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N° 4987

 

——

 

ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 2 février 2022.

 

RAPPORT  D’INFORMATION

déposé

en application de l’article 145 du Règlement

 

PAR LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE,

 

En conclusion des travaux d’un groupe de travail ([1])

 

sur les modalités d’organisation de la vie démocratique

et présenté par

MM. Pacôme RUPIN et Raphaël SCHELLENBERGER,

Députés.

____

 

 


Le groupe de travail sur les modalités d’organisation de la vie démocratique est composé de MM. Pacôme Rupin, Raphaël Schellenberger, co-rapporteurs ; M. Christophe Euzet, Mme Isabelle Florennes, MM. Sébastien Jumel, Paul Molac, Pierre Morel-À-L’Huissier et Mme Cécile Untermaier, membres.

 


— 1 —

SOMMAIRE

 

___

Pages

introduction................................................ 7

Première partie : La défiance croissante vis-à-vis des élus entraîne un préjudice démocratique majeur

I. De multiples facteurs peuvent expliquer la crise de confiance démocratique qui affecte la société contemporaine

A. Une vie démocratique « liquide »

B. « L’administration des choses » s’est substituée au « gouvernement des hommes »

C. Des désillusions démocratiques multiples

II. ce phÉnomène est porteur de risques dÉmocratiques

A. vers une participation Électorale à la carte ?

1. Une participation en baisse au profit d’une abstention intermittente

2. Un affaiblissement de la représentativité des élus et de la représentation des citoyens

B. De la critique de la dÉmocratie À la remise en cause des Élus

1. Populisme et défiance

2. La violence envers les élus, manifestation du rejet de la démocratie représentative

C. Une exception française ?

DeuxiÈme partie : simplifier le cadre d’organisation de la vie dÉmocratique

I. des rÈgles Électorales peu lisibles

A. Les calendriers Électoraux, enjeu de la vie dÉmocratique

1. L’organisation des élections présidentielle et législatives, facteur d’aggravation des déséquilibres institutionnels

2. La rationalisation inachevée de la durée des mandats

B. Les modes de scrutin et les rÈgles d’accÈs au second tour : un systÈme labyrinthique qui nuit À la lisibilitÉ du systÈme Électoral

1. Une pluralité de modes de scrutin, source de complexité

2. Des seuils de qualification pour le second tour inadaptés

II. La complexitÉ de l’organisation territoriale

A. UNE ACTION LOCALE encore trop ÉloignÉe du citoyen

1. L’empilement peu lisible de structures territoriales

2. Rationaliser, démocratiser : les enjeux du développement de l’intercommunalité

B. Une dÉcentralisation inachevÉe

1. Un mode de financement des collectivités territoriales insatisfaisant

2. Des modalités de détermination et d’exercice de leurs compétences par les collectivités à assouplir

Troisième partie : Encourager, sous toutes ses formes, la participation du CITOYEN : un impératif démocratique

I. L’urne et l’isoloir : préserver le rite républicain

A. Les modalités traditionnelles du vote au fondement de la mystique démocratique et de la confiance dans la procédure élective

1. L’isoloir : l’émancipation par le secret

2. L’urne : l’universalité et la transparence

3. Des symboles précieux et toujours utiles

B. Les techniques alternatives de vote : de fausses bonnes idées

1. Le vote par correspondance postale

2. Le vote électronique

3. Les machines à voter

C. La reconnaissance du vote blanc : une solution dont l’impact reste à mesurer

1. La timide reconnaissance juridique du vote blanc

2. Une plus large reconnaissance du vote blanc provoquerait un certain bouleversement démocratique

II. Des évolutions demeurent cependant envisageables

A. L’expérimentation du vote à l’urne par anticipation

1. Une solution visant à favoriser la mobilisation des citoyens

2. Les ajustements nécessaires à la réussite du vote par anticipation

B. Poursuivre les assouplissements relatifs à l’établissement des procurations et à l’inscription sur les listes électorales

1. Assouplir les règles d’inscription sur les listes électorales

2. Faciliter l’établissement des procurations

C. Solenniser la convocation des électeurs en amont des scrutins et moderniser la distribution de la propagande électorale

III. L’association des citoyens à la décision politique, une promesse à tenir

A. Encourager et encadrer les dispositifs de participation

1. L’essor de la démocratie participative

2. Des dispositifs prometteurs dont les règles du jeu doivent être précisées

B. Redynamiser la pratique du référendum

1. Un mauvais procès qui mérite d’être dépassé

2. Une pratique à renouveler

TRAVAUX DE LA commission

SYNTHÈSE DES PROPOSITIONS

Liste des personnes entendues


  1 

 

 

Mesdames, Messieurs,

La commission des Lois a décidé le 24 mars 2021 de créer un groupe de travail sur les modalités d’organisation de la vie démocratique, associant tous les groupes politiques qui composent l’Assemblée nationale ([2]).

Cette démarche s’inscrit dans une réflexion de long terme menée par la Commission, qui a ainsi examiné et adopté plusieurs projets de loi relatifs à l’organisation de scrutins locaux et nationaux depuis le printemps 2020 ([3]). Elle s’articule avec les travaux de la mission d’information visant à identifier les ressorts de l’abstention et les mesures permettant de renforcer la participation électorale, qui a rendu ses conclusions en décembre dernier.

Les manifestations de la crise de confiance démocratique dans notre pays sont nombreuses ; que l’on songe aux taux d’abstention historiques enregistrés au cours des élections municipales, départementales et régionales organisées en 2020 et 2021, ou encore au déferlement de violences, verbales mais aussi physiques, qui visent les élus en grand nombre depuis quelques mois. Dans ce contexte, il a paru essentiel à vos rapporteurs d’analyser les ressorts de cette crise pour pouvoir tracer des perspectives susceptibles d’y répondre.

Le bon fonctionnement d’une démocratie repose sur notre capacité à produire un discours collectif et à dessiner une vision d’ensemble pour inciter chacune et chacun, si cela s’avère nécessaire, à renoncer à ses intérêts personnels au bénéfice de ceux de la nation. L’intérêt général commande de dépasser les intérêts catégoriels et de surmonter les divergences ponctuelles qu’ils peuvent susciter.

Le groupe de travail a auditionné, de mai à novembre 2021, une cinquantaine de personnalités de divers horizons : professeurs de sciences politiques, juristes, hauts fonctionnaires ou encore représentants d’élus. Ces auditions reflètent la complexité des phénomènes analysés sur lesquels des points de vue divers ont été exprimés. Un constat, pourtant, se dégage : bien que de trop nombreux citoyens boudent les urnes, le besoin de participation et d’association à la vie politique est réel. L’abstention ne rend pas caduque la démocratie représentative, elle appelle à l’améliorer ; elle n’exprime pas un désintérêt pour la vie démocratique, elle appelle au contraire à la revivifier.

Le groupe de travail s’est ainsi interrogé sur les modalités d’association des citoyens à la vie politique, que cela soit par l’élection de leurs représentants, le référendum ou les dispositifs de participation. Mais plus largement, il est apparu indispensable d’interroger le cadre général dans lequel se déroule la vie démocratique. Plusieurs pistes de simplification des règles électorales et de l’organisation territoriale se dégagent.

Le présent rapport formule vingt et une propositions, destinées à nourrir le débat public à l’approche d’échéances électorales majeures.

Au-delà des ajustements institutionnels ou techniques qu’il convient de mettre en œuvre, vos rapporteurs sont convaincus que la réponse à ces défis réside en premier lieu dans l’évolution des pratiques politiques et de leur perception par les citoyens.


  1 

   Première partie : La défiance croissante vis-à-vis des élus entraîne un préjudice démocratique majeur

Le constat maintes fois renouvelé de la crise de la démocratie s’appuie sur une défiance croissante à l’encontre des institutions. Si ses causes sont multiples, ce phénomène aboutit à un rejet de la politique qui se traduit autant par une forme d’indifférence que par la montée de la violence.

I.   De multiples facteurs peuvent expliquer la crise de confiance démocratique qui affecte la société contemporaine

Une enquête réalisée par l’institut de sondage Harris Interactive en décembre 2021 révèle que près d’un Français sur deux considère que la démocratie contemporaine dysfonctionne.

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Source : Harris Interactive, décembre 2021

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Ces résultats font état d’un jugement particulièrement sévère exprimé par les catégories sociales les plus défavorisées. En outre, celui-ci va au-delà des critiques ciblant les seuls élus mais concerne, de façon systémique, l’ensemble du fonctionnement démocratique, comme le souligne le professeur de droit Bertrand Mathieu :

« Les citoyens expriment une méfiance de plus en plus manifeste, non seulement vis-à-vis des dirigeants politiques, mais aussi vis-à-vis de la démocratie elle-même. Naturellement, la perte de crédibilité des dirigeants politiques affecte le système démocratique lui-même, la politique constituant l’objet et la raison d’être de ce mode de gouvernement qu’est la démocratie. » ([4])

Les sociologues, politistes et philosophes auditionnés par le groupe de travail le 6 mai 2021 estiment que la défiance s’exprime en premier lieu à l’encontre des pratiques politiques dans le cadre démocratique actuel et ne se traduit pas à ce jour par la remise en cause du régime démocratique en tant que tel, malgré l’existence de tentations autoritaires. En outre, ces critiques apparaissent également consubstantielles à la démocratie dont l’une des fonctions est précisément d’autoriser l’expression d’opinions marquées par un certain degré de violence verbale, ce qui permet, selon une logique cathartique, de privilégier le débat rhétorique et contenir tout risque d’affrontement physique propre au climat insurrectionnel. La forte médiatisation des contestations, qui peut expliquer le sentiment général d’un surcroît de violence, se conjugue au renouvellement de la capacité d’interpellation des gouvernants par les gouvernés et par l’information accrue dont ces derniers disposent afin de se forger une opinion.

La perte de confiance des citoyens dans les institutions s’inscrit dans un mouvement plus général de défiance structurelle à l’égard de toute forme de système dont la légitimité et l’efficacité suscitent des controverses au point de faire l’objet de véritables remises en cause. Ces critiques témoignent d’une demande de « correction » du cadre démocratique, et non de son abandon.

Les premières auditions menées par le groupe de travail se sont attachées à identifier les facteurs structurels susceptibles d’expliquer cette crise de confiance qui caractérise la relation qu’entretient la société contemporaine avec la vie démocratique.

A.   Une vie démocratique « liquide »

La vie démocratique est confrontée à des bouleversements d’ordre culturel qui, depuis plus d’une trentaine d’années, affectent l’ensemble des sociétés occidentales. L’essor des nouvelles technologies de l’information et de la communication, facilité par le développement d’Internet dans les années 2000 et la multiplication des réseaux sociaux au cours de la dernière décennie, a consacré de façon brutale le règne de la vitesse et de l’instantanéité. Longtemps caractérisée par la verticalité, la transmission de l’information acquiert désormais une dimension horizontale, délaissant « l’écrit » au profit de « l’écran ». Ces transformations technologiques ne sont pas anecdotiques. Le sociologue Michel Maffesoli a ainsi analysé comment celles-ci favorisent l’expression d’émotions, aussi bien individuelles que collectives, incompatibles avec le caractère froid et rigide des institutions et des mécanismes délibératifs ([5]). Selon le philosophe Michaël Fœssel, la politique implique en effet « la conquête de temporalités dépassionnées, comme celles de la négociation, de la délibération et de la réflexion ne faisant pas appel aux sentiments » ([6]).

L’utilisation massive des réseaux sociaux relève d’une responsabilité partagée entre les politiques et les citoyens. Cependant, les responsables politiques, en intensifiant leur communication sur ces vecteurs et en y commentant chaque actualité, ont contribué à décrédibiliser la parole politique. Le responsable politique devient un commentateur, ce que la généralisation des chaines d’information en continu tend à favoriser. En conséquence, il est « aspiré » par le court terme, ce qui entre en contradiction avec sa mission principale qui devrait au contraire consister à favoriser une projection vers le moyen ou long terme, ce qui correspond au caractère pluriannuel des mandats des représentants. Les fondateurs de la démocratie représentative ont fait le choix délibéré de rejeter tout mandat « impératif » visant à répondre à des injonctions et au court-termisme. Cela va de pair avec le principe d’indépendance des élus, qui doivent parfois, au cours de leur mandat, prendre des décisions éventuellement impopulaires mais nécessaires sur le long terme. Ces principes fondamentaux sont remis en question par l’immédiateté des réseaux sociaux et l’interpellation permanente.

Dès 1994, Régis Debray évoquait l’impact des « écrans qui s’interposent entre l’homme et sa vie » ([7]), au point de produire un flux permanent d’informations et d’opinions susceptible de « liquéfier » la vie démocratique, par analogie avec le titre de l’ouvrage La vie liquide de Zygmunt Bauman paru en 2005. Cette vie démocratique « liquide » peut être appréhendée à l’aune des analyses développées par la sociologie politique des années 1970. Face à la « société bloquée » décrite par Michel Crozier ([8]) qui dénonçait alors la lenteur, la lourdeur et l’inertie des procédures bureaucratiques, l’action publique est de plus en plus soumise à des exigences de rapidité et d’efficacité, ce qui met en relief les attentes mais aussi l’impatience des citoyens vis-à-vis de leurs représentants.

Lors de son audition par le groupe de travail, le sociologue Jean Viard rappelle que la société traditionnelle s’organisait depuis plusieurs siècles autour de valeurs religieuses et s’insérait, depuis les débuts de la IIIe République, dans une sphère politique structurée par une analyse de classes. En dehors des mouvements révolutionnaires, la vie de la nation s’inscrivait dans le temps long, ce qui a permis la consolidation des règles démocratiques et leur appropriation progressive par le peuple. Désormais, la société est organisée de manière discontinue et doit faire face à des morcellements multiformes ([9]), de nature économique, territoriale, culturelle et religieuse ([10]). Ces évolutions soumettent le système démocratique à des injonctions contradictoires : l’État doit simultanément satisfaire des revendications catégorielles croissantes, s’adaptant ainsi aux singularités propres à chaque groupe social, tout en garantissant les conditions du vivre-ensemble et l’unité nationale. Cette mission est délicate à accomplir, à l’épreuve de ce que Dominique Reynié, directeur de la Fondation pour l’innovation politique, a qualifié lors de son audition par le groupe de travail de « zadisation de l’expression des préférences » ([11]) afin de décrire les pressions que font peser certains groupes minoritaires et radicalisés sur les pouvoirs publics.

Ces exigences ouvrent la voie à autant de déceptions et de frustrations provoquées par l’impuissance des gouvernants à répondre de façon concrète et rapide aux attentes que les citoyens expriment à leur égard, ce qui suscitait déjà l’ironie de Sophie Swetchine, épistolière russe exilée en France au milieu du XIXe siècle : « C’est prodigieux tout ce que ne peuvent pas ceux qui peuvent tout. » ([12])

La liquidité de la vie démocratique se heurte à la rigidité du cadre institutionnel. Relayées par les médias et les réseaux sociaux, les nombreuses attentes, voire souffrances, qu’expriment régulièrement une partie des citoyens ne s’articulent plus avec les cycles politiques qui dépendent des échéances électorales. La stabilité des institutions de la Ve République, perçue à l’origine comme la première qualité du régime, est désormais associée à une forme de déséquilibre institutionnel au détriment du Parlement, ce qui renforce par ailleurs la singularité du modèle français, comme l’a remarqué l’économiste Yann Algan lors de son audition par le groupe de travail :

« Ce mouvement de défiance a été accéléré en France du fait d’une verticalité plus importante aussi bien dans la relation entre les citoyens et les institutions, que dans la prise de décision et le fonctionnement des institutions. » ([13])

À l’inverse du système américain qui parvient relativement bien à équilibrer un pouvoir présidentiel fort et un congrès puissant, la France est encore à la recherche de cet équilibre des pouvoirs. Si les Français semblent attachés à la stabilité institutionnelle inhérente à la Ve République, la représentation des citoyens semble souffrir de dysfonctionnements majeurs, causés par une personnalisation excessive du pouvoir à rebours de l’idéal démocratique. En outre, ce sentiment est renforcé par le conflit de temporalité qui sépare l’action publique des attentes des citoyens.

Membre du groupe de travail sur l’avenir des institutions présidé en 2014-2015 par Claude Bartolone et Michel Winock, le professeur de droit Guillaume Tusseau a analysé la mutation des relations qu’entretiennent aujourd’hui les citoyens et l’État :

« Dans cette perspective, le rôle de l’État, de la République, des institutions ne consisterait plus à prendre en charge la vie des citoyens, en construisant une citoyenneté adossée à un modèle richement et précisément défini, mais à créer les conditions de ce qu’un auteur américain, Robert Nozick, a appelé une “utopie d’utopies”. L’État, la République et la société deviendraient, en d’autres termes, un socle minimal permettant à chaque groupe social, à chaque communauté de développer ses propres utopies et de les faire cohabiter dans une forme de pluralisme […] Cela passe nécessairement par un ensemble d’éléments, au premier rang desquels le développement de l’école et de la capacité de cette dernière à instruire, davantage qu’à éduquer. Cela suppose également un niveau de prestations sociales qui garantisse à chacun la capacité de développer ses utopies et à tous les conditions de la coexistence. » ([14])

Cette grille de lecture souligne en creux la logique consumériste qui animerait alors les citoyens dans leur rapport à la démocratie. L’individualisme croissant qui caractérise la société contemporaine ouvre la voie à une double posture d’indifférence et de narcissisme analysée avec rigueur par Gilles Lipovetsky dès 1983 ([15]). La politique ne susciterait plus d’intérêt dès lors qu’elle ne serait pas en mesure d’améliorer les conditions d’existence de chaque citoyen, les pouvoirs publics nationaux étant accusés d’impuissance au regard des faibles marges de manœuvre politiques ou économiques dont ils disposent. Ce constat conduit aussi les citoyens à s’intéresser à des « micro-causes catégorielles » et « locales » pour lesquelles ils ont le sentiment d’avoir prise sur le réel.

Cette évolution inciterait l’État à redéfinir son rôle, non plus en tant que prescripteur de règles générales mais comme guichet débiteur de droits ([16]). La mutation de la vie démocratique procède aussi du phénomène d’accélération et d’impulsivité qui parcourt la société de consommation. L’aliénation au temps court que décrit le sociologue Hartmut Rosa ([17]) n’est pas compatible avec la maturité requise par les processus démocratiques, qu’ils relèvent des mécanismes de prise de décisions ou de la désignation, par l’élection, des représentants du peuple.

Auditionné par le groupe de travail, le philosophe Pierre-Henri Tavoillot déplore ainsi une forme de « pilotage automatique de la cité » qui détruirait l’essence même de la démocratie. D’une part, le dêmos est traversé par des fractures économiques et identitaires qui portent atteinte à l’unité de la communauté politique([18]). D’autre part, le kratos est vilipendé pour son illégitimité et son inefficacité, affichant son impuissance à résoudre les problèmes auxquels les citoyens sont confrontés.

Dans son ouvrage Comment gouverner un peuple-roi ? paru au moment de la crise des « Gilets jaunes », Pierre-Henri Tavoillot met en relief les bouleversements induits par la remise en cause des principes démocratiques :

« Que ce soit grâce au libre jeu de l’économie, par une stricte régulation juridique ou à travers les raffinements de la gestion administrative, le peuple, dans son face-à-face avec lui-même, n’aurait plus besoin de cet archaïsme qu’est le gouvernement. » ([19])

Si vos rapporteurs considèrent qu’il serait excessif d’établir un diagnostic selon lequel la politique serait aujourd’hui frappée d’obsolescence, il convient de ne pas négliger l’une des facettes du malaise démocratique contemporain : désormais dissociée des combats idéologiques imprimant la marque de tout gouvernement, la politique s’est progressivement muée en un système de gouvernance suscitant des contestations de plus en plus visibles, qui, à défaut d’être inédites, bénéficient d’une « caisse de résonance » à laquelle les citoyens ne peuvent échapper.

B.   « L’administration des choses » s’est substituée au « gouvernement des hommes »

Au début du XIXe siècle, le comte de Saint-Simon a théorisé la nécessaire évolution du rôle de l’État, celui-ci devant dorénavant se concentrer sur « l’administration des choses » plutôt que conduire le « gouvernement des hommes ». La vie démocratique étant par nature « le règne de l’excès » selon la formule du philosophe Jacques Rancière ([20]), elle nécessiterait par conséquent d’être régulée, afin d’en corriger les outrances. Cette formule saint-simonienne trouve un écho dans la crise de confiance actuelle. Elle désigne aussi l’un des phénomènes concomitants à l’essoufflement démocratique contemporain : la victoire des logiques gestionnaires sur les batailles idéologiques, reléguant ainsi les combats politiques à des clivages prétendument révolus. S’ils opposaient des modèles de société radicalement différents les uns des autres par le passé, les affrontements politiques s’inscrivent aujourd’hui globalement dans un cadre commun caractérisé par le respect des règles de l’État de droit, d’une économie de marché et d’un modèle redistributif bénéficiant d’un relatif consensus.

 

Le groupe de travail s’est interrogé sur les enjeux qui entourent cette évolution. Premièrement, elle traduit la convergence des mouvements politiques dits « de Gouvernement » vers des consensus institutionnels et économiques établis lors la seconde moitié du XXe siècle, qu’il s’agisse de l’adhésion au régime républicain, aux principes de la laïcité ou à l’économie de marché.

Si elles procèdent originellement d’une volonté politique, la mondialisation des échanges et l’intégration croissante des États au sein d’ensemble supranationaux contribuent à encadrer, notamment sur le plan juridique, les marges de manœuvre dont disposent les gouvernants afin d’appliquer le programme pour lequel ils ont été élus. Dans cette perspective, Dominique de Villepin déplore les corsets idéologiques qui, bien que protecteurs des droits fondamentaux et des libertés individuelles, entravent les moyens d’action des États occidentaux : « L’erreur centrale de nos démocraties, c’est l’abandon du politique. Les élites internationales vivent, en effet, depuis vingt-cinq ans l’illusion de la mort du politique. L’économisme a voulu faire croire que l’économie était au-delà du politique. Le juridisme a voulu placer l’État de droit au-dessus de l’État. » ([21])

Ces contraintes concourent aussi bien à relativiser la pertinence des clivages idéologiques entre les formations ayant successivement exercé le pouvoir qu’à repousser vers les extrémités du spectre partisan les mouvements récusant l’ensemble des politiques menées au cours des dernières décennies.

Lors de son audition, le politologue Émeric Bréhier a résumé le désintérêt qu’exprime une partie des citoyens à l’égard de la classe politique au motif qu’« entre les uns et les autres, la différence n’est pas nodale pour s’intéresser plus que de raison » ([22]). Cette interprétation suggère que la crise démocratique proviendrait moins d’un problème de demande électorale que d’offre politique, celle-ci étant perçue comme relativement homogène, en dépit de l’audience croissante de mouvements contestataires.

Deuxièmement, cette évolution révèle la fragilité manifeste de l’ensemble des partis politiques dont l’article 4 de la Constitution de 1958 rappelle pourtant qu’ils « concourent à l’expression du suffrage ». Incontournable jusqu’à la fin des années 2000, leur rôle dans la vie démocratique a reculé de façon spectaculaire. La crise de l’engagement partisan et syndical a ouvert la voie à des mouvements citoyens issus de la société civile, peu structurés et construits en dehors des cadres politiques traditionnels. Frédéric Potier et Émeric Bréhier se sont interrogés sur les raisons qui motivent l’engagement partisan aujourd’hui : « quel intérêt peut trouver le citoyen à militer dans un mouvement lorsque l’agenda médiatique et politique peut être influencé plus efficacement à partir d’actions extérieures aux
partis politiques ? » ([23])

Auditionné au nom de l’Institut Montaigne, l’historien Marc Lazar observe que les partis politiques sont en crise dans toute l’Europe ([24]). Selon lui, plusieurs raisons peuvent être avancées : la déception et le désintérêt des citoyens à l’égard de la politique, l’impuissance des partis à peser sur la conduite des gouvernements, le repli de ces organisations qui deviennent une bureaucratie de moins en moins ancrée dans la société, conformément au modèle du « parti cartel » de Richard Katz et Peter Mair ([25]).

Bertrand Mathieu souligne les conséquences de l’affaiblissement des partis politiques sur la vie démocratique : « Il est indéniable que la crise des partis politiques fragilise, ou témoigne de la fragilisation, de la démocratie représentative. L’élaboration des programmes politiques est pour l’essentiel externalisée et opérée par des think tanks, l’information et la formation politiques empruntent d’autres canaux, même la sélection des candidats tend à échapper aux partis, tout du moins en France, pour l’élection présidentielle du fait de l’instauration des primaires. » ([26])

Partis de « masse » ou de « cadre » selon la distinction opérée par le juriste Maurice Duverger ([27]), les partis politiques correspondaient à des structures solides destinées à former les militants et à sélectionner les candidats en vue des élections. Aujourd’hui, les principaux acteurs politiques semblent avant tout exister par leur personnalité propre, et non en tant que représentants de leur mouvement politique, celui-ci n’apparaissant plus comme le lieu central du débat démocratique.

