N° 4413
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUINZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 2 juillet 2021.
RAPPORT D’INFORMATION
FAIT
au nom de la dÉlÉgation aux outre-MER (1)
sur la réforme de l’indemnité temporaire de retraite (ITR)
PAR
Mme StÉphanie ATGER, M. Philippe DUNOYER et Mme Nicole SANQUER,
Députés
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SOMMAIRE
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Pages
première partie : L’indemnité temporaire de retraite (ITR) est un dispositif en voie d’extinction
I. Une indemnité spécifique à certains outre-mer
A. Une prestation très critiquée
1. Un mécanisme injuste et daté
3. Des conditions de résidence très difficiles à contrôler
B. La notion controversée des centres d’intÉrêts moraux et matÉriels (CIMM)
1. Le contrôle des CIMM suscite incompréhension et rancœur
2. Un sujet d’une très grande sensibilité qui touche à l’intime
3. Une procédure opaque et non contradictoire
II. Une mise en extinction votée en 2008
A. la préservation de la situation des agents déjà retraités
1. Un dispositif adopté en loi de finances rectificative
2. Un plafonnement des ITR octroyées avant le 1er janvier 2009
3. Des conditions plus sévères pour percevoir l’ITR à partir de 2009
B. Une extinction progressive pour les nouveaux retraités
1. Une réforme qui s’échelonne jusqu’en 2028
2. Le nombre de bénéficiaires est désormais stabilisé
3. Un coût en baisse régulière depuis 2009
4. La Polynésie enregistre une forte baisse du coût de l’ITR versée
seconde partie : la nécessité de prendre des mesures transitoires
I. ressentiment et conséquences économiques
A. Le ressentiment se nourrit de plusieurs causes
1. Les promesses de 2008 n’ont pas été tenues
2. L’effet d’aubaine a maintenant disparu
3. Le sentiment de payer pour quelques profiteurs
4. Une communication insuffisante
B. Des paramètres économiques à prendre en compte
1. Un coût de la vie sensiblement plus élevé dans les outre-mer
2. Une retraite moins longue que dans l’hexagone
3. Un déclassement des agents de l’État qui n’est pas acceptable
4. Le rôle essentiel des retraités dans l’économie locale
II. Des conséquences humaines douloureuses
A. La plupart des fonctionnaires mis en difficulté
1. Le cas d’un fonctionnaire de police gardien de la paix
2. Le cas d’une enseignante professeure des écoles
4. Le cas d’un secrétaire administratif
5. Le cas d’un surveillant pénitentiaire
6. Le cas d’une contrôleuse des services douaniers
B. Des taux de remplacement particulièrement faibles
1. Des modes de calculs différents selon les fonctions publiques
2. Des taux de remplacement inférieurs à 50 %
3. Une accélération des départs
III. des pistes de réflexion pour atténuer le choc de la Réforme
A. Suspendre la réforme le temps de mettre en place les mesures transitoires promises
1. Obtenir la suspension de la réforme de l’ITR
2. Le principe d’une surcotisation semble accepté
3. Un filet de protection pour éviter une « génération sacrifiée »
B. Les autres pistes envisagées
1. Dissocier la réforme de l’ITR de la réforme générale des retraites
2. Déplafonner la retraite additionnelle de la fonction publique (RAFP)
3. Réformer l’examen des critères d’intérêts moraux et matériels
Récapitulatif des PrÉconisations de la mission d’information
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Au fil du temps, ce dispositif a produit des effets non désirés : un certain nombre de fonctionnaires d’État, sans lien avec les outre-mer, sont venus passer leur retraite dans les territoires concernés par l’ITR dans le seul but d’augmenter leurs revenus. Des conditions quant à la réalité de leur résidence ont bien été mises en place, mais les contrôles, difficiles à réaliser, n’ont pas empêché les abus.
Le coût de l’ITR a donc régulièrement augmenté jusqu’à ce qu’il soit jugé trop important pour la collectivité : en 2009, année de mise en œuvre de la réforme, cette indemnité a coûté 329 millions d’euros au budget de l’État.
La réforme entrée en vigueur dès le 1er janvier 2009 a voulu concilier deux principes :
- la sauvegarde des avantages acquis : les agents déjà à la retraite conservent à vie le montant de leur ITR, sauf pour les plus grosses pensions pour lesquelles un plafond a été fixé ;
- une grande progressivité dans la mise en extinction de cette indemnité, la réforme s’échelonnant jusqu’en 2028.
Il n’en restait pas moins deux difficultés :
- le coût de la vie reste plus élevé dans les territoires concernés que dans l’hexagone ;
- la suppression progressive de cette indemnité prive les collectivités concernées d’une source de revenus non négligeable.
Aussi, lors de l’adoption de la réforme par le Parlement, fin 2008, le gouvernement a pris notamment deux engagements :
- qu’un système de cotisation sur les primes et indemnités serait mis en place pour améliorer le niveau des retraites, comme cela est le cas pour les agents territoriaux ;
- que les économies réalisées par l’extinction de l’ITR seraient reversées dans chaque territoire concerné.
Sous ces deux conditions, et suite à un rapport du gouvernement qui devait présenter des « perspectives d’instauration ou d’extension de dispositif de retraite complémentaire pour les fonctionnaires servant outre-mer », la réforme a été acceptée par tous les acteurs.
Treize ans après la mise en œuvre de la réforme, ces deux promesses n’ont pas été tenues et le rapport devant présenter les propositions d’évolutions s’est limité à considérer qu’elles n’étaient pas nécessaires.
Pendant ce temps, la mise en extinction progressive de l’ITR se poursuit inexorablement, jusqu’à extinction en décembre 2027 sans le système substitutif (exemples : élargissement de l’assiette de cotisations, déplafonnement de retraites additionnelles) qui était promis. Cette suppression graduelle suscite de nombreuses craintes chez les fonctionnaires concernés et représente, en l’absence de système de compensation, un risque de paupérisation des agents les plus modestes. Certains d’entre eux, qui n’ont pas réalisé de carrières complètes, risquent de quitter le service actif avec des revenus proches du seuil de pauvreté. Il est donc urgent de mettre un arrêt à cette réforme avant qu’elle ne produise des effets définitifs
Le présent rapport a pour ambition de proposer des pistes de réflexion et de formuler six propositions concrètes pour éviter que la situation des futurs retraités ne continue à se dégrader.
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* *
Ce rapport tente d’embrasser la problématique de l’extinction de l’ITR dans sa globalité et pour les six territoires concernés ([1]). Toutefois, les auteurs s’étant rendus en Polynésie et ayant reçu, sur ce territoire, un certain nombre d’informations et de statistiques, on ne s’étonnera pas si un focus particulier est mis sur cette collectivité. Le raisonnement développé pour Tahiti est toutefois valable pour les autres territoires.
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première partie : L’indemnité temporaire de retraite (ITR) est un dispositif en voie d’extinction
I. Une indemnité spécifique à certains outre-mer
Deux décrets du 10 septembre 1952 ([2]) et du 24 décembre 1954 ([3]) ont instauré une indemnité temporaire au profit des pensionnés titulaires d’une pension de l’État et justifiant d’une résidence outre-mer. Cette « surpension » était fixée en pourcentage de la pension reçue et en fonction du territoire concerné : elle s’élevait à 35 % à La Réunion et à Mayotte, à 40 % à Saint-Pierre-et-Miquelon, et à 75 % dans les trois collectivités du Pacifique : Nouvelle-Calédonie, Polynésie française et îles Wallis-et-Futuna. Les textes réglementaires des années 1950 mentionnaient d’autres territoires qui ont accédé depuis à l’indépendance. Étrangement, les Antilles et la Guyane n’ont jamais été concernées par cette indemnité.
