N° 4515

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 6 octobre 2021.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA MISSION D’INFORMATION
sur le suivi de la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim

AU NOM DE LA COMMISSION DU DÉVELOPPEMENT DURABLE ET DE L’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE ([1])

ET PRÉSENTÉ PAR

M. Raphaël SCHELLENBERGER,
Président,

ET

M. Vincent THIÉBAUT,
Rapporteur,
Députés.

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La mission d’information sur le suivi de la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim est composée de : M. Christophe Arend, Mme Marie-Noëlle Battistel, Mme Danielle Brulebois, M. Anthony Cellier, M. Jean-Charles Colas-Roy, M. Michel Delpon, M. Bruno Fuchs, Mme Stéphanie Kerbarh, Mme Aude Luquet, Mme Sandra Marsaud, Mme Marjolaine Meynier-Millefert, M. Bertrand Pancher, Mme Mathilde Panot, Mme Nathalie Sarles, M. Raphaël Schellenberger, M. Jean-Marie Sermier, M. Vincent Thiébaut, Mme Élisabeth Toutut-Picard, M. Hubert Wulfranc.

 

 


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  SOMMAIRE

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Pages

AVANT-propos de m. raphaël Schellenberger,  président de la mission d’information

1. Introduction

2. Une installation performante

3. Une fermeture très politique

4. Une décision coûteuse : une gabegie budgétaire

5. Une région au cœur des échanges énergétiques européens laissée sans point de rehausse de tension

6. La standardisation du démantèlement nucléaire, un enjeu industriel

7. Une reconversion anticipée et confrontée à des blocages de l’État

8. Le projet de reconversion : une priorité de l’État sur l’affichage plutôt que sur la réalisation

9. Et à l’avenir

INTRODUCTION de M. Vincent Thiébaut, rapporteur

PREMIÈre partie : La fermeture : inÉluctable mais longtemps incertaine, annoncÉe mais « chaotique »

I. une installation remarquable et performante

A. les spécificités du site et de l’installation

B. une centrale intégrée dans un écosystème énergétique et économique

1. Le moteur de l’économie locale

2. La production d’électricité en région Grand Est : situation en 2019

C. un bilan globalement satisfaisant en termes de sûreté nucléaire

1. La centrale a fait l’objet de trois réexamens décennaux de sûreté

2. Les incidents pendant l’exploitation

3. Des inquiétudes persistantes exprimées par plusieurs acteurs, mais une appréciation globalement positive de l’ASN

a. Des perceptions contrastées

b. Les analyses de l’ASN pour 2019-2020

II. Huit années de confusion, entre déni et certitudes (2012-2020)

A. repÈres chronologiques

B. la non-préparation de la « vd4 »

1. Le quatrième réexamen périodique des réacteurs de 900 MW

2. Les études préalables n’ont pas été réalisées pour la centrale de Fessenheim, qui a ainsi été exclue de la préparation des VD4

C. de l’incertitude À la certitude : la perception, largement partagÉe, d’un « fiasco »

deuxième partie : les consÉquences immÉdiates de la fermeture et leur traitement

I. les personnels de la centrale

A. Les salariÉs d’EDF

B. Les salariÉs des entreprises prestataires travaillant de maniÈre permanente sur le site

II. l’impact prÉvisible sur l’Économie locale

III. l’impact prÉvisible sur les finances locales et la question non rÉsolue du fngir

A. La fiscalité locale liée à la centrale nucléaire

B. Le problème du FNGIR

IV. l’alimentation Électrique : un risque de black out non avÉrÉ

V. un protocole d’indemnisation controversé

A. Le fondement légal de l’indemnisation

B. La structure de l’indemnisation

C. Une indemnisation sévèrement critiquée par la Cour des comptes

D. La part fixe a été versée en une seule fois, dès 2020

E. Les précisions apportées lors des auditions de la mission d’information

troisième partie : L’avenir du site : le dÉmantèlement, et aprÈs ?

I. les enjeux industriels du dÉmantèlement de la centrale de fessenheim

A. l’expérience française en matière de démantèlement

1. Les premiers chantiers de démantèlement

2. Le premier démantèlement d’un REP en France : l’expérience de Chooz A, ses particularités et ses enseignements

B. les freins au dÉveloppement de la filiÈre industrielle du dÉmantèlement ne sont pas technologiques mais Économiques

C. le dÉmantèlement de fessenheim, premier d’une longue sÉrie, prÉsente plusieurs particularitÉs

II. calendrier et prÉparation du dÉmantèlement

A. le calendrier annoncé

B. l’évolution et le contrôle des risques avant et pendant le démantèlement

III. le projet de « technocentre » pour le recyclage de dÉchets mÉtalliques faiblement radioactifs issus des chantiers de dÉmantèlement

A. un enjeu industriel : la valorisation de déchets tfa

B. le projet en cours d’élaboration

1. Présentation du projet

2. Un projet soutenu par l’État et l’ensemble de la filière nucléaire

a. Un projet industriel « Métaux TFA » inscrit dans le contrat stratégique de filière (février 2019)

b. Le projet de technocentre dans le plan France Relance (septembre 2020)

3. Une modification préalable de la réglementation est indispensable

a. La réglementation en vigueur

i. La réglementation européenne permet l’application de seuils de libération

ii. La spécificité de la réglementation française est remise en cause

b. Une thématique du débat public de 2018 en amont du cinquième PNGMDR

c. Le dispositif réglementaire soumis à consultation publique début 2021

4. Un projet qui ne fait pas consensus

a. La position de l’Autorité de sûreté nucléaire

b. L’hostilité des associations environnementales

c. La position défavorable du Bade-Wurtemberg

5. Les deux autres conditions du succès : l’acceptabilité et la rentabilité

a. Le modèle d’affaires du technocentre reste à construire

b. Un élément d’attractivité ou, au contraire, dissuasif ?

c. La condition essentielle de l’acceptabilité : les contrôles à l’entrée et à la sortie permettant la traçabilité

quatrième partie : l’avenir du territoire

I. quels acteurs, quels projets ?

A. L’élaboration du projet de territoire

B. les quatre axes du projet de territoire

Axe 1 : créer de l’emploi et de la valeur ajoutée dans le cadre de la reconversion économique du territoire

Axe 2 : améliorer la desserte du territoire et les mobilités

a. La desserte ferroviaire

b. La desserte routière

c. La multimodalité

Axe 3 : faire du territoire un modèle de transition vers une nouvelle ère énergétique

Axe 4 : faire du territoire un modèle d’innovation pour l’industrie et les énergies du futur

C. La Gouvernance de la mise en œuvre du projet de territoire : acteurs et structures

1. Une gouvernance partagée entre de nombreux partenaires

2. La dimension binationale du projet de territoire

a. L’intégration du processus sur l’avenir du territoire de Fessenheim dans le Traité franco-allemand d’Aix-la-Chapelle

b. La piste des dérogations au droit fiscal et au droit du travail français

c. La création de la SEM franco-allemande (avril 2021)

D. le bilan de la première année de mise en œuvre du projet de territoire

E. l’appel d’offre photovoltaïque lancé par l’état (2019-2020)

II. le projet phare : la zone d’activitÉs Ecorhena

A. UN PROJET ANCIEN, désormais en bonne voie mais dont la superficie a été considérablement réduite

B. Une opération au cœur du projet de territoire et complémentaire du projet de technocentre

III. quelles leçons À tirer pour d’autres territoires ?

A. une certitude : plusieurs réacteurs vont être mis à l’arrêt définitif dans les prochaines années

1. La loi « énergie-climat » du 8 novembre 2019 et la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) du 21 avril 2020

2. La liste des réacteurs qui seront fermés dans les prochaines années est connue, mais pas l’ordre des fermetures ni leur calendrier

3. EDF sera-t-il indemnisé pour la fermeture de ces réacteurs ?

B. la nécessité absolue d’un calendrier plus précis pour faciliter la prise de conscience et donner de la visibilité

C. comment anticiper et à quel échelon territorial, sur la base de l’expérience de fessenheim ?

Recommandations de la mission d’information

EXAMEN du rapport en commission

annexes

Contribution du groupe Les Républicains

liste des personnes auditionnÉes

déplacements de la mission d’information


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   AVANT-propos de m. raphaël Schellenberger,
président de la mission d’information

1.   Introduction

Le 22 juillet 1804, Marc Schœlcher, originaire de Fessenheim, et Victoire Jacob donnent naissance à Victor Schœlcher. Le 27 avril 1848 il fera voter, en sa qualité de sous-secrétaire d’État aux colonies, le décret d’abolition définitive de l’esclavage. Cette révolution culturelle et juridique était alors portée par un homme politique profondément infusé de la culture et du savoir humanistes présents dans tout le bassin rhénan.

À Fessenheim, commune de 2 300 habitants dans le Haut-Rhin, un musée rend hommage à cette figure du village qui a porté, au plus haut niveau de l’État et dans une loi sur laquelle plus personne ne reviendra, les valeurs de cette terre alsacienne de rencontres, d’échanges et de tolérance.

Nous sommes en octobre 2021. Malheureusement, en citant le nom de Fessenheim, aucun journaliste, aucun responsable politique, aucun décideur économique ne pense à l’abolition de l’esclavage. Le nom de cette commune est aujourd’hui accolé à la lutte idéologique contre l’énergie nucléaire, qui donne pourtant son indépendance énergétique à la France et en fait le pays avec l’un des systèmes électriques le plus sobre en carbone d’Europe.

Député de Fessenheim, je suis le représentant d’un territoire qui s’est senti stigmatisé, devenant le point de fixation d’une lutte idéologique. Ce ne sont pas les deux réacteurs du centre nucléaire de production d’électricité (CNPE) qui ont façonné cette image, mais bien une stratégie de concentration de la lutte politique sur un site, dans laquelle le mépris du ressenti des habitants du territoire était sciemment mesuré.

Fessenheim a beaucoup apporté à la France par l’influence de Victor Schœlcher qui en est originaire, comme par l’apport à sa souveraineté énergétique et à sa sobriété en carbone, qui aura été exemplaire jusqu’au 30 juin 2020, date de l’arrêt définitif du dernier réacteur nucléaire à eau pressurisée (REP) en fonction sur le site.

Le 24 septembre 2019, je demandais au Président de l’Assemblée nationale la constitution d’une mission de suivi relative à la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim, afin que le Parlement se saisisse de l’enjeu d’évaluer et de suivre les engagements de l’État dans le cadre de la première fermeture d’un réacteur nucléaire issu du plan Messmer.

Cette demande a été reprise, deux semaines avant l’arrêt définitif du premier réacteur du CNPE de Fessenheim par la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, le 4 février 2020, grâce à la création de la mission d’information sur le suivi de la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim dont vous lisez la conclusion des travaux.

Les membres de la mission ont choisi de m’en confier la présidence. Dès le départ, j’ai souhaité, en lien avec la présidente de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire d’alors, Mme Barbara Pompili, que les travaux de cette mission s’étendent sur un temps long. En effet, créée la veille de l’arrêt du premier réacteur, elle n’avait de sens que si ses travaux se poursuivaient au-delà de l’arrêt complet de la production d’électricité sur le site, avec l’arrêt du second réacteur le 30 juin 2020.

Pour observer ce temps long, notre mission a donc exceptionnellement poursuivi ses travaux, déplacements et auditions pendant dix-neuf mois, dans un contexte singulier marqué par la crise sanitaire. Un temps plus long encore sera nécessaire pour mesurer pleinement les conséquences pour notre territoire de cette fermeture, celle de l’un des plus grands sites industriels du Haut-Rhin.

Le 6 septembre 2021, le président de la Collectivité européenne d’Alsace, M. Frédéric Bierry, m’a confié la présidence de la commission locale information et de surveillance (CLIS) attachée à l’INB (installation nucléaire de base) de Fessenheim. Mes travaux sur la centrale nucléaire de Fessenheim, ayant débuté bien avant mon mandat de parlementaire, ne s’arrêteront pas avec les conclusions de cette mission d’information et de suivi, mais se poursuivront bien au-delà de l’attention médiatique et militante qui a conduit à l’arrêt du site en 2020. D’ailleurs, les impacts d’une telle fermeture pour le territoire ne sont pour l’heure pas tous perceptibles, tangibles ou quantifiables. Seul le temps long dira comment le territoire s’est adapté et a évolué.

Un second élément de contexte qui doit nous donner les clefs de lecture de ce rapport, est la surprenante succession de ministres et hauts responsables de l’État chargés de la question de la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim.

En effet, depuis 2017, trois ministres différents ont été chargés du dossier et, autour d’eux, des secrétaires d’État plus ou moins investis sur le sujet.

Ainsi, au début du quinquennat, c’est M. Sébastien Lecornu, alors secrétaire d’État auprès de M. Nicolas Hulot, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, qui se saisit du « dossier Fessenheim ». Alors jeune secrétaire d’État, il saisissait l’opportunité de ce dossier local d’envergure nationale pour se faire un nom au sein du Gouvernement et démontrer son volontarisme. Cette méthode aura aussi heurté le territoire, son avenir devenant un simple enjeu de carrière.

Devenu ministre chargé des collectivités territoriales le 16 octobre 2018, c’est Mme Emmanuelle Wargon qui lui succède jusqu’au 6 juillet 2020.

C’est durant cette période que la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, alors présidée par Mme Barbara Pompili, a décidé de la création de notre mission d’information.

La présidente de la commission, consciente du caractère éminemment politique de nos travaux, décidera d’en être personnellement membre. À l’occasion de l’audition de M. Georges Walter, directeur de l’environnement du conseil départemental du Haut-Rhin, par notre mission, elle se montrera d’ailleurs très critique quant à ses inquiétudes, notamment sur la tenue électrique du réseau européen (voir au point 5).

Le 6 juillet 2020, Mme Barbara Pompili devient ministre de la transition écologique. Elle sera, plus tard, auditionnée par notre mission.

Ces mouvements au sein du ministère de la transition écologique ne facilitent pas la compréhension du pilotage de la transition économique du territoire de Fessenheim. Ils sont aussi l’illustration d’un dossier sensible dont les objectifs politiques du Gouvernement – fermer la centrale de Fessenheim – ne sont que rarement compatibles avec la réalité vécue sur le territoire : survivre et rebondir.

Président d’une mission d’information et de suivi qui aura poursuivi ses travaux durant dix-neuf mois, je ne partage pas l’ensemble des partis pris, des positions ou des recommandations du rapporteur. Je tiens néanmoins à saluer le travail d’organisation, de suivi puis de consolidation mené au fil des mois.

2.   Une installation performante

Notre mission s’est tout d’abord interrogée sur les raisons au cœur de la décision politique ayant pour conséquence la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim.

Les auditions conduites démontrent, sans ambiguïté possible, que ni la sûreté, ni la sécurité de la centrale n’ont conduit à l’arrêt des réacteurs.

La centrale nucléaire de Fessenheim n’était pas moins sûre que le parc nucléaire national, bien au contraire. Ainsi, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a relevé dans nombre de ses derniers rapports les performances favorables en matière de sûreté dans la centrale nucléaire, en en faisant l’une des références du parc.

La sûreté relève de la technique, mais aussi et surtout du management. La culture de la prévention du risque dans le CNPE de Fessenheim a atteint des niveaux de performance non seulement essentiels à l’activité nucléaire mais bel et bien exemplaires pour l’ensemble du parc français.

Cette performance a été obtenue alors même que, depuis 2011, la centrale est l’objet d’une polémique nationale sur la place du nucléaire dans le mix énergétique. Elle est devenue le bouc émissaire d’une stratégie électorale.

Malgré cela, et jusqu’au dernier jour d’exploitation, l’ensemble des agents EDF de la centrale nucléaire et des sous-traitants intervenant sur le site ont fait de leur mieux pour marquer l’excellence de ce site industriel.

Le meilleur exemple demeure l’engagement des salariés à produire, et de façon sûre jusqu’au dernier jour de l’autorisation d’exploitation. Ainsi, alors que l’arrêt définitif de la production du second réacteur de la centrale et son découplage programmé du réseau de transport étaient programmés au mardi 30 juin à 00h, la centrale a été touchée par la foudre le vendredi 26 juin dans la matinée. Conformément au protocole, la centrale s’est arrêtée automatiquement pour se mettre en sécurité. À trois jours de l’arrêt définitif. Malgré la proximité de cette date et la complexité des opérations nécessaires pour reconnecter la centrale au réseau pour la remettre en production pendant seulement trois jours, sur la demande de RTE, les salariés ont fait tout leur possible. Le soir même, la centrale produisait à nouveau, afin d’assurer la sécurité de l’approvisionnement électrique.

Par ailleurs et preuve de la bonne surveillance et sûreté du site, il ne s’est produit à Fessenheim aucun incident – depuis la création de la centrale – supérieur au niveau 2 (selon l’échelle de référence INES, International Nuclear Event Scale) et le nombre d’incidents qui se sont produits sur le site est comparable à celui des autres sites.

Durant quarante-trois ans, les salariés du CNPE de Fessenheim ont fait preuve d’un engagement professionnel exemplaire permettant à ce site d’être une référence, jusqu’à son dernier jour.

Cette exemplarité a également été permise grâce à une exigence constante des pouvoirs publics locaux. Ainsi, le CNPE de Fessenheim a été le support de la création de la première commission locale d’information et de surveillance (CLIS). Créée en 1977 à l’initiative du conseil général du Haut-Rhin, elle réunit depuis cette époque les élus locaux français et des pays limitrophes, des experts indépendants, des représentants des salariés et d’associations militantes. Le cadre légal des commissions locales d’information (CLI) se construira sur la base de cet exemple.

Ainsi la CLIS de Fessenheim a été avant-gardiste en assurant l’information du public mais aussi la surveillance de l’activité dans la centrale, avec des moyens de contre-expertise. C’est en ce sens que la CLIS a diligenté de nombreuses enquêtes pour objectiver des craintes mises en avant par certaines associations.

Par exemple, la digue du grand canal d’Alsace a fait l’objet d’une multiplicité d’études démontrant systématiquement sa parfaite résistance aux risques de séisme.

Cette ouverture dans son fonctionnement et ses moyens de contre-expertise ont été des outils précieux. Ils ont conduit, en permanence, à ce que les riverains vivent sereinement aux abords du CNPE de Fessenheim et ce, malgré les fluctuations de l’opinion publique nationale ou internationale à l’occasion de certains évènements dans le parc électronucléaire mondial.

3.   Une fermeture très politique

Si les raisons de la fermeture de la centrale de Fessenheim ne sont pas techniques, alors pourquoi choisir cette centrale en particulier ?

Le parc électronucléaire français comptait donc, jusqu’à peu, 58 réacteurs à eau pressurisée. Une seule technologie, dans des versions différentes, mais dont le principe est le même. 34 d’entre eux correspondent au « palier 900 ». Ce sont les mêmes réacteurs que ceux de Fessenheim. Ils ont été construits en même temps. Ils ont été raccordés au réseau français dans la même période.

Alors pourquoi choisir les deux réacteurs de Fessenheim ?

La centrale nucléaire de Fessenheim est construite sur la frontière allemande. Seul le Grand canal d’Alsace – qui sert au refroidissement des réacteurs – et l’île du Rhin, large de quelques dizaines de mètres, séparent les réacteurs de l’Allemagne.

Or l’Allemagne n’a pas choisi la même stratégie énergétique que la France. L’Allemagne ne dispose pas de la technologie nucléaire, ni de la filière qui l’accompagne. Et en Allemagne, les militants pacifistes et antimilitaristes se sont rapidement transformés en militants anti-nucléaires, considérant que le nucléaire civil était un outil du nucléaire militaire.

Cette disponibilité de militants anti-nucléaires allemands, aux abords immédiats de la centrale nucléaire, a facilité la mobilisation militante. Souvent à quelques dizaines, leur nombre suffisait à bloquer un pont sur le Rhin, dont la symbolique est immédiatement forte.

Dès le commencement du plan Messmer, la mobilisation se concentrait donc, grâce au caractère transfrontalier, sur la centrale nucléaire de Fessenheim. Des quatre tranches initialement prévues pour la centrale, seules deux ont été construites, afin d’éviter la construction d’un aéroréfrigérateur qui, pour sa part, n’obtenait l’assentiment d’aucun Alsacien, tous très attachés à leur paysage.

La concentration de la mobilisation militante anti-nucléaire sur Fessenheim en faisait donc un objet politique de choix. Ainsi, lorsqu’en novembre 2011 le candidat issu des primaires socialistes françaises a voulu rallier le soutien et le vote des écologistes, il ne prendra pas d’engagement systémique sur la stratégie énergétique française, mais laissera en gage la centrale de Fessenheim, comme une caution de sa politique énergétique. Aucune raison à ce choix, un simple calcul électoral sur un site qui mobilise plus facilement que la moyenne. Rien n’est rationnel, tout est politique.

Ce choix est d’autant plus irrationnel qu’il va à l’encontre de l’objectif premier du plan Messmer présenté en 1974. Précisément, il visait à limiter toute dépendance au pétrole vis-à-vis des pays étrangers, ressource énergétique qu’on sait évidemment polluante et épuisable. Et c’est pour garantir notre indépendance énergétique que le chef du Gouvernement d’alors prônait ces mesures « méditées, réfléchies, et de longue durée », termes qui semblent bien ne plus conduire les décisions prises aujourd’hui en matière de politique énergétique. Car, et il faut le souligner, notre pays est pauvre en ressources énergétiques puisque sur le territoire il n’y a pas de pétrole, peu de charbon et pas assez de gaz. Mais la France possède ces atouts majeurs que sont notre parc nucléaire performant et sûr et les salariés et ingénieurs qui y travaillent.

La décision de fermeture est donc bel et bien politique.

Durant tout le quinquennat de M. François Hollande, la promesse a été répétée. Mais jamais la perspective de sa crédibilité n’a atteint le territoire ou EDF.

En 2017, lorsque M. Emmanuel Macron est élu Président de la République, il réitère cet engagement. Il n’en devient pas plus compréhensible. Lorsque le parti socialiste s’allie aux écologistes, Fessenheim est un gage politique. Cela est contestable, mais correspond à une vision idéologique et doit donc être respecté en vertu des principes démocratiques. Mais le gouvernement de M. Édouard Philippe n’aura aucune justification idéologique à son choix de réaliser la promesse de la fermeture de la centrale nucléaire. La justification est différente. Selon M. Sébastien Lecornu, il s’agit simplement de mettre en œuvre les décisions. Qu’elle soit cohérente ou non, le Gouvernement se comporte en exécutant une décision antérieure que, pourtant, nombre de ministres contestent alors. Cela en devient encore moins acceptable pour le territoire concerné, car à la question de savoir « Pourquoi Fessenheim ? » posée au Gouvernement de M. Édouard Philippe – qui est celui qui fermera effectivement la centrale – aucune réponse ne sera jamais apportée.

Car derrière le symbole de « la plus ancienne centrale de France » se cache un raisonnement qui ne sera jamais plus appliqué. Aucune centrale nucléaire française, autre que Fessenheim, ne fermera à la date anniversaire de sa 43ème année.

En surcroît de cette injustice, un engagement a été pris par M. Emmanuel Macron : ne plus arrêter des réacteurs qui auraient pour effet de fermer des sites nucléaires complets.

Alors que j’appelais à cette position dans une tribune parue dans le Journal du Dimanche du 22 juillet 2018, le Président de la République affirmait reprendre ce critère pour les éventuels futurs choix de réacteurs à fermer à l’occasion d’échanges sur la programmation pluriannuelle de l’énergie en janvier 2019. Cela permettait ainsi d’éviter la déstabilisation complète d’un territoire, tout en laissant ouvertes des opportunités de nouveau nucléaire sur les dix-huit sites de production nucléaire restant en France.

Ainsi, dans le rapport qui suit, le rapporteur s’est longuement posé la question de la compréhension de la décision et surtout de la date de cette compréhension, considérant que celle-ci devait alors être le point de départ du travail rationnel de préparation de la reconversion du territoire impacté.

Cette date de compréhension ne peut pas exister. La décision est incompréhensible. Et pour cause, plus aucun réacteur ne s’arrêtera définitivement à quarante-trois ans. Plus aucune centrale ne sera fermée complètement.

Fessenheim est un cas unique.

Fessenheim est un cas irrationnel.

Fessenheim est un cas incompréhensible.

Dans le rapport, une discussion sur la possibilité pour les deux réacteurs de Fessenheim de « passer » le cap des quatrièmes visites décennales (VD4) est ouverte par le rapporteur et répond de la même façon à une vision très administrative de la possibilité pour l’ASN de suspendre ou mettre fin, à tout moment, à l’autorisation d’exploiter une centrale nucléaire.

Juridiquement, cela est exact. Dans la réalité des échanges entre l’exploitant de réacteurs nucléaires et son autorité de contrôle, il n’y a pas de rupture franche ou de point de non-retour. Ce n’est d’ailleurs pas souhaitable. Il vaut bien mieux, pour la sûreté et la sécurité de l’exploitation nucléaire, que le dialogue soit itératif et permanent. Dans cette démarche d’amélioration continue, l’autorité de l’ASN vient de son pouvoir à imposer une fin d’autorisation à tout moment, mais l’efficacité de son travail provient, elle, de l’absence de point de rupture et de l’entretien d’un dialogue et d’une exigence permanents.

De ce point de vue, rien ne laissait à penser que la centrale nucléaire de Fessenheim n’eut pas pu relever le défi de la VD4. Les remarques de l’ASN sur l’état de la centrale et la qualité de l’exploitation de Fessenheim laissent même à penser que cette visite décennale n’aurait pas été plus compliquée pour les deux réacteurs du CNPE de Fessenheim que pour le reste du parc du palier des 900 MW.

En conclusion du caractère éminemment politique de la fermeture de la centrale de Fessenheim, il convient également de souligner à quel point cette décision a été prise à contretemps par les gouvernements de M. Emmanuel Macron. L’impératif de lutter contre le réchauffement climatique et les émissions de gaz à effet de serre fait prendre conscience à un nombre croissant de responsables politiques de l’opportunité de l’énergie nucléaire. Ainsi, même en Allemagne, État historiquement hostile à l’énergie de l’atome, de plus en plus de voix s’élèvent pour souligner l’intérêt de cette technologie, y compris dans les rangs des élus écologistes.

4.   Une décision coûteuse : une gabegie budgétaire

Nous n’avons pas pris le parti, dans ce rapport parlementaire, de dresser la note de la fermeture de la centrale nucléaire. Pourtant, ce n’est pas l’intérêt qui manque :

Dans cette gabegie budgétaire, une dépense s’avère alors particulièrement injuste : le fonds national de garantie individuelle de ressources (FNGIR).

Le rapport développe bien le mécanisme de ce fonds de péréquation fixé de façon définitive au moment de la réforme de la taxe professionnelle.

Concrètement, pour la commune de Fessenheim, il vient écrêter une recette nouvelle perçue du fait de la transformation de la taxe professionnelle en différentes composantes. Contrairement à ce que certains laissent entendre, ces recettes écrêtées n’avaient pas été touchées par la commune avant la réforme de la taxe professionnelle. Elles n’existaient pas à son bénéfice et c’est justement pour cela que le FNGIR les écrête. Ainsi, la réforme de la taxe professionnelle a créé pour la commune de Fessenheim un mirage fiscal qu’elle n’a néanmoins jamais touché.

Mais la contribution au FNGIR, elle, survivra à la disparition de la recette. Ainsi, la commune deviendra une contributrice du FNGIR à hauteur de 3 millions d’euros par an, sans pour autant qu’elle ne dispose des recettes fiscales pour financer cette contribution.

Cela aura un impact sur toute la communauté de communes de Rhin-Brisach, qui compense les recettes à la commune du fait de la mise en place d’attributions de compensation au moment de l’application de la fiscalité professionnelle unique au sein de l’intercommunalité, de façon concordante à la fusion de l’ancienne communauté de communes de Fessenheim avec sa voisine au Nord.

Ce problème est donc essentiel dans la capacité du territoire à rebondir et à disposer des moyens indispensables à la conduite des actions de rebond. Après plusieurs rappels du problème à l’occasion de la discussion du projet de loi de finances, un groupe de travail a été mis en place par Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Ce groupe s’est réuni, en visio-conférence, à une seule reprise.

La volonté du Gouvernement de trouver une réponse systémique à un problème qui ne concerne que Fessenheim dans de telles proportions était vouée à l’échec. Fessenheim est un cas à part, il faut le traiter à part.

L’amendement du rapporteur, adopté à l’occasion du projet de loi de finances pour 2020, ressemble davantage à une rustine. Il vient, pour compenser les défauts et les dégâts du FNGIR, qui est un fonds de péréquation, créer un nouveau fonds de péréquation en compensation.

De surcroît le mécanisme a été créé à l’échelle de la France entière. Les échanges informels avec le ministère du budget laissent entendre qu’une centaine de collectivités pourraient être éligibles et se répartir un fonds d’un million d’euros. Pour mémoire, l’enjeu de Fessenheim est trois fois plus élevé que le plafond de ce nouveau fonds.

Fessenheim mérite une modification du calcul de la contribution au FNGIR qui soit propre à cette situation.

5.   Une région au cœur des échanges énergétiques européens laissée sans point de rehausse de tension

Fessenheim se situe au sein de la mégalopole européenne également appelée « la banane bleue ». Cette dorsale de 70 millions d’habitants, puissante et dynamique, s’étire de Londres à Milan, en longeant notamment le Rhin.

Au cœur de l’Europe, à quelques heures du port de Rotterdam donnant accès au monde entier, à la frontière de la quatrième puissance mondiale qu’est l’Allemagne, et de la Suisse, pays le plus compétitif et innovant au monde, la bande rhénane est en connexion directe avec le monde, véritable plaque tournante reliant le nord et le centre de l’Europe au sud.

Berceau de l’humanisme, de l’imprimerie, de la révolution industrielle, de la métallurgie, du textile et de la chimie, sa capacité de rebond et d’invention fait partie de l’histoire et de la culture des habitants du tronçon rhénan. Innervée de réseaux de transport, de nœuds et flux aéroportuaires, routiers, numériques, fluviaux, le territoire de Fessenheim s’ancre au cœur d’un corridor de connexions économiques et culturelles.

Le développement de cet espace fortement urbanisé et industrialisé a été rendu possible par l’implantation de 13 réacteurs nucléaires, seuls capables de soutenir la qualité et la sécurité du réseau électrique, indispensables aux nombreuses entreprises et industries électro-intensives implantées le long du Rhin. Avant 2011, le Rhin supérieur était l’espace le plus nucléarisé d’Europe avec une production de
12 300 MW (3 330 MW en Suisse, 7 250 MW en Allemagne et 1 800 MW en France), pour une consommation de pointe de 22 000 MW. En Alsace, 50 % de l’énergie consommée sert à alimenter l’industrie.

La fermeture de la centrale de Fessenheim, additionnée à la fermeture des réacteurs allemands et suisses implantés le long du Rhin, aura un impact énergétique certain et non négligeable sur le réseau électrique du Rhin Supérieur.

L’enjeu pour la bande rhénane et l’Alsace n’est pas seulement la quantité d’énergie, mais aussi la qualité et la capacité de disposer de sites pilotables, et de rehausse de tension. Cela manquera inévitablement dans les prochaines années.

La fermeture de la centrale de Fessenheim doit absolument s’accompagner d’un plan de diversification énergétique et de production de base de puissance significative, afin d’éviter le black-out et la fermeture d’usines qui ne disposeraient plus d’énergie électrique de quantité et qualité suffisantes pour fonctionner.

6.   La standardisation du démantèlement nucléaire, un enjeu industriel 

Passées les questions propres à la centrale nucléaire de Fessenheim, se pose la question de la filière de la déconstruction et du démantèlement nucléaire. Un rapide tour d’horizon permet de comprendre que la France n’en est pas à son coup d’essai avec Fessenheim, bien au contraire.

Le rapport détaille précisément la quantité importante de chantiers de démantèlement en cours. Ils sont de trois ordres :

• les chantiers uniques et atypiques, souvent liés à des installations de recherche ;

• les réacteurs de première génération, aux technologies très contaminantes pour les installations et difficiles à démanteler ;

• le prototype des réacteurs REP standardisé – avec le chantier de Chooz A.

Ce dernier, débuté en 2006, est réellement l’exemple de ce qui se fera à Fessenheim. C’est la même technologie. Ce démantèlement est quasi abouti et ne posera plus de problème technique dans sa dernière phase de chantier.

Ce tour d’horizon pose très rapidement la question de la gestion des déchets à très faible activité (TFA). Certains de ces déchets ont parfois même – ou souvent – une activité radioactive inférieure à la radioactivité naturelle.

Et pourtant la quantité de TFA produite au cours du démantèlement est importante. La perspective de la quantité de déchets issus des démantèlements des centrales nucléaires du parc doit nécessairement nous conduire à nous interroger sur la stratégie de leur gestion.

Cette question de la classification des matériaux issus du démantèlement des centrales, ou pour certains liés à l’exploitation, se pose depuis longtemps. L’accroissement certain de leur quantité lié au démantèlement futur pousse à ce que les lignes bougent.

Ainsi, à l’occasion du dernier débat national sur le Plan national de gestion des déchets et matière radioactives, le débat sur les TFA a été ouvert.

Cela s’inscrit en résonnance avec l’appropriation d’une technologie permettant de retraiter les métaux afin de séparer les éventuels radioéléments de la très grande quantité de matière inerte. Cette technologie, actuellement détenue par EDF, pourrait faire l’objet d’une industrialisation. C’est le projet de « technocentre » qui est envisagé à Fessenheim.

Ce projet et son implantation dans le Haut-Rhin sont évoqués depuis le début du processus de fermeture. Depuis le début, EDF a posé deux conditions cumulatives à sa réalisation :

1° l’évolution du cadre réglementaire de gestion des TFA ;

2° la constitution d’un marché à l’échelle européenne et notamment franco-allemande à même d’assurer une rentabilité économique à la future usine.

Pour chacun de ces deux critères, au-delà du discours apparent de soutien au projet de technocentre, les actes du Gouvernement se sont montrés moins ambitieux que les mots, et très tardifs.

Ainsi, l’évolution du cadre réglementaire, décrite dans le rapport, est envisagée a minima. Le Gouvernement a ainsi développé une stratégie de mise en place d’exceptions. Peu stable juridiquement et soumis aux aléas politiques permanents sur le nucléaire, ce cadre juridique ne semble pas suffisant à l’émergence de cette nouvelle filière industrielle d’excellence dans le démantèlement nucléaire.

Par ailleurs, sous la pression des partis politiques anti-nucléaires allemands, aucune discussion n’est possible sur la construction d’une stratégie européenne. Cela est paradoxal, car la possibilité juridique de créer le technocentre en France nécessite que notre droit national se rapproche du droit allemand dans lequel un seuil libératoire existe et où les matières issues du démantèlement nucléaire ne sont pas nécessairement considérées comme des déchets radioactifs.

Ainsi, nous avons systématiquement trouvé des partenaires allemands dont l’opposition au projet de technocentre était inversement proportionnelle à la transparence et à la connaissance de leur propre système de retraitement des matières issues des démantèlements nucléaires.

Incontestablement, grâce à sa technique et au traçage des matières permis par le technocentre, celui-ci sera un atout au service de la France et de sa maîtrise complète de la filière nucléaire.

Dans le rapport de cette mission d’information, le rapporteur met en scène un soutien fort du Gouvernement au projet de technocentre. Ce soutien apparent se heurte néanmoins à des mesures et des actions concrètes bien moins engageantes.

Préconisations du président de la mission d’information :

- stabiliser le cadre réglementaire pour le technocentre ;

- ouvrir un dialogue franc sur la stratégie allemande du recyclage des métaux ;

- créer un cadre réglementaire européen sur la circulation des matériaux issus du recyclage et du démantèlement des centrales.

Au-delà du défi que représente la gestion des matières TFA issues du démantèlement et de l’exploitation du parc électronucléaire français, nous avons également pu constater la pertinence du choix technologique des réacteurs à eau pressurisée. En effet, si nombre de démantèlements actuellement en cours en France de réacteurs d’ancienne génération ou de sites de recherche posent des difficultés techniques, la visite de notre mission sur le chantier du démantèlement du réacteur expérimental de Chooz A a démontré la pertinence technique du choix des REP en France.

Débutées en 2006, après plusieurs années d’une stratégie d’attente qui est désormais abandonnée pour les prochains sites à démanteler - à commencer par Fessenheim - les dernières opérations de déconstruction de l’ancien réacteur nucléaire de Chooz A s’achèveront dans le courant de l’année 2022. Le chantier a pu être mené sans grande surprise. Alors que la construction dans une grotte creusée dans la colline du réacteur de Chooz A a présenté des difficultés notamment en matière d’accessibilité pour son démantèlement, le caractère standardisé des deux réacteurs de Fessenheim sera à même d’en faciliter la déconstruction.

À ce stade, je souhaite appeler l’attention sur l’enjeu industriel de construction d’une filière industrielle du démantèlement nucléaire.

Je crois dans la pertinence de l’énergie nucléaire pour faire face aux nombreux défis des décennies à venir. Parce que j’y crois, j’ai lu avec attention les conclusions du rapport de M. Jean-Martin Folz, qui préconise que la construction de nouveaux EPR soit rapidement planifiée afin de conserver le savoir-faire industriel qui avait été oublié pendant seize ans (depuis la construction de Civaux 2) sans chantier de nouveau nucléaire et qui a cruellement manqué pour mener à bien le chantier de l’EPR de Flamanville.

Par parallélisme des formes, une fois le savoir-faire en matière de démantèlement acquis, standardisé et industrialisé, il faudra le maintenir et ainsi mener successivement les chantiers de déconstruction. Cette stratégie permettra également d’assurer une maîtrise des coûts qui démontrera, elle aussi, la pertinence de l’énergie nucléaire dans la plénitude de son cycle.

Ainsi, le projet de fermer six réacteurs nucléaires d’ici à 2035 ne me semble pas du tout pertinent du point de vue de la stratégie énergétique. Néanmoins, dans la perspective du lancement d’un nouveau chantier d’EPR, il me semblerait cohérent d’envisager l’arrêt d’une nouvelle paire de REP 900 à l’échéance de l’autorisation issue de la VD4, sans fermer de nouveau site nucléaire et en évitant de fermer une paire de réacteurs adaptée au fonctionnement, grâce au combustible MOX. Il nous faudra construire une vision précise de la conjugaison des chantiers nucléaires entre construction et déconstruction afin de donner un nouvel avenir à cette filière industrielle d’excellence française.

Le démantèlement de Fessenheim constituera également pour le législateur un défi : celui de construire et d’affiner le cadre légal du démantèlement afin de le rendre compatible avec la standardisation progressive de ces opérations. En ce sens, une attention particulière du public, à l’aide notamment de la CLIS, et de la représentation nationale, sera nécessaire.

Préconisations du président :

- maintenir une CLIS jusqu’à l’obtention de l’état final à l’issue de toutes les opérations de démantèlement ;

- associer le Parlement à la construction du cadre juridique du démantèlement.

7.   Une reconversion anticipée et confrontée à des blocages de l’État

Le 19 janvier 2018, M. Sébastien Lecornu réunissait le premier comité de pilotage de reconversion du territoire de Fessenheim. Si l’objectif affiché était de démontrer à quel point le Gouvernement qu’il représentait allait s’engager pleinement dans la reconversion du territoire, les enseignements sur le déroulé des événements se sont avérés être bien différents.

D’abord, il s’agissait de la première parole claire du Gouvernement sur le sujet. « La centrale fermera » : il s’agit du premier enseignement que le territoire a retenu de ce déplacement. En effet, alors même qu’à cette date depuis six ans, le Gouvernement promettait de fermer Fessenheim, jamais aucun ministre n’était venu sur place. Il faut en ce sens reconnaître une forme de courage à M. Sébastien Lecornu. Ce déplacement incarnait incontestablement la prise de conscience du territoire du caractère irréversible de la décision de fermeture.

Le second message véhiculé par le secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique consistait à pointer une supposée inaction des élus locaux. Ceux-ci, trop bien servis par la centrale nucléaire depuis quarante ans, n’auraient pas fait l’effort de bien développer le territoire. Je m’inscris en faux contre cette idée. Bien que cette petite musique ait infusé dans les ministères, chez certains parlementaires ou le délégué interministériel chargé de la reconversion du territoire, les faits sont têtus ! L’après a été largement préparé, même si certaines circonstances ont changé, plus vite que les acteurs locaux ont pu le percevoir, même si l’État n’y a pas toujours mis du sien.

Il convient également de préciser ici que la conjugaison avec le calendrier de la loi NOTRe n’a pas permis au territoire de s’organiser correctement au moment le plus critique de la préparation de la fermeture de la centrale. En effet, la communauté de communes Essor du Rhin a fusionné le 1er janvier 2017 avec la communauté de communes du Pays de Brisach, pour former la communauté de communes Pays Rhin-Brisach. Toute fusion de collectivités nécessite un temps incompressible d’appréhension par les élus et les services des enjeux du nouveau territoire. Ce besoin est arrivé au moment le plus critique du calendrier de préparation de la fermeture. Ainsi, si les choses étaient prêtes, la déstabilisation institutionnelle locale résultant de la loi NOTRe, unanimement critiquée, a ralenti au moment le plus sensible l’engagement de certains projets locaux concrets.

Ainsi, la communauté de communes Essor du Rhin, avant la fusion suscitée par la loi NOTRe, avait déjà aménagé une zone d’activité au nord de la centrale : la zone industrielle Koechlin.

L’ensemble de la maîtrise foncière, de plus de 300 hectares, au nord de la centrale nucléaire a été acquis, progressivement, par les collectivités territoriales et leurs opérateurs. Cette stratégie permet aujourd’hui d’envisager la création de la zone industrielle « EcoRhena » sans difficulté de maîtrise foncière. La difficulté vient désormais d’une réglementation rigide conjuguée à une inaction de l’État qui n’entend pas reconnaître la situation exceptionnelle dans laquelle se trouve le territoire de Fessenheim à la suite de cette décision de fermeture. Ainsi il a été impossible d’obtenir une dérogation pour l’implantation d’activités nouvelles, dans un projet particulièrement exemplaire du point de vue de la préservation des espaces naturels - et il suffit de parcourir la zone industrielle actuellement existante à Biesheim pour s’en apercevoir - pour l’aménagement de terrains qui sont en réalité les « délaissés » de l’aménagement du Grand canal d’Alsace, abandonnés à la friche et sur lesquels la nature a en partie repris ses droits.

Enfin, il est nécessaire de rappeler que le besoin de réindustrialisation de l’Alsace et notamment du secteur de la plaine du Rhin n’apparaissait pas avant la fermeture de la centrale nucléaire. En effet, le territoire de Fessenheim reste un territoire éloigné des grands centres urbains et des grands bassins d’emploi. Cette situation a d’ailleurs certainement contribué à son choix, à l’origine, pour l’installation du CNPE. La présence de nombreuses entreprises, notamment électro-intensives, le long du Rhin et le dynamisme de la région ont conduit à ce que ce territoire soit un bassin d’emploi dynamique. En aval, c’est tout un territoire (bien plus vaste que la seule commune de Fessenheim) qui a prospéré avec l’émergence d’un tissu commercial, associatif, artisanal ou encore la création d’équipements publics pour répondre aux besoins de la population alentour qui dépend directement ou indirectement du site.

Le caractère alsacien, modéré et économe, a toujours conduit à des choix d’aménagement ou de politiques publiques respectueux des espaces. Aménager des zones pour développer de l’activité dans un bassin de vie qui ne dispose pas - du fait de son dynamisme - des emplois mobilisables n’a donc qu’un sens très limité.

De surcroît, les projets qui ont existé tout au long de l’histoire du fonctionnement du CNPE de Fessenheim et plus singulièrement sur la dernière décennie ont systématiquement dû faire face à une posture particulièrement exigeante de la part de l’État dans leur instruction, souvent sous la pression d’associations de défense de l’environnement pour lesquelles tout projet aux abords de Fessenheim suscitait de l’opposition.

Ainsi, le travail de notre mission d’information doit être l’occasion d’écarter pour de bon la rhétorique mise en place par M. Sébastien Lecornu : les collectivités et élus locaux ont été largement proactifs et ont su anticiper la fermeture de la centrale. La difficulté vient de l’accélération du calendrier, imposée depuis 2017, et que l’État n’a pas su concrétiser, financièrement, fiscalement ou réglementairement au-delà des discours.

8.   Le projet de reconversion : une priorité de l’État sur l’affichage plutôt que sur la réalisation

En janvier 2018, lorsque M. Sébastien Lecornu « installe » le « comité de pilotage de la reconversion du territoire de Fessenheim », le message est donc celui d’un État qui compte s’engager pleinement dans la reconversion du territoire, en respectant son aspiration. À la suite de cette annonce, la gouvernance du « projet » a mobilisé bien plus d’attention que sa mise en œuvre. Or dans ce cas de figure, entre gouvernance et pilotage, la nuance n’est pas uniquement sémantique.

Au-delà de l’attention davantage portée à la méthode qu’aux résultats, des erreurs majeures ont été commises :

- Le délégué interministériel a vu très rapidement ses missions élargies à l’accompagnement des sites connaissant la fermeture d’une centrale à charbon. Cette volonté aura conduit la ministre à annoncer, lors du dernier COPIL réuni, la création d’une commission de suivi du projet et le recrutement d’une commissaire à la reconversion économique du territoire de Fessenheim. À force, cela n’en devient que très peu compréhensible pour les acteurs ;

- Hormis la grande messe du COPIL réunissant très largement, les parlementaires ont été particulièrement tenus éloignés du dossier. Or, tant dans leur action de contrôle de l’action du Gouvernement que de préparation du futur cadre réglementaire du démantèlement, leur rôle aurait nécessité d’être bien plus proche du processus ;

- Aucun moyen nouveau n’a été injecté dans le projet de territoire par le Gouvernement, excepté le fonds d’amorçage de 10 millions d’euros obtenu grâce à un rapport de force politique à la veille d’un COPIL ;

- La plupart des projets figurant dans le projet de territoire ne sont que le « recyclage » de projets préexistants (ce qui démontre une nouvelle fois que les élus n’ont pas attendu le Gouvernement pour travailler à l’avenir de leur territoire). Certains projets étaient même déjà financés : la construction d’une salle de spectacle sur l’île du Rhin, par exemple ;

- Une place centrale a été laissée aux partenaires allemands, largement déséquilibrée par rapport à leur engagement financier quasi inexistant. Or, leur pression politique a aussi conduit au choix de fermeture de la centrale. À l’heure actuelle, ils mobilisent avant tout leur position dans ces instances pour ralentir ou s’opposer aux projets portés, comme le technocentre par exemple.

La principale erreur, dans la « gouvernance » voulue par le Gouvernement, aura certainement été, pour ce dernier, de considérer que, parce que les élus locaux alsaciens acceptaient de discuter pour avancer, malgré des points de blocage, le Gouvernement pouvait se permettre de ne pas traiter lesdits points bloquants, à l’image du FNGIR.

C’est simplement ignorer le tempérament alsacien.

L’état d’esprit des élus locaux du territoire est basé sur la confiance, mais celle-ci ne peut pas être flouée. En l’espèce, le Gouvernement a beaucoup promis sur le FNGIR, bien plus que le bricolage réalisé. Cela bloque inévitablement la suite des discussions.

À la lecture du projet de territoire, dans le volet relatif à la nécessité de construire de nouveaux moyens de production d’électricité, figure un point sur l’installation de panneaux photovoltaïques.

La logique mise en place pour le photovoltaïque était demandée depuis longtemps par le territoire. En effet, jusque-là, tous les appels d’offres publics pour la mise en place de panneaux photovoltaïques étaient nationaux. N’étant pas la région au rendement solaire le plus performant de France, l’Alsace était mécaniquement défavorisée par rapport aux régions du sud. Aussi, depuis longtemps et notamment sous l’impulsion du conseil départemental du Haut-Rhin, les élus locaux sollicitaient l’État pour que les appels d’offres puissent être régionaux et participer ainsi au développement du photovoltaïque en Alsace. Là encore, la solution était demandée de longue date par le territoire mais l’État freinait.

À la surprise générale, les réponses à l’appel d’offres ont exhibé des prix bien plus compétitifs que ceux proposés jusqu’à ce stade, pour du solaire. Cela peut questionner sur le modèle d’appel d’offres tel qu’il existait jusqu’à l’évolution obtenue pour Fessenheim.

Enfin, le foncier en Alsace est contraint depuis longtemps et fait l’objet d’une gestion très économe. Aussi, la multiplication d’appels d’offres pour l’installation de fermes solaires sur du foncier agricole ou naturel n’apparaît pas du tout pertinente.

Cela me semble encore moins pertinent pour les terrains dits « délaissés » ou « dégradés », qui pourraient faire l’objet soit d’une réappropriation agricole, soit d’une opération de retour à la nature et de compensation.

La priorité, voire même l’exclusivité donnée au photovoltaïque devrait aller uniquement aux installations sur toitures ou aux couvertures de parkings. Le foncier disponible devrait prioritairement servir à la haute valeur ajoutée : activités créatrices d’emploi et habitat. Le photovoltaïque ne devrait arriver qu’en complément, comme une fonction supplémentaire.

Le projet phare de la reconversion du territoire est le développement de la zone « EcoRhena » au nord de la centrale. Sur une maîtrise foncière de 300 hectares, à la fin du processus de négociation et de filtre réglementaire, ce ne seront finalement que 82 hectares qui pourront être aménagés.

Alors que le projet est exemplaire du point de vue de son intégration environnementale, preuve en est de la zone à son nord qui déjà s’intègre parfaitement, aucune discussion n’a été possible pour son développement, alors même que ce projet nécessitait une attention particulière de la part de l’État.

Malgré cette très faible ambition en matière d’espaces à aménager, l’État a mis toute son énergie à organiser un outil de gouvernance « innovant ». La priorité, plutôt que l’aménagement de la zone – déjà propriété des collectivités – a été de créer une société d’économie mixte d’opération à caractère transfrontalier, pour piloter le projet. La complexité de ce montage a mobilisé énormément d’énergie pour un engagement dans le capital qui ne s’est toujours pas concrétisé de la part des Allemands. Cela a surtout conduit à la création d’une structure aux frais de fonctionnement déjà totalement surévalués par rapport à son rôle : aménager quelques hectares (ce que toutes les intercommunalités font, en mobilisant des outils déjà disponibles et opérationnels dans le Haut-Rhin).

Ainsi, pour le Gouvernement, le symbole n’était plus l’aménagement de la zone industrielle et son exemplarité environnementale, mais la création de la SEMOP... une couche de plus ajoutée au millefeuille ! La volonté d’affichage franco-allemand a conduit à la construction d’un outil non opérationnel et, de mon point de vue, très peu utile. Le Gouvernement a créé des frais de fonctionnement alors que le territoire a besoin d’infrastructures.

La première infrastructure nécessaire au développement de ce territoire est un axe routier. Le bassin rhénan fonctionne parfaitement du point de vue des flux routiers sur l’axe nord-sud. En revanche, les échanges est-ouest sont beaucoup moins fluides. Il en est ainsi pour le territoire de Fessenheim, qui, malgré sa proximité avec les villes de Colmar et Mulhouse, souffre d’une grande difficulté de desserte est-ouest. Cette carence ne lui permet pas de mobiliser pleinement son potentiel transfrontalier. Ainsi, c’est l’outil de coopération entre la commune de Fessenheim et Hartheim am Rhein, sa voisine immédiate en Allemagne, qui a porté la construction du pont routier sur le Rhin reliant, au droit de leurs bancs communaux, la France à l’Allemagne. Cela reste surprenant pour une telle infrastructure internationale.