En outre, les partis favorisaient une sociabilisation et un engagement propices à la mobilisation des citoyens. Leur perte d’influence n’est pas sans incidence sur la participation électorale et la confiance dans la politique.

C’est dans ce contexte que la notion de « gouvernance » tend à se substituer, suivant une logique managériale, à celle de « gouvernement ». Dans son essai Métamorphoses du monstre politique paru en 2016, Yves-Charles Zarka décèle les dérives que cette rupture terminologique en apparence anecdotique peut entraîner, au point « d’esquiver la démocratie, et à terme, de lui substituer un nouveau paradigme de légitimité » ([28]).

Ces constats témoignent de la remise en cause de la légitimité des acteurs politiques, dont l’assise démocratique est également altérée par une abstention croissante lors des élections locales et nationales. De façon plus préoccupante, ils révèlent aussi la perte d’utilité du vote qui « n’embraye plus sur la décision politique » ([29]) au risque de renforcer le désengagement des citoyens dans les processus démocratiques et de nourrir des désillusions aux effets délétères.

C.   Des désillusions démocratiques multiples

Le sentiment d’impuissance publique a pour conséquence de vider l’action politique de sa substance. Il la réduit à un théâtre d’ombres qui discrédite autant les protagonistes qui s’y livrent que les spectateurs qui y assistent ([30]). Comme le suggère Pierre-Henri Tavoillot, « la démocratie libérale souffre d’une terrible crise de la représentation, d’une grave impuissance publique et d’un profond déficit de sens. Autrement dit, elle aurait perdu, en cours de route, à la fois le peuple qui la fonde, le gouvernement qui la maintient et l’horizon qui la guide. » ([31])  

L’enquête précitée de l’institut Harris Interactive illustre également le sentiment d’éloignement qu’éprouve la majorité des Français vis-à-vis de la décision publique. La centralisation excessive du pouvoir se conjugue à l’idée d’un « dialogue de sourds » entre gouvernants et gouvernés, les seconds reprochant aux premiers de ne pas suffisamment prendre en compte leurs opinions alors même que celles-ci ont été exprimées lors de scrutins locaux ou nationaux.

https://image.slidesharecdn.com/rapportharris-lerapportdesfrancaislademocratiechallenges-211209102210/95/le-rapport-des-franais-la-dmocratie-24-1024.jpg?cb=1639045666

 

https://image.slidesharecdn.com/rapportharris-lerapportdesfrancaislademocratiechallenges-211209102210/95/le-rapport-des-franais-la-dmocratie-36-1024.jpg?cb=1639045666
Source : Harris Interactive, décembre 2021

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« Les citoyens et les citoyennes des démocraties modernes se sentent insuffisamment écoutés, reconnus et surtout représentés. En France, ce sentiment est particulièrement prégnant : les Françaises et les Français estiment que leur opinion politique n’est pas prise en compte, et doutent que leurs aspirations soient également celles de leurs représentants. Le fossé entre le peuple et ses élus ne cesserait ainsi de se creuser, le taux d’abstention n’étant que le miroir de cette défiance. » ([32])

Dans notre histoire politique récente, deux événements cristallisent les débats en la matière. D’une part, le rejet par référendum du traité établissant une constitution pour l’Europe le 29 mai 2005 a pu sembler contourné par l’approbation parlementaire du traité de Lisbonne par le Parlement réuni en Congrès moins de trois ans plus tard, relativisant en apparence la suprématie de la souveraineté populaire ([33]). D’autre part, au-delà des controverses tenant au périmètre de la consultation locale, le même processus a été observé s’agissant du projet de construction de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Celui-ci a été abandonné par le Premier ministre en janvier 2018, moins de deux ans après son approbation par les électeurs de Loire-Atlantique à l’issue d’une consultation ad hoc organisée par l’État.

 

Ces deux exemples ont été régulièrement évoqués lors des auditions menées par le groupe de travail. Le décalage entre l’expression démocratique résultant du référendum et les choix politiques finaux peut nourrir une forme de déception et de frustration. Vos rapporteurs ne formulent bien entendu aucun jugement d’opportunité sur le bien-fondé des décisions prises par le Congrès en 2008 s’agissant de la ratification du traité de Lisbonne et par le Gouvernement en 2018 quant à l’abandon du projet d’aéroport. Ils constatent cependant qu’elles symbolisent à elles seules une forme de désenchantement démocratique et alimentent en retour une méfiance réciproque entre les gouvernants et les gouvernés.

Il résulte de ces phénomènes une lassitude sinon une résignation à l’égard des procédures démocratiques, qui se répercute autant dans l’abstention que dans la résurgence de violences verbales voire physiques commises contre les élus. Particulièrement inquiétantes, ces dérives sont la conséquence d’une crise institutionnelle profonde, qui s’agrège aux troubles économiques, sociaux et culturels auxquels nos concitoyens, notamment les plus pauvres, sont quotidiennement confrontés.

II.   ce phÉnomène est porteur de risques dÉmocratiques

La défiance démocratique se déploie sur un large spectre. L’abstention, « insurrection froide » ([34]), en est la forme sans doute la plus institutionnelle ; le populisme, voire l’aspiration à des solutions autoritaires, ainsi que la violence contre les élus, sont tout aussi préoccupants.

A.   vers une participation Électorale à la carte ?

L’élection est au cœur de la démocratie représentative ; dès lors, la montée de l’abstention, à la fois symptôme et facteur aggravant, constitue la manifestation la plus évidente de la crise qui la frappe.

1.   Une participation en baisse au profit d’une abstention intermittente

Les élections organisées depuis 2017 ont été marquées par des taux d’abstention inédits. Ils se sont établis :

– pour les élections présidentielles, à 22 % au premier tour et 25 % au second tour. Élevé pour cette élection qui suscite généralement une participation plus importante, ce niveau reste toutefois plutôt faible comparé aux autres élections ;

– pour les élections législatives de 2017, à 51 % au premier tour et 57 % au second tour, un record depuis 1958. Malgré leur importance institutionnelle, ces élections sont souvent perçues comme jouées d’avance une fois le Président de la République élu ;

– pour les élections régionales de 2021, à 67 % au premier tour et 65 % au second tour. Ce taux a été quasiment similaire pour les élections départementales, organisées simultanément. Ces chiffres doivent toutefois être relativisés, puisque ces élections se sont tenues dans un contexte de crise sanitaire peu propice à la participation ;

– pour les élections municipales de 2020 à 55 % au premier tour et 59 % au second tour.

Selon une enquête Harris Interactive d’octobre 2021, près de la moitié des abstentionnistes interrogés en font « un moyen d’expression », les deux tiers invoquent « l’absence de choix » ou « d’utilité » et 40 % ne se reconnaissent dans un aucun candidat. Un tiers des personnes interrogées sont d’accord avec l’idée que « voter ne sert pas à pas à grand-chose car les responsables politiques ne tiennent pas compte de la volonté des électeurs » ([35]).

Le même constat ressort de l’analyse des réponses à la consultation numérique proposée au mois d’octobre 2021 par l’Assemblée nationale à l’occasion de la mission d’information visant à identifier les ressorts de l’abstention et les mesures permettant de renforcer la participation électorale. Sur 91 806 personnes répondant à la question : « pour quelle raison n’êtes-vous pas allé voter » à certaines des élections organisées depuis cinq ans, les trois raisons principales invoquées sont le mécontentement envers la classe politique, l’offre politique non convenable et l’idée que, quel que soit le résultat, l’élection ne change rien ([36]).

In fine, deux cadres d’analyse principaux coexistent :

– l’abstention serait le simple reflet d’un désintérêt des citoyens pour la chose publique ;

– l’abstention serait le reflet d’un mécontentement et une modalité d’expression en tant que telle.

Ces deux analyses ne s’excluent pas mutuellement. On peut même considérer qu’elles reflètent deux profils d’abstentionnistes différents : l’abstention des jeunes serait ainsi le reflet d’un désintérêt, celle des personnes proches des extrêmes exprimant plutôt quant à elle une insatisfaction politique ([37]). Quelle que soit l’explication prédominante, elle illustre une certaine fatigue démocratique et l’idée que la politique ne peut plus « changer la vie ». Elle reflète aussi la méfiance envers les urnes et les représentants au détriment d’autres formes de participation et d’expression des revendications.

L’analyse de l’abstention intermittente ([38]) aux élections nationales (législatives et présidentielles) apporte un autre éclairage sur ce phénomène. En effet, la diminution du vote systématique se fait au profit d’une abstention intermittente, tandis que l’abstention systématique reste stable, comme l’illustrent, pour les élections présidentielles et législatives, les chiffres ci-dessous :

Vote systématique, vote intermittent et abstention systématique aux élections présidentielles et législatives de 2002 à 2017 

 

 

2002

2007

2012

2017

Vote systématique

47,6

50,9

47,8

35,9

Vote intermittent 

40,1

40,4

41,2

50,8

Abstention systématique

12,2

8,6

10,9

13,4

Ensemble

100,0

100,0

100,0

100,0

    Source : INSEE, enquêtes sur la participation électorale de 2002 à 2017.

L’abstention est donc le reflet d’une « consumérisation » des choix électoraux, dont on a déjà souligné les effets sur le vote blanc. De toute évidence, une partie des électeurs ne se déplacent aux urnes que lorsque l’enjeu perçu de l’élection est suffisamment important.

Ce constat est cohérent avec les observations formulées par Antoine Bristielle, directeur de l’Observatoire de l’opinion de la fondation Jean Jaurès, au cours de son audition. Les institutions suscitant le taux de confiance le plus faible sont celles dont l’élection est la plus mobilisatrice. Ainsi, seuls 37 % des Français ont « très confiance » ou « plutôt confiance » dans l’institution présidentielle alors que cette élection reste la plus mobilisatrice. A contrario, bien que leur renouvellement mobilise peu les citoyens, les institutions locales bénéficient d’un taux de confiance beaucoup plus élevé : 64 % pour les conseils municipaux, 56 % pour les conseils régionaux et départementaux ([39]). Ces résultats n’ont rien de conjoncturel, la tendance restant stable au fil des années.

En l’absence de griefs particuliers envers leurs élus locaux, il est plutôt logique que les électeurs soient moins nombreux à se déplacer pour les soutenir ou exprimer leur mécontentement. A contrario, les taux de confiance faibles envers les institutions présidentielle et parlementaire peuvent expliquer qu’il soit jugé d’autant plus important de se prononcer aux élections présidentielles ou législatives.

Taux de confiance des Français dans les principales INSTITUTIONS

 Source : baromètre OpinionWay pour Sciences-Po Cevipof, vague 12, février 2021.

Enfin, les chiffres de l’abstention n’ont rien d’irréversible, connaissant des flux et des reflux sur le long terme. Ainsi les élections européennes de 2019 ont-elles enregistré un regain relatif de participation, avec un taux d’abstention de « seulement » 50 % contre 53 à 59, 4 % entre 1999 et 2014. Par ailleurs, les incertitudes de la crise sanitaire et les dysfonctionnements dans la distribution de la propagande électorale ([40]) ont fait figure de facteur explicatif pour expliquer le niveau spectaculaire de l’abstention aux élections locales de 2020 et 2021.

2. Un affaiblissement de la représentativité des élus et de la représentation des citoyens

Plus préoccupants sont les déterminants démographiques et sociologiques de l’abstention, car en plus de refléter un malaise démocratique, ils contribuent à l’entretenir. La représentativité des gouvernants, en effet, ne se limite pas à la question de leur âge, leur sexe ou leur catégorie socioprofessionnelle. Elle est également influencée par le niveau de l’abstention, car cette dernière ne touche pas de façon uniforme les électeurs.

L’âge, la catégorie socioprofessionnelle et le niveau de revenus en sont trois déterminants majeurs. Les trois schémas ci-dessous, concernant le second tour des élections législatives, sont représentatifs des tendances générales de l’abstention : les jeunes, les personnes moins diplômées et celles avec un niveau de revenu faible s’abstiennent davantage.

Source : INSEE.

De surcroît, ces écarts de participation ont tendance à augmenter. Ainsi, dans son enquête sur la participation électorale aux élections législatives et présidentielles de 2002 à 2017 ([41]), l’INSEE observe que « l’écart de participation entre les plus diplômés, les moins abstentionnistes, et les personnes sans diplôme, les plus abstentionnistes, s’est progressivement creusé depuis 2002 ; l’écart entre les cadres, d’une part, et les personnes exerçant une profession intermédiaire, les employés et les ouvriers, d’autre part, s’est aussi élargi en 2017 ».

De même, la participation systématique a baissé pour l’ensemble des catégories d’âges, mais encore davantage chez les jeunes. Parmi les 18-24 ans, la part des votants systématiques est passée de 32 % en 2002 à 18 % en 2017, soit un recul de 44 %. Chez les 70-74 ans, elle est passée de 60 % à 52 %, soit un recul de 13 % seulement. Dans le même temps, l’abstention systématique est passée de 13,9 % en 2002 à 19,4 % en 2017 (+ 40 %) tandis qu’elle est stable ou en recul chez les électeurs âgés de plus de 30 ans et s’établit par ailleurs pour ces mêmes électeurs à un niveau structurellement inférieur, sauf pour les 80 ans ou plus.

Les causes de ce phénomène ne sont pas clairement identifiées : effet purement générationnel, désintérêt pour la politique du fait de la fin des batailles idéologiques et du déclin de l’identification partisane, préférence pour d’autres formes d’expression et de participation via Internet ou l’engagement local ou associatif...

L’abstention affecte ainsi doublement la représentativité des personnes élues. D’une part, numériquement parlant, même élues à la majorité des votants, elles peuvent ne réunir finalement qu’un bien faible pourcentage des voix des électeurs inscrits. D’autre part, les votants eux-mêmes ne constituent pas un échantillon représentatif de l’ensemble des personnes inscrites sur les listes électorales.

B.   De la critique de la dÉmocratie À la remise en cause des Élus

La crise de la démocratie représentative prend aussi la forme du rejet des élus, sous des formes diverses et quelquefois paradoxales : le populisme, qui se présente comme le garant de la démocratie face à des élites confisquant le pouvoir, l’aspiration à des solutions autoritaires face aux faiblesses de la démocratie et la violence envers les élus, incarnation par excellence d’un système abhorré pour ceux qui y ont recours.

1.   Populisme et défiance

Si la contestation de la légitimité des élus, en dépit de leur « consécration » par le vote populaire, est très prégnante dans le contexte démocratique actuel, la critique de la représentation politique est fort ancienne. Jean-Jacques Rousseau manifestait tout son scepticisme à l’égard du système représentatif dans sa célèbre formule : « Le peuple anglais pense être libre ; il se trompe fort, il ne l’est que durant l’élection des membres du parlement ; sitôt qu’ils sont élus, il est esclave, il n’est rien. » ([42])

Hier comme aujourd’hui, la critique de la démocratie représentative ne saurait à elle seule faire autorité. Reflet d’un acte de volonté des citoyens, la procédure élective permet, comme le souligne Bernard Manin, la légitimation de l’autorité. Elle reflète le consentement des citoyens et leur égalité dans le choix des gouvernants. De façon plus pragmatique, Benjamin Constant ([43]) soulignait que la démocratie représentative apparaît plus adaptée aux caractéristiques des États modernes, dont la taille et l’organisation politique et sociale sont peu favorables à l’exercice direct par les citoyens de leur souveraineté : « L’exercice des droits politiques ne nous offre donc plus qu’une partie des jouissances que les anciens y trouvaient, et en même temps les progrès de la civilisation, la tendance commerciale de l’époque, la communication des peuples entre eux, ont multiplié et varié à l’infini les moyens de bonheur particulier. » Les États modernes ne laissent pas au citoyen ordinaire le temps de se consacrer à plein temps aux affaires publiques et le peu de poids qu’il aurait à titre individuel, en raison de la taille des États et du grand nombre de citoyens, ne l’incite pas à s’y consacrer pleinement.

Pierre Rosanvallon a explicité les mécanismes de « contre-démocratie » ([44]) par lesquels s’organise la défiance des citoyens envers leurs représentants élus, sous la forme de moyens de surveillance (observatoires citoyens, médias, autorités administratives indépendantes), d’empêchement (opposition politique, lutte des classes) ou de jugement (judiciarisation du politique). Le populisme ne peut cependant être assimilé à cette contre-démocratie. S’il constitue bien une critique et une pathologie de la démocratie représentative, à laquelle il prétend s’opposer, il représente dans le même temps un dévoiement de la contre-démocratie elle-même par son caractère outrancier et systématiquement suspicieux envers les représentants politiques.

De fait, le populisme semble aujourd’hui imprégner l’ensemble de la sphère politique dans ses thèmes – souverainisme, appel à la démocratie directe, critique générale du « système » – comme sur la forme : la polarisation des débats ou la simplification des enjeux en seraient des manifestations ([45]). Le populisme est un symptôme des limites de la démocratie, une réponse à ses dysfonctionnements. Les populistes se présentent souvent comme les meilleurs défenseurs de la démocratie, entendue comme expression de la volonté du peuple, face à des élites qui confisqueraient le pouvoir et face à un État de droit, incarné par des juges et des corpus de droits fondamentaux, qui s’inscrirait contre la volonté supposée du peuple.

Paradoxalement, la méfiance envers la représentation prend aussi parfois la forme d’une aspiration à des solutions autoritaires, qui reste néanmoins difficile à estimer. 83 % des Français se déclarent attachés au régime démocratique et les deux tiers considèrent que la démocratie fonctionne bien ou très bien. Pour autant, sans l’appeler nécessairement de leurs vœux, les Français seraient 57 % à considérer qu’un régime autoritaire peut être plus efficace qu’une démocratie sur au moins certains aspects (crise économique, crise sociale, crise écologique, crise sanitaire, affrontements internes ou guerre) ([46]).

2.   La violence envers les élus, manifestation du rejet de la démocratie représentative

La violence envers les élus, manifestation sans doute la plus préoccupante du rejet du système représentatif, a connu un développement et une médiatisation importants dans le contexte de la crise sanitaire et des discussions sur la mise en place du passe sanitaire ou vaccinal.

L’ampleur du phénomène est corroborée par les chiffres du ministère de l’Intérieur. Ainsi, entre le 1er et le 12 janvier 2022, 60 élus auraient reçu des menaces de mort. Au total, 300 plaintes pour menaces de morts auraient été recensées entre juillet 2021 et janvier 2022. Entre 2020 et 2021, les agressions physiques sont en hausse de 47 % et les outrages en hausse de 30 %. Au cours des onze premiers mois de 2021, 1 186 élus au total – parlementaires, maires et adjoints au maire – ont ainsi été victimes d’outrages (419) ou de violences physiques (162 parlementaires, 605 maires et adjoints).

 

Il ne s’agit pas d’un simple effet d’optique, même si les violences reçues font sans doute l’objet d’une forte médiatisation, souvent assurée par les députés eux-mêmes via les réseaux sociaux. Ces violences prennent des formes diverses : menaces de mort contre les élus ou leurs familles ([47]), atteintes volontaires aux biens ([48]), agressions physiques ([49]).

L’Association des maires de France a créé, dès 2020, un observatoire des agressions envers les élus pour mieux suivre le phénomène, qui a également donné lieu à un rapport du Sénat ([50]). Le 11 janvier 2022, les neuf présidents de groupe politique de l’Assemblée nationale ont dénoncé la violence dans une tribune commune, publiée dans le Huffington Post ([51]).

Tribune des présidents de groupes politiques à l’Assemblée nationale
(texte intégral), 11 janvier 2022

« Nous n’appartenons pas aux mêmes partis, nous nous opposons dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale et dans les urnes, mais nous unissons aujourd’hui nos voix parce qu’il est temps de mettre fin à l’indifférence face à la montée de la haine.

Quand on en vient à agresser, du fait de leurs opinions ou de leurs votes, les représentants du peuple, à leur domicile ou par des menaces de mort, c’est le cœur de la démocratie qui est attaqué. Le jour où la violence dominera le débat public, la République sera morte et notre démocratie en sera la première victime.

Aucun débat démocratique ne peut se dérouler sous la menace. Le désaccord politique ne justifie pas la violence. Pour que toutes les voix puissent s’exprimer sans crainte, nous comptons sur la justice de notre pays pour que les auteurs de menaces, pressions et violences soient rapidement condamnés.

Nous faisons confiance à nos concitoyennes et concitoyens pour refuser d’un même bloc tous ces actes inqualifiables : nous leur disons que nous ne baisserons pas les bras. Nous continuerons à défendre nos idées et faire vivre le pluralisme politique qui est la base de la démocratie. »

Selon une étude, 60 % des Français déclarent « comprendre » les personnes « qui ont eu des comportements violents à l’égard des députés, de leurs collaborateurs, dans leur permanence ou à leur domicile » ; ils sont même 13 % à les approuver, une proportion qui grimpe à 25 % chez les jeunes de 18-24 ([52]). Une partie des décisions politiques, en particulier celles qui affectent directement le quotidien comme les hausses de taxes ou les interdictions, sont elles-mêmes vécues comme une violence institutionnelle par les citoyens concernés.

C.   Une exception française ?

Les tendances décrites ci-dessus ne sont pas propres à la France ; la plupart des démocraties occidentales les connaissent, à des degrés divers. La montée de l’abstention se manifeste par exemple dans les taux de participation aux élections européennes : tous États membres confondus, ce taux était de 62 % en 1979 et de 50,1 % en 2019 après avoir atteint 43 % en 2009 et 2014 ([53]).

L’émergence électorale de partis dits populistes se retrouve dans de nombreux États : Vlaams Belang en Belgique, Ligue du nord et Mouvement Cinq étoiles en Italie, Alternative für Deutschland en Allemagne, Podemos en Espagne, « Vrais Finlandais »…

Enfin, le meurtre de la députée britannique travailliste et pro-Union européenne Jo Cox le 16 juin 2016 ou l’assaut du Capitole par les partisans de Donald Trump aux États-Unis en janvier 2021 illustre la violence politique sporadique qui peut traverser des États, même de tradition démocratique ancienne.

 Néanmoins des spécificités françaises se dégagent, soulignées par de nombreux intervenants. Pour certains citoyens, l’abstention va de pair avec une très forte politisation qui s’exprime par des modalités alternatives : manifestation, consommation responsable, réseaux sociaux. L’engagement citoyen ne se manifeste plus uniquement dans le vote ; il s’est en partie déplacé vers d’autres sphères. Le baromètre de la confiance politique SciencesPo/Cevipof de février 2021 met également en évidence un surcroît de méfiance des Français envers les institutions, par rapport à la moyenne des personnes interrogées en France, Italie, Allemagne et Royaume-Uni. Ainsi, les Français sont plus nombreux que la moyenne à éprouver envers la politique de la « méfiance », du « dégoût » et moins nombreux à éprouver « de l’intérêt » ou « de l’espoir ». 80 % pensent que les responsables politiques « ne se préoccupent pas » de ce que pensent les gens – contre une moyenne de 68 %. Seuls 16 % déclarent avoir confiance dans les partis politiques – contre une moyenne de 27 % ([54]).

*

*     *

 

La question se pose dès lors du caractère inéluctable de cet essoufflement. N’est-il pas le signe que la démocratie a atteint une certaine maturité, alors qu’aucune réelle alternative crédible ne se dessine en dépit des critiques dont elle fait l’objet ? Citons ici le célèbre échange entre Boris Eltsine et l’écrivain Marek Halter en 1995 : « Mais vous ne nous avez-vous pas expliqué ce qui venait après la démocratie ? », souligne Boris Elstine. Marek Halter : « Il n’y a rien après, elle est simplement perfectible ». Boris Eltsine : « Ah, il n’y a rien ? Alors il faut s’en accommoder ? »

Il faut s’en accommoder, en effet, ce qui n’empêche pas, faute de système alternatif satisfaisant, de chercher à identifier les dysfonctionnements pour espérer les corriger. Aucune mesure technique ne permettra à elle seule de répondre à ces problématiques qui sont avant tout d’ordre politique ; seule une prise conscience large de l’ensemble des acteurs de la vie démocratique – élus, médias, citoyens – permettra de réaffirmer et de faire vivre pleinement et concrètement les grands principes de notre système démocratique. En particulier, face au spectre d’une démocratie sans demos, il appartient aux électeurs d’exercer activement les droits civiques qui leur sont garantis.

Nous vivons donc une crise de confiance démocratique qui a des causes profondes. Il est très difficile d’y répondre par des propositions, et il n’y a évidemment aucune solution miracle qui résoudrait rapidement cette situation.

Premièrement, il est important de rappeler que chacun a un rôle et une responsabilité à jouer. Nous tombons petit à petit dans des sociétés infantilisées, alors que la responsabilité individuelle est un principe majeur d’une démocratie aboutie. Ainsi, il faudrait retrouver des pratiques vertueuses, les politiques délaissant les réactions court-termistes pour se concentrer sur les réponses aux grands enjeux de la société française, les journalistes arrêtant de commenter le bruit ambiant pour informer des citoyens qui, eux-mêmes, abandonneraient la politique de la chaise vide pour de nouveau participer aux décisions collectives.

