N° 4497

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 29 septembre 2021.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES ([1])

sur l’organisation et les enjeux de la gastronomie et de ses filières

ET PRÉSENTÉ PAR

Mmes Barbara Bessot Ballot et Annaïg Le Meur,

 

Députées

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La mission d’information sur l’organisation et les enjeux de la gastronomie et ses filières est composée de : Mmes Barbara Bessot Ballot et Annaïg Le Meur, co-rapporteures, Mmes Célia de Lavergne, Graziella Melchior et Huguette Tiegna MM. Éric Pauget, Richard Ramos et André Villiers, membres.

 


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SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION

I. La renommÉe internationale dont bÉnÉficie la gastronomie française en fait un secteur Économique concentrant de nombreux enjeux

A. La gastronomie française rÉsulte d’une lente sÉdimentation des pratiques et du discours culinaire, qui a vu la prÉÉminence française durablement consacrÉe au tournant du XVÈme siÈcle

1. La construction progressive d’une cuisine française au moyen-âge et son expansion européenne à la Renaissance

2. La reconnaissance de la primauté de la cuisine française au tournant du XVIIème siècle et son expansion internationale au XVIIIème siècle

3. La naissance de la gastronomie en tant que discours sur l’art de bien manger

B. Le secteur de la gastronomie française concentre de nombreux enjeux : politiques, économiques, diplomatiques, culturels et de santé publique

1. Des enjeux économiques considérables

2. Un enjeu politique

3. Un enjeu diplomatique et culturel

4. Un enjeu de santé publique

C. Aujourd’hui, la France reste considérée comme un pôle d’excellence pour la Gastronomie

1. Le poids du tourisme « gastronomique »

2. La France reste une référence en matière de formation et de prestige gastronomique

D. Une reconnaissance internationale consacrée par l’inscription du « repas gastronomique des Français » sur la liste du patrimoine CULTUREL immatériel de l’UNESCO en 2010

II. Néanmoins, la position prééminente de la gastronomie française est susceptible d’être remise en question par Les évolutions conjoncturelles et structurelles du secteur

A. Des menaces conjoncturelles

1. La crise sanitaire a considérablement fragilisé le secteur

a. Un secteur très dépendant des aides gouvernementales et du retour des touristes étrangers

b. Une crise du recrutement amplifiée par la crise sanitaire

c. L’essor rapide de nouvelles pratiques remettant en cause la restauration traditionnelle : restauration rapide, à emporter et « dark kitchen »

B. Des menaces structurelles

1. Le constat généralisé d’une rupture de transmission du patrimoine culinaire

2. La gastronomie, un univers mondialisé et concurrentiel, où la France se retrouve talonnée de près par d’autres nations

3. Un secteur souffrant d’une image écornée

a. Un secteur toujours caractérisé par un insuffisant respect de la parité

b. Des conditions de travail difficilement acceptées par les nouvelles générations

c. Une « starification » et « médiatisation » toujours plus forte du secteur, aux dépens de la qualité de l’assiette ?

4. La crise sanitaire semble avoir amorcé une prise de conscience généralisée du besoin de redonner de la valeur à l’alimentation et de remettre la gastronomie « au centre » : les raisons d’espérer

a. Des modes d’alimentation toujours plus responsables pour les consommateurs

b. Dans les écoles de cuisine, des nouvelles générations d’étudiants engagées en faveur de plus d’authenticité et de durabilité

c. Un renouveau de l’édition culinaire et gastronomique ces dernières années

III. Dans ce contexte, il importe de saisir l’opportunité de « l’Année de la Gastronomie » pour structurer une ambitieuse politique de promotion de la gastronomie française

A. Saisir l’opportunité de L’« Année de la Gastronomie » pour définir les contours d’une politique publique de la gastronomie française

1. L’absence d’une politique publique structurée de la gastronomie

a. Dix ans après l’inscription du « repas gastronomique des Français » sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO, la mise en œuvre du « plan de gestion » est contrastée

b. La défense de la gastronomie, un accessoire de nombreuses politiques publiques pâtissant d’un manque de coordination interministérielle

c. Mieux fédérer les acteurs, de l’amont à l’aval : vers une fédération française de la gastronomie ?

2. Une conjoncture propice à l’élaboration d’une vision politique pour la gastronomie française

a. L’annonce de l’« année de la gastronomie » et la nomination de Guillaume Gomez au poste de représentant personnel du Président de la République pour la gastronomie

b. Des évènements internationaux mettant la France au centre : la présidence française de l’UE, la coupe du monde de Rugby en 2023, les JO de Paris 2024.

B. Réaffirmer la force d’attraction de la gastronomie française en inventant la gastronomie de demain

1. Renforcer l’attractivité du secteur

a. Mettre en œuvre un plan visant une meilleure insertion professionnelle des femmes dans un univers professionnel encore très masculin

b. Engager, en concertation avec les professionnels, une réflexion sur l’adaptation des conditions de travail et les rémunérations dans le secteur HCR

c. Encourager l’innovation dans le secteur

2. Accélérer la transition vers une gastronomie responsable

a. Encourager les professionnels engagés dans des démarches écoresponsables

b. Favoriser les initiatives d’insertion sociale par la gastronomie :

3. Communiquer davantage sur les labels et les titres professionnels, gages de qualité pour les consommateurs

a. Promouvoir le titre de maître restaurateur

b. Revoir les critères du label « fait maison »

c. Faire davantage connaître les SIQO auprès des consommateurs et des professionnels

4. À l’international, renforcer le « soft power » de la gastronomie française

a. Renforcer l’ouverture à l’international des écoles de cuisine françaises

b. Favoriser l’implantation des chefs français à l’étranger au sein d’un réseau de chefs faisant rayonner la cuisine française

c. Doter les équipes de France concourant dans des concours culinaires internationaux de moyens publics (ex : Bocuse d’Or)

C. Favoriser la réappropriation par les Français de leur identité culinaire et gastronomique

1. Rendre obligatoire l’éducation à l’alimentation, à la saisonnalité et au bien manger à l’école

a. Organiser la montée en puissance des classes du goût et rendre obligatoire l’éducation à l’alimentation à l’école

b. Placer les cantines scolaires au cœur de la transition alimentaire, en mobilisant les projets alimentaires territoriaux

2. Promouvoir toutes les initiatives visant à préserver le patrimoine gastronomique français

a. Le Grand Repas

b. Accompagner le déploiement des cités de la gastronomie et des itinéraires gastronomiques

c. Mettre en œuvre un plan ambitieux pour le tourisme gastronomique en France

d. À l’université, fédérer les programmes de recherche sur la gastronomie pour consolider les « food studies »

EXAMEN EN COMMISSION

LISTE DES PROPOSITIONS

Liste des personnes auditionnÉes

ANNEXE 1 Les initiatives et programmes liés à la gastronomie dans le monde (liste non exhaustive)

ANNEXE 2  The Nordic Kitchen Manifesto (2004)


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   INTRODUCTION

« La gastronomie est la connaissance raisonnée de tout ce qui a rapport à l’homme, en tant qu’il se nourrit. (....) La gastronomie régit la vie tout entière ; car les pleurs du nouveau-né appellent le sein de sa nourrice ; et le mourant reçoit encore avec quelque plaisir la potion suprême qu’hélas ! il ne doit plus digérer ».

Jean Anthelme Brillat-Savarin, La physiologie du goût

« Je voudrais que, dans notre belle France, tout citoyen pût manger des mets succulents ; et cela est facile, quand on est servi à souhait par la Providence, comme nous le sommes ; car tout ce qui constitue la bonne chère se trouve là sous notre main. »

Antonin Carême, L’Art de la cuisine française au XIXème siècle

« Que tout citoyen pût manger des mets succulents » : il serait difficile de mieux résumer l’ambition qui a animé vos rapporteures en conduisant leurs travaux. La gastronomie est par définition un art du quotidien qui sublime l’alimentation, en faisant d’un acte vital – se nourrir – un acte conscient et engagé.

À rebours d’une opinion commune associant la gastronomie à un plaisir élitiste, la gastronomie incarne avant tout « le plaisir de la bonne chère » un « art du bien manger et du bien boire » indissociable de l’art de vivre à la française. Vecteur de partage, de convivialité et d’une mémoire nationale transmise à travers les générations, le « repas gastronomique des Français » a été inscrit sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture en 2010. Loin de muséifier le patrimoine gastronomique national, la reconnaissance UNESCO devait être perçue comme un acte fondateur permettant de structurer une véritable politique en faveur de la défense, de la valorisation et de la transmission intergénérationnelle du savoir-faire gastronomique français. Au-delà d’un corpus de recettes, c’est bien la méthode qui consiste à sublimer quotidiennement et collectivement l’impératif alimentaire qui s’est ainsi vu distinguée.

Aujourd’hui, l’acte II d’un embryon de politique publique en faveur de la gastronomie semble se dessiner. Dans une lettre de mission datée du 24 février dernier, le Président de la République a désigné le chef Guillaume Gomez « représentant personnel du Président de la République auprès des acteurs et des réseaux de la gastronomie et de l’alimentation, afin de promouvoir les arts culinaires de la France. » Cette nomination suivait l’annonce du Premier ministre en novembre 2020 faisant de 2021 « l’année de la gastronomie ».

Respectivement fondatrice, coprésidente et membre du groupe d’études gastronomie au sein de l’Assemblée nationale, vos rapporteures ont salué ces annonces, en même temps qu’elles ont souhaité faire un état des lieux des grands enjeux et défis du secteur, à la veille du lancement de l’« année de la gastronomie ».

Nourri par plus de trente auditions réalisées entre les mois de juin et juillet 2021, ce rapport se veut une contribution parlementaire à ce que pourrait être l’année de la gastronomie, qu’il conçoit à la fois comme un « temps fort » communicationnel autour du secteur et une opportunité d’impulser des réflexions nécessaires et structurantes.

Le secteur de la gastronomie concentre de nombreux enjeux ; économiques bien sûr, mais aussi diplomatiques, culturels, politiques (notamment en matière d’aménagement du territoire) et de santé publique (I). Levier incontestable du « soft power » français depuis la Renaissance, la gastronomie française jouit d’une renommée internationale unique. Aujourd’hui, la France compte 638 restaurants étoilés au Michelin sur son sol, ce qui en fait un berceau et une terre d’élection pour la gastronomie mondiale.

Néanmoins, la position prééminente de la gastronomie française est susceptible d’être remise en cause par des facteurs à la fois conjoncturels et structurels (II). Le secteur de la restauration, fragilisé par la crise sanitaire, traverse actuellement une crise des vocations se traduisant par des difficultés de recrutement majeures. En outre, le développement récent de nouvelles pratiques de restauration et de consommation alimentaire semble menacer le modèle alimentaire français. Par ailleurs, la gastronomie française pâtit d’une image écornée, étant régulièrement considérée comme conservatrice et rigide dans ses recettes comme dans ses pratiques. Entre autres, de nombreux témoignages de femmes cheffes ont dernièrement mis en lumière l’insuffisant respect des femmes dans un secteur caractérisé par une surreprésentation des hommes. Enfin, au niveau international, la prééminence de la gastronomie française est de plus en plus concurrencée par l’émergence de nouvelles nations n’ayant valorisé que tardivement leur tradition gastronomique.

Face à ces évolutions, vos rapporteures appellent de leurs vœux la structuration d’une véritable politique publique interministérielle au soutien du secteur, dont le fer de lance serait le représentant personnel du Président de la République.

Au cours de la crise sanitaire, un élan inédit en faveur d’une alimentation sûre, saine et durable s’est manifesté chez les Français. On observe parmi les nouvelles générations une frange significative de « consom’acteurs » accordant une attention croissante à la qualité de leur alimentation, ainsi qu’un intérêt accru pour les arts culinaires. Cet intérêt se traduit notamment par un engouement pour la restauration. Aussi, pour de nombreux observateurs, la gastronomie française traverse un réel moment « charnière » ; il s’agit avant tout de pérenniser la philosophie du « bien se nourrir », qui valorise le goût et les savoir-faire, par rapport à d’autres considérations telles que la praticité de certaines habitudes alimentaires récentes (plats industriels préparés, surgelés, transformés etc.) ou encore la recherche du moindre coût au détriment de la qualité de l’assiette.

Plus largement, le rôle de la gastronomie dans la transition alimentaire n’échappe pas à vos rapporteures, convaincues qu’une gastronomie responsable et accessible au quotidien doit en être l’un des piliers.

L’année de la gastronomie doit être l’occasion d’un sursaut collectif, orchestré par les pouvoirs publics, pour garantir la pérennité et le rayonnement de notre savoir-faire gastronomique que tant de nations nous envient. Trop souvent, la gastronomie française a eu tendance à « se reposer sur ses lauriers », pour reprendre une expression entendue à maintes reprises lors des auditions. Ce temps n’est plus. La gastronomie du XXème siècle doit se renouveler dans ses codes, tout en conservant son identité unique.

Face à ce constat, vos rapporteures élaborent dans ce rapport un certain nombre de propositions, qui viendront nourrir le débat ouvert par la remise prochaine du rapport de mission du représentant personnel du Président de la République auprès des acteurs et des réseaux de la gastronomie et de l’alimentation ([2]).

Le temps est à l’action et à l’union de tous pour défendre l’un de nos biens les plus précieux et fédérateurs : la gastronomie.

I.   La renommÉe internationale dont bÉnÉficie la gastronomie française en fait un secteur Économique concentrant de nombreux enjeux

La renommée internationale dont jouit actuellement la gastronomie française se consolide progressivement au tournant du XVIème siècle.

Aujourd’hui, le secteur de la gastronomie concentre de nombreux enjeux : économiques bien sûr, mais aussi diplomatiques, culturels, politiques et de santé publique. La reconnaissance internationale du secteur a été consacrée par l’inscription du « repas gastronomique des Français » sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) en 2010.

A.   La gastronomie française rÉsulte d’une lente sÉdimentation des pratiques et du discours culinaire, qui a vu la prÉÉminence française durablement consacrÉe au tournant du XVÈme siÈcle

1.   La construction progressive d’une cuisine française au moyen-âge et son expansion européenne à la Renaissance

La cuisine française résulte d’une lente sédimentation des pratiques, des mémoires et des gestes, qui semble s’affirmer autour des XIVème et XVème siècles. C’est en effet à cette époque qu’apparaissent les premiers recueils de recettes en langue vernaculaire, paraissant indiquer qu’une identité alimentaire et culinaire singulière se construit, basée notamment sur un usage très prononcé des épices, des sauces, et l’emploi de saveurs fortement acidulées.

Imprimé en 1486, le recueil de recettes Le Viandier, attribué à Guillaume Tirel dit « Taillevent », « maître queux » des rois Charles V et Charles VI, est considéré comme le premier des grands livres français de cuisine. L’ouvrage a été un véritable succès, faisant l’objet de vingt-quatre rééditions entre 1486 et 1615.

Scindé en quinze chapitres, l’ouvrage rassemble de nombreuses recettes de potages, de viandes rôties, d’entremets, de poissons de mer ou d’eau douce, de sauces, desserts, plats pour les malades etc.

La cuisine française en élaboration est alors une cuisine essentiellement aristocratique, seules les plus grandes familles disposant alors d’une cuisine en tant que pièce ainsi que d’un foyer préposé à la cuisson des aliments.

À l’époque de la parution du Viandier, des traités culinaires sont également publiés en Allemagne, Italie etc. Rien ne semble alors indiquer une quelconque primauté de la cuisine française.

En parallèle, se développent dans les villes et principalement à Paris de nombreux commerces de plats à emporter : le Paris médiéval fourmille de pâtissiers, de cuisiniers « oyers, de charcutiers et de poissonniers, le tout constituant les ancêtres de nos actuels « traiteurs ». Les auberges, tavernes, autres débits de boisson et cabarets font florès dans le Paris médiéval, préfigurant les actuels restaurants.

À partir de la Renaissance, la réputation de la cuisine française se consolide, grâce notamment aux récits et discours véhiculés par les voyageurs européens. D’après l’historien de la gastronomie Patrick Rambourg, plusieurs contemporains louent la cuisine du royaume et la désignent avec fierté comme un trait spécifique de la « nation ». Dans le même temps, la découverte des Amériques permettant l’introduction de nouveaux aliments en Europe, le goût se modifie, la consommation de sucre augmente et le beurre acquiert une nouvelle place dans les recueils de recettes. Les saveurs acides, typiques de la cuisine médiévale, sont de plus en plus remplacées par des saveurs plus douces et raffinées, révélatrices du goût naturel des aliments. Le Grand Siècle consolide la tendance à une préservation du « goût naturel » des aliments, préoccupation que l’on retrouvera ultérieurement dans les principes de la « nouvelle cuisine » des années 1970, popularisée par le chef Michel Guérard.

2.   La reconnaissance de la primauté de la cuisine française au tournant du XVIIème siècle et son expansion internationale au XVIIIème siècle

À la fin du XVIème siècle, la cuisine française est réputée dans toute l’Europe. À cette époque, l’élite aristocratique européenne s’offre, quand elle le peut, un cuisinier français ou formé à l’école française. De nombreux cuisiniers français sont recrutés dans des cours européennes.

À cet égard, le succès de l’ouvrage Le cuisinier français de François Pierre La Varenne en 1651, illustre parfaitement « le début d’une hégémonie culinaire qui perdurera jusqu’au XXème siècle » d’après Patrick Rambourg.

Les bonnes manières à table apparaissent dès le XIIème siècle, et ne cesseront d’être davantage codifiées. L’usage de la vaisselle de table augmente considérablement dans le dernier tiers du XVIème siècle sur les tables les plus distinguées, tout comme la prévalence d’un strict ordonnancement des mets et du « service à la française ».

En parallèle, les grandes évolutions sociétales se reflètent dans le champ culinaire. L’appropriation progressive par la bourgeoisie des codes et rituels aristocratiques, admirablement décrite par le sociologue Norbert Elias dans ses ouvrages La Dynamique de l’Occident ou La civilisation des mœurs, est également à l’œuvre dans les cuisines françaises. La cuisine aristocratique commence à échapper à l’apanage des grandes maisons pour infuser lentement dans les foyers de la haute bourgeoisie. Progressivement, une cuisine bourgeoise se dessine et s’affirme, comme en témoigne le succès de l’ouvrage La Cuisinière bourgeoise de Joseph Menon, publié en 1746.

Le XVIIIème siècle, jalonné de crises frumentaires et de disettes, voit aussi l’affirmation d’une cuisine des « pauvres » : en 1772, paraît à Dijon l’ouvrage La cuisine des pauvres, une œuvre au titre éloquent regroupant « un ensemble de mémoires dont le but est de remédier aux accidents imprévus de la disette des grains ».

D’après Patrick Rambourg, s’observe alors une « double convergence » ; la France s’impose à cette époque comme un grand modèle civilisationnel, tandis que l’art de bien manger et de bien boire à la française fascinent les Européens. Il faut nonobstant souligner le rôle prééminent de Paris dans cette double affirmation : la ville est alors regardée comme un grand pôle culturel, berceau d’une cuisine sophistiquée unique dans l’Europe des Lumières. Longtemps, la cuisine française sera avant tout une cuisine parisienne. À la veille de la Révolution française, le savant et agronome britannique Arthur Young écrit : « Tout homme qui peut s’offrir une grande table prend soit en cuisiner français, soit un qui a été formé à cette école ».

Très tôt, la cuisine française se professionnalise ; les cuisiniers, employés par les grandes maisons aristocrates, embrassent un métier et une carrière au service de la restauration.

D’après Patrick Rambourg, « La pérennité de la cuisine française ne tient pas seulement à son caractère identitaire (…). Elle tient à la souplesse d’un système qui laissait place à l’innovation, à la liberté de création. Depuis des siècles, les cuisiniers n’ont eu de cesse d’ordonner le travail, de le hiérarchiser, de le rationaliser jusqu’à l’extrême parfois, s’organisant en brigade où chacun est spécialisé dans une tâche. Cette minutieuse organisation professionnelle est sans doute pour beaucoup dans leur capacité à s’adapter à l’évolution de la société et à se moderniser. »

Le XVIIIème siècle est également celui de l’affirmation des « restaurants », qui se développent principalement à Paris, dans les années 1760. Le terme restaurant est issu du latin « restaurare » : on y sert alors des mets visant principalement « à contribuer soit à conserver ou rétablir la santé » Ouverts par d’anciens traiteurs, on y propose des bouillons, du riz, dans un décor sophistiqué, à toutes les heures du jour et de la soirée. À Paris, le quartier du Palais Royal devient « le berceau de la nouvelle gastronomie » et de la restauration. Des restaurants pour toutes les classes de la société essaiment, tandis qu’au milieu du XIXème siècle apparaît un nouveau type d’établissement appelé « bouillon », destiné avant tout aux bourses populaires et aux travailleurs.

Au XIXème siècle, de nombreux cuisiniers français font rayonner la cuisine française à l’international, à l’instar d’Antonin Carême (1783˗1833), chantre de la cuisine « décorative ». Avec Carême, l’iconographie entre au service de la cuisine, le cuisinier se faisant artiste.

Toutefois, dans les dernières décennies du XIXème siècle, la cuisine française vit l’un des tournants de sa longue histoire. Auguste Escoffier, dans la seconde édition de son Guide culinaire paru en 1907, écrit : « Mille soucis de l’industrie et du négoce accaparent l’esprit de l’homme, celui-ci ne peut donner à la bonne chère qu’une place restreinte dans ses préoccupations ».

Une nouvelle conception de l’art culinaire se dessine, à rebours de la cuisine décorative personnifiée par Antonin Carême.

Auguste Escoffier prend la direction des cuisines du Savoy à Londres en 1890, avant d’inaugurer, toujours dans la capitale britannique, le Carlton en 1899, où il officiera durant plus de vingt ans. Il sera sollicité à de nombreuses reprises comme conseiller pour ouvrir d’autres grands hôtels ou palaces, notamment aux États-Unis, à Budapest ou à Madrid, devant ainsi un « véritable ambassadeur de la culture culinaire française ».

L’affirmation des cuisines dites « régionales » sera tardive. Il faudra en effet attendre la « Belle Époque » pour que ces cuisines soient pleinement reconnues. Paradoxalement, la reconnaissance internationale des cuisines de région a supposé leur consécration parisienne dans un premier temps.

Le jacobinisme culturel français, organisé en étoile autour de la capitale parisienne, connaît une de ses plus frappantes expressions dans le champ culinaire.

3.   La naissance de la gastronomie en tant que discours sur l’art de bien manger

Les écrits culinaires prolifèrent au siècle des Lumières, leur multiplication attestant l’intérêt croissant porté à la cuisine comme savoir général.

Le discours sur le bien manger et le bien boire théorise la « sensation gustative » ; c’est la véritable naissance de la gastronomie. Terme tiré du grec « gastronomia », le mot a été popularisé en 1801 par l’ouvrage de l’avocat Joseph Berchoux, La Gastronomie ou l’homme des champs à table. Cet ouvrage est un véritable succès européen. Plus tard, en 1826, le magistrat et fin gastronome Jean-Anthelme Brillat-Savarin célèbre le terme « gastronomie » dans sa Physiologie du goût, tandis que le terme est reconnu par le Dictionnaire de l’Académie française en 1835. Selon le Dictionnaire de la langue française (Littré), la gastronomie désigne « l’art de la bonne chère », et la codification par écrit de cet art.

Brillat-Savarin voit dans la gastronomie une « nouvelle science de la société : tenant à la fois de l’histoire naturelle, par la classification des aliments, de la physique, par la composition et la qualité des produits, de la chimie, de la cuisine, par l’apprêtement des mets, du commerce, par la recherche des meilleurs marchés, de l’économie politique, enfin, par les ressources qu’elle présente à l’impôt, et par les moyens d’échange qu’elle établit entre les nations. »

B.   Le secteur de la gastronomie française concentre de nombreux enjeux : politiques, économiques, diplomatiques, culturels et de santé publique

Le secteur de la gastronomie cristallise des enjeux multidimensionnels, ce qui en fait un secteur économique prééminent.

1.   Des enjeux économiques considérables

Le secteur de la gastronomie peut être appréhendé de manière large, en intégrant l’ensemble des filières concernées : agriculture, industrie agroalimentaires, commerce alimentaire, restauration, boulangeries-pâtisseries et boucheries-charcuteries artisanales, arts de la table etc.