Le versement de l’indemnité temporaire de retraite avait lieu suivant les régimes fiscaux particuliers applicables au territoire de résidence du pensionné. Hormis à La Réunion, collectivité départementale de droit commun, ni la contribution sociale généralisée (CSG) ni la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) ne lui étaient appliquées. Elle échappait également à l’impôt sur le revenu ; des prélèvements spécifiques variables étaient cependant effectués.
De plus, ce versement était uniquement soumis à des « conditions de résidence effective dans un territoire relevant du ministère de la France d’outre-mer ou dans le département de La Réunion au moins équivalentes à celles imposées aux fonctionnaires en activité de service » ([4]). Une instruction de 1982 détaillait les modalités d’appréciation du respect de cette exigence ([5]).
Le versement était subordonné à une période probatoire de six mois de présence ininterrompue sur le territoire et une manifestation d’intention du pensionné d’y résider au moins neuf mois. Cette condition supplémentaire n’était toutefois pas applicable aux pensionnés originaires du territoire qui s’y réinstallaient, aux pensionnés qui résidaient déjà dans le territoire lors de l’entrée en jouissance de leur pension, ni aux pensionnés venant exercer une activité professionnelle dans le territoire. Par ailleurs, le bénéficiaire avait l’obligation de demeurer sur le territoire au cours de la plus grande partie de l’année :
– lorsqu’il s’absentait « pour une durée ne dépassant pas, en une ou plusieurs fois, quarante jours pour l’année civile », l’indemnité lui était payée intégralement ;
– en cas d’absence plus longue, l’indemnité était payable « au prorata du nombre de jours de présence » ;
– lorsqu’une absence dépassait six mois, le paiement de l’indemnité n’était rétabli qu’après une nouvelle période de présence ininterrompue de neuf mois.
A. Une prestation très critiquée
L’indemnité temporaire de retraite a fait l’objet de nombreuses critiques dans les années 2000. Elle a été jugée particulièrement injuste, excessivement coûteuse et impossible à contrôler pour les administrations.
1. Un mécanisme injuste et daté
L’indemnité temporaire de retraite présentait un caractère doublement inégalitaire. D’une part, elle ne bénéficiait qu’aux pensionnés civils et militaires de l’État à l’exclusion des agents des autres fonctions publiques – hospitalière et territoriale – et des travailleurs du secteur privé. D’autre part, elle n’était pas applicable dans les trois départements et régions d’outre-mer de Martinique, de Guadeloupe et de Guyane.
À sa création dans les années 1950, le dispositif concernait les territoires d’outre-mer dans lesquels avaient cours le franc CFA (ce qui explique l’application à La Réunion) et le franc Pacifique. Il convenait alors de compenser les effets du mode de calcul des pensions défavorables à leurs bénéficiaires. Cette justification a disparu avec le temps : aucun territoire français n’emploie plus le franc CFA tandis que le franc Pacifique est désormais aligné sur l’Euro.
Par ailleurs, les situations des bénéficiaires d’une surpension apparaissaient très différentes en fonction des territoires ([6]) :
– près des deux tiers des bénéficiaires d’une surpension installés à La Réunion en étaient originaires. À Saint-Pierre et Miquelon, quatre bénéficiaires sur cinq étaient dans une situation analogue ;
– dans le Pacifique, la proportion de bénéficiaires originaires de métropole était de 83 % en Nouvelle-Calédonie et de 60 % en Polynésie française. Ces territoires étaient marqués par une présence élevée d’anciens militaires, dont certains pouvaient accéder assez jeunes à l’âge de la retraite.
Enfin, l’attribution de l’indemnité temporaire de retraite à un agent de l’État n’était en rien liée au fait d’avoir exercé outre-mer pendant tout ou partie de sa carrière. Elle découlait simplement de l’intention de s’établir dans l’un des territoires dans lequel s’appliquait le dispositif.
Le caractère longtemps confidentiel de l’indemnité temporaire de retraite a permis sa perpétuation sans heurt jusqu’à la fin du XXème siècle. Par la suite, la croissance rapide du nombre de bénéficiaires et du montant des prestations servies a appelé l’attention des parlementaires et des organismes de contrôle sur le dispositif.
Entre 1989 et 2005, le nombre d’indemnités temporaires de retraite a plus que triplé, passant de 9 618 à 29 861 surpensions servies. Cette progression a été particulièrement marquée à La Réunion avec un facteur 3,4. Les collectivités du Pacifique ont connu un rythme un peu moins soutenu – une multiplication par 2,7.
Entre 2000 et 2005, l’augmentation constatée était de 10 % par an en moyenne, avec un rythme plus soutenu à La Réunion et en Nouvelle-Calédonie. Au total, entre 1989 et 2005, le nombre de bénéficiaires a augmenté de 208 %.
Évolution du nombre de bénéficiaires de l’ITR entre 1989 et 2005
(Hors invalidité)
|
1989 |
2000 |
2005 |
Évolution 1989-2005 |
La Réunion |
5 449 |
11 575 |
18 380 |
+ 237 % |
Mayotte |
115 |
328 |
461 |
+ 300,9 % |
Saint-Pierre-et-Miquelon |
155 |
245 |
299 |
+ 92,9 % |
Nouvelle-Calédonie & Wallis et Futuna |
1 658 |
2 884 |
4 591 |
+ 176,8 % |
Polynésie française |
2 241 |
4 400 |
6 130 |
+ 159,3 % |
Total |
9 618 |
19 432 |
29 861 |
+ 208,6 % |
Source : extrait du rapport du gouvernement au Parlement sur la réforme de l’ITR (mais 2010)
La hausse soutenue du nombre de bénéficiaires va de pair avec celle des crédits mobilisés pour le versement de l’indemnité temporaire de retraite. Entre 2000 et 2008, le coût budgétaire a augmenté de plus de 119 %, soit un rythme plus rapide que celui des bénéficiaires (+ 56 % sur la même période).
Il résultait de ces chiffres des indemnités d’un montant parfois élevé. La Cour des comptes fait état, pour l’année 2000, d’un montant moyen annuel des surpensions civiles de 13 980 euros en Nouvelle-Calédonie, de 12 070 euros en Polynésie française, de 5 760 euros à Mayotte et à Saint-Pierre-et-Miquelon ([7]).
Source : extrait du rapport du gouvernement au Parlement sur la réforme de l’ITR (mais 2010)
Le rapport conjoint des corps d’inspection précité laissait peu de doute quant à la probable persistance de la hausse du nombre de bénéficiaires du dispositif et, en conséquence, du dérapage des montants qui lui étaient consacrés. « Cette tendance a toutes ses chances de s’amplifier encore en raison des effets cumulés du bouche à oreille, de la difficulté des contrôles, du prix toujours à la baisse des transports et des habitudes qui se développent chez les retraités à ‘s’expatrier’ en des lieux où la vie est supposée moins chère, plus agréable... ou plus rémunératrice. »
3. Des conditions de résidence très difficiles à contrôler
Le bénéfice de l’indemnité temporaire de retraite était soumis à des « conditions de résidence effective au moins équivalentes à celles imposées aux fonctionnaires en activité de service ». L’instruction comptable précitée du 20 janvier 1982 exigeait ainsi une période probatoire de six mois et des absences limitées à 40 jours par année civile.
Toutefois, ainsi que le note la Cour des comptes, la condition de résidence « s’est avérée depuis vingt ans pratiquement impossible à contrôler » ([8]). La loi avait bien habilité « les services du Trésor à procéder aux contrôles des conditions de résidence effective » et précisé que « à cette fin, les administrations doivent leur communiquer les informations qu’elles détiennent sans pouvoir opposer le secret professionnel » ([9]). Mais la jurisprudence administrative avait interdit toutes les mesures de restriction de la circulation des nationaux, notamment la conception d’un fichier de suivi des entrées et sorties des territoires ultramarins ([10]).
