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N° 4892

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 12 janvier 2022.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES

sur l’avenir du secteur aéronautique en France

ET PRÉSENTÉ PAR

M. Jean-Luc LAGLEIZE et Mme Sylvia PINEL

Députés

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SOMMAIRE

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Pages

SYNTHÈSE

Récapitulatif des propositions

Introduction

Première partie : le secteur aéronautique est fortement remis en question alors qu’il est un atout essentiel pour la France

I. L’épidémie de la covid-19 a contracté la demande de manière inédite et fragilisé toute une filière

A. La pandémie a provoqué une baisse inédite du trafic aérien

1. La situation européenne et mondiale

2. La situation française

B. Les compagnies aériennes et les aéroports ont été brutalement impactés par la baisse de trafic

1. Les compagnies aériennes font face à une restriction contrainte de la demande

2. Les aéroports ont également été touchés au premier plan

C. L’industrie aéronautique, tributaire de l’activité des compagnies aériennes, est également touchée

1. Une baisse des commandes, des chiffres d’affaires et des cadences de production

2. Des conséquences importantes sur les emplois de l’industrie aéronautique

II. La contribution du secteur aérien au réchauffement climatique est source de nouveaux enjeux

A. La contribution du transport aérien au réchauffement climatique doit inciter à des actionS de décarbonation ambitieuses du secteur aéronautique

1. La contribution du transport aérien au changement climatique

2. Il convient cependant de remettre les émissions du transport aérien en perspective

B. Les effets non-CO2 du transport aérien sont encore mal connus et nécessitent un effort de recherche soutenu

C. Le secteur aérien est soumis à une réglementation environnementale croissante

1. En France : la loi climat-résilience et la fiscalité incitative à l’utilisation de carburants alternatifs

a. Les dispositions de la loi climat-résilience

b. La taxe incitative à l’utilisation d’énergies renouvelables dans les transports (TIRUERT)

2. Au niveau européen : les dispositions prévues dans le paquet Fit for 55

3. Au niveau international : le programme CORSIA

III. Alors que la défiance vis-à-vis du secteur aéronautique est importante, celui-ci demeure un atout capital pour le pays

A. Longtemps vu comme un progrès, l’avion fait aujourd’hui l’objet de nombreuses critiques

1. L’avion est source de progrès, de développement des relations internationales et de désenclavement des territoires

2. L’avion est pourtant largement remis en cause aujourd’hui, même si les pratiques ne suivent pas toujours les courants d’opinion

B. Un atout économique décisif dont il faut absolument préserver la compétitivité

C. L’industrie aéronautique est nécessaire à la vitalité de l’économie française

1. L’industrie aéronautique est un rouage essentiel de l’économie française

2. Des emplois et des compétences qui irriguent l’ensemble du territoire

Deuxième partie : relever le défi de la décarbonation par le soutien aux solutions technologiques

I. À court terme, trois leviers majeurs à soutenir : le renouvellement des flottes, les carburants alternatifs et l’optimisation de la gestion du trafic aérien

A. Le renouvellement des flottes doit être soutenu

1. Les aéronefs bénéficient de progrès technologiques constants qui améliorent leurs performances environnementales

a. Les gains de performance environnementale des dernières générations d’aéronefs mises sur le marché

b. Sur la motorisation

i. Turboréacteurs

ii. Turbopropulseurs

c. Sur les aérostructures

d. Sur l’aménagement de la cabine de l’avion

e. Sur l’avionique

2. Les compagnies aériennes doivent renouveler leurs flottes au profit des aéronefs disposant des meilleures performances environnementales

a. Des efforts déjà en cours par les compagnies aériennes

b. Il faut soutenir financièrement le renouvellement des flottes des compagnies aériennes

3. Le recyclage des avions est un point essentiel du cycle de vie des aéronefs et il doit être développé

B. L’utilisation des carburants d’aviation durableS nécessite d’accélérer la structuration de l’offre

1. Les différentes technologies de production de SAF (carburants d’aviation durables)

a. Les SAF produits à partir de biomasse

b. Les carburants de synthèse

c. Les atouts des carburants aéronautiques durables

2. La filière des SAF a encore de nombreux défis à relever pour permettre une décarbonation massive du transport aérien

a. Une disponibilité insuffisante nécessitant de véritables choix politiques

b. L’absence de filière industrielle structurée

c. Un coût trop élevé

3. Les SAF sont un levier mobilisable à court terme qui nécessite la définition d’objectifs ambitieux, accompagnés d’un fort soutien public

a. Les dispositifs de soutien en France

b. ReFuelEU Aviation, un cadre réglementaire européen en cours de construction

C. L’optimisation de la gestion du trafic aérien et des opérations au sol : des solutions déjà existantes dont il convient de systématiser l’application

1. Des solutions pour une gestion du trafic aérien plus respectueuse de l’environnement disponibles à plus ou moins brève échéance

a. L’amélioration de la disponibilité et de la gestion des données

b. L’éco-pilotage doit être facilité et valorisé

c. Les procédures de descente continue peuvent être rapidement systématisées

d. À plus long terme, les vols en formation sont à l’étude

2. La gestion des opérations au sol

a. L’électrification des tarmacs, une priorité

b. Un roulage des avions plus propre

II. À moyen terme, d’autres solutions sur lesquelles il faut maintenir les efforts de recherche et de développement

A. L’avion électrique, une opportunité pour améliorer les interconnexions régionales

1. Des avions de petite capacité très décarbonés

2. L’avion électrique pourra contribuer au désenclavement territorial

B. L’avion à hydrogène, une innovation de rupture sur laquelle mise fortement l’union européenne

1. Présentation de la technologie et du marché associé

a. L’avion à hydrogène : de quoi parle-t-on ?

b. Les difficultés techniques restant à surmonter pour le déploiement des avions à hydrogène

2. Des enjeux majeurs de structuration de la production et de la distribution de l’hydrogène qui dépassent le seul secteur aéronautique

a. Une production massive d’hydrogène décarboné est nécessaire

b. Un modèle de distribution dans les aéroports autour de hubs

c. Il convient d’accélérer le déploiement du cadre juridique relatif à l’hydrogène

i. Le soutien à la production

ii. La réglementation relative aux sites classés

Troisième partie : relever le défi d’une industrie aéronautique compétitive, innovante, dynamique et attractive

I. Les soutiens publics sont nécessaires pour maintenir la France dans la compétition aéronautique mondiale

A. Des programmes de soutien particulièrement ambitieux à destination de l’aéronautique

1. Au niveau européen, les programmes de soutien structurels viennent d’être renouvelés

2. Au niveau national, les dispositifs de soutien liés à la crise sanitaire doivent s’accompagner de financements de long terme

a. Le plan de soutien à l’aéronautique, un soutien déterminant pour la sortie de crise

i. Le soutien à la demande

ii. Le soutien à l’offre

b. Les autres dispositifs de soutien à la filière ont également joué leur rôle

3. Au niveau régional

B. La vigilance à l’égard du secteur aéronautique doit être maintenue en sortie de crise

1. Le redémarrage post-crise de la covid19 demeure la priorité des industriels à ce jour

2. Les dispositifs de soutien doivent bénéficier à tous les acteurs de la filière et gagner en lisibilité

II. Les qualités de la filière aéronautique doivent lui permettre de poursuivre sa transformation

A. Une filière qui doit tirer tous les bénéfices de sa bonne structuration

1. La filière industrielle aéronautique dispose d’atouts majeurs, de l’amont à l’aval de la chaîne de production

a. La dualité de la filière permet d’ajuster la production au contexte économique

b. L’excellence de la recherche aéronautique française

c. Des relations entre les entreprises de la filière plutôt satisfaisantes grâce à une bonne structuration de celle-ci

2. Afin de maintenir la compétitivité et la résilience de la filière, la nécessité d’entreprises consolidées et moins dépendantes à un seul programme de construction

a. Une consolidation indispensable pour une meilleure résilience

b. Une diversification des activités au sein de la filière aérospatiale

B. La nécessaire poursuite des investissements pour s’emparer pleinement des solutions « industrie du futur »

1. La mise en place des procédés « industrie du futur » nécessite un accompagnement important des entreprises de l’aéronautique

2. La déclinaison opérationnelle de la modernisation des procédés de production

III. Les emplois et les compétences du secteur aéronautique sont DES déterminantS essentiels de sa réussite

A. L’attractivité de la filière est un enjeu majeur

1. L’aéronautique reste un secteur attractif mais des risques existent sur certains emplois

a. Les formations permettant d’accéder aux emplois les plus qualifiés bénéficient toujours d’une bonne dynamique

b. Les métiers de la maintenance et de la production doivent faire l’objet d’une attention particulière

2. Les besoins de recrutement de la filière sont pourtant bien présents

a. Les recrutements dans la filière se poursuivent en dépit de la crise

b. La transformation de la production et les avions de demain nécessitent pourtant de nouvelles compétences

B. Une politique de formation ambitieuse maintiendra l’excellence des savoir-faire du secteur aéronautique

1. En amont, il est fondamental de maintenir l’attractivité des formations initiales et de communiquer sur cellesci

a. Un besoin de revalorisation des formations, notamment techniques

b. Répondre à la demande de formation sur les conséquences environnementales du transport aérien

c. Une nécessaire communication sur les formations et les métiers de la filière

2. Il est important de préserver l’employabilité des salariés

a. Un effort d’adéquation entre la formation et les besoins en compétences grâce à l’EDEC Aéronautique

b. Encourager les autres dispositifs de soutien à la formation continue

c. La mise à disposition temporaire au sein de la filière peut permettre de résoudre des sujets main-d’œuvre tout en préservant l’employabilité

Conclusion

EXAMEN EN COMMISSION

Liste des principaux sigles et abréviations utilisés

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

Contributions écrites


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   SYNTHÈSE

Le secteur aéronautique français est une incontestable réussite nationale. Dynamique et compétitif, il bénéficie d’une importante structuration et d’une bonne solidarité entre les différents acteurs de la filière.

L’épidémie de la covid‑19 n’a cependant pas épargné le secteur. L’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) estime la baisse du trafic aérien international de passagers à 60 % en 2020, par rapport à 2019. La reprise du trafic à son niveau d’avant‑crise demeure encore largement tributaire des évolutions de la situation épidémique : l’irruption du variant Omicron en est une illustration éclairante. Les compagnies aériennes et les aéroports ont été les premiers à subir les conséquences de la pandémie. Mais l’industrie aéronautique a également souffert, avec des effectifs en baisse de 8 % dans la filière aérospatiale, soit une baisse 4 fois plus élevée que dans le reste de l’économie (Insee).

