N° 4968

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 26 janvier 2022.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA MISSION D’INFORMATION ([1])
sur le rôle et l’avenir des commerces de proximité dans l’animation
et l’aménagement des territoires

 

AU NOM DE LA COMMISSION DU DÉVELOPPEMENT DURABLE
ET DE L’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE

ET PRÉSENTÉ PAR

M. Emmanuel MAQUET,
Président,

ET

Mme Sandra MARSAUD,

Rapporteure,

Députés.

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La mission d’information sur le rôle et l’avenir des commerces de proximité dans l’animation et l’aménagement des territoires est composée de : M. Emmanuel Maquet, président ; MM. Jean-Claude Leclabart et Gérard Leseul, Mmes Claire O’Petit et Valérie Petit, vice-présidents, Mme Sandra Marsaud, rapporteure ; Mme Sylvie Bouchet-Bellecourt, MM. Guy Bricout, Stéphane Buchou, Paul-André Colombani, Mme Nadia Essayan, MM. Yannick Haury, Fabien Lainé, Mme Nathalie Porte, M. Loïc Prud’homme, Mme Marie Silin, MM. Sylvain Templier et Hubert Wulfranc.


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SOMMAIRE

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Pages

Synthèse du rapport

avant-propos du prÉsident

introduction

PREMIÈRE PARTIE :  la localisation des commerces de proximitÉ

I. les formes variÉes du commerce de proximitÉ

A. Rappel du poids du commerce dans l’économie

B. Une définition liée au mode de vie des Français

1. Différentes définitions

2. Une notion qui relève du mode de vie

II. Une implantation territoriale inÉgale

A. Un solide maillage territorial

1. Typologie des commerces les plus proches des consommateurs

2. Une dévitalisation commerciale croissante des centres-villes dans les années 2010-2020

3. Des périphéries également en crise

4. L’importance des pôles de commerce

5. Évolution de la localisation du commerce de proximité

a. Le maintien des commerces de centre-ville dans les grandes villes et les villes touristiques

b. La déprise du commerce de proximité dans les centres-villes des villes de taille intermédiaire

c. Le déclin des commerces de proximité en milieu rural

6. Évaluation de la proximité de la desserte commerciale selon les secteurs et les régions

a. La part des dépenses effectuées localement

b. Temps moyen que met la population pour se rendre dans des commerces

c. Déclinaison des temps de trajet par régions

B. Un maillage renforcé par une image positive

1. Les attentes envers le commerce de proximité

2. Autant de commerces de proximité que de micro-marchés

3. Le marché de plein air, symbole de la convivialité et de la proximité

C. Le reflet de la démographie et de la sociologie d’un territoire

1. Un lien entre évolution de la démographie et du commerce de proximité qu’il importe de nuancer au niveau infra-départemental

2. Des fragilités socio-économiques qui aggravent la déprise

3. Le départ des services et équipements publics

III. La localisation des commerces

A. L’évolution du commerce s’analyse à l’échelle infra-départementale

1. Le commerce suit le bassin de population

2. Une réalité à nuancer selon les secteurs d’activité

3. L’absence de lien systématique entre les évolutions du commerce en centre-ville et en périphérie

4. Le renouvellement permanent de l’offre commerciale

a. Le commerce franchisé

b. Les boutiques à l’essai

B. L’enjeu de l’omnicanalité

1. Omnicanalité et proximité

2. Un impact positif sur le chiffre d’affaires, mais de nouveaux coûts

a. Un impact positif sur le chiffre d’affaires

b. De nouveaux coûts et des obligations spécifiques à la digitalisation

c. Les perspectives de croissance de la digitalisation du commerce

3. Le cas particulier du secteur de la restauration

a. L’accélération d’un changement de mode de consommation

b. La modification de la chaîne de valeur

c. L’essor des cuisines-fantômes

C. Les flux logistiques et le rôle des entrepôts

DEUXIÈME PARTIE : la nécessité de politiques volontaristes

I. À questions locales, rÉponses locales

A. LE RÔLE RESPECTIF DES DIFFÉRENTS ÉCHELONS TERRITORIAUX

1. La compétence générale des intercommunalités

2. La région en appui au développement économique

3. Le département : un appui au titre de la solidarité territoriale

B. agir sur l’offre fonciÈRE

1. L’intérêt des sociétés foncières locales

2. La difficulté d’agir sur les friches commerciales

3. Recourir à la taxe sur les friches commerciales pour instaurer un dialogue avec les propriétaires

C. vers la gouvernance partagÉe entre Élus et commerçants ?

1. Éviter de faire reposer la vitalité commerciale d’une ville sur les seuls commerçants

2. Mieux coordonner l’action des acteurs du commerce

3. Les managers de centre-ville, une profession émergente

D. Le secteur coopÉratif

1. Panorama du mouvement coopératif dans le commerce

2. Le modèle coopératif comme moyen de maintien et de développement du commerce de proximité

a. Les SCIC ou l’intérêt du multisociétariat

b. La sécurisation du risque financier et foncier

c. L’accompagnement et le fonctionnement des projets

d. Le développement des projets

E. Les initiatives citoyennes

1. Le besoin d’agir à l’échelle locale

2. Des initiatives diverses

3. L’implication des citoyens

F. inscrire la régulation et la protection du commerce de proximité dans l’amÉnagement du territoire

1. Méthodologie de la revitalisation commerciale

2. Assurer du flux en prenant en compte le commerce dans les documents d’urbanisme

3. Favoriser la mixité des usages

4. L’enjeu de l’aménagement commercial

5. La desserte par les transports est essentielle

6. Repenser le zonage commercial et faciliter les changements de destination

7. Réinvestir les friches industrielles et commerciales

II. quel rÔle l’État peut-il jouer ?

A. Promouvoir un systÈme fiscal Équitable et dynamisant pour le commerce

1. Une réduction réelle des impôts de production

2. Les difficultés posées par la TASCOM

3. Réduire les distorsions de concurrence liées à la TVA

4. Repenser l’indice des loyers commerciaux pour éviter les hausses déconnectées de l’activité économique

B. Soutenir les opÉrations de revitalisation des territoires

1. Les programmes publics d’action en faveur de la redynamisation

2. Accompagner financièrement les collectivités qui s’engagent dans des opérations de revitalisation de territoire

3. Le rôle spécifique de la Banque des territoires

4. Renforcer le soutien à l’ingénierie des petites villes pour les restructurations commerciales

C. DÉterminer des prioritÉs dans le soutien aux commerçants

1. Développer les aides à la numérisation

2. Inciter les commerçants à se former aux nouveaux outils

3. La disparition du FISAC

D. Agir sur la commande publique pour soutenir le commerce de proximitÉ et l’artisanat local

EXAMEN du rapport en commission

Synthèse des propositions

annexes

annexe  1 Témoignages de commerçants

annexe n° 2 Liste des personnes auditionnÉes

Annexe  3 Déplacement en Gironde de membres de la mission


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   Synthèse du rapport

Le présent rapport vise à répondre à une question : pourquoi des commerces ouvrent-ils ou se développent-ils en certaines parties du territoire, ou au contraire disparaissent-ils ? Cette question revêt d’autant plus d’importance que si le commerce est une activité privée, il est inconsciemment perçu par nos concitoyens comme un service public, tant s’approvisionner en produits de quotidienneté est vital.

Depuis le début des années 2010, plusieurs rapports du Conseil économique, social et environnemental et de corps d’inspection d’État ont mis en lumière la déprise des commerces de centre-ville, notamment dans les petites villes et les villes moyennes, et souligné que 60 % des communes rurales ne disposaient plus de commerces de proximité. Mais parallèlement, le nombre de commerces en France n’a cessé d’augmenter depuis l’an 2000, tant en unités commerciales, toutes surfaces confondues, qu’en nombre de salariés. Il s’agit d’un secteur dynamique de l’économie, certes soumis à de nombreuses mutations, mais sa croissance sur le territoire n’est pas également répartie.

La déprise des commerces dans certains centres-villes ne s’est pas systématiquement traduite, contrairement à une idée répandue, par la hausse des activités commerciales en périphérie. En réalité, tous les cas coexistent : déclin en centre-ville et en périphérie, dynamisme commercial divergent entre le centre et la périphérie, dynamisme conjoint. Le commerce s’avère être le baromètre de la santé démographique et économique d’un territoire. Si la plus large partie de nos concitoyens dispose d’une offre commerciale attractive et diversifiée, certains en sont dépourvus et doivent faire leurs courses en véhicule ou recourir de manière croissante au commerce électronique.

Si le constat de ce problème est national et pose donc une question de politique publique, l’évolution de la localisation des commerces s’analyse à une échelle infra-départementale, le plus souvent communale ou intercommunale. Les situations peuvent être contrastées à l’intérieur des départements et varier entre des communes parfois distantes de seulement quelques dizaines de kilomètres. Elles dépendent largement des actions conduites par les élus locaux.

Ces élus ont bien compris que l’enjeu du maintien de commerces de proximité allait au-delà de leur fonction marchande. Il s’agit d’une vision de l’espace public. Depuis des siècles, le commerce a façonné l’aspect de nos villes et villages, en en faisant des lieux de passage et de brassage, d’échanges, où l’espace public est dévolu à une multiplicité d’usages marchands, politiques, culturels. Grâce à la mixité de l’habitat et des commerces, grâce aux différentes activités qui se déroulent sur l’espace public, celui-ci est un lieu de sociabilité, ouvert à tous les citoyens.

Cette vision d’un espace public occupé et animé est psychologiquement ancrée dans l’esprit de nos concitoyens. A contrario, le spectacle de rideaux de commerces baissés témoigne d’une ancienne activité et nourrit l’idée d’une désertification des quartiers. Les commerces, souvent laissés en l’état de leur fermeture, semblent figés dans le temps, donnant une image peu attractive de la ville. C’est en réaction à cette situation que l’État a mis en place les programmes Action cœur de ville et Petites villes de demain, et surtout que des élus locaux se sont mobilisés pour maintenir des commerces sur leurs territoires.

Les commerces disparaissent parce qu’ils n’ont plus de clients. Un centre-ville se désertifie dès lors que des services publics ou médicaux en déménagent ou que sa population diminue. Les flux de personnes qui s’y rendaient auparavant se tarissent. Maintenir, voire développer des commerces, exige donc de rétablir ces flux, en actionnant tous les volets de l’attractivité d’une ville : agrément de l’urbanisme, accès aisé aux rues commerçantes tant en véhicule individuel qu’en transport en commun, piétonisation de certaines rues le cas échéant, politique d’animation des rues, inscription des marchés dans les plans locaux d’urbanisme, en recourant à des politiques de soutien ciblées comme des boutiques à l’essai, en abaissant le coût du foncier, en résumé, en agissant sur toutes les délégations dont disposent une municipalité et une intercommunalité. Et pour donner une note d’optimisme au présent rapport, on ne peut qu’être frappé par le nombre de villes qui, tout en subissant la fermeture d’entreprises, notamment industrielles, ont réussi à maintenir une offre de commerces pour leur population. Aucune situation n’est donc désespérée quand des élus font preuve de volontarisme, écoutent les conseils des urbanistes, comprennent l’intérêt d’une politique de digitalisation des commerces et in fine mobilisent toutes les compétences humaines présentes sur leur territoire. Calais, Issoire, Le Havre, Libourne, Mulhouse, La Roche-sur-Yon sont autant de villes qui ont su réagir, en maintenant et renouvelant l’offre de commerces de proximité pour leurs populations. L’on soulignera également le rôle du mouvement coopératif et des associations de citoyens pour maintenir ou créer des commerces dans des communes reculées.

Nous assistons ainsi depuis la fin des années 2010 à la prise en compte des activités commerciales dans l’aménagement du territoire, qui en deviennent un élément, au même titre que les surfaces agricoles et sylvicoles, les zones d’aménagement, etc. L’état du commerce revêt une importance considérable pour la vie de nos espaces publics. Il s’agit certes d’une activité économique libre, mais sa régulation devient une nécessité pour revitaliser les centres-villes ou les périphéries, qui plus est dans un contexte où la politique de limitation de l’artificialisation des sols va transformer l’urbanisme commercial. Désormais, la politique de développement commercial passera de moins en moins par l’extension des surfaces qui y sont consacrées, les collectivités locales devant agir sur la densification et l’aménagement de l’espace.

Ces actions publiques se déroulent dans un contexte de digitalisation croissante de l’économie, qui touche très largement le commerce. Le clivage est désormais moins entre petits commerces et grande distribution qu’entre magasins recourant à l’omnicanalité et magasins traditionnels. Si les consommateurs plébiscitent dans toutes les enquêtes les magasins physiques, ils recourent néanmoins largement à toutes les potentialités d’internet. L’enjeu pour les commerces est donc de se réinventer – il en va sans doute de leur survie – et de transformer une menace en opportunité, en cernant toujours mieux les attentes des consommateurs. Ceux-ci sont désormais connectés, informés, et donc de plus en plus exigeants. Les pouvoirs publics – État et collectivités territoriales – ne peuvent ignorer les enjeux de la digitalisation pour l’animation des territoires car si l’omnicanalité n’a pas pour l’heure débouché en France sur la disparition massive de boutiques physiques, l’exemple du Royaume-Uni, pays où la part du commerce électronique est la plus élevée d’Europe, montre que le risque existe. Les représentants des commerçants auditionnés par la mission d’information ont fait part de vives inquiétudes sur ce sujet, et le problème apparaît particulièrement aigu dans la restauration.

La mission d’information a émis une vingtaine de propositions, qui se répartissent en deux catégories :

-         la majorité des propositions porte sur des dispositifs d’aménagement urbain ou de mesures en appui à ces dispositifs, afin de renforcer la prise en compte du commerce dans la planification territoriale. Ces propositions ne présentent pas de caractère contraignant car la mission d’information est consciente que les politiques de dynamisation du commerce de proximité relèvent essentiellement de l’action des élus locaux, et rappelle à ce titre que les collectivités territoriales s’administrent librement ;

-         quelques propositions concernent l’activité commerciale, lorsque celle-ci peut avoir un effet sur la localisation des commerces, comme la fiscalité sur le commerce électronique, mais la mission d’information n’a pas souhaité multiplier les propositions en ce domaine, afin de rester dans le champ de compétence de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire.

Il est difficile de prévoir à quoi ressemblera le commerce en 2030 au regard des mutations qu’il connaît, si variées et rapides. Mais il est rassurant de constater que toutes les analyses sur les moyens de maintenir et de développer des commerces de proximité convergent, quelle que soit l’appartenance politique des élus, et que leur philosophie est de maintenir l’animation de nos territoires pour que l’espace public continue d’être un lieu social. Il y a là une forme de consensus qui est rassurante pour l’avenir de la société française.

 


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   avant-propos du prÉsident

Pourquoi des commerces se maintiennent et se développent en certains points du territoire ? Pourquoi au contraire disparaissent-ils ? Telle est la question sur laquelle la présente mission d’information a travaillé. Elle est d’autant plus importante que si le commerce est une activité privée, il est inconsciemment considéré par nos concitoyens comme un service public. Pouvoir accéder à des commerces de base, également dits de quotidienneté, est un besoin qui conditionne souvent des choix d’habitat. Il est rare de vouloir vivre en des lieux dépourvus de commerces. Ceux-ci jouent un rôle qui va bien au-delà de leur utilité économique.

La proximité des commerces est un impératif pour nos concitoyens, et elle se double pour les produits alimentaires d’une recherche de la qualité, d’après le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (CREDOC) ([2]). La proximité est le premier critère de choix d’un magasin, avant le prix, parce que le consommateur est non seulement à la recherche d’une relation de confiance pour trouver les produits qu’il recherche, mais qu’il apprécie particulièrement le lien social qu’il crée avec le commerçant et d’autres clients. De vecteur de lien social, le commerce représente un lieu social.

Cet aspect psychologique est fondamental pour comprendre la relation qui unit les Français et leurs commerces. La confiance dans un commerce de proximité est quasiment un réflexe spontané, pour une raison subjective et non objective, fondée sur la présomption que le commerçant qui tient un magasin est digne de confiance. Celle-ci s’apparente vite à de la bienveillance. S’ajoute ensuite le fait que l’on croise d’autres personnes dans un magasin, qui devient ainsi un lieu de sociabilité.

D’autres considérations viennent renforcer cette sympathie. Le confinement du printemps 2020 a rappelé l’importance de la solidarité, tant dans le cercle familial ou amical que dans la commune ou le quartier où l’on vit. La solidarité locale devient un élément d’un acte d’achat, et les préoccupations environnementales favorisent l’éclosion de circuits courts qui soutiennent l’ensemble d’une économie de proximité, du producteur au consommateur.

Pour la plupart de nos concitoyens, la proximité s’apparente à une échelle humaine de leur existence. Stricto sensu, tout commerce proche d’habitations ou de lieux de travail pourrait être défini comme un commerce de proximité, qu’il s’agisse d’une supérette, d’un magasin de taille réduite ou d’un hypermarché. Mais dans leur esprit, le commerce de proximité est assimilé au petit commerce indépendant. Cet aspect sémantique est loin d’être anodin.

Cet attachement explique la résistance, voire le développement des commerces de proximité ces dernières années. En 2014, 22 % des consommateurs fréquentaient des épiceries de quartier au moins une fois par mois, et ce taux est passé à 36 % en 2020. 51 % accordaient une importance spécifique au commerce de proximité indépendant en 2020, à comparer à 40 % en 2014. Importance de la vie locale, animation des rues, produits de qualité, information sur leur origine, soutien à l’économie locale, tous ces facteurs se conjuguent pour soutenir ce type de commerce.

L’absence de commerce peut donc être ressentie comme un drame, et il s’agit d’une réalité vécue par un grand nombre de nos concitoyens, principalement en milieu rural. D’après l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), une commune sur deux en milieu rural se trouvait sans commerce en 2007. Le chiffre était passé à 60 % en 2017. Mais au cours de la même période (2009 – 2015), le nombre d’établissements du commerce de proximité a augmenté de 2,1 % et les effectifs salariés de 4,9 %. La hausse s’est poursuivie de 2015 à 2020. En valeur absolue, le nombre de commerces de détail dans la nomenclature de l’INSEE est passé de 632 342 au 1er janvier 2015 à 696 582 au 1er janvier 2020, soit une augmentation régulière. Ce sont les milieux urbains qui ont bénéficié de cette hausse.

Ainsi qu’on le lira dans le présent rapport, cette évolution n’est pas générale. Le dynamisme de certains secteurs (alimentation) s’accompagne de crise dans d’autres, comme le prêt-à-porter. Il reste que le commerce en France, tant le petit commerce que les grandes surfaces, fait preuve de dynamisme. Il représente 30 % du chiffre d’affaires du secteur marchand, soit l’équivalent de l’industrie. En conséquence, son déclin dans certaines zones géographiques – principalement les bourgs ruraux et les centres de petites villes et villes moyennes – est moins un problème économique qu’une question d’aménagement du territoire.

Il s’agit d’une question de politique publique, posée à l’échelle nationale car elle concerne l’ensemble des départements de notre pays, avec des constats et diagnostics analogues par les organismes qui, sur la base des statistiques de l’INSEE, s’en sont saisis (Conseil économique, social et environnemental, chambres consulaires, CREDOC, Institut du commerce, urbanistes, etc.). Mais la réponse à ce problème national est le plus souvent locale car les maires et présidents d’intercommunalités sont en première ligne dans le combat pour le maintien du commerce. Comme l’a constaté la mission lors de ses auditions, il n’existe aucune fatalité à la fermeture de commerces. L’action de long terme des équipes municipales, avec l’appui de programmes de l’État et le soutien des régions et départements, permet à de nombreux villages et villes de conserver, voire d’attirer des commerces. Bayonne, Cahors, Calais, La Roche-sur-Yon, Mulhouse, Pradines sont autant d’exemples de villes qui ont su par des politiques volontaristes assurer à leur population la présence de commerces. Et lorsque l’action des pouvoirs publics ne peut suffire, des initiatives de citoyens prennent le relais, en se constituant en associations ou en se servant du régime juridique des sociétés coopératives et participatives (SCOP), comme à Boffres (Ardèche, 500 habitants), Aups (Var, 2 130 habitants) ou Beaufort-sur-Gervanne (Drôme, 400 habitants). Les initiatives citoyennes ne se limitent d’ailleurs pas aux villages. À Rennes, Montpellier, Clermont-Ferrand et dans le Vème arrondissement de Paris, des librairies sous statut coopératif ont récemment vu le jour, preuve que ni les élus, ni les citoyens ne se résignent à voir disparaître des lieux aussi précieux que ceux qui diffusent le livre.

Si le commerce demeure dynamique, il le doit aux capacités d’adaptation des commerçants, qui relèvent pour 90 % d’entre eux de la catégorie des très petites entreprises (TPE). Rarement une profession a été soumise à autant de défis depuis un demi-siècle, avec l’obligation de renouveler la totalité de ses usages comme la présentation des produits, l’attention portée à l’environnement, l’accueil des clients, les modes de paiement et les relations avec les banques ou encore les conséquences de la digitalisation, qui non seulement modifie la pratique du commerce mais va jusqu’à créer de nouvelles formes de commerce. Les changements qu’apportent les buralistes à leur profession constituent un bon exemple de la manière de faire face aux nouveaux souhaits de la clientèle, la diminution de la vente de tabac étant remplacée par l’offre de services multiples (compte Nickel, prochainement distributeurs de billets, petite épicerie…).

Quel est l’enjeu du maintien de commerces de proximité ? Au-delà de sa fonction première et marchande – approvisionner nos concitoyens en produits divers – c’est une vision de l’espace public qui est en débat. Depuis des siècles, les villes et villages français sont des lieux de passage et d’échange et leur vie est animée quotidiennement ou à des rythmes plus espacés (marché de plein air hebdomadaire) par des commerces sédentaires ou ambulants. Ces commerces se trouvent dans tous les quartiers ou se concentrent sur certaines rues mais ils sont très rarement localisés dans un espace unique, à la différence des villes américaines où un zonage dû à des logiques économiques sépare habitations, bureaux, usines, centres commerciaux (certes pratiques, rationnels, souvent agréablement aménagés) et lieux de loisir. Il en résulte qu’à quelques exceptions, des pans entiers des villes américaines sont parcourus par des automobiles, mais dépourvus de piétons et de vie.

Le commerce de proximité a pour effet d’opposer à ce zonage une mixité des usages qui attire dans les rues commerçantes des flux de personnes venues y acheter des produits précis, flâner, s’y distraire, s’y cultiver ou s’y restaurer. La diversité des commerces est un solide facteur d’attractivité et fait de la rue, au-delà de sa fonction utilitaire, une forme de spectacle, maintes fois illustrée par les peintres et photographes, où cohabitent passants, commerçants sédentaires ou ambulants, militants politiques, musiciens, compagnies de théâtre de rue, etc. Elle est ainsi au gré des jours et des heures un espace commercial, politique, culturel.

La mission d’information a centré son travail sur les liens entre commerce et aménagement du territoire, conformément au mandat qui lui était donné par la commission du développement durable, et non sur la situation économique et sociale du secteur du commerce. Il est toutefois incontestable que certains volets de cette situation jouent sur la localisation des commerces et leur fréquentation par les consommateurs. Ainsi en est-il par exemple de la délicate question de l’ouverture des commerces le dimanche, qui comporte des aspects économiques et sociétaux. Les commerces de proximité indépendants, relevant le plus souvent de la catégorie des très petites entreprises (TPE), sans salarié ou avec un ou deux salariés, sont confrontés dans plusieurs villes à la concurrence de magasins de la grande distribution, ouverts l’ensemble de la semaine, ce qui draine le dimanche des flux de consommateurs vers ces magasins, souvent situés en périphérie, et diminue la clientèle des commerces indépendants de centre-ville.

Il est incontestable que le commerce est un secteur qui connaît de nombreuses mutations, voire des révolutions. Celles-ci ne peuvent être ignorées et sont évoquées dans le présent rapport, d’autant qu’elles entraînent des effets sur la localisation des boutiques. Mais dès lors que la proximité a autant d’importance dans la vie de nos concitoyens, dès lors que l’on en connaît la valeur psychologique, économique, sociale et désormais environnementale, le devoir des élus est de la défendre. C’est en gardant à l’esprit cette idée centrale que les membres de la mission d’information ont travaillé, conscients qu’il ne s’agissait pas seulement de préserver un secteur économique mais de maintenir un mode de vie qui fait des relations entre les êtres humains une valeur cardinale.


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   introduction

Le commerce de proximité répond à deux nécessités principales : approvisionner la population en produits de quotidienneté (alimentation, santé, carburant, presse, livre, équipement de la personne et de la maison, restauration, réparation, services bancaires, etc.) et au-delà de sa fonction marchande, créer du lien social. La première nécessité pourrait apparaître comme la plus importante, mais il est significatif de noter qu’aux Pays-Bas, la chaîne de magasins Jumbo a ouvert depuis 2019 des Kletskassa’s, en français des caisses de bavardage, destinées aux clients qui sont seuls dans leur vie ou qui apprécient de discuter avec les caissières ([3]). À l’heure où les supermarchés remplacent leurs personnels par des robots et des caisses automatiques pour accélérer les flux de clients, ce choix peut prêter à sourire, mais il répond bien à un besoin de rompre l’isolement de personnes dont le temps consacré aux courses est souvent le seul moment de socialisation.

Alors que le commerce est un secteur dynamique de l’économie française, en croissance constante depuis des décennies, plusieurs rapports et ouvrages ont évoqué sa déshérence : rapport de l’Inspection générale des finances (IGF) et du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) sur la revitalisation des centres-villes (juillet 2016), avis du Conseil économique, social et environnemental (CESE) sur la redynamisation des centres-villes et centres-bourgs (mars 2021), livre d’Olivier Ramezon (Comment la France a tué ses villes, 2016), sans oublier les déclarations des élus locaux. Pour des millions de personnes, le lien social que représente le commerce est distendu.

À l’évidence, l’offre de commerces est inégalement répartie sur le territoire français. Les grandes villes et villes touristiques disposent d’une offre commerciale abondante et diversifiée ([4]) alors que le commerce décline dans les centres-villes des villes de taille intermédiaire ([5]). Par ailleurs, le commerce en milieu rural s’affaiblit, au point que près de 60 % des communes rurales n’ont plus de commerce de proximité ([6]). Rappelons qu’une commune rurale est définie comme peu dense ou très peu dense par l’INSEE et que 88 % des communes, rassemblant 33 % de la population, entrent dans cette définition.

La croissance démographique entre 2007 et 2017 a principalement concerné les 361 villes moyennes et les communes peu denses, prolongeant la tendance amorcée dans les années 1970. De 2007 à 2017, la population des communes peu denses a augmenté en moyenne de 0,6 % par an. Ces communes, peuplées pour 90 % d’entre elles de 200 à 3 000 habitants, se situent pour plus de la moitié dans les couronnes périurbaines des principales agglomérations. Il s’agit donc d’un phénomène d’étalement urbain. En 2017, les communes peu denses regroupaient 29 % de la population sur 59 % du territoire. Depuis 2007, leur population a augmenté annuellement de 121 000 habitants. Elles contribuent ainsi à 41 % de la croissance démographique française, contre 30 % pour les communes denses (88 200 habitants supplémentaires) et 27 % pour celles de densité intermédiaire (79 600). Le rythme de croissance des espaces peu denses témoigne ainsi de l’intensification des liens entre les villes et leur périphérie, marquée par la dispersion des lieux d’habitation et le développement des mobilités vers les principaux pôles d’emploi et de services.

Cette évolution démographique n’est toutefois pas uniforme. Elle est plus marquée en certains points du territoire que d’autres. Ses conséquences sur le commerce de proximité sont hétérogènes, mais globalement, il a été observé que l’emploi dans le commerce de proximité s’est accru en périphérie entre 2009 et 2015 ([7]). À l’inverse, il s’est stabilisé dans certains pôles de centre-ville et a diminué dans d’autres, lorsque l’aire d’attraction des villes à laquelle ils appartenaient était moins peuplée.

Compte tenu des tendances démographiques, il n’est pas étonnant que le commerce de proximité décline non pas globalement, mais dans certaines zones précises. L’offre de commerce est en effet le symptôme de l’état d’un bassin démographique, des activités qui y sont localisées et des échanges que ce bassin entretient avec d’autres territoires. Le commerce suit les populations. Or, entre 2009 et 2015, le commerce de proximité a été dynamique, avec une augmentation du nombre d’établissements (2,1 %) et un essor des effectifs salariés (4,9 %). L’appétence de nos concitoyens pour ce type de commerce explique sa résistance à l’échelle nationale, voire son regain, alors que le secteur du commerce est largement dominé par la grande distribution, tant dans la vente de produits alimentaires que dans le prêt-à-porter, l’équipement de la maison, le sport ou l’électronique grand public. Outre les produits de consommation courante ou de première nécessité, il apporte un complément à l’offre des grandes surfaces ainsi qu’un sentiment de confiance.

Dans ce contexte, le concept même de commerce de proximité nécessite d’être défini. Il n’en existe pas, en effet, de dénomination officielle, ce qui est logique s’agissant d’un problème plus sociologique que juridique Plusieurs des personnes auditionnées par la mission d’information le qualifient de commerce de quotidienneté, assurant la fourniture de produits de consommation courante et présent dans un rayon maximal de 800 mètres par rapport aux habitations (soit un quart d’heure à pied) ou à 10 minutes en voiture quand un village ou une ville en sont dépourvus. Pour les personnes vivant en périphérie, un centre commercial multimarques, un supermarché, voire un hypermarché, peuvent entrer dans cette définition. On relèvera par ailleurs que la proximité est le plus souvent appréciée par rapport au domicile, alors que les consommateurs peuvent très bien faire leurs courses lors de leur trajet entre leur lieu de travail et leur domicile, ou encore à l’occasion de leur pause du déjeuner. Le centre commercial des Quatre-Temps, dans le quartier de La Défense (commune de Puteaux), qui abrite des enseignes d’alimentation comme de prêt-à-porter, d’électronique, de loisirs ainsi que des cinémas est de facto un commerce de proximité pour les 180 000 salariés qui travaillent quotidiennement sur ce site, même si psychologiquement ils ne le considèrent sans doute pas ainsi. Mais peut-être l’est-il davantage pour les occupants des 150 000 logements de ce quartier.

La proximité pourrait donc se définir au regard des usages de consommation plus qu’en référence au domicile. Mais telle n’est pas sa perception par nos concitoyens. Comme l’a relevé M. Alain Griset, ancien ministre délégué chargé des petites et moyennes entreprises, auditionné par la mission d’information, la plupart d’entre eux assimilent le commerce de proximité au petit commerce et qui plus est, au petit commerce de centre-ville ou centre-bourg. La question des usages n’est donc pas centrale dans leur esprit ; en revanche, la proximité par rapport à leur domicile et les valeurs que porte le petit commerce le sont davantage.

Il n’y a rien d’étonnant à cette perception, car elle renvoie au processus plurimillénaire de la création des villes. « La ville trouve son origine en Mésopotamie au cours du quatrième millénaire avant notre ère, au moment où l’abondance des récoltes de céréales libéra des bras pour d’autres activités que celles qui garantissaient la survie de la jeune humanité. Cette évolution semble concerner toutes les sociétés à un moment ou à un autre, comme en attestent les travaux ethnologiques, selon un rythme et des modes qui diffèrent ...  Comme l’avait fait remarquer Marx, qui se passionnait pour cette question en faisant dialoguer Hérodote et Morgan, la séparation de la ville et de la campagne coïncide avec une première division du travail séparant l’agriculture de l’artisanat. Ce que l’on faisait autrefois en complément de la chasse ou de la culture, pour conserver sommairement une nourriture toujours trop rare, on put le faire à plus grande échelle et pour des périodes plus longues, en confiant ces activités à des corps de métiers spécialisés, fabricants d’instruments pour la culture ou de récipients pour la conservation des produits récoltés. L’amphore et d’autres poteries, outils de conservation, devinrent bientôt des moyens de mesure, de transport et d’échanges entre populations urbaines et rurales d’un même territoire et entre populations urbaines de contrées différentes. La production et surtout l’échange supposèrent dès lors l’existence d’un lieu, la ville et son marché, et celle d’une organisation des hommes, la cité, communauté de ceux qui vivent en ville. De « mécanique » la société humaine devint « organique », pour reprendre des notions chères à Durkheim, et adopta l’ordre ternaire (guerriers, prêtres et producteurs) mis en évidence par Georges Dumézil (1968) pour les sociétés indo-européennes… » ([8]) 

Le commerce a donc « fait » la ville depuis des temps immémoriaux, et il semble inconcevable d’avoir des villes sans commerces. C’est pourtant la réalité que vivent nombre de nos concitoyens, le phénomène n’étant au demeurant pas exclusivement français ([9]). Il est en fait relativement récent avec l’apparition du zonage dans la planification urbaine et s’accentue depuis une quarantaine d’années. Le débat est particulièrement sensible en France parce que nos villes, souvent riches d’un centre-ville historique ancien, sont perçues comme des lieux de passage et de brassage.

Si chacun a sans doute à l’esprit la théorie des vases communicants, qui veut que la croissance du commerce en périphérie soit la cause de la déprise de commerce en centre-ville, aucune étude n’a démontré de lien systématique entre le déclin du commerce en centre-ville et la vitalité des pôles de périphérie. Les auditions conduites par la mission ont montré que ce déclin était dû à d’autres raisons, qui tiennent à la démographie, au bassin d’emploi, à des politiques d’aménagement urbain et d’organisation des mobilités, en résumé à l’ensemble des facteurs qui conditionnent l’activité commerciale. A contrario, agir sur ces facteurs est le moyen de maintenir une activité commerciale dense.

Ce point est important car s’il est coutumier depuis quelques années de déplorer les rideaux baissés de commerces dans des villes moyennes et dans des bourgs ruraux, voire dans des rues de grandes villes, de nombreuses municipalités ont prouvé, par des politiques volontaristes, que le commerce pouvait se développer, y compris en centre-ville. L’Echommerces (média du commerce indépendant) a ainsi mis à l’honneur en 2019 Lyon, Clermont-Ferrand, Amiens, Annecy, Compiègne et Gap pour leur politique de centre-ville particulièrement dynamique. Bastia, Bayeux, Beaune, Caen, Chartres, Colmar, Grenoble, La Rochelle, Mulhouse, Lons-le-Saulnier, Rennes, Saint-Lô, Saint-Malo, Strasbourg et Toulouse pourraient également être citées, dans une liste loin d’être exhaustive. Le commerce est un sujet tellement important pour les élus locaux que rares sont ceux qui se permettraient de le négliger.

Pour les urbanistes auditionnés par la mission, la question ne se résume d’ailleurs pas à un conflit entre centre-ville et périphérie mais porte sur la notion de centralité, sur les flux et sur l’organisation générale d’espaces urbains majoritairement périphériques. Une ville comme Toulouse abrite 400 000 habitants mais son agglomération en compte 1,4 million. Un million d’habitants vit donc hors de la ville centre et consomme en périphérie, en recourant le plus souvent à l’automobile pour faire ses courses entre le domicile et les hypermarchés qui y sont situés. Or, le coût du carburant augmente et ne cessera tendanciellement d’augmenter en raison des normes environnementales. Les commerces en périphérie pourraient donc être en crise dans les prochaines années, avec l’apparition croissante (déjà constatée, au demeurant) de friches commerciales obligeant les élus, les urbanistes et les fédérations de commerce à réfléchir à de nouvelles organisations spatiales, faisant émerger par exemple des pluralités de centralités et valorisant dans les espaces la mixité des usages et une desserte plus importante en transports en commun.

Le problème posé par la disparition de commerces de proximité dans certaines zones géographiques relève largement de l’aménagement du territoire. Accompagnant le mouvement de la population vers les périphéries, une série de politiques, qui n’étaient pas forcément concertées, a dans un premier temps altéré le rôle séculaire des centres-villes. Ceux-ci ne sont plus obligatoirement le lieu des démarches administratives, des services de santé (hôpitaux, médecins libéraux, pharmacies), de la justice, des commerces spécialisés (surtout s’ils nécessitent une taille importante), voire du commerce alimentaire. Dans de nombreuses villes, le coût du mètre carré a en outre contraint les habitants à rechercher en périphérie des logements à des prix plus abordables. À la centralité historique et géographique se sont substituées des centralités fonctionnelles. Le commerce, qui a besoin de flux de personnes, n’a fait que suivre sa clientèle. Dans un second temps, qui correspond à la période que nous vivons actuellement, le commerce en périphérie pourrait ne plus correspondre aux attentes et contraintes des consommateurs

L’aspect économique ne peut néanmoins être complètement éludé. Si la mission d’information a travaillé dans une optique d’aménagement du territoire, elle ne peut ignorer les mutations qui touchent le commerce, ne serait-ce qu’en raison des conséquences qu’elles ont sur cet aménagement. Celles-ci ne sont pas nouvelles : en 1886, l’ouverture du Grand bazar à Paris suscitait les craintes des boutiquiers et en 1936, un moratoire fut décidé pour limiter l’expansion hors de Paris des magasins à prix unique. Un vieil adage allemand affirme que « le commerce, c’est le changement » et après la révolution qu’a représenté la grande distribution, la période actuelle est celle de mutations particulièrement rapides, illustrées notamment par l’expansion du commerce électronique. Or, comme l’affirme M. Philippe Dugot, géographe à l’université de Toulouse Jean Jaurès, s’il est « réducteur d’opposer frontalement e-commerce et commerce physique, néanmoins une incertitude plane : le commerce est intrinsèquement lié à la ville et à son essor, mais, en même temps, il est en train de se détacher en partie d’elle et de réécrire l’histoire de leurs relations. Ce nouveau rapport entre ville et commerce annonce peut-être une future crise économique et territoriale. S’il reste de nombreuses rues commerçantes, l’offre commerciale de quartiers entiers, comme certains espaces de Manhattan par exemple, s’est délitée » ([10]).

Comme l’a indiqué M. le président Emmanuel Maquet dans son avant-propos, la mission d’information a cherché à comprendre pourquoi des commerces se développaient ou au contraire fermaient sur le territoire français. Les réponses sont aussi variées que les situations locales mais concordent chez la plupart des interlocuteurs auditionnés par la mission. Si le problème est national, les solutions sont à l’échelle infra-départementale, le plus souvent communale ou intercommunale, en jouant sur tous les aspects des politiques publiques : logement, mobilités, stationnement, évènements, environnement, maîtrise du foncier pour créer des flux de personnes dans des zones qui soient commercialement denses. En résumé, il s’agit de créer les conditions du commerce, plutôt que de parler de commerce.

Dès lors, se pose la question du rôle de l’État. Que peut-il faire si la dynamisation du commerce est essentiellement une politique locale ? Il ne peut se désintéresser d’une question nationale et il cherche d’ailleurs depuis plusieurs années à y répondre. Les programmes Action cœur de ville et Petites villes de demain en sont la preuve, ainsi que les Assises du commerce, qui se sont tenues en décembre 2021, réunissant autour des pouvoirs publics l’ensemble des professionnels du secteur pour en analyser la situation et en anticiper les mutations.

Celles-ci sont nombreuses, et il n’aura échappé à personne que le clivage le plus important n’oppose plus désormais petit commerce et grand commerce, mais gagnants et perdants de l’omnicanalité, ce modèle d’achat et de vente qui concerne autant les consommateurs que les magasins physiques et qui a marqué l’irruption des « pure players » et plus récemment, des magasins et des cuisines-fantômes, qui en sont le dernier avatar. La digitalisation du commerce n’est pas un phénomène uniquement économique. Elle entre dans le champ des travaux de la présente mission car elle emporte des effets sur l’aménagement du territoire. Doit-on par exemple considérer que la livraison à domicile est un service relevant de la proximité au même titre qu’un commerce physique, alors que ses effets sociaux et environnementaux ont suscité de nombreux débats lors de l’examen du projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets ? Entre-t-on dans une ère où – le consommateur étant l’arbitre absolu – la relation humaine entre le commerçant et le client risque de disparaître au profit des commandes en ligne, avec comme conséquence la transformation de l’aspect de nos villes ? La question n’est pas abstraite. En France, le commerce de proximité dispose d’un soutien massif de la population et bénéficie de dispositifs publics qui en maintiennent l’existence. Au Royaume-Uni, le commerce électronique représentait en 2019 un peu plus de 9 % des transactions, mais avait provoqué la disparition de 9 000 boutiques.

Peu d’analystes oseraient imaginer à quoi ressemblera le commerce en 2030, notamment le commerce de proximité. Il sera sans doute le résultat des innovations technologiques, de l’inventivité des commerçants et des politiques publiques locales et nationale. Il serait toutefois inconcevable que le commerce physique, lieu de sociabilité, disparaisse, au risque de nous retrouver dans une société déshumanisée.

 


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PREMIÈRE PARTIE :
la localisation des commerces de proximitÉ

La localisation des commerces de proximité a évolué en permanence depuis les années 1960, à partir desquelles l’habitat de nos concitoyens s’est déplacé des centres-villes et des espaces ruraux vers les périphéries urbaines. Le commerce s’est également adapté aux changements des comportements des consommateurs, qui, après avoir largement recouru à la grande distribution – qui demeure prédominante dans leur approvisionnement – recherchent d’autres formes de commerces, en phase avec leurs préoccupations sociales, territoriales et environnementales.

I.   les formes variÉes du commerce de proximitÉ

« Pour l’agrément d’une ville, je serais d’avis que l’on plaçât toujours les boutiques des marchands en vue le long des rues, cela lui donnerait un air de vie et ferait spectacle » ([11]).

Le commerce de proximité est l’une des formes les plus anciennes des relations sociales. Il s’agit d’un type de commerce qui propose au détail des produits dits de quotidienneté, couramment utilisés par les ménages. La vie d’un village ou d’un quartier dépend largement de la présence d’un quatuor de base composé de la boulangerie, de la boucherie, de l’épicerie et de la pharmacie, auxquels les analystes du commerce ajoutent parfois le bar tabac, en raison de son caractère de lieu social et des multiples services qu’il rend.

Le commerce est né lorsque le produit des récoltes a dépassé le seuil de subsistance, vers 3 500 avant J.-C. Les commerçants sumériens auraient inventé l’écriture pour les besoins de leur comptabilité. S’il est étroitement lié à la notion de voisinage géographique, le commerce international est également apparu très tôt dans l’histoire de l’humanité. Les archéologues ont été surpris de constater que des produits de la Grèce antique étaient acheminés jusqu’en Écosse, et que l’Égypte pharaonique importait des produits d’Inde.

Les villes de l’Antiquité disposaient déjà de commerces en rez-de-chaussée, ouverts sur la rue, servant à l’entreposage et à l’étalage de marchandises. Le mot bouticle en vieux français, provenant du grec apotheké (dépôt, entrepôt) se retrouve dans un texte de 1242 avant de faire florès et de s’imposer dans la plupart des langues européennes. Il faudra attendre la fin du XVIIIe siècle et surtout le XIXe siècle pour que le commerce de détail dépasse sa fonction économique et devienne un enjeu d’aménagement urbain. « De modeste composant de l’urbain, généralement assez négligé, la boutique a peu à peu conquis une place de choix pour devenir un élément charnière entre l’espace privé de l’habitat et l’espace public de la rue, lien essentiel qu’il importe dès lors d’aménager et de planifier » ([12]).

A.   Rappel du poids du commerce dans l’économie

En 2018, le commerce représentait 10,4 % de l’économie française ([13]) et 20 % des effectifs salariés ([14]).

Selon la nomenclature de l’INSEE, le commerce se divise en trois grands secteurs : le commerce de détail et artisanat alimentaire, le commerce de gros et le commerce et réparation d’automobiles. Le tableau ci-dessous indique la répartition de la valeur ajoutée et des effectifs salariés de ces trois secteurs. Le commerce de détail représente près de la moitié de la valeur ajoutée du commerce et la majorité de ses effectifs salariés.

 

Commerce de détail et
artisanat alimentaire

Commerce de gros

Commerce et
réparation
d’automobiles

Répartition de la valeur ajoutée

46 %

44 %

10 %

Répartition des effectifs salariés

57 %

30 %

13 %

Source : INSEE, 2019

L’INSEE estime que selon la définition qu’il retient (cf. infra), le commerce de proximité représente près de 700 000 établissements et 3,2 millions de salariés. Il compte plus de la moitié des établissements commerciaux. Entre 2009 et 2015, ce type de commerce a été dynamique, avec une augmentation du nombre d’établissements (2,1 %) et une croissance des effectifs salariés (4,9 %).

Néanmoins, en différenciant plus finement, il est constaté que la croissance des établissements de commerce a été moins forte que celle des établissements de service. Le nombre d’établissements de commerce a légèrement régressé de 0,7 %, même si leurs effectifs ont augmenté de 3,5 %. Ce sont donc plutôt les établissements de service qui ont été les plus dynamiques, avec une augmentation du nombre d’établissements de 5,5 %, et une augmentation des effectifs de 7,7 %.

Trois formes de commerces coexistent : le commerce indépendant isolé, le commerce intégré et le commerce indépendant organisé. Le commerce indépendant isolé se caractérise par un magasin de proximité d’une surface inférieure à 120 m2, exploité par un détaillant indépendant, le plus souvent propriétaire de son fonds de commerce, qui assure l’achat et le stockage de marchandise ainsi que la réception des clients. En 2016, cette catégorie représentait 70 à 80 % du total des points de vente pour 25 % du chiffre d’affaires de l’ensemble du commerce de détail, à comparer à 80 % en 1963.

Le commerce de détail est souvent organisé en réseau d’enseigne, lui permettant de bénéficier d’une identité forte auprès des consommateurs. Dans ce cadre, les professionnels s’organisent en commerce intégré ou en commerce indépendant organisé. Les réseaux d’enseigne assuraient en 2018 68 % des emplois et 85 % du chiffre d’affaires dans le secteur alimentaire et 50 % des emplois et du chiffre d’affaires dans le commerce des biens d’équipement (maison, bricolage, outillage, botanique, technologies de l’information et de la communication, sport, livre, etc).

Le commerce intégré s’exerce en réseau et regroupe différents points de vente, créés et gérés par une seule et même entreprise qui en est donc propriétaire ; les responsables des points de vente sont ainsi salariés de la maison-mère. Le commerce intégré s’oppose au commerce associé, au commerce indépendant ou encore à la franchise dans la mesure où dans de tels schémas, les points de vente sous enseigne sont gérés par des commerçants indépendants. Le commerce intégré regroupe en une seule entreprise les fonctions de gros et de détail (à l’exemple de Darty, Conforama ou la Fnac), voire la production des biens qu’elle commercialise (Ikea, Décathlon, Zara, H&M, par exemple).