De ce point de vue, même si le projet de reconstruction du pont ferroviaire sur le Rhin, qui permettra le retour d’une ligne régulière de Colmar à Freiburg, est éloigné du territoire de Fessenheim, il sera utile à l’amélioration et à la fluidification des échanges est-ouest. Malheureusement, l’engagement de l’État sur ce projet laisse de plus en plus penser que derrière le message se cache un mirage qui s’effacera au fur et à mesure que le calendrier prévisionnel se déroulera.

Ainsi, dans le projet de territoire largement mis en scène, lorsque l’on retire les projets déjà engagés par les collectivités territoriales avant la décision de la fermeture de la centrale nucléaire, il ne subsiste finalement que des mirages, dont l’agenda n’est en aucun cas celui de l’urgence de la reconversion économique.

Pour corriger ce projet de territoire, la priorité doit être donnée aux infrastructures et l’engagement financier des Allemands doit être assuré. Leur présence dans la seule gouvernance ne suffit pas.

9.   Et à l’avenir

En conclusion, en plus d’avoir construit un discours politique stigmatisant le territoire, la fermeture de la centrale nucléaire laissera des traces économiques et sociales majeures. Cet exemple, malheureux, difficile et blessant, doit néanmoins servir afin d’éviter que d’autres territoires connaissent les mêmes erreurs d’appréciation et fautes de mise en œuvre.

De nouvelles fermetures interviendront nécessairement dans les décennies à venir. Mais leur rythme devra bien mieux respecter les territoires dans lesquels ces industries sont installées. L’État ne peut pas lui-même se comporter comme ce qu’il reproche à certaines entreprises privées.

De ce point de vue, la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) doit changer. Pour mieux respecter les territoires, mais aussi pour mieux anticiper l’évolution des besoins français et européens en matière d’énergie. Alors que la terre entière est en train de traverser une crise énergétique sans précédent, la France ne peut pas continuer à tirer sur son principal atout. Le nucléaire est une technologie propre à la France en Europe. Ne laissons pas l’Union européenne nous obliger à nous séparer de cet atout majeur et de cette assurance que nous fournissons à toute l’Europe. Notre indépendance énergétique sera de plus en plus précieuse dans les mois et les années qui s’ouvrent.

Enfin, nous devons sortir du dogme imposé par le ministère de la transition écologique. Non, les besoins en électricité ne diminueront pas dans les années qui viennent. Le parti pris de la stabilité de la demande électrique dans la PPE est de moins en moins tenable. Le monde nous l’indique chaque jour davantage.

Dans cette perspective, la priorité doit être de ne plus jamais fermer de site nucléaire complet. Pour ce faire, il nous faut engager, aussi vite que possible, une politique de renouvellement du parc électronucléaire français. Pour chaque capacité construite, nous pourrons alors stopper une capacité ancienne. Mais nous ne pouvons plus nous désarmer.

Finalement, avant même l’arrêt des réacteurs de Fessenheim, ce dossier a déjà été un exemple de processus de reconversion pour les territoires de centrales à charbon. Ils ont bénéficié d’un accompagnement financier de l’État plus important qu’à Fessenheim et sans les erreurs commises par le Gouvernement en Alsace. Ces reconversions sont contemporaines à celle de Fessenheim. C’est encore plus difficile à comprendre pour le territoire. C’est une blessure de plus, infligée par ce Gouvernement.

 

 

 



   INTRODUCTION de M. Vincent Thiébaut, rapporteur

La mission d’information sur le suivi de la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim est l’initiative du président, M. Raphaël Schellenberger, et a commencé ses travaux en février 2020. Elle devait se terminer en fin d’année 2020 mais en raison de la crise sanitaire de la Covid-19, elle a été prolongée jusqu’en septembre 2021. Je tiens à remercier la présidente et le Bureau de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire qui nous ont octroyé le temps supplémentaire nécessaire pour finaliser nos travaux.

En premier lieu, je tiens à saluer l’esprit de coopération et de bonne entente dans lequel se sont tenus les travaux de la mission, avec le président et les différents membres de la mission en dépit des divergences d’opinion politique et de point de vue.

Ceci malgré un contexte contraint en raison de la crise sanitaire, ce qui a nécessité d’adapter l’organisation de la mission et des auditions et de limiter les déplacements initialement prévus.

Je tiens particulièrement à remercier les équipes de direction et les salariés d’EDF des sites de Fessenheim et de Chooz pour la qualité de leur accueil lors de nos visites malgré les contraintes inhérentes à la situation sanitaire. Lors de notre déplacement sur le site de Fessenheim, qui a eu lieu quelques jours avant l’arrêt du deuxième réacteur, l’émotion et le contexte social ne nous ont pas permis de visiter la centrale, ce qui est compréhensible. Au vu du contexte, l’équipe de direction de la centrale a su nous recevoir le mieux possible et a su s’adapter pour nous permettre d’appréhender la situation de la centrale avant l’arrêt définitif. Je tiens à saluer l’ensemble des salariés du site, qui dans ce contexte social et sanitaire ont su faire preuve de responsabilité et de professionnalisme, comme durant les quarante-trois années de fonctionnement de la centrale.

Je tiens aussi à saluer les services préfectoraux du département du Haut-Rhin qui nous ont permis de réaliser les auditions des acteurs locaux lors de notre déplacement, à la préfecture de Colmar.

La mission d’information s’est déroulée dans un contexte où la transition énergétique est au cœur des préoccupations des politiques publiques pour répondre aux enjeux climatiques et écologiques.

Cela nécessite de réduire notre dépendance aux énergies fossiles tout en répondant, notamment, à l’objectif de réduction de notre dépendance nucléaire par la diversification du mix électrique pour atteindre 50 % de la production en 2035, objectifs confirmés dans la loi « énergie-climat » qui a été adoptée en décembre 2019.

À l’heure où j’ai l’honneur de vous présenter le rapport sur les travaux de la mission, la conjoncture mondiale de reprise économique, qui fait suite à la crise sanitaire de la Covid, provoque des hausses conséquentes du prix des énergies fossiles, qui impactent notre économie ainsi que le pouvoir d’achat des Français et Françaises et confortent la nécessité de trouver un modèle qui permette d’assurer la souveraineté énergétique.

Cette situation a amené le Gouvernement à mettre en œuvre des mesures exceptionnelles pour amoindrir l’impact de ces hausses sur l’économie et le pouvoir d’achat des foyers français.

Dans ce contexte, la place de la production d’origine nucléaire, qui représente près de 75 % de notre production électrique est au cœur des débats avec de fortes divergences de point de vue sur le modèle énergétique français et sa capacité à répondre aux multiples enjeux auxquels nous devons faire face.

Certes le parc actuel de centrales nucléaires permet de répondre aux enjeux de décarbonation, de souveraineté et de maintenir une des tarifications les plus basses de l’électricité au niveau européen, mais cette forte prédominance du nucléaire dans notre modèle énergétique n’est pas exempte de questionnements, que ce soit sur les risques de sûreté et de sécurité, sur les enjeux écologiques et les impacts environnementaux, à moyen et long terme, ou sur les enjeux de continuité d’approvisionnement, comme nous avons pu le constater en octobre 2020 lorsque près de 50 % des réacteurs du parc étaient à l’arrêt en raison de la crise sanitaire, qui a retardé la réalisation de travaux de maintenance ou de mise en conformité. Cela a eu pour conséquence de décaler la mise à l’arrêt des centrales au charbon pour éviter une rupture d’approvisionnement électrique.

À cela se rajoute une situation de fragilité financière du groupe EDF qui peut fortement l’impacter dans sa capacité à maintenir et à développer ses outils de production.

Au même titre, le déploiement et l’accélération du déploiement des énergies renouvelables provoquent de multiples débats, que ce soit sur leur acceptabilité ou sur les moyens budgétaires pour soutenir leur déploiement.

Bien que l’ensemble de ces questions et sujets ne soient pas au cœur même de la mission d’information, il est difficile d’en faire abstraction ; il y a eu de nombreux rapports issus de différentes missions d’informations ou commissions d’enquête qui ont abordé ceux-ci.

J’ai d’ailleurs moi-même participé en tant que vice-président à la commission d’enquête sur l’impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables (EnR) et sur la transparence des financements et sur l’acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique. J’invite à consulter le rapport et les recommandations qui en sont issus.

Lors de la mission d’information, nous nous sommes avant tout attardés sur les conditions de fermeture de la centrale de Fessenheim, ses conséquences économiques et sociales pour le territoire, les enjeux environnementaux en termes de démantèlement et de traitement de déchets, l’impact sur les capacités d’approvisionnement électrique ainsi que sur la construction et la mise en œuvre du plan de revitalisation du territoire et le rôle de l’État, des collectivités territoriales et d’EDF.

En tant que rapporteur, j’ai souhaité identifier quels sont, au vu des objectifs fixés de réduction de la production électrique nucléaire et de la prévision d’arrêt futur de réacteurs, voire de centrales, les éventuels outils en termes de méthodologie, d’organisation territoriale et législatifs qu’il faut mettre en œuvre pour anticiper et accompagner les territoires, les acteurs ou la filière du nucléaire dans cette nouvelle ère qui s’ouvre.

Les travaux de la mission se sont articulés autour de quatre axes :

-         l’historique de la centrale de Fessenheim et de son contexte local ;

-         la construction et l’historique de la décision de fermeture de la centrale de Fessenheim ;

-         le projet de démantèlement de la centrale ;

-         la construction et le suivi du projet de revitalisation du territoire de Fessenheim.

Les travaux et auditions ont été riches et respectueux de la diversité des opinions exprimées par chaque personnalité auditionnée qui a pu librement exprimer ses points de vue et ceux-ci sont pour la plupart repris dans le rapport dans un souci d’objectivité, pour appréhender au mieux le contexte de la fermeture de la centrale de Fessenheim.

La fermeture de Fessenheim est, avant tout, le résultat d’une volonté politique, exprimée lors des élections présidentielles de 2012 par le Président de la République M. François Hollande, dans une période postérieure à la catastrophe de la centrale nucléaire de Fukushima de 2011. Cette fermeture fait également suite à la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte du 17 août 2015 qui a fixé une puissance limitée de production d’électricité d’origine « nucléaire ».

Le décret d’arrêt définitif des réacteurs de la centrale de Fessenheim a été promulgué en février 2020 ; à noter que le précédent décret de 2017 conditionnait l’arrêt des réacteurs de la centrale à la mise en service de la centrale EPR de Flamanville, qui à ce jour n’est toujours pas en service en raison des difficultés rencontrées par EDF et les sous-traitants.

La fermeture de la centrale de Fessenheim fait l’objet d’un plan d’accompagnement, de revitalisation et de transition territoriale mis en œuvre par l’État en concertation avec les collectivités territoriales. Ce plan a été réalisé sous la direction de M. Sébastien Lecornu en 2018, en tant que secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique à cette période.

Nous revenons plus en détail sur la construction de la décision et de la fermeture dans le rapport, mais je peux, d’ores et déjà, souligner qu’il est apparu assez rapidement lors de nos auditions que la publication de ces décrets n’était que l’aboutissement d’une procédure lancée lors de la précédente législature.

Nous abordons, ici, un des points cruciaux de ce rapport qui est celui de la perception de la décision de fermeture. On verra que la prise de conscience de la fermeture et de l’arrêt des réacteurs est différente en fonction des divers acteurs, notamment des collectivités territoriales, ce qui a amené à des faux « espoirs » et impacté la mise en œuvre du plan de revitalisation du territoire.

Il me semble nécessaire de mettre en exergue ce point et l’impérieuse nécessité d’anticiper les fermetures des réacteurs à venir, notamment pour que les acteurs locaux puissent évaluer les impacts sociaux et économiques et définir quels sont les moyens à mettre à œuvre pour accompagner et assurer la transition pour ces acteurs. Je souligne que le cas de la fermeture de la centrale de Fessenheim est particulier, et qu’il est difficile de pouvoir définir un « modèle » type.

Si la fermeture de la centrale de Fessenheim est la conséquence d’une décision politique, il me paraît important de rappeler qu’une fermeture peut, potentiellement, être liée à différents facteurs qui sont indépendants du politique.

En effet, l’autorisation d’exploitation d’une centrale est limitée à une durée de dix ans et soumise à l’accord de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), et la prolongation de celle-ci est soumise à validation après la réalisation d’un contrôle de l’ASN (dite « visite décennale ») qui doit valider la conformité de la centrale aux standards fixés par l’ASN du point de vue de la sûreté et de la sécurité. Il est à noter que ceux-ci ont été fortement réévalués pour la quatrième visite décennale suite à la catastrophe de Fukushima. Nous y reviendrons plus en détail dans le rapport.

Il est fort probable que les évolutions climatiques puissent impacter fortement l’exploitation et le fonctionnement d’une centrale nucléaire, notamment en raison de la disponibilité en quantité suffisante de la ressource en eau. En effet les phénomènes de sécheresse que nous connaissons peuvent engendrer une baisse de disponibilité de cette ressource en eau qui alimente les centrales et particulièrement celles qui sont basées sur la technologie d’eau pressurisée comme le centre nucléaire de production d’électricité (CNPE) de Fessenheim. Bien que marginaux pour l’instant, ces phénomènes pourraient impacter fortement, dans les années à venir, le bon fonctionnement des centrales nucléaires.

De plus le parc nucléaire français est vieillissant, et bien que les centrales fassent l’objet d’une stricte surveillance et de travaux de mise à niveau réguliers pour assurer la sûreté et la sécurité, notre connaissance de l’impact du vieillissement des matériaux et des équipements au-delà des quarante ans est encore empirique et pourrait avoir aussi des conséquences sur des décisions de fermetures anticipées. D’ailleurs l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) a souligné l’opportunité que constitue le démantèlement de la centrale de Fessenheim pour approfondir nos connaissances sur le phénomène de vieillissement des matériaux dans un environnement fortement radioactif. Ce sujet a été clairement souligné par le professeur Thierry de Larochelambert lors de son audition où il nous a fait part de ses travaux sur le vieillissement des matériaux.

Lors des auditions menées par la mission d’information, des interrogations et des doutes ont été émis sur la capacité de la centrale à passer positivement la quatrième visite décennale et donc à obtenir le renouvellement de l’autorisation d’exploitation. Les études préalables avaient été menées par EDF et la centrale a d’ailleurs fait l’objet de nombreux aménagements, notamment suite à la catastrophe de Fukushima de 2011, comme l’augmentation de l’épaisseur du radier à 1,50 mètre. La plupart des responsables d’EDF auditionnés ont estimé que la centrale était en mesure de répondre favorablement aux recommandations fixées pour la quatrième visite décennale. Toutefois, en l’absence d’études complètes, aucune confirmation certaine n’a été exprimée.

Le contexte international et le positionnement géographique de la centrale sont des éléments importants à prendre en compte dans le cadre de la décision de fermeture de la centrale de Fessenheim. En effet, celle-ci est située au bord du Rhin, face à l’Allemagne et proche également de la Suisse. D’ailleurs, ces deux pays voisins étaient partie prenante dans le capital de la centrale.

Le contexte politique allemand et en particulier le fait que le Land du
Bade-Wurtemberg a été dirigé par « Les Verts » allemands jusqu’en septembre 2021, ont certainement influé sur le choix et la décision de fermeture de la centrale de Fessenheim, notamment en raison de la décision allemande de « sortir » du nucléaire. Malheureusement, le contexte de la crise sanitaire ne nous a pas permis de nous déplacer en Allemagne et d’auditionner des responsables politiques et autres acteurs allemands.

La proximité avec l’Allemagne est également un facteur essentiel pour la revitalisation du territoire, du point de vue économique. Les collectivités allemandes sont d’ailleurs parties prenantes dans le plan de revitalisation, mais se font aussi entendre, notamment, dans le cadre du projet de réalisation du technocentre qui doit permettre de recycler une partie des métaux issus du démantèlement, si toutefois la réglementation française sur la gestion des déchets issus de centrales nucléaires évolue. Nous l’aborderons plus loin, dans le rapport.

Le démantèlement est un axe majeur de nos travaux, au cours desquels il a été largement abordé. En effet, dans la perspective des démantèlements futurs et compte tenu de l’importance du parc nucléaire français, il est nécessaire que la France se dote d’une filière industrielle d’excellence structurée et qu’elle saisisse l’opportunité d’être chef de file au niveau international. À noter que la création de cette filière d’excellence a été identifiée et prise en compte dans le plan de relance post-Covid par le Gouvernement.

Dans le présent rapport nous évaluerons également quel a été le développement économique sur le territoire de Fessenheim depuis la construction de la centrale, sachant que dès l’origine du projet une zone économique, qui à ce jour représente plus de 300 hectares, a été réservée pour le développement économique et l’implantation industrielle sur le territoire.

 Nous aborderons aussi les freins constatés dans le développement et la mise en œuvre du plan de revitalisation, malgré les moyens mis en œuvre par l’État sur le territoire et les différents partenaires.

C’est dans ce contexte et au vu de ces éléments que nous allons, à travers ce rapport, essayer de répondre à différentes interrogations :

Quel est l’historique et qu’est ce qui a déterminé le choix et la décision de fermer la centrale de Fessenheim ?

Quel a été le développement économique du territoire depuis la construction de la centrale ? Quels sont les impacts sociaux, économiques et fiscaux de sa fermeture pour le territoire ?

Quelles actions et mesures d’accompagnement ont été mises en place pour accompagner et reclasser les salariés de la centrale de Fessenheim et des sous-traitants ?

Quels sont les impacts et les risques pour l’approvisionnement énergétique pour le territoire alsacien et la France ?

Comment les collectivités territoriales ont-elles anticipé la fermeture de la centrale ?

Comment se sont construits le plan de revitalisation et la transition pour accompagner le territoire et les collectivités territoriales ? Où en sommes-nous dans leur mise en œuvre ?

Quels sont les leviers ou les freins règlementaires à lever pour permettre l’émergence d’une filière industrielle de démantèlement française ?

Quels sont les engagements pris par l’État en concertation avec les collectivités territoriales, et où en sommes-nous dans leur mise en œuvre ?

Quels enseignements peut-on tirer de la fermeture de la centrale de Fessenheim ? etc.

Autant de questions auxquelles nous allons tenter de répondre dans ce rapport, avec le plus d’objectivité possible, afin d’éclaircir la représentation nationale sur un dossier complexe qui s’inscrit dans un contexte économique et politique national et international particulier, et dans une situation de crise sanitaire mondiale qui nous a bouleversés dans nos convictions collectives et individuelles.

 


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   PREMIÈre partie :
La fermeture : inÉluctable mais longtemps incertaine, annoncÉe mais « chaotique »

 

I.   une installation remarquable et performante

A.   les spécificités du site et de l’installation

Le centre nucléaire de production d’électricité (CNPE) de Fessenheim est composé de deux réacteurs à eau pressurisée (REP) de 900 mégawatts (MW) chacun. Ils constituent l’installation nucléaire de base (INB) 75, située à la frontière avec l’Allemagne, en contrebas du Grand canal d’Alsace dont elle est séparée par une digue, à 23 kilomètres de Colmar, à 26 kilomètres de Mulhouse et à
30 kilomètres de la frontière avec la Suisse.

Sa construction s’est inscrite dans un tournant technologique pour l’industrie nucléaire française. La décision de construire la centrale à Fessenheim date de 1967. Le projet prévoyait quatre réacteurs ou « tranches » mais seuls deux ont finalement été installés. Initialement, les réacteurs devaient être conçus selon la technologie de première génération « uranium naturel graphite gaz » (UNGG) ; le Gouvernement a décidé en 1969 de construire la centrale de Fessenheim selon la technologie de deuxième génération, celle des réacteurs à eau pressurisée. Comme l’a souligné M. Étienne Dutheil, directeur de la production nucléaire d’EDF, lors de son audition, la centrale de Fessenheim a préfiguré la phase industrielle et de standardisation du programme nucléaire français, basée sur le déploiement d’un modèle de centrale apte à être dupliqué quelles que soient les particularités de chaque site d’implantation.

La construction a été réalisée sous licence ([2]) Westinghouse Electric, entreprise américaine maîtrisant la technologie de deuxième génération, et a débuté en 1971 pour préparer le site au bord du Grand canal d’Alsace. Un décret du 3 février 1972 a autorisé EDF à créer une centrale nucléaire comportant deux tranches à Fessenheim.

L’emplacement de la centrale nucléaire a été choisi au regard des besoins techniques de fonctionnement des réacteurs. Le Grand canal d’Alsace permet, d’une part, de fournir l’eau nécessaire aux circuits des réacteurs et, d’autre part, d’assurer l’approvisionnement de la centrale nucléaire en électricité, en cas de nécessité, grâce à la centrale hydroélectrique de Fessenheim mise en service en 1956 ([3]). Le président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), M. Bernard Doroszczuk, a souligné lors de son audition que la centrale de Fessenheim a bénéficié, de par son emplacement, d’un avantage important par rapport aux réacteurs du « palier 900 » construits ensuite : une redondance de son alimentation électrique externe grâce à sa connexion directe à la centrale hydroélectrique.

Le phénomène de fission a commencé en mars et en juin 1977 respectivement au sein du premier et du second réacteur. Le premier réacteur a été mis en service, c’est-à-dire couplé au réseau électrique, le 6 avril 1977 et le second le 6 octobre 1977. Deux arrêtés du 17 novembre 1977 portant autorisation de rejets d’effluents radioactifs gazeux et liquides de la centrale nucléaire de Fessenheim ont rendu la centrale pleinement opérationnelle. Dès lors, sa mise en service commercial a eu lieu le 1er janvier 1978.

Présentation sommaire du fonctionnement des réacteurs de Fessenheim

La centrale est dotée de deux réacteurs à eau pressurisée (REP), dits de palier CP0 (contrat programme zéro). Des assemblages de combustible (uranium enrichi) sont insérés dans le cœur de chaque réacteur, immergés dans une cuve remplie d’eau. Les cuves des deux réacteurs sont en acier et contiennent 60 tonnes de combustible. Une dalle de béton armé, le radier, constitue le socle sur lequel reposent les réacteurs. Le radier du réacteur 1 a été évoqué fréquemment lors des auditions de la mission d’information en raison de son épaisseur nettement inférieure aux radiers des autres centrales du parc (l’épaisseur était, avant son renforcement en 2013, d’un mètre cinquante contre trois à quatre mètres pour la majorité des autres centrales).

La réaction de fission en chaîne dégage de la chaleur qui est transmise à l’eau environnante. Cette eau dite « primaire » ne bout pas car elle est maintenue sous forte pression (155 bars). L’eau « primaire » circule en circuit fermé entre la cuve du réacteur et trois générateurs de vapeur (GV), complétés par un pressuriseur et trois pompes primaires. Dans les GV, l’eau primaire transmet sa chaleur à un second circuit d’eau dit « secondaire ». L’eau du circuit secondaire entre alors en ébullition car elle est soumise à une pression beaucoup plus faible (70 bars) que celle du circuit primaire.

La vapeur ainsi créée transite par un turboalternateur qui produit de l’électricité. En sortie de turboalternateur, la vapeur d’eau est condensée ; elle est refroidie par de l’eau du Grand canal d’Alsace, pompée puis restituée en partie au cours d’eau sans qu’elle soit entrée en contact avec l’eau du circuit secondaire. La centrale de Fessenheim ne nécessite donc pas de tour aéroréfrigérante. L’eau du circuit secondaire est ensuite réacheminée vers les GV pour un nouveau cycle.

Deux piscines servent au refroidissement et au stockage sur place du combustible usé des deux réacteurs avant son évacuation vers le centre de traitement du combustible nucléaire usé de La Hague.

Plusieurs entreprises ont participé au financement de la construction : EDF, la société allemande Energie Baden-Württemberg AG (EnBW) à hauteur de 17,5 % et un consortium suisse, Centrales nucléaires en participation (CNP), regroupant Alpiq, Axpo et BKW, à hauteur de 15 %. En tant qu’actionnaires, ces entreprises ont bénéficié d’une part de la production d’électricité égale à leur part du financement.

Le président de l’ASN a indiqué que la construction des deux réacteurs de Fessenheim a été réalisée en moins de sept ans, délai qui apparaît aujourd’hui relativement rapide en comparaison avec la construction d’autres centrales du même palier de puissance, dans des délais maîtrisés et sans aléa particulier sur le chantier qui aurait pu avoir un impact sur la gestion de la sûreté de l’installation par la suite.

Ce chantier a été présenté comme une réussite pour l’industrie nucléaire française dans un contexte où l’énergie de l’atome était devenue la meilleure option pour atteindre l’objectif d’indépendance énergétique de la France. Dans les années qui ont suivi la construction de cette centrale, le nombre de réacteurs de deuxième génération s’est multiplié, notamment après la crise pétrolière de 1974. La construction en série a débuté avec le lancement simultané des chantiers de construction sur les sites du Tricastin, de Gravelines et de Dampierre. La centrale de Fessenheim s’est donc inscrite dans un contexte industriel et technologique porteur et comme un fleuron des réacteurs de deuxième génération.

Le parc du palier 900 MW s’est développé jusqu’à compter
34 réacteurs en France, tous exploités par EDF : les six réacteurs du contrat programme zéro ou CP0 (les deux réacteurs de Fessenheim et les quatre réacteurs de la centrale du Bugey), dix-huit réacteurs dans le cadre du CP1 lancé en 1974 répartis sur les centrales de Blayais, Gravelines, Tricastin et Dampierre et dix réacteurs dans le cadre du CP2 engagé en 1976 (centrales de Chinon, Cruas et Saint-Laurent-des-Eaux). Le réacteur le plus récent de ce palier est la tranche B4 de la centrale de Chinon, mise en service en 1987. D’autres REP, d’une puissance supérieure, ont été construits par la suite pour constituer le palier 1 300 MW (vingt réacteurs) et le palier 1 450 MW (quatre réacteurs). La centrale de Fessenheim a ainsi été, selon les termes du président-directeur général d’EDF lors de son audition, « la première d’une longue série ». 

Tout au long de la période d’exploitation de la centrale de Fessenheim, EDF a procédé à d’importants investissements pour maintenir son niveau de performance et renforcer sa sûreté, notamment pour remplacer les trois générateurs de vapeur (GV) du réacteur n° 1 en 2002 et les trois générateurs de vapeur du réacteur n° 2 en 2011-2012. La centrale dont les réacteurs ont été définitivement arrêtés en 2020 n’est donc pas la même que celle qui a démarré son activité en 1977, compte tenu des modifications matérielles, des remplacements d’équipements et des modifications des procédures d’exploitation qui ont eu lieu. Outre les GV, le programme de remplacement d’équipements a concerné notamment les alternateurs, les transformateurs et les échangeurs de chaleur.

Sur l’ensemble de sa durée d’exploitation, la centrale de Fessenheim a produit 448 milliards de kWh, donc plus de 10 TWh par an en moyenne, dépassant 12 TWh certaines années, et notamment au cours de sa dernière année complète d’exploitation avec une production de 12,3 TWh en 2019 : son niveau de performance ne s’est pas réduit avec le temps. En regard de cette production moyenne, on peut noter qu’en 2018, la consommation d’électricité en Alsace a représenté 14 TWh. EDF a indiqué à la mission d’information que la production n’a été inférieure à 8 TWh qu’au cours de quatre années d’exploitation et que les performances globales de cette centrale ont été du même ordre de grandeur que celles des autres centrales du palier 900. Les responsables d’EDF et les représentants des personnels auditionnés ont tous fait part de leur fierté, fort justifiée, quant aux résultats de la centrale.

Dès le début de sa construction, la centrale a fait l’objet de controverses, d’une couverture médiatique intense et de contestations soutenues, qui se sont poursuivies de manière récurrente jusqu’à l’arrêt définitif des deux réacteurs en 2020. Des manifestations ont été organisées et ont mobilisé des militants allemands et suisses compte tenu de la localisation de la centrale et de son incidence transfrontalière. En 1975, deux explosions se sont produites sur le chantier sans faire de blessés.

Le maire d’Ensisheim et président de la commission locale d’information et de surveillance (CLIS) de la centrale de Fessenheim, M. Michel Habig, a indiqué à la mission d’information que l’opposition à la construction de la centrale n’a pas seulement été le fait de militants opposés au nucléaire mais aussi, du moins au début, d’agriculteurs en raison de l’implantation de lignes électriques à haute tension. Le président de l’association Stop Fessenheim, M. André Hatz, a rappelé que, alors que le projet portait initialement création de quatre réacteurs, le large mouvement de contestation – dans lequel le maire de Fessenheim de l’époque, Alain Weil, a joué un rôle important – a amené EDF à n’en installer que deux et, pour reprendre les termes employés par le président d’Alsace Nature, M. Daniel Reininger, « à cet endroit les opposants n’ont jamais levé le pied ». Cependant la centrale a rapidement « fait partie du paysage » pour la population, qui l’a, en très grande majorité, bien acceptée. Comme l’a rappelé le président de la CLIS, les habitants du territoire, dans un rayon d’une trentaine de kilomètres autour de la centrale, ont vu celle-ci comme une source de richesse et une source sûre d’approvisionnement en énergie en cas d’hivers rigoureux.

La création de la CLIS, une première en France (antérieure à la circulaire du 15 décembre 1981 prévoyant la création d’une commission locale d’information pour chaque centrale nucléaire), a contribué à une bonne information de la population, y compris à l’échelle transfrontalière : sa composition a inclus dès l’origine des acteurs allemands et suisses. M. Georges Walter, directeur de l’environnement et du cadre de vie du département du Haut-Rhin, a rappelé que cette création en 1976 à l’initiative du conseil général visait justement à assurer une surveillance et une information en réponse à l’important mouvement anti-nucléaire sur le territoire. La CLIS réunit 40 membres ayant voix délibérative et plusieurs membres avec voix consultative (dont des représentants de l’État, de l’ASN, d’EDF et de l’agence régionale de santé). Outre ses réunions d’information, la CLIS fait réaliser des expertises techniques et scientifiques indépendantes à la demande de ses membres, financées par le département du Haut-Rhin et l’ASN. M. Georges Walter a observé que ces expertises ont été nombreuses et ont notamment porté sur la résistance de la digue adjacente à la centrale et l’évaluation du risque de submersion de la centrale par l’eau du canal. Toutefois, le fonctionnement de la CLIS ne fait pas l’unanimité ; pour les associations de protection de l’environnement, cette commission d’information ne fonctionne qu’a minima et n’assure pas une transparence suffisante.

B.   une centrale intégrée dans un écosystème énergétique et économique

Comme l’a souligné M. Georges Walter lors de son audition par la mission d’information, avant 2011, le Rhin supérieur était l’espace le plus « nucléarisé » en Europe, avec 6 centrales allemandes, 5 centrales suisses et 2 centrales françaises formant un parc nucléaire d’une capacité totale de 12 300 MW.

1.   Le moteur de l’économie locale

Le fonctionnement de la centrale de Fessenheim a joué un rôle crucial dans l’économie et la vie du territoire, en particulier en tant qu’employeur et comme source d’emplois indirects, mais de ce fait le territoire s’est trouvé dans un état de « grande dépendance » à l’activité de la centrale, comme l’ont noté les représentants de la CFDT auditionnés par la mission d’information. Une centrale nucléaire est souvent – la déléguée générale de la Société française d’énergie nucléaire (SFEN) l’a rappelé pendant son audition – le moteur de l’économie de son territoire d’implantation, un créateur majeur, voire unique, d’emplois qualifiés et un contributeur essentiel à l’amélioration des infrastructures et des services. L’exemple du site du Tricastin, qui emploie plus de 4 000 salariés, l’illustre bien et la centrale de Fessenheim également : le territoire vit au rythme de la centrale. M. Claude Brender, maire de Fessenheim, a exposé combien la centrale avait placé la commune dans une situation de « mono-industrie, source quasiment unique de revenus », dans la mesure où un « effet centrale » négatif a pu dissuader d’autres activités et d’autres travailleurs de s’installer à proximité d’une installation nucléaire.

Le président de la communauté de communes Pays Rhin Brisach (dont est membre la commune de Fessenheim), M. Gérard Hug, a rappelé que ce territoire a connu une croissance économique marquée dans les années 1970, avec de nombreuses implantations d’entreprises, mais que depuis lors le mouvement d’implantation s’est tari et que le territoire a vécu « sur les entreprises existantes ». Du fait de leurs revenus salariaux plus élevés que la moyenne des salaires sur ce territoire, les personnels de la centrale nucléaire ont joué un rôle important pour l’activité des commerces et des entreprises locales, comme l’a souligné le président de la CLIS. EDF est un partenaire historique de ce territoire, tant par cette centrale que par les barrages hydroélectriques.

Le maire de Fessenheim a indiqué lors de son audition que la population de la commune est passée d’environ 900 habitants au début des années 1970 à plus de 2 000 habitants en 1980. La commune et les communes voisines ont accueilli des agents EDF et leurs familles et ont en conséquence procédé à des créations importantes d’équipements (équipements sportifs, crèche, médiathèque…) et de services pour ces nouveaux habitants, les recettes fiscales provenant de la centrale permettant de procéder à ces dépenses sans endettement. Des activités d’hébergement et de restauration sont apparues pour accueillir les personnels permanents et temporaires de la centrale (pendant les périodes d’arrêt des réacteurs pour travaux, qui durent entre plusieurs semaines et plusieurs mois, le personnel de la centrale a pu atteindre 2 000 personnes). Un tissu associatif s’est développé, ainsi qu’un tissu artisanal et commercial. La commune a été en mesure d’attirer des professionnels de santé, Fessenheim a acquis le statut de bourg-centre. M. Thierry Raymond, délégué central de la CGT, a décrit devant la mission d’information l’afflux de nouveaux travailleurs sur le territoire au moment de la construction de la centrale et a indiqué que les salariés ont trouvé domicile dans près de 130 communes différentes dans la région, dont 70 % sur le territoire de cinq communes.

La commune de Fessenheim a créé une zone d’activité industrielle (la ZI Koechlin) près de la centrale dans le but d’y implanter des entreprises sous-traitantes, même si peu sont effectivement venues s’y installer. Au niveau intercommunal, une autre zone d’activités a été créée, sur le territoire de la commune de Blodelsheim. Une pépinière d’entreprises a été inaugurée en 2006 et complétée par un « hôtel d’entreprises ».

2.   La production d’électricité en région Grand Est : situation en 2019

En 2019, le territoire de la région Grand Est était doté de 11 338 km de lignes électriques aériennes, 369 km de lignes souterraines et 260 postes électriques. C’est la région française qui compte le plus grand nombre de lignes d’interconnexion avec les pays voisins (douze lignes).

Avec 104,1 TWh, la production d’électricité est restée stable en 2019 (104,6 TWh en 2018). 36,4 TWh ont été produits dans le département de la Moselle, 19,5 TWh dans le département des Ardennes, 17,1 TWh dans le département de l’Aube et 16,2 TWh dans le département du Haut-Rhin.

La capacité totale du parc de production d’électricité régional était de 22 430 MW (dont 12 580 MW pour la capacité du parc nucléaire) et représentait près de 17 % du parc national. En 2019, sa capacité a progressé de 1,3 %, soit 279 MW supplémentaires, grâce au développement continu des énergies renouvelables. En 2019 a été observée une baisse de 6 % des émissions de CO2, en grande partie due à la diminution de la production « charbon » de la région.

La production nucléaire était encore très largement prédominante (73,4 % de l’électricité produite dans la région) et la baisse de 5 % de la production nucléaire en 2019 a été compensée par l’augmentation de la production d’origine renouvelable et le recours aux centrales au gaz.

La production totale d’électricité de la région a représenté 19,4 % de la production nationale. La région Grand Est a été la seule région, en 2019, à n’avoir eu que des flux d’échanges exportateurs avec les régions et pays voisins.

Source : RTE, Bilan électrique 2019 en Grand Est.

La production d’électricité d’origine renouvelable (hydraulique, éolien, bioénergie et solaire) a couvert au total 38,2 % de la consommation dans la région en 2019 (32,1 % en 2018).

La consommation d’électricité du Grand Est (9,4 % de la consommation nationale) a été très largement couverte par la production régionale tout au long de l’année 2019 :

Source : RTE.

Parmi les 41,1 TWh d’électricité consommés dans la région en 2019, 7,9 TWh l’ont été dans le département du Bas-Rhin, 7,4 TWh l’ont été en Moselle, et 5,8 TWh dans le Haut-Rhin.

C.   un bilan globalement satisfaisant en termes de sûreté nucléaire

1.   La centrale a fait l’objet de trois réexamens décennaux de sûreté

La durée de fonctionnement des installations nucléaires de base n’est pas limitée a priori. En contrepartie, l’article L. 593-18 du code de l’environnement impose aux exploitants d’examiner en profondeur, tous les dix ans, la conformité de leurs installations aux référentiels applicables, de remédier aux éventuels écarts détectés, d’améliorer le niveau de sûreté et de réaliser un examen des effets du vieillissement sur les matériels. Toutes les INB présentes sur le territoire français sont assujetties à cette obligation légale. Le réexamen porte sur l’ensemble des risques et inconvénients que présente une installation : il ne porte donc pas seulement sur les risques d’accident mais également sur l’impact de l’installation sur l’environnement.

L’obligation pour l’exploitant de procéder tous les dix ans à un réexamen de sûreté de chaque installation nucléaire sous le contrôle de l’ASN (sans préjuger des enquêtes que peut mener à tout moment l’ASN sur la sûreté d’une installation) a été introduite par le législateur dans la loi du 13 juin 2006 ([4]).

Lors de son audition par la mission d’information, le président de l’ASN a présenté les objectifs et la méthode des réexamens périodiques de sûreté. Tout réexamen périodique de sûreté comprend, d’une part, une vérification de la conformité des installations au référentiel de sûreté en vigueur et, d’autre part, une réévaluation de sûreté, c’est-à-dire un ensemble de mesures d’amélioration du niveau de sûreté en prenant en compte les meilleures pratiques internationales et en tenant compte notamment de l’état des installations, de l’expérience acquise au cours de l’exploitation, de l’évolution des connaissances et des règles applicables aux installations similaires. Chaque réexamen s’opère dans le cadre fixé par les articles L. 593-18 et L. 593-19 du code de l’environnement.

Chaque réexamen peut donc donner lieu à des travaux très importants dans des domaines où les exigences réglementaires et les techniques ont fortement évolué. Par exemple, dans le cadre du troisième réexamen décennal de la centrale de Fessenheim, un forage dans la nappe phréatique a été installé pour que la centrale bénéficie d’une source de refroidissement externe supplémentaire et indépendante de la source froide que constitue l’eau du Rhin. Le président de l’ASN a souligné que cet ajout a conféré à la centrale un avantage relatif, en termes de sûreté, par rapport aux autres centrales du même palier, qui, d’ailleurs, seront équipées à leur tour d’une source de refroidissement dans le cadre des travaux de modification menés par EDF, sur prescription de l’ASN, suite à l’accident de Fukushima.

Les réexamens sont menés de manière « homogène » par palier de réacteurs. Le niveau de sûreté atteint par les réacteurs d’un même palier à l’issue des travaux de modification dans le cadre d’un réexamen constitue le standard à maintenir jusqu’au prochain réexamen. En amont de chaque réexamen décennal d’un réacteur, l’ASN se prononce, après consultation éventuelle du groupe permanent d’experts pour la sûreté des réacteurs nucléaires (GPR), sur la liste des thèmes choisis pour faire l’objet d’études de réévaluation de sûreté et sur les objectifs associés, lors de la phase dite d’orientation du réexamen périodique.

À l’issue des études réalisées par l’exploitant sur chacun des thèmes retenus, des modifications permettant des améliorations de sûreté sont définies. Elles seront réalisées pendant la visite décennale du réacteur (VD), qui implique un arrêt long([5]). À l’issue de la visite décennale, l’exploitant adresse à l’ASN un rapport de conclusions. L’ASN communique au ministre en charge de la sûreté nucléaire son analyse du rapport et peut fixer à l’exploitant des prescriptions complémentaires.

Les résultats de chaque réexamen décennal conditionnent l’autorisation de poursuivre l’exploitation de chaque réacteur pour une durée maximale de dix années supplémentaires.

Pour déterminer le calendrier des visites décennales des réacteurs, EDF doit tenir compte des échéances de réalisation des épreuves hydrauliques fixées par la réglementation des équipements sous pression nucléaires.

L’examen décennal de conformité ne dispense pas l’exploitant de son obligation de garantir en permanence la conformité de ses installations. Celle-ci est régulièrement contrôlée par l’ASN au travers des inspections qu’elle diligente sur les sites. L’ASN a ainsi procédé à 21 inspections, dont 10 inopinées, sur le site de Fessenheim en 2019 et à 15 inspections en 2020, dont 7 inopinées ([6]).

Les deux réacteurs de Fessenheim ont été arrêtés pour contrôle une première fois en 1979, dix-huit mois après la mise en service. À partir de 1989 ont été réalisés des réexamens approfondis : en 1989, 1999 et 2009 pour le réacteur n° 1, en 1990, 2000 et 2010 pour le réacteur n° 2. Le premier réexamen approfondi n’a donc pas eu lieu dix ans après le démarrage des réacteurs en 1977 mais douze ans après. C’est pourquoi la centrale a fonctionné pendant plus de quarante ans (1977-2020) sans avoir fait l’objet d’une quatrième VD, l’échéance de celle-ci ayant été fixée, pour le réacteur n° 1, à septembre 2020 par l’ASN à l’issue de la troisième VD.

2.   Les incidents pendant l’exploitation

L’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) dispose de bases de données des événements déclarés par l’ensemble des exploitants nucléaires depuis 1973 (plus de 30 000 y sont recensés pour l’ensemble des réacteurs de puissance d’EDF). 1 122 « événements significatifs de sûreté » (ESS) y sont recensés pour la centrale de Fessenheim depuis la création de l’échelle INES (International Nuclear Event Scale) par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) en 1991. Cette échelle va de 0 (écart) à 7 (accident majeur) ([7]). En France, plusieurs centaines d’évènements déclarés chaque année sont classées au niveau 0 car ils n’ont aucune conséquence du point de vue de la sûreté mais constituent des écarts par rapport au fonctionnement normal de l’installation, à l’utilisation normale des sources radioactives ou au déroulement normal des transports ([8]). À Fessenheim, le nombre d’évènements déclarés de niveau 0 a varié entre dix et quarante par an.

Lors de son audition, le directeur général de l’IRSN, M. Jean-Christophe Niel, a indiqué que sur les huit incidents de niveau 2 déclarés pour la centrale de Fessenheim, un seul était spécifique à cette centrale puisqu’il n’a pas été constaté sur d’autres REP du parc : l’incident du 13 septembre 1991 sur la soudure d’une soupape de protection du réacteur n° 1. Les incidents de niveau 2 ont été définis par le président de l’ASN devant la mission d’information comme des incidents assortis de défaillances importantes des dispositifs de sûreté mais sans perte des « lignes de défense » et sans rejets à l’extérieur de l’installation. L’incident de niveau 2 le plus récent à Fessenheim date d’octobre 2017 et concernait à la fois les deux réacteurs de Fessenheim et deux des quatre réacteurs du Bugey ([9]).

Il ne s’est produit à Fessenheim aucun évènement déclaré classé à un niveau supérieur à 2.

évènements de sûreté déclarés pour la centrale de fessenheim

  Échelle INES

Niveau 0

(écart)

Niveau 1 (anomalie)

Niveau 2

(incident)

Nombre d’événements déclarés*

 

(entre parenthèses : nombre de ces évènements qui ont affecté non seulement la centrale de Fessenheim mais aussi d’autres REP du parc, voire tous les REP du parc)

963

 

(dont 172)

151

 

(dont 42)

8

 

(dont 7)

* Il peut s’agir d’événements génériques à un palier ou à tous les réacteurs du parc (défaut sur un matériel…) – cf. nombre entre parenthèses.

Source : ASN et IRSN.

L’IRSN a indiqué à la mission d’information qu’il ressort d’une analyse globale des évènements déclarés par EDF pour les réacteurs de puissance que le nombre d’incidents survenus à la centrale de Fessenheim est similaire à celui des autres sites et que « les résultats de la centrale de Fessenheim en termes de rigueur d’exploitation étaient considérés comme satisfaisants ces dernières années » ([10]).

Le président de l’ASN a signalé que la qualité et la rigueur d’exploitation de la centrale ont connu un point bas en 2003, avec une moindre transparence et une tendance à sous-déclarer les évènements impactant sur la sûreté. Dans un contexte d’attention accrue de l’ASN et sous la pression de l’opinion publique locale et transfrontalière, l’exploitant a réagi efficacement : dans ses réponses écrites adressées à la mission d’information, EDF reconnaît l’existence d’« une période difficile entre 2005 et 2008 durant laquelle le niveau de rigueur en exploitation s’était dégradé », mais indique qu’un plan d’exploitation rigoureux a été engagé en 2007 et a porté ses fruits dès 2009 en termes d’amélioration de la sûreté et que, qu’il s’agisse du nombre d’ESS déclarés ou de leur importance, la centrale de Fessenheim ne se distingue pas des autres centrales du parc.

Il convient de noter que le niveau de sûreté d’une installation nucléaire ne peut s’apprécier uniquement à partir du nombre d’ESS déclarés ; comme l’a rappelé M. Étienne Dutheil, directeur de la production nucléaire d’EDF, au niveau mondial, les centrales qui déclarent le moins d’ESS ne sont pas nécessairement les plus sûres et, en France, la déclaration des ESS par les exploitants, même lorsque ces évènements n’ont aucun impact sur la santé ni sur l’environnement, fait partie du processus d’amélioration continue de cette industrie, tout comme les travaux d’amélioration de la sûreté liés aux visites décennales.

La mission d’information constate donc qu’en 2012, lorsqu’a été annoncé que la centrale de Fessenheim allait fermer, le niveau de sûreté était bon, que l’IRSN et l’ASN n’avaient identifié aucun motif appelant un arrêt immédiat et que la situation est demeurée satisfaisante jusqu’à l’arrêt définitif des réacteurs.

3.   Des inquiétudes persistantes exprimées par plusieurs acteurs, mais une appréciation globalement positive de l’ASN

a.   Des perceptions contrastées

L’ensemble des associations de protection de l’environnement auditionnées ont affirmé que des motifs de sûreté, et pas seulement des choix nationaux de politique énergétique, justifient l’arrêt définitif des réacteurs de Fessenheim. La construction d’une centrale nucléaire juste au-dessus d’une nappe phréatique, en contrebas d’un canal de grand gabarit (comme pour la centrale de Tricastin) et dans une zone où le risque sismique est avéré – ce qui implique un risque de submersion – a fondé la mobilisation des opposants à cette centrale, qui contestent l’appréciation faite de ces risques par EDF, par l’ASN et l’IRSN et indirectement par l’État, notamment pour le risque sismique (voir encadré ci-dessous).

Une réévaluation du risque sismique par un bureau d’études suisse contestée par l’IRSN

En 2007, les autorités de deux cantons suisses ont mandaté le bureau d’études Résonance pour expertiser l’aléa sismique dans le fossé rhénan supérieur et évaluer si la sûreté de la centrale de Fessenheim au regard du risque sismique correspondait à l’état actuel des connaissances scientifiques et techniques. Le rapport d’expertise remis en septembre 2007 ([11]) indique que « l’aléa sismique pris en compte lors du dimensionnement de la centrale nucléaire de Fessenheim semble avoir été sous-évalué à l’époque » de sa construction, affirme que « la réévaluation de l’aléa sismique, telle que proposée, jusqu’à présent, par EDF en vue de la 3ème visite décennale de la centrale, prévue à partir de 2009, mène à une sous-estimation prononcée de l’aléa et n’est donc pas acceptable » et appelle EDF et l’IRSN à procéder le plus rapidement possible à un contrôle approfondi de la résistance sismique de la centrale après avoir réalisé une révision de l’aléa sismique en tenant compte de l’actualisation des connaissances scientifiques depuis l’état des connaissances au moment de la construction de la centrale dans les années 1970.

EDF et l’IRSN ont redéfini en 2002 l’aléa sismique pour plusieurs centrales nucléaires, en particulier pour celle de Fessenheim (la méthode utilisée antérieurement datait de 1981), en considérant que la distance entre la centrale nucléaire et la zone sismotechnique où se situait l’épicentre du séisme de Bâle de 1356 permettait d’exclure qu’un séisme analogue puisse se produire dans les alentours immédiats de Fessenheim. Résonance note une divergence de méthode entre EDF et l’IRSN, celui-ci ne faisant pas du séisme de Bâle l’unique référence historique pertinente mais préconisant d’intégrer également dans la méthode des séismes « locaux », dont l’épicentre est situé plus près du site, voire même directement à l’aplomb de la centrale. L’IRSN considère qu’il faut inclure dans l’évaluation du risque sismique le séisme de Kaiserstuhl de 1926.

Le bureau d’études reconnaît que la magnitude du séisme de Bâle fait l’objet d’estimations variables selon les études (6,2 selon le Bureau de recherches géologiques et minières, entre 6,7 et 7,1 selon une étude suisse de 2004, 6,6 selon une étude allemande de 2006…) mais estime que l’appréciation portée par les autorités françaises sur la distance « se situe du côté optimiste des valeurs évoquées par les différents experts » et affirme qu’« il est clair que si la centrale nucléaire était à reconstruire aujourd’hui, elle devrait être dimensionnée pour un séisme sensiblement plus fort par rapport au séisme de dimensionnement de l’époque. Néanmoins, cela ne signifie pas forcément que la sûreté sismique de la centrale actuelle est réellement insuffisante. Seul un contrôle approfondi des bâtiments et des installations permettrait de répondre à ce point ».

L’étude de Résonance met en doute la pertinence de la méthode française pour déterminer l’aléa sismique pour un site nucléaire donné mais reconnaît qu’en matière de détermination de l’aléa sismique du site considéré, « les incertitudes des connaissances sont particulièrement grandes dans ce domaine » et ne présente pas sa propre évaluation de l’aléa sismique.

Résonance ayant transmis son rapport à l’IRSN, celui-ci en a fait une analyse, publiée en novembre 2008, et conteste plusieurs de ses conclusions ([12]). L’IRSN admet que l’actualisation des connaissances scientifiques au début des années 2000 amène à revoir à la hausse la magnitude du séisme de Bâle (que l’IRSN situe depuis 2008 à 6,8 contre 6,1 selon EDF). En revanche, l’IRSN conteste la conclusion de Résonance selon laquelle il a surestimé la distance entre la centrale et la zone de survenance de ce séisme historique.

L’IRSN rappelle dans son avis de 2008 qu’en France, l’évaluation de l’aléa sismique pour toute centrale nucléaire est périodiquement revue à l’occasion des études effectuées en préparation des visites décennales, ce qui permet, le cas échéant, de prendre en compte les éléments nouveaux apparus depuis l’examen précédent dans le domaine des connaissances scientifiques. Les conclusions de ces études peuvent conduire à des modifications des installations, par exemple, dans le cas du risque sismique, à des travaux de renforcement. C’est le cas pour la centrale de Fessenheim, des travaux conséquents devant être effectués à partir de 2009.

Les organisations non gouvernementales (ONG), notamment la représentante du réseau Sortir du Nucléaire, ont aussi fait valoir l’existence de malfaçons et d’anomalies dans plusieurs équipements de la centrale, qui ont été constatées et jugées non dangereuses ([13]) mais qui pourraient être susceptibles de dégrader les marges de sécurité au fur et à mesure que les effets du vieillissement des matériaux s’accentuent, et d’accroître la vulnérabilité de la centrale à des risques qui n’existaient pas ou n’étaient pas pris en considération de la même façon qu’aujourd’hui à l’époque où la décision de construction a été prise.