De plus, les conséquences environnementales du transport aérien nourrissent aujourd’hui les débats quant à la place que l’avion doit occuper dans la société. Les conséquences du réchauffement climatique plaident évidemment pour une accélération de la décarbonation du secteur. Le trafic aérien représente de l’ordre de 2 % à 3 % des émissions anthropiques mondiales de CO2.

À l’aune de ces deux constats, le présent rapport d’information, articulé en trois parties, brosse un large portrait du secteur aéronautique français et formule 46 recommandations pour son avenir.

La première partie du rapport dresse un état des lieux des enjeux liés au secteur aéronautique. Elle revient sur les conséquences de la crise sanitaire pour les acteurs de l’industrie aéronautique et du transport aérien. Les principaux enjeux environnementaux liés au transport aérien sont également rappelés. La contribution de ce dernier au réchauffement climatique explique l’accélération du déploiement d’un cadre réglementaire visant à juguler les émissions de gaz à effet de serre (GES). Cependant, d’autres secteurs d’activité très émetteurs de GES sont bien moins encadrés sur ce sujet, tels que l’industrie textile ou le numérique.

L’état des lieux dressé en première partie du rapport rappelle aussi l’utilité économique et sociale de l’avion. Il est avant tout une source de progrès technologique et d’innovation, mais aussi un vecteur de désenclavement des territoires. L’aéronautique constitue aussi un gisement d’emplois important et ce sur l’ensemble du territoire national. Pour autant, c’est un secteur extrêmement compétitif au niveau mondial. Airbus est en concurrence directe avec les avionneurs Boeing (États-Unis) ou Comac (Chine) et une telle concurrence se rencontre sur l’ensemble des étapes de la chaîne de production d’un aéronef. Les enjeux propres à l’aéronautique et, en particulier, à sa décarbonation, ne peuvent donc se concevoir qu’à l’échelle internationale. En 2022, la présidence française de l’Union européenne au premier semestre et la tenue de l’assemblée de l’OACI à l’automne constituent autant d’opportunités d’adopter des stratégies et des obligations coordonnées au niveau mondial, afin d’éviter toute distorsion de concurrence (au plan économique) et toute fuite de carbone (au plan environnemental).

La deuxième partie du rapport présente les leviers technologiques qu’il convient de mobiliser pour accélérer la décarbonation du transport aérien. À court terme, trois leviers principaux sont mobilisables :

– le renouvellement des flottes. Les compagnies aériennes doivent pouvoir s’équiper des dernières générations d’aéronefs, qui permettent des gains de carburant et d’émissions de CO2 de l’ordre de 15 % à 25 %. Chaque élément d’un aéronef contribue à ces performances. Les moteurs gagnent continûment en efficacité et des architectures innovantes sont développées, tel que le moteur non caréné sur lequel travaille Safran. Le recours croissant aux matériaux composites permet d’alléger le poids de l’avion. Pour que ces technologies puissent produire tous leurs effets, il est impératif que les compagnies aériennes s’en équipent, soutenues financièrement par les pouvoirs publics. Ce renouvellement est indissociable de la question du traitement des aéronefs retirés de l’exploitation : il convient de redoubler d’efforts pour améliorer le recyclage des aéronefs et inciter l’industrie à utiliser des composants qui en sont issus ;

– l’utilisation des carburants d’aviation durables (CAD ou SAF). C’est un vecteur majeur de décarbonation du secteur à court terme et il est essentiel pour décarboner les vols long-courrier. Les CAD sont aujourd’hui essentiellement issus de la biomasse. En parallèle, le développement des carburants synthétiques est prometteur car non soumis à la disponibilité de la biomasse. Dans les deux cas, ces carburants ne sont aujourd’hui pas assez utilisés, faute d’une demande suffisante et d’une bonne structuration de la filière de production. Cette structuration doit être encouragée, tout autant que l’adoption de mandats d’incorporation obligatoires ambitieux aux niveaux européen mais surtout international ;

– l’optimisation de la gestion du trafic aérien et des opérations au sol. Sur les tarmacs, cela passe par l’électrification, tant des engins au sol que de l’alimentation de l’avion lorsqu’il est en phase de roulage ou à l’arrêt. En vol, la systématisation des approches en descente continue lors de l’atterrissage et le déploiement progressif des pratiques d’écopilotage permettront de mieux optimiser la consommation de carburant.

À moyen terme, le développement de l’avion électrique et de l’avion à hydrogène sont des projets particulièrement intéressants. Si certaines limites techniques ne permettent pas d’envisager leur utilisation, à ce stade, sur des vols long‑courrier, ils constituent, chacun à leur échelle, une véritable opportunité pour désenclaver les territoires et décarboner efficacement le transport aérien. Les entreprises qui construisent les avions électriques de demain peinent encore à trouver les fonds nécessaires à leur développement et leur soutien est donc un enjeu primordial. S’agissant de l’avion à hydrogène, la production massive d’hydrogène décarboné sera naturellement l’un des grands défis à relever. Mais il faut aussi convaincre les instances internationales de développer dès à présent le cadre réglementaire nécessaire à la certification de ces avions.

La troisième et dernière partie du rapport traite du fonctionnement de l’industrie aéronautique proprement dite. Celle‑ci doit maintenir son excellence au regard de la compétition internationale à l’œuvre et demeurer tout à la fois innovante, dynamique et attractive. Les acteurs du secteur ont reconnu les bénéfices du plan de soutien à l’aéronautique mis en place par le Gouvernement mi-2020. Alors que le début de l’année 2022 est marqué par la reprise des commandes d’aéronefs et des embauches, il conviendra néanmoins de veiller aux conséquences de l’arrêt progressif des aides conjoncturelles, notamment pour les plus petites entreprises de la filière. Il importe par ailleurs que les soutiens mis en place au niveau national puissent bénéficier à l’ensemble de la chaîne de production. Un meilleur suivi de ces aides grâce à une plate-forme dédiée est proposé.

La filière aéronautique dispose de nombreuses qualités qui doivent lui permettre de poursuivre sa modernisation vers les techniques de production les plus innovantes. Elle dispose d’atouts déterminants pour ce faire. La structuration et la solidarité de la filière ont été évoquées. Mais d’autres points forts sont à mettre au crédit de la filière, en particulier une bonne articulation entre la recherche et ses débouchés industriels, ainsi que la double dualité des activités, entre civil et militaire, d’une part, et entre aéronautique et spatial, d’autre part. Le potentiel de l’industrie aéronautique pourrait encore être amélioré grâce à une diversification des activités chez les sous-traitants très dépendants d’un seul programme de construction. De même, la consolidation de certaines petites entreprises serait opportune. Par ailleurs, il est important que l’ensemble de la chaîne s’approprie les technologies caractéristiques de l’industrie du futur.

Enfin, l’industrie aéronautique est riche d’un niveau de compétences particulièrement élevé. Il faut maintenir l’attractivité des emplois de la filière, alors que l’inquiétude est palpable concernant les besoins de main‑d’œuvre dans certains métiers de la maintenance et de la production. Dans les écoles d’ingénieurs, le recrutement gagnera à être diversifié. Plus généralement, le renforcement du lien entre l’éducation nationale et le monde de l’entreprise ne pourra que favoriser l’attractivité de la filière. Autre sujet, les conséquences environnementales du transport aérien doivent également figurer en bonne place dans les cursus d’études, afin que progrès et environnement ne soient pas opposés. Enfin, ce sont les compétences des salariés en place qui doivent être préservées et développées, afin de s’adapter aux défis technologiques de demain. Les mises à disposition ponctuelles de salariés d’une entreprise vers une autre en cas de variation ponctuelle d’activité, au sein de la filière aérospatiale, peuvent être source d’enrichissement des compétences.

 


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   Récapitulatif des propositions

Proposition n° 1 : universaliser les standards sanitaires de voyage en avion afin de faciliter la reprise du transport aérien de passagers

Proposition n° 2 : poursuivre les efforts de recherche publique et les investissements associés sur les effets non-CO2 du transport aérien et sur les interactions de ces derniers avec les effets CO2

Proposition n° 3 : transmettre dans les meilleurs délais au Parlement les rapports prévus à l’article 142 de la loi climat-résilience

Proposition n° 4 : publier dans les meilleurs délais le décret d’application prévu à l’article 145 de la loi climat-résilience, qui doit préciser les modalités de dérogation à l’interdiction des vols de mois de 2 h 30 sur le territoire français sous conditions de décarbonation

Proposition n° 5 : porter une attention particulière aux distorsions de concurrence qui pourraient résulter de la réduction progressive de l’allocation de quotas gratuits pour le secteur aérien

Proposition n° 6 : flécher les recettes issues du système EU-ETS et liées aux émissions du secteur aérien vers les efforts en faveur de la décarbonation du secteur

Proposition n° 7 : créer un pôle national de formation aux métiers de l’aéronautique et de l’aérien à Toulouse pour renforcer le leadership français en la matière

Proposition n° 8 : harmoniser, lors de l’assemblée 2022 de l’OACI, les objectifs et leviers de décarbonation du secteur aérien, afin de disposer d’une feuille de route et d’objectifs communs

Proposition n° 9 : lors de la conception des avions, intégrer autant que possible des technologies de type quick change permettant d’optimiser l’utilisation de la cabine en fonction de la demande

Proposition n° 10 : mettre en place des actions de communication plus ambitieuses au niveau des têtes de filière pour porter à la connaissance du grand public les efforts continus du secteur aéronautique pour décarboner l’aviation

Proposition n° 11 : mettre en place un mécanisme d’incitation fiscale au renouvellement des flottes pour les compagnies aériennes, qui pourrait prendre la forme d’un mécanisme de suramortissement. L’éligibilité à un tel dispositif serait conditionnée à des réductions significatives des émissions de CO2 grâce au nouvel aéronef acquis et à un mécanisme de certification des performances environnementales de l’avion par un organisme indépendant

Proposition n° 12 : intégrer des critères environnementaux dans les DSP pour favoriser l’utilisation des aéronefs les plus décarbonés possibles par les compagnies aériennes sur ces liaisons (recommandation déjà formulée dans le rapport sénatorial de Mme Josiane Costes sur la contribution du transport aérien au désenclavement et à la cohésion des territoires)

Proposition n° 13 : réfléchir à un mécanisme incitant au recyclage des aéronefs, d’une part, et à l’utilisation de produits issus du démantèlement des avions par les entreprises de l’industrie d’autre part

Proposition n° 14 : maintenir les efforts de R&D, pour améliorer le rendement des procédés de production de SAF et pour assurer que les moteurs d’avion en cours de développement soient compatibles 100 % SAF

Proposition n° 15 : établir une cartographie européenne définissant les volumes de gisement de biomasse disponibles pour la production de SAF, ainsi que les capacités de production de carburant de synthèse. Cette cartographie devra préciser à quelle quantité effective de SAF ces gisements correspondent, en fonction notamment des besoins en alimentation des différents moyens de transport

Proposition n° 16 : plutôt que d’instaurer des mécanismes de taxation, élaborer des appels à projets plus ambitieux et dotés des moyens financiers adéquats pour structurer une filière française de SAF. D’autres moyens de soutien à la filière doivent également être instaurés (crédit d’impôt, par exemple)

Proposition n° 17 : adopter une réglementation OACI sur les mandats d’incorporation de SAF

Proposition n° 18 : rehausser les objectifs d’incorporation prévus dans ReFuelEU Aviation, en prévoyant un mandat d’incorporation de SAF de 10 % dès 2030

Proposition n° 19 : soutenir la création d’une alliance industrielle européenne pour les SAF lors de la présidence française de l’Union européenne au 1er semestre 2022

Proposition n° 20 : inciter les pilotes à communiquer aux passagers des indicateurs sur le bilan environnemental du vol, en chiffrant l’amélioration de la performance environnementale de l’avion permise par l’emploi d’une technique particulière (descente continue et autres pratiques d’éco-pilotage, nouvelle motorisation, utilisation de SAF, etc.)

