N° 4498

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 29 septembre 2021.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES FINANCES, dE L’Économie gÉnÉrale
et du contrÔLE BUDGÉTAIRE

en conclusion des travaux d’une mission d’information ([1])

 

relative à l’évolution de la consommation de tabac et du rendement de la fiscalité applicable aux produits du tabac pendant le confinement
et aux enseignements pouvant en être tirés

 

M. Éric WOERTH
et
Mme Zivka PARK 
co-rapporteurs

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La mission d’information est composée de : M. Eric WOERTH, co-rapporteur; Mme Zivka PARK, co-rapporteure ; Mmes Emilie CARIOU, Lise MAGNIER, M. Jean-Paul MATTEI, Mme Sabine RUBIN et M. Hubert WULFRANC.

 

SOMMAIRE

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Synthèse

Recommandations DES RAPPORTEURS

introduction

I. Une consommation supposÉe de tabac en dÉcalage avec la rÉalitÉ

A. Une rÉsorption progressive du marchÉ du tabac sous l’effet de politiques publiques volontaristes de lutte contre le tabagisme

1. Un monopole détenu par l’État, exercé par le biais du réseau des buralistes

2. Des politiques volontaristes de réduction de la prévalence tabagique

a. La fiscalité du tabac, l’outil le plus efficace pour réduire la prévalence tabagique

b. Une chute des ventes de produits de tabac de 30 % depuis 2010

B. Un marché parallÈle dont la mesure ne fait pas consensus

1. Un faisceau d’indices permettant d’appréhender l’existence du marché parallèle

a. Le paradoxe français : une prévalence tabagique élevée, un niveau de ventes de produits du tabac faible par rapport à celui observé dans les autres pays européens

b. Un niveau de prévalence tabagique plus fort dans les territoires frontaliers

2. Un marché dont le volume a ponctuellement fait l’objet d’évaluations menées par des administrations et organismes publics

a. Les multiples formes du marché parallèle du tabac

b. Des évaluations d’origine privée, dont la fiabilité a pu être remise en cause

c. Les évaluations menées par l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies et Santé publique France

3. Des causes connues, sur lesquelles l’État dispose de leviers d’action limités

a. Une faible harmonisation des droits d’accise sur les produits du tabac au sein de l’Union européenne, alimentant le marché transfrontalier et la contrebande

b. Les outils de contrôle visant à lutter contre la contrebande et la contrefaçon

C. Les consÉquences multiples et prÉjudiciables du dÉveloppement du marchÉ parallÈle du tabac

1. Un frein aux politiques de santé publique

2. Des pertes de recettes fiscales

3. Un préjudice important pour le réseau des buralistes

II. Le confinement : un laboratoire grandeur nature permettant d’affiner l’Évaluation du marchÉ parallÈle du tabac

A. un report des ventes initialement rÉalisÉes sur le marchÉ parallÈle vers le rÉseau des buralistes

1. Une hausse des ventes de tabac de 5 % au niveau national et de 22 % dans les territoires frontaliers au deuxième trimestre 2020 en raison du premier confinement et de la fermeture des frontières

2. Sur l’année 2020, une baisse des ventes moins importante qu’attendue, et une forte hausse des recettes fiscales issues des droits d’accise sur le tabac

B. Une observation mettant en lumiÈre une perte de recettes fiscales comprise entre 2,5 et 3 milliards d’euros par an

1. L’identification d’éventuels biais méthodologiques

2. Un sixième des ventes de tabac réalisées en dehors du réseau de buralistes au niveau national, contre 27 % dans les territoires frontaliers

a. Un marché parallèle compris entre 14 et 17 % de la consommation totale de produits du tabac et entre 16 et 20 % des ventes réalisées dans le réseau des buralistes

b. Environ 27 % du tabac consommé dans les départements frontaliers provenant du marché parallèle

c. Une perte de recettes fiscales comprise entre 2,5 et 3 milliards d’euros par an pour les administrations publiques

III. Une rÉalitÉ du marché du tabac devant davantage Être intÉgrÉe dans les dispositifs de lutte contre le tabagisme

A. Tenir compte de l’effet des hausses de prix sur l’Évolution du marchÉ parallÈle

B. affirmer la position française dans le cadre de la rÉvision des directives relatives aux droits d’accise sur le tabac

1. Favoriser une harmonisation vers le haut des droits d’accise sur le tabac

2. Lutter contre les pratiques de dumping sanitaire en limitant la circulation intracommunautaire des produits du tabac

3. Limiter les volumes de tabac importés en provenance de la Principauté d’Andorre

C. Faciliter et renforcer les contrÔles

1. Renforcer les moyens de contrôles de manière proportionnelle à la hausse des recettes de la fiscalité du tabac

2. Renforcer la coordination des services de l’État en matière de lutte contre la contrebande de tabac

D. RÉduire la profitabilitÉ de la contrebande de tabac

E. Renforcer les outils d’accompagnement du rÉseau des buralistes

travaux de la commission

Liste des personnes auditionnées par la mission d’information

COntributions Écrites

DÉplacement des rapporteurs


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   Synthèse

Monopole détenu par l’administration et confié au réseau des buralistes, la vente de tabac au détail est l’objet de politiques de santé publique visant à réduire la consommation de cigarettes. À cette fin, les droits d’accise perçus sur la vente d’un paquet ont à plusieurs reprises été rehaussés et répercutés sur les prix du tabac.

La conséquence directe de l’alourdissement de la fiscalité du tabac est une diminution progressive des volumes vendus au sein du réseau des buralistes. Les ventes, tous produits confondus, ont ainsi baissé de près de 30 % entre 2010 et 2020. Ces chiffres ne reflètent néanmoins pas la consommation réelle des produits du tabac, ceux-ci étant en partie achetés en dehors de ce même réseau.

Le marché parallèle du tabac recouvre ainsi des comportements légaux, comme le fait d’acheter des cigarettes dans un pays frontalier de la France en respectant les seuils autorisés, ou illicites, telles la contrebande ou la contrefaçon. Alimenté par les écarts croissants de prix du tabac entre la France et ses voisins, ce commerce parallèle est préjudiciable pour la conduite des politiques de santé publique, pour le réseau des buralistes et pour les comptes des administrations publiques.

Durant le premier confinement de l’année 2020, les buralistes ont pu poursuivre leur activité. D’autre part, la fermeture des frontières et les restrictions de circulation ont fortement limité le marché parallèle, permettant aux buralistes de capter l’intégralité de la demande de tabac. Au cours du deuxième trimestre 2020, les ventes, tous produits confondus, ont ainsi progressé de 5,5 % au niveau national et de 22 % dans les départements frontaliers par rapport au deuxième trimestre 2019.

Cette expérience inédite favorise une observation en situation réelle du marché parallèle. Le résultat de l’étude menée par les rapporteurs conduit à estimer que celui-ci est compris entre 14 et 17 % de la consommation totale de tabac en France. Plus spécifiquement, entre 9 et 12 % des cigarettes manufacturées consommées sur le territoire ne proviennent pas du réseau des buralistes, alors que ce chiffre atteint 29 à 32 % pour le tabac fine coupe à rouler. Le marché parallèle est par ailleurs bien plus important dans les départements frontaliers, où il représente près de 30 % des volumes de tabac consommés.

En conséquence, les pertes de recettes fiscales générées par le marché parallèle du tabac sont comprises entre 2,5 et 3 milliards d’euros par an.

Les rapporteurs estiment que la politique de lutte contre le tabagisme doit gagner en cohérence, notamment en tenant compte des effets réels de la hausse des prix du tabac sur le marché parallèle. La politique de hausse du prix du tabac doit également être davantage liée aux moyens déployés pour lutter contre la contrebande et la contrefaçon, ainsi qu’aux dispositifs d’aide bénéficiant aux buralistes engagés dans une démarche de diversification de leurs activités.

Enfin, la Commission européenne a proposé à la fin de l’année 2020 la révision des deux directives européennes encadrant le régime d’accise des produits du tabac. Les négociations à venir en 2022 représentent une occasion de réduire les écarts de prix pratiqués au sein de l’Union européenne et de limiter la circulation intracommunautaire des produits du tabac. Si des progrès peuvent être réalisés à cet égard, il ne faut pas négliger les fortes divergences d’intérêt entre les États membres qui pourraient se manifester au cours de ces négociations.

 

   Recommandations DES RAPPORTEURS

AXE 1 : TENIR COMPTE DES EFFETS DES HAUSSES DE PRIX DU TABAC SUR L’ÉVOLUTION DU MARCHÉ PARALLÈLE

Proposition n° 1 : Construire la trajectoire fiscale des produits du tabac en anticipant les effets réels de cette trajectoire sur l’évolution de la consommation de tabac :

– développer au sein des administrations des outils de suivi annuel de l’évolution du marché parallèle ;

– corriger les indicateurs présentés dans les évaluations préalables des projets de loi de financement de la sécurité sociale en indiquant l’évolution réelle anticipée de la consommation de tabac, en différenciant les diminutions d’assiette résultant de l’arrêt du tabagisme et d’éventuels reports de consommation vers le marché parallèle.

AXE 2 : FAVORISER UNE HARMONISATION VERS LE HAUT DES DROITS D’ACCISE SUR LE TABAC ET LIMITER LA CIRCULATION INTRACOMMUNAUTAIRE DE TABAC

Proposition n° 2 : Négocier une plus forte harmonisation des droits d’accise sur le tabac dans le cadre de la révision de la directive 2011/64/UE :

– proposer un rehaussement de l’ensemble des paramètres fiscaux composant l’accise sur le tabac ;

– défendre l’introduction d’un nouveau critère d’accise minimale corrélée au niveau de vie par habitant dans chaque État membre.

Proposition n° 3 : Dans le cadre de la révision de la directive 2008/118/CE, négocier l’introduction de dispositions prévoyant :

– la substitution de seuils d’importation impératifs aux seuils indicatifs actuellement prévus par le droit de l’Union européenne, alignés sur ceux applicables en droit français (soit 200 cigarettes, 100 cigarillos, 50 cigares ou 250 grammes de tabac à fumer) ;

– le renversement de la charge de la preuve dans l’appréciation de la détention de produits du tabac à des fins commerciales ;

– une appréciation de la quantité de tabac détenue au regard de la consommation individuelle des personnes contrôlées et non de leurs besoins propres.

Proposition n° 4 : Proposer de créer, dans le cadre de la révision de la directive 2008/118/CE, une plateforme communautaire de notification des achats réalisés par des ressortissants d’un autre pays de l’Union européenne dépassant les seuils d’importation autorisés, renseignée par les débitants et pouvant être consultée par les autorités douanières du pays de résidence du consommateur de tabac.

Proposition n° 5 : Dans l’hypothèse d’une harmonisation des droits d’accise ne permettant pas de réduire significativement l’écart des prix du tabac entre la France et ses voisins, modifier l’article 575 I du code général des impôts afin de prohiber l’importation de produits du tabac en provenance d’autres États membres de l’Union européenne, même si une telle mesure pourrait soulever des difficultés au regard des exigences communautaires.

Proposition n° 6 : Proposer, dans le cadre de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, de réviser l’accord entre la Communauté Économique Européenne et la Principauté d’Andorre du 28 juin 1990 afin d’aligner les quantités de produits pouvant être importées en franchise de droit en provenance d’Andorre à celles prévues pour les autres États tiers à l’Union européenne et définir des seuils spécifiques applicables aux résidents frontaliers.

AXE 3 : FACILITER, RENFORCER ET COORDONNER LES CONTRÔLES

Proposition n° 7 : Renforcer annuellement les moyens de contrôle de l’administration des douanes de manière proportionnelle à la hausse des recettes fiscales perçues sur la vente de produits de tabac.

Proposition n° 8 : Créer des comités départementaux de lutte contre le trafic de tabac, placés sous l’autorité du préfet, afin d’organiser la coordination des services de l’État en matière de lutte contre la contrebande de tabac.

AXE 4 : RÉDUIRE LA PROFITABILITÉ DU TRAFIC DE TABAC

Proposition n° 9 : Renforcer la communication sur les sanctions pouvant être prononcées à l’encontre des personnes transportant des quantités de produits du tabac supérieures aux seuils autorisés.

Proposition n° 10 : Assurer un régime de sanctions aussi dissuasif pour les faits de contrebande de tabac que pour le trafic de stupéfiants, en alourdissant l’amende fiscale prévue par l’article 1791 ter du CGI.

AXE 5 : RENFORCER LES OUTILS D’ACCOMPAGNEMENT DES BURALISTES

Proposition n° 11 : Renforcer les moyens et le ciblage du fonds de transformation :

– prolonger le fonds au-delà de 2022 ;

– augmenter les moyens du fonds à due proportion des conséquences des hausses futures du prix du tabac en termes de diminution de la consommation;

– majorer le montant des aides versées pour les débits situés dans des départements frontaliers et subissant de façon prononcée l’existence d’un marché parallèle.

 


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   introduction

Le 16 mars 2020, la France débutait son premier confinement et fermait ses frontières. Effet inattendu et collatéral de cet évènement historique, les achats de tabac réalisés auprès du réseau des buralistes ont très fortement progressé.

La commission des finances de l’Assemblée nationale a dès le mois de juin 2020 pris la décision d’autoriser la constitution d’une mission d’information ayant pour objectif d’analyser ce phénomène et d’en tirer des enseignements utiles. Cette dernière, constituée en janvier 2021, a mené ses travaux jusqu’au mois de juillet 2021.

La France a fait le choix depuis le début des années 2000 de mettre en œuvre des politiques publiques volontaristes de lutte contre le tabagisme. Au cœur de ces dernières, la hausse de la fiscalité du tabac, répercutée sur les prix, a pour objet d’inciter les consommateurs à se détourner de la cigarette.

Ainsi, à la fin de l’année 2017, le Parlement adoptait dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 une nouvelle trajectoire fiscale du tabac qui a conduit à un prix du paquet de vingt cigarettes de plus de 10 euros au cours de l’année 2020.

Les mesures de hausse répétée ont notamment eu pour effet de réduire sensiblement les volumes de tabac vendus au sein du réseau des buralistes, laissant penser que le nombre de cigarettes fumées par les Français diminuait dans les mêmes proportions. Toutefois le renchérissement du coût des cigarettes a alimenté des comportements de contournement, prenant la forme d’achats effectués à l’étranger ou auprès de réseaux de contrebande. Plusieurs études ont eu pour objet de quantifier ce phénomène, sans pour autant parvenir à produire un chiffre irréfutable.

Par voie de conséquence les pouvoirs publics, et a fortiori les citoyens, surestiment les effets réels produits par les mesures fiscales mises en œuvre depuis plusieurs années.

Le 16 mars 2020, l’ensemble des sources parallèles d’approvisionnement de tabac se sont taries. Les buralistes, pouvant poursuivre leurs activités, ont donc capté l’intégralité de la demande de tabac. Le confinement et la fermeture des frontières ont constitué un laboratoire grandeur nature qui, sous réserve de quelques réserves méthodologiques, permet d’observer en situation réelle le marché parallèle.

Les rapporteurs ont donc saisi cette occasion pour mesurer la quantité de produits du tabac achetés en dehors du réseau des buralistes, estimer les pertes de recettes fiscales en découlant et formuler une série de préconisations pouvant être tirées de ces constats.


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I.   Une consommation supposÉe de tabac en dÉcalage avec la rÉalitÉ

Les volumes de ventes de tabac dans le réseau des buralistes se résorbent progressivement à la faveur de politiques volontaristes de lutte contre le tabagisme. Néanmoins, cette diminution rend imparfaitement compte de la consommation réelle de tabac en France, alimentée par un marché parallèle dont la connaissance demeure partielle.

A.   Une rÉsorption progressive du marchÉ du tabac sous l’effet de politiques publiques volontaristes de lutte contre le tabagisme

Depuis le XVIIème siècle, et sous réserve d’une brève interruption à l’époque de la Révolution française, la vente au détail des produits du tabac fait l’objet d’un monopole détenu par l’État. Ce monopole est confié au réseau des buralistes. Devenue depuis le début des années 2000 une priorité de santé publique, la politique de lutte contre le tabagisme s’est traduite par un alourdissement continu de la fiscalité du tabac.

1.   Un monopole détenu par l’État, exercé par le biais du réseau des buralistes

Dès le XVIIème siècle, à peine plus d’un siècle après l’introduction du tabac en France, un monopole royal sur la fabrication et la vente des produits du tabac fut institué par Colbert. Par la suite, le maintien du monopole d’État sur la vente des produits du tabac trouva des justifications qui évoluèrent avec la perception des conséquences de cette consommation. Le chimiste Jean-Augustin Barral justifiait ainsi au XIXème siècle la détention d’un monopole de fabrication des tabacs par l’État : « L’usage du tabac est un vice contre lequel devait s’élever la loi, afin d’en empêcher la contagion » ([2]).

Si la fabrication de produits de tabac manufacturés est désormais ouverte à la concurrence, l’État détient toujours le monopole de leur vente au détail, confié au réseau des buralistes ([3]).

Cette organisation peut être qualifiée de singulière, dans la mesure où dans l’Union européenne, seuls trois autres pays ont adopté un modèle similaire ([4]).

Les débitants de tabac sont ainsi des préposés de l’administration des douanes et droits indirects pour la vente de tabac, et liés à cette dernière par un contrat de gérance. Ce contrat, conclu pour une durée de trois ans renouvelable, fixe les obligations du débitant et les éventuelles missions de service public qui peuvent lui être confiées par l’administration ([5]). Les débitants sont de surcroît soumis à une obligation de formation professionnelle initiale et continue.

Deux types de débits peuvent être distingués :

– les débits ordinaires, dont l’implantation est réalisée par transfert ou appel à candidature, sur décision du directeur interrégional des douanes, après avis des organisations représentatives de la profession dans le département ;

– les débits spéciaux, implantés sur le domaine public concédé du secteur des transports (par exemple dans l’enceinte d’une gare ou d’un aéroport) ou sur le domaine public autre que celui du secteur des transports, concédé ou géré en régie.

Les débitants sont par ailleurs tenus de s’acquitter chaque mois d’un droit de licence, exigible lors de la mise à la consommation des tabacs ([6]).

La livraison de produits de tabac aux débitants n’est de surcroît pas moins encadrée. L’importation et la commercialisation en gros de tabac sont réservées aux personnes physiques et morales ayant la qualité de fournisseur agréé. Différentes obligations incombent à ces fournisseurs, parmi lesquelles la fourniture exclusive de tabac aux débitants ([7]), ou la déclaration de l’ensemble de leurs établissements à l’administration des douanes ([8]).

Le corollaire direct de ces différentes règles est une prohibition stricte de la vente et de l’achat à distance des produits du tabac ([9]).

2.   Des politiques volontaristes de réduction de la prévalence tabagique

Ayant connu une accélération à l’occasion de l’adoption du premier plan cancer en 2003, la politique de lutte contre le tabagisme se compose de multiples outils visant à encadrer la consommation, la vente ou encore le conditionnement des produits du tabac. Parmi ceux-ci, la hausse du prix des paquets s’est révélée être l’instrument le plus efficace. Néanmoins, les ventes ont régressé plus rapidement que le taux réel de consommation de tabac.

a.   La fiscalité du tabac, l’outil le plus efficace pour réduire la prévalence tabagique

Le nombre de décès imputables à la consommation de tabac s’élevait encore à 75 000 en France en 2015, soit 13 % des décès survenus en France métropolitaine ([10]) . Pour y faire face, une politique publique ambitieuse de lutte contre le tabagisme a depuis de nombreuses années été mise en place. La loi dite Veil, adoptée en 1976 ([11]), et la loi dite Évin, adoptée en 1991 ([12]), en constituent les premiers dispositifs.

La première prévoyait notamment l’interdiction de propagande ou de publicité en faveur des produits du tabac, et instaura l’obligation d’apposer une mention « abus dangereux » sur les paquets de cigarettes. La seconde renforce ces mesures en prohibant la distribution gratuite de produits du tabac et en prévoyant une première interdiction de fumer dans les lieux collectifs (sauf dans les lieux expressément réservés aux fumeurs).

Ces mesures se sont enrichies à la faveur des plans cancer, dont le premier a été lancé en 2003, du programme national de réduction du tabagisme (PNRT) 2014-2019 et du programme national de lutte contre le tabac (PNLT) 2018-2022. Les principales mesures d’encadrement portant sur la vente et la consommation de produits de tabac sont les suivantes :

– l’interdiction de vente de tabac aux personnes âgées de moins de 16 ans ([13]) dans un premier temps, puis aux personnes âgées de moins de 18 ans ([14]) ;

– l’interdiction de fumer dans tous les lieux fermés et couverts recevant du public ([15]) depuis le 1er janvier 2007 ;

– le renforcement progressif des avertissements sanitaires apposés sur les paquets, devant depuis 2016 être composés d’une photographie ([16]) ;

– l’obligation de vendre les produits du tabac dans un paquet neutre à compter du 1er janvier 2017 ([17]).

S’ajoutent à ces mesures des dispositifs favorisant le sevrage tabagique :

– la mise en place de services d’accompagnement, notamment Tabac info service ;

– la prise en charge par l’assurance maladie des traitements nicotiniques de substitution (à hauteur de 65 % depuis 2019) ([18]) ;

– la mise en place d’un fonds de lutte contre le tabac en 2016 ([19]), devenu en 2018 le fonds de lutte contre les addictions ([20]). Ce dernier finance des actions locales, nationales ou internationales de lutte contre le tabagisme (campagnes de sensibilisation, programmes d’accompagnement des jeunes fumeurs, soutien des initiatives des acteurs de la société civile). Le montant des aides allouées par le fonds s’est élevé à 100 millions d’euros en 2018.

Il est néanmoins admis que ces instruments, tout en étant indispensables pour faire baisser la consommation de tabac, doivent être déployés en complément de hausses importantes et répétées des prix du tabac.

Ce constat, résultant en premier lieu d’études scientifiques menées sur le sujet ([21]), constitue également un élément primordial du dispositif intergouvernemental de lutte contre le tabagisme. L’article 6 de la convention cadre de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour la lutte anti-tabac affirme ainsi que les 181 États parties au traité reconnaissent « que les mesures financières et fiscales sont un moyen efficace et important de réduire la consommation de tabac pour diverses catégories de population, en particulier les jeunes ».

En France le prix du tabac est librement fixé par les fabricants, et fait l’objet d’une homologation par l’administration des douanes et droits indirects. Le levier à disposition des pouvoirs publics pour faire évoluer les tarifs de vente réside donc dans la hausse de la fiscalité du tabac, répercutée sur les prix par les fabricants.

Dans ce cadre, la mobilisation de l’outil fiscal résulte davantage d’une volonté d’orienter les choix des consommateurs – relevant ainsi de ce que les économistes nomment la fiscalité comportementale –  que de la poursuite d’un objectif de rendement.

L’élasticité prix des produits du tabac

L’élasticité-prix est une notion permettant de calculer l’effet produit par une variation du prix sur la quantité demandée d’un bien ou d’un service. Le coefficient d’élasticité résulte de l’application de la formule suivante :

Elasticité-prix = (prix Y – prix X) / (demande du bien au prix Y – demande du bien au prix X)

Lors de son audition par les rapporteurs, le directeur de la sécurité sociale a affirmé que l’élasticité-prix des produits du tabac est généralement comprise entre 0,6 et 0,8. Cela signifie qu’une hausse du prix de 10 % entraîne une baisse des ventes comprise entre 6 % et 8 %.

Les produits de tabac sont soumis à un droit de consommation, correspondant à une accise due mensuellement par les fournisseurs et recouvrée par la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI), composé de deux éléments :

– un droit spécifique, exprimé en valeur absolue en euros par millier d’unités (cigarettes, cigares et cigarillos) ou millier de grammes (tabac à rouler et autres tabacs à fumer) ;

– un droit proportionnel, exprimé en fonction du prix de vente.

De plus, le montant cumulé du droit de consommation ne peut être inférieur à un montant plancher, nommé minimum de perception. Ce dernier est exprimé par mille unités ou par mille grammes.

Les produits du tabac sont par ailleurs soumis à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) au taux de 20 %, appliqué au prix de vente au détail hors TVA ([22]).

Le taux et le montant des droits de consommation sont fixés par catégorie de produits par le code général des impôts ([23]).

 

 

 

 

Droit de consommation des produits de tabac EN France MÉTROPOLITAINE CONTINENTALE au 1er novembre 2020

Catégorie de produit

Composantes du droit de consommation

Taux et montant

Cigarettes

Taux proportionnel

55 %

Part spécifique pour mille unités (en euros)

62,9

Minimum de perception pour mille unités (en euros)

333

Cigares et cigarillos

Taux proportionnel

36,3 %

Part spécifique pour mille unités (en euros)

48,2

Minimum de perception pour mille unités

266

Tabacs fine coupe destinés à rouler les cigarettes

Taux proportionnel

49,1 % 

Part spécifique pour mille unités (en euros)

82,6

Minimum de perception pour mille unités (en euros)

302

Autres tabacs à fumer

Taux proportionnel

51,4 %

Part spécifique pour mille unités (en euros)

31

Minimum de perception pour mille unités (en euros)

134

Tabac à priser

Taux proportionnel

58,1 %

Tabacs à mâcher

Taux proportionnel

40,7 %

Source : Article 575 A du code général des impôts.

