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N° 4443

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 septembre 2021.

 

 

RAPPORT  D’INFORMATION

 

 

DÉPOSÉ

 

 

en application de l’article 145 du Règlement

 

 

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

 

 

en conclusion des travaux de la mission d’information sur
l’emploi des travailleurs expérimentés

 

 

ET PRÉSENTÉ PAR

 

 

MM. Didier MARTIN et Stéphane VIRY,

 

Députés.

 

——


 

 

 

 

 

 

 

 

La mission d’information sur l’emploi des travailleurs expérimentés est composée de : Mme Valérie Six, présidente ; MM. Didier Martin et Stéphane Viry, rapporteurs.


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SOMMAIRE

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Pages

Avant-propos de la présidente

partie liminaire : constats, méthodes et approches de la mission

I. INTRODUCTION : UN SUJET AMPLE, éVOLUTIF ET FONDAMENTAL

1. Une définition difficile, une réalité multidimensionnelle

a. Un vocabulaire à adapter pour éviter de corroborer une vision stéréotypée des travailleurs expérimentés

b. La définition d’un âge « frontière » n’est pas déterminante pour appréhender tous les enjeux de l’emploi des travailleurs expérimentés

c. La nécessité d’une vision « panoramique » des enjeux

2. L’emploi des travailleurs expérimentés : un « aller-retour » complet en quelques décennies

a. La baisse du taux d’activité des travailleurs expérimentés est le résultat d’une politique de promotion des préretraites

b. Un revirement progressif en faveur de l’activité engagé dès les années 1990

c. Ces revirements de politique publique ont conduit à la quasi-disparition d’une politique spécifique, ambitieuse et cohérente à l’égard des travailleurs expérimentés

3. Une question fondamentale dont la résolution sera déterminante pour l’avenir

a. Malgré des améliorations, un niveau d’activité qui reste moindre que dans les autres pays comparables

b. Une très grande difficulté à sortir du chômage pour les 55-64 ans

c. Une question déterminante, qui concerne l’ensemble de la société

II. Un fil rouge de la mission : la situation des travailleuses expérimentées

SECONDE PARTIE : CONTEXTE ET CONTENU DES PROPOSITIONS DE LA MISSION

I. AMÉLIORER LA FORMATION DES TRAVAILLEURS EXPÉRIMENTÉS

1. Les travailleurs expérimentés se forment-ils moins que leurs cadets ?

a. Un bilan contrasté

b. Les difficultés spécifiques rencontrées par les salariés expérimentés dans l’accès à la formation

c. La logique d’individualisation de la formation professionnelle, un atout pour les travailleurs expérimentés

2. Le faible recours aux dispositifs existants

a. La validation des acquis de l’expérience, un dispositif qui gagnerait à être simplifié

b. L’entretien professionnel, un outil encore mal exploité

3. Mieux mobiliser les outils de la formation professionnelle existants

a. Déplafonner le compte personnel de formation pour les salariés de plus de 45 ans

b. Affermir le conseil en évolution professionnelle

c. Soutenir les formes d’apprentissage en situation de travail

II. AGIR POUR LA FORMATION et L’ACCOMPAGNEMENT dES DEMANDEURS D’EMPLOI expérimentés

1. Face au risque de privation durable d’emploi, soutenir les dispositifs de reconversion professionnelle

a. Les demandeurs d’emploi de plus de 50 ans sont plus exposés au risque de sous-emploi et d’emploi précaire

b. Les demandeurs d’emploi expérimentés sont plus enclins à se reconvertir professionnellement

c. Étendre le CPF de transition aux demandeurs d’emploi expérimentés

d. Soutenir l’entrepreneuriat des travailleurs expérimentés en recherche d’emploi

2. L’accompagnement spécifique des demandeurs d’emploi expérimentés doit être encouragé

a. Des initiatives locales prometteuses

b. Pôle emploi et les travailleurs expérimentés : l’abandon progressif d’une stratégie nationale spécifique

c. Généraliser une offre spécifique sur le territoire du réseau Pôle Emploi en faveur des travailleurs expérimentés

d. Mieux faire connaître le contrat de professionnalisation, qui souffre d’un déficit de notoriété

III. TRAVAILLER DANS DE MEILLEURES CONDITIONS POUR TRAVAILLER PLUS LONGTEMPS : PRéVENIR LA DéSINSERTION ET L’USURE PROFESSIONNELLEs

1. Les travailleurs en fin de carrière sont plus exposés au risque de désinsertion et d’usure professionnelle

a. La désinsertion : les travailleurs expérimentés sont plus souvent en arrêt

b. L’usure professionnelle : l’impact des contraintes sur l’emploi des travailleurs expérimentés

2. Promouvoir et étendre le bénéfice du compte personnel de prévention

3. Faire de l’entretien de mi-carrière une étape dans la prévention de l’usure professionnelle

a. L’expérience du « parcours longévité » de l’Institut Pasteur de Lille

b. Articuler l’entretien de mi-carrière avec l’entretien professionnel

IV. RÉTABLIR UNE OBLIGATION DE NéGOCIER SUR L’EMPLOI ET L’EMPLOYABILITÉ DES travailleurs expérimentÉs

1. L’origine de la suppression

2. Faire de l’employabilité des travailleurs âgés un thème non optionnel des accords de gestion prévisionnelle des effectifs et des compétences

V. DÉVELOPPER LES ÉCHANGES INTERGÉNÉRATIONNELS

1. Valoriser les pratiques de ressources humaines inclusives

a. Le mentorat, vecteur de transmission de savoirs

b. Le tutorat inversé, une opportunité de prévenir l’obsolescence des compétences

c. Identifier les entreprises engagées dans l’inclusion des travailleurs expérimentés

2. Réinventer le contrat de génération

a. Le dispositif introduit en 2013

b. Les raisons de sa suppression

c. L’opportunité d’une négociation interprofessionnelle sur la recréation d’un nouveau contrat fondé sur une réelle transmission des savoirs et des compétences

VI. PRIVILÉGIER LES CONTRATS EXISTANTS À LA CRÉATION D’UN NOUVEAU « CONTRAT SENIOR »

1. La portée limitée des dispositifs existants

a. Le faible recours au CDD senior

b. Le public restreint du CDI inclusion

2. Lever les freins au recours à l’intérim

a. Le travail temporaire, tremplin pour revenir à l’emploi

b. Créer un nouveau motif de recours au travail temporaire, dérogatoire pour les salariés de plus de 60 ans

VII. AMéNAGER LES CONDITIONS DE TRAVAIL EN FIN DE CARRIèRE

1. Promouvoir le télétravail

2. Ne pas négliger les temps partiels choisis pour maintenir l’activité

a. Le recours au temps partiel est plus fréquent avec l’âge

b. Les effets attendus d’une politique volontariste de réduction du temps de travail en fin de carrière

3. Faciliter les mobilités et mises à disposition des salariés expérimentés

a. Encourager les mobilités internes pour « reclasser » les travailleurs souffrant de problèmes de santé

b. Développer le prêt de main-d’œuvre entre entreprises

c. Les bénéfices escomptés du dispositif de transitions collectives

VIII. accompagner et soutenir la reprise d’emploi du travailleur expérimenté

1. Le salarié expérimenté est parfois perçu, à tort, comme une charge pour son entreprise

a. Le travailleur expérimenté est perçu comme plus coûteux, ce que confirment certains chiffres...

b. ... et moins productif, ce qui constitue en l’état des connaissances disponibles un simple préjugé

2. L’absence de dispositifs de soutien spécifiques dans le cadre d’une politique de l’emploi très tournée vers les jeunes travailleurs

a. Des mesures générales de soutien à l’emploi qui visent principalement les bas salaires

b. Des aides ciblées peu nombreuses

c. Des mécanismes de prélèvements qui, au contraire, sont parfois dissuasifs

3. Activer les dispositifs pour inciter entreprises et chômeurs expérimentés à reprendre un emploi

a. Soutenir le travailleur expérimenté qui reprend un emploi moins rémunéré à quelques années de la retraite

b. Soutenir davantage l’employeur qui fait le pari de la confiance dans un travailleur expérimenté

c. Des mesures de soutien qui pourraient être assorties de contreparties visàvis des pratiques les plus contestables, notamment en matière de ruptures conventionnelles

IX. Un enjeu de valorisation et de non-discrimination qui se joue au sein de l’entreprise

1. Le poids significatif des représentations et des discriminations

2. Des dispositifs juridiques qui montrent leurs limites

3. Former, valoriser, communiquer pour assurer une meilleure prise en compte des travailleurs expérimentés dans l’entreprise

X. Une articulation entre emploi et retraite À améliorer

1. Des enjeux fortement mêlés

2. L’échec relatif du cumul emploi-retraite et de la retraite progressive

a. Les modalités de cumul ont connu de profondes modifications ces dernières années

b. Un cumul emploi-retraite très concentré sur un certain type de profil

c. Une retraite progressive qui n’a jamais trouvé son public, malgré des progrès récents

3. Des dispositifs à compléter ?

travaux de la commission

annexe n° 1 : Liste des personnes auditionnÉes et des dÉplacements effectuÉs par la mission d’information

Annexe n° 2 : synthÈse des propositions


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Avant-propos de la présidente

● Présider cette mission sur l’emploi des « travailleurs expérimentés » ([1]) pendant ces six mois a été un exercice aussi exigeant que passionnant. À la croisée des enjeux de l’emploi et de la retraite, cette question cruciale est aussi au cœur de l’engagement qui est le mien depuis des années, comme professionnelle et comme élue.

Particulièrement investie dans l’accompagnement des demandeurs d’emploi, j’ai travaillé comme présidente de mission locale pendant plus de quinze ans, présidé le comité de bassin d’emploi de Lille métropole qui réunissait tous les acteurs locaux de l’emploi et organisé le premier salon sur l’emploi des « seniors », il y a déjà une dizaine d’années.

Si l’action de terrain a nourri mon engagement depuis longtemps, je me félicite aussi qu’elle ait stimulé la réflexion de la mission, qui a bien souvent puisé dans les nombreuses initiatives locales des sources de réflexion, des pistes de travail et surtout une force d’engagement sur ce sujet particulièrement communicative.

Au regard de cette contribution majeure, ce rapport est évidemment dédié à tous les travailleurs expérimentés mais aussi à tous ceux qui, chaque jour, partout sur les territoires les accompagnent dans le maintien ou dans le retour à l’emploi. Le travail réalisé à travers ces initiatives est absolument remarquable et doit être salué comme tel.

Parmi ces initiatives, je me permettrais de citer plus particulièrement les dispositifs de mon territoire, que la mission a pris le temps de venir observer : l’Espace emploi mis en place par l’AGIRC-ARRCO à Lille ainsi que le dispositif PEPS. Tous ces dispositifs montrent bien que tout n’a pas été essayé pour soutenir l’emploi des travailleurs expérimentés et qu’un investissement sans faille dans ce combat est concrètement porteur.

● Je me félicite aussi de l’esprit de construction qui a présidé à l’ensemble des travaux pour bâtir un diagnostic et des préconisations aussi largement partagés que possible.

Le combat est en effet d’importance, mais il est aussi celui de tous ceux – et ils sont très nombreux – qui considèrent que notre pays se prive d’une grande richesse économique et humaine, en laissant tant de travailleurs expérimentés sans activité.

Ce combat repose sur un constat : celui d’une rupture qui se joue après 55 ans et qui concerne à la fois les employeurs et les salariés concernés. L’effet horizon qui se déclenche à quelques années de l’âge de départ à la retraite constitue le nœud de ce problème : c’est cette frontière de l’âge qui renvoie aux acteurs l’impression, une fois qu’elle est franchie, que former ou se former, accompagner ou se faire accompagner chercher ou proposer un emploi deviendrait soudainement inutile.

Ce phénomène est aussi bien documenté par les nombreux travaux précédemment menés sur cette question que dangereux. Il est à la fois le symptôme et la cause d’une « banalisation » de cette forme particulière de discrimination, ou d’autocensure, dont sont victimes les travailleurs expérimentés. Il est d’autant plus inacceptable que, dans le même temps et à juste titre, on ne cesse de demander aux actifs de travailler plus longtemps. C’est cette contradiction qui doit être surmontée, alors que la perspective d’une nouvelle réforme touchant aux paramètres de départ à la retraite dans les années à venir ne peut ni ne doit être écartée.

Pour résoudre ces difficultés, la conviction que s’est forgée la mission tout au long des auditions et des déplacements est qu’il n’existe pas une solution mais des solutions. Cette nécessaire pluralité de la réponse correspond au caractère fondamentalement multidimensionnel du problème : l’enjeu est à la fois dans l’entreprise et en dehors, d’agir sur les incitations des employeurs et des salariés, de préparer en amont par la formation tout en incitant à travailler jusqu’à la retraite et parfois même pendant cette dernière. Dans cette matière éminemment humaine, l’accompagnement des travailleurs expérimentés est absolument cruciale. Cette vision globale nécessitera une mobilisation de toutes et de tous (État, Unédic, Pôle emploi, partenaires sociaux, employeurs, associations) pour mettre en œuvre une action énergique et coordonnée.