Proposition n° 21 : étudier l’opportunité de généraliser les approches en descente continue sur l’ensemble des grands aéroports français

Proposition n° 22 : systématiser dès à présent l’alimentation électrique pour les besoins des aéronefs en stationnement. Lorsque ces infrastructures existent dans l’aéroport, interdire l’utilisation des APU

Proposition n° 23 : fixer un objectif temporel pour la fin de l’utilisation de moteurs thermiques pour les véhicules de piste dans les aéroports

Proposition n° 24 : imposer le roulage sur un seul moteur des aéronefs sur le tarmac et poursuivre le développement des autres technologies de green taxiing

Proposition n° 25 : faire des aérodromes, des écoles de pilotage et de l’aviation générale un laboratoire de l’aviation électrique, en facilitant l’acquisition de ces avions par les aéroclubs et l’installation de bornes de recharge associées

Proposition n° 26 : développer et faciliter l’obtention de financements en faveur de l’aviation électrique

Proposition n° 27 : mener une expertise approfondie sur les effets non‑CO2 de l’avion à hydrogène

Proposition n° 28 : mener un solide travail préparatoire sur une réglementation hydrogène avec l’EASA pour garantir ensuite une bonne défense de l’avion à hydrogène au niveau de l’OACI

Proposition n° 29 : réaliser une cartographie européenne de l’hydrogène, pour recenser les projets existants et décider de l’emplacement stratégique de hubs, notamment par rapport aux usages dans le secteur aérien

Proposition n° 30 : soutenir le déploiement de hubs à hydrogène sur les plus grands aéroports, tout en réfléchissant aux systèmes alternatifs de distribution pour les infrastructures aéroportuaires plus modestes

Proposition n° 31 : instaurer au plus vite les soutiens à la production d’hydrogène décarboné, en prenant les mesures réglementaires d’application qui s’imposent, afin de pouvoir démarrer les appels d’offres

Proposition n° 32 : comme cela est recommandé par France Hydrogène, réfléchir à une évolution de la réglementation ICPE relative à l’hydrogène afin de faciliter le déploiement de projets, en particulier dans les infrastructures aéroportuaires

Proposition n° 33 : bâtir un plan de soutien de long terme à la R&D dans l’industrie aéronautique pour l’après 2022, piloté par le CORAC

Proposition n° 34 : préciser comment seront déclinés les fonds prévus dans France 2030 et par qui sera assuré leur pilotage. Le CORAC doit préserver un rôle leader sur le pilotage des aides à l’industrie aéronautique, afin d’assurer la cohérence des orientations R&D de la filière

Proposition n° 35 : inclure les TPE de la filière aéronautique dans les entreprises éligibles au rallongement de la durée d’amortissement du PGE de 6 à 10 ans

Proposition n° 36 : assurer davantage de transparence quant aux bénéficiaires des dispositifs de soutien, afin de s’assurer leur correcte ventilation sur l’ensemble de la chaîne de sous‑traitance. Une plate-forme de suivi de l’attribution des fonds pilotés par le CORAC, à l’instar de ce qui existe pour le fonds de modernisation, pourrait notamment être déployée

Proposition n° 37 : créer un site internet regroupant tous les dispositifs de soutien existants pour les entreprises du secteur aéronautique, afin de permettre à celles‑ci de les connaître et d’y accéder plus aisément

Proposition n° 38 : maintenir une vigilance sur la place des activités de défense dans la taxonomie verte européenne, afin que ne soit pas remise en cause la dualité des entreprises du secteur aéronautique

Proposition n° 39 : assurer le suivi de la mise en œuvre et du respect de la charte d’engagement sur les relations entre clients et fournisseurs au sein de la filière aéronautique française

Proposition n° 40 : poursuivre les efforts de consolidation de la filière, en particulier grâce aux fonds d’investissements dédiés, tout en veillant à prendre en compte les conséquences sociales de ces restructurations

Proposition n° 41 : développer les outils numériques permettant la digitalisation des procédés de production, au besoin par des appels à projets. Il faut veiller en parallèle à investir dans les compétences nécessaires à la maîtrise de ces outils et dans la lutte contre les risques cyber

Proposition n° 42 : effectuer un recensement national des métiers en tension au sein de l’industrie aéronautique

Proposition n° 43 : systématiser les modules d’enseignement obligatoires sur les interactions entre transport aérien et changement climatique dans les formations aux métiers de l’aéronautique et de l’aérien

Proposition n° 44 : encourager les contacts entre les entreprises et l’enseignement secondaire ainsi que les initiatives de mentoring afin de sensibiliser les plus jeunes publics aux métiers de l’aéronautique.

Proposition n° 45 : faire un bilan de l’accord-cadre de l’EDEC conclu entre l’État et la filière aéronautique en 2018

Proposition n° 46 : encourager les solutions de mise à disposition temporaire de salariés au sein de la filière aérospatiale en cas de baisse ponctuelle d’activité

 

 


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   Introduction

Le secteur aéronautique est une composante incontournable du paysage économique et social français. Berceau des pionniers de l’aviation, la France reste encore aujourd’hui une grande nation aéronautique, qui bénéficie d’une filière industrielle particulièrement dynamique et structurée.

Le Conseil national de l’industrie définit la filière aéronautique comme la filière comprenant « l’ensemble des entreprises du territoire français concourant à la conception, la production et la maintenance de matériels aéronautiques – avions, hélicoptères, drones, dirigeables – civils et militaires ». Ce rapport étudie donc en priorité les problématiques relatives à l’industrie aéronautique. Mais il s’intéresse nécessairement au transport aérien, qui constitue le volet « clientèle » du secteur en offrant à l’industrie aéronautique ses débouchés commerciaux.

L’avenir du secteur aéronautique s’apprécie aujourd’hui à l’aune de deux phénomènes majeurs :

– d’une part, l’épidémie de la covid‑19 a considérablement impacté le trafic aérien, avec une baisse de 66 % de la demande en 2020 par rapport à l’année 2019, selon l’Association du transport aérien international (IATA) ([1]). Les acteurs du secteur estiment que la reprise du trafic aérien à son niveau d’avant-crise ne se réalisera pas avant 2024, et plus tard encore concernant les vols intercontinentaux. La chute du trafic aérien a inévitablement des conséquences sur l’activité industrielle du secteur : malgré les mesures de soutien mises en place par l’État français, les effectifs de la filière aérospatiale ont diminué de 8 % en 2020, cette baisse étant quatre fois plus élevée que dans le reste de l’économie ;

– d’autre part, les conséquences environnementales du transport aérien nourrissent de vifs débats quant à la place que doit occuper l’avion dans les modes de vie de demain.

Vos rapporteurs sont convaincus que c’est le progrès technologique et les capacités d’innovation de la filière aéronautique qui permettront d’accélérer la transition du secteur vers une aviation décarbonée. Les conséquences du changement climatique rendent impérative une telle transition et l’industrie française dispose des moyens pour y répondre. Les nombreuses auditions menées durant la mission d’information ont permis de constater la pleine mobilisation du secteur sur le sujet de la décarbonation. Les dernières annonces des représentants de l’aéronautique et du transport aérien le montrent : tous s’engagent pour la neutralité carbone du transport aérien en 2050. On peut évoquer à ce sujet le plan Fly Net Zero de l’IATA, le plan européen « Destination 2050 » des professionnels européens du secteur et la nouvelle feuille de route du Conseil pour la recherche aéronautique civile (CORAC) pour la décarbonation du transport aérien.

Le secteur aéronautique est vital à l’économie nationale. La filière aérospatiale, dont 90 % du chiffre d’affaires est issu des activités aéronautiques, représente 4 480 sociétés en France (hors Guyane). Plus de 75 % sont des petites et moyennes entreprises (PME). Fin 2020, les salariés de la filière représentaient 7 % des emplois salariés industriels français. L’industrie aérospatiale est par ailleurs le principal moteur du commerce extérieur français.

L’aéronautique est un secteur très compétitif au niveau mondial : une vigilance particulière doit être portée au maintien de l’industrie française parmi les champions internationaux. Les enjeux de décarbonation sont une opportunité pour la filière de mettre à profit ses compétences et son savoir-faire technologique.

Toutefois, l’avenir du secteur aéronautique ne peut s’entendre au seul niveau français et les mesures visant à réduire l’impact climatique du transport aérien doivent être adoptées au niveau mondial pour leur assurer une pleine effectivité et empêcher toute distorsion de concurrence et tout risque de fuite de carbone.

En 2022, deux événements doivent être l’occasion de faire progresser les enjeux de la décarbonation du secteur aéronautique. Au premier semestre, la présidence française de l’Union européenne (PFUE) permettra de faire avancer les débats sur le paquet législatif européen Fit for 55 ([2]), qui contient des dispositions relatives au transport aérien. La 41e session de l’Assemblée de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), qui se déroulera du 27 septembre au 7 octobre 2022, doit être l’occasion d’instaurer un cadre international contraignant en matière de décarbonation du transport aérien.

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Le présent rapport s’articule en trois axes. Il propose premièrement un état des lieux du secteur aéronautique et des enjeux environnementaux, économiques et sociétaux qui lui sont associés. Deuxièmement, sont abordés les leviers technologiques permettant de décarboner le transport aérien. Enfin, il s’agit d’étudier comment l’industrie aéronautique sera en mesure de relever de tels défis technologiques. Les propos se concentrent essentiellement sur les enjeux de l’aéronautique civile et de l’aviation commerciale de transport de passagers.