Ainsi, pour un paquet de cigarettes de 10 euros, le montant du droit de consommation s’élève à 6,76 euros, pour un minimum de perception s’établissant à 6,66 euros. En ajoutant la TVA, le montant total des prélèvements fiscaux appliqués à la vente d’un paquet s’élève à 8,43 euros.

À la faveur de la hausse progressive des droits d’accise sur le tabac, le prix du paquet de vingt cigarettes de la marque la plus vendue, s’élevant à 3,20 euros en 2000, a ainsi été porté à 7 euros en 2014. En vertu d’une nouvelle trajectoire fiscale adoptée dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018, le prix du paquet de cigarettes de la marque la plus vendue a été porté à 10,50 euros à la fin de l’année 2020, ce qui correspond au total à une hausse de 230 % en 20 ans.

b.   Une chute des ventes de produits de tabac de 30 % depuis 2010

De manière générale, les hausses de prix des produits du tabac ont été corrélées avec une baisse importante des volumes des ventes réalisées dans le réseau des buralistes.

Concernant les cigarettes manufacturées, consommées par 74 % des fumeurs, les volumes de ventes ont diminué de près de 57 % entre 2000 et 2020 ([24]).

Ventes de cigarettes et prix annuel moyen du paquet de cigarettes de la marque la plus vendue*

(en millions d’unités et en euros)

* Deux rehaussements du droit de consommation sur les tabacs manufacturés ont été opérés en mars 2020 et novembre 2020. Le prix du paquet de la marque la plus vendue a donc atteint 10,50 euros en fin d’année, ce qui explique un prix annuel moyen s’établissant à 9,95 euros en 2020.

Source : Observatoire français des drogues et des toxicomanies, Tabagisme et arrêt du tabac en 2020, mars 2021.

Il est possible de constater empiriquement l’élasticité moyenne de la demande de cigarettes par rapport au prix. Entre 2000 et 2004, celle-ci s’établissait sur l’ensemble de la période à 0,6. Entre 2010 et 2014, l’élasticité-prix s’élevait à 0,7.

Enfin sur la période 2017-2019 (l’année 2020 devant être neutralisée en raison des effets induits par le confinement, qui feront l’objet de développements ultérieurs), l’élasticité-prix moyenne s’élevait à 0,65. Ces chiffres coïncident donc avec les hypothèses généralement admises sur l’évolution des comportements de consommation en fonction de la hausse du prix du paquet.

Néanmoins, la hausse du prix des cigarettes manufacturées produit également un effet de substitution en faveur du tabac à rouler ([25]). Les ventes de ce produit ont ainsi progressé jusqu’en 2016, malgré les hausses de prix.

Ventes de tabac À rouler et prix annuel moyen du paquet de tabac À rouler  de 40 grammes

(en tonnes et en euros)

Source : Observatoire français des drogues et des toxicomanies, Tabagisme et arrêt du tabac en 2020, mars 2021.

 

En dépit d’une progression proportionnellement plus importante des prix entre 2004 et 2017, le prix du paquet de tabac à rouler est resté plus attractif que le prix des cigarettes manufacturées. Une partie des consommateurs s’est donc reportée vers ce produit.

La loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 a instauré une nouvelle trajectoire de convergence du prix du tabac à rouler et du prix des cigarettes manufacturées générant la baisse des ventes observée en 2018 et 2019.

Au total, les ventes de tabac, tous types de produits confondus, ont diminué de 29 % entre 2010 et 2020, alors que dans le même temps leur prix a augmenté de 80 %.

Évolution des ventes et du prix moyen pondÉrÉ du tabac (tous produits confondus) EN France MÉTROPOLITAINE CONTINENTALE entre 2010 et 2019

 

Ventes en volume (en millions d’unités / grammes)

Évolution des ventes

Prix moyen pondéré des cigarettes aux 20 unités (en euros)

Évolution du prix moyen pondéré

2010

64 759

/

5,38

/

2011

64 317

-0,68%

5,70

5,93 %

2012

62 133

-3,40%

6,03

5,83 %

2013

58 307

-6,16%

6,43

6,69 %

2014

55 415

-4,96%

6,74

4,72 %

2015

56 323

1,64%

6,75

0,21 %

2016

55 728

-1,06%

6,76

0,08 %

2017

54 756

-1,74%

6,81

0,76 %

2018

49 740

-9,16%

7,78

14,29 %

2019

46 273

-6,97%

8,57

10,12 %

 Source : Direction générale des douanes et droits indirects.

Néanmoins, les ventes de produits de tabac rendent imparfaitement compte de la consommation réelle de tabac en France, alimentée par un marché parallèle dont la mesure reste délicate.

B.   Un marché parallÈle dont la mesure ne fait pas consensus

L’analyse de l’évolution des ventes de tabac ne montre que partiellement les effets produits par les politiques fiscales, en raison de l’existence d’un marché parallèle du tabac. La connaissance de celui-ci, composé à la fois d’achats transfrontaliers légaux, de la contrebande et de la contrefaçon, reste encore largement perfectible.

1.   Un faisceau d’indices permettant d’appréhender l’existence du marché parallèle

Avant même d’entrer dans le détail des instruments mobilisés pour mesurer le marché parallèle, plusieurs éléments, tels que le taux de prévalence tabagique élevé en France par rapport aux autres pays de l’Union européenne, et la plus forte consommation de cigarettes dans les territoires frontaliers, laissent deviner son existence.

a.   Le paradoxe français : une prévalence tabagique élevée, un niveau de ventes de produits du tabac faible par rapport à celui observé dans les autres pays européens

En premier lieu, il peut être noté que les baisses importantes des volumes de ventes de tabac en France ne se sont pas accompagnées d’une baisse de la prévalence tabagique ([26]) de même proportion.

En dépit des fortes hausses de fiscalité intervenues entre 2003 et 2016, la proportion de fumeurs quotidiens parmi les personnes âgées de 18 à 75 ans est demeurée relativement stable selon Santé publique France, en passant de 30 % et 29,4 % sur la même période ([27]).

Ce n’est qu’à la faveur des dernières hausses de fiscalité intervenues entre 2017 et 2019 que la prévalence tabagique s’est infléchie, pour atteindre 24 % en 2019.

PrÉvalence du tabagisme quotidien parmi les 18-75 ans en France entre 2000 et 2020

(en pourcentage)

Source : Baromètres de Santé publique France.

De surcroît, la France est marquée par un taux de prévalence tabagique élevé par rapport aux autres pays de l’Union européenne, pour un niveau de ventes relativement faible.

En 2016, les ventes de cigarettes et de tabac à rouler s’élevaient à 811 grammes par habitant – soit moitié moins que la moyenne européenne hors Luxembourg – pour un taux de tabagisme quotidien parmi les plus élevés des pays de l’Union. Considérant ces éléments, il est raisonnable de faire l’hypothèse que les sources d’approvisionnement des Français dépassent le réseau des buralistes.

Mise en perspective de la prÉvalence du tabagisme quotidien et des ventes de tabac (cigarettes et tabac À rouler) dans les pays de l’union europÉenne en 2016*

* La prévalence du tabagisme quotidien est ici calculée pour la population des personnes âgées de plus de 15 ans.

Source : OFDT, d’après les données de la Commission européenne.

b.   Un niveau de prévalence tabagique plus fort dans les territoires frontaliers

Selon les dernières données disponibles, quatre régions de France métropolitaine sur les six composées de départements frontaliers avaient en 2017 un taux de prévalence du tabagisme quotidien plus élevé que la moyenne (26,9 %) : le Grand Est (30,1 %), l’Occitanie (30,3 %), les Hauts-de-France (30,5 %) et la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (32,2 %).

À l’inverse, les régions non frontalières enregistrent toutes un taux de prévalence du tabagisme quotidien inférieur à 30 %, pouvant atteindre jusqu’à 23 % pour la région Pays de la Loire ([28]).

Interrogé par les rapporteurs, Santé publique France indique à cet égard que dans ces régions, les fumeurs peuvent plus facilement s’approvisionner à l’étranger, ce qui limite l’impact des politiques publiques de lutte contre le tabagisme.

Ce facteur doit néanmoins être nuancé par d’autres causes, liées aux structures sociodémographiques des différentes régions. À ce titre, la prévalence tabagique est plus importante chez les populations les moins favorisées et diverge en fonction de l’âge.

2.   Un marché dont le volume a ponctuellement fait l’objet d’évaluations menées par des administrations et organismes publics

Les différentes études disponibles portant sur le commerce parallèle du tabac conduisent à estimer que son ampleur est comprise entre 15 % et 30 % du volume total des ventes de produits du tabac. Les pouvoirs publics ont mené ponctuellement des travaux sur le sujet, au moyen de méthodologies variées. Les fabricants de tabac financent par ailleurs chaque année une étude consacrée au marché parallèle, dont la fiabilité est régulièrement remise en cause.

a.   Les multiples formes du marché parallèle du tabac

Le marché parallèle du tabac recouvre l’ensemble des achats effectués hors du réseau des buralistes. Il se compose de différents comportements de contournement de la fiscalité du tabac qu’il convient de différencier.

En premier lieu, le marché parallèle recouvre les achats effectués à l’étranger :

– les achats transfrontaliers, soit le fait d’acheter des cigarettes dans un pays voisin de la France et d’acquitter les taxes exigibles dans ce même pays voisin ;

– les achats touristiques : soit le fait d’acheter un produit dans un pays non voisin et de payer les taxes dans ce pays ;

– les achats en duty free, dans un État tiers.

Ces trois comportements sont légaux dès lors qu’ils respectent les volumes d’importation autorisés.

Le marché parallèle recouvre en second lieu différents comportements illégaux :

– la « contrebande de fourmi », ou la « petite contrebande », désignant les achats réalisés par des particuliers dans des pays où la fiscalité et les prix du tabac sont moins élevés, pour importer ainsi des quantités de tabac dépassant les seuils autorisés ;

– la contrebande à grande échelle, soit le fait d’acheter des grandes quantités de tabac au sein de circuits commerciaux illicites, sans s’acquitter des taxes ;

– la contrefaçon, qui désigne la production illégale de cigarettes en copiant les marques légales ou en créant des marques de toutes pièces (nommées « illicit whites ») en vue d’alimenter des réseaux de distribution illégaux.

Par définition ces achats, qu’ils soient légaux ou illégaux, ne peuvent pas être retracés avec précision, ce qui génère, outre une difficulté pour mesurer l’ampleur du marché parallèle, un obstacle pour estimer la part prise par chacun des comportements de contournement en son sein.

b.   Des évaluations d’origine privée, dont la fiabilité a pu être remise en cause

Les chiffres principalement avancés dans la presse concernant le marché parallèle du tabac sont issus d’études menées depuis 10 ans par le cabinet KPMG et financées par les fabricants de tabac ([29]). Ces dernières portent uniquement sur le marché parallèle de cigarettes manufacturées, et non sur les autres produits du tabac.

L’édition 2020 de l’étude de KPMG indique que sur les 37,2 milliards de cigarettes manufacturées vendues dans le réseau des buralistes, 36,5 auraient été consommées en France (730 millions ayant été consommées à l’étranger, principalement en Suisse).

Par ailleurs, 15,7 milliards de cigarettes consommées en France seraient issues du marché parallèle. 8,6 milliards de cigarettes seraient issues d’achats transfrontaliers légaux (soit 55 % du marché parallèle) et 7,2 milliards seraient issues de la contrebande et de la contrefaçon (soit 45 % du marché parallèle). Un quart des cigarettes achetées à l’étranger proviendrait par ailleurs d’Espagne.

En conséquence, sur les 52,2 milliards de cigarettes qui seraient selon KPMG réellement consommées en France, toutes sources d’approvisionnement confondues, le marché parallèle en représenterait 30 %.

Le rapport montre également trois grandes tendances :

– depuis 2015, la part du marché parallèle dans le volume total de consommation de cigarettes manufacturées augmenterait (+ 3 points) ;

–  le volume de cigarettes achetées légalement à l’étranger augmenterait en valeur absolue (+ 11,7 %). Sa part serait également en hausse au sein du marché parallèle (+ 10 points) ;

– les contrefaçons et les illicit whites représenteraient 1,8 milliard de cigarettes en 2019. Leur part représenterait 25 % du marché illicite, en hausse de 10 points par rapport à 2015.

L’édition 2021 du rapport montre quant à elle qu’en dépit de la crise sanitaire, sur le nombre total de cigarettes consommées en France (50,8 milliards), l’ampleur du marché parallèle resterait stable à 30 % en 2020. La part de cigarettes achetées légalement à l’étranger diminuerait de 57 % pour s’établir à 3,7 milliards.

 

À l’inverse, le nombre de cigarettes contrefaites consommées s’établirait à 6 milliards et augmenterait de 609 % par rapport à 2019. La contrebande et la contrefaçon représenteraient ainsi en 2020 76 % du marché parallèle.

La méthodologie utilisée par KPMG pour estimer l’ampleur du marché parallèle et ses différentes composantes

KPMG utilise une méthode dite du « ramasse paquet » pour mener ses études quantitatives. Plusieurs entreprises spécialisées dans l’étude de marché ([30]) sont missionnées pour ramasser aléatoirement des paquets vides dans les pays de l’Union européenne ainsi que la Suisse, la Norvège et le Royaume-Uni, dans un échantillon de villes et de quartiers ([31]). La collecte de paquets ne concerne pas les domiciles privés et les lieux de travail, de même que les lieux susceptibles de réunir un nombre important de personnes (centres commerciaux, équipements sportifs, stations de métro, en raison du passage potentiel de ressortissants étrangers, qui pourrait fausser les chiffres de l’étude).

Les paquets sont ensuite traités et triés en fonction de leur marque et de leur origine par les entreprises missionnées par KPMG, ce qui permet d’estimer la proportion de paquets issus d’achats domestiques, et la proportion de paquets acquis hors du réseau des buralistes. Les fabricants de tabac identifient ensuite le nombre de paquets contrefaits.

KPMG s’appuie enfin sur les données portant sur les flux de voyageurs internationaux de l’Organisation mondiale du tourisme et de la Commission européenne afin de distinguer au sein des achats non domestiques la part des achats légaux et la part relevant de la contrebande.

La méthodologie retenue par KPMG fait l’objet de critiques. Les associations de lutte contre le tabagisme, auditionnées par les rapporteurs, ont notamment souligné les biais inhérents à la technique du ramasse paquet et aux défauts de l’échantillonnage réalisé par KPMG. En excluant les paquets jetés dans des poubelles privées, l’échantillon aurait pour effet de surestimer le volume de cigarettes achetées à l’étranger ou issues du commerce illicite.

De la même manière, les associations indiquent que le volume des paquets contrefaits est volontairement surestimé, dès lors que sa mesure est entièrement fondée sur les données transmises par les fabricants de tabac.

Les rapporteurs, tout en soulignant que KPMG est une société d’audit reconnue pour son expertise, soucieuse de la qualité des travaux qu’elle produit, ont tenu compte de ces remarques, et ont souhaité comparer la méthodologie et les résultats exposés précédemment aux études menées par des administrations françaises.

c.   Les évaluations menées par l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies et Santé publique France

Quatre enquêtes ont été menées depuis 2005 par l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) et Santé publique France afin de mesurer le volume des ventes transfrontalières et des achats illégaux de tabac. Ces études ne permettent néanmoins pas de mesurer la part des achats illicites et la part des achats licites au sein du marché parallèle.

Une étude publiée en 2005 par l’OFDT compare entre 1999 et 2004 l’évolution des ventes de tabac dans les départements frontaliers et les départements non frontaliers. En appliquant à l’ensemble du territoire national le taux d’évolution départemental le moins élevé sur la période, l’étude simule la consommation réelle de tabac en France. Le marché parallèle – comprenant les achats légaux et illégaux – était ainsi estimé à un 15,7 % du volume total de cigarettes vendues au sein du réseau des buralistes, et 13,6 % de la consommation totale de tabac ([32]).

Cette évaluation a été prolongée en 2011 au moyen d’un modèle économétrique permettant de mesurer entre 2004 et 2007 l’évasion fiscale imputable aux achats hors des frontières. Cette dernière concluait à un volume d’achats transfrontaliers compris entre 18 et 23 % par rapport aux ventes effectives de tabac ([33]).

En 2017 et 2019, deux études de l’OFDT et Santé publique France ont adopté des méthodes complémentaires, visant à interroger les fumeurs sur leurs comportements d’achat ([34]). Ces études montrent que 66 à 75 % des consommateurs achètent exclusivement leurs cigarettes dans le réseau des buralistes, mais que 20 % des achats sont régulièrement réalisés en dehors de ce dernier.

Considérant ces études, il peut être affirmé que le marché parallèle du tabac semble compris entre 15 et 25 % du volume total de cigarettes consommées en France. L’OFDT, interrogé par les rapporteurs, résume ainsi l’état des connaissances sur le marché parallèle : « environ un achat sur cinq est réalisé de manière régulière en-dehors du réseau des buralistes mais entre les deux-tiers et les trois-quarts sont exclusivement réalisés dans ce réseau ».

3.   Des causes connues, sur lesquelles l’État dispose de leviers d’action limités

Le marché parallèle prend sa source dans les écarts de prix du tabac entre la France et ses voisins, et il est nourri par les activités illégales de contrebande ou de production de contrefaçons. Les marges de manœuvre de l’État pour faire face au marché parallèle, en l’absence d’harmonisation fiscale européenne plus approfondie, sont donc limitées.

a.   Une faible harmonisation des droits d’accise sur les produits du tabac au sein de l’Union européenne, alimentant le marché transfrontalier et la contrebande

L’ampleur du marché parallèle résulte principalement des écarts croissants de prix du tabac entre la France et les autres pays de l’Union européenne.

Le droit de l’Union encadre partiellement la structure et les taux d’accise sur les produits du tabac. La directive 2011/64/UE du Conseil du 21 juin 2011 concernant la structure et les taux des accises applicables aux tabacs manufacturés prévoit, pour chaque catégorie de produit du tabac, l’obligation pour les États membres de mettre en place des droits d’accise composés de deux éléments :

– une accise ad valorem calculée sur le prix maximal de vente au détail ;

– une accise spécifique calculée par unité de produit ;

Les États membres ont également l’obligation de mettre en place un minimum de perception, qui correspond à un seuil minimal de droit d’accise.

Encadrement europÉen des droits d’accise sur les produits du tabac au 1er janvier 2020

Catégorie de produit

Droit proportionnel

Droit spécifique

Minimum de perception

Cigarettes

Pas d’obligation particulière fixée

Doit être compris entre 7,5 % et 76,5 % du montant de la charge fiscale totale résultant du droit d’accise et de la TVA.

Au moins 60 % du prix moyen pondéré de vente au détail des cigarettes. Le minimum doit être supérieur ou égal à 90 euros pour 1 000 cigarettes. Les États membres qui perçoivent une accise d’au moins 115 euros par 1 000 cigarettes n’ont pas besoin de respecter l’exigence de 60 %.

Cigares et Cigarillos

Pas d’obligation particulière fixée

Pas d’obligation particulière fixée

Au moins 5 % du prix de vente au détail, toutes taxes comprises, ou 12 euros par 1 000 unités ou par kg

Tabac fine coupe à rouler

Pas d’obligation particulière fixée

Pas d’obligation particulière fixée

Au moins 50 % du prix moyen pondéré de vente, ou 60 euros par kg

Autres tabacs à fumer

Pas d’obligation particulière fixée

Pas d’obligation particulière fixée

Au moins 20 % du prix de vente au détail, toute taxe comprise, ou 22 euros par kg

Source : Mission d’information, d’après les dispositions de la directive 2011/64/UE du Conseil du 21 juin 2011.

Ces obligations laissent une grande latitude aux États pour déterminer le montant des accises exigibles sur les ventes de tabac. En conséquence, la pression fiscale sur les cigarettes, et a fortiori le prix de ces dernières, divergent fortement entre la France et ses voisins.

Niveau de fiscalitÉ et prix des paquets de 20 cigarettes en France et dans les pays frontaliers membres de l’union europÉenne

 

Part totale des taxes par rapport au prix moyen pondéré

(TVA comprise)

Prix moyen pondéré (en euros)

Prix du paquet le plus vendu (en euros)

France

84,8 %

9,7

10,5

Allemagne

70,2 %

6

7

Espagne

79,2 %

4,5

4,9

Belgique

82,9 %

6,4

6,8

Luxembourg

69,4 %

4,7

5,3

Italie

77,8 %

5

5

Source : Mission d’information, d’après les données de la Commission européenne (tableau des droits d’accise au 1er mars 2021).

Ces écarts se sont de surcroît amplifiés, en raison du volontarisme de la France en matière de lutte contre le tabagisme, a contrario des arbitrages réalisés dans les pays voisins. Les consommateurs français vivant près d’une frontière sont donc particulièrement incités à réaliser leurs achats à l’étranger. De la même manière, les réseaux de contrebande peuvent tirer une source de profit en achetant des cigarettes à l’étranger, destinées à la revente sur le territoire national.

Évolution du prix moyen pondÉrÉ des cigarettes manufacturÉes, en France et dans les pays frontaliers membres de l’union europÉenne

(en euros)

Source : Mission d’information, d’après les données de la Commission européenne (tableaux des droits d’accise 2011-2021).

Au-delà de l’Union européenne, il convient de ne pas omettre le cas d’Andorre. Le prix moyen du paquet de cigarettes dans la Principauté atteint 3,50 euros, soit un niveau presque trois fois moins élevé qu’en France ([35]).

b.   Les outils de contrôle visant à lutter contre la contrebande et la contrefaçon

Les volumes de tabac pouvant être importés et transportés par les particuliers sont encadrés par la loi.

Toute personne transportant dans un moyen de transport individuel ou collectif plus de 200 cigarettes, 100 cigarillos, 50 cigares, 250 grammes de tabac à fumer est ainsi réputée les détenir à des fins commerciales ([36]). Ces seuils permettent à l’administration des douanes de contrôler les importations réalisées en provenance d’un autre pays de l’Union européenne et de sanctionner les comportements de fraude.

Néanmoins, les flux de voyageurs et la profitabilité croissante du trafic de tabac rendent complexe l’organisation des contrôles et l’endiguement du marché parallèle, comme en attestent les chiffres exposés précédemment.

Le dispositif de lutte contre la contrebande et la contrefaçon est organisé par le ministère chargé des comptes publics sous la forme d’un plan bisannuel composé de trois axes ([37]) :

La direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) dispose dans ce cadre de plusieurs instruments :

– les informations récoltées par la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) et celles transmises par les autres administrations, notamment les services de renseignement ;

– le développement des échanges d’informations entre les services douaniers et les débitants de tabac, au moyen de la « fiche tabac ». Cette dernière, prenant la forme d’une application nommée « stop trafic tabac », permet aux buralistes de signaler aux autorités des comportements frauduleux ;

– pour les besoins de recherche des manquements et infractions douanières et fiscales, une expérimentation permettant aux agents de la direction générale des finances publiques et de la DGDDI de collecter et exploiter les données librement accessibles issues des réseaux sociaux est en cours depuis le début de l’année 2021 ([38]).

Le ciblage des contrôles est favorisé par le déploiement récent du système de traçabilité du tabac, organisé à l’échelle de l’Union européenne. Ce dernier est prévu par les dispositions de la directive 2014/40/UE du Parlement européen et du Conseil du 3 avril 2014 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de fabrication, de présentation et de vente des produits du tabac et des produits connexes, et abrogeant la directive 2011/37/CE. Cette traçabilité repose ainsi sur l’attribution d’un identifiant unique, délivré par l’Imprimerie nationale, permettant de suivre un produit de l’usine de production jusqu’au point de vente au détail, et la production d’un dispositif de sécurité (en d’autres termes, une vignette permettant de certifier l’authenticité du produit).

Depuis le 20 mai 2019, ces dispositifs sont en vigueur pour les cigarettes manufacturées, et concerneront à compter du 20 mai 2024 les autres produits du tabac. La DGDDI a néanmoins indiqué aux rapporteurs que l’application mobile permettant aux services douaniers de consulter la base de données européenne regroupant les informations sur les produits était encore en cours de développement. De plus, les dispositions réglementaires permettant d’exploiter les données à des fins contentieuses sont en cours d’élaboration.