Dans ces conditions, le contrôle de la condition de résidence se limitait à « une déclaration sur l’honneur […] déposée annuellement par le bénéficiaire de l’ITR. C’est ce dépôt qui fonde la reconduction annuelle de cette indemnité. Même si la loi du 5 juillet 1996 [précitée] a habilité les services du trésor à procéder au contrôle de l’obligation de résidence effective, ce contrôle est peu productif, faute de moyens pour l’exercer, en particulier d’une procédure adaptée d’information ou de contrôle ([11]). »
Pour sa part, la Cour des comptes avait qualifié le contrôle de « totalement inopérant ». Elle avait mis en cause la logique même du dispositif, considérant impossible de définir de façon précise des conditions de résidence « imposées » à des personnes qui ont fait le choix délibéré de s’installer dans ces territoires, n’y ont aucune obligation de service et sont libres de leurs déplacements.
B. La notion controversée des centres d’intÉrêts moraux et matÉriels (CIMM)
Pour prétendre percevoir l’ITR, les demandeurs doivent prouver que le centre de leurs intérêts moraux et matériels se situe sur le territoire où ils déposent leur dossier. Cette étape de la procédure est redoutée pour ses aspects complexes, subjectifs et intrusifs.
De tous les aspects liés aux outre-mer, la mise en œuvre des critères relatifs au centre des intérêts moraux et matériels (CIMM) est la question qui soulève le plus de polémiques et aussi parfois de douleur, tant elle touche à l’identité profonde et à l’intimité des demandeurs.
1. Le contrôle des CIMM suscite incompréhension et rancœur
Le centre des intérêts moraux et matériels (CIMM) est une construction essentiellement jurisprudentielle – et typiquement française – dont les nombreux critères, non exhaustifs et non cumulatifs, ont été rappelés par voie de circulaires. L’administration assure que le CIMM ne peut s’apprécier qu’en tenant compte des circonstances propres à chaque situation, lesquelles peuvent évoluer dans le temps.
La notion de CIMM est également utilisée dans le cadre de l’attribution des congés bonifiés, de la prise en charge des frais de changement de résidence et surtout, depuis la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique, dans le cadre des mutations : les agents justifiant de leur CIMM dans une collectivité d’outre-mer bénéficiant alors d’une priorité légale d’affectation.
À cet égard, la circulaire du 1er mars 2017 rappelle aux ministères, dans un souci de prévention des actions contentieuses, que les critères du CIMM doivent faire l’objet d’une application « homogène et transparente ». Ce qui est rarement le cas.
2. Un sujet d’une très grande sensibilité qui touche à l’intime
Le centre des intérêts moraux et matériels est le critère principal permettant de définir si une personne a des attaches dans un département ou une collectivité d’outre‑mer. En clair, il ne suffit pas d’être né à Nouméa pour être Néo-Calédonien : l’administration vérifie si votre attachement à votre territoire natal est toujours réel.
On comprend que beaucoup d’agents publics ultramarins puissent s’offusquer d’avoir à passer, en quelque sorte, un « examen d’ultramarinité ». Cette disposition est pourtant destinée à éviter que ne se produisent des abus. Et pourtant, la mission d’information a pu constater un certain nombre d’anomalies.
Si certains critères sont faciles à comprendre (lieu de naissance, famille vivant sur place, etc.), d’autres paraissent plus discutables, comme le lieu de naissance et de scolarisation des enfants ou encore le lieu d’inscription sur les listes électorales. Il est bien évident qu’un agent ultramarin travaillant à un moment donné de sa vie dans l’hexagone ne pourra pas donner naissance à ses enfants dans sa collectivité de naissance, sans que cela n’enlève rien à l’attachement qu’il porte à son territoire d’origine. De la même manière, il sera bien obligé d’inscrire ses enfants dans les établissements scolaires de sa commune d’adoption et de s’inscrire sur les listes électorales de son lieu réel de résidence, sous peine de devoir prendre l’avion pour aller voter.
Le critère relatif au paiement des impôts locaux peut également être discuté. Les ultramarins qui disposent d’une propriété en outre-mer et qui paient donc des taxes foncières sur place sont réputés avoir conservé plus de liens que ceux qui n’ont pas de résidence secondaire sur leur territoire d’origine. Mais ne risque‑t‑on pas, dans ces conditions, de créer des discriminations sur des critères financiers et de pénaliser ceux qui n’ont pas les moyens d’acheter une propriété foncière dans leur collectivité d’origine ? Et lorsque l’on sait que la plupart des biens fonciers sont transmis par héritage, ne risque-t-on pas d’introduire une discrimination basée sur l’âge, les héritages étant transmis de plus en plus tard ?
Les CIMM introduisent par ailleurs une discrimination entre fonctionnaires civils et militaires, tous étant soumis à la détermination des centres d’intérêts moraux et matériels. En effet, si les fonctionnaires civils peuvent rester en poste sur un même territoire pendant des durées relativement longues, parfois pendant la totalité de leur carrière, ce n’est pas le cas des militaires tenus, statutairement, de changer d’affectation à intervalles réguliers. Il est évidemment beaucoup plus difficile de prouver son attachement à un territoire quand on déménage tous les cinq ans que lorsqu’on y effectue une carrière complète.
Il a été indiqué à la mission que les militaires polynésiens, né en Polynésie mais ayant vécu dans l’hexagone se voyaient systématiquement refuser l’ITR à leur retour s’ils avaient laissé leurs enfants finir leurs études en métropole. En effet, le centre de leurs intérêts moraux et matériel n’était plus considéré comme se trouvant en Polynésie française.
Éviter les abus nécessite, bien sûr, d’examiner les liens qu’entretiennent les demandeurs avec leur collectivité d’origine. Pour autant, les rapporteurs souhaitent que ces critères soient examinés avec plus de bienveillance, de pragmatisme, d’humanité et ne soient pas utilisés comme un moyen de réduire le nombre d’ITR dans le but inavoué de réaliser des économies, comme cela peut parfois sembler être le cas.
3. Une procédure opaque et non contradictoire
Pour déterminer le centre de ses intérêts moraux et matériels chaque administré doit remplir un dossier et fournir un nombre important de documents. S’agissant par exemple des droits à congés bonifiés, c’est l’administration d’emploi de chaque intéressé qui examine le dossier et prend la décision. En matière d’ITR, c’est administration fiscale qui statue sur les CIMM. Les décisions sont rendues sur dossier, sans que le demandeur puisse s’exprimer ou fournir des éléments complémentaires. La multiplicité des critères non exhaustifs et aléatoires, la complexité de l’analyse et l’impossibilité de se référer à une jurisprudence stabilisée sont source d’erreurs. Or, ces décisions emportent des conséquences très lourdes sur la situation des demandeurs.
À titre d’exemple, on pourra relever le cas d’un fonctionnaire d’État, originaire de Nouvelle-Calédonie, de statut coutumier, dont la famille réside sur le territoire, rentré sur l’archipel après une carrière militaire, à qui il a été refusé la reconnaissance de ses CIMM.
Un même dossier examiné par deux personnes différentes à quelques jours d’intervalle peut recevoir des réponses contradictoires. C’est ainsi que la mission d’information a rencontré, lors de son déplacement à Tahiti, un administré ex-militaire dont les CIMM polynésiens avaient été reconnus pour sa pension d’invalidité mais pas pour sa pension de retraite ! Cette personne perçoit donc l’ITR pour sa pension d’invalidité mais pas pour sa retraite, sans que l’administration lui ait fourni la moindre explication.