Enfin, le commerce indépendant organisé associe la volonté de l’entreprenariat indépendant aux effets de puissance d’un groupement. Il se développe sous la forme de la franchise ou du commerce coopératif et associé.

La franchise repose sur la mise en place d’un contrat par lequel une entreprise (le franchiseur) accorde à une autre (le franchisé) le droit d’exploiter son concept, sa marque et son savoir-faire. En échange de ce droit, le franchisé est redevable d’une compensation directe ou indirecte constituée par des redevances. Le contrat inclut une enseigne commune, une politique commerciale commune, une assistance et une formation pour la transmission du savoir-faire. L’approvisionnement en marchandises de la marque fait aussi souvent partie du contrat mais ce n’est pas une obligation. L’entrée dans le réseau se fait par sélection du franchiseur. Dans la majorité des cas, un droit d’entrée est réclamé au candidat à la franchise.

Si en 1971, on comptait 34 franchiseurs, ce nombre s’élevait à 1 477 en 2010, comprenant 58 351 franchisés ; en 2019, la Fédération française de la franchise (FFF) en recensait respectivement 2 049 et 78 218. Ces chiffres traduisent la progressivité continue de la franchise sur le territoire français. De nature protéiforme, l’activité des franchisés repose majoritairement sur le secteur de l’alimentation (19,81 %), suivie des services automobiles (12,07 %), puis des équipements à la personne (11,47 %) et de commerces divers (9,90 %) ([15]). En 2019, le chiffre d’affaires de la franchise avoisinait 68 milliards d’euros.

L’intérêt croissant porté par ce type de commerce, à savoir un commerce indépendant encadré par une société mère, s’explique non seulement par un transfert de savoir-faire (business plan du franchiseur) mais aussi par un intérêt mutuel de partage de la valeur générée. Par ailleurs, le modèle de la franchise a prouvé sa résistance et sa capacité d’absorption des chocs durant la pandémie de Covid-19. Bien qu’une baisse du chiffre d’affaires ait été enregistrée en 2020 par rapport à 2019, de l’ordre de 5,95 % pour les franchiseurs et de 0,23 % pour les franchisés, 80 % des franchisés ont pu poursuivre leur activité trois ans après la création de leur commerce.

Le commerce coopératif et associé est quant à lui une manière d’organiser des réseaux de points de vente à partir de la volonté de plusieurs entrepreneurs indépendants de se regrouper, de mutualiser leurs moyens, leurs idées, pour construire ensemble un réseau. Les réseaux du commerce coopératif et associé sont constitués et contrôlés par des entrepreneurs indépendants qui ont la particularité d’être à la fois membres du réseau et actionnaires de celui-ci. Associés au capital de leur groupement, ils participent pleinement aux décisions. Majoritairement organisés en coopératives de commerçants détaillants, les groupements permettent aux entrepreneurs associés de mettre en place des moyens qui assurent la performance, le développement et la pérennité de leurs entreprises : centrales d’achats et moyens logistiques, concepts de vente et enseignes, gammes et marques propres, opérations commerciales, campagnes de publicité nationales et locales, écoles de formation, cartes de fidélité, moyens informatiques, outils financiers.

La Fédération du commerce coopératif et associé (FCA) recense une centaine de groupements de commerçants associés disposant d’une stature nationale, et souvent d’une enseigne. Selon les estimations de la fédération, les commerçants associés regroupaient 50 037 points de vente en 2020 et réalisaient un chiffre d’affaires de 156 milliards d’euros, en croissance de 2 % par rapport à 2019. Ils évoluent principalement dans le commerce de détail et représentaient près de 30 % du chiffre d’affaires du secteur en 2020 ([16]).

B.   Une définition liée au mode de vie des Français

Il n’existe pas de définition légale du commerce de proximité, pour la simple raison que le législateur n’a pas pour rôle de qualifier juridiquement toutes les situations sociologiques. Aussi la notion de commerce de proximité dépend-elle de la vision qu’en portent les professionnels du commerce.

1.   Différentes définitions

Dans la mesure où la plupart des données sur le commerce en France sont établies par l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), il apparaît logique de livrer sa définition du commerce de proximité. Pour l’INSEE, il s’agit d’un ensemble d’activités économiques répondant à des actes de consommation de la vie courante. Le commerce de proximité regroupe des activités relevant du commerce et des services :

– commerce de détail et artisanat alimentaires (supérettes, supermarchés et commerces spécialisés en boucherie-charcuterie, boulangerie, fruits, boissons, etc.) ;

– restaurants et débits de boissons (dont traiteurs et cafétérias) ;

– commerces d’équipement de la personne (habillement, chaussure, parfumerie, horlogerie, bijouterie, optique, pharmacie, etc.) ;

– commerces d’équipement de la maison (électroménager, audio-vidéo, meubles, quincaillerie, peintures, moquettes, sports, livres, jouets, fleurs, etc.) ;

– commerces et services automobiles (commerce, entretien, réparation et carburant) ;

– agences bancaires et immobilières ;

– services corporels (coiffure, beauté) ;

– autres services : réparation (d’électroménager, de meubles, etc.), écoles de conduite et location de véhicules, photographes, agences de voyages, blanchisseries et services funéraires.

L’INSEE définit le commerce de proximité comme des points de vente que les consommateurs fréquentent couramment. En revanche, la définition ne contient aucun critère temporel. Mais l’on rappellera que l’institut a consacré de nombreuses études sur les temps d’accès des consommateurs à leurs commerces ; cette préoccupation n’est donc pas absente de ses travaux.

Pour sa part, la Fédération de l’épicerie et du commerce de proximité (FECP) donne du commerce de proximité la définition suivante : « commerce de taille inférieure à 1 000 m2, aisément accessible à la clientèle dans un rayon de 800 m à pied, soit 15 minutes de trajet, ou une durée de trajet similaire en voiture en périphérie ou zone rurale moins dense ». Avec ces critères, plusieurs types de commerces entrent dans la définition du commerce de proximité : épiceries alimentaires générales, dont la surface est inférieure à 120 m2, supérettes (120 à 400 m2) et petits supermarchés (400 à 1 000 m2). La plupart des élus locaux auditionnés par la mission lors d’une table ronde adhèrent à cette définition.

À la différence de l’INSEE, la FECP introduit la distance et le temps de trajet dans la définition, en distinguant l’accessibilité des commerces à pied ou en véhicule, marqueur essentiel de différenciation des actes d’achat en milieu urbain et en milieu rural.

L’Alliance du commerce estime que le commerce de proximité ne se limite pas au commerce indépendant et que c’est la distance au client qui le définit. Un tel commerce peut se situer en centre-ville, en centre commercial, en périphérie dès lors qu’il est proche des consommateurs. Avec cette conception, l’Alliance du commerce met l’accent sur les évolutions démographiques en France et rappelle que beaucoup de nos concitoyens se sont déplacés en périphérie, dans un processus d’étalement urbain soutenu par l’État et les élus locaux. Le commerce n’a fait que suivre sa clientèle. Cette mutation semble s’achever, sous le double effet des surcapacités commerciales en périphérie et de la place croissante de l’omnicanalité.

Suivant la logique de l’Alliance du commerce, la grande distribution peut tout à fait entrer dans la catégorie du commerce de proximité. À l’inverse, d’autres organismes auditionnés croisent la notion de proximité avec des critères tels que la surface ou la masse salariale de l’établissement.

Le Conseil national des centres commerciaux (CNCC) adopte une définition proche de celle de l’Alliance du commerce, mêlant proximité géographique ct fonctionnelle. Il rappelle que 20 % des 838 centres commerciaux sont en centre-ville et 80 % en périphérie et que le modèle de ces centres combine un hypermarché et une galerie de commerçants indépendants. Pour le CNCC, la proximité se définit comme une offre à taille humaine, avec de nombreux commerçants indépendants ou franchisés, un large choix de produits grâce à de nombreuses enseignes et non simplement une offre de produits en bas de chez soi. Comme l’implantation des enseignes dépend de la zone de chalandise à laquelle elles s’adressent au regard d’études de marché, les produits et services sont fonction de la clientèle d’un territoire, même s’il existe un socle commun de produits sur l’ensemble de la France afin de ne pas créer d’inégalités. Par ailleurs, le commerce électronique donne accès à des produits qui ne sont pas physiquement stockés dans l’ensemble des magasins.

L’Institut du commerce définit pour sa part le commerce de proximité selon huit critères qui mêlent la proximité géographique à des usages, introduisant ainsi des facteurs liés au mode de vie dans la définition :

– critère géographique : commerce à proximité d’un lieu de vie (habitation ou travail). En mettant Paris et la petite couronne à part, l’Institut dégage les zones urbaines, rurales et périurbaines, et ajoute des zones de flux (gares, aéroports) et des zones de loisirs (lieux de pratiques sportives ou culturelles, villes touristiques) ;

– critère pratique : commerce dans lequel il est facile de se rendre régulièrement ;

– accès aisé à des produits courants (dits de dépannage) : commerce où l’on trouve les produits nécessaires à la vie quotidienne ;

– mais également accès aisé à des produits innovants, nouveaux, générant un achat d’impulsion ;

– prêt à manger : dans le commerce alimentaire, il s’agit de boutiques ou de rayons proposant des denrées préparées (sandwiches, salades), le plus souvent pour le déjeuner et près de lieux de travail ;

– prêt à emporter : dans le commerce alimentaire, il s’agit de boutiques ou de rayons dans des boutiques proposant des plats préparés, que l’on emporte chez soi ou sur son lieu de travail ;

– existence de services connexes : les commerces de proximité ne se limitent pas à la vente de produits mais proposent des services tels que le retrait de colis, la garde du chien, le dépôt de courrier, etc ;

– aspect affectif : on se rend dans un commerce de proximité pour le lien social qu’il génère. Le consommateur connaît le commerçant ainsi parfois que d’autres clients.

Le commerce de proximité répond donc à plusieurs approches : accès à un ensemble de produits et services indispensables ou utiles à la vie quotidienne, temps d’accès aux commerces, indépendamment de la catégorie dont ils relèvent.

Il demeure sur ce sujet un aspect psychologique, qui renvoie à une image d’Épinal de nos villes et qu’a résumé M. Alain Griset, ancien ministre délégué chargé des petites et moyennes entreprises, auditionné par la mission : « Dans l’esprit de nos concitoyens, le commerce de proximité s’accole avec le petit commerce. Le commerce, notamment la grande distribution, a suivi les populations qui se sont installées au fil des ans en périphérie. Celle-ci est en proximité géographique de millions de nos concitoyens sans pour autant être considérée par eux comme un commerce de proximité ».

Si la vision de nos concitoyens a de l’importance – elle renvoie en effet à leur idéal d’un commerce à taille humaine –, la réalité économique du commerce est autre. Une large majorité de consommateurs s’approvisionne par les canaux de la grande distribution, même si le petit commerce indépendant, quelle que soit sa localisation, renouvelle et développe son offre.

Les mouvements démographiques des quatre dernières décennies ont transformé les périphéries en véritables lieux de vie de nos concitoyens, créant dans certaines villes une pluralité de centralités. Il apparaît ainsi que le commerce de proximité doit s’apprécier par rapport à leurs lieux de vie et à leurs modes de vie, particulièrement les déplacements, et non à la taille d’un commerce. Il n’y a pas non plus de correspondance entre commerce de proximité et petit commerce indépendant.

Compte tenu de la densité de l’offre commerciale en France, de la répartition spatiale de l’habitat et des habitudes de consommation, votre rapporteure estime que la proximité se définit comme un accès rapide à tout type de commerce. Un hypermarché est un commerce de proximité comme une épicerie de village, même si l’offre de produits et les raisons pour lesquelles le consommateur s’y rend sont différentes.

Cette conception ne doit nullement empêcher d’autres questions : le trajet du consommateur s’effectue-t-il à pied ou en véhicule ? Cette question n’est pas anodine, tant elle renseigne sur le mode de vie, sur la santé économique d’un territoire, sur l’environnement. Quel type de commerce lui est proposé ? A-t-il accès à un large choix partout sur le territoire ou à une offre réduite ? Comment l’offre de commerces structure-t-elle l’organisation de l’espace ? Le présent rapport s’efforcera d’y répondre.

2.   Une notion qui relève du mode de vie

La proximité est souvent définie par la distance entre le domicile et le commerce, et surtout par le temps que le consommateur met pour faire ses courses. Ces deux critères demeurent importants, mais ils ont sensiblement évolué entre le milieu des années 1970 et les années 2010/2015 ([17]).

La part des courses effectuées à pied était majoritaire en 1975 (53 %), mais elle est tombée à 17 % en 2010. Le corollaire est que l’usage de la voiture est passé de 38 % à 65 % au cours de la même période. La durée moyenne du trajet en voiture a également augmenté, s’établissant autour de 15 minutes par jour. Cette évolution est liée à l’étalement urbain et à l’essor des courses réalisées dans des grandes surfaces, situées majoritairement à la périphérie des villes : celles-ci concentraient en 2010 les trois quarts des dépenses alimentaires. En 1974 comme en 2010, les déplacements à pied sont réservés aux courses de proximité de moins de 10 minutes.

Les réalités que vivent nos concitoyens sont donc très diverses. Pour l’Institut du commerce, la proximité se vit plutôt à pied dans un rayon de 5 minutes autour de son domicile, lieu de travail ou station de transport en commun dans les centres d’activité des grandes métropoles. En périphérie des grandes villes, la proximité peut se considérer dans un rayon de 15 minutes à pied ou 10 minutes en voiture. En zone rurale, la proximité peut correspondre au magasin le plus proche, à pied si le village a conservé des commerces, ou en voiture si la densité commerciale est faible.

Le temps consacré aux courses et les moments de la journée pendant lesquels elles se déroulent doivent également être pris en compte. Si la durée hebdomadaire moyenne des courses est restée stable (2 heures 40), les courses sont plus étalées dans la journée, y compris en week-end. La part des consommateurs qui font leurs courses au moment le plus fréquenté de la matinée (vers 10 heures 35) a diminué, tandis qu’elle a sensiblement augmenté à la pause méridienne. La raison en est la transformation du marché du travail, avec l’augmentation de la proportion de cadres, dont les journées commencent et se terminent plus tardivement. Les modes de restauration sur les lieux de travail se sont également modifiés. Les commerces de repas à emporter, de plats préparés et de restauration rapide se sont beaucoup développés, de même que la fermeture plus tardive des magasins en zone urbaine offre aux consommateurs la possibilité d’accomplir leurs achats au-delà de 20 heures ([18]).

En résumé, la prise en compte de la seule distance métrique apparaît insuffisante pour caractériser un commerce de proximité. La proximité s’analyse plutôt au regard des usages et du mode de vie du consommateur, notamment l’organisation de son temps au cours d’une journée. Les modes de transport jouent à ce titre un rôle important, comme le soulignent l’Institut du commerce et le CREDOC. Ainsi, si un consommateur se rend à son travail en voiture, le commerce de proximité sera celui qui est le plus facilement accessible le soir sur son trajet de retour vers son domicile, et non forcément celui qui est le plus proche de ce dernier. Si ce même consommateur utilise quotidiennement les transports collectifs, son commerce de proximité sera peut-être celui qui est implanté près ou dans sa gare de destination, ou de sa station de métro ou de tramway. A contrario, si le consommateur a tendance à travailler à domicile, réalité qui gagne du terrain en raison du télétravail, le commerce de proximité sera plus logiquement celui vers lequel il se rend à pied.

D’autres facteurs peuvent jouer. Les consommateurs essaient en règle générale de rationaliser leur emploi du temps et si leurs déplacements s’effectuent en voiture, les commerces de proximité sont ceux qui par exemple se trouvent sur le trajet des lieux fréquentés par leurs enfants (écoles, terrains de sport, conservatoires). La voiture sert à accomplir plusieurs activités et élargit en conséquence la zone de chalandise du consommateur.

La notion de proximité doit également être analysée en fonction des produits. Si le côté pratique (prix, faible distance par rapport au domicile ou au lieu de travail) est privilégié pour les achats alimentaires et de quotidienneté (produits d’entretien, presse, tabac…), il en va différemment pour des produits non alimentaires, tels que les vêtements, la maroquinerie, les technologies de l’information et de la communication et les produits culturels. Le consommateur a souvent une idée précise de ce qu’il recherche – d’autant que dans 70 % des cas, il consulte un site internet avant de se déplacer dans un commerce – et ne privilégiera pas obligatoirement la boutique la plus proche. D’autres facteurs interviendront : le partage de valeurs avec l’enseigne, la reconnaissance de l’identité du magasin, le jugement sur les méthodes de production et de distribution des produits, le rôle social du point de vente ou la présence de produits locaux et régionaux. Un consommateur adepte des produits en vrac se rendra dans celui qui offrira le choix le plus large, même si cela implique de se déplacer plus longtemps jusqu’au magasin.

La proximité est vécue de manière différenciée par chaque consommateur et se détermine par l’articulation des différentes phases de sa journée. En fonction des modes de vie, du recours plus ou moins fréquent au véhicule individuel ou aux transports collectifs, il peut exister un seul lieu ou quartier où il effectue ses achats de proximité, ou au contraire plusieurs. La densité de l’offre commerciale en France est telle qu’il est rare qu’un consommateur ne soit pas proche de commerces, pour la simple raison que ceux-ci s’implantent près de la clientèle (domicile, axes de transport, travail). La question qui se pose pour les élus en charge de l’aménagement de leur territoire est donc de comprendre pourquoi certains espaces sont dépourvus de commerces, pourquoi dans d’autres ils sont en déshérence et comment rétablir des flux de clientèle pour maintenir une activité commerciale.

La pandémie de Covid-19 a accéléré les tendances constatées ces dernières années. N’ayant qu’une heure pour faire leurs courses en raison du confinement, les consommateurs ont redécouvert l’intérêt de magasins dans lesquels se rendre à pied. En juillet 2021, 60 % des consommateurs sondés indiquaient que la pandémie avait changé leur comportement et qu’ils ne feraient plus leurs courses comme avant la pandémie. Si celle-ci a amplifié le recours au commerce électronique, elle a mis en avant d’autres besoins : durabilité, qualité des produits, circuits courts, réparabilité... Il s’agit parfois de facteurs écologiques, prévus par la loi, auxquels le consommateur est de plus en plus sensible. La prise en compte de ces facteurs doit être considérée comme une tendance de fond, car elle répond à de nouvelles exigences sur les lieux de vie (habitation comme travail). La revanche de la proximité répond à la combinaison d’exigences environnementales, sociétales, commerciales et psychologiques (recherche de lien) que l’on observe également dans d’autres pays européens. La proximité est un concept dynamique depuis sept ou huit ans, qui ne concerne pas uniquement le petit commerce. Les hypermarchés deviennent ainsi de plus en plus des espaces multiformats, divisés en petites unités.

II.   Une implantation territoriale inÉgale

La présente mission d’information a pour objectif de déterminer si nos concitoyens disposent de commerces de proximité et de comprendre quels mécanismes président à leur développement ou à leur fermeture. Le nombre important d’unités commerciales et des effectifs de salariés du commerce en France doit donc être affiné et interprété au regard de son maillage territorial.

Le commerce est par nature un secteur au contact direct de la population (sauf quand il s’exerce par voie électronique), au même titre que la santé, l’éducation ou les services publics. Il fait partie intégrante de l’économie présentielle, développée pour répondre au besoin de la population sur un territoire donné. Dès lors qu’il se raréfie ou disparaît, il peut générer chez les personnes touchées un sentiment d’abandon et amplifier les facteurs de désertification d’un territoire.

Les auditions conduites par la mission et l’analyse des statistiques de l’INSEE apportent une réponse sans ambiguïté : la France jouit d’un maillage dense de son territoire par les commerces de proximité, maillage renforcé par l’image positive qu’ont les consommateurs de ce type de commerce, mais il est inégal selon les zones géographiques ; le commerce reflète en effet la sociologie d’un territoire et la santé économique et démographique de celui-ci.

A.   Un solide maillage territorial

À la fin de 2017, la France comptait 300 000 points de vente dans le commerce de détail, dont un tiers dans le commerce alimentaire. Avec 73 millions de mètres carrés de surface commerciale pour près de 68 millions d’habitants, la densité commerciale était de 1,07 mètre carré par habitant. Rapportée par unité urbaine (nombre de commerces pour 10 000 habitants), elle s’établissait en 2017 à 66,9 commerces pour 10 000 habitants, avec les variations suivantes selon les catégories de villes.

Densité commerciale par unité urbaine

(Nombre de commerces pour 10 000 habitants)

Catégorie

Alimentaire

Maison

Personne

Autres

Total

< 5 000 ha

17

11,2

20,8

12,4

61,5

5 000 à 9 999 ha

18

13,3

29

14,4

74,7

10 000 à 19 999 ha

19,5

14,4

37,7

18,2

89,8

20 000 à 49 999 ha

18,6

14

40,8

17,8

91,2

50 000 à 99 999 ha

18,9

12,8

36,2

16,8

84,7

100 000 à 199 999 ha

13,2

6,9

16,8

10,2

47,1

≥ 200 000

13,9

8,6

23,6

12,3

58,3

Paris

16,6

9

32,4

18

76

Moyenne

15,7

9,9

27,2

14,1

66,9

Source : INSEE, 2017

Il existe par ailleurs une corrélation entre la surface de vente des différents commerces et l’aire géographique dans laquelle ils sont implantés. En règle générale, les pôles (qu’il ne faut pas confondre avec les centres-villes) accueillent des surfaces de vente pour 1 000 habitants supérieures à celles des couronnes.

Pour la compréhension du tableau ci-après, il est rappelé qu’une aire urbaine ou une grande aire urbaine est un ensemble de communes d’un seul tenant et sans enclave, constitué par un pôle urbain de plus de 10 000 emplois et par des communes rurales ou des unités urbaines dont au moins 40 % de la population résidente ayant un emploi travaille dans le pôle ou dans des communes attirées par celui-ci. Outre les grandes aires, les aires urbaines se déclinent ainsi depuis l’établissement d’un zonage en 2010 :

– moyennes aires : ensemble de communes, d’un seul tenant et sans enclave, constitué par un pôle urbain de 5 000 à 10 000 emplois, et par des communes rurales ou des unités urbaines dont au moins 40 % de la population résidente ayant un emploi travaille dans le pôle ou dans des communes attirées par celui-ci ;

– petites aires : même définition que les moyennes aires, mais pour des ensembles de communes de 1 500 à 5 000 emplois ;

– couronne : ensemble des communes d’une aire urbaine à l’exception de son pôle urbain ; au moins 40 % de la population résidente ayant un emploi travaille dans le pôle ou dans des communes attirées par celui-ci ;

– pôle urbain : unité urbaine offrant au moins 10 000 emplois ; on distingue également des moyens pôles (5 000 à 10 000 emplois) et des petits pôles (1 500 à 5 000 emplois).

Surface de vente pour 1 000 habitants selon la catégorie de l’aire urbaine

 

 

Alimentaire non
spécialisé

Alimentaire spécialisé

Loisirs,

culture,

TIC

Maison

Personne

Biens

médicaux

Autres

Total

Paris

220

90

80

110

240

50

110

880

Couronne de Paris

290

50

50

190

100

40

50

770

Grands pôles

440

100

130

380

210

70

120

1 430

Couronne des grands pôles

230

60

30

150

40

30

50

590

Moyens pôles

740

130

160

510

280

90

180

2 090

Couronne des moyens pôles

100

40

30

110

20

10

40

330

Petits pôles

840

120

80

460

150

80

140

1 870

Couronne des petits pôles

70

40

10

40

0

10

30

190

Couronnes multipolarisées des grandes aires urbaines

290

70

20

130

40

40

60

650

Autres communes multipolarisées

140

60

10

70

10

20

40

350

Communes isolées

340

110

60

120

30

40

70

770

En mètres carrés – Source : INSEE, 2017.

1.   Typologie des commerces les plus proches des consommateurs

Par nature, le commerce s’installe près de sa clientèle, mais ce lien de proximité varie selon les secteurs. Le commerce alimentaire spécialisé (qui comprend l’artisanat commercial tel que le définit l’INSEE : boulangerie, boulangerie-pâtisserie, cuisson de produits de boulangerie et charcuterie), le commerce alimentaire non spécialisé, les biens médicaux (pharmacies), les autres secteurs de la nomenclature (grands magasins, bazars, carburants, biens d’occasion) sont au plus proche des consommateurs de leur commune d’implantation. Leur zone de chalandise est en effet généralement celle de la commune et s’agissant des pharmacies, il est rappelé que l’autorisation de leur implantation dépend directement de la démographie. L’équipement de la personne entre moins dans ce cas. Enfin, les magasins de loisirs, de culture et de technologies de l’information et de la communication (TIC) ainsi que ceux de l’équipement de la maison ont moins de lien direct avec la population. Comme ils recherchent des surfaces de vente importantes, ils s’établissent dans des zones moins densément peuplées, avec comme corollaire des zones de chalandise allant au-delà de la commune d’implantation.

2.   Une dévitalisation commerciale croissante des centres-villes dans les années 2010-2020

Phénomène constaté au début des années 2000, la vacance commerciale s’est accentuée en 2015 dans les centres-villes ([19]) , comme l’a analysé un rapport de l’Inspection générale des finances (IGF) et du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) ([20]), à partir de données obtenues en collaboration avec l’Institut du commerce et de la ville. Sur 190 centres-villes étudiés, le taux de vacance ([21]) moyen, de 6,1 % en 2001, atteignait 10,4 % en 2015.

Ce phénomène n’était évidemment pas uniforme, mais il a augmenté sensiblement dans les villes moyennes de 10 000 à 100 000 habitants, qui se répartissent en villes-centres ([22]) (près de 300), banlieues (un peu plus de 450) et villes isolées (près de 60). Dix villes moyennes enregistraient en centre-ville un taux de vacance compris entre 0 et 5 % ; cinquante-neuf villes, entre 5 et 10 % ; enfin, quatre-vingt-six villes constataient un taux supérieur à 10 %. Un taux de 0 à 5 % est considéré comme conjoncturel. S’il est proche ou au-delà de 10 %, les fédérations de commerçants considèrent que l’attractivité commerciale de la ville est en danger.

Les vingt villes les plus touchées étaient en 2015 Béziers (24,4 %), Châtellerault (22,5 %), Forbach (21,9 %), Annonay (21,3 %), Dreux (19 %), Saint-Brieuc (18,9 %), Montélimar (18,4 %), Libourne (16,5 %), Marmande (15,2 %), Saint-Omer (15,2 %) et à des degrés moindres, Aubenas, Auxerre, Châlons-en-Champagne, Montceau-les-Mines, Morlaix, Saint-Étienne, Saint-Nazaire, Sens, Vesoul et Vienne. On notera que la plupart de ces villes ont conduit ou conduisent actuellement des plans de revitalisation urbaine et de dynamisation du commerce et que la déprise commerciale y a diminué.

La fédération pour l’urbanisme et le développement du commerce spécialisé (Procos) a confirmé cette tendance avec son diagnostic de la vacance commerciale de 200 villes d’agglomérations de plus de 50 000 habitants. Elle a montré en 2018 que les villes les plus fragiles étaient les petites villes moyennes dont la zone d’influence compte moins de 200 000 habitants, ce qui correspond à un centre-ville de 50 000 habitants environ ; elles présentaient une vacance commerciale moyenne supérieure à 13 % ([23]). Un commerce sur sept y était fermé. Dans certaines localités, ce taux est plus important : il dépasse 15 % dans un tiers des centres villes, et 20 % dans 14 % d’entre elles.

 

Le taux de vacance en fonction de la taille de la ville, en 2018

Source : Procos, 2018

Toujours selon Procos, la fréquentation des commerces de centre-ville a chuté de 38,7 % ([24]) entre 2013 et 2021. Dans son récent bilan de l’activité du commerce spécialisé, la fédération a consacré un chapitre à « l’enjeu majeur de la fréquentation des magasins », soulignant, du reste, que contrairement aux idées préconçues, « la baisse de fréquentation des points de vente n’est pas apparue avec la pandémie du Covid-19 ».

Une étude de l’INSEE (n° 1782, 2019) corrobore ces chiffres et affirme que les effectifs salariés du commerce ont baissé dans huit centres sur dix entre 2009 et 2015. Entre 2009 et 2015, les effectifs salariés du commerce de proximité en centre-ville ont diminué annuellement de plus de 1,4 % dans la moitié d’entre eux ([25]). Pour 82 % des centres-villes de villes moyennes, l’évolution tendancielle est négative. À l’inverse, les effectifs salariés du commerce de proximité en centre-ville progressent dans une minorité de villes moyennes, comme à Pontarlier (+ 1,8 %), Marmande (+ 2,4 %) ou encore Saint-Brevin-les-Pins (+ 2,6 %). La baisse des effectifs s’observe dans la totalité des régions métropolitaines. L’emploi salarié du commerce de proximité en centre-ville était en fort déclin, notamment dans les villes moyennes de Bourgogne-Franche-Comté, du Grand Est et des Pays de la Loire.

Ces tendances ont été confirmées par les données foncières recueillies auprès de la direction générale des finances publiques, qui ont fait état dans les villes moyennes d’un taux moyen de vacance de 8,4 % en 2015, soit un chiffre considéré comme préoccupant pour l’attractivité commerciale d’un territoire.

Le phénomène n’est toutefois pas général. Des villes comme Angers, Biarritz ou La Rochelle affichaient des taux de vacance inférieurs à 4 % et la santé commerciale de Mulhouse, pourtant une des rares villes françaises de plus de 100 000 habitants dont la population a baissé ces dernières années, a eu les honneurs du quotidien britannique The Guardian ([26]) pour être passée, grâce à une politique volontariste, de « ville morose à dynamique ».

Corrélation ou explication du phénomène, la déprise du commerce en centre-ville s’est accompagnée d’un ralentissement de l’activité des magasins qui y étaient situés, d’une diminution (4,1 %) du revenu mensuel des commerçants et, à cette période, d’un taux de pauvreté (15,9 %) plus élevé dans les villes moyennes qu’au plan national (14,8 %). Pour la plupart des observateurs, la vacance commerciale tient à un faisceau de causes :

– existence d’un marché de consommation non dynamique (faible évolution de la population, paupérisation, hausse de la vacance des logements…) ;

– conditions d’exploitation peu favorables à l’activité commerciale (pression fiscale, coût du foncier et des baux commerciaux…) doublées d’un environnement défavorable en centre-ville (équipements et services, accessibilité, sécurité…).

– déséquilibre de l’offre commerciale entre la centralité et sa périphérie.

En résumé, la déprise du commerce en centre-ville, notamment dans les villes moyennes, ne tient pas uniquement à un déséquilibre entre l’offre de produits et la demande, mais à des facteurs tels que la démographie, la santé économique d’un territoire (présence d’un tissu diversifié d’entreprises), des conditions d’exploitation et un environnement défavorables au commerce et enfin, une politique d’urbanisme qui, inconsciemment, dissuade de se rendre en centre-ville.

La présence de commerces en centre-ville apparaît donc moins comme un problème économique que comme une question d’aménagement urbain. « Face à la dévitalisation des centres-villes, réenchanter la ville » ([27]).

3.   Des périphéries également en crise

Un rapport du CGEDD de mars 2017 indique que « les surfaces commerciales augmentent depuis 15 ans en France de 3 % par an, soit deux fois plus vite que la consommation des ménages… Depuis 50 ans, 5 à 6 millions de m2 commerciaux sont autorisés chaque année ».

Ces surfaces sont largement implantées en périphérie et leur développement marque l’aspect des entrées de villes et des territoires périurbains des villes françaises de toute taille. En un demi-siècle, les périphéries ont accueilli les supermarchés consacrés aux produits alimentaires et d’entretien, allant de 400 à 2 500 m2, puis les hypermarchés et les enseignes d’activités spécialisées dans le bricolage, la jardinerie ou l’équipement de la maison. Les premiers centres commerciaux sont apparus dans les années 1980, suivis dans les années 1990 des parcs d’activités commerciales. Ainsi s’est dessiné un paysage dans lequel les enseignes et magasins s’étendent côte à côte, séparés par des parkings – l’automobile jouant un rôle central dans cette organisation spatiale – en excluant le plus souvent toute autre forme de commerce, comme les magasins qui auraient pu s’installer en pied d’immeuble. Les effets écologiques de ce phénomène sont connus et ont largement été débattus lors de l’examen du projet de loi « Climat et résilience » : banalisation des entrées de villes, mauvaise articulation des espaces commerciaux périphériques avec les autres zones urbaines, enlaidissement des paysages et artificialisation des sols.

Si ce type d’urbanisme commercial a correspondu un temps au mode de vie de nos concitoyens, il se trouve à son tour en crise. La multiplication des surfaces commerciales a conduit en certains points du territoire à une offre commerciale excessive, une suroffre comme l’ont affirmé les représentants de la Banque des territoires, auditionnés par la mission d’information, à la constitution de blocs monofonctionnels attirant moins les consommateurs. En outre, les attentes et les usages de ces derniers ont changé. La recherche de produits de qualité, biologiques, ou encore en circuit court, assurant une juste rémunération des producteurs, s’accommode mal d’une logique de gigantisme commercial.

La crise du Covid-19 a accéléré deux tendances : la recherche de proximité a remis en lumière les valeurs du commerce de centre-ville (contact humain, conseils, soutien à l’emploi) et le commerce électronique a accéléré sa croissance. Ce dernier représentait 8,5 % du chiffre d’affaires du commerce de détail en 2017 et 13 % en 2020. Ainsi qu’on le verra dans la partie du rapport consacrée à la digitalisation du commerce, les grands distributeurs physiques et les « pure players » se rapprochent car la faible progression du chiffre d’affaires de la grande distribution ces cinq dernières années l’oblige à rechercher des relais de croissance. Mais à ce jeu, les principaux acteurs d’internet disposent de moyens financiers importants pour acquérir des chaînes de distributeurs, comme Amazon avec les 470 supermarchés de Whole Foods (137 milliards de dollars) ou l’entrée du leader chinois des réseaux sociaux Tencent au capital de Carrefour Chine (390 magasins).

La convergence entre monde physique et monde numérique est inévitable. « Dans le futur, avoir un réseau physique et une marque forte ne suffira pas. Ne pas avoir de réseau physique sera un handicap sérieux » ([28]). Les consommateurs distingueront de moins en moins commerce physique et électronique, qu’ils perçoivent comme des modalités variées de leurs actes d’achat, comme en témoigne leur comportement pour les produits culturels, le tourisme, les vêtements et les chaussures.

La vacance commerciale n’est que le symptôme physique, tangible, d’une offre commerciale en excès. Les centres commerciaux (près de 840 unités en France, dont 80 % dans les périphéries) n’échappent pas au phénomène. Les difficultés sont particulièrement importantes pour les petits centres commerciaux, souvent adossés à de grandes surfaces alimentaires qui subissent la concurrence croissante de supérettes toujours plus nombreuses. Les taux de vacance sont parfois supérieurs à ceux observés dans les centres-villes. Les grands centres de plus de 100 magasins résistent mieux, en raison de leur offre variée, ainsi que le montre le graphique ci-dessous.

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Les professionnels du secteur ont indiqué au Gouvernement qu’un million de mètres carrés étaient à détruire en périphérie. Le Gouvernement en a pris acte mais se trouve face à une question : que faire ensuite de cet espace ? Des logements ? Le renaturer ? Il ne pourra en aucun cas servir à construire de nouveaux centres commerciaux car le Premier ministre, par la circulaire du 24 août 2020 sur le rôle des préfets en matière d’aménagement commercial dans le cadre de la lutte contre l’artificialisation, a décidé d’un moratoire sur les zones commerciales en périphérie.

En résumé, les interrogations sur le commerce en périphérie montrent que celui-ci est confronté à une offre commerciale excessive, mais qu’apparaît en outre un nouveau clivage, entre commerce physique et commerce digital, dont le fonctionnement modifie non seulement l’exercice du commerce mais est susceptible de jouer également sur sa localisation.

4.   L’importance des pôles de commerce

« Le rôle d’un magasin est de servir d’intermédiaire entre le producteur et le consommateur. Il s’agit pour lui de rendre disponibles, à proximité du client, des biens produits à divers endroits. Le client dépensant du temps et de l’argent pour se déplacer, les magasins doivent s’implanter à des emplacements stratégiques, proches de leur clientèle, mais aussi proches d’autres magasins, afin de profiter de la clientèle que ces autres magasins attirent.

« Ainsi, des zones commerçantes ont toujours existé en ville. Ces regroupements ont parfois été institutionnalisés, donnant naissance à des marchés couverts, tel celui d’Oxford créé en 1774, premier exemple de ce qu’on nommera plus tard les centres commerciaux ». ([29])

Pour les commerçants, l’implantation dans un lieu précis est un choix primordial. Certains peuvent trouver un intérêt supérieur à l’effet de la concurrence à se regrouper (TIC et loisirs, habillement, maroquinerie) dans des pôles commerciaux quand d’autres tels que les boulangers ou les coiffeurs souhaitent singulariser leur enseigne dans des espaces moins denses commercialement.

Un pôle commercial peut se définir comme un regroupement de magasins proches les uns des autres, relevant de plusieurs secteurs (alimentation, culture, habillement, artisanat, services à la personne). L’INSEE se sert d’un algorithme pour détecter les polarités commerciales. En centre-ville, un pôle doit correspondre à deux des trois caractéristiques suivantes :

– rassembler des établissements de petite taille (avec un effectif de moins de 8 salariés), regroupés dans un espace restreint, à raison de vingt unités ou plus dans un rayon de 200 mètres ;

– être proche du centre de la commune ;

– recouvrir une zone d’habitat importante.

En périphérie, un pôle est constitué d’un ou plusieurs magasins cumulant au moins 4 000 mètres carrés de surface commerciale, qui ne sont pas intégrés dans un pôle de centre-ville.

En 2015, le commerce de proximité comptait en métropole et à La Réunion 7 951 pôles, dont la majorité était en périphérie. En moyenne (mais les variations peuvent être fortes géographiquement), un pôle comprend 56 établissements et 300 salariés, soit pour l’ensemble des pôles un peu plus de 445 000 établissements, représentant 63,9 % du total des unités du commerce de proximité et 74,5 % de leurs salariés. Les pôles rassemblent donc la majorité de ce type de commerce.

62 % des pôles se situent en périphérie. Ils détiennent 65 % de la surface commerciale et 45 % des salariés, mais 23 % des unités, ce qui indique qu’ils sont composés de grands établissements. A contrario, les 38 % proches du centre rassemblent de plus petits établissements.

L’évolution des pôles reflète en fait l’étalement urbain qui caractérise notre pays depuis les années 1960. Les commerces ont suivi leur clientèle potentielle et tiré parti du recours à l’automobile. L’emploi salarié dans ces pôles est porté par le dynamisme des commerces en périphérie, alors qu’il est stable dans les centres-villes, voire en baisse dans les villes qui connaissent une crise démographique. Toutefois – et ce point sera rappelé à plusieurs reprises dans le présent rapport – aucune étude ne révèle de facteurs prouvant que la déprise du commerce de centre‑ville est due systématiquement au dynamisme de celui situé en périphérie.

De 2009 à 2015, l’existence des pôles, qui attirent la clientèle par la diversité de l’offre commerciale, a permis d’assurer globalement la croissance du commerce de proximité, avec en moyenne une hausse annuelle de 1,2 % des effectifs salariés. Mais les dynamiques diffèrent selon les pôles, avec 2,3 % de croissance en périphérie et 0,2 % dans les pôles de centre-ville, soit une évolution dix fois moindre.

On relèvera que les secteurs du commerce ne se répartissent pas toujours de manière analogue entre centre et périphérie, en raison à la fois du coût du foncier (qui interdit, s’il est trop élevé, d’installer un commerce vendant des produits à faible marge ou n’attirant pas un nombre important de clients) et des souhaits des consommateurs, qui viennent y vivre des expériences d’achat différentes. Ainsi, les restaurants et débits de boissons emploient deux fois plus de salariés en centre-ville qu’en périphérie, ou encore abritent des commerces de loisirs et de culture. À l’inverse, 38 % des salariés travaillent dans le commerce de détail alimentaire en périphérie, à comparer à 20 % en centre-ville. Enfin, certains commerces sont très présents dans un seul type de pôle, telles les agences de voyages, banques et agences immobilières en centre-ville, tandis que le bricolage, le sport, l’équipement de la maison ou la réparation automobile (qui nécessitent souvent de grandes surfaces d’exposition et de stationnement) se retrouvent en périphérie.

5.   Évolution de la localisation du commerce de proximité

Ainsi qu’indiqué supra, le commerce de proximité rassemble un peu plus de 696 000 établissements et 3,2 millions de salariés. Il s’agit donc d’un secteur dynamique, qui contribuait en 2018 à 10,4 % du PIB du pays, et dont le poids dans l’économie équivaut à celui de l’industrie.

Le dynamisme du commerce n’est toutefois pas uniforme sur le territoire. Dans les grandes lignes, la localisation des commerces de proximité a évolué comme suit depuis le début des années 2000.

a.   Le maintien des commerces de centre-ville dans les grandes villes et les villes touristiques

Les grandes villes de plus de 200 000 habitants – elles rassemblent près de 6 millions d’habitants – et les villes touristiques drainent des flux de consommateurs par le seul fait de leur masse démographique. Aussi sont-elles en mesure de leur proposer une offre commerciale diversifiée en centre-ville et dans leurs différentes centralités, tant pour des achats de quotidienneté (alimentation, produits d’entretien) que de loisirs. L’attractivité des centres-villes est encore accrue s’ils sont aménagés de manière à favoriser une mixité des usages (présence de plusieurs types d’activité tels que de l’artisanat, des bureaux, des cafés et restaurants, des théâtres, etc.), s’ils présentent un patrimoine architectural – qui induit la venue de touristes – et proposent des espaces verts.

Il a également été observé que la desserte en transports en commun favorisait le flux des consommateurs vers ces centres, à l’image des connexions des RER A, B et D à la station Châtelet qui irrigue le cœur de Paris, ou l’impact du tramway à Bordeaux, élargissant ainsi au-delà des résidents des centres-villes la masse de consommateurs qui fréquentent les magasins.

b.   La déprise du commerce de proximité dans les centres-villes des villes de taille intermédiaire

Les villes de taille intermédiaire assurent un maillage du territoire complémentaire à celui des métropoles. Elles étaient en 2019 au nombre de 368 d’après la classification de l’INSEE et relèvent de la catégorie des villes moyennes (villes ayant une population entre 20 000 et 100 000 habitants) ou de celle des petites villes (entre 3 000 et 20 000 habitants, dès lors qu’elles représentent un bassin de 5 000 emplois ou plus). Elles peuvent être industrielles, touristiques, en croissance ou au contraire en déclin démographique. Parmi elles, se trouvent des villes aussi diverses que Draguignan (près de 41 000 habitants), Vierzon (près de 27 000), Gaillac (15 500), Guéret (13 500), Capbreton (8 600 habitants, mais 50 000 en période estivale).

Ces villes ont globalement en commun de concentrer une activité commerciale dense dans des pôles de centre-ville, rassemblant un tiers des salariés du commerce dans un espace qui ne représente que 0,7 % de leur surface. Les commerces principalement représentés relèvent de l’équipement de la personne (habillement, chaussure, optique, pharmacie), de la restauration et des débits de boisson, des commerces alimentaires, des banques et des agences immobilières, avec des variations selon la taille du centre-ville. Les plus petits centres-villes accueillent principalement des agences bancaires et immobilières, des commerces alimentaires et des soins corporels. Lorsque le centre-ville est plus important, apparaissent davantage de restaurants et de cafés. Enfin, lorsque l’on dénombre plus de 300 unités commerciales, un équilibre s’établit entre secteurs d’activité avec, en règle générale, 25 % de commerces dans l’équipement de la personne, 20 % dans la restauration et les débits de boissons, 12 % dans les commerces alimentaires, les services de soins corporels, l’équipement de la maison, les agences immobilières et bancaires représentant chacune environ 10 %.

Bien que le commerce soit bien présent dans les villes intermédiaires, l’emploi salarié y a reculé dans les centres de 82 % d’entre elles, au profit de leur agglomération. L’alimentation et les magasins nécessitant de grandes surfaces d’exposition (meuble, bricolage, jardinerie, automobile et réparation automobile) se sont particulièrement installés dans des aires à la périphérie de ces centres, créant ainsi des pôles plus spécialisés qu’en centre-ville, où une plus grande diversité est de mise.

La déprise du commerce dans les centres des petites villes et villes moyennes a bien évidemment varié, avec des taux annuels de recul de l’emploi des salariés du commerce allant de 2,4 % à 5 % entre 2009 et 2015. C’est ce constat qui est à l’origine d’une série de rapports commandés par les pouvoirs publics et qui a conduit à la mise en place des programmes Action cœur de ville et Petites villes de demain.

c.   Le déclin des commerces de proximité en milieu rural

En 1980, les trois-quarts des communes rurales ([30]) disposaient au moins d’un commerce, tel qu’un tabac, une épicerie, une boulangerie ou un point de distribution des carburants, certains étant multiservices. En 2019, 59 % de ces communes n’avaient plus le moindre commerce, obligeant leurs habitants à parcourir en moyenne 2,2 km pour se rendre à une boulangerie.

L’implantation de supermarchés en périphérie des villes explique largement la fermeture de petits commerces alimentaires ([31]), en premier lieu les épiceries, puis les boulangeries et les boucheries. Le contraste s’est alors creusé entre des zones proches des villes, bien équipées en commerces et services et des zones rurales sous-équipées. Une transition s’est progressivement effectuée d’une logique de quadrillage du territoire permettant à chaque commune de disposer de ses commerces, vers une logique de synergie, dans laquelle les commerces profitent de la proximité d’autres commerces pour accroître leur fréquentation, doublée d’une logique d’accessibilité, dans laquelle les commerces profitent des réseaux de transport ([32]). Or ces logiques privilégient les villes.

S’il n’existe pas de lien systématique entre la déprise du commerce en centre-ville et son évolution en périphérie, il en va différemment des zones rurales. Il semble bien que l’offre commerciale de périphérie ait fragilisé le commerce dans les villages. Ce constat est à rapprocher des habitudes de mobilité des habitants ruraux et périurbains, qui travaillent le plus souvent en pôle urbain et qui, disposant de leur véhicule, y effectuent leurs achats pour gagner du temps.

