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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUINZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 18 janvier 2022.
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES (1)
sur la protection civile européenne,
ET PRÉSENTÉ
PAR M. AndrÉ CHASSAIGNE et M. Jean-Marie FIÉVET,
Députés
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(1) La composition de la commission figure au verso de la présente page.
La Commission des affaires européennes est composée de : Mme Sabine THILLAYE, présidente ; MM. Pieyre-Alexandre ANGLADE, Jean-Louis BOURLANGES, Bernard DEFLESSELLES, Mme Liliana TANGUY, vice‑présidents ; M. André CHASSAIGNE, Mme Marietta KARAMANLI, M. Christophe NAEGELEN, Mme Danièle OBONO, secrétaires ; MM. Patrice ANATO, Philippe BENASSAYA, Mme Aude BONO-VANDORME, MM. Éric BOTHOREL, Vincent BRU, Mmes Yolaine de COURSON, Typhanie DEGOIS, Marguerite DEPREZ‑AUDEBERT, M. Julien DIVE, Mmes Coralie DUBOST, Frédérique DUMAS, MM. Pierre‑Henri DUMONT, Jean-Marie FIEVET, Alexandre FRESCHI, Mmes Maud GATEL, Valérie GOMEZ‑BASSAC, Carole GRANDJEAN, Christine HENNION, MM. Michel HERBILLON, Alexandre HOLROYD, Mme Caroline JANVIER, MM. Christophe JERRETIE, Jérôme LAMBERT, Jean-Claude LECLABART, Mmes Constance Le GRIP, Martine LEGUILLE-BALOY, Nicole Le PEIH, MM. David LORION, Ludovic MENDES, Thierry MICHELS, Jean-Baptiste MOREAU, Xavier PALUSZKIEWICZ, Damien PICHEREAU, Jean‑Pierre PONT, Dominique POTIER, Didier QUENTIN, Mme Maina SAGE, M. Benoit SIMIAN, Mme Michèle TABAROT.
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SOMMAIRE
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Pages
I. La protection civile À la française, un modÈle ?
A. Une organisation essentiellement décentralisée qui se distingue de ses partenaires européens
a. Les services d’incendie et de secours sont gérés à l’échelon local
ii. Les sapeurs-pompiers militaires
b. Les administrations centrales servent d’interface
i. Au ministère de l’intérieur
ii. Au ministère de l’Europe et des affaires étrangères
2. Une comparaison européenne contrastée
a. La diversité relative des modalités d’organisation
b. Des différences politiques de conception
1. La place des volontaires en France
a. Un rôle pilier dans la protection civile française
i. Indispensable au maillage territorial
ii. Complémentaire des professionnels
b. Le modèle du volontariat est affaibli
i. Difficultés inhérentes au modèle
a. Le droit de l’Union européenne encadre le temps de travail des volontaires
i. L’inquiétude autour de l’arrêt Matzak
ii. Une nécessaire remise en perspective
b. En cohérence, certaines pratiques doivent évoluer
A. Une politique de protection civile, liée aux enjeux de souveraineté, qui évolue par NÉCESSITé
1. Une politique qui repose sur la préparation nationale
a. La réserve européenne de protection civile
2. Le MPCU s’est fait dans les crises
a. La solidarité face aux catastrophes de grande ampleur
i. La création du corps médical européen
ii. La prise de conscience des risques liés à d’importants feux de forêt sur le territoire européen
B. Une participation honorable au MPCU qui doit être renforcée
1. Des contributions importantes
a. Une activation encore trop rare
A. La formation des sapeurs-pompiers
2. Une nécessaire ouverture sur l’international
a. Renforcer la dimension européenne de la formation en France
b. Aller plus loin dans la formation commune
B. La résilience des populations
b. L’amélioration des canaux de communication
i. L’information officielle en temps de crise
2. Chez les jeunes générations
b. Par le biais des jeunes sapeurs-pompiers
II. Le sens de l’Histoire implique une mise en commun des capacités de réponse aux crises
A. L’intelligence collective doit permettre de préparer les grandes crises du futur
1. Le développement de capacités spécifiques à l’échelle de l’Union européenne
a. Le centre des connaissances en matière de gestion des risques de catastrophe
2. La nécessaire attention au développement des capacités logistiques
a. Les équipements spécifiques
i. Les moyens de lutte contre les feux de forêt
ii. Les moyens de transport lourd
B. Le MPCU peut devenir l’une des grandes réussites européennes
1. Renforcer la place de la protection civile en France et en Europe
a. Une montée en puissance budgétaire
i. Une augmentation importante mais insuffisante
ii. Un point d’attention : la création de l’agence sanitaire HERA
b. Une évolution possible de la gouvernance
2. La constitution d’une force européenne
a. Des capacités de coordination européennes
b. À terme, la création d’une force européenne de protection civile
PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE INITIALE
AMENDEMENTS EXAMINÉS PAR LA COMMISSION
PROPOSITION DE RÉSOLUTION europÉenne
Annexe I Actualité jurisprudentielle
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Liste des acronymes
CDCS : Centre de crise et de soutien
COGIC : Centre opérationnel de gestion interministérielle des crises
DG ECHO : Direction générale pour la protection civile et les opérations d’aide humanitaire européennes
DGSCGC : Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises
ENSOSP : École nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers
ERCC : Centre de coordination de la réaction d’urgence
FNSP : Fédération nationale des sapeurs-pompiers
FORMISC : Formations militaires de la sécurité civile
JSP : Jeunes sapeurs-pompiers
MOSC : Loi de modernisation de la sécurité civile
MPCU : Mécanisme de protection civile de l’Union européenne
NRBC : Nucléaire, radiologique, bactériologique, chimique
RescEU : réserve européenne de ressources
SDIS : Service départemental d’incendie et de secours
SIS : Service d’incendie et de secours
15 propositions pour la protection civile dans l’Union
Proposition n° 1 : Faire évoluer l’encadrement réglementaire des activités des sapeurs-pompiers volontaires.
Proposition n° 2 : Renforcer les capacités nationales sans attendre qu’elles soient prises en défaut par une crise.
Proposition n° 3 : Renforcer l’enseignement de langues étrangères, en particulier de l’anglais, à destination des sapeurs-pompiers français.
Proposition n° 4 : Proposer un module commun de formation à tous les cadres européens de la sécurité civile, par exemple à l’ENSOSP.
Proposition n° 5 : Sensibiliser aux risques et aux bons réflexes en s’inspirant des modèles étrangers.
Proposition n° 6 : Mettre en œuvre sans délai supplémentaire la technologie FR-Alert, utilisant le réseau téléphonique pour envoyer des messages d’alerte à toutes les personnes présentes sur un territoire donné.
Proposition n° 7 : Lancer sans délai l’expérimentation du numéro d’appel d’urgence unique en France.
Proposition n° 8 : Systématiser la formation aux premiers secours dans le secondaire (PSC1), en s’appuyant sur le tissu associatif.
