N° 4822

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 décembre 2021

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DEs affaires ÉTRANGÈRES

en conclusion des travaux d’une mission d’information constituée le 18 novembre 2020

sur le sujet de l’autonomie stratégique de l’Union européenne

et présenté par

Mme Maud Gatel et M. Didier Quentin

 

Députés

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SOMMAIRE

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Pages

introduction

PREMIÈRE PARTIE : l’autonomie stratÉgique, une « r֤Évolution culturelle » europÉenne, en quÊte de traduction concrÈte

I. une notion polysÉmique au cœur du dÉbat europÉen, mais diversement apprÉciÉe par les États membres

A. une vision principalement française qui dÉrive du concept gaullien d’indÉpendance

1. Un objectif originellement lié à la politique de défense

2. De la défense à l’économie, de l’échelle nationale à l’échelle européenne : un élargissement progressif des champs sectoriel et géographique de la notion

3. Une vision française relativement isolée, dans un contexte d’amoindrissement de la capacité d’influence de la France

B. une fuite en avant sÉmantique qui rÉvÈle des profondes divergences de conception de l’Union europÉenne

1. Le terme « indépendance » : un repoussoir pour la majorité des partenaires européens

2. « L’autonomie stratégique », une percée conceptuelle aux contours imprécis

3. Des barrières linguistiques et culturelles

4. Au commencement était le Verbe ?

II. La persistance de nombreux obstacles À l’Émergence d’une Europe stratÈge

A. Des freins politiques, historiques et culturels

1. Les mentalités et l’absence de volonté politique

2. La position irrésolue de l’Allemagne

3. Le manque de cohérence des politiques européennes

B. Des moyens d’action et une capacitÉ de dÉcision limitÉs

1. Les institutions

2. Les financements

3. La fragmentation du marché européen

III. un Éveil stratÉgique nÉanmoins inconstestable et indispensable, À la faveur de la crise sanitaire et de l’accroissement des tensions gÉopolitiques mondiales

A. Des vulnÉrabilitÉs europÉennes Évidentes dans de nombreux secteurs stratÉgiques

1. L’énergie

2. Les matières premières critiques

3. Certaines technologies critiques

4. Les investissements prédateurs de la Chine

5. L’espace ?

B. le retour d’une vÉritable politique industrielle europÉenne

1. Une prise de conscience par les Européens des déséquilibres du commerce international

2. La construction de chaînes d’approvisionnement résilientes

3. La reconstitution d’une capacité industrielle dans les secteurs stratégiques

DeuxiÈme partie : la puissance technologique, voie privilÉgiÉe de L’AUTONOMIE stratÉgique europÉenne

I. ADOPTER UNE APPROCHE GÉOPOLITIQUE DU MARCHÉ EUROPÉEN

A. les normes, « leviers d’ArchimÈde » de l’Union europÉenne dans la mondialisation

1. Élaborer, défendre et diffuser les normes européennes

2. Réguler au plus vite les secteurs de rupture

B. Faire de la politique commerciale une arme stratÉgique

1. Adopter un ambitieux mécanisme d’ajustement carbone aux frontières

2. Refondre les accords de libre-échange

3. Renforcer les instruments de défense et d’attaque commerciales

C. Mieux articuler politique de la concurrence et politique industrielle

1. Conforter la politique de concurrence

2. Assurer la cohérence entre politique de concurrence et politique industrielle

3. Lutter contre les subventions déloyales

II. Produire et innover en Europe : conditions nÉcessaires de l’autonomie stratÉgique europÉenne

A. Reconstruire une base industrielle, un enjeu qui relÈve d’abord des États membres, et qui concerne particuliÈrement la France

1. La désindustrialisation, facteur de dépendance et d’impuissance

2. Reconstruire en France un tissu industriel et soutenir les innovations de rupture

3. Former les innovateurs de demain

B. AccÉlÉrer les projets de reconquÊte technologique au niveau europÉen

1. Lutter contre le retour de la pénurie dans une société d’abondance

2. Renforcer l’Europe scientifique

3. Protéger les entreprises européennes en luttant contre la stratégie offensive d’investissements de la Chine

C. Faciliter l’accÈs des entreprises innovantes aux financements

1. Mobiliser davantage le levier de la commande publique

2. Développer les marchés de capitaux en Europe

3. Préserver la capacité des banques à financer les entreprises en croissance

III. Le numÉrique et le spatial : deux secteurs dÉcisifs pour la capacitÉ d’action de l’Union

A. Faire de l’Union europÉenne une puissance numÉrique autonome

1. La « colonisation technologique »

2. Développer une offre cloud européenne

3. Réguler les géants du numérique

4. La cyberdéfense, une composante vitale de l’autonomie européenne

B. Garantir un accÈs autonome À l’espace

1. Une perte de compétitivité inquiétante du spatial européen

2. Rester dans la course du spatial

ConClusion

synthèse des propositions principales

LISTE des propositions

TRAVAUX DE LA COMMISSION

annexe  1 : Liste des personnes auditionnées par les rapporteurs


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   introduction

 

À l’été 2021, en l’espace de quelques semaines, les Européens ont assisté à deux événements qui ont jeté une lumière crue sur la solitude stratégique de l’Union européenne : le départ sans concertation des dernières forces de l’Alliance atlantique de l’Afghanistan, et la constitution d’une alliance tripartite entre l’Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis, sans que l’Union n’en ait été informée, et le jour même de la publication de la « stratégie de l’Union européenne pour la coopération dans la région indo-pacifique ». Ces deux événements ont achevé de propulser au cœur du débat européen le concept « d’autonomie stratégique », qui connaissait déjà un regain d’intérêt dans le contexte de la crise sanitaire.  

Cependant, à mesure que cette notion d’autonomie stratégique européenne, défendue ardemment par la France, gagne du succès, elle perd de sa précision, comme en témoigne l’élargissement progressif du champ sectoriel et sémantique de la notion : initialement cantonnées à la politique de défense, les affaires stratégiques relèvent de plus en plus de la politique économique. Le terme « autonomie » est, quant à lui, parfois remplacé par celui de « souveraineté » ou d’« indépendance », dans une confusion sémantique illustrant combien les États membres peinent à s’entendre sur ce que recouvre cet obscur objet du désir européen.  

Il reste que cette consécration de l’autonomie stratégique est une révolution culturelle pour les Européens, dont l’enjeu sera désormais de la traduire en actes, ce qui dépendra de deux conditions fondamentales.

Premièrement, il convient d’adopter la bonne méthode. À cet égard, la France sera d’autant plus convaincante qu’elle choisira le terme le plus juste et défendra ses positions avec modestie et persévérance, en évitant les concepts polémiques susceptibles de braquer ses partenaires.

Ensuite, il s’agira de définir un contenu à la notion d’autonomie stratégique, en définissant les vulnérabilités européennes les plus critiques, qu’il s’agisse d’une dépendance à des produits ou des technologies sans lesquels les économies et les sociétés européennes ne peuvent fonctionner, comme les semi-conducteurs, ou de certaines innovations de rupture, qui ont un impact économique et social majeur. À cet égard, il ne suffira pas aux Européens de rattraper leur retard dans certaines technologies critiques, comme les batteries, mais d’anticiper l’avenir en étant à la pointe des secteurs émergents à haut potentiel, comme le quantique, pour éviter que se créent de nouvelles dépendances. Cette identification des vulnérabilités principales conduira ensuite les États membres à s’accorder sur des projets concrets, ce qui leur permettra de dépasser la polémique conceptuelle et sémantique, qui les empêche de progresser.

Deuxièmement, l’objectif d’autonomie stratégique exige que les Européens en réunissent les trois éléments constitutifs : l’aptitude à décider, la capacité d’agir et la volonté politique ([1]). C’est peut-être là le défi le plus difficile pour l’Union européenne, qui s’est d’abord construite sur l’objectif d’édification de son marché intérieur, en prenant insuffisamment en compte les évolutions de la géopolitique mondiale.

À cet égard, c’est dans le domaine des affaires stratégiques, au sens classique du terme, c’est-à-dire la sécurité et la défense, que l’objectif d’autonomie semble le plus délicat, car cette question demeure l’objet de profondes divergences au sein de l’Union européenne, pour des raisons tant culturelles qu’historiques : l’Europe s’est construite sur le refus de la puissance, sur la pacification du continent, ainsi que, pour de nombreux États membres, sur un attachement viscéral au lien transatlantique. Ce refus de la puissance pourrait même s’accroître après le départ du Royaume-Uni, principal partenaire européen de la France en matière de sécurité et de défense. Ainsi, en matière de sécurité et de défense, le terme « indépendance », et même celui « d’autonomie » restent des « chiffons rouges » pour la plupart des États membres, qui craignent une prise de distance avec l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN).

Si « l’Europe de la défense » est lestée par cet héritage, il n’en reste pas moins que les tensions géopolitiques récentes ouvrent des perspectives en la matière, qui sera l’une des priorités de la Présidence française de l’Union européenne. Des avancées concrètes pourraient être obtenues sur ce sujet, pourvu que l’on se concentre sur des actions visant à renforcer la capacité d’action des Européens. C’est tout l’enjeu de l’important projet de « boussole stratégique » qui devra être adopté au Conseil européen de mars 2022, sous présidence française.

Il n’en reste pas moins que, dans un contexte où se multiplient les guerres invisibles ([2]) (guerre économique, guerre de l’information, cyberguerre…), les affaires stratégiques ne se limitent plus – tant s’en faut – aux affaires militaires.  Alors que la donnée supplante progressivement le pétrole comme fondement de l’économie politique internationale et que la maîtrise des innovations qui conditionneront la transition verte dessine une nouvelle géopolitique des technologies, la maîtrise des technologies clés est la voie privilégiée pour construire une autonomie européenne. Pour vos rapporteurs, cette notion doit viser trois objectifs principaux : la réduction des dépendances excessives ; le renforcement de la capacité d’action et de décision de l’Union ; la capacité à prévenir les ingérences étrangères. Les principaux leviers pour atteindre cet objectif sont l’innovation, la réindustrialisation et la régulation.

La maîtrise technologique semble, en effet, un levier de puissance plus acceptable pour des Européens qui peinent à apprendre le langage de la puissance, pour reprendre l’expression d’Ursula van der Leyen ([3]). C’est également une manière de rester fidèle à l’histoire de l’Europe, qui s’est construite par la technologie, de la Communauté européenne du charbon et de l’acier – CECA – aux batteries et à l’hydrogène en passant par Airbus et Ariane, selon la méthode de l’engrenage chère à Jean Monnet, qui consiste à créer des solidarités de fait.

Le présent rapport vient compléter les différents travaux parlementaires réalisés sur le sujet ([4]) et ne prétend pas à l’exhaustivité. Compte tenu de l’ampleur du sujet, vos rapporteurs ont écarté de leur champ d’analyse les sujets de la souveraineté alimentaire et de la démographie, qui mériteraient à eux seuls une mission d’information, tant ils ont leur place dans une réflexion plus large sur l’autonomie européenne.

 

 


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   PREMIÈRE PARTIE : l’autonomie stratÉgique, une « r֤Évolution culturelle » europÉenne, en quÊte de traduction concrÈte

 

I.   une notion polysÉmique au cœur du dÉbat europÉen, mais diversement apprÉciÉe par les États membres

La notion d’autonomie stratégique, qui est l’expression la plus largement utilisée à Bruxelles, pose un double défi : la définition du mot « autonomie » et celle du mot « stratégique ».

A. une vision principalement française qui dÉrive du concept gaullien d’indÉpendance

1. Un objectif originellement lié à la politique de défense

En France, la notion d’autonomie stratégique dérive du concept gaullien d’indépendance, fondée notamment sur la dissuasion nucléaire nationale. Elle provient de la volonté du Général de Gaulle de développer des moyens de défense autonomes afin de garder une capacité de décision et d’action indépendante des deux grandes puissances dominantes lors de la guerre froide. Cette stratégie a été confortée par la crise de Suez de 1956, dont le traumatisme a accéléré la constitution de la force de dissuasion nucléaire française.

La vision gaullienne de l’indépendance et son idéal européen étaient incompatibles avec l’hégémonie américaine au sein de l’Alliance atlantique, notamment pour ce qui concernait le nucléaire et l’intégration des forces armées des pays membres au sein d’un commandement unifié. Considérant que l’OTAN anesthésiait le goût de la France pour l’indépendance nationale ([5]), le Général de Gaulle a décidé que la France quitterait le commandement intégré de l’organisation, en 1966.

Cette notion d’indépendance est donc lestée, dans la mémoire collective européenne, d’un double passif, qui peut handicaper la capacité de la France à convaincre. D’abord, elle est historiquement associée à une remise en question du rôle de l’OTAN. Ensuite, elle est soupçonnée d’être l’instrument trouvé par la France pour projeter sa puissance par d’autres moyens, dans la continuité de la vision gaulliste du rôle de l’Europe. À cet égard, on peut se reporter à ce qu’écrit Alain Peyrefitte dans son livre transcrivant ses entretiens avec le Général, C’était de Gaulle : « L’Europe, ça sert à quoi ? ça doit servir à ne se laisser dominer ni par les Américains, ni par les Russes. [..] Et si la France s’arrange pour être la première des Six […], elle pourra manier ce levier d’Archimède. » ([6])

Il est intéressant de noter que le regain d’intérêt actuel pour l’autonomie européenne est concomitante du Brexit : l’intégration au marché commun de l’Angleterre, qualifiée par de Gaulle de « cheval de Troie » des États-Unis, signifiait selon lui que l’Europe renoncerait à l’indépendance ([7]). Son départ pourrait-il permettre de renouer avec l’objectif gaullien que « l’Europe soit européenne » ([8]), c’est-à-dire qu’elle garde les mains libres dans cette nouvelle forme de guerre froide que se livrent les États-Unis et la Chine ?

2. De la défense à l’économie, de l’échelle nationale à l’échelle européenne : un élargissement progressif des champs sectoriel et géographique de la notion

C’est sous la notion « d’autonomie » que l’objectif français d’indépendance apparaît ensuite officiellement dans le Livre blanc français sur la défense et la sécurité nationale de 2013. Celui-ci parle « d’autonomie de décision et d’action de la France », reposant sur « la maîtrise nationale de capacités essentielles à sa défense et à sa sécurité ». La revue stratégique de 2017 répète que « la France doit conserver sa capacité à décider et à agir seule pour défendre ses intérêts », et précise que cette autonomie est à la fois opérationnelle, industrielle, technologique et diplomatique.

La France a parallèlement défendu le concept d’autonomie stratégique européenne. Ainsi, la déclaration franco-britannique de Saint-Malo de 1998, qui lançait la politique de sécurité et de défense de l’Union européenne, évoquait : « une capacité autonome d’action appuyée sur des forces militaires crédibles » avec les moyens et la volonté de les utiliser pour répondre aux crises.

Le terme « autonomie stratégique » est ensuite officiellement apparu dans une communication de la Commission et dans les conclusions du Conseil sur l’industrie européenne de défense de 2013, puis dans la stratégie globale de l’Union sur la politique étrangère et de sécurité de 2016. Le Conseil a évoqué une « capacité à agir de façon autonome quand c’est nécessaire et là où c’est nécessaire, et avec des partenaires partout où c’est possible ».

Cependant, dès l’origine, la conception gaullienne de l’indépendance porte en elle les germes de son extension à d’autres domaines que ceux de la défense, en prenant le sens de liberté d’action, s’appuyant sur des moyens propres aux Européens, comme en témoignent encore les propos suivants du Général : « Ou l’Europe existera par elle-même – alliée aux Américains, certes, tant que les Russes la menaceront – mais politiquement, économiquement, militairement, culturellement indépendante, et disposant de moyens à elle ; ou l’Europe n’existera pas et ne sera qu’un agglomérat de protectorats américains. » ([9])

Ainsi, la vision française de l’autonomie stratégique inclut aujourd’hui un champ bien plus large que celui de la défense. Lors de son discours de la Sorbonne de 2017, le Président de la République, M. Emmanuel Macron, a défendu une « souveraineté européenne », qui exprime l’aspiration de l’Union à renforcer sa puissance et à incarner une identité politique partagée sur la scène internationale.  Dans ce discours, le Président de la République évoque la protection des frontières, la politique étrangère, l’écologie, le numérique, l’économie (avec l’industrie et la monnaie). Il a complété ses propos à plusieurs reprises en évoquant aussi une souveraineté en matière alimentaire, technologique, sanitaire, ou encore spatiale.