Mme Alix Mazounie (Greenpeace France) a reconnu que l’ASN avait trouvé la centrale de Fessenheim satisfaisante en termes de sûreté au cours de ses dernières années de fonctionnement, mais a souligné que c’est au regard des exigences de sûreté applicables pour le troisième réexamen décennal que l’ASN s’est prononcée, alors que ces exigences seront forcément rehaussées de manière significative dans la perspective des quatrièmes VD des réacteurs du palier 900 en exploitation ([14]), dans lesquelles la centrale de Fessenheim, du fait de sa fermeture, ne sera pas incluse.

b.   Les analyses de l’ASN pour 2019-2020

L’ASN établit et publie chaque année un rapport sur l’état de la sûreté nucléaire et de la radioprotection en France. Dans son rapport relatif à l’année 2019, l’ASN a considéré que « la performance de la centrale nucléaire de Fessenheim reste à un niveau satisfaisant en matière de sûreté nucléaire, tant au plan de l’exploitation des réacteurs que de la mise en œuvre des programmes de maintenance des installations ; l’installation se situe favorablement par rapport à la moyenne nationale dans les domaines de la sûreté et de l’environnement, et dans la moyenne dans le domaine de la radioprotection » ([15]).

Le bilan 2019 n’est pas parfait : l’ASN précise qu’« après une bonne année 2018, l’exploitation en 2019 a fait apparaître quelques évènements en lien avec la fiabilisation des interventions et des opérations de conduite, mais sans remettre en cause le jugement globalement positif » de l’autorité.

Dans la perspective de l’arrêt définitif des réacteurs et de la préparation du démantèlement, l’ASN a mené une inspection sur site en novembre 2019, dont elle fait état dans son rapport. Elle indique avoir constaté « l’avancement insuffisant des études techniques à ce stade du projet de démantèlement » mais a salué « le maintien à un niveau très satisfaisant de l’implication du personnel » et l’« excellent niveau » de la gestion des enjeux organisationnels et humains.

Dans son rapport portant sur l’année 2020 ([16]), l’ASN constate que la fin de l’activité de production du site de Fessenheim « s’est faite avec un niveau de performance très satisfaisant en matière de sûreté, en ligne avec les bons résultats obtenus par le site depuis plusieurs années ». Techniquement, l’arrêt définitif des réacteurs s’est déroulé selon les mêmes procédures que pour un arrêt temporaire. L’ASN a salué de nouveau « la forte volonté de la direction et des agents du site de maintenir une rigueur d’exploitation exemplaire jusqu’à l’arrêt définitif des réacteurs », qui contribue à expliquer les performances en matière de sûreté. Lors de son audition, le président de l’ASN a déclaré qu’au moment de la mise à l’arrêt définitif, le niveau de sûreté des deux réacteurs ne différait pas significativement de celui de l’ensemble des autres réacteurs du palier 900.

En revanche, une fois les réacteurs arrêtés, l’ASN a constaté, à partir de septembre 2020, « une augmentation passagère des évènements significatifs présentant une composante de "facteurs organisationnels et humainsʺ inhabituelle, possiblement liée à la perturbation des pratiques organisationnelles et managériales » due aux départs en cours dans les différents services et à la modification du dimensionnement des équipes de conduite. L’autorité a souligné que l’activité sur le site se démarque désormais des opérations récurrentes habituelles d’exploitation et de maintenance et qu’il convient donc d’adapter les pratiques d’analyse des risques à cette nouvelle activité.


II.   Huit années de confusion, entre déni et certitudes (2012-2020)

« Traumatisme », « assassinat politique », « aberration », « sidération », « injustice », les termes employés par les acteurs du territoire auditionnés ont été très forts, traduisant la colère, l’incompréhension, la difficulté profonde de surmonter la disparition de l’activité industrielle majeure du territoire. Cette colère et cette incompréhension ont amené les personnels de la centrale à refuser à la mission d’information l’accès au site. Dans son rapport de février 2020 relatif à l’arrêt et au démantèlement des installations nucléaires ([17]), la Cour des comptes a qualifié la fermeture de la centrale de Fessenheim de « chaotique », résultat d’un « processus décisionnel mal maîtrisé » et d’« une confusion entretenue des responsabilités » malgré une volonté politique affirmée depuis 2012. La mission d’information a constaté, au fil de ses auditions, qu’il n’existe pas deux acteurs ayant perçu et présenté le même déroulement du processus qui a abouti à l’arrêt définitif de la centrale. La chronologie s’établit aisément a posteriori, mais sa compréhension et son interprétation ont varié considérablement en fonction du degré d’acceptation de la décision de fermeture.

A.   repÈres chronologiques

4 juillet 2011 : à l’issue du troisième réexamen décennal de sûreté du réacteur n° 1 de la centrale de Fessenheim, qui a pris fin en mars 2010, l’ASN autorise la poursuite de l’exploitation de ce réacteur pour dix années supplémentaires (donc jusqu’à quarante ans), à condition qu’EDF mette ce réacteur en conformité avec ses prescriptions, notamment pour renforcer le radier en béton. La date limite pour le prochain réexamen périodique est fixée à septembre 2020.

Novembre 2011 : pendant la campagne présidentielle, un accord entre le Parti Socialiste et Europe Écologie Les Verts prévoit l’« arrêt immédiat de Fessenheim ». M. François Hollande, dans la proposition n° 41 de son programme électoral, annonce qu’il entend fermer la centrale nucléaire de Fessenheim. Un lien est fait entre le démarrage de l’EPR de Flamanville et la fermeture de la centrale ([18]). Cette proposition s’inscrit dans le contexte de l’accident nucléaire de Fukushima de mars 2011.

14 septembre 2012 : lors de la Conférence environnementale, M. François Hollande, Président de la République, annonce la fermeture de la centrale de Fessenheim pour fin 2016.

11 décembre 2012 : le décret n° 2012-1384 institue un délégué interministériel à la fermeture de la centrale nucléaire et à la reconversion du site de Fessenheim. M. Francis Rol-Tanguy est nommé par décret du 13 décembre 2012 pour exercer cette fonction.

Le décret n° 2012-1384 du 11 décembre 2012 instituant un délégué interministériel à la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim et à la reconversion du site de Fessenheim charge ce délégué interministériel, placé auprès du ministre chargé de l’énergie :

– de négocier un protocole d’accord avec EDF sur les conditions de la fermeture et du démantèlement de Fessenheim qui doit préciser les conditions juridiques, techniques, économiques et sociales de la fermeture ; les conditions de démantèlement (rejets, état final du site, exutoire des déchets) ; les modalités d’accompagnement des salariés ; les modalités de participation d’EDF au devenir du bassin de vie et d’emploi de Fessenheim ;

– d’élaborer, en s’appuyant sur RTE, un plan permettant d’assurer l’équilibre du réseau local, national et transfrontalier ;

– d’animer les travaux d’élaboration d’une stratégie globale de reconversion du bassin de vie et d’emploi de Fessenheim (impact sur l’ensemble des activités économiques locales, ressources des collectivités, impact sur le bassin de vie, etc.).

La mission de délégué interministériel a été exercée successivement par MM. Francis Rol-Tanguy, Michaël Ohier, Jean-Michel Malerba, David Coste et, depuis juin 2021, par M. Yannick Mathieu, délégué interministériel à l’accompagnement des territoires en transition énergétique.

23 avril 2013 : l’ASN autorise, à l’issue de la troisième visite décennale (qui s’est achevée en mars 2012), la poursuite de l’exploitation du réacteur n° 2 de la centrale de Fessenheim, sous réserve du respect des prescriptions de l’autorité. La date limite pour le quatrième réexamen est fixée à août 2022.

21 janvier 2014 : l’ASN prescrit à EDF des mesures de renforcement de la robustesse des installations de la centrale.

17 août 2015 : la loi n° 2015-992 relative à la transition énergétique pour la croissance verte (LTECV) institue un plafond de puissance des réacteurs électronucléaires à 63,2 GW (article L. 311-5-5 du code de l’énergie ([19])). Cette loi ne vise ni dans son dispositif, ni dans l’exposé des motifs, la centrale nucléaire de Fessenheim. Toutefois, elle implique que la mise en service de l’EPR de Flamanville ne puisse pas intervenir sans fermeture préalable d’une installation produisant une puissance équivalente à celle du futur EPR. Le décret n° 2007-534 du 10 avril 2007 autorisant la création de l’EPR prévoyait une mise en service dans les dix ans, soit une échéance au 10 avril 2017.

Octobre 2015 : un courrier d’EDF à la ministre de l’écologie et du développement durable (cité par la Cour des comptes dans son rapport précité de février 2020) indique qu’EDF étudie l’hypothèse de la fermeture de la centrale de Fessenheim pour se conformer aux dispositions de la LTECV.

1er février 2017 : M. Emmanuel Macron, candidat à la Présidence de la République, déclare que le processus de fermeture de la centrale de Fessenheim doit être mené à son terme.

23 mars 2017 : le décret n° 2017-379 allonge à treize ans le délai pour la mise en service de l’EPR de Flamanville en raison de nombreux retards du chantier. L’échéance de mise en service de l’EPR devient donc le 10 avril 2020.

6 avril 2017 : le conseil d’administration d’EDF approuve une première version du projet de protocole d’indemnisation pour la fermeture de la centrale de Fessenheim et acte que cette fermeture est « irréversible et inéluctable » mais liée à la mise en service de l’EPR de Flamanville.

8 avril 2017 : le décret n° 2017-508 abroge l’autorisation d’exploiter la centrale de Fessenheim à la date notifiée par EDF pour la mise en service de l’EPR de Flamanville, à la condition que celui-ci soit mis en service et que ces dispositions soient nécessaires au bon respect du plafond de l’article L. 311-5-5 du code de l’énergie. Ce décret a été annulé par le Conseil d’État le 25 octobre 2018 (voir plus loin).

29 novembre 2017 : M. Sébastien Lecornu, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et solidaire, réunit les élus locaux et les préfets concernés par la fermeture de la centrale de Fessenheim et propose de constituer un comité de pilotage pour préparer un projet de redynamisation du territoire. La fermeture est alors prévue pour fin 2018 ou début 2019.

31 décembre 2017 : l’actionnaire suisse de la centrale de Fessenheim, le consortium CNP, met fin au contrat qui le liait à EDF.

19 janvier 2018 : le comité de pilotage pour la reconversion du territoire de Fessenheim (« Copil »), qui rassemble une quarantaine d’acteurs, tient sa première réunion, sous la présidence de M. Sébastien Lecornu, ministre chargé des collectivités territoriales.

13 avril 2018 : le Copil se réunit pour la deuxième fois ; présentation de l’appel d’offres « photovoltaïque » et annonce de la création d’une société d’économie mixte (SEM) franco-allemande.

31 mai 2018 : EDF prévient que la fermeture de la centrale de Fessenheim pourrait être repoussée à l’été 2019 devant la perspective d’un nouveau retard pour Flamanville ([20]).

6 juin 2018 : EDF informe l’ASN que la centrale de Fessenheim sera définitivement à l’arrêt à l’échéance de son quatrième réexamen décennal de sûreté, c’est-à-dire au plus tard en septembre 2020 pour le réacteur n° 1 et au plus tard en août 2022 pour le réacteur n° 2.

4 octobre 2018 : troisième réunion du comité de pilotage. M. François de Rugy, ministre de la transition écologique et solidaire, indique pour la première fois que le calendrier de fermeture de Fessenheim pourrait être indépendant de celui de l’EPR : « À une époque, on a dit qu’on fermerait Fessenheim quand on ouvrirait l’EPR de Flamanville. Aujourd’hui, on est obligé d’envisager de ne pas faire les deux opérations en même temps ». Il annonce que la centrale de Fessenheim fermera pendant le mandat du Président de la République M. Emmanuel Macron.

22 octobre 2018 : l’ASN annonce que les deux réacteurs de Fessenheim devront cesser de fonctionner au plus tard en 2020 et 2022 car les études et travaux nécessaires n’ont pas été engagés pour prolonger leur fonctionnement.

25 octobre 2018 : le Conseil d’État annule le décret n° 2017-508 du 8 avril 2017 en raison de l’incompétence de l’État pour prendre une décision unilatérale de fermeture ([21]) : « l’abrogation d’une autorisation d’exploiter une installation de production d’électricité ne peut intervenir que sur demande de son titulaire » (en l’occurrence EDF).

27 novembre 2018 : lors de sa présentation des orientations de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), le Président de la République annonce que l’arrêt définitif des deux réacteurs de Fessenheim aura lieu à l’été 2020 et que douze autres réacteurs nucléaires de 900 mégawatts seront arrêtés d’ici 2035.

1er janvier 2019 : une cellule d’accompagnement personnalisée (CAP) des salariés des entreprises prestataires du CNPE est créée par EDF, le groupement des industriels de la maintenance de l’Est (GIMEst), la chambre de commerce et d’industrie (CCI), la région Grand Est et l’État sur la base d’un accord signé par ces acteurs en janvier 2018.

1er février 2019 :

  signature du projet de reconversion du territoire (« Projet de territoire ») ;

     décret n° 2019-67 du 1er février 2019 modifiant les missions du délégué interministériel, qui devient « chargé de l’avenir du territoire de Fessenheim et des territoires d’implantation des centrales de production d’électricité à partir du charbon ».

19 février 2019 : l’ASN, sur la base du courrier d’EDF du 6 juin 2018, décide de dispenser EDF de l’obligation de mettre en œuvre plusieurs prescriptions techniques qu’elle avait édictées en 2012 suite au troisième réexamen décennal de sûreté.

4 avril 2019 : le conseil d’administration d’EDF approuve une nouvelle version du projet de protocole d’indemnisation, des modifications ayant été apportées à la demande de l’État.

20 septembre 2019 : le conseil d’administration d’EDF approuve le projet de protocole d’indemnisation.

26 septembre 2019 : quatrième réunion du comité de pilotage.

27 septembre 2019 : signature du protocole d’indemnisation par l’État et EDF. 

30 septembre 2019 : EDF adresse au ministère de la transition écologique et solidaire et à l’ASN la demande d’abrogation de l’autorisation d’exploitation de la centrale ainsi que la déclaration de mise à l’arrêt définitif des deux réacteurs. Le réacteur n° 1 fermera le 22 février 2020 et le réacteur n° 2 le 30 juin 2020. EDF communique à l’ASN un plan de démantèlement actualisé de la centrale, qui définit la stratégie générale de démantèlement de l’installation en précisant les grandes étapes des travaux, l’articulation entre elles, le planning général, les techniques utilisées, la nature et les quantités de déchets ainsi que l’état final visé.

Novembre 2019 : dans le cadre de l’instruction du plan de démantèlement, l’ASN procède à une inspection dans les services centraux d’EDF (du 4 au 7 novembre) et sur le site de Fessenheim (les 19 et 20 novembre).

20 décembre 2019 : l’ASN émet des observations critiques sur le plan de démantèlement présenté par EDF et demande des compléments d’information ainsi qu’une nouvelle mise à jour du plan au plus tard au 30 avril 2020.

20 janvier 2020 : actualisation du projet de programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) pour les périodes 2019-2023 et 2024-2028, confirmant l’échéance du premier semestre 2020 pour la fermeture de Fessenheim : « Les deux réacteurs de la centrale de Fessenheim seront fermés au premier semestre 2020 ». La version de 2019 annonçait « au printemps 2020 ».

18 février 2020 : le décret n° 2020-129 abroge l’autorisation d’exploiter la centrale nucléaire de Fessenheim.

22 février 2020 : fermeture du réacteur n° 1.

11 juin 2020 : transmission par EDF d’un nouveau plan de démantèlement actualisé à l’ASN.

29 juin 2020 : fermeture du réacteur n° 2. L’autorisation d’exploiter a expiré au 30 juin 2020 à 00h00.

B.   la non-préparation de la « vd4 »

1.   Le quatrième réexamen périodique des réacteurs de 900 MW

Les 34 réacteurs d’une puissance de 900 MW ont été mis en service entre 1977 et 1987. En excluant les deux réacteurs de Fessenheim (qui feront l’objet d’un réexamen périodique de sûreté spécifique suite à leur fermeture en 2020 mais pas de la quatrième VD d’exploitation), 32 réacteurs de 900 MW sont actuellement en fonctionnement en France dans huit centrales (Gravelines, Saint-Laurent-des-Eaux, Dampierre, Chinon, Bugey, Blayais, Curas et Tricastin).

En 2009, l’ASN avait donné un avis favorable sur la prolongation de l’exploitation des réacteurs du palier 900 au-delà de trente ans, au moins sur le principe, chaque prolongation nécessitant une décision de l’ASN pour constater l’aptitude de chaque réacteur à poursuivre son fonctionnement compte tenu de ses spécificités ([22]). Dans le cadre du troisième réexamen périodique de sûreté de ces centrales, les visites décennales (VD3) ont eu lieu entre 2009 (réacteur 1 de Tricastin) et 2018 (réacteur 6 de Gravelines).

Comme l’indique l’ASN ([23]), EDF a émis en 2009 le souhait de prolonger la durée de fonctionnement des réacteurs de son parc au-delà de quarante ans, alors que la durée de quarante ans était celle initialement envisagée par l’exploitant (durée de conception).

Avant de se prononcer sur cette prolongation, l’ASN a fait valoir que « dans les années à venir, les réacteurs actuels coexisteront avec des réacteurs de type EPR ou équivalent, dont la conception répond à des exigences de sûreté significativement renforcées » ([24]). La question de l’acceptation de la poursuite du fonctionnement des réacteurs au-delà de quarante ans, alors qu’il existe une technologie disponible plus sûre, se posait donc, d’autant que cette prolongation est dénoncée par plusieurs organisations environnementales, notamment Greenpeace, qui considèrent qu’il est particulièrement imprudent de l’autoriser compte tenu des effets mal connus du vieillissement des matériaux et de l’impossibilité de remplacer certains équipements dans une centrale ([25]).

Le professeur M. Thierry de Larochelambert, auditionné par la mission d’information, a présenté les connaissances scientifiques actuelles sur le vieillissement thermique des réacteurs nucléaires, ce vieillissement étant inévitable et parfaitement normal mais réduisant la résistance des matériaux aux chocs ainsi que la résistance à la propagation des fissures. Il a également exposé les effets du vieillissement dû à l’irradiation, qui crée progressivement des défauts dans l’acier des cuves de réacteur et en modifie la structure. Les études citées concluent à l’existence de risques significativement plus élevés au-delà de quarante ans de fonctionnement.

Mme Alix Mazounie, représentant Greenpeace France, a souligné que ces risques n’impliquent pas qu’un réacteur ne puisse plus fonctionner du jour au lendemain après quarante ans d’exploitation mais qu’au-delà de quarante ans, les effets du vieillissement sont de plus en plus difficiles à prévoir et à maîtriser, et les marges de sûreté se dégradent. Mme Charlotte Mijeon, représentant Sortir du Nucléaire, a également estimé que, au-delà de quarante ans d’exploitation et compte tenu des anomalies relevées sur certains équipements et qui peuvent contribuer à les fragiliser, « on entre dans une zone d’incertitude ».

La prolongation de l’exploitation au-delà de quarante ans nécessite une actualisation approfondie d’études de conception et des remplacements de matériels – du moins ceux qu’il est techniquement possible de remplacer. EDF doit démontrer sa maîtrise du vieillissement et de la gestion de l’obsolescence des équipements, et rehausser le niveau de sûreté de ces réacteurs, tant au niveau de leur fonctionnement qu’en termes de risques extérieurs.

Le quatrième réexamen poursuit trois objectifs principaux : renforcer la robustesse des installations face aux agressions (incendie, explosion, inondation, séisme, etc.), renforcer la sûreté des piscines d’entreposage du combustible et réduire les risques d’accident et leurs impacts. Ce réexamen est également l’occasion d’achever l’intégration des améliorations de sûreté issues des prescriptions édictées par l’ASN après l’accident de la centrale nucléaire de Fukushima.

Le processus de réexamen périodique associé aux quatrièmes visites décennales des installations nucléaires comportant des réacteurs de 900 MW (RP4‑900) se déroule en deux phases. La première, dite « générique », concerne l’ensemble de ces installations (compte tenu de leurs caractéristiques communes) et aura duré environ sept ans. La seconde phase consiste en un réexamen réacteur par réacteur et durera une dizaine d’années.

La phase générique a commencé en 2014 par la production, par EDF, du dossier d’orientations du réexamen (DOR) qui décrit les problématiques abordées pendant ce réexamen et les objectifs qu’EDF se fixe. L’instruction du DOR a été réalisée par l’ASN, assistée par l’IRSN, et l’ASN a rendu son avis en avril 2016. Cette prise de position de l’ASN sur les orientations génériques d’EDF s’est accompagnée d’une demande d’éléments complémentaires. La phase générique s’est poursuivie avec la présentation par EDF d’une note de réponse aux objectifs (NRO) présentant l’ensemble des réponses d’EDF aux demandes de l’ASN. La présentation de la NRO, en 2017, a permis d’engager la démarche de définition, au-delà des orientations générales, des modifications et des contrôles qui vont devoir être mis en œuvre.

Source : Synthèse de la note de réponse aux objectifs du 4ème réexamen périodique des centrales 900 MWe (EDF)

Le 31 mars 2020, l’IRSN a remis à l’ASN une synthèse des expertises qu’il a réalisées ([26]) pour la phase générique du RP4-900. On peut noter que, dans cette présentation, l’IRSN « considère que l’arrêt définitif des réacteurs de Fessenheim doit permettre la réalisation de certains essais ou de mener des expertises de composants prélevés pour vérifier l’absence de phénomènes de dégradation ou de vieillissement non prévus (par exemple des essais d’équipements électroniques en présence de fumée, de mesure de dégagement d’hydrogène sur des batteries vieillies, d’autres essais devant être définis par EDF) » et demande à EDF de « préciser les examens de matériaux, matériels ou équipements, voire essais spécifiques, à réaliser pour tirer des enseignements utiles pour l’expertise de la poursuite du fonctionnement du parc électronucléaire. Ces éléments devront être transmis au plus tard lors du dépôt de la demande de démantèlement des réacteurs de Fessenheim, afin que les opérations correspondantes puissent être prises en compte dans le processus de démantèlement. »

La démarche de définition des modifications et des contrôles a abouti à la décision de l’ASN du 23 février 2021 qui a clôturé la phase générique en édictant des prescriptions adressées à EDF ([27]).

Ensuite seulement ont commencé les réexamens de chaque réacteur concerné (visites décennales et analyses des résultats de ces visites), qui donneront lieu, pour chaque réacteur, à l’établissement d’un rapport de conclusions de réexamen (RCR). Ces rapports compléteront et actualiseront les éléments contenus dans la NRO, intégreront les spécificités de chaque site, feront le bilan des modifications réalisées et identifieront les dispositions qu’EDF envisage de prendre pour remédier, le cas échéant, aux anomalies constatées et pour améliorer la protection de la sécurité, de la santé, de la salubrité publique, de la nature et de l’environnement. Les RCR feront l’objet d’enquêtes publiques avant que l’ASN rende sa décision. À l’issue de chaque enquête publique, l’ASN établira des prescriptions pour encadrer le fonctionnement du réacteur jusqu’à son prochain réexamen.

Cette seconde phase a débuté en 2021, avec le réexamen du premier réacteur de la centrale du Tricastin, et devrait s’achever en 2031.

Les travaux d’amélioration qui seront prescrits à l’issue de ces visites décennales seront réalisés en deux temps. Une première série de travaux devra être réalisée immédiatement, par exemple s’il s’avère nécessaire d’épaissir le radier ou d’améliorer la sûreté des piscines. Les autres modifications seront étalées dans le temps, jusqu’à six ans après la fin du réexamen périodique de l’installation. Le projet de décision soumis à consultation publique sur la phase générique précise qu’EDF devra présenter au plus tard le 31 décembre de chaque année les actions mises en œuvre au cours de l’année passée pour respecter les prescriptions de travaux et leurs échéances. Le défi industriel est considérable, compte tenu du volume de travaux et du calendrier car à partir de 2026, des travaux devront également être menés sur les réacteurs de 1 300 MW pour leurs quatrièmes visites décennales.

Source : Synthèse de la note de réponse aux objectifs du 4ème réexamen périodique des centrales 900 MWe (EDF) http://www.hctisn.fr/IMG/pdf/EDF_Synthese_NRO_310818_cle872e4d.pdf

2.   Les études préalables n’ont pas été réalisées pour la centrale de Fessenheim, qui a ainsi été exclue de la préparation des VD4

Le troisième réexamen périodique du réacteur n° 1 de la centrale de Fessenheim s’est achevé en mars 2010, et celui du réacteur n° 2, en mars 2012. La date limite assignée par l’ASN pour réaliser le quatrième réexamen du réacteur n° 1 était fixée à septembre 2020 et à juin 2022 pour le réacteur n° 2. L’ASN a imposé une série de prescriptions à EDF par décision du 4 juillet 2011 à l’issue du troisième réexamen du réacteur n° 1, par décision du 26 juin 2012 suite aux évaluations menées après l’accident de Fukushima ([28]) et par décision du 23 avril 2013 à l’issue du troisième réexamen du réacteur n° 2. L’autorité a jugé les deux réacteurs aptes à être exploités pour une durée maximale de dix années supplémentaires, sous réserve du respect de ses prescriptions.

Le 6 juin 2018, EDF a demandé à l’ASN que la centrale de Fessenheim soit dispensée de respecter plusieurs de ces prescriptions, en faisant valoir que le fonctionnement des deux réacteurs n’irait pas au-delà de l’échéance fixée par l’ASN pour leur quatrième réexamen périodique. L’ASN a répondu favorablement à cette demande de dérogation en modifiant, le 19 février 2019, certaines prescriptions compte tenu de la perspective d’arrêt définitif des deux réacteurs. L’ASN a notamment supprimé la prescription, qu’elle avait édictée le 26 juin 2012, imposant la mise en place de moyens d’alimentation électrique supplémentaires (un groupe électrogène diesel d’ultime secours, ou « DUS »). Cette décision du 26 juin 2012 prescrivait à EDF de mettre en place ces DUS avant la fin de l’année 2018 ([29]). L’ASN a aussi modifié deux prescriptions qui encadraient les recharges de combustible nucléaire afin de permettre à EDF d’optimiser la constitution des derniers cœurs des deux réacteurs de la centrale pour limiter le nombre d’assemblages à évacuer après leur arrêt définitif.

S’agissant de la non-installation de DUS sur le site de Fessenheim, un courrier adressé par EDF à l’ASN le 26 juillet 2018 (publié sur le site internet de l’autorité) présentant l’état d’avancement des travaux de construction des DUS indique qu’EDF travaillait depuis 2015 sur l’installation de DUS pour 56 réacteurs – et non pas 58, ce qui implique que depuis 2015 au moins, EDF excluait de construire des DUS à Fessenheim. Lors de son audition, le président de l’ASN a considéré qu’EDF a fait « assez tôt le choix industriel de ne pas préparer » la centrale de Fessenheim à la poursuite de son exploitation au-delà de la date d’échéance du quatrième réexamen du réacteur n° 1 (2020) ; il a fait état d’échanges entre EDF et l’ASN remontant à 2016 montrant qu’EDF écartait l’éventualité de procéder à certains investissements importants en lien avec une poursuite de l’exploitation au-delà de quarante ans.

Lors de son audition, M. Jean-Bernard Levy, président-directeur général d’EDF, a indiqué qu’en 2009, lorsqu’EDF a lancé les études préparatoires en vue de la VD4 sur les réacteurs les plus anciens, le champ d’étude incluait évidemment la centrale de Fessenheim, mais que la désignation, en décembre 2012, d’un délégué interministériel explicitement chargé, par décret, d’une mission relative à la fermeture de cette centrale a conduit EDF à interrompre les travaux d’étude portant sur celle-ci. L’IRSN a indiqué à la mission d’information qu’EDF n’a donc pas transmis de dossier concernant les réacteurs de Fessenheim au regard des objectifs qui ont été fixés par l’ASN pour la VD4. Ces « orientations génériques du réexamen périodique associé aux quatrièmes visites décennales des réacteurs de 900 MWe d’EDF (VD4-900) » ont été adressées par l’ASN à EDF en avril 2016 ([30]), les quatrièmes visites décennales devant commencer en 2019.  

Comme indiqué par EDF dans les réponses écrites adressées à la mission d’information, « si EDF n’a pas engagé les investissements nécessaires pour prolonger les deux réacteurs de Fessenheim, c’est bien en raison d’abord des intentions affichées par l’État de fermer cette centrale » annoncées lors de la Conférence environnementale de septembre 2012, confirmées peu de temps après par un texte réglementaire (le décret de décembre 2012 créant la fonction ad hoc de délégué interministériel), puis par « les prises de parole répétées des responsables publics sur cette fermeture ».

On peut noter, comme l’a fait la Commission européenne dans sa décision d’autoriser le protocole d’indemnisation d’EDF par l’État (voir E. du III de la présente partie), que d’un strict point de vue budgétaire et à partir du moment où les négociations ont commencé entre l’État et EDF sur une indemnisation de l’exploitant pour la fermeture anticipée de la centrale, il n’était pas souhaitable que les investissements en vue de la VD4 soient effectués car cela aurait représenté des coûts supplémentaires à intégrer dans le calcul de l’indemnisation et qui auraient donc pu conduire à augmenter celle-ci ([31]).

La mission d’information a pris acte de la certitude, exprimée par les responsables d’EDF et par plusieurs représentants des personnels d’EDF lors de leurs auditions, que la centrale de Fessenheim aurait pu passer avec succès le quatrième réexamen périodique si celui-ci avait eu lieu car aucun problème rédhibitoire n’a été identifié au cours des premières études. Mais, comme l’a souligné le directeur général de l’IRSN, il est impossible d’affirmer que la centrale de Fessenheim aurait été autorisée à fonctionner au-delà de 2020 puisque ce prolongement aurait nécessité, d’une part, que la VD4 et les travaux afférents aient bien lieu et, d’autre part, que la centrale soit conforme aux exigences actualisées en matière de sûreté et de radioprotection. Une durée de fonctionnement de soixante ans, supposant l’issue positive du quatrième puis du cinquième réexamen décennal de sûreté, a été intégrée dans le calcul de l’indemnisation d’EDF par l’État malgré cette incertitude (voir le E. du II de la présente partie), EDF s’appuyant sur la durée d’exploitation autorisée aux États-Unis pour la centrale nucléaire de Beaver Valley.

La centrale nucléaire de Beaver Valley (États-Unis)

Les deux réacteurs à eau pressurisée de la centrale de Beaver Valley (Pennsylvanie) sont en exploitation commerciale depuis octobre 1976 (unité 1) et novembre 1987 (unité 2). Le démarrage de l’unité 1 a eu lieu après que les travaux de construction de la centrale de Fessenheim avaient commencé, mais la centrale de Beaver Valley est la centrale de référence en tant que « tête de série » des réacteurs à eau pressurisée du palier « 900 MW ».

L’autorisation actuelle de fonctionnement des réacteurs de Beaver Valley expirera, respectivement pour chacun d’eux, en janvier 2036 et en mai 2047 ; un allongement de vingt ans de la durée d’exploitation a en effet été accordé par l’autorité fédérale de régulation (la Nuclear Regulation Commission) en novembre 2009.

L’exploitant de la centrale, First Energy (désormais Energy Harbor suite à une restructuration), avait annoncé en mars 2018 qu’il désactiverait trois de ses centrales nucléaires d’ici 2021 pour cause de rentabilité insuffisante : Beaver Valley, Davis-Besse (Ohio) et Perry (Ohio).

Mais il est revenu sur ces décisions, en juillet 2019 pour les deux centrales de l’Ohio et en mars 2020 pour la centrale de Beaver Valley. En ce qui concerne les centrales de Davis-Besse et Perry, le changement de décision est dû à l’adoption par l’État de l’Ohio d’une loi accordant une incitation aux producteurs d’énergie « zéro émission ». S’agissant de Beaver Valley, le renoncement à la fermeture est lié à la démarche engagée par l’État de Pennsylvanie pour se joindre, en 2022, à une alliance de dix États américains (Regional Greenhouse Gas Initiative – RGGI) qui vise à plafonner les émissions de CO2 des installations de production d’électricité situées dans ces États ; ce programme prévoit le paiement d’une redevance par les exploitants de centrales thermiques liée aux émissions produites par celles-ci, ce qui permettrait aux centrales nucléaires de gagner en compétitivité.

Plusieurs acteurs auditionnés, notamment Greenpeace, ont souligné que les risques à prendre impérativement en considération pour apprécier la sûreté nucléaire ont évolué depuis l’époque à laquelle la centrale de Fessenheim a été conçue et construite. Les conséquences d’accidents aussi catastrophiques que ceux de Tchernobyl et Fukushima n’avaient pas encore été envisagées. L’épaisseur du radier en béton du bâtiment du réacteur n° 1 de la centrale de Fessenheim, bien qu’ayant été renforcée par EDF en 2012 après la troisième VD (pour un coût d’environ 150 millions d’euros) pour ralentir l’éventuel percement du radier par le corium en cas d’accident, demeure nettement inférieure à celle des radiers des autres centrales du même palier (deux mètres d’épaisseur, contre trois à quatre mètres pour la majorité des autres réacteurs du parc) et ce, alors même que la présence de la nappe phréatique sous ce site aurait dû représenter un facteur de vigilance particulière et empêche d’ailleurs de procéder à l’épaississement du radier par en dessous ([32]). Le directeur général de l’IRSN a exposé pendant son audition la différence de démarche entre les travaux réalisés en 2012 sur le radier (étalement du corium pour retarder l’éventuel percement du radier mais sans noyage du corium par de l’eau) et la démarche expertisée par l’IRSN et mise en œuvre dans le cadre des VD4 (étalement du corium avec noyage) ([33]). Le président de l’ASN a indiqué que les travaux de 2012, bien que ne représentant qu’un « léger renforcement » de l’épaisseur du radier, ont été jugés suffisants par l’ASN pour autoriser le prolongement de l’exploitation.

Il convient cependant de rappeler que les efforts d’amélioration de la sûreté des centrales ne sont pas uniquement faits dans le cadre des réexamens décennaux : comme l’ont souligné notamment le président de la CLIS et M. Georges Walter devant la mission d’information, EDF a bien réalisé des travaux tout au long de la période de fonctionnement de la centrale de Fessenheim. Ils ont toutefois rapporté qu’EDF avait informé les membres de la CLIS que des travaux nécessaires seraient reportés pour être inclus dans la VD4, mais ont semblé ignorer l’information essentielle qu’était la demande de dérogation formulée par EDF tendant à ce que ce que cette VD4 d’exploitation n’ait jamais lieu. Votre rapporteur note qu’il s’agit d’un des éléments pouvant justifier la perception incomplète ou biaisée, par certains acteurs du territoire, du processus ayant conduit à la fermeture de la centrale.

C.   de l’incertitude À la certitude : la perception, largement partagÉe, d’un « fiasco »

La centrale de Fessenheim a fait l’objet de plusieurs décisions politiques et étapes juridiques rendant sa fermeture inéluctable, indépendamment de son état technique et de ses performances industrielles. C’est bien « une décision de politique énergétique », selon les termes employés par la ministre de la transition écologique, Mme Barbara Pompili, lors de son audition, qui a entraîné l’arrêt définitif de cette centrale nucléaire. Comme l’a relevé l’ancien délégué interministériel, M. David Coste, lors de son audition, cette fermeture est un cas atypique par rapport à d’autres fermetures d’installations industrielles de grande ampleur : il ne s’agit pas de l’arrêt d’un site industriel porté par un actionnaire privé qui suscite l’indignation sur le territoire, les acteurs en appelant à l’État pour tenter de faire revenir l’entreprise sur sa décision ; c’est une décision prise par l’État, contestée pour partie par l’exploitant du site lui-même et par des acteurs du territoire. M. Georges Walter, directeur de l’environnement et du cadre de vie au sein des services du conseil départemental, a invoqué une autre particularité : la décision de fermeture a été prise sous la pression, entre autres, des autorités allemandes. Les élus alsaciens étaient divisés sur la décision de fermeture.

C’est avec une très grande amertume, entre colère et résignation, que les représentants des personnels de la centrale, les élus locaux et les acteurs économiques du territoire ont décrit à la mission d’information leur attachement à la centrale de Fessenheim et l’injustice qu’a constituée, de leur point de vue, la décision d’arrêt définitif. Mais à la question « à quelle date la fermeture de la centrale est-elle devenue pour vous une certitude ? », force est de constater que chaque acteur auditionné par la mission d’information a apporté une réponse différente : certains ont acquis cette certitude dès l’élection présidentielle de 2012 et la nomination d’un délégué interministériel explicitement chargé de piloter la fermeture et la reconversion du territoire de Fessenheim ; d’autres, à la promulgation de la LTECV de 2015 ; d’autres encore, suite à l’élection du Président de la République en 2017, et parfois même encore plus tardivement, à l’issue de la première réunion du comité de pilotage (Copil) en janvier 2018.

Ainsi, pour le président de la CLIS, c’est un échange tenu à Paris, au ministère de la transition écologique et solidaire en novembre 2017 qui a instauré la certitude de la fermeture. Selon le directeur de la production nucléaire d’EDF, c’est la mention explicite de Fessenheim dans la mission confiée à un délégué interministériel fin 2012 qui a été déterminante, même si c’est seulement en 2017 que la décision de fermer cette centrale a été annoncée au sein du groupe EDF. Certes, la LTECV de 2015 ne citait pas expressément la centrale de Fessenheim mais la volonté exprimée avant 2015 comme après par l’État désignait cette centrale, et, comme l’a rappelé M. Étienne Dutheil, « tout simplement, c’était la centrale la plus ancienne » : en l’absence de problèmes particuliers de sûreté sur une autre centrale qui auraient justifié que le choix se porte sur celle-ci, fermer la centrale de Fessenheim était une décision logique du point de vue patrimonial pour EDF.

Il est étonnant de constater que même au sein des personnels d’EDF, que ce soit au niveau local ou au niveau national, la certitude de la fermeture n’a pas été acquise au même moment. Tous les syndicats auditionnés ont reconnu que la volonté politique de fermer cette centrale a existé de manière claire et été plusieurs fois réaffirmée depuis 2011, mais cette menace s’est concrétisée à des dates variables. Pour les représentants de la CGT et de FO, c’est en 2016, lorsque la décision de fermeture a été présentée au comité central d’entreprise d’EDF et au conseil d’administration, que les salariés d’EDF ont acquis la certitude qu’elle fermerait et, en même temps, qu’un dispositif d’accompagnement des personnels allait être mis en œuvre. Pour les représentants de la CFDT, c’est une démarche d’information de la direction d’EDF en novembre 2017 qui a mis un point final à la période d’incertitude, même si une certaine confusion a perduré ensuite, la date exacte de l’arrêt ayant été plusieurs fois reportée. Les représentants de FO ont indiqué qu’en novembre 2017, le directeur de la production nucléaire s’est rendu sur le site pour confirmer la décision de fermeture directement aux salariés ; ils ont reconnu que « certains sont restés dans le déni ensuite » mais que la plupart des salariés, même s’ils ont continué à défendre la poursuite de l’activité, n’avaient plus aucun doute à ce stade sur la fermeture.

Le déni s’est même prolongé jusqu’au début de l’année 2020 chez certains commerçants et artisans du territoire, selon les représentants de l’association des commerçants et artisans du Pays Rhin Brisach (CABRI) rencontrés lors du déplacement de la mission d’information en juin 2020.

Les auditions ont donc fait apparaître un ressenti global confus, aussi bien au niveau national qu’au niveau local. Pour beaucoup d’acteurs, la confusion a porté à la fois sur la fermeture elle-même et sur sa date exacte.

Frappé par cette multiplicité de perceptions contradictoires exprimées devant la mission d’information, votre rapporteur relève qu’elle a freiné de manière très grave le processus de transition du territoire vers l’« après centrale » et qu’elle soulève des interrogations fondamentales, qu’il faudra anticiper lors des fermetures d’autres réacteurs nucléaires à l’avenir : l’exploitant EDF a-t-il tardé à communiquer sur les différentes étapes menant de manière irréversible à l’arrêt définitif ? L’État a-t-il assumé la décision de fermeture, alerté suffisamment en amont les acteurs du territoire et adressé des messages clairs par la voix de ses représentants, qu’il s’agisse des préfets et de leurs services, des délégués interministériels successifs ou de membres du Gouvernement ? Les acteurs locaux, qu’il s’agisse des habitants, des entreprises ou des élus, étaient-ils suffisamment informés sur le fait qu’aucune centrale nucléaire n’est éternelle ?

La centrale de Fessenheim n’est pas la seule pour laquelle la décision de fermeture a été ressentie comme une décision brutale : comme l’ont rappelé aux députés les responsables de la centrale nucléaire de Chooz, la décision de fermer la centrale Superphénix de Creys-Malville (Isère) en 1998 a également été perçue ainsi. On peut rappeler que cette centrale mise en service en 1985 a suscité, comme la centrale de Fessenheim, une mobilisation importante d’opposants pendant sa construction et son fonctionnement mais que, contrairement aux réacteurs de Fessenheim, il s’agissait d’un prototype qui a connu des incidents techniques graves et multiples et dont la production d’électricité n’a, en conséquence, été effective que pendant quelques années, en raison de longues périodes d’arrêt du réacteur.

Le lien initialement établi par l’État entre la mise en service de l’EPR de Flamanville et la fermeture de la centrale de Fessenheim pour respecter le plafonnement de la capacité totale du parc nucléaire a subordonné pendant plusieurs années l’avenir de Fessenheim aux vicissitudes du chantier de construction de l’EPR. Ce lien n’a été rompu qu’en 2018, et les représentants auditionnés de la CFDT ont souligné combien l’incertitude sur la date exacte de fermeture, une fois levée l’incertitude sur le principe même de celle-ci, a rendu trop longtemps impossible pour les salariés de la centrale de Fessenheim de préparer leur reconversion ou leur mobilité et celle de leurs familles. Le président de l’ASN a déclaré devant la mission d’information que la demande d’abrogation de l’autorisation d’exploitation a été déposée par EDF tardivement, ce retard étant lié aux négociations entre EDF et l’État sur le protocole d’indemnisation (voir le V. de la deuxième partie du présent rapport).

    


    

   deuxième partie :
les consÉquences immÉdiates de la fermeture et leur traitement

I.   les personnels de la centrale

A.   Les salariÉs d’EDF

De la mise en service en 1977 à 2009, la centrale a employé jusqu’à 850 salariés d’EDF, soit directement affectés au site, soit travaillant pour assurer des fonctions supports comme l’informatique, l’immobilier et la gestion des ressources humaines situées dans des entités d’EDF distantes géographiquement. Des recrutements ont été réalisés à partir de 2010 pour préparer un renouvellement des générations, et l’effectif directement affecté au site s’établissait à 750 personnes en 2014.

De 2015 à 2017, cet effectif s’est stabilisé, avant de décroître avec la préparation de la fermeture (737 salariés EDF sur le site en 2018). L’ancien directeur de la centrale, M. Marc Simon-Jean, a indiqué lors de son audition que le mouvement de départ a commencé dès la parution, en avril 2017, du décret abrogeant l’autorisation d’exploiter la centrale. En 2017, 11 salariés ont quitté la centrale pour occuper un poste sur une autre installation d’EDF, et 23 en 2018. Au 31 décembre 2019, après le départ de 80 personnes durant l’été (une dizaine de départs en retraite et 60 départs pour prendre de nouveaux postes), la centrale comptait 650 salariés EDF. Ce nombre est passé à 480 au 31 décembre 2020 et à 470 début 2021. En juin 2021, lors de son audition, M. Jean-Bernard Levy, président-directeur général d’EDF a indiqué que le nombre d’agents EDF sur le site était désormais de 450 et la directrice du CNPE a précisé que 80 départs sont prévus pour 2021 (une soixantaine de salariés partent pour rejoindre d’autres entités du groupe et une vingtaine part en retraite).

En 2023, environ 200 salariés devraient quitter la centrale, quand le combustible aura été totalement évacué du site. En 2025, il restera 66 salariés EDF sur le site, tous issus de l’effectif du personnel en phase d’exploitation, pour mener les opérations de démantèlement.

En tant que tête de série du palier 900, la centrale de Fessenheim présente des particularités dans le choix des équipements, mais, selon les termes de M. Étienne Dutheil lors de son audition, les points communs avec les autres centrales du parc l’emportent largement – ce qui explique que les compétences des personnels de la centrale de Fessenheim soient largement « transposables » dans l’exercice de leurs métiers dans d’autres centrales du parc et facilitent la mobilité de ceux qui souhaitent continuer de travailler dans les installations nucléaires d’EDF. La directrice du CNPE, Mme Elvire Charre, a déclaré lors de son audition qu’il n’y aura aucun licenciement économique.

Les représentants des organisations syndicales auditionnés ont reconnu que tous les agents EDF qui le souhaitent conserveront leur emploi au sein du groupe EDF, les redéploiements devant s’étaler jusqu’en 2025, mais ont souligné à quel point les agents et leurs familles ont souffert du caractère chaotique du processus de fermeture, de l’incertitude persistante, de l’exposition médiatique systématiquement critique contre une centrale pourtant exploitée avec un professionnalisme sans faille, y compris pendant la crise sanitaire et les toutes dernières semaines d’exploitation.

Les représentants de la CGT, MM. Thierry Raymond et Alain Voisinne, ont affirmé que les agents et leurs familles « se sentent expulsés du territoire » mais toutes les organisations syndicales entendues ont considéré que la direction d’EDF fait de son mieux pour faciliter les mobilités et les reconversions. À cet effet, une structure a été mise en place en mai 2018 pour le redéploiement et la mobilité des salariés pour les accompagner de manière personnalisée, avec une équipe de sept conseillers en mobilité, des commissions de suivi locales réunies une fois par mois et des commissions de suivi au niveau national réunies tous les trois mois.

L’élaboration du dispositif d’accompagnement a suscité des tensions au sein du personnel, qui se sont traduites par un mouvement de grève en février 2018. Les représentants de la CFDT, MM. Alain Colly, Vincent Rusch et Dominique Toussaint, ont fait état des inquiétudes initiales de nombreux salariés d’EDF qui craignaient d’être contraints, pour conserver un emploi dans le groupe, de quitter la région alors qu’ils voulaient y rester, notamment pour des raisons familiales – 169 salariés au sein du personnel de la centrale souhaitaient pouvoir travailler dans un rayon de moins de 50 kilomètres pour ne pas avoir à déménager. Le représentant de la CFE-CGC, M. Hervé Desbrosses, a indiqué que les mesures d’accompagnement mises en place par EDF après négociation avec les syndicats ont inclus, outre un accompagnement des salariés eux-mêmes vers un reclassement, des primes de mobilité et des soutiens à la recherche d’emploi pour leurs conjoints.

Comme l’a déclaré lors de son audition le directeur de la production nucléaire, M. Étienne Dutheil, les possibilités de redéploiement des salariés de la centrale de Fessenheim vers d’autres centrales de production d’électricité, nucléaires ou non, sont nombreuses et leurs compétences sont recherchées. Au moment de leur audition, en juin 2020, les organisations syndicales ont constaté une situation globalement rassurante à cet égard, l’accompagnement par EDF des salariés souhaitant rester en Alsace ayant des résultats satisfaisants, les autres entités du groupe EDF – notamment la branche hydroélectrique – ayant accueilli un grand nombre d’entre eux. Des dispositifs de départ anticipé à la retraite ont également été proposés ainsi que des PAME (parcours accompagnés de mobilité externe) donnant aux agents la possibilité de chercher un emploi en dehors du groupe EDF et de pouvoir pendant cinq ans réintégrer le groupe. S’agissant des salariés prêts à effectuer une mobilité géographique plus lointaine à condition de demeurer dans le groupe, les postes qui leur ont été proposés ne sont pas systématiquement dans des sites nucléaires puisqu’ils incluent des postes dans les services centraux du groupe ou dans les centres d’ingénierie de la direction de la production nucléaire ; une cinquantaine de ces salariés ont été affectés à la direction des projets de déconstruction-déchets, qui pilotera le démantèlement des centrales – en premier lieu celui de Fessenheim. Au total, à ce stade 456 situations professionnelles individuelles étaient résolues, avec un contrat de parcours signé ou proche de l’être, même si ces agents n’avaient pas encore tous quitté la centrale de Fessenheim. Il n’y avait eu à ce stade que 11 démissions.

Auditionné un an après, en juin 2021, le président-directeur général d’EDF a présenté des chiffres actualisés sur le reclassement des salariés, indiquant que 82 % des 737 salariés qui travaillaient à la centrale de Fessenheim en janvier 2018 ont été reclassés et qu’il restait 135 situations personnelles à traiter, dont 47 salariés acceptant d’effectuer une mobilité dans une autre région, 76 souhaitant demeurer en Alsace et 12 devant partir en inactivité dans les années qui viennent selon des modalités restant à préciser. La directrice de l’installation a constaté que début 2021, la quasi-totalité des salariés avaient une vision claire de leur situation professionnelle et de leur date de départ d’ici 2025, ce qui leur permet de se projeter et de construire leur projet personnel ; elle a constaté que, si la crise sanitaire a évidemment rendu plus difficile la préparation des mobilités et notamment l’organisation des périodes d’« immersion » dans d’autres entités d’EDF, les projets ont pu se concrétiser tout de même.

B.   Les salariÉs des entreprises prestataires travaillant de maniÈre permanente sur le site

Dès le début de l’exploitation, de nombreux salariés d’entreprises extérieures ont travaillé en permanence sur le site (gardiennage, logistique, entretien…) aux côtés des salariés d’EDF. Il convient de les distinguer des 1 000 à 2 000 intervenants supplémentaires qui venaient, pour quelques semaines ou quelques mois, en complément pour réaliser des activités techniques de maintenance lors des arrêts de tranche.

En 2018, le nombre de salariés de prestataires travaillant de manière permanente sur le site s’élevait à 360. Selon les réponses écrites d’EDF, le nombre de salariés d’entreprises prestataires employés de manière permanente devrait passer de 300 en 2019 à une centaine au début du démantèlement (prévu pour 2025). Au 31 décembre 2020, étaient encore présents sur le site 280 de ces salariés.

Le devenir de ces salariés est apparu comme une préoccupation importante pour l’ensemble des acteurs auditionnés, dans la mesure où, pour citer les représentants de la CFDT, les sous-traitants « sont toujours les grands oubliés des opérations de fermeture ». Tous les acteurs ont salué le fait qu’une vraie attention a été portée par les pouvoirs publics et par EDF à la situation de ces sous-traitants, qu’il s’agisse des sous-traitants permanents ou des sous-traitants occasionnels. Une cellule d’accompagnement personnalisé (CAP) a été créée près d’un an et demi avant la fermeture de la centrale, en janvier 2019, par EDF, le groupement des industriels de la maintenance de l’Est (GIMEst), l’État, la chambre de commerce et d’industrie (CCI) et la région Grand Est sur la base d’un accord signé par ces acteurs en janvier 2018 – le représentant du GIMEst rencontré par la mission d’information a précisé que c’est dès octobre 2017 qu’a été décidée par le GIMEst et EDF la création de cette structure sans précédent. Le président-directeur général d’EDF a considéré, comme il l’a déclaré lors de son audition, qu’accompagner ces salariés, et pas seulement les salariés d’EDF, relevait en partie de la responsabilité du groupe – EDF a cofinancé l’activité de la CAP à hauteur de 492 000 euros. L’agence de développement d’Alsace, ADIRA, s’est également investie dans cette démarche en diffusant des offres d’emploi et en mettant des salariés en contact avec les services des ressources humaines d’entreprises qui recrutent.

La CAP a un triple rôle : étudier les possibilités d’emploi existant dans la région, évaluer et gérer les risques psycho-sociaux et accompagner de manière personnalisée les salariés des prestataires permanents.

Lors de son audition en mai 2021, la ministre de la transition écologique, Mme Barbara Pompili a indiqué qu’à cette date, 40 % des salariés concernés avaient signé un contrat à durée indéterminée. 

