N° 4515

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 6 octobre 2021.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA MISSION D’INFORMATION
sur le suivi de la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim

AU NOM DE LA COMMISSION DU DÉVELOPPEMENT DURABLE ET DE L’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE ([1])

ET PRÉSENTÉ PAR

M. Raphaël SCHELLENBERGER,
Président,

ET

M. Vincent THIÉBAUT,
Rapporteur,
Députés.

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La mission d’information sur le suivi de la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim est composée de : M. Christophe Arend, Mme Marie-Noëlle Battistel, Mme Danielle Brulebois, M. Anthony Cellier, M. Jean-Charles Colas-Roy, M. Michel Delpon, M. Bruno Fuchs, Mme Stéphanie Kerbarh, Mme Aude Luquet, Mme Sandra Marsaud, Mme Marjolaine Meynier-Millefert, M. Bertrand Pancher, Mme Mathilde Panot, Mme Nathalie Sarles, M. Raphaël Schellenberger, M. Jean-Marie Sermier, M. Vincent Thiébaut, Mme Élisabeth Toutut-Picard, M. Hubert Wulfranc.

 

 


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  SOMMAIRE

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Pages

AVANT-propos de m. raphaël Schellenberger,  président de la mission d’information

1. Introduction

2. Une installation performante

3. Une fermeture très politique

4. Une décision coûteuse : une gabegie budgétaire

5. Une région au cœur des échanges énergétiques européens laissée sans point de rehausse de tension

6. La standardisation du démantèlement nucléaire, un enjeu industriel

7. Une reconversion anticipée et confrontée à des blocages de l’État

8. Le projet de reconversion : une priorité de l’État sur l’affichage plutôt que sur la réalisation

9. Et à l’avenir

INTRODUCTION de M. Vincent Thiébaut, rapporteur

PREMIÈre partie : La fermeture : inÉluctable mais longtemps incertaine, annoncÉe mais « chaotique »

I. une installation remarquable et performante

A. les spécificités du site et de l’installation

B. une centrale intégrée dans un écosystème énergétique et économique

1. Le moteur de l’économie locale

2. La production d’électricité en région Grand Est : situation en 2019

C. un bilan globalement satisfaisant en termes de sûreté nucléaire

1. La centrale a fait l’objet de trois réexamens décennaux de sûreté

2. Les incidents pendant l’exploitation

3. Des inquiétudes persistantes exprimées par plusieurs acteurs, mais une appréciation globalement positive de l’ASN

a. Des perceptions contrastées

b. Les analyses de l’ASN pour 2019-2020

II. Huit années de confusion, entre déni et certitudes (2012-2020)

A. repÈres chronologiques

B. la non-préparation de la « vd4 »

1. Le quatrième réexamen périodique des réacteurs de 900 MW

2. Les études préalables n’ont pas été réalisées pour la centrale de Fessenheim, qui a ainsi été exclue de la préparation des VD4

C. de l’incertitude À la certitude : la perception, largement partagÉe, d’un « fiasco »

deuxième partie : les consÉquences immÉdiates de la fermeture et leur traitement

I. les personnels de la centrale

A. Les salariÉs d’EDF

B. Les salariÉs des entreprises prestataires travaillant de maniÈre permanente sur le site

II. l’impact prÉvisible sur l’Économie locale

III. l’impact prÉvisible sur les finances locales et la question non rÉsolue du fngir

A. La fiscalité locale liée à la centrale nucléaire

B. Le problème du FNGIR

IV. l’alimentation Électrique : un risque de black out non avÉrÉ

V. un protocole d’indemnisation controversé

A. Le fondement légal de l’indemnisation

B. La structure de l’indemnisation

C. Une indemnisation sévèrement critiquée par la Cour des comptes

D. La part fixe a été versée en une seule fois, dès 2020

E. Les précisions apportées lors des auditions de la mission d’information

troisième partie : L’avenir du site : le dÉmantèlement, et aprÈs ?

I. les enjeux industriels du dÉmantèlement de la centrale de fessenheim

A. l’expérience française en matière de démantèlement

1. Les premiers chantiers de démantèlement

2. Le premier démantèlement d’un REP en France : l’expérience de Chooz A, ses particularités et ses enseignements

B. les freins au dÉveloppement de la filiÈre industrielle du dÉmantèlement ne sont pas technologiques mais Économiques

C. le dÉmantèlement de fessenheim, premier d’une longue sÉrie, prÉsente plusieurs particularitÉs

II. calendrier et prÉparation du dÉmantèlement

A. le calendrier annoncé

B. l’évolution et le contrôle des risques avant et pendant le démantèlement

III. le projet de « technocentre » pour le recyclage de dÉchets mÉtalliques faiblement radioactifs issus des chantiers de dÉmantèlement

A. un enjeu industriel : la valorisation de déchets tfa

B. le projet en cours d’élaboration

1. Présentation du projet

2. Un projet soutenu par l’État et l’ensemble de la filière nucléaire

a. Un projet industriel « Métaux TFA » inscrit dans le contrat stratégique de filière (février 2019)

b. Le projet de technocentre dans le plan France Relance (septembre 2020)

3. Une modification préalable de la réglementation est indispensable

a. La réglementation en vigueur

i. La réglementation européenne permet l’application de seuils de libération

ii. La spécificité de la réglementation française est remise en cause

b. Une thématique du débat public de 2018 en amont du cinquième PNGMDR

c. Le dispositif réglementaire soumis à consultation publique début 2021

4. Un projet qui ne fait pas consensus

a. La position de l’Autorité de sûreté nucléaire

b. L’hostilité des associations environnementales

c. La position défavorable du Bade-Wurtemberg

5. Les deux autres conditions du succès : l’acceptabilité et la rentabilité

a. Le modèle d’affaires du technocentre reste à construire

b. Un élément d’attractivité ou, au contraire, dissuasif ?

c. La condition essentielle de l’acceptabilité : les contrôles à l’entrée et à la sortie permettant la traçabilité

quatrième partie : l’avenir du territoire

I. quels acteurs, quels projets ?

A. L’élaboration du projet de territoire

B. les quatre axes du projet de territoire

Axe 1 : créer de l’emploi et de la valeur ajoutée dans le cadre de la reconversion économique du territoire

Axe 2 : améliorer la desserte du territoire et les mobilités

a. La desserte ferroviaire

b. La desserte routière

c. La multimodalité

Axe 3 : faire du territoire un modèle de transition vers une nouvelle ère énergétique

Axe 4 : faire du territoire un modèle d’innovation pour l’industrie et les énergies du futur

C. La Gouvernance de la mise en œuvre du projet de territoire : acteurs et structures

1. Une gouvernance partagée entre de nombreux partenaires

2. La dimension binationale du projet de territoire

a. L’intégration du processus sur l’avenir du territoire de Fessenheim dans le Traité franco-allemand d’Aix-la-Chapelle

b. La piste des dérogations au droit fiscal et au droit du travail français

c. La création de la SEM franco-allemande (avril 2021)

D. le bilan de la première année de mise en œuvre du projet de territoire

E. l’appel d’offre photovoltaïque lancé par l’état (2019-2020)

II. le projet phare : la zone d’activitÉs Ecorhena

A. UN PROJET ANCIEN, désormais en bonne voie mais dont la superficie a été considérablement réduite

B. Une opération au cœur du projet de territoire et complémentaire du projet de technocentre

III. quelles leçons À tirer pour d’autres territoires ?

A. une certitude : plusieurs réacteurs vont être mis à l’arrêt définitif dans les prochaines années

1. La loi « énergie-climat » du 8 novembre 2019 et la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) du 21 avril 2020

2. La liste des réacteurs qui seront fermés dans les prochaines années est connue, mais pas l’ordre des fermetures ni leur calendrier

3. EDF sera-t-il indemnisé pour la fermeture de ces réacteurs ?

B. la nécessité absolue d’un calendrier plus précis pour faciliter la prise de conscience et donner de la visibilité

C. comment anticiper et à quel échelon territorial, sur la base de l’expérience de fessenheim ?

Recommandations de la mission d’information

EXAMEN du rapport en commission

annexes

Contribution du groupe Les Républicains

liste des personnes auditionnÉes

déplacements de la mission d’information


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   AVANT-propos de m. raphaël Schellenberger,
président de la mission d’information

1.   Introduction

Le 22 juillet 1804, Marc Schœlcher, originaire de Fessenheim, et Victoire Jacob donnent naissance à Victor Schœlcher. Le 27 avril 1848 il fera voter, en sa qualité de sous-secrétaire d’État aux colonies, le décret d’abolition définitive de l’esclavage. Cette révolution culturelle et juridique était alors portée par un homme politique profondément infusé de la culture et du savoir humanistes présents dans tout le bassin rhénan.

À Fessenheim, commune de 2 300 habitants dans le Haut-Rhin, un musée rend hommage à cette figure du village qui a porté, au plus haut niveau de l’État et dans une loi sur laquelle plus personne ne reviendra, les valeurs de cette terre alsacienne de rencontres, d’échanges et de tolérance.

Nous sommes en octobre 2021. Malheureusement, en citant le nom de Fessenheim, aucun journaliste, aucun responsable politique, aucun décideur économique ne pense à l’abolition de l’esclavage. Le nom de cette commune est aujourd’hui accolé à la lutte idéologique contre l’énergie nucléaire, qui donne pourtant son indépendance énergétique à la France et en fait le pays avec l’un des systèmes électriques le plus sobre en carbone d’Europe.

Député de Fessenheim, je suis le représentant d’un territoire qui s’est senti stigmatisé, devenant le point de fixation d’une lutte idéologique. Ce ne sont pas les deux réacteurs du centre nucléaire de production d’électricité (CNPE) qui ont façonné cette image, mais bien une stratégie de concentration de la lutte politique sur un site, dans laquelle le mépris du ressenti des habitants du territoire était sciemment mesuré.

Fessenheim a beaucoup apporté à la France par l’influence de Victor Schœlcher qui en est originaire, comme par l’apport à sa souveraineté énergétique et à sa sobriété en carbone, qui aura été exemplaire jusqu’au 30 juin 2020, date de l’arrêt définitif du dernier réacteur nucléaire à eau pressurisée (REP) en fonction sur le site.

Le 24 septembre 2019, je demandais au Président de l’Assemblée nationale la constitution d’une mission de suivi relative à la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim, afin que le Parlement se saisisse de l’enjeu d’évaluer et de suivre les engagements de l’État dans le cadre de la première fermeture d’un réacteur nucléaire issu du plan Messmer.

Cette demande a été reprise, deux semaines avant l’arrêt définitif du premier réacteur du CNPE de Fessenheim par la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, le 4 février 2020, grâce à la création de la mission d’information sur le suivi de la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim dont vous lisez la conclusion des travaux.

Les membres de la mission ont choisi de m’en confier la présidence. Dès le départ, j’ai souhaité, en lien avec la présidente de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire d’alors, Mme Barbara Pompili, que les travaux de cette mission s’étendent sur un temps long. En effet, créée la veille de l’arrêt du premier réacteur, elle n’avait de sens que si ses travaux se poursuivaient au-delà de l’arrêt complet de la production d’électricité sur le site, avec l’arrêt du second réacteur le 30 juin 2020.

Pour observer ce temps long, notre mission a donc exceptionnellement poursuivi ses travaux, déplacements et auditions pendant dix-neuf mois, dans un contexte singulier marqué par la crise sanitaire. Un temps plus long encore sera nécessaire pour mesurer pleinement les conséquences pour notre territoire de cette fermeture, celle de l’un des plus grands sites industriels du Haut-Rhin.

Le 6 septembre 2021, le président de la Collectivité européenne d’Alsace, M. Frédéric Bierry, m’a confié la présidence de la commission locale information et de surveillance (CLIS) attachée à l’INB (installation nucléaire de base) de Fessenheim. Mes travaux sur la centrale nucléaire de Fessenheim, ayant débuté bien avant mon mandat de parlementaire, ne s’arrêteront pas avec les conclusions de cette mission d’information et de suivi, mais se poursuivront bien au-delà de l’attention médiatique et militante qui a conduit à l’arrêt du site en 2020. D’ailleurs, les impacts d’une telle fermeture pour le territoire ne sont pour l’heure pas tous perceptibles, tangibles ou quantifiables. Seul le temps long dira comment le territoire s’est adapté et a évolué.

Un second élément de contexte qui doit nous donner les clefs de lecture de ce rapport, est la surprenante succession de ministres et hauts responsables de l’État chargés de la question de la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim.

En effet, depuis 2017, trois ministres différents ont été chargés du dossier et, autour d’eux, des secrétaires d’État plus ou moins investis sur le sujet.

Ainsi, au début du quinquennat, c’est M. Sébastien Lecornu, alors secrétaire d’État auprès de M. Nicolas Hulot, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, qui se saisit du « dossier Fessenheim ». Alors jeune secrétaire d’État, il saisissait l’opportunité de ce dossier local d’envergure nationale pour se faire un nom au sein du Gouvernement et démontrer son volontarisme. Cette méthode aura aussi heurté le territoire, son avenir devenant un simple enjeu de carrière.

Devenu ministre chargé des collectivités territoriales le 16 octobre 2018, c’est Mme Emmanuelle Wargon qui lui succède jusqu’au 6 juillet 2020.

C’est durant cette période que la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, alors présidée par Mme Barbara Pompili, a décidé de la création de notre mission d’information.

La présidente de la commission, consciente du caractère éminemment politique de nos travaux, décidera d’en être personnellement membre. À l’occasion de l’audition de M. Georges Walter, directeur de l’environnement du conseil départemental du Haut-Rhin, par notre mission, elle se montrera d’ailleurs très critique quant à ses inquiétudes, notamment sur la tenue électrique du réseau européen (voir au point 5).

Le 6 juillet 2020, Mme Barbara Pompili devient ministre de la transition écologique. Elle sera, plus tard, auditionnée par notre mission.

Ces mouvements au sein du ministère de la transition écologique ne facilitent pas la compréhension du pilotage de la transition économique du territoire de Fessenheim. Ils sont aussi l’illustration d’un dossier sensible dont les objectifs politiques du Gouvernement – fermer la centrale de Fessenheim – ne sont que rarement compatibles avec la réalité vécue sur le territoire : survivre et rebondir.

Président d’une mission d’information et de suivi qui aura poursuivi ses travaux durant dix-neuf mois, je ne partage pas l’ensemble des partis pris, des positions ou des recommandations du rapporteur. Je tiens néanmoins à saluer le travail d’organisation, de suivi puis de consolidation mené au fil des mois.

2.   Une installation performante

Notre mission s’est tout d’abord interrogée sur les raisons au cœur de la décision politique ayant pour conséquence la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim.

Les auditions conduites démontrent, sans ambiguïté possible, que ni la sûreté, ni la sécurité de la centrale n’ont conduit à l’arrêt des réacteurs.

La centrale nucléaire de Fessenheim n’était pas moins sûre que le parc nucléaire national, bien au contraire. Ainsi, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a relevé dans nombre de ses derniers rapports les performances favorables en matière de sûreté dans la centrale nucléaire, en en faisant l’une des références du parc.

La sûreté relève de la technique, mais aussi et surtout du management. La culture de la prévention du risque dans le CNPE de Fessenheim a atteint des niveaux de performance non seulement essentiels à l’activité nucléaire mais bel et bien exemplaires pour l’ensemble du parc français.

Cette performance a été obtenue alors même que, depuis 2011, la centrale est l’objet d’une polémique nationale sur la place du nucléaire dans le mix énergétique. Elle est devenue le bouc émissaire d’une stratégie électorale.

Malgré cela, et jusqu’au dernier jour d’exploitation, l’ensemble des agents EDF de la centrale nucléaire et des sous-traitants intervenant sur le site ont fait de leur mieux pour marquer l’excellence de ce site industriel.

Le meilleur exemple demeure l’engagement des salariés à produire, et de façon sûre jusqu’au dernier jour de l’autorisation d’exploitation. Ainsi, alors que l’arrêt définitif de la production du second réacteur de la centrale et son découplage programmé du réseau de transport étaient programmés au mardi 30 juin à 00h, la centrale a été touchée par la foudre le vendredi 26 juin dans la matinée. Conformément au protocole, la centrale s’est arrêtée automatiquement pour se mettre en sécurité. À trois jours de l’arrêt définitif. Malgré la proximité de cette date et la complexité des opérations nécessaires pour reconnecter la centrale au réseau pour la remettre en production pendant seulement trois jours, sur la demande de RTE, les salariés ont fait tout leur possible. Le soir même, la centrale produisait à nouveau, afin d’assurer la sécurité de l’approvisionnement électrique.

Par ailleurs et preuve de la bonne surveillance et sûreté du site, il ne s’est produit à Fessenheim aucun incident – depuis la création de la centrale – supérieur au niveau 2 (selon l’échelle de référence INES, International Nuclear Event Scale) et le nombre d’incidents qui se sont produits sur le site est comparable à celui des autres sites.

Durant quarante-trois ans, les salariés du CNPE de Fessenheim ont fait preuve d’un engagement professionnel exemplaire permettant à ce site d’être une référence, jusqu’à son dernier jour.

Cette exemplarité a également été permise grâce à une exigence constante des pouvoirs publics locaux. Ainsi, le CNPE de Fessenheim a été le support de la création de la première commission locale d’information et de surveillance (CLIS). Créée en 1977 à l’initiative du conseil général du Haut-Rhin, elle réunit depuis cette époque les élus locaux français et des pays limitrophes, des experts indépendants, des représentants des salariés et d’associations militantes. Le cadre légal des commissions locales d’information (CLI) se construira sur la base de cet exemple.

Ainsi la CLIS de Fessenheim a été avant-gardiste en assurant l’information du public mais aussi la surveillance de l’activité dans la centrale, avec des moyens de contre-expertise. C’est en ce sens que la CLIS a diligenté de nombreuses enquêtes pour objectiver des craintes mises en avant par certaines associations.

Par exemple, la digue du grand canal d’Alsace a fait l’objet d’une multiplicité d’études démontrant systématiquement sa parfaite résistance aux risques de séisme.

Cette ouverture dans son fonctionnement et ses moyens de contre-expertise ont été des outils précieux. Ils ont conduit, en permanence, à ce que les riverains vivent sereinement aux abords du CNPE de Fessenheim et ce, malgré les fluctuations de l’opinion publique nationale ou internationale à l’occasion de certains évènements dans le parc électronucléaire mondial.

3.   Une fermeture très politique

Si les raisons de la fermeture de la centrale de Fessenheim ne sont pas techniques, alors pourquoi choisir cette centrale en particulier ?

Le parc électronucléaire français comptait donc, jusqu’à peu, 58 réacteurs à eau pressurisée. Une seule technologie, dans des versions différentes, mais dont le principe est le même. 34 d’entre eux correspondent au « palier 900 ». Ce sont les mêmes réacteurs que ceux de Fessenheim. Ils ont été construits en même temps. Ils ont été raccordés au réseau français dans la même période.

Alors pourquoi choisir les deux réacteurs de Fessenheim ?

La centrale nucléaire de Fessenheim est construite sur la frontière allemande. Seul le Grand canal d’Alsace – qui sert au refroidissement des réacteurs – et l’île du Rhin, large de quelques dizaines de mètres, séparent les réacteurs de l’Allemagne.

Or l’Allemagne n’a pas choisi la même stratégie énergétique que la France. L’Allemagne ne dispose pas de la technologie nucléaire, ni de la filière qui l’accompagne. Et en Allemagne, les militants pacifistes et antimilitaristes se sont rapidement transformés en militants anti-nucléaires, considérant que le nucléaire civil était un outil du nucléaire militaire.

Cette disponibilité de militants anti-nucléaires allemands, aux abords immédiats de la centrale nucléaire, a facilité la mobilisation militante. Souvent à quelques dizaines, leur nombre suffisait à bloquer un pont sur le Rhin, dont la symbolique est immédiatement forte.

Dès le commencement du plan Messmer, la mobilisation se concentrait donc, grâce au caractère transfrontalier, sur la centrale nucléaire de Fessenheim. Des quatre tranches initialement prévues pour la centrale, seules deux ont été construites, afin d’éviter la construction d’un aéroréfrigérateur qui, pour sa part, n’obtenait l’assentiment d’aucun Alsacien, tous très attachés à leur paysage.

La concentration de la mobilisation militante anti-nucléaire sur Fessenheim en faisait donc un objet politique de choix. Ainsi, lorsqu’en novembre 2011 le candidat issu des primaires socialistes françaises a voulu rallier le soutien et le vote des écologistes, il ne prendra pas d’engagement systémique sur la stratégie énergétique française, mais laissera en gage la centrale de Fessenheim, comme une caution de sa politique énergétique. Aucune raison à ce choix, un simple calcul électoral sur un site qui mobilise plus facilement que la moyenne. Rien n’est rationnel, tout est politique.