Le poids économique total de l’ensemble de ces filières est considérable. D’après les données communiquées par l’Institut du goût,

– l’agriculture concentrerait 850 000 personnes, pour une production de 80 milliards d’euros ;

– l’industrie agro-alimentaire emploierait 400 000 salariés, pour un chiffre d’affaires de 150 milliards d’euros ;

– le commerce alimentaire concentrerait un million d’emplois environ, pour un chiffre d’affaires de 65 milliards d’euros ;

– la restauration traditionnelle et les cafés totaliseraient un peu plus de 644 000 emplois, pour un chiffre d’affaires de 75,6 milliards d’euros en 2018 (données Insee). En 2018, le nombre de restaurants et débits de boisson en France était de 206 924. Le chiffre d’affaires du secteur, avant la crise sanitaire, était croissant sur la période récente, passant de 52,2 milliards d’euros en 2009 à 75,6 milliards d’euros en 2018 ([3]).

– les boulangeries-pâtisseries artisanales regrouperaient 180 000 emplois, pour un chiffre d’affaires de 12 milliards d’euros ;

– les boucheries-charcuteries artisanales totaliseraient 35 000 emplois, pour un chiffre d’affaires de 8 milliards d’euros ;

– la restauration collective représenterait 75 000 restaurants en France, employant près de 110 000 salariés, pour 20 milliards d’euros de chiffres d’affaires.

– le secteur des arts de la table (verrerie, cristallerie, linge de table, vaissellerie) emploierait près de 44 900 personnes en 2018 pour un chiffre d’affaires de près de 4,9 milliards d’euros ([4]).

On peut donc estimer que le secteur de l’alimentation au sens large (avec près de 400 milliards d’euros de chiffre d’affaires) représente environ 16 % de l’économie française ([5]), auxquels il faudrait ajouter les emplois directement liés à ce secteur (équipementiers en outillage agricole et de restauration ([6]), notamment) et les emplois indirectement liés (tourisme, transport, décorateurs, architectes d’intérieur, céramistes, agences de communication, influenceurs, imprimeurs, éditeurs, web‑développeurs, designers, photographes, journalistes, inspecteurs, agences de conseil, consultants indépendants…).

Les auditions réalisées par vos rapporteures ont également permis de documenter l’impact économique des restaurants dits « hauts de gamme ou gastronomiques », et notamment l’impact de l’obtention d’une étoile au guide Michelin. Ainsi, d’après le directeur international du guide gastronomique Michelin, l’obtention d’une étoile se solde par un impact positif d’environ 30 % sur le chiffre d’affaires, tout en augmentant considérablement l’employabilité des salariés du restaurant. En outre, un emploi généré dans un restaurant étoilé équivaut à un emploi induit pour le secteur. Le restaurant triplement étoilé tenu par Jacques et Régis Marcon à Saint-Bonnet-Le-Froid en Haute-Loire illustre parfaitement les externalités positives induites par ce type d’établissements : près de 350 personnes vivraient directement et/ou indirectement du restaurant.

D’après le chef triplement étoilé Pierre Gagnaire, sacré « meilleur chef du monde » par ses pairs en 2015, « Mes étoiles sont mon passeport pour la liberté ». Très prosaïquement, l’obtention d’étoiles Michelin desserre considérablement l’étau du crédit bancaire pour les chefs, en même temps qu’elles constituent bien souvent un corridor vers une carrière internationale. Un précieux « passeport » qui est également indissociable d’une pression certaine pour les chefs récompensés, soumis à une spéculation inévitable sur la pérennité de ces étoiles dans le temps.

2.   Un enjeu politique

D’après le vice-président de l’Institut du goût, près de trois millions de personnes sont employées dans l’alimentation au sens large (hors emplois induits et indirects), ce qui représente quatre millions et demi de personnes en comptabilisant les conjoints et les enfants majeurs travaillant avec leurs parents, comme cela est souvent le cas dans le secteur HCR (hôtellerie, cafés, restauration).

3.   Un enjeu diplomatique et culturel

La gastronomie est incontestablement un élément structurant de l’identité culturelle de la France. L’inscription du « repas gastronomique des Français » sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture en 2010 l’atteste.

Dès le XVIIIème siècle, la gastronomie française conquiert ses lettres de noblesse à l’international, et s’affirme comme l’un des attributs de la puissance française à l’international.

Dans cette tradition, la promotion de la gastronomie française doit être élevée au rang d’outil du « soft-power » français. Soutenir l’art de vivre à la française, via le soutien au secteur économique de la gastronomie, revient à affirmer un contre-pouvoir hautement nécessaire face aux efforts déployés par certains pays pour diffuser une culture « mainstream » ([7]), basée sur la promotion de la « world food ».

À cet égard, le secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé du tourisme, des Français de l’étranger et de la francophonie, a reconnu devant vos rapporteures l’importance de la marque « Taste France », lancée lors du Salon international de l’agriculture 2020.

La marque institutionnelle « Taste France » est destinée à la promotion de la gastronomie et des produits français à l’international. Avec près de 3 000 entreprises françaises engagées autour de cette marque, Taste France souhaite également « changer l’image élitiste de la gastronomie française à l’étranger en intégrant nos produits à l’alimentation et à la cuisine des différents pays du globe ([8]). »

D’après Jean Baptiste Lemoyne, elle constitue « l’un des éléments du rayonnement français sur les plans économique et diplomatique. »

4.   Un enjeu de santé publique

Le lien entre gastronomie, nutrition et santé publique n’est plus à faire.

Auditionné par vos rapporteures, le ministre chargé de l’agriculture et de l’alimentation a reconnu que le lien entre « bien se nourrir » et le « fait de sublimer les aliments » dans la gastronomie était une « évidence ».

Alors que les inégalités d’accès à une alimentation saine, sûre et durable ont pour conséquence directe un accroissement du risque d’obésité et de surpoids, l’enjeu de « santé publique » constitue une raison supplémentaire de faire de la gastronomie un « axe fort d’une politique publique ».

Au cours des dernières décennies, la corpulence des Français a fortement augmenté, avec une nette tendance haussière depuis les années 1990. En 2008, selon l’enquête Handicap-santé de l’Insee, 39 % des hommes et 24 % des femmes de plus de 18 ans étaient en situation de surpoids en métropole (contre respectivement 31 % et 18 % en 1991). L’obésité affectait 11 % des hommes et 13 % des femmes en 2008, soit une augmentation de plus de 5 points depuis 1991 pour chacun des deux sexes ([9]).

D’après une étude récente effectuée par La Ligue contre l’obésité, 17 % des adultes étaient en situation d’obésité en 2020, soit près de 8,6 millions de personnes, contre 15 % en 2012 et 10,1 % en 2002. En revanche, la proportion de personnes en surpoids a reculé de deux points par rapport à 2012, à 30,3 % ([10]).

Plus largement, le spectre des pathologies chroniques liées à l’alimentation industrielle est large : cancers, diabète, obésité etc. Une première classification du degré de transformation des aliments a été proposée par des chercheurs de l’Université de São Paulo, au Brésil. Cette classification, appelée NOVA, permet de classer les aliments en quatre catégories : les aliments pas ou peu transformés ; les ingrédients utilisés pour faire la cuisine, tels l’huile, le sucre et autres ; les aliments transformés ; et, enfin les aliments ultra-transformés. En février 2018, une étude publiée dans The British Medical Journal, qui portait sur un suivi pendant huit ans de la cohorte NutriNet-Santé comptant plus de 100 000 participants volontaires, montrait qu’une augmentation de 10 % de la part d’aliments ultra-transformés dans le régime alimentaire des participants correspondait à une augmentation d’environ 10 % du risque de développer un cancer, toutes localisations confondues ([11]).

C.   Aujourd’hui, la France reste considérée comme un pôle d’excellence pour la Gastronomie

1.   Le poids du tourisme « gastronomique »

Le poids précis du tourisme gastronomique en France est difficile à évaluer, les visiteurs étant le plus souvent dans des « continuums de visites », la gastronomie étant partie intégrante de ces expériences.

Néanmoins, d’après Atout France, la France est naturellement une référence sur ce plan par la diversité de son offre et de ses gammes ; cafés, brasseries et restaurants traditionnels, développement récent de la « bistronomie », restaurants étoilés et enfin les 31 établissements distingués comme « palaces » par Atout France.

La gastronomie est naturellement adossée à l’œnotourisme. Or, la France comptabilise près de 10 millions d’œnotouristes en 2016 dont 4,2 millions d’étrangers (10 % de Britanniques, 10 % de Belges, puis dans l’ordre décroissant les Allemands, Néerlandais et Américains ([12])). Ce chiffre est en constante augmentation (+ 33 % d’augmentation du nombre d’œnotouristes depuis 2009, avec un taux de croissance annuel moyen plus rapide chez les clientèles étrangères, de + 5 % par an.).

D’après l’Institut national de la statistique et des études économiques, pour la région Île-de-France qui concentre le plus de touristes internationaux, le pourcentage des visiteurs consommant une offre de restauration s’élève à 14 %, soit plus de 3 milliards d’euros en 2018. Il s’agit du second poste de dépenses des touristes dans cette région après le transport par avion (23 %).

Les touristes s’intéressant à la gastronomie ont un profil particulier, puisqu’ils séjournent en moyenne plus longtemps que l’ensemble des touristes (5,4 nuits versus 3,7 nuits) et consacrent un quart de leurs dépenses journalières à l’alimentation et la restauration. Il s’agit très majoritairement de touristes internationaux (75 %), âgés de 39 ans en moyenne, appartenant aux catégories socio-professionnelles supérieures (37 %) et venant davantage en couple (31 %) ou entre amis (13 %).

La tendance au tourisme gastronomique est très forte chez les « millenials » ([13]) européens ou internationaux, parmi lesquels Atout France note une appétence croissante pour les produits du terroir. Dénommés « foodies », ils sont capables de venir en France pour des weekends gourmands, à propos desquels ils communiquent et échangent intensément sur les réseaux sociaux. Ils sont la cible de nombreuses campagnes digitales d’Atout France.

2.   La France reste une référence en matière de formation et de prestige gastronomique

D’après le président de la mission française pour le patrimoine et les cultures alimentaires (MFPCA), la France reste une référence sur la scène de la gastronomie mondiale. Auditionnés par vos rapporteures, les exécutifs des grandes écoles de formation française (Institut Paul Bocuse, École Ferrandi, Cordon Bleu etc.) ont confirmé l’attractivité des formations culinaires françaises pour les étudiants internationaux. À titre d’exemple, lors de la saison « Africa 2020 » organisée par l’Institut Français afin de mettre le continent africain à l’honneur en France, huit grands chefs africains ont été invités. Tous ont été formés à la cuisine en France.

En outre, la réputation internationale du guide Michelin, fondé en 1900 par les frères André et Édouard Michelin, continue indéfectiblement d’associer la France au « gotha » de la gastronomie mondiale. D’après le directeur international des guides Michelin, la notoriété du Bibendum est même supérieure en Chine ou au Japon par rapport à la France : ainsi, 89 % des Chinois connaissent le guide, véritable repère international. Selon Gwendal Poullennec, un chef américain cherchant à se développer va d’abord chercher une destination où le guide est présent, afin de « se mettre le pied à l’étrier pour la suite ».

D.   Une reconnaissance internationale consacrée par l’inscription du « repas gastronomique des Français » sur la liste du patrimoine CULTUREL immatériel de l’UNESCO en 2010

En 2010, l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) décidait de classer le « repas gastronomique des Français » sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Cette catégorie créée en 2003 a pour objectif de protéger les pratiques culturelles et savoir-faire traditionnels, aux côtés des sites et monuments constituant le patrimoine matériel de l’humanité.

Le souhait de porter la candidature du « repas gastronomique des Français » sur la liste du patrimoine culturel immatériel est né du constat que la France « était orgueilleuse et se reposait sur ses beaux lauriers » en matière de gastronomie, selon les mots du directeur de la MFPCA.

La mission française du patrimoine et des cultures alimentaires (MFPCA) est l’organisme qui a porté le dossier de candidature de la France et obtenu l’inscription auprès de l’UNESCO. La mission, association régie par la loi de 1901 et créée en février 2008, est présidée par le professeur Jean-Robert Pitte, géographe, secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences morales et politiques. Le conseil d’administration de la mission est composé de personnalités qualifiées, d’historiens, de géographes, de représentants du monde de la restauration et du monde agricole ainsi que de spécialistes des questions patrimoniales et gastronomiques. Elle travaille en étroite collaboration avec l’Institut européen d’histoire et des cultures de l’alimentation (IEHCA), qui est à l’origine de la démarche en faveur de la reconnaissance UNESCO.

D’après Pierre Sanner, la naissance de la mission et l’inscription du « repas gastronomique » à l’agenda interministériel fut un « long combat » : « Les plus convaincus se demandaient à quoi cela pouvait servir et les plus chagrins se demandaient si c’était de la culture (…). »

Dans sa décision d’inscription, le comité intergouvernemental du patrimoine mondial de l’UNESCO notait que la gastronomie française relevait d’une « pratique sociale coutumière destinée à célébrer les moments les plus importants de la vie des individus et des groupes » et « constituait l’une des plus belles expressions de la créativité humaine ».

Le « repas gastronomique des Français » constitue un repas festif dont les convives pratiquent, pour cette occasion, l’art du « bien manger » et du « bien boire ». Car au-delà des plats, ce qui distingue le repas à la française, c’est la pratique sociale qui l’entoure : la convivialité, le plaisir du goût, le partage, l’association avec le vin, le lien aux terroirs, etc. En effet, en France plus qu’ailleurs, le repas est un moment convivial qui a lieu à heures fixes : à 12 h 30 chaque jour, plus de 54 % des Français sont en train de déjeuner ([14]). À titre de comparaison, la prise alimentaire équivalente au Royaume-Uni se situe à 13 h 10, et ne réunit que 17 % de la population. Autre « fait social » distinctif, les Français prennent également au moins un repas par jour en famille.

Ainsi, la MFPCA considère comme composantes essentielles du repas gastronomique des Français « le choix attentif des mets parmi un corpus de recettes qui ne cesse de s’enrichir , l’achat de produits du terroir – denrées de « haute valeur culturelle » – dont on fait s’accorder harmonieusement les saveurs, le plaisir de cuisiner ensemble, d’échanger et de transmettre des savoirs, savoir-faire et tours de mains, le meilleur mariage possible entre plats et boissons, la décoration de la table ainsi qu’une gestuelle spécifique pendant la dégustation (humer et goûter ce qui est servi)». Dans cette optique, le repas gastronomique met en éveil tous les sens. Des personnes qualifiées de « gastronomes éclairés » préservent la mémoire et veillent à la transmission intergénérationnelle de ces rites.

Pour reprendre les truculents mots de Pierre Sanner, le « repas gastronomique » est « un art de vivre à la française, celui qu’on expérimente sur la table de l’Élysée, ou lors des banquets gaulois à la fin des albums d’Astérix. »


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II.   Néanmoins, la position prééminente de la gastronomie française est susceptible d’être remise en question par Les évolutions conjoncturelles et structurelles du secteur

Autrefois auréolée d’une aura incontestée, la prééminence internationale de la gastronomie française est entachée par des évolutions à la fois conjoncturelles et structurelles. Sans aller jusqu’à affirmer que la renommée de la gastronomie française est menacée, cette dernière se voit contrainte d’évoluer dans un univers gastronomique mondial de plus en plus concurrentiel.

A.   Des menaces conjoncturelles

1.   La crise sanitaire a considérablement fragilisé le secteur

a.   Un secteur très dépendant des aides gouvernementales et du retour des touristes étrangers

Le secteur HCR a été l’une des principales victimes de la crise sanitaire ([15]). D’après une étude d’avril 2021 menée par l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH), les pertes de chiffre d’affaires du secteur atteignent 89 % au cours du premier trimestre 2021.

La mise en place pour certains professionnels d’une offre de restauration à emporter n’a pas permis de compenser les périodes de fermeture administrative, la part de la vente à emporter étant inférieure à 10 % du chiffre d’affaires habituel. Le chiffre d’affaires des restaurants traditionnels a baissé en moyenne de 29 % en 2020. Il a chuté de 50 % ou plus pour un établissement sur huit. Davantage affectés, les restaurateurs d’Île-de-France ont vu leur chiffre d’affaires diminuer de 39 %, contre seulement 22 % pour ceux de Bretagne ([16]).

Le secteur a massivement bénéficié des mesures sectorielles et transversales prévues par le Gouvernement : fonds de solidarité, prêts garantis par l’État, aide « coûts fixes », crédit de cotisation de 15 % etc.

Le taux de défaillance des entreprises du secteur n’a été que de 3 % en 2020, massivement contenu par les aides publiques Le bénéfice avant impôts a connu une évolution médiane de moins 2 % en 2020, une perte là encore grandement limitée par les aides gouvernementales. 24 000 emplois salariés ont été supprimés dans la restauration traditionnelle en 2020 ([17]). Il est néanmoins à craindre qu’un regain des faillites soit observé au fur et à mesure de la levée progressive des aides publiques. Et ce d’autant plus que 80 % des jeunes entreprises du secteur ont une durée de vie moyenne inférieure à cinq ans ([18]).

Or, le Gouvernement a récemment annoncé la fin programmée de la doctrine du « quoi qu’il en coûte » pour le secteur : suppression du crédit de cotisations de 15 % dès la fin du mois d’août, maintien du fonds de solidarité sous conditions jusqu’à la fin du mois de septembre 2021 puis remplacement du fonds par un élargissement de l’aide « coûts fixes » à toutes les entreprises du secteur sans condition de chiffre d’affaires minimal. L’aide « coûts fixes » est égale à 90 % de l’excédent brut d’exploitation négatif pour les entreprises de moins de 50 salariés et de 70 % au-delà de cet effectif.

Malgré l’annonce de la substitution du fonds de solidarité par l’aide « coûts fixes », de nombreuses inconnues demeurent, notamment au sujet de la perte de chiffre d’affaires nécessaire pour être éligible à cette aide. Par ailleurs, les restaurateurs sont toujours en demande de réassurance gouvernementale au sujet des éventuels nouveaux délais pour le remboursement des prêts garantis par l’État.

D’après l’UMIH, un premier bilan de la saison estivale 2021 pour le secteur HCR fait état d’une perte d’activité en moyenne de 20 % entre l’été 2021 et l’été 2019 pour la quasi-totalité des établissements du secteur, dans des proportions qui varient notamment selon les destinations et selon que les clientèles habituelles de ces établissements étaient présentes ou non ([19]).

b.   Une crise du recrutement amplifiée par la crise sanitaire

La crise sanitaire a amplifié les difficultés déjà structurelles de recrutement du secteur.

Ainsi, dans un entretien au Figaro daté de l’édition du 9 juillet 2021, Didier Chenet, Président du GNI˗HCR, (Groupement national des indépendants) déplorait : « Nous sommes un secteur structurellement en tension, il nous manque toujours autour de 100 000 salariés. Mais à cause de la crise sanitaire, nous avons perdu 100 000 à 120 000 collaborateurs supplémentaires, dont 80 % sont sans doute partis définitivement vers d’autres métiers ». Ces pertes concerneraient à la fois les personnels salariés, les « extras » et les saisonniers. Des chiffres corroborés par une étude nationale de l’UMIH, selon laquelle 150 000 salariés de l’hôtellerie‑restauration ont changé de métier depuis la crise de la Covid-19.

Les facteurs permettant d’expliquer ces défections sont divers : changements d’aspirations professionnelles, craintes d’un nouveau confinement et de nouvelles fermetures administratives, pénibilité du travail (amplitude horaire, travail en soirée et week-ends), faiblesse des rémunérations ne permettant pas de se loger à proximité du lieu de travail dans les grandes villes, aspirations à une vie de famille, difficile intégration des femmes dans les brigades, etc.

c.   L’essor rapide de nouvelles pratiques remettant en cause la restauration traditionnelle : restauration rapide, à emporter et « dark kitchen »

Sur la période récente, l’émergence de nouvelles offres de restauration semble contester le modèle dominant de la restauration traditionnelle.

Notamment, on constate un essor de l’offre de restauration rapide sur la moyenne période, mode de consommation importé de la culture anglo-saxonne. Il convient d’ailleurs de rappeler que la France est le second territoire d’implantation des chaînes de restauration rapide « McDonald’s », après les États-Unis. La multiplication des offres de « snacking », notamment en périphérie des villes et à proximité des hypermarchés, s’inscrit à rebours de la tradition du « repas gastronomique des Français ».

Par ailleurs, les « fastfood » ont mieux résisté à la crise sanitaire que les restaurants traditionnels : le chiffre d’affaires des restaurants rapides a baissé de 18 % en 2020, mais leur bénéfice a connu une évolution médiane de plus 6 % ([20]).

En parallèle, la crise sanitaire semble avoir accéléré le recours croissant des Français aux offres de restauration à emporter, en recourant aux services des grandes plateformes de livraison existantes. En 2024, d’après le cabinet de conseil Food Service Vision, la livraison à domicile pourrait représenter 19 % du chiffre d’affaires de la restauration commerciale et peser près de 10,3 milliards d’euros sur le marché français. La pandémie de la Covid-19 a en effet accéléré certaines tendances de fond : la livraison de repas à emporter a ainsi augmenté de plus de 47 % entre 2018 et 2020 dans la France hexagonale, sept commandes sur dix étant effectuées via les plateformes de livraison comme Uber Eats, Deliveroo ou Just Eat ([21]).

Il convient toutefois de préciser que ce recours croissant aux offres à emporter, dopé par la crise sanitaire, ne joue pas forcément contre les restaurants traditionnels : en effet, de nombreux Français ont davantage consommé à emporter que d’habitude, dans le but de soutenir les restaurateurs. En outre, les Français ont massivement fréquenté les restaurants traditionnels au fur et à mesure de la levée progressive des jauges en salle. Ainsi, la société Food Service Vision prévoyait un taux de fréquentation des restaurants traditionnels de 59 % en juin 2021 et de 86 % à la fin de l’été.  Enfin, l’histoire de la gastronomie précédemment évoquée nous rappelle que le choix de recourir à des offres de restauration à emporter avait déjà cours dans le Paris médiéval, rappel historique utile afin de nuancer le caractère « disruptif » de ces nouvelles pratiques.

Par ailleurs, la croissance concomitante du marché des « dark kitchen » est génératrice d’inquiétudes au sein de l’écosystème de la restauration traditionnelle. Ces restaurants sans salle, conçus uniquement pour la vente en format livré, collaborent généralement avec les grandes plateformes de livraison à domicile pour la livraison des plats préparés dans ces cuisines « fantômes ».

D’après François Blouin, fondateur de Food Service Vision, « On compte ainsi aujourd’hui un peu plus de 400 « dark kitchen » en France, essentiellement à Paris, mais aussi d’autres métropoles comme Bordeaux, Lille, Lyon ou Marseille où elles se développent fortement » ([22]). D’aucuns craignent un nivellement vers le bas de la qualité et la fraîcheur des mets servis, en même temps qu’une inexorable homogénéisation des pratiques alimentaires.

Auditionnés par vos rapporteures, les services compétents de la direction générale des entreprises (DGE) estiment que sur un plan juridique, rien ne permet de distinguer les entreprises exploitant des « dark kitchens » des restaurants traditionnels. En effet, ces entreprises ne suivent pas une réglementation propre. En matière d’hygiène par exemple, elles se conforment aux mêmes obligations que les restaurants traditionnels avec salle s’agissant des formations à l’hygiène issues de la réglementation européenne (Paquet Hygiène). Les formalités d’identification auprès de la direction départementale en charge de la protection des populations (DDPP) du lieu d’implantation de l’établissement sont également similaires. D’un point de vue économique, la structure des coûts d’une « dark kitchen » n’est pas comparable à celle d’un restaurant traditionnel. En particulier, la masse salariale de ces structures est souvent réduite par rapport à celle d’un restaurant traditionnel, pour lequel les loyers et les autres charges fixes sont généralement plus élevés.

Néanmoins, il est nécessaire de fortement relativiser cet avantage économique : les « dark-kitchens » sont dépendantes de la livraison, dont le surcoût est comparable à celui du service en salle. De même, d’après les services de la DGE, l’avantage économique des « cuisines fantômes » est limité par rapport à la livraison à partir d’un restaurant traditionnel, qui mutualise ses coûts avec le service en salle.

Par ailleurs, l’émergence de ces « cuisines fantômes » semble d’une part limitée aux zones très urbanisées où la livraison suffit à l’activité, d’autre part concentrée sur l’offre d’un service « immédiat » en rapprochant lieu de fabrication et de livraison.