Un autre phénomène a fragilisé les commerces en milieu rural : non contents de s’installer en périphérie, les supermarchés se sont implantés à partir des années 1980 dans les campagnes. La grande distribution a bénéficié de l’appui des élus qui y voyaient un facteur de développement de l’emploi et de dynamisme économique pour leur commune. Avec l’installation de surfaces commerciales éloignées des domiciles et dotées de parkings, la mobilité automobile a pris le pas sur la mobilité piétonne qui prévalait jusqu’alors dans les rues des villages.

Les fermetures de commerces en milieu rural, notamment des petits commerces, sont particulièrement préoccupantes pour les personnes à faible mobilité puisque les habitants sont quotidiennement dépendants de leur véhicule particulier pour se rendre à leur travail, effectuer leurs achats et disposer de leur temps libre. L’augmentation de la distance entre les commerces et les domiciles accentue l’isolement des personnes âgées et de celles qui n’ont pas de véhicule. L’absence de commerces peut également constituer un frein à l’installation de nouveaux habitants et à l’implantation d’entreprises.

Pour les élus locaux, attirer de nouveaux commerces est désormais devenu un enjeu crucial d’attractivité. Les commerces sont perçus comme des équipements, au même titre que des services publics, qui peuvent conditionner l’installation de nouveaux habitants.

Là encore, les situations varient car les communes rurales ne sont pas homogènes. Certaines sont touristiques et la clientèle de passage compense la faiblesse de la demande locale ; d’autres sont isolées mais servent de point de rencontre pour les habitants de leur arrière-pays ; d’autres enfin sont placées sur des axes routiers qui captent des clients de passage.

Bien que notre pays connaisse une tendance à la rurbanisation, accentuée par la crise du Covid-19, la nouvelle donne démographique ne s’est pas accompagnée d’un développement concomitant des commerces en zone rurale, ce qui a des conséquences sur le mode de vie de millions de nos concitoyens, notamment la nécessité de disposer d’une voiture ([33]).

Le constat ne saurait toutefois être alarmiste à l’excès. De nombreuses communes rurales demeurent commerçantes, surtout si elles ont été au long de leur histoire des lieux de passage ([34]), si elles abritent au moins 5 000 habitants ([35]), si elles sont situées à 20 minutes ou plus de grandes aires urbaines, ce qui limite la concurrence des grandes surfaces, ou encore si elles parviennent à exercer une attraction sur un bassin de population d’au moins 25 000 personnes vivant à 15 minutes de route.

6.   Évaluation de la proximité de la desserte commerciale selon les secteurs et les régions

Les conditions d’accès de nos concitoyens à des services et des commerces de proximité sont un enjeu de politique territoriale. Les communes ont besoin de commerces pour maintenir ou attirer des habitants. L’accessibilité des commerces dépend de plusieurs facteurs, mais celui qui apparaît prépondérant est le temps de trajet depuis le domicile ou le lieu de travail vers les commerces.

La mission d’information dispose de trois études pour évaluer la proximité de la desserte commerciale en France par rapport aux lieux de vie des consommateurs : la part des dépenses effectuées localement, le temps que la population met en moyenne pour se rendre dans des commerces et la déclinaison des temps de trajet par régions métropolitaines.

a.   La part des dépenses effectuées localement

La part des dépenses effectuées localement s’établit comme suit :

Les dépenses accomplies localement varient selon les secteurs. Les dépenses d’alimentation sont prédominantes à moins de 1 et 2 kilomètres du domicile, ce qui laisse en outre entendre que les courses peuvent s’effectuer à pied ou à vélo sur d’aussi courtes distances, sauf si elles font partie d’un trajet plus large, incluant par exemple le fait de ramener les enfants de l’école ou de revenir d’un rendez-vous chez un praticien de santé spécialisé (ophtalmologiste par exemple). Le taux des dépenses alimentaires faites localement dépasse 90 % dans un rayon de 9 kilomètres, ce qui induit le recours à un véhicule et la fréquentation non seulement de petits commerces mais également de supérettes, de supermarchés ou d’hypermarchés.

Lorsque le produit n’est pas alimentaire et qu’il ne s’achète pas quotidiennement – tel est le cas de l’ameublement ou de l’habillement –, on observe que la part des dépenses est minoritaire dans un rayon immédiat (1 à 2 kilomètres). Les commerces de ces secteurs ne sont en effet pas implantés en tous lieux car ils desservent des zones de chalandise plus vastes que la commune de leur implantation.

b.   Temps moyen que met la population pour se rendre dans des commerces

Statistiquement, la moitié de la population française, qui vit dans 3 000 communes, accède en moins de 4 minutes aux produits qui composent le panier de la vie courante ([36]). 5 % de la population, résidant dans 13 000 communes, accomplit un trajet de 9 minutes.

Les tableaux ci-après recensent la part de la population éloignée de plus de 7 et de plus de 15 minutes de différentes catégories de commerces de proximité. Il est rappelé que 7 et 15 minutes à pied représentent, respectivement, un peu moins de 1 kilomètre et de 2 kilomètres.

Population à plus de 7 minutes d’un commerce

Type de commerce

Part de la population (1)

Nombre de personnes (1)

Boulangerie

2,7 %

1 819 800

Boucherie - Charcuterie

9,7 %

6 537 800

Fleuriste

10,8 %

7 279 200

Épicerie - Supérette

8,9 %

5 998 600

Part de la population à plus de 15 minutes d’un commerce

Type de commerce

Part de la population (1)

Nombre de personnes (1)

Supermarché

2,3 %

1 550 200

Librairie, papeterie, journaux

2,7 %

1 819 800

Vêtements

2,6 %

1 752 400

Équipement de la maison

6,2 %

4 178 800

Chaussures

7,9 %

5 324 600

Électroménager et audio-vidéo

7 %

4 718 000

Meubles

6,6 %

4 448 400

Articles de sport et de loisirs

6,1 %

4 111 400

Parfumerie

13,3 %

8 964 200

Horlogerie

10,2 %

6 874 800

Optique

3,8 %

2 561 200

Station-service

1,5 %

1 011 000

Droguerie, quincaillerie et bricolage

2,6 %

1 572 400

(1)     Sur la base d’une population de 67,4 millions d’habitants au 1er janvier 2021.

Source : INSEE.

Il ressort des deux tableaux ci-dessus qu’une très large majorité de la population est à proximité d’un commerce (97,3 % pour les boulangeries et les librairies papeteries, 97,4 % pour les magasins de vêtements, 97,3 % pour les supermarchés), preuve d’un maillage dense du territoire en commerces. En moyenne, un trajet de 15 minutes assure à 90 % de la population un accès à un large éventail de produits, mais ce maillage n’est pas uniforme ; il varie par secteur. Il dépend de la quotidienneté des actes d’achat. Plus les produits proposés sont liés à cette quotidienneté, plus la proximité avec la population est importante. Cette donnée doit toutefois être croisée avec le mode de déplacement. La proximité n’est pas vécue de la même manière selon que les achats sont effectués à pied, à vélo ou en véhicule.

On observera que lorsque les pourcentages sont convertis en valeur absolue, le nombre de personnes vivant à plus de 7 ou de 15 minutes d’un commerce varie entre un et plusieurs millions. La déprise du commerce de proximité est bien une réalité tangible, qui exige pour ces personnes d’utiliser un véhicule pour faire leurs courses, de recourir à l’aide de leurs voisins ou d’associations lorsqu’elles ne peuvent se déplacer ou se faire livrer.

c.   Déclinaison des temps de trajet par régions

Les données qui suivent ont été publiées par l’INSEE dans une étude mettant en lumière le lien entre l’accès aux services et la densité de population des territoires ([37]).

Si, comme indiqué supra, une large partie de la population a accès entre 4 et 7 minutes à un large éventail de commerces et de services de base, il existe d’importantes différences territoriales. Entre les communes densément peuplées, où les commerces se concentrent, et celles caractérisées par un habitat dispersé, les temps de trajet des habitants vers des commerces peuvent considérablement varier, certains pouvant d’ailleurs faire leurs courses à pied quand d’autres ont besoin de leur véhicule ou d’une offre de transports en commun. Le fait d’inclure la mobilité automobile dans le calcul des temps de trajet rend proches des commerces éloignés de plusieurs kilomètres, notamment ceux de la grande distribution, alors qu’une logique de proximité aboutit théoriquement à pouvoir effectuer ses achats à pied. Le relief, l’état des routes, le temps de recherche d’une place de stationnement peuvent également jouer. Le constat – logique - est que les habitants des pôles urbains et périurbains accèdent rapidement aux services et commerces dont ils ont besoin, alors que les temps d’accès sont plus longs pour les personnes vivant au-delà des zones périurbaines.

Dans les pôles urbains et périurbains, le temps médian d’accès aux principaux services et commerces de quotidienneté s’établit à 3 minutes et demie. Dans les territoires peu denses, il s’établit à 6 minutes et à 10 minutes dans les territoires très peu denses, ce qui signifie que les commerces sont à plusieurs kilomètres des habitations si le consommateur doit utiliser un véhicule.

Le tableau ci-après montre la part de la population accédant aux principaux services et commerces de la vie courante en moins de sept minutes.

Répartition régionale des temps d’accès
aux commerces et services de proximité

Région

Part de la population ayant accès en moins de 7 minutes aux commerces de la vie courante

Corse

56,4 %

Bourgogne Franche-Comté

74,8 %

Centre Val-de-Loire

79,6 %

Nouvelle-Aquitaine

81,4 %

Normandie

82,4 %

Grand-Est

84 %

Occitanie

84,6 %

Auvergne-Rhône-Alpes

86,7 %

Bretagne

87,6 %

Pays de la Loire

88,2 %

Hauts-de-France

90,9 %

Provence-Alpes-Côte d’Azur

94,7 %

Ile-de-France

98,8 %

Source : INSEE

À titre d’observation, ce temps de 7 minutes correspond à un trajet en véhicule. Il n’a donc pas la même signification selon les zones géographiques où vivent les consommateurs. Dans une ville dense, 7 minutes équivalent en moyenne à parcourir une distance de 3 kilomètres si le trafic est fluide et le stationnement facile, mais ce temps passe à 27 minutes en cas de bouchon ou de stationnement rare. En bus, 7 minutes correspondent à 3 kilomètres en cas de trafic fluide et 18 minutes si des embouteillages se présentent. À vélo, cette distance de 3 kilomètres nécessite en moyenne 12 minutes, et 36 minutes si elle s’effectue à pied. En conséquence, le tableau ne présente que des moyennes et ne tient compte ni de la situation de chaque personne (disponibilité d’un véhicule et capacité à le conduire, accès à des transports en commun et commodité de ceux-ci pour faire des courses), ni du bilan écologique des modes de transport.

On relèvera qu’il s’agit des régions telles qu’issues de la loi n° 2015-29 du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions et que des disparités sont constatées entre anciennes régions. Ainsi, dans les Hauts-de-France, 97 % des habitants du Nord-Pas-de-Calais ont accès en moins de 7 minutes à des commerces, à comparer à 78 % en Picardie. Dans le Grand-Est, les taux d’accès des habitants des anciennes régions d’Alsace, de Lorraine et de Champagne s’établissent respectivement à 95 %, 82 % et 73 %.

Les variations sont encore plus fortes aux échelles départementales et infra-départementales. La carte ci-après montre le lien qui existe entre le temps d’accès aux commerces et services de la vie courante et la densité de la population. Les zones urbanisées que sont les métropoles et les agglomérations, ainsi que la totalité des chefs-lieux de département, quelle que soit leur taille, offrent à leurs habitants des temps d’accès plus rapides que les communes périphériques ou peu densément peuplées. Il convient également de tenir compte de la géographie, notamment des zones de montagne qui allongent les trajets dans certains territoires (Pyrénées, Cévennes, Sud des Alpes).

Ces temps se modifient si l’on prend en compte les commerces et services de la gamme intermédiaire (supermarchés, librairies, collèges…) et de la gamme supérieure (lycées, hypermarchés, hôpitaux, cinémas…). Dans les pôles urbains, le temps médian d’accès à ces commerces est autour de 13 minutes et s’allonge lorsqu’on s’éloigne des villes, allant jusqu’à 25 minutes pour les zones peu densément peuplées.

On notera enfin que le temps d’accès aux commerces et aux services constitue certes une clé intéressante pour analyser le degré de proximité de nos concitoyens avec leurs commerces, mais que cette clé est incomplète. Elle ne prend pas en compte la diversité des produits qui leur sont proposés, ni leur qualité ou encore leurs vertus écologiques (circuits courts, produits issus du recyclage). Cette approche doit donc être complétée par d’autres facteurs, comme l’existence de commerces multiservices (bar tabac offrant d’autres prestations telles que le compte Nickel, la vente de journaux, voire de la petite épicerie), de marchés hebdomadaires, d’actions sur la mobilité, de commerces itinérants. Il est donc difficile de dresser un tableau général. Les situations relèvent des réalités locales et comme l’ont constaté les membres de la mission lors des auditions, les maires et présidents d’intercommunalités vont jouer sur toutes les compétences qui leur sont dévolues par la loi, avec l’appui des départements, pour rapprocher leurs concitoyens des commerces, via leur politique de mobilité, de désenclavement, ou encore de mixité des usages de l’espace (cf. deuxième partie du présent rapport).

 

 

Temps d’accès médian routier (en minutes)
aux principaux services et commerces de la vie courante

Source : INSEE

B.   Un maillage renforcé par une image positive

Comme l’ont rappelé l’ensemble des représentants des fédérations de commerçants auditionnés par la mission d’information, le commerce de proximité est confronté à des mutations d’envergure, mais globalement, il demeure en croissance, d’autant qu’il jouit chez les consommateurs d’une image positive.

1.   Les attentes envers le commerce de proximité

Si les hypermarchés demeurent le mode de distribution le plus utilisé par nos concitoyens, leur fréquentation hebdomadaire a diminué de six points entre 2012 et 2017, au profit d’autres acteurs tels que les supermarchés, les supérettes, les commerces indépendants et le commerce électronique. Comme les prix et le très large choix proposés par la grande distribution sont les premières raisons pour lesquelles le consommateur se rend en hypermarché, la résistance, voire le regain du commerce de proximité montre que d’autres critères ont émergé dans le comportement de la clientèle.

Dans les grandes lignes, les consommateurs attendent trois éléments de la grande distribution :

– des prix bas (attente forte) ;

– la largeur de la gamme de produits ;

– la proximité, car la densité de l’offre commerciale, notamment celle des chaînes, conduit à ce que ce type de commerce est souvent proche du domicile ou du travail.

A contrario, l’intérêt que le consommateur trouve au commerce de proximité indépendant, notamment au petit commerce, réside essentiellement dans la complémentarité de son offre, c’est-à-dire disposer de plus de choix dans un domaine précis (produits pour enfants, produits alimentaires spécifiques), dans sa zone de chalandise, correspondant au mode de vie qui est le sien. D’autres facteurs sont apparus ces dernières années, consolidant ainsi l’image positive du commerce de proximité.

Il semble évident que les scandales alimentaires ont créé une atmosphère de défiance envers la grande distribution et que parallèlement, les préoccupations environnementales ont donné à nos concitoyens l’envie de soutenir des produits locaux, en circuit court, voire des produits biologiques, dont la consommation s’accroît chaque année. La traçabilité – savoir d’où vient le produit – voire la connaissance du producteur grâce à une fiche de présentation de celui-ci jointe au produit sont des pratiques de plus en plus usitées, montrant que des facteurs psychologiques ont autant, sinon plus d’importance que le prix, du moins quand le consommateur dispose d’un pouvoir d’achat lui permettant d’opérer ce type de choix ([38]).

Plusieurs enquêtes du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (CREDOC) ([39]) ont montré l’évolution des attentes des consommateurs. Elles indiquent notamment que si le prix et les aspects pratiques des actes d’achat, tel le parking, demeurent importants, la notion de plaisir, la recherche de produits de qualité et la qualité des relations humaines sont de plus en plus privilégiées par les consommateurs, comme le montre le tableau ci-dessous sur les critères conduisant la clientèle à fréquenter un magasin alimentaire.

 

 

Évolution des critères de fréquentation des magasins

(En %)

Critères

2012

2017

Le plus proche

55

66

Le moins cher

39

33

Offre de plus de choix

31

31

Le plus agréable

15

22

Faire ses courses rapidement

21

18

Présence d’un parking

24

18

Le moins d’affluence

11

11

Source : CREDOC, enquête de 2017 sur les tendances de consommation. En pourcentage des personnes ayant fait l’objet de l’enquête.

La proximité est le premier des critères invoqués par les consommateurs parce que, consciemment ou inconsciemment, elle est attachée à l’approvisionnement en produits locaux – en quelque sorte, le souhait de soutenir l’économie du territoire où l’on vit – et qu’elle crée du lien social entre les personnes qui fréquentent un magasin, faisant de ce dernier un lieu social. La proximité est liée à une envie de solidarité locale.

La crise du Covid-19 a amplifié la prise de conscience de l’importance du lien social. Lors des confinements, rares ont été les commerces autorisés à accueillir le public. Les restrictions de circulation ont obligé les consommateurs à se rendre dans les commerces les plus proches de chez eux, pour les uns des grandes surfaces, pour les autres des petits commerces. S’approvisionner localement a même constitué un acte citoyen car de nombreuses personnes ont perçu les risques que la crise sanitaire faisait courir sur l’emploi dans leur territoire.

Ainsi que l’a rappelé M. Franck Lehuédé, directeur au CREDOC, lors de son audition par la mission, « la confiance dans le commerce de proximité obéit à un mécanisme psychologique. C’est une notion subjective et non objective, fondée sur la présomption que la personne que l’on croise en magasin, devant l’école, pendant les loisirs, est digne de confiance. Cette confiance va vers la bienveillance et n’a pas de lien avec le métier que la personne exerce ».

2.   Autant de commerces de proximité que de micro-marchés

La conséquence de l’attachement à la proximité est que le consommateur n’hésite pas à se rendre dans plusieurs magasins pour rechercher les produits qu’il apprécie. Ce comportement favorise la diversité de l’offre commerciale et la multiplication du nombre de boutiques, à la différence des hypermarchés qui concentrent leur offre en un lieu unique.

On notera que le consommateur fait également ses courses plusieurs fois par semaine, et ce dans tous les circuits de distribution : grandes enseignes, petits commerces de proximité, chaînes de produits surgelés, ce qui indique sa préférence pour des achats fragmentés, d’appoint, qu’il accomplit avant ou après ses heures de travail, voire pendant sa pause du déjeuner, ciblant précisément ses achats.

La fragmentation des achats est liée à l’apparition de micro-marchés correspondant à la satisfaction d’attentes diverses des consommateurs. Là où le modèle de l’hypermarché a correspondu à un mode de vie consistant à faire ses courses en moyenne une fois par semaine, en utilisant son véhicule, succède de manière croissante une tendance à se rendre dans de multiples lieux : recherche de produits frais, emballés ou en vrac ; de produits biologiques, spécifiques, nouveaux (comme l’achat et la réparation de vélos, en plein essor), de produits et services consommés en week-end comme les apéritifs ou les soins de beauté. Rappelons également que de nombreux commerçants créent des activités centrées sur des produits ou des gammes de produits spécifiques (type d’habillement, produits artisanaux manufacturés aussi divers que les bougies ou les articles de maroquinerie, produits alimentaires sophistiqués tels que des confitures haut de gamme, produits alimentaires en AOC ou IGP, librairies générales et spécialisées – en bandes dessinées ou en mangas par exemple – espaces de bien-être, de relaxation, de yoga, etc.). Autant d’offres rarement prises en compte par la grande distribution car elles relèvent de marchés locaux, portent sur de petites quantités, à l’opposé du modèle des centrales d’achat, correspondent à des tendances de consommation anticipées par les créateurs de commerces, qui peuvent agir et réagir rapidement sur l’offre de produits.

Trois facteurs plaident enfin en faveur du commerce de proximité : le premier est le vieillissement de la population. Il apparaît que le choix du commerce de proximité grandit avec l’âge car les sexagénaires ont connu ce type de commerce dans leur enfance et apprécient de s’y rendre. Le second est la prise de conscience d’enjeux politiques tels que les droits des salariés, le développement durable et l’intérêt des circuits courts, qui peuvent conduire le consommateur à accepter de payer un produit plus cher. Enfin, même s’il s’agit d’un facteur plus marginal, un désir de différenciation sociale (cf. effet de Duesenberry) ([40]), peut aussi conduire le consommateur à rechercher des produits originaux, rares, en petites séries, que l’on trouve principalement dans des boutiques spécialisées.

3.   Le marché de plein air, symbole de la convivialité et de la proximité

Rien n’illustre mieux l’importance du lien social dans le commerce que la résurgence des marchés de plein air. En déclin de 1970 à 2000 en raison de la croissance des hypermarchés et des centres commerciaux, ils bénéficient à nouveau d’un véritable engouement.

D’après l’INSEE et la fédération du commerce et de la distribution, 6 490 communes accueillaient en 2018 au moins un marché, certaines plusieurs fois par semaine. Le nombre de marchés alimentaires s’établissait à 10 683, dont 39 % se tenaient dans des communes de moins de 2 000 habitants. S’agissant des grandes villes, les cinq villes abritant le plus de marchés par semaine étaient Paris (213), Marseille (110), Lyon (91), Toulouse (70) et Bordeaux (50). Les principaux produits vendus étaient les fruits et légumes (35 %), les viandes (18 %), les produits laitiers (13 %) et les poissons et crustacés (11 %).

Ces marchés et leurs emplacements sont souvent séculaires. « À Paris, le marché d’Aligre existe au moins depuis la fin du XVIIIe siècle. À Villefranche de Rouergue, la place Notre-Dame accueille les commerçants le jeudi, depuis la fondation de la bastide au XIIIe siècle » ([41]). Les Halles médiévales de Dives-sur-mer (Calvados) ont été édifiées entre 1405 et 1423, sans doute à l’emplacement d’un ancien marché datant du XIe siècle. Le plus vieux marché couvert de Paris, celui des Enfants Rouges, date pour sa part de 1615.

Les marchés ont un effet sur les commerces sédentaires des endroits où ils se situent. Il est courant que les consommateurs ponctuent leurs courses d’une halte dans un café ou effectuent d’autres achats, dans une quincaillerie ou une supérette. À Aix-en-Provence, la présence du marché augmente de 35 % la fréquentation du centre-ville.

La caractéristique première de ces marchés est d’être situés sur des espaces publics. Ils sont donc des lieux de brassage où il est loisible à chacun de profiter de la présence de nombreux consommateurs pour distribuer des tracts en période électorale, jouer de la musique en plein air, etc., toutes choses impossibles à faire dans des galeries commerçantes ou des hypermarchés, qui sont des espaces privés.

Les marchés pérennes se distinguent des marchés éphémères mis en place pour l’animation des rues ou encore des ventes au déballage, par l’application de règles strictes de fonctionnement. S’ils contribuent à l’animation d’un quartier ou d’un village, à sa vie sociale, ils sont essentiellement des espaces mercantiles avec leur logique propre et leur organisation découlant de la circulaire n° 77-507 : dévolution précise d’un espace à chaque commerçant, présence de placiers, trajet et stationnement des camions et camionnettes, stockage des marchandises, gestion (un marché relève de la compétence du maire, qui peut en déléguer la gestion à une société spécialisée), nettoyage post-marché…

Il apparaît que les marchés les plus florissants se retrouvent dans les métropoles, là où l’offre de commerces sédentaires est déjà dense. Dans les petites villes et villes moyennes, qui souffrent d’une déprise des commerces, ils permettent à la population de s’approvisionner entre une à plusieurs fois par semaine en produits frais. Face à la diversification des sources d’approvisionnement des consommateurs (commerces spécialisés, boutiques bio, marchés éphémères de producteurs…), ils réussissent à s’adapter en accueillant des étals de circuits courts ou des producteurs qui se livrent à de la vente directe aux consommateurs. Ils sont donc indispensables à la vie économique et sociale de nombreux territoires, outre l’atmosphère de convivialité qu’ils créent.

Malgré la résurgence des marchés, les professionnels non sédentaires sont confrontés à plusieurs problèmes. Il arrive parfois qu’un marché soit déplacé en raison d’un évènement que privilégie une municipalité, ce qui désorganise la vente. Les commerçants sont obligés notamment de trouver de nouvelles places pour se garer. Or les professionnels non sédentaires sont des commerçants à part entière et dans de nombreuses villes, le marché est présenté comme un facteur d’attractivité. Il serait en conséquence logique pour votre rapporteure que l’emplacement d’un marché soit intégré dans les stratégies commerciales des municipalités et intercommunalités et par voie de conséquence, soit inscrit dans les documents d’urbanisme pour sécuriser les conditions de travail des commerçants non sédentaires.

 

Proposition n° 1 : assurer la prise en compte des espaces dévolus aux marchés de plein air dans les stratégies commerciales locales traduites dans les documents d’urbanisme – ScoT (DAAC) et PLUi (PADD) afin de sécuriser le travail des commerçants non sédentaires.

En outre, votre rapporteure rappelle que les commerçants présents sur les marchés appartiennent à une profession réglementée, soumise à un règlement type des marchés se fondant sur la circulaire n° 77-507 précitée. Ce règlement doit constamment être adapté aux évolutions législatives et la fédération nationale des marchés de France, qui y travaille, souhaiterait que le Gouvernement valide un document actualisé. Les municipalités disposeraient ainsi d’un outil juridique fiable pour gérer les marchés.

 

Proposition n° 2 : actualiser le règlement-type des marchés de France.

C.   Le reflet de la démographie et de la sociologie d’un territoire

Les commerces ferment ou au contraire se développent dans les territoires parce qu’ils sont un baromètre de sa santé économique et qu’ils en reflètent le dynamisme démographique ainsi que le niveau de vie.

1.   Un lien entre évolution de la démographie et du commerce de proximité qu’il importe de nuancer au niveau infra-départemental

Le rapport commun de l’IGF et du CGEDD de juillet 2016 précité rappelle logiquement que la demande, ou l’évolution du nombre de consommateurs, constitue le premier déterminant du développement d’un marché de consommation ([42]).

D’après les données fournies à la mission par l’INSEE, l’évolution du nombre d’établissements de l’ensemble du commerce de proximité entre 2009 et 2015 est fortement corrélée à l’évolution de la population sur la même période. Il en est de même pour l’évolution de l’emploi salarié. Les tableaux ci-dessous étayent cette corrélation en isolant les départements ayant subi les plus importantes variations de population et présentant les évolutions respectives du nombre d’établissements de proximité et des effectifs salariés. Il ressort de cet échantillon que l’ensemble des départements en déprise démographique ont enregistré une perte de commerces de proximité et d’emplois salariés. À l’inverse, il apparaît que l’ensemble des départements dynamiques démographiquement ont gagné des commerces et des emplois.

Dix départements ayant enregistré la plus grande perte d’habitants
entre 2010 et 2016

Département

 

 

Évolution de la population entre 2010 et 2016

 

Nombre d’établissements gagnés ou perdus tendanciellement par an entre 2009 et 2015

 

Nombre d’emplois salariés gagnés ou perdus tendanciellement par an entre 2009 et 2015

Nièvre

-10 423

-33,79

-129,14

Vosges

-10 083

-21,57

-77,64

Ardennes

-7 879

-37,93

-20,89

Indre

-7 671

-24,32

-83,86

Orne

-6 334

-36,89

-115,57

Haute-Marne

-5 955

-21,75

-81,61

Meuse

-4 868

-7,57

-47,75

Aisne

-4 372

-44,89

-57,32

Cher

-4 147

-29,96

-127,89

Creuse

-3 527

-17,00

-49,25

Source : INSEE, 2016

 

 

 

 

 

 

Dix départements ayant enregistré le plus grand gain d’habitants
entre 2010 et 2016

Département

 

 

Évolution de la population entre 2010 et 2016

 

Nombre d’établissements gagnés ou perdus tendanciellement par an entre 2009 et 2015

 

Nombre d’emplois salariés gagnés ou perdus tendanciellement par an entre 2009 et 2015

Gironde

117 434

214,14

1047,89

Rhône

110 726

148,96

945,29

Haute-Garonne

104 542

112,04

564,75

Loire-Atlantique

98 800

77,79

684,39

Hérault

87 923

93,25

761,00

Seine-Saint-Denis

84 612

108,32

1033,93

Seine-et-Marne

72 800

76,46

737,00

Essonne

71 990

57,29

39,64

Ille-et-Vilaine

63 639

41,61

520,18

Haute-Savoie

63 328

127,46

942,79

Source : INSEE, 2016

Malgré ce lien établi entre démographie et commerce de proximité, de nombreux intervenants ont précisé que l’analyse à l’échelle départementale masquait de fortes disparités entre les communes d’un même département. L’INSEE, la Confédération des commerçants de France (CCF), le Syndicat des indépendants (SDI), entre autres, ont ainsi proposé à la mission d’information de se concentrer sur l’échelle infra-départementale et particulièrement de resserrer l’analyse sur les centres villes et les petites et moyennes villes.

À titre d’illustration, l’offre des commerces de proximité demeure concentrée dans certains territoires, comme en témoigne l’exemple de la Charente où dix communes concentrent la majorité de l’offre commerciale et 27 % n’ont plus de commerce. La concentration de commerces en Gironde est également patente, avec l’attraction par la métropole de Bordeaux de la moitié de la population du département dans sa zone de chalandise. L’aire de Mont-de-Marsan ou bien celle de Grenade-sur-l’Adour dans les Landes constituent d’autres exemples reflétant la réalité de repli du commerce de centre-ville dans les petites et moyennes villes, respectivement de l’ordre de -2,4 % et -10,4 % par an.

Le rapport précité de l’IGF et du CGEDD ([43]) indique également que la population des aires urbaines de moins de 200 000 habitants augmente de façon moins forte que celle des aires de plus grande taille. Ainsi, entre 2007 et 2017, la population des aires de 50 000 à moins de 200 000 habitants a augmenté de 0,34 % en moyenne par an et de 0,13 % pour les aires de moins de 50 000 habitants, contre 0,38 % pour les aires de 200 000 à 700 000 habitants et 0,89 % pour les aires de plus de 700 000 habitants. L’augmentation moins rapide de la démographie des villes moyennes se traduit par un taux de vacance des logements dans ces villes plus élevé (6,2 %) que la moyenne nationale (5,7 %) en 2012 ([44]).

M. François-Xavier Brunet, vice-président des chambres de commerce et d’industrie (CCI France) et M. Robert Martin, président du club des managers de centre-ville, ont également souligné une dynamique démographique différente entre les pôles de centre-ville et les pôles de périphérie. Le taux de vacance de logements supérieur dans les centres des villes moyennes et petites par rapport à leurs périphéries témoigne d’une démographie plus dynamique dans ces dernières. En 2018, ce taux de vacance était autour de 8 % dans les centres de ces villes contre 5,9 % dans les périphéries, mais dépassait 15 % dans cinq aires urbaines.

L’étude précitée de l’INSEE distingue l’évolution du dynamisme des pôles de commerce de proximité en centre-ville et en périphérie entre 2009 et 2015 ([45]). Il apparaît que les pôles de périphérie observent une augmentation de 2,3 % de l’effectif salarié sur la période. À l’inverse, les pôles de centre-ville observent une stabilité de l’effectif salarié à 0,2 % sur la période.

Les données de l’étude indiquent que les effectifs salariés augmentent de plus de 1 % dans plus 59 % des pôles de périphérie contre 32 % des pôles de centre‑ville. 17 % des pôles de périphérie présentent une hausse de plus de 10 % des effectifs salariés du commerce de proximité. À l’opposé, la déprise du commerce de proximité est plus marquée dans les pôles de centre-ville : l’emploi salarié baisse dans 38 % des pôles de centre-ville, contre 23 % des pôles de périphérie.

L’INSEE constate que les pôles de centre-ville sont sensibles à l’évolution démographique des aires dans lesquelles ils se trouvent. Il observe qu’une proportion importante de pôles de centre-ville en déprise se situe dans une aire géographique dans laquelle la population diminue. En effet, neuf fois sur dix, la déprise démographique des villes de taille intermédiaire s’accompagnerait d’un centre-ville en décroissance, avec un emploi salarié qui se replierait nettement dans 57 % des pôles de centre-ville. Ce phénomène se vérifie notamment dans les aires d’attraction des villes de moins de 200 000 habitants, les moins dynamiques démographiquement. Comme il peut être constaté dans le graphique ci-dessous, les pôles de centre-ville sont sensibles au paramètre démographique car plus la taille de l’aire diminue, plus les effectifs salariés diminuent, conduisant à un décrochage du commerce de proximité.

Déprise du commerce dans les petites et moyennes villes

Source : INSEE, 2021

À l’échelle départementale, il est évident que les dynamiques démographiques et commerciales sont liées, ce qui corrobore ce que la plupart des personnes auditionnées ont laissé entendre : « sans habitants, pas de clients pour les commerces ». Mais si la démographie semble être le facteur prépondérant pour expliquer le dynamisme commercial des centres-villes, cela n’est pas vrai pour les périphéries. Elle n’est donc pas le seul facteur pouvant expliquer l’évolution du commerce de proximité en périphérie.

2.   Des fragilités socio-économiques qui aggravent la déprise

La mission a identifié des indicateurs socio-économiques qui peuvent être corrélés à la déprise démographique et commerciale que connaissent certaines petites et moyennes villes, attestant des liens très nets entre déclin économique et baisse de population ([46]) ([47]). Cette déprise s’accompagne de processus multiples de précarisation de la population, d’un accroissement des inégalités socio-spatiales et de disparités croissantes entre des centres urbains souvent fragilisés et des périphéries prospères.

Ainsi, la concentration de l’emploi se fait ainsi au profit d’une dizaine de métropoles. En 2016, 9 millions de personnes, soit un tiers des actifs, ne travaillaient pas dans leur intercommunalité de résidence (une augmentation de 12 % en dix ans). Les centres-villes en déprise sont marqués par la hausse du chômage et la paupérisation (au milieu de la décennie 2010, le taux moyen de pauvreté y était de 15,1 %, contre 14,3 % au niveau national) ([48]). En 2015, l’INSEE avait déjà alerté sur la prégnance de la pauvreté dans les centres-villes ([49]). L’institut notait que la pauvreté est, d’une part, plus forte dans les villes-centres des aires urbaines et dans les communes isolées hors de l’influence des villes et, d’autre part, plus élevée dans les pôles que dans leurs couronnes.

Niveau de vie par type d’espace

Source : Sénat, INSEE-DGFIP-CNAF-CNAV-CCMSA, Fichier localisé social et fiscal 2012 et ERFS 2012

Dans le cas des villes petites et moyennes, deux facteurs jouent un rôle déterminant dans le déclin économique et donc commercial. Le premier est la composition sectorielle de l’activité économique de la ville et plus globalement celle de la région dans laquelle elle s’inscrit. Le second est le niveau de concurrence entre le centre-ville et la périphérie de la ville. Les villes les plus pénalisées sont celles dont le tissu économique était dominé par une activité, le plus souvent industrielle, en perte de vitesse (mines, sidérurgie, textile, automobile mais aussi activité thermale) ou subissant des relocalisations importantes ou une automatisation réduisant la main-d’œuvre.

« Tant vont les régions, tant vont leurs villes petites et moyennes », soulignent les géographes Nadine Cattan et Thérèse Saint-Julien en montrant le parallèle entre le dynamisme économique et démographique des régions (évolution démographique, solde migratoire, structure par âge…) et la trajectoire des villes petites et moyennes ([50]). L’importance des dynamiques régionales pour la trajectoire des villes démontre celle des liens qui se nouent à cette échelle, ainsi que le bénéfice que peuvent tirer les villes des coopérations intercommunales à l’échelle des bassins de vie et des coopérations interurbaines.

Les centres des villes petites et moyennes sont également fortement confrontés à la concurrence de leurs espaces périurbains.

Outre les évolutions démographiques favorables aux périphéries, le peuplement de la ville-centre se caractérise par un vieillissement plus important que celui de la périphérie. Dans l’agglomération de Forbach, la ville-centre a perdu une part importante de ses habitants au profit de sa périphérie. Parmi les sortants, la classe d’âge des 25-39 ans est très fortement surreprésentée, de même que les actifs, montrant que les départs de la ville sont surtout le fait de familles, probablement en quête d’un logement en périphérie. À l’inverse, les mobilités entrantes concernent des habitants âgés. La ville-centre devient ainsi un lieu d’accueil de populations dont le revenu n’augmentera plus. À Vichy, la tranche d’âge des 25-39 ans est surreprésentée parmi les ménages quittant la ville-centre. Les entrants sont en partie des jeunes de 15 à 24 ans, mais surtout des personnes âgées.

Dans les villes moyennes, le niveau de précarité est beaucoup plus prononcé dans les communes-centres que dans les autres espaces de leur aire urbaine, mettant en évidence les inégalités territoriales entre les centres et les périphéries. Ainsi, le taux de pauvreté à Vichy dépasse de 5 % celui de son aire urbaine, dans un département (Allier) où 15,5 % de la population vivait en 2021 sous le seuil de pauvreté. À Forbach, le taux de pauvreté atteint 28 % alors qu’il est de 20 % à l’échelle de l’aire urbaine. À Nevers, le niveau de pauvreté de la ville-centre était récemment proche de 22 %, supérieur à celui des communes avoisinantes, plus proche de la moyenne nationale.

Le CREDOC observe que l’offre commerciale d’une zone s’aligne sur le mode de vie des consommateurs qui y résident, travaillent ou voyagent. Par exemple, des produits pour les familles dans les zones où les ménages avec enfants prédominent, seront plus souvent exposés sur les étals.

La Fédération de l’épicerie et du commerce de proximité (FECP) rappelle que les retraités et jeunes actifs vivant en centre-ville constituent des ménages de taille réduite à une ou deux personnes. À l’inverse, les familles avec un pouvoir d’achat plus élevé et composées en moyenne de quatre personnes se situent plutôt en périphérie. Les enseignes se structurent en fonction de la clientèle visée et certaines sont exclusivement présentes dans certains espaces (zone périurbaine, zone rurale), avec des produits qui sont fonction des revenus de leur clientèle.

3.   Le départ des services et équipements publics

La dévitalisation des villes serait aussi liée à la diminution des équipements comme ceux des services et de soins, de l’éducation, des loisirs ou de la culture. Le CREDOC dans son étude de 2008 « Un commerce pour la ville » constate que les territoires en déprise commerciale partagent la caractéristique commune de manquer d’hôpitaux, de services publics ou encore de professions libérales, qui ont progressivement disparu des centres-villes au fil des ans.

La Fédération de l’épicerie et du commerce de proximité partage ce constat et précise que le phénomène de déprise commerciale peut s’accentuer avec le déménagement de services publics, d’agences bancaires ou de services de santé (médecins, cliniques) des centres-villes. De plus, la fédération ajoute que s’il n’y a plus de raison d’aller en centre-ville, la présence de commerces ne suffit pas toujours à y attirer des clients.

Le rapport précité de l’IGF et du CGEDD quantifie le phénomène et mesure l’évolution de la présence d’une sélection d’équipements et de services entre 2010 et 2014.

Évolution de la présence de certains équipements et services
entre 2010 et 2014

Services/Équipements

Villes moyennes

Bureaux de poste

-1,2 %

Médecins omnipraticiens

-5,5 %

Pharmacies

+ 0,3 %

Établissements de santé/services d’urgence et maternités

-9 %

Cinémas

-2,2 %

Terrains de grands jeux

-1,2 %

Éducation (écoles maternelles, collèges, lycées)

-4 %

Sécurité (commissariats de police, gendarmeries)

+ 2 %

Comme nous pouvons le constater ci-dessus, une grande majorité des services et équipements diminuent dans les villes moyennes, à l’exception des postes de sécurité. L’offre de soins caractérisée par le nombre de médecins omnipraticiens, de pharmacies, d’établissements de santé, de services d’urgence et de maternités diminue dans les villes de taille moyenne, à l’exception du nombre de pharmacies qui reste stable.

On observe également un déclin de l’offre de cinémas et de terrains sportifs. Le nombre de cinémas est en baisse en moyenne dans tous les types de communes. Le nombre de terrains de grands jeux diminue dans les villes-centres de moins de 200 000 habitants. Il augmente en périphérie, où il y a davantage d’espace pour ces installations.

Il en est de même pour le nombre d’écoles maternelles et de collèges dans les villes-centres de taille moyenne. Tous les types de communes sont affectées par la fermeture d’écoles ou de collèges. Le rapport de l’IGF et du CGEDD ([51]) précise que la perte est plus importante dans les villes-centres de taille moyenne (‑ 6 %) que pour les grandes villes centres (‑ 4 %).

Interrogées par la mission sur ce phénomène, la fédération des sociétés foncières et immobilières, représentée par M. Jérôme Descamps, relève qu’avec les déplacements récents des populations vers les périphéries, il y a éclatement de la ville et de ses fonctions. Les services publics, les fonctions sociales (administration, médecine), tout comme les commerces, se dispersent et diluent la centralité. Traiter la ville et le commerce physique équivaut en conséquence à se pencher sur l’exode des services publics et des professions de santé des centres-villes. Le commerce n’a fait que suivre le mouvement car les consommateurs se déplacent en règle générale pour plusieurs raisons, et mêlent dans leurs déplacements l’accomplissement de leurs démarches (administration, santé) et leurs actes d’achat. L’idée d’établir un moratoire sur le déménagement des services publics des cœurs de ville a été suggérée, mais elle semble difficile à appliquer.

Les urbanistes interrogés par la mission, comme Mme Claire Gauthier, défendent une redynamisation du commerce de proximité par un projet global de réhabilitation des centres-villes, comportant un volet sur les services publics de proximité. Tous les services que sont la mairie, l’école, le centre médical, le centre culturel doivent, selon elle, bénéficier d’une politique de maintien en centre-ville pour que les commerces ne cèdent pas à la tentation de se localiser en périphérie.

Le CREDOC résume la problématique à un axiome : la reconfiguration des flux. Il faut faire revenir des services publics, tels que la Poste, les services hospitaliers… pour encourager de nouveaux habitants et commerces à réinvestir les centres villes. Lors de son déplacement en Gironde, votre Rapporteure a effectivement constaté que le maintien de services publics d’éducation et de santé dans les centres-villes de Libourne et de Sainte-Foy-la-Grande constituait un atout important dans les opérations de revitalisation de ces deux villes.

 

Proposition n° 3 : s’efforcer de retenir en centre-ville, dans les stratégies de revitalisation des villes et territoires, les services publics générateurs d’attractivité et de flux de personnes, afin que la centralité géographique d’une ville corresponde à sa centralité fonctionnelle.

III.   La localisation des commerces

Si le déclin du commerce de proximité est une réalité dans les espaces ruraux et les villes petites et moyennes, il ne s’agit aucunement d’un constat généralisé et applicable uniformément sur le territoire. En effet, après trois décennies de déclin, il est observé depuis les années 2000 un retour du commerce de proximité dans de nombreux centres-villes. Des boucheries, boulangeries-pâtisseries, primeurs et restaurants se sont développés sous l’impulsion de consommateurs soucieux de transparence, de traçabilité des produits et plus généralement de confiance dans leurs achats du quotidien.

Par ailleurs, l’essor de nouveaux types de commerces, comme les boutiques à l’essai, peut contribuer non seulement à la revitalisation commerciale d’un centre-ville mais aussi à la diversification de son offre et de sa structure socio-économique.

Ce retour du commerce de proximité n’est pas homogène, certains territoires souffrant toujours de dévitalisation de leur centre-ville ou de leurs différentes polarités. Les mutations du commerce de proximité varient tellement selon les territoires que l’analyse de leur localisation géographique doit s’effectuer à l’échelle infra-départementale.

La localisation des commerces s’effectue dans un cadre plus large de digitalisation de l’économie. Le clivage dans le commerce oppose désormais moins le petit commerce et la grande distribution que le commerce physique et le commerce digital. Encore cette dichotomie est-elle déjà obsolète, car le modèle qui émerge est celui de la phygitalité ou omnicanalité.

A.   L’évolution du commerce s’analyse à l’échelle infra-départementale

Comprendre les évolutions du commerce de proximité en France exige de regarder cette problématique à partir d’une échelle infra-départementale. Au sein d’un même département, la démographie commerciale peut en effet varier selon des territoires parfois distants de seulement quelques kilomètres.

1.   Le commerce suit le bassin de population

Les estimations de déprise ou de revitalisation commerciale des centres de polarité, qu’ils soient de centre-ville ou de périphérie, sont des moyennes et donc occultent les disparités entre les territoires et les secteurs d’activité. L’échelle infra-départementale permet d’affiner entre les types de territoires (métropoles, villes touristiques, villes moyennes, etc.) et les secteurs d’activité (équipement de la personne, équipement de la maison, alimentaire, etc.).

La mission d’information a observé par ses auditions une tendance à la déprise du commerce de centre-ville dans les villes petites et moyennes, a contrario des métropoles qui attirent des populations et génèrent une offre commerciale diversifiée.

L’INSEE a identifié, comme indiqué supra, un décrochage du commerce de centre-ville particulièrement marqué dans les moyennes et petites villes, et en particulier pour celles rassemblant de 50 000 à 200 000 habitants et moins de 50 000 habitants. La vacance commerciale peut atteindre, dans les petites villes entre 2 500 et 20 000 habitants, 20 à 30 %, contre 11 % au niveau national. Par ailleurs, l’offre de commerces de proximité demeure concentrée dans certains territoires, comme en témoigne l’exemple précité de la Charente.

Cette tendance s’explique par une corrélation entre l’effectif des commerces et l’évolution démographique dans les aires dans lesquelles elle est constatée. Si la sensibilité est moindre pour les pôles de périphérie, elle se confirme pour les pôles de centre-ville, où la diminution des commerces de proximité s’inscrit dans un contexte de déprise démographique. Il est observé que dans les aires de moins de 200 000 habitants, la population augmente moins rapidement que celle des aires de plus grande taille : + 0,34 % (villes 50 000 à 200 000 habitants), +0,13 % (villes de moins de 50 000 habitants) contre + 0,38 % et +0,89 % respectivement pour les aires de 200 000 à 700 000 et plus de 700 000 habitants.

À l’échelle départementale, les calculs de l’INSEE indiquent une corrélation forte, lorsque l’on compare l’évolution de la population et des effectifs commerciaux (r = 0,79). Les auditions ont toutes confirmé le poids considérable de la variable démographique dans la présence ou non de commerces de proximité au sein d’un territoire : la déprise commerciale dans les petites et moyennes villes provient donc d’une désertification des centres-villes par leurs habitants. Le départ des commerces ne fait que suivre ce mouvement.

