N° 4907

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 13 janvier 2022

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DEs affaires ÉTRANGÈRES

en conclusion des travaux d’une mission d’information constituée le 9 décembre 2020

sur les droits des femmes dans le monde
et l’application de la convention d’Istanbul

et présenté par

Mme FrÉdÉrique Dumas et Mme Brigitte Liso

 

Députées

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SOMMAIRE

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Pages

SynthÈse

Propositions

Introduction

I. La violence faite aux femmes est l’atteinte aux droits humains la plus rÉpandue et la moins visible au monde

A. Les femmes sont exposÉes À un éventail de violences dans toutes les sphÈres de la vie

1. Les violences physiques et sexuelles sont les formes de violences les plus courantes

2. Certaines violences sont pour l’essentiel extra-européennes

3. Certaines violences sont une source de préoccupation nouvelle

B. la frÉquence et l’intensitÉ des violences sont plus ÉlevÉes dans certaines rÉgions du monde

1. Dans l’Union européenne, une femme sur trois a subi des violences

2. Les violences faites aux femmes sont plus importantes dans le voisinage de l’Union européenne

3. Les violences faites aux femmes sont exacerbées dans les contextes de guerre ou de crise sécuritaire

C. Certaines femmes, qui cumulent des vulnÉrabilitÉs, sont davantage exposÉes au risque de la violence

1. Les filles sont les premières victimes des violations des droits des femmes

2. Fragilisées, les migrantes sont très vulnérables aux violences

3. Les violences visent aussi les femmes journalistes

D. Multicausales, les violences À l’Égard des femmes ont des consÉquences dramatiques pour les sociÉtÉs

1. Les facteurs expliquant la violence sont multiples

2. Les violences ont un coût individuel et collectif très élevé

a. En temps de paix

b. En temps de guerre

II. Depuis vingt-cinq ans, la lutte contre les violences faites aux femmes est devenue un objet de mobilisation internationale

A. La rÉponse aux violences faites aux femmes est nÉcessairement globale, et donc difficile

1. La réponse aux violences faites aux femmes doit faire l’objet d’une approche « de bout en bout »

2. La prévention et la prise en charge des victimes de violences sexuelles en temps de guerre sont spécifiques

3. L’égalité des sexes est la condition d’une société sans violences

B. Les initiatives de la communautÉ internationale sont nombreuses mais leurs effets sont difficiles À voir

1. Le système onusien a produit un cadre normatif et des actions contre les violences faites aux femmes

2. La communauté internationale a élaboré un cadre normatif et juridictionnel pour lutter contre les violences sexuelles dans les conflits

C. L’Union europÉenne est moins active que le Conseil de l’Europe dans la lutte contre les violences faites aux femmes

1. Avec la convention d’Istanbul, le Conseil de l’Europe a élaboré l’instrument le plus abouti dans la lutte contre les violences faites aux femmes

a. Les caractéristiques de la convention d’Istanbul

b. Le suivi par le GREVIO

c. Les autres actions du Conseil de l’Europe

2. L’Union européenne ne s’est pas complètement emparée du sujet

a. Au plan intérieur, l’UE ne dispose pas d’un instrument spécifique consacré à la protection des femmes contre la violence

b. Au plan extérieur, l’action de l’UE est plus affirmée

D. Plusieurs États, dont la France, affichent depuis peu une ambition politique contre les violences faites aux femmes

1. Dans plusieurs pays européens, la lutte contre les violences faites aux femmes s’est imposée au sommet de l’agenda politique

a. En Suède

b. En Espagne

c. En France

2. La France affiche une diplomatie des droits des femmes qui englobe la lutte contre les violences

a. L’action multilatérale

b. L’action bilatérale

III. Le risque est aujourd’hui ÉlevÉ d’une remise en cause des acquis dans la lutte contre les violences faites aux femmes

A. Certains progrÈs ont ÉtÉ enregistrÉs au cours des vingt-cinq derniÈres annÉes

1. Le combat international contre les violences faites aux femmes a été marqué par certaines réussites, malgré une difficulté à les objectiver

2. À l’échelle des pays du Conseil de l’Europe, la convention d’Istanbul a favorisé des avancées que le GREVIO a pu constater

3. Le mouvement #MeToo a suscité un nouvel élan dans la lutte contre les violences faites aux femmes

B. Mais les rÉponses Étatiques aux violences faites aux femmes restent pour l’essentiel faibles et insuffisantes

1. Dans certains pays, le cadre juridique reste lacunaire

2. Le plus souvent, un écart persiste entre le droit et la réalité

a. En France

b. En Pologne et dans les Balkans

c. En Turquie

3. La convention d’Istanbul en particulier n’est pas pleinement mise en œuvre

4. En Afrique de l’Ouest, le droit n’a qu’une faible prise sur la réalité des violences

5. Sur les théâtres de conflit, les violences sexuelles demeurent omniprésentes

C. Le retour des conservatismes limite aujourd’hui de nouvelles avancÉes

1. La réaction conservatrice aux progrès ayant bénéficié aux droits des femmes a désormais une ampleur internationale

2. La convention d’Istanbul est devenue une des principales cibles des mouvements qui s’attaquent aux droits des femmes

a. Des États réticents jusque dans l’UE

b. La tentation du retrait : le cas de la Pologne

c. Le retrait turc

3. Le Forum Génération Égalité est une réponse à la contestation croissante visant les droits des femmes

D. Comme l’illustre la pandÉmie, les crises se traduisent par des reculs dans la lutte contre les violences faites aux femmes

IV. La France et l’Union europÉenne peuvent faire levier pour accentuer le combat contre les violences faites aux femmes

A. Renforcer l’État des connaissances afin de mobiliser largement

1. L’amélioration des données statistiques est indispensable pour bâtir des politiques publiques efficaces

2. Agir sur d’autres sociétés oblige à mieux les connaître

3. Le combat contre les violences faites aux femmes exige une mobilisation permanente

B. ComplÉter, Étendre et opÉrationnaliser les cadres normatifs

1. Le cadre juridique européen et international doit encore être complété

a. Un arsenal législatif européen doit sortir de terre

b. Les cadres normatifs applicables aux formes de violence qui sont l’objet d’une préoccupation plus récente doivent être renforcés

2. Après le retrait turc, la convention d’Istanbul mérite d’être défendue et portée auprès d’autres États

3. L’enjeu est surtout d’améliorer les mécanismes permettant d’assurer la mise en œuvre des cadres normatifs

C. Financer et amÉliorer la rÉponse apportÉe sur le terrain

1. La lutte contre les violences basées sur le genre doit être mieux prise en compte dans la stratégie de développement

2. Catalysatrices de changements, les organisations engagées sur le terrain doivent être mieux soutenues

3. L’action des acteurs internationaux peut être mieux coordonnée et parfois simplifiée

examen en commission

ANNEXE : LISTE DES PERSONNES ENTENDUES PAR  LES CO-RAPPORTEURES ET DÉPLACEMENTS


   SynthÈse

● Un paradoxe malheureux limite la prise de conscience de la gravité des violences faites aux femmes : pour l’essentiel invisibles et largement passées sous silence, elles sont pourtant une des violations des droits humains les plus répandues. Dans le monde et jusque dans l’Union européenne (UE), une femme sur trois a été exposée à des violences physiques ou sexuelles au cours de sa vie.

Le tableau est relativement bien connu. Les violences envers les femmes prennent des formes variées, de la violence d’un partenaire intime aux mutilations génitales féminines en passant par la cyberviolence, qui est en pleine croissance. Si, faute de données fiables, la prévalence des violences d’une région à l’autre est difficile à comparer, tout laisse à penser que les violences sont plus importantes à l’extérieur de l’UE, a fortiori dans les zones affectées par les conflits. Certaines vulnérabilités, comme l’âge, surexposent certaines femmes au risque de violence.

Quelle que soit leur forme, où qu’elles se produisent, les violences tirent leur origine d’une cause principale : l’inégalité entre les sexes. Elles ont de lourdes répercussions pour les victimes et représentent un lourd fardeau pour les sociétés.

● Le coût de la violence envers les femmes a justifié une importante mobilisation de la communauté internationale. La lutte contre les violences, dès lors qu’elle résulte de l’inégalité de genre, ne peut être dissociée du combat plus général pour l’égalité entre les femmes et les hommes. Mais, par leur nature, les violences exigent aussi une réponse spécifique, qui se décline à plusieurs niveaux.

À l’échelle internationale, des cadres ont été établis et plusieurs acteurs onusiens sont mobilisés. C’est à l’échelle régionale, celle du Conseil de l’Europe, qu’a été adoptée la « convention d’Istanbul », qui est perçue comme l’instrument le plus abouti dans la lutte contre les violences faites aux femmes. Par contraste, l’UE ne s’est toujours pas dotée d’un instrument contraignant dans ce domaine, ce qui ne l’empêche pas de faire de l’égalité de genre un des fils conducteurs de sa politique étrangère. L’action internationale et européenne est complétée par la mobilisation de pays qui ont fait de la lutte contre les violences basées sur le genre un sujet de mobilisation en interne et dans le cadre de leur diplomatie « féministe ».

● En dépit de cette mobilisation, vos rapporteures déplorent, partout, un décalage persistant entre les principes et les intentions, d’une part, et la réalité des violences faites aux femmes, d’autre part. Il ne faut cependant pas dresser un tableau trop sombre car le combat contre les violences a permis des avancées réelles. En révélant le caractère systématique et massif des violences envers les femmes, le mouvement « #MeToo », dont la résonance a été quasi-mondiale, s’est traduit par une forte pression sur les décideurs pour redoubler d’efforts dans ce combat.

 

En parallèle, et de façon très inquiétante, les signes d’un relativisme nouveau à l’égard des droits des femmes n’ont cessé de se renforcer ces dernières années. Le retrait de la Turquie de la convention d’Istanbul aura à tout le moins permis une prise de conscience importante : à l’échelle internationale, les droits des femmes sont devenus un théâtre d’affrontement entre différentes visions du monde.

Entravé, le combat contre les violences faites aux femmes est en recul à chaque crise qui passe. La pandémie est à nouveau venue démontrer que la consolidation des droits des femmes est insuffisante pour résister aux chocs.

● En l’absence d’un engagement renouvelé dans la lutte contre les violences fondées sur le genre, la protection acquise par les femmes dans le monde pourrait ne représenter qu’une parenthèse dans l’histoire. Le combat à mener est difficile mais l’importance de l’enjeu justifie tous les efforts. Vos rapporteures, pour qui l’affirmation de grands principes ne suffit plus, font trois « blocs » de propositions dont la mise en œuvre permettra de cheminer concrètement, progressivement et méthodiquement vers l’idéal d’un monde exempt de violences envers les femmes.   

La première série de propositions vise à approfondir les connaissances afin d’appuyer une mobilisation qui doit être plus soutenue qu’elle ne l’est aujourd’hui. En effet, aucun progrès substantiel ne sera possible sans une amélioration des données statistiques sur les violences et sans une meilleure compréhension des sociétés dans lesquelles on souhaite promouvoir l’égalité des sexes.

En deuxième lieu, le cadre normatif qui vise à limiter les violences doit être amélioré. Un arsenal législatif européen doit se structurer. Après le retrait turc, qui menace de réduire la portée de la convention d’Istanbul, cet instrument mérite d’être défendu et porté auprès d’autres États. Il faut également renforcer les mécanismes visant à assurer la mise en œuvre des cadres normatifs déjà établis.

Le dernier axe est l’amélioration de la réponse de terrain. Mieux financée, l’aide publique au développement « genrée » doit mieux soutenir les organisations de la société civile qui sont catalysatrices de changements. Enfin, l’action collective des agences internationales pourrait être simplifiée pour gagner en efficacité.

 


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   Propositions
 

Seize propositions pour relancer le combat contre les violences faites aux femmes à l’échelle internationale

Renforcer l’état des connaissances afin de mobiliser largement

1) Améliorer les données statistiques au niveau européen en harmonisant les méthodologies de collecte des données, en évaluant plus régulièrement la prévalence des violences et en détaillant les données en fonction des principaux facteurs de vulnérabilité des femmes victimes de violence.

2) Charger l’OMS de proposer un cadre homogène de collecte des données à l’échelle internationale et d’apporter un soutien aux pays qui souhaitent conduire des enquêtes nationales dans ce cadre.

3) Inciter les responsables politiques et les diplomates à davantage s’appuyer sur les anthropologues pour identifier et comprendre les modes d’action permettant de promouvoir les droits des femmes sans brutaliser les sociétés, ce qui est contre-productif.  

4) Accentuer la pression sur les organisations internationales dont l’OMS pour faire de la lutte contre les violences faites aux femmes une priorité.

5) Prévoir à l’Assemblée nationale un débat sur le rapport d’évaluation pays du GREVIO, comme y invite d’ailleurs la convention d’Istanbul.

Compléter, étendre et opérationnaliser les cadres normatifs

6) Aboutir, d’ici la fin de l’année 2022, à l’adhésion de l’Union à la convention d’Istanbul ou, alternativement, à l’adoption d’une initiative législative poursuivant les mêmes finalités que la convention d’Istanbul.

7) Communiquer davantage sur la convention d’Istanbul afin que cette dernière soit mieux connue et, compte tenu des malentendus qu’elle suscite, mieux comprise.

8) Mener un plaidoyer fort en faveur de l’universalisation de la convention d’Istanbul à l’occasion de la présidence française de l’UE.

9) Défendre la convention d’Istanbul en minimisant autant que possible la querelle sémantique qui entoure le terme « genre », qui est à l’origine de la plupart des critiques dont cet instrument est victime. 

10) Plaider, en lien avec nos partenaires européens, en faveur de la mise en œuvre du rapport du projet Mapping au niveau des Nations Unies.

Financer et améliorer la réponse apportée sur le terrain

11) Rehausser les objectifs que la France s’est fixée pour que, en 2025, 85 % de l’APD bilatérale ait l’égalité femmes-hommes pour objectif principal ou significatif et 20 % pour objectif principal.

12) Renforcer la part de l’APD « genrée » consacrée à des projets dont l’objectif est de prévenir et de faire reculer la violence à l’égard des femmes dans le monde.

13) Inciter les ambassades à faciliter la mise en réseau entre les organisations féministes françaises et les organisations féministes étrangères.

14) Mobiliser les fonds FSPI et PISSCA pour agir au stade critique de la « montée à l’échelle » des initiatives locales les plus prometteuses, avant que ces dernières puissent être financées par des bailleurs plus importants.

15) Recentrer les programmes de l’UE sur le renforcement de l’égalité entre les femmes et les hommes dans les pays dans lesquels la condition des femmes est la plus dégradée ou dans lesquels celle-ci se fragilise.

16) Dans les pays qui affichent un réel volontarisme dans la lutte contre les violences faites aux femmes, offrir une assistance technique pour renforcer les capacités des institutions répondant à ces violences.

 


    

   Introduction

Dans la nuit du 19 au 20 mars 2021, les autorités turques ont annoncé le retrait de leur pays de la convention d’Istanbul, dix ans après avoir signé – non sans une certaine fierté – cette convention qui porte le nom de la plus grande ville du pays. Depuis plusieurs années déjà, la convention d’Istanbul était remise en cause et faisait l’objet de critiques sur fond de méprises et de fausses informations alimentées par des courants conservateurs. En prenant cette décision de retrait, qui est une première pour cet instrument, la Turquie a paradoxalement ravivé les projecteurs sur cette convention encore méconnue en dehors des cercles féministes.

Lancée plus de quatre mois avant l’annonce du retrait turc, cette mission d’information est née d’une interrogation sur l’avenir de la convention d’Istanbul. De l’avis de tous, celle-ci représente l’instrument juridiquement contraignant le plus abouti pour lutter contre les violences faites aux femmes et la violence domestique. Mais cet instrument est devenu l’objet d’un affrontement entre plusieurs courants d’opinion, alors que l’objectif d’élimination des violences devrait être consensuel.

La lutte contre les violences faites aux femmes en France a fait l’objet de nombreux travaux parlementaires. En novembre 2019, la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances de l’Assemblée nationale a publié un Livre blanc portant sur la lutte contre les violences conjugales ([1]). Au Sénat, la délégation équivalente a dressé, en juillet 2020, le bilan de la lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants dans le contexte du confinement ([2]). Le présent rapport peut être perçu comme le prolongement de ces travaux à l’échelle internationale.

En revanche, vos rapporteures ont exclu de traiter de toutes les inégalités dont les femmes sont victimes, par exemple dans l’accès à l’éducation et au marché du travail ou dans la répartition des tâches domestiques, bien qu’il puisse être avancé que toute inégalité est une violence. Ce sujet plus large a déjà été traité par nos collègues Mireille Clapot et Laurence Dumont qui, en avril 2018, ont rendu un rapport sur la place des droits des femmes dans la diplomatie française ([3]).

Vos rapporteures se sont ainsi penchées sur les violences physiques et psychologiques envers les femmes au sens strict, qui représentent la version la plus aigüe de l’inégalité femmes-hommes dans le monde. Toutes les violences entrant dans le champ de la convention d’Istanbul, au-delà des seules violences conjugales, qui font l’objet d’un intérêt médiatique justifié, ont ainsi été étudiées.

Dès lors que la convention d’Istanbul a servi de point de départ à ces travaux, le champ d’étude géographique le plus naturel aurait été le Conseil de l’Europe dans le cadre duquel cette convention a été adoptée. Mais les atteintes aux droits des femmes les plus graves, comme les mariages forcés ou les mutilations génitales féminines, ayant lieu ailleurs, vos rapporteures se sont résolues à étendre leur champ d’étude à la périphérie de la grande Europe, en particulier à l’Afrique. Ce choix paraissait d’autant plus justifié que la convention d’Istanbul a une vocation universelle, comme l’est le combat contre les violences faites aux femmes. Vos rapporteures ont ainsi élargi le champ de leurs travaux de la convention, qui est un moyen, à la lutte contre les violences faites aux femmes dans le monde, qui en est l’objectif.

Sur cette base, la mission d’information s’est attachée à dresser dans les grandes lignes un tableau des violences faites aux femmes dans le monde, à évaluer l’action internationale, européenne et nationale dans ce domaine, à explorer les obstacles aux progrès et même de mettre en évidence les risques d’un recul dans ce combat, et à proposer des pistes d’action et des actions « leviers » permettant de contribuer concrètement à la réduction des violences au-delà de nos frontières.

À l’issue de leurs travaux, vos rapporteures conviennent que la lutte contre les violences faites aux femmes est difficile. Les autorités politiques peuvent rarement être jugées directement responsables des violences faites aux femmes, qui résultent avant tout d’une dynamique intérieure aux sociétés. En tout état de cause, nos efforts diplomatiques ne pourront pas se substituer à la mise en œuvre, par les autorités compétentes, d’une politique nationale dans ce domaine. Cet exercice est rendu d’autant plus compliqué que les sujets en lien avec les droits des femmes sont souvent perçus comme des sujets sensibles par nos partenaires, qui ne voient pas toujours d’un bon œil les interventions extérieures. Ceci sans compter le fait qu’aucun pays ne peut prétendre avoir réussi à se débarrasser de ce fléau.

La gravité du sujet justifie pour autant tous les efforts possibles. Il faut cheminer vers un monde exempt de violences faites aux femmes. Ce rapport se conçoit comme un pas vers cet idéal.

 

 


I.   La violence faite aux femmes est l’atteinte aux droits humains la plus rÉpandue et la moins visible au monde

À l’échelle internationale, la définition de la violence fondée sur le genre qui fait référence aujourd’hui est contenue dans la Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes qui a été adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies en 1993. Cette déclaration définit la violence faite aux femmes comme tous les « actes de violence dirigés contre le sexe féminin, et causant ou pouvant causer aux femmes un préjudice ou des souffrances physiques, sexuelles ou psychologiques, y compris la menace de tels actes, la contrainte ou la privation arbitraire de liberté, que ce soit dans la vie publique ou dans la vie privée. »

Le tableau est relativement bien connu. Ces « actes de violence » revêtent de nombreuses formes, de la violence sexuelle à la violence d’un partenaire intime, en passant par les mutilations génitales féminines et les mariages forcés. Si toutes les femmes peuvent en être victimes, ces violences sont plus fréquentes et intenses selon les régions et elles sont systématiques dans les zones de conflit. Des vulnérabilités supplémentaires exposent de façon disproportionnée certaines femmes au risque de violence. Quelle que soit leur forme, où qu’elles se produisent, toutes ces violences ont un point commun : elles résultent principalement de déséquilibres de pouvoir socialement attribués entre les femmes et les hommes.

Malgré la gravité du phénomène, des chiffres fiables et comparables continuent de faire défaut, dans des proportions différentes, au niveau international et européen, y compris au niveau français. Outre le manque d’enquêtes statistiques, la majorité des femmes ne signalent pas aux autorités les actes de violence dont elles sont victimes, quel que soit le type de violence concerné. Depuis la quatrième Conférence mondiale sur les femmes, qui s’est tenue à Pékin en 1995, la communauté internationale a toutefois été incitée à fournir des statistiques plus précises et régulières sur les violences faites aux femmes, ce qui a permis de progresser dans la connaissance de l’étendue de la violence envers les femmes.

A.   Les femmes sont exposÉes À un éventail de violences dans toutes les sphÈres de la vie

La violence fondée sur le genre comprend, dans ses formes, la menace de violence, la coercition et la privation de liberté, la violence d’un partenaire intime, la violence sexuelle, les mutilations génitales féminines, le mariage d’enfants, la traite à des fins d’exploitation sexuelle, l’infanticide des filles ou encore les crimes d’honneur. Certaines violences, comme celles qui se produisent en ligne et sur le lieu de travail, constituent une source de préoccupation plus nouvelle.

1.   Les violences physiques et sexuelles sont les formes de violences les plus courantes

Les formes de violences envers les femmes les plus étendues sont sans conteste la violence physique et sexuelle. Selon les estimations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 35 % des femmes dans le monde, soit plus d’une femme sur trois, indiquent avoir été exposées à des violences physiques ou sexuelles au cours de leur vie.

Le plus souvent, cette violence est le fait du partenaire intime. Selon ONU Femmes, 243 millions de femmes et de filles âgées de 15 à 49 ans dans le monde ont été victimes de violences physiques ou sexuelles de la part d’un partenaire intime dans les douze mois précédant le début de la pandémie mondiale.

2.   Certaines violences sont pour l’essentiel extra-européennes

Certaines formes de violences spécifiques sont d’autant plus difficiles à combattre qu’elles ont lieu, dans leur grande majorité, en dehors de l’UE.

Les plus courantes sont :

– les mariages forcés, qui concernent en grande partie les filles mineures. Quelque 650 millions de filles et de femmes à travers le monde ont été mariées avant d’avoir atteint l’âge adulte selon le Haut-commissariat des Nations Unies pour les droits de l’Homme (cf. infra) ;

– la traite des êtres humains, dont les femmes et les filles sont les principales victimes. En 2018, l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) estimait que les femmes et les filles représentaient plus de 70 % des victimes de la traite dans le monde. Alors que, lorsqu’ils sont victimes de traite, les hommes et les garçons sont le plus souvent utilisés dans le travail forcé et dans la conduite de la guerre, les femmes et les filles sont avant tout victimes de traite à des fins d’exploitation sexuelle ;

– les mutilations génitales féminines, qui recouvrent toutes les interventions visant à modifier ou à endommager, sans raison médicale, les parties génitales d’une femme ou d’une fille. La mutilation la plus répandue est l’excision. En 2016, l’OMS estimait que plus de 200 millions de femmes et de filles ont subi une mutilation génitale féminine, dont 44 millions sont âgées de moins de 15 ans. Ces pratiques sont les plus courantes en Afrique et au Moyen-Orient : les pays où leur prévalence chez les filles et les femmes de 15 à 49 ans est la plus élevée sont la Guinée (97 %), Djibouti (93 %), le Mali (89 %) et l’Egypte (87 %). Comme le rappelle M. Richard Matis, président de Gynécologie sans frontières, « aucune religion ne prescrit l’excision », qui est contraire à l’intégrité des femmes qui la subissent.

3.   Certaines violences sont une source de préoccupation nouvelle

La violence en ligne envers les femmes est une source de préoccupation croissante. Aujourd’hui, le numérique est autant le lieu de la dénonciation qu’un nouvel espace pour le harcèlement et la violence contre les femmes. Les violences en ligne prennent différentes formes, de nature verbale ou graphique, comme le sexisme, le harcèlement, le « stalking » ([4]) ou le « revenge porn » ([5]). Selon les données de l’Institut européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes (EIGE), une femme sur dix de plus de 15 ans subit des violences en ligne. L’importance prise par la cyberviolence, notamment dans le cadre de la pandémie actuelle, se traduit par une baisse de l’âge des victimes de violences. En 2020, selon les estimations de l’organisation non gouvernementale (ONG) Plan International France, la moitié des filles subissaient du harcèlement ou des insultes en ligne, et une fille sur dix changeait sa façon de s’exprimer en ligne après avoir été victime de ce type de violence. La cyberviolence dissuade de plus en plus de femmes et de filles d’engager des discussions en ligne, et donc pour certaines de participer à la vie sociale et économique en ligne.

Sans être nouveaux, les violences et le harcèlement sexistes et sexuels subis par les femmes dans le monde du travail font l’objet d’une prise de conscience renouvelée depuis l’apparition du mouvement « #MeToo » (cf. infra). Cependant, les données internationales sur ces violences continuent de faire largement défaut. Selon la Confédération syndicale internationale, près d’une femme sur deux a été victime de harcèlement sexuel sur son lieu de travail en Europe.

B.   la frÉquence et l’intensitÉ des violences sont plus ÉlevÉes dans certaines rÉgions du monde

Aucune région du monde n’est épargnée par les violences fondées sur le genre. En l’absence de données fiables, il reste toutefois très difficile de comparer la prévalence des violences selon les régions du monde. La situation est dégradée en Europe même si elle est sans doute meilleure que dans le reste du monde. Les violences sont nettement exacerbées dans les zones de crise et de conflit.

1.   Dans l’Union européenne, une femme sur trois a subi des violences

L’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui renseigne l’UE sur cette thématique avec l’EIGE, a publié en 2014 ce qui reste à ce jour le sondage le plus complet sur la violence envers les femmes en Europe. Les résultats peignent un sombre tableau de la nature et de l’ampleur de la violence envers les femmes dans l’Union. Le sondage réalisé auprès de 42 000 femmes montre en effet qu’une femme sur trois en Europe a subi des violences physiques ou sexuelles après l’âge de 15 ans. Une femme sur vingt a été violée. 3 500 décès par an sont liés aux violences familiales dans l’Union, soit plus de neuf par jour, dont sept femmes.

Cette étude met en lumière une différence statistique très importante entre le nord et le sud de l’Europe. Les pays du sud, dont l’Espagne, l’Italie et le Portugal, enregistrent jusqu’à 19 % de femmes victimes de violences physiques ou sexuelles d’un partenaire depuis l’âge de 15 ans. Les pays du nord, avec en tête le Danemark, la Lettonie et la Finlande, enregistrent quant à eux jusqu’à 32 % de femmes victimes de violences physiques ou sexuelles du fait d’un partenaire. Mais ces différences de chiffres cachent une autre réalité. L’explication de ce plus fort taux de violences dans les pays du nord de l’Europe pourrait en effet s’expliquer par la plus grande facilité avec laquelle les femmes dénoncent les violences dans ces pays, qui sont très en avance en matière d’égalité des sexes.

Qu’en est-il de notre pays ? De façon certaine, les violences à l’encontre des femmes marquent la société française. Selon les données de l’Observatoire national des violences faites aux femmes de novembre 2020, 213 000 femmes de 18 à 75 ans déclarent chaque année en France être victimes de violences conjugales physiques ou sexuelles. Environ 94 000 femmes majeures déclarent par ailleurs avoir été victimes de viol ou de tentatives de viol sur une année. Selon la directrice de la Fondation des femmes, Mme Anne-Cécile Mailfert, « la France ne fait pas partie des pires élèves du point de vue des violences faites aux femmes mais elle n’a pas non plus beaucoup de leçons à donner ». Notre pays suivrait, avec plusieurs années de retard, les pays les plus exemplaires dans ce domaine. En 2019, le nombre de féminicides conjugaux était de 55 femmes en Espagne, contre 146 en France. Rapporté à la population, le taux est deux fois plus élevé en France qu’en Espagne.

2.   Les violences faites aux femmes sont plus importantes dans le voisinage de l’Union européenne

Une étude de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) publiée en 2019 ([6]) a permis d’effectuer une étude comparative entre tous les pays des Balkans occidentaux (à l’exception du Kosovo). Cette étude montre que, sur un panel régional de 15 000 femmes, 70 % d’entre elles ont subi une forme de violence depuis l’âge de 15 ans et 45 % des femmes interrogées ont subi au moins une forme de harcèlement sexuel depuis le même âge.

C’est en Albanie que le niveau d’exposition des femmes à la violence est le plus élevé. Dans les douze mois précédant l’étude, 7,2 % des albanaises interrogées avaient subi une violence physique ou sexuelle de la part d’un partenaire intime contre 4,8 % au Monténégro, 3,4 % en Bosnie-Herzégovine, 3,4 % également en Serbie et 3,1 % en Macédoine du Nord. D’après une étude conduite par l’Institut albanais de statistiques (INSTAT) en 2018, plus de la moitié des filles et femmes albanaises âgées entre 15 et 74 ans ont fait l’expérience d’une ou plusieurs formes de violence. Le cas le plus fréquent est la violence dans les fréquentations, suivi de la violence domestique par le partenaire intime puis le harcèlement sexuel.