Ce choix est d’autant plus irrationnel qu’il va à l’encontre de l’objectif premier du plan Messmer présenté en 1974. Précisément, il visait à limiter toute dépendance au pétrole vis-à-vis des pays étrangers, ressource énergétique qu’on sait évidemment polluante et épuisable. Et c’est pour garantir notre indépendance énergétique que le chef du Gouvernement d’alors prônait ces mesures « méditées, réfléchies, et de longue durée », termes qui semblent bien ne plus conduire les décisions prises aujourd’hui en matière de politique énergétique. Car, et il faut le souligner, notre pays est pauvre en ressources énergétiques puisque sur le territoire il n’y a pas de pétrole, peu de charbon et pas assez de gaz. Mais la France possède ces atouts majeurs que sont notre parc nucléaire performant et sûr et les salariés et ingénieurs qui y travaillent.

La décision de fermeture est donc bel et bien politique.

Durant tout le quinquennat de M. François Hollande, la promesse a été répétée. Mais jamais la perspective de sa crédibilité n’a atteint le territoire ou EDF.

En 2017, lorsque M. Emmanuel Macron est élu Président de la République, il réitère cet engagement. Il n’en devient pas plus compréhensible. Lorsque le parti socialiste s’allie aux écologistes, Fessenheim est un gage politique. Cela est contestable, mais correspond à une vision idéologique et doit donc être respecté en vertu des principes démocratiques. Mais le gouvernement de M. Édouard Philippe n’aura aucune justification idéologique à son choix de réaliser la promesse de la fermeture de la centrale nucléaire. La justification est différente. Selon M. Sébastien Lecornu, il s’agit simplement de mettre en œuvre les décisions. Qu’elle soit cohérente ou non, le Gouvernement se comporte en exécutant une décision antérieure que, pourtant, nombre de ministres contestent alors. Cela en devient encore moins acceptable pour le territoire concerné, car à la question de savoir « Pourquoi Fessenheim ? » posée au Gouvernement de M. Édouard Philippe – qui est celui qui fermera effectivement la centrale – aucune réponse ne sera jamais apportée.

Car derrière le symbole de « la plus ancienne centrale de France » se cache un raisonnement qui ne sera jamais plus appliqué. Aucune centrale nucléaire française, autre que Fessenheim, ne fermera à la date anniversaire de sa 43ème année.

En surcroît de cette injustice, un engagement a été pris par M. Emmanuel Macron : ne plus arrêter des réacteurs qui auraient pour effet de fermer des sites nucléaires complets.

Alors que j’appelais à cette position dans une tribune parue dans le Journal du Dimanche du 22 juillet 2018, le Président de la République affirmait reprendre ce critère pour les éventuels futurs choix de réacteurs à fermer à l’occasion d’échanges sur la programmation pluriannuelle de l’énergie en janvier 2019. Cela permettait ainsi d’éviter la déstabilisation complète d’un territoire, tout en laissant ouvertes des opportunités de nouveau nucléaire sur les dix-huit sites de production nucléaire restant en France.

Ainsi, dans le rapport qui suit, le rapporteur s’est longuement posé la question de la compréhension de la décision et surtout de la date de cette compréhension, considérant que celle-ci devait alors être le point de départ du travail rationnel de préparation de la reconversion du territoire impacté.

Cette date de compréhension ne peut pas exister. La décision est incompréhensible. Et pour cause, plus aucun réacteur ne s’arrêtera définitivement à quarante-trois ans. Plus aucune centrale ne sera fermée complètement.

Fessenheim est un cas unique.

Fessenheim est un cas irrationnel.

Fessenheim est un cas incompréhensible.

Dans le rapport, une discussion sur la possibilité pour les deux réacteurs de Fessenheim de « passer » le cap des quatrièmes visites décennales (VD4) est ouverte par le rapporteur et répond de la même façon à une vision très administrative de la possibilité pour l’ASN de suspendre ou mettre fin, à tout moment, à l’autorisation d’exploiter une centrale nucléaire.

Juridiquement, cela est exact. Dans la réalité des échanges entre l’exploitant de réacteurs nucléaires et son autorité de contrôle, il n’y a pas de rupture franche ou de point de non-retour. Ce n’est d’ailleurs pas souhaitable. Il vaut bien mieux, pour la sûreté et la sécurité de l’exploitation nucléaire, que le dialogue soit itératif et permanent. Dans cette démarche d’amélioration continue, l’autorité de l’ASN vient de son pouvoir à imposer une fin d’autorisation à tout moment, mais l’efficacité de son travail provient, elle, de l’absence de point de rupture et de l’entretien d’un dialogue et d’une exigence permanents.

De ce point de vue, rien ne laissait à penser que la centrale nucléaire de Fessenheim n’eut pas pu relever le défi de la VD4. Les remarques de l’ASN sur l’état de la centrale et la qualité de l’exploitation de Fessenheim laissent même à penser que cette visite décennale n’aurait pas été plus compliquée pour les deux réacteurs du CNPE de Fessenheim que pour le reste du parc du palier des 900 MW.

En conclusion du caractère éminemment politique de la fermeture de la centrale de Fessenheim, il convient également de souligner à quel point cette décision a été prise à contretemps par les gouvernements de M. Emmanuel Macron. L’impératif de lutter contre le réchauffement climatique et les émissions de gaz à effet de serre fait prendre conscience à un nombre croissant de responsables politiques de l’opportunité de l’énergie nucléaire. Ainsi, même en Allemagne, État historiquement hostile à l’énergie de l’atome, de plus en plus de voix s’élèvent pour souligner l’intérêt de cette technologie, y compris dans les rangs des élus écologistes.

4.   Une décision coûteuse : une gabegie budgétaire

Nous n’avons pas pris le parti, dans ce rapport parlementaire, de dresser la note de la fermeture de la centrale nucléaire. Pourtant, ce n’est pas l’intérêt qui manque :

Dans cette gabegie budgétaire, une dépense s’avère alors particulièrement injuste : le fonds national de garantie individuelle de ressources (FNGIR).

Le rapport développe bien le mécanisme de ce fonds de péréquation fixé de façon définitive au moment de la réforme de la taxe professionnelle.

Concrètement, pour la commune de Fessenheim, il vient écrêter une recette nouvelle perçue du fait de la transformation de la taxe professionnelle en différentes composantes. Contrairement à ce que certains laissent entendre, ces recettes écrêtées n’avaient pas été touchées par la commune avant la réforme de la taxe professionnelle. Elles n’existaient pas à son bénéfice et c’est justement pour cela que le FNGIR les écrête. Ainsi, la réforme de la taxe professionnelle a créé pour la commune de Fessenheim un mirage fiscal qu’elle n’a néanmoins jamais touché.

Mais la contribution au FNGIR, elle, survivra à la disparition de la recette. Ainsi, la commune deviendra une contributrice du FNGIR à hauteur de 3 millions d’euros par an, sans pour autant qu’elle ne dispose des recettes fiscales pour financer cette contribution.

Cela aura un impact sur toute la communauté de communes de Rhin-Brisach, qui compense les recettes à la commune du fait de la mise en place d’attributions de compensation au moment de l’application de la fiscalité professionnelle unique au sein de l’intercommunalité, de façon concordante à la fusion de l’ancienne communauté de communes de Fessenheim avec sa voisine au Nord.

Ce problème est donc essentiel dans la capacité du territoire à rebondir et à disposer des moyens indispensables à la conduite des actions de rebond. Après plusieurs rappels du problème à l’occasion de la discussion du projet de loi de finances, un groupe de travail a été mis en place par Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Ce groupe s’est réuni, en visio-conférence, à une seule reprise.

La volonté du Gouvernement de trouver une réponse systémique à un problème qui ne concerne que Fessenheim dans de telles proportions était vouée à l’échec. Fessenheim est un cas à part, il faut le traiter à part.

L’amendement du rapporteur, adopté à l’occasion du projet de loi de finances pour 2020, ressemble davantage à une rustine. Il vient, pour compenser les défauts et les dégâts du FNGIR, qui est un fonds de péréquation, créer un nouveau fonds de péréquation en compensation.

De surcroît le mécanisme a été créé à l’échelle de la France entière. Les échanges informels avec le ministère du budget laissent entendre qu’une centaine de collectivités pourraient être éligibles et se répartir un fonds d’un million d’euros. Pour mémoire, l’enjeu de Fessenheim est trois fois plus élevé que le plafond de ce nouveau fonds.

Fessenheim mérite une modification du calcul de la contribution au FNGIR qui soit propre à cette situation.

5.   Une région au cœur des échanges énergétiques européens laissée sans point de rehausse de tension

Fessenheim se situe au sein de la mégalopole européenne également appelée « la banane bleue ». Cette dorsale de 70 millions d’habitants, puissante et dynamique, s’étire de Londres à Milan, en longeant notamment le Rhin.

Au cœur de l’Europe, à quelques heures du port de Rotterdam donnant accès au monde entier, à la frontière de la quatrième puissance mondiale qu’est l’Allemagne, et de la Suisse, pays le plus compétitif et innovant au monde, la bande rhénane est en connexion directe avec le monde, véritable plaque tournante reliant le nord et le centre de l’Europe au sud.

Berceau de l’humanisme, de l’imprimerie, de la révolution industrielle, de la métallurgie, du textile et de la chimie, sa capacité de rebond et d’invention fait partie de l’histoire et de la culture des habitants du tronçon rhénan. Innervée de réseaux de transport, de nœuds et flux aéroportuaires, routiers, numériques, fluviaux, le territoire de Fessenheim s’ancre au cœur d’un corridor de connexions économiques et culturelles.

Le développement de cet espace fortement urbanisé et industrialisé a été rendu possible par l’implantation de 13 réacteurs nucléaires, seuls capables de soutenir la qualité et la sécurité du réseau électrique, indispensables aux nombreuses entreprises et industries électro-intensives implantées le long du Rhin. Avant 2011, le Rhin supérieur était l’espace le plus nucléarisé d’Europe avec une production de
12 300 MW (3 330 MW en Suisse, 7 250 MW en Allemagne et 1 800 MW en France), pour une consommation de pointe de 22 000 MW. En Alsace, 50 % de l’énergie consommée sert à alimenter l’industrie.

La fermeture de la centrale de Fessenheim, additionnée à la fermeture des réacteurs allemands et suisses implantés le long du Rhin, aura un impact énergétique certain et non négligeable sur le réseau électrique du Rhin Supérieur.

L’enjeu pour la bande rhénane et l’Alsace n’est pas seulement la quantité d’énergie, mais aussi la qualité et la capacité de disposer de sites pilotables, et de rehausse de tension. Cela manquera inévitablement dans les prochaines années.

La fermeture de la centrale de Fessenheim doit absolument s’accompagner d’un plan de diversification énergétique et de production de base de puissance significative, afin d’éviter le black-out et la fermeture d’usines qui ne disposeraient plus d’énergie électrique de quantité et qualité suffisantes pour fonctionner.

6.   La standardisation du démantèlement nucléaire, un enjeu industriel 

Passées les questions propres à la centrale nucléaire de Fessenheim, se pose la question de la filière de la déconstruction et du démantèlement nucléaire. Un rapide tour d’horizon permet de comprendre que la France n’en est pas à son coup d’essai avec Fessenheim, bien au contraire.

Le rapport détaille précisément la quantité importante de chantiers de démantèlement en cours. Ils sont de trois ordres :

• les chantiers uniques et atypiques, souvent liés à des installations de recherche ;

• les réacteurs de première génération, aux technologies très contaminantes pour les installations et difficiles à démanteler ;

• le prototype des réacteurs REP standardisé – avec le chantier de Chooz A.

Ce dernier, débuté en 2006, est réellement l’exemple de ce qui se fera à Fessenheim. C’est la même technologie. Ce démantèlement est quasi abouti et ne posera plus de problème technique dans sa dernière phase de chantier.

Ce tour d’horizon pose très rapidement la question de la gestion des déchets à très faible activité (TFA). Certains de ces déchets ont parfois même – ou souvent – une activité radioactive inférieure à la radioactivité naturelle.

Et pourtant la quantité de TFA produite au cours du démantèlement est importante. La perspective de la quantité de déchets issus des démantèlements des centrales nucléaires du parc doit nécessairement nous conduire à nous interroger sur la stratégie de leur gestion.

Cette question de la classification des matériaux issus du démantèlement des centrales, ou pour certains liés à l’exploitation, se pose depuis longtemps. L’accroissement certain de leur quantité lié au démantèlement futur pousse à ce que les lignes bougent.

Ainsi, à l’occasion du dernier débat national sur le Plan national de gestion des déchets et matière radioactives, le débat sur les TFA a été ouvert.

Cela s’inscrit en résonnance avec l’appropriation d’une technologie permettant de retraiter les métaux afin de séparer les éventuels radioéléments de la très grande quantité de matière inerte. Cette technologie, actuellement détenue par EDF, pourrait faire l’objet d’une industrialisation. C’est le projet de « technocentre » qui est envisagé à Fessenheim.

Ce projet et son implantation dans le Haut-Rhin sont évoqués depuis le début du processus de fermeture. Depuis le début, EDF a posé deux conditions cumulatives à sa réalisation :

1° l’évolution du cadre réglementaire de gestion des TFA ;

2° la constitution d’un marché à l’échelle européenne et notamment franco-allemande à même d’assurer une rentabilité économique à la future usine.

Pour chacun de ces deux critères, au-delà du discours apparent de soutien au projet de technocentre, les actes du Gouvernement se sont montrés moins ambitieux que les mots, et très tardifs.

Ainsi, l’évolution du cadre réglementaire, décrite dans le rapport, est envisagée a minima. Le Gouvernement a ainsi développé une stratégie de mise en place d’exceptions. Peu stable juridiquement et soumis aux aléas politiques permanents sur le nucléaire, ce cadre juridique ne semble pas suffisant à l’émergence de cette nouvelle filière industrielle d’excellence dans le démantèlement nucléaire.

Par ailleurs, sous la pression des partis politiques anti-nucléaires allemands, aucune discussion n’est possible sur la construction d’une stratégie européenne. Cela est paradoxal, car la possibilité juridique de créer le technocentre en France nécessite que notre droit national se rapproche du droit allemand dans lequel un seuil libératoire existe et où les matières issues du démantèlement nucléaire ne sont pas nécessairement considérées comme des déchets radioactifs.

Ainsi, nous avons systématiquement trouvé des partenaires allemands dont l’opposition au projet de technocentre était inversement proportionnelle à la transparence et à la connaissance de leur propre système de retraitement des matières issues des démantèlements nucléaires.

Incontestablement, grâce à sa technique et au traçage des matières permis par le technocentre, celui-ci sera un atout au service de la France et de sa maîtrise complète de la filière nucléaire.

Dans le rapport de cette mission d’information, le rapporteur met en scène un soutien fort du Gouvernement au projet de technocentre. Ce soutien apparent se heurte néanmoins à des mesures et des actions concrètes bien moins engageantes.

Préconisations du président de la mission d’information :

- stabiliser le cadre réglementaire pour le technocentre ;

- ouvrir un dialogue franc sur la stratégie allemande du recyclage des métaux ;

- créer un cadre réglementaire européen sur la circulation des matériaux issus du recyclage et du démantèlement des centrales.

Au-delà du défi que représente la gestion des matières TFA issues du démantèlement et de l’exploitation du parc électronucléaire français, nous avons également pu constater la pertinence du choix technologique des réacteurs à eau pressurisée. En effet, si nombre de démantèlements actuellement en cours en France de réacteurs d’ancienne génération ou de sites de recherche posent des difficultés techniques, la visite de notre mission sur le chantier du démantèlement du réacteur expérimental de Chooz A a démontré la pertinence technique du choix des REP en France.

Débutées en 2006, après plusieurs années d’une stratégie d’attente qui est désormais abandonnée pour les prochains sites à démanteler - à commencer par Fessenheim - les dernières opérations de déconstruction de l’ancien réacteur nucléaire de Chooz A s’achèveront dans le courant de l’année 2022. Le chantier a pu être mené sans grande surprise. Alors que la construction dans une grotte creusée dans la colline du réacteur de Chooz A a présenté des difficultés notamment en matière d’accessibilité pour son démantèlement, le caractère standardisé des deux réacteurs de Fessenheim sera à même d’en faciliter la déconstruction.

À ce stade, je souhaite appeler l’attention sur l’enjeu industriel de construction d’une filière industrielle du démantèlement nucléaire.

Je crois dans la pertinence de l’énergie nucléaire pour faire face aux nombreux défis des décennies à venir. Parce que j’y crois, j’ai lu avec attention les conclusions du rapport de M. Jean-Martin Folz, qui préconise que la construction de nouveaux EPR soit rapidement planifiée afin de conserver le savoir-faire industriel qui avait été oublié pendant seize ans (depuis la construction de Civaux 2) sans chantier de nouveau nucléaire et qui a cruellement manqué pour mener à bien le chantier de l’EPR de Flamanville.

Par parallélisme des formes, une fois le savoir-faire en matière de démantèlement acquis, standardisé et industrialisé, il faudra le maintenir et ainsi mener successivement les chantiers de déconstruction. Cette stratégie permettra également d’assurer une maîtrise des coûts qui démontrera, elle aussi, la pertinence de l’énergie nucléaire dans la plénitude de son cycle.

Ainsi, le projet de fermer six réacteurs nucléaires d’ici à 2035 ne me semble pas du tout pertinent du point de vue de la stratégie énergétique. Néanmoins, dans la perspective du lancement d’un nouveau chantier d’EPR, il me semblerait cohérent d’envisager l’arrêt d’une nouvelle paire de REP 900 à l’échéance de l’autorisation issue de la VD4, sans fermer de nouveau site nucléaire et en évitant de fermer une paire de réacteurs adaptée au fonctionnement, grâce au combustible MOX. Il nous faudra construire une vision précise de la conjugaison des chantiers nucléaires entre construction et déconstruction afin de donner un nouvel avenir à cette filière industrielle d’excellence française.

Le démantèlement de Fessenheim constituera également pour le législateur un défi : celui de construire et d’affiner le cadre légal du démantèlement afin de le rendre compatible avec la standardisation progressive de ces opérations. En ce sens, une attention particulière du public, à l’aide notamment de la CLIS, et de la représentation nationale, sera nécessaire.

Préconisations du président :

- maintenir une CLIS jusqu’à l’obtention de l’état final à l’issue de toutes les opérations de démantèlement ;

- associer le Parlement à la construction du cadre juridique du démantèlement.

7.   Une reconversion anticipée et confrontée à des blocages de l’État

Le 19 janvier 2018, M. Sébastien Lecornu réunissait le premier comité de pilotage de reconversion du territoire de Fessenheim. Si l’objectif affiché était de démontrer à quel point le Gouvernement qu’il représentait allait s’engager pleinement dans la reconversion du territoire, les enseignements sur le déroulé des événements se sont avérés être bien différents.

D’abord, il s’agissait de la première parole claire du Gouvernement sur le sujet. « La centrale fermera » : il s’agit du premier enseignement que le territoire a retenu de ce déplacement. En effet, alors même qu’à cette date depuis six ans, le Gouvernement promettait de fermer Fessenheim, jamais aucun ministre n’était venu sur place. Il faut en ce sens reconnaître une forme de courage à M. Sébastien Lecornu. Ce déplacement incarnait incontestablement la prise de conscience du territoire du caractère irréversible de la décision de fermeture.

Le second message véhiculé par le secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique consistait à pointer une supposée inaction des élus locaux. Ceux-ci, trop bien servis par la centrale nucléaire depuis quarante ans, n’auraient pas fait l’effort de bien développer le territoire. Je m’inscris en faux contre cette idée. Bien que cette petite musique ait infusé dans les ministères, chez certains parlementaires ou le délégué interministériel chargé de la reconversion du territoire, les faits sont têtus ! L’après a été largement préparé, même si certaines circonstances ont changé, plus vite que les acteurs locaux ont pu le percevoir, même si l’État n’y a pas toujours mis du sien.

Il convient également de préciser ici que la conjugaison avec le calendrier de la loi NOTRe n’a pas permis au territoire de s’organiser correctement au moment le plus critique de la préparation de la fermeture de la centrale. En effet, la communauté de communes Essor du Rhin a fusionné le 1er janvier 2017 avec la communauté de communes du Pays de Brisach, pour former la communauté de communes Pays Rhin-Brisach. Toute fusion de collectivités nécessite un temps incompressible d’appréhension par les élus et les services des enjeux du nouveau territoire. Ce besoin est arrivé au moment le plus critique du calendrier de préparation de la fermeture. Ainsi, si les choses étaient prêtes, la déstabilisation institutionnelle locale résultant de la loi NOTRe, unanimement critiquée, a ralenti au moment le plus sensible l’engagement de certains projets locaux concrets.