Proposition n° 9 : Faire essaimer les pôles d’expertise à l’image de NEMAUSUS sur des thématiques nouvelles.
Proposition n° 10 : Développer et diversifier rescEU, en capitalisant sur le stockage de matériels utiles dans le cadre de crises hybrides.
Proposition n° 11 : Poursuivre l’augmentation des crédits engagée au bénéfice de la protection civile européenne.
Proposition n° 12 : Doter la France d’un secrétaire d’État à la protection civile placé auprès du Premier ministre.
Proposition n° 13 : Étudier la transformation d’une partie de la DG ECHO en agence dédiée à la protection civile.
Proposition n° 14 : Doter le MPCU de personnels permanents dédiés à la coordination opérationnelle des interventions
Proposition n° 15 : Créer un corps géré au niveau européen, sur le modèle du corps de garde-frontières et garde-côtes.
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Mesdames, Messieurs,
L’année 2021 a agi comme un triste catalyseur de l’intérêt pour la protection civile en Europe. Durant la seule période estivale, les inondations qui ont gravement touché l’Allemagne et la Belgique, ainsi que les feux de forêt de très grande ampleur dans le Sud de l’Europe, ont entraîné un lourd bilan humain, écologique et économique.
Dans ces situations complexes, mais aussi dans le contexte de la pandémie de covid-19, l’Union européenne a été un soutien précieux en renfort des États membres. Le mécanisme de protection civile est apparu comme un facilitateur de l’aide mutuelle entre les services nationaux, grâce au soutien opérationnel et financier de la Commission européenne. Bien que son action soit rarement mise en avant du fait de la persistance de logiques nationales, le MPCU a permis de réaliser la solidarité en actes qui fait de l’Union européenne une réussite du quotidien, au service des citoyens.
Les situations d’urgence ont vocation à s’accentuer. La protection civile prend en charge une pluralité de situations, dont la fréquence et la gravité vont croissant.
Les catastrophes d’origine naturelle vont s’intensifier sous l’effet du dérèglement climatique, qui n’est plus une projection mais déjà une réalité opérationnelle. Les experts du WWA attribuent clairement l’augmentation du risque d’inondations graves, à l’instar de celles de l’été 2021, au dérèglement induit par l’activité humaine ([1]). Les étés plus chauds ont un impact direct sur les incendies : la moitié des forêts de France métropolitaine sera soumise au risque incendie élevé d’ici 2050 ([2]).
Une difficulté propre à la lutte contre les feux de forêt tient à leur simultanéité qui s’entend, du fait des conditions climatiques proches, à l’échelle régionale voire continentale. Ainsi, les catastrophes naturelles vont être plus rapprochées, souvent plus coûteuses et parfois se produire de façon concomitante.
La France se distingue des autres pays de l’Union européenne en ce qu’elle doit également répondre à l’exposition aux aléas climatiques et telluriques des collectivités et territoires d’outre-mer, qui sont particulièrement exposés à ces risques, de par leur insularité (hormis la Guyane) et de la concentration des habitants sur les littoraux ([3]).
Les catastrophes d’origine anthropique recouvrent les risques industriels et technologiques comme la pollution ou les intoxications. Les plus dangereux, qu’ils résultent d’un accident ou d’un acte criminel, sont habituellement désignés par l’acronyme NRBC, pour les risques nucléaires, radiologiques, bactériologiques et chimiques. Le risque terroriste ou de guerre est également pris en compte s’agissant du secours aux populations civiles.
Les crises sanitaires avaient déjà montré la nécessité d’une préparation en matière de protection civile dans le cadre des épidémies d’Ébola. Cependant, c’est l’ampleur de la pandémie de covid-19 qui a entraîné l’intégration d’une réponse spécifique, sur le plan des chaînes logistiques, du matériel comme de l’adaptation des personnels à de nouvelles missions, à l’instar de la vaccination.
La protection civile a vocation à devenir une dimension de plus en plus stratégique de la sécurité collective dans l’Union européenne. Elle s’inscrit pleinement dans l’objectif d’une « Europe qui protège ». Le MPCU, qui vient de fêter ses 20 ans, doit continuer de se développer. Face à l’ampleur des investissements nécessaires pour faire face, de manière efficace, à des risques dont la réalisation demeure incertaine, une mutualisation des efforts à l’échelle du continent est non seulement pertinente, mais indispensable.
La solidarité entre les États membres est dans l’intérêt de tous, car il est impossible de prévoir qui sera le prochain pays touché, en particulier dans le cadre de crises qui traversent les frontières. Concrètement, il s’agit d’abord d’apporter une assistance à des populations touchées par des catastrophes dont l’ampleur dépasse, dans l’urgence, les capacités de réponse nationales des territoires sur lesquels elles adviennent.
Cette solidarité passe également par un partage d’expertise et d’expérience. La montée en compétences de l’ensemble des organisations de protection civile, tout comme des populations, est un gage de résilience de l’ensemble du système en permettant de repousser son point de saturation.
Vos rapporteurs ont la conviction que les États membres sont plus forts ensemble. Chacun peut progresser, dans son organisation ou ses pratiques, en apprenant des autres. Les particularités françaises, lorsqu’elles sont gages d’efficacité, doivent être promues ; la France doit aussi faire preuve d’humilité et s’inspirer de modèles étrangers, lorsqu’ils sont d’utiles aiguillons. Elle ne saurait se reposer sur cette formule historique de Victor Hugo : « ce que Paris conseille, l’Europe le médite ; ce que Paris commence, l’Europe le continue ([4]) ».
Le MPCU peut évoluer vers plus de solidarité. L’horizon temporel des dirigeants nationaux est limité, tout comme les ressources financières et humaines des États membres pris individuellement. La Commission européenne, quant à elle, dispose des ressources et du levier d’action pour doter les habitants de l’Union européenne d’une capacité exemplaire de réponse aux crises, sur son territoire mais aussi au bénéfice des pays tiers.
La protection civile est en effet intrinsèquement liée à l’aide humanitaire, qu’elle complète. En cela, la réussite du MPCU est aussi celle des valeurs humanistes sur lesquelles nous entendons fonder notre construction politique à 27.
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Partie I – La protection civile française : une organisation singulière et un engagEment européen exemplaire
I. La protection civile À la française, un modÈle ?
L’organisation de la protection civile française repose essentiellement sur 251 900 sapeurs-pompiers, dont 5 % de militaires et surtout 79 % de volontaires ([5]), mais aussi sur des associations agréées. L’État central intervient pour coordonner les forces au niveau national et permettre l’interaction avec l’échelon européen et international.
