dans la région, le premier point de convergence est le caractère central du paramètre politique et religieux musulman dans l’histoire du Moyen-Orient. Le partage de la langue arabe est également un point de convergence entre les différents États de la zone, même si chaque pays, voire chaque région, utilise des dialectes différenciés. Mais le développement récent de ce que l’on appelle « l’arabe médian », qui est d’usage dans la presse écrite, les médias audio-visuels et dans le discours politique, est caractéristique d’une forme d’unité par la langue dans la région. Mais au-delà des critères religieux et linguistiques, le facteur de cohésion entre les États du Moyen-Orient est la conscience d’un passé commun, de luttes communes menées contre des oppressions étrangères et d’une aspiration à l’unité culturelle et politique comme idéal.

Surtout, sur le plan religieux, la question du clivage sunnite-chiite apparait, à tort, comme le clivage ultime au sein de la population musulmane. Après avoir été longtemps dominée par les paradigmes du nationalisme arabe puis du marxisme, l’analyse de la géopolitique au Moyen-Orient par les chercheurs prend désormais davantage en compte la question identitaire. En réalité, le clivage sunnite-chiite est un facteur important de la géopolitique du Moyen-Orient, même si, bien entendu, il s’articule avec des rapports de puissance. Les chiites ont été marginalisés pendant longtemps dans la région, voire complètement oubliés (comme ce fut le cas, par exemple, au Liban), car ils étaient considérés comme des citoyens de seconde zone. La situation en Irak ne peut se comprendre sans appréhender les référents communautaires et ethniques (sunnites, chiites, kurdes, chrétiens, yézidis…). Dans la période récente, la rivalité entre le « monde sunnite » et le « monde chiite » est souvent présentée comme un enjeu géopolitique central, en particulier depuis l’instauration de la République islamique d’Iran en 1979 et la mort de Saddam Hussein en 2003, qui a permis l’accession au pouvoir des chiites en Irak après en avoir été écartée durant des siècles, bien que démographiquement majoritaires.

Or, si le facteur confessionnel est un paramètre à intégrer dans toute analyse géopolitique du Moyen-Orient, il ne peut pas se substituer à une analyse intégrant l’ensemble des facteurs expliquant les dynamiques de la région, dont les sociétés se caractérisent par une forte diversité qui dépasse de très loin le seul clivage sunnite-chiite. La tentation est d’autant plus grande aujourd’hui de réduire les conflits régionaux à ce seul clivage que ceux-ci ont souvent l’apparence d’un conflit entre sunnites et chiites. Depuis lors, la tentation de reproduire cette grille de perception pour saisir les dynamiques régionales est grande. Mais celle-ci ne peut rendre compte, par exemple, des oppositions entre l’Arabie Saoudite et l’Égypte du temps de Mohamed Morsi, des tensions toujours vives entre l’Arabie Saoudite et le Qatar ou entre la Turquie et l’Égypte, ou encore du soutien du Hezbollah au Hamas.

En réalité, malgré quelques points de convergence, il convient de renoncer à toute conception réductrice ne rendant pas compte de la grande diversité de cet ensemble géographique. La diversité ethnique et confessionnelle des États de la zone ainsi que les fortes disparités en termes de développement économique ne sont que deux signes de la grande hétérogénéité qui caractérise le Moyen-Orient. Les tensions et les conflits sont avant tout politiques et territoriales.

2.   Une zone portée par des évolutions sociologiques et des dynamiques fortes

a.   L’affirmation des jeunes et des femmes

Le Moyen-Orient est traversé par des transformations sociologiques et économiques majeures dont les acteurs principaux sont, d’une part, les jeunes générations, et d’autre part, les femmes.

Comme nous le savons, le mouvement des Printemps arabes est né à l’hiver 2010 par l’immolation de Mohamed Bouazizi, un jeune Tunisien de 26 ans, vendeur ambulant, pour protester contre la confiscation de sa charrette et de sa balance par les autorités tunisiennes. Devenu le symbole d’une jeunesse désespérée qui ne parvient pas à s’intégrer au sein de sociétés profondément inégalitaires, son suicide a précipité la révolution en Tunisie et provoqué deux mois plus tard la chute du dirigeant de l’époque, Zine el-Abidine Ben Ali.

Les populations des États du Moyen-Orient sont majoritairement jeunes. L’âge médian y est de 25 ans, contre 30 ans à l’échelle de la planète. Or, c’est au sein de la population des 15-24 ans que la proportion des demandeurs d’emploi est la plus forte, y compris dans des États plus développés comme l’Arabie Saoudite. Entre 15 et 24 ans, on estime que 40 % des diplômés de l’enseignement secondaire et supérieur ne trouvent pas d’emploi.

D’importantes frustrations naissent inévitablement de cette situation, en particulier par rapport à la qualité réelle des formations suivies par ces jeunes diplômés mais sans emploi. Le sentiment de blocage, de relégation et d’inutilité sociale qui gagne de plus en plus de jeunes, humiliés par leur situation, incitent souvent ces derniers à être en pointe des mouvements de contestation. Dans le même temps, on assiste également à un phénomène de fuite des cerveaux, qui partent à l’étranger pour trouver des opportunités. D’autres trouvent refuge dans le conservatisme religieux, voire, pour certains, dans le recours à la violence. Les États de la région ont plus ou moins conscience de ce phénomène et adaptent leurs politiques économiques pour tenter de répondre aux aspirations des jeunes. Mais les efforts à consentir sont importants et l’efficacité des politiques économiques menées fait peser un risque conséquent sur la stabilité des États du Moyen-Orient.

Les femmes connaissent une situation ambivalente au Moyen-Orient. D’une part, elles subissent une oppression économique et de genre, et, d’autre part, constituent de plus en plus la matrice des mouvements de protestation. En tendance, les femmes sont deux fois plus nombreuses que les hommes à être en situation de chômage au Moyen-Orient, sans compter celles qui ne travaillent pas mais qui ne sont pas demandeuses d’emploi, soit parce qu’elles sont reléguées aux tâches domestiques ou parce qu’elles travaillent dans le secteur informel de l’économie. Même si ces inégalités renvoient à la situation d’oppression de nature politique et culturelle dont les femmes sont victimes, en réalité, dès la fin du XIXe siècle, le combat pour l’égalité a été mené par des femmes issues de milieux aisés et revendiquant l’égalité avec les hommes aux niveaux politique et social. Les femmes ont joué un rôle central dans le cadre des luttes de libération nationale et certains États, comme la Tunisie, ont adopté des lois dès les années 50 pour l’égalité civile entre les femmes et les hommes ainsi que l’abolition de l’obligation du port du voile. Au cours des Printemps arabes, les femmes ont été à la pointe des mobilisations et ont joué un rôle central. Certains États ont adopté des réformes qui permettent aujourd’hui aux femmes de disposer de davantage de droits civils et de rattraper le retard en matière d’inégalités vis-à-vis des hommes, à l’instar des mesures adoptées par l’Arabie Saoudite permettant aux femmes de participer davantage à la vie sociale. Mais elles demeurent encore de facto marginalisées et continuent de subir une oppression forte de la part de sociétés encore très patriarcales.

b.   Le sort des « composantes » confessionnelles

La situation des « composantes » confessionnelles au Moyen-Orient varie selon les États dans lesquels elles se trouvent. L’Égypte recèle la plus forte communauté chrétienne arabe avec les coptes qui représentent environ 10 millions d’Égyptiens, sur une population totale de 100 millions de personnes. Malgré la politique menée par le président Abdel Fatah Al-Sissi pour les protéger et les valoriser, les coptes se trouvent encore aujourd’hui dans une situation de relégation sociale et sont fréquemment victimes de tentatives d’attentats commis par des organisations djihadistes. Ils ont souvent des difficultés à parvenir à des postes de responsabilité et font fréquemment l’objet de méfiance dans le pays.

Au Liban, la situation est différente. La singularité libanaise réside dans son organisation politique basée sur le confessionnalisme. Codifié à titre provisoire dans la Constitution libanaise en 1926, l’équité entre les différentes communautés dans l’accès aux emplois publics et dans la composition des ministères est toujours d’actualité aujourd’hui. Le pacte de 1943 a institutionnalisé les règles de répartition en attribuant la présidence du pays à un chrétien maronite, la primature à un sunnite et la présidence du parlement à un chiite. Ce système singulier est devenu au fil du temps un facteur de blocages et de replis communautaires. Seule la promotion d’une véritable citoyenneté par l’acquisition d’un statut personnel unifié pourrait permettre de construire une nation et un sentiment d’appartenance partagé.

En Irak et en Syrie, la situation des « composantes » est particulièrement préoccupante. Elles ont fui par centaines de milliers les territoires occupés par Daech lors de leur occupation territoriale entre 2014 et 2017. En particulier, les Yézidis, dans le nord de l’Irak, ont subi un génocide reconnu comme tel par les Nations unies de la part de Daech en août 2014. Les communautés chrétiennes ont également fait l’objet de persécutions très graves et ont, pour une partie d’entre elles, fait le choix de l’exil en dehors des villes où elles vivaient parfois depuis des siècles, voire en dehors de l’Irak ou de la Syrie. En ce sens, nous encourageons l’action de la France, des Nations unies et de leurs partenaires afin de soutenir et de protéger l’ensemble des composantes dans le cadre du « Plan d’action de Paris ».

c.   L’influence ancienne mais grandissante des médias et des réseaux sociaux

Les médias et les réseaux sociaux jouent un rôle de plus en plus important au Moyen-Orient, au point de devenir un des enjeux majeurs pour la stabilité de la région. Sans remonter à la création de La Voix des Arabes, radio créée par Gamal Abdel Nasser en 1953 pour répandre le panarabisme dans la région, le tournant s’est opéré après la première guerre du Golfe, lorsque l’Arabie Saoudite et le Qatar ont vu l’influence de la chaine américaine CNN dans la perception des enjeux du conflit entre l’Irak et le Koweït. Mais tandis que les médias arabes étaient souvent conçus comme des instruments au service du pouvoir politique en place, la création de la chaîne qatarie Al Jazeera en 1996 a permis une véritable évolution. Pour la première fois, un média critique arabe de masse a pris son essor et est parvenu à s’imposer en touchant un public varié. Mais indépendamment du ton nouveau qu’utilisent désormais certains médias arabes ou panarabes, ceux-ci ne sont pas parvenus à se constituer suffisamment en contre-pouvoirs.

Cette situation explique l’essor fulgurant d’internet et des réseaux sociaux dans le monde arabe. En 2015, on estimait que près de 150 millions de citoyens arabes utilisaient internet, dont 40 millions connectés sur Facebook. Outre la capacité d’accès à des informations et des échanges non directement contrôlés par les pouvoirs en place, et en dépit de la surveillance exercée à leur encontre et des fermetures ponctuelles dont les réseaux sociaux font l’objet lors des moments de crise ou des mouvements populaires, ces nouveaux moyens de communication ont favorisé la médiatisation d’informations qui n’auraient jamais été diffusées sur les médias traditionnels. Par ailleurs, l’émergence progressive d’une scène médiatique arabe unifiée favorise la compréhension entre les peuples de la région en permettant la cristallisation de véritables opinions publiques et le sentiment d’appartenance à une identité arabe collective. Ainsi, à la logique verticale des anciens médias traditionnels, une logique horizontale favorable aux interactions, aux échanges et aux débats est en train de se développer.

Cette nouvelle donne n’a jamais été autant visible que lors des Printemps arabes, pendant lesquels les réseaux sociaux Twitter, Facebook et Instagram ont joué un rôle central. Néanmoins, le succès des Printemps arabes ne peut pas s’expliquer exclusivement par l’affirmation de ces nouveaux modes de communication. En réalité, si les réseaux sociaux ont permis de faciliter et d’accélérer les mobilisations, ils ne les ont pas créés.

B.   Comprendre les évolutions géopolitiques du moyen-orient pour y adapter sa politique étrangère en conséquence

1.   Histoire, stabilité et stratégie : trois notions fondamentales pour comprendre la géopolitique du Moyen-Orient

Tout en étant un ensemble géopolitique à part entière, le Moyen-Orient se divise en trois espaces dont les histoires, les sociologies et les cultures sont différentes :

– l’espace Sykes-Picot, qui constitue l’épicentre du Moyen-Orient et qui regroupe Israël et les pays dans lesquels l’État peine à s’affirmer, soit l’Irak, la Jordanie, la Syrie et le Liban ;

– l’espace des pays du Golfe, qui regroupe l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis, qui ont cependant tous les deux des histoires très différentes ;

– et l’espace des empires, qui regroupe les États situés en dehors du Moyen-Orient mais qui y exercent une forte influence, c’est-à-dire la Turquie et l’Iran.

Au Moyen-Orient, et en particulier au sein de l’espaces Sykes-Picot, la stabilité ne peut s’envisager qu’à travers le prisme de l’histoire. Il convient de distinguer les conflits de nature structurelle, voire existentielle, issus de l’espace Sykes-Picot, et les conflits conjoncturels, d’intérêts de puissance, qui s’appuient souvent sur les conflits structurels.

Les conflits structurels-existentiels trouvent leurs sources dans l’absence de solution à la question nationale et concernent en premier lieu les Palestiniens et les Kurdes. Plus de 50 millions de personnes se retrouvent sans reconnaissance politique ou bénéficient d’une autonomie plus ou moins grande au sein d’États. Par ailleurs, ces conflits structurels-existentiels trouvent leurs sources dans la tension entre l’appartenance à une communauté et l’appartenance à une nation. La guerre civile au Yémen est une des illustrations de cette tension. La troisième origine des conflits structurels-existentiels est liée à l’enjeu de la citoyenneté, dont les Printemps arabes et les révoltes de 2019 sont des illustrations. Enfin, la quatrième et dernière source des conflits structurels-existentiels est liée aux territoires. Les conflits entre le Liban et la Syrie, entre la Palestine et Israël ou entre l’Irak et le Koweït en sont des exemples.

Les conflits conjoncturels trouvent leurs sources dans les conflits structurels-existentiels précités mais ont des caractéristiques plus classiques. Depuis 10 ans, les États-Unis ont vu leur influence décliner dans la région au profit des puissances environnantes comme la Russie, la Turquie et l’Iran. Téhéran développe une stratégie d’influence en étroite interaction avec ses intérêts de défense nationale. Son objectif est de construire un archipel chiite au Moyen-Orient comme nous le constatons en Irak, en Syrie, au Liban et au Yémen. L’Iran a été paradoxalement aidé en cela par les États-Unis qui, en 2003, ont renversé le régime de Saddam Hussein et les structures étatiques. Le régime iranien est en réalité un facteur de déstabilisation comme nous le constatons au Liban par son soutien au Hezbollah. Il est aussi un facteur de vassalisation, comme en témoigne son appui aux milices chiites en Irak. Nous pensons également à son programme nucléaire militaire, au développement de ses capacités balistiques et drones qui menacent l’ensemble de la région comme nous l’avons constaté sur le terrain.

Dans ce contexte, comment les Occidentaux peuvent-ils agir au Moyen-Orient ? Le tournant a eu lieu en août 2013, lorsque Barack Obama a indiqué que les États-Unis interviendraient en Syrie dès lors que Bachar el-Assad utiliserait des armes chimiques. Ils ne sont finalement pas intervenus à la suite d’un changement de position de dernière minute du président américain et du veto du parlement britannique. Cette décision a eu un effet majeur. La Russie en a déduit qu’elle pouvait intervenir en Syrie sans craindre de représailles de la part des Occidentaux ; d’où son intervention sur le terrain à partir de 2015. De manière générale, les États-Unis veulent se retirer du Moyen-Orient malgré une certaine présence. Les premiers pas de l’administration Biden laissent entendre que les États-Unis ont une stratégie globale, en rupture partielle avec la précédente administration. À cet égard, la réaffirmation du caractère impérieux du droit international vis-à-vis du conflit israélo-palestinien, le retour dans les négociations sur l’accord de Vienne ainsi que la reconnaissance du génocide arménien, en témoignent. Pour la France, il s’agit d’incarner une troisième voie entre Washington d’un côté et, de l’autre, Moscou-Téhéran-Pékin. Le président de la République souhaite ainsi faire de notre pays une puissance d’équilibre attachée au dialogue, aux coopérations et au multilatéralisme.

2.   La politique étrangère de la France au Moyen-Orient et ses évolutions

Comme indiqué précédemment, le Moyen-Orient traverse une période de transformations sociologiques et politiques profondes, qui dépassent la seule question de la citoyenneté et de l’État-nation. Les questions liées aux droits des femmes, à l’évolution démographique, aux facteurs économiques (dont le pétrole), à la religion, à l’éducation, aux changements induits par l’urbanisation ou encore le rôle des jeunes sont autant de facteurs qui font évoluer le Moyen-Orient. Certaines crises dans la zone sont d’ailleurs directement liées à ces évolutions.

La référence à la « politique arabe de la France » pour évoquer notre action extérieure au Moyen-Orient est de plus en plus questionnée alors que le « monde arabe » n’est plus perçu et ne se perçoit plus comme un bloc homogène ou uni par une idéologie commune telles que le panarabisme. Les pays de la région se pensent comme des États indépendants qui interagissent avec d’autres États indépendants, dans la région et au-delà, ce qui appelle de notre part une politique différenciée.

Pour autant, la crédibilité de la politique étrangère de la France dans la région a été remise en cause ces dernières années :

– par la guerre en Syrie et le constat, dix ans après son déclenchement, d’un échec de la communauté internationale que nous avons soutenue : la menace terroriste n’a pas disparu, Bachar al-Assad est encore au pouvoir, la Russie et l’Iran ont su saisir une opportunité stratégique ;

– par la remise en cause de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien, d’abord par les États-Unis de M. Trump puis dans un second temps par l’Iran.

A contrario, la politique étrangère de la France au Moyen-Orient est appréciée par nos partenaires car elle développe une approche globale. Elle fonde son action sur l’État de droit, la citoyenneté, l’éducation, la diversité des cultures, le développement et, bien sûr, la lutte contre le terrorisme islamiste. Cet engagement militaire français est précieux car il nous octroie une valeur ajoutée, notamment pour faire entendre un point de vue différent de celui des pays du Golfe, des États-Unis, de la Russie ou de l’Iran. Le défi consiste désormais à transformer cette valeur ajoutée « militaire » en valeur ajoutée « politique ». La France y parvient déjà en partie en Irak, où son engagement militaire lui a permis de peser politiquement, au sein de la Coalition, vis-à-vis du gouvernement irakien comme du gouvernement régional du Kurdistan et de faire entendre sa voix en faveur de la souveraineté irakienne. De manière plus générale, la France doit amplifier ses différents registres d’action dans la région. La France doit davantage s’adresser aux sociétés civiles, ce qu’elle fait déjà de plus en plus, et pas exclusivement aux autorités gouvernementales des pays de la zone.

Enfin, la France plaide pour la stabilisation du Moyen-Orient mais il convient d’en préciser les termes : s’agit-il de la stabilité des pouvoirs en place ou des pays en tant que tels ? S’agit-il de garantir une stabilité à court terme ou d’élaborer une stratégie pour garantir une stabilité à long terme ? La recherche de la stabilité implique-t-elle d’accompagner ou de freiner les évolutions en cours dans les États de la zone ? La garantie de la stabilité dans chaque État ne suffit pas à assurer une stabilité régionale, alors que les comportements de chaque État pour assurer leur sécurité et stabiliser leur environnement immédiat tendent à alimenter les frictions. Dans leurs politiques de sécurité nationales, les pouvoirs en place peuvent être tentés d’instrumentaliser l’enjeu de la stabilité dans leurs relations avec nous pour justifier une forme de statu quo qui leur convient et assure leur survie. La Syrie montre par l’absurde que la pérennité du pouvoir en place n’entraîne pas forcément la stabilité du pays et ne contribue pas toujours à la stabilité régionale. Satisfaire certaines des demandes de réassurance émanant des États de la région doits’inscrire aussi dans une réflexion sur l’architecture de sécurité d’ensemble de la région qui doit gagner en cohérence.

La politique étrangère de la France se caractérise également par la prise d’initiatives et la volonté de parler à tous les acteurs de la région et toutes les parties prenantes. Il s’agit de la 3e voie française voire européenne. La mobilisation de nos partenaires internationaux apparaît indispensable au succès de nos initiatives mais s’avère difficile, en particulier dans un contexte de retrait des États-Unis de la région qui affecte les calculs des Européens. La France peut s’appuyer sur certains États pivots comme l’Égypte et l’Irak, mais également sur des États avec lesquels elle a noué une relation privilégiée plus récemment, comme les Émirats arabes unis où sont implantées les FFEAU, et la Jordanie.

 

II.   trois foyers d’instabilité majeurs au moyen-orient : la guerre civile au yémen, le conflit israélo-palestinien et la situation politique, économique et sociale du liban

A.   le yémen, un pays en proie à la guerre civile dont l’issue ne peut être que politique

1.   Une situation très fortement dégradée sur le plan intérieur, marquée par un enlisement de la guerre civile et une situation humanitaire très alarmante

La population du Yémen est de 30 millions d’habitants, dont 24 millions dans le Nord et 6 millions dans le Sud. Elle est composée à 40 % de zaydites, qui incarnent le pouvoir politique et religieux dans le pays, et à 60 % de sunnites. La monarchie chute en 1962 pour devenir une République. Dans les années 1990, le cœur historique de l’imamat zaydite était incarné par le gouvernorat de Saada, au sein duquel un petit groupe se plaignait d’être marginalisé et se disait héritier de la monarchie : les Houthis.

En 2011, lorsque la révolution éclate, un espoir était né pour reconstruire le Yémen. Un dialogue national s’est tenu avec l’ensemble des acteurs dans le pays mais ses conclusions ont été rejetées par les Houthis. C’est le début de la crise.

Après le départ négocié du président Ali Abdallah Saleh en novembre 2011 et l’élection du candidat unique Abdrrabo Mansour Hadi en février 2012, le processus de transition politique pacifique s’est enrayé et a débouché sur une guerre civile et sur la prise de Sanaa, capitale du Yémen, par les Houthis en septembre 2014, à la faveur d’une alliance de circonstance avec l’ancien-président Ali Abdallah Saleh. Depuis cet événement, les Houthis ont pris le contrôle de la capitale. Le gouvernement s’est exilé à Aden puis à Riyad et le président Abdrabbo Mansour Hadi a sollicité l’intervention de l’Arabie Saoudite, ce que cette dernière a fait à partir de mars 2015. Aujourd’hui, deux projets politiques s’affrontent :

– le projet des Houthis est autoritaire car il exerce un contrôle de la société grâce un système policier qui maille l’ensemble du territoire sous leur domination ; suprématiste car pour eux les Hachémites sont au-dessus des autres citoyens en raison de leur sang qui est celui du Prophète ; et expansionniste car les Houthis parlent ouvertement de conquérir La Mecque. Deux millions d’enfants sont déscolarisés et des personnes sont recrutées de force pour combattre à Marib. On notera toutefois que dans le discours officiel, les Houthis continuent d’affirmer être pro-républicains, mais les faits et leur domination montrent l’inverse. Il garde un multipartisme et une République de façade, la réalité du pouvoir étant entre les mains de leur leader religieux, Abdelmalik Al Houthi ;

– le projet républicain des opposants aux Houthis qui rassemble plusieurs groupes hétéroclites mais manque de cohérence. Ce projet est porté par un gouvernement reconnu comme légitime par la communauté internationale mais faible et miné par la corruption. Le Sud est par ailleurs divisé, avec l’émergence du Conseil de transition du Sud (CTS), mouvement séparatiste, créé en 2017, et, d’une multitude de groupes armés.

Le 25 mars 2015, en réponse à l’appel du président Abdrrabo Mansour Hadi, l’Arabie Saoudite, à la tête d’une coalition de neuf pays arabes sunnites, a lancé une opération militaire pour endiguer l’avancée des Houthis. Depuis l’éclatement de l’alliance entre Houthis et membres du Congrès général du peuple (CPG), parti de l’ex-président Ali Abdallah Saleh, suivi de l’assassinat de ce dernier le 4 décembre 2017, les Houthis ont pris le contrôle de Sanaa et ont renforcé leur contrôle sur le nord-ouest du pays où vit 70 % de la population.

En réaction, la coalition menée par l’Arabie Saoudite a renforcé son engagement militaire, d’abord par ses moyens aériens puis, à partir de juin 2018, en soutenant une offensive sur Hodeïda, principal port du Yémen situé sur la mer Rouge, et par lequel transite une large part de l’approvisionnement et de l’aide humanitaire nécessaire au pays. L’offensive a finalement été arrêtée à l’automne 2018 pour laisser place à une médiation de l’Organisation des Nations unies (ONU). En décembre 2018, les accords de Stockholm ont été signés entre les forces loyalistes et les Houthis sous l’égide de l’ONU autour de la ville d’Hodeïda. Le traité prévoyait le retrait des Houthis des villes d’Hodeïda, de Salif et de Ras Issa ainsi qu’un cessez-le-feu dans la ville d’Hodeïda et l’échange de 15 000 prisonniers.

À l’été 2019, les Émirats arabes unis ont annoncé leur retrait du Yémen. Dans le Sud, des affrontements ont éclaté entre les forces du gouvernement légitime et le Conseil de transition du Sud à Aden et dans plusieurs gouvernorats.

En novembre 2019, après plusieurs mois de négociation, les accords de Riyad, parrainés par l’Arabie Saoudite, ont été signés par le gouvernement légitime et le Conseil de transition du Sud afin de mettre fin aux affrontements dans le Sud.

En novembre 2020, les affrontements se sont poursuivis entre les forces du gouvernement (soutenues par la Coalition) et les Houthis dans plusieurs gouvernorats du Nord (Marib, Jawf) et de l’Ouest (Hodeïda, Taëz). Des affrontements ont également eu lieu entre les forces gouvernementales et celles du Conseil de transition du Sud au sud du pays. En outre, des acteurs terroristes sont encore présents tels que Daech et AQPA.

La situation humanitaire du Yémen est très grave et continue de se détériorer. Le Yémen est l’un des quatre pays classés en situation de pré-famine par l’ONU. 80 % de la population dépend de l’aide humanitaire pour survivre. Plus de 20 millions de Yéménites ont besoin d’assistance alimentaire et plus de 3 millions risquent d’être victimes d’insécurité alimentaire sévère selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Cette situation est aggravée par les conséquences sanitaires, économiques et sociales de la Covid-19 (plus de 2 000 cas officiellement déclarés).

Comme l’a indiqué l’ambassadeur de France au Yémen S.E. M. Jean-Marie Safa, les Yéménites sont « épuisés par la guerre civile » qui dure depuis 7 ans. Ils souffrent d’une absence de service public, de maladies et de la faim. Ils subissent des pénuries d’eau et d’électricité. Surtout, la question qui devrait nous préoccuper est celle « des enfants sous la coupe des Houthis ». Un enfant qui avait 7 ans quand la guerre civile a éclaté en a 14 aujourd’hui et est considéré comme apte au combat par les Houthis. On ne peut que s’inquiéter de ce qu’on entend au sujet du « lavage de cerveau » des nouvelles générations par les Houthis.

2.   L’implication de l’Iran et du Hezbollah libanais auprès des Houthis

Compte tenu de la fragilité économique du pays, le gouvernement yéménite s’est toujours efforcé de maintenir des liens étroits avec ses principaux bailleurs de fonds comme les pays du Conseil de coopération des États du Golfe (CCEAG), l’Union européenne (UE) et les États-Unis.

La crise que traverse actuellement le pays a renforcé les liens qu’entretiennent les autorités légitimes avec l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. L’Iran ayant reconnu le pouvoir houthi comme autorité légitime du Yémen (ouverture d’une ambassade houthie à Téhéran à l’été 2019 et arrivée d’un ambassadeur iranien à Sanaa en octobre 2020), le gouvernement légitime yéménite et l’Iran se retrouvent dans deux camps opposés.

Les Houthis viennent du Yémen et sont le fruit de l’histoire de ce pays (1000 ans de monarchie zaydite). Ils ont une idéologie liée à leur histoire, fondée sur une identité liée à l’imamat et à la monarchie : ils gardent en ce sens une réelle autonomie face à Téhéran. L’Iran joue tout de même un rôle, comme en témoigne l’action de l’ambassadeur d’Iran au Yémen qui a agi auprès des Houthis pour atténuer les tensions entre l’aile politique et l’aile militaire du mouvement. Par ailleurs, comme nous l’a indiqué S.E. M. Jean-Marie Safa, « il semble que des membres du Hezbollah servent de conseillers aux Houthis », comme en témoigne l’attention que porte Hassan Nasrallah à Marib, qui est « la mère de toutes les batailles ». Mais même si les Houthis ont des liens avec l’Iran, « ils sont avant tout des Yéménites, s’inscrivent dans l’histoire du Yémen et ont des projets au Yémen ». De manière générale, il convient de ne pas appréhender le Yémen comme un pion dans un jeu régional et insister sur le caractère « yéménito-yéménite » du conflit en cours dans le pays.

En raison de son faible niveau de développement, le Yémen n’était pas membre fondateur du CCEAG mais avait rejoint, avant la crise actuelle, plusieurs comités techniques en vue de son adhésion plénière en 2016 (qui n’a cependant pas eu lieu).

M. Ludovic Pouille, ambassadeur de France en Arabie Saoudite, a rappelé que Ryad a réduit son action militaire depuis 2019 et privilégie désormais la désescalade et la négociation. En réalité, l’Arabie Saoudite cherche désormais à se sortir d’un bourbier tout en restant ferme vis-à-vis des Houthis. La France essaie de contribuer modestement au dialogue international pour trouver une issue à la crise car la relance d’un processus politique est la seule issue, notamment pour lutter contre le terrorisme. La nomination d’un nouvel envoyé spécial des États-Unis devrait nous aider à évoluer vers une solution politique au conflit. Cela nécessitera de renverser le rapport de force au sein des Houthis pour que l’aile politique du mouvement prenne le pas sur son aile militaire.

3.   Une situation économique déjà très faible mais fortement dégradée par la guerre civile

Dès avant 2015, la situation d’extrême fragilité économique du Yémen rendait indispensable un soutien financier international. 13 millions de Yéménites vivaient déjà sous le seuil de pauvreté, 10 millions étaient en situation d’insécurité alimentaire et 14,7 millions dépendaient de l’aide humanitaire.

Les réserves pétrolières du pays sont en déclin depuis 2001 alors même que 65 % des ressources de l’État provenaient, avant la guerre, des exportations de pétrole. L’exploitation des réserves de pétrole et de gaz sont nettement réduites depuis le début de la guerre. Le gouvernement légitime a toutefois signé un accord avec la compagnie autrichienne OMV, qui a repris ses activités d’exportation de pétrole dans le sud du pays. La compagnie nationale yéménite PetroMasila exploite quant à elle près de 40 000 barils par jour dans la province du Hadramaout. En revanche, l’unique terminal de gaz naturel liquéfié de Balhaf (dont Total est actionnaire) est à l’arrêt depuis 2015.

B.   l’interminable conflit israélo-palestinien au dÉfi de la paix

1.   La France, puissance d’équilibre au Proche-Orient, plaide depuis toujours pour la solution à deux États vivant côte-à-côte en paix et en sécurité, dans le respect du droit international

La France partage avec Israël des liens historiques, culturels et humains forts. Elle a été l’un des premiers pays à reconnaître le nouvel État et à établir avec lui des relations diplomatiques, dès 1949. Depuis plus de 70 ans, elle défend le droit d’Israël à exister et à vivre en sécurité ainsi que sa pleine appartenance à la communauté des nations souveraines. La relation bilatérale franco-israélienne se nourrit également de la présence en Israël d’une importante communauté française et francophone et, en France, de la première communauté juive d’Europe.

La France est aussi l’amie des Palestiniens et soutient la création d’un État palestinien, vivant dans des frontières sûres et reconnues, en sécurité au côté d’Israël, avec Jérusalem comme capitale de ces deux États. Le 22 novembre 1974, la France a voté en faveur de la reconnaissance de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) au sein de l’ONU en tant que membre observateur, réaffirmant les droits inaliénables du peuple palestinien. Le président François Mitterrand a été le premier président français à exprimer devant la Knesset, en 1982, l’objectif de création d’un État palestinien. En 2010, la France a rehaussé le statut de la Délégation générale de Palestine en France, devenue la Mission de Palestine, avec à sa tête un ambassadeur. Elle a voté en faveur du statut d’État observateur non-membre aux Nations unies en novembre 2012, et en faveur de l’érection du drapeau palestinien à l’ONU en septembre 2015.

La France appelle depuis toujours au respect du droit international, notamment des résolutions pertinentes des Nations unies. Ainsi la France promeut une solution à deux États (résolution 181 de l’Assemblée générale des Nations unies), une solution juste pour les réfugiés (résolution 194 de l’Assemblée générale des Nations unies), la fin de l’occupation israélienne (résolution 242 du Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU)) et la préservation du statut de Jérusalem (résolutions 476 et 478 du CSNU). Sur cette base, chacune des parties doit réaffirmer son engagement en faveur d’un règlement négocié et de la solution des deux États et à s’abstenir de toute action unilatérale qui empêcherait de réunir les conditions pour y parvenir.

2.   La poursuite de la colonisation israélienne, illégale au regard du droit international, qui est au cœur des tensions entre Israël et les Territoires palestiniens

La France appelle également Israël au plein respect du droit international humanitaire qui s’applique dans les Territoires palestiniens. L’implantation de colonies israéliennes en Cisjordanie et à Jérusalem-Est constitue une appropriation illégale de terres qui devraient être l’enjeu de négociations de paix entre les parties sur la base des lignes de 1967. La colonisation est illégale au regard du droit international (notamment au regard de la IVe Convention de Genève et de plusieurs résolutions du CSNU), elle menace la viabilité de la solution des deux États et constitue un obstacle à une paix juste et durable. La résolution 2334 du CSNU, votée à la quasi-unanimité des États membres le 23 décembre 2016, a appelé à l’arrêt immédiat et complet de la colonisation et exhorté les États à différencier entre le territoire de l’État d’Israël et les territoires palestiniens occupés depuis 1967. Dans ce cadre, la France condamne régulièrement la politique de colonisation, qui s’est traduite en 2019 notamment par l’approbation de plus de 8 300 unités de logements, soit un record depuis 2013 (6 742 en 2017 et 5 618 en 2018).