Ainsi, la communauté de communes Essor du Rhin, avant la fusion suscitée par la loi NOTRe, avait déjà aménagé une zone d’activité au nord de la centrale : la zone industrielle Koechlin.

L’ensemble de la maîtrise foncière, de plus de 300 hectares, au nord de la centrale nucléaire a été acquis, progressivement, par les collectivités territoriales et leurs opérateurs. Cette stratégie permet aujourd’hui d’envisager la création de la zone industrielle « EcoRhena » sans difficulté de maîtrise foncière. La difficulté vient désormais d’une réglementation rigide conjuguée à une inaction de l’État qui n’entend pas reconnaître la situation exceptionnelle dans laquelle se trouve le territoire de Fessenheim à la suite de cette décision de fermeture. Ainsi il a été impossible d’obtenir une dérogation pour l’implantation d’activités nouvelles, dans un projet particulièrement exemplaire du point de vue de la préservation des espaces naturels - et il suffit de parcourir la zone industrielle actuellement existante à Biesheim pour s’en apercevoir - pour l’aménagement de terrains qui sont en réalité les « délaissés » de l’aménagement du Grand canal d’Alsace, abandonnés à la friche et sur lesquels la nature a en partie repris ses droits.

Enfin, il est nécessaire de rappeler que le besoin de réindustrialisation de l’Alsace et notamment du secteur de la plaine du Rhin n’apparaissait pas avant la fermeture de la centrale nucléaire. En effet, le territoire de Fessenheim reste un territoire éloigné des grands centres urbains et des grands bassins d’emploi. Cette situation a d’ailleurs certainement contribué à son choix, à l’origine, pour l’installation du CNPE. La présence de nombreuses entreprises, notamment électro-intensives, le long du Rhin et le dynamisme de la région ont conduit à ce que ce territoire soit un bassin d’emploi dynamique. En aval, c’est tout un territoire (bien plus vaste que la seule commune de Fessenheim) qui a prospéré avec l’émergence d’un tissu commercial, associatif, artisanal ou encore la création d’équipements publics pour répondre aux besoins de la population alentour qui dépend directement ou indirectement du site.

Le caractère alsacien, modéré et économe, a toujours conduit à des choix d’aménagement ou de politiques publiques respectueux des espaces. Aménager des zones pour développer de l’activité dans un bassin de vie qui ne dispose pas - du fait de son dynamisme - des emplois mobilisables n’a donc qu’un sens très limité.

De surcroît, les projets qui ont existé tout au long de l’histoire du fonctionnement du CNPE de Fessenheim et plus singulièrement sur la dernière décennie ont systématiquement dû faire face à une posture particulièrement exigeante de la part de l’État dans leur instruction, souvent sous la pression d’associations de défense de l’environnement pour lesquelles tout projet aux abords de Fessenheim suscitait de l’opposition.

Ainsi, le travail de notre mission d’information doit être l’occasion d’écarter pour de bon la rhétorique mise en place par M. Sébastien Lecornu : les collectivités et élus locaux ont été largement proactifs et ont su anticiper la fermeture de la centrale. La difficulté vient de l’accélération du calendrier, imposée depuis 2017, et que l’État n’a pas su concrétiser, financièrement, fiscalement ou réglementairement au-delà des discours.

8.   Le projet de reconversion : une priorité de l’État sur l’affichage plutôt que sur la réalisation

En janvier 2018, lorsque M. Sébastien Lecornu « installe » le « comité de pilotage de la reconversion du territoire de Fessenheim », le message est donc celui d’un État qui compte s’engager pleinement dans la reconversion du territoire, en respectant son aspiration. À la suite de cette annonce, la gouvernance du « projet » a mobilisé bien plus d’attention que sa mise en œuvre. Or dans ce cas de figure, entre gouvernance et pilotage, la nuance n’est pas uniquement sémantique.

Au-delà de l’attention davantage portée à la méthode qu’aux résultats, des erreurs majeures ont été commises :

- Le délégué interministériel a vu très rapidement ses missions élargies à l’accompagnement des sites connaissant la fermeture d’une centrale à charbon. Cette volonté aura conduit la ministre à annoncer, lors du dernier COPIL réuni, la création d’une commission de suivi du projet et le recrutement d’une commissaire à la reconversion économique du territoire de Fessenheim. À force, cela n’en devient que très peu compréhensible pour les acteurs ;

- Hormis la grande messe du COPIL réunissant très largement, les parlementaires ont été particulièrement tenus éloignés du dossier. Or, tant dans leur action de contrôle de l’action du Gouvernement que de préparation du futur cadre réglementaire du démantèlement, leur rôle aurait nécessité d’être bien plus proche du processus ;

- Aucun moyen nouveau n’a été injecté dans le projet de territoire par le Gouvernement, excepté le fonds d’amorçage de 10 millions d’euros obtenu grâce à un rapport de force politique à la veille d’un COPIL ;

- La plupart des projets figurant dans le projet de territoire ne sont que le « recyclage » de projets préexistants (ce qui démontre une nouvelle fois que les élus n’ont pas attendu le Gouvernement pour travailler à l’avenir de leur territoire). Certains projets étaient même déjà financés : la construction d’une salle de spectacle sur l’île du Rhin, par exemple ;

- Une place centrale a été laissée aux partenaires allemands, largement déséquilibrée par rapport à leur engagement financier quasi inexistant. Or, leur pression politique a aussi conduit au choix de fermeture de la centrale. À l’heure actuelle, ils mobilisent avant tout leur position dans ces instances pour ralentir ou s’opposer aux projets portés, comme le technocentre par exemple.

La principale erreur, dans la « gouvernance » voulue par le Gouvernement, aura certainement été, pour ce dernier, de considérer que, parce que les élus locaux alsaciens acceptaient de discuter pour avancer, malgré des points de blocage, le Gouvernement pouvait se permettre de ne pas traiter lesdits points bloquants, à l’image du FNGIR.

C’est simplement ignorer le tempérament alsacien.

L’état d’esprit des élus locaux du territoire est basé sur la confiance, mais celle-ci ne peut pas être flouée. En l’espèce, le Gouvernement a beaucoup promis sur le FNGIR, bien plus que le bricolage réalisé. Cela bloque inévitablement la suite des discussions.

À la lecture du projet de territoire, dans le volet relatif à la nécessité de construire de nouveaux moyens de production d’électricité, figure un point sur l’installation de panneaux photovoltaïques.

La logique mise en place pour le photovoltaïque était demandée depuis longtemps par le territoire. En effet, jusque-là, tous les appels d’offres publics pour la mise en place de panneaux photovoltaïques étaient nationaux. N’étant pas la région au rendement solaire le plus performant de France, l’Alsace était mécaniquement défavorisée par rapport aux régions du sud. Aussi, depuis longtemps et notamment sous l’impulsion du conseil départemental du Haut-Rhin, les élus locaux sollicitaient l’État pour que les appels d’offres puissent être régionaux et participer ainsi au développement du photovoltaïque en Alsace. Là encore, la solution était demandée de longue date par le territoire mais l’État freinait.

À la surprise générale, les réponses à l’appel d’offres ont exhibé des prix bien plus compétitifs que ceux proposés jusqu’à ce stade, pour du solaire. Cela peut questionner sur le modèle d’appel d’offres tel qu’il existait jusqu’à l’évolution obtenue pour Fessenheim.

Enfin, le foncier en Alsace est contraint depuis longtemps et fait l’objet d’une gestion très économe. Aussi, la multiplication d’appels d’offres pour l’installation de fermes solaires sur du foncier agricole ou naturel n’apparaît pas du tout pertinente.

Cela me semble encore moins pertinent pour les terrains dits « délaissés » ou « dégradés », qui pourraient faire l’objet soit d’une réappropriation agricole, soit d’une opération de retour à la nature et de compensation.

La priorité, voire même l’exclusivité donnée au photovoltaïque devrait aller uniquement aux installations sur toitures ou aux couvertures de parkings. Le foncier disponible devrait prioritairement servir à la haute valeur ajoutée : activités créatrices d’emploi et habitat. Le photovoltaïque ne devrait arriver qu’en complément, comme une fonction supplémentaire.

Le projet phare de la reconversion du territoire est le développement de la zone « EcoRhena » au nord de la centrale. Sur une maîtrise foncière de 300 hectares, à la fin du processus de négociation et de filtre réglementaire, ce ne seront finalement que 82 hectares qui pourront être aménagés.

Alors que le projet est exemplaire du point de vue de son intégration environnementale, preuve en est de la zone à son nord qui déjà s’intègre parfaitement, aucune discussion n’a été possible pour son développement, alors même que ce projet nécessitait une attention particulière de la part de l’État.

Malgré cette très faible ambition en matière d’espaces à aménager, l’État a mis toute son énergie à organiser un outil de gouvernance « innovant ». La priorité, plutôt que l’aménagement de la zone – déjà propriété des collectivités – a été de créer une société d’économie mixte d’opération à caractère transfrontalier, pour piloter le projet. La complexité de ce montage a mobilisé énormément d’énergie pour un engagement dans le capital qui ne s’est toujours pas concrétisé de la part des Allemands. Cela a surtout conduit à la création d’une structure aux frais de fonctionnement déjà totalement surévalués par rapport à son rôle : aménager quelques hectares (ce que toutes les intercommunalités font, en mobilisant des outils déjà disponibles et opérationnels dans le Haut-Rhin).

Ainsi, pour le Gouvernement, le symbole n’était plus l’aménagement de la zone industrielle et son exemplarité environnementale, mais la création de la SEMOP... une couche de plus ajoutée au millefeuille ! La volonté d’affichage franco-allemand a conduit à la construction d’un outil non opérationnel et, de mon point de vue, très peu utile. Le Gouvernement a créé des frais de fonctionnement alors que le territoire a besoin d’infrastructures.

La première infrastructure nécessaire au développement de ce territoire est un axe routier. Le bassin rhénan fonctionne parfaitement du point de vue des flux routiers sur l’axe nord-sud. En revanche, les échanges est-ouest sont beaucoup moins fluides. Il en est ainsi pour le territoire de Fessenheim, qui, malgré sa proximité avec les villes de Colmar et Mulhouse, souffre d’une grande difficulté de desserte est-ouest. Cette carence ne lui permet pas de mobiliser pleinement son potentiel transfrontalier. Ainsi, c’est l’outil de coopération entre la commune de Fessenheim et Hartheim am Rhein, sa voisine immédiate en Allemagne, qui a porté la construction du pont routier sur le Rhin reliant, au droit de leurs bancs communaux, la France à l’Allemagne. Cela reste surprenant pour une telle infrastructure internationale.

De ce point de vue, même si le projet de reconstruction du pont ferroviaire sur le Rhin, qui permettra le retour d’une ligne régulière de Colmar à Freiburg, est éloigné du territoire de Fessenheim, il sera utile à l’amélioration et à la fluidification des échanges est-ouest. Malheureusement, l’engagement de l’État sur ce projet laisse de plus en plus penser que derrière le message se cache un mirage qui s’effacera au fur et à mesure que le calendrier prévisionnel se déroulera.

Ainsi, dans le projet de territoire largement mis en scène, lorsque l’on retire les projets déjà engagés par les collectivités territoriales avant la décision de la fermeture de la centrale nucléaire, il ne subsiste finalement que des mirages, dont l’agenda n’est en aucun cas celui de l’urgence de la reconversion économique.

Pour corriger ce projet de territoire, la priorité doit être donnée aux infrastructures et l’engagement financier des Allemands doit être assuré. Leur présence dans la seule gouvernance ne suffit pas.

9.   Et à l’avenir

En conclusion, en plus d’avoir construit un discours politique stigmatisant le territoire, la fermeture de la centrale nucléaire laissera des traces économiques et sociales majeures. Cet exemple, malheureux, difficile et blessant, doit néanmoins servir afin d’éviter que d’autres territoires connaissent les mêmes erreurs d’appréciation et fautes de mise en œuvre.

De nouvelles fermetures interviendront nécessairement dans les décennies à venir. Mais leur rythme devra bien mieux respecter les territoires dans lesquels ces industries sont installées. L’État ne peut pas lui-même se comporter comme ce qu’il reproche à certaines entreprises privées.

De ce point de vue, la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) doit changer. Pour mieux respecter les territoires, mais aussi pour mieux anticiper l’évolution des besoins français et européens en matière d’énergie. Alors que la terre entière est en train de traverser une crise énergétique sans précédent, la France ne peut pas continuer à tirer sur son principal atout. Le nucléaire est une technologie propre à la France en Europe. Ne laissons pas l’Union européenne nous obliger à nous séparer de cet atout majeur et de cette assurance que nous fournissons à toute l’Europe. Notre indépendance énergétique sera de plus en plus précieuse dans les mois et les années qui s’ouvrent.

Enfin, nous devons sortir du dogme imposé par le ministère de la transition écologique. Non, les besoins en électricité ne diminueront pas dans les années qui viennent. Le parti pris de la stabilité de la demande électrique dans la PPE est de moins en moins tenable. Le monde nous l’indique chaque jour davantage.

Dans cette perspective, la priorité doit être de ne plus jamais fermer de site nucléaire complet. Pour ce faire, il nous faut engager, aussi vite que possible, une politique de renouvellement du parc électronucléaire français. Pour chaque capacité construite, nous pourrons alors stopper une capacité ancienne. Mais nous ne pouvons plus nous désarmer.

Finalement, avant même l’arrêt des réacteurs de Fessenheim, ce dossier a déjà été un exemple de processus de reconversion pour les territoires de centrales à charbon. Ils ont bénéficié d’un accompagnement financier de l’État plus important qu’à Fessenheim et sans les erreurs commises par le Gouvernement en Alsace. Ces reconversions sont contemporaines à celle de Fessenheim. C’est encore plus difficile à comprendre pour le territoire. C’est une blessure de plus, infligée par ce Gouvernement.

 

 

 



   INTRODUCTION de M. Vincent Thiébaut, rapporteur

La mission d’information sur le suivi de la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim est l’initiative du président, M. Raphaël Schellenberger, et a commencé ses travaux en février 2020. Elle devait se terminer en fin d’année 2020 mais en raison de la crise sanitaire de la Covid-19, elle a été prolongée jusqu’en septembre 2021. Je tiens à remercier la présidente et le Bureau de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire qui nous ont octroyé le temps supplémentaire nécessaire pour finaliser nos travaux.

En premier lieu, je tiens à saluer l’esprit de coopération et de bonne entente dans lequel se sont tenus les travaux de la mission, avec le président et les différents membres de la mission en dépit des divergences d’opinion politique et de point de vue.

Ceci malgré un contexte contraint en raison de la crise sanitaire, ce qui a nécessité d’adapter l’organisation de la mission et des auditions et de limiter les déplacements initialement prévus.

Je tiens particulièrement à remercier les équipes de direction et les salariés d’EDF des sites de Fessenheim et de Chooz pour la qualité de leur accueil lors de nos visites malgré les contraintes inhérentes à la situation sanitaire. Lors de notre déplacement sur le site de Fessenheim, qui a eu lieu quelques jours avant l’arrêt du deuxième réacteur, l’émotion et le contexte social ne nous ont pas permis de visiter la centrale, ce qui est compréhensible. Au vu du contexte, l’équipe de direction de la centrale a su nous recevoir le mieux possible et a su s’adapter pour nous permettre d’appréhender la situation de la centrale avant l’arrêt définitif. Je tiens à saluer l’ensemble des salariés du site, qui dans ce contexte social et sanitaire ont su faire preuve de responsabilité et de professionnalisme, comme durant les quarante-trois années de fonctionnement de la centrale.

Je tiens aussi à saluer les services préfectoraux du département du Haut-Rhin qui nous ont permis de réaliser les auditions des acteurs locaux lors de notre déplacement, à la préfecture de Colmar.

La mission d’information s’est déroulée dans un contexte où la transition énergétique est au cœur des préoccupations des politiques publiques pour répondre aux enjeux climatiques et écologiques.

Cela nécessite de réduire notre dépendance aux énergies fossiles tout en répondant, notamment, à l’objectif de réduction de notre dépendance nucléaire par la diversification du mix électrique pour atteindre 50 % de la production en 2035, objectifs confirmés dans la loi « énergie-climat » qui a été adoptée en décembre 2019.

À l’heure où j’ai l’honneur de vous présenter le rapport sur les travaux de la mission, la conjoncture mondiale de reprise économique, qui fait suite à la crise sanitaire de la Covid, provoque des hausses conséquentes du prix des énergies fossiles, qui impactent notre économie ainsi que le pouvoir d’achat des Français et Françaises et confortent la nécessité de trouver un modèle qui permette d’assurer la souveraineté énergétique.

Cette situation a amené le Gouvernement à mettre en œuvre des mesures exceptionnelles pour amoindrir l’impact de ces hausses sur l’économie et le pouvoir d’achat des foyers français.

Dans ce contexte, la place de la production d’origine nucléaire, qui représente près de 75 % de notre production électrique est au cœur des débats avec de fortes divergences de point de vue sur le modèle énergétique français et sa capacité à répondre aux multiples enjeux auxquels nous devons faire face.

Certes le parc actuel de centrales nucléaires permet de répondre aux enjeux de décarbonation, de souveraineté et de maintenir une des tarifications les plus basses de l’électricité au niveau européen, mais cette forte prédominance du nucléaire dans notre modèle énergétique n’est pas exempte de questionnements, que ce soit sur les risques de sûreté et de sécurité, sur les enjeux écologiques et les impacts environnementaux, à moyen et long terme, ou sur les enjeux de continuité d’approvisionnement, comme nous avons pu le constater en octobre 2020 lorsque près de 50 % des réacteurs du parc étaient à l’arrêt en raison de la crise sanitaire, qui a retardé la réalisation de travaux de maintenance ou de mise en conformité. Cela a eu pour conséquence de décaler la mise à l’arrêt des centrales au charbon pour éviter une rupture d’approvisionnement électrique.

À cela se rajoute une situation de fragilité financière du groupe EDF qui peut fortement l’impacter dans sa capacité à maintenir et à développer ses outils de production.

Au même titre, le déploiement et l’accélération du déploiement des énergies renouvelables provoquent de multiples débats, que ce soit sur leur acceptabilité ou sur les moyens budgétaires pour soutenir leur déploiement.

Bien que l’ensemble de ces questions et sujets ne soient pas au cœur même de la mission d’information, il est difficile d’en faire abstraction ; il y a eu de nombreux rapports issus de différentes missions d’informations ou commissions d’enquête qui ont abordé ceux-ci.

J’ai d’ailleurs moi-même participé en tant que vice-président à la commission d’enquête sur l’impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables (EnR) et sur la transparence des financements et sur l’acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique. J’invite à consulter le rapport et les recommandations qui en sont issus.

Lors de la mission d’information, nous nous sommes avant tout attardés sur les conditions de fermeture de la centrale de Fessenheim, ses conséquences économiques et sociales pour le territoire, les enjeux environnementaux en termes de démantèlement et de traitement de déchets, l’impact sur les capacités d’approvisionnement électrique ainsi que sur la construction et la mise en œuvre du plan de revitalisation du territoire et le rôle de l’État, des collectivités territoriales et d’EDF.

En tant que rapporteur, j’ai souhaité identifier quels sont, au vu des objectifs fixés de réduction de la production électrique nucléaire et de la prévision d’arrêt futur de réacteurs, voire de centrales, les éventuels outils en termes de méthodologie, d’organisation territoriale et législatifs qu’il faut mettre en œuvre pour anticiper et accompagner les territoires, les acteurs ou la filière du nucléaire dans cette nouvelle ère qui s’ouvre.

Les travaux de la mission se sont articulés autour de quatre axes :

-         l’historique de la centrale de Fessenheim et de son contexte local ;

-         la construction et l’historique de la décision de fermeture de la centrale de Fessenheim ;

-         le projet de démantèlement de la centrale ;

-         la construction et le suivi du projet de revitalisation du territoire de Fessenheim.

Les travaux et auditions ont été riches et respectueux de la diversité des opinions exprimées par chaque personnalité auditionnée qui a pu librement exprimer ses points de vue et ceux-ci sont pour la plupart repris dans le rapport dans un souci d’objectivité, pour appréhender au mieux le contexte de la fermeture de la centrale de Fessenheim.

La fermeture de Fessenheim est, avant tout, le résultat d’une volonté politique, exprimée lors des élections présidentielles de 2012 par le Président de la République M. François Hollande, dans une période postérieure à la catastrophe de la centrale nucléaire de Fukushima de 2011. Cette fermeture fait également suite à la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte du 17 août 2015 qui a fixé une puissance limitée de production d’électricité d’origine « nucléaire ».

Le décret d’arrêt définitif des réacteurs de la centrale de Fessenheim a été promulgué en février 2020 ; à noter que le précédent décret de 2017 conditionnait l’arrêt des réacteurs de la centrale à la mise en service de la centrale EPR de Flamanville, qui à ce jour n’est toujours pas en service en raison des difficultés rencontrées par EDF et les sous-traitants.