Pour lutter contre la contrebande et la contrefaçon de tabac, de nombreux outils de coopération internationale ont été développés au fil des ans :

– les droits de douanes étant une ressource propre de l’Union, la lutte contre la fraude aux contributions indirectes entre dans le champ de la protection des intérêts financiers de l’Union européenne. À ce titre, le règlement (CE) n° 515/97 du Conseil du 13 mars 1997 prévoit un dispositif de coopération douanière coordonné par l’Office européen de lutte antifraude (OLAF). Cette coopération se matérialise plus spécifiquement par des échanges d’information, au moyen du système d’information douanier (SID) et du fichier d’identification des dossiers d’enquête (FIDE), et d’actions communes organisées au sein du comité d’assistance mutuel ;

– au sein du domaine Justice et affaires intérieures (JAI), le groupe de coopération douanière (GAD) met en place des plans d’action bisannuels portant notamment sur la contrebande et la contrefaçon de tabac ;

– la convention du 18 décembre 1997 dite « Naples II », relative à l’assistance mutuelle et à la coopération douanière, prévoit des échanges d’information et organise les poursuites et observations transfrontalières ainsi que la mise en place d’équipes d’enquêtes communes ;

– l’agence Europol, chargée de soutenir les services répressifs nationaux, déploie un groupe d’analyse sur la contrebande de tabac. Le cycle européen EMPACT 2018-2022, soutenu par Europol, permet également de renforcer la coopération de l’ensemble des services répressifs nationaux ;

– les conventions bilatérales signées avec les États membres de l’Union et les États tiers permettent également d’organiser la coopération douanière. Dans ce cadre, ont notamment été créés des centres de coopération policière et douanière (CCPD), réunissant des policiers et des douaniers français et des ressortissants des pays transfrontaliers.

Les rapporteurs notent qu’il existe une volonté politique de renforcer et d’intensifier les contrôles depuis plusieurs années, ce qui se traduit par une hausse du nombre de saisies réalisées par les services douaniers.

Nombre et volume des saisies de tabac EN FRANCE

(volumes en tonnes)

Source : OFDT, d’après les données de la direction générale des douanes et droits indirects.

Cependant, comme cela sera expliqué ultérieurement, des marges de progrès importantes subsistent pour parvenir à un meilleur ciblage et une plus grande efficacité des contrôles.

C.   Les consÉquences multiples et prÉjudiciables du dÉveloppement du marchÉ parallÈle du tabac

Portant préjudice à la politique de lutte contre le tabagisme, le marché parallèle du tabac génère une perte de recettes fiscales comprise, selon les estimations, entre 2 et 6 milliards d’euros. Il fragilise également le réseau des buralistes, qui connaît depuis plusieurs années une diminution progressive du nombre de débits.

1.   Un frein aux politiques de santé publique

La consommation de tabac constitue la principale cause de cancer évitable. 27 % de l’ensemble des cancers sont imputables à l’usage du tabac ([39]). En favorisant l’émergence de stratégies de contournement, le marché parallèle limite les effets de la hausse des prix du tabac et porte préjudice aux politiques de santé publique.

La comparaison entre le Royaume-Uni et la France est emblématique. Les arbitrages réalisés en matière de santé publique et de politique de lutte contre le tabagisme sont similaires dans ces deux pays, qui ont choisi de porter à un niveau élevé le prix des produits du tabac.

Le coût moyen d’un paquet de cigarettes au Royaume-Uni s’élève ainsi à 12 euros, contre 10 euros en France. Néanmoins la prévalence de tabagisme quotidien, s’établissant encore à 24 % pour les personnes âgées de plus de 18 ans en France en 2019, s’élevait à 14,1 % au Royaume-Uni ([40]), après avoir continuellement diminué depuis 2011 (- 6 points au total).

Par ailleurs, il peut être constaté qu’en dépit de prix du tabac élevés, le taux de prévalence tabagique des personnes âgées de plus de 15 ans en France s’élève à 28 % en 2020, soit un niveau plus élevé que la moyenne de l’Union européenne (25 %) ([41]).

Évolution du prix moyen pondéré du tabac et de la prévalence du tabagisme quotidien en France et au Royaume-Uni entre 2011 et 2019

Source : Commission européenne (tableaux des droits d’accise 2011-2019), Santé publique France, Office for national statistics.

 

2.   Des pertes de recettes fiscales

Le rendement du droit de consommation sur les tabacs vendus en France continentale s’élevait en 2019 à 12,6 milliards d’euros. Ces recettes sont affectées à 99,5 % à la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) ([42]), et à 0,5 % au régime d’allocation viagère des gérants de débits de tabac (RAVGDT).

S’ajoute au droit de consommation une recette de plus de 3 milliards d’euros (3,2 milliards d’euros en 2019) abondant le budget général de l’État au titre de la TVA acquittée sur les produits du tabac. La fiscalité sur le tabac constitue donc une ressource atteignant près de 16 milliards d’euros pour les administrations publiques.

En raison des augmentations du droit de consommation, le rendement de ce dernier a par ailleurs progressé au fil des ans.

 

 

 

Évolution du montant du droit de consommation perçu sur les ventes de tabac en France continentale

(en millions d’euros)

2011

2012

2013

2014

2015

2016

2017

2018

2019

Variation 2019/2011

10,96

11,15

11,13

11,22

11,35

11,06

11,56

11,97

12,60

+ 15 %

Source : DGDDI.

Les pertes de recettes fiscales imputables au marché parallèle font l’objet d’estimation dépendant naturellement des résultats obtenus quant à l’ampleur des ventes effectuées hors du réseau des buralistes.

Sur la période 1999-2004, l’étude précitée de l’OFDT ([43]) concluait à une perte de recettes fiscales (imputable aux achats légaux et illégaux, toutes impositions comprises) s’élevant à 1,7 milliard d’euros par an en moyenne.

L’étude de l’OFDT publiée en 2011 concluait à une estimation de l’évasion fiscale imputable aux achats transfrontaliers s’élevant à 2,1 milliards d’euros ([44]) en 2007.

KPMG estime enfin que la contrebande et la contrefaçon – représentant environ la moitié du marché parallèle – génèrent une perte de recettes fiscales de 2,6 milliards d’euros en 2019 et 4,3 milliards d’euros en 2020.

Au total, l’agrégation des pertes résultant, d’une part, des achats légaux réalisés dans des pays frontaliers et des pays tiers et, d’autre part, de la contrebande et de la contrefaçon telles qu’estimées par l’étude de KPMG pourrait conduire à une estimation des pertes recettes fiscales résultant du marché parallèle s’approchant au total de 5 milliards d’euros en 2019 et de 6 milliards d’euros en 2020. Les rapporteurs proposent toutefois (cf. infra B du II) une autre estimation, plus en retrait.

Récapitualitf des études menées sur le marché parallèle du tabac

 

Estimation du marché parallèle par rapport à la consommation totale

Estimation du marché parallèle par rapport aux ventes effectives réalisées dans le réseau des buralistes

Estimation des pertes de recettes fiscales (en milliards d’euros)

KPMG (2020)

30 %

42 %

2,6*

OFDT (2005)

13,6 %

15,7 %

1,7

OFDT (2011)

/

18-23 %

2,1

OFDT (2019)

20 %

/

/

*Estimation tenant seulement compte de la contrebande et de la contrefaçon de tabac.

Source : Mission d’information.

3.   Un préjudice important pour le réseau des buralistes

Le marché parallèle représente une concurrence déloyale pour le réseau des buralistes.

Ces derniers perçoivent une rémunération résultant d’une remise consentie par les fournisseurs sur le montant total des livraisons effectuées. Le taux de remise brute accordée aux débitants, fixé par le code général des impôts ([45]), s’élève à 9,94 % en 2021 ([46]). Les ventes de tabac représentent une composante substantielle du chiffre d’affaires des buralistes.

Pour un tabac-presse, le chiffre d’affaires moyen du tabac varie entre 50 et 80 % du chiffre d’affaires total. Ce taux est compris entre 30 et 60 % pour un bar-tabac ([47]).  

L’augmentation des prix du tabac rehausse la rémunération des buralistes par paquet vendu, mais elle diminue également les volumes de produits vendus au sein du réseau.

Les rapporteurs constatent que le réseau des buralistes est confronté depuis le début des années 2000 à une érosion significative se traduisant par une diminution du nombre de débits implantés sur le territoire. Ce phénomène résulte d’une part de la désertification de certaines zones rurales et d’autre part de la baisse des volumes de tabac vendus au sein du réseau.

À cet égard, les hausses importantes de prix du tabac, en 2003 et 2004, coïncident avec une accélération de la diminution du nombre de débits implantés sur le territoire. Si ces hausses ont favorisé une baisse du nombre de fumeurs, elles ont, comme exposé précédemment, entraîné une progression du marché parallèle dont le préjudice pour le réseau des buralistes ne peut être ignoré. Sur les 1 745 fermetures de débits comptabilisées par la Confédération des buralistes depuis 2010, 28 % ont eu lieu dans le Nord-Pas-de-Calais.

Évolution du nombre de buralistes en France continentale et en corse

Source : Confédération des buralistes.

Pour faire face à la baisse des ventes de tabac, les buralistes se sont engagés dans une démarche de diversification de leurs activités. De nombreux débits exercent ainsi une activité de bar, de point de vente de presse, et proposent différents services (relais postal, délivrance de timbres fiscaux, offre de services téléphoniques). Depuis juillet 2020, il est également possible de régler des factures et impôts chez un buraliste.

Classification du rÉseau des buralistes en fonction des activitÉs exercÉes

Source : Confédération des buralistes.

II.   Le confinement : un laboratoire grandeur nature permettant d’affiner l’Évaluation du marchÉ parallÈle du tabac

Le confinement, entre les mois de mars et mai 2020, et la fermeture des frontières, jusqu’en juin 2020, ont fortement limité les activités de contrebande et mis fin temporairement aux achats transfrontaliers.

En conséquence, le deuxième trimestre de l’année 2020 a été marqué par une reconfiguration substantielle des canaux d’approvisionnement de tabac au profit du réseau des buralistes, qui a exercé un monopole réel durant cette période. Ainsi, l’observation de l’évolution des volumes de vente permet d’analyser la consommation réelle de tabac et de mesurer l’ampleur du marché parallèle.

A.   un report des ventes initialement rÉalisÉes sur le marchÉ parallÈle vers le rÉseau des buralistes

Les ventes de tabac ont évolué de manière hétérogène sur le territoire, en progressant fortement dans les départements frontaliers. Par ailleurs, le report des achats a principalement porté sur le tabac à rouler.

1.   Une hausse des ventes de tabac de 5 % au niveau national et de 22 % dans les territoires frontaliers au deuxième trimestre 2020 en raison du premier confinement et de la fermeture des frontières

Lors du confinement, l’activité des buralistes a pu être maintenue en vertu des dispositions des arrêtés des 14 et 17 mars 2020 ([48]), reconnaissant le tabac comme produit de première nécessité. D’un autre côté, la limitation des déplacements, la réduction du trafic aérien – limitant la possibilité de recourir au duty free – et la fermeture des frontières terrestres ont fortement jugulé le marché parallèle.

En ce qui concerne plus spécifiquement le marché illicite du tabac, l’évolution du nombre de saisies réalisées par les services des douanes durant le premier confinement – en considérant par ailleurs que les variations d’activité des services douaniers lors de cette période sont sans incidence sur ces chiffres – confirme la forte limitation des activités de contrebande et de vente de produits de contrefaçon : sur les 15 524 saisies réalisées en 2020 (pour 265 tonnes de tabac), seules 903 (représentant 29 tonnes de tabac) ont été effectuées durant le premier confinement ([49]).

Par voie de conséquence, les consommateurs se sont reportés vers le réseau des buralistes pour réaliser leurs achats de produits du tabac. Ce phénomène est directement observable à travers les données fournies par Logista à la DGDDI ([50]).

Tous produits confondus, la DGDDI et l’OFDT ont indiqué aux rapporteurs qu’au niveau national :

– les ventes de tabac ont été inférieures de 3,41 % pour la période de confinement (du 16 mars au 10 mai 2020) par rapport à la même période en 2019 ;

– les ventes de tabac ont été supérieures de 2,77 % pour la période de fermeture des frontières intra-européennes (du 16 mars au 14 juin 2020) par rapport à la même période en 2019;

– en prenant comme base de référence le deuxième trimestre 2020 (avril-juin 2020), les ventes de tabac ont augmenté de 5,5 % par rapport au deuxième trimestre 2019.

Une première observation peut être formulée concernant la diminution observée entre le 16 mars et le 10 mai 2020. Les ventes de tabac s’inscrivaient dans un tendanciel fortement baissier avant le confinement, notamment du fait des trois hausses de prix réalisées en mars 2019 (+ 0,50 euro), en novembre 2019 (+ 0,50 euro) et en mars 2020 (+ 0,50 euro).

Ainsi en février 2020, les ventes de cigarettes manufacturées réalisées sur l’année 2020 s’élevaient à un niveau inférieur de 9,1 % à jours de livraison constants par rapport aux ventes réalisées en janvier et février 2019. Les ventes de tabac à rouler étaient quant à elles en légère progression (+ 1 %). Tous produits confondus, les ventes de tabac étaient, en mars 2020, inférieures de 8 % au niveau constaté en mars 2019.

Au mois d’avril 2020, les ventes ont augmenté de manière significative par rapport à mars 2020 et dépassé le niveau observé en avril 2019, en dépit de la hausse de prix intervenue en mars 2020. La baisse des volumes vendus durant la période de confinement semble donc résulter d’un temps d’adaptation des comportements, survenu lors de la fin du mois de mars, auquel a succédé un effet de rattrapage important des volumes mis à la consommation à compter du début du mois d’avril.

Variation des ventes de tabac en France MÉTROPOLITAINE continentale, tous produits confondus, en 2019 et 2020*

(en tonnes et en jours de livraison non constants)

*En mai 2020 on décompte deux jours ouvrés de moins qu’en mai 2019. En juin 2020, on décompte deux jours ouvrés de plus qu’en juin 2019, ce qui explique le pic de ventes en juin 2020. Pour les cigarettes manufacturées et le tabac à rouler, les rapporteurs ont pu exploiter des données en jours de livraison constants. En revanche, les chiffres concernant l’ensemble des produits du tabac sont présentés en jours de livraison non constants.

Source : Logista France.

Les ventes supplémentaires observées au deuxième trimestre se concentrent principalement sur le tabac à rouler (+ 26,7 % au deuxième trimestre 2020 par rapport au deuxième trimestre 2019, contre une hausse de 0,8 % pour les cigarettes manufacturées), qui représente par ailleurs près de 20 % du volume de tabac vendu sur l’année 2020.

De plus, les ventes de tabac ont évolué de manière hétérogène sur le territoire.

Entre les mois d’avril et de juin 2020, les ventes dans les départements frontaliers ont été supérieures de 22 % aux ventes effectuées sur la même période en 2019, contre une hausse limitée à 2,4 % dans les départements non frontaliers ([51]).

 

 

Variation des ventes de tabac dans les dÉpartements frontaliers entre 2019 et 2020

(en tonnes et en jours constants sur l’axe de gauche, en pourcentage sur l’axe de droite.)

Source : Mission d’information, d’après les données de l’OFDT et de Santé publique France.

Sur la façade Nord-Est, frontalière avec l’Allemagne et le Luxembourg, les volumes de ventes ont augmenté de 44,6 % entre le 16 mars et le 14 juin 2020 par rapport à la même période en 2019. Sur la façade Nord, frontalière avec la Belgique, cette hausse s’élève à 28,8 %. Sur la façade Sud-Ouest, frontalière avec l’Espagne et l’Andorre, l’écart s’établit à + 44,5 %.

Seule la frontière franco-suisse semble faire exception, les ventes ayant progressé de 2,6 % durant la période de fermeture des frontières par rapport à la même période en 2019 ([52]) .

Au niveau départemental, les évolutions de ventes peuvent atteindre plus de 70 % ([53]).

Elles sont néanmoins compensées par une diminution des ventes dans les départements non frontaliers, en raison de la baisse de la fréquentation touristique, des mouvements de population durant le confinement, et de la fermeture de certains débits de tabac.

Le cas le plus emblématique de ce phénomène concerne Paris, où les ventes de tabac ont diminué de 35,5 % durant le premier confinement par rapport à la même période en 2019. Le départ de nombreux parisiens et la fermeture de certains débits expliquent cette évolution.

Variation des ventes totales de tabac par dÉpartement au 2ème trimestre 2020 par rapport au 2ème trimestre 2019, en jours de livraison constants

Source : OFDT, Tabagisme et arrêt du tabac en 2020, mars 2021.

En fonction des catégories de produits, les plus grands écarts de volume de ventes concernent le tabac à rouler, et peuvent atteindre en avril 2020 jusqu’à 312 % du niveau de ventes réalisées en avril 2019.

Évolution des ventes de tabac À rouler et de cigarettes manufacturÉes dans les dÉpartements frontaliers ayant connu les hausses de ventes les plus importantes en avril 2020 par rapport À avril 2019

(en pourcentage)

Source : Mission d’information, d’après les données transmises par Logista France.

Il peut également être remarqué que les ventes de tabac dans le réseau des buralistes n’ont pas substantiellement baissé lors du déconfinement, à compter du 11 mai 2020.

Les ventes retrouvent peu à peu leur niveau d’avant crise à partir du moment où les frontières sont rouvertes avec les pays voisins, ce qui démontre le caractère déterminant de la fermeture des frontières dans la reconfiguration des canaux d’approvisionnement observé au deuxième trimestre 2020 et ce qui confirme l’importance des flux transfrontaliers dans le développement du marché parallèle.

Ventes hebdomadaires dans les dÉpartements frontaliers

Source : Logista France.

Ce dernier graphique doit néanmoins être interprété en tenant compte des effets de saisonnalité affectant les ventes de tabac tout au long de l’année, dès lors qu’il est régulièrement constaté une progression des achats au deuxième trimestre de l’année, par rapport au premier trimestre. L’analyse des ventes de tabac durant le confinement doit donc être mise en regard des observations réalisées à l’échelle de l’année 2020.

2.   Sur l’année 2020, une baisse des ventes moins importante qu’attendue, et une forte hausse des recettes fiscales issues des droits d’accise sur le tabac

En France continentale, les ventes de tabac (tous produits confondus) se sont élevées à 46 041 tonnes en 2020, en baisse de 0,5 % par rapport à 2019.

Ce résultat, pouvant être a priori contre-intuitif compte tenu des chiffres exposés précédemment, découle du fait que les volumes de ventes ont atteint des niveaux supérieurs à ceux constatés en 2019 uniquement durant certaines périodes spécifiques :

– au deuxième trimestre 2020, durant lequel les frontières terrestres de la France étaient fermées et, entre le mois de mars et de mai, la population était confinée ;

– au mois de juillet 2020, qui constitue un cas atypique par rapport aux observations réalisées les années précédentes. La hausse du volume de ventes observées par rapport à juillet 2019 s’explique, selon l’OFDT, par une reprise progressive des habitudes antérieures au confinement dans les départements frontaliers, mais pas dans les départements non-frontaliers ;

– enfin le niveau des livraisons constaté au mois d’octobre, supérieur aux volumes vendus en octobre 2019, découle d’une anticipation par les buralistes de la hausse de fiscalité intervenue au 1er novembre 2020 ([54]).

Ce résultat démontre bien que le deuxième trimestre 2020 constitue une période particulière lors de laquelle le marché du tabac a, dans les faits, fonctionné selon une logique monopolistique. A contrario, les frontières intra-européennes sont restées ouvertes lors du deuxième confinement (du 30 octobre à 15 décembre 2020). Les volumes de ventes au quatrième trimestre 2020 se sont élevées à un niveau inférieur de 6 % aux ventes réalisées au quatrième trimestre 2019, ce qui confirme qu’une partie des achats transfrontaliers se sont poursuivis durant cette période.

Cette baisse relative masque également d’importantes divergences entre les différents produits du tabac. Le volume de cigarettes manufacturées vendues a ainsi poursuivi sa baisse en 2020, quoique dans des proportions bien moins importantes que ce qui a pu être constaté en 2018 et 2019 (– 3,7 % en France continentale en jours de livraison non constants, contre – 7,5 % en 2019 et – 9,1 % en 2018) alors que les volumes de tabac à rouler (+ 11,5 %) et des autres produits du tabac vendus (+ 17,4 %) ont progressé.

Au total, l’ampleur de la baisse observée sur l’année 2020 est bien inférieure à ce qui était attendu au regard de la trajectoire fiscale des produits du tabac et des hypothèses d’élasticité de la demande par rapport au prix formulées en 2017.

Évolution des ventes de tabac entre 2019 et 2020

(en tonnes, en jours de livraison non constants)

 

2019

2020

Évolution

Tous produits du tabac confondus

46 273

46 041

- 0,5 %

Dont cigarettes manufacturées

37 207

35 817

- 3,7 %

Dont tabac à rouler

7 107

7 923

+ 11,5 %

Dont autres produits du tabac

1 959

2 300

+ 17,4 %

Source : Mission d’information d’après les données transmises par la DGDDI et l’OFDT.

Il en résulte un niveau de perception de droits d’accise bien plus important que prévu. Le rendement des droits de consommation imputable aux ventes en France continentale s’est élevé à 14,3 milliards d’euros en 2020, soit 1,7 milliard d’euros de plus qu’en 2019.

Le Tome I des Voies et Moyens annexé au projet de loi de finances pour 2020 prévoyait par ailleurs que le rendement de ces mêmes droits devait s’élever à 13,1 milliards d’euros. L’écart entre la prévision et l’exécution s’établit ainsi à 1,2 milliard d’euros (+ 9 %).

Rendement du droit de consommation et de la TVA sur les ventes de tabac effectuÉes en France continentale en 2019 et 2020

(en milliards d’euros)

 

2019

2020

Évolution

Droit de consommation (DCT) collecté

12,60

14,34

+ 1,74 (+ 13,82 %)

Dont DCT collecté entre le 17 mars et le 14 juin

3,18

3,77

+ 0,59 (+ 18,35 %)

TVA collectée

3,24

3,64

+ 0,41 (+ 12,6 %)

Total

15,84

17,99

+ 2,15 (+ 13,57 %)

Source : DGDDI.

L’évaluation du surcroît de recettes directement imputable au confinement et à la fermeture des frontières s’avère néanmoins délicate.

En septembre 2020, la commission des comptes de la sécurité sociale anticipait un rendement des droits de consommation s’élevant à 13,9 milliards d’euros pour 2020 (un niveau inférieur de 0,4 milliard d’euros à l’exécution). Dans ce cadre, elle évaluait la part du surplus imputable à « des mises à la consommation plus fortes qu’attendues à compter du confinement mis en place en lien avec l’épidémie du covid-19 » à 0,7 milliard d’euros.

Toutefois, la DGDDI a indiqué aux rapporteurs qu’entre le 17 mars 2020 et le 14 juin 2020, 3,77 milliards d’euros ont été perçus au titre des droits de consommation, contre 3,18 milliards pour la même période en 2019. Cette hausse correspond à un surplus de recettes de 585,1 millions d’euros (+ 18,35 %). Au sein de cette hausse, une partie est liée à l’augmentation du prix de paquet de cigarettes intervenue en novembre 2019 et en mars 2020.

B.   Une observation mettant en lumiÈre une perte de recettes fiscales comprise entre 2,5 et 3 milliards d’euros par an

En comparant les volumes de tabac mis à la consommation au deuxième trimestre 2019 et au deuxième trimestre 2020 et en tenant compte des effets produits par la hausse des prix, il est possible de mesurer la part prise par le marché parallèle dans la consommation totale de tabac en France et les pertes de recettes fiscales en résultant.

1.   L’identification d’éventuels biais méthodologiques

À titre préliminaire, les rapporteurs ont souhaité tenir compte d’éventuels évènements pouvant altérer l’analyse des données portant sur les ventes de tabac leur ayant été communiquées.

Il est en tout premier lieu possible que les personnes déclarant fumer quotidiennement ou occasionnellement aient modifié leur consommation de tabac durant le confinement, en raison des effets psychologiques produits par ce dernier.

En la matière, Santé publique France a lancé une série d’enquêtes quantitatives dans le cadre de l’étude CoviPrev, visant à suivre l’évolution des comportements relatifs à l’épidémie et la santé mentale pour l’ensemble de la population.

Lors de la seconde vague de l’enquête (30 mars-1er avril), les fumeurs ont été interrogés sur l’évolution de leur consommation depuis le début du confinement. Parmi les personnes interrogées, près de 27 % ont déclaré que leur consommation de tabac avait augmenté (de 5 cigarettes en moyenne), près de 55 % qu’elle était stable et près de 19 % qu’elle avait diminué. 94 % des personnes ayant déclaré avoir augmenté leur consommation étaient déjà fumeurs avant le confinement.

Ces résultats montrent qu’il n’y a pas eu d’augmentation significative de la consommation de tabac au sein de la population et laissent penser que les hausses de ventes observées au deuxième trimestre 2020 découlent effectivement d’une reconfiguration du marché du tabac.

Les rapporteurs souhaitent toutefois apporter une nuance à ce constat, dans la mesure où Santé publique France a relevé une hausse du taux de prévalence du tabagisme quotidien de 1,5 point en 2020 par rapport à 2019 ([55]). Il n’est néanmoins pas possible de déterminer si la progression du nombre de fumeurs quotidiens est intervenue au cours ou à la suite du premier confinement.

Par ailleurs, l’analyse des ventes de tabac dans les départements frontaliers doit tenir compte des éventuels mouvements de population intervenus durant le confinement. L’Insee a ainsi estimé qu’1,4 million de personnes ont rejoint un département distinct de leur département de résidence à la mise en place du confinement ([56]). Les départs ont principalement concerné les grandes métropoles, en particulier Paris, dont la population a diminué de 20 %. Les arrivées ont en grande partie été observées dans les départements ruraux (en Ardèche, dans l’Eure, l’Eure-et-Loir, la Haute-Loire, le Lot, la Nièvre, l’Orne et l’Yonne, où la hausse dépasse 5 %) et les départements littoraux – notamment le Morbihan, les Côtes-d’Armor et le Var.