Toutes les personnes que la mission a rencontrées regrettent le caractère unipersonnel des décisions prises, la collégialité apparaissant comme garante de décisions plus fondées, plus cohérentes et peut-être aussi plus bienveillantes.
Tous déplorent l’absence de caractère contradictoire de la procédure qui ne permet pas aux demandeurs de faire valoir directement et oralement leurs arguments auprès de l’administration comme cela est le cas, par exemple en matière de droit d’asile.
Enfin, les demandeurs regrettent également que la seule possibilité de recours, en cas de réponse défavorable, repose sur la justice administrative et expose les intéressés à des procédures longues et coûteuses.
II. Une mise en extinction votée en 2008
Devant le coût élevé et en augmentation constante de l’ITR, devant l’inégalité de traitement entre les différents territoires, devant la difficulté de contrôler les situations personnelles, décision a été prise, en 2008, de supprimer cette indemnité qui cumulait bien des inconvénients.
A. la préservation de la situation des agents déjà retraités
Le postulat de base qui a présidé à la réforme a été de ne pas modifier la situation des agents déjà bénéficiaires de l’ITR. La réforme ne s’applique qu’aux nouveaux retraités.
1. Un dispositif adopté en loi de finances rectificative
Les failles de l’indemnité temporaire de retraite au regard du principe d’égalité, la difficulté à le réformer et la disparition des éléments ayant motivé sa création ont conduit la Cour des comptes ([12]), des députés ([13]) et des sénateurs ([14]) à demander sa suppression. C’est finalement une mise en extinction progressive qui a été privilégiée par le législateur dans la loi de finances rectificative pour 2008 ([15]).
Le dispositif avait préalablement été adopté à l’article 96 de la loi n° 2008‑1330 de financement de la sécurité sociale pour l’année 2009, mais le Conseil constitutionnel avait jugé la procédure contraire à la Constitution dans la mesure où d’une part, le dispositif adopté n’avait pas un caractère permanent et où, d’autre part, il n’avait pas suffisamment d’impact sur les dépenses des régimes obligatoires de base ou des organismes concourant à leur financement (décision n° 2008‑571 DC du 11 décembre 2008, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2009, cons. n° 25).
Le Conseil constitutionnel a jugé conformes à la Constitution les nouvelles modalités d’attribution de l’indemnité temporaire de retraite, par ailleurs précisées par décrets ([16]). Le Conseil constitutionnel affirme notamment que « s’il existe un intérêt général à encourager des fonctionnaires métropolitains à venir servir outre-mer, le maintien ou la venue outre-mer de fonctionnaires retraités ne constituait plus un tel intérêt » (décision n° 2010‑4/17 QPC du 22 juillet 2010, M. Alain C. et autre).
La réforme laisse inchangé le principe d’une surpension résultant du produit de la pension et d’un coefficient variable en fonction des territoires. Ces coefficients demeurent de 35 % pour les collectivités de l’océan Indien, de 40 % pour Saint-Pierre-et-Miquelon et de 75 % pour les collectivités de l’océan Pacifique.
La résidence sur place reste obligatoire. Elle est formalisée par une déclaration annuelle auprès du comptable compétent pour le versement de l’indemnité. La période probatoire initiale de six mois perdure également. En revanche, le versement de la surpension n’est plus proratisé qu’à compter de trois mois d’absence au cours de l’année civile – contre quarante jours auparavant.
En revanche, le dispositif opère désormais une distinction entre plusieurs catégories de pensionnés en fonction de la date à laquelle ils sollicitent le bénéfice de l’indemnité temporaire de retraite.
2. Un plafonnement des ITR octroyées avant le 1er janvier 2009
Les bénéficiaires d’une indemnité temporaire de retraite octroyée avant le 1er janvier 2009 continuent à la percevoir à vie. Il en va de même, par exception, des instituteurs et des professeurs des écoles ayant fait une demande de départ à la retraite avant le 1er janvier 2009 et maintenus en service au titre de l’année scolaire 2008-2009, ainsi que des fonctionnaires justifiant d’une date d’effet de la pension antérieure au 1er janvier 2009 mais maintenus en activité dans l’intérêt du service au-delà de cette date
Toutefois, les indemnités versées sont plafonnées à partir du 1er janvier 2018. Elles ne peuvent désormais excéder :
– 10 000 euros à La Réunion, Mayotte et Saint-Pierre-et-Miquelon ;
– 18 000 euros dans les collectivités du Pacifique.
Lorsque le montant de ces indemnités temporaires était supérieur au plafond, une réduction progressive a été mise en œuvre entre les années 2009 et 2018 sur la base d’un écrêtement de 10 % par an de l’écart entre le montant perçu en 2008 et le plafond susmentionné.
Ce mécanisme a permis d’éviter la remise en cause des situations acquises, hormis pour les très hauts revenus. À La Réunion, 82 % des bénéficiaires d’une surpension n’ont pas été affectés par la réforme ([17]).
3. Des conditions plus sévères pour percevoir l’ITR à partir de 2009
À compter du 1er janvier 2009, l’attribution de nouvelles indemnités temporaires est réservée aux pensionnés ayants droit remplissant, à la date d’effet de leur pension, l’une des deux conditions suivantes :
– soit justifier de quinze ans de services effectifs dans une ou plusieurs des collectivités dans lesquelles est versée l’indemnité temporaire de retraite ;
– soit détenir sur le territoire de la collectivité de résidence le centre de leurs intérêts matériels et moraux apprécié pour l’octroi de congés bonifiés ([18]).
La possibilité qui était auparavant offerte à tout fonctionnaire de venir passer sa retraite dans un territoire ultramarin avec lequel il n’avait aucun lien tout en percevant l’ITR est donc supprimée : l’effet d’aubaine est rendu impossible.
Par ailleurs, le montant de l’indemnité servie est soumis à un plafond réduit en fonction de l’année au cours de laquelle elle a commencé à être perçue :
– pour les bénéficiaires de La Réunion, Mayotte et Saint-Pierre-et-Miquelon, à 8 000 € quelle que soit l’année de perception entre 2009 et 2018 ;
– pour les bénéficiaires établis dans les collectivités du Pacifique, à 17 000 € pour une première perception en 2009, 15 000 € pour 2010, 13 000 euros pour 2011, 12 000 euros pour 2012, 10 000 euros pour 2013 et 2014, et 8 000 euros pour 2015 à 2018.
L’ITR attribuée dans ce cadre continue à être allouée à vie aux pensionnés qui en bénéficient.
B. Une extinction progressive pour les nouveaux retraités
1. Une réforme qui s’échelonne jusqu’en 2028
Les personnels éligibles à l’indemnité temporaire de retraite à compter du 1er janvier 2019 sont soumis aux conditions d’attribution renforcées détaillées précédemment – soit quinze années de services effectifs ou un centre des intérêts matériels et moraux dans une collectivité concernée par le dispositif.
Le montant de l’ITR qui leur est allouée – également à vie – est plafonné en fonction de l’année de sa première perception. Mais il connaît une diminution régulière jusqu’à sa disparition définitive au 31 décembre 2027.
2. Le nombre de bénéficiaires est désormais stabilisé
À l’issue des dix premières années de la réforme de 2008, qui correspondent à la phase de plafonnement de l’indemnité temporaire de retraite et qui précèdent le temps de l’extinction proprement dite, il est possible de tirer un premier bilan des mesures en vigueur.