Ensuite, avant de formuler des propositions, il est fondamental de rappeler quelques principes démocratiques, qui, si nous les renforçons, peuvent permettre de retisser de la confiance entre les citoyens et leur système démocratique :

– l’équilibre et la séparation des pouvoirs car en démocratie « le pouvoir arrête le pouvoir ». Ainsi, il est fondamental de retrouver un Parlement fort, qui puisse reprendre de manière indépendante la prérogative du pouvoir législatif et dont les députés puissent tirer une plus forte légitimité ;

– la prise de décision au plus proche du citoyen, qui implique que davantage de pouvoirs et de compétences soient exercés au niveau local, et donc de renforcer définitivement la décentralisation dans notre pays ;

– l’appropriation par le citoyen de la gouvernance démocratique, qui demande une simplification du millefeuille territorial, une visibilité plus grande de compétences fortes et puissamment exercées par chaque niveau de collectivité ;

– l’organisation de grands rendez-vous électoraux, avec une harmonisation des modes de scrutin car « trop d’élections tuent l’élection » ;

– la confiance dans la sincérité du scrutin, qui doit être préservée, en donnant à chaque citoyen le droit et la possibilité de vérifier les opérations de vote ;

– le consentement à l’impôt, qui oblige à une clarification de la fiscalité locale notamment ;

– la représentation des citoyens directement par l’élection, qui est le meilleur des systèmes démocratiques connus, et doit donc être davantage expliqué, défendu et élargi, comme par exemple aux EPCI.


   DeuxiÈme partie : simplifier le cadre d’organisation de la vie dÉmocratique

La recherche d’un renouveau de la démocratie appelle à repenser les règles électorales, qui rythment et structurent l’exercice de la vie démocratique, ainsi que le cadre territorial de la démocratie locale.

I.   des rÈgles Électorales peu lisibles

La vie électorale française se caractérise par des scrutins fréquents et obéissant à des règles différentes, ce qui est source de complexité pour les électeurs. Si leur impact sur les facteurs évoqués dans la première partie du présent rapport ne doit pas être surestimé, il n’est pour autant pas inutile de s’interroger sur le cadre juridique dans lequel s’exerce la vie démocratique. 

A.   Les calendriers Électoraux, enjeu de la vie dÉmocratique

Si technique soit-elle, la question des calendriers électoraux et de la durée des mandats n’est pas dénuée d’influence sur la vie politique, voire même sur les équilibres institutionnels. 

1.   L’organisation des élections présidentielle et législatives, facteur d’aggravation des déséquilibres institutionnels

Vos rapporteurs se sont interrogés sur le calendrier des élections présidentielles et législatives. Loin d’être d’ordre purement procédural, les choix effectués dans ce domaine ont des implications sur l’équilibre des pouvoirs.

La rationalisation réussie du parlementarisme et le fait majoritaire sont deux traits saillants de la Ve République, qui dessinent un déséquilibre institutionnel clairement favorable au pouvoir exécutif au détriment du Parlement. Ce déséquilibre a été aggravé au début des années 2000 par le passage du septennat au quinquennat et l’« inversion » du calendrier électoral, les conséquences de cette dernière réforme étant qualifiées par Bernard Manin d’« inconsidérées et désastreuses » ([55]). Il s’agissait d’éviter que les élections législatives de 2002 aient lieu juste avant les présidentielles. Lionel Jospin, alors Premier ministre, évoquait le respect de « l’esprit des institutions » et le souhait de ne pas « faire de cette élection majeure [l’élection présidentielle] l’élection seconde ».

L’organisation concomitante des deux élections favoriserait quant à elle un réajustement réel des équilibres entre les pouvoirs. Cette proposition est de nature à favoriser la participation électorale aux élections législatives. Leur organisation actuelle deux mois après l’élection présidentielle a un effet démobilisateur pour les citoyens, qui peuvent avoir l’impression que « tout est joué ». Le différentiel de participation qui en résulte grève la légitimité des députés face au Président. Cette proposition renforcerait aussi leur légitimité propre des députés face au Président de la République et permettrait ainsi de tempérer le fait majoritaire et de renforcer le poids du Parlement vis-à-vis du pouvoir exécutif.

La séparation des pouvoirs s’en trouverait revigorée.

Recommandation n° 1 : organiser les élections législatives en même temps que les élections présidentielles, en conservant le système de l’élection par circonscription pour les députés.

2.   La rationalisation inachevée de la durée des mandats

La durée des mandats est de cinq ans pour les mandats nationaux et celui de député européen, et de six ans pour les mandats locaux et sénatoriaux.

La fin du septennat ([56]) et la réduction de neuf à six ans de la durée du mandat sénatorial ([57]) ont, certes, entraîné une certaine harmonisation de la durée des mandats depuis le début des années 2000. Néanmoins, depuis les années 1980, l’approfondissement de la construction européenne et la décentralisation ont multiplié le nombre d’élus et de scrutins. Aux scrutins municipal, législatif et présidentiel, se sont ajoutées les élections européennes, régionales et départementales, sans compter les élections communautaires organisées en même temps que les élections municipales.

Aussi une année sans élection est-elle rare : depuis 2017, les Français ont été amenés à élire le Président de la République et les députés en 2017 (deux tours à chaque fois, soit quatre scrutins au total), les députés européens en 2019 (un seul tour), les conseillers municipaux et communautaires en 2020 (deux tours) et les conseillers régionaux et départementaux en 2021 (deux tours également). Encore ces chiffres ne tiennent-ils pas compte des élections partielles ou des consultations organisées localement.

L’hétérogénéité de la durée des mandats est également source de désorganisation de la vie démocratique. Elle entraîne en effet, par le hasard des calendriers, la concomitance de certaines élections qu’il faut alors décaler, au prix de l’allongement ou de la réduction de certains mandats. Ainsi, les prochaines élections régionales et départementales auront lieu en 2028 afin de ne pas interférer avec l’élection présidentielle de 2027 : le mandat des conseillers régionaux et départementaux élus en juin 2021 sera donc de sept ans, au lieu des six ans prévus par le code électoral ([58]).

DurÉe des mandats en France

Mandat

Durée

Source

Remarque

Député européen

5 ans

Article 14 du traité sur l’Union européenne (TUE)

Les États membres ne peuvent modifier de façon unilatérale la durée du mandat.

Président de la République

5 ans

Article 6 de la Constitution

 

Député

5 ans

Article L.O. 121 du code électoral

La durée de ce mandat peut néanmoins être écourtée par une dissolution.

Sénateur

6 ans

Article L.O. 275 du code électoral

 

Conseiller régional et membre de l’Assemblée de Corse

6 ans

Article L. 336 du code électoral

 

Conseiller à l’assemblée de Guyane et conseiller à l’assemblée de Martinique

6 ans

Article L. 558-1 (Guyane) et article L. 558-5 (Martinique) du code électoral

 

Conseiller départemental et conseiller métropolitain de Lyon

6 ans

Article L. 192 et article L. 224-1 (Lyon) du code électoral

 

Conseiller communautaire

6 ans

Article L. 273-3 du code électoral

 

Conseiller municipal et membre du conseil de Paris

6 ans

Article L. 227 du code électoral

 

Afin de rationaliser le paysage électoral et de renforcer, par des élections plus fréquentes, la légitimité démocratique des élus, il est proposé d’abaisser à cinq ans la durée des mandats de sénateur et des mandats locaux. Cette proposition ne remet pas en cause le principe du renouvellement par moitié du Sénat.

Recommandation n° 2 : harmoniser à cinq ans la durée de l’ensemble des mandats.

B.   Les modes de scrutin et les rÈgles d’accÈs au second tour : un systÈme labyrinthique qui nuit À la lisibilitÉ du systÈme Électoral

Le souci légitime de trouver pour chaque scrutin un juste équilibre entre représentativité et gouvernabilité a conduit à un système où coexistent presque autant de modes de scrutin que de types d’élections. La complexité intrinsèque de ces règles et le fait qu’elles ne produisent pas toujours les effets escomptés rendent certaines évolutions nécessaires.

1.   Une pluralité de modes de scrutin, source de complexité

Les élections ayant lieu au suffrage universel direct ([59]) s’organisent selon plusieurs modes de scrutin.

a.   Les élections nationales et européennes

Le scrutin uninominal majoritaire à deux tours est utilisé pour les élections présidentielles et législatives. À cet égard, la France est une exception en Europe, où le scrutin proportionnel est très largement répandu pour les élections législatives. Seul le Royaume-Uni élit également ses députés au scrutin majoritaire, mais se contente d’un seul tour de scrutin.

Le scrutin proportionnel de liste est utilisé pour les élections européennes, dans le cadre d’une circonscription nationale unique rétablie en 2018 ([60]) à la place des huit circonscriptions électorales mises en place en 2003. Le scrutin se déroule en un seul tour, avec répartition des sièges entre les listes ayant obtenu plus de 5 % des voix.

b.   Les élections locales 

Plusieurs modes de scrutin coexistent en ce qui concerne les élections locales :

– le scrutin proportionnel de liste à deux tours, avec prime majoritaire de 25 %, est utilisé pour les élections régionales ([61]). Le même système est en vigueur pour l’élection des conseillers à l’Assemblée de Corse et à l’Assemblée de Martinique (avec une prime majoritaire de onze sièges ([62])) et à l’Assemblée de Guyane (avec une prime majoritaire de 20 % des sièges ([63])). Seules les listes ayant obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés sont admises à la répartition des sièges ;

– le scrutin binominal majoritaire à deux tours, dans le cadre du canton, est utilisé pour les élections départementales ([64]) ;

– le scrutin proportionnel de liste à deux tours avec prime majoritaire de 50 % est utilisé pour les élections municipales dans les communes de plus de 1 000 habitants ([65]). Seules les listes ayant obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés sont admises à la répartition des sièges ;

– le scrutin majoritaire à deux tours est en vigueur pour les élections municipales dans les communes de moins de 1 000 habitants ([66]).

Les élections municipales

Dans les communes de moins de 1 000 habitants, les membres des conseils municipaux sont élus au scrutin majoritaire. Les suffrages sont comptabilisés individuellement : au premier tour, la majorité absolue des voix exprimées, représentant au moins le quart des électeurs inscrits, est requise pour obtenir un siège. Un second tour est organisé pour les sièges restants.

Dans les communes de 1 000 habitants et plus, s’applique un scrutin de liste à deux tours, avec dépôt de listes complètes. Il n’est pas possible d’adjoindre ou de supprimer des noms, ni de modifier l’ordre de présentation lors du vote. Si une liste obtient la majorité absolue au premier tour, elle obtient la moitié des sièges à pourvoir et les autres sièges sont répartis entre toutes les listes à la représentation proportionnelle. Dans le cas contraire, il est procédé à un second tour auquel seules peuvent se présenter les listes ayant obtenu 10 % des suffrages exprimés. Ces listes peuvent être modifiées dans leur composition par rapport au premier tour. La liste qui obtient le plus de voix se voit attribuer la moitié des sièges à pourvoir. Les autres sièges sont répartis entre toutes les listes ayant obtenu plus de 5 % des suffrages exprimés en fonction du nombre de suffrages obtenus à la représentation proportionnelle.

L’élection du maire est faite par le conseil municipal, qui fixe ensuite le nombre des adjoints puis procède à leur élection.

c.   Le cas particulier de Paris, Lyon et Marseille

À Paris, Lyon et Marseille, la loi du 31 décembre 1982 dite « PLM » ([67]) organise un vote par secteurs, souvent comparé au système des élections présidentielles américaines. Ces villes sont divisées en secteurs, correspondant à un arrondissement ou un groupe d’arrondissements, et qui disposent au conseil municipal d’un nombre de sièges en fonction de leur population.

Dans chaque secteur a lieu une élection selon les règles applicables aux communes de plus de 1 000 habitants. Sont ainsi élus des conseillers d’arrondissement, appelés à siéger au conseil d’arrondissement, et des conseillers municipaux, appelés à siéger au conseil municipal et qui élisent ensuite le maire de la ville. La liste arrivée en tête se voit accorder une prime majoritaire de 50 %.

Censé favoriser la démocratie de proximité, ce système s’est avéré inutilement complexe, opaque et peu démocratique. Par l’intermédiaire des secteurs, il rend théoriquement possible l’élection d’un maire dont la liste serait minoritaire à l’échelle de l’ensemble de la ville. Sa suppression devrait donc être envisagée, tout en conservant la double élection de conseillers d’arrondissement et de conseillers municipaux : comme actuellement, les premiers élus de chaque liste continueraient à siéger au conseil municipal.

Recommandation n° 3 : réformer la loi du 31 décembre 1982 pour appliquer aux scrutins municipaux de Paris, Lyon et Marseille les règles de droit commun.

2.   Des seuils de qualification pour le second tour inadaptés

a.   Des règles hétéroclites

À la complexité des modes de scrutin, s’ajoute celle des règles de qualification pour le second tour, lorsqu’aucun candidat, binôme ou liste n’est en mesure de l’emporter au premier tour. Ces règles diffèrent selon l’élection considérée :

– pour les élections législatives et départementales, peuvent participer au second tour les candidats ou binômes ayant obtenu au moins 12,5 % des voix des électeurs inscrits ([68]), ce qui peut s’avérer difficile en cas de forte abstention ;

– pour les élections régionales et municipales, les règles sont nettement plus favorables à la représentation la plus large puisque seuls sont pris en compte les suffrages exprimés et que le seuil requis n’est plus de 12,5 % mais de 10 % ([69]). La règle est la même pour les élections aux assemblées de Guyane et de Martinique ([70]).

En réponse à une question du sénateur Hervé Maurey ([71]) appelant à une harmonisation des modes de qualification au second tour, le Gouvernement répondait que ces différences sont liées au mode de scrutin. Lorsque le scrutin est majoritaire, « il s’agit de s’assurer que les candidats ou les binômes de candidats qui se présentent au second tour soient suffisamment représentatifs de l’électorat pour recueillir une majorité, absolue ou relative, de suffrages au second tour ». Pour les scrutins (proportionnels) de liste en revanche, « il s’agit d’encadrer la possibilité de fusionner des listes au second tour afin de ne pas restreindre le choix des listes candidates au premier tour sans pour autant multiplier les candidatures au second tour ».

L’adéquation entre les seuils en vigueur et les objectifs énoncés ci-dessus n’a cependant rien d’une science exacte et relève de l’appréciation politique. Pour preuve, ces seuils n’ont pas toujours été fixés au même niveau. Pour les élections législatives, le seuil de maintien au second tour était initialement fixé à 5 % des suffrages exprimés, puis est passé à 10 % des électeurs inscrits en 1966 et à 12,5 % en 1967. Pour François Goguel, « cette sensible élévation du seuil à franchir au premier tour était présentée comme une mesure destinée à favoriser la simplification du système des partis et le regroupement des tendances. Il est certain qu’elle pouvait contribuer à l’élimination des formations politiques n’ayant évidemment aucune "vocation majoritaire" » ([72]).

Il est vrai que les règles applicables aux scrutins majoritaires semblent reposer sur le postulat qu’il est nécessaire d’éviter qu’un trop grand nombre de candidats soient présents au second tour. Or, cette préoccupation paraît peu adaptée au contexte actuel : avec 50 % d’abstention, il est nécessaire de recueillir pas moins de 25 % des suffrages exprimés pour se maintenir au second tour. Lors des élections législatives de 2017, aucun parti n’a dépassé, au niveau national, 7,5 % des voix des inscrits à l’exception de LaREM et du Modem.

In fine, l’exception qui veut que les deux candidats arrivés en tête se maintiennent dans tous les cas au second tour, même s’ils n’ont pas rassemblé le pourcentage de suffrages requis, est fréquemment la règle. Lors du deuxième tour des élections législatives de 2017, une seule triangulaire a eu lieu, les duels étant au contraire la configuration la plus fréquente.

b.   Une modernisation souhaitable

Prenant acte de ce constat, vos rapporteurs proposent donc de simplifier et d’harmoniser les règles actuelles de qualification au second tour :

– d’une part, seuls les deux candidats, binômes ou listes arrivés en tête pourraient se maintenir ;

– d’autre part, un nouveau mode de répartition des sièges est proposé pour les scrutins de liste : la moitié des sièges à pourvoir seraient répartis proportionnellement aux résultats des listes dès le premier tour, les sièges restants étant répartis au second tour entre les deux listes, proportionnellement à leur score.

Recommandation n° 4 : harmoniser les règles de qualification pour le second tour des élections législatives, régionales, départementales et municipales, en limitant l’accès au second tour aux deux candidats, binômes ou listes arrivés en tête.

 

Recommandation n° 5 : harmoniser les scrutins de liste prévus pour les élections régionales et municipales selon la règle suivante :

– au premier tour, afin d’assurer la représentativité, 50 % des sièges à pourvoir sont répartis entre toutes les listes ayant dépassé 5 % des suffrages exprimés, proportionnellement à leur score ;

– au second tour, afin de garantir la gouvernabilité, les deux listes restantes obtiennent, sur les 50 % de sièges restant, un nombre de sièges proportionnel à leur score au deuxième tour. La possibilité de fusionner pour les listes au-dessus de 5 % avec une des deux listes serait ouverte.

Ces deux propositions sont naturellement complémentaires. La recommandation n° 4, prise isolément, aurait pour effet de dégrader fortement la représentation des « petites » listes dans les conseils régionaux et municipaux, élus au scrutin proportionnel avec des conditions plus souples d’accès au second tour. Aussi est-elle indissociable de la recommandation n° 5.

II.   La complexitÉ de l’organisation territoriale

Les différentes collectivités décentralisées constituent des espaces démocratiques à part entière, en particulier depuis le premier acte de la décentralisation. Pourtant, l’action locale reste, à certains égards, trop éloignée du citoyen, tandis que la décentralisation elle-même reste perfectible.

A.   UNE ACTION LOCALE encore trop ÉloignÉe du citoyen 

Les réformes successives de la décentralisation et de l’organisation territoriale ont créé une organisation territoriale complexe et une répartition des compétences difficilement lisible.

1.   L’empilement peu lisible de structures territoriales

La structure territoriale de la France se caractérise toujours par un empilement des collectivités territoriales : communes, départements, régions ([73]). Le développement des intercommunalités a ajouté une complexité supplémentaire. Peu lisible pour le citoyen, cette organisation nécessite d’être repensée pour favoriser la clarté, la proximité et la démocratie.

a.   Le mauvais bilan de la réforme des grandes régions

La loi du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral ([74]) a réduit le nombre de régions en France hexagonale de 22 à 13. Six régions (l’Île-de-France, la Bretagne, les Pays de la Loire, le Centre-Val de Loire, Provence-Alpes-Côte d’Azur et la Corse) ont échappé au processus de regroupement, tandis que 16 ont fusionné.

Anciennes régions et nouvelles régions

 Carte des régions de France métropolitaine avant et après la réforme territoriale entrée en vigueur en janvier 2016. (ELLEN LOZON / FRANCEINFO)Source : France Info.

Les bénéfices attendus étaient une rationalisation administrative et financière, la mutualisation des services devant permettre de dégager plusieurs milliards d’euros. Il s’agissait également de donner aux nouvelles régions une taille critique pour renforcer leur poids au niveau européen.

Les nouvelles régions ont été bien accueillies par les habitants, selon Jules Nyssen, délégué général de Régions de France au cours de son audition ([75]). Le reste du bilan semble plus mitigé :

 la réforme a été sans impact sur le « millefeuille » administratif, qui compte finalement toujours autant de strates ;

 en matière de budgétaire, la Cour des comptes ([76]) note que « les gains d’efficience visés par ces réformes restent aujourd’hui limités en raison de la reconduction, dans la majorité des cas, des modes de gestion préexistants ». Les dépenses de fonctionnement des régions fusionnées ont augmenté trois fois plus vite entre 2015 et 2018 que celles des autres régions. Les coûts de la fusion ont dépassé les économies réalisées, en raison, notamment, de l’alignement des régimes indemnitaires des agents territoriaux sur les dispositions les plus favorables ([77]), de l’allongement des distances à parcourir et du maintien de certains agents ou directions dans les anciens hôtels de région ;

 la cohérence identitaire des nouvelles régions n’apparaît pas toujours évidente, la réforme ayant fait disparaître administrativement plusieurs régions à forte identité comme la Bourgogne, l’Alsace ou l’Auvergne. Le choix parfois difficile du nom des nouvelles régions illustre la difficulté à donner une cohérence à des territoires historiquement divers. Toutefois, la fusion s’est, dans certains cas, appuyée sur une identité commune préexistante, comme pour les deux Normandie ou l’Occitanie ;

 par ailleurs, bien qu’elles soient désormais plus vastes et plus peuplées que les anciennes régions, les nouvelles régions n’en font pas pour autant jeu égal avec les Länder allemands ou les communautés autonomes d’Espagne. Leur budget reste faible : celui de la région Nouvelle-Aquitaine s’est élevé à 3,2 milliards d’euros pour 2021, contre 12 milliards pour le Pays Basque espagnol qui compte pourtant trois fois moins d’habitants. Elles n’exercent pas d’autorité sur les autres collectivités territoriales situées sur leur territoire, contrairement aux régions allemandes, italiennes ou espagnoles ; tout au plus peuvent-elles être chef de file.

En cohérence avec ce constat, le député Sébastien Jumel évoque ainsi, dans une contribution écrite transmise au groupe de travail, des régions « qui ont enflé et dont certaines n’ont aucune cohérence en termes d’identité » et « qui n’ont pas les moyens budgétaires de leurs ambitions, où les citoyens qui habitent aux marges du territoire sont à des heures de voiture du lieu où tout se décide, dont on ne connaît pas les élus et qui, au fond, sont construites sur une logique d’éloignement absolument contraire à l’aspiration de la population à des réponses de proximité ».

b.   Des compétences encore mal cernées par les citoyens

La loi du 7 janvier 1983 ([78]) organisait la répartition des compétences entre l’État et les différentes collectivités selon une logique, en apparence rationnelle, de blocs de compétences : à chaque domaine de compétences une collectivité pour l’exercer. L’article L. 1111-4 du code général des collectivités territoriales dispose ainsi que « La répartition des compétences entre les collectivités territoriales et l’État s’effectue, dans la mesure du possible, en distinguant celles qui sont mises à la charge de l’État et celles qui sont dévolues aux communes, aux départements ou aux régions de telle sorte que chaque domaine de compétences ainsi que les ressources correspondantes soient affectés en totalité soit à l’État, soit aux communes, soit aux départements, soit aux régions. »

Ces dispositions, en apparence simples, ne reflètent pas les subtilités de la répartition des compétences entre les collectivités territoriales, et entre celles-ci et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI).

Certes, on peut noter l’existence de quelques secteurs de compétences « bien délimités » ([79]) : la formation professionnelle aux régions, l’action sociale aux départements, l’urbanisme aux communes et intercommunalités. Pour le reste, nombreuses sont les compétences qui sont partagées entre plusieurs niveaux de collectivités. C’est le cas, selon l’article L. 1111-4 précité, des « compétences en matière de promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes, de culture, de sport, de tourisme, de promotion des langues régionales et d’éducation populaire ». Cependant, les compétences exercées par plusieurs échelons territoriaux recouvrent en réalité un champ beaucoup plus large de l’action publique.

Les évolutions législatives récentes semblent avoir acté une logique d’articulation plus que de répartition des compétences :

 la loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales (dite « RCT ») ([80]) créait une nouvelle catégorie d’élu local, le conseiller territorial, devant siéger au conseil départemental et au conseil régional à la place des conseillers régionaux et départementaux. Il incarnait l’imbrication des compétences entre les collectivités et la nécessaire concertation entre elles. La réforme n’a finalement jamais été appliquée ;

 la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (MAPTAM) ([81]) a pour sa part réactivé la notion de collectivité chef de file, introduite dans la Constitution par la révision constitutionnelle du 28 mars 2003. Elle a institué par ailleurs les conférences territoriales de l’action publique, rassemblant les représentants des exécutifs locaux, des délégués des maires et le préfet, afin d’améliorer les modalités d’exercice par les collectivités de leurs compétences ;

 enfin, la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) ([82]) a supprimé la clause générale de compétence pour les régions et les départements. Si cette réforme semblait ouvrir la voie à une répartition plus nette des compétences entre les différentes collectivités, sa portée juridique reste sujette à caution ([83]).

Le degré de connaissance et de compréhension par les Français des compétences exercées par les différentes collectivités est difficile à estimer mais il est peu contestable que la complexité du sujet ne favorise pas la compréhension de l’action publique locale. Au cours de son audition par vos rapporteurs, Pierre Monzani, directeur général de l’Assemblée générale des départements de France, s’est ainsi dit frappé par « l’ignorance » des Français à l’égard des compétences régionales et départementales ([84]).

La consultation du Sénat en matière de décentralisation ([85]) fait apparaître que 44 % des élus locaux ayant répondu considéraient eux-mêmes que « la répartition des rôles et des compétences entre l’État et les différentes collectivités territoriales au niveau local » est « plutôt pas claire » ou « pas claire du tout ». Ce constat semble également étayé par une étude de la Fondation Jean Jaurès ([86]) sur « les Français et leur région ». Seulement entre un tiers et la moitié des personnes interrogées sont en mesure d’identifier comme des compétences régionales la mobilité et les transports en commun, l’aménagement du territoire, l’emploi, la formation professionnelle ou le développement économique. La seule compétence que plus de 50 % des personnes interrogées attribuent, à juste titre, à la région est celle des lycées.