La fermeture de la centrale de Fessenheim fait l’objet d’un plan d’accompagnement, de revitalisation et de transition territoriale mis en œuvre par l’État en concertation avec les collectivités territoriales. Ce plan a été réalisé sous la direction de M. Sébastien Lecornu en 2018, en tant que secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique à cette période.

Nous revenons plus en détail sur la construction de la décision et de la fermeture dans le rapport, mais je peux, d’ores et déjà, souligner qu’il est apparu assez rapidement lors de nos auditions que la publication de ces décrets n’était que l’aboutissement d’une procédure lancée lors de la précédente législature.

Nous abordons, ici, un des points cruciaux de ce rapport qui est celui de la perception de la décision de fermeture. On verra que la prise de conscience de la fermeture et de l’arrêt des réacteurs est différente en fonction des divers acteurs, notamment des collectivités territoriales, ce qui a amené à des faux « espoirs » et impacté la mise en œuvre du plan de revitalisation du territoire.

Il me semble nécessaire de mettre en exergue ce point et l’impérieuse nécessité d’anticiper les fermetures des réacteurs à venir, notamment pour que les acteurs locaux puissent évaluer les impacts sociaux et économiques et définir quels sont les moyens à mettre à œuvre pour accompagner et assurer la transition pour ces acteurs. Je souligne que le cas de la fermeture de la centrale de Fessenheim est particulier, et qu’il est difficile de pouvoir définir un « modèle » type.

Si la fermeture de la centrale de Fessenheim est la conséquence d’une décision politique, il me paraît important de rappeler qu’une fermeture peut, potentiellement, être liée à différents facteurs qui sont indépendants du politique.

En effet, l’autorisation d’exploitation d’une centrale est limitée à une durée de dix ans et soumise à l’accord de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), et la prolongation de celle-ci est soumise à validation après la réalisation d’un contrôle de l’ASN (dite « visite décennale ») qui doit valider la conformité de la centrale aux standards fixés par l’ASN du point de vue de la sûreté et de la sécurité. Il est à noter que ceux-ci ont été fortement réévalués pour la quatrième visite décennale suite à la catastrophe de Fukushima. Nous y reviendrons plus en détail dans le rapport.

Il est fort probable que les évolutions climatiques puissent impacter fortement l’exploitation et le fonctionnement d’une centrale nucléaire, notamment en raison de la disponibilité en quantité suffisante de la ressource en eau. En effet les phénomènes de sécheresse que nous connaissons peuvent engendrer une baisse de disponibilité de cette ressource en eau qui alimente les centrales et particulièrement celles qui sont basées sur la technologie d’eau pressurisée comme le centre nucléaire de production d’électricité (CNPE) de Fessenheim. Bien que marginaux pour l’instant, ces phénomènes pourraient impacter fortement, dans les années à venir, le bon fonctionnement des centrales nucléaires.

De plus le parc nucléaire français est vieillissant, et bien que les centrales fassent l’objet d’une stricte surveillance et de travaux de mise à niveau réguliers pour assurer la sûreté et la sécurité, notre connaissance de l’impact du vieillissement des matériaux et des équipements au-delà des quarante ans est encore empirique et pourrait avoir aussi des conséquences sur des décisions de fermetures anticipées. D’ailleurs l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) a souligné l’opportunité que constitue le démantèlement de la centrale de Fessenheim pour approfondir nos connaissances sur le phénomène de vieillissement des matériaux dans un environnement fortement radioactif. Ce sujet a été clairement souligné par le professeur Thierry de Larochelambert lors de son audition où il nous a fait part de ses travaux sur le vieillissement des matériaux.

Lors des auditions menées par la mission d’information, des interrogations et des doutes ont été émis sur la capacité de la centrale à passer positivement la quatrième visite décennale et donc à obtenir le renouvellement de l’autorisation d’exploitation. Les études préalables avaient été menées par EDF et la centrale a d’ailleurs fait l’objet de nombreux aménagements, notamment suite à la catastrophe de Fukushima de 2011, comme l’augmentation de l’épaisseur du radier à 1,50 mètre. La plupart des responsables d’EDF auditionnés ont estimé que la centrale était en mesure de répondre favorablement aux recommandations fixées pour la quatrième visite décennale. Toutefois, en l’absence d’études complètes, aucune confirmation certaine n’a été exprimée.

Le contexte international et le positionnement géographique de la centrale sont des éléments importants à prendre en compte dans le cadre de la décision de fermeture de la centrale de Fessenheim. En effet, celle-ci est située au bord du Rhin, face à l’Allemagne et proche également de la Suisse. D’ailleurs, ces deux pays voisins étaient partie prenante dans le capital de la centrale.

Le contexte politique allemand et en particulier le fait que le Land du
Bade-Wurtemberg a été dirigé par « Les Verts » allemands jusqu’en septembre 2021, ont certainement influé sur le choix et la décision de fermeture de la centrale de Fessenheim, notamment en raison de la décision allemande de « sortir » du nucléaire. Malheureusement, le contexte de la crise sanitaire ne nous a pas permis de nous déplacer en Allemagne et d’auditionner des responsables politiques et autres acteurs allemands.

La proximité avec l’Allemagne est également un facteur essentiel pour la revitalisation du territoire, du point de vue économique. Les collectivités allemandes sont d’ailleurs parties prenantes dans le plan de revitalisation, mais se font aussi entendre, notamment, dans le cadre du projet de réalisation du technocentre qui doit permettre de recycler une partie des métaux issus du démantèlement, si toutefois la réglementation française sur la gestion des déchets issus de centrales nucléaires évolue. Nous l’aborderons plus loin, dans le rapport.

Le démantèlement est un axe majeur de nos travaux, au cours desquels il a été largement abordé. En effet, dans la perspective des démantèlements futurs et compte tenu de l’importance du parc nucléaire français, il est nécessaire que la France se dote d’une filière industrielle d’excellence structurée et qu’elle saisisse l’opportunité d’être chef de file au niveau international. À noter que la création de cette filière d’excellence a été identifiée et prise en compte dans le plan de relance post-Covid par le Gouvernement.

Dans le présent rapport nous évaluerons également quel a été le développement économique sur le territoire de Fessenheim depuis la construction de la centrale, sachant que dès l’origine du projet une zone économique, qui à ce jour représente plus de 300 hectares, a été réservée pour le développement économique et l’implantation industrielle sur le territoire.

 Nous aborderons aussi les freins constatés dans le développement et la mise en œuvre du plan de revitalisation, malgré les moyens mis en œuvre par l’État sur le territoire et les différents partenaires.

C’est dans ce contexte et au vu de ces éléments que nous allons, à travers ce rapport, essayer de répondre à différentes interrogations :

Quel est l’historique et qu’est ce qui a déterminé le choix et la décision de fermer la centrale de Fessenheim ?

Quel a été le développement économique du territoire depuis la construction de la centrale ? Quels sont les impacts sociaux, économiques et fiscaux de sa fermeture pour le territoire ?

Quelles actions et mesures d’accompagnement ont été mises en place pour accompagner et reclasser les salariés de la centrale de Fessenheim et des sous-traitants ?

Quels sont les impacts et les risques pour l’approvisionnement énergétique pour le territoire alsacien et la France ?

Comment les collectivités territoriales ont-elles anticipé la fermeture de la centrale ?

Comment se sont construits le plan de revitalisation et la transition pour accompagner le territoire et les collectivités territoriales ? Où en sommes-nous dans leur mise en œuvre ?

Quels sont les leviers ou les freins règlementaires à lever pour permettre l’émergence d’une filière industrielle de démantèlement française ?

Quels sont les engagements pris par l’État en concertation avec les collectivités territoriales, et où en sommes-nous dans leur mise en œuvre ?

Quels enseignements peut-on tirer de la fermeture de la centrale de Fessenheim ? etc.

Autant de questions auxquelles nous allons tenter de répondre dans ce rapport, avec le plus d’objectivité possible, afin d’éclaircir la représentation nationale sur un dossier complexe qui s’inscrit dans un contexte économique et politique national et international particulier, et dans une situation de crise sanitaire mondiale qui nous a bouleversés dans nos convictions collectives et individuelles.

 


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   PREMIÈre partie :
La fermeture : inÉluctable mais longtemps incertaine, annoncÉe mais « chaotique »

 

I.   une installation remarquable et performante

A.   les spécificités du site et de l’installation

Le centre nucléaire de production d’électricité (CNPE) de Fessenheim est composé de deux réacteurs à eau pressurisée (REP) de 900 mégawatts (MW) chacun. Ils constituent l’installation nucléaire de base (INB) 75, située à la frontière avec l’Allemagne, en contrebas du Grand canal d’Alsace dont elle est séparée par une digue, à 23 kilomètres de Colmar, à 26 kilomètres de Mulhouse et à
30 kilomètres de la frontière avec la Suisse.

Sa construction s’est inscrite dans un tournant technologique pour l’industrie nucléaire française. La décision de construire la centrale à Fessenheim date de 1967. Le projet prévoyait quatre réacteurs ou « tranches » mais seuls deux ont finalement été installés. Initialement, les réacteurs devaient être conçus selon la technologie de première génération « uranium naturel graphite gaz » (UNGG) ; le Gouvernement a décidé en 1969 de construire la centrale de Fessenheim selon la technologie de deuxième génération, celle des réacteurs à eau pressurisée. Comme l’a souligné M. Étienne Dutheil, directeur de la production nucléaire d’EDF, lors de son audition, la centrale de Fessenheim a préfiguré la phase industrielle et de standardisation du programme nucléaire français, basée sur le déploiement d’un modèle de centrale apte à être dupliqué quelles que soient les particularités de chaque site d’implantation.

La construction a été réalisée sous licence ([2]) Westinghouse Electric, entreprise américaine maîtrisant la technologie de deuxième génération, et a débuté en 1971 pour préparer le site au bord du Grand canal d’Alsace. Un décret du 3 février 1972 a autorisé EDF à créer une centrale nucléaire comportant deux tranches à Fessenheim.

L’emplacement de la centrale nucléaire a été choisi au regard des besoins techniques de fonctionnement des réacteurs. Le Grand canal d’Alsace permet, d’une part, de fournir l’eau nécessaire aux circuits des réacteurs et, d’autre part, d’assurer l’approvisionnement de la centrale nucléaire en électricité, en cas de nécessité, grâce à la centrale hydroélectrique de Fessenheim mise en service en 1956 ([3]). Le président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), M. Bernard Doroszczuk, a souligné lors de son audition que la centrale de Fessenheim a bénéficié, de par son emplacement, d’un avantage important par rapport aux réacteurs du « palier 900 » construits ensuite : une redondance de son alimentation électrique externe grâce à sa connexion directe à la centrale hydroélectrique.

Le phénomène de fission a commencé en mars et en juin 1977 respectivement au sein du premier et du second réacteur. Le premier réacteur a été mis en service, c’est-à-dire couplé au réseau électrique, le 6 avril 1977 et le second le 6 octobre 1977. Deux arrêtés du 17 novembre 1977 portant autorisation de rejets d’effluents radioactifs gazeux et liquides de la centrale nucléaire de Fessenheim ont rendu la centrale pleinement opérationnelle. Dès lors, sa mise en service commercial a eu lieu le 1er janvier 1978.

Présentation sommaire du fonctionnement des réacteurs de Fessenheim

La centrale est dotée de deux réacteurs à eau pressurisée (REP), dits de palier CP0 (contrat programme zéro). Des assemblages de combustible (uranium enrichi) sont insérés dans le cœur de chaque réacteur, immergés dans une cuve remplie d’eau. Les cuves des deux réacteurs sont en acier et contiennent 60 tonnes de combustible. Une dalle de béton armé, le radier, constitue le socle sur lequel reposent les réacteurs. Le radier du réacteur 1 a été évoqué fréquemment lors des auditions de la mission d’information en raison de son épaisseur nettement inférieure aux radiers des autres centrales du parc (l’épaisseur était, avant son renforcement en 2013, d’un mètre cinquante contre trois à quatre mètres pour la majorité des autres centrales).

La réaction de fission en chaîne dégage de la chaleur qui est transmise à l’eau environnante. Cette eau dite « primaire » ne bout pas car elle est maintenue sous forte pression (155 bars). L’eau « primaire » circule en circuit fermé entre la cuve du réacteur et trois générateurs de vapeur (GV), complétés par un pressuriseur et trois pompes primaires. Dans les GV, l’eau primaire transmet sa chaleur à un second circuit d’eau dit « secondaire ». L’eau du circuit secondaire entre alors en ébullition car elle est soumise à une pression beaucoup plus faible (70 bars) que celle du circuit primaire.

La vapeur ainsi créée transite par un turboalternateur qui produit de l’électricité. En sortie de turboalternateur, la vapeur d’eau est condensée ; elle est refroidie par de l’eau du Grand canal d’Alsace, pompée puis restituée en partie au cours d’eau sans qu’elle soit entrée en contact avec l’eau du circuit secondaire. La centrale de Fessenheim ne nécessite donc pas de tour aéroréfrigérante. L’eau du circuit secondaire est ensuite réacheminée vers les GV pour un nouveau cycle.

Deux piscines servent au refroidissement et au stockage sur place du combustible usé des deux réacteurs avant son évacuation vers le centre de traitement du combustible nucléaire usé de La Hague.

Plusieurs entreprises ont participé au financement de la construction : EDF, la société allemande Energie Baden-Württemberg AG (EnBW) à hauteur de 17,5 % et un consortium suisse, Centrales nucléaires en participation (CNP), regroupant Alpiq, Axpo et BKW, à hauteur de 15 %. En tant qu’actionnaires, ces entreprises ont bénéficié d’une part de la production d’électricité égale à leur part du financement.

Le président de l’ASN a indiqué que la construction des deux réacteurs de Fessenheim a été réalisée en moins de sept ans, délai qui apparaît aujourd’hui relativement rapide en comparaison avec la construction d’autres centrales du même palier de puissance, dans des délais maîtrisés et sans aléa particulier sur le chantier qui aurait pu avoir un impact sur la gestion de la sûreté de l’installation par la suite.

Ce chantier a été présenté comme une réussite pour l’industrie nucléaire française dans un contexte où l’énergie de l’atome était devenue la meilleure option pour atteindre l’objectif d’indépendance énergétique de la France. Dans les années qui ont suivi la construction de cette centrale, le nombre de réacteurs de deuxième génération s’est multiplié, notamment après la crise pétrolière de 1974. La construction en série a débuté avec le lancement simultané des chantiers de construction sur les sites du Tricastin, de Gravelines et de Dampierre. La centrale de Fessenheim s’est donc inscrite dans un contexte industriel et technologique porteur et comme un fleuron des réacteurs de deuxième génération.

Le parc du palier 900 MW s’est développé jusqu’à compter
34 réacteurs en France, tous exploités par EDF : les six réacteurs du contrat programme zéro ou CP0 (les deux réacteurs de Fessenheim et les quatre réacteurs de la centrale du Bugey), dix-huit réacteurs dans le cadre du CP1 lancé en 1974 répartis sur les centrales de Blayais, Gravelines, Tricastin et Dampierre et dix réacteurs dans le cadre du CP2 engagé en 1976 (centrales de Chinon, Cruas et Saint-Laurent-des-Eaux). Le réacteur le plus récent de ce palier est la tranche B4 de la centrale de Chinon, mise en service en 1987. D’autres REP, d’une puissance supérieure, ont été construits par la suite pour constituer le palier 1 300 MW (vingt réacteurs) et le palier 1 450 MW (quatre réacteurs). La centrale de Fessenheim a ainsi été, selon les termes du président-directeur général d’EDF lors de son audition, « la première d’une longue série ». 

Tout au long de la période d’exploitation de la centrale de Fessenheim, EDF a procédé à d’importants investissements pour maintenir son niveau de performance et renforcer sa sûreté, notamment pour remplacer les trois générateurs de vapeur (GV) du réacteur n° 1 en 2002 et les trois générateurs de vapeur du réacteur n° 2 en 2011-2012. La centrale dont les réacteurs ont été définitivement arrêtés en 2020 n’est donc pas la même que celle qui a démarré son activité en 1977, compte tenu des modifications matérielles, des remplacements d’équipements et des modifications des procédures d’exploitation qui ont eu lieu. Outre les GV, le programme de remplacement d’équipements a concerné notamment les alternateurs, les transformateurs et les échangeurs de chaleur.

Sur l’ensemble de sa durée d’exploitation, la centrale de Fessenheim a produit 448 milliards de kWh, donc plus de 10 TWh par an en moyenne, dépassant 12 TWh certaines années, et notamment au cours de sa dernière année complète d’exploitation avec une production de 12,3 TWh en 2019 : son niveau de performance ne s’est pas réduit avec le temps. En regard de cette production moyenne, on peut noter qu’en 2018, la consommation d’électricité en Alsace a représenté 14 TWh. EDF a indiqué à la mission d’information que la production n’a été inférieure à 8 TWh qu’au cours de quatre années d’exploitation et que les performances globales de cette centrale ont été du même ordre de grandeur que celles des autres centrales du palier 900. Les responsables d’EDF et les représentants des personnels auditionnés ont tous fait part de leur fierté, fort justifiée, quant aux résultats de la centrale.

Dès le début de sa construction, la centrale a fait l’objet de controverses, d’une couverture médiatique intense et de contestations soutenues, qui se sont poursuivies de manière récurrente jusqu’à l’arrêt définitif des deux réacteurs en 2020. Des manifestations ont été organisées et ont mobilisé des militants allemands et suisses compte tenu de la localisation de la centrale et de son incidence transfrontalière. En 1975, deux explosions se sont produites sur le chantier sans faire de blessés.

Le maire d’Ensisheim et président de la commission locale d’information et de surveillance (CLIS) de la centrale de Fessenheim, M. Michel Habig, a indiqué à la mission d’information que l’opposition à la construction de la centrale n’a pas seulement été le fait de militants opposés au nucléaire mais aussi, du moins au début, d’agriculteurs en raison de l’implantation de lignes électriques à haute tension. Le président de l’association Stop Fessenheim, M. André Hatz, a rappelé que, alors que le projet portait initialement création de quatre réacteurs, le large mouvement de contestation – dans lequel le maire de Fessenheim de l’époque, Alain Weil, a joué un rôle important – a amené EDF à n’en installer que deux et, pour reprendre les termes employés par le président d’Alsace Nature, M. Daniel Reininger, « à cet endroit les opposants n’ont jamais levé le pied ». Cependant la centrale a rapidement « fait partie du paysage » pour la population, qui l’a, en très grande majorité, bien acceptée. Comme l’a rappelé le président de la CLIS, les habitants du territoire, dans un rayon d’une trentaine de kilomètres autour de la centrale, ont vu celle-ci comme une source de richesse et une source sûre d’approvisionnement en énergie en cas d’hivers rigoureux.

La création de la CLIS, une première en France (antérieure à la circulaire du 15 décembre 1981 prévoyant la création d’une commission locale d’information pour chaque centrale nucléaire), a contribué à une bonne information de la population, y compris à l’échelle transfrontalière : sa composition a inclus dès l’origine des acteurs allemands et suisses. M. Georges Walter, directeur de l’environnement et du cadre de vie du département du Haut-Rhin, a rappelé que cette création en 1976 à l’initiative du conseil général visait justement à assurer une surveillance et une information en réponse à l’important mouvement anti-nucléaire sur le territoire. La CLIS réunit 40 membres ayant voix délibérative et plusieurs membres avec voix consultative (dont des représentants de l’État, de l’ASN, d’EDF et de l’agence régionale de santé). Outre ses réunions d’information, la CLIS fait réaliser des expertises techniques et scientifiques indépendantes à la demande de ses membres, financées par le département du Haut-Rhin et l’ASN. M. Georges Walter a observé que ces expertises ont été nombreuses et ont notamment porté sur la résistance de la digue adjacente à la centrale et l’évaluation du risque de submersion de la centrale par l’eau du canal. Toutefois, le fonctionnement de la CLIS ne fait pas l’unanimité ; pour les associations de protection de l’environnement, cette commission d’information ne fonctionne qu’a minima et n’assure pas une transparence suffisante.

B.   une centrale intégrée dans un écosystème énergétique et économique

Comme l’a souligné M. Georges Walter lors de son audition par la mission d’information, avant 2011, le Rhin supérieur était l’espace le plus « nucléarisé » en Europe, avec 6 centrales allemandes, 5 centrales suisses et 2 centrales françaises formant un parc nucléaire d’une capacité totale de 12 300 MW.