Selon Mme Marija Šajkaš, auteure et militante des droits humains spécialisée sur la région, il y a « une certaine cohérence à parler de la violence à l’égard des femmes à l’échelle des Balkans » dans la mesure où ces pays « sont des sociétés patriarcales, dans lesquelles domine la croyance selon laquelle une femme doit écouter son mari même si elle ne partage pas ses opinions. ». Dans ces sociétés, la question des violences faites aux femmes fait l’objet d’un vaste tabou. Plusieurs études ont souligné que près de la moitié des femmes en Albanie considèrent que la violence entre un homme et une femme est un problème privé et que personne ne doit intervenir, d’où certainement une forte sous-déclaration des cas de violences.

L’ampleur des violences est encore plus difficile à appréhender plus on s’éloigne de l’Europe :

– En Russie, l’agence de presse RIA Novosti, se réclamant des données du ministère de l’Intérieur actualisées au 1er mars 2020, donne le chiffre quotidien de 36 000 femmes subissant des violences physiques de leur mari. La même publication affirme que deux tiers des femmes victimes de violences domestiques n’appelleraient pas à l’aide et 97 % des cas ne seraient pas portés aux tribunaux ;

– En Turquie, les violences contre les femmes sont en augmentation depuis une dizaine d’années. La plateforme « Stop aux féminicides » a recensé plus de 2 000 féminicides depuis 2010 et 300 féminicides pour la seule année 2020 (171 femmes ayant par ailleurs été retrouvées mortes de manière suspecte). Dans ce pays, les mariages précoces sont prégnants et les crimes d’honneur existent toujours.

– Les données sont quasi inexistantes en Afrique de l’Ouest, malgré la prévalence de certaines formes de violences spécifiques, comme les mutilations génitales féminines et les mariages précoces forcés (cf. supra).

La crainte d’une aggravation des violences envers les femmes afghanes
dans le contexte du retour au pouvoir des Talibans

La condition des femmes afghanes s’est améliorée au vingtième siècle, sous la monarchie puis la République d’Afghanistan, sous l’effet d’un courant politique laïc similaire à celui rencontré par l’Iran et la Turquie à la même époque. La situation des femmes s’est toutefois détériorée à partir du début de la guerre en Afghanistan en 1979 puis la prise de pouvoir des Talibans en 1996.

Au cours de leur premier exercice du pouvoir, les Talibans étaient réputés au niveau international pour leur violence envers les femmes. Leur objectif déclaré, conformément à leurs préceptes religieux, était de créer « un environnement sûr où la chasteté et la dignité des femmes pourraient à nouveau être sacro-saintes ». Sur cette base, les Talibans ont pratiquement assigné à résidence les femmes afghanes en les contraignant, en public, à porter la burqa en permanence et à être systématiquement sous escorte d’un homme de leur entourage. Les manquements à ces règles étaient lourdement punis, le plus souvent en public, soit sous forme de spectacles officiels organisés dans des stades ou sur des places publiques, soit sous forme de passages à tabac spontanés dans la rue. En décembre 1996, la radio officielle du régime annonçait ainsi que 225 femmes de Kaboul avaient été saisies et punies pour avoir violé le code vestimentaire de la charia.

Avec l’intervention militaire occidentale à partir de 2001, qui installe de nouvelles institutions en Afghanistan, la condition des femmes s’améliore, même si ces progrès restent surtout cantonnés aux grandes villes. Le mariage forcé est rendu illégal, la mortalité infantile est réduite de moitié et l’éducation des filles progresse très fortement. Mais les violences domestiques, les viols et les attaques contre les femmes demeurent néanmoins à un niveau élevé. En 2015, une Afghane de 27 ans est ainsi publiquement lynchée et assassinée par une foule à Kaboul à la suite d’accusations mensongères de blasphème.

Vos rapporteures savent que le retrait sans conditions d’Afghanistan se traduira par une plus grande détérioration de la condition des femmes afghanes. Dans leur rapport aux femmes, les Talibans n’ont pas changé. Selon Mme Fahimeh Robiolle, spécialiste de la condition féminine en Afghanistan, « les talibans non seulement n’ont pas changé, ils sont devenus plus rusés […] Ils utilisent les réseaux sociaux et maîtrisent l’art de la propagande et de la communication ». Malgré les manifestations de femmes courageuses qui ont eu lieu dans plusieurs villes afghanes depuis la prise de Kaboul par les Talibans, « nous ne pouvons pas attendre grande chose de ceux qui ont grandi et ont été éduqués dans les madrasas, qui sont endoctrinés avec cette idéologie ».

Depuis le mois d’août, l’Afghanistan s’enfonce dans une crise humanitaire et alimentaire sous l’effet de la perte généralisée de revenus des Afghans, la perte brutale des emplois, l’augmentation du coût des denrées alimentaires, la coupure des systèmes financiers mondiaux, l’arrêt brutal de l’aide au développement qui représentait 75 % du budget du Gouvernement précédent et enfin la sècheresse. Or, comme l’explique Mme Robiolle, « cette crise, comme la plupart des crises humanitaires, causera le plus de tort aux femmes et aux filles ». Dans un contexte où les Talibans autorisent le mariage des filles de moins de 16 ans, la crise pourrait conduire davantage de parents à avoir recours au mariage forcé de leurs filles encore enfants. L’Unicef a exprimé son inquiétude à l’égard d’informations suggérant une augmentation des mariages de filles et affirmé avoir reçu « des rapports crédibles de familles offrant des filles âgées d’à peine 20 jours à un futur mariage en échange d’une dote ».

3.   Les violences faites aux femmes sont exacerbées dans les contextes de guerre ou de crise sécuritaire

Les violences faites aux femmes sont un phénomène courant et répandu dans les pays et les régions touchés par les conflits armés. Comme l’a rappelé le docteur Denis Mukwege, médecin gynécologue et prix Nobel de la paix, devant la commission des affaires étrangères le 5 mai 2021, « le fléau de la violence sexuelle continue de prévaloir dans le contexte des conflits contemporains notamment en République démocratique du Congo, au Tigré, au Yémen, au Myanmar. »

Les violences sexuelles dans les conflits ne sont pas un phénomène isolé. Elles s’inscrivent généralement dans un ensemble d’actes de violence, comme la torture, les massacres, le recrutement d’enfants, les pillages ou les destructions de biens. Les violences sexuelles incluent les cas de viols, individuels ou collectifs, de nudités forcées, d’humiliations sexuelles, d’esclavages sexuels notamment sur les enfants, ou encore le fait d’être forcé à commettre de tels actes de violence, ou d’être forcé à regarder. De toutes les violences sexuelles, les viols de guerre, dont les caractéristiques sont d’être « à la fois massifs, méthodiques et systématiques » selon le docteur Mukwege, se propagent et s’institutionnalisent dans tous les conflits, au service d’une stratégie de déstabilisation de l’adversaire.

Naturellement, les violences contre les civils dans les conflits pèsent de façon disproportionnée sur les femmes. D’après le Cercle Orion, plus de 70 % des victimes civiles dans les conflits en ex-Yougoslavie, au Rwanda, au Libéria ou en Afghanistan étaient des femmes. Lors du génocide au Rwanda, entre 250 000 et 500 000 femmes ont été violées. Selon Amnesty International, 264 millions de femmes et de filles vivent aujourd’hui dans des situations de conflit dans le monde et sont potentiellement exposées à des violences sexuelles. 

C.   Certaines femmes, qui cumulent des vulnÉrabilitÉs, sont davantage exposÉes au risque de la violence

Les études indiquent que toutes les femmes peuvent être concernées par les violences. De surcroît, à côté du genre, toute une série de vulnérabilités à la violence peuvent se cumuler, parmi lesquelles l’âge, l’origine ethnique, le statut socio-économique, l’orientation sexuelle ou le handicap. Certaines catégories de femmes apparaissent ainsi plus à risque que d’autres. C’est notamment le cas des filles et des adolescentes, des LGBT, des migrantes et des femmes journalistes.

1.   Les filles sont les premières victimes des violations des droits des femmes

Les filles et les adolescentes sont celles qui subissent le plus lourd fardeau de la violence faite aux femmes, notamment parce qu’elle constitue une limite importante à leur émancipation. Selon l’Unicef, dans le monde entier, près de 120 millions de filles, à savoir une fille sur dix de moins de vingt ans, ont été confrontées à la violence sexuelle. Dans une région comme les Balkans, l’étude de l’OSCE précitée indique que 21 % des femmes ont été victimes de violences physiques, sexuelles ou psychologiques au cours de leur enfance (jusqu’à 15 ans).

Il est clair que les filles et les adolescentes sont plus exposées à certaines violences spécifiques comme les mutilations génitales féminines, les mariages précoces, la violence en ligne ou la violence de genre en milieu scolaire.

S’agissant uniquement des mariages précoces, chaque année, ce sont 12 millions de filles dans le monde qui sont mariées avant l’âge de 18 ans. Les filles les plus pauvres et celles vivant dans les zones de conflit, notamment à l’ouest et au centre de l’Afrique ([7]), sont les premières concernées. Vos rapporteures ont pu mesurer, à l’occasion de leurs déplacements au Burkina Faso et en Turquie, combien la dissociation des mariages coutumiers ou religieux du mariage civil, qui est un outil de contrôle de l’âge des filles, favorisait les mariages précoces forcés.  

Les mariages forcés et les abus sexuels ont pour conséquence directe les grossesses précoces et non désirées. Près de 16 millions de filles âgées de 15 à 19 ans mettent au monde des enfants chaque année. Chaque année, 70 000 adolescentes meurent des suites de complications de la grossesse et de l’accouchement, ce qui en fait, selon l’OMS, la deuxième cause de décès des filles de 15 à 19 ans dans le monde. Les grossesses précoces ou forcées se traduisent aussi souvent par un décrochage scolaire des filles, ce qui favorise les violences physiques et psychologiques.

2.   Fragilisées, les migrantes sont très vulnérables aux violences

Les femmes migrantes sont un groupe à risque vis-à-vis de toute une série de violences, du trafic humain en passant par la prostitution et les mariages forcés. Pour celles-ci, la barrière de la langue, le logement dans des centres mixtes et la difficulté d’accès aux soins représentent autant de fragilités. L’exposition accrue aux violences des femmes migrantes dure tant que leur intégration n’est pas réalisée.

Dans les Balkans, Mme Marija Šajkaš relate que « la situation des migrants en général n’est pas définie par la loi et ils bénéficient rarement de l’aide dont ils ont besoin » ; cette situation n’est pas très éloignée de celle des femmes roms. Selon Amnesty International, en Turquie, où se trouvent 4,5 millions de réfugiés, en attendant un éventuel afflux d’Afghans, les femmes réfugiées souffrent, à l’intérieur de leur foyer, des traditions familiales patriarcales et, à l’extérieur, du harcèlement. Les femmes réfugiées en Turquie se heurtent à d’importantes difficultés d’accès aux services de prise en charge des violences et sont dissuadées de porter plainte contre leurs agresseurs par crainte d’être renvoyées dans le pays dont elles sont originaires.

La vulnérabilité des femmes déplacées à l’intérieur du Burkina Faso

En novembre 2021, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) rappelait qu’une femme réfugiée ou déplacée interne sur cinq a été victime de violences sexuelles et alertait sur une détérioration de la situation.

Au Burkina Faso, la dégradation de la situation sécuritaire consécutive à l’intensification des activités des groupes armés terroristes depuis 2015 a provoqué une explosion du nombre de déplacés internes. Au 30 avril 2021, le Burkina Faso comptait 1,2 million de personnes déplacées internes, soit 5 % de la population du pays, et le chiffre pourrait atteindre 1,8 million de déplacés en cette fin d’année 2021. Le Burkina Faso, qui ne contrôle plus que deux tiers de son territoire, est le pays de la région sahélienne qui compte le plus de déplacés internes.

La rapide dégradation de la situation humanitaire pèse fortement sur les femmes, qui représentent plus de la moitié des déplacés internes. Très vulnérables, les femmes déplacées sont confrontées à des risques accrus de violences fondées sur le genre dont les viols, les mariages précoces, la prostitution forcée, les grossesses non désirées et les violences entre partenaires intimes. S’il est très difficile d’obtenir des informations sur la situation dans les zones occupées par les groupes terroristes, le Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP) estimait, fin février 2021, que 667 000 personnes étaient dans le besoin de protection contre les violences fondées sur le genre.

La réponse à ce défi humanitaire est limitée par la faiblesse de la réponse des autorités burkinabè, qui ont été lentes à reconnaître la gravité de la situation et dont les modestes budgets sont en large partie « captés » par l’effort de guerre. Selon l’antenne burkinabè du bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA) des Nations Unies, les besoins humanitaires au Burkina Faso ne sont financés qu’à hauteur d’un cinquième, ce qui limite la capacité à articuler une réponse à la hauteur.

Dans la commune de Ziniaré proche de Ouagadougou, qui accueille 1 200 personnes déplacées du nord du Burkina Faso et du Sahel, vos rapporteures ont entendu le témoignage de plusieurs femmes déplacées par les violences. Les autorités locales de Ziniaré tentent tant bien que mal de répondre aux besoins des déplacés sur le plan de l’alimentation, du logement, de l’éducation et du travail. L’ambassade de France soutient un projet d’autonomisation économique des femmes déplacées qui est utile bien qu’il ne soit qu’une « goutte d’eau dans l’océan ».

3.   Les violences visent aussi les femmes journalistes

En mars 2021, Reporters sans frontières (RSF) a publié un rapport ([8]) qui révèle l’étendue des risques de violences sexistes et sexuelles auxquels sont confrontées les femmes journalistes. Le risque de violence existe aussi bien sur les théâtres de guerre que dans les rédactions. Comme l’explique Mme Pauline Adès-Mével, porte-parole de RSF, « être une femme journaliste, c’est parfois subir une double peine » compte tenu du risque de « s’exposer sur le terrain et de subir des violences sexistes, souvent en ligne sur les réseaux sociaux ». D’après une étude conduite auprès de journalistes originaires de 125 pays par l’UNESCO et le Centre international des journalistes en 2020, 73 % des femmes journalistes déclarent avoir été confrontées à la violence en ligne dans l’exercice de leur métier, et 30 % déclarent s’autocensurer après avoir été l’objet de telles violences ([9]). Parce qu’elles débouchent sur de l’autocensure ou des reconversions professionnelles, ces attaques contre les femmes journalistes ont un impact sur la liberté de la presse.

De façon complémentaire, il est souvent difficile pour les journalistes d’enquêter sur les violations des droits des femmes, en particulier sur les cas de violences graves. Entre 2012 et 2017, RSF a recensé 90 cas graves de violation des droits des journalistes, dont 11 assassinats, à cause d’enquêtes sur les droits des femmes. Le scénario le plus classique est celui d’une « horde d’internautes rageurs [qui se déchaînent] contre les cyberjournalistes lorsque ce sont des femmes ». Ces attaques contre les journalistes sont le plus souvent le fait de groupes religieux extrémistes, d’organisations criminelles ou de gouvernements autoritaires.

D.   Multicausales, les violences À l’Égard des femmes ont des consÉquences dramatiques pour les sociÉtÉs

Si, au cœur de la violence faite aux femmes se trouve l’inégalité de genre, à savoir les déséquilibres de pouvoir socialement attribués entre les femmes et les hommes, les causes de la violence sont multiples. Cette violence a de lourdes répercussions pour les victimes et se traduit par des coûts importants pour la société.

1.   Les facteurs expliquant la violence sont multiples

Si elle est toujours le reflet de l’inégalité de genre, il n’existe pas une seule et unique cause rendant compte de la violence faite aux femmes de manière adéquate. Comme le relève Mme Anne-Françoise Dequiré, sociologue spécialisée sur les violences faites aux femmes, « les facteurs expliquant la violence peuvent être d’ordre individuel, relationnel, communautaire, culturel/sociétal, etc. ». Les causes des violences peuvent être présentées schématiquement de la façon suivante :

– les causes individuelles résident en la personne auteur des violences, qui peut avoir vécu des scènes de violence, eu une enfance difficile, subi la pauvreté familiale pendant l’enfance et l’adolescence, souffert de troubles psychologiques ou de la personnalité ou être sujet à l’alcoolisme ou aux drogues ;

 – les causes culturelles relèvent des conceptions patriarcales et sexistes présentes dans les sociétés. Historiquement, toutes les sociétés attribuent à l’homme un droit d’autorité et de propriété sur la femme. Le concept d’honneur familial peut notamment autoriser à tuer des femmes soupçonnées de porter atteinte à l’honneur de la famille ;

– les causes économiques peuvent jouer un rôle majeur. Chez l’homme, la pauvreté et le chômage peuvent venir renforcer l’instabilité psychologique. Pour la femme, surtout accompagnée d’enfants, la dépendance économique peut faire accepter des conditions de vie difficiles. La précarité des parents peut conduire ces derniers à faire des choix néfastes pour leurs enfants, à l’image des mariages forcés ;

– les causes juridiques peuvent aussi justifier la prévalence des violences. L’ignorance des lois et la méconnaissance des droits sont nourries par le manque d’information et l’illettrisme dans un contexte où, selon l’UNESCO, deux tiers des 774 millions d’adultes analphabètes dans le monde sont des femmes. La faiblesse des états-civils – 230 millions d’enfants n’ont pas été enregistrés à la naissance dans le monde – pèse sur les filles qui ne peuvent prouver leur minorité et se défendre contre les différents abus, comme le travail infantile ou le mariage précoce forcé.

Les causes des violences faites aux femmes dans les conflits armés

Comme l’explique le docteur Mukwege, « les violences que nous observons en temps de guerre ne sont que l’expression et le résultat de l’exacerbation des discriminations, des abus et des violences existantes de manière latente dans la société en période de paix, au sein des familles et des communautés ». En période de crise, les violences sexuelles sont facilitées par des facteurs comme la prolifération des armes et l’impunité liée à l’absence d’Etat de droit. Mme Nanou Rousseau, fondatrice de l’ONG Mères pour la paix, relève par ailleurs que, depuis les guerres de l’ex-Yougoslavie, le génocide du Rwanda et la situation collatérale en RDC, les femmes ne sont plus seulement des victimes civiles collatérales mais une cible spécifiquement visée pour détruire l’ennemi. Partie intégrante des stratégies militaires, les violences sexuelles faites aux femmes sont devenues un moyen tactique employé pour détruire les communautés ennemies (cf. infra).

2.   Les violences ont un coût individuel et collectif très élevé

a.   En temps de paix

La violence a des conséquences immédiates et à long terme pour la santé physique et mentale des femmes victimes. Les mutilations génitales féminines peuvent par exemple entrainer des hémorragies graves, des kystes, des infections ou encore des complications à l’accouchement. Elles peuvent par ailleurs entraîner anxiété et dépression. Les victimes de la traite ne ressortent quant à elles pas indemnes des conditions de vie inhumaines, de l’insalubrité, de la sous-nutrition et des violences physiques et sexuelles qu’elles ont subies.

Outre la souffrance humaine et ses répercussions sur la santé, la violence envers les femmes fait peser un lourd fardeau économique sur l’ensemble de la société en termes de soins de santé, de coûts d’intervention policière et judiciaire, de perte de productivité et de coûts sociaux. Selon des recherches menées par ONU Femmes, le coût de la violence contre les femmes pourrait s’élever à environ 2 % du PIB mondial. Concernant uniquement les coûts économiques du traitement des complications des mutilations sexuelles féminines, l’OMS a publié une étude en 2020 qui montre que ceux-ci s’élevaient, pour les 27 pays à forte prévalence, à 1,4 milliard de dollars sur une période d’un an. À l’échelle de l’Union européenne, l’EIGE évaluait en juillet 2021 le coût de la violence envers les femmes à 289 milliards d’euros par an, principalement du fait des conséquences physiques et psychologiques, du travail induit pour la justice et de la perte de productivité ([10]).

b.   En temps de guerre

Les violences sexuelles et physiques en période de conflit ont des conséquences individuelles et sociales bien plus graves encore. Sur un plan médical, les violences « de guerre » peuvent entraîner des conséquences allant d’infections sexuellement transmissibles jusqu’à la mort des victimes. Les conséquences psychologiques incluent la dépression, les syndromes de stress post-traumatique, les troubles anxieux et les idées suicidaires de sorte que, comme l’ont entendu vos rapporteures dans une formule marquante, « le viol de guerre apparaît comme le moyen le plus efficace de tuer une personne en la laissant respirer ».

Au plan social, le viol emporte dans certaines communautés, comme en République démocratique du Congo (RDC), le risque de la stigmatisation de la victime, qui s’apparente à une « double peine » : la victime ne peut se défaire du sentiment de honte et de culpabilité dans un contexte où la communauté, la famille ou l’époux sont susceptibles de la rejeter. Au total, selon le docteur Mukwege, « cette nouvelle stratégie de guerre est non seulement moins chère que les armes classiques mais est aussi extrêmement efficace puisqu’elle produit les mêmes impacts, à savoir le déplacement massif de la population, la réduction démographique, la destruction du tissu social et la destruction des capacités économiques des communautés affectées. »

Le caractère massif des violences faites aux femmes et les conséquences dramatiques qui en découlent pour les victimes, pour les sociétés et pour notre humanité même a justifié la mobilisation de la communauté internationale. 

II.   Depuis vingt-cinq ans, la lutte contre les violences faites aux femmes est devenue un objet de mobilisation internationale

Lutter contre les violences faites aux femmes suppose de déployer une action large, allant de la sensibilisation, la prévention et la protection jusqu’à la répression des auteurs et la réparation des victimes. De façon plus ambitieuse encore, il est nécessaire de s’attaquer globalement à l’inégalité de genre. En effet, jusqu’à ce que l’égalité des sexes soit instaurée, une société sans violences reste une vision utopique. La violence ne peut être dissociée de l’égalité femmes-hommes dont elle constitue l’atteinte la plus aigüe.

La lutte contre les violences faites aux femmes suppose aussi une action spécifique. Celle-ci est mise en œuvre à plusieurs échelles. Un cadre international a été établi et plusieurs acteurs onusiens sont mobilisés contre les violences, même s’il est parfois difficile d’en percevoir les résultats concrets. C’est à l’échelle du Conseil de l’Europe qu’a été adoptée la « convention d’Istanbul » qui, en raison de ses dispositions et de l’organe de suivi qui l’accompagne, est considérée comme l’instrument le plus abouti en matière de lutte contre les violences faites aux femmes. Absente du sujet, l’UE envisage d’adhérer à la convention d’Istanbul.

En complément du cadre international et européen, plusieurs États, dont la France, ont fait de la lutte contre les violences faites aux femmes un sujet de mobilisation aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de leurs frontières. Mais la « diplomatie féministe » récemment consacrée doit encore faire ses preuves.

A.   La rÉponse aux violences faites aux femmes est nÉcessairement globale, et donc difficile

La pandémie mondiale, dont les effets seront étudiés infra, a mis en évidence non seulement l’échec des initiatives mises en place par le passé pour prévenir la violence et lutter efficacement contre celle-ci, mais aussi la nature profondément enracinée et systémique de la violence perpétrée à l’encontre des femmes et des filles. La réponse aux violences est pourtant bien connue, mais son caractère nécessairement global explique qu’elle soit si difficile à mettre en œuvre.

1.   La réponse aux violences faites aux femmes doit faire l’objet d’une approche « de bout en bout »

Pour lutter contre les violences faites aux femmes, il est nécessaire d’adopter une approche « de bout en bout », en amont, pendant et après les violences :

– En amont, pour faire évoluer les normes sociales, la sensibilisation est essentielle, y compris à travers l’implication des hommes et des garçons, des responsables communautaires et des associations locales. Vos rapporteures insistent sur l’importance de sensibiliser les hommes, en tentant de diffuser un sentiment de forte valorisation lorsque ces derniers sont proactifs auprès d’autres hommes. Une piste prometteuse pour dépasser les réticences est d’apprendre aux hommes à se mettre à la place des femmes, à travers notamment des jeux de rôle. L’homme doit pouvoir se mettre à la place de la femme, pour éprouver et comprendre. Il est aussi nécessaire, par des initiatives éducatives, de sensibiliser les enfants dès le plus jeune âge pour faire en sorte que les générations futures soient moins touchées ;

– La formation est importante pour apprendre à ceux qui sont confrontés à des cas de violence à réagir de la meilleure manière possible. Elle concerne en premier lieu les travailleurs « de première ligne », comme les policiers, les magistrats, les personnels de santé et les enseignants, qui sont appelés à intervenir auprès des victimes. Surtout, il est crucial que les victimes puissent bénéficier d’une écoute et de conseils adaptés dans les commissariats de police. Dans une certaine mesure, la formation doit concerner tous les professionnels afin que ces derniers deviennent capables de détecter, de comprendre et de signaler les violences et le harcèlement sur le lieu de travail ;

– La sensibilisation et la formation ne doivent évidemment pas dispenser d’un effort sur le plan de la protection des femmes. Il est important d’avoir des policiers en mesure d’intervenir rapidement pour protéger les femmes lorsque la violence éclate. Le moment le plus dangereux pour une femme dans une relation violente est la séparation de l’agresseur qui, lorsqu’il se rend compte qu’il perd le contrôle, peut entrer dans une escalade de violence allant jusqu’au féminicide ;

– Enfin, en aval, le soutien aux victimes doit être structuré selon une double approche. D’une part, une approche « holistique », permettant d’offrir des conseils juridiques, un soutien psychologique, un abri sûr, une assistance sociale, des conseils de logement ou encore des aides spécialisées pour les enfants. D’autre part, une approche individualisée car les besoins des victimes diffèrent. À titre d’illustration, les femmes migrantes auront parfois besoin d’un service d’interprétariat et d’une aide juridictionnelle. Les adolescentes, qui sont dans une phase de transition entre l’enfance et l’âge adulte, ne pourront être traitées ni totalement comme des enfants, ni entièrement comme des adultes.

Les services spécialisés pour les femmes victimes de violence

Incarnation concrète de l’approche « holistique » nécessaire à la prise en charge des victimes, les services spécialisés pour les femmes victimes de violence sont des entités qui regroupent toute une série de services clés dont une femme a besoin pour sortir d’une situation violente et reconstruire sa vie. Ils sont d’autant plus efficaces pour suivre les victimes qu’ils sont regroupés en un seul lieu.

Selon Mme Stéphanie Futter-Orel, directrice exécutive de l’ONG européenne Women Against Violence Europe (WAVE), « avec le soutien des services spécialisés pour les femmes, une femme victime de violence peut sortir d’une relation violente et reconstruire sa vie (et celle de ses enfants) jusqu’à huit fois plus rapidement qu’en accédant uniquement à des services de soutien génériques (tels que les services généraux d’aide aux victimes) ou qu’en accédant uniquement à un soutien légal (par exemple, la police, les services sociaux, etc.). » En sens inverse, lorsqu’une victime de violence ne trouve pas le soutien dont elle a besoin, le risque est élevé de voir cette dernière se décourager et retourner auprès de son agresseur, lorsqu’il s’agit d’un partenaire intime. 

Pour WAVE, les services spécialisés pour les femmes rendent un niveau significatif de valeur sociale à la société. Des études menées au Royaume-Uni ont montré qu’en moyenne, pour chaque euro investi dans les services spécialisés pour les femmes, ces services rendent entre six et huit euros de valeur sociale à la société, en faisant économiser notamment sur le coût des interventions de police ou des services sociaux, des hébergements d’urgence, des factures d’hôpital ou encore des heures de travail perdues en raison des blessures ou des traumatismes.

2.   La prévention et la prise en charge des victimes de violences sexuelles en temps de guerre sont spécifiques

En temps de crise, la réponse doit être spécifique. Sur le terrain de la prévention, il est nécessaire de dialoguer avec l’ensemble des personnes concernées, les communautés prises pour cibles comme les parties aux conflits. Selon Mme Sarah Khenati, manager opérationnel en charge des violences sexuelles en RDC du Comité international de la Croix Rouge (CICR), le dialogue avec les parties aux conflits doit déboucher sur la formation des personnels combattants, le rappel du droit international humanitaire et l’appel à condamner les violations. Auprès des communautés victimes, la démarche doit consister à entendre les besoins, renforcer les stratégies de protection et reconfigurer les activités pour réduire le risque d’exposition aux violences.

Comme pour les violences commises en temps de paix, l’assistance aux victimes doit reposer sur une approche à la fois holistique et individualisée tout en tenant compte de la spécificité des violences commises en temps de guerre. L’hôpital et la fondation Panzi, créés par le docteur Mukwege il y a plus de vingt ans et qui servent aujourd’hui de modèle, accueillent les survivantes des violences commises à l’est de la RDC dans le cadre d’un système à guichet unique qui donne lieu à un accompagnement personnalisé. Le paquet de soins proposé inclut une assistance médicale, psychologique, sociale, économique et légale, dans une approche holistique du traitement du traumatisme. Cette prise en charge aide les femmes à reprendre confiance en elles avec pour effet, selon les mots du docteur Mukwege, de « transformer la souffrance en force, la peine en pouvoir ». Le modèle d’assistance holistique à guichet unique développé par la fondation Panzi est en passe d’être dupliqué ailleurs, comme à Kinshasa et à Bangui.

