N° 4392
______
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUINZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 juillet 2021.
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l’article 145 du Règlement
PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES
sur la production laitière (hors AOP) en zone de montagne
ET PRÉSENTÉ PAR
Mme Pascale Boyer et M. Jean-Pierre Vigier,
Députés
——
— 1 —
SOMMAIRE
___
Pages
a. Un secteur essentiel à la vie économique et sociale des territoires de montagne
b. Un élevage vertueux et respectueux de l’environnement
c. Des produits qui répondent aux attentes des consommateurs
3. Une filière aujourd’hui menacée
b. Valoriser le lait de montagne
c. Renforcer l’attractivité des métiers de la filière laitière de montagne
A. État des lieux de la filiÈre laitiÈre en zone de montagne
1. L’amont agricole : une déprise amorcée dans la plupart des massifs
a. Le lait de vache : une situation inquiétante
b. Le lait de brebis : des contraintes fortes mais une segmentation et une valorisation réussies
1. Des surcoûts de production et de collecte qui pèsent lourdement sur la rentabilité de la filière
a. Des surcoûts de production insuffisamment compensés
b. D’importants surcoûts de collecte
a. Un difficile renouvellement des générations au stade de la production
b. Les entreprises de transformation peinent également à recruter
C. Une filiÈre lait de montagne indispensable À la vie de ces territoires
1. Création d’emplois directs et indirects
b. Une filière laitière liée aux autres secteurs économiques de montagne
3. Des paysages « ouverts » maintenus par l’activité de l’élevage laitier
D. Le lait de montagne : une rÉponse aux attentes des consommateurs
1. Un élevage extensif fondé sur un modèle d’exploitations familiales
2. De nombreux services environnementaux
II. structurer la filiÈre, valoriser les produits et les mÉtiers, crÉer un cadre fiscal adaptÉ
A. À moyen et long terme : Structurer et valoriser la filiÈre « lait de montagne »
2. Valorisation du lait de montagne : exemples étrangers
a. Le Tyrol du Sud : une différenciation par la qualité et la structuration de la filière
b. Le lait de montagne en Bavière
3. Des initiatives à encourager et une mention valorisante « produits de montagne » à investir
1. État des négociations de la prochaine politique agricole commune (PAC)
a. L’importance du maintien de l’ICHN
b. Rémunérer les services écosystémiques rendus par l’élevage
b. Renforcer les aides à l’investissement
2. Favoriser l’installation des jeunes et faciliter la transmission des exploitations agricoles
3. Accroître l’attractivité des métiers de l’aval de la filière
4. Garantir la préservation du foncier agricole
5. Faire le lien entre la recherche et le monde agricole
6. De l’importance de la constance des politiques publiques soutenant la filière lait de montagne
Liste des personnes auditionnÉes
— 1 —
1. Une déprise laitière déjà engagée, en particulier dans certaines zones des Alpes, dans les Pyrénées et dans le Massif central
La collecte de lait en zone de montagne s’élevait en 2020 à 5 milliards de litres de lait toutes filières confondues, soit environ 20 % de la collecte de lait sur le territoire national. Comme sur le reste du territoire national, la filière lait de vache est prédominante avec 4,6 milliards de litres de lait collectés en zone de montagne. Les filières lait de brebis et lait de chèvre représentent respectivement 257 millions et 93 millions de litres collectés.
À la suite de la sortie des quotas laitiers (entre 2014 et 2020), la collecte en zone de montagne a diminué d’un peu moins de 5 % en lait de vache alors qu’elle a progressé en lait de brebis (+ 16 %) et lait de chèvre (+ 19 %).