Cette complexité est également problématique pour le contrôle des gouvernants, le flou quant aux responsabilités des différents élus dans la définition ou la mise en œuvre des politiques publiques ne permettant pas aux citoyens de les soutenir ou les sanctionner efficacement.

c.   Pour une rationalisation de l’organisation territoriale

Partant de ces constats, vos rapporteurs proposent une réforme ambitieuse de la carte territoriale qui permette d’approfondir la décentralisation tout en trouvant un juste milieu entre proximité et efficacité de l’échelon local : la fusion des régions et des départements, dans un périmètre proche de celui qui existait avant la réforme de 2015.  

Cette proposition est déjà portée, en ce qui concerne leur territoire, par certains députés ou élus locaux bretons qui appellent de leurs vœux la fusion du conseil régional et des quatre conseils départementaux au sein d’une entité unique.

Recommandation n° 6 : fusionner les départements et les régions dans des périmètres régionaux proches de ceux qui préexistaient à la réforme de 2015 pour créer un nouvel échelon de collectivités ayant vocation à se substituer aux régions et aux départements.

Cette évolution pourrait être mise en œuvre avec une certaine souplesse. D’une part, le principe du rétablissement de collectivités dans les limites territoriales des anciennes régions pourrait faire l’objet d’adaptations, lorsque des revendications locales ou d’autres considérations le justifient : le périmètre des nouvelles collectivités pourrait ainsi ne pas correspondre exactement à celui des 22 anciennes régions. D’autre part, il apparaît essentiel que les citoyens soient étroitement associés à ce processus. Ils pourraient donc être appelés à valider par référendum local la création d’une assemblée unique, la victoire éventuelle du non entraînant le maintien des deux échelons départemental et régional. Cette réforme ouvrirait donc la porte à une organisation plus différenciée des collectivités territoriales en France hexagonale, en fonction des souhaits et des particularités locales.

L’Île-de-France est un exemple particulièrement frappant du millefeuille territorial. Dans cette région, la moins vaste de France hexagonale, les strates et les compétences sont fortement enchevêtrées. En plus de la région, des huit départements et des communes de droit commun, s’ajoutent Paris, collectivité à statut particulier, et les intercommunalités comme la Métropole du Grand Paris, les établissements publics territoriaux et les intercommunalités de droit commun. Cette organisation rend peu lisible la répartition des compétences et favorise l’inefficacité de l’action publique.

Aussi, dans une logique de rationalisation des différents échelons territoriaux, vos rapporteurs proposent également de fusionner les huit départements d’Île-de-France, la région, et la Métropole du Grand Paris.

Recommandation n° 7 : créer une région-métropole fusionnant les huit départements, la région Île-de-France et la Métropole du Grand Paris.

2.   Rationaliser, démocratiser : les enjeux du développement de l’intercommunalité

Le développement de l’intercommunalité conduit également à s’interroger sur les objectifs de démocratisation et de lisibilité de l’action publique locale.

a.   Les EPCI, des acteurs locaux désormais incontournables

Dans un paysage territorial déjà complexe, le développement de l’intercommunalité apparaît ambigu.

D’une part, une étude de l’IFOP en 2018 sur l’intercommunalité ([87]) met en évidence la bonne connaissance de leur structure intercommunale par les Français : 81 % savent si leur commune appartient à une structure intercommunale et 79 % des personnes qui pensent que leur commune appartient à une telle structure en connaissent le nom. Les intercommunalités sont par ailleurs bien identifiées pour leurs compétences en matière de développement économique, d’aménagement de l’espace et de gestion des déchets, de l’eau et de l’assainissement.

D’autre part, l’intercommunalité assure, et c’est bien là son objectif, une meilleure efficacité de l’action publique locale en permettant l’exercice des compétences aux échelons les plus pertinents, mais elle a également contribué à ajouter des échelons au millefeuille territorial.

Le fait intercommunal est une réalité : la France compte aujourd’hui 1 253 EPCI à fiscalité propre ([88]), seules quatre communes (toutes insulaires) n’étant rattachées à aucun d’entre eux : l’île d’Yeu, l’île de Bréhat, l’île de Sein et l’île d’Ouessant. Son développement a été porté par la loi RCT du 16 décembre 2010 ([89]), la loi du 27 janvier 2014 ([90]) et la loi NOTRe du 7 août 2015.

Les EPCI

Les EPCI sont des établissements publics. L’article L. 5210-1-1 A du code général des collectivités territoriales énumère les différentes catégories :

– les syndicats de communes (loi du 22 mars 1890) ;

– les communautés de communes (loi du 6 février 1992) ;

– les communautés urbaines (loi du 31 décembre 1966) ;

– les communautés d’agglomération (loi du 12 juillet 1999) ;

– les métropoles (loi du 16 décembre 2010, modifiée par la loi du 27 janvier 2014).

Les syndicats de communes sont des EPCI sans fiscalité propre ; les autres EPCI mentionnés ci-dessus sont des EPCI à fiscalité propre.

Parallèlement à la rationalisation de la carte de l’intercommunalité, les EPCI à fiscalité propre ont vu leurs compétences s’accroître. Ils exercent désormais de plein droit, en lieu et place des communes, des compétences obligatoires dans de nombreux domaines ayant des conséquences sur la vie quotidienne des citoyens. D’une façon générale, plus un EPCI à fiscalité propre est peuplé et urbain, plus il exerce de compétences obligatoires. Les EPCI à fiscalité propre peuvent aussi se voir transférer des compétences facultatives par les communes membres.

Les compétences obligatoires des EPCI à fiscalité propre

Les communautés de communes exercent les compétences d’aménagement de l’espace, de développement économique, de gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations, d’aires d’accueil des gens du voyage, de collecte et traitement des déchets ménagers ainsi que d’eau et assainissement (article L. 5214-16 du code général des collectivités territoriales).

Les communautés d’agglomération, en sus des compétences des communautés de communes, exercent aussi des compétences en matière d’habitat, de politique de la ville et de gestion des eaux pluviales urbaines (article L. 5216-5 du code général des collectivités territoriales).

Les communautés urbaines ajoutent aux compétences des communautés d’agglomération les compétences relatives aux lycées et collèges, aux équipements sportifs et culturels lorsqu’ils sont reconnus d’intérêt communautaire, à l’environnement (lutte contre la pollution de l’air et le bruit) et à la contribution à la transition énergétique (article L. 5215-20 du code général des collectivités territoriales).

Enfin, les métropoles (article L. 5217-2 du code général des collectivités territoriales) exercent les compétences des EPCI des niveaux inférieurs, ainsi que des compétences additionnelles comme celles en matière de réseaux et d’infrastructures de télécommunication ou la réalisation d’un plan climat.

b.   La nécessaire démocratisation de l’exécutif intercommunautaire

Pour autant, la visibilité des EPCI à fiscalité propre et la connaissance de leur rôle ne sont sans doute pas à la hauteur de la place qui est désormais la leur au sein de l’action publique locale.

La loi du 17 mai 2013 ([91]) a déjà constitué un premier pas en ce sens. Elle organise l’élection des conseillers communautaires en même temps que les conseillers municipaux, selon un système de « fléchage » des candidats au conseil communautaire parmi les candidats au conseil municipal. Toutefois, le président de l’EPCI restant élu par le conseil communautaire lui-même, le système concourt à son manque de visibilité et de légitimité démocratique.

Code électoral : élection des conseillers communautaires

Communes de plus de 1 000 habitants

Art. L. 273-9.-I. ― La liste des candidats aux sièges de conseiller communautaire figure de manière distincte sur le même bulletin que la liste des candidats au conseil municipal dont elle est issue.

Sous réserve du II, la présentation de la liste des candidats au conseil municipal et à l’organe délibérant de l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre est soumise aux règles suivantes :

1° La liste des candidats aux sièges de conseiller communautaire comporte un nombre de candidats égal au nombre de sièges à pourvoir, augmenté d’un candidat supplémentaire si ce nombre est inférieur à cinq et de deux dans le cas inverse ;

2° Les candidats aux sièges de conseiller communautaire figurent dans l’ordre de présentation dans lequel ils apparaissent sur la liste des candidats au conseil municipal ;

[…]

4° Tous les candidats présentés dans le premier quart de la liste des candidats aux sièges de conseiller communautaire doivent figurer, de la même manière et dans le même ordre, en tête de la liste des candidats au conseil municipal ;

5° Tous les candidats aux sièges de conseiller communautaire doivent figurer au sein des trois premiers cinquièmes de la liste des candidats au conseil municipal.

Communes de moins de 1 000 habitants

Art. L. 273-11.- Les conseillers communautaires représentant les communes de moins de 1 000 habitants au sein des organes délibérants des communautés de communes, des communautés d’agglomération, des communautés urbaines et des métropoles sont les membres du conseil municipal désignés dans l’ordre du tableau.

Il est donc apparu important à vos rapporteurs de progresser dans la démocratisation des EPCI, en mettant en œuvre l’élection des présidents des EPCI à fiscalité propre au suffrage universel direct. Il s’agit aussi de leur conférer une visibilité et une légitimité à la hauteur de l’importance des EPCI au niveau local.

Ce système ne remettrait pas en cause l’existence des conseils communautaires et l’élection de leurs membres, dans les communes de plus de 1 000 habitants, grâce au système du fléchage auquel 78 % des Français sont attachés selon l’étude de l’IFOP précitée ([92]).

Plusieurs modalités de cette mesure devraient encore être discutées, en particulier la façon dont serait constituée l’équipe exécutive au sein de l’assemblée communautaire ou encore l’interdiction du cumul entre exécutif intercommunal et communal qui rendrait nécessaire l’élection d’un suppléant au président d’EPCI.

Recommandation n° 8 : élire les présidents des EPCI à fiscalité propre au suffrage universel direct.

B.   Une dÉcentralisation inachevÉe 

Quarante ans après le premier acte de la décentralisation, force est de constater que le processus est encore largement inachevé. Les marges de manœuvre juridiques comme financières des collectivités territoriales restent insuffisantes. L’enjeu n’est pas tant les collectivités elles-mêmes que les citoyens : achever la décentralisation, c’est rapprocher le pouvoir des électeurs et favoriser ainsi les décisions les plus proches de leurs souhaits et de leurs besoins.  La décentralisation est ainsi un des instruments privilégiés du renforcement de la démocratie.

Comme le souligne Sébastien Jumel dans sa contribution évoquée ci-dessus, le recul des services publics au niveau local entretient le désintérêt pour les questions locales et les élections locales. Vos rapporteurs partagent le constat qu’il est essentiel, pour que les scrutins locaux retrouvent de l’intérêt aux yeux des électeurs, de donner aux échelons de proximité les moyens d’agir concrètement sur l’aménagement du territoire, les services publics et la vie quotidienne des citoyens.

1.   Un mode de financement des collectivités territoriales insatisfaisant

Les finances locales sont régies par quelques principes constitutionnels en apparence simple ([93]) : libre disposition de leurs ressources par les collectivités, part déterminante des « ressources propres », compensation de tout transfert de compétences entre l’État et les collectivités territoriales par des « ressources équivalentes ».

Pour autant, la structure des recettes des collectivités territoriales et les contraintes qui pèsent sur leurs dépenses ne permettent pas une décentralisation pleinement efficace. Elles ne favorisent en effet ni leur autonomie financière, ni la mise en œuvre d’orientations politiques fortes par les élus locaux, ni l’identification par les citoyens de choix politiques spécifiques ayant vocation à être infléchis par leur vote.

a.   Le « crépuscule des taux » ([94]), facteur d’affaiblissement du lien entre le contribuable et la collectivité

Les dispositions constitutionnelles prévoyant que « les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représentent, pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l’ensemble de leurs ressources » (article 72-2), précisées par la loi organique du 29 juillet 2004 ([95]), sont formellement respectées. Toutefois, la loi organique permet de comptabiliser, parmi les ressources propres, non seulement « le produit des impositions de toutes natures dont la loi les autorise à fixer l’assiette, le taux ou le tarif » mais aussi le produit des impositions « dont elle détermine, par collectivité, le taux ou une part locale d’assiette », ce qui inclut des recettes fiscales sur lesquelles elles n’ont en réalité aucun pouvoir de taux.

Ainsi les dernières années ont-elles été marquées par l’érosion de la fiscalité locale à pouvoir de taux, sans que soit formellement menacée la condition tenant à la part prépondérante des ressources propres dans l’ensemble des ressources des collectivités. Les recettes fiscales à pouvoir de taux représentaient ainsi 90 % de l’ensemble des recettes fiscales des collectivités en 1986 ; en 2018, ce taux était de 65 % ([96]). La suppression partielle des « quatre vieilles » ([97]) a bien été compensée, mais sous la forme de recettes non dynamiques ou étatisées :

– la suppression complète de la taxe professionnelle en 2011 a été partiellement compensée par la création de la dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle ;

– la suppression de la taxe d’habitation, qui s’étale de 2020 à 2023, a vocation à être compensée, pour les EPCI et les départements, par l’affectation d’une fraction de TVA.

In fine, c’est bien le lien fiscal entre le citoyen et la collectivité qui s’en trouve amoindri.

b.   Des dépenses fortement contraintes

En ce qui concerne les dépenses, la nécessaire association des collectivités territoriales à la maîtrise des dépenses publiques ([98]) a pour corollaire la restriction de leurs marges de manœuvre budgétaires. Avant leur suspension dans le cadre de la crise sanitaire, les « contrats de Cahors » avaient déjà restreint la marge de manœuvre financière des 321 grandes collectivités signataires : les contrats fixaient un taux de progression des dépenses de fonctionnement à ne pas dépasser. De façon plus structurelle, les collectivités dont le potentiel fiscal est restreint voient leurs capacités financières limitées une fois leurs dépenses obligatoires financées.

2.   Des modalités de détermination et d’exercice de leurs compétences par les collectivités à assouplir

À l’heure où la défiance est grande envers l’État, redonner du pouvoir aux échelons de proximité n’est pas dénué de sens. Selon l’étude déjà citée de la Fondation Jean Jaurès sur les Français et les régions, les trois quarts des Français ont davantage confiance dans leur région que dans l’État. Les deux tiers considèrent que l’État ne laisse pas assez de pouvoir aux régions, départements et communes et la même proportion déclare qu’elle serait plus incitée à aller voter aux élections régionales si la région avait davantage de pouvoir. Sans accorder une importance exagérée à ces résultats – après tout, l’abstention n’a fait que croître à mesure que les compétences des régions, comme des autres collectivités, se développaient – on peut néanmoins reconnaître qu’ils témoignent d’un désir de proximité. De fait, la logique de répartition des compétences entre l’État et les collectivités reste largement descendante et laisse peu de place à l’initiative locale.

Dès lors, le renouveau démocratique appelle nécessairement une réflexion sur les principes de répartition des compétences entre l’État et les collectivités, en recherchant la mise en œuvre d’une véritable subsidiarité.

a.   Un cadre constitutionnel contraint pour les règles d’attribution et d’exercice des compétences aux différentes collectivités

L’article 15 du projet de loi de révision constitutionnelle discuté à l’Assemblée en 2018 ([99]) proposait de compléter l’article 72 de la Constitution par une phrase visant à permettre à la loi de prévoir que « certaines collectivités territoriales exercent des compétences, en nombre limité, dont ne disposent pas l’ensemble des collectivités de la même catégorie ».

La réforme n’ayant pu aboutir, la différenciation des compétences entre collectivités d’un même niveau demeure fortement contrainte par le cadre constitutionnel. Dans son avis sur la différenciation des compétences des collectivités territoriales relevant d’une même catégorie et des règles relatives à l’exercice de ces compétences ([100]), le Conseil d’État souligne qu’« à l’inverse des collectivités territoriales à statut particulier et des collectivités de l’article 73, la Constitution ne prévoit pas l’adaptation des lois et règlements pour prendre en compte des "caractéristiques" ou des "contraintes particulières" qui seraient propres à l’une ou à plusieurs collectivités relevant d’une des catégories de droit commun de l’article 72 ».

Quelques dispositifs permettent néanmoins au législateur d’attribuer des compétences différenciées aux collectivités territoriales, mais ils demeurent assez marginaux :

– la création d’une collectivité à statut particulier ;

– l’existence de raisons d’intérêt général ou de motifs tirés d’une différence de situation a également pu être invoquée, conformément à la définition du principe d’égalité ([101]). Ainsi la Collectivité européenne d’Alsace ([102]) s’est-elle vue attribuer des compétences dont ne disposent pas les autres départements, en particulier une compétence d’exploitation et de gestion des routes nationales et des autoroutes non concédées en raison des problématiques liées au transport routier dans le sillon rhénan, et une compétence en matière de promotion du bilinguisme, de la langue et de la culture régionale ([103]) ;

– le code général des collectivités territoriales prévoit la possibilité de délégations de compétences d’une collectivité à une autre ([104]) et de délégations de compétences de l’État à une collectivité par convention ([105]). Ces deux possibilités demeurent néanmoins peu utilisées.

Il apparaît important de rappeler ici que le principe descendant qui prévaut en termes d’attribution et de répartition des compétences n’a rien d’universel. Historiquement, de nombreux États, en particulier fédéraux, se sont constitués selon un mouvement inverse, ascendant, par la mise en commun de certaines compétences au niveau national. Ce fut le cas, par exemple, des cantons suisses se regroupant en confédération, puis en fédération en 1848. Ce modèle, fruit de l’histoire, n’est certes pas transposable à la France, mais il peut constituer une source d’inspiration dans un contexte de recherche de modalités plus démocratiques de partage du pouvoir entre État et collectivités.

b.   Des assouplissements nécessaires

D’une façon générale, une plus grande souplesse dans l’attribution et l’exercice des compétences serait de nature à renforcer la démocratie locale et l’efficacité de l’action publique locale. Plusieurs évolutions législatives récentes témoignent d’un cheminement encore lent vers la différenciation et l’adaptation.

– En ce qui concerne le pouvoir de dérogation des collectivités aux dispositions législatives ou réglementaires qui régissent l’exercice de leurs compétences, la réforme des conditions de mise en œuvre de l’article 72, alinéa 4, de la Constitution par la loi organique du 19 avril 2021 relative à la simplification des expérimentations pourrait ouvrir une voie vers la différenciation.

Article 72, alinéa 4 de la Constitution

Dans les conditions prévues par la loi organique, et sauf lorsque sont en cause les conditions essentielles d’exercice d’une liberté publique ou d’un droit constitutionnellement garanti, les collectivités territoriales ou leurs groupements peuvent, lorsque, selon le cas, la loi ou le règlement l’a prévu, déroger, à titre expérimental et pour un objet et une durée limités, aux dispositions législatives ou réglementaires qui régissent l’exercice de leurs compétences.

En effet, parmi diverses mesures destinées à rendre l’expérimentation plus accessible et attractive pour les collectivités, cette loi organique ouvre la porte à une pérennisation des mesures prises à titre expérimental sur une partie seulement du territoire. Le droit existant ne prévoyait jusqu’alors que trois issues : la prolongation, l’abandon ou la généralisation de l’expérimentation.

– Par ailleurs, le projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, discuté en première lecture à l’Assemblée nationale à l’automne 2021, permet quelques évolutions dont la portée devra être analysée ultérieurement. Son article 1er, tel que voté par l’Assemblée nationale en première lecture, reconnaît un principe de différenciation pour les règles relatives à l’attribution et à l’exercice des compétences applicables à une catégorie de collectivités territoriales, dans le respect du principe d’égalité. L’article 1er bis permet à plusieurs conseils départementaux de présenter des propositions tendant à modifier ou à adapter des dispositions législatives ou réglementaires, en vigueur ou en cours d’élaboration, concernant les compétences, l’organisation et le fonctionnement d’un, de plusieurs ou de l’ensemble des départements.

Ces évolutions méritent d’être saluées, même s’il est trop tôt pour évaluer leur portée réelle. Elles restent toutefois insuffisantes par rapport aux chantiers de la décentralisation qui restent en suspens : le transfert de nouvelles compétences aux collectivités, le développement de leur autonomie fiscale ou la reconnaissance d’un pouvoir d’initiative pour mettre en place une expérimentation.


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   Troisième partie : Encourager, sous toutes ses formes, la participation du CITOYEN : un impératif démocratique

« Expérience rituelle » ([106]) par excellence, le vote constitue le cœur battant de la vie démocratique. De nombreuses pistes d’évolution alimentent régulièrement les débats afin, d’une part, de « dépoussiérer » un système considéré comme archaïque et, d’autre part, de favoriser la participation électorale. Si les modalités traditionnelles du vote méritent d’être préservées, certaines évolutions procédurales sont également envisageables. Cependant, le principal enjeu s’inscrit au-delà de simples ajustements techniques et vise ainsi à mieux associer l’ensemble des citoyens à la prise des décisions publiques.

I.   L’urne et l’isoloir : préserver le rite républicain

Il convient de promouvoir les trois piliers sur lesquels repose le vote : le bulletin papier, l’urne et l’isoloir. Si certaines techniques alternatives de vote, telles que le vote par correspondance ou électronique, suscitent des interrogations légitimes, vos rapporteurs considèrent qu’elles ne sauraient être mises en œuvre à court terme au regard de l’impératif de fiabilité et de sécurité qu’exige le déroulement des scrutins. Dans un contexte de défiance croissante, les modalités actuelles du vote sont celles qui souffrent le moins d’accusations ou de soupçons de tricherie. Le caractère personnel et secret du vote attaché au vote à l’urne tel qu’il se pratique depuis plus d’un siècle limite considérablement les risques d’influences ou de contraintes susceptibles de porter atteinte à la sincérité du scrutin.

Dans une autre perspective, les réflexions autour de la reconnaissance du vote blanc soulèvent des problématiques qu’il est nécessaire d’analyser en profondeur, s’agissant notamment des conséquences qu’une telle évolution ferait peser sur la légitimité des élus.

A.   Les modalités traditionnelles du vote au fondement de la mystique démocratique et de la confiance dans la procédure élective

Apparus au début du XXe siècle dans les bureaux de vote, l’urne et l’isoloir représentent deux objets dont la dimension symbolique ne doit pas occulter l’utilité qu’ils revêtent afin de garantir, encore aujourd’hui, le bon déroulement des scrutins.

1.   L’isoloir : l’émancipation par le secret

Les communes sont tenues de mettre en place des isoloirs dans les bureaux de vote depuis la loi du 29 juillet 1913 ayant pour objet d’assurer le secret et la liberté du vote ainsi que la sincérité des opérations électorales. Utilisé pour la première fois lors du premier tour des élections législatives du 26 avril 1914, l’isoloir suscite immédiatement l’intérêt de la presse, à l’image du quotidien Le Petit Parisien qui décrit leur installation inédite dans les bureaux de vote : « L’isoloir eut – il fallait s’y attendre – un certain succès de curiosité. » ([107])

Aujourd’hui, l’isoloir est entré dans les mœurs au point d’en devenir banal, comme le souligne avec pertinence le professeur Alain Garrigou : « Le détour par l’isoloir s’impose. Point n’est besoin de savoir que la loi y oblige ; celle-ci paraît superfétatoire quand la force du rite suffit. » ([108])

L’organisation matérielle du vote a pourtant fait l’objet de débats politiques intenses depuis le milieu du XIXe siècle, suscitant de vives controverses parlementaires à l’occasion de l’examen de multiples projets et propositions de loi tendant à encadrer avec rigueur le déroulement des scrutins. Entre 1876 et 1910, plus d’une dizaine de rapports parlementaires ([109]) relatifs à la modernisation du code électoral ont été rédigés en ce sens. Ils ont donné lieu à des débats souvent houleux organisés à la Chambre des députés et au Sénat, à l’issue desquels la mise en place de l’isoloir a été systématiquement rejetée ou abandonnée ([110]).

Si les lois du 29 juin 1820 et du 15 mars 1849 ont progressivement encadré les procédures du vote dans le but d’assurer le secret de celui-ci, la proclamation du suffrage universel masculin en 1848 ne s’est pas conjuguée à une véritable modernisation des règles applicables aux opérations de vote, pourtant régulièrement sujettes à des accusations et soupçons de fraude affectant la sincérité des scrutins. Au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, plusieurs États ont décidé de recourir à l’isoloir afin d’atteindre cet objectif, à l’image de l’Australie en 1857, du Royaume-Uni en 1872, de la Belgique en 1877 ou des États-Unis à partir de 1891.

En France, le sujet soulève des polémiques passionnées au début de la IIIe République en raison de la ligne de fracture qu’il révèle au sein de la représentation nationale.