A. Une organisation essentiellement décentralisée qui se distingue de ses partenaires européens
La politique de sécurité civile est définie à l’article L.112-1 du code de la sécurité intérieure comme ayant pour objet « la prévention des risques de toute nature, l’information et l’alerte des populations ainsi que la protection des personnes, des animaux, des biens et de l’environnement contre les accidents, les sinistres et les catastrophes par la préparation et la mise en œuvre de mesures et de moyens appropriés relevant de l’État, des collectivités territoriales et des autres personnes publiques ou privées. ([6]) » Souvent vus comme des « soldats du feu », les sapeurs-pompiers français assurent en réalité 80 % de leurs interventions au titre du secours à personne.
a. Les services d’incendie et de secours sont gérés à l’échelon local
Les missions de sécurité civile sont assurées principalement par les services d’incendie et de secours, qui se composent des services départementaux, territoriaux et locaux ([7]) ; Paris et Marseille présentent une structure spécifique. C’est au niveau des territoires que s’organise l’essentiel du système français de secours d’urgence et de protection des populations.
i. Les SDIS
Les sapeurs-pompiers, professionnels comme volontaires, sont regroupés au sein des services départementaux d’incendie et de secours (SDIS). Chaque SDIS est un établissement public placé sous l’autorité du préfet pour la gestion opérationnelle, et géré par un conseil d’administration, au sein duquel siègent notamment les représentants des collectivités territoriales.
Ils sont complétés par des corps communaux et intercommunaux. Cette diversité, qui fait intervenir la responsabilité des différentes collectivités territoriales est le produit de l’Histoire. Ce n’est qu’en 1992 que les SDIS ont acquis pleine compétence pour la gestion des moyens consacrés à la lutte contre les incendies et les accidents ; cette départementalisation a été organisée par la loi du 3 mai 1996 ([8]) qui a fait du SDIS le gestionnaire essentiel des moyens humains, financiers et matériels des SIS.
Les sapeurs-pompiers professionnels ont un statut civil et sont des fonctionnaires territoriaux.
ii. Les sapeurs-pompiers militaires
Deux unités militaires, régies par le code de la défense, sont chargées des secours dans les deux plus grandes villes de France.
L’existence de la brigade de sapeurs-pompiers de Paris (BSPP) est également le fruit d’une contingence historique. Napoléon Ier a créé cette unité ([9]) à la suite d’un incendie dans un bal auquel il assistait ; son statut militaire est alors vu comme un gage d’efficacité dans la professionnalisation de la lutte contre les incendies à Paris.
La BSPP est une unité de l’armée de Terre placée sous l’autorité du préfet de police de Paris. Elle a pour secteur de responsabilité Paris et les départements de la petite couronne.
Le bataillon de marins-pompiers de Marseille a également été créé à la suite d’un important incendie, celui de la Canebière en 1938.
Le BMPM est une unité opérationnelle de la marine nationale placée sous l’autorité directe du maire de Marseille, ce qui est unique en France. Depuis la loi n° 2004-811 du 13 août 2004 de modernisation de la sécurité civile (dite « MOSC »), le bataillon dispose de prérogatives similaires aux SDIS. En cas de crise majeure, la DGSCGC peut solliciter l’aide du BMPM sur le territoire national ou à l’étranger.
Enfin, les formations militaires de la sécurité civile (FORMISC) représentent 1 400 spécialistes des catastrophes naturelles et technologiques. Ils sont répartis en trois unités d’instruction et d’intervention de la sécurité civile qui servent au sein de la DGSCGC. Elles ont un rôle important dans la prévention des risques dits NRBC.
b. Les administrations centrales servent d’interface
i. Au ministère de l’intérieur
Si l’organisation de la protection civile française est essentiellement décentralisée, c’est le ministère de l’intérieur qui assure l’encadrement au niveau national des forces de sécurité civile. L’article L.112-2 du code de la sécurité intérieure définit en effet un rôle de l’État comme « garant de la cohérence de la sécurité civile au plan national. Il en définit la doctrine et coordonne ses moyens. Il évalue en permanence l’état de préparation aux risques et veille à la mise en œuvre des mesures d’information et d’alerte des populations. »
Ainsi, au sein du ministère de l’intérieur, la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) est chargée d’une « mission générale de contrôle, d’audit, d’étude, de conseil et d’évaluation des services d’incendie et de secours civils et militaires, des moyens zonaux et nationaux, et des associations concourant à la sécurité civile ([10]) ».
L’article du code de la sécurité intérieure précité se poursuit par la mention du rôle de l’échelon central dans la gestion des crises qui dépassent les unités territoriales que sont les départements, voire les zones de sécurité et de défense : « Sans préjudice des dispositions relatives à l’organisation de l’État en temps de crise et de celles du Code général des collectivités territoriales, le ministre chargé de la sécurité civile coordonne les opérations de secours dont l’ampleur le justifie. »
Le relais de la direction générale au niveau des zones de défense et de sécurité est l’état-major interministériel de zone (EMIZ). Il assure les remontées du terrain, ainsi que la mutualisation et la coordination des moyens. Dans la logique des pactes capacitaires ([11]), la couverture opérationnelle des moyens spécialisés ou d’appui est organisée à l’échelon zonal. L’objectif est d’équilibrer les moyens afin de lisser les différences de ressources et de risques d’un département à l’autre.
CARTE DES ZONES DE DÉFENSE ET DE SÉCURITÉ
Source : Rapport parlementaire ([12]).
L’état-major de la sécurité civile, placé auprès du ministre, veille ainsi à la coopération des acteurs et des moyens, en s’appuyant sur le centre opérationnel de gestion interministérielle des crises (COGIC), ainsi qu’au bon fonctionnement de la cellule interministérielle de crise (CIC) lorsqu’elle est activée par le Premier ministre.
Ce rôle de coordination est indispensable, tant ce qui est vrai pour l’Europe, c’est-à-dire la nécessité de travailler ensemble pour mieux répondre aux risques qui dépassent un territoire donné, est vrai aussi pour la France. Par ailleurs, le COGIC est le point de contact entre la protection civile française et l’échelon européen, notamment pour la mise en œuvre du mécanisme de protection civile de l’Union européenne (MPCU).
ii. Au ministère de l’Europe et des affaires étrangères
La sécurité individuelle et collective des Français est cordonnée, lorsqu’ils se trouvent hors du territoire national, par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères.
Le Centre de crise et de soutien (CDCS) est une structure née en 2009 après le constat d’une insuffisance au sein du ministère. Son action comprend deux volets principaux. D’abord, s’agissant de la protection individuelle, le CDCS doit gérer les crises consulaires – c’est-à-dire affectant nos compatriotes de l’étranger – traiter les affaires individuelles ainsi que les actes terroristes ou encore les prises d’otages et veiller à informer les Français à l’étranger.
S’agissant du volet collectif, le CDCS est chargé d’apporter la réponse de la France en matière d’aide humanitaire ou des programmes de stabilisation. Le CDCS est le gestionnaire du fond d’urgence humanitaire doté de crédits budgétaires qui permettent de financer les actions humanitaires, lesquels sont en augmentation dans la loi de finances initiales pour 2022.
2. Une comparaison européenne contrastée
a. La diversité relative des modalités d’organisation
Les modèles de services d’incendie et de secours varient entre les pays européens, dans leurs modalités comme dans les missions assurées.