● La mission, s’inspirant des travaux précédents mais aussi des constats qu’elle a pu faire lors de ses auditions ainsi que sur le terrain ([2]), oriente ses nombreuses propositions autour de trois axes structurants :

– maintenir des salariés expérimentés dans l’emploi, qui doit se penser très « en amont » autour des enjeux de formation et de prévention ;

– renforcer le retour à l’emploi, en jouant à la fois sur un meilleur accompagnement et sur des incitations mieux calibrées ;

 améliorer le passage de la vie professionnelle à la retraite, en articulant mieux les dispositifs pour assurer des transitions adaptées aux contraintes de chacun.

Ce faisant, elle offre, alors que les partenaires sociaux sont encore saisis sur la question et que le Gouvernement souhaite avancer sur ce sujet, une palette de solutions large et cohérente, qui pourrait constituer le socle d’une action réaffirmée et réactualisée sur cet enjeu déterminant.


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   partie liminaire : constats, méthodes et approches de la mission

La mission d’information de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale s’inscrit dans un contexte particulier : celui d’une « ambiance » de réforme des retraites depuis le début des travaux de Jean-Paul Delevoye et qui avait déjà donné lieu à des travaux utiles (France Stratégie ([3]), Cour des comptes ([4]), Sénat ([5]), Conseil économique, social et environnemental ([6]), Conseil d’analyse économique ([7]), mission « Bellon-Mériaux-Soussan » à la demande du Gouvernement ([8]) ...) et, plus récemment, celui d’une crise sanitaire dont les conséquences économiques ne peuvent encore être pleinement mesurées.

Déterminés à apporter une pierre utile à un édifice encore en construction, les rapporteurs ont souhaité concentrer leur propos sur des propositions. Ces dernières forment ainsi une « boîte à outils » à disposition de l’ensemble des parties prenantes, d’autant plus utile qu’au moment de la publication du présent rapport, les partenaires sociaux sont encore saisis de la question dans le cadre de « l’agenda social ».

Cette partie liminaire ne prétend donc pas reprendre l’ensemble des constats qui ont été faits à de nombreuses reprises par les travaux précités, mais aussi par des chercheurs passionnés – on citera Anne-Marie Guillemard, Serge Volkoff et Annie Jolivet auditionnés par la mission ([9]) – ou encore par les remarquables travaux statistiques de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), de la direction de l’animation, de la recherche, des études et des statistiques (DARES) et de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) abondamment cités dans le rapport. Elle entend décrire de manière synthétique les constats, les points d’attention, les principes qui ont guidé les propositions décrites et contextualisées plus précisément dans les chapitres suivants.

I.   INTRODUCTION : UN SUJET AMPLE, éVOLUTIF ET FONDAMENTAL

Si les rapporteurs avaient conscience de l’importance de leur objet d’études, les travaux de la mission en ont aussi illustré la profondeur historique, politique et sociale. Les développements suivants s’essayent ainsi, en essayant de ne pas perdre de vue l’essentiel, à décrire ces ramifications qui expliquent peut-être pourquoi il n’a pas été si facile de s’en saisir exhaustivement jusqu’ici.

1.   Une définition difficile, une réalité multidimensionnelle

Au terme de plusieurs mois de réflexion, c’est tant la difficulté à trouver les mots et les âges justes pour circonscrire le problème qui a saisi les rapporteurs que le besoin, évident mais redoutable, de faire appel à de nombreuses politiques publiques pour le régler.

a.   Un vocabulaire à adapter pour éviter de corroborer une vision stéréotypée des travailleurs expérimentés

La mission a acquis cette conviction au fur et à mesure des auditions : le terme de « senior » n’est pas anodin. Sa relative banalisation ne peut, ni ne doit faire oublier sa connotation désormais dépréciative vis-à-vis des travailleurs les plus âgés. On lutte mal contre les préjugés en utilisant des termes qui en procèdent. Or, les rapporteurs constatent que celui-ci a été usé jusqu’à devenir parfois indissociable de mesures aussi stigmatisantes que peu efficaces.

C’est d’autant plus vrai que cette notion de « seniors » est en réalité subjective et ne renvoie pas à un âge clairement défini : dans certains secteurs ou certains dispositifs, un « senior » est âgé de plus de 45 ans, dans d’autres 50 ans, 55 ans ou plus. Cette terminologie semble néanmoins suggérer qu’à partir d’un certain âge, le « senior » ne serait plus suffisamment productif et deviendrait plus ou moins « inutile » pour le reste de la société active. Ces préjugés sont bien évidemment infondés (cf. infra sur la question de la productivité), et nient la richesse que peut apporter l’expérience, notamment en termes de réseau, d’investissement et de connaissance de l’entreprise.

La qualification de « senior » renvoie avant tout à la place occupée par l’individu dans la pyramide des âges professionnels, et évoque l’idée que le travailleur aurait passé un « cap » de productivité ou d’investissement. À partir de 45 ans, on devrait considérer les « seniors » au contraire en début d’une seconde partie de carrière pouvant durer plus d’une vingtaine d’années. Ce terme charrie ainsi avec lui de nombreuses représentations négatives, qui nuisent à la bonne appréhension des forces et faiblesses liées à chaque âge au sein de la société et nient l’inévitable allongement de la vie professionnelle pour tous.

Dans une démarche volontairement engagée en faveur de la lutte contre les stéréotypes associés aux travailleurs les plus âgés, les rapporteurs ont choisi de substituer systématiquement au terme de « senior » celui de « salarié expérimenté » ou de « travailleur expérimenté ». Ce choix avait déjà été porté, pour des motifs identiques, par le rapport réalisé par Sophie Bellon, Olivier Mériaux et Jean-Manuel Soussan remis au Gouvernement en janvier 2020 ([10]). Il a le mérite de souligner que le savoir-faire, la maturité, la connaissance souvent fine de l’entreprise ou du métier constituent une précieuse valeur ajoutée, à condition d’être utilisés ([11]).

b.   La définition d’un âge « frontière » n’est pas déterminante pour appréhender tous les enjeux de l’emploi des travailleurs expérimentés

Au cours de ses auditions, la mission a souvent eu à discuter de cette question de l’âge, comme un curseur qu’il faudrait à tout prix déterminer à l’avance. Or, plus cette question a été abordée, plus elle est apparue peu opérante pour appréhender dans son ensemble la question des travailleurs expérimentés.

Certes, la tranche d’âge la plus utilisée pour la réalisation d’études statistiques, et notamment pour les éclairantes comparaisons internationales (cfinfra), est celle des 55-64 ans, toutefois :

– la tranche 45-54 ans peut aussi d’ores et déjà être touchée par les phénomènes de discrimination relative à l’âge ;

– les questions de prévention et d’accompagnement, indispensables au bon maintien dans l’emploi des travailleurs expérimentés, doivent être pensées par les pouvoirs publics et les employeurs très en amont, et bien avant des âges prétendument fatidiques ;

– à l’inverse, certaines propositions relatives notamment au retour à l’emploi, elles-mêmes appuyées sur certains constats statistiques par âge, pour ne pas embrasser des situations trop hétérogènes doivent au contraire être pensées pour ne viser que les toutes fins de carrière.

Partant de cette analyse souple de la définition de l’âge, la mission assume donc volontiers de faire certaines propositions qui concernent « l’amont » de la deuxième partie de carrière ou au contraire « l’aval » en fonction des enjeux, et non d’un seuil statistique unique défini à l’avance.

c.   La nécessité d’une vision « panoramique » des enjeux

Aucun levier ne peut prétendre résoudre seul le problème : la solution est donc à rechercher dans plusieurs politiques publiques.

L’emploi des travailleurs expérimentés est un sujet particulièrement important de par son caractère multidimensionnel. En effet, il est relié à de nombreux aspects des politiques publiques au-delà du simple thème de l’emploi, notamment la retraite, l’éducation, la formation ou encore la santé.

Ainsi, c’est l’ensemble de la société qui doit se questionner sur le rôle de chaque âge, et sur la répartition du travail entre les âges. Les principales difficultés de cette question résident dans la coordination entre le recul de l’âge de départ à la retraite et l’effectivité de l’allongement du temps de travail. En effet, le recul de l’âge légal ne doit pas se traduire par un basculement d’une partie des travailleurs en fin de carrière dans l’inactivité ou le chômage, ce qui reviendrait à un échec de la réforme. Sans capacité à faire monter le taux d’activité, les économies en matière de retraite sont condamnées à être dépensées, au moins en partie, en minima sociaux et en allocations chômage, sans améliorer le taux d’emploi du public visé.

C’est ce qui a conduit la question de l’augmentation de l’emploi des travailleurs expérimentés à revenir régulièrement à l’occasion des différentes réformes du système de retraite comme en 2003, en 2010 ou plus récemment, en 2020 avec le projet de loi visant à instituer un système de retraite universel ([12]).

Enfin, il s’agit aussi pour les travailleurs expérimentés d’avoir accès, s’ils le souhaitent, aux mêmes opportunités que les jeunes générations, et de tenir compte, au sein d’une même classe d’âge de travailleurs âgés, des disparités existantes en termes de santé et de qualifications, parfois génératrices d’inégalités face aux règles de l’assurance retraite.

Une très grande diversité de facteurs, souvent interconnectés, influe sur la situation des travailleurs expérimentés. Aussi, il est délicat de discerner quels phénomènes sont prépondérants dans l’évolution du taux d’emploi chez les 55‑64 ans. Les règles de l’assurance chômage, notamment la durée de versement des prestations, étendue à trois ans pour les plus de 55 ans, mais également les règles régissant le système de retraite, comme l’âge légal de départ à la retraite ou la durée de cotisation minimum, sont autant de variables ayant un impact sur les arbitrages réalisés par les travailleurs expérimentés. De nombreuses publications récentes, comme le rapport de France Stratégie ([13]), celui de la mission Bellon-Mériaux-Soussan ([14]), du Sénat ([15]) ou encore de la DARES ([16]), font état de multiples freins simultanés à l’emploi des travailleurs en fin de carrière, comme le manque d’accès à la formation tout au long de la vie, les conditions de travail plus ou moins pénibles ou encore l’interférence de la vie familiale dans les décisions (proche malade, carrière du conjoint...).

Beaucoup font également référence à « l’effet horizon », c’est-à-dire le fait que tous les acteurs (employeurs, travailleurs expérimentés, acteurs publics) optimisent leurs décisions en fonction du nombre d’années restantes avant l’âge de départ à la retraite. Ainsi, plus l’horizon du départ en retraite est lointain, plus les salariés âgés et les employeurs produiraient d’efforts pour prolonger la durée d’emploi. Un employeur se séparerait moins facilement d’un salarié expérimenté dont le départ à la retraite serait reporté à une échéance plus lointaine que prévue, et le salarié chercherait à rester actif plus longtemps sur le marché du travail à mesure que l’âge auquel il pourra liquider sa pension de retraite recule.

Au contraire, lorsque l’âge de la retraite est proche, « l’effet horizon » peut conduire à un arbitrage en faveur de l’inactivité ou du chômage, de la part des employeurs comme des salariés. Cet effet peut également avoir un impact sur le recours à la formation, la recherche d’emploi ou encore les choix de mise en œuvre de politiques publiques destinées à favoriser l’emploi des travailleurs expérimentés ([17]).

À cette multiplicité de facteurs s’ajoute un enjeu culturel, qui consiste à changer les représentations et les stéréotypes associés aux travailleurs expérimentés, et à concevoir la société sous un jour nouveau. Un tel projet demande du temps, et suppose de questionner en profondeur nos croyances vis-à-vis de l’âge, qui ne doit plus être considéré comme un handicap, mais bien comme un atout. Ce questionnement doit s’effectuer à tous les niveaux, celui des employeurs, des concepteurs de politiques publiques mais également des salariés eux-mêmes, qui se perçoivent trop souvent à la lumière des représentations qu’on appose sur eux, et ne réalisent pas suffisamment le rôle qu’ils ont à jouer dans la société active.

Une telle évolution des mœurs demeure très complexe, et ne peut se faire que sur le temps long. Aussi, la mission d’information ne saurait prétendre être à elle seule à l’origine d’un tel changement, qui nécessite la mobilisation de l’ensemble des acteurs concernés.

Néanmoins et heureusement, plusieurs leviers d’action sont identifiables pour agir en ce sens, à différents niveaux. Leur intégration dans un plan national coordonné et porté au plus haut niveau par le Parlement, les partenaires sociaux et le Gouvernement donnerait de la visibilité et mobiliserait davantage tous les acteurs.

Le changement de représentation passe aussi par des expériences réussies : c’est pourquoi la mission s’est appuyée sur tout ce qui « marche » sur le terrain, et peut faire un précieux effet de levier dans un bassin d’emploi.

Un tel « déclic », qui s’est produit dans de nombreux pays comme la Finlande, suppose toutefois des mesures fortes capables de changer la réalité sur le terrain comme de marquer les esprits.