1.   Le moteur de l’économie locale

Le fonctionnement de la centrale de Fessenheim a joué un rôle crucial dans l’économie et la vie du territoire, en particulier en tant qu’employeur et comme source d’emplois indirects, mais de ce fait le territoire s’est trouvé dans un état de « grande dépendance » à l’activité de la centrale, comme l’ont noté les représentants de la CFDT auditionnés par la mission d’information. Une centrale nucléaire est souvent – la déléguée générale de la Société française d’énergie nucléaire (SFEN) l’a rappelé pendant son audition – le moteur de l’économie de son territoire d’implantation, un créateur majeur, voire unique, d’emplois qualifiés et un contributeur essentiel à l’amélioration des infrastructures et des services. L’exemple du site du Tricastin, qui emploie plus de 4 000 salariés, l’illustre bien et la centrale de Fessenheim également : le territoire vit au rythme de la centrale. M. Claude Brender, maire de Fessenheim, a exposé combien la centrale avait placé la commune dans une situation de « mono-industrie, source quasiment unique de revenus », dans la mesure où un « effet centrale » négatif a pu dissuader d’autres activités et d’autres travailleurs de s’installer à proximité d’une installation nucléaire.

Le président de la communauté de communes Pays Rhin Brisach (dont est membre la commune de Fessenheim), M. Gérard Hug, a rappelé que ce territoire a connu une croissance économique marquée dans les années 1970, avec de nombreuses implantations d’entreprises, mais que depuis lors le mouvement d’implantation s’est tari et que le territoire a vécu « sur les entreprises existantes ». Du fait de leurs revenus salariaux plus élevés que la moyenne des salaires sur ce territoire, les personnels de la centrale nucléaire ont joué un rôle important pour l’activité des commerces et des entreprises locales, comme l’a souligné le président de la CLIS. EDF est un partenaire historique de ce territoire, tant par cette centrale que par les barrages hydroélectriques.

Le maire de Fessenheim a indiqué lors de son audition que la population de la commune est passée d’environ 900 habitants au début des années 1970 à plus de 2 000 habitants en 1980. La commune et les communes voisines ont accueilli des agents EDF et leurs familles et ont en conséquence procédé à des créations importantes d’équipements (équipements sportifs, crèche, médiathèque…) et de services pour ces nouveaux habitants, les recettes fiscales provenant de la centrale permettant de procéder à ces dépenses sans endettement. Des activités d’hébergement et de restauration sont apparues pour accueillir les personnels permanents et temporaires de la centrale (pendant les périodes d’arrêt des réacteurs pour travaux, qui durent entre plusieurs semaines et plusieurs mois, le personnel de la centrale a pu atteindre 2 000 personnes). Un tissu associatif s’est développé, ainsi qu’un tissu artisanal et commercial. La commune a été en mesure d’attirer des professionnels de santé, Fessenheim a acquis le statut de bourg-centre. M. Thierry Raymond, délégué central de la CGT, a décrit devant la mission d’information l’afflux de nouveaux travailleurs sur le territoire au moment de la construction de la centrale et a indiqué que les salariés ont trouvé domicile dans près de 130 communes différentes dans la région, dont 70 % sur le territoire de cinq communes.

La commune de Fessenheim a créé une zone d’activité industrielle (la ZI Koechlin) près de la centrale dans le but d’y implanter des entreprises sous-traitantes, même si peu sont effectivement venues s’y installer. Au niveau intercommunal, une autre zone d’activités a été créée, sur le territoire de la commune de Blodelsheim. Une pépinière d’entreprises a été inaugurée en 2006 et complétée par un « hôtel d’entreprises ».

2.   La production d’électricité en région Grand Est : situation en 2019

En 2019, le territoire de la région Grand Est était doté de 11 338 km de lignes électriques aériennes, 369 km de lignes souterraines et 260 postes électriques. C’est la région française qui compte le plus grand nombre de lignes d’interconnexion avec les pays voisins (douze lignes).

Avec 104,1 TWh, la production d’électricité est restée stable en 2019 (104,6 TWh en 2018). 36,4 TWh ont été produits dans le département de la Moselle, 19,5 TWh dans le département des Ardennes, 17,1 TWh dans le département de l’Aube et 16,2 TWh dans le département du Haut-Rhin.

La capacité totale du parc de production d’électricité régional était de 22 430 MW (dont 12 580 MW pour la capacité du parc nucléaire) et représentait près de 17 % du parc national. En 2019, sa capacité a progressé de 1,3 %, soit 279 MW supplémentaires, grâce au développement continu des énergies renouvelables. En 2019 a été observée une baisse de 6 % des émissions de CO2, en grande partie due à la diminution de la production « charbon » de la région.

La production nucléaire était encore très largement prédominante (73,4 % de l’électricité produite dans la région) et la baisse de 5 % de la production nucléaire en 2019 a été compensée par l’augmentation de la production d’origine renouvelable et le recours aux centrales au gaz.

La production totale d’électricité de la région a représenté 19,4 % de la production nationale. La région Grand Est a été la seule région, en 2019, à n’avoir eu que des flux d’échanges exportateurs avec les régions et pays voisins.

Source : RTE, Bilan électrique 2019 en Grand Est.

La production d’électricité d’origine renouvelable (hydraulique, éolien, bioénergie et solaire) a couvert au total 38,2 % de la consommation dans la région en 2019 (32,1 % en 2018).

La consommation d’électricité du Grand Est (9,4 % de la consommation nationale) a été très largement couverte par la production régionale tout au long de l’année 2019 :

Source : RTE.

Parmi les 41,1 TWh d’électricité consommés dans la région en 2019, 7,9 TWh l’ont été dans le département du Bas-Rhin, 7,4 TWh l’ont été en Moselle, et 5,8 TWh dans le Haut-Rhin.

C.   un bilan globalement satisfaisant en termes de sûreté nucléaire

1.   La centrale a fait l’objet de trois réexamens décennaux de sûreté

La durée de fonctionnement des installations nucléaires de base n’est pas limitée a priori. En contrepartie, l’article L. 593-18 du code de l’environnement impose aux exploitants d’examiner en profondeur, tous les dix ans, la conformité de leurs installations aux référentiels applicables, de remédier aux éventuels écarts détectés, d’améliorer le niveau de sûreté et de réaliser un examen des effets du vieillissement sur les matériels. Toutes les INB présentes sur le territoire français sont assujetties à cette obligation légale. Le réexamen porte sur l’ensemble des risques et inconvénients que présente une installation : il ne porte donc pas seulement sur les risques d’accident mais également sur l’impact de l’installation sur l’environnement.

L’obligation pour l’exploitant de procéder tous les dix ans à un réexamen de sûreté de chaque installation nucléaire sous le contrôle de l’ASN (sans préjuger des enquêtes que peut mener à tout moment l’ASN sur la sûreté d’une installation) a été introduite par le législateur dans la loi du 13 juin 2006 ([4]).

Lors de son audition par la mission d’information, le président de l’ASN a présenté les objectifs et la méthode des réexamens périodiques de sûreté. Tout réexamen périodique de sûreté comprend, d’une part, une vérification de la conformité des installations au référentiel de sûreté en vigueur et, d’autre part, une réévaluation de sûreté, c’est-à-dire un ensemble de mesures d’amélioration du niveau de sûreté en prenant en compte les meilleures pratiques internationales et en tenant compte notamment de l’état des installations, de l’expérience acquise au cours de l’exploitation, de l’évolution des connaissances et des règles applicables aux installations similaires. Chaque réexamen s’opère dans le cadre fixé par les articles L. 593-18 et L. 593-19 du code de l’environnement.

Chaque réexamen peut donc donner lieu à des travaux très importants dans des domaines où les exigences réglementaires et les techniques ont fortement évolué. Par exemple, dans le cadre du troisième réexamen décennal de la centrale de Fessenheim, un forage dans la nappe phréatique a été installé pour que la centrale bénéficie d’une source de refroidissement externe supplémentaire et indépendante de la source froide que constitue l’eau du Rhin. Le président de l’ASN a souligné que cet ajout a conféré à la centrale un avantage relatif, en termes de sûreté, par rapport aux autres centrales du même palier, qui, d’ailleurs, seront équipées à leur tour d’une source de refroidissement dans le cadre des travaux de modification menés par EDF, sur prescription de l’ASN, suite à l’accident de Fukushima.

Les réexamens sont menés de manière « homogène » par palier de réacteurs. Le niveau de sûreté atteint par les réacteurs d’un même palier à l’issue des travaux de modification dans le cadre d’un réexamen constitue le standard à maintenir jusqu’au prochain réexamen. En amont de chaque réexamen décennal d’un réacteur, l’ASN se prononce, après consultation éventuelle du groupe permanent d’experts pour la sûreté des réacteurs nucléaires (GPR), sur la liste des thèmes choisis pour faire l’objet d’études de réévaluation de sûreté et sur les objectifs associés, lors de la phase dite d’orientation du réexamen périodique.

À l’issue des études réalisées par l’exploitant sur chacun des thèmes retenus, des modifications permettant des améliorations de sûreté sont définies. Elles seront réalisées pendant la visite décennale du réacteur (VD), qui implique un arrêt long([5]). À l’issue de la visite décennale, l’exploitant adresse à l’ASN un rapport de conclusions. L’ASN communique au ministre en charge de la sûreté nucléaire son analyse du rapport et peut fixer à l’exploitant des prescriptions complémentaires.

Les résultats de chaque réexamen décennal conditionnent l’autorisation de poursuivre l’exploitation de chaque réacteur pour une durée maximale de dix années supplémentaires.

Pour déterminer le calendrier des visites décennales des réacteurs, EDF doit tenir compte des échéances de réalisation des épreuves hydrauliques fixées par la réglementation des équipements sous pression nucléaires.

L’examen décennal de conformité ne dispense pas l’exploitant de son obligation de garantir en permanence la conformité de ses installations. Celle-ci est régulièrement contrôlée par l’ASN au travers des inspections qu’elle diligente sur les sites. L’ASN a ainsi procédé à 21 inspections, dont 10 inopinées, sur le site de Fessenheim en 2019 et à 15 inspections en 2020, dont 7 inopinées ([6]).

Les deux réacteurs de Fessenheim ont été arrêtés pour contrôle une première fois en 1979, dix-huit mois après la mise en service. À partir de 1989 ont été réalisés des réexamens approfondis : en 1989, 1999 et 2009 pour le réacteur n° 1, en 1990, 2000 et 2010 pour le réacteur n° 2. Le premier réexamen approfondi n’a donc pas eu lieu dix ans après le démarrage des réacteurs en 1977 mais douze ans après. C’est pourquoi la centrale a fonctionné pendant plus de quarante ans (1977-2020) sans avoir fait l’objet d’une quatrième VD, l’échéance de celle-ci ayant été fixée, pour le réacteur n° 1, à septembre 2020 par l’ASN à l’issue de la troisième VD.

2.   Les incidents pendant l’exploitation

L’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) dispose de bases de données des événements déclarés par l’ensemble des exploitants nucléaires depuis 1973 (plus de 30 000 y sont recensés pour l’ensemble des réacteurs de puissance d’EDF). 1 122 « événements significatifs de sûreté » (ESS) y sont recensés pour la centrale de Fessenheim depuis la création de l’échelle INES (International Nuclear Event Scale) par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) en 1991. Cette échelle va de 0 (écart) à 7 (accident majeur) ([7]). En France, plusieurs centaines d’évènements déclarés chaque année sont classées au niveau 0 car ils n’ont aucune conséquence du point de vue de la sûreté mais constituent des écarts par rapport au fonctionnement normal de l’installation, à l’utilisation normale des sources radioactives ou au déroulement normal des transports ([8]). À Fessenheim, le nombre d’évènements déclarés de niveau 0 a varié entre dix et quarante par an.

Lors de son audition, le directeur général de l’IRSN, M. Jean-Christophe Niel, a indiqué que sur les huit incidents de niveau 2 déclarés pour la centrale de Fessenheim, un seul était spécifique à cette centrale puisqu’il n’a pas été constaté sur d’autres REP du parc : l’incident du 13 septembre 1991 sur la soudure d’une soupape de protection du réacteur n° 1. Les incidents de niveau 2 ont été définis par le président de l’ASN devant la mission d’information comme des incidents assortis de défaillances importantes des dispositifs de sûreté mais sans perte des « lignes de défense » et sans rejets à l’extérieur de l’installation. L’incident de niveau 2 le plus récent à Fessenheim date d’octobre 2017 et concernait à la fois les deux réacteurs de Fessenheim et deux des quatre réacteurs du Bugey ([9]).

Il ne s’est produit à Fessenheim aucun évènement déclaré classé à un niveau supérieur à 2.

évènements de sûreté déclarés pour la centrale de fessenheim

  Échelle INES

Niveau 0

(écart)

Niveau 1 (anomalie)

Niveau 2

(incident)

Nombre d’événements déclarés*

 

(entre parenthèses : nombre de ces évènements qui ont affecté non seulement la centrale de Fessenheim mais aussi d’autres REP du parc, voire tous les REP du parc)

963

 

(dont 172)

151

 

(dont 42)

8

 

(dont 7)

* Il peut s’agir d’événements génériques à un palier ou à tous les réacteurs du parc (défaut sur un matériel…) – cf. nombre entre parenthèses.

Source : ASN et IRSN.

L’IRSN a indiqué à la mission d’information qu’il ressort d’une analyse globale des évènements déclarés par EDF pour les réacteurs de puissance que le nombre d’incidents survenus à la centrale de Fessenheim est similaire à celui des autres sites et que « les résultats de la centrale de Fessenheim en termes de rigueur d’exploitation étaient considérés comme satisfaisants ces dernières années » ([10]).

Le président de l’ASN a signalé que la qualité et la rigueur d’exploitation de la centrale ont connu un point bas en 2003, avec une moindre transparence et une tendance à sous-déclarer les évènements impactant sur la sûreté. Dans un contexte d’attention accrue de l’ASN et sous la pression de l’opinion publique locale et transfrontalière, l’exploitant a réagi efficacement : dans ses réponses écrites adressées à la mission d’information, EDF reconnaît l’existence d’« une période difficile entre 2005 et 2008 durant laquelle le niveau de rigueur en exploitation s’était dégradé », mais indique qu’un plan d’exploitation rigoureux a été engagé en 2007 et a porté ses fruits dès 2009 en termes d’amélioration de la sûreté et que, qu’il s’agisse du nombre d’ESS déclarés ou de leur importance, la centrale de Fessenheim ne se distingue pas des autres centrales du parc.

Il convient de noter que le niveau de sûreté d’une installation nucléaire ne peut s’apprécier uniquement à partir du nombre d’ESS déclarés ; comme l’a rappelé M. Étienne Dutheil, directeur de la production nucléaire d’EDF, au niveau mondial, les centrales qui déclarent le moins d’ESS ne sont pas nécessairement les plus sûres et, en France, la déclaration des ESS par les exploitants, même lorsque ces évènements n’ont aucun impact sur la santé ni sur l’environnement, fait partie du processus d’amélioration continue de cette industrie, tout comme les travaux d’amélioration de la sûreté liés aux visites décennales.

La mission d’information constate donc qu’en 2012, lorsqu’a été annoncé que la centrale de Fessenheim allait fermer, le niveau de sûreté était bon, que l’IRSN et l’ASN n’avaient identifié aucun motif appelant un arrêt immédiat et que la situation est demeurée satisfaisante jusqu’à l’arrêt définitif des réacteurs.

3.   Des inquiétudes persistantes exprimées par plusieurs acteurs, mais une appréciation globalement positive de l’ASN

a.   Des perceptions contrastées

L’ensemble des associations de protection de l’environnement auditionnées ont affirmé que des motifs de sûreté, et pas seulement des choix nationaux de politique énergétique, justifient l’arrêt définitif des réacteurs de Fessenheim. La construction d’une centrale nucléaire juste au-dessus d’une nappe phréatique, en contrebas d’un canal de grand gabarit (comme pour la centrale de Tricastin) et dans une zone où le risque sismique est avéré – ce qui implique un risque de submersion – a fondé la mobilisation des opposants à cette centrale, qui contestent l’appréciation faite de ces risques par EDF, par l’ASN et l’IRSN et indirectement par l’État, notamment pour le risque sismique (voir encadré ci-dessous).

Une réévaluation du risque sismique par un bureau d’études suisse contestée par l’IRSN

En 2007, les autorités de deux cantons suisses ont mandaté le bureau d’études Résonance pour expertiser l’aléa sismique dans le fossé rhénan supérieur et évaluer si la sûreté de la centrale de Fessenheim au regard du risque sismique correspondait à l’état actuel des connaissances scientifiques et techniques. Le rapport d’expertise remis en septembre 2007 ([11]) indique que « l’aléa sismique pris en compte lors du dimensionnement de la centrale nucléaire de Fessenheim semble avoir été sous-évalué à l’époque » de sa construction, affirme que « la réévaluation de l’aléa sismique, telle que proposée, jusqu’à présent, par EDF en vue de la 3ème visite décennale de la centrale, prévue à partir de 2009, mène à une sous-estimation prononcée de l’aléa et n’est donc pas acceptable » et appelle EDF et l’IRSN à procéder le plus rapidement possible à un contrôle approfondi de la résistance sismique de la centrale après avoir réalisé une révision de l’aléa sismique en tenant compte de l’actualisation des connaissances scientifiques depuis l’état des connaissances au moment de la construction de la centrale dans les années 1970.

EDF et l’IRSN ont redéfini en 2002 l’aléa sismique pour plusieurs centrales nucléaires, en particulier pour celle de Fessenheim (la méthode utilisée antérieurement datait de 1981), en considérant que la distance entre la centrale nucléaire et la zone sismotechnique où se situait l’épicentre du séisme de Bâle de 1356 permettait d’exclure qu’un séisme analogue puisse se produire dans les alentours immédiats de Fessenheim. Résonance note une divergence de méthode entre EDF et l’IRSN, celui-ci ne faisant pas du séisme de Bâle l’unique référence historique pertinente mais préconisant d’intégrer également dans la méthode des séismes « locaux », dont l’épicentre est situé plus près du site, voire même directement à l’aplomb de la centrale. L’IRSN considère qu’il faut inclure dans l’évaluation du risque sismique le séisme de Kaiserstuhl de 1926.

Le bureau d’études reconnaît que la magnitude du séisme de Bâle fait l’objet d’estimations variables selon les études (6,2 selon le Bureau de recherches géologiques et minières, entre 6,7 et 7,1 selon une étude suisse de 2004, 6,6 selon une étude allemande de 2006…) mais estime que l’appréciation portée par les autorités françaises sur la distance « se situe du côté optimiste des valeurs évoquées par les différents experts » et affirme qu’« il est clair que si la centrale nucléaire était à reconstruire aujourd’hui, elle devrait être dimensionnée pour un séisme sensiblement plus fort par rapport au séisme de dimensionnement de l’époque. Néanmoins, cela ne signifie pas forcément que la sûreté sismique de la centrale actuelle est réellement insuffisante. Seul un contrôle approfondi des bâtiments et des installations permettrait de répondre à ce point ».

L’étude de Résonance met en doute la pertinence de la méthode française pour déterminer l’aléa sismique pour un site nucléaire donné mais reconnaît qu’en matière de détermination de l’aléa sismique du site considéré, « les incertitudes des connaissances sont particulièrement grandes dans ce domaine » et ne présente pas sa propre évaluation de l’aléa sismique.

Résonance ayant transmis son rapport à l’IRSN, celui-ci en a fait une analyse, publiée en novembre 2008, et conteste plusieurs de ses conclusions ([12]). L’IRSN admet que l’actualisation des connaissances scientifiques au début des années 2000 amène à revoir à la hausse la magnitude du séisme de Bâle (que l’IRSN situe depuis 2008 à 6,8 contre 6,1 selon EDF). En revanche, l’IRSN conteste la conclusion de Résonance selon laquelle il a surestimé la distance entre la centrale et la zone de survenance de ce séisme historique.

L’IRSN rappelle dans son avis de 2008 qu’en France, l’évaluation de l’aléa sismique pour toute centrale nucléaire est périodiquement revue à l’occasion des études effectuées en préparation des visites décennales, ce qui permet, le cas échéant, de prendre en compte les éléments nouveaux apparus depuis l’examen précédent dans le domaine des connaissances scientifiques. Les conclusions de ces études peuvent conduire à des modifications des installations, par exemple, dans le cas du risque sismique, à des travaux de renforcement. C’est le cas pour la centrale de Fessenheim, des travaux conséquents devant être effectués à partir de 2009.

Les organisations non gouvernementales (ONG), notamment la représentante du réseau Sortir du Nucléaire, ont aussi fait valoir l’existence de malfaçons et d’anomalies dans plusieurs équipements de la centrale, qui ont été constatées et jugées non dangereuses ([13]) mais qui pourraient être susceptibles de dégrader les marges de sécurité au fur et à mesure que les effets du vieillissement des matériaux s’accentuent, et d’accroître la vulnérabilité de la centrale à des risques qui n’existaient pas ou n’étaient pas pris en considération de la même façon qu’aujourd’hui à l’époque où la décision de construction a été prise.