Enfin, ces lieux de mutualisation peuvent de facto servir le modèle économique des restaurants traditionnels : rien n’interdirait en effet qu’un restaurateur d’une part contribue à la fabrication dans sa propre cuisine de produits de gammes différentes de celle qu’il vend en salle pour le compte d’autres restaurateurs, d’autre part qu’il étende sa zone de chalandise en recourant à de telles installations afin de vendre sa propre gamme de produits.

S’il convient donc de nuancer le caractère « menaçant » de ces phénomènes pour la restauration traditionnelle, les craintes qu’ils suscitent chez un certain nombre d’acteurs de la gastronomie traditionnelle n’en demeurent pas moins partiellement fondées.

Ces menaces conjoncturelles pesant sur le secteur de la gastronomie se doublent également de menaces structurelles.

B.   Des menaces structurelles

1.   Le constat généralisé d’une rupture de transmission du patrimoine culinaire

Les auditions conduites par vos rapporteures ont mis en lumière une tendance à l’érosion des traditionnels rites gastronomiques dans la population française, tendance qui ouvre potentiellement la voie à une rupture de transmission du patrimoine culinaire entre les générations.

Premièrement, on constate une baisse significative de la part consacrée à l’alimentation dans le budget des ménages français. Ainsi, en 1960, l’alimentation représentait 34 % des dépenses des Français, devant l’habillement et le logement. En 2018, 26,6 % du budget étaient alloués au logement, contre 21 % pour l’alimentation ([23]). Si ce déclin relatif s’explique en partie par l’accroissement du niveau de vie des Français et le renchérissement des loyers et du coût du foncier métropolitain, il témoigne néanmoins d’une moindre attention portée à l’alimentation dans le budget des Français.

Un constat corroboré par le ministre chargé de l’agriculture et de l’alimentation auditionné par vos rapporteures : « L’alimentation a de moins en moins de valeur par rapport à la qualité des produits : le citoyen demande toujours plus de qualité, des transitions, mais le consommateur a du mal à payer la qualité. On ne perçoit plus cette valeur. »

Deuxièmement, on constate une lente déstructuration du repas comme rituel social. Le temps passé à cuisiner ou à prendre les repas de manière conviviale diminue quelque peu : ainsi, entre 1986 et 2010, le temps quotidien moyen consacré à faire la cuisine s’est réduit de dix-huit minutes en France métropolitaine, passant de 1 h 11 à 53 minutes : Les restaurateurs quant à eux déplorent la réduction moyenne d’une heure du temps passé à table depuis vingt ans ([24]).

En outre, si le rituel des trois repas quotidiens reste dominant, il est malgré tout moins respecté par les jeunes, qui sont les moins nombreux à prendre un petit-déjeuner : seuls 64 % des moins de 25 ans ont une prise alimentaire entre 5 heures et 11 heures contre 90 % des personnes de 50 ans et plus. Ces écarts selon l’âge reflètent en partie un effet générationnel : il n’y avait que 20 points d’écart entre les moins de 25 ans et les plus de 50 ans en 1999 et seulement 8 points en 1986. Dans ce contexte, 30 % des personnes interrogées déclarent grignoter, hors goûter et apéritif, et 15 % déclarent même le faire très souvent. Les jeunes sont les premiers concernés : 41 % des moins de 25 ans déclarent grignoter parfois et 29 % très souvent, contre respectivement 20 % et 8 % parmi les plus de 60 ans ([25]).

Enfin, l’importance du temps alimentaire passé devant un écran, une télévision ou un ordinateur, augmente. En 2010, 19 % du temps consacré à l’alimentation est passé devant la télévision. C’est trois points de plus qu’en 1986. Une personne sur dix regarde la télévision en petit-déjeunant le matin, une sur cinq le midi et une sur quatre le soir ([26]).Ces nouvelles habitudes alimentaires sont souvent associées à la consommation d’aliments surgelés et ultra-transformés.

Pour le journaliste gastronomique Vincent Ferniot, auditionné par vos rapporteures, « Le sentiment d’appartenir à un même groupe d’alimentation s’effrite chaque jour ». La gastronomie suppose de « faire nation à table ». Or, aujourd’hui, « l’ignorance fait des ravages : les Français ont l’impression de détenir cette culture gastronomique dans leurs gènes, sans avoir l’humilité d’apprendre (…). Il y a un vrai hiatus entre ce que les gens pensent connaître en matière de diététique, d’alimentation, et la réalité de ce qu’ils connaissent ».

2.   La gastronomie, un univers mondialisé et concurrentiel, où la France se retrouve talonnée de près par d’autres nations

Si la France demeure à la fois un berceau et une terre d’élection de la gastronomie avec près de 638 restaurants étoilés sur son sol, la compétition culinaire mondiale se développe à une vitesse considérable.

Dans les quinze dernières années, de nombreuses nations ont structuré une politique attractive en faveur de leur gastronomie, moyennant une visibilité publique accrue de leurs chefs, la promotion d’un ou plusieurs produits ou recettes phares, ainsi qu’une exportation massive du modèle gastronomique.

C’est notamment le cas des pays nordiques qui ont su pleinement faire reconnaître les titres de noblesse de leur gastronomie, moyennant une planification stratégique réussie.

Le mouvement « New Nordic Food »

Le mouvement « New Nordic Food » a été impulsé au début des années 2000 par le Danemark, la Suède, la Norvège, la Finlande et l’Islande

Le mouvement a été fondé en 2004 par le chef danois Claus Meyer. Il rassembla une douzaine de chefs reconnus issus de la gastronomie « nordique » dans la perspective d’élaborer les caractéristiques de cette nouvelle cuisine. De cette initiative est né le « Manifeste de la cuisine nordique », qui a bénéficié d’un soutien politique important de la part des gouvernements de ces États. Ce manifeste expose une vision de long terme pour la gastronomie nordique, entre modernité et tradition.

Le programme « New Nordic Food » a débuté en 2007, bientôt consolidé par un « NNF II » à partir de 2010. Basé sur la charte culinaire du Manifeste précédemment évoqué, le « NNF » s’est rapidement transformé en mouvement social.

L’enjeu principal était de faire de la région nordique l’une des plus reconnues et innovantes en matière de gastronomie internationale. Grâce à ce plan dynamique, les gouvernements nordiques ont atteint leur objectif : sensibiliser leurs populations à la culture culinaire nordique et la faire émerger dans l’écosystème de la gastronomie mondiale.

C’est sous le patronage du Conseil nordique des ministres (CNM) des cinq États, que l’initiative appelée « Culture et créativité » a permis l’expansion du mouvement NNF. La mise en œuvre du « NNF II » a duré quatre ans (2010-2014). Elle a été menée par un comité de pilotage qui comprend des représentants politiques, des représentants du secteur commercial, des acteurs de la sphère gastronomique, de l’industrie touristique, des producteurs, des consommateurs et des jeunes professionnels du secteur. Les représentants du programme NNF II ont pu s’appuyer sur les réseaux transfrontaliers et une coopération intersectorielle.

Le mouvement se caractérise également par sa forte présence sur les réseaux sociaux, l’objectif étant de sensibiliser la population à l’univers culinaire en tant que marqueur culturel fort.

Cette campagne d’internationalisation du mouvement culinaro-culturel nordique dépendait d’une image forte et percutante (technique de « branding »). Elle a donné naissance à une véritable gastro-diplomatie nordique, s’appuyant sur l’organisation de colloques, conférences, invitations d’« influencers » étrangers, de compétitions culinaires etc. Parmi les manifestations les plus éclatantes du succès de ce programme, les excellents résultats obtenus depuis les années 2010 par les candidats nordiques au Bocuse d’Or.

En septembre 2021, l’édition du guide Michelin consacrée aux pays nordiques a récompensé deux restaurants scandinaves de trois étoiles : Maaemo à Oslo (Norvège) et Noma à Copenhague (Danemark).

Une dynamique comparable a vu le jour dans les pays sud-américains, notamment au Pérou autour de la figure médiatique du chef Gaston Acurio. Fondateur d’une trentaine de restaurants répartis entre les États-Unis, l’Amérique Latine et l’Europe, on doit notamment au chef Acurio d’avoir revisité la recette traditionnelle péruvienne du « ceviche », aujourd’hui devenu un incontournable de la gastronomie mondiale.

Au cours des auditions de la mission, l’influence croissante de la gastronomie italienne sur la scène culinaire mondiale a été un réel leitmotiv. La concurrence – d’aucuns y verront une saine émulation – ouverte entre la France et l’Italie a été abordée dans un article de l’hebdomadaire italien L’expresso, publié dans la revue Courrier International ([27])  et intitulé « Gastronomie. France-Italie : un duel à couteaux tirés ». La cuisine italienne, « née dans les cuisines là où la cuisine française est née dans les restaurants » est une cuisine populaire, facilement reproductible et exportable, car structurée autour d’un nombre restreint de produits bruts, frais et simples. Organisée autour d’une industrie agro-alimentaire à forte capacité exportatrice, la gastronomie italienne se mue également en une restauration haut de gamme : ainsi en 2018, le chef italien Massimo Bottura, triplement étoilé au Michelin, s’est hissé à la première place du classement The World’s 50 Best. Le « 50 Best » récompense annuellement les 50 meilleurs restaurants mondiaux. D’après le chroniqueur de L’Expresso, « Côté popularité, la bataille est perdue d’avance : entre les restaurants haut de gamme, les pizzerias, les lasagneries, les trattorias traditionnelles ou à la sauce locale, jamais la cuisine italienne n’a été autant appréciée dans le monde, de l’Australie jusqu’en Islande ». La chaîne de restaurants et d’alimentation italienne Eataly, créée dans le Piémont en 2007, est l’un des artisans du succès de la gastronomie italienne. Ayant ouvert son premier magasin à Paris en 2015, la chaîne comptabilise aujourd’hui 39 magasins dans le monde, dont 18 en Italie. Le chiffre d’affaires d’Eataly était estimé à 465 millions d’euros en 2019 ([28]).

Le 28 mars 2014, une tribune parue dans le New-York Times intitulée « Can anyone save French food ? » ([29])  a fait l’effet d’une tornade dans le monde de la gastronomie française. L’article, un brin provocateur, affirmait l’inexorable déclin de la gastronomie française depuis une dizaine d’années, reflétée dans la disparition des « fromages au lait cru, la baisse de 50 % de la consommation de vin français depuis les années 1960, jusqu’au fait que la France est devenu le second pays le plus rentable au monde pour McDonald’s ». L’auteur de la tribune continuait en affirmant que la véritable « émulation culinaire » mondiale se trouvait à Londres, Tokyo, New York, Copenhague ou encore Saint-Sébastien. Toutefois, la tribune se terminait sur une note d’espoir, puisque le critique affirmait que « Paris semblait néanmoins frémir des signes d’une nouvelle vigueur gastronome ». Un renouveau caractérisé notamment par l’émergence de la « bistronomie » au tournant des années 1990, et l’émergence d’une nouvelle catégorie de jeunes chefs français et étrangers installés dans la capitale française.

D’après le directeur international des guides Michelin, « La France a pris une vraie claque le jour où le guide a sorti un guide Michelin pour Tokyo, où il y avait deux fois plus de restaurants étoilés qu’à Paris. La compétition culinaire mondiale se développe à une vitesse considérable. J’ai voyagé dans au moins trente ou quarante pays avec le guide. Il y a beaucoup de destinations qui, il y a cinq ou dix ans, avaient peu d’établissements de qualité. Il y a beaucoup de gastrodiplomatie faite par les affaires étrangères ; on utilise l’étiquette de la gastronomie française pour exporter de l’agro-industrie. Mais il faut aussi avoir une dimension de projection, en travaillant sur la France comme une destination gastronomique, et s’assurer que la destination France reste un pôle d’excellence. »

Le constat d’une gastronomie française « se reposant sur ses lauriers » et « manquant d’humilité » est partagé par plusieurs acteurs, notamment la Team France au sein du Bocuse d’Or, et la mission française pour le patrimoine et les cultures alimentaires.

3.   Un secteur souffrant d’une image écornée

a.   Un secteur toujours caractérisé par un insuffisant respect de la parité

Le respect de la parité entre hommes et femmes est encore insuffisant dans le secteur.

Le mouvement international « Me too » de dénonciation du harcèlement moral et sexuel subi par les femmes n’a pas épargné le secteur, caractérisé par une surreprésentation des hommes parmi les chefs et le personnel des brigades.

Cette surreprésentation masculine en cuisine est pourtant paradoxale : alors même que les femmes ont été constamment renvoyées aux « fourneaux » pour mieux les écarter du marché du travail, il serait logique qu’elles excellent dans ce champ professionnel. Un constat partagé à l’international ([30]) : seulement 10 % des « executive chefs » aux États-Unis seraient des femmes ([31]).

Ainsi, sur les 638 restaurants étoilés que compte la France, une trentaine seulement sont actuellement dirigés par des cheffes. En 2015, la cheffe étoilée du restaurant Saint˗James Paris, Virginie Basselot, est devenue la seconde femme à recevoir le prestigieux titre de « Meilleur ouvrier de France » (MOF), après Andrée Rosier en 2007, cheffe étoilée du restaurant Les Rosiers à Biarritz.

À l’aune du mouvement « Me too », de nombreuses cheffes ont témoigné des cas de harcèlement moral et/ou sexuel qu’elles ont pu subir tout au long de leur carrière. Le témoignage de la cheffe marseillaise Laetitia Visse est à cet égard particulièrement édifiant ([32]).

Dans son documentaire À la recherche des femmes cheffes, la réalisatrice Vérane Frédiani a entendu faire un état des lieux pour « permettre aux femmes cheffes d’avancer et de se regarder telles qu’elles étaient, tout en ayant de nouveaux modèles féminins pour que toutes puissent se construire. On a besoin de voir que certaines y arrivent avec des enfants, avec une famille, des solutions variées existent ». Auditionnée par vos rapporteures, la réalisatrice explique que le film fait un constat sans appel : les femmes cheffes sont davantage seules, dirigent des restaurants plus modestes que ceux tenus par leurs homologues masculins, avec des équipes généralement plus petites et sous financées. En outre, les femmes cheffes rencontrées par Vérane Frédiani manquent souvent de confiance, éprouvent un fort besoin de reconnaissance professionnelle, et ne se connaissent pas vraiment les unes les autres. Elles ont des difficultés à faire entendre leur point de vue d’entrepreneuse sur les réseaux sociaux, à une époque où l’aptitude à communiquer en réseaux est pourtant décisive.

Souvent la cible de comportements prédateurs au sein des brigades, elles mettent en œuvre des « parades » pour y échapper sans renoncer à leur vocation : choix d’ouvrir un restaurant très jeune, ce qui constitue une prise de risque importante, ou choix de se construire un réseau uniquement féminin en envoyant leurs CV à des femmes cheffes, ce qui limite considérablement le champ des possibles dans un univers professionnel très masculin.

Un constat largement partagé par la cheffe triplement étoilée Anne-Sophie Pic. Auditionnée par vos rapporteures, cette dernière a reconnu que le film À la recherche des femmes cheffes a été pour elle un « révélateur », un instrument de libération de la parole. Affirmant que le harcèlement « n’a pas droit d’accès » dans ses restaurants, la cheffe recherche avant tout « un esprit de complémentarité hommes/femmes dans le travail, en œuvrant pour que les femmes soient légitimes, et n’aient plus peur de parler aux hommes dans les cuisines ».

b.   Des conditions de travail difficilement acceptées par les nouvelles générations

La difficulté des conditions de travail dans le secteur HCR, de moins en moins admise par les nouvelles générations, explique en partie la crise du recrutement qui affecte le secteur.

Il a été précédemment rappelé que près de 150 000 salariés de l’hôtellerie-restauration auraient changé de métier depuis la crise de la Covid-19, d’après une étude de l’UMIH. Ces difficultés de recrutement pourraient, à moyen terme, rejaillir sur la qualité de l’offre proposée. D’après Stéphane Chambon, chef à l’auberge du Pont de L’Ouysse, à Lacave (46) : « Nous sommes dans une société du loisir où la notion de travail a été dévalorisée. Nos métiers sont les plus affectés car nous avons un rythme atypique. Nous travaillons lorsque les gens sont en vacances ou en week-end et nous avons en outre des horaires décalés ou en coupure (…) Ce n’est plus en phase avec les aspirations de notre société (…) Avant la Covid, nous souffrions déjà de problèmes de recrutement, notamment avec les saisonniers. Si vous cumulez, comme nous, le fait d’être en pleine campagne, sans animation, c’est d’autant plus difficile de les faire venir (…). C’est aussi de plus en plus difficile de manager les jeunes générations car, à la moindre remarque, ils rendent leur tablier (…). Et la Covid n’a rien arrangé. Les gens ont profité de cette période pour se réorienter. Je me fais du souci pour la gastronomie en général… De plus en plus de restaurateurs achètent des produits semi-élaborés pour compenser le manque de bras. Transformer du produit frais demande de la main-d’œuvre, du temps et du savoir-faire (…) Nous sommes face à un vrai risque de voir des savoir-faire disparaître, avec quelques restaurants élitistes qui continueront à les maintenir. » ([33])

Pour les salariés du secteur HCR travaillant dans de grandes métropoles, il est très compliqué voire impossible d’accéder à un logement en centre-ville en raison de la cherté de la vie. Cet état de fait se complique encore lorsqu’il s’agit de rentrer tard le soir, à une heure où les transports publics vers la périphérie ne fonctionnent plus, ou peuvent être dangereux, notamment pour les femmes seules. D’après la directrice marketing et ventes de l’Institut Le Cordon Bleu Paris, de nombreux étudiants français font alors le choix de partir à l’étranger à la fin de leurs études, espérant bénéficier de conditions de vie plus propices.

Le constat semble unanime. Pour le chef Thierry Marx : « Nos salariés ne veulent plus avoir un rapport sacrificiel au métier alors que ma génération était prête à travailler à genoux pour une poignée de francs. Les temps ont changé. Être payé 1 450 euros nets par mois comme commis de cuisine, ce n’est plus possible : vous n’avez pas de vie sociale, vous ne finissez pas le mois, et vous ne pouvez pas vous loger dans une grande ville ([34]) ».

Interrogée sur le sujet des conditions de travail dans le secteur, la ministre chargée du travail, de l’emploi et de l’insertion a reconnu qu’il existait des « secteurs dans lesquels les conditions de travail, les rémunérations ne sont pas à la hauteur des contraintes des métiers », citant notamment les « hôtels, cafés, restaurants », qui « doivent se remettre en question » ([35]). Face à l’ampleur de la crise du recrutement, la ministre a exhorté les représentants du secteur HCR « à mettre des propositions sur la table. »

c.   Une « starification » et « médiatisation » toujours plus forte du secteur, aux dépens de la qualité de l’assiette ?

« Cela me navre de voir que la cuisine aujourd’hui se regarde plus qu’elle ne se goûte. Et de voir à quel point les entreprises cèdent au miroir des alouettes des influenceurs « autofabriqués » le plus souvent. » Par ces mots, le journaliste gastronomique Vincent Ferniot étrille les dérives de la « pixellisation » de la cuisine, elle-même engeance de l’hypermédiatisation de l’univers gastronomique.

L’hypermédiatisation de la gastronomie désigne le fait, pour les chefs, de valoriser toujours plus leurs créations sur les réseaux sociaux. Le beau et le caractère « instagrammable » des plats semblent toujours davantage l’emporter sur le « bon »et la recherche d’authenticité. Une dérive soutenue par de nombreux clients, pour lesquels le partage d’expériences gastronomiques sur les réseaux sociaux compte autant que l’expérience gastronomique elle-même.

Pour l’ancien Président du Gault Millau Jacques Bally, on constate un « effet Top Chef » ; les chefs deviennent des marques. Gagner un concours comme celui popularisé par l’émission de la chaîne M6 est une garantie de réussite professionnelle et de sécurité financière, à l’instar de l’obtention d’une étoile au guide Michelin. L’hypermédiatisation de la gastronomie, nourrie par le succès d’émissions culinaires populaires, est un piège : « Pour trois ou quatre qui brillent, il y a toute une ribambelle qui souffre. Dans les cuisines, les conditions de travail sont de plus en plus difficiles. Les marges dans la restauration ne se traduisent pas toujours par de la redistribution salariale ». Un constat corroboré par Caroline Broué, productrice de l’émission Les bonnes choses sur France Culture : « Si ces émissions ont permis de valoriser les métiers de chefs, en faisant naître de nombreuses vocations et en insistant sur la rigueur et la discipline du travail en cuisine, elles peuvent aussi avoir tendance à idéaliser le métier et provoquer de nombreuses désillusions chez les aspirants chefs ».

Vos rapporteures notent également que cette hypermédiatisation du secteur crée un déséquilibre entre le service en salle et les cuisines, au détriment du service en salle qui souffre d’une crise des vocations durable et ne bénéficie pas de la même mise en lumière médiatique.

4.   La crise sanitaire semble avoir amorcé une prise de conscience généralisée du besoin de redonner de la valeur à l’alimentation et de remettre la gastronomie « au centre » : les raisons d’espérer

a.   Des modes d’alimentation toujours plus responsables pour les consommateurs

Pendant la crise sanitaire, de nombreux Français ont renoué avec la cuisine « maison ». L’alimentation, perçue à la fois comme une source de plaisir, de convivialité et de santé, est redevenue une priorité pour de nombreux Français.

D’après une étude conduite par Santé Publique France en mai 2020, 37 % des personnes interrogées ont déclaré avoir davantage cuisiné de « plats-maison » durant le premier confinement, contre 4 % qui déclaraient avoir au contraire moins cuisiné ([36]).

Selon le baromètre annuel 2021 publié par l’Agence Bio, les Français ont consommé davantage de produits biologiques (+ 15 % de nouveaux consommateurs en 2020) et locaux ([37]). Pour Laure Verdeau, directrice de l’Agence Bio, « Le bio est en croissance année après année ». D’après l’enquête réalisée du 13 novembre au 1er décembre 2020 auprès de 2100 personnes, 21 % des nouveaux consommateurs sont des jeunes de 18-24 ans, souvent soucieux du respect de l’environnement. Il convient également de noter que 20 % des nouveaux consommateurs sont des ouvriers et des employés, ce qui semble suggérer un début de démocratisation de la consommation de produits biologiques.

De manière générale, 51 % des Français affirment privilégier des aliments locaux ou produits en France et 45 % d’entre eux déclarent privilégier de plus en plus l’agriculture biologique, selon la première étude de l’observatoire Alimentation et familles publiée par la Fondation Nestlé en coopération avec l’institut Ipsos ([38]). D’après Philippe Henry, président de l’Agence bio et agriculteur engagé en bio en Lorraine : « À partir du moment où on cuisine soi-même, on se pose forcément la question de ce que l’on met dans son assiette ». En conséquence, les achats « direct producteurs » à la ferme ont progressé de plus de 26 % en 2020.

Ces tendances semblent s’inscrire dans la durée puisque l’enquête indique que 80 % des Français envisagent de maintenir leur consommation future de produits biologiques et que 11 % souhaitent même l’augmenter.

Ces évolutions des modes de consommation des Français trouvent une traduction dans les orientations du plan de relance gouvernemental, puisque près de 130 millions d’euros sont fléchés en direction des circuits courts. D’après le ministre chargé de l’agriculture et de l’alimentation : « Les circuits courts, beaucoup de Français y ont goûté pendant le confinement et les ont aimés. Mon objectif est de les renforcer, dans le but d’augmenter la consommation de produits frais, et pour les agriculteurs, de leur dégager de nouveaux débouchés, souvent rémunérateurs ».

b.   Dans les écoles de cuisine, des nouvelles générations d’étudiants engagées en faveur de plus d’authenticité et de durabilité

Les responsables de plusieurs grandes écoles de cuisine françaises ont également témoigné d’un changement de mentalité à l’œuvre dans les nouvelles générations d’étudiants. Ces dernières seraient davantage « en quête de sens », dans un « nouveau rapport à l’alimentation » accordant une grande attention à l’origine des produits, la traçabilité, la saisonnalité, le tri et le réemploi des déchets en cuisine.

Les élèves de l’Institut Paul Bocuse de Lyon et du Cordon Bleu à Paris entretiennent leur propre potager, dont une partie de la production est utilisée au sein des restaurants d’application des écoles. Le directeur de l’Institut Paul Bocuse de Lyon a indiqué adapter les contenus des formations à ces nouvelles exigences, tandis que l’Institut héberge sur son campus de Lyon depuis 2008 un centre de recherche sur l’alimentation hors domicile et sur l’accueil en milieu hôtelier, qui explore notamment les enjeux de la transition alimentaire. De nombreuses démarches similaires essaiment sur tout le territoire, comme la formation dispensée au sein du campus de Souillac (Lot) de l’école Thierry Marx, où l’apprentissage s’effectue en association étroite avec les partenaires locaux.