Il suppose enfin de la cohérence, cohérence qui a pu parfois manquer dans l’histoire des politiques en faveur des travailleurs expérimentés. Cette cohérence est d’autant plus importante que les expériences précédentes ont pu montrer une certaine persistance des schémas précédents dans les mentalités, malgré les évolutions. Pour ne prendre qu’un exemple, si l’âge d’ouverture des droits à la retraite est passé à 62 ans après la réforme de 2010, on observe encore statistiquement des comportements et des représentations montrant que 60 ans est encore une « référence mentale » pour beaucoup d’employeurs comme de salariés.

De ce point de vue, il est utile de retracer les grandes orientations de politiques publiques, parfois erratiques, empruntées par le passé, afin de mieux comprendre les ressorts de la situation actuelle.

2.   L’emploi des travailleurs expérimentés : un « aller-retour » complet en quelques décennies

En un demi-siècle, les orientations de la politique à destination des travailleurs expérimentés ont évolué de « 180 degrés » ce qui peut expliquer une grande partie du « retard français ».

a.   La baisse du taux d’activité des travailleurs expérimentés est le résultat d’une politique de promotion des préretraites

Cela peut surprendre mais l’inactivité a été choisie avant d’être combattue. Sans reprendre ici une histoire maintes fois rappelée dans les rapports précédents, les rapporteurs en rappellent ici l’essentiel.

Les politiques publiques relatives à l’emploi des travailleurs les plus âgés ont été marquées par différentes approches au cours du temps. La stratégie privilégiée dans la période d’après-guerre et jusqu’à la fin des années 1980 a été de favoriser le départ à la retraite des travailleurs expérimentés, afin de permettre, en théorie, un meilleur accès à l’emploi aux plus jeunes et de lutter contre le chômage de masse. Cet argument a servi de justification à la mise en place de nombreuses mesures de préretraites, financées par l’État, permettant à des travailleurs n’ayant pas encore atteint l’âge légal de départ en retraite de cesser leur activité et de toucher un revenu de substitution en attendant de pouvoir liquider leur pension. Cette logique a été renforcée par la crise économique des années 1970 et la forte hausse du chômage qui s’en est suivie. Plusieurs outils ont été utilisés pour encourager les travailleurs expérimentés à sortir du marché de l’emploi, notamment les préretraites financées par l’État, la modification des paramètres de l’assurance retraite et l’assouplissement des règles de l’assurance chômage.

De nombreux dispositifs de cessation anticipée d’activité financés par l’État ont été déployés, dont il est d’autant moins utile de faire l’inventaire, qu’ils ont été fort bien détaillés dans le rapport du Sénat ([18]) mentionné supra.

Par ailleurs, les travailleurs les plus âgés sont parfois encouragés à sortir précocement du marché de l’emploi par leur propre entreprise, prête à financer un dispositif de préretraite à l’issue d’une rupture ou d’une suspension du contrat de travail. Ce type de mesures, pouvant intervenir dans le cadre d’un plan de restructuration par exemple, serait toujours d’actualité aujourd’hui, alors même que la plupart des préretraites financées par l’État ont été supprimées.

L’objectif de désincitation à l’emploi pour les travailleurs âgés s’est également traduit par des réformes de l’assurance vieillesse, notamment la modification de l’âge d’obtention de la pension de retraite à taux plein. Contrairement à une idée reçue, l’âge minimum légal d’ouverture des droits à la retraite était de 60 ans dès 1945, mais les salariés devaient en réalité attendre 65 ans afin de pouvoir obtenir une pension de retraite à taux plein. Aussi, la réforme de 1982 ([19]) s’est-elle en réalité contentée d’autoriser les salariés ayant cotisé au moins 150 trimestres à prendre leur retraite à taux plein dès 60 ans.

Les règles de l’assurance chômage ont aussi participé à cette incitation à la cessation anticipée d’activité, avec par exemple, le mécanisme de « dispense de recherche d’emploi » (1984-2012), qui a jusqu’à une date très récente exonéré les demandeurs d’emploi de plus de 57 ans de rechercher un emploi tout en continuant de percevoir leurs allocations chômage. En 1999, il a même été ouvert dès l’âge de 55 ans, si le demandeur d’emploi avait cotisé au moins 160 trimestres.

Ces différentes mesures visant à inciter les travailleurs de la tranche d’âge 55-64 ans à sortir de la vie active plus tôt que nécessaire, ont contribué à une baisse drastique du taux d’activité et d’emploi de cette catégorie de la population sur la période. Ainsi, en 1970, près de 70 % des Français entre 60 et 64 ans étaient actifs, contre seulement 35 % en 1983, et environ 17 % dans le milieu des années 1990 ([20]). Cette tendance s’est naturellement amplifiée avec la montée du chômage mais également avec « l’institutionnalisation » des préretraites, encouragée par les pouvoirs publics en réponse à la difficulté de maintenir les salariés les plus âgés en emploi.

b.   Un revirement progressif en faveur de l’activité engagé dès les années 1990

Dès 1993 ([21]), une première réforme vient amorcer une nouvelle dynamique, par la suite confirmée par la réforme des retraites de 2003 ([22]). Cette nouvelle approche s’explique par la conscience accrue de l’impact financier de l’arrivée à la retraite des baby-boomers.

Ainsi, la durée d’assurance requise pour obtenir une retraite à taux plein est allongée et le calcul de la pension est réalisé non plus sur les dix meilleures années du travailleur, mais sur ses vingt-cinq meilleures années. On peut donc déjà voir dans ces deux évolutions une volonté d’inciter à l’allongement de l’activité.

La réforme du système de retraite de 2003 a quant à elle contribué à mettre en place le paradigme actuel de l’emploi des travailleurs expérimentés, dans lequel la majorité des dispositifs de préretraites publics ont été supprimés, et l’approche de retrait précoce du marché du travail a été remplacée par une incitation à l’allongement de l’activité pour les 55-64 ans. Cette réforme s’inscrit également dans une volonté de rattraper le retard de la France vis-à-vis de ses voisins européens, puisqu’en 2003, 49,7 % des Français de 55-59 ans étaient en emploi, contre 78 % en Suède ou 57,7 % en Allemagne ([23]).

La réforme des retraites de 2003 a permis l’extinction de plusieurs dispositifs de préretraites progressives (allocation de remplacement pour l’emploi, congé de fin d’activité...). En parallèle, elle a créé deux dispositifs de préretraites financés par la collectivité : l’un pour les « carrières longues » c’est-à-dire les personnes ayant commencé à travailler tôt et l’autre pour le handicap. Ces exceptions ont vocation à éviter de pénaliser les travailleurs ayant subi des conditions de travail particulièrement pénibles au cours de leur vie, mais devraient, pour le dispositif des carrières longues, se réduire à terme, en raison de l’allongement de la durée des études chez les jeunes générations.

En outre, la réforme de 2003 a aligné pour les fonctionnaires la durée de cotisation nécessaire à l’obtention d’une retraite à taux plein sur celle des salariés du secteur privé, et met en place une augmentation automatique de la durée de cotisation en fonction de l’augmentation de l’espérance de vie. Des mécanismes adaptés ensuite dans d’autres réformes de l’assurance retraite voient aussi le jour à cette occasion, comme la surcote des pensions des salariés ayant travaillé au-delà de l’âge légal, ou l’instauration d’une taxe sur les « préretraites privées » ([24]), c’est-à-dire la taxation des indemnités de « préretraite » versées par une entreprise suite à une rupture de contrat de travail.

Le début des années 2000 marque donc un tournant dans l’orientation donnée aux politiques publiques relatives à l’emploi des travailleurs expérimentés. Jusqu’alors très favorables aux départs anticipés à la retraite, les pouvoirs publics impulsent un revirement total avec la réforme des retraites de 2003, effort poursuivi par la suite via des mesures ciblées en faveur de l’emploi des 55-64 ans.

Dans la continuité de la réforme de 2003, les pouvoirs publics ont souhaité mettre en place de nombreux dispositifs ciblés afin de favoriser l’emploi des « travailleurs expérimentés ». Ceux-ci ont pu prendre la forme d’incitations à l’embauche, de sanctions à l’encontre des entreprises soupçonnées de discrimination, d’appui à la prise en compte des travailleurs expérimentés dans la négociation collective, ou encore de la mobilisation des politiques de l’emploi. Cela s’est également matérialisé par l’extinction des dispositifs de préretraites et des mécanismes de l’assurance chômage de désincitation à l’emploi, comme la dispense de recherche d’emploi.

La taxation des préretraites d’entreprise constitue un exemple de sanction financière vis-à-vis des entreprises cherchant à se séparer plus tôt que nécessaire de leurs travailleurs expérimentés. La contribution dite « Delalande » ([25]), qui prévoyait la taxation des licenciements des plus de 50 ans en contrat à durée indéterminée (CDI), en était un autre exemple. Les politiques de l’emploi ont aussi été mobilisées sur ce sujet, via de nombreux contrats spécifiques visant à favoriser l’embauche de travailleurs expérimentés (contrats aidés, contrats de génération), ou encore par exemple via la politique d’aide différentielle de reclassement, accordée lorsqu’un chômeur reprenait un emploi dont la rémunération était inférieure à son emploi précédent.

De même, les politiques publiques se sont également penchées sur la question de la négociation professionnelle en entreprise, en imposant une négociation de branche obligatoire sur l’emploi des salariés les plus âgés, avec une sanction en cas d’absence d’accord ou de plan d’action.

c.   Ces revirements de politique publique ont conduit à la quasi-disparition d’une politique spécifique, ambitieuse et cohérente à l’égard des travailleurs expérimentés

Le bilan qui a été fait de ces différents dispositifs, hors retraite, a été jugé décevant, et la grande majorité d’entre eux a été depuis supprimée (aide à l’embauche, contribution « Delalande », obligation de négociation, aide différentielle au reclassement...).

Aussi, l’approche récente privilégie l’utilisation des dispositifs de droit commun plutôt que des politiques ciblées sur le public des 55-64 ans, considérant que ces dispositifs touchent bien la cible des plus âgés ou que les entreprises intégreront d’elles-mêmes ces problématiques à leurs agendas.

Dans un récent référé sur la gestion des fins de carrière ([26]), la Cour des comptes, auditionnée par la mission, faisait quant à elle le constat que la mobilisation autour de ces sujets était restée marginale ces dernières années, constat que les rapporteurs partagent.

3.   Une question fondamentale dont la résolution sera déterminante pour l’avenir

Le relatif délaissement de cette question est d’autant moins compréhensible qu’il s’agit encore bien d’un problème « français », marqué par un retard du niveau d’activité et une très grande difficulté du retour à l’emploi, qui compromet les chances de générations toujours plus nombreuses et alors que l’âge de la retraite ne devrait pas cesser de s’allonger.

a.   Malgré des améliorations, un niveau d’activité qui reste moindre que dans les autres pays comparables

Il convient dans un premier temps, de procéder à une précision méthodologique afin de bien distinguer le taux d’activité du taux d’emploi. Le taux d’activité correspond au rapport entre la population active – c’est-à-dire les personnes recherchant un emploi au sens du Bureau international du travail (BIT) ([27]) et les personnes en emploi – et la population totale. En revanche, le taux d’emploi correspond au rapport entre la population en emploi et la population totale. Lorsqu’il est fait référence à l’inactivité, cela renvoie donc aux personnes qui ne sont ni en emploi, ni en recherche d’emploi. Parmi ces personnes, certaines se situent dans le « halo du chômage », c’est-à-dire qu’elles ne remplissent pas les conditions du BIT pour être considérées comme en recherche d’emploi, mais qui souhaitent tout de même travailler.

Les politiques publiques d’incitation aux départs en retraite anticipée ont fortement contribué à la baisse des taux d’emploi et d’activité des travailleurs les plus âgés depuis la fin des années 1960 jusqu’au début des années 2000. Néanmoins, avec le nouveau tournant issu notamment de la réforme des retraites de 2003, la tendance s’est inversée et les taux d’activité et d’emploi des 55-64 ans ont progressé au cours de ces dernières décennies. Ces évolutions sont extrêmement bien documentées par des publications relativement récentes, notamment le rapport de France Stratégie ([28]), et les rapporteurs ne peuvent qu’inviter à s’y référer.

Parmi les faits les plus saillants, on peut compter la progression marquée du taux d’activité des 55-64 ans ces deux dernières décennies, qui est passé d’environ 30 % en 2000 à 56 % en 2018 ([29]). Le taux d’emploi a suivi une évolution assez comparable : alors qu’il était de 36,4 % en 2003, il est monté à 52,3 % au premier trimestre 2019 ([30]). Néanmoins, il faut tout de même noter qu’il existe une forte disparité des taux d’emploi entre la tranche d’âge des 55-59 ans et celle des 60-64 ans, notamment en raison de l’âge minimum légal de départ à la retraite, situé actuellement à 62 ans en France. Ainsi, en 2017, le taux d’emploi des 55-59 ans était de 71,9 %, alors qu’il chutait à 29,4 % pour la tranche 60-64 ans.