Ce constat cache toutefois des évolutions contrastées selon les massifs. La zone de montagne comptabilisait, en 2020, 14 000 exploitations livrant du lait de vache (28 % des exploitations livrant du lait de vache au niveau national). Ce nombre est en baisse de 21 % depuis 2014. Si des inquiétudes se font jour partout, les massifs de l’est que sont les Vosges, le Jura et une partie des Alpes correspondant à la Savoie et à la Haute-Savoie se distinguent par des modèles de valorisation du lait efficaces, fondés sur la différentiation via des signes officiels de la qualité et de l’origine (SIQO), en particulier des appellations d’origine contrôlées (AOP) et des indications géographiques protégées (IGP). Ainsi, environ 85 % du lait de Savoie et du Jura sont sous SIQO. En revanche, la déprise est à l’œuvre dans les Alpes dans les zones périphériques aux zones de production AOP. Le déclin est très marqué dans les Pyrénées, où la production laitière est traditionnellement faible et où les effectifs de vaches laitières sont en chute libre, avec une baisse entre 2008 et 2017 de 46,3 % du nombre de livreurs ainsi que de 22,5 % des livraisons totales. Enfin, la situation du Massif central, qui concentre 66 % des élevages de montagne et 64 % des volumes livrés, est particulièrement préoccupante. Le massif a connu une forte diminution du nombre de producteurs livrant du lait, de - 34,3 % sur la période 2008-2017. La valorisation du lait y est un problème majeur, puisque seuls 20 à 25 % du lait sont produits sous SIQO.
2. Une filière qui dispose d’atouts majeurs et qui joue un rôle essentiel dans les territoires de montagne
a. Un secteur essentiel à la vie économique et sociale des territoires de montagne
Le Centre national interprofessionnel de l’économie laitière (CNIEL) estime à environ 65 000, au total, le nombre d’emplois dépendant de l’activité de la filière laitière de montagne. Dans des zones rurales et parfois très isolées, elle est ainsi particulièrement pourvoyeuse d’emplois.
La filière « hors SIQO » est également inscrite dans une relation d’interdépendance avec la filière « sous SIQO », en particulier AOP, dont le maintien des tournées de collecte ainsi que des nombreux services à l’élevage dépendent de l’existence d’un maillage territorial suffisamment dense par les exploitations laitières. Elle est également très liée aux autres secteurs économiques des zones de montagne, notamment le secteur touristique.
L’élevage laitier, majoritairement pastoral, contribue, par ailleurs, à l’entretien des paysages de montagne.
b. Un élevage vertueux et respectueux de l’environnement
L’agriculture de montagne se caractérise par des systèmes de productions extensifs, reposant sur une faible utilisation d’intrants et des exploitations plus petites que la moyenne nationale.
L’élevage laitier en montagne rend de nombreux services écosystémiques (SE) : les bêtes, en pâturant, contribuent notamment au maintien des prairies permanentes qui jouent un rôle important de captation du carbone, de régulation des flux d’eau, de réduction de l’érosion, d’enrichissement des sols en matières organiques (MO) et de maintien, voire d’accroissement de la biodiversité.
c. Des produits qui répondent aux attentes des consommateurs
Les produits laitiers de montagne offrent une réponse aux attentes contemporaines des consommateurs en matière de qualité, d’authenticité, de typicité, de traçabilité et de respect du bien-être animal.
3. Une filière aujourd’hui menacée
La pérennité de la filière est cependant menacée. Elle est notamment confrontée aux difficultés suivantes :
– L’insuffisante valorisation du lait « hors AOP » mis en concurrence avec le lait produit en plaine dans des conditions moins contraignantes ;
– Les coûts de production supérieurs en zones de montagne par rapport aux systèmes d’élevage laitier en plaine. Ces coûts de production, atteignent en moyenne 610 € les mille litres dans le Massif central et 778 € les mille litres dans les massifs de l’est, dépassant même, pour certaines exploitations du Beaufortin, 1 000 € les mille litres ;
– Les surcoûts de collecte sont également importants et pèsent sur les entreprises de transformation. Ces surcoûts sont estimés à 10 à 15 €/1 000 litres entre régions de plaine et de montagne. Dans certaines zones de montagne particulièrement difficiles, ces surcoûts peuvent atteindre 45 € à 50 €/1 000 litres ;
– Un manque d’attractivité des métiers, qui rend incertain le renouvellement des générations au stade de la production et difficile le recrutement de la main d’œuvre au stade de la transformation ;
4. Agir pour structurer la filière, valoriser les produits et les métiers et créer un cadre fiscal adapté
a. À court terme, créer un cadre fiscal et réglementaire adapté et renforcer les aides publiques aux investissements
Afin d’éviter une accélération de la déprise laitière, les rapporteurs préconisent la mise en œuvre sur le modèle des dispositions d’exonérations fiscales et sociales existant dans les zones de revitalisation rurale (ZRR), d’un cadre fiscal et règlementaire spécifique à la filière laitière en zone de montagne. Ce dispositif devrait être complété par des aides publiques à l’investissement agricole et industriel dans la filière laitière en zone de montagne (proposition n° 6). Il semble également nécessaire, à plus long terme, d’envisager la rémunération des services écosystémiques rendus par l’élevage de montagne (proposition n° 4). Une réflexion européenne sur les règles encadrant les aides dites « de minimis » paraît, par ailleurs, nécessaire. En montagne, en effet, les grands groupes jouent un rôle important et complémentaire avec les transformateurs de plus petite taille (TPE ou PME). Il s’agit d’un véritable écosystème fondé sur l’interdépendance. Le risque est réel de voir certains grands groupes quitter les zones de montagne parce que le différentiel du coût de collecte avec la plaine est trop important (proposition n° 7). Les rapporteurs appellent, enfin, à la prise rapide du décret d’application permettant la mise en œuvre de l’exonération de TICPE pour les véhicules utilisés pour la collecte de lait en montagne votée dans le cadre de la loi n° 2016-1888 du 28 décembre 2016 de modernisation, de développement et de protection des territoires de montagne (proposition n° 5). Ils se réjouissent, enfin, du maintien du montant des indemnités compensatoires de handicaps naturels (ICHN), annoncées par le ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Ce maintien était absolument indispensable et une revalorisation des ICHN pourrait être souhaitable (proposition n° 3).