La désertification démographique des centres-villes des villes moyennes s’explique par la recherche d’espaces d’habitation plus grands par les ménages. Ceci conduit dès lors au vieillissement de la population qui y vit et à la stabilisation de la demande puisque les revenus des personnes âgées évoluent rarement à la hausse. La densité de l’offre des commerces de proximité peut en être affectée, surtout quand elle se combine au départ de services publics. Or, selon le baromètre des petites villes réalisé par Ipsos, rendu public le 25 octobre 2021, les principaux freins à l’installation de nouveaux habitants dans des communes s’explique principalement par les difficultés à accéder à des services publics, à commencer par les services de santé.

Dans les deux cas, la diminution de la population résidente et du flux de consommateurs provoque la vacance commerciale et désorganise le commerce en centre-ville, mais également dans l’ensemble des territoires gravitant autour de cette centralité.

En ce qui concerne les communes rurales, bien que la croissance démographique y soit plus importante, celle-ci ne se traduit pas nécessairement par une croissance du commerce de proximité. Alors que 33 % de la population française vit dans des communes rurales, seuls 23 % des établissements et 16 % des salariés du commerce de proximité sont dans de telles communes en 2015. La croissance démographique dans ces zones est portée par la présence d’un bassin d’emploi dans les alentours et une intégration dans la zone d’influence d’un pôle de centralité.

2.   Une réalité à nuancer selon les secteurs d’activité

Une distinction doit également être opérée en fonction des secteurs d’activité, car la répartition d’un type de commerce est loin d’être uniforme selon les territoires.

Si en terme de nombre d’établissements, l’alimentation générale, les magasins bios, les boissons au détail, la restauration (traditionnelle et rapide confondues) enregistrent une progression, il en va différemment pour les boucheries-charcuteries et les commerces non alimentaires au sens large (appareils électroménagers, habillement, agences d’assurance, de voyages, etc.). S’agissant de l’alimentation, la Confédération générale de l’alimentation en détail a avancé les éléments suivants :

– dans les communes rurales, la moitié de la population réside à moins de 2,2 kilomètres d’une boulangerie et à moins de 3,4 kilomètres d’une boucherie ou d’une charcuterie ;

– le commerce alimentaire spécialisé (boucheries-charcuteries, boissons, poissonneries, boulangeries) est légèrement plus développé dans les villes petites et moyennes. En revanche, les primeurs regroupent une part plus importante des actifs dans les grandes villes, tout comme les autres commerces de détail alimentaires en magasin spécialisé ;

– les petites surfaces alimentaires se renforcent dans les grandes métropoles mais leur progression ne dépasse celle de l’alimentaire spécialisé et de l’artisanat commercial que dans les aires urbaines de plus de 200 000 habitants ;

 dans le secteur de l’alimentaire spécialisé, l’accessibilité augmente régulièrement avec le niveau de revenu du quartier pour les primeurs, les poissonniers, les confiseurs, les cavistes et les pâtissiers.

3.   L’absence de lien systématique entre les évolutions du commerce en centre-ville et en périphérie

Depuis les années 1960, le territoire français a connu une métamorphose sans précédent, marquée par l’étalement urbain, une implantation massive des acteurs de la grande distribution aux entrées de ville et en périphérie, la démocratisation de l’usage de la voiture et l’essor du parking gratuit ou encore l’expansion des quartiers pavillonnaires en périphérie. Cette évolution a accompagné l’accès à une vaste gamme de produits concentrée en un seul lieu et à moindre prix. La délocalisation du commerce de proximité vers les périphéries, portée par des centres commerciaux et la grande distribution, est allée de pair avec une délocalisation des lieux d’habitation vers ces zones, réaffirmant la corrélation précédemment identifiée par l’INSEE. S’il est vrai que les préoccupations actuelles des consommateurs ne correspondent plus à leurs desiderata de la période allant de 1960 à 2000, il n’en demeure pas moins que les grandes surfaces se sont largement intégrées dans le maillage commercial. Ces dernières commercialisent toujours 63,3 % des produits alimentaires (hors tabac), malgré un recul de 2,2 points en 2019 par rapport à 2014 en raison du repli des hypermarchés (-1,9 point), d’après les comptes du commerce de l’INSEE (2019).

Si la déprise de l’activité commerciale a conduit à la fermeture de commerces de proximité dans de nombreux centres-villes, l’INSEE n’établit aucun lien systématique de causalité avec un dynamisme en périphérie. Tout type de situation peut être localement constaté : centre-ville et périphérie tous deux dynamiques ou tous deux en déprise, centre-ville et périphérie connaissant une évolution contrastée.

Ce constat amène donc à penser que pour les pôles de périphérie, d’autres dynamiques sont à l’œuvre que celles liées à l’évolution de la démographie, renforçant dès lors la nécessité d’étudier les singularités locales. Le fait que l’on ne trouve pas de lien systématique au niveau national montre bien qu’il existe une diversité de situations et qu’il convient d’identifier les déterminants autres que la démographie.

Si les évolutions conjoncturelles, comme les crises économiques, les manifestations ou la pandémie de Covid-19 peuvent engendrer une baisse de l’activité, les évolutions de l’offre commerciale s’expliquent essentiellement par des raisons structurelles : attractivité touristique, bassin d’emplois et accessibilité. La répartition des commerces de proximité diffère par exemple entre les centres-villes et les périphéries. En effet, les centres-villes regroupent principalement des établissements de restauration, des débits de boissons, de l’habillement, des loisirs ou des agences de service, tandis que les pôles de périphérie sont davantage structurés autour du commerce alimentaire, de l’équipement de la maison et de la réparation automobile. Ainsi, l’absence de lien systématique entre les évolutions du commerce en centre-ville et en périphérie s’explique en partie par la complémentarité de l’offre commerciale entre deux types de pôles spécialisés.

L’attractivité touristique d’un territoire peut contribuer également à sa dynamique démographique et commerciale. La proximité avec un littoral, la présence d’un patrimoine ou d’une animation culturelle sont des facteurs de croissance du commerce de proximité dans ces pôles, et renforce la spécialisation des centres-villes dans le commerce de loisirs. Selon l’INSEE, la déprise commerciale y est moins importante, comme en témoignent les exemples de Capbreton, Trouville ou Val-d’Isère.

4.   Le renouvellement permanent de l’offre commerciale

Parce que le client est au cœur de la démarche commerciale, le commerce de proximité se renouvelle constamment, avec par exemple l’essor de la franchise, l’apparition des boutiques à l’essai et la digitalisation. Ces mutations sont le fruit d’une adaptation à une demande nouvelle, à savoir le circuit-court, la diversité du choix dans l’offre, le développement durable et la rapidité des services.

a.   Le commerce franchisé

Ainsi qu’indiqué supra, face aux mutations de la demande des consommateurs et d’une attractivité retrouvée des commerces en centre-ville, les franchises participent du renouvellement des commerces dans leur maillage territorial. S’il est difficile aujourd’hui de déterminer exactement la présence géographique des commerces franchisés, en raison de l’absence de code NAP spécifique, la fédération française des franchises évoque une implantation importante dans les villes de moins de 20 000 habitants.

La force des commerces franchisés est d’être porteurs de marques, dont l’importance est considérable pour les consommateurs. Vecteurs des valeurs qu’affichent les entreprises, ces marques constituent pour eux des repères sociétaux. La présence de commerces franchisés apporte souvent une valeur ajoutée à une rue ou une galerie commerciale, même si elle génère parfois quelques difficultés relationnelles avec les autres commerçants. Soumis en effet aux obligations de communication de leur franchiseur, les commerçants franchisés ne s’associent pas toujours aux opérations conduites dans les rues ou quartiers où ils sont implantés, alors qu’ils sont comme ces derniers des professionnels indépendants, disposant d’une connaissance fine de la réalité de leur territoire et s’impliquant souvent dans la vie locale.

b.   Les boutiques à l’essai

La revitalisation des centres-villes peut également donner lieu à l’émergence de commerces éphémères ou de boutiques à l’essai. Ce dispositif permet à des entrepreneurs de tester leur activité pour une période allant de six à douze mois, avec le concours des collectivités territoriales, des chambres de commerce et d’industrie ou encore le Réseau initiative France, en lien avec la Fédération nationale des boutiques à l’essai (FNBE).

Chaque expérience repose sur un bail d’une courte durée et d’un montant modéré, pour un local d’une surface de 30 à 60 mètres carrés, dans le cadre de l’opération « Ma boutique à l’essai ». Les collectivités locales adhérentes de la Fédération nationale de la boutique à l’essai bénéficient d’expertise sur la durée pour favoriser l’implantation de commerces, car les élus peuvent parfois avoir du mal à déterminer les rôles respectifs des réseaux consulaires et des réseaux d’accompagnement (ADIE, etc.). Jusqu’à présent, aucun bailleur n’a souffert d’impayé. Il est par ailleurs estimé que dans 81 % des cas, les commerces ayant recouru à ce dispositif ont poursuivi leur activité.

Des villes comme Noyon, Issoire ou Villefontaine ont recouru au dispositif afin de lutter contre la dévitalisation de leur centre-ville. L’objectif premier était pour elles d’attirer de nouveaux commerçants. En 2018, selon la FNBE, Noyon a enregistré la réouverture d’une boutique fermée depuis deux ans. Villefontaine a pour sa part vu l’ouverture d’une troisième boutique à l’essai, aux côtés d’un fleuriste et d’un institut de beauté.

Les boutiques à l’essai s’avèrent ainsi avoir un impact positif sur le commerce, la revitalisation des centres-villes ainsi que la diversification de l’offre. D’autres initiatives ont émergé, avec « Ma boutique, mon quartier » pour les pieds d’immeubles, puis « Ma boutique, mon village » pour les épiceries et cafés de village, avec par exemple un projet de restaurant à l’essai en cours à Vitry le François. Cependant, afin de renforcer l’efficacité de ces opérations dans le temps et à travers les territoires, la FNBE a formulé deux demandes au législateur : instaurer une garantie des loyers commerciaux impayés et mieux former les élus sur la réorganisation des centres-villes.

B.   L’enjeu de l’omnicanalité

Le commerce électronique (CE) représentait, en 2019, 103,4 milliards d’euros de chiffre d’affaires, en progression de 11,5 % par rapport à 2018, répartis à parts égales entre la commande de produits et le recours à des services. 42 millions de Français et 78 % des internautes y ont eu recours au moins une fois en 2019, à raison de 1,7 milliard de transactions, pour un panier moyen de 60 euros. On notera que 15 millions de Français ont utilisé leur téléphone portable pour passer leur commande. Le CE assurait en 2019 200 000 emplois et environ 9,8 % du commerce de détail, mais moins de 2 % du commerce alimentaire. La France, en nombre de consommateurs qui y recourent, est le deuxième marché du secteur digital en Europe, derrière le Royaume-Uni. Si Amazon y capte bien 20 % de cette forme de commerce, 80 % sont assurés par d’autres acteurs, notamment français (FNAC, Darty, Leclerc, Leroy-Merlin, etc.).

Si la progression du commerce digital est continue depuis dix ans et s’est accentuée avec la pandémie de Covid-19, 90 % du commerce continue de s’effectuer en magasin. La part du CE est largement minoritaire au sein des actes d’achat mais sa progression est telle qu’elle s’établira à un niveau nettement plus élevé dans quelques années, avec vraisemblablement des variations sectorielles considérables.

Le débat sur le commerce digital ne se résume pas à un clivage entre une forme traditionnelle et une forme moderne du commerce. Toutes les enquêtes démontrent que le consommateur apprécie à la fois le commerce physique de proximité pour la confiance qu’il y trouve, tout en disposant grâce à internet d’informations sur les produits et la possibilité d’en commander, non seulement dans son voisinage géographique mais dans le monde entier, avec d’autant plus de facilité que les livraisons sont rapides et arrivent directement à domicile ou dans des points relais.

L’omnicanalité devient donc graduellement la règle, et tant les commerces que les consommateurs deviennent omnicanaux. Contrairement à une idée reçue, les jeunes ne sont pas les seuls à recourir à des commandes sur internet. 80,6 % des personnes âgées de 50 à 64 ans et 72 % des personnes de plus de 65 ans étaient dans ce cas en 2019.

L’enjeu essentiel, dès lors que les pouvoirs publics veulent maintenir des territoires vivants et animés, des rues avec des flux de personnes et une vie collective, en résumé une identité urbaine ou villageoise propre, est de faire rimer la proximité et la modernité et d’analyser en quoi la digitalisation renforce ou altère la proximité. Il existe en effet un risque que le commerce, lié depuis des temps immémoriaux à la ville par l’implantation physique de magasins en son sein, s’en détache si l’acte d’achat s’effectue au domicile par les outils digitaux. Les efforts de revitalisation des villes n’auraient plus de sens. Or, même si de nombreux signaux montrent que le commerce physique conserve sa pertinence, la croissance régulière des parts de marché du commerce digital (0,7 % par an en moyenne) pourrait à terme provoquer une crise dans les secteurs où il est le plus présent. De nombreux professionnels ont témoigné de leur inquiétude sur ce sujet aux membres de la mission.

Outre les difficultés à se digitaliser, de nombreux commerçants de détail ont fait état à la mission de pratiques de leurs fournisseurs, qui ne leur livrent pas certains produits de leur gamme, réservant au commerce électronique ces produits. Il s’agit d’une forme d’assèchement de l’offre en magasin.

Le commerce électronique : comparaison internationale

Selon une étude réalisée par le Center for Market Insights de l’Université des sciences appliquées d’Amsterdam (2021), l’Europe fait partie des régions où les habitants ont le plus recours au commerce électronique. L’Europe occidentale génère 64 % du chiffre d’affaires du continent, loin devant ses autres parties. Des mutations de modes de consommation qui cependant s’accélèrent de façon homogène sur le continent, malgré des disparités d’implantation dans le paysage commercial. En matière de chiffre d’affaires, la France se positionne parmi les pays en tête, loin derrière le Royaume-Uni, mais devant l’Allemagne et l’Espagne. Elle se situe en 13ème position concernant la part d’acheteurs en ligne, avec une couverture de 78 %, contre 92 % pour le Royaume-Uni, 91 % pour les Pays-Bas ou encore 90 % pour le Danemark et la Suisse.

Pour autant, le phénomène de digitalisation des ventes commerciales est bien plus marqué en Asie, particulièrement en Chine, qui est devenue le premier marché mondial du commerce électronique. Selon Business France (2021), la part d’internautes chinois s’élève à 80 % et représente 20 % du total des ventes au détail, un phénomène qui s’est accentué avec la pandémie de Covid-19 et le coup d’arrêt des déplacements en début 2020. Le commerce électronique est principalement porté par des acteurs comme WeChat/Tencent, Alibaba mais aussi, dans le secteur de l’alimentation, par Pinduoduo (application d’achats groupés) et O2O (application de services locaux, offrant une livraison de courses dans les commerces à proximité depuis 2019). La percée de ce mode de consommation touche les secteurs de la cosmétique, des équipements à la personne, de l’habillement, et de plus en plus l’alimentaire.

Il convient de souligner la marge quasi infinie de progression de l’omnicanalité, dans la mesure où la part de flux transfrontaliers est importante et où les entrepôts se situent partout dans le monde. À titre d’exemple, alors que l’application AliExpress fait partie des sites les plus visités en France au 4ème trimestre de 2020, d’après la Fédération du ecommerce et de la vente à distance (FEVAD), avec une moyenne de 11,73 millions de visites par mois, elle ne dispose d’aucun entrepôt sur le territoire français.

1.   Omnicanalité et proximité

Il ne faut pas négliger la révolution, sans doute brutale, qui s’est imposée graduellement dans le commerce depuis déjà vingt ans. Des start up, des « pure players », des places de marchés, de nouvelles pratiques ont modifié la vie du consommateur, pour sans doute la simplifier mais surtout élargir son choix. Le souhait des consommateurs de consommer partout, en tout lieu, en tout temps, a obligé les commerçants et les distributeurs à repenser leur métier, y compris la manière de fidéliser le consommateur face à la pléthore d’offres.

Le commerce électronique a pour caractéristique de remettre en cause une partie des repères classiques du commerce, à commencer par la notion d’éloignement ou de proximité. Il rend visible tout produit dans une vitrine déportée, et permet son acquisition en tout point du territoire, là où il fallait auparavant s’assurer de sa disponibilité en boutique. La déambulation dans une rue ou une galerie commerçante est remplacée par une visite de sites internet. L’acte d’achat ne s’effectue pas dans l’espace public qu’est la rue mais depuis un lieu privé, le plus souvent le domicile, qui plus est le dimanche matin dans 30 % des cas.

Si cette forme de commerce ne cesse de croître, c’est que le consommateur y trouve plusieurs avantages : élargissement de sa zone de chalandise (notamment dans les villages dépourvus de commerces), possibilité de paiement à distance, choix des modes de livraison, allant du « click & collect » à l’acheminement à domicile.

Pour les professionnels, l’omnicanalité n’est pas antinomique de la proximité. La FNAC, dont le site se classe troisième en France avec plus de 22 millions de visites mensuelles en 2020, a triplé le nombre de ses magasins ces dernières années et indique qu’elle ne se serait jamais implantée dans certaines zones du territoire sans l’existence des outils digitaux. L’omnicanalité maintient le lien social en renforçant le commerce physique, mais avec une dimension du magasin adaptée à la zone de chalandise. Les places de marché comme Rakuten rappellent pour leur part qu’elles ne vendent rien en propre mais qu’elles mettent en relation vendeurs et acheteurs de produits neufs ou reconditionnés et qu’une large part des vendeurs est composée de commerçants indépendants.

Les commerçants voient dans leur site internet une vitrine déportée, qui présente leurs activités et produits et développe leur trafic commercial. Le commerce électronique permet à chaque consommateur de commander ou non un produit, de venir le prendre (« click & collect ») en magasin ou de se le faire livrer, et ce en tout point du territoire.

L’omnicanalité s’insère graduellement dans le fonctionnement des commerces de proximité, mais les flux de visiteurs les plus importants concernent autant les sites des commerces de chaîne que les « pure players », ce qui illustre la volatilité des comportements des consommateurs. Ces derniers recherchent chez leurs enseignes favorites des produits qu’ils connaissent et chez les « pure players » des produits qu’ils ne pensent pas trouver ailleurs. On notera qu’en 2020, un tiers des 42 millions de cyberacheteurs français a commandé en ligne en raison de la fermeture des magasins et des restaurants.

Les 15 premiers sites de commerce électronique en France
(4ème trimestre de 2020)

Site

Nombre mensuel de visiteurs (1)

Amazon

36,06

Cdiscount

24,58

FNAC

22,27

Vinted

16,22

Carrefour

14,99

Wish

14,78

Leclerc

14,61

Darty

14,10

Ebay

13,20

Leroy-Merlin

12,76

Rakuten

12,44

Veepee

12,16

Boulanger

12,13

La Redoute

11,81

AliExpress

11,73

(1)    En millions - Source : FEVAD

La domination de grandes enseignes n’est pas une surprise. Elles seules ont les moyens de mobiliser les ressources technologiques, financières et humaines pour tirer parti de l’ensemble des potentialités de la digitalisation. Mais l’enquête annuelle de la Fédération du e-commerce et de la vente à distance (FEVAD) indique qu’un quart des acheteurs souhaite faire profiter de leurs achats en ligne leurs commerces de proximité. 40 % des acheteurs indiquent toutefois y renoncer, faute d’une offre de service digitale de la part des commerces.

Il existe donc chez les consommateurs la double volonté de profiter des services offerts par la digitalisation tout en préservant leur tissu commercial local. Cette volonté se heurte pour l’instant à une réalité : les deux tiers des commerces, notamment les petits commerces, ne sont pas référencés sur internet et leurs gérants n’envisagent guère d’y recourir.

En l’état des auditions conduites par la mission et des études disponibles, l’omnicanalité n’est antinomique ni du commerce de proximité, ni du commerce physique. Le nombre d’établissements commerciaux n’a pas décru en France depuis l’apparition d’internet. Mais il s’agit d’un constat à date car il en va différemment au Royaume-Uni, pays où le commerce est le plus digitalisé d’Europe. L’omnicanalité élargit surtout les expériences des clients et les laisse libres d’acheter leur produit selon le mode qui a leur préférence. Elle induit en revanche de nouveaux modes de gestion pour les entreprises, tant dans la manière de capter de nouveaux chiffres d’affaires que de faire face à de nouveaux coûts.

On rappellera, dans une perspective historique, que la question de la livraison à domicile est loin d’être nouvelle : Manufrance, la plus ancienne entreprise française de vente par correspondance, a été fondée en 1885 ; quant à La Redoute, elle a commencé ses livraisons à domicile en 1928. Le changement apporté par internet est l’élargissement de l’offre, qui était auparavant celle des catalogues des entreprises et qui est désormais illimitée, étant fonction des capacités des internautes à trouver des produits. Nul doute que le consommateur voit dans le commerce électronique un service de proximité qui lui facilite la vie, de la commande à la livraison en passant par le paiement, voire la restitution du produit s’il n’en est pas satisfait.

Il reste à définir si les dernières évolutions du commerce électronique, cuisines fantômes et commerces sans vitrine notamment, dont l’activité est centrée sur la livraison de produits, constituent une nouvelle forme de proximité utilisant à l’extrême les possibilités des outils digitaux ou si elles en sont une dérive.

On relèvera que le comportement des consommateurs à l’égard du commerce électronique est plutôt homogène en France métropolitaine, les variations régionales étant assez ténues.

Pénétration régionale du commerce électronique

Région

Proportion d’acheteurs internautes

Occitanie

83,6 %

Provence Alpes Côte d’Azur

81,5 %

Pays de la Loire

80,8 %

Normandie

80,3 %

Auvergne Rhône-Alpes

80,1 %

Centre Val-de-Loire

78,8 %

Bretagne

77,8 %

Nouvelle-Aquitaine

77,3 %

Hauts-de-France

77,0 %

Île-de-France

76,3 %

Grand Est

75,8 %

Corse

72,1 %

Bourgogne Franche-Comté

72,0 %

Source : Médiamétrie, observatoire des usagers d’internet, 2019

Les taux sont plus bas dans les départements et régions d’outre-mer, s’établissant par exemple à 39 % en Martinique et 35 % à La Réunion. Les raisons d’un tel écart avec les régions métropolitaines s’expliquent par le coût élevé des transports et les délais et frais de dédouanement.

2.   Un impact positif sur le chiffre d’affaires, mais de nouveaux coûts

Il convient de rappeler que 70 % des consommateurs effectuent des repérages sur internet avant de décider s’ils se rendent en magasin. La digitalisation joue le rôle d’une vitrine qui donne de multiples informations (horaires, accessibilité, produits, prix, services…). L’absence de site internet s’assimile à un filtre, le consommateur n’ayant pas connaissance de l’existence d’un magasin qu’il ne voit pas. Dans l’acte d’achat, il y a désormais un triptyque avant, pendant, après le passage en magasin. Internet joue un rôle informatif, mais il peut également servir d’outil de paiement ou de renvoi de la marchandise.

a.   Un impact positif sur le chiffre d’affaires

La commande à distance et le « click & collect » génèrent du trafic en magasin puisqu’un tiers des personnes venant y chercher leur commande opèrent un achat complémentaire. Le web hybride est ainsi plus rentable que le full web. Un site permet en outre de développer les ventes à l’international, ce qui est particulièrement intéressant pour les PME, pour lesquelles il est très coûteux de développer un réseau à l’étranger. Avec leur propre site ou en passant par une place de marché (Rakuten, Cdiscount), il leur est possible d’accéder à de nouveaux marchés.

La digitalisation permet aux commerces de diversifier leurs relations avec leurs clients, ce qui a un impact positif sur leur chiffre d’affaires global. Elle n’opère pas de transfert entre modes de vente, avec une baisse supposée du commerce physique et la hausse du chiffre d’affaires issu du CE. Elle appuie le développement du chiffre d’affaires, tant de l’ensemble d’une entreprise que de chacun de ses sites. Pour une PME comme Les bougies de Charroux, auditionnée par la mission, « quand l’entreprise était purement physique, elle était rentable mais il lui fallait attendre le mois de juin pour atteindre son seuil de rentabilité. De l’argent était investi en marketing, mais la caractéristique du monde de la bougie est de concentrer les ventes à certaines périodes. Avec le digital, la rentabilité est atteinte à chaque vente, tout au long de l’année. La modification du modèle économique de l’entreprise a donc été considérable. Après la mise en ligne de son site, l’entreprise est passée en six mois de 6 à 30 % de son chiffre d’affaires via les ventes par le digital ».

b.   De nouveaux coûts et des obligations spécifiques à la digitalisation

Le commerce électronique n’est pas le moyen de réduire les coûts traditionnels du commerce physique puisqu’il ne s’y substitue pas. Il constitue plutôt une boîte à outils pour développer le chiffre d’affaires via le marketing, l’image, la communication ciblée grâce à l’exploitation de données sur les clients. Il s’agit fondamentalement d’un outil sophistiqué et exigeant, qui crée de nouveaux métiers et nécessite de nouvelles compétences.

La digitalisation revêt un coût : métiers de l’informatique (référencement, gestion et analyse des flux d’information, développement, cybersécurité, paiement à distance, remboursement des produits, webmaster, étude des données sur les clients, fidélisation de ces derniers, etc.), solutions de stockage de produits et de logistique. L’omnicanalité exige en fait de répondre à toutes les étapes du parcours du client, comme par exemple pouvoir le rembourser en boutique pour un produit qu’il a acheté sur internet. Cette seule fonctionnalité, prise à titre d’exemple, exige un investissement de plusieurs milliers d’euros… De même, l’accès à la zone de chalandise virtuelle de Google et de Facebook au titre de l’acquisition (payer pour attirer un client sur le site de l’entreprise) est à coût croissant si l’entreprise gagne en notoriété. Plus les clients cliquent sur les mêmes mots-clés, plus les coûts augmentent, ce qui diffère d’un bail commercial dont le prix est fixe pour une durée donnée.

Le commerce électronique ne se résume donc pas à une présence sur internet. Il emporte une réorganisation totale de la gestion de l’entreprise, crée de nouveaux coûts appelés à être compensés par un afflux de chiffre d’affaires. Une grande entreprise, une PME importante, une galerie marchande qui groupe ses locataires, un franchiseur sont humainement et financièrement armés pour faire face à cette mutation. La FNAC a ainsi recruté 150 personnes depuis 2019 dans les métiers de l’informatique, tandis que les places de marché sont en recherche permanente de profils à la fois différents et parfois rares. Mais il en va différemment des TPE qui forment la majorité des commerçants indépendants en France. Même s’ils font l’effort de réfléchir à leur digitalisation – ce à quoi les encourage le plan France Relance – le problème pour leur gérant est de déterminer où porter leurs efforts et quel montant d’investissement y consacrer. Votre rapporteure et le président de la mission d’information ont recueilli des témoignages de commerçants de leurs circonscriptions respectives, qui ont renoncé au commerce électronique, se limitant à référencer leur magasin sur internet, en raison du nombre d’heures considérables à consacrer aux fonctions digitales de leur métier.

En dépit du caractère apparemment incontournable de la digitalisation pour les commerces de proximité, les données de l’INSEE faisaient état en 2019 d’un taux de 30 % de PME et de TPE du secteur du commerce se livrant à la vente en ligne, contre près de 80 % des entreprises de plus de 250 employés. Un chiffre qui montre le retard de la France dans la transition numérique de ses commerces de proximité, comparativement avec ses pays voisins comme l’Allemagne ou l’Italie qui recensent des taux respectivement de l’ordre de 70 % et de 60 % ([52]).

Trois exemples d’accompagnement dans la transition numérique des commerces de proximité

Il est impossible de recenser de manière exhaustive les solutions que les collectivités territoriales et les entreprises apportent pour accompagner les commerces de proximité dans leur transition numérique. Les trois exemples ci-après présentent des entreprises dont le métier est de créer du flux de clients vers les commerces.

Petitscommerces.com est une entreprise créée en 2017, qui, en créant des portraits de commerçants, donne envie de les rencontrer. Dans une logique d’accompagnement des commerces indépendants, l’entreprise s’occupe du référencement de ces commerçants sur Google. Une démarche qui semble intéresser les collectivités territoriales, qui financent pour certaines d’entre elles ces portraits : une ville peut ainsi acheter 200 portraits pour dynamiser son secteur commerçant.

Enbasdechezmoi.fr est une entreprise née à Héricourt (10 000 habitants), troisième pôle urbain d’un bassin de vie qui comprend Montbéliard et Belfort, soit 300 000 habitants répartis sur trois départements (Haute-Saône, Doubs et Territoire de Belfort). Elle est partie d’un triple constat. Tout d’abord la désertification des centres-villes (concurrence des commerces en périphérie, du commerce entre citoyens comme Leboncoin…) et les effets psychologiques qu’induit une vitrine vide, ce qui nuit à la convivialité de ces centres. Ensuite, l’émergence et le développement des circuits courts, enjeu à la fois écologique et citoyen. Enfin, le manque de visibilité de commerces sur internet, alors que 70 % des consommateurs y font des recherches avant tout acte d’achat. L’objectif de l’entreprise est donc de créer un site pour les commerces à un tarif accessible, qui mette également en valeur la vie locale.

Simplemaps est une entreprise au statut de société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) qui vise à informer et à géolocaliser des commerçants, associations et sites touristiques sur internet afin que les consommateurs sachent où ils se trouvent et à quelle distance de leur localisation, pour créer du lien avec le territoire. S’ajoute à cela une information sur l’impact environnemental des commerces référencés, qui engage à s’y rendre s’ils sont écologiquement vertueux. Ainsi, l’application incite les consommateurs à privilégier la proximité et les commerçants à développer une activité digitale et une démarche RSE.

Il apparaît crucial d’accompagner l’ensemble des commerces dans la transition numérique en n’opposant pas digitalisation et magasins physiques, afin de garantir la pérennité de ces derniers. Le problème pour les commerçants indépendants est de s’y retrouver dans les multiples aides qui leur sont proposées : actions des chambres de commerce et d’industrie et des chambres de métiers et de l’artisanat, aides des collectivités territoriales avec des plateformes de référencement, outils mis à disposition par les places de marché, services d’entreprises spécialisées (cf. encadré supra), dispositif de chèque numérique dans le cadre de France Relance, assistance de La Poste et des banques commerciales, les possibilités ne manquent pas.

Un équilibre entre digitalisation et commerce physique doit donc être trouvé, afin de « prendre du meilleur des deux mondes », comme l’ajoute un avis du Conseil économique, social et environnemental, datant de février 2021 : « le commerce digital ne peut pas contribuer à la redynamisation des centres-villes sans le maintien ou le retour de commerces physiques notamment pour les achats du quotidien, en plus de services marchands et non marchands et de services publics de proximité ».

Le choix est a minima entre un simple référencement et le fait de savoir tirer parti de toutes les potentialités de la digitalisation, ce qui exige de revoir complètement les process internes à une entreprise et la relation avec le client. Avec des logiciels de type SAS, une PME a désormais les moyens de développer des outils digitaux qui lui étaient inaccessibles il y a dix ans et d’être au niveau des grandes entreprises pour ses process. Mais elle doit engager des investissements importants à cette fin et compter sur une augmentation de son chiffre d’affaires pour les rentabiliser.

« Le net doit être considéré comme une vitrine déportée. Les commerçants doivent donc s’en équiper, avec au minimum des fonctionnalités simples : contact avec le client et ʺclick & collect". La montée de la vente en distance est inexorable et atteindra 20 % du chiffre d’affaires du commerce. L’enjeu est de préserver 80 % de ce chiffre au profit du commerce physique », a rappelé le président du Conseil du commerce de France, auditionné par la mission.

c.    Les perspectives de croissance de la digitalisation du commerce

Même si la pandémie de Covid-19 a accéléré la digitalisation de l’économie française, le commerce électronique est sur une tendance régulière de 0,7 % de croissance par an. Le tableau ci-après montre son chiffre d’affaires et ses parts de marché par grands secteurs du commerce.

Chiffre d’affaires et parts de marché du commerce électronique

Secteur

Chiffre d’affaires (1)

Part de marché

Tourisme

21

48 %

Produits culturels physiques neufs

NC

19 %

Hautes technologies (maison)

3,3

25,9 %

Électroménager

1,9

20,4 %

Habillement

4,0

14,7 %

Meubles

0,9

7,3 %

Produits grande consommation

7,4

7,6 %

Dont drive

5,9

6,0 %

(1)       En milliards d’euros – Sources : Phocuswright/L’Echo Touristique, GfK (Panel consommateurs pour les produits culturels ; Panels distributeurs pour l’équipement de la maison), IFM, Ipea (pure players uniquement), Nielsen Homescan.

Pour la FEVAD, les secteurs où la digitalisation va fortement croître se répartissent ainsi :

 tourisme et voyages (déjà 48 % de l’activité, sans pour autant constater de fermetures d’agences) sont en tête des secteurs où les ventes s’opèrent largement par digitalisation ;

 produits culturels, technologies, mode, habillement et jouets voient la part de leurs ventes digitales croître régulièrement ;

 l’ameublement, la décoration, le bricolage et le jardinage, avec des sociétés anciennes (Ikea, Leroy-Merlin) comme de nouveaux entrants (Mano Mano), accentuent leur croissance.

Aucun acteur majeur de l’omnicanalité n’imagine la disparition du commerce physique, l’expérience en magasin étant à la fois sensorielle et de sociabilité. Mais le commerce électronique est moderne, agile, facile d’emploi et s’adapte facilement à la clientèle. Les entreprises qui ne se tourneront pas vers l’omnicanalité ne disparaîtront sans doute pas, mais elles manqueront des opportunités de développement parce que le client ne sera pas au cœur de leur stratégie et auront peut-être du mal à survivre face à des concurrentes plus dynamiques.

On observera qu’un secteur comme l’alimentation n’est que peu affecté par la digitalisation. Malgré une hausse des ventes en lignes en 2020 et sur les neuf premiers mois de 2021, respectivement de l’ordre de 8,5 % et 15 %, la question de la difficile fidélisation des clients subsiste, bien que le marché suscite de plus en plus l’intérêt des plateformes numériques comme Deliveroo et UberEats qui développent des partenariats avec de grandes chaînes de distribution comme respectivement les groupes Casino et Carrefour. Si la croissance du commerce électronique a été particulièrement tirée par de nouveaux publics comme les retraités, deux-tiers d’entre eux y ont renoncé lors de la réouverture des magasins, déçus par l’expérience en termes de diversité de l’offre, d’organisation des créneaux et livraisons et de respect des listes de courses.

3.    Le cas particulier du secteur de la restauration

Une attention particulière doit être portée au secteur de la restauration dans le débat sur la digitalisation. Avec 175 000 restaurants en octobre 2021 (dont 10 % sont implantés à Paris), il s’agit de commerces de proximité largement répandus sur tout le territoire, et qui contribuent à son animation : 73 % d’entre eux sont ouverts le dimanche et 79 % fonctionnent le soir. Le secteur assure près de 800 000 emplois et plus de 50 milliards d’euros de chiffre d’affaires (ou 90 milliards si l’on englobe l’ensemble du marché, restauration commerciale, collective, hôtelière et automatique) avant la crise du Covid-19. 37 % des restaurants relèvent de la restauration rapide, avec 63 % de part de marché du secteur.

Le secteur a subi très sévèrement l’impact de la crise du Covid-19, avec une chute globale de 38 % de son activité. Il enregistre désormais une série de changements dans sa chaîne de valeur en raison de la forte digitalisation dont il fait l’objet.

Les effets du Covid 19 sur le secteur de la restauration

À la suite de cette crise, les consommateurs ne se déplacent plus dans certains lieux de restauration et ne consomment plus de la même manière. L’exode urbain, démarré avant la crise, s’est nettement accéléré.

En 2021, 40 % des heures de travail des Franciliens et 15 % des provinciaux ont été effectués en télétravail. Les déplacements professionnels ont été plus contraints et plus réduits, ce qui a entraîné un redécoupage des dynamiques de consommation :

a. une personne qui télétravaille à temps complet va consommer à son domicile ;

b. une personne qui télétravaille à mi-temps, si elle va à son bureau, consomme trois fois par semaine hors de son domicile ;

c. une personne qui ne télétravaille jamais, consomme entre quatre et six fois hors de chez elle au fil de la semaine.

Ces changements de consommation entraînés par le télétravail jouent fortement sur l’activité des territoires. Ils sont à l’avantage des périphéries, troisièmes couronnes et sous-préfectures et en défaveur des centres des grandes villes, en particulier Paris. Il est observé un développement accéléré de l’offre de restauration dans des sous-préfectures, petites villes (10 000 à 15 000 habitants) dans lesquelles s’installent des chaînes de restauration rapide ; en outre, les plateformes s’implantent de plus en plus dans les petites villes et couvrent de plus en plus de territoires. Cela a un effet majeur sur la dynamique commerciale locale et donc sur les commerces de proximité dans la restauration.

Pendant la crise du Covid-19, les restaurants ont été fermés et de nouveaux modes de consommation liés à la livraison ont été renforcés. Entre 2018 et 2020, la livraison de repas a connu une croissance spectaculaire de 47 %. Ce marché de la livraison était évalué à 5 milliards d’euros en 2020. En septembre 2021, le pourcentage de consommateurs qui se sont fait livrer était au plus haut. Donc au-delà de la pandémie, c’est bien un usage qui s’est installé ; le changement de mode de consommation n’est pas conjoncturel mais structurel.

Source : cabinet de conseil Food Service Vision

a.   L’accélération d’un changement de mode de consommation

Au lieu de se rendre dans des restaurants, des consommateurs en nombre croissant ont choisi d’en élargir l’usage qu’ils en font. S’ils continuent de les fréquenter de manière classique pour l’ensemble des plaisirs qu’ils en retirent, ils souhaitent également y retirer des plats commandés sur internet ou se faire livrer, trois plateformes dominant le marché : Uber Eat, Deliveroo et Just Eat.

La pandémie a accéléré une tendance qui se faisait jour depuis longtemps avec des enseignes spécialisées, comme celles livrant des pizzas, particulièrement dans les jeunes générations (74 % des consommateurs qui se font livrer des repas ont moins de 34 ans). 50 % des personnes passant commande accomplissent cet acte d’achat au moins une fois par semaine, considérant qu’il s’agit d’un service rapide, pratique, leur offrant un choix varié de cuisines. Il est vrai qu’ils bénéficient d’une offre de plus en plus large, avec un maillage de plus en plus serré du territoire en raison du travail des investisseurs, qui croient en ce mode de consommation. Le phénomène qui ne concernait que les grandes villes et les villes moyennes s’étend désormais aux petites villes. De 5 milliards d’euros actuellement, le marché pourrait représenter 10 milliards en 2024.

b.   La modification de la chaîne de valeur

Pour suivre cette demande de la clientèle, 10 000 restaurants ont désormais mis en place la livraison en s’associant le plus souvent à une plateforme ou en l’opérant directement. La diffusion de la livraison s’est notamment accélérée dans la restauration rapide, que ce soient des chaînes ou des restaurants indépendants. Elle a également représenté un complément d’activité pour les restaurants plus traditionnels, procédant au service en salle.

Dans ce nouveau paysage de la restauration, la chaîne de valeur est remodelée, avec un rôle majeur des plateformes. Elles captent 80 % des commandes de livraison et sont devenues des marques dont la notoriété a triplé en quatre ans, dépassant celle de grandes chaînes de restauration nationales. La plupart des spécialistes du secteur estiment que la livraison de repas prend pour le moment la place de la consommation alimentaire à domicile mais qu’ultérieurement, elle pourrait se substituer au fait d’aller au restaurant… Ce qui placerait ce secteur devant un défi majeur.

Pour l’heure, l’essor de la livraison a déjà les effets suivants sur le modèle économique des restaurants :

 coûts : 25 à 30 % de commission sont retenus sur chaque commande des restaurants ;

 volumes : ils varient, car la livraison peut être source de commandes supplémentaires pour les restaurants ou bien se substituer aux commandes sur place.

 organisation : l’organisation d’un service de livraison repose sur une grande rapidité d’exécution et sur une capacité à gérer les flux de livreurs de différentes plateformes, puis sur une capacité à gérer deux chaînes de fabrication différentes : celle qui est destinée aux clients de l’établissement et celle qui part en livraison ;

 compétences : nécessité pour les restaurateurs de disposer de compétences en marketing digital et en communication afin de développer leur attractivité et leur visibilité sur les plateformes.

c.   L’essor des cuisines-fantômes

L’essor des cuisines fantômes ou « dark kitchen » constitue l’aboutissement quasi logique des mutations du secteur de la livraison à domicile. Si la livraison depuis des restaurants ne semble pas avoir eu d’effet sur le nombre d’établissements et donc sur l’animation des rues, il se pourrait qu’il en aille autrement avec ces cuisines.

Né d’un partenariat entre entrepreneurs et plateformes, ou directement créé par les plateformes pour mailler le territoire, ce modèle économique se présente comme un local sans salle d’accueil de la clientèle, sans enseigne, mais avec des cuisines équipées et conçues uniquement pour la préparation de plats destinés à la livraison. Grâce à une optimisation des coûts d’exploitation, il permettrait de générer une rentabilité plus importante en échappant aux contraintes réglementaires d’un établissement recevant du public (ERP) ([53]). L’implantation de telles cuisines est majoritairement orientée vers des quartiers très peu pourvus en restaurants, dans le but d’élargir la zone de chalandise des plateformes ([54]). À titre d’exemple, Deliveroo a ouvert en 2021 une cuisine-fantôme à Aubervilliers, qui regroupe au total huit ateliers et a pour objectif d’étendre la zone de livraison et l’offre commerciale en restauration vers le Nord-Est de la région parisienne, à Pantin, Saint-Denis ou encore Bobigny ([55]).

Les cuisines-fantômes recouvrent une diversité d’acteurs – restaurants indépendants, petites chaînes locales ou enseignes nationales qui ont des ambitions de développement. À côté de ce modèle, certains restaurants font le choix de continuer à fabriquer des repas dans la cuisine de leur restaurant mais de consacrer certaines offres à la livraison, voire de créer au sein de leur restaurant de nouvelles marques qui sont uniquement mises en ligne sur les plateformes et donc uniquement livrées via les plateformes. On parle alors de marques virtuelles ; il en existerait aujourd’hui en France plus de 4 500.

Si ce modèle connaît un indéniable succès, c’est au moins pour deux raisons : il optimise un processus de fabrication des repas, qui devient alors semi-industriel et répond aux exigences de rapidité qu’exige le service de livraison. Il permet aussi de diminuer certains coûts par rapport à une ouverture de restaurant classique, en accédant à de nouvelles zones de chalandise sans créer de nouveaux points de vente.

L’interrogation majeure, à laquelle votre rapporteure ne peut apporter de réponse, porte sur la place que prendront ces repas dans les habitudes des consommateurs. Jusqu’à présent, si un consommateur ne souhaite pas cuisiner chez lui, il se rend au restaurant ou fait livrer un plat depuis ce restaurant. L’activité du restaurant est modifiée mais n’est pas remise en cause. Des repas provenant de cuisines-fantômes pourraient en revanche se substituer à l’activité des restaurants, sauf si le consommateur fait la part des choses entre des plats fabriqués à partir de produits de la grande distribution et l’expérience sensorielle qu’il peut retirer d’un service en salle.

C.   Les flux logistiques et le rôle des entrepôts

Si le commerce détermine l’urbanité d’un quartier et d’une ville, il ne peut fonctionner sans flux logistiques, donc sans entrepôts et modes de transport qui, des grandes distances au dernier kilomètre, assurent l’approvisionnement des magasins et désormais, de manière croissante, la livraison à domicile de produits commandés sur internet. Cette fonction est assurée sur l’ensemble du territoire par l’industrie de la logistique, qui représente près de 2 millions d’emplois salariés et 200 milliards de chiffre d’affaires en 2019, soit près de 10 % du PIB.

La proportion du commerce électronique dans les flux logistiques concorde avec sa part dans le marché du commerce de détail et des produits alimentaires. Cela démontre que la logistique ne crée pas l’offre mais répond plutôt à un besoin exprimé par le consommateur. Le rôle des entrepôts est d’optimiser les flux pour les faire diminuer, grâce par exemple à des livraisons groupées.

Il existe par ailleurs peu d’entrepôts (comme ceux d’Amazon) dont l’activité est uniquement consacrée à la commande en ligne. Amazon représente un peu moins de 1 % du parc logistique français qui s’élève à environ 82 à 83 millions de mètres carrés bâtis. Dans la plupart des cas, les entrepôts disposent d’une logistique mixte entre flux pour les magasins et flux pour le commerce électronique. Les entrepôts sont en effet très majoritairement locatifs, c’est-à-dire que la destination d’un entrepôt peut varier dans le temps et passer d’une fonction industrielle à une fonction de commerce électronique et vice versa. À titre d’exemple, la société de gestion immobilière Barjane a récemment ouvert un entrepôt à Louvres dans le Val d’Oise où deux tiers de son activité relèvent de la distribution des magasins français, et le tiers restant va au commerce électronique de ses parcs pour une vingtaine de pays.

Les entrepôts se situent principalement en périphérie, dans des zones à flux importants, car ils requièrent une superficie conséquente pour traiter efficacement les flux. Ils ont une taille moyenne allant de 20 000 à 30 000 mètres carrés, et pouvant atteindre 200 000 mètres carrés. Les entrepôts de 100 000 mètres carrés et plus sont très efficaces pour optimiser les flux, comparés à dix entrepôts de 10 000 mètres carrés. La consommation du foncier y est en outre moindre puisqu’il faut prendre en compte les accès et dessertes.

L’entrepôt logistique n’influence pas le niveau des flux d’échange au sein d’un territoire. C’est le consommateur, situé à la fin de la chaîne de valeur, qui porte cette influence. L’entrepôt répond aux besoins des transporteurs, en écho aux demandes des commerçants et des consommateurs finaux. En réponse au discours sur la surconsommation générée par le commerce électronique et sur le recours excessif aux véhicules de livraison, seule une information appropriée peut donner au consommateur une idée claire des conséquences écologiques ou de transport de ses actes d’achat.