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   Première partie :
le secteur aéronautique est fortement remis en question alors qu’il est un atout essentiel pour la France

I.   L’épidémie de la covid-19 a contracté la demande de manière inédite et fragilisé toute une filière

A.   La pandémie a provoqué une baisse inédite du trafic aérien

1.   La situation européenne et mondiale

Alors que le taux de croissance du trafic aérien mondial était estimé à 5 % par an environ, la survenance de l’épidémie de la covid‑19 a porté un coup très dur à l’ensemble du secteur aéronautique, causant la fermeture des frontières et restreignant considérablement les déplacements. L’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) a estimé la baisse du trafic aérien international de passagers à 60 % en 2020, le trafic retrouvant dès lors son niveau de 2003 ([3]). Le nombre de passagers aériens sur cette même année est estimé à 1,8 milliard, contre 4,5 milliards en 2019. Sur l’ensemble des vols intérieurs, le trafic de passagers a diminué de 50 % en moyenne, avec des situations inégales selon les restrictions mises en œuvre par les pays.

Source : OACI

Le trafic domestique et régional a progressivement repris en 2021, plus ou moins rapidement selon les pays. L’OACI relève que la Chine et la Russie ont retrouvé un trafic intérieur équivalent à leur niveau d’avant‑crise au mois de janvier 2021. Certaines décisions telles que la réouverture des frontières des États-Unis aux touristes étrangers en novembre 2021 favorisent la reprise du trafic mondial. Mais la reprise du trafic demeure modeste : en septembre 2021, l’Association du transport aérien international (IATA) estimait que le trafic de passagers internationaux était toujours inférieur de 69,2 % par rapport à son niveau de septembre 2019 ([4]). En Europe, selon les données de l’Organisation européenne pour la sécurité de la navigation aérienne (Eurocontrol), au 10 novembre 2021, le trafic total sur le réseau européen s’établissait à 78 % de son niveau de 2019 ([5]).

Certains segments de l’aviation ont mieux résisté à la crise. C’est le cas de l’aviation cargo et de l’aviation d’affaires, qui ont respectivement progressé de 10 % et 28 % par rapport à leur niveau de 2019 sur le réseau Eurocontrol. Concernant le trafic cargo, la réduction des vols commerciaux disponibles pour embarquer des marchandises de fret dans les soutes des avions passagers explique notamment cette tendance. Concernant l’aviation d’affaires, outre sa contribution aux besoins sanitaires, il existe un phénomène de report d’une partie de la clientèle de l’aviation commerciale vers ce segment de marché.

Le trafic aérien mondial pourrait retrouver son niveau d’avant-crise en 2024. Cette reprise demeure incertaine, contrastée selon le type de déplacement (domestique, régional ou international) et reste largement tributaire de l’évolution de la situation épidémique. La propagation extrêmement rapide du variant Omicron du virus de la covid19, provoquant l’annulation de milliers de vols, en témoigne.

2.   La situation française

En France, sur les 9 premiers mois de l’année 2021, le nombre de passagers transportés en métropole était inférieur de 67,7 % par rapport à la même période en 2019 selon la direction générale de l’aviation civile (DGAC), cette baisse étant essentiellement expliquée par la baisse du trafic international.

 

 

 

 

 

 

 

 

Source : DGAC

 

– le nombre de mouvements a baissé de 25 % entre 2019 et 2020 pour l’aviation légère, la DGAC soulignant que « plus de 45 % des heures de vol en avions sont des heures d’apprentissage du pilotage » au sein de cette catégorie ;

– comme cela a été constaté au niveau international, l’aviation d’affaires a moins subi le choc de la crise, atteignant en août 2021 un niveau supérieur de 23 % par rapport à la même période en 2019 ;

–  le fret aérien est en baisse de 15,7 % en 2021 par rapport à son niveau de 2019 sur les 9 premiers mois de l’année, avec une forte progression du fret tout cargo des aéroports métropolitains (+ 24 %) et une baisse du fret en soute (- 53,7 %).

Un trafic spécifique : le fret aérien

Le fret aérien est l’activité de transport de marchandises par avion. Il permet de transporter aisément des marchandises à haute valeur ajoutée ou à péremption rapide (alimentaire, produits médicaux). Le fret aérien facilite une gestion optimale de la chaîne logistique en évitant la constitution de stocks et en permettant des approvisionnements rapides. L’IATA estimait en 2014 que 35 % de la valeur des biens internationaux commercialisés étaient transférées par avion.

Le transport de marchandises est pour l’essentiel réalisé dans les soutes des avions passagers. Selon la DGAC, avant la crise, 75 % du fret au niveau mondial était acheminé dans les soutes des avions passagers plutôt que dans des avions-cargos dédiés. La tendance s’est désormais inversée : l’IATA estime que 72 % du fret aérien mondial s’effectue désormais en vol tout cargo.

L’aéroport Paris-Charles-de-Gaulle est le premier aéroport cargo d’Europe. L’Air Cargo France Association, qui regroupe les acteurs du fret aérien des aéroports de Paris, observe que les volumes de fret transportés en France durant la crise sanitaire ont baissé de 18 % par rapport à 2019, en raison d’une baisse de capacité.

Tout comme le transport de passagers, le fret aérien est soumis à une intense concurrence. En particulier, la France a été plus touchée par les conséquences de la pandémie que d’autres places aéroportuaires européennes de fret, telles que Bruxelles, Amsterdam ou Francfort. En effet, la proportion de cargo effectuée en avion passager est plus importante en France que dans ces autres places aéroportuaires. Il en a résulté des situations parfois paradoxales : des marchandises en provenance ou à destination de la France ont été acheminées depuis ou vers d’autres aéroports européens disposant de davantage de trafic tout cargo.

En décembre 2021, la DGAC estimait que le trafic aérien de passagers s’établirait à 78 % de son niveau de 2019 pour l’année 2022, voire 65 % dans un scénario s’appuyant sur des perspectives sanitaires dégradées.

La baisse du trafic aérien a eu des conséquences négatives très importantes sur l’ensemble des acteurs des secteurs aéronautique et aérien, dont les principales seront décrites ci‑après. C’est d’autant plus préjudiciable que cela nuit à leurs capacités d’investissement dans la décarbonation de leur activité.

B.   Les compagnies aériennes et les aéroports ont été brutalement impactés par la baisse de trafic

Les conséquences financières de la crise sanitaire pour les acteurs du transport aérien sont majeures compte tenu du choc de demande qu’ils ont subi. Au niveau mondial, au mois de janvier 2021, les compagnies aériennes avaient subi des pertes de 370 milliards de dollars (Md$) en raison de l’épidémie, les aéroports de 115 Md$ et les services de navigation aérienne de 13 Md$ (données OACI).

1.   Les compagnies aériennes font face à une restriction contrainte de la demande

De nombreuses compagnies aériennes ont vu leurs avions cloués au sol au plus fort de la pandémie, entre les mois de mars et de juin 2020, en particulier les compagnies low cost. Si l’été 2020 avait permis une certaine reprise du trafic aérien, l’automne avait amené de nouvelles difficultés avec la reprise de l’épidémie. L’année 2021, bien que non satisfaisante, a permis une reprise modérée du trafic. Par exemple, la compagnie Transavia disposait d’un coefficient de remplissage supérieur à 80 % en août 2021 et son offre pour l’été 2021 était quasi équivalente à son niveau d’avant-crise.

Les conséquences de la baisse de trafic sur le bilan financier des compagnies aériennes sont sans appel. Le chiffre d’affaires d’Air France a chuté de plus de 60 % en 2020 et la compagnie aérienne a subi des pertes nettes de l’ordre de 7 milliards d’euros (Md€) sur la même année. La baisse de capacité de la compagnie en 2020 par rapport à l’année 2019 a été de 53 % sur les vols court‑courrier, de 60 % sur les vols moyen‑courrier et de 50 % sur les vols long‑courrier.

Le trafic aérien affinitaire ([6]) ou de loisir devrait repartir à la hausse à l’issue de la pandémie mais la baisse du nombre de voyages d’affaires pourrait s’inscrire dans le long terme. Le télétravail et l’utilisation de la visioconférence expliquent la diminution de ce type de voyages. Cela pèse sur l’équation financière des compagnies aériennes. Selon une étude de la chaire Pégase ([7]), les voyageurs d’affaires représentent 25 % des passagers des compagnies aériennes mais 55 % à 75 % de leurs revenus. Cette étude anticipe une baisse de long terme de ces déplacements : 38 % des déplacements professionnels en avion pourraient être remplacés par des visioconférences.

Les compagnies proposant des vols d’affaires ou de la location d’avions ont mieux résisté à la crise, à l’image des chiffres du trafic aérien sur ces segments de marché.

Il est important de maintenir une vigilance particulière sur la situation financière des compagnies aériennes, alors que les perspectives de reprise du trafic demeurent incertaines et que le budget de la DGAC est fortement grevé par la baisse mécanique du produit des taxes et redevances aéroportuaires.

2.   Les aéroports ont également été touchés au premier plan

Les aéroports ont subi de plein fouet les conséquences de la chute du trafic aérien international. Certains terminaux ont même fermé durant quelques mois faute de trafic, à l’image du terminal 4 de l’aéroport d’Orly. L’Union des aéroports français (UAF) indique, en comparaison avec 2019, une chute de 68,4 % du trafic dans les aéroports métropolitains français et de 50,5 % dans les aéroports d’outremer ([8]).

Le groupe Aéroports de Paris (ADP) a connu au total une baisse de trafic de 69 % en 2020 par rapport à l’année 2019, conduisant à un résultat net de - 1,7 Md€ (milliards d’euros). Plus spécifiquement, le trafic des aéroports de CharlesdeGaulle et d’Orly a baissé de 15,1 % en 2021, s’établissant à 21,6 millions de passagers. Les aéroports accueillant plutôt du trafic affaires ont également été touchés : l’aéroport du Bourget a connu une chute de 33 % des mouvements sur la plateforme sur les 5 premiers mois de l’année 2021 par rapport à la même période en 2020 (données de la Fédération nationale de l’aviation marchande).

Au niveau européen, le nombre de passagers dans les aéroports commerciaux était équivalent à son niveau de 1995 en 2020, avec seulement 728 millions de passagers dans les aéroports, contre 2,4 milliards en 2019.