La carte ci-dessous confirme par ailleurs que les départements frontaliers n’ont pas connu une augmentation importante de leur population durant le confinement, ou du reste pas dans une proportion plus importante que celle constatée dans les départements non frontaliers. Certains départements concernés par des hausses de ventes de tabac importantes (Hautes-Pyrénées, Haute-Garonne, Pyrénées-Orientales, Bas-Rhin) ont même vu leur population diminuer.

Il doit également être noté qu’1,3 million de visiteurs étrangers ou habitants des départements et territoires d’outre-mer ont quitté la France continentale durant le confinement. En définitive, les mouvements de population sont donc peu susceptibles de biaiser l’analyse des ventes de tabac au deuxième trimestre 2020.

Évolution du nombre de métropolitains prÉsents dans les dÉpartements durant le confinement

Source : Insee.

 

Enfin, il convient de souligner que les données de ventes mobilisées par les rapporteurs dépendent de l’activité des buralistes. Comme indiqué précédemment, de nombreux débits ont été contraints de fermer durant le confinement. De plus, il doit être rappelé que ces mêmes chiffres ne reflètent pas les ventes directement réalisées par les consommateurs, mais l’approvisionnement des buralistes.

Sur ce dernier point toutefois, Logista affirme qu’en dépit de fortes tensions sur les moyens opérationnels et d’un taux d’absentéisme élevé durant le confinement, l’ensemble des livraisons cadencées ont pu être assurées.

2.   Un sixième des ventes de tabac réalisées en dehors du réseau de buralistes au niveau national, contre 27 % dans les territoires frontaliers

Les rapporteurs ont souhaité se saisir de « l’expérience grandeur nature » qu’ont représenté le confinement et la fermeture des frontières pour mesurer l’ampleur du marché parallèle du tabac.

À titre préliminaire, il convient d’exposer la méthode d’observation retenue.

En retenant l’hypothèse qu’au cours du deuxième trimestre 2020 le marché du tabac a fonctionné selon une logique monopolistique, les données de ventes exposées précédemment reflètent la consommation réelle des fumeurs sur la période en France.

Pour mémoire, au deuxième trimestre 2020, les ventes de tabac ont progressé de 5,5 % au niveau national et de 22 % pour les seuls départements frontaliers par rapport au deuxième trimestre 2019. Il n’est cependant pas possible de tirer a priori de conclusions de ces données, dans la mesure où le prix des produits du tabac a progressé à deux reprises (en moyenne, + 0,50 euro en novembre 2019 et + 0,50 euro en mars 2020) entre le deuxième trimestre 2019 et le début du confinement.

Il est donc nécessaire de simuler le niveau théorique des ventes de tabac au deuxième trimestre 2020 en présupposant que le confinement et la fermeture des frontières ne sont pas advenus, afin de le comparer aux ventes effectivement réalisées. En raison de variations importantes des volumes livrés aux buralistes d’un mois sur l’autre, découlant d’effets de saisonnalité observables chaque année, il est également nécessaire de comparer l’écart obtenu entre le niveau de consommation théorique et son niveau effectif à l’échelle du trimestre, et non à l’échelle mensuelle.

L’écart entre le volume de ventes obtenu dans le cadre du contrefactuel et le niveau de ventes constaté au deuxième trimestre 2020 découle du retour des consommateurs auprès du réseau des buralistes et représente donc l’ampleur du marché parallèle. Compte tenu des données disponibles, il n’est néanmoins pas possible de différencier la part résultant du marché illicite et la part découlant des achats transfrontaliers légaux.

À cette fin, les rapporteurs ont construit trois scenarii reposant sur les hypothèses d’élasticité de la demande au prix retenues dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 :

– un scénario basé sur une hypothèse d’élasticité basse (0,6) ;

– un scénario basé sur une hypothèse d’élasticité moyenne (0,7) ;

– un scénario fondé sur une hypothèse d’élasticité élevée (0,8).

Cette étude porte à la fois sur l’estimation du marché parallèle du tabac au niveau national et au sein des départements frontaliers.

a.   Un marché parallèle compris entre 14 et 17 % de la consommation totale de produits du tabac et entre 16 et 20 % des ventes réalisées dans le réseau des buralistes

Les prix des marques les plus vendues de produits du tabac ont progressé de 15 % en moyenne entre avril 2019 et avril 2020. En appliquant les différentes hypothèses d’élasticité, la consommation de tabac aurait dû évoluer ainsi au deuxième trimestre 2020 en l’absence de confinement et de fermeture des frontières :

HypothÈses d’Évolution de la demande de tabac au deuxième trimestre 2020 sans confinement ni FERMETURE DES frontiÈres*

(en tonnes et en jours de livraison non constants)

*La variation du volume de ventes entre les mois de mai et juin s’explique en partie par une différence de jours ouvrés (18 en mai, 21 en juin). Cela n’a pas de conséquence sur le volume total de tabac vendu au deuxième trimestre 2020.

Source : Mission d’information.

Au total, sur le deuxième trimestre 2020, le volume de tabac vendu aurait dû être compris entre 10 501 et 10 860 tonnes. En réalité, celui-ci s’est élevé à 12 601 tonnes. Il est donc possible à partir de cet écart de calculer l’ampleur du marché parallèle, laquelle serait comprise, en fonction des hypothèses d’élasticité retenues, entre 14 et 17 % de la consommation totale de tabac, et entre 16 et 20 % des volumes de tabac achetés au sein du réseau des buralistes.

Évolution thÉorique de la demande de tabac par rapport À l’Évolution du prix entre le 2Ème trimestre 2019 et le 2Ème TRIMESTRE 2020 et estimation du marchÉ parallÈle

Hypothèse d’élasticité

Évolution supposée de la demande sans confinement

Volume théorique de tabac vendu (en tonnes)

Écart par rapport à la consommation constatée (en tonnes)

Estimation du marché parallèle par rapport à la consommation totale

Estimation du marché parallèle par rapport aux ventes réalisées dans le réseau des buralistes

0,6

- 9,1 %

10 862

- 1 739

13,8 %

16,0 %

0,7

- 10,6 %

10 682

- 1 919

15,2 %

17,9 %

0,8

- 12,1 %

10 501

- 2 100

16,7 %

20,0 %

Source : Mission d’information.

Pour consolider leur résultat, les rapporteurs ont appliqué d’autres méthodes de calcul à titre de comparaison.

En extrapolant le volume de tabac consommé au deuxième trimestre 2020, est formulée l’hypothèse selon laquelle environ 50 400 tonnes de tabac auraient dû être théoriquement consommées durant l’année 2020, si le confinement et la fermeture des frontières avaient été instaurés du 1er janvier au 31 décembre 2020.

Par ailleurs, le prix des marques de produits du tabac les plus vendues ont progressé en moyenne de 13,6 % entre décembre 2019 et décembre 2020. En retenant une élasticité de 0,7, la consommation de tabac sur l’année 2020, sans confinement ni fermeture des frontières, aurait dû diminuer de 9,5 % sur l’ensemble de l’année, pour atteindre 41 700 tonnes.

L’écart entre les deux valeurs est égal à 8 800 tonnes, soit 17 % du volume total qui aurait dû être consommé en 2020, en cohérence avec les résultats obtenus précédemment.

Concernant plus spécifiquement les cigarettes manufacturées, 9,68 milliards d’unités ont été livrées aux buralistes au deuxième trimestre 2020. Entre avril 2019 et avril 2020, le prix de la marque la plus vendue a progressé de 13,6 %. En conséquence, la consommation, si la crise sanitaire n’avait pas eu lieu, aurait dû évoluer ainsi :

HypothÈses d’Évolution de la demande de cigarettes manufacturÉes au 2Ème trimestre 2020 sans confinement ni FERMETURE DES frontiÈres

(en millions d’unités et en jours de livraison constants)

Source : Mission d’information.

Selon les trois hypothèses retenues par les rapporteurs, le nombre de cigarettes livrées aurait dû s’établir à 8,82 milliards (hypothèse d’élasticité basse), 8,69 milliards (hypothèse moyenne), ou 8,55 milliards (hypothèse haute). En calculant l’écart entre ces différents résultats et le nombre d’unités effectivement livrées au deuxième trimestre 2020, le marché parallèle de cigarettes manufacturées est donc compris entre 9 et 12 % de la consommation totale de ce même produit, et entre 10 et 13 % des ventes de cigarettes manufacturées réalisées au sein du réseau des buralistes.

Ce résultat peut paraître étonnant au regard des chiffres avancés par KPMG chaque année. En réalité, les rapporteurs ont pu constater que l’ampleur du marché parallèle était bien plus prononcée pour le tabac à rouler que pour les cigarettes manufacturées.

2 335 tonnes de tabac fine coupe à rouler ont été livrées au réseau des buralistes au deuxième trimestre 2020, soit 27 % de plus qu’à la même période en 2019. En appliquant les différentes hypothèses d’élasticité, pour une évolution du prix de la blague de tabac la plus vendue de 16,6 % entre avril 2019 et avril 2020, le marché parallèle de tabac à rouler est compris entre 675 et 735 tonnes. En d’autres termes, le marché parallèle de tabac à rouler est compris entre 29 et 32 % de la consommation totale de ce même produit, et entre 41 et 43 % des ventes de tabac à rouler réalisées au sein du réseau des buralistes.

HypothÈses d’Évolution de la demande de TABAC À ROULER AU 2ÈME TRIMESTRE 2020 sans confinement ni FERMeTURE DES frontiÈres

(en tonnes et en jours de livraison constants)

Source : Mission d’information.

Les rapporteurs tiennent néanmoins à souligner que les résultats portant sur la répartition du marché parallèle entre le tabac à rouler et les cigarettes manufacturées doit être prise avec prudence. Plusieurs effets de report peuvent être supposés :

– certains fumeurs ont pu choisir de se tourner vers le tabac à rouler à la suite des dernières hausses de prix du paquet de cigarettes manufacturées ;

– certaines personnes, achetant habituellement des paquets de cigarettes manufacturées à l’étranger, ont pu se reporter temporairement sur le tabac à rouler après la fermeture des frontières afin de limiter le coût de leurs achats en France durant le confinement.

b.   Environ 27 % du tabac consommé dans les départements frontaliers provenant du marché parallèle

Si l’ampleur du marché parallèle au niveau national s’élève à près d’un sixième des produits du tabac consommé en France, le cas des départements frontaliers mérite des développements spécifiques.

Conformément aux variations significatives d’achats réalisés durant le confinement dans ces territoires, le marché parallèle semble y être localement bien plus important.

En appliquant la même méthode que celle exposée ci-dessus, les rapporteurs obtiennent les résultats suivants :

Évolution thÉorique de la demande de TABAC DANS les dÉpartements frontaliers par rapport À l’Évolution du prix entre le 2Ème trimestre 2019 et le 2Ème Trimestre 2020 et estimation du marchÉ parallÈle

Hypothèse d’élasticité

Évolution supposée de la demande sans confinement

Volume théorique de tabac vendu (en tonnes)

Écart par rapport à la consommation constatée

(en tonnes)

Estimation du marché parallèle par rapport à la consommation totale

Estimation du marché parallèle par rapport aux ventes réalisées au sein du réseau des buralistes

0,6

- 9,1 %

1710

- 592

25,7 %

34,6 %

0,7

- 10,6 %

1682

- 620

26,9 %

36,9 %

0,8

- 12,1 %

1653

- 649

28,2 %

39,2 %

Source : Mission d’information.

Plus d’un quart de la consommation de tabac dans les départements frontaliers est donc issu du marché parallèle. Ce même marché parallèle s’élève par ailleurs à plus d’un tiers des ventes réalisées par les buralistes situés dans les départements frontaliers. Ce résultat s’explique aisément par la proximité de sources d’approvisionnement de tabac à moindre coût situées hors du territoire national.

c.   Une perte de recettes fiscales comprise entre 2,5 et 3 milliards d’euros par an pour les administrations publiques

À partir de la consommation de tabac constatée au deuxième trimestre 2020 et de leur estimation du marché parallèle, les rapporteurs ont été en capacité de mesurer les pertes de recettes fiscales issues des achats réalisés hors du réseau des buralistes.

Sachant que 9,6 milliards de cigarettes manufacturées ont été vendues au deuxième trimestre 2020, il est possible d’estimer que la consommation réelle sur l’année aurait dû s’élever, si le confinement avait été instauré du 1er janvier au 31 décembre, à 38,7 milliards d’unités. Selon les hypothèses formulées concernant le marché parallèle, le volume de cigarettes manufacturées échappant au réseau des débits de tabac est compris entre 3,5 et 4,6 milliards d’unités.

Considérant que le prix moyen pondéré à l’unité des cigarettes s’élevait en 2020 à 0,49 euro ([57]), et que la part des droits de consommation prélevés sur un paquet de cigarettes vendu au prix moyen pondéré s’établit à 66 % ([58]), les pertes de recettes issues du droit de consommation sont comprises entre 1,1 et 1,5 milliard d’euros.

Concernant le tabac à rouler, dont le prix moyen pondéré au gramme s’élève à 0,44 euro, pour un droit de consommation s’établissant à 67 %, la perte de recettes issue de ce même droit de consommation est comprise entre 811 et 894 millions d’euros.

En ajoutant la TVA, le montant total des pertes de recettes fiscales imputable au marché parallèle de cigarettes manufacturées et de tabac à rouler est donc compris entre 2,4 et 3 milliards d’euros.

Pertes de recettes fiscales rÉsultant du marchÉ parallÈle de cigarettes manufacturÉes et de tabac fine coupe À rouler

 

 

 

Volume de tabac relevant du marché parallèle

(en millions d’unités/ en tonnes)

Prix moyen pondéré à l’unité/ au gramme (en euros)

Droit de consommation (en % du prix moyen de vente)

Pertes de recettes issues du droit de consommation

(en milliards d’euros)

Pertes de TVA (en milliards d’euros)

 

Pertes totales

(en milliards d’euros)

Cigarettes manufacturées

Hypothèse basse

3480

0,49

0,66

1,11

0,28

1,39

Hypothèse haute

4641

1,48

0,37

1,85

Tabac à rouler

Hypothèse basse

2708

0,44

0,67

0,81

0,20

1,01

Hypothèse haute

2989

0,89

0,22

1,11

Total

Hypothèse basse

1,92

0,48

2,40

Hypothèse haute

2,37

0,59

2,96

Source : Mission d’information.

Bien que leur poids dans les recettes fiscales du tabac soit moindre, il convient de tenir compte des cigares, du tabac à mâcher, du tabac à priser et des autres produits du tabac pour calculer le montant total des pertes de recettes fiscales générées par le marché parallèle ([59]). En se fondant sur les ventes réalisées durant le deuxième trimestre 2020, sur le prix moyen pondéré de vente de chacun de ces produits ([60]), et sur la fiscalité leur étant applicable, les rapporteurs estiment que le montant des pertes de droits de consommation est compris entre 35 et 45 millions d’euros. Pour la TVA, l’estimation de cette même perte est comprise entre 27 et 31 millions d’euros.

Au total, la perte de recettes fiscales pour les administrations publiques du fait du marché parallèle du tabac serait ainsi comprise entre 2,46 et 3,04 milliards d’euros.

En l’absence de marché parallèle, les recettes fiscales issues des ventes de tabac en France continentale pourraient donc s’élever à près de 19 milliards d’euros, soit un niveau supérieur de 19 % à celui constaté en 2019.

Les rapporteurs constatent que leur calcul est cohérent avec les chiffres transmis par la DGDDI concernant l’évolution des recettes des droits de consommation perçues durant la période de confinement et de fermeture des frontières.

Pour mémoire, 585 millions d’euros supplémentaires ont été collectés entre le 17 mars et le 14 juin 2020 par rapport à la même période en 2019. À l’échelle de l’année, et en supposant que le confinement eût été instauré du 1er janvier au 31 décembre, le surplus de recettes se serait élevé, toutes choses égales par ailleurs, à 2,3 milliards d’euros. L’évaluation préalable du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 indiquait que le gain anticipé de recettes résultant de la hausse de fiscalité pour l’année 2020 s’établissait à 303 millions d’euros.

En neutralisant l’effet prix, le surcroît de droits de consommation uniquement imputable à l’extinction forcée du marché parallèle se serait donc élevé à environ 2 milliards d’euros – soit un chiffre cohérent avec le résultat présenté ci-dessus.

III.   Une rÉalitÉ du marché du tabac devant davantage Être intÉgrÉe dans les dispositifs de lutte contre le tabagisme

Compte tenu des résultats d’observation du marché parallèle durant le deuxième trimestre 2020, les rapporteurs estiment que l’État doit davantage tenir compte des effets produits par la politique fiscale du tabac sur l’évolution du marché parallèle.

Pour réduire l’ampleur de ce dernier, une plus grande harmonisation des droits d’accise à l’échelle de l’Union européenne constitue un objectif prioritaire, quoique difficilement atteignable.

Au niveau national, le renforcement des outils de contrôle de manière proportionnelle à la hausse des recettes fiscales du tabac, l’aggravation des sanctions et l’accompagnement des buralistes sont des instruments à privilégier.

A.   Tenir compte de l’effet des hausses de prix sur l’Évolution du marchÉ parallÈle

Dans le cadre de la définition d’une nouvelle trajectoire fiscale du tabac, le Gouvernement produit une évaluation préalable annexée au projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Cette évaluation apporte des informations utiles au Parlement, parmi lesquelles les hypothèses d’élasticité retenues, l’évolution anticipée du prix cible et des ventes des produits du tabac, ainsi que les gains ou les pertes de recettes fiscales en résultant pour la sécurité sociale. Les objectifs fixés en termes de réduction de la prévalence tabagique sont également clairement définis. À la fin de l’année 2017, la hausse de la fiscalité du tabac visait ainsi à « diminuer de 10 % la prévalence tabagique d’ici 2019 et construire une génération sans tabac” d’ici à 2032 ».

Ces informations ne permettent pas de saisir la réalité des effets produits par la politique publique proposée. À cet égard, aucune mention n’est faite d’une éventuelle érosion de l’assiette résultant de comportements de contournement adoptés par les consommateurs. Interrogée par les rapporteurs, la DGDDI a également indiqué ne pas être en mesure de mesurer l’ampleur du marché parallèle et d’anticiper précisément les effets induits par une hausse des prix du tabac.

Les rapporteurs estiment qu’une telle indication est indispensable, car elle favorise un meilleur pilotage de la politique de santé publique, en révélant les effets de la hausse de prix sur la consommation de tabac, et car elle permet une meilleure gestion des comptes de la sécurité sociale en mettant en lumière les pertes de recettes fiscales découlant de potentiels reports vers le marché parallèle.

Sur le premier point, les rapporteurs constatent que le taux de prévalence tabagique quotidien, après avoir amorcé une décrue entre 2016 et 2019, est reparti à la hausse en 2020. Comme indiqué précédemment, ce taux pour les personnes âgées de 18 à 75 ans a progressé de 1,5 point en 2020, pour atteindre 25,5 %. Si cette évolution résulte en grande partie de la crise sanitaire, il convient de souligner qu’une réduction durable de la consommation de tabac n’est pas acquise.

En second lieu, en dépit des gains de recettes générés par la hausse des prix, le présent rapport démontre que ces dernières pourraient être supérieures pour la sécurité sociale de près de 2 milliards d’euros en l’absence de marché parallèle, ce qui représente environ 7 % du déficit de la branche maladie des régimes obligatoires de base en 2020 ([61]).

En conséquence, les rapporteurs recommandent au Gouvernement de développer des outils de suivi de l’état du marché parallèle du tabac et de produire des indicateurs permettant d’anticiper les comportements d’évasion fiscale des consommateurs à chaque nouvelle hausse de la fiscalité du tabac.

À cet égard, les rapporteurs préconisent plus spécifiquement de faire apparaître au sein de l’évaluation préalable des projets de loi de financement de la sécurité sociale une prévision d’élasticité corrigée tenant compte des reports d’achat vers le marché parallèle. Cela permettrait ainsi de révéler les effets réels des politiques fiscales sur l’évolution de la consommation du tabac en France.

Il convient de noter à cet égard qu’au cours de l’audition de la DGDDI les rapporteurs ont proposé que cette dernière initie une coopération avec l’Insee afin d’analyser les données de vente récoltées au cours du deuxième trimestre 2020, pour de mesurer les différents facteurs ayant influé sur la consommation de tabac et de quantifier le marché parallèle. La DGDDI a ainsi indiqué disposer d’informations portant sur les « points de fraude » qui permettraient d’analyser l’évolution des activités de contrebande durant le confinement.

Au mois de juillet 2021, il a été indiqué aux rapporteurs que diverses réunions de travail avaient été tenues entre la DGDDI et l’Insee depuis le mois de février 2021. Une convention encadrant les modalités de mise à disposition de l’Insee de données issues de l’applicatif interne de gestion informatisée du monopole des tabacs (GIMT) de la DGDDI était par ailleurs en cours de signature. L’Insee étudiera par la suite la faisabilité de cette étude, et élaborera un calendrier de travail. Les rapporteurs seront donc attentifs aux résultats de ces travaux, qui pourront être mobilisés pour assurer un meilleur suivi du marché parallèle de tabac.

Proposition n° 1 : Construire la trajectoire fiscale des produits du tabac en anticipant ses effets réels sur l’évolution de la consommation de tabac :

– développer au sein des administrations des outils de suivi annuel de l’évolution du marché parallèle ;

– corriger les indicateurs présentés dans les évaluations préalables des projets de loi de financement de la sécurité sociale en indiquant l’évolution réelle anticipée de la consommation de tabac, en différenciant les diminutions d’assiette résultant de l’arrêt du tabagisme et d’éventuels reports de consommation vers le marché parallèle.

B.   affirmer la position française dans le cadre de la rÉvision des directives relatives aux droits d’accise sur le tabac

À la fin de l’année 2020, la Commission européenne a lancé une procédure de révision des deux directives encadrant le régime des droits d’accise applicables aux produits du tabac : la directive 2008/118/CE du Conseil du 16 décembre 2008 relative au régime général d’accise et abrogeant la directive 92/12/CEE et la directive 2011/64/UE du Conseil du 21 juin 2011 concernant la structure et les taux des accises applicables aux tabacs manufacturés.

Dans ce cadre, la France entend peser dans les négociations afin d’introduire des limites quantitatives obligatoires de circulation intracommunautaire du tabac et d’harmoniser vers le haut la fiscalité des produits du tabac.

Ces deux objectifs constituent la condition sine qua non pour juguler le marché parallèle. Si de relatifs progrès peuvent être attendus des révisions à venir, l’importante divergence d’intérêts entre les pays de l’Union et le fait que les directives de nature fiscale doivent être adoptées à l’unanimité rendent néanmoins improbable un alignement des autres États membres sur la position française. Les rapporteurs considèrent que plusieurs leviers peuvent être mobilisés afin de procéder à une révision la plus ambitieuse possible.

1.   Favoriser une harmonisation vers le haut des droits d’accise sur le tabac

Comme indiqué précédemment, la structure et les taux des droits d’accise font l’objet d’un encadrement européen, prévu par les dispositions de la directive 2011/64/UE. La Commission européenne a procédé à une évaluation de cette dernière, publiée le 10 février 2020 ([62]).

La Commission souligne que l’impact de la directive a été modéré sur la santé publique. Quand bien même la fiscalité du tabac demeure l’outil le plus efficace pour réduire la consommation de tabac, les écarts de prix entre les États membres ont nourri des flux transfrontaliers ayant limité les ambitions initiales ayant présidé à l’adoption de la directive. La Commission a également présenté au début de l’année 2021 son Plan cancer, comportant un volet relatif à la prévention du tabagisme, au sein duquel la fiscalité du tabac est considérée comme un outil privilégié.

Une initiative de révision devrait être présentée par la Commission à la fin de l’année 2021, sur laquelle les négociations au sein du Parlement européen et du Conseil devraient s’engager à compter de 2022. L’article 113 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) prévoit à ce titre que les textes communautaires portant sur l’harmonisation des droits d’accise ne peuvent être adoptés qu’à l’unanimité des États membres.

La France propose dès à présent de rehausser les minima de l’ensemble des paramètres fiscaux composant l’accise (droit proportionnel, élément spécifique, minimum de perception), afin de limiter les écarts de prix entre les États membres. Les rapporteurs souscrivent à cette position.

Toutefois, la France se heurtera certainement à l’opposition des pays pratiquant un niveau de fiscalité plus faible sur les produits du tabac.

La question de l’ajustement des prix du tabac en fonction du niveau de vie constaté dans chaque État membre est également à prendre en compte – une harmonisation homogène rapprochant les prix de ceux pratiqués en France aurait pour conséquence de porter davantage préjudice aux ressortissants de certains pays du Sud et de l’Est de l’Union européenne où le revenu moyen par habitant est plus faible qu’au sein de certains pays de l’Ouest ou du Nord.

À cet égard, au Luxembourg, au Danemark, en Suède ou encore en Autriche, le prix du tabac pondéré selon le niveau de vie demeure faible. Une hausse des droits d’accise y est donc plus aisément envisageable.