En résumé, la logistique ne crée pas l’offre mais répond à la demande des consommateurs. L’entrepôt logistique permet une optimisation des flux alors que les capacités de stockage des commerces se réduisent en centre-ville. C’est pourquoi il est important pour les élus d’intégrer dans leur politique d’aménagement urbain la logistique, lorsqu’ils organisent les commerces de proximité sur un territoire donné.

 


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DEUXIÈME PARTIE :
la nécessité de politiques volontaristes

L’importance des commerces de proximité pour la vie quotidienne de nos concitoyens a conduit l’État et les collectivités territoriales à mener des politiques de sauvegarde et de développement des commerces en centre-ville. Mais le problème est plus large puisqu’une grande partie de nos concitoyens vit en périphérie. Si par ailleurs le constat de la déprise du commerce est un phénomène national, il est rappelé que cette déprise n’est pas uniforme et que les situations s’analysent à l’échelle infra-départementale. C’est dire que la dynamisation du commerce dans les communes et intercommunalités relève principalement des élus locaux même si l’État, par une série de programmes, peut impulser l’activité des commerces et assister les collectivités territoriales.

I.   À questions locales, rÉponses locales

L’évolution de la localisation des commerces de proximité est due à des tendances constatées à l’échelle nationale : démographie, usage de l’automobile, recherche de lien social… Les auditions conduites par la mission montrent qu’il existe des moyens pour lutter contre la déprise commerciale, qui se résument dans l’objectif de rétablir des flux de personnes vers des rues ou espaces commerciaux. Pour autant, les questions locales appellent le plus souvent des réponses locales. Si une palette de pratiques et d’instruments est à la disposition des collectivités, auxquels les élus et les urbanistes peuvent recourir, leur mise en œuvre relève bien de l’action des municipalités et des EPCI. Elle est inséparable de la vision qu’elles portent sur le territoire qu’elles administrent.

A.   LE RÔLE RESPECTIF DES DIFFÉRENTS ÉCHELONS TERRITORIAUX

La loi n°2015-991 du 7 août 2015 portant à une nouvelle organisation territoriale de la République, dite la loi NOTRe, a inclus le commerce dans les compétences transférées aux communautés de communes et d’agglomération au 1er janvier 2017, tout en laissant aux communes la liberté de déterminer ce qui relève respectivement de la compétence intercommunale et de la compétence de chaque commune membre.

1.   La compétence générale des intercommunalités

Le transfert de compétences résulte de la détermination de l’intérêt communautaire. Le ministère de l’Intérieur a précisé que cet intérêt portait bien sur la politique locale du commerce et le soutien aux activités commerciales. En réponse à une question écrite du Sénat (n° 03725, JO Sénat du 31 mai 2018), il a indiqué qu’il « n’y avait pas lieu de distinguer la politique locale du commerce du soutien aux activités commerciales. En effet, la définition d’un intérêt communautaire permet l’élaboration d’un projet de développement de la politique locale du commerce et de soutien aux activités commerciales sur un territoire... En conséquence, le conseil communautaire délibère pour déterminer ce qui relève de sa compétence, à la fois en matière de politique locale du commerce et de soutien aux activités commerciales. Il s'ensuit que les communes membres interviennent dans le champ de la politique locale du commerce et du soutien aux activités commerciales qui n'aura pas été reconnu d'intérêt communautaire. Cette ligne de partage au sein de la compétence « commerce» permet à l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre de laisser au niveau communal des compétences de proximité et d'exercer les missions qui, par leur coût, leur technicité, leur ampleur ou leur caractère structurant, s'inscrivent dans une logique intercommunale. »

Comme la loi n’apporte pas de précision sur les éléments de la politique locale du commerce, les intercommunalités et communes disposent d’une latitude importante pour déterminer les champs relevant de l’intérêt communautaire. Ils peuvent porter sur tous sujets liés au commerce : étude des flux de consommateurs, élaboration d’une stratégie commerciale, revitalisation des cœurs de ville, aides à l’immobilier pour des entreprises de commerce et d’artisanat, périmètres de sauvegarde, animations commerciales, ouverture dominicale, gestion des friches commerciales, etc.

La définition de l’intérêt communautaire est décidée par le conseil de la communauté des communes ou de la communauté d’agglomération à la majorité des deux tiers de ses membres, conformément au IV de l’article L.5214-16 et au III de l’article L.5216-5 du code général des collectivités territoriales (CGCT). L’intérêt de cette procédure est de conduire les communes dans une démarche de concertation, où au regard de la vision de leur territoire et du service qu’elles souhaitent rendre à leurs administrés sur une question aussi essentielle que le commerce de proximité, elles doivent trouver un équilibre entre les compétences qu’elles délèguent à l’intercommunalité et celles qu’elles conservent, comme votre rapporteure a pu le constater lors de son déplacement à Bordeaux, Sainte-Foy-la-Grande et Libourne.

2.   La région en appui au développement économique

La loi NOTRe précitée a confié aux régions la compétence exclusive du développement économique et de l’innovation. Chaque région définit ses objectifs, dans le schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET) et dans le schéma régional de développement économique, d’innovation et d’internationalisation (SDREII).

Ces schémas doivent tenir compte de la compétence des intercommunalités et des communes sur la politique locale du commerce, mais ils n’empêchent pas les régions de développer des orientations générales sur le commerce, ne serait-ce qu’en raison des effets qu’elles constatent d’un développement excessif des surfaces en périphérie. La région Centre-Val de Loire a ainsi écrit dans son SRDEII que « les commerces de proximité contribuent au maintien des activités économiques indispensables à la population et aux entreprises, et assurent un rôle essentiel dans l'aménagement du territoire. Ils sont générateurs d'emplois de qualité ». En Auvergne-Rhône-Alpes, « le rôle du commerce de proximité dans un urbanisme commercial maîtrisé, au regard du développement des grandes surfaces » est mis en avant. Il se complète « d'une vigilance sur les formes de commerce comme les magasins d’usine et assimilés dont l’implantation non étudiée selon tous les critères d’impact fait peser d’importants risques ». L’Assemblée des communautés de France a observé que l’action des régions en matière de commerce s’inscrivait surtout en soutien aux territoires fragilisés. Dans le cadre du soutien aux entreprises, les régions apportent des aides financières pour la modernisation des outils de travail et pour des aménagements, notamment en faveur des métiers de bouche, des bars-tabacs et des commerces multi-services. La Corse et l’Occitanie ont ainsi conduit une concertation avec les EPCI pour mieux articuler leurs compétences respectives.

Les régions viennent le plus souvent en appui aux EPCI, qui manquent d’ingénierie. C’est en ce domaine que leur rôle est le plus important auprès de l’échelon communal. Elles peuvent ainsi contribuer à mieux structurer les espaces ruraux et les pôles de petites villes. Lors de son audition par la mission, Mme Martine Pinville, conseillère régionale d’Aquitaine et ancienne ministre, a indiqué que la région permettait de réduire les inégalités entre les grands centres urbains, qui disposent de capacités d’ingénierie, et les petits pôles, à travers des contrats de territoires et de soutien. La vice-présidente de la région Occitanie, Mme Nadia Pellefigue, a confirmé que les EPCI se tournaient vers la région sur l’immobilier d’entreprise parce qu’ils ne disposaient ni de l’ingénierie, ni de la trésorerie pour agir en ce domaine.

La région Nouvelle-Aquitaine a dans cette optique lancé un programme de revitalisation d’une quarantaine de villes, PQN-A, qui organise et propose un certain nombre de rencontres et d’échanges d’expériences entre les élus locaux et la Banque des territoires. Ces échanges permettent d’acculturer les élus à une démarche globale de projets et de les informer sur les dispositifs spécifiques que sont les programmes Action cœur de villes et Petites villes de demain, ainsi que sur les contrats de relance et de transition écologique.

Bien qu’il ne s’agisse pas de stratégie de territoire, votre rapporteure souligne l’aide conjoncturelle que les régions ont apportée au commerce de proximité lors de l’apparition en 2020 de la pandémie de covid 19. Elles ont agi pour stimuler la consommation en vue des fêtes de fin d’année, débloqué des crédits pour la digitalisation des PME et des TPE, stimulé l’émergence ou le développement de places de marché locales. La plupart des régions ont soutenu la digitalisation des commerces, mais l’on peut relever d’autres actions, comme l’aide au paiement des loyers (Bourgogne Franche-Comté, en coopération avec les EPCI, et Grand Est), un appel à un projet d’attractivité (Centre-Val de Loire), l’indemnisation de perte de chiffre d’affaires (Martinique) ou encore l’aide à l’investissement en faveur des commerces de proximité (La Réunion).

3.   Le département : un appui au titre de la solidarité territoriale

La loi NOTRe précitée a supprimé la plupart des compétences économiques des départements. Pour autant, leur rôle économique n’a pas disparu parce que la plupart d’entre eux disposaient au moment du vote de la loi d’un patrimoine économique, qui ne pouvait être automatiquement transféré aux EPCI. Un département comme celui de l’Aube a ainsi calculé la valeur de ses actifs, mais elle était si élevée qu’aucun EPCI n’a pu les acquérir. Le département s’est trouvé être le principal propriétaire foncier du territoire et est devenu gestionnaire de patrimoine, qu’il fait fructifier en le mettant au service des projets des communes et EPCI.

Parallèlement, la loi NOTRe a confirmé le rôle des départements en matière de solidarité territoriale, puisque l'article L. 3211-1 du CGCT dispose que ceux-ci ont « compétence pour promouvoir les solidarités et la cohésion territoriale sur le territoire départemental, dans le respect de l'intégrité, de l'autonomie et des attributions des régions et des communes ». Ainsi, la solidarité territoriale permet aux départements d'intervenir en participant au financement des projets dont la maîtrise d'ouvrage est assurée par les communes ou leurs groupements à leur demande (article L. 1111-10 du CGCT) ou en accordant des aides au maintien des services en milieu rural en complément des communes et de leurs groupements (article L. 2251-3 du CGCT).

Le problème est de délimiter ce qui relève de la solidarité territoriale et ce qui ressort de la compétence économique des EPCI. D’après M. Philippe Pichery, président du conseil départemental de l’Aube, auditionné par la mission, la loi NOTRe ne s’applique donc pas de manière uniforme sur tout le territoire. Selon la manière dont les acteurs locaux s’organisent et la manière dont le représentant de l’État dans le département interprète les textes, les réponses à des problématiques identiques sont différentes.

Or les départements ne peuvent se désintéresser d’un sujet tel que le commerce de proximité, notamment en milieu rural, où l’implantation ou le maintien de commerces relève souvent de l’initiative publique. Ils ne peuvent juridiquement financer une entreprise mais ils peuvent, au titre de la solidarité territoriale, solvabiliser le portage immobilier d’une commune ou d’un EPCI, sur le fondement de la solidarité territoriale. Dès lors que le porteur de projet est une collectivité publique, le département est en mesure d’agir.

Plusieurs départements octroient des aides pour les politiques de rénovation urbaine et de centre-bourg, principalement sur les éléments qui constituent l’environnement du commerce : rénovation des espaces publics, études en amont dans les commissions d’aménagement et d’urbanisme, politiques de l’habitat, etc. D’autres ont travaillé sur la digitalisation. Le département de l’Isère a mené des opérations avec la Chambre de commerce et de l’industrie en finançant une plateforme numérique www.enbasdemarue.fr consacrée à la vente en ligne de produits et services de commerces de proximité. Initiée lors du confinement de l’automne 2020, cette place de marché rassemble désormais près de 300 commerçants, dont 150 commerçants d’Isère (commerçants, agriculteurs, producteurs locaux, épiceries, artisans, entreprises locales et indépendants) ainsi que provenant d’autres départements comme le Cantal, le Puy du Dôme, la Drôme et la Haute-Savoie. S’inscrivant dans un contexte de fermeture de commerces, le département est intervenu via le levier de la solidarité territoriale afin de permettre aux commerces isérois de poursuivre leurs activités en ligne.

Le département peut donc apporter une réponse au problème de la déprise du commerce de proximité, par le biais de la revitalisation de territoires ; en quelque sorte, il s’occupe de commerce sans parler de commerce. Quand un projet économique se présente, l’EPCI, la commune et le département se concertent et si le département dispose notamment de l’outil foncier, il joue un rôle décisif dans la réussite du projet. Ajoutons que 90 % des départements mettent à disposition des communes et des EPCI leur ingénierie, soit émanant des conseils d’urbanisme, d’architecture et d’environnement, soit des agences techniques départementales.

B.   agir sur l’offre fonciÈRE

La question foncière – qui est propriétaire des espaces dans lesquels se déroulent les activités commerciales ? – est primordiale dès lors qu’une collectivité territoriale veut conduire des opérations de revitalisation. Les modes d’action ne sont en effet pas les mêmes si une collectivité travaille avec des bailleurs privés ou si elle peut recourir à une société à laquelle elle délègue une part de ses compétences. Le programme Action cœur de ville a généré par exemple de nombreuses opérations de réhabilitation de commerces en bas d’immeubles, s’accompagnant de procédures dont la complexité varie selon la nature des bailleurs.

1.   L’intérêt des sociétés foncières locales

Schématiquement, la propriété foncière des commerces en centre-ville est essentiellement familiale, allant de la propriété d’un local à la propriété de centaines de locaux ou d’immeubles entiers. En périphérie, les propriétaires sont plutôt des sociétés par action, certaines (Altaréa, Frey) ayant conservé un capital familial à côté d’un capital flottant. La différence est qu’en périphérie, le propriétaire des murs est également l’exploitant du commerce.

Cette dispersion de la propriété foncière en centre-ville – certains parleraient de mitage – peut-elle gêner la rénovation des commerces, qui passe parfois par un remembrement de surfaces trop petites ? La réponse est affirmative, votre rapporteure ayant pu par exemple observer à Sainte-Foy-la-Grande combien la multiplicité des bailleurs complexifiait l’action de la municipalité. Mais les collectivités territoriales disposent d’un outil avec les sociétés foncières de commerce.

Ces sociétés permettent aux collectivités de conduire des opérations de revitalisation dans la ligne de la stratégie de territoire qu’elles définissent ou d’agir sur l’activité économique de leur territoire. Mais recourir à des sociétés foncières exige préalablement des collectivités de définir leurs objectifs. Il peut s’agir d’intervenir sur un périmètre commercial pour y réduire la vacance, d’agir sur le niveau des loyers, de lutter contre la présence d’un seul type de commerce pour rétablir la diversité de l’offre, de créer des pôles de centralité et dans les villes très anciennes, caractérisées par l’exiguïté de locaux anciens, de conduire des opérations de remembrement, qui attireront ultérieurement des enseignes nationales, qui ont souvent besoin de surfaces importantes. La FNAC s’est ainsi implantée à Libourne à la suite d’une telle opération.

La forme juridique d’une société foncière de commerce peut varier : société publique locale, société par actions simplifiée, société civile immobilière, société d’économie mixte, société civile immobilière… La société peut être la filiale d’un opérateur existant, déjà en mesure de porter des actions de maîtrise foncière ou créer elle-même des filiales, dévolues à des projets précis. Les modalités d’intervention sont également variables : action dans le cadre d’une convention de mandat pour le compte d’une collectivité, concession d’aménagement. Elle peut également bénéficier d’une délégation de prérogatives publiques, comme c’est le cas pour la Société d’économie mixte d’aménagement de l’Est de Paris (SEMAEST).

Toute société foncière est dans l’obligation, pour assurer sa rentabilité, de déterminer les fonds propres à mobiliser, qui doivent couvrir les acquisitions, les travaux, la période pendant laquelle le local et / ou les logements ne sont pas exploités. L’équilibre financier doit être calculé en prenant en compte le rendement des locaux commerciaux (et des logements si l’opération est mixte). Par ailleurs, la commercialisation des surfaces peut être assurée en interne par la collectivité territoriale ou être confiée par mandat à un opérateur privé, comme un agent immobilier.

Il convient de noter que le déploiement opérationnel d’une société foncière de commerce peut exiger au minimum une année de travail entre les études préalables, l’établissement de ses statuts et sa capitalisation. L’opération exige des compétences spécifiques dont sont souvent dépourvues les petites communes. C’est tout l’intérêt des programmes Action cœur de ville et Petites villes de demain que de proposer de l’ingénierie à ces communes pendant le déroulement du programme. L’État (ou ses opérateurs, comme la Banque des territoires) apportent ainsi une sécurité juridique aux collectivités.

 

 

 

 

La Société d’économie mixte d’aménagement de l’Est de Paris (SEMAEST

La SEMAEST constitue un bon exemple de l’utilité de disposer d’une société foncière pour une ville comme Paris où l’espace commercial est sous tension et où la diversité des commerces de proximité est en permanence en danger, en raison du risque de gentrification. Cette société acquiert et rénove des locaux, puis aide à l’installation de commerces de proximité. La Ville de Paris a doté la société de l’exercice de son droit de préemption sur certains locaux commerciaux. Cette délégation est intervenue à l’origine dans un contexte de mono activité commerciale, avec la présence importante de grossistes dans certains quartiers (comme dans le 11e arrondissement), et une vacance commerciale de longue durée observée dans le Nord-Est de Paris. L’objectif de la SEMAEST était donc de maintenir et développer le commerce de proximité dans certains quartiers de la capitale, le soutien à l’installation et le maintien d’activités artisanales et de création, ainsi que d’accompagner la transition numérique et l’éclosion de nouveaux concepts de commerces (avec le programme CoSto).  Ainsi, la SEMAEST a pu agir sur la valorisation de l’artisanat et la création au centre de Paris, en assurant dans les années 90 la rénovation et la gestion du Viaduc des Arts dans le 12e arrondissement de Paris.

Par ailleurs, la SEMAEST a mis en place un testeur de commerce (local de 65 m2) disponible d’une période de 15 jours à 4 mois, afin de donner l’opportunité à des entrepreneurs de tester un concept ou un nouveau produit avant de s’engager dans un bail à long terme. L’expérience a permis de tester plus de 20 concepts en 2 ans, dont 40 % ont ouvert une boutique pérenne après leur passage dans le testeur de commerce. Parallèlement, la foncière Paris Commerce, créée sous forme d’une société par actions simplifiée (SAS) et rassemblant la Ville de Paris, la SEMAEST et la Banque des territoires, a notamment racheté à la SEMAEST les locaux issus des opérations Vital’Quartier 1 et 2. 

 

2.   La difficulté d’agir sur les friches commerciales

Ainsi que l’ont rappelé plusieurs personnes auditionnées par la mission, notamment M. Alain Griset, ancien ministre chargé des PME et Mme Delphine Charles-Péronne, déléguée générale de la Fédération des sociétés immobilières et foncières (FSIF), certains centres commerciaux tant en centre-ville qu’en périphérie sont surdimensionnés. Ils n’ont plus de clientèle suffisante. Leurs propriétaires, souvent de grandes sociétés (Unibail-Rodamco, Westfield, Ilcad) sont prêts à les réduire, dans le cadre d’opérations de requalification urbaine. Mais les mètres carrés cédés ont souvent une valeur considérable, qu’il est difficile de « reporter » en centre-ville par des acquisitions puisqu’elles se heurtent à des propriétés commerciales de taille nettement plus réduite.

À ces vacances commerciales s’ajoute le problème des friches commerciales sur lesquelles il n’existe pas de chiffres précis.. Les estimations oscillent entre 2 400 à 4 000 sites. Aucun inventaire ni de cartographie n’ont été effectués de ces zones obsolètes économiquement, ce qui est gênant lorsque l’on souhaite conduire une politique publique, alors qu’elles pourraient être transformées avec une mixité d’usages (commerces rénovés, bureaux et / ou logements) sans nouvelle artificialisation des sols. Il s’agit d’espaces déjà urbanisés, sur lesquels pourraient s’implanter des projets multifonctionnels s’intégrant dans des opérations de requalification urbaine. De tels exemples de requalification existent, comme celui de l’ancien centre commercial de la Gaité, à Paris, qui abrite désormais, outre des magasins, une crèche, des bureaux, une bibliothèque et un hôtel, soit un mélange de commerces et d’équipements municipaux. Des projets sont en cours d’instruction par exemple à Annemasse, Chartres, Tours, Mandelieu, La Réunion.

 

Proposition n° 4 : établir un inventaire des friches commerciales, afin de disposer d’un outil au service des projets de restructuration des zones commerciales ou de mutations de ces zones vers d’autres usages (habitation, équipements publics, renaturation).

Les professionnels des sociétés immobilières et foncières rappellent toutefois que les droits à commercer sont limités aux seuls terrains d’implantation des commerces existants, ce qui, d’après eux, maintient des zones commerciales obsolètes. Ils estiment que le transfert de ces droits au sein d’une même aire d’attraction, sans nouvelle autorisation d’exploitation commerciale (AEC) permettrait de libérer plus rapidement des ressources foncières. Ils souhaiteraient qu’une disposition législative prévoit le transfert de ces droits, dès lors qu’il ne conduirait ni à une augmentation de la surface de vente, ni à une modification des secteurs d’activité des commerces.

Votre rapporteure est très sceptique sur cette proposition. Elle rappelle qu’une opération de transformation d’une friche commerciale dure en moyenne plus d’un an pour les seuls travaux, et encore plus de temps si l’on tient compte des phases juridiques, de montage financier et de commercialisation. Par ailleurs, les collectivités publiques seront attentives la cohérence entre l’offre de commerces et la dévolution de l’espace issu de la requalification de la friche. Le type de commerce n’est pas le même selon que l’opération mêle magasins et bureaux, magasins et logements (sociaux ou relevant du marché), ou encore d’autres activités. La puissance publique est fondée à examiner cette offre de commerces et à délivrer une nouvelle AEC afin de ne pas se trouver à nouveau face à une déprise si elle est inadaptée.

3.   Recourir à la taxe sur les friches commerciales pour instaurer un dialogue avec les propriétaires

Il est rappelé que les communes et les EPCI à fiscalité propre compétents en matière d’aménagement des zones d’activités commerciales peuvent percevoir une taxe sur les friches commerciales (TFC). Institué par la loi de finances rectificative pour 2006 (n° 2006-1771 du 30 décembre 2006), cet impôt local facultatif, prévu à l’article 1530 du code général des impôts, a pour objet d’inciter les propriétaires à exploiter eux-mêmes ou à louer leurs biens vacants. Il est applicable aux biens immobiliers commerciaux qui ne sont plus affectés à une activité entrant dans le champ de la cotisation foncière des entreprises (CFE) depuis au moins deux ans au 1er janvier de l’année d’imposition. Les collectivités territoriales et les EPCI à fiscalité propre peuvent obtenir de la direction générale des finances publiques, en application de l’article L. 135 B du livre des procédures fiscales la liste des locaux commerciaux professionnels vacants n’ayant pas fait l’objet d’une imposition à la CFE l’année précédente.

L’intérêt de la TFC est en fait d’instaurer un dialogue entre une collectivité territoriale et un propriétaire. Ce dialogue permet à une collectivité de comprendre pourquoi un commerce est vacant ; de l’autre côté, ce propriétaire est fortement incité à trouver un locataire, parfois en baissant le prix du bail. Ce mécanisme fonctionne dans les territoires commercialement attractifs, où offre et demande se rencontrent facilement. Il évite également à une commune de recourir à cet outil lourd qu’est le droit de préemption. Il est en revanche imparfait dans les territoires en crise, comme le relève l’Association des maires de France. La TFC peut en effet accroître les difficultés financières des propriétaires.

En 2018, 235 communes et 31 EPCI englobant 920 communes avaient institué la TFC, soit une appropriation très relative. Sans doute faudrait-il la restreindre à certains types de locaux ou à des parties du territoire délimitées par la collectivité dans le cadre de son plan d’action en faveur du commerce.

 

Proposition n° 5 : mieux informer les communes et les EPCI sur le mécanisme de la taxe sur les friches commerciales et leur permettre de la restreindre à certains types de locaux ou à certaines parties de leur territoire, en cohérence avec leur action en faveur du commerce ou de leur politique relative à la mutation vers d’autres usages des espaces commerciaux.

C.   vers la gouvernance partagÉe entre Élus et commerçants ?

La relation entre élus, commerçants et artisans est primordiale pour assurer la vitalité du commerce. Elle n’apparaît cependant pas comme allant de soi car le commerce est avant tout une activité économique libérale, et il revient en premier lieu aux professionnels de s’organiser en associations pour défendre leurs intérêts. Mais leurs activités s’exercent dans un territoire et s’insèrent à des titres divers dans les politiques publiques. Ces activités se déroulent dans un espace organisé par les municipalités (transports, stationnement, gestion des flux de personnes dans l’espace public, hygiène, mise en place de plateformes numériques, qualité de la voirie, sécurité). L’activité commerciale fait partie d’un écosystème urbain qui rend nécessaire le dialogue précité.

1.   Éviter de faire reposer la vitalité commerciale d’une ville sur les seuls commerçants

Le commerce étant une activité économique libre, les élus locaux ont longtemps considéré que les commerçants portaient seuls la responsabilité du dynamisme de leur commerce. Offre commerciale, prix, horaires, originalité de la devanture, adaptation à la demande ont été considérés comme les facteurs du développement du commerce, sans que les élus aient à intervenir.

La fermeture de commerces a provoqué une prise de conscience chez de nombreux élus, qui ont compris que la vitalité commerciale dépendait de la présence d’habitants, d’un urbanisme agréable, de la beauté architecturale d’un patrimoine mis en valeur, d’une desserte intelligente en transports en commun, d’opérations d’urbanisme ou encore d’animations. Le développement du commerce constitue bien une compétence communale ou intercommunale, qui exige un dialogue entre les collectivités territoriales et les commerçants. La vision d’un territoire doit englober le commerce et ne pas laisser aux seuls commerçants la responsabilité d’un développement dont ils ne maîtrisent pas tous les facteurs.

2.   Mieux coordonner l’action des acteurs du commerce

Il existe environ 6 000 associations de commerçants en France, soit un maillage territorial dense. Comme le nombre de chambres consulaires est en repli, elles constituent dans plusieurs cas l’unique interlocuteur représentant les commerçants indépendants auprès des pouvoirs publics locaux. Il s’agit de la première et de la principale forme d’organisation des commerçants qui, rappelons-le, sont par ailleurs affiliés à de multiples fédérations professionnelles : boulangerie-pâtisserie, épicerie et commerce de proximité, buralistes, marchés de France, syndicat des indépendants, etc.

Ainsi que l’a rappelé M. Lionel Saugues, ancien élu local et actuellement président de la Fédération française des associations de commerçants (FFAC), auditionné par la mission d’information, la FFAC, comme toute association, a des difficultés à mobiliser ses adhérents autour de projets communs, tant à l’échelle nationale que localement. La force d’une association et sa pérennité dépendent en effet de l’engagement de ses membres, à commencer par son président et son bureau, qui est inégal selon les villes. En outre, les associations de commerçants ne réunissent pas toujours l’ensemble des professionnels d’une commune. Les adhérents d’une franchise n’en font par exemple pas souvent partie parce qu’ils sont déjà intégrés à un réseau… De manière générale, l’adhésion à une association est libre et il est souvent constaté que les associations ou unions de commerçants ne rassemblent parfois qu’une minorité de commerçants, de la même rue ou d’un périmètre réduit. Il semble en outre que le dialogue entre élus et commerçants soit plus difficile dans les petites villes que dans les grandes villes, car il peut exister un arrière-plan, compte tenu des engagements politiques de commerçants.

La difficulté est donc de réunir un nombre suffisant de commerçants pour qu’ils deviennent une force de propositions et d’actions. Si le modèle associatif libre ne suffit pas pour mettre en place un projet de territoire global propre à l’animer et qui favorise la judicieuse implantation des commerces, rien n’interdit aux élus, de leur côté, de structurer leurs relations avec les commerçants, par le biais d’une conférence du commerce ou d’un conseil consultatif du commerce. La FFAC ne s’oppose pas à cette forme de gouvernance qui regroupe les acteurs du commerce et les élus. Plusieurs exemples peuvent être observés dans des pays étrangers, comme les sociétés de commerce canadiennes (cf. encadré ci-après), les centri commerciali naturali (centres commerciaux naturels) italiens ou les Business improvement districts nés au Canada, et qui se développent au Royaume-Uni.

 

Proposition n° 6 : les communes et EPCI doivent s’efforcer d’instituer des instances comme une conférence du commerce ou un conseil consultatif du commerce pour que le dialogue entre élus et commerçants soit structuré. Il serait également opportun de réfléchir à une modification du code général des collectivités territoriales afin de donner un fondement législatif à une structure de gouvernance du commerce réunissant élus, représentants des commerçants, chambres consulaires, et l’ensemble des parties prenantes d’une politique du commerce.

De nombreuses villes françaises, comme Cahors ou La Roche sur Yon, ont créé des offices du commerce et de l’artisanat, ou du commerce et du tourisme. Certains font partie des services municipaux quand d’autres fonctionnent sous statut associatif. Ils permettent de faciliter la vie des commerçants, avec une assistance pour les démarches administratives (poser ou modifier des enseignes, mise aux normes de l’accessibilité, autorisations de voirie, de vente de boissons), l’installation de nouveaux commerces (aides financières à l’immobilier, offre de locaux disponibles, location d’une boutique éphémère), le développement des activités des commerçants (aide à la digitalisation, réhabilitation des devantures, mise en relation avec les acteurs locaux) ou l’obtention d’informations, comme la présentation des programmes Action cœur de ville et Petites villes de demain lorsque la municipalité y est éligible, l’organisation d’évènements commerciaux ou encore la participation aux évènements de la ville. La palette d’action des offices est très large et peut aller jusqu’à s’étendre à l’organisation générale du commerce.

La ville de Soissons a par exemple intégré à son office du commerce et de l’artisanat une manager du commerce dotée de nombreuses compétences, allant de la mise en œuvre du plan « Commerce » de la ville à l’aide aux porteurs de projet en passant par la gestion d’une boutique éphémère, l’utilisation commerciale du domaine public, le développement des animations avec les unions commerciales, le maintien de la diversité commerciale, la promotion tant du cœur de ville que des quartiers périphériques auprès des enseignes afin d’en installer de nouvelles, soit la totalité des domaines qui permettent d’animer une ville et de rendre ses différents quartiers attractifs.

Peu importe en réalité la forme juridique qui est adoptée. Dès lors qu’il s’agit de concevoir et de porter un projet de territoire avec l’objectif de desservir l’ensemble de la population en commerces de proximité, la structure retenue – une sorte de comité de pilotage – doit autant que possible, au-delà des élus et des représentants de commerçants, s’élargir aux réseaux consulaires, aux sociétés d’économie mixte locales, aux professions libérales, aux commerçants non sédentaires, aux autorités de transport, etc.

 

Les sociétés de commerce de droit canadien,

un exemple de gestion de l’espace public par les commerçants

 

Les sociétés de commerce (SDC) de droit canadien sont nées dans les années 1970 en Ontario quand Toronto a mis en place un partenariat public/privé pour développer le commerce de centre-ville. La ville était en proie à la désindustrialisation qui, avec la diminution du taux d’emploi, entraînait une chute de la consommation. Elle souhaitait revitaliser le commerce de plusieurs de ses quartiers et trouver le moyen de rénover les espaces industrialisés.

Toronto recherchait essentiellement l’appui du secteur privé pour résoudre une question de politique publique. Dans le mécanisme des SDC telles qu’elles existent actuellement, le rôle du secteur privé est primordial. Elles sont répandues dans l’ensemble du Canada, la mission d’information ayant procédé à l’audition des représentants des SDC de Montréal, ville qui en compte une quinzaine.

Ce sont les lois des Provinces canadiennes qui prévoient le régime juridique des SDC. Au Québec, il s’agit des articles 458.1 à 458-44 de la loi sur les cités et les villes. Le conseil municipal d’une ville peut décider de constituer une zone en district commercial et « prévoir la constitution d’une société d’initiative et de développement ayant compétence dans ce district ». Il revient toutefois aux commerçants et autres professionnels travaillant dans le district de constituer la société.

Le rôle des SDC est de stimuler l’activité économique d’une artère ou d’un quartier, de faire exécuter des travaux sur le domaine public et privé, d’acheter des locaux pour y implanter des commerces, d’organiser des évènements ; en résumé, d’animer l’espace dont elles s’occupent. Elles se veulent proches des consommateurs, puisque leur objet est de les attirer, mais elles ont vocation à dialoguer avec toutes les personnes travaillant sur l’urbanisme et le commerce.

Les SDC ont des conseils d’administration de sept à neuf membres, renouvelés pour moitié chaque année. Les électeurs sont les commerçants, entreprises et sociétés ou professions de service (coiffeurs, médecins dentistes, avocats…). Ainsi, le corps électoral de l’artère Wellington, à Montréal, est composé de 30 restaurants, 30 commerces de détail et 30 entreprises de service. Aux membres élus, s’ajoutent un représentant de la municipalité et parfois des personnalités extérieures choisies pour leurs compétences, par exemple en comptabilité ou relations publiques. Les membres des conseils d’administration exercent leurs fonctions bénévolement.

Le budget des SDC est alimenté par les cotisations de leurs membres. Il varie selon leur dimension. Celle du centre-ville de Montréal dispose de 6 millions de dollars canadiens ; celle de l’artère de Wellington, de 1,5 million de dollars. Dans les petites villes du Québec, le budget moyen s’élève à environ 350 000 dollars.

Les SDC ont besoin de tisser des relations de confiance avec les élus locaux car elles ont quotidiennement, comme lors d’évènements exceptionnels tels des festivals, des pouvoirs de gestion de l’espace public.

Au-delà de leur rôle économique, les SDC créent pour leurs membres comme pour les habitants d’un district commercial un sentiment d’appartenance à une communauté, qui dépasse les simples actes d’achat même si, pour les commerçants et autres professionnels, la cotisation à la SDC s’assimile à un investissement dont ils attendent un retour.

Les SDC sont une expérience très aboutie de cogestion de l’espace public entre élus et professionnels mais leur exemple n’est pas transposable en France, bien qu’il soit connu des responsables publics. En droit français, nul n’est en effet obligé d’adhérer à une association, comme l’a rappelé la Cour de cassation (assemblée plénière, 9 février 2001, n° 99 17 642). Seule la loi peut, sous condition, déroger à ce principe, pour des raisons de santé, de sécurité ou de sûreté. Ainsi est-il obligatoire d’être membre d’une association pour chasser ou d’une fédération sportive pour participer à une compétition. En revanche, la clause d’un bail commercial obligeant un locataire à adhérer à une association de commerçants dans un centre commercial pendant la durée du bail a été déclarée nulle (Cour de cassation, 12 juin 2003, n° 02 10 778).

En outre, les SDC ont des compétences qui, en droit français, contreviennent au principe de libre administration des collectivités locales.

3.   Les managers de centre-ville, une profession émergente

Profession émergente, les managers de centre-ville apportent une expertise technique aux maires et à leurs adjoints, afin de mettre en œuvre la vision que ceux-ci ont de leur ville.

Ce métier a émergé au début des années 2000 dans les Yvelines, sous l’égide de chambres de commerce et d’industrie, notamment celle de Versailles, qui estimaient nécessaire d’avoir un technicien du commerce pour appuyer les associations de commerçants. Puis, les collectivités territoriales ont perçu l’intérêt de cette fonction et ont élargi les compétences des managers, afin d’avoir une approche transversale des questions urbaines et commerciales et de faire travailler ensemble toutes les parties prenantes. Le commerce dans toutes ses composantes, du petit magasin indépendant aux centres commerciaux en passant par les marchés de plein air, était dans cette optique perçu comme le baromètre de la bonne santé économique d’un territoire.

Le rôle premier d’un manager de centre-ville est d’opérer, dès sa prise de fonction, un diagnostic sans concession sur l’état de la ville et du commerce, comprendre les raisons des difficultés des commerçants et l’existence de friches commerciales, toutes difficultés qui peuvent être dues à une offre commerciale inadaptée, à un manque de compétence ou d’offre du commerçant ou à une mauvaise localisation. Cette opération peut être délicate et les conclusions qui en résultent le sont tout autant. Le travail d’un manager ne peut porter ses fruits que si la relation qu’il entretient avec les élus et l’administration municipale est placée sous le sceau de la confiance. Sa position dans l’organigramme des services d’une commune est révélatrice de l’importance qui lui est accordée et de l’autorité qu’on lui donne.

Les relations des managers avec les associations de commerçants, les chambres de commerce et d’industrie et les chambres de métiers et de l’artisanat sont également primordiales. La concertation avec ces organes est nécessaire quand se met par exemple en place un droit de préemption ou la protection d’aires commerciales. En effet, l’article L. 132-7 du code de l’urbanisme prévoit que les Chambres de commerce et d’industrie et les Chambres des métiers et de l’artisanat sont associées à l’élaboration des plans locaux d’urbanisme (PLU) qui définissent ces aires. Mais ces relations ne sont pas institutionnalisées et dépendent largement des rapports entre élus et commerçants dans une commune. Comme il n’existe pas de base légale à une gouvernance commune des élus et des commerçants sur un territoire, les échanges sont officieux. Leur intensité et leur qualité dépendent en fait de la capacité des acteurs locaux à s’entendre.

Environ 400 managers sont actuellement en poste, employés à proportion de 30 % par des petites villes, 65 % par des villes moyennes (de 20 000 à 100 000 habitants) et 5 % par des grandes villes. Des villes comme Brest, Bordeaux, Le Havre, Mulhouse, Nantes, Orléans, Reims, Saint-Étienne, Sainte-Foy-la-Grande, Strasbourg ou Toulouse en ont recruté. Il arrive en outre que des managers travaillent à temps partiel pour plusieurs communes, celles-ci mutualisant leurs coûts.

On notera que 17 % des managers opèrent sur un territoire plus large que le centre-ville, incluant la périphérie, afin d’y coordonner l’ensemble des activités commerciales, ce qui apparaît logique car le cœur du métier est de susciter des flux de personnes vers l’ensemble des zones commerciales. Les managers de centre-ville sont conscients que les problèmes du commerce concernent également les périphéries, d’où la mise en place d’un autre métier, le « manager territorial ». Les périphéries abritent en effet une large partie de la population et disposent de réserves foncières ainsi que des friches en mutation. Mais le cœur du métier demeure le centre-ville car il est symboliquement l’âme d’une ville et le lieu supposé de ses principales centralités.

La profession peut être qualifiée d’émergente au sens où les personnes qui l’exercent n’ont pas de formation commune, présentent des profils et des cursus variés (il peut s’agir d’anciens commerçants, d’employés de la grande distribution ou de l’immobilier). Les recrutements s’opèrent sur divers fondements, allant de la compétence technique à la confiance accordée par l’entourage du maire. Ce n’est qu’à partir de 2020 que la formation des managers a commencé à être organisée, notamment par une convention avec le Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) et par un partenariat avec l’université de Caen, sous l’égide de la Fédération française des associations de commerçants. Il est important que cette profession continue de se structurer car s’il n’existe pas de bilan exhaustif de son action, des villes aussi diverses que Bourg-en-Bresse, Dijon, Le Havre, Montrouge, Mulhouse, Pau ou Romans, ont bénéficié de leur travail. Les élus entendus par la mission d’information ont en règle générale marqué leur satisfaction à leur égard et les représentants de la Banque des territoires, également auditionnés par la mission d’information, estiment que leur plus-value est indéniable.

Au vu des analyses recueillies par la mission d’information, il semble surtout important que le manager de centre-ville soit recruté pour contribuer à une stratégie de territoire déterminée par les élus d’une commune ou d’un EPCI. Il pourra, par son expérience professionnelle, affiner cette stratégie et, une fois son diagnostic effectué, proposer un plan d’action.

Un point risque toutefois d’être préoccupant à l’avenir : plusieurs postes de manager de centre-ville ou de territoire sont actuellement financés grâce aux programmes Action cœur de ville ou Petites villes de demain. Ces postes risquent de disparaître à l’expiration des programmes, les petites communes ayant rarement la possibilité de créer facilement des emplois municipaux. Il conviendrait de réfléchir à la manière de pérenniser leur financement, notamment avec les chambres consulaires, qui disposent de fonds et pourraient en affecter une partie à cet effet.

 

Proposition n° 7 : poursuivre la structuration de la profession de manager de centre-ville ; réfléchir avec les chambres consulaires à la manière de pérenniser les financements des postes de manager créés à l’occasion d’opérations de revitalisation de territoire ou de programmes comme Action cœur de ville ou Petites villes de demain

D.   Le secteur coopÉratif

« Co operare »… Le mot aurait été forgé à partir du latin par l’industriel gallois Robert Owen vers 1830 et est à l’origine du mouvement coopératif défendu au XIXe siècle par Cabet, Fourier et Saint-Simon. Le premier « contrat d’association de travailleurs » en France aurait été signé en 1831 avec l’assistance d’un médecin et homme politique saint-simonien, Philippe Buchez. En 1867, une loi sur les sociétés anonymes donne un premier statut au mouvement coopératif, puis la loi n° 47-1775 du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération (dite « loi Ramadier »), modifiée à plusieurs reprises, en développe le régime.

Liées au mouvement ouvrier, les sociétés coopératives ouvrières de production, devenues les sociétés coopératives et participatives (SCOP) se sont étendues à tous les secteurs de l’économie. Elles rassemblent actuellement en France 5 000 entreprises et 80 000 salariés, pour un chiffre d’affaires de 7 milliards d’euros. Elles se répartissent entre SCOP et sociétés coopératives d’intérêt collectif (SCIC), ces dernières ayant été créées par la loi n° 2001-624 du 17 juillet 2001 portant diverses dispositions d’ordre social, éducatif et culturel. Les SCIC forment un peu plus de 20 % du total, avec 1 020 sociétés.

Par rapport à sa longue histoire, ce n’est que récemment que le mouvement coopératif s’est étendu au secteur du commerce. Plusieurs acteurs, à commencer par des porteurs de projets, ont réalisé que son mode de fonctionnement apportait plusieurs solutions au problème de la déprise des commerces de proximité.

1.   Panorama du mouvement coopératif dans le commerce

Le nombre de sociétés coopératives commerciales est très minoritaire dans le total des sociétés opérant dans le secteur du commerce, mais il a augmenté de 34 % entre 2016 et 2020, avec une progression de 67 % du nombre de salariés. Il se répartissait ainsi en 2020 :

Les SCOP et les SCIC dans le commerce de proximitÉ

 

Total 2020

dont SCOP

dont SCIC

% SCIC

Nombre

329

205

124

38 %

Création ex nihilo

202

120

82

41 %

Reprise

127

85

42

33 %

Nombre de salariés

2 976

2 490

486

16 %

Nombre d’associés

10 337

1 537

8 800

85 %

Chiffre d’affaires net

539 633 389 €

464 063 152 €

75 570 237 €

14 %

Source : Confédération générale des SCOP

61 % des coopératives commerciales sont des créations ex nihilo et 39 % sont des reprises, qui maintiennent des activités sur les territoires. Auditionnés par la mission d’information, les représentants de la confédération générale des SCOP ont néanmoins confirmé l’analyse d’autres intervenants, à savoir qu’il est inutile de maintenir à toute force l’ensemble des magasins dans une zone en déprise commerciale s’ils ne correspondent plus à la demande. Il leur semble logique de favoriser le renouvellement de l’offre commerciale afin de tenir compte des attentes des consommateurs.

Si l’on examine plus particulièrement l’évolution du nombre des SCIC dans le commerce, en raison notamment de leur rôle dans la création de sociétés foncières, celui-ci est passé de 78 en 2016 à 124 en 2020, et le nombre de leurs salariés est passé de 3 028 à 8 800. Il s’agit donc d’une progression sensible, même si les SCIC commerciales ne représentent que 10 % du total des SCIC.

Les sociétés coopératives sont présentes dans les activités commerciales suivantes :

RÉpartition des SCOP et des SCIC du commerce fin 2020

 

Ensemble

SCOP

SCIC

Commerces de proximité

38 %

40 %

35 %

Commerces de gros

23 %

23 %

23 %

Autres commerces

14 %

18 %

6 %

Librairies, presse

8 %

7 %

10 %

Vente, entretien, réparation de véhicules

6 %

10 %

0 %

Tiers lieu

5 %

1 %

11 %

Énergie verte

3 %

0 %

8 %

Économie circulaire

2 %

0 %

4 %

Habillement

1 %

1 %

3 %

Source : Confédération générale des SCOP

Un tiers des SCIC ont une activité dans le commerce de proximité, dont des magasins bios ou en circuits courts. Elles sont également prédominantes dans les tiers lieux (« microfolie », campus connecté, atelier partagé, garage solidaire, friche culturelle, etc.) et les énergies vertes.

44 % des SCIC se situent dans des communes rurales et plus globalement, 57 % sont dans des communes de moins de 20 000 habitants. Les trois régions qui recensent le plus de salariés de SCIC sont la Nouvelle-Aquitaine, l’Occitanie et Auvergne-Rhône-Alpe, avec respectivement 1 577, 1 564 et 1 380 salariés. Les territoires d’élection du secteur coopératif sont majoritairement des espaces ruraux en déshérence, avec une agriculture familiale, Cévennes, Ardèche, Drôme, Vercors. La raison est que dans ces territoires souvent dépourvus de ressources naturelles ou de capacités industrielles, l’être humain est perçu comme une ressource à laquelle le territoire recourt. Une coopérative comme Villages vivants ne travaille ainsi qu’en milieu rural.

L’action des coopératives est plus difficile dans les grandes villes, en tension foncière, mais elle existe néanmoins comme en témoigne l’action de la SCIC Ville Comestible, à Paris, née de la mise en commun des compétences et des activités de deux associations, Toits vivants et Vergers urbains. De nombreuses librairies coopératives ont également vu le jour sous statut de SCIC à Clermont‑Ferrand, Ivry-sur-Seine, Montpellier, Paris, Rennes, Villejuif (ainsi que dans des villes plus petites comme Aups, Firminy ou Voiron).

2.   Le modèle coopératif comme moyen de maintien et de développement du commerce de proximité

Il convient de rappeler que le recours éventuel au modèle coopératif par les collectivités territoriales ne peut être effectué sous n’importe quelles conditions. Si une collectivité territoriale porte seule un projet, la coopération n’est pas le modèle approprié. Il vaut mieux qu’elle opère via une société publique locale ou une société d’économie mixte. La coopération n’a de sens que si des citoyens, professionnels ou bénévoles, ou encore des associations portent un projet économique qu’il est dans l’intérêt de la collectivité territoriale de soutenir. Il est inutile de créer une SCOP ou une SCIC sans projet précis, car le sens d’une structure coopérative est d’unir les parties prenantes autour d’un intérêt commun, ce qui est particulièrement intéressant pour la vitalité d’un territoire.