Ce mouvement pédagogique s’inscrit dans une tendance de fond déjà popularisée par des chefs depuis plusieurs années, à l’instar d’Alain Passard promouvant les circuits courts dans son restaurant triplement étoilé L’Arpège.

c.   Un renouveau de l’édition culinaire et gastronomique ces dernières années

La littérature gastronomique, d’une part, et les émissions radiophoniques ou télévisuelles consacrées à la gastronomie, d’autre part, connaissent aujourd’hui un véritable succès. Ce renouveau du discours et de l’intérêt autour de la « bonne chère » laisse augurer une réappropriation de la gastronomie française par la relève générationnelle.

Ainsi, l’auditeur gastronome du dimanche matin peut-il écouter successivement trois émissions radiophoniques consacrées à l’univers de la cuisine : Ferniot fait le marché présenté par Vincent Ferniot à 10 h sur Sud Radio, puis On va déguster à 11 h par François-Régis Gaudry sur France Inter, pour terminer par Les bonnes choses, l’émission de Caroline Broué sur France Culture.

Certains livres de recettes sont de francs succès de librairie, à l’instar de Simplissime par Jean-François Mallet ([39]) : l’ouvrage se décline en une collection de 41 tomes, traduits en 12 langues dans 20 pays, proposant des recettes concentrant deux à six ingrédients par plat, un temps de cuisine restreint et des photos fort appétantes. Plus récemment, les trois premiers tomes de la collection de livres de recettes intitulée Fait Maison du chef Cyril Lignac se sont vendus à 421 448 exemplaires en 2020, les plaçant à la quatrième place dans la catégorie des ouvrages les plus vendus de l’année.

Dans le même temps, les émissions télévisuelles consacrées à la cuisine se sont multipliées, suscitant de nombreuses vocations de cuisiniers amateurs ou professionnels. À titre d’exemple, le programme Oui Chef ! proposé par la chaîne M6 en 2005 fut un succès immédiat. Sur la même chaîne, d’autres émissions s’ensuivront : Chef, la recette (2006), Vive la cantine ! (2007) et surtout, Top Chef depuis 2010. Top Chef obtient des records d’audience : 5,4 millions de téléspectateurs ont regardé la troisième saison de l’émission en 2012, et ils seront plus de 3,9 millions en moyenne à avoir suivi la onzième saison entre février et juin 2020, en plein cœur du premier confinement ([40]).

En parallèle, la « blogosphère culinaire ([41]) » a connu une très forte croissance depuis son émergence dans les années 2000. Pour Sidonie Naudin, son développement « s’inscrit à la fois dans le cadre du développement de la participation des amateurs sur Internet et dans celui de la médiatisation croissante de la cuisine (prolifération des émissions télévisées, des magazines et des livres de cuisine) ». Publiant principalement des recettes de cuisine, ces « blogueurs » jouent également un rôle de prescripteur de tendances gastronomiques.

Bénéficiant d’un enthousiasme renouvelé des Français, l’écosystème de la gastronomie foisonne d’initiatives prometteuses. Les contours de la transition en cours font l’objet de diagnostics partagés par de nombreux acteurs. Néanmoins, les démarches d’évolution concrètes sont encore trop éparses et limitées.

III.   Dans ce contexte, il importe de saisir l’opportunité de « l’Année de la Gastronomie » pour structurer une ambitieuse politique de promotion de la gastronomie française

A.   Saisir l’opportunité de L’« Année de la Gastronomie » pour définir les contours d’une politique publique de la gastronomie française

1.   L’absence d’une politique publique structurée de la gastronomie

L’inscription du repas gastronomique des Français sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité était indissociable de la mise en place d’actions publiques de valorisation et de défense du secteur de la gastronomie. La mise en œuvre d’un « plan de gestion » supposait l’existence d’un volontarisme étatique susceptible de « faire vivre » l’inscription dans la durée.

a.   Dix ans après l’inscription du « repas gastronomique des Français » sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO, la mise en œuvre du « plan de gestion » est contrastée

L’inscription du « repas gastronomique des Français » sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO emportait également des devoirs significatifs pour la France. L’ensemble de ces engagements sont contenus dans le « plan de gestion », instrument de mise en œuvre de l’inscription.

 

 

 

Le plan de gestion UNESCO

Pour l’UNESCO, la gestion d’un bien est le « troisième pilier » de la valeur universelle exceptionnelle (VUE), avec les critères d’inscription et les conditions d’intégrité et d’authenticité.

Obligatoire depuis 2007 pour chaque dossier de candidature, le plan de gestion démontre la capacité d’un État-partie à préserver la VUE du bien dont il a porté le dossier et, par là même, démontre sa capacité à le transmettre aux générations futures. En fonction de la nature du bien, le plan de gestion varie fortement, mais son objectif reste le même : il s’agit d’un document par lequel l’État et les gestionnaires s’engagent pour mettre en œuvre un certain nombre de dispositions.

Même si l’UNESCO ne l’exige pas et si le code du patrimoine ne le précise pas, le plan de gestion doit être actualisé périodiquement, notamment en fonction des évènements pouvant intervenir depuis l’inscription. Il est donc préférable qu’il ait une durée limitée dans le temps, tandis que le délai moyen d’actualisation d’un plan de gestion est généralement de cinq à dix ans.

La création des cités de la gastronomie constitue la mesure phare du plan de gestion français.

Sous l’impulsion de la mission française du patrimoine et des cultures alimentaires (MFPCA) et des villes lauréates, des équipements culturels affectés à la gastronomie sont programmés pour être implantés à Dijon, Lyon, Paris-Rungis et Tours. Les quatre villes se sont regroupées autour d’un réseau pour contribuer ensemble à la valorisation du repas gastronomique français mais aussi des cultures et patrimoines culinaires dans le monde.

Toutefois, plus de dix ans après l’inscription du repas gastronomique des Français sur la liste du patrimoine immatériel mondial, le projet des cités de la gastronomie peine à se concrétiser.

La cité de la gastronomie de Lyon, ouverte en octobre 2019 et implantée dans l’ancien Hôtel-Dieu, a annoncé sa fermeture en juillet 2020. Même si la métropole de Lyon évoque une « fermeture temporaire », il s’agit incontestablement d’un mauvais départ pour ce projet sis dans la capitale de la gastronomie française.

Implantée sur le site de l’ancien hôpital général dijonnais, la future cité internationale de la gastronomie et du vin de Dijon doit constituer la vitrine d’une culture « populaire », tout en valorisant les différentes filières, notamment la recherche et l’innovation, la formation, l’agriculture, les produits du terroir, les arts de la table, etc. Ce projet souhaite positionner Dijon et la Bourgogne en général comme des destinations majeures pour le tourisme gastronomique et l’œnotourisme. Son ouverture est prévue en mars 2022.

À Tours, la cité internationale de la gastronomie a été officiellement lancée en 2015. Le projet, centré autour de la Villa Rabelais, centre culturel réservé à la gastronomie, lieu d’échange et de transmission des savoirs, a cependant été rapidement mis en sommeil. La nouvelle municipalité tourangelle entend réhabiliter le projet au travers d’une nouvelle médiathèque gourmande abritée dans la Villa Rabelais. Plusieurs étages des halles de Tours seraient également au cœur du projet : ainsi, sur près de 2 000 m2, seraient proposés des ateliers de découverte des produits locaux, un incubateur de restaurants, un auditorium, un espace cave-dégustation ou encore une galerie d’expositions temporaires. Le troisième volet du projet tourangeau serait situé dans le quartier populaire du Sanitas, dans lequel des publics éloignés de l’emploi seraient formés à la gastronomie. Il serait notamment question que le chef Thierry Marx installe dans ce quartier une école du réseau Cuisine mode d’emploi(s) , une structure d’insertion formant aux métiers de bouche des publics éloignés de l’emploi.

Enfin, le projet de la cité de la gastronomie Paris-Rungis devrait ouvrir ses portes avec en 2026, à proximité du Marché international (MIN) de Rungis. « Lieu culturel, créatif et convivial, la cité valorise une alimentation durable et une gastronomie responsable autour de la pratique sociale et festive du repas ». ([42])  D’après le site internet du projet, figureront au cœur du projet un centre d’interprétation et d’expérimentation autour des expositions temporaires, un « Fab Lab » gastronomique pour favoriser la créativité et la participation des publics, une rue couverte pour les grands banquets et les spectacles vivants et gastronomiques, des jardins pédagogiques en lien étroit avec les fermes urbaines à proximité etc. Il y a quelques mois, une nouvelle consultation d’opérateurs pour la réalisation de la cité de la gastronomie Paris-Rungis et de son quartier a été lancée.

Le déploiement du réseau des cités de la gastronomie rencontre des difficultés significatives. La continuité politique et administrative dans la gestion des projets fait défaut, tandis que le grand public reste relativement à l’écart de ces projets.

Mais le réseau des cités de la gastronomie n’est bien heureusement pas la seule traduction concrète de l’inscription. En effet, de nombreux évènements célébrant la gastronomie française sont nés à la suite de la reconnaissance UNESCO, à l’instar du festival Goût de France / Good France. Ce festival international dont la première édition a eu lieu en 2015 est une conséquence directe de l’inscription du « repas gastronomique des Français » sur la liste du patrimoine immatériel de l’UNESCO. Chaque année, en mars, « des restaurateurs des cinq continents proposent à leurs convives l’expérience de l’art de vivre à la française et rendent hommage à sa capacité d’innovation et aux valeurs qu’elle véhicule : partage, plaisir, respect du bien-manger, de ses contemporains et de la planète ». ([43])  Piloté par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères, l’événement s’inspire d’Auguste Escoffier qui avait lancé en 1912 « Les Dîners d’Épicure », en proposant le même menu, le même jour, dans plusieurs villes du monde. Cet évènement, qui met à l’honneur la gastronomie d’une région française lors de chacune de ses éditions, rencontre un succès certain. À cette occasion, près de 150 ambassades et consulats français sont mobilisés dans le monde, tandis que 350 000 convives y participent sur les cinq continents.

Il convient par ailleurs de mentionner le lancement, en 2011, à l’initiative du ministère de l’économie et des finances, de La fête de la Gastronomie, un événement annuel autour du goût et de la gastronomie française. Toutefois, l’évènement n’a pas eu lieu 2020, et son organisation en 2021 est compromise.

De manière générale, l’inscription UNESCO a donné lieu à un regain d’intérêt pour l’univers de la gastronomie. Pour Patrick Rambourg, « Il n’y a jamais eu autant d’expositions sur la gastronomie que depuis 2010 ». De grands évènements culturels autour de la gastronomie ont bénéficié de davantage de soutiens publics, comme Marseille Provence Gastronomie en 2019, impulsée par le département des Bouches-du-Rhône et Provence Tourisme. L’événement s’est révélé être un succès populaire avec 2 052 500 participants cumulés sur l’année. D’autres festivals gastronomiques sont nés dans le droit sillage de l’inscription, comme Lots of saveurs à Cahors, ou Taste of Paris.

En outre, l’inscription sur la liste UNESCO a rendu possible de grandes initiatives populaires autour de la gastronomie, à l’instar du Grand Repas. Organisé en Val de Loire pour la première fois en janvier 2016, le Grand Repas est à présent un évènement national proposant aux citoyens de partager le même jour sur leur territoire un menu unique conçu à base de produits locaux et de saison. Pour l’association organisatrice, « c’est aussi l’occasion de sensibiliser les citoyens aux problématiques d’anti-gaspillage alimentaire, de circuits courts, d’histoire des produits et d’éducation au goût, à la santé et au bien-être ». ([44])

Dans l’ensemble, la mise en œuvre du plan de gestion du repas gastronomique des Français est donc contrastée. Le succès rencontré par les nombreux évènements nationaux ou internationaux nés de l’inscription ne doit pas éclipser l’échec partiel du réseau des cités de la gastronomie, pierre angulaire du plan gestion.

Interrogé sur l’influence de long terme de l’inscription UNESCO sur le secteur de la gastronomie, le journaliste gastronomique Vincent Ferniot a confié à vos rapporteures son scepticisme : « Une fois passé ce bref instant d’autosatisfaction, l’effet à long terme est plutôt négatif. Il fige un peu plus notre gastronomie et notre cuisine dans sa position hégémonique et l’empêche d’évoluer et de jouer le nécessaire rôle d’intégration. De plus, le peuple français est fier et orgueilleux. Avoir la « meilleure cuisine du monde » lui suffit et lui confère une sorte de pouvoir de droit divin dont il pense, à tort posséder les clés de la connaissance sans se remettre en cause, et surtout sans jamais apprendre et se former, à l’inverse des Anglo-Saxons ».

b.   La défense de la gastronomie, un accessoire de nombreuses politiques publiques pâtissant d’un manque de coordination interministérielle

Il n’existe pas de politique publique structurée en faveur de la gastronomie française. Aujourd’hui, les actions en faveur du secteur et de ses filières sont partagées entre plusieurs ministères, sans véritable coordination d’ensemble.

Les ministères intervenants en faveur du secteur sont nombreux :

● Le ministère de l’Europe et des affaires étrangères pilote le festival Goût de France à l’étranger, pour un budget de près de 100 000 euros. À l’automne, le ministère pilotera également le Forum de Paris pour la gastronomie. Le représentant personnel du Président de la République auprès des acteurs et des réseaux de la gastronomie et de l’alimentation est rattaché au ministère des affaires étrangères.

● Le ministère de l’éducation nationale verse une subvention de 100 000 euros au titre du COET-MOF. Fondé en février 1923, le COET-MOF est une association à but non lucratif depuis 1961 qui a pour mission la valorisation de la voie professionnelle et des parcours, ainsi que la promotion des métiers de la cuisine. Outre ces missions, le COET-MOF est délégataire d’une mission de service publique pour l’organisation du concours « Un des Meilleurs Ouvriers de France ». Le MEN est également récipiendaire des recettes issues de la taxe d’apprentissage et des subventions régionales.

● Le fonds Tourisme durable de l’ADEME, opérateur du ministère de la transition écologique, distribue dix millions d’euros annuels à près de mille restaurants en faveur de la transition écologique des restaurants.

● Le ministère de la culture a été l’un des acteurs majeurs de l’inscription UNESCO du repas gastronomique des Français.

● Les ministères économiques et financiers ont bien sûr un rôle budgétaire et réglementaire essentiel dans les relations avec le secteur HCR.

D’après le directeur de la MFPCA, la gastronomie n’est bien souvent qu’un « accessoire » de nombreuses manifestations (festival de Cannes, FIAC, salon du Livre etc.). Devant vos rapporteures, Pierre Sanner a déploré que le ministère de la culture ne prenne davantage sa part dans la défense de la gastronomie française : « Il faut dire que la culture française, c’est aussi la gastronomie. C’était l’un des points inscrits dans les mesures de sauvegarde. En soixante ans d’existence du ministère, on ne parle jamais des arts culinaires. À aucun moment n’a été évoquée récemment la renaissance du conseil national des arts culinaires, une association créée en décembre 1989 par Jack Lang, alors ministre de la culture et de la communication, et placée sous l’autorité directe de son ministère. Ce conseil avait constitué un inventaire du patrimoine culinaire français, qu’il conviendrait d’actualiser ».

Au ministère de l’Europe et des affaires étrangères, le personnel diplomatique est sensibilisé à la dimension touristique de la gastronomie. De nombreux évènements liés au secteur sont organisés dans les ambassades, en concertation avec des chefs français. Devant vos rapporteures, le secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères chargé du tourisme, des Français de l’étranger et de la francophonie a évoqué le lancement récent d’un concours à destination des chefs français et britanniques pour créer un nouveau dessert, le Paris-Londres, servis aux hôtes de la Résidence à Londres, ou encore une semaine de la Gastronomie française organisée chaque année en Israël et dans les territoires palestiniens.

L’opérateur du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, Atout France, a confirmé cette volonté d’associer la gastronomie à des évènements de plus grande envergure : ainsi, le chef Guy Savoy sera virtuellement présent à l’ambassade de France en Australie lors d’une opération d’envergure à l’occasion de la coupe du monde de rugby à l’automne 2023. En outre, l’art de vivre à la française et la gastronomie constituent l’un des trois piliers de la dernière campagne de relance touristique pan-européenne pilotée par Atout France, aux côtés de la nature et du patrimoine ([45]).

Vos rapporteures plaident pour une meilleure coordination interministérielle des actions publiques relatives à la gastronomie. À cette fin, elles appellent de leurs vœux la création d’un poste de délégué interministériel à la gastronomie. Voix et visage d’une politique publique de la gastronomie en gestation, il serait chargé de coordonner l’ensemble des actions publiques en faveur du secteur.

Proposition n° 1 : Créer un poste de délégué interministériel à la gastronomie. Dans la configuration actuelle, la fonction de délégué interministériel à la gastronomie pourrait fort logiquement être occupée par le représentant personnel du Président de la République auprès des acteurs et des réseaux de la gastronomie et de l’alimentation (cf. infra).

 

Proposition n° 2 : Intégrer aux futurs projets de loi de finances un document de politique transversale (« orange »), comme c’est le cas pour l’égalité hommes/femmes, qui recenserait les actions menées par les différents ministères dans le secteur de la gastronomie.

c.   Mieux fédérer les acteurs, de l’amont à l’aval : vers une fédération française de la gastronomie ?

Devant vos rapporteures, plusieurs personnes auditionnées ont plaidé pour la création d’une fédération française de la gastronomie, ou fédération française des arts culinaires. Cette proposition a notamment le soutien de l’équipe française concourant pour le Bocuse d’Or (« Team France ») et du chef Guillaume Gomez.

Elle vise à fédérer l’ensemble des acteurs, de l’amont vers l’aval, au sein d’une instance de dialogue, porteuse de projets, chargée de faire rayonner la gastronomie française, sur le territoire national comme à l’international. D’après la « Team France », la fédération pourrait garantir un soutien matériel, logistique, financier et humain aux candidats français dans les compétitions culinaires mondiales, comme le Bocuse d’Or, et formerait les futurs candidats à travers un centre d’excellence et un pôle espoirs. Elle assurerait également la valorisation des produits français en coopération avec l’Institut national de l’origine et de la qualité pour une promotion de la « Ferme France », permettrait de toucher l’ensemble des professionnels des arts culinaires grâce au maillage des syndicats professionnels et associations existantes, et serait à même de mener une réflexion plus large autour du statut de restaurant et de restaurateur. Cette instance aurait également pour mission de mener des initiatives sur l’ensemble des enjeux, de la fourche à la fourchette, de la semence à la gestion du gaspillage et des déchets. Votre rapporteure Barbara Bessot Ballot soutient le projet d’une telle fédération. Consciente de la diversité des acteurs de cet écosystème riche, il ne s’agit pas pour votre rapporteure de remplacer ou de dissoudre les nombreuses organisations existantes mais de les réunir au sein d’une maison commune associée à la politique gastronomique menée par l’État, pour s’inscrire de manière transversale au service de l’intérêt général.

Toutefois, votre rapporteure Annaïg Le Meur est davantage mesurée quant à la création d’une fédération française des arts culinaires aux missions élargies. L’idée de regrouper l’ensemble des acteurs de la restauration dans une organisation unique est certes séduisante. Nonobstant, elle s’apparente dans les faits à une gageure. Le concept d’une telle fédération ne semble pas être une revendication des restaurateurs, eux-mêmes déjà représentés par diverses organisations syndicales représentatives éprouvant fréquemment des difficultés à composer ensemble.

Néanmoins vos rapporteures appellent de leurs vœux la pérennisation d’un budget constant dédié aux équipes françaises concourant dans les grandes compétitions culinaires mondiales (cf. infra).

2.   Une conjoncture propice à l’élaboration d’une vision politique pour la gastronomie française

a.   L’annonce de l’« année de la gastronomie » et la nomination de Guillaume Gomez au poste de représentant personnel du Président de la République pour la gastronomie

Le 24 février dernier, le Président de la République Emmanuel Macron nommait le chef cuisinier du palais de l’Élysée Guillaume Gomez « représentant personnel du Président de la République auprès des acteurs et des réseaux de la gastronomie et de l’alimentation, pour promouvoir les arts culinaires de la France ».

Dans sa lettre de mission adressée au Chef Guillaume Gomez, le Président de la République écrit « avoir souhaité faire de l’année 2021 l’année de la gastronomie française, véritable joyau national dont aucune crise ne parviendra à ternir l’éclat ». Il est précisé que le représentant personnel du Président de la République sera affecté au ministère de l’Europe et des affaires étrangères, afin de « conseiller les directions sur toutes les affaires ayant une incidence sur le rayonnement de la gastronomie et des savoir-faire culinaires français ». La lettre de mission liste les missions concrètes du représentant : il sera chargé de l’organisation et de la supervision du Forum de Paris pour la gastronomie, qui devrait avoir lieu à l’automne, sera également impliqué dans « toute grande opération internationale présentant une dimension gastronomique », veillera à « concevoir et déployer une stratégie de relance de l’attractivité du territoire national pour la gastronomie » , et « portera la voix de la gastronomie française et des savoir-faire culinaires français dans des colloques, conférences, et toutes manifestations dans un cadre national et international ». Enfin, le représentant devra « analyser et diagnostiquer le contexte et les enjeux politiques ».

Vos rapporteures saluent la nomination de Guillaume Gomez, plus jeune lauréat du titre de « Meilleur Ouvrier de France » à 25 ans en 2004, entré au service des cuisines du Palais de l’Élysée en 1997, chef cuisinier du Palais depuis 2013, au poste de représentant personnel du Président de la République. Lors de la réunion à Paris en juillet 2021 du « club des chefs des chefs », association réunissant les chefs cuisiniers des souverains et Présidents du monde entier, le fondateur de ce cénacle saluait la nomination de Guillaume Gomez, précisant qu’aucun autre pays au monde n’avait nommé un ambassadeur à la gastronomie.

Vos rapporteures voient dans cette nomination un premier jalon permettant de structurer une ambitieuse politique publique en faveur du rayonnement de la gastronomie française.

D’après les informations obtenues par vos rapporteures lors de leurs auditions, l’année de la gastronomie pourrait en réalité s’échelonner jusqu’en 2024, selon des arbitrages encore indéterminés. Le phasage du projet pourrait reprendre la déclinaison par saison envisagée dans le projet de rapport ([46]) de la mission « Gomez » :

● Phase 1 (l’automne 2021 des producteurs) : organisation d’événements en lien avec les agriculteurs, les producteurs et les artisans, pour faire découvrir les différents terroirs et les métiers au grand public, autour de de la transition écologique et numérique ;

● Phase 2 (l’hiver 2021-2022 des transmissions et de la responsabilité) : focus sur la formation professionnelle, la valorisation des métiers de bouche dans leur diversité (y compris les traiteurs organisateurs de réception), l’attractivité des métiers liés à la gastronomie, la cuisine à la maison, la transmission intergénérationnelle et les actions visant à rendre la gastronomie plus inclusive, durable et responsable ;

● Phase 3 (le printemps 2022 de la restauration) : une gastronomie accessible et inclusive ;

● Phase 4 (été 2022) : elle serait ciblée sur la mise en valeur des territoires.

Une charte d’utilisation du label « année de la gastronomie » pourrait être également mise en place par la mission « Gomez ». Elle constituerait le référentiel permettant de déterminer l’éligibilité des structures porteuses des projets.

Vos rapporteures comprennent que l’année de la gastronomie pourrait se poursuivre au-delà de 2022, en ponctuant d’évènements gastronomes les grands évènements internationaux prévus en 2023 et 2024.

Rappelant la nécessaire force fédératrice de la gastronomie, vos rapporteures appellent de leurs vœux l’inscription dans le temps long d’une politique publique en faveur du secteur, politique qui surmonterait les clivages partisans.

Proposition n° 3 : Structurer une véritable politique publique interministérielle en faveur de la gastronomie, indépendamment des échéances politiques.

b.   Des évènements internationaux mettant la France au centre : la présidence française de l’UE, la coupe du monde de Rugby en 2023, les JO de Paris 2024.

La France va bientôt être l’hôte de plusieurs grands évènements internationaux. Ces évènements constituent des opportunités uniques de faire rayonner la gastronomie française.

Ainsi, au premier semestre 2022, la France assumera la présidence tournante de l’Union européenne. En 2023, la France accueillera la coupe du monde de Rugby. Enfin, en 2024, la France organisera les jeux Olympiques et paralympiques d’été.