Les nouveaux critères introduits par la réforme avaient pour vocation de stabiliser progressivement le nombre de bénéficiaires du dispositif. La tendance constante depuis 2010 voit ce nombre varier faiblement entre 33 800 et 34 400 personnes. La légère baisse constatée dans les collectivités du Pacifique est compensée par une hausse inverse à La Réunion.
nombre de bénéficiaires de l’Indemnité temporaire de retraite
|
Nouvelle-Calédonie |
Polynésie française |
La Réunion |
Saint-Pierre-et-Miquelon |
Mayotte |
Total |
2010 |
5 170 |
6 782 |
21 222 |
293 |
505 |
33 972 |
2011 |
5 054 |
6 708 |
21 780 |
306 |
459 |
34 307 |
2012 |
4 932 |
6 613 |
21 644 |
300 |
444 |
33 933 |
2013 |
4 881 |
6 472 |
21 908 |
299 |
396 |
33 956 |
2014 |
4 815 |
6 432 |
22 022 |
303 |
353 |
33 925 |
2015 |
4 800 |
6 366 |
22 022 |
304 |
300 |
33 792 |
2016 |
4 643 |
6 244 |
22 310 |
306 |
309 |
33 812 |
2017 |
4 615 |
6 176 |
22 628 |
315 |
282 |
34 016 |
2018 |
4 553 |
6 123 |
23 026 |
313 |
267 |
34 282 |
2019 |
4 470 |
6 105 |
23 266 |
318 |
259 |
34 418 |
2020 |
4 477 |
6 063 |
23 193 |
321 |
238 |
34 292 |
Notes : effectif arrêté au 31 décembre de chaque année sauf en 2018 (31 août), bénéficiaires de Wallis-et-Futuna inclus dans les données de la Nouvelle-Calédonie.
Source : direction générale des finances publiques, service des retraites de l’État.
L’évolution du nombre annuel de nouveaux entrants dans le dispositif de l’ITR (nouveaux retraités de l'année bénéficiant de l’ITR) est le suivant :
2016 : 1 128
2017 : 1 280
2018 : 1 493
2019 : 1 246
Nous constatons une nette hausse en 2018, année de « bascule » de la réforme, puis une autre un peu moindre en 2019. Il s’agit d’un effet direct de la diminution du plafond de l’ITR : un certain nombre d’agents ont visiblement anticipé leur départ afin de perdre le moins possible. En toute logique, le nombre de fonctionnaires d’État partant à la retraite dans les collectivités concernées devrait diminuer sensiblement à l’approche de l’échéance de 2028, tous ceux qui l’ont pu ayant accéléré leur départ.
Au chiffre des nouveaux entrants doit être défalqué le nombre des personnes sortant du dispositif, c’est-à-dire décédées dans l’année. Ce chiffre étant par nature stable d’une année sur l’autre, c’est donc sans surprise que le nombre total de bénéficiaires a connu un pic en 2018-2019. Là aussi, en toute logique, le nombre de bénéficiaires devrait régulièrement décroître jusqu’en 2027, le nombre de départs en retraite diminuant. À partir de 2028, le chiffre des bénéficiaires diminuera jusqu’à son extinction pendant 25 à 30 ans, au seul rythme du décès des retraités, plus personne n’entrant dans le dispositif.
3. Un coût en baisse régulière depuis 2009
Le coût global de l’indemnité temporaire de retraite a atteint son point d’inflexion en 2009 avec un maximum de 329 millions d’euros, pensions civiles et militaires confondues. Depuis cette date, les sommes en jeu décroissent régulièrement du fait du plafonnement des nouvelles prestations servies qui viennent remplacer les versements plus élevés auparavant octroyés aux pensionnés plus âgés. En 2020, le coût de cette indemnité a été ramené à moins de 284 millions d’euros.
Le programme 741 retrace l’intégralité des dépenses et recettes afférentes aux pensions des personnels civils et militaires relevant du code des pensions civiles et militaires de retraite (PCMR) et aux allocations temporaires d’invalidité.
Le programme 743 regroupe les pensions dues au titre du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre (PMIVG) ainsi qu’aux autres régimes ou équivalents versant des pensions dont l’État est directement redevable.
Évolution du coût de l’ITR entre 2007 et 2021
|
|
|
|
|
|
|
(en euros) |
Programme |
2007 |
2008 |
2009 |
2010 |
2011 |
2012 |
2013 |
Pensions civiles (741) |
287 393 642 |
313 833 758 |
324 383 881 |
318 399 517 |
315 499 302 |
310 004 297 |
304 178 982 |
Pensions milit. (743) |
5 136 662 |
5 195 924 |
5 159 699 |
4 863 429 |
4 619 200 |
4 416 222 |
4 229 116 |
TOTAL |
292 530 304 |
319 029 682 |
329 543 580 |
323 262 946 |
320 118 502 |
314 420 519 |
308 408 098 |
|
|
|
|
|
|
|
|
2014 |
2015 |
2016 |
2017 |
2018 |
2019 |
2020 |
2021 |
298 732 651 |
293 910 659 |
289 278 291 |
285 007 471 |
282 291 857 |
282 358 976 |
281 129 989 |
278 080 000 |
3 989 506 |
3 778 506 |
3 678 728 |
3 366 008 |
3 282 456 |
3 069 907 |
2 817 623 |
2 720 000 |
302 722 157 |
297 689 165 |
292 957 020 |
288 373 479 |
285 574 313 |
285 428 883 |
283 947 612 |
280 800 000 |
Source : DGFiP - Service des retraites de l'État.
Les crédits prévus pour l’année 2021 s’élèvent à 280,8 millions d’euros. Les prestations versées à La Réunion ainsi qu’à Saint-Pierre-et-Miquelon continuent de croître à un faible rythme. En revanche, la diminution est sensible dans les collectivités du Pacifique.
Ventilation par collectivité du coût de l’ITR entre 2019 et 2021
4. La Polynésie enregistre une forte baisse du coût de l’ITR versée
Lors de son passage en Polynésie, la mission d’information a obtenu des statistiques précises sur le nombre de bénéficiaires de l’ITR ainsi que sur le coût global de cette indemnité. Il en résulte une baisse sensible du coût supporté par les finances de l’État au cours de ces dernières années.
Ainsi, alors que le coût global de l’ITR s’élevait à 84,1 millions d’euros pour les seuls bénéficiaires polynésiens en 2014, il ne s’élevait « plus qu’à » 72,4 millions d’euros en 2020, soit une baisse de près de 14 % sur six ans.
Ce montant de 72,4 millions d’euros divisé par le nombre de bénéficiaires nous donne le montant moyen de l’ITR versée : 11 946 euros en moyenne par agent concerné. En effet, si le montant de l’ITR était limité à 6 400 euros pour les nouveaux bénéficiaires en 2020, le montant moyen versé est tiré à la hausse par les bénéficiaires plus anciens dont les plafonds de versements sont plus élevés.
Évolution de l’ITR versée en Polynésie entre 2014 et 2020
(en euros)
Années |
ITR versée |
évolution |
2014 |
84 105 217 |
|
2015 |
81 903 569 |
- 2,62 % |
2016 |
79 313 048 |
- 3,16 % |
2017 |
76 159 367 |
- 3,98 % |
2018 |
73 963 994 |
- 2,88 % |
2019 |
73 579 155 |
- 0,52 % |
2020 |
72 393 287 |
- 1,61 % |
Source : DGFIP de Polynésie française
Sur les 72,4 millions d’euros d’ITR versés en 2020, 50,1 millions relèvent de pensions civiles, 21,3 millions de retraites militaires et 1 million de pensions militaires d’invalidité.
— 1 —
seconde partie : la nécessité de prendre des mesures transitoires
La possibilité auparavant offerte aux fonctionnaires de l’État de bénéficier d’une majoration de pension de retraite lorsqu’ils séjournaient dans certains territoires ultramarins, sans qu’ils n’y aient exercé une partie de leurs carrières ou sans exiger qu’ils n’aient des liens personnels, matériels et moraux, avec ces territoires, est désormais impossible.