En Allemagne, la lutte locale contre les risques relève de la compétence des communes, la protection contre les catastrophes de la compétence des Länder, et la protection civile, entendue comme la protection contre les risques liés à la guerre, de la responsabilité de l’État fédéral. Ce système interdépendant est résumé par le concept de protection de la population (Bevölkerungsschutz), dont est chargé le BBK, administration fédérale dépendant du ministère de l’intérieur dont le siège est à Bonn.
À l’échelle du pays, 80 000 secouristes bénévoles sont engagés au sein du Technisches Hilfswerk (THW), agence fédérale participant à la réponse aux catastrophes. Par ailleurs, les associations de sécurité civile comptent environ 600 000 personnes. La protection de la population allemande est, grâce à ces structures, particulièrement performante ([13]).
En Grèce, il existe un corps de pompiers professionnels complété par des pompiers en contrats courts, recrutés pour les périodes estivales pour répondre aux spécificités des risques d’incendie, qui s’ajoutent au risque sismique auquel est confrontée la région. Le pays entend également se doter d’un corps de volontaires citoyens, axe de développement majeur pour les années à venir.
Le constat avait été fait en 2016 d’un déficit d’expertise et d’un sous-investissement manifeste en matière de protection civile, lié à la grave crise économique. Depuis, une coopération bilatérale a permis de mobiliser l’expertise française au service de la montée en compétences des services grecs ([14]).
À la suite des méga-incendies de l’été 2021, qui ont constitué un nouveau traumatisme pour la Grèce après celui de l’incendie de Mati en 2018, un ministère de plein exercice a été créé début septembre 2021, avec un portage politique particulièrement intéressant puisqu’il prend le nom de ministère de la crise climatique et de la protection civile. Confié à M. Christos Stylianides, ancien commissaire européen d’origine chypriote, ce ministère succède au secrétariat d’État à la protection civile, qui était jusqu’alors rattaché au ministère de la protection du citoyen, lequel gère les questions de sécurité.
La Hongrie et la République tchèque se distinguent par l’emploi exclusif de militaires afin d’assurer les missions de sécurité civile ([15]). A contrario, à Chypre, les ressources de la sécurité civile dépendent de trois ministères : ministère de l’intérieur, ministère de la justice et de l’ordre public, mais aussi ministère de l’agriculture, dont le département des forêts est l’acteur principal de la lutte contre les feux ([16]).
En Roumanie, les sapeurs-pompiers étaient historiquement des militaires rattachés au ministère de la défense. En 2004, civils et militaires ont été rattachés à l’Inspection générale de la sécurité civile (IGSU), qui est une structure militaire sous tutelle du ministère des affaires intérieures, à l’instar de la gendarmerie française.
Les missions des sapeurs-pompiers ont beaucoup évolué : sur le modèle soviétique, ils étaient auparavant mobilisés uniquement sur les feux et les catastrophes naturelles. À partir de 1990, en s’inspirant des modèles français et allemand, les compétences de soins intensifs et de premier secours ont été développées. La protection civile et les services d’urgence sont regroupés sous la même autorité. Désormais, 85 % des interventions des sapeurs-pompiers correspondent à des activités de secours à personne, une proportion similaire à la France ([17]).
Notons qu’au Danemark, où une organisation militaire, le DEMA, est chargée de la protection civile sur l’ensemble du territoire national, les communes ont la faculté de recourir à des sapeurs-pompiers privés, gérés par la société Falck. Cette organisation est très éloignée de la conception française du service public de lutte contre les incendies et de secours à personne et ne constitue aucunement un modèle à suivre.
Le cas de la Suède, où la protection civile est très largement déléguée aux 291 « communes » qui constituent le pays, fait l’objet de développements ci-après.
b. Des différences politiques de conception
La position française en matière de protection civile est plutôt proactive. Cette compétence est certes considérée comme régalienne et relevant de la souveraineté nationale. Cependant, la France est traditionnellement en faveur des progrès dans le cadre du MPCU, dont la construction était initialement purement intergouvernementale puisque fondée sur des contributions nationales volontaires (voir infra).
L’Allemagne diverge souvent de la position française dans les négociations, en insistant sur le principe de subsidiarité là où la France est en faveur de la solidarité. Par ailleurs, elle se montre réticente à l’intégration des pays des Balkans occidentaux dans le MPCU ([18]).
La France soutient une couverture territoriale large pour la protection civile européenne, pour plusieurs raisons. D’abord, des ressortissants ou résidents européens peuvent être affectés par des crises hors de l’Union, comme lors du tsunami en Asie du Sud-Est de 2004. De plus, la France est alignée avec la conception de l’Union européenne qui veut que la solidarité avec les populations affectées par les catastrophes soit un domaine relativement neutre. Elle peut permettre une forme de soft power ([19]) ou le maintien d’un lien malgré des tensions diplomatiques ([20]). Ainsi, le MPCU a d’abord, mais pas seulement, vocation à se déployer sur le territoire des États membres.
La valeur maîtresse de la protection civile européenne, qui anime les travaux de la DG ECHO, est la solidarité. Les États membres travaillent globalement en bonne intelligence, malgré des dossiers prioritaires qui peuvent diverger. La dernière révision du MPCU, qui a conduit à l’adoption d’un règlement au printemps 2021 ([21]), en est un exemple emblématique dans la mesure où elle a abouti en quatorze mois seulement, alors que la pandémie sévissait au même moment.
Le système de sécurité civile français, c’est-à-dire le volet de la protection civile organisé par la puissance publique, repose sur l’engagement de nombreux volontaires sur l’ensemble du territoire, ce qui forme le caractère unique de cette politique publique.
1. La place des volontaires en France
a. Un rôle pilier dans la protection civile française
i. Indispensable au maillage territorial
En France, le maillage territorial est actuellement constitué de 6 145 centres de secours. La Fédération nationale des sapeurs-pompiers déplore cependant la fermeture de 2118 centres depuis 2013, qui s’est nécessairement traduite par une dégradation de la couverture opérationnelle : dans le même temps, les temps d’intervention ont augmenté de 2 minutes et 7 secondes ([22]).
La part très majoritaire des volontaires dans les effectifs de sapeurs-pompiers en France les rend indispensables à l’organisation des SIS, dans un pays qui se caractérise par une relative faible densité de population, due notamment aux territoires ruraux.
L’organisation du SDIS des Deux-Sèvres illustre l’importance de ce rôle. Si le centre de secours de Bressuire comporte des professionnels et des volontaires, les centres de première intervention (CPI) répartis sur le territoire fonctionnent exclusivement grâce aux volontaires. Symétriquement, dans le Puy-de-Dôme, la compagnie d’Ambert, qui couvre un arrondissement de près de 30 000 habitants, compte 15 centres d’intervention et de secours en complément du centre d’Ambert ; celui-ci regroupe quatre professionnels, dont un lieutenant faisant fonction de chef de compagnie sur le territoire. Les volontaires sont au nombre de 320.
ii. Complémentaire des professionnels
Sapeurs-pompiers professionnels et volontaires travaillent côte à côte, puisqu’ils sont mobilisés, à des degrés divers et selon les départements, pour :
– les interventions ;
– des astreintes, qui correspondent à des périodes impliquant l’obligation de demeurer à son domicile ou à proximité immédiate, afin d’être en mesure d’intervenir rapidement ;
– des gardes, périodes continues de 12 ou 24 heures, qui peuvent se dérouler au centre de secours et impliquent l’affectation prioritaire aux missions opérationnelles.