Ces évènements offriront de réels leviers pour valoriser la gastronomie française et faire découvrir la destination France. À cet égard, le chef Guy Savoy a intégré le conseil d’administration du groupement d’intérêt public (GIP) chargé d’organiser la coupe du monde de rugby.

Pour Patrice Van Ackere, vice-président de l’Institut du goût, cet évènement constitue un terreau très favorable à la mise en lumière du secteur, de nombreux joueurs de rugby ayant eux-mêmes ouvert des restaurants, à l’instar du chef Philippe Etchebest à Bordeaux. En outre, la « gastronomie est l’activité la plus légitime pour être associée aux Jeux Olympiques de Paris : on ne fait pas de sport de haut-niveau sans une alimentation saine et adaptée. Les Jeux Olympiques sont une occasion d’oublier les conflits et de rassembler des peuples aux cultures différentes autour d’une activité pacifique et dans un esprit d’échange, or la gastronomie aussi réunit tous ces atouts. La dernière édition des jeux Olympiques à Paris remontant à 1924, les jeux constituent une occasion historique de montrer au monde que la gastronomie n’est pas une affaire de luxe, qu’elle est un élément fondamental du patrimoine culturel français et qu’elle témoigne de la capacité de la France à exporter ce qu’elle a de meilleur dans un esprit de partage. Ce même esprit de partage que la reconnaissance par l’UNESCO du repas gastronomique des Français a mis en avant ».

Vos rapporteures plaident donc pour que de nombreux évènements liés à la gastronomie soient organisés en amont de ces évènements : expositions, village des saveurs, démonstrations et dégustations, conférences faisant le lien entre sport et alimentation, etc.

Proposition n° 4 : Associer systématiquement la gastronomie aux évènements relatifs à l’organisation de la coupe du monde de Rugby 2023 et les Jeux Olympiques et paralympiques de Paris 2024.

À l’occasion de la présidence française de l’Union européenne, vos rapporteures appellent également de leurs vœux la promotion par la France d’une initiative européenne en faveur de l’alimentation et de la gastronomie. Dès l’automne 2021, à l’issue du sommet des Nations Unies sur les systèmes alimentaires qui aura lieu à Rome et où se rendra le ministre chargé de l’agriculture et de l’alimentation, la France pourrait inscrire à l’agenda européen les sujets discutés lors de ce sommet. On pourrait imaginer que la France incite ses partenaires européens à lancer une campagne de recensement du patrimoine gastronomique afin de créer une base européenne.

La France pourrait légitimer l’initiative européenne en se référant à la résolution du Parlement européen du 12 mars 2014 sur le patrimoine gastronomique européen. Cette résolution souligne les nombreux enjeux éducatifs, culturels et civilisationnels liés à la défense de la gastronomie européenne.

La résolution du Parlement européen du 12 mars 2014 sur le patrimoine gastronomique européen : aspects culturels et éducatifs (2013/2181(INI))

 

« Le Parlement européen,

 

« Aspects liés à l’éducation (…) ;

 

« C.  Considérant que la mauvaise alimentation peut avoir des conséquences dramatiques; considérant que les ministres européens de la Santé ont appelé, lors de la Conférence ministérielle européenne de l’OMS de juillet 2013, à une large mobilisation « pour lutter contre l’obésité et la mauvaise alimentation », lesquels sont à l’origine d’une épidémie de maladies non transmissibles comme les affections cardiovasculaires, le diabète, ou le cancer (…) :

« G.  Considérant que les établissements scolaires disposent d’espaces et d’outils susceptibles de contribuer à la connaissance et à la manipulation des aliments ainsi qu’à l’adoption de comportements alimentaires qui, en parallèle d’une activité physique pratiquée avec modération et de manière régulière, constituent un style de vie sain ;

 

« Aspects liés à la culture

 

« R.  Considérant que la gastronomie peut être définie comme l’ensemble des connaissances, des expériences, ainsi que des formes d’arts et d’artisanats qui permettent de manger de manière saine et avec plaisir ;

« S.  Considérant que la gastronomie fait partie de notre identité et est un élément essentiel du patrimoine culturel européen ainsi que du patrimoine culturel des États membres ;

« T.  Considérant que l’Union européenne a encouragé le recensement, la défense et la protection internationale des indications géographiques, des appellations d’origine et des spécialités traditionnelles des produits agro-alimentaires ;

« U.  Considérant que la gastronomie n’est pas seulement un art élitaire de préparation de la nourriture mais est une façon engagée de reconnaître la valeur des matières premières dont elle se sert, de leur qualité et du besoin d’excellence à toutes les étapes de la transformation des aliments, intégrant le respect des animaux et de la nature ;

« V.  Considérant que la gastronomie est étroitement liée aux pratiques agricoles des différents territoires européens et à leurs produits locaux ;

« W.  Considérant qu’il importe de préserver les traditions et les coutumes liées à la gastronomie locale et régionale, par exemple, et d’encourager le développement de la gastronomie européenne ;

« X.  Considérant que la gastronomie est l’une des manifestations culturelles les plus importantes de l’être humain et qu’il faut englober dans ce terme non seulement ce qu’on appelle la « grande cuisine » mais également toutes les expressions culinaires des différentes régions et classes sociales, y compris la cuisine de tradition locale ;

« Y.  Considérant que la survie de la cuisine typique représente un patrimoine culinaire et culturel souvent mis en péril par l’invasion de denrées standardisées (…)

« Aspects liés à l’éducation ;

 

« 4.  Rappelle que, dans certains pays européens, la nutrition est déjà intégrée au programme scolaire, alors que dans d’autres, le sujet n’est pas obligatoire comme tel, mais est enseigné par différents moyens, comme des programmes mis en place par des autorités locales ou des entités privées ;

« 5.  Réaffirme qu’il est nécessaire que les écoles assurent l’éducation en matière de nutrition et l’enseignement d’une bonne alimentation, saine et agréable (…) ;

 

« Aspects liés à la culture (…) :

 

« 39. demande aux États membres d’adopter des mesures de préservation du patrimoine européen lié à la gastronomie, telles que des mesures de protection du patrimoine architectural des marchés traditionnels de produits alimentaires, des caves vinicoles ou d’autres établissements ainsi que des ustensiles et des machines liées à l’alimentation et à la gastronomie ;

« 40.  insiste sur l’importance de recenser, de répertorier, de transmettre et de diffuser la richesse culturelle de la gastronomie européenne; encourage la mise en place d’un observatoire européen de la gastronomie ;

« 41.  suggère à la Commission d’inclure la gastronomie européenne dans ses programmes et initiatives dans le domaine culturel ;

« 42.  se félicite de l’inscription sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité du repas gastronomique des Français, aux côtés de la diète méditerranéenne, du pain d’épices croate et de la cuisine traditionnelle du Mexique, et encourage les États membres à demander l’intégration de leurs traditions et de leurs pratiques gastronomiques dans la convention de l’Unesco pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel dans le but de contribuer à leur préservation ;

« 43.  suggère aux villes européennes de présenter leur candidature pour devenir une Ville Unesco de la gastronomie, dans le cadre du Réseau des villes créatives ; »

Proposition n° 5 : À l’occasion de la Présidence française de l’Union Européenne, la France pourrait proposer le pilotage d’une initiative européenne en matière de patrimoine gastronomique européen.

B.   Réaffirmer la force d’attraction de la gastronomie française en inventant la gastronomie de demain

1.   Renforcer l’attractivité du secteur

a.   Mettre en œuvre un plan visant une meilleure insertion professionnelle des femmes dans un univers professionnel encore très masculin

Une des priorités de l’année de la gastronomie devrait être la mise en œuvre d’un plan visant la parité entre hommes et femmes dans le secteur de la gastronomie.

La cheffe Anne-Sophie Pic insiste sur l’importance d’avoir des équipes mixtes, en cuisine, en sommellerie, en salle, pour « apprendre aux hommes à travailler avec des femmes ».

Une organisation mixte suppose un management adapté aux contraintes des femmes ; dans ses restaurants, la cheffe a par exemple permis à une jeune femme qui souhaitait faire une journée continue de ne pas avoir à subir la traditionnelle « coupure » de milieu de journée, lui permettant de rentrer plus tôt chez elle. Elle souligne l’importance d’intégrer les hommes à « ces arrangements de planning ». Un des principaux défis à venir sera celui de l’adaptation des journées continues ; « On ne peut plus demander aux gens de faire une semaine de cinq jours avec le service du midi et le soir. Dans les pays du Nord, ils sont passés à la semaine de quatre jours. Dans l’idéal, il faudrait mettre en place une équipe distincte pour le service du midi et une autre pour le service du soir ». Pour ce faire, la cheffe préconise un allègement de charges sociales, qui permettrait d’embaucher davantage.

La cheffe a également systématisé le tutorat pour les nouvelles recrues, et institué des binômes hommes/femmes, afin de ne pas isoler le personnel féminin, et responsabiliser les « tuteurs ». Les conflits sont davantage désamorcés grâce à cette régulation horizontale par les « pairs » qui suppose une communication constante. Elle plaide pour une « cuisine ouverte, décloisonnée et silencieuse ».

Afin de pallier le déficit de représentation des femmes cheffes, il importe que des femmes cheffes soient invitées dans des lycées hôteliers et des écoles de formation, organisent des conférences, interviennent sur les sujets de prévention du harcèlement, à l’instar du travail effectué à ce sujet par la cheffe Laetitia Visse. Pour Vérane Frédiani, « Les choses auront changé le jour où un chef qui réussit sera capable de dire : « Je suis passé par une femme cheffe » ».

Pour Vérane Frédiani et Anne-Sophie Pic, l’année de la gastronomie doit être un moment majeur de mise en lumière du travail des femmes cheffes. Elles déplorent les qualificatifs stéréotypés qui trop souvent sont associés à la cuisine des cheffes : « douce, sucrée, fleurie, fine, colorée, végétarienne ou encore méticuleuse ».

Afin de répondre à l’enjeu du sous-financement des projets féminins dans la cuisine et la gastronomie en général, la réalisatrice plaide pour la création d’un fonds financé par une taxe acquittée par l’industrie agroalimentaire aidant les femmes cheffes à monter leurs projets.

Un ensemble de mesures concrètes pourraient être abordées par un plan en faveur de la parité dans le secteur : bons de taxi distribués aux femmes rentrant chez elles tard le soir à la fin du service, accès facilité à des systèmes de garde pour enfants, instauration de vestiaires pour femmes distincts des vestiaires masculins etc.

Enfin, l’année de la gastronomie pourrait aussi être l’occasion d’un travail patrimonial et mémoriel sur les femmes cheffes dans l’histoire : « Il n’y a pas eu que les Mères Lyonnaises ; il reste un gros travail patrimonial à faire remonter à la surface. Il faudrait que la télévision et la radio publiques s’en emparent » selon Vérane Frédiani.

Proposition n° 6 : En concertation avec les organisations syndicales représentatives du secteur, concevoir un ensemble de mesures concrètes visant à atteindre la parité hommes/femmes dans le secteur : adaptation des journées continues, fonds de soutien aux femmes cheffes, réflexion sur les modes de garde, adaptation des vestiaires à des équipes mixtes, formation obligatoire à l’égalité hommes/femmes en cuisine et en salle dans les écoles professionnelles, travail mémoriel autour des femmes cheffes etc.

b.   Engager, en concertation avec les professionnels, une réflexion sur l’adaptation des conditions de travail et les rémunérations dans le secteur HCR

Vos rapporteures pensent indispensable d’engager une concertation avec les organisations représentatives sur l’adaptation des conditions de travail dans le secteur HCR, afin de rendre ces métiers plus attractifs.

Les réflexions d’Anne Sophie PIC sur l’adaptation des journées continues, et le partage de la journée de travail entre une équipe du midi et une équipe préposée au service du soir sont pertinentes. Par ailleurs, la concertation avec les organisations représentatives devra absolument aborder la question des rémunérations dans le secteur. Sans une revalorisation rapide des rémunérations, l’attractivité des métiers sera durablement réduite, une réalité récemment reconnue par la ministre chargée du travail, de l’emploi et de l’insertion ([47]).

À cet égard, vos rapporteures souhaitent que toutes les propositions soient mises sur la table. La question d’un retour des « 15 % de service » doit être posée. Par le passé, un droit de service de 15 % était directement calculé sur le montant de la note finale, et revenait de droit aux serveurs. Pour Jean Terlon, vice-président de l’UMIH, « Le consommateur accepte de payer 30 % pour une livraison, pourquoi refuserait-il le 15 % du service à table ? Cela permettrait de motiver les personnels en salle ».

Vos rapporteures souhaitent que le débat sur le retour du « 15 % de service » soit ouvert, à la condition que soit arbitrée la question de la répartition de ces 15 % entre la salle et les cuisines afin de ne pas créer de disparité entre serveurs et cuisiniers dans le partage de cette ressource.

En outre, alors que 60 % des apprentis du secteur HCR quittent le métier au bout de cinq ans, il est nécessaire de soutenir encore davantage l’apprentissage dans ce secteur. Le problème du logement et du coût de la vie dans les grandes métropoles est souvent un véritable écueil à la fidélisation des salariés du secteur.

Devant vos rapporteures, le vice-président de l’Institut du goût a fait la proposition de créer un « contrat de travail de la gastronomie et de l’hôtellerie », afin de permettre aux jeunes sortant d’un CAP ou d’un lycée professionnel d’avoir des avantages inhérents à leur future profession : « bons » pour dormir dans des hôtels, déjeuner dans des restaurants à prix modique etc. Ce dispositif d’intéressement permettrait de rendre attractifs les métiers de la gastronomie auprès des jeunes, notamment auprès de ceux issus des milieux les plus modestes n’ayant jamais eu accès à cet univers.

L’année de la gastronomie doit également être l’occasion d’une ambitieuse campagne de communication gouvernementale visant à promouvoir l’apprentissage dans les métiers du secteur. Afin que cette campagne atteigne les nouvelles générations, il est nécessaire qu’elle soit relayée à la fois via les médias traditionnels mais aussi via les réseaux sociaux privilégiés par les nouvelles générations. L’association de jeunes chefs à cette campagne constitue aux yeux de vos rapporteures une condition du succès de cette campagne.

De manière générale, tout effort visant à rapprocher les chefs des consommateurs serait bienvenu, sur le modèle des démarches entreprises dans les années 1980 par le chef Paul Bocuse afin de « faire sortir » les chefs de leur cuisine et les inviter à davantage communiquer avec le grand public.

Proposition n° 7 : Engager avec les organisations syndicales représentatives du secteur une concertation relative à l’adaptation des conditions de travail et des rémunérations du secteur afin de pallier la crise de recrutement (« Grenelle » de la restauration ?). À cette occasion, engager une réflexion sur l’opportunité d’un retour du « 15 % de service » pour revaloriser les rémunérations des personnels.

 

Proposition n° 8 : Lancer une campagne de promotion de l’apprentissage dans les métiers du secteur HCR, en y associant dans la mesure du possible la génération de jeunes chefs afin de cibler les nouvelles générations.

c.   Encourager l’innovation dans le secteur

Dans un contexte mondial de plus en plus concurrentiel, la gastronomie française doit se renouveler tout en préservant ses traditions et son identité. Les consommateurs sont désireux d’assiettes moins riches, moins sucrées, sans doute moins carnées et davantage végétalisées.

L’Histoire n’étant souvent qu’un éternel recommencement, il convient de se remémorer que les préceptes de la « nouvelle cuisine » sont apparus dès le XVIIIème siècle, et que celle-ci sera réhabilitée dans les années 1970 grâce aux préceptes santé portés par le chef Michel Guérard. Aujourd’hui, ces préoccupations sont intégrées par les écoles de formation : le Cordon Bleu développe des modules de cuisine « sans gluten » et forme ses étudiants à une cuisine plus légère, tandis que le centre de formation d’apprentis CFA-Médéric cherche à réintroduire des légumes anciens, des fleurs, des cuissons plus légères ou des plats sans allergènes.

L’innovation en matière culinaire est polymorphe. D’après le directeur du CFA, « Les intitulés de plats très classiques proposés à la consommation par le restaurant d’application n’enregistrent quasiment aucune réservation ; les consommateurs sont en attente de créativité dans la finition du plat et dans l’intitulé également ».

Par ailleurs, l’émergence d’une offre gastronomique intermédiaire dite « bistronomique » située entre le traditionnel « bistro » et le restaurant gastronomique, constitue l’une des plus grandes sources de renouvellement de la gastronomie française. De plus en plus de chefs proposent une offre bistronomique en sus d’une traditionnelle offre gastronomique, une façon de démocratiser leur cuisine tout en renouvelant les codes de la gastronomie française. La bistronomie fait la part belle aux produits locaux et aux petits producteurs. Pour l’auteur de la tribune « Can anyone save French food ? » précédemment citée, le développement de la bistronomie à Paris la fin des années 1990 constitue le plus grand bouleversement ayant affecté la cuisine française depuis la « nouvelle cuisine » des années 1970. Cette nouvelle scène culinaire française est relayée au début des années 2000 par des guides culinaires innovants comme Le Fooding ou Omnivore.

Le Fooding est créé en 2000 par Alexandre Cammas comme une alternative au Michelin et au Gault. et Millau. Le fondateur Alexandre Cammas se souvient : « Ce monde me faisait honte, il me dégoûtait. La création du Fooding fut salvatrice ». Marine Bidaud, à l’époque directrice associée confirme : « On a voulu mener une petite révolution en combattant un système qui était assez établi. On voulait être moderne et jeune, il n’y avait pas de plafond de verre car tout était possible ». Le Fooding plébiscite notamment les tables situées dans des quartiers traditionnellement peu explorés par la haute gastronomie, et s’ouvre sur le métissage des cultures.

En outre, afin de soutenir les jeunes talents du secteur, des structures innovantes comme des incubateurs de la gastronomie doivent être encouragés. Les incubateurs sont des écosystèmes vertueux permettant de concentrer en un même lieu la formation d’apprentis, l’incubation de concepts, des espaces de production et de vente. Un tel projet est né en 2021sur les docks de Marseille, baptisé « Foodcub ». Le projet ‘est construit sur le fait que 80 % des jeunes entreprises du secteur de la restauration dirigées et opérées par des chefs ont une durée d’existence moyenne ne dépassant pas 5 ans. Et paradoxalement, 25,5 % des jeunes de niveau Bac et CAP sont toujours inscrits au chômage quatre ans après la fin de leurs études ([48]). Après la sélection d’une trentaine de dossiers en mars 2021, 20 chefs ont été sélectionnés pour intégrer la formation délivrée par l’école hôtelière de Provence. En juin, neuf d’entre eux ont intégré l’espace de production et de vente aux Docks. Enfin, pendant une année, à compter du mois d’avril, les jeunes « incubés » suivent une formation entrepreneuriale et technique appliquée au secteur de la restauration, tout en rencontrant régulièrement des restaurateurs locaux reconnus.

Vos rapporteures plaident pour un développement de ces modèles d’écosystème innovants, qui pourraient s’appuyer sur l’expertise du réseau d’incubateurs et d’accélérateurs touristiques France Tourisme Lab, lancé en 2016. Les entreprises innovantes du secteur doivent être valorisées et encouragées, tandis que les bonnes pratiques doivent être partagées. Le délégué interministériel à la gastronomie pourrait notamment fédérer ces initiatives locales au niveau national afin de leur donner davantage de visibilité.

Proposition n° 9 : Encourager le développement des incubateurs de la gastronomie, en mobilisant au besoin l’expertise de France Tourisme Lab.

2.   Accélérer la transition vers une gastronomie responsable

a.   Encourager les professionnels engagés dans des démarches écoresponsables

Alors que les citoyens consomment de plus en de produits biologiques et locaux, il est encore difficile d’identifier les tables ayant entrepris des démarches d’approvisionnement biologiques et/ou « locavores ». Pourtant, l’un des enjeux majeurs du secteur réside dans la transition vers une gastronomie durable, respectueuse des saisons et des sols.

En effet, la restauration hors foyer a un lourd impact environnemental : d’après l’ADEME, 14 % du gaspillage alimentaire est lié au secteur de la restauration. Au total, plus de dix milliards de repas sont consommés hors foyer chaque année en France ([49]).

Or, près de 91 % des Français souhaitent que soient proposés davantage de produits locaux et biologiques au restaurant ([50]). Des aspirations en accord avec le fait que de plus en plus de restaurateurs souhaitent engager une transition vers une restauration plus durable : ainsi, d’après METRO, 60 % des restaurateurs sont convaincus d’avoir une part de responsabilité dans le développement durable et estiment qu’il s’agit d’une tendance forte de société.

Vos rapporteures ont consacré plusieurs de leurs auditions à cet enjeu. Des initiatives pour « verdir » la restauration se mettent en œuvre en France, plus ou moins abouties et contraignantes.

Le guide Michelin a lancé il y a deux ans les « étoiles vertes », qui distinguent les tables engagées dans une démarche durable. L’étoile verte Michelin est « un award annuel qui met en avant des exemples en termes de durabilité. Cette étoile récompense les restaurants et les chefs qui se montrent responsables de leurs normes éthiques et environnementales. Ils travaillent avec des fournisseurs et des producteurs éthiques afin d’éviter les déchets, et font tout leur possible pour éliminer le plastique et les autres matériaux non recyclables de leur chaîne d’approvisionnement. Tous les restaurants figurant dans le Guide Michelin peuvent prétendre à une étoile verte ; les assiettes Michelin, les Bib Gourmands et les étoiles Michelin» ([51]). Toutefois, il n’existe pas de critère précis pour l’attribution d’une étoile verte, aucune grille d’indicateurs n’est fournie. Cette absence de méthodologie exhaustive est par ailleurs revendiquée par la direction du guide Michelin, afin de ne pas « figer les initiatives » : « Il n’existe pas de formule spécifique pour l’attribution d’une étoile verte. Chaque restaurant et son environnement ont leurs propres spécificités. Les inspecteurs recherchent ceux qui sont à la pointe de la durabilité, en tenant compte des critères suivants : l’utilisation d’ingrédients locaux et de saison, l’empreinte écologique, les déchets alimentaires, le traitement et recyclage des déchets généraux, la gestion durable et le bien-être des employés ». Aujourd’hui, il existe près de 300 étoiles vertes dans le monde, et près de 80 en France.

Vos rapporteures ont également auditionné les fondatrices du label Ecotable, qui accompagne les restaurateurs dans leur transition écologique.

Le label Écotable

Le label Ecotable a été fondé en 2019 par Fanny Giansetto, maître de conférences à l’Université Paris XIII, spécialisée sur les enjeux environnementaux et climatiques, et Camille Delamar, ingénieure généraliste diplômée de l’École nationale supérieure des Mines de Paris.

Grâce à sa plateforme de restauration durable « Impact », Écotable propose plusieurs outils permettant aux restaurateurs de mesurer leur impact environnemental, d’identifier des fournisseurs engagés et de mettre en place de bonnes pratiques au sein de leurs équipes.

Écotable est en mesure de produire une analyse fine des pratiques des restaurants grâce à un audit effectué sur place à partir des factures d’achat des restaurateurs. Les restaurateurs se voient attribuer une note environnementale qu’ils peuvent faire évoluer tout au long de l’année. Les recommandations d’Écotable leur permettent d’établir une feuille de route et de mettre en place des actions afin de tendre vers des pratiques plus durables. Pour établir son audit, le cahier des charges d’Ecotable comprend plus de 200 critères, répartis sur huit axes d’analyse : composition et impact de l’approvisionnement, analyse de la carte, impact sur la santé, gestion du recyclage et du gaspillage, préservation des ressources naturelles, analyse des produits d’entretien employés, du textile et du mobilier, communication et enfin éthique. Chaque restaurant audité reçoit une note par axe, ainsi qu’une note globale.

Afin de faciliter la démarche des restaurateurs, Écotable a créé un réseau de fournisseurs engagés dans la transition écologique alimentaire. Des agriculteurs aux sociétés de recyclage et de valorisation des biodéchets en passant par les associations de récupération des invendus alimentaires, Écotable met à disposition son réseau auprès de tous les établissements adhérant à la plateforme Impact.

L’équipe guide et forme les différents acteurs (restauration commerciale, restauration collective, sociétés événementielles, prestataires de service etc.) à des pratiques plus vertueuses. Le « podcast » Sur le Grill d’Écotable décrypte les enjeux environnementaux, sanitaires et sociaux de l’alimentation. À chaque épisode, un expert répond aux interrogations de Fanny Giansetto, co-fondatrice d’Écotable, ou témoigne de son engagement.