Sur le terrain, la colonisation de peuplement s’est même intensifiée, avec près de 660 000 colons israéliens dans les territoires occupés (220 000 à Jérusalem-Est et 440 000 en Cisjordanie). Cette politique revêt plusieurs formes : approbation de la constructions de milliers de nouveaux logements chaque année dans les colonies et « régularisation » en droit israélien de colonies, construction d’infrastructures de contournement, expulsions des communautés palestiniennes et bédouines (communauté de Khirbet Humsa en Cisjordanie et évictions des résidents palestiniens de Jérusalem-Est, notamment dans les quartiers de Silwan et de Cheikh Jarrah), création de « parcs naturels », zones militaires fermées et de sites archéologiques. Israël semble également durcir sa ligne contre les organisations de défense des droits de l’Homme et le mouvement « Boycott Désinvestissement Sanctions » (loi contre le mouvement BDS en mars 2017 puis contre une série d’ONG et de membres de la Knesset accusés de le soutenir en janvier et mars 2018).

3.   Un conflit gelé en apparence qui n’a que trop duré

Le conflit israélo-palestinien dure maintenant depuis plus de 70 ans sans qu’aucune perspective de résolution ne semble exister. Plusieurs personnes auditionnées ont indiqué que ce conflit était en quelque sorte oublié et qu’il n’intéressait plus que secondairement les Occidentaux et les pays de la région. Il a même été indiqué aux rapporteurs que ce conflit était « gelé » et que la situation actuelle de statu quo, caractérisée par une situation de paralysie en Palestine, minée par les oppositions fratricides entre le Fatah et le Hamas, et de colonisation lente mais progressive de la part d’Israël, se poursuivrait à court et à moyen terme.

Or, les affrontements des mois d’avril et mai 2021 ont montré au moins deux choses : d’une part, tout exercice de prospective vis-à-vis de ce conflit – et, de manière générale, vis-à-vis de tous les conflits dans cette région du monde – appelle à la modestie dans l’analyse ; et, d’autre part, qu’une étincelle suffit à réactiver ce conflit. La France n’a évidemment pas abandonné la perspective d’une résolution de ce conflit qui ne trouvera aucune issue en dehors de la solution à deux États. Un plan de paix avait été proposé par la Ligue arabe en 2002, avec laquelle les rapporteurs ont eu l’occasion de s’entretenir lors de leur déplacement en Égypte, qui s’inspirait des accords d’Oslo de 1995 et qui semblait pouvoir convenir à l’ensemble des parties prenantes. Or, aujourd’hui, Israël en refuse clairement le principe. La France doit continuer à promouvoir la solution à deux États et travailler avec les États de la région, et en particulier avec la Jordanie et l’Égypte, qui, chacun, jouent un rôle crucial en la matière, pour qu’une solution politique à ce conflit soit trouvée. Le nouveau gouvernement israélien de Naftali Bennett, bien que très hétéroclite, devra s’y atteler. En particulier, la gravité de la situation à Gaza, qui est une poudrière humanitaire, économique et sociale qui se radicalise de plus en plus, doit alerter la France, l’UE et ses partenaires. Les rapporteurs ont pu voir les conséquences concrètes de ce conflit sur la stabilité des États voisins lors de leur visite du camp de réfugiés palestiniens géré par l’ONU en Jordanie à proximité d’Amman. Plus de deux millions de Palestiniens vivent en Jordanie. Toutes les personnes interrogées dans ce camp ont exprimé le souhait de revenir dans leur pays. Les rapporteurs ont également échangé sur ces enjeux avec les autorités politiques émiriennes, irakiennes, jordaniennes, égyptiennes et libanaises. Elles ont insisté unanimement sur la nécessité d’engager un nouveau processus de dialogue afin de bâtir une paix durable et juste.

L’Assemblée nationale, sous la précédente législature, a adopté une résolution portant sur la reconnaissance de l’État de Palestine en 2014. La représentation nationale y soulignait que le statu quo est intenable et dangereux car il nourrit les frustrations et la défiance croissante entre les deux parties, qu’il est impératif que les négociations entre les parties reprennent et que la solution des deux États est la seule solution viable. Elle invitait enfin le Gouvernement français à reconnaitre l’État de Palestine en vue d’obtenir un règlement définitif du conflit. A titre personnel, M. le rapporteur Gwendal Rouillard appelle à la reconnaissance de l’État de Palestine par la France.

C.   Le Liban, un État quasi-failli au bord de l’écroulement

1.   Le Liban aujourd’hui : un pays très gravement fragilisé et sans réelle perspective à court terme

a.   Mosaïque confessionnelle, le Liban est peuplé à environ 75 % de Libanais et à 25 % de réfugiés

La démographie libanaise se caractérise tout d’abord par une forte diversité confessionnelle, avec 18 communautés religieuses reconnues. Le seul recensement officiel de la population libanaise, effectué en 1932 sous le mandat français, établissait une parité entre chrétiens (51 %) et musulmans (49 %). L’architecture politique et institutionnelle du pays, issue notamment du Pacte national de 1943 et de l’Accord de Taëf en 1989, repose sur cet équilibre en octroyant un nombre égal de députés et de ministres aux deux grandes familles communautaires. Principale communauté chrétienne, les maronites occupent les postes clés de président de la République, de commandant de l’armée libanaise et de gouverneur de la Banque centrale. Les sunnites occupent celui de Premier ministre et les chiites celui de président du Parlement.

Durant les dernières décennies, la démographie a évolué en faveur des musulmans, qui représenteraient aujourd’hui environ 65 % de la population, répartis entre sunnites (30 %), chiites (30 %) et druzes (5 %). Chez les chrétiens (environ 35 %), les maronites restent majoritaires, suivis par les grecs-orthodoxes et les grecs-catholiques et d’autres communautés orientales de taille plus réduite. Ajoutons également la diaspora libanaise, qui regroupe plusieurs millions de personnes, dont 210 000 en France. Il s’agit d’une estimation, en l’absence de recensement récent, et nous restons prudents avec l’ensemble de ces chiffres qui ne représentent que des tendances.

Autre spécificité libanaise, le pays détient le record mondial de l’accueil de réfugiés en proportion de sa population (1,5 million de réfugiés sur une population totale de 6 millions). Le pays du Cèdre accueille près d’un million de réfugiés syriens enregistrés auprès du HCR, auxquels viennent s’ajouter les réfugiés palestiniens (entre 175 000 et 250 000 personnes), ainsi que les Syriens non enregistrés auprès des Nations unies. Dans un pays où la natalité est moyenne (1,72 enfant par femme) et l’émigration importante, cette présence prolongée de réfugiés, très majoritairement sunnites, est ressentie comme une menace existentielle par de nombreux Libanais, en particulier chrétiens et, dans une moindre mesure, chiites.

b.   Le modèle économique libanais, caractérisé par des faiblesses structurelles, fait face à une très grave crise depuis fin 2019

L’économie libanaise, moribonde depuis le début des années 2010, est entrée en crise profonde. Après plusieurs années de croissance atone, la crise de change (la livre libanaise a perdu 100 % de sa valeur) et la crise souveraine (la dette de l’État atteint 175 % du PIB, l’État a fait défaut sur sa dette), combinées aux conséquences de la crise sanitaire (-20 % du PIB en 2020), ont produit une crise sociale majeure. L’inflation a aussi atteint 300 % depuis 2019. Plus de la moitié de la population libanaise vit sous le seuil de pauvreté et la famine progresse.

A cette crise systémique s’ajoutent des déséquilibres structurels majeurs qui empêchent toute perspective d’une croissance inclusive et durable. La vétusté des infrastructures est particulièrement handicapante : le Liban est le 130e pays au monde sur 137 en termes de développement des infrastructures. La médiocrité du climat des affaires est également frappante : le Liban a été classé 143e sur 180 dans le classement de l'ONG Transparency International de 2017. L’économie libanaise reste par ailleurs fortement inégalitaire : 0,1 % de la population capte la moitié des revenus alors même que la majorité de la population est estimée dans le besoin par les agences onusiennes. L’explosion du port de Beyrouth, le 4 août 2020, a accru le désarroi et, la colère d’une partie de la population déjà profondément affectée par la crise, et de nombreux Libanais ont vu dans cet accident le symbole de l’incurie chronique dont souffre le Liban.

Depuis 2011, la crise syrienne accentue les difficultés économiques du Liban. La guerre en Syrie grève tout d’abord les exportations libanaises, tant en Syrie que vers les autres pays de la région. D’autre part, la présence massive de réfugiés syriens entraine une saturation des infrastructures comme les écoles et concurrence la main d’œuvre libanaise dans certains secteurs, même si certaines estimations pointent parallèlement un choc économique positif lié à l’afflux démographique (+ 0,9 points de PIB au Liban selon ma Banque Mondiale en 2020).

c.   Le Liban est à nouveau confronté à un blocage politique prolongé alors même qu’il doit répondre aux conséquences de la crise et des explosions dans le port de Beyrouth

Prenant acte de l’aspiration populaire à ce que les responsables de la catastrophe du 4 août « rendent des comptes », Hassan Diab a annoncé la démission de son gouvernement le 10 août 2020. L’exécutif libanais, visé par de nombreuses critiques, avait déjà été affaibli par le départ de plusieurs ministres dans les jours qui avaient suivi l’explosion. Les déceptions liées aux lenteurs de l’enquête, qui n’a donné aucun résultat et la dégradation rapide de la situation économique et humanitaire alimentent dans ce contexte la critique de la classe dirigeante portée par une société libanaise qui s’était fortement mobilisée lors des manifestations populaires du 17 octobre 2019.

La période de vide politique ouverte par la démission d’Hassan Diab se prolonge, du fait de l’incapacité de forces politiques libanaises à faire émerger un accord. Peu avant sa démission, Hassan Diab avait ouvert la perspective d’élections législatives anticipées, auxquelles les partis dominants au parlement (en particulier le tandem chiite) se sont opposés. Après l’échec du « technicien » Moustapha Adib à former un gouvernement, de nouvelles tractations ont été initiées autour de Saad Hariri mais elles ont échoué à cause de l’irresponsabilité de la classe politique libanaise. Les partis d’opposition, qui souhaitent capitaliser sur la mobilisation de la société civile, soutiennent l’idée d’un gouvernement au profil « technocratique » tandis que les partis au pouvoir restent attachés à ce que le gouvernement reflète la coloration politique du parlement, où le Hezbollah et ses alliés Amal (chiite) et du Courant patriotique libre (CPL) sont majoritaires.

d.   La neutralité du Liban sur la scène régionale est mise à mal par les activités militaires du Hezbollah et la tentation d’une normalisation avec la Syrie de Bachar Al-Assad

Dans un contexte régional troublé, les autorités libanaises cherchent à éviter que leur pays ne sombre de nouveau dans la guerre et demeure un pont entre Orient et Occident. Cette politique dite de dissociation des conflits régionaux a été édictée en 2012 dans la déclaration de Baabda alors que la crise en était à ses débuts. Elle a ensuite été réaffirmée dans plusieurs textes officiels.

En pratique, la politique de dissociation du Liban est toutefois foulée aux pieds par l’engagement militaire du Hezbollah en Syrie et, de manière plus discrète, en Irak et au Yémen. Le mouvement chiite déploierait toujours plus de 2000 combattants en Syrie. La neutralité du Liban est également menacée par la tentation croissante d’une normalisation avec le régime de Bachar el-Assad. Les Libanais pro-syriens espèrent qu’elle permettra de faciliter un retour immédiat des réfugiés syriens dans leur pays et de préparer la reconstruction du pays, qu’ils estiment nécessaire au rétablissement de la situation au Liban.

D’autre part, la politique de dissociation ne s’applique pas à Israël, avec qui le Liban est toujours en guerre formelle malgré l’arrêt des combats depuis 2006. Depuis cette date, la FINUL joue un rôle essentiel pour maintenir le calme, toutefois sans avancée majeure dans l’application de la résolution 1701, notamment s’agissant du désarment du Hezbollah. Les tensions sont vives entre le mouvement chiite, qui a notamment renforcé son arsenal balistique, et Israël, qui continue ses violations des espaces aérien et maritime libanais. Des négociations frontalières ont été engagées avec Israël à l’automne 2020 mais ont rapidement été suspendues. 

Dans ce contexte, la France promeut une politique de soutien à la souveraineté, à la stabilité du Liban, qui passe par l’appui au déploiement de l’État libanais et de son armée. Cet agenda est soutenu par ses partenaires. Toutefois, certains pays comme les États-Unis sont partisans d’une ligne de confrontation contre le Hezbollah et accentuent leurs sanctions financières contre le mouvement et ses alliés politiques. Partenaire historique du Liban, l’Arabie Saoudite, et avec elle les États du Golfe, est pour sa part réticente à un éventuel réengagement au Liban, où elle déplore également le poids du Hezbollah et de l’Iran.

2.   Les forces armées libanaises et les forces de sécurité intérieure sont les deux derniers piliers permettant au Liban de tenir encore debout.

a.   Les forces armées libanaises, bien qu’étant toujours debout, sont considérablement affaiblies par la crise économique

Les FAL constituent le creuset le plus fort et le plus efficace au Liban, permettant de rassembler des citoyens issus d’horizons confessionnels très divers. L’action des FAL permet de sécuriser le pays au niveau du Sud-Liban en coopération avec les soldats déployés dans le cadre de la FINUL mais également de renforcer le sentiment d’appartenance à une citoyenneté commune dans le pays. Or, au regard des difficultés économiques du pays et de leur impact sur les services de sécurité de manière générale, l’effondrement des FAL, qui constituent, selon les propos du général de corps d’armée Joseph Aoun, commandant des FAL, « le dernier pilier encore debout de l’État libanais », aurait des conséquences pour le Liban mais également, par contagion, pour toute la région voire pour la France par la hausse de la menace terroriste. Lors de son entretien avec M. le rapporteur Gwendal Rouillard, le général Joseph Aoun a, à plusieurs reprises, fait un parallèle avec la guerre civile de 1975, en alertant sur un retour à la situation qui prévalait à l’époque (effondrement des institutions y compris des FAL au profit des milices confessionnelles).

Selon S.E. Mme Anne Grillo, ambassadrice de France au Liban, si « le pays n’est pas encore au stade d’un État failli », il n’en demeure pas moins qu’il est « dans une situation de faillite certaine ». Les missions des FAL, depuis l’explosion du 4 août en particulier, vont bien au-delà de leur cœur de métier : sécurisation des frontières, lutte anti-terroriste, coopération avec la FINUL, mais aussi prévention des tensions et incidents confessionnels par un maillage permanent du territoire, gestion des manifestations y compris dans la capitale, distribution des aides alimentaires et sociales, recensement des dégâts dans la zone sinistrée du port, lutte aérienne contre l’incendie, lutte contre le trafic et la production de drogues… Cette situation de suractivité et l’impossibilité matérielle de recruter davantage ont conduit le général Joseph Aoun à mettre en garde publiquement les responsables politiques contre l’état de fatigue des FAL. Mais les autorités politiques du pays, déconnectées de la réalité, insensibles à la détresse de la population et davantage focalisées sur la défense de leurs propres intérêts, ne semblent pas vouloir prendre la mesure de la gravité de la situation. Le règlement du blocage politique est avant tout un problème intérieur et la classe politique doit le reconnaître comme tel.

Cependant, comme l’a indiqué le général Joseph Aoun, il ne s’agit pas pour la France ou les autres partenaires occidentaux de « faire le travail à la place des FAL » mais que ceux-ci continuent à les appuyer, comme ils le font déjà, afin de leur permettre de conserver leurs capacités opérationnelles.

b.   Un niveau de fragilité très inquiétant des forces de sécurité intérieure

Alors qu’elles ont fait le choix au cours de ces derniers mois d’une certaine retenue quant à une demande d’aide à la communauté internationale, les FSI libanaises n’hésitent plus aujourd’hui à solliciter l’aide de la communauté internationale, et en particulier de la France. La crise économique et sociale qui frappe le Liban a eu un impact majeur sur les effectifs des FSI, à tel point que l’apport de soins, de nourriture et de carburants est aujourd’hui devenu un enjeu. Les effectifs sont par ailleurs épuisés, après une longue séquence de sollicitations opérationnelles (contestation sociale, respect du confinement lié aux mesures anti-Covid, explosion du 4 août, lutte contre le terrorisme…). Les FSI ont dû faire face à une baisse du budget due à la dévalorisation de la monnaie, qui s’élève, pour la période 2020/2021, à moins de 80 millions de dollars, soit 10 fois moins qu’il y a deux ans. La maintenance des véhicules et des équipements ne peut plus être assurée et le salaire mensuel du policier « de base » ne dépasse pas les 100 dollars. Par ailleurs, les actes de désertion à l’étranger se multiplient.

Cet affaiblissement des FSI se tient dans un contexte de dégradation inquiétante de la situation sécuritaire. La criminalité de droit commun et le crime organisé explosent et le climat carcéral reste particulièrement tendu. Le retour de la contestation populaire n’est plus à exclure tandis que la menace terroriste demeure très préoccupante, en particulier celle incarnée par Daech, dont la présence sur le territoire libanais est désormais avérée. De manière générale, les groupes terroristes, mais également le Hezbollah, profitent du trafic de captagon pour se financer, ce qui constitue une source d’inquiétude majeure des FSI.

c.   Le soutien de la France et de ses partenaires aux FAL et aux FSI

Face à cette situation, la France a pris l’initiative de la conférence internationale du 17 juin 2021 pour soutenir les FAL et les FSI. Présidée par notre ministre des Armées et son homologue italien, avec le soutien du Coordonnateur spécial des Nations unies pour le Liban (United Nations Special Coordinator for Lebanon, UNSCOL), cette réunion visait à élaborer une réponse coordonnée aux besoins urgents exprimés par les FAL et les FSI en matière de soutien de l’homme (nourriture…) et de maintenance. Elle n’avait cependant pas vocation à mobiliser des ressources permettant de doter les FAL et les FSI de matériels et équipements militaires supplémentaires, ni de financer les soldes et les retraites des militaires.

Mais ce soutien exceptionnel est une réponse d’urgence qui ne peut se substituer aux réformes indispensables dont le Liban a aujourd’hui impérieusement besoin pour son développement, sa prospérité et sa sécurité. D’ailleurs, les autres aides financières (notamment celles de la Conférence Cèdre et de Rome 2 en 2018) étaient conditionnées à la formation d’un gouvernement et à la mise en œuvre de réformes structurelles dans le pays. Aujourd’hui, force est de constater que la classe politique libanaise est incapable d’initier de tels changements et que la situation s’aggrave d’heure en heure à l’image des longues files d’attente aux stations-services liées à la pénurie de carburants.

Face à cette situation, les rapporteurs recommandent de renforcer les coopérations avec les FAL et les FSI dans des domaines déjà bien identifiés comme la lutte contre le terrorisme, le combat de haute intensité dans la durée ou le développement de la Marine pour permettre à l’État d’exercer sa pleine souveraineté en mer (lutte contre les trafics, gestion des flux migratoires, etc).

3.   L’action humanitaire et l’accompagnement de la transition par la France

a.   Pour la mise en place d’une task force internationale humanitaire et civile au Liban

L’aggravation quotidienne de la situation humanitaire au Liban nécessite une réponse d’ampleur de la communauté internationale. La France a répondu présente dès le début de la crise en août 2020 avec les Nations Unies par l’organisation de conférences de donateurs dès le 9 août, qui avait rassemblé une aide de plus de 205 millions d’euros. Une seconde conférence internationale a été ouverte en décembre dernier, conformément à la promesse du Président de la République, pour fournir une aide d’urgence au pays. Mais malheureusement cette mobilisation ne suffit plus à répondre aux besoins vitaux de la population et il est impératif désormais de changer notre échelle d’intervention.

Pour changer cette échelle et anticiper la dégradation certaine de la situation, nous avons besoin d’un nouvel instrument opérationnel dimensionné. En ce sens, nous proposons la création dans les meilleurs délais d’une « task force humanitaire et civile » sous l’égide des Nations Unies et de la Banque mondiale.

S’appuyant sur le Bureau de l’UNSCOL, il s’agirait concrètement d’une agence composée de professionnels internationaux de l’humanitaire et du développement pour amplifier et coordonner l’action.

La première mission d’urgence consisterait à mieux coordonner les aides aux écoles et aux universités, aux hôpitaux et aux dispensaires, aux acteurs de l’alimentation et aux infrastructures vitales du pays (eau potable, carburants…).

La deuxième mission d’urgence permettrait d’accompagner la mise en œuvre des « filets sociaux » financés notamment par la Banque mondiale (environ 150$/mois pour 800000 familles via une plateforme numérique).

Ces professionnels travailleraient notamment en collaboration avec les ambassades, l’UE, les ONG libanaises et internationales et les FAL dans le cadre des objectifs humanitaires et de développement.

Nous suggérons un nom et un logo pour cette agence des Nations Unies et de la Banque mondiale afin de lui donner dès le départ une légitimité opérationnelle et une reconnaissance auprès des acteurs et des citoyens.

La gravité de la situation représente un facteur majeur de déstabilisation de la région et nous avons besoin d’un nouvel instrument opérationnel dimensionné au service des Libanais qui sont de plus en plus confrontés à la pauvreté et à la famine.

b.   La France doit soutenir l’émergence d’un sentiment d’appartenance à une citoyenneté commune et accompagner la transition

L’erreur dans laquelle tombent beaucoup de personnes analysant la situation intérieure du Liban et le rôle du confessionnalisme dans le pays a trait à la réduction des Libanais à un agrégat de particularismes confessionnels. Largement mythifiée, cette caractéristique est savamment entretenue par la classe politique libanaise tant auprès des interlocuteurs internationaux que des Libanais eux-mêmes. Dans les faits, même si la religion demeure un facteur essentiel d’identification, l’appartenance à une citoyenneté commune est à la fois une aspiration et une réalité pour de nombreux Libanais, notamment parmi les jeunes générations. Le mouvement du 17 octobre, dont le premier élan était véritablement national et multiconfessionnel, a montré que ce sentiment existait et a permis à beaucoup de Libanais de réaliser qu’il était partagé par de nombreux concitoyens.

Il n’en demeure pas moins que des progrès sont possibles et nécessaires dans ce domaine. La France peut y contribuer, en œuvrant, en parallèle, dans deux directions. Tout d’abord, face à l’absence de volonté, pour ne pas dire d’intérêt, de la classe politique à porter un discours véritablement national, le changement proviendra probablement du bas, c’est-à-dire du niveau local et de la mobilisation de la société civile libanaise. Il faut donc continuer de développer nos liens et nos réseaux dans ces milieux, où foisonnent aujourd’hui les idées et les initiatives.

Par ailleurs, il est essentiel d’accompagner les réflexions sur la refondation du modèle politique et économique libanais et de renforcer les institutions de l’État, pour le mettre en mesure de proposer un nouveau contrat à l’ensemble de ses citoyens. L’objectif doit être de permettre la désintermédiation aujourd’hui opérée par les partis communautaires entre l’État et les citoyens. L’approche doit être basée sur les droits des Libanais, en tant que citoyens et non en tant que communautés, et l’accès libre à des services publics de base pour tous, garanti par des institutions indépendantes et fonctionnelles. Des sessions de dialogue citoyens associant institutions, forces politiques et société civile autour de ces idées pourraient permettre d’initier des réflexions dont la mise en œuvre pourra être accompagnée par la France, ses partenaires, l’UE et l’ONU.

Cette aspiration à la citoyenneté est surtout celle de beaucoup de Libanaises et de Libanais qui souhaitent bâtir un « Nouveau Liban » dans le cadre d’une transition démocratique. Les « forces politiques du changement » et la société civile s’expriment en ce sens avec beaucoup de courage et de dignité. La France sera toujours aux côtés du Liban parce qu’il s’agit d’un grand partenaire et d’un peuple ami depuis longtemps. Mais en réalité, au-delà des aides financières, la situation actuelle du Liban est le fruit de décennies de renoncements de sa classe politique et le symptôme du mal qui mine ce pays : la logique confessionnelle. À ce titre, nous encourageons notre gouvernement, les partenaires de la France et les Nations Unies à garantir la tenue des élections législatives, municipales et présidentielle en 2022 pour permettre au peuple libanais de s’exprimer librement.

Le Liban d’antan n’existe plus. Il s’agit désormais pour la France d’accompagner l’émergence du « Nouveau Liban » et de cultiver un espoir.

 

III.   L’égypte ET la jordanie, deux PAYS de stabilité sur lesquels la France peut et doit compter

A.   l’égypte, un pays allié et ami de la France qui jouit d’une relative stabilité depuis l’arrivée au pouvoir du PRESIDENT Al-sissi

1.   Une situation intérieure relativement stable, malgré la persistance de la menace terroriste, en particulier dans le Sinaï

L’Égypte a été concernée par la vague des Printemps arabes à partir du 25 janvier 2011. Le président Hosni Moubarak, au pouvoir depuis 1981, a quitté ses fonctions le 11 février 2011. Le Conseil suprême des forces armées (CSFA) a assuré le pouvoir par intérim. Les élections législatives, qui ont eu lieu entre novembre 2011 et janvier 2012, ont vu la victoire des candidats du Parti de la justice et du développement (PJD), aile politique des Frères musulmans. Cette victoire a été suivie par celle de Mohamed Morsi lors de l’élection présidentielle de mai-juin 2012. En juin 2013, ce dernier a été destitué et remplacé par le ministre de la Défense Abdel Fattah Al-Sissi.

Une nouvelle constitution a été adoptée par référendum, les 14 et 15 janvier 2014, avec un taux d’approbation de 98,1 % et un taux de participation de 38,6 %. Lors du scrutin des 26 et 28 mai 2014, l’ancien ministre de la Défense, Abdel Fattah Al-Sissi, a été élu président de la République avec 96,9 % des suffrages. La participation s’est élevée à 47,5 %. Le 2 avril 2018, le président Abdel Fattah Al-Sissi a été réélu pour un mandat de quatre ans, avec 97,1 % des suffrages exprimés et un taux de participation de 41,1 %. L’approbation par référendum (88,8 % des suffrages exprimés pour une participation de 44,3 %), en avril dernier, de la révision de la Constitution égyptienne, prolonge le mandat actuel du président jusqu’en 2024 et l’autorise à briguer un troisième mandat lors des élections présidentielles de 2024.

Dans un environnement régional très instable (conflit israélo-palestinien, instabilité du Liban, guerres en Libye, en Syrie et au Yémen…) et en dépit de quelques sujets de tensions comme l’influence de la Turquie en Méditerranée orientale ou le contentieux qui l’oppose à l’Éthiopie au sujet du barrage de la Renaissance, l’Égypte apparait comme « un pays stable, malgré quelques fragilités », selon les propos de S.E. M. Stéphane Romatet, ambassadeur de France en Égypte. En instaurant un régime contrôlé par l’armée depuis son accession au pouvoir, le président Abdel Fattah al-Sissi s’est fixé pour objectif de faire de l’Égypte un pôle de stabilité dans la région. Les rapporteurs partagent cet objectif avec les autorités égyptiennes dans le cadre de notre relation stratégique et d’amitié. Ils ont attiré néanmoins l’attention du Caire sur la situation très préoccupante des droits humains, qui nécessite impérativement d’être prise en compte. La lutte contre le terrorisme ne peut pas servir de prétexte à la remise en cause des droits fondamentaux. La reconnaissance de la société civile, notamment des jeunes générations, est une clé fondamentale de la stabilité de l’Égypte à long terme.

La menace terroriste subsiste de manière diffuse sur le territoire égyptien. Plusieurs attaques ont frappé l’Égypte au cours des dernières années : attentat contre le consulat italien en juillet 2015 au Caire, attentat dans une église copte au Caire en décembre 2016 qui a fait 26 victimes, double-attentat en avril 2017 contre les églises de Saint-Georges (Tanta, delta du Nil) et Saint-Marc (centre d’Alexandrie) qui a fait 46 victimes, deux attentats contre un bus de pèlerins coptes à Minya en mai 2017 et en novembre 2018, et deux attaques contre un bus à proximité des pyramides de Gizeh en décembre 2018 et en 2019. À la suite de l’attentat du 24 novembre 2017 contre la mosquée Al Rawda dans le nord du Sinaï, l’Égypte a lancé, en février 2018, l’opération d’envergure Sinaï 2018, afin d’éradiquer la présence des groupes terroristes se réclamant de Daech.

La région du Sinaï est complètement différente du reste de l’Égypte. Il s’agit d’une zone désertique, tribale, où les populations ont été sédentarisées depuis peu et où les traditions bédouines ont un poids bien plus important. On dénombre environ 600 000 habitants dans le Sinaï. Tandis que le Sud du Sinaï est stable et très touristique, le Nord du Sinaï est « en situation d’insurrection », selon les termes de S.E. M. Stéphane Romatet. Dans cette zone où « la jeunesse est en panne d’avenir », les tribus bédouines font le choix de la contestation radicale et violente. Elle fut également le lieu d’expression d’un « terrorisme d’importation » via les tunnels ou à cause de la présence de cellules de Daech sur place. Des incidents de nature terroriste ont lieu « pratiquement toutes les semaines » dans cette zone « d’insécurité forte qui se nourrit des frustrations locales ». Mais ce qui se produit dans le Nord du Sinaï reste cantonné à cette zone grâce au canal de Suez qui « reste une limite qu’il importe de protéger ». 

2.   Une politique étrangère volontariste marquée par le désir d’être un acteur important sur la scène internationale

Le retour de l’Égypte sur les scènes régionale et internationale constitue une des priorités du président Abdel Fattah Al-Sissi, après les années de bouleversements internes qui ont contraint l’Égypte à un certain retrait.

L’Égypte fait de la lutte contre le terrorisme un axe majeur de sa politique étrangère. Elle est, à cet égard, préoccupée par la situation en Libye, avec laquelle elle partage une frontière de 1 200 kilomètres et qu’elle considère comme une menace potentielle pour sa sécurité nationale.

L’Égypte joue traditionnellement un rôle essentiel dans le dossier israélo-palestinien : médiation dans la crise de Gaza à l’été 2014, rôle clef dans l’accord de réconciliation inter-palestinien du 12 octobre 2017, participation au groupe d’Amman (Égypte, Jordanie, Allemagne et France). Elle œuvre actuellement en faveur d’un accord de trêve durable entre le Hamas et Israël et à la réconciliation inter-palestinienne entre le Fatah et le Hamas. La proximité géographique de l’Égypte avec la Palestine, et surtout avec la bande de Gaza, rend de toute façon impossible tout désintérêt de sa part pour le conflit israélo-palestinien. À ce titre, le sujet de préoccupation central pour l’Égypte est celui du risque d’un effondrement de la situation humanitaire à Gaza. Par ailleurs, Israël est un partenaire essentiel de l’Égypte en matière de sécurité. Enfin, dans un climat de lassitude générale vis-à-vis du conflit israélo-palestinien, l’Égypte continue à promouvoir activement la solution à deux États. En tant que membre du groupe d’Amman, l’Égypte fait toujours la promotion de la paix et estime même que la source de toutes les crises au Moyen-Orient est le conflit israélo-palestinien. L’Égypte se place en médiateur dans le cadre de ce conflit, parle à l’ensemble des parties prenantes, y compris le Hamas, et entretient des relations avec l’Autorité palestinienne, via également la Ligue arabe dont le siège est au Caire.

L’Égypte s’engage également davantage dans la crise syrienne. Elle a notamment rejoint le Small Group en juillet 2018.

L’Égypte entretient une relation forte avec l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et le Koweït, qui lui apportent leur soutien, notamment financier. L’Égypte appuie l’intervention militaire sous égide saoudienne au Yémen. À l’inverse, les relations avec la Turquie et le Qatar restent difficiles.

Avec les États-Unis, l’Égypte entretient une relation de proximité, étant historiquement le deuxième bénéficiaire de l’aide américaine dans la région. Le président Abdel Fattah Al-Sissi a accueilli avec enthousiasme l’élection du président Donald Trump et a effectué une visite d’État à Washington en avril 2017 puis s’est rendu aux États-Unis, une nouvelle fois, en avril 2019. Il a également félicité Joe Biden pour son élection.

L’Égypte cherche à diversifier ses alliances, en se rapprochant de la Russie, avec laquelle la coopération en matière économique et militaire se renforce, mais également de la Chine, avec laquelle elle a une relation économique croissante. En effet, l’Égypte est considérée par la Chine comme un État majeur dans le cadre de son projet de route de la soie, eu égard au potentiel offert par le canal de Suez et au fait que l’Égypte est perçue comme la porte d’entrée vers l’Afrique. L’entrisme chinois est perceptible par l’octroi de financements massifs pour les grands projets du pays comme la construction de la future capitale égyptienne ou encore la modernisation du réseau de transports. La Chine y mène également des actions de soft power, comme en témoigne la création d’une mission archéologique il y a deux ans. Cependant, la population égyptienne ne semble avoir aucune empathie envers la Chine, ce qui constitue sans doute la principale limite à sa politique.

3.   L’Égypte et la France entretiennent d’excellentes relations bilatérales, notamment sur le plan militaire

Pour comprendre les relations franco-égyptiennes, il convient de raisonner en fonction des intérêts des Égyptiens. En effet, l’Égypte a besoin de la France pour assurer son propre développement économique et pour la modernisation de son appareil militaire (en particulier depuis 2014) afin de se hisser au rang de grande nation arabe. La France, quant à elle, a besoin de l’Égypte car aucune crise de la région ne peut trouver de solution sans une contribution plus ou moins grande de l’Égypte, qui reste, par son poids dans la région et son positionnement géographique, un acteur majeur. La relation entre la France et l’Égypte est donc basée sur du gagnant-gagnant : l’Égypte a besoin de la France et vice versa.