Prix moyen pondÉrÉ du paquet de 20 cigarettes en fonction du revenu annuel moyen disponible par habitant au sein de l’union européenne au 1er janvier 2021

(en euros)

Source : Mission d’information, d’après les données d’Eurostat et de la Commission européenne.

Les rapporteurs recommandent donc que la France propose d’introduire au sein de la directive révisée un critère d’accise minimale en fonction du revenu moyen par habitant, afin d’éviter que des distorsions trop importantes ne perdurent entre les pays membres de l’Union européenne. L’introduction de ce nouveau paramètre pourrait également permettre de faciliter la tenue des négociations avec les pays au sein desquels la richesse par habitant est la moins élevée.

Proposition n° 2 : Négocier une plus forte harmonisation des droits d’accise sur le tabac dans le cadre de la révision de la directive 2011/64/UE :

– proposer un rehaussement de l’ensemble des paramètres fiscaux composant l’accise sur le tabac ;

– défendre l’introduction d’un nouveau critère d’accise minimale corrélée au niveau de vie par habitant.

De plus, il a été indiqué aux rapporteurs que les catégories fiscales définies par la directive de 2011 feront certainement l’objet d’une proposition de révision de la part de la Commission européenne afin d’adapter les droits d’accise aux nouveaux produits du tabac ou apparentés. À ce titre, le tabac à chauffer ([63]) est aujourd’hui imposé selon les règles applicables aux « autres tabacs à fumer ». Ces réflexions concernent également la cigarette électronique ([64]), actuellement non soumise aux droits d’accise sur le tabac.

Auditionnés par les rapporteurs, les fabricants de tabac estiment que le tabac à chauffer et la cigarette électronique sont des produits de substitution à mobiliser dans un objectif de réduction des risques liés à la consommation de cigarettes. La fédération interprofessionnelle de la vape (FIVAPE) et France Vapotage affirment que l’utilisation de la cigarette électronique doit être encouragée afin d’aider les fumeurs à arrêter leur consommation de tabac. Les associations de lutte contre le tabac soulignent quant à elles que la moindre nocivité du tabac à chauffer n’est pas démontrée et que ce dernier, comme la cigarette, demeure un produit addictif.

Les rapporteurs, considérant que le cadre de leur étude ne porte pas spécifiquement sur cette question, estiment que les travaux des autorités de santé portant sur la dangerosité de ces nouveaux produits doivent se poursuivre. En fonction des résultats obtenus, les pouvoirs publics devront en tirer les conséquences en matière de fiscalité.

2.   Lutter contre les pratiques de dumping sanitaire en limitant la circulation intracommunautaire des produits du tabac

L’article 32 de la directive 2008/118/CE du Conseil du 16 décembre 2008 relative au régime général d’accise et abrogeant la directive 92/12/CEE prévoit que les droits d’accise applicables aux produits achetés par un particulier pour ses besoins propres et transportés dans un autre pays de l’Union européenne sont exigibles uniquement dans le pays où ces produits ont été acquis.

En d’autres termes, et sous réserve du respect des seuils d’importation fixés par les États membres, un ressortissant français achetant des cigarettes en Espagne devra s’acquitter du droit d’accise exigible en Espagne et ne sera pas redevable du droit applicable en France.

Afin de déterminer si les produits sont acquis pour les besoins propres du particulier, la directive précitée prévoit que les États membres doivent s’appuyer sur plusieurs éléments (le statut commercial du détenteur du produit, la nature des produits, le mode de transport utilisé) et peuvent instituer des niveaux indicatifs de quantité de tabac au-delà desquels une détention à des fins commerciales est présumée.

La directive prévoit par ailleurs que ces seuils ne peuvent être inférieurs à 800 cigarettes, 400 cigarillos, 200 cigares et un kilogramme de tabac à fumer.

Jusqu’en 2014, la loi nationale et la pratique administrative conduisaient les autorités françaises à n’utiliser qu’un critère strictement quantitatif pour apprécier le caractère commercial de la détention de tabac. Constatant les manquements de la France au regard du droit communautaire, la Cour de justice de l’Union européenne a condamné cette dernière dans un arrêt du 14 mars 2013.

Les dispositions législatives mises en cause ont alors été abrogées, et des modalités de contrôle des particuliers important du tabac conformes au droit de l’Union ont été précisées par voie de circulaire ([65]).

Des seuils de présomption contraignants ont été réintroduits par les dispositions de la loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude à l’article 575 I du code général des impôts. Cet article prévoyait ainsi, jusqu’en 2020, que toute personne transportant des quantités de tabac supérieures aux seuils définis par l’article 32 de la directive 2008/118/CE était réputée les détenir à des fins commerciales.

Constatant le niveau des ventes de tabac au deuxième trimestre 2020, le Parlement a introduit lors de l’examen du troisième projet de loi de finances rectificative pour 2020, à l’initiative du Gouvernement, une disposition visant à réduire ces seuils en droit national. Depuis le 1er août 2020, en vertu des dispositions de l’article 575 I du code général des impôts, est réputée détenir des tabacs manufacturés à des fins commerciales toute personne qui transporte au sein d’un moyen de transport individuel ou collectif plus de :

– 200 cigarettes (soit l’équivalent d’une « cartouche ») ;

– 100 cigarillos ;

– 50 cigares ;

– 250 grammes de tabac à fumer ([66]).

Le droit français prévoit donc des seuils impératifs quatre fois inférieurs aux seuils indicatifs prévus par le droit de l’Union européenne.

L’abaissement des seuils d’importation est un outil utile pour limiter les activités de contrebande et les achats transfrontaliers. Toute personne contrevenant à ces seuils doit s’acquitter des droits de consommation et peut se voir appliquer des sanctions pénales, fiscales ou douanières.

Si la DGDDI dispose encore de peu de recul pour évaluer les effets de cette mesure, elle a indiqué aux rapporteurs que le nombre de saisies supérieures à 10 cartouches avait augmenté depuis la fin de l’année 2020. Ce constat peut s’expliquer par la baisse de la profitabilité des petits allers-retours au regard des sanctions applicables, ou par un effet conjoncturel lié à la crise sanitaire.

L’instauration de seuils non conformes au droit de l’Union européenne génère néanmoins un risque contentieux pour la France.

Le secrétariat général des affaires européennes (SGAE) a ainsi indiqué aux rapporteurs que la Commission européenne avait lancé une procédure EU Pilot avec la France : celle-ci constitue un cadre de dialogue entre les États membres et la Commission et vise à prévenir l’ouverture d’une procédure d’infraction.

Le Gouvernement entend par ailleurs utiliser la mesure d’abaissement des seuils d’importation nationaux comme argument au cours de la procédure de révision de la directive de 2008. À ce titre, la présidence française du Conseil de l’Union européenne (PFUE) au premier semestre 2022 constituera une occasion de faire avancer les discussions sur ce sujet.

Il a également été indiqué aux rapporteurs que la Commission européenne pourrait proposer au Conseil et au Parlement d’instaurer des seuils impératifs alignés sur les seuils français. Le cas échéant, l’initiative de la Commission aurait pour effet d’éteindre temporairement le risque de contentieux, dans l’attente de l’aboutissement de la procédure de révision.

Par ailleurs, les rapporteurs considèrent que d’autres améliorations pourraient être apportées à cette directive afin de limiter le volume des achats transfrontaliers.

La directive de 2008 dispose que le caractère commercial de la détention de tabac est apprécié au regard « des besoins propres » du particulier, et fait peser la charge de la preuve sur l’administration. Au regard du droit français, qui prévoit une présomption d’activité commerciale pour les particuliers transportant du tabac en quantité excédant les seuils, il est opportun de renverser la charge de la preuve et de contrôler les quantités de tabac transportées au regard de la consommation individuelle de chaque personne.

Proposition n° 3 : Dans le cadre de la révision de la directive 2008/118/CE, négocier l’introduction de dispositions prévoyant :

– des seuils d’importation impératifs alignés sur ceux applicables en droit français ;

– le renversement de la charge de la preuve dans l’appréciation de la détention de produits du tabac à des fins commerciales ;

– une appréciation de la quantité de tabac détenue au regard de la consommation individuelle des personnes contrôlées et non de leurs besoins propres.

De surcroît, les rapporteurs considèrent qu’il serait opportun d’introduire au sein de la directive des dispositions visant à renforcer les capacités de renseignement des autorités douanières.

Dans l’hypothèse où les seuils d’importation seraient abaissés et deviendraient impératifs, il serait possible de créer une plateforme communautaire de notification des achats réalisés par les ressortissants d’un autre État membre dépassant les seuils autorisés et renseignée par les débitants de tabac. Cet outil permettrait aux États membres de disposer d’informations leur permettant de mieux mesurer l’ampleur du marché parallèle et de cibler les contrôles douaniers.

Il convient de signaler que certains consommateurs pourraient, dans l’hypothèse où la plateforme serait créée, être incités à fractionner leurs achats afin d’échapper à l’application du mécanisme de notification. Si une prise en compte consolidée de l’ensemble des achats transfrontaliers réalisés par un même consommateur peut générer des difficultés importantes en matière de conservation et de traitement des données à caractère personnel, il devra être tenu compte de ces potentiels comportements de contournement dans la construction du dispositif.

Proposition n° 4 : Proposer de créer, dans le cadre de la révision de la directive 2008/118/CE, une plateforme communautaire de notification des achats réalisés par des ressortissants d’un autre pays de l’Union européenne dépassant les seuils d’importation autorisés, renseignée par les débitants et pouvant être consultée par les autorités douanières du pays de résidence du consommateur de tabac.

Concernant la révision des seuils d’importation, la France risque de se heurter à l’opposition de nombreux pays. Ainsi, l’Irlande, la Suède, les Pays-Bas, l’Estonie et la Finlande seraient susceptibles de soutenir la position française, notamment en raison, pour certains de ces États, d’une volonté de renforcer dans le même temps l’harmonisation des droits d’accise sur l’alcool.

À l’inverse, la République tchèque, le Luxembourg et la Belgique pourraient être fortement opposés à une plus grande harmonisation. L’Allemagne, la Pologne, la Slovénie la Lettonie et l’Espagne ne sont quant à eux pas favorables a priori à une réduction des seuils de circulation intracommunautaire, mais seraient susceptibles d’accepter un compromis.

Les rapporteurs, sans remettre en cause le droit des autres États membres de définir librement leur politique fiscale et leur régime d’accise, estiment qu’il est nécessaire que la France se dote de moyens lui permettant de lutter contre le « dumping sanitaire et fiscal » exercé par certains de ses voisins.

En conséquence, dans l’hypothèse où la procédure de révision des directives de 2011 et de 2008 ne permettrait pas d’aboutir à une harmonisation des droits d’accise permettant à la France de mener librement une politique de santé publique ambitieuse, les rapporteurs préconisent de définir une date à partir de laquelle les seuils de transport et de détention du tabac par les particuliers seraient unilatéralement réduits à zéro en France.

Cette proposition radicale, si elle était mise en œuvre, conduirait sans aucun doute la Commission européenne à engager une procédure d’infraction à l’encontre de la France, qui serait condamnée par la Cour de justice de l’Union européenne à payer une amende, et éventuellement des astreintes. Ces pénalités seraient néanmoins financées par le gain de recettes fiscales résultant de la limitation du marché parallèle de tabac.

Proposition n° 5 : Dans l’hypothèse d’une harmonisation des droits d’accise ne permettant pas de réduire significativement l’écart des prix du tabac entre la France et ses voisins, modifier l’article 575 I du code général des impôts afin de prohiber l’importation de produits du tabac en provenance d’autres États membres de l’Union européenne, même si une telle mesure pourrait soulever des difficultés au regard des exigences communautaires.

3.   Limiter les volumes de tabac importés en provenance de la Principauté d’Andorre

Le cas d’Andorre est spécifique, dès lors que les seuils prévus par l’article 575 I du CGI ne sont pas opposables aux ressortissants français important des biens soumis à accise en provenance de la Principauté.

Des limites quantitatives particulières sont prévues par les stipulations de l’article 13 de l’accord entre la Communauté Économique Européenne et la Principauté d’Andorre du 28 juin 1990. Des franchises de droit à l’importation et de droit d’accise sont applicables « aux marchandises contenues dans les bagages personnels des voyageurs […] à condition que les importations de ces marchandises soient dépourvues de tout caractère commercial ». Ces limites concernant les produits de tabac sont de 300 cigarettes ou 150 cigarillos ou 75 cigares ou 400 grammes de tabac à fumer.

Il convient de constater que ces règles dérogent aux franchises applicables aux importations de produits soumis à accise effectuées en provenance des autres États tiers à l’Union européenne et génèrent des comportements d’évasion fiscale nombreux dans les territoires proches de la frontière, notamment en Ariège. Les franchises de droit commun, prévues par les dispositions du règlement (CE) n° 1186/2009 du Conseil du 16 novembre 2009 relatif à l’établissement du régime communautaire des franchises douanières et les dispositions de l’article 50 octies de l’annexe IV du code général des impôts s’élèvent à 200 cigarettes, 100 cigarillos, 50 cigares et 250 grammes de tabac à fumer.

Pour les travailleurs frontaliers, les personnes ayant une résidence dans une zone frontalière avec un pays tiers à l’Union européenne et les personnels des moyens de transport utilisés pour voyager à partir d’un pays tiers, les franchises applicables s’élèvent à 40 cigarettes, 20 cigarillos, 10 cigares, 50 grammes de tabac à fumer ([67]). Ces limites concernent notamment les résidents frontaliers de la Suisse ([68]).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

RÉcapitulatif des seuils d’importation en vigueur en fonction du pays de provenance des produits du tabac

 

Cigarettes (unités)

Cigares (unités)

Cigarillos (unités)

Tabac à fumer (grammes)

Droit de l’Union européenne

Quantité de tabac pouvant être importée en franchise de droit en provenance d’un pays de l’UE

800

400

200

1000

Quantité de tabac pouvant être importée en franchise de droit en provenance d’un pays tiers à l’UE ([69])

Entre 40 et 200

Entre 20 et 100

Entre 10 et 50

Entre 50 et 250

Quantité de tabac pouvant être importée en franchise de droit en provenance de la Principauté d’Andorre

300

150

75

400

Droit français

Quantité de tabac pouvant être importée en franchise de droit en provenance d’un pays de l’UE

200

100

50

250

Quantité de tabac pouvant être importée en franchise de droit en provenance d’un pays tiers à l’UE

200

100

50

250

Quantité de tabac pouvant être importée en franchise de droit par des résidents ou travailleurs frontaliers  d’un pays tiers à l’UE

40

20

10

50

Quantité de tabac pouvant être importée en franchise de droit en provenance de la Principauté d’Andorre

300

150

75

400

Sources : Mission d’information, d’après les dispositions de l’article 575 I et de l’article 50 octies de l’annexe IV du CGI, de l’accord entre la Communauté Économique Européenne et la Principauté d’Andorre du 28 juin 1990, de l’article 8 de la directive 2007/74/CE du Conseil du 20 décembre 2007 et de l’article 32 de la directive 2008/118/CE du Conseil du 16 décembre 2008.

Les rapporteurs préconisent donc de modifier la convention conclue avec la principauté d’Andorre afin de ramener les seuils quantitatifs portant sur les produits bénéficiant d’une franchise de droits a minima au niveau des seuils applicables aux autres pays tiers à l’Union européenne. Pour les résidents frontaliers, il apparaît cohérent de fixer des règles similaires à celles applicables à la frontière franco-suisse.

Il convient toutefois de signaler que la politique commerciale est une compétence exclusive de l’Union européenne ([70]). Les articles 207 et 218 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) prévoient ainsi que le Conseil autorise l’ouverture des négociations, arrête les directives de celles-ci, autorise la signature et conclut l’accord en statuant à la majorité qualifiée, après approbation du Parlement européen si ce même accord a des implications budgétaires notables pour l’Union. La Commission européenne est quant à elle chargée de mener les négociations.

La révision de l’accord du 28 juin 1990 ne pourrait donc advenir qu’au terme d’une procédure impliquant l’ensemble des institutions et des États membres de l’Union, ce qui rend son aboutissement à court terme improbable.

La PFUE et les discussions à venir sur le régime d’accise des produits du tabac représentent néanmoins une occasion à saisir pour la France afin de limiter le marché parallèle de tabac dans les départements frontaliers d’Andorre en proposant que le Conseil ouvre de telles négociations.

Proposition n° 6 : Proposer, dans le cadre de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, de réviser l’accord entre la Communauté Économique Européenne et la Principauté d’Andorre du 28 juin 1990 afin d’aligner les quantités de produits pouvant être importées en franchise de droit en provenance d’Andorre à celles prévues pour les autres États tiers à l’Union européenne et définir des seuils spécifiques applicables aux résidents frontaliers.

C.   Faciliter et renforcer les contrÔles

Comme indiqué précédemment, le Gouvernement a fait de la lutte contre la contrebande et la contrefaçon de tabac une priorité, se traduisant par le renforcement et le ciblage des contrôles.

Les rapporteurs ont toutefois pu constater lors de leurs auditions et d’un déplacement en Moselle que des marges importantes de progression subsistent.

1.   Renforcer les moyens de contrôles de manière proportionnelle à la hausse des recettes de la fiscalité du tabac

En premier lieu, il convient de constater que la nature des comportements d’achat diverge en fonction des territoires.

Le travail transfrontalier vers le Luxembourg est par exemple une caractéristique notable du bassin de vie de Thionville. L’Insee, qui dénombrait déjà près de 75 000 travailleurs transfrontaliers français exerçant au Luxembourg en 2015 (sur 360 000 travailleurs transfrontaliers au total, tous pays confondus), indique que ce nombre est croissant au fil du temps (+ 2,5 % par an entre 2010 et 2015) ([71]).

Les personnes effectuant un aller-retour quotidien au Luxembourg peuvent ainsi y acheter des cigarettes chaque jour sans dépasser les seuils d’importation autorisés. De surcroît, il a été indiqué aux rapporteurs que la coopération douanière internationale pouvait être améliorée de manière significative, dès lors que les autorités luxembourgeoises ne souhaitent pas s’investir dans la lutte contre le trafic de tabac et préfèrent organiser des actions conjointes portant sur le trafic de stupéfiant. Ces caractéristiques locales rendent la lutte contre le marché parallèle particulièrement complexe dans cette région.

La question des contrôles se pose d’une tout autre façon dans les départements proches de la frontière espagnole et d’Andorre, où les achats transfrontaliers prennent davantage la forme d’une activité de tourisme fiscal. Lors de leurs auditions, les rapporteurs ont ainsi pu entendre des témoignages relatifs à l’organisation par des compagnies de transport routier de voyages journaliers à destination de la frontière, facilitant l’achat de tabac et d’alcool à moindre prix.

D’autre part, la direction interrégionale des douanes de Nouvelle-Aquitaine a indiqué aux rapporteurs que ses moyens demeuraient faibles au regard de l’étendue de la frontière et de la zone à contrôler. Quand bien même la frontière franco-espagnole est une frontière intracommunautaire, l’administration des douanes a ainsi souligné le fait que l’ampleur des flux de biens et de personnes contraint les agents à traiter cette zone comme une frontière d’un État tiers.

Sur les 180 kilomètres de frontière entre l’Espagne et les Pyrénées-Atlantiques, 18 points de passage sont recensés, dont la moitié comporte une « venta » ([72]). Pour couvrir ce territoire, les services douaniers comptent ainsi 240 agents, une équipe de maître-chien (EMC) et disposent d’un scanner mobile spécial (SMS).

De manière plus générale, la lutte contre les trafics de tabac ne se limite plus au contrôle des frontières. L’achat de produits sur internet, l’envoi de colis et l’organisation de trafics sur les réseaux sociaux se multiplient, ce qui conduit les services douaniers à adapter leurs méthodes. À titre d’exemple, une unité dédiée à la lutte contre la fraude en ligne, nommée Cyberdouane, a été mise en place au sein de la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières.

Les rapporteurs considèrent que l’État doit tirer toutes les conséquences de sa politique de hausse des prix du tabac en investissant dans la modernisation des moyens de contrôle douaniers. Ce lien entre la politique fiscale et la lutte contre le marché parallèle doit plus précisément se traduire par une progression des moyens de contrôle à due proportion des hausses de recettes fiscales perçues sur la vente de produits du tabac. Le renforcement des moyens peut notamment être consacré à la création de nouvelles EMC, au renforcement de la cellule Cyberdouane ainsi qu’à l’acquisition de scanners mobiles spéciaux (SMS) et portatifs ([73]).

Les rapporteurs considèrent également qu’il conviendra d’être attentif aux résultats de l’expérimentation lancée en 2021 permettant à l’administration des douanes de collecter certaines informations librement accessibles sur les réseaux sociaux nécessaires à la recherche d’infractions.

Les rapporteurs constatent de surcroît que MM. les députés Christophe Blanchet et Pierre-Yves Bournazel, dans le cadre d’un rapport d’information portant sur la contrefaçon ([74]), ont relevé la non-application de l’article 29 de la loi n° 2018-898 relative à la lutte contre la fraude qui oblige les réseaux sociaux à énoncer que la vente de tabac est illégale. Les rapporteurs souscrivent donc à la recommandation formulée dans le cadre de ce rapport visant à mieux appliquer le droit existant.

Proposition n° 7 : Renforcer annuellement les moyens de contrôle de l’administration des douanes de manière proportionnelle à la hausse des recettes fiscales perçues sur la vente de produits de tabac.

Concernant la question des contrôles des autocars effectuant un trajet transfrontalier, évoquée à plusieurs reprises durant les auditions, les services douaniers rencontrent régulièrement des difficultés pour identifier les propriétaires de bagages contenant des quantités de tabac excédant les seuils d’importation.

À ce sujet, il convient de rappeler que la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités (LOM) a introduit dans le code des transports un nouvel article L. 3116-1-1 prévoyant que « les bagages des personnes présentes à bord d’un véhicule utilisé pour la fourniture d’un service régulier ou occasionnel de transport routier international de voyageurs portent un dispositif d’identification comportant de manière visible les nom et prénom de ces personnes. Cette obligation ne s’applique pas aux effets ou menus objets que ces personnes conservent à leur disposition immédiate ».

Les passagers contrevenants ne sont néanmoins passibles d’aucune sanction pénale. De surcroît, les transporteurs ne sont pas tenus de contrôler le respect de cette obligation lors de l’embarquement dans les autocars.

Des débats sur ce sujet ont eu lieu à l’Assemblée nationale lors de la discussion de la loi LOM. Le législateur a ainsi considéré que l’application d’une sanction pénale pour les passagers ayant omis d’étiqueter leurs bagages était disproportionnée. Concernant la vérification des bagages et l’enregistrement des voyageurs sur présentation d’une pièce d’identité à l’embarquement, les débats tenus en commission du développement durable de l’Assemblée nationale au stade de la nouvelle lecture du texte ont fait ressortir le risque de générer des formalités administratives excessives, nécessitant d’engager en amont un dialogue plus approfondi avec les compagnies de transport.

Le point de vue des rapporteurs diverge sur la question. M. Éric Woerth considère qu’il relève de la responsabilité des sociétés de transport, exploitant pour certaines d’entre elles un modèle d’affaires fondé sur les achats transfrontaliers de produits soumis à accise, de contrôler le respect par les voyageurs de leurs obligations légales. Il estime également qu’un étiquetage systématique des bagages et un contrôle de l’identité des voyageurs au départ des autocars sont de nature à faciliter le travail des autorités douanières.

Il préconise en conséquence de modifier l’article L. 3116-1-1 du code des transports afin de prévoir une obligation pour les sociétés de transport de contrôler l’identité des voyageurs et l’étiquetage des bagages. L’infraction aux obligations d’étiquetage et de contrôle, constatée par un agent public assermenté, serait sanctionnée par une amende contraventionnelle à l’encontre des passagers ou des compagnies de transport.

Mme Zivka Park considère que les arguments avancés lors de l’examen de la loi LOM conservent leur pertinence et qu’il convient d’évaluer les dispositions de cette dernière avant une nouvelle intervention du législateur.

2.   Renforcer la coordination des services de l’État en matière de lutte contre la contrebande de tabac

D’un point de vue opérationnel, les services douaniers se coordonnent régulièrement avec la police aux frontières et la gendarmerie pour définir les points de contrôle. Des opérations conjointes sont également menées avec le ministère de l’intérieur pour démanteler des réseaux et réprimer le « trafic de fourmi ».

Au cours de leurs auditions, les rapporteurs ont néanmoins constaté que la coopération entre les différents services de l’État était perfectible. Contrairement aux produits stupéfiants, dont la détention est prohibée par la loi, le trafic de tabac relève, au-delà des enjeux de santé publique, d’une problématique fiscale. Cette différence explique les difficultés qui peuvent être rencontrées par les autorités douanières pour échanger du renseignement et plus généralement pour inciter la police et la gendarmerie à s’impliquer davantage dans la lutte contre la contrebande de tabac.