Mme Alix Mazounie (Greenpeace France) a reconnu que l’ASN avait trouvé la centrale de Fessenheim satisfaisante en termes de sûreté au cours de ses dernières années de fonctionnement, mais a souligné que c’est au regard des exigences de sûreté applicables pour le troisième réexamen décennal que l’ASN s’est prononcée, alors que ces exigences seront forcément rehaussées de manière significative dans la perspective des quatrièmes VD des réacteurs du palier 900 en exploitation ([14]), dans lesquelles la centrale de Fessenheim, du fait de sa fermeture, ne sera pas incluse.

b.   Les analyses de l’ASN pour 2019-2020

L’ASN établit et publie chaque année un rapport sur l’état de la sûreté nucléaire et de la radioprotection en France. Dans son rapport relatif à l’année 2019, l’ASN a considéré que « la performance de la centrale nucléaire de Fessenheim reste à un niveau satisfaisant en matière de sûreté nucléaire, tant au plan de l’exploitation des réacteurs que de la mise en œuvre des programmes de maintenance des installations ; l’installation se situe favorablement par rapport à la moyenne nationale dans les domaines de la sûreté et de l’environnement, et dans la moyenne dans le domaine de la radioprotection » ([15]).

Le bilan 2019 n’est pas parfait : l’ASN précise qu’« après une bonne année 2018, l’exploitation en 2019 a fait apparaître quelques évènements en lien avec la fiabilisation des interventions et des opérations de conduite, mais sans remettre en cause le jugement globalement positif » de l’autorité.

Dans la perspective de l’arrêt définitif des réacteurs et de la préparation du démantèlement, l’ASN a mené une inspection sur site en novembre 2019, dont elle fait état dans son rapport. Elle indique avoir constaté « l’avancement insuffisant des études techniques à ce stade du projet de démantèlement » mais a salué « le maintien à un niveau très satisfaisant de l’implication du personnel » et l’« excellent niveau » de la gestion des enjeux organisationnels et humains.

Dans son rapport portant sur l’année 2020 ([16]), l’ASN constate que la fin de l’activité de production du site de Fessenheim « s’est faite avec un niveau de performance très satisfaisant en matière de sûreté, en ligne avec les bons résultats obtenus par le site depuis plusieurs années ». Techniquement, l’arrêt définitif des réacteurs s’est déroulé selon les mêmes procédures que pour un arrêt temporaire. L’ASN a salué de nouveau « la forte volonté de la direction et des agents du site de maintenir une rigueur d’exploitation exemplaire jusqu’à l’arrêt définitif des réacteurs », qui contribue à expliquer les performances en matière de sûreté. Lors de son audition, le président de l’ASN a déclaré qu’au moment de la mise à l’arrêt définitif, le niveau de sûreté des deux réacteurs ne différait pas significativement de celui de l’ensemble des autres réacteurs du palier 900.

En revanche, une fois les réacteurs arrêtés, l’ASN a constaté, à partir de septembre 2020, « une augmentation passagère des évènements significatifs présentant une composante de "facteurs organisationnels et humainsʺ inhabituelle, possiblement liée à la perturbation des pratiques organisationnelles et managériales » due aux départs en cours dans les différents services et à la modification du dimensionnement des équipes de conduite. L’autorité a souligné que l’activité sur le site se démarque désormais des opérations récurrentes habituelles d’exploitation et de maintenance et qu’il convient donc d’adapter les pratiques d’analyse des risques à cette nouvelle activité.


II.   Huit années de confusion, entre déni et certitudes (2012-2020)

« Traumatisme », « assassinat politique », « aberration », « sidération », « injustice », les termes employés par les acteurs du territoire auditionnés ont été très forts, traduisant la colère, l’incompréhension, la difficulté profonde de surmonter la disparition de l’activité industrielle majeure du territoire. Cette colère et cette incompréhension ont amené les personnels de la centrale à refuser à la mission d’information l’accès au site. Dans son rapport de février 2020 relatif à l’arrêt et au démantèlement des installations nucléaires ([17]), la Cour des comptes a qualifié la fermeture de la centrale de Fessenheim de « chaotique », résultat d’un « processus décisionnel mal maîtrisé » et d’« une confusion entretenue des responsabilités » malgré une volonté politique affirmée depuis 2012. La mission d’information a constaté, au fil de ses auditions, qu’il n’existe pas deux acteurs ayant perçu et présenté le même déroulement du processus qui a abouti à l’arrêt définitif de la centrale. La chronologie s’établit aisément a posteriori, mais sa compréhension et son interprétation ont varié considérablement en fonction du degré d’acceptation de la décision de fermeture.

A.   repÈres chronologiques

4 juillet 2011 : à l’issue du troisième réexamen décennal de sûreté du réacteur n° 1 de la centrale de Fessenheim, qui a pris fin en mars 2010, l’ASN autorise la poursuite de l’exploitation de ce réacteur pour dix années supplémentaires (donc jusqu’à quarante ans), à condition qu’EDF mette ce réacteur en conformité avec ses prescriptions, notamment pour renforcer le radier en béton. La date limite pour le prochain réexamen périodique est fixée à septembre 2020.

Novembre 2011 : pendant la campagne présidentielle, un accord entre le Parti Socialiste et Europe Écologie Les Verts prévoit l’« arrêt immédiat de Fessenheim ». M. François Hollande, dans la proposition n° 41 de son programme électoral, annonce qu’il entend fermer la centrale nucléaire de Fessenheim. Un lien est fait entre le démarrage de l’EPR de Flamanville et la fermeture de la centrale ([18]). Cette proposition s’inscrit dans le contexte de l’accident nucléaire de Fukushima de mars 2011.

14 septembre 2012 : lors de la Conférence environnementale, M. François Hollande, Président de la République, annonce la fermeture de la centrale de Fessenheim pour fin 2016.

11 décembre 2012 : le décret n° 2012-1384 institue un délégué interministériel à la fermeture de la centrale nucléaire et à la reconversion du site de Fessenheim. M. Francis Rol-Tanguy est nommé par décret du 13 décembre 2012 pour exercer cette fonction.

Le décret n° 2012-1384 du 11 décembre 2012 instituant un délégué interministériel à la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim et à la reconversion du site de Fessenheim charge ce délégué interministériel, placé auprès du ministre chargé de l’énergie :

– de négocier un protocole d’accord avec EDF sur les conditions de la fermeture et du démantèlement de Fessenheim qui doit préciser les conditions juridiques, techniques, économiques et sociales de la fermeture ; les conditions de démantèlement (rejets, état final du site, exutoire des déchets) ; les modalités d’accompagnement des salariés ; les modalités de participation d’EDF au devenir du bassin de vie et d’emploi de Fessenheim ;

– d’élaborer, en s’appuyant sur RTE, un plan permettant d’assurer l’équilibre du réseau local, national et transfrontalier ;

– d’animer les travaux d’élaboration d’une stratégie globale de reconversion du bassin de vie et d’emploi de Fessenheim (impact sur l’ensemble des activités économiques locales, ressources des collectivités, impact sur le bassin de vie, etc.).

La mission de délégué interministériel a été exercée successivement par MM. Francis Rol-Tanguy, Michaël Ohier, Jean-Michel Malerba, David Coste et, depuis juin 2021, par M. Yannick Mathieu, délégué interministériel à l’accompagnement des territoires en transition énergétique.

23 avril 2013 : l’ASN autorise, à l’issue de la troisième visite décennale (qui s’est achevée en mars 2012), la poursuite de l’exploitation du réacteur n° 2 de la centrale de Fessenheim, sous réserve du respect des prescriptions de l’autorité. La date limite pour le quatrième réexamen est fixée à août 2022.

21 janvier 2014 : l’ASN prescrit à EDF des mesures de renforcement de la robustesse des installations de la centrale.

17 août 2015 : la loi n° 2015-992 relative à la transition énergétique pour la croissance verte (LTECV) institue un plafond de puissance des réacteurs électronucléaires à 63,2 GW (article L. 311-5-5 du code de l’énergie ([19])). Cette loi ne vise ni dans son dispositif, ni dans l’exposé des motifs, la centrale nucléaire de Fessenheim. Toutefois, elle implique que la mise en service de l’EPR de Flamanville ne puisse pas intervenir sans fermeture préalable d’une installation produisant une puissance équivalente à celle du futur EPR. Le décret n° 2007-534 du 10 avril 2007 autorisant la création de l’EPR prévoyait une mise en service dans les dix ans, soit une échéance au 10 avril 2017.

Octobre 2015 : un courrier d’EDF à la ministre de l’écologie et du développement durable (cité par la Cour des comptes dans son rapport précité de février 2020) indique qu’EDF étudie l’hypothèse de la fermeture de la centrale de Fessenheim pour se conformer aux dispositions de la LTECV.

1er février 2017 : M. Emmanuel Macron, candidat à la Présidence de la République, déclare que le processus de fermeture de la centrale de Fessenheim doit être mené à son terme.

23 mars 2017 : le décret n° 2017-379 allonge à treize ans le délai pour la mise en service de l’EPR de Flamanville en raison de nombreux retards du chantier. L’échéance de mise en service de l’EPR devient donc le 10 avril 2020.

6 avril 2017 : le conseil d’administration d’EDF approuve une première version du projet de protocole d’indemnisation pour la fermeture de la centrale de Fessenheim et acte que cette fermeture est « irréversible et inéluctable » mais liée à la mise en service de l’EPR de Flamanville.

8 avril 2017 : le décret n° 2017-508 abroge l’autorisation d’exploiter la centrale de Fessenheim à la date notifiée par EDF pour la mise en service de l’EPR de Flamanville, à la condition que celui-ci soit mis en service et que ces dispositions soient nécessaires au bon respect du plafond de l’article L. 311-5-5 du code de l’énergie. Ce décret a été annulé par le Conseil d’État le 25 octobre 2018 (voir plus loin).

29 novembre 2017 : M. Sébastien Lecornu, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et solidaire, réunit les élus locaux et les préfets concernés par la fermeture de la centrale de Fessenheim et propose de constituer un comité de pilotage pour préparer un projet de redynamisation du territoire. La fermeture est alors prévue pour fin 2018 ou début 2019.

31 décembre 2017 : l’actionnaire suisse de la centrale de Fessenheim, le consortium CNP, met fin au contrat qui le liait à EDF.

19 janvier 2018 : le comité de pilotage pour la reconversion du territoire de Fessenheim (« Copil »), qui rassemble une quarantaine d’acteurs, tient sa première réunion, sous la présidence de M. Sébastien Lecornu, ministre chargé des collectivités territoriales.

13 avril 2018 : le Copil se réunit pour la deuxième fois ; présentation de l’appel d’offres « photovoltaïque » et annonce de la création d’une société d’économie mixte (SEM) franco-allemande.

31 mai 2018 : EDF prévient que la fermeture de la centrale de Fessenheim pourrait être repoussée à l’été 2019 devant la perspective d’un nouveau retard pour Flamanville ([20]).

6 juin 2018 : EDF informe l’ASN que la centrale de Fessenheim sera définitivement à l’arrêt à l’échéance de son quatrième réexamen décennal de sûreté, c’est-à-dire au plus tard en septembre 2020 pour le réacteur n° 1 et au plus tard en août 2022 pour le réacteur n° 2.

4 octobre 2018 : troisième réunion du comité de pilotage. M. François de Rugy, ministre de la transition écologique et solidaire, indique pour la première fois que le calendrier de fermeture de Fessenheim pourrait être indépendant de celui de l’EPR : « À une époque, on a dit qu’on fermerait Fessenheim quand on ouvrirait l’EPR de Flamanville. Aujourd’hui, on est obligé d’envisager de ne pas faire les deux opérations en même temps ». Il annonce que la centrale de Fessenheim fermera pendant le mandat du Président de la République M. Emmanuel Macron.

22 octobre 2018 : l’ASN annonce que les deux réacteurs de Fessenheim devront cesser de fonctionner au plus tard en 2020 et 2022 car les études et travaux nécessaires n’ont pas été engagés pour prolonger leur fonctionnement.

25 octobre 2018 : le Conseil d’État annule le décret n° 2017-508 du 8 avril 2017 en raison de l’incompétence de l’État pour prendre une décision unilatérale de fermeture ([21]) : « l’abrogation d’une autorisation d’exploiter une installation de production d’électricité ne peut intervenir que sur demande de son titulaire » (en l’occurrence EDF).

27 novembre 2018 : lors de sa présentation des orientations de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), le Président de la République annonce que l’arrêt définitif des deux réacteurs de Fessenheim aura lieu à l’été 2020 et que douze autres réacteurs nucléaires de 900 mégawatts seront arrêtés d’ici 2035.

1er janvier 2019 : une cellule d’accompagnement personnalisée (CAP) des salariés des entreprises prestataires du CNPE est créée par EDF, le groupement des industriels de la maintenance de l’Est (GIMEst), la chambre de commerce et d’industrie (CCI), la région Grand Est et l’État sur la base d’un accord signé par ces acteurs en janvier 2018.

1er février 2019 :

  signature du projet de reconversion du territoire (« Projet de territoire ») ;

     décret n° 2019-67 du 1er février 2019 modifiant les missions du délégué interministériel, qui devient « chargé de l’avenir du territoire de Fessenheim et des territoires d’implantation des centrales de production d’électricité à partir du charbon ».

19 février 2019 : l’ASN, sur la base du courrier d’EDF du 6 juin 2018, décide de dispenser EDF de l’obligation de mettre en œuvre plusieurs prescriptions techniques qu’elle avait édictées en 2012 suite au troisième réexamen décennal de sûreté.

4 avril 2019 : le conseil d’administration d’EDF approuve une nouvelle version du projet de protocole d’indemnisation, des modifications ayant été apportées à la demande de l’État.

20 septembre 2019 : le conseil d’administration d’EDF approuve le projet de protocole d’indemnisation.

26 septembre 2019 : quatrième réunion du comité de pilotage.

27 septembre 2019 : signature du protocole d’indemnisation par l’État et EDF. 

30 septembre 2019 : EDF adresse au ministère de la transition écologique et solidaire et à l’ASN la demande d’abrogation de l’autorisation d’exploitation de la centrale ainsi que la déclaration de mise à l’arrêt définitif des deux réacteurs. Le réacteur n° 1 fermera le 22 février 2020 et le réacteur n° 2 le 30 juin 2020. EDF communique à l’ASN un plan de démantèlement actualisé de la centrale, qui définit la stratégie générale de démantèlement de l’installation en précisant les grandes étapes des travaux, l’articulation entre elles, le planning général, les techniques utilisées, la nature et les quantités de déchets ainsi que l’état final visé.

Novembre 2019 : dans le cadre de l’instruction du plan de démantèlement, l’ASN procède à une inspection dans les services centraux d’EDF (du 4 au 7 novembre) et sur le site de Fessenheim (les 19 et 20 novembre).

20 décembre 2019 : l’ASN émet des observations critiques sur le plan de démantèlement présenté par EDF et demande des compléments d’information ainsi qu’une nouvelle mise à jour du plan au plus tard au 30 avril 2020.

20 janvier 2020 : actualisation du projet de programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) pour les périodes 2019-2023 et 2024-2028, confirmant l’échéance du premier semestre 2020 pour la fermeture de Fessenheim : « Les deux réacteurs de la centrale de Fessenheim seront fermés au premier semestre 2020 ». La version de 2019 annonçait « au printemps 2020 ».

18 février 2020 : le décret n° 2020-129 abroge l’autorisation d’exploiter la centrale nucléaire de Fessenheim.

22 février 2020 : fermeture du réacteur n° 1.

11 juin 2020 : transmission par EDF d’un nouveau plan de démantèlement actualisé à l’ASN.

29 juin 2020 : fermeture du réacteur n° 2. L’autorisation d’exploiter a expiré au 30 juin 2020 à 00h00.

B.   la non-préparation de la « vd4 »

1.   Le quatrième réexamen périodique des réacteurs de 900 MW

Les 34 réacteurs d’une puissance de 900 MW ont été mis en service entre 1977 et 1987. En excluant les deux réacteurs de Fessenheim (qui feront l’objet d’un réexamen périodique de sûreté spécifique suite à leur fermeture en 2020 mais pas de la quatrième VD d’exploitation), 32 réacteurs de 900 MW sont actuellement en fonctionnement en France dans huit centrales (Gravelines, Saint-Laurent-des-Eaux, Dampierre, Chinon, Bugey, Blayais, Curas et Tricastin).

En 2009, l’ASN avait donné un avis favorable sur la prolongation de l’exploitation des réacteurs du palier 900 au-delà de trente ans, au moins sur le principe, chaque prolongation nécessitant une décision de l’ASN pour constater l’aptitude de chaque réacteur à poursuivre son fonctionnement compte tenu de ses spécificités ([22]). Dans le cadre du troisième réexamen périodique de sûreté de ces centrales, les visites décennales (VD3) ont eu lieu entre 2009 (réacteur 1 de Tricastin) et 2018 (réacteur 6 de Gravelines).

Comme l’indique l’ASN ([23]), EDF a émis en 2009 le souhait de prolonger la durée de fonctionnement des réacteurs de son parc au-delà de quarante ans, alors que la durée de quarante ans était celle initialement envisagée par l’exploitant (durée de conception).

Avant de se prononcer sur cette prolongation, l’ASN a fait valoir que « dans les années à venir, les réacteurs actuels coexisteront avec des réacteurs de type EPR ou équivalent, dont la conception répond à des exigences de sûreté significativement renforcées » ([24]). La question de l’acceptation de la poursuite du fonctionnement des réacteurs au-delà de quarante ans, alors qu’il existe une technologie disponible plus sûre, se posait donc, d’autant que cette prolongation est dénoncée par plusieurs organisations environnementales, notamment Greenpeace, qui considèrent qu’il est particulièrement imprudent de l’autoriser compte tenu des effets mal connus du vieillissement des matériaux et de l’impossibilité de remplacer certains équipements dans une centrale ([25]).

Le professeur M. Thierry de Larochelambert, auditionné par la mission d’information, a présenté les connaissances scientifiques actuelles sur le vieillissement thermique des réacteurs nucléaires, ce vieillissement étant inévitable et parfaitement normal mais réduisant la résistance des matériaux aux chocs ainsi que la résistance à la propagation des fissures. Il a également exposé les effets du vieillissement dû à l’irradiation, qui crée progressivement des défauts dans l’acier des cuves de réacteur et en modifie la structure. Les études citées concluent à l’existence de risques significativement plus élevés au-delà de quarante ans de fonctionnement.

Mme Alix Mazounie, représentant Greenpeace France, a souligné que ces risques n’impliquent pas qu’un réacteur ne puisse plus fonctionner du jour au lendemain après quarante ans d’exploitation mais qu’au-delà de quarante ans, les effets du vieillissement sont de plus en plus difficiles à prévoir et à maîtriser, et les marges de sûreté se dégradent. Mme Charlotte Mijeon, représentant Sortir du Nucléaire, a également estimé que, au-delà de quarante ans d’exploitation et compte tenu des anomalies relevées sur certains équipements et qui peuvent contribuer à les fragiliser, « on entre dans une zone d’incertitude ».

La prolongation de l’exploitation au-delà de quarante ans nécessite une actualisation approfondie d’études de conception et des remplacements de matériels – du moins ceux qu’il est techniquement possible de remplacer. EDF doit démontrer sa maîtrise du vieillissement et de la gestion de l’obsolescence des équipements, et rehausser le niveau de sûreté de ces réacteurs, tant au niveau de leur fonctionnement qu’en termes de risques extérieurs.

Le quatrième réexamen poursuit trois objectifs principaux : renforcer la robustesse des installations face aux agressions (incendie, explosion, inondation, séisme, etc.), renforcer la sûreté des piscines d’entreposage du combustible et réduire les risques d’accident et leurs impacts. Ce réexamen est également l’occasion d’achever l’intégration des améliorations de sûreté issues des prescriptions édictées par l’ASN après l’accident de la centrale nucléaire de Fukushima.

Le processus de réexamen périodique associé aux quatrièmes visites décennales des installations nucléaires comportant des réacteurs de 900 MW (RP4‑900) se déroule en deux phases. La première, dite « générique », concerne l’ensemble de ces installations (compte tenu de leurs caractéristiques communes) et aura duré environ sept ans. La seconde phase consiste en un réexamen réacteur par réacteur et durera une dizaine d’années.