3.   L’égalité des sexes est la condition d’une société sans violences

Ainsi que l’explique Mme Nicole Ameline, ancienne ministre de la parité et de l’égalité professionnelle, les violences sont un sujet important « mais ce n’est pas le sujet systémique ». Les violences ne sont en effet que « l’émanation du statut discriminatoire et de l’infériorisation du statut des femmes […] Plus on rehaussera ce statut, plus on réduira les violences ». Dès lors, il est nécessaire, pour réduire les violences, d’adopter une approche globale et transversale et de s’attaquer aux inégalités entre les femmes et les hommes dans tous les domaines de la société :

–  Le droit des femmes à disposer de leurs corps, aspect fondamental de l’égalité de genre si souvent pris pour cible par les mouvements conservateurs, doit être défendu. La capacité des femmes à contrôler leur système reproductif est la condition de leur projection dans la vie sociale et professionnelle. Pour Mme Delphine O, ambassadrice et secrétaire générale du forum Génération Égalité, « le droit des femmes à disposer de leur corps est à l’origine de tout […] les violences sont la conséquence de la négation du droit des femmes à disposer de leur corps » ;

– L’éducation est un des leviers les plus importants pour renverser l’inégalité de genre qui nourrit les violences faites aux femmes. L’Unicef a démontré dans certains pays, notamment au Sahel, le lien entre la faiblesse de l’éducation et la prévalence du mariage des enfants : moins une fille est éduquée, plus elle est susceptible de subir un mariage précoce. Même lorsque la scolarisation obligatoire est acquise, la sensibilisation à l’égalité de genre est nécessaire partout pour renverser les normes culturelles et sociales qui pèsent sur les femmes ;

– Le renforcement de la présence des femmes dans tous les processus de décision est indispensable tant pour faire évoluer les mentalités que pour induire les modifications nécessaires du système institutionnel. Cette évolution suppose entre autres de soutenir l’« empowerment » des femmes et des filles, et notamment les associations de défense des droits des femmes et les réseaux de femmes ;

– La réduction des inégalités économiques doit aussi permettre de réduire la subordination et la vulnérabilité des femmes à l’égard des hommes. L’égalité économique requiert une meilleure répartition dans la structure des métiers exercés par chaque sexe, les femmes étant surreprésentées dans les métiers les moins valorisés, ainsi que dans la charge de travail domestique. Alors que les femmes sont bien plus nombreuses que les hommes dans l’économie informelle, la priorité doit être donnée au renforcement de la protection sociale des femmes, afin de les rendre moins vulnérables aux aléas de la vie, notamment dans le contexte pandémique.

B.   Les initiatives de la communautÉ internationale sont nombreuses mais leurs effets sont difficiles À voir

S’il est nécessaire de viser globalement l’égalité des sexes, la lutte contre les violences faites aux femmes exige également une réponse spécifique. La communauté internationale s’est ainsi attachée à établir des cadres et des actions en réponse aux violences faites aux femmes, en temps de paix et en temps de guerre. Si la mise en œuvre d’un cadre multilatéral sur ce sujet est indispensable, l’effet qu’un tel cadre peut avoir concrètement sur le terrain est difficile à mesurer.

1.   Le système onusien a produit un cadre normatif et des actions contre les violences faites aux femmes

Avant la reconnaissance du caractère spécifique des violences perpétrées à l’encontre des femmes, la communauté internationale avait déjà consacré le principe de l’égalité des sexes. La Charte des Nations Unies, adoptée à San Francisco en juin 1945, promeut ainsi « l’égalité de droits des hommes et des femmes ».

Le grand traité en la matière est la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW), adoptée en 1979 et ratifiée par 189 États, à l’exception notable des États-Unis et malgré un nombre élevé de réserves formulées par les États parties ([11]). La CEDAW a pour objet de rehausser le statut des femmes, la lutte contre les violences étant subordonnée à un effort sur tous les aspects de l’inégalité des sexes. Le contrôle de la CEDAW est assuré par un comité de 23 experts mondiaux qui dispose de deux prérogatives. Le comité assure en premier lieu un suivi de la mise en œuvre de la convention : chaque année, 25 États sont invités à rendre des comptes sur l’application de la CEDAW dans leur pays ce qui, selon Mme Nicole Ameline, membre du comité de la CEDAW, « permet de mettre le doigt sur ce qui ne marche pas ». En cas de dysfonctionnements manifestes et d’épuisement des voies de recours internes, le comité de la CEDAW peut adopter une formation juridictionnelle, avec pour conséquence éventuelle la condamnation du pays et l’octroi d’une réparation.

La Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes, qui a été adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies en 1993, peut être considérée comme le premier texte international traitant exclusivement de la violence dont les femmes sont victimes, bien qu’il soit dépourvu de caractère contraignant. Mais c’est en grande partie à compter de la quatrième conférence mondiale sur les femmes, qui s’est tenue à Pékin en 1995, que la lutte contre les violences faites aux femmes s’impose vraiment dans le champ de l’action publique internationale. Cette conférence a débouché sur l’adoption d’une déclaration et d’un programme d’action signé par 189 États dont l’objectif est de « prévenir et éliminer toutes les formes de violences à l’égard des femmes et des filles ». Le programme d’action liste les mesures à prendre par les États, les organisations internationales et les ONG afin de prévenir et de combattre cette violence. Plus aucune conférence mondiale sur les femmes ne s’est tenue jusqu’au forum Génération Égalité qui a eu lieu en 2021 (cf. infra). En revanche, les objectifs de développement durable définis en 2015 par les Nations Unies comportent un objectif sur l’égalité des sexes et comprennent des cibles visant à éliminer la violence et la discrimination subies par les femmes et les filles, notamment une cible sur l’élimination des mutilations génitales féminines et le mariage d’enfants, précoce ou forcé.

Un grand nombre d’acteurs onusiens contribuent par ailleurs à l’action internationale contre les violences faites aux femmes. Les principaux sont :

– ONU Femmes, qui est l’agence des Nations Unies qui met en œuvre des programmes, des politiques et des normes visant à défendre les droits fondamentaux des femmes. L’organisation onusienne agit contre la violence à l’égard des femmes à deux échelles. À l’échelle mondiale, elle apporte son soutien aux processus intergouvernementaux, tels que ceux de l’Assemblée générale et de la Commission de la condition de la femme des Nations Unies, afin de faire progresser le cadre normatif international. Au niveau national, ONU Femmes aide les États à adopter et à appliquer des réformes juridiques alignées sur les normes internationales ;

– La Rapporteuse spéciale sur la violence contre les femmes, ses causes et ses conséquences, qui a pour mission de veiller à ce que la violence contre les femmes fasse partie intégrante du cadre et des mécanismes de l’ONU relatifs aux droits humains. Celle-ci a plusieurs responsabilités. Elle produit de la recherche au travers de rapports annuels remis au Conseil des droits de l’Homme et à l’Assemblée générale ([12]). Elle effectue aussi un suivi de la situation des violences faites aux femmes, via notamment des visites officielles de pays, qui donne lieu à des rapports présentés au Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies. Enfin, elle conduit des enquêtes en cas de violations présumées des droits des femmes, par l’intermédiaire notamment d’une procédure de communications individuelles ;

– L’Organisation mondiale de la santé (OMS) dont les missions incluent le renforcement du rôle des systèmes de santé dans la prise en charge des violences faites aux femmes. Dans ce domaine, l’OMS contribue au renforcement de la gouvernance des systèmes de santé, de l’offre de santé, de la prévention et des bases de données. Pour ce faire, l’OMS appuie les efforts des ministères nationaux de la santé de quatre grandes manières : l’amélioration des données sur les violences et sur les réponses, la création de guides cliniques et de politiques sur la réponse des systèmes de santé à cette problématique, l’appui aux pays pour l’élaboration de plans nationaux et la mise en œuvre de politiques publiques et la formation et le plaidoyer pour sensibiliser à la problématique des violences faites aux femmes.

Malgré l’importance du cadre juridique international et la mobilisation d’un grand nombre d’acteurs pour éliminer les violences fondées sur le genre, l’effet réel sur le terrain est parfois difficile à percevoir. De l’aveu de Mme Federica Donati, représentante de la Rapporteuse spéciale sur la violence contre les femmes, « les outils dont disposent les mécanismes sont assez limités ». Ceux-ci ont surtout comme pouvoir de produire des rapports, des lettres et des communiqués, qui sont certes utiles pour ceux qui mènent le combat au niveau national. Mais en définitive, le pouvoir dont disposent les organisations internationales dépend toujours de la volonté politique des États qui en sont membres, laquelle fait souvent défaut.

2.   La communauté internationale a élaboré un cadre normatif et juridictionnel pour lutter contre les violences sexuelles dans les conflits

La communauté internationale s’est mobilisée pour faire émerger un cadre normatif international pour lutter contre le fléau des violences sexuelles dans les conflits, et en particulier l’utilisation du viol comme arme de guerre. Pour rappel, les États qui sont parties à un conflit armé ont l’obligation de respecter le droit international humanitaire, qui interdit notamment le recours aux violences sexuelles. Lorsqu’ils sont commis dans le cadre d’un conflit armé – international ou non –, le viol et les autres formes de violence sexuelle représentent des violations du droit international humanitaire. Les actes s’apparentant à de graves violations du droit international humanitaire peuvent même constituer des « crimes de guerre », des « crimes contre l’humanité » ou des « crimes de génocide ».

Le cadre juridique international a été complété, dans les années 1990, par l’émergence d’une justice pénale internationale destinée à réprimer ces crimes. Par leur jurisprudence, les juridictions internationales ad hoc, mises en œuvre pour répondre aux crimes commis au cours de conflits ayant donné lieu à de graves violations du droit international humanitaire, ont joué un rôle majeur dans l’évolution du droit. En 1998, le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) a été la première juridiction internationale à reconnaître explicitement le viol de guerre comme un « crime contre l’humanité » et à reconnaître le viol comme élément constitutif d’un génocide. En 2001, le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) prononçait des condamnations pour « crimes de guerre » et « crimes contre l’humanité » à l’encontre de trois anciens officiers de la police militaire serbe de Bosnie accusés de viols à répétition en 1992.

Adopté en 1998, le statut de Rome, qui établit la Cour pénale internationale (CPI), inscrit dans le droit international la première définition juridiquement contraignante qui qualifie les violences sexuelles de « crime de guerre » ou de « crime contre l’humanité ». Il prévoit en ses articles 7 et 8 que le viol, l’esclavage sexuel, la prostitution forcée, la grossesse forcée, la stérilisation forcée ou toute autre forme de violence sexuelle aggravée sont qualifiés de crimes de guerre ou crimes contre l’humanité dès lors qu’ils sont perpétrés dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique contre une population civile.

Dans ce contexte marqué par l’émergence d’une justice pénale internationale, le constat de l’impact disproportionné et spécifique des conflits armés sur les femmes ainsi que leur sous-représentation dans les processus de paix, et ses conséquences tant sur la préservation de la paix que sur la situation des femmes dans les contextes post-crises, a conduit la communauté internationale à lancer l’agenda « Femmes, paix et sécurité ». Cet agenda repose sur un ensemble de résolutions adoptées dans le cadre du Conseil de sécurité des Nations Unies.

L’agenda « Femmes, paix et sécurité » a pour point de départ la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies adoptée le 30 octobre 2000. Celle-ci appelle les États à prendre les mesures nécessaires à la protection des femmes avant, pendant et après les conflits et à renforcer leur autonomie. Elle vise aussi à reconnaître, de manière innovante, la participation « entière, égale et significative » des femmes à la prévention et au règlement des conflits et à la consolidation de la paix. Selon Mme Anne Castagnos-Sen, responsable des relations extérieures d’Amnesty international France, « avec l’adoption de la résolution 1325, les femmes et les filles ne sont plus seulement considérées comme des victimes des conflits mais également comme de véritables actrices de la paix et de la sécurité. » La résolution 1325 a été suivie par un corpus de neuf autres résolutions ([13]) qui ont charpenté et enrichit l’agenda « Femmes, paix et sécurité ».

L’agenda « Femmes, paix et sécurité » s’articule autour de cinq piliers :

– La participation des femmes aux négociations et aux prises de décisions ainsi que leur représentation dans les instances nationales et internationales relatives à la paix et la sécurité ;

– La mise en place de stratégies permettant de prévenir toute forme de violence à l’égard des femmes et des filles, y compris les violences sexuelles ;

– La protection des droits et la prise en compte des besoins spécifiques des femmes et des filles en période de conflit et de post-conflit ;

– L’incorporation des perspectives de genre dans les efforts d’assistance, de réinsertion et de reconstruction ;

– La lutte contre l’impunité.

La résolution 1888 de 2009 mérite d’être soulignée en ce qu’elle contient un ensemble de mesures concrètes qui ont été mises en œuvre, dont la création d’un mandat de rapporteur spécial du secrétaire général des Nations Unies pour les femmes dans les conflits armés, l’obligation pour les États de publier un rapport annuel comprenant des données chiffrées sur les auteurs de violences sexuelles, la mise en place de groupes d’experts sur le terrain et de conseillers chargés de la protection des femmes au sein des opérations de maintien de la paix (OMP) et la création d’un mécanisme de « naming and shaming » désignant les auteurs présumés de crimes étatiques et non étatiques avec des informations documentées susceptibles d’être utilisées par des juridictions nationales, des tribunaux ou la CPI.

Un des progrès les plus récents dans ce domaine du droit international humanitaire a été l’adoption du traité sur le commerce des armes (TCA) le 4 avril 2013. Alors que la violence sexuelle dans les conflits est favorisée par la prolifération des armes, le TCA présente l’intérêt de réguler l’ensemble du commerce des armes classiques en imposant la règle selon laquelle un projet d’exportation d’armement ne doit pas être autorisé s’il existe un risque substantiel que les armes soient utilisées pour commettre des violations graves des droits humains. Ce risque doit notamment être évalué à l’aune de la possible utilisation des armes à l’encontre des femmes. L’article 7 du TCA stipule en effet que « lors de son évaluation, l’État Partie exportateur tient compte du risque que des armes classiques […] puissent servir à commettre des actes graves de violence fondée sur le sexe ou des actes graves de violence contre les femmes et les enfants, ou à en faciliter la commission. »

C.   L’Union europÉenne est moins active que le Conseil de l’Europe dans la lutte contre les violences faites aux femmes

Au niveau régional, le Conseil de l’Europe s’est démarqué par l’adoption en 2011 de la « convention d’Istanbul » qui est considéré comme le mécanisme le plus abouti dans la lutte contre les violences faites aux femmes, tant en raison du caractère très complet de ses dispositions que de son organe de suivi qui favorise des avancées concrètes dans chaque pays, quel que soit son point de départ.

Par contraste, et même s’il est prévu de combler ce vide, l’Union européenne (UE) ne s’est toujours pas dotée d’un instrument contraignant qui porte directement sur les violences faites aux femmes et aux filles. Cela n’a pas empêché l’UE de faire de l’égalité de genre un des fils conducteurs de son action extérieure.

1.   Avec la convention d’Istanbul, le Conseil de l’Europe a élaboré l’instrument le plus abouti dans la lutte contre les violences faites aux femmes

Le Conseil de l’Europe a été un acteur influent et progressiste dans le domaine de l’égalité entre les femmes et les hommes. En 1950, la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CEDH) interdisait déjà les discriminations de sexe. Mais la plus grande réussite du Conseil de l’Europe dans ce domaine est sans conteste la convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, dite « convention d’Istanbul ». Pour Mme Ameline, elle est « la traduction régionale de la CEDAW sur le plan des violences ».

Les autres initiatives régionales
en matière de lutte contre les violences faites aux femmes

Si l’on se place d’abord dans un cadre régional, il faut reconnaître que la convention d’Istanbul n’est pas la première convention adoptée dans le domaine de la lutte contre la violence faite aux femmes. Dès 1994, l’Organisation des États américains (OEA) a en effet adopté une convention juridiquement contraignante sur la prévention, la sanction et l’éradication de la violence contre la femme, dite « convention de Belém do Pará ». En 2003, l’Union africaine a par ailleurs adopté un protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif aux droits des femmes en Afrique, instrument lui aussi contraignant, qui appelle notamment à la protection des femmes contre la violence, dans la vie publique comme dans la vie privée, sans être exclusivement consacré à cette question. 

Source : Rapport de la députée Françoise Imbert sur le projet de loi autorisant la ratification de la convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, fait au nom de la commission des affaires étrangères en janvier 2014.

Adoptée le 7 avril 2011, ce qui a permis de célébrer cette année son dixième anniversaire, la convention d’Istanbul est entrée en vigueur le 1er août 2014. Elle compte 34 États parties dont 21 pays de l’Union européenne ([14]). 10 pays, dont six pays de l’Union européenne (Bulgarie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, République Tchèque, Slovaquie), ont signé la convention mais ne l’ont pas ratifiée. Deux pays, l’Azerbaïdjan et la Russie, n’ont ni signé ni ratifié la convention d’Istanbul.

De l’avis de la plupart des associations féministes et des acteurs institutionnels français entendus par vos rapporteures, cet instrument est le texte le plus abouti sur le sujet des violences faites aux femmes. Ainsi, pour Mme Futter-Orel, directrice de WAVE, « la convention d’Istanbul est l’instrument juridique le plus complet pour prévenir et combattre la violence contre les femmes et son mécanisme de suivi GREVIO apporte une contribution considérable aux efforts mondiaux visant à prévenir et à combattre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique. Il existe toujours un besoin important de normes juridiques harmonisées pour garantir que les victimes de la violence envers les femmes bénéficient du même niveau de protection partout en Europe. »

a.   Les caractéristiques de la convention d’Istanbul 

Comme le relevait la députée Françoise Imbert dans son rapport sur le projet de loi autorisant la ratification de cet instrument ([15]), « cette convention est le premier instrument international combinant les trois caractéristiques suivantes » :

– « il s’agit d’un instrument juridiquement contraignant » : que ce soit à l’échelle des Nations Unies, du Conseil de l’Europe ou de l’UE, il n’existait auparavant aucun instrument juridique applicable en Europe ayant une portée similaire. La convention contraint en effet les pays à réaliser des aménagements à la loi nationale, par exemple dans le domaine des poursuites pénales ;

– « qui détaille l’ensemble des mesures nécessaires pour lutter efficacement contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique » : la convention d’Istanbul se caractérise par une approche globale qui contraste avec l’approche par strates successives adoptée par l’UE et les États membres. Elle traite de la violence envers les femmes dans toutes ses dimensions et tend ainsi à incriminer un large ensemble d’infractions (mariage forcé, violence psychologique, physique et sexuelle, harcèlement, violence conjugale, etc.). Elle définit par ailleurs l’ensemble des mesures nécessaires pour lutter efficacement contre la violence faite aux femmes : la prévention, la protection et l’aide aux victimes, les poursuites et les sanctions contre les auteurs des violences et l’adoption de politiques globales coordonnées ;

– « et qui est par ailleurs ouvert, potentiellement, à tous les pays, en dépit de sa dimension initialement paneuropéenne » : contrairement aux traités similaires en Afrique ou en Amérique, la convention d’Istanbul se distingue par sa vocation universaliste. Bien qu’il s’agisse d’un instrument d’origine régionale, adopté dans le cadre du Conseil de l’Europe, la convention d’Istanbul est d’emblée ouverte à tous les pays qui souhaiteraient s’engager contre les violences faites aux femmes.

b.   Le suivi par le GREVIO

L’adhésion à la convention d’Istanbul emporte le fait de se soumettre à un suivi par un organe indépendant spécialisé appelé le Groupe d’experts sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (GREVIO). Composé de quinze experts, le GREVIO a pour mission de réaliser des rapports pour évaluer la mise en œuvre de la convention d’Istanbul par les pays adhérents et faire des recommandations pour répondre aux lacunes dans son application et identifier les domaines à risque. Pour cela, le GREVIO adresse des questionnaires aux États, effectue des visites de terrain et analyse les contributions de la société civile. Avant publication, les rapports du GREVIO sont validés par le comité des parties à la convention.

L’intérêt du suivi par le GREVIO est de donner de la force à la convention. Pour Mme Marie Fontanel, représentante permanente de la France auprès du Conseil de l’Europe, « on n’est pas dans du droit mou ». De façon constructive, le GREVIO tient compte du fait que tous les pays ne partent pas de la même ligne de départ et s’attachent essentiellement à évaluer les progrès, en termes relatifs. Malgré la montée de certaines résistances, Mme Françoise Brié, directrice de la Fédération nationale Solidarité Femmes et membre du GREVIO, observe « globalement des contextes [de travail] favorables » avec des États qui ont la volonté d’avancer.

En revanche, les manquements à la convention d’Istanbul ne peuvent être sanctionnés juridiquement, ni par le GREVIO, ni par le comité des parties. Mais, pour Mme Fontanel, « l’effet contraignant n’est pas toujours indispensable et doit être écarté lorsqu’il dissuade un trop grand nombre de pays de souscrire [à une convention internationale] ». Dans le cas de la convention d’Istanbul, « la force de l’incitation et de la comparaison peut suffire [à obtenir des effets concrets]. On est sur du « name and claim » autant que sur du « name and shame » ».

c.   Les autres actions du Conseil de l’Europe

La convention d’Istanbul et le GREVIO n’épuisent pas toute l’action du Conseil de l’Europe en matière d’égalité entre les femmes et les hommes. La convention peut être considérée comme la pierre angulaire d’un continuum d’action en faveur de l’égalité des sexes inscrit au sein de la stratégie pour l’égalité 2018-2023. Cette stratégie du Conseil de l’Europe identifie plusieurs priorités stratégiques dont la participation des femmes à la vie politique et à la prise de décision, la lutte contre les stéréotypes de genre et le sexisme, la protection des femmes migrantes et réfugiées, l’accès à la justice et le « gender mainstreaming » ([16]). La mise en œuvre de cette stratégie est suivie par une commission pour l’égalité de genre.

Le comité des ministres du Conseil de l’Europe a ainsi pris sa part à la lutte contre les violences faites aux femmes. Le 27 mars 2019, le comité des ministres a par exemple adopté la recommandation CM/Rec(2019)1 sur la prévention et la lutte contre le sexisme qui invite les pays à adopter une législation qui condamne le sexisme et incrimine le discours de haine sexiste. La recommandation comprend en outre un catalogue de mesures destinées à prévenir et à combattre le sexisme et appelle à des actions spécifiques dans différents domaines (le langage et la communication, l’internet et les réseaux sociaux, la publicité, le lieu de travail, etc.).

Plusieurs arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme ont par ailleurs fait progresser la lutte contre les violences faites aux femmes. Dans un arrêt Opuz contre Turquie rendu le 9 septembre 2009, la Cour a condamné la Turquie dans une affaire où une femme et sa mère avaient demandé en vain la détention provisoire du mari, à la suite d’épisodes répétés de violences conjugales, ce qui avait débouché sur l’assassinat de la mère par son gendre. Dans un autre arrêt Carvalho Pinto de Sousa Morais contre Portugal du 25 juillet 2017, la Cour a condamné le Portugal pour défaut d’indemnisation d’un cas de violence gynécologique.

2.   L’Union européenne ne s’est pas complètement emparée du sujet

a.   Au plan intérieur, l’UE ne dispose pas d’un instrument spécifique consacré à la protection des femmes contre la violence

À ce jour, l’UE n’a mené aucune action particulièrement marquante dans le domaine spécifique des violences faites aux femmes. En particulier, aucun instrument contraignant spécifique n’a été adopté pour lutter contre les violences. En effet, l’action européenne se caractérise à ce stade par un cadre complexe composé de stratégies, de recommandations, de financements ciblés, de campagnes de sensibilisation et d’initiatives de recherche et de collecte de données.

Dès le début de son mandat, la présidente de la Commission européenne, Mme Ursula Von der Leyen, a toutefois signalé sa volonté d’avancer sur ce sujet. La stratégie pour l’égalité entre les femmes et les hommes 2020-2025, présentée par la Commission européenne en mars 2020, définit ainsi un ensemble d’actions clés pour garantir une égalité de participation et de chances sur le marché du travail, parvenir à un équilibre entre les femmes et les hommes dans la prise de décision mais aussi pour mettre fin à la violence et aux stéréotypes sexistes. Le Parlement européen, au travers notamment de sa commission des droits de la femme et de l’égalité des genres, joue également un rôle d’aiguillon important dans ce domaine.

La piste de la perspective d’adhésion de l’UE à la convention d’Istanbul qui était la plus prometteuse semble toutefois s’éloigner. Une proposition de décision adoptée par la Commission européenne a débouché le 13 juin 2017 sur la signature, au nom de l’Union, de la convention d’Istanbul – ou plus précisément, des parties de la convention relevant de la compétence exclusive de l’Union. Aucune décision relative à la conclusion de la convention par l’Union n’a cependant été adoptée, le Conseil semblant subordonner l’adoption d’une telle décision à l’existence préalable d’un « commun accord » de tous les États membres à être liés par cette convention dans les domaines relevant de leurs compétences. Face à ce blocage, le 9 juillet 2019, le Parlement européen a soumis à la Cour de justice de l’UE une demande d’avis concernant la conclusion de la convention d’Istanbul par l’Union.

Dans la procédure d’avis 1/19, le Parlement européen interrogeait la Cour sur deux questions relatives aux conditions d’adhésion de l’UE à la convention d’Istanbul. La première question portait sur les bases juridiques appropriées pour la décision du Conseil portant conclusion de cette convention au nom de l’Union, ce qui impliquait également d’examiner la nature et l’étendue des compétences de l’Union du point de vue de cette convention et la possibilité pour le Conseil de limiter l’adhésion de l’Union à l’exercice de certaines de ces compétences. La deuxième question portait sur la nécessité, pour le Conseil, de s’assurer du commun accord de tous les États membres à ratifier la convention à titre national avant d’adopter la décision portant conclusion de la convention au nom de l’UE. 

Dans son avis ([17]) rendu le 6 octobre 2021, la Cour lève les obstacles à la conclusion de la convention d’Istanbul par l’Union. D’abord, celle-ci « précise la base juridique matérielle appropriée pour l’adoption de l’acte du Conseil portant conclusion de la partie de la convention d’Istanbul faisant l’objet de l’accord envisagé ». Elle juge aussi que les traités n’obligent pas le Conseil à attendre le commun accord des États membres avant d’adopter la décision portant conclusion par l’Union de la convention d’Istanbul. La Cour prend le soin de préciser que rien n’interdit non plus au Conseil de prolonger les débats en son sein afin d’atteindre la plus grande majorité possible avant de conclure la convention d’Istanbul.

En parallèle du processus d’adhésion de l’Union à la convention d’Istanbul, et face aux difficultés d’aller de l’avant, la Commission européenne avait annoncé qu’elle prendrait des mesures juridiques alternatives afin de parvenir aux mêmes objectifs. Une initiative législative a été annoncée en ce sens par la présidente Ursula von der Leyen lors du discours sur l’état de l’Union en septembre 2020 et figure dans le programme de travail de la Commission pour le quatrième trimestre de 2021. Dans le cadre de la préparation de son initiative législative, la Commission européenne a réalisé une consultation publique et établi une cartographie afin de recenser les mesures prises pour prévenir et combattre les violences faites aux femmes et la violence domestique dans les États membres de l’UE. À l’issue de ces consultations, une analyse d’impact visant à faire le point sur la mise en œuvre de la législation européenne au sein des États membres a pris fin en juin dernier. Le contenu envisagé par la Commission reste encore incertain mais cette dernière envisagerait, à l’instar de la convention d’Istanbul, des dispositions en matière de prévention, de protection, d’accès à la justice et d’assistance aux victimes.

b.   Au plan extérieur, l’action de l’UE est plus affirmée

Malgré les difficultés à faire progresser l’agenda interne dans ce domaine, l’UE a fait de la lutte contre les violences faites aux femmes et ses causes une des ambitions de sa politique extérieure. Les lignes directrices de l’UE sur les violences contre les femmes adoptées en 2008 ont affirmé l’engagement de l’Union à favoriser et à protéger les droits des femmes dans des pays tiers. En 2015, la Commission et le SEAE ont adopté un plan d’action sur l’égalité des sexes dans le cadre des relations extérieures pour 2016-2020 qui accorde la priorité à la violence envers les femmes et les filles. Pour Mme Kristin de Peyron, directrice des droits de l’Homme et des affaires globales et multilatérales au service européen pour l’action extérieure (SEAE), l’ambition de l’UE dans ce domaine n’est « pas seulement déclaratoire » et prend aussi la forme d’« une action bilatérale et multilatérale ».

Au plan multilatéral, l’UE est un acteur engagé sur ce sujet auprès de différentes enceintes (l’OSCE, le G7 ou le G20) mais surtout dans les processus de négociation à l’ONU. L’UE a par exemple récemment pris l’initiative de la création à l’ONU d’un Groupe des amis pour l’élimination des violences envers les femmes et les filles à la suite de l’appel du secrétaire général des Nations Unies, M. António Guterres, sur les violences conjugales dans la période de la pandémie mondiale. Le Groupe, présidé par l’UE, comprend 93 membres, faisant de lui l’un des plus grands groupes d’amis de l’ONU. Il a vocation à réunir les ambassadeurs plusieurs fois par an afin de leur permettre de coordonner des actions conjointes à l’ONU.

Sur un plan bilatéral, l’UE aborde également le problème de la violence envers les femmes dans le cadre de ses dialogues politiques sur les droits de l’Homme. Au début du mois d’avril, la présidente de la Commission, Mme Ursula von der Leyen, et le président du Conseil européen, M. Charles Michel, ont ainsi fait part aux autorités turques de leur inquiétude à la suite du retrait de leur pays de la convention d’Istanbul. La Turquie a répondu en pointant le fait que plusieurs pays de l’UE n’avaient pas ratifié la convention. Les dialogues politiques avec les pays concernés par les mutilations génitales féminines sont également l’occasion d’insister sur la priorité à donner à l’élimination de cette pratique.

Dans le cadre de sa politique de développement, l’UE soutient par ailleurs des projets sur le terrain destinés à lutter contre la violence envers les femmes. En novembre 2020, l’UE a ainsi adopté son troisième Plan d’Action Genre (GAP III) visant à promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes et l’émancipation des femmes dans toute l’action extérieure de l’UE de 2021 à 2025. Le GAP III porte notamment l’agenda « Femmes, paix et sécurité » destiné à renforcer la participation des femmes dans les processus de paix, soutient le Fonds mondial pour les survivant(e)s de violences sexuelles liées aux conflits et prévoit l’intégration de conseillers « genre » dans les opérations militaires et civiles de l’UE.