Tandis que l’Égypte mise peu sur l’UE, elle compte beaucoup sur la France. En réalité, l’Égypte ne croit qu’aux relations d’État à État mais elle considère que la France exerce le leadership au sein de l’UE (en particulier depuis le départ de l’UE du Royaume-Uni), notamment dans les domaines de la sécurité et de la défense.

L’Égypte n’a pas participé militairement à la coalition contre Daech en Irak et en Syrie. Elle fait néanmoins partie du Small Group, à la suite d’une initiative française, ce dont elle sait gré à la France. Mais l’Égypte abrite une partie de la plateforme de l’opposition syrienne : « la plateforme du Caire ». Elle observe l’opération Chammal avec intérêt et attention car elle considère que cette dernière contribue à la stabilisation de la Syrie et de l’Irak. Mais la région qui préoccupe davantage l’Égypte est celle du Sahel, où elle déploie plus de mille soldats au sein de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA).

La politique française d’exportation d’armements vers l’Égypte s’est considérablement développée à partir de 2014. La France a vendu à l’Égypte les deux Mistral initialement destinés à la Russie, une frégate multi-missions (FREMM), 4 corvettes Gowind (dont 3 assemblées dans les chantiers navals d’Alexandrie, avec un transfert de technologies et une assistance assurée par Naval Group) ainsi qu’un satellite de communication. L’Égypte a par ailleurs été un des premiers pays à l’export pour le Rafale avec une vente d’un premier lot de 24 appareils en 2014. La signature de ces contrats a logiquement abouti à de nombreuses coopérations sur le plan opérationnel et en termes de formation, en particulier entre la marine égyptienne et la marine française. Le chef d’état-major de la marine égyptienne a d’ailleurs imposé le choix de la France pour se hisser au rang des grandes marines régionales. Comme l’a indiqué un diplomate américain, « les États-Unis ont régressé en Égypte sur le plan militaire. La France a occupé l’espace et les États-Unis mettront entre 20 et 25 ans à rattraper leur retard ».

Mais l’Égypte n’hésite pas à mettre ses partenaires en compétition et l’erreur serait de se reposer sur ses lauriers : la France doit impérativement se battre pour conserver ses avantages car la compétition est féroce et les positions ne sont pas définitivement acquises. Pour cela, la France doit être irréprochable dans le soutien aux industriels. Elle doit également exécuter correctement les contrats signés, ce qui suppose une culture du client de la part des industriels dans la durée. Enfin, dans le domaine naval, la montée en puissance de la marine égyptienne est réelle, tant dans la défense de la souveraineté et l’intégrité du territoire que dans le cadre des opérations extérieures (OPEX). Les coopérations opérationnelles entre nos deux marines représentent un atout précieux pour la stabilité de la zone.

B.   La Jordanie, acteur essentiel pour la préservation de la paix au Moyen-Orient dont la stabilité est réelle mais demeure fragile

1.   Une situation économique détériorée mais soutenue par les bailleurs internationaux

a.   La détérioration de l’économie jordanienne, durement affectée par la pandémie de Covid-19, renforce une insatisfaction sociale latente

Les mesures de confinement et les diverses restrictions liées à la crise sanitaire ont affecté une économie jordanienne déjà affaiblie. Entre 2019 et 2020, la dette publique jordanienne est ainsi passée de 95,2 % à 101 % du PIB et le taux de chômage de 18,7 % en 2018 à 19,3 %. Au-delà de ces indicateurs, la pandémie aura un impact profond sur les principales sources de revenus de la Jordanie que sont le tourisme (environ 20 % du PIB) et les transferts de sa diaspora (estimés à 10 % du PIB).

Cette situation économique difficile renforce l’insatisfaction latente de la population, qui a conduit à des manifestations d’ampleur et d’intensité variables depuis trois ans. En juin 2018, des protestations quotidiennes à travers le Royaume ont conduit au départ du Premier ministre et au retrait d’un projet de loi controversé sur l’impôt sur le revenu. En septembre 2019, les enseignants du secteur public avaient mené une grève unique pour la Jordanie (un mois), contraignant le gouvernement à accorder les augmentations de salaires réclamées. En avril 2021, une pénurie d’oxygène à l’hôpital de Salt a causé la mort de 8 patients atteints du Covid et a entraîné des manifestations sporadiques dans le pays dénonçant la négligence des autorités.

En avril dernier, un projet présumé de déstabilisation du Royaume - impliquant le prince Hamzah, assigné à résidence - a déclenché une crise politique inédite au cœur de la famille royale. Le 3 avril, les autorités jordaniennes ont arrêté une quinzaine de personnalités proches de la Cour et du prince Hamzah, demi-frère du Roi et ancien prince héritier. Elles ont été accusées d’avoir fomenté un projet visant à nuire à la sécurité et à la stabilité du Royaume en lien avec des « parties étrangères ». Dans un message vidéo, le prince Hamzah a rejeté ces accusations et fustigé « la corruption » et « l’incompétence » dans la gouvernance de son pays. Son allégeance renouvelée au Roi quelques jours après a toutefois contribué à apaiser officiellement les tensions. Les personnalités arrêtées ont par ailleurs été libérées à la demande du Roi le 22 avril, à l’exception de Bassem Awadallah, ancien chef de la Cour et Envoyé spécial du Roi en Arabie saoudite, et Cherif Ibn Zeid, membre de la famille royale. Leurs procès sont en cours.

b.   La Jordanie reste toutefois soutenue économiquement par ses bailleurs et politiquement sous contrôle.

Face à la crise, la Jordanie a bénéficié d’un soutien important de la part de ses principaux bailleurs. Le Fonds monétaire international (FMI) a ainsi adopté en mai 2020 un financement d’urgence de près de 400 millions de dollars. Celui-ci a permis de sécuriser des financements de la part de l’Agence des États-Unis pour le développement international (United States Agency for International Development, USAID) (versement anticipé d’environ 800 millions de dollars) et de la Banque mondiale (200 millions de dollars). L’UE a quant à elle adopté au printemps une aide de 200 millions d’euros.

Sur le plan politique, les autorités ont maintenu les législatives de novembre 2020, conformément au calendrier constitutionnel. Si la tenue d’élections bien organisées est à mettre au crédit des autorités, le système électoral conduit aujourd’hui à sous-représenter l’opposition (majoritairement islamiste) et à surreprésenter les zones tribales favorables à la monarchie. Bien que les statuts du front d’action islamique (frères musulmans) aient été jugés illégaux en juillet 2020, le parti reste néanmoins toléré en Jordanie. Ce dernier a perdu 5 des 15 sièges qu’il détenait à la chambre des députés aux dernières législatives.

2.    Une politique étrangère équilibrée qui en fait un partenaire indispensable pour la résolution des conflits dans la région

a.   En Syrie, la Jordanie privilégie une approche pragmatique guidée par le souci de sécuriser ses frontières et d’alléger le « fardeau » des réfugiés

L’endiguement du flux de réfugiés reste la préoccupation immédiate des Jordaniens. Amman appréhende ainsi tout nouvel afflux de réfugiés (670 000 recensés aujourd’hui par le HCR) qui pourrait résulter de l’instabilité du pays. Sur le plan sécuritaire, la Jordanie redoute aujourd’hui prioritairement l’instabilité du Sud-ouest syrien, terreau d’ancrage potentiel de groupes terroristes et de trafics à sa frontière.

Ces menaces ont conduit Amman à demeurer pragmatique à l’égard du conflit syrien, dans un balancier constant entre les États-Unis et la Russie. Les Jordaniens reconnaissent pourtant que l’amorce de normalisation de leurs relations avec le régime syrien n’a pas porté ses fruits (absence de retour notable de réfugiés syriens). Ils n’ont d’ailleurs pas participé à la conférence sur le retour des réfugiés organisée à Damas en novembre dernier. La Jordanie fait par ailleurs partie du Small Group sur la Syrie, format qui rassemble également les États-Unis, la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Égypte et l’Arabie saoudite en soutien au processus politique.

b.   La Jordanie est directement concernée par les différents paramètres du processus de paix entre la Palestine et Israël

La question palestinienne est avant tout une question de politique intérieure en Jordanie, où plus de 50 % des Jordaniens ont une ascendance palestinienne et deux millions de réfugiés palestiniens sont recensés. La question de Jérusalem est aussi particulièrement sensible pour la dynastie hachémite qui se pose en garante des Lieux Saints chrétiens et musulmans (la Jordanie administre les Lieux saints musulmans via le Waqf de Jérusalem). En témoigne la forte mobilisation diplomatique du Royaume à la suite des récentes tensions sur l’Esplanade des mosquées et dans le quartier de Sheikh Jarrah à Jérusalem-Est, puis de l’escalade de violences entre Israël et le Hamas notamment.

Les récents accords de normalisation, signés notamment par les Émirats arabes unis et Bahreïn avec Israël sous l’égide des États-Unis, ont suscité l’inquiétude des autorités jordaniennes. Amman redoute en effet que ce processus de normalisation ne remette en cause sa position particulière issue des accords de Wadi Araba conclus avec Israël en 1994, en diluant la spécificité jordanienne par rapport aux autres pays arabes. L’avenir du droit au retour des réfugiés palestiniens, à laquelle les Jordaniens sont fermement attachés, soulève aussi les craintes de la Jordanie, qui ne souhaite pas être considérée comme une « patrie de rechange » pour les Palestiniens. Dans ce contexte, le Royaume nourrit de fortes attentes à l’égard de la nouvelle administration Biden pour s’assurer que la normalisation ne transgresse pas ses lignes rouges sur la question palestinienne, en particulier concernant Jérusalem et la question du droit au retour. Le Roi Abdallah vient récemment d’évoquer ces enjeux avec le président Biden à la Maison Blanche.

c.   La Jordanie trouve un intérêt direct à la stabilisation de l’Irak et à la réouverture depuis 2017 de sa frontière commune

La stabilisation de la situation en Irak signifie pour le Royaume la promesse d’une reprise des échanges économiques avec son ancien premier partenaire commercial avant 2003. Les autorités jordaniennes et irakiennes ont intensifié leurs contacts depuis 2018 (7 visites d’autorités jordaniennes à Bagdad depuis lors). Amman a également accueilli favorablement la nomination de Mustafa Al-Kazimi en mai 2020 et entend poursuivre avec lui le renforcement des relations jordano-irakiennes avec l’objectif de la traduire par des retombées économiques concrètes.

Dans cet esprit, les Jordaniens ont accueilli à Amman en août dernier le troisième sommet trilatéral Égypte-Jordanie-Irak. L’alliance de ces trois États vise à renforcer leur coopération économique et leur intégration régionale dans des secteurs cibles : l'énergie, les transports et la santé. A plus long terme, la Jordanie et l’Irak prévoient de renforcer leur intégration économique à travers la construction d’un oléoduc d’une capacité de 2 millions de barils par jour reliant Bassora au port d’Aqaba. Nous recommandons à la France d’accompagner la dynamique de cette Trilatérale en complément de nos relations bilatérales respectives.

3.   Les relations bilatérales avec la Jordanie se déclinent tant dans le domaine militaire que sur le plan économique

a.   Notre coopération avec la Jordanie en matière sécuritaire est un axe essentiel de notre relation bilatérale dans le contexte sécuritaire dégradé que connaît la région

Dès 2014, notre proximité et notre partenariat dans la lutte contre le terrorisme se sont renforcés dans le cadre de l’opération Chammal. Comme évoqué par S.E. Mme Véronique Vouland, ambassadrice de France en Jordanie, notre coopération se poursuit en particulier dans le domaine de la sécurisation des frontières, une priorité identifiée par le Roi Abdallah et pour laquelle s’était engagé le Président Macron lors de leurs premières rencontres en 2017.

À ce titre, la France a joué un rôle moteur dans la construction d’un hub logistique (6 millions d’euros sur financement européen) au profit de l’armée, des douanes et de la gendarmerie jordaniennes. Ce projet de hub est financé par l’UE et mis en œuvre par Expertise France. Il revêt un caractère stratégique pour la sécurité des frontières jordaniennes et il est important qu’il soit mené à son terme.

Cette coopération se double d’un dialogue étroit sur les crises régionales, notamment dans le cadre du groupe d’Amman sur le processus de paix israélo-palestinien (France, Allemagne, Jordanie, Égypte) dont la dernière réunion s’est tenue à Paris le 11 mars dernier, ou dans le cadre du Small Group sur la Syrie.

b.   La France soutient économiquement la Jordanie par l’aide au développement de ses infrastructures et l’appui aux réformes économiques.

S’agissant de l’aide bilatérale, l’action de l’AFD en Jordanie est régie par un mémorandum d’entente (Memorandum of Understanding, MoU) d’entente pluriannuel, dont le dernier, couvrant la période 2019-2022, a été signé à l’occasion de la Conférence de Londres de soutien à l’économie jordanienne en février 2019. Ce MoU prévoit un niveau d’engagement ambitieux, à hauteur d’un milliard d’euros, d’appui financier français sur quatre ans et adapté aux besoins de l’économie jordanienne. Cet engagement fait ainsi une large place aux prêts souverains et aux dons, de même que le champ d’intervention de l’AFD privilégie les secteurs prioritaires pour l’économie et la société jordanienne : infrastructures de transports, de gestion de l’eau, de gestion des déchets, mais aussi formation professionnelle et accès aux soins.

c.   À l’échelle du pays, la France dispose d’une présence économique importante

Malgré la relative faiblesse du montant de nos échanges commerciaux avec la Jordanie, la France est le premier investisseur non arabe dans le Royaume. Cette présence stratégique est donc forte et visible :

– la moitié du stock d’investissements est constituée par l’investissement d’Orange dans Jordan Telecom (51 %) ;

– notre secteur d’excellence est l’eau, avec Suez qui exploite, d’une part, l’usine de traitement des eaux usées d’As-Samra (la plus grande du Moyen-Orient), et d’autre part, l’aqueduc reliant l’aquifère de Disi à Amman, financé par l’AFD ;

– et Aéroport de Paris qui gère, depuis 2007, l’aéroport d’Amman dont il est aussi actionnaire à hauteur de 51 % depuis mai 2018.

Pour toutes ces raisons, nous recommandons à la France de renforcer ses coopérations avec la Jordanie et nous invitons le président de la République à se rendre sur place ces prochains mois.


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Deuxième partie : la présence militaire française au Moyen-Orient, vecteur indispensable de stabilisation de la région

I.   L’opération amitié et la Force intérimaire des Nations unies au LibaN, manifestations concrètes du soutien de la France au liban et modèles de référence en matière de coopération civilo-militaire à l’échelle internationale

A.   L’opération Amitié, Une intervention militaire d’urgence suite à l’explosion au port de beyrouth

1.   Une opération qui témoigne de la grande réactivité des armées françaises en situation d’urgence et en un temps limité

L’opération Amitié, lancée dès le lendemain des explosions survenues à Beyrouth le 4 août 2020, est probablement une des manifestations les plus éclatantes du soutien de la France au Liban. En coordination avec le MEAE, le ministère de l’Intérieur et le ministère des Solidarités et de la Santé, les armées ont déployé et acheminé des moyens humains et matériels pour venir en aide aux Libanais frappés par les explosions. Des aéronefs militaires ont permis d’acheminer sur place des produits de première nécessité mais également d’engager les premiers sapeurs-sauveteurs et marins-pompiers. Ce n’est que dans un second temps qu’un pont maritime a été mis en place. Le porte-hélicoptères amphibie (PHA) Tonnerre et le navire affrété MN CALAO, arrivés respectivement les 13 et 16 août à Beyrouth, ont permis de compléter cet acheminement. Au total, 750 militaires et 1 200 tonnes de fret humanitaire ont été débarqués au Liban et l’opération a duré un peu plus de deux semaines.

Dans le cadre de l’opération Amitié, les équipes françaises qui ont agi sont :

– les sapeurs-sauveteurs, les marins-pompiers et des chiens, pour aider à la recherche de victimes ;

– le groupement terre (GT) Ventoux, fort de 400 militaires issus en majorité de différents régiments du génie et équipé d’engins lourds de déblaiement, pour le dégagement des accès aux quais, des quartiers à proximité du port comme la gare routière (un des lieux de transit majeur de la ville) et des zones d’entrepôts à proximité du point de l’explosion ;

– les marins du groupe de plongeurs-démineurs (GPD), qui ont mené des investigations minutieuses au niveau du port, ainsi que le service hydrographique et océanographique de la Marine nationale (SHOM). Ils ont pu, grâce aux plongées et aux moyens sonars, vérifier tous les bassins et plus de la moitié des points d’intérêts listés par les FAL. Des travaux sous-marins ont également été effectués par les plongeurs-démineurs.

2.   Une forte mobilisation des trois armées

a.   Une opération menée grâce aux rotations aériennes de l’armée de l’Air et de l’Espace

101 tonnes de fret ainsi que 130 personnels et 3 chiens ont été acheminés par 8 aéronefs de l’armée de l’Air et de l’Espace. Dès le 5 août, un A400M Atlas et un A330 Phénix ont quitté la France pour acheminer du personnel et des moyens d’assistance mis à disposition conjointement par le MEAE, le ministère de l’Intérieur et le ministère des Solidarités et de la Santé. Un module sauvetage-déblaiement et risque technologique formé par des militaires avec des capacités nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques (NRBC), du matériel et des équipements d’intervention ont notamment été acheminés sur place.

Le 6 août, un A400M Atlas a également transporté depuis Villacoublay du personnel du ministère de l’Intérieur, des renforts du MEAE et de la Croix Rouge internationale.

Le 7 août, deux avions militaires ont poursuivi l’acheminement de l’aide. Un C130J Super Hercules a décollé d’Orléans et transporté du matériel médical, dont des médicaments et une palette de vaccins. Un A310 déjà planifié dans le cadre de l’opération Daman a permis par ailleurs l’acheminement de trois personnels et du fret du ministère de l’Intérieur.

Le 8 août, un A400M Atlas a acheminé entre Orléans et le Liban du fret médical, dont des kits de pédiatrie.

Enfin, les 9 et 10 août, un A400M Atlas, avec à son bord du fret alimentaire fourni par le MEAE et du fret médical fourni par la Croix rouge internationale, et un C160 Transall, avec 6 tonnes de fret médical fourni par la Croix rouge internationale et du fret alimentaire fourni par l’entreprise Carrefour, ont terminé ces rotations depuis Orléans.

b.   Le rôle de la Marine nationale illustré par l’engagement du porte-hélicoptères amphibie Tonnerre et du MN Calao

Le PHA Tonnerre a quitté Toulon le 9 août. Il a transporté près de 96 tonnes de fret comprenant des moyens d’assistance et du matériel de première nécessité, mis à disposition conjointement par le ministère des Armées, le ministère des Affaires étrangères, le ministère de l’Intérieur, le ministère des Solidarités et de la Santé ainsi que des entreprises privées.

 

 

Il a embarqué à son bord et aux côtés de ses 215 hommes d’équipage :

– le GT Ventoux précité, composé de 390 hommes de l’armée de Terre et commandé par le chef de corps du 2e régiment étranger de génie (2e REG) ;

– et 90 soldats de divers détachements dans des domaines variés tels que les domaines amphibie (un engin de débarquement amphibie rapide et deux chalands de transport de matériel), aéronautique (un Caracal de l’armée de l’Air et de l’Espace et un Alouette III de la Marine nationale), sanitaire, génie sous-marin (plongeurs-démineurs), hydrographie (avec le détachement du SHOM) et transbordement (module du 519e régiment du train (519e RT)).

Par ailleurs, les marins ont mené de nombreuses actions sur le port, notamment pour le réseau de distribution d’eau douce du port, auprès de la capitainerie, au sein de la base navale (BN), et sur les embarcations de remorquage et de servitude du port. Ils sont également intervenus pour réparer des bâtiments endommagés aux abords des quais afin de les sécuriser et éviter le risque de pollution maritime.

En outre, le bâtiment affrété MN Calao, qui avait appareillé de Toulon le 12 août, a accosté à Beyrouth le 16 août. Ce roulier porte-conteneurs, affrété par les armées, a transporté près de 1 000 tonnes de fret humanitaire, une centaine de véhicules et d’engins de l’armée de Terre et huit véhicules du Bataillon des Marins Pompiers de Marseille qui ont été cédés aux Libanais. Les opérations de chargement et de déchargement ont été effectuées par les marins du PHA Tonnerre et les soldats du GT Ventoux, placés sous la responsabilité du 519e RT, spécialisé dans la gestion du fret portuaire. L’objectif était de décharger le plus rapidement possible l’aide humanitaire tout en regroupant les moyens nécessaires pour permettre au GT Ventoux de débuter des travaux d’envergure et de finaliser son implantation sur le port.

c.   L’action du groupement terre Ventoux

Le GT Ventoux est une formation agrégeant 10 unités de l’armée de Terre dont 5 appartenant à des régiments du génie :

– le 519e RT, spécialisé dans le transbordement maritime et le rétablissement d’infrastructures portuaires dans un environnement de crise ;

– 5 des 8 régiments de génie que compte l’armée de Terre, engagés pour couvrir l’ensemble des besoins en déblaiement et rétablissement des infrastructures : les 1er et 2e REG, les 19e et 31e REG et le 17e régiment de génie parachutiste (RGP) ;

– le 14e régiment d’infanterie et de soutien logistique parachutiste, spécialisé dans la logistique d’urgence ;

– l’unité d’instruction et d’intervention de la sécurité civile n°1 en renfort pour la recherche de victimes

– et le 7e bataillon de chasseur Alpin pour participer aux opérations de manutention et de sûreté sur les sites des différents chantiers.

Le GT Ventoux a mené divers travaux de déblaiement, tant au profit de la population (6 chantiers au profit des écoles, deux au profit d’hôpitaux) que pour conduire des chantiers de grande ampleur sur les infrastructures portuaires lourdement endommagés par l’explosion du 4 août. Au total, le GT Ventoux a mené près de 20 chantiers à Beyrouth, dont le principal a été le déblaiement de la zone franche du port et de la gare routière Charles Hélou.

3.   L’opération Amitié, symbole de la coopération franco-libanaise, dispose d’un bilan remarquable

De manière générale, cette opération, montée en urgence, a eu d’excellents résultats, appréciés par les Libanais. Elle a depuis été refermée et elle traduit de manière très concrète l’engagement de la France aux côtés du Liban dans l’épreuve du 4 août. Le pont aérien humanitaire mis en place dès le lendemain de l’explosion et le déploiement des forces militaires d’assistance humanitaire projettent l’image d’une partie française très réactive. Elle met en exergue la relation de confiance, très étroite, entre les parties militaires française et libanaise, construite depuis des années, ce qui crée d’emblée les conditions nécessaires pour autoriser ce déploiement (flexibilité accordée sur les règles engagement, lieu de déploiement autorisé par la justice française, etc.).

De plus, cette opération commune, menée avec les FAL, justifie pleinement un des objectifs de la coopération opérationnelle de défense entre la France et le Liban, à savoir l’interopérabilité des forces (procédures et formation communes, francophonie en milieu militaire, entre autres).

Enfin, en participant au déblaiement d’une large partie du port de Beyrouth, tâche que les FAL n’auraient pas pu faire seules, et en accélérant les perspectives de remise en état, l’opération a donné toute légitimité à la France pour se positionner avantageusement dans le chantier de la reconstruction.

B.   LA Force intérimaire des Nations Unies au Liban incarne l’implication et de la solidarité françaises et internationales pour la stabilité du sud-liban

1.   Un contexte régional et local au Sud-Liban caractérisé par de multiples sources d’instabilité

Le Sud-Liban est une zone à la tectonique complexe et active, marquée par une intrication d’équilibres instables et une très haute intensité stratégique en raison de deux facteurs principaux :

– l’implication dans la problématique libanaise de plusieurs puissances de premier rang (des membres du P5 et des puissances régionales), qui ont toutes une stratégie régionale multi-fronts menant simultanément ou successivement des actions au Liban ou en Syrie, comme l’Iran, l’Arabie Saoudite, Israël ou les États-Unis, mais également le Hezbollah ;

– et la proximité de la conflictualité : Damas, dont les banlieues font l’objet de frappe aériennes régulières, est à seulement 120 kilomètres de Naqoura ; les plus proches positions russes en Syrie sont déployées à 15 kilomètres à l’Est de la limite orientale de l’aire d’opération de la FINUL, face au Golan. Les conséquences de la guerre sont visibles dans l’aire d’opération, qu’il s’agisse des réfugiés syriens en secteur Est ou des chutes accidentelles de missiles sol air tirés de Syrie sur des avions israéliens.

Dans cette zone, une guerre est possible à tout moment, sans préavis. Des forces armées se font en effet face, sans qu’aucune disposition militaire n’ait été prise pour les séparer lors des cessez-le-feu ou retraits qui se sont succédé entre 1948 et 2006. L’emploi de la force y est décomplexé. Par exemple, Israël n’hésite pas à effectuer des tirs d’artillerie éclairants dès qu’il a un doute sur des individus s’approchant de la Technical Fence. Tous les responsables politiques sont d’anciens militaires qui ont déjà fait la guerre et tous les chefs militaires en place ont servi au Sud-Liban. Aussi, même si les parties ne veulent pas la guerre, et c’est le cas, l’escalade militaire est possible à tout moment, par erreur de calcul ou perte de contrôle, d’autant plus que les exécutifs sont en difficulté aussi bien au Liban qu’en Israël.

Toutes proportions gardées, une analogie peut être faite avec le 38e parallèle sans la zone démilitarisée entre les deux États coréens. La Blue Line entre le Liban et Israël est une ligne imparfaite, tracée en 2000 et indiquée entre 2007 et 2017 par 272 marqueurs sur 450 points relevés. 13 zones réservées se trouvent sur ces 118 kilomètres dont le Liban ne reconnaît pas la validité du tracé. Il y a de nombreux points de contentieux, des fermes de Chebaa jusqu’au point B1.

Dans ce contexte, la FINUL opère au milieu de deux principaux équilibres :

– un équilibre entre Israël et le Liban autour de la Blue Line, marqué par une double dissymétrie de moyens (armée moderne avec matériel de pointe au Sud ; matériels des années 1960 au Nord ; différences d’effectifs) et de rhétorique (ouverture au Sud ; fermeture au Nord ; ligne politique dure : « peuple, armée, résistance », « Palestine occupée », « territoires occupés », « droit au retour des réfugiés ») ;

– et un équilibre entre les différents acteurs présents au Sud-Liban : les FAL, le Hezbollah, la FINUL, etc.

2.   Les ressorts de la dynamique stratégique et sécuritaire de la zone

Premièrement, la politique étrangère américaine dans la région, dont la mise en œuvre a une influence importante sur le Liban, selon deux principaux axes : sa relation avec l’Iran et la contribution américaine à la sécurité d’Israël. Elle se manifeste principalement par l’étranglement financier du Liban (et de la Syrie) pour atteindre l’Iran en visant le Hezbollah (Caesar et Magnitsky Acts, sanctions individuelles), qui aurait en réalité mis le Liban à genou et profité au Hezbollah ; l’inflexion récente de la position américaine sur le Golan, probablement à l’origine de postures plus assertives des Israéliens et des Libanais dans le secteur de Chebaa ; les négociations sur la démarcation maritime (bargaining chip iranien et américain) ; la normalisation entre Israël et les États arabes qui vise à renforcer ses alliances et isole le Hezbollah. Le renouvellement de la résolution 1701 du CSNU, qui est chaque année l’occasion d’essayer d’accroitre la pression exercée sur le Hezbollah, donne parallèlement lieu à des provocations israéliennes sur la Blue Line visant à faire réagir le Parti de Dieu.

Deuxièmement, l’équation politique à Beyrouth qui structure les relations entre les différentes entités présentes au Sud-Liban et détermine notamment la liberté d’action des FAL vis-à-vis du Hezbollah pour permettre à la FINUL de remplir son mandat. Dans la configuration actuelle, avec un Hezbollah très puissant dans l’écosystème libanais, les FAL disposent d’une faible liberté d’action. Le Hezbollah constitue aujourd’hui la principale entrave à la mise en œuvre du mandat de la FINUL mais aussi à tout progrès dans le règlement du contentieux territorial avec Israël qui alimente sa rhétorique de « résistance » et constitue son carburant politique.

Troisièmement, la perception par Israël de ses priorités stratégiques et de sa sécurité : vu depuis Jérusalem, Israël fait face à plusieurs fronts proches (intérieur/Cisjordanie, Gaza, Liban, Syrie) et lointains (Iran). Le double enjeu – et double risque – pour la FINUL est de veiller à ce que le front Nord ne soit pas perçu par Israël comme un front unique, entre le Liban et la Syrie où le Hezbollah est présent. Actuellement, Israël et le Hezbollah sont sur la défensive au Liban et se confrontent en Syrie. Il ne faut pas que les FAL et le Hezbollah soient amalgamés sur le front libanais, bien que cette position soit de plus en plus difficile à tenir ; leur proximité face à l’ennemi israélien étant réelle.

Quatrièmement, l’effet cumulé des crises libanaises (politique, socio-économique et sanitaire) épuise des populations et leur fait perdre espoir. Les FAL ne sont pas épargnées. La situation socio-économique actuelle est grave et des troubles généralisés sont à craindre dans les prochaines semaines avec la probable fin des subventions d’État sur les produits de base (prix du carburant multiplié par 3,5). Le Sud devrait toutefois être relativement moins affecté (territoire rural, soutien du Hezbollah par des structures parallèles paraétatiques, etc.).

Il convient donc de souligner que 2020 a constitué une année de rupture pour le Liban : étranglement économique, explosion du port de Beyrouth le 4 août ruinant 15 années de reconstruction du centre-ville – principalement chrétien –, affaiblissement moral des Libanais et impact sur les FAL (perte d’espoir en l’avenir, fin des projets individuels et collectifs, difficulté à se concevoir comme formant une nation, etc.).

3.   L’action de la Force intérimaire des Nations Unies au Liban

Si la FINUL est déployée depuis 1978 au Sud-Liban, son mandat et sa composition ont considérablement évolué. Par exemple, pendant la guerre de 2006, la FINUL ne comptait que 1 900 soldats, contre près de 11 000 aujourd’hui. Son mandat actuel découle de la résolution 1701 du CSNU de 2006 et des résolutions suivantes renouvelant annuellement son mandat, la dernière en date étant la résolution 2539 d’août 2020. Celle-ci a acté une diminution du plafond de troupes autorisées, passé de 15 000 à 13 000 personnels, et a introduit des mécanismes de comptes rendus renforcés vers New York.

Les grandes lignes du mandat se fondent sur le chapitre VI de la charte des Nations Unies :

– surveiller la cessation des hostilités ;

– accompagner et appuyer le déploiement au Sud-Liban des FAL ;

– appuyer les FAL, à la fois pour empêcher que des actes hostiles ne soient commis depuis le Sud-Liban, et pour s’assurer que l’aire d’opération soit « sans armes » et que la Blue Line soit respectée ;

– et assurer la coordination de ses activités avec les parties.

Parmi les opérations de maintien de la paix (OMP) des Nations Unies, la FINUL est souvent présentée comme une mission robuste, notamment au regard de ses effectifs dépassant 11 000 hommes rapportés à la surface de sa zone d’opération. Ainsi, sa densité de forces est analogue à celle de la Mission d’administration intérimaire des Nations unies au Kosovo (MINUK) entre 1999 et 2000.

Cette solidité réside moins dans ses capacités que dans sa constitution. En effet, les canons de la Force commander Reserve (FCR) et les chars Leclerc ont respectivement disparu entre 2007 et 2010, et la FINUL est de plus en plus légère et mobile au gré des revues stratégiques. Dans le même temps, les contingents européens constituent sa colonne vertébrale : 35 % des effectifs, contre 0,35 % pour la Mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO) et 5 % pour la MINUSMA, deux OMP de taille similaire. Cet engagement européen se retrouve dans sa chaîne de commandement : commandant italien, chef d’état-major français, commandants de secteur italien et espagnol, et commandant de la Maritime Task Force (MTF) allemand.

Par ailleurs, la FINUL dispose d’outils diversifiés et originaux pour mettre en œuvre son mandat, comme une Liaison Branch, une cellule d’enquête, un mécanisme tripartite, une force navale (cas unfique pour une OMP onusienne) et le groupe d’observateurs pour le Liban (Observer Group Lebanon, OGL) de l’Organisme des Nations Unies chargé de la surveillance de la Trêve (ONUST), dont la FINUL assure le contrôle opérationnel.

La FINUL est une force en transformation permanente. D’ici deux ans, au terme de son plan d’adaptation issu du rapport du Secrétaire général du 1er juin 2020, elle sera probablement encore plus agile : gros véhicules blindés remplacés par de petits véhicules blindés, troupes plus disponibles, reconfiguration des forces navales, plus de moyens de renseignement avec une surveillance radar étendue et un plan d’équipement en caméras visant à surveiller la Blue Line

4.   L’opération Daman : le contingent français de la Force intérimaire des Nations Unies au Liban

L’opération Daman incarne et matérialise la solidarité de Paris avec Beyrouth. Il existe une cohérence de positionnement entre la centralité politique de la France au Liban comme puissance marraine à laquelle fait écho la centralité militaire du contingent français au Sud-Liban. À travers le chef d’état-major, la France met son amitié avec le Liban au service de la FINUL, rassemblant 46 pays contributeurs avec lesquels le Liban n’entretient pas des relations aussi naturelles. La FCR est au centre de la FINUL, aussi bien géographiquement que fonctionnellement.