Par ailleurs, les experts auditionnés par les rapporteurs et les différentes publications existantes sur le sujet s’accordent à considérer que la situation des travailleurs expérimentés en emploi est en première analyse meilleure que celle des autres travailleurs en France. En effet, le taux de chômage des 55-64 ans est structurellement moins élevé que celui du reste de la population.

Il ne faut toutefois pas négliger le possible « effet d’éviction », qui pourrait expliquer cette tendance. En effet, une partie des 55-64 ans qui perdent leur emploi basculent dans l’inactivité, et ne sont donc plus comptabilisés dans le taux de chômage. De même, si les travailleurs expérimentés sont plus fréquemment en CDI que le reste de la population, puisque 93,2 % des 55-64 ans étaient en CDI en 2016, contre 87,5 % des 25-49 ans ([31]), c’est aussi parce que les formes plus « fragiles » d’emploi se sont bien souvent transformées en perte d’activité. Enfin, s’il apparaît que les conditions de travail seraient globalement équivalentes voire moins pénibles pour ces travailleurs que pour le reste de la population active ([32]), cela ne signifie pas pour autant que des progrès ne sont pas nécessaires pour améliorer les conditions de travail tout au long de la vie, notamment pour les métiers les plus pénibles.

La situation des travailleurs expérimentés français reste cependant moins bonne que celle de la majorité de nos voisins européens. En 2017, le taux d’emploi des 55-64 ans en France (51,3 %) était inférieur à la moyenne des pays de l’Union européenne (57,1 %). Si l’on décompose de nouveau la tranche 55-64 ans, il est possible de remarquer que le taux d’emploi des 55-59 ans en France (71,9 %) est légèrement supérieur à la moyenne européenne (70,3 %), mais que celui des 60-64 ans (29,4 %) est très inférieur à la moyenne de l’UE (42,5 %) ([33]). C’est donc sur cette « tranche » que notre pays se singularise.

Les rapporteurs ont bien conscience qu’il convient de rapporter ces comparaisons aux situations de l’emploi et de la conjoncture économique propres à chaque pays. En effet, comparer la France à certains pays comme l’Allemagne, le Danemark, les Pays-Bas ou la Suède, c’est aussi intégrer que la situation économique est souvent meilleure dans ces pays et que le taux d’emploi de l’ensemble de la population y est souvent supérieur à celui de la France. Le taux de chômage global structurellement élevé en France permet d’expliquer que celui des 55-64 ans soit également assez haut. Ainsi, en 2019, 8,4 % des personnes actives étaient au chômage en France, contre 6,3 % des 50 ans et plus ([34]). Bien que le taux de chômage des travailleurs expérimentés soit assez élevé, il reste donc inférieur au taux de chômage global de la population française. De plus, il s’agit aussi de tenir compte du recours massif au travail à temps partiel dans certains pays comme les Pays-Bas ou l’Allemagne ([35]), qui creuse l’écart entre les pays, mais ne signifie pas nécessairement que la situation globale des travailleurs expérimentés est meilleure. L’appréciation de ces écarts doit aussi tenir compte du niveau de vie des retraités et du niveau des pensions de retraite, qui si elles sont nettement inférieures à celles de la France, peuvent créer une incitation supérieure à l’emploi au-delà de l’âge minimum légal, afin d’éviter le risque de pauvreté monétaire que représente le passage à la retraite ([36]).

De plus, les règles relatives à l’âge légal de départ en retraite jouent un rôle absolument déterminant dans ces différences. En effet, la France est l’un des pays où l’âge minimum légal de départ en retraite est parmi les plus bas, ce qui explique l’écart important entre le taux d’emploi moyen des 60-64 ans en France et dans le reste de l’Union européenne. Par ailleurs, il est fréquent que la transition entre emploi et retraite ne se fasse pas de façon fluide et soit marquée par une période de chômage ou d’inactivité, bien avant que le salarié ait atteint l’âge légal de départ en retraite. C’est pour cette raison que la sociologue spécialiste du vieillissement Anne‑Marie Guillemard, auditionnée par la mission, parle de « faux-semblant » vis‑à‑vis de la progression de l’emploi des travailleurs expérimentés depuis 2003. Même si le taux d’emploi a effectivement augmenté, il ne faut pas négliger qu’il existe toujours un décalage important entre l’âge de sortie du marché du travail et l’âge de liquidation de la retraite. Aussi, l’ensemble des effets se renforce mutuellement : si l’âge légal de départ à la retraite est initialement plus bas que dans d’autres pays et que les travailleurs cessent d’être en emploi avant même l’âge légal, un écart se creuse.

Ainsi, le rapport de France Stratégie affirme par exemple que sur les années 2015 à 2017, en moyenne, 29 % des personnes âgées de 60 ans n’étaient ni en emploi, ni en retraite, dont environ 7 % au chômage ou dans son halo, et 22 % inactives. De plus, à la variable « âge » s’ajoutent d’autres facteurs pouvant augmenter le risque d’inactivité en fin de carrière, comme le niveau de formation initiale. Il apparaît ainsi que la situation d’inactivité est d’autant plus forte que le niveau de qualification est faible.

Il est donc possible de constater, d’une part, que les comparaisons européennes et internationales sur l’emploi des travailleurs expérimentés sont plutôt défavorables à la France, mais d’autre part, que ces résultats découlent aussi de caractéristiques endogènes au marché de l’emploi et au système de retraite. De plus, le système de protection sociale français et notamment les paramètres de l’assurance chômage peuvent ainsi se révéler plus protecteurs pour les salariés expérimentés, mais aussi comporter des éventuels effets pervers, notamment de désincitation à l’allongement du temps d’activité.

b.   Une très grande difficulté à sortir du chômage pour les 55-64 ans

Même si la situation des travailleurs expérimentés est globalement plus favorable que celle des autres travailleurs, ceux-ci connaissent de grandes difficultés à retrouver un emploi après l’avoir perdu. Comme l’expliquait en audition Alain Cordesse, auteur d’un rapport pour le Conseil économique, social et environnemental ([37]), les travailleurs expérimentés sont surreprésentés parmi les chômeurs de longue et de très longue durée. Ainsi, en 2016, le taux mensuel de sortie des listes de Pôle emploi pour reprise d’emploi ne s’établissait qu’à 1,6 % pour les plus de 50 ans, contre 6,2 % pour les moins de 25 ans et 3,7 % pour les 25-49 ans ([38]). De la même façon, au deuxième trimestre 2018, les chômeurs de plus de 50 ans restaient en moyenne 673 jours au chômage, contre 388 pour l’ensemble des demandeurs d’emploi ([39]).

Les entreprises sont en effet beaucoup plus réticentes à embaucher des salariés âgés, notamment en raison d’une croyance souvent infondée qui voudrait que les salariés expérimentés aient plus de mal à s’adapter à un nouvel environnement et à faire évoluer leurs compétences. Or, comme l’analyse Serge Volkoff, chercheur auditionné par la mission ([40]), les travailleurs expérimentés peuvent très bien s’intégrer à une nouvelle entreprise, à condition que celle-ci fasse l’effort d’adapter les formations et les conditions d’accueil aux caractéristiques propres de ces travailleurs. De plus, l’effet horizon a aussi un rôle à jouer dans l’explication de ce phénomène, les entreprises ayant moins d’incitations à embaucher et former un salarié proche de la retraite qu’un jeune travailleur amené à rester plus longtemps.

Il semblerait que cette tendance à l’inactivité « subie » et de longue durée pour les plus de 55 ans ne soit pas propre à la France mais existe dans la plupart des pays européens, la France se situant dans une position médiane peu flatteuse ([41]). Ce problème récurrent constitue donc l’une des priorités sur lesquelles agir.

Comparaison internationale de la part de chômage de longue durée chez les chômeurs de plus de 55 ANS

Source : OCDE.

De plus, même si les travailleurs expérimentés sont davantage en CDI que le reste de la population, le recours au contrat court s’accroît chez cette catégorie de la population, tout comme celui au temps partiel.

Cette tendance au chômage de longue durée a souvent des répercussions dramatiques sur la vie des travailleurs expérimentés. Beaucoup sont découragés, et basculent dans l’inactivité après avoir longtemps été au chômage. Cette situation se matérialise souvent par une grande précarité et un risque accru de pauvreté. La Cour des comptes ([42]) fait ainsi état du poids croissant des travailleurs les plus âgés parmi les bénéficiaires de minima sociaux, notamment le revenu de solidarité active (RSA), particulièrement pour les 60 ans et plus.

c.   Une question déterminante, qui concerne l’ensemble de la société

L’emploi des travailleurs expérimentés doit être pensé au regard d’un contexte global de vieillissement démographique et d’allongement de l’espérance de vie, qui questionne notre rapport à l’âge et aux représentations associées aux travailleurs expérimentés.

En effet, d’après les statistiques de l’Insee, au 1er janvier 2018, les personnes âgées de 65 ans et plus représentaient 19,6 % de la population, ce qui correspond à une progression de 4,1 points en vingt ans. D’après les projections, la hausse devrait se poursuivre, et en 2040 un habitant sur quatre aurait 65 ans ou plus. Cette augmentation s’explique par l’arrivée dans cette classe d’âge des générations issues du baby-boom. Cette tendance s’observe aussi à l’échelle de l’Union européenne, où la proportion des 65 ans et plus est passée de 16,8 % à 19,2 % entre 2006 et 2016. D’après les projections d’Eurostat, la population de l’Union européenne devrait continuer à connaître un important vieillissement, et d’ici 2080, 29,1 % de la population européenne sera âgée d’au moins 65 ans, et 12,7 % sera âgée de plus de 80 ans ([43]).

Au-delà du vieillissement démographique, les enjeux relatifs à l’emploi des travailleurs expérimentés sont multiples. Il s’agit de repenser l’ensemble des parcours de vie, qui s’inscrivent dans des dynamiques moins linéaires qu’auparavant. La trajectoire « formation – emploi – retraite » est totalement obsolète, comme l’analysent plusieurs sociologues auditionnés. Les parcours sont marqués par de nombreuses ruptures (chômage, congés parentaux, reconversions), qui modifient notre perception de l’emploi. Aujourd’hui, le temps passé en étude s’est considérablement allongé ([44]), retardant l’entrée dans la vie professionnelle, et donc à terme, le départ en retraite. En outre, il est de plus en plus rare pour un travailleur d’occuper le même emploi pendant l’intégralité de sa carrière ([45]) ([46]).

Au-delà du fait que les 50-64 ans représentent une part non-négligeable de la population française aujourd’hui (19,2 % en 2021), il s’agit de prendre conscience que le sujet de l’emploi des travailleurs expérimentés concerne en réalité la société dans son ensemble ([47]). En effet, chacun et chacune d’entre nous sera un jour confronté à ces problématiques de fin de carrière, et celle-ci doit en réalité se préparer bien en amont.

Comme l’explique notamment Anne-Marie Guillemard, la gestion des carrières ne doit plus se faire de façon segmentée en fonction des âges, mais bien tout au long de la vie. La prévention et la gestion de la pénibilité ne se font pas une fois arrivé dans la tranche d’âge 55-64 ans, mais bien dans la première partie de carrière, afin de permettre à terme, l’allongement de la durée de travail. De même, la formation continue et l’optimisation des compétences se font tout au long de la carrière, puisqu’il paraît peu optimal pour les salariés comme pour les entreprises de proposer des formations très peu de temps avant l’âge de la retraite.

Le véritable défi réside donc dans l’adaptation des politiques publiques à ces nouveaux modèles, afin de provoquer un changement en profondeur. C’est ce à quoi s’est attachée la mission tout au long de ses travaux.

II.   Un fil rouge de la mission : la situation des travailleuses expérimentées

Au-delà de ces constats généraux, les rapporteurs ont également souhaité mettre l’accent sur la situation des femmes au regard de ces difficultés liées à l’emploi et à l’âge. Cette question a été peu soulignée jusqu’ici, à la notable exception de l’excellent rapport sur la question de Marie-Noëlle Battistel et Sophie Panonacle, auditionnées par la mission ([48]) et dont les constats et propositions sont très convergents avec ceux des rapporteurs ([49]).

● Comme le rappelle le rapport de France Stratégie, si le taux d’activité des femmes a augmenté depuis 1975 pour converger vers celui des hommes, cette convergence semble s’être arrêtée et pourrait plafonner dans les années à venir. Le Conseil d’orientation des retraites (COR) prévoit ainsi qu’un écart de 5 points atteint dans les années 2010 devrait se maintenir durablement ([50]).

taux d’activité et emploi des 50-64 ans

Source : COR.

Cet écart serait lié notamment à un écart important entre 55 et 59 ans, la tranche 60-64 ans étant marquée par une certaine symétrie ([51]).

Taux d’activité et d’emploi des seniors par sexe en 2017

Source : INSEE.

● Les femmes demeurent fortement soumises à un temps partiel important et fréquent, pas nécessairement choisi, plus fort que les hommes sans que cet écart ne diminue avec l’âge.

part du temps partiel dans l’emploi selon l’âge et le sexe

Sources : INSEE, DARES.