À ces activités s’ajoutent les formations, manœuvres et exercices, mais aussi les travaux d’entretien des matériels et engins, ainsi que les tâches administratives ou d’encadrement éventuel. Les volontaires peuvent également accéder aux grades d’officier.
Les rencontres menées par les rapporteurs auprès de sapeurs-pompiers professionnels comme volontaires ont mis en avant une grande complémentarité et une relative absence de concurrence entre les statuts.
Les volontaires assurent 66 % du temps d’intervention ([23]). En tout état de cause, cette activité ne saurait être absorbée par les sapeurs-pompiers professionnels à moins d’une augmentation drastique des effectifs, que les organisations syndicales appellent de leurs vœux. Augmenter le nombre de professionnels ne remplacerait cependant pas la diffusion des compétences de secours à la personne dans la population générale (par le biais des volontaires dans leur environnement immédiat) qui est un atout lié à leur nombre. Le modèle de volontariat doit donc être préservé et promu, le cas échéant en l’adaptant.
b. Le modèle du volontariat est affaibli
i. Difficultés inhérentes au modèle
La part importante de volontaires dans l’organisation de la sécurité civile entraîne certains inconvénients dans la gestion des effectifs, car ils ne sont pas soumis aux mêmes sujétions que des fonctionnaires. En cas de crise majeure, les volontaires n’ont pas vocation à mettre leur engagement au-dessus de leur intérêt personnel, contrairement aux professionnels.
Par définition, les sapeurs-pompiers volontaires ne font pas de leur engagement leur activité principale, bien que des périodes de chômage, par exemple, puissent conduire à moduler leur disponibilité à la hausse.
Le volontariat implique une période de formation, qui nécessite souvent la mobilisation de week-ends ou de périodes de vacances. Pour les interventions, le système repose essentiellement sur la déclaration de plages horaires durant lesquelles les personnes peuvent se rendre disponibles.
La question de l’articulation avec le temps de travail se pose rapidement. Conformément à l’article L.723-11 du code de la sécurité intérieure, les SIS mettent en place des conventions avec les entreprises pour fluidifier le partage d’information et limiter les difficultés lorsque les volontaires doivent s’absenter de leur poste, ce qui, en particulier à certaines fonctions (travail en équipe ou à la chaîne), peut être considéré comme trop coûteux pour l’employeur.
La loi du 25 novembre 2021 (dite « Matras ») crée un label « employeur partenaire des sapeurs-pompiers » pour les employeurs privés ou publics ayant conclu une telle convention. Cette nouveauté témoigne, entre autres, de la volonté du législateur de revaloriser le volontariat.
La France fait reposer son système sur le volontariat, bien que cette filière de recrutement soit en crise, sous l’effet de multiples facteurs.
L’avènement de la société de loisirs entraîne une moindre propension à donner de son temps au service de la collectivité, ou selon des modalités qui conviennent mieux à l’articulation avec une vie personnelle et familiale. Cette aspiration légitime se heurte à la nécessité de mobiliser des plages horaires importantes pour les formations et les gardes, parfois postées (voir infra).
La faible indemnisation du volontariat a rarement été évoquée par les sapeurs-pompiers auditionnés, la plupart mettant en avant la fierté liée à leur engagement. Cependant, force est de constater qu’une compensation inférieure au SMIC ne participe pas de l’attractivité de la fonction.
La dimension de cette crise peut être mesurée à la baisse du nombre de volontaires, qui atteint près de 7 % au cours des quinze dernières années ([24]), ainsi que par la comparaison : si le nombre de sapeurs-pompiers autrichiens était transposé à la France, notre pays disposerait de 1 675 000 sapeurs-pompiers soit près de sept fois plus, dont 94,3 % de volontaires ([25]).
La question du volontariat n’est pas seulement une question de fond relative à l’organisation des services d’incendie et de secours. Elle fait également l’objet d’une actualité européenne qui nécessite de remettre en question certaines modalités d’organisation.
a. Le droit de l’Union européenne encadre le temps de travail des volontaires
i. L’inquiétude autour de l’arrêt Matzak
La Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu un arrêt très commenté relatif au temps de travail des sapeurs-pompiers volontaires. Analysant les contraintes réelles qu’impliquent les gardes, elle qualifie une situation dans laquelle le volontaire doit répondre en 8 minutes à des sollicitations depuis son domicile comme équivalente à du temps de travail. Cette solution implique l’application de la directive européenne relative au temps de travail ([26]).
La Cour a précisé sa jurisprudence à propos des périodes d’astreinte et de repos. Elle a aussi étendu sa réflexion aux militaires, affirmant que son appréciation du temps de travail se fait au regard des conditions d’exercice des activités, et non du statut (pour un résumé des récentes affaires, voir en annexe).
L’arrêt Matzak
L’arrêt Rudy Matzak c/ Ville de Nivelles, rendu par la CJUE le 21 février 2018 ([27]), répond à des questions préjudicielles de la Cour du travail de Bruxelles concernant la demande d’un pompier volontaire dans la ville de Nivelles (Belgique) de comptabiliser les heures qu’il effectue en période de garde, à domicile, comme du temps de travail et non comme une période de repos, en raison du caractère contraignant du délai de réponse de 8 minutes lui étant imposé. La Cour du travail de Bruxelles pose également la question de l’application du statut de travailleur aux sapeurs-pompiers volontaires et celle de la rémunération du temps de travail, le cas échéant.
La directive 2003/88 relative à l’aménagement du temps de travail consacre un caractère mutuellement exclusif à la notion de temps de travail et à celle de période de repos, obligeant la CJUE à trancher sur la nature de l’activité du travailleur.
Tout d’abord, la Cour assimile le temps de volontariat des sapeurs-pompiers à du temps de travail. Selon la CJUE, la notion de travailleur en droit de l’Union est autonome et « ne saurait recevoir une interprétation variant selon les droits nationaux ». De ce fait, les sapeurs-pompiers volontaires relèvent, selon la Cour, du champ d’application de la directive européenne 2003/88 relative au temps de travail.
Ensuite, la Cour juge qu’une période de garde à domicile doit être considérée comme du temps de travail, si les conditions de réponse définies par son employeur sont de nature à « restreindre très significativement les possibilités d’avoir d’autres activités ». Même si le délai de réponse de 8 minutes est considéré comme suffisamment restrictif pour retenir la qualification de temps de travail dans cette affaire, la Cour ne donne pas de critère objectif afin de définir plus généralement une « restriction significative ».