Cependant, la notion de « souveraineté européenne » est considérée comme juridiquement impropre par de nombreux experts, dans la mesure où, depuis Jean Bodin (La République, 1576) et les traités de Westphalie (1648), les juristes considèrent que la souveraineté est l’attribut de l’État, le seul à détenir « la compétence de sa compétence ».

3. Une vision française relativement isolée, dans un contexte d’amoindrissement de la capacité d’influence de la France

Il existe une divergence, ou un malentendu, entre la vision classique de l’autonomie stratégique à la française et l’interprétation très large, économique et commerciale, qui se fait jour au Conseil européen. C’est ainsi, qu’à l’automne 2020, l’ancienne ministre allemande de la défense, Annegret Kramp-Karrenbauer, avait répondu aux initiatives françaises : « Les illusions d’autonomie stratégique doivent cesser » ([10]).

La spécificité du regard français est également perceptible dans le domaine technologique : comme l’indique la chercheuse Alice Pannier dans une récente interview ([11]) : « En Europe, la tendance est plutôt de minimiser a priori l’aspect stratégique des technologies. La France, qui a un historique de réflexion sur l’autonomie stratégique autour des technologies à maîtriser pour la dissuasion nucléaire, est une exception. »

Par ailleurs, sur le plan économique, le déficit commercial français jette un discrédit sur les propositions françaises en matière industrielle, qui peuvent être perçues par ses partenaires comme un désir protectionniste, une façon de protéger la France de ses mauvais choix économiques et sociaux, et de compenser son incapacité à produire par un interventionnisme public européen.

B. une fuite en avant sÉmantique qui rÉvÈle des profondes divergences de conception de l’Union europÉenne

1. Le terme « indépendance » : un repoussoir pour la majorité des partenaires européens

Le terme indépendance est rejeté par l’immense majorité des partenaires, pour des raisons tant économiques que de philosophie politique. Pour les pays du Nord notamment, la construction d’interdépendances et la mise en commun des ressources permettent de pacifier les relations internationales. C’est d’ailleurs par la construction d’une interdépendance, en mettant en commun le charbon et l’acier dans ce cadre de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), que le projet européen a commencé. En outre, ces partenaires craignent que l’objectif d’indépendance nuise à ce qui est, pour eux, la raison d’être de l’Union européenne, première puissance commerciale mondiale : la saine application de la concurrence au sein du marché unique, et la bonne application des accords commerciaux. Ces pays plaident donc pour la construction d’interdépendances, notamment grâce à la multiplication des accords commerciaux, dans une mondialisation ouverte.

Apparaît donc un clivage entre les défenseurs de l’économie ouverte, que sont notamment les pays nordiques, et les pays qui sont plus attachés à la restauration d’une capacité de production en Europe pour les technologies stratégiques, représentés notamment par l’Italie et la France. Les principales puissances exportatrices (Allemagne, Europe du Nord) sont traditionnellement hostiles à la conduite d’une politique industrielle, car elles seraient victimes des mesures de représailles des pays tiers, si les marchés européens étaient moins accessibles.

2. « L’autonomie stratégique », une percée conceptuelle aux contours imprécis

La crise sanitaire, en révélant les failles dans les chaînes d’approvisionnement de l’Union dans des domaines stratégiques, a fait du concept d’autonomie stratégique une nouvelle priorité de l’Union, en l’élargissant de la politique de la défense et de sécurité à d’autres domaines. Ainsi, la nouvelle politique commerciale, présentée le 18 février 2021 par la Commission européenne, s’appuie sur le concept « d’autonomie stratégique ouverte », dont l’ambition est de concilier la valeur d’ouverture, au cœur du projet européen, avec la résilience des chaînes de production. La nouvelle politique industrielle de la Commission, présentée au printemps 2021, se fixe comme objectif de « réduire la dépendance de l’Union » dans certains « écosystèmes industriels critiques ». Le Conseil européen de novembre 2020 a précisé, quant à lui, qu’il « importe de parvenir à une autonomie stratégique tout en préservant une économie ouverte dans les écosystèmes industriels les plus sensibles et dans des domaines spécifiques, tels que la santé, l’industrie de la défense, l’espace, le numérique, l’énergie et les matières premières critiques ».

Si la notion d’autonomie stratégique se retrouve ainsi au cœur du débat européen, la portée du concept reste controversée, comme en témoigne l’émergence du nouveau concept, qui tient de l’oxymore, « d’autonomie stratégique ouverte », utilisée dans le cadre de la nouvelle stratégie politique commerciale européenne. Comme l’indique Yves Bertoncini dans une note de la Fondapol publiée en 2020 ([12]), la stratégie européenne actuelle revient à admettre un certain degré de dépendance vis-à-vis du monde extérieur, en lui assignant des limites sur des enjeux essentiels : ainsi de l’extrême concentration des chaînes de production dans certains pays d’Asie, de la position trop dominante des États-Unis dans plusieurs secteurs technologiques, ou encore des importations européennes massives de matières premières. L’objectif d’autonomie stratégique traduit, dès lors, la recherche d’une « indépendance dans l’interdépendance », pour reprendre une formule du président Edgar Faure.

3. Des barrières linguistiques et culturelles

Se pose également la question de la compréhension et de la traduction dans les différentes langues de ces termes, qui n’ont pas la même connotation. Selon une étude de la fondation Jean Jaurès et de la fondation Friedrich Ebert de mars 2021, les citoyens européens ont une vision floue et divergente des notions d’autonomie stratégique et de souveraineté européenne. Elles ne sont pas comprises par près d’un tiers des sondés ! En outre, pour les Français, le terme de souveraineté renvoie à l’imaginaire monarchique de la puissance, quand les Allemands l’associent à l’indépendance, la liberté ou l’autonomie. Cette connotation positive du terme « souveraineté » en Allemagne explique peut-être pourquoi l’expression de « souveraineté stratégique européenne » a été retenue dans le programme de la nouvelle coalition gouvernementale en Allemagne.

S’agissant du terme « indépendance », il est assimilé à l’isolement ou à l’autarcie chez de nombreux partenaires. Il peut également renvoyer à un contexte historique très précis, comme celui de l’indépendance des États colonisés, ou à des politiques sectorielles spécifiques, comme l’indépendance énergétique de l’Union par rapport à la Russie.

4. Au commencement était le Verbe ?

Dans leur rapport intitulé « Défense européenne, le défi de l’autonomie stratégique », publié en juillet 2021, les sénateurs Hélène Conway-Mouret et Ronan Le Gleut insistent, à juste titre, sur la méthode à retenir pour obtenir des avancées sur le sujet de l’autonomie stratégique : si la France veut convaincre, elle devra s’attacher à « écouter ses partenaires et à promouvoir des mesures équilibrées avec tact et conviction » et « se garder de suivre son penchant pour les déclarations spectaculaires et la promotion de concepts », ce qui pourrait conduire à « indisposer ses partenaires et à handicaper la démarche ». C’est une démarche qui requiert donc des qualités d’humilité et de persévérance.

Cela implique de trouver les termes appropriés pour chaque partenaire, qu’il s’agisse du renforcement de la capacité d’action en matière de défense, expression privilégiée par l’Allemagne et également acceptée par le Royaume-Uni avant le Brexit, de la réduction des dépendances excessives, ou encore de la responsabilité stratégique. Pour éviter les accusations de protectionnisme, la France doit continuer de rappeler son attachement à l’ouverture commerciale de l’Union européenne, qui est dans son intérêt et dans celui de l’Union. De même, l’expression de « politique de compétitivité au niveau européen » est mieux acceptée que celle de « politique industrielle ». Enfin, le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières doit être présenté comme un instrument de rétablissement d’une concurrence équitable, plutôt que comme un outil de protection de l’industrie européenne.

Les divergences sur la notion même d’autonomie stratégique plaident en tout état de cause pour s’extraire du débat sémantique, afin de se concentrer sur les actions concrètes, en commençant par identifier avec nos partenaires les dépendances les plus problématiques, avant de définir les moyens de les réduire.

II.   La persistance de nombreux obstacles À l’Émergence d’une Europe stratÈge

A. Des freins politiques, historiques et culturels

1. Les mentalités et l’absence de volonté politique

L’Union européenne souffre d’un manque de culture stratégique, car elle s’est construite sur le refus de la puissance, sur un projet de réconciliation intra-européenne, et non sur une logique de projection de puissance ; sur les valeurs, non sur les intérêts ; sur l’exemplarité, non sur la réciprocité. Ainsi, elle s’est d’abord construite sur des sujets non stratégiques (l’agriculture, le marché intérieur, etc). Comme le disait Sigmar Gabriel, ancien ministre (SPD) des affaires étrangères allemand : « Dans un monde de carnivores géopolitiques, les Européens sont les derniers végétariens. Sans le Royaume-Uni, nous allons devenir carrément végan ».

Pour s’affirmer en tant que puissance, elle a d’abord besoin de se percevoir et de se présenter comme une puissance. Or, comme le disait le Général de Gaulle, « le drame de l’Europe » ne serait-il pas qu’ « à part nous, il n’y [ait] personne qui ait l’ambition d’être vraiment européen » ([13]) ? Dans son essai La guerre des récits, Christine Ockrent montre comme il est difficile pour l’Union de construire son propre récit, dans un contexte où la compétition géopolitique se joue aussi au niveau du « narrative », terme anglais désignant un récit qui met en perspective tout évènement majeur, la Chine et les États-Unis s’affrontant pour imposer leur interprétation du monde.

En outre, dans la compétition technologique à laquelle se livrent les grandes puissances, la population européenne semble présenter une aversion au risque et un scepticisme à l’égard de la technologie beaucoup plus marqués que ses principaux concurrents, ce qui peut freiner sa capacité à innover. Lors de nos auditions, deux exemples ont été fréquemment présentés pour en témoigner : les délais d’autorisation des vaccins, beaucoup plus longs qu’au Royaume-Uni ou en Israël, et le projet de règlement sur l’intelligence artificielle, qui traduit un arbitrage en faveur de la réglementation beaucoup plus marqué qu’aux États-Unis, plus soucieux d’encourager l’innovation dans le secteur. Cela peut traduire, plus largement, une moindre confiance en l’avenir que dans d’autres pays : le baromètre international de la confiance en l’avenir, réalisé en 2018 par l’institut de sondage BVA, révèle que près de 30 % des Européens se déclarent confiants en l’avenir, contre 45 % des Américains, et 66 % des Indiens.

2. La position irrésolue de l’Allemagne

L’une des incertitudes majeures a trait à la position de l’Allemagne qui, pour des raisons historiques, ne se projette pas en tant que puissance géopolitique et a des difficultés à voir l’Union européenne autrement que comme un instrument de paix et un marché intégré. De ce point de vue, le départ du Royaume-Uni prive la France du partenaire qui était le plus proche de sa conception de la responsabilité stratégique européenne sur la scène internationale.  

Sur le plan économique, l’Allemagne reste fondamentalement conditionnée par la dépendance de son industrie aux marchés extérieurs, et notamment au marché chinois, qui explique son attachement à l’ouverture commerciale et sa volonté de signer un traité d’investissement avec la Chine, même si elle a infléchi significativement ses positions en acceptant une stratégie industrielle européenne favorisant la production dans les secteurs stratégiques.

L’accord de coalition présenté le 24 novembre 2021 peut augurer d’un rapprochement avec les positions françaises. Un fort accent est mis sur la capacité d’agir et la souveraineté stratégique de l’Union européenne, non seulement sur les questions de politique étrangère et de défense, mais aussi en matière commerciale, d’approvisionnement en matières premières, dans le domaine de la santé ou des technologies numériques. En matière de défense, la coalition plaide pour un renforcement de la coopération des armées nationales des États membres qui y sont prêts, et accepte sans condition les drones armés pour équiper la Bundeswehr. L’objectif controversé des 2 % du PIB dans la défense est dilué dans un objectif plus large d’investissement à long terme de 3 % du PIB pour la politique étrangère, de défense et de développement. 

En outre, le programme de coalition insiste sur la défense des valeurs, fortement soutenue par les Verts, qui auront le poste de ministre des affaires étrangères. Cet attachement aux valeurs pourrait conduire l’Allemagne à une politique plus ferme à l’égard de la Chine. Selon certains observateurs, cette évolution pourrait être confortée par la prise de conscience, par certains industriels allemands, des limites de leur tropisme chinois, profitable lorsqu’ils disposaient d’une avance technologique significative, mais qui devient menaçant dès que cet écart se restreint. De plus, lors de nos auditions, il nous a été indiqué que la classe politique allemande, y compris la Christlich demokratische Union Deutschlands (CDU), était très réservée sur le projet d’accord sur les investissements avec la Chine, défendu par Angela Merkel à la fin de l’année 2020.

Sur le plan de la constitution d’une capacité d’investissement européenne, en revanche, le projet est plus ambigu. Il souligne la « souplesse » du pacte de stabilité et de croissance, qui « devrait être simplifié et rendu plus transparent, afin de renforcer sa mise en œuvre » et garantir « un niveau d’endettement soutenable ». Il indique également que le plan de relance européen est limité dans le temps et dans son montant. Parallèlement, il annonce une offensive en faveur d’investissements pour des projets transnationaux avec une plus-value au niveau européen, s’agissant en particulier des réseaux numériques, ferroviaire et énergétique, ainsi que de la recherche.

Enfin, le programme présente la Conférence pour l’avenir de l’Europe comme une occasion d’initier des réformes, et soutient la révision des traités, si elle est nécessaire. Il est indiqué que l’objectif de cette Conférence devrait être d’aboutir à une convention constitutionnelle permettant d’avancer vers un État fédéral européen organisé sur un modèle décentralisé, ce qui ne correspond pas forcément à la vision française.

3. Le manque de cohérence des politiques européennes

Lors de son premier discours sur l’état de l’Union, en septembre 2020, la présidente de la Commission européenne, Mme Ursula Von der Leyen, a appelé de ses vœux l’émergence d’une Union « géopolitique ». Cet objectif implique que toutes les politiques de l’Union intègrent cette nouvelle dimension géopolitique. Or le manque de cohérence de certaines politiques de l’Union peut nuire à cet objectif.

Premier exemple, la tension entre politique de concurrence et politique industrielle. Le déséquilibre normatif inscrit dans les traités en faveur de la politique de concurrence, au service de l’intérêt du consommateur, a longtemps conduit à étouffer toute forme de politique industrielle et à négliger l’intérêt du producteur européen. Dans un contexte où la Chine et les États-Unis favorisent largement leur industrie, les Européens ne jouent pas à armes égales, même si les Européens tentent aujourd’hui de corriger certaines asymétries.

Deuxième exemple, la tension entre politique agricole et l’objectif d’autonomie stratégique. Comment rendre le modèle agricole européen compatible avec les engagements climatiques de l’Union, tout en assurant la sécurité alimentaire européenne ? Dans un contexte où le dérèglement climatique fragilise profondément les productions agricoles et où le budget de la politique agricole commune est régulièrement mis en question, certaines stratégies proposées par la Commission peuvent, sans innovation, porter atteinte à la sécurité alimentaire des Européens. La transition nécessaire du modèle agricole européen doit être accompagnée par des moyens financiers, humains et scientifiques adéquats. À défaut, l’Europe risquerait de saborder elle-même l’un des seuls domaines où sa puissance est incontestable, et qui est un facteur de rayonnement majeur dans le monde. C’est la raison pour laquelle il semble nécessaire que la Commission présente une étude d’impact de la stratégie « de la ferme à la table » sur la sécurité alimentaire.

B. Des moyens d’action et une capacitÉ de dÉcision limitÉs

1. Les institutions

L’Union européenne a la particularité de représenter ce que Jacques Delors appelait un « OPNI », un Objet Politique Non Identifié, ou une fédération d’États-nation qui, par nature, engendre une tendance à la multiplication et à la fragmentation des structures et des politiques, ainsi que des procédures peu compatibles avec l’urgence requise en temps de crises.

Dans ce contexte, l’Union souffre également d’un mode de fonctionnement institutionnel qui conduit à chercher le plus petit dénominateur commun. Ainsi, le vote à l’unanimité qui prévaut dans des domaines clés, comme les politiques étrangère, budgétaire et fiscale, peut bloquer ou freiner les avancées, comme en témoigne la difficulté du débat sur les nouvelles ressources propres. C’est la raison pour laquelle beaucoup d’étapes majeures, comme l’espace Schengen ou le serpent monétaire, ont été franchies dans le cadre de coopérations renforcées.