L’UE conduit plusieurs programmes de lutte contre les violences faites aux femmes dans le cadre de sa politique de développement. Le plus emblématique est sans conteste l’initiative « Spotlight » mise en œuvre conjointement avec l’ONU. Cette initiative a pour objet de fournir une assistance technique et un soutien aux sociétés civiles dans la lutte contre les violences faites aux femmes. Doté d’un investissement initial européen de 500 millions d’euros, ce projet est, selon le SEAE, « le plus grand investissement jamais réalisé pour l’élimination des violences envers les femmes et les filles ». Les délégations de l’UE dans les pays disposent d’une grande marge de manœuvre pour sélectionner les projets.

L’UE a la volonté de renforcer davantage la dimension de genre dans son action extérieure. Cette volonté se manifeste notamment au travers des règles de gestion du nouvel instrument d’aide extérieure dans le monde (NDICI) en vertu desquelles l’objectif de l’égalité de genre ainsi que les droits et l’autonomisation des femmes et des filles doit être l’objectif principal d’au moins 5 % des actions de l’instrument et l’objectif général ou significatif de 85 % desdites actions ([18]).

Interrogée sur le bilan à tirer de l’action extérieure de l’UE, Mme Kristin de Peyron estime qu’« il n’est pas besoin de développer de nouveaux outils ou des outils spécialisés » [sur les violences faites aux femmes] mais « il faut une action soutenue au travers des programmes existants ». Si l’UE semble mener une réelle action de plaidoyer à l’échelle multilatérale et, dans une certaine mesure, bilatérale, vos rapporteures regrettent de n’avoir pu mieux mesurer l’impact concret sur le terrain des projets financés par l’UE. En particulier, les rencontres de vos rapporteures avec la délégation de l’UE au Burkina Faso n’ont malheureusement pas permis de mesurer la qualité des projets de l’UE dans ce domaine.

D.   Plusieurs États, dont la France, affichent depuis peu une ambition politique contre les violences faites aux femmes

Sous l’effet de la libération de la parole des victimes, de la montée en puissance de l’action des organisations militantes et d’une couverture médiatique plus large, la lutte contre les violences faites aux femmes a été élevée au rang de priorité politique dans plusieurs pays européens. Des mesures nationales ont été adoptées pour tenter de répondre à ce problème en même temps que plusieurs pays ont fait de la lutte contre les violences un des volets de leur « diplomatie féministe ».

1.   Dans plusieurs pays européens, la lutte contre les violences faites aux femmes s’est imposée au sommet de l’agenda politique

Certains pays européens se distinguent par la priorité politique accordée à la lutte contre la violence faite aux femmes. Si l’on observe des tendances communes dans les politiques nationales de lutte contre la violence envers les femmes, tous les pays n’abordent pas le sujet de la même manière, ce qui est riche d’enseignements sur la meilleure façon de répondre à ce phénomène.

a.   En Suède

En Suède, le gouvernement social-démocrate de Stefan Löfven s’était fixé en 2016 l’objectif de promouvoir une « politique féministe à tous les niveaux » en adoptant notamment une stratégie nationale pour prévenir et lutter contre les violences des hommes faites aux femmes sur dix ans, de 2017 à 2027. Adoptant une approche « holistique » du phénomène, quatre axes principaux ont été identifiés : le développement de la prévention, l’amélioration de la détection de la violence et de la protection, le renforcement dans la mise en œuvre des lois existantes et l’amélioration des connaissances. Cette stratégie nationale insiste en particulier sur la prévention, notamment par des actions de « destéréotypisation » qui sont menées en milieu éducatif, dès la crèche, et l’implication des hommes pour faire évoluer les mentalités. Celle-ci est déclinée dans un programme d’actions comprenant une série d’engagements.  Comme l’explique S.E. M. Håkan Åkesson, ambassadeur de Suède en France, sur le plan de la méthode, l’approche suédoise se caractérise par la consultation de l’ensemble des acteurs concernés, la définition d’objectifs clairs et un suivi robuste grâce à la création d’une autorité sur l’égalité.

b.   En Espagne

L’Espagne est aujourd’hui perçue comme un des pays européens pionniers en matière de lutte contre les violences faites aux femmes. Alors que les femmes étaient encore considérées comme mineures jusqu’à la fin du régime franquiste, l’Espagne a fait de très grands progrès dans la période récente. Au tournant des années 2000, plusieurs affaires dramatiques – notamment l’affaire Ana Morantes en 1997 – ont conduit à une libération de la parole des victimes et à une plus grande couverture médiatique des violences, ce qui a débouché sur des politiques gouvernementales en pointe. Selon S.E. M. José Manuel Albares, ancien ambassadeur d’Espagne en France et actuel ministre espagnol des affaires étrangères, pour qui la seule recette est la « persévérance », les autorités « reconnaissent [désormais] la gravité de la violence envers les femmes au même titre que le terrorisme ».

L’Espagne a fait de la lutte contre les violences une cause nationale en 2004 et adopté cette année-là une loi relative à la protection globale contre la violence de genre qui a introduit d’importantes réformes pénales, civiles et sociales. De façon emblématique, l’Espagne s’est dotée de chambres de jugement spécialisées, dotées de compétences civiles et pénales, qui se consacrent exclusivement aux affaires de violences conjugales commises par des hommes contre des femmes. Même si la victime ne porte pas plainte, l’Etat espagnol peut, comme c’est le cas en France, le faire à sa place, pour peu qu’il y ait des témoignages jugés probants, le plus souvent obtenus sur la base d’une dénonciation des voisins ou après une intervention policière. Selon l’Union européenne des femmes (UEF), une ONG européenne, ces tribunaux spécialisés « semble[nt] permettre une répression plus efficace » et ont « permis de réduire le délai d’instruction des dossiers ainsi que les délais d’organisation du procès ».

Après l’adoption de la grande loi de 2004, la réponse aux violences faites aux femmes en Espagne a été complétée au fil des années. Dès 2007, le port du bracelet électronique anti-rapprochement est venu s’ajouter aux mesures répressives : aucune femme bénéficiant de ce dispositif n’a été tuée. En 2017, un pacte national contre la violence de genre comportant quelque 200 mesures a été signé et, l’année suivante, un budget de 200 millions d’euros par an, pendant cinq ans, à répartir entre les différents ministères, les régions et les villes a été débloqué. Cet argent a notamment permis de financer des aides (pour les victimes sans emploi, les victimes ayant besoin de déménager, les orphelins de la violence domestique, etc.) et de mettre en place des brigades spécifiques au sein des commissariats de police. Selon Mme Mailfert, directrice de la Fondation des femmes, les unités spécialisées dans la protection des femmes victimes de violence de genre se traduisent par une meilleure réception des plaintes au niveau des commissariats de police, tant sur le plan de la prise en charge des victimes que du suivi de l’affaire après la plainte.

L’effort déployé par les autorités gouvernementales en Espagne a été soutenu et accompagné par la pression des associations et par une forte médiatisation, ce qui a aussi contribué à sensibiliser la population. Cette mobilisation a produit des résultats : l’Espagne a enregistré 47 féminicides conjugaux en 2018 contre 71 en 2003, ce qui confirme une trajectoire à la baisse.

c.   En France

En France, la lutte contre les violences faites aux femmes s’est imposée comme une priorité politique plus récemment. Certes, la France a régulièrement fait évoluer son dispositif législatif et adopté plusieurs plans interministériels pour lutter contre ce phénomène. Le dispositif législatif a ainsi été consolidé progressivement, de la loi de 1980 qui renforce la définition et la répression du viol à la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique qui sanctionne le « revenge porn ». Au total, cinq plans interministériels ont été adoptés.

Ce n’est que le 25 novembre 2017 que la violence faite aux femmes a été déclarée grande cause nationale par le président de la République M. Emmanuel Macron. À l’automne 2019, le Gouvernement a organisé le premier « Grenelle contre les violences conjugales » sur la base d’un constat : en France, une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son conjoint ou de son ex-conjoint. Une stratégie nationale de lutte contre les violences conjugales a été annoncée à l’issue des discussions afin de mieux prévenir les violences et protéger davantage les victimes et leurs enfants.

La prise de conscience de l’ampleur du phénomène a conduit à un renforcement de la réponse législative. La loi du 3 août 2018 a créé une infraction d’outrage sexiste pour réprimer le harcèlement « de rue » et élargi la définition du harcèlement en ligne. La loi du 28 décembre 2019 a renforcé les mesures d’urgence en fixant à six jours maximum le délai de délivrance d’une ordonnance de protection par le juge aux affaires familiales, en prévoyant l’attribution d’une aide financière aux victimes qui souhaitent changer de logement et en élargissant le port du bracelet électronique anti-rapprochement. La loi du 30 juillet 2020, qui a transcrit dans la législation les travaux du « Grenelle contre les violences conjugales », a quant à elle renforcé la protection des victimes en prévoyant la suspension du droit de visite et d’hébergement de l’enfant mineur dont dispose le parent violent ou la levée du secret médical quand les violences mettent en danger immédiat la vie d’une personne majeure qui se trouve sous l’emprise de l’auteur des faits.

Les victimes de violences ont par ailleurs pu bénéficier d’un meilleur accompagnement. Depuis 2007, les victimes ou témoins de violences conjugales peuvent appeler un numéro unique, le 3919. Les conditions d’attribution des « téléphones grave danger », des portables dotés d’une touche directe pour appeler les secours en cas d’urgence, ont été élargis. Une plateforme de signalement en ligne, disponible 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, a aussi été créée en 2018 pour permettre aux victimes de dialoguer avec un policier ou un gendarme formé aux violences sexuelles et conjugales. Des structures d’hébergement ont été mises en place pour accueillir et accompagner les femmes victimes de violences. Avec 1 000 nouvelles places créées au cours de l’année 2021, la France comptabilise désormais plus de 7 000 places de logements d’urgence pour les femmes victimes.

2.   La France affiche une diplomatie des droits des femmes qui englobe la lutte contre les violences

La France n’est pas le seul pays à se prévaloir d’une diplomatie « féministe ». La Suède a été le premier pays à annoncer, en 2014, le lancement d’une diplomatie « féministe ». Celle-ci prend la forme d’un plan d’action triannuel comprenant six objectifs dont un porte sur la lutte contre les violences faites aux femmes. Le 10 mars dernier, le président du gouvernement espagnol, M.  Pedro Sánchez, a par ailleurs présenté lui-même la « feuille de route » que l’Espagne entend suivre en matière de diplomatie féministe. La France est le seul partenaire de l’Espagne que M.  Pedro Sánchez ait cité comme référence, s’agissant de cette priorité conférée à l’action féministe, y compris en matière internationale.

De fait, depuis l’adoption d’une diplomatie « féministe » en 2019, la France affirme déployer la même vigueur à l’international que dans le cadre national. Portée politiquement par le président de la République, le ministre de l’Europe et des affaires étrangères et la ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances, la diplomatie « féministe » est principalement mise en œuvre par le Quai d’Orsay. Celle-ci repose sur une stratégie internationale pour l’égalité entre les femmes et les hommes, lancée en 2018 et qui arrivera à échéance fin 2022. Selon les responsables du MEAE rencontrés par vos rapporteures, cette stratégie est ambitieuse dans sa construction – qui a associé toutes les parties prenantes –, ses objectifs, son cadre de redevabilité et son niveau de suivi – par le secrétaire général du Quai d’Orsay –.

La lutte contre les violences faites aux femmes est l’une des cinq grandes priorités sectorielles de la stratégie « féministe » française. Cette priorité sectorielle se décline en plusieurs thématiques : la protection des victimes de violences sexistes et sexuelles, la lutte contre les mariages forcés et les mutilations génitales féminines, le plaidoyer en faveur de lois et de mesures de lutte contre les violences, la lutte contre l’impunité, etc. L’ensemble des moyens de la diplomatie française sont mis à profit, du plaidoyer multilatéral au dialogue politique et l’aide publique au développement, pour tenter d’obtenir des avancées sur ces différentes thématiques.

a.   L’action multilatérale 

Sur le plan multilatéral, la France est d’abord active au sein des instances onusiennes. La France défend notamment, au sein du Conseil de sécurité des Nations Unies, l’agenda « Femmes, paix et sécurité » qui vise à lutter contre les violences sexuelles mais aussi à faire des femmes des actrices du changement. Au sein du Conseil des droits de l’Homme, dont la France est redevenue membre élue depuis janvier 2021, notre pays porte régulièrement des initiatives visant à la fin des violences faites aux femmes et des discriminations à leur égard. Il en est de même au sein de la Commission sur la condition de la femme, même si les négociations y sont de plus en plus difficiles en raison de l’opposition de pays conservateurs.

La France se mobilise également, dans le cadre du G7 et du G20, pour que des engagements concrets soient pris autour des enjeux d’égalité de genre et plus précisément de violences basées sur le genre. Deux initiatives clés du G7 présidé par la France en 2019 permettent de l’illustrer :

– en premier lieu, la présidence française du G7 a lancé le « Partenariat de Biarritz » qui rassemble des pays qui s’engagent à adopter des législations progressistes en matière d’égalité de genre. Plusieurs pays sont entrés dans le Partenariat de Biarritz en proposant des lois condamnant les violences : l’Inde a par exemple rejoint le Partenariat en s’engageant en faveur de la protection des femmes et des filles face au harcèlement dans l’espace public, et le Sénégal, grâce à une loi sur la criminalisation du viol ;

– en second lieu, le G7 de 2019 a permis le lancement du Fonds mondial pour les survivant(e)s de violences sexuelles liées aux conflits initié par les deux Prix Nobel de la Paix 2018, Mme Nadia Murad et le docteur Denis Mukwege. À côté d’autres pays bailleurs, la France contribue à ce fonds à hauteur de 6,2 millions d’euros entre 2019 et 2022 ([19]) et siège au sein de son conseil d’administration. Le Fonds a déjà développé des projets en Guinée, en République démocratique du Congo (RDC) et en Irak et continuera de développer son action dans de nouveaux pays en 2021.

Le niveau européen est également un échelon clé de notre action multilatérale. La France est active au sein du Conseil de l’Europe, notamment pour y défendre la convention d’Istanbul et en soutenir l’universalisation (cf. infra). Au sein de l’Union européenne, la France appelle les institutions européennes à être plus résolue dans leur action contre les violences faites aux femmes.

L’organisation du Forum Génération Égalité, dont une des coalitions d’action portait sur la lutte contre les violences de genre, est néanmoins la meilleure illustration du caractère moteur de la diplomatie française sur ce sujet. Ce forum n’a réuni que les pays volontaristes dans la lutte contre les violences de genre (cf. infra).

b.   L’action bilatérale

Les orientations internes au MEAE visent à systématiser la prise en compte de l’égalité de genre, y compris des violences, dans l’action bilatérale. Chaque chef de poste reçoit des instructions sur l’égalité de genre et doit élaborer un plan d’action qui intègre cette dimension. Chaque service et poste, de même que les opérateurs du ministère, doivent par ailleurs désigner un référent « égalité » chargé d’assurer le relai sur les questions d’égalité de genre en interne comme en externe.

 Si une part de l’action bilatérale repose sur l’assistance technique aux autorités pour améliorer leurs législations, campagnes et outils de lutte contre les violences, la priorité est accordée au soutien aux ONG locales et internationales.

– Ce soutien peut être symbolique et politique. Tel a par exemple été le cas de l’attribution en 2019 du Prix Simone Veil à Mme Aissa Doumara pour l’ensemble de son action en tant que co-fondatrice d’une association de lutte contre les violences faites aux femmes à l’extrême nord du Cameroun.

– Mais le soutien est surtout financier. La France attribue des subventions à des ONG qui conduisent des projets ayant pour finalité de lutter contre les violences faites aux femmes. En termes de zones géographiques, la France se mobilise essentiellement dans les 19 pays prioritaires de la politique de coopération et de développement – pour l’essentiel en Afrique – tels que définis par le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement en 2018 et inscrits dans la loi du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales.

Afin de financer les activités des mouvements féministes à l’étranger, et notamment celles en lien avec toutes les formes de violences faites aux femmes, le MEAE a lancé en 2020 avec l’Agence française de développement (AFD) un fonds de soutien aux organisations féministes, doté de 120 millions d’euros sur trois ans (2020-2022). Le fonds agrège trois canaux de financement complémentaire pour s’adapter aux besoins spécifiques de chaque type d’organisation féministe.

Deux sources de financement proviennent de l’AFD et sont destinés, d’une part, aux organisations féministes des pays partenaires, et d’autre part, aux organisations féministes françaises actives à l’étranger. En 2020, l’AFD a par exemple cofinancé à hauteur de 400 000 euros un projet au Sénégal conduit par l’AMREF, une ONG africaine de santé publique, pour faire reculer les mutilations génitales féminines. L’AFD a par ailleurs apporté un montant de 225 000 euros en soutien à un projet au Nigeria porté par ECPAT France, un réseau d’associations, pour protéger les jeunes filles de la traite à des fins d’exploitation sexuelle.  

La troisième source de financement, qui ne provient non pas de l’AFD mais du MEAE, sur les enveloppes des Fonds de solidarité pour les projets innovants (FSPI) et des projets innovants des sociétés civiles et coalitions d’acteurs (PISSCA), est exclusivement destinée aux organisations féministes des pays partenaires. En 2020, deux FSPI avaient pour objectif de lutter contre les violences faites aux femmes, dont un FSPI porté par l’ambassade des Comores à hauteur de 890 000 euros. En 2021, cinq FSPI étaient dédiés à la lutte contre les violences basées sur le genre.

Les FSPI dédiés à la lutte contre les violences basées sur le genre en 2021

Afrique du Sud

Appui aux organisations féministes pour la prévention des violences basées sur le genre et l’autonomisation économique des femmes rurales en Afrique du Sud et au Lesotho

353 500€

Colombie

Soutien à la lutte contre l’exploitation sexuelle des migrantes vénézuéliennes en Colombie

267 675€

Éthiopie

PISCCA - Appui aux OSC féministes en Éthiopie dans la lutte contre les violences liées au genre

400 000€

Mozambique

Émancipation des jeunes femmes en milieu rural  - accès aux droits sexuels et de santé reproductive, prévention des violences et insertion socio-économique

215 000€

Amérique centrale

FSPI-PISCCA Amérique Centrale

Pays bénéficiaires de ce FSPI : Belize, Costa Rica, El Salvador, Guatemala, Honduras, Nicaragua, Panama

352 500€

Source : MEAE.

III.   Le risque est aujourd’hui ÉlevÉ d’une remise en cause des acquis dans la lutte contre les violences faites aux femmes

La mobilisation à toutes les échelles en faveur des droits des femmes a permis des avancées importantes. En révélant le caractère systématique et massif des violences faites aux femmes, le mouvement #MeToo, dont la résonance a été quasi-mondiale, a souligné l’importance de poursuivre ce combat. Ceci reste vrai même si, en pratique, la situation des femmes face aux violences n’a pas toujours suivi le mouvement d’universalisation des droits des femmes : dans bien des contextes, le décalage est resté béant entre le cadre juridique et la réalité des violences. 

De façon plus inquiétante, les signes d’un relativisme nouveau à l’égard des droits des femmes sont apparus ces dernières années. Le retrait de la convention d’Istanbul de la Turquie, qui tirait pourtant il y a dix ans une certaine fierté à l’idée que cette convention ait été signée dans la plus grande ville du pays, a été le révélateur de l’émergence de sociétés fracturées par des approches de plus en plus divergentes concernant les droits des femmes et la notion de genre : d’un côté, une approche qui reste avant tout patriarcale et profondément liée à la famille et de l’autre une conception ouverte, moderne, qui intègre la notion de genre.

En tout état de cause, la pandémie est venue démontrer que la consolidation des droits des femmes reste insuffisante pour résister aux crises, quelles qu’elles soient. Elle a aussi révélé la montée en puissance d’un mouvement de contestation internationale des avancées des droits des femmes.

A.   Certains progrÈs ont ÉtÉ enregistrÉs au cours des vingt-cinq derniÈres annÉes

Difficilement mesurables, certains progrès sont observés en matière de lutte contre les violences faites aux femmes depuis que les pays se sont engagés sur le programme d’action né de la conférence de Pékin en 1995. Ces progrès sont plus visibles au sein du Conseil de l’Europe, grâce à l’action du GREVIO. Mais le phénomène le plus positif du point de vue de la lutte contre les violences faites aux femmes reste la libération de la parole dans le sillage du mouvement #MeToo.

1.   Le combat international contre les violences faites aux femmes a été marqué par certaines réussites, malgré une difficulté à les objectiver

Une des principales avancées dans la lutte contre les violences faites aux femmes est la prise de conscience au niveau multilatéral, depuis une vingtaine d’années, de l’étendue et de la gravité des violences dans les zones de conflits. La lutte contre les effets des conflits armés sur les femmes représentait déjà le cinquième objectif du plan d’action adopté à Pékin en 1995. L’agenda « Femmes, paix et sécurité » est à l’ordre du jour des instances onusiennes depuis vingt ans. Selon Mme Anne Castagnos-Sen, responsable des relations extérieures d’Amnesty international France, cette évolution positive connaît une accélération sensible ces dernières années, qui se traduit notamment par des interactions de plus en plus importantes entre les différentes enceintes traitant de cette question. La présidence britannique duG7/G8 en 2013, puis la présidence française en 2019, ont remis les violences sexuelles dans les conflits à l’agenda de la communauté internationale.

La mobilisation de la communauté internationale a aussi produit des effets concrets du point de vue de la protection et l’autonomisation des femmes, malgré la difficulté à les objectiver. À titre d’illustration, le nombre de filles scolarisées a progressé, ce qui a permis d’atteindre l’objectif de parité des inscriptions en primaire. En parallèle, les pratiques néfastes affectant les jeunes filles ont diminué. Selon l’Unicef, la proportion de femmes mariées alors qu’elles étaient mineures a diminué de 15 % durant la décennie précédente : cette proportion est passée d’une fille sur quatre à une fille sur cinq, même si elle reste élevée parmi les moins éduquées. Depuis la fin des années 80, dans les trente pays concernés par la pratique des mutilations génitales pour lesquels des données représentatives sont disponibles, le nombre de filles âgées de 15 à 19 ans ayant subi une mutilation génitale est passé d’une fille sur deux à une fille sur trois. Le soutien à cette pratique est par ailleurs en déclin. Dans les pays touchés, « le nombre de filles et de femmes pensant que les mutilations génitales féminines doivent cesser a doublé au cours des deux dernières décennies, portant leur nombre à sept filles et femmes sur dix ».

La lutte contre les mutilations génitales féminines au Burkina Faso

Le Burkina Faso, où l’excision est une pratique répandue sur le territoire et dans les différents groupes ethniques, fait partie des pays qui ont enregistré le plus de succès dans la lutte contre les mutilations génitales féminines. 

Ce succès a été permis grâce à un « leadership » politique très fort incarné par Mme Mariam Lamizana, ancienne ministre burkinabé de l’action sociale de 2002 à 2006 et première présidente du comité national de lutte contre la pratique de l’excision. Mme Lamizana, qui a fait l’objet de nombreuses attaques en diffamation lorsqu’elle exerçait des fonctions ministérielles, a expliqué à vos rapporteures avoir concentré ses efforts dans trois domaines : l’implication des hommes, la mise en œuvre d’un cadre institutionnel pour organiser des actions éparses et l’adoption d’un texte pour réprimer l’excision. Il s’agissait de créer « une volonté politique, une ligne budgétaire et une norme pénale pour que l’excision passe d’un délit à un crime ». Le principal défi étant de faire évoluer les mentalités, Mme Lamizana a donné la priorité au plaidoyer et à la sensibilisation des chefs religieux et des leaders d’opinion. Pour agir directement sur l’opinion, le personnel de santé a été mobilisé et la mise en scène d’exciseuses exprimant leurs regrets a été organisée.

2.   À l’échelle des pays du Conseil de l’Europe, la convention d’Istanbul a favorisé des avancées que le GREVIO a pu constater

Si les progrès dans le combat contre les violences résultent d’un ensemble de facteurs, la convention d’Istanbul et le mécanisme de suivi mis en œuvre par le GREVIO ont sans aucun doute contribué à certaines des avancées constatées. Mme Brié observe que le simple fait d’adhérer à la convention d’Istanbul et de se préparer à l’évaluation du GREVIO a conduit des pays à engager des réformes. Les rapports du GREVIO ont aussi conduit à des évolutions dont les effets ne seront toutefois perceptibles qu’à moyen ou long terme. Ces améliorations ont été listées par le GREVIO dans son rapport d’activité sur la période 2015-2019.

Mesures prises par les pays du Conseil de l’Europe
pour améliorer la réponse aux violences faites aux femmes

L’une des mesures prises pour améliorer la mise en œuvre de la convention d’Istanbul est l’incrimination de formes supplémentaires de violence à l’égard des femmes et l’introduction de nouvelles infractions pénales [comme en Albanie, au Portugal et au Monténégro].

Le GREVIO a aussi salué, dans un nombre croissant d’États parties, la modification des dispositions sur la violence sexuelle de sorte qu’elles ne reposent plus sur une approche fondée sur la contrainte mais sur une approche fondée sur le consentement [ce sur quoi la Suède fait figure de modèle].

De nombreux États parties [dont la Turquie, le Danemark et l’Autriche] élaborent avec succès des plans d’action nationaux (PAN) et des politiques publiques qui tiennent compte d’un plus grand nombre de formes de violence à l’égard des femmes.

Malgré la pénurie constante de services de soutien spécialisés pour les victimes de violence à l’égard des femmes, à la suite de la ratification de la convention par les États parties, une augmentation du nombre de structures de soutien pour les victimes de violence à l’égard des femmes et de violence domestique, ou l’amélioration des structures existantes, en particulier celles dirigées par des ONG de droits des femmes, a été relevée. Conformément à cette disposition, des services de soutien pour les victimes de violences sexuelles ont été établis ou leur nombre a augmenté dans plusieurs pays [comme au Portugal, au Monténégro et en Finlande].

Le fait que plusieurs États parties [dont la Suède et la Finlande] aient inclus la persécution fondée sur le genre comme motif de reconnaissance du statut de réfugié dans la législation relative à l’asile est aussi un résultat concret de l’application de la convention d’Istanbul.

Source : Extraits du rapport général d’activité du GREVIO sur la période 2015-2019.

3.   Le mouvement #MeToo a suscité un nouvel élan dans la lutte contre les violences faites aux femmes

Le mouvement #MeToo a d’abord eu pour vertu de révéler le caractère systémique des violences faites aux femmes. Pour rappel, en octobre 2017, à la suite de l’affaire « Harvey Weinstein » et des révélations de plusieurs actrices sur les crimes sexuels commis par le célèbre producteur américain, le hashtag « MeToo » a été relancé par l’actrice Alyssa Milano sur les réseaux sociaux pour que les femmes puissent témoigner des violences sexuelles qu’elles subissent. En seulement un an, 17,2 millions de Tweet #MeToo ont été recensés par Twitter.

L’initiative connait un retentissement très important, en particulier dans le monde occidental. Des hashtags régionaux ont été créés dans de nombreux pays : #Balancetonporc en France, #quellavoltache en Italie ou #Cuéntalo en Espagne. Mais le mouvement de dénonciation des violences sexuelles n’a pas eu le même écho partout. Dans le monde arabe ou au Japon, le mouvement a été moins visible du fait du tabou qui entoure encore ce sujet. En Chine, comme l’a récemment illustré l’affaire « Peng Shuai », du nom de cette joueuse de tennis chinoise qui a disparu après avoir accusé de viol un ancien vice-ministre, #MeToo est perçu comme une menace à la stabilité du régime communiste et a été censuré par les autorités.

En définitive, le mouvement #MeToo a prospéré dans les sociétés qui bénéficient d’une certaine liberté de parole et d’expression, où les réseaux sociaux sont largement utilisés et où une prise de conscience des atteintes aux droits des femmes et de l’inégalité entre les sexes préexistait. Le sort variable du mouvement au sein des pays du Conseil de l’Europe en fournit un exemple éclairant : #MeToo a eu un impact beaucoup plus limité à l’est qu’à l’ouest de l’Europe. #MeToo a jusqu’ici faiblement touché la Russie, les pays d’Europe de l’Est et les Balkans.

Si le mouvement s’est atténué depuis 2018, de nouvelles campagnes de dénonciation des violences sexuelles et sexistes envers les femmes apparaissent régulièrement sur les réseaux sociaux, le plus souvent à la suite de la prise de parole d’une personnalité influente. En janvier, en Grèce, #MeToo a été relancé par les révélations de la championne nationale de voile Sofia Bekatorou, qui a été victime d’agressions sexuelles. En février, la dénonciation du harcèlement sexuel par la célèbre bloggeuse de mode et ex-mannequin koweïtienne Ascia Al Faraj a déclenché un mouvement d’ampleur nationale au Koweït. En mars, le mouvement « #March4Justice » a rassemblé des milliers de personnes dans les rues des grandes villes en Australie en réponse à des affaires de viol dans la sphère politique.

En envahissant l’espace public, #MeToo a conduit à une large prise de conscience de la multiplicité et de la variété des formes de violence sexiste vécues et subies par les femmes pendant leur vie, notamment dans la rue et au travail. La notion de « féminicide », utilisée pour illustrer la dimension genrée de certains homicides, est sortie des milieux militants pour s’imposer largement dans le débat public. En libérant la parole des victimes et en leur donnant une forte visibilité, #MeToo a aussi été un vecteur important d’« empowerment » des femmes. Ces dernières sont plus nombreuses à porter plainte contre les auteurs des violences. Enfin, #MeToo est une des raisons pour lesquelles le sujet des violences s’est imposé au sommet de l’agenda politique dans plusieurs pays européens.