Enfin, la CJUE précise qu’elle ne saurait se prononcer sur la notion de rémunération : « la directive 2003/88, fondée sur l’article 153, paragraphe 2, TFUE, n’aurait pas vocation à s’appliquer, en vertu du paragraphe 5 du même article, à la question de la rémunération des travailleurs tombant dans son champ d’application ».
La directive en cause prévoit une limite hebdomadaire de temps de travail, mais aussi l’obligation de durées de repos. Or, les sapeurs-pompiers volontaires exercent majoritairement une activité professionnelle à titre principal. La mise en œuvre du droit de l’Union européenne en France impliquera une importante réduction de leur disponibilité, qui se concentrera alors plutôt sur les week-ends et vacances scolaires.
Cet arrêt a suscité une émotion importante. Le président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers (FNSP), le contrôleur général Grégory Allione, a souligné le risque de fragilisation de l’ensemble du système français, qui fonctionne largement avec le concours des sapeurs-pompiers volontaires, comme développé précédemment. Cependant, la DGSCGC a rappelé le dialogue constructif engagé avec la Commission européenne à propos les conséquences de l’arrêt sur le volontariat français, qui s’est traduit « par l’obtention d’une lettre dite de confort confirmant la validité du modèle de Sécurité civile français avec les règles européennes et l’absence d’interprétation de portée générale, mais bien une appréciation au cas par cas, de la situation des sapeurs-pompiers volontaires ([28]) ».
ii. Une nécessaire remise en perspective
Vos rapporteurs souhaitent formuler plusieurs réflexions dans le débat nourri sur les suites de l’arrêt Matzak.
La première tient à l’improbabilité de bloquer l’évolution amorcée : le droit européen dérivé a une valeur obligatoire, pour toutes les juridictions nationales, tel qu’interprété par la Cour de Justice, laquelle a donné un mode d’emploi relativement clair pour définir ce qui relève ou non du temps de travail. Le Conseil d’État, saisi de la question de l’applicabilité de la directive au temps de travail des gendarmes, relevant d’un statut militaire, a admis l’applicabilité de la limite hebdomadaire de 48 heures de travail aux gendarmes, tout en considérant que les conditions concrètes d’organisation des astreintes ne doivent pas conduire à les inclure dans ce décompte ([29]). Le juge français a fait sienne l’interprétation de la Cour de Justice, qui laisse des marges de manœuvre dans l’organisation des services.
La seconde tient au fondement de cette évolution. Les limitations relatives au temps de travail sont un acquis social minimal et assurent la protection de la santé du travailleur. Dans le cas des activités de lutte contre les incendies et de secours à personne, il en va également de la sécurité collective : un bon pompier ne saurait être un pompier épuisé.
Symétriquement, une nuit de garde ou d’interventions ne devrait pas être suivie d’une journée de travail. L’exemple topique en la matière est celui du volontaire qui prendrait son service en tant que chauffeur de car scolaire sans avoir bénéficié d’une période de repos. L’applicabilité de la directive apparaît aussi comme justifiée au regard de l’intérêt général. À ce stade, l’enchaînement d’une garde et d’une journée de travail ne fait l’objet d’aucune interdiction réglementaire ; elle est simplement « déconseillée en pratique », selon les observations recueillies auprès des sapeurs-pompiers des Deux-Sèvres.
b. En cohérence, certaines pratiques doivent évoluer
La sauvegarde du volontariat implique d’intégrer les alertes du juge européen sur les pratiques nationales. À défaut, c’est tout le modèle qui risque d’être remis en question.
La Belgique s’est déjà engagée dans une évolution, qui lui est apparue nécessaire, de ses pratiques à l’égard des sapeurs-pompiers volontaires. Elle a mis fin à une organisation en gardes obligatoires qui conduisait les volontaires, une semaine sur quatre, à devoir être disponibles en tout temps, sauf impératif professionnel, tant pour les missions urgentes que non urgentes.
L’évolution des pratiques répondait à un souci simple : « on pourrait considérer qu’il ne s’agirait plus d’un engagement citoyen volontaire mais bien d’une relation de travail ([30]) ». Une première alerte avait été donnée par la Cour du travail de Bruxelles dans un arrêt du 6 août 2013 ([31]), attirant déjà l’attention des services belges sur cette question avant que la CJUE ne suive un raisonnement analogue. Notons qu’à la suite de la réponse donnée par la CJUE à la question préjudicielle posée dans l’arrêt Matzak précité, la Cour du travail de Bruxelles s’est ralliée à cette interprétation dans un arrêt du 20 janvier 2020 ([32]).
Ce système a été remplacé par une solution informatisée permettant au pompier volontaire de faire part, en temps réel, de ses plages horaires de disponibilité ou d’indisponibilité.
En Finlande, la cour suprême a jugé dès 2015 qu’une astreinte comprenant un délai d’intervention de cinq minutes correspondait à du temps de travail. Depuis, les règles ont évolué pour que les astreintes des pompiers impliquent un délai d’intervention de 15 minutes ; elles sont désormais considérées comme du temps de repos ([33]).
Les conséquences qu’entraîne le droit européen sur l’organisation nationale de la sécurité civile paraissent difficilement surmontables car elles se heurtent à des pratiques ancrées ; néanmoins, l’État a la responsabilité de les faire évoluer.
Selon M. Frédéric Monchy, président du syndicat SNSPP-PATS, les arrêts Matzak et Offenbach (voir en annexe) de la Cour de Justice « sont le fruit des abus que les SDIS ont mis en œuvre ([34]) ». Bien qu’il s’agisse de cas d’espèce étrangers, ils inquiètent en France dans la mesure où les pratiques mises en cause sont transposables à nos services.
Ainsi, il appartient à la France de prendre acte de l’évolution amorcée sous l’effet des arrêts de la Cour et de s’adapter à la conception du temps de travail qu’elle y développe sans attendre une condamnation. Cette adaptation devrait prendre la forme d’une réglementation s’imposant à tous les SDIS.
Une évolution importante consisterait à limiter le recours aux gardes postées demandées aux sapeurs-pompiers volontaires. La présence sur le lieu de travail, associée à une demande de disponibilité qui se compte généralement en minutes, entraîne, selon la grille de lecture de la Cour, une présomption (quoique réfragable) de temps de travail. Si des volontaires sont amenés à en assurer, il appartiendra au directeur du service d’incendie et de secours de l’organiser en ménageant un temps de repos. Les conventions avec les employeurs sont ici amenées à jouer un rôle d’autant plus important.
L’évolution réglementaire doit se faire dans une démarche dite « bottom‑up », en partant des constats du terrain ; c’est la méthode retenue par la DGSCGC.
Proposition n° 1 : Faire évoluer l’encadrement réglementaire des activités des sapeurs-pompiers volontaires.