Plus largement, les institutions européennes souffrent du morcèlement de l’autorité et d’un défaut d’incarnation, qui sont autant de fragilités dans une quête d’affirmation géopolitique. Certaines pistes intéressantes ont été proposées pour y remédier, comme la fusion du poste de président du Conseil européen et de celui de président de la Commission européenne.

Dans le cadre de la Conférence sur l’avenir de l’Europe et de la présidence française de l’Union européenne, il serait opportun de relancer la réflexion sur l’extension du vote à la majorité qualifiée, notamment en matière de politique étrangère et dans le domaine budgétaire et fiscal, et sur la façon d’assouplir le recours à la clause passerelle, qui permet de passer, par un vote à l’unanimité, au vote à la majorité qualifiée. Il existe une réelle « fenêtre d’opportunité » pour avancer sur le sujet, les quatre principaux partis allemands (SPD, Verts, FDP, CDU) s’étant tous prononcés pour une extension du vote à la majorité qualifiée, les Verts défendant même la majorité qualifiée pour tous les domaines. Enfin, il convient de recourir davantage aux coopérations renforcées avec les pays désireux d’avancer sur certains projets concrets de l’autonomie stratégique européenne, et notamment en matière de politique étrangère, ce qui est également une ambition de la nouvelle coalition gouvernementale allemande.

2. Les financements

L’affirmation de l’autonomie européenne ne resterait qu’une incantation si l’Union ne se donnait les moyens de ses ambitions. À cet égard, l’année 2020 marque un tournant majeur pour l’Union européenne, dans la mesure où, grâce au plan de relance Next Generation EU, financé par un emprunt en commun, trois verrous budgétaires ont sauté : la limitation du budget européen à 1 % du PIB européen, le gel de toute nouvelle ressources propres, l’équilibre entre les recettes et les dépenses.

Tout l’enjeu est maintenant de savoir si ce tournant est durable ou s’il n’est qu’une réponse temporaire aux conséquences de la crise sanitaire. En effet, quelle que soit l’importance du plan de relance européen, il existe un risque de décrochage, notamment par rapport aux plans d’investissements adoptés récemment par les États-Unis et la Chine. L’Europe doit se doter d’une capacité massive d’investissement sur le long terme, en pérennisant l’instrument de dettes communes, ou en assouplissant les règles du pacte de stabilité et de croissance.

En outre, dans des secteurs stratégiques comme la défense ou l’espace, les moyens européens restent très inférieurs à ceux consacrés à ces mêmes secteurs par les États-Unis ou la Chine. Les États membres ont ainsi réduit de près de 4,5 milliards d’euros la proposition de la Commission européenne sur les crédits du Fonds européen de défense, qui s’établit à environ 7 milliards dans le cadre financier pluriannuel couvrant la période 2021/2027, dans un contexte où le budget de la défense américain a bondi de 6,3 % en 2020, celui de la Chine de 5,2 %, ces deux pays représentant respectivement 40,3 % et 10,6 % des dépenses militaires mondiales. En moyenne, les États membres ont consacré 1,6 % de leur PIB à leur défense, contre 3,7 % pour les États-Unis. Le budget des agences spatiales américaines et chinoises sont respectivement cinq fois et deux fois et demie plus importants que celui de l’agence spatiale européenne.

Enfin, en matière de recherche et développement (R&D), les États-Unis et la Chine peuvent s’appuyer, non seulement sur des financements massifs, mais aussi sur des modèles reposant sur une forte volonté politique et le recours à la puissance publique dans un rôle de sélection ou d’encouragement des acteurs les plus prometteurs.

La course technologique se traduit par une nette accélération des efforts d’investissements aux États-Unis et en Chine. Ainsi, afin de maintenir leur avance technologique, le Sénat américain a adopté, en septembre 2021, la « loi américaine sur l’innovation et la concurrence », qui prévoit un investissement de 200 milliards de dollars dans la recherche et le développement sur des secteurs d’avenir, dont 52 milliards consacré à la production de semi-conducteurs. Les États-Unis peuvent, en outre, s’appuyer sur la Defense advanced research projets agency (DARPA), agence américaine financée par le Département de la défense, chargée de promouvoir l’innovation dans le domaine des nouvelles technologies, destinées d’abord à un usage militaire. À l’origine de grandes inventions, comme l’internet, le global positioning system (GPS) ou les drones, c’est encore la DARPA qui, en accordant un financement de 25 millions de dollars à une start-up d’à peine trois ans, a permis l’essor de Moderna, l’un des principaux producteurs de vaccins « ARN messager » permettant de lutter contre le coronavirus.

Parallèlement, le plan quinquennal défendu par la Chine en 2020 prévoit un investissement d’environ 1 400 milliards de dollars d’ici à 2025 dans les infrastructures et la recherche fondamentale, qui seront notamment consacrés à l’intelligence artificielle, aux semi-conducteurs et aux technologies quantiques.

Si les Européens ont fait, ces dernières années, des efforts significatifs d’investissement, notamment dans le cadre du plan Juncker (500 milliards d’euros), ou du programme Horizon Europe, en forte hausse, l’écart avec les États-Unis reste considérable. L’approche européenne semble, en outre, davantage concentrée sur les montants des programmes de recherche que sur l’impact et les résultats concrets, et elle repose sur une confiance moindre accordée par l’Union et les États aux acteurs de la société civile.

En mars 2021, la Commission européenne a lancé le Conseil européen de l’innovation, qui vise à développer les innovations de pointe et qui est doté d’un budget de 12 milliards d’euros pour la période 2021/2027, mais qui n’a ni les moyens ni les méthodes de la DARPA. En effet, s’il a l’objectif de financer le développement d’innovations de rupture, sa réussite dépend de sa capacité à rester fidèle à sa logique d’excellence et à sélectionner les projets sur leur seule valeur « disruptive » : cela implique un abandon de la logique du juste retour et l’acceptation d’une éventuelle concentration des projets dans certains États membres, et des critères de performance strictement liés à l’objectif de favoriser les projets les plus innovants.

Dans leur rapport de mars 2021 sur la politique industrielle européenne ([14]), les députés Patrice Anato et Michel Herbillon avaient opportunément plaidé pour la création, au sein du Conseil européen de l’innovation, d’une agence spécialisée, équivalente de la DARPA, qui aurait des objectifs plus clairement consacrés à l’innovation de rupture et un fonctionnement intergouvernemental permettant une ouverture au Royaume-Uni et à certains États membres de l’Espace économique européen proches de la « frontière technologique ».

3. La fragmentation du marché européen

Le retard de l’Union européenne dans des domaines stratégiques ne tient pas seulement au manque de financements. Il est également lié à la fragmentation de son marché.

Ainsi, dans une tribune du 19 octobre 2021 ([15]), le président de la Joint European Disruptive Initiative (JEDI), André Loesekrug-Pietri, mentionne, parmi les causes de ce qu’il appelle l’étrange défaite technologique de l’Union, « la fragmentation de ses 27 plans sur l’intelligence artificielle, de ses vingt-sept agences cyber, de ses multiples plans hydrogène ». À titre d’illustration, pour les dispositifs médicaux, la durée moyenne d’homologation en France est de deux ans, puis 27 autorisations sont requises pour accéder au marché européen. Les start-up se font donc homologuer aux États-Unis : la procédure d’homologation y dure en moyenne deux semaines, et donne un accès immédiat à un grand marché. L’urgence porterait donc sur une harmonisation du marché européen dans les domaines stratégiques, notamment dans le secteur du numérique et de la santé.

De même, les entreprises se heurtent, dans leur projet de développement en Europe, à l’existence de 27 législations nationales hétéroclites, ce qui plaide pour l’instauration d’un code européen des affaires.

III. un Éveil stratÉgique nÉanmoins inconstestable et indispensable, À la faveur de la crise sanitaire et de l’accroissement des tensions gÉopolitiques mondiales

A. Des vulnÉrabilitÉs europÉennes Évidentes dans de nombreux secteurs stratÉgiques

1. L’énergie 

En 2020, le pétrole et le gaz représentaient près des deux tiers de l’énergie consommée dans l’Union. Or 90 % du gaz et 97 % du pétrole sont importés de pays tiers. En conséquence, l’Union est très dépendante :

- des fournisseurs de combustibles fossiles, notamment la Russie (qui fournit 40 % du gaz importé en Europe) et l’Arabie saoudite, dont les intérêts stratégiques convergent peu avec ceux des Européens ;

- de certaines routes physiques, comme celles qui passent par l’Ukraine et le détroit d’Ormuz, sur lesquelles les Européens n’ont quasiment aucun contrôle.

Cette géopolitique des énergies fossiles est une géopolitique des flux, qui se caractérise par une grande volatilité des prix, sur lesquels les Européens n’ont aucune prise.

À mesure que l’Union européenne s’engagera dans la transition énergétique, cette dépendance aux énergies fossiles tendra à s’affaiblir, au profit d’une géopolitique des énergies fossiles, qui repose sur une logique de stocks : elle entraînera une dépendance croissante à l’égard de certaines matières premières et de technologies critiques. Ces nouvelles dépendances énergétiques sont moins problématiques que celles engendrées par les énergies fossiles, car l’Union dispose d’une certaine marge de manœuvre : l’autonomie de l’Union européenne en la matière dépendra de sa capacité à être leader sur ces technologies et à développer une stratégie équilibrée d’approvisionnement, de production, de recyclage et de réduction de la consommation des matières premières critiques.

2. Les matières premières critiques

Au total, la Commission européenne a recensé trente matières premières critiques (cobalt, magnésium, terres rares ([16])…), indispensables pour la transition énergétique et numérique, et dont la production est fortement concentrée dans quelques pays. 70 % de la production mondiale de lithium, qui sert notamment aux batteries électriques, proviennent de l’Australie et du Chili. S’agissant du cobalt, 60 % de la production proviennent de la République démocratique du Congo. Pour ce qui est des terres rares, 80 à 95 % de la production mondiale sont chinoises.  À ce problème de la dépendance à des pays qui n’ont pas les mêmes intérêts stratégiques que les pays européens, s’ajoute la question des conditions sociales et environnementales dans lesquelles les matériaux sont extraits.

3. Certaines technologies critiques

L’actualité récente a mis en lumière la dépendance ou le retard européen dans des technologies critiques, qu’il s’agisse des technologies sans lesquelles les économies et les sociétés européennes ne peuvent fonctionner, ou des technologies « disruptives », qui sont celles qui ont un impact économique et social majeur. Parmi ces technologies critiques, figurent :

- Les semi-conducteurs, c’est-à-dire les puces présentes dans tous les objets électroniques, dont la pénurie met actuellement à l’arrêt nombre de lignes de productions européennes et ralentit la reprise. Près des deux tiers de la production mondiale proviennent de Taïwan, de la Corée du Sud et du Japon, contre 10 % en Europe.

- Les batteries : forte d’une réserve de lithium qui lui donne un avantage certain, la Chine revendique près de 60 % de la capacité de production mondiale de batteries lithium-ion, qui équipent les véhicules électriques.

- Les technologies numériques, notamment le cloud ([17]): la dépendance de l’Europe en matière de numérique est massive sur toute la chaîne de valeur ([18]), mais elle est particulièrement marquée dans le secteur du cloud, dominé par trois acteurs américains (Amazon, Microsoft et Google), qui disposent de 70 % des parts de marchés, imposent leurs technologies et leurs règles du jeu. Or la maîtrise des données (qualifiées par le président chinois « d’atouts stratégiques de la nation ») est au cœur du processus d’innovation au sein de l’économie numérique. En outre, sur le plan politique, l’absence de maîtrise du cloud est une menace directe pour la protection des données, l’application des normes et des valeurs européennes en matière de droits fondamentaux, et rend les pays européens vulnérables à l’espionnage industriel.

4. Les investissements prédateurs de la Chine 

Entre 2010 et 2019, la Chine aurait investi 150 milliards d’euros en Europe ([19]), dans des secteurs aussi stratégiques que l’énergie, les télécoms, le ferroviaire ou les ports. Quinze pays membres sont potentiellement parties prenantes au projet de nouvelles routes de la soie, ce qui est de nature à entraver significativement la capacité de l’Union européenne à défendre son autonomie stratégique face à la Chine.

5. L’espace ?

De notre accès à l’espace dépend le fonctionnement de notre économie et de notre société au quotidien (en moyenne, nous avons recours 36 fois par jour à un satellite), l’industrie du futur (objets connectés, voitures autonomes…), le besoin de connaissance et d’exploration (surveillance de l’environnement, navigation en temps réel, météo, internet dans les zones les plus reculées de nos territoires…). En outre, dans un contexte d’arsenalisation du spatial, l’accès à l’espace est évidemment indispensable pour la défense et la sécurité européenne. Or la compétitivité des concurrents, notamment américains, fondée sur l’innovation et la baisse des coûts, font craindre un décrochage de l’Union européenne et une dépendance aux satellites de pays tiers.

B. le retour d’une vÉritable politique industrielle europÉenne

1. Une prise de conscience par les Européens des déséquilibres du commerce international

Le succès actuel de la notion d’autonomie stratégique est le fruit de la rencontre de mouvements économiques, sociaux, géopolitiques à l’œuvre depuis de nombreuses années. Ainsi, dans le domaine économique, la prise de conscience de l’évolution stratégique de la Chine, qualifiée par la Commission européenne de « rivale systémique » en 2019, trouve son origine en 2016, au moment où la Chine a obtenu, à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), le statut d’économie de marché. Plusieurs États membres s’y étaient opposés, dénonçant le rôle de la concurrence déloyale chinoise dans la désindustrialisation et le rachat par la Chine de fleurons technologiques européens, comme l’entreprise allemande de robotique Kuka, en 2016. La perte de confiance des occidentaux dans les vertus de la mondialisation, perçue comme destructrice de l’emploi industriel, est donc le terreau de la percée conceptuelle actuelle. 

La succession de crises, sanitaires, économiques et géopolitiques, que traverse l’Union depuis le début de l’année 2020 n’a fait qu’accélérer la prise de conscience, par les Européens, de leurs dépendances. Le blocage de la production de vaccins en raison de la fermeture de certains pays partenaires a constitué un point de rupture pour l’Union, qui avait cessé de conduire une politique industrielle depuis les programmes Ariane et Airbus. Les pays membres traditionnellement hostiles à une politique industrielle se sont laissés convaincre par les réalisations concrètes de l’Union en matière de production de vaccins : l’Europe a relocalisé, en quelques mois, l’ensemble de la chaîne de valeurs de la production de vaccins en Europe et elle en est devenue le premier producteur au monde. Elle exporte désormais la moitié de sa production et des pays partenaires, comme le Royaume-Uni, en sont désormais dépendants.

2. La construction de chaînes d’approvisionnement résilientes

Première incarnation de cette bascule stratégique, la nouvelle stratégie industrielle européenne publiée au printemps 2020, fondée sur le concept d’autonomie stratégique, passe par l’identification des biens et technologies critiques, la sécurisation des approvisionnements et la production de certains produits critiques, comme les vaccins et les semi-conducteurs. La Commission a analysé la concentration de l’approvisionnement depuis certains pays tiers et les risques de rupture des chaînes de valeur sur un périmètre de produits critiques ou stratégiques. Elle a identifié, dans un premier temps, six secteurs (les matières premières et l’énergie, les technologies de pointe, les principes pharmaceutiques et la santé) et 137 produits critiques, correspondant à 6 % des importations européennes de biens. Sur ces produits, la Chine représente la moitié de ces importations. La Commission a annoncé, dans la mise à jour de sa stratégie industrielle du 5 mai 2021, une nouvelle série d’examens dans les domaines suivants : énergies renouvelables, stockage de l’énergie, cybersécurité.

Cependant, les travaux ont montré que l’Union n’avait pas encore une définition claire de ce qui était stratégique. La Commission s’est concentrée sur des secteurs plutôt que sur des technologies précises à maîtriser. Il conviendrait d’adopter, au niveau européen, une liste commune de technologies critiques pour l’ensemble des États membres, qui puisse servir de référentiel commun pour les politiques européennes de recherche et de développement. Ces technologies seraient sélectionnées selon leur potentiel de contribution aux capacités essentielles de l’Union, leur place dans les chaines de valeurs, et leur potentiel d’innovation. La France a déjà adopté une liste semblable au niveau national, destinée à préfigurer cette liste européenne, à l’automne 2020. La direction générale des entreprises a ainsi listé 140 technologies critiques.