B.   Mais les rÉponses Étatiques aux violences faites aux femmes restent pour l’essentiel faibles et insuffisantes

Si l’insuffisance du cadre normatif est parfois en cause dans la faiblesse de la réponse aux violences, la difficulté réside le plus souvent dans la mise en œuvre elle-même. Aucun pays n’échappe à un décalage entre son cadre juridique et la réalité de la lutte contre les violences, mais cet écart paraît plus élevé dans le voisinage de l’UE qu’à l’intérieur de l’Union. Malgré les efforts, la communauté internationale a par ailleurs échoué à enrayer la violence dans les zones de conflit.

1.   Dans certains pays, le cadre juridique reste lacunaire

La lutte contre les violences faites aux femmes peut être entravée par l’insuffisance du cadre normatif. C’est notamment le cas en Russie, où le problème n’est pas nié mais où il est peu considéré et fortement minimisé par les autorités.

Ainsi qu’il a été évoqué, la Russie est un des seuls pays du Conseil de l’Europe, à côté de l’Azerbaïdjan, à n’avoir ni signé, ni ratifié la convention d’Istanbul. Un projet de loi sur les violences domestiques a été soumis au Parlement à deux reprises depuis 2018, mais les débats ont été suspendus sine die. Les autorités russes avancent qu’il n’est nul besoin d’une loi spécifique pour condamner les violences faites aux femmes. Il n’en reste pas moins que certains pans de la réponse au problème, comme la prévention des violences domestiques, sont actuellement absents de l’arsenal législatif russe. Il n’y a par ailleurs aucun article dans le code pénal permettant de pénaliser en soi les mutilations génitales féminines. De tels actes ne peuvent être condamnés que sous la qualification du « dommage porté délibérément à la santé », ce qui implique d’en apporter la preuve. 

Plusieurs voix écoutées par le régime offrent tout de même des perspectives d’évolution du cadre juridique. La Haute commissaire pour les droits de l’Homme, Mme Moskalkova, réputée fidèle au régime, se permet une position critique dans le domaine des violences domestiques en Russie. Ainsi, en février 2021, cette dernière a appelé le Parlement à reprendre les travaux sur le projet de loi concernant la prévention des violences domestiques. Elle s’est aussi prononcée en faveur d’une ratification de la convention d’Istanbul, appelant l’église orthodoxe à la recherche d’un compromis. Saisie sur un cas de sanctions estimées insuffisantes, la Cour constitutionnelle a par ailleurs demandé en avril 2021 des lois plus sévères pour les auteurs de violences domestiques répétées.

La Russie est loin d’être le seul pays dans lequel le cadre juridique doit être encore complété, à un titre ou à un autre. Dans un rapport publié en avril 2021, le FNUAP rapportait qu’il reste encore une vingtaine de pays, parmi lesquels la Bolivie, l’Algérie, le Cameroun ou encore les Philippines, dans lesquels la législation permet à un violeur d’épouser sa victime pour échapper aux sanctions ([20]).

2.   Le plus souvent, un écart persiste entre le droit et la réalité

Dans la plupart des pays, y compris dans les pays européens, les insuffisances dans la réponse aux violences résident moins dans les failles éventuelles du cadre normatif que dans l’effort consenti pour le mettre en œuvre.

a.   En France

La critique des efforts faits pour lutter contre les violences par d’autres pays doit se faire avec humilité. Vos rapporteures tiennent donc d’abord à rappeler les critiques qui visent la France dans ce domaine. Comme le rappelle Mme Brié, présidente de la Fédération nationale Solidarités Femmes (FNSF), « même s’il peut encore être amélioré, on a aujourd’hui un arsenal législatif assez complet […] Maintenant, il faut l’appliquer sur l’ensemble du territoire ».

Les critiques portent en premier lieu sur la faiblesse de l’évaluation des actions de lutte contre les violences, ce qui tient, d’une part, à des difficultés liées au « comptage » et à l’accessibilité des données et, d’autre part, à un manque de définition d’objectifs et d’indicateurs nécessaires à la réalisation d’un suivi. Selon Mme Mailfert de la Fondation des femmes, il manque en France une plateforme, mise à jour régulièrement, permettant de recenser les objectifs et de mesurer les progrès accomplis, sur le modèle de ce qui existerait en Espagne.

Ensuite, les associations féministes regrettent le manque de moyens financiers accordés à cette politique publique. Dans son rapport intitulé « Où est l’argent contre les violences faites aux femmes ? » ([21]), le Haut Conseil pour l’égalité (HCE) estimait le besoin financier pour une prise en charge de qualité des femmes victimes de violences conjugales entre 500 millions et 1,1 milliard d’euros. Ces chiffres sont à rapporter au budget interministériel annoncé dans le cadre du « Grenelle », qui est de 360 millions d’euros. Les priorités sont de consacrer davantage de moyens aux centres d’aide d’urgence, de développer les dispositifs d’hébergement spécialisés et de renforcer la prévention et la formation, y compris en milieu scolaire.

Enfin, la réforme du système judiciaire doit être poursuivie. Dans son rapport d’évaluation sur la France publié en novembre 2019 ([22]), le GREVIO recommandait notamment aux autorités françaises de faire évoluer la législation et les pratiques judiciaires, en particulier la pratique de la « correctionnalisation » consistant à requalifier le crime de viol en délit d’agression sexuelle, de fonder la définition des violences sexuelles non pas sur l’usage de la contrainte mais sur l’absence de libre consentement de la victime, d’entamer un processus de révision du système des ordonnances de protection afin d’en permettre un usage plus systématique et de mieux prendre en compte l’intérêt et la sécurité de l’enfant, en améliorant l’application des dispositions légales sur le retrait de l’autorité parentale du parent violent et l’exercice exclusif de l’autorité parentale du parent victime.

b.   En Pologne et dans les Balkans

À l’est de l’Europe et dans les Balkans, l’écart entre le droit national et la réalité des violences est plus substantiel qu’en Europe de l’Ouest. Les autorités polonaises, qui n’ont pas souhaité répondre à vos rapporteures, se prévalent de l’exemplarité de leur droit national. Dotée d’une Constitution qui garantit l’égalité entre les femmes et les hommes, la Pologne a adopté une loi en mai 2020 qui renforce la protection des victimes et permet l’expulsion rapide de l’auteur des violences sous le contrôle du juge. Le tableau doit toutefois être nuancé. En dépit d’un écosystème de prise en charge juridique et médico-social des victimes qui peut être considéré de qualité, la Pologne se caractérise aussi par un sous-financement des ONG et par un nombre insuffisant de refuges pour femmes battues.

Selon Mme Šajkaš, il n’y a « pas d’approche systémique contre les violences faites aux femmes dans les pays des Balkans », qui restent très patriarcaux. Si l’Albanie a ratifié la convention d’Istanbul en 2013, la volonté et les moyens consentis par les autorités sont fortement insuffisants. Les ressources des ONG actives dans ce domaine, qui animent quelques foyers d’accueil pour les femmes victimes de violences, proviennent pour l’essentiel de l’international. Les victimes peuvent attendre des années avant d’être entendues et les auteurs de violence, lorsqu’ils sont puissants, ne subissent que des peines minimales. En Albanie comme ailleurs dans les Balkans, la prise en charge psychologique reste encore un tabou.

c.   En Turquie

La Turquie dispose elle aussi d’un arsenal juridique contre les violences faites aux femmes satisfaisant mais dont la mise en œuvre est fragile.

La lutte contre les violences envers les femmes est depuis longtemps un sujet de mobilisation en Turquie, tant pour les autorités que pour les ONG. L’article 10 de la Constitution turque de 1982 et le code civil de 2002 reconnaissent l’égalité des droits entre les femmes et les hommes. Avant de s’en retirer, la Turquie était un des premiers États à avoir ratifié la convention d’Istanbul. Cette ratification a conduit à l’adoption, en mars 2012, d’une loi d’application (« la loi 6284 ») qui incarne un cadre législatif moderne. Ce cadre juridique se double d’un discours politique officiel sur le sujet, qui bénéficie notamment de la mobilisation de la femme du président, Mme Emine Erdoğan. En novembre 2019, les autorités turques ont aussi annoncé un plan de coordination contre les violences faites aux femmes qui prévoit notamment de renforcer la formation des policiers et des magistrats. Le 8 mars 2021, après un fait divers qui a ému l’opinion publique, une commission parlementaire dédiée spécifiquement aux violences faites aux femmes a été créée.

Selon S.E. M. Ali Onaner, ambassadeur de Turquie en France, « comme beaucoup d’autres pays européens, il reste beaucoup à faire dans l’application de cette loi [la loi 6284] » mais « le travail de mise en œuvre continue ». L’ambassadeur de Turquie a expliqué à vos rapporteures que, pour améliorer l’application du cadre législatif national, la Turquie avait entrepris de former deux millions de personnels des forces de l’ordre à ces questions, d’améliorer la coordination entre les différentes administrations concernées dont les ministères de l’Intérieur, de la Justice et des Affaires sociales, et de renforcer le soutien aux femmes victimes de violences ce qui se matérialise par l’ouverture de nouveaux foyers, une expérimentation en cours autour des bracelets anti-rapprochement et la création d’un numéro d’urgence permettant aux victimes d’appeler les secours.

Les ONG rencontrées par vos rapporteures en Turquie sont toutefois très critiques de la politique des autorités dans ce domaine. Sous prétexte d’une politique de « tolérance zéro » vis-à-vis des violences, les plans d’action ne seraient pas mis en œuvre. Le numéro d’urgence n’est pas dédié aux femmes victimes de violences mais il s’agit d’une ligne d’assistance sociale, ouverte également aux personnes âgées ou aux conjoints d’anciens combattants. Si la police se rend au domicile lorsqu’elle est alertée d’un cas de violence, les forces de sécurité prennent rarement les mesures préventives qui s’imposent lors d’un signalement. Le nombre de refuges est limité et les conditions d’accueil sont dégradés. À moins que l’affaire ne soit fortement médiatisée, la justice octroie facilement des remises de peine aux auteurs de violence.

3.   La convention d’Istanbul en particulier n’est pas pleinement mise en œuvre

L’écart entre le texte de la convention d’Istanbul et sa mise en œuvre par les pays qui l’ont ratifiée permet de mesurer le chemin qui reste à parcourir avant d’aboutir à une réponse satisfaisante aux violences faites aux femmes. Comme l’explique Mme Futter-Orel de l’ONG WAVE, « la convention d’Istanbul […] est freinée dans la pratique par un manque de mise en œuvre dans de nombreux pays ainsi que par une connaissance ou une formation insuffisante des principaux organismes qui assureraient sa mise en œuvre effective, tels que le pouvoir judiciaire et la police. Le meilleur cadre juridique ne reste qu’une réalisation théorique, tant qu’il n’est pas correctement mis en œuvre dans la pratique. »

Lacunes et difficultés dans la mise en œuvre la convention d’Istanbul  

Dans des pays tels que l’Albanie, le Danemark et la Finlande, le GREVIO a critiqué l’approche non sensible à la dimension de genre des dispositions juridiques et des documents stratégiques qui portent sur la violence domestique.

Une caractéristique commune supplémentaire a été observée : l’allocation de ressources humaines et financières insuffisantes pour la mise en œuvre des politiques intégrées, des mesures et des programmes visant à prévenir et combattre toutes les formes de violence couvertes par la convention.

Nonobstant les initiatives positives prises dans les États parties pour élaborer des politiques intégrées de lutte contre la violence à l’égard des femmes au moyen de plans d’action nationaux, le GREVIO a noté que dans de nombreux cas les plans d’action nationaux se composent d’initiatives basées sur des projets. Ces initiatives étant limitées dans la durée, elles n’étaient pas propices à la mise en place d’une approche durable, globale et complète du problème et ne permettaient pas de garantir des politiques structurelles intégrées pour lutter contre la violence à l’égard des femmes.

Les rapports du GREVIO ont aussi mis en évidence la collecte insuffisante de données par les autorités publiques.

Si des progrès ont été accomplis dans de nombreux États parties, néanmoins, le nombre de services de soutien spécialisés pour les femmes victimes de violence reste insuffisant et leur financement est extrêmement irrégulier.

Des lacunes ont également été régulièrement relevées en ce qui concerne la protection offerte aux femmes victimes de violence domestique et à leurs enfants, y compris lors de la détermination des droits de garde et de visite, mais aussi en ce qui concerne l’interdiction de la médiation obligatoire dans les procédures civiles.

Une autre tendance a aussi été observée : l’absence de mise en œuvre adéquate des cadres juridiques prévoyant des mesures de protection et/ou des ordonnances de protection, ainsi que l’application insuffisante de ces ordonnances par les autorités compétentes.

Le GREVIO a aussi identifié plusieurs lacunes dans la mise en œuvre non discriminatoire des dispositions de la convention (telle que prévue à l’article 4, paragraphe 3) et a remarqué l’absence de mesures effectives tenant compte des besoins des femmes appartenant à des groupes vulnérables.

En ce qui concerne l’asile, le GREVIO a systématiquement mis en évidence les difficultés rencontrées par les États parties pour garantir des procédures de détermination du droit d’asile et des structures d’accueil sensibles au genre.

Source : Extraits du rapport général d’activité du GREVIO sur la période 2015-2019

4.   En Afrique de l’Ouest, le droit n’a qu’une faible prise sur la réalité des violences

Une région comme l’Afrique de l’Ouest se caractérise par un contraste très fort entre le droit et la réalité des violences. La Guinée par exemple a ratifié tous les instruments internationaux pertinents dans le domaine des violences faites aux femmes. Il n’existe par ailleurs pas de faille réelle entre le droit international et le droit interne guinéen, l’article 8 de la Constitution, de même que le code pénal et le code de l’enfance, interdisant toutes violences de genre, y compris les mutilations sexuelles. Preuve de leur mobilisation, les autorités guinéennes ont défini une stratégie nationale contre les violences basées sur le genre en 2009. Avant son renversement dans le contexte d’un coup d’État militaire, le président Alpha Condé affichait, dans sa parole publique, une certaine sensibilité à ces questions.

Dans les faits néanmoins, la situation des femmes en Guinée est très détériorée. La Guinée est le deuxième pays au monde pour le nombre d’excisions après la Somalie. Une recrudescence du nombre de viols a par ailleurs été observée dans ce pays. De façon plus générale, le nombre de femmes victimes de violences sexuelles est très élevé, dans les milieux ruraux comme urbains et quelle que soit l’ethnie. Selon une étude conduite en 2009, une femme guinéenne sur deux a déjà été victime de violences sexuelles. Ces violences sont notamment entretenues par la précarité économique et un déni d’accès à l’éducation, le taux d’éducation des jeunes filles étant deux fois moins élevé que celui des garçons. 

La situation est somme toute très similaire au Burkina Faso. Selon Mme Faty Ouédraogo, secrétaire générale du ministère de la Femme, de la solidarité nationale, de la famille et de l’action humanitaire du Burkina Faso, le dispositif juridique contre les violences basées sur le genre est très étoffé. Le pays a ratifié la plupart des instruments internationaux et régionaux et a progressivement complété son arsenal juridique interne. Des moyens ont été mis en œuvre pour renforcer les services sociaux et créer des centres de prise en charge des victimes, conduire des programmes de sensibilisation et de formation et mener des actions de plaidoyer.

Cependant, les progrès réalisés par le Burkina Faso dans le combat contre l’excision (cf. supra) ne doivent pas cacher l’importance des défis auxquels le Burkina Faso reste confronté. Malgré son interdiction par le code pénal, la pratique de l’excision reste courante : même si la prévalence de l’excision a tendance à baisser dans la population féminine de moins de 15 ans, deux tiers des femmes de 15 à 45 ans sont excisées dans ce pays. Les mariages précoces restent une coutume bien ancrée au Burkina Faso, qui affiche un taux de 44 % de jeunes filles mariées avant 18 ans, ce qui représente le plus fort taux en Afrique de l’Ouest.

Les pays d’Afrique de l’Ouest sont confrontés à plusieurs problèmes structurels qui expliquent la grande difficulté à aligner le droit et la réalité.

– D’abord, le manque de ressources budgétaires se combine à des problèmes de gouvernance et à l’inertie de l’administration et des pouvoirs locaux qui diluent fortement la force de frappe de l’État contre les violences.

– Ensuite, le faible signalement des violences est le reflet de la difficulté des femmes dans cette région à jouir de leurs droits. L’autocensure des victimes, quand elle n’est pas internalisée, provient de la pression du milieu familial et social qui peut dissuader les femmes de porter plainte. Alors que l’excision est largement pratiquée, les plaintes sont quasi inexistantes. Selon Mme Rokia Rouanba, députée et présidente du réseau caucus genre à l’Assemblée nationale burkinabè, la situation est telle que les femmes n’ont parfois pas conscience d’avoir subi un viol.

– Enfin, le substrat culturel et social se caractérise par des représentations collectives machistes. Les femmes sont éduquées à la soumission et celles qui s’affirment sont déconsidérées. Même les personnes les plus éduquées sont écrasées par les pesanteurs socio-culturelles. Un député de l’Assemblée nationale burkinabè a ainsi admis à vos rapporteures que les députés hommes eux-mêmes agissent parfois de façon contraire à leur parole publique sur la condition des femmes.

5.   Sur les théâtres de conflit, les violences sexuelles demeurent omniprésentes

Malgré la mobilisation dont elle fait preuve, la communauté internationale est confrontée à de telles horreurs depuis tant d’années que le combat contre les violences faites aux femmes en période de conflit peut paraître désespérant. Depuis vingt ans que la guerre dure en RDC, les efforts pour amener la stabilité dans ce pays et assurer la protection des femmes ont échoué. Selon Mme Khenati, « on est sur des niveaux de banalisation de la violence sexuelle qui dépassent l’entendement […] des générations de gamins ont vu leurs mères et leurs sœurs se faire violer ».

L’impunité dont bénéficient les responsables présumés de crimes sexuels sur les théâtres de guerre est l’un des principaux obstacles à l’instauration de la paix et de la stabilité et explique la perpétuation des atrocités de masse. Mais la lutte contre l’impunité suppose le maintien d’un système de police et de justice fonctionnel ainsi que des services médico-légaux afin de pouvoir établir des preuves. Or, les conflits ont tendance à affaiblir l’ensemble de ces services publics.

L’assistance aux victimes est aussi fortement limitée par les attaques et les pillages qui peuvent viser les lieux de soins, qui sont souvent mal approvisionnés en période de crise et de guerre. Les soins de santé mentale et psychosociale font le plus souvent défaut ou sont proposés bien après les violences, alors que des symptômes se sont déjà bien installés et que la personne a déjà vécu un parcours douloureux de honte et de rejet. La réinsertion de la victime dans sa famille, dans la communauté et dans la société est un défi très difficile à relever. Le plus souvent, les moyens humains et financiers permettant d’assurer une assistance aux victimes de qualité font défaut compte tenu à la fois de la difficulté à maintenir des personnels sur les théâtres de crise et à mobiliser les bailleurs internationaux sur ce sujet.

Dans ce contexte, le bilan de l’action internationale apparaît bien limité, y compris en ce qui concerne la mise en œuvre de l’agenda « Femmes, paix et sécurité ». En effet, les processus de paix officiels ont systématiquement échoué dans l’intégration des femmes. Aucune des nombreuses initiatives de paix entreprises en République centrafricaine ou en Libye ces dernières années n’ont inclus les femmes de manière significative. Selon Mme Fahimeh Robiolle, seulement quatre femmes ont été invitées à participer aux négociations de Doha, et deux ne sont pas venues, ce qui nourrit le pessimisme sur l’avenir de l’Afghanistan.

C.   Le retour des conservatismes limite aujourd’hui de nouvelles avancÉes

En réaction aux avancées en faveur des droits des femmes, des mouvements conservateurs, souvent d’inspiration religieuse, sont montés en puissance au cours des dernières années et déploient aujourd’hui une action structurée à l’échelle nationale et internationale pour remettre en cause ces avancées. La convention d’Istanbul, accusée de menacer le modèle traditionnel de la famille et de promouvoir l’homosexualité, est une des principales cibles de ces mouvements conservateurs. Premier grand évènement international sur les droits des femmes depuis vingt-cinq ans, le « Forum Génération Égalité » qui s’est déroulé entre avril et juin 2021 a marqué une contre-offensive dans le contexte de cette nouvelle bataille idéologique.

1.   La réaction conservatrice aux progrès ayant bénéficié aux droits des femmes a désormais une ampleur internationale

Si, depuis longtemps, les conservatismes freinent les avancées en faveur des droits des femmes, ces derniers sont récemment passés à l’offensive. La promotion de l’agenda européen et international sur les droits des femmes a suscité, en réaction, l’apparition et le renforcement de mouvements conservateurs qui tentent de remettre en cause les progrès réalisés. Si le combat prioritaire de ces mouvements est la restriction des droits sexuels et reproductifs, ces derniers remettent également en cause la notion de violences fondées sur le genre dans la continuité d’un discours de protection de la famille dite « traditionnelle ». Ces mouvements et leur influence sur les processus de décision à tous les niveaux font l’objet de travaux de plus en plus nombreux dans le cadre d’un courant d’étude que certains appellent les anti-gender studies ou études des mouvements anti-genre ([23]).

Les acteurs qui remettent en cause les acquis récents sur les droits des femmes sont pour l’essentiel issus de la mouvance fondamentaliste chrétienne. Ces derniers appellent à un retour à un « ordre naturel » fondé sur des valeurs comme la prééminence de la famille sur l’individu et la réduction de la sexualité à la reproduction. C’est aux États-Unis que sont apparues les organisations les plus engagées à l’échelle internationale à l’image d’Alliance Defending Freedom, du World Congress of Families et de Family Watch International. Depuis 2010, des mouvements partageant le même agenda, parmi lesquels Agenda Europe, Ordo Iuris en Pologne ou Hazte Oír en Espagne, se sont multipliés en Europe.

Ces organisations conservatrices se sont considérablement renforcées dans la période récente. D’abord, elles se coordonnent de plus en plus et organisent des rassemblements européens et internationaux réguliers. Agenda Europe, qui n’était à sa création, en 2013, qu’un blog réunissant une vingtaine de militants américains et européens, n’a cessé de s’élargir pour englober une centaine d’organisations issues de plus de trente pays européens. Agenda Europe organise des sommets annuels, dont Ordo Iuris avait été l’organisatrice en 2016 et auxquels sont invités des personnalités issues, par exemple, de Family Watch International.

Ces mouvements opposés aux avancées dont ont récemment bénéficié les femmes sont par ailleurs soutenues par des financements importants. Ces financements, opaques et difficilement traçables, proviennent le plus souvent de riches donateurs ultra-conservateurs et religieux, dont des oligarques russes proches de l’Église orthodoxe et des associations fondamentalistes chrétiennes américaines.

Surtout, ces organisations traditionnalistes et conservatrices bénéficient aujourd’hui d’appuis et de relais politiques dans plusieurs pays à la faveur du renforcement et de l’arrivée au pouvoir de mouvements conservateurs et populistes. En Pologne, le parti Droit et Justice (PiS), au pouvoir depuis 2015, entretient des liens étroits avec Ordo Iuris, dont plusieurs membres ont rejoint les cercles du pouvoir. Des personnalités politiques européennes de premier plan participent au World Congress of Families dont le Premier ministre hongrois, M. Viktor Orbán, en 2017, et l’ancien ministre de l’intérieur italien, M. Matteo Salvini, en 2019.

Organisés, soutenus et financés, ces acteurs ont élaboré un argumentaire très construit pour défendre leurs idées. La rhétorique des droits de l’Homme est retournée pour consacrer de nouveaux droits comme un droit à la vie qui s’opposerait au droit à l’avortement ou à l’euthanasie. La liberté de croyance est par ailleurs invoquée pour revendiquer le droit des personnels médicaux à invoquer une « clause de conscience » leur permettant de refuser de pratiquer un avortement.

Les mouvements anti-genre mettent par ailleurs en œuvre des stratégies pour promouvoir leurs idées dans le débat public et auprès des décideurs nationaux, européens et internationaux. L’internet et les réseaux sociaux sont naturellement un vecteur permettant à ces derniers de faire circuler très largement leurs idées. Les organisations concernées déploient aussi des stratégies d’influence de plus en plus affirmées à l’égard des institutions internationales et européennes. Alliance Defending Freedom a reçu le statut d’organe consultatif aux Nations Unies et ouvert des bureaux à Bruxelles et Strasbourg pour peser sur l’UE et le Conseil de l’Europe. Ces organisations ont largement recours aux outils juridiques, notamment les recours devant la Cour européenne des droits de l’Homme, ainsi qu’aux instruments de démocratie participative, comme les pétitions et les initiatives citoyennes ([24]).

Cette mobilisation anti-genre peut d’ores et déjà se prévaloir de certains succès. Elle est parvenue, dans plusieurs pays, à faire reculer des législations qui protègent les droits des femmes. En Pologne, Ordo Iuris était à l’origine d’un projet de loi visant à interdire l’avortement déposé en 2016. Ce projet de loi, ainsi qu’un autre en 2018, ont été retirés sous la pression de l’opinion publique et des manifestations, mais en octobre 2020, le tribunal constitutionnel a rendu une décision qui interdit l’avortement en cas de « malformation grave et irréversible » du fœtus ou d’une « maladie incurable ou potentiellement mortelle ». En Russie, plusieurs éléments indiquent également que la situation est en recul sous l’effet des forces conservatrices. En 2017, sous l’influence de l’Église orthodoxe, une loi a conduit à dépénaliser les violences dans le cercle familial qui ne résultent pas en dommages corporels significatifs dans le but d’éviter la « destruction de la famille ». En Russie comme en Pologne, le pouvoir a considérablement diminué les sommes accordées aux organisations de soutien aux femmes victimes mais a augmenté son soutien aux organisations défendant les valeurs traditionnelles.

La mobilisation en réaction aux avancées visant les droits des femmes produit aussi des effets à l’échelle internationale. La montée des conservatismes s’est décomplexée dans son expression publique sous la précédente administration américaine. En octobre 2020, à l’initiative de l’administration Trump, une trentaine de pays, dont la Pologne, la Hongrie, le Brésil et l’Égypte, ont signé une « déclaration du consensus de Genève » pour formaliser leur opposition à l’avortement. Le président Biden a retiré les États-Unis de cette déclaration depuis sa prise de fonction. Deuxième illustration : aux Nations Unies, les négociations sont de plus en plus difficiles à la Commission sur la condition de la femme (CSW) auprès de laquelle les lobbys conservateurs sont très actifs. En mars 2021, les conclusions de la 65e session de la CSW ont été adoptées au bout de 150 heures de négociations, marquées par la permanence de l’opposition entre les pays progressistes et les pays conservateurs menés par la Russie, notamment sur la mention de l’augmentation des violences lors de la pandémie et la promotion d’un langage ambitieux sur les droits sexuels et reproductifs. Les États-Unis ont démontré qu’ils étaient résolument de retour parmi les pays progressistes.

2.   La convention d’Istanbul est devenue une des principales cibles des mouvements qui s’attaquent aux droits des femmes

Texte le plus abouti en matière de lutte contre les violences faites aux femmes, la convention d’Istanbul est malmenée par la montée en puissance des groupes conservateurs et fondamentalistes. Comme le relate le GREVIO dans son rapport d’activité, « une opposition très active à la convention s’est manifestée ces dernières années dans certains pays, dans lesquels des partis politiques, des institutions religieuses et des groupes ultraconservateurs ont lancé un mouvement hostile en s’appuyant sur une fausse représentation de la convention. » Deux arguments principaux sont avancés pour discréditer cette convention.

– La plupart des critiques portent sur le fait que la convention d’Istanbul véhiculerait une idéologie favorable au genre et à l’homosexualité et qu’elle porterait en germe la menace de l’éclatement de la cellule familiale traditionnelle. Il est vrai que le terme « genre », qui est utilisé par la convention, peut avoir une signification différente selon la langue et renvoyer à la liberté de l’orientation sexuelle. Mais, pour Mme Fontanel, il faut rappeler que « la convention est neutre vis-à-vis de la nature de la cellule familiale » et que « le seul objectif de la convention est de protéger les femmes contre les violences domestiques quel que soit le format familial ». Pour Mme Brié, l’argument des pays conservateurs doit au final être retourné : « on dit que la convention d’Istanbul va détruire la famille, or c’est la violence qui détruit la famille ».