Dans toute l’aire d’opération, la FCR bénéficie d’une grande liberté d’action en coopérant avec l’ensemble des unités des FAL (qu’elle entraîne également) et en mettant en œuvre les moyens de surveillance du « haut du spectre » de la FINUL (radars de surveillance aérienne, trajectographie, équipes de recueil d’imagerie). Depuis 2017, elle intègre une compagnie d’infanterie finlandaise, constituée de jeunes réservistes. Ce partenariat mature permet à la France de limiter sa contribution propre en troupes. La contrepartie consentie est une relative fragilité en cas de dégradation sécuritaire sérieuse, cette unité étant bien adaptée à une OMP mais faiblement aguerrie en cas de crise grave. Le contingent français, qui a été progressivement réduit au cours des différentes Military Capacility Studies, est aujourd’hui strictement dimensionné.

Armée par la France, la posture opérationnelle de la FCR est en permanence observée et interprétée, notamment par le Hezbollah, en écho aux prises de parole publiques des autorités françaises sur le Liban. Des mesures spécifiques de protection sur le contingent sont décidées lors des prises de position françaises sur le Liban, compte tenu de leur poids et de la sensibilité politique libanaise.

Les directives données par le CPCO à Paris pour le contingent français s’inscrivent dans une stratégie régionale bien identifiée. Les échanges de renseignement et analyses entre les différentes forces et ambassades françaises de la région fonctionnent sans difficulté. La FINUL prend sa part dans cette stratégie française, en contribuant à la stabilité du Liban.

5.   Un bilan globalement positif pour la Force intérimaire des Nations Unies au Liban…

La principale réussite de la FINUL est d’avoir permis 15 années de paix et de stabilité au Sud-Liban. Selon les FAL, l’aire d’opération de la FINUL est, de loin, la zone la plus sûre du Liban à leurs yeux, en comparaison avec la lutte antiterroriste dans le Nord et les affrontements claniques dans la plaine de la Bekaa à l’Est. Le règlement définitif du différend ne relève d’ailleurs pas de la FINUL, dont la mission se limite à la création des conditions du dialogue politique, mais du Bureau de l’UNSCOL et de sa mission de bons offices.

Par ses opérations de surveillance terrestre, aérienne et maritime de plus en plus agiles et orientées, ses comptes rendus et ses activités de liaison, de formation et d’entraînement, la FINUL :

– prévient les incidents sur la Blue Line et intervient pour permettre une désescalade ;

– dissuade : le Hezbollah de conduire ouvertement ses activités et de riposter contre Israël ou de montrer ses armes ; les FAL de se rapprocher trop ostensiblement du Hezbollah ; et Israël de lancer à la légère une offensive (surveillance permanente des activités et violations aériennes, « gène » terrestre par la FINUL en cas d’offensive) ;

– soutient et renforce les actions des FAL dans l’aire d’opération ;

– et conduit des actions en appui des populations et de communication, ce qui permet de soutenir une bonne acceptation depuis 43 ans de présence pour la FINUL : projets à impacts rapides (Quick Impact Projects, QIP) et de coopération civilo-militaires, lutte contre les feux de forêt, soutien des FAL face à l’explosion du port de Beyrouth par le déploiement d’un détachement au mois de septembre, démantèlement de quatre hangars détruits, nettoyage de 28 000 mètres carrés et évacuation de 9 200 mètres cubes de débris, réouverture de rues, déblaiement et protection de bâtiments classés comme le ministère des Affaires étrangères, etc.

Plusieurs réussites sont à mettre à l’actif de la FINUL :

– la relative stabilité de part et d’autre de la Blue Line car, depuis le dernier renouvellement de mandat, il n’y a eu ni rupture grave du cessez-le-feu entre Israël et le Liban, ni représailles du Hezbollah. Des médiations ont réussi, le marquage de la Blue Line, qui avait été interrompu en juin 2017, a repris (21 marqueurs vérifiés par le Liban fin 2020, 8 le seront par Israël les 31 mai et 1er juin) et les incidents ont connu une désescalade rapidement ;

– et une position équilibrée de la FINUL, qui conserve de la valeur auprès de l’ensemble des parties : les FAL, puisqu’elle les appuie militairement (formation, renseignement, contrôle du terrain), rend compte des violations israéliennes, mais aussi les autorités militaires des Forces israéliennes de défense (Israel Defense Forces, IDF) car elle exerce une pression sur les activités du Hezbollah en le dissuadant de porter ouvertement ses armes et de s’afficher aux côtés des FAL. La FINUL est tolérée par le Hezbollah, qu’elle protège de facto des feux israéliens, à la condition de ne pas être intrusive (ni caméra, ni renseignement, ni drone).

Cet équilibre stratégique (il est en effet difficile de parler strictement d’« impartialité » lorsqu’une force est déployée d’un seul côté d’une ligne de cessez-le-feu à surveiller, avec pour mandat de développer les capacités militaires de l’une des parties au conflit) constitue une condition centrale, non seulement du soutien et du consentement des parties au mandat de la FINUL mais également à la protection et à la sécurité de la Force.

6.   … qui ne doit pas éluder les difficultés auxquelles la Force doit faire face

Si l’effet stabilisateur de la FINUL dans l’aire d’opération est indiscutable, elle reste confrontée à des difficultés pour remplir son mandat complexe en raison de deux facteurs.

Premièrement, l’effondrement socio-économique du Liban en 2020, qui compromet la montée en puissance des FAL – ligne de force de la stratégie de sortie de la FINUL – et retarde durablement ses perspectives de réalisation.

Deuxièmement, la puissance relative atteinte par le Hezbollah dans l’appareil d’État libanais, avec une force politique et militaire dominante aux importantes capacités économiques parallèles qui :

– neutralise la capacité d’action des FAL et sape certains présupposés politiques du mandat de la résolution 1701 du CSNU (les FAL souveraines contrôlent l’aire d’opération, ses accès et les cargaisons, tandis que la FINUL intervient en appui) ;

– rend irréaliste toute avancée vers un règlement du contentieux entre Israël et le Liban, puisqu’il s’agit du carburant politique et de la raison d’être de la « Résistance » ;

– et fait de plus en plus ouvertement obstacle à la FINUL et à la mise en œuvre de son mandat.

En effet, la FINUL rencontre de plus en plus de difficultés pour jouir d’une pleine liberté de mouvement dans l’aire d’opération et est en compétition avec le Hezbollah qui lui conteste tout libre accès :

– refus officiel de toute demande d’accès (par exemple aux sites suspects ou sensibles), même si celles-ci sont soutenues au niveau local ;

– entraves physiques aux mouvements de la Force (barrages temporaires de la route) avec un triplement des actes inamicaux ou hostiles contre la FINUL entre 2019 et 2020 (vols de matériel sensible et agressions physiques) ;

– entrave foncière rampante et croissante par l’extension des propriétés privées (y compris des routes) ayant pour conséquence de réduire les zones stratégiques ;

– manœuvres de renseignement (spotting, espionnage, vol de GPS, cartes) et de contre-renseignement (déni de déploiement de caméras, etc.) ;

– contrôle de la FINUL exercé par les FAL de manière indirecte (pression sur les itinéraires, erreurs de navigation…) ;

– et difficulté à mettre en œuvre le volet « surveillance renforcée / hautes technologies » de l’Assessment implementation plan en raison du rejet catégorique des drones et du refus du déploiement de caméras sur la Blue Line, signifié formellement aux représentants des Nations Unies au Liban.

7.   Plusieurs perspectives envisageables pour l’avenir de la Force

Aujourd’hui, la situation des FAL est critique, marquée par une paupérisation avancée tant collective qu’individuelle : perte d’environ 90 % de leur pouvoir d’achat, quelques désertions, réduction de leur capacité opérationnelle malgré de réels efforts pour tenir leur rôle et leur contrat opérationnel, risque d’allégeance sectaires avec une possible attractivité du Hezbollah… Ces difficultés personnelles ont des répercussions sur leur engagement : un désintérêt et une incapacité à se projeter sur le long terme apparaissent rapidement, eu égard, par exemple, aux difficultés de certains soldats à se nourrir ou à scolariser leurs enfants.

Depuis 2012-2013, il n’y pas eu de réflexion structurée autour des questions de défense au Liban, dont les fondements conceptuels du dialogue stratégique datent de 2013. Le concept originel du « régiment modèle » a quelque peu été perdu de vue mais reste pertinent pour mobiliser et avancer. Il existe un tabou politique autour d’un dialogue national sur la Stratégie de Défense nationale, en raison de l’épouvantail du désarmement du Hezbollah. Ce chantier est à réinscrire à l’ordre du jour par les Libanais après 2022 ; d’ici là, le statu quo va probablement perdurer.

Une absence de progrès dans le règlement de long terme du contentieux est à déplorer. Le contentieux territorial – aujourd’hui terrestre, demain peut-être maritime – constitue la raison d’être de la résistance (et sa justification pour conserver ses armes) qui contrôle les institutions libanaises (présidence, Parlement, Gouvernement). Face à cela, l’engagement politique de l’UNSCOL pour avancer vers un règlement définitif du différend entre Israël et le Liban est limité. Il convient d’ailleurs de relever un paradoxe : plus la FINUL stabilise l’aire d’opération et la Blue Line, moins les acteurs politiques libanais et internationaux sont incités à trouver un règlement définitif. En cette absence d’incitation sécuritaire, les incitations économiques périphériques peuvent agir (par exemple sur la démarcation maritime pour l’exploration offshore).

Alors que débutent les consultations relatives au renouvellement de son mandat, une reconduction technique de la FINUL pour l’année à venir semble à rechercher, dans l’attente de possibles évolutions politiques à Beyrouth en 2022 et d’une évolution de la donne régionale (accord avec l’Iran et, idéalement, une réduction du soutien au Hezbollah).

L’appui déterminé aux FAL, qui continuent d’incarner la nation libanaise, reste la meilleure stratégie dans la durée. Pour renouvellement de mandat à venir, il apparaît utile de renforcer l’appui de la FINUL aux FAL en ouvrant la possibilité de fournir un soutien logistique direct dans l’aire d’opération (carburants, etc.).

Dans le contexte politique actuel, il serait illusoire de vouloir faire évoluer le mandat de la FINUL ou de l’étendre (vers le chapitre VII de la charte des Nations Unies par exemple). Cette évolution ne recevrait probablement pas de soutien des pays contributeurs européens, dont certains sont fébriles au vu des tensions dans l’aire d’opération. Par ailleurs, la situation ne serait pas tenable sur le plan sécuritaire si la FINUL devait entrer en confrontation avec le Hezbollah tant son emprise est forte.

En outre, si des réductions ciblées de la FINUL pourraient être envisagées avec un impact opérationnel limité, leur contrepartie politique et psychologique devrait être mesurée, notamment vis-à-vis des FAL qui pourraient en sortir découragées et se sentir abandonnées. Le redressement économique du Liban et la consolidation des FAL prendront des années. C’est probablement l’horizon de travail de la FINUL, qui devra s’adapter pour accompagner ces évolutions.

 

II.   Les forces françaises aux emirats arabes unis constituent la forme la plus aboutie de la coopération militaire française au Moyen-Orient

A.   Les forces françaises aux emirats arabes unis, symboles de la présence militaire française au moyen-orient

1.   Un dispositif militaire complet et stratégique impliqué dans plusieurs théâtres

Les EAU sont le premier partenaire militaire de la France au Moyen-Orient. L’accord franco-émirien relatif à la coopération en matière de défense a été signé en 2009 (puis complété par un accord par échange de lettres signées en 2010) et est entré en vigueur le 1er mai 2012 pour une période de 15 ans renouvelable par notification écrite. Il reprend notamment la clause d’assistance prévue dans l’accord de défense antérieur datant de 1995 et formalise l’installation militaire française avec la mise en place des FFEAU. La coopération de défense vise à développer l’interopérabilité entre les forces des deux pays, à renforcer les capacités opérationnelles et à contribuer à la stabilisation de la région. Environ 650 militaires sont présents au sein des FFEAU, répartis entre le 5e régiment de cuirassiers (5 RC), la BA104 d’Al Dhafra et une BN.

Au cours des dix dernières années, la présence des FFEAU a facilité et renforcé la coopération opérationnelle entre la France et les EAU. En premier lieu, cette implantation constitue un point d’appui stratégique pour les opérations menées dans la région, notamment dans le cadre de l’opération Chammal contre Daech en Irak et en Syrie ou de l’opération Agénor. Par ailleurs, la présence des FFEAU facilite la projection des forces françaises vers la zone indopacifique à travers l’accueil de l’état-major de la zone maritime de l’océan Indien (ZMOI) et du commandement des FFEAU (COMFOR FFEAU) au sein de la BN d’Abou Dabi. Enfin, la présence des FFAEU joue un rôle clé dans la mise en œuvre de la coopération militaire bilatérale entre la France et les EAU. Celle-ci s’illustre notamment par la menée d’exercices en commun interarmées, dont l’exercice El Himeimat pour la coopération terrestre ou la mission Skyros fin janvier 2021 pour la coopération aérienne.

2.   La France est également présente à Bahreïn et a signé des accords de défense avec le Qatar et le Koweït

Au-delà des EAU, la France est également présente dans le golfe d’Oman avec la Combined Task Force 150 (CTF) engagée dans la lutte contre les trafics illicites liés au financement des activités terroristes et implantée à Bahreïn. Depuis le début de l’année, 12 tonnes de drogues ont été saisies par la frégate Guépratte, initialement affectée à l’opération Agénor mais détachée trois fois au titre de la lutte contre les narcotrafics. Les drogues saisies correspondent, aux deux tiers, à des méthamphétamines et à un tiers à du haschich. Le trafic de captagon déjà évoqué au sujet du Liban connait également une hausse forte dans la région.

La France a également signé un accord de défense avec le Qatar en 1994 qui a été renouvelé en juillet 2019 pour une période de cinq ans. De plus, après plusieurs années de négociation, un accord sur le statut des forces a été signé le 25 novembre 2019, dont l’objectif est de mieux encadrer les exercices et activités militaires entre les deux pays.

Enfin, la France a signé un accord de défense avec le Koweït en 2009, qui a notamment rendu possible le succès de l’exercice interarmées quadriennal dénommé Pearl of the West qui vise à renforcer l’interopérabilité entre les armées des deux pays. La dernière édition de cet exercice s’est tenue en 2018 et a mobilisé 1 600 militaires ainsi que des moyens terrestres, maritimes et aériens conséquents. Par ailleurs, l’accord de défense entre les deux pays facilite les escales des bâtiments de la Marine nationale.

B.   L’opération agénor, volet militaire de la mission européenne de surveillance maritime dans le détroit d’Ormuz, a joue un rôle central dans la réduction de la menace dans le détroit d’ormuz mais doit désormais évoluer

1.   Une mission des États européens destinée à contenir les tensions dans le Golfe et dans le détroit d’Ormuz pour garantir la liberté de navigation

En 2019, le climat d’insécurité et d’instabilité croissantes dans le Golfe et dans le détroit d’Ormuz, qui s’est traduit par de nombreux incidents maritimes, a porté atteinte à la liberté de la navigation et à la sécurité des navires et des équipages européens et étrangers pendant des mois. Elle compromettait également les échanges commerciaux et l’approvisionnement énergétique, ce qui était susceptible d’avoir des conséquences économiques dans le monde entier. Cette situation était d’autant plus préoccupante que cela attisait les tensions et accroissait le risque d’un éventuel conflit de grande ampleur, ce qui aurait eu des conséquences sur toute la région. Le contexte exigeait des initiatives de désescalade renforcées pour interrompre la tendance actuelle.

L’Allemagne, la Belgique, le Danemark, la France, la Grèce, l’Italie, les Pays-Bas, et le Portugal estimant que la situation dans le Golfe et dans le détroit d’Ormuz demeurait instable dans une région pourtant essentielle à la stabilité mondiale et soutenant l’approche de désescalade en ce qui concerne les questions de sécurité régionale, ont décidé d’apporter leur appui politique à la création d’une mission européenne de surveillance maritime dans le détroit d’Ormuz (European Maritime Awareness in the Strait of Hormuz, EMASoH), séparant les Émirats arabes unis et Oman de l’Iran, au profit de la marine marchande transitant par ledit détroit. Ce point de passage est sensible compte tenu du potentiel de déstabilisation par l’Iran pouvant menacer la pérennité des flux commerciaux, en particulier d’hydrocarbures.

De façon complémentaire avec les actions et les initiatives de sécurité maritime en cours dans la région, notamment l’International Maritime Security Construct (IMSC), initiative américaine, l’objectif de la mission EMASoH était de garantir un environnement de navigation sûr et d’apaiser les tensions régionales actuelles. Dans le respect du droit international, la mission a fourni de façon concrète une connaissance et une surveillance accrues de la situation maritime, par le déploiement de moyens de surveillance maritime supplémentaires dans le Golfe et dans la mer d’Arabie. Le quartier général de la mission est établi aux Émirats arabes unis, au sein de la BN des FFEAU. La mission EMASoH a constitué un instrument utile de préservation de la liberté de la navigation en garantissant l’existence d’une coordination appropriée et de mécanismes de partage d’informations entre tous les partenaires actifs dans le domaine, notamment l’industrie maritime. De plus, la mission EMASoH a permis une désescalade en complétant les efforts diplomatiques fondamentaux visant à assurer une stabilité accrue et un dialogue régional ouvert dans un contexte critique.

2.   Face à la maîtrise de la menace et au désintérêt patent des États européens, l’opération Agénor devrait être mise en sommeil

La France a conscience qu’elle ne peut pas mener l’opération Agénor seule. Si plusieurs États européens sont impliqués, dans les faits, la France fournit le plus gros effort, suivie par le Danemark qui a pris le commandement de l’opération le 13 janvier 2021 mais qui y a renoncé en juillet 2021. La France a donc repris le commandement de l’opération le 15 juillet 2021.

Si la menace est aujourd’hui à un niveau très bas, celle-ci peut revenir à tout moment, en particulier eu égard à l’absence de conclusion d’accord avec l’Iran sur le nucléaire. En outre, certains États comme l’Arabie Saoudite voient l’opération Agénor d’un bon œil, eu égard à ses craintes quant aux actions de déstabilisation de l’Iran. En effet, l’enjeu de la sécurité maritime est primordial pour l’Arabie Saoudite, en particulier dans le Golfe arabo-persique où il est très fort et dans le Sud de la mer Rouge où il prend de l’ampleur. Dans le contexte du désengagement des États-Unis du Moyen-Orient et du regain des tensions dans le Golfe arabo-persique, le déploiement permanent d’une frégate française dans le cadre de l’opération Agénor apparait comme une mesure de réassurance essentielle et appréciée pour enclencher une désescalade des tensions en cas de besoin.

Mais aujourd’hui, force est de constater que l’opération Agénor a atteint les objectifs fixés. Une très forte baisse des tensions a été constatée par le contre-amiral Jacques Fayard, COMFOR FFEAU en charge du commandement de l’opération. Les armateurs européens, qui demandaient à être rassurés en cas de menace, font également ce constat. Par ailleurs, le caractère européen de l’opération Agénor est aujourd’hui trop peu affirmé. En réalité, en dehors de la Belgique et du Danemark, la France est le seul État à s’investir réellement dans le cadre de cette opération.

Les rapporteurs ont eu l’occasion de discuter longuement de l’avenir de l’opération Agénor avec le contre-amiral Jacques Fayard. Eu égard au manque d’intérêt des Européens pour cette opération, à l’arrêt de la mission menée par les Américains dans la zone (aucun bateau n’a été déployé dans le cadre de l’opération Sentinel) et à l’absence d’escalade dans la région de la part de l’Iran, en particulier depuis l’élection de Joe Biden, à quelques exceptions près et exclusivement au niveau bilatéral avec, par exemple, Israël, il apparait souhaitable de mettre en sommeil l’opération Agénor. Il s’agirait bien d’une mise en sommeil et non de mettre définitivement fin à cette opération, qui pourrait être réactivée en cas de hausse de la menace. Les moyens des FFEAU étant comptés et eu égard au faible investissement des autres États européens dans le cadre de cette opération, la France ne peut en effet pas porter seule le poids de cette opération.

 

III.   la politique d’exportation d’armements de la France au moyen-orient ET le soutien à la souverainete des etats

A.   Une politique d’exportation d’armements dynamique et reconnue par les Etats de la région

1.   Quatre États du Moyen-Orient figurent parmi les principaux clients de la France en matière d’exportation d’armements

Le Moyen-Orient est une des zones les plus importantes pour la France en matière d’exportation d’armements. Le Qatar, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et le Koweït font partie des dix principaux clients de la France dans le monde (respectivement en 2e, 3e, 5e et 9e position) sur la décennie 2010-2020. Ces quatre pays ont représenté, pour la seule année 2019, près de 83 % des ventes françaises dans la zone Proche et Moyen-Orient (en livraisons) et environ 53 % des ventes françaises dans le monde (en livraisons). Ainsi, la zone présente un intérêt capital pour la politique française d’exportation d’armements.


Source : rapport au Parlement de 2021 sur les exportations d’armement de la France


Source : rapport au Parlement de 2021 sur les exportations d’armement de la France

 

 

 

 

 

 

 


Source : rapport au Parlement de 2021 sur les exportations d’armement de la France


Source : rapport au Parlement de 2021 sur les exportations d’armement de la France

 

Exportations d’armes classiques en 2019 (livraison)

 

 

Char de bataille

Véhicules blindés de combat

Véhicules tactiques

Canons de 105 mm

Avions de combat

Hélicoptères d’attaque

Navires de guerre

Missiles

Lanceurs de missiles

Qatar

 

 

 

 

20

 

 

77

116

Arabie saoudite

 

34

521

20

 

 

 

 

 

EAU

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Koweït

 

 

133

 

 

2

 

 

 


Source : rapport au Parlement de 2020 sur les exportations d’armement de la France

2.   La qualité des matériels vendus par la France est unanimement appréciée par les États de la région

Lors de leurs déplacements, les rapporteurs ont pu constater que la qualité des matériels vendus par la France est réellement appréciée. Ce fut notamment le cas lors du déplacement des rapporteurs en Irak. Les besoins et les priorités du pays en matière de défense leur ont été clairement exprimés : en matière de défense aérienne (systèmes sol-air, drones, avions de chasse, hélicoptères), mais également en matière de chars d’assaut, de blindés et des besoins en matière de maintenance des bateaux. L’image de marque des matériels militaires français y est également renforcée par l’histoire, comme en témoigne le souvenir évoqué par le ministre de la Défense irakien, M. Jumaa Inad, qui a fait un parallèle entre les matériels acquis ou utilisés par l’Irak dans les années 1980 (Mirage F1 et Super Étendard, radars et systèmes sol-air Roland, hélicoptères Puma, véhicules blindés, canons automoteurs AUF1 GCT, moyens de transmission) et les projets d’acquisitions envisagés aujourd’hui. Comme l’a indiqué le ministre, la qualité des matériels français est « du même niveau que les Américains et les Russes », mais plus efficaces encore que ces derniers. Il ne s’agit là que d’un exemple : la qualité des matériels militaires français a également été vantée par les autorités politiques émiriennes, jordaniennes et égyptiennes.

B.   Renforcer le rôle de la DCSD et de DCI pour contribuer a la souverainete des etats, a la formation des forces de securite Militaires et civiles, au soutien aux populations

1.   Pour une présence plus accrue de la DCSD au Moyen-Orient

À l’issue de leurs travaux, les rapporteurs sont parvenus à la conclusion que la DCSD devrait être un des acteurs principaux du renforcement de la coopération entre la France et ses partenaires au Moyen-Orient pour contribuer à la souveraineté des États, à la formation des forces de sécurité militaires et civiles et au soutien aux populations. M. le rapporteur Gwendal Rouillard a pu, par exemple, observer les retombées positives du déploiement du réseau des Écoles Nationales à Vocation Régionale (ENVR) en Afrique et la perspective d’une présence plus importante de la DCSD au Moyen-Orient semble tout à fait pertinente, de l’avis même du général Thierry Marchand, directeur de la DCSD.

En effet, au-delà des actions de consolidation des États, la DCSD participe à des opérations qui bénéficient directement aux populations au Moyen-Orient. Pour prendre quelques exemples récents, la DCSD a contribué directement au secours des populations suites aux explosions survenues à Beyrouth le 4 août 2020 par l’intermédiaire du coopérant « protection civile », qui a permis l’organisation des secours internationaux, en lien avec notre ambassade sur place. La DCSD a également fourni au Liban des équipements de protection individuelle contre la COVID-19 à hauteur de 120 000 euros en 2020.

C’est d’ailleurs au Liban que la coopération structurelle de sécurité et de défense de la DCSD est la plus importante dans toute la zone « Afrique du Nord – Moyen-Orient ». Elle y poursuit un objectif global de renforcement de l’État de droit et de réforme des systèmes de sécurité grâce à l’action de 7 coopérants présents sur place. Dans le domaine de la coopération de défense, l’objectif principal est de permettre aux FAL, force principale de stabilité au Liban, de relever les défis sécuritaires du pays, principalement incarnés par la menace terroriste. À ce titre, la DCSD poursuit son effort en matière de formation des élites militaires libanaises et de conseil. La coopération en matière de sécurité intérieure est guidée, quant à elle, par 3 axes bien définis : la réforme du système de sécurité et de gouvernance, la lutte contre le terrorisme et la lutte contre la criminalité organisée. Enfin, l’influence au travers de la formation des élites et de l’enseignement du français en milieu militaire et policier est une des priorités stratégiques de la DCSD dans le pays.

Lors de son déplacement au Liban, M. le rapporteur Gwendal Rouillard a pu bénéficier d’une présentation sur place de l’École régionale de déminage humanitaire au Liban (ERDHL). Cette école a été créée sous l’impulsion de la France pour former les spécialistes du déminage dans l’ensemble de la région. Inaugurée en 2017, l’école organise des cours et des séminaires avec l’aide d’un coopérant français et apporte une participation de premier ordre au déminage humanitaire. C’est une école à vocation régionale : les cours, en langue arabe, sont destinés aux militaires et aux civiles des pays arabes du Moyen-Orient, mais également d’Afrique du Nord. Ce projet, dont les avantages pour la coopération bilatérale sont nombreux, doit servir de modèle pour l’avenir, et ce tant pour le Liban que pour les autres pays de la région. Il doit s’inscrire dans la durée.

En Irak, la DCSD participe à l’étude de la mise en place d’un centre militaire pour la formation professionnelle afin de former et réhabiliter des jeunes Irakiens de 18 à 25 ans. L’objectif de ce projet est d’alimenter le sentiment de loyauté à la patrie parmi les plus jeunes à travers des programmes de formation professionnelle sous supervision militaire. Mais au-delà de cet objectif, il s’agit également et surtout de renforcer la stabilité et la sécurité du pays grâce à une formation professionnelle afin d’assurer au tissu économique local une main d’œuvre qualifiée, de réduire le taux de chômage et de lutter contre la pauvreté. Ce projet est d’autant plus précieux que, comme nous l’ont indiqué de nombreux interlocuteurs lors de nos déplacements, les jeunes issus de milieux pauvres sont la principale cible de Daech. Il s’agit donc également, en soutenant ce type d’initiatives, de lutter contre le terrorisme, qui est souvent la seule issue de jeunes qui n’ont aucune perspective à court ou long terme et qui choisissent, parfois davantage par nécessité et par dépit que par attrait pour le discours de Daech, de basculer dans le terrorisme. La DCSD participe également en Irak à la formation d’unités du ministère de l’Intérieur irakien, notamment dans les domaines de la lutte contre le terrorisme et la dépollution fluviale par des actions de déminage. Mais la coopération structurelle de défense demeure en retrait de la coopération opérationnelle, qui se limite aujourd’hui à quelques formations de cadres, dont une place à l’École de guerre tous les deux ans, et à la promotion de la langue française en milieu militaire.

Enfin, la DCSD est également présente en Égypte et en Jordanie. En Égypte, son action s’oriente vers la lutte contre le terrorisme et le soutien aux exportations d’armement. En Jordanie, l’effort de la DCSD se concentre sur la sécurisation des frontières, et en particulier de la frontière jordano-irakienne, ainsi qu’à la formation auprès de l’armée de l’Air jordanienne.

La création de nouvelles ENVR à dominante « sécurité » au Moyen-Orient semble indispensable pour appuyer la stratégie d’action de la France dans la région. Le Liban, la Jordanie et l’Irak semblent tout à fait désignés pour les accueillir, eu égard aux attentes fortes exprimées envers la France dans ces pays. Mais cela impliquera nécessairement de réfléchir au coût de ces déploiements ainsi qu’au caractère suffisant ou non des effectifs de la DCSD pour y faire face. Des discussions sont en cours pour des créations de poste au sein de la DCSD. Les rapporteurs y sont tout à fait favorables. Ils plaident pour que les arbitrages, qui sont et demeurent d’essence politique, se fassent en faveur de la DCSD.

2.   Renforcer le rôle de DCI au Moyen-Orient

À côté de la DCSD, la France doit aussi exploiter les opportunités offertes par les opérateurs de coopération technique et de transfert de savoir-faire, au premier rang desquels se trouve le groupe DCI. La contribution de la France à la consolidation de la souveraineté des États et à la formation des forces de sécurité a en effet beaucoup à gagner à mobiliser, au-delà des moyens comptés de la DCSD et des forces armées, un opérateur éprouvé qui contribue depuis longtemps à la réalisation de plans de coopération bilatérale ou à l’accompagnement de contrats d’exportation d’armements.

DCI est déjà un acteur important de la stratégie d’influence de la France, au Qatar, aux Émirats arabes unis, au Koweït ou en Arabie Saoudite. L’approfondissement des partenariats stratégiques bilatéraux avec la Jordanie ou l’Irak doit aussi en tirer bénéfice.

Mais pour cela, il faut anticiper, bien en amont des négociations conduisant à des accords intergouvernementaux ou les arrangements techniques, le recours possible à DCI, ou plus largement à l’écosystème français de transfert de savoir-faire techniques ou militaires. Cela est aussi nécessaire pour identifier les ressources qui pourront être mobilisées pour les financer y compris auprès d’organisations internationales ou de l’UE.

La concurrence sur le segment des transferts de savoir-faire militaires est aujourd’hui très vive : elle est comprise par de nombreux États comme un élément incontournable de la compétition entre puissances. Les pays anglo-saxons l’assument depuis longtemps, mais l’Italie, la Russie ou la Turquie en sont aujourd’hui très conscients. La France ne doit pas le sous-estimer et gagnerait à mieux coordonner ses approches pour garantir une stratégie d’influence cohérente, alors que les savoir-faire militaires français sont attractifs auprès des pays amis et partenaires de la région.


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   troisième partie : quel avenir pour l’opération chammal ?

 

I.   la région irako-syrienne, marquée par l’émergence de Daech entre 2014 et 2017, demeure fragilisee malgré une amelioration de la situation

A.   L’Irak, un pays allié de la France qui demeure confronté à de multiples defis en dépit du recul de Daech

1.   Une situation intérieure marquée par de grandes fragilités malgré le recul de Daech

Après trois ans de combats contre Daech, qui s’était notamment emparé de Mossoul en 2014, la victoire contre l’organisation terroriste est proclamée en décembre 2017. L’Irak entre alors dans une phase de stabilisation et de reconstruction. Aujourd’hui, le contexte demeure toutefois fragile et volatile, en raison de tensions internes et régionales persistantes.

Sur le plan intérieur, l’Irak est confronté depuis octobre 2019 à un mouvement de contestation politique et social qui se concentre principalement dans le sud du pays – où il trouve son origine – et à Bagdad. Ce mouvement d’ampleur inédite dénonce le confessionnalisme, la corruption, les ingérences étrangères, la faiblesse de l’État et les difficultés socio-économiques. Les manifestations ont contribué à la démission du Premier ministre Adel Abdel Mahdi en novembre 2019.

Le pays est gouverné depuis mai 2020 par Mustafa al-Kazimi, désigné Premier ministre après six mois de vacance du pouvoir. Ancien journaliste et militant des droits de l’homme puis directeur des services de renseignement irakiens, Mustafa al-Kazimi souhaite voir l’Irak s’extraire des effets déstabilisateurs des tensions régionales et mettre fin aux dysfonctionnements dénoncés par le mouvement de protestation (corruption, etc). Au début de son mandat, il a pris des engagements à l’endroit des manifestants (libération de manifestants emprisonnés ; formation d’une commission d’enquête sur les violences) et annoncé la tenue d’élections législatives anticipées désormais programmées en octobre 2021.

Mustafa al-Kazimi a également fait part de ses intentions d’œuvrer à restaurer la souveraineté irakienne et le contrôle de l’État sur le territoire. Il a ainsi intensifié les opérations militaires contre les réseaux clandestins de Daech et s’efforce de reprendre le contrôle des postes-frontières du pays, gérés depuis plusieurs années par des acteurs non-étatiques. Il sait aussi que le combat se situe « dans les esprits » car Daech porte un projet idéologique, social et religieux. Le Premier ministre accorde en ce sens une priorité à l’éducation et au développement dans l’ensemble des régions irakiennes, y compris sunnites.

Le gouvernement irakien doit toutefois composer avec un environnement régional complexe. En 2020, l’Irak a été un terrain d’expression des tensions irano-américaines, qui ont culminé après l’élimination de Qassem Soleimani à Bagdad le 3 janvier. Les frappes de drones qui l’ont visé, à proximité de l’aéroport de Bagdad, ont également tué huit dirigeants irakiens de la Mobilisation Populaire, dont Abou Mahdi al-Muhandis, chef adjoint de l’organisation et ancien chef de Kataeb Hezbollah. Les États-Unis ont indiqué que cette frappe avait été menée en réponse à de multiples attaques par des milices contre ses emprises en Irak (tirs de roquettes le 27 décembre 2019 contre une emprise de la Coalition ; assaut de l’ambassade américaine le 31 décembre 2019 en réponse à cinq frappes américaines contre Kataeb Hezbollah le 29 décembre 2019) et pour prévenir d’autres attaques contre les personnels américains en Irak.

A la suite de l’opération américaine visant Qassem Soleimani, le Parlement irakien a voté le 5 janvier 2020 une résolution demandant le retrait des forces étrangères d’Irak. L’Iran a lancé le 8 janvier 2020 une riposte contre les États-Unis en tirant une vingtaine de missiles contre les deux bases abritant des soldats américains d’Aïn al-Assad et d’Erbil, sans faire de victimes.