3. La reconstitution d’une capacité industrielle dans les secteurs stratégiques

Sur la base des dépendances stratégiques identifiées, l’Union a développé une politique industrielle, qui a deux objectifs :

- le réduction des dépendances les plus problématiques ;

- la reconquête de son autonomie dans les technologies pour lesquelles le retard est rattrapable ou dans celles qui sont suffisamment émergentes pour que l’Union ait encore sa chance, comme l’intelligence artificielle, le quantique([20]), la 6G.

Grâce à la qualité de sa recherche, l’Union dispose de points forts dans des domaines clés, tels que l’innovation incorporée dans les processus industriels, l’internet des objets, la mobilité connectée, les matériaux avancés. Elle dispose également d’une recherche d’excellence sur le quantique. Enfin, elle dispose d’une avance incontestable dans les technologies vertes. Cependant, elle accuse du retard dans secteurs majeurs, tels que l’intelligence artificielle, le cloud, le cyber, le big data, la robotique, la microélectronique et le calcul à haute-performance.

Au cœur de la nouvelle politique industrielle de la Commission européenne figurent les projets importants d’intérêt européen commun (PIIEC), qui sont un cadre dérogatoire permettant aux États membres d’accorder des aides publiques à certains projet stratégiques et innovants ne pouvant être menés à bien sans aide publique, en raison des risques financiers trop importants. Comme le rappelle l’économiste Élie Cohen dans un article récent ([21]), les vertus des PIIEC sont multiples : répondre au défi technologique posé à l’Europe par le couple sino-américain, être fondés sur une démarche coopérative d’industriels, assouplir les règles communautaires des aides publiques, pouvoir être abondés par des crédits de recherche communautaires. Autre avantage, les projets concilient une approche top down et bottom up : une liste de secteurs prioritaires est affichée, mais ce sont les acteurs de la recherche et de l’industrie qui doivent se manifester en donnant un contenu concret à l’appel de l’Union, sous forme de projets coopératifs transnationaux.

Pour l’heure, des PIIEC ont pu être autorisés dans les secteurs de la microélectronique et des batteries, et des projets sont en cours dans les domaines de la santé, du cloud et de l’hydrogène.

Cependant, les PIIEC se heurtent à certaines difficultés. Selon Élie Cohen, la Commission est perçue comme intrusive par certains industriels, alors qu’elle n’a théoriquement qu’un rôle de validation : le Commissaire Thierry Breton souhaite ainsi développer les composants électroniques les plus avancées (2 nanos), quand les industriels du secteur objectent que les vrais besoins, compte tenu de la spécialisation productive européenne, sont dans les 14 nanos.  Elle serait, à l’inverse, insuffisamment volontariste dans les biosciences ou la bioproduction. En outre, elle serait tentée de servir les besoins actuels des marchés en favorisant l’adoption de technologies matures dans les batteries plutôt que de parier sur des technologies émergentes. Cette orientation aurait conduit nombre de chercheurs et d’industriels à mettre en cause une stratégie industrielle déjà dépassée. Enfin, les États européens se divisent sur la localisation des nouvelles usines, voire font de la surenchère en complétant les aides européennes par des aides nationales…

La capacité de l’Union européenne à mener la bataille technologique dépend donc largement de sa capacité à surmonter les rivalités entre firmes, entre pays, ainsi qu’entre États membres et Commission. À cet égard, la politique de l’Allemagne, qui peut sembler céder à la tentation de la stratégie nationale dans des domaines comme le spatial, l’aéronautique militaire ou les batteries, invite à la plus grande vigilance.

Autre outil de politique industrielle utilisé par la Commission, les alliances industrielles, qui désignent une nouvelle forme de partenariats public-privé dont l’objectif est d’améliorer la coordination entre les acteurs privés et de faciliter leur coopération avec les acteurs publics. Ces alliances définissent les objectifs, identifient les difficultés pour conduire une politique industrielle efficace, tout en développant les synergies entre les acteurs. Plusieurs alliances sont engagées à ce jour :

- l’alliance industrielle « pour les batteries », formée en 2017. D’ici à 2025, l’Europe devrait fabriquer suffisamment de batteries pour équiper chaque année au moins 7 millions de voitures électriques. 

- l’alliance pour « l’hydrogène propre », annoncée le 8 juillet 2020, fondée actuellement sur 500 entreprises et devant s’étendre à 1 000 entreprises d’ici 2024.

- l’alliance européenne « des matières premières », lancée le 29 septembre 2020 par les commissaires Maroš Šefčovič et Thierry Breton. L’objectif de cette alliance est de renforcer la résilience de l’Union dans la chaîne de valeur des matières premières critiques (terres rares et aimants). L’alliance permettra d’identifier les obstacles, opportunités et possibilités d’investissement, à toutes les étapes de la chaîne de valeur de ces matières premières.

Ont été également annoncées par Thierry Breton l’alliance pour la microélectronique (processeurs et semi-conducteurs), l’alliance pour les données industrielles et le cloud, l’alliance pour les lanceurs spatiaux, et l’alliance pour une aviation à émissions nulles (avion à hydrogène).

Dans ce contexte, vos rapporteurs appellent à :

- renforcer les moyens mis en œuvre dans le cadre des projets importants d’intérêt européen commun (PIIEC) en permettant le financement des PIIEC par le budget européen, et adopter des calendriers ambitieux de déploiement ;

- créer au plus vite de nouveaux PIIEC dans le cloud, la santé et l’hydrogène.

- soutenir la réalisation du projet de recherche européen sur la 6G « Hexa-X » et toutes les autres initiatives favorisant l’émergence d’acteurs européens dans le domaine de la 6G, afin de réduire la dépendance envers les grands équipementiers non européens.

 

   DeuxiÈme partie : la puissance technologique, voie privilÉgiÉe de L’AUTONOMIE stratÉgique europÉenne

I. ADOPTER UNE APPROCHE GÉOPOLITIQUE DU MARCHÉ EUROPÉEN

A. les normes, « leviers d’ArchimÈde » de l’Union europÉenne dans la mondialisation

1. Élaborer, défendre et diffuser les normes européennes

La puissance de l’Union européenne réside d’abord dans sa capacité à réguler et à imposer des normes, qu’elles soient réglementaires ou technologiques. Cette extériorisation de facto ou de jure de la législation européenne au-delà de ses frontières est aussi appelée : « l’effet Bruxelles ». Ainsi, les Européens sont à l’origine de la norme GSM (global system for mobile communication), qui fixe des standards pour la téléphonie mobile, et qui est en passe de supplanter toutes les autres technologies de téléphonie mobile numérique dans le monde, en raison de ses performances. Le règlement général sur la protection des données (RGPD) est un autre exemple : certains pays, comme le Japon, la Corée du Sud, le Bénin ou l’Australie, ont révisé leur cadre national de protection des données en s’inspirant du RGPD. Un processus législatif en ce sens est également en cours en Suisse, en Tunisie et au Burkina Faso, par exemple. D’autres États, comme la Californie ou le Brésil, ont, pour la première fois, adopté un cadre juridique général encadrant les traitements de données personnelles, et dont les principales dispositions peuvent se rapprocher de celles du RGPD.  L’enjeu est non seulement économique, comme le veut l’adage « Qui fait les normes détient le marché », mais aussi politique : les normes permettent de diffuser un modèle conforme aux valeurs et priorités de l’Union.

Cependant, ce pouvoir normatif européen présente deux fragilités. D’abord, l’Union a-t-elle la capacité de faire appliquer les normes qu’elle élabore ? Pour reprendre l’exemple du numérique, les autorités de régulation nationales sont régulièrement critiquées pour le laxisme et la lenteur de leurs réponses au non-respect de la réglementation européenne par les GAFAM (acronyme désignant les entreprises Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) : les premières enquêtes sur Apple datent de 2011, et les procédures sont toujours en appel en 2021 ([22]).

Ensuite, l’Union semble avoir parfois des difficultés à appliquer ses propres normes. Ainsi, dans un arrêt du 16 juillet 2020 de la Cour de Justice de l’Union européenne, l’arrêt « Schrems 2 », la Cour a invalidé le système du « Privacy Shield » qui permettait le transfert de données personnelles vers les États-Unis, au motif qu’il risquerait de compromettre le niveau de protection des personnes physiques garanti par le RGPD.

Cette affirmation de la puissance normative est d’autant plus importante que la Chine déploie des politiques de normalisation dans des domaines aussi variés que le numérique ou l’alimentation, à laquelle l’Union doit prêter une attention soutenue. L’Union doit ainsi faire une priorité du renforcement de sa présence dans les instances internationales de normalisation, en augmentant les moyens financiers et humains.

2. Réguler au plus vite les secteurs de rupture

La régulation permet de « forcer » certains changements technologiques et de donner à l’industrie européenne des avantages comparatifs dans le cadre d’une stratégie industrielle et environnementale globale. Les normes du marché intérieur sont à la fois un outil de différenciation industrielle et un outil de maîtrise de nos flux commerciaux. Or, si l’Europe sait fixer des normes réglementaires, elle reste à la traîne sur les normes technologiques, ce qui est un enjeu clé dans la bataille pour les technologies d’avenir.

Il est donc primordial que l’Union se dote au plus vite d’un arsenal réglementaire sur les technologies de rupture, comme la 5G, les batteries, l’hydrogène ou la technologie quantique, afin d’être non pas preneuse de normes, mais faiseuse de normes.

Les outils réglementaires du marché intérieur doivent être mis au service de l’industrie européenne, par exemple en interdisant ou en limitant certains biens à forte empreinte carbone. À cet égard, le règlement « batteries » ouvre une voie prometteuse. Celui-ci prévoit de noter les batteries en fonction de leur « contenu carbone » et d’interdire progressivement les batteries les plus polluantes (très majoritairement chinoises). Il permettra de protéger la production européenne de batteries et de valoriser la compétitivité hors coûts des batteries européennes, plus propres. En interdisant sur le marché intérieur un produit ne respectant pas certaines normes environnementales, ce projet de règlement ouvre la voie à une forme de politique industrielle prometteuse.

Le règlement sur les batteries en négociation devra tenir compte non seulement des objectifs européens de décarbonation, mais aussi de l’objectif de rattrapage du retard européen dans le domaine de la production de batteries en Europe, et imposer les mêmes obligations environnementales à l’égard des batteries importées.

B. Faire de la politique commerciale une arme stratÉgique

Face à des concurrents comme les États-Unis et surtout la Chine, qui utilisent le commerce pour conforter leur puissance (contrôle des exportations, fermeture de l’accès à certains marchés, subventions publiques, représailles commerciales unilatérales), l’Union européenne a longtemps adopté une approche technique et naïve du commerce, déconnectée des enjeux géopolitiques, alors même qu’elle dispose d’un atout maître en la matière, puisqu’elle est la première puissance commerciale au monde.

La Commission a commencé son aggiornamento en la matière en posant les bases, le 18 février 2021, de sa nouvelle stratégie commerciale, qui s’appuie sur le concept d’« autonomie stratégique ouverte » ([23]), et dont l’un des objectifs est le renforcement de la capacité de l’Union à poursuivre ses intérêts et à faire respecter ses droits et ce, de manière autonome. Il importe donc que cette évolution se traduise par des actes concrets et ambitieux, car conditionner l’accès à un marché européen convoité de 530 millions de consommateurs aux priorités politiques européennes est probablement l’instrument de puissance le plus important dont dispose l’Union européenne.

1. Adopter un ambitieux mécanisme d’ajustement carbone aux frontières

Clé de voûte de la nouvelle stratégie commerciale, le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières a plusieurs objectifs : éviter les distorsions de concurrence provenant de pays non soumis aux mêmes exigences environnementales, encourager l’innovation et renforcer les avantages comparatifs des Européens dans les technologies vertes, et diffuser des normes environnementales plus exigeantes dans les pays tiers, qui seront incités à s’aligner sur les priorités européennes pour conserver leur accès au marché européen. Les vives réactions de nombre de pays partenaires, comme la Russie ou la Turquie, à l’égard de cet instrument, témoignent de l’importance de son impact potentiel. La France devra veiller, dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne, à garder un haut niveau d’ambition sur le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, qui est l’une des priorités européennes les plus stratégiques de ces prochaines années.

2. Refondre les accords de libre-échange

La refonte des accords de libre-échange doit également servir les ambitions climatiques de l’Union. L’inclusion annoncée du respect de l’Accord de Paris parmi les clauses essentielles des accords va dans le bon sens. Dans le cadre de la modernisation des chapitres relatifs au développement durable des accords de libre-échange, nous plaidons notamment pour que soient prévues et appliquées des sanctions, lorsqu’ils ne sont pas respectés. Il conviendrait également de conditionner l’accès au marché européen à l’utilisation de modes de transport propres pour les marchandises.

Dans une logique de lutte contre la concurrence déloyale et de réciprocité des échanges, les produits agricoles importés doivent respecter les mêmes normes que celles imposées aux producteurs de l’Union. Vos rapporteurs soutiennent l’introduction des « clauses miroirs » dans les accords commerciaux de libre-échange.

3. Renforcer les instruments de défense et d’attaque commerciales

Défendre les entreprises stratégiques européennes implique d’adopter une stratégie défensive et offensive : il s’agit de répondre non seulement à l’asymétrie des échanges et aux mesures commerciales coercitives unilatérales, mais également à l’avance technologique prise ou en passe d’être prise par les concurrents, notamment la Chine.

S’agissant de la capacité à se défendre, l’Union européenne a fait un premier pas très important avec la proposition de règlement pour lutter contre les subventions étrangères déloyales. Il conviendrait d’aller au bout de cette logique en défendant une logique de stricte réciprocité, c’est-à-dire restreindre ou fermer nos marchés lorsque celui des partenaires est difficilement accessible ou fermé. Il est, par exemple, étonnant que les équipes du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) travaillent avec des supercalculateurs américains, quand les industriels européens ne sont pas autorisés à répondre à la commande publique américaine pour ces mêmes équipements.

À cet égard, l’instrument relatif aux marchés publics internationaux (IPI), en cours de négociation, est potentiellement un outil majeur pour lutter contre le manque de réciprocité dans l’accès aux marchés publics mondiaux. Il permettra d’exclure complètement une entreprise d’un marché public après enquête de la Commission, ou d’ajuster son score pour rendre son offre moins attractive par rapport à celles des autres soumissionnaires. Après presque dix ans de discussions, le Conseil de l’Union européenne a arrêté sa position sur le règlement en juin 2021. Dans le cadre de sa présidence de l’Union européenne, la France devra veiller à ce que les négociations aboutissent sur un accord ambitieux, en limitant au maximum les exceptions, et en réduisant les seuils des montants de contrats à partir desquels l’instrument s’appliquerait.

En outre, l’Union européenne doit être en mesure de répondre à la multiplication des mesures de coercition imposées par des pays tiers, comme les boycotts de produits français en Turquie, la pression américaine sur les entreprises européennes participant à la construction du gazoduc NordStream 2, ou les mesures de représailles infligées par la Chine à la Lituanie en raison de l’ouverture par cet État balte d’un bureau de représentation de Taiwan (et non de Taipeh, comme l’exige la Chine). La Commission a proposé, à la fin de l’année 2021, un instrument anti-coercition, visant à prévenir et contrer les mesures coercitives prises par des pays tiers. 

Dans une note publiée en mars 2021 ([24]), l’Institut Jacques Delors fait à ce sujet des propositions très opportunes. Rappelant qu’il faudra d’abord évaluer le coût des sanctions extraterritoriales, il appelle à la création d’un fonds d’indemnisation pour les entreprises et citoyens victimes de ces mesures coercitives. Parmi les contre-mesures de rétorsion, lesquelles seraient individualisées, limitées dans le temps et réversibles, figurent l’interdiction de l’accès au territoire européen aux auteurs des sanctions territoriales et de la participation à certains appels d’offres publics, ainsi que la suspension du passeport financier (ce qui empêcherait les banques du pays auteur des sanctions d’exercer une activité en Europe), ou le gel des actifs sur le territoire européen de certaines entités publiques de pays émetteurs de sanctions. Si États membres s’y opposent, ces mesures devraient être décidées par un vote à la majorité qualifiée.