– Certains pays, comme la Turquie, le Royaume-Uni et la Bulgarie, affirment en outre que leur droit national s’est mis à niveau voire protège davantage les femmes que la convention d’Istanbul, qui serait devenue inutile. Mais, comme l’explique Mme Fontanel, cet argument est « quasiment une remise en cause du droit international » car il revient à estimer qu’un pays peut s’extraire des normes internationales lorsqu’il estime que son droit national est à la hauteur. À supposer que tel soit réellement le cas, une telle situation ne devrait pas permettre à un pays donné de justifier de s’exonérer du droit international mais devrait l’inciter à accompagner les autres États qui n’ont pas encore atteint le même niveau.

a.   Des États réticents jusque dans l’UE

La convention d’Istanbul fait ainsi l’objet de résistances dans plusieurs États. Six États membres de l’UE en particulier – la Bulgarie, la Hongrie, la Lituanie, la Lettonie, la République Tchèque et la Slovaquie – ont refusé de la ratifier à cause de l’utilisation du terme « genre ». La notion de « genre » est régulièrement remise en question par des pays comme la Pologne et la Hongrie qui se limitent à reconnaître les différences déterminées biologiquement entre les femmes et les hommes et rejettent celles issues d’une construction sociale. Reconnaître que le genre est autre chose que le sexe biologique reviendrait en effet, pour ces pays, à faire un pas vers la reconnaissance des personnes LGBT ou du mariage pour tous. La Bulgarie explique par ailleurs que l’utilisation du mot « genre » serait contraire à sa Constitution. Ces résistances se retrouvent naturellement au sein des pays du Conseil de l’Europe qui ne sont pas membres de l’UE, à l’image de la Russie, qui juge les définitions de la famille et du genre inscrites dans la convention incompatibles avec les valeurs traditionnelles consacrées par sa Constitution.

b.   La tentation du retrait : le cas de la Pologne

De façon inquiétante, certains pays ont à certaines occasions exprimé leur souhait de se retirer de la convention d’Istanbul. Tel est le cas de la Pologne dans une polémique alimentée par la frange nationaliste du parti au pouvoir. Mme Joanna Lasserre, présidente de l’association Défense de la démocratie en Pologne, regrette que, « malgré le chemin formidable accompli depuis Solidarnosc », il existe aujourd’hui une « menace permanente sur les droits des femmes en Pologne ». Le parti au pouvoir développe en effet un narratif très conservateur qui se traduit par de multiples régressions sur les droits des femmes – notamment sur le droit à l’avortement – en même temps qu’un démantèlement de l’État de droit.

Lorsque la Pologne a ratifié la convention d’Istanbul en 2015, certaines personnalités du PiS, s’alignant sur le discours de l’Église catholique de Pologne, ont aussitôt dénigré cette convention qui contreviendrait aux valeurs traditionnelles sur la famille. Au moment de sa signature, celui qui allait devenir le ministre de la Justice du PiS, M. Zbigniew Ziobro, avait décrit la convention comme « une invention, une création féministe visant à justifier l’idéologie gay ». En juillet 2020, ce dernier, dont le parti a un rôle majeur dans la coalition au pouvoir en Pologne, a réitéré son opposition à la convention d’Istanbul, affirmant que celle-ci contenait « des éléments de nature idéologique, que nous considérons comme nuisibles » et que la loi polonaise offrait déjà une protection suffisante aux femmes victimes de violences domestiques. Le ministre de la Justice polonais aurait même tenté d’agréger le pays dans une coalition internationale visant à dénoncer la convention d’Istanbul. En parallèle, une initiative citoyenne portée par une ONG conservatrice visant à dénoncer la convention d’Istanbul a été portée devant le Parlement.

Face à cette initiative et aux déclarations de son ministre de la Justice, le Premier ministre a préféré botter en touche et demander au tribunal constitutionnel d’analyser la conformité de la convention d’Istanbul à la Constitution polonaise. Cette temporisation du Premier ministre par rapport aux annonces de son ministre montre que la dénonciation de la convention d’Istanbul, qui est à la croisée d’agendas idéologiques différents, est avant tout une question de politique intérieure. La dénonciation représente en tout état de cause un risque réputationnel dans un contexte où la Pologne s’est déjà isolée sur la question de l’État de droit.

c.   Le retrait turc

Seul un pays a mis à exécution la menace d’un retrait de la convention d’Istanbul : la Turquie. Le droit des femmes était pourtant un marqueur politique en Turquie depuis Atatürk, qui a accordé aux femmes le droit de vote dès 1934. Sous l’influence d’ONG très actives dans ce domaine, l’AKP, arrivé au pouvoir en 2002, s’est mobilisé en faveur des droits des femmes, une dynamique renforcée à l’époque par la perspective d’adhésion de la Turquie à l’UE. Cette dynamique avait débouché, en 2011, sur la signature de la convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique à Istanbul et sa ratification l’année suivante par les autorités turques.

Au cours des dix dernières années, la Turquie s’est cependant éloignée de la notion d’égalité entre les femmes et les hommes, lui préférant les notions d’égalité des chances et de politique familiale, empreintes d’une vision traditionaliste et nataliste de la femme. De fait, la situation actuelle en Turquie se caractérise par un risque de régression des acquis en faveur des droits des femmes.

Un débat était ainsi apparu il y a plus de deux ans sur l’opportunité d’un retrait de la Turquie de la convention d’Istanbul, perçue par la frange nationaliste de l’AKP comme une menace pour le modèle familial traditionnel. Mais la dimension politique des violences faites aux femmes en Turquie, qui oblige les autorités à s’investir pour ne pas laisser à l’opposition le monopole d’un sujet qui a de la résonance intérieure, ainsi que le poids électoral de l’électorat féminin, qui s’était fortement mobilisé lorsque le droit de l’avortement avait été menacé, semblaient limiter le risque que les autorités en arrivent jusque-là.

Sans aucun signe annonciateur, les autorités turques ont cependant pris la décision, dans la nuit du 19 au 20 mars, de retirer la Turquie de la convention d’Istanbul, ravivant ainsi un débat qui paraissait clos depuis plusieurs mois. Si la constitutionnalité du retrait, qui a pris la forme d’un décret présidentiel, a été mis en cause, le Conseil constitutionnel a finalement validé la décision turque. Le retrait est devenu effectif le 1er juillet 2021, pendant le Forum Génération Égalité.

La ministre turque de la Famille et des affaires sociales, Mme Derya Yanik, a expliqué à vos rapporteures que la convention d’Istanbul était contestée à « double titre », en ce qu’elle favoriserait la destruction des valeurs familiales traditionnelles et qu’elle introduirait la notion controversée de « genre ». Les autorités, qui n’avaient pas voulu prendre part à ce débat, avaient en revanche souhaité « éviter une confrontation inutile » – qui existe aussi dans d’autres pays européens – alors que la Turquie dispose d’une législation protectrice vis-à-vis des femmes victimes de violence. Le retrait de la convention d’Istanbul était donc une manière de clore ce débat qui occulte l’importance du combat contre les violences faites aux femmes. L’ambassadeur de France en Turquie, S.E. M. Ali Onaner, a également estimé « désolant que le fait de n’être pas parvenu à s’accorder sur certaines formulations a suscité un large rejet alors que tout le monde doit être d’accord sur la lutte contre les violences faites aux femmes ». Ce dernier incrimine la contribution de plusieurs ONG à l’élaboration de la convention d’Istanbul comme la cause du débat contre-productif qui s’est noué en Turquie.

Exprimé autrement, le retrait turc est surtout une décision personnelle et le reflet d’une manœuvre politique du président Erdoğan pour plaire à un électorat minoritaire. Par cette décision, le président turc a voulu consolider sa base électorale nationaliste et religieuse dans un contexte où sa popularité et celle de l’AKP a diminué du fait de n’être pas parvenu à résoudre les difficultés économiques auxquelles la Turquie est confrontée. Afin de ne pas s’aliéner entièrement l’électorat féminin, le Gouvernement a conjugué cette décision avec une réaffirmation de son volontarisme dans la lutte contre les violences faites aux femmes en présentant le jour du retrait un plan d’action pour lutter contre les violences domestiques.

Il reste que le retrait turc de la convention d’Istanbul a été sévèrement critiqué. En Turquie, la plupart des organisations féministes, y compris les plus proches du président, déplorent cette décision. Rejetée par la plupart de la population jusque dans les rangs de l’AKP, cette décision a provoqué des manifestations qui se sont répétées à l’occasion de la journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, le 25 novembre. Au sein du Conseil de l’Europe, la secrétaire générale, la présidence allemande du Comité des ministres et le président de l’Assemblée parlementaire ont aussi vivement réagi au retrait turc de la convention d’Istanbul. La décision turque est ainsi vécue par le Secrétariat comme « un revers considérable […] d’autant plus déplorable qu’elle compromet la protection des femmes en Turquie, en Europe et dans le monde. »

En défense, la ministre de la Famille, Mme Yanik, a insisté auprès de vos rapporteures sur le fait que le retrait turc n’avait qu’une portée symbolique puisque « la Turquie dispose déjà de tout ce qui est nécessaire juridiquement et en pratique ». La loi 6284 offre déjà un cadre législatif presque parfait qui n’est aucunement remis en cause par la décision de dénoncer la convention d’Istanbul. « Le combat contre les violences faites aux femmes n’a pas commencé avec la convention d’Istanbul et ne finira pas avec elle […] ce qui importe, c’est le combat dans les faits ». Pour S.E. M. Onaner, le retrait de la convention d’Istanbul est « un message qui peut être perçu comme négatif » mais qui, par la médiatisation dont il a fait l’objet, pourrait paradoxalement se traduire par une plus grande prise de conscience au sein de la population des enjeux liés aux violences faites aux femmes.

Vos rapporteures rejettent l’idée selon laquelle le retrait turc ne serait que symbolique et estiment qu’il aura un effet négatif sur la sécurité des femmes. Comme l’explique M. Nikola Meyer-Landrut, chef de la délégation de l’UE en Turquie, le champ d’application de la loi 6284 est plus restreint que la convention d’Istanbul. La définition de la violence est plus étroite dans le droit national que dans la convention. Cette dernière interdit les médiations alors que la Turquie réfléchirait à réintroduire ce mode de résolution des litiges préjudiciable pour les victimes. La convention d’Istanbul appelle aussi à prendre des mesures pour aller vers l’égalité des sexes alors que la loi turque ne porte que sur la violence. Avec le retrait, la convention d’Istanbul ne peut plus être invoquée devant les cours nationales pour combler ces limitations législatives et, par voie de conséquence, la protection juridique contre les violences s’en trouve réduite. Par ailleurs, la Turquie n’est désormais plus concernée par le suivi réalisé par le GREVIO qui alimentait le progrès ou, du moins, dans le cas turc, limitait le risque de régression des acquis.

Surtout, le retrait de la convention d’Istanbul adresse un message négatif à l’intérieur du pays qui ne peut être sans conséquences. Si la ministre de la Famille affirme que cette décision « ne doit pas être interprétée comme un retour en arrière ou comme un droit de violer la législation correspondante », elle risque tout de même d’être perçue comme tel. La ratification était une façon pour la Turquie d’exprimer sa volonté de lutter contre les violences faites aux femmes ; la dénonciation sera perçue comme la preuve d’un affaiblissement de cette volonté. Plusieurs ONG turques ont expliqué à vos rapporteures avoir observé une plus grande difficulté pour une femme à porter plainte pour violences dans les commissariats compte tenu du signal envoyé aux forces de l’ordre et à la justice par le retrait de la convention d’Istanbul. Les ONG craignent que cette décision ne précipite, plus profondément, un changement de mentalité en défaveur des femmes et qu’elle soit perçue par les auteurs de violence comme un permis d’impunité.

3.   Le Forum Génération Égalité est une réponse à la contestation croissante visant les droits des femmes

Le sujet des droits des femmes est devenu beaucoup moins consensuel qu’il ne l’était dans les années 1990. La Conférence mondiale sur les femmes organisée sous l’égide des Nations Unies était parvenue à se réunir tous les cinq ans depuis 1975. Lors de la quatrième conférence, qui s’est tenue à Pékin en 1995, un certain nombre de réalités sur la condition des femmes dans le monde étaient reconnues de façon universelle par tous les États, qui étaient ainsi parvenus à se mettre d’accord sur un document unique. Mais après Pékin, sous l’effet de la réaction conservatrice à l’œuvre, il est apparu beaucoup plus difficile d’organiser une négociation rassemblant tous les États et permettant d’aboutir à un texte universel. En 2020, cela faisait donc 25 ans que la Conférence mondiale sur les femmes ne s’était plus réunie.

Pour donner une nouvelle impulsion au combat pour l’égalité des sexes dans ce contexte de contestation croissante des acquis récents obtenus par les femmes, un évènement international de grande envergure a été organisé. Lancé à l’initiative d’ONU Femmes et co-présidé par la France et le Mexique, le Forum Génération Égalité s’est tenu à Mexico du 29 au 31 mars et à Paris du 30 juin au 2 juillet 2021. Pour Delphine O, ambassadrice et secrétaire générale du Forum Génération Égalité, ce rassemblement peut être perçu, pour la France, comme une « incarnation de notre diplomatie féministe ». Il représentait « un engagement financier et humain mais aussi un engagement de capital politique compte tenu du risque d’échec ». 

Le Forum Génération Égalité a été inscrit dans la continuité des grandes conférences mondiales sur les femmes, en particulier de la conférence de Pékin dont elle visait à célébrer le 25ème anniversaire (« Pékin+25 ») puis, après le report d’un an lié à la pandémie mondiale, le 26ème anniversaire (« Pékin+26 »). Dans le même temps, le Forum Génération Égalité a été conçu de façon distincte des précédentes conférences mondiales afin de tenir compte de la nouvelle donne internationale et des nouveaux clivages sur la question des droits des femmes.

Le Forum n’a ainsi pas été conçu comme une conférence internationale entre États avec un texte déclaratif pour résultat. Comme l’explique Delphine O, « au début, l’idée était de chercher un consensus. Mais lorsqu’on a vu que l’objectif de certains était de faire éclater le consensus, il a fallu changer de stratégie ». La spécificité du Forum réside dans le fait qu’il a rassemblé uniquement des acteurs qui sont volontaires sur les questions d’égalité entre les femmes et les hommes. Seuls les acteurs de bonne volonté, qui étaient prêts à prendre un engagement concret, et ce quel que soit leur point de départ, étaient invités à participer au Forum. Cette approche a permis d’associer non seulement les États, mais aussi la société civile, le secteur privé et les organisations internationales. Mais elle a aussi entériné le clivage sur les droits des femmes à l’échelle internationale.

Traduction du « multilatéralisme par les actes » mis en œuvre à l’occasion du G7 et des conférences sur l’environnement, le Forum Génération Égalité a été décliné en six « coalitions d’action » réunissant différents types d’acteurs et devant déboucher sur des engagements concrets dans différents domaines de l’égalité des sexes. Une des coalitions d’action portait spécifiquement sur la violence basée sur le genre. Celle-ci était menée par plusieurs pays dont le Royaume-Uni, le Kenya et l’Uruguay, des organisations internationales comme l’OMS et la Commission européenne, des entreprises tels Kering et Accor et des organisations de la société civile comme le Lobby européen des femmes. Cette coalition d’action avait trois objectifs : la ratification de conventions internationales et régionales et la mise en place de réglementations et de lois afin de prévenir et de lutter contre les violences, l’augmentation des financements pour lutter contre les violences de genre, y compris en soutenant les organisations de la société civile féministe, et le développement de programmes d’envergure sur le terrain pour lutter contre les violences et les prévenir.

Le Forum Génération Égalité, qui a rassemblé à Paris près de 50 000 personnes, en présentiel et en virtuel, s’est conclu par l’annonce d’un « Plan mondial d’accélération pour faire progresser l’égalité entre les femmes et les hommes d’ici à 2026 » ([25])  qui consolide les contributions des différentes coalitions d’action. Plus d’un millier d’engagements ont été pris et près de 40 milliards de dollars d’investissements nouveaux ont été annoncés par les différents acteurs impliqués dans le Forum pour les cinq années à venir. La France s’est notamment engagée à investir 100 millions d’euros additionnels dans la promotion des droits et de la santé sexuelle et reproductive – dont elle était une des « championnes » – et 333 millions d’euros en faveur du Partenariat mondial pour l’éducation.

Des engagements ont été pris dans la lutte contre la violence basée sur le genre. Les États-Unis se sont engagés à investir un milliard de dollars pour lutter contre la violence basée sur le genre au niveau national et 175 millions de dollars pour les programmes internationaux. Le Burkina Faso, le Bénin, la Guinée, le Mali, le Niger et le Togo ont pris des engagements communs à mettre en œuvre des transformations juridiques et sociales pour lutter contre les violences sexistes, notamment les mutilations génitales féminines et le mariage des enfants. BNP Paris et le réseau « Une femme sur trois », le premier réseau européen d’entreprises engagées contre les violences faites aux femmes, se sont engagés à convaincre, d’ici 2026, 50 organisations du secteur privé à adopter et mettre en œuvre des politiques et des dispositifs internes destinés à lutter contre les violences faites aux femmes.

ONU Femmes aura la lourde responsabilité d’assurer le suivi de ces engagements en faveur de l’égalité des sexes dont la mise en œuvre est d’autant plus importante que la pandémie mondiale pourrait remettre en cause les progrès réalisés jusqu’à présent dans la lutte contre les violences faites aux femmes.

D.   Comme l’illustre la pandÉmie, les crises se traduisent par des reculs dans la lutte contre les violences faites aux femmes

Les crises, qu’elles soient sécuritaires, idéologiques, sociales ou sanitaires, se traduisent systématiquement par une plus grande vulnérabilité des femmes. La pandémie de Covid-19 n’est pas neutre du point de vue du genre. À la fin du mois d’avril 2020, l’ONU évaluait de façon précoce à 15 millions le nombre de cas de violences imputables à un trimestre de confinement dans le monde.

La pandémie est un facteur d’exacerbation de la violence, et en particulier de la violence domestique. Les restrictions de déplacement et l’isolement social ont créé un environnement propice au contrôle coercitif des victimes par leurs agresseurs et limité la capacité des victimes à quitter une situation de violence. L’insécurité économique, liée notamment à la perte de revenus, engendrée par la crise sanitaire pour de nombreux foyers a représenté un autre facteur de risque.

Malgré les chiffres communiqués par les organisations d’aide aux victimes et les services de police suggérant une hausse des violences pendant la crise sanitaire, les données restent incomplètes, y compris au sein de l’UE. Le bureau Europe de l’OMS a conduit une enquête, en lien avec des universités, pour vérifier la hausse des violences fréquemment évoquées dans les médias. Si les conclusions préliminaires de cette enquête ne permettent pas de se prononcer sur l’évolution du nombre de cas de violences faites aux femmes, elles montrent une hausse des demandes aux services de soutien aux victimes pendant la pandémie.

L’augmentation du nombre d’appels sur les numéros d’urgence et du recours aux services de soutien aux victimes fournissent la meilleure indication sur la hausse des violences pendant la crise. En France, le confinement s’est traduit par une augmentation de 30 à 40 % des signalements de violence conjugale. En Italie, l’Institut national de statistique fait état d’une hausse de 73 % d’appels sur la ligne d’urgence pendant le confinement par rapport à la même période en 2019, et d’une augmentation de 59 % du nombre de victimes ayant demandé de l’aide. En Suède, la pandémie a rendu les femmes plus vulnérables malgré l’absence de confinement : les autorités ont observé une hausse de 4 % des cas de violences enregistrés pendant le premier semestre 2020. L’augmentation des violences contre les femmes pourrait être sous-estimée dans de nombreux pays car des signalements n’ont probablement pas été faits, étant donné que certaines femmes ont pu se trouver dans l’incapacité de quitter la maison, ou d’accéder à de l’aide en ligne ou par téléphone.

Les mesures mises en place pour faire face à la pandémie n’ont pas seulement accru le risque de violences, elles ont aussi restreint l’accès des femmes aux réseaux de soutien informels et aux services d’aide. L’engorgement des structures de santé lié à la prise en charge des malades de la Covid-19 a limité la réponse sanitaire aux violences faites aux femmes. Les services de prévention, de protection et de prise en charge des victimes ont continué d’opérer mais, compte tenu de la demande, se sont très souvent retrouvés proches du point de rupture.

La pandémie a donc accentué la nécessité d’agir pour lutter contre la violence envers les femmes. Dès le mois d’avril 2020, le secrétaire général des Nations Unies, M.  António Guterres, exhortait la communauté internationale à œuvrer pour mettre fin à la « pandémie fantôme » que représente la violence basée sur le genre. Le directeur général de l’OMS, le docteur Tedros Adhanom Ghebreyesus a aussi insisté sur la nécessité d’apporter une réponse à la violence faite aux femmes. Le nombre de sujets que l’OMS a dû traiter, ainsi que la décision américaine de suspendre sa contribution, a néanmoins freiné la réponse.

Plusieurs États ont mis en œuvre des innovations pour combattre la hausse des violences liées aux mesures de confinement. En Espagne et en France, une campagne a été lancée pour faire connaître aux femmes un mécanisme d’alerte permettant de demander de l’aide auprès des pharmacies. En Italie, l’ONG Telefono Rosa, qui a constaté une baisse des appels pendant les deux premières semaines de mars, a développé une application spéciale afin de permettre aux femmes d’entrer en contact avec les services de police sans avoir à appeler la ligne d’alerte. En Irlande, les services de police ont spontanément contacté les anciennes victimes de violence domestique pour s’assurer de leur bien-être.

Les leçons de l’expérience acquise du Covid-19 doivent aujourd’hui être tirées pour pérenniser une réponse aux violences faites aux femmes en période pandémique. L’expérience montre qu’il est nécessaire, autant que possible, de maintenir ouverts les lieux de prise en charge des victimes de violence, quitte à en adapter le fonctionnement. Lorsque l’ouverture physique n’est pas envisageable, la continuité de la prise en charge et du soutien doit être assurée par des modes alternatifs de prestations de service à distance. C’est l’objet des « espaces sûrs virtuels », qui sont des plateformes destinées à faciliter l’accès à l’information et aux services de soutien de façon sécurisée pour les femmes et les jeunes filles. Lorsque les structures médicales elles-mêmes sont indisponibles ou leur action est monopolisée par la réponse pandémique, il est essentiel de développer des moyens de soutien à distance, notamment des consultations virtuelles.

IV.   La France et l’Union europÉenne peuvent faire levier pour accentuer le combat contre les violences faites aux femmes

Contrairement aux apparences, le progrès des droits des femmes n’a rien de linéaire, ni d’inéluctable. Dans un contexte marqué par la montée des conservatismes et les crises, la protection des droits des femmes pourrait même n’être qu’une parenthèse dans l’histoire. Aussi vos rapporteures appellent-elles à durcir le combat pour un monde exempt de violences envers les femmes.

Le succès de cette entreprise suppose de pouvoir faire preuve d’exemplarité et, dans le même temps, d’humilité. D’exemplarité d’abord car, pour pouvoir convaincre d’autres pays de renforcer leurs efforts, la France et l’Europe devront s’attaquer de façon résolue aux violences sur leur propre territoire. D’humilité en même temps, car la France et l’Europe sont également en chemin vers l’égalité. Nous faisons partie d’un mouvement international en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes dans lequel nous entendons jouer un rôle moteur.

Dans ce cadre, vos rapporteures font plusieurs propositions guidées par le souci de faire atterrir le combat contre les violences basées sur le genre et de ne plus se contenter du seul renforcement des grands principes dans ce domaine.

A.   Renforcer l’État des connaissances afin de mobiliser largement

Élaborer une réponse efficace contre les violences faites aux femmes suppose d’améliorer les connaissances, non seulement du phénomène des violences, mais également des sociétés sur lesquelles on souhaite agir. Ces connaissances sont indispensables pour appuyer une véritable mobilisation politique sur le sujet.

1.   L’amélioration des données statistiques est indispensable pour bâtir des politiques publiques efficaces

La connaissance statistique du phénomène des violences faites aux femmes est nécessaire pour élaborer des politiques publiques adaptées ainsi que pour en faire un élément de dialogue avec les États partenaires. Or, la production de statistiques quantitatives et qualitatives sur les violences faites aux femmes demeure lacunaire au niveau de l’UE et a fortiori à l’échelle mondiale.

La collecte des données au niveau européen a quatre limites :

– elle n’est pas régulière. La dernière enquête de l’Agence européenne des droits fondamentaux sur ce sujet remonte à 2014, ce qui est déjà ancien ;

– les comparaisons entre pays sont difficiles à établir, car les États collectent les données sur une base nationale en utilisant des méthodologies différentes ;

– les données collectées ne renseignent pas sur la situation des groupes vulnérables. Elles ne peuvent être désagrégées en fonction de l’âge, du statut socio-économique, de l’origine ou encore de l’existence ou non d’un handicap ;

– les statistiques souffrent de la sous-déclaration des victimes de violences. Pour cette raison, il est toujours difficile de distinguer une évolution du nombre de cas de violences d’une évolution du nombre de signalements de violences.

Proposition n° 1 : Améliorer les données statistiques au niveau européen en harmonisant les méthodologies de collecte des données, en évaluant plus régulièrement la prévalence des violences et en détaillant les données en fonction des principaux facteurs de vulnérabilité des femmes victimes de violence.

Les connaissances statistiques qui éclairent la prévalence des violences faites aux femmes à l’échelle internationale sont bien plus lacunaires encore que dans l’UE. Certes, des enquêtes internationales conduites par ONU Femmes ou l’OMS ont permis d’améliorer la disponibilité des données. Au niveau national, la sociologue Anne-Françoise Dequiré recense par ailleurs une centaine de pays qui se sont attachés à mesurer les violences domestiques, du Mexique à la Géorgie en passant par le Kosovo. Mais les imperfections des données collectées sont encore plus prononcées à l’extérieur de l’UE. Les comparaisons en particulier sont quasiment impossibles et la sous-déclaration des violences est massive. 

Proposition  2 : Charger l’OMS de proposer un cadre homogène de collecte des données à l’échelle internationale et d’apporter un soutien aux pays qui souhaitent conduire des enquêtes nationales dans ce cadre.

Le manque de données sur les violences faites aux femmes est exacerbé dans les situations de conflits compte tenu de la difficulté à mener des enquêtes dans de tels contextes, qui se caractérisent par l’effondrement de l’État de droit, le dysfonctionnement de l’appareil policier et judiciaire et les difficultés d’accès aux régions en proie à des affrontements. En dépit de la prévalence des actes de violence sexuelle dans des contextes aussi dégradés, les preuves, les chiffres et les données fiables en la matière sont rares voire inexistants. En 2020, Médecins Sans Frontières (MSF) rapporte être venu en aide à 11 000 survivant(e)s de violences sexuelles en RDC dont 4 000 dans le Nord Kivu. Pour sa part, le CICR a comptabilisé la même année plus de 65 000 victimes de violences basées sur le genre en RDC tout en ayant conscience qu’il ne s’agit là que de la pointe de l’iceberg. Il est difficile d’avancer quel que chiffre que ce soit dans le cas du Yémen ou du Tigré.

Pour contourner les difficultés liées à la quantification du phénomène des violences sexuelles dans les conflits, certaines initiatives innovantes voient le jour. L’ONG We are not Weapons of War a, par exemple, développé une application mobile qui permet aux victimes de se signaler comme victimes de violences et de sauvegarder des éléments de preuve, comme des photographies de blessures. Les données récupérées sont sécurisées et pourront être mises à disposition des instances judiciaires, évitant notamment la répétition des témoignages. Une étude pilote financée par l’AFD dans le contexte libyen a donné des résultats prometteurs et l’application doit être lancée officiellement au début de l’année 2022.

2.   Agir sur d’autres sociétés oblige à mieux les connaître

L’ambition ne doit pas nous empêcher de reconnaître certaines limites importantes à notre action diplomatique dans ce domaine, sous peine d’en perdre toute l’efficacité. L’action diplomatique ne peut en effet se substituer à une politique nationale et le recul du niveau de violence envers les femmes ne peut être qu’un effet indirect de nos efforts internationaux. Les droits des femmes sont par ailleurs souvent perçus comme des sujets sensibles, internes à la société, par nos partenaires, qui ne voient pas toujours d’un bon œil les interventions extérieures. Agir sur ce sujet exige en tout état de cause de bien connaître les sociétés en question.

Or, l’efficacité des interventions occidentales est souvent limitée par la méconnaissance des sociétés sur lesquelles on souhaite agir, notamment au Sahel. Commentant la mise en œuvre de programmes sécuritaires et de développement dans cette région, la politiste Niagalé Bagayoko, présidente de l’African Security Sector Network, estimait dans une tribune du Monde le 4 septembre dernier que « les programmes de réforme mis en œuvre au Sahel par les partenaires internationaux, aussi bien dans des cadres bilatéraux et multilatéraux que par certaines ONG internationales, se caractérisent le plus souvent par une méconnaissance, voire une ignorance des réalités sociétales, souvent informelles, dans lesquelles s’enracine le fonctionnement des États sahéliens. » ([26])

Telle est une des plus importantes leçons que vos rapporteures tirent de leur déplacement au Burkina Faso. À l’occasion de ce déplacement, ces dernières ont ressenti l’appréhension des acteurs burkinabés vis-à-vis d’une volonté occidentale de vouloir changer certains aspects de la société, prétention qui n’est pas partagée par d’autres pays comme la Turquie, la Russie ou la Chine, avec lesquels par voie de conséquence les rapports sont parfois plus aisés. Les acteurs locaux peuvent donner l’impression d’être réceptifs aux discours occidentaux et accepter des évolutions du système légal et administratif sans que le substrat socio-culturel dans lequel s’enracine les violences faites aux femmes n’en soit changé pour autant.

Il est donc essentiel de comprendre les sociétés locales et en particulier d’identifier les courroies de transmission vers les populations. Travailler par l’intermédiaire de réseaux établis – chefs religieux, personnalités influences, services de santé, organisations de jeunes, etc. –  permet d’augmenter la crédibilité des actions entreprises et de les rendre plus familières, atténuant ainsi la perception que les transformations sont imposées par des acteurs externes. Selon les sociétés, il est nécessaire de produire des discours, de mobiliser des concepts et d’approcher des acteurs très différents pour faire progresser les droits des femmes. Au Burkina Faso par exemple, la société est moins régie par le cadre légal que par le cadre coutumier qui est façonné par les chefs religieux et coutumiers. Une des pistes les plus prometteuses dans ce pays, comme l’a montré le combat contre l’excision, est d’approcher les chefs coutumiers et de les amener à davantage s’exprimer.

Proposition n° 3 : inciter les responsables politiques et les diplomates à davantage s’appuyer sur les anthropologues pour identifier et comprendre les modes d’action permettant de promouvoir les droits des femmes sans brutaliser les sociétés, ce qui est contre-productif.  