b. Valoriser le lait de montagne
À moyen et long terme, l’enjeu majeur est celui de la valorisation du lait de montagne hors AOP. Inspirés par les initiatives étrangères (Bavière, Tyrol du Sud, Roumanie) et les expériences françaises (marque Mont Lait, notamment), les rapporteurs préconisent d’accélérer et d’amplifier la démarche initiée en Auvergne-Rhône-Alpes pour la mise en place d’une « marque ombrelle » destinée à valoriser les produits laitiers issus des zones de montagne (proposition n° 1). Celle-ci pourrait s’inscrire dans le cadre de la mention valorisante européenne « produit de montagne », qu’il conviendrait d’intégrer au sein de la liste des produits durables et de qualité devant représenter 50 % des approvisionnements de la restauration collective à compter du 1er janvier 2022 aux termes de l’article 24 de la loi dite « EGALIM ». Les produits laitiers de montagne pourraient également faire l’objet d’une « spécialité traditionnelle garantie » (STG) reconnue au niveau européen (proposition n° 2).
c. Renforcer l’attractivité des métiers de la filière laitière de montagne
Les rapporteurs estiment nécessaire de travailler à une amélioration globale des conditions de vie et de travail en zone de montagne, en accélérant le déploiement de la couverture numérique notamment (proposition n° 8).
La question du renouvellement des générations est intrinsèquement liée à celle de la transmission et de l’installation. Il pourrait être envisagée la réhabilitation d’un Observatoire national de l’installation et de la transmission (ONIT) qui permettrait d’avoir une connaissance plus fine de la situation au niveau local et national. La création d’un guichet unique qui garantirait une meilleure coordination des porteurs de projets en réunissant les parties prenantes à l’installation et à la transmission est également une proposition portée par les rapporteurs (proposition n° 9). Il est, en outre, nécessaire de mobiliser tous les leviers à la disposition des pouvoirs publics pour garantir la préservation du foncier agricole et de ne pas permettre l’accès des agriculteurs pouvant prétendre à une retraite à taux plein au dispositif de l’ICHN, afin de mettre fin à un phénomène de rétention du foncier (proposition n° 12).
Il paraît également urgent, au niveau national, de déployer une campagne nationale de communication sur les métiers de la filière laitière, de l’amont à l’aval, et sur les formations qui y conduisent (proposition n° 10). Parmi celles-ci, pour répondre au besoin de l’industrie mais aussi à la demande croissante des candidats, il serait opportun d’augmenter le nombre de places dans les écoles nationales d’industries laitières (ENIL), placées sous la tutelle du ministère de l’agriculture et de l’alimentation (MAA) (proposition n° 11).
Enfin les financements publics consacrés à la recherche sur l’élevage pastoral mais aussi les qualités intrinsèques des productions animales qui en sont issues doivent être renforcés afin d’asseoir une meilleure valorisation des produits (proposition n° 13).