D’un côté, les élus conservateurs et monarchistes s’opposent majoritairement au projet et récusent ce qu’ils considèrent, au mieux, comme un vulgaire gadget rabaissé au rang de « cellule », de « cabanon » ou encore de « confessionnal laïque et obligatoire », ou, au pire, comme un facteur de désagrégation sociale susceptible de porter atteinte à leur position politique, celle-ci n’étant que la traduction électorale de leur statut social. De l’autre, les élus républicains et progressistes défendent ardemment la réforme en ce qu’elle consacre l’électeur en tant qu’individu autonome et rationnel, s’émancipant de son environnement social pour accomplir lui-même le rôle politique que la démocratie lui assigne. À rebours du « lieu de réclusion » moqué ([111]) et redouté par les conservateurs, les progressistes glorifient un espace de liberté permettant à chaque électeur de s’affranchir des tutelles cléricales, familiales ou sociales qui ont pour effet de contraindre son choix et d’influer sur son vote.

Derrière les divergences philosophiques quant à ce que doit être en pratique l’exercice du vote, Alain Garrigou décrypte les intérêts électoraux sous-jacents :

« Par là même, en officialisant la représentation dominante du rôle de citoyen et du type de transaction électorale qui lui est lié, la loi de 1913 sanctionne en fait une transformation lente et profonde du mode de domination politique qui amène un nouveau type d’entrepreneurs politiques à faire prévaloir ses conceptions et ses intérêts propres au détriment de concurrents dont la résistance visait à maintenir une définition légitime conforme à leurs intérêts […] En ce sens, la controverse sur l’isoloir ne peut être réduite à une simple querelle sur une procédure électorale mais oppose plus profondément des types d’entrepreneurs et des modes de domination politique concurrents. » ([112])

Les arguments mobilisés par les réformateurs de la fin du XIXe siècle s’appuient sur l’impératif de « moralisation du suffrage universel » qui poursuit à cette fin une logique prophylactique : prévenir les pratiques électorales irrégulières, qu’elles résultent de la pression sociale perturbant le libre arbitre de l’électeur ou des risques plus généraux de fraude. Tout en admettant le bien-fondé de la démarche, le député Charles Ferry relativise cependant l’utilité de l’isoloir :

« Cela n’a d’intérêt que pour quelques communes de l’Ouest où le châtelain se trouve être en même temps le maire, pour quelques villes du Nord et du Centre de la France où une grande compagnie minière ou métallurgique tient tout le pays… Je demande si, pour protéger quinze mille ou vingt mille électeurs, il faut en mettre dix millions à la gêne. » ([113])

Présentée non sans raison comme un moyen de délivrer l’électeur des influences extérieures ([114]), la rupture qu’entraîne la mise en place de l’isoloir dans les bureaux de vote consiste en un « rituel de l’occultation » ([115]) qui imprègne encore aujourd’hui notre inconscient collectif, tant ce meuble est devenu indissociable de l’acte de vote. Il consacre ainsi la solennité du geste civique, en prenant la forme d’un sanctuaire qui rappelle la mystique religieuse, ce qu’a relevé Dominique Reynié, directeur de la Fondation pour l’innovation politique, lors de son audition par le groupe de travail : « L’isoloir place l’électeur dans un moment de recueillement tourné vers l’intérêt général. » ([116])

À l’image de l’isoloir, l’urne électorale nourrit également la mystique démocratique qui entoure encore aujourd’hui l’acte de vote.

2.   L’urne : l’universalité et la transparence

Depuis le milieu du XIXe siècle, la précision croissante des règles et spécifications techniques relatives aux objets utilisés au cours des opérations électorales vise à protéger la sincérité du scrutin des tentatives de manipulation ou de fraude dont elles peuvent faire l’objet. L’objectif est d’établir, à l’échelle nationale, un cadre uniforme auquel tous les bureaux de vote sont assujettis. Dans cette perspective, l’usage de l’urne destinée à recueillir les enveloppes contenant les bulletins de vote s’est progressivement institutionnalisé sous la Monarchie de Juillet puis sous le Second Empire. Initialement qualifiée par les documents officiels de « boîte de scrutin » ([117]) puis de « boîte destinée à recevoir les votes » ([118]), l’urne électorale a bénéficié d’une attention particulière des pouvoirs publics.

Si la loi électorale du 19 avril 1831 mentionne la possibilité d’utiliser une boîte, la loi précitée du 29 juillet 1913 établit de façon détaillée les conditions dans lesquelles l’urne doit être ouverte, déplacée et fermée. Afin de renforcer la sécurité des opérations de vote, les modèles d’urnes susceptibles d’être utilisés ont fait l’objet d’une standardisation dès le début de la IIIe République afin de se conformer aux prescriptions légales en la matière.

Les considérations techniques inhérentes à l’urne électorale révèlent en réalité des enjeux juridiques majeurs. Saisi au contentieux, le juge administratif peut ainsi prononcer l’annulation d’élections dont les opérations de dépouillement ont été réalisées en méconnaissance des garanties légales et règlementaires, à l’aide de vases ou de soupières ([119]), ce qui ne permet pas de garantir la sincérité du scrutin ([120]).

Au-delà des controverses administratives que l’urne électorale a immanquablement suscitées, le symbole que constitue cet objet participe, au même titre que l’isoloir, de l’avènement d’un rite républicain. L’urne revêt ainsi une dimension presque sacrée, comme en témoignent les mots prononcés par le député républicain Paul Bert en 1882 qui évoque « quelque chose de cette émotion que ressentent les croyants lorsqu’ils s’approchent de l’autel » ([121]).

Le professeur Olivier Ihl explicite ainsi la charge symbolique de l’urne électorale : « Le rapprochement de cet objet (une boîte close munie d’une fente dans sa partie supérieure, de deux cadenas, et destinée à recueillir les bulletins de vote) avec le grand vase dont l’Antiquité se servait pour enfermer les cendres des morts, puiser de l’eau et collecter les suffrages dans les tribunaux, n’a rien de fortuit. Il signale et signifie une volonté d’inscrire la pratique contemporaine du vote au cœur de l’imaginaire antique, d’affirmer une filiation perçue à la fois comme gratifiante et rassurante. » ([122])

Expression sacrée du suffrage, l’urne symbolise aussi l’unicité du corps électoral, ce qui concrétise les principes d’universalité et d’égalité du vote. Les bulletins étant mélangés en son sein sans distinction aucune, ils perdent donc leur identité propre et traduisent l’indivisibilité de la République : « Tenue à distance, préservée du contact social, la boîte de scrutin est dotée d’une dignité exceptionnelle. Censée contenir entre ses minces parois ni plus ni moins que l’avenir du pays, elle est identifiée au lien social lui-même. Ne permet-elle pas l’expression de cette conscience collective qui assure la cohésion de la société politique et trace le destin de la nation ? » ([123])

La scénographie du vote à l’urne a évolué au début de la IIIe République suivant une logique de désintermédiation consacrée par la loi du 29 juillet 1913. Depuis son entrée en vigueur, l’électeur dépose lui-même l’enveloppe contenant son bulletin de vote dans l’urne. Cet « accès direct » à l’urne minimise les risques de manipulation que faisait peser la palpation des enveloppes par le président de bureau de vote, conformément aux dispositions prévues par la loi du 15 mars 1849. Eugène Pierre, secrétaire général de la Chambre des députés de 1885 à 1925, souligne le bien-fondé d’une telle évolution : « Il n’y a pas de pays libre, pas d’assemblée indépendante, si l’origine des bulletins de vote, qui sont jetés dans les urnes, peut être connue soit des autorités constituées, soit des candidats, soit des comités. » ([124])

Si l’urne garantit l’anonymat et le secret du vote, elle favorise simultanément, et de façon presque paradoxale, sa transparence. La loi n° 88-1262 du 30 décembre 1988 modifie l’article L. 63 du code électoral afin d’imposer la transparence de l’urne, dans le but de renforcer la surveillance des opérations de dépouillement par l’ensemble des scrutateurs. Là encore, ces considérations techniques, en apparence accessoires, concourent à garantir le respect du principe d’inviolabilité du scrutin, comme le rappelle Olivier Ihl : « […] La solennité de l’opération électorale dépend tout entière de l’image d’intégrité de la boîte de scrutin. […] Sa sacralisation elle-même réside dans la croyance en son immunité, c’est-à-dire dans l’assurance qu’elle a été préservée de toute "profanation". » ([125])

Objets rituels du vote, l’urne et l’isoloir apparaissent comme les clefs de voûte de la confiance des citoyens dans le bon déroulement du processus électoral, qui demeure au fondement de notre vie démocratique.

3.   Des symboles précieux et toujours utiles

Si un quelconque fétichisme à l’égard de l’urne et de l’isoloir n’a pas lieu d’être, vos rapporteurs considèrent que ces instruments traditionnels du vote, éprouvés depuis plus d’un siècle, ne sont pas devenus obsolètes. Ils concrétisent le principe établi par l’article 3 de la Constitution de 1958 selon lequel le suffrage est « toujours universel, égal et secret. »

Les dispositions légales prévues par le code électoral témoignent avec précision de l’importance dévolue à ces objets :

 

Article L. 62, trois premiers alinéas

À son entrée dans la salle du scrutin, l’électeur, après avoir fait constater son identité suivant les règles et usages établis ou après avoir fait la preuve de son droit de voter par la production d’une décision du juge du tribunal judiciaire ordonnant son inscription ou d’un arrêt de la Cour de cassation annulant un jugement qui aurait prononcé sa radiation, prend, lui-même, une enveloppe. Sans quitter la salle du scrutin, il doit se rendre isolément dans la partie de la salle aménagée pour le soustraire aux regards pendant qu’il met son bulletin dans l’enveloppe ; il fait ensuite constater au président qu’il n’est porteur que d’une seule enveloppe ; le président le constate sans toucher l’enveloppe, que l’électeur introduit lui-même dans l’urne.

Dans chaque bureau de vote, il y a un isoloir par trois cents électeurs inscrits ou par fraction.

Les isoloirs ne doivent pas être placés de façon à dissimuler au public les opérations électorales.

Article L. 63, deux premiers alinéas

L’urne électorale est transparente. Cette urne n’ayant qu’une ouverture destinée à laisser passer l’enveloppe contenant le bulletin de vote doit, avant le commencement du scrutin, avoir été fermée à deux serrures dissemblables, dont les clefs restent, l’une entre les mains du président, l’autre entre les mains d’un assesseur tiré au sort parmi l’ensemble des assesseurs.

Si, au moment de la clôture du scrutin, le président n’a pas les deux clefs à sa disposition, il prend toutes les mesures nécessaires pour procéder immédiatement à l’ouverture de l’urne.

Article L. 65, premier alinéa

Dès la clôture du scrutin, il est procédé au dénombrement des émargements. Ensuite, le dépouillement se déroule de la manière suivante : l’urne est ouverte et le nombre des enveloppes est vérifié. Si ce nombre est plus grand ou moindre que celui des émargements, il en est fait mention au procès-verbal. Le bureau désigne parmi les électeurs présents un certain nombre de scrutateurs sachant lire et écrire, lesquels se divisent par tables de quatre au moins. Si plusieurs candidats ou plusieurs listes sont en présence, il leur est permis de désigner respectivement les scrutateurs, lesquels doivent être répartis également autant que possible par chaque table de dépouillement. Le nombre de tables ne peut être supérieur au nombre d’isoloirs.

En outre, ces modalités traditionnelles de vote se sont adaptées avec succès aux contraintes provoquées par la pandémie de covid-19 à l’occasion du second tour des élections municipales le 28 juin 2020 et des élections régionales et départementales des 20 et 27 juin 2021.

Le respect des protocoles sanitaires détaillés par les circulaires du ministre de l’Intérieur ([126]) a montré la souplesse de la procédure applicable, tout en maintenant la scénographie habituelle du vote, grâce notamment à l’orientation spécifique des isoloirs afin de réduire la manipulation des rideaux, le marquage au sol pour encadrer les files d’attente, le nettoyage régulier des urnes et la mise à disposition de gel hydro-alcoolique pour les personnels des bureaux de vote et les électeurs.

Loin d’être archaïque, la permanence de ce rite républicain constitue un repère démocratique fondamental. Même si elles sont « rustiques » selon l’expression employée par Olivier Jacob, directeur de la modernisation et de l’administration territoriale ([127]), les modalités opératoires du vote doivent être insoupçonnables afin de garantir la légitimité des résultats électoraux et de ne pas compromettre la solidité de nos institutions. Vos rapporteurs estiment que l’urne et l’isoloir atteignent pleinement cet objectif. Les opérations électorales sont empreintes d’un imaginaire collectif remontant aux sources de la IIIe République, marquées par l’apprentissage de la démocratie et du suffrage universel par un citoyen libre et affranchi, le temps d’une réflexion individuelle, des pressions collectives. Ces règles assurant le bon déroulement des scrutins ne se résument donc pas à définir les moyens d’expression d’une opinion politique, mais concourent directement à traduire l’exercice de la souveraineté populaire.

L’essor des nouvelles technologies ne justifie pas à lui seul d’abandonner ces principes historiques au cœur de notre culture démocratique. Dans cette perspective, vos rapporteurs rejoignent la position défendue par la mission d’information sur le vote à distance créée en novembre 2020 par la commission des Lois du Sénat qui rappelle opportunément que « l’attachement légitime au vote à l’urne doit donc être réaffirmé. » ([128])

Recommandation n° 9 : préserver le vote à l’urne dans un bureau de vote en tant que principale modalité de vote.

La primauté du vote à l’urne est d’autant plus nécessaire que les principales techniques alternatives de vote habituellement envisagées, telles que le vote par correspondance ou électronique, soulèvent encore à ce jour de nombreuses incertitudes.

B.   Les techniques alternatives de vote : de fausses bonnes idées

Lors des auditions conduites par vos rapporteurs, l’opportunité de développer le vote à distance a fait l’objet de nombreux échanges. En France, le vote par correspondance postale ou électronique s’applique aujourd’hui dans des cas strictement délimités. Inspiré d’exemples étrangers, son élargissement s’exposerait, à court terme, à des risques de nature à affaiblir la confiance des citoyens dans la sincérité des scrutins. En outre, l’utilisation des machines à voter, marginale à ce jour, fait l’objet d’un moratoire depuis 2008 dont la levée n’apparaît pas opportune.

1.   Le vote par correspondance postale

Si la France autorise le vote par correspondance dans des cas très limités, cette modalité de vote est utilisée de façon très large dans de nombreux États.

a.   Une modalité abandonnée en 1975 puis réintroduite à la marge

La loi n° 46-667 du 12 avril 1946 a ouvert, sous conditions, la faculté pour les électeurs de voter par correspondance à l’ensemble des scrutins ([129]). Le champ d’application du vote par correspondance incluait de nombreuses catégories d’électeurs, qui, du fait de nécessités professionnelles ou de leur situation personnelle, n’étaient pas en mesure de se déplacer au bureau de vote le jour du scrutin ([130]). La multiplication de fraudes électorales survenues lors de plusieurs scrutins en Corse au cours des années 1960 et 1970 ([131]) a motivé l’abandon du vote par correspondance au profit du vote par procuration par à la loi n° 75-1329 du 31 décembre 1975. Le rapport remis par Jean-Louis Debré au Premier ministre en novembre 2020 sur l’organisation des élections régionales et départementales souligne l’intérêt de cette évolution et suggère, en creux, les raisons qui l’ont motivée :

« D’une part, [le vote par procuration] permet de s’assurer de l’identité tant du mandant que du mandataire, en présence ou sous le contrôle d’un officier de police judiciaire, d’autre part, en termes politiques et institutionnels, il participe à l’unité des opérations électorales.

Si le bulletin est glissé dans l’urne par une autre personne que l’électeur, elle lui reste liée par un lien de confiance personnel et exclusif, et cette autre personne participe au scrutin, en même temps que l’ensemble des autres électeurs. » ([132])

Le législateur a cependant décidé de réintroduire la possibilité de voter par correspondance pour deux catégories de citoyens dont la situation rend difficile l’accès à un bureau de vote ou l’établissement d’une procuration.

Premièrement, l’ordonnance n° 2009-936 du 29 juillet 2009 a autorisé le vote par correspondance sous pli fermé pour l’élection des onze députés représentant les Français de l’étranger. Cette modalité, prenant la forme d’une option activée par les électeurs en amont du scrutin, a été mise en œuvre lors des élections législatives de 2012 et 2017 ([133]).

Deuxièmement, à la suite d’une expérimentation lors des élections européennes de 2019 ([134]), le vote par correspondance des détenus ayant conservé la jouissance de leurs droits civiques a été pérennisé par la loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique. Cette faculté a ensuite été rendue applicable ([135]) à l’élection présidentielle régie par la loi organique n° 62-1292 du 6 novembre 1962.

Utilisé en France de manière marginale, le vote par correspondance fait cependant partie des principales modalités de vote dans plusieurs États.

b.   Les exemples étrangers

Le vote par correspondance est autorisé pour tous en Espagne, en Suisse, en Islande, au Royaume-Uni, au Luxembourg, en Allemagne, en Pologne, aux États-Unis et en Australie ([136]). Cette possibilité est limitée à certaines catégories d’électeurs en Irlande, en Autriche, en Lituanie, en Hongrie et en Slovénie. Cependant, la majorité des États membres de l’Union européenne n’autorise pas à ce jour le vote par correspondance, sauf pour un nombre particulièrement réduit d’électeurs, à l’image de la France.

Le succès de cette modalité de vote a été éprouvé dès la seconde moitié du XIXe siècle aux États-Unis, en dépit des polémiques ayant émaillé, à l’initiative du Président Donald Trump, le dépouillement du dernier scrutin présidentiel. Le vote par correspondance fait l’objet d’une progression constante dans les pays qui l’ont autorisé ou assoupli au cours des dernières décennies. En Australie, 1,2 million de votes par correspondance ont été enregistrés lors des élections fédérales de 2016, soit plus de 8,5 % des votes exprimés, contre un peu moins d’un million en 2013.

Le contexte sanitaire depuis la crise du covid-19 survenue au printemps 2020 a également accentué cette tendance. En Allemagne, la proportion des votants par correspondance aux élections fédérales, s’élevant à 21,4 % en 2009, a atteint le record de 36 % en 2021. Aux États-Unis, près de 42 % des électeurs, soit 65 millions d’Américains, ont voté par correspondance à l’élection présidentielle de 2020, soit près de trois fois plus qu’en 2016.

Dans sa contribution écrite remise au groupe de travail, le professeur de droit public Romain Rambaud mentionne également le basculement du second tour des élections cantonales à Genève en « tout distanciel » en avril 2020 afin de faire face à la première vague épidémique :

« Cette transformation n’a pas posé de difficultés en Suisse, où le système de vote relève davantage du all-postal voting que du vote par correspondance sur demande. On estime que 90 % des personnes votent par correspondance dans ce pays et, si le droit de vote à l’urne continue à exister, les bureaux de vote ne sont ouverts le jour du vote que durant quelques heures. » ([137])

Lors de son audition par le groupe de travail, Raphaël Leuenberger, coresponsable des initiatives populaires fédérales au sein de la section des droits politiques de la Chancellerie fédérale de la Confédération helvétique, a indiqué que le vote par correspondance repose sur une très forte confiance des électeurs suisses qui reçoivent par courrier l’ensemble du matériel de vote ([138]) quatre semaines avant le jour du scrutin. Les électeurs peuvent ensuite voter par voie postale ou déposer eux-mêmes leur bulletin dans une boîte aux lettres de l’administration ([139]).

Les spécificités des cultures démocratiques propres à chaque pays et l’antériorité de cette pratique dans bon nombre d’entre eux ([140]) ne permettent pas à elles seules de conclure, à titre de comparaison, à la nécessité de rétablir cette modalité de vote en France, près de cinquante ans après son abandon.

En outre, comme le souligne avec pertinence le rapport d’information du sénateur François-Noël Buffet Le vote à distance, quelles conditions ? fait au nom de commission des Lois du Sénat en décembre 2020, des différences objectives existent entre la France et certains des États dans lesquels le vote à distance est pratiqué. En effet, le nombre particulièrement élevé de circonscriptions électorales dans l’Hexagone, l’existence d’un double tour de scrutin séparé d’une seule semaine ([141]) et la publication, à titre provisoire, des résultats le soir même du scrutin représentent autant d’exigences que la plupart des États ayant autorisé le vote par correspondance ne connaissent pas.

Celui-ci suscite un intérêt renouvelé dans le contexte de la crise sanitaire : il tend à limiter les risques de circulation du virus que peuvent entraîner les déplacements physiques des électeurs vers les bureaux de vote. Il correspond également à une aspiration d’une partie de l’opinion publique désireuse de bénéficier d’une plus grande souplesse organisationnelle afin d’accomplir son devoir civique, à rebours de la relative rigidité qui caractérise l’obligation de vote à l’urne, même tempérée par le développement du vote par procuration. Néanmoins, cette modalité soulève plusieurs difficultés majeures qui constituent encore aujourd’hui des obstacles à son rétablissement à court terme.

c.   Un ensemble d’inconvénients encore trop nombreux

Le vote par correspondance concentre de multiples critiques aussi bien liées à son coût, à sa relative complexité logistique qu’à la potentielle méconnaissance du caractère individuel du vote. Évoquées au cours des auditions menées par le groupe de travail ([142]), ces critiques convergent en réalité vers un même point, fondamental dans toute démocratie : le vote par correspondance suscite aujourd’hui une forme de méfiance, qui, si elle n’est pas unanime, ne doit pas être occultée.

Premièrement, le vote par correspondance autorisé depuis 2012 pour les élections législatives des députés représentant les Français de l’étranger s’est heurté à plusieurs difficultés. En 2017, près d’un quart des votes par correspondance n’ont pu faire l’objet d’un émargement en raison d’irrégularités, telle que l’absence de justificatif d’identité. Le rapport remis par Jean-Louis Debré au Premier ministre en novembre 2020 souligne les risques contentieux qui en découlent :

« Ce taux élevé de votes non pris en compte et d’irrégularités est l’un des motifs qui a conduit le Conseil Constitutionnel, dans sa décision n° 2017-5052 AN du 2 février 2018, à décider de l’annulation de l’élection législative de 2017 dans la 5ème circonscription législative (Espagne, Portugal, Monaco, Andorre). En outre, en l’état du droit, les électeurs qui choisissent de voter par correspondance mais dont le vote par correspondance ne sera pas pris en compte du fait d’une erreur de leur part n’en seront pas informés, sauf vérification par un tiers des listes d’émargement le jour du scrutin. » ([143])

Deuxièmement, le coût du dispositif apparaît excessif compte tenu de sa faible utilisation par les électeurs résidant à l’étranger. Sur les 120 000 électeurs ayant activé l’option du vote par correspondance, moins de 30 000 ont réellement envoyé un pli à l’administration. Le ministère de l’Intérieur indique que le coût de l’organisation du vote par correspondance lors des dernières élections législatives des députés représentant les Français de l’étranger avoisine un million d’euros. Son extension aux électeurs résidant sur le territoire national pour les seules élections régionales et départementales de juin 2021 a été évaluée à 272 millions d’euros ([144]). Dans un référé du 24 octobre 2016, la Cour des comptes s’est par ailleurs prononcée en faveur de la suppression du vote par correspondance, considérant que le système était coûteux et sans intérêt établi quant à l’augmentation de la participation électorale ([145]).

Troisièmement, cette modalité de vote présente une certaine complexité logistique. Elle constitue un défi organisationnel faisant intervenir une multitude d’acteurs ([146]) soumis à des contraintes de délai parfois difficiles à respecter. L’électeur doit ainsi « activer » l’option du vote par correspondance, recevoir le matériel de vote, utiliser les enveloppes fournies ([147]) et procéder à l’envoi postal ([148]) dans des délais permettant la réception des plis, leur sécurisation et leur dépouillement le jour du scrutin. Les sources d’erreurs ou d’oubli sont donc potentiellement importantes.

En outre, comme mentionné précédemment, le délai d’une seule semaine séparant les deux tours de scrutins rend parfois difficile l’acheminement postal des votes en temps utile, ce qui est susceptible de perturber le bon déroulement des opérations de dépouillement et de retarder l’annonce des résultats ([149]). Le rapport d’information de votre rapporteur Raphaël Schellenberger et de notre collègue Jean-Michel Mis sur les dysfonctionnements dans la distribution de la propagande électorale pour les élections régionales et départementales des 20 et 27 juin 2021 a récemment analysé les problématiques que soulève la distribution postale de dizaines de millions de plis en l’espace de quelques jours. Par analogie, le rétablissement du vote par correspondance pour tous les électeurs, sans préjuger de l’ampleur de son utilisation, se heurterait à des obstacles similaires.

 

Par ailleurs, il ne semble pas opportun d’étendre d’une semaine supplémentaire la durée de l’entre-deux tours des élections afin de desserrer les contraintes calendaires auxquelles l’acheminement postal des plis est assujetti. Compte tenu de la place singulière et primordiale qu’occupe l’élection présidentielle sous la Ve République, il est légitime que celle-ci se déroule sur un temps plus long que les autres scrutins pour lesquels le délai d’une semaine vise notamment à éviter la démobilisation du corps électoral. Les modalités de vote doivent être appréhendées à l’aune des enjeux politiques et institutionnels qui fondent notre démocratie, et non l’inverse.