Tous les acteurs de l’aéroportuaire ont été touchés. La chambre syndicale de l’assistance en escale (CSAE) indiquait en mars 2021 que la crise sanitaire avait déjà entraîné la perte de plus de 7 000 emplois sur son secteur, qui en comptait plus de 40 000 fin 2019. Les métiers liés à l’entretien des aéronefs ont également pâti de la situation. L’activité de maintenance est habituellement le troisième métier du groupe Air France (8 % du chiffre d’affaires) mais celui‑ci a connu une perte de 2,4 Md$ sur cette activité en 2020.

Les compagnies aériennes et les gestionnaires d’aéroport ont souligné que l’harmonisation et la prévisibilité des consignes sanitaires au niveau mondial est un élément déterminant de la reprise de leur activité. Vos rapporteurs rappellent qu’il est indispensable de poursuivre les efforts en ce sens afin de fluidifier les procédures et de ne pas décourager les passagers à réserver des billets, tout en garantissant un haut niveau de sécurité sanitaire.

Proposition n° 1 : universaliser les standards sanitaires de voyage en avion afin de faciliter la reprise du transport aérien de passagers

C.   L’industrie aéronautique, tributaire de l’activité des compagnies aériennes, est également touchée

L’industrie aéronautique, volet « offre » du secteur, a subi les conséquences de la pandémie de manière plus différée, en raison des engagements de long terme qui caractérisent la construction d’un aéronef. Il n’en demeure pas moins que les conséquences de la crise sont extrêmement importantes pour l’industrie aéronautique. Selon le Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS), l’activité a chuté de 30 % en moyenne dans la filière aéronautique en 2020, conduisant à la suppression de 8 000 emplois.

1.   Une baisse des commandes, des chiffres d’affaires et des cadences de production

Les compagnies aériennes ont diminué leurs commandes de nouveaux aéronefs en raison de la pandémie, quand elles ne les ont pas tout simplement annulées, ce qui a eu des conséquences directes sur toute la chaîne de production aéronautique en amont. En septembre 2021, selon l’Insee, l’indice de production industrielle française aéronautique était encore à - 40 % par rapport à son niveau d’avant-crise.

En 2020, le secteur aéronautique et spatial représentait 50,9 Md€ de chiffre d’affaires (CA), soit une baisse de 30 % du CA par rapport à 2019. Les commandes ont représenté 28,2 Md € en 2020, dont 49 % réalisées à l’export. Cela représente une baisse de 54,5 % du nombre de commandes par rapport à 2019 ([9]). Habituellement principal moteur du commerce extérieur français, la part du secteur aéronautique et spatial dans les exportations françaises s’établissait à 8,4 % en 2020, soit son plus bas niveau depuis 2005. Au total, les exportations aéronautiques et spatiales ont diminué de près de moitié en 2020 par rapport à l’année 2019 (35 Md€, contre 64,3 Md€ en 2019) ([10]). Quelques exemples concrets peuvent être donnés pour illustrer ces tendances :

– Airbus a connu des cadences de production d’avions commerciaux réduites de 40 % par rapport à la normale durant la crise. La reprise du trafic ayant d’abord lieu sur les vols domestiques, les chaînes de production des court et moyen-courrier sont moins impactées que celles des long-courrier ;

– ATR, a produit 28 avions en 2020 et en a livré 10, contre, en moyenne, 75 avions livrés par an sur les 5 exercices précédents ;

– le CA de Safran réalisé en France est en baisse de 33 % ;

– Thalès a connu des pertes de 40 % environ sur ses activités d’aéronautique civile en 2020.

De telles tendances se sont évidemment répercutées sur l’activité de l’ensemble de la chaîne de sous-traitance.

Les activités de défense sont celles qui ont le mieux résisté à la crise. Le CA généré par celles‑ci dans le secteur aéronautique et spatial a baissé de 3 % seulement en 2020 par rapport à 2019 et le CA à l’export est en hausse de 7 % sur la même période.

Par ailleurs, si la filière aéronautique a souffert moins immédiatement que d’autres des tensions d’approvisionnement, elle est également touchée par cette problématique. La pénurie de semiconducteurs commence à créer des difficultés chez les sous-traitants du secteur. Des réflexions sur la relocalisation de certains intrants stratégiques seraient opportunes, notamment sur le titane ou la fonderie.

2.   Des conséquences importantes sur les emplois de l’industrie aéronautique

En 2020, les effectifs de la filière aéronautique et spatiale ont baissé de 8 %, ce qui représente 23 300 salariés en moins, totalisant 263 000 salariés dédiés fin 2020 ([11]). Cette baisse est quatre fois plus élevée que dans l’ensemble de l’économie. Ce sont les PME qui ont été les plus touchées, leurs effectifs ayant baissé de 16 % en moyenne.

Effectif salarié selon le secteur salarié
dans la filière aéronautique et spatiale

29 plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) ont été initiés en 2020 dans le secteur aéronautique. De grands noms de l’aéronautique tels qu’Airbus, ATR, Latécoère ou Daher ont dû y recourir. Le recours au chômage partiel a également été très important, mais dans des proportions variables selon les secteurs d’activité :  jusqu’à 63 % des salariés ont été placés en chômage partiel dans le secteur de la maintenance d’aéronefs et d’engins spatiaux au mois de mai 2020 ([12]).

Surtout, les effets de la crise sanitaire persistent davantage dans la filière aéronautique que dans le reste de l’industrie. Alors qu’en octobre 2020, les emplois dans l’industrie avaient reculé de 2,7 % sur un an, ceux du secteur aéronautique avaient connu un recul de 6,5 % dans le même temps.

II.   La contribution du secteur aérien au réchauffement climatique est source de nouveaux enjeux

Il est estimé que le trafic aérien représente 2 % à 3 % des émissions anthropiques mondiales de CO2. Il y a urgence à agir : selon le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), le réchauffement de la température de +1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels pourrait intervenir dès 2030. Cette hausse de température pourrait atteindre +4 à +5 °C d’ici la fin du siècle, contrairement aux engagements pris lors de l’accord de Paris de 2015.

Face à l’urgence climatique, le secteur aérien fait l’objet d’une forte remise en cause en raison de sa contribution aux émissions de GES. Pourtant, l’ensemble du secteur est pleinement conscient de ces enjeux et porte des actions volontaristes visant à décarboner le transport aérien, tout en étant soumis à une réglementation de plus en plus rigoureuse en la matière.

Vos rapporteurs se réjouissent que les initiatives se multiplient pour permettre un débat objectif autour de la contribution du changement climatique au transport aérien. Début décembre 2021, le ministre chargé des transports, M. Jean‑Baptiste Djebbari, a annoncé le lancement de l’Observatoire de l’aviation durable, qui doit permettre de mesurer les conséquences du transport aérien sur le réchauffement climatique. Cet organisme associera des représentants du secteur et un comité d’experts indépendants. La publication du Référentiel aviation et climat par l’école d’ingénieurs en aérospatiale ISAE-Supaéro préalablement à la tenue de la COP 26 participe de la même logique ([13]).

A.   La contribution du transport aérien au réchauffement climatique doit inciter à des actionS de décarbonation ambitieuses du secteur aéronautique

1.   La contribution du transport aérien au changement climatique

Les émissions de CO2 du transport aérien « sont en hausse de 38 % depuis 1990, soit une augmentation presque 5 fois supérieure à celle du transport routier (+8 %) » selon les données fournies par le Haut Conseil pour le climat. Les principaux effets du transport aérien sur le changement climatique sont résumés dans l’illustration ci‑dessous.

Source : Lee et al., « The contribution of global aviation to anthropogenic climate forcing for 2000 to 2018 », Atmospheric Environment, 2021, vol. 244

Comme indiqué supra, le trafic aérien représenterait 2 % à 3 % des émissions anthropiques mondiales de CO2. Les émissions cumulées depuis 1940 représentent 32,6 milliards de tonnes de CO2, dont 50 % émises au cours des 20 dernières années. Concernant la répartition des émissions entre les différents types de transport aérien, selon le climatologue Olivier Boucher, « En recoupant les estimations de Lee et al. (2021) et de l’ICCT (2019), on peut chiffrer les émissions totales à 1 034 Mt CO2/an dont aviation militaire, 11 % (116 Mt CO2/an), transport de fret, 17 % (171 Mt CO2/an), et transport de passagers, 72 % (747 Mt CO2/an) ».

Le changement climatique a lui-même des conséquences sur le trafic aérien. Le réchauffement climatique peut nécessiter une modification des routes aériennes, conduire à une augmentation des turbulences, des phénomènes climatiques extrêmes, rallonger les trajets, etc.

Selon la paléoclimatologue Valérie Masson-Delmotte et en se référant au scénario Aviation and environmental outlook publié en 2019 par l’OACI, en cas de gains d’efficacité modérés sur la technologie et les opérations, combinés à une faible utilisation de carburants alternatifs et à une forte hausse de la demande, les émissions liées au secteur seront multipliées par 2 à 4 en 2050. C’est pourquoi il est impératif d’accélérer la prise des mesures de décarbonation ambitieuses du secteur.

L’avenir du secteur aérien est aujourd’hui largement conditionné à celui des énergies fossiles : cela devrait être un aiguillon majeur pour encourager le développement de technologies aéronautiques propres, en particulier des carburants d’aviation durables.

65 % des émissions proviennent des liaisons internationales. Cette donnée souligne qu’il est nécessaire d’adopter une stratégie de réduction des émissions de GES du secteur aérien au niveau mondial. Agir au niveau d’une maille trop petite ne pourrait avoir des conséquences satisfaisantes et peut conduire à des phénomènes de fuites de carbone entre différentes zones géographiques qui ne seraient pas soumises aux mêmes impératifs environnementaux.

Concernant les émissions sur le territoire français, selon les données du ministère de la transition écologique et solidaire ([14]), en 2019, « le trafic aérien intérieur (y compris outre-mer et non commercial) représentait 3,8 % des émissions de CO2 du secteur des transports et 1,5 % des émissions totales de la France ; après réintégration des soutes internationales (aériennes et maritimes) dans les bilans, le secteur aérien était à l’origine de 6,8 % des émissions de CO2 de la France en 2019 ».

2.   Il convient cependant de remettre les émissions du transport aérien en perspective

La contribution du secteur aérien au réchauffement climatique est incontestable et doit inciter à des actions ambitieuses pour en réduire les conséquences. Pour autant, il est nécessaire de disposer d’une vue d’ensemble de la contribution des différents secteurs d’activité au réchauffement climatique, ce qui est encore trop rarement le cas aujourd’hui.

Il convient également de remettre en perspective la croissance des émissions de CO2 et la croissance du trafic aérien associée. Selon des données issues de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) et de la Banque mondiale citées par la chaire Pégase, si les émissions de CO2 issues du transport aérien au niveau mondial ont augmenté de 28,5 % de 2000 à 2018, dans la même période, le trafic aérien a augmenté de 153 % ([15]).