● La surreprésentation des femmes de la « génération pivot » au sein des aidantes constitue une contrainte supplémentaire rendant plus difficile l’exercice d’une activité professionnelle. Le Haut Conseil à l’enfance, à la famille et à l’âge estimait en 2019 dans son rapport sur les femmes seniors, à 1,1 million le nombre de femmes aidantes âgées de 55 à 64 ans ([52]). L’enquête menée par la DREES en 2008 révélait que 12 % de ces aidantes avaient dû procéder à des aménagements de leur activité professionnelle contre « seulement » 8 % des hommes du même âge.

● Autre facteur important : les femmes en couple sont en moyenne moins âgées que leur conjoint, et réduisent davantage que les hommes leur activité au moment du départ à la retraite de ce dernier. Ainsi, dans l’enquête sur les motifs de départ à la retraite conduite en 2017, elles étaient deux fois plus nombreuses à mentionner ce facteur que les hommes, et cette tendance s’accentuait par rapport à la précédente enquête remontant à 2014.

● Comme une « double peine », cette situation complexe au niveau du marché de l’emploi est liée avec des enjeux importants de pauvreté avant puis à la retraite.

Ainsi, les femmes sont surreprésentées dans les catégories qui ont tout au long de la mission préoccupé les rapporteurs, celles qui ne sont ni en emploi, ni à la retraite (NER), soit deux sur trois, alors qu’elles ne représentent que la moitié de la classe d’âge ([53]). C’est d’autant plus inquiétant qu’un tiers des personnes appartenant à cette catégorie des « NER » vit en situation de pauvreté au sens de la définition statistique.

 

Les carrières « hachées » conduisent également à ce qu’elles soient plus concernées par les départs en retraite avec une décote. Ce sont ces mêmes retraitées qui se retrouvent à cumuler de manière assez significative emploi et retraite (31 %) ([54]), sans d’ailleurs que cet « effort » de rattrapage ne soit totalement payant puisque les cotisations versées ne créent pas de nouveaux droits.

● Cette situation n’a pas appelé toutefois de la part des rapporteurs de préconisations spécifiques aux travailleuses expérimentées, rejoignant en cela le rapport précité de Mmes Battistel et Panonacle qui estimaient que « leurs constats, leurs analyses et leurs recommandations concernent aussi en grande partie les hommes seniors ; elles tiennent à rappeler que toute recherche d’égalité entre femmes et hommes améliore la situation générale de chacune et de chacun, et donc, dans ce cas, de l’ensemble des seniors ».

Ainsi, la conviction des rapporteurs est qu’encourager les bonnes pratiques, mieux prévenir l’usure au travail, garantir une meilleure formation, rendre l’articulation d’une activité et de la retraite plus « payante », conduire un meilleur dialogue dans l’entreprise sur cette question, soutenir financièrement le retour à l’emploi, comme le propose le présent rapport, favorisera au moins autant les travailleuses expérimentées que les travailleurs expérimentés. Premières perdantes de cette sous-activité endémique, elles doivent être les premières gagnantes d’une grande réconciliation du travail et de l’âge.


   SECONDE PARTIE : CONTEXTE ET CONTENU DES PROPOSITIONS DE LA MISSION

 

I.   AMÉLIORER LA FORMATION DES TRAVAILLEURS EXPÉRIMENTÉS

Dans un contexte d’évolution rapide des nouvelles technologies et des méthodes de travail, l’accès à la formation professionnelle est un moyen d’éviter l’obsolescence des compétences des travailleurs âgés. La formation tout au long de la vie constitue, d’ailleurs, aux termes de l’article L. 6111-1 du code du travail, « une obligation nationale ».

1.   Les travailleurs expérimentés se forment-ils moins que leurs cadets ?

a.   Un bilan contrasté

Le constat semble établi de longue date : les travailleurs âgés se forment moins que le reste des actifs. Une étude de la DARES de juin 2016 fait apparaître que l’accès à la formation décroît avec l’âge ([55]). Les plus de 50 ans, en particulier à partir de 55 ans, se formeraient moins que leurs cadets, bien que cet écart ait tendance à se réduire depuis le milieu des années 2000 en raison de l’allongement de la vie professionnelle.

Taux d’ACCÈS DES SALARIÉS À LA FORMATION PROFESSIONNELLE SELON l’ÂGE

Lecture : En 2021, 40 % des salariés âgés de 55 à 59 ans ont eu accès à une formation professionnelle.

Source : Enquête sur la « Formation des adultes 2012 », Insee-Dares

 

Lors des auditions menées par les rapporteurs, cette moindre appétence des travailleurs expérimentés pour la formation professionnelle a néanmoins été nuancée, en particulier par les opérateurs de compétences ([56]). Certains ont, en effet, avancé que la différence de formation entre les travailleurs expérimentés et le reste des salariés n’était pas flagrante. En revanche, la nature des formations suivies diverge puisqu’elles seraient plus qualifiantes pour les jeunes.

Une étude approfondie du Centre d’études et de recherches sur les qualifications (CEREQ) indique que le seuil critique de baisse de l’accès à la formation diffère selon la catégorie socioprofessionnelle ([57]). La chute du taux d’accès à la formation serait plus précoce pour les salariés les moins qualifiés (employés et ouvriers) que pour les professions intermédiaires et les cadres puisqu’elle interviendrait à partir de 40 ans pour les premiers, contre 50 ans pour les seconds. La catégorie socio-professionnelle jouerait un rôle prépondérant par rapport à l’âge dans l’accès à la formation puisqu’il apparaît, ainsi, que les cadres les plus âgés se forment dans une proportion bien plus importante (49 %) que les ouvriers les plus jeunes (35 %).

b.   Les difficultés spécifiques rencontrées par les salariés expérimentés dans l’accès à la formation

L’investissement dans la formation des travailleurs expérimentés, tant du point de vue des salariés eux-mêmes que de l’employeur, dépend de l’horizon temporel de la période en emploi restante. Plus le travailleur sera amené à rester en emploi du fait, notamment, de l’allongement des carrières, plus l’investissement dans la formation professionnelle sera perçu comme « rentable » et nécessaire. Cette lecture doit nous interpeller. Ne serait-il pas plus pertinent d’envisager que plus les besoins en formation des salariés seront couverts, plus ces derniers seront aptes à rester en emploi ?

Aujourd’hui, les obstacles auxquels sont confrontés les travailleurs expérimentés sont multiples.

Les salariés expérimentés présenteraient eux-mêmes un manque d’intérêt pour les différents dispositifs de formation en raison de l’absence de perspective professionnelle. Dans le cadre du dispositif d’enquête sur les formations et itinéraires des salariés (DEFIS) conduit par le CEREQ, il ressort que les objectifs des formations professionnelles suivies par les salariés diffèrent selon l’âge. En effet, les objectifs liés à un changement professionnel significatif sont moins partagés par les salariés de plus de 50 ans que par les plus jeunes. Seuls 34 % des salariés de 50 ans et plus déclarent suivre une formation pour prendre davantage de responsabilités, contre 52 % des 18-29 ans.

OBJECTIFS DES FORMATIONS À VISÉE PROFESSIONNELLE SELON L’âGE

Source : France Compétences-Céreq, dispositif Defis-enquête 2015.

Champ : Salariés des entreprises de dix salariés et plus du secteur privé ayant suivi une ou plusieurs formations à visée professionnelle au cours des dix‑huit derniers mois précédant l’interrogation.

L’expérience professionnelle peut conduire à relativiser leur besoin de formation. Comme le souligne l’étude de la DARES, si « plus d’un salarié sur deux pense que ses besoins futurs de formation seront importants et qu’il aura besoin d’entretenir ou de perfectionner ses compétences ou d’en acquérir de nouvelles, ce sentiment diminue avec l’âge, surtout à partir de 55 ans où ils ne sont plus que 23 % à considérer devoir se former dans les prochaines années ([58]) ». En effet, parmi les 50 % de salariés n’ayant pas suivi de formation dans l’année précédant l’enquête, seuls 18 % expriment leur volonté de suivre une formation tandis que 82 % déclarent qu’ils ne le souhaitaient pas ([59]).

En outre, certains travaux ergonomiques ont démontré que les salariés eux‑mêmes pouvaient partager nombre de stéréotypes négatifs quant à leur capacité à apprendre en vieillissant. Pour autant, ces mêmes travaux ont montré que les travailleurs expérimentés « sont à même d’apprendre aussi bien que les jeunes » mais que les modalités de formation doivent être mieux adaptées aux profils et aux besoins des premiers ([60]). Rappelons que lorsque le travail permet aux salariés d’apprendre, la probabilité de se sentir capable de rester dans son emploi est plus que doublée pour les salariés âgés de 52 ans et plus ([61]).

Enfin, la réticence des employeurs à s’engager dans la formation professionnelle des salariés âgés est régulièrement invoquée comme obstacle à la formation. Parmi les principaux freins soulevés par les salariés, le refus de financement occupe la première place chez les salariés expérimentés puisque 35 % des salariés âgés de 50 ans et plus ont déclaré ne pas avoir assisté à la formation demandée en raison du refus de financement contre seulement 18 % des 18-29 ans. Pourtant, les employeurs ont tout à intérêt à ce que les compétences de leurs salariés restent en adéquation avec les intérêts de leur entreprise afin de maintenir les exigences de productivité.

LES PRINCIPAUX FREINS À LA FORMATION DES SALARIÉS SELON L’âGE

Source : France Compétences-Céreq, dispositf Defis-enquête 2015.

Champ : Salariés des entreprises de dix salariés et plus du secteur privé ayant suivi une ou plusieurs formations à visée professionnelle au cours des dix‑huit derniers mois précédant l’interrogation.

 

Au total, les travaux menés par la mission d’information ont identifié des obstacles bien réels rencontrés spécifiquement par les travailleurs expérimentés dans l’accès à la formation professionnelle. Toutefois, le moindre accès à la formation doit être relativisé car l’écart se réduit nettement entre les travailleurs expérimentés et leurs cadets. Partageant le constat de France Stratégie, il semble finalement, pour les rapporteurs, que « l’âge joue comme un facteur aggravant des inégalités d’accès à la formation d’abord liées aux catégories socioprofessionnelles » ([62]). À cet égard, les réformes entreprises, ces dernières années, en matière de formation professionnelle ont posé les jalons d’une plus grande accessibilité aux dispositifs de formation, un atout pour le maintien en emploi des travailleurs expérimentés.

c.   La logique d’individualisation de la formation professionnelle, un atout pour les travailleurs expérimentés

La loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle ([63]) a introduit le compte personnel de formation (CPF), utilisable par tout salarié, tout au long de sa vie active pour suivre une formation qualifiante. À la différence du droit individuel à la formation (DIF) qu’il a vocation à remplacer, ce compte est attaché au salarié et non à l’entreprise. Dans une logique d’un accès plus large à la formation pour tous, le salarié souhaitant se former hors de son temps de travail grâce à son CPF ne doit plus nécessairement obtenir l’accord de son employeur.

Il apparaît d’emblée que les travailleurs expérimentés ont davantage connaissance des dispositifs d’accès à la formation que les plus jeunes, qu’il s’agisse de l’ancien droit individuel à la formation ou du nouveau compte personnel de formation. En effet, 47 % des salariés âgés de 45 à 64 ans connaissaient le CPF en 2016 contre seulement 20 % des 18-24 ans ([64]). Pour autant, les premiers bilans de cette réforme de 2014 laissaient entrevoir que « l’individualisation de la formation ne semble pas contrecarrer les effets suivants : les cadres sont surreprésentés parmi les bénéficiaires du CPF et les 45 ans et plus sont moins représentés que les 26-44 ans » ([65]).

Dans l’optique de développer le compte personnel de formation, la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel ([66]) a introduit, d’une part, la monétisation du compte personnel de formation, désormais décompté en euros et non plus en heures et la création d’une application facilitant l’accès direct aux offres de formation. D’autre part, elle a engagé une logique de co‑construction entre l’employeur et le salarié afin que l’individualisation de la formation ne se traduise pas par une incohérence entre les formations suivies par les salariés et les besoins de l’entreprise.

Comme l’ont souligné les opérateurs de compétences auditionnés dans le cadre de la mission d’information, s’il est encore trop tôt pour en dresser un bilan précis, l’individualisation de l’utilisation du droit est une bonne chose pour les salariés âgés. Il ne s’agit pas de priver l’entreprise de sa capacité à construire le parcours de formation mais bien pour les travailleurs les plus expérimentés de se réapproprier les outils à leur disposition ([67]). Le rapport « Bellon-Mériaux-Soussan » se montrait plus prudent quant aux conséquences de l’autonomisation des salariés dans l’usage de leur CPF, partageant les craintes des professionnels en ressources humaines rencontrés qui « pointent la perte de visibilité des RH sur la consommation du CPF et la difficulté dans ces conditions à faire converger les projets individuels et l’investissement-formation de l’entreprise pour répondre aux besoins qu’elle identifie » ([68]).