Actuellement, les comités opérationnels départementaux anti-fraude (CODAF) créés en 2008 constituent la seule instance locale permettant de coordonner les services de l’État et de la sécurité sociale. Au niveau national, ont été récemment créés une mission interministérielle de coordination anti-fraude (MICAF) et un comité interministériel anti-fraude ([75]). Le champ de compétence de ces organes est par ailleurs large (fraude sociale, fraude fiscale, travail illégal), ce qui ne leur permet pas de traiter en priorité la problématique du trafic de tabac.

Le renforcement de la coopération entre les services de l’État en matière de lutte contre la contrebande de tabac se justifie désormais d’autant plus que les douanes constatent un rapprochement progressif des réseaux de trafic de stupéfiant et de tabac. Pour cette raison, des réflexions ont été engagées par le passé afin de créer des comités départementaux de lutte contre le trafic de tabac. Les rapporteurs estiment que la création de ce dispositif, placé sous l’égide du préfet et associant le procureur de la République, serait à même de renforcer l’efficacité de l’action publique en la matière.

Proposition n° 8 : Créer des comités départementaux de lutte contre le trafic de tabac, placés sous l’autorité du préfet, afin d’organiser la coordination des services de l’État en matière de lutte contre la contrebande de tabac.

D.   RÉduire la profitabilitÉ de la contrebande de tabac

Les personnes menant des activités de contrebande ou se soustrayant au paiement des contributions indirectes sur le tabac s’exposent à diverses sanctions.

En cas de fabrication, de détention, de vente ou de transport illicites de tabac, l’auteur de l’infraction peut se voir appliquer les sanctions fiscales suivantes :

– le paiement des droits de consommation ;

– le paiement d’une pénalité dont le montant est compris entre une et cinq fois le montant des droits fraudés ;

– le paiement d’une amende fiscale dont le montant est compris entre 1 000 et 5 000 euros ([76]). Cette amende, qui était comprise auparavant entre 500 et 2 500 euros, a vu son échelle doublée avec la loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude.

Pour des faits commis en bande organisée, l’amende est fixée de 50 000 à 250 000 euros, et la pénalité est comprise entre 50 et 100 fois le montant des droits fraudés.

Plus spécifiquement, les situations impliquant la mise en œuvre de l’article 1791 ter du CGI peuvent être les suivantes :

– le transport commercial de tabac par un particulier dans des quantités supérieures aux seuils prévus par l’article 575 I du CGI ;

– le transport commercial de tabac manufacturé sans titre de mouvement ([77]) :

– le défaut de statut de fabriquant (article 565 du CGI) ;

– l’atteinte au monopole d’État de vente au détail de tabac manufacturé (article 568 du CGI).

En matière pénale, la fabrication, la détention frauduleuse en vue de la vente, la vente à distance, le transport en fraude, l’acquisition à distance de tabacs manufacturés sont punis d’un an d’emprisonnement ([78]).

Enfin, la contrebande de produits du tabac constitue un délit douanier de première classe, sanctionné, en vertu de l’article 414 du code des douanes, d’une peine d’emprisonnement de trois ans (dix ans lorsque les faits sont commis en bande organisée) et d’une amende pouvant atteindre deux fois la valeur de l’objet de la fraude (dix fois lorsque les faits sont commis en bande organisée) ([79]).

Toutefois, en application du principe de la séparation des procédures en matière de douane et de contributions indirectes, les sanctions prévues à l’article 414 du code des douanes ne peuvent être cumulées avec les sanctions fiscales dès lors que l’infraction est relevée au titre du code général des impôts.

Le dispositif répressif de lutte contre le marché parallèle de tabac a enfin été complété, en 2019, avec la création d’une contravention de quatrième classe punissant les personnes achetant du tabac à la sauvette ([80]). Une amende forfaitaire de 135 euros peut être prononcée à l’encontre de ces dernières.

L’augmentation des prix du tabac a eu pour conséquence indirecte de renforcer la profitabilité du trafic de cigarettes. En raison des moindres risques financiers et pénaux encourus par rapport aux peines applicables en cas de trafic de stupéfiant, les réseaux de trafiquants de drogues ont progressivement développé des activités de contrebande de tabac.

Les peines les plus lourdes pouvant être prononcées dans le cadre du trafic de stupéfiant peuvent atteindre 10 ans d’emprisonnement et 7,5 millions d’euros d’amende. La cession ou l’offre illicite de stupéfiant pour une consommation personnelle peut être punie de 5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende ([81]). L’usage de stupéfiant est enfin puni d’une amende forfaitaire de 200 euros ([82]).

En conséquence, la DGDDI a indiqué aux rapporteurs qu’elle observe une reconfiguration du marché illicite de tabac, avec la création d’usines clandestines en Europe de l’Ouest (Belgique, Espagne) afin d’alimenter une demande croissante en France. Les méthodes d’approvisionnement du marché français se rapprochent également davantage des méthodes constatées dans le cadre du trafic de stupéfiant (avec, notamment, l’usage de « go fast »).

Si le débat sur l’échelle des peines en matière de contrebande de tabac a eu lieu à l’occasion de l’examen de la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude, les rapporteurs constatent que la méconnaissance par les citoyens des sanctions obère leur caractère dissuasif. Le site service-public.fr indique ainsi que les personnes important du tabac au-dessus des seuils autorisés sont passibles d’une amende de 750 euros.

Les rapporteurs préconisent donc en premier lieu d’améliorer la communication sur les peines applicables en cas de trafic de fourmi, afin que chacun puisse mesurer la gravité de tels actes, et dissuader d’éventuels auteurs d’infraction.

Dans un second temps, les rapporteurs estiment, considérant que le tabac est à l’origine de nombreuses pathologies, qu’il convient que les sanctions financières applicables en cas de trafic de tabac soient aussi dissuasives que celles prévues pour les trafics de stupéfiant. Cela pourrait se traduire par un alourdissement de l’amende fiscale prononcée sur le fondement de l’article 1791 ter du code général des impôts.

Il ne saurait pour autant être question d’édicter un régime de sanctions strictement identique, car il convient de respecter une hiérarchie des peines, au regard de laquelle le trafic d’un produit licite ne peut être assimilé au trafic d’un produit illicite. C’est la raison pour laquelle il n’est pas proposé d’établir un régime de répression pénale comparable à celui applicable au trafic de stupéfiants.

Il pourrait d’ailleurs, à cette occasion, être opéré une harmonisation bienvenue entre les sanctions prévues par le code des douanes et celles prévues par le CGI en matière de contributions indirectes.

De telles mesures devraient contribuer à limiter le report des réseaux de trafiquants vers la contrebande de tabac.

Proposition n° 9 : Renforcer la communication sur les sanctions pouvant être prononcées à l’encontre des personnes transportant des quantités de produits du tabac supérieures aux seuils autorisés.

 

Proposition n° 10 : Assurer un régime de sanctions aussi dissuasif pour les faits de contrebande de tabac que pour le trafic de stupéfiants, en alourdissant l’amende fiscale prévue par l’article 1791 ter du CGI.

E.   Renforcer les outils d’accompagnement du rÉseau des buralistes

Les buralistes bénéficient d’un certain nombre de mesures de soutien et d’accompagnement, prévues par le « Protocole d’accord sur la Transformation du réseau des buralistes 2018-2021 », signé le 2 février 2018 entre la Confédération des buralistes et le ministère de l’action et des comptes publics.

Ce dernier, prolongé jusqu’en 2022 dans le cadre de la crise sanitaire, poursuit trois objectifs :

– donner aux buralistes les moyens de réaliser la transformation durable de l’exercice de leur métier, en tant que commerçants de proximité ;

– soutenir les buralistes dont l’activité économique serait significativement pénalisée par l’augmentation des prix du tabac ;

– accompagner les buralistes dans la mission de préposé de l’État que leur confère le contrat de gérance.

Les dispositifs de soutien se divisent en plusieurs catégories. En premier lieu, trois aides sont attribuées sous condition de chiffre d’affaires :

– le complément de remise, versé aux débitants dont le chiffre d’affaires annuel est inférieur à 157 303 euros sur le continent, et dont le montant des livraisons de tabac de l’année précédente ne dépassait pas 400 000 euros ;

– la remise compensatoire, s’élevant à 70 % de la perte de remise nette sous réserve d’un plafond de 30 000 euros, versée aux débits entrés en fonction au plus tard le 31 décembre 2017 et situés dans des départements frontaliers ou des « départements dits en difficulté » ([83]) si leur chiffre d’affaires tabac baisse d’au moins 10 % entre 2012 et l’année considérée ;

– la remise transitoire, versée aux débitants constatant une perte de chiffre d’affaires tabac d’au moins 15 % entre un trimestre calendaire et le même trimestre de l’année N-1. Le montant de la remise s’élève à 0,8 % du montant des livraisons du dernier trimestre.

En second lieu, quatre aides peuvent être versées sur demande adressée aux services douaniers. L’aide à la sécurité, plafonnée à 15 000 euros sur une période de quatre ans, est accordée aux buralistes pour acquérir et installer des matériels destinés à sécuriser le local commercial, la réserve de tabac et certains déplacements.

Une prime de diversification des activités (PDA) d’un montant de 2 500 euros peut également être versée aux débitants dont les débits sont implantés dans un département en difficulté ou frontalier, dans un quartier prioritaire ou dans une commune rurale. Cette prime est conditionnée au fait que le débit soit ouvert à l’année, qu’il offre au moins cinq services à la clientèle et que le chiffre d’affaires sur les ventes de tabac soit inférieur à 300 000 euros au cours de l’année considérée.

Les débitants souhaitant cesser leur activité et rencontrant des difficultés pour céder leur débit peuvent par ailleurs bénéficier d’une indemnité de fin d’activité. Cette dernière est plafonnée à 80 000 ou 130 000 euros selon les cas.

Enfin, l’aide à la transformation est le dispositif principal du protocole d’accord signé en 2018. Financée par un fonds de transformation doté de 100 millions d’euros sur la période 2018-2022, cette aide permet de prendre en charge 30 % des dépenses de travaux réalisés par les débitants en vue de diversifier leurs activités, pour un montant maximum de 33 000 euros.

Ce fonds, en cours de montée en charge, fait l’objet d’une sollicitation croissante. La Confédération des buralistes a ainsi indiqué aux rapporteurs au mois de mars 2021 que 3 567 buralistes étaient engagés dans la démarche de transformation de leur activité. 2 131 audits ont été réalisés, et 1 585 dossiers ont été « pré-validés » par l’administration des douanes. 14 % du réseau est ainsi en cours de transformation, et 3 % du réseau a bénéficié d’une démarche de transformation. Un quart des débits qui ont bénéficié du fonds sont par ailleurs frontaliers.

La période de confinement a démontré que les débits les plus fragilisés par le marché parallèle étaient situés dans les zones frontalières. En Moselle, dans un territoire fortement exposé au travail transfontalier, le chiffre d’affaires imputable aux ventes de tabac des buralistes a pu progresser de 100 % entre janvier et avril 2020. Représentant en temps normal près de 10 % du chiffre d’affaires total pour certains débits, la part des ventes de tabac dans le chiffre d’affaires total a doublé sur cette même période.

Les rapporteurs remarquent également que sur la période janvier-mai 2021, les volumes de livraisons de tabac ont connu des diminutions comprises entre 10 et 27 % dans les départements frontaliers par rapport à la même période en 2019, confirmant une reprise des tendances de vente similaires à celles observées avant la crise sanitaire. La préservation du réseau des buralistes implique donc d’encourager une diversification de leurs activités et de leurs sources de revenus.

En conséquence, les rapporteurs préconisent de prolonger le fonds de transformation au-delà de l’année 2022 et de renforcer ses moyens de manière proportionnelle à la hausse des prix du tabac. De plus, le plafond de l’aide et la part du coût des travaux pris en charge par le fonds doivent être majorés pour les débits situés dans des territoires affectés par le marché parallèle de tabac.

Proposition n° 11 : Renforcer les moyens et le ciblage du fonds de transformation :

– prolonger le fonds au-delà de 2022 ;

– augmenter les moyens du fonds à due proportion des conséquences des hausses futures du prix du tabac en termes de diminution de la consommation ;

– majorer le montant des aides versées pour les débits situés dans des départements frontaliers et affectés par le marché parallèle.

    


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   travaux de la commission

Au cours de sa réunion du mercredi 29 septembre 2021, la commission a procédé à l’examen du rapport sur les conclusions de la mission d’information sur la consommation de tabac et le rendement de sa fiscalité pendant le confinement.

M. Benjamin Dirx, président. Mes chers collègues, notre commission a créé en juin 2020 une mission d’information relative à l’évolution de la consommation du tabac et du rendement de la fiscalité applicable aux produits du tabac pendant le confinement et aux enseignements pouvant en être tirés.

Éric Woerth et Zivka Park, tous deux co-rapporteurs de cette mission d’information, nous présentent ce matin les conclusions de leur travail ainsi que leurs propositions. Je leur cède la parole.

M.  Éric Woerth, co-rapporteur. Cette mission d’information est assez originale. Le premier confinement a entraîné la fermeture des frontières terrestres et contraint les déplacements des individus. Cette situation a rapatrié la consommation de tabac chez les buralistes, ce qui nous a permis de mesurer l’ampleur de la consommation parallèle de tabac, licite ou illicite, pour l’ensemble des produits du tabac. Les travaux que nous avons menés trouvent aussi leur origine dans la hausse significative des ventes de tabac réalisées au sein du réseau des buralistes lors du premier confinement. Notre objectif était d’analyser ce phénomène.

Nous avons mené quatorze auditions et effectué un déplacement en Moselle. Nous avons pu rencontrer l’ensemble des acteurs intéressés par la question du marché du tabac et de la lutte contre le tabagisme.

Nous avons dressé un premier constat : la consommation du tabac analysée sous le seul prisme de l’évolution des ventes de cigarettes auprès du réseau des buralistes est en décalage avec la réalité. Si nous voulons combattre le tabagisme, il doit être tenu compte de la réalité de la consommation de tabac en France.  

À la faveur des politiques de santé publique ambitieuses menées en France, le prix du tabac tous produits confondus a progressé de 80 % depuis 2010 et dépasse désormais le prix de dix euros pour certains paquets. Le prix du tabac étant librement fixé par les producteurs, très encadrés, la hausse des tarifs résulte d’un alourdissement de la fiscalité du tabac répercuté sur les prix. Rappelons que la fiscalité du tabac représente plus de 80 % du prix du paquet. Il existe également un prix de vente minimum.

Cette augmentation du prix a engendré une baisse significative des ventes au sein du réseau des buralistes. Tous produits confondus, ces ventes ont diminué de près de 30 % entre 2010 et 2020. L’an passé, 46 000 tonnes de tabac ont été vendues par les débitants de tabac contre près de 64 800 tonnes dix ans auparavant.

Le marché parallèle permet aux consommateurs d’adopter des stratégies de contournement afin d’éluder l’impôt. Il recouvre des comportements légaux et illégaux. Nous notons aussi le développement des réseaux de contrebande, qui, selon l’administration des douanes, se rapprochent des réseaux de trafic de stupéfiants.

Plusieurs études ont proposé des estimations de l’ampleur de ce marché que nous tentons d’évaluer depuis longtemps. Certains des chiffres avancés ont été contestés. L’observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) et Santé publique France indiquent qu’environ 20 % des achats de tabac sont régulièrement réalisés en dehors des bureaux de tabac. Dans le cadre d’une étude annuelle financée par Philip Morris, KPMG indique que 30 % des cigarettes manufacturées en France sont issues du marché parallèle.

Le marché parallèle de tabac génère un double affaiblissement.

Le premier affaiblissement concerne les politiques de santé publique et de lutte contre de tabagisme. Ainsi, le taux de prévalence tabagique pour les personnes âgées de plus de quinze ans s’élevait à 28 % en 2020 selon la Commission européenne, soit un niveau supérieur à la moyenne européenne, qui s’établit à 25 %.

Le deuxième affaiblissement est d’ordre financier. Le rendement de la fiscalité du tabac s’élève à 16 milliards d’euros en 2019, dont plus de 12,6 milliards d’euros étaient issus des droits de consommation affectés à la sécurité sociale. Selon les études précitées, les pertes de recettes fiscales générées par le marché parallèle sont comprises entre 2 et 6 milliards d’euros.

En dehors de ce double affaiblissement, un affaiblissement d’ordre économique existe également pour le réseau des buralistes lui-même. Le marché parallèle constitue une forme de concurrence totalement déloyale pour les débitants de tabac.

Mme  Zivka Park, co-rapporteure. Au premier trimestre 2020, nous avons été confinés et les frontières ont été fermées, ce qui a drastiquement réduit les sources d’approvisionnement du marché parallèle. En revanche, les buralistes ont pu capter l’intégralité de la demande de tabac. Le premier confinement a ainsi permis d’observer le marché parallèle en situation réelle. Entre les mois de mars et de juin 2020, les ventes tous produits confondus réalisées au sein du réseau des buralistes ont bondi de 5,5 % sur l’ensemble du territoire métropolitain par rapport aux ventes réalisées à la même période en 2019.

Les ventes supplémentaires observées au deuxième trimestre 2020 concernent principalement le tabac à rouler. Les volumes mis à la consommation ont progressé de presque 27 % par rapport au deuxième trimestre 2019.

L’évolution du niveau des ventes est contrastée selon les territoires. Dans les départements frontaliers, nous avons observé une augmentation des achats de 22 % entre le deuxième trimestre 2019 et le deuxième trimestre 2020. Dans certains départements comme l’Ariège, les Pyrénées-Atlantiques ou le Bas-Rhin, les hausses de ventes de tabac sont comprises entre 40 % et 70 %.

À l’inverse, les ventes de tabac ont diminué de 35 % à Paris par rapport au deuxième trimestre 2019 en raison de la baisse de la fréquentation touristique et de la fermeture de certains débits de tabac. Cette baisse a peut-être été également causée par l’exode de près de 20 % des Parisiens, qui ont rejoint d’autres régions françaises.

Ces chiffres montrent bien que la fermeture des frontières a entraîné un retour des consommateurs vers les buralistes. À cet égard, nous n’avons pas observé de variation des ventes similaire lors du deuxième confinement, puisque les frontières étaient ouvertes.

Au total, durant l’année 2020, la baisse des ventes de tabac au sein du réseau des buralistes s’est donc poursuivie, atteignant -0,5 % par rapport à 2019. Cette baisse est toutefois moins importante qu’attendu eu égard à l’évolution des prix du tabac en 2019 et 2020.

L’une des conséquences du confinement a également été d’améliorer le rendement de la fiscalité du tabac. En 2020, en France continentale, 18 milliards d’euros ont été collectés au titre des droits de consommation et de la TVA, soit une hausse de 2 milliards d’euros par rapport à 2019.

Pour calculer l’ampleur du marché parallèle, nous avons tenu compte des deux hausses du prix du tabac de cinquante centimes ayant été réalisées en novembre 2019 et en mars 2020. En mobilisant les hypothèses d’élasticité de la demande au prix généralement admises pour mesurer les effets d’une hausse de la fiscalité du tabac, nous avons simulé la manière dont auraient dû évoluer les ventes au deuxième trimestre 2020 par rapport au deuxième trimestre 2019 si aucune mesure sanitaire n’avait été prise, et nous avons comparé ces chiffres aux ventes effectivement réalisées.

En fonction des hypothèses retenues, nous constatons que sur le deuxième trimestre 2020, entre 1 700 et 2 100 tonnes de tabac supplémentaires ont été vendues par rapport au volume de ventes qui aurait dû être observé si les restrictions sanitaires n’avaient pas été instaurées. Ces montants, correspondant au marché parallèle, représentent entre 14 % et 17 % de la consommation de tabac total sur le deuxième trimestre 2020, et entre 16 et 20 % des volumes de tabac qui auraient dû être vendus en temps normal au sein du réseau des buralistes.

Plus spécifiquement, nous estimons que le marché parallèle de cigarettes manufacturées est compris entre 9 et 12 % de la consommation totale de ce même produit, et entre 10 et 13 % des volumes de vente de cigarettes manufacturées réalisées au sein du réseau des buralistes.

Nous avons constaté que le marché parallèle de tabac à rouler est de plus grande ampleur. En appliquant nos calculs, nous estimons qu’entre 29 et 32 % de la consommation totale de tabac fine coupe à rouler est issue du marché parallèle, ce qui correspond à plus de 40 % des ventes réalisées en temps normal au sein du réseau des buralistes.

Enfin, entre 26 et 28 % du tabac consommé dans les départements frontaliers est issu du marché parallèle, ce qui représente 37 à 39 % des ventes réalisées par les buralistes situés dans les départements frontaliers.

Ces chiffres sont cohérents avec les estimations réalisées par l’OFDT et Santé publique France, et se situent en retrait par rapport aux estimations de KPMG, qui n’utilise pas la même méthode.

En conséquence, les pertes de recettes fiscales générées par le marché parallèle sont comprises entre 2,5 et 3 milliards d’euros par an. Au titre des droits de consommation, affectés à la sécurité sociale, les pertes sont comprises entre 2 et 2,4 milliards d’euros. Concernant la TVA, abondant le budget général, ces pertes sont comprises entre 0,5 et 0,6 milliard d’euros.

M.  Éric Woerth, co-rapporteur. Tous produits confondus, le marché est donc sous-estimé de 14 à 17 %. L’ampleur de la consommation parallèle varie selon les régions mais aussi selon la nature des produits du tabac.

Il est vrai qu’en cette période nous avons perdu quelques repères. Toutefois, une perte de recettes fiscales comprise entre 2,5 et 3 milliards d’euros représente un manque à gagner très important pour l’État et la sécurité sociale. Avec Zivka Park, nous formulons des recommandations.

Nous considérons en premier lieu qu’il convient de mieux tenir compte des effets réels produits par l’évolution de la fiscalité du tabac sur le marché parallèle. Les chiffres que nous avançons sont une bonne base d’appréciation de la réalité.

Nous pensons que pour disposer d’informations exhaustives, il convient de corriger les indicateurs proposés par le Gouvernement dans le cadre des évaluations préalables annexées aux projets de loi de financement de la sécurité sociale pour évaluer les effets d’une hausse de prix sur d’éventuels comportements de contournement.

Nous estimons également que les administrations devraient développer des outils de suivi annuel du marché parallèle. Nous avons d’ores et déjà proposé à la direction générale des douanes et droits indirects de partager avec l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) ses données sur l’évolution des ventes de tabac durant le confinement, afin de développer une analyse plus précise des activités de contrebande. Ce rapprochement est en cours et nous espérons qu’il produira des résultats.

Nous formulons également diverses préconisations pour limiter l’ampleur du marché parallèle.

Le marché parallèle est alimenté par les écarts de prix du tabac entre la France et ses voisins européens. Le droit de l’Union européenne encadre partiellement la structure et les taux des accises applicables aux tabacs. Néanmoins ces obligations laissent une grande latitude aux États pour déterminer leur politique fiscale. Ainsi le prix d’un paquet de cigarettes, pouvant atteindre plus de 10 euros en France, s’élève à environ 5 euros en Espagne, au Luxembourg et en Italie. En dehors de l’Union européenne, nous devons également citer la Principauté d’Andorre, où le prix moyen d’un paquet de cigarettes s’élève à 3,5 euros.

La Commission européenne a procédé au cours de l’année 2020 à une évaluation de la directive 2011/64/UE portant sur la structure et les taux d’accise applicables aux tabacs manufacturés, et a souligné l’impact modéré de cette dernière sur la santé publique. Une proposition de révision sera soumise aux États membres d’ici la fin de l’année. Nous considérons que la France doit peser pour favoriser une harmonisation plus forte de la fiscalité du tabac. La présidence française du Conseil de l’Union européenne au premier semestre 2022 pourrait être une bonne occasion pour cela.

Il convient néanmoins de garder à l’esprit qu’une directive portant sur la fiscalité indirecte ne peut être adoptée qu’à l’unanimité des États membres. Or les sensibilités aux questions de santé publique divergent. Nous considérons que certains ajustements peuvent être réalisés pour faciliter les négociations, en tenant notamment compte du niveau de vie de chaque pays européen pour déterminer la fiscalité minimale à appliquer.

De plus, le droit de l’Union européenne encadre les seuils d’importation de tabac pouvant être institués par les États membres. Ces seuils, prévus par les dispositions de la directive 2008/118/CE relative au régime général d’accise, s’imposent aux particuliers souhaitant acheter des cigarettes dans un autre pays de l’Union européenne et ne peuvent être inférieurs à 800 cigarettes par personne. Lors de la discussion de la troisième loi de finances rectificative pour 2020, nous avons, à l’initiative du Gouvernement, abaissé ce seuil à 200 cigarettes par personne. L’instauration de seuils non conformes au droit de l’Union européenne génère donc un risque important de contentieux pour la France.

Mme  Zivka Park, co-rapporteure. Toutefois, la Commission européenne prévoit également de déposer une proposition de révision de la directive de 2008 d’ici la fin de l’année. Nous voyons bien que l’action concernant l’harmonisation fiscale doit être menée au niveau de l’Union européenne. Il est probable que la Commission européenne propose de créer des seuils impératifs alignés sur le droit français, ce qui aurait pour effet d’éteindre temporairement le risque contentieux.