 

Recommandation n° 1

La démarche d’accompagnement personnalisé des personnels de la centrale de Fessenheim, qu’il s’agisse des agents d’EDF ou des salariés des sous-traitants, a été engagée en amont de la fermeture et par les employeurs eux-mêmes (EDF et les entreprises sous-traitantes), soutenus par les pouvoirs publics et les acteurs économiques du territoire, et a donné des résultats très satisfaisants. La mission d’information recommande le lancement de la même démarche dans tous les territoires sur lesquels sont implantées des installations importantes de production d’énergie.

 

 


II.   l’impact prÉvisible sur l’Économie locale

Devant la mission d’information, la présidente du conseil départemental du Haut-Rhin, Mme Brigitte Klinkert, a estimé à 400 millions d’euros la perte de chiffre d’affaires générée, pour l’économie du territoire, par la fermeture de la centrale de Fessenheim, compte tenu de la baisse d’activité pour les commerçants et pour les sous-traitants.

Le président de la chambre de commerce et d’industrie a fait état d’environ 2 200 emplois découlant de l’activité de la centrale, directs ou indirects, et a estimé à 10 millions d’euros par an les dépenses des salariés de la centrale sur le territoire. Cette estimation de 2 200 emplois a également été présentée dans une étude commanditée par le comité central d’entreprise d’EDF et citée par les représentants de la CGT auditionnés, MM. Thierry Raymond et Alain Voisinne.

Le président et le vice-président de l’association des commerçants et artisans du Pays de Brisach (CABRI), MM. Jean-Jacques Ott et Jean-Yves Invernizzi, et le président de la communauté de communes Pays Rhin Brisach ont présenté les conséquences du départ prévisible de plusieurs centaines de ménages, parlant d’« impact en cascade » sur le tissu artisanal, commercial et associatif, de fermetures de classes dans les écoles, d’impact sur les activités périscolaires, sur le secteur médical, etc. Ces départs massifs n’avaient pas encore eu lieu lorsque la mission d’information a effectué son déplacement dans le Haut-Rhin, et il n’était donc pas encore possible d’évaluer avec précision leur impact. Toutefois, selon une étude de la CCI et de la chambre des métiers et de l’artisanat (CMA) sur l’impact de la fermeture réalisée en 2018, 44 % des entreprises du territoire devraient subir une baisse de leur chiffre d’affaires, notamment parce que 61 % de ces entreprises comptent parmi leurs clients les salariés de la centrale ou la centrale elle-même. Le président de la communauté de communes, auditionné en juin 2020, a indiqué qu’environ 160 maisons sur le territoire allaient être mises en vente à court terme du fait du départ d’agents EDF vers d’autres sites. Selon le maire de Fessenheim, la commune va perdre entre 15 et 25 % de ses habitants.

Le président de l’association CABRI a signalé que le deuxième plus gros employeur du territoire, PSA/Stellantis, a supprimé près de 10 000 emplois dans son usine au cours des dernières décennies. La disparition des emplois de la centrale nucléaire représente donc un défi social et économique supplémentaire pour les acteurs du territoire, même s’il convient de noter que les entreprises de services ou les entreprises du secteur du bâtiment n’avaient pas toutes la centrale comme unique fournisseur d’activités.

 

III.   l’impact prÉvisible sur les finances locales et la question non rÉsolue du fngir

A.   La fiscalité locale liée à la centrale nucléaire

L’exploitant d’un centre nucléaire de production d’électricité (CNPE) contribue via plusieurs impôts aux recettes des collectivités locales. En effet, il est redevable :

– d’une part, des taxes communes à toutes les entreprises : la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB), la cotisation foncière des entreprises (CFE) et la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) ; la CFE et la CVAE sont les deux composantes de la contribution économique territoriale (CET) ;

– d’autre part, d’une taxe spécifique, l’IFER (imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux), applicable aux entreprises des secteurs de l’énergie, du transport ferroviaire et des communications.

En 2019, la fiscalité locale directement liée à la centrale de Fessenheim était ainsi répartie :

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Comme l’a exposé lors de son audition M. Claude Brender, maire de Fessenheim, la commune de Fessenheim percevait 40 % des taxes locales payées par EDF au titre de l’activité de cette centrale, les 60 % restants étant versés aux autres communes du territoire, à l’intercommunalité, au département et à la région : les retombées positives de cette implantation ont concerné l’ensemble des collectivités locales du territoire, que ce soit en termes de recettes fiscales ou d’activité économique induite.

Outre ces 13 à 14 millions d’euros de contribution fiscale par an en moyenne au niveau local, EDF a versé, au titre de l’exploitation de la centrale de Fessenheim, environ 36 millions d’euros par an de recettes fiscales à l’État. Ainsi, depuis sa mise en service, l’activité de la centrale a représenté environ 2 milliards d’euros de recettes fiscales.

Le président de la CLIS, M. Michel Habig, a indiqué à la mission d’information que les collectivités locales ont, certes, bénéficié de recettes fiscales très importantes grâce à la centrale nucléaire mais qu’elles ont dû supporter des dépenses également importantes, y compris avant de commencer à percevoir ces recettes. Par exemple, le département du Haut-Rhin a construit un collège (12 millions d’euros d’investissement) et un rond-point et dévié le tracé d’une route. La présidente du conseil départemental a indiqué que la fermeture de la centrale implique une perte de recettes fiscales de 3,5 millions d’euros par an pour le département qui va devoir, en outre, procéder à de nouvelles dépenses si cette fermeture entraîne une augmentation d’allocataires du RSA sur le territoire ; les quarante-trois années de fonctionnement de la centrale ont procuré au département du Haut-Rhin environ 47 millions d’euros de recettes fiscales hors versements au fonds national de garantie individuelle des ressources (FNGIR) (voir ci-après).

La fermeture du CNPE de Fessenheim entraîne :

1° Une diminution des recettes fiscales : la TFPB ne sera pas immédiatement réduite à zéro, elle diminuera progressivement, au fur et à mesure de la démolition des bâtiments dans le cadre du démantèlement. En revanche, la CFE, la CVAE et l’IFER étant des impositions liées à l’activité, leurs recettes disparaissent dès l’arrêt définitif de la production, donc des pertes de recettes seront constatées dès 2021 (2022 pour la CVAE) ; selon le maire de Fessenheim, la fermeture « mène [la commune] dans une impasse financière » ;

2° Une baisse de près de 400 000 euros de la participation de l’ensemble intercommunal au fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC) selon la Cour des comptes.

La loi de finances pour 2019 ([34]) a prévu trois mesures pour répondre à ces pertes de recettes fiscales :

-         une modernisation du mécanisme existant de perte de bases de CET : il s’agit, pour les collectivités confrontées à la fermeture d’une centrale nucléaire, d’une extension du dispositif de perte de CET (CFE + CVAE) à une durée de versement de cinq ans (au lieu de trois) pour les collectivités qui ont subi des « pertes exceptionnelles » ;

-         la création d’un mécanisme analogue à celui prévu pour la CET mais destiné à compenser la perte d’IFER ;

-         la création d’un fonds de compensation horizontale entre les communes et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) bénéficiant du produit de l’IFER : alimenté par un prélèvement sur les recettes d’IFER des communes et intercommunalités disposant d’une centrale nucléaire, ce fonds permet une compensation intégrale des pertes de fiscalité pendant trois ans, puis dégressive pendant sept ans.

La communauté de communes Pays Rhin-Brisach, dont est membre la commune de Fessenheim, bénéficie de ces trois mécanismes et donc d’une compensation intégrale de ses pertes de recettes fiscales jusqu’en 2023. Pour les sept années suivantes, cette compensation sera dégressive.

B.   Le problème du FNGIR

Un mécanisme pérenne de compensation a été institué par la loi de finances pour 2010 ([35]) afin de compenser à l’euro près, pour chaque collectivité territoriale, les pertes de ressources engendrées par la suppression de la taxe professionnelle (TP). Le moindre rendement attendu de la contribution économique territoriale (CET) par rapport à l’ancienne TP a justifié la création de deux mécanismes de compensation au profit des collectivités territoriales concernées : la dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle (DCRTP), qui relève du budget de l’État, et un dispositif de trois fonds de garantie individuelle des ressources (FNGIR) – un pour les régions, un pour les départements et un pour les communes et les intercommunalités – destinés à opérer des compensations « horizontales » par catégorie de collectivités territoriales.

La création des trois FNGIR visait à neutraliser les impacts de la réforme : les recettes fiscales des territoires « gagnants » (disposant de ressources fiscales supplémentaires par rapport à la situation avant la suppression de la TP) sont écrêtées à due concurrence au profit de ceux dont les produits fiscaux sont inférieurs à celui de l’ancienne taxe professionnelle. Les prélèvements ou reversements aux FNGIR ont été figés par le législateur : à partir de 2014, les montants des versements aux FNGIR et des prélèvements sur les FNGIR ont été fixés à leur niveau de 2013 par la loi de finances pour 2012 ([36]).

Les prélèvements ou reversements des communes et établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre au titre du FNGIR sont calculés sur la base d’une comparaison des ressources fiscales avant et après la réforme de 2010. Ainsi, en raison de la présence du CNPE sur son territoire, la commune de Fessenheim s’acquitte chaque année d’un versement au FNGIR communal et intercommunal à hauteur de 2,9 millions d’euros. Le président de la communauté de communes Pays Rhin Brisach, M. Gérard Hug, a précisé devant la mission d’information que la commune effectue ce versement en utilisant les attributions de compensation (AC) versées par la communauté de communes ([37]).

Le champ du FNGIR ne se limite pas aux collectivités sur le territoire desquelles est implantée une installation nucléaire. La problématique du FNGIR concerne l’ensemble des fermetures de sites industriels, bien au-delà du cas de Fessenheim, et peut même affecter des communes subissant la fermeture de commerces. Ce graphique de la Cour des comptes illustre toutefois le problème que constitue la fixité du FNGIR pour ce territoire :

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Il convient de noter que, du point de vue de l’État ([38]), le dispositif du FNGIR n’a pas vocation à remédier aux conséquences fiscales des fermetures d’entreprises. Les collectivités confrontées au départ de certaines entreprises de leur territoire, bien qu’elles continuent parfois de contribuer au FNGIR, sont éligibles à plusieurs mécanismes de compensation tels que ceux liés à la perte de bases de CET et d’IFER, ces mécanismes ayant été introduits par la loi de finances pour 2010 et renforcés par la loi de finances pour 2019 ([39]). Toutefois, le Gouvernement reconnaît les difficultés liées à la rigidité du dispositif « FNGIR » pour les communes contributrices, notamment rurales, qui sont confrontées au départ d’une ou de plusieurs entreprises de leur territoire.

En 2019, lors des débats parlementaires sur le projet de loi de finances pour 2020, la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, Mme Jacqueline Gourault, s’est engagée à constituer un groupe de travail chargé de formuler des propositions pour répondre à la situation des communes confrontées à un prélèvement annuel figé au titre du FNGIR alors qu’elles ont perdu la base économique de fiscalité à l’origine de cette contribution.

L’État s’est engagé à compenser intégralement la perte de fiscalité locale en provenance d’EDF pendant trois ans (2021-2023), puis de manière dégressive jusqu’en 2030. En raison de la compensation intégrale des pertes de fiscalité jusqu’en 2023, le maintien du FNGIR ne pose pas réellement de problème dans l’immédiat. Mais dès que la compensation deviendra dégressive, on assistera à une situation où l’équivalent de la fiscalité locale (les recettes « réelles » ayant en réalité disparu) diminuera mais où le FNGIR sera maintenu.

Les élus du territoire de Fessenheim auditionnés en juin 2020 par la mission d’information ont exprimé leur insatisfaction sur les dispositions de compensation et de dégressivité introduites en loi de finances. Le président de la communauté de communes a signalé la situation particulière de cette intercommunalité, composée de 29 communes et issue de la fusion de deux intercommunalités en 2017 mais au sein de laquelle les élus ne se considèrent pas tous solidaires des pertes fiscales que vont subir les communes les plus proches de la centrale, puisque, de leur point de vue, les autres communes n’ont tiré aucun bénéfice de l’activité de celle-ci. C’est donc un sujet difficile qui, dans l’intercommunalité, « remet en cause les équilibres entre les élus ». Le président de la CCI a exprimé la crainte d’une augmentation de la fiscalité locale qui viendrait peser sur les entreprises du territoire et l’espoir que l’implantation de nouveaux acteurs économiques dans le cadre du projet de territoire génère une activité suffisante pour compenser, au moins en partie, les pertes de recettes.

La communauté de communes a signé le projet de territoire, dont elle est un acteur central, mais son président a déploré que l’injustice du dispositif « FNGIR » prive le territoire de recettes permettant de participer plus activement au développement « post centrale » et a subordonné la participation de la communauté de communes à la future société d’économie mixte (SEM) franco-allemande (voir quatrième partie du présent rapport) à la résolution de ce problème.

À l’initiative de votre rapporteur, a été introduite par la loi de finances pour 2021 ([40]) une modification du dispositif de la loi de finances pour 2010 : à compter de 2021, l’État s’engage à verser un montant aux communes et aux EPCI contributeurs au FNGIR qui ont subi une perte de base de CFE supérieure à 70 % depuis 2012 et qui versent au FNGIR une contribution représentant plus de 2 % des recettes réelles de fonctionnement de leur budget principal. Ce montant annuel prélevé sur le budget de l’État sera égal au tiers de la contribution versée par ces collectivités en 2020 au FNGIR. Toutefois, lorsqu’une commune ou un EPCI est éligible à un mécanisme de compensation créé par la loi de finances pour 2019 (compensation de pertes exceptionnelles de base de la CET et compensation de l’IFER), il ne deviendra éligible au nouveau versement qu’à partir de 2024.

Il est bien compréhensible, comme l’a noté en audition le directeur général de l’agence de développement d’Alsace (ADIRA), que la problématique du FNGIR ait amené des élus du territoire de Fessenheim à mettre l’accent sur leur situation de « victimes » ou de « perdants », et à revendiquer une compensation financière, mais ce dispositif a ainsi empêché ou ralenti la volonté collective de se projeter vers l’avenir du territoire.

 

Recommandation n° 2

Le dispositif du fonds national de garantie individuelle des ressources (FNGIR) demeure basé sur des situations constatées en 2013 et qui ne correspondent plus nécessairement à la réalité des territoires. La mission d’information appelle à poursuivre la réforme du FNGIR communal et intercommunal, pour qu’elle aboutisse au plus tard en 2023.

 


IV.   l’alimentation Électrique : un risque de black out non avÉrÉ

La fermeture de la centrale de Fessenheim a-t-elle mis en danger l’approvisionnement électrique de l’Alsace ? Des inquiétudes très fortes à ce sujet ont été exprimées en amont et au moment de cette fermeture, et M. Georges Walter a alerté la mission d’information, lors de son audition en février 2020, sur l’insuffisance des capacités de production des énergies renouvelables et sur la trajectoire de fermeture de centrales nucléaires et de centrales à charbon dans les pays voisins (Allemagne et Suisse), ces deux facteurs étant susceptibles, selon son analyse, de fragiliser significativement la sécurité de l’approvisionnement en électricité de l’ensemble de la zone transfrontalière, une fois la centrale de Fessenheim définitivement arrêtée.

Les représentants du syndicat FO des personnels d’EDF auditionnés en juin 2020, MM. Serge Gianorsi et Alain Besserer, se sont inquiétés d’éventuelles coupures d’électricité pendant l’hiver 2020-2021. Mme Valérie Faudon, déléguée générale de la Société française d’énergie nucléaire (SFEN), a affirmé que la fermeture de la centrale de Fessenheim, puisqu’elle réduit la surcapacité française de production, met en danger la sécurité d’approvisionnement.

Toutefois, ces analyses inquiétantes n’ont pas été confirmées dans les faits à ce stade, et d’autres acteurs auditionnés – en premier lieu RTE et EDF – ont présenté des analyses tendant au contraire à montrer que la fermeture de la centrale de Fessenheim n’a fragilisé structurellement ni le réseau électrique français, ni l’approvisionnement en électricité de l’Alsace ou de la région Grand Est.

L’arrêt de la production à Fessenheim a été anticipé depuis plusieurs années par RTE pour adapter l’infrastructure du réseau électrique. Auditionnée par la mission d’information en juillet 2020, Mme Clotilde Levillain, directrice générale adjointe « Développement et ingénierie » de RTE, a exposé la manière dont RTE a, depuis 2012, à la demande de l’État, étudié les conséquences potentielles de l’impact de l’arrêt de la centrale de Fessenheim sur, d’une part, la sécurité d’approvisionnement et, d’autre part, la capacité du réseau local en Alsace, puis en région Grand Est, d’acheminer la production électrique des autres installations de production vers les lieux de consommation, compte tenu du contexte de politique énergétique dans les pays voisins (décision de l’Allemagne de sortir du nucléaire et développement important de la production hydroélectrique en Suisse).

Au fil des années, les analyses prévisionnelles de RTE ont intégré l’évolution des hypothèses (trajectoire de développement de l’éolien, ralentissement du développement de l’énergie hydraulique en Suisse, modalités de la sortie du nucléaire en Allemagne…). Mme Clotilde Levillain a rappelé que jusqu’en 2018, l’hypothèse qui prévalait était celle d’une concomitance de l’arrêt de cette centrale avec le lancement de la production de l’EPR de Flamanville : dans cette hypothèse, RTE ne prévoyait aucune difficulté en matière de sécurité d’approvisionnement à l’horizon de la fermeture de la centrale de Fessenheim. À partir de 2018, les perspectives ont changé avec le report à 2035 de l’objectif de ramener à 50 % la part du nucléaire dans le mix énergétique, la décision de l’État d’arrêter les centrales à charbon d’ici 2022 et les certitudes acquises sur le retard du chantier de Flamanville. RTE a alors mené les études nécessaires pour mettre en évidence qu’il était possible de découpler l’arrêt des réacteurs de Fessenheim et la mise en service du réacteur EPR.

Les travaux d’étude qui ont suivi ont porté sur l’adaptation du réseau électrique en Alsace et dans la région Grand Est en cas de fermeture de la centrale. RTE a identifié les besoins d’adaptation du réseau dès 2012-2013 et a mis en œuvre entre 2014 et 2016 les actions nécessaires pour y répondre, pour un coût de 42 millions d’euros. Parallèlement aux travaux menés, RTE a rendu publics en juillet 2014, avec le préfet de la région Grand Est, son diagnostic sur les nécessaires adaptations du réseau en cas de fermeture de la centrale et les mesures mises en œuvre pour être en capacité de compenser intégralement les effets de cette fermeture. Le diagnostic et la réalisation des travaux ont également été présentés par RTE aux acteurs du territoire au premier trimestre 2018.

La représentante de RTE a donc affirmé qu’en Alsace et en région Grand Est, il n’y a pas de risque associé à l’arrêt définitif de la centrale de Fessenheim sur l’alimentation locale.

Selon les chiffres publiés par RTE, la production totale d’électricité en France a baissé de 7 % en 2020 (500,1 TWh contre 535,7 TWh en 2019), en conséquence directe de la baisse de la consommation en France et en Europe dans le contexte de la crise sanitaire. Il s’agit du niveau de production le plus bas depuis vingt ans. La production nucléaire française a baissé de 11,6 % en 2020 du fait de la fermeture de la centrale de Fessenheim mais aussi d’une nette dégradation de la disponibilité des autres centrales nucléaires. Le délégué syndical CFE-CGC Énergies auditionné, M. Hervé Desbrosses, a exprimé une inquiétude non pas sur les conséquences de la fermeture de cette centrale mais sur les conséquences négatives de la crise sanitaire sur le bon déroulement des chantiers de maintenance et donc sur la production des autres centrales pendant cette période. La ministre de la transition écologique, Mme Barbara Pompili, a reconnu, sur la bases des études de RTE, l’existence de tensions particulières sur la production française d’électricité d’origine nucléaire en 2020 du fait des conséquences de la pandémie sur la maintenance et non pas du fait de la fermeture de la centrale de Fessenheim.

En région Grand Est, la consommation d’électricité a baissé de 6,3 % en 2020 et la production d’électricité a chuté de 15,3 % (88,4 TWh produits contre 104,1 TWh en 2019). La production d’électricité nucléaire a baissé de 17 % suite à la fermeture de la centrale de Fessenheim. Le parc de production d’électricité par les modes non nucléaires a continué de se développer. Les énergies renouvelables représentent désormais 41,5 % de la consommation régionale d’électricité, un taux bien supérieur à la moyenne nationale (27,2 %).

La capacité du parc nucléaire de la région Grand Est est passée de 12,58 MW à 10,82 MW mais a tout de même couvert 14,1 % de la consommation nationale d’électricité en 2020.

Part de la consommation nationale d’électricité satisfaite par la production d’électricité de la région grand est

 

2018

2019

2020

Énergie nucléaire produite en Grand Est

16,8 %

16,1 %

14,1 %

Énergie thermique produite en Grand Est

1,8 %

2,0 %

1,5 %

Énergie hydraulique produite en Grand Est

1,5 %

1,8 %

1,7 %

Énergie éolienne produite en Grand Est

1,3 %

1,6 %

2,0 %

Énergie solaire produite en Grand Est

0,2 %

0,2 %

0,2 %

Bioénergie produite en Grand Est

0,2 %

0,2 %

0,2 %

Source : RTE, Bilan électrique 2020.

La région a continué d’avoir un solde exportateur net d’électricité vers les régions adjacentes et les pays voisins, à hauteur de 45,1 TWh. Elle a importé d’Allemagne 2 760 GWh en 2020, mais a exporté la même année 13 000 GWh vers ce pays ; son solde exportateur est également positif avec la Belgique et la Suisse ([41]).

Une deuxième critique relative à l’approvisionnement électrique a été exprimée pendant les auditions, non pas sur sa quantité mais sur son origine : la crainte que, en période de pointe de consommation pendant l’hiver, la sécurité d’approvisionnement soit assurée par des importations d’électricité produite en Allemagne par des centrales à charbon, par nature fortement émettrices de CO2 en comparaison avec les centrales nucléaires. Cette critique a notamment été présentée par la Société française d’énergie nucléaire (SFEN).

Lors de son audition, Mme Barbara Pompili s’est élevée avec force contre cette critique, qu’elle a jugée caricaturale et simpliste. Bien sûr, tant la région Grand Est que l’ensemble du territoire français sont parfois contraints d’importer de l’électricité des pays voisins mais la France demeure exportatrice nette et ses importations ne constituent pas un échec pour le système électrique français mais une conséquence normale et logique de la mutualisation des capacités et de la gestion de la production au niveau européen. Mme Clotilde Levillain (RTE) a souligné que l’équilibre offre-demande ne s’apprécie pas à l’échelle de la France mais à l’échelle de l’Europe, et que l’Alsace est loin d’être une « péninsule électrique ». La fermeture de centrales utilisant des énergies fossiles comme le charbon est menée dans plusieurs pays européens dont l’Allemagne, et pas seulement en France. Le développement des énergies renouvelables en Europe se substitue à des énergies fossiles et très peu à la production nucléaire.

S’agissant des énergies renouvelables, dont le développement est dynamique dans la région, M. Jean Rottner, président du conseil régional, estime qu’il y a place pour toutes les énergies dans cette région. La diversification des sources d’énergie est d’ailleurs un axe important dans le projet de territoire (voir quatrième partie du présent rapport).

 

 


V.   un protocole d’indemnisation controversé  

Le 27 septembre 2019, l’État et EDF ont signé le protocole d’indemnisation d’EDF par l’État au titre de la fermeture anticipée de la centrale de Fessenheim. EDF a ensuite adressé au ministre chargé de la transition écologique et solidaire et à l’ASN la demande d’abrogation de l’autorisation d’exploiter ainsi que la déclaration de mise à l’arrêt définitif des deux réacteurs de la centrale. En effet, depuis le début, le souhait d’EDF a été de conditionner l’arrêt des réacteurs de la centrale nucléaire de Fessenheim à la signature d’un protocole d’indemnisation. Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique, a indiqué lors de son audition par la mission d’information qu’une première version de cet accord avait été finalisée en 2017 mais que la négociation a été rouverte ensuite, du fait du report de la fermeture de la centrale et à la demande de l’État.

Principales étapes de l’élaboration du protocole d’indemnisation

11 décembre 2012 : le décret n° 2012-1384 du 11 décembre 2012 instituant un délégué interministériel à la fermeture de la centrale nucléaire et à la reconversion du site de Fessenheim donne notamment pour mission au délégué interministériel « la négociation d’un protocole d’accord avec l’exploitant (EDF) ».

Juin 2016 : début des négociations entre le délégué interministériel et EDF sur le protocole d’indemnisation.

3 octobre 2016 : le Gouvernement prénotifie à la Commission européenne, dans le cadre du contrôle européen des aides d’État, des informations relatives au projet de protocole. Des informations complémentaires ont été transmises par la suite au fil des négociations.

24 janvier 2017 : un premier projet de protocole est approuvé par le conseil d’administration (CA) d’EDF.

4 avril 2019 : un projet actualisé est approuvé par le CA d’EDF, l’État ayant fait modifier plusieurs paramètres.

26 septembre 2019 : signature du protocole d’indemnisation.

23 octobre 2019 : le Gouvernement notifie à la Commission européenne la version finale du protocole.

23 mars 2021 : après avoir demandé au Gouvernement des informations complémentaires, la Commission européenne informe le Gouvernement qu’elle considère le protocole comme conforme au droit européen ([42]).

A.   Le fondement légal de l’indemnisation

L’indemnisation d’un exploitant pour la mise en arrêt du fonctionnement d’une des centrales nucléaires qu’il exploite n’a pas de précédent comparable en droit français. Avant la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (LTECV) du 17 août 2015 ([43]), les raisons et les acteurs pouvant conduire à une fermeture d’une centrale nucléaire étaient limités à deux cas de figure :

-         la société EDF, en tant qu’exploitant, pouvait décider de le faire ;

-         le ministre chargé de la sûreté nucléaire ou l’ASN pouvaient obliger l’exploitant, pour un motif de sûreté nucléaire, à suspendre le fonctionnement de la centrale (articles L. 593-21 et L. 593-22 du code de l’environnement).

Les justifications de la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim se situant en dehors de toute logique économique et n’étant pas fondées sur une décision des autorités relative à la sûreté, elle ne pouvait donc pas être envisagée sans modification de la législation.

L’article 55 de la LTECV (codifié à l’article L. 311-5-5 du code de l’énergie) interdit de délivrer une autorisation d’exploiter une nouvelle installation de production nucléaire « lorsqu’elle aurait pour effet de porter la capacité totale autorisée de production d’électricité d’origine nucléaire au-delà de 63,2 GW ». Bien que cela ne vise pas directement la centrale nucléaire de Fessenheim, ce nouveau cadre juridique implique que toute nouvelle exploitation d’installation nucléaire impose l’arrêt d’une exploitation à la puissance équivalente. Une nouvelle voie juridique est ainsi ouverte pour contraindre un exploitant à la fermeture d’une installation de production nucléaire.

Cette contrainte pesant sur l’exploitant, se pose la question d’une réparation de ce préjudice. Plus précisément, ce nouveau cadre juridique a posé la question de savoir si l’État devrait indemniser l’exploitant de la centrale de Fessenheim (et au-delà, si l’État devra indemniser tout exploitant qui doit fermer une installation nucléaire pour respecter la LTECV).

L’étude d’impact du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte indiquait que, selon le Gouvernement, « les arrêts des installations de production d’électricité au titre de la programmation pluriannuelle de l’énergie, des plans stratégiques ou du mécanisme de plafonnement pourront, dans certains cas, nécessiter une indemnisation par l’État de l’exploitant. Cette indemnisation sera fixée au cas par cas en fonction du contexte particulier de chaque installation. Elle interviendra notamment si l’exploitant n’a d’autre choix que d’arrêter une installation de production avant la fin de la durée prévue pour son amortissement ».

Dans sa décision n° 2015-718 du 13 août 2015 relative à la LTECV, le Conseil constitutionnel a considéré :

-         que les autorisations d’exploiter des installations de production d’électricité « ne sauraient être assimilées à des biens objets pour leurs titulaires d’un droit de propriété » et qu’il n’existe donc pas de « privation de propriété » en cas d’abrogation de ces autorisations. Le Conseil constitutionnel rappelle que l’État « poursuit des objectifs d’intérêt général » et est donc tout à fait légitime à prendre les mesures adéquates (en l’occurrence la diversification des sources d’énergie et la réduction de la part du nucléaire) ;

-         mais que la LTECV ne fait pas obstacle à ce que « les titulaires d’autorisations de création d’installations nucléaires de base déjà délivrées (…) contraints de demander l’abrogation d’une autorisation d’exploiter afin de respecter le plafonnement institué par l’article L. 311-5-5 puissent prétendre à une indemnisation du préjudice subi ».

Il faut toutefois noter que cette hypothèse repose sur les contraintes créées par la loi. Or, selon la Cour des comptes ([44]), alors que la première version du protocole d’indemnisation reposait sur ce motif, dans la version finale, l’indemnisation n’est plus justifiée par le respect du plafond prévu par l’article L. 311-5-5 mais par l’impossibilité pour EDF de poursuivre l’exploitation des réacteurs faute d’avoir engagé les investissements nécessaires.

B.   La structure de l’indemnisation

Le protocole prévoit le paiement d’une indemnité financée intégralement par le budget de l’État, couvrant la période allant de la date de fermeture de la centrale de Fessenheim jusqu’à la sixième visite décennale, prévue en 2041. Il détermine les conditions d’indemnisation en distinguant quatre périodes. Pour chacune de ces périodes, le protocole prévoit de pondérer la compensation pour les bénéfices manqués et les anticipations de charges par un coefficient d’indemnisation qui représente la probabilité de poursuivre l’exploitation sur la période concernée. Ce coefficient d’indemnisation est estimé en fonction de différents aléas, notamment techniques et juridiques, pesant sur l’exploitation de la centrale au-delà de chaque visite décennale.

Les quatre périodes déterminées sont :

– la première période (P1) s’étend de la date de fermeture de la centrale au 1er mars 2021, hypothèse retenue par les parties concernant la date de la réalisation de la quatrième visite décennale (VD4). Un coefficient d’indemnisation « A » est appliqué à cette période ;

– la deuxième période (P2) s’étend de la date de la réalisation de la VD4 à la date de l’échéance de l’autorisation de prélèvement d’eau dans le Grand canal d’Alsace pour le refroidissement des condensateurs de la centrale de Fessenheim (31 décembre 2022). Un coefficient d’indemnisation « B1 » est appliqué à cette période ;

– la troisième période (P3) s’étend du 1er janvier 2023 à la date de réalisation hypothétique de la cinquième visite décennale, fixée par convention le 1er mars 2031. Un coefficient d’indemnisation « B2 » est appliqué à cette période ;

– la dernière période (P4) correspond à la période comprise entre la cinquième et la sixième visite décennale, soit entre 2031 et 2041. Un coefficient d’indemnisation « C » est appliqué à cette période.

L’indemnisation se structure en deux parties :

-         une part fixe qui correspond à l’anticipation des coûts de fermeture de la centrale (dépenses de post-exploitation, coûts de démantèlement, reconversion du personnel, etc.). Le versement devait être effectué dans les quatre ans suivant la fermeture de la centrale c’est-à-dire entre 2020 et 2024 ;

-         une part additionnelle variable prenant la forme de versements ultérieurs, correspondant à l’éventuel manque à gagner, aux bénéfices qu’auraient apportés les volumes de production futurs jusqu’en 2041 calculés a posteriori à partir des prix de vente de la production nucléaire et notamment des prix de marché observés.

Selon l’analyse de la Cour des comptes, « les bénéfices manqués seront calculés à partir des prix de l’électricité constatés ex-post, en partant d’une estimation fixe du volume de production de la centrale (et en tenant compte des coûts qui auraient été nécessaires pour obtenir cette production). La méthodologie d’établissement consiste à comparer les bénéfices manqués obtenus avec différentes dates de fermeture, et à ajouter ces écarts de bénéfices manqués en tenant compte de leur probabilité d’occurrence, tout en les actualisant à un taux forfaitaire reflétant le taux du coût moyen pondéré du capital d’EDF (CMPC) lors de l’année de base des calculs ».

L’actionnaire allemand EnBW sera indemnisé à hauteur de sa participation. En contrepartie de sa participation au financement de la construction de la centrale du Fessenheim et au financement des coûts d’exploitation, EnBW bénéficiait de 17,5 % de l’électricité produite par la centrale. Puisqu’EDF n’est plus en mesure de poursuivre l’exécution de son contrat du fait de la fermeture de la centrale, EDF s’est engagé à verser à EnBW la part qui lui revient en application du contrat, une fois que la totalité de l’indemnité prévue par le protocole aura été versée par l’État. Le directeur de la centrale de Fessenheim jusqu’en 2020, M. Marc Simon-Jean, a précisé devant la mission d’information que l’actionnaire allemand n’est pas concerné par le premier volet de l’indemnisation mais seulement par la part correspondant au manque à gagner. Il a noté qu’il est assez paradoxal qu’EnBW bénéficie d’une indemnisation alors que son capital est détenu majoritairement par le Land du Bade-Wurtemberg dont les autorités politiques ont réclamé à maintes reprises la fermeture de la centrale de Fessenheim.

C.   Une indemnisation sévèrement critiquée par la Cour des comptes

Des difficultés juridiques sont d’abord mises en avant, la Cour considérant que les modalités d’application laissent une trop grande place à l’interprétation : les montants à indemniser reposent non pas sur des formules mathématiques de calcul mais sur une description de ces formules, les modalités de paiement et règles associées ne sont pas assez détaillées, il n’est pas prévu de clauses de rendez-vous prédéfinies...

La Cour des comptes appelle à la conclusion d’un avenant pour préciser les modalités d’application du protocole.

Des difficultés économiques et financières sont aussi présentées par la Cour :

-         une forte incertitude sur les montants concernés en raison de leur très grande sensibilité aux paramètres prévus : niveau de taux d’actualisation, coefficients affectés à chaque période d’indemnisation, estimation du niveau de production de la centrale, prix de vente de l’électricité retenu ;

-         les clauses de révision des chroniques de coûts d’exploitation ou d’investissement sont utiles mais il y a un risque de minimisation des coûts d’investissement de la centrale ;

-         les montants versés dépendent des dates de versement, ce qui signifie que les montants sont difficiles à estimer.

Selon la Cour des comptes, le montant de la part fixe pourrait varier entre 370 et 443 millions d’euros selon la date de son versement et le taux d’actualisation retenu. Il est difficile d’évaluer le niveau de l’indemnité pour bénéfice manqué. Si les prix de vente de l’électricité d’origine nucléaire restent stables ou que leur évolution est limitée à l’inflation, la part variable de l’indemnisation pourra se révéler nulle. Mais le niveau d’indemnisation est très sensible aux évolutions futures du prix de l’électricité. Selon la Cour, il aurait fallu instaurer un plafond de prix de l’électricité, ce que l’État n’a pas fait.

Enfin, la gestion budgétaire induite par le protocole ne serait pas non plus totalement rigoureuse. Elle laisse en effet à l’État le choix d’un étalement de la part initiale de l’indemnité alors qu’un paiement le plus rapide possible serait à son avantage. Sur ce sujet, la Cour des comptes recommande de verser dès 2020 l’intégralité de l’indemnité initiale à EDF. Quant à l’éventuelle indemnité pour bénéfice manqué, elle n’est pas budgétée à ce stade.

La Cour des comptes estime dès lors que de nombreux éléments rendent ce protocole d’indemnisation déséquilibré au profit d’EDF et que l’État aurait dû renégocier les montants et modalités du protocole d’indemnisation. En effet, à la date de signature, l’intérêt économique d’EDF avait très largement changé par rapport au début de la négociation du protocole. La centrale nucléaire de Fessenheim était en effet totalement amortie et la prolongation pour quelques années seulement n’aurait pas été rentable (compte tenu des investissements à réaliser pour passer la VD4, un arrêt d’exploitation pendant la quatrième décennie d’exploitation n’aurait pas permis de les amortir).

Le protocole prévoit une durée d’indemnisation qui s’étend sur vingt ans. Pourtant, l’exploitant des deux réacteurs aurait dû d’abord franchir plusieurs étapes avant que leur fonctionnement ne soit renouvelé pour dix ans, a fortiori pour vingt ans : passer avec succès la VD4, obtenir le renouvellement de l’autorisation de prélèvement d’eau dans le Rhin (dont l’échéance était le 31 décembre 2022), passer avec succès la VD5 et, le cas échéant, procéder à des travaux de sûreté supplémentaires prescrits par l’ASN.

Le protocole d’indemnisation prend en compte cette incertitude en associant à chacune des périodes une probabilité d’occurrence qui traduit la part d’aléa d’exploitation : il prévoit un ajustement sur la base de la durée de vie réelle de centrales similaires, afin de refléter l’incertitude relative à la durée de vie possible de la centrale de Fessenheim. La période (hypothétique) entre la VD5 et l’arrêt définitif est assortie d’un coefficient de probabilité supérieur à 50 % pondéré par la proportion des réacteurs REP de 900 MW en fonctionnement à cette date. La Cour des comptes critique l’application d’un coefficient de probabilité non nul à cette dernière période : il eut été probable que Fessenheim dût fermer avant sa VD5 en raison de la politique énergétique de la France, donc la question de la justification d’une indemnisation couvrant cette période se pose.

Le niveau de la production de la centrale utilisé comme référence dans le protocole, qui représente la moyenne des vingt-cinq dernières années de production en excluant les quatre meilleurs et les quatre plus mauvais exercices, suppose que la centrale fonctionnerait aussi bien à l’avenir qu’elle a fonctionné dans le passé. Or, on ne sait par exemple pas combien de temps il aurait fallu arrêter les réacteurs pour réaliser les VD4 et VD5. De même, les éventuels aléas d’exploitation apparaissant avec des anomalies, dont on peut penser qu’elles pourraient augmenter avec le vieillissement, ne sont pas pris en compte.

D.   La part fixe a été versée en une seule fois, dès 2020

La loi de finances initiale pour 2020 a prévu un montant de 77 millions d’euros de crédits de paiement, au sein de la mission Écologie, développement et mobilité durables, pour effectuer un premier versement à EDF. Toutefois, il était prévu, dès l’automne 2019, que l’État paierait en une seule fois la totalité de la part fixe de l’indemnisation au cours de l’année 2020. C’est bien ce qu’il a été possible de faire, puisque la quatrième loi de finances rectificative pour 2020 a procédé à l’ouverture supplémentaire de 300 millions d’euros en crédits de paiement à verser à EDF. La part fixe de l’indemnisation s’est donc élevée à 377 millions d’euros et son paiement a eu lieu intégralement en décembre 2020, comme le préconisait la Cour des comptes, au lieu de s’étaler sur quatre ans comme le prévoyait le protocole.

E.   Les précisions apportées lors des auditions de la mission d’information

M. Francis Rol-Tanguy, premier délégué interministériel, a fait état de l’existence, à son entrée en fonctions fin 2012, d’un « consensus » entre l’administration et EDF sur une estimation de l’ordre de 4 à 5 milliards d’euros du coût de la décision de fermeture, estimation qui a été significativement revue à la baisse ensuite du fait de la décision précitée du Conseil constitutionnel qui a empêché EDF de faire valoir que cette fermeture pouvait être qualifiée d’expropriation. Ce n’est donc qu’après la promulgation de la LTECV et la décision du Conseil constitutionnel que les négociations entre EDF et l’État ont commencé de manière approfondie pour l’indemnisation du préjudice dans le cadre de la responsabilité de l’État du fait des lois.

Les associations de protection de l’environnement auditionnées par la mission d’information ont logiquement fait écho aux critiques de la Cour des comptes s’agissant de la probabilité d’une prolongation de l’activité de la centrale jusqu’en 2041. La représentante de Sortir du Nucléaire a accusé l’État de « complaisance », considérant qu’EDF a, par ce protocole, évité d’avoir à réaliser des travaux coûteux et hasardeux en vue de la VD4 et de la VD5 et a obtenu, aux frais des contribuables, une contrepartie financière très importante pour l’arrêt d’une installation industrielle pourtant déjà amortie. Le président de Stop Fessenheim a qualifié ce protocole de « marché de dupes particulièrement choquant ».

Les élus locaux, notamment le maire de Fessenheim et la présidente du conseil départemental du Haut-Rhin, ont exprimé une position critique, non pas sur le principe même de l’indemnisation d’EDF par l’État mais sur l’injustice consistant à indemniser l’exploitant sur une durée de vingt ans pour un manque à gagner sans indemniser également les collectivités locales sur la même durée pour le manque à gagner en termes de recettes fiscales. Cette inéquité est d’autant plus ressentie que les élus reprochent à l’État de ne pas avoir pris d’engagement ferme et chiffré sur un accompagnement financier des projets de reconversion et de développement du territoire. Greenpeace France a également reproché à l’État de s’être engagé sur des montants qui pourraient se révéler considérables au lieu de consacrer ces sommes prélevées sur son budget aux projets industriels du territoire.

Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique, a justifié la durée de vingt ans retenue comme étant la durée maximale « possible ou imaginable » pour le fonctionnement de cette centrale, mais a reconnu que le calcul de la part encore non versée de l’indemnisation est fondé sur des paramètres inconnus au moment de la signature de l’accord, puisqu’il s’agit notamment de l’évolution du prix de l’électricité, mais auxquels seront appliqués des « coefficients minorants » pour tenir compte des aléas, alors que la part fixe se fonde sur l’anticipation de coûts liés à la fermeture de la centrale (notamment des dépenses d’EDF pour la reconversion des personnels). Toutefois, selon la ministre, l’estimation de cette part variable calculée par le Gouvernement en 2020 sur la base des hypothèses de prix de marché de référence utilisées pour l’établissement des comptes de l’État est un montant égal à zéro. Cette estimation sera actualisée chaque année.

La ministre a précisé que la part variable, si son montant s’avère positif, devra être versée en 2041 mais que des versements intermédiaires de l’État à EDF sont envisageables avant cette échéance, à l’initiative d’EDF ou de l’État. La ministre a également indiqué lors de son audition que l’État n’aura rien à verser à EDF avant 2025 et probablement rien avant 2030 et a souligné en réponse aux observations critiques de la Cour des comptes que, par rapport à la première version du protocole qui avait été finalisée en 2017, la version finale est « significativement plus favorable à l’État ».

M. Jean-Bernard Levy, président-directeur général d’EDF, lors de son audition, a précisé que le montant de la part variable dépendra de paramètres de production et de paramètres de prix qui seront constatés au terme de chacune des deux périodes de dix ans, donc en 2031 et en 2041. En fonction des prix de l’électricité et du volume de production qu’auront fourni les autres réacteurs du palier 900, EDF « aura droit ou pas » à une indemnisation complémentaire au titre de cette part variable. Présentant un point de vue différent par rapport aux informations communiquées par la ministre, le président d’EDF a fait valoir que le protocole prévoit de nombreux cas de figure dans lesquels le montant de la part variable ne sera pas égal à zéro. Pour reprendre ses termes, le protocole a été conçu pour qu’EDF reçoive effectivement une indemnisation complémentaire « dans de nombreuses circonstances ». M. Jean-Bernard Levy a indiqué ne pas envisager de compléter le protocole par un avenant et ne pas avoir reçu de demande en ce sens de la part du Gouvernement, bien que la ministre ait mentionné des discussions en cours sur les modalités d’application du protocole.

 


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   troisième partie :
L’avenir du site : le dÉmantèlement, et aprÈs ?

I.   les enjeux industriels du dÉmantèlement de la centrale de fessenheim

Dans la vie d’une centrale, la déconstruction est une étape normale, qui succède à la construction et à l’exploitation. Comme l’a indiqué à la délégation de la mission d’information le directeur de la centrale nucléaire de Chooz A, lors de la visite du 14 janvier 2021, toute déconstruction comporte plusieurs étapes : la mise à l’arrêt définitif du ou des réacteurs, les opérations de préparation (dont le déchargement du combustible et la vidange des principaux circuits), le décret autorisant le lancement du démantèlement, la déconstruction des bâtiments et des équipements hors bâtiment réacteur, puis le démantèlement de celui-ci et l’assainissement du site.

Le démantèlement des réacteurs à eau sous pression présente des enjeux en termes de sûreté qu’expose l’IRSN dans un rapport de juillet 2018 ([45]). Les auditions de la mission d’information ont également permis de prendre la mesure de ses enjeux industriels.

A.   l’expérience française en matière de démantèlement

Loin d’être le premier démantèlement nucléaire en France, le démantèlement de la centrale de Fessenheim s’inscrit dans une démarche d’expérience, certes encore relativement limitée, mais qui inclut déjà le démantèlement presque complet d’un réacteur de type REP, celui de Chooz A (Ardennes), le démantèlement complet de plusieurs installations et plusieurs chantiers de démantèlement en cours. Pour autant, le démantèlement de Fessenheim sera d’une importance particulière pour la filière, en tant que « démantèlement pilote » pour l’ensemble de la série des réacteurs à eau pressurisée de 900 MW.

Le nombre croissant de chantiers de démantèlement, compte tenu des chantiers non achevés et des prescriptions de la programmation pluriannuelle de l’énergie (voir infra, quatrième partie du présent rapport), soulève des questions relatives à la gestion des déchets, aux coûts des démantèlements pour les exploitants et à la capacité de la filière à démanteler, en termes de moyens humains et technologiques. Les informations apportées lors des auditions de la mission d’information permettent de lever, dans une certaine mesure, les doutes sur la capacité de la filière à industrialiser les démantèlements. La question de leur coût pour EDF, difficile à évaluer, a été précisément étudiée dans le cadre de travaux antérieurs de l’Assemblée nationale et des travaux de la Cour des comptes. S’agissant des déchets issus des démantèlements en cours et futurs, la mission d’information a accordé un intérêt particulier à la catégorie des déchets dits « TFA » (à très faible activité radioactive).

1.   Les premiers chantiers de démantèlement

Au 31 décembre 2020, sur 124 INB, la France comptait 69 installations définitivement arrêtées ([46]) : 36 en cours de démantèlement et 33 totalement démantelées et déclassées. Toutefois, il s’agit d’installations de natures très diverses et exploitées par plusieurs opérateurs différents. Pour citer les représentants auditionnés de l’ASN, « le premier démanteleur en France est le CEA ». Orano démantèle également ses propres installations.

Carte des 36 inB en cours de démantèlement au 31 décembre 2020

Source : ASN.

Dans son rapport précité de février 2020 sur l’arrêt et le démantèlement des installations nucléaires, la Cour des comptes constate que le démantèlement des installations de la première génération s’étendra jusqu’à la fin du siècle et que celui des installations de deuxième génération pourrait aller au-delà. Les représentants de l’ASN auditionnés par la mission d’information ont fait état de leur constat négatif, depuis une dizaine d’années, sur la gestion souvent défaillante des chantiers de démantèlement, sur lesquels les retards sont fréquents, qu’il s’agisse des réacteurs à l’uranium naturel graphite gaz (UNGG) ou de réacteurs plus petits comme celui de Brennilis.

Parmi les 69 installations définitivement arrêtées, 35 sont des réacteurs, mais très disparates en termes de puissance, la plupart d’entre eux étant des réacteurs expérimentaux.

réacteurs nucléaires définitivement arrêtés au 31 décembre 2020

INB et localisation

Exploitant

Puissance du réacteur

Date de l’arrêt définitif

État actuel

Néréide (Fontenay-aux-Roses - FAR)

CEA

500 kWh

1981

Démantelé

Triton (FAR)

CEA

6,5 MWh

1982

Démantelé

Zoé (FAR)

CEA

250 kWh

1975

Confiné (musée)

Minerve (FAR)

CEA

0,1 kWh

1976

Démonté à FAR et remonté à Cadarache

EL2 (Saclay)

CEA

2,8 MWh

1965

Partiellement démantelé, parties restantes confinées

EL3 (Saclay)

CEA

18 MWh

1979

Partiellement démantelé, parties restantes confinées

Mélusine (Grenoble)

CEA

8 MWh

1988

Assaini et déclassé

Siloe (Grenoble)

CEA

35 MWh

2005

Assaini avec restrictions d’usage et déclassé

Siloette (Grenoble)

CEA

100 kWh

2002

Assaini avec restrictions d’usage et déclassé

Peggy (Cadarache)

CEA

1 kWh

1975

Démantelé

César (Cadarache)

CEA

10 kWh

1974

Démantelé

Marius (Cadarache)

CEA

0,4 kWh

1983

Démantelé

Harmonie (Cadarache)

CEA

1 kWh

1996

Destruction du bâtiment, servitudes, déclassé

Réacteur universitaire (Strasbourg)

Université L. Pasteur

100 kWh

1997

Assaini avec restrictions d’usage et déclassé

Ulysse (Saclay)

CEA

100 kWh

2007

En cours de démantèlement

Rapsodie (Cadarache)

CEA

40 MWh

1983

Préparation au démantèlement

Masurca (Cadarache)

CEA

5 kWh

2018

Préparation au démantèlement

Osiris et Isis (Saclay)

CEA

70 MWh

2015

Préparation au démantèlement

Éole (Cadarache)

CEA

1 kWh

2017

Préparation au démantèlement

Bugey 1

EDF

1 920 MWh

1994

En cours de démantèlement

Saint Laurent des Eaux A1

EDF

1 662 MWh

1990

En cours de démantèlement

Saint Laurent des Eaux A2

EDF

1 801 MWh

1992

En cours de démantèlement

Phénix (Marcoule)

CEA

536 MWh

2009

En cours de démantèlement

Fessenheim 1 et 2

EDF

1 800 MWh

2020

Préparation au démantèlement

Superphenix (Creys-Malville)

EDF

3 000 MWh

1997

En cours de démantèlement

Phébus (Cadarache)

CEA

40 MWh

2017

Préparation au démantèlement

Minerve (Cadarache)

CEA

100 Wh

2017

Préparation au démantèlement

Orphée (Saclay)

CEA

14 MWh

2019

Préparation au démantèlement

Chinon A1

EDF

300 MWh

1973

Partiellement démantelé, transformé en INB d’entreposage des déchets laissés sur place. Préparation au démantèlement complet

Chinon A2

EDF

865 MWh

1985

Partiellement démantelé, transformé en INB d’entreposage des déchets laissés sur place. Préparation au démantèlement complet

Chinon A3

EDF

1 360 MWh

1990

En cours de démantèlement

EL4 (Brennilis)

EDF

250 MWh

1985

En cours de démantèlement partiel. Préparation au démantèlement complet

Chooz A

EDF

1 040 MWh

1991

En cours de démantèlement

Source : ASN.

EDF a engagé depuis 2006 les chantiers de démantèlement de neuf réacteurs de quatre technologies différentes, dont celui du réacteur de Chooz A, qui est de type REP. EDF acquiert également des connaissances à partir des échanges techniques avec des entreprises impliquées dans les démantèlements en cours en Europe : ENRESA (centrale José Cabrera en Espagne), EnBW (Obrigheim et Neckarwestheim en Allemagne), EWN (Greifswald en Allemagne), SCK CEN (réacteur belge de Mol) et SOGIN (réacteur italien de Trino Vercellese). Dans le cadre du démantèlement de réacteurs de type REP aux États-Unis, EDF travaille avec plusieurs entreprises et organismes américains, notamment l’Electric Power Research Institute.

État d’avancement des démantèlements des réacteurs EDF de première génération

S’agissant des réacteurs de première génération autres que celui de Chooz A (voir ci-après), où en est leur démantèlement ?

Le réacteur Superphénix de Creys-Malville, qui est le plus grand réacteur en démantèlement au monde, est un réacteur à neutrons rapides. Ont déjà été réalisés : l’évacuation du combustible, le démantèlement de la salle des machines, le démantèlement des gros composants, la vidange et la transformation du sodium utilisé pour le refroidissement et la mise en eau de la cuve. La prochaine étape est le démantèlement de la cuve sous eau.