En ce qui concerne la contribution des autres moyens de transport aux émissions de GES, le graphique ci-dessous donne quelques points de comparaison. Les émissions du secteur ont augmenté moins vite et sont moins élevées que les émissions liées au transport routier de fret et de passagers. En France, l’ADEME souligne qu’en 2019, « les transports routiers contribuent à la quasi-totalité (94 %) des émissions du secteur des transports ».

Émissions de CO2 dans le secteur des transports par mode de transport
dans le cadre de son Sustainable development scenario

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Source : Agence internationale de l’énergie (novembre 2019)

Si le transport aérien et le secteur des transports en général sont un émetteur important de CO2, d’autres secteurs mériteraient une attention mondiale encore plus importante et de faire l’objet de politiques de décarbonation plus ambitieuses au regard de leur important niveau d’émissions. Une étude de la chaire Pégase effectuée en février 2020 ([16]) donne à cet égard des points de comparaison intéressants :

– le secteur du textile contribuerait à 10 % des émissions globales de CO2, selon l’Organisation des Nations Unies (ONU) ;

– la contribution d’internet aux émissions globales de CO2 est estimée autour de 3,5 % à 4 %, cette part étant susceptible d’atteindre les 8 % en 2025.

B.   Les effets non-CO2 du transport aérien sont encore mal connus et nécessitent un effort de recherche soutenu 

M. Olivier Boucher, climatologue, explique que les effets non-CO2 du transport aérien « se matérialisent via les émissions de NOx (oxydes d’azote) qui influencent les concentrations atmosphériques d’ozone (à la hausse) et de méthane (à la baisse), la formation de traînées de condensation qui peuvent évoluer en nuage de type cirrus (ces nuages sont responsables d’un effet de serre qui réchauffe la planète plus important que leur effet réfléchissant qui la refroidit), les émissions de vapeur d’eau (un autre gaz à effet de serre), et les émissions d’aérosols qui interagissent avec le rayonnement et peuvent aussi modifier les propriétés des nuages ». Cependant, les effets nonCO2 sont moins persistants sur l’atmosphère que les effets CO2 et les efforts de décarbonation du secteur doivent donc rester concentrés prioritairement sur la diminution des émissions carbonées.

Les effets non-CO2 pourraient dégrader les chiffres du bilan environnemental du transport aérien. Ces effets ne sont pas totalement cernés ni quantifiés à ce jour mais ils pourraient multiplier par 2 ou 3 l’impact climatique du CO2 selon le chercheur O. Boucher.

Il est donc primordial de maintenir l’effort de recherche sur ce sujet et d’intensifier les financements qui y sont associés. Dès 2019, la stratégie nationale du transport aérien (SNTA) encourageait déjà à des méthodes d’évaluation en la matière. Cela est d’autant plus important que, comme le souligne O. Boucher, « Il peut exister des synergies entre les réductions des effets CO2 et non-CO2 (par exemple il est possible que l’introduction de biocarburants diminue un petit peu l’effet réchauffant des traînées) mais il peut aussi y avoir des solutions qui requièrent de faire des compromis (par exemple les stratégies d’évitement des traînées de condensation entraînent généralement une pénalité en CO2) ».

Des travaux de recherche sont naturellement déjà en cours. Un document de travail de la Commission européenne et de l’Agence européenne de la sécurité aérienne (EASA) a récemment été publié ([17]). En France, le programme de recherche « Climaviation », de l’Institut Pierre-Simon Laplace et de l’Office national d’études et de recherches aérospatiales (ONERA), financé par la DGAC sur la période 2021‑2026, a notamment vocation à travailler sur de tels effets. Les recherches de ce programme s’articulent autour de trois axes : mieux quantifier les mécanismes les plus incertains de l’impact climatique de l’aviation, évaluer les impacts liés aux nouveaux combustibles et, enfin, étudier et proposer des stratégies de minimisation de l’impact total de l’aviation.

Proposition n° 2 : poursuivre les efforts de recherche publique et les investissements associés sur les effets non-CO2 du transport aérien et sur les interactions de ces derniers avec les effets CO2

C.   Le secteur aérien est soumis à une réglementation environnementale croissante

De nombreuses dispositions juridiques existent, aux niveaux national, européen et international, afin d’enrayer la contribution du secteur aérien au réchauffement climatique. Outre la mise en place de dispositions législatives et réglementaires contraignantes, il existe également des documents programmatiques (en France la SNTA, la stratégie nationale bas-carbone ([SNBC], etc.), qui fixent des objectifs en matière environnementale au secteur.

1.   En France : la loi climat-résilience et la fiscalité incitative à l’utilisation de carburants alternatifs

a.   Les dispositions de la loi climat-résilience

En premier lieu, la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite « loi climat‑résilience », prévoit plusieurs dispositions propres au secteur aérien :

– l’article 142 fixe pour objectif que le transport aérien s’acquitte d’un prix du carbone à compter de 2025. Un rapport doit être remis au Parlement en 2022 pour préciser les dispositions nationales à mettre en place, à défaut d’un dispositif européen, dès lors que le trafic aérien français retrouverait son niveau de l’année 2019. Il est également prévu un objectif d’amélioration de la « performance environnementale de la navigation aérienne » d’ici 2025, qui passe notamment par des routes plus directes, des temps d’attente et de roulage au sol réduits et la généralisation de l’atterrissage en descente continue. Un rapport doit être remis sur « l’accompagnement du secteur du transport aérien dans sa stratégie de réduction de son empreinte carbone », en particulier concernant le développement d’une filière de biocarburants. Outre la mise en place de dispositions législatives et réglementaires contraignantes, il existe également des documents programmatiques (stratégie nationale pour le transport aérien, stratégie nationale bas-carbone…), qui fixent des objectifs en matière environnementale pour le secteur. Vos rapporteurs ne peuvent qu’appeler de leurs vœux la remise rapide de ces rapports au Parlement en 2022 afin qu’ils puissent nourrir la réflexion, en particulier compte tenu de la présidence française de l’Union européenne au premier semestre 2022.

Proposition n° 3 : transmettre dans les meilleurs délais au Parlement les rapports prévus à l’article 142 de la loi climat-résilience

– l’article 143 vise à augmenter la part modale du transport ferroviaire de voyageurs définie par la SNBC ;

– l’article 144 a pour objectif de lutter contre la revente à perte de billets d’avion, notamment en faisant évoluer la réglementation européenne et en instaurant un prix de vente minimal, et ce afin de favoriser le report modal de l’avion vers le train ;

– l’article 145 interdit les services réguliers de transport aérien public de passagers en France en avion lorsqu’il existe une alternative en train de moins de 2 h 30 et hors correspondance, à compter du 31 mars 2022, avec une évaluation du dispositif au bout de 3 ans. Un décret en Conseil d’État doit préciser, entre autres, « les modalités selon lesquelles il peut être dérogé à cette interdiction lorsque les services aériens (…) peuvent être regardés comme assurant un transport aérien décarboné ». Il est souhaitable de publier ce décret au plus tôt, car il peut être important pour arbitrer les choix stratégiques de décarbonation du secteur. Il est également prévu la remise d’un rapport au Parlement sur l’opportunité d’étendre de telles dispositions au fret. Il convient de noter qu’un recours a été intenté auprès de la Commission européenne par l’UAF contre l’interdiction des vols de moins de 2 h 30 ;

Proposition n° 4 : publier dans les meilleurs délais le décret d’application prévu à l’article 145 de la loi climat-résilience, qui doit préciser les modalités de dérogation à l’interdiction des vols de mois de 2 h 30 sur le territoire français sous conditions de décarbonation

– l’article 146 dispose que les projets d’extension d’aéroport ne peuvent être déclarés comme étant d’utilité publique dès lors qu’ils ont pour effet d’entraîner une augmentation nette, après compensation, des émissions de GES générées par l’activité portuaire par rapport à l’année 2019. Certaines exceptions sont prévues ;

– l’article 147 crée une nouvelle section dans le code de l’environnement intitulée « Réductions d’émissions issues de projets de compensation des émissions de gaz à effet de serre ».

b.   La taxe incitative à l’utilisation d’énergies renouvelables dans les transports (TIRUERT)

À compter du 1er janvier 2022, le transport aérien sera soumis à la taxe incitative à l’utilisation d’énergies renouvelables dans les transports (TIRUERT), jusqu’à présent appelée taxe incitative à l’incorporation de biocarburants (TIRIB). Le régime d’application de la TIRUERT est précisé à l’article 266 quindecies du code des douanes ([18]). Ce dernier fixe des objectifs d’incorporation d’énergies renouvelables dans les différents types de carburant. Pour les carburéacteurs, cet objectif d’incorporation est de 1 % et le tarif de la taxe de 125 € par hectolitre.

Le montant de la taxe est calculé en fonction de ce tarif et de l’écart entre l’objectif cible d’1 % et l’incorporation réellement effectuée. Lorsque l’objectif d’incorporation est atteint ou dépassé par le redevable, le montant de la taxe est nul.

Avec l’instauration de ce mandat d’incorporation dans les carburéacteurs applicable dès 2022, la France traduit ses ambitions de décarbonation du secteur aérien de manière opérationnelle, anticipant la fixation d’objectifs similaires au niveau européen dans le règlement ReFuelEU Aviation.

2.   Au niveau européen : les dispositions prévues dans le paquet Fit for 55

En juillet 2021, la Commission européenne a présenté un « paquet » de 12 mesures législatives, dénommé Fit for 55, qui traduit les engagements du Pacte vert pour le climat. Le but de ces mesures est de réduire les émissions de GES d’au moins 55 % d’ici 2030. Dans ce paquet législatif, 4 textes intéressent particulièrement les secteurs aérien et aéronautique :

– la proposition de directive modifiant la directive 2003/87/CE ([19])  prévoit la fin progressive de l’allocation de quotas gratuits pour le transport aérien dans le cadre du système EU-ETS ([20]) d’ici 2027. Durant la période 2013-2020 (phase III du SEQE), 85 % des quotas ont été alloués gratuitement au secteur aérien. Il convient cependant de rappeler que l’aérien est à ce jour le seul mode de transport soumis au système EU-ETS, pour les seuls vols internes à l’espace économique européen (EEE). La proposition de directive prévoit une réduction progressive de quotas gratuits, ainsi que les modalités d’articulation des quotas EU‑ETS avec le dispositif CORSIA (Carbon offsetting and reduction scheme for international aviation), applicable pour les vols extra-européens.