Nous considérons pour notre part qu’il est nécessaire de limiter la circulation intracommunautaire de produits du tabac. Nous souhaitons donc que la France défende un alignement du droit européen sur le droit français. Nous souhaitons également aller plus loin, avec la création d’une plateforme européenne de notification des achats réalisés par les particuliers dans un autre pays et dépassant les seuils d’importation autorisés. Les services douaniers pourraient alors consulter cette base de données pour mieux cibler leurs contrôles.

Le cas d’Andorre est également particulier. Une convention fixe des seuils d’importation de produits du tabac en franchise de droits supérieurs aux seuils applicables pour les autres États tiers à l’Union européenne. Un ressortissant français peut ainsi ramener 300 cigarettes de la Principauté, contre 200 en provenance d’un autre pays tiers. La Présidence française du Conseil de l’Union européenne doit être une occasion de relancer les discussions avec Andorre pour modifier la convention liant la Principauté et l’Union européenne sur ce sujet.

Nous sommes également conscients que la réduction des seuils minimaux d’importation nécessitera l’accord de l’ensemble des États membres. Sans contester le droit pour les autres pays de déterminer librement leur politique fiscale, nous considérons que la France doit se doter des moyens afin de se prémunir contre le dumping fiscal et sanitaire exercé par certains de ses voisins. Nous n’excluons donc pas, quand bien même cette solution serait contraire au droit européen, de recourir à une option plus radicale qui consisterait à prohiber l’importation de tabac en provenance d’autres États.

Au niveau national, plusieurs leviers peuvent également être mobilisés pour limiter le commerce parallèle de tabac.

D’un point de vue opérationnel, les contrôles douaniers répondent à des problématiques différentes selon les territoires. À la frontière luxembourgeoise, le travail transfrontalier permet ainsi aux consommateurs de fractionner leurs achats. Près de l’Espagne et d’Andorre, les achats transfrontaliers prennent davantage la forme d’un tourisme fiscal. Au cours des auditions que nous avons menées, certaines associations nous ont même parlé de bus permettant d’effectuer des allers-retours quotidiens dans les zones transfrontalières afin d’acheter du tabac à moindre coût.

Nous recommandons ainsi de renforcer les moyens de contrôle de l’administration des douanes proportionnellement aux recettes supplémentaires perçues sur la vente des produits de tabac à la suite d’une hausse de prix.

Aussi, les services de l’État n’ont pas développé une coopération aussi approfondie en matière de lutte contre le trafic de tabac qu’en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants. Outre les enjeux de santé publique, le tabac relève d’une problématique fiscale et n’est pas un produit dont la détention est prohibée. Nous proposons donc de créer des comités départementaux de lutte contre le trafic de tabac, réunissant, sous l’égide du préfet, l’ensemble des services de l’État concourant à cette politique publique.

En raison de la hausse du prix du tabac, la profitabilité du trafic de cigarettes est croissante. Selon les douanes, les réseaux de trafiquants de drogue développent progressivement des activités de contrebande de tabac. Nous proposons ainsi d’instaurer un régime de sanctions aussi dissuasif pour les faits de contrebande de tabac que pour le trafic de stupéfiants, en veillant toutefois à respecter la hiérarchie des peines.

Un article a été publié ce matin concernant une saisie de 30 000 cartouches de cigarettes effectuée dans un quartier de reconquête républicaine de La Courneuve. Nous voyons bien que les services de police, de gendarmerie et des douanes travaillent quotidiennement et de manière assez fine sur ce sujet. Cette saisie est à saluer.

Enfin, le marché parallèle de tabac porte préjudice à nos buralistes, dont le réseau ne cesse de s’éroder depuis le début des années 2000. Les débitants bénéficient de plusieurs types d’aides, attribuées en fonction du chiffre d’affaires ou sur demande adressée à l’administration des douanes. En 2018, un protocole d’accord sur la transformation du réseau des buralistes a été signé, prévoyant notamment la création d’un fonds de transformation doté de 100 millions d’euros sur la période 2018-2022.

Ce fonds effectue sa montée en charge et a été plutôt bien reçu par les différents buralistes que nous avons rencontrés. Ce fonds nous semble constituer un instrument approprié afin de soutenir les buralistes dans leur démarche de diversification de leurs activités. Nous préconisons donc de prolonger le fonds au-delà de 2022, d’augmenter ses moyens à due proportion des conséquences des hausses futures du prix du tabac sur la consommation, et de majorer le montant des aides versées pour les débits situés dans les départements frontaliers et affectés par le marché parallèle.

M.  Laurent Saint-Martin, rapporteur général. Je remercie les co-rapporteurs pour leur travail très complet. L’idée d’analyser la période totalement atypique du confinement afin de regarder de près les ventes parallèles de tabac est excellente.

Savons-nous mesurer l’équation entre la hausse des prix, que nous décidons, et le transfert vers les ventes à la sauvette ou les ventes licites dans d’autres pays ? On pourrait imaginer que c’est le cas puisque nous disposons de la recette fiscale globale.

Du point de vue du produit fiscal, la hausse des prix est-elle intéressante ? J’entends bien que cette fiscalité comportementale a d’autres vertus que la seule recherche de produit fiscal.

Vous avez rappelé la baisse du seuil d’importation de cigarettes en provenance des autres pays de l’Union européenne à 200 cigarettes en août 2020. Un débat avait eu lieu car cette baisse était contraire au droit européen. Cette mesure a-t-elle produit des effets ? Considérez-vous que le risque de contentieux est toujours élevé aujourd’hui, malgré les perspectives de révision de la directive de 2008 ?

Vos travaux ont également permis d’estimer l’ampleur totale du marché parallèle de tabac. Savez-vous distinguer aujourd’hui ce qui relève des achats illicites et ce qui relève des achats légaux ? Ces deux types de comportements évoluent-ils de manière similaire? Disposez-vous d’études à ce sujet ?

Concernant la proposition d’augmenter les crédits du fonds de transformation au-delà de 2022, nous serons tous d’accord, sur le principe, pour soutenir les buralistes. La vraie question structurelle concerne la durée de cette aide. Ce fonds doit-il devenir une aide pérenne ou devons-nous ouvrir ce débat année après année ?

Concernant la forme et la méthodologie, avez-vous identifié des difficultés pouvant nuancer vos constats, tels que la potentielle hausse ou baisse de la consommation de tabac pendant le confinement ? Disposez-vous d’enquêtes qualitatives sur ce point ? Un certain nombre de Français ont-ils profité du confinement pour arrêter de fumer ?

M. Michel Lauzzana. Grâce à votre travail, nous avons dorénavant une idée beaucoup plus fiable sur ce que nous pouvons appeler l’effet pervers de l’augmentation de la fiscalité du tabac.

Vous avez montré un déplacement de la consommation des cigarettes vers le tabac à rouler. Ce déplacement a une incidence en termes de santé publique car le but de l’augmentation de la fiscalité est d’engendrer une baisse de la consommation du tabac.

Je voudrais témoigner que, dans le Lot-et-Garonne, qui n’est pas un département frontalier, des bus sont affrétés pour aller en Andorre. Ce tourisme fiscal vers l’Andorre est très important et concerne également l’alcool.

Dans votre deuxième proposition, vous parlez de la prise en compte du niveau de vie de chaque membre de l’Union européenne. Cet élément est-il destiné à faire accepter par l’Europe les différentes mesures contre la consommation de tabac ?

Ma deuxième question porte sur la baisse de la consommation de 30 % entre 2010 et 2020. Cette baisse a-t-elle eu lieu par paliers ou a-t-elle été parallèle à l’augmentation de la fiscalité du tabac ? Autrement dit, est-ce que l’effet de l’augmentation de la fiscalité du tabac s’épuise quelque peu dans le temps ? N’existe-t-il pas des phénomènes pervers sur ce point ? Il y a quelques mois, le Président a présenté la stratégie décennale de lutte contre le cancer, qui vise une baisse très importante du nombre de cancers évitables. Or 40 % de ces cancers évitables viennent du tabac, soit quasiment le double de ceux engendrés par la consommation d’alcool. Cette baisse des cancers évitables peut-elle passer uniquement par la fiscalité ?

Mme Véronique Louwagie. Je vous remercie pour ce travail qui nous éclaire et pourra contribuer à nos prises de position sur la fiscalité du tabac.

Nous pouvons nous demander si l’existence de marchés parallèles légaux n’est pas de nature à susciter des comportements illégaux.

Souvent, concernant les consommations d’alcool et de tabac, les décisions prises en matière de fiscalité sont justifiées par des objectifs de santé publique. Nous pouvons nous reposer la question de ces objectifs.

Avez-vous une position concernant les marchés duty free, qui proposent de l’alcool et du tabac ?

Concernant la contrefaçon, le marché des médicaments a évolué en raison des commandes par internet. Les commandes de tabac par internet ont-elles évoluées également ?

Avez-vous pu estimer le niveau de connaissance — ou de méconnaissance — des utilisateurs concernant les infractions et les sanctions relatives aux achats illégaux de tabac ?

M. Christophe Jerretie. Ce rapport est intéressant et comprend une belle synthèse. Le commerce parallèle est préjudiciable pour la conduite des politiques de santé publique, engendre des conséquences pour le réseau des buralistes et cause des impacts sur les comptes publics.

Vous avez évoqué la coordination des contrôles entre les différents services de l’État. Existe-t-il une coordination des contrôles entre la France et ses voisins?

Quels sont les éléments que vous avez pu recueillir concernant la Suisse ? Les départements frontaliers proches de la Suisse sont en effet moins touchés par le marché parallèle.

Vous avez rencontré le secrétariat général des affaires européennes (SGAE) et le représentant permanent de la France auprès de l’Union européenne Philippe Léglise-Costa. Vous avez évoqué les deux directives qui seront rectifiées. Je voudrais savoir si vous avez des éléments un peu plus précis et, surtout, quelle est la position de la France.

Vous avez beaucoup évoqué la diversification des activités des buralistes. Il existe un accord 2018-2021. Nous avons effectivement prolongé le fonds pour l’année 2022. Vous proposez de le prolonger encore. Pourquoi ne proposez-vous pas un nouvel accord de transformation ou plutôt d’accompagnement à la diversification ?

Mme Claudia Rouaux. Il est écrit un peu partout que fumer tue. Bien que le nombre de fumeurs en France continue de diminuer, les décès liés à la consommation de tabac augmentent. La popularité du tabagisme n’a cessé de diminuer depuis les années 1970 pour les hommes et les années 1980 pour les femmes. Des politiques ambitieuses de lutte contre le tabagisme se sont succédé, telles que la loi Veil en 1976 et la loi Evin en 1991. Pourtant le tabagisme est la principale cause de décès évitable. En France, entre 75 000 et 90 000 décès liés au tabac sont recensés chaque année, soit un décès sur huit.

S’il est considéré que la fiscalité du tabac est bien l’outil le plus efficace pour éradiquer le tabagisme, ne pensez-vous pas qu’il y a urgence à harmoniser la fiscalité européenne sur les produits de tabac ? Une telle harmonisation permettrait enfin de répondre aux obligations de santé publique.

Par ailleurs, la baisse continue des effectifs des douanes ne contribue-t-elle pas à l’augmentation du trafic de contrebande ?

Mme Lise Magnier. Je tiens à remercier sincèrement nos deux co-rapporteurs pour la qualité de leur rapport et des auditions auxquelles nous avons pu assister, nous ayant permis d’estimer que le marché parallèle de tabac est compris entre 14 % et 17 % de la consommation totale de tabac en France. Ce chiffre me semble important à connaître, de même que le fait que la consommation parallèle s’élève à près de 30 % dans les départements frontaliers.

Ainsi, les pertes de recettes fiscales générées par ce marché parallèle de tabac sont comprises entre 2,5 et 3 milliards d’euros par an. Ce montant représente une manne financière non négligeable pour l’État.

Évidemment, je vous rejoins quant au fait que la politique de lutte contre le tabagisme doit gagner en cohérence, notamment en tenant compte des effets réels de la hausse des prix du tabac sur le marché parallèle. La politique de hausse du prix du tabac doit évidemment être davantage liée aux moyens déployés pour lutter contre la contrebande et la contrefaçon, ainsi qu’aux dispositifs d’aide bénéficiant aux buralistes engagés dans une démarche de diversification de leurs activités.

Nous sommes convaincus que la révision des deux directives européennes encadrant le régime d’accises des produits du tabac doit représenter une occasion de réduire les écarts des prix pratiqués au sein de l’Union européenne mais aussi de limiter la circulation intracommunautaire des produits du tabac. J’espère que la France s’engagera afin que le droit français soit retenu dans le cadre de la révision de ces deux directives européennes.

Enfin, pour la bonne santé de nos finances publiques, vous formulez quatre propositions tendant à la fois à renforcer les contrôles et à réduire la profitabilité du trafic du tabac. Je souhaite que ces propositions trouvent une concrétisation rapide. Avez-vous des éléments de comparaison européenne ?

Les analyses chiffrées de votre rapport ainsi que le taux de prévalence tabagique français doivent nous interroger sur une meilleure prévention ainsi que l’accompagnement des alternatives tabagiques, présentant des risques nettement réduits pour la santé des consommateurs.

M. Charles de Courson. Je remercie les rapporteurs pour ce travail concernant la fiscalité du tabac. Le problème de fond, avant d’être budgétaire, relève de la santé publique. La question est de savoir si notre système fiscal contribue à diminuer la prévalence tabagique. Or il existe une anomalie française. En effet, les taux de prévalence sont plus élevés que la moyenne européenne et nous ne sommes pas sûrs que ces taux évoluent dans le bon sens, notamment chez les jeunes.

Il me semble que deux aspects ne sont pas évoqués dans le rapport, le développement des e-cigarettes et du tabac à chauffer.

La fiscalité des e-cigarettes est de droit commun. Nous n’agissons donc pas en matière fiscale. Rappelons que l’organisation mondiale de la santé (OMS) était opposée à la cigarette électronique tandis qu’une partie de nos pneumologues étaient favorables, considérant que cette dernière était moins nuisible à la santé.

Le même débat existe actuellement en Europe concernant le tabac à chauffer. Par les hasards de notre système fiscal, le tabac à chauffer est dans la rubrique « autres ». Nous n’avons jamais réfléchi à la fiscalité sur le tabac à chauffer et au fait de favoriser sa consommation ou non. Le problème se situe en amont. Le tabac à chauffer est-il bénéfique en termes de santé publique ? Cette question est très discutée. L’OMS est défavorable tandis que certains spécialistes sont divisés. J’ai essayé de lancer le débat l’année dernière. Je continuerai cette année afin que nous définissions une position sur ce point.

Vous êtes prudents dans l’analyse que vous formulez sur l’ampleur de la consommation parallèle de tabac. J’ai davantage confiance dans les études de type Nielsen, qui suivent la consommation des ménages et évoquent plutôt une proportion de consommation parallèle entre 25 % et 30 %. Géographiquement, la consommation est extrêmement diversifiée. Nous voyons bien sûr que le problème est plus présent à proximité des frontières.

À partir de Toulouse, un tourisme alcoolique et tabagique existe à destination d’Andorre. Le même problème se présente dans l’Est avec un tourisme à destination du Luxembourg. Chez moi, environ un tiers de la consommation vient du Luxembourg, sans parler de l’alcool et du carburant. Notons également l’achat de tabac par des sites internet tels qu’Amazon.

M. Alain Bruneel. Je félicite à mon tour les rapporteurs pour l’excellent travail, notamment pour l’analyse de la situation pendant la période de la crise sanitaire liée au Covid-19. Votre travail nous éclaire aussi sur le changement de comportement des consommateurs pendant la période de la crise sanitaire. Les consommateurs ont-ils été plus nombreux pendant la période de la crise sanitaire et du confinement ?

J’interviens comme mes collègues sur la question de santé publique. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2018 a prévu une augmentation du prix du paquet de cigarettes à dix euros afin de diminuer le nombre de consommateurs. Nous devrions mener des actions plus importantes dans le but de réduire la consommation et, ainsi, entraîner une baisse des dépenses de la sécurité sociale. Des actions ou incitations pédagogiques pourraient viser à diminuer la consommation de tabac. Nous nous apercevons que la consommation a au contraire augmenté pendant le confinement.

Les commerces ruraux, offrant de nombreux services, sont indispensables. La transmission des buralistes est aujourd’hui un véritable enjeu. Avez-vous travaillé sur cette question ?

M. Patrick Hetzel. Je voudrais remercier les rapporteurs pour le travail effectué, très important et documenté. Votre rapport est aussi l’occasion de montrer le rôle stratégique joué par les buralistes.

Notre collègue Alain Bruneel disait que le rapport montre une augmentation de la consommation de tabac pendant la période de crise sanitaire liée au Covid-19. Je n’ai pas lu cette information dans votre rapport. Ce dernier montre surtout l’existence de ce double problème du marché parallèle, asséché durant la période, et des achats à l’étranger.

Les achats de tabac dans les pays frontaliers posent la question de notre relation avec les pays voisins. Concernant le territoire dont je suis député, l’Allemagne et le Luxembourg sont peu coopératifs avec les autorités françaises pour effectuer des contrôles lors des passages aux frontières. Je vous remercie d’avoir mentionné ce problème.

Vous présentez des propositions très concrètes. Je note la septième proposition visant à renforcer annuellement les moyens de contrôle de l’administration des douanes. Nous avons besoin de réarmer nos douanes, de telle sorte qu’elles puissent effectuer ce travail. Les douaniers se concentrent aujourd’hui sur les stupéfiants. Or la question du tabac est, elle aussi, essentielle.

Vos propositions relèvent du bon sens. Que comptez-vous effectuer pour qu’elles soient mises en œuvre ? Un certain nombre d’entre elles dépendent du législateur mais d’autres relèvent du pouvoir exécutif. Que comptez-vous effectuer pour que nous puissions mettre le Gouvernement face à ces responsabilités sur les questions éminemment pertinentes soulevées dans votre rapport ?

Mme Émilie Cariou. Je salue l’unanimité quant à la nécessité de lutter contre le commerce transfrontalier des produits du tabac.

Certains pays frontaliers, à l’instar du Luxembourg, appliquent la fiscalité que vous avez décrite. Ce dumping fiscal, en favorisant le commerce transfrontalier, a pour conséquence de réduire l’efficacité des politiques publiques, notamment des politiques de santé publique menées en France. Cette situation contribue à expliquer la forte prévalence tabagique observée dans le grand Est, supérieure de quatre points à la moyenne nationale. Cette forte prévalence se traduit par un coût humain injustifiable. Évidemment, une partie des recettes fiscales françaises est aussi obérée à hauteur de plusieurs milliards d’euros par an.

Ces distorsions de concurrences sont parallèlement massivement exploitées par les fabricants de tabac qui sur-approvisionnent délibérément ces zones frontalières, contournant ainsi les politiques fiscales entreprises en France. En 2019, l’industrie du tabac a ainsi approvisionné le Luxembourg à hauteur de plus de 5 millions de cigarettes. Si cet approvisionnement était uniquement destiné au marché intérieur, chaque Luxembourgeois, enfant comme adulte, fumeur comme non-fumeur, devrait fumer 23 cigarettes par jour, soit plus d’un paquet au quotidien. J’ai eu l’occasion d’évoquer ce sujet, et notamment le contrôle des zones frontalières, avec Philippe Léglise-Costa. Je souscris à l’idée que les pays frontaliers ne nous aident ni pour les trafics de tabac ni pour les trafics d’héroïnes qui inondent tout l’Est de la France.

Face à cette politique de prédation fiscale et sanitaire, et dans la perspective de la révision de la directive européenne, mettre en œuvre une stratégie de négociation européenne devient urgent. Avez-vous commencé à parler de ces propositions auprès de nos représentants français à la Commission européenne ? Où en sont les négociations avec les autres États membres ? Quelles sont les positions des uns et des autres concernant ce sujet ?

M. Mohamed Laqhila. Puisque nous évoquons le commerce illicite, l’OMS nous rappelle que le développement de ce commerce illicite provient essentiellement des fabricants eux-mêmes. Pensez-vous que l’augmentation du prix du paquet de cigarettes, par exemple à 15 euros, pourrait réduire la consommation ou, au contraire, développer le marché parallèle ?

L’alliance contre le tabac nous donne trois chiffres importants. D’abord, le tabagisme entraîne 75 000 décès par an, ce qui en fait la première cause de mortalité évitable en France. Ensuite, le coût annuel du tabac pour chaque citoyen français s’élève à 1 800 euros. Enfin, si les recettes du tabac sont de 16 milliards d’euros par an, le montant annuel des soins de santé liés au tabagisme est de 26 milliards d’euros.

Peut-on vraiment parler de rendement de la fiscalité applicable aux produits du tabac ? Que représentent les 2 à 3 milliards d’euros du marché parallèle rapportés à tous les chiffres que je viens d’énoncer ?

M. Philippe Chassaing. Je vous remercie pour ce travail très intéressant. Avez-vous évalué dans quelle mesure le principe d’interdiction de vente de tabac aux mineurs était respecté ? Par ailleurs, avez-vous effectué une estimation de la vente de tabac sur internet ? Quels sont les réseaux permettant aujourd’hui d’acheter du tabac sur internet ?

M. Éric Woerth, co-rapporteur. Je vous remercie pour toutes ces questions.

Je rappelle que, dans notre rapport, nous ne prenons pas position sur la dangerosité du tabac. Le tabac est évidemment dangereux pour la santé et il faut tenter de baisser sa consommation en France.

Nous ne nous prononçons pas davantage sur les responsabilités de chaque acteur dans le marché parallèle. Il est beaucoup dit que les cigarettiers approvisionnent ce marché. Nous n’en avons strictement aucune idée. Cette question n’est pas l’objet de notre rapport.

Concernant les questions du rapporteur général, nous ne disposons pas d’une mesure de l’élasticité des marchés parallèles par rapport à l’augmentation des prix. En effet, nous ne disposons pas d’une vision claire du marché parallèle dans le temps puisque notre étude se concentre sur un moment précis de la vie du pays. Nous avons essayé de neutraliser les deux augmentations préalables des prix du tabac en 2019 et 2020. L’élasticité mesurée par la direction de la sécurité sociale entre une augmentation de prix et la baisse de consommation du tabac indique que, lorsque nous augmentons de 10 % le prix du tabac, nous obtenons de façon linéaire une baisse de consommation de 6 % à 8 % chez les buralistes. Notre étude étant liée à un phénomène ponctuel, il serait assez difficile de la poursuivre pour établir une estimation du marché parallèle dans le temps.

Concernant la baisse du seuil d’importation à 200 cigarettes en France, les douanes nous disent qu’il est trop tôt pour en tirer des conclusions. En revanche, il nous a été indiqué que les  saisies de petite quantité ont diminué, alors que les saisies de plus de dix cartouches ont progressé. La raison en est peut-être que le marché s’organise.

Nous ne pouvons pas non plus distinguer les achats illicites et licites. KPMG a réalisé l’enquête « ramasse-paquets », qui étudie les paquets jetés sur la voie publique. Il relève de petites différences entre ce qui est vendu de manière licite et illicite. Je ne sais pas si c’est très opérationnel.

Le fonds de transformation doit être prolongé en 2022. Je pense que le fonds durera tant que les buralistes n’auront pas trouvé un modèle économique de substitution à une vente de tabac qui diminue. J’ignore si la consommation de tabac cessera un jour, c’est en tout cas l’un des objectifs du Gouvernement. Nous devons évidemment aboutir à un nouveau modèle économique pour les buralistes, qui assurent un lien social.

Le confinement a eu un effet à peu près neutre sur la consommation de tabac selon les statistiques. D’après Santé publique France, environ 55 % des fumeurs n’ont pas modifié leur consommation pendant le confinement, 19 % indiquent que leur consommation a diminué et 27 % que leur consommation a augmenté. Nous notons donc une petite augmentation, dont nous avons essayé de tenir compte.

Mme  Zivka Park, co-rapporteure. M. Lauzzana et Mme Louwagie ont tous les deux mis en exergue ce fameux commerce parallèle tout à fait légal permettant de se rendre dans des territoires transfrontaliers pour acheter des produits de tabac 30 % à 40 % moins cher qu’en France. Nous avons dialogué avec les associations et les douaniers, qui ne peuvent pas connaître les horaires exacts de ces bus touristiques. Travailler avec les collectivités territoriales serait bénéfique afin d’augmenter les contrôles sur ces bus, dont nous savons qu’ils partent en grande majorité dans le but de permettre aux consommateurs d’acheter du tabac.

La question des commandes sur internet est revenue à plusieurs reprises. Si vous pouvez aujourd’hui commander des cigarettes électroniques sur internet, il est en revanche strictement interdit d’acheter du tabac en ligne. Lors de notre déplacement à Thionville, nous avons en revanche pu constater que les douaniers saisissent des colis entiers de cartouches de cigarettes, ou parfois juste quelques paquets, au sein des bureaux de poste. Nous savons que les douanes travaillent beaucoup avec des chiens qui reniflent ces paquets et parviennent à retrouver la majorité des produits de tabac envoyés par la poste. En tout cas, il est interdit de commercialiser des cigarettes en ligne puisqu’aujourd’hui, les seuls détenteurs du permis de vente de tabac sont les buralistes et les commerces de duty free. J’ajoute que nous n’avons pas étudié l’impact du duty free sur le marché car il est minime.