Les critères de labellisation sont strictement définis, et le niveau d’exigence augmente avec le nombre d’Écotables :

Un Écotable (Transition entamée)

● Au moins 15 % des produits sont issus de l’agriculture biologique, ou de filières durables. Tous les plats sont élaborés sur place à partir de produits bruts et frais, respect strict des saisons pour les fruits et légumes cultivés en France, interdiction des ovoproduits issus de poules élevées en cage., offre d’au moins un plat végétarien, tri sélectif systématique.

Deux Écotable (Démarche avancée)

● Au moins 30 % de produits issus d’une agriculture biologique ou de filières durable (mettant en place des pratiques agro-écologiques et valorisant le circuit court), limitation au maximum du plastique à usage unique dans les consommables, les agrumes ne sont pas traités, la démarche est communiquée aux clients et au personnel, de la vaisselle réutilisable est employée, des recettes zéro gaspillage sont réalisées. + un critère bonus.

Trois Écotable (Un exemple pour tous)

● Plus de 50 % de produits issus d’une agriculture biologique ou de filières durables, tri et valorisation des biodéchets, absence d’espèces de poissons menacés à la carte, viandes 100 % françaises et issues de filières durables.

● + un critère bonus

Les critères bonus sont les suivants : le restaurant utilise des produits d’entretien écologiques, son énergie est propre, il respecte des critères sociaux dans son établissement, aucune boisson industrielle n’est proposée à la carte, il applique une politique zéro déchet.

Aujourd’hui, près de 150 restaurants ont obtenu la labellisation en France, dont 54 à Paris.

Ces démarches, d’autant plus lorsqu’elles s’appuient sur un cahier des charges précis et objectif, doivent être valorisées. La transition agro-écologique constitue un enjeu majeur de l’année de la gastronomie.

Toutefois, le coût financier de la transition reste le principal obstacle à sa généralisation. Pour Patrice Van Ackere, il est impératif de réduire les charges des restaurateurs qui s’engageraient à mettre en valeur les produits locaux et issus de l’agriculture durable. Une revendication également portée par Alain Fontaine, président de l’association française des maîtres restaurateurs (AFMR), pour lequel un soutien financier est indispensable pour aller vers la neutralité carbone. L’AFMR regrette par ailleurs la difficulté rencontrée par les restaurateurs urbains pour acheminer jusqu’à leurs établissements les produits des petits producteurs locaux. Le déploiement de plateformes logistiques pour acheminer les produits jusqu’au « dernier kilomètre » faciliterait grandement la transition agro-écologique des établissements du secteur HCR.

Vos rapporteures appuient ces revendications, en même temps qu’elles jugent indispensable de rendre obligatoires les formations à l’éco˗responsabilité dans les écoles hôtelières et les formations aux métiers de la restauration.

Proposition n° 10 : Rendre obligatoires les formations à l’éco-responsabilité dans les filières de formation aux métiers du secteur HCR.

 

Proposition n° 11 : Aider financièrement les restaurateurs engagés dans des transitions écoresponsables, en prévoyant des critères d’éligibilité exigeants.

b.   Favoriser les initiatives d’insertion sociale par la gastronomie :

Vos rapporteures défendent la vision d’une gastronomie inclusive, aux antipodes d’une gastronomie élitiste. La gastronomie doit être l’affaire de tous.

L’année de la gastronomie offre une opportunité idéale pour encourager et mettre en lumière les initiatives d’insertion sociale par la gastronomie. L’école Cuisine mode d’emploi(s) en est un exemple éloquent.

Cuisine mode d’emploi(s)

En 2012, Frédérique Calandra, maire du XXème arrondissement de Paris, et Thierry Marx, chef étoilé, créent l’école Cuisine mode d’emploi(s). Les formations sont destinées à des publics éloignés de l’emploi et en situation de précarité économique et sociale : demandeurs d’emploi de longue durée, bénéficiaires du RSA, jeunes demandeurs d’emploi sans qualification, personnes placées sous-main de justice, bénéficiaires de la protection internationale.

Les formations y sont plus courtes et plus opérationnelles que dans les écoles de formation « conventionnelles » : onze semaines de formation au total, partagées entre huit semaines de formation pratique et trois semaines de stage en entreprise. Chaque session intègre 8 à 10 stagiaires, sélectionnés uniquement sur la motivation et la cohérence de leur projet professionnel.

En 2019, quatre filières de formations qualifiantes courtes sont proposées : cuisine, boulangerie, service en restauration-option sommellerie, poissonnerie. Les neuf écoles du réseau sont situées à Paris, Villeneuve-Loubet, Besançon, Grigny, Clichy-sous-Bois, Champigny-sur-Marne, Dijon, Toulouse, et Marcq-en-Barœul. Toutes les formations débouchent sur un titre professionnel ou certificat de qualification professionnelle, inscrit au répertoire national des certifications professionnelles. Les formations sont entièrement gratuites pour tous les bénéficiaires.

À l’issue des onze semaines, les stagiaires sont orientés vers l’emploi grâce aux différents partenaires du centre qui peuvent leur proposer des offres d’emploi en CDI, CDD ou intérim dans les secteurs de la restauration en fonction de leur profil et de leur souhait. Les stagiaires peuvent également choisir de poursuivre leur formation et de se spécialiser dans un CFA (centre de formation des apprentis) ou vers d’autres cursus.

Depuis 2012, 3 000 stagiaires ont été accueillis. D’après la Directrice de Cuisine mode d’emploi(s), le taux de retour à l’emploi annuel des étudiants est d’environ 90 %.

L’école se finance sur un modèle hybride : fonds issus d’un appel à projets lancé par le ministère du travail, de l’emploi et de l’insertion dans le cadre d’un plan d’investissement dans les compétences (PIC) 100 % insertion, fonds propres issus des bénéfices des restaurants d’application de l’école et de l’autofinancement, ainsi que des fonds issus du mécénat. Au total, les fonds publics via le PIC comptent pour près de 65 % des ressources.

Proposition n° 12 : Saisir l’opportunité de l’année de la gastronomie pour encourager et valoriser les initiatives d’insertion sociale par la gastronomie. Lancer de nouveaux appels à projets « 100 % inclusion » du plan d’investissement dans les compétences en 2022, 2023 et 2024.

3.   Communiquer davantage sur les labels et les titres professionnels, gages de qualité pour les consommateurs

a.   Promouvoir le titre de maître restaurateur

Dans un contexte concurrentiel où les offres de restauration de qualité variable se multiplient, il importe de distinguer les établissements de qualité. Au cours de leurs auditions, vos rapporteures ont regretté que le titre de maîtrerestaurateur ne soit pas davantage visible et connu du grand public. Ce titre a été créé en 2007 à l’initiative du ministère des PME, du commerce et de l’artisanat. Il constitue le seul titre délivré par l’État aux côtés du titre de meilleur ouvrier de France (MOF).

Le titre de maître restaurateur

Le titre de maître restaurateur créé en 2007 s’est vu conférer une valeur législative par l’article 7 de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation. Le décret n° 2015-348 du 26 mars 2015 a défini les conditions pour bénéficier de ce titre. En particulier, les exigences principales du titre portent sur la qualification du restaurateur et sur une cuisine faite sur place à partir de produits acquis majoritairement frais. Outre l’obligation de réaliser une cuisine faite maison à 100 % comme c’est le cas pour le statut d’artisan cuisinier, le maître restaurateur doit satisfaire à des critères supplémentaires relatifs à ses qualifications, à son expérience, ainsi qu’à ses pratiques professionnelles (notamment obligation d’utiliser des produits locaux, de proposer un certain niveau d’accueil, etc.). Le cahier des charges comprend trois catégories : produits de la table et composition de la carte (5 critères), service à table et information du client (6 critères), aménagements et présentation (5 critères).

Un audit réalisé par un organisme certificateur indépendant a lieu dans l’établissement dès la demande effectuée. Il est basé sur les trois aspects de la restauration : la cuisine, la salle, le service. Après validation le titre est accordé par le préfet de département pour une durée de quatre ans.

Les titres d’artisan-cuisinier et de maître restaurateur sont cumulables.

Un crédit d’impôt maître restaurateur (CIMR) a pris fin le 31 décembre 2017, ce dernier permettait aux entreprises titulaires du titre de maître restaurateur (via leur dirigeant ou un salarié) de bénéficier d’un crédit d’impôt à hauteur de 50 % du montant des dépenses engagées pour satisfaire aux normes d’aménagement et de fonctionnement prévues par le cahier des charges relatif au titre de maître restaurateur. Dans le cadre des arbitrages préalables à la rédaction du projet de loi de finances pour 2018, il a été décidé de ne pas proposer la reconduction de ce crédit d’impôt, dont l’usage et les effets furent jugés relativement limités.

Ce titre d’État est détenu, à ce jour, par environ 3 400 restaurateurs, un effectif relativement limité au regard de celui des restaurateurs traditionnels en France (environ 91 700). Le titre de maître restaurateur a connu un développement modéré depuis son introduction en 2006, le nombre de titres octroyés (+ 200 par an en moyenne) ou renouvelés (taux de renouvellement en 2016 de 64 %, en augmentation de 25 % par rapport à 2013) s’étant stabilisé autour de 1 500 par an ([52]).

L’Association française des maîtres restaurateurs (AFMR), créée en 2010 et actuellement présidée par M. Alain Fontaine, a pour principale mission de promouvoir le titre de maître restaurateur. Pour cela, elle a vocation à regrouper l’ensemble des maîtres restaurateurs en France et compte environ 1352 adhérents sur un total de quelque 3 163 maîtres restaurateurs. L’AFMR ne bénéficie aujourd’hui d’aucune subvention publique, l’action de l’association étant financée par les cotisations de ses membres. L’État et l’association sont actuellement liés par une convention-cadre relative à la promotion du titre de maître restaurateur signée en 2020. L’objectif de cette convention est de développer quantitativement le nombre de restaurateurs labellisés maîtres restaurateurs, par la diffusion de l’information vers les professionnels concernés, d’une part ; et par l’amélioration de la visibilité et de la reconnaissance du titre auprès des consommateurs, d’autre part.

L’AFMR développe de nouveaux moyens d’action de nature à rendre le titre plus visible pour les consommateurs, comme par exemple l’application mobile professionnelle AFMR-pro qui vise à mettre en relation producteurs et maîtres restaurateurs en favorisant les circuits courts, ou encore le partenariat avec WAZE pour permettre aux maîtres restaurateurs de gagner en visibilité auprès des consommateurs en étant signalés sur cette application gratuitement pendant une période de deux mois.

D’après Alain Fontaine, sur les presque 92 000 restaurants que compte la France, près de 8 000 restaurateurs seraient susceptibles d’obtenir le titre de maître restaurateur.

Vos rapporteures plaident pour que le ministère de l’économie, des finances et de la relance pilote une campagne de communication d’envergure visant à promouvoir le titre de maître restaurateur auprès du grand public, en lien étroit avec l’AMFR et le représentant personnel du Président de la République pour la gastronomie. En effet, trop peu de Français connaissent l’existence du titre, gage d’une authentique cuisine de qualité. Une campagne de communication persuasive permettrait par ailleurs de convaincre le vivier de restaurateurs potentiellement éligibles au titre d’entamer les démarches de certification.

Proposition n° 13 : Mettre en œuvre une campagne de communication visant à promouvoir le titre de maître restaurateur auprès du grand public.

 

Proposition n° 14 : À terme, mener une réflexion sur la nécessaire différenciation du traitement fiscal des restaurants qui travaillent des produits frais et n’ont pas recours à des produits déjà transformés.

b.   Revoir les critères du label « fait maison »

D’après les services de la DGE, la mention « fait maison » permet de valoriser le savoir-faire du cuisinier et d’informer le consommateur que le plat qu’il va manger a été cuisiné sur place à partir de produits bruts. Afin de garantir la lisibilité de l’offre de restauration, la mention « fait maison » dans les restaurants a été définitivement adoptée dans le cadre de la loi  2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation. Le décret d’application  2014-797 du 11 juillet 2014 est entré en vigueur le 15 juillet 2014. Il a été remplacé par le décret n° 2015-505 du 6 mai 2015.

L’objectif initial de la mention « fait maison » était bien de permettre au consommateur de distinguer entre une cuisine maison et une « cuisine d’assemblage ».

Le décret initial de 2014 a fait l’objet de vives critiques, la définition très large des produits pouvant prétendre au label « fait maison » était remise en cause par certains professionnels, qui auraient préféré que soient mieux identifiés les produits frais de saison. D’aucuns dénonçaient une victoire des lobbies de l’agroalimentaire, et notamment des industries de produits surgelés. En effet, tous les produits bruts congelés pouvaient figurer dans un plat « fait maison ».

Aujourd’hui, l’article D.122 1 du code de la consommation dispose qu’un « produit brut, au sens de l’article L. 122-20, est un produit alimentaire cru ne contenant, notamment à l’occasion de son conditionnement ou du procédé utilisé pour sa conservation, aucun assemblage avec d’autre produit alimentaire excepté le sel ». Le ministère précise que « Les produits qui entrent dans la composition d’un plat « fait maison » doivent avoir été achetés crus, peu importe leur conditionnement ou leur procédé de conservation. Les fruits et les légumes doivent donc, de fait, être achetés frais ».

Enfin, le décret prévoit également des exceptions : les produits non bruts qui peuvent entrer dans la composition d’un plat « fait maison ». Il s’agit de « produits qui servent à la fabrication des plats mais dont un consommateur normalement exigeant ne s’attend pas à ce qu’il soit confectionné par le restaurateur. Ainsi, peuvent également entrer dans la composition des plats « faits maison », les produits suivants : les salaisons, saurisseries et charcuteries, à l’exception des terrines et des pâtés, les fromages, les matières grasses alimentaires, la crème fraîche, et le lait, le pain, les farines et les biscuits secs, les légumes et fruits secs et confits, les pâtes et les céréales, la choucroute crue, les œufs séparés, la levure, le sucre et la gélatine, les condiments, épices, aromates, les concentrés, le chocolat, le café, les tisanes, thés et infusions, les sirops, vins, alcools et liqueurs, les abats blanchis, les fonds blancs, bruns et fumets, ainsi que la demiglace (réduction des fonds de sauce) ».

Le ministère précise que « cette liste s’efforce d’être la plus complète possible mais elle ne peut viser à une parfaite exhaustivité » ([53]).

Le décret n° 2015-505 apporte des modifications au décret « fait maison » pour que celui-ci gagne en clarté, tout en élevant le niveau requis pour se prévaloir d’une réalisation de plats « faits maison ». Il oblige les professionnels à recourir à des produits crus, sans considération des procédés de conservation ou de conditionnement ; il justifie les raisons pour lesquelles certains produits sont autorisés ; il actualise la liste des produits bruts tolérés du précédent décret ; il acte la suppression de la mention obligatoire et clarifie l’utilisation du logo pour les produits finis qui n’ont pas été réalisés par le professionnel ([54]).

Pour mener ce travail, plusieurs consultations ont été lancées. Le ministère a établi un logo, facilement reproductible, que les consommateurs peuvent trouver sur les cartes et menus, composé d’une casserole surmontée d’un toit de maison. Ce logo peut figurer une seule fois, pour l’ensemble d’une carte si tous les plats sont réalisés exclusivement sur place avec des produits crus (c’est-à-dire acquis sans chauffage ni assemblage), ou bien en face de chacun des plats qui respectent les conditions d’élaboration prévues dans le décret.

La DGE a précisé à vos rapporteures qu’une grille d’interprétation sur le « fait maison » était disponible sur le site du ministère. Elle a été réalisée en 2019 par la DGE et la DGCCRF, précise l’ensemble des règles applicables ([55]) et donne les éléments d’interprétation des textes codifiés dans le code de la consommation qui sont nécessaires aux restaurateurs. En particulier, elle explique comment se réaliseront les contrôles de la DGGCCRF et quelles sont les sanctions encourues. En effet, la DGCCRF, dans le cadre de ses contrôles habituels des établissements, vérifie la véracité des informations (sur la base des factures des entreprises de restauration) et peut constater les pratiques commerciales trompeuses. Les sanctions prévues par le code de la consommation sont de nature délictuelle (jusqu’à deux ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende, ce montant étant multiplié par cinq pour les personnes morales). Un site d’information consacré au « fait maison » est également disponible ([56]).

Si vos rapporteures reconnaissent la clarification des conditions d’emploi de la mention « fait maison » rendue possible par le décret n° 2015- 505, il n’en demeure pas moins que le dispositif du « fait maison » reste relativement imprécis, et bien moins exigeant que les critères requis pour l’obtention du titre de maître restaurateur. Le dispositif du « fait maison » est très simple : il n’exige aucune procédure de certification ou de labellisation, aucun examen de passage, aucun contrôle préalable. D’après l’AFMR, les contrôles réalisés par la DGCCRF sont fort peu nombreux.

En conséquence, vos rapporteures plaident pour une nouvelle révision des critères du fait maison, qui supposerait, a minima, une procédure préalable d’autorisation d’utilisation de la mention, et des contrôles aléatoires plus fréquents de la part de la DGGCRF.

Proposition n° 15 : Réviser les critères du « fait maison », en instituant par exemple une procédure préalable d’autorisation d’utilisation de la mention.

c.   Faire davantage connaître les SIQO auprès des consommateurs et des professionnels

Afin d’éclairer au mieux les consommateurs sur l’origine et la qualité de l’offre proposée en restauration hors foyer, il serait nécessaire de faire davantage connaître les signes officiels d’identification de la qualité et de l’origine des produits agricoles et agroalimentaires (SIQO) auprès des clients des établissements de restauration.

La politique des signes officiels de la qualité et de l’origine est mise en œuvre en France par l’Institut national de l’origine et de la qualité (INAO). Ces signes sont : les appellations d’origine protégées (AOP), les indications géographiques protégées (IGP), les labels rouges (LR), l’agriculture biologique (AB) et les spécialités traditionnelles garanties (STG).

Pour la directrice de l’INAO, la gastronomie peut se définir comme « l’art de faire de la bonne cuisine, l’ensemble des règles qui conditionnent l’art de bien manger en prenant soin des produits utilisés. En retenant cette définition, il est légitime de retenir que les missions de l’INAO concourent à mettre à la disposition des restaurateurs et des consommateurs des matières premières avec des promesses garanties dans la durée : typicité liée à leur origine pour les AOP/IGP, qualité supérieure par rapport aux produits standard pour les LR, modes de production particulièrement respectueux du bien-être animal et de l’environnement pour les produits bio et respect des recettes traditionnelles pour les STG. En outre, la diversité des productions viticoles et cidricoles, des boissons spiritueuses sous AOP et IGP permet des choix pour la meilleure adéquation mets/vins. Leur présence sur les menus des repas officiels, à la carte des restaurants français à l’étranger et en France participe au rayonnement de la gastronomie française ».

Les SIQO, outils de politique agricole, sont également des leviers de la politique alimentaire qui participent à la promotion et à la défense du modèle alimentaire européen fondé sur la diversité et la qualité des produits. La France occupe la seconde place en termes de produits sous SIQO, hors agriculture biologique, derrière l’Italie.

Aujourd’hui, les marques et autres labels se prévalant de l’authenticité des « mets » se multiplient. Il existe juridiquement cinq SIQO (AOP/IGP/STG/LR/BIO) et le code rural et de la pêche maritime prévoit par ailleurs quatre mentions valorisantes (« produit fermier », « produit de montagne », « produit pays » et « produit issu d’une exploitation à haute valeur environnementale »).

Or, afin de promouvoir les entreprises et les produits régionaux agroalimentaires, nombre de collectivités territoriales, syndicats mixtes et établissements publics de collectivités territoriales ont développé une politique de marque et d’étiquetage des produits qui met en avant l’origine en mentionnant parfois indûment des noms géographiques réservés à des produits AOP et IGP. Ces démarches autour des produits et des entreprises régionales ou locales, si elles répondent à une volonté compréhensible de valorisation de toutes les facettes agricoles et agroalimentaires locales, présentent l’inconvénient majeur de pouvoir introduire de la confusion chez les consommateurs entre des produits sous signe de qualité et d’autres produits locaux, mais dont les caractéristiques peuvent être significativement différentes (matières premières, modalités de fabrication et de contrôles).

D’après la directrice de l’INAO, « Dans cette situation, la mention de noms géographiques sur les produits ne serait plus pour les consommateurs l’apanage des produits qui respectent un cahier des charges qualitatif complet, validé et contrôlé par les pouvoirs publics, garant de leur spécificité ou de leur qualité supérieure, mais pourrait aussi correspondre à des produits respectant les valeurs et les codes variables de différentes marques déposées par les collectivités territoriales ».

Vos rapporteures plaident pour que la cohérence et la lisibilité de la politique d’origine et de qualité soient respectées.

De manière générale, elles incitent l’ensemble des restaurateurs à indiquer l’origine des produits proposés sur leur carte, une pratique déjà largement mise en œuvre par les maîtres restaurateurs dans leurs établissements.

Proposition n° 16 : Dans la mesure du possible, promouvoir l’indication sur l’origine des produits proposés sur la carte des restaurants.

4.   À l’international, renforcer le « soft power » de la gastronomie française

La gastronomie est un élément incontournable du « soft power » français, cette « capacité de séduire et d’attirer » que Joseph Nye définissait comme un élément essentiel du rayonnement géopolitique d’un État.

Dans un contexte de concurrence gastronomique accru, il importe de renforcer ce pouvoir d’influence de la gastronomie à l’international.

a.   Renforcer l’ouverture à l’international des écoles de cuisine françaises

Les écoles de cuisine françaises ont déjà considérablement renforcé leur ancrage à l’international. Néanmoins, dans un contexte gastronomique toujours plus concurrentiel, l’accueil d’étudiants étrangers sur les campus français et l’envoi d’étudiants français à l’étranger doivent être consolidés.

Ainsi, les instituts Le Cordon Bleu forment aujourd’hui le premier réseau mondial d’instituts d’arts culinaires et de management hôtelier, présent dans plus de 20 pays, au sein d’un réseau 35 instituts, qui accueillent chaque année au total plus de 20 000 étudiants. De son côté, l’Institut Paul Bocuse de Lyon (IPB) accueille environ 1200 étudiants de 68 nationalités répartis sur 10 campus.

Plusieurs « bachelors » délivrés par l’IPB peuvent être obtenus en doubles diplômes dans le cadre d’échanges avec des universités partenaires. Le réseau « Alliance » de l’Institut Paul Bocuse fédère 21 écoles et universités partenaires sur quatre continents. Il « œuvre au rayonnement de l’Institut, du savoir-faire français et de l’innovation en hôtellerie, restauration et arts culinaires ».

Le directeur de l’IPB considère que les 25 000 étudiants diplômés de l’Institut établis à l’international sont des « ambassadeurs de la gastronomie française, mais aussi de l’adaptation de notre gastronomie aux marchés locaux. »

Vos rapporteures encouragent la continuation de ces efforts visant l’internationalisation des campus préparant aux métiers du secteur HCR. À cet égard, elles saluent la naissance de la Conférence des formations d’excellence du tourisme (CFET), qui a été créée en mars 2018 par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères, le ministère de l’éducation nationale (MEN) rejoints par le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation (MESRI), par le ministère de l’économie et des finances (MEFI) et la chambre de commerce et d’industrie de la région Paris Ile-de-France. (CCIP IDF) avec le soutien de l’Institut français du tourisme (IFT), d’Atout France puis de Campus France. La CFET a pour objectif principal de favoriser en France et à l’international le développement de ces formations pour les faire connaître aux étudiants étrangers et exporter ainsi le savoir-faire français.

À ce jour, 28 formations allant du BTS au master, dispensées par 18 établissements répartis dans toute la France, ont été labellisées « Formations françaises d’excellence au tourisme ».

Vos rapporteures appellent de leurs vœux la poursuite des travaux et des objectifs de la CFET.

b.   Favoriser l’implantation des chefs français à l’étranger au sein d’un réseau de chefs faisant rayonner la cuisine française

La gastronomie française évolue dans un contexte international de plus en plus concurrentiel. La prééminence des chefs français est en effet de plus en plus talonnée par d’autres nationalités. Pour Jean-François Girardin, président de l’association des meilleurs ouvriers de France, « Quand un hôtel ouvre en Inde, la direction ne prend plus un grand chef français. À cet égard, les Italiens ont fait un travail formidable. Il y a 50 ans, personne n’envisageait de recruter un Italien pour ouvrir un restaurant ».

Pour Patrice Van Ackere, il importe que les pouvoirs publics accompagnent l’implantation des producteurs et artisans français à l’étranger : « Quand un boulanger français s’installe dans un pays lointain, il ne se contente pas de vendre du pain, il contribue à la diffusion de leur savoir-faire de tradition française ».