La DGAC souligne que, « tout en étant favorable à la diminution rapide des quotas gratuits, la France a exprimé des inquiétudes quant à l’absence d’étude d’impact cumulée des différentes propositions du Paquet Fit for 55 impactant le secteur aérien. Elle demande dans le cadre des négociations en cours une meilleure prise en compte des risques de fuite de carbone et de distorsion de concurrence pour les hubs, qui pourraient limiter les gains environnementaux des mesures proposées et mettre en difficulté le transport aérien européen ». Vos rapporteurs partagent de telles préoccupations et soulignent que les recettes issues du système EU-ETS liées aux émissions du secteur aérien doivent bénéficier en premier lieu aux acteurs de ce secteur, afin d’encourager les projets de décarbonation ;

Proposition n° 5 : porter une attention particulière aux distorsions de concurrence qui pourraient résulter de la réduction progressive de l’allocation de quotas gratuits pour le secteur aérien

Proposition n° 6 : flécher les recettes issues du système EU-ETS et liées aux émissions du secteur aérien vers les efforts en faveur de la décarbonation du secteur

– l’article 14 de la proposition de directive dite « RED III » ([21]) ouvre la voie à une taxation du kérosène s’agissant des vols intra-européens, avec un alignement progressif sur la fiscalité du transport routier ;

– la proposition de règlement « AFIR » sur le déploiement d’une infrastructure pour carburants alternatifs ([22]) fixe des objectifs en matière de fourniture d’électricité aux aéronefs en stationnement, à horizon 2025 et 2030 ;

– enfin, la proposition de règlement dite « ReFuelEU Aviation » ([23]) fixe des mandats d’incorporation de carburants d’aviation durable pour les vols au départ de l’UE, tant pour les fournisseurs de carburants que pour les exploitants d’aéronefs.

3.   Au niveau international : le programme CORSIA

CORSIA (Carbon offsetting and reduction scheme for international aviation) est un programme de réduction des émissions du secteur aérien pour les vols internationaux établi par l’OACI, qui fonctionne sur la base de systèmes de compensation des émissions carbone. Sur la période 2021‑2026, l’adhésion des États au programme se fait sur la base du volontariat. 65 pays participent à la phase volontaire, représentant 87 % du trafic aérien international. Ils ne doivent pas dépasser le niveau d’émissions de l’année 2019. Puis le dispositif deviendra obligatoire, avec des exceptions prévues pour les pays les moins développés ou qui contribuent de manière négligeable au trafic aérien international.

L’UE, dans sa décision (UE) 2020/954 du Conseil du 25 juin 2020, a accepté volontairement de rentrer dans le programme CORSIA sur une première phase pilote 2021-2023. Il faut être particulièrement vigilant au double comptage avec la compilation des mécanismes de compensation, notamment à l’articulation entre CORSIA et EU-ETS : un crédit de compensation doit correspondre à une tonne de CO2.

III.   Alors que la défiance vis-à-vis du secteur aéronautique est importante, celui-ci demeure un atout capital pour le pays

Alors que l’avion fait aujourd’hui l’objet de nombreuses critiques, particulièrement quant à son impact environnemental, il convient plus que jamais de rappeler l’importance du secteur aéronautique pour le pays à maints égards, tout en communiquant de manière plus intense sur les actions entreprises pour décarboner le secteur.

A.   Longtemps vu comme un progrès, l’avion fait aujourd’hui l’objet de nombreuses critiques

1.   L’avion est source de progrès, de développement des relations internationales et de désenclavement des territoires

L’avion est un progrès technologique qui a permis de réduire les distances et de faciliter les échanges internationaux. Comme le souligne l’économiste Yves Crozet, spécialiste des transports, il a longtemps été vu comme une solution plutôt que comme un problème. Il a notamment permis de générer de nombreux emplois, de faire des progrès en matière de recherche dans de nombreux domaines, d’améliorer la compétitivité de l’économie française, etc.

L’avion est sans conteste un facteur de désenclavement territorial important. C’est particulièrement visible en France avec la Corse et les outremer, qui demeurent largement tributaires de ce moyen de transport. Plus généralement, il existe sur le territoire français des délégations de service public, pour assurer une bonne connectivité des territoires les plus enclavés. L’importance du trafic affinitaire n’est par ailleurs plus à démontrer.

L’aéronautique est également source d’attractivité pour les territoires. Un site bien desservi peut favoriser les implantations d’entreprises et favoriser une meilleure répartition de celles-ci sur l’ensemble du territoire français. Dans le même esprit, c’est un acteur indéniable de la politique touristique française. Il est indispensable pour maintenir la France dans le haut du classement des destinations touristiques mondiales.

Plus généralement, l’avion est un acteur incontournable des relations internationales et de la diplomatie mondiale. Il permet d’accéder à des zones de conflit et de mener des opérations humanitaires et de maintien de la paix, par exemple en mettant en place des ponts aériens. Les évacuations opérées depuis l’Afghanistan à la fin de l’été 2021 témoignent si besoin est de l’importance de ce moyen de transport pour réaliser des évacuations civiles. Durant la crise sanitaire, de nombreux rapatriements sanitaires ont été opérés par avion. Hors période de crise, Air France effectue d’ailleurs environ 1 300 rapatriements sanitaires chaque année.

Prendre l’avion n’est pas toujours un choix : il n’est pas systématiquement substituable à un autre moyen de transport et notamment au train. L’étude des sociologues Yoann Demoli et Jeanne Subtil sur la démocratisation du transport aérien en France fait observer à ce propos que le recours à l’avion est moins substituable au train que le train ne l’est à la voiture ([24]). À l’échelle de pays très vastes, comme l’Inde ou les États-Unis, ou dans des régions aux topographies complexes, comme en Indonésie ou en Amérique du Sud, il est un moyen de transport incontournable. Quant aux vols long‑courrier, en particulier pour les vols transatlantiques et transpacifiques, la question du report modal ne peut se poser.

Il existe des avis partagés sur une réelle « démocratisation » du transport aérien. Yoann Demoli et Jeanne Subtil évoquent une « démocratisation en trompe-l’œil », avec une multiplication du nombre de voyages plutôt que du nombre de voyageurs sur la période étudiée. Selon le rapport « Pouvoir voler en 2050 » précité, les cadres supérieurs français prendraient 17 fois plus l’avion que les ouvriers et 1 % de la population mondiale serait responsable de 50 % des émissions dues à l’aviation ([25]).

2.   L’avion est pourtant largement remis en cause aujourd’hui, même si les pratiques ne suivent pas toujours les courants d’opinion

Il existe un discours hostile important vis-à-vis du transport aérien et en particulier le flygskam, qui est un terme traduisant le phénomène de honte de prendre l’avion. Ce mouvement en provenance de l’Europe du Nord existe depuis 2017 et a pris une certaine importance.

Cependant, les répercussions de tels courants d’opinion ne se traduisent pas de manière significative sur le niveau de trafic aérien à ce stade. De l’avis de nombreux acteurs auditionnés – agences de voyages, compagnies aériennes, mais aussi économistes et sociologues – le prix demeure à ce jour le facteur déterminant à l’achat d’un billet de transport, bien plus que les considérations environnementales. Selon le chercheur en sociologie Hadrien Coutant, « réduire significativement son usage de l’avion exige aujourd’hui un niveau de militantisme écologiste trop rare pour que ses effets soient significatifs ».

Les réservations de vols ont d’ailleurs battu leur plein à la réouverture des liaisons aériennes lorsque la situation épidémique s’est améliorée, certains évoquant même une forme de revenge travel. La volonté de prendre l’avion est demeurée quasi intacte : en décembre 2020, 61 % des Français de 20 ans et plus comptaient prendre l’avion dans les 12 prochains mois. Ils étaient déjà 63 % à la même période en 2019 ([26]). Si les pratiques évoluent, elles le font très lentement. Selon Y. Demoli, il existe une certaine inertie des comportements en matière de mobilité.

Enfin, le flygskam n’est pas universellement partagé et demeure parfois un débat très occidental, voire nord‑européen. Il faut avoir conscience que dans d’autres régions du monde, comme en Asie, aux États-Unis ou en Amérique du Sud, les préoccupations relatives aux conséquences environnementales du transport aérien sont beaucoup moins présentes.

B.   Un atout économique décisif dont il faut absolument préserver la compétitivité

L’industrie aéronautique est soumise à une forte concurrence internationale. Le France et l’UE doivent absolument rester compétitifs sur ce segment pour se maintenir sur le marché. Si la France venait à perdre sa place mondiale de choix dans l’industrie aéronautique, certaines régions hautement spécialisées, notamment le sud-ouest de la France, pourraient pâtir de ce que certains ont déjà appelé un risque de « syndrome de Détroit » ([27]). Des avionneurs tels que l’américain Boeing ou le chinois Comac sont de sérieux concurrents qui ne se priveront pas de prendre des parts de marché en cas de déclin de l’industrie aéronautique française. À titre d’exemple, COMAC devait livrer fin 2021 les premiers exemplaires du C919, concurrent direct de l’A320 d’Airbus et du Boeing 737.

De plus, les commandes d’aéronefs sont largement issues de clients situés en dehors du continent européen. Le principal marché de l’avionneur franco-italien ATR se trouve en Asie-Pacifique (39 % de sa flotte totale). Pour Airbus, les revenus issus de cette zone géographique représentaient 32 % environ de ses revenus totaux en 2019. La demande asiatique devrait croître dans les prochaines années. Il est donc primordial de maintenir l’attractivité et la compétitivité françaises pour assurer un niveau de demande suffisamment élevé, garantissant les débouchés nécessaires à notre industrie.

Des signes positifs de reprise grâce à des commandes importantes
passées auprès des avionneurs français

 L’amélioration de la situation épidémique à la mi-2021 a permis aux avionneurs de remplir à nouveau leurs carnets de commandes. À la fin de l’été 2021, Airbus avait en commande 6 900 avions, dont 6 156 pour la seule famille A320-A220. Boeing estime par ailleurs que « les compagnies aériennes auront besoin de plus de 7 500 nouveaux avions gros porteurs d’ici 2040 » et prévoient une augmentation de 70 % de la flotte cargo horizon 2040.

 Par ailleurs, le salon aéronautique de Dubaï (Dubaï Airshow), qui s’est tenu au mois de novembre 2021, a permis de nouvelles commandes d’avions pour l’industrie aéronautique française. Au total, Airbus a engrangé 408 commandes d’aéronefs lors de ce salon (269 commandes fermes et 139 engagements). Indigo Partners a commandé 255 avions de la famille A321neo, Jazeera Airways 28 A321neo, la compagnie nigérienne Ibom Air 10 A220, etc. En décembre 2021, Air France a de nouveau commandé une centaine d’avions de type A320neo et 4 versions cargo de l’A350 (données commandes fermes).