Enfin, le rétablissement du vote par correspondance impliquerait aussi de réfléchir au caractère irrévocable de ce dernier ([150]), notamment dans le cas où l’électeur ayant activé cette option n’a pas reçu le matériel de vote en temps utile ([151]). Les pistes envisagées en la matière par Jean-Louis Debré révèlent l’évidente complexité d’un tel dispositif :

« Selon l’ampleur de la flexibilité consentie, les conséquences sur le délai de communication des résultats de l’élection sont plus ou moins importantes.

Si le contrôle des enveloppes d’identification est effectué après la fermeture du bureau de vote, les opérations de dépouillement sont significativement retardées (dispositif en vigueur dans plusieurs États fédérés des États-Unis). Si le contrôle des enveloppes d’identification est effectué au fil de l’eau, ainsi que l’émargement et le vote, et que l’électeur se présente avant que son enveloppe ne soit contrôlée, il vote à l’urne et son enveloppe sera annulée. S’il arrive après, l’accès à l’urne lui serait refusé, selon l’exemple retenu pour les personnes détenues en vertu des dispositions de l’article L. 80 du code électoral. Ce dispositif présente néanmoins des risques d’erreur s’il est étendu à 47 millions d’électeurs potentiels. » ([152])

Quatrièmement, le vote par correspondance ne permet pas de garantir le respect du caractère individuel du vote. La difficulté à vérifier la réalité du consentement de l’électeur à recourir à cette technique suscite des doutes quant aux pressions, notamment familiales, que celui-ci pourrait subir. Si le principe du vote individuel est également altéré par le vote par procuration, la vérification physique de l’identité du mandant par un officier de police judiciaire et le lien de confiance existant entre le mandant et le mandataire présentent des garanties que le vote par correspondance, tel que pratiqué pour les élections législatives des députés représentant des Français de l’étranger, n’apporte pas.

 

Sans méconnaître les souplesses que le vote par correspondance peut offrir à l’électeur ni les avantages qu’il peut éventuellement comporter en cas de crise sanitaire, vos rapporteurs considèrent que cette modalité alternative de vote souffre d’inconvénients difficilement surmontables qui ne plaident donc pas en faveur de son rétablissement. Les éventuelles lacunes techniques et désordres organisationnels ([153]) qui en résulteraient pourraient nourrir la défiance d’une partie de l’électorat ([154]), à rebours de la volonté unanimement partagée de renforcer la participation des citoyens dans la vie démocratique.

2.   Le vote électronique

À l’instar du vote par correspondance, le vote électronique n’est autorisé aujourd’hui que dans de rares cas en France. Son utilisation apparaît en recul à l’étranger, en raison d’interrogations croissantes quant à la fiabilité et à la sécurité des opérations électorales réalisées par ce moyen.

a.   Un champ d’application très réduit

Outre son utilisation dans le cadre des élections professionnelles ([155]), le vote électronique est autorisé depuis 2003 pour les élections consulaires et depuis 2009 pour les élections législatives des députés représentant les Français de l’étranger. Le recours au vote électronique présente des résultats très contrastés.

S’agissant des élections consulaires, cette modalité de vote est très largement préférée au vote à l’urne, en raison des contraintes géographiques qui caractérisent l’organisation de ces scrutins dans certains États. Selon les chiffres communiqués par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères, près de 86 % des votants ([156]) aux élections consulaires du 7 novembre 2021 ont choisi le vote par Internet ([157]).

 

S’agissant des élections législatives, les électeurs résidant à l’étranger ont pu voter pour la première fois par voie électronique en 2012. Plus de la moitié d’entre eux ([158]) ont choisi de recourir à cette technique. En 2017, le vote électronique n’a pas été mis en œuvre en raison des risques élevés de cyberattaques évalués par l’Agence nationale de sécurité des systèmes d’information (ANSSI). Auditionné par le groupe travail ([159]), Guillaume Poupard, directeur général de l’ANSSI, a indiqué que le vote électronique devrait pouvoir être mis en œuvre lors des élections des députés représentant les Français de l’étranger au printemps 2022, sous réserve de l’homologation de la plateforme de vote.

Lors de son audition, François Barry Delongchamps, président de l’Union des Français de l’étranger, a souligné que la possibilité de voter sur Internet n’avait pas abouti à des résultats « très convaincants » ([160]), bien qu’elle demeure une faculté à laquelle il n’y a pas lieu de renoncer. La très forte abstention constatée aux élections consulaires et législatives des Français de l’étranger, atteignant systématiquement plus de 80 % des électeurs inscrits lors des derniers scrutins, témoigne de l’influence modeste qu’exercent les modalités de vote à disposition des citoyens sur la participation de ces derniers à la vie démocratique. Ce constat a également été partagé par Jean-Denis Combrexelle, ancien directeur général du travail et président du comité de suivi des élections régionales et départementales de juin 2021, qui a précisé au cours de son audition que la mise en place du vote électronique lors des élections prud’homales de 2008 n’avait entraîné aucun surcroît notable de participation des salariés ([161]).

À l’étranger, le vote électronique observe un recul à l’épreuve des menaces croissantes de piratage informatique.

b.   Les exemples étrangers

L’Estonie est l’État qui recourt le plus au vote électronique pour l’ensemble des scrutins. Lors des élections législatives organisées en 2019, près de 44 % des électeurs ont voté sur Internet contre 5,5 % dix ans plus tôt. Comme l’a souligné Guillaume Poupard lors de son audition, l’Estonie est le seul pays à avoir autant investi afin, d’une part, de garantir la sécurité de ses systèmes d’information, et, d’autre part, de favoriser l’émergence d’une véritable citoyenneté numérique grâce à l’accès digitalisé à la plupart des services publics.

Cette réussite contraste avec l’abandon de l’expérimentation du vote électronique dans plusieurs États européens tels que le Royaume-Uni ([162]) et la Suisse, celle-ci ayant suspendu cette modalité de vote en 2019 en raison de doutes sérieux quant au coût et à la sécurité des dispositifs mis en œuvre ([163]).

Contrairement au vote par correspondance, le vote électronique est donc utilisé de façon particulièrement marginale à l’étranger, illustrant les craintes que suscite une technologie dont l’inviolabilité et la fiabilité présentent de fortes incertitudes, dans un contexte mondial marqué par l’essor de la cybercriminalité.

c.   La persistance de risques opérationnels majeurs

Le vote électronique soulève des enjeux techniques essentiels. Il peut sembler paradoxal de constater que les progrès technologiques accomplis ces dernières années afin de sécuriser les scrutins sur Internet se révèlent plus lents que le développement des cyberattaques susceptibles de les perturber. Au regard des menaces croissantes de piratage informatique à l’échelle mondiale, la sécurité des systèmes d’information mis en place par les États apparaît potentiellement fragile voire rapidement obsolète. Dans sa délibération du 25 avril 2019 relative au vote par correspondance électronique, la CNIL met en garde les pouvoirs publics sur les exigences que requiert un tel dispositif s’agissant des niveaux de validation de secret et d’anonymat du vote :

« Au cours des travaux que la commission a menés depuis 2003 et compte tenu des menaces qui pèsent sur ces dispositifs, elle a, en effet, pu constater que les systèmes de vote existants ne fournissaient pas encore toutes les garanties exigées par les textes légaux. […] La commission reste réservée quant à l’utilisation de dispositifs de vote par correspondance électronique, notamment via Internet, pour des élections politiques […]

Le niveau de risque que présente le déroulement d’un vote varie en fonction du type de scrutin, des évènements redoutés et des menaces qui pèsent sur le traitement. Ainsi, la commission recommande que la solution utilisée pour le scrutin tienne compte de l’importance du niveau de risque de l’élection ainsi que des éventuels bénéfices pour les parties prenantes de recourir à un système de vote par correspondance électronique et que la solution choisie réponde à tous les objectifs de sécurité fixés au regard de ce niveau de risque. » ([164])

La réussite technique du vote électronique impliquerait une adaptation en profondeur des outils technologiques dont disposent déjà l’État et les communes afin d’organiser les scrutins dans les meilleures conditions. Dans sa contribution écrite remise au groupe de travail en amont de son audition, l’INSEE évoque ainsi la nécessité d’articuler, le cas échéant, le répertoire électoral unique (REU) opérationnel depuis le 1er janvier 2019 avec cette nouvelle modalité de vote.

 

Contribution écrite de l’INSEE sur la mise en place du vote électronique

Cette question relève de la responsabilité du ministère de l’Intérieur. L’INSEE avait été auditionné sur le sujet en 2020 par la commission des lois du Sénat, commission qui a formulé en décembre 2020 un ensemble de recommandations sur ce sujet.

Il s’agirait toutefois d’un chantier d’ampleur, qui passerait d’abord par d’importantes évolutions législatives.

D’un point de vue technique, le REU serait très sollicité :

– pour vérifier le statut de l’électeur et son lieu de vote,

– pour alimenter la démarche en ligne avec ces caractéristiques,

– pour informer la commune du mode choisi par l’électeur et ne pas le retenir pour un vote à l’urne.

Le REU se restreindra aux fonctions liées à la vérification que l’électeur peut voter et dans quelle commune. En revanche, il ne pourra pas vérifier que la personne ne vote qu’une seule fois. Cette fonction devra être assurée par une démarche en ligne spécifique et par la commune au moment du scrutin.

Les premières études exploratoires sur ce sujet montrent que le vote électronique nécessitera qu’il soit également anticipé avec une date limite antérieure au dimanche de scrutin pour permettre aux communes d’avoir le temps de gérer la liste des personnes autorisées à voter à l’urne.

Enfin, le vote lui-même ne pourra pas être enregistré dans le REU dont ce n’est pas l’objet. Il serait préférable de développer une autre application hors REU permettant de gérer le vote en ligne, application qui dialoguerait avec le REU pour les contrôles précédemment cités. Le fait de cloisonner les applications selon leur objet permet notamment de limiter les risques informatiques.

Les menaces qui pèsent sur l’intégrité du scrutin ou les manipulations éventuelles qui viseraient à accréditer l’idée d’une modification des votes des électeurs constituent des dangers réels susceptibles de saper la confiance des citoyens dans la fiabilité de cette modalité de vote. Outre le coût et la complexité technique que supposerait une extension du vote électronique à l’ensemble des électeurs pour toutes les élections, vos rapporteurs sont convaincus que les risques de cyberattaques seraient plus élevés s’agissant d’élections à grande échelle que pour des scrutins plus circonscrits. Le bilan bénéfices–risques serait incontestablement déséquilibré, les élections les plus « sensibles » pouvant plus facilement être la cible de tentatives massives de hacking.

En outre, le vote par Internet remettrait en cause les principes traditionnels du vote auxquels vos rapporteurs réaffirment leur attachement. La difficulté à vérifier l’identité de l’électeur lors de l’expression de son choix ouvre la voie à des dérives contre lesquelles l’urne et l’isoloir prémunissent les citoyens depuis plus d’un siècle. Relayant les positions majoritairement exprimées par les responsables politiques consultés dans le cadre de l’organisation des dernières élections régionales et départementales, le rapport remis par Jean-Louis Debré au Premier ministre indique que « les populations pour lesquelles le vote électronique présenterait le plus d’intérêt, soit les personnes dépendantes, ayant des difficultés à se déplacer, ou qui présentent une vulnérabilité sont précisément celles qui seraient les plus exposées à des pressions de la part de personnes qui les assisteraient dans la manipulation d’un ordinateur personnel ou d’un dispositif de vote à distance. Le secret du vote au sein des familles, des communautés, ou des cercles d’intérêt, constitue, par ailleurs, un acquis précieux qu’il faudrait éviter de fragiliser » ([165]).

Lors de son audition, Guillaume Poupard a rappelé avec justesse que le vote électronique fait évoluer l’acte de vote lui-même : ainsi, « ce ne sont pas les électeurs qui votent mais leur smartphone ou leur ordinateur » ([166]).

Ces observations témoignent de l’impact des nouvelles technologies sur la confiance des citoyens dans la fiabilité des résultats du scrutin, dès lors qu’il n’existe pas d’accès totalement transparent à la technologie utilisée, qu’il s’agisse de ses modalités de fonctionnement ou de protection. En effet les citoyens doivent être en mesure de contrôler les opérations électorales, notamment la fiabilité des résultats agrégés, même s’ils ne disposent pas de compétences particulières en la matière. En Irlande, un rapport d’étape de la Commission sur le vote électronique avait conclu à l’impossibilité d’assurer la fiabilité du système « compte tenu des problèmes de secret, d’exactitude et d’analyse » pour des motifs techniques relatifs à l’absence d’accès de la Commission au code source du dispositif, ce qui rendait impossible la certification exacte des résultats ([167]).

Vos rapporteurs considèrent que l’expression du vote requiert une solennité dont le vote électronique est par nature dépourvu. Si cette solution, au demeurant subsidiaire, peut se justifier s’agissant des scrutins pour lesquels le législateur l’a jusqu’à présent autorisée, sa généralisation constituerait une rupture inopportune avec notre rite républicain.

Recommandation n° 10 : rejeter, à court terme, la généralisation des possibilités de vote électronique ou par correspondance postale.

3.   Les machines à voter

Utilisées depuis 1969, les machines à voter sont soumises à un moratoire depuis 2008 qu’il convient de maintenir au regard des exigences de sécurité des scrutins.

a.   Une utilisation marginale

Autorisées depuis la loi n° 69-419 du 10 mai 1969, les machines à voter sont des dispositifs électroniques installés dans les bureaux de vote qui permettent de recueillir le vote des électeurs lors des scrutins. L’article L. 57-1 du code électoral détermine les règles applicables à leur utilisation.

Article L. 57-1 du code électoral

Des machines à voter peuvent être utilisées dans les bureaux de vote des communes de plus de 3 500 habitants figurant sur une liste arrêtée dans chaque département par le représentant de l’État.

Les machines à voter doivent être d’un modèle agréé par arrêté du ministre de l’Intérieur et satisfaire aux conditions suivantes :

– comporter un dispositif qui soustrait l’électeur aux regards pendant le vote ;

– permettre aux électeurs handicapés de voter de façon autonome, quel que soit leur handicap ;

– permettre plusieurs élections de type différent le même jour à compter du 1er janvier 1991 ;

– permettre l’enregistrement d’un vote blanc ;

– ne pas permettre l’enregistrement de plus d’un seul suffrage par électeur et par scrutin ;

– totaliser le nombre des votants sur un compteur qui peut être lu pendant les opérations de vote ;

– totaliser les suffrages obtenus par chaque liste, chaque binôme de candidats ou chaque candidat ainsi que les votes blancs, sur des compteurs qui ne peuvent être lus qu’après la clôture du scrutin ;

– ne pouvoir être utilisées qu’à l’aide de deux clefs différentes, de telle manière que, pendant la durée du scrutin, l’une reste entre les mains du président du bureau de vote et l’autre entre les mains de l’assesseur tiré au sort parmi l’ensemble des assesseurs.

À l’étranger, les machines à voter sont autorisées dans un nombre relativement limité de pays, tels que les États-Unis, le Canada, le Brésil ou la Belgique. Au cours des années 2000, l’Allemagne, les Pays-Bas et l’Irlande ont progressivement renoncé à utiliser les machines à voter en raison de l’insuffisante fiabilité des dispositifs techniques destinés à garantir la sécurité et le bon déroulement des scrutins. En France, des interrogations sur leur fiabilité et des doutes sur leur intérêt ont simultanément émergé ([168]), aboutissant à l’application d’un moratoire décidée en 2008 par le ministère de l’Intérieur. À cette date, seules 82 communes réparties dans 33 départements utilisaient ces machines à voter. Selon le recensement réalisé par le ministère de l’Intérieur en 2021, 63 communes ont encore recours aux machines à voter, ce qui concerne environ 3 % du corps électoral.

b.   Le nécessaire maintien du moratoire décidé en 2008

Le moratoire appliqué depuis 2008 présente un double objet. Il s’agit, d’une part, de geler le périmètre des communes autorisées par arrêté préfectoral à s’équiper de machines à voter et, d’autre part, d’empêcher l’homologation de nouveaux modèles de machines. Selon le Gouvernement, l’obsolescence des machines dont les bureaux de vote ont été équipés avant 2008 « ne permet plus le maintien du statu quo qui serait porteur de risques pour le bon déroulement des scrutins futurs » ([169]).

Le moratoire a ainsi pour effet de contraindre progressivement les communes utilisatrices à abandonner les machines à voter, celles-ci ne pouvant plus être renouvelées qu’à l’aide d’un équipement homologué avant 2008 ([170]), au profit du vote exclusivement papier.

Au début de l’année 2021, le ministre de l’Intérieur a sollicité une étude de l’ANSSI visant à définir les normes à respecter afin que les opérations électorales puissent être organisées sur des machines à voter dans des conditions garantissant leur bon déroulement, leur transparence et la sincérité du scrutin. Les conclusions de cette étude figurent en annexe d’un rapport remis par le Gouvernement au Parlement en décembre 2021, conformément à l’article 10 de la loi n° 2021-191 du 22 février 2021 portant report, de mars à juin 2021, du renouvellement général des conseils départementaux, des conseils régionaux et des assemblées de Corse, de Guyane et de Martinique.

S’il ne prend pas position en faveur de la levée ou du maintien du moratoire, le rapport rappelle les quatre axes de mesures proposées par l’ANSSI afin de garantir un niveau optimal de sécurité du scrutin :

– l’édition d’un bulletin papier pour rendre le vote par machine à voter vérifiable et auditable ;

– la réalisation d’un audit des logiciels équipant les machines à voter ;

– la vérification régulière de l’intégrité matérielle et logicielle des machines à voter par un dispositif de contrôle externe ;

– la mise à jour régulière des matériels et logiciels des machines à voter par leurs fabricants.

En outre, une actualisation du règlement technique de 2003 s’avérerait également indispensable afin de réviser les exigences fonctionnelles auxquelles sont actuellement soumises les machines à voter.

Ces conditions cumulatives n’apparaissent pas satisfaites à ce jour, dans un contexte où les risques de cyberattaque revêtent un caractère évolutif. Compte tenu des exigences rappelées par l’ANSSI, la levée à court terme du moratoire décidé en 2008 ne semble donc pas pertinente. Utilisées de façon marginale depuis 1969, les machines à voter ne représentent pas, selon vos rapporteurs, une technique de vote ayant vocation à se substituer au vote à l’urne.

Recommandation n° 11 : maintenir le moratoire sur les machines à voter appliqué depuis 2008.

Éloignés du rite républicain auquel correspondent symboliquement l’urne et l’isoloir, le vote à distance, par correspondance postale ou électronique, et le recours aux machines à voter ne constituent pas des réponses susceptibles de véritablement stimuler la participation électorale. Dans une autre perspective, la plus grande reconnaissance du vote blanc, « marronnier » des débats politiques contemporains, doit faire l’objet d’un examen minutieux au regard des effets qu’elle pourrait entraîner.

C.   La reconnaissance du vote blanc : une solution dont l’impact reste à mesurer

Le vote blanc représente une expression démocratique qui a longtemps été méconnue par les règles électorales. La loi du 21 février 2014 a ouvert une brèche dans la reconnaissance juridique, encore inachevée, du vote blanc. Cependant, une plus large reconnaissance entraînerait une évolution majeure dont l’opportunité n’apparaît pas évidente à ce jour.

1.   La timide reconnaissance juridique du vote blanc

Depuis la loi du 18 mars 1798 ayant systématisé le vote par bulletin à la place du vote par main levée, le cadre légal et réglementaire du vote blanc a été établi par un décret du 2 février 1852 dont les dispositions ont été reprises par la loi du 29 juillet 1913 afin, d’une part, d’exclure les bulletins blancs des suffrages exprimés, et, d’autre part, d’assimiler les bulletins blancs aux bulletins nuls.

Entre 1958 et 2012, la part des votes blancs et nuls comptabilisés lors des scrutins présidentiels, législatifs et référendaires observe de fortes variations, comprises entre 1 % et 16 % des votants.

Évolution des votes blancs et nuls entre 1958 et 2012 en % des votants

https://www.assemblee-nationale.fr/14/rapports/r0400-4.gif
          Source : ministère de l’Intérieur.

À la suite d’une vingtaine de propositions de loi déposées en ce sens depuis 1993, la distinction entre les bulletins blancs et nuls a été opérée par la loi n° 2014-172 du 21 février 2014 ([171]). Le troisième alinéa de l’article L. 65 du code électoral précise désormais que « les bulletins blancs sont décomptés séparément et annexés au procès-verbal. Ils n’entrent pas en compte pour la détermination des suffrages exprimés, mais il en est fait spécialement mention dans les résultats des scrutins. Une enveloppe ne contenant aucun bulletin est assimilée à un bulletin blanc. »

La catégorisation spécifique des bulletins blancs a ainsi permis, selon les propos du professeur Guy Carcassonne, que « les électeurs assez sophistiqués qui font [le choix du vote blanc] ne soient plus comptabilisés en vrac avec les distraits et les imbéciles » ([172]).

Par ailleurs, si les conséquences du vote blanc sur les résultats du scrutin sont identiques à ceux de l’abstention, leurs ressorts diffèrent. Alors que l’abstention peut être la conséquence d’un désintérêt, d’un problème d’inscription sur les listes électorales ou d’un empêchement ponctuel de l’électeur à se rendre aux urnes, le vote blanc semble présenter toute une autre signification. Adelaïde Zulfikarpasic, directrice de l’institut de sondage BVA Opinion, estime ainsi que le vote blanc « constitue une réponse à une offre politique trop restreinte. En votant blanc, l’électeur manifeste un sentiment de déception momentané, lié à un contexte donné ou à l’égard de la politique en général. Voter blanc est une façon d’essayer de faire passer un message, de protester contre une offre politique qui ne convient pas. » ([173])

La portée de la loi du 21 février 2014 reste modeste. Contrairement à l’intention originelle de son auteur, notre ancien collègue François Sauvadet, le vote blanc demeure exclu de la comptabilisation des suffrages exprimés. Selon les termes utilisés par notre collègue Jean-Félix Acquaviva dans son rapport sur la proposition de loi constitutionnelle relative à la reconnaissance du vote blanc à l’élection présidentielle rejetée par la commission des Lois le 31 mars 2021, cette évolution prive ainsi ce dernier « de toute incidence potentiellement bloquante sur le résultat du scrutin » ([174]).

La très forte augmentation du nombre de bulletins blancs comptabilisés au second tour de l’élection présidentielle de 2017, atteignant plus de trois millions de bulletins soit 8,52 % des votants ([175]) contre un peu plus de deux millions de bulletins blancs ou nuls en 2012, pose la question d’une meilleure prise en compte du vote blanc dans les résultats électoraux.

2.   Une plus large reconnaissance du vote blanc provoquerait un certain bouleversement démocratique

Outre plusieurs initiatives législatives en la matière, la question de la reconnaissance accrue du vote blanc aux élections anime régulièrement les débats politiques.

Ces enjeux ont été évoqués lors de la table ronde organisée par le groupe de travail le 6 mai 2021. Conduite par vos rapporteurs, cette audition a réuni plusieurs professeurs de philosophie et de science politique qui ont motivé de façon convergente leur refus d’une telle mesure.

Pierre-Henri Tavoillot considère ainsi que le vote blanc renforce la confusion entre les mandats représentatif et impératif : alors que l’élu doit être un représentant de l’intérêt général et non le porte-parole de son électorat, le vote blanc instaure selon lui « une logique consumériste du vote », une fiction dans laquelle l’élu devrait in fine être le représentant idéal de son électeur. Si Armel Huet assimile le vote blanc à une « position d’irresponsabilité », Bernard Manin estime qu’il serait « un double de l’abstention » portant indirectement préjudice à l’engagement politique.

Philippe Juhem souligne enfin que le vote est également une manière de consacrer la légitimité des dirigeants. À cette fin, la reconnaissance du vote blanc aurait potentiellement pour effet de rendre minoritaires les gagnants des élections au regard des suffrages exprimés.

Vos rapporteurs partagent la prudence qui caractérise ces prises de position. L’intégration des votes blancs parmi les suffrages exprimés, ce qui correspond concrètement à la plupart des propositions visant à mieux reconnaître le vote blanc, serait susceptible de saper la légitimité des élus en empêchant ces derniers d’atteindre la majorité absolue des suffrages exprimés.

Ce risque politique se conjuguerait aussi à une réelle difficulté juridique. En effet, s’agissant de l’élection présidentielle, l’article 7 de la Constitution prévoit que le Président de la République « est élu à la majorité absolue des suffrages exprimés ». Dans cette hypothèse, le candidat en tête au second tour ne serait pas systématiquement en mesure d’être élu, dès lors que l’addition des voix obtenues par son concurrent et des votes blancs excèderait son propre score. Cette situation s’est présentée lors de l’élection présidentielle de 1995 et de 2012. Ainsi, quelles conséquences juridiques et politiques conviendrait-il de tirer ? Réorganiser l’élection à court terme pourrait aboutir au même résultat, enfermant ainsi le pays dans une crise institutionnelle majeure.