— 1 —
65 000 emplois directs et indirects dans des zones rurales parfois très isolées et 20 % de la collecte de lait sur le territoire national : la question de la pérennité de la filière lait de montagne n’est en aucun cas secondaire. Loin de se limiter aux seuls enjeux économiques, elle revêt également une forte dimension patrimoniale – avec des productions laitières, en particulier fromagères, emblématiques des régions de montagne – et contribue à l’entretien des paysages. Elle apporte, enfin, une réponse forte aux attentes des consommateurs, avec des élevages vertueux, extensifs, et respectueux du bien-être animal et rend de nombreux service écosystémiques. Entre tradition et modernité, elle fait ainsi partie inhérente de l’identité des territoires de montagne et en constitue une filière d’avenir.
Malgré ses atouts, la filière lait de montagne et, plus particulièrement la filière « hors AOP », est aujourd’hui menacée.
Les auditions menées par vos Rapporteurs au cours de quatre mois de travaux ont permis d’entendre plus d’une soixantaine de personnes et de dresser un état des lieux précis de la situation, ainsi que des solutions susceptibles de garantir la pérennité de la filière.
Les difficultés, d’une intensité variable, existent dans tous les massifs :
– Les massifs de l’est que sont les Vosges, le Jura et une partie des Alpes correspondant à la Savoie et à la Haute-Savoie se distinguent par des modèles de valorisation du lait efficaces, fondés sur la différentiation via des signes officiels de la qualité et de l’origine (SIQO), en particulier des appellations d’origine contrôlées (AOP) et des indications géographiques protégées (IGP). Environ 85 % du lait de Savoie et du Jura sont ainsi sous SIQO ;
– En revanche, la déprise est à l’œuvre dans une autre partie des Alpes, dans les zones périphériques aux zones de production AOP;
– Le déclin est marqué dans les Pyrénées, où la production laitière est traditionnellement faible et où les effectifs de vaches laitières sont en chute libre, avec une baisse entre 2008 et 2017 de 46,3 % du nombre de livreurs ainsi que de 22,5 % des livraisons totales ;
– Enfin, la situation du Massif central, qui concentre 66 % des élevages de montagne et 64 % des volumes livrés, est particulièrement préoccupante. Le massif a connu une forte diminution du nombre de producteurs livrant du lait, de - 34,3 % sur la période 2008-2017. La valorisation du lait y est un problème majeur, puisque seuls 20 à 25 % du lait sont produits sous SIQO.
Ces difficultés s’expliquent par plusieurs facteurs : l’insuffisante valorisation du lait, mis en concurrence avec la production de plaine ; les surcoûts importants au stade de la production et de la collecte et la faible attractivité des métiers qui rend le renouvellement des générations très incertain.
Pour éviter un point de non-retour, il est essentiel, pour les pouvoirs publics, d’agir vite et d’apporter au secteur un soutien durable. Ce soutien doit permettre, à moyen et long terme, à la filière de s’organiser pour mieux valoriser le lait.
Il importe ainsi, à court terme, de compenser les surcoûts de la filière et de créer un cadre fiscal et réglementaire adapté, pour laisser le temps aux acteurs de s’organiser, en envisageant, par exemple, la mise en place d’un cadre inspiré des dispositifs existant dans les zones de revitalisation rurale (ZRR).
L’enjeu le plus structurant à long terme, cependant, est celui de la valorisation du lait de montagne, en particulier du lait hors SIQO. Cette question appartient aux acteurs mais elle s’inscrit également dans le temps long : les expériences des AOP comme le Comté ou le Beaufort prouvent que la structuration d’une filière et la reconnaissance des produits par le consommateur, qui permet la création de valeur, exigent souvent un travail de plusieurs dizaines d’années. Vos Rapporteurs sont persuadés qu’il existe une place sur le marché français pour une différenciation du lait et des produits laitiers de montagne. Les expériences étrangères – allemandes, roumaines ou italiennes – ainsi que certaines initiatives françaises témoignent de la pertinence de ces démarches, qui répondent à des attentes fortes du consommateur et doivent être encouragées par les pouvoirs publics.
Plus largement, c’est l’environnement général en zone de montagne qui doit être rendu plus attractif, en poursuivant notamment l’amélioration de la couverture numérique et des infrastructures de transports.
La question du renouvellement des générations a également retenu toute l’attention de vos Rapporteurs : la transmission et l’installation aujourd’hui au cœur des enjeux agricoles nationaux, se heurtent à des difficultés accrues en zone de montagne. L’aval de la filière n’est pas épargné : une meilleure connaissance des métiers de la transformation ainsi qu’une augmentation du nombre de places dans les écoles nationales d’industries laitières (ENIL) paraissent aujourd’hui nécessaires.