3.   Le combat contre les violences faites aux femmes exige une mobilisation permanente

Vos rapporteures espèrent avoir démontré que la situation des femmes du point de vue des violences dont elles sont l’objet est grave et pourrait l’être davantage à l’avenir. Pour rappel, une femme sur trois dans le monde est exposée à des violences sexistes ou sexuelles au cours de sa vie. Un combat continu, mené par des forces conservatrices, se joue aujourd’hui contre les femmes, dans l’objectif de remettre en cause des droits acquis de haute lutte. Les crises qui se multiplient contribuent elles aussi à une fragilisation importante de la condition des femmes. 

Malgré tout, les droits des femmes s’imposent à l’agenda international uniquement lors de certains rendez-vous mondiaux, comme la réunion de la Commission sur la condition de la femme à l’ONU, ou à certaines dates, comme le 8 mars, la journée internationale des droits des femmes, ou le 25 novembre, la journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes. Cette mobilisation épisodique n’est pas à la hauteur de la gravité des violences.

Vos rapporteures reconnaissent des progrès dans l’appropriation et la mobilisation politique sur ces sujets, en particulier de la part des autorités françaises qui ont fait de la lutte contre les violences faites aux femmes la grande cause du quinquennat et un des aspects de notre diplomatie « féministe ». Malgré tout, la lutte contre les violences faites aux femmes est rarement une priorité politique, y compris pour nos voisins européens. Mme Asa Nihlén, spécialiste genre et droits humains au sein du bureau régional Europe de l’OMS, déplore ainsi que peu de pays demandent le soutien de l’OMS sur cette problématique. Le sujet de l’égalité des sexes est aussi rarement une priorité diplomatique de l’UE.

Un des enjeux est donc de donner une visibilité plus régulière à la lutte contre les violences jusque dans les pays où la condition des femmes est la plus difficile. Ceci relève en bonne partie de la société civile, des structures nationales des droits de l’Homme et des journalistes ainsi que d’une communication active sur ce sujet sur internet et les réseaux sociaux. Vos rapporteures donnent deux pistes sur la façon dont les politiques peuvent contribuer à cette mobilisation.

Proposition  4 : accentuer la pression sur les organisations internationales dont l’OMS pour faire de la lutte contre les violences faites aux femmes une priorité.

Proposition  5 : prévoir à l’Assemblée nationale un débat sur le rapport d’évaluation pays du GREVIO, comme y invite d’ailleurs la convention d’Istanbul.

B.   ComplÉter, Étendre et opÉrationnaliser les cadres normatifs

Les cadres normatifs en matière de lutte contre les violences peuvent être améliorés de plusieurs manières. Ces cadres, notamment le cadre européen, peuvent être complétés. Ils peuvent être élargis, ce que l’on peut espérer de la convention d’Istanbul, grâce à l’adhésion de nouveaux États. Enfin, ils peuvent être accompagnés de mécanismes permettant d’en assurer une meilleure mise en œuvre.  

1.   Le cadre juridique européen et international doit encore être complété

Si les cadres juridiques qui s’appliquent aux violences basées sur le genre sont dans l’ensemble assez complets, certaines lacunes subsistent et doivent être corrigées. Ces lacunes sont particulièrement flagrantes en ce qui concerne le cadre juridique de l’UE. L’encadrement des violences qui sont l’objet d’une préoccupation nouvelle, dont celles qui se produisent en ligne, au travail ou à l’école, est également insuffisant.

a.   Un arsenal législatif européen doit sortir de terre

Vos rapporteures regrettent la difficulté à doter l’UE d’un instrument global consacré à la protection des femmes contre la violence (cf. supra). Si la Cour de Justice a levé les obstacles juridiques à la conclusion de la convention d’Istanbul par l’Union, le Conseil pourrait décider, en opportunité, d’attendre qu’une plus grande majorité se dégage avant d’engager le processus. Par ailleurs, si l’avantage d’une initiative législative est de pouvoir identifier une base légale soumise à la majorité qualifiée, vos rapporteurs redoutent qu’il soit nécessaire de faire des compromis importants pour rendre la proposition législative acceptable au plan politique. L’opposition attendue de pays comme la Pologne ou la Hongrie peuvent dissuader d’aller plus loin afin de ne pas aggraver les fractures au sein de l’Europe. Vos rapporteures estiment que, sur ce sujet si important au regard des valeurs européennes, l’UE doit être exemplaire, sous peine d’affaiblir sa crédibilité à l’international. Elles appellent à plus de volontarisme de la part de la Commission européenne.

Proposition  6 : Aboutir, d’ici la fin de l’année 2022, à l’adhésion de l’Union à la convention d’Istanbul ou, alternativement, à l’adoption d’une initiative législative poursuivant les mêmes finalités que la convention d’Istanbul.

En complément, l’UE doit compléter sa réponse sectorielle à certains types de violences qui exigent une réponse spécifique. En dehors de la possibilité d’adhérer à la convention d’Istanbul, l’UE a compétence en vertu de l’article 83 du Traité sur le fonctionnement de l’UE (TFUE) pour établir une harmonisation minimale des infractions et sanctions relatives à certains crimes européens revêtant une dimension transfrontalière, parmi lesquels « la traite des êtres humains et l’exploitation sexuelle des femmes et des enfants », et mettre en œuvre une politique de l’Union. Sur ce fondement, l’UE a adopté la directive 2011/36/EU pour combattre le trafic des êtres humains et la directive 2011/93/EU contre l’exploitation sexuelle des enfants. Outre des difficultés de mise en œuvre et surtout de transposition dans les législations nationales de la directive sur le trafic des êtres humains, le Lobby européen des femmes regrette l’absence de directive pour combattre l’exploitation sexuelle des femmes adultes alors même qu’il s’agit d’un eurocrime. Un projet de rapport du Parlement européen recommande d’aller plus loin et de modifier les traités pour que la violence fondée sur le genre soit définie comme un nouveau domaine de criminalité énuméré à l’article 83 du TFUE ([27]).

b.   Les cadres normatifs applicables aux formes de violence qui sont l’objet d’une préoccupation plus récente doivent être renforcés

L’absence de cadre juridique spécifique est une des limites les plus fréquentes à la lutte contre les violences basées sur le genre dans le monde du travail. Selon Care France, un pays sur trois n’a pas de législation interdisant spécifiquement le harcèlement sexuel sur le lieu de travail. Dans ce contexte, l’adoption, le 21 juin 2019, dans le cadre de l’Organisation internationale du travail (OIT), de la convention n° 190 visant à mettre fin à la violence et au harcèlement dans le monde du travail représente un réel progrès. Comme l’expliquait notre collègue Mustapha Laabid ([28]), la convention n° 190 incarne une ambition forte dans la lutte contre la violence et le harcèlement fondé sur le genre « en ce qu’elle appelle non seulement à protéger les femmes contre la violence et le harcèlement au travail mais aussi à atténuer l’impact de la violence domestique dans le monde du travail ». Début décembre 2021, seuls neuf pays avaient ratifié cette convention. Vos rapporteures appellent la France à ratifier rapidement la convention ([29]), favoriser son universalisation et soutenir des réformes nationales ambitieuses dans ce domaine.

Aucun accord international équivalent n’existe pour lutter contre la cyberviolence, qui porte en elle un vrai risque de régression dans le combat contre les violences faites aux femmes. Si la régulation de la violence en ligne est en partie de la responsabilité des acteurs de l’internet, la réponse doit aussi être réglementaire. Faute d’une instance mondiale en mesure de porter une initiative contre la cyberviolence visant les femmes, une réponse pourrait émerger au niveau européen. Le Lobby européen des femmes demande ainsi, dans le cadre du Digital Services Act, une harmonisation de la définition des violences et une plus grande responsabilisation des plateformes. Le Conseil de l’Europe est saisi d’un projet de recommandation sur la dimension numérique de la violence faite aux femmes.

Un sujet d’avenir, mais qui reste à ce jour faiblement identifié, est la violence de genre en milieu scolaire, qui est un facteur de déscolarisation des filles. Chaque année, selon Plan International France, 246 millions d’enfants sont victimes de violences de genre en milieu scolaire. L’UNESCO et ONU Femmes ont certes publié en 2017 des « Orientations mondiales pour la lutte contre la violence de genre en milieu scolaire » avec pour objectif de soutenir les ministères de l’Éducation dans leur réponse aux violences basées sur le genre en milieu scolaire. Mais le cadre juridique international lui-même prend peu en compte la situation des filles. Les traités différencient rarement le genre, à l’image de la convention internationale des droits de l’enfant de 1989, et encore moins l’âge, la CEDAW ne mentionnant par exemple qu’une seule fois, à son article 16, les filles en tant qu’individus porteurs de droits. Une grande partie des réserves formulées par les États parties à la CEDAW porte d’ailleurs précisément sur cet article 16, qui stipule que les femmes et les filles ont les mêmes droits que les hommes et les garçons dans le mariage et dans les rapports familiaux et que le mariage d’enfants n’a pas d’effet juridique.

2.   Après le retrait turc, la convention d’Istanbul mérite d’être défendue et portée auprès d’autres États

Malgré son objectif qui devrait faire consensus, la convention d’Istanbul divise. En décembre 2021, douze pays du Conseil de l’Europe, dont six pays de l’UE, n’avaient toujours pas ratifié la convention. De façon problématique, parmi ces pays se trouve le Royaume-Uni, pourtant co-champion de la coalition d’action sur la violence de genre du Forum Génération Égalité, qui se prévaut de la robustesse de son droit national ([30]). Du fait de la persistance d’une vive opposition à la convention d’Istanbul, le processus d’adhésion est aujourd’hui à l’arrêt. Depuis la ratification par l’Irlande en mars 2019, aucun autre État membre du Conseil de l’Europe ne l’a ratifiée. Par ailleurs, malgré la vocation universaliste de la convention, aucun État non membre du Conseil de l’Europe n’y a pour l’instant adhéré. De façon plus inquiétante, des pays qui ont ratifié la convention sont tentés de s’en retirer et, comme on l’a vu, en mars dernier, la Turquie a franchi le pas.

Dans ce contexte, vos rapporteures estiment nécessaire de redoubler d’efforts pour défendre la convention, qui apparaît aujourd’hui à la croisée des chemins. Dans son rapport « La Convention d’Istanbul sur la violence à l’égard des femmes : réalisations et défis » ([31]) publié en juin 2019, la rapporteure de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, Mme Zita Gurmai, estimait pour sa part qu’il était « essentiel de sensibiliser à la valeur ajoutée de la Convention et à son impact positif, et de la soutenir au niveau national et international. »

Proposition n° 7 : Communiquer davantage sur la convention d’Istanbul afin que cette dernière soit mieux connue et, compte tenu des malentendus qu’elle suscite, mieux comprise.

Le Conseil de l’Europe et ses États membres ont un rôle particulier à jouer pour soutenir la convention d’Istanbul. Du côté du Conseil de l’Europe, les délégations nationales à l’assemblée parlementaire peuvent faire pression sur leurs gouvernements pour adhérer à la convention d’Istanbul ou, à défaut, pour adopter de meilleures législations pour protéger les femmes contre les violences. En intégrant une composante visant à promouvoir l’égalité femmes-hommes, les actions de coopération du Conseil de l’Europe, notamment avec le Partenariat oriental, peuvent préparer une adhésion future des pays à la convention d’Istanbul.

Du côté des États membres, la France pourrait employer la présidence française de l’UE, prévue au premier semestre de l’année 2022, comme une occasion de mener un plaidoyer fort en faveur de l’universalisation de la convention d’Istanbul. Afin de ne pas brusquer, la France devra privilégier la constitution de coalitions avec les pays engagés sur ce sujet, comme la Suède, l’Espagne, le Portugal et les Pays-Bas, pour conduire des démarches auprès des pays partenaires.

Proposition  8 : Mener un plaidoyer fort en faveur de l’universalisation de la convention d’Istanbul à l’occasion de la présidence française de l’UE.

Sur la méthode, vos rapporteures appellent à défendre la convention en veillant à réduire les tensions qu’elle concentre. Il serait en effet contre-productif de représenter les États qui n’en sont pas membres comme des pays opposés aux droits des femmes, ce qu’ils ne sont pas nécessairement. La convention d’Istanbul ne doit pas devenir l’étendard de la mise en scène d’une guerre de civilisation.

Pour vos rapporteures, la priorité doit être de désamorcer les malentendus en s’émancipant des querelles sémantiques qui entourent le concept de « genre », qui ne justifient nullement de rejeter la convention ou de faire obstacle à sa mise en œuvre. Les démarches à l’égard des pays rétifs à la convention d’Istanbul doivent s’efforcer de minimiser la controverse, en insistant sur l’idée que le mot « genre » n’est pas destiné à remplacer le mot « sexe » dans sa définition biologique, ni les mots « homme » et « femme », mais à souligner à quel point la violence ne se fonde pas sur des différences biologiques mais plutôt sur des mentalités. La convention n’exige pas non plus que les législations nationales soient modifiées de façon à intégrer le mot « genre ». En cas de difficulté majeure, chaque pays peut adopter, à l’occasion de la ratification, une déclaration interprétative pour clarifier ces points, comme la Croatie l’a fait lorsqu’elle a ratifié la convention en juin 2018 ([32]).

Proposition  9 : Défendre la convention d’Istanbul en minimisant autant que possible la querelle sémantique qui entoure le terme « genre », qui est à l’origine de la plupart des critiques dont cet instrument est victime. 

Sur cette base, la France doit continuer de soutenir l’élargissement du nombre d’États parties à la convention d’Istanbul à plusieurs échelles. 

– dans le premier cercle, le travail doit être poursuivi pour obtenir de nouvelles ratifications du Royaume-Uni et de plusieurs pays de l’UE, à commencer par les États baltes. Il sera en effet d’autant plus facile pour l’Europe de déployer un discours « féministe » à l’extérieur lorsqu’elle sera rassemblée sur ce sujet ;

– la France doit continuer de plaider, à l’échelle du Conseil de l’Europe, pour une universalisation de la convention d’Istanbul en dissipant les éventuels malentendus ;

 

La perspective d’une adhésion ukrainienne à la convention d’Istanbul

Bien qu’elle ait signé la convention d’Istanbul dès le mois de novembre 2011, l’Ukraine n’a toujours pas procédé, dix ans plus tard, à la ratification de l’instrument. Comme l’a expliqué Mme Maria Mezentseva, présidente de la délégation ukrainienne auprès de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, à vos rapporteures, « malgré la séparation de l’Église et de l’État, il y a une pression des églises, qui restent fortement influentes au centre et à l’ouest de l’Ukraine ». De ce fait, « certains parlementaires ukrainiens, y compris lorsqu’ils sont pro-européens, s’opposent à la ratification par crainte qu’elle ne se traduise par des droits accordés aux groupes LGBT ou par la promotion du mariage gay. »

Malgré tout, Mme Mezentseva estime qu’il existe une « opportunité historique », avant les prochaines élections présidentielles ukrainiennes prévues dans un an et demi, pour que l’Ukraine ratifie la convention d’Istanbul. En effet, le président ukrainien, M. Volodymyr Zelenski, paraît favorable à la convention d’Istanbul et celui-ci dispose d’une majorité qui lui permettrait de la ratifier. Le projet de loi est prêt depuis des mois mais tout dépend de « la volonté du président et de sa capacité à convaincre les parlementaires réticents ». En attendant, les parlementaires ukrainiens qui se battent pour la ratification de la convention d’Istanbul, comme Mme Mezentseva, poursuivent le dialogue avec les églises de toutes les confessions et tentent de convaincre leurs collègues réticents.

– enfin, il faut espérer prochainement un premier pas sur le chemin de l’universalisation de la convention, au-delà du Conseil de l’Europe. Une avancée positive est intervenue avec la décision du Comité des ministres, en avril 2020, d’inviter le Kazakhstan et la Tunisie à adhérer à la convention d’Istanbul en tant que premiers États non membres, suite à l’intérêt manifesté par les autorités de ces pays.

3.   L’enjeu est surtout d’améliorer les mécanismes permettant d’assurer la mise en œuvre des cadres normatifs

Si le cadre juridique international et européen doit être complété et étendu pour garantir le plus grand nombre de droits au plus grand nombre de femmes possible, l’enjeu est surtout d’en assurer la mise en œuvre concrètement.

Vos rapporteures ont souligné l’efficacité d’un mécanisme de suivi comme le GREVIO pour assurer des effets concrets à la convention d’Istanbul. Les outils onusiens pourraient être modernisés en prenant en compte ce modèle. Mme Nicole Ameline appelle ainsi à « avoir un réseau juridique exerçant une veille dynamique sur l’impact des lois sur l’égalité et de rechercher un effet anticipateur. »

Ainsi qu’il a été rappelé supra, l’écart entre le droit et la pratique n’est nulle part aussi important que dans les zones de crise. Les résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies qui soutiennent l’agenda « Femmes, paix et sécurité » sont pour l’essentiel restées lettre morte, en dépit de leur nombre et du plaidoyer de pays comme la France.

Aucune des résolutions qui sous-tendent l’agenda « Femmes, paix et sécurité » n’a été adoptée au titre du chapitre VII de la charte des Nations Unies qui confère un caractère juridiquement contraignant aux résolutions. Les États sont néanmoins incités à adopter des plans nationaux d’action (PNA) comme « feuille de route » pour assurer le respect de leurs engagements. Les PNA doivent décliner les volets de l’agenda en politique interne, bilatérale et multilatérale, et permettre de coordonner l’action de l’ensemble des ministères et administrations concernées. Selon Amnesty International, au 1er mai 2020, 84 États avaient adopté au moins un PNA.

La France a élaboré deux PNA pour les périodes 2010-2013 et 2015-2018. Dans son rapport d’évaluation du deuxième PNA, le Haut Conseil à l’égalité avait salué le plaidoyer porté par la France dans les enceintes multilatérales pour la promotion des enjeux « Femmes, paix et sécurité » tout en appelant à renforcer la compréhension de l’agenda comme levier de transformation profonde des missions de maintien de la paix et de gestion des situations de conflit et de post-conflit ([33]). Amnesty International s’est cependant montrée critique sur la mise en œuvre et sur l’absence de continuité entre les deux PNA, deux ans s’étant écoulé entre chacun d’eux.

Le 3ème plan national d’action : quels engagements pour la France ?

Après plusieurs reports de calendrier, la France a profité du Forum Génération Égalité pour présenter son troisième PNA. Ce plan a été élaboré sur la base des commentaires des différents ministères et acteurs concernés et n’a pu être présenté qu’après l’avis de la Commission nationale consultative pour les droits de l’Homme (CNCDH) et du Haut Conseil pour l’égalité (HCE).

Ce troisième plan, qui s’appuie sur les deux plans précédents, est structuré autour de quatre engagements :

– la prévention. Le troisième plan national d’action accompagnera la mise en œuvre des mesures adoptées en faveur d’une plus grande prévention et sensibilisation du personnel et du grand public aux enjeux liés à la lutte contre les violences de genre, aux droits des femmes et à l’égalité femmes-hommes. Il s’agit ainsi, notamment, de renforcer et développer l’offre de formations spécifiques sur la prise en compte du genre et de la protection des femmes contre les violences sexuelles ;

– la protection, y compris dans son volet de lutte contre l’impunité. À cet égard, ce nouveau plan d’action s’inscrit dans la continuité des engagements et actions entreprises pour renforcer la protection des femmes et des filles contre les violences et la protection de leurs droits dans les situations de conflit et de post-conflit. Il vise aussi à faciliter leur accès aux systèmes de santé physique, sexuelle et mentale et aux soins ;

– la participation. Le troisième plan national d’action poursuit l’engagement d’améliorer la participation directe et effective des femmes et des filles dans les situations de conflit et post-conflit, à tous les niveaux et dans tous les secteurs concernés (politiques, économiques, sociaux, culturels, éducatifs, sanitaires, etc) ;

– Et enfin la promotion de l’agenda. Le nouveau plan vise à consolider les efforts entrepris en matière d’action diplomatique, de sensibilisation et de formation des personnes concernées par la mise en œuvre de l’agenda.

Sur le terrain, cela se traduit par un fort engagement à travers notre aide publique au développement. Créé en 2017, doté de 200 millions d’euros par an et mis en œuvre par l’Agence française de développement (AFD), le fonds Minka est le principal instrument financier de la stratégie française sur ce sujet. Entre 2017 et 2020, il a permis de financer 57 projets sensibles au genre et aux conflits, pour un montant total de 508 millions d’euros, dans les quatre bassins de crise que sont le Sahel, le lac Tchad, la République centrafricaine et le Moyen-Orient.

Source : MEAE.

Le troisième PNA présente certaines avancées du point de vue de la coordination interministérielle et de l’inclusion de la société civile. En revanche, pour Mme Anne Castagnos-Sen, responsable des relations extérieures d’Amnesty international France, le troisième PNA « manque singulièrement d’ambition et de vision au regard des enjeux et des anniversaires de la résolution 1325 et du processus de Pékin ». D’abord, le plan ne bénéficie toujours pas d’une allocation budgétaire spécifique : les projets seront financés par l’intermédiaire de programmes de coopération déjà prévus. Ensuite, celui-ci n’est pas accompagné d’un nombre d’objectifs et d’indicateurs suffisants, enserrés dans des délais précis, pour en assurer l’évaluation et permettre d’éventuels ajustements si nécessaire. Enfin, il prévoit, comme les plans précédents, la présentation d’un rapport annuel devant les commissions compétentes du Parlement qui, non seulement n’a jamais été réalisé, mais n’est pas à la hauteur d’un véritable contrôle parlementaire. Vos rapporteures appellent à un plus grand investissement parlementaire sur ce sujet qui bénéficie à ce jour d’une trop faible visibilité dans l’espace public, à en juger par la faiblesse des réactions ayant accueilli la présentation du troisième PNA. 

Si le troisième PNA a le mérite d’insister sur la lutte contre l’impunité, vos rapporteures estiment que ce volet de la lutte contre les violences sexuelles en période de conflits fait l’objet d’une mobilisation insuffisante de la communauté internationale eu égard à l’importance de l’impunité dans le cycle de la violence. Comme l’avance le docteur Mukwege, « notre responsabilité ne peut se limiter à traiter les conséquences de la violence et de la barbarie humaine. Nous devons tout faire pour prévenir cette violence qui fait honte à notre humanité. » Dans ce cadre, la justice n’est pas seulement un outil de répression, elle est aussi un mode efficace de prévention de la violence, en montrant que les crimes ne restent pas impunis. 

Vos rapporteures appellent notamment à la mise en œuvre du rapport du projet Mapping ([34]) du Haut-Commissariat pour les droits de l’Homme des Nations Unies concernant les violations les plus graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises entre 1993 et 2003 sur le territoire de la RDC. Sur cette décennie, les forces combattantes, à la fois congolaises et étrangères ont fait des viols et des agressions sexuelles de masse une composante importante de leur stratégie militaire. Le rapport du projet Mapping recommande la mise en place d’un mécanisme de justice transitionnelle pour juger et réparer les crimes commis.

La mise en œuvre des recommandations de ce rapport s’est heurtée à des blocages en RDC et dans les pays voisins car de nombreuses personnes accusées de crimes occupent désormais des postes à responsabilités dans ces pays. Compte tenu de la difficulté à promouvoir une telle justice au niveau national, il est nécessaire de mettre en place un mécanisme de justice transitionnelle international, à l’image d’un tribunal pénal international pour la RDC ou de chambres mixtes spécialisées ([35]), pour mettre fin au cycle de la violence et avancer vers une paix durable.

À l’exception du Parlement européen, qui a adopté en 2020 une résolution en soutien au combat personnel du docteur Mukwege ([36]), la communauté internationale ne s’est pas mobilisée en soutien au rapport Mapping compte tenu de la sensibilité diplomatique de ses recommandations pour les pays de la région concernés. Vos rapporteures saluent les efforts internationaux en faveur du soutien aux survivantes des violences sexuelles mais estiment que ceux-ci ne sauraient se substituer à un combat contre l’impunité si l’on espère venir à bout des maux de la RDC.

Proposition n° 10 : Plaider, en lien avec nos partenaires européens, en faveur de la mise en œuvre du rapport du projet Mapping au niveau des Nations Unies.

C.   Financer et amÉliorer la rÉponse apportÉe sur le terrain

La réponse apportée sur le terrain aux violences faites aux femmes doit être mieux financée et davantage reposer sur les organisations de la société civile. L’action des agences internationales, qui ont également un rôle primordial dans ce domaine, mérite d’être simplifiée pour gagner en efficacité.  

1.   La lutte contre les violences basées sur le genre doit être mieux prise en compte dans la stratégie de développement

La lutte contre les violences basées sur le genre à l’étranger suppose d’y consacrer des moyens financiers d’un montant suffisant. En France, cette action est financée par l’aide humanitaire et l’aide publique au développement (APD), dont une partie croissante est « genrée », c’est-à-dire sensible à l’objectif plus large de réduction des inégalités entre les femmes et les hommes. L’APD « genrée » s’inscrit dans une trajectoire pluriannuelle et associe les organisations de la société civile pour tenir compte des réalités et des attentes des femmes sur le terrain.

Les représentants des ONG rencontrés par vos rapporteures font valoir que les montants de l’aide humanitaire et de l’APD « genrée » demeurent insuffisants en France. D’après Care France, moins de 1 % de l’aide humanitaire totale est consacrée à la lutte contre les violences à l’égard des femmes. Dans son rapport sur la diplomatie féministe  ([37]), le Haut Conseil à l’Égalité avance par ailleurs que « le niveau de l’APD genrée reste pour la France très en-deçà de la moyenne des pays du comité d’aide au développement de l’OCDE (26 % pour la France dont 3 % ayant pour objectif principal l’égalité femmes/hommes (marquage 2 OCDE) contre 42 % dont 4 % marqués 2 pour la moyenne des pays du CAD de l’OCDE en 2017-2018) et les objectifs fixés par la Stratégie internationale pour l’égalité femmes-hommes (50 % des projets en volume marqués genre d’ici 2022), très en deçà des objectifs européens (85 %). » Les autres pays ayant adopté une diplomatie « féministe », tels que la Suède et le Canada, auraient d’ores et déjà atteint la cible de 85 % de l’APD dont l’objectif principal ou significatif est l’égalité femmes-hommes.

C’est la raison pour laquelle les ONG ont fait pression pour que le Gouvernement adopte une trajectoire claire et ambitieuse pour l’APD genrée. Dans le cadre de partenariat gouvernemental (CPG), document cadre non contraignant qui accompagne la loi de programmation relative au développement adoptée l’été dernier ([38]), le Gouvernement s’est engagé « à ce qu’en 2025, 75 % des volumes annuels d’engagements de l’aide publique au développement bilatérale programmable française aient l’égalité entre les femmes et les hommes pour objectif principal ou significatif et 20 % pour objectif principal. »  Si le CPG indique que la France tendra vers l’objectif européen des 85 %, aucune date n’est cependant fixée pour l’atteinte de cet objectif. La France devra donc rehausser ses ambitions pour prétendre allouer un financement suffisant et durable à l’égalité femmes-hommes.

Proposition  11 : rehausser les objectifs que la France s’est fixée pour que, en 2025, 85 % de l’APD bilatérale ait l’égalité femmes-hommes pour objectif principal ou significatif et 20 % pour objectif principal.

Au-delà des montants, vos rapporteures s’interrogent sur la répartition de l’APD genrée entre les différentes actions concourant à l’égalité femmes-hommes. Ces dernières appellent à conserver l’approche globale qui caractérise l’APD genrée qui conduit à s’attaquer non seulement aux violences mais aussi à leur cause : l’inégalité des sexes. L’aide doit continuer à financer des projets dans l’éducation, les droits et la santé sexuelle et reproductive, l’entreprenariat ou encore le leadership. Comme le relève Mme Nanou Rousseau, fondatrice de l’ONG Mères pour la paix, dans le contexte spécifique des femmes vivant dans des zones de crise, « pour qu’une femme soit en mesure d’être actrice de paix, elle doit tout d’abord être en mesure de tenir debout autant physiquement qu’intellectuellement, ce qui justifie d’investir dans la santé, l’éducation et l’autonomisation ». 

Il n’empêche que vos rapporteures sont surprises de la faiblesse des financements dédiés spécifiquement à la lutte contre les violences basées sur le genre. La France s’est certes positionnée comme championne sur les droits et la santé sexuelle et reproductive. Pour lutter contre les violences, elle a récemment consenti 6,2 millions d’euros pour le Fonds mondial pour les survivantes de violences sexuelles liées aux conflits. Mais sur le terrain, l’AFD et le MEAE ne conduisent que quelques projets, à hauteur de quelques centaines de milliers d’euros chacun, qui paraissent très modestes par rapport au montant total de l’APD genrée.

Ces financements sont d’autant plus cruciaux dans le contexte pandémique actuel. Au-delà de l’accroissement des violences faites aux femmes observables (cf. supra), la pandémie pourrait avoir des effets de long terme sur la condition des femmes. Selon ONU Femmes, en conséquence de la pandémie, 47 millions de femmes supplémentaires pourraient passer sous le seuil de pauvreté avec pour effet de les exposer, du fait d’une vulnérabilité accrue, aux trafics d’êtres humains, aux mariages d’enfants et aux mutilations sexuelles génitales. Le FNUAP estime que 2 millions de cas supplémentaires de mutilations – évitables sans cette pandémie – pourraient se produire d’ici 2030. Selon l’Unicef, la pandémie pourrait rehausser de 10 millions le nombre de mariages précoces de jeunes filles dans les dix prochaines années, qui viendront s’ajouter aux 150 millions déjà anticipés sur cette même période. Enfin, si des millions de filles devaient ne pas retourner à l’école, le risque est élevé que ces dernières n’acquièrent pas les instruments dont elles ont besoin pour s’émanciper et soutiennent, à l’avenir, le maintien de pratiques néfastes.