Son corollaire se trouve dans le constat avéré d’une stabilisation du nombre de bénéficiaires et dans une baisse d’ores et déjà de 15 % du coût de l’ITR, effets attendus par les promoteurs de la loi du 30 décembre 2008.
La réforme a de toute évidence parfaitement atteint son principal objectif en mettant définitivement un terme à l’effet d’aubaine que le régime initial de l’ITR avait fini par générer.
Néanmoins, la réforme continue de produire ses effets, dorénavant à l’égard des fonctionnaires de l’État originaires de ces territoires ou qui s’y sont durablement installés, sans la moindre prise en compte du coût de la vie qui y demeure très élevé.
La poursuite de la réforme aboutit à imposer des taux de remplacement inférieurs à la moyenne nationale à des fonctionnaires confrontés à un coût de la vie bien supérieur à celui de la métropole.
Cette double sanction touche l’ensemble des catégories de fonctionnaires et provoque un ressentiment de plus en plus fort, nourri par le sentiment généralisé d’injustice à l’égard d’une réforme qui vient sanctionner des agents étrangers à la dérive dénoncée par la loi de 2008.
I. ressentiment et conséquences économiques
A. Le ressentiment se nourrit de plusieurs causes
Chez les ultramarins, les ressentis sont multiples et argumentés : le sentiment de subir une réforme à cause de quelques profiteurs ou encore la cherté de la vie bien connue des territoires ultramarins, pouvant aller jusqu’à 30% de plus dans l’alimentation, sont autant de raisons de proposer une alternative à la réforme en cours.
1. Les promesses de 2008 n’ont pas été tenues
Au moment de la réforme, le gouvernement s’était engagé à accompagner la suppression de l’ITR d’un système de compensation, équitable et financièrement équilibré, afin que la disparition progressive du dispositif ne vienne pas susciter des situations de fragilité chez les retraités concernés.
Le 21 novembre 2008, un mois avant l’entrée en vigueur de la réforme, le secrétaire d’État à l’outre-mer, M. Yves Jego, avait signé un « relevé de conclusions » rédigé à l’issue de sa rencontre avec les représentants des syndicats de fonctionnaires d’État en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française. Ce relevé de conclusions, publié en annexe au présent rapport, précise qu’« un groupe de travail relatif à la mise en œuvre du régime alternatif à l’ITR pour les fonctionnaires servant outre-mer sera également constitué et associera les syndicats de la fonction publique d’État représentés dans les territoires d’outre-mer ».
En mai 2010, le gouvernement a déposé devant le Parlement, en application du VIII de l’article 137 de la loi du 30 décembre 2008 précitée, un rapport [19] sur les perspectives d’instauration d’un dispositif de retraite complémentaire pour les fonctionnaires servant outre-mer. Ce bref rapport conclut sèchement en indiquant que « le caractère très progressif de la réforme ne justifie pas d’envisager la création d’un dispositif substitutif ». Ce faisant, il va à l’encontre de l’engagement que le gouvernement avait pris dans le relevé de conclusion du 18 novembre 2008.
Le rapport qualifie la réforme de « progressive et équitable » et, pour cette raison, écarte l’opportunité d’en atténuer les effets par une quelconque compensation : « Dans son principe, l’objectif de traitement égal des assurés est consubstantiel à la réforme de l’ITR. Vouloir créer un nouveau dispositif, qui avantagerait une catégorie de citoyens, ne serait ni conforme aux objectifs qui ont prévalu lors de la définition de la réforme, ni souhaitable au regard de la dépense publique qui en découlerait » (p. 27). Le rapport met également en avant les avantages accordés aux agents publics au cours de leurs fonctions outre-mer pour estimer suffisantes les compensations déjà existantes – bonifications, indemnité de sujétion géographique et assiette de cotisation élargie.
Une seconde promesse avait été faite par le secrétaire d’État à l’outre-mer de l’époque : le bénéfice financier de la réforme devait revenir au développement des territoires concernés. Là aussi, les avis sont unanimes : les collectivités du Pacifique n’ont rien perçu des économies réalisées.
2. L’effet d’aubaine a maintenant disparu
La première période de la réforme s’est étalée sur dix années, entre 2009 et 2018. Elle a permis de mettre un frein à la dérive du dispositif original de l’indemnité temporaire de retraite. En imposant un plafonnement des surpensions servies à 8 000 euros annuels, soit 666 euros mensuels –, elle est parvenue à préserver les finances publiques de coûts manifestement excessifs. Surtout, en conditionnant le bénéfice de l’indemnité à une résidence antérieure sur le territoire – par l’exigence de quinze années de service ou d’un centre des intérêts matériels et moraux sur place –, elle a mis un terme à l’effet d’aubaine qui voyait un nombre croissant de personnes sans lien avec le territoire y élire domicile à la seule fin de rémunération accrue.
Les rapporteurs soulignent que cette analyse est confirmée par les chiffres : Le nombre de bénéficiaires de l’ITR est désormais stabilisé depuis une décennie ; les sommes que consacre l’État au paiement des surpensions diminuent régulièrement. Il n’est donc plus à craindre de dépenses excessives désormais.
Les cas d’aubaine, limités entre 1 000 et 2 000 en Polynésie selon les interlocuteurs de la mission d’information, ont bien été identifiés : il s’agit de fonctionnaires retraités avant le 1er janvier 2009 dont le nombre, par la force des choses, diminue de manière régulière et irréversible (décès).
3. Le sentiment de payer pour quelques profiteurs
Ainsi que nous l’avons vu plus haut, le dispositif de l’ITR a donné lieu à un effet d’aubaine, un certain nombre de hauts fonctionnaires métropolitains qui n’avaient pas de lien avec les outre-mer ayant décidé de passer leur retraite dans ces territoires de manière à profiter de cette indemnité, d’autant que les contrôles sur la réalité de la résidence étaient peu efficaces.
C’est ainsi qu’en cinq ans, entre 2000 et 2005, le coût pour la collectivité du financement de cette indemnité a enregistré une hausse artificielle de 71,5 %, preuve qu’un effet d’aubaine avait attiré nombre de métropolitains qui n’avaient pas forcément de lien avec les outre-mer.
Dans ces conditions, il était prévisible que le gouvernement intervienne pour mettre fin à une dérive onéreuse et injustifiée.
Mais chez les agents originaires de ces territoires et y ayant « leurs centre d’intérêt moraux et matériels (CIMM) » selon la formule consacrée, le sentiment de pâtir de l’attitude peu scrupuleuse de certains de leurs collègues opportunistes s’est ancrée durablement et a fait naître un réel sentiment d’injustice.
Les agents de la fonction publique d’État ont le sentiment de représenter le lien entre les territoires ultramarins et la République. Ce sentiment est particulièrement prégnant chez les militaires qui sont soumis, en matière d’ITR, aux mêmes règles que les civils. Chez ces personnes aujourd’hui, c’est parfois un sentiment d’abandon qui prévaut.
Pour exemple, en Nouvelle-Calédonie, un cadre B prenant sa retraite sans ITR après 38 années de services effectifs (44 ans et 6 mois de service incluant la règle des 1/3 de majoration pour service outremer), touchera une retraite de 38% de son dernier salaire en activité.
4. Une communication insuffisante
La mise en extinction de l’ITR s’est faite sans que soit mise en place une information réelle et sérieuse des agents de l’État concernés par la loi. Plusieurs cas ont été communiqués à la mission d’information d’agents n’ayant pas pu bénéficier de l’ITR car n’ayant pas été informés du fait que la demande devait être déposée dans les cinq années suivant le départ effectif à la retraite.