Vos rapporteures appellent de leurs vœux la création d’un réseau mondial de chefs français implantés à l’étranger. Elles encouragent toutes les initiatives visant à authentifier et certifier la qualité des restaurants français à l’étranger. À cet égard, le ministère de l’Agriculture italien et le principal syndicat agricole transalpin sont en train de développer un label de référence d’ « italianité » à destination des commerces et restaurants italiens à l’étranger, en contrôlant leur usage de produits originaires de la péninsule italienne. Les restaurants feront l’objet d’audits internes et devront donner libre accès à leurs réserves et aux cuisines. L’objectif du gouvernement italien est d’attribuer environ 7 000 certificats par an ([57]).

Une initiative allant dans ce sens et baptisée « World’s French Restaurant » a été récemment lancée par l’association française des maître restaurateurs. Le label WFR serait ouvert à tous les restaurants, du plus modeste au plus prestigieux. La procédure d’obtention du label est similaire à celle déjà mise en œuvre pour le titre de maître restaurateur : l’établissement souhaitant être labellisé sera audité par un cabinet certificateur sur la base d’un cahier des charges validé par le ministère des affaires étrangères en collaboration avec la direction générale des entreprises. Une fois obtenu par le restaurateur, le label sera valable pour une durée de quatre ans.

La communauté « WFR » valorise le « fait maison » et l’art du service à la française. Vos rapporteures saluent cette initiative de l’AFMR visant à exporter le meilleur de la tradition gastronomique française à l’international.

Vos rapporteures incitent le ministère des affaires étrangères à renforcer sa promotion du label, afin de le rendre davantage connu des restaurateurs français établis à l’étranger, mais aussi des consommateurs internationaux désireux d’identifier rapidement une offre gastronomique française de qualité.

c.   Doter les équipes de France concourant dans des concours culinaires internationaux de moyens publics (ex : Bocuse d’Or)

Afin de renforcer le « soft power » français en matière de gastronomie, une étape décisive consisterait à doter les équipes françaises concourant dans les principaux concours culinaires internationaux d’un budget pérenne.

Vos rapporteures ont auditionné l’équipe de France concourant au Bocuse d’Or. Décrit comme le plus grand concours de cuisine au monde, le Bocuse d’Or a été fondé en 1987 par le chef Paul Bocuse. L’évènement est bisannuel, la finale mondiale se déroulant lors du Salon international de la restauration, de l’hôtellerie et de l’alimentation à Lyon (SIRHA). Il réunit 24 chefs internationaux, parmi les plus prometteurs de leur génération. Chacun dispose de 5 heures 35 pour réaliser deux plats selon une thématique imposée, au cœur d’une arène de 8 000 m2 devant des supporters internationaux. Depuis 2007, des sélections continentales du Bocuse d’Or pour les zones Europe, Amérique du Sud et Asie-Pacifique ont été créées.

À cette occasion, le SIRHA attitre près de 225 000 visiteurs professionnels, dont 31 000 internationaux. L’évènement occasionne plus de 8 000 connexions sur cinq jours sur les réseaux sociaux, tandis qu’environ 964 journalistes sont présents ([58]).

La France a pour la dernière fois remporté le Bocuse d’Or en 2013. D’après l’équipe française concourant au Bocuse d’Or, les dernières contre-performances françaises au concours s’expliquent en partie par l’absence de soutien public aux candidats français.

En effet, contrairement à d’autres sélections comme les sélections scandinaves, les candidats français au Bocuse d’Or n’ont jamais reçu de soutien financier de la part des pouvoirs publics. Fondée par les anciens lauréats français du Bocuse d’Or, la Team France bénéficie d’un statut associatif régi par la loi du 1er juillet 1901. Elle a pour but d’accompagner le candidat en lui apportant un support logistique, financier, moral, technique et médiatique. Ses membres bénévoles sont contraints par leurs activités professionnelles principales respectives. Dans le format actuel, l’équipe de France est proposée par le candidat sélectionné et est volontairement scindée de la Team France.

L’équipe de France est aujourd’hui composée comme suit :

– 1 candidat

– 1 commis officiel

– 1 « coach » officiel

– 1 responsable R&D culinaire

– 1 commis

– 2 « coachs » techniques

– 1 chef de projet et de mission.

Aucune infrastructure n’est mise à disposition par la Team France. Cependant, depuis la dernière sélection France, et sous l’impulsion du candidat en titre, la Team France a établi ses locaux à Écully (69). En effet, un bâtiment d’environ 320 m2 sur deux niveaux a été spécialement réhabilité, et mis à disposition à titre gracieux par un organisme extérieur (le même organisme finançant les salaires de l’équipe de France). En revanche, ce lieu n’étant pas la propriété de la Team France, l’équipe de France ne pourra s’y entraîner durablement une fois terminée l’édition 2021 du concours. Les déménagements constants ne sont ni souhaitables pour la préparation des équipes, ni efficaces d’un point de vue financier.

En outre, le format familial du lieu d’entraînement actuel révèle une capacité limitée et contraignante en termes d’accueil et commercial (évènementiel et résidentiel), mais également de stockage (froid, épicerie, matériel). Aussi, ce format ne permettrait pas l’accueil d’un futur « Pôle espoirs » destiné à la génération émergente qui intégrera la Team France.

L’équipe de France dispose aujourd’hui du matériel dont elle a besoin. Le petit et gros matériel investi est de très bonne qualité, il sera transmis à la prochaine « rotation » d’équipe de France avec des moyens adaptés. Un box est installé et équipé dans le respect des conditions réelles du concours.

Toutefois, les moyens matériels dont dispose l’équipe de France ne permettent pas d’échanges avec d’autres équipes. En effet, l’équipe est parfois sollicitée dans le cadre d’un « accompagnement » d’équipes plus modestes, mais ne peut répondre favorablement. Cette possibilité d’appui envers des nations amies permettrait un rayonnement international accru.

S’agissant des moyens financiers, le budget prévisionnel de la Team France 2020-2021 est de 544 000 euros. Il résulte à 97 % de contrats de partenariats financiers et à 3 % de repas de levée de fonds. Cependant, le statut d’association loi 1901 ne permet pas de défiscalisation et dissuade les investisseurs.

S’agissant du domaine des ressources humaines, l’équipe de France est employée à temps plein pour le concours. Sa masse salariale est prise en charge à 100 % de manière parallèle par un organisme extérieur à la Team France, ce qui la rend dépendante. Dépourvu d’une organisation formelle et contractualisée émanant de la Team France, le modèle managérial actuel ne peut être considéré comme professionnel et pérenne.

La Team France, dans son organisation actuelle, externalise de nombreuses compétences qui relèvent principalement du design, de la structure des aliments, des sciences sensorielles et cognitives, d’autres artisans, d’orfèvres, de spécialités des tendances culinaires, de la communication externe, de la réalisation de nouveaux « outils » (ustensiles, moules, emporte-pièce, etc.).

Bien que certaines de ces compétences aient donné lieu à contractualisation de partenariats pour maîtriser les coûts, il n’en demeure pas moins que l’ensemble de ces prestations impactent de manière substantielle le budget global.

La perspective de professionnalisation de la Team France laisse à penser qu’elle pourrait se doter de certaines de ces compétences afin de gagner en réactivité et en maîtrise des coûts. Par ailleurs, du fait de la fragilité du modèle de financement actuel, la Team France ne dispose pas d’une image de marque qui lui soit propre. Cela lui permettrait de bénéficier d’une identité visuelle nationale facilement identifiable à l’étranger.

À l’aune de tous ces éléments, vos rapporteures plaident pour un soutien financier public de l’État au profit des équipes françaises concourant au Bocuse d’Or. Un centre d’entraînement permanent et adapté aux standards internationaux, doté de plusieurs box d’entraînement, d’espaces de stockage, de salles de conférences, de bureaux, d’hébergements et de cuisine de recherche nécessite d’être mis au service de l’équipe de France. En outre, une structuration adéquate de la Team France lui permettrait de communiquer de manière stratégique, de développer des partenariats internationaux. Vos rapporteures considèrent qu’une visibilité accrue de la Team France sensibiliserait toujours davantage les citoyens au nécessaire respect du patrimoine gastronomique français et européen, et renforcerait les tendances actuelles au mieux manger et au cuisiner maison. Elle aurait en outre un impact positif sur l’attractivité de tous les métiers « de la salle à la plonge » et serait susceptible d’entraîner une montée en gamme des produits français cuisinés.

La Team France évoque par contraste « l’organisation efficiente » et la « cuisine de compétition » des équipes nordiques concourant au Bocuse d’Or. Les pays scandinaves ont mis en œuvre des méthodes de « sourcing » ambitieuses afin de dénicher des chefs talentueux, futurs candidats au concours, ce qui leur vaut d’être régulièrement présents sur le podium du Bocuse d’Or, et d’avoir notamment remporté l’édition 2019. Les équipes sont par ailleurs soutenues financièrement par les gouvernements nordiques, qui voient dans le succès de leurs sélections nationales au Bocuse d’Or un levier pour renforcer l’influence culturelle de leurs nations sur la scène mondiale.

Les pays scandinaves se sont structurés dès 2007 pour créer une organisation performante permettant d’exploiter les succès obtenus au Bocuse d’or. Depuis la première édition du Bocuse d’Or organisée en 1987, la Norvège a remporté cinq médailles d’or, trois médailles d’argent et trois médailles de bronze. C’est donc le pays le plus récompensé de l’histoire des Bocuse d’Or. Ces succès dans la compétition s’accompagnent aussi de l’obtention d’un nombre croissant d’étoiles au Michelin pour les restaurants norvégiens. En 2016, Maaemo a été le premier établissement norvégien à en obtenir trois, avant de les perdre en 2020 puis de les reconquérir cette année. « L’ouverture du plus grand restaurant sous-marin du monde, Under, en 2019, a encore accru l’attractivité du pays aux yeux des gastronomes », ainsi que le reporte le site norvégien « Visit Norway ». En 2020, c’est toujours la Norvège qui a remporté la première place pour le Bocuse d’Or Europe avec un palmarès exclusivement nordique, puisque la Suède a remporté la médaille d’argent et le Danemark celle de bronze. Succès au Bocuse d’Or et communication marketing vont de pair. Ainsi, il y a quelques années ; l’équipe norvégienne a imposé un produit lors du Bocuse d’Or, le screi, un cabillaud norvégien. Peu après, l’État norvégien a financé des expéditions pour faire connaître ce produit, en invitant des chefs du monde entier à pêcher le screi.

D’autres équipes nationales reçoivent un soutien financier public constant, à l’instar de l’Italie, la Suisse, les États-Unis, le Japon, Singapour ou encore la Hongrie. Ce dernier pays a accueilli pour la première fois en 2016 la sélection continentale organisée par GL Events et a remporté la première place au concours après seulement trois participations.

Afin de restaurer le leadership français dans les compétitions culinaires internationales et le « soft power » national, vos rapporteures plaident pour un financement public pérennisé au profit des équipes françaises concourant dans les compétitions culinaires mondiales. Il est difficilement acceptable que la France ne soit pas représentée dans toutes les compétitions culinaires mondiales faute de moyens, comme c’est actuellement le cas pour l’ « IKA culinary olympics »  ([59]).

Proposition n° 17 : Accorder une subvention publique aux équipes françaises concourant dans une liste réduite de grands concours culinaires internationaux, parmi lesquels le Bocuse d’Or.

C.   Favoriser la réappropriation par les Français de leur identité culinaire et gastronomique

1.   Rendre obligatoire l’éducation à l’alimentation, à la saisonnalité et au bien manger à l’école

a.   Organiser la montée en puissance des classes du goût et rendre obligatoire l’éducation à l’alimentation à l’école

Vos rapporteures soutiennent la généralisation de l’éducation à l’alimentation, à la cuisine et à la saisonnalité des produits. En effet, éduquer les nouvelles générations au bien manger contribue à préparer le rayonnement gastronomique de demain.

À cet égard, des initiatives notables existent déjà, comme l’organisation de la semaine du goût. Depuis 1990, la semaine du goût favorise les rencontres entre professionnels de la terre à l’assiette avec le grand public et les publics cibles (de la maternelle à l’enseignement supérieur). Les enseignants sont invités à organiser des classes du goût dans leurs établissements durant cette semaine, au contact de producteurs ou de chefs.

Dès 1974, Jacques Puisais, fondateur de l’Institut du goût, crée les premières « classes du goût ». Au cours de dix leçons conçues pour des élèves de 8 à 11 ans, « l’enfant apprend à mieux tirer parti de ses capacités sensorielles et à poser des mots sur ses perceptions ». D’après l’Institut du goût, les bénéfices de ces classes sont nombreux pour les enfants : enrichissement de leur vocabulaire sensoriel mais aussi gain de confiance en eux pour exprimer leurs impressions personnelles, diminution de la néophobie alimentaire et construction de nouveaux savoirs sur leur identité de mangeur, les aliments et leur environnement.

Les classes du goût ont été relancées en 2010 dans le cadre du premier programme national pour l’alimentation (PNA). Inscrites encore aujourd’hui dans le cadre de l’axe « éducation à l’alimentation » du « Programme national pour l’alimentation » 2019-2023, le dispositif des classes du goût est déployé sous l’égide du ministère chargé de l’agriculture et de l’alimentation et du ministère chargé de l’éducation nationale. Le programme se découpe en huit modules. Chacun des modules permet de (re)découvrir les aliments du quotidien et du territoire par le goût mais aussi par le nez, le toucher, l’ouïe et la vue. Ces modules permettent de promouvoir l’équilibre et la diversité alimentaires, de favoriser la connaissance des modes de production et la (re)découverte du patrimoine alimentaire. Par ailleurs, des intervenants peuvent être invités pour rythmer ces classes du goût : agriculteurs, artisans de métiers de bouche et chefs.

Toutefois, ce dispositif étant encore mis en œuvre de manière inégale sur le territoire, vos rapporteures appellent de leurs vœux l’accélération des formations délivrées par les directions régionales de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (DRAAF) aux enseignants, personnels d’animation du périscolaire, infirmiers et/ou diététiciens scolaires. Elles plaident pour une généralisation du dispositif des classes du goût, dispositif qui serait rendu obligatoire pour tous les élèves de cycle 3 (CM1, CM2, 6ème).

Pour Caroline Broué et Estérelle Payany, journalistes culinaires auditionnées par vos rapporteures, l’éducation obligatoire à l’alimentation, au goût et à la saisonnalité des produits est aussi un enjeu d’égalité hommes/femmes et de juste répartition des tâches au sein des foyers.

En effet, 90 % des repas sont encore assurés par les femmes françaises. Une éducation obligatoire à l’alimentation et au goût permettrait aux enfants, quel que soit leur genre, d’avoir une meilleure appréhension de l’alimentation en général, et de se sentir davantage investis dans les rites culinaires quotidiens. La charge mentale pesant sur les mères pourrait en être diminuée.

Proposition n° 18 : Rendre obligatoires les classes du goût, l’éducation à la nutrition et la saisonnalité des produits pour tous les élèves du cycle 3.

b.   Placer les cantines scolaires au cœur de la transition alimentaire, en mobilisant les projets alimentaires territoriaux

La montée en puissance de l’éducation à l’alimentation n’a pas de sens si les cantines scolaires ne sont pas des acteurs centraux de cette transition alimentaire.

Pour Estérelle Payany, il s’agit avant toutes choses « de revaloriser les cantinières ». La journaliste cite notamment le parcours d’Evelyne Debourg, sacrée « meilleure cantinière de France 2006 ».

Cantinière dans une école de l’Allier, elle s’efforce de transmettre la nécessité du bien manger aux enfants : « Ce que l’on mange durant l’enfance, lorsque notre mémoire gustative est vierge, nous forme le palais pour toute notre vie : le droit de l’enfant, c’est de manger bon et sain. » ([60]) Elle a obtenu la reconnaissance de ses pairs à travers le prix des Talents du goût et la médaille de la fonction publique en 2006. En 2019, elle est lauréate du prix François Rabelais, succédant au chef étoilé Michel Guérard et au fondateur du mouvement « Slowfood » Carlo Petrini, au palmarès de ceux qui « œuvrent pour la mise en valeur du patrimoine culturel alimentaire » ([61].). Interrogée par Télérama, Evelyne Debourg résume ainsi son travail : « Il y a évidemment la diversité des aliments, des recettes. Mais aussi la qualité des produits et celle du cuisinier. Je cuisine chaque jour pour cent vingt élèves de primaire et de maternelle comme je le ferais pour mes propres enfants. J’essaie de proposer une cuisine simple, ludique, colorée. Pas nécessairement des choses compliquées ou qui coûtent cher. Une bonne purée des pommes de terre avec du vrai beurre, des carottes sautées un peu croquantes et pas cuites pendant deux heures dans de l’eau. Il faut que les enfants goûtent ce qui est naturel. (…) J’ai aussi la chance d’avoir derrière moi un maire qui me soutient et me fait confiance (…) La municipalité me laisse carte blanche. J’ai évidemment un budget à tenir mais j’achète ce que je veux, où je veux. Le repas est facturé trois euros aux familles, ce qui comprend le budget marchandise et mon salaire. J’ai un réseau de fournisseurs locaux, j’essaie d’acheter majoritairement du bio, même si ce n’est pas toujours facile de trouver des producteurs capables de fournir de manière régulière à grande échelle (…) Le modèle des cantines centrales s’est imposé, au détriment des cuisines à liaison chaude, comme la mienne, où tout est fait sur place. Ces infrastructures centralisées servent aux enfants une cuisine réchauffée, préparée à l’avance à l’extérieur et transportée dans des boîtes en plastique. C’est aseptisé, plein de sel, de gras, ça manque de saveur. Mais ça permet de préparer des milliers de repas au même endroit et de les conserver longtemps (…). Pour ceux qui résistent et travaillent comme moi, avec de vrais œufs, du vrai beurre et pas des ersatz ou des œufs en poudre, les normes et les exigences de traçabilité sont devenues écrasantes (…) ».

Pour Évelyne Debourg, « L’alimentation devrait être enseignée à l’école au même titre que la lecture, le calcul. Pour apprendre à bien nourrir son corps au même titre que son esprit ». Une association fondée par Évelyne Debourg, « Les cantines de France », répertorie et fédère les petites cantines à liaison chaude, par opposition aux modèles dominant des cuisines « centrales ».

Interrogé par vos rapporteures sur le rôle des cantines scolaires dans la transition alimentaire, le ministre chargé de l’agriculture et de l’alimentation a rappelé les objectifs de la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite « loi EGALIM ». Elle prévoit d’atteindre un taux d’approvisionnement de 50 % de produits durables et de qualité, dont 20 % de produits issus de l’agriculture biologique dans les cantines scolaires à partir du 1er janvier 2022. Le ministre a par ailleurs souligné que 50 milliards d’euros seraient mobilisés par l’État en faveur des circuits courts dans le cadre du plan de relance, qui bénéficieraient in fine aux cantines scolaires présentant des projets innovants. Le ministre a également rappelé que 80 milliards d’euros seraient investis dans le cadre du plan France Relance pour soutenir les projets alimentaires territoriaux (PAT), dans le cadre des projets existants (77 milliards d’euros) mais aussi des projets émergents (3 milliards d’euros d’appels à projets s’ajoutant aux crédits du Programme national pour l’alimentation). Les PAT favorisent la relocalisation de l’agriculture et de l’alimentation dans les territoires en soutenant notamment l’installation d’agriculteurs, les circuits courts ou les produits locaux dans les cantines.

Vos rapporteures plaident pour que les collectivités territoriales se saisissent massivement de l’opportunité du plan de relance via les PAT afin d’accélérer la transition alimentaire dans les cantines scolaires. Elles encouragent les cantines engagées dans des démarches durables et vertueuses à se fédérer et à candidater dans le cadre des appels à projets relevant des PAT.

2.   Promouvoir toutes les initiatives visant à préserver le patrimoine gastronomique français

a.   Le Grand Repas

Le Grand repas a été créé par l’association « Tours Cité Internationale de la Gastronomie en Val de Loire » autour d’un concept inédit : une fois par an depuis la première édition en 2016, l’association Le Grand Repas propose aux citoyens de partager tous ensemble sur leur territoire le même menu conçu à base de produits locaux et de saison, dans un moment de convivialité. Le Grand Repas illustre pleinement la tradition du « repas gastronomique des Français », dans une approche basée sur le partage et la convivialité. C’est aussi l’occasion de sensibiliser les citoyens aux problématiques d’anti-gaspillage alimentaire, de circuits courts, d’éducation au goût, à la santé et au bien-être. Dans chaque territoire participant, un parrain local choisit la déclinaison du menu niveau local. L’ensemble des acteurs de la restauration peuvent participer à l’évènement : restauration collective publique ou privée, et restauration traditionnelle. Les autres acteurs de la chaîne alimentaire (producteurs, distributeurs) sont également invités à participer.

Depuis sa première édition en janvier 2016, le Grand Repas est devenu un événement incontournable dans la région Centre Loire, qui a réuni pour sa troisième édition en 2018 près de 130 000 convives et la participation de plus de 400 établissements. Depuis 2018, l’association cherche à étendre progressivement le principe du Grand Repas à l’ensemble des régions de France. Quatorze territoires participeront à la prochaine édition du Grand Repas, le 21 octobre 2021 Alpes de Haute-Provence, Charente-Maritime, Grand Paris, Isère, Provence, Aude, Drome Ardèche, Marne, Yonne, Hauts-de France, Val de Loire, Centre, Meurthe-et-Moselle, Haute-Saône, Finistère.

Vos rapporteures encouragent l’association Le Grand Repas à renforcer sa communication à destination des collectivités territoriales afin de couvrir l’ensemble des régions françaises à l’horizon 2025.

b.   Accompagner le déploiement des cités de la gastronomie et des itinéraires gastronomiques

Vos rapporteures souhaitent voir se concrétiser l’ouverture des quatre cités de la gastronomie : Lyon, Dijon, Tours et Paris Rungis.

Pour le moment, seule la cité de la gastronomie de Tours est effective. Dijon devrait l’être au printemps prochain, et Lyon va rouvrir prochainement, après avoir effectué un faux départ. Quant à la cité de Rungis, un nouvel appel à projets a été lancé, mais le projet a pris du retard.

Ce réseau des cités est une formidable opportunité pour organiser la transmission des savoir-faire culinaire et la valorisation des gastronomies régionales. À terme, vos rapporteures invitent la MFPCA, pilote du réseau des cités de la gastronomie, à envisager d’étendre le réseau des cités à l’ensemble des régions françaises.

De manière générale, vos rapporteures encouragent la mise en réseau des territoires autour de l’enjeu de la gastronomie. Pour Jacques Bally, ancien président de Gault et Millau France, rencontré par vos rapporteures, « Il existe des GR randonnée. Il faudrait valoriser les pays gourmands, mettre en avant les territoires et les circuits courts. Pourquoi ne pas créer toute une infrastructure pour lier les itinéraires gastronomiques et les chaînes de production locales ? ».

À cet égard, le lancement prochain de « La Vallée de la gastronomie », par les régions Bourgogne Franche-Comté, Auvergne Rhône-Alpes et les départements des Bouches-du-Rhône et du Gard pourrait faire figure de précurseur.

La vallée de la gastronomie

La Vallée de la Gastronomie, dans son périmètre actuel, part de Dijon et s’étend jusqu’à Marseille, sur près de 620 kilomètres. L’ensemble des offres labellisées « Vallée de la gastronomie » doivent être situées sur le périmètre géographique retenu, en respectant le fait d’être implantées à moins de 45 minutes en voiture de la sortie d’une autoroute.

Le projet actuel regroupe près de 320 « offres gourmandes » et une trentaine « d’expériences remarquables » sur l’ensemble de la zone.

Pour être labellisée « offre gourmande », l’offre doit répondre à des critères stricts : l’offre doit être récréative, doit porter sur la gastronomie dans toutes ses dimensions au sens large, doit appartenir au périmètre géographique retenu, et enfin la proposition doit déjà reposer sur un référentiel, par exemple une labellisation basée sur des critères de qualité (Gault et Millau, Bienvenue à la Ferme, Accueil paysan, guide Michelin etc.).

Les offres labellisées « expériences remarquables » doivent-elles répondre à cinq critères cumulatifs : être poly-sensorielles, favoriser la rencontre et le partage au cœur de la prestation, être immersives, sources d’apprentissage, offrir un parcours personnalisé aux visiteurs et enfin faire en sorte que cette expérience puisse être a minima dispensée en anglais.