En dépit de brèves accalmies, certaines milices irakiennes poursuivent leurs attaques contre les intérêts américains et les véhicules et emprises de la Coalition comme l’illustrent les tirs de roquettes qui ont pris pour cible, le 15 février 2021, l’aéroport international d’Erbil abritant la Coalition internationale. L’attaque a provoqué la mort d’un contractuel et d’un civil irakien.

En parallèle, Daech, qui ne contrôle plus directement de territoire, est de retour à une phase clandestine, et poursuit ses activités terroristes en Irak. Elle mène des actions insurrectionnelles contre les forces de sécurité depuis ses bases arrière dans les provinces d’Anbar, de Ninive et dans la Jézireh et s’en prend également aux civils. Le double attentat suicide du 21 janvier 2021 au centre de Bagdad a provoqué le bilan le plus meurtrier depuis trois ans dans une attaque de Daech dans la capitale.

Dans le cadre de la poursuite de la lutte contre Daech et de la montée en gamme de ses forces de sécurité, l’Irak continue à bénéficier d’un soutien militaire important de la communauté internationale fourni par la Coalition internationale contre Daech dont les activités ont toutefois été affectées par la crise sanitaire d’une part et les tensions irano-américaines d’autre part.

Les conséquences humanitaires de la guerre contre Daech demeurent importantes. Près de 1,2 million de personnes sont toujours déplacées à l’intérieur du pays selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Ces populations sont réparties sur l’ensemble du pays avec une forte concentration dans la plaine de Ninive et le Kurdistan irakien. La fermeture des camps de déplacés – où résidaient 250 000 déplacés – s’est accélérée en 2020 et suscite des préoccupations dans un contexte où les familles perçues comme étant affiliées à Daech font l’objet de rejets voire de violences lors de leur retour dans leur région d’origine. Seuls les camps situés dans la région autonome kurde font pour l’heure exception au mouvement généralisé de fermeture.

Le gouvernement irakien fait par ailleurs face à des difficultés économiques importantes depuis 2020. L’effondrement des cours des hydrocarbures dont dépend 90 % du budget de l’Irak (et donc les revenus – salaires, pensions – de 70 % des habitants de ce pays lourdement « fonctionnarisé ») contraint le gouvernement à des mesures d’austérité controversées, comme la dévaluation du dinar.

Enfin, la crise sanitaire provoquée par la pandémie de Covid-19 est préoccupante en Irak. Le pays est confronté à une forte progression du niveau des contaminations – 628 550 cas pour 13 120 décès en février 2021 – qui met en tension un système de santé irakien structurellement affaibli par des années de conflit

2.   L’Irak essaie d’adopter une position d’équilibre au Moyen-Orient pour s’émanciper de la tutelle du duopole irano-américain

 Les autorités irakiennes souhaitent mener une politique d’équilibre et de dissociation des conflits de leur environnement régional et jouer un rôle important sur la scène régionale, lequel pourrait être renforcé par l’accroissement à venir de son poids démographique et économique. Le Premier ministre a pris en ce sens une initiative de dialogue entre l’Arabie Saoudite et l’Iran.

Par ailleurs, l’Irak a mis en œuvre un rééquilibrage de sa diplomatie, en renforçant ses partenariats avec les pays de son voisinage sud, notamment avec la Jordanie et l’Égypte avec l’organisation de sommets tripartites, ainsi qu’avec la Turquie. Le rapprochement entre Bagdad et les pays du Golfe est également notable, avec l’ouverture de points de passages sur la frontière terrestre irako-saoudienne dont celui d’Arar en novembre 2020. La déclaration d’Al-Ula de janvier 2021 a permis l’intensification de la coordination avec les pays du CCEAG, via notamment la réactivation des comités de coordination (bilatéraux et au niveau du CCEAG) et la multiplication des visites officielles bilatérales.

Lors de la conférence de Koweït (12-14 février 2018) d’importantes contributions ont été annoncées par les pays voisins de l’Irak : Turquie (prêt de 5 milliards de dollars), Arabie saoudite (un milliard de dollars de prêt, un milliard de crédits exports), Qatar (1 milliard de dollars de prêt), Émirats arabes unis (250 millions de dollars de prêt et 5,2 milliards de crédits-exports). Ces annonces importantes peinent toutefois à se concrétiser en décaissements effectifs, alors que les freins à la reconstruction demeurent nombreux (tensions régionales et internes, pandémie).

L’Irak doit également composer avec des opérations militaires turques sur son territoire. Malgré les condamnations de Bagdad pour atteinte à la souveraineté, celles-ci s’intensifient depuis juin 2020 et se concentrent dans le nord du pays : la région autonome kurde où le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) est implanté de longue date et dans certaines parties du territoire fédéral ou dans les zones dites « disputées » entre l’Irak fédéral et la région autonome du Kurdistan.

3.   La relation franco-irakienne est dynamique et fondée sur le soutien apporté par la France à la construction de la souveraineté de l’Irak

La France a apporté son soutien politique, diplomatique, humanitaire et militaire à l’Irak. La France est le 2ème partenaire en termes d’effectifs de la Coalition contre Daech et participe à la mission de l’OTAN en Irak. La France a aussi fortement développé sa relation bilatérale de défense par la coopération opérationnelle avec l’armée irakienne et le développement capacitaire de celle-ci. Le Président de la République s’est engagé en 2017 à doubler notre coopération avec l’Irak. Une feuille de route stratégique franco-irakienne a été signée le 2 mai 2019 par les ministres des Affaires étrangères des deux pays. Elle énonce les fondamentaux de la relation franco-irakienne dans la décennie à venir et prévoit l’accélération de nos coopérations dans les champs de l’économie, de la culture, de l’éducation et du développement.

La France est mobilisée pour répondre aux importants besoins de stabilisation des zones libérées de Daech en Irak : en 2020, avec une enveloppe de 10 millions d’euros, l’Irak était le deuxième pays d’intervention en matière de stabilisation du Centre de crise et de soutien du MEAE. Cette enveloppe a notamment permis de réhabiliter le bloc opératoire du centre de santé de Sinjar, région libérée de Daech en 2017, préalable à la construction d’un nouvel hôpital financée par la France, conformément aux engagements du Président de la République envers Mme Nadia Murad, prix Nobel de la paix irakienne d’origine yézidie. Depuis 2017, la France a engagé 60 millions d’euros dans la stabilisation de l’Irak.

La France est également active via l’action de ses opérateurs du développement en l’Irak. L’AFD contribue à appuyer la résilience des populations hôtes, réfugiées et déplacées au Kurdistan irakien, au relèvement post-conflit via la relance de l’économie agricole et rurale ainsi qu’au retour des services publics à la population en particulier dans les secteurs de l’eau et de la santé. Expertise France met en œuvre des projets de soutien à la jeunesse et à l’entreprenariat. Canal France International accompagne les journalistes irakiens et contribue au renforcement des médias et de leur indépendance.

La relation entre France et l’Irak est particulièrement dynamique comme en témoignent les nombreuses visites de haut niveau qui ont eu lieu en 2020. Le Président de la République s’est rendu à Bagdad le 2 septembre 2020 où il a réaffirmé le soutien de la France à l’Irak et à sa souveraineté dans la lutte contre Daech et face aux ingérences extérieures. Le Premier ministre Mustafa al-Kazimi s’est rendu à Paris le 19 octobre 2020. Les autorités françaises ont réitéré à cette occasion leur engagement dans la lutte contre Daech et marqué leur soutien à l’agenda de réforme et de souveraineté du gouvernement irakien ainsi qu’à la tenue d’élections législatives anticipées prévues à l’automne prochain. Des visites ministérielles croisées et régulières sont intervenues à l’appui de ces déplacements des chefs d’État et de gouvernement entre la France et l’Irak. Les rapporteurs encouragent la signature ces prochains mois d’un « accord stratégique » entre nos deux pays. Elle marquera une étape fondamentale pour notre relation bilatérale.

Selon S.E.M. Bruno Aubert, ambassadeur de France en Irak, « notre politique depuis la défaite de Daech en 2017 est un pari stratégique raisonné sur l’Irak. Nous connaissons les fragilités du pays mais nous souhaitons en faire un partenaire de sécurité fiable dans l’intérêt du Moyen-Orient et de notre sécurité nationale. L’Irak pourrait également devenir une puissance d’équilibre à l’échelon régional, non hégémonique, et nous l’accompagnons en ce sens. Il s’agit d’un enjeu majeur pour nos deux pays ».

B.   L’impasse politique en Syrie bloque toute perspective de résolution de la crise qui mine le pays depuis 2011

1.   La France se préoccupe de la situation en Syrie

Tout en ayant rompu ses relations diplomatiques avec la Syrie, la France demeure impliquée et inscrit son action dans 4 directions indissociables et complémentaires en vue d’un règlement durable du conflit :

– la poursuite de la lutte contre le terrorisme dans le cadre de la coalition internationale contre Daech ;

– l’apport d’un soutien, notamment humanitaire, aux populations civiles dans le besoin ;

– la promotion d’un règlement politique du conflit, en particulier par le soutien des efforts des Nations Unies, seule solution susceptible de mettre un terme durable à la crise ;

– et la lutte contre l’impunité pour les crimes commis par le régime de Bachar Al-Assad en Syrie ainsi que ceux commis par Daech.

2.   La France est très fortement impliquée pour palier la situation humanitaire dramatique en Syrie

La situation humanitaire en Syrie n’a cessé de s’aggraver depuis le début du conflit, atteignant de nouveaux records d’année en année. Plus de 13 millions de Syriens et Syriennes, dont 6 millions d’enfants, ont besoin d’aide humanitaire, tandis que 80 % de la population vit sous le seuil de pauvreté.

Plus de la moitié de la population syrienne a été contrainte de quitter son foyer et vit dans des conditions extrêmement précaires : 6,7 millions sont des déplacés internes – dont près de 3 millions dans le gouvernorat d’Idlib - et 5,6 millions sont réfugiés dans les pays voisins (Turquie, Liban, Jordanie, Irak, Égypte).

La pandémie de la Covid-19 a par ailleurs affaibli un système de santé déjà dégradé par des années de violence généralisée et les destructions d’infrastructures humanitaires. Désormais 12,4 millions de Syriens et Syriennes sont en situation d’insécurité alimentaire, soit plus de la moitié de la population (en seulement 12 mois, 4,5 millions nouvelles personnes se sont trouvées confrontées à cette situation).

Alors que le conflit entre dans sa 11e année, la France a annoncé à l’occasion de la conférence de Bruxelles IV (juin 2020) de nouvelles contributions financières afin de répondre à l’urgence humanitaire en Syrie, soutenir les réfugiés syriens et appuyer les pays qui les accueillent.

L’effort financier français pour 2021-2022 s’élèvera à plus de 560 millions d’euros en faveur des populations syriennes en situation de détresse humanitaire, des réfugiés et des pays hôtes, notamment le Liban et la Jordanie. Il comportera plus de 138 millions d’euros de dons et 425 millions d’euros de prêts.

La France est pleinement mobilisée pour répondre à l’urgence dans laquelle se trouve la population en Syrie même, à travers son aide bilatérale et dans le cadre de l’UE. À titre national, le président de la République a décidé en 2021 le renouvellement, pour la 4e année consécutive, d’une enveloppe de 50 millions d’euros, pour aider les populations les plus vulnérables en Syrie, essentiellement dans les régions du Nord-Ouest et du Nord-Est. La France est engagée aux côtés de ses partenaires européens. L’UE a réservé 560 millions d’euros d’aide pour la Syrie et sa région en 2021-2022. Une partie de cette aide apporte une réponse à l’urgence sanitaire, tout en contribuant plus largement à la résilience des populations et au renforcement du secteur médical, en Syrie et dans les pays voisins.

Dans les enceintes internationales, la France mobilise depuis le début de la crise ses partenaires des Nations unies afin de garantir l’accès humanitaire en Syrie, vital pour des millions de personnes. Cependant, l’acheminement de l’aide humanitaire continue de faire l’objet de nombreuses entraves, en particulier de la part du régime syrien. C’est pourquoi la France est particulièrement attachée à la préservation du mécanisme transfrontalier d’acheminement de l’aide, qui permet aux populations syriennes, et en particulier aux plus de 4 millions d’habitants d’Idlib, de bénéficier de l’aide humanitaire internationale. La protection des personnels humanitaires et médicaux est également un axe central de l’action de la France dans ce cadre.

Enfin, la France se mobilise pour l’accueil des Syriens et Syriennes. Plusieurs programmes d’accueil qui s’adressent à des personnes vulnérables et en besoin de protection au titre de l’asile, de toutes nationalités et sans distinction confessionnelle, ont ainsi bénéficié aux Syriens. Il s’agit d’une part, du dispositif des visas au titre de l’asile délivrés notamment à des Syriens principalement exilés au Liban, en Turquie et en Jordanie, et qui bénéficient ainsi d’une voie légale d’accès au territoire français afin d’y solliciter l’asile. D’autre part, la France participe depuis 2014 au programme de réinstallation du HCR. Celui-ci consiste à accueillir en France des réfugiés dont les dossiers ont été préalablement soumis à la France par le HCR, qui a leur accordé une protection dans un pays dit de premier asile.

 

II.   L’opération chammal, instrument indispensable pour la stabilisation de l’Irak et de la Syrie, jouit d’un excellent bilan et se justifie toujours face aux menaces

A.   une contribution française qui compte

1.   Une opération comportant deux piliers : le pilier « appui » et le pilier « formation »

Lancée le 19 septembre 2014, l’opération Chammal est le nom donné au volet français de l’opération interalliée Inherent Resolve, qui rassemble plus de 76 nations et 5 organisations. À la demande du gouvernement irakien, cette opération vise à apporter un soutien militaire aux forces locales engagées dans le combat contre Daech sur leur territoire. Le théâtre d’opération a été étendu le 8 septembre 2015 à la Syrie, sur décision du président de la République, afin de faire face à la menace terroriste qui pesait sur la France et pour frapper également les centres depuis lesquels Daech planifie et organise ses attaques.

L’opération Chammal repose sur deux piliers complémentaires :

– le pilier « appui », destiné à soutenir les troupes engagées au sol contre Daech ;

– et le pilier « formation », au profit des forces de sécurité nationale irakiennes.

a.   Le pilier « appui »

Le pilier « appui » de l’opération Chammal n’est, depuis avril 2019 et la dissolution de la task force Wagram, plus représentée que par la composante aérienne. Déployant sans interruption des avions au Levant depuis septembre 2014, l’armée de l’Air et de l’Espace met actuellement en œuvre 11 Rafale, dont 4 sur la BAP H5 au Levant (qui regroupe 230 militaires) et 7 sur la BA 104 aux Émirats arabes unis (où 50 militaires sont directement employés pour l’opération Chammal). Ces chasseurs contribuent directement à l’appui des troupes au sol et conduisent également des missions de renseignement, de reconnaissance armée et de frappes planifiées. Les Rafale déployés sur le terrain frappent régulièrement les capacités de Daech en détruisant par exemple les complexes de fabrication d’engins explosifs improvisés ou les centres de trafics illicites, sources de financement pour l’organisation terroriste. L’action des chasseurs est complétée par celle d’aéronefs à forte valeur ajoutée qui conduisent les missions indispensables de renseignement, de ravitaillement et de commandement aéroporté (E-3F AWACS, Atlantique 2, ravitailleurs C135 ou A330 Phénix). Le contrôle national sur l’emploi des moyens aériens est exercé par des experts de la composante aérienne française insérés au sein d’un Centre de commandement interallié pour les opérations aériennes (CAOC) situé au Qatar.

Malgré le passage en phase 4 de la coalition, des moyens sont encore fournis aux Irakiens, en particulier des moyens aériens de reconnaissance ou de frappe. L’objectif est de rendre les Irakiens autonomes dans la lutte contre Daech, en les conseillant concernant l’emploi de leurs forces et en identifiant leurs éventuelles faiblesses puis en cherchant avec eux les moyens de les faire progresser.

En décembre 2020, plus de 11 600 sorties aériennes ont été effectuées. Plus de 1560 frappes ont été réalisées et ont permis de détruire près de 2 400 objectifs en Irak ou en Syrie. En 2020, 10 % des missions aériennes de la coalition ont été effectuées par la France.

Par ailleurs, une frégate Guépratte est engagée en soutien direct de l’opération Chammal et participe à l’appréciation autonome de situation en patrouillant en permanence en Méditerranée orientale, notamment dans le canal de Syrie. Par ailleurs, le déploiement du groupe aéronaval (GAN) peut venir renforcer de manière significative le pilier appui par son groupe aérien embarqué.

b.   Le pilier « formation »

Jusqu’en 2019, le pilier « formation » était organisé pour former le niveau tactique des unités irakiennes. Grâce au travail réalisé par les task forces Narvik et Monsabert, les forces irakiennes ont atteint un niveau d’autonomie suffisant. Désormais, le conseil se porte sur les états-majors et sur leur manière d’employer leurs unités, en structurant leur appréhension d’une campagne et de la planification des opérations.

Depuis 2020, la structure du pilier « formation » a donc évolué au sein de la coalition. Une entité globale, le Military Advisory Group (MAG), est en charge de la politique de conseil qui est désormais prodiguée aux hautes autorités militaires irakiennes. Commandé par le conseiller militaire attitré du général irakien en chef du Joint Operations Command of Iraq (JOC-I), qui correspond au centre de commandement des opérations de l’état-major irakien, le MAG a sous sa coupe le Joint Operational Command Advisory Team (JOCAT) et les Operational Command Advisor Team (OCAT), qui conseillent les subdivisions du JOC-I. Basé à Bagdad, le JOCAT est dirigé par un colonel français et intègre une trentaine de personnes.

 

2.   Un dispositif relativement important au sein de la coalition internationale

Près de 600 militaires français sont déployés au Levant dans le cadre de l’opération Chammal. Le dispositif français est intégré à la coalition internationale, prend une part active aux réflexions relatives à la stratégie militaire contre Daech grâce à l’implantation d’officiers de liaison ou d’insérés dans toutes les structures, et jouit d’un niveau d’interopérabilité fort, permise par la présence de nombreuses nations de l’OTAN au sein de la coalition.

L’opération Chammal est commandée, d’une part, par un représentant national de théâtre de niveau stratégique, basé à Tampa en Floride au sein du commandement central des États-Unis (United States Central Command, US CENTCOM), et d’autre part, par un représentant national de théâtre de niveau opératif. La participation française requiert des éléments de soutien national répartis sur toutes les emprises et comptant environ 50 militaires. Pour l’exercice du commandement et du contrôle national, une trentaine de militaires est déployée au sein des différents états-majors de la coalition.

Enfin, trois militaires français font partie de la NMI, non-combattante et fondée sur le partenariat.

Avec 10 % du contingent de l’opération Inherent Resolve, la France est un partenaire visible et respecté, aussi bien aux yeux des États-Unis que de l’Irak. L’engagement français apparaît raisonnable et proportionné aux objectifs dans la région et une augmentation des effectifs n’aurait pas d’effet majeur.

3.   L’action des forces spéciales déployées au sein de la task force Hydra

Dès 2014, le COS a projeté un détachement au Levant dès les prémisses de l’émergence de Daech pour contrer l’expansion du califat au Kurdistan irakien. Le COS a déployé une mission d’expertise, de conseil et d’accompagnement aux combattants kurdes, notamment sur la ligne de confrontation. Ce partenariat précoce et précurseur a contribué à l’arrêt de l’avancée du califat en Irak. Le COS s’est révélé particulièrement apte à mener cette opération car il dispose d’une « capacité structurelle lui permettant d’entrer en premier dans des zones dangereuses, fermées et complexes » ; cela n’a été possible que grâce aux relations de confiance initiées avec les autorités politiques kurdes. Ces contacts ont permis de développer une appréciation autonome de la situation. Le soutien apporté par la France aux Kurdes s’est avéré stratégique car celui-ci est aujourd’hui la pierre angulaire des relations franco-kurdes. Le choix d’installer la task force Hydra à Erbil s’est avéré pertinent dès le début, eu égard à la zone de stabilité relative que constitue le Kurdistan dans l’environnement régional de l’Irak. Le COS parvient à obtenir des résultats probants en ne déployant qu’un effectif très réduit, ce qui constitue un degré d’efficience remarquable et des avantages qui dépassent le seul cadre militaire comme les rapporteurs ont pu le constater sur le terrain avec l’ensemble des acteurs.

Sur le théâtre, le COS mène à la fois des opérations de renseignement pour participer à l’appréciation autonome de situation des armées sur place, de la liaison contact, de la formation et un appui aux forces locales qui « ne sont pas au niveau et qui le savent » dans le domaine des frappes aériennes, ainsi que des actions directes, qui correspondent au cœur des activités des forces spéciales. Au début de l’opération contre Daech en 2014, le rapport de force était très défavorable aux forces armées locales. Le COS a contribué à la réorganisation de ces forces et à leur instruction, ce qui leur a permis d’agir plus efficacement contre l’ennemi. De ce point de vue, la formule « FS + composantes conventionnelles, terrestre et aérienne » a été la clé du succès de l’opération Chammal contre Daech. Concernant l’intégration surface-air, les Joint Terminal Attack Controllers (JTAC) sont des acteurs clés indispensables pour guider les frappes. La précision de leur guidage s’appuie sur le travail de recoupement du renseignement et de l’ensemble des moyens qui concourent au succès des opérations (commandement, etc.).

Les opérations de renseignement menées par le COS lui permettent de cibler précisément les mouvements djihadistes dans la zone. Ces opérations de ciblage contribuent à la connaissance des structures. Elles ont permis de mettre en évidence la façon dont Daech, quoique défait militairement sur le terrain et en tant que califat, cherche à se reconstituer. En effet, Daech traverse aujourd’hui « une nouvelle phase de son existence » et vit dans la clandestinité, dont il a « embrassé les codes ». Le COS dispose d’une connaissance fine des modes d’organisation des mouvances clandestines et subversives et a conscience de l’importance de la géographie et de la démographie dans l’évolution de la situation. Concernant ce dernier point, le recrutement des combattants dans « tout le bassin d’emploi des djihadistes qui va des côtes de la Méditerranée jusqu’au fond du Kurdistan » se fait en grande majorité auprès des jeunes, qui ne trouvent pas de débouchés et qui est soumise à une pression forte dans son pays d’origine pour s’engager dans ces mouvances.

B.   Le théâtre irako-syrien demeure confronté à des menaces Majeures, dont la résurgence de Daech

1.   La menace représentée par Daech demeure encore forte, malgré la perte d’assise territoriale du groupe terroriste

Toutes les personnes auditionnées ont estimé que la principale menace en Irak est incarnée par Daech. C’est en particulier le cas dans les régions de Kirkouk, Al Anbar, Salaheddine et Ninive (c’est-à-dire dans les régions désertiques). Le commandement de Daech a connu une très forte période d’attrition qui a débuté en 2020 et qui se poursuit aujourd’hui, après une phase de résilience forte, grâce à des opérations de neutralisation de ses principaux stratèges opérationnels menées par la coalition internationale. Daech s’adapte néanmoins à son environnement et a enclenché une dynamique de reconstruction. Les régions urbanisées du nord et du nord-ouest de la Syrie, marquées par le conflit avec la Turquie, sont des zones favorables à son développement, où Daech est combattu par tous les groupes d’obédience Al Qaida.

Par ailleurs, le nouveau calife de Daech n’arrive pas à s’imposer, ne s’est jamais exprimé publiquement, et n’a pas le même niveau de charisme de son prédécesseur, Abou Bakr Al-Baghdadi. De plus, le nombre d’attaques menées par Daech a connu une baisse significative au premier trimestre 2021, atteignant le plus faible nombre d’attaques depuis la défaite de Baghouz en 2019, et ce en dépit du Ramadan, période pourtant propice aux attaques. La quasi-totalité des attaques menées par Daech se font par la pose d’EEI ou de tirs de mortiers, soit des attaques de faible intensité qui témoignent du fait que Daech est redevenu un groupe militaro-terroriste, contraint de se replier dans des espaces désertiques ou ruraux, voire dans des espaces frontaliers, où il entretient néanmoins un climat d’insécurité. Daech poursuit son combat contre les FDS dans la région de Deir ez-Zor et dans les zones frontalières contre les Kurdes. A contrario, Al Qaïda demeure une force importante en Syrie. Le groupe Hayat Tahrir Al-Cham (HTC), émanation d’Al Qaïda aux commandes de la province d’Idlib, est l’agrégateur des forces qaïdistes dans la zone.

Si Daech n’est plus en mesure aujourd’hui de s’emparer d’un grand centre urbain, sa capacité de nuisance et de déstabilisation est réelle, en particulier contre les positions françaises et américaines qui font régulièrement l’objet d’attaques. Comme l’a indiqué le COS lors de son audition, « nous avons donc toujours un ennemi, qui est organisé et qui a cette capacité à se réinventer et à trouver des modes d’action qui ne cessent de s’adapter aux contingences du moment, ce qui leur permet de subsister sur le terrain et de faire peser une menace latente sur les acteurs sécuritaires locaux. Il ne faut donc pas baisser la garde ». Les combattants de Daech disposent également d’une capacité à diffuser leurs modes d’action grâce à des systèmes de communication dans des endroits improbables, alimentés, par exemple, par des panneaux solaires. Cette « internationale djihadiste », qui s’étend jusqu’à l’Afghanistan où Daech se développe, fait donc preuve d’une « certaine résilience opérationnelle ».

À titre d’exemple, la capacité de projection vers l’étranger de Daech constitue un des sujets principaux d’attention des services de renseignement. Leur objectif est de sortir de la zone de combat et rejoindre la Turquie dans l’attente, pour certains, d’un retour. Les services de renseignement ont observé des tentatives de création de réseaux en Europe pour y perpétrer des attentats mais la menace est, pour l’instant, contenue. Elle estime qu’un nombre significatif de francophones, rattachés à Daech, sont encore situés dans la badiya syrienne. Certains d’entre eux préparent leur projection dans leur pays d’origine. Mais le plus grand nombre de terroristes francophones se situe dans les camps tenus par les FDS. Des activités opérationnelles sont menées par les cellules de Daech à Raqqa et à Deir ez-Zor afin de libérer les djihadistes retenus dans le camp d’Al-Hol. Ces cellules entretiennent des filières logistiques de transit entre l’Irak et la Syrie.

Par ailleurs, en Irak, l’autre facteur de déstabilisation provient des forces de mobilisation populaires (Popular Mobilization Forces, PMF), très majoritairement chiites. Elles mènent des actions violentes contre les forces du Gouvernement régional du Kurdistan mais également contre les États-Unis qui sont régulièrement ciblés par des tirs de mortiers ou d’attaques par drones très déstabilisateurs.

2.   La question des camps de prisonniers et de réfugiés

Les camps de prisonniers et de réfugiés constituent un sujet central pour la France. La situation est suivie de très près par les services de renseignement. Ces camps constituent en réalité une poudrière, et en dépit des actions menées par les FDS pour capturer et surveiller les prisonniers, le risque que ces camps échappent à tout contrôle et deviennent, ipso facto, le moteur de la revitalisation de Daech, est réel ; et ce notamment parce qu’il y a plus de membres de Daech dans les camps qu’à l’extérieur.

À ce stade, la situation dans les prisons est relativement stable. Des transferts de détenus ont lieu du camp d’Al-Hol vers le camp de Roj, mais les projets d’évasion sont quotidiens car le camp est en réalité très poreux. Le choix opéré jusqu’alors a été de maintenir la situation en l’état. Le scénario le plus grave serait que ces camps soient dispersés sous la pression du régime syrien, ce qui posera la question du statut des prisonniers.

3.   Le Moyen-Orient, laboratoire des conflits de demain ?

L’approche globale au Moyen-Orient est symptomatique des caractéristiques des conflits futurs. Pour le COS, cette zone est le laboratoire des conflits de demain, caractérisé par « une désinhibition des acteurs internationaux et des débordements de puissance récurrents par des États qui assument de mener des opérations au niveau des frontières ». Des opérations ont également été menées par la Turquie à Souleimaniye, dont celle dans un parc d’attractions pour éliminer des opposants kurdes, sans égard pour des victimes collatérales éventuelles. Lors de ses opérations dans la zone frontalière en août 2020, la Turquie a ciblé par erreur un véhicule dans lequel se trouvaient deux officiers généraux irakiens. Leur décès n’a engendré que peu d’écho sur la scène internationale, illustrant ainsi les difficultés de coordination entre les deux nations.

En Irak, plus on se dirige vers l’ouest, plus les activités terroristes résiduelle sont nombreuses. Dans les corridors de pénétration, « qui sont devenus des autoroutes de djihadistes », la coalition et les forces en présence tentent d’exercer une pression militaire pour éviter que ces flux alimentent les katibas en cours de reconstitution et s’en prennent aux forces de sécurité irakiennes (FSI). L’Irak doit également composer avec un arc chiite, qui constitue aussi une des sources de recrutement de son armée et de ses forces de sécurité. Cette donne peut potentiellement compliquer davantage la situation, eu égard au rôle déstabilisateur de l’Iran dont l’influence s’étend des zones tribales les plus reculées jusqu’au Hezbollah au Liban.

La complexité de la zone justifie que des forces spéciales y soient déployées pour en évaluer son évolution. Le combat de demain, au Moyen-Orient comme ailleurs, se fera contre des organisations qui disposent de moyens du haut du spectre grâce aux transferts d’armement importants consécutifs aux différents conflits qui ont eu cours par le passé et grâce aux marchés parallèles qui se développent. L’entretien d’une force armée à l’étranger a un coût dont les djihadistes ont conscience : en Orient, via l’opération Chammal, la France « consent un effort militaire soutenu et important qui démontre son intérêt régional ». En complément, l’action des forces spéciales permet, avec un faible volume de personnels déployés, d’entretenir un réseau de coopération et de partenariat avec l’ensemble des partenaires sur place.

L’erreur consisterait à considérer le Moyen-Orient comme « un théâtre secondaire par rapport à l’Afrique ». En effet, même si la menace que représente Daech est moins perceptible depuis la France, la situation est très préoccupante sur place, en particulier sur le long terme. Il importe de bien mettre en lumière le « continuum de la menace » entre le territoire national (TN) et l’Orient : les évolutions au Moyen-Orient auront des conséquences directes sur la situation en France, comme l’attentat du Bataclan le 13 novembre 2015 l’a illustré.

 

III.   Dans un contexte de desengagement des etats-unis, L’après chammal devra s’articuler autour de deux axes complementaires

A.   Un contexte de désengagement des etats-unis regrettable mais porteur d’opportunités pour la france

L’opération Inherent Resolve est l’opération majeure qui donne un cadre d’action. Il est aujourd’hui entendu qu’elle durera encore deux ans, conformément aux annonces des États-Unis. Elle répondra aux mêmes objectifs : réduire la menace représentée par Daech, augmenter les capacités de l’armée irakienne, améliorer les capacités d’appréciation de la situation et veiller à la stabilité régionale.

Bien que les États-Unis commencent à envisager un désengagement, cela ne relève que d’une planification ; étape habituelle pour une telle opération. L’opération Inherent Resolve est dans un temps d’attente : elle cherche sa sortie et commence à s’intéresser à sa transition vers davantage de coopération au profit de l’Irak, en s’orientant vers la formation au combat ou le développement capacitaire. La France est inscrite dans l’opération Inherent Resolve au moins jusqu’en 2021-2022. Elle ne modifiera pas sa participation dans les prochains mois et restera vraisemblablement impliquée au-delà.

Il existe également la mission de l’OTAN en Irak qui a pour objectif de former les dirigeants des différents ministères irakiens. Déjà passée de 200 à 500 personnes, elle présente une feuille de route ambitieuse pour atteindre plusieurs milliers. Pour le moment, elle reste cependant mal accueillie par les Irakiens, soulignant la nécessite d’un dialogue régulier pour s’adapter à leurs souhaits. La participation française à la mission de l’OTAN en Irak est minime : seules trois personnes y sont actuellement détachées et trois personnes supplémentaires sont prévues pour 2021-2022. La France reste réservée sur la feuille de route de la mission de l’OTAN en Irak, eu égard aux difficultés auxquelles elle fait face et à sa crédibilité relative vis-à-vis des autorités irakiennes.

Les relations bilatérales avec l’Irak avancent dans le développement de la coopération. À la suite de la décision du Président de la République qui a souhaité accompagner ce partenaire sur plusieurs volets – y compris le volet militaire –, les armées travaillent à la construction de ce partenariat. Aujourd’hui, la priorité est donnée au développement de l’armée de l’Air, à la défense aérienne, à la défense anti-drone et à l’artillerie. La coopération se développera également avec la région autonome du Kurdistan irakien, ses autorités politiques et ses forces de sécurité.

B.   Le nécessaire maintien du mandat de l’opération Inherent Resolve et l’approfondissement des coopérations bilatérales en Orient

À l’issue de leurs travaux, les rapporteurs ont déterminé deux axes principaux pour l’après Chammal :

– la nécessité de maintenir l’opération Inherent Resolve avec le même mandat qu’actuellement ;

– et la nécessité d’approfondir nos coopérations bilatérales notamment avec l’Irak, les pays du Golfe, la Jordanie, l’Égypte, l’Arabie Saoudite et le Liban.

1.   Une opération qui doit rester dédiée à la lutte contre le terrorisme incarné par Daech et Al Qaïda

Lors de leurs échanges en Irak, et en particulier avec le général américain Paul Calvert, les rapporteurs ont pu observer que la France et les États-Unis, tout en partageant les mêmes appréciations quant à l’importance de la menace terroriste incarnée par Daech, n’avaient pas la même appréciation concernant les milices chiites irakiennes. L’engagement de la France dans le cadre de l’opération Inherent Resolve est la démonstration de sa capacité à tenir son rang dans le cadre de la lutte contre Daech. Les États-Unis observent les capacités de la France, les reconnaissent et les apprécient. La coopération s’illustre également dans le domaine du renseignement, en dépit de la non-appartenance de la France au réseau des Five Eyes. Néanmoins, les États-Unis, qui font l’objet d’attaques régulières de la part des milices chiites irakiennes, souhaitent que celles-ci soient intégrées dans le mandat de l’opération. Tout en comprenant la volonté des États-Unis de se protéger contre ces milices chiites irakiennes, dont une grande partie est sous l’influence de l’Iran, les rapporteurs ne souhaitent pas un changement de mandat de la Coalition car la priorité demeure pour la France la lutte contre Daech, Al Qaida et leurs filiales.