À Brennilis, il s’agit d’un prototype de réacteur à eau lourde, enchâssé dans du béton (ce qui entraîne des difficultés d’accès). Ont déjà été réalisés : l’évacuation du combustible, la déconstruction de la salle des machines, du bâtiment combustible et des bâtiments auxiliaires, le démantèlement des échangeurs de chaleur (gros composants) et de la station de traitement des effluents. L’instruction du dossier de démantèlement complet est en cours. En septembre 2019, EDF a annoncé la fin des travaux pour 2039.

Pour les six réacteurs graphite-gaz (Bugey 1, Chinon A1, A2 et A3, Saint-Laurent A1 et A2), l’évacuation du combustible a été effectuée, ainsi que le démantèlement de la partie non nucléaire des installations (salle des machines, station de pompage, etc). Le démontage des équipements électromécaniques autour du caisson réacteur est en cours et, pour Chinon A3, le démantèlement des échangeurs de chaleur. Le réacteur Chinon A2 est considéré comme le réacteur « tête de série » de ce type et devrait donc être démantelé avant les cinq autres. Sans retour d’expérience à l’international, ces démantèlements sont extrêmement complexes.

Source : EDF.

Un autre exploitant d’INB en France, Orano, a acquis une expérience importante en matière de démantèlement, ayant participé à plus de 160 chantiers de démantèlement dans le monde, et conduit les démantèlements de ses propres installations en France qui sont parmi les plus importants au niveau mondial : l’ancienne usine de recyclage du combustible de La Hague, dont le démantèlement a commencé en 2003, et l’ancienne usine d’enrichissement Georges Besse à Tricastin (pour laquelle le décret autorisant le début du démantèlement a été publié en février 2020 ([47])). Orano n’exploite pas d’installations comportant des réacteurs mais a participé à plusieurs chantiers de démantèlement de réacteurs de puissance en France et à l’étranger (15 terminés et 8 en cours).

2.   Le premier démantèlement d’un REP en France : l’expérience de Chooz A, ses particularités et ses enseignements

La centrale nucléaire de Chooz A disposait de la même technologie que celle de Fessenheim, mais avec un seul réacteur et d’une puissance inférieure
(305 MW). Il s’agissait donc d’un « modèle réduit » ou d’un prototype des réacteurs de la centrale de Fessenheim et des autres réacteurs de la deuxième génération. La construction (1962-1967) et l’exploitation (1967-1991) ont été menées par une entreprise franco-belge, la SENA (Société d’énergie nucléaire des Ardennes). Chooz A a produit au total 38 milliards de kWh en vingt-quatre ans. La direction de la centrale a indiqué aux députés lors de leur déplacement sur le site que Chooz A n’était plus rentable lorsque la décision de fermeture a été prise et que cette décision était donc fondée sur des motifs économiques.

Le chantier de démantèlement de Chooz A n’a pas été lancé immédiatement après la mise à l’arrêt définitif, car à l’époque EDF pratiquait la stratégie dite de « démantèlement différé », consistant à évacuer le combustible et les fluides présents dans le réacteur, puis à attendre que la radioactivité décroisse progressivement avant de procéder au démantèlement. Ainsi que l’a exposé lors de son audition le directeur des projets de déconstruction d’EDF, M. Sylvain Granger, EDF a changé de stratégie en 2001 et applique désormais la stratégie du démantèlement « immédiat » ou « dans le délai le plus court possible » ([48]), recommandée par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) et qui a été inscrite dans la loi. Ce changement de stratégie a été provoqué par deux évolutions importantes : plusieurs technologies de robotisation et d’opération à distance sont arrivées à maturité, permettant d’engager la déconstruction des éléments les plus radioactifs des installations sans exposer directement les personnels au contact de ces éléments ; la mise en service des deux installations de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) dans le département de l’Aube pour le stockage des déchets radioactifs. On peut noter que cette stratégie est devenue obligatoire en France depuis la LTECV de 2015.

Le chantier de déconstruction de Chooz A a été présenté à la mission d’information comme représentatif du futur démantèlement de la centrale de Fessenheim et donc des autres centrales dotées de REP, avec toutefois une contrainte particulière, forte et impressionnante due à l’installation de la partie nucléaire de Chooz A dans des ouvrages souterrains (deux cavernes creusées à flanc de colline, dont l’une contenait le réacteur et que la délégation a pu visiter), qui assuraient la fonction de sécurisation de l’installation qui a été, dans les centrales suivantes de la série, dévolue à une enceinte de confinement en béton. La technologie nécessaire à la conception et à la fabrication d’une telle enceinte n’était pas encore maîtrisée à l’époque de la construction de Chooz A.

L’IRSN a souligné que la difficulté due aux contraintes techniques particulières du démantèlement de Chooz A « vient du fait que le démantèlement n’a pas été prévu à la conception » de cette centrale ([49]).

Sur le même site a été installée en bord de rivière une autre centrale, Chooz B, dotée de deux réacteurs de 1 450 MW et mise en service en 1996-1997.

Au moment de la visite, 25 salariés d’EDF répartis en deux équipes (la section Travaux-Logistique-Déchets et la section Exploitation-Prévention des risques) et une cinquantaine de salariés d’entreprises prestataires travaillaient sur le chantier de Chooz A. Ces équipes sont distinctes du personnel de Chooz B (qui compte 800 salariés d’EDF et 200 prestataires permanents) mais plusieurs fonctions supports sont mutualisées entre les deux installations, notamment le contrôle des rejets dans l’environnement, les transports de matières nucléaires, les mesures de radioprotection et le gardiennage.

Le démantèlement de Chooz A : chronologie

1991 : mise à l’arrêt définitif du réacteur.

1991-2001 : stratégie de mise en attente avant l’engagement du démantèlement. Des opérations ont tout de même été réalisées pendant cette période, notamment l’évacuation du combustible et des déchets d’exploitation.

2001 : du fait du changement de stratégie, EDF prend l’engagement d’un démantèlement immédiat.

2002-2007 : travaux de déconstruction des bâtiments non nucléaires (ou bâtiments conventionnels) périphériques (salle des machines, station de pompage, déconstruction du bâtiment de rejet…).

2007 : publication du décret autorisant le démantèlement.

2007-2010 : travaux préparatoires du démantèlement (ventilation, installations de découplage et de transit des déchets, moyens de levage, vestiaires…).

2010-2015 : premiers travaux de démantèlement (installations nucléaires périphériques au circuit primaire, puis circuit primaire). La dépose et la décontamination des deux premiers générateurs de vapeur (GV) ont eu lieu en 2011, leur expédition vers le centre de stockage de l’ANDRA en 2012, et l’expédition des deux autres GV vers ce centre a eu lieu en 2014.

Depuis 2016 : démantèlement sous eau de la cuve du réacteur, des structures métalliques qu’elle contient et des casemates de la caverne des auxiliaires. Il s’agit de la dernière phase du démantèlement, consistant à traiter les parties les plus radioactives de l’installation et qui devrait s’achever en 2022 avec la découpe finale de la cuve (opération qui se fait sous eau par robots télécommandés). L’ensemble du démantèlement devrait donc être réalisé en quinze ans, pour un coût d’environ 500 millions d’euros.

L’assainissement final du site devrait être achevé en 2024.

Source : EDF – présentation à la délégation de la mission d’information le 14 janvier 2021.

Le décret de 2007 prévoit qu’à l’issue du démantèlement et d’une période de surveillance des eaux d’infiltration d’environ douze ans après la fin de celui-ci (jusqu’en 2045), la caverne devra être comblée avec des gravats et du sable. Toutefois, les responsables de la centrale ont indiqué que cette obligation pourrait être supprimée, avec l’accord de l’ASN, compte tenu de l’absence de contamination constatée dans les eaux de ruissellement et de l’intérêt manifesté par le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) pour mener dans la caverne des expériences de recherche fondamentale sur une catégorie de particules produite dans les étoiles, l’atmosphère et le cœur des réacteurs nucléaires. Un nouveau décret va être nécessaire pour autoriser cette activité de recherche.

Si le site de Chooz A présente des caractéristiques uniques, les responsables de l’installation ont indiqué aux députés que plusieurs éléments de transposition sont possibles de ce chantier sur le futur chantier de démantèlement de Fessenheim. Le directeur des projets de déconstruction d’EDF a cependant, lors de son audition, écarté clairement l’hypothèse d’une simple transposition à Fessenheim du chantier de démantèlement de Chooz.

Les opérations ont a priori été plus complexes à Chooz du fait des difficultés d’accès et des espaces souvent confinés, mais, de ce fait, il n’a pas été nécessaire de démolir des bâtiments. La puissance moindre du réacteur de Chooz A n’est pas synonyme d’une moindre quantité d’équipements et de composants électromécaniques à démonter, découper et démanteler : Chooz A était doté de quatre générateurs de vapeur (GV), les autres REP n’en ayant que trois. Le retour d’expérience de Chooz A permet à EDF d’estimer que, pour Fessenheim, la quantité de déchets radioactifs produits par le démantèlement sera comparable et que la durée du démantèlement du circuit primaire sera d’environ dix ans. Le chantier de Chooz A, premier de ce type, a été marqué par de fortes incertitudes puisque certaines opérations n’avaient, justement, jamais été réalisées en France et parce que le cadre juridique des démantèlements s’est construit pendant que ce démantèlement se déroulait, ce qui a eu des incidences sur les délais et les coûts.

Les différences compliquant le démantèlement à Fessenheim devraient cependant être moins nombreuses que celles le facilitant. En particulier, toujours selon M. Sylvain Granger, le démantèlement de Chooz A a été riche d’enseignements sur la gestion des déchets des chantiers, qui sera donc bien mieux anticipée pour le chantier de Fessenheim puis pour les autres démantèlements.

La Cour des comptes a relevé, dans son rapport précité, que « malgré un chantier présenté comme exemplaire, le calendrier [du démantèlement de Chooz A] a pris quelques années de retard » puisqu’il était initialement prévu que le démantèlement sous eau de la cuve du réacteur soit achevé en 2016. Toutefois, de manière globale, le chantier de Chooz A permet à EDF de faire valoir la faisabilité du démantèlement des réacteurs de type REP avec les technologies existantes et son expérience concrète sur les opérations critiques du démantèlement d’un REP. EDF peut, grâce à Chooz A, prouver l’intérêt et la performance de la découpe sous eau de la cuve et de ses composants internes (avec une simplification de la télé-opération grâce au contrôle visuel en direct permis par la protection apportée par l’eau). Les technologies expérimentées à Chooz, notamment dans le domaine de la robotisation, sont au point mais leur productivité va pouvoir être améliorée à l’occasion du démantèlement de la centrale de Fessenheim.

B.   les freins au dÉveloppement de la filiÈre industrielle du dÉmantèlement ne sont pas technologiques mais Économiques

La filière française du démantèlement, composante de la filière nucléaire, a été présentée à la mission d’information par plusieurs acteurs, notamment le directeur « Maîtrise d’ouvrage - Démantèlement et déchets » du groupe Orano, M. Jean-Michel Romary, la directrice de la base installée du groupe Framatome, Mme Catherine Cormand, et les représentants du Groupement des industriels français de l’énergie nucléaire (GIFEN). Le GIFEN a indiqué que l’activité « démantèlement » concerne 22 % des 3 200 entreprises de la filière nucléaire et représente environ 2 % du chiffre d’affaires global de celle-ci.

La plupart de ces opérateurs ne sont pas « dédiés » au démantèlement mais interviennent aussi sur d’autres chantiers, qu’ils soient « nucléaires » ou non. Environ la moitié des entreprises qui interviennent dans le domaine du démantèlement sont de grandes entreprises, 30 % sont des entreprises de taille intermédiaire (ETI) et un peu moins de 20 % sont des PME ou des TPE. Le GIFEN note qu’il y a un pourcentage important d’entreprises qui ne travaillent pas encore dans ce domaine mais qui souhaiteraient s’y positionner à l’avenir.

Pour Orano, le démantèlement est une activité qui fait partie intégrante de la responsabilité de chaque exploitant nucléaire ; Orano dispose d’une expertise reconnue au niveau international et vend des prestations de démantèlement, sur la base de son expérience sur ses propres installations, à EDF et à des exploitants à l’étranger. Cette activité mobilise 2 000 salariés du groupe en France et à l’international. Pour autant, même une entreprise aussi grande qu’Orano ne procède pas seule au démantèlement complet d’une installation, car un démantèlement comporte des travaux de génie civil que des entreprises du secteur non nucléaire sont à même de réaliser.

Le groupe Framatome peut également faire valoir une importante expérience en matière de démantèlement, en France et à l’étranger. Framatome a notamment pris part à la déconstruction du réacteur de Creys-Malville et du réacteur de Chooz A d’EDF, de réacteurs du CEA, de la centrale Vermont Yankee aux États‑Unis et de plusieurs REP en Allemagne. Mme Catherine Cormand a constaté que les équipes de Framatome « ont déjà les outils, les produits, les compétences pour le démantèlement » et vont donc pouvoir se positionner, comme Orano et d’autres entreprises françaises, sur les opportunités actuelles et à venir en France, en Allemagne et ailleurs. S’agissant de la centrale de Fessenheim, Framatome a participé à la réalisation des études de préparation du démantèlement et a signé en 2020 un premier contrat avec EDF portant sur la décontamination du circuit primaire des deux tranches, technologie que Framatome a déjà mise en œuvre sur une vingtaine de réacteurs dans le monde.

Les activités du domaine du démantèlement sont des travaux d’ingénierie pour préparer la déconstruction, des travaux de génie civil, des travaux de déconstruction de bâtiments et d’équipements, des opérations d’évacuation de déchets et des activités logistiques. La mission d’information a par exemple entendu l’entreprise Robatel, une PME qui conçoit et fabrique des installations permettant, sur le site d’un démantèlement, de trier, découper et caractériser les déchets nucléaires ainsi que des emballages de transport pour ces déchets issus du démantèlement, utilisés dans différents pays. Le représentant du groupe Albatros a présenté sa filiale Sigedi, producteur de tuyauterie industrielle, qui intervient à la fois sur des chantiers de maintenance et sur des chantiers de démantèlement. Nuvia, filiale de Vinci, également représentée lors de l’audition du GIFEN, consacre près de 20 % de son activité au démantèlement et est un intervenant important sur le chantier de démantèlement de Chooz A.

Les acteurs auditionnés sont formels : la filière française existe et dispose de toutes les compétences nécessaires pour procéder aux démantèlements à venir. Mais le développement d’une filière professionnelle du démantèlement trouvant intérêt à s’investir durablement dans des projets intrinsèquement risqués, pour reprendre les termes employés par le président de l’ASN, « représente un défi à relever ». L’activité « démantèlement » de toutes ces entreprises représente un atout sérieux à l’export mais s’exerce, dans tous les pays, dans un cadre concurrentiel qui oblige à développer des offres compétitives et des schémas industriels efficaces et adaptés aux contraintes locales.

À l’échelle mondiale, 443 réacteurs nucléaires étaient en fonctionnement au 31 décembre 2019, dont 300 REP ([50]) (soit 68 % des réacteurs en service). Au sein des 443 réacteurs en service, 92 réacteurs avaient quarante ans ou plus et 206 entre trente et trente-neuf ans.

À la même date, 150 réacteurs (toutes technologies confondues) étaient en cours de démantèlement ou démantelés, dont 29 aux États-Unis, 28 en Allemagne, 26 au Royaume-Uni et 21 au Japon ([51]). Parmi ces 150 réacteurs, 42 sont des REP. Aux États-Unis, une dizaine de REP de puissance significative (supérieure à 50 MW) ont été entièrement démantelés et quatre sont en cours de démantèlement.

Dans son rapport précité de 2018, l’IRSN constate que « s’agissant des réacteurs à eau sous pression, le retour d’expérience acquis, tant en France qu’à l’international, montre que leur démantèlement est techniquement faisable, dans des délais maîtrisés, en utilisant des techniques aujourd’hui connues et éprouvées. En outre, des opérations de remplacement d’équipements lourds réalisées par le passé pour les réacteurs actuellement en exploitation (générateurs de vapeur, couvercles de cuve notamment) ont apporté des éléments de retour d’expérience importants ». L’IRSN souligne toutefois, comme l’ont également indiqué plusieurs acteurs auditionnés par la mission d’information, que « la capacité des industriels (notamment en termes de compétences, d’organisation et de moyens techniques) à répondre à l’accroissement du nombre de réacteurs à démanteler est liée à une visibilité suffisante du marché du démantèlement, et donc tout particulièrement des programmes à venir ».

Le principal frein au développement pour la filière française dans le domaine du démantèlement est d’ordre économique : comme indiqué lors des auditions, notamment celle du GIFEN, à l’heure actuelle le démantèlement n’est pas une activité rentable pour les entreprises et n’est pas une activité attractive, notamment pour les jeunes. Bien que le démantèlement constitue une étape dans la vie de toute installation nucléaire et dure nécessairement au moins une décennie et souvent beaucoup plus, il pâtit d’une image négative, celle de la fin d’une filière.

Au sein du chiffre d’affaires global de la filière nucléaire, alors que les activités d’exploitation et de maintenance du parc existant représentaient 67,7 % en 2019, et les activités du cycle du combustible 13,5 %, les activités de déconstruction n’en représentaient que 2 % et les activités d’assainissement 1,3 % ([52]).

Les activités du démantèlement sont, selon les représentants auditionnés du GIFEN, moins diversifiées et moins qualifiées que les activités liées à l’exploitation et à la maintenance des installations. De plus, les chantiers de démantèlement, sans présenter des défis techniques considérables, peuvent être d’une grande complexité en termes de sûreté et de radioprotection. Toutefois, constituent pour les entreprises une valeur ajoutée propre au démantèlement le fait que cette branche d’activités soit porteuse d’innovation et qu’elle permette l’acquisition de savoir-faire pouvant être valorisés à l’international.

Malgré tout, le démantèlement est considéré comme une activité complémentaire qui ne peut pas se substituer aux activités de construction, d’exploitation et de maintenance. La représentante du GIFEN l’a même qualifié de « secteur d’activité par défaut », qui ne pourra en aucun cas compenser la perte d’activité liée à l’arrêt définitif d’installations et qui n’est donc pas une solution d’avenir pour la filière nucléaire. Le représentant d’Orano a confirmé que cette activité n’est pas un relais de croissance mais pourrait, à terme, représenter environ 10 % du chiffre d’affaires du groupe et est un domaine majeur d’innovation, ce qui permet à la fois de créer de la valeur et de réaliser des économies ; l’innovation est ainsi particulièrement sollicitée dans les domaines de la robotique, de la réalité virtuelle, du développement de résines de protection applicables sur des parois ou des équipements, de la décontamination au laser, des systèmes d’information utilisés pour la traçabilité des déchets… et l’ensemble de ces innovations peuvent également être utilisées, ensuite, dans les phases d’exploitation d’autres installations. La directrice de la base installée de Framatome a déclaré que le marché du démantèlement n’est pas suffisant, à lui seul, pour justifier la constitution d’équipes dédiées d’ingénierie. L’actuel chiffre d’affaires de l’activité « démantèlement » de Framatome représente environ 40 millions d’euros par an. Pour l’instant, la taille du marché est « sous-critique ».

Comme l’a déploré le représentant de Nuvia, le démantèlement est malheureusement souvent une variable d’ajustement financière pour les exploitants : le décalage fréquent de chantiers de démantèlement dans le temps empêche d’avoir une bonne visibilité. De plus, les entreprises constatent un degré élevé d’incertitude sur l’état exact des installations à démanteler, autant d’aléas et contraintes techniques qu’elles savent prendre en compte mais qui se trouvent en contradiction avec l’existence de contrats extrêmement rigides, en termes de partage des risques, entre les exploitants des installations et les prestataires. Les opérations de démantèlement, ainsi que les opérations d’assainissement des sols une fois le démantèlement terminé, peuvent conduire à découvrir des contaminations ou des difficultés qui n’avaient pas été identifiées au moment de la signature des contrats ; or certains de ces contrats sont « au forfait », avec un montant fixé au départ. Si les opérations à réaliser par un sous-traitant sont plus complexes que prévu ou durent plus longtemps, le risque financier correspondant pèse sur le sous-traitant et non sur l’exploitant. Le GIFEN considère que les modes de contractualisation ne sont pas encore « matures » dans ce domaine mais a signalé que des réflexions sont en cours, dans le cadre du Plan Excell, pour assouplir les relations contractuelles et améliorer les relations entre EDF et ses fournisseurs.

Le président de l’ASN a aussi alerté la mission d’information sur l’absence de viabilité, pour certains sous-traitants, d’activités liées aux démantèlements, en notant que ces sous-traitants pourraient décider de ne plus postuler à des opérations de démantèlement car les contrats correspondants sont nécessairement d’une durée longue. La question du partage contractuel des risques entre exploitants et sous-traitants face aux aléas qui peuvent se présenter sur les chantiers de démantèlement ou d’assainissement est un sujet difficile sur lequel les exploitants doivent progresser. À cet égard, on peut considérer que le chantier de Fessenheim sera une « opération-pilote » en termes de gestion de projet, dont le retour d’expérience sera utile pour les autres démantèlements à venir.

Recommandation n° 3

Compte tenu du nombre prévisible de chantiers de démantèlement dans les prochaines décennies, la mission d’information recommande que soit élaboré rapidement un nouveau cadre juridique assurant une répartition plus équitable des risques compte tenu des aléas des chantiers de démantèlement. Ces nouvelles modalités contractuelles permettant de sécuriser l’activité des prestataires, et donc de favoriser leur investissement de long terme sur le marché du démantèlement, devront être définies au niveau de la filière nucléaire dans son ensemble, avec, le cas échéant, le soutien de l’État.

C.   le dÉmantèlement de fessenheim, premier d’une longue sÉrie, prÉsente plusieurs particularitÉs

Comme l’a exposé le président-directeur général d’EDF lors de son audition, « à partir de Fessenheim, nous avons beaucoup appris » : EDF a appris à construire, à exploiter et à maintenir son parc nucléaire, et ambitionne aujourd’hui, à partir de l’expérience de Fessenheim, d’« apprendre à déconstruire de manière standardisée » et de faire de la filière du démantèlement une filière d’excellence comme le sont déjà les filières françaises de la construction, de l’exploitation et de la maintenance des centrales.

Pour EDF et l’ensemble des autres acteurs de la filière, l’enjeu aujourd’hui est de se préparer à l’industrialisation du démantèlement du parc des REP et à dégager des « effets de série » et de mutualisation sur ces 58 tranches. À ce titre, le démantèlement des réacteurs de Fessenheim est crucial car il permettra d’apprécier les choix et solutions qui seront ensuite déployés sur le reste du parc, aussi bien en termes économiques qu’en termes de sûreté : dans son rapport précité de 2018 sur les enjeux du démantèlement des REP, l’IRSN souligne combien « les facteurs organisationnels et humains constituent un enjeu d’une importance toute particulière » et que « sur ce point, la standardisation du démantèlement des réacteurs d’EDF et la mutualisation des moyens nécessaires sont des éléments favorables ».

Le démantèlement de la centrale de Fessenheim nécessite qu’EDF relève les défis industriels et organisationnels que représentent la gestion de projet et la maîtrise des délais et des coûts. Tout démantèlement doit être considéré comme un projet exigeant une gestion spécifique des compétences, distincte de celle pratiquée pendant l’exploitation. Selon les termes employés par le président de l’ASN, « ce ne sont pas les mêmes personnes » qui doivent être présentes sur le site ou chargées du suivi. Cette gestion de projet doit s’appuyer sur une maîtrise d’ouvrage solide et expérimentée et sur une maîtrise d’œuvre, interne ou intégrant des sous-traitants qualifiés, disposant eux-mêmes des compétences nécessaires.

Au sein d’EDF a été créée, en 2015, la direction des projets déconstruction déchets (DP2D) pour renforcer le pilotage par projet et la synergie entre les activités de déconstruction et la gestion des déchets. Son directeur, M. Sylvain Granger, a exposé à la mission d’information qu’il est désormais établi que le choix de la technologie « REP » est réellement un avantage pour la France s’agissant du démantèlement car celui-ci est faisable sans difficultés particulières puisqu’il a déjà été mené à son terme sur plusieurs réacteurs aux États-Unis et va l’être bientôt à Chooz. Comme il l’a résumé, « on sait faire » et ce, « avec des coûts et des délais raisonnables », ce qui n’est pas le cas pour les réacteurs UNGG dont le démantèlement se heurte à des difficultés techniques qui demeurent non résolues à ce jour et qui allongent considérablement la durée prévisible des chantiers.

L’un des premiers défis de la gestion de projet du démantèlement concerne la connaissance fine de l’installation. La perte d’informations relatives à la conception, aux modifications anciennes ou l’oubli d’incidents non archivés peuvent compliquer la réalisation des travaux. Le maintien d’un minimum d’agents connaissant le site de manière approfondie dans l’« équipe projet » est donc recommandé par l’ASN.

Le directeur des projets de déconstruction d’EDF a indiqué qu’à la différence de Chooz A, où cela n’a pas été possible en raison de l’intervalle de temps de plusieurs années qui s’est écoulé entre l’arrêt du réacteur et le début des travaux, EDF envisage de réaliser une décontamination complète de l’ensemble du circuit primaire pendant que ce circuit fonctionne encore. Il a observé que c’est sur le chantier de Fessenheim que va se poser pour la première fois pour EDF la question de la gestion d’une phase de plusieurs années pendant laquelle les équipes de la centrale seront encore présentes pour achever « proprement » la fermeture et les équipes dédiées au démantèlement seront aussi présentes pour commencer à intervenir, question qui ne s’était pas posée pour le chantier de Chooz A.

En termes financiers, le démantèlement du réacteur de Chooz A a coûté environ 500 millions d’euros au total. Les représentants d’EDF rencontrés ont indiqué à la mission d’information que, la centrale de Fessenheim étant une « tête de série », le coût devrait être similaire car les effets de série dont bénéficieront les démantèlements ultérieurs de REP n’auront pas encore pu apparaître. Par exemple, certaines études réalisées pour la préparation du démantèlement de la centrale de Fessenheim n’auront pas à être répliquées pour les réacteurs de Bugey ou d’autres, en raison de l’homogénéité de la « flotte » des REP du palier 900 MW, et des outillages pourront être transportés du chantier de Fessenheim vers d’autres chantiers de démantèlement. Lors de son audition, M. Sylvain Granger, dans l’attente de chiffrages plus précis qui étaient encore en cours d’élaboration, a estimé que le démantèlement de chacun des deux réacteurs de Fessenheim coûtera moins cher que le démantèlement de l’unique réacteur de Chooz A, en indiquant que le coût total du démantèlement de la centrale de Fessenheim pourrait s’inscrire dans une fourchette de 700 millions à un milliard d’euros.

 

 


II.   calendrier et prÉparation du dÉmantèlement

A.   le calendrier annoncé

Le scénario du démantèlement de la centrale de Fessenheim a fait l’objet d’études détaillées menées par EDF depuis 2015 sur la base du retour d’expérience des autres démantèlements en France et à l’étranger. Le calendrier prévisionnel présenté par EDF à la mission d’information est le suivant :

Source : réponses écrites d’EDF à la mission d’information (mai 2020).

La préparation du démantèlement d’une INB ne commence pas après l’arrêt définitif des réacteurs mais en amont, l’exploitant devant actualiser le plan de démantèlement établi dès la création de l’installation et qu’il a communiqué à l’ASN. Ce plan définit la stratégie que l’exploitant mettra en œuvre au moment de l’arrêt définitif puis pendant la période de préparation du démantèlement, puis enfin pendant le démantèlement. Le président de l’ASN a expliqué lors de son audition que, à l’occasion de la mise à jour par EDF du plan de démantèlement de la centrale de Fessenheim, l’autorité de sûreté attendait une mise à jour substantielle avec un niveau de détail élevé concernant les opérations préparatoires au démantèlement. Ce degré d’exigence a nécessité qu’EDF fournisse à l’ASN, à la demande de celle-ci, un certain nombre d’éléments complémentaires, et les services de l’ASN ont effectué en novembre 2019 une inspection sur site portant sur les conditions de préparation de l’arrêt définitif et du démantèlement. Les conclusions de cette inspection ont été publiées le 3 février 2020.

Fin 2020, EDF a déposé auprès de l’ASN le dossier de démantèlement, comprenant une étude d’impact environnementale et une démonstration de sûreté. Il est en cours d’instruction par l’ASN. Cette instruction prendra plusieurs années et comprendra une enquête publique. Si l’issue de cette instruction est positive, le décret autorisant le début des travaux de démantèlement devrait pouvoir être publié en 2025.

Dans l’intervalle (2020-2025), avant le démantèlement proprement dit, se déroulera la phase de préparation au démantèlement (PDEM), durant laquelle les opérations suivantes doivent être réalisées :

1° Les opérations de fin d’exploitation (évacuation du combustible, vidange des circuits, évacuation des déchets d’exploitation…). Les assemblages de combustible seront déchargés des réacteurs, stockés dans la piscine du bâtiment combustible puis transportés vers le centre de retraitement de La Hague, l’objectif étant qu’il n’y ait plus de combustible sur le site de Fessenheim à l’été 2023. Lors du déplacement de la mission d’information à Fessenheim, le directeur de la centrale a indiqué qu’un assemblage de combustible doit demeurer environ un an et demi dans la piscine avant de pouvoir être transporté vers La Hague.
Quinze opérations d’évacuation de combustible sont programmées pour l’année 2021 ; au total, 45 transports sont prévus sur trois ans. Une fois le combustible évacué, des restrictions d’urbanisme autour de la centrale pourront être levées, ce qui facilitera la revitalisation du site ;

2° Les opérations de préparation (décontamination du circuit primaire, transformation de la salle des machines pour en faire un espace d’entreposage des déchets, adaptation de l’installation pour faciliter les chantiers de démontage…).

À partir de la publication du décret de démantèlement, donc en principe en 2025, le démantèlement commencera sur le site. Il comportera quatre séries de travaux :

-         le démantèlement électromécanique, qui consiste à déposer et découper tous les équipements (tuyauteries, pompes, réservoirs…) et à les conditionner en déchets ; lors du déplacement de la mission d’information, les responsables de la centrale ont indiqué que les générateurs de vapeur, en tant que déchets métalliques radioactifs, seraient transportés vers la Suède pour être traités en vue d’un recyclage de ces métaux (voir le III de la présente partie sur le projet de technocentre) ;

-         l’assainissement des structures des bâtiments nucléaires, qui consiste à éliminer la contamination déposée à l’intérieur des bâtiments ;

-         la démolition des bâtiments. Pour les bâtiments conventionnels, la démolition peut avoir lieu dès qu’ils n’ont plus d’utilité pour le chantier de démantèlement. Pour les bâtiments nucléaires en revanche, elle ne peut commencer qu’une fois les structures du génie civil assainies ;

-         enfin, la réhabilitation du site, qui consiste à s’assurer de la compatibilité entre l’état des sols et l’usage futur.

EDF prévoit que le démantèlement proprement dit durera une quinzaine d’années, ce qui, selon le président de l’ASN, apparaît comme une durée réaliste au regard du retour d’expérience de Chooz A et des retours d’expérience internationaux. L’ASN sera particulièrement vigilante sur le respect des délais envisagés au regard du principe réglementaire d’un démantèlement aussi rapide que possible. Pour certaines étapes importantes, par exemple le démantèlement des générateurs de vapeur et du circuit primaire, qui présentent des risques particuliers en termes de sûreté ou de protection des travailleurs, les opérations seront soumises à une autorisation préalable de l’autorité.

À l’issue du démantèlement – donc, selon les prévisions, dans une vingtaine d’années – l’ASN instruira le dossier d’autorisation de déclassement du site. Si elle constate que des pollutions persistent, des servitudes d’utilité publique pourront être instaurées à la demande de l’exploitant ou des pouvoirs publics, en fonction de l’usage futur du site.

Quel sera l’état final du site ? Le directeur des projets de déconstruction d’EDF a indiqué à la mission d’information que l’objectif est un état permettant une réutilisation industrielle (« brown field ») et pas un « retour à l’herbe » (« green field »), ce qui ne dispense en aucune façon EDF de procéder à un assainissement des sols. Toutefois, lorsque l’état final visé est le « brown field », s’il s’avère qu’un assainissement complet serait excessivement coûteux, il est possible de demander à l’ASN une dérogation pour réaliser un assainissement poussé (qui consiste notamment à éliminer ce qui apporte un supplément significatif de radioactivité par rapport à la radioactivité naturelle mais sans aller jusqu’à atteindre un niveau nettement inférieur à celle-ci).

B.   l’évolution et le contrôle des risques avant et pendant le démantèlement

Le démantèlement est une phase de la vie d’une INB très différente de la phase d’exploitation, en termes d’enjeux de sûreté, de radioprotection, de sécurité et de santé au travail. L’exploitation correspond à un état stable de fonctionnement, tandis que pendant la préparation et le déroulement du démantèlement, l’installation évolue en permanence.

Comme l’indique l’IRSN dans son rapport précité sur les enjeux du démantèlement des REP, si les premières opérations d’un démantèlement sont proches de celles réalisées lorsque le réacteur est en fonctionnement (évacuation des assemblages combustibles et des déchets de fonctionnement, démontage de certains équipements), elles s’en écartent notablement au fur et à mesure de l’avancement des travaux (démontage d’équipements spécifiques, assainissement de structures et de sols afin d’atteindre l’état final visé). De manière concomitante, les risques évoluent. Une fois le combustible évacué, 99,9 % de la radioactivité aura été éliminée du site ; les risques de l’installation pour l’environnement seront ainsi très significativement réduits, mais les risques d’origine non nucléaire augmentent (par exemple le risque d’incendie d’origine électrique lié aux manutentions) et les risques pour les personnels varient selon le type de travaux à réaliser. Les opérations très variées sur un chantier de démantèlement peuvent se dérouler simultanément dans plusieurs parties de l’installation, ce qui peut induire des « risques liés à la co-activité ». Le président de l’ASN a également indiqué, lors de son audition, que les risques d’exposition aux rayonnements ionisants augmentent pendant le démantèlement car les travailleurs opèrent à certains stades – notamment les derniers stades – au plus près des équipements qui ont été activés (pour leur découpe et l’entreposage des déchets irradiants). S’adapter à des risques de nature différente tout au long du chantier est donc un enjeu essentiel, d’autant qu’une très grande partie des opérations sera réalisée par des prestataires. C’est pourquoi la réglementation charge l’ASN à la fois de la responsabilité du contrôle de la sûreté et de la radioprotection et de la mission d’inspecteur du travail.

La fin de l’exploitation d’un réacteur ne met pas fin au processus obligatoire de réexamen périodique de sa sûreté, ni aux inspections non périodiques de l’ASN. Comme l’a exposé à la mission d’information le président de l’ASN, les réexamens décennaux ont lieu également après l’arrêt définitif d’un réacteur car une installation nucléaire « est en perpétuelle évolution », ce qui impose de réévaluer de manière continue son état de sûreté – d’autant que le démantèlement d’un réacteur peut durer plusieurs décennies. Ce sera le cas pour la centrale de Fessenheim. La dernière visite décennale du réacteur n° 1 s’étant achevée en 2010, et celle du réacteur n° 2 en 2012, le prochain réexamen périodique par l’ASN aura lieu en parallèle de l’instruction du dossier de démantèlement.

Il est intéressant de relever que les responsables de l’ASN auditionnés ont reconnu ne pas encore avoir de manière complète une compétence d’évaluation de la conduite, par un exploitant, de projets de démantèlement ou de reprise et conditionnement de déchets anciens, et que les services de l’ASN travaillent depuis 2019 à cette montée en compétences qui est indispensable pour être en mesure de « challenger l’exploitant en permanence » car alors que l’exploitant a tout intérêt à voir aboutir le plus vite possible un chantier de construction d’un réacteur, ce n’est pas forcément le cas pour les chantiers de démantèlement. L’ASN a depuis quelques années renforcé les effectifs de ses équipes chargées du contrôle et du suivi des démantèlements, tant au niveau central qu’au niveau territorial.

Les déchets issus des démantèlements sont gérés comme les déchets d’exploitation des centrales nucléaires : les exploitants sont responsables du financement des opérations de déconstruction et de la gestion des déchets ; ceux-ci sont triés, compactés quand cela est possible, puis transportés vers des centres de stockage adaptés à leur nature (la déconstruction génère plus de 80 % de déchets conventionnels et moins de 20 % de déchets radioactifs). EDF prévoit que le démantèlement d’une centrale avec un REP du palier 900 produira environ trois fois plus de déchets radioactifs que son exploitation pendant quarante à cinquante ans ([53]), mais souligne que la majeure partie de ces déchets sont faiblement radioactifs. Ainsi, pour le démantèlement de la centrale de Fessenheim, EDF prévoit un volume total de déchets de 405 000 tonnes, dont 95 % de déchets conventionnels ([54]).


III.   le projet de « technocentre » pour le recyclage de dÉchets mÉtalliques faiblement radioactifs issus des chantiers de dÉmantèlement

A.   un enjeu industriel : la valorisation de déchets tfa

Les déchets très faiblement radioactifs (ou à « très faible activité » – TFA) sont majoritairement issus du fonctionnement, de la maintenance et du démantèlement des installations nucléaires (centres de recherche, centrales nucléaires et installations du cycle du combustible). Ils peuvent aussi provenir d’autres industries utilisant des matériaux naturellement radioactifs (industries extractives, pétrochimie, métallurgie…). Il peut s’agir principalement de déchets inertes (bétons, gravats, terres…), de déchets métalliques ou de déchets plastiques. Comme l’a souligné le Haut comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire (HCTISN) dans son rapport sur les perspectives d’évolution de la filière de gestion de ces déchets présenté en avril 2020 ([55]), le niveau de radioactivité de ces déchets est en général inférieur à 100 becquerels par gramme ([56]) pour les principaux radionucléides.

Selon les données de l’inventaire national des matières et déchets radioactifs établi par l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) en 2018, la quantité de déchets TFA produite à fin 2016 était d’environ 482 000 mètres cubes). Les volumes stockés à fin 2017 représentaient 386 000 m3. Les évaluations prospectives de production réalisées par les exploitants conduisent à estimer les productions cumulées de déchets TFA entre 1 800 000 m3 et 2 300 000 m3 environ et ce, jusqu’en 2075 (tous scénarios confondus). Cette estimation comporte des incertitudes, liées aux stratégies qui seront in fine retenues en termes de démantèlement et d’assainissement des sites (volumes de terres et gravats produits selon le niveau d’activité résiduelle à atteindre, stratégie de réutilisation de ces sites).

Le directeur des projets de déconstruction d’EDF, M. Sylvain Granger, a souligné lors de son audition que les opérations de démantèlement produisent un peu plus de deux fois plus de déchets radioactifs que le fonctionnement d’une centrale pendant cinquante ans et que l’essentiel des déchets ainsi produits sont des déchets TFA. La catégorie des déchets « TFA » est celle qui représente, de très loin, les plus gros volumes de déchets produits par les chantiers de démantèlement. Contrairement à la phase d’exploitation d’une centrale, la phase de déconstruction et de démantèlement ne produit pas de déchets à haute activité radioactive. Le responsable auditionné du groupe Orano a fait valoir qu’environ la moitié de ces déchets TFA sont des déchets métalliques.

B.   le projet en cours d’élaboration

Le 18 décembre 2019, M. Jean-Bernard Levy, président-directeur général d’EDF, auditionné à l’Assemblée nationale par la commission des affaires économiques, présentait ainsi le projet de technocentre : « Le projet de reconversion partielle de Fessenheim prévoit d’y installer un four permettant de gérer des métaux très faiblement radioactifs pour les réinsérer dans le circuit économique. (…) Ce projet est principalement suspendu à deux questions. Tout d’abord, nous attendons un changement de réglementation permettant de ne pas retenir la nature radioactive des métaux très faiblement irradiés – c’est ce que l’on appelle le seuil de libération. La France est l’un des seuls pays d’Europe qui ne fixe pas de seuil de libération, tandis que même des pays très opposés au développement de l’industrie nucléaire l’ont fait. Ensuite, pour que le four soit viable, il faut un plan de charge, qui serait mieux assuré si nous pouvions retraiter des métaux en provenance d’Allemagne. (…) Ce dossier, (…) à ma connaissance, il n’a pas beaucoup progressé. Ce sujet reste néanmoins à l’ordre du jour et nous espérons que cette installation pourra se faire. »

1.   Présentation du projet

Le technocentre est une installation industrielle qui permettrait la réception de déchets métalliques très faiblement radioactifs issus d’installations nucléaires, leur découpe et leur traitement par fusion en vue de retirer la radioactivité et de valoriser le métal. Il pourra s’agir de composants issus de démantèlements mais aussi d’éléments provenant d’installations nucléaires en activité lors du remplacement de pièces mécaniques (échangeurs de chaleur, tuyaux, vannes, pompes…). L’implantation géographique initialement envisagée était Tricastin, à proximité de l’usine Georges Besse d’Orano ([57]) ; le projet est porté par EDF et Orano.

Le procédé retenu pour la décontamination est celui de la fusion des métaux à traiter dans un four électrique à 1 650 degrés. L’acier entrant, chargé d’impuretés et de composés faiblement radioactifs, devient liquide à haute température et il devient possible de séparer le « laitier » en surface, de densité plus faible, et le métal, plus lourd, en partie inférieure. Les impuretés, les radioéléments et les poussières migrant sur le laitier seront séparés du métal décontaminé (décrassage) et ces déchets seront envoyés au centre industriel de regroupement, d’entreposage et de stockage (CIRES) de l’ANDRA. Le métal décontaminé est transféré dans un four (« four poche ») pour ajustage de la composition métallurgique souhaitée par les clients du recyclage. Après affinage, le métal en fusion est transféré dans une lingotière dans laquelle sont moulés les lingots. Les lingots refroidis sont ensuite extraits et entreposés avant envoi dans les installations suivantes de la filière de recyclage (fonderies, aciéries). Le technocentre serait dimensionné pour traiter 25 000 tonnes de métal par an. Selon les estimations présentées lors des auditions, la construction du technocentre emploierait 180 personnes et son exploitation,
150 personnes.

Cyclife, filiale d’EDF, exploite trois installations industrielles dédiées à la décontamination de métaux provenant d’installations nucléaires

En France, l’usine Centraco de Bagnols-sur-Cèze, dans le Gard, emploie environ 250 personnes. Y sont traités des matières et déchets métalliques de faible activité et de moyenne activité à vie courte, qui arrivent en vrac dans des conteneurs. Après un tri réalisé dans l’usine, les déchets méalliques sont découpés et fondus pour être transformés en lingots, ce qui permet un gain de volume des déchets qui facilite ensuite leur stockage. L’usine peut procéder à la découpe de gros composants comme des échangeurs thermiques. Une partie des déchets est recyclée en protection radiologique intégrable (PRI) intégrée dans des conteneurs en béton pour le conditionnement de certains déchets nucléaires (les résines utilisées pour épurer les eaux des circuits des centrales nucléaires) ; il s’agit donc de recyclage pour une nouvelle utilisation dans la filière nucléaire, et non de libération pour utilisation dans l’industrie conventionnelle puisque la réglementation française en vigueur ne le permet pas.

Au Royaume-Uni, l’usine de Workington, à Cumbria, emploie 110 personnes. Elle gère environ 1 000 tonnes de déchets radioactifs par an et environ 95 % des déchets reçus sont recyclés, soit au Royaume-Uni, soit sur d’autres marchés. Les résidus de traitement sont stockés dans le centre de stockage définitif des déchets faiblement radioactifs.

En Suède, l’usine Studsvik de Nyköping emploie 100 salariés. Le taux moyen de recyclage calculé sur les 40 000 tonnes traitées est de l’ordre de 95 %. L’installation fournit une palette de services qui comprennent la segmentation, la décontamination, la fusion (jusqu’à 5 000 tonnes par an), la libération et le recyclage des lingots métalliques produits.

Source : EDF.

Il convient de noter, comme l’a reconnu M. Sylvain Granger lors de son audition, que le projet de technocentre n’est pas directement lié au démantèlement de la centrale de Fessenheim et n’est pas nécessaire pour mener ce démantèlement. La technologie est déjà utilisée par le groupe EDF avec l’activité de sa filiale Cyclife mais le projet de technocentre vise à mettre en œuvre des technologies plus avancées, ce qui en fait un projet d’innovation. La pertinence de ce projet s’apprécie à l’échelle de l’ensemble du parc nucléaire français et des chantiers de démantèlement qui vont s’y engager dans les prochaines décennies, y compris pour les installations nucléaires exploitées par des opérateurs autres qu’EDF (installations du CEA et d’Orano) et, plus largement, à l’échelle du parc européen, compte tenu des démantèlements en cours et des démantèlements à venir, notamment parce que la capacité de l’usine suédoise de Cyclife – qui traite déjà des déchets métalliques provenant de plusieurs pays européens – sera insuffisante pour répondre aux besoins prévisibles : le « gisement » potentiel est estimé par EDF à un million de tonnes de déchets métalliques pouvant être ainsi recyclés au lieu de devoir être stockés (500 000 tonnes provenant de démantèlements en France et 500 000 tonnes provenant d’autres pays européens).

Lors de son audition par la mission d’information, M. Jean Rottner, président du conseil régional de la région Grand Est, a exprimé fortement le soutien que la région apporte au projet de technocentre. La région sera financièrement partie prenante, notamment pour contribuer à « fixer EDF sur ce territoire » et permettre ainsi le développement futur d’activités d’EDF à proximité. Le soutien de la région manifeste aussi la volonté de créer un « hub » d’innovation à proximité du futur technocentre. La volonté des collectivités locales rejoint ainsi celle d’EDF d’engager à nouveau le territoire dans un parcours industriel pour plusieurs décennies. EDF a également sollicité un soutien financier de l’État (voir ci-dessous) et du fonds européen de développement régional (FEDER) au niveau européen.

2.   Un projet soutenu par l’État et l’ensemble de la filière nucléaire

a.   Un projet industriel « Métaux TFA » inscrit dans le contrat stratégique de filière (février 2019)

L’un des objectifs du contrat stratégique de la filière nucléaire signé le 28 janvier 2019 par les entreprises de la filière, les représentants des salariés et l’État est de promouvoir une économie circulaire au sein de la filière à travers deux démarches :

1° Garantir la fermeture du cycle combustible dans la durée en gardant toutes les options ouvertes, en préparant le « moxage » des réacteurs 1300 MWe, en menant la recherche et développement nécessaire au multi-recyclage dans les REP et en construisant un programme de recherche et développement sur les réacteurs de quatrième génération ;

Engager de manière industrielle le projet « Métaux TFA ».

La question du recyclage des métaux TFA est ainsi présentée dans le contrat : « En France, plusieurs installations du cycle combustible ou de production d’électricité sont à l’arrêt et en cours de déconstruction. Après la phase d’exploitation, les exploitants sont responsables de la déconstruction et de la gestion des déchets issus de ces usines. (…) À date, les évacuations de déchets d’exploitation sont aujourd’hui majoritaires. Cependant, dans les années à venir, avec la croissance attendue des activités de déconstruction, les flux de déchets de démantèlement des installations (par exemple les centrales et installations d’enrichissement) vont significativement augmenter. Ces éléments conduisent à s’interroger dès maintenant sur la gestion des déchets de très faible activité en France au regard des volumes de déchets ultimes qui sont générés. La question de la valorisation de ces déchets notamment via l’utilisation plus systématique du traitement par fusion pour les déchets métalliques constitue l’une des voies de réponse à cette problématique. En France, SOCODEI, filiale d’EDF, exploite un four de fusion. Les déchets métalliques éligibles sont triés, mis au gabarit puis fondus dans le four à induction d’une capacité de 4 tonnes. En l’absence de seuils de libération en France, les lingots ainsi obtenus sont ensuite stockés dans les centres de stockage de surface, comme les déchets induits.

« En Suède, Cyclife, filiale d’EDF, exploite également un four de fusion. Le process est similaire à celui de l’installation française, toutefois en Suède à l’issue du traitement, tous les lingots dont les caractéristiques radiologiques sont inférieures aux seuils de libération définis par la réglementation européenne sont valorisables dans le domaine conventionnel et revendus à des industriels de la métallurgie. De fait, seuls les déchets issus du laitier sont stockés dans un centre de stockage dédié aux déchets radioactifs. Le facteur de réduction ainsi obtenu est alors proche d’un facteur 20 et ce procédé permet la réutilisation conforme aux principes de l’économie circulaire de grandes quantités de matériaux de valeur.

« Dans ce domaine, le marché européen représente un potentiel intéressant : à titre d’exemple, près de 300 000 tonnes de déchets métalliques de démantèlement seront produites en Allemagne dans les 20 prochaines années ».

Le projet industriel « Métaux TFA » prévu par le contrat de filière « se déroulera avec les étapes suivantes » :

-         définir et mettre en œuvre « les conditions réglementaires qui permettront à ce projet d’aboutir » ; pour ce faire, la filière accompagnera l’État dans ses réflexions sur le sujet ;

-         sécuriser le plan de charge de l’usine – le futur technocentre – via la recherche d’engagements de la part de clients français et internationaux pour l’envoi des métaux TFA dans cette filière ;

-         mener les travaux nécessaires en vue de développer une filière industrielle française de fusion-valorisation (expérimentations, études technico-économiques, etc.) et « accompagner l’État dans ses réflexions sur les voies d’optimisation de la valorisation des métaux TFA ».

Par ce contrat de filière, l’État s’est engagé « à étudier les modalités réglementaires susceptibles de faciliter la valorisation des métaux TFA et à accompagner la filière dans ses travaux visant au déploiement d’une filière industrielle de fusion-valorisation, notamment dans ses échanges au niveau européen ». L’État s’est également engagé « à étudier le financement de l’usine de traitement des gros composants métalliques, afin d’en assurer la neutralité économique au regard des autres choix de stockage ».

b.   Le projet de technocentre dans le plan France Relance (septembre 2020)

Le plan France Relance présenté par le Gouvernement le 3 septembre 2020 comporte un volet « Soutien au secteur nucléaire » destiné à maintenir les compétences indispensables à la filière nucléaire française, à soutenir la compétitivité des entreprises par leur modernisation, à favoriser l’innovation, notamment en matière de gestion des déchets, et à accélérer les opérations de démantèlement des installations mises à l’arrêt définitif. Ce volet est basé sur le constat d’une aggravation, par la crise sanitaire, des difficultés préexistantes rencontrées par la filière industrielle nucléaire.

Le Gouvernement, lors de sa présentation de France Relance, a indiqué que « les projets soutenus seront sélectionnés en fonction de leurs retombées pour les entreprises et de leur caractère stratégique pour le maintien et le développement des compétences en France » et a inclus expressément dans les exemples de projets visés le « projet de technocentre de valorisation des métaux de très faible activité dans le département du Haut-Rhin ». Il est précisé que la création d’emplois et de valeur dans les entreprises de la filière et le renforcement des capacités de la filière dans le domaine de la gestion des déchets sont recherchés « notamment dans une perspective de maintien d’activité dans les territoires concernés par les fermetures ».

Le soutien financier annoncé pour l’ensemble du volet « nucléaire » du plan de relance s’élèvera à 200 millions d’euros apportés par l’État, complétés par un soutien du Programme d’investissements d’avenir (PIA) et un co-investissement d’EDF et de l’État dans un fonds d’investissement. Au total, le plan de soutien à la filière nucléaire représentera 470 millions d’euros.

La loi de finances pour 2021 (programme 362 de la mission « Plan de relance ») a effectivement prévu un montant de 200 millions d’euros du budget de l’État pour ce volet du plan de relance pour la période 2021-2022, dont 150 millions d’euros ayant vocation à être versés dès 2021 :

-         un montant de 80 millions d’euros de crédits de paiement en 2021 pour le soutien à la modernisation industrielle et le renforcement des compétences dans la filière ;

-         70 millions d’euros de crédits de paiement en 2021 pour soutenir la recherche et l’innovation dans la filière nucléaire, notamment en matière de gestion des déchets radioactifs ; c’est dans le cadre de cette enveloppe qu’il est prévu de contribuer au financement du projet de technocentre. C’est également dans ce cadre que s’inscrit l’appel à projets, lancé en juillet 2021, consacré aux travaux de recherche et développement sur des solutions innovantes pour la gestion des matières et déchets radioactifs, qui inclue un volet relatif à la valorisation des matières nucléaires.