Il conviendra, dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne, de renforcer l’ambition de cet instrument, en prévoyant notamment un panel de contre-mesures, comme la restriction de l’accès au marché européen, l’exclusion de programmes européens ou l’application de sanctions extraterritoriales. 

Enfin, les États-Unis ont adopté une réglementation restrictive visant à empêcher le transfert de certaines technologies à la Chine. Il est désormais interdit aux entreprises américaines de vendre ou transférer des composants et des technologies à une « liste noire » de plus de soixante-dix entreprises chinoises. Dans un rapport récent, la commission des affaires étrangères du Sénat sur la Chine ([25]) souligne les risques de la coopération entre la Chine et l’Europe, en particulier dans le domaine spatial, qui prend la forme d’entraînements communs entre astronautes européens et chinois. Si attrayante que soit cette coopération, souvent assortie de financements bienvenus dans un contexte budgétaire contraint, il existe un risque de transfert de technologies duales et de savoirs en recherche fondamentale, particulièrement dans le contexte chinois de rattrapage dans le développement civilo-militaire des nouvelles technologies. Dans ce domaine en particulier, les sénateurs appellent à faire preuve d’une très grande prudence en matière de transfert de technologies et d’utilisation de ces transferts, notamment en faveur du secteur militaire chinois. La France, leader de l’industrie aéronautique, a un rôle moteur à jouer dans la définition d’une politique nationale et d’une politique communautaire qui prennent en compte les récents développements des ambitions chinoises dans le domaine spatial.

C. Mieux articuler politique de la concurrence et politique industrielle

1. Conforter la politique de concurrence

Depuis le refus, par la Commission européenne, de la fusion entre Alstom et Siemens, début 2019, le droit européen de la concurrence est régulièrement accusé d’empêcher l’émergence de champions européens, alors qu’il existe en Chine et aux États-Unis une concentration et une « verticalisation » des acteurs, notamment dans le domaine du numérique ou du spatial. De plus, ces deux pays favorisent leur industrie en ayant largement recours aux subventions publiques et à la commande publique, ainsi qu’en fermant certains de leurs marchés. Les règles actuelles de la politique de concurrence datent de 1997, et ne seraient plus adaptées à l’état de la mondialisation, comme le montre le critère du « marché pertinent », selon lequel la concurrence est appréciée à l’échelle européenne, et non à l’échelle mondiale.

En réalité, ces règles sont interprétées avec souplesse, et la direction générale de la concurrence reste assez peu interventionniste : moins de 1 % des opérations de fusion notifiées sont interdites, et le contrôle des aides d’Etat ne porte que sur moins de 10 % des aides. Par ailleurs, la politique de la concurrence n’a pas empêché la conduite de projets industriels, comme en témoigne la multiplication des projets importants d’intérêt européen commun (PIIEC) et des alliances industrielles.

Au reste, il faut veiller à ne pas désarmer la politique de concurrence européenne, qui est également une forme de politique industrielle : lutter contre les cartels et les positions dominantes permet de favoriser l’émergence de nouveaux acteurs et de préserver la compétitivité des entreprises. C’est la raison pour laquelle les États-Unis s’engagent dans une politique de de lutte contre les excès de la concentration dans l’ensemble de l’économie, qui empêche l’arrivée de nouveaux acteurs sur le marché.

2. Assurer la cohérence entre politique de concurrence et politique industrielle

Si fondamentales que soient les règles de la politique de la concurrence, un ajustement semble nécessaire, afin de mieux articuler politique industrielle et politique de concurrence.

Le 18 novembre 2021, la Commission a présenté une « communication sur une politique de concurrence adaptée aux nouveaux défis », qui annonce quelques « changements ciblés » et opportuns : la facilitation des investissements dans la transition numérique et énergétique, la modification éventuelle de la définition du marché pertinent, et la possibilité d’autoriser les aides d’État visant à soutenir la production de semi-conducteurs, pour accroître l’autonomie des États membres dans un secteur où elle est particulièrement dépendante. Aussi prudent que cet engagement puisse paraître, la Commission reconnaît, par là-même, que le régime actuel des aides d’État ne permet pas de répondre à la situation de pénurie. Elle est donc prête à autoriser, sous conditions, ces aides non plus seulement pour la recherche, mais aussi pour la production.

Cependant, ces annonces augurent de changements, mais trop timides. Dans la lignée des recommandations des députés Patrick Anato et Michel Herbillon dans le rapport précité, vos rapporteurs préconisent de :

- redéfinir les objectifs du droit européen de la concurrence pour rendre celui-ci compatible avec l’objectif d’autonomie stratégique européenne : la politique de concurrence doit servir l’intérêt du consommateur et du producteur européen, ainsi que de l’Union européenne dans sa globalité. L’intérêt du consommateur ne doit pas être réduit au prix, mais aussi intégrer des critères qualitatifs liés à ses préférences sociales et environnementales. L’intérêt de l’Union européenne suppose d’améliorer l’analyse des gains économiques liés à des opérations de concentration et de préserver son autonomie stratégique.

- définir une application différenciée du droit européen de la concurrence : celui-ci s’appliquerait strictement dans les secteurs protégés de la concurrence internationale, et tiendrait compte de l’environnement stratégique dans les secteurs où la concurrence ne peut s’exercer qu’entre quelques acteurs, au niveau mondial.

- dans le cadre d’un projet de fusion, étudier l’état de la concurrence à l’échelle mondiale, et non seulement européenne.

- donner la possibilité au Conseil européen de « casser » une décision de la Commission en matière de concurrence.

3. Lutter contre les subventions déloyales

La Commission européenne a publié, le 5 mai 2021, une proposition de règlement pour lutter contre les subventions de pays tiers génératrices de distorsions de concurrence. L’objectif du texte est de donner à la Commission le pouvoir de limiter et bloquer les investissements, au sein du marché unique, d’entreprises étrangères qui ont accès à des aides d’État dans leur pays d’origine, faussant ainsi la concurrence avec leurs rivales européennes. C’est un outil qui vise en particulier la Chine. Il conviendra de faire de l’adoption du règlement visant à lutter contre les subventions déloyales des pays tiers une priorité de la Présidence française de l’Union européenne, car cet outil peut marquer un tournant majeur dans la politique commerciale de l’Union.

II. Produire et innover en Europe : conditions nÉcessaires de l’autonomie stratÉgique europÉenne

L’enjeu, pour l’Union européenne, est de faire de la transition énergétique un levier, et non un frein, pour la réindustrialisation et la reconquête technologique du continent.

A. Reconstruire une base industrielle, un enjeu qui relÈve d’abord des États membres, et qui concerne particuliÈrement la France

1. La désindustrialisation, facteur de dépendance et d’impuissance

« En cas d’épidémie ou de guerre, un pays sans industrie manufacturière peut-il être considéré comme un pays puissant ? » se demande Qiao Liang, général de l’armée de l’air chinoise à la retraite, dans un entretien publié en mai 2020 dans la revue Conflits. De fait, il est admis que le maintien, en Allemagne, d’une base industrielle lui a donné un avantage certain au début de la crise sanitaire : elle a pu fabriquer rapidement des réactifs pour les tests car son industrie chimique est très développée. De même, elle disposait d’usines de fabrication d’aspirateurs, dont les moteurs ont été utilisés pour faire des respirateurs.

La France est l’un des pays de l’Union les plus désindustrialisés : la part de l’industrie dans la valeur ajoutée (hors construction) est de 13,6 %, contre 25,4 % pour l’Allemagne ou 19,6 % pour l’Italie ([26]). Le déficit commercial s’est établi à 75 milliards d’euros en moyenne pendant les dernières années, et devrait atteindre 86 milliards d’euros en 2021 ([27]), alors que le commerce extérieur allemand est excédentaire de plus de 200 milliards d’euros. Or, comme l’indique le Haut-Commissaire au plan, François Bayrou, dans une note intitulée « Reconquête de l’appareil productif : la bataille du commerce extérieur », publiée le 7 décembre 2021 : « Un pays qui se laisse exclure de secteurs entiers de la production est un pays qui met gravement en danger les générations qui viennent. En effet, perdre un produit, ce n’est pas seulement perdre le présent du produit, les emplois qui lui sont attachés, la valeur ajoutée qui lui est liée, mais c’est bien davantage encore perdre l’avenir du produit, la recherche, les transferts de technologie, le design, et la définition même des générations d’équipements à venir. »

La réindustrialisation relève d’abord des politiques nationales : c’est aux États membres, et à la France en particulier, d’engager des politiques d’attractivité ou visant à la localisation ou la relocalisation des investissements. Outre les facteurs démographiques et géographiques qui expliquent qu’un petit pays périphérique est naturellement moins attractif qu’un grand pays au cœur de l’Union, les choix de localisation d’investissements sont particulièrement sensibles à la stabilité de l’environnement juridique et politique, à la qualité des ressources humaines et à l’évolution des coûts salariaux unitaires, ainsi qu’au niveau et à la structure des prélèvements fiscaux et sociaux, à la fiabilité et à la disponibilité des infrastructures et des services publics, etc.

2. Reconstruire en France un tissu industriel et soutenir les innovations de rupture

La politique industrielle française se concentre sur deux axes principaux :

- l’amélioration de l’attractivité du territoire par des mesures transversales (comme la baisse des impôts de production ou les réformes du marché du travail) ;

- le développement d’une politique industrielle spécifique pour les secteurs de rupture. 

La tendance à la désindustrialisation a commencé à s’infléchir grâce aux différentes mesures ayant permis de réinvestir progressivement dans le tissu productif à partir du programme d’investissement d’avenir lancé en 2010. À titre d’illustration, la Banque de France indiquait, dans une récente publication ([28]), que la dégradation de la compétitivité-coût de la France par rapport à l’Allemagne entre 2000 et 2010 a été entièrement corrigée entre 2010 et 2019. Le mouvement devrait être accéléré par le plan de relance, qui consacre 20 milliards d’euros à la baisse des impôts de production.

En outre, le plan France 2030, annoncé le 12 octobre 2021 par le Président de la République, vise à concentrer les investissements dans les technologies clés émergentes ou pour lesquelles la France a encore une carte à jouer.

Le plan France 2030

Présenté le 12 octobre 2021, le plan France 2030 vise, selon le Président de la République, à « bâtir la France de 2030 » et de « faire émerger dans notre pays et en Europe les champions de demain ». Ce plan se déclinera en 30 milliards d’euros investis, sur cinq ans, avec une dizaine d’« objets du quotidien », complétés par 4 milliards d’euros investis en fonds propres, à travers des prises de participation au capital d’entreprises en croissance.

Les crédits seront ventilés ainsi :

- 8 milliards d’euros seront ainsi consacrés à l’énergie et à la décarbonation (nucléaire, hydrogène, électrification de l’industrie),

- 4 milliards aux transports (batteries, avions bas carbone),

- 2 milliards au développement d’une « alimentation saine, durable et traçable » (dont 500 millions d’euros en fonds propres),

- 3 milliards dans le but de produire en France 20 biomédicaments (contre les cancers, les maladies chroniques) et pour créer les « dispositifs médicaux de demain »,

- 2 milliards pour la culture, le spatial et l’exploration des fonds marins,

- 1 milliard (ainsi que 500 millions en fonds propres) pour sécuriser l’accès aux matières premières stratégiques,

- 6 milliards dans les composants, notamment dans l’électronique et la robotique,

- 2,5 milliards dans la formation pour accompagner ces nouvelles filières industrielles,

- 5 milliards pour les start-up (2 milliards de subventions, 3 milliards de fonds propres).

Ce nouveau plan est le « troisième étage de la fusée », après les mesures d’urgence et le premier plan de relance de 2020, dont il est encore difficile de mesurer de façon rigoureuse les effets. Au-delà des chiffres, l’un des enjeux réside dans la gouvernance de ce plan. Faut-il un pilotage public ou privé ? Autonome ou sous la tutelle de l’administration ? L’ambition est « de faire émerger plus vite un certain nombre d’acteurs, mais aussi d’accepter la prise de risque et une part inhérente d’échec », explique l’Elysée, qui souhaite « faire travailler mieux ensemble » les laboratoires publics, les grands groupes privés et les jeunes pousses.

Une enveloppe de 3 à 4 milliards d’euros a déjà été prévue dans le projet de loi de finances pour 2022.

La réussite du plan France 2030 dépend cependant de la capacité à éviter certains écueils, comme l’évaluation insuffisante et seulement a posteriori des projets, la tentation du micromanagement par l’État et la multiplication des comités pilotés par l’administration. Dans un référé du 14 octobre 2021, la Cour des comptes a souligné que ni le programme d’investissements d’avenir lancé en 2010 ni le grand plan d’investissement, annoncé en 2017 par le Président de la République, M. Emmanuel Macron, n’avait fait l’objet d’une évaluation. Or, sans évaluation, comment tirer les enseignements des expériences passées ?

L’État doit non seulement contrôler l’usage des fonds publics en fin de projet, mais aussi s’assurer de l’efficacité de la recherche tout au long du processus, en coupant les financements lorsque projets font fausse route, et en les augmentant lorsqu’ils sont prometteurs, à l’instar de la Defense advanced research projects agency (DARPA), qui réévalue en continu les percées technologiques potentielles. Un équilibre doit être recherché entre l’État, qui doit fixer un cap, et la liberté des acteurs qui conduisent les projets.

Le Haut-Commissaire au plan propose, dans la note précitée, une méthode pour préciser la stratégie de reconquête de l’appareil productif. D’abord, il extrait une liste de postes ou produits présentant un déficit commercial de plus de 50 millions d’euros, en excluant d’office les hydrocarbures et les produits pour lesquels il paraît inopportun de constituer des capacités de productions nationales, comme le café. Il ajoute ensuite trois paramètres : l’existence d’une demande nationale pérenne ; l’existence de débouchés à l’export : l’existence d’atouts de production et d’innovation permettant le développement compétitif des activités industrielles dans le champ considéré (compétences techniques ou scientifiques, moyens de production spécifiques, tissu industriel, infrastructures…). Enfin, il précise opportunément que la provenance actuelle des produits importés, selon qu’il s’agit ou non de pays au modèle social et aux conditions socio-économiques et environnementales comparables aux nôtres, doit être examiné, car elle constitue un indice de la possibilité de renforcer une production nationale. Un taux d’auto-approvisionnement substantiel, qui pourrait être de 25 % peut constituer le signe d’une réelle capacité de production nationale, et constituer le socle sur lequel set opéré le renforcement de notre appareil productif.

Enfin, les aides publiques au secteur privé, qui sont appelées à augmenter dans le cadre de cette stratégie de restauration de la base industrielle, devraient être conditionnées à un objectif de localisation des usines en Europe.

3. Former les innovateurs de demain

Le développement d’une économie de l’innovation dépend de la capacité du pays à former les innovateurs de demain. De ce point de vue, la France est confrontée au problème spécifique de la baisse générale du niveau de formation, dans des domaines fondamentaux. En mathématiques, les résultats de l’enquête Timms (« Trends in International Mathematics and Science Study »), réalisée en mai 2019, classe la France au dernier rang des pays de l’Union européenne et à l’avant-dernier rang des pays de l’OCDE. En français, les chercheuses Danièle Manesse et Danièle Cogis ([29]) démontraient déjà, en 2007, que le niveau d’une classe de cinquième de 2005 était celui d’une classe de CM2 de 1987. Plus récemment, une étude de 2016 de la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) du ministère de l’éducation nationale soulignait la baisse constante du niveau d’orthographe des élèves, depuis trente ans.

La France se caractérise également par un système scolaire qui a tendance à figer, voire accroître, les inégalités, plutôt qu’à les réduire : par rapport aux pays de l’OCDE, les élèves les plus en difficultés sont davantage ségrégués en France et l’origine sociale pèse lourdement sur les trajectoires. Or, comme le démontrent les travaux de Xavier Jaravel, lauréat du prix du meilleur jeune économiste de France en 2021, les inégalités sont un frein à l’innovation : à performances scolaires égales, une personne a dix fois plus de chance d’exercer un métier dans un secteur innovant si elle est issue d’une famille figurant parmi les 10 % les plus aisées et vivant dans une grande métropole, plutôt que d’une famille dont les revenus sont inférieurs à la médiane.  L’économiste appelle donc à mobiliser des talents en amont, au moment où ils font leur choix professionnel, en ciblant notamment les quartiers de la politique de la ville, éloignés de ce type de carrières. Il convient également de conduire une politique de sensibilisation aux métiers de l’innovation, à travers des mentorats, via des ateliers dans les collèges et les lycées, ou grâce aux internats d’excellence.