La phase générique a commencé en 2014 par la production, par EDF, du dossier d’orientations du réexamen (DOR) qui décrit les problématiques abordées pendant ce réexamen et les objectifs qu’EDF se fixe. L’instruction du DOR a été réalisée par l’ASN, assistée par l’IRSN, et l’ASN a rendu son avis en avril 2016. Cette prise de position de l’ASN sur les orientations génériques d’EDF s’est accompagnée d’une demande d’éléments complémentaires. La phase générique s’est poursuivie avec la présentation par EDF d’une note de réponse aux objectifs (NRO) présentant l’ensemble des réponses d’EDF aux demandes de l’ASN. La présentation de la NRO, en 2017, a permis d’engager la démarche de définition, au-delà des orientations générales, des modifications et des contrôles qui vont devoir être mis en œuvre.

Source : Synthèse de la note de réponse aux objectifs du 4ème réexamen périodique des centrales 900 MWe (EDF)

Le 31 mars 2020, l’IRSN a remis à l’ASN une synthèse des expertises qu’il a réalisées ([26]) pour la phase générique du RP4-900. On peut noter que, dans cette présentation, l’IRSN « considère que l’arrêt définitif des réacteurs de Fessenheim doit permettre la réalisation de certains essais ou de mener des expertises de composants prélevés pour vérifier l’absence de phénomènes de dégradation ou de vieillissement non prévus (par exemple des essais d’équipements électroniques en présence de fumée, de mesure de dégagement d’hydrogène sur des batteries vieillies, d’autres essais devant être définis par EDF) » et demande à EDF de « préciser les examens de matériaux, matériels ou équipements, voire essais spécifiques, à réaliser pour tirer des enseignements utiles pour l’expertise de la poursuite du fonctionnement du parc électronucléaire. Ces éléments devront être transmis au plus tard lors du dépôt de la demande de démantèlement des réacteurs de Fessenheim, afin que les opérations correspondantes puissent être prises en compte dans le processus de démantèlement. »

La démarche de définition des modifications et des contrôles a abouti à la décision de l’ASN du 23 février 2021 qui a clôturé la phase générique en édictant des prescriptions adressées à EDF ([27]).

Ensuite seulement ont commencé les réexamens de chaque réacteur concerné (visites décennales et analyses des résultats de ces visites), qui donneront lieu, pour chaque réacteur, à l’établissement d’un rapport de conclusions de réexamen (RCR). Ces rapports compléteront et actualiseront les éléments contenus dans la NRO, intégreront les spécificités de chaque site, feront le bilan des modifications réalisées et identifieront les dispositions qu’EDF envisage de prendre pour remédier, le cas échéant, aux anomalies constatées et pour améliorer la protection de la sécurité, de la santé, de la salubrité publique, de la nature et de l’environnement. Les RCR feront l’objet d’enquêtes publiques avant que l’ASN rende sa décision. À l’issue de chaque enquête publique, l’ASN établira des prescriptions pour encadrer le fonctionnement du réacteur jusqu’à son prochain réexamen.

Cette seconde phase a débuté en 2021, avec le réexamen du premier réacteur de la centrale du Tricastin, et devrait s’achever en 2031.

Les travaux d’amélioration qui seront prescrits à l’issue de ces visites décennales seront réalisés en deux temps. Une première série de travaux devra être réalisée immédiatement, par exemple s’il s’avère nécessaire d’épaissir le radier ou d’améliorer la sûreté des piscines. Les autres modifications seront étalées dans le temps, jusqu’à six ans après la fin du réexamen périodique de l’installation. Le projet de décision soumis à consultation publique sur la phase générique précise qu’EDF devra présenter au plus tard le 31 décembre de chaque année les actions mises en œuvre au cours de l’année passée pour respecter les prescriptions de travaux et leurs échéances. Le défi industriel est considérable, compte tenu du volume de travaux et du calendrier car à partir de 2026, des travaux devront également être menés sur les réacteurs de 1 300 MW pour leurs quatrièmes visites décennales.

Source : Synthèse de la note de réponse aux objectifs du 4ème réexamen périodique des centrales 900 MWe (EDF) http://www.hctisn.fr/IMG/pdf/EDF_Synthese_NRO_310818_cle872e4d.pdf

2.   Les études préalables n’ont pas été réalisées pour la centrale de Fessenheim, qui a ainsi été exclue de la préparation des VD4

Le troisième réexamen périodique du réacteur n° 1 de la centrale de Fessenheim s’est achevé en mars 2010, et celui du réacteur n° 2, en mars 2012. La date limite assignée par l’ASN pour réaliser le quatrième réexamen du réacteur n° 1 était fixée à septembre 2020 et à juin 2022 pour le réacteur n° 2. L’ASN a imposé une série de prescriptions à EDF par décision du 4 juillet 2011 à l’issue du troisième réexamen du réacteur n° 1, par décision du 26 juin 2012 suite aux évaluations menées après l’accident de Fukushima ([28]) et par décision du 23 avril 2013 à l’issue du troisième réexamen du réacteur n° 2. L’autorité a jugé les deux réacteurs aptes à être exploités pour une durée maximale de dix années supplémentaires, sous réserve du respect de ses prescriptions.

Le 6 juin 2018, EDF a demandé à l’ASN que la centrale de Fessenheim soit dispensée de respecter plusieurs de ces prescriptions, en faisant valoir que le fonctionnement des deux réacteurs n’irait pas au-delà de l’échéance fixée par l’ASN pour leur quatrième réexamen périodique. L’ASN a répondu favorablement à cette demande de dérogation en modifiant, le 19 février 2019, certaines prescriptions compte tenu de la perspective d’arrêt définitif des deux réacteurs. L’ASN a notamment supprimé la prescription, qu’elle avait édictée le 26 juin 2012, imposant la mise en place de moyens d’alimentation électrique supplémentaires (un groupe électrogène diesel d’ultime secours, ou « DUS »). Cette décision du 26 juin 2012 prescrivait à EDF de mettre en place ces DUS avant la fin de l’année 2018 ([29]). L’ASN a aussi modifié deux prescriptions qui encadraient les recharges de combustible nucléaire afin de permettre à EDF d’optimiser la constitution des derniers cœurs des deux réacteurs de la centrale pour limiter le nombre d’assemblages à évacuer après leur arrêt définitif.

S’agissant de la non-installation de DUS sur le site de Fessenheim, un courrier adressé par EDF à l’ASN le 26 juillet 2018 (publié sur le site internet de l’autorité) présentant l’état d’avancement des travaux de construction des DUS indique qu’EDF travaillait depuis 2015 sur l’installation de DUS pour 56 réacteurs – et non pas 58, ce qui implique que depuis 2015 au moins, EDF excluait de construire des DUS à Fessenheim. Lors de son audition, le président de l’ASN a considéré qu’EDF a fait « assez tôt le choix industriel de ne pas préparer » la centrale de Fessenheim à la poursuite de son exploitation au-delà de la date d’échéance du quatrième réexamen du réacteur n° 1 (2020) ; il a fait état d’échanges entre EDF et l’ASN remontant à 2016 montrant qu’EDF écartait l’éventualité de procéder à certains investissements importants en lien avec une poursuite de l’exploitation au-delà de quarante ans.

Lors de son audition, M. Jean-Bernard Levy, président-directeur général d’EDF, a indiqué qu’en 2009, lorsqu’EDF a lancé les études préparatoires en vue de la VD4 sur les réacteurs les plus anciens, le champ d’étude incluait évidemment la centrale de Fessenheim, mais que la désignation, en décembre 2012, d’un délégué interministériel explicitement chargé, par décret, d’une mission relative à la fermeture de cette centrale a conduit EDF à interrompre les travaux d’étude portant sur celle-ci. L’IRSN a indiqué à la mission d’information qu’EDF n’a donc pas transmis de dossier concernant les réacteurs de Fessenheim au regard des objectifs qui ont été fixés par l’ASN pour la VD4. Ces « orientations génériques du réexamen périodique associé aux quatrièmes visites décennales des réacteurs de 900 MWe d’EDF (VD4-900) » ont été adressées par l’ASN à EDF en avril 2016 ([30]), les quatrièmes visites décennales devant commencer en 2019.  

Comme indiqué par EDF dans les réponses écrites adressées à la mission d’information, « si EDF n’a pas engagé les investissements nécessaires pour prolonger les deux réacteurs de Fessenheim, c’est bien en raison d’abord des intentions affichées par l’État de fermer cette centrale » annoncées lors de la Conférence environnementale de septembre 2012, confirmées peu de temps après par un texte réglementaire (le décret de décembre 2012 créant la fonction ad hoc de délégué interministériel), puis par « les prises de parole répétées des responsables publics sur cette fermeture ».

On peut noter, comme l’a fait la Commission européenne dans sa décision d’autoriser le protocole d’indemnisation d’EDF par l’État (voir E. du III de la présente partie), que d’un strict point de vue budgétaire et à partir du moment où les négociations ont commencé entre l’État et EDF sur une indemnisation de l’exploitant pour la fermeture anticipée de la centrale, il n’était pas souhaitable que les investissements en vue de la VD4 soient effectués car cela aurait représenté des coûts supplémentaires à intégrer dans le calcul de l’indemnisation et qui auraient donc pu conduire à augmenter celle-ci ([31]).

La mission d’information a pris acte de la certitude, exprimée par les responsables d’EDF et par plusieurs représentants des personnels d’EDF lors de leurs auditions, que la centrale de Fessenheim aurait pu passer avec succès le quatrième réexamen périodique si celui-ci avait eu lieu car aucun problème rédhibitoire n’a été identifié au cours des premières études. Mais, comme l’a souligné le directeur général de l’IRSN, il est impossible d’affirmer que la centrale de Fessenheim aurait été autorisée à fonctionner au-delà de 2020 puisque ce prolongement aurait nécessité, d’une part, que la VD4 et les travaux afférents aient bien lieu et, d’autre part, que la centrale soit conforme aux exigences actualisées en matière de sûreté et de radioprotection. Une durée de fonctionnement de soixante ans, supposant l’issue positive du quatrième puis du cinquième réexamen décennal de sûreté, a été intégrée dans le calcul de l’indemnisation d’EDF par l’État malgré cette incertitude (voir le E. du II de la présente partie), EDF s’appuyant sur la durée d’exploitation autorisée aux États-Unis pour la centrale nucléaire de Beaver Valley.

La centrale nucléaire de Beaver Valley (États-Unis)

Les deux réacteurs à eau pressurisée de la centrale de Beaver Valley (Pennsylvanie) sont en exploitation commerciale depuis octobre 1976 (unité 1) et novembre 1987 (unité 2). Le démarrage de l’unité 1 a eu lieu après que les travaux de construction de la centrale de Fessenheim avaient commencé, mais la centrale de Beaver Valley est la centrale de référence en tant que « tête de série » des réacteurs à eau pressurisée du palier « 900 MW ».

L’autorisation actuelle de fonctionnement des réacteurs de Beaver Valley expirera, respectivement pour chacun d’eux, en janvier 2036 et en mai 2047 ; un allongement de vingt ans de la durée d’exploitation a en effet été accordé par l’autorité fédérale de régulation (la Nuclear Regulation Commission) en novembre 2009.

L’exploitant de la centrale, First Energy (désormais Energy Harbor suite à une restructuration), avait annoncé en mars 2018 qu’il désactiverait trois de ses centrales nucléaires d’ici 2021 pour cause de rentabilité insuffisante : Beaver Valley, Davis-Besse (Ohio) et Perry (Ohio).

Mais il est revenu sur ces décisions, en juillet 2019 pour les deux centrales de l’Ohio et en mars 2020 pour la centrale de Beaver Valley. En ce qui concerne les centrales de Davis-Besse et Perry, le changement de décision est dû à l’adoption par l’État de l’Ohio d’une loi accordant une incitation aux producteurs d’énergie « zéro émission ». S’agissant de Beaver Valley, le renoncement à la fermeture est lié à la démarche engagée par l’État de Pennsylvanie pour se joindre, en 2022, à une alliance de dix États américains (Regional Greenhouse Gas Initiative – RGGI) qui vise à plafonner les émissions de CO2 des installations de production d’électricité situées dans ces États ; ce programme prévoit le paiement d’une redevance par les exploitants de centrales thermiques liée aux émissions produites par celles-ci, ce qui permettrait aux centrales nucléaires de gagner en compétitivité.

Plusieurs acteurs auditionnés, notamment Greenpeace, ont souligné que les risques à prendre impérativement en considération pour apprécier la sûreté nucléaire ont évolué depuis l’époque à laquelle la centrale de Fessenheim a été conçue et construite. Les conséquences d’accidents aussi catastrophiques que ceux de Tchernobyl et Fukushima n’avaient pas encore été envisagées. L’épaisseur du radier en béton du bâtiment du réacteur n° 1 de la centrale de Fessenheim, bien qu’ayant été renforcée par EDF en 2012 après la troisième VD (pour un coût d’environ 150 millions d’euros) pour ralentir l’éventuel percement du radier par le corium en cas d’accident, demeure nettement inférieure à celle des radiers des autres centrales du même palier (deux mètres d’épaisseur, contre trois à quatre mètres pour la majorité des autres réacteurs du parc) et ce, alors même que la présence de la nappe phréatique sous ce site aurait dû représenter un facteur de vigilance particulière et empêche d’ailleurs de procéder à l’épaississement du radier par en dessous ([32]). Le directeur général de l’IRSN a exposé pendant son audition la différence de démarche entre les travaux réalisés en 2012 sur le radier (étalement du corium pour retarder l’éventuel percement du radier mais sans noyage du corium par de l’eau) et la démarche expertisée par l’IRSN et mise en œuvre dans le cadre des VD4 (étalement du corium avec noyage) ([33]). Le président de l’ASN a indiqué que les travaux de 2012, bien que ne représentant qu’un « léger renforcement » de l’épaisseur du radier, ont été jugés suffisants par l’ASN pour autoriser le prolongement de l’exploitation.

Il convient cependant de rappeler que les efforts d’amélioration de la sûreté des centrales ne sont pas uniquement faits dans le cadre des réexamens décennaux : comme l’ont souligné notamment le président de la CLIS et M. Georges Walter devant la mission d’information, EDF a bien réalisé des travaux tout au long de la période de fonctionnement de la centrale de Fessenheim. Ils ont toutefois rapporté qu’EDF avait informé les membres de la CLIS que des travaux nécessaires seraient reportés pour être inclus dans la VD4, mais ont semblé ignorer l’information essentielle qu’était la demande de dérogation formulée par EDF tendant à ce que ce que cette VD4 d’exploitation n’ait jamais lieu. Votre rapporteur note qu’il s’agit d’un des éléments pouvant justifier la perception incomplète ou biaisée, par certains acteurs du territoire, du processus ayant conduit à la fermeture de la centrale.

C.   de l’incertitude À la certitude : la perception, largement partagÉe, d’un « fiasco »

La centrale de Fessenheim a fait l’objet de plusieurs décisions politiques et étapes juridiques rendant sa fermeture inéluctable, indépendamment de son état technique et de ses performances industrielles. C’est bien « une décision de politique énergétique », selon les termes employés par la ministre de la transition écologique, Mme Barbara Pompili, lors de son audition, qui a entraîné l’arrêt définitif de cette centrale nucléaire. Comme l’a relevé l’ancien délégué interministériel, M. David Coste, lors de son audition, cette fermeture est un cas atypique par rapport à d’autres fermetures d’installations industrielles de grande ampleur : il ne s’agit pas de l’arrêt d’un site industriel porté par un actionnaire privé qui suscite l’indignation sur le territoire, les acteurs en appelant à l’État pour tenter de faire revenir l’entreprise sur sa décision ; c’est une décision prise par l’État, contestée pour partie par l’exploitant du site lui-même et par des acteurs du territoire. M. Georges Walter, directeur de l’environnement et du cadre de vie au sein des services du conseil départemental, a invoqué une autre particularité : la décision de fermeture a été prise sous la pression, entre autres, des autorités allemandes. Les élus alsaciens étaient divisés sur la décision de fermeture.

C’est avec une très grande amertume, entre colère et résignation, que les représentants des personnels de la centrale, les élus locaux et les acteurs économiques du territoire ont décrit à la mission d’information leur attachement à la centrale de Fessenheim et l’injustice qu’a constituée, de leur point de vue, la décision d’arrêt définitif. Mais à la question « à quelle date la fermeture de la centrale est-elle devenue pour vous une certitude ? », force est de constater que chaque acteur auditionné par la mission d’information a apporté une réponse différente : certains ont acquis cette certitude dès l’élection présidentielle de 2012 et la nomination d’un délégué interministériel explicitement chargé de piloter la fermeture et la reconversion du territoire de Fessenheim ; d’autres, à la promulgation de la LTECV de 2015 ; d’autres encore, suite à l’élection du Président de la République en 2017, et parfois même encore plus tardivement, à l’issue de la première réunion du comité de pilotage (Copil) en janvier 2018.

Ainsi, pour le président de la CLIS, c’est un échange tenu à Paris, au ministère de la transition écologique et solidaire en novembre 2017 qui a instauré la certitude de la fermeture. Selon le directeur de la production nucléaire d’EDF, c’est la mention explicite de Fessenheim dans la mission confiée à un délégué interministériel fin 2012 qui a été déterminante, même si c’est seulement en 2017 que la décision de fermer cette centrale a été annoncée au sein du groupe EDF. Certes, la LTECV de 2015 ne citait pas expressément la centrale de Fessenheim mais la volonté exprimée avant 2015 comme après par l’État désignait cette centrale, et, comme l’a rappelé M. Étienne Dutheil, « tout simplement, c’était la centrale la plus ancienne » : en l’absence de problèmes particuliers de sûreté sur une autre centrale qui auraient justifié que le choix se porte sur celle-ci, fermer la centrale de Fessenheim était une décision logique du point de vue patrimonial pour EDF.

Il est étonnant de constater que même au sein des personnels d’EDF, que ce soit au niveau local ou au niveau national, la certitude de la fermeture n’a pas été acquise au même moment. Tous les syndicats auditionnés ont reconnu que la volonté politique de fermer cette centrale a existé de manière claire et été plusieurs fois réaffirmée depuis 2011, mais cette menace s’est concrétisée à des dates variables. Pour les représentants de la CGT et de FO, c’est en 2016, lorsque la décision de fermeture a été présentée au comité central d’entreprise d’EDF et au conseil d’administration, que les salariés d’EDF ont acquis la certitude qu’elle fermerait et, en même temps, qu’un dispositif d’accompagnement des personnels allait être mis en œuvre. Pour les représentants de la CFDT, c’est une démarche d’information de la direction d’EDF en novembre 2017 qui a mis un point final à la période d’incertitude, même si une certaine confusion a perduré ensuite, la date exacte de l’arrêt ayant été plusieurs fois reportée. Les représentants de FO ont indiqué qu’en novembre 2017, le directeur de la production nucléaire s’est rendu sur le site pour confirmer la décision de fermeture directement aux salariés ; ils ont reconnu que « certains sont restés dans le déni ensuite » mais que la plupart des salariés, même s’ils ont continué à défendre la poursuite de l’activité, n’avaient plus aucun doute à ce stade sur la fermeture.

Le déni s’est même prolongé jusqu’au début de l’année 2020 chez certains commerçants et artisans du territoire, selon les représentants de l’association des commerçants et artisans du Pays Rhin Brisach (CABRI) rencontrés lors du déplacement de la mission d’information en juin 2020.

Les auditions ont donc fait apparaître un ressenti global confus, aussi bien au niveau national qu’au niveau local. Pour beaucoup d’acteurs, la confusion a porté à la fois sur la fermeture elle-même et sur sa date exacte.

Frappé par cette multiplicité de perceptions contradictoires exprimées devant la mission d’information, votre rapporteur relève qu’elle a freiné de manière très grave le processus de transition du territoire vers l’« après centrale » et qu’elle soulève des interrogations fondamentales, qu’il faudra anticiper lors des fermetures d’autres réacteurs nucléaires à l’avenir : l’exploitant EDF a-t-il tardé à communiquer sur les différentes étapes menant de manière irréversible à l’arrêt définitif ? L’État a-t-il assumé la décision de fermeture, alerté suffisamment en amont les acteurs du territoire et adressé des messages clairs par la voix de ses représentants, qu’il s’agisse des préfets et de leurs services, des délégués interministériels successifs ou de membres du Gouvernement ? Les acteurs locaux, qu’il s’agisse des habitants, des entreprises ou des élus, étaient-ils suffisamment informés sur le fait qu’aucune centrale nucléaire n’est éternelle ?

La centrale de Fessenheim n’est pas la seule pour laquelle la décision de fermeture a été ressentie comme une décision brutale : comme l’ont rappelé aux députés les responsables de la centrale nucléaire de Chooz, la décision de fermer la centrale Superphénix de Creys-Malville (Isère) en 1998 a également été perçue ainsi. On peut rappeler que cette centrale mise en service en 1985 a suscité, comme la centrale de Fessenheim, une mobilisation importante d’opposants pendant sa construction et son fonctionnement mais que, contrairement aux réacteurs de Fessenheim, il s’agissait d’un prototype qui a connu des incidents techniques graves et multiples et dont la production d’électricité n’a, en conséquence, été effective que pendant quelques années, en raison de longues périodes d’arrêt du réacteur.