S’il n’appartient pas à la présente mission d’information d’évaluer les effets globaux de la réforme de 2018 ([69]), les données fournies par la Caisse des dépôts et consignations, dans le cadre de ses travaux, relatives aux bénéficiaires de 56 ans et plus du compte personnel de formation entre novembre 2019 et mai 2021 permettent d’établir quelques éléments de comparaison entre les travailleurs expérimentés et le reste des actifs :

– les salariés de 56 ans et plus représentent 9 % des dossiers de formation acceptés ;

RÉPARTITION PAR ÂGE DES DOSSIERS « MON COMPTE FORMATION »

Champ : Bénéficiaires des dossiers de formation sur la période du 21 novembre 2019 au 11 mai 2021.

Source : Caisse des dépôts et consignations.

– le prix moyen des formations suivies est légèrement plus élevé puisqu’il atteint en moyenne 1 386 euros contre 1 235 euros pour l’ensemble des dossiers ;

– l’abondement « titulaire » est moindre pour les salariés expérimentés que pour le reste des actifs puisqu’il représente 2,1 % du financement contre 4 % ;

– les salariés expérimentés déclarent un niveau de diplôme à l’entrée en formation moins élevé que l’ensemble des stagiaires, ce qui est à mettre en relation avec le moindre niveau de diplôme en général chez les travailleurs expérimentés :

NIVEAU DE DIPLÔMES DÉCLARÉ À L’ENTRÉE EN FORMATION

Niveau de formation déclarée

Ensemble des stagiaires

56 ans et plus

Bac +8

0,6 %

1,5 %

Bac +5

12,0 %

9,6 %

Licence ou maîtrise universitaire

11,0 %

10,1 %

BTS, DUT, DEUG

14,0 %

13,7 %

BP, BT, baccalauréat professionnel ou technologique

21,9 %

16,7 %

CAP, BEP, CFPA du premier degré

22,7 %

26,9 %

Préqualification

17,4 %

21,1 %

Champ : Bénéficiaires des dossiers de formation sur la période du 21 novembre 2019 au 11 mai 2021.

Source : Caisse des dépôts et consignations.

– a contrario, la proportion de cadres est plus importante parmi les 56 ans et plus :

RÉPARTITION PAR CATÉGORIE SOCIO-PROFESSIONNELLE DES BÉNÉFICIAiRES

Répartition par catégorie socio-professionnelle

Ensemble

56 ans et plus

Employés

43,6 %

41,6 %

Cadres

12,5 %

19,0 %

Ouvriers (qualifiés et non qualifiés)

6,2 %

5,7 %

Professions intermédiaires

 technicien/agent de maîtrise

3,5 %

4,9 %

Artisans, commerçants et chefs d’entreprise

2,8 %

3,3 %

Agriculteurs exploitants

0,1 %

0,2 %

Non renseigné (dont demandeurs d’emploi)

31,3 %

25,3 %

Champ : Bénéficiaires des dossiers de formation sur la période du 21 novembre 2019 au 11 mai 2021.

Source : Caisse des dépôts et consignations.

En conclusion, la loi « Avenir professionnel » de 2018 semble, à maints égards, favoriser un meilleur accès aux dispositifs de formation professionnelle pour les travailleurs expérimentés, bien que les inégalités perdurent selon les catégories socio-professionnelles. Il reste toutefois qu’un nombre significatif de dispositifs existants restent trop peu utilisés au regard des besoins à ces tranches d’âge.

2.   Le faible recours aux dispositifs existants

Les salariés âgés de 50 ans ou plus sont bien informés de l’existence des dispositifs de formation auxquels ils peuvent prétendre, dans la plupart des cas, ils le sont même mieux que leurs cadets.

CONNAISSANCE DES DISPOSITIFS D’ACCÈS À LA FORMATION SELON L’ÂGE EN 2016

Champ : France métropolitaine, personnes âgées de 18 à 64 ans, sorties de formation initiale, actives à la date de l’enquête.

Lecture : en 2016, 44 % des actifs de 18 à 64 ans déclarent avoir entendu parler du compte personnel de formation.

Source : Insee, enquête Formation des adultes 2016.

Toutefois, malgré la connaissance qu’ils en ont, les travailleurs expérimentés ont peu recours à certains dispositifs existants.

a.   La validation des acquis de l’expérience, un dispositif qui gagnerait à être simplifié

Instituée par la loi du 17 janvier 2002 de modernisation sociale ([70]), la validation des acquis de l’expérience (VAE) est un dispositif original qui permet à tout individu de se voir délivrer, sous certaines conditions, une certification en reconnaissance d’un ensemble de compétences acquises lors de l’exercice d’une activité professionnelle ou bénévole. Comme l’ont souligné les opérateurs de compétences entendus dans le cadre de la mission, la VAE est, en théorie, un bon outil pour les travailleurs expérimentés car elle permet de valoriser les compétences professionnelles acquises à un âge où le diplôme n’est plus déterminant pour envisager la fin de carrière ([71]).

Bien que les diplômes acquis par cette voie soient considérés comme étant de valeur équivalente à ceux obtenus par examen ([72]), la VAE n’enrichit pas les compétences. C’est sans doute là l’une des raisons du faible recours à ce dispositif car elle ne correspond, dès lors, pas au projet de salariés qui ont besoin pour progresser professionnellement d’une certification d’un niveau supérieur. A fortiori, l’échec à la validation des acquis de l’expérience peut avoir un effet délétère sur les candidats les plus âgés qui n’obtiendraient aucune validation à l’issue du processus. Cet échec peut générer une remise en cause professionnelle, voire une perte de confiance dans sa pratique professionnelle. Or, selon une étude de la DARES, les salariés de 50 ans et plus échouent un peu plus souvent que les autres classes d’âge, à l’obtention du titre ([73]).

La validation des acquis de l’expérience pèche surtout par sa complexité. Le parcours d’un candidat à la VAE comprend aujourd’hui neuf étapes et dure en moyenne seize mois. À juste titre, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) fait valoir qu’une telle durée est trop longue pour que la validation des acquis de l’expérience soit entamée en fin de vie active ([74]). La mission partage l’idée que la démarche de validation des acquis de l’expérience doit être facilitée pour les salariés les plus âgés par un meilleur accompagnement des salariés et un soutien plus important aux entreprises qui s’engagent dans ce processus ([75]).

Proposition n° 1 : Simplifier les étapes pour obtenir une validation des acquis de l’expérience.

Proposition n° 2 : Mieux accompagner les salariés les plus âgés et les entreprises qui s’engagent dans leur démarche de validation des acquis de l’expérience.

b.   L’entretien professionnel, un outil encore mal exploité

Dans la lignée des réformes engagées depuis les années 2000 en matière de formation professionnelle, l’entretien professionnel vise à instaurer un dialogue entre le salarié et l’entreprise autour du développement des compétences et des perspectives d’évolution professionnelle. Depuis la loi du 5 mars 2014 précitée, tout salarié bénéficie, quelle que soit la taille de son entreprise, d’un entretien professionnel tous les deux ans ([76]). Cet entretien a remplacé différents dispositifs qui ciblaient spécifiquement les salariés expérimentés, comme le bilan d’étape professionnel ou l’entretien de seconde partie de carrière car ces outils étaient jugés peu opérationnels. L’employeur doit, lors de cet entretien, informer le salarié sur la validation des acquis de l’expérience, et depuis la loi « Avenir professionnel » de 2018, sur le compte personnel de formation et le conseil en évolution professionnelle.

La mise en place de ces entretiens est assortie d’un état des lieux récapitulatif à six ans qui peut contraindre l’employeur, dans les entreprises d’au moins cinquante salariés, à abonder le compte personnel de formation du salarié en cas de manquement à ces obligations ([77]). La crise sanitaire a, malheureusement, différé la possibilité d’établir un bilan des premiers entretiens « état des lieux » à six ans puisque la date limite de mars 2020 fixée pour les salariés présents depuis mars 2014 dans l’entreprise a été reportée au 31 décembre 2020. Néanmoins, les enquêtes réalisées par le CEREQ montrent que la mise en œuvre des entretiens professionnels demeure très insuffisante puisque seulement une moitié des salariés en ont bénéficié en 2017-2018, un niveau stable depuis 2015 ([78]). Si l’écart est faible quant à la participation à l’entretien professionnel selon l’ancienneté dans l’entreprise, l’entretien professionnel reste significativement plus répandu chez les jeunes salariés que chez les travailleurs expérimentés ([79]). Ils sont, en effet, 62 % des salariés de 18 à 29 ans à déclarer avoir participé à un tel entretien, contre seulement 47 % pour les 50 ans et plus.

ENTRETIENS PROFESSIONNELS SELON L’ÂGE (en %)

Champ : salariés en emploi à la date d’enquête depuis au moins un an dans la même entreprise.

Source : CNEFP-France compétences-Céreq, dispositf Defis-enquête, volet « Salariés », vague 2, 2016.

Or, le maintien en emploi des salariés expérimentés dépend de la préservation de leur employabilité sur le marché du travail. La logique d’individualisation de l’accès à la formation professionnelle a précisément vocation à construire une culture de la formation tout au long de la vie, adaptée à chaque salarié, selon ses besoins. S’il est prématuré d’assortir cet entretien professionnel de nouvelles obligations pour assurer un accès effectif à la formation, la mission d’information est convaincue que cet outil doit faire l’objet d’une plus grande visibilité.

Proposition n° 3 : Mieux faire connaître l’entretien professionnel.

3.   Mieux mobiliser les outils de la formation professionnelle existants

a.   Déplafonner le compte personnel de formation pour les salariés de plus de 45 ans

Les différents rapports présentés ces dernières années sur la question de l’emploi des travailleurs expérimentés sont unanimes : il faut se servir du compte personnel de formation comme d’un levier pour appréhender la seconde partie de carrière. Parce que les travailleurs âgés sont statistiquement moins qualifiés que la moyenne des salariés et parce que leur éloignement de l’emploi est plus durable lorsqu’ils en sont privés, les rapporteurs partagent cette orientation.

Le rapport « Bellon-Mériaux-Soussan » propose « de nouveaux mécanismes incitatifs [qui] devraient permettre de flécher davantage de financements vers les formations nécessaires aux reconversions pour une deuxième carrière : un déplafonnement des droits acquis à partir de 45 ans permettant d’optimiser les logiques de co-financement par les entreprises et financeurs publics, et par le salarié lui-même via son compte épargne temps, serait sans doute de nature à améliorer l’usage du CPF dans une optique de long terme (plutôt que dans une logique consumériste immédiate) » ([80]). Les sénateurs Monique Lubin et René Savary recommandent, quant à eux, d’instaurer « un abondement spécifique du compte personnel de formation pour les personnes qui perdent leur emploi après 45 ans » ([81]).

La mission s’inscrit dans la continuité de ces propositions et préconise un déplafonnement du compte personnel de formation pour les salariés de plus de 45 ans afin de ne pas décourager l’accès à une formation longue et coûteuse qui dépasserait le plafond actuellement fixé à 5 000 euros. Ce déplafonnement permettrait au salarié de construire un projet de reconversion ambitieux en seconde partie de carrière grâce à l’accumulation de droits qu’il aura pu constituer pendant sa carrière. Pour les rapporteurs, le plafonnement actuel représente finalement une perte de droits pour le salarié qui, une fois le seuil atteint, ne se constitue plus de nouveaux droits à la formation professionnelle.

Si le recul manque pour évaluer précisément le nombre de salariés concernés actuellement par le plafond, les rapporteurs ont la conviction que cette mesure permettra, à moindres frais, d’infléchir les contraintes d’accès à la formation professionnelle.

Proposition n° 4 : Déplafonner le compte personnel de formation pour les salariés âgés de plus de 45 ans.

b.   Affermir le conseil en évolution professionnelle

Introduit par la loi du 5 mars 2014, le conseil en évolution professionnelle (CEP) a été fortement enrichi par la loi « Avenir professionnel » du 5 septembre 2018 qui en fait un outil majeur au service de l’employabilité et de la construction personnelle du parcours professionnel du salarié.

Le conseil en évolution professionnelle est un droit qui bénéficie à tout actif durant sa vie professionnelle dans un double objectif d’évolution et de sécurisation de son parcours. Concrètement, il s’agit d’un conseil gratuit, délivré en dehors de l’entreprise, en lien direct avec les besoins économiques et sociaux existants et prévisibles dans les territoires tout en restant homogène puisqu’un cahier des charges doit être respecté par les opérateurs.

Dans un contexte où les transformations du travail sont à la fois rapides, profondes et difficilement prévisibles comme en témoignent les conséquences que la crise sanitaire a pu avoir sur les conditions de travail des salariés, le conseil en évolution professionnelle gagnerait à sortir de sa confidentialité. Nombre de travaux soulignent, en effet, le « développement timide » du CEP « en raison d’un défaut d’information et de communication » ([82]). Le bilan établi par France compétences, en avril 2021, est sans appel : le conseil en évolution professionnelle est un outil délaissé par les travailleurs les plus âgés puisque seuls 23 % des bénéficiaires sont âgés de 45 ans et plus ([83]).

RÉpartition par Âge des bÉNÉficiaires du conseil en Évolution professionnelle

Source : France compétences, avril 2021.