Parallèlement, se pose la question de l’adaptation du système de formation à cette économie de l’innovation et de la pénurie de main-d’œuvre. Les données de Pôle emploi montrent que les métiers les plus en tension se situaient, avant la pandémie, principalement dans l’industrie, et plus spécifiquement dans les secteurs suivants : les dessinateurs en électronique, les techniciens en mécanique ou les ingénieurs en recherche et développement informatique. Par comparaison, en Allemagne, on observe moins de « décrocheurs » (8,6 % des 15-29 ans n’ont ni emploi, ni formation, ni contrat d’apprentissage, contre 14 % en France), et plus de scientifiques ou de techniciens spécialisés sont formés (tous secteurs confondus, 734 000 personnes travaillent en Allemagne dans la recherche et développement, contre 463 738 en France) ([30]).

Dans le domaine spécifique du numérique, la France a un tropisme pour les sciences fondamentales mais elle manque d’ingénieurs pour passer à l’échelle. Elle accuse un retard dans les savoir-faire numériques généraux et avancés, alors que la demande s’accroît. Elle manque notamment d’ingénieurs pour développer la couche logicielle, ce qui plaide pour la création d’une filière pour le développement applicatif.

En cohérence avec les préconisations du rapport d’information de l’Assemblée nationale sur la souveraineté numérique nationale et européenne ([31]), publié en juin 2021, vos rapporteurs considèrent que certains domaines de formation doivent être développés de façon prioritaire, au regard de leur haut potentiel, parmi lesquels : la cybersécurité, l’intelligence artificielle, la blockchain ([32]).

B. AccÉlÉrer les projets de reconquÊte technologique au niveau europÉen

1. Lutter contre le retour de la pénurie dans une société d’abondance

L’Union européenne souffre de sa dépendance dans deux domaines bien identifiés : les semi-conducteurs et certaines matières premières, dont l’approvisionnement est concentré dans des pays qui, soit ne produisent pas en quantité suffisante pour répondre à l’explosion de la demande attendue pour les besoins des transitions énergétique et numérique, soit ne partagent pas les mêmes intérêts stratégiques.

Pour répondre à la vulnérabilité européenne en matière de semi-conducteurs, le Commissaire européen Thierry Breton a très opportunément annoncé une initiative législative sur les semi-conducteurs. Celle-ci vise à doubler la production européenne, afin qu’elle passe de 10 % actuellement à 20 % de parts du marché mondial en 2030. Cette initiative devra reposer sur un équilibre entre la recherche de pointe, la résilience des chaînes d’approvisionnement, le renforcement des capacités de production, et les partenariats internationaux.

De même, la Commission a lancé, en 2020, l’alliance des matières premières, afin de réduire la dépendance de l’Europe à l’égard des matières premières non énergétiques utilisées dans les chaînes de valeur industrielles. Elle a vocation, dans un premier temps, à renforcer la résilience de chaîne de valeur des terres rares et des aimants, avant de s’ouvrir à d’autres domaines, en s’appuyant sur plusieurs axes : diversification de l’approvisionnement et partenariats internationaux, innovation, recyclage et économie circulaire.

Dans un contexte où l’accès aux matières premières critiques devient un enjeu géopolitique majeur, et où les conditions sociales et environnementales de l’extraction sont préoccupantes dans de nombreux pays, vos rapporteurs plaident pour :

- la constitution de stocks stratégiques, à l’instar de ce qui a été fait pour les vaccins ;

- l’approfondissement de l’exploration des ressources du sol européen et le renforcement de la recherche sur les conditions d’extraction, afin de développer en Europe des pratiques minières durables ;

- l’inclusion de critères sociaux et environnementaux parmi les critères d’évaluation des matières premières critiques ;

-  le renforcement de la recherche et développement sur les solutions de recyclage des matériaux, de réduction et de remplacement des matières premières critiques, dans le cadre d’une stratégie globale d’augmentation de l’efficacité et de la sobriété énergétiques.

2. Renforcer l’Europe scientifique

Dans la bataille technologique, l’Europe dispose de solides atouts, parmi lesquels figurent incontestablement ses chercheurs : l’Union occupe la première place en termes de densité de chercheurs (23,5 % des chercheurs mondiaux), comme de publications scientifiques (28,6 % en 2019, contre 24 % pour la Chine). Après le Brexit, le Royaume-Uni reste membre des principales agences, comme l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire (le CERN) et l’Agence spatiale européenne, et il envisage de négocier sa participation en tant qu’État tiers au programme européen pour la recherche et l’innovation « Horizon Europe ».

Dans ce contexte, la priorité est de conforter cette Europe scientifique. Ainsi, vos rapporteurs saluent l’ambition éducative de la Commission, qui vise à mettre en place, en 2025, un véritable enseignement supérieur européen, qui consisterait non seulement à intensifier la mobilité, mais également à créer un réseau d’universités où les étudiants pourront obtenir leur diplôme en validant un parcours de formation à l’échelle européenne.

3. Protéger les entreprises européennes en luttant contre la stratégie offensive d’investissements de la Chine

Dans un rapport du 9 septembre 2021, la Cour des comptes européennes a signalé la méconnaissance de l’importance des investissements chinois sur le sol européen, dans des secteurs aussi stratégiques que l’énergie, les télécoms, le ferroviaire ou les ports : entre 2010 et 2019, Pékin aurait investi 150 milliards d’euros en Europe. Pour la moitié des investissements actuels, il s’agit d’entreprises chinoises bénéficiant d’aides d’État.

Comme l’indique le rapport précité de la commission de affaires étrangères du Sénat sur le réveil européen dans un XXIe siècle chinois, cela passe par le recensement, le plus exact possible, des investissements et des prêts chinois réalisés en Europe et par l’actualisation régulière des risques qu’ils présentent. Il s’agit également d’encourager la Chine à appliquer les règles du Club de Paris, afin que les pays qui contactent des prêts auprès de ces banques ne se retrouvent pas dans une situation telle qu’on en vienne à qualifier les interventions chinoises de « piège de la dette ».

Seuls dix-huit États membre ont mis en place des mécanismes de filtrage des investissements étrangers ou de fixation de seuil. Au niveau européen, des progrès ont été faits grâce au mécanisme de filtrage des investissements étrangers, adopté au printemps 2019. Celui-ci oblige les États membres à signaler tout investissement étranger dans des technologies sensibles. C’est un progrès d’autant plus notable qu’il s’oppose au principe de libre circulation des capitaux, sur lequel est fondée l’Union.

Cependant, la réponse européenne reste dépendante des États membres, qui n’ont souvent ni les moyens ni la volonté de réagir, d’autant plus que les investissements chinois sont de moins en moins décelables : ils s’appuient davantage sur des fonds d’entreprises intermédiaires ou ils se limitent à des participations minoritaires.

Il conviendrait donc d’aller plus loin en instaurant, au niveau européen, un régime d’interdiction ou d’autorisation des investissements dans les secteurs critiques. Si l’instauration du mécanisme avait, à l’époque, fait l’objet de résistances très fortes de la part de pays comme la Grèce ou le Portugal, le contexte est désormais plus favorable : la vocation prédatrice des investissements chinois sur les technologies critiques est apparue si manifeste qu’elle tend à faire refluer l’influence chinoise, comme en témoigne la décision de la Lituanie, en 2021, de quitter le Forum 17+1 ([33]), initié par Pékin pour étendre son influence économique et politique en Europe orientale et centrale.

C. Faciliter l’accÈs des entreprises innovantes aux financements

1. Mobiliser davantage le levier de la commande publique

Les modèles américains et chinois de conquête d’une forme d’autonomie stratégique technologique maximale possèdent, au-delà de leurs différences profondes, deux points communs : d’une part, le recours à la puissance publique dans un rôle de sélection ou d’encouragement des acteurs numériques les plus prometteurs, via le levier de la commande publique ; d’autre part, la protection de leurs marchés dans certains secteurs stratégiques par l’éviction des entreprises des pays tiers. Ainsi, aux États-Unis, le Small Business Act, loi qui oriente une partie significative de la commande publique vers des PME innovantes, a eu un rôle majeur dans le développement technologique. Par exemple, la quasi-totalité des technologies fondamentales utilisées dans l’iPhone ont été développées avec des crédits fédéraux américains.

Comme l’ont souligné Jean-Luc Warsmann et Philippe Latombe dans le rapport précité, l’adoption d’un Buy European Act ou d’un Small Business Act à l’européenne paraît difficilement réalisable à court terme puisqu’une refonte du droit européen de la commande publique serait nécessaire, et soumis à un accord entre les États membres. Au surplus, ce dispositif nécessiterait une négociation avec l’Organisation mondiale du commerce (OMC), qui est l’instance pouvant accorder des dérogations aux règles du commerce international pour favoriser les entreprises nationales dans les marchés publics.

Le cadre juridique actuel offre cependant des marges de manœuvre, via plusieurs dérogations au principe d’égalité de traitement, notamment pour les marchés publics de défense ou pour les opérateurs de réseaux (eau, énergie, transports). En outre, le principe d’égalité de traitement n’a pas vocation à être respecté vis-à-vis des États non adhérents à l’accord sur les marchés publics de l’OMC, parmi lesquels figure la Chine.

Dans ce contexte, un groupe de réflexion sur l’évolution du cadre européen de la commande publique, qui fait aujourd’hui du prix le critère prépondérant de la commande publique, pourrait être utilement créé pour parvenir, à moyen terme, à l’adoption d’un Small Business Act européen.

Au niveau européen, vos rapporteurs appellent à : 

- étendre à certains secteurs stratégiques, comme le spatial et le numérique, le régime de préférence européenne existant dans les infrastructures ;

- modifier la directive relative aux marchés publics ([34]) pour rendre systématique la « clause environnementale » dans les marchés publics et inciter les pouvoirs adjudicateurs à retenir des critères cohérents avec le Pacte vert.

- mettre en place, à terme, un Small Business Act européen.

Dans cette même logique, il conviendrait, au niveau national, de privilégier, en matière de commande publique, le recours aux solutions d’acteurs technologiques européens, et de faire ainsi montre d’exemplarité.

 2. Développer les marchés de capitaux en Europe

Les marchés de capitaux européens pâtissent de leur fragmentation : il n’existe pas de marché unique des capitaux, mais 27 marchés et 27 régulateurs différents. Il n’existe ni équivalent européen du Nasdaq ([35]) ni fonds de pension pour financer les entreprises innovantes. En conséquence, les entreprises innovantes ont des difficultés à passer à l’échelle mondiale. Nombre d’entre elles sont rachetées par des investisseurs étrangers ou choisissent d’entrer en bourse aux États-Unis. Ainsi, Moderna, fondée par des médecins et des chercheurs français, a trouvé les capitaux nécessaires à son développement aux États-Unis. Par ailleurs, avec le Brexit, les Européens ont perdu leur principale place de marché, la « city » de Londres.

Au total, pour une licorne européenne (start-up valorisée à plus d’un milliard de dollars), il en existe quatre chinoises et huit américaines. Dans les « biotech », les Américains avaient, en 2019, 8,6 fois plus d’entreprises qu’en Europe, et près de 9 fois plus d’entreprises dans les industries du software et du numérique.

Même sans copier le modèle américain de financement individuel de protection sociale, il existe une marge de progression pour les marchés de capitaux en Europe. Selon une note de l’assureur-crédit Euler Hermes du 29 avril 2021, le surcroît d’épargne des Européens en 2020 est de 450 milliards d’euros, soit environ 4 % du produit intérieur brut (PIB).

Une véritable union des marchés de capitaux permettrait, par la titrisation des créances notamment, un allégement du bilan des banques, ce qui leur permettrait de prendre de nouveaux risques. Dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne, il convient de donner une véritable impulsion politique pour accélérer l’Union des marchés de capitaux, afin de faciliter le financement de l’économie européenne.

3. Préserver la capacité des banques à financer les entreprises en croissance

En l’absence d’une véritable union des marchés de capitaux, le secteur bancaire européen représente 80 % des sources de financement de l’économie réelle. Or les réglementations européennes ne favorisent pas l’investissement à risque. À cet égard, il conviendra d’être particulièrement vigilant à la transposition du dernier volet de l’accord de Bâle III, approuvé par 28 pays en 2017, et qui vise à tirer les enseignements de la crise financière de 2018 en durcissant les règles de crédit aux petites entreprises. Le texte risque de fragiliser la compétitivité du secteur bancaire européen, ainsi que le financement des PME, en imposant un plancher en capital trop contraignant pour leurs opérations d’investissements.

La Commission a présenté, le 27 octobre 2021, un projet de réglementation transposant le dernier volet de Bâle III, marqué par une volonté de ne pas imposer de contraintes trop fortes ou trop rapides aux banques européennes. Au total, cette proposition devrait permettre de limiter à moins de 9 % la hausse du niveau de fonds propres, exigé à compter de 2030.

Il convient de veiller à ce que la transposition de la réglementation de Bâle III ne bride pas la capacité des banques à financer les entreprises en croissance, en leur imposant une obligation de capitaux en fonds propres trop importante, et qu’elle n’engendre pas des distorsions de concurrence avec les banques anglo-saxonnes.


III. Le numÉrique et le spatial : deux secteurs dÉcisifs pour la capacitÉ d’action de l’Union

S’agissant du numérique et du spatial, qui conditionnent la capacité de l’Union à agir de façon autonome, deux rapports de notre commission font ou feront référence : celui de Mme Marion Lenne et de M. Alain David sur les géants du numérique, présenté en juin 2021, et celui à venir de M. Pierre Cabaré et de M. Jean-Paul Lecoq sur l’espace, qui sera présenté début février 2022. Vos rapporteurs tiennent cependant à rappeler les grands enjeux de ces secteurs, à la veille de la présidence française de l’Union européenne. De nombreux autres rapports parlementaires ont été récemment publiés sur le sujet, parmi lesquels le rapport déjà mentionné des députés Jean-Luc Warsmann et Philippe Latombe sur la souveraineté numérique nationale et européenne, et le rapport d’information de la députée Christine Hennion sur le Digital Market Act[36].

A. Faire de l’Union europÉenne une puissance numÉrique autonome

1. La « colonisation technologique »

Le numérique est sans doute le secteur où la dépendance européenne vis-à-vis des technologies américaines est la plus évidente. Or cette dépendance dépasse largement le champ technologique et économique : elle remet également en question les libertés individuelles, le bon fonctionnement de nos démocraties, la souveraineté et la puissance des États. La journaliste philippine Maria Ressa, prix Nobel de la paix, parle ainsi d’« autoritarisme numérique » pour dénoncer le lien entre maîtrise des outils numériques et renforcement du pouvoir. Certains observateurs parlent même de « colonisation technologique » pour dénoncer la façon dont les géants du numérique exportent leurs valeurs et procèdent à une « accumulation primitive des données »[37] pour asseoir leur domination.

Au niveau européen, l’enjeu est donc de créer une voie européenne du numérique, en créant des champions européens dans des domaines où le retard est rattrapable et où les technologies sont encore émergentes, ou en « européanisant » les géants, essentiellement américains.  C’est le sens de deux projets d’importance majeure conduits par la Commission européenne : le développement d’une offre de cloud européenne, et la régulation des géants du numérique.

2. Développer une offre cloud européenne

Le cloud désigne la livraison de ressources et de services à la demande par internet et plus spécifiquement le stockage et l’accès aux données directement sur Internet, sans passer par un ordinateur ou un disque dur. Le secteur est dominé par trois acteurs américains (Amazon, Microsoft et Google), qui disposent de 70 % des parts de marchés, et qui imposent leurs technologies et leurs règles du jeu.

La Commission européenne entend soutenir l’élaboration de systèmes technologiques et d’infrastructures de nouvelle génération, notamment via l’élaboration d’un cloud européen souverain, qui s’appuierait sur le projet franco-allemand Gaia-X. Cependant, ce projet se heurte à des difficultés, notamment des désaccords stratégiques entre les membres, des retards et l’ouverture à des entreprises non européennes, certains acteurs considérant leurs services comme incontournables.