En ce qui concerne les élections locales, les conséquences seraient également non négligeables. Les élections acquises dès le premier tour seraient moins fréquentes, celles-ci nécessitant, en l’état du droit, de réunir la majorité absolue des suffrages exprimés. En outre, l’admission d’une liste de candidats à la répartition des sièges à la représentation proportionnelle serait également rendue plus difficile, en raison du seuil de 5 % des suffrages exprimés applicable aux élections municipales dans les communes de plus de 1 000 habitants et aux élections régionales. Il en irait de même s’agissant de l’accès d’une liste de candidats au second tour de scrutin, en raison du seuil de 10 % des suffrages exprimés applicable aux élections municipales dans les communes de plus de 1 000 habitants et aux élections régionales, ainsi que, pour ces mêmes élections, de la possibilité ouverte à une liste de candidats de fusionner avec une liste admise au second tour de scrutin.

L’assimilation des votes blancs aux suffrages exprimés aurait aussi un impact sur le calcul des seuils à partir desquels l’État rembourse certaines dépenses de campagne, soit aujourd’hui 5 % des suffrages exprimés.

Comme le souligne le rapport d’information visant à identifier les ressorts de l’abstention et les mesures permettant de renforcer la participation électorale : « le risque d’une impasse est réel, obérant la confiance dans la capacité de notre démocratie à assurer la stabilité des institutions » ([176]).

Il est parfois proposé d’associer le vote obligatoire à la reconnaissance du vote blanc parmi les suffrages exprimés. Ce point de vue avait notamment été défendu par l’ancien Président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone. Partisan de cette solution, il n’était pas parvenu à en convaincre le groupe de travail sur l’avenir des institutions qu’il avait présidé, en 2015, avec l’historien Michel Winock. Son avant-propos au rapport Refaire la démocratie en témoigne : « un certain nombre de points – en vérité très peu – ont quant à eux scindé le groupe en deux blocs de taille égale. C’est le cas de la question du vote obligatoire. Malgré l’absence de tout consensus, je demeure convaincu qu’associé à la reconnaissance pleine et entière du vote blanc, son instauration demeure une piste intéressante de revitalisation de notre démocratie. » ([177])

Cependant, le caractère coercitif d’une telle mesure suscite de fortes réticences : lors de la consultation publique menée sur ce sujet par l’Assemblée nationale en novembre 2021, 48 % des répondants s’y sont déclarés opposés ([178]).

L’obligation de voter

S’il peut sembler surprenant de rendre obligatoire l’exercice d’un droit, aucun principe de nature constitutionnelle ou conventionnelle ne paraît s’opposer à l’instauration du vote obligatoire, qui existe d’ailleurs en France pour les élections sénatoriales. Certains pays européens, comme la Belgique, la Grèce, le Luxembourg, le Liechtenstein, l’Autriche (Land de Vorarlberg) et la Suisse (canton de Schaffhouse), connaissent également le vote obligatoire.

Toutefois, jusqu’à présent, les Gouvernements successifs ont considéré que le droit de vote est, en France, « une faculté laissée à l’appréciation des citoyens », conformément à « une tradition républicaine et démocratique (…) qu’il n’est pas envisagé de remettre en question » et qui résulterait de l’article VI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « les citoyens ne disposent pas seulement du droit de vote, ils disposent de son corollaire, le droit de s’abstenir de voter, qui constitue une forme de liberté d’expression » ([179]). À l’été 2018, cette position a été réitérée par Nicole Belloubet, garde des Sceaux, et Richard Ferrand, alors rapporteur général au nom de la commission des Lois, à l’occasion des débats sur le projet de révision constitutionnelle ([180]).

Par ailleurs, les pays qui ont mis en œuvre une telle obligation ont également prévu des facilités particulières pour permettre l’exercice du droit de vote (vote par correspondance en Autriche et en Belgique, vote dans un autre bureau de vote que le sien ou depuis un établissement de soin, possibilité de se faire rembourser par l’État les frais de déplacement engagés par les électeurs qui ne résident plus dans la commune de leur inscription…).

Sauf en cas de motifs légitimes justifiant l’absence de vote, la sanction de la non-participation au vote par une amende correspond à la situation des pays européens qui pratiquent le vote obligatoire. En Belgique, l’amende varie de 27,50 à 55 euros à la première infraction ; elle atteint 137,50 euros en récidive. Au Luxembourg, elle s’élève à 100 euros pour la première abstention et à 1 000 euros en cas de récidive. Dans le Land autrichien de Vorarlberg, l’amende est de 400 euros aux élections municipales, de 700 euros pour les autres élections. Elle est plus symbolique au Liechtenstein (20 francs suisses, soit 17 euros) et dans le canton de Schaffhouse (3 francs suisses, soit 2,50 euros).

En France, l’abstention aux élections sénatoriales est sanctionnée d’une amende de 100 euros prononcée par le tribunal judiciaire ([181]). Le fait que la peine soit prononcée par le tribunal judiciaire et non par le tribunal correctionnel en fait une sanction civile et non pénale, ce qui autorise le législateur à fixer son montant sans référence à l’échelle des peines figurant dans le code pénal.

 

Les auditions conduites par vos rapporteurs n’ont fait état d’aucun engouement en faveur du vote obligatoire, qu’il soit ou non corrélé à la meilleure prise en compte du vote blanc. Vos rapporteurs rejettent clairement la possibilité d’instaurer une obligation de vote, le vote demeurant par essence un droit. En outre, la mise en place corrélative de sanctions en cas de violation d’une telle obligation frapperait en premier lieu des électeurs issus des catégories sociales les plus défavorisées, étant donné la sociologie de l’abstention. Cette évolution raviverait un sentiment d’injustice sociale et alimenterait la défiance qui affaiblit aujourd’hui notre vie démocratique.

Vos rapporteurs considèrent que l’intégration des votes blancs aux suffrages exprimés fragiliserait politiquement et juridiquement les processus électoraux, en portant autant préjudice à la légitimité des élus qu’au bon fonctionnement des pouvoirs publics locaux ou nationaux.

Néanmoins, la forte progression des votes blancs constatée au second tour de l’élection présidentielle de 2017 ne saurait être totalement ignorée. Elle révèle un état d’insatisfaction à l’égard de l’offre politique exprimé par des électeurs qui assument leur devoir civique en se déplaçant aux urnes. Ce phénomène n’a cependant pas vocation à faire l’objet d’une prise en compte juridique plus large que celle dont il bénéficie aujourd’hui, au risque de dévitaliser in fine notre vie démocratique.

La préservation des modalités traditionnelles du vote, qu’il s’agisse du déroulement des scrutins ou de la comptabilisation des résultats, n’implique pas pour autant de rejeter toute évolution du cadre légal et règlementaire en vigueur. Certaines adaptations pourraient ainsi être mises en œuvre dans le but de renforcer la participation des citoyens à la vie démocratique.

II.   Des évolutions demeurent cependant envisageables

L’organisation du scrutin pourrait utilement faire l’objet de plusieurs ajustements afin de favoriser la participation la plus large possible des citoyens à la vie démocratique. L’expérimentation du vote par anticipation, l’assouplissement des règles d’inscription sur les listes électorales, la solennisation de la convocation des électeurs et la modernisation de la distribution de la propagande concourent à cet objectif.

A.   L’expérimentation du vote à l’urne par anticipation

Le vote à l’urne par anticipation, déjà appliqué à l’étranger, représente une piste de réflexion pertinente à condition d’en mesurer les enjeux organisationnels.

1.   Une solution visant à favoriser la mobilisation des citoyens

Si le vote à l’urne ne doit pas être remis en cause en tant que principe cardinal des opérations électorales, l’ouverture anticipée des bureaux de vote constitue une solution intéressante afin de maintenir, voire de renforcer, la participation des électeurs. L’allongement de la durée du scrutin de vingt ou vingt-quatre heures supplémentaires ([182]) grâce à l’ouverture de bureaux de vote dès la journée du vendredi présente deux avantages majeurs.

D’une part, ce vote à l’urne par anticipation vise à adapter le processus électoral aux contraintes auxquelles les électeurs peuvent être confrontés dans leur vie quotidienne, en leur permettant ainsi de pallier leur indisponibilité le dimanche et de voter en conséquence la veille ou l’avant-veille.

D’autre part, le contexte sanitaire actuel lié à la pandémie de covid-19 peut dissuader un certain nombre d’électeurs, notamment les plus vulnérables, de se rendre aux urnes dès lors qu’une forte mobilisation est attendue ([183]), au point de provoquer de longues files d’attente à l’entrée des bureaux de vote. Leur ouverture anticipée permettrait de « lisser » sur trois jours la participation des électeurs, en réduisant ainsi les risques d’engorgement régulièrement constatés lors des scrutins présidentiels.

Certains États ont déjà recours au vote par anticipation, à l’instar de la Finlande ([184]), de l’Islande, et de près d’un quart des États américains ([185]). Aux Pays-Bas, il a été organisé pour la première fois lors des dernières élections législatives de mars 2021, le scrutin étant ouvert sur trois jours consécutifs afin de minimiser les risques de transmission du covid-19 inhérents à d’importantes concentrations de populations. Malgré le contexte sanitaire, le taux de participation à ces élections s’est élevé à près de 79 %, ce qui correspond à une mobilisation des citoyens similaire à celle observée lors des précédents scrutins. S’il est par nature difficile d’appréhender l’impact du vote par anticipation sur le taux d’abstention, force est de constater que sa mise en place aux Pays-Bas à l’épreuve de la crise sanitaire a permis de maintenir le niveau habituel de la participation électorale, ce qui contraste avec les records d’abstention relevés lors des élections régionales et départementales françaises de juin 2021.

Conservant la tradition du vote à l’urne, ce vote par anticipation sur trois jours consécutifs supposerait néanmoins d’ajuster l’organisation et les règles encadrant la tenue des scrutins.

2.   Les ajustements nécessaires à la réussite du vote par anticipation

L’expérimentation de l’ouverture des bureaux de vote sur trois jours a suscité l’approbation de certains intervenants auditionnés ([186]) par le groupe de travail. Cependant, l’allongement de la durée du scrutin entraîne plusieurs conséquences.

Premièrement, il impliquerait de mobiliser davantage de personnes ([187]) dans le but de superviser le bon déroulement des opérations de vote sur trois jours consécutifs, ce qui nécessite une certaine anticipation dans les communes faiblement peuplées. Dans la mesure où l’affluence envisagée serait probablement moins élevée le vendredi, voire le samedi, que le dimanche, seuls certains bureaux de vote pourraient être ouverts les deux premiers jours du scrutin, les électeurs devant bien sûr être préalablement informés de la localisation des bureaux ouverts dès le vendredi, par exemple dans les locaux des sous-préfectures s’agissant des élections départementales, régionales et nationales

Dans cette hypothèse, il conviendra de prêter une attention particulière aux listes d’émargement afin d’éviter qu’un électeur inscrit dans un bureau de vote fermé les deux premiers jours de scrutin ne puisse voter à deux reprises. La transmission des listes d’émargement entre la clôture des opérations de vote à 20 heures et leur réouverture le lendemain à 8 heures permettra aux présidents et assesseurs des bureaux de vote de procéder aux vérifications nécessaires. Dans cette optique, la gestion numérique des listes d’émargement apparaît indispensable pour garantir la faisabilité technique de la procédure. L’outil utilisé afin d’enregistrer la participation pourrait ainsi imprimer un « reçu de vote » donné à l’électeur et dont le bureau de vote garderait la copie. L’objectif est de garantir la possibilité ouverte à n’importe quel citoyen de vérifier la conformité entre le nombre d’enveloppes déposées dans l’urne et celui de reçus conservés par le bureau de vote, ces derniers se substituant ainsi aux signatures manuscrites apposées sur les cahiers d’émargement.

Deuxièmement, la conservation des bulletins déposés dans les urnes le vendredi et le samedi devra satisfaire à des conditions de sécurité suffisantes pour garantir leur inviolabilité jusqu’à la réalisation des opérations de dépouillement le dimanche. Vos rapporteurs se sont interrogés sur les lieux susceptibles d’abriter les urnes sans crainte d’effraction ou de manipulation. Lors de son audition, le directeur de la modernisation et de l’administration du ministère de l’Intérieur, Olivier Jacob, a estimé que les tribunaux judiciaires seraient les mieux à même de conserver les plis jusqu’à leur dépouillement le dimanche ([188]).

Il pourrait également être envisagé que les tribunaux judiciaires puissent accueillir ces opérations électorales anticipées, afin d’éviter le déplacement des urnes à l’issue de chaque journée de scrutin. Bien que plus pratique, le gardiennage des urnes au sein des mairies ou des préfectures pourrait alimenter des soupçons altérant la confiance dans la sincérité du scrutin, ce qui priverait in fine le vote à l’urne par anticipation de son intérêt. S’il se justifie sur un plan institutionnel, le stockage des bulletins de vote au sein des tribunaux judiciaires supposerait également de réaliser le transport aller-retour de ces plis depuis le bureau de vote le vendredi et le samedi soir, puis vers celui-ci le dimanche après-midi avant le début des opérations de dépouillement. Ces contraintes logistiques ne sont pas insurmontables mais elles doivent être appréhendées avec rigueur afin de garantir le succès du vote par anticipation.

Troisièmement, l’ouverture anticipée de certains bureaux de vote dès le vendredi impliquerait de mettre un terme à la campagne électorale au plus tard la veille à minuit ([189]). Il apparaît en effet indispensable de sanctuariser les opérations de vote afin que celles-ci ne soient pas perturbées par des événements affectant le bon déroulement du scrutin du vendredi matin au dimanche soir.

Dans un souci de transparence, la supervision de l’ensemble de ce processus par une autorité administrative indépendante chargée de vérifier le bon déroulement du scrutin renforcerait incontestablement la crédibilité et la régularité des opérations de vote ([190]). Cette évolution institutionnelle nécessiterait de mieux articuler les compétences des communes et des préfectures s’agissant de l’organisation des scrutins, dans le respect de leurs prérogatives.

Recommandation n° 12 : créer une autorité administrative indépendante spécialement chargée d’organiser le scrutin, d’informer les électeurs sur celui-ci et de veille à la régularité de l’ensemble du processus électoral lors de chaque scrutin local et national.

Sous réserve de ces évolutions, vos rapporteurs considèrent que le vote à l’urne par anticipation constitue une solution respectueuse des principes sur lesquels reposent nos règles électorales tout en apportant aux citoyens une souplesse susceptible de stimuler leur participation ([191]).

Recommandation n° 13 : expérimenter le vote par anticipation à partir de l’avant-veille du jour du scrutin, soit dès le vendredi. En conséquence, prévoir que la campagne électorale s’achève le jeudi soir à minuit.

B.   Poursuivre les assouplissements relatifs à l’établissement des procurations et à l’inscription sur les listes électorales

Déjà engagée par le ministère de l’Intérieur, la facilitation de l’inscription sur les listes électorales et de l’établissement des procurations doit être poursuivie.

1.   Assouplir les règles d’inscription sur les listes électorales

Créé par la loi n° 2016-1048 du 1er août 2016 et le décret n° 2018-343 du 9 mai 2018, le répertoire électoral unique (REU) permet la mise à jour à l’échelle nationale des listes électorales à l’initiative, d’une part, des communes qui procèdent aux inscriptions et radiations des électeurs, et d’autre part, de l’INSEE, sur la base des informations transmises par l’administration.

Afin d’assurer une meilleure gestion du processus électoral et la fiabilisation des listes, le REU s’est ainsi substitué à la juxtaposition des 35 500 fichiers tenus indépendamment par chaque commune. Élaboré et géré par l’INSEE, le dispositif garantit l’unicité d’inscription de tout électeur et prévoit la prise en compte des demandes d’inscription jusqu’à six semaines avant le scrutin.

Dans son principe, le nouveau système de gestion des listes électorales simplifie la gestion des listes électorales par les communes puisqu’il prend automatiquement en charge la retranscription des mouvements d’office que les communes devaient jusqu’à présent reporter elles-mêmes sur leurs listes électorales. Il réduit donc significativement le volume des informations que les communes devaient saisir.

L’article L. 16 du code électoral précise les règles applicables au REU.

Article L. 16 du code électoral

I.- La liste électorale de la commune est extraite d’un répertoire électoral unique et permanent. Ce répertoire est tenu par l’Institut national de la statistique et des études économiques aux seules fins de gestion du processus électoral. À Paris, Marseille et Lyon, la liste électorale est extraite par arrondissement.

Le répertoire électoral unique comprend les nom, prénoms, date et lieu de naissance, domicile ou lieu de résidence de chaque électeur, ainsi que toutes autres informations définies par décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, nécessaires à la bonne tenue du répertoire.

L’indication du domicile ou de la résidence comporte celle de la rue et du numéro, là où il en existe, ainsi que l’indication du bureau de vote correspondant au périmètre géographique dont relève l’électeur et qui lui a été attribué par le maire.

Pour les électeurs mentionnés à l’article L. 15-1, l’indication du domicile ou de la résidence est remplacée par celle de l’adresse de l’organisme d’accueil au titre duquel ils ont été inscrits sur la liste électorale de la commune.

II.- Le maire transmet l’ensemble des informations mentionnées au I du présent article à l’Institut national de la statistique et des études économiques. En cas de déménagement d’un électeur au sein de la commune, le maire informe dans un délai de sept jours l’Institut national de la statistique et des études économiques de son changement d’adresse ainsi que, le cas échéant, du changement d’affectation de bureau de vote.

Pour l’application du II de l’article L. 11, l’Institut national de la statistique et des études économiques reçoit les informations nominatives portant sur les nom, prénoms, nationalité, date et lieu de naissance et adresse des personnes concernées et procède directement aux inscriptions dans le répertoire électoral unique.

III.- L’Institut national de la statistique et des études économiques procède directement dans le répertoire électoral unique :

1° Aux inscriptions et radiations ordonnées par l’autorité judiciaire ;

2° Aux radiations des électeurs décédés et des électeurs qui n’ont plus le droit de vote.

Lorsqu’une personne déjà inscrite dans le répertoire électoral unique s’inscrit comme électeur dans une nouvelle commune ou circonscription consulaire, l’Institut national de la statistique et des études économiques met à jour ce répertoire en ne retenant que la dernière inscription de cet électeur. L’Institut national de la statistique et des études économiques transmet les informations prévues au présent III au maire des communes concernées.

IV.- Les informations nécessaires à la tenue et à la mise à jour du répertoire électoral unique sont transmises par voie électronique.

Les règles relatives au traitement de ces informations sont fixées dans les conditions définies par la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés. Un décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, fixe les conditions d’application du présent article.

Un rapport inter-inspections publié en juin 2020 a tiré un premier bilan positif de la mise en place du REU à la suite de l’organisation des élections européennes de mai 2019 :

« Les facteurs de réussite identifiés ont été la durée suffisamment longue du projet depuis la conception, le vote de la loi, la préparation et le développement, le contour délimité et la précision du projet initial, l’adoption d’une méthode agile et donc évolutive. La bonne répartition des rôles entre l’INSEE chargé de la maîtrise d’œuvre et le ministère de l’Intérieur chargé du pilotage interministériel, de l’application et de l’adaptation des textes et la souplesse du co-pilotage de la maîtrise d’ouvrage ont permis le respect des délais et des cadres législatif et réglementaire. » ([192])

Parallèlement à la montée en charge du REU depuis 2019, les modalités d’inscription sur les listes électorales ont été progressivement assouplies ([193]). D’une part, il est désormais possible de s’inscrire sur les listes électorales jusqu’au sixième vendredi précédant le scrutin, cette date limite étant, jusqu’à la loi du 1er août 2016, fixée au 31 décembre de l’année qui précède celui-ci. D’autre part, s’il demeure possible de s’inscrire par courrier ou en se rendant directement dans la mairie de sa commune ([194]), la réforme a dématérialisé la procédure grâce à la mise en place d’un téléservice ([195]). Depuis février 2019, les électeurs peuvent également vérifier en ligne qu’ils sont bien inscrits sur les listes électorales et connaître le bureau de vote dans lequel ils devront se rendre le jour du scrutin ([196]).

Vos rapporteurs saluent la mise en place de cet outil informatique qui contribue à identifier la non-inscription des trois millions d’électeurs potentiels ([197]) aujourd’hui exclus du corps électoral ([198]) et de lutter contre le phénomène de « mal-inscription » de plus de 7,6 millions d’électeurs, qui, selon les travaux conduits par la professeure Cécile Braconnier, ont une propension à l’abstention trois plus importante que les citoyens inscrits au bureau de vote le plus proche de leur domicile effectif ([199]).

Lors de son audition par le groupe le travail, Nadi Bou Hanna, directeur interministériel du numérique, a précisé qu’environ 140 000 inscriptions en ligne étaient effectuées chaque année, grâce à l’authentification des électeurs via la plateforme « France Connect ». Le taux de satisfaction des citoyens qui ont accompli cette démarche s’élève à 9,4/10, ce qui souligne la réussite de la procédure.

Le groupe de travail s’est interrogé sur la possibilité de déterritorialiser l’inscription des électeurs sur les listes électorales s’agissant des scrutins nationaux. Si cette évolution semble techniquement envisageable, elle complexifierait cependant la gestion des listes selon le type de scrutin. En tout état de cause, elle supposerait de mettre en place une gestion numérique des listes d’émargement par les communes, celles-ci ayant toujours recours à l’impression des listes soumises à la signature des électeurs après leur vote. La dématérialisation des listes d’émargement pourrait utilement s’appuyer sur les potentialités du REU. Elle permettrait surtout de reculer au maximum la limite de la clôture des listes, aujourd’hui fixée à six semaines avant le jour du scrutin.

Ces assouplissements requièrent des développements informatiques majeurs auxquels Valérie Roux, cheffe du département de la démographie de l’INSEE, a sensibilisé le groupe de travail lors de son audition ([200]) :

« Aucune évolution substantielle ne peut être réalisée en moins de 24 mois […] En effet, une fois réalisée l’analyse d’impact sur le système d’information, la conception et les développements informatiques, il est en effet indispensable de vérifier que le REU satisfait toujours aux conditions de sécurité et est toujours capable de tenir la charge (car les pics de charges sont très forts sur le système et une panne longue pourrait empêcher une élection). Il faut également mettre à disposition des éditeurs de logiciels les éléments et les plateformes de tests pour leur permettre de mettre à niveau leurs logiciels.

Pour l’INSEE, réduire le délai conduirait à concentrer les sollicitations du système d’information pour éditer les livrables sur une période plus courte, ce qui nécessiterait une vigilance accrue pour garantir la disponibilité et le bon fonctionnement du système et une plus grande réactivité pour réparer d’éventuels dysfonctionnements. » ([201])

Toute extension du REU doit en effet répondre à des exigences juridiques encadrant l’interconnexion de fichiers comportant des données à caractère personnel mais aussi à des contraintes techniques destinées à garantir la fiabilité et l’ergonomie de cet outil. Il conviendrait également de doter les assesseurs des bureaux de vote de tablettes, de les former à l’usage du REU et de mettre en place, par cohérence avec la numérisation des listes d’émargement, un dispositif de signature électronique. Ces évolutions sont indispensables afin de permettre l’inscription sur les listes électorales au plus près du jour du scrutin ([202]). Aujourd’hui, le délai de six semaines séparant la clôture des inscriptions du jour du scrutin se justifie par l’impression, la distribution et les vérifications de la concordance des listes ainsi éditées avec les données du REU. Dans l’hypothèse d’une dématérialisation complète des listes, un délai de dix jours entre la clôture des listes et le jour du scrutin apparaît adapté afin d’assouplir les délais d’inscription actuels tout en stabilisant suffisamment tôt les listes d’émargement.

Recommandation n° 14 : dématérialiser la gestion des listes d’émargement et reculer la date limite d’inscription sur les listes électorales à dix jours avant le scrutin.

Dès lors que les conditions techniques garantissant la mise à jour en temps réel du REU seront satisfaites, il serait pertinent d’expérimenter l’inscription des électeurs sur les listes électorales le jour du scrutin. Ce dispositif est déjà mis en œuvre dans une vingtaine d’États américains ([203]).

Recommandation n° 15 : expérimenter l’inscription des électeurs sur les listes électorales le jour du scrutin.

2.   Faciliter l’établissement des procurations

Le vote par procuration s’est substitué au vote par correspondance depuis la loi du 31 décembre 1975. La France ([204]) fait partie de la trentaine d’États qui autorisent aujourd’hui le vote par procuration.

Vote par procuration dans le monde

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  Source : Institute for Democracy and Electoral Assistance

Le législateur a souhaité desserrer les contraintes administratives susceptibles d’entraver le recours au vote par procuration. Dans le sillage de la loi du 1er août 2016 ayant créé le REU, l’article de la loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 dite « engagement et proximité » a supprimé la condition d’attache du mandant et du mandataire dans la même commune. Cette déterritorialisation des procurations, applicable pour la première fois lors de l’élection présidentielle de 2022, exige cependant que le mandataire vote par procuration dans le bureau de vote dans lequel le mandant est inscrit ([205]).

En outre, la dématérialisation progressive de la procédure de procuration grâce au téléservice « Ma Procuration » ouvert au début de l’année 2021 a considérablement assoupli les démarches des électeurs désireux de recourir à cette modalité de vote.