Un renforcement des financements publics attribués à la recherche consacrée à l’élevage pastoral mais aussi à une meilleure connaissance des qualités intrinsèques des productions animales qui en sont issues permettrait également de mieux valoriser les produits laitiers de la filière de montagne.
Face à de tels enjeux, ce rapport se veut un cri d’alarme : à travers la question de la filière laitière, c’est une partie de la vie sociale, économique mais aussi patrimoniale de nos territoires qui se jouent. Sans l’élevage pastoral et sans la transformation industrielle et fermière, sans les fromages qui sont un élément de leur identité, sans les troupeaux qui permettent de conserver des paysages ouverts, c’est une part importante de l’âme de nos montagnes que nous allons perdre.
Vos Rapporteurs présenteront donc leurs conclusions au ministre de l’agriculture à la rentrée prochaine lors du congrès de l’Association nationale des élus de la montagne (ANEM), qui alerte depuis des années sur cet enjeu.
Le temps est à l’action sur cet enjeu dont dépend de l’avenir de nos territoires.
— 1 —
I. La filiÈre lait de montagne, qui dispose d’atouts majeurs, est aujourd’hui confrontÉe À des difficultÉs graves
A. État des lieux de la filiÈre laitiÈre en zone de montagne
1. L’amont agricole : une déprise amorcée dans la plupart des massifs
a. Le lait de vache : une situation inquiétante
La filière lait de montagne, qui se déploie sur cinq massifs (Alpes, Massif central, Jura, Pyrénées et Vosges), représentait, en 2020, près de 19,5 % de la collecte laitière totale en lait de vache sur le territoire national (contre 19,9 % en 2014), soit près de 4,66 milliards de litres de lait collectés ([1]). La collecte en lait de vache a ainsi baissé depuis 2014 de près de 4,6 % en zone de montagne
– contre - 1,9 % hors massifs montagneux.
Les exploitations bovines laitières localisées en montagne représentent près de 28 % des livreurs de lait de vache en France, ce qui correspond à près de 14 000 livreurs recensés en zone de montagne en 2020 sur les 49 300 livreurs que compte la France. En zone de montagne, le nombre d’exploitations est en baisse de 21,2 % par rapport à 2014, une dynamique comparable à celle constatée chez les livreurs hors massifs montagneux (- 22,7 %).
Production et nombre d’exploitations dans les cinq massifs français
|
Exploitations |
Livraisons |
Massif central |
8 700 |
2,1 milliards de litres |
Jura |
1 900 |
560 millions de litres |
Alpes |
1 900 |
410 millions de litres |
Vosges |
360 |
80 millions de litres |
Pyrénées |
360 |
80 millions de litres |
Source : fichier quotas 2015, tableau transmis par l’Institut de l’élevage (IDELE)
La filière crée, selon les estimations transmises par le Centre national interprofessionnel de l’économie laitière (CNIEL), 65 000 emplois directs et indirects sur l’ensemble des cinq massifs.
La situation et les dynamiques à l’œuvre doivent être distinguées en fonction des massifs : si les Pyrénées connaissent une activité en perte de vitesse avec une collecte en forte baisse au cours des quinze dernières années, dans les autres massifs, les volumes collectés tendent à se maintenir, voire à augmenter sur la même période (figure 1).
Figure 1
Le nombre d’exploitations, comme le cheptel laitier (voir figure 2), en revanche, sont en baisse en zone de montagne. Le cheptel laitier décroît particulièrement dans les Pyrénées, dans une moindre mesure dans le Massif central et dans les Vosges, tandis qu’il se maintient dans les Alpes et le Jura.
Figure 2
Dans le Massif central, en particulier, les troupeaux laitiers tendent à diminuer, tandis que les troupeaux allaitants sont en augmentation.
i. Des modèles relativement efficaces, fondés sur la valorisation via des AOP dans les Vosges, le Jura et une partie des Alpes, notamment la Savoie et la Haute-Savoie
Les Vosges, le Jura et une partie des Alpes, correspondant à la Savoie et à la Haute-Savoie, se distinguent par des modèles de valorisation du lait efficaces, fondés sur la différentiation via des signes officiels de la qualité et de l’origine (SIQO), en particulier des appellations d’origine contrôlées (AOP) et des indications géographiques protégées (IGP).