Le projet Gaia-X :
un projet d’infrastructure européen de données …ouvert aux acteurs non européens

Issu d’une initiative franco-allemande présentée en octobre 2019, le projet Gaia-X a pris forme, l’année suivante, comme projet de cloud européen, visant à renforcer la souveraineté numérique européenne, face à la concurrence américaine et chinoise. À la date du sommet européen des 18 et 19 novembre 2020, 180 entreprises avaient rejoint l’initiative, d’abord lancée par 22 entreprises françaises et allemandes telles qu’Orange, Safran, Siemens ou Bosch.

Le projet prévoit la création d’une infrastructure de données fiable pour tous les Européens. Selon le ministre de l’économie et des finances, Bruno Le Maire, ce projet doit permettre à l’Union européenne de promouvoir une nouvelle culture de la gestion des données d’entreprise, s’appuyant sur les principes d’ouverture, d’interopérabilité, de transparence et de confiance. Toutes les entreprises adhérentes doivent se conformer à plusieurs règles : déclaration du lieu et de l’utilisation des données dont elles disposent, facilitation des échanges entre services de cloud, garantie d’une interopérabilité entre les services, protection et garantie de la souveraineté des données.

En vue du lancement initialement prévu pour 2021, le binôme franco-allemand constitué par OVHcloud et T-Systems (Deutsche Telekom) doit créer une plateforme qui sera la base du lancement de futurs prototypes. Des « hubs » nationaux doivent être mis en place dans plusieurs pays, en plus de la France et de l’Allemagne (Suède, Luxembourg, Italie, Belgique, Pays-Bas, Slovénie et Finlande). Le « hub » français est piloté par le Club informatique des grandes entreprises françaises (CIGREF), association à but non lucratif qui réunit des grandes entreprises et administrations publiques françaises.

Fin mars 2021, le projet a été ouvert à des entreprises américaines et chinoises : Microsoft, Google, Huawei, Alibaba ont intégré Gaia-X. Si les sociétés non européennes ne peuvent pas intégrer le conseil d’administration de l’association, elles sont intégrées aux comités techniques où sont discutées les règles s’appliquant aux futurs clouds européens. Cette décision peut s’expliquer par l’utilisation massive des services américains par les entreprises européennes.

Vos rapporteurs reprennent à leur compte les propositions issues des travaux parlementaires de Marion Lenne et Alain David, ainsi que de ceux de Jean-Luc Warsmann et Philippe Latombe :

- développer une offre cloud européenne respectant les valeurs du modèle européen ;

- garantir, au sein de Gaia-X, une gouvernance et une conduite de projets conformes aux ambitions exprimées par ses membres fondateurs, afin d’éviter que cette initiative ne devienne un instrument au service de la croissance d’acteurs déjà dominants ;

- plaider, au niveau européen, pour une certification cloud intégrant le principe selon lequel l’hébergeur ne doit pas être soumis à des lois extraterritoriales.

3. Réguler les géants du numérique

Lors de son discours d’investiture en 2019, la nouvelle présidente de la Commission européenne indiquait sa volonté que l’Union européenne encadre les grandes plateformes de l’Internet pour défendre ses intérêts, ses valeurs, et protéger ses marchés. Tel est l’enjeu des deux propositions de règlements, présentées par la Commission le 15 décembre 2020, qui seront l’une des priorités de la présidence française de l’Union européenne : le Digital Service Act (DSA), chargé de réguler les contenus et le Digital Market Act (DMA), fondé sur la politique du marché intérieur et chargé de corriger les déséquilibres dans les marchés numériques, dominés par des acteurs systémiques appelés « contrôleurs d’accès » (gatekeepers).

Il convient de saluer l’ambition de ces deux propositions réglementaires, tout en soulignant le risque majeur que la règle de l’unanimité et le lobbying des GAFAM font peser sur leur portée. Dans le cadre des négociations, il importera de :

- créer une obligation d’interopérabilité pour les grandes plateformes et introduire l’objectif de liberté de choix pour l’utilisateur final ;

- garantir une véritable transparence des services numériques, en imposant aux éditeurs de logiciels d’indiquer clairement où et chez qui sont hébergées les données des utilisateurs, et si elles sont soumises à des législations extraterritoriales.

4. La cyberdéfense, une composante vitale de l’autonomie européenne

Le cyberespace est devenu un terrain de « guerres invisibles », qui menacent les États, les acteurs économiques et nos systèmes démocratiques. Deux types de menaces explosent : les attaques criminelles (« rançomwares » qui touchent les hôpitaux, les collectivités, les entreprises…) et l’espionnage des États, pour des raisons tant sécuritaires qu’économiques.

Dans ce contexte, les États-Unis ont élaboré une stratégie de riposte qui commence à avoir un impact significatif (désignations de l’origine des attaques, contre-attaques cyber, saisies des rançons…). Or les États-Unis ne comptent pas étendre leur parapluie cyber aux alliés. Il est donc probable que les groupes cybercriminels réduisent leurs attaques contre les États-Unis, pour se concentrer sur le maillon faible : l’Union européenne.

La prise de conscience de la menace est forte au niveau national, mais reste fragile au niveau européen. Les États membres sont réticents à coopérer dans ce domaine, qui relève d’abord des politiques nationales. Pour autant, une réponse conjointe, coordonnée au niveau européen, est nécessaire, car nous sommes confrontés à la même menace. En juin 2021, l’Union européenne a annoncé la création prochaine d’une Unité conjointe de cybersécurité, dont l’objectif sera d’aider les États membres à lutter contre ces attaques de plus en plus fréquentes et sophistiquées. Son rôle sera d’assurer une préparation à grande échelle et une réaction coordonnée de l’Union face aux incidents et crises de cybersécurité, ainsi que de promouvoir une meilleure connaissance de la situation en la matière.

Dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne, il conviendra de donner une vraie impulsion politique à la coopération en matière de cyberdéfense, en élaborant une doctrine de cyberdissuasion et en accélérant la mise en place de l’unité conjointe de cybersécurité.

B. Garantir un accÈs autonome À l’espace

1. Une perte de compétitivité inquiétante du spatial européen

L’accès à l’espace conditionne le fonctionnement de notre économie et de notre société au quotidien, l’industrie du futur, le besoin de connaissance et d’exploration. Il est également indispensable pour la défense et la sécurité européenne. Or le spatial européen est confronté aux contraintes suivantes :

- l’émergence du « new space » américain, fondé sur l’alliance de la commande publique et de l’innovation de rupture du secteur privé ;

- la faiblesse du budget européen consacré à l’espace, malgré une hausse des moyens (mais moindre qu’espérée) dans le nouveau cadre financier pluriannuel ;

la faiblesse de la demande institutionnelle : les commandes institutionnelles représentent environ 34 % des lancements européens, contre 73 % aux États-Unis ;

- la règle du juste retour géographique applicable aux programmes mis en œuvre par l’Agence spatiale européenne : un euro donné par un État doit revenir à son industrie, ce qui aboutit à un éclatement de la chaîne de production, là où l’américain Space X produit de façon intégrée ;

- l’absence de réciprocité : tous les marchés institutionnels du monde sont captifs. Seule l’Europe autorise ses États à ne pas utiliser uniquement des lanceurs développés par son industrie ;

- la concurrence intra-européenne, que l’on observe aujourd’hui notamment dans le domaine des microlanceurs.

2. Rester dans la course du spatial

Afin que l’Europe reste dans la course du spatial, plusieurs initiatives majeures ont été annoncées par le commissaire européen Thierry Breton, notamment l’alliance des lanceurs et le déploiement d’une constellation européenne de satellites en orbite basse.

Dans ce contexte, vos rapporteurs formulent les recommandations suivantes :  

- accélérer le déploiement d’une constellation européenne de satellites en orbite basse ;

- miser sur le lanceur réutilisable, qui deviendra probablement le nouveau standard technologique à moyen terme ;

- assouplir la règle du juste retour ;

- instaurer un principe de préférence européenne pour les lanceurs ;

- augmenter le volume réel de la demande institutionnelle ;

- Créer un « Airbus » des lanceurs ;

- ne pas créer de concurrence intraeuropéenne.

 

 


    

   ConClusion

 

La conversion stratégique de l’Union européenne va-t-elle réussir ? Les Européens sauront-ils passer du verbe à l’action ? Il faudra surmonter les divergences entre les États membres et les obstacles liés à la complexité des chantiers eux-mêmes, mais la charge de la preuve est désormais inversée : c’est aux partisans du statu quo de démontrer qu’il est pertinent de ne rien faire. Pour y parvenir, l’Union européenne peut s’appuyer sur ses principaux atouts : les normes, ses chercheurs et son marché.

La présidence française de l’Union européenne arrive dans ce moment clé de prise de conscience stratégique européenne. Pourvu qu’elle fasse preuve de persévérance, d’humilité, de justesse dans le choix des mots, la France peut se saisir de ce momentum pour progresser sur les chantiers prioritaires, en s’inspirant, dans les négociations, des mots du poète Henri Michaux, « Ne désespérez jamais. Faites infuser davantage » ([38]), ou encore ceux de Georges Bernanos : « L’espérance est un risque à courir » ([39])s !

 



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synthèse des propositions principales

I. Renforcer la capacitÉ de dÉcision et d’action de l’Union europÉEnne

 

1. Étendre le champ du vote à la majorité qualifiée, en particulier dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité commune ;

 

2. Recourir aux coopérations renforcées sur certains projets concrets de l’autonomie stratégique européenne, comme la cyberdéfense ;

 

3. Doter l’Union européenne d’une capacité massive d’investissement sur le long terme, en pérennisant l’instrument de dettes communes, et en rendant les règles du pacte de stabilité et de croissance compatibles avec les investissements d’avenir.

 

II. RÉduire les dÉpendances critiques par l’innovation, la rÉindustrialisation et la rÉgulation

 

4. Améliorer l’analyse des dépendance en adoptant, au niveau européen, une liste commune de technologies critiques pour l’ensemble des États-membres ;

 

5. Conditionner l’accès au marché européen au respect des priorités politiques européennes en instaurant un mécanisme d’ajustement carbone ambitieux et en rendant les accords de libre-échange compatibles avec les priorités climatiques et environnementales de l’Union ;

 

6. Réguler au plus vite les secteurs de rupture, comme la 5G, les batteries, l’hydrogène ou la technologie quantique pour imposer les priorités politiques européennes, notamment en matière environnementale ;

 

7. Lever les freins au développement des entreprises européennes en créant un Nasdaq[40] européen et un code européen des affaires ;

 

8. Créer une « DARPA »[41] européenne ;

 

9. Accélérer les projets de reconquête technologique en renforçant les moyens mis en œuvre dans le cadre des Projets importants d’intérêt européen commun et en prévoyant des calendriers ambitieux de déploiement ;

 

10. Mobiliser le levier de la commande publique en instaurant une véritable préférence européenne dans certains secteurs stratégiques, comme le spatial et le numérique, et en rendant systématique la « clause environnementale » dans les marchés publics ;

 

11. Adopter, dans les meilleurs délais, un Small Business Act européen.

 

III. Prévenir les ingÉrences des pays tiers

 

12. Instaurer un régime européen d’interdiction ou d’autorisation des investissements des États tiers dans les secteurs critiques ;

13. Adopter un instrument anti-coercition ambitieux, en prévoyant un panel de contre-mesures, comme la restriction de l’accès au marché européen, l’exclusion de certains programmes européens ou l’application de sanctions extraterritoriales ;

 

14. Donner une vraie impulsion politique à la coopération en matière de cyberdéfense en élaborant une doctrine de cyberdissuasion et en accélérant la mise en place de l’unité conjointe de cybersécurité.



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LISTE des propositions

Renforcer la capacitÉ de dÉcision et d’action de l’Union europÉEnne

 

     Étendre le champ du vote à la majorité qualifiée, en particulier dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité commune ;

     Recourir aux coopérations renforcées sur certains projets concrets de l’autonomie stratégique européenne, comme la cyberdéfense ;

     Doter l’Union européenne d’une capacité massive d’investissement sur le long terme, en pérennisant l’instrument de dettes communes, et en rendant les règles du pacte de stabilité et de croissance compatibles avec les investissements d’avenir.

Faire de la politique commerciale une arme stratÉgique

   

     Réviser les accords de libre-échange :

 

- Faire du respect de l’Accord de Paris une clause essentielle des accords ;

- Prévoir et appliquer des sanctions lorsque les chapitres relatifs au développement durable ne sont pas respectés ;

- Conditionner l’accès au marché européen à l’utilisation de modes de transports propres pour les marchandises ;

- Introduire des clauses miroirs, pour que les produits agricoles importés respectent les mêmes normes que celles imposées aux producteurs de l’Union ;

 

     Dans le cadre de la Présidence française de l’Union européenne, accélérer les négociations sur le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières et le règlement visant à lutter contre les subventions déloyales des pays tiers, en veillant à garder un haut niveau d’ambition pour ces deux instruments ;

 

     Veiller à ce que les négociations sur l’instrument visant à renforcer la réciprocité dans l’accès aux marchés publics internationaux aboutissent sur un accord ambitieux, en limitant au maximum les exceptions, et en réduisant les seuils des montants de contrats à partir duquel l’instrument s’appliquerait ;

 

     Adopter un instrument anti-coercition ambitieux, en prévoyant notamment un panel de contre-mesures, comme la restriction de l’accès au marché européen, l’exclusion de certains programmes européens ou l’application de sanctions extraterritoriales ;

 

     Veiller à ce que le règlement européen sur les batteries en négociation tienne compte non seulement des objectifs européens de décarbonation en imposant les mêmes obligations environnementales à l’égard des batteries importées, mais aussi de l’objectif de rattrapage du retard européen dans le domaine de la production de batteries en Europe.

Mieux articuler droit de la concurrence et politique industrielle

 

     Dans le cadre d’un projet de fusion, étudier l’état de la concurrence à l’échelle mondiale, et non à l’échelle européenne.

 

     Donner la possibilité au Conseil européen de « casser » une décision de la Commission en matière de concurrence.

Élaborer, dÉfendre et diffuser les normes europÉennes

 

     Renforcer la présence de l’Union européenne dans les instances internationales de normalisation, en augmentant les moyens financiers et humains qui lui sont dévolus ;

 

     Réguler au plus vite les secteurs de rupture, comme la 5G, les batteries, l’hydrogène ou la technologie quantique.

Faire de l’Union europÉenne une puissance d’innovation

 

     Sécuriser l’approvisionnement en matières premières critiques :

- Constituer des stocks stratégiques ;

- Approfondir l’exploration des ressources du sol européen et renforcer la recherche sur les conditions d’extraction afin de développer en Europe des pratiques minières durables ;

- Inclure des critères sociaux et environnementaux dans la méthode d’évaluation de la criticité des matières premières ;

-  Renforcer la recherche sur les solutions de recyclage, de réduction et de remplacement des matières premières critiques, dans le cadre d’une stratégie globale d’augmentation de l’efficacité et de sobriété énergétique ;

 

     Améliorer l’analyse des dépendances en adoptant, au niveau européen, une liste commune de technologies critiques pour l’ensemble des États membres ;

 

     Accélérer les projets de reconquête technologique :

- Renforcer les moyens mis en œuvre dans le cadre des Projets importants d’intérêt européen commun en permettant leur financement par le budget européen et en adoptant des calendriers ambitieux de déploiement ;

- Créer au plus vite de nouveaux Projets importants d’intérêt européen commun dans le cloud, la santé et l’hydrogène ;

- Créer, au sein du Conseil européen de l’innovation, une agence spécialisée, équivalente de la DARPA américaine, qui aurait des objectifs plus clairement consacrés à l’innovation de rupture et un fonctionnement intergouvernemental permettant une ouverture au Royaume-Uni et à certains États membres de l’Espace économique européen proches de la « frontière technologique ».