M. Lauzzana et Mme Rouaux ont eu raison de rappeler le problème de santé publique lié au tabac. Fumer tue. Une grande campagne de communication a été mise en place, notamment avec ces paquets neutres et visuels assez choquants afin d’expliquer les méfaits du tabac. Nous devons continuer et amplifier cette bataille de la communication. Nous devons surtout mettre cette communication en avant dans le cadre de l’Union européenne, avec notamment le plan cancer.

L’idée d’harmoniser le prix du paquet dans l’Union européenne par rapport au niveau de vie nous semble une première étape pour parvenir à un accord, qui n’est évidemment pas encore acquis.

Concernant le niveau de méconnaissance des sanctions, nous préconisons dans le rapport de mieux communiquer sur les sanctions encourues par les personnes transportant une quantité de cigarettes supérieure au seuil autorisé. Parfois, les douaniers sont confrontés à des gens de bonne foi. En revanche, certains dépassent le seuil tout en étant parfaitement au fait de la réglementation. Pour la saisie de 30 000 cartouches que j’évoquais précédemment, le réseau venait de Belgique. Les cartouches étaient déposées dans des box à Gonesse et vendues à La Courneuve. Ces réseaux sont bien installés mais, grâce au travail de nos forces de l’ordre, nous parvenons plus ou moins à les retrouver.

M. Éric Woerth, co-rapporteur. Nous n’avons pas une idée globale de la contrefaçon. Nous savons en revanche qu’il existe des usines, notamment en Belgique, en Espagne et en Algérie. Selon la direction générale des douanes et droits indirects, aucune usine n’est présente en France. Ces usines relèvent du grand banditisme et doivent être regardées de très près. Ces usines importent elles-mêmes et les produits sont retrouvés dans des marchés sauvages un peu partout. Il aurait été difficile d’effectuer une segmentation du marché parallèle. Néanmoins, la contrefaçon est comprise dans les chiffres que nous formulons puisque les personnes n’ayant pas pu consommer de cigarettes contrefaites pendant le confinement ont été contraintes d’acheter leurs cigarettes auprès du réseau des buralistes.

Concernant les douanes, la lutte contre le tabagisme est le parent pauvre du système de contrôle. Évidemment, les stupéfiants constituent une priorité par principe puisque leur consommation est illicite. La coordination entre les différents pays nous a semblé assez faible. Lors de nos discussions avec des douaniers sur le terrain ainsi qu’avec la direction générale des douanes et des droits indirects, il est apparu que ce débat intéresse surtout la France.

En Suisse, le prix du paquet est un peu moins élevé qu’en France, soit environ sept ou huit euros. Nous avons également noté de nombreux départs depuis les départements frontaliers de la Suisse vers d’autres régions durant le confinement, ce qui a produit des effets sur la consommation de tabac dans ces territoires au deuxième trimestre 2020. De la même manière, à Paris, nous remarquons plutôt une baisse de la consommation, en raison de la fermeture de certains buralistes et des déplacements d’un grand nombre d’habitants.

L’harmonisation des prix en Europe est évidemment au cœur de nos propositions. L’harmonisation des prix constitue peut-être un vœu pieux. Nous sommes suffisamment adultes pour savoir que la concrétisation de cette proposition n’est pas évidente. Nous notons tout de même que les administrations chargées de cette question en ont bien conscience. En revanche, nous notons également la faiblesse de l’argumentation française. Augmenter le prix du tabac n’est pas possible dans certains pays. Or l’unanimité est nécessaire. C’est pour cette raison que nous proposons la proportionnalité par rapport au niveau de vie. En tout cas, la Commission européenne n’a pas encore émis de proposition de révision. Les négociations n’ont pas encore officiellement débuté.

Nous n’avons pas du tout travaillé sur le vapotage et la e-cigarette, qui se situent en dehors du champ de notre étude. Nous n’avons pas non plus étudié le tabac à chauffer, qui représente des consommations très faibles. Nous ne portons évidemment aucun avis sur le risque sanitaire lié à ces produits. Nous ne sommes ni l’un ni l’autre compétents dans ce domaine et nous nous garderons bien de formuler un avis.

Mme  Zivka Park, co-rapporteure. Pour compléter, nous avons rencontré un certain nombre d’associations. Ces dernières ne sont pas toutes d’accord à ce sujet. Cette question est à creuser mais ne faisait pas partie de l’objectif initial de notre rapport.

Concernant la prévalence tabagique élevée, nous n’avons pas creusé entièrement la question des outils utilisés par les autres pays européens. Cependant, nous prenons l’exemple de la Grande-Bretagne dans notre rapport. Le prix du paquet de cigarettes est assez similaire à celui de la France. Pourtant, la prévalence tabagique chez les plus de 18 ans a baissé à 14 % en Grande-Bretagne tandis, qu’en France, elle est toujours de 24 %. Ce chiffre montre peut-être aussi que le marché parallèle se développe beaucoup plus facilement lorsqu’un pays n’est pas insulaire. L’aspect fiscalité-prix fonctionne sur la consommation du tabac mais est bien évidemment diminué lorsqu’il est possible d’acheter du tabac sur le marché parallèle.

Le tabagisme est mortel et engendre un coût pour toute la société. Les 2,5 à 3 milliards d’euros de fiscalité perdus en raison du marché parallèle ne représentent pas grand-chose eu égard à ce qui est dépensé pour soigner la population. Ce chiffre reste néanmoins important et doit être pris en considération. Ces milliards d’euros sont à récupérer afin d’être remis dans les caisses de l’État et de la sécurité sociale. Néanmoins, au-delà des recettes fiscales, le sujet du tabagisme constitue un réel enjeu de santé publique, dont nous devons nous saisir collectivement.

M.  Éric Woerth, co-rapporteur. Selon la Commission européenne, les préconisations du protocole de l’OMS concernant la traçabilité sont parfaitement respectées. Le protocole de l’OMS ne dit pas que les livraisons à des marchés nationaux doivent être proportionnées à la consommation de ces pays mais que la quantité livrée doit être proportionnée à la quantité vendue. Aujourd’hui, le cadre du protocole de l’OMS est respecté. L’OMS souhaite que toute la chaine logistique, de la fabrication à la distribution de cigarettes, soit sous contrôle.

Par ailleurs, il est certain que les pays frontaliers de la France n’aident pas au contrôle. C’est pour cette raison que nous proposons des instances de contrôle dans les départements qui le souhaitent, à l’image des comités opérationnels départementaux antifraude (CODAF) créés en 2008.

L’augmentation du prix du tabac entraîne un besoin accru de contrôle aux douanes. Je ne suis pas favorable à la création d’une taxe affectée. Cependant, nous pourrions proportionner les moyens des douanes à ce besoin, puisqu’il existe une base physique et financière. Les moyens des douanes doivent être augmentés en fonction de la fraude potentielle, qui doit être mesurée. Nous pourrions déposer des amendements de crédit concernant les douanes et évoquer un certain nombre de sujets dans le cadre du  projet de loi de finances. De nombreuses recommandations relèvent en revanche du pouvoir réglementaire, ou du droit de l’Union européenne.

Mme  Zivka Park, co-rapporteure. L’interdiction de l’achat de tabac par les mineurs n’était pas non plus dans le champ de l’étude. Je ne saurais répondre à M. Chassaing sur cette question.

Mme Anne-Laure Cattelot. Vous avez identifié, durant le deuxième trimestre de l’année 2020, une augmentation des ventes de tabac de 22 % dans les départements frontaliers. Pourtant, dans le territoire frontalier avec la Belgique dont je suis députée, les buralistes ont évoqué un doublement de la demande. Je suis donc étonnée de la faiblesse de l’augmentation que vous observez dans ces départements.

Concernant l’harmonisation européenne des prix, un tableau intéressant, en page 31 du rapport, montre bien que hormis le décrochage français, la courbe est certes à la hausse mais reste assez regroupée. Avons-nous une idée de la convergence des prix au niveau de tous les pays de l’Union européenne ?

Par ailleurs, concernant les contrôles douaniers aux portes de l’Union européenne, nous avons le sentiment que des contrôles douaniers assez réguliers ont lieu en Suisse et en Andorre, plutôt effectués par les douanes d’autres pays que la France. Cependant, il semble que, pour la Belgique, les seuls contrôles sont du fait des Français. Disposez-vous d’informations relatives aux contrôles effectués en matière de trafic de tabac de contrefaçon dans les ports d’Anvers et de Rotterdam ?

M.  Éric Woerth, co-rapporteur. Une carte de France, en page 44 du rapport, compare les ventes des deuxièmes trimestres des années 2019 et 2020. Dans certains départements des Hauts-de-France, l’augmentation de la consommation peut s’élever jusqu’à 40 %. Le ressenti peut être différent mais cette carte a été établie à partir de chiffres de ventes très précis.

Concernant les prix, il n’existe pas de convergence particulière.

Mme  Zivka Park, co-rapporteure. Nous ne disposons pas d’informations au sujet des contrôles dans les ports d’Anvers et de Rotterdam.

Par ailleurs, les 22 % d’augmentation de la consommation évoquée pour les départements frontaliers constituent une moyenne. L’augmentation a été beaucoup plus forte dans certains départements et plus faible dans d’autres. Madame Cattelot, vous revenez à l’objectif initial de cette mission : établir un constat à partir de faits, de chiffres et par le biais d’une étude. C’est ce à quoi nous sommes parvenus.

 

 


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   Liste des personnes auditionnées par la mission d’information

Direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) : Mme Isabelle Braun-Lemaire, directrice générale

Secrétariat général des affaires européenne (SGAE) : Mme Sandrine Gaudin, secrétaire générale

Direction de la sécurité sociale : M. Franck Von Lennep, directeur

Confédération des buralistes : M. Philippe Coy, président, Mme Sophie Lejeune, secrétaire générale, et M. Jean-Paul Vaslin, directeur des affaires institutionnelles

Les buralistes en colère : MM. Eric Hermeline, président, Claude Richert, vice-président, Mmes Chantal Cols, secrétaire, et Michèle Monnet, secrétaire

Alliance contre le tabac : Professeur Loïc Josseran, président, Mmes Marion Catellin, directrice, et Pauline Monfort, chargée de plaidoyer

Comité national contre le tabagisme : M.Pascal Diethelm, vice-président, et Mme Emmanuelle Beguinot, directrice

Demain sera non-fumeur : M. Gérard Audureau, président

SICPA France : MM. Yves Trévilly, président, Curtis Vaïsse, responsable des affaires publiques et juridiques en charge de l’Union européenne

British American Tobacco : M. Vincent Zappia, responsable des affaires publiques

Seita Imperial Tobacco: M. Cyril Lalo, directeur affaires publiques France et M. Hervé Natali, responsable des relations territoriales, en charge de la lutte contre le commerce parallèle

Philip Morris France : Mme Jeanne Pollès, présidente et M. Emeric Christiansen, responsable affaires fiscales

Fédération France vapotage : M. Vincent Durieux, président et
Mme Florence Meslet, déléguée générale

Fédération interprofessionnelle de la vape (FIVAPE) : M. Jean Moiroud, Président

Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) : MM. Julien Morel d’Arleux, directeur, et Marc-Antoine Douchet, chargé d’études

Logista France : M. Pascal Ageron, président

Représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne : M. Philippe Léglise-Costa, ambassadeur, représentant permanent

MM. Thierry Arnaudin, Gérard Maury, Mme Claudine Mora, M. Jérome Recapet : buralistes en Nouvelle-Aquitaine et Occitanie

Direction interrégionale des douanes de Nouvelle-Aquitaine : M. Serge Puccetti, directeur interrégional, M. Patrice François, Directeur régional des douanes de Bayonne, M. Gérard Labeyrie, Contrôleur principal des douanes - Brigade de surveillance intérieure de Cambo

 


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   COntributions Écrites

Direction générale de la santé (DGS)

Santé publique France

KPMG

Japan Tobacco International


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   DÉplacement des rapporteurs

Le lundi 12 avril 2021 à Thionville 

Programme de la matinée

En présence de MM. Denis Martinez, directeur interrégionale des douanes du Grand-Est, Joseph Grandgirard, directeur régional des douanes de Nancy, Thomas Daguin, chef divisionnaire Lorraine Nord, Francis Meyer, chef des services douaniers de la surveillance de la brigade de surveillance intérieure de Thionville.

– déplacement sur un point de contrôle ;

– présentation de la brigade de surveillance intérieure de Thionville.

Programme de l’après-midi 

En présence de M. Philippe Coy, président de la confédération des buralistes, Mme Sophie Lejeune, secrétaire générale de la confédération des buralistes, MM. Jean-Paul Vaslin, directeur des affaires publiques de la confédération des buralistes, Antoine Palambo, président départemental de la confédération Moselle.

– visite d’un débit de tabac à Aumetz ;

– visite d’un débit de tabac à Thionville.


(1) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.

([2]) Jean-Augustin Barral, L’industrie et le monopole des tabacs, La revue des deux mondes, 1843.

([3]) Article 568 du code général des impôts.

([4]) Ces pays sont l’Espagne, l’Italie et l’Autriche.

([5]) Décret n° 2010-720 du 28 juin 2010 relatif à l’exercice du monopole de la vente au détail des tabacs manufacturés.

([6]) Le montant du droit de licence est calculé en appliquant un taux, variable selon les années et fixé par l’article 570 du code général des impôts (17,907 % en 2021), à la remise directe de 8 % dont bénéficient les débitants de tabac sur les tabacs livrés par les fournisseurs.

([7]) Article 570 du code général des impôts.

([8]) Article 571 du code général des impôts.

([9]) Article 568 ter du code général des impôts.

([10]) Santé publique France, Estimation du nombre de décès attribuables au tabagisme en France de 2000 à 2015, mars 2019.  

([11]) Loi n° 76-616 du 9 juillet 1976 relative à la lutte contre le tabagisme.

([12]) Loi n° 91-32 du 10 janvier 1991 relative à la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme.

([13]) Loi n° 2003-715 du 31 juillet 2003 visant à restreindre la consommation de tabac chez les jeunes.

([14]) Article 98 de la loi  2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires.

([15]) Article R. 3512-2 du code de la santé publique.

([16]) Article L. 3512-22 du code de la santé publique.

([17]) Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.

([18]) Le montant du remboursement des produits de sevrage s’élevait auparavant à 150 euros par an.

([19]) Décret n° 2016-1671 du 5 décembre 2016.

([20]) Loi n° 2017-1836 du 30 décembre 2017 de financement de la sécurité sociale pour 2018.

([21])Voir notamment Frank J. Chaloupka, Kurt Straif, Maria E. Leon,, International Agency for research on Cancer, Effectiveness of price and tax policies in tobacco control, 2012.

([22]) Cette modalité de calcul, prévue par l’article 298 quaterdecies du code général des impôts, est nommée « TVA en dedans ». En appliquant la TVA au prix de vente hors TVA, son taux s’élève en pratique à 16,667 %.

([23])  Il convient de noter que la Corse bénéficie d’un régime fiscal dérogatoire par rapport au territoire français du continent, de même que les territoires d’outre-mer. Ces régimes ne feront pas l’objet d’analyses dans le cadre du présent rapport.

([24]) Le niveau des ventes de tabac sur le territoire national se mesure par l’évolution des ventes de tabac manufacturé par le fournisseur Logista France au réseau des buralistes. Elles se traduisent en volume de ventes défini en unités ou en grammes selon le produit considéré.

([25]) 35,7 % des fumeurs déclarent fumer du tabac à rouler selon les résultats des baromètres de Santé publique France.

([26]) La prévalence tabagique désigne la proportion de personnes déclarant fumer occasionnellement ou quotidiennement au sein d’une population donnée.

([27]) À cet égard, il convient de remarquer que la mise en œuvre des trajectoires de hausse de fiscalité coïncide avec des baisses temporaires de la prévalence du tabagisme quotidien, ensuite partiellement compensées par un retour à la hausse du niveau de prévalence une fois le prix du paquet de cigarettes stabilisé.

([28]) Baromètre de Santé publique France.

([29]) KPMG, Illicit cigarette consumption in the EU, UK, Norway and Switzerland. Les dernières éditions de l’étude ont été plus spécifiquement financées par Philip Morris International. L’édition 2020 peut être consultée au lien suivant : https://www.stopillegal.com/docs/default-source/external-docs/kpmg-report---2019-results/kpmg-report-illicit-cigarette-consumption-in-the-eu-uk-norway-and-switzerland-2019-results.pdf  

([30]) Concernant ces sociétés, les annexes du rapport de KPMG citent notamment Nielsen, Ipsos et MSI.

([31]) En France, 126 villes ont composé l’échantillon pour l’étude menée en 2019. 46 500 paquets y ont été ramassés.

([32]) OFDT, C. Ben Lakdhar, Contrebande et ventes de tabac 1999-2004, Tendances n° 44, 2005.

([33]) OFDT, C. Ben Lakdhar et al., Estimation des achats transfrontaliers de cigarette 2004-2007, Tendances n° 75, 2011.

([34]) OFDT, A. Lermenier-Jeannet, Ch. Palle, Enquête Atlas 2016, Approvisionnement en tabac : lieux d’achats sollicités par les fumeurs français, 2017, et Baromètre Santé publique France, R. Andler, R. Guignard, A. Lermenier-Jeannet et al., Lieux d’achats du tabac entre 2014 et 2018, 2019.

([35]) Il convient de noter que, en ce qui concerne la Principauté de Monaco, les prix du tabac sont similaires à ceux de la France : compris, pour un paquet de vingt cigarettes, entre 9 et 10 euros, et, pour une blague de tabac à rouler de 40 grammes, entre 16 et 17 euros.

([36]) Article 575 I du code général des impôts.

([37]) Le plan 2020-2021 a été présenté le 19 octobre 2020.

([38]) Article 154 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 pour 2020, décret n° 2021-148 du 11 février 2021 portant modalités de mise en œuvre par la direction générale des finances publiques et la direction générale des douanes et droits indirects de traitements informatisés et automatisés permettant la collecte et l’exploitation de données rendues publiques sur les sites internet des opérateurs de plateforme en ligne

([39]) OMS, Bureau régional pour l’Europe, Tobacco use causes almost one third of cancer deaths in the WHO European Region, février 2020

([40]) Office of National Statistics, Adult smoking habits in the UK : 2019, 7 juillet 2020, https://www.ons.gov.uk/peoplepopulationandcommunity/healthandsocialcare/healthandlifeexpectancies/bulletins/adultsmokinghabitsingreatbritain/2019

([41]) Commission européenne, DG Santé, Smoking prevalence, 2021.

([42])  Article L. 138-1 du code de la sécurité sociale.

([43]) OFDT, C. Ben Lakdhar, Contrebande et ventes de tabac 1999-2004, Tendances n° 44, 2005.

([44]) OFDT, C. Ben Lakdhar et al., Estimation des achats transfrontaliers de cigarette 2004-2007, Tendances n° 75, 2011.

([45]) Article 56 AJ, code général des impôts, annexe IV.

([46]) Le taux de remise nette, résultant de la remise brute à laquelle sont soustraits le droit de licence et la cotisation au régime d’allocation viagère des débitants de tabac, s’élève à 8 % en 2021.

([47]) Chiffres transmis par la Confédération des buralistes.

([48]) Arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19 et arrêté du 17 mars 2020 complétant l’arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19.

([49]) OFDT, Tabagisme et arrêt du tabac en 2020, mars 2021.

([50]) Les données exposées dans cette partie concernent les ventes effectuées en France métropolitaine continentale. Sont exclues les ventes réalisées en Corse ainsi que dans les départements et territoires d’outre-mer. Ce choix s’explique à la fois par le fait que la Corse bénéficie d’un régime fiscal dérogatoire, et que l’étude menée par les rapporteurs se concentre sur les effets produits par la fermeture des frontières terrestres et le confinement sur le continent européen.

([51]) Il doit être noté qu’en 2019, comme en 2020, les ventes de tabac dans les départements non frontaliers représentent 16 % des volumes totaux de ventes réalisées en France continentale, ce qui explique que sur l’ensemble du territoire la hausse du volume des ventes atteigne 5,5 % au deuxième trimestre 2020.

([52]) Ce résultat peut en partie s’expliquer par les départs nombreux de population dans les départements frontaliers de la Suisse, ainsi que par les limites quantitatives à l’importation spécifiques applicables aux résidents frontaliers (voir infra).

([53]) Chiffres communiqués par la DGDDI aux rapporteurs au cours de son audition.

([54]) La baisse des ventes constatée en novembre 2020 s’explique donc par un réajustement à la baisse des livraisons de tabacs à la suite de la constitution par les buralistes de stocks en octobre 2020.

([55]) Santé publique France, Consommation de tabac parmi les adultes en 2020, résultats du baromètre de Santé publique France, mai 2021.

([56]) Insee Analyses n° 54, Retour partiel des mouvements de population avec le déconfinement, juillet 2020.

([57]) Calcul effectué à partir du tableau des droits d’accise de la Commission européenne au 1er mars 2021.

([58]) Calcul effectué à partir des dispositions de l’article 575 A du CGI en vigueur au 1er janvier 2021.

([59]) Pour mémoire, ces produits représentent environ 5 % des ventes totales de produits du tabac.

([60]) Fixés chaque année par voie d’arrêté ministériel. Concernant les prix en 2020, se reporter à l’arrêté du 25 janvier 2021 constatant pour chaque groupe de produits du tabac le prix moyen pondéré de vente au détail pour l’année 2020 au sens de l’article 575 du code général des impôts.

([61]) Le déficit de la branche maladie s’est élevé à 30,4 milliards d’euros en 2020.

([62]) https://ec.europa.eu/taxation_customs/sites/default/files/10-02-2020-tobacco-taxation-report-summary_en.pdf  

([63])  Les dispositifs de tabac à chauffer permettent, sans combustion du tabac, de produire un aérosol contenant de la nicotine.

([64]) La cigarette électronique n’est pas composée de tabac. Ce dispositif permet de chauffer un liquide, vaporisé en aérosol.

([65]) Circulaire du 3 septembre 2014 précisant les règles de circulation et de taxation des tabacs manufacturés détenus par les particuliers.

([66]) Jusqu’au 1er janvier 2021, cet article s’appliquait à toute personne quelle que soit sa provenance. La loi de finances pour 2021 précise que l’application de cet article est limitée aux personnes introduisant du tabac manufacturé en provenance d’un autre État membre de l’Union européenne. Cet ajustement est justifié par le fait que les pays tiers disposent de franchises douanières spécifiques.

([67]) Article 50 octies de l’annexe IV du code général des impôts.

([68]) L’article 1er de la convention entre la Suisse et la France sur les rapports de voisinage et la surveillance des forêts limitrophes conclue le 31 janvier 1938 stipule que les zones frontalières s’étendent de chaque côté de la frontière politique sur une profondeur de 10 kilomètres. L’administration des douanes indique que sont considérés comme résidents frontaliers les résidents des départements du Haut-Rhin, du Territoire-de-Belfort, du Doubs, du Jura, de l’Ain et de la Haute-Savoie ayant leur résidence dans une zone de 10 kilomètres de profondeur à compter de la frontière franco-suisse.

([69]) Les dispositions de l’article 8 de la directive 2007/74/CE du Conseil du 20 décembre 2007 prévoient que les États membres exonèrent de TVA et d’accise les importations de produits du tabac, sous réserve de respecter les limites quantitatives inférieures ou supérieures mentionnées dans le tableau ci-dessus.

([70]) Article 3 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

([71])  Insee Première, Forte croissance du nombre de travailleurs frontaliers vers la Suisse et le Luxembourg, juin 2019.

([72]) Une « venta » est un magasin situé à la frontière entre le pays basque et l’Espagne, proposant de nombreux produits (alcool, parfums, alimentation, cigarettes) à moindre coût par rapport aux prix pratiqués en France.

([73]) Sur ce point, il a été précisé aux rapporteurs que les scanners mobiles spéciaux à disposition des autorités douanières permettent de réaliser une radiographie de camions préalablement conduits vers une zone de contrôle. L’acquisition de scanners portatifs, permettant d’effectuer un plus grand nombre de contrôles, constitue ainsi une piste d’investissement que les rapporteurs considèrent comme pertinente.

([74]) MM. Christophe Blanchet et Pierre-Yves Bournazel, Rapport d’information n° 3650 déposé par le comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques sur l’évaluation de la lutte contre la contrefaçon, 9 décembre 2020.

([75]) Décret n° 2020-872 du 15 juillet 2020 relatif à la coordination interministérielle en matière de lutte contre la fraude et à la création d’une mission interministérielle de coordination anti-fraude

([76]) Article 1791 ter du CGI.

([77]) L’obligation de détenir un titre de mouvement est prévue à l’article 302 M du code général des impôts.

([78]) Article 1810 du CGI.

([79]) Article 414 du code des douanes.

([80]) Article R. 644-3 du code pénal.

([81]) Articles 222-34 et suivants du code pénal.

([82]) Article L. 3421-1 du code de la santé publique.

([83]) Les départements définis comme en difficulté l’année N sont ceux dont le montant annuel des livraisons de tabac manufacturés constaté l’année N-1 est inférieur d’au moins 5 % à celui constaté en 2012 (année de référence prévue par le Protocole).