II. Dans la réponse aux crises, la France fait preuve d’un engagement remarquable au sein de l’Union européenne
La protection civile est une compétence d’appui de l’Union européenne ([35]), ce qui signifie, conformément à l’article 6 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), que l’UE ne peut intervenir que pour soutenir, coordonner ou compléter les actions des États membres, sans que cette action puisse consister en une harmonisation des dispositions législatives et réglementaires nationales.
A. Une politique de protection civile, liée aux enjeux de souveraineté, qui évolue par NÉCESSITé
La mise en commun de capacités opérationnelles liées à la protection civile n’allait pas de soi. Créé en 2001 ([36]), le mécanisme de protection civile de l’Union européenne (MPCU) avait pour objectif de fournir aux pays participants ([37]) les moyens de s’entraider ou de prêter assistance aux pays tiers.
1. Une politique qui repose sur la préparation nationale
Le fonctionnement initial du MPCU reposait sur une assistance mutuelle entre États membres via des offres spontanées. Après une première modification de la décision institutive en 2007, l’importante révision de 2013 l’a fait évoluer vers une politique plus intégrée, mais qui fonctionne toujours essentiellement grâce aux moyens nationaux.
a. La réserve européenne de protection civile
La grande évolution résultant de la décision n° 1313/2 013/UE du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 relative au mécanisme de protection civile de l’Union est la création de la réserve européenne de protection civile.
Elle regroupe des ressources pré-engagées par les États pour faire face à des sinistres à l’intérieur et à l’extérieur de l’UE. Elle vise à offrir une réponse européenne coordonnée, prévisible, efficace et rapide.
25 pays participent à la réserve ([38]). Les ressources peuvent être, par exemple, des équipes de secours médicales, des experts, des services de transport et d’évacuation, du matériel spécialisé ou encore des avions. Pour faire partie de la réserve, ces modules ([39]) doivent être rapidement mobilisables en cas de catastrophe, quelle qu’en soit l’origine naturelle ou humaine.
La mobilisation se fait par l’intermédiaire du MPCU et exclusivement pour des opérations de réaction. Une procédure de certification et d’enregistrement par la Commission européenne permet de garantir des normes communes élevées et l’interopérabilité des équipes. La réserve comprend 113 modules, dont 18 sont armés par la France. Actuellement, la plupart de ces modules relèvent des unités militaires, les FORMISC (cf. développements précédents) ; un levier important de participation accrue à la réserve consisterait à impliquer davantage les SDIS, sur lesquels est fondé l’essentiel de la réponse nationale.
Le travail de certification des modules est long et coûteux en travail administratif, ce qui est un frein à la bonne consommation des crédits ([40]). Cependant, il peut aussi permettre de monter en compétence et de moderniser les équipements, dans la mesure où la mise en conformité implique des subventions.
En effet, la Commission européenne apporte un soutien financier en cas de mobilisation (75 % des frais de déploiement et d’opération des capacités de la réserve) ou d’entretien des capacités de la réserve.
Le système commun de communication et d’information d’urgence (CECIS) avait été instauré en 2007. Il s’agit d’une application d’alerte et de notification en ligne permettant l’échange d’informations en temps réel.
Le Centre de coordination de la réaction d’urgence (ERCC), également créé en 2013, est quant à lui l’outil de pilotage essentiel du MPCU et son bras opérationnel.
Il réalise une veille permanente des risques : trois agents de permanence y travaillent en journée et deux la nuit. L’équipe comporte une quarantaine de personnes au total. Ainsi, en cas de problème, la DG ECHO contacte les États membres avant même qu’ils se manifestent afin de proposer son aide. L’ERCC dispose pour ce faire d’outils de suivi, comme le global disaster alert and coordination system (GDACS), le European flood awareness system (EFAS) ou encore meteoalarm pour faire le suivi météorologique. Le centre gère également les demandes, l’acquisition et la fourniture de cartes satellitaires par l’intermédiaire du service Copernicus de gestion des urgences, en continu.
Le MPCU doit néanmoins être activé pour intervenir, y compris sur le territoire européen, car les pays restent souverains dans leur décision de déclencher ou non la demande d’aide. Elle peut émaner des autorités nationales du pays concerné ou d’un organe des Nations unies.
La plateforme coordonne et affine les demandes d’aide d’urgence selon les besoins exprimés. Les besoins exprimés font l’objet de réponses d’États prêts à intervenir, qui doivent ensuite être acceptées par le pays demandeur. Lors de la demande de soutien réalisée par la Lituanie en juillet 2021 pour faire face à l’arrivée importante de demandeurs d’asile sur son territoire, 19 États membres ont répondu ; la proposition allemande a été refusée car elle n’était plus nécessaire ([41]).
Les demandes peuvent émaner des États membres comme des pays tiers. Lors de la visite des rapporteurs au centre, le 30 septembre 2021, quarante demandes d’assistance émanant d’États tiers étaient en cours. Une réponse ne peut pas être garantie, dans la mesure où elle dépend des ressources nationales mises à disposition.
De plus, la projection hors du territoire européen est nécessairement plus complexe et comprend une dimension politique. Ainsi, après l’explosion au port de Beyrouth le 4 août 2020, la France a choisi de ne pas répondre à la demande d’assistance du Liban par l’intermédiaire de l’ERCC, mais plutôt d’apporter directement une aide d’origine exclusivement française.
Au demeurant, des rapports bilatéraux peuvent compléter une saisine de l’ERCC afin de bénéficier de l’aide européenne. À titre d’exemple, dans le cadre des inondations survenues en Belgique à l’été 2021, les équipes intervenues via le MPCU provenaient essentiellement de pays frontaliers, du Benelux et de France.
Les représentants auditionnés de la Direction de la sécurité civile belge ont souligné la qualité des relations interpersonnelles entre les services belges et français, qui permettent d’alerter des homologues sur un besoin de solidarité tout en passant par l’ERCC afin d’éviter les doublons et bénéficier du soutien financier de la Commission européenne ([42]). Le fait que les services passent par le MPCU malgré leur proximité, y compris dans un cadre transfrontalier, est aussi un gage de rapidité de traitement des demandes et d’efficacité à mettre au crédit de l’ERCC.
FEux de forêt et réponses du MPCU en Europe depuis le 1er juillet 2021
Cette carte met en évidence l’aide mutuelle que se sont portée les États membres au cours de cet été particulièrement chaud et sec. Pour exemple, la première activation du mécanisme a été faite par Chypre début juillet ; la Grèce a répondu. Lorsque la Grèce a sollicité le MPCU en août, Chypre a fait partie des onze États, dont la France, ayant répondu à la demande diffusée par l’ERCC.