Par ailleurs, les rapporteurs sont bien conscients des conséquences pour la France d’un retrait américain de l’Irak. Sans les États-Unis, la France ne pourra agir militairement avec la même amplitude au Moyen-Orient. La multiplication des attaques contre les États-Unis de la part de ces milices, couplée à la stratégie du pivot asiatique lancée par Barack Obama et poursuivie par Joe Biden, constitue une réelle source d’inquiétude et de vigilance pour la France. Mais les rapporteurs estiment que la question relative aux milices chiites irakiennes est avant tout une problématique intérieure pour Bagdad et un paramètre du dialogue diplomatique entre les États de la région : Iran, Arabie Saoudite, Syrie, Liban…

2.   Un développement indispensable de la relation bilatérale avec les États de la région

Les rapporteurs estiment que la relation bilatérale entre la France et l’Irak, dont la région autonome du Kurdistan, devra constituer l’axe principal de l’après Chammal. Ils ont pu le constater lors de leur déplacement à Bagdad et à Erbil auprès des autorités politiques et militaires. Il existe une attente forte vis-à-vis de la France. De ce point de vue, la France récolte les fruits de sa politique depuis 2003. Le Président de la République a déjà commencé à conforter cette relation bilatérale lors de son déplacement en septembre 2020 pour contribuer à la reconstruction de la souveraineté de l’Irak. Il s’agit là d’un enjeu majeur, auquel la France devra nécessairement contribuer. La coopération entre les deux armées est déjà une réalité, comme les rapporteurs ont pu le constater lors de leurs échanges et de leurs visites de terrain avec le service de contre-terrorisme irakien, et comme ils l’ont constaté sur le terrain. Ils l’ont également apprécié lors de leur déplacement au Kurdistan irakien à l’occasion d’échanges et de visites avec les Peshmergas. Les marges de progression sont d’autant plus grandes que le retrait progressif des États-Unis laisse un vide qu’il revient à la France, dans la mesure du possible, de combler.

Cette dynamique de coopération est aussi souhaitable avec la Jordanie et l’Égypte. À ce titre, les rapporteurs encouragent le Président de la République et le Gouvernement à participer aux nouvelles coopérations avec la « Trilatérale » entre Le Caire, Amman et Bagdad dans les domaines de la sécurité (lutte antiterrorisme, lutte contre les trafics de drogues comme le captagon produit en Syrie et au Liban), de l’éducation, de la culture et du développement. Ils recommandent également d’approfondir nos coopérations bilatérales avec ces deux pays, comme avec les deux pays du Golfe et le Liban. Il s’agit pour la France de mettre en cohérence son approche globale, ses objectifs stratégiques au Moyen-Orient et ses partenariats.


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   conclusion

 

La France entretient des relations anciennes et profondes avec les États du Moyen-Orient, où elle possède des intérêts stratégiques vitaux du fait de sa proximité historique, démographique, culturelle et géographique. Cette région est le théâtre de rivalités géopolitiques fortes ainsi que de crises au potentiel déstabilisateur fort et aux conséquences directes pour la sécurité nationale. Pris en étau entre le Sahel et la zone indopacifique, le Moyen-Orient semble intéresser de moins en moins la communauté internationale ; à tort, comme en témoigne l’exposé des enjeux politiques, stratégiques et sécuritaires que nous avons développé.

Sur l’ensemble du Moyen-Orient, la présence de la France, son engagement et son action sont forts. Avec des effectifs limités et de grande qualité, les résultats opérationnels sont remarquables. Politiquement, diplomatiquement, militairement, mais également en termes de débouchés économiques liés à la vente d’armes et de matériels militaires français, notre déploiement atteint ses objectifs dans la zone.

À l’avenir, nous savons que la France ne peut pas s’engager sur tous les fronts. Mais elle pourrait augmenter ses moyens humains et financiers dans des proportions réalistes avec des retombées significatives en termes d’influence. Nous pensons bien sûr aux enjeux de sécurité (formation des armées et des polices, sécurité civile, réseau de coopérants…) mais aussi à l’éducation, à la diversité des cultures, au développement et à la question climatique. Par une approche globale, il s’agit pour la France d’incarner une puissance d’équilibre et une troisième voie attachée au dialogue avec les autorités et les sociétés civiles, aux coopérations dans la durée et au renouveau du multilatéralisme dans le monde. Cet engagement renforcé de la France sera une des clés de la stabilité et du développement du Moyen-Orient.

Par leur travail, les rapporteurs ont souhaité faire en sorte que la France, ses partenaires européens et internationaux ne détournent pas leur regard de cette région du monde. Les enjeux du Moyen-Orient ne sont pas périphériques, ils sont centraux. Espérons que ce rapport contribuera à convaincre de cette analyse, dans l’intérêt des populations locales mais aussi dans l’intérêt de la France et de l’Europe.


 

 

 

 

« Comment consacrer l’accord de l’amour et de la révolte ? La terre !

Dans ce grand temple déserté par les dieux, toutes mes idoles ont des pieds d’argile. »

 

Albert Camus, Noces, « Le désert »



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   Examen en commission

 

La commission procède à l’examen du rapport de la mission d’information sur la stabilité au Moyen-Orient dans la perspective de l’après Chammal au cours de sa réunion du mardi 6 juillet 2021.

 

Mme la présidente Françoise Dumas. Messieurs les rapporteurs, mes chers collègues. Nous sommes réunis ce soir pour examiner les conclusions de la mission d’information sur la stabilité au Moyen-Orient dans la perspective de l’après Chammal ; une mission d’information que j’ai eue l’honneur de présider et dont les rapporteurs sont Philippe Meyer et Gwendal Rouillard.

Avant toute chose, je tiens à remercier et à féliciter les rapporteurs pour le travail effectué dans le cadre de cette mission. J’ai participé à la majeure partie de ses travaux et ai pu mesurer tout le temps et l’énergie investis par les rapporteurs tout au long de ces trois derniers mois pour préparer ce rapport. Ce lourd investissement nous permet aujourd’hui de vous présenter les conclusions de cette mission trois mois seulement après le début de nos auditions.

Je tiens aussi à adresser mes remerciements à l’ensemble des personnalités avec lesquelles nous avons échangées dans le cadre de cette mission d’information, que ce soient celles que nous avons auditionnées ici à l’Assemblée nationale ou celles que nous avons rencontrées lors de nos déplacements au Moyen-Orient. Ces remerciements s’adressent enfin à tous ceux qui nous ont permis de mener à bien cette mission, et en particulier pour leur aide dans nos déplacements, les forces armées déployées sur zone ainsi que les diplomates et les personnels des ambassades, qui nous ont toutes et tous excellemment accueillis. Je profite de cette occasion pour saluer l’action et le dévouement des femmes et des hommes dans nos ambassades, qui contribuent au rayonnement de la France dans le monde entier, et à l’approfondissement de nos coopérations dans tous les domaines, malgré des conditions de vie rendues parfois difficiles par les mesures de sécurité draconiennes, indispensables pour leur protection et celle de leurs familles.

En plus des auditions que nous avons menées en visioconférence ou en présentiel, nous avons eu l’opportunité de nous déplacer au Moyen-Orient, plus précisément aux Émirats arabes unis, en Irak et en Jordanie, puis en Égypte ; l’un des rapporteurs, M. Gwendal Rouillard, s’étant rendu de surcroît au Liban. Ces déplacements furent l’occasion de rencontrer nos soldats sur zone, des personnalités politiques et militaires de ces pays, des chercheurs, des universitaires, des représentants d’ONG, de l’OTAN et de l’ONU. Ces échanges ont été l’occasion de croiser de nombreux points de vue, de manière tout à fait libre, spontanée et approfondie, pour alimenter notre réflexion.

La création de cette mission d’information relevait pour moi d’une nécessité, eu égard au rôle que jouent nos armées au Moyen-Orient. Ce rapport intervient après celui de la mission d’information sur l’opération Barkhane, et permettra ainsi de compléter notre tableau des principales opérations militaires françaises, même si Chammal n’a pas dans les médias le même écho que l’opération Barkhane ; et pourtant, notre avenir se joue aussi dans cette région. La stabilité au Moyen-Orient continue d’être un sujet de préoccupation, et il ne faudrait pas croire que la défaite militaire du califat a signé la disparition définitive de la menace terroriste et évacué tout risque de résurgence.

Si cette mission n’avait qu’un message à faire passer, il consisterait à inviter les autorités politiques françaises et internationales à ne surtout pas détourner le regard de cette région du monde, qui connaît toujours de nombreux foyers d’instabilité.

Bien sûr, dans le cadre de cette mission, nous nous sommes particulièrement intéressés à la présence militaire française dans la région, en dehors de l’opération Chammal qui a fait l’objet d’un traitement spécifique, que ce soient les FFEAU ou le rôle de la FINUL dans la stabilisation du Sud-Liban.

La mission d’information s’est intéressée aux perspectives d’évolution de l’opération Chammal : ce que nous avons appelé « l’après Chammal ». En effet, l’opération semble être aujourd’hui à un tournant, eu égard à la fois au calendrier de l’opération Inherent Resolve et à l’évolution du contexte géostratégique en Irak et en Syrie. Le désengagement progressif des États-Unis sur la zone, nourri à la fois par l’expression d’un malaise de la population irakienne vis-à-vis de cette présence militaire et des attaques répétées des milices chiites irakiennes contre les installations américaines, crée un contexte nouveau pour les forces armées françaises déployées sur place et leur impose de l’anticiper.

À travers cette mission, nous avons acquis la conviction que la France est très attendue, particulièrement en Irak, et que l’après Chammal devra notamment inclure une réflexion sur notre relation bilatérale avec ce pays, tant d’ailleurs sur le plan militaire que de manière plus globale pour contribuer à la reconstruction de la souveraineté de l’Irak, conformément au souhait énoncé par le président de la République. À ce titre, nous encourageons plus particulièrement la préparation déterminée de la dynamique de coopération de la Trilatérale – Le Caire, Amman, Bagdad –, socle de stabilité dans la zone au sein duquel la France peut continuer, au-delà des instances internationales, à jouer sa place singulière de puissance d’équilibre.

J’aurais encore beaucoup à dire mais je préfère céder la parole à nos deux rapporteurs pour qu’ils exposent leurs conclusions, à l’issue desquelles nous ouvrirons le débat.

M. Gwendal Rouillard, rapporteur. Je suis très heureux de vous présenter les conclusions des travaux de notre mission d’information sur la stabilité au Moyen-Orient dans la perspective de l’après Chammal. À titre liminaire, j’aimerais remercier Madame la présidente pour son accompagnement, sa confiance et son soutien. Je remercie également mon collègue Philippe Meyer pour tout le travail que nous avons mené depuis avril dernier, date à laquelle nous avons commencé cette mission d’information exceptionnelle. Je souhaite également remercier les membres de la mission d’information, avec lesquels nous avons eu l’occasion d’échanger tout au long de nos travaux.

Avant de vous restituer les conclusions de nos travaux, j’aimerais d’abord apporter quelques précisions d’ordre méthodologique. Notre mission d’information sur la stabilité au Moyen-Orient dans la perspective de l’après Chammal se proposait d’évaluer la politique étrangère de la France dans la région, de faire un bilan de la présence militaire française dans la zone et de dresser des perspectives pour penser l’avenir de l’opération Chammal.

À cette fin, comme vous l’avez indiqué Mme la présidente, nous avons participé à plus de 65 entretiens (17 auditions en France et une cinquantaine aux Émirats arabes unis, en Irak, en Jordanie et en Égypte, sans compter ceux auxquels j’ai assisté au Liban). Nous avons bien sûr rencontré les militaires français déployés sur place et les diplomates mais également les autorités politiques et militaires locales, des acteurs associatifs ou encore des chercheurs. Je profite de cette occasion pour remercier l’ensemble des acteurs avec lesquels nous avons interagi dans le cadre de cette mission, et en particulier lors de nos déplacements. Je salue ici l’engagement sans faille de nos militaires, qui font honneur à la France par leur dévouement et qui forcent le respect, ainsi que de nos diplomates, qui contribuent activement au rayonnement de la France à l’étranger.

M. Philippe Meyer, rapporteur. Je tiens à mon tour à remercier Madame la Présidente et mon collègue Gwendal Rouillard pour tout le travail que nous avons mené depuis avril dernier et je m’associe aux remerciements qui viennent d’être adressés à nos militaires et à nos diplomates. J’ai appris à mieux connaître, grâce aux connaissances précises et encyclopédiques de mon collègue rapporteur, une région magnifique dans laquelle la France doit défendre ses valeurs, ses intérêts et ses alliés.

Dans le cadre de nos travaux, nous avons délibérément limité le périmètre de notre champ d’étude. En effet, le Moyen-Orient désigne un espace géographique particulièrement large, dont les contours peuvent faire légitimement l’objet de discussions. Nous avons par exemple choisi d’inclure l’Égypte dans notre périmètre car il s’agit d’un partenaire pivot dans la région. Cela ne nous a évidemment pas empêché de nous intéresser à l’influence et à la politique des États environnants dans la zone, parmi lesquels l’Iran et la Turquie, ou d’autres États plus éloignés mais influents comme la Russie.

Par ailleurs, eu égard au caractère limité du temps dont nous disposions et de l’étendue du sujet, nous avons dû procéder à des choix qui nous ont amené à nous concentrer sur certains États et sur certains sujets, parfois au détriment d’autres. À titre d’exemple, la politique étrangère de la France vis-à-vis du Qatar ou encore les actions menées par la Combined Task Force 150 engagée dans la lutte contre les trafics illicites liés au financement des activités terroristes implantée à Bahreïn n’ont pas été étudiés. Nous avons en effet essayé de nous concentrer sur l’essentiel, tout en essayant d’élargir notre spectre d’étude.

Ainsi, notre présentation comprend trois axes :

– un premier axe qui a trait à la géopolitique de la région, perçue par le prisme de l’enjeu de la stabilité, avec, dans un premier temps, une approche globale sur les grandes tendances géopolitiques dans la zone, puis une focalisation sur les trois principaux foyers d’instabilité en plus de l’Irak et la Syrie que sont la guerre civile au Yémen, le conflit israélo-palestinien et la situation du Liban ;

– un deuxième axe qui traitera de la présence militaire de la France dans la zone (hors opération Chammal), au sein de laquelle nous vous parlerons de l’opération Amitié au Liban, de la FINUL, des FFEAU et de l’opération Agénor, ainsi que de la politique d’exportation d’armements française dans la région ;

– et un troisième axe qui traitera spécifiquement de l’opération Chammal, et en particulier de ses perspectives ;

Enfin, au-delà de la dimension informative du rapport, nous avons souhaité tout particulièrement formuler et proposer des recommandations afin de contribuer à la réflexion générale sur cet enjeu crucial.

M. Gwendal Rouillard, rapporteur. Venons-en donc au cœur de notre sujet, en commençant par la situation géopolitique du Moyen-Orient.

Tout en étant un ensemble géopolitique à part entière, le Moyen-Orient peut être divisé en trois espaces dont les histoires, les sociologies, les cultures et les représentations sont différentes :

– l’espace Sykes-Picot, qui constitue l’épicentre du Moyen-Orient et qui regroupe Israël et les pays dans lesquels l’État peine à s’affirmer, soit l’Irak, la Jordanie, la Syrie et le Liban ;

– l’espace des pays du Golfe, qui regroupe notamment l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis, qui ont cependant tous les deux des histoires très différentes ;

– et l’espace des empires, qui regroupe les États situés en dehors du Moyen-Orient mais qui y exercent une forte influence, c’est-à-dire la Turquie et l’Iran.

Au Moyen-Orient, et en particulier au sein de l’espace Sykes-Picot, la stabilité ne peut s’envisager qu’à travers le prisme de l’histoire. Il convient de distinguer les conflits de nature structurelle, voire existentielle, issus de cet espace, et les conflits conjoncturels, d’intérêts de puissance, qui s’appuient souvent sur les conflits structurels.

Les conflits structurels-existentiels trouvent leurs sources dans l’absence de solution à la question nationale et concernent en premier lieu les Palestiniens et les Kurdes. 40 à 50 millions de personnes se retrouvent sans reconnaissance politique ou bénéficient d’une autonomie plus ou moins grande au sein d’États. Par ailleurs, ces conflits structurels-existentiels trouvent leurs sources dans la tension entre l’appartenance à une communauté et l’appartenance à une nation. La guerre civile au Yémen est une des illustrations de cette tension. La troisième origine des conflits structurels-existentiels est liée à l’enjeu de la citoyenneté, dont les Printemps arabes et les révoltes de 2019 sont des illustrations dont nous reparlerons. Enfin, la quatrième et dernière source des conflits structurels-existentiels est liée aux territoires. Les conflits entre le Liban et la Syrie, entre la Palestine et Israël ou entre l’Irak et le Koweït en sont des exemples, sur lesquels nous reviendrons.

Les conflits conjoncturels, eux, trouvent leurs sources dans les conflits structurels-existentiels précités mais ont des caractéristiques plus classiques. Depuis 10 ans, les États-Unis ont vu leur influence décliner dans la région au profit des puissances environnantes comme l’Iran, la Russie et la Turquie. En particulier, l’Iran développe une stratégie d’influence mais également, à en croire les dirigeants iraniens, de défense. Leur objectif est de construire un archipel chiite au Moyen-Orient. Ils ont été paradoxalement aidés en cela par les États-Unis avec la chute du régime de Saddam Hussein, qui a permis l’implantation de l’Iran et le développement des milices chiites en Irak.

Un tournant majeur pour les Occidentaux a eu lieu en août 2013, lorsque Barack Obama a indiqué que les États-Unis interviendraient en Syrie dès lors que Bachar al-Assad utiliserait des armes chimiques. Mais comme nous le savons, ils ne sont finalement pas intervenus à la suite d’un changement d’avis de dernière minute du président américain et du veto du Parlement britannique. Ces décisions ont eu des effets majeurs vis-à-vis de la Russie, qui en a déduit qu’elle pouvait intervenir en Syrie sans craindre de représailles de la part des Occidentaux ; d’où son intervention sur le terrain à partir de 2015. De manière générale et plus actuelle, les États-Unis veulent se retirer du Moyen-Orient, même s’ils y conservent une présence et des intérêts. Les premiers pas de l’administration Biden laissent entendre que les États-Unis ont une stratégie globale, en rupture partielle avec la précédente administration, et à cet égard, la réaffirmation du caractère impérieux du droit international vis-à-vis du conflit israélo-palestinien, le retour dans les négociations sur l’accord de Vienne ainsi que la reconnaissance du génocide arménien en témoignent.

C’est dans ce contexte de « rivalités de puissances » que la France doit définir sa stratégie d’influence et se positionner vis-à-vis des divers foyers d’instabilité et des conflits qui minent la région, dont nous allons vous parler désormais.

M. Philippe Meyer, rapporteur. Commençons par le premier foyer d’instabilité majeur dans la région : la guerre civile au Yémen, un conflit peu couvert par les médias et peu suivi par l’opinion publique.

Sans rentrer dans les détails bien sûr, aujourd’hui, deux projets politiques s’affrontent au Yémen :

– le projet des Houthis, héritiers de la monarchie d’avant 1962, d’essence totalitaire (car il exerce un contrôle total de la société grâce un système policier qui maille l’ensemble du territoire), ségrégationniste (car seuls les Hachémites comptent pour eux) et expansionniste (car ils veulent aller jusqu’à La Mecque). Deux millions d’enfants sont déscolarisés et des personnes sont recrutées de force pour combattre à Marib ;

– et le projet des opposants aux Houthis, qui rassemble plusieurs groupes hétéroclites qui ont en commun de s’opposer au projet des Houthis mais qui manque de cohérence et qui est miné par la corruption.

Par ailleurs, les Houthis se divisent entre l’aile militaire, radicale, et l’aile politique, plus modérée.

L’Arabie Saoudite a considéré ne pas avoir eu d’autre choix que d’intervenir en 2015 car l’intégrité de son territoire était directement menacée par l’expansionnisme des Houthis. Dès lors que les Houthis ont acquis la capacité d’atteindre le territoire saoudien, et en particulier les sites stratégiques de la société Aramco, l’Arabie Saoudite a néanmoins compris qu’il fallait trouver une solution politique à ce conflit. Elle a donc ouvert deux canaux : un canal sécuritaire pour contenir la menace et un canal politique par la signature des accords de Riyad en 2019 et leur mise en œuvre en décembre 2020.

La pression est maximale aujourd’hui sur Marib, toujours aux mains du gouvernement en exil, riche en ressources dont les Houthis ont besoin pour asseoir leur domination. Pour l’instant, le front tient, mais les Houthis forcent les habitants à combattre pour eux en leur donnant en échange des biens volés, issus notamment de l’aide alimentaire.

Les Yéménites sont épuisés par la guerre civile qui dure depuis 7 ans. Ils souffrent d’une absence de service public, de maladies et de la faim. Ils subissent des pénuries d’eau et d’électricité. L’Arabie Saoudite, depuis 2015, a lancé un blocus qui a précipité la crise humanitaire.

Même si les Houthis ont des liens avec l’Iran, comme nous l’a indiqué l’ambassadeur de France au Yémen, je cite, « ils sont avant tout des Yéménites, s’inscrivent dans l’histoire du Yémen et ont des projets au Yémen », fin de citation. De manière générale, il convient de ne pas appréhender le Yémen comme un pion dans un jeu régional et insister sur le caractère « yéménito-yéménite » du conflit en cours dans le pays.

Par ailleurs, l’Arabie Saoudite a réduit son action militaire depuis 2019 et privilégie désormais la désescalade et la négociation. En réalité, l’Arabie Saoudite cherche désormais à se sortir d’un bourbier tout en restant ferme vis-à-vis des Houthis. La France essaie de contribuer modestement au dialogue international pour trouver une issue à la crise, car la relance d’un processus politique est la seule issue. La nomination d’un nouvel envoyé spécial des États-Unis devrait nous aider à évoluer vers une solution politique au conflit. Cela nécessitera néanmoins de renverser le rapport de force au sein des Houthis pour que l’aile politique du mouvement prenne le pas sur son aile militaire.

Le second foyer d’instabilité majeur est le conflit israélo-palestinien, qui dure maintenant depuis plus de 70 ans sans qu’aucune perspective de résolution à court, moyen ou long terme n'existe. Au cours de nos travaux, plusieurs personnes auditionnées nous ont indiqué que ce conflit était en quelque sorte oublié et qu’il n’intéressait plus que secondairement les Occidentaux, et les pays de la région. Il nous avait même été indiqué par des aspects que ce conflit était en réalité gelé et que la situation actuelle de statu quo, caractérisée par une situation de paralysie en Palestine, minée par les oppositions fratricides entre le Fatah et le Hamas, et de colonisation lente mais progressive de la part d’Israël, se poursuivrait à court et à moyen terme.

Or, les affrontements des mois d’avril et mai derniers montrent, de notre point de vue, au moins deux choses : d’une part, tout exercice de prospective vis-à-vis de ce conflit – et, de manière générale, vis-à-vis de tous les conflits dans cette région du monde – appelle à la modestie dans notre analyse ; et, d’autre part, qu’une étincelle suffit à réactiver ce conflit. La France n’a évidemment pas abandonné la perspective d’une résolution de ce conflit qui ne trouvera aucune issue en dehors de la solution à deux États. Un plan de paix avait été proposé par la Ligue arabe en 2002, avec laquelle nous avons eu l’occasion de nous entretenir lors de notre déplacement en Égypte, qui s’inspirait des accords d’Oslo de 1995 et qui semblait pouvoir convenir à l’ensemble des parties prenantes. Or, aujourd’hui, Israël en refuse clairement le principe. En ce qui nous concerne, à l’issue de nos travaux, nous pensons que la France doit continuer à promouvoir la solution à deux États et travailler avec les États de la région, et en particulier avec la Jordanie et l’Égypte, qui, chacun, jouent un rôle crucial en la matière, pour qu’une solution politique à ce conflit soit trouvée. Le nouveau gouvernement israélien, bien que très hétéroclite, doit s’y atteler dans sa composition. En particulier, nous pensons que la gravité de la situation à Gaza, qui nous a été décrite lors d’une audition comme « une poudrière humanitaire, économique et sociale qui se radicalise de plus en plus », doit alerter la France, l’UE et leurs partenaires. Nous avons d’ailleurs pu voir les conséquences concrètes de ce conflit sur la stabilité des États voisins lors de la visite du camp de réfugiés palestiniens géré par l’ONU en Jordanie à proximité d’Amman. Plus de deux millions de Palestiniens vivent en Jordanie. Les personnes que nous avons pu interroger dans ce camp souhaitent revenir dans leur pays dans leur majorité.

M. Gwendal Rouillard, rapporteur. Pour finir sur ce conflit, je me contenterais de rappeler que l’Assemblée nationale, sous la précédente législature, a adopté une résolution portant sur la reconnaissance de l’État de Palestine en 2014. La représentation nationale y soulignait que le statu quo est intenable et dangereux car il nourrit les frustrations et la défiance croissante entre les deux parties, qu’il est impératif que les négociations entre les parties reprennent et que la solution des deux États est la seule solution viable, comme mon collègue vient de le rappeler. Elle invitait enfin le Gouvernement français à reconnaître l’État de Palestine en vue d’obtenir un règlement définitif du conflit. Je pense qu’il est de notre devoir de réaffirmer cette position de l’Assemblée nationale, et même du Parlement car le Sénat avait voté une résolution similaire, et de solliciter en ce sens le Président de la République et le Gouvernement car seule la Justice permettra la Paix dans la durée.

Enfin, le troisième foyer d’instabilité dont nous souhaitons vous parler a trait à la situation chaotique du Liban. Avant même les explosions survenues à Beyrouth le 4 août 2020, les manifestations qui ont débuté en 2019 témoignaient de la situation explosive dans laquelle se trouvait ce pays caractérisé par l’incurie de sa classe politique, la corruption et la mainmise du Hezbollah. Le PIB libanais s’est en effet massivement contracté en 2020 sous l’effet conjoint de la crise sanitaire et d’une crise économique, financière et bancaire systémique et qui traduit la fin d’un modèle économique basé sur l’attraction de capitaux, la rente et la stabilité de la livre.

Mais cette crise a été aggravée par les destructions causées par les explosions au port de Beyrouth le 4 août 2020. À ce titre, nous avons des pensées émues pour les victimes, leurs familles et les milliers de blessés. Nous souhaitons que la vérité puisse se manifester ces prochains mois concernant les causes et les responsabilités de ces explosions révélatrices de l’effondrement du Liban. Depuis, la situation empire. La livre a perdu environ 100 % de sa valeur en moins de deux ans, 50 % de la population vit en-dessous du seuil de pauvreté, les secteurs de la santé et de l’éducation sont menacés. Ajoutons que l’accès aux services publics, notamment la fourniture d’eau et d’électricité, est devenu quasiment impossible dans l’ensemble du pays. La situation est telle que de plus en plus de Libanais ne parviennent plus à se nourrir, y compris parmi les FAL, comme l’a indiqué l’UNICEF.

La France a répondu présente dès le début de la crise en août 2020 par l’organisation de conférences de donateurs dès le 9 août, qui avait rassemblé une aide de plus de 205 millions d’euros. Une seconde conférence internationale a été ouverte en décembre dernier, conformément à la promesse du Président de la République en septembre, pour fournir une aide d’urgence au pays.

Mais les autres aides financières (notamment celles de la Conférence Cèdre et de Rome 2 en 2018) étaient conditionnées à la formation d’un gouvernement et à la mise en œuvre de réformes structurelles dans le pays. Aujourd’hui, force est de constater que la classe politique libanaise est incapable d’initier de tels changements et que la situation s’aggrave d’heure en heure à l’image des longues files d’attente aux stations-services liées à la pénurie de carburants. La gravité de la situation est telle que certains observateurs n’hésitent pas à estimer que le Liban est aujourd’hui un État failli. De notre point de vue, nous pensons que le Liban ne peut pas être considéré comme un État failli car deux institutions tiennent encore dans le pays : les FSI d’une part, et les FAL d’autre part. Mais concernant ces dernières, leur situation est telle qu’elles menacent également de s’effondrer ; à la fois les FSI et les FAL. Nous constatons quelques premières désertions qui nous préoccupent au plus haut point, ce dont je me suis entretenu avec le patron des FSI lors de mon déplacement. Face à l’urgence, le Président de la République et la ministre des Armées ont organisé une conférence internationale de soutien aux FAL et aux FSI le 17 juin dernier avec nos partenaires occidentaux et arabes. Il s’agit d’un enjeu vital pour le pays.

La France sera toujours aux côtés du Liban parce qu’il s’agit d’un grand partenaire et d’un peuple ami depuis longtemps. Mais en réalité, au-delà des aides financières nécessaires à court et moyen termes, la situation actuelle du Liban est le fruit de décennies de renoncements de sa classe politique et le symptôme du mal qui mine ce pays : la logique confessionnelle. J’ai toujours pensé que le devoir de la France, au Liban comme dans d’autres pays minés par le sectarisme confessionnel, est de promouvoir un sentiment d’appartenance à une nation commune et un destin partagé, en dépit des divergences ethniques ou religieuses ; en un mot, l’appartenance à une citoyenneté commune reposant sur l’égalité des droits. Cette aspiration est surtout celle de beaucoup de Libanaises et de Libanais qui souhaitent bâtir un « Nouveau Liban » dans le cadre d’une transition démocratique. Les « forces politiques du changement » et la société civile s’expriment en ce sens avec beaucoup de courage et de dignité, et je pense en priorité aux femmes et aux jeunes en prononçant ces mots. À ce titre, nous encourageons le Gouvernement français, les partenaires de la France et les Nations Unies à garantir la tenue des élections législatives, municipales et présidentielle en 2022 pour permettre au peuple libanais de s’exprimer librement. Enfin, et nous insistons sur ce point, nous recommandons l’installation urgente à Beyrouth d’une task force internationale sous l’égide des Nations Unies et de la Banque mondiale afin d’amplifier les actions humanitaires (alimentation, médicaments, soins, écoles…) et de développement (eau, électricité…). Vous l’avez compris : le Liban d’antan n’existe plus, et la France doit accompagner l’émergence de ce nouveau Liban.

M. Philippe Meyer, rapporteur. Venons-en à présent au deuxième axe de notre présentation, relatif à la présence militaire française au Moyen-Orient (hors Chammal, qui fera l’objet de développements dans la troisième partie).

L’opération Amitié au Liban a été lancée à la suite des explosions survenues à Beyrouth le 4 août dernier. En coordination avec le MEAE, le ministère de l’Intérieur et le ministère des Solidarités et de la Santé, nos armées ont déployé et acheminé des moyens humains et matériels pour venir en aide au Liban. Le président de la République s’est rendu sur place, suscitant de fortes attentes.

Dès le 5 août, des aéronefs militaires ont permis d’acheminer sur place des produits de première nécessité mais également d’engager les premiers sapeurs-sauveteurs et marins-pompiers. Par la suite, un pont maritime a été mis en place et le PHA Tonnerre et le navire affrété MN CALAO, arrivés respectivement les 13 et 16 août 2020 à Beyrouth, ont permis de compléter cet acheminement. Au total, 750 militaires et 1 200 tonnes de fret humanitaire ont été débarqués au Liban.

Cette opération d’urgence a apporté de très bons résultats, appréciés par les Libanais. Elle a depuis été refermée et l’enjeu de la reconstruction de Beyrouth demeure.

La présence militaire française au Liban s’incarne également par la FINUL. Les grandes lignes de son mandat se fondent sur le chapitre VI de la charte des Nations Unies :

– surveiller la cessation des hostilités ;

– accompagner et appuyer le déploiement au Sud-Liban des FAL ;

– appuyer les FAL, à la fois pour empêcher que des actes hostiles ne soient commis depuis le Sud-Liban, et pour s’assurer que l’aire d’opération soit « sans armes » et que la Blue Line soit respectée ;

– et assurer la coordination de ses activités avec les parties.

Parmi les OMP des Nations Unies, la FINUL est souvent présentée comme une mission robuste, notamment au regard de ses effectifs dépassant 11 000 hommes rapportés à la surface de sa zone d’opération. Ainsi, sa densité de forces est analogue et comparable à celle de la Mission d’administration intérimaire des Nations unies au Kosovo entre 1999 et 2000.

La FINUL est une force en transformation permanente depuis 1978. D’ici deux ans, au terme de son plan d’adaptation issu du rapport du Secrétaire général du 1er juin 2020, elle sera probablement encore plus agile : gros véhicules blindés remplacés par de petits véhicules blindés, troupes plus disponibles, reconfiguration des forces navales, plus de moyens de renseignement avec une surveillance radar étendue et un plan d’équipement en caméras visant à surveiller la Blue Line

Au Sud-Liban, une guerre est possible à tout moment, sans préavis. Des forces armées se font en effet face, sans qu’aucune disposition militaire n’ait été prise pour les séparer lors des cessez-le-feu ou retraits qui se sont succédé entre 1948 et 2006. L’emploi de la force y est décomplexé. Par exemple, Israël n’hésite pas à effectuer des tirs d’artillerie éclairants dès qu’il a un doute sur des individus s’approchant de la Technical Fence. Tous les responsables politiques sont d’anciens militaires qui ont déjà fait la guerre et tous les chefs militaires en place ont servi au Sud-Liban. Aussi, même si les parties ne veulent pas la guerre, et c’est le cas, l’escalade militaire est possible à tout moment, par erreur de calcul ou perte de contrôle, d’autant plus que les exécutifs sont en difficulté aussi bien au Liban qu’en Israël.