Le modèle coopératif présente par son fonctionnement un atout dans le secteur du commerce, où 90 % des professionnels opèrent dans des TPE. Le gérant est souvent le fondateur et qu’il soit seul, en couple ou accompagné de salariés, la responsabilité de la bonne marche du commerce repose sur ses seules épaules, avec des semaines de 70 heures de travail en moyenne. Lorsqu’un projet est coopératif, il existe une solidarité de fait entre tous les porteurs et un partage de la gouvernance dont ils sont partie prenante. La solitude de l’entrepreneur et les risques qu’elle fait courir, notamment de suicide ([56]), est largement atténuée dans un projet d’essence collective. En outre, les potentiels conflits d’intérêts entre sociétaires sont limités par les statuts de la coopération : ainsi, pour la revente ou la transition de la société, il est rappelé que les parts sociales des sociétaires ne sont pas revalorisées. Comme le régime juridique des parts sociales est encadré, la force collective du projet est supérieure à l’intérêt individuel des sociétaires.

Ce facteur est important pour comprendre pourquoi des personnes se lancent dans un projet entrepreneurial sous statut coopératif ou, sans rechercher à toute force un profit, veulent maintenir une librairie dans un village sans disposer au départ des compétences nécessaires. Le modèle coopératif porte des valeurs collectives et son fonctionnement, également collectif, rassure les porteurs de projet. Il rassure également les propriétaires de locaux commerciaux, qui estiment que le versement de leurs loyers est mieux assuré.

Par ailleurs, les SCOP et SCIC acceptent de se lancer dans des projets dans lesquels les banques commerciales ne veulent pas s’engager, notamment dans des villages ou petites villes où elles estiment que la zone de chalandise est insuffisante pour assurer la rentabilité d’un projet. De nombreux exemples de projets coopératifs le démontrent, qui ont réussi alors qu’ils sont implantés dans de petites localités : auberge multiservice à Boffres (Ardèche, 500 habitants), épicerie associative à Beaufort sur Gervanne (Drôme, 400 habitants), librairie à Trévoux (Ain, 6 700 habitants).

a.   Les SCIC ou l’intérêt du multisociétariat

Les SCOP et les SCIC interviennent à plusieurs étapes de la vie d’un projet, mais il convient de noter que les SCIC sont un outil particulièrement utile pour apporter des capitaux à un projet. À la différence des SCOP où les salariés doivent détenir 51 % du capital de l’entreprise, les SCIC n’ont pas d’obligation de seuil. Les coopérateurs non-salariés peuvent être majoritaires, ce qui permet de faire entrer au capital des associations (par exemple, des citoyens se mobilisant pour le maintien d’un commerce) et surtout des collectivités territoriales. Intégrer des communes dans des projets coopératifs fait sens, celles-ci ayant intérêt à maintenir des commerces et activités dans leur politique d’aménagement. Un projet de maintien d’un commerce peut ainsi réunir un grand nombre de coopérateurs (50, 200, 300…) qui limitent leur risque quand ils apportent du capital.

Cette souplesse permet aux SCIC de disposer d’un capital adapté aux projets qu’elles conduisent. Une société foncière sous statut de SCIC doit par exemple réunir un capital important car elle détiendra beaucoup d’actifs immobilisés. Si elle intervient en Île-de-France, comme la SCIC Base Commune, elle devra mobiliser encore plus d’actifs car elle travaille sur un marché immobilier tendu. S’il s’agit en revanche d’exploiter un commerce, le capital de départ peut être d’un montant plus réduit.

Le principal intérêt d’une SCIC réside donc dans le multisociétariat. Une SCIC permet d’associer et de prendre en compte les intérêts variés des personnes physiques et morales qui ont un rapport de nature diverse à une activité. Si l’on prend l’exemple d’une librairie coopérative, un citoyen en deviendra sociétaire parce qu’il sera convaincu du caractère vital de la culture ; un salarié souhaitera maintenir son emploi ; une collectivité territoriale jugera que la présence d’une librairie est indispensable, tant pour les raisons précitées que pour maintenir une offre de commerces de proximité. Ces personnes physiques et morales se retrouvent ensemble à travailler autour d’un projet d’intérêt commun, dans le cadre d’une gestion désintéressée où se côtoient des élus, des professionnels et des bénévoles.

b.   La sécurisation du risque financier et foncier

Le statut coopératif apporte une solution quand un projet (création ou reprise de commerce) se monte, afin de faire face aux problèmes de mise de départ, de loyer ou de travaux, grâce aux mécanismes de mutualisation de l’outil foncier. Le mouvement coopératif dispose en effet depuis plusieurs années d’un dispositif propre de collecte et de redistribution de fonds à ses coopératives adhérentes, alimenté par leurs cotisations. Les outils financiers, à destination de toutes les coopératives, quelles que soient leur taille et leur situation économique, sont au nombre de trois :

– Socoden est un fonds de prêts participatifs doté de 44 millions d’euros. Ces prêts ont pour objet de financer prioritairement la trésorerie des coopératives ;

– Sofiscop est un fonds de garantie qui permet aux dirigeants de coopératives de ne pas être caution personnelle des emprunts effectués par leur coopérative. Le fonds garantit principalement les prêts du principal partenaire bancaire du mouvement coopératif, à savoir le Crédit coopératif ;

– Scopinvest permet de renforcer le haut de bilan des coopératives avec le titre participatif, principalement destiné aux coopératives en développement.

Le mouvement coopératif a enfin lancé il y a quelques mois un outil financier pour l’immobilier (OFI) qui a pour but l’acquisition de biens immobiliers par des coopératives. Au départ, l’idée était d’aider les SCOP et les SCIC pour le rachat de leur bien immobilier quand elles étaient en difficulté. Mais aujourd’hui, la société foncière peut théoriquement intervenir pour l’achat d’un bien immobilier pour des coopératives dans d’autres situations, par exemple quand une SCOP ou une SCIC souhaite se développer et qu’elle a besoin d’investir. L’objectif de la société foncière n’est pas lucratif mais vise à permettre à la coopérative de racheter son bien quand elle en aura à nouveau la capacité.

Cet outil fonctionne de la façon suivante : le bien immobilier est acquis par une société civile immobilière (SCI). Cette SCI est contrôlée par une société foncière régionale qui apporte (par exemple) 10 % de la valeur de l’immeuble (au capital de la SCI), le complément se faisant par le recours aux emprunts bancaires classiques. La société foncière régionale est contrôlée par l’union régionale des SCOP et des SCIC, et elle est financée par Socoden. À ce jour, il existe quatre sociétés foncières régionales : PACA, AURA, Occitanie et Hauts de France.

Pour le mouvement coopératif, l’enjeu est de mailler tout le territoire de sociétés foncières régionales dotées par Socoden. Ce maillage régional permettrait un meilleur pilotage des questions foncières, si importantes pour l’équilibre financier des commerces, par les unions régionales des SCOP et des SCIC qui accompagnent les coopératives.

c.   L’accompagnement et le fonctionnement des projets

La préoccupation majeure des sociétés foncières est de faire remonter les loyers. C’est la raison pour laquelle des réseaux coopératifs comme Initiatives, le GRENADE (groupement d’entreprises écologiques, humaines et coopératives) ou le Groupement régional alimentaire de proximité (GRAP) proposent de veiller à la pertinence et à la réussite des projets. Le volet financier d’un projet ne peut réussir que si les expériences et compétences des sociétaires sont mises en commun : gestion d’entreprise, comptabilité, communication, présence sur les réseaux sociaux et les foires et salons, main-d’œuvre ponctuelle lors des périodes d’activité intense. Le statut de SCIC permet d’impliquer dans le fonctionnement du commerce des personnes qui n’en sont pas salariées, sans tomber sous la qualification de travail dissimulé.

d.   Le développement des projets

Il est rappelé que la répartition des excédents d’une SCIC est légalement encadrée, en vertu du principe coopératif de limitation de la lucrativité. 57,50 % du résultat sont affectés à la constitution de réserves impartageables. Le solde (42,50 %) peut être en partie versé en dividendes si les sociétaires en décident ainsi (rémunération plafonnée des parts sociales, mais après déduction des éventuelles aides publiques et associatives). Le calcul des dividendes est effectué en référence au taux moyen du rendement des obligations des entreprises privées, fixé chaque semestre par le ministre chargé des finances. Mais les sociétaires peuvent également décider de consacrer les excédents au recrutement de nouveaux employés ou de lancer de nouveaux investissements.

E.   Les initiatives citoyennes

Si l’action des pouvoirs publics, qu’il s’agisse de l’État ou des collectivités territoriales, est le plus souvent mise en avant pour maintenir ou développer l’offre de commerces de proximité, votre rapporteure se doit de souligner les initiatives citoyennes qui concourent en ce sens. Par initiatives citoyennes, il faut entendre les projets portés par des citoyens, le plus souvent constitués en associations ou en coopératives, ainsi que les solutions proposées par des entreprises, opérant très souvent dans le domaine digital. Il n’échappera à personne que les associations sont sans but lucratif, les coopératives ont une lucrativité limitée tandis que les entreprises doivent faire du profit. Mais dans les trois cas, des initiatives d’ordre privé ont pour objectif de résoudre un problème public. Il arrive plus rarement que l’initiative émane d’une seule personne, comme à Arrou, en Eure-et-Loire, où un chef d’entreprise à la retraite a racheté le bar, la boulangerie et le salon de coiffure pour les mettre à disposition de porteurs de projet, avec comme idée que ces derniers n’aient à financer que le fonds de commerce.

Les entreprises interviennent dans des domaines très variés. Des exemples de leurs actions ont été donnés dans la première partie du présent rapport, pour l’assistance qu’elles apportent aux commerces de proximité pour leur digitalisation.

1.   Le besoin d’agir à l’échelle locale

En matière de commerce de proximité, les initiatives citoyennes sont une réponse aux carences du marché et des politiques d’aménagement. Elles font partie des innovations sociales et territoriales, telles que les définit le Conseil supérieur de l’économie sociale et solidaire (CSESS) : « L’innovation sociale consiste à élaborer des réponses nouvelles à des besoins sociaux nouveaux ou mal satisfaits dans les conditions actuelles du marché et des politiques sociales, en impliquant la participation et la coopération des acteurs concernés, notamment des utilisateurs et usagers. Ces innovations concernent aussi bien le produit ou le service, que le mode d’organisation, de distribution, dans des domaines comme le vieillissement, la petite enfance, le logement, la santé, la lutte contre la pauvreté, l’exclusion, les discriminations… » ([57]).

Il n’est pas sûr que les citoyens porteurs de projets aient tous connaissance du CSESS… Ils agissent plus prosaïquement hors des schémas de l’action institutionnelle et des politiques publiques, pour faire face à un besoin, et s’inscrivent dans un mouvement plus large et relativement ancien de crise des institutions, qui génère l’action des citoyens vers des solutions qui leur sont propres, le plus souvent locales. Les initiatives citoyennes partent du constat que l’action publique ne suffit pas. Comme l’a écrit l’économiste Robin Murray, « les essais de prise en charge par des groupes de citoyens de fonctions jusque-là dévolues à l’État se sont multipliés ces dernières années. Les exemples foisonnent : là où le ministère de l’agriculture organisait la production, le contrôle qualité et la distribution, les AMAP cherchent le circuit court du paysan aux consommateurs. Il en va de même pour le ministère du budget vis-à-vis des SEL. Les innombrables associations humanitaires d’aide aux nécessiteux font le travail naguère dévolu au ministère des affaires sociales ; les associations de lutte contre l’illettrisme ou de soutien scolaire celui du ministère de l’éducation nationale ; les fêtes des voisins n’attendent pas que le ministère de la culture organise les choses ; le covoiturage s’organise sans l’appui du ministère des transports ; le crowdfunding se substitue à l’action du ministère du développement industriel… Les exemples pourraient ainsi être multipliés. Même dans les domaines les plus régaliens, les plus consubstantiels à l’action de l’État, les citoyens s’auto-organisent. » ([58])

Le lien entre économie, besoin social et écologie ou développement durable est fréquent dans ces initiatives. Il s’agit le plus souvent de répondre à un besoin de la population en favorisant les producteurs locaux, en appliquant des circuits courts ([59]) en vue d’une amélioration du bien-être et d’un développement durable local. Enracinées dans un territoire, les initiatives citoyennes utilisent l’expérience des habitants, mutualisent le plus souvent bénévolement les compétences de chacun, répondent à des besoins qui ne sont plus pris en compte. Elles ont souvent pour conséquence de renforcer l’exercice de la citoyenneté, les citoyens agissant sur une question publique. Ils acquièrent ainsi des compétences nouvelles en résolvant des problèmes pratiques. Des citoyens qui veulent créer une épicerie associative doivent successivement écrire des statuts, assurer le fonctionnement de l’association, nouer des relations commerciales avec des producteurs, fixer des prix, animer un local, gérer le cas échéant des stocks et des surplus, etc.

2.   Des initiatives diverses

Ces initiatives n’ont jamais été recensées de manière exhaustive. Il est vraisemblable qu’elles sont de l’ordre de plusieurs milliers. Nombre d’entre elles sont conduites en liaison et avec l’appui des élus locaux, sans que leur proportion soit connue. Elles témoignent du dynamisme du tissu social français et de la capacité de nos concitoyens à ne pas se résigner devant la désertification de leur territoire et à faire face à des problèmes sociaux (comme la reprise de commerces par des salariés licenciés), économiques et écologiques. On les retrouve tant en milieu rural, avec le problème classique de la fermeture de la dernière épicerie d’un village, qu’en milieu urbain, avec par exemple des solutions de recyclage. Votre rapporteure citera ainsi La Cambuse, café associatif à Langouët (Ille-et-Vilaine) ; la Gratuiterie ambulante des villes du 93 (échanges de vêtements), conduite par l’association Le Laboratoire écologique zéro déchet ; La Fourmilière, supermarché coopératif et solidaire à Saint-Étienne ; la commercialisation des produits des 3 000 associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (AMAP) ; l’épicerie coopérative Saveurs à Savennières (Maine-et-Loire) ; Les Mécanos du cœur, à Marseille, garage solidaire ; le supermarché coopératif La Cagette, à Montpellier ; les 450 épiceries fédérées au sein de l’Association nationale des épiceries solidaires (ANDES), dont l’objectif est de donner accès à une nourriture de qualité aux familles à faibles revenus ; ou enfin l’opération « Objectif 2 000 épiceries citoyennes ! », lancée par l’association Bouge ton coq. Ces exemples montrent la diversité des actions mises en œuvre.

Ces initiatives s’appuient sur un large consensus en faveur du maintien des commerces de proximité. Deux études du fonds de dotation Make.org ([60]), conduites en 2019 sur l’alimentation de qualité et l’amélioration des conditions de vie dans les territoires, montrent, avec respectivement 1,26 million et 875 000 avis et avec des taux variant de 85 à 90 %, un fort attachement à ce type de commerce.

Bouge ton coq, une réponse à la déprise du commerce en zone rurale

Auditionnée par la mission d’information, l’association Bouge ton coq fonde son action sur une vision positive de la ruralité, considérant que celle-ci a un avenir. Elle travaille sur tous les aspects de la vie rurale, mobilité, santé, culture et depuis 2017, sur le commerce de proximité. Partant du constat que de plus en plus de communes rurales en sont dépourvues, l’association met en place des épiceries associatives tenues à tour de rôle par des bénévoles et qui privilégient des circuits courts.

Tout en regrettant les lenteurs administratives, l’association travaille actuellement avec trois régions et quatre départements et a été sélectionnée dans les appels à projet de France Relance. Elle ambitionne d’ouvrir dans les prochaines années 2 000 épiceries associatives, soit un besoin de financement de 4 millions d’euros.

3.   L’implication des citoyens

Le commerce traditionnel disparaît de certains villages parce qu’il n’est plus rentable. Dans les villages où il subsiste, les boutiques ayant peu de clients augmentent leur prix mais à partir d’un certain seuil, les consommateurs se tournent vers la grande distribution ou la livraison à domicile.

Le retour de commerces dans les zones rurales, sous quelque forme que ce soit, exige souvent l’implication des citoyens bénévoles, afin de diminuer les coûts de fonctionnement du commerce et proposer des prix accessibles à la clientèle. À défaut, les habitants des zones rurales n’hésitent pas à prendre leur voiture pour faire leurs achats dans les zones commerciales.

La tenue de commerces associatifs par des bénévoles ne crée pas d’emplois salariés mais elle permet de maintenir les activités de producteurs dans un rayon moyen de 15 kilomètres, voire de leur permettre de les développer, avec un effet potentiel sur l’emploi. Mais comme la marge du distributeur est supprimée, l’effet prix attire à nouveau les consommateurs locaux. Les prix sont en moyenne inférieurs de 15 à 30 % à ceux des circuits traditionnels, sans compter les économies de temps et de carburant des consommateurs.

Les prix dans les commerces associatifs sont en outre fixés de manière à assurer la juste rémunération des producteurs. Ce principe se combine avec la traçabilité des produits, le lien avec les producteurs et une forme de sens dans les actes d’achat, faisant de ces commerces des lieux sociaux.

F.   inscrire la régulation et la protection du commerce de proximité dans l’amÉnagement du territoire

Commerces vacants en centre-ville, friches commerciales en périphérie, villages sans magasins… Sans dresser un tableau trop pessimiste de la situation du commerce – il s’agit, rappelons-le, d’un secteur en croissance – la mise en place d’une politique en sa faveur s’avère aussi importante que la réindustrialisation de notre pays.

La régulation des activités commerciales deviendra de manière croissante un élément de l’aménagement du territoire pour résoudre les problèmes de déprise ou de friche, qui plus est dans un contexte où la politique de limitation de l’artificialisation des sols va transformer l’urbanisme commercial. Désormais, la politique de développement commercial ne doit plus passer par l’extension des surfaces qui y sont consacrées et les collectivités locales doivent agir sur la densification et l’aménagement de l’espace. Ces évolutions peuvent avoir un impact positif sur le commerce de proximité, mais elles supposent un accompagnement volontariste de la part de ces collectivités.

1.   Méthodologie de la revitalisation commerciale

Les auditions conduites par la mission d’information n’ont pas révélé de divergence fondamentale entre les élus, les professionnels du commerce et les urbanistes quant à l’approche d’une revitalisation du commerce dans le cadre de l’aménagement du territoire. La question foncière y est centrale et un document de l’Assemblée des communautés de France, établi avec la SEMAEST, résume les étapes d’une méthodologie de la revitalisation commerciale.

-         Comprendre les transitions économiques et sociologiques à l’œuvre (diagnostic de territoire) : analyse de l’évolution de la consommation et de ses effets sur le territoire.

-         Construire une politique foncière commerciale : articuler les interventions communales et intercommunales, réaliser un diagnostic commercial et immobilier, définir la programmation commerciale, évaluer le coût de la politique publique de maîtrise et de portage des locaux, identifier les opérateurs locaux, les financements et montages possibles.

-         Mobiliser les procédures d’urbanisme et les outils réglementaires : optimiser les documents d’urbanisme, instaurer la préemption, adapter les opérations de revitalisation territoriale, encadrer la livraison de locaux commerciaux neufs.

-         Organiser les montages partenariaux pour la revitalisation commerciale : identifier les acteurs publics pour la maîtrise et la gestion du foncier commercial, organiser des partenariats entre acteurs.

-         Requalifier les espaces commerciaux périphériques.

-         Construire un pôle de compétence locale : définir les missions d’un opérateur de commerce.

-         Mettre en œuvre une politique globale en faveur du commerce : mettre en relation propriétaires et porteurs de projets, instaurer le cas échéant une taxe sur les friches commerciales, organiser la relation entre élus et commerçants, jouer sur toutes les délégations dont disposent les municipalités et les EPCI (transport, urbanisme, aménagement, animation, etc).

L’objectif est que les centres-villes et les centres-bourgs puissent continuer à assurer leur rôle de lieu de vie (espaces d’échange et de convivialité, de culture et de loisirs, mariant logement, emploi, accès aux services publics et privés), sans négliger la revitalisation des périphéries, où vivent, travaillent et consomment des millions de nos concitoyens.

Il est donc nécessaire de penser l’urbanisme en tenant compte des activités qui se déroulent dans un espace donné et en planifiant l’organisation du commerce. À l’inverse, faute d’une planification adéquate, de nombreuses villes nouvelles se sont par exemple retrouvées dépourvues de commerces.

Cela suppose d’agir sur plusieurs leviers :

– assurer du flux en ayant une vision du développement urbain et en intégrant pleinement le commerce dans les documents et décisions d’urbanisme ;

– limiter les ouvertures de grandes surfaces commerciales dans un tissu commercial déjà saturé ;

– penser les parcours commerciaux et la contrainte de la desserte par les transports ;

– s’autoriser à adapter le zonage commercial ;

– et réinvestir les friches commerciales.

2.   Assurer du flux en prenant en compte le commerce dans les documents d’urbanisme

La question de l’urbanisme et de la place des commerces dans les villes n’est pas aisée. En effet, la déprise du commerce en centre-ville ne s’accompagne pas forcément de la croissance du commerce en périphérie. En fait, comme  précédemment indiqué, tous les cas de figure se présentent : dynamisme du commerce en centre comme en périphérie, déprise au centre et dynamisme en périphérie ou le contraire, déprise dans toutes les zones. Avant tout, le commerce suit les habitants.

En outre, le dynamisme des commerces de proximité ne peut se penser en dehors des autres évolutions de politiques publiques. Ainsi, le départ des professionnels de santé des centres-villes et de services publics, les questions de mobilité, de stationnement ou d’accès au cœur des villes ont un impact conséquent sur les flux de personnes s’y rendant et sur l’activité des commerces. Il en a parfois résulté une désertification des centres, une diminution de l’activité et un déclin de la vie sociale dont le commerce est à la fois la condition et le symbole.

Ce constat de difficultés pour les commerces de proximité peut s’étendre aux grandes surfaces dans certaines zones. D’après les professionnels des centres commerciaux, un million de mètres carrés de surface commerciale seraient à détruire en périphérie.

Les centralités commerciales peuvent également se concurrencer. Lorsqu’un programme de redynamisation commerciale est envisagé, il doit s’attacher à repenser le parcours marchand et son intégration dans la ville car l’objectif principal doit être d’assurer du flux dans les zones commerciales.

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C’est pourquoi les élus, les professionnels et les urbanistes préconisent généralement la densification des zones commerciales (mieux vaut moins de rues commerçantes, mais densément dotées de commerces, que peu de commerces dans de nombreuses rues), accompagnée de politiques visant l’embellissement des rues et la valorisation du patrimoine historique, une meilleure desserte en transports permettant d’accéder aux zones commerçantes et de créer des flux, et la tenue d’évènements comme des foires commerciales ou des marchés.

Vierzon constitue un bon exemple de ville qui s’est redressée après avoir connu une forte déshérence commerciale liée à une paupérisation du centre-ville. La mairie a agi afin de concentrer l’offre commerciale sur un espace plus restreint, tout en créant à proximité des espaces verts et en restaurant l’accès à la rivière. L’offre commerciale a ainsi pu se renouveler. Châtellerault a également transformé ses linéaires de commerces et a amélioré la connexion des rues commerçantes avec les transports en commun, les parcs de stationnement et les équipements publics.

Parfois, la concentration des commerces ne concerne pas le seul centre-ville historique : le développement des périphéries peut entraîner plusieurs centralités urbaines (notion de deuxième centre-ville, comme à Thionville). Cette pluralité de centres peut s’accompagner d’une mixité des usages et d’offres complémentaires plutôt que concurrentes : certaines enseignes n’iront jamais en centre-ville et inversement.

Il faut toutefois être conscient qu’un tel redressement prend généralement plusieurs années. C’est pourquoi il est essentiel que les élus intègrent pleinement le commerce et les parcours commerciaux dans les documents d’urbanisme.

À cet égard, le document d’aménagement artisanal et commercial (DAAC) constitue l’un des outils donnés aux élus pour influencer l’aménagement commercial de leur territoire. Le DAAC a subi de nombreuses évolutions législatives, notamment avec la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (ELAN) et avec la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience. L’ordonnance n° 2020-744 du 17 juin 2020 relative à la modernisation des schémas de cohérence territoriale (SCOT) prévoit son insertion obligatoire dans le SCOT. Il permet aux collectivités de définir des zones d’aménagement commercial afin de réglementer l’implantation des commerces. Les règles fixées doivent se fonder sur des critères d’aménagement et de développement durables, à l’exclusion des critères économiques et concurrentiels, exclus par la jurisprudence européenne. La loi ELAN a considérablement renforcé ce dispositif en permettant aux collectivités de déterminer également le « type d’activité et la surface de vente maximale des équipements commerciaux spécifiques aux secteurs ainsi identifiés ».

En résumé, les collectivités locales peuvent :

– définir les conditions permettant le développement ou le maintien du commerce de proximité dans les centralités urbaines et au plus près de l’habitat et de l’emploi, en limitant son développement dans les zones périphériques ;

– conditionner l’implantation d’une construction à vocation artisanale ou commerciale à l’existence d’une desserte par les transports collectifs et à son accessibilité aux piétons et aux cyclistes.

Par ailleurs, elles doivent :

– prévoir les conditions permettant le développement ou le maintien de la logistique commerciale de proximité dans les centralités urbaines afin de limiter les flux de marchandises des zones périphériques vers ces centralités ;

– déterminer les conditions d’implantation des constructions commerciales et des constructions logistiques commerciales en fonction de leur surface, de leur impact sur les équilibres territoriaux, de la fréquence d’achat ou des flux générés par les personnes ou les marchandises ;

– conditionner l’implantation d’une construction logistique commerciale à la capacité des voiries existantes ou en projet à gérer les flux de marchandises.

L’articulation du plan local d’urbanisme (PLU ou PLUi) avec le DAAC est double. En premier lieu, en application de l’article L. 131-4 du code de l’urbanisme, le PLU est soumis à un rapport de compatibilité avec le SCOT (qui comprend le DAAC). En second lieu, le PLUi complète le DAAC, puisqu’il intervient sur une échelle plus précise, notamment au niveau de la délimitation des parcelles, ce qui n’est pas possible avec le SCOT. Développer un dispositif de planification territoriale articulé entre le niveau régional, le niveau du bassin de vie et le niveau intercommunal est ainsi le meilleur moyen d’organiser les équilibres recherchés en matière de tissu commercial et de prendre en compte les principes du développement durable.

Il convient néanmoins de signaler que l’ensemble du territoire français n’est pas couvert par des documents de planification. Par exemple, en 2017, une proportion de 58,8 % du territoire ne disposait pas de SCOT, notamment en zone rurale. Aussi n’existe-t-il pas en ce cas de moyen obligeant les élus locaux à prendre en compte l’aménagement commercial dans les stratégies de développement de leur territoire alors qu’une planification s’avérerait sans doute nécessaire. Tout en reconnaissant les limites pratiques de la proposition n° 8, votre Rapporteure ne peut qu’encourager les élus des territoires non couverts par des documents de planification à néanmoins mettre en place une stratégie en faveur du commerce. La réflexion qui s’attache à la mise en place de cette stratégie leur permettrait d’opérer un diagnostic d’une large part des compétences qui leur sont dévolues, comme le logement et les transports.

Proposition n° 8 : encourager les élus des territoires non couverts par des documents de planification à mettre en place une stratégie en faveur du commerce.

Enfin, pour établir efficacement l’ensemble de ces documents, les collectivités locales doivent avoir accès à des outils performants de diagnostic : c’est ce que leur offre l’éligibilité à des programmes comme Action cœur de ville ou Petites villes de demain, notamment grâce à l’implication de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) ou de la Banque des territoires (cf. infra). Sans doute serait-il utile que les financements de ces programmes puissent permettre aux collectivités de pouvoir recourir à une expertise extérieure à celle des autorités publiques et à bénéficier d’une assistance à maîtrise d’ouvrage si elles en ressentent le besoin.

Proposition n° 9 : Renforcer les moyens de l’ANCT et de la Banque des territoires afin de proposer aux collectivités des missions d’expertise et des outils performants de diagnostic du tissu commercial.

Au-delà de la prise en compte du commerce dans les documents d’urbanisme, les collectivités peuvent agir directement sur l’urbanisme commercial via le régime des autorisations d’exploitation.

3.   Favoriser la mixité des usages

Les auditions conduites par la mission ont montré un large consensus vers une organisation spatiale des villes ou des agglomérations fondée sur la mixité des usages. Pour les architectes et urbanistes, l’époque où la ville se construisait avec des quartiers « zonés », par exemple dévolus à l’habitat ou aux bureaux, apparaît révolue. Plusieurs facteurs, notamment la nécessité de limiter les déplacements pour émettre moins de gaz à effet de serre, entrent en ligne de compte. Mais fondamentalement, la mixité des usages replace les habitants au cœur de la ville. Il s’agit de leur permettre de bénéficier de services diversifiés dans un espace dense.

Plusieurs opérations, comme Réinventer Le Havre ou Ternes Villiers (Paris) mêlent ainsi logements, espaces de travail, commerces, parfois des hôtels, des crèches et des établissements d’enseignement. Un quartier devient ou redevient (car la ville ancienne se caractérisait par sa mixité) lieu de travail, d’approvisionnement, de loisir, de séjour… Les préoccupations de développement durable sont notables dans ces opérations, qui comportent souvent un volet de végétalisation, dans l’optique de contribuer au rafraîchissement des villes. Certaines comprennent même des opérations d’agriculture en ville, comme Stream Building, dans le XVIIème arrondissement de Paris, où du houblon est cultivé, ou encore la reconversion d’une friche à Morangis (Essonne), transformée en programme immobilier (3 760 mètres carrés) et en exploitation agricole (7 780 mètres carrés).

Ces exemples montrent qu’à l’instar de ce que propose la nature, l’urbanisme moderne se fonde sur la diversité. Pour respecter cette démarche aucune opération commerciale ne devrait désormais voir le jour sans s’accompagner d’équipements qui assurent une multiplicité d’usages dans et à proximité de l’espace qu’elle occupe, cette multiplicité permettant aux commerces de bénéficier dans leur environnement immédiat de flux de personnes qui forment leur clientèle. Les commerces ont donc un intérêt direct à être localisés en des lieux où les consommateurs ont de multiples raisons de passer. En outre, à une période où l’artificialisation des sols sera limitée, les friches doivent être conçues comme des atouts pour réaménager des espaces, en respectant l’objectif de mixité des usages.

Proposition n° 10 : aucune opération commerciale ne devrait être lancée sans s’accompagner d’équipements et / ou de logements qui assurent la mixité des usages dans l’espace ou à proximité de l’espace où elle est implantée.

 

4.   L’enjeu de l’aménagement commercial

Le régime de l’aménagement commercial, prévu aux articles L. 750-1 et suivants du code de commerce ([61]), est un régime d’autorisation inauguré dès 1973 pour faire face à la problématique des nouveaux centres commerciaux en périphérie ([62]). Lorsqu’un entrepreneur souhaite ouvrir ou étendre une surface commerciale supérieure à 1 000 mètres carrés de surface de vente ([63]), il lui est nécessaire d’obtenir au préalable une autorisation d’exploitation commerciale (AEC) ([64]). Les catégories utilisées par la grande distribution permettent de rendre compte de la portée concrète de ce régime : un magasin est classé comme supermarché lorsque sa surface de vente est comprise entre 400 et 2 500 mètres carrés, et comme un hypermarché lorsque sa surface de vente est supérieure à 2 500 mètres carrés ([65])([66]).

Cette autorisation est délivrée par une commission départementale de l’aménagement commercial (CDAC), dont la décision est susceptible de recours devant la Commission nationale de l’aménagement commercial (CNAC). La délivrance de l’AEC s’articule avec celle de l’autorisation d’urbanisme, qui est délivrée par l’autorité compétente en matière d’urbanisme (maire ou président d’intercommunalité). Deux situations sont donc possibles :

– lorsque le projet de création ou d’extension de surface requiert un permis de construire, celui-ci ne peut être délivré par le maire qu’après avis favorable de la CDAC. Dès lors que la demande de permis de construire a fait l’objet d’un avis favorable de la CDAC, il tient alors lieu d’autorisation d’exploitation ([67]) ;

– lorsque le projet ne requiert pas de permis de construire, l’entrepreneur saisit directement la CDAC pour obtenir l’autorisation d’exploitation.

La CDAC apprécie si les implantations, extensions et transferts d’activités ainsi que les changements de secteur d’activité des entreprises commerciales et artisanales répondent, dans le cadre d’une concurrence loyale entre acteurs, aux exigences existantes en matière d’aménagement du territoire ([68]), de protection de l’environnement et de qualité de l’urbanisme ([69]). De ce fait, les critères d’appréciation de l’implantation des projets ont évolué pour mieux prendre en compte l’intégration urbaine des équipements commerciaux, la consommation économe de l’espace, leur qualité environnementale et la nécessité de limiter les nuisances sur l’environnement proche.

Tous les professionnels du commerce savent que la législation est tournée par des sociétés qui présentent des projets légèrement inférieurs à 1 000 mètres carrés, qui font ensuite l’objet d’extension. Cette question d’un seuil est classique en droit social et en droit fiscal. La réponse législative à ce problème pourrait être d’interdire l’extension d’une surface commerciale pendant une durée qui suit son ouverture, mais elle risquerait de se heurter au principe de la liberté du commerce.

La mission d’information considère que l’enjeu de la politique actuelle d’aménagement commercial doit être de préserver un équilibre entre les centres et les périphéries. D’un côté, certains centres-villes connaissent une déprise commerciale, aggravée parfois par de nouvelles implantations en périphérie ; de l’autre, un million de mètres carrés correspondraient à une offre commerciale excessive. Mais l’on voit mal des élus refuser des installations de grandes surfaces génératrices d’emplois sur leur territoire. Aussi les pouvoirs publics devraient-ils examiner les demandes d’implantation au regard de ce critère d’équilibre précité.

Proposition n° 11 : refondre la procédure des autorisations commerciales en CDAC afin de permettre aux élus d’assurer leur stratégie commerciale au regard de leur recherche d’équilibre sur les différents espaces des territoires dont ils ont la charge.  

Cet équilibre pourrait être obtenu, entre autres moyens, en prévoyant que les centres commerciaux en périphérie sont constitués de cellules ayant une surface minimale en moyenne supérieure à celle des commerces en centre-ville. Les magasins ayant besoin de larges surfaces d’exposition (bricolage, jardinage, chaînes de vêtements...) continueraient logiquement de s’y installer, mais les commerces de proximité de centre-ville n’auraient aucun intérêt à s’y localiser car l’espace commercial à louer serait trop grand.

Proposition n° 12 : prévoir que les centres commerciaux en périphérie sont constitués de cellules ayant une surface minimale en moyenne supérieure à celle des commerces de centre-ville.  

5.   La desserte par les transports est essentielle

En dehors des règles d’ouverture et de la prise en compte du commerce dans les documents d’urbanisme, qui constituent autant d’armes pour les collectivités territoriales pour sauvegarder le tissu commercial, la question des transports a régulièrement été évoquée par les personnes auditionnées par la mission d’information. En effet, les espaces commerciaux s’implantent généralement dans des lieux qui permettent des flux de passage importants.

Cependant, la tendance à la diminution des surfaces commerciales en ville (du fait de l’augmentation des loyers) et à la préservation de l’environnement, notamment par la constitution de zones à faibles émissions (ZFE), oblige à repenser la question de la desserte et de l’accessibilité. Deux forces contraires semblent donc caractériser ces nouveaux défis de la logistique urbaine : la multiplication des points à livrer incite les enseignes à grouper les livraisons et à consolider les flux afin de générer des économies d’échelle, tandis que la nécessité de procéder à des approvisionnements réguliers et ponctuels et à des livraisons parfois unitaires tend à fragmenter les flux.

Par conséquent, se développent en zone périurbaine et dans les entrées de ville des entrepôts de taille réduite, qui servent à consolider les flux provenant de la périphérie, à préparer les commandes et à approvisionner le centre-ville. Or ce besoin est souvent absent des réflexions menées par les pouvoirs publics sur l’aménagement du territoire, notamment dans sa composante liée à l’étalement urbain, ce qui fait que, à mesure que la ville s’agrandit, les entrepôts se trouvent de plus en plus éloignés du centre. Il en résulte un allongement des temps de livraison et une augmentation des coûts de transport et de la pression sur le trafic. Il peut donc légitimement être attendu que le besoin d’entrepôts au sein même des villes, ou à tout le moins dans des zones périurbaines suffisamment proches du centre, se renforcera dans les années à venir.

L’accessibilité des centres-villes est également un sujet de préoccupation majeur pour la livraison du dernier kilomètre des commerces de produits frais. Parce qu’ils vendent des produits frais, ceux-ci ont besoin de s’approvisionner plusieurs fois par semaine. Mais, en raison du réaménagement de l’espace public, en particulier avec la suppression des places de stationnement en surface, les primeurs, qui utilisent des camions, ont de plus en plus de difficultés pour garer leurs véhicules. À cet égard, un premier comité interministériel de la logistique a vu le jour le 7 décembre 2020, qui a notamment reconnu le caractère essentiel et stratégique de la filière logistique et à l’issue duquel des annonces renforçant sa compétitivité ont été faites ; mais la prise en compte nationale et locale des enjeux de logistique, notamment ceux liés au développement du numérique, doit être plus systématique encore.

Proposition n° 13 : améliorer la prise en compte des problématiques logistiques par les élus locaux lors de l’élaboration des documents de planification territoriale (SRADDET, SCOT, PLUi) en y intégrant les flux de personnes et de marchandises vers les commerces de proximité.

De la même manière, il est parfois à craindre que, sans accessibilité facile aux centres-villes et surtout sans possibilité de stationnement, les Français renoncent à fréquenter les commerces de proximité et préfèrent aller en périphérie, avec leur voiture personnelle, pour faire leurs courses alimentaires hebdomadaires dans les centres commerciaux. Quel que soit le mode de transport privilégié dans une zone, il faut éviter qu’il interrompe l’accès des clients dans cette zone. Un centre-ville totalement privé d’accès constitue ainsi un grave problème car les achats impromptus, de dernière minute ou les achats d’impulsion forment 30 % du chiffre d’affaires des commerces.

Pour y remédier, divers outils peuvent être utilisés : accélérer le déploiement des infrastructures urbaines concourant aux transitions écologiques et numériques du commerce et de l’artisanat de proximité : développer les mobilités douces (vélo), généraliser les bornes de recharge électrique, prévoir un stationnement gratuit de courte durée et des places de livraison, etc.

Il peut également être fait usage d’outils tels que le projet urbain partenarial (PUP) qui est un outil de financement pour des opérations d’aménagement, institué par la loi n° 2009-323 du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion. Le PUP permet ainsi aux communes ou aux établissements publics compétents de signer avec les propriétaires des terrains, les aménageurs ou les constructeurs, une convention fixant le programme des équipements publics à réaliser pour répondre aux besoins des futurs habitants et usagers de l’opération, ainsi que les conditions de leur prise en charge (article L. 332-11-3 du code de l’urbanisme).

6.   Repenser le zonage commercial et faciliter les changements de destination

Un autre levier important serait d’inciter les collectivités à plus de souplesse dans la pratique du zonage par sous-destination. En effet, afin de faciliter les arbitrages fonciers sur les localisations préférentielles des sites d’activité, le code de l’urbanisme permet d’affecter les secteurs d’une commune couverte par un PLU à de grandes fonctions (zones à urbaniser, agricole, ou naturelle). La loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite loi « ALUR », prévoit que ces zones peuvent être affectées à cinq destinations principales (listées à l’article R. 151-27 du code de l’urbanisme), elles-mêmes divisées en vingt sous-destinations.

Cela permet de définir une affectation plus fine de chaque secteur du territoire en fonction des besoins et d’édicter des règles spécifiques, au sein d’une même zone, en fonction des destinations et sous-destinations, dès lors que ces règles spécifiques respectent la vocation générale de la zone en question (articles R. 151‑30 et R. 151-33 du code de l’urbanisme). Cependant, à l’ère du numérique, du télétravail, des espaces partagés, des commerces éphémères, de la mixité des projets et de la réversibilité des bâtiments, cette police administrative perd de sa pertinence. Elle ralentit en outre la mutation de bâtiments : le simple fait de changer une enseigne pour passer d’un restaurant à un commerce de détail requiert un permis de construire avec un délai d’instruction de principe de deux mois. Pour accélérer la mutation des bâtiments et des quartiers, il pourrait être utile de simplifier les démarches.

Certaines procédures existent mais elles sont très peu utilisées. Ainsi, la procédure intégrée inscrite à l’article L. 300-6-1 du code de l’urbanisme permet à la fois de modifier simultanément plusieurs documents de planification faisant obstacle à la réalisation d’un projet et d’obtenir les autorisations nécessaires à sa mise en œuvre, par une procédure et un guichet uniques. L’engagement de la procédure intégrée peut être décidé soit par l’État ou ses établissements publics, soit par les collectivités territoriales ou leurs groupements compétents pour élaborer les documents d’urbanisme à mettre en compatibilité ou compétents pour autoriser ou réaliser l’opération d’aménagement ou de construction. Il s’agit donc d’une opportunité réelle pour les collectivités d’harmoniser l’ensemble des documents d’urbanisme en vue de la réalisation d’un projet. Ce type de procédures pourrait être systématisé et encadré pour réduire les délais administratifs et accélérer les projets de reconversion mixtes. Certains professionnels vont plus loin et appellent de leurs vœux l’abrogation des polices d’usage et de destination des bâtiments inscrites respectivement dans le code de la construction et de l’habitation et dans le code de l’urbanisme. Le but premier de ces polices est cependant d’éviter la constitution d’un urbanisme sauvage et il n’est pas souhaitable de les voir disparaître.

7.   Réinvestir les friches industrielles et commerciales

La revitalisation de friches industrielles et commerciales constitue l’opportunité d’aménager des espaces avec un objectif de mixité d’usages. En effet, une partie significative de ces friches se situe à proximité immédiate des centres-villes ou de zones périphériques comportant un habitat dense et des commerces.

Les établissements publics fonciers (EPF) font à cette fin du portage immobilier, rachètent des logements vacants qu’ils rénovent, des friches industrielles qu’ils dépolluent, ou encore procèdent à une minoration foncière avant soit de les commercialiser, soit de les louer par l’intermédiaire d’une société d’économie mixte régionale à des entreprises qui viennent occuper ces espaces. Les repreneurs potentiels se heurtent toutefois souvent à d’importants surcoûts (de 20 à 30 %) et à des réglementations complexes. Là encore, des certificats de projets peuvent permettre de regrouper l’ensemble des autorisations dans une procédure unique.

Au regard de l’aménagement du territoire, le potentiel de mutation des surfaces actuellement en friches est considérable. Sous réserve du respect d’exigences sanitaires (certains sols sont trop pollués pour être destinés à des logements), de nouveaux quartiers pourraient être créés, en respectant un équilibre entre logements, commerces de proximité et équipements publics ou privés (sport, loisirs), dans un objectif de mixité des usages. Aussi convient-il de faciliter l’engagement des collectivités locales en faveur de la lutte contre les vacances et friches commerciales en renforçant les aides financières spécifiques (investissement et fonctionnement) pour les communes de moins de 10 000 habitants s’engageant dans des opérations de restructuration ou réhabilitation.


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Proposition n° 14 : renforcer et rendre pérennes les aides financières, telles que celle prévues par l’État dans le cadre du fonds « Friches », permettant de réaménager les friches commerciales et le cas échéant de modifier leur destination, avec un objectif de mixité des usages.

Cela peut également passer par le fait de faciliter la mise en œuvre du droit de préemption lorsque le projet vise à une redynamisation commerciale ou à la résorption d’une friche commerciale. Enfin, il convient de rappeler que les collectivités peuvent agir grâce à la taxe sur les friches commerciales (cf proposition n° 5).

II.   quel rÔle l’État peut-il jouer ?

Les collectivités territoriales disposent donc d’outils leur permettant d’agir sur l’animation, l’urbanisme ou les autorisations commerciales. Dans un certain nombre de cas, ces outils sont orientés par des lignes directrices fixées par l’État, comme ce qui concerne l’interdiction d’ouverture de grandes surfaces dans le cadre de la politique de lutte contre l’artificialisation des sols.

S’agissant de politiques d’aménagement qui sont certes locales mais qui contribuent à l’équilibre du territoire, l’État a incontestablement un rôle à jouer. Les Assises du commerce, qu’il a initié et qui se sont déroulées en décembre 2021, montrent qu’il a besoin de recueillir des données et des avis sur l’évolution du commerce à l’horizon de 2030.

Avant que les conclusions des Assises débouchent sur un plan d’action, l’État dispose d’une palette d’instruments : garantir l’équité fiscale entre les commerces, accorder des aides spécifiques visant à soutenir les opérations de revitalisation des territoires, aider les commerçants à maintenir, développer ou transmettre leur activité. Il peut (comme les collectivités territoriales) agir en soutien du commerce de proximité grâce à la commande publique. Toute la difficulté pour l’État est cependant de trouver des solutions adaptées et adaptables à des problématiques territoriales. En effet, si certains dispositifs peuvent être généralisables à l’ensemble du territoire, la plupart nécessite de s’inscrire dans une action publique locale, qui diffère en fonction de la situation des collectivités. Le rôle de l’État est alors de venir en appui de ces politiques.

A.   Promouvoir un systÈme fiscal Équitable et dynamisant pour le commerce

De nombreuses personnes auditionnées par la mission d’information ont insisté sur la nécessité d’établir le cadre d’une concurrence équitable avec une mise à plat de la fiscalité sur le commerce. Le diagnostic sur les inégalités de taxation entre commerce physique et commerce digital est partagé mais les solutions sont parfois conflictuelles.

Étant par nature localisable, le commerce physique constitue la base de nombreux impôts et prélèvements sociaux : impôt sur les sociétés, taxe foncière, taxe d’enlèvement des ordures ménagères, cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), taxe sur la valeur ajoutée (TVA), taxe sur les dépenses de publicité, taxe sur les services de restauration, prélèvements sociaux, taxe sur les salaires, taxe d’apprentissage, formation professionnelle, taxe sur les surfaces commerciales (TASCOM), taxe sur les surfaces de stationnement en Île-de-France, éco-contributions diverses, etc. Les fédérations du commerce vont jusqu’à évoquer le fait que le commerce physique serait soumis à près de 90 taxes et impôts alors que les « pure players » du commerce électronique n’en payeraient que la moitié. Ainsi, la TASCOM n’est pas acquittée par les entrepôts des « pure players » alors qu’ils exercent la même activité (dernier maillon de la chaîne avant le consommateur). Or, la fiscalité est une question de responsabilité territoriale des entreprises : chaque entreprise contribue au financement des infrastructures, des réseaux et au développement territorial dont elle bénéficie pour exercer son activité dans de bonnes conditions. Un même métier doit donc être soumis aux mêmes règles.