Lors de son audition par la mission d’information, Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique, a précisé que le montant dédié au technocentre dans le plan France Relance s’élève à 20 millions d’euros.

Le soutien de l’État au projet de technocentre se manifeste enfin au niveau réglementaire, puisqu’il est nécessaire de modifier le dispositif juridique qui régit les déchets radioactifs pour que le technocentre puisse voir le jour.

3.   Une modification préalable de la réglementation est indispensable

Le projet de technocentre suppose la définition préalable de seuils de libération qui, appliqués aux lingots issus du procédé de fusion, autoriserait leur valorisation dans les filières métallurgiques conventionnelles. Pour qu’une telle installation industrielle puisse être créée en France, il est indispensable de faire évoluer la réglementation relative aux déchets métalliques très faiblement radioactifs, faute de quoi la seule solution sera de continuer à stocker ces déchets. Ce travail réglementaire est en cours.

a.   La réglementation en vigueur

i.   La réglementation européenne permet l’application de seuils de libération

En Europe, la directive n° 2013/59/Euratom du 5 décembre 2013 fixant les normes de base relatives à la protection sanitaire contre les dangers résultant de l’exposition aux rayonnements ionisants définit des seuils dits « de libération », exprimés en termes de concentration d’activité radioactive, auxquels ou en dessous desquels les matières considérées peuvent être dispensées de tout contrôle et ne nécessitent pas de mesure particulière de radioprotection. Cette directive prévoit également que des seuils plus élevés peuvent être retenus dans la législation nationale ou par l’autorité nationale compétente, pour des applications spécifiques et sous réserve d’en justifier les raisons.

La directive du 5 décembre 2013 a été élaborée en tenant compte des « Basic Safety Standards » (BSS) (normes de base) publiés par l’Agence internationale de l’énergie atomique en 2011 et établis sur la base des recommandations de la Commission internationale de protection radiologique (CIPR) publiées en 2007. Les valeurs des seuils de libération définis dans la directive n° 2013/59/Euratom ont été déterminées sur la base des valeurs les plus contraignantes, lesquelles permettent de couvrir l’ensemble des situations envisageables de l’utilisation des matériaux concernés selon les personnes considérées (travailleurs, enfants et habitants) et le lieu d’exposition (installation, habitat des riverains, aires de jeu...). La dose reçue par un individu doit être de l’ordre de 10 μSv ([58]) ou moins par an. Ce seuil de 10 μSv/an a été déterminé sur la base de coefficients de risques sanitaires définis par la CIPR qui permettent d’évaluer des risques de décès par cancer dus à l’exposition aux rayonnements ionisants (exprimée en dose efficace reçue).

Le rapport précité du Haut Comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire (HCTISN) d’avril 2020 indique que, par comparaison, « la dose à laquelle est exposé le public en moyenne chaque année en France du fait de l’exposition à la radioactivité naturelle est comprise entre 2 à 3 mSv/an et du fait de l’exposition cumulée naturelle et artificielle entre 3 et 4,5 mSv/an. Ces niveaux d’exposition sont donc environ 300 fois supérieurs au niveau retenu pour fixer les seuils de libération ».

Valeurs de référence et ordres de grandeur en termes d’impact de la radioactivité

En application de la directive du 5 décembre 2013, tous les pays européens ayant une industrie nucléaire, hormis la France, ont mis en place, selon des modalités différentes d’application, de tels seuils permettant notamment le recyclage ou le stockage de déchets issus d’activités nucléaires dans le domaine conventionnel. C’est le cas notamment de la Belgique ([59]), du Royaume-Uni, de l’Allemagne et de la Suède.

ii.   La spécificité de la réglementation française est remise en cause

En France, le choix de gérer les déchets radioactifs au regard de leur lieu d’origine (gestion par « zonage ») a été retenu par les pouvoirs publics dans les années 1990 du fait notamment de la situation particulière du pays qui dispose d’un parc d’installations nucléaires important comparativement à d’autres pays européens. Tout déchet issu d’une « zone à production possible de déchets nucléaires » est juridiquement qualifié comme « déchet radioactif ».

L’article R. 1333-2 du code de la santé publique interdit, pour la fabrication de biens de consommation, tout usage de substances provenant d’une activité nucléaire lorsque celles-ci sont contaminées, activées ou susceptibles de l’être par des radionucléides mis en œuvre ou générés par l’activité nucléaire.

La gestion des déchets TFA est longtemps restée au second plan dans les débats relatifs à la filière nucléaire en France, parce que l’existence d’une installation de stockage dédiée créée en 2003, le Centre industriel de regroupement, d’entreposage et de stockage (CIRES), et exploitée par l’ANDRA permet à elle seule de répondre aux besoins. Comme l’ont indiqué à la mission d’information les représentants de l’ASN et de l’ANDRA, la réglementation française s’est avérée pertinente pendant plusieurs décennies. Mais la production croissante de tels déchets liée aux activités de démantèlement des installations nucléaires et au remplacement de gros composants est susceptible d’entraîner une saturation, à terme, de cet unique centre de stockage. Il convient d’ailleurs de noter que l’ANDRA a d’ores et déjà déposé une demande d’autorisation pour accroître la capacité de stockage du CIRES, afin de repousser d’une dizaine d’années la perspective de la saturation du site.

Plusieurs acteurs auditionnés par la mission d’information ont fait valoir, comme ils l’ont fait dans leurs contributions écrites au débat public, que des alternatives au stockage de ces déchets doivent être trouvées et plaident pour une application à ces déchets très peu radioactifs de la hiérarchie des modes de traitement applicable aux déchets conventionnels : privilégier la prévention et la réduction de la production des déchets, valoriser les déchets par recyclage ou réemploi et, en dernier recours seulement, les stocker. Les producteurs de déchets TFA (Orano, EDF, le CEA) font valoir que, dès lors que la directive du 5 décembre 2013 a fixé des seuils de libération dont la mise en œuvre permet de garantir des risques radiologiques suffisamment faibles pour les individus et des conditions de sûreté et d’impact sanitaire équivalentes à celles du système actuel, les modalités de gestion des déchets TFA doivent être fonction non plus du lieu de production des déchets mais du risque réel que leur gestion est susceptible d’engendrer pour la santé et l’environnement. Ces opérateurs considèrent que le retour d’expérience des chantiers de démantèlement et de l’exploitation du CIRES a mis en évidence le fait que des quantités importantes de déchets et matériaux provenant d’installations nucléaires sont classées comme déchets radioactifs alors même que leur activité réelle est extrêmement faible.

b.   Une thématique du débat public de 2018 en amont du cinquième PNGMDR

La gestion des déchets TFA a été l’une des thématiques du débat public mené en amont de l’élaboration du cinquième Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR) ([60]). Ce débat public a duré plus de cinq mois (second semestre 2018). Dans la préparation de ce débat public, plusieurs acteurs se sont livrés, à destination du grand public, à un exercice de clarification des controverses par la présentation d’informations techniques permettant de comprendre les argumentations du débat ([61]). Selon le HCTISN, à l’issue des réunions publiques et de la publication des contributions écrites, « un large accord se fait jour quant à la nécessité d’envisager une évolution de la gestion des déchets TFA, même si les modalités proposées pour cette évolution varient entre les parties prenantes ; la définition de seuils de libération inconditionnelle ou générale, en deçà desquels tout type de déchet serait libéré sans spécifier les conditions de son devenir suscite de fortes réserves ; une gestion conditionnelle ou spécifique de la libération de certaines substances et sous réserve du respect de conditions préétablies paraît constituer un scénario envisageable pour plusieurs parties prenantes ».

Les maîtres d’ouvrage du PNGMDR sont le ministère de la transition écologique (direction générale de l’énergie et du climat) et l’ASN. Le 21 février 2020, les maîtres d’ouvrage ont décidé, suite aux conclusions tirées du débat public, que le Gouvernement devra faire évoluer le cadre réglementaire applicable à la gestion des déchets TFA, afin d’introduire une possibilité de dérogations ciblées permettant, après fusion et décontamination, une valorisation au cas par cas des déchets radioactifs métalliques TFA ([62]). La Commission nationale du débat public (CNDP), dans son analyse de cette décision, a considéré que cette disposition « correspond aux expressions majoritairement exprimées par le public pendant le débat » ([63]).

c.   Le dispositif réglementaire soumis à consultation publique début 2021

Le Gouvernement a soumis à consultation publique, en application de l’article L. 123-19-1 du code de l’environnement, un projet de décret en Conseil d’État, un projet de décret simple et un projet d’arrêté ministériel. Ces trois projets ont fait l’objet d’une présentation au Haut comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire le 15 octobre 2020 et au comité d’orientation du PNGMDR le 9 octobre 2020. La consultation du public s’est déroulée en janvier-février 2021.

Pour encadrer la valorisation de substances métalliques provenant d’activités nucléaires, il est proposé d’accorder une dérogation à la suite de l’instruction d’un dossier de demande permettant l’usage de substances provenant d’activités nucléaires, à la condition que les substances soient valorisées dans une installation dédiée. Le dispositif proposé prévoit que cette dérogation soit accordée par arrêté ministériel, après consultation du public et avis de l’Autorité de sûreté nucléaire.

Ce dispositif vise à remplir quatre conditions :

Le projet de décret en Conseil d’État s’inscrit dans la démarche de transposition de la directive 2013/59/Euratom du Conseil du 5 décembre 2013 fixant les normes de base relatives à la protection sanitaire contre les dangers résultant de l’exposition aux rayonnements ionisants. Il modifie les codes de la santé publique et de l’environnement afin de créer le cadre réglementaire de ces dérogations et de préciser les conditions relatives à leur obtention :

1° L’opération de valorisation devra être réalisée dans une installation classée pour la protection de l’environnement (ICPE) ou une installation nucléaire de base (INB) ;

2° La dérogation ne pourra être accordée que pour des substances qui, après valorisation, ne dépassent pas les valeurs limites en concentration d’activité (Bq/g) fixées au niveau européen, permettant de s’assurer que la dose efficace pouvant être reçue par une personne du public, en raison de l’usage de ces matières, sera extrêmement faible, inférieure à 10 µSv/an.

Le texte dispose que le silence du ministre compétent pendant plus de deux ans vaut refus de la dérogation.

Le projet de décret simple permet de préciser le type de substances radioactives éligibles à une demande de dérogation. Conformément à ce que préconise la décision du 21 février 2020, seules les substances métalliques qui ne justifiaient pas un contrôle de la radioprotection avant leur usage dans une activité nucléaire, seront éligibles à une demande de dérogation.

Le projet d’arrêté ministériel définit le contenu du dossier de demande de dérogation qui devra être communiqué à l’État et à l’ASN. Le demandeur devra notamment présenter les spécifications d’acceptation des substances qui seront traitées par l’installation et décrire les moyens mis en place pour l’enregistrement et la traçabilité des résultats des contrôles de la radioactivité en entrée et en sortie.

Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique, a indiqué qu’au moment de son audition par la mission d’information (19 mai 2021), les projets de texte étaient en cours d’examen au Conseil d’État et devraient pouvoir être publiés d’ici la fin de l’année 2021. Le président-directeur général d’EDF a indiqué lors de son audition que cette échéance est tout à fait satisfaisante du point de vue d’EDF, puisque les études techniques préalables n’étant pas terminées, EDF ne prendra pas la décision d’investissement correspondant au projet de technocentre avant 2023.

4.   Un projet qui ne fait pas consensus

Les représentants des personnels d’EDF et les élus du territoire auditionnés par la mission d’information ont tous salué le projet de technocentre et exprimé leur soutien à cette démarche. Pour autant, ce projet suscite des réticences et des oppositions, qu’a également entendues la mission d’information.

a.   La position de l’Autorité de sûreté nucléaire

L’ASN a rendu en 2016 un avis défavorable quant à l’instauration généralisée de seuils de libération.

Extraits de l’avis n° 2016-AV-0258 de l’Autorité de sûreté nucléaire du 18 février 2016 sur les études concernant la gestion des déchets de très faible activité (TFA) et de faible et moyenne activité à vie courte (FMA-VC) remises en application du PNGMDR 2013-2015, en vue de l’élaboration du PNGMDR 2016-2018

« Sur l’éventualité de la mise en place d’un seuil de libération :

« Considérant que la mise en place de seuils de libération poserait notamment les problèmes suivants :

« - Les mesures préalables à la libération seraient complexes et longues, tout particulièrement dans le cas de grandes quantités de matériaux, en vrac ou contaminés par de nombreux radionucléides. En effet, les valeurs retenues pour les seuils de libération seraient nécessairement très basses ;

« - Le public pourrait être exposé au contact de déchets d’activité significative dans le cas d’une défaillance, toujours possible, du contrôle ;

« - La dissémination volontaire et généralisée de substances, même très faiblement radioactives, paraît difficilement compatible avec les principes de justification et d’optimisation ;

 « - Une telle mise en place pourrait inciter au recours à la dilution, pratique difficilement détectable.

« Considérant que le rapport de l’ANDRA du 11 août 2015 susvisé relatif au schéma industriel pour la gestion des déchets TFA réalise, entre autres, une estimation de l’impact sur la production de déchets TFA que pourrait engendrer l’application de seuils de libération tels que mentionnés par la directive Euratom du 5 décembre 2013 susvisée ; que cette estimation montre qu’une éventuelle mise en place de tels seuils ne permet pas de supprimer le besoin de création d’une nouvelle installation de stockage de déchets TFA ; que le rapport ne se prononce pas sur les coûts économiques et environnementaux ni sur l’impact sanitaire de la mise en œuvre de tels seuils ;

« Considérant que certains producteurs de déchets (…) recommandent la mise en place de seuils de libération, sans en avoir démontré les éventuels avantages environnementaux ou économiques ;

« Considérant que le cadre réglementaire français applicable aux INB impose que les déchets activés, contaminés ou susceptibles de l’être soient gérés comme des déchets radioactifs, ce qui en interdit l’utilisation pour la fabrication de biens de consommation ou de produits de construction ;

« Considérant que ce même cadre prévoit que des dérogations à l’utilisation, pour la fabrication des biens de consommation et des produits de construction, des matériaux et déchets activés, contaminés ou susceptibles de l’être peuvent toutefois être accordées "si elles sont justifiées par les avantages qu’elles procurent au regard des risques sanitaires qu’elles peuvent présenterʺ,

« L’ASN réaffirme que la gestion des déchets radioactifs TFA doit rester fondée sur le lieu d’origine des déchets et garantir leur traçabilité, grâce à des filières spécifiques, depuis la production jusqu’au stockage. Ce principe est incompatible avec la mise en place généralisée de "seuils de libération ʺ.

« Valorisation des matériaux métalliques

« Considérant que la recherche d’un recyclage des matériaux métalliques provenant de zones à production possible de déchets nucléaires s’inscrit dans les principes de gestion des déchets définis par le code de l’environnement ; (…)

« L’ASN souligne (…) qu’il convient d’étudier de manière exhaustive les possibilités de valorisation des matériaux de très faible activité au sein de la filière nucléaire avant d’envisager le recours à d’autres débouchés. (…) »

Source : site de l’ASN (https://www.asn.fr/Reglementer/Bulletin-officiel-de-l-ASN/Installations-nucleaires/Avis/Avis-n-2016-AV-0258-de-l-ASN-du-18-fevrier-2016

Lors de leur audition par la mission d’information, les responsables de l’ASN ont reconnu l’intérêt du projet de technocentre en tant que solution alternative au stockage des déchets car ce stockage a un coût et les installations de l’ANDRA ont une capacité limitée. L’aspect économique de la valorisation des métaux TFA ne relève pas du tout de la compétence de contrôle de l’ASN. En revanche, l’ASN sera responsable du contrôle de la maîtrise de la sûreté et des enjeux environnementaux de l’activité opérationnelle de l’installation.

b.   L’hostilité des associations environnementales

Dans le cadre du débat public sur le PNGMDR, plusieurs acteurs ont exprimé un refus très clair de l’instauration de seuils de libération. Par exemple, France Nature Environnement (FNE) a reconnu que le CIRES risque de se trouver saturé dans quelques années, mais affirme que le seuil de libération est « une fausse bonne idée » ([64]) puisqu’un tel dispositif a pour effet de soustraire au contrôle réglementaire des matériaux qui lui étaient jusqu’alors soumis, et nécessiterait, pour opérer des contrôles rigoureux et suffisamment nombreux, des moyens humains et financiers dont l’ASN ne dispose actuellement pas. FNE considère qu’une telle « dissémination de substances irradiées (même très légèrement) n’est pas acceptable à une époque où la traçabilité des matières n’est pas si robuste que d’aucuns veulent le dire ». FNE préconise donc une gestion des déchets sur site, là où ils sont produits.

Lors de leur audition par la mission d’information, les associations de protection de l’environnement ont critiqué l’instauration, dans la réglementation française, d’un seuil de libération, considérant qu’en la matière, la spécificité française au regard du droit européen devrait être conservée. M. Daniel Reininger, président d’Alsace Nature, association membre du réseau FNE, a fait valoir qu’une fois qu’un tel seuil aura été introduit, il sera aisé de le relever pour faciliter le traitement de quantités encore plus importantes de matériaux radioactifs. S’agissant du technocentre, les associations auditionnées relèvent, comme les autorités du Land de Bade-Wurtemberg (voir ci-après), que le territoire de Fessenheim resterait de ce fait pendant plusieurs décennies supplémentaires exposé à un risque de rejets dangereux et qu’il est quelque peu paradoxal d’avoir fermé une centrale nucléaire et de la démanteler tout en installant sur le même territoire une autre installation du cycle du nucléaire. Le président de Stop Fessenheim s’est dit favorable à l’installation sur le site d’un laboratoire de recherche consacré aux démantèlements, comme le proposait le professeur de Larochelambert notamment, afin de mieux connaître les effets du vieillissement sur les équipements, mais défavorable au technocentre, qualifié de « projet fou ».

Il convient toutefois de prendre en compte le fait que le technocentre, s’il voit le jour, ne sera pas une INB mais une ICPE, selon la ministre de la transition écologique. Cette installation industrielle ne sera donc pas une installation nucléaire mais sera soumise à un régime juridique assurant le contrôle des risques de pollutions liés à son activité. Les responsables auditionnés de l’ASN, faute de disposer à ce stade d’éléments suffisamment précis sur la nature et l’activité de l’installation, ont précisé que, qu’il s’agisse d’une INB ou d’une ICPE, les autorités de contrôle (la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et des transports et l’ASN) sont organisées pour coopérer.

c.   La position défavorable du Bade-Wurtemberg

Interrogé sur le projet de technocentre par des députés du Landtag, le Gouvernement du Bade-Wurtemberg a apporté le 16 octobre 2020 les réponses suivantes ([65]).

Le projet de technocentre a été présenté pour la première fois aux autorités du Land le 4 octobre 2018, par le secrétaire d’État, M. Sébastien Lecornu, lors d’une réunion du comité de pilotage. En amont de cette réunion, le délégué interministériel, M. David Coste, et le préfet du Haut-Rhin, M. Laurent Touvet, en avaient informé le 26 septembre 2018 Mme Bärbel Schäfer, cheffe du Gouvernement du Land. Le calendrier communiqué aux autorités allemandes prévoit que d’ici 2025 les études préalables et la procédure d’autorisation seront menées, puis que la construction de l’installation devrait commencer en 2026 et que la mise en service devrait avoir lieu fin 2029.

À la suite de l’annonce du projet, et en tant que partenaire dans la démarche sur l’avenir de Fessenheim, le Gouvernement du Land a poursuivi les discussions avec les autorités françaises, principalement au niveau national, avec pour but, dès le départ, de trouver une alternative à ce projet de technocentre et de faire une proposition conjointe portant sur un projet de coopération, de préférence dans le domaine de l’innovation ou des énergies renouvelables, pour le développement d’une « région modèle transfrontalière ».

Dès la fin de l’année 2018, les autorités du Land ont informé leurs partenaires français de leur refus de participer au projet de technocentre. Le 1er février 2019, à l’occasion d’une rencontre avec le ministre français chargé de l’environnement, M. François de Rugy, le Staatssekretär du Land, M. Volker Ratzmann, a répété qu’une coopération franco-allemande autour du projet de technocentre était exclue. Le 22 mars 2019, le Ministerpräsident du Land a adressé au Premier ministre français, M. Édouard Philippe, un courrier exprimant un refus clair sur le projet de technocentre. Dans la réponse aux questions posées par les parlementaires du Landtag, le Gouvernement du Land réaffirme qu’il ne peut pas approuver le projet qui a été présenté.

Le motif principal de ce rejet est que, selon les autorités du Land, ce technocentre ne répond à aucun besoin du côté allemand. En outre, les autorités du Land considèrent qu’il n’est pas cohérent d’implanter une installation nucléaire dans un territoire dont il est prévu de faire un « territoire modèle » en termes d’énergies renouvelables.

Par ailleurs, le Land s’oppose à ce que cette installation, si elle voit le jour, soit gérée uniquement par la France, car l’exploitation d’une installation de traitement des grands composants et des déchets métalliques en provenance de chantiers de démantèlement français et européens implique de nombreux transports de matières radioactives vers et depuis le site. Le Gouvernement du Land reconnaît que le risque lié au transport serait relativement faible, mais considère qu’une grande partie de la population s’y opposerait. Avec le technocentre, le site de Fessenheim resterait pendant encore plusieurs décennies un site soumis à la surveillance nucléaire, ce qui entraîne aussi un rejet de la part de la population du Bade-Wurtemberg

De plus, sur l’installation elle-même, le rejet de substances radioactives est possible et les conséquences ne peuvent être évaluées sérieusement sans une description plus précise de l’inventaire, des installations et des processus prévus. Toutefois, il est clair pour les autorités du Land que le risque potentiel serait beaucoup plus faible que dans le cas de l’exploitation d’une centrale nucléaire et que la zone concernée par un éventuel rejet serait limitée à l’environnement proche de l’installation. Le Land considère que des informations et des études plus précises sont également nécessaires pour évaluer d’autres incidences sur l’homme et l’environnement, par exemple par la construction de l’installation, la construction d’une jetée ou la circulation.

Le désaccord du Bade-Wurtemberg ne porte que sur ce projet industriel envisagé par la France, et pas sur l’ensemble du « projet de territoire » de Fessenheim, pour la construction duquel la coopération entre les acteurs français et allemands a été étroite et fructueuse et qui figure dans la liste des projets prioritaires annexée au Traité d’Aix-la-Chapelle sur la coopération et l’intégration franco-allemandes signé le 22 février 2019. Les autorités du Bade-Wurtemberg savent qu’une des préoccupations auxquelles vise à répondre le projet de technocentre est le maintien d’emplois sur le territoire de Fessenheim, et qu’EDF poursuit la construction de ce projet sans participation allemande et étudie sa viabilité économique.

Parallèlement aux discussions ayant conduit à l’élaboration et à la signature du projet de territoire, les autorités du Land ont organisé des rencontres entre des acteurs allemands et français politiques, économiques et du monde de la recherche pour échanger sur des projets alternatifs au technocentre. Le 24 mai 2019, le Gouvernement du Land a reçu des représentants d’EDF et de l’entreprise de fourniture d’énergie EnBW. Le 6 décembre 2019, le Staatssekretär a réuni à Berlin, avec la coopération du ministère fédéral chargé du suivi du processus d’avenir du territoire de Fessenheim (le ministère de l’intérieur, des affaires intérieures et du bâtiment), des acteurs politiques, des acteurs administratifs, des experts techniques, des économistes et des chercheurs, afin d’échanger sur de potentiels projets franco-allemands économiques et technologiques, principalement dans le domaine des énergies renouvelables. De ces échanges a émergé le concept de « région d’innovation » pour Fessenheim, réunissant l’Institut Fraunhofer pour l’énergie solaire (Fraunhofer ISE), le réseau interuniversitaire trinational EUCOR-Le Campus européen et l’URCforSR (Upper Rhine Clusters for Sustainability Research), dont l’élaboration et la concrétisation sont suivies par le Gouvernement du Land et sont à l’étude côté français.

5.   Les deux autres conditions du succès : l’acceptabilité et la rentabilité

a.   Le modèle d’affaires du technocentre reste à construire

Pour EDF, l’investissement que nécessiterait la réalisation du technocentre est évalué à 300 millions d’euros. Les études préalables sont en cours mais la décision d’investissement ne sera pas prise avant 2023. À l’issue des études, le chantier de construction pourrait, selon EDF, démarrer en 2026 et employer
180 personnes pendant quatre ans.

La Cour des comptes, dans son rapport de février 2020, note que « la rentabilité du projet dépend essentiellement du volume de déchets à traiter : Orano et EDF fixent un objectif à 400 000 t, mais seules 204 000 t sont aujourd’hui identifiées (dont 136 000 tonnes en provenance de l’usine Georges Besse et 68 000 tonnes en provenance des générateurs de vapeur). Les perspectives d’élargissement de ce gisement sont en outre incertaines à ce stade : le marché du traitement des déchets radioactifs allemands, principal levier identifié, sera difficile à obtenir compte tenu de la forte réticence du Land de Bade-Wurtemberg face au projet ».

Interrogé sur l’état d’avancement du projet lors de son audition par la mission d’information, M. Jean-Bernard Levy a souligné l’importance stratégique de ce projet pour EDF mais en restant prudent sur sa faisabilité en termes économiques, notamment en raison de l’incertitude forte sur un éventuel intérêt du technocentre pour les opérateurs des démantèlements menés en Allemagne. Convaincre ces opérateurs d’avoir recours à ce futur technocentre à partir de 2030 pour traiter les déchets métalliques issus de leurs propres chantiers de démantèlement apparaît comme essentiel, selon la présentation faite par EDF, pour consolider le modèle d’affaires de l’installation. M. Jean-Bernard Levy a exprimé son optimisme sur ce point : la maturité de la technologie que détient déjà EDF et la présentation qui pourra être faite en 2023 d’un projet complet et abouti devraient permettre de convaincre les exploitants allemands de l’intérêt pour eux de participer à ce projet industriel.

b.   Un élément d’attractivité ou, au contraire, dissuasif ?

Au-delà de l’activité du technocentre lui-même, se pose la question de l’impact, positif ou négatif, que pourrait avoir la création de cette installation sur l’emploi, d’une part, et sur l’implantation d’autres activités économiques à proximité du site de la centrale, d’autre part.

Les représentants auditionnés de la CGT, MM. Thierry Raymond et Alain Voisinne, se sont dits convaincus que si le technocentre est créé, des activités de recherche et de formation y seront attirées, au bénéfice d’une dynamique d’emploi sur ce territoire, d’autant que la construction du technocentre ne nécessitera que quelques années. À l’inverse, les associations Alsace Nature et Stop Fessenheim sont convaincues que l’implantation d’une nouvelle installation du cycle du nucléaire, tel un « épouvantail », est susceptible de dissuader des entreprises d’autres secteurs ou de nouveaux habitants de s’installer sur ce territoire, et que l’acceptabilité, pour la population actuelle, du technocentre est loin d’être acquise, d’autant que le nombre d’emplois créés apparaît très réduit.

MM. Serge Gianorsi et Alain Besserer, représentants du syndicat FO, ont également souligné que, en comparaison des effectifs de salariés pendant l’exploitation de la centrale, le nombre prévisible d’emplois créés que représente le technocentre est très faible (autour de 150 emplois) et qu’il s’agira d’emplois différents de ceux des agents EDF présents sur le site avant sa fermeture, ce qui implique que, parmi les agents travaillant dans la centrale, aucun ne sera employé dans le technocentre, celui-ci ayant vocation à recruter des métallurgistes et non des électriciens. De toute façon, comme l’a reconnu le directeur de la centrale lors du déplacement de la mission d’information dans le Haut-Rhin, le calendrier prévisible de conception et de construction du technocentre n’est pas compatible avec l’accompagnement social des salariés et prestataires de la centrale. En revanche – et ce n’est pas négligeable pour le territoire – le technocentre devrait, selon EDF, être exploité pendant au moins quarante ans, pour répondre au besoin de recyclage créé par l’ensemble des démantèlements du parc actuel d’EDF ; cette usine, si elle est installée et mise en service en 2030, pourrait donc fonctionner jusqu’en 2080.

c.   La condition essentielle de l’acceptabilité : les contrôles à l’entrée et à la sortie permettant la traçabilité

La difficulté pratique qui constitue l’enjeu principal de la libération et donc du projet de technocentre est la garantie que le seuil de radioactivité admissible ne serait pas dépassé par un déchet donné.

Comment mesurer la radioactivité d’un déchet métallique ?

Pour garantir qu’un déchet est au-dessous d’un certain seuil de radioactivité, il faut pouvoir évaluer cette dernière précisément. Il faut pouvoir mesurer une radioactivité très faible sur de gros volumes de déchets. Cela nécessite un échantillonnage, c’est-à-dire la mesure précise de la radioactivité sur un morceau extrait du déchet. Le déchet peut être inhomogène, contenant par exemple des parties plus radioactives que le reste, et une méthode d’échantillonnage inadaptée pourrait ne pas les identifier.

Déchet inhomogène

Exemple où l’échantillonnage naïf d’un déchet inhomogène caractériserait de manière incorrecte sa radioactivité totale, en ignorant des zones de radioactivité plus élevée.

Ainsi, c’est le choix des techniques de mesure et la stratégie d’échantillonnage qui sont en pratique cruciaux pour garantir l’absence de risque sanitaire. Pour qu’une libération soit possible en principe, il faut donc que le producteur soit capable d’effectuer la démonstration rigoureuse que l’activité de son déchet, en intégrant les incertitudes, soit bien au-dessous du seuil.

Les déchets métalliques constituent un exemple où une telle démonstration paraît aujourd’hui envisageable. Le métal peut être fondu, la fusion permet d’obtenir un matériau homogène – et de ce fait plus facile à caractériser – et de récupérer l’essentiel de la radioactivité au sein des résidus de fusion. EDF réalise déjà ce type de recyclage des déchets métalliques de très faible activité dans sa filiale suédoise Cyclife, sous le contrôle de l’autorité de sûreté suédoise : la radioactivité du métal est contrôlée à 4 étapes du processus de fabrication.

Source : Synthèse « TFA et seuils » publiée par la Commission nationale du débat public (CNDP) sur le site internet consacré au débat public préalable au cinquième PNGMDR.

Comme l’indique l’IRSN dans sa contribution écrite précitée au débat public sur le PNGMDR, « l’enjeu majeur de la libération de matériaux radioactifs concerne (…) la maîtrise des procédures de contrôles préalables à la libération, notamment des étapes de caractérisation radiologique des matériaux destinés à être libérés. La métrologie doit pour cela être adaptée aux très faibles niveaux à mesurer, aux volumes potentiellement importants à caractériser mais aussi à la distribution éventuellement hétérogène de la radioactivité au sein de ces volumes. Dans ce contexte, le choix des techniques de mesure, la stratégie d’échantillonnage, la définition du niveau d’incertitude « tolérable » ainsi que la rigueur des procédures d’assurance qualité sont des conditions primordiales pour garantir, en pratique, l’absence d’impact sanitaire ».

Lors de son audition par la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée nationale (29 janvier 2020), la présidente de la commission particulière du débat public sur le PNGMDR, Mme Isabelle Harel-Dutirou, a signalé que le public a manifesté une grande sensibilité sur la question du contrôle de la radioactivité des matériaux issus du traitement de déchets TFA. Il est donc indispensable que l’État et EDF apportent des réponses précises sur l’effectivité et l’indépendance des contrôles qui seront effectués après la création de seuils de libération.

Lors de son audition par la mission d’information, Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique, a affirmé que les exigences de contrôle, de traitement et de traçabilité imposées à EDF par la nouvelle réglementation en cours d’élaboration seront très fortes et permettront de donner les garanties nécessaires, par des contrôles approfondis, d’autant que ce cadre réglementaire sera plus contraignant que celui qui existe dans les autres pays européens.

Le responsable d’Orano auditionné a indiqué que le projet de technocentre assurera la traçabilité vers la première utilisation du métal traité, par exemple lorsque des lingots produits par le technocentre seront vendus pour fabriquer des biens industriels, pour garantir que les produits fabriqués directement avec ces métaux ne seront pas des produits en contact avec les consommateurs. Contrairement aux craintes exprimées par le président de l’association Stop Fessenheim, ce ne seront ainsi ni des ustensiles de cuisine, ni des poussettes, mais, par exemple, des contrepoids de grues.

 

Recommandation n° 4

La mission d’information reconnaît l’intérêt que présente, pour la valorisation d’une partie des déchets métalliques issus des chantiers de démantèlement, le projet de technocentre en cours d’élaboration, notamment pour éviter d’avoir à stocker ces déchets dans les installations existantes dont la capacité pourrait se révéler insuffisante. Elle appelle le Gouvernement à publier rapidement le nouveau cadre réglementaire annoncé et invite le Gouvernement, EDF et Orano à poursuivre, parallèlement à la construction du modèle d’affaires, leurs efforts pour améliorer l’acceptabilité du projet.

 

 

 


—  1  —

   quatrième partie :
l’avenir du territoire

I.   quels acteurs, quels projets ?

A.   L’élaboration du projet de territoire

Au fil des auditions de la mission d’information, s’est dégagée une interrogation : qu’ont fait ou prévu les acteurs du territoire pour anticiper la fermeture de la centrale de Fessenheim et ses conséquences économiques et sociales ?

Si certains ont pu croire de bonne foi que la fermeture n’aurait jamais lieu, faute de connaissances sur les règles applicables aux centrales nucléaires et sur le fonctionnement de celles-ci, d’autres, conscients qu’aucune centrale n’est éternelle, ont imprudemment cru que cette fermeture continuerait d’être reportée d’échéance en échéance et qu’il n’y avait pas de nécessité pressante de construire l’« après-centrale ».

Lors de son audition, Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique, a estimé que le travail d’anticipation des conséquences de la fermeture n’a pas été suffisamment engagé avant celle-ci, moins par l’État que par les différents acteurs du territoire qui ne croyaient pas que la fermeture aurait réellement lieu ou qui ont concentré leurs efforts sur l’opposition à cette décision plutôt que sur la préparation de l’avenir. Le président de l’association Stop Fessenheim a été beaucoup plus sévère, considérant que pour des raisons financières liées aux recettes fiscales, les élus du territoire « ont entretenu le mythe d’une centrale éternelle » et n’ont pas préparé l’avenir du territoire.

Il serait totalement faux de dire que rien n’a été fait avant l’installation du comité de pilotage en janvier 2018. Les auditions ont clairement établi que des recherches ont été réalisées, des projets ont été définis, des actions ont été menées bien avant cette date, pas forcément en anticipation directe de la fermeture de cette installation industrielle mais dans le but de favoriser le développement industriel et économique du territoire à long terme. C’est notamment le cas avec l’acquisition de plusieurs centaines d’hectares de foncier par les collectivités locales du territoire, destinés à l’implantation d’entreprises. Des pistes avaient été lancées puis abandonnées, par exemple la tentative de Mme Ségolène Royal, ministre de l’environnement, de susciter l’implantation d’une usine du groupe Tesla à Fessenheim en 2016. Le président de la CLIS, M. Michel Habig, a fait valoir que les conséquences de la crise économique de 2008 ont empêché l’installation d’entreprises sur le territoire, et que la desserte routière insuffisante et la rigueur des règles de protection de l’environnement ont constitué des obstacles qui ne sont pas levés aujourd’hui (voir le II. de la présente partie). L’ancien délégué interministériel, M. David Coste, a constaté au début de sa mission, en avril 2018, l’existence d’« un foisonnement de propositions mais aucun projet collectif ». Les responsables d’EDF auditionnés ont fait valoir qu’EDF a pris part dès le début aux réflexions et au processus de préparation de la reconversion du site et de la redynamisation du territoire.

À l’issue des auditions de la mission d’information, il est cependant clair qu’un tournant décisif a eu lieu au moment de la première réunion du « Copil » à Colmar le 19 janvier 2018. Par la voix du ministre présent, M. Sébastien Lecornu, le Gouvernement a martelé que la décision de fermeture était bien irréversible et a, selon M. David Coste, assumé que, bien que la décision ait été prise par l’État, ce sont les collectivités locales et les autres acteurs du territoire qui devraient se saisir de leurs compétences, avec l’appui de l’État mais sans que celui-ci se substitue à eux. La date exacte de l’arrêt des deux réacteurs n’était pas encore connue mais il semble que le travail collectif qui a abouti à la signature du projet de territoire un an après se soit efficacement engagé sur la base de ce Copil. Les réunions mensuelles, à la préfecture, d’un bureau exécutif ont balisé l’émergence progressive de ce travail collectif difficile et fructueux, qui a abouti à la rédaction du projet de territoire à l’automne 2018 et qui a été signé en février 2019.

Quel a été le rôle de l’État ? M. David Coste, délégué interministériel de 2018 à avril 2021, a présenté ainsi sa fonction et l’intervention de l’État : il n’était pas question que les représentants de l’État, qu’il s’agisse des préfets ou du délégué interministériel, construisent l’avenir de ce territoire à la place de ses habitants, de ses élus et de ses entreprises, et il n’était pas question que l’État ne fasse rien, mais l’État, par ses services et ses opérateurs, comptait venir en appui, en facilitateur, dans la construction d’un projet émanant directement du territoire concerné.

La mission du délégué interministériel n’était pas une « mission commando » consistant à dicter aux acteurs locaux ce qu’ils devraient faire, mais une mission d’écoute, d’« aiguillon » et d’appel aux bonnes volontés pour surmonter l’opposition et la fragmentation des acteurs et engager un travail collectif. La partie la moins visible du travail des délégués interministériels successifs s’est déroulée au sein de la machine de l’État, pour obtenir des arbitrages favorables au territoire, notamment sur un fonds d’amorçage de 10 millions d’euros et un soutien financier de 20 millions d’euros aux projets lancés – montants jugés très insuffisants par les collectivités locales, qui attendaient un engagement budgétaire beaucoup plus important de l’État.

Le travail des délégués interministériels a été diversement apprécié par les acteurs du territoire, certains saluant leur intervention, d’autres déplorant qu’elle n’ait guère été visible sur le terrain.

Le projet de territoire « Notre ambition commune pour le territoire de Fessenheim »([66]) a été signé le 1er février 2019 par les représentants de treize acteurs : l’État, le conseil régional, le conseil départemental, la communauté de communes Pays Rhin Brisach (CCPRB), Mulhouse Alsace Agglomération (M2A), des représentants des autorités allemandes (le Gouvernement du Land de Bade-Wurtemberg, la ville de Fribourg, la ville de Breisach et le Landkreis de Breisgau-Hochschwarzwald), EDF, la chambre de commerce et d’industrie (CCI) Alsace Eurométropole et son homologue allemand (l’Industrie und Handelskammer Südlicher Oberrhein de Fribourg) et la Caisse des dépôts et consignations. Cependant, il est à noter que le maire de Fessenheim a refusé de signer ce projet de territoire.

Le projet de territoire prévoit trois échelles territoriales d’action :

1° Le premier périmètre d’impact de la fermeture du CNPE « est celui de la commune de Fessenheim et des communes voisines regroupées côté français dans la communauté de communes Pays Rhin-Brisach (CCPRB). Il s’agit du périmètre prioritaire pour aborder les défis de reconversion économique » ;

2° Le bassin économique étant « par essence transfrontalier et binational avec le Rhin comme paramètre central et atout essentiel », les relations qu’entretiennent les territoires proches des deux côtés du Rhin amènent à définir un deuxième périmètre opérationnel : le triangle Colmar-Mulhouse-Fribourg, « prioritaire pour aborder les défis de mobilité » ;

Le territoire du département du Haut-Rhin constitue le troisième périmètre, les actions menées à cette échelle s’inscrivant bien sûr dans le développement de la région Grand Est. Le projet de territoire l’identifie comme le périmètre prioritaire pour aborder les défis de transition énergétique et d’innovation.
 

 

Légende :

 

Source : préfecture du Haut-Rhin, janvier 2020.

B.   les quatre axes du projet de territoire

L’ambition portée par ce projet s’articule autour de 4 axes et un accent particulier est placé, dans tous les axes, sur une volonté d’exemplarité environnementale.

Axe 1 : créer de l’emploi et de la valeur ajoutée dans le cadre de la reconversion économique du territoire

L’axe 1 s’inscrit à l’échelle du premier périmètre territorial considéré : le territoire de la communauté de communes. Il se décline en trois séries d’actions :

-         afin de créer « au moins autant de nouveaux emplois que ceux perdus » du fait de la fermeture de la centrale, attirer et développer des activités créatrices d’emploi compatibles avec le développement durable, en priorité sur le premier périmètre, par trois démarches : développer des zones d’activités et créer les conditions fiscales, sociales et environnementales pour l’accueil de nouvelles entreprises ; soutenir le développement touristique et culturel transfrontalier comme vecteur de création d’emplois et d’attractivité du territoire ; mettre en œuvre « une stratégie offensive de marketing territorial » au bénéfice du triangle Colmar-Mulhouse-Fribourg ;

-         accompagner les entreprises artisanales et commerciales impactées par la fermeture de la centrale, notamment en aidant les sous-traitants de la centrale à maintenir ou diversifier leurs activités ;

-         accompagner le développement des compétences professionnelles en lien avec les projets d’implantation.

En ce qui concerne l’implantation d’activités sur le territoire de la communauté de communes, le principal projet inscrit dans le projet de territoire est celui de la zone Ecorhena (voir le II. de la présente partie), destiné à être réalisé « en complémentarité avec l’aménagement d’autres zones d’activités (développement de la zone industrialo-portuaire de Biesheim/Kunheim par exemple) ». En matière de tourisme, plusieurs projets structurants sont en voie de réalisation, notamment la création d’un centre culturel franco-allemand sur l’île du Rhin.

Axe 2 : améliorer la desserte du territoire et les mobilités

L’axe 2 concerne le deuxième échelon territorial considéré : le triangle Colmar-Mulhouse-Fribourg. Le projet de territoire rappelle que ce territoire est déjà doté de nombreuses dessertes mais qu’il est nécessaire de les améliorer pour « faire levier sur son développement économique » et l’« ériger en vitrine des transports de demain » par la rénovation et le développement des infrastructures, pour le fret et pour les voyageurs, et par le développement des mobilités « propres ».

a.   La desserte ferroviaire

Un premier projet cité dans le projet de territoire est la remise en état et la modernisation de la ligne ferroviaire fret Colmar-Volgelsheim (notamment pour assurer la desserte de la future zone Ecorhena).

La deuxième desserte mentionnée est la réouverture de la ligne « voyageurs » transfrontalière Colmar-Volgelsheim-Fribourg. Une liaison ferroviaire entre Colmar et Fribourg a existé jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale, mais le pont sur le Rhin entre Volgelsheim et Breisach a été détruit pendant celle-ci et n’a pas été reconstruit. La perte de cette liaison avait été « compensée » par une liaison routière, qui, en plus d’être plus polluante, engendre des embouteillages. Une étude multimodale de février 2019 ([67]) a montré que l’ouverture d’une ligne Colmar-Fribourg représente un potentiel de trafic intéressant, estimé entre 3 490 et 5 880 voyageurs par jour, dont 1 400 à 1 960 pour un trajet transfrontalier.

Le « livre blanc » ([68]) présenté par les élus du Haut-Rhin au secrétaire d’État M. Sébastien Lecornu en janvier 2018 indique que cette liaison « constitue un maillon est-ouest manquant entre les réseaux ferroviaires mais aussi entre les aires urbanisées culturelles et économiques » de la zone transfrontalière. Les demandes présentées par les élus du département portaient également sur la réalisation de la deuxième tranche de la liaison TGV Rhin-Rhône et d’une liaison de raccordement avec l’aéroport de Bâle-Mulhouse-Fribourg (EuroAirport), mais ces projets ne sont pas cités dans le projet de territoire.

Le projet de territoire prévoit, dans l’attente de la mise en service de la ligne « voyageurs » Colmar-Fribourg, la mise en place d’une liaison transfrontalière par autocar permettant une desserte cadencée et fréquente (transport à haut niveau de service – THNS), pour fidéliser une clientèle d’usagers de transport en commun sur cet axe. Par ailleurs, côté allemand, des travaux ont commencé en février 2019 pour améliorer l’offre ferroviaire ([69]).

b.   La desserte routière

En matière de desserte routière, le projet de territoire exprime la volonté des acteurs de créer ou renforcer trois dessertes :

-         la desserte de la future zone Ecorhena, grâce à une liaison routière entre Fessenheim et l’autoroute française A35 ainsi que l’autoroute allemande A5 ; la réalisation supplémentaire d’un barreau depuis la route départementale 83 permettrait la circulation des transports exceptionnels ;

-         l’aménagement d’un nouvel itinéraire routier spécialement conçu pour les colis lourds entre Colmar et son port fluvial ;

-         un renforcement du maillage en pistes cyclables pour le développement du tourisme, d’une part, et pour la desserte des zones d’activités, d’autre part.

c.   La multimodalité

Le projet de territoire appelle à renforcer les transports publics et leur interconnexion avec d’autres modes de transport, les aménagements de voirie sécurisés pour les piétons et les cyclistes, les modes partagés d’utilisation de la voiture, les plans de déplacement d’entreprise et les systèmes d’information multimodaux. Il prévoit également le développement, par la recherche et l’expérimentation, des modes de propulsion moins émetteurs de CO2 tels que l’hydrogène, et une amélioration du maillage du territoire en bornes de recharge pour les véhicules électriques.

Axe 3 : faire du territoire un modèle de transition vers une nouvelle ère énergétique

L’axe 3 se décline en actions dans le troisième périmètre territorial considéré par le projet de territoire : le département du Haut-Rhin. L’ambition est de faire de ce département « un territoire pilote en matière d’efficacité énergétique », de développement des énergies renouvelables et de réduction de l’empreinte écologique. Relève également de cet axe 3 la réussite d’un « démantèlement exemplaire du CNPE de Fessenheim » en termes d’accompagnement des salariés des sous-traitants.

L’efficacité énergétique, en tant qu’enjeu environnemental, économique et sanitaire, est un volet très important, tant pour les transports que pour les industries et les bâtiments. Le projet de territoire soutient diverses mesures en faveur de l’amélioration de l’efficacité énergétique des bâtiments, logements privés et sociaux ainsi que bâtiments tertiaires : aides à la rénovation thermique des établissements scolaires, des bâtiments de collectivités, des bailleurs sociaux, mécanismes innovants (opérations programmées d’amélioration de l’habitat – OPAH – consacrées à la transition énergétique, simplification de l’accès aux aides à la rénovation énergétique, système d’information pour le service public de la performance énergétique de l’habitat). Pour les industries, il s’agit essentiellement de concrétiser les plans d’action issus des audits énergétiques obligatoires. Pour les transports, en lien avec les actions de l’axe 2, le projet de territoire vise à développer l’usage des véhicules « propres » pour la mobilité individuelle.

En matière de production d’énergies renouvelables, le Haut-Rhin est déjà un département pionnier, principalement grâce à la force motrice du Rhin et les 650 MW de capacité répartis sur six centrales hydroélectriques. Le projet de territoire fait valoir que la flexibilité de ce parc hydroélectrique est aussi un atout pour permettre aux autres énergies renouvelables plus intermittentes et moins prévisibles de prendre leur place.

Le potentiel de développement des énergies renouvelables en Alsace est bien documenté, notamment à travers une étude de l’ADEME publiée en 2016 ([70]). L’ambition collective des parties au projet de territoire est « de développer un très large panel d’énergies renouvelables : hydrogène, photovoltaïque, méthanisation, hydraulique, pyrolyse rapide, géothermie et réseaux de chaleur ». Parmi les projets cités dans le projet de territoire, on compte notamment un appel d’offres photovoltaïque spécifique au Haut-Rhin (qui a effectivement été lancé par l’État en 2019 – voir infra E.), l’étude de neuf projets de méthaniseurs, l’étude d’une levée des servitudes faisant obstacle au développement de l’éolien, la promotion des usages de l’hydrogène et l’organisation d’une nouvelle exploitation de la station de transfert d’énergie par pompage (STEP) Lac Blanc-Lac Noir ([71]).

À l’axe 3 est également rattaché un objectif de reconquête de la biodiversité liée au fleuve, pour restaurer ses fonctionnalités écologiques et valoriser les atouts patrimoniaux naturels et paysagers du territoire en menant trois démarches :

-         des actions de renaturation des milieux aquatiques ;

-         des actions en faveur de la biodiversité terrestre ;

-         des actions de communication et de sensibilisation de la population.

Axe 4 : faire du territoire un modèle d’innovation pour l’industrie et les énergies du futur

Comme l’axe 3, l’axe 4 concerne le troisième périmètre territorial : le département du Haut-Rhin. Les actions rattachées à cet axe 4 sont destinées à favoriser les travaux de recherche, la formation professionnelle, la transformation industrielle et l’émergence de projets innovants sur le site de la centrale et sur d’autres sites dans le département. Le soutien à la recherche est ciblé sur le réseau universitaire transfrontalier EUCOR-Campus Européen et sur des projets de création d’un « hub » d’innovation sur la transition énergétique qui sera créé dans le Haut-Rhin, d’un institut pluridisciplinaire transfrontalier, d’un centre technologique d’excellence et d’une offre de formation. L’agence d’innovation du Grand Est (Grand E-nov) et l’incubateur du Grand Est (SEMIA) sont chargés d’intensifier leur programme d’accompagnement de start-ups, et une « cellule d’accompagnement ad hoc » doit être créée pour accompagner les porteurs de projets innovants qui bénéficieront d’une labellisation.

S’agissant de la réindustrialisation du site de la centrale de Fessenheim, le seul projet mentionné par le projet de territoire est celui du technocentre (voir le III de la troisième partie du présent rapport) et il est bien précisé que ce projet industriel, au moment de la signature du projet de territoire, ne faisait pas l’objet d’un accord entre les parties prenantes.

C.   La Gouvernance de la mise en œuvre du projet de territoire : acteurs et structures

1.   Une gouvernance partagée entre de nombreux partenaires

La méthode de mise en œuvre est exposée par le projet de territoire lui-même : « Le processus d’élaboration du projet de territoire a reposé sur un travail intense entre tous les acteurs. Notre ambition est de poursuivre ce dialogue tout au long de la vie du projet de territoire pour permettre son bon développement, son évaluation, ainsi que sa valorisation. Cette démarche partenariale et transparente contribuera à l’attractivité du territoire. Notre ambition est également de nous appuyer sur des outils opérationnels de conduite de projets, avec notamment la création d’une société d’économie mixte regroupant les acteurs institutionnels français et allemands, EDF et la CDC ».

La mise en œuvre du projet nécessite d’organiser le dialogue et la coordination, d’organiser la communication et de procéder à une évaluation des actions (en continu, et de manière plus approfondie tous les trois ans). Chaque échelon de collectivités locales travaille plus particulièrement sur les volets du projet de territoire qui relèvent de ses compétences ; par exemple, la communauté de communes œuvre principalement pour la réalisation des axes 1 et 2, la région concentre plus ses actions sur les thématiques de la recherche, de l’énergie et des transports… La gouvernance du projet de territoire est donc partagée entre de nombreux partenaires, ce qui a été salué par tous les acteurs auditionnés.

Le « bureau exécutif » préexistant (depuis mai 2018), composé des représentants des treize acteurs signataires, est chargé de la coordination stratégique. Sous son égide sont mis en place des groupes de suivi thématiques, chacun de ces groupes devant, le cas échéant, travailler avec la société d’économie mixte (SEM) franco-allemande. Le bureau exécutif peut solliciter l’avis d’un comité d’experts sur l’opportunité technique d’un projet. Le « Copil » (comité de pilotage) créé en janvier 2018 est également pérennisé pour demeurer l’instance de discussion et d’orientation. Le bureau exécutif a validé, le jour de la signature du projet de territoire (1er février 2019), une première liste de projets à engager ou à poursuivre ([72]).