2. Le MPCU s’est fait dans les crises
« J’ai toujours pensé que l’Europe se ferait dans les crises, et qu’elle serait la somme des solutions qu’on apporterait à ces crises ([43]). » Cette phrase célèbre de Jean Monnet trouve particulièrement à s’appliquer dans le cas de la protection civile, qui a toujours progressé à la suite de catastrophes auxquelles les États membres auraient voulu mieux savoir faire face.
a. La solidarité face aux catastrophes de grande ampleur
Le constat qu’une entraide est nécessaire se fait à chaque activation du MPCU. Deux exemples sont particulièrement éloquents en ce qu’ils ont accéléré l’intégration européenne de la réponse aux crises.
i. La création du corps médical européen
Le corps médical européen (CME) a été créé au lendemain direct de la crise liée au virus Ébola en Afrique de l’Ouest en 2014. Le manque aigu d’équipes médicales formées a démontré l’importance de mieux coordonner la réponse internationale sur les urgences sanitaires. La Commission européenne a lancé cette initiative en février 2016, alors qu’une épidémie de virus Zika commençait à se répandre en Amérique latine.
Intégré à la réserve volontaire du MPCU, le CME permet le déploiement rapide d’équipes et de matériel des États membres en vue d’apporter un soutien médical et une expertise en santé publique aux interventions d’urgence, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’UE. Les équipes intégrées au corps médical européen sont soumises à un processus de certification et leur mise à niveau fait l’objet de subventions européennes. L’UE prend ensuite en charge 75 % des frais de transport et des coûts opérationnels ([44]).
La première mission du CME a été effectuée en Angola, dans le cadre d’une épidémie de fièvre jaune, en mai 2016 ([45]).
ii. La prise de conscience des risques liés à d’importants feux de forêt sur le territoire européen
Les pays scandinaves étaient historiquement moins allants pour l’intégration des moyens de la protection civile dans l’Union européenne, considérant que les feux de forêt, qui constituaient alors la majorité des interventions, concernaient avant tout les pays du Sud.
Le cas de la Suède est particulièrement éclairant. Dans les années 2000, le MSB, agence gouvernementale chargée de la protection civile, avait retiré le module relatif aux feux de forêt de sa formation et laissé à l’échelon communal le soin de former les personnels en fonction des risques locaux.
En 2014, un incendie dans la région de Västmanland a agi comme un premier déclencheur. Le feu a atteint des proportions importantes du fait de la désorganisation des services de secours et des pertes humaines en ont résulté ([46]). Des lacunes dans la gestion de l’urgence et un manque de connaissances dans l’activation du MPCU ont été décelés. En effet, l’aide étrangère est alors arrivée beaucoup trop tard pour être réellement utile.
De nouveaux feux de forêt très importants en 2018, qui ont ravagé près de 250 000 hectares, ont conduit au déploiement, pour la première fois, de soutien du MPCU sur le sol suédois. Il est remarquable que ces forces aient d’ailleurs été déployées en anticipation, témoignant cette fois d’une montée en compétences dans la maîtrise des processus liés à l’activation du mécanisme. Comme le soulignait Mme Anna Henningsson, directrice du service de secours d’Östra Blekinge : « la Suède a appris à demander de l’aide ([47]) ».
Enfin, la création de rescEU est la conséquence directe des incendies dramatiques ayant fait une soixantaine de morts en 2017 au Portugal. Plusieurs demandes d’assistance n’avaient alors pas reçu de suite ([48]), faute de moyens disponibles chez les autres États membres. La nécessité d’une capacité européenne supplémentaire est alors apparue.
Il est regrettable que ces épisodes meurtriers aient été nécessaires pour déclencher une prise de conscience, au niveau national dans le cas de la Suède ([49]) et au niveau européen dans le cas du Portugal. Vos rapporteurs souhaitent insister sur la nécessité de tirer les leçons du passé, en commençant par les États membres, qui sont au cœur de l’architecture du MPCU.
Sur ce point, il faut souligner la proactivité de la Roumanie. À l’initiative du secrétaire d’État à la protection civile, M. Raed Arafat, le pays a réalisé en 2017 un inventaire des risques et des besoins, et investi 800 millions d’euros dans la mise à niveau de son système de protection civile. La volonté de faire progresser le volontariat, qui implique une évolution des mentalités, existe également au niveau politique.
Proposition n° 2 : Renforcer les capacités nationales sans attendre qu’elles soient prises en défaut par une crise.
La protection civile étant une compétence d’appui, la Commission ne détient pas à ce jour de moyens propres. Cependant, il existe désormais une réserve européenne constituée de moyens détenus par les États et dont l’affectation est gérée par la DG ECHO selon les besoins à l’échelle de l’Union européenne.
La création d’une réserve spécifique de capacités de réaction contrôlée par l’Union européenne a été imaginée par la Commission européenne dans une proposition de révision du MPCU présentée en novembre 2017. La décision d’exécution (UE) 2019/570 du 8 avril 2019, qui définit la composition initiale de rescEU et les exigences de qualité y afférentes, oriente les capacités essentiellement sur la lutte aérienne contre les feux de forêts.
La réponse aux pandémies entre dans le champ des missions de la protection civile. La crise liée à la pandémie de covid-19 a eu des conséquences législatives concrètes à travers la révision, adoptée en mai 2021, de la décision 1313/2 013 qui instituait le mécanisme de protection civile de l’Union (voir infra). L’enjeu était de permettre de mieux répondre aux urgences à grande échelle et transfrontalières.
Face à la pandémie, la réserve a été étendue de façon urgente, même si des réflexions étaient déjà en cours sur son extension. Des équipements médicaux tels que des ventilateurs, des équipements de protection individuelle, des vaccins, des produits thérapeutiques ainsi que des fournitures de laboratoire ont été achetés par la Commission européenne et stockés sur les territoires d’États membres qui s’étaient portés candidats.
Un accord a été trouvé en février 2021 entre le Parlement et le Conseil, permettant l’adoption du règlement (UE) 2021/836 du 20 mai 2021 modifiant la décision n° 1313/2 013/UE relative au mécanisme de protection civile de l’Union. Grâce à cette évolution, la Commission européenne peut élargir sa capacité de réponse dans les domaines du transport et de la logistique et faire face à des situations d’urgence à travers l’acquisition directe de capacités supplémentaires au titre de rescEU.
Les moyens acquis dans le cadre de rescEU appartiennent aux États membres mais sont financés par l’Union européenne. Ce taux de financement, initialement de 90 % des coûts, a été rehaussé à 100 % à compter d’avril 2021.
RescEU dispose de centres de distribution stratégiques dans neuf États membres (cf. carte ci-dessous). La Commission européenne ne dispose en effet pas de lieux de stockage propres et doit obtenir l’accord des États pour qu’ils gèrent des centres logistiques ou entretiennent des matériels pour le compte du MPCU.
La Commission a été particulièrement active durant la pandémie avec la distribution de plus de 3,5 millions de masques de protection, ainsi que des ventilateurs et d’autres équipements sanitaires. La réserve est en constante reconstitution.
Stocks de rescEU de matériels en lien
avec la réponse à la pandémie de covid-19
Cette carte présente la nature et la quantité de matériels stockés, ainsi que les pays ayant bénéficié de ces stocks (en jaune). La Serbie, membre du MPCU, a été la première destinataire de l’aide médicale, principalement sous forme de gants et masques.