Toutefois, la discussion relative aux impôts locaux n’est pas aisée dans le sens où elle engage les moyens financiers des collectivités, dont certaines ont fait du commerce leur principale ressource fiscale. Le congrès des maires de France vient ainsi d’adopter une motion demandant l’autonomie fiscale. Toute suppression d’une taxe par l’État conduirait les collectivités à demander la compensation du produit de cette suppression. L’objectif est cependant d’aboutir à une équité de traitement de l’ensemble des acteurs du commerce : quel que soit le type de commerce, la fiscalité ne doit donner aucun avantage concurrentiel.

1.   Une réduction réelle des impôts de production

M. Alain Griset, ancien ministre délégué chargé des petites et moyennes entreprises, a mis en avant, lors de son audition par la mission d’information, la baisse des impôts de production. Ces impôts représentaient 70 milliards d’euros par an en France et ils ont été réduits de 10 milliards d’euros dans la loi de finances pour 2021. La baisse de la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) a été privilégiée pour stimuler l’industrie. En effet, la CVAE est acquittée par les entreprises réalisant plus de 500 000 euros de chiffre d’affaires, ce qui exclut de nombreuses entreprises artisanales. À titre d’exemple, une boulangerie artisanale en nom propre réalise un chiffre d’affaires moyen de 250 000 euros ; il est de 450 000 euros pour une boulangerie en société.

En revanche, la réduction de moitié de la cotisation foncière des entreprises (CFE) a également eu un impact positif pour le secteur commercial. Elle s’impose à toutes les entreprises qui réalisent un chiffre d’affaires annuel supérieur à 5 000 euros et la quasi-totalité des entrepreneurs individuels et sociétés y est assujettie, à l’exception de certaines activités sous le régime de la micro-entreprise.

Sur le sujet des impôts fonciers, on notera également qu’afin de soutenir l’activité commerciale des territoires ruraux les plus fragiles, l’article 110 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020 a créé des zones de revitalisation des commerces en milieu rural (ZoRCoMiR) pour les communes de moins de 3 500 habitants, comptant dix commerces ou moins et non intégrées à une aire urbaine. Dans ces zones, les communes et les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre peuvent instaurer en faveur des activités commerciales :

– une exonération partielle ou totale de cotisation foncière des entreprises (CFE) (art. 1464 G du code général des impôts) ;

– une exonération partielle ou totale de taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) (art. 1382 I du code général des impôts).

Il convient d’ailleurs de souligner que, dès lors que l’impôt foncier ne repose pas sur la surface commerciale effectivement construite mais sur la valeur cadastrale des locaux (c’est le cas de la cotisation foncière des entreprises), les acteurs du commerce sont davantage incités à s’établir en périphérie qu’en centre-ville, et donc à artificialiser de nouvelles parcelles. Les communes et les EPCI pourraient dès lors être conduits à recourir plus largement à des incitations fiscales à reprendre un commerce de proximité, par exemple avec un allongement à cinq ans de l’exonération de taxe foncière, dans ce cas de figure.

Enfin, l’abaissement du taux de plafonnement de la contribution économique territoriale (CET) en fonction de la valeur ajoutée, de 3 à 2 %, a également été utile pour les commerçants et artisans de proximité.

2.   Les difficultés posées par la TASCOM

La fiscalité doit veiller à ne pas être en décalage avec les réalités économiques et à ne pas créer de distorsions de concurrence. De nombreuses interrogations ont concerné, au cours des auditions, la taxe sur les surfaces commerciales (TASCOM).

L’assiette de cette taxe repose sur la surface de vente des commerces de détail ; elle ne s’applique donc pas, par définition, aux « pure players ». La surface d’un commerce soumise à la TASCOM comprend les espaces clos et couverts affectés à la circulation de la clientèle, à l’exposition et au paiement des marchandises et à la circulation du personnel. Elle ne s’applique pas aux commerces dont la surface de vente est inférieure à 400 mètres carrés. Pour ceux dont la surface de vente est comprise entre 400 et 600 mètres carrés et dont le chiffre d’affaires est inférieur à 3 800 euros par mètre carré, le taux de la TASCOM est réduit de 20 %. La taxe ne s’applique pas non plus aux commerces réalisant un chiffre d’affaires annuel hors taxe de moins de 460 000 euros ou à ceux ouverts avant 1960.

De l’autre côté, les entrepôts constituent un vaste domaine d’activité non réductible aux seuls métiers des « pure players », qui ne représentent que 10 % de leur activité. Toutefois, ces 10 % constituent un trou dans la raquette fiscale et sont un vecteur de concurrence déloyale. En effet, via un simple permis de construire, des entrepôts logistiques se livrent à la vente directe au consommateur sans être assujettis aux mêmes taxes que les commerces physiques. Ainsi, lorsque Amazon ouvre un entrepôt de 4 000 mètres carrés dans le XVIIIe arrondissement de Paris, le statut d’entrepôt lui permet de bénéficier d’un loyer commercial modéré qui n’est pas soumis aux mêmes règles, notamment fiscales, que le commerce classique.

Pour avancer vers une fiscalité plus équitable entre le commerce physique et le commerce en ligne, il conviendrait de faire évoluer la TASCOM afin de prendre en compte les conséquences de la numérisation du commerce (taxation spécifique nationale sur les entrepôts, prise en compte des dynamiques « drive » et retrait en magasin – « click & collect »). Une telle démarche complexifierait le droit fiscal mais elle semble nécessaire pour assurer l’équité entre commerce physique et commerce électronique.

Proposition n° 15: faire converger la fiscalité assise sur le commerce physique et celle assise sur les opérateurs dont l’activité est intégralement orientée vers la vente de produits aux consommateurs par voie électronique, en commençant par réformer la taxe sur les surfaces commerciales.

Il conviendrait également de revoir les modalités de la taxe. En effet, le montant de la taxe brute est déterminé par application à la surface totale de vente au détail de l’établissement d’un tarif qui varie en fonction du chiffre d’affaires annuel au mètre carré, de la superficie et de l’activité. Deux commerces de même surface peuvent donc s’acquitter de montants différents en fonction d’éléments pourtant décorrélés de toute considération d’aménagement du territoire.

Pour certains commerces (meubles, automobile, matériaux de construction, jardineries…), le montant de la taxe est réduit de 30 % mais il est majoré de 50 % pour les commerces dont la surface de vente dépasse 2 500 mètres carrés. Le conseil municipal ou l’EPCI peut moduler le montant de la taxe, selon un coefficient multiplicateur devant être compris entre 0,8 et 1,2, ce coefficient ne pouvant varier de plus de 0,05 point par an. Par conséquent, cette taxe est fortement instable : la TASCOM a ainsi régulièrement augmenté depuis dix ans de plus de 60 %, diminuant la visibilité nécessaire aux entreprises. Au total, le secteur du commerce verse plus d’un milliard d’euros au titre de la TASCOM. Tous les acteurs du commerce dont la surface est supérieure à 400 mètres carrés souffrent aujourd’hui des distorsions de concurrence instaurées par cette taxe. De même, les communes et les intercommunalités peuvent avoir un intérêt financier (via la TASCOM) à encourager l’implantation de nouvelles surfaces commerciales, sources de revenus.

3.   Réduire les distorsions de concurrence liées à la TVA

La même interrogation se pose également en matière de taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Selon un récent rapport de l’Inspection générale des finances ([70]), 98 % des vendeurs en ligne étrangers actifs présents sur les places de marché des sites de commerce en ligne en France ne sont pas immatriculés à la TVA, ce qui représenterait une perte de recettes d’environ 15 milliards d’euros par an.

De fait, ces vendeurs bénéficient donc d’un avantage concurrentiel à hauteur de 20 % du prix du produit par rapport aux commerçants français. Compte tenu de l’accroissement des ventes réalisées par des acteurs non établis dans le pays de consommation, la directive 2017/2455 du 5 décembre 2017 a prévu un renforcement du rôle des plateformes en ligne dans la collecte de la TVA. En ce qui concerne les ventes de biens importés en provenance de pays tiers à l’Union européenne, la loi de finances pour 2020 a créé plusieurs dispositifs qui découlent de cette directive :

– tout opérateur de plateforme en ligne qui édite une place de marché, un portail ou un autre dispositif permettant les ventes à distance de biens importés est assujetti à la TVA pour les biens importés de moins de 150 euros, depuis le 1er janvier 2021 ;

– ces opérateurs doivent désormais tenir un registre afin de faciliter la vérification par l’administration fiscale de l’acquittement de la TVA ;

– les plateformes sont solidairement responsables du paiement de la TVA, depuis le 1er janvier 2020, dans le cas où un vendeur se soustrairait à ses obligations fiscales et que les mesures que l’administration fiscale impose à l’opérateur de prendre ne seraient pas mises en œuvre. Elles sont, depuis le 1er janvier 2021, chargées d’acquitter la TVA à la place des vendeurs.

Ces avancées indéniables ne couvriront cependant pas l’intégralité des situations possibles comme les transactions d’entreprise à entreprise, qui ont augmenté de moitié depuis 2015. Il est donc nécessaire de poursuivre les efforts dans ce domaine. En outre, la question de la responsabilité de ces plateformes sur les produits vendus est primordiale. M. Alain Griset, ancien ministre délégué chargé des petites et moyennes entreprises, a ainsi rappelé devant les membres de la mission d’information que près de 80 % des jouets fabriqués à l’étranger vendus par les plateformes ne sont pas conformes aux normes européennes de sécurité. Il faudrait donc que les plateformes soient, comme le commerce physique, responsables des produits défectueux ou non conformes aux normes européennes de sécurité qu’elles proposent en ligne.


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Proposition n° 16 : profiter de la présidence française de l’Union européenne pour parvenir à une juste imposition des grands acteurs du numérique et des producteurs étrangers en matière de TVA, et instaurer leur responsabilité sur les produits défectueux ou non conformes aux normes européennes de sécurité vendus sur le territoire national et européen.

4.   Repenser l’indice des loyers commerciaux pour éviter les hausses déconnectées de l’activité économique

Le coût du loyer et les charges locatives sont essentiels pour les commerçants. Un loyer peut représenter jusqu’à 20 % du chiffre d’affaires d’un commerçant. Tout a concouru à une hausse ces dernières années. L’indice des loyers commerciaux (ILC) a augmenté de près de 6 % entre 2017 et 2019. Pour le troisième trimestre 2021, il a augmenté de 3,46 %, soit sa plus forte progression depuis 2008. Cette nouvelle hausse fait suite à l’augmentation publiée pour le deuxième trimestre qui s’élevait déjà à +2,6 %. Des lois récentes ont en outre accru les obligations de transformation de l’activité commerciale. La loi ELAN a par exemple prévu la réduction de la consommation d’énergie de bâtiments tertiaires de 40 % d’ici à 2030 et génère donc des investissements à la charge des commerçants.

De nombreux commerçants appellent ainsi à une refonte de l’indice sur lequel sont indexés beaucoup de leurs loyers commerciaux. En effet, l’indice des loyers commerciaux est devenu composite, avec environ un tiers résultant de l’évolution du coût de la construction, un tiers reposant sur l’évolution du chiffre d’affaires du commerce de détail et un tiers se rapportant à l’évolution de l’indice de consommation des ménages. Comme l’indice du chiffre d’affaires du commerce de détail inclut le commerce électronique, le loyer des commerçants physiques évolue à la hausse parce que le commerce électronique est en croissance, ce qui n’est pas toujours le cas des commerces physiques. Ainsi, l’activité des « pure players » conduit à l’augmentation des loyers des points de vente physiques, qui sont leur deuxième poste de coût. En outre, à l’heure actuelle, les pénuries de matières premières et la hausse du prix de l’énergie créent une hausse des coûts de construction et peuvent impacter la consommation des ménages via la hausse des prix. France urbaine propose ainsi une expérimentation de l’encadrement des loyers commerciaux dans les secteurs les plus tendus.

Comme la mission d’information l’a constaté lors de son déplacement à Bordeaux ainsi qu’en auditionnant Mme Emmanuelle Hoss, directrice générale de la SEMAEST de Paris, les conséquences de la hausse de l’indice sont particulièrement préoccupantes dans les zones où l’offre foncière commerciale est rare. Sans intervention publique – donc exigeant un engagement budgétaire – il est difficile d’y maintenir des commerces à faible marge (alimentaire, livre), indispensables à la population, les bailleurs étant tentés de louer leur espace à des commerces capables de payer des loyers à un niveau plus élevé.

Une des autres pistes de modération des loyers commerciaux pourrait consister en leur modulation en fonction du chiffre d’affaires réalisé par le commerce. Une expérimentation s’avérerait nécessaire pour en établir les modalités (quand par exemple serait constaté le chiffre d’affaires servant de base à l’établissement du loyer ; comment joueraient les clauses de révision ?).

 

Proposition n° 17 : réfléchir à une refonte de l’indice des loyers commerciaux (ILC) et expérimenter un encadrement des loyers commerciaux ; expérimenter également la modulation des loyers commerciaux en fonction du chiffre d’affaires réalisé par le commerce.

B.   Soutenir les opÉrations de revitalisation des territoires

L’État peut également jouer un rôle important en matière de soutien aux opérations de revitalisation conduites par les communes et les EPCI. Si les grandes villes ont généralement des moyens qui leur permettent d’investir dans la rénovation des centres commerciaux en déshérence, c’est moins le cas dans les villes moyennes et les petites villes, surtout pour celles qui connaissent des phénomènes de dépeuplement. Des programmes nationaux existent déjà, comme les programmes Action cœur de ville (ACV) et Petites villes de demain (PVD). Ils ont été renforcés par de nouveaux dispositifs comme les opérations de revitalisation de territoire (ORT) qui permettent aux collectivités et aux représentants de l’État, agissant en bonne intelligence, d’accéder à des outils juridiques et financiers inédits. Enfin, l’apport d’ingénierie et le soutien financier des opérateurs publics comme l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) et la Banque des territoires sont cruciaux pour aider les collectivités à sauvegarder leur tissu commercial de proximité.

1.   Les programmes publics d’action en faveur de la redynamisation

Il existe deux programmes principaux d’action en faveur de la redynamisation des centres-villes qui peuvent avoir un impact sur la sauvegarde du commerce de proximité : Action cœur de ville (ACV) et Petites villes de demain (PVD).

Le programme Action cœur de ville répond à une double ambition : améliorer les conditions de vie des habitants des villes moyennes et conforter le rôle de moteur de ces villes dans le développement du territoire. Engagé en 2018, il vise à renforcer l’attractivité des villes moyennes qui jouent un rôle essentiel pour les territoires environnants, en investissant dans la revitalisation de leur centre. 222 villes, allant de 8 000 à 13 000 habitants, ont été retenues dans ce cadre. Le taux de vacance commerciale moyen dans les 222 villes concernées atteignait 12,4 % en 2019.

Ce programme national et transversal associe l’État, les différents échelons de collectivités territoriales et trois partenaires financiers principaux (Banque des territoires pour 1,7 milliard d’euros, Action Logement pour 1,5 milliard d’euros et l’Agence nationale de l’habitat pour 1,2 milliard d’euros), ainsi que d’autres partenaires (chambres consulaires, etc.).

Le développement économique et la redynamisation commerciale des centres villes sont, avec l’amélioration de l’habitat, l’un des deux grands axes de ce programme. Au-delà de politiques globales favorables au commerce (rénovation de logements, requalification de l’espace public, etc.), des actions spécifiques allant de la simple animation à des restructurations foncières lourdes ont été recensées dans les différentes conventions signées. Elles couvrent des domaines diversifiés : immobilier et foncier commercial (réhabilitation et restructuration de cellules commerciales), animation commerciale, soutien au recrutement de managers de centre-ville, transformation numérique des commerces, outils de connaissance du tissu commercial, politiques de marketing territorial, circuits courts, marchés, commerces culturels, artisanat d’art, etc.

L’ensemble des acteurs auditionnés par la mission reconnaissent l’intérêt de ces programmes. Certains ont toutefois regretté que les actions entreprises en faveur du commerce et de l’artisanat demeurent minoritaires par rapport aux actions entreprises pour le logement. Les communes vont souvent privilégier les projets cofinancés tels que la réhabilitation du logement avec les fonds de l’ANAH. Ce regret a notamment été exprimé par les représentants des chambres de métiers et de l’artisanat (CMA) qui souhaiteraient que les besoins spécifiques de l’artisanat soient séparés de la thématique générale du commerce. Par ailleurs, les liens entre le centre-ville, la périphérie et les communes voisines sont rarement abordés et les budgets sont principalement utilisés pour financer des projets déjà prêts.

Le programme Petites villes de demain, lancé en 2020, s’inspire des mêmes principes qu’ACV mais est dimensionné pour 1 000 communes de moins de 20 000 habitants. Il vise à améliorer les conditions de vie des habitants des petites communes et des territoires alentour, en accompagnant les collectivités dans des trajectoires dynamiques et respectueuses de l’environnement. L’instruction d’un programme PVD commence par une évaluation et un diagnostic de la situation locale, notamment pour savoir comment l’appareil commercial répond aux besoins d’un bassin de vie. Le travail se poursuit ensuite sur le développement des flux autour du parcours marchand.

De manière générale, les programmes Action cœur de ville et Petites villes de demain donnent des résultats appréciables parce qu’ils permettent de diagnostiquer la situation économique, démographique et sociale d’une commune. Ils apportent en outre aux communes des moyens d’ingénierie dont elles ne disposent pas habituellement, et dont les effets sont incontestablement bénéfiques, comme votre rapporteure l’a constaté à Libourne et Sainte-Foy-la-Grande. L’effet sur le commerce peut être variable, mais pour reprendre l’exemple de Libourne, une des villes de France les plus touchées par la déprise commerciale en 2015, Action cœur de ville a permis le renouvellement de l’offre et attiré de grandes enseignes comme la FNAC.

On observe également que, dans les programmes ACV et PVD, les projets restent de l’initiative et dans la configuration d’une maîtrise d’ouvrage publiques. Ils sont donc limités par les budgets publics mis à disposition. Certains acteurs comme la Banque des territoires pensent qu’il pourrait être utile que les initiatives ne soient pas obligatoirement portées en régie publique ou seulement par des budgets publics, mais qu’elles puissent être mises en œuvre avec des investisseurs privés. Ce fut le cas d’un dossier récemment instruit pour Manosque, avec l’ouverture d’un cinéma : des investisseurs ont réalisé le bâtiment et recherché l’exploitant. Mais de tels projets sont trop rares alors qu’il est souvent intéressant, économiquement, de développer des projets avec des partenaires du secteur privé.

Proposition n° 18 : permettre aux programmes Action cœur de ville et Petites villes de demain de soutenir des initiatives développées avec des acteurs privés.

Au-delà de ces deux programmes, le plan de relance prévoit une série d’autres mesures visant à soutenir et relancer le commerce et l’artisanat, pour un total de 106 millions d’euros :

– 60 millions d’euros abondent la première phase d’un fonds de soutien budgétaire destiné à financer des foncières chargées de rénover 6 000 commerces en cinq ans. Ces crédits sont complétés par 100 millions d’euros apportés par la Banque des territoires, qui eux-mêmes s’ajoutent à une enveloppe de 200 millions d’euros qu’elle engage déjà, dans le même objectif, dans le cadre des programmes Action cœur de ville et Petites villes de demain ;

– 36 millions d’euros financent des actions de redynamisation commerciale. Pour 20 millions d’euros, 842 actions concernent à la fois le financement de managers de commerce, à hauteur de 40 000 euros par action, le financement de prestations de diagnostic et d’ingénierie relatives aux stratégies numériques territoriales (analyse de zone de chalandise, évaluation de la maturité numérique des commerces, etc.), à hauteur de 20 000 euros par action, et le financement de la mise en place de plateformes numériques locales pérennes ;

– 10 millions d’euros servent à renforcer les prêts « croissance TPE » de Bpifrance. Le montant de ces prêts est compris entre 10 000 et 50 000 euros, sur une durée de cinq ans, et finance des dépenses immatérielles (audit, marketing, etc.) ou matérielles (réfection des locaux, prototypes, etc.) qui ont une faible valeur de gage.

De son côté, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) préconise le développement d’outils incitatifs facilitant la restructuration et la réhabilitation de locaux commerciaux et de locaux artisanaux ([71]). Cela pourrait notamment passer par la création de zones de revitalisation commerciale ouvrant des droits spécifiques aux investisseurs privés et publics portant des projets de développement de commerces de proximité (sur le modèle des zones franches). Le CESE recommande également la promotion de pôles territoriaux de coopération économique (PTCE) et de sociétés coopératives d’intérêt collectif (SCIC), qui permettent aux acteurs publics et privés de travailler ensemble à cette fin et ouvrent la possibilité d’une ingénierie collective.

2.   Accompagner financièrement les collectivités qui s’engagent dans des opérations de revitalisation de territoire

L’opération de revitalisation des territoires (ORT), créée par la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (ELAN), portée par le ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, est un outil à disposition des collectivités locales pour mettre en œuvre un projet de territoire dans les domaines urbain, économique et social, qui vise prioritairement à lutter contre la dévitalisation des centres-villes.

Votre rapporteure souligne tout l’intérêt de cette démarche qui peut en outre être utilisée en appui du bénéfice des programmes Action cœur de ville et Petites villes de demain. On dénombre à ce jour plus de 229 opérations de revitalisation de territoire impliquant 374 communes. Les trois quarts des conventions ont trait à des villes moyennes du programme Action cœur de ville. Elles sont pour le moment 188 sur 222 à avoir signé une convention d’ORT.

Concrètement, l’ORT vise une requalification d’ensemble d’un centre-ville dont elle facilite la rénovation du parc de logements, de locaux commerciaux et artisanaux, et plus globalement du tissu urbain, pour créer un cadre de vie attractif propice au développement à long terme du territoire. Elle se matérialise par une convention signée entre l’intercommunalité, sa ville principale, d’autres communes membres volontaires, l’État et ses établissements publics.

Une fois le projet de territoire défini par les élus en lien avec l’État et les partenaires, la convention d’ORT confère de nouveaux droits juridiques et fiscaux, notamment pour :

– renforcer l’attractivité commerciale en centre-ville grâce à la mise en place d’une dispense d’autorisation d’exploitation commerciale et la possibilité de suspension au cas par cas de projets commerciaux périphériques ;

– favoriser la réhabilitation de l’habitat par l’accès prioritaire aux aides de l’Agence nationale de l’habitat (ANAH) et l’éligibilité au dispositif dit « Denormandie » dans l’habitat ancien ;

– faciliter les projets à travers des dispositifs expérimentaux, comme le permis d’innover ou le permis d’aménager multisite ;

– mieux maîtriser le foncier, notamment par le renforcement du droit de préemption urbain et du droit de préemption dans les locaux artisanaux.

Comme indiqué supra, la spécificité des ORT est de donner la possibilité au préfet de suspendre pendant trois ans, par arrêté, la réalisation ou l’agrandissement de surfaces commerciales en périphérie de la commune concernée s’il juge que le projet contrevient à l’objectif de revitalisation du centre-ville. La décision du préfet est prise après avis ou à la demande de l’EPCI ou des communes concernées. Trois communes ont déjà bénéficié d’un tel arrêté en 2020 : Limoges (Haute-Vienne), Blois (Loir-et-Cher) et Saint-Dié-des-Vosges (Vosges).

Les ORT constituent ainsi un excellent moyen de partager un diagnostic et d’impliquer l’ensemble des acteurs, y compris les commerçants, dans une démarche globale de revitalisation des centres-villes. Un accompagnement financier et technique des collectivités qui s’engagent dans cette démarche pourrait cependant leur être utile, une ORT exigeant de définir dans sa première étape un projet de revitalisation qui nécessite du temps et surtout de l’expertise.

Proposition n° 19 : prévoir un accompagnement financier et technique des collectivités s’engageant dans des opérations de revitalisation de territoire.

3.   Le rôle spécifique de la Banque des territoires

Dans le cadre des programmes ACV et PVD et au-delà, la Banque des territoires agit selon trois axes en soutien aux commerces de proximité :

– le diagnostic de la situation et l’élaboration de la stratégie, en accompagnant les communes en ingénierie dans le cadre d’ACV et PVD ;

– la restructuration de l’appareil commercial au travers des foncières ou d’interventions directes ;

– l’accompagnement de la numérisation du commerce.

La Banque des territoires a ainsi engagé 1,6 milliard d’euros pour 3 792 projets. Ils se répartissent en soutien à l’ingénierie (65 millions d’euros, sur 2 500 missions dans 222 villes éligibles jusqu’à présent au programme), en prêts (700 millions d’euros) et en investissements (800 millions d’euros, dont 200 millions d’euros par la Banque des territoires et 600 millions d’euros par CdC‑habitat au titre de la rénovation immobilière ou de constructions neuves).

S’agissant du commerce, l’initiative principale reste le dispositif « 100 foncières pour 6 000 commerces ». La Banque des territoires a investi 100 millions d’euros dans l’actionnariat de sociétés foncières de redynamisation. Elle est actionnaire de 60 foncières (l’objectif du Gouvernement est de 100 foncières), dont 45 sont en fonctionnement. Ces foncières interviennent actuellement sur 1 200 locaux, en métropole comme en outre-mer. 210 locaux sont déjà transformés, soit des travaux d’un montant de 35 millions d’euros, dans des communes de toute nature : Paris, Saint-Denis, Angoulême, Saintes, Rochefort, etc. Ainsi, la commune de Benet, en Vendée, bénéficie dans le cadre de PVD de l’action de la foncière Métropolis et un ancien local municipal abrite désormais une boucherie. Ces foncières bénéficieront également de subventions d’équilibre de l’État.

4.   Renforcer le soutien à l’ingénierie des petites villes pour les restructurations commerciales

La définition de projets de requalification des centres-villes en difficulté, intégrant le plus souvent une restructuration du foncier commercial, implique que les villes concernées puissent faire appel à des experts et organismes de conseil spécialisés. Or, trop souvent les petites villes et les villes moyennes manquent de compétences en ingénierie. Il faut alors éviter que l’accompagnement des villes ne soit confié qu’à quelques cabinets français ou étrangers déroulant des méthodes standardisées peu adaptées à la diversité des territoires, et excluant automatiquement les structures locales qui connaissent chacun des territoires.

Un réseau d’envergure nationale est ainsi à développer en s’appuyant sur les compétences et expériences existantes, comme celle de l’ANCT. Pour réunir l’ensemble des acteurs, il pourrait également être utile de permettre aux collectivités de lancer des bons de commande régionaux pour l’appui à l’ingénierie, les diagnostics et les études de territoires.

Il serait notamment justifié d’étendre aux centres-villes en difficulté (par exemple ceux dans lesquels le taux de vacance commerciale dépasse un certain seuil) des dispositions réservées aux quartiers prioritaires relevant de la politique de la ville, comme la possibilité d’accès aux aides spécifiques de l’ANCT.

C.   DÉterminer des prioritÉs dans le soutien aux commerçants

Au-delà des grands programmes et du soutien aux collectivités, l’État et ses opérateurs peuvent également apporter une aide ciblée aux commerçants, que ce soit à travers les aides à la numérisation et à la formation ou à travers des mécanismes publics de soutien financier aux commerces.

1.   Développer les aides à la numérisation

Une tâche essentielle à laquelle peut contribuer l’action publique est d’aider à la numérisation des commerces de proximité. Comme indiqué précédemment, ces derniers manquent souvent de visibilité sur internet. La moitié d’entre eux ne sont pas référencés sur Google, et près des deux tiers ne sont pas présents sur les réseaux sociaux. Or, il est impératif d’adapter le commerce au comportement du consommateur tant le développement de l’omnicanalité apparaît inéluctable.

Dans cet objectif, l’État a mis en place un dispositif de « chèque numérique » pour accompagner la numérisation des commerces de moins de 11 salariés. 112 000 d’entre eux ont bénéficié de ce chèque de 500 euros, soit 60 millions d’euros consacrés à cette politique. Le Gouvernement est évidemment conscient que 500 euros ne sont pas suffisants pour digitaliser une entreprise, mais il s’agissait avant tout de sensibiliser les entrepreneurs, selon M. Alain Griset, ancien ministre délégué chargé des petites et moyennes entreprises. Les premiers résultats sont les suivants : 66 % des entreprises aidées ont un site internet ; 43 % ont une plateforme de partage ; 33 %, des outils collaboratifs.

Compte tenu du nombre de commerces de proximité (près de 700 000), le renforcement de l’enveloppe consacrée à leur numérisation s’avérerait utile pour assurer leur développement.

Proposition n° 20 : renforcer sensiblement l’enveloppe consacrée à la numérisation des commerces dans le cadre du plan France Relance.

Le rôle joué par les chambres de commerce et d’industrie et les chambres de métiers et de l’artisanat dans la politique de numérisation a été posé lors de différentes auditions. Un certain nombre d’acteurs estiment qu’elles devraient jouer un rôle plus marqué pour assister leurs adhérents dans la digitalisation de leurs commerces mais de leur côté, les chambres de commerce et d’industrie et chambres de métiers et de l’artisanat rappellent qu’elles ne peuvent se substituer à leurs adhérents, ces derniers étant seuls responsables de leurs investissements et de leur gestion.

Pour autant, les CCI et les CMA ne sont pas inactives. Lors de la fermeture administrative de certains commerces durant le deuxième confinement à l’automne 2020, elles se sont engagées à contacter 30 000 commerçants concernés par le plan « France Relance » afin de les aider à poursuivre leur activité, au moins en partie, grâce aux outils numériques. La campagne nationale d’appels, intitulée « SOS Numérique Commerce », a été lancée le 3 novembre 2020 et s’est clôturée le 10 décembre 2020. Finalement, l’objectif d’appels a été largement dépassé : plus de 35 000 entreprises ont été contactées et ont accepté d’être informées sur les aides au numérique par les équipes des chambres de commerce et d’industrie.

Grâce à une convention signée en novembre 2020 entre CCI France et France Num, 5 000 diagnostics « numériques » gratuits de commerces, générant des plans d’action individualisés, ont même été réalisés grâce à une plateforme dédiée : DigiPilote, partagée par l’ensemble des chambres de commerce et d’industrie.

On relèvera néanmoins que le nombre d’entreprises bénéficiaires tant des aides d’État que des actions des CCI est réduit par rapport au nombre total de commerces. À la décharge des pouvoirs publics et des chambres consulaires, il est difficile de conduire une politique de numérisation dans un secteur en pleine mutation et alors que les technologies évoluent en permanence. L’enjeu est pourtant immense – la survie des commerces dépend largement de leur digitalisation – et mérite, y compris en étudiant les pays plus avancés que la France en ce domaine comme le Royaume-Uni, l’Allemagne, le Danemark ou la Norvège, de dégager une méthode. Il pourrait être envisagé de revitaliser le rôle des CCI en leur confiant des missions de diagnostic, de sensibilisation, voire de formation si elles en dégagent les moyens, les commerçants étant ensuite responsables de l’ampleur de la digitalisation de leur commerce avec les entreprises spécialisées auxquelles ils recourraient.

2.   Inciter les commerçants à se former aux nouveaux outils

De fortes tensions sont également constatées sur le front de l’emploi pour les commerçants. Comme tous les secteurs, le commerce fait face à des difficultés de recrutement, tant de vendeurs que d’ingénieurs en informatique ; il lui faut assurer des formations et des évolutions de qualification pour se développer. De nombreux acteurs auditionnés par la mission d’information font remarquer que si des formations pour devenir commerçant existaient par le passé, notamment en comptabilité, celles-ci ont largement disparu.

Afin d’inciter les partenaires sociaux des branches professionnelles à négocier, au sein de leurs instances de dialogue social, un programme de formation ambitieux dont les opérateurs de compétences (OPCO) de référence auront à assurer le déploiement, il serait souhaitable de développer un financement spécifique supplémentaire pour la formation dans les entreprises de moins de 50 salariés. Ainsi que le recommande le CESE, France Compétences pourrait déployer des aides à la formation au titre de la politique de redynamisation des commerces de proximité, notamment pour le numérique.

Ce soutien financier pourrait également se traduire par la mise en place d’un crédit d’impôt sur les dépenses de formation engagées par les PME, dans la limite de 10 000 euros par an. Au-delà des salariés, un effort de formation serait également nécessaire à destination des présidents d’association de commerçants, comme l’ont souligné les représentants de CCI France lors de leur audition, afin d’accroître leur professionnalisation à l’heure où les actions mutualisées entre commerçants sont appelées à être de plus en plus fréquentes (groupements d’achats, appels d’offres communs pour refaire les magasins à moindre coût, mise en commun d’entrepôts en zone périurbaine et d’actions logistiques, mutualisation d’opérations de communication, etc.).

Proposition n° 21 : développer des actions de formation à destination des commerçants et les encourager à y prendre part au moyen d’avantages financiers.

3.   La disparition du FISAC

Le Fonds d’intervention pour les services, l’artisanat et le commerce (FISAC) était un outil de soutien aux commerces de proximité et aux entreprises artisanales créé en 1989. Il a été supprimé en 2019, après avoir connu une baisse progressive de ses crédits d’intervention de 80 à 14 millions d’euros entre 2007 et 2018. Alors qu’il bénéficiait à l’origine d’une logique de solidarité des grandes entreprises commerciales vers les petites, par le reversement d’une partie de la taxe sur les surfaces commerciales (TASCOM), le FISAC a fait l’objet de plusieurs réformes qui l’ont notamment conduit à voir ses crédits entièrement budgétisés à partir de 2003. Le montant des subventions était fixé chaque année par la loi de finances, indépendamment du produit attendu de la TASCOM. Progressivement, le FISAC a été victime de la réduction des dépenses publiques.

Il n’en reste pas moins qu’il a été régulièrement évoqué lors des auditions conduites par la mission d’information et que beaucoup d’acteurs regrettent sa disparition. Le FISAC permettait en effet d’offrir des aides financières à des entreprises de proximité qui réalisent un chiffre d’affaires inférieur à 1 million d’euros hors taxes et qui sont situées dans les centres-bourgs de communes de moins de 3 000 habitants (en ce qui concerne les aides individuelles). Les projets soutenus devaient s’appuyer sur des besoins identifiés, être viables sur le plan économique et ne pas créer de distorsion de concurrence.

Rétablir le FISAC pourrait constituer une proposition, mais celle-ci serait irréaliste, d’autant que de nombreux dispositifs, notamment ceux inscrits dans le plan France Relance, ont été institués en faveur des entreprises, dont le secteur commercial peut bénéficier, notamment pour la transition écologique et la numérisation. Il reste que la suppression de ce fonds pose la question de la politique en faveur du commerce. Au moment où la réindustrialisation de la France est une priorité du Gouvernement, un plan global de soutien à ce secteur serait utile en parallèle. Les Assises du commerce de décembre 2021 montrent que le Gouvernement y réfléchit, ce qui doit être souligné, compte tenu de l’importance économique et sociale du commerce.

D.   Agir sur la commande publique pour soutenir le commerce de proximitÉ et l’artisanat local

Selon le guide de l’Observatoire de la commande publique ([72]), la part des petites et moyennes entreprises représente 60 % du nombre de marchés publics, mais seulement 30 % de leur montant total. Dans bien des situations, les commerçants souhaiteraient que les municipalités puissent recourir davantage aux commerces locaux quand elles passent des commandes publiques. Ils comprennent mal que les communes se fournissent après appels d’offres auprès de grossistes.

Il convient de rappeler que, dès le traité de Rome en 1957, le droit européen interdit toute discrimination en raison de la nationalité, qu’elle soit ostensible ou dissimulée. Aucune réglementation nationale ne peut donc valablement réserver un pourcentage de marchés publics à des entreprises nationales ou régionales ([73]). En 1992, la Cour de justice des communautés européennes (CJCE), renommée depuis Cour de justice de l’Union européenne, a posé également le principe d’interdiction de toute préférence locale : il est rigoureusement interdit d’attribuer un marché public sur la base d’un critère d’origine ou d’implantation géographique des candidats. Cette conception libérale de la concurrence a été reprise dans l’Accord sur les marchés publics (AMP) de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), dont la France est membre : il est interdit de discriminer en accordant une protection à des fournisseurs, marchandises ou services nationaux.

En pratique, plusieurs principes assurent l’effectivité de la non-préférence locale, comme la publicité du marché et la mise en concurrence des entreprises. Ils doivent garantir une égalité d’accès mais aussi un résultat objectif en fonction de critères déterminés au départ. Par ailleurs, un commerçant de proximité ne vend pas nécessairement des produits issus d’entreprises locales alors qu’une grande surface peut vendre des produits locaux. L’Association pour l’achat dans les services publics (APASP), qui réunit plus de deux mille acheteurs, remarque d’ailleurs qu’il est difficile de déterminer ce qu’est un produit fabriqué en France.

Il existe également des marges de manœuvre – limitées mais bien réelles – que permet le droit pour que les collectivités puissent orienter leurs achats vers des entreprises locales. Ainsi, depuis l’adoption de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services, il est possible de prescrire des caractéristiques environnementales et sociales dans les spécifications techniques des marchés publics.

Les acheteurs peuvent ainsi exprimer une préférence pour la méthode de production ou les caractéristiques environnementales des produits et des services qu’ils cherchent (limitation des émissions de gaz à effet de serre, qualité, fraîcheur, saisonnalité, par exemple). Ils peuvent aussi prendre en compte le nombre d’emplois créés ou faire usage d’un écolabel, à condition que ces critères soient accessibles et disponibles pour tous les concurrents. Par ailleurs, le développement durable figure parmi les éléments pris en compte au moment de la définition des besoins, ce qui est notamment inscrit à l’article L. 2111-1 du code de la commande publique issu de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics.

En maniant bien ces critères, une collectivité peut ainsi orienter son choix vers des entreprises locales sans tomber dans la « préférence locale » proprement dite. De plus en plus de collectivités établissent d’ailleurs une étude des conditions locales de production et de vente avant de lancer une procédure de passation.

De la même manière, les collectivités demeurent libres, via le mécanisme de la pondération qui consiste à affecter un coefficient à chaque critère, de donner aux critères de développement durable ou d’emploi local davantage de poids par rapport au seul critère du prix. Malheureusement, dans les faits, l’offre retenue est souvent la moins chère. Une évolution intéressante serait donc d’aller au-delà de l’incitation, en imposant, par exemple, que ces critères extra-financiers représentent un poids minimum dans la pondération.

Enfin, il convient de souligner que, en juillet 2020, le Gouvernement a décidé de rehausser exceptionnellement le seuil des marchés publics de travaux (70 000 euros) et des denrées alimentaires (100 000 euros) pour soutenir les entreprises du bâtiment et travaux publics (BTP) et les producteurs agricoles (décret n° 2020-893 du 22 juillet 2020), très touchés par la crise du Covid-19. Depuis, pour dynamiser et accélérer le rythme des commandes, le seuil des premiers a même été temporairement relevé à 100 000 euros ([74]). Ce relèvement de seuil permet de cibler plus largement des entreprises et commerces locaux. C’est pourtant prendre un risque de délit de favoritisme, comme cela a trop souvent existé avant la mise en place des règles qui encadrent aujourd’hui la commande publique. Il doit toutefois être possible de créer les conditions d’une concurrence transparente qui valorise les particularités locales.


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   EXAMEN du rapport en commission

Lors de sa réunion du 26 janvier 2022, la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a procédé à l’examen du rapport de la mission d’information sur le rôle et l’avenir des commerces de proximité dans l’animation et l’aménagement des territoires.

À l’issue de la réunion, la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a autorisé la publication du rapport d’information.

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Les débats sont accessibles sur le portail vidéo de l’Assemblée nationale à l’adresse suivante :

 

https://assnat.fr/OeA6fN

 


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   Synthèse des propositions

N° 1 : assurer la prise en compte des espaces dévolus aux marchés de plein air dans les stratégies commerciales locales traduites dans les documents d’urbanisme – ScoT (DAAC) et PLU (PADD) afin de sécuriser le travail des commerçants non sédentaires.

N° 2 : actualiser le règlement-type des marchés de France.

N° 3 : s’efforcer de retenir en centre-ville, dans les stratégies de revitalisation des villes et territoires, les services publics générateurs d’attractivité et de flux de personnes, afin que la centralité géographique d’une ville corresponde à sa centralité fonctionnelle.

N° 4 : établir un inventaire des friches commerciales, afin de disposer d’un outil au service des projets de restructuration des zones commerciales ou de mutations de ces zones vers d’autres usages (habitation, équipements publics, renaturation).

N° 5 : mieux informer les communes et les EPCI sur le mécanisme de la taxe sur les friches commerciales et leur permettre de la restreindre à certains types de locaux ou à certaines parties de leur territoire, en cohérence avec leur action en faveur du commerce ou de leur politique relative à la mutation vers d’autres usages des espaces commerciaux.

N° 6 : les communes et les EPCI doivent s’efforcer d’instituer des instances comme une conférence du commerce ou un conseil consultatif du commerce pour que le dialogue entre élus et commerçants soit structuré. Il serait également opportun de réfléchir à une modification du code général des collectivités territoriales afin de donner un fondement législatif à une structure de gouvernance du commerce réunissant élus, représentants des commerçants, chambres consulaires et l’ensemble des parties prenantes d’une politique du commerce.

N° 7 : poursuivre la structuration de la profession de manager de centre-ville ; réfléchir avec les chambres consulaires à la manière de pérenniser les financements des postes de manager créés à l’occasion d’opérations de revitalisation de territoire ou de programmes comme Action cœur de ville ou Petites villes de demain

N° 8 : encourager les élus des territoires non couverts par des documents de planification à mettre en place une stratégie en faveur du commerce

N° 9 : renforcer les moyens de l’Agence nationale de la cohésion des territoires et de la Banque des territoires afin de proposer aux collectivités territoriales des missions d’expertise et des outils performants de diagnostics sur le tissu commercial.

N° 10 : aucune opération commerciale ne devrait être lancée sans s’accompagner d’équipements et / ou de logements qui assurent la mixité des usages dans l’espace ou à proximité de l’espace où elle est implantée.

N° 11 : refondre la procédure des autorisations commerciales en CDAC afin de permettre aux élus d’assurer leur stratégie commerciale au regard de leur recherche d’équilibre sur les différents espaces des territoires dont ils ont la charge ;

N° 12 : prévoir que les centres commerciaux en périphérie sont constitués de cellules ayant une surface minimale en moyenne supérieure à celle des commerces de centre-ville.

N° 13 : améliorer la prise en compte des problématiques logistiques par les élus locaux lors de l’élaboration des documents de planification territoriale (SRADDET, SCOT2, PLUi) en y intégrant les flux de personnes et de marchandises vers les commerces de proximité.

N° 14 : renforcer et rendre pérennes les aides financières, telles que celles prévues par l’État dans le cadre du fonds « Friches » permettant de réaménager les friches commerciales et le cas échéant de modifier leur destination, avec un objectif de mixité des usages.

N° 15 : faire converger la fiscalité assise sur le commerce physique et celle assise sur les opérateurs dont l’activité est intégralement orientée vers la vente de produits aux consommateurs par voie électronique, en commençant par réformer la taxe sur les surfaces commerciales.

N° 16 : profiter de la présidence française de l’Union européenne pour parvenir à une juste imposition des grands acteurs du numérique et des producteurs étrangers en matière de TVA et instaurer leur responsabilité quant aux produits vendus sur le territoire national et européen.

N° 17 : réfléchir à une refonte de l’indice des loyers commerciaux (ILC) et expérimenter un encadrement des loyers commerciaux ; expérimenter également la modulation des loyers commerciaux en fonction du chiffre d’affaires réalisé par le commerce.

N° 18 : permettre aux programmes comme Action cœur de ville et Petites villes de demain de soutenir des initiatives développées avec des acteurs privés.

N° 19 : prévoir un accompagnement financier et technique des collectivités territoriales s’engageant dans des opérations de revitalisation de territoire.

N° 20 : renforcer sensiblement l’enveloppe consacrée à la numérisation des commerces dans le cadre du plan France Relance.

N° 21 : développer des actions de formation à destination des commerçants et les encourager à y prendre part au moyen d’avantages financiers.

 

 


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   annexes


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annexe n° 1
Témoignages de commerçants

Exemples de témoignages de commerçants recueillis par le président de la mission d’information :

Commune de Oisemont (Somme), retenue par les programmes Action cœur de ville et Petites villes de demain.

La commune constitue une zone de chalandise de 15 000 personnes. Les commerçants de proximité ont ainsi résumé les problèmes qu’ils rencontrent :

– désertification et réduction des flux dans le centre-bourg, en raison de la construction d’une rocade il y a une vingtaine d’années, ayant conduit au développement d’une zone commerciale en périphérie ;

– difficultés de stationnement pour la clientèle, en raison d’un manque de places et de la présence de voitures ventouse ;

– changement de destination des anciens commerces due à l’augmentation des logements dans le centre ;

– absence de mobilité douce et insuffisance de signalisation ;

– absence d’association de commerçants, due au manque de temps dont ceux-ci disposent ;

– difficulté à créer et gérer un site internet ;

– enfin, problème de téléphonie fixe.

Les solutions proposées ou en réflexion sont les suivantes :

– réaménagement urbain, avec la création de places de stationnement et l’aménagement de la voirie pour favoriser les mobilités douces ;

– création d’un chemin piétonnier pour relier la zone d’activité et les commerces de centre bourg ;

– amélioration de la signalétique ;

– offre de mobilité pour les personnes âgées ;

– création d’un poste d’agent de police municipale et recrutement d’un manager de centre-ville, en le mutualisant le cas échéant avec une autre commune ;

– mise en place d’une politique d’animation ;

– construction d’un site internet communal avec une partie consacrée aux commerçants, leur permettant de présenter leurs services ou leurs offres commerciales.

Commune d’Airaines (Somme), retenue par les programmes Action cœur de ville et Petites villes de demain.

La commune constitue une zone de chalandise de 20 000 personnes. Les commerçants de proximité ont ainsi résumé les problèmes qu’ils rencontrent :

– présence d’un supermarché ouvert 7 jours sur 7 ;

– stationnement non utilisé dans le centre bourg et présence de voitures ventouse ;

– l’augmentation des logements dans le centre a conduit d’anciens commerces à changer de destination ;

– insuffisance de signalisation ;

– changement du comportement des consommateurs ; disparition du lien social en centre bourg.

Les solutions proposées ou en réflexion sont les suivantes :

– création d’un poste d’agent de police municipale et recrutement d’un manager de centre-ville, en le mutualisant le cas échéant avec une autre commune ;

– réaménager l’urbanisme, créer des places de stationnement et fleurir la ville ; Aménager le centre bourg avec des éléments qualitatifs (square, mobilier urbain) ;

– amélioration de la signalétique ;

– supprimer l’ouverture du supermarché le dimanche ;

– augmenter les terrains constructibles sur le territoire communal dans le cadre du PLUi ;

– dispositif de dégrèvement des loyers commerciaux pour les trois années après la date de reprise du commerce ;

– renforcer l’offre de circuits courts du marché local.

Commune d’Abbeville (Somme), retenue par le programme Action cœur de ville.

La commune constitue une zone de chalandise de 25 000 personnes. Les commerçants de proximité ont ainsi résumé les problèmes qu’ils rencontrent :

-         présence de grandes zones commerciales à l’extérieur de la ville, qui font sortir le consommateur du cœur de ville ;

-         concurrence croissante du commerce électronique ;

-         taxe foncière élevée ;

-         complémentarité difficile entre les commerces de centre-ville et ceux des zones commerciales en périphérie ;

-         sous-représentation de certaines activités commerciales en centre-ville ;

-         horaires souvent inadaptés aux besoins des consommateurs (fermeture le samedi après-midi et en soirée) ;

-         problèmes de circulation pendant les heures de livraison ;

-         trop de promotions tout au long de l’année, aboutissant à ce que le consommateur ne paie plus de marchandise ou de service au prix réel ;

-         forme de concurrence déloyale de certains fournisseurs, quoi passent par internet pour vendre en direct des produits au même prix qu’en magasin ;

-         inadaptation des petits commerces à la digitalisation ;

-         vacance de commerces anciens et apparition de friches commerciales ;

-         manque de cabinets médicaux en cœur de ville ;

-         signalétique inadaptée ;

-         dangerosité des trotinettes sur les trottoirs ;

-         manque d’un grand espace en cœur de ville, pour l’organisation d’évènements et de salons.

Les solutions proposées ou en réflexion sont les suivantes :

-         instaurer un moratoire sur la création de zones commerciales en dehors de la ville afin de privilégier le commerce en cœur de ville ;

-         recruter un manager de centre-ville ;

-         pouvoir préempter les commerces fermés depuis plusieurs années (question de l’obstacle à l’intérêt général) ;

-         jouer la carte de l’humain, du lien social, du service, pour concurrencer le commerce électronique ;

-         animer le centre-ville pour le rendre plus attrayant (travail conjoint entre l’association des commerçants et la municipalité) actions phares comme le marché de Noël, pour générer du flux en centre-ville ;

-         rénover la signalétique pour inciter les personnes consommant dans les zones commerciales à se rendre dans les commerces du cœur de ville ;

-         faciliter l’usage du vélo ;

-         créer davantage de logements en cœur de ville ;

-         miser sur le tourisme culturel (candidature au label Pays d’art et d’histoire) ;

-         réhabiliter les friches ;

-         réhabiliter la zone du port avec des animations, des hébergements insolites, une péniche bar, etc ;

-         créer une zone tampon pour les livraisons ;

-         instaurer une taxe pour les ventes en ligne.

Commune de Gamaches (Somme),

La commune comprend 2 500 habitants. Chef-lieu de canton, elle est engagée dans une ORT. Les commerçants de proximité ont ainsi résumé les problèmes qu’ils rencontrent :

-         présence de friches ;

-         vacance commerciale importante ;

-         commune désertée le samedi après-midi : les clients se rendent dans les zones commerciales situées à une vingtaine de minutes de la commune ;

-         manque d’informations sur les animations mises en place dans la commune ;

-         l’artère principale de la commune est une route départementale très fréquentée mais n’est que traversée : les potentiels clients passent mais ne s’arrêtent pas ;

-         problème de gouvernance dans l’animation du cœur de ville (mairie / association des commerçants) ;

-         difficultés à structurer et dynamiser l’association des commerçants ;

-         la commande publique ne favorise pas les commerçants locaux.

Les solutions proposées ou en réflexion sont les suivantes :

-         réhabilitation en cours d’une friche industrielle avec la création de huit logements et de trois cellules commerciales ;

-         faciliter l’ouverture de bars en centre-ville, ce qui suppose d’obtenir la licence IV ;

-         travailler sur la commande publique pour favoriser les commerçants locaux ;

-         revoir la traversée de la ville pour capter les clients potentiels ;

-         mettre en place une gouvernance mutualisée et établir plus de communication entre les commerçants et la municipalité.

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Exemples de témoignages de commerçants recueillis par la rapporteure de la mission d’information :

Des rencontres ont été organisées avec des élus et des représentants d’associations de commerçants dans les communes de Jarnac (4 600 habitants), Montmoreau (2 500 habitants), Barbezieux (4 700 habitants) et Cognac (19 104 habitants). Ces villes sont des centralités importantes de l’ouest et du sud du département de la Charente, qui constatent depuis quelques années une diminution régulière de leur population au profit des périphéries. La particularité de Jarnac et de Cognac est cependant d’être des pôles d’emplois importants et d’accueillir tous les jours un grand nombre de salariés.

Plusieurs associations de commerçants étaient en sommeil, pour certaines depuis de nombreuses années, et leur reconstitution parfois récente a d’une part donné lieu à un nouvel élan dans les centres villes, d’autre part a été le point de départ de nouvelles relations avec les municipalités.

L’association des commerçants de Jarnac a été relancée en juin 2021. Elle est ouverte aux commerçants de centre-ville qui représentent 95 % des adhérents et à ceux de la zone économique périphérique (grande distribution, artisans, industriels). Celle de Montmoreau a été relancée après dix ans de sommeil et compte des éléments fédérateurs parmi les commerçants historiques mais aussi parmi ceux nouvellement installés.

À Cognac, l’association a souhaité maintenir le dynamisme de l’ancienne équipe. L’objectif prioritaire d’animation du centre-ville a permis à l’association de passer de 40 à 125 adhérents en quatre ans, soit la quasi-totalité des commerçants du centre-ville. À Barbezieux, la tradition des associations des commerçants est née dans les années 1920 avec deux associations. La priorité pour les commerçants est de trouver un pilote associatif pour fédérer les commerçants, avec l’objectif de le faire dans la durée pour franchir « le cap des idées, les accompagner et les réaliser ».

La politique de ces associations a été de trouver des animations fédératrices pour rendre le centre-ville attractif. Ainsi, on peut citer à Barbezieux le développement régulier des boutiques éphémères, des marchés nocturnes ou de Noël, la piétonisation de rue avec l’animation « rue des enfants ».

Les échanges avec la rapporteure ont essentiellement porté sur trois points. Comment définir le commerce de proximité ? Quelle est la relation du commerce de proximité avec internet ? Et quelle gouvernance mettre en place au niveau local ?

Définition du commerce de proximité

 

À Jarnac, les commerçants, essentiellement des indépendants en centre-ville, considèrent de prime que la proximité « c’est plus le centre », « c’est apporter au client ce qu’il ne trouve pas en périphérie », « c’est le temps de déambuler, d’échanger… » mais reconnaissent aussi que les zones économiques constituent « une économie de proximité ». Ils font le constat que le consommateur local a besoin des centres commerciaux (comme Intermarché) pour éviter d’aller à Cognac ou Angoulême.

 

À Montmoreau et à Barbezieux, deux petites villes en milieu plus rural, le commerce de proximité est un « lieu de vie et de rencontres », « ce n’est pas aller en grande surface ». Si on parle de proximité, « on peut y aller à pieds ou à vélo ». Pour autant, la voiture a encore une importance en milieu rural et les espaces de stationnement devraient, selon les commerçants, être mieux signalés et les sens de circulations permettre d’orienter les véhicules vers les quartiers commerçants de centre-ville.

 

À Cognac, sous-préfecture du département, le nombre de commerçants franchisés est plus important. Le commerce de proximité est perçu comme « seulement les commerces de centre-ville », « à proximité des habitations et des lieux de travail ». Être acteur de proximité, c’est contribuer au développement du commerce, à l’urbanisme et à la valorisation de la ville pour qu’elle soit attractive.

 

Au-delà de ces quelques nuances, tous les représentants de commerçants ont mis en avant une notion de service pour caractériser le commerce de proximité. Ils définissent leur relation avec leurs clients comme une relation à taille humaine  qui contribue au lien social.

Digitalisation du commerce

Les commerçants reconnaissent tous la nécessité de s’adapter aux nouveaux usages des consommateurs avec la digitalisation, au minimum pour « se faire connaître », par le référencement ou par une présence sur les réseaux sociaux, principalement Facebook. Certains vont plus loin en développant une offre de vente sur internet.

 

Les nouveaux commerces fonctionnent très bien grâce à la digitalisation qui draine une clientèle plus large. Il y a également un phénomène générationnel : les nouveaux commerces sont tenus par des personnes plus jeunes et plus ouvertes aux nouvelles technologies.

 

La question de la maîtrise des outils digitaux est prédominante. Même si des formations sont régulièrement proposées aux commerçants, par les managers de centre-ville ou par les chambres consulaires, force est de constater la difficulté de s’approprier l’ensemble des outils digitaux. Les commerçants avancent la nécessité de mobiliser du temps de travail pour cette activité, ce qui limite le développement de leurs outils numériques. Un petit commerçant n’a pas le temps de gérer un stock et de la vente sur internet.

 

Une proposition a d’ailleurs été faite de créer une aide à l’embauche de community manager pour les commerces qui veulent lancer une activité de vente en ligne. Une exonération de charge temporaire pourrait ainsi permettre de créer suffisamment de chiffre d’affaires pour pérenniser cet emploi. Les commerçants demandent également qu’une fiscalité « plus cohérente » soit mise en place entre les commerces physiques et le commerce en ligne.

Gouvernance locale du commerce

Élus locaux et commerçants ont mis en avant les bonnes relations qu’ils entretiennent. Il leur faut nécessairement tenir des réunions régulières. Mais ils ont aussi attiré l’attention de votre rapporteure sur la difficulté de conserver des équipes bénévoles pour imaginer, organiser et pérenniser les animations commerciales.

 

L’intervention d’un manager de centre-ville, en place à Barbezieux et à Cognac ou à venir pour Jarnac, est appréciée, en relevant toutefois qu’il peut être rapidement « noyé dans l’administration ».

 

Les associations de commerçants se consacrent principalement aux actions destinées à créer de l’attractivité pour les centres-villes : annuaires des commerces, animations de Noël, fête du commerce… Mais on recense d’autres besoins pour lesquels les commerçants n’ont pas toujours de réponse : aide dans les démarches administratives, soutien aux porteurs de projets, recensement des besoins en offre commerciale, être associés à la définition des aménagements publics.

 

Si le manager de commerce peut répondre en partie à ces besoins, les commerçants attendent aussi plus d’implication de leurs chambres consulaires pour faire des propositions innovantes, accompagner les porteurs de projets, proposer des formations adaptées.

 

 

 


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annexe n° 2
Liste des personnes auditionnÉes

Jeudi 27 mai 2021

Confédération des commerçants de France

M. Francis Palombi, président

Fédération française de la franchise

Mme Véronique Discours-Buhot, déléguée générale

Mercredi 2 juin 2021

Confédération des buralistes

M. Philippe Coy, président

Jeudi 3 juin 2021

Chambres de commerce et d’industrie (CCI France)

M. François-Xavier Brunet, 3ème vice-président

Association Bouge ton coq

MM. Christophe et Emmanuel Brochot, fondateurs

Fonds de dotation Make.org

M. Jules Kuhn, chargé de mission

Fédération nationale des boutiques à l’essai

M. Olivier Bourdon, directeur général

Mercredi 9 juin 2021

Fédération nationale des marchés de France

Mme Monique Rubin, présidente

MmeNadine Villier, secrétaire générale

Jeudi 10 juin 2021

Union des entreprises de proximité (U2P)

M. Pierre Burban, secrétaire général

Chambres de métiers et de l’artisanat

M. Joël Fourny, président des chambres des métiers et de l’artisanat

Alliance du commerce

M. Yohann Petiot, directeur général

M. Guillaume Simonin, directeur des affaires économiques et juridiques

Mercredi 16 juin 2021

Fédération du commerce et de la distribution

M. Jacques Creyssel, délégué général

Mme Layla Rahou, directrice des affaires publiques -

Mme Sophie Amoros, responsable des affaires publiques et de la communication

Jeudi 17 juin 2021

Confédération générale de l’alimentation en détail

M. Dominique Anract, membre du conseil d’administration, président de la Confédération de la boulangerie-pâtisserie

Conseil national des centres commerciaux

Mme Marie Cheval, vice-présidente

M. Gontran Thuring, délégué général

M. Dorian Lamarre, directeur des affaires publiques

Fédération Saveurs et Commerce

Mme Chrystel Teyssèdre, présidente

Mme Sandrine Choux, déléguée générale

Mme Mihaela Strangea, chargée des affaires juridiques

Mercredi 23 juin 2021

Fédération française des associations de commerçants

M. Lionel Saugues, président

Jeudi 24 juin 2021

Syndicat des indépendants

M. Jean-Guilhem Darré, délégué général

Mme Éléonore Lasou, conseillère

Conseil du commerce de France

M. William Koeberlé, président

Jeudi 2 septembre 2021

Institut du commerce

M. Xavier Hua, directeur général

Table ronde sur les solutions digitales en faveur du commerce de proximité

 Simplemaps

M. Stéphane Grandjean, délégué général

 petitscommerces.fr

MM. Maxime Bedon et Jonathan Chelet, fondateurs

 enbasdechezmoi.fr

Mme Claire Poifol, directrice générale

Mercredi 15 septembre 2021

Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (CREDOC)

M. Franck Lehuédé, directeur d’études et de recherche

Jeudi 16 septembre 2021

Table ronde sur la digitalisation du commerce

 Fédération de la vente à distance (FEVAD)

M. Marc Lolivier, délégué général

 Rakuten France

M. Benjamin Moutte, directeur des affaires juridiques et réglementaires

 Bougies de Charroux

M. Pierre Corgnet, dirigeant

 La Fourche

M. Lucas Lefèvre, co-fondateur

Mercredi 22 septembre 2021

Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE)

Mme Corinne Darmaillacq, chef de la division commerce

M. Matthieu Bédué, chargé d’études à la division Statistiques et Analyses urbaines

Jeudi 23 septembre 2021

M. David Mangin, urbaniste

M. Jean-Baptiste Marie, urbaniste, directeur de programme de la Plateforme d’observation des projets et stratégies urbaines (POPSU)

Mercredi 29 septembre 2021

Association française de l’immobilier logistique

Mme Diana Diziain, directrice

M. Philippe Frèrejean, consultant en immobilier logistique (société Arthur Lloyd)

Jeudi 30 septembre 2021

Club des managers de centre-ville

M. Robert Martin, président

Mercredi 6 octobre 2021

Sociétés de commerce de Montréal

M. Billy Walsh, président exécutif

M. Dany Saint-Jean, directeur des relations gouvernementales

Jeudi 7 octobre 2021

Table ronde sur l’évolution du secteur de la restauration

 Union des métiers et des industries de l’hôtellerie

M. Jean Terlon, vice-président

 Groupement national des indépendants hôtellerie et restauration

M. Laurent Fréchet, président

M. Franck Trouet, conseiller du président

 Groupement national des indépendants hôtellerie et restauration

Mme Fabienne Ardouin, co présidente de la commission Europe, International et Numérique

 Deliveroo

M. Kevin Mauffrey, directeur commercial

 Cabinet Food service vision

M. François Blouin, président fondateur

Mme Florence Berger, directrice associé

Jeudi 14 octobre 2021

Fédération des sociétés immobilières et foncières.

Mme Delphine Charles-Péronne, déléguée générale

Mme Julie Torossian, secrétaire générale

M. Jérôme Deschamps, président de Sélectirente Gestion

M. Stéphane Girard, directeur du développement et des relations institutionnelles de Mercyalis

Mme Claire Gautier, M. Jérémie Bedel et M. François Nowakowski, architectes et urbanistes

Centre-ville en mouvement

M. Pierre Creuzet, fondateur et directeur

Jeudi 21 octobre 2021

Assemblée des départements de France

M. Philippe Pichery, président de la commission du développement et des solidarités territoriales de l’ADF, président du conseil départemental de l’Aube

Mercredi 27 octobre 2021

Fédération des sociétés coopératives de production

M. Guy Babolat, vice-président

Mme Fatima Bellaredj, déléguée générale

Société coopérative d’intérêt collectif Villages vivants

M. Raphaël Boutin Kuhlman, directeur des opérations

Jeudi 28 octobre 2021

Table ronde d’élus communaux

– Association des villes de France

M. Luc Bouard, maire de la Roche-sur-Yon

– Association des maires de France

M. Alain Chrétien, maire de Vesoul

– Association des petites villes de France

Mme Laurence Porte, maire de Montbard

Jeudi 4 novembre 2021

Région Nouvelle-Aquitaine

Mme Martine Pinville, ancienne ministre, conseillère régionale

M. Jean-Philippe Haufeurt, chargé des politiques contractuelles

Mercredi 10 novembre 2021

Société d’économie mixte d’animation économique au service des territoires (SEMAEST) de la Ville de Paris

Mme Emmanuelle Hoss, directrice générale

Mercredi 17 novembre 2021

Programme Action cœur de ville

M. Rollon Mouchel-Blaizot, directeur

Jeudi 18 novembre 2021

Programme Petites villes de demain

Mme Juliette Auricoste, directrice

Cabinet Létang Avocats

Mme Stéphanie Encinas et Mme Gwenaël Le Fouler, avocates associées

Mercredi 23 novembre 2021

M. Alain Griset, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des petites et moyennes entreprises

Jeudi 2 décembre 2021

Table ronde sur le financement des petits commerces

 Mme Marie Lhuissier, directrice des affaires publiques pour la banque de détail du groupe Crédit agricole SA

 Mme Sophie Olivier, directrice des marchés et études de la Confédération nationale du Crédit mutuel

 M. Édouard Michelin, directeur-adjoint des affaires publiques du groupe BPCE

Mercredi 8 décembre 2021

Banque des Territoires

M. Michel François Delannoy, directeur de l’appui aux territoires

M. Frédéric Gibert, responsable des programmes Action cœur de ville et plan commerce et foncières

M. Adil Taoufik, directeur des relations institutionnelles de la Caisse des dépôts et consignations

 


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Annexe n° 3
Déplacement en Gironde de membres de la mission

M. Emmanuel Maquet, président de la mission et Mme Sandra Marsaud, rapporteure, se sont déplacés à Bordeaux, Sainte-Foy-la Grande et Libourne les 10 et 11 janvier 2022 pour examiner comment ces trois villes, de taille différente, assuraient la présence de commerces de proximité à leur population ou luttaient contre la déprise commerciale.

Ces villes, situées dans le même département, ont été choisies à dessein. Bordeaux est l’une des principales métropoles françaises et jouit d’un dynamisme démographique et économique important. Sainte-Foy connaît également une progression de sa démographie, mais la ville est en crise économique et fait face à une déprise du commerce, contre laquelle la municipalité a mis en place un plan d’action. Libourne a pour sa part été classée entre 2009 et 2015 parmi les vingt villes ayant le plus souffert d’un déclin de ses commerces de centre-ville. La municipalité a également mis en place des projets de réaménagement urbain pour stimuler et renouveler l’offre de commerces.

Ces villes ont également en commun de s’être appuyées sur leur remarquable patrimoine historique pour conduire leurs opérations d’aménagement urbain, afin d’assurer aux commerçants et aux consommateurs un environnement agréable. Ce facteur a été souligné à de nombreuses reprises lors des auditions conduites par la mission.

Avec 251 000 habitants intra muros et 815 000 dans la métropole, Bordeaux rassemble la moitié de la population du département de la Gironde. Sa croissance démographique est de 12 % depuis 2008. La métropole comptait en 2020 52,4 % des établissements du département, soit 15 572 commerces, en croissance de 2,9 % par rapport à 2019, représentant 600 kilomètres de linéaires commerciaux.

Avec cette masse démographique, dont le revenu médian disponible est de 22 760 € par unité de consommation, la métropole concentre 51 % du potentiel de consommation des ménages de la Gironde. Ce potentiel se répartit à 33 % pour le centre-ville historique, 29 % pour la métropole Ouest, 13 % pour la rive droite et 25 % pour la métropole Sud, pour un marché de consommation annuellement estimé à 7,8 milliards d’euros. On notera toutefois que la zone de chalandise de la métropole s’étend à la quasi-totalité du département, soit 2 millions d’habitants, puisque les habitants des côtes de Bordeaux, de Libourne, du nord du département viennent y faire des courses. Les consommateurs de Gironde vivant à proximité de la Dordogne semblent en revanche attirés par Bergerac, qui dispose d’une offre commerciale importante.

Très classiquement, l’alimentaire représente 27 % de la consommation, le non alimentaire 48 % ; l’automobile 16 % et la restauration 8 %. Le nombre de magasins multispécialistes non alimentaires, d’automobile et de moto, de services à la personne, de culture, de loisir ainsi que l’hôtellerie et la restauration était en croissance ; en revanche, le prêt à porter, la chaussure et la maroquinerie enregistraient une diminution de leur activité, relevée par ailleurs à l’échelle nationale. En outre, la métropole accueille 65 marchés de commerces non sédentaires, dont 37 % sont dans Bordeaux intra muros.

L’offre commerciale des grandes et moyennes surfaces (GMS) se concentre à 75 % dans des pôles commerciaux, répartis entre Bordeaux centre (134 882 m2, en légère diminution), des pôles régionaux (283 848 m2 en très légère croissance et en pôles régionaux (423 315 m2, en croissance de 2,6 % par rapport à 2019). Les pôles régionaux et structurants se répartissent sur une quinzaine de sites, les principaux étant Mérignac et Bordeaux Lac, auxquels s’ajoute l’offre de Bordeaux centre. L’extension de surfaces commerciales connaît un ralentissement notable. En 2020, un peu plus de 7 000 m2 ont été autorisés par la commission départementale d’aménagement commercial, sur 9 400 demandés, soit le niveau le plus bas enregistré depuis la création de cette commission.

Bordeaux reflète la situation des grandes métropoles françaises. À l’exception de quelques rues ou quartiers, le taux de vacance commerciale dépasse légèrement 4 %, ce qui est très bas. Dans cette situation, la municipalité affiche l’ambition de conduire une politique commerciale qu’elle souhaite équilibrée et durable : équilibre entre centre et périphérie de la métropole, entre commerces de proximité et de destination, entre indépendants et enseignes, accent particulier mis sur les circuits courts les commerces de proximité et les activités éco-responsables. La ville s’appuie sur le SCOT, qui a défini 9 zones commerciales, et sur le PLUi, qui prend en compte les linéaires commerciaux.

La politique de transport de la ville est un élément de sa stratégie commerciale. L’objectif de la municipalité est que la marche représente 30 % des déplacements, le vélo 18 %, les transports en commun 17 % et que la part de la voiture passe de 50 % à 33 % à l’horizon 2030. L’aménagement urbain et la coordination de tous les modes de transport, notamment des mobilités douces, est donc un élément indispensable pour assurer dans Bordeaux comme dans la métropole un maillage du territoire en commerces de proximité. Il semble que la municipalité comme l’ensemble des professionnels du commerce aient bien perçu cette condition sine qua non pour créer des flux de population vers les secteurs commerciaux, les commerçants souhaitant toutefois que la limitation de l’usage de la voiture s’accompagne bien d’une offre alternative de transports.

Le risque pour la ville est que la quasi saturation des espaces commerciaux disponibles aboutisse à une hausse des prix des mètres carrés, et donc des baux. La municipalité est placée dans une situation quelque peu analogue à la ville de Paris, qui avec la SEMAEST dispose d’un outil d’intervention, où il lui faut veiller à ce que cette hausse des prix ne crée pas un phénomène d’éviction de commerces de quotidienneté au profit de commerces de luxe.

Votre rapporteure et le président de la mission ont par ailleurs constaté que la métropole de Bordeaux connaissait plusieurs des situations relevées lors des auditions de la mission :

En premier lieu, la digitalisation des petits commerces n’est pas aisée. 35 % des petits commerces n’envisageraient pas d’y recourir, pour les raisons évoquées dans le présent rapport. Les stratégies de digitalisation sont très disparates, mais l’exemple de la librairie Mollat, une des plus grandes librairies de France, confirme qu’outre la volonté de l’entrepreneur, la taille de l’entreprise et sa surface financière sont déterminantes pour investir dans des outils digitaux et recruter du personnel spécialisé dans les métiers du commerce électronique. Des craintes ont également été émises par les restaurateurs face à la livraison de repas et au phénomène (encore marginal à Bordeaux) des cuisines-fantômes et par l’ensemble des commerçants à l’égard des magasins-fantômes. La différence de fiscalité entre les entrepôts des pure players et des commerces physiques a également été dénoncée. Mais quelles que soient ces inquiétudes, les représentants des commerçants ont bien saisi les enjeux du commerce électronique et la nécessité de réinventer le commerce physique.

En second lieu, certains des commerces de la ville, notamment les restaurants, situés près des bureaux, souffrent des effets du covid et du télétravail, avec des pertes d’activité considérables, de l’ordre de 30 %. Il en est de même pour les centres commerciaux implantés dans des quartiers d’activité tertiaire, le centre commercial Meriadeck étant passé de 9 millions de visiteurs à 6 millions en 2020. En troisième lieu, les enseignes de périphérie ont tendance à revenir en centre-ville, soit dans des centres commerciaux, soit en aménageant des surfaces ayant la taille qu’elles souhaitent, afin de se rapprocher de leur clientèle. Truffaut loue ainsi un espace dans le centre commercial Meriadeck précité. Les surfaces commerciales sont en ce cas plus réduites qu’en périphérie, mais l’offre de produits est ciblée sur la clientèle de centre-ville.

En résumé, le commerce dans la métropole de Bordeaux connaît l’ensemble des évolutions communiquées à la mission d’information lors de ses différentes auditions. Mais il convient de noter que les actions d’aménagement des différentes municipalités ont été décisives pour disposer d’un urbanisme intelligent, favorisant la circulation des personnes dans la ville et la métropole, ce qui in fine profite aux commerces. L’analyse de la situation de Bordeaux confirme l’importance de déterminer une stratégie de territoire en concertation avec les professionnels du commerce.

Sainte-Foy-la-Grande illustre pour sa part les problèmes rencontrés par des petites villes. De taille réduite, elle rassemble 2 700 habitants, soit une forte densité urbaine. Elle exerce une fonction de centralité au sein de la communauté de communes du pays Foyen (20 communes, 17 000 habitants) et si elle est située en pays Libournais, son bassin d’emploi et de vie est Bergerac, plus proche géographiquement mais située dans un autre département (Dordogne). Une large partie des activités de cette ville fondée au XIIIème siècle repose sur le commerce.

L’atout principal de Sainte-Foy est de conserver en centre-ville géographique des fonctions de centralité, ce qui a conduit le département à la reconnaître comme ville d’équilibre. Elle abrite un hôpital, des établissements d’enseignement de l’école maternelle au lycée, divers services publics et bénéficie d’une desserte du train express régional entre Bordeaux et Sarlat. La ville affiche toutefois un taux de chômage de 35 %, plus élevé que la moyenne nationale, ce qui conduit à sa paupérisation. On rappellera que ce facteur est l’un de ceux qui expliquent la déprise du commerce dans les petites villes et villes moyennes.

Sainte-Foy concentre 220 commerces de proximité en centre-ville, répartis en trois secteurs le long de deux rues principales. Si l’un des secteurs, celui de l’entrée de ville et de la mairie, est dans une situation satisfaisante, les deux autres souffrent d’un taux de vacance élevé. La zone de chalandise des commerces de la ville est estimée à 12 000 habitants. Outre la paupérisation, une partie de cette déprise peut être due à un transfert de consommateurs depuis 2012 vers les quatre grandes surfaces créées dans les communes avoisinantes de Pineuilh et de Port-Sainte-Foy et Ponchapt, qui par leur implantation ont attiré des services en périphérie, comme une agence bancaire récemment.

L’avantage de cette déprise est que le coût du mètre carré commercial est réellement attractif par rapport à celui d’autres communes, mais les caractéristiques locales – dans 68 % des cas, un immeuble correspond à un local commercial et à un logement en étage – conduisent à ce que les surfaces commerciales soient trop réduites par rapport aux exigences actuelles du commerce. L’implantation de nouveaux commerces passe donc par une rénovation du bâti.

La municipalité a donc mis en place un plan d’action, fondé sur un ORT revitalisation et a été éligible au programme Petites villes de demain. Les crédits associés à ce programme lui ont permis de recruter un chef de projet et une manager de centre-ville, et de bénéficier d’une ingénierie dont elle ne dispose pas en propre, les services municipaux étant de taille réduite.

Les quatre axes de ce plan sont l’habitat (70 immeubles sont dégradés et 300 logements sont vacants), l’urbanisme, le commerce et l’artisanat et le développement du tourisme.

S’agissant de l’habitat, la ville ne dispose pas d’un parc suffisamment large pour attirer une société foncière, comme InCité, située à Bordeaux. Chaque îlot est rénové avec un propriétaire / bailleur, la ville devant veiller à ce que les logements rénovés ne constituent pas de trop petites surfaces si elle veut attirer des familles. Difficile à conduire, cette politique donne des résultats puisque le nombre de transactions immobilières a plus que doublé entre 2019 et 2021, ce qui démontre que Sainte-Foy exerce une attractivité.

S’agissant du commerce, Sainte-Foy doit réhabiliter environ 80 locaux vétustes, de taille réduite, pour accueillir de nouvelles activités. Cette politique attire l’attention des entrepreneurs, puisque la ville reçoit 4 à 5 demandes d’implantation par semaine, notamment dans les métiers de bouche et l’habillement. Le recours à des boutiques à l’essai est envisagé, et l’amélioration de la signalétique est jugée nécessaire. Un problème demeure toutefois en suspens : faute de capacité d’autofinancement, la réhabilitation des logements et des commerces ne s’accompagne pas d’une rénovation de la voirie, qui en serait le complément logique et nécessaire, d’après la municipalité. Sainte-Foy souffre d’un problème de base, à savoir que la ville assume des fonctions de centralité, mais la richesse fiscale se situe dans la commune voisine de Pineuilh.

La ville ne dispose pas d’associations de commerçants. Le lien entre la municipalité et les commerçants relève soit du contact direct, soit de l’action de la manager de centre-ville. Parmi les préoccupations exprimées par les commerçants, figure la mise en place d’une zone bleue pour le stationnement des véhicules. Bien que Sainte-Foy soit de taille réduite et que la plupart des services soient accessibles à pied en 15 minutes, il apparaît que de nombreuses personnes souhaitent utiliser leur voiture, pour diverses raisons.

S’agissant de la digitalisation, la communauté de communes a réalisé une place de marché www.achetezfoyen.fr dans laquelle une centaine de boutiques sont présentes, mais il s’agit plus d’assurer une visibilité en ligne (ce qui constitue une première étape) que de réaliser du commerce électronique. Aucun des commerçants ne semble pouvoir en supporter les coûts, notamment ceux de la logistique (la municipalité apprécierait que la Poste émette une offre de livraison pour les commerçants présents sur la place de marché). L’intérêt de la place de marché réside principalement dans la réflexion qu’elle suscite chez les commerçants pour définir leur stratégie, ainsi qu’au sein des communes quant à la vision de leur territoire.

Sainte-Foy résume l’intérêt de la concertation entre élus et commerçants sur un territoire, dès lors qu’une opération de revitalisation clairement définie est portée par une équipe municipale. On y retrouve l’importance d’un volontarisme politique, assisté d’une ingénierie afin d’avoir un projet de territoire cohérent, combinant réhabilitation des logements, renouvellement de l’offre commerciale, rénovation urbaine, création d’espaces verts.

Peuplée de 26 000 habitants, Libourne est la commune-centre de la communauté d’agglomération du libournais (CALI), qui compte 45 communes et se trouve au cœur d’un bassin de 200 000 habitants dans l’arrière-pays de Bordeaux.

La relation avec Bordeaux est étroite, située à 30 km. Il est courant que des Libournais effectuent leurs courses à Bordeaux (la fréquence des TER fait entrer Libourne dans l’aire de chalandise de Bordeaux) mais la réciproque existe. En outre, Libourne connaît une croissance démographique, dont l’une des raisons est l’installation de Bordelais dans la commune.

Comme Sainte-Foy-la-Grande, Libourne abrite dans son centre des services publics : tribunal de commerce, tribunal de grande instance, établissements d’enseignement et de santé, qui maintiennent un flux de personnes

Libourne a fait partie des vingt communes dans lesquelles la déprise du commerce a été la plus forte en France entre 2009 et 2015. Le taux de vacance commerciale s’établissait à 15 % en 2015. La ville a souffert de cette déprise non en raison du chômage (le taux d’emploi y est élevé) mais d’une part à cause de sa paupérisation – des habitants à bas revenu ont quitté Bordeaux pour s’y installer en raison d’un coût de la vie moins élevé – d’autre part de la concurrence exercée par les commerces, notamment les grandes surfaces, en périphérie de Bordeaux. Les habitants du Fronsadais y font plus volontiers leurs achats. Le commerce y a donc décliné.

La municipalité a réagi dès 2016 en travaillant prioritairement sur l’habitat et le commerce. Une convention Centre-ville de demain a été signée avec la Caisse des dépôts en 2016 et les élus ont réfléchi pendant deux ans à leurs actions sur le logement, les aménagements urbains, l’offre commerciale, la mobilité et les animations, soit une stratégie globale de territoire. La ville disposait donc déjà d’une stratégie quand le programme Action cœur de ville a été lancé et a été la première à y être éligible en Gironde, en septembre 2018. Outre les ressources de la CALI, elle a bénéficié d’une ingénierie supplémentaire. La ville et la CALI ont ainsi mutualisé le recours à une manager de territoire, affichant clairement leur double ambition de développer leur activité commerciale, considérant qu’il leur fallait s’appuyer l’une sur l’autre.

Cette politique a donné des résultats, la vacance commerciale ayant fortement diminué. Des enseignes nationales (FNAC, Courir) sont venues s’implanter. La principale difficulté est, à l’instar de Sainte-Foy, que les commerces traditionnels étaient établis sur de petites superficies et que l’opération de revitalisation commerciale exige de lourds travaux de restructuration d’immeubles.

La CALI a également conduit une politique de digitalisation avec les chambres consulaires pour créer une place du marché sur son territoire et a procédé à 130 accompagnements d’entreprises. Cette action se poursuit et s’étend aux aides à l’investissement pour que ces entreprises assurent des prestations numériques. Les outils digitaux sont également utilisés pour recueillir des données, comme les flux de piétons en centre-ville, afin d’affiner la politique de soutien au commerce.

Libourne confirme le fait que la déprise du commerce peut être combattue avec succès dès lors que des élus opèrent un diagnostic sans concession de leur territoire et mettent en place une stratégie globale de revitalisation, en jouant sur toutes les délégations dont dispose une municipalité ou une intercommunalité : logement, aménagement urbain, animation, aide à la digitalisation, etc… La volonté politique a permis de maintenir la tradition commerçante de la ville qui remonte au XIIIème siècle.

 

 

 


([1]) La composition de la mission d’information se trouve au verso.

([2]) A. Dembo, S. Bourdon, A. Fourniret, T. Mathé, Proximité et qualité, les deux priorités pour faire ses courses alimentaires, étude du CREDOC, n° 299, mai 2018.

([3]) Néozone, Pays-Bas, contre l’isolement des seniors, des supermarchés proposent des caisses « pour taper la discute », octobre 2019.

([4]) Sabine Bessière et Corentin Trévien, Le commerce de centre-ville, une vitalité souvent limitée aux grandes villes et aux zones touristiques, INSEE, 2016.

([5])  La déprise du commerce de proximité dans les centres-villes des villes de taille intermédiaire, INSEE Première, 2019

([6])  Gilles Chaptal et Pascal Marty, La rurbanisation, nouveau sursaut et dernier sursis du commerce rural, Cairn Info, 2007.

([7]) Le commerce de proximité : des pôles plus florissants en périphérie qu’en centre-ville, INSEE Première, 2021

([8]) Daniel Pinson, « Histoire des villes », dans Traité sur la ville, P.U.F., 2009.

([9]) Commerce et ville ou commerce sans la ville, sous la direction de Marina Gasnier, Presses universitaires de Rennes, 2010.

([10])  Le commerce et la ville : vers un changement radical des logiques d’aménagement ? Entretien avec Philippe Dugot, in La Fabrique de la Cité, octobre 2019.

([11])  Pierre Patte, Mémoires sur les objets les plus importants de l’architecture, 1769.

([12]) Sophie Descat, La boutique magnifiée, commerce de détail et embellissement à Paris et à Londres au XVIIIème siècle, in Histoire urbaine, 2002.

([13]) La part dans l’économie correspond ici à la part dans la valeur ajoutée totale (tous secteurs).

([14]) Le commerce en 2018, INSEE (2019).

([15]) FFF, données 2020, et étude d’impact Diagnostic & Systems, 2021.

([16]) Fédération du commerce coopératif et associé, Commerce coopératif et associé : les chiffres clés, 2020.

([17]) Cf. Le temps des courses depuis 1974, Cécile Brousse, Aline Ferrante et Laure Turner, INSEE Première, 2015.

([18]) Le phénomène reste marginal, localisé dans les très grandes villes, même s’il est en progression. 0,3 % des consommateurs effectuaient des courses après 20 heures en 2015, à comparer à 0,1 % en 1975.

([19]) Il n’existe pas de définition officielle du centre-ville. Les études retiennent donc un faisceau d’indices : centre géographique, espace le plus animé ou ancien, lieu de concentration d’activités économiques et sociales, capacité d’action sur la périphérie en termes de desserte, de services, d’attractivité et de polarisation.

([20]) La revitalisation commerciale des centres-villes, rapport de l’IGF et du CGEDD sous la supervision de Pierre-Mathieu Duhamel, 2016.

([21])  Mesure de l’ajustement de l’offre de locaux commerciaux à la demande.

([22])  Selon les zonages de l’INSEE, la ville-centre est la commune qui abrite plus de 50 % de la population d’une unité urbaine.

([23])Troisième édition du Palmarès des centres-villes commerçants, Procos, 2019.

([24]) Paganini, L. & Le Roch, E. (2021), Activité du commerce spécialisé en 2020 – 2021 panel Procos.

([25]) La déprise du commerce de proximité dans les centres-villes des villes de taille intermédiaire, INSEE (2019).

([26])  Angélique Chrisafis, When Europe gets it right, The Guardian, 20 mai 2019.

([27])  Olivier Razemon, in Revue Sur Mesure, 25 mai 2019.

([28])  Catherine Barba, Livre blanc pour le compte de la FEVAD, 2011.

([29]) Julien Fraichard, Les pôles commerciaux et leurs magasins, INSEE, 2006.

([30])  Une commune est dite rurale quand elle est peu dense ou très peu dense.

([31]) Cf. Jean Soumagne, Commerces et espaces fragiles. Essai sur la revitalisation du commerce en milieu urbain et rural, Actes du colloque d’Angers, 2002.

([32]) . Michaël Pouzenc, Les grandes surfaces alimentaires contre le territoire… Tout contre, 2012.

([33]) 95 % des ménages en zone rurale disposaient en 2019 d’un véhicule, voire de deux, à comparer à une moyenne nationale de 86 % et de 34 % dans Paris intra-muros. Plus une commune est petite, plus l’équipement en voitures et motos est élevé.

([34]) Ainsi en est-il de Chalonnes-sur-Loire, ancien port fluvial près d’Angers, qui compte une centaine de commerces diversifiés pour 6 000 habitants.

([35])  5 000 habitants apparaît comme un seuil à partir duquel d’autres commerces que ceux de la quotidienneté peuvent être rentables. Cf. La rurbanisation, nouveau sursaut et dernier sursis du commerce rural, Gilles Chaptal et Pascal Madry, Cairn Info, 2007.

([36])  Ce panier comprend 22 équipements et services de base : commerces (boulangeries, supérettes), des établissements d’enseignement primaire, des services de soin de première nécessité, retenus pour leur fréquence d’usage.

([37]) Max Barbier et Gilles Toutin, Commissariat général à l’égalité des territoires, et Daniel Lévy, du pôle d’analyse territoriale de l’INSEE, L’accès aux services, une question de densité des territoires, INSEE Première, 2016.

([38])  Le taux de pauvreté en France est passé de 14,3 % à 14,8 % de la population de 1997 à 2018, soit en 2018 9,3 millions de personnes vivant avec moins de 1 063 euros par mois, avec un revenu médian de 855 euros. Source : INSEE, France portrait social 2020.

([39]) Cf. notamment A. Dembo, S. Bourdon, A. Fourniret et T. Mathé, Proximité et qualité, les deux priorités pour faire ses courses alimentaires, CREDOC, mai 2018.

([40]) L’effet de démonstration, concept formulé en 1949 par l’économiste James Duesenberry, montre les comportements d’imitation dans les différentes classes d’une société. Les agents d’un groupe social ont tendance à imiter la consommation d’un groupe au revenu supérieur au leur. L’achat d’un produit s’effectue non au regard de la valeur intrinsèque du produit mais du statut social qu’il confère à son détenteur. Cet aspect psychologique et social de l’acte d’achat contredit les thèses de Keynes, qui affirme que l’évolution de la demande ne dépend que du revenu.

([41]) Olivier Razemon, Les marchés font de la résistance, Le Monde, 7 décembre 2021.

([42])  Duhamel et al., La revitalisation commerciale des centres-villes, 2016.

([43])  Duhamel et al., La revitalisation commerciale des centres-villes, 2016.

([44])  Ibid.

([45])  INSEE, La déprise du commerce de proximité dans les centres-villes des villes de taille intermédiaire, 2019.

([46])  Friedrichs, J., A Theory of Urban Decline : Economy, Demography and Political Elites, Urban Studies, vol. 30(6), 1993.

([47])  Haase, D and al., Endless Urban Growth ? On the Mismatch of Population, Household and Urban Land Area Growth and Its Effects on the Urban Debate, Helmholtz Centre for Environmental Research : UFZ, Leipzig, Germany, 2013.

([48])  Villes petites et moyennes : des centres-villes en souffrance, Vie Publique, 2021.

([49])  Anne-Thérèse Aerts, division Statistiques régionales, locales et urbaines, Sandra Chirazi, Lucile Cros, direction régionale de Bretagne, Une pauvreté très présente dans les villes-centres des grands pôles urbains, INSEE Première, n° 1552, 2 juin 2015. Voir aussi Martial Maillard, Les grands pôles urbains et les zones rurales plus exposés au risque de pauvreté, INSEE Flash Picardie, n° 4, 10 février 2015.

([50])  Nadine Cattan., Thérèse Saint-Julien, Quels atouts pour les petites et moyennes villes en Europe occidentale ? L’Information géographique, 63, 4, 1999, pp. 158-164.

([51])  Duhamel et al., La revitalisation commerciale des centres-villes, 2016.

([52])  Mission commerce  saisine gouvernementale, Eveline Duhamel, Patrick Molinoz, Avis du Conseil économique, social et environnemental, section de l’aménagement durable des territoires, 5 février 2021.

([53])  Guide juridique complet des dark kitchens, village-justice.com, 23 février 2021.

([54])  Une troisième cuisine partagée à Aubervilliers pour Delivroo Editions et cinq à six autres au programme pour 2021, snacking.fr , 7 avril 2021.

([55])  La plateforme de livraison de repas Deliveroo ouvre une seconde “dark kitchen” en Seine-Saint-Denis, Loana Berbedj, Les Échos, publié le 19 avril 2021.

([56])  Le dispositif d’assistance psychologique Apesa, avec un numéro vert mis en place par le ministère de l’économie, reçoit 40 appels par jour en moyenne. Les dirigeants d’entreprise, les artisans et commerçants et les chômeurs sont les trois catégories socio-professionnelles les plus tentées par le suicide.

[57])  CSESS, Rapport de synthèse du groupe de travail Innovation sociale, 2011.

([58])  Robin Murray, Julie Caulier-Grice, Geoff Mulgan, The open book of social innovation, 2010.

([59])  Tout dépend ensuite de la définition du circuit court par un commerce. Certaines épiceries coopératives acceptent des approvisionnements dans un rayon de 150 kilomètres.

([60])  Les études complètes sont disponibles sur www.make.org , fonds de dotation.

([61]) Ces articles résultent des dispositions de la loi n° 2014‑626 du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises (ACTPE).

([62]) Articles 28 et 33 de la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973 d’orientation du commerce et de l’artisanat.

([63]) Avant la loi n° 2008-776 du 24 août 2008 de modernisation de l’économie, le seuil d’entrée dans l’AEC était fixé à 300 mètres carrés.

([64]) Ces dispositions s’appliquent aussi aux services au volant (dits aussi « drives »).

([65]) Les supermarchés avec une surface de vente supérieure à 400 mètres carrés mais inférieure à 1 000 mètres carrés échappent donc à l’obligation d’AEC.

([66]) Les entrepôts logistiques commerciaux, qui relèvent pour la plupart du régime des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), ne sont pas soumis à l’obligation d’AEC.

([67]) Article L. 425-4 du code de l’urbanisme.

([68]) L’AEC doit être compatible avec les orientations du SCoT (8° de l’article L. 142-1 du code de commerce).

([69]) Article L. 750-1 du code de commerce résultant des dispositions de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie.

([70])https://www.igf.finances.gouv.fr/files/live/sites/igf/files/contributed/IGF%20internet/2.RapportsPublics/2019/2019-M-045-03_TVA.pdf

([71])  https://www.lecese.fr/sites/default/files/pdf/Avis/2021/2021_05_commerce.pdf

([72])  Guide de l’Observatoire de la commande publique, pour faciliter l’accès des TPE/PME à la commande publique, 12 août 2019.

([73])  Voir notamment la jurisprudence CJCE, 20 mars 1990, Du Pont de Nemours.

([74])  Par la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique, dite « ASAP ». Pour plus de détails, on pourra lire « Les conséquences de la loi ASAP sur le droit de la commande publique », Joachim Lebied, Dalloz Actualité, 14 décembre 2020.