Dans ce contexte, la FINUL opère au milieu de deux principaux équilibres :

– un équilibre entre Israël et le Liban autour de la Blue Line ;

– et un équilibre entre les différents acteurs présents au Sud-Liban : les FAL, le Hezbollah, la FINUL, etc.

L’opération Daman incarne et matérialise la solidarité de Paris avec Beyrouth au sein de la FINUL avec la présence de 700 soldats. Il existe une cohérence de positionnement entre la centralité politique de la France au Liban comme puissance qui compte à laquelle fait écho la centralité militaire du contingent français au Sud-Liban. À travers le chef d’état-major, la France met son amitié avec le Liban au service de la FINUL, rassemblant 46 pays contributeurs. La Force Commander Reserve (FCR) est au centre de la FINUL, avec son partenaire finlandais, aussi bien géographiquement que fonctionnellement.

Armée par la France, la posture opérationnelle de la FCR est en permanence observée et interprétée, notamment par le Hezbollah, en écho aux prises de parole publiques des autorités françaises sur le Liban. Des mesures spécifiques de protection sur le contingent sont décidées lors des prises de position françaises sur le Liban, compte tenu de leur poids et de la sensibilité politique libanaise.

Les directives données par le centre de planification et de conduite des opérations à Paris pour le contingent français s’inscrivent dans une stratégie régionale bien identifiée. Les échanges de renseignement et analyses entre les différentes forces et ambassades françaises de la région fonctionnent sans difficulté. La FINUL prend sa part dans cette stratégie française, en contribuant à la stabilité du Liban.

La principale réussite de la FINUL est d’avoir permis 15 années de paix et de stabilité au Sud-Liban. Selon les FAL, l’aire d’opération de la FINUL est, de loin, la zone la plus sûre à leurs yeux du Liban, en comparaison avec la lutte antiterroriste dans le Nord et les affrontements claniques dans la plaine de la Bekaa à l’Est. Le règlement définitif du différend ne relève d’ailleurs pas de la FINUL, dont la mission se limite à la création des conditions du dialogue politique, mais du Bureau de l’UNSCOL et de sa mission de bons offices.

Alors que débutent les consultations relatives au renouvellement de son mandat, une reconduction technique de la FINUL pour l’année à venir semble à rechercher, dans l’attente de possibles évolutions politiques au Liban en 2022 et d’une évolution de la donne régionale (accord avec l’Iran, dialogue entre l’Iran et l’Arabie Saoudite à Bagdad, mutation du Hezbollah).

L’appui déterminé aux FAL, qui continuent d’incarner la nation libanaise, reste la meilleure stratégie de court, moyen et long termes. Dans le cadre du renouvellement de mandat à venir, il apparaît utile de renforcer l’appui de la FINUL aux FAL en ouvrant la possibilité de fournir un soutien logistique direct dans l’aire d’opération (carburant, etc.).

Dans le contexte politique actuel, il serait illusoire de vouloir faire évoluer le mandat de la FINUL ou de l’étendre. Cette évolution ne recevrait probablement pas de soutien des pays contributeurs européens, dont certains sont fébriles au vu des tensions dans l’aire d’opération. Par ailleurs, la situation ne serait pas tenable sur le plan sécuritaire si la FINUL devait entrer en confrontation avec le Hezbollah, tant son emprise est forte dans l’aire d’opération.

En outre, si des réductions ciblées de la FINUL pourraient être envisagées avec un impact opérationnel limité, leur contrepartie politique et psychologique devrait être mesurée, notamment vis-à-vis des FAL qui pourraient en sortir découragées et se sentir abandonnées. Le redressement économique du Liban et la consolidation des FAL prendront des années. C’est probablement l’horizon de travail de la FINUL qui devra s’adapter pour accompagner ces évolutions.

M. Gwendal Rouillard, rapporteur. Les EAU sont le premier partenaire militaire de la France dans la zone. L’accord franco-émirien relatif à la coopération en matière de défense a été signé en 2009 (puis complété par un accord par échange de lettres signées en 2010) et est entré en vigueur le 1er mai 2012 pour une période de 15 ans renouvelable par notification écrite. Il reprend notamment la clause d’assistance prévue dans l’accord de défense antérieur datant de 1995 et formalise l’installation militaire française avec la mise en place des FFEAU. La coopération de défense vise à développer l’interopérabilité entre les forces des deux pays, à renforcer les capacités opérationnelles et à contribuer à la stabilisation de la région. Environ 650 militaires sont présents au sein des FFEAU, répartis entre le 5e régiment de cuirassiers, la BA 104 Al Dhafra et une BN, que nous avons eu l’opportunité de visiter.

Au cours des dix dernières années, la présence des FFEAU a facilité et renforcé la coopération opérationnelle entre la France et les EAU. En premier lieu, cette implantation constitue un point d’appui stratégique pour les opérations menées dans la région, notamment dans le cadre de l’opération Chammal contre Daech en Irak et en Syrie ou de l’opération Agénor. Par ailleurs, la présence des FFEAU facilite la projection des forces françaises vers la zone indopacifique à travers l’accueil de l’état-major de la zone maritime de l’océan Indien et du commandement des FFEAU au sein de la BN d’Abou Dabi. Enfin, la présence des FFAEU joue un rôle clé dans la mise en œuvre de la coopération militaire bilatérale entre la France et les EAU. Celle-ci s’illustre notamment par la menée d’exercices en commun interarmées, dont l’exercice El Himeimat pour la coopération terrestre ou la mission Skyros fin janvier 2021 pour la coopération aérienne.

Concernant l’opération Agénor, nous avons eu l’occasion de discuter longuement de son avenir avec le contre-amiral Jacques Fayard. Comme vous le savez, il s’agit d’une opération de surveillance maritime au profit de la marine marchande transitant par le détroit d’Ormuz, séparant les Émirats arabes unis et Oman de l’Iran. Ce point de passage est sensible compte tenu du potentiel de déstabilisation par l’Iran pouvant menacer la pérennité des flux commerciaux, en particulier d’hydrocarbures. En place depuis un an, de bons résultats ont été atteints, grâce à la constitution d’un état-major réduit, représentatif des engagements des États européens dans la zone.

Cette dynamique européenne tend toutefois à s’essouffler : depuis quelques mois, seuls les Français déploient des bateaux et avions, au-delà de l’état-major alimenté par les nations. Ce manque d’intérêt des Européens soulève des questions sur la poursuite de l’opération. Par ailleurs, la mission menée par les Américains dans la zone est au point mort depuis trois mois : aucun bateau n’a été déployé dans le cadre de l’opération Sentinel. Enfin, on constate une absence d’escalade dans la région de la part de l’Iran, en particulier depuis l’élection de Joe Biden, à quelques exceptions près et exclusivement au niveau bilatéral avec, par exemple, Israël.

C’est pourquoi nous plaidons dans notre rapport pour une mise en sommeil de l’opération Agénor. Il s’agirait bien d’une mise en sommeil et non de mettre définitivement fin à cette opération, qui pourrait être réactivée en cas de hausse de la menace. Les moyens des FFEAU sont comptés, et eu égard au faible investissement des autres États européens dans le cadre de cette opération, la France ne peut en effet pas porter seule le poids de cette opération.

Mais la présence militaire française dans la région ne se limite pas à la présence des forces armées. Elle fait également écho à la politique d’exportation d’armements de la France dans la zone. En proie à une instabilité chronique, la région émet de fortes demandes en matériels de défense. À titre d’exemple, et comme indiqué dans l’édition 2021 du rapport au Parlement sur les exportations d’armement, l’entrée en vigueur du contrat pour la fourniture de radars de surveillance aérienne pour l’Irak – domaine dans lequel ce pays a de grands besoins, comme on nous l’a indiqué lors de notre déplacement – contribuera au renforcement de sa souveraineté et à celui de la relation bilatérale. Les livraisons des premiers hélicoptères Caracal au Koweït ainsi que le lancement d’un satellite d’observation de la terre pour les EAU participent aussi au renforcement de la maitrise par ces pays de leur environnement régional. Pour illustrer l’importance de la zone « Proche et Moyen-Orient » en matière d’exportation d’armements, mentionnons que sur la période 2011-2020, parmi les 20 principaux clients de la France, 5 États appartiennent à la zone « Proche et Moyen-Orient », parmi lesquels le Qatar (en deuxième position), l’Arabie Saoudite (en troisième position), l’Égypte (en quatrième position), les Émirats arabes unis (en cinquième position) et le Koweït (en neuvième position). À ce titre, nous plaidons également pour une meilleure valorisation de l’expertise de la DCSD et de l’entreprise DCI tant en matière de formation que pour l’utilisation des matériels militaires.

À l’issue de nos travaux, nous retenons deux réflexions concernant la politique d’exportation d’armements de la France au Moyen-Orient.

Premièrement, même si la France est un des États qui exporte le plus ses matériels dans la zone, il convient de rester vigilants et mobilisés quant à la concurrence. Prenons l’exemple de l’Égypte. La politique française d’exportation d’armements vers l’Égypte s’est considérablement développée à partir de 2014. La France a vendu à l’Égypte les deux Mistral initialement destinés à la Russie, une FREMM, 4 corvettes Gowind ainsi qu’un satellite de communication. L’Égypte a par ailleurs été le premier pays à l’export pour le Rafale, avec une vente d’un premier lot de 24 appareils en 2014. La signature de ces contrats a logiquement abouti à de nombreuses coopérations sur le plan opérationnel et en termes de formation, en particulier entre la Marine égyptienne et la Marine française. Le chef d’état-major de la Marine égyptienne a d’ailleurs imposé le choix de la France pour se hisser au rang des grandes marines nationales. À l’inverse, les États-Unis ont régressé en Égypte sur le plan militaire. La France a donc occupé l’espace mais l’Égypte n’hésite pas à mettre ses partenaires en compétition et l’erreur serait de se reposer sur ses lauriers. La France doit impérativement se battre pour conserver ses avantages car la compétition est intense et les positions ne sont jamais acquises, en particulier dans des États où la conclusion de marchés dépend quasi exclusivement des partenariats stratégiques mais aussi des affinités personnelles et politiques du moment.

Deuxièmement, la conclusion de contrats d’armement doit être liée au respect du droit international par les États. La Commission interministérielle pour l’étude des exportations des matériels de guerre veille au respect des normes en vigueur, et en particulier au respect de la position commune de 2008 ainsi que des stipulations du traité onusien sur le commerce des armes. Eu égard aux foyers d’instabilité, voire de conflits, dans la région, un contrôle scrupuleux en la matière doit être observé.

M. Philippe Meyer, rapporteur. Venons-en maintenant, chers collègues, au troisième et dernier axe de notre mission, sur l’avenir de l’opération Chammal.

Lancée le 19 septembre 2014, l’opération Chammal est le nom donné au volet français de l’opération interalliée Inherent Resolve rassemblant plus de 76 États et cinq organisations, sous la supervision du commandement central américain situé à Tampa en Floride. À la demande du gouvernement irakien et en coordination avec les alliés de la France dans la région, elle vise à apporter un soutien militaire aux forces locales engagées dans le combat contre Daech sur leur territoire. La zone d’intervention de l’opération Chammal a été étendue à la Syrie le 8 septembre 2015 afin de pouvoir également frapper les centres depuis lesquels Daech planifie et organise ses attaques.

L’opération Chammal repose sur deux piliers complémentaires :

– un pilier « appui », destiné à soutenir les troupes engagées au sol contre Daech ;

– et un pilier « formation » au profit des forces de sécurité nationale irakiennes.

Dans le cadre du pilier « appui » de l’opération Chammal, l’armée de l’Air et de l’Espace met actuellement en œuvre 11 Rafale, dont quatre sur la BAP H5 au Levant située en Jordanie et sept sur la BA 104 Al Dhafra aux EAU (50 soldats). Nous avons visité ces deux bases organisées de manière exemplaires. Ces chasseurs contribuent à l’appui des troupes au sol en conduisant des missions de renseignement, de reconnaissance armée et de frappes ciblées et planifiées. Depuis le début de l’opération Chammal, plus de 11 600 sorties aériennes ont été effectuées. Plus de 1 560 frappes ont été réalisées, qui ont permis de détruire plus de 2 400 objectifs en Irak ou en Syrie. En 2020, 10 % des missions aériennes de la coalition internationale ont été effectuées par des avions français. Par ailleurs, une frégate française et son équipage (200 marins) sont engagés en soutien direct et participent à des opérations de patrouille en Méditerranée orientale, notamment dans le canal de Syrie.

Le pilier « formation » était auparavant organisé pour former le niveau tactique des unités irakiennes. Désormais, la formation se porte sur les états-majors et sur leur manière d’employer leurs unités, en structurant leur appréhension d’une campagne militaire et de la planification des opérations. Depuis 2020, une entité globale, le Military advisory group, est en charge de la politique de conseil qui est désormais prodiguée aux hautes autorités militaires irakiennes. L’état-major irakien que nous avons rencontré est particulièrement satisfait de la qualité de cette coopération et de ses résultats.

M. Gwendal Rouillard, rapporteur. L’opération Chammal se justifie évidemment à plus d’un titre, eu égard aux menaces terroristes qui sévissent en Irak et en Syrie. La principale menace en Irak est incarnée par Daech, en particulier dans les régions de Kirkouk, Al Anbar, Salaheddine et Ninive (c’est-à-dire dans les régions désertiques). Le commandement de Daech a connu une très forte période d’attrition qui a débuté en 2020 et qui se poursuit aujourd’hui, après une phase de résilience forte, grâce à des opérations de neutralisation de ses principaux stratèges opérationnels menées par la coalition internationale. Daech s’adapte néanmoins à son environnement et a enclenché une dynamique de reconstruction. Le Liban, les régions urbanisées du nord et du nord-ouest de la Syrie, marquées par le conflit avec la Turquie, sont des zones favorables à son développement, où Daech est combattu par les groupes proches d’Al Qaida. De plus, le nombre d’attaques menées par Daech a connu une baisse significative au premier trimestre 2021, atteignant le plus faible nombre d’attaques depuis la défaite de Baghouz en 2019, et ce en dépit du Ramadan, période pourtant propice aux attaques. La quasi-totalité de leurs attaques se font par la pose d’EEI ou de tirs de mortiers, soit des attaques de faible intensité qui témoignent du fait que Daech est redevenu un groupe militaro-terroriste, contraint de se replier dans des espaces désertiques ou ruraux, voire dans des espaces frontaliers, où il entretient néanmoins un climat d’insécurité. Il poursuit son combat contre les FDS dans la région de Deir ez-Zor et dans les zones frontalières contre les Kurdes. A contrario, Al Qaïda demeure une force importante en Syrie et notamment dans la région d’Idleb.

La capacité de projection vers l’étranger de Daech constitue un des sujets principaux d’attention de la France, qui suit les itinéraires des djihadistes depuis la Syrie. Leur objectif est de sortir de la zone de combat et rejoindre la Turquie dans l’attente, pour certains, d’un retour. La France a observé des tentatives de création de réseaux en Europe pour y perpétrer des attentats mais la menace est, pour l’instant, contenue.

Par ailleurs, en Irak, l’autre facteur de déstabilisation provient des forces de mobilisation populaires composée de milices très majoritairement chiites. Elles mènent des actions violentes contre les forces du Gouvernement régional du Kurdistan mais également contre les États-Unis qui sont régulièrement ciblés par des tirs de mortiers contre leurs bases. De ce point de vue, l’usage des drones par les milices chiites irakiennes constitue un véritable sujet d’inquiétude et une piste de travail pour notre pays et nos partenaires.

M. Philippe Meyer, rapporteur. Le second sujet d’inquiétude a trait à la situation dans les camps de prisonniers djihadistes. Ils constituent un sujet central. La situation est suivie de très près dans la région. De l’avis de toutes les personnes que nous avons pu rencontrer, ces camps constituent une poudrière, et en dépit des actions menées par les FDS pour capturer et surveiller les prisonniers, nous sommes inquiets quant au risque que ces camps échappent à tout contrôle et deviennent, ipso facto, le moteur de la revitalisation de Daech. À ce stade, la situation dans les prisons est relativement stable. Des transferts de détenus ont lieu d’un camp à l’autre mais les projets d’évasion sont quotidiens car les camps sont en réalité très poreux.

Le choix opéré jusqu’alors a été de maintenir la situation en l’état. Le scénario le plus grave serait que ces camps soient dispersés sous la pression du régime syrien, ce qui posera la question du statut des prisonniers. Cette problématique devra évidemment relever d’arbitrages politiques ces prochains mois. Il s’agit là d’une problématique complexe. L’opinion publique est particulièrement sensible à cette question.

Dans ce contexte, et eu égard à ces menaces, quelles sont donc les pistes pour l’après Chammal ? Nous en avons déterminé deux principales :

– la nécessité de maintenir l’opération Inherent Resolve avec le même mandat qu’actuellement ;

– et la nécessité d’approfondir nos coopérations bilatérales avec l’Irak et nos partenaires en Orient : les pays du Golfe, la Jordanie, l’Égypte et le Liban. À cet égard, nous sommes également attentifs à l’organisation et à l’issue des élections en Irak, prévues le 10 octobre prochain.

Lors de nos échanges en Irak, et en particulier avec le général américain Paul Calvert, nous avons pu observer que la France et les États-Unis, tout en partageant les mêmes appréciations quant à l’importance de la menace terroriste incarnée par Daech, n’avaient pas la même appréciation quant à la menace incarnée par les milices chiites irakiennes. L’engagement de la France dans le cadre de l’opération Inherent Resolve est la démonstration de sa capacité à tenir son rang dans le cadre de la lutte contre Daech. Les États-Unis observent les capacités de la France, les reconnaissent et les apprécient. Notre coopération s’illustre également dans le domaine du renseignement, en dépit de la non-appartenance de la France au réseau des Five Eyes. Néanmoins, les États-Unis, qui font l’objet d’attaques régulières de la part des milices chiites irakiennes, souhaitent que celles-ci soient intégrées dans le mandat de l’opération. Nous comprenons la volonté des États-Unis de se protéger contre ces milices chiites irakiennes, dont une grande partie est sous l’influence de l’Iran. Mais nous ne souhaitons pas un changement de mandat de la Coalition car la priorité demeure pour la France la lutte contre Daech, Al Qaida et leurs filiales.

Par ailleurs, nous sommes bien conscients des conséquences pour la France d’un retrait américain de l’Irak. Sans les États-Unis, la France ne pourra agir militairement avec la même amplitude au Moyen-Orient. La multiplication des attaques contre les États-Unis de la part de ces milices, couplée à la stratégie du pivot asiatique lancée par Barack Obama et poursuivie par Joe Biden qui oriente l’intérêt des États-Unis vers la zone indopacifique, constitue une réelle source d’inquiétude pour la France. Mais nous estimons que la question relative aux milices chiites irakiennes est avant tout une problématique intérieure pour Bagdad et un paramètre du dialogue diplomatique entre les États de la région (Iran, Arabie Saoudite, Syrie, Liban…).

La France ne peut pas s’engager sur tous les fronts. Sur l’ensemble du Moyen-Orient, notre présence, notre action et notre engagement sont forts. Avec des effectifs limités et de grande qualité, les résultats opérationnels sont remarquables. Politiquement, diplomatiquement, militairement, mais également en termes de débouchés économiques liés à la vente d’armes et de matériels militaires français, selon notre analyse, notre déploiement atteint pleinement ses objectifs.

M. Gwendal Rouillard, rapporteur. Par ailleurs, nous estimons que la relation bilatérale franco-iraquienne devra constituer l’axe principal de l’après Chammal. Nous avons pu le constater lors de notre déplacement en Irak : il existe une attente forte vis-à-vis de la France dans ce pays. De ce point de vue, la France récolte les fruits de sa politique depuis 2003. Notre Président de la République a déjà commencé à conforter cette relation bilatérale lors de son déplacement en septembre 2020 pour contribuer à la reconstruction de la souveraineté de l’Irak. Il s’agit là d’un enjeu majeur, auquel la France devra nécessairement contribuer. La coopération entre nos deux armées est déjà une réalité, comme nous avons pu l’entendre lors de nos échanges avec le service de contre-terrorisme irakien, et comme nous l’avons constaté sur le terrain. Nous l’avons également constaté lors de notre déplacement au Kurdistan irakien lors de nos échanges avec les Peshmergas. Mais les marges de progression sont d’autant plus grandes que le retrait progressif des États-Unis laisse un vide qu’il nous revient, dans la mesure du possible, de combler.

Cette dynamique de coopérations est également souhaitable avec la Jordanie et l’Égypte. À ce titre, nous encourageons le Président de la République et le Gouvernement à soutenir les nouvelles coopérations de la « Trilatérale » entre Le Caire, Amman et Bagdad dans les domaines de la sécurité (lutte antiterrorisme, lutte contre les trafics de drogues comme le captagon produit en Syrie et au Liban), de l’éducation, de la culture et du développement. Nous pensons également au Liban en accompagnant, par exemple, le développement d’une marine opérationnelle et du Centre régional de déminage.

Voici, mes chers collègues, les résultats de nos travaux. Nous vous remercions pour votre attention et sommes désormais à votre disposition pour répondre à toutes vos questions.

Mme la présidente Françoise Dumas. Merci, chers collègues, pour l’exhaustivité de ce travail et la précision de votre présentation.

M. Fabien Gouttefarde. Tout d’abord, je tiens à vous féliciter, Messieurs les rapporteurs, au nom de mon groupe, pour la très grande qualité du travail que vous avez fourni dans le cadre de cette mission d’information. Le sujet étant vaste et les enjeux nombreux, nous ne pouvons que vous féliciter pour la menée de votre mission en un temps record. J’étais moi-même membre de cette mission d’information et ai pu assister à quelques auditions, qui furent passionnantes.

Ma question portera sur un service du MEAE que toute personne qui s’est intéressée à la présence militaire française en Afrique connait bien : la direction de la coopération de sécurité et de défense, la DCSD.

La coopération structurelle de sécurité et de défense, animée par la DCSD au sein de l’État, permet la coordination quotidienne et interministérielle d’un continuum sécurité-défense au service des priorités politiques et diplomatiques arrêtées par le Gouvernement. L’action de la DCSD passe prioritairement par le renforcement régalien des États partenaires. La France possède des intérêts stratégiques vitaux au Moyen-Orient. Comme vous l’avez indiqué dans votre propos liminaire, la France est attendue dans cette région du monde, tant sur le plan militaire bien sûr – et l’édition 2021 du rapport au Parlement sur les exportations d’armement a montré que le Moyen-Orient est un des principaux clients de la France – mais également en matière de formation à l’usage des matériels militaires et en matière de protection civile, comme l’a mentionné M. Gwendal Rouillard au sujet de l’école de déminage au Liban.

Enfin, en Afrique, le réseau des ENVR est très développé. Il constitue un outil unique de formation et de rayonnement portant sur les thématiques de sécurité et de défense et est au cœur du développement de la relation partenariale portée par la DCSD. Or, le réseau des ENVR se cantonne aujourd’hui à l’Afrique. Il semble pourtant nécessaire de le faire évoluer, et si la DCSD n’est pas absente du Moyen-Orient, une présence plus accrue apparaît souhaitable, eu égard aux besoins exprimés par les États de la région auprès de la France.

Par conséquent, Messieurs les rapporteurs, pensez-vous nécessaire que la DCSD joue un rôle plus important au Moyen-Orient, et si oui, selon quelles modalités et à quelles conditions ? Je vous remercie.

M. Charles de la Verpillière. Bien entendu, je m’associe aux félicitations qui ont été adressées à nos deux rapporteurs. C’est un rapport passionnant, et sûrement difficile à rédiger compte-tenu de la complexité de cet immense théâtre d’opérations. Le général de Gaulle disait : « Vers l’Orient compliqué, je voguais avec des idées simples ». Vous avez essayé, et je crois réussi, à dégager quelques idées simples de votre mission. Ce que je retiens également, c’est que la France est attendue, et qu’elle a un rôle à jouer – et pas seulement au Liban, bien que ce dernier reste important. Nous avons parlé aussi des États du Golfe, des Émirats Arabes Unis et de l’Irak.

Par ailleurs, quelle sera l’attitude des États-Unis ? Il s’agit d’un paramètre capital, sur les plans économique, diplomatique comme militaire.

Enfin, vous avez parlé de l’Égypte : quel rôle jouent les grandes puissances régionales que sont l’Iran, la Turquie et l’Arabie Saoudite, et quels sont leurs objectifs stratégiques à long terme ?

M. Jean-Pierre Cubertafon. Tout d’abord, le groupe démocrate que je représente aujourd’hui tient à vous adresser ses félicitations pour ce rapport dont la présentation que vous venez de nous livrer donne un aperçu très prometteur de vos travaux. Durant cette mission d’information, vous avez eu l’occasion d’auditionner une pluralité d’intervenants dont la fonction leur permet de détenir un rôle et une expertise notable dans la situation au Moyen-Orient ; notamment, en dernier lieu, il vous a été donné d’interroger deux représentants du monde du renseignement : d’une part au sein de la direction du renseignement militaire (DRM), et d’autre part, de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE). Le renseignement étant indissociable des opérations militaires, nous mesurons l’envergure et la nécessité de ce dernier. L’opération Chammal a marqué la présence de centaines de militaires français au Moyen-Orient et des moyens matériels conséquents. Ce déploiement a donc permis depuis 2014 la captation d’un flux conventionnel – en dehors du non-conventionnel habituel – de renseignement nous permettant d’avoir une vision accrue sur cette région qui demeure un pivot géostratégique fondamental pour les intérêts français.

À la vue de ces éléments, il m’apparaît légitime de vous poser la question suivante : malgré le retrait potentiel de la majorité de nos troupes conventionnelles au Moyen-Orient, la France peut-elle espérer maintenir la captation d’un flux de renseignement suffisant pour ne pas perdre sa vision précise des tensions régionales et des menaces qui pèsent sur la France en provenance de cette région ? Dans quelle mesure nos structures de renseignement pourraient-elles agir en dehors de tout cadre opérationnel ?

M. Jean-Charles Larsonneur. Merci beaucoup, Messieurs les rapporteurs, pour cet exposé précis et circonstancié. Dans la lutte contre Daech et Al Qaïda – nous avons évoqué le rôle de la France dans la perspective de l’après Chammal – il est un des acteurs que nous avons un peu évoqués auparavant sous l’angle du retour des djihadistes, et en creux, en parlant du Kurdistan, c’est évidemment la Turquie. Pourriez-vous nous en dire un petit plus sur ce qui a été dit dans le cadre de vos travaux sur la position et la vision turques de la zone, notamment en Syrie et en Irak, pour les années à venir, et singulièrement dans la perspective d’un retrait graduel américain, mais aussi sur l’état des relations bilatérales franco-turque et sur ce que nous pourrions en faire dans la zone, dans le contexte que vous venez d’évoquer ?

M. Jean-Michel Jacques. Merci aux rapporteurs pour la qualité de leur travail. Je voudrais revenir sur ce qui a été évoqué par Monsieur le rapporteur Gwendal Rouillard, au sujet des trafics de drogue qui financent finalement le terrorisme – et en particulier le captagon. Sauf erreur de compréhension, cette drogue qui a pris racine au Liban commence à s’exporter ailleurs au Moyen-Orient, notamment en Arabie Saoudite, et désormais en Europe. Ce sujet me paraît important dans la mesure où il s’agit d’une source importante de financement du terrorisme. Quelle est l’ampleur du phénomène, et quelles sont les mesures qui peuvent être prises par la France et ses partenaires en réaction ?

M. Jacques Marilossian. Merci mes chers collègues pour cette brillante présentation. Ma réflexion va porter sur la capacité de l’armée irakienne à faire face à la lutte contre le terrorisme. Nous le savons, cette armée doit probablement faire face aux mêmes problèmes que connaissent les États de la bande sahélo-saharienne – problèmes de formation, de gestion de ressource, de gestion humaine, dépolitisation, lutte contre la corruption, etc.

Ma question sera simple : pensez-vous que l’armée irakienne pourra, à long terme, affronter de manière autonome les groupes terroristes sur son territoire, et quel rôle la France peut-elle jouer dans le soutien à l’armée irakienne ?

M. Pierre Venteau. Merci, mes chers collègues, pour cette présentation précise et passionnante. Fin juin dernier, Amnesty International a déclaré que plus d’un million de personnes dans le Nord de la Syrie risquaient de manquer de ressources vitales dans le cas où le CSNU ne renouvellerait pas l’autorisation d’acheminement transfrontalier de l’aide humanitaire par le point de passage de Bab Al-Hawa, à la frontière turque. Considérant le véto russe actuel au prolongement de l’ouverture de ce point d’accès à l’acheminement de l’aide humanitaire et l’opposition avec la Turquie sur ce sujet, quels sont selon-vous les risques et surtout les conséquences d’une telle fermeture, en particulier pour les forces déployées dans le cadre de l’opération Chammal, et par ailleurs, pensez-vous qu’une solution alternative puisse se dessiner ?

Mme Nathalie Serre. Merci chers collègues pour ce rapport extrêmement précis et intéressant. Comme vous l’avez indiqué, la France est très attendue dans la zone. Mais quelle est la perception des populations vis-à-vis de la France ?

Par ailleurs, vous avez parlé de la menace principale, incarnée par Daech, qui a subi une forte attrition. Pouvez-vous nous parler des liens entre les deux théâtres d’opérations dans lesquels les armées sont déployées que sont la bande sahélo-saharienne et le Levant ? Dans la bande sahélo-saharienne, Daech est extrêmement présent et la situation y est préoccupante.

M. Gwendal Rouillard, rapporteur. Merci M. Gouttefarde pour cette excellente question. Notre réflexion est la suivante : le message principal de notre rapport est de dire que dans le contexte du désengagement relatif américain, si la France entend compter demain et après-demain au Moyen-Orient, si vous me permettez une image digne du Tour de France, elle doit « changer de braquet » ; et changer de braquet, cela signifie conforter ses partenariats stratégiques, mettre davantage de moyens opérationnels, conforter ses moyens militaires, développer une approche et une politique globales – notamment en matière de développement et d’éducation – mais si j’en reviens à l’aspect militaire stricto sensu, elle doit conforter, développer et affirmer la diversité des instruments à sa disposition. C’est là où se situe la discussion sur la DCSD, que nous connaissons en Afrique – M. Gouttefarde l’a rappelé très justement, notamment à travers le réseau des ENVR, que j’ai eu l’occasion de visiter à plusieurs reprises – et d’une certaine manière, le timing est bon parce qu’au moment où nous sommes au Moyen-Orient ensemble, la DCSD réfléchit à sa nouvelle stratégie. Nous avons d’ailleurs échangé en ce sens avec le directeur de la DCSD, le général Thierry Marchand. Nous nous sommes dit que le moment était venu, eu égard à notre volonté de renforcer nos partenariats stratégiques et nos coopérations sécuritaires avec les États évoqués aujourd’hui, « d’orientaliser » davantage la DCSD, qui a parfois souffert de l’image de la Francafrique – je le dis à dessein de cette manière-là. Nous pensons donc aujourd’hui que le moment est venu d’affirmer la place de la DCSD au Moyen-Orient.

M. Gouttefarde nous a interrogé sur les modalités. D’abord, nous avons de l’existant : la DCSD est partenaire en Irak, par exemple pour former des jeunes militaires irakiens. Elle est également présente en Jordanie et au Liban – je vous disais que nous avions eu la chance de visiter l’école régionale de déminage de Beyrouth, qui est un outil performant qui participe de la dynamique libano-libanaise mais aussi du rayonnement de la France au Liban et dans la région. J’en profite d’ailleurs pour exprimer notre volonté de voir le poste de coopérant renouvelé pas seulement l’année qui vient mais les années qui suivront. Nous avons donc déjà des réalités sur lesquelles nous pouvons nous appuyer. Le sujet aujourd’hui est de savoir si l’on peut et si on doit élargir la présence de la DCSD, en complément des autres opérateurs français, comme le Centre de crise et de soutien du MEAE. Nous pensons que oui. Nous allons clairement inscrire cette volonté dans le rapport que nous transmettrons à nos autorités afin d’encourager la dynamique initiée par Thierry Marchand.

Un dernier mot : le modèle des ENVR en Afrique peut être, de notre point de vue, une source d’inspiration. On pourrait le décliner dans différents domaines comme la lutte contre le terrorisme, la lutte contre les cybermenaces, également dans la lutte contre les mines, et dans bien d’autres domaines encore. Évidemment, les ENVR ne sont qu’une source d’inspiration parmi d’autres, mais le sujet mérite clairement d’être mis sur la table.

M. Philippe Meyer, rapporteur. Concernant la question de Monsieur le vice-président Charles de la Verpillière, effectivement, la France est attendue plus que jamais - on l’a compris je pense à travers de nos propos – pour notre expertise militaire, pour la qualité de nos troupes présentes sur place, qui sont capables d’apporter un appui fort aux forces irakiennes, qui peuvent bénéficier de notre matériel de qualité. Les pays évoqués sont l’Iran, l’Arabie Saoudite et la Turquie. Concernant la Turquie, elle soutient les Frères musulmans et nous avons pu observer notamment dans la partie kurde de l’Irak des investissements économiques particulièrement importants de sa part. L’influence turque est particulièrement forte là-bas, et la présence de la Turquie est largement liée à la lutte contre le PKK.

Concernant l’Égypte et l’Arabie Saoudite : les deux pays travaillent ensemble dans la lutte contre le terrorisme, et ont, bien sûr, des convergences de vues dans le cadre de cette lutte commune.

Enfin, l’Iran cherche à renforcer ce que l’on appelle l’arc chiite depuis la chute de Saddam Hussein. Les chiites sont majoritaires en Irak, dont une partie qui est proche du régime iranien. Aujourd’hui, la France comme le reste de l’Occident est particulièrement vigilante vis-à-vis de la situation de l’Iran et de la question du développement de son programme nucléaire – qui reste au cœur de toutes les préoccupations.