Les rapporteurs ont ainsi entendu le témoignage d’une institutrice polynésienne qui avait suivi son époux dans l’hexagone. Ayant pris sa retraite en 2004, elle était rentrée au fenua juste après la promulgation de la réforme qui imposait que la demande d’ITR soit déposée dans le délai de cinq ans après le départ effectif à la retraite : le bénéfice de l’ITR a été refusé à l’intéressée qui avait certes déposé sa demande plus de cinq ans après sa cessation d’activité, mais quelques mois seulement après la promulgation de la loi qui introduisait cette restriction.
B. Des paramètres économiques à prendre en compte
Les outre-mer bénéficient d’une image paradisiaque synonyme de soleil, de vacances et de bien-être. Mais la vie ne se résume pas « au punch, à la plage et aux vahinés » comme cela a été résumé devant la mission d’information. Derrière cette image idéalisée se cachent un coût de la vie élevé, des taux de chômage supérieurs à la moyenne nationale et, souvent, une vraie misère sociale.
1. Un coût de la vie sensiblement plus élevé dans les outre-mer
La seconde période de la réforme, commencée au 1er janvier 2019, est toute différente : elle ne vise pas à la stabilisation, mais à l’extinction à terme du principe même des surpensions. Les arguments développés lors de cette décision en 2008, selon lesquels le dispositif imaginé dans les années 1950 était rendu obsolète par les progrès de la technique et les avancées de la mondialisation sont discutables. D’une part, s’il est vrai que les voyages sont aujourd’hui plus rapides qu’hier, ils n’en sont pas moins onéreux. D’autre part, les changements monétaires intervenus dans les dernières décennies n’ont pas fait disparaître la cherté de la vie dans ces territoires.
Ainsi, un récent rapport publié par la Délégation aux outre-mer ([20]) avance les chiffres suivants :
« Selon la dernière étude menée par l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) en date de 2015, les prix dans les départements ultra‑marins s’avèrent plus élevés qu’en Hexagone de 12 % aux Antilles (12,5 % en Guadeloupe et 12,3 % en Martinique), de 11,7 % en Guyane et de 7 % à La Réunion et à Mayotte (6,9 % hors loyers). Ces statistiques sont calculées selon la méthode de l’indice de Fisher qui correspond à la différence de coût pour un consommateur moyen à mi-chemin des habitudes de consommation entre l’Outre-mer et l’Hexagone.
« Si l’on compare la différence de coût pour les habitants de l’Hexagone s’ils effectuaient leurs achats sur un territoire ultra-marin (panier hexagonal), l’écart est plus marqué et atteint 17 % aux Antilles, 16,2 % en Guyane et 16,7 % à Mayotte et 10,6 % à La Réunion. »
– dans un rapport présenté devant la commission des Lois ([21]), notre collègue Mansour Kamardine indique que le coût de la vie reste significativement plus élevé à Mayotte que pour la moyenne des Français ; « Or, selon une étude de l’Insee publiée en 2015, le coût de la vie est plus élevé à Mayotte qu’il ne l’est en France métropolitaine ( ). Les prix hors loyers sont de 6,9 % plus élevés qu’en métropole ; les produits alimentaires et boissons non alcoolisées consommés habituellement en métropole coûtent 42 % plus cher à Mayotte. Il en va de même pour la plupart des dépenses de la vie quotidienne : biens et services de communications (+ 35 %), loisirs et culture (+ 27 %), équipement (+ 25 %) et même services de santé (+ 12 %) ».
– En 2017, les prix en Nouvelle-Calédonie « étaient dans leur ensemble de 33 % supérieurs à ceux de l’Hexagone, avec des écarts particulièrement sensibles sur les produits alimentaires. Le différentiel varie de 2 % pour les transports à 64 % pour les communications et 73 % pour les produits alimentaires ». Ce différentiel de prix avec l’Hexagone ne diminue plus depuis 2010, précise l’Institut d'émission d’Outre-mer (IEOM) ([22]).
– les prix en Polynésie française sont globalement plus élevés qu’en hexagone mais également que dans les départements régis par l’article 73 de la Constitution. « En 2016, les prix étaient en moyenne supérieurs de 19 % pour un panier de biens polynésiens et de 55 % pour un panier de biens hexagonaux soit un surcoût moyen de 38,5 %. Cet écart entre les deux paniers s’est accru puisqu’il était de 25,9 % en 2010. Ces écarts sont croissants et particulièrement élevés pour les produits alimentaires (+ 47 % d’augmentation depuis 2007), ce qui affecte plus sensiblement encore le pouvoir d’achat des ménages les plus modestes, pour lesquels ces biens représentent une part importante de leur budget (plus de 30 % de leur consommation contre 12 % pour les ménages les plus aisés). La baisse des prix des produits alimentaires en 2018, expliquée par la baisse du prix des produits de la mer, n’a pas suffi à combler cet écart et l’inflation des prix des produits alimentaires est repartie à la hausse en 2019 » ([23]).
Encore la mission a-t-elle appris, lors de son déplacement, que l’évaluation de la cherté de la vie en Polynésie n’est réalisée pour des raisons pratiques que sur les deux îles principales de Tahiti et Moorea. Tous les autres territoires (archipels des îles-sous-le-vent, des Tuamotu, des Gambier, des Marquises et des Australes), plus difficiles d’accès, échappent aux études de l’institut local de la statistique. C’est pourtant dans les archipels les plus éloignés et les moins bien desservis que les produits sont les plus chers. Ce constat, lié à l’éloignement entre différentes parties du territoire, se retrouve également en Nouvelle-Calédonie entre les Îles Loyautés et la Grande Terre.
Si cette cherté de la vie était compensée auparavant par l’indemnité temporaire de retraite, la disparition progressive de ce complément de revenus pour les anciens agents de l’État ne peut manquer de fragiliser leur situation économique, voire de les inciter à passer leur retraite en Europe où la même pension représente un pouvoir d’achat plus en adéquation avec le coût de la vie.
2. Une retraite moins longue que dans l’hexagone
Un autre sujet de ressentiment concerne le différentiel d’espérance de vie entre l’hexagone et les outre-mer. Alors que la longévité en France métropolitaine atteint environ 80 ans chez les hommes et 86 ans chez les femmes, elle n’est que de 75 ans chez les hommes et de 80 ans chez les femmes en Polynésie française.
Les syndicats polynésiens font donc remarquer, à juste titre, que les fonctionnaires ultramarins coûtent moins cher en matière de pension que leurs homologues hexagonaux, malgré l’ITR.
Au sein même de la fonction publique, ce sont les agents de catégorie C, les plus impactés par la réforme, qui ont les emplois les plus pénibles et l’espérance de vie la plus brève, souvent à cause d’ennuis de santé, voire de pathologies liées à leurs fonctions. Or, ce sont ces mêmes agents qui perçoivent les retraites les plus faibles.
Beaucoup de ces agents de catégorie C qui n’ont pas eu une carrière complète dans la fonction publique partiront avec une retraite inférieure au SMIC, ce qui ce qui contraindra leurs dépenses, dans la vie quotidienne comme dans l’aide apportée à leurs enfants et petits-enfants.
Les agents de l’État ont donc le sentiment d’être punis par la suppression de l’ITR qui amoindrit leur revenu dans des territoires dont le coût de la vie est largement plus élevé qu’en Europe.
3. Un déclassement des agents de l’État qui n’est pas acceptable
Les simulations réalisées confirment qu’un certain nombre des agents de l’État (spécifiquement de catégorie C) qui auront de nombreuses années de services vont partir avec une retraite qui sera inférieure au Smic.