Les mandants peuvent ainsi accomplir en ligne les formalités administratives préalables à la validation de leur procuration par un officier de police judiciaire ([206]). Cette validation requiert cependant le déplacement du mandant au commissariat, à la gendarmerie ou au tribunal judiciaire afin de procéder à la vérification physique de son identité.

Le groupe de travail s’est interrogé sur l’opportunité de dématérialiser entièrement la procédure. L’enjeu est ici de déterminer dans quelle mesure la vérification de l’identité du mandant par l’officier de police judiciaire exige une confrontation physique au commissariat ou à la gendarmerie ([207]). Les auditions des services du ministère de l’Intérieur et de la direction interministérielle du numérique ont souligné les réticences des pouvoirs publics à s’engager dans la voie d’une dématérialisation totale de la procédure. La confrontation physique permet non seulement de contrôler l’identité du mandant mais aussi de vérifier l’effectivité de son consentement à voter par procuration, celui-ci étant contraint de se déplacer en personne pour finaliser la démarche.

Néanmoins, le développement à moyen terme d’une véritable identité numérique citoyenne ([208]) représente un levier décisif afin de consolider la dématérialisation de ces démarches. L’objectif est de permettre la reconnaissance à distance de l’identité des personnes, à l’aide par exemple, des outils de visioconférence auxquels les citoyens se sont familiarisés depuis le début de la crise sanitaire. La mise en place de solutions d’identité numérique sécurisée est indispensable afin de réaliser des opérations qui requièrent l’authentification des citoyens utilisateurs. Selon Cédric O, secrétaire d’État chargé de la Transition numérique et des Communications électroniques, il s’agira ainsi « d’ouvrir en ligne des services qui nécessitent l’identification élevée des personnes sans contact physique, en les protégeant contre les risques croissants d’usurpation d’identité en ligne et en conservant la maîtrise des données d’identité » ([209]).

Cette piste ambitieuse aurait le mérite de simplifier la procédure actuelle qui demeure en quelque sorte « au milieu du gué », ce qui peut encore dissuader un certain nombre d’électeurs d’y recourir.

Recommandation n° 16 : expérimenter, à moyen terme, la dématérialisation complète de la procédure de procuration grâce à la mise en place d’une vérification à distance de l’identité des mandants.

Ces évolutions procédurales pourraient enfin se conjuguer à l’amélioration de l’information des citoyens à l’approche des échéances électorales.

C.   Solenniser la convocation des électeurs en amont des scrutins et moderniser la distribution de la propagande électorale

En amont de l’élection, le code électoral prévoit que les électeurs sont convoqués par un décret ou arrêté pris au moins six semaines avant le jour de l’élection ([210]). Si cet acte règlementaire a essentiellement pour objet de déterminer les dates des tours de scrutin, il ne correspond pas pour autant au lancement de la campagne dont l’ouverture est fixée par l’article L. 47 A du code électoral au deuxième lundi qui précède le premier tour de scrutin. Ainsi, la convocation des électeurs présente essentiellement, en l’état du droit, une dimension formelle dénuée de réelle portée pratique.

Vos rapporteurs considèrent que la publication du décret de convocation des électeurs constitue un moyen pertinent afin de sensibiliser les citoyens au déroulement des scrutins auxquels ils sont appelés à participer. Effectuée habituellement moins de deux mois avant le premier tour, elle ouvre officieusement une forme de « pré-campagne » au cours de laquelle les électeurs ont vocation à s’intéresser aux enjeux du scrutin, prendre connaissance du programme des candidats ou encore déterminer la modalité par laquelle ils souhaiteront voter.

Symboliquement, la notion de « convocation » des électeurs révèle également la double dimension du vote dans notre système démocratique, à la fois droit fondamental et devoir civique. Dans cette perspective, il apparaît utile d’accorder à cette convocation du peuple souverain la solennité qu’elle mérite. Vos rapporteurs préconisent ainsi d’envoyer à chaque électeur une convocation officielle par voie postale à compter de la publication du décret de convocation.

Approuvé par l’Association des maires de France lors de son audition par le groupe de travail ([211]), l’envoi postal d’une convocation individuelle des électeurs ne revêt pas qu’un simple caractère symbolique. Il aurait surtout pour objet de fournir à chaque citoyen le matériel et l’ensemble des informations nécessaires à l’exercice de son droit de vote.

Dans la perspective de la dématérialisation de la gestion des listes d’émargement et de la création d’une véritable identité numérique, la convocation postale des électeurs permettrait de distribuer une carte électorale dotée d’un QR code individuel que ces derniers présenteront aux assesseurs des bureaux de vote afin d’attester de leur participation. Le scan du QR code se substituerait alors à la signature manuscrite des listes d’émargement.

En outre, la convocation des électeurs est également l’occasion de les informer des règles applicables aux modalités de vote, à l’image du recours à la procédure de vote par procuration, ainsi que du bureau auquel ils devront se rendre lors du scrutin et de ses horaires d’ouverture. Afin de renforcer l’intérêt des citoyens dans le processus démocratique, le courrier contiendrait également des informations relatives au déroulement de la campagne électorale et au rôle institutionnel des pouvoirs publics locaux ou nationaux pour lesquels les électeurs sont appelés aux urnes ([212]).

Enfin, l’envoi d’une convocation individuelle moins de deux mois avant l’élection constituerait le moyen idoine pour moderniser la distribution de la propagande électorale. Les nombreuses difficultés survenues en la matière lors des élections régionales et départementales de juin 2021 soulèvent des doutes légitimes quant à l’opportunité de maintenir une distribution postale systématique des documents de propagande à 48 millions d’électeurs, alors même qu’un site Internet a été créé par le ministère de l’Intérieur en juin 2020 visant à mettre en ligne les professions de foi des candidats aux élections. Entreprise dans la perspective du second tour des élections municipales de juin 2020, cette démarche a été renouvelée lors des dernières élections régionales et départementales. Ce site Internet ([213]), ouvert dès le début de la campagne officielle le 31 mai 2021, regroupait les professions de foi déclarées conformes par la commission de propagande puis transmises au format numérique par les candidats, sur la base du volontariat. 75 % des documents de propagande ont ainsi été mis en ligne s’agissant des élections départementales, et 86 % pour les élections régionales ([214])

Conformément aux recommandations déjà émises par votre rapporteur Raphaël Schellenberger et Jean-Michel Mis ([215]), il conviendrait de laisser le choix aux électeurs d’opter en faveur du maintien de la distribution postale ou de l’accès uniquement dématérialisé à la propagande électorale. L’envoi de la convocation personnelle des électeurs leur permettrait de formaliser ce choix.

Cette solution présenterait plusieurs avantages. D’une part, elle aurait pour effet de décongestionner la distribution postale de la propagande en réduisant le volume des documents à envoyer aux électeurs dans l’hypothèse où certains d’entre eux auraient fait le choix de renoncer à la réception de documents papier. Aujourd’hui, le nombre élevé de documents conjugué aux contraintes calendaires auxquelles sont soumis les acteurs de la mise sous pli et de la distribution, notamment lors de l’entre-deux tours des scrutins législatifs et locaux, peut aboutir à des dysfonctionnements logistiques notables tels que ceux ayant affecté les dernières élections régionales et départementales.

D’autre part, cette évolution diminuerait les coûts afférents à la distribution de la propagande ([216]), ce qui compenserait le surcoût engendré par l’envoi postal de la convocation officielle à chaque citoyen. Selon une étude réalisée en 2020 à l’occasion des élections municipales ([217]), une économie d’environ 22 millions d’euros aurait ainsi été réalisée si 30 % des électeurs avaient choisi d’accéder uniquement par voie dématérialisée aux documents de propagande des candidats.

Sur le plan technique, le recueil de ce choix pourrait être effectué à l’aide du REU qui contient l’adresse électronique des électeurs qui en disposent. Cette orientation supposerait des ajustements décrits par l’INSEE dans sa contribution écrite remise au groupe de travail :

« L’opportunité de distribuer la propagande par voie électronique relève d’une décision politique et non technique. Si elle devait être mise en œuvre, des moyens conséquents devront être alloués pour instruire l’adaptation du REU et la mise en œuvre technique. Il faudrait vérifier également la qualité des adresses électroniques disponibles et leur actualité dans le REU.

L’adresse électronique fait partie des variables du REU, mais elle est optionnelle. Un scénario technique envisageable serait qu’une nouvelle démarche en ligne soit créée par la direction de l’information légale et administrative sur le site Service-public.fr (à l’instar de celles sur l’inscription en ligne, des procurations ou de l’interrogation de sa situation électorale) afin de permettre aux électeurs de choisir leur option. Comme pour les autres démarches, le REU serait sollicité automatiquement pour vérifier le statut de l’électeur et sa commune d’inscription et en cas de bonne concordance, enregistrerait le souhait de l’électeur de recevoir sa propagande dématérialisée. L’idéal serait que les électeurs ayant opté pour la propagande dématérialisée puissent la consulter directement sur un site Internet du ministère de l’Intérieur. » ([218])

La dématérialisation d’une partie des opérations préparatoires du vote est une piste d’avenir susceptible de mieux informer les citoyens sur les processus électoraux, créant ainsi les conditions de leur mobilisation le jour du scrutin.

Recommandation n° 17 : à compter de la publication du décret de convocation des électeurs, envoyer une convocation officielle à tous les électeurs comportant :

une carte électorale dotée d’un QR code individuel permettant l’émargement électronique le jour du scrutin ;

les informations relatives au déroulement de l’élection, aux modalités de vote et aux compétences des pouvoirs publics locaux ou nationaux pour lesquels les électeurs sont appelés aux urnes ;

la possibilité pour chaque électeur de choisir d’accéder uniquement par voie dématérialisée aux documents de propagande électorale.

III.   L’association des citoyens à la décision politique, une promesse à tenir

En complément des mesures visant à encourager le vote, il paraît souhaitable d’encourager l’association à la décision politique sous d’autres formes. La participation à la vie publique ne peut en effet se résumer à des moments électoraux par essence ponctuels. Les dispositifs de participation citoyenne permettent aux citoyens d’enrichir le débat et de participer à l’action publique. Ils doivent à ce titre être encouragés, sans pour autant que soient remis en cause le principe de la démocratie représentative ou l’indépendance des élus.

A.   Encourager et encadrer les dispositifs de participation

À titre préliminaire, vos rapporteurs observent que le développement des outils de démocratie participative ne peut être regardé que comme un complément à la démocratie représentative qui doit conserver la primauté. En effet, si mobilisateur soit-il, aucun processus de démocratie participative ne parvient à rassembler des millions de personnes comme le processus électoral lui-même, même avec une forte abstention. Par ailleurs, la légitimité et l’impartialité des dispositifs de participation citoyenne sont davantage sujettes à caution que celles du processus électoral, strictement encadré et contrôlé.

Le développement de la participation des citoyens au cours des dernières années, tant au niveau local que national, illustre néanmoins les réelles aspirations en ce sens. Ces évolutions méritent d’être saluées et encouragées dans le respect du rôle des élus.

1.   L’essor de la démocratie participative

Des dispositifs de démocratie participative se sont développés au niveau local ainsi que, plus récemment, à la faveur du développement du numérique, au niveau national.

a.   Les territoires, lieux privilégiés de l’essor de la participation citoyenne

De nombreux dispositifs de participation citoyenne existent au niveau local, en particulier :

– les consultations locales, une pratique consacrée par la loi du 13 août 2004 ([219]) relative aux libertés et responsabilités locales. Les électeurs peuvent aussi être à l’initiative d’une demande d’organisation de consultation, en signant une pétition ;

– les budgets participatifs : au nombre de sept en 2014, ils ont été mis en place, en 2020, par 170 collectivités en France, concernant ainsi 19 millions de Français ([220]) ;

– les instances locales. Les conseils de quartier ([221]), obligatoires dans les communes de 80 000 habitants et plus, peuvent être consultés par le maire et lui faire des propositions sur toute question concernant le quartier ou la ville. Le maire peut les associer à l’élaboration, à la mise en œuvre et à l’évaluation des actions intéressant le quartier. Les conseils citoyens ([222]), obligatoires dans chaque quartier prioritaire de la politique de la ville, regroupent des habitants du quartier concerné et des représentants d’associations et acteurs locaux. Dans les collectivités les plus importantes, la création d’une commission consultative des services publics locaux est obligatoire pour associer les citoyens à la gestion de ces services ([223]). Le conseil municipal peut aussi créer des comités consultatifs sur tout problème d’intérêt communal concernant tout ou partie du territoire de la commune ([224]).

b.   Le développement de la démocratie participative à l’échelle nationale

La Commission nationale du débat public (CNDP), chargée de garantir le droit à l’information et à la participation du public sur l’élaboration des projets et des politiques publiques ayant un impact sur l’environnement, organise depuis 1997 des consultations ou débats dans les territoires concernés par des grands projets d’aménagement et d’équipement d’intérêt national.

Au cours des dernières années, l’Assemblée nationale a par ailleurs lancé des consultations citoyennes en ligne dans le cadre de ses travaux sur la réhabilitation de l’étang de Berre, l’identité numérique, le cannabis récréatif, les droits de fusion audiovisuelle des manifestations sportives ou encore l’abstention et la participation citoyenne. Le Sénat s’est également emparé de ces nouveaux outils et rassemble, sur une page de son site Internet, des espaces participatifs, des forums, des consultations par messagerie ou des questionnaires.

À l’initiative du Président de la République, le Gouvernement a engagé début 2019 un grand débat national sur quatre thèmes : la fiscalité et les dépenses publiques, l’organisation de l’État et des services publics, la transition écologique, la démocratie et la citoyenneté. Organisé de décembre 2018 à avril 2019, le grand débat a donné lieu à 10 000 réunions publiques organisées dans les territoires, et près de 2 millions de contributions en ligne.

Par la suite, conformément aux conclusions du grand débat national, une convention citoyenne pour le climat a été mise en place. Composée de 150 Français tirés au sort et représentatifs de la société française, elle a travaillé pendant plusieurs mois pour élaborer des propositions destinées à lutter contre le réchauffement climatique. Le 21 juin 2020, la Commission a adopté 149 propositions qui ont inspiré en particulier la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.

Ces expériences récentes appellent deux remarques.

D’une part, elles illustrent bien le fait que la participation des citoyens au débat public et à l’élaboration des politiques publiques requiert l’implication des élus, tant au niveau local qu’au niveau national. Les deux processus, si souvent opposés, gagnent à être envisagés comme complémentaires.

D’autre part, la participation des citoyens doit s’accompagner d’une information claire sur l’issue de l’exercice et les suites qui seront données aux propositions formulées. En ce qui concerne la convention citoyenne, les bilans gouvernementaux tranchent fortement avec le ressenti des participants à la convention. Les propositions ont pu sembler dénaturées par le débat parlementaire, alors même que la promesse du Président de la République de les transmettre « sans filtre » au Parlement ou de les soumettre au référendum avait pu laisser penser aux participants qu’elles ne seraient pas modifiées.

Bilan de la mise en œuvre des propositions de la Convention citoyenne pour le climat

Le site viepublique.fr indique que sur les 149 propositions, 75 ont été mises en œuvre par différents leviers et 71 seraient en cours de mise en œuvre. Seules trois auraient été écartées : la modification du Préambule de la Constitution, la réduction de la vitesse sur les autoroutes à 110 km/h et la taxation des entreprises.

Pourtant, invités à noter le Gouvernement dans sa mise en œuvre de leurs propositions, avec des appréciations de 1 à 10, les membres de la Convention citoyenne lui ont accordé des notes médiocres : 3/10 pour les propositions relatives au logement et aux transports, 4/10 pour les mesures qui concernent la consommation et la nourriture.

Malgré cette déception, les membres de la convention citoyenne ne remettent pas en cause l’utilité de la démarche, estimant malgré tout que la convention a été « utile à la lutte contre le changement climatique » (note de 6/10) et que « le recours aux conventions citoyennes [est] de nature à améliorer la vie démocratique [du] pays » (note de 7,7/10) t ([225]).

De son côté, le site « Reporterre » dresse un bilan très négatif de la mise en œuvre des recommandations de la Convention citoyenne. 54 % des propositions auraient été abandonnées ou « tellement modifiées qu’elles en sont complètement dénaturées » et seules 15 d’entre elles auraient été reprises sans filtre ([226]).

2.   Des dispositifs prometteurs dont les règles du jeu doivent être précisées

En dépit du bilan contrasté évoqué ci-dessus, vos rapporteurs considèrent que le bilan de la Convention citoyenne pour le climat est globalement positif, ne serait-ce que par le vif intérêt citoyen et médiatique qu’il a suscité. Cette expérience n’a par ailleurs pas vocation à se limiter aux sujets environnementaux, comme le souligne l’exemple irlandais : les avancées sociétales majeures des dernières années, comme la légalisation du mariage entre personnes de même sexe (en 2014) et de l’interruption volontaire de grossesse (en 2016), y ont été adoptées par référendum après avoir été proposées par des conventions citoyennes.

Le développement des dispositifs de concertation et d’association des citoyens nécessite que soit dépassée l’opposition supposée entre la participation des citoyens et le respect des prérogatives des élus. Vos rapporteurs considèrent ainsi que le soin d’organiser et de définir les conditions de futures consultations citoyennes devrait revenir au Parlement plus qu’au pouvoir exécutif. Cette démarche rendrait manifeste le caractère complémentaire, en non pas concurrent, de la participation des citoyens et des processus de représentation. Elle apparaît également logique dans la mesure où une partie au moins des propositions des conventions à venir auront vocation à trouver un aboutissement législatif.

Les modalités de répartition éventuelle de cette tâche entre les deux assemblées devront être déterminées. De même, il serait utile que le Parlement clarifie les procédures et le sort réservé aux propositions issues des futures conventions qu’il organisera, afin d’éviter les déconvenues observées à l’issue de la Convention citoyenne pour le climat. Cet encadrement pourrait prendre la forme du vote d’un projet ou d’une proposition de loi, en amont de la consultation, pour en fixer le cadre.

Recommandation n° 18 : confier au Parlement l’organisation et le patronage des futures conventions citoyennes.

Plus largement, lorsqu’un processus de participation a vocation à être décisionnaire et pas purement consultatif, il apparaît essentiel de fixer un cadre législatif afin que les règles du jeu soient fixées à l’avance et connues de tous.

Recommandation n° 19 : encadrer clairement dans la loi les processus de participation citoyenne.

Pour assurer le bon déroulement de ces nouvelles formes de participation citoyenne, qui ont vocation à se dérouler au moins en partie de façon dématérialisée, vos rapporteurs soulignent enfin la nécessité de créer une autorité administrative indépendante. Elle serait aussi chargée de gérer l’identité numérique permettant aux citoyens de participer aux débats.

Recommandation n° 20 : créer une autorité administrative indépendante spécialement chargée de l’organisation du débat en ligne et de l’identité citoyenne numérique.

B.   Redynamiser la pratique du référendum

Modalité la plus évidente d’association des citoyens à la décision publique, le référendum, outil de démocratie directe par excellence, est aujourd’hui largement marginalisé dans la vie politique française. L’abandon du référendum sur l’inscription à l’article 1er de la Constitution de dispositions sur l’environnement, conformément aux recommandations de la Convention citoyenne sur le climat, n’en est que la plus récente illustration. La Constitution de la Ve République accorde pourtant une place pleine et entière à ce procédé et en fait l’une des modalités d’exercice par le peuple de sa souveraineté. Dès lors, le renouveau de la vie démocratique ne peut faire l’impasse sur cet outil.

1.   Un mauvais procès qui mérite d’être dépassé

Marginalisé depuis 2005 dans la vie politique française, parfois même considéré avec suspicion comme l’arme des populistes, le référendum mériterait d’être mis au service de la démocratie.

a.   Splendeurs et misères du référendum sous la Ve République

Décrédibilisé par le souvenir des plébiscites impériaux, le référendum n’a fait son retour dans le dispositif constitutionnel français qu’en 1958. Son usage, depuis la chute du Second Empire, s’était jusqu’alors limité à l’adoption de modifications d’ordre constitutionnel. 

L’article 3 de la Constitution du 4 octobre 1958 proclame que « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ». Deux types de référendums à l’échelle nationale sont ainsi prévus dans la Constitution adoptée en 1958 :

– L’article 11 prévoit le référendum législatif, qui permet au Président de la République de soumettre au référendum « tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions ».

– L’article 89 prévoit quant à lui l’approbation par référendum de toute révision de la Constitution. Une procédure alternative est toutefois prévue : le projet de révision peut aussi être soumis au Parlement convoqué en Congrès, qui doit l’approuver à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés.

Dans la pratique, aucune de ces deux voies référendaires n’a réellement prospéré sur le long terme. Les douze premières années de la Ve République sous la présidence du général de Gaulle, ont indéniablement constitué un « moment référendaire », mais la pratique du référendum s’est ensuite essoufflée. Les cinq référendums organisés depuis la mort du général de Gaulle ont été marqués par une forte abstention ([227]).

Référendums sous la Ve République

Objet

Date

Résultat

Constitution de la Vème République

28 septembre 1958

Victoire du oui

Autodétermination de l’Algérie

8 janvier 1961

Victoire du oui

Accords d’Evian sur l’indépendance de l’Algérie

8 avril 1962

Victoire du oui

Élection du président de la République au suffrage universel direct

28 octobre 1962

Victoire du oui

Réforme du Sénat et régionalisation

27 avril 1969

Victoire du non

Élargissement de la Communauté économique européenne

23 avril 1972

Victoire du oui

Statut de la Nouvelle-Calédonie

6 novembre 1988

Victoire du oui

Ratification du traité de Maastricht sur l’Union européenne

20 septembre 1992

Victoire du oui

Quinquennat

24 septembre 2000

Victoire du oui

Ratification du traité établissant une Constitution pour l’Europe

29 mai 2005

Victoire du non

Source : commission des Lois à partir des données de www.conseil-constitutionnel.fr

La Constitution a été révisée à 24 reprises. Deux modifications ont été validées par référendum : l’instauration de l’élection du Président de la République au suffrage universel direct en 1962, soumise au référendum sur le fondement de l’article 11 et non pas de l’article 89 comme l’exigeait la Constitution ; et la fin du septennat en 2000, soumise au référendum cette fois-ci sur le fondement de l’article 89.

Divers référendums d’ordre local ont été ajoutés à la Constitution. Toutefois, les dernières révisions portant sur l’usage du référendum au niveau national se sont avérées particulièrement pusillanimes.

– La révision constitutionnelle du 1er mars 2005 a ajouté un article 88-5, qui pose le principe de l’intervention d’un référendum pour valider « tout projet de loi autorisant la ratification d’un traité relatif à l’adhésion d’un État à l’Union européenne », tout en prévoyant une alternative : « par le vote d’une motion adoptée en termes identiques par chaque assemblée à la majorité des trois cinquièmes, le Parlement peut autoriser l’adoption du projet de loi selon la procédure prévue au troisième alinéa de l’article 89 ».

– Issu de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, le référendum d’initiative citoyenne partagée (article 11), est soumis à des conditions particulièrement strictes qui rendent sa mise en œuvre extrêmement difficile. Ses modalités n’ont d’ailleurs été précisées qu’en 2013 par la loi organique n° 2013-1114 du 6 décembre 2013 portant application de l’article 11 de la Constitution, entrée en vigueur le 1er février 2015.

b.   Un outil au service du renouveau démocratique

Les critiques à l’encontre du référendum sont bien connues. En ne permettant aux électeurs que de se prononcer « pour » ou « contre », il masquerait la complexité du sujet et réduirait le débat à un choix binaire et réducteur. Ses résultats seraient aussi faussés par le fait que les électeurs votent autant pour ou contre celui qui l’organise que pour ou contre la question posée. Surtout, la victoire du « non » lors du référendum sur la ratification du traité établissant une Constitution pour l’Europe en 2005 et plus récemment l’issue du référendum sur le Brexit au Royaume-Uni en 2016 semblent avoir largement conforté les dirigeants dans l’idée qu’il est dangereux d’y recourir.

Les promesses de référendums faites par certains candidats sont ainsi souvent regardées avec méfiance comme un stratagème de contournement de la logique représentative et de contestation de la légitimité démocratique des élus.

Cette marginalisation du référendum semble accréditer l’idée d’une captation du pouvoir par des représentants coupés des aspirations des électeurs, trop incompétents pour se voir confier la possibilité de trancher directement des décisions politiques. Ainsi la défiance des gouvernants envers les gouvernés entretient-elle en retour la défiance des gouvernés envers les gouvernants. Pourtant, la banalisation du référendum contribuerait sans doute à en désacraliser l’usage et à diminuer ainsi le risque de dérive plébiscitaire. Le rapport de Claude Bartolone et Michel Winock, Refaire la démocratie, soulignait aussi son intérêt pour renforcer la confiance en asseyant la légitimité des décisions politiques ainsi adoptées ([228]).

En 1870, le caricaturiste Honoré Daumier publiait dans le Charivari une célèbre caricature montrant deux hommes demandant « M’sieur le maire, quoi donc que c’est qu’un bibiscite ? » pour s’entendre répondre par l’édile local : « C’est un mot latin qui veut dire oui ». Cent cinquante ans plus tard, peut-être est-il temