N° 4518

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 7 octobre 2021.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES (1)

sur la proposition de règlement dit
« législation sur les marchés numériques » (Digital Market Act)

ET PRÉSENTÉ

par Mme Christine HENNION

Députée

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(1)    La composition de la commission figure au verso de la présente page.

 


 

La Commission des affaires européennes est composée de : Mme Sabine THILLAYE, présidente ; MM. Pieyre-Alexandre ANGLADE, Jean-Louis BOURLANGES, Bernard DEFLESSELLES, Mme Liliana TANGUY, viceprésidents ; M. André CHASSAIGNE, Mme Marietta KARAMANLI, M. Christophe NAEGELEN, Mme Danièle OBONO, secrétaires ; MM. Patrice ANATO, Philippe BENASSAYA, Mme Aude BONO-VANDORME, MM. Éric BOTHOREL, Vincent BRU, Mmes Yolaine de COURSON, Typhanie DEGOIS, Marguerite DEPREZ-AUDEBERT, M. Julien DIVE, Mmes Coralie DUBOST, Frédérique DUMAS, MM. Pierre-Henri DUMONT, Jean-Marie FIEVET, Alexandre FRESCHI, Mmes Maud GATEL, Valérie GOMEZ-BASSAC, Carole GRANDJEAN, Christine HENNION, MM. Michel HERBILLON, Alexandre HOLROYD, Mme Caroline JANVIER, M. Christophe JERRETIE, Mme Chantal JOURDAN, MM. Jérôme LAMBERT, Jean-Claude LECLABART, Mmes Constance Le GRIP, Martine LEGUILLE-BALOY, Nicole Le PEIH, MM. David LORION, Ludovic MENDES, Thierry MICHELS, Jean-Baptiste MOREAU, Xavier PALUSZKIEWICZ, Damien PICHEREAU, JeanPierre PONT, Didier QUENTIN, Mme Maina SAGE, M. Benoit SIMIAN, Mme Michèle TABAROT.


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SOMMAIRE

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 Pages

Introduction

TRAVAUX DE LA COMMISSION

proposition de résolution européenne


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   Introduction

 

Mesdames, Messieurs,

 

Dans un rapport présenté le 21 juillet 2021, la commission des affaires européennes a présenté son analyse de la proposition de règlement « relatif aux marchés contestables et équitables dans le secteur numérique », mieux connu sous le nom de « Digital Market Act » (DMA). Cette proposition d’acte législatif vise à réguler les marchés numériques et en particulier les « grandes plateformes » qui disposent d’un pouvoir de marché substantiel susceptible d’affecter négativement l’innovation, la liberté d’entreprendre et la liberté de choix des utilisateurs finaux.

Dans son rapport, la commission des affaires européennes, tout en reconnaissant la nécessité d’une régulation des marchés numériques, faisait le constat de plusieurs difficultés présentes dans le texte. Sur la forme, la proposition de la Commission européenne est souvent mal rédigée, ce qui entraîne de la confusion et de l’insécurité juridique. Sur le fond, les obligations imposées manquent d’ambition et ne sont ni suffisamment souples, ni suffisamment claires. Enfin, le texte néglige le rôle des États membres et des autorités nationales de régulation dans la mise en œuvre du texte, et ce alors même que le droit de la concurrence restera pleinement applicable après l’entrée en vigueur de la nouvelle législation.

Le rapport établissait une liste de 40 recommandations visant à « rendre la proposition de la Commission plus claire et plus efficace ». Au cours de la présentation du rapport et des discussions qui ont suivi, il a été décidé de traduire ces recommandations, détaillées et originales, en une résolution européenne adressée au Gouvernement français dans la perspective des négociations au niveau du Conseil et du Parlement européen.

Votre rapporteure se félicite de voir que certaines des recommandations qu’elle défendait ont déjà été reprises dans les discussions en cours et espère que cette résolution pourra influencer les travaux européens dans l’intérêt d’une meilleure qualité de la norme.


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   TRAVAUX DE LA COMMISSION

La Commission s’est réunie le mercredi 6 octobre 2021, sous la présidence de Mme Sabine Thillaye, Présidente, pour examiner le présent rapport d’information.

Mme la Présidente Sabine Thillaye. Lors de notre réunion du 21 juillet dernier, nous avons examiné le rapport d’information de notre collègue Christine Hennion sur le Digital Market Act et nous étions convenus à cette occasion que la rapporteure travaillerait à la rédaction d’une proposition de résolution européenne (PPRE) sur le sujet.

Mme Christine Hennion, rapporteure. En effet madame la présidente, et cette PPRE, désormais rédigée, est l’objet de ma présentation.

Dans le rapport, nous avions fait le constat que le texte proposé par la Commission européenne souffrait de défaillances rédactionnelles, d’imprécisions et d’ambiguïtés et que son application risquait d’être difficile parce que rien n’était prévu pour que les États membres et les autorités nationales participent à sa mise en œuvre. Je ne reviens pas en détail là-dessus. J’aimerais montrer à présent, d’une part, que les recommandations que j’ai défendues ont déjà un écho très positif dans le cadre des travaux en cours au niveau européen et, d’autre part, que les négociations ne vont pas assez vite, pas assez loin et c’est pour cette raison que la PPRE continue d’avoir tout son sens.

Les idées que je défendais ont déjà été en partie reprises par les acteurs de la négociation, que ce soit au Parlement européen ou dans les propositions de la présidence slovène du Conseil.

La critique la plus importante du rapport portait sur le caractère flou des concepts fondamentaux (« services de plateforme essentiels », « entreprises utilisatrices », « fournisseurs de service »), et sur la procédure de désignation des gatekeepers. La présidence slovène a tenu compte de ces différents points et son compromis apporte des améliorations significatives.

Tout d’abord, concernant des améliorations rédactionnelles. Je ne vais en citer que quelques exemples : l’expression « fournisseur de service » a été remplacée par « entreprise fournissant un service », ce qui résout quelques incohérences ; les interdictions sont formulées de manière plus claire : on ne dit plus « l’entreprise s’abstient de », mais : « l’entreprise ne fait pas ». Le texte ne dit plus « signaler des problèmes », mais « signaler des manquements » aux obligations posées par le règlement.

Il y a également des améliorations méthodologiques : la méthode de calcul des seuils quantitatifs, qui est fondamentale pour la sécurité juridique, sera précisée en annexe. La décision qui désigne un gatekeeper devra aussi préciser la liste des services concernés –jusqu’à présent, le périmètre de la régulation était très confus. Enfin, la Commission ne pourra plus créer de nouvelles obligations par voie d’actes délégués. C’est important car cette possibilité, prévue à l’article 10 du texte, était complètement contraire à l’article 190 du TFUE, comme le notait bien le rapport. 

Sur le fond, les négociations en cours vont dans le sens préconisé par le rapport. Ainsi, les assistants vocaux et les navigateurs sont maintenant intégrés dans la liste des services de plateforme essentiels, et certains objets connectés pourraient même y être ajoutés. L’intérêt des utilisateurs finaux est également mieux pris en compte avec la possibilité de retirer facilement un consentement donné et de se désinscrire facilement d’un service ainsi qu’avec un droit de signaler les mauvaises pratiques au même titre que les entreprises. Les dark patterns, qui sont des techniques de manipulation jouant sur l’interface, sont mentionnés dans le dispositif anticontournement et les services de paiement ont bien été ajoutés à la liste des services qu’il est interdit de lier entre eux.

Enfin, le Conseil souhaite, lui aussi, donner un véritable rôle aux États membres et aux autorités nationales de régulation. Quand des investigations ont lieu dans un État membre, la Commission sera obligée d’informer l’État membre en question. Celui-ci pourra alors participer aux investigations de la Commission. Les autorités nationales de régulation devront obligatoirement être consultées pour les opérations sur place et elles pourront même mener les enquêtes sur délégation des pouvoirs de la Commission. Ce point très important était également une recommandation du rapport.

Le Conseil va encore plus loin, puisqu’il prévoit un contrôle des juridictions nationales sur les mesures coercitives décidées sur leur sol par la Commission. Il s’agit d’un contre-pouvoir utile et nécessaire car la Commission s’est arrogé des pouvoirs très étendus dans la proposition de règlement.

Les colégislateurs ont aussi prévu d’ajouter un nouvel article instaurant un dispositif de coopération entre la Commission et les juridictions nationales. Les juridictions des États membres pourront continuer de faire appliquer le droit national, dans la mesure où elles ne prennent pas de décision contraire à une décision de la Commission faisant application du DMA. Le rapporteur M. Andreas Schwab veut même permettre aux juridictions nationales de prendre des décisions contraires, ce qui de mon point de vue serait préjudiciable à une application harmonisée du texte. En cas de procédures parallèles, les juridictions nationales et la Commission devront se coordonner au maximum. Pour ce faire, les juridictions nationales pourront demander un avis à la Commission sur des points concernant l’application du DMA et, inversement, la Commission pourra faire des observations sur les décisions des juridictions nationales.

Malgré ces quelques points dont ne peut que se féliciter, il reste des questions en suspens et c’est pourquoi la PPRE arrive au bon moment.

Tout d’abord, concernant la méthodologie et les concepts. La création d’une annexe pour définir la méthode de calcul des seuils quantitatifs (la notion d’entreprise, de chiffre d’affaires...) est bienvenue, mais cela ne change rien au fait que ces critères sont mal choisis : ils se basent surtout sur des chiffres liés au marché intérieur, ce qui introduit un biais domestique au détriment des entreprises européennes. De plus, le critère « d’utilisateur actif » devrait être affiné. Le Conseil veut faire en sorte qu’une même personne ne soit pas comptabilisée plusieurs fois, grâce au concept « d’utilisateur actif unique ». C’est une bonne chose, mais il faudrait aussi adapter les seuils en fonction du type de plateforme et de leur business model.

En ce qui concerne les critères qualitatifs, il n’y a aucun changement dans les discussions en cours. Il est pourtant essentiel de clarifier le concept de « service de plateforme essentiel » et d’intégrer la dimension d’écosystème à la définition des gatekeepers. L’analyse devrait aussi s’intéresser à la question de savoir s’il existe des alternatives ou si les entreprises et les utilisateurs finaux sont obligés de passer par les services de gatekeeper. Les critères quantitatifs sont de bons indicateurs qui permettent d’écarter a priori des acteurs non pertinents, mais le raisonnement en termes de pouvoir de marché et de liberté de choix est plus pertinent.

La méthode fixant les obligations n’est pas non plus en cours d’amélioration. Le texte ne précise pas, pour chaque obligation, l’objectif principal qu’elle poursuit, ni le résultat attendu de la bonne application du texte. Cela pose un problème de lisibilité et d’efficacité, puisqu’un texte ambigu ne sera jamais correctement appliqué. D’autant que les articles 5 et 6 ne précisent pas non plus à quels services les différentes obligations s’appliquent, et que certaines d’entre elles ont une portée beaucoup plus circonscrite que d’autres. Comme je le disais en juillet, il faudrait définir précisément des obligations service par service, et les classer par catégories de plateforme, en précisant à chaque fois l’objectif principal et le but recherché.

Ensuite, concernant le contenu des obligations. Sur le fond, le contenu des obligations, c’est-à-dire les articles 5 et 6, est l’aspect le moins retravaillé dans les discussions en cours. C’est bien dommage, car il s’agit évidemment du cœur même du DMA. Sur deux points, les propositions de la présidence slovène sont incomplètes.

Si le texte de compromis affirme plus clairement que les entreprises pourront vendre leurs produits sur plusieurs market places, y compris à des prix différents, il ne dit qu’elles pourront aussi vendre moins cher sur leur propre site. C’était une proposition que j’avais défendue dans le rapport, parce qu’il ne s’agit pas de défendre l’intérêt des intermédiaires, mais bien l’intérêt des consommateurs ! Deuxièmement, la présidente du Conseil propose, comme le rapport, d’ajouter « équitable » à la liste des conditions d’accès aux app stores, mais elle n’étend pas ces conditions aux autres services d’intermédiation en ligne, comme les market places. Pourquoi cette lacune ?

De plus, dans le texte de compromis, aucune obligation n’est basculée de l’article 6 (obligations susceptibles d’être négociées) à l’article 5 (obligations valables absolument), contrairement à ce que recommandaient de nombreux observateurs.

Certaines obligations devraient être renforcées et mieux tenir compte d’un objectif qui n’est jamais mentionné comme tel dans le texte, à savoir la liberté de choix de l’utilisateur final. Je propose d’ailleurs que la liberté de choix fasse partie des objectifs explicites du texte, à côté de l’équité et de la contestabilité des marchés.

Je souhaitais aussi que de nouvelles obligations soient créées comme : rendre automatique la transmission des algorithmes au régulateur, encadrer les changements substantiels de conditions générales d’utilisation et les rendre moins discrétionnaires, et enfin, promouvoir certaines normes minimales d’interopérabilité entre les services de réseaux sociaux.

Bien prudemment sans doute, le Conseil se garde donc d’aborder ces points les plus sensibles. Je pense qu’il faut être plus ambitieux.

De même, concernant l’architecture de régulation et le rôle des États membres, les propositions du Conseil ne sont pas assez ambitieuses. C’est naturellement une bonne chose de proposer des principes généraux de coordination, mais cela ne donnera pas un résultat satisfaisait s’il n’existe pas des structures spécifiquement chargées de cette coordination. Pourtant, l’Union européenne a su faire ce qu’il fallait dans d’autres domaines où les problématiques étaient comparables, comme dans le domaine du droit de la concurrence, avec le Réseau européen de la concurrence, chargé de coordonner l’action des autorités nationales et aussi dans le domaine de la régulation des télécommunications, avec le BEREC qui fonctionne très bien. Ce qu’il manquera pour une application efficace, à la fois décentralisée et harmonisée du DMA, c’est un « Réseau européen de la régulation numérique ».

Enfin, indépendamment de l’aspect strictement juridictionnel, il manque aussi un système de collecte de plaintes dans les différents États membres. Ce rôle pourra certainement être dévolu, selon un mécanisme de désignation interne, à une autorité nationale « chef de file » : par exemple, en France, l’Arcep ou l’Autorité de la concurrence, en y associant aussi la CNIL. Ainsi, les autorités nationales de régulation pourront apporter un soutien précieux à la Commission, qui se plaint d’ailleurs de ne pas avoir assez d’effectifs. Elles pourraient « faire remonter » les informations pertinentes à la Commission, constater des dysfonctionnements, jouer le rôle de médiateur et recueillir les plaintes, mais aussi demander à la Commission d’ouvrir une procédure d’infraction à l’encontre d’un gatekeeper.

 

L’exposé de la rapporteure a été suivi d’un débat.

M. Thierry Michels. Merci pour ce travail remarquable sur un sujet essentiel. Pourriez-vous clarifier le calendrier du Digital Market Act et ce que nous pouvons attendre en termes d’adoption de ce document, notamment dans la perspective de la présidence française de l’Union européenne ?

Mme Christine Hennion, rapporteure. Le DMA est en effet important du point de vue de la régulation des plateformes. Des avancées ont déjà été obtenues par la présidence slovène, et l’ambition de la France serait de parvenir à un texte définitif sous sa présidence.

Mme Marguerite Deprez-Audebert. La construction du texte est effectivement très progressive, en raison de la technicité de ses dispositions.

Mme la Présidente Sabine Thillaye. Vous appelez de vos vœux la création d’un réseau européen de régulation autour des autorités nationales, cette idée a-t-elle fait son chemin ?

Mme Christine Hennion, rapporteure. Il ressort des auditions conduites que la création de ce réseau européen est fortement souhaitée par les acteurs du secteur. L’ARCEP et l’autorité de la concurrence ont ici voix au chapitre, puisque le texte concerne les télécommunications et la concurrence. On pourrait aussi s’appuyer sur les instances existantes, comme le BEREC. D’un pays à l’autre, les autorités n’ont pas toutes le même périmètre de compétences et il faudrait désigner à chaque fois l’acteur le plus pertinent, mais il est en tout cas nécessaire d’avoir un dialogue constructif au niveau européen.

La commission en vient à l’examen de l’article unique de la proposition de résolution relative à la proposition de règlement dit « législation sur les marchés numériques » (Digital Market Act).

La proposition de résolution est adoptée.

 

 


1

   proposition de résolution européenne
 

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88-4 de la Constitution,

Vu l’article 151-5 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu les articles 102 et 114 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) ;

Vu l’article 190 du TFUE ;

Vu la proposition de règlement COM(2020) 842 du 15 décembre 2020 relative à la régulation des marchés numériques, connue sous le nom de « Digital Market Act » (DMA) ;

Vu le rapport de la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale présenté le 21 juillet 2021 sur ce même texte,

Considérant que la liberté de choix de l’utilisateur final doit figurer expressément parmi les objectifs de la proposition de règlement au même titre que l’équité et la contestabilité des marchés ;

Considérant que le manque d’articulation entre la future régulation des marchés numériques et le droit existant, à commencer par le droit de la concurrence, posera des difficultés d’interprétation et un risque d’insécurité juridique ;

Considérant que certains concepts fondamentaux affectant l’objet et le périmètre du texte ne sont pas suffisamment clairs à cause de définitions imprécises ou incohérentes, ou d’une traduction inadéquate ;

Considérant en particulier que le concept de « service de plateforme essentiel » (SPE) est ambigu et que la liste de ces services est à la fois trop longue et incomplète ;

Considérant de manière générale que le texte est souvent confus et que sa rédaction devrait être affinée dans un objectif d’efficacité et de sécurité juridique ;

Considérant que le champ du texte ne devrait pas se limiter aux services de plateforme « essentiels », mais réguler aussi certains services connexes d’un écosystème numérique comme la publicité, le cloud, les services de messagerie et le navigateur ;

Considérant que tous les SPE d’un gatekeeper devraient être appréhendés, y compris ceux qui ne constituent pas encore un « point d’accès majeur » au marché ;

Considérant que les critères quantitatifs permettant de désigner les gatekeepers sont mal définis et qu’ils pourraient pénaliser les entreprises européennes en ne tenant pas suffisamment compte de la puissance mondiale des entreprises ;

Considérant que les actes délégués n’ont pas vocation à corriger les lacunes conceptuelles d’un acte législatif et que ces critères, à commencer par la notion « d’utilisateur actif », devraient être définis dans le texte lui-même ;

Considérant que la notion « d’utilisateur actif » devrait en outre recevoir une définition différenciée selon le type de plateforme et que les seuils devraient être adaptés en cohérence ;

Considérant que les critères quantitatifs devraient de toute façon être subordonnés aux critères qualitatifs et que les gatekeepers ne devraient pas pouvoir être désignés de manière automatique ;

Considérant que les critères qualitatifs ne tiennent pas suffisamment compte de la dimension conglomérale des gatekeepers et du degré de liberté de choix dont disposent les utilisateurs sur les marchés concernés ;

Considérant que les obligations des articles 5 et 6 sont peu lisibles, du fait que les services auxquels elles s’appliquent et les objectifs poursuivis ne sont pas précisés ;

Considérant que les dark patterns constituent un risque de contournement majeur de ces obligations ;

Considérant que les obligations des articles 5 et 6 sont un élément essentiel du texte et que la possibilité de les modifier par voie d’actes délégués, prévue à son article 10, est contraire à l’article 190 du TFUE ;

Considérant qu’il est néanmoins nécessaire de pouvoir préciser in concreto la manière dont ces obligations doivent être appliquées par chaque gatekeeper et de les ajuster au cas par cas ;

Considérant de manière générale que la proposition de règlement souffre à la fois d’un manque de précision et d’un manque de souplesse ;

Considérant, sur le fond, que de nombreuses obligations doivent être étendues ou renforcées, par exemple pour mieux prévenir le tie-in entre services ou le self preferencing et pour défendre les intérêts des utilisateurs finaux ;

Considérant que le texte néglige l’importance des algorithmes dans le fonctionnement des services de plateforme ;

Considérant aussi bien pour des raisons de légitimité que d’efficacité, que les Etats membres et les autorités nationales de régulation doivent jouer un rôle dans la mise en œuvre du texte, et notamment dans l’ouverture et la conduite des enquêtes ;

Considérant qu’un mécanisme décentralisé de plainte et de médiation serait nécessaire pour une application effective du texte ;

Considérant que l’absence de mécanisme de coordination entre les autorités administratives ou judiciaires nationales entraîne le risque d’une mauvaise application du texte au niveau européen,

Demande au Gouvernement d’employer les moyens de persuasion dont il dispose lors des négociations au Conseil pour améliorer la proposition de règlement et :

 

Sur les objectifs, les concepts et l’économie générale du texte :

1)    Rajouter, parmi les objectifs du texte (article 1§1), la liberté de choix des utilisateurs finaux entre différents fournisseurs de services et la diversification de l’offre de services numériques ;

2)    S’assurer d’une articulation fluide entre le DMA, le droit de la concurrence, national et européen, et les autres règlements s’appliquant aux plateformes en ligne ;

3)    Préciser le sens de l’opposition business users / end users – quitte à modifier la traduction française – et rendre la terminologie cohérente avec celle du règlement n° 2019/1150 dit « Platform to business » ;

4)    Mentionner de manière séparée les assistants vocaux dans la liste des services de plateforme essentiels (SPE) et distinguer expressément, au sein des services d’intermédiation, les market places et les app stores ;

5)    Créer après l’article 2§2 une liste de services de plateformes « secondaires » qui pourront faire l’objet d’obligations a minima dès lors qu’ils sont rattachés à un écosystème comprenant au moins un SPE ;

6)    Considérer comme des services de plateforme « secondaires » en ce sens les services de publicité, de cloud et de messagerie, ainsi que les navigateurs ;

7)    Compléter l’article 3§7 pour que soient énumérés, pour chaque gatekeeper, non seulement ses SPE constituant un point d’accès majeur au marché, mais aussi ses SPE ne constituant pas un point d’accès majeur au marché, et assimiler ceux-ci à des services de plateforme secondaires ;

 

Sur la procédure et les critères de désignation des gatekeepers :

8)    Rendre cumulatifs les deux premiers critères de l’article 3§2(a) (chiffre d’affaires européen et capitalisation mondiale), quitte à les ajuster, et supprimer le troisième critère du même article (activité dans trois États membres) ;

9)    Supprimer la possibilité de recours aux actes délégués prévue à l’article 3§5 ;

10)                  Clarifier dans le texte lui-même le périmètre du chiffre d’affaires de l’entreprise au sens de l’article 3§2(a) et préciser ses modalités de calcul ;

11)                  Définir de même la notion « d’utilisateur actif » en tenant compte des spécificités de chaque type de plateforme et en adaptant les seuils et la période de référence à chaque type de plateforme ;

12)                  Affirmer clairement le caractère indicatif des seuils quantitatifs de l’article 3§2 et supprimer la possibilité prévue à l’article 3§4 de désigner automatiquement un gatekeeper sur le fondement de ces seuils ;

13)                  Renforcer l’importance des critères qualitatifs dans la désignation des gatekeepers, et insister à l’article 3§6 sur la notion d’écosystème et sur la latitude de choix des utilisateurs ;

14)                  Préciser à l’article 3§1(b) qu’une entreprise doit assurer au moins deux services de plateforme, dont au moins un service de plateforme essentiel, pour être considérée comme gatekeeper ;

 

Sur les obligations et interdictions imposées aux gatekeepers :

15)                  Préciser, pour chaque obligation de l’article 5 et de l’article 6, quels SPE sont concernés et présenter les obligations par catégorie de plateformes ;

16)                  Préciser, pour chaque obligation, à quel objectif général du règlement elle se rattache principalement (équité, contestabilité, liberté de choix) et expliquer le résultat particulier recherché ;

17)                  Introduire à l’article 11§3 une clause générale prohibant le contournement des obligations par des techniques de manipulation liées à l’interface (dark patterns) ;

18)                  Déplacer dans le dispositif anticontournement (article 11) l’interdiction d’exercer des mesures de pression et de représailles visant à dissuader les entreprises utilisatrices de signaler les pratiques non vertueuses des gatekeepers (article 5d), et étendre aux utilisateurs finaux la protection garantie par cette disposition ;

19)                  Supprimer l’article 11§2 et l’intégrer directement à l’article 6§1‑i ;

20)                  Restreindre à l’article 10 la possibilité d’utiliser les actes délégués autrement que pour préciser, pour chaque obligation, ce qui est requis pour satisfaire l’objectif qu’elle poursuit, ou pour élargir son champ d’application à d’autres services de plateforme du gatekeeper ;

21)                  Prévoir à l’article 3§7 que la Commission précise systématiquement, en déterminant les SPE d’un gatekeeper, la façon dont les obligations de l’article 6 doivent être appliquées in concreto par ce gatekeeper ;

22)                  Étendre la portée de l’article 5-e et interdire aux gatekeepers d’imposer aux utilisateurs professionnels non seulement leurs services d’identification, mais aussi leurs services de paiement, voire l’ensemble de leurs services accessoires au sens de l’article 2§14 ;

23)                  Interdire également, dans l’article 5-e, de lier services de plateforme essentiels et services de plateforme secondaires ou assimilés ;

24)                  Étendre l’interdiction du self-preferencing (article 6§1-d), actuellement limité aux méthodes de classement, à toutes les techniques qui permettent au gatekeeper d’influencer les utilisateurs finaux pour les inciter à utiliser ses propres produits plutôt ceux des entreprises utilisatrices concurrentes ;

25)                  Permettre aux entreprises vendant des produits sur une market place de vendre le même produit à des conditions différentes non seulement sur d’autres market places, mais aussi directement sur leur propre site (article 5-b) ;

26)                  S’assurer que les gatekeepers n’abusent pas de la réserve de consentement de l’article 6§1-i en prévoyant, par exemple, de remplacer l’opt-in par un opt-out, et intégrer pour plus de clarté l’exigence de l’article 11§2 à l’article 6§1-i ;

27)                  Préciser à l’article 6§1-k que l’accès aux app stores doit se faire dans des conditions équitables, non discriminatoires et raisonnables (FRAND) d’un point de vue financier ; étendre cette obligation à l’ensemble des services d’intermédiation en ligne ;

28)                  Préciser à l’article 5a que le refus du croisement des données ne doit avoir aucune incidence sur la qualité du service offert, seulement sur son degré de personnalisation ;

29)                  Supprimer l’article 6§2, qui nuit à la lisibilité de l’article 6, et intégrer son contenu à l’article 6§1-a, qui deviendrait de ce fait l’article 6a ;

30)                  Compléter l’article 6§1-b pour obliger les fournisseurs de systèmes d’exploitation à proposer, à titre facultatif, une version « vierge » du système d’exploitation, sans aucune application logicielle préinstallée à l’exception de celles qui sont strictement nécessaires au fonctionnement de l’appareil ;

31)                  Soumettre au régime de l’article 5 les obligations de l’article 6 suivantes : 6§1-b, 6§1-c, 6§1-d, et 6§1-e ;

32)                  Ajouter, à l’article 6, l’obligation de communiquer automatiquement au régulateur les algorithmes fondamentaux des SPE, et d’informer les utilisateurs des principes généraux qui régissent ces algorithmes ;

33)                  Encadrer le pouvoir discrétionnaire dont disposent les gatekeepers pour changer leurs conditions générales d’utilisation (CGU), en prévoyant un préavis et mécanisme de consultation obligatoire ou un recours devant le régulateur ;

 

Sur le rôle des Etats membres et des autorités nationales dans la mise en œuvre du règlement :

34)                  Modifier l’article 33 pour permettre aux États membres de demander l’ouverture des enquêtes prévues aux articles 15, 16 ou 17 ; ouvrir également cette possibilité aux autorités nationales de régulation et, par leur intermédiaire, aux entreprises, aux organisations professionnelles et aux associations de consommateurs ;

35)                  Permettre aux autorités de régulation nationales d’effectuer le travail d’instruction préalable à la prise d’une décision ou à la publication du rapport par la Commission dans le cadre des enquêtes des articles 15 et 16 ;

36)                  Rendre l’ouverture d’une enquête de l’article 16 systématique quand un gatekeeper a déjà fait l’objet de deux décisions constatant un manquement et autoriser les mesures correctives comportementales dès le deuxième manquement, en cas de mauvaise foi caractérisée du gatekeeper ou de pratiques particulièrement dommageables ;

37)                  Compléter l’article 25 par un mécanisme de plainte ouvert aux États membres, aux autorités nationales de régulation et éventuellement à des tiers intéressés. La Commission serait obligée de donner suite à la plainte par un avis motivé ;

38)                  Conférer aux autorités nationales de régulation un rôle de médiation, de recueil des plaintes et de relais des informations auprès de la Commission.

39)                  Compléter l’article 24§2 pour donner à la Commission la faculté de déléguer aux autorités nationales de régulation certains de ses pouvoirs, et notamment ses pouvoirs d’enquête, afin d’accomplir les missions énumérées à l’article 24§1 ;

40)                  Structurer un « réseau européen de la régulation numérique » autour des autorités nationales de régulation, sur le modèle du Réseau européen de la concurrence ou du BEREC, avec un rôle d’échange d’informations et de coordination.