 

     Mobiliser davantage le levier de la commande publique :

- Étendre à certains secteurs stratégiques, comme le spatial et le numérique, le régime de préférence européenne existant dans les infrastructures ;

- Modifier la directive relative aux marchés publics pour rendre systématique la « clause environnementale » dans les marchés publics et inciter les pouvoirs adjudicateurs à retenir des critères cohérents avec le Pacte vert ;

- Créer un groupe de réflexion sur l’évolution du cadre européen de la commande publique, pour parvenir, à moyen terme, à l’adoption d’un Small Business Act européen ;

 

     Lever les freins au développement des entreprises européennes :

- Dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne, donner une véritable impulsion politique pour accélérer l’Union des marchés de capitaux et favoriser l’émergence d’un Nasdaq européen ;

- Veiller à ce que la transposition par l’Union de l’accord international de « Bâle III »[42] ne bride pas la capacité des banques européennes à financer les entreprises en croissance, en leur imposant une obligation de capitaux en fonds propres trop importante. Il convient d’éviter de créer des distorsions de concurrence avec les banques anglo-saxonnes ;

- Instaurer un code européen des affaires ;

- Harmoniser le marché européen, notamment dans le secteur du numérique et de la santé ;

 

     Défendre et protéger les entreprises stratégiques européennes :

- Recenser le plus exactement possible les investissements et les prêts chinois réalisés en Europe et actualiser régulièrement les risques qu’ils présentent ;

- Instaurer un régime européen d’interdiction ou d’autorisation des investissements des États tiers dans les secteurs critiques.

Faire de l’Union europÉenne une puissance numÉrique autonome

 

     Développer une offre cloud européenne respectant les valeurs du modèle européen :

- Garantir, au sein du cloud européen Gaia-X, une gouvernance et une conduite de projets conformes aux ambitions exprimées par ses membres fondateurs afin d’éviter que cette initiative ne devienne un instrument au service de la croissance d’acteurs déjà dominants ;

- Plaider pour une certification cloud intégrant le principe selon lequel l’hébergeur ne doit pas être soumis à des lois extraterritoriales ;

 

     Réguler les géants du numérique :

- Créer une obligation d’interopérabilité pour les grandes plateformes et introduire l’objectif de liberté de choix pour l’utilisateur final ;

- Garantir une véritable transparence des services numériques, en imposant aux éditeurs de logiciels d’indiquer clairement où et chez qui sont hébergées les données des utilisateurs, et si elles sont soumises à des législations extraterritoriales ;

 

     Soutenir la réalisation du projet de recherche européen sur la 6G Hexa-X et de toutes les autres initiatives favorisant l’émergence d’acteurs européens dans le domaine de la 6G, afin de réduire la dépendance aux grands équipementiers non européens ;

 

     Dans le cadre de la Présidence française de l’Union européenne, donner une vraie impulsion politique à la coopération en matière de cyberdéfense en élaborant une doctrine de cyberdissuasion et en accélérant la mise en place de l’unité conjointe de cybersécurité.

Garantir un accès autonome à l’espace

 

     Accélérer le déploiement d’une constellation européenne de satellites en orbite basse ;

 

     Accompagner le développement du lanceur réutilisable, qui deviendra probablement le nouveau standard technologique à moyen terme ;

 

     Assouplir la règle du juste retour ;

 

     Instaurer un principe de préférence européenne pour les lanceurs ;

 

     Créer un « Airbus » des lanceurs ;

 

     Augmenter le volume réel de la demande institutionnelle ;

 

     Ne pas créer de concurrence intra-européenne, notamment dans le domaine des micro-lanceurs ;

reconstruire en France une base industrielle et former les innovateurs de demain

 

     Doter le plan France 2030 d’une gouvernance efficace, s’appuyant sur un équilibre entre impulsion publique et liberté des acteurs, ainsi que sur une évaluation en continu des projets ;

 

     Conditionner les aides publiques au secteur privé à un objectif de localisation des usines en Europe ;

 

     Adapter le système de formation à l’économie de l’innovation, en développant de façon prioritaire certains domaines de formation en raison de leur haut potentiel : la cybersécurité, l’intelligence artificielle, la blockchain, le développement applicatif ;

 

     Privilégier, en matière de commande publique, le recours aux solutions d’acteurs technologiques européens, et faire ainsi montre d’exemplarité.

 

 

 


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   TRAVAUX DE LA COMMISSION

 

Au cours de sa séance du mercredi 15 décembre 2021, la commission examine le présent rapport.

L’enregistrement de cette séance est accessible sur le portail vidéo de l’Assemblée nationale à l’adresse suivante :

https://assnat.fr/HFu31i

La commission autorise le dépôt du rapport d’information sur le sujet de l’autonomie stratégique de l’Union européenne, en vue de sa publication.

 



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   annexe n° 1 :
Liste des personnes auditionnées par les rapporteurs

Think tanks, ONG et associations :

    M. Yves Bertoncini, président du Mouvement européen ;

    Prof. Dr. Frank Baasner, directeur de l’Institut franco-allemand de Ludwigsburg ;

    Centre Énergie de l’Institut Jacques Delors : MM. Thomas Pellerin-Carlin, directeur, et Phuc Vinh Nguyen, chercheur sur les politiques de l’énergie.

    M. Sébastien Abis, directeur du club Demeter, chercheur à l’Iris.

 

Parlementaires :

    M. Jean-Louis Bourlanges, ancien président de la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures et de la commission du contrôle budgétaire du Parlement européen, président de la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale ;

    M. Cédric Villani, député, mathématicien ;

    M. Philippe Latombe, député.

 

Parlement européen :

    M. François-Xavier Bellamy (FR-PPE), député européen, membre de la commission de l’industrie, de la recherche et de l’énergie.

    M. Christophe Grudler, député européen (groupe Renew Europe), rapporteur au nom de son groupe sur la communication de la Commission du 10 février 2020 « Une nouvelle stratégie industrielle pour l’Europe ».

 

Économistes :

    M. Nicolas Bouzou, économiste et essayiste, directeur du cabinet de conseil Asterès ;

    M. Xavier Jaravel, lauréat 2021 du prix du meilleur jeune économiste ;

    Mme Sarah Guillou, directrice du département Innovation et Concurrence de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).

 

Ministère de l’Europe et des affaires étrangères :

    M. Hubert Védrine, ancien ministre des affaires étrangères ;

    M. Pierre Vimont, ambassadeur de France, ancien Secrétaire général exécutif du Service européen pour l’action extérieure (SEAE) ;

    Mme Catherine Colonna, ambassadrice de France au Royaume-Uni ;

    S.E.M. Philippe Léglise-Costa, représentant permanent de la France auprès des institutions européennes.

 

Ministère de l’économie, des finances et de la relance :

    M. Joffrey Celestin-Urbain, chef du Service de l’information stratégique et de la sécurité économiques (SISSE), Direction générale des entreprises ;

    Emmanuel Massé, Chef des services économiques régionaux Royaume-Uni et Irlande.

 

Commission européenne, direction générale de la concurrence :

    M. Olivier Guersent, directeur général.

 

Industriels :

    Dassault Systèmes : Mme Florence Verzelen, directrice générale adjointe industrie, marketing, développement durable ;

    Preligens : M. Arnaud Guérin, président, et Mme Eve Arakelian, vice-présidente marketing et relations publiques ;

    ASML : M. Christophe Fouquet, membre du directoire d’ASML, responsable de la branche « Extrême ultraviolet » ;

    Tixeo : M. Renaud Ghia, président, M. Sébastien Jeanjean, directeur général et M. Olivier Azan, responsable marketing & communication ;

    Thales : M. Marko Erman, directeur scientifique ;

    ATOS : M. Elie Girard, directeur général ;

    OVH Cloud : M. Michel Paulin, directeur général et Mme Anne Duboscq, directrice des affaires publiques ;

    Arianespace : M. Stéphane Israël, président-directeur général.

 

Administrations :

    M. Bruno Sportisse, président directeur général de l’Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (INRIA) ;

    M. Guillaume Poupard, directeur général de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI).

 

Organisations professionnelles :

    Fédération bancaire française : M. Étienne Barel, directeur général délégué ; M. Bertrand Lussigny, directeur du département Supervision bancaire et comptable ; M. Adrien Van De Walle, chargé des relations institutionnelles.


([1]) L’autonomie stratégique, cet obscur objet du désir, par Frédéric Mauro, Analyse #13 de l’IRIS, octobre 2021.

([2])  « Guerres invisibles, Nos prochains défis géopolitiques », Thomas Gomart, janvier 2021.

([3])  « L’Europe doit apprendre à parler le langage de la puissance », discours d’Ursula van der Leyen à l’occasion du trentième anniversaire de la chute du Mur de Berlin, 1er novembre 2019.

([4]) On peut citer notamment :le rapport d’information de la commission des affaires étrangères du Sénat de juillet 2019 sur le défi de l’autonomie stratégique, présenté par M. Ronan Le Gleut et Mme Hélène Conway-Mouret ; le rapport d’information de la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale de mars 2021 sur l’avenir de la politique industrielle, présenté par MM Patrice Anato et Michel Herbillon ; le rapport d’information de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale de juin 2021 sur les géants du numérique, présenté par M. Alain David et Mme Marion Lenne ; le rapport d’information de la Conférence des présidents de l’Assemblée nationale sur le thème « Bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne » de juin 2021, présenté par M. Jean-Luc Warsmann, président, et M. Philippe Latombe, rapporteur ; le rapport d’information de la commission des affaires étrangères du Sénat de septembre 2021, « La France peut-elle contribuer au réveil européen dans un XXIe siècle chinois ? », présenté par Mme Gisèle Jourda et MM. Pascal Allizard, Édouard Courtial, André Gattolin et Jean-Noël Guérini. Parmi les travaux en cours, on peut citer le rapport de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale sur l’espace, qui sera présenté début 2022 par MM. Pierre Cabaré et Jean-Paul Lecoq.

([5])  « [L’OTAN] anesthésie notre goût de l’indépendance nationale. Elle nous émascule. », C’était de Gaulle, Alain Peyrefitte, 1994

([6])  Ibid.

([7])  « Je veux que l’Europe soit européenne, c’est-à-dire qu’elle ne soit pas américaine », « L’Angleterre n’est plus qu’un satellite des Etats-Unis. Si elle entrait dans le marché commun, elle ne serait que le cheval de Troie des Américains. Cela voudrait dire que l’Europe renonce à l’indépendance. », Ibid.

([8])  « Nous devons garder les mains libres. Or, c’est justement ce que les Américains veulent éviter. Ils ne veulent pas que leurs alliés disposent d’une indépendance stratégique, et donc politique », Ibid.

([9])  Ibid.

([10])  Tribune d’Annegret Kramp-Karrenbauer publiée par Politico, 2 novembre 2020.

([11])  « L’Europe veut d’abord assurer son autonomie stratégique », interview d’Alice Pannier, titulaire de la chaire Géopolitique des technologies, créée en 2020 à l’Institut français des relations internationales (Ifri), parue dans L’Usine nouvelle, le 4 novembre 2021.

([12])  Yves Bertoncini, Relocaliser en France avec l’Europe, étude de la Fondapol, septembre 2020.

([13])  Ibid

([14])  Rapport d’information déposé par la commission des affaires européennes sur l’avenir de la politique industrielle européenne et présentent par MM. Patrice Anato et Michel Herbillon, le 25 mars 2021.

([15])  Bataille technologique : l’étrange défaite de l’Europe, Les Échos, tribune d’André Loesekrug-Pietri, 19 octobre 2021.

([16])  Les terres rares regroupent dix-sept métaux indispensables au fonctionnement des batteries électriques, des éoliennes, des ordinateurs et des smartphones, ou encore des équipements militaires.

([17]) Le cloud désigne la livraison de ressources et de services à la demande par internet et plus spécifiquement le stockage et l’accès aux données directement sur Internet, sans passer par un ordinateur ou un disque dur.

([18])  Les dépendances européennes en matière numérique sont détaillées dans le rapport d’information de M. Philippe Latombe fait au nom de la mission d’information de la Conférence des présidents de l’Assemblée nationale sur le thème « Bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne », 29 juin 2021.

([19])  Cour des comptes européennes, document d’analyse n° 03/2020 : « La réponse de l’UE à la stratégie d’investissement étatique de la Chine », 10 septembre 2020.

([20])  La théorie quantique est une théorie physique née au début du XXe siècle grâce aux travaux de M. Planck, A. Einstein et N. Bohr, et traitant du comportement des objets physiques au niveau microscopique (atome, noyau, particules). L’ordinateur quantique permet de réaliser des calculs quantiques, en se basant sur les propriétés de la physique quantique.

([21])  Elie Cohen, La nouvelle politique industrielle européenne, Telos, 5 octobre 2021. https://www.telos-eu.com/fr/economie/la-nouvelle-politique-industrielle-europeenne.html

([22])  Amazon s’est vue toutefois infliger, le 31 juillet 2021, une sanction financière de 746 millions d’euros, un montant bien supérieur à celles qui avaient été précédemment prononcées pour ce type d’infraction au RGPD.

([23])  « Une politique commerciale ouverte, durable et volontariste », communication de la Commission européenne, 18 février 2021.

([24])  Sanctions extraterritoriales américaines : vous avez dit autonomie stratégique européenne ? Institut Jacques Delors, mars 2021.

([25])  Rapport d’information de la commission des affaires étrangères du Sénat de septembre 2021, « La France peut-elle contribuer au réveil européen dans un XXIe siècle chinois ? », présenté par Mme Gisèle Jourda et MM. Pascal Allizard, Édouard Courtial, André Gattolin et Jean-Noël Guérini

([26])  Eurostat, chiffres 2018 (https://ec.europa.eu/eurostat/documents/3217494/10164473/KS-EI-19-001-FR_N.pdf/aef66e0b-f5fe-c4e1-67ac-3c3f01a44384).

([27])  Source : projet de loi de finances pour 2021.

([28])  Bulletin de la Banque de France n° 235, article 6 : « Quel bilan de la compétitivité prix et coût dans les exportations de la France depuis le début des années 2000 ? », publié le 24 juin 2021.

([29])  Orthographe : à qui la faute ?, Danièle Manesse et Danièle Cogis, ESF, 2007.

([30])  Données Eurostat

([31])  Rapport d’information de juin 2021 sur le thème « Bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne », présenté par M. Jean-Luc Warsmann, président, et M. Philippe Latombe, député.

([32])  La blockchain (en français « les chaînes de blocs ») est une technologie de stockage et de transmission d’informations sans organe central de contrôle, développée à partir de 2008. Si historiquement, la blockchain s’est développée pour soutenir des transactions en cryptomonnaies (notamment les bitcoins), de nombreux domaines et secteurs d’activité, utilisent ou prévoient d’utiliser cette technologie, comme le secteur bancaire, agro-alimentaire, énergétique, de l’assurance.

([33])  Le forum regroupe la Chine et 17 pays : Estonie, Lettonie, Lituanie, Pologne, République Tchèque, Slovaquie, Hongrie, Roumanie, Bulgarie, Slovénie, Croatie, Serbie, Bosnie-Herzégovine, Monténégro, Albanie, Macédoine et la Grèce.

([34])  Directive 2014/24/UE sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE

([35])  Le National Association of Securities Dealers Automated Quotations (NASDAQ) est le deuxième plus important marché d’actions des États-Unis, en volume traité. Il est composé principalement d’entreprises dans les secteurs de la technologie, de l’internet et de l’informatique. Il sert de débouché naturel pour les fonds de capital-risque.

([36])  Rapport d’information, déposé par la commission des affaires européennes sur le Digital Market Act, et présenté par Mme Christine Hennion, le 22 juillet 2021.

([37])  L’expression est tirée de l’essai de Thomas Gomard, « Guerres invisibles : nos prochains défis géopolitiques », publié en janvier 2021.

([38])  « Tranches de savoir », Henri Michaux, 1950.

([39])  Georges Bernanos, Conférence aux étudiants brésiliens, Rio de Janeiro, 22 décembre 1944.

[40] Le National Association of Securities Dealers Automated Quotations (NASDAQ) est le deuxième plus important marché d’actions des États-Unis, en volume traité. Il est composé principalement d’entreprises des secteurs de la technologie, de l’internet et de l’informatique. Il sert de débouché naturel pour les fonds de capital-risque.

([41])  La Defense advanced research projets agency (DARPA) est une agence américaine financée par le Département de la défense, chargée de promouvoir l’innovation dans le domaine des nouvelles technologies, destinées d’abord à un usage militaire. Grâce à un fonctionnement fondé sur la sélection des innovations de rupture, l’évaluation en continu des projets, des financements importants et la commande publique, elle a pu être à l’origine de grandes inventions, comme l’internet, le global positioning system (GPS) ou les drones.

([42])  L’accord de Bâle III, approuvé par 28 pays en 2017, et qui vise à tirer les enseignements de la crise financière de 2018 en durcissant les règles de crédit aux petites entreprises.