Or, le conseil en évolution professionnelle représente un levier innovant pour aborder la seconde partie de carrière des salariés. Son renforcement récent par la loi « Avenir professionnel » de 2018 invite, a minima à renforcer la communication sur le CEP. Afin d’inciter les salariés âgés à s’en saisir, une priorisation de l’accès au conseil en évolution professionnelle pourrait être envisagée. Cette priorisation pourrait figurer dans le cahier des charges relatif au conseil en évolution professionnelle publié par le ministère du travail afin de guider les opérateurs en charge du CEP. L’arrêté du 29 mars 2019 fixant le cahier des charges depuis le 1er janvier 2020 ([84]) pourrait être modifié afin de préciser que parmi les bénéficiaires du CEP, les salariés âgés de plus de 45 ans doivent faire l’objet d’une attention prioritaire.

Proposition n° 5 : Prioriser l’accès au conseil en évolution professionnelle pour les salariés de plus de 45 ans via le cahier des charges publié par le ministère du travail à destination des opérateurs du CEP.

c.   Soutenir les formes d’apprentissage en situation de travail

Afin de répondre aux difficultés réelles ou supposées d’apprentissage des salariés expérimentés, il serait pertinent de développer les apprentissages intégrés au travail qui répondent mieux à leurs processus d’apprentissage que les formations plus traditionnelles sur un temps condensé, sous forme de modules centrés sur des notions ou procédures à acquérir. Les formations en situation de travail sont destinées aux travailleurs déjà en poste. Les rapporteurs souscrivent au constat du rapport « Bellon-Mériaux-Soussan » qui considère qu’il est « peu efficace de stimuler la demande de formation des travailleurs expérimentés sans agir en parallèle pour faire évoluer l’offre de formation : "former autrement" devrait être une priorité pour ces publics expérimentés » ([85]).

Les formations réalisées en « situation de travail » figurent, depuis 2018, parmi les actions de formation professionnelle qui concourent à proposer au salarié un « parcours pédagogique permettant d’atteindre un objectif professionnel » aux termes de l’article L. 6313-2 du code du travail. Fortes désormais d’un cadre juridique favorisant leur essor, les actions de formation en situation de travail (AFEST) s’avèrent particulièrement adaptées aux travailleurs expérimentés. La mise en situation professionnelle permet à la fois de valoriser l’expérience du travailleur et de l’accompagner vers l’acquisition de nouvelles compétences grâce à une pédagogie alternative.

Dans son rapport sur l’expérimentation de l’action de formation en situation de travail ([86]), l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT) distingue des effets positifs directs et indirects sur les bénéficiaires de l’AFEST. D’une part, l’AFEST permettant d’acquérir des compétences en lien direct avec l’activité réalisée, les apprenants en voient le bénéfice très rapidement. En formalisant les compétences attendues, en co‑construisant l’ingénierie mais aussi en mettant l’activité à distance par la réflexivité, les bénéficiaires sont capables de verbaliser et d’exprimer leurs compétences, un atout précieux pour les travailleurs expérimentés.

D’autre part, l’AFEST a pour effet plus indirect mais majeur d’apporter de la reconnaissance en redonnant confiance en soi à l’apprenant, en donnant un sens au travail par la démonstration de son utilité dans l’entreprise. Alors que les travailleurs âgés peuvent être victimes de stéréotypes négatifs dans l’entreprise, ces actions de formation permettent de récréer une reconnaissance entre pairs en enrichissant les interactions professionnelles.

Aussi, dans la lignée de certaines préconisations comme celles de l’Association nationale des directeurs des ressources humaines, auditionnée lors de ses travaux ([87]), la mission préconise que les travailleurs expérimentés soient parmi les premiers bénéficiaires des actions de formation en situation de travail.

Proposition n° 6 : Améliorer les offres de formation destinées aux travailleurs âgés de plus de 45 ans en privilégiant les actions de formation en situation de travail.

II.   AGIR POUR LA FORMATION et L’ACCOMPAGNEMENT dES DEMANDEURS D’EMPLOI expérimentés

1.   Face au risque de privation durable d’emploi, soutenir les dispositifs de reconversion professionnelle

a.   Les demandeurs d’emploi de plus de 50 ans sont plus exposés au risque de sous-emploi et d’emploi précaire

Lors de son audition, le directeur général de Pôle emploi a rappelé un constat déjà bien établi : les travailleurs expérimentés sont moins au chômage que les autres actifs mais dès lors qu’ils perdent leur emploi, ils se retrouvent plus en difficulté pour sortir du chômage ([88]). En effet, d’après des données de l’INSEE, « la part de personnes au chômage et qui le restent le trimestre suivant est plus importante chez les seniors : 62,5 % contre 51,7 % pour les moins de 25 ans et 59,9 % pour les 25-49 ans » ([89]). Au total, seuls 12,9 % des « seniors » retrouvent un emploi le trimestre suivant, contre 25,8 % des 15-24 ans et 21,1 % des 25-49 ans.

TRANSITION TRIMESTRIELLE DES PERSONNES AU CHÔMAGE SELON L’ÂGE

Âge

Transition du chômage vers

L’emploi

L’inactivité

Le chômage

15-24 ans

25,8 %

22,5 %

51,7 %

25-49 ans

21,1 %

19 %

59,9 %

50-64 ans

12,9 %

24,6 %

62,5 %

Lecture : 12,9 % des personnes âgées de 50 à 64 ans au chômage un trimestre donné ont un emploi le trimestre suivant.

Source : Insee, enquêtes Emploi 2016 et 2017.

Lorsqu’un demandeur d’emploi expérimenté parvient à retrouver un emploi, ce dernier est davantage précaire que pour les autres catégories d’âge, le taux de sortie du chômage en contrat à durée indéterminée étant très faible. De manière générale, plus souvent que les autres actifs, les chômeurs qui trouvent un emploi en occupent un à durée limitée (72,6 % contre 13,1 %) ou sont en situation de sous-emploi (22,9 % contre 6,5 %) ([90]). Ce phénomène n’épargne pas les demandeurs d’emploi âgés qui se trouvent dans une situation de précarité vis-à-vis de l’emploi qui les distingue des travailleurs expérimentés en emploi, plus souvent dans une situation stable que le reste de la population.

Ce retour à l’emploi difficile des travailleurs expérimentés les enferme dans une situation de chômage de longue durée, préjudiciable au maintien de leur employabilité. Concrètement, le taux de chômeurs de longue durée atteint 58 % pour les plus de 55 ans, alors qu’il est de 42 % pour les 25-49 ans et de 24 % pour les moins de 25 ans ([91]). Victimes d’un « effet d’hystérèse » bien documenté par la littérature économique ([92]), les demandeurs d’emploi sont exclus du marché du travail ou auto-exclus du fait de la baisse de leurs capacités productives car ils se retrouvent disqualifiés par les employeurs qui redoutent une perte de compétence et une détérioration de leur « capital humain ».

Les rapporteurs partagent l’idée que l’accompagnement des demandeurs d’emploi expérimentés doit partir de ce constat et prendre en compte le risque accru de perte d’employabilité des travailleurs âgés, en sondant leurs besoins et ceux des employeurs à même de les recruter. Derrière cette catégorie d’âge, il existe une diversité de population extrêmement forte, en termes de diplôme comme de carrière professionnelle. Un tiers des plus de 55 ans a un niveau de formation inférieur au brevet, un quart a un niveau bac +2 tandis qu’un tiers a un parcours professionnel linéaire contre deux tiers avec un parcours heurté ([93]). Cette diversité de profils doit être prise en considération pour accompagner au mieux les demandeurs d’emploi.

b.   Les demandeurs d’emploi expérimentés sont plus enclins à se reconvertir professionnellement

Les travailleurs expérimentés étant confrontés à de réelles difficultés de réinsertion après une période de chômage, ils sont plus nombreux à déclarer vouloir se reconvertir professionnellement. D’après les données de l’INSEE, « en 2016, plus d’un ex-chômeur sur quatre souhaite changer d’emploi. Le désir de changer d’emploi est particulièrement élevé chez les ex-chômeurs de 50-64 ans (30,7 % contre 25,5 % pour les 25-49 ans et 24 % pour les 15-24 ans), alors que parmi l’ensemble des actifs occupés cette proportion tend à diminuer avec l’âge. » ([94]) Qu’elle résulte d’un sentiment de vulnérabilité face au chômage de longue durée ou d’une réelle appétence pour un changement de vie, la reconversion professionnelle doit aujourd’hui être encouragée pour permettre aux travailleurs expérimentés de sortir du chômage.

c.   Étendre le CPF de transition aux demandeurs d’emploi expérimentés

Le projet de transition professionnelle (PTP) ou compte personnel de formation de transition (CPF de transition) permet aux salariés de s’absenter afin de suivre une formation certifiante pour changer de métier ou de profession. Pouvant durer jusqu’à un an à temps plein ou 1 200 heures, le CPF de transition est validé et financé par une commission partiaire interprofessionnelle régionale « Transition Pro ».

Réservé aux salariés, ce dispositif n’a pas été étendu aux demandeurs d’emploi. Or, il y a fort à parier que le déploiement du projet de transition professionnelle serait particulièrement bénéfique pour les demandeurs d’emploi expérimentés qui ont perdu leur emploi du fait des effets de la pénibilité de leur métier sur leur santé ou parce qu’ils sont plus sujets à l’obsolescence de leur qualification, en particulier avec le développement des nouvelles technologies. Faute de pouvoir entreprendre une formation certifiante d’ampleur, les demandeurs d’emploi expérimentés sont condamnés à suivre des formations de faible portée ne leur permettant pas de s’engager dans un processus de reconversion professionnelle.

Les rapporteurs préconisent d’étendre le bénéfice du CPF de transition aux demandeurs d’emploi de plus de 45 ans. Dans les mêmes conditions que pour les salariés, le projet de transition professionnelle serait validé et financé par la commission paritaire interprofessionnelle.

Proposition n° 7 : Étendre le bénéfice du compte personnel de formation de transition aux demandeurs d’emploi de plus de 45 ans.

d.   Soutenir l’entrepreneuriat des travailleurs expérimentés en recherche d’emploi

Confrontés à un marché du travail peu accessible, les demandeurs d’emploi plus âgés peuvent être tentés de s’orienter vers la création de leur propre emploi. Si certains, dits « entrepreneurs réticents » ([95]), s’engagent dans ce processus par crainte de rester durablement sans emploi et sans réelle motivation entrepreneuriale, il n’en demeure pas moins que les travailleurs expérimentés disposent de nombreux atouts pour créer leur propre activité.

Alors que l’âge est un facteur de réticence à l’embauche, les demandeurs d’emploi peuvent valoriser par eux-mêmes leur expérience professionnelle, leur savoir-faire, leur compétence, leur réseau de contacts en développant leur activité via l’entrepreneuriat.

À l’écoute de certaines propositions avancées par les acteurs auditionnés ([96]), les rapporteurs souhaitent encourager l’entrepreneuriat des travailleurs expérimentés.

Le programme « villages de l’Afpa »

En partenariat avec la Banque des yerritoires, filiale de la Caisse des dépôts et consignations, l’Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) a transformé certains de ses centres en tiers-lieux de l’insertion professionnelle et sociale.

Concrètement, ce programme lie les besoins de compétences des entreprises, les besoins d’accompagnement des personnes dans leurs parcours professionnels et les offres des acteurs de l’insertion par l’emploi.

Le programme repose sur deux principes : accueillir en résidence des partenaires et des innovateurs et travailler en réseau en valorisant les offres publiques et privées existantes sur le territoire. Ces villages représentent une opportunité pour les travailleurs expérimentés de prévenir l’obsolescence de leurs compétences, voire de se former pour transmettre leur savoir-faire.

Interrogée sur l’âge des bénéficiaires du programme, l’Afpa estime que sur 20 000 stagiaires, 10 % ont plus de 50 ans mais 30 % sont âgés de 45 ans au moins ([97]). L’entrepreneuriat fait partie des premiers projets engagés par les travailleurs expérimentés dans ces villages car ils y trouvent tout l’accompagnement nécessaire, de l’élaboration du projet à sa mise en œuvre.

En tenant compte des obstacles particuliers qu’ils peuvent rencontrer dans leur projet entrepreneurial comme des stéréotypes négatifs quant à leur motivation ou un accès limité aux ressources financières, l’entrepreneuriat des travailleurs expérimentés apparaît comme une réponse crédible aux difficultés d’employabilité des travailleurs expérimentés. La mission propose ainsi d’encourager le développement de plateformes de services sur le modèle des villages Afpa qui permettent à chaque travailleur expérimenté qui souhaite s’engager dans un projet d’entrepreneuriat de bénéficier d’un écosystème pour l’accompagner.

Proposition n° 8 : Développer une plateforme de services pour accompagner les travailleurs expérimentés dans leurs démarches d’entrepreneuriat.