La réponse aux conséquences de la pandémie sur la condition des femmes est cependant restée insuffisante dans la plupart des pays. Le Global Covid-19 Gender Response Tracker d’ONU Femmes et du programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) montrait, début novembre 2021, que 30 pays ne disposaient d’aucune mesure tenant compte de la dimension de genre en réponse au Covid. Et seulement 28 % des mesures mises en œuvre par les pays qui ont intégré une dimension genrée à leur plan de relance couvraient les violences faites aux femmes et aux filles, soutenaient les soins non rémunérés et renforçaient la sécurité économique des femmes. Une part encore plus faible des réponses comprend des actions de court et de long terme pour lutter contre la « pandémie fantôme » des violences faites aux femmes et aux filles. L’APD française a donc un rôle à jouer.

Proposition n° 12 :  Renforcer la part de l’APD « genrée » consacrée à des projets dont l’objectif est de prévenir et de faire reculer la violence à l’égard des femmes dans le monde.

2.   Catalysatrices de changements, les organisations engagées sur le terrain doivent être mieux soutenues

Vos rapporteures s’inquiètent que les acteurs engagés pour l’égalité des sexes n’aient pas encore pris la mesure du danger que représentent les mouvements réactionnaires dont l’objectif est de faire reculer cet agenda. Ces organisations conservatrices ont des relais politiques dans tous les pays, jusque dans les pays comme la France qui se prévalent d’une « diplomatie féministe ». Les droits des femmes deviennent aujourd’hui un véritable théâtre d’affrontement idéologique.

Lorsqu’elles s’appuient sur ces organisations conservatrices, les autorités politiques s’attachent à affaiblir les organisations de la société civile promouvant les droits des femmes. En Pologne, les associations de défense des femmes, notamment celles prenant en charge les victimes de violences domestiques, ont vu leurs subventions largement réduites voire annulées. Leurs activités sont entravées, quand elles ne font pas l’objet d’intimidation ou de menaces. Le Centre des droits des femmes, une ONG polonaise fondée en 1995, a ainsi perdu toute dotation de l’État polonais depuis 2015 et des descentes de police ont eu lieu dans ses locaux. En Turquie, les ONG rencontrées par vos rapporteures se sont également plaintes d’un climat social qui restreint le domaine d’action de la société civile.

Pour limiter la progression d’un discours hostile aux droits des femmes, vos rapporteures estiment qu’il est nécessaire d’apporter un soutien résolu aux mouvements de la société civile qui luttent pour l’égalité des sexes. Ces acteurs doivent être soutenus au niveau national comme au niveau international, jusque dans les pays les plus affectés par la réaction conservatrice en cours.

Le soutien qu’il est nécessaire d’apporter n’est pas exclusivement financier. Les acteurs engagés pour les droits des femmes ont évidemment besoin du soutien moral des pays européens comme des mécanismes internationaux. En outre, en miroir à la structuration des organisations conservatrices qui gagnent du terrain, la mise en réseau des organisations féministes doit être soutenue pour mieux sensibiliser l’opinion publique et renforcer la pression sur les milieux politiques. Cette mise en réseau est indispensable pour créer une solidarité féministe à l’échelle internationale et engager la bataille d’influence, notamment sur les réseaux sociaux.

Proposition  13 :  Inciter les ambassades à faciliter la mise en réseau entre les organisations féministes françaises et les organisations féministes étrangères.

Mais les organisations et les mouvements locaux qui promeuvent l’égalité de genre ont également besoin d’un soutien financier. Ces associations, qui ont pour avantage de connaître le terrain et le maillage social, et dont l’action est catalysatrice de changements, ne perçoivent qu’une faible part des financements internationaux. S’il n’est pas aisé de changer les mentalités, la France et l’Europe peuvent à tout le moins soutenir ceux qui ont envie de se battre sur ce terrain.

Après leurs déplacements au Burkina Faso et en Turquie, vos rapporteures peuvent en témoigner : les acteurs engagés sur le terrain ne manquent pas.

– Au Burkina Faso, vos rapporteures ont pu mesurer l’utilité de l’action d’ONG comme l’Association des femmes juristes, qui dispense des formations aux acteurs qui sont en première ligne dans la prise en charge des violences et anime des « cliniques juridiques » qui proposent des consultations gratuites aux femmes victimes ainsi qu’un accompagnement par un juriste dans les affaires complexes. Une ONG comme l’International Rescue Committee (IRC) joue aussi un rôle crucial pour apporter une assistance aux femmes déplacées par les conflits et réduire les situations de vulnérabilité qui les exposent fortement aux violences.

– En Turquie, vos rapporteures ont pris connaissance des activités de l’association féministe Mor Çatı (« Toit violet »), qui gère un centre d’hébergement et de solidarité avec pour mission d’apporter un soutien psychologique, social et juridique aux femmes et aux enfants victimes de violences conjugales, et de la fondation Balais Volant, qui bénéficie d’un soutien financier de l’ambassade de France pour mettre en œuvre un projet de formation de juristes et d’avocats à la thématique spécifique de la prise en charge des femmes victimes de violences.

Le Fonds de soutien aux organisations féministes, lancé en 2020 avec un budget de 120 millions d’euros sur trois ans, doit être mis à profit pour financer les acteurs de la société civile impliqués sur ce sujet. Ce Fonds de soutien bénéficiera par exemple au « Fonds Genre Sahel » mis en œuvre par Expertise France et financé par l’AFD pour appuyer les initiatives innovantes dans le domaine de l’égalité femmes-hommes – au-delà de la seule thématique de la lutte contre les violences basées sur le genre – des organisations de la société civile au Sahel. Le Fonds Genre Sahel permettra, sur une période de quatre ans, de financer 12 projets dans 6 pays du Sahel grâce à une enveloppe de 5,5 millions d’euros.

Compte tenu du caractère limité de nos moyens, vos rapporteures appellent à cibler les projets à plus fort impact. Pour y parvenir, les ambassades doivent être à l’affût des initiatives locales les plus prometteuses sur le terrain. Après les avoir identifiées, les postes doivent mobiliser les enveloppes FSPI et PISCCA – en s’appuyant, au besoin, sur d’autres moyens financiers, notamment européens – pour agir au stade critique de la « montée à l’échelle » des associations de sorte qu’elles puissent ensuite être éligibles aux financements des gros bailleurs. En effet, les gros bailleurs ont des exigences trop élevées pour les structures locales qui ne sont par ailleurs pas toujours en mesure d’absorber des financements aussi importants.

Proposition  14 :  Mobiliser les fonds FSPI et PISSCA pour agir au stade critique de la « montée à l’échelle » des initiatives locales les plus prometteuses, avant que ces dernières puissent être financées par des bailleurs plus importants.

L’UE fait partie des bailleurs internationaux qui ont les moyens de donner une dimension structurante aux projets de certaines ONG. Vos rapporteures appellent à faire un usage plus politique des financements de l’UE en renforçant le soutien aux associations féministes dans les pays dans lesquels la condition des femmes est la plus dégradée ou dans lesquels celle-ci se fragilise.

Proposition  15 :  Recentrer les programmes de l’UE sur le renforcement de l’égalité entre les femmes et les hommes dans les pays dans lesquels la condition des femmes est la plus dégradée ou dans lesquels celle-ci se fragilise.

Le soutien aux organisations de la société civile se heurte à une difficulté importante. Dans de nombreux pays, les autorités politiques peuvent en effet décrédibiliser les associations qui bénéficient de financements étrangers. Aussi est-il nécessaire, dans les pays qui affichent un réel volontarisme dans la lutte contre les violences faites aux femmes, de soutenir les ONG sans écarter les institutions politiques. Bien que celle-ci ne soit pas applicable dans tous les contextes, vos rapporteures reprennent à leur compte l’une des 100 propositions formulées par leurs collègues Mireille Clapot et Laurence Dumont dans leur rapport d’information sur la diplomatie féministe ([39]) : « offrir une assistance technique à d’autres États pour renforcer l’indépendance et les capacités des institutions répondant à la violence sexuelle ».

Proposition  16 : Dans les pays qui affichent un réel volontarisme dans la lutte contre les violences faites aux femmes, offrir une assistance technique pour renforcer les capacités des institutions répondant à ces violences.

3.   L’action des acteurs internationaux peut être mieux coordonnée et parfois simplifiée

La rapporteuse spéciale sur la violence contre les femmes des Nations Unies a dressé le constat d’une fragmentation des actions menées pour lutter contre les violences faites aux femmes, tant au niveau national qu’international et régional. Les acteurs qui contribuent à la lutte contre les violences fondées sur le genre sont en effet très nombreux, des agences des Nations Unies aux Gouvernements en passant par les organisations de la société civile et les bailleurs de fonds. Dans cet ensemble, il faut relever en particulier la pléthore d’organisations internationales. Or, l’adoption de politiques et la mise en œuvre d’interventions efficaces sont subordonnées à la bonne coordination entre les différents acteurs impliqués.

En ce sens, la rapporteuse spéciale a lancé, en 2018, la plateforme des mécanismes d’experts indépendants sur la discrimination et la violence à l’égard des femmes (EDVAW), qui rassemble les principaux mécanismes internationaux et régionaux qui s’attaquent aux discriminations et aux violences faites aux femmes, parmi lesquels le comité de la CEDAW, le GREVIO et les mécanismes spécifiques mis en œuvre dans le cadre des organisations régionales africaines et américaines.  Cette plateforme a pour mission de trouver des positions communes sur des problématiques qui touchent toutes les régions, pour parler d’une seule voix et donner plus de poids aux différents mécanismes. Si vos rapporteures saluent ce début de coordination, celles-ci constatent aussi que le nombre de mécanismes internationaux et régionaux qui interviennent dans le champ des violences faites aux femmes se traduit par des coûts importants et redondants alors même que les financements sont souvent jugés insuffisants. Alors qu’elle est censée être au cœur de l’action contre les violences faites aux femmes, ONU Femmes reste sous-financée, ce qui tient aussi à la faiblesse des contributions des États membres ([40]).

La fragmentation de l’action internationale se retrouve également sur le terrain, comme vos rapporteures ont pu le constater au Burkina Faso. Dans ce pays, les organisations onusiennes qui contribuent à la lutte contre les violences faites aux femmes incluent l’Unicef, l’OMS, le FNUAP, OCHA et le HCR. Ces dernières années, ces acteurs ont été mis au défi, non seulement de se coordonner, mais aussi de faire évoluer leur mode d’action à mesure que le Burkina Faso basculait d’une problématique de développement à une problématique humanitaire. Selon S.E. M. Luc Hallade, ambassadeur de France au Burkina Faso, « on a du mal à gérer, à coordonner la réponse, à monter à l’échelle » dans un contexte où le problème humanitaire a cru exponentiellement et la réponse a été compliquée par la longue période de déni des autorités burkinabè. « Notre capacité de réponse à l’urgence est médiocre : on est plus dans le réactif que dans le préventif ».

Pour mieux coordonner l’action des différentes agences de l’ONU au Burkina Faso, un cluster « Violences basées sur le genre » a été créé et une « feuille de route » des acteurs humanitaires, qui répartit les responsabilités entre chaque acteur, est mise en œuvre sous l’autorité d’une coordinatrice résidente. Vos rapporteures s’interrogent sur l’efficacité d’une telle stratégie qui conduit à impliquer tous les acteurs sur des actions qui ne relèvent pas toujours de leur cœur de métier, notamment lorsqu’il s’agit de faire de l’humanitaire. Ces dernières invitent ainsi à envisager de déléguer à un acteur « chef de file » qui paraît le mieux placé la coordination de toute la réponse aux violences visant les femmes déplacées. Au Burkina Faso, le HCR a la responsabilité du suivi de la situation et des besoins humanitaires qui est le préalable à la planification et à la coordination de la réponse entre les acteurs humanitaires. Le HCR pourrait donc aussi recevoir le mandat de « chef de file » au stade de l’opérationnalisation de la réponse humanitaire.

 


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   examen en commission

 

Au cours de sa séance du mercredi 12 janvier 2022, la commission examine le présent rapport.

L’enregistrement de cette séance est accessible sur le portail vidéo de l’Assemblée nationale à l’adresse suivante :

https://assnat.fr/u7uqHc

 

La commission autorise le dépôt du rapport d’information sur le sujet des droits des femmes dans le monde et l'application de la convention d’Istanbul, en vue de sa publication.

 

 


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   ANNEXE : LISTE DES PERSONNES ENTENDUES PAR
LES CO-RAPPORTEURES ET DÉPLACEMENTS

 

Auditions à Paris ou par visio-conférence

 

 

Table-ronde sur les violences faites aux femmes en France

Mme Anne-Cécile Mailfert, directrice de la Fondation des femmes ;

Mme Pauline Chabbert, directrice associée du groupe Egaé ;

Mme Anaïs Leleux, fondatrice de l’association Pourvoir féministe.

 

Table-ronde sur les violences faites aux femmes en Europe

Mme Gwendoline Lefebvre, présidente du Lobby européen des femmes ;

Mme Christiane Tricot, vice-présidente internationale de l’Union européenne des femmes (UEF) et présidente nationale (France) de l’UEF, Mme Françoise Sème Wallon, secrétaire nationale (France) de l’UEF, et Mme Pascale Mesnil, vice-présidente de la commission des affaires internationales de l’UEF ;

Mme Stéphanie Futter-Orel, directrice exécutive de Women Against Violence Europe (WAVE) ;

Mme Alyssa Ahrabare, chargée de projet et de plaidoyer du réseau européen des femmes migrantes.

 

Table-ronde sur les violences faites aux femmes dans le monde

Mme Carlotta Gradin, vice-présidente plaidoyer d’ONU Femmes France ;

Mme Farah Malek-Bakouche, chargée de plaidoyer international d’Unicef France ;

Mme Ludovica Anedda, chargée de plaidoyer droits des femmes de Care France ;

Mme Sandra Lhote-Fernandes, chargée de Plaidoyer chez Oxfam France ;

 

Mme Laure Audouard, chargée de plaidoyer chez Plan International France ;

 

Mme Florie Balland, trésorière de l’association Libres terres des femmes.

 

Table-ronde sur les violences faites aux femmes dans les conflits

Mme Anne Castagnos-Sen, responsable des relations extérieures d’Amnesty international France ;

Mme Sarah Khenati, manager opérationnelle en charge des violences sexuelles en République démocratique du Congo pour le Comité international de la Croix Rouge ;

Mme Nanou Rousseau, fondatrice-présidente d’honneur de la Fédération nationale des mères pour la paix ;

Mme Céline Bardet, fondatrice et présidente de l’ONG Not a Weapon of War.

 

 

M. Denis Mukwege, médecin gynécologue, prix Nobel de la paix (en commission) ;

Mme Anne-Françoise Dequiré, maître de conférences en sociologie de l’Université catholique de Lille/Institut social de Lille ;

M. Richard Matis, président de Gynécologie sans frontières ;

Mme Patricia Allemonière, grand reporter et auteure ;

Mme Pauline Adès-Mévèl, porte-parole de Reporters sans frontières ;

Mme Marija Šajkaš, auteure, spécialiste des médias et militante des droits humains ;

Mme Joanna Lasserre, présidente de l’association de défense de la démocratie en Pologne ;

Mme Fahimeh Robiolle, consultante en leadership et spécialiste de la condition féminine en Afghanistan.

 

 

Mme Federica Donati, coordonnatrice du Groupe de l’égalité, de la non-discrimination et de la participation du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme et représentante de la rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la violence contre les femmes, ses causes et ses conséquences ;

Mme Nicole Ameline, ancienne ministre, ancienne députée française et membre du comité des Nations Unies pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) ;

Dr Claudia Garcia-Moreno, spécialiste des violences contre les femmes et les filles à l’Organisation mondiale de la santé (OMS), et Mme Åsa Nihlén, membre du bureau régional Europe de l’OMS spécialisée en genre et droits humains.

 

 

Conseil de l’Europe

Mme Irène Kitsou-Milonas, conseillère au cabinet de la secrétaire générale du Conseil de l’Europe ;

Mme Françoise Brié, directrice de la Fédération Nationale Solidarité Femmes et membre du groupe d’experts sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (GREVIO) du Conseil de l’Europe ;

Mme Marie Fontanel, ambassadrice, représentante permanente de la France auprès du Conseil de l'Europe à Strasbourg ;

Mme Maria Mezentseva, présidente de la délégation ukrainienne auprès de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE).

 

Union européenne

Mme Lesia Radelicki, membre du cabinet de Mme Helena Dalli, commissaire européenne à l’égalité ;

Mme Kristin de Peyron, directrice des droits de l’Homme et des affaires globales et multilatérales au service européen d’action extérieure (SEAE).

 

 

Ministère chargé de l'Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l'Égalité des chances

Mme Amandine Giraud, directrice de cabinet adjointe de la ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances.

Ministère de l’Europe et des affaires étrangères

Mme Florence Cormon-Veyssière, sous-directrice des droits de l'Homme et affaires humanitaires ;

M. Joan Valadou, sous-directeur du développement humain ;

Mme Delphine O, ambassadrice et secrétaire générale du Forum Génération Égalité ;

S.E. M.  Frédéric Billet, ambassadeur de France en Pologne ;

S.E. Mme Elisabeth Barsacq, ambassadrice de France en Albanie ;

S.E. M.  Hervé Magro, ambassadeur de France en Turquie ;

S.E. M. Marc Fonbaustier, ambassadeur de France en Guinée et en Sierra Leone.

 

Ambassadeurs et diplomates étrangers

S.E. M. José Manuel Albares Bueno, ministre espagnol des affaires étrangères et ancien ambassadeur d’Espagne en France ;

S.E. M. Håkan Åkesson, ambassadeur de Suède en France ;

S.E. M. Ali Onaner, ambassadeur de Turquie en France ;

Mme Parwana Paikan, ministre conseillère à l’ambassade de la République islamique d’Afghanistan en France.

 

Déplacement au Burkina Faso

 

Pouvoirs publics

Mme Rokia Rouamba, députée et présidente du « caucus genre » de l’Assemblée nationale du Burkina Faso, et les parlementaires membres du « caucus genre » ;

Mme Faty Ouédraogo, secrétaire générale du ministère de la Femme, de la solidarité nationale, de la famille et de l’action humanitaire du Burkina Faso ;

Dr Euphrasie Adjami-Barry, point focal du « Forum Génération Égalité » au Burkina Faso, et Mme Maïmouna Ouédraogo, parlementaire.

 

Organisations non gouvernementales, chercheurs et personnalités qualifiées

Mme Mariam Lamizana, ancienne ministre burkinabé de l’Action sociale et de la solidarité nationale, première présidente du Comité national de lutte contre la pratique de l’excision et présidente de l’ONG « Voix de femmes », et Mme Martine Yabre, ancienne parlementaire mobilisée en faveur de la promotion des femmes en politique ;

M. Mahamadou Diaw, directeur adjoint de l’ONG International Rescue Committee ;

Représentantes de l’association des femmes juristes, de l’association African Women Leader et de l’association des femmes du secteur minier du Burkina Faso (AFEMIB) ;

Représentantes de l’association Yikri pour l’autonomisation des femmes dans la commune de Ziniaré ;

Mme Madeleine Wayack Pambe et Mme Brigite Tchiombiano, universitaires.

 

Équipe « France »

S.E. M. Luc Hallade, ambassadeur de France au Burkina Faso, Mme Laurence Arnoux, conseillère de coopération et d’action culturelle, et l’équipe « France » ;

Mme Paule-Elise Henry, cheffe de projet « Fonds Genre Sahel » financé par l’AFD et membre active du cadre de concertation « Genre » au Burkina Faso ;

Mme Françoise Le Losq et M. Ousmane Ouedraogo, conseillers consulaires.

 

Organisations européennes et internationales

Représentants au Burkina Faso de l’Unicef, de l’OMS, du FNUAP, d’OCHA, d’ECHO, du HCR et de l’UE ;

M. Auguste Kpognon, représentant du FNUAP au Burkina Faso ;

Mme Marie-Clémentine Cremer, spécialiste des violences basées sur le genre au Haut-Commissariat pour les réfugiés ;

M. Antonio Camacho-Marquez, chef du service « Gouvernance » à la délégation de l’Union européenne au Burkina Faso.

 

Déplacement en Turquie

 

Pouvoirs publics

Mme Derya Yanik, ministre de la Famille et des affaires sociales de Turquie.

Organisations non gouvernementales

Mme Ürün Güner, représentante de La Fondation Balai Volant ;

Mme Canan Güllü, présidente de la Fédération des associations des femmes de Turquie ;

Représentantes de l’association Mor çati ;

Mme Sümeyye Erdogan, vice-présidente de la KADEM ;

Mme Emma Sinclair-Webb, directrice de Human Rights Watch, et Mme Ece Unver, directrice d’Amnesty International ;

Mme Nuray Karaoglu, représentante de KADER ;

Mme Aysen Kavas, représentante de « Nous arrêterons les féminicides ».

 

Équipe « France »

Mme Mathilde Grammont, chargée d’affaires, M. Olivier Gauvin, consul général de France à Istanbul, Mme Alexia Jarrot, conseillère presse et politique intérieure, et toute l’équipe « France ».

 

Organisations européennes et internationales

Mme Duygu Arig, représentante d’ONU Femmes ;

S.E. M. Nikolaus Meyer-Landrut, délégué de l’Union européenne en Turquie ;

Représentante du Conseil de l’Europe ;

M. Hassan Mohtashami, représentant du FNUAP en Turquie.

 

Contributions écrites

Secrétariat général aux affaires européennes ;

Ambassade de France en Russie.

 

 

 


([1]) Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes de l’Assemblée nationale, Rapport d’information « sur l’élaboration du Livre Blanc de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes portant sur la lutte contre les violences conjugales - TOME I », publié le 6 novembre 2019. Accessible ici.  

([2]) Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes du Sénat, Rapport d’information « sur le bilan de la lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants au sein de la famille : conséquences du confinement, défis du déconfinement », publié le 7 juillet 2020. Accessible ici.  

([3]) Commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, Rapport d’information « sur la place des droits des femmes dans la diplomatie française », publié le 4 avril 2018. Accessible ici.

([4]) Le « stalking » est une forme de harcèlement qui se caractérise par des comportements intrusifs, comme la traque ou l’espionnage, dans la vie d’une personne.

([5]) Le « revenge porn » est une forme de vengeance qui consiste à diffuser publiquement un contenu sexuellement explicite sans le consentement de la ou des personnes apparaissant sur le contenu.

([6])  Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, Enquête sur la violence contre les femmes « Le bien-être et la sécurité des femmes », publiée le 9 mars 2019. Accessible ici.

([7]) Selon l’Unicef, en moyenne, 4 jeunes femmes sur 10 dans la région étaient mariées ou en union libre avant l’âge de 18 ans ; 15 % étaient mariées ou en union libre avant l’âge de 15 ans.  

([8]) Reporter sans frontières, « Le Journalisme face au sexisme », rapport publié le 8 mars 2021. Accessible ici.

([9]) UNESCO, « The Chilling: Tendances mondiales de la violence en ligne contre les femmes journalistes », document de réflexion publié le 30 avril 2021. Accessible ici.    

([10])  EIGE, « Le coût de la violence sexiste dans l’Union européenne », rapport publié le 28 octobre 2021. Accessible ici.

([11]) La CEDAW est une des conventions relatives aux droits humains qui a fait l’objet du plus grand nombre de réserves (48 États réservataires). La grande majorité des réserves portent sur l’article 2 relatif aux mesures à appliquer pour éliminer la discrimination à l’égard des femmes et l’article 16 qui dispose que les femmes et les filles ont les mêmes droits que les hommes et les garçons dans la vie familiale et le mariage et qui stipule que le mariage d’enfants n’a pas d’effet juridique.     

([12]) Les derniers rapports de la Rapporteuse spéciale sont consacrés à la criminalisation et à la poursuite des viols, qu’ils soient commis en temps de paix ou en période de conflits, et aux observatoires et aux mécanismes de surveillance des féminicides.

([13]) Les résolutions 1820 en 2008, 1888 et 1889 en 2009, 1960 en 2010, 2106 et 2122 en 2013, 2242 en 2015 et 2467 et 2493 en 2019.

([14]) La France a ratifié la convention d’Istanbul le 4 juillet 2014.

([15]) Commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, Rapport sur « le projet de loi autorisant la ratification de la convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique », publié le 2 janvier 2014. Accessible ici.  

([16]) Le « gender mainstreaming » est une stratégie consistant à intégrer la dimension de genre dans l’élaboration et la conduite de toutes les politiques publiques.  

([17]) Cour de justice de l’Union européenne, Avis 1/19, rendu le 6 octobre 2021. Accessible ici.  

([18]) Comme définis par les marqueurs établis par le comité d’aide au développement de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Il existe deux marqueurs OCDE pour le genre, un marqueur (le marqueur 1) qui fait de l’égalité de genre un objectif principal (c’est-à-dire que le projet mis en œuvre porte exclusivement sur l’égalité de genre), et un marqueur (le marqueur 2) qui fait de l’égalité de genre un objectif général ou significatif, c’est-à-dire que le projet « contient » à l’intérieur de ses composantes un objectif d’égalité de genre (sans pour autant que ce soit l’objectif principal).

([19])  En 2020, la contribution française au Fonds mondial pour les survivant(e)s de violences sexuelles liées aux conflits s’élevait à 1,4 M€, soit 28 % du budget global du Fonds mondial, estimé à environ 5 M€. La France était ainsi le deuxième contributeur derrière le Japon et devant la Belgique.

([20])  UNFPA, « Mon corps m’appartient, revendiquer le droit à l’autonomie et à l’autodétermination », rapport publié en avril 2021. Accessible ici.

([21]) Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes, « Où est l’argent contre les violences faites aux femmes ? », rapport publié le 2 novembre 2018. Accessible ici.  

([22]) Groupe d’experts sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, « Rapport d’évaluation de référence sur la France », publié le 19 novembre 2019. Accessible ici.  

([23]) Ces travaux sont alimentés par des organismes comme le Forum parlementaire européen pour les droits sexuels et reproductifs. Voir notamment Neil Datta, « Restaurer l’ordre naturel : la vision des extrémistes religieux pour mobiliser les sociétés européens contre les droits humains en matière de sexualité et de reproduction », Forum parlementaire européen sur les droits sexuels et reproductifs, 2018, Accessible ici.

([24])  En 2014, une initiative citoyenne européenne (ICE) intitulée « One of us » avait été lancée dans le but de demander l’arrêt des financements européens facilitant l’accès à la contraception et à l’avortement pour les femmes dans les pays en voie de développement. Cette ICE avait recueilli 1,7 million de signatures avant d’être rejetée par la Commission européenne.

([25]) ONU Femmes, « Plan mondial d’accélération pour faire progresser l’égalité entre les femmes et les hommes d’ici à 2026 », publié le 2 juillet 2021. Accessible ici (en anglais).

([26]) Niagalé Bagayoko, « Les politiques internationales sont inaptes à prendre en compte la complexité des sociétés sahéliennes », Le Monde, publié le 4  septembre 2021. Accessible ici.  

([27]) Parlement européen, « Projet de rapport contenant des recommandations à la Commission sur la définition de la violence fondée sur le genre comme un nouveau domaine de criminalité énuméré à l’article 83, paragraphe 1, du traité FUE », publié le 30 avril 2021. Accessible ici

([28]) Commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, Rapport sur le projet de loi autorisant ratification de la convention n°190 de l’Organisation internationale du travail relative à l’élimination de la violence et du harcèlement dans le monde du travail, publié en juillet 2021. Accessible ici.

([29]) À la suite de l’adoption de la loi d’autorisation du 8 novembre 2021, la France devrait ratifier la convention n° 190 prochainement, conformément à un engagement pris au forum Génération Égalité.

([30]) Le Royaume-Uni invoque aussi des difficultés légales découlant des obligations d’extradition et de coopération pénale internationale prévues par la Convention (articles 44, 45 et 62).

([31]) Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, « La Convention d’Istanbul sur la violence à l’égard des femmes : réalisations et défis », rapport publié le 8 juin 2019. Accessible ici.  

([32]) La Croatie a émis la réserve suivante : « La République de Croatie considère que les dispositions de la Convention n’incluent pas l’obligation d’introduire la notion de genre dans le système législatif et éducatif croate, ni l’obligation de modifier la définition constitutionnelle du mariage… »

([33]) Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes, « Rapport final d’évaluation du 2e plan national d’action « Femmes, paix et sécurité » (2015-2018) », publié le 10 décembre 2018. Accessible ici.  

([34])  Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, « Projet Mapping concernant les violations les plus graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises entre mars 1993 et juin 2003 sur le territoire de la République démocratique du Congo », rapport publié le 31 août 2010. Accessible ici.

([35]) La Cour pénale internationale n’a pas compétence pour les crimes commis avant 2002.  

([36])  Résolution 2020/2783 du Parlement européen sur le cas du Dr. Denis Mukwege en RDC.

([37]) Haut Conseil à l’Égalité, « La diplomatie féministe : d’un slogan mobilisateur à une véritable dynamique de changement ? », rapport publié le 4 novembre 2020. Accessible ici.  

([38]) Loi n° 2021-1031 du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales.  

([39]) Rapport d’information de Mireille Clapot et Laurence Dumont, « 100 propositions pour une diplomatie féministe », rendu au nom de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, publié en avril 2018.  

([40])  La contribution de la France à ONU Femmes a fortement augmenté ces cinq dernières années, passant de 1,1 million d’euros en 2017 à 5,6 millions d’euros en 2021. Malgré cette tendance à la hausse, la France ne compte pas parmi les dix premiers pays contributeurs d’ONU Femmes.