2.   La dimension binationale du projet de territoire

Le projet de territoire a une dimension binationale : les collectivités publiques et les acteurs économiques allemands en sont parties prenantes. Cette dimension a été solennellement consacrée par l’inclusion du projet de territoire dans le Traité d’Aix-la-Chapelle. Le président de la CCI, M. Jean-Louis Heimburger, a fait état de rencontres régulières entre les chambres consulaires et les grands réseaux d’entreprises français, allemands et suisses. Pour autant, la coopération franco-allemande dans la mise en œuvre concrète de cet accord n’a pas été aisée.

a.   L’intégration du processus sur l’avenir du territoire de Fessenheim dans le Traité franco-allemand d’Aix-la-Chapelle

Le Traité d’Aix-la-Chapelle sur la coopération et l’intégration franco-allemandes, signé le 22 janvier 2019, est entré en vigueur le 22 janvier 2020. Sa mise en œuvre repose sur la réalisation de quinze projets prioritaires, parmi lesquels :

Extraits du Traité d’Aix-la-Chapelle sur la coopération et l’intégration franco-allemandes du 22 janvier 2019

« Article 13

« Les deux États reconnaissent l’importance que revêt la coopération transfrontalière entre la République française et la République fédérale d’Allemagne pour resserrer les liens entre les citoyens et les entreprises de part et d’autre de la frontière, notamment le rôle essentiel des collectivités territoriales et autres acteurs locaux à cet égard. Ils entendent faciliter l’élimination des obstacles dans les territoires frontaliers afin de mettre en œuvre des projets transfrontaliers et de faciliter la vie quotidienne des habitants de ces territoires.

« À cet effet, dans le respect des règles constitutionnelles respectives des deux États et dans les limites du droit de l’Union européenne, les deux États dotent les collectivités territoriales des territoires frontaliers et les entités transfrontalières comme les eurodistricts de compétences appropriées, de ressources dédiées et de procédures accélérées permettant de surmonter les obstacles à la réalisation de projets transfrontaliers, en particulier dans les domaines économique, social, environnemental, sanitaire, énergétique et des transports. Si aucun autre moyen ne leur permet de surmonter ces obstacles, des dispositions juridiques et administratives adaptées, notamment des dérogations, peuvent également être accordées. Dans ce cas, il revient aux deux États d’adopter la législation appropriée.

« Les deux États demeurent attachés à la préservation de normes strictes dans les domaines du droit du travail, de la protection sociale, de la santé et de la sécurité, ainsi que de la protection de l’environnement. »

« Article 16

« Les deux États faciliteront la mobilité transfrontalière en améliorant l’interconnexion des réseaux numériques et physiques entre eux, notamment les liaisons ferroviaires et routières. Ils agiront en étroite collaboration dans le domaine de la mobilité innovante, durable et accessible à tous afin d’élaborer des approches ou des normes communes aux deux États. »

« Article 19

« Les deux États feront progresser la transition énergétique dans tous les secteurs appropriés et, à cet effet, développent leur coopération et renforcent le cadre institutionnel de financement, d’élaboration et de mise en œuvre de projets conjoints, en particulier dans les domaines des infrastructures, des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique. »

b.   La piste des dérogations au droit fiscal et au droit du travail français

La question d’éventuelles dérogations aux règles françaises en matière de fiscalité et de droit du travail sur le territoire de la future zone d’activités Ecorhena a donné lieu à des échanges entre les autorités françaises et allemandes mais n’a pas abouti à un régime ad hoc. En effet, il était initialement prévu, comme l’a rappelé lors de son audition M. David Coste, que des dérogations seraient proposées au bénéfice des entreprises qui viendraient s’implanter dans cette zone, sur le modèle du régime dérogatoire appliqué sur l’emprise de l’aéroport international de Bâle-Mulhouse. Les services de l’État et, côté allemand, la chambre de commerce et d’industrie (IHK) ont fourni les informations nécessaires sur le droit commun applicable en matière de travail et de fiscalité, et, selon M. David Coste, les acteurs allemands ont reconnu que le droit du travail français comportait bien les éléments de souplesse nécessaires sans qu’il soit utile d’y introduire des dérogations. Les représentants de la CFDT auditionnés par la mission d’information ont exprimé leur satisfaction qu’une dérogation ne soit finalement pas prévue, ayant pour effet de rendre applicable le droit allemand du travail sur le territoire.

S’agissant de la fiscalité, les demandes allemandes de dérogations ont amené les autorités françaises à faire évoluer la cartographie – définie au niveau de l’Union européenne – des zones d’aides à finalité régionale (ZAFR), zones dans lesquelles les entreprises qui s’installent peuvent bénéficier d’exonérations d’impôts sans contrevenir au droit européen de la concurrence et des aides d’État. Plusieurs communes du territoire se trouvaient déjà éligibles mais une partie du territoire de la commune de Fessenheim ne l’était pas. Le Gouvernement ayant obtenu de la Commission européenne l’autorisation d’étendre le dispositif d’aide, la commune y a été incluse par le décret n° 2014-758 du 2 juillet 2014 relatif aux zones d’aide à finalité régionale et aux zones d’aide à l’investissement des petites et moyennes entreprises pour la période 2014-2020. Selon M. David Coste, il n’a pas été possible, dans le cadre du droit européen, d’aller au-delà et d’attribuer à tous les investisseurs, français comme allemands, des aides fiscales particulières, dans l’attente de la refonte du droit européen en la matière.

Le sujet n’est toutefois pas clos car le Traité d’Aix-la-Chapelle prévoit qu’en dernier recours, si aucun autre moyen n’est trouvé pour surmonter les obstacles à la réalisation des projets transfrontaliers, « des dispositions juridiques et administratives adaptées, notamment des dérogations, peuvent (…) être accordées ».

c.   La création de la SEM franco-allemande (avril 2021)

Le 1er février 2019, jour de la signature du projet de territoire, a été également signé un « protocole d’intention pour la création d’une société d’économie mixte franco-allemande » ([73]). La création effective de la SEM a pris beaucoup plus de temps que prévu. La déclaration d’intention du 1er février 2019 annonçait qu’un premier plan d’action de la SEM serait présenté à la fin du premier trimestre 2019 et que la SEM elle-même serait créée avant l’été 2019. Or la création de la SEM Novarhena, dont le siège est situé dans la pépinière d’entreprises de Fessenheim et dont le capital s’élève à un million d’euros, n’a été juridiquement formalisée que le 14 avril 2021.

Son conseil d’administration est composé, à la date de sa création, de quinze membres français et trois membres allemands ([74]). Côté français, ce sont des représentants de la région Grand Est (qui détient 25 % du capital), de la Collectivité européenne d’Alsace, de la communauté d’agglomération Mulhouse Agglomération, de la CCI (qui détient 2 % du capital), de la Caisse des dépôts et consignations et de trois établissements bancaires (Banque Populaire, Crédit agricole et Caisse d’épargne et de prévoyance). Côté allemand, sont représentés la ville de Fribourg, le Landkreis de Breisgau-Hochschwarzwald et la chambre de commerce et d’industrie (IHK). La présidence du conseil d’administration est exercée par le représentant de la Collectivité européenne d’Alsace, M. Michel Habig. La SEM a recruté un directeur général, M. Xavier Marques.

Lors de son audition, le président-directeur général d’EDF a déclaré qu’EDF allait également participer à la SEM. Il est aussi prévu, comme l’a signalé à la mission d’information Mme Christine Roth qui représente la CCI au conseil d’administration de la SEM, que la communauté de communes Pays Rhin Brisach et la communauté d’agglomération de Colmar intègreront la SEM.

Mme Christine Roth a exprimé la crainte que cette SEM soit un élément de « complexification » et de lourdeur mais la plupart des acteurs auditionnés ont salué le choix de recourir à cet outil juridique nouveau pour accueillir les partenaires allemands du projet de territoire dans la mise en œuvre concrète de celui-ci.

D.   le bilan de la première année de mise en œuvre du projet de territoire

La préfecture du Haut-Rhin a publié en janvier 2020 un « Retour sur la 1ère année du projet de territoire pour l’avenir de Fessenheim » ([75]) qui présente notamment la maquette financière des montants engagés sur la période 2018‑2019 ([76]):

Près de 9 millions d’euros ont été engagés dès cette première année pour la première tranche des travaux menés par SNCF Réseau pour la réhabilitation de la voie ferrée Colmar-Volgelsheim qui dessert le Port rhénan de Colmar/Neuf Brisach pour le transport du fret (41 % engagés par l’État, 36 % par la région Grand Est, 12 % par le département du Haut-Rhin et 11 % par SNCF Réseau) ; deux autres tranches de travaux devront être programmées et financées, en 2025 et 2030.

Sur l’île du Rhin, qui s’étend sur toute la hauteur du territoire de la communauté de communes, ont été engagés :

– 6,9 millions d’euros pour l’aménagement de l’espace culturel transfrontalier ArtRhena (29 % de fonds européens, 28 % engagés par la CCPRB, 23 % par la région, 10 % par l’État et 10 % par Breisach-am-Rhein) ;

– 2 millions d’euros pour la réalimentation des anciens bassins des Mines de potasse d’Alsace afin de reconstituer des habitats naturels humides (69 % engagés par l’agence de l’eau Rhin-Meuse, 14 % par la CCPRB, 9 % par EDF, 7 % par la région et 1 % par le Conservatoire des sites alsaciens) ;

– et 252 700 euros (80 % par l’État et 20 % par la CCPRB) pour le démarrage de la construction d’appontements.

Parmi les autres financements engagés la première année dans le cadre du projet de territoire, on peut citer :

-         6,89 millions d’euros engagés par l’ADEME pour la réalisation d’un nouveau réseau de chaleur pour l’agglomération mulhousienne, alimenté principalement par la combustion de déchets ménagers ;

-         4,15 millions d’euros engagés par l’État et le département pour la rénovation thermique des collèges ;

-         2,15 millions d’euros pour soutenir des projets de méthaniseurs dans le département (37 % de fonds européens, 37 % engagés par la région et 26 % par l’ADEME) ;

-         1,8 million d’euros pour l’extension des capacités du Port rhénan de Colmar/Neuf Brisach (58 % engagés par l’État, 22 % par la région et 20 % par le syndicat mixte du port), permettant l’inauguration, en septembre 2019, d’un terminal « colis lourds » équipé d’un pont-portique d’une capacité de 1 000 tonnes ;

-         732 000 euros pour la cellule d’accompagnement personnalisé (CAP) des salariés des sous-traitants (48 % par EDF, 27 % par l’État, 14 % par la région, 7 % par le Groupement des industriels de maintenance de l’Est – GIMEst et 4 % par Pôle Emploi) ;

-         environ 460 000 euros engagés pour la préparation de l’aménagement de la future zone d’activités Ecorhena (61 % par l’État, 17 % par le syndicat mixte du port fluvial, 11 % par la région, 8 % par la CCPRB et 3 % de fonds européens) ;

-         près de 372 000 euros pour la poursuite des études techniques préparatoires sur la recréation d’une liaison ferroviaire de transport de voyageurs entre Colmar et Fribourg (50 % de fonds européens, 12,5 % par l’État fédéral allemand, 12,5 % par le Land du Bade-Wurtemberg, 6,75 % par l’État français, 6,75 % par la région, 6,75 % par le département et 6,75 % par la Caisse des dépôts) ;

-         171 300 euros engagés par l’État (80 %) et la CCPRB (20 %) pour la réalisation de quatre tronçons d’itinéraires cyclables (dont un reliant Fessenheim et la zone Ecorhena) ;

-         100 000 euros pour la réalisation d’une étude préalable pour le projet « Vallée Hydrogène du Grand-Est » financée par l’État, la région et la Banque des territoires ;

-         80 000 euros engagés par la Banque des territoires pour la préparation de la création de la SEM transfrontalière ;

-         60 000 euros engagés par le département pour l’étude préalable relative aux enjeux de la desserte routière de la zone Ecorhena.

Parmi les travaux d’étude encore en cours à ce jour, on peut citer l’élaboration d’une étude de faisabilité avec des options d’investissement concrètes pour des projets pilotes dans les domaines des batteries « vertes », du recyclage des batteries, des « réseaux électriques intelligents » (smart grids) et de l’hydrogène. Cette étude est menée par le groupement européen de coopération territoriale (GECT) « Eucor – Le Campus européen », qui réunit des universités françaises et allemandes, et le Cluster de recherche en durabilité dans le Rhin Supérieur (URCforSR) et devrait être achevée d’ici la fin 2021 ou début 2022. Le 11 janvier 2021, l’État, la région Grand Est, le ministère fédéral allemand de l’intérieur, de la construction et du territoire et le ministère de la science, de la recherche et des arts du Bade-Wurtemberg ont signé un accord de financement de 800 000 euros pour la réalisation de cette étude.

E.   l’appel d’offre photovoltaïque lancé par l’état (2019-2020)

L’État a lancé un appel d’offres portant sur la réalisation et l’exploitation, dans le département du Haut-Rhin, d’installations de production d’électricité à partir de l’énergie solaire, afin d’accélérer le développement du photovoltaïque.

En application des dispositions de l’article R. 311-14 du code de l’énergie, la Commission de régulation de l’énergie (CRE) a été saisie par courrier du 17 mai 2018 par le ministre de la transition écologique et solidaire, d’un projet de cahier des charges pour un appel d’offres portant sur la réalisation et l’exploitation d’installations de production d’électricité à partir de l’énergie solaire visant à accompagner la « transition énergétique du territoire de Fessenheim ». Il s’inscrit dans le cadre de la procédure introduite par le décret n° 2016-170 du 18 février 2016 relatif à la procédure d’appel d’offres pour les installations de production d’électricité et du dispositif de soutien que constitue le complément de rémunération (CR). La CRE a rendu son avis par une délibération du 21 juin 2018 et a demandé que plusieurs modifications soient apportées au cahier des charges. L’appel d’offres a été lancé par publication d’un avis au Journal officiel de l’Union européenne le 23 janvier 2019.

L’appel d’offres a été segmenté en trois familles d’installations et en trois périodes de candidature successives :

-         Famille 1 : installations photovoltaïques au sol de puissance supérieure à 500 kWc ; pour l’ensemble des trois périodes, la puissance cumulée des installations de cette catégorie est plafonnée à 200 MWc ;

-         Famille 2 : installations photovoltaïques sur bâtiments, serres, hangars agricoles et ombrières de parking de puissance supérieure à 500 kWc et inférieure ou égale à 8 MWc, pour une puissance cumulée appelée totale de 75 MWc ;

-         Famille 3 : installations photovoltaïques sur bâtiments, serres, hangars agricoles et ombrières de parking de puissance supérieure à 100 kWc et inférieure ou égale à 500 kWc, pour une puissance cumulée appelée totale de 25 MWc.

Les lauréats de l’appel d’offres bénéficieront, pour les installations de la famille 1 et de la famille 2, d’un contrat de complément de rémunération dont le niveau est fonction du prix proposé par le candidat dans son offre. Pour les installations de la famille 3, les lauréats bénéficieront d’un contrat d’achat de l’électricité produite. Chaque contrat portera sur une durée de 20 ans.

La première période de candidature s’est clôturée le 26 juillet 2019. Parmi les 27 offres déposées, la CRE a proposé d’en retenir 12 (délibération de la CRE du 19 septembre 2019). Les 12 projets lauréats, représentant une capacité totale de 62,8 MW, ont été annoncés par le Gouvernement le 26 septembre 2019, lors d’une réunion du comité de pilotage pour la reconversion du territoire de Fessenheim. Les projets lauréats de la première période de cet appel d’offres valoriseront l’électricité produite à un prix moyen de 66,05 €/MWh.

À l’issue de la deuxième période de candidature, clôturée le 27 janvier 2020 et pendant laquelle 19 dossiers avaient été déposés, 12 nouveaux lauréats ont été désignés, représentant une capacité installée totale de 94,2 MWc. Les projets lauréats ont été retenus avec un prix moyen de 55,78 €/MWh pour les projets au sol, 92 €/MWh pour les projets sur toiture de plus de 500kW et 98,5 €/MWh pour les projets sur toiture de moins de 500kWc.

La troisième période de candidature s’est achevée le 30 septembre 2020. 15 lauréats ont été désignés à l’issue de cette troisième période de l’appel d’offres, représentant une capacité installée de 22,6 MWc. Ils ont été retenus avec un prix moyen de 58,5 €/MWh pour les projets au sol, 86 €/MWh pour les projets sur toiture de plus de 500 kW et 95,4 €/MWh pour les projets sur toiture de moins de 500 kWc.


II.   le projet phare : la zone d’activitÉs Ecorhena

Le projet vise à la création d’une zone d’aménagement concerté (ZAC) en application de l’article L. 103-2 du code de l’urbanisme, et une concertation préalable a donc été lancée pour inviter toutes les parties prenantes à s’exprimer. La concertation publique s’est déroulée du 15 janvier au 15 avril 2021. L’autorité compétente pour créer la ZAC est la communauté de communes.

Le projet répartit les terrains susceptibles d’être aménagés en deux catégories : des terrains inclus dans le périmètre de la concession portuaire de la nouvelle société d’économie mixte à opération unique (SEMOP) pour l’extension du port fluvial de Colmar/Neuf-Brisach, et des terrains destinés à la vente pour permettre l’accueil de nouvelles entreprises afin de, selon le dossier de concertation préalable publié en janvier 2021 ([77]), « compenser les pertes d’emplois et de ressources fiscales entraînées par la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim » en créant « au moins autant de nouveaux emplois que ceux perdus ». Cette seconde catégorie de terrains forme la future ZAC Ecorhena.

La zone du projet se situe au nord-est de Fessenheim (à 4 kilomètres du site du CNPE), sur les territoires des communes de Balgau, Nambsheim, Heiteren et Geiswasser, à proximité immédiate du Grand canal d’Alsace. Le dossier de concertation indique que « le site d’étude est aujourd’hui uniquement composé de parcelles agricoles et de forêts exploitées ou non » et que le site est caractérisé par la présence en proximité de l’entreprise FMC, de la zone industrielle Koechlin, de la pépinière d’entreprises et de la centrale hydroélectrique.

La zone Ecorhena, à ce jour, n’existe pas encore. Le foncier n’est pas encore aménagé pour permettre des implantations, ce qui explique qu’aucune entreprise ne soit encore installée. La création d’une nouvelle zone d’activités sur le territoire de la communauté de communes a été envisagée longtemps avant que la fermeture de la centrale de Fessenheim soit annoncée, mais n’a connu une impulsion décisive qu’à partir de cette annonce.

A.   UN PROJET ANCIEN, désormais en bonne voie mais dont la superficie a été considérablement réduite

Le président de la communauté de communes Pays Rhin Brisach, M. Gérard Hug, a retracé devant la mission d’information l’historique de ce projet. L’établissement public du Port rhénan de Colmar/Neuf-Brisach est depuis 1965 le concessionnaire du port fluvial. Constatant qu’une première zone industrielle portuaire s’était trouvée rapidement occupée, par des entreprises de dimension internationale telles que Constellium, Mars Wrigley, DS Smith et Essity, les collectivités locales et autres acteurs qui le composent ont acquis progressivement, à partir des années soixante-dix, 500 hectares de terrain dans les communes de Balgau, Nambsheim, Heiteren et Geiswasser, afin de prolonger la dynamique d’industrialisation.

Mais, suite au choc pétrolier de 1974 et à la crise économique qui a suivi, une seule entreprise, le groupe Dupont de Nemours, a procédé à une implantation dans cette zone sur environ 100 hectares, afin de réaliser des activités de recherche agronomique dans un laboratoire qui emploie une cinquantaine de personnes. Selon M. Gérard Hug, quelques entreprises ont manifesté la volonté de s’y installer dans les décennies qui ont suivi, mais ces projets d’implantation n’ont pas abouti, faute d’action des services de l’État pour valoriser cette zone. Le président de la CCI, M. Jean-Luc Heimburger, a également évoqué les « fins de non-recevoir » opposées par les services de l’État à des propositions d’installation. La plus grande partie de ce foncier a donc été reconquise par des milieux naturels (milieux forestiers, ouverts ou humides), faute d’avoir été aménagé et occupé, l’établissement public ayant négligé de procéder aux coupes d’arbres périodiques nécessaires, et des espèces protégées y sont répertoriées. De ce fait, une partie de la zone, notamment à proximité de sites Natura 2000 et de la zone Ramsar transfrontalière « Rhin Supérieur », est incluse dans des dispositifs réglementaires de protection ou d’inventaire, en particulier plusieurs zones naturelles d’intérêt faunistique et floristique (ZNIEFF) ([78]), et la zone est inscrite pour partie dans la Trame verte et bleue.

En 2017, la répartition de ces terrains s’établissait ainsi :

-         100 hectares ont été vendus,

-         179 hectares ont été identifiés comme des « zones naturelles non valorisables » (dont 66,5 hectares relevant d’une zone Natura 2000),

-         il restait donc environ 222 hectares de terrains à commercialiser, dont 129 hectares nécessitant une autorisation de défrichement.

La concession du port arrivant à son terme, la communauté de communes Pays Rhin-Brisach, la communauté d’agglomération Colmar Agglomération, la région Grand Est, Voies navigables de France (VNF) et la chambre de commerce et d’industrie (CCI) Alsace Eurométropole ont constitué en 2018 le syndicat mixte ouvert (SMO) pour la gestion du Port rhénan de Colmar Neuf-Brisach. L’objet du SMO est de gérer, exploiter, aménager et développer le domaine industrialo-portuaire du Port rhénan de Colmar / Neuf-Brisach.

Le SMO a donc vocation à reprendre l’ensemble des actifs de l’établissement public. Il dispose de l’ensemble des droits afférents aux terrains de la zone Ecorhena et a lancé la recherche d’un nouveau concessionnaire pour le port ; le 1er avril 2021, la gestion du port a été confiée à une SEMOP associant le SMO, la Banque des territoires et un opérateur économique (CFNR Transport). Le dossier de concertation indique que la commercialisation des terrains s’appuiera sur l’intervention de Business France au plan national et des agences de développement de la région Grand Est.

Le dossier de concertation préalable à la création de la ZAC, publié en janvier 2021 par le SMO, indique que « sur les 400 hectares non vendus à ce jour, 320 hectares seraient préservés et seulement 80 aménagés », et que ces 80 hectares seront situés « en grande majorité sur des zones agricoles afin de limiter la destruction d’espaces naturels ». Il est prévu que les surfaces des nouvelles constructions seront minimisées par un coefficient d’occupation des sols de 0,4, inférieur à la moyenne nationale pour les industries. La route départementale (RD 52), qui traverse la zone de part en part, constituera sa « colonne vertébrale ». L’ambition présentée par le dossier de concertation est l’implantation sur la future ZAC, d’une part, de PME et de TPE (sur un secteur de 25 000 m2) et d’autre part, d’industries internationales. Quant à la zone portuaire, elle a vocation à accueillir l’implantation d’activités logistiques.

Le plan de relance de la région Grand Est (« Business Act Grand Est 2020-2025 ») présenté en juillet 2020 indique que pour diversifier l’offre foncière, « le territoire du Pays Rhin-Brisach proposera des terrains complémentaires à ceux du parc d’activités Ecorhena. Il s’agit d’un foncier privé, appartenant à des entreprises implantées de longue date (…), représentant environ 150 hectares situés dans un environnement industriel, à bord de voie d’eau et desservis par la voie ferrée ». Le plan précise que, pour l’aménagement du parc d’activités, « trois scénarii, basés respectivement sur 3 hypothèses de surfaces aménageables sont à l’étude » et signale l’existence du projet d’implantation, dans la zone Ecorhena, d’une usine de production de granules de bois à haut pouvoir calorifique (black pellets) de l’Européenne de Biomasse. Lors de son audition, le président de la communauté de communes a confirmé l’existence de ce projet d’implantation, mais s’est montré prudent sur ses chances de succès.

Les trois scenarii sont présentés par le dossier de concertation.

Le scénario 1 est celui de l’aménagement de la totalité du périmètre de 223 hectares susceptible d’être urbanisé dans le respect des plans locaux d’urbanisme (PLU) en vigueur, en distinguant 193 hectares pour la zone d’activités Ecorhena et 30 hectares pour l’extension du port rhénan par la SEMOP, avec seulement la forêt de Heiteren conservée en zone naturelle.

Le scénario 2 correspond à l’aménagement de 142 hectares au total (112 hectares pour Ecorhena et 30 hectares pour le port), par déduction de 70 hectares de forêt et de 11 hectares de surfaces agricoles trop coûteuses à aménager.

Le scénario 3 prévoit l’aménagement de 89 hectares pour la zone d’activités et de 30 hectares pour l’extension du port, soit 119 hectares au total. Par rapport au scénario 2, la moitié de la forêt de Balgau serait soustraite à l’opération, en raison des enjeux écologiques forts et difficilement compensables qu’elle représente. Alors que le scénario 1 exigerait de prendre 173 hectares sur les milieux naturels du territoire (dont environ 100 hectares sur des ZNIEFF de type I), le scénario 3 ne nécessite d’en aménager que 77 hectares, avec peu de défrichements et une imperméabilisation réduite des sols.

Au final, c’est un périmètre encore réduit par rapport au scénario 3 qui a été présenté par le SMO au public dans le cadre de la concertation préalable, pour une surface totale aménageable de 82 hectares : environ 26 hectares pour la partie rattachée au port et environ 56 hectares pour la ZAC Ecorhena.

Ce périmètre résulte des inventaires faune-flore réalisés en 2018-2019 par les bureaux d’études BEE-ING et Climax qui ont démontré la présence de plusieurs espèces animales et végétales protégées et de la nécessité de respecter les règles et objectifs posés par les documents de planification en vigueur, en particulier le schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET) Grand Est Territoires (préservation des zones humides, limitation de l’imperméabilisation des sols, sobriété foncière, préservation et restauration de la trame verte et bleue…).

L’ensemble des acteurs auditionnés par la mission d’information ont déploré que la superficie de la future zone d’activités se soit trouvée considérablement réduite par rapport aux ambitions initiales. Le président du conseil régional, M. Jean Rottner, a reconnu que, lorsqu’il se concrétisera, le projet « sera à l’échelle du terrain disponible ». Le président de la CLIS et le président de la CCI, extrêmement déçus par la réduction considérable du périmètre, ont même exprimé des doutes sur l’intérêt de créer une aussi petite zone d’activités. La présidente du conseil départemental, Mme Brigitte Klinkert, a considéré que les collectivités n’ont plus les moyens de leurs ambitions, du fait de la renaturation du foncier et des règles strictes de protection de la faune, et s’est interrogée sur l’importance qui a été donnée à la présence probable d’une espèce de batracien (le pélobate brun) classée prioritaire dans le Plan national d’action pour les amphibiens et les reptiles de 1996 car exposée à un risque d’extinction ([79]).

Le président d’Alsace Nature a reconnu que les contraintes environnementales sont fortes sur cette zone, qui représente un patrimoine écologique de valeur, et a justifié la longueur des études environnementales ayant abouti au découpage des quelque 240 hectares initiaux pour soustraire à l’aménagement industriel une zone « rouge » à haute sensibilité environnementale, sur laquelle toute construction doit être exclue car il n’est pas possible d’y respecter la séquence « éviter-réduire-compenser » (ERC) prévue par la réglementation en vigueur et pour délimiter une zone qu’il est envisageable d’artificialiser à condition de mener des opérations de compensation à proximité du site. L’ancien délégué interministériel M. David Coste a précisé qu’il était nécessaire que les études sur la faune et la flore se déroulent sur quatre saisons complètes (de l’automne 2018 à l’automne 2019) et soient ensuite complétées pendant la phase d’élaboration de l’étude d’impact et du dossier de demande d’autorisation environnementale. Cette demande d’autorisation a été déposée en mars 2021.

Le projet d’aménagement a fait l’objet d’une analyse par l’autorité environnementale, qui a rendu son avis le 22 juillet 2021 ([80]) et a émis plusieurs recommandations. Elle note qu’« un total de 950 emplois est attendu sur le site du projet Ecorhena » mais considère que l’étude d’impact environnemental comporte plusieurs lacunes. Elle recommande notamment au SMO de s’assurer de la capacité de la station d’épuration de Nambsheim à absorber le surplus de charges entrantes des eaux usées générées par la zone d’activités et de sélectionner les entreprises souhaitant s’implanter dans la zone Ecorhena en soumettant leur implantation au respect d’un cahier des charges et en privilégiant les entreprises sobres en énergie, peu émettrices de rejets polluants et qui favorisent l’économie circulaire.

On peut noter que le projet de ZAC soumis à l’autorité environnementale par le SMO comporte une demande de dérogation aux règles relatives à la protection de plusieurs dizaines d’espèces (faune et flore) ([81]). Le projet intègre également une séquence « éviter-réduire-compenser » (ERC) qui se veut exemplaire, notamment pour remettre en état des sols actuellement pollués, implanter les installations le long de la route départementale existante pour réduire les besoins en voirie et donc l’artificialisation des sols, ou encore restaurer la continuité écologique le long de la rivière Muhlbach.

B.   Une opération au cœur du projet de territoire et complémentaire du projet de technocentre

Ecorhena doit apporter une contribution essentielle à l’axe 1 du projet de territoire signé le 1er février 2019 : créer des emplois et de la valeur ajoutée dans le cadre de la reconversion économique du territoire. L’action 1.1 définie par le projet de territoire pour le premier périmètre d’impact de la fermeture de la centrale (« premier cercle », correspondant au territoire de la communauté de communes), qui vise à « attirer et développer des activités créatrices d’emploi », prévoit le développement de zones d’activités et la création de conditions fiscales, sociales et environnementales pour l’accueil de nouvelles entreprises.

Le projet de territoire indique ainsi que « plusieurs projets sont engagés, au premier rang desquels la création d’un parc d’activités Ecorhena, projet phare de la communauté de communes Pays Rhin-Brisach qui offre l’opportunité de réaliser une opération exemplaire en matière d’écologie industrielle et territoriale au plan national et européen. Ce parc d’activités sera développé en complémentarité avec l’aménagement d’autres zones d’activités (développement de la Zone industrialo-portuaire de Biesheim/Kunheim par exemple), la création d’immobilier d’entreprises, le développement du Port Rhénan de Colmar/Neuf-Brisach qui permettra de préserver, d’adapter et de développer les équipements industrialo-portuaires aux enjeux actuels et à venir ». On peut noter que d’autres zones d’activités existent déjà dans le centre Haut-Rhin, mais les disponibilités foncières y sont trop limitées pour envisager d’y accueillir de grandes entreprises.

Le projet de territoire mentionne la nécessité d’améliorer la desserte de la zone Ecorhena par l’extension de la ligne ferroviaire de fret existante, par la réalisation d’une liaison routière entre le territoire de Fessenheim et, d’une part, l’autoroute française et, d’autre part, l’autoroute allemande, et par la réalisation d’un barreau depuis la route départementale pour permettre la circulation des transports exceptionnels à destination de la zone d’activités. Le dossier de concertation signale que le SMO prévoit de lancer une étude sur la mise en place d’un transport à la demande pour desservir la zone Ecorhena et sur la création de lignes de transport en commun. La question des transports a été présentée comme centrale par plusieurs acteurs auditionnés, s’agissant des chances de succès du projet Ecorhena. Le président de la CCI, notamment, a considéré que cette future zone comporte deux points faibles très handicapants : sa taille très réduite et sa desserte insuffisante. En particulier, le pont existant sur le Rhin, qui permet de franchir la frontière, n’est pas du tout dimensionné pour donner réellement à ce projet une échelle binationale.

Le projet d’implantation du « technocentre » sur le territoire donne un intérêt particulier à l’extension du port fluvial inclus dans le projet Ecorhena, dans une optique de réduction des transports routiers, car un accès fluvial spécifique est indispensable à cette implantation en raison du gabarit et du poids des équipements et matériaux susceptibles d’être traités dans cette usine (notamment les générateurs de vapeur qui peuvent peser jusqu’à 400 tonnes). Le maire de Fessenheim a souligné lors de son audition l’intérêt qu’aurait une prolongation jusqu’au port de la liaison ferroviaire (actuellement utilisée pour l’évacuation du combustible usé de la centrale nucléaire), qui permettrait la création d’une plateforme multimodale.

 

 

L’extension du port fluvial dans la zone Ecorhena

La future concession portuaire qui sera confiée à la SEMOP intègre quatre secteurs dans la zone Ecorhena :

- deux secteurs, représentant 13 hectares de terrains, qui seront amodiés à des entreprises afin que leur location procure à la SEMOP des ressources stables et indépendantes du trafic portuaire ;

- deux secteurs dédiés à la réalisation d’une plateforme multimodale et d’une plateforme « colis lourds ». La réalisation de la plateforme multimodale permettrait de développer une activité de manutention répondant notamment aux besoins des entreprises implantées dans la zone Ecorhena. Le premier plan d’investissements de la SEMOP intègre la plateforme colis lourds.

Source : SMO du Port rhénan de Colmar/Neuf-Brisach – dossier de presse, janvier 2021.

Le 20 juillet 2020, dans le cadre du programme Territoires d’industrie, le Gouvernement a placé la future zone Ecorhena dans la liste des sites industriels « clés en main » ([82]) qui vont faire l’objet d’un accompagnement prioritaire de l’État en lien avec la Banque des territoires pour raccourcir les délais d’implantation de nouvelles activités industrielles. Dans la présentation des 78 sites publiée par Business France en novembre 2020, est annoncée la disponibilité immédiate de 2 hectares, une « extension prochaine à 85 hectares (permis de construire instruits à partir de juin 2022 et cession du foncier fin 2022) » et la possibilité d’obtenir en neuf ou dix mois les autorisations environnementales nécessaires pour les implantations. L’« écosystème » de la zone est ainsi présenté :

 

Source : « Investir en France – les sites industriels clés en main » (novembre 2020) https://investinfrance.fr/wp-content/uploads/2017/08/Version-finale-Pack-SCM-28.10.20-2-1.pdf

 

Le président de la communauté de communes s’est interrogé devant la mission d’information sur le devenir des terrains non aménageables pour raisons environnementales : que pourront en faire les collectivités propriétaires ? Il s’est cependant réjoui qu’un calendrier ait enfin été fixé pour la commercialisation des terrains aménageables, la mise à disposition devant en principe pouvoir commencer à la fin de l’année 2021. Le directeur général de l’ADIRA a précisé devant la mission d’information qu’obtenir une confirmation définitive, en 2021, des surfaces disponibles et de leur prix ainsi que de la possibilité de démarrer une construction d’installations dans moins de deux ans va permettre à l’agence de prospecter plus activement, avec Business France, auprès d’investisseurs français et étrangers.


III.   quelles leçons À tirer pour d’autres territoires ?

Après la fermeture des deux tranches de Fessenheim en 2020, le parc nucléaire en exploitation comporte désormais 18 centrales composées de 56 réacteurs en activité à eau pressurisée (REP), pour une puissance totale installée de 61,4 GW. Ce parc est composé de trois paliers techniques standardisés :

- le palier « 900 MW » comprenant 32 réacteurs ;

- le palier « 1 300 MW » comprenant 20 réacteurs ;

- le palier « 1 450 MW » comprenant 4 réacteurs.

Source : RTE – Bilan prévisionnel de l’équilibre offre-demande d’électricité en France (annexes techniques), édition 2021.

L’incertitude persiste autour du calendrier de démarrage de l’EPR de Flamanville. Dans les prochaines années, le parc sera complété d’un réacteur supplémentaire de type EPR d’une puissance nominale de 1 650 MW, sur le site de Flamanville. Outre les retards du chantier, la demande de l’ASN de procéder à la remise en conformité des soudures existantes conduit l’exploitant à mener des travaux supplémentaires. EDF a en outre déclaré à l’ASN, en mars 2021, un évènement significatif de sûreté lié à un écart de conception de trois piquages du circuit primaire ([83]). Par décret du 25 mars 2020 ([84]), le délai pour réaliser le premier chargement du réacteur en combustible nucléaire – c’est-à-dire le délai de mise en service au sens de la loi précitée du 13 juin 2006 – a été porté à dix-sept ans à compter de la publication du décret qui a autorisé la création de l’EPR ; la mise en service est donc désormais prévue pour 2024.

Il convient de rappeler que l’autorisation initiale d’exploiter une centrale ne comporte pas de date limite mais que chaque réexamen de sûreté mené par l’ASN peut conduire à mettre fin à cette autorisation d’exploitation si l’ASN constate que la sûreté nucléaire l’exige. Comme l’a rappelé lors de son audition le directeur de la production nucléaire d’EDF, en France, le démarrage d’une installation nucléaire correspond au droit de l’exploiter pendant dix ans, assorti de l’obligation de réaliser un examen de sûreté approfondi en fin de période, à l’issue duquel l’exploitant obtient ou n’obtient pas l’autorisation de faire fonctionner l’installation dix ans de plus. À l’issue de chaque VD, l’ASN se prononce sur une autorisation de principe, fondée sur la démonstration faite par l’exploitant que le réacteur présente la capacité à être exploité de manière sûre pour dix années supplémentaires. Cette autorisation peut être donnée pour une durée inférieure à dix ans. En outre, au cours de cette période, l’ASN peut, à l’issue de l’une de ses inspections, décider de réduire cette durée ou de l’assortir de prescriptions particulières destinées à rehausser le niveau de sûreté.

A.   une certitude : plusieurs réacteurs vont être mis à l’arrêt définitif dans les prochaines années

Comme l’a rappelé, lors de son audition par la commission des finances du Sénat le 4 mars 2020, la présidente de la deuxième chambre de la Cour des comptes interrogée sur le rapport de la Cour relatif à l’arrêt et au démantèlement des centrales nucléaires, « la France est dotée d’installations nucléaires de deux générations différentes. Toutes les installations nucléaires ont vocation à être arrêtées un jour. Celles de la première génération ont été arrêtées du fait de leur exploitant – sauf dans le cas de Superphénix. En revanche, l’arrêt des installations nucléaires de la deuxième génération est prévu par la loi (…) ».

1.   La loi « énergie-climat » du 8 novembre 2019 et la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) du 21 avril 2020

La loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte (LTECV) a fixé le cadre de la politique de l’énergie ; l’article L. 100-1 du code de l’énergie dans sa rédaction issue de cette loi définit les objectifs que la politique énergétique doit viser, et dispose notamment que cette politique doit « assurer la sécurité d’approvisionnement et réduire la dépendance aux importations », « maintenir un prix de l’énergie compétitif et attractif » et « préserver la santé humaine et l’environnement, en particulier (…) en garantissant la sûreté nucléaire ». La LTECV reprend les engagements européens et pose des objectifs nationaux qui ont ensuite été modifiés par la loi du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat (LEC). Parmi ces objectifs nationaux, on peut citer :

-         d’ici à 2030 : amener à 33 % la consommation d’énergies d’origine renouvelable, réduire de 20 % la consommation d’énergie finale (par rapport à 2012), réduire de 40 % la consommation d’énergie fossile primaire (par rapport à 2012), atteindre 40 % de la production d’électricité d’origine renouvelable ;

-         d’ici à 2035, réduire à 50 % la part du nucléaire dans la production d’électricité.

La LTECV a plafonné à 63,2 GW la capacité nucléaire installée en France : « L’autorisation d’exploiter une installation de production d’électricité ne peut être délivrée lorsqu’elle aurait pour effet de porter la capacité totale autorisée de production d’électricité d’origine nucléaire au-delà de 63,2 GW ».

L’horizon de réalisation de l’objectif de 50 % pour la part du nucléaire a évolué, puisque la LTECV le fixait à 2025. Comme le rappelle la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) publiée en avril 2020, cet objectif s’est avéré « impossible à atteindre, sauf à risquer des ruptures dans l’approvisionnement électrique de la France ou à relancer la construction de centrales thermiques à flamme, qui serait contraire à nos objectifs de lutte contre le changement climatique ». La LEC a donc modifié l’échéance pour la fixer à 2035.

Les scénarios sur lesquels se fonde la PPE sont, en ce qui concerne le mix électrique, les suivants :

 en 2023, la PPE devrait conduire à une production d’environ 155 TWh d’électricité d’origine renouvelable, 34 TWh d’électricité d’origine thermique et 393 TWh d’origine nucléaire, soit 27 % de la production d’électricité d’origine renouvelable et 67 % de la production d’électricité d’origine nucléaire ;

– en 2028, la PPE devrait conduire à une production comprise entre 210 et 227 TWh d’électricité d’origine renouvelable, 32 TWh d’électricité d’origine thermique et entre 382 et 371 TWh d’origine nucléaire, soit entre 33 et 36 % de la production d’électricité d’origine renouvelable et entre 59 et 61 % de la production d’électricité d’origine nucléaire.

La très grande majorité du parc électronucléaire en fonctionnement a été construite sur une courte période (une quinzaine d’années). Comme l’expose la PPE, « définir une durée de fonctionnement similaire pour tous les réacteurs conduirait à déclasser le parc sur une période aussi concentrée (« effet falaise »), ce qui ne serait soutenable ni en termes sociaux, ni pour la sécurité d’approvisionnement électrique. Anticiper l’arrêt de certains réacteurs du parc existant permettra d’étaler les investissements dans de nouveaux moyens de production sans générer trop de surcapacité. De ce point de vue, EDF a confirmé l’intérêt industriel que présente la fermeture d’une partie du parc en amont de sa durée d’exploitation maximale anticipée (60 ans) ». Le rapport précité de la Cour des comptes de février 2020 souligne également les risques de l’« effet falaise » que provoquerait une durée de fonctionnement identique de tous les réacteurs : le processus de démantèlement ne serait pas soutenable.

Pour atteindre l’objectif de 50 % de la production d’électricité d’origine nucléaire d’ici 2035, la PPE fixe les orientations suivantes : entre 4 et 6 réacteurs nucléaires seront arrêtés d’ici 2028, dont les deux réacteurs de la centrale de Fessenheim ; au total, 14 réacteurs nucléaires seront arrêtés d’ici 2035. Le principe général sera l’arrêt des réacteurs, hors Fessenheim, à l’échéance de leur cinquième visite décennale, soit des arrêts entre 2029 et 2035.

La PPE fait valoir que l’arrêt à la cinquième visite décennale est un scénario cohérent au plan industriel : la cinquième visite décennale constitue une date bien définie à laquelle un arrêt long et des investissements sont obligatoires, qui ne seront pas engagés si un arrêt définitif est planifié à cette date. Le Gouvernement considère que « ces fermetures sont cohérentes avec la stratégie industrielle d’EDF, qui amortit comptablement les réacteurs de 900 MW sur une durée de 50 ans, et ne donneront donc pas lieu à indemnisation ».

Toutefois, respecter strictement ce principe d’arrêt à la cinquième visite décennale conduirait à arrêter en moyenne deux réacteurs par an entre 2030 et 2035, ce qui soulève la question de la maîtrise de cette programmation aux plans social, technique et politique. La PPE indique donc que le Gouvernement « demande à EDF de prévoir la fermeture de 2 réacteurs par anticipation des 5èmes visites décennales en 2027 et en 2028 au titre de la politique énergétique ». Ces réacteurs seront arrêtés sauf si l’ASN demandait d’ici là la fermeture d’autres réacteurs pour raison de sûreté, ou si leur fermeture conduisait à ne pas respecter les critères de sécurité d’approvisionnement.

Il est précisé que le Gouvernement « pourrait également demander à EDF l’arrêt de deux réacteurs supplémentaires, en 2025–2026 », dans l’hypothèse où les conditions suivantes seraient cumulativement réunies :

1° Les pays voisins de la France auraient engagé une transition très rapide de leur parc de production d’électricité, notamment par l’arrêt de capacités importantes de production d’électricité à partir de charbon, et auraient développé massivement les énergies renouvelables sans que leur sécurité d’approvisionnement ne repose sur la capacité de production française : le solde exportateur français serait alors réduit et la fermeture de réacteurs nucléaires permettrait de limiter les surcapacités ([85]) ;

2° Une marge significative en matière de sécurité d’approvisionnement existerait sur les capacités nucléaires, permettant de faire face à une décision éventuelle de l’ASN de suspendre le fonctionnement de plusieurs réacteurs pour une raison de sûreté ;

3° Les prix de marché de l’électricité seraient maintenus à un faible niveau du fait de surcapacités de production de base à faible coût variable (énergies renouvelables et nucléaire), dégradant ainsi la rentabilité de la prolongation de tout le parc existant, et permettant d’envisager des réductions de capacité sans que cela ne pèse sur les consommateurs français.

L’analyse de ces conditions doit faire l’objet d’un rapport remis par la Commission de régulation de l’énergie (CRE) au Gouvernement avant le 1er décembre 2022, et s’appuyant sur l’expertise de RTE.

Et au-delà de 2035 ? La PPE conclut que de nouvelles capacités nucléaires « n’apparaissent en tout état de cause pas nécessaires pour assurer l’équilibre offre-demande d’électricité avant l’horizon 2035 » mais qu’au-delà de 2035 se pose la question des nouveaux moyens de production d’électricité décarbonée à construire pour assurer l’équilibre offre-demande à mesure du déclassement du parc existant. En l’état actuel des technologies, « il n’est pas possible de déterminer avec certitude les technologies les plus compétitives pour assurer notre mix électrique à cet horizon, entre le nucléaire et les énergies renouvelables associées à du stockage et d’autres solutions de flexibilité ». Il est indiqué que plusieurs scénarios seront expertisés, allant d’un scénario « 100 % renouvelable » à un scénario où le nucléaire reste durablement une source de production d’électricité intégrée dans le mix électrique. En raison de cette incertitude, la PPE affirme qu’il est nécessaire de préserver une capacité de construction de nouveaux réacteurs nucléaires appuyés sur une technologie et des capacités industrielles nationales.

2.   La liste des réacteurs qui seront fermés dans les prochaines années est connue, mais pas l’ordre des fermetures ni leur calendrier

Pour mettre en œuvre la trajectoire d’évolution des capacités nucléaires installées définie par le législateur, le Gouvernement a demandé à EDF de lui transmettre une liste de sites sur lesquels ces fermetures pourraient intervenir, définie de manière à minimiser l’impact économique et social, ainsi que sur le réseau électrique, des fermetures, et en privilégiant des arrêts de réacteurs ne conduisant à l’arrêt complet d’aucun site nucléaire. Sur la base de ces critères, EDF a proposé au Gouvernement d’étudier la mise à l’arrêt de paires de réacteurs sur les sites de Blayais, Bugey, Chinon, Cruas, Dampierre, Gravelines et Tricastin.

La PPE prévoit explicitement que « le Gouvernement identifiera les sites faisant prioritairement l’objet de fermetures, sur la base de la proposition transmise par EDF » et que « sauf exception, la décroissance du parc nucléaire ne devra conduire à l’arrêt complet d’aucun site nucléaire ». On peut remarquer que ce principe semble exclure une fermeture prioritaire de la centrale de Saint-Laurent-des-Eaux, puisqu’elle ne comporte qu’une seule paire de réacteurs.

La PPE prévoit que les fermetures de réacteurs seront confirmées trois ans avant leur mise en œuvre ([86]) sur la base des données disponibles à ce moment permettant de s’assurer que les critères susmentionnés seront respectés. Selon la PPE, cette anticipation « permettra d’accompagner les territoires concernés par les fermetures en établissant notamment des contrats de transition écologique, afin de leur permettre de s’inscrire dans de nouvelles dynamiques de développement ».

Il convient de rappeler, cependant, comme l’a fait la Cour des comptes dans son rapport précité de février 2020, que la PPE en vigueur n’est prescriptive que jusqu’en 2028. La Cour préconise une durée de quinze ans pour chaque PPE, la présentation de documents de planification comportant des délais de prévenance suffisants, une meilleure articulation entre la PPE et le PNGMDR et une stratégie de démantèlement à dix ans.

M. Jean-Bernard Levy, PDG d’EDF, auditionné le 18 décembre 2019 par la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale et interrogé sur le calendrier des prochaines mises à l’arrêt définitif de réacteurs nucléaires et sur le choix des sites, a répondu : « Le choix des sites se fera le moment venu. Nous estimons que cette décision doit être prise de manière à optimiser les délais pour les salariés qui devront se reconvertir – ils doivent être prévenus suffisamment tôt, mais pas non plus trop tôt. Il faut également se soucier des entreprises qui travaillent sur le site en même temps que nos salariés, traiter le sujet avec RTE et aussi prendre en compte les observations de l’ASN sur la sûreté nucléaire, qui n’est pas nécessairement la même sur chaque site. (…) Un ensemble de critères sera donc pris en compte pour décider, et cette décision n’interviendra pas immédiatement, mais quelques années avant la fermeture effective. »

Il est important de noter que les réacteurs du palier 900 ont été construits par paires et disposent d’installations communes à chaque paire. Le directeur de la production nucléaire, lors de son audition, a expliqué qu’EDF a toujours prévu que ces réacteurs seraient arrêtés définitivement par paire, car la performance industrielle serait nettement dégradée si un seul était fermé dans une paire.

3. EDF sera-t-il indemnisé pour la fermeture de ces réacteurs ?

Compte tenu des critiques portant sur le dispositif d’indemnisation d’EDF par l’État pour la fermeture de la centrale de Fessenheim, est-il envisageable que d’autres protocoles d’indemnisation soient obtenus par EDF à l’avenir ?

Interrogée sur ce point lors de son audition, la ministre de la transition écologique, Mme Barbara Pompili, a indiqué que l’expérience de la fermeture de la centrale de Fessenheim va évidemment permettre de travailler ensuite sur d’autres protocoles, mais que le contenu de ceux-ci sera très différent, puisque les situations des autres réacteurs et centrales sont diverses. Il convient en particulier de rappeler que le Gouvernement s’est engagé à ce qu’aucune autre centrale ne soit totalement fermée, et que les fermetures à venir porteront donc sur des tranches et non pas sur des sites complets. La ministre a fait état d’un engagement d’EDF à ne pas demander d’indemnisation pour des réacteurs qui seraient fermés après cinquante ans de fonctionnement.

Elle a observé qu’à l’étranger, les pratiques des États et des exploitants en matière d’indemnisation des fermetures d’installations de production d’énergie dues aux évolutions de la politique énergétique nationale sont diverses. En Allemagne, une décision de la Cour constitutionnelle a contraint l’État fédéral à engager un processus d’indemnisation des quatre opérateurs exploitant des centrales nucléaires ([87]) et l’État fédéral procède également à une indemnisation des exploitants de centrales à charbon. Aux Pays-Bas, l’État a versé une indemnité pour la fermeture de la centrale à charbon de Hemweg mais a écarté l’éventualité d’une indemnisation systématique pour toutes les fermetures de centrales.

Si le PDG d’EDF s’est défendu, lors de son audition, de vouloir multiplier les protocoles d’indemnisation, il a indiqué très clairement que, du point de vue d’EDF, les réacteurs mis en service entre 1977 et 2002 devront être fermés entre 2030 et 2060 si leur niveau de sûreté le permet, que la stratégie industrielle d’EDF vise à arrêter définitivement environ deux de ces unités par an entre 2030 et 2060, et que, par conséquent, des fermetures plus précoces (avant 2030) dictées par la politique énergétique décidée par l’État ne correspondent pas à cette stratégie et appelleront donc une indemnisation.

Votre rapporteur considère comme EDF qu’il est nécessaire d’étaler l’arrêt définitif des réacteurs dans le temps, pour faciliter la planification des chantiers de démantèlement, mais que les dispositions législatives et réglementaires en vigueur impliquent la fermeture de réacteurs avant 2030 et doivent être intégrées dans la planification stratégique d’EDF dès à présent.