2.   L’accompagnement spécifique des demandeurs d’emploi expérimentés doit être encouragé

Si l’objectif de la mission d’information n’est pas d’accroître, par principe, la prolifération de mesures pour accompagner les demandeurs d’emploi, il apparaît qu’au regard de l’insuffisante prise en charge des besoins des demandeurs d’emploi expérimentés par Pôle emploi, des actions innovantes et ciblées doivent être entreprises.

a.   Des initiatives locales prometteuses

Lors de ses travaux, la mission a pu se féliciter que nombre d’acteurs s’engagent résolument dans la lutte contre le chômage des seniors au niveau des territoires. Ainsi le dispositif Plein emploi pour les seniors (PEPS), expérimenté à Tourcoing, réunit un club d’entreprises bénévoles, en partenariat avec Pôle emploi, pour permettre à cent demandeurs d’emploi expérimentés volontaires et sélectionnés de s’engager dans un processus de « coaching » ([98]). L’objectif de ce parcours, comme de toute action à destination des demandeurs d’emploi, est de leur faire reprendre confiance en eux, de consolider leur identité numérique, d’identifier les opportunités d’emploi dans le bassin local et de développer leurs réseaux professionnels grâce à des rencontres en immersion dans l’entreprise.

L’Espace Emploi Agirc-Arrco de Lille

Lors de ses travaux, la mission s’est rendue dans l’Espace Emploi de Lille, un dispositif piloté par l’Agirc-Arrco, modélisé par les organisations syndicales depuis 2015. Ce dispositif propose un accompagnement interdisciplinaire, selon une logique de parcours sur mesure parfaitement adapté aux problèmes spécifiques rencontrés par les seniors exclus de l’emploi.

En moyenne, comme en médiane, les bénéficiaires de ce parcours, tous cotisants de l’Agirc-Arrco, sont âgés de plus de 50 ans. Deux sur trois sont diplômés d’un bac +2 et sont dans leur grande majorité demandeurs d’emploi de longue durée.

Aujourd’hui, il existe treize Espaces Emploi à travers la France qui fonctionnent en synergie avec Pôle emploi, l’Association paritaire pour l’emploi des cadres (Apec) et certains dispositifs régionaux comme Proch’Emploi pour la région Hauts-de-France. La dimension locale d’Espace Emploi est un aspect particulièrement novateur puisque les collectivités territoriales se trouvent impliquées dans l’accompagnement des demandeurs d’emploi mais également des très petites et petites et moyennes entreprises du tissu local qui peinent parfois, en l’absence de service des ressources humaines, à recruter les profils correspondant à leurs attentes.

Des opérateurs spécialisés comme l’Apec, association paritaire pour l’emploi des cadres, mettent également en œuvre des projets novateurs à destination des cadres expérimentés sans emploi ([99]). Ainsi, l’opération Talents seniors conduite depuis 2019 dans plusieurs régions pilotes met en relation des chefs d’entreprise, des cadres dirigeants, des décideurs institutionnels et des cadres expérimentés demandeurs d’emploi qui vont, pendant douze mois, se rencontrer par binôme. À raison d’un rendez-vous par mois, les demandeurs d’emploi bénéficient d’un réel mentorat qui va leur permettre d’accéder à des conseils d’experts pour mieux aborder leurs futurs entretiens d’embauche.

Les rapporteurs ont pu constater l’engouement de ces acteurs de terrain dont certains s’engagent à titre purement bénévole. La réussite de ces dispositifs est incontestablement une source d’inspiration pour la mission d’information qui déplore l’absence de prise en charge spécifique pour les demandeurs d’emploi expérimentés.

b.   Pôle emploi et les travailleurs expérimentés : l’abandon progressif d’une stratégie nationale spécifique

Depuis une dizaine d’années, Pôle emploi a renoncé à une approche d’accompagnement par public, au profit d’une approche individualisée fondée sur l’entretien de diagnostic qui permet d’identifier les besoins d’accompagnement de chaque demandeur d’emploi, au cas par cas. Concrètement, cette nouvelle orientation s’est, par exemple, traduite par l’abandon, dans le cadre du plan stratégie 2015 de Pôle emploi, du premier entretien pour les travailleurs expérimentés dès le premier mois d’inscription.

Dans sa réponse au rapport d’évaluation de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur le retour à l’emploi des seniors de 2013, le directeur général de Pôle emploi faisait valoir que « l’âge ne constitue pas un critère suffisant pour déterminer une distance à l’emploi élevée. Notre approche n’est pas catégorielle mais fonction d’un faisceau de difficultés de nature professionnelle, personnelle avec l’identification de freins périphériques à l’emploi ou encore lié à un contexte local défavorable au regard du profil du demandeur d’emploi. C’est bien toutes ces composantes qui conduisent le conseiller à poser son diagnostic et à proposer un accompagnement renforcé quel que soit l’âge de la personne concernée. » ([100]) Cette position a été très clairement réaffirmée lors de l’audition de Pôle emploi, son directeur général s’opposant, à nouveau, à l’idée d’un portefeuille dédié aux travailleurs expérimentés, l’âge ne prédéterminant pas une distance à l’emploi spécifique a priori.

Cette position de principe doit être relativisée au regard de la réalité actuelle : sur les 817 000 demandeurs d’emploi expérimentés inscrits à Pôle emploi dans les catégories A et B, 27 % font déjà l’objet de parcours spécialisés soit en tant que travailleurs handicapés, soit en tant que cadres ([101]).

La convention tripartite État-Unédic-Pôle emploi 2019-2022 s’inscrit dans cette démarche de « personnalisation et d’intensification de l’accompagnement, en proposant à chaque demandeur d’emploi des services pleinement adaptés à sa situation » ([102]). Les prestations d’accompagnement de Pôle emploi se déclinent selon quatre modalités d’intervention :

– l’accompagnement renforcé, à destination des personnes les plus éloignées de l’emploi qui ont impérativement besoin d’entretiens physiques réguliers avec leurs conseillers ;

– l’accompagnement guidé pour les demandeurs d’emploi qui ont besoin d’un appui régulier grâce à des échanges physiques, téléphoniques ou par courriel ;

– le suivi et l’appui à la recherche d’emploi pour les demandeurs plus autonomes et proches du marché du travail pour lesquels un contact dématérialisé est suffisant ;

– l’accompagnement global, en lien avec les professionnels de l’action sociale.

D’après les éléments fournis par Pôle emploi, il semblerait que les demandeurs d’emploi expérimentés soient souvent considérés comme autonomes et n’aient donc besoin que d’un suivi et d’un appui à la recherche d’emploi. Toutefois, la moindre présence des demandeurs expérimentés dans les dispositifs d’accompagnement renforcé semble en contradiction avec leurs difficultés persistantes à retrouver un emploi.

c.   Généraliser une offre spécifique sur le territoire du réseau Pôle Emploi en faveur des travailleurs expérimentés

Les rapporteurs ont bien conscience que Pôle emploi a volontairement renoncé à déployer des actions particulières au service des demandeurs d’emploi expérimentés et que l’extension d’un accompagnement renforcé mobiliserait nécessairement des moyens financiers. Toutefois, la généralisation d’expérimentations locales qui ont fait leurs preuves apparaît aujourd’hui incontournable, d’autant plus que nombre d’agences locales de Pôle emploi ont déjà mis en œuvre, avec succès, des dispositifs spécifiques d’accompagnement des expérimentés. Le Conseil d’analyse économique préconisait déjà, en 2016, que les actions de Pôle emploi soient « spécifiques et adaptées aux chômeurs de plus de 50 ans » ([103]).

Sur le modèle de l’expérimentation « Territoires zéro chômeur de longue durée » ([104]), il pourrait être envisagé d’expérimenter à l’échelle locale des dispositifs innovants qui auraient vocation à essaimer au niveau national à terme. Les zones géographiques de Pôle emploi étant extrêmement bien définies, partir du périmètre de l’agence locale de Pôle emploi permettrait de couvrir un maillage territorial significatif. Au vu des travaux menés par la mission, il semble indispensable d’associer un réseau d’entrepreneurs locaux dans le pilotage d’un tel dispositif, en partenariat avec Pôle emploi.

Cette expérimentation territoriale devrait, en tout état de cause, reposer sur plusieurs piliers :

– mettre en œuvre rapidement l’accompagnement des demandeurs d’emploi expérimentés, dès le premier mois, afin de ne pas les laisser s’installer durablement dans le chômage ;

– définir des prestations spécifiques pour ces demandeurs qui manquent bien souvent d’expérience dans la recherche d’emploi, en particulier après un licenciement : remise à niveau numérique, valorisation de leur profil (atelier d’écriture de curriculum vitae (CV), entraînement à l’entretien d’embauche, etc.) ;

– assurer un accompagnement collectif afin de créer des synergies entre les demandeurs d’emploi expérimentés et un réseau d’entraide qui permettent de rompre l’isolement dans lequel sont rapidement plongés les chômeurs âgés ;

– sensibiliser les entreprises dans le bassin d’emploi afin de créer un écosystème d’accompagnement des travailleurs expérimentés vers le retour à l’emploi.

De bonnes pratiques locales existent déjà dans le réseau de Pôle emploi, il s’agit désormais de les généraliser méthodiquement.

Proposition n° 9 : Expérimenter, sur plusieurs territoires, un même programme d’accompagnement des demandeurs d’emploi de plus de 50 ans par les agences locales de Pôle emploi, en synergie avec les bassins d’emploi.

d.   Mieux faire connaître le contrat de professionnalisation, qui souffre d’un déficit de notoriété

Créé par la loi du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social, le contrat de professionnalisation a pour objectif d’acquérir une qualification professionnelle ou de compléter la formation initiale par une qualification complémentaire. Il s’inscrit dans une démarche d’amélioration de l’adéquation entre les besoins des entreprises et les compétences des bénéficiaires.

Les employeurs qui embauchent un demandeur d’emploi de 45 ans ou plus peuvent bénéficier d’une aide forfaitaire de l’État d’un montant maximal de 2 000 euros ([105]). Depuis le 1er janvier 2019, les exonérations de cotisations spécifiques applicables en cas d’emploi en contrats de professionnalisation ont été supprimées mais les employeurs qui en bénéficiaient sont éligibles à la réduction générale, renforcée, de cotisations sociales pour les employeurs.

La mission d’information a pu constater, grâce aux dernières données fournies par la DARES, que depuis 2014, la montée en puissance du dispositif pour ce public spécifique était certaine puisque les embauches ont progressé de 9,6 % pour les 45 ans et plus entre 2018 et 2019 ([106]).

RÉPARTITION Des bénéficiaires de nouveaux contrats de professionnalisation

Source : Dares Résultats, juin 2021.

ÉVOLUTION SUR LONGUE PÉRIODE de LA PART DES BÉNÉFICIAIRES DU CONTRAT DE PROFESSIOnNALISATION ÂGÉS DE 45 ANS OU PLUS

 

2010

2011

2012

2013

2014

2015

2016

2017

2018

2019

2,1

2,6

2,6

2,7

2,9

2,8

3,0

3,1

3,7

4,3

Source : Dares Résultats, juin 2021.

Pour autant, seuls 4,3 % des bénéficiaires sont âgés de 45 ans ou plus. Dans son référé, la Cour des comptes soulignait déjà que les aides spécifiques mises en place pour les salariés expérimentés au titre du contrat de professionnalisation n’avaient qu’un « impact très limité » ([107]). La portée extrêmement faible de ce dispositif plaide pour une plus grande publicité des outils à disposition des travailleurs expérimentés comme des employeurs.

Proposition n° 10 : Mieux faire connaître l’aide forfaitaire accordée aux employeurs qui embauchent un salarié de plus de 45 ans en contrat de professionnalisation.


III.   TRAVAILLER DANS DE MEILLEURES CONDITIONS POUR TRAVAILLER PLUS LONGTEMPS : PRéVENIR LA DéSINSERTION ET L’USURE PROFESSIONNELLEs

Il ne peut être question de maintien dans l’emploi des travailleurs expérimentés sans se préoccuper de leur vieillissement au travail. L’allongement de la vie professionnelle, que les rapporteurs appellent de leurs vœux, doit indubitablement s’accompagner d’une meilleure prise en compte des contraintes qui pèsent sur les salariés. Les liens entre le vieillissement, la santé et le maintien en emploi sont bien établis mais pour autant la sortie précoce du marché du travail a longtemps constitué la seule réponse apportée à ces difficultés. Nous devons mobiliser nos efforts pour prendre véritablement en compte la santé au travail dans la gestion des âges.

1.   Les travailleurs en fin de carrière sont plus exposés au risque de désinsertion et d’usure professionnelle

a.   La désinsertion : les travailleurs expérimentés sont plus souvent en arrêt

La situation des travailleurs âgés en emploi peut sembler paradoxale : a priori moins exposés que les autres actifs aux conditions de travail difficiles, ils sont néanmoins plus souvent en arrêt de travail que ces derniers. Les travailleurs expérimentés actifs s’arrêtent, en effet, en moyenne 51 jours par an pour les 55‑59 ans, 75 jours après 60 ans contre 35 jours pour la moyenne de l’ensemble des arrêts des salariés ([108]).

DurÉe moyenne des arrÊts maladie sur l’ANNÉE 2017 EN NOMBRE DE JOURNéES