Il faut donc soutenir plutôt qu’agir par la contrainte sur la filière aéronautique, afin qu’elle puisse préserver son leadership mondial. La filière possède de beaux atouts, à commencer par son haut niveau de qualification, sa très bonne structuration et sa capacité de planification de long terme. Des difficultés sur certains modèles tels que le 737 Max de Boeing ou l’A380 d’Airbus reflètent le caractère impitoyable de la concurrence aéronautique mondiale.

La France doit se maintenir dans la compétition internationale tout en accélérant la réduction des conséquences environnementales du trafic aérien. Or l’innovation et la recherche sont aussi des facteurs sur lesquels il existe une forte compétition, au sein même de l’Europe. Le pays dispose de sérieux avantages sur ce point, notamment grâce à l’ONERA (Office national d’études et de recherches aérospatiales) et au Conseil pour la recherche aéronautique civile (CORAC). Mais certains autres centres de recherches européens, tels que le centre allemand pour l’aéronautique et l’astronautique (DLR), pourraient être amenés à prendre davantage d’importance. C’était du reste l’alerte donnée par un récent rapport sénatorial sur l’ONERA, qui relevait qu’en matière spatiale, « les représentants du DLR à l’Agence spatiale européenne (ESA) ont indiqué sans ambages qu’ils avaient pour objectif de devenir les premiers en Europe, devant les Français » ([28]).

L’effort de soutien à la R&D française doit être maintenu pour maintenir celle-ci en tête de la compétition internationale : vos rapporteurs ont déposé un amendement au PLF pour 2022 en ce sens, qui prévoyait 5 M€ supplémentaires en faveur de la recherche en aéronautique civile, sur le programme « Recherche dans les domaines de l’énergie, du développement des mobilités durables » ([29]). Cet amendement n’a pas été adopté.

Les États-Unis disposent d’une politique commerciale qui a pu se montrer très offensive en matière d’industrie aéronautique. Le contrat de filière aéronautique de 2018 souligne l’utilisation « de la réglementation comme arme commerciale » de leur part et la nécessité de défendre la filière française et européenne en réponse. Les différends entre l’UE et les ÉtatsUnis au sujet des aides publiques versées à Airbus et Boeing témoignent également de la place stratégique de l’aéronautique dans les relations commerciales internationales. Les deux puissances sont parvenues à la conclusion d’une trêve de 5 ans dans la mise en place de mesures de rétorsion douanières.

Les écoles d’ingénieur formant aux métiers de l’aéronautique sont tout autant soumises à une importante concurrence internationale. L’ISAE-Supaéro, leader mondial en la matière, doit rivaliser avec les grandes universités américaines mais aussi avec une concurrence européenne. Par exemple, l’université technique de Munich a créé un département Aerospace financé à hauteur de 700 M€ par le Land de Bavière. Pour résister à cette concurrence, la création d’un « champion national », de formation aux métiers de l’aéronautique et de l’aérien à Toulouse, regroupant l’ISAE-Supaéro, l’ENAC, l’ONERA et l’IRT Saint-Exupéry pourrait permettre de s’imposer définitivement dans la compétition mondiale en la matière. Cette idée a notamment été évoquée par le directeur général de l’ISAE‑Supaéro, auditionné par vos rapporteurs.

Proposition n° 7 : créer un pôle national de formation aux métiers de l’aéronautique et de l’aérien à Toulouse pour renforcer le leadership français en la matière

C.   L’industrie aéronautique est nécessaire à la vitalité de l’économie française

1.   L’industrie aéronautique est un rouage essentiel de l’économie française

La France peut être fière de son industrie aéronautique, véritable fleuron national. Elle dispose d’une chaîne industrielle complète et intégrée, ce qui permet une meilleure résilience en temps de crise grâce à une très bonne solidarité de la filière.

En 2018, la filière aéronautique française représentait 1 300 entreprises industrielles et 58 Md€ de CA, dont 44 % réalisés à l’export. Environ 70 % du CA du secteur aéronautique et spatial est réalisé dans le secteur civil et 30 % dans le militaire. En 2019, le secteur de l’aviation civile, construction aéronautique incluse, contribuait pour 4,3 % du produit intérieur brut (PIB) national et disposait d’une balance commerciale excédentaire de 34 Md€. Concernant les grandes entreprises du secteur aéronautique :

– Air France contribue pour 22 Md€ à l’économie nationale et dispose d’une flotte de 300 appareils ;

– Safran et Thalès comptent parmi les 10 premiers déposants de brevets en France ([30]) ;

– Airbus représente 45 % de la flotte mondiale d’appareils moyen et long‑courrier ;

– Safran motorise plus de 70 % des avions moyen‑courrier dans le monde.

Le secteur aéronautique est également un moteur du commerce extérieur français. Il était le secteur le plus dynamique à l’export en 2019. L’industrie aéronautique a représenté 12 % des exportations de biens en moyenne sur les dix dernières années. Le secteur est de fait très dépendant du commerce extérieur, réalisant 86 % de son chiffre d’affaires à l’export ([31]).

Exportations et importations dans le secteur aéronautique et spatial

Source : Rapport sur le commerce extérieur de la France 2021

2.   Des emplois et des compétences qui irriguent l’ensemble du territoire

Selon les dernières données de l’Insee ([32]), la filière aérospatiale française emploie 263 000 salariés pour son activité aérospatiale, l’aéronautique représentant elle-même 88 % des effectifs de la filière. Dans le grand Sud-Ouest (Occitanie et Nouvelle-Aquitaine), la filière aérospatiale représente environ 147 000 emplois, dont 71 % des effectifs pour l’aéronautique ([33]). La filière aérospatiale représente ainsi 40 % environ de l’emploi industriel de ces régions. Avant la crise, l’emploi dans le secteur aéronautique bénéficiait d’un rythme de croissance annuelle moyenne d’environ 1,7 % entre 2007 et 2019, contre une baisse de 1 % dans l’industrie sur la même période.

Le transport aérien générerait quant à lui 1 million d’emplois en France. Hors temps de crise, les plateformes aéroportuaires parisiennes représentent près de 120 000 emplois directs.

Les différentes branches du secteur aéronautique donnent lieu à des synergies importantes et facilitent ainsi la création ou le maintien de bassins d’emplois. Par exemple, Edeis, exploitant d’aéroports, a investi 9 M€ sur la base de Toulouse‑Francazal, permettant notamment l’implantation de nombreuses entreprises du secteur de l’aéronautique sur le site. Dans le même esprit, à l’aéroport de Dijon Longvic, Edeis fait observer que « la reprise de la partie militaire de la base a permis l’installation d’entreprises et même d’associations de réinsertion, avec 300 emplois à la clé pour le territoire ».

Concernant la répartition géographique des emplois, 30 % des emplois du secteur aéronautique et spatial ([34]) se trouvent en Île‑de‑France, 27 % en Occitanie et 10 % en Nouvelle Aquitaine. L’aéronautique est caractéristique du tissu industriel du sud-ouest de la France, mais elle irrigue en réalité tout le territoire. Il existe d’ailleurs des régions caractérisées par un domaine de compétences propre au sein de la production aéronautique, par exemple la « pointe avant » de l’avion dans les Hauts-de-France ou l’ensemble propulsif en Île‑de‑France ([35]). Notre commission des affaires économiques avait d’ailleurs visité le site de Méaulte de l’entreprises Stelia Aerospace, dans la Somme, en novembre 2018.

Les concurrents étrangers reconnaissent la qualité du tissu industriel aéronautique français. Par exemple, Boeing a récemment fait un « Tour de France » en partenariat avec le GIFAS pour trouver de nouveaux partenaires. Boeing est d’ailleurs le premier client à l’export des équipements aéronautiques français.

Il est donc primordial de maintenir l’attractivité du secteur aéronautique français et de préserver l’excellent niveau de compétences dont la filière dispose. La compétition est à l’œuvre y compris en termes d’emplois et il existe une véritable « guerre des talents » au niveau mondial. Or la capacité à maintenir des emplois qualifiés et à attirer les jeunes générations dans l’industrie aéronautique sont deux conditions majeures de la réussite de la décarbonation du secteur aérien.


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   Deuxième partie :
relever le défi de la décarbonation par le soutien aux solutions technologiques

La décarbonation du secteur aérien est une priorité pour répondre aux objectifs de l’accord de Paris. Les innovations technologiques ont un rôle majeur à jouer en l’espèce. Les exigences environnementales doivent naturellement être conciliées avec le maintien d’un niveau de sécurité inchangé, tant s’agissant des aéronefs proprement dits que de la navigation aérienne.

Au niveau européen et international, plusieurs feuilles de route ont récemment été adoptées afin de fixer des objectifs de décarbonation :

– à l’OACI, une stratégie de long terme, baptisée LTAG (Long-term global aspirational goal), pourrait être adoptée lors de la 41e session de l’Assemblée de l’OACI, qui aura lieu du 27 septembre au 7 octobre 2022. Une session de travail en novembre 2021 ([36]) a permis d’identifier les principaux leviers en la matière. Par ailleurs, l’OACI a adopté dès 2017 des normes sur les émissions de CO2 pour les avions à réaction. Selon la SNTA, « le secteur aéronautique est à cette occasion devenu le premier secteur industriel à se doter d’une référence mondiale de certification qui incite les constructeurs à renforcer l’efficacité énergétique de leurs appareils » ;

– l’IATA s’est engagée à la neutralité carbone du transport aérien en 2050, à l’occasion de son 77e meeting annuel en octobre 2021, avec son plan Fly Net Zero. Il est prévu que l’atteinte d’un tel objectif se fasse grâce au déploiement massif des SAF (sustainable aviation fuels, autrement dit, des carburants d’aviation durables) à hauteur de 65 %, grâce aux nouvelles technologies à hauteur de 13 %, par l’amélioration des opérations à hauteur de 3 % et par des mécanismes de compensation carbone à hauteur de 19 %. L’ATAG (Air Transport Action Group), qui regroupe les industriels du secteur aéronautique au niveau mondial, s’est aligné sur les objectifs fixés par l’IATA ;

– au niveau européen, l’étude Destination 2050 ([37]), commandée par les acteurs du secteur aérien, donne également des objectifs pour atteindre zéro émission nette de CO2 en 2050 pour les vols au départ et au sein de l’Europe. La décarbonation serait permise grâce aux SAF pour 46 %, aux nouvelles technologies pour 38 %, à des mesures économiques de type compensation des émissions pour 10 % et à l’amélioration des opérations pour 6 %.

Leviers de décarbonation du transport aérien à horizon 2050 en Europe