Sans sous-estimer les dépenses qu’occasionnent pour EDF l’arrêt définitif et le démantèlement d’un ou plusieurs réacteurs, votre rapporteur rappelle que les coûts du démantèlement sont en principe provisionnés en amont par l’exploitant et n’ont donc pas à être inclus dans une indemnisation pour fermeture anticipée. Si de nouveaux protocoles d’indemnisation devaient être conclus par l’État, votre rapporteur appelle à tenir compte des critiques sévères exprimées par la Cour des comptes sur le protocole relatif à la centrale de Fessenheim.

Recommandation n° 5

Si la fermeture de paires de réacteurs nucléaires donne lieu à l’avenir à une indemnisation de l’exploitant, la mission d’information appelle l’État et EDF à prendre en compte les critiques sévères exprimées par la Cour des comptes sur le protocole d’indemnisation relatif à la fermeture de la centrale de Fessenheim, afin que les clauses de chaque protocole présentent le degré de précision préconisé par la Cour.

B.   la nécessité absolue d’un calendrier plus précis pour faciliter la prise de conscience et donner de la visibilité

Il n’est pas sensé que les habitants de territoires sur lesquels sont implantées des centrales nucléaires depuis plusieurs décennies ne soient pas périodiquement alertés sur le caractère temporaire de celles-ci. Si, comme l’a indiqué le président de la CLIS de Fessenheim, la population du territoire de la centrale de Saint‑Laurent-des-Eaux (mise en service en 1969) est persuadée que son exploitation va durer encore vingt ans, il appartient à l’exploitant EDF et aux pouvoirs publics de rappeler clairement que tout réexamen de sûreté peut, réglementairement, aboutir à la fermeture d’un réacteur et non pas seulement de présenter ces réexamens de manière positive comme des périodes « fastes » pendant lesquelles les personnels présents sur le site voient leur nombre augmenter considérablement pendant plusieurs mois, ce qui procure certes un accroissement net des activités économiques aux alentours. Il convient, à cet égard, de s’interroger sur la publicité donnée sur le terrain aux travaux des commissions locales d’information (CLI) et sur la manière dont les pouvoirs publics pourraient amener ou renforcer la nécessaire prise de conscience par les acteurs les plus directement impactés.

Déjà en juin 2018 la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires préconisait de publier « un programme prévisionnel des réacteurs à démanteler, avec les coûts et dates estimés, afin de donner de la visibilité aux salariés et aux entreprises ainsi que pour permettre l’organisation d’une filière industrielle du démantèlement ». La commission d’enquête recommandait qu’à défaut de publication d’un tel programme prévisionnel, « l’État devra se substituer par décret aux exploitants pour établir l’échéancier » (préconisation n° 24) ([88]).

Lors de son audition par la mission d’information en juin 2021, le PDG d’EDF n’a pas souhaité préciser le calendrier. Il a simplement indiqué que « le moment venu, et le moment n’est pas venu aujourd’hui, et ne le sera ni en 2021 ni en 2022, nous aurons à examiner quelles sont les paires de tranches [qui seront arrêtées définitivement]. Le moment ne viendra pas avant quelques années » et la fermeture sera annoncée trois à quatre ans avant la date de chaque fermeture. La ministre de la transition écologique a également indiqué à la mission d’information que toute fermeture sur ces sites sera confirmée au moins trois ans avant.

Puisqu’EDF a proposé au Gouvernement d’étudier la mise à l’arrêt de paires de réacteurs sur les sites de Blayais, Bugey, Chinon, Cruas, Dampierre, Gravelines et Tricastin, c’est dès maintenant que les acteurs de chacun de ces territoires doivent engager ou accélérer la réflexion collective et l’action de développement et de reconversion, pour prendre en compte avec lucidité le fait que la PPE en vigueur, prescriptive jusqu’en 2028, implique la fermeture de deux réacteurs en 2027-2028 (voir plus haut). Sans aller jusqu’à préconiser, comme l’ont fait les représentants de la CGT auditionnés, un travail au moins quinze ans en amont d’une fermeture pour préparer la mobilité du personnel, votre rapporteur considère qu’annoncer une fermeture de réacteurs trois ans seulement avant – comme EDF et le Gouvernement prévoient de le faire – ne permet pas d’anticiper sereinement et efficacement la baisse d’activité significative et définitive d’un site, la reconversion socio-économique du territoire et des travailleurs concernés qui ont légitimement le droit d’obtenir des engagements précis et fiables. Toutefois, si ce délai ne peut être raccourci en raison de l’évaluation des conditions posées par la PPE (sûreté des équipements, sécurité d’approvisionnement…), il ne faut surtout pas attendre 2024 ou 2025 pour mobiliser acteurs et financements. Il convient à cet égard de saluer le travail mené depuis déjà près de vingt ans par les acteurs du territoire de la centrale du Bugey pour inciter, avec succès, d’autres entreprises à s’implanter dans une zone d’activités proche.

Interrogé sur le délai à prévoir pour une meilleure anticipation de la reconversion économique des territoires, le président de la CCI Alsace Métropole a considéré qu’il faut lancer effectivement la préparation d’implantations cinq ans avant une fermeture, pour anticiper les aspects environnementaux et les besoins en infrastructures. M. Vincent Froehlicher, directeur général de l’ADIRA, l’agence de développement d’Alsace, a souligné que toute reconversion réussie suite à la fermeture d’une grande installation industrielle nécessite au préalable que le deuil soit fait, car ce n’est qu’ensuite que tous les acteurs d’un territoire sont en mesure de « se remettre dans le sens de la marche » pour opérer la reconversion du territoire. Il a cité comme exemple de reconversion ainsi réussie la reconversion en zone d’activités du site de la raffinerie Petroplus de Reichstett (Bas-Rhin), pour laquelle l’action collective efficace des acteurs, une fois le « deuil » fait, a entraîné en quelques années l’occupation complète de la zone d’activités par des implantations nouvelles.

C’est bien le premier « retour d’expérience » qu’il faut établir : malgré une fermeture annoncée depuis longtemps, malgré une chronologie d’actes et d’annonces connue, le territoire de Fessenheim ne s’est pas préparé, ou du moins pas correctement et efficacement préparé, le message adressé par l’État ayant été perçu comme brouillé, confus, réversible. Le cas de la centrale de Fessenheim illustre à quel point l’incompréhension face à une fermeture est un frein aux très lourdes conséquences pour toute démarche collective de réflexion et de construction d’un avenir pour le territoire. Votre rapporteur appelle à tirer les enseignements de ce processus chaotique dans la perspective des prochaines fermetures, même partielles, de centrales nucléaires. Il ne s’agit pas de proposer – et encore moins d’imposer – un schéma uniforme pour ces sept installations du palier 900, situées dans sept départements (Gironde, Ain, Indre-et-Loire, Ardèche, Loiret, Nord et Drôme) et quatre régions différentes, et dans lesquelles le nombre de paires de réacteurs n’est pas identique (la centrale de Gravelines comporte six réacteurs), mais plusieurs leçons peuvent être utilement tirées de ce qui a été fait ou non pour le territoire de Fessenheim afin d’anticiper dans de meilleures conditions les prochaines fermetures.

Il convient par ailleurs de tenir compte des impératifs techniques et de sûreté pour fixer le calendrier propre à chaque centrale.

Comme l’a souligné lors de son audition le président de l’ASN, il faut éviter deux écueils :

-         prendre la décision de fermeture trop tardivement pour que le dialogue technique entre l’ASN et EDF se déroule dans des conditions satisfaisantes, car les études et procédures relatives à la sûreté prennent un temps qui ne doit pas être raccourci ;

-         prendre la décision trop tôt, quand l’exploitant et les autorités ne disposent pas encore d’une visibilité suffisante sur la sécurité du réseau électrique au moment où l’arrêt des réacteurs aura lieu.

La responsable de RTE auditionnée a également fait valoir l’importance de préciser dès que possible l’ordre des prochaines fermetures pour que RTE soit en mesure, comme il l’a fait pour le territoire de Fessenheim, de procéder aux adaptations indispensables du réseau électrique, les flux étant influencés par la répartition territoriale des lieux de production et des lieux de consommation. Elle a salué la décision du Gouvernement de ne fermer que des paires de réacteurs et non des centrales complètes, car une fermeture partielle nécessite moins de travaux d’adaptation du réseau.

Recommandation n° 6

La mission d’information réitère la préconisation de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires relative à la publication d’un programme prévisionnel des réacteurs ayant vocation à être démantelés dans les prochaines années, en soulignant qu’un tel programme est le complément indispensable de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) qui prévoit la fermeture de plusieurs paires de réacteurs d’ici 2035.

C.   comment anticiper et à quel échelon territorial, sur la base de l’expérience de fessenheim ?

L’une des rares appréciations positives portées par les acteurs auditionnés sur le processus d’élaboration de « l’après-centrale » sur le territoire de Fessenheim a été largement partagée : l’implication du plus grand nombre possible d’acteurs dans ce processus, dès les premières étapes et tout au long de la démarche, tant pour définir celle-ci que pour la mettre en œuvre. Interrogés par la mission d’information sur l’identification de l’échelon ou de la structure les plus pertinents pour des processus similaires à mener sur d’autres territoires à l’avenir, tous ont souligné plusieurs points à retenir :

-         l’indispensable mobilisation d’EDF dans l’avenir des territoires sur lesquels l’opérateur est amené à cesser des activités de production ;

-         l’indispensable participation de l’État dans la gouvernance, mais sur un mode partenarial qui laisse la plus large part des initiatives aux collectivités locales, dans le respect de la répartition des compétences issue de la décentralisation ; on peut noter que le PDG d’EDF a salué les actions menées par les élus locaux pour améliorer la perception et l’anticipation ;

-         la difficulté que peut avoir l’échelon intercommunal, pourtant compétent juridiquement, pour mener une action de développement économique ambitieuse lorsque l’intercommunalité ne dispose que de peu de moyens humains et financiers – ce qui justifie pleinement la nécessité que la région, autre échelon territorial disposant de compétences en matière économique, soit partie prenante et que les acteurs économiques soient activement associés, notamment les chambres consulaires et les agences de développement locales.

Le président de la communauté de communes Pays Rhin Brisach a souligné combien l’aménagement d’une zone d’activités – la zone Ecorhena – nécessite un soutien actif des services de l’État pour faire avancer les dossiers, puisque ceux-ci représentent une grande difficulté au regard des moyens et compétences dont dispose une intercommunalité. Une intercommunalité comme la sienne est en mesure de créer et d’aménager seule une zone d’activités de quelques hectares pour y accueillir par exemple des artisans, mais l’aménagement d’une zone de plusieurs dizaines, voire centaines d’hectares et qui nécessite de prendre en compte des règles environnementales et d’urbanisme complexes « n’est pas un outil à notre portée ». Il a invité au lancement d’opérations de valorisation autour de toutes les centrales nucléaires pour anticiper la future perte d’activité et de recettes fiscales et les autres effets induits de leurs fermetures.

Recommandation n° 7

Compte tenu des compétences dévolues par la loi aux collectivités territoriales en matière de développement économique, les intercommunalités sont « en première ligne » pour préparer la reconversion des territoires sur lesquels des centrales nucléaires font l’objet de fermetures. Toutefois, comme cela a été le cas s’agissant de la centrale de Fessenheim, les intercommunalités concernées ne disposent pas nécessairement des moyens financiers et en ingénierie nécessaires pour conduire des projets de grande ampleur. Même dans les cas où l’intercommunalité dispose des moyens nécessaires, la mission d’information recommande une coordination étroite entre toutes les collectivités territoriales concernées, avec un soutien important des opérateurs et services de l’État.

Le président de la chambre de commerce et d’industrie a regretté que le foncier de la future zone Ecorhena n’ait pas fait l’objet, il y a une dizaine d’années, d’une démarche beaucoup plus active ; il a indiqué qu’à l’époque une quinzaine de projets étaient potentiellement « implantables » sur cette zone et auraient été susceptibles de l’occuper entièrement… mais sont partis vers d’autres régions, en raison de « blocages systématiques », soit par l’opposition d’associations de protection de l’environnement, soit par l’inaction des services de l’État. De tels blocages ayant rendu difficile toute anticipation, il est logique qu’un certain découragement se soit installé.

Le caractère impérativement partenarial de la démarche de reconversion des territoires à l’avenir a été affirmé notamment par la ministre de la transition écologique Mme Barbara Pompili, qui a noté que, par rapport au processus d’avenir du territoire de Fessenheim, il conviendrait que la gouvernance « très partagée » des futurs projets de territoire soit aussi plus ouverte sur l’extérieur, plus transparente, avec des réunions plus fréquentes d’une instance de type « comité de pilotage », une communication plus importante vers la population et une plus grande place donnée à la coconstruction des projets avec les acteurs de la société civile.

S’agissant du rôle de l’État, la ministre a indiqué que le dispositif des contrats de transition écologique (CTE) est un outil pertinent pour accompagner les territoires concernés. Les CTE existent depuis 2018 ; en 2020, plus de 200 intercommunalités étaient engagées dans cette démarche de contractualisation entre les collectivités locales, l’État et les acteurs socio-économiques de leurs territoires.

En conclusion, votre rapporteur fait sienne l’interpellation lancée, lors de son audition, par le président de la région Grand Est aux acteurs politiques et économiques des territoires qui seront à l’avenir concernés par des fermetures de réacteurs nucléaires : faut-il aujourd’hui se battre sur les dates de ces fermetures et consacrer les forces collectives à les repousser, ou bien faut-il se battre ensemble pour la reconversion des territoires et la transformation du paysage industriel ? La bonne réponse est évidemment la seconde.

 


Recommandations de la mission d’information

Recommandation n° 1 : La démarche d’accompagnement personnalisé des personnels de la centrale de Fessenheim, qu’il s’agisse des agents d’EDF ou des salariés des sous-traitants, a été engagée en amont de la fermeture et par les employeurs eux-mêmes (EDF et les entreprises sous-traitantes), soutenus par les pouvoirs publics et les acteurs économiques du territoire, et a donné des résultats très satisfaisants. La mission d’information recommande le lancement de la même démarche dans tous les territoires sur lesquels sont implantées des installations importantes de production d’énergie.

Recommandation n° 2 : Le dispositif du fonds national de garantie individuelle des ressources (FNGIR) demeure basé sur des situations constatées en 2013 et qui ne correspondent plus nécessairement à la réalité des territoires. La mission d’information appelle à poursuivre la réforme du FNGIR communal et intercommunal, pour qu’elle aboutisse au plus tard en 2023.

Recommandation n° 3 : Compte tenu du nombre prévisible de chantiers de démantèlement dans les prochaines décennies, la mission d’information recommande que soit élaboré rapidement un nouveau cadre juridique assurant une répartition plus équitable des risques compte tenu des aléas des chantiers de démantèlement. Ces nouvelles modalités contractuelles permettant de sécuriser l’activité des prestataires, et donc de favoriser leur investissement de long terme sur le marché du démantèlement, devront être définies au niveau de la filière nucléaire dans son ensemble, avec, le cas échéant, le soutien de l’État.

Recommandation n° 4 : La mission d’information reconnaît l’intérêt que présente, pour la valorisation d’une partie des déchets métalliques issus des chantiers de démantèlement, le projet de technocentre en cours d’élaboration, notamment pour éviter d’avoir à stocker ces déchets dans les installations existantes dont la capacité pourrait se révéler insuffisante. Elle appelle le Gouvernement à publier rapidement le nouveau cadre réglementaire annoncé et invite le Gouvernement, EDF et Orano à poursuivre, parallèlement à la construction du modèle d’affaires, leurs efforts pour améliorer l’acceptabilité du projet.

Recommandation n° 5 : Si la fermeture de paires de réacteurs nucléaires donne lieu à l’avenir à une indemnisation de l’exploitant par l’État, la mission d’information appelle l’État et EDF à prendre en compte les critiques sévères exprimées par la Cour des comptes sur le protocole d’indemnisation relatif à la fermeture de la centrale de Fessenheim, afin que les clauses de chaque protocole présentent le degré de précision préconisé par la Cour.

Recommandation n° 6 : La mission d’information réitère la préconisation de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires relative à la publication d’un programme prévisionnel des réacteurs ayant vocation à être démantelés dans les prochaines années, en soulignant qu’un tel programme est le complément indispensable de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) qui prévoit la fermeture de plusieurs paires de réacteurs d’ici 2035.

Recommandation n° 7 : Compte tenu des compétences dévolues par la loi aux collectivités territoriales en matière de développement économique, les intercommunalités sont « en première ligne » pour préparer la reconversion des territoires sur lesquels des centrales nucléaires font l’objet de fermetures. Toutefois, comme cela a été le cas s’agissant de la centrale de Fessenheim, les intercommunalités concernées ne disposent pas nécessairement des moyens financiers et en ingénierie nécessaires pour conduire des projets de grande ampleur. Même dans les cas où l’intercommunalité dispose des moyens nécessaires, la mission d’information recommande une coordination étroite entre toutes les collectivités territoriales concernées, avec un soutien important des opérateurs et services de l’État.

 

 

 


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   EXAMEN du rapport en commission

Lors de sa réunion du mercredi 6 octobre 2021 en matinée, la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a procédé à l’examen du rapport de la mission d’information sur le suivi de la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim.

Les débats sont accessibles sur le portail vidéo de l’Assemblée nationale à l’adresse suivante :

http://assnat.fr/JAcDEd

 

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À l’issue de la réunion, la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a autorisé la publication du rapport d’information ([89]) .

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   annexes


   Contribution du groupe Les Républicains

« Concrètement, 14 réacteurs de 900 mégawatts seront arrêtés d'ici à 2035. Ce mouvement commencera avant l'été 2020, avec l'arrêt définitif des deux réacteurs de Fessenheim » avait déclaré le Président Emmanuel Macron, lors de la présentation du premier projet de programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) en novembre 2018.

La PPE, qui définit les priorités d’action du Gouvernement pour la gestion de l'ensemble des formes d'énergie pour les dix années à venir, est venue traduire les décisions adoptées par la majorité au Parlement.

Entre autres, il est donc prévu de ramener à 50 % du mix électrique la production d’électricité d’origine nucléaire (contre 75 % actuellement) en fermant de vieux réacteurs nucléaires, dont la centrale de Fessenheim est la première à faire les frais.

Les députés du groupe LR considèrent cette décision comme un non-sens total.

Aussi, tant pour toutes ces raisons, nous demandons à ce que le Président de la République et les parlementaires de la majorité reviennent à la raison dans l’intérêt supérieur du pays, en ne reproduisant pas pour les fermetures des prochains réacteurs l’erreur stratégique commise pour la centrale de Fessenheim.

En effet, comme le démontre le présent rapport sur le suivi de la fermeture de la centrale de Fessenheim, ces fermetures n’auront que des conséquences néfastes sur les plans économique, industriel et écologique.

La plupart des sites nucléaires français sont des poumons économiques et l'installation des centrales avait justement été présentée à l’époque auprès des élus locaux comme un moyen d'industrialiser leur territoire.

D’un point de vue écologique, ne pas faire usage d’une énergie décarbonée comme le nucléaire est une hérésie scientifique, et cela va simplement se traduire par un besoin d’importer de l’électricité, qui sera en grande partie carbonée.

Les besoins futurs en électricité doivent être pris en compte afin d’éviter toute sous-estimation qui pourrait avoir des conséquences catastrophiques, d’autant plus que la construction d’une centrale prend des années. Un risque réel quand on sait que la consommation d’électricité aurait dû baisser de 1 % par an de 2012 à 2020, alors que la baisse n’a finalement été que de 0,15 % par an.

De surcroît, nous déplorons l’arrêt du programme « Astrid » sous le mandat du Président Emmanuel Macron, qui constituait la clé de voûte de la filière nucléaire française.

Le groupe LR appelle donc à la sauvegarde de la filière et du patrimoine nucléaire français. Une modification de la PPE au profit des Français et de l’environnement est une nécessité.

Le nucléaire est une énergie garante d’un prix au consommateur final compétitif, dont le coût de production est comparativement faible par rapport aux autres. Nous appelons ainsi à éviter la fragilisation de la filière nationale face à la concurrence chinoise, américaine et russe. Les centrales nucléaires contribuent d’ailleurs à d’importantes exportations d’électricité vers nos voisins.

Les choix énergétiques français, faits il y a plus de quarante ans, l’ont été pour répondre à la problématique de souveraineté énergétique, à laquelle le pays était confronté après le premier choc pétrolier. À l’heure du Covid, la question de notre souveraineté a d’ailleurs été remise à nouveau sur le devant de la scène.

Notons enfin également que le GIEC lui-même a démontré, dans son rapport d’octobre 2018, la nécessité de multiplier par six les capacités nucléaires mondiales pour parvenir aux objectifs de l’Accord de Paris.

Pour conclure, réduire notre production d’énergie nucléaire en fermant progressivement nos centrales n'aura donc pas de résultat favorable sur le bilan carbone, menacera la stabilité du réseau européen et augmentera le coût de l'électricité pour nos concitoyens.

Le groupe LR dénonce encore la fermeture précipitée et injustifiée de la centrale nucléaire de Fessenheim et appelle à ne fermer les réacteurs que pour de strictes raisons de garantie de sûreté.

Le Gouvernement ne doit pas reproduire cette erreur industrielle et politique majeure.

 



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   liste des personnes auditionnÉes

(par ordre chronologique)

Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN)

M. Jean-Christophe Niel, directeur général

M. Thierry Charles, directeur général adjoint en charge de la sûreté des installations et systèmes nucléaires

Mme Emmanuelle Mur, responsable des relations institutionnelles *

Services du conseil départemental du Haut-Rhin

M. Georges Walter, directeur de l’environnement et du cadre de vie

EDF - Centrale nucléaire de Fessenheim

M. Marc Simon-Jean, directeur de la centrale

M. Bertrand Le Thiec, directeur des affaires publiques d’EDF *

Autorité de sûreté nucléaire (ASN)

M. Bernard Doroszczuk, président

M. Olivier Gupta, directeur général

M. Christophe Kassiotis, directeur de la direction des déchets, des installations de recherche et du cycle

M. Pierre Bois, ingénieur en chef des mines, chef de la division de Strasbourg

Association Stop Fessenheim

M. André Hatz, président

M. Jean-Jacques Rettig, président du CSFR (Comité pour la sauvegarde de Fessenheim et de la plaine du Rhin)

Alsace nature

M. Daniel Reininger, président d’Alsace nature et membre de France nature environnement

Représentants des personnels d’EDF – syndicat CGT

M. Thierry Raymond, délégué central

M. Alain Voisinne, délégué CGT du personnel de la centrale de Fessenheim

M. Francis Rol-Tanguy, ancien délégué interministériel à la fermeture de la centrale nucléaire et à la reconversion du site de Fessenheim (décembre 2012 – octobre 2013)

Représentants des personnels d’EDF – syndicat CFDT

M. Alain Colly, DSC adjoint, coordonnateur pour la division « Production nucléaire »

M. Vincent Rusch, délégué syndical

M. Dominique Toussaint, secrétaire général CFDT Grand Est

Commissariat à l’énergie atomique (CEA)

M. Vincent Gorgues, directeur du programme « Assainissement et démantèlement »

M. Jean-Pierre Vigouroux, chargé des relations avec le Parlement *

Conseil départemental du Haut-Rhin

Mme Brigitte Klinkert, présidente du conseil départemental

Commune de Fessenheim 

M. Claude Brender, maire

Représentants des personnels d’EDF – syndicat Force Ouvrière (FO) Energie et mines

M. Serge Gianorsi, secrétaire fédéral, délégué syndical central EDF

M. Alain Besserer, délégué syndical CNPE de Fessenheim

Conseil régional – région Grand Est

M. Jean Rottner, président

Réseau « Sortir du nucléaire »

Mme Charlotte Mijeon, chargée de communication médias et des relations extérieures (porte-parole)

Communauté de communes Pays Rhin Brisach 

M. Gérard Hug, président de la communauté de communes

Réseau de transport d’électricité (RTE)

Mme Clotilde Levillain, directrice générale adjointe « Développement et Ingénierie, Exploitation et Services », membre du directoire

M. Thomas Veyrenc, directeur « Stratégie et prospective »

M. Philippe Pillevesse, directeur des relations institutionnelles *

Mme Laurence Poujade, directrice de la communication

Représentants des personnels d’EDF – Syndicat CFE-CGC

M. Hervé Desbrosses, délégué syndical central CFE-Énergies

Greenpeace France

Mme Alix Mazounie, chargée de campagne énergie *

Société française d’énergie nucléaire (SFEN)

Mme Valérie Faudon, déléguée générale

M. Maruan Basic, chargé d’affaires publiques *

EDF – Direction des projets de déconstruction et déchets (DPDD)

M. Sylvain Granger, directeur

M. Bertrand Le-Thiec, directeur des affaires publiques *

Orano

M. Jean-Michel Romary, directeur maîtrise d’ouvrage « Démantèlement et Déchets »

Mme Morgane Augé, directrice des affaires publiques France *

Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA)

M. Pierre-Marie Abadie, directeur général

M. Patrice Torres, directeur des opérations industrielles et directeur des centres dans l’Aube

M. Matthieu Denis-Vienot, responsable des relations institutionnelles *

Agence de développement d’Alsace (ADIRA)

M. Vincent Froehlicher, directeur général

Pr Thierry de Larochelambert, professeur associé, chercheur au département Énergie de l’institut FEMTO-ST

Chambre de commerce et d’industrie d’Alsace

M. Jean-Luc Heimburger, président *

Mme Christiane Roth, présidente de la délégation de Colmar Centre Alsace

Mme Myriam Paris, directrice de la délégation de Colmar Centre Alsace

Framatome

Mme Catherine Cornand, directrice de la base installée

M. Hervé Bourrier, directeur exécutif

Mme Violaine Chalon Roux, directrice des affaires publiques

Délégation interministérielle à l’avenir du territoire de Fessenheim et des territoires d’implantation des centrales de production d’électricité à partir du charbon

M. David Coste, délégué interministériel (avril 2018 – mai 2021)

Groupement des industriels français de l’énergie nucléaire (GIFEN)

Mme Cécile Arbouille, déléguée générale *

M. Christophe Bruneel, directeur général de Robatel Industrie

M. Henri-Guillaume Gueydan, directeur général du groupe Albatros

M. Bruno Lancia, directeur général du groupe Nuvia

EDF – Direction de la production nucléaire (DPN)

M. Étienne Dutheil, directeur

EDF - Centrale nucléaire de Fessenheim

Mme Elvire Charre, directrice de la centrale (depuis le 1er octobre 2020)

Ministère de la transition écologique

Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique 

EDF

M. Jean-Bernard Lévy, président-directeur général *

 

 

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.


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   déplacements de la mission d’information

Déplacement dans le Haut-Rhin (22 juin 2020)

M. Marc Simon-Jean, directeur du CNPE de Fessenheim

Mme Elvire Charre, directrice adjointe du CNPE

M. Philippe Monory, chef de mission « Politiques industrielles et relations extérieures »

M. Claude Schaeffer, chef de mission en charge de l’accompagnement des salariés

Mme Marie-Hélène Bouhand, responsable communication

M. Laurent Touvet, préfet du Haut-Rhin

Mme Juliette Auricoste, chargée de mission « Projet de territoire Fessenheim »

M. Michel Habig, maire d’Ensisheim, président de la commission locale d’information et de surveillance (CLIS) de Fessenheim, et M. Georges Walter, directeur de la direction de l’environnement et du cadre de vie (conseil départemental)

M. Jean-Jacques Ott, président de l’association des commerçants et artisans du Pays de Brisach (CABRI) et M. Jean-Yves Invernizzi, vice-président de l’association

M. Juan Jimenez, vice-président du GIMEst (Groupement des industriels de maintenance de l’Est), représentant les sous-traitants du site de Fessenheim

Visite de la centrale nucléaire de Chooz (14 janvier 2021)

M. Laurent Berthier, directeur du CNPE

M. Gilles Giron, directeur des projets de déconstruction des réacteurs à eau pressurisée (REP)

M. Benoit Gannaz, chef de projet « Déconstruction » de Chooz A

M. Hugues Latourte, responsable des équipes en place à Chooz A

M. Bertrand Le Thiec, directeur des affaires publiques d’EDF

Mme Caroline Winkler, responsable de la communication


([1]) La composition de la mission d’information se trouve au verso.

([2]) Il convient d’éviter la confusion, très répandue, entre la licence achetée à la société Westinghouse, qui relève du droit de la propriété intellectuelle en tant que procédé technologique, et le terme « licence » qui désigne, notamment aux États-Unis, l’acte juridique d’autorisation d’exploiter une installation pendant une certaine durée. La licence – au sens d’autorisation – de la centrale de Beaver Valley (États-Unis), qui est basée comme celle de Fessenheim sur la licence – au sens de « process » – Westinghouse, a été portée de quarante à soixante ans.

([3]) La centrale hydroélectrique est constituée de quatre groupes turbines verticaux d’une puissance totale de 180 MW. Elle fournit de l’électricité à la centrale via deux lignes électriques.

([4]) Loi n° 2006-686 du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire.

([5]) Par exemple, l’arrêt du réacteur n° 2 de Fessenheim pour sa troisième VD a duré un an (mars 2011-mars 2012).

([6]) Informations communiquées par l’ASN à la commission locale d’information et de surveillance (CLIS) de Fessenheim lors de sa réunion du 30 mars 2021 :

https://www.haut-rhin.fr/sites/cea/files/POINTS%205_9%20pr%C3%A9sentation%20ASN.pdf 

([7]) L’endommagement du cœur du réacteur A2 de la centrale de Saint-Laurent-des-Eaux en 1980 a été classé au niveau 4. La fusion partielle du cœur du réacteur de Three Miles Island (États-Unis) a été classé au niveau 5. L’explosion du réacteur 4 de la centrale de Tchernobyl (Ukraine) et l’explosion des bâtiments de trois réacteurs de la centrale de Fukushima-Daiichi (Japon) représentent le niveau 7.

([8]) ASN, Les échelles de classement des incidents et accidents nucléaires et des évènements de radioprotection, 2013.

([9]) L’ASN a classé au niveau 2 de l’échelle INES un événement significatif de sûreté déclaré par EDF le 13 octobre 2017, relatif à un défaut de résistance au séisme des systèmes auxiliaires des groupes électrogènes de secours à moteur diesel des réacteurs 2 et 5 de la centrale nucléaire du Bugey et des réacteurs 1 et 2 de la centrale nucléaire de Fessenheim (sous-dimensionnement des ancrages de certains matériels auxiliaires des diesels de secours). Un défaut similaire avait également été déclaré par EDF pour les réacteurs de 1 300 MW.

([10]) Réponse écrite de l’IRSN aux questions de la mission d’information.

([11]) Résonance Ingénieurs-conseils SA, Centrale nucléaire de Fessenheim : appréciation du risque sismique, septembre 2007 https://inis.iaea.org/collection/NCLCollectionStore/_Public/40/108/40108896.pdf

([12]) IRSN, Avis sur le rapport Résonance relatif au risque sismique sur le site de Fessenheim (IRSN 2008-93) https://www.irsn.fr/fr/expertise/rapports_expertise/documents/environnement/irsn_expertise_fessenheim_2008.pdf  

([13]) En particulier, en juillet 2016, l’ASN avait suspendu le certificat  délivré à Areva en 2012 pour un générateur de vapeur du réacteur 2 suite à la découverte d’irrégularités dans la fabrication d’équipements nucléaires à l’usine du Creusot (Saône-et-Loire). La suspension a été levée en mars 2018.

([14]) Voir le B. du II. du présent rapport.

([15]) ASN, Rapport sur l’état de la sûreté nucléaire et de la radioprotection en France en 2019, https://www.asn.fr/annual_report/2019fr/ 

([16]) ASN, Rapport sur l’état de la sûreté nucléaire et de la radioprotection en France en 2020, https://www.asn.fr/annual_report/2020fr/

([17]) Cour des comptes, L’arrêt et le démantèlement des installations nucléaires, rapport établi à la demande de la commission des finances du Sénat, février 2020, https://www.ccomptes.fr/system/files/2020-03/20200304-rapport-arret-demantelement-installations-nucleaires-2_0.pdf

([18]) « La France respectera ses engagements internationaux pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Dans ce contexte, je fermerai la centrale de Fessenheim et je poursuivrai l’achèvement du chantier de Flamanville (EPR) ».

([19]) « Art. L. 311-5-5.- L’autorisation mentionnée à l’article L. 311-1 ne peut être délivrée lorsqu’elle aurait pour effet de porter la capacité totale autorisée de production d’électricité d’origine nucléaire au-delà de 63,2 gigawatts (…) ».

([20]) La mise en service du réacteur de Flamanville 3 a ensuite été repoussée à 2024 suite à des retards accumulés sur le chantier, ce report ayant été acté dans le décret n° 2020-336 du 25 mars 2020 modifiant le décret n° 2007-534 du 10 avril 2007 autorisant la création de l’installation nucléaire de base dénommée Flamanville 3, comportant un réacteur nucléaire de type EPR, sur le site de Flamanville (Manche).

([21]) Considérant 4 : « Il résulte de ce qui a été dit aux deux points précédents que le décret portant abrogation de l’autorisation d’exploiter la centrale nucléaire de Fessenheim, pris sur le fondement de l’article L. 311‑5‑5 précité, n’a pas fait l’objet d’une demande formée par son titulaire. Une telle décision ne pouvait dès lors être légalement prise, la circonstance que le décret subordonne lui-même son entrée en vigueur à la présentation d’une telle demande étant à cet égard sans portée. La commune de Fessenheim et autres sont donc fondés, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens des requêtes, à demander l’annulation du décret qu’elles attaquent. »

([22]) Début 2020, 33 des 34 réacteurs de 900 MW alors en fonctionnement avaient fait l’objet de leur troisième réexamen périodique et des travaux d’amélioration exigés sur la base des résultats de celui-ci (rapport de l’ASN sur l’état de la sûreté nucléaire et de la radioprotection en France, mai 2020)

([23]) https://www.asn.fr/Controler/Reexamens-periodiques-et-poursuite-de-fonctionnement/Poursuite-de-fonctionnement-au-dela-de-40-ans-des-centrales-nucleaires

([24]) Prise de position de l’ASN sur le programme générique proposé par EDF pour la poursuite du fonctionnement des réacteurs en exploitation au-delà de leur quatrième réexamen de sûreté (juin 2013)

([25]) Greenpeace, 40 ans, ça suffit ! Pourquoi les vieilles centrales nucléaires doivent fermer, février 2020 (https://cdn.greenpeace.fr/site/uploads/2020/02/VD4-enjeux-fermeture-vieilles-centrales-nucleaires.pdf?_ga=2.242817218.1359143537.1628162754-1848245499.1626348652&_gac=1.191304152.1626348652.Cj0KCQjwub-HBhCyARIsAPctr7wEz1uOv86WSYTALfmQJoptgP8u-NdHuC-bN_I996mNIyYeftiGp6saAm4JEALw_wcB)

([26]) Cette synthèse indique expressément qu’elle n’inclut pas les expertises réalisées par l’IRSN sur les réacteurs de Fessenheim, compte tenu de la décision de ne pas poursuivre l’exploitation de ceux-ci au-delà de 2020.

([27]) Décision n° 2021-DC-0706 de l’Autorité de sûreté nucléaire du 23 février 2021 fixant à la société Électricité de France (EDF) les prescriptions applicables aux réacteurs des centrales nucléaires du Blayais (INB n° 86 et n° 110), du Bugey (INB n° 78 et n° 89), de Chinon (INB n° 107 et n° 132), de Cruas (INB n° 111 et n° 112), de Dampierre-en-Burly (INB n° 84 et n° 85), de Gravelines (INB n° 96, n° 97 et n° 122), de Saint‑Laurent‑des‑Eaux (INB n° 100) et du Tricastin (INB n° 87 et n° 88) au vu des conclusions de la phase générique de leur quatrième réexamen périodique.

([28]) Décision n° 2012-DC-0284 de l’ASN du 26 juin 2012 fixant à Électricité de France – Société Anonyme (EDF‑SA) des prescriptions complémentaires applicables au site électronucléaire de Fessenheim (Haut-Rhin) au vu des conclusions des évaluations complémentaires de sûreté (ECS).

([29]) En raison de difficultés techniques, EDF avait par ailleurs sollicité un report de cette échéance pour la mise en place des DUS pour la plupart des autres réacteurs du parc, et l’ASN a accepté de retarder cette échéance (décision n° 2019-DC-0662 du 19 février 2019).

([30]) Courrier de l’ASN relatif aux orientations génériques du réexamen périodique associé aux quatrièmes visites décennales des réacteurs de 900 MWe d’EDF (VD4-900) adressé au président d’EDF le 20 avril 2016, publié sur le site de l’ASN (document CODEP-DCN-2016-007286).

([31]) Selon les informations communiquées par le Gouvernement à la Commission européenne, les différents coûts auraient été, pour le réacteur n° 1, ceux de la réalisation de l’épreuve hydraulique décennale des circuits du réacteur et des investissements associés à la VD4 (résistance au séisme, efficacité des moyens de recirculation de l’eau présente au fond des puisards des bâtiments réacteurs) ; et pour le réacteur n° 2, les coûts de la mise en place de diesels d’ultimes secours, de la réalisation de l’épreuve hydraulique décennale des circuits du réacteur et des investissements associés à la VD4.  

([32]) En 2012, l’épaisseur du radier a été accrue de 50 centimètres sur le dessus.

([33]) Dans le cadre des VD3 comme des VD4, les travaux exigés sur les radiers visent à ralentir le percement d’un radier par le corium en cas d’accident. Avec un radier d’un mètre cinquante d’épaisseur dans la centrale de Fessenheim, l’IRSN estimait que ce percement aurait lieu au bout de seulement dix-sept heures, ce qui serait insuffisant pour prendre des contre-mesures efficaces. C’est pourquoi EDF a procédé à un épaississement du radier. Dans le cadre des quatrièmes réexamens décennaux de sûreté, l’objectif reste que le corium mette le plus de temps possible à traverser la dalle de béton mais en intégrant un système d’adjonction d’eau pour favoriser le refroidissement et l’étalement du corium.

([34]) Loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019.

([35]) Loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009 de finances pour 2010.

([36]) Loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011 de finances pour 2012.

([37]) Ce mécanisme a été créé par la loi n° 92-125 du 6 février 1992 et garantit la neutralité budgétaire des transferts de ressources de l’EPCI vers la commune. La communauté de communes perçoit donc les CFE, CVAE et IFER à la place de la commune et lui restitue des attributions de compensation (AC).

([38]) Voir la réponse du ministère de l’action et des comptes publics à la question écrite n° 6757 de M. Stéphane Buchou, député de Vendée (réponse publiée le 5 juin 2018).

([39]) La loi de finances pour 2010 a prévu  une compensation par l’État, pendant trois ans, avec des taux dégressifs, en cas de « perte exceptionnelle » de produit de la CET pendant trois ans et avec des taux dégressifs. La loi de finances pour 2019 a porté de trois à cinq ans la durée de versement de cette compensation « CET ». De plus, la loi de finances pour 2019 a créé un mécanisme analogue de compensation dégressive en cas de « perte importante » de produit de l’IFER : un fonds de solidarité entre les communes et les EPCI bénéficiaires du produit de l’IFER compense les pertes de recettes dues à la fermeture totale ou partielle de centrales thermiques ou nucléaires sur leur territoire ; pour alimenter ce fonds, les communes et les EPCI à fiscalité propre sont assujettis chaque année à un prélèvement de 2 % sur le produit de l’IFER qu’ils perçoivent.

([40]) Loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021.

([41]) RTE, Bilan électrique 2020 en Grand Est,: https://assets.rte-france.com/prod/public/2021-04/Fiche%20presse%20%E2%80%93%20Bilan%20electrique%20Grand%20Est%202020.pdf

([42]) Décision C(2021) 1785 final de la Commission européenne :  https://ec.europa.eu/competition/state_aid/cases1/202122/291552_2277940_88_2.pdf

([43]) Loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.

 

([44]) Cour des comptes, L’arrêt et le démantèlement des installations nucléaires, février 2020.

([45]) IRSN, Enjeux du démantèlement des réacteurs à eau sous pression, rapport n° 2018-00016 (https://www.irsn.fr/FR/expertise/rapports_expertise/Documents/surete/IRSN_Rapport-2018-00016_Enjeux-Demantelement-REP.pdf)

([46]) Source : ASN (annexe au rapport annuel précité sur l’état de la sûreté nucléaire et de la radioprotection en France en 2020).

([47]) Décret du 5 février 2020 prescrivant à la société Orano Cycle de procéder aux opérations de démantèlement partiel de l’installation nucléaire de base n° 93 dénommée « usine Georges Besse », implantée sur le site du Tricastin, sur les territoires des communes de Bollène (département du Vaucluse), Pierrelatte et Saint-Paul-Trois-Châteaux (département de la Drôme), et modifiant le décret du 8 septembre 1977 autorisant la création de cette installation.

([48]) La réglementation propre à chaque pays fixe la stratégie suivie ou l’encadre. La Belgique et l’Espagne ont également opté pour la stratégie du démantèlement immédiat, pour les réacteurs pour lesquels c’est techniquement possible. En revanche, le Royaume-Uni pratique la stratégie du démantèlement différé. Aux États-Unis, il n’y a pas de stratégie uniforme pour l’ensemble des installations.

([49]) https://www.irsn.fr/fr/connaissances/installations_nucleaires/demantelement/demantelement-france-centrales-installations-nucleaires-edf-recherche-militaire/demantelement-chooz/pages/3-chooz-a-difficultes-techniques-demantelement.aspx#.XyvPr3s68c8

([50]) Parmi ces 300 REP, 99 se trouvent dans les pays de l’Union européenne (dont 58 en France, 7 en Belgique, 6 en Espagne et 5 en Allemagne), 64 se trouvent aux États-Unis, 45 en Chine, 23 en Russie, 21 en Corée du Sud et 16 au Japon.

([51]) Agence internationale de l’énergie atomique (IAEA), Nuclear Power Reactors in the world (2020).

([52]) Comité stratégique de la filière nucléaire, Cartographie de la filière nucléaire française – Enquête 2019 (https://www.franceindustrie.org/wp-franceindustrie/wp-content/uploads/2020/04/Recto-verso-Enqu%C3%AAte-2019.pdf)

([53]) Audition de M. Sylvain Granger, directeur des projets déconstruction-déchets, par la commission des finances du Sénat (4 mars 2020).

([54]) EDF, présentation de l’actualisation du plan de démantèlement à la CLIS, 30 mars 2021 (https://www.haut-rhin.fr/sites/cea/files/POINT%206%20-%20actualisation%20du%20plan%20de%20d%C3%A9mant%C3%A8lement.pdf)

([55]) HCTISN, Rapport final – Perspectives d’évolutions de la filière de gestion des déchets très faiblement radioactifs (TFA), 7 avril 2020.http://www.hctisn.fr/IMG/pdf/rapport_final_hctisn_dechets_tfa_vf_avec_annexes_cle8d9ee1.pdf  

([56]) La radioactivité d’un nucléide se mesure en becquerels par gramme (Bq/g). L’exposition d’un être humain à la radioactivité, dont dépend l’impact potentiel sur sa santé, se mesure en sievert (Sv).

([57]) Orano va devoir gérer, dans les prochaines années, un des plus grands lots homogènes d’acier issus d’une installation nucléaire : le démantèlement de l’usine Georges Besse va générer un peu plus de 130 000 tonnes d’acier.

([58]) Le sievert (symbole Sv) est l’unité utilisée pour évaluer l’impact des rayonnements sur les êtres vivants. Cette unité est utilisée pour mesurer une dose délivrée par des rayonnements ionisants à l’organisme entier, des organes ou des tissus.

1 mSv (millisievert) = 0,001 Sv.

1 μSv (microsievert) = 0,001 mSv = 0,000 001 Sv.

([59]) Pour une présentation de la réglementation belge sur les seuils de libération, voir le rapport précité du HCTISN.

([60]) Le Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR), prévu par la loi n° 2006-739 du 28 juin 2006 de programme relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs, dresse le bilan de la gestion des matières et déchets radioactifs sur le territoire national, recense les besoins nouveaux et les perspectives d’évolution et détermine les objectifs à atteindre, notamment en termes d’études et de recherches pour l’élaboration de nouvelles filières de gestion. La loi de 2006 fixait une périodicité de trois ans pour la révision du PNGMDR, qui a été portée à cinq ans par la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique.

([61]) Voir par exemple la contribution de l’IRSN (octobre 2018) : https://pngmdr.debatpublic.fr/images/contenu/documentation/clarification-controverses/Q5_IRSN.pdf

([62]) Décision consécutive au débat public dans le cadre de la préparation de la cinquième édition du plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (21 février 2020), publiée au Journal officiel du 25 juin 2020.

([63]) Analyse de la décision de la DGEC et de l’ASN suite au débat public sur la cinquième édition du PNGMDR https://pngmdr.debatpublic.fr/images/contenu/actus/analyse-decision-cndp-042020.pdf

([64]) Contribution écrite de FNE : https://pngmdr.debatpublic.fr/images/contenu/documentation/clarification-controverses/Q5_FNE.pdf

([65])https://www.landtag-bw.de/files/live/sites/LTBW/files/dokumente/WP16/Drucksachen/8000/16%5F8864%5FD.pdf

([66]) https://www.haut-rhin.gouv.fr/content/download/23387/148593/file/Projet-territoire_Fessenheim_FR_signe.pdf

([67]) Liaison ferroviaire entre Colmar et Fribourg – étude de mobilité multimodale (synthèse de l’étude et comparaison des scénarios), mars 2019 : http://www.grand-est.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/etude-colmar-freiburg_rapport_synthese_7mars2019.pdf

([68]) Plan de transition énergétique et économique haut-rhinois dans le prolongement de la fermeture de la centrale de Fessenheim, communiqué à la mission d’information par M. Georges Walter à l’occasion de son audition en février 2020.

([69]) Étude de mobilité multimodale précitée, mars 2020.

([70]) ADEME, étude « Potentiel et développement des énergies renouvelables en Alsace », mars 2016.

([71]) Cette centrale hydroélectrique, première STEP construite en France, a été fermée en 2002. EDF, son dernier exploitant, s’était engagé à la reconstruire après en avoir récupéré la concession en 2009, mais l’a finalement déconstruite en 2014, le prix de l’électricité à l’époque faisant douter de la rentabilité d’une réouverture compte tenu des investissements nécessaires. Un nouvel appel d’offres européen est nécessaire pour relancer la concession.

([72]) Classeur de fiches projets – version du 1er février 2019 : https://www.haut-rhin.gouv.fr/content/download/29248/180704/file/Liste%2Bdes%2Bfiches%2Bprojets%2Bvalid%C3%A9es%2Bpar%2Ble%2Bbureau%2Bex%C3%A9cutif%2Ben%2Bdate%2Bdu%2B1er%2Bf%C3%A9vrier%2B2019.pdf

([73]) https://www.haut-rhin.gouv.fr/content/download/23427/148774/file/Protocole+SEM+signe+FR+et+DE.pdf

([74]) Inscription de la SEM Novarhena au registre du commerce et des sociétés (annonce légale), 23 avril 2021 https://actulegales.fr/recherche/siren/898642194

([75]) https://www.haut-rhin.gouv.fr/content/download/29280/180946/file/Rapport1an_projet-territoire-fessenheim_janvier2020.pdf

([76]) Légende :

CCPRB : communauté de communes Pays Rhin Brisach

M2A : Mulhouse Alsace Agglomération

CDC : Caisse des dépôts et consignations – Banque des territoires

([77])https://www.registre-dematerialise.fr/document/registerDocument/get/67655/Dossier%20de%20concertation%20pr%C3%A9alable

([78]) L’intégralité du site est comprise dans la ZNIEFF de type 2 « Ancien lit majeur du Rhin de Village-Neuf à Strasbourg », et trois ZNIEFF de type I sont présentes sur le site : la ZNIEFF « Forêt rhénane de Fessenheim à Nambsheim, la ZNIEFF « Forêt rhénane de Nambsheim à Geiswasser » et la ZNIEFF « Pelouses des digues du Grand canal d’Alsace ». Les ZNIEFF de type I sont des zones particulièrement sensibles à des équipements ou à des transformations, même limités. Les ZNIEFF de type 2 présentent des enjeux moins forts, des projets ou des aménagements peuvent y être autorisés à condition qu’ils ne modifient ni ne détruisent les milieux contenant des espèces protégées et ne remettent pas en cause leur fonctionnalité ou leur rôle de corridors écologiques.

([79]) Plan national d’actions 2014-2018 en faveur du pélobate brun : https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/PNA_Pelobate-brun_2014-2018.pdf

([80]) Mission régionale d’autorité environnementale Grand Est, Avis délibéré sur le projet d’aménagement de la zone industrielle et portuaire EcoRhéna à Nambsheim, Balgau, Geiswasser et Heiteren (68), porté par le syndicat mixte pour la gestion du Port Rhénan de Colmar Neuf-Brisach (n°MRAe 2021APGE57).

([81]) Extrait de l’avis précité de l’autorité environnementale : « En application des articles R. 411-6 et suivants du code de l’environnement, une demande de dérogation au titre des espèces protégées est jointe au dossier. La demande de dérogation porte sur 4 espèces floristiques, 4 espèces de mammifères terrestres (chat forestier, écureuil roux, hérisson d’Europe, muscardin), 12 espèces de chiroptères, 42 espèces d’oiseaux dont la mésange boréale, le pic cendré, la pie-grièche écorcheur et la linotte mélodieuse, 9 espèces d’amphibiens dont le pélobate brun et 3 espèces de reptiles. »

([82]) Le dispositif « sites industriels clés en main » recense les sites pouvant accueillir des activités industrielles et pour lesquels les procédures administratives relatives à l’urbanisme, l’archéologie préventive et l’environnement ont été anticipées pour permettre l’obtention des autorisations nécessaires à la construction d’une nouvelle usine dans des délais rapides et maîtrisés. En particulier, sur la base des études environnementales disponibles, l’instruction par les services de l’État d’une demande d’autorisation environnementale sera facilitée. En juillet 2020, 78 sites clés en main ont été identifiés dans l’ensemble des régions, dont 11 dans la région Grand Est.

([83]) https://www.asn.fr/Informer/Actualites/Reacteur-EPR-ecart-de-conception-de-trois-piquages-du-circuit-primaire-principal

([84]) Décret n° 2020-336 du 25 mars 2020 modifiant le décret n° 2007-534 du 10 avril 2007 autorisant la création de l’installation nucléaire de base dénommée Flamanville 3, comportant un réacteur nucléaire de type EPR, sur le site de Flamanville (Manche).

([85]) L’Italie a décidé en 1986 l’arrêt définitif de ses six réacteurs nucléaires. Suite à l’accident de Fukushima Daiichi au Japon en 2011, l’Allemagne et la Belgique ont également décidé de fermer progressivement leur parc nucléaire. Pour un panorama des évolutions du mix énergétique prévues dans les différents pays européens, voir les annexes techniques au Bilan prévisionnel 2021 de RTE : https://assets.rte-france.com/prod/public/2021-03/BP2021%20-%20Annexes%20techniques.pdf

([86]) La décision de fermer deux réacteurs en 2025-2026 devra donc être prise au plus tard en 2023.

([87])  AFP, « Sortie du nucléaire : Berlin va verser 2,4 milliards d’euros d’indemnités aux énergéticiens » (5 mars 2021) https://www.lemondedelenergie.com/sortie-du-nucleaire-allemagne/2021/03/05/

([88]) Rapport fait au nom de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires (président : M. Paul Christophe ; rapporteure : Mme Barbara Pompili), n° 1122, juin 2018.

([89])  En application de l’article 80-1-1 du Règlement de l’Assemblée nationale, Mme Marie Silin n’a pas pris part au vote.