Face aux difficultés auxquelles seront confrontés les futurs retraités, d’aucuns soulignent le risque pour les personnes concernées de percevoir le minimum vieillesse. Le simple fait d’évoquer un rapprochement entre un niveau de retraite et les conditions d’éligibilité au minimum vieillesse prouve bien l’appauvrissement de cette catégorie de futurs retraités. Pour mémoire, le minimum vieillesse s’élève à 906 euros en France métropolitaine contre 700 euros en Polynésie française et 770 euros en Nouvelle-Calédonie
Comme l’a si bien dit le Président de la République Emmanuel Macron le 12 juillet dernier, « Oui, une vie de travail doit offrir une pension digne. Et donc, toute retraite pour une carrière complète devra être supérieure à 1 000 euros par mois. »
Les anciens fonctionnaires de l’État ne méritent pas de percevoir, à la fin de leur vie, une retraite proche du minimum vieillesse simplement parce que certains opportunistes ont naguère dévoyé le système pour en profiter. Une des raisons d’être de l’ITR, comme du régime d’indexation des fonctionnaires en activité dans les outre-mer ou de l’attribution d’indemnités ou de primes ponctuelles d’éloignement, est la prise en compte du coût de la vie plus élevé dans ces territoires. Or ce constat n’a pas changé.
Et rien ne justifie qu’à grade et indices égaux, les fonctionnaires d’État partent avec une retraite largement inférieure à celle de leurs homologues territoriaux tout simplement parce que, pour des raisons obscures, les règles de cotisation et de calculs sont différentes dans les deux régimes.
Cette inégalité de traitement est encore renforcée en Nouvelle-Calédonie qui dispose de sa propre fonction publique à l’intérieur de laquelle certains agents (exemple : les enseignants) travaillent aux côtés de fonctionnaires de l’État sur les mêmes « postes » et dont le régime de retraite ne connaît pas de baisse analogue à celle de l’ITR.
Et que dire des veuves qui se retrouvent à percevoir 50 % de la pension de leur mari décédé ? Jusqu’à la mise en œuvre de la réforme, elles percevaient également 50 % de l’ITR. Désormais, elles en seront privées et, pour beaucoup, devront se contenter du minimum vieillesse.
4. Le rôle essentiel des retraités dans l’économie locale
En Polynésie française où n’existent ni indemnités chômage ni aides au logement, la famille constitue l’amortisseur économique et social par excellence lorsque surviennent des difficultés économiques. Or, le taux de chômage est supérieur dans les outre-mer à la moyenne nationale tandis que l’épidémie de covid n’a rien arrangé.
Les économistes ont indiqué à la mission d’information que 10 à 15 personnes pouvaient dépendre de deux actifs percevant des revenus. Enfants et petits-enfants dépendent souvent de leurs grands-parents pour le financement de leurs études, voire de leur logement et de leur alimentation. Il y aurait en Polynésie près de 7 000 fonctionnaires d’État retraités : leur nombre et leur poids économique est donc loin d’être négligeable. Pour la seule Polynésie française, l’impact sur l’économie locale de la baisse de pouvoir d’achat liée à l’extinction de l’ITR serait pour l’instant d’environ un milliard de francs Pacifique (8 millions d’euros). En 2008, à la fin de la mise en place de la retraite, l’impact sera de 2 milliards de francs Pacifique (16 millions d’euros).
Sur le territoire de St-Pierre-et-Miquelon, l’emploi public représente 49,4 % de l’emploi total, près de la moitié étant des agents de l’État concernés par l’extinction de l’ITR. C’est dire si la perte de pouvoir d’achat de près d’un quart de la population peut avoir des conséquences sur l’économie de l’archipel.
Dans ces conditions, réduire le revenu de certaines catégories de retraités est un coup dur porté à l’économie locale qui dépend en grande partie de ces revenus qui, jusqu’à présent, étaient stables et garantis. Et si des retraités devaient quitter leurs collectivités ultramarines pour s’établir ailleurs pour des raisons économiques, des familles entières seraient déstabilisées. Au-delà des retours de retraités dans l’hexagone, des départs vers des pays asiatiques à coûts plus abordables (Thaïlande, Sri Lanka, Bali) ont également été évoqués.
Ce phénomène est déjà amplifié par l’épargne de précaution que sont en train de constituer les retraités et futurs retraités concernés par la réforme et qui ont déjà commencé à réduire leurs dépenses dans l’attente de voir ce que leur réserve l’avenir.
II. Des conséquences humaines douloureuses
La réforme va faire perdre des sommes considérables aux futurs retraités dont le taux de remplacement (retraite par rapport aux revenus d’activité) va s’effondrer ainsi que le démontrent les cas particuliers présentés ci-après.
A. La plupart des fonctionnaires mis en difficulté
Lors de son déplacement en Polynésie, la mission d’information a eu communication d’une étude que le gouvernement local a fait réaliser par une agence privée sur les conséquences de la réforme de l’ITR ([24]). Afin d’appréhender de manière plus concrète la perte de revenus des bénéficiaires induite par la réforme, les auteurs présentent des exemples chiffrés basés sur plusieurs cas concrets d’agents en service, remplissant tous les conditions d’octroi de cette indemnité. Pour chacun des cas présentés, il est considéré que l’agent conserve son activité dans le même corps d’une part, et que son évolution indiciaire est classique selon les grilles en vigueur d’autre part. Ces simulations concernent des agents ayant une carrière complète, ce qui n’est pas toujours le cas.
1. Le cas d’un fonctionnaire de police gardien de la paix
Né en 1974, âgé de 46 ans en 2020 à l’époque de l’étude, ce fonctionnaire actif de catégorie C est à l’échelon 4, INM ([25]) 380 avec 127 trimestres validés. En fin de carrière, l’intéressé partira à la retraite en 2031, à l’âge de 57 ans. Il aura atteint l’échelon 9, INM 450 et aura validé 171 trimestres. Il n’aura aucune surcote ni décote.
Le départ à la retraite de cet agent aura lieu alors même que l’ITR sera définitivement supprimée. Sa pension sera très inférieure par rapport à celle d’un agent disposant du même niveau de fin de carrière mais ayant liquidé ses droits avant 2008 : cet écart est de plus de 43 %, et même de 22 % par rapport à un collègue liquidant ses droits à retraite en 2020, alors que la réforme a déjà commencé à produire ses effets.
Concrètement, la pension de retraite de ce policier ne s’élèvera qu’à 226 422 francs Pacifiques ([26]) mensuels (1 897 €) contre 396 239 francs (3 320 €) avant la réforme ou 290 033 francs (2 430 €) en 2020.
L’impact sur le taux de remplacement de l’agent est particulièrement notable puisque, en 2031, il s’établira à 41 %, alors que le taux était de 71 % avec le dispositif historique de l’ITR.
2. Le cas d’une enseignante professeure des écoles
Née en 1958, âgée de 62 ans en 2020, elle est fonctionnaire sédentaire de catégorie A placée à l’échelon 6, INM 806. Elle part à la retraite en 2021, à l’âge de 63 ans et 9 mois, sans surcote ni décote, à échelon et indice inchangés. Elle a alors validé 167 trimestres.
Compte tenu du départ à la retraite imminent, ce profil bénéficiera de l’ITR partiellement réformée. Toutefois, et en comparaison avec un agent disposant des mêmes caractéristiques mais ayant bénéficié à plein du dispositif de l’ITR, la pension de retraite globale est réduite de près de 33 % : elle s’élèvera mensuellement, en 2021, à 391 492 francs Pacifique (3 280 euros) contre 587 708 francs (4 925 euros) avant la réforme.
En termes de taux de remplacement, notre agent actuel ne disposera d’un taux de remplacement que de 47 %, en lieu et place de son homologue parti à la retraite avant 2008 qui disposait d’un taux de 71 %.