Le lien initialement établi par l’État entre la mise en service de l’EPR de Flamanville et la fermeture de la centrale de Fessenheim pour respecter le plafonnement de la capacité totale du parc nucléaire a subordonné pendant plusieurs années l’avenir de Fessenheim aux vicissitudes du chantier de construction de l’EPR. Ce lien n’a été rompu qu’en 2018, et les représentants auditionnés de la CFDT ont souligné combien l’incertitude sur la date exacte de fermeture, une fois levée l’incertitude sur le principe même de celle-ci, a rendu trop longtemps impossible pour les salariés de la centrale de Fessenheim de préparer leur reconversion ou leur mobilité et celle de leurs familles. Le président de l’ASN a déclaré devant la mission d’information que la demande d’abrogation de l’autorisation d’exploitation a été déposée par EDF tardivement, ce retard étant lié aux négociations entre EDF et l’État sur le protocole d’indemnisation (voir le V. de la deuxième partie du présent rapport).

    


    

   deuxième partie :
les consÉquences immÉdiates de la fermeture et leur traitement

I.   les personnels de la centrale

A.   Les salariÉs d’EDF

De la mise en service en 1977 à 2009, la centrale a employé jusqu’à 850 salariés d’EDF, soit directement affectés au site, soit travaillant pour assurer des fonctions supports comme l’informatique, l’immobilier et la gestion des ressources humaines situées dans des entités d’EDF distantes géographiquement. Des recrutements ont été réalisés à partir de 2010 pour préparer un renouvellement des générations, et l’effectif directement affecté au site s’établissait à 750 personnes en 2014.

De 2015 à 2017, cet effectif s’est stabilisé, avant de décroître avec la préparation de la fermeture (737 salariés EDF sur le site en 2018). L’ancien directeur de la centrale, M. Marc Simon-Jean, a indiqué lors de son audition que le mouvement de départ a commencé dès la parution, en avril 2017, du décret abrogeant l’autorisation d’exploiter la centrale. En 2017, 11 salariés ont quitté la centrale pour occuper un poste sur une autre installation d’EDF, et 23 en 2018. Au 31 décembre 2019, après le départ de 80 personnes durant l’été (une dizaine de départs en retraite et 60 départs pour prendre de nouveaux postes), la centrale comptait 650 salariés EDF. Ce nombre est passé à 480 au 31 décembre 2020 et à 470 début 2021. En juin 2021, lors de son audition, M. Jean-Bernard Levy, président-directeur général d’EDF a indiqué que le nombre d’agents EDF sur le site était désormais de 450 et la directrice du CNPE a précisé que 80 départs sont prévus pour 2021 (une soixantaine de salariés partent pour rejoindre d’autres entités du groupe et une vingtaine part en retraite).

En 2023, environ 200 salariés devraient quitter la centrale, quand le combustible aura été totalement évacué du site. En 2025, il restera 66 salariés EDF sur le site, tous issus de l’effectif du personnel en phase d’exploitation, pour mener les opérations de démantèlement.

En tant que tête de série du palier 900, la centrale de Fessenheim présente des particularités dans le choix des équipements, mais, selon les termes de M. Étienne Dutheil lors de son audition, les points communs avec les autres centrales du parc l’emportent largement – ce qui explique que les compétences des personnels de la centrale de Fessenheim soient largement « transposables » dans l’exercice de leurs métiers dans d’autres centrales du parc et facilitent la mobilité de ceux qui souhaitent continuer de travailler dans les installations nucléaires d’EDF. La directrice du CNPE, Mme Elvire Charre, a déclaré lors de son audition qu’il n’y aura aucun licenciement économique.

Les représentants des organisations syndicales auditionnés ont reconnu que tous les agents EDF qui le souhaitent conserveront leur emploi au sein du groupe EDF, les redéploiements devant s’étaler jusqu’en 2025, mais ont souligné à quel point les agents et leurs familles ont souffert du caractère chaotique du processus de fermeture, de l’incertitude persistante, de l’exposition médiatique systématiquement critique contre une centrale pourtant exploitée avec un professionnalisme sans faille, y compris pendant la crise sanitaire et les toutes dernières semaines d’exploitation.

Les représentants de la CGT, MM. Thierry Raymond et Alain Voisinne, ont affirmé que les agents et leurs familles « se sentent expulsés du territoire » mais toutes les organisations syndicales entendues ont considéré que la direction d’EDF fait de son mieux pour faciliter les mobilités et les reconversions. À cet effet, une structure a été mise en place en mai 2018 pour le redéploiement et la mobilité des salariés pour les accompagner de manière personnalisée, avec une équipe de sept conseillers en mobilité, des commissions de suivi locales réunies une fois par mois et des commissions de suivi au niveau national réunies tous les trois mois.

L’élaboration du dispositif d’accompagnement a suscité des tensions au sein du personnel, qui se sont traduites par un mouvement de grève en février 2018. Les représentants de la CFDT, MM. Alain Colly, Vincent Rusch et Dominique Toussaint, ont fait état des inquiétudes initiales de nombreux salariés d’EDF qui craignaient d’être contraints, pour conserver un emploi dans le groupe, de quitter la région alors qu’ils voulaient y rester, notamment pour des raisons familiales – 169 salariés au sein du personnel de la centrale souhaitaient pouvoir travailler dans un rayon de moins de 50 kilomètres pour ne pas avoir à déménager. Le représentant de la CFE-CGC, M. Hervé Desbrosses, a indiqué que les mesures d’accompagnement mises en place par EDF après négociation avec les syndicats ont inclus, outre un accompagnement des salariés eux-mêmes vers un reclassement, des primes de mobilité et des soutiens à la recherche d’emploi pour leurs conjoints.

Comme l’a déclaré lors de son audition le directeur de la production nucléaire, M. Étienne Dutheil, les possibilités de redéploiement des salariés de la centrale de Fessenheim vers d’autres centrales de production d’électricité, nucléaires ou non, sont nombreuses et leurs compétences sont recherchées. Au moment de leur audition, en juin 2020, les organisations syndicales ont constaté une situation globalement rassurante à cet égard, l’accompagnement par EDF des salariés souhaitant rester en Alsace ayant des résultats satisfaisants, les autres entités du groupe EDF – notamment la branche hydroélectrique – ayant accueilli un grand nombre d’entre eux. Des dispositifs de départ anticipé à la retraite ont également été proposés ainsi que des PAME (parcours accompagnés de mobilité externe) donnant aux agents la possibilité de chercher un emploi en dehors du groupe EDF et de pouvoir pendant cinq ans réintégrer le groupe. S’agissant des salariés prêts à effectuer une mobilité géographique plus lointaine à condition de demeurer dans le groupe, les postes qui leur ont été proposés ne sont pas systématiquement dans des sites nucléaires puisqu’ils incluent des postes dans les services centraux du groupe ou dans les centres d’ingénierie de la direction de la production nucléaire ; une cinquantaine de ces salariés ont été affectés à la direction des projets de déconstruction-déchets, qui pilotera le démantèlement des centrales – en premier lieu celui de Fessenheim. Au total, à ce stade 456 situations professionnelles individuelles étaient résolues, avec un contrat de parcours signé ou proche de l’être, même si ces agents n’avaient pas encore tous quitté la centrale de Fessenheim. Il n’y avait eu à ce stade que 11 démissions.

Auditionné un an après, en juin 2021, le président-directeur général d’EDF a présenté des chiffres actualisés sur le reclassement des salariés, indiquant que 82 % des 737 salariés qui travaillaient à la centrale de Fessenheim en janvier 2018 ont été reclassés et qu’il restait 135 situations personnelles à traiter, dont 47 salariés acceptant d’effectuer une mobilité dans une autre région, 76 souhaitant demeurer en Alsace et 12 devant partir en inactivité dans les années qui viennent selon des modalités restant à préciser. La directrice de l’installation a constaté que début 2021, la quasi-totalité des salariés avaient une vision claire de leur situation professionnelle et de leur date de départ d’ici 2025, ce qui leur permet de se projeter et de construire leur projet personnel ; elle a constaté que, si la crise sanitaire a évidemment rendu plus difficile la préparation des mobilités et notamment l’organisation des périodes d’« immersion » dans d’autres entités d’EDF, les projets ont pu se concrétiser tout de même.

B.   Les salariÉs des entreprises prestataires travaillant de maniÈre permanente sur le site

Dès le début de l’exploitation, de nombreux salariés d’entreprises extérieures ont travaillé en permanence sur le site (gardiennage, logistique, entretien…) aux côtés des salariés d’EDF. Il convient de les distinguer des 1 000 à 2 000 intervenants supplémentaires qui venaient, pour quelques semaines ou quelques mois, en complément pour réaliser des activités techniques de maintenance lors des arrêts de tranche.

En 2018, le nombre de salariés de prestataires travaillant de manière permanente sur le site s’élevait à 360. Selon les réponses écrites d’EDF, le nombre de salariés d’entreprises prestataires employés de manière permanente devrait passer de 300 en 2019 à une centaine au début du démantèlement (prévu pour 2025). Au 31 décembre 2020, étaient encore présents sur le site 280 de ces salariés.

Le devenir de ces salariés est apparu comme une préoccupation importante pour l’ensemble des acteurs auditionnés, dans la mesure où, pour citer les représentants de la CFDT, les sous-traitants « sont toujours les grands oubliés des opérations de fermeture ». Tous les acteurs ont salué le fait qu’une vraie attention a été portée par les pouvoirs publics et par EDF à la situation de ces sous-traitants, qu’il s’agisse des sous-traitants permanents ou des sous-traitants occasionnels. Une cellule d’accompagnement personnalisé (CAP) a été créée près d’un an et demi avant la fermeture de la centrale, en janvier 2019, par EDF, le groupement des industriels de la maintenance de l’Est (GIMEst), l’État, la chambre de commerce et d’industrie (CCI) et la région Grand Est sur la base d’un accord signé par ces acteurs en janvier 2018 – le représentant du GIMEst rencontré par la mission d’information a précisé que c’est dès octobre 2017 qu’a été décidée par le GIMEst et EDF la création de cette structure sans précédent. Le président-directeur général d’EDF a considéré, comme il l’a déclaré lors de son audition, qu’accompagner ces salariés, et pas seulement les salariés d’EDF, relevait en partie de la responsabilité du groupe – EDF a cofinancé l’activité de la CAP à hauteur de 492 000 euros. L’agence de développement d’Alsace, ADIRA, s’est également investie dans cette démarche en diffusant des offres d’emploi et en mettant des salariés en contact avec les services des ressources humaines d’entreprises qui recrutent.

La CAP a un triple rôle : étudier les possibilités d’emploi existant dans la région, évaluer et gérer les risques psycho-sociaux et accompagner de manière personnalisée les salariés des prestataires permanents.

Lors de son audition en mai 2021, la ministre de la transition écologique, Mme Barbara Pompili a indiqué qu’à cette date, 40 % des salariés concernés avaient signé un contrat à durée indéterminée. 

 

Recommandation n° 1

La démarche d’accompagnement personnalisé des personnels de la centrale de Fessenheim, qu’il s’agisse des agents d’EDF ou des salariés des sous-traitants, a été engagée en amont de la fermeture et par les employeurs eux-mêmes (EDF et les entreprises sous-traitantes), soutenus par les pouvoirs publics et les acteurs économiques du territoire, et a donné des résultats très satisfaisants. La mission d’information recommande le lancement de la même démarche dans tous les territoires sur lesquels sont implantées des installations importantes de production d’énergie.

 

 


II.   l’impact prÉvisible sur l’Économie locale

Devant la mission d’information, la présidente du conseil départemental du Haut-Rhin, Mme Brigitte Klinkert, a estimé à 400 millions d’euros la perte de chiffre d’affaires générée, pour l’économie du territoire, par la fermeture de la centrale de Fessenheim, compte tenu de la baisse d’activité pour les commerçants et pour les sous-traitants.

Le président de la chambre de commerce et d’industrie a fait état d’environ 2 200 emplois découlant de l’activité de la centrale, directs ou indirects, et a estimé à 10 millions d’euros par an les dépenses des salariés de la centrale sur le territoire. Cette estimation de 2 200 emplois a également été présentée dans une étude commanditée par le comité central d’entreprise d’EDF et citée par les représentants de la CGT auditionnés, MM. Thierry Raymond et Alain Voisinne.

Le président et le vice-président de l’association des commerçants et artisans du Pays de Brisach (CABRI), MM. Jean-Jacques Ott et Jean-Yves Invernizzi, et le président de la communauté de communes Pays Rhin Brisach ont présenté les conséquences du départ prévisible de plusieurs centaines de ménages, parlant d’« impact en cascade » sur le tissu artisanal, commercial et associatif, de fermetures de classes dans les écoles, d’impact sur les activités périscolaires, sur le secteur médical, etc. Ces départs massifs n’avaient pas encore eu lieu lorsque la mission d’information a effectué son déplacement dans le Haut-Rhin, et il n’était donc pas encore possible d’évaluer avec précision leur impact. Toutefois, selon une étude de la CCI et de la chambre des métiers et de l’artisanat (CMA) sur l’impact de la fermeture réalisée en 2018, 44 % des entreprises du territoire devraient subir une baisse de leur chiffre d’affaires, notamment parce que 61 % de ces entreprises comptent parmi leurs clients les salariés de la centrale ou la centrale elle-même. Le président de la communauté de communes, auditionné en juin 2020, a indiqué qu’environ 160 maisons sur le territoire allaient être mises en vente à court terme du fait du départ d’agents EDF vers d’autres sites. Selon le maire de Fessenheim, la commune va perdre entre 15 et 25 % de ses habitants.

Le président de l’association CABRI a signalé que le deuxième plus gros employeur du territoire, PSA/Stellantis, a supprimé près de 10 000 emplois dans son usine au cours des dernières décennies. La disparition des emplois de la centrale nucléaire représente donc un défi social et économique supplémentaire pour les acteurs du territoire, même s’il convient de noter que les entreprises de services ou les entreprises du secteur du bâtiment n’avaient pas toutes la centrale comme unique fournisseur d’activités.

 

III.   l’impact prÉvisible sur les finances locales et la question non rÉsolue du fngir

A.   La fiscalité locale liée à la centrale nucléaire

L’exploitant d’un centre nucléaire de production d’électricité (CNPE) contribue via plusieurs impôts aux recettes des collectivités locales. En effet, il est redevable :

– d’une part, des taxes communes à toutes les entreprises : la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB), la cotisation foncière des entreprises (CFE) et la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) ; la CFE et la CVAE sont les deux composantes de la contribution économique territoriale (CET) ;

– d’autre part, d’une taxe spécifique, l’IFER (imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux), applicable aux entreprises des secteurs de l’énergie, du transport ferroviaire et des communications.

En 2019, la fiscalité locale directement liée à la centrale de Fessenheim était ainsi répartie :

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Comme l’a exposé lors de son audition M. Claude Brender, maire de Fessenheim, la commune de Fessenheim percevait 40 % des taxes locales payées par EDF au titre de l’activité de cette centrale, les 60 % restants étant versés aux autres communes du territoire, à l’intercommunalité, au département et à la région : les retombées positives de cette implantation ont concerné l’ensemble des collectivités locales du territoire, que ce soit en termes de recettes fiscales ou d’activité économique induite.

Outre ces 13 à 14 millions d’euros de contribution fiscale par an en moyenne au niveau local, EDF a versé, au titre de l’exploitation de la centrale de Fessenheim, environ 36 millions d’euros par an de recettes fiscales à l’État. Ainsi, depuis sa mise en service, l’activité de la centrale a représenté environ 2 milliards d’euros de recettes fiscales.

Le président de la CLIS, M. Michel Habig, a indiqué à la mission d’information que les collectivités locales ont, certes, bénéficié de recettes fiscales très importantes grâce à la centrale nucléaire mais qu’elles ont dû supporter des dépenses également importantes, y compris avant de commencer à percevoir ces recettes. Par exemple, le département du Haut-Rhin a construit un collège (12 millions d’euros d’investissement) et un rond-point et dévié le tracé d’une route. La présidente du conseil départemental a indiqué que la fermeture de la centrale implique une perte de recettes fiscales de 3,5 millions d’euros par an pour le département qui va devoir, en outre, procéder à de nouvelles dépenses si cette fermeture entraîne une augmentation d’allocataires du RSA sur le territoire ; les quarante-trois années de fonctionnement de la centrale ont procuré au département du Haut-Rhin environ 47 millions d’euros de recettes fiscales hors versements au fonds national de garantie individuelle des ressources (FNGIR) (voir ci-après).

La fermeture du CNPE de Fessenheim entraîne :

1° Une diminution des recettes fiscales : la TFPB ne sera pas immédiatement réduite à zéro, elle diminuera progressivement, au fur et à mesure de la démolition des bâtiments dans le cadre du démantèlement. En revanche, la CFE, la CVAE et l’IFER étant des impositions liées à l’activité, leurs recettes disparaissent dès l’arrêt définitif de la production, donc des pertes de recettes seront constatées dès 2021 (2022 pour la CVAE) ; selon le maire de Fessenheim, la fermeture « mène [la commune] dans une impasse financière » ;

2° Une baisse de près de 400 000 euros de la participation de l’ensemble intercommunal au fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC) selon la Cour des comptes.

La loi de finances pour 2019 ([34]) a prévu trois mesures pour répondre à ces pertes de recettes fiscales :

-         une modernisation du mécanisme existant de perte de bases de CET : il s’agit, pour les collectivités confrontées à la fermeture d’une centrale nucléaire, d’une extension du dispositif de perte de CET (CFE + CVAE) à une durée de versement de cinq ans (au lieu de trois) pour les collectivités qui ont subi des « pertes exceptionnelles » ;

-         la création d’un mécanisme analogue à celui prévu pour la CET mais destiné à compenser la perte d’IFER ;

-         la création d’un fonds de compensation horizontale entre les communes et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) bénéficiant du produit de l’IFER : alimenté par un prélèvement sur les recettes d’IFER des communes et intercommunalités disposant d’une centrale nucléaire, ce fonds permet une compensation intégrale des pertes de fiscalité pendant trois ans, puis dégressive pendant sept ans.

La communauté de communes Pays Rhin-Brisach, dont est membre la commune de Fessenheim, bénéficie de ces trois mécanismes et donc d’une compensation intégrale de ses pertes de recettes fiscales jusqu’en 2023. Pour les sept années suivantes, cette compensation sera dégressive.

B.   Le problème du FNGIR

Un mécanisme pérenne de compensation a été institué par la loi de finances pour 2010 ([35]) afin de compenser à l’euro près, pour chaque collectivité territoriale, les pertes de ressources engendrées par la suppression de la taxe professionnelle (TP). Le moindre rendement attendu de la contribution économique territoriale (CET) par rapport à l’ancienne TP a justifié la création de deux mécanismes de compensation au profit des collectivités territoriales concernées : la dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle (DCRTP), qui relève du budget de l’État, et un dispositif de trois fonds de garantie individuelle des ressources (FNGIR) – un pour les régions, un pour les départements et un pour les communes et les intercommunalités – destinés à opérer des compensations « horizontales » par catégorie de collectivités territoriales.

La création des trois FNGIR visait à neutraliser les impacts de la réforme : les recettes fiscales des territoires « gagnants » (disposant de ressources fiscales supplémentaires par rapport à la situation avant la suppression de la TP) sont écrêtées à due concurrence au profit de ceux dont les produits fiscaux sont inférieurs à celui de l’ancienne taxe professionnelle. Les prélèvements ou reversements aux FNGIR ont été figés par le législateur : à partir de 2014, les montants des versements aux FNGIR et des prélèvements sur les FNGIR ont été fixés à leur niveau de 2013 par la loi de finances pour 2012 ([36]).

Les prélèvements ou reversements des communes et établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre au titre du FNGIR sont calculés sur la base d’une comparaison des ressources fiscales avant et après la réforme de 2010. Ainsi, en raison de la présence du CNPE sur son territoire, la commune de Fessenheim s’acquitte chaque année d’un versement au FNGIR communal et intercommunal à hauteur de 2,9 millions d’euros. Le président de la communauté de communes Pays Rhin Brisach, M. Gérard Hug, a précisé devant la mission d’information que la commune effectue ce versement en utilisant les attributions de compensation (AC) versées par la communauté de communes ([37]).

Le champ du FNGIR ne se limite pas aux collectivités sur le territoire desquelles est implantée une installation nucléaire. La problématique du FNGIR concerne l’ensemble des fermetures de sites industriels, bien au-delà du cas de Fessenheim, et peut même affecter des communes subissant la fermeture de commerces. Ce graphique de la Cour des comptes illustre toutefois le problème que constitue la fixité du FNGIR pour ce territoire :