Le site internet de la Vallée de la gastronomie regroupe l’ensemble des offres gourmandes et expériences remarquables. Il propose des parcours personnalisés selon les filtres retenus par le visiteur (séjour en couple, séjour « bio », en famille, entre amis, insolites, « autour du vin » etc.). En fonction de chaque offre sélectionnée, un itinéraire et des offres à proximité sont proposées.

Le projet est soutenu par Atout France, membre du comité de pilotage du projet, qui a signé un contrat thématique avec la Vallée de la gastronomie en 2021. Le projet, lancé auprès du grand public au printemps 2021, bénéficie d’un très grand potential de développement, en France et à l’international. « L’idée est, pour le moment, de faire vivre cela à la clientèle française avant de la développer à l’international, auprès des Belges et des Suisses mais aussi en particulier auprès des Américains et des Japonais qui ont déjà une attirance pour notre gastronomie », a indiqué Hervé Fleury, membre du comité de la Vallée.

Vos rapporteures invitent l’ensemble des régions françaises à s’inspirer du projet de Vallée de la gastronomie en structurant localement leurs offres gourmandes et expériences remarquables via une plateforme unique.

Ces structurations régionales de l’offre gastronomique, dans une logique de réseaux, pourraient s’inscrire dans un plan ambitieux pour le tourisme gastronomique en France.

Proposition n° 19 : Encourager la structuration régionale des offres gastronomiques françaises en s’inspirant du projet de la Vallée de la gastronomie : itinéraires gourmands organisés en réseau.

c.   Mettre en œuvre un plan ambitieux pour le tourisme gastronomique en France

En lien avec les collectivités territoriales, le représentant personnel du Président de la République pour la gastronomie doit saisir l’opportunité de l’année de la gastronomie afin de proposer un plan ambitieux pour le tourisme gastronomique en France. Le savoir-vivre à la française et les savoir-faire culinaires pluriséculaires y seraient valorisés. Un site internet dynamique et interactif, disponibles en plusieurs langues, servirait les besoins du plan et valoriserait l’offre française. Des cartes interactives ainsi que des lexiques regroupant les termes les plus fréquemment utilisés dans les cartes et menus des restaurants seraient proposés. Le site valoriserait les initiatives en réseaux telles que La Vallée de la gastronomie, ou les cités de la gastronomie, et serait en mesure de proposer des parcours gastronomes personnalisés à ses visiteurs.

Par ailleurs, un effort relatif à la traduction des cartes et menus doit être effectué pour inciter les visiteurs internationaux à s’asseoir aux tables françaises. La crise de la Covid a conduit nombre de restaurants à proposer des QR codes en substitution des cartes. Si cette technologie a tout d’abord été utilisée dans un but sanitaire, elle pourrait être maintenue dans un objectif d’attractivité touristique. En effet, des QR codes positionnés sur les traditionnelles cartes pourraient permettre aux touristes étrangers d’accéder immédiatement à une version traduite des menus.

En outre, dans les lieux touristiques, toute évolution visant à adapter les horaires de service afin de tenir compte des habitudes de restauration des touristes serait bienvenue.

d.   À l’université, fédérer les programmes de recherche sur la gastronomie pour consolider les « food studies »

La France doit s’affirmer comme le leader naturel des programmes de recherche relatifs aux sciences de l’alimentation (« food studies »).

Dans cet objectif, l’Institut européen d’histoire et des cultures de l’alimentation, créé en 2001 à l’initiative du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, est une agence de développement scientifique au service d’une double ambition. Premièrement, il s’agit d’encourager la recherche et la formation universitaires relatives aux « cultures et patrimoines alimentaires ». Deuxièmement, il s’agit d’aider l’université de Tours à se positionner comme un pôle d’excellence européen sur ce thème, le choix ayant été fait d’installer le siège de l’IEHCA à Tours.

Le président de l’IEHCA dresse un bilan positif de l’activité de l’Institut : « Depuis 2001, l’IEHCA s’est affirmé comme un acteur incontournable des Food Studies. Au niveau international d’abord avec un réseau de plus de 400 chercheurs, l’organisation de onze colloques thématiques pilotés par son conseil scientifique et de 14 universités d’été, ainsi que la publication de 28 numéros de sa revue Food & History. Au niveau national ensuite avec les rencontres François Rabelais (qui en sont à leur 12e édition) et l’appui à la collection Tables des Hommes, qui vient de sortir son 32ème volume. Le bilan est impressionnant et il s’enrichit constamment : notre dernière initiative, la conférence internationale d’histoire et des cultures de l’alimentation, a réuni plusieurs centaines de chercheurs provenant de 28 pays de par le monde. (…) Depuis le 1er janvier 2017, l’installation dans l’écrin de la Villa Rabelais ouvre à nos activités de nouveaux terrains et de nouveaux horizons, en lien avec Tours cité internationale de la gastronomie en Val de Loire ».

Vos rapporteures voient dans les activités nationales et internationales de l’IEHCA l’embryon d’une « université des sciences gastronomiques », dont elles appellent de leurs vœux la naissance. Cette université réunirait l’ensemble des unités de recherche existantes en France. Il s’agirait de former des « experts en gastronomie française », ce qui contribuerait grandement au prestige et à la noblesse de cette discipline.

La dégustation, l’analyse sensorielle, la découverte des saveurs et des produits, leurs modes de production, leur accommodement en cuisine, les vins qui les accompagnent, l’œnologie seraient au cœur des formations. Pourraient également être enseignés l’histoire et la sociologie de l’alimentation, les techniques de communication et de marketing spécifiques à ce secteur, de même que le droit de l’alimentation et la gestion.

Elle délivrerait à la fois des formations initiales et des formations continues, permettant aux professionnels d’un secteur d’élargir leurs connaissances sur leur discipline quotidienne.

Proposition n° 20 : Fédérer l’ensemble des programmes de recherche existant pour créer au sein de l’IEHCA à Tours une « université des sciences gastronomiques », chargée de former des « experts en gastronomie française ».

 


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   EXAMEN EN COMMISSION

 

Lors de sa réunion du mercredi 29 septembre 2021, la commission des affaires économiques a examiné le rapport de la mission d’information sur l’organisation et les enjeux de la gastronomie et ses filières (Mmes Barbara Bessot Ballot et Annaïg Le Meur, co‑rapporteures).

Ce point de l’ordre du jour ne fait pas l’objet d’un compte rendu écrit. Les débats sont accessibles sur le portail vidéo de l’Assemblée à l’adresse suivante :

http://assnat.fr/70tC4k.

La commission a approuvé la publication du présent rapport d’information.

 

 

 

 

 


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   LISTE DES PROPOSITIONS

Proposition n° 1 : Créer un poste de délégué interministériel à la gastronomie. Dans la configuration actuelle, la fonction de délégué interministériel à la gastronomie pourrait fort logiquement être occupée par le représentant personnel du Président de la République auprès des acteurs et des réseaux de la gastronomie et de l’alimentation (cf. infra).

 

Proposition n° 2 : Intégrer aux futurs projets de loi de finances un document de politique transversale (« orange »), comme c’est le cas pour l’égalité hommes/femmes, qui recenserait les actions menées par les différents ministères dans le secteur de la gastronomie.

 

Proposition n° 3 : Structurer une véritable politique publique interministérielle en faveur de la gastronomie, indépendamment des échéances politiques.

 

Proposition n° 4 : Associer systématiquement la gastronomie aux évènements relatifs à l’organisation de la coupe du monde de Rugby 2023 et les Jeux Olympiques et paralympiques de Paris 2024.

 

Proposition n° 5 : À l’occasion de la Présidence française de l’Union Européenne, la France pourrait proposer le pilotage d’une initiative européenne en matière de patrimoine gastronomique européen.

 

Proposition n° 6 : En concertation avec les organisations syndicales représentatives du secteur, concevoir un ensemble de mesures concrètes visant à atteindre la parité hommes/femmes dans le secteur : adaptation des journées continues, fonds de soutien aux femmes cheffes, réflexion sur les modes de garde, adaptation des vestiaires à des équipes mixtes, formation obligatoire à l’égalité hommes/femmes en cuisine et en salle dans les écoles professionnelles, travail mémoriel autour des femmes cheffes etc.

 

Proposition n° 7 : Engager avec les organisations syndicales représentatives du secteur une concertation relative à l’adaptation des conditions de travail et des rémunérations du secteur afin de pallier la crise de recrutement (« Grenelle » de la restauration ?). À cette occasion, engager une réflexion sur l’opportunité d’un retour du « 15 % de service » pour revaloriser les rémunérations des personnels.

 

Proposition n° 8 : Lancer une campagne de promotion de l’apprentissage dans les métiers du secteur HCR, en y associant dans la mesure du possible la génération de jeunes chefs afin de cibler les nouvelles générations.

 

Proposition n° 9 : Encourager le développement des incubateurs de la gastronomie, en mobilisant au besoin l’expertise de France Tourisme Lab.

 

Proposition n° 10 : Rendre obligatoires les formations à l’éco-responsabilité dans les filières de formation aux métiers du secteur HCR.

 

Proposition n° 11 : Aider financièrement les restaurateurs engagés dans des transitions écoresponsables, en prévoyant des critères d’éligibilité exigeants.

 

Proposition n° 12 : Saisir l’opportunité de l’année de la gastronomie pour encourager et valoriser les initiatives d’insertion sociale par la gastronomie. Lancer de nouveaux appels à projets « 100 % inclusion » du plan d’investissement dans les compétences en 2022, 2023 et 2024.

 

Proposition n° 13 : Mettre en œuvre une campagne de communication visant à promouvoir le titre de maître restaurateur auprès du grand public.

 

Proposition n° 14 : À terme, mener une réflexion sur la nécessaire différenciation du traitement fiscal des restaurants qui travaillent des produits frais et n’ont pas recours à des produits déjà transformés.

 

Proposition n° 15 : Réviser les critères du « fait maison », en instituant par exemple une procédure préalable d’autorisation d’utilisation de la mention.

 

Proposition n° 16 : Dans la mesure du possible, promouvoir l’indication sur l’origine des produits proposés sur la carte des restaurants.

 

Proposition n° 17 : Accorder une subvention publique aux équipes françaises concourant dans une liste réduite de grands concours culinaires internationaux, parmi lesquels le Bocuse d’Or.

 

Proposition n° 18 : Rendre obligatoires les classes du goût, l’éducation à la nutrition et la saisonnalité des produits pour tous les élèves du cycle 3.

 

Proposition n° 19 : Encourager la structuration régionale des offres gastronomiques françaises en s’inspirant du projet de la Vallée de la gastronomie : itinéraires gourmands organisés en réseau.

 

Proposition n° 20 : Fédérer l’ensemble des programmes de recherche existant pour créer au sein de l’IEHCA à Tours une « université des sciences gastronomiques », chargée de former des « experts en gastronomie française ».

 

 


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   Liste des personnes auditionnÉes

 

M. Alain Griset, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des petites et moyennes entreprises

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État chargé du tourisme, des Français de l’étranger et de la Francophonie

M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation

 

Team France (Bocuse d’or)

M. Serge Vieira, Président

Société nationale des Meilleurs Ouvriers de France

M. Jean-François Girardin, président

Monsieur le représentant personnel du Président de la République auprès des acteurs et des réseaux de la gastronomie et de l’alimentation, Guillaume Gomez

Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH) *

M. Hubert Jan, président

M. Jean Terlon, vice-président branche restauration

Collège culinaire de France

M. Christian Regouby, délégué général

Mme Célia Tunc, secrétaire générale

Relais et Châteaux

M. Philippe Gombert, président

Eurotoques France

M. Mathieu La Fay, directeur

Groupement national des indépendants hôtellerie et restauration (GNI) *

M. Laurent Fréchet, président

M. Franck Trouet, conseiller du président, directeur des affaires publiques

Association française des maîtres restaurateurs (AFMR)

M. Alain Fontaine, président

Direction générale des entreprises (DGE)

M. Alban Galland, sous-directeur commerce, artisanat et restauration

Mission française du patrimoine et des cultures alimentaires (MFPCA)

M. Pierre Sanner, président

Atout France

Mme Sophie Lacressonnière, directrice marketing

Cuisine Mode d’Emploi(s) (école de M. Thierry Marx)

Mme Véronique Carrion, directrice générale

Table ronde réunissant des représentants d’écoles de cuisine :

Institut Le Cordon Bleu

Chef Éric Briffard

Mme Aude Mouline, directrice marketing

Institut Paul Bocuse

M. Dominique Giraudier, directeur général

CFA et lycée Belliard

M. Pascal Maillou, proviseur du lycée Belliard de Paris, directeur du CFA, président du GRETA METEHOR

Mme Sonia Calisto, cheffe des travaux

GL Events Exhibitions Operations *

Mme Marie-Odile Fondeur, directrice générale

M. Florent Supplisson, directeur des événements gastronomiques

M. Patrick Rambourg, historien de la gastronomie

M. Jacques Bally, ex-président du guide Gault & Millau

Label Ecotable

Mme Fanny Giansetto, présidente, co-fondatrice

Mme Camille Delamar, associée

Table ronde réunissant :

Mme Caroline Broué, productrice de l’émission diffusée sur France Culture « Les bonnes choses »

M. Vincent Ferniot, journaliste gastronomique

Mme Estérelle Payany, journaliste gastronomique

Guide Michelin *

M. Gwendal Poullennec, directeur international

 

Table ronde « Femmes et gastronomie », réunissant :

Mme Vérane Frédiani, réalisatrice du film « À la rechercher des femmes chefs »

Mme Anne-Sophie Pic, cheffe étoilée

 

Auvergne-Rhône-Alpes (AURA) Tourisme

M. Lionel Flasseur, directeur général, au sujet du label intra régional « Vallée de la Gastronomie »

Institut du goût

M. Patrice van Ackere, vice-président

Institut National de l’Origine et de la Qualité (INAO)

Mme Marie Guittard, directrice de l’Institut National de l’Origine et de la Qualité (INAO)

SEMMARIS *

M. Stéphane Layani, président

 

 

 

 

 

 

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le répertoire des représentants d’intérêts de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), qui vise à fournir une information aux citoyens sur les relations entre les représentants d’intérêts et les responsables publics lorsque sont prises des décisions publiques


   ANNEXE 1
Les initiatives et programmes liés à la gastronomie dans le monde (liste non exhaustive)

 


—  1  —

   ANNEXE 2
The Nordic Kitchen Manifesto (2004)

”As Nordic chefs we find that the time has now come for us to create a New Nordic Kitchen, which in virtue of its good taste and special character compares favorable with the standard of the greatest kitchens of the world”, the Manifesto states.

The aims of the New Nordic Kitchen are :

  1. To express the purity, freshness, simplicity and ethics we wish to associate to our region.
  2. To reflect the changes of the seasons in the meal we make.
  3. To base our cooking on ingredients and produce whose characteristics are particularly in our climates, landscapes and waters.
  4. To combine the demand for good taste with modern knowledge of health and well‑being.
  5. To promote Nordic products and the variety of Nordic producers - and to spread the word about their underlying cultures.
  6. To promote animal welfare and a sound production process in our seas, on our farmland and in the wild.
  7. To develop potentially new applications of traditional Nordic food products.
  8. To combine the best in Nordic cookery and culinary traditions with impulses from abroad.
  9. To combine local self-suffiency with regional sharing of high-quality products.
  10. To join forces with consumer representatives, other cooking craftsmen, agriculture, fishing, food, retail and wholesales industries, researchers, teachers, politicians and authorities on this project for the benefit and advantage of everyone in the Nordic countries.

List of signatories :

Traduction :

Manifeste pour une cuisine nordique (2004)

« En tant que chefs nordiques nous pensons que le temps est venu pour nous de créer une nouvelle cuisine nordique, qui, en vertu de ses saveurs et de sa force de caractère, n’aurait rien à envier aux plus grandes cuisines du monde.

Les objectifs de la nouvelle cuisine nordique sont les suivants :

« 1. Exprimer la pureté, la fraîcheur, la simplicité et l’éthique que nous associons à notre région.

« 2. Refléter le changement des saisons dans l’assiette.

« 3. Baser notre cuisine sur des ingrédients et des produits qui sont directement issus de nos terroirs, cours d’eau, et climats.

« 4. Combiner l’exigence de bonnes saveurs avec les connaissances modernes en matière de santé et bien-être.

« 5. Promouvoir les produits et des producteurs nordiques, et faire connaître leurs savoir-faire.

« 6. Promouvoir le bien-être animal ainsi que le respect de l’environnement dans les processus d’élaboration des mets.

« 7.  Développer éventuellement de nouvelles manières de cuisiner les produits traditionnels nordiques.

« 8. Combiner le meilleur de la cuisine nordique et des traditions culinaires provenant de l’étranger.

« 9. Combiner l’autonomie alimentaire locale et l’importation régionale des produits gastronomiques d’excellence.

« 10. Dans cette perspective, faire travailler ensemble les associations de consommateurs, les chefs, les secteur agricole, de la pêche, de l’alimentation, de l’agro-industrie, de la vente au détail, les chercheurs, les enseignants, les groupes politiques et les autorités, dans l’intérêt de tous les pays nordiques. »

Liste des signataires :

Erwin Lauterbach, Danemark

Eyvind Hellstrøm, Norvège

Fredrik Sigurdsson, Islande

Gunndur Fossdal, Îles Féroé

Hákan Örvarsson, Islande

Hans Välimäki, Finlande

Leif Sørensen, Îles Féroé

Mathias Dahlgren, Suède

Michael Björklund, Åland

René Redzepi, Danemark

Roger Malmin, Norvège

Rune Collin, Greenland


([1]) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.

([2]) Au moment où se termine la rédaction de ce rapport, le rapport de mission du représentant personnel du Président de la République auprès des acteurs et des réseaux de la gastronomie et de l’alimentation n’est pas encore publié.

([3]) Source : Direction générale des entreprises

([4]) Selon la confédération française des arts de la table

([5]) Source : Institut du goût

([6]) L’investissement réalisé dans les restaurants atteint quasiment 3 milliards d’euros annuels.

([7]) Mainstream : enquête sur cette culture qui plaît à tout le monde, Frédéric Martel, 2010, Champs

([8]) https://agriculture.gouv.fr/taste-france-la-marque-dediee-lagriculture-lagroalimentaire-et-la-gastronomie-francaises

([9]) https://www.insee.fr/fr/statistiques/1281016

([10]) https://www.lepoint.fr/societe/en-france-l-obesite-progresse-30-06-2021-2433590_23.php

([11]) Assemblée nationale, rapport n° 1266 de M. Loïc Prud’homme, président, et Mme Michèle Crouzet, rapporteure, fait au nom de la commission d’enquête sur l’alimentation industrielle : qualité nutritionnelle, rôle dans l’émergence de pathologies chroniques, impact social et environnemental de sa provenance

([12]) Source : Atout France

([13]) Les millennials, aussi appelés génération Y ou « digital natives », sont ces jeunes, âgés entre 25 et 35 ans, dont les caractéristiques semblent déjà entendues : positifs mais individualistes, connectés et toujours en tension, ils plébiscitent l’autonomie et la prise de responsabilité (source : APEC).

([14]) Source : MFPCA

([15]) Voir à ce sujet le rapport d’information sur les propositions du groupe de travail sur le tourisme concernant la reprise et le plan de relance après l’épidémie de la Covid-19 présenté au nom de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale par Frédérique Lardet et Vincent Rolland https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion-eco/l15b3174_rapport-information

([16]) Chiffres obtenus à partir d’un échantillon de restaurants traditionnels et rapides réalisant moins de 50 millions de chiffre d’affaires annuel et rassemblés par le conseil supérieur de l’ordre des experts comptables

([17]) Idem

([18]) France Stratégie, 2019.

([19]) https://umih.fr/fr/Salle-de-presse/press-review/SAISON-ESTIVALE-et-PASS-SANITAIRE-POUR-LES-CAFES-HOTELS-RESTAURANTS-DISCOTHEQUES

([20]) https://www.marianne.net/societe/agriculture-et-ruralite/les-territoires-perdus-de-la-restauration

([21]) https://www.snacking.fr/actualites/tendances/5437-Avec-47-de-croissance-en-2-ans-la-livraison-revolutionne-le-modele-des-restaurateurs/

([22]) https://www.businessinsider.fr/tout-savoir-sur-les-dark-kitchen-ces-restaurants-fantome-qui-font-polemique-187125

([23]) https://www.insee.fr/fr/statistiques/1379769

([24]) Christine et Patrice Van Ackere, Menaces sur la gastronomie : comprendre ce qui va changer, Balland, 2020.

([25]) https://www.insee.fr/fr/statistiques/1281016

([26]) idem

([27]) https://www.courrierinternational.com/article/2014/10/18/france-italie-un-duel-a-couteaux-tires

([28]) https://www.lsa-conso.fr/eataly-un-concept-qui-a-conquis-le-monde,316211

([29]) « Quelqu’un peut-il sauver la gastronomie française ? »https://www.nytimes.com/2014/03/30/magazine/can-anyone-save-french-food.html

([30]) Rebecca Flint Marx, “ Plenty of female chefs run New York City’s kitchens. So why are men getting all the fame? ” (15 January 2009)

([31]) https://madame.lefigaro.fr/cuisine/egalite-des-sexes-190716-115443

([32]) https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2020/11/13/sexisme-harcelement-agressions-sexuelles-en-cuisine-les-cheffes-brisent-l-omerta_6059538_4500055.html

([33]) https://www.marianne.net/societe/agriculture-et-ruralite/les-territoires-perdus-de-la-restauration

([34]) idem

([35]) https://www.lechotouristique.com/article/hotellerie-restauration-pour-elisabeth-borne-les-remunerations-ne-sont-pas-a-la-hauteur

([36]) https://www.santepubliquefrance.fr/presse/2020/confinement-quelles-consequences-sur-les-habitudes-alimentaires

([37]) https://www.agencebio.org/wp-content/uploads/2021/03/AgenceBio-DossierdePresse-Barometre2021_def-1.pdf

([38]) https://www.nestle.fr/fondation-nestle-le-modele-alimentaire-francais-se-reinvente

([39]) https://m.hachette-pratique.com/collections/simplissime

([40]) https://fr.wikipedia.org/wiki/Top_Chef#Audiences

([41]) La blogosphère culinaire, cartographie d’un espace d’évaluation amateur, Sidonie Naulin, Réseaux 2014/1 N° 183

([42]) https://citegastronomie-parisrungis.com/la-cite/le-projet

([43]) https://nz.ambafrance.org/Gout-de-France-Good-France-2019-Inscrivez-vous

([44]) https://www.legrandrepas.fr/un-concept-innovant/

([45]) https://be.france.fr/fr/operation/ce-qui-compte-vraiment

([46]) Au moment de la publication de ce rapport, le rapport de la mission présidée par Guillaume Gomez n’est pas encore paru.

([47]) https://www.leparisien.fr/economie/les-remunerations-ne-sont-pas-a-la-hauteur-dans-lhotellerie-restauration-estime-elisabeth-borne-04-09-2021-SPOZSNNF2RFPJLDWJAE2MNFKMI.php

([48]) https://www.lebonbon.fr/marseille/lifestyle/foodcub-incubateur-gastronomique-marseille/

([49]) Source : IRI – Gira

([50]) Source : Agence Bio

([51]) https://guide.michelin.com/be/fr/article/features/qu-est-ce-que-l-etoile-verte-michelin-et-comment-l-obtenir

([52]) Source : AFMR

([53]) https://www.economie.gouv.fr/files/files/PDF/20140715_Fait_Maison_guide_utilisation_pro.pdf

([54]) Certains produits sont acceptés pour l’élaboration de plats permettant d’être siglés « faits maison », notamment en ce qui concerne les produits dont le consommateur ne s’attend pas à ce que le restaurateur les réalise lui-même et certains produits pour des raisons de sécurité sanitaire et de lutte contre le gaspillage alimentaire.

([55]) (https://www.entreprises.gouv.fr/files/files/secteurs-d-activite/commerce-et-artisanat/dispositifs-et-labels/guide_du_fait_maison.pdf)

([56]) https://www.economie.gouv.fr/entreprises/fait-maison

([57]) https://www.lesechos.fr/industrie-services/conso-distribution/litalie-lance-un-label-d-italianite-des-restaurants-italiens-a-letranger-1138447

([58]) Source : SIRHA

([59]) L’exposition internationale d’art culinaire, appelée Jeux Olympiques culinaires, est un concours quadriennal de chefs et la plus grande exposition culinaire au monde.

([60]) https://www.glenat.com/auteurs/evelyne-debourg

([61]) https://www.telerama.fr/monde/evelyne-debourg,-letoilee-de-la-cantine,n6559363.php