Ces trois pays, Iran, Turquie et Arabie Saoudite – notamment au travers de ce qu’il se passe le long de sa frontière avec le Yémen – sont donc des acteurs très importants dans la zone du Moyen-Orient.

M. Gwendal Rouillard, rapporteur. Pour répondre à la question de M. Jean-Pierre Cubertafon sur nos capacités de renseignement, rappelons que depuis 2014, nous avons clairement renforcé notre capacité d’autonomie en matière de renseignement. Certes, nous sommes membres de la coalition et nous partageons une partie de notre renseignement avec les Américains. Nous en avons d’ailleurs parlé avec le général Loïc Mizon, détaché auprès du commandement central des États-Unis situé à Tampa en Floride. Pour autant vous savez que la clef est l’appréciation autonome de la situation. C’est cette appréciation autonome qui nous permet, grâce à nos divers capteurs, de vous parler de la reconstruction de Daech, de l’affirmation et du développement des milices chiites dans la région ou sur le développement des trafics de captagon. C’est également ce qui nous permet autant que possible de vous répondre du nord-est syrien. M. Cubertafon a évoqué le retrait des forces conventionnelles françaises. C’est vrai que les militaires déployés dans le cadre de la task force Monsabert et de la task force Narvik, et évidemment nos artilleurs avec leurs canons CAESAR en Irak, qui représentent des dizaines et des dizaines de militaires, sont rentrés à la maison. Mais le sujet qui est aujourd’hui sur la table est justement de permettre la remontée en puissance de la présence militaire française auprès de l’armée conventionnelle irakienne.

J’en profite pour répondre à la question de M. Marilossian sur l’armée irakienne. Dans le cadre de la coalition, nous avons un excellent partenariat avec les forces spéciales irakiennes. Nous avons eu un excellent partenariat avec les forces conventionnelles irakiennes. L’idée, qui est exprimée très clairement, est de « remettre du militaire français sur zone » pour participer à la formation de l’armée irakienne conventionnelle, dont nous jugeons les résultats positifs. Certes, le processus sera long mais je me permets de rappeler que l’armée irakienne représente un million de soldats. Nous avons donc du travail. On ne jouera pas sur ces volumes-là, nous préférons nous concentrer sur le haut du spectre et le combat de haute intensité. Nous sommes attendus et les résultats sont positifs.

M. Philippe Meyer, rapporteur. Concernant la question de Jean-Charles Larsonneur sur les relations franco-turques à l’aune de la situation de la Turquie au Moyen-Orient, et notamment, nous l’évoquions tout à l’heure, la lutte contre le PKK, l’attitude de la France à l’égard de la Turquie est complexe. Nous devons à la fois avoir un dialogue ferme avec la Turquie sur un certain nombre de sujets qui nous lient, et en même temps, nous avons besoin de s’entendre avec ce pays pour lutter contre le terrorisme. L’équilibre est complexe à l’image des échanges, disons virils, que l’on a pu entendre entre le Président Recep Tayyip Erdogan et le Président Emmanuel Macron. C’est un pays avec lequel la France et ses alliés ont besoin de collaborer, mais vis-à-vis duquel nous devons garder une vigilance tout à fait particulière.

Concernant la question de Nathalie Serre sur la perception de la présence française par les populations en Irak, en effet, cette présence est accueillie plutôt positivement. Il n’y a pas d’hostilité à l’égard de nos troupes mais lorsque nous discutons avec les autorités de ces pays, et notamment dans la perspective des élections législatives d’octobre prochain, l’objectif est toujours de permettre à l’Irak de redevenir un État autonome et souverain en se passant de l’aide étrangère. Dans le cadre de ces élections, et depuis l’assassinat du général Qassem Soleimani, les autorités civiles irakiennes en appellent au départ des troupes occidentales de l’Irak.

M. Gwendal Rouillard, rapporteur. Pour compléter la réponse de mon collègue rapporteur sur la Turquie, quand on essaye de comprendre ce qu’il se passe à Idleb en termes de diversité des groupes djihadistes, on peut facilement s’y perdre. Le premier groupe dont on nous parle régulièrement est le groupe Hayat Tahrir al-Cham, dirigé par Abou Mohammed al-Joulani, ancien d’Al Qaïda, qui dit aujourd’hui ne plus appartenir à ce groupe. Deuxièmement, al-Joulani contribue au fait qu’Al Qaïda « version Afghanistan » ne se développe pas trop en Afghanistan. Le groupe Tahrir al-Cham est lié à Ankara mais, par ailleurs, la Turquie est censée être un allié et est membre de l’OTAN. En français, on peut parler, pour qualifier la situation, d’ambiguïté, voire de contradiction. Cela peut finir par poser un problème entre la Turquie, nous et les alliés de l’OTAN. Notre président de la République et notre ministre des Affaires étrangères demandent des éclaircissements au président turc sur ce sujet parmi d’autres ; ce que nous avons résumé en une formule : les mots c’est bien, les actes c’est mieux ; et en particulier concernant la région d’Idleb. Je me permets de livrer ce sentiment assez clair, net et précis me semble-t-il, que l’on partage avec Mme la présidente et mon collègue rapporteur.

Sur la question du captagon, il s’agit d’abord d’un phénomène qui n’est pas nouveau mais qui prend de l’ampleur. Deuxièmement, il y a aujourd’hui une industrie du captagon qui se situe, d’après nos renseignements, au sud de la Syrie et dans la plaine de la Bekaa libanaise. Troisièmement, nous savons que le trafic de captagon finance, dans cet ordre, le régime de Damas, les milices chiites régionales affiliées à Damas, voire à Téhéran, et les mafias régionales plus classiques. C’est un sujet d’importance, à tel point que les forces de police italiennes ont arrêté des cargaisons significatives de captagon en provenance du Moyen-Orient ces derniers mois. Quelle réponse face à tout cela ? L’Office des Nations unies contre les drogues et le crime (ONUDC), Interpol et Europol se mobilisent. Nous avons constaté dans les ambassades, en particulier à Amman et à Beyrouth, combien nos équipes de police et de gendarmerie ainsi que l’ensemble de nos services sont pleinement mobilisés, à la fois dans l’intérêt de la France et de l’Europe, mais aussi dans le cadre de nos partenariats avec les pays concernés. Enfin, ce phénomène a pris une ampleur régionale et a d’ores et déjà des conséquences politiques et pratiques. À titre d’exemple, l’Arabie Saoudite a découvert des pilules de captagon en nombre parmi les fruits et légumes libanais. L’Arabie Saoudite vient d’interdire l’importation de fruits et légumes en provenance du Liban, alors que ce pays, et en particulier ses paysans, souffrent beaucoup. Une manière d’aider les pays de la région est donc de lutter plus que jamais contre les trafics de drogue de manière générale, et en particulier les trafics de captagon, ce qui nécessite un meilleur contrôle des frontières, notamment grâce à l’action de nos ambassades.

M. Philippe Meyer, rapporteur. Concernant l’aide humanitaire dans le nord-est syrien, l’enjeu est évidemment capital car la situation, après des années de conflit, est toujours aussi dramatique et il y a un réel problème d’accès des organisations humanitaires à ce pays. La France continue de soutenir les ONG engagées même si nous n’avons de relations officielles avec le régime syrien. Le travail de ces ONG est d’autant plus remarquable qu’il est incroyablement ardu d’y intervenir.

M. Gwendal Rouillard, rapporteur. Sur la porosité entre la bande sahélo-saharienne et le Moyen-Orient et les interconnexions entre ces deux théâtres de l’action djihadiste, nous avons produit en 2014 un excellent rapport sur l’évolution du dispositif militaire français en Afrique et sur le suivi des opérations en cours au cours duquel nous avons eu la chance de parcourir 15 pays africains et 20 bases militaires françaises. Notre principal constat était le début des connexions entre Al Qaïda et les groupes djihadistes et terroristes au Sahel. Nous avions dressé ce constat en 2014, c’est-à-dire il y a sept ans. Nous y sommes aujourd’hui. Ceux d’entre vous qui se sont rendus au Sahel ont pu notamment constater l’importance des recrutements endogènes par les organisations terroristes transnationales en Afrique. Le processus est le même au Levant : depuis l’Afghanistan, Daech se structure, finance et forme ses combattants. Les cadres sont irakiens, syriens, libanais ou jordaniens, et Daech recrute localement des combattants, comme nous avons pu l’observer avec le recrutement croissant de jeunes libanais désœuvrés. Nous avons non seulement des processus et des objectifs partagés et une diversification des filiales. En 2014, nous parlions de l’« Afriqu’Orient » : nous y sommes aujourd’hui.

Plus que jamais, quand on pense à l’avenir de Barkhane ou de Chammal, nous voyons que nous sommes au milieu du gué dans les deux théâtres. Il faut penser les complémentarités entre les deux théâtres, entre l’Afrique et le Moyen-Orient. Vive la France, qui, comme vous l’aurez compris, est attendue.

M. Philippe Meyer, rapporteur. Je souscris tout à fait à ce dernier propos de mon collègue. Nous remercions l’ensemble des personnes auditionnées dans le cadre de ce travail et nous espérons que les perspectives proposées pourront être reprises dans les semaines et dans les mois à venir.

Mme la présidente Françoise Dumas. En guise de conclusion, je souhaiterais dire que, premièrement, nous avons pris plaisir à travailler ensemble. Deuxièmement, nous avons pu appréhender la complexité du sujet, même si nous n’en avons pas fait le tour. Troisièmement, nous avons pu mieux mesurer la place et l’implication de nos armées mais aussi de nos diplomates sur cette zone. Enfin, nous avons pu réaliser à quel point les deux théâtres, en bande sahélo-saharienne et au Moyen-Orient, ne peuvent pas être séparés. Ces théâtres paraissent très éloignés mais ils répondent aux mêmes dynamiques et à une même logique : la lutte contre le terrorisme, qui se déploie avec des modes d’actions similaires. Il ne faut pas oublier que les attentats commis en France ont été commandités depuis ces différents lieux. Plus que jamais, nous avons à rééquilibrer – toujours de manière temporaire – notre place et nos forces armées sur l’ensemble de ces théâtres, de manière à ne pas les surexposer, de faciliter aussi ce niveau d’implication et de partenariats. Il y a une très forte attente de beaucoup de pays du Moyen-Orient vis-à-vis de la France. Cela ne signifie pas que nous ne sommes pas également attendus dans le cadre du multilatéralisme, comme dans le cadre de l’OTAN, et que nous ne continuerons pas ce type de partenariats avec nos alliés, mais nous sommes fortement attendus également sur le plan bilatérale, grâce à nos actions plus ciblées vis-à-vis de certains pays, en termes de formation, de savoir-faire et d’anticipation. Nous avons une place singulière et nous devons la poursuivre, ce qui veut implique de se déployer aux bons endroits, avec les bonnes forces armées et avec nos pays alliés.

Je suis très fière du travail que nous avons mené. J’espère que cette mission sera utile à l’opinion publique ainsi qu’à nos militaires, mais également aux services les plus discrets qui sont très présents et aux personnels des ambassades, dont je salue le travail essentiel dans cette région du monde. Tous les aspects de notre action, la culture, l’archéologie, l’éducation, la francophonie, ont une place fondamentale. Tous ces aspects sont précieux, notamment pour l’image de notre pays et de la place si singulière qu’elle occupe au Moyen-Orient. Nous devons poursuivre, de la manière la plus adaptée, et peut-être plus équilibrée, ces efforts de nos armées – peut-être un peu moins à Barkhane et un peu plus à Chammal actuellement – vis-à-vis des pays qui en ont le plus besoin, notamment le Liban, qui est dans une souffrance extraordinaire mais qui pourrait être aussi victime d’un certain nombre d’incuries.

Je remercie à nouveau les rapporteurs pour leur travail. Nous garderons longtemps en mémoire ces travaux.

La commission de la Défense nationale et des forces armées autorise à l’unanimité le dépôt du rapport d’information sur la stabilité au Moyen-Orient dans la perspective de l’après Chammal en vue de sa publication.


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   annexe 1 : la base aérienne projetée h5 au Levant

 

Ouverte en novembre 2014, la BAP H5 avait pour but d’appuyer les opérations menées par la coalition contre Daech au Levant. Intégrée au dispositif de l’opération Inherent Resolve, la BAP comprend actuellement 300 militaires, très majoritairement issus de l’armée de l’Air et de l’Espace. Elle arme aujourd’hui quatre Rafale employés pour des missions d’appui des troupes au sol, de protection de l’espace aérien de la coalition et de renseignement.

Son implantation se justifie à la fois par sa proximité avec les théâtres d’opération mais également par son rôle essentiel de plateforme logistique dans le cadre de l’opération Chammal. En effet, la menée d’opérations avec des avions qui décolleraient de la BA 104 aux Émirats arabes unis entrainerait une augmentation de la consommation de carburant pénalisante pour les armées. Dans le cadre de la coalition, l’approvisionnement des avions nécessite trois heures. Or, grâce à l’implantation de la BAP H5, les missions ne durent que 4h30, alors qu’elles dureraient 7h30 pour assurer le créneau de trois heures pour des avions décollant de la BA 104 aux Émirats arabes unis. Par ailleurs, la BAP H5 peut également servir de lieu de stockage pour la logistique, permet de franchir rapidement la frontière terrestre avec l’Irak et sert de point d’appui pour l’acheminement du matériel vers la BA de Djibouti.

Ainsi, même si la BAP H5 dépend des opérations menées dans le cadre de l’opération Inherent Resolve, elle a démontré tout son intérêt stratégique au-delà de ces missions. Elle constitue en effet un point d’appui logistique important, un élément décision de l’appréciation autonome de situation et un balcon sur les crises environnantes (Méditerranée orientale, Syrie, Irak, Liban, Israël). Elle donne également une profondeur stratégique évidente vis-à-vis du Golfe arabo-persique. En outre, l’investissement au profit de la BAP a déjà été consenti et son coût de fonctionnement demeure peu élevé, en particulier au regard des avantages qu’elle fournit et du coût qui serait induit par sa non-existence. Enfin, pour la Jordanie, la BAP est un signal de confiance et d’amitié fort vis-à-vis de la France.


   annexe 2 : la task force narvik

 

La task force Narvik a pris part à la formation de soldats irakiens du service de contre-terrorisme irakien (Iraqi Counter Terrorism Service, ICTS). Le détachement français a dispensé une instruction spécialisée, adaptée aux besoins des forces irakiennes, utiles et immédiatement exploitables dans les combats que les Irakiens mènent contre Daech : combat en zone urbaine, combat d’infanterie, lutte contre les EEI et sauvetage au combat.

Les soldats de l’ICTS ont été en première ligne dans le combat contre Daech pour la libération du territoire irakien. L’ICTS s’est illustré lors de nombreuses missions d’envergure menées contre Daech et fait preuve d’un engagement et d’une efficacité sans relâche, salués par les forces de la coalition.

À chaque mandat de 4 mois, la task force Narvik formait entre 300 et 1 300 soldats. Les derniers mandats ont porté sur la formation d’instructeurs, contribuant à fournir un vivier d’instructeurs irakiens pour pérenniser les savoir-faire.

La formation s’adaptait en permanence en fonction du retour d’expérience fourni par les militaires irakiens engagés dans les zones de combat. Afin de délivrer des enseignements toujours plus efficaces et adaptés aux forces irakiennes de l’ICTS, les soldats français ont mis en place quatre structures :

– une infrastructure de fouille opérationnelle, basée sur les retours d’expérience ;

– une salle d’instruction dédiée à la lutte contre les EEI

– une salle « piégée » pour effectuer des mises en situation

– et un espace d’entrainement pédagogique

La task force Narvik a été dissoute le 20 janvier 2020. Elle a permis la formation de 13 800 militaires irakiens, dont 9 500 soldats, 400 instructeurs et 3 900 soldats perfectionnés.


   annexe 3 : la task force monsabert

 

Dans le cadre du programme de la coalition Advise and Assist, les militaires français de la task force Monsabert ont conseillé les cadres de la 6e division d’infanterie irakienne ainsi que l’École d’artillerie irakienne.

À chaque mandat de 4 mois, la task force Monsabert a formé entre 100 et 300 instructeurs et réalisé du coaching individuel au profit de près de 20 formateurs. La formation dispensée visait à améliorer les compétences existantes par des conseils et des stages dans les domaines des opérations, du renseignement, de la logistique, des transmissions, de la santé ou du combat d’infanterie. Ils visaient également à former des instructeurs irakiens pouvant à leur tour diffuser ces savoir-faire au sein des bataillons de la division.

Pour répondre aux besoins de ses partenaires irakiens, la task force Monsabert a mis en place des cycles d’évaluation des savoir-faire fondamentaux des soldats de la 6e division. En avril 2019, plus de 4 000 soldats irakiens avaient déjà été passés au crible, permettant aux experts de la task force et au commandement de la 6e division de disposer d’une appréciation globale du niveau des différents régiments.

À la suite de la crise de la Covid-19, mais aussi au regard du niveau atteint par la 6e division, et en accord avec la coalition et le gouvernement irakien, la task force Monsabert a mis fin à ses actions de formation et son personnel a quitté l’Irak fin mars 2020. Son bilan est de 14 050 militaires irakiens formés, dont 4 400 soldats, 2 200 instructeurs et 850 cadres de l’École d’artillerie. Un village de combat a été également construit et 6 600 soldats ont été évalués.


   annexe 4 : texte de la résolution adoptée par l’assemblee nationale le 2 décembre 2014 portant sur la reconnaissance de l’état de Palestine

 

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34-1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement,

Affirme sa volonté de concourir à l’effort international de paix au Proche-Orient ;

Constatant la volonté des peuples israélien et palestinien de vivre en paix et en sécurité ;

Constatant l’échec des tentatives de relance du processus de paix engagées depuis 1991 entre Israéliens et Palestiniens par la communauté internationale ;

Constatant les menaces pesant sur la solution des deux États, et notamment la poursuite illégale de la colonisation dans les territoires palestiniens qui mine la viabilité même d’un État palestinien, malgré les capacités institutionnelles dont s’est dotée l’Autorité palestinienne et la reconnaissance que lui a accordée l’Assemblée générale des Nations Unies ;

Constatant la montée des tensions à Jérusalem et en Cisjordanie, qui menace d’engendrer un nouveau cycle de violence néfaste pour l’ensemble des populations de la région ;

1. Souligne que le statu quo est intenable et dangereux car il nourrit les frustrations et la défiance croissante entre les deux parties ;

2. Souligne l’impératif d’une reprise rapide des négociations entre les parties selon des paramètres clairs et un calendrier déterminé ;

3. Affirme l’urgente nécessité d’aboutir à un règlement définitif du conflit permettant l’établissement d’un État démocratique et souverain de Palestine en paix et en sécurité aux côtés d’Israël, sur la base des lignes de 1967, avec Jérusalem pour capitale de ces deux États, et fondé sur une reconnaissance mutuelle ;

4. Affirme que la solution des deux États, promue avec constance par la France et l’Union européenne, suppose la reconnaissance de l’État de Palestine aux côtés de celui d’Israël ;

5. Invite le Gouvernement français à reconnaître l’État de Palestine en vue d’obtenir un règlement définitif du conflit.


   annexe 5 : l’Institut français d’archeologie orientale

 

L’Institut français d’archéologique orientale (IFAO) appartient au réseau des Écoles françaises à l’étranger, sous la tutelle du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (MESRI). Fondé en 1880, l’IFAO a pour mission d’étudier les civilisations qui se sont succédé en Égypte depuis la Préhistoire jusqu’à l’époque contemporaine, par l’archéologie, l’histoire et la philologie. Depuis bientôt 140 ans, l’IFAO est au cœur de l’aventure archéologique en Égypte et ses chercheurs, français, égyptiens et étrangers, œuvrent à la connaissance et à la préservation du patrimoine égyptien. Le Palais Mounira, siège de l’IFAO depuis 1907, a appartenu à des membres de la famille khédiviale égyptienne avant d’être acheté par le gouvernement français.

L’IFAO compte six membres scientifiques nommés pour quatre années. Il s’agit de jeunes chercheurs post-doctorants qui conduisent à l’IFAO leur programme de recherche, participent aux chantiers archéologiques et aux activités de l’institut. Deux membres scientifiques à titre étranger peuvent être accueillis pour une durée de deux ans. L’équipe scientifique comprend également trois enseignants-chercheurs égyptiens nommés pour trois ans sur un projet de recherche ainsi que trois chercheurs égyptiens confirmés, professeurs d’université, qui mènent leurs recherches à l’IFAO et interviennent comme experts. Chaque année, plus de 500 chercheurs français ou étrangers participent aux programmes de recherche et aux chantiers archéologiques de l’IFAO. Ils appartiennent majoritairement aux universités françaises et au Centre national de la recherche scientifique (CNRS).

La bibliothèque constitue le cœur de l’institut. Avec près de 92 000 volumes dont 1 050 titres de revues, elle compte parmi les plus importantes au monde dans les domaines de recherche de l’IFAO. Chaque année, plus de 2 000 volumes viennent enrichir les collections. En 2018, elle a été labélisée « Collections d’Excellence » par le MESRI pour ses collections d’égyptologie et de papyrologie.

Le service des archives et des collections de l’IFA gère les fonds documentaires et les collections. Les documents sont de toute nature : carnets de fouilles, photographies, plans, relevés. Une cartothèque d’environ 4 000 cartes géographiques complète le fonds documentaire. Les collections comprennent un très grand nombre d’ostraca, papyrus et autres objets, issus de partages de fouilles, à l’époque où cela se pratiquait.

L’IFAO s’est également doté d’un pôle d’archéométrie qui regroupe les moyens d’analyse en laboratoire appliqués à l’archéologie : un laboratoire d’étude des matériaux et un laboratoire de datation par le radiocarbone. Inauguré en 2006 et à ce jour le seul opérationnel en Égypte, ce dernier entend répondre aux besoins de toute la communauté archéologique sur le territoire égyptien.


   annexe 6 : Auditions et deplacements de la mission d’information

 

1.   Auditions

  M. Stéphane Lacroix, professeur associé et chercheur au Centre de recherches internationales de Sciences Po (Sciences Po/CERI) ;

  S.E.M. Stéphane Romatet, ambassadeur de France en Égypte ;

  M. Jean-Paul Chagnollaud, professeur émérite des universités en science politique et président de l’Institut de recherche et d’études Méditerranée/Moyen-Orient (iReMMO) ;

  S.E.M. Ludovic Pouille, ambassadeur de France en Arabie Saoudite ;

  M. Pierre-Jean Luizard, historien, directeur de recherches au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ;

  M. Georges Malbrunot, journaliste, spécialiste du Moyen-Orient ;

  S.E.M. Jean-Marie Safa, ambassadeur de France au Yémen ;

  Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères – M. Manuel Lafont Rapnouil, directeur du Centre d’analyse, de prévision et de stratégie (CAPS) ;

  Mme Amélie Myriam Chelly, sociologue, chercheure associée au Centre d’analyse et d’intervention sociologiques (CADIS) (École des hautes études en sciences sociales (EHESS)/Centre national de la recherche scientifique (CNRS)) ;

  M. Bernard Hourcade, géographe, directeur de recherche émérite au Centre de recherche sur le monde iranien/Centre national de la recherche scientifique (CeRMI/CNRS) ;

  M. le général de brigade Jean-Pierre Fagué, chef d’état-major de la FINUL ;

  État-major des armées – M. le général de brigade aérienne Thierry Garreta, adjoint en charge de la conduite des opérations au sein du CPCO ;

  Commandement central des États-Unis – M. le général de brigade Loïc Mizon, chef de la mission militaire de liaison auprès de Tampa ;

  S.E.Mme Anne Grillo, ambassadrice de France au Liban ;

  Commandement des opérations spéciales (COS) – Représentant du Centre de planification et de conduite des opérations spéciales (CPCOS) ;

  Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) – Représentant de la DGSE ;

  Direction du renseignement militaire (DRM) – Représentant de la DRM.

2.   Déplacements

● Émirats arabes unis – du 18 au 21 mai 2021 :

– Entretien avec le Dr. Ali Rashid Al Nuaimi, directeur du centre Hedayah, plateforme multinationale regroupant des experts du contre-message radical, de la formation à la tolérance œcuménique et de la réhabilitation des extrémistes repentis ;

– Entretien avec le Dr. Ali Rashid Al Nuaimi, président du Conseil national fédéral (CNF) ;

– Échange avec l’état-major des FFEAU, présentation du Centre opérationnel interarmées de commandement (Joint Operational Command, JOC) et réunion de travail avec le contre-amiral (CA) Jacques Fayard, commandant des FFEAU et de la zone maritime océan Indien (COMFOR FFEAU – ALINDIEN) ;

– Visite de la BA 104 d’Al Dhafra et échange avec le colonel Yannick Desbois, commandant de la base ;

– Entretien avec S.E. Matar Salem Ali Al Dhaheri, sous-secrétaire d’État chargé de la Défense ;

– Entretien avec S.E.M. Khalifa Shaheen Almarar, secrétaire d’État chargé des Affaires étrangères ;

– Visite du 5e Régiment de cuirassiers (5e RC) et échange avec le colonel Gauthier Saint-Guilhem, chef de corps ;

– Entretien au centre Sawab, centre américano-émirien de lutte contre la propagande de Daech en ligne ;

– Échange avec S.E.M. Xavier Chatel, ambassadeur de France aux Émirats arabes unis ;

– Visite du Louvre Abu Dhabi.

 

 

● Irak  du 21 au 25 mai 2021 :

– Entretien avec S.E.M. Bruno Aubert, ambassadeur de France en Irak, M. le général de brigade aérienne Dominique Tardif, représentant principal de la France auprès du commandement interalliés et interarmées de l’opération Inherent Resolve, M. le colonel Laurent Fromaget, attaché de défense à l’ambassade de France en Irak, et M. l’ingénieur en chef Fouad El-Khatib, attaché de défense adjoint à l’ambassade de France en Irak ;

– Entretien avec M. Qassem Al-Araji, conseiller à la sécurité nationale ;

– Entretien avec le général Jamel Al-Shimari, chef du Joint Operations Command Iraq (JOC-I) ;

– Entretien avec le général Ryan Rideout, chef du Military Advisory Group (MAG) ;

– Entretien avec le général Michaël Lollesgaard, commandant de la mission de l’OTAN en Irak (NATO Mission in Iraq, NMI) ;

– Entretien avec le général Paul Calvert, commandant de la coalition, et avec le général Richard Bell, adjoint du commandant de la coalition ;

– Entretien avec M. Mohammed Al-Halboussi, président du Parlement irakien ;

– Entretien avec des membres de la commission chargée des Finances puis avec des membres de la commission chargée de la Défense au sein du Parlement irakien ;

– Entretien avec le général Abdel Amir Rachid Yarallah, chef d’état-major de l’armée irakienne ;

– Entretien avec M. Juma Inad, ministre de la Défense irakien ;

– Entretien avec le général Abdelwahab Al-Saadi, commandant du service de contre-terrorisme irakien (Iraqi Counter-Terrorism Service, ICTS) ;

– Entretien avec le Cheikh Jaffar, vice-Président de la Région autonome du Kurdistan et commandant de la Force 70 des Peshmerga ;

– Rencontre avec les Peshmerga ;

– Entretien avec M. Netchirvan Barzani, Président de la Région autonome du Kurdistan ;

– Entretien avec M. Masrour Barzani, Premier ministre du Gouvernent régional du Kurdistan ;

– Entretien avec la Dr. Rewaz Faiq Hussein, Présidente du Parlement du Kurdistan.

● Jordanie  du 25 au 29 mai 2021 :

– Entretien avec S.E.Mme Véronique Vouland, ambassadrice de France en Jordanie et M. le capitaine de frégate Laurent Séguier, attaché de défense à l’ambassade de France en Jordanie ;

– Entretien avec M. le général Youssef Al Huneiti, chef d’état-major des armées ;

– Entretien avec M. Ayman Al-Safadi, ministre chargé des Affaires étrangères et des Expatriés ;

– Échange avec des parlementaires jordaniens ;

– Entretien avec la mission de défense de l’ambassade de France en Jordanie sur les enjeux de défense et de coopération ;

– Entretien avec la cheffe du service économique de l’ambassade et des représentants français du secteur économique ;

– Entretien avec l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees in the Near East, UNRWA) et visite d’un camp de réfugiés ;

– Visite de la BAP H5.

● Égypte – du 6 au 10 juin 2021 :

– Visite des chantiers de Naval Group puis entretien avec M. le vice-amiral Ahmed Khaled, chef d’état-major de la marine égyptienne ;

– Visite du centre culturel jésuite d’Alexandrie ;

– Visite du monastère Saint-Bishoy de Wadi El Natroun ;

– Entretien avec S.E.M. Stéphane Romatet, ambassadeur de France en Égypte ;

– Entretien avec M. Hamdi Loza, vice-ministre des Affaires étrangères ;

– Entretien avec des industriels de l’armement ;

– Entretien avec M. le général Khaled Okasha, directeur du Centre égyptien d’études stratégiques (Egyptian Center for Strategic Studies, ECSS) ;

– Entretien avec des parlementaires égyptiens ;

– Entretien avec M. le vice-ministre de la Défense en charge des relations internationales ;

– Entretien avec le pape Tawadros II ;

– Entretien avec M. Hanafi Ali Gibali, président de la Chambre des représentants ;

– Entretien avec M. le directeur de cabinet du secrétaire général de la Ligue arabe ;

– Entretien avec des représentants de l’Organisation non gouvernementale (ONG) Egyptian Initiative for Personal Rights (EIPR).

● Liban – du 14 au 16 juin 2021 :

– Entretien avec S.E.Mme Anne Grillo, ambassadrice de France au Liban ;

– Entretien avec M. le général de corps d’armée Joseph Aoun, commandant-en-chef des FAL ;

– Entretien avec le général de division Imad Othman, directeur des FSI ;

– Échanges et visites avec les unités FAL et FSI ;

– Entretien avec M. Nassif Hitti, ancien ministre des Affaires étrangères libanais et ancien diplomate à la Ligue arabe ;

– Entretien avec M. le général Jean-Pierre Fagué, chef d’état-major de la FINUL puis échanges avec les armées déployées sur le terrain ;

– Visite de l’ERDHL.

 


   annexe 7 : liste des acronymes

 

– AQPA : Al Qaïda dans la Péninsule arabique

– AFD : Agence française de développement

– BA : base aérienne

– BAP : base aérienne projetée

– BN : base navale

– CAOC : Centre de commandement interallié pour les opérations aériennes

– CCEAG : Conseil de coopération des États du Golfe

– CNRS : Centre national de la recherche scientifique

– COMFOR FFEAU : commandement des Forces françaises aux Émirats arabes unis

– COS : commandement des opérations spéciales

– CPCO : centre de planification et de conduite des opérations

– CPCOS : centre de planification et de conduite des opérations spéciales

– CPL : Courant patriotique libre

– CSFA : Conseil suprême des forces armées

– CSNU : Conseil de sécurité des Nations unies

– CTF : Combined Task Force

– CTS : Conseil de transition du Sud

– DCI : Défense conseil international

– DCSD : direction de la coopération de sécurité et de défense

– EMASoH : European Maritime Awareness in the Strait of Hormuz

– ENVR : Écoles Nationales à Vocation Régionale

– ERDHL : École régionale de déminage humanitaire au Liban

– EUAM : European Union Advisory Mission in Iraq

– FAL : forces armées libanaises

– FCR : Force Commander Reserve

– FDS : forces démocratiques syriennes

– FFEAU : Forces françaises aux Émirats arabes unis

– FINUL : Force intérimaire des Nations unies au Liban

– FMI : Fonds monétaire international

– FREMM : frégate multi-missions

– FSI : forces de sécurité intérieure

– FSI : forces de sécurité irakiennes

– GAN : groupe aéronaval

– GIGN : Groupe d’intervention de la Gendarmerie nationale

– GPD : groupe de plongeurs-démineurs

– GT : groupement terre

– HCR : Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés

– HTC : Hayat Tahrir Al-Cham

– ICTS : Iraqi Counter Terrorism Service

– IDF : Israel Defence Forces

– IFAO : Institut français d’archéologie orientale

– IMSC : International Maritime Awareness Construct

– JOC-I : Joint Operations Command of Iraq

– JOCAT : Joint Operational Command Advisory Team

– JTAC : Joint Terminal Attack Controllers

– MAG : Military Advisory Group

– MEAE : ministère de l’Europe et des Affaires étrangères

– MESRI : ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation

– MINUK : Mission d’administration intérimaire des Nations unies au Kosovo

– MINUSMA : Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali

– MONUSCO : Mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo

– MTF : Maritime Task Force

– MoU : memorandum of understanding

– NMI : NATO Mission in Iraq

– NRBC : nucléaire, radiologique, biologique et chimique

– OCAT : Operational Command Advisor Team

– OGL : Observer Group Lebanon

– OIF : Organisation internationale de la francophonie

– OIM : Organisation internationale pour les migrations

– OLP : Organisation de libération de la Palestine

– OMP : opération de maintien de la paix

– ONU : Organisation des Nations unies

– ONUST : Organisme des Nations Unies chargé de la surveillance de la Trêve

– OPEX : opération extérieure

– PFUE : présidence française de l’Union européenne

– PHA : porte-hélicoptères amphibie

– PJD : Parti de la justice et du développement

– PMF : Popular Mobilization Forces

– PKK : Parti des travailleurs du Kurdistan

– QIP : Quick Impact Projects

– RC : régiment de cuirassiers

– REG : régiment étranger de génie

– RGP : régiment de génie parachutiste

– RT : régiment du train

– SHOM : service hydrographique et océanographique de la Marine nationale

– TN : territoire national

– UE : Union européenne

– UNSCOL : United Nations Special Coordinator for Lebanon

– US CENTCOM : United States Central Command

– USAID : United States Agency for International Development

– ZMOI : zone maritime de l’océan Indien