Environ 85 % du lait de Savoie et du Jura est ainsi sous SIQO. Les mesures de fermeture (restauration hors domicile et, lors du premier confinement du printemps 2020, des rayons de fromage à la coupe des supermarchés et des marchés de plein vent) ont eu de graves conséquences sur la filière AOP, privée de débouchés. Les organismes de gestion des AOP ont alors organisé une réduction des volumes mis en marché, ce qui a obligé les éleveurs à prendre des mesures fortes pour réduire les livraisons de lait en pleine période de « pic » de production. Dans un second temps, néanmoins, la consommation de fromages AOP est demeurée soutenue, confortant les prix de vente ([2]).
Carte des AOP (source : CNAOL)
Les revenus des exploitations laitières dans les montagnes de l’est demeurent plus élevés que dans les autres massifs (voir graphique ci-dessous).
Le phénomène de « déprise laitière » y est aussi moins marqué, avec sur la période 2008-2017, une baisse du nombre de livreurs de lait de - 28,4 % dans les Alpes, de - 19,4 % dans le Jura et de - 29,6 % dans les Vosges contre une moyenne de - 31,7 % en zone de montagne. Le volume total des livraisons a aussi augmenté pour ces trois massifs avec une hausse de 8,6 % pour les Alpes, de 17,9 % pour le Jura et de 14,1 % pour les Vosges, contre une hausse moyenne en zone de montagne de 2,8 % (voir tableau ci-après).
Carte des AOP et des IGP en Savoie
Source : Association des fromages traditionnels des Alpes Savoyardes (2016)
ii. Dans les Alpes, des zones périphériques aux zones AOP en difficulté
Les Hautes-Alpes et l’Isère, en revanche, qui se trouvent dans des zones périphériques aux zones AOP, se heurtent à des difficultés comparables à celles que rencontrent les massifs des Pyrénées et du Massif central, décrites ci-dessous.
Le cheptel de bovins laitiers s’élève à 4 700 têtes dans les Hautes-Alpes et 1 051 têtes dans les Alpes-de-Haute-Provence, pour une production de, respectivement, 195 050 et 33 211 hectolitres ([3]).
Focus : la filière laitière Haut-Alpine
Le département des Hautes-Alpes constitue le bassin laitier de la région Provence‑Alpes‑Côte-d’Azur (PACA) avec près de 35,5 millions de litres de lait de vache, brebis et chèvre en 2019, ce qui représente, pour le lait de vache, 73,6 % de la production régionale.
86 exploitations produisent du lait de vache, dont 12 transforment elles-mêmes leur production. L’aval de la filière se compose de grands groupes (Sodiaal, acteur prédominant ; Lactalis et Biolait) ; de laiteries produisant des desserts lactés (Sacré Willy et La Fermière) et de fromageries locales proposant une large gamme de produits (Champsaur ; Ebrard ; CLAS ; Col Bayard ; Château Queyras ; Durance).
La déprise laitière, très marquée depuis trente ans, tend à se stabiliser. Le nombre de producteurs a néanmoins fortement baissé, ainsi que les volumes collectés. L’arrivée de nouveaux opérateurs tend à confirmer la dynamique des autres laiteries présentes sur le territoire, qui souhaitent toutes augmenter les volumes produits. Une tension sur la production laitière est donc susceptible d’apparaître à court terme.
L’installation de nouveaux producteurs est ainsi un enjeu majeur : à l’horizon 2030, les transformateurs rechercheront près de 15 millions de litres de lait en plus à transformer.
Vos Rapporteurs soulignent, dans une telle situation, l’importance de garantir le maintien de plusieurs transformateurs afin d’éviter tout risque de monopole susceptible de créer à terme, pour les producteurs, une dépendance préjudiciable.
La totalité des ateliers interrogés envisagent des changements d’ici les cinq prochaines années, afin d’anticiper au moins cette évolution. Mais pour ce faire, il faut encourager l’installation des jeunes agriculteurs : 15 % des agriculteurs ayant répondu à une enquête menée en juin 2021 auprès des producteurs de lait de vache des Hautes-Alpes par la chambre d’agriculture des Hautes-Alpes ont plus de 55 ans et seuls trois d’entre eux étaient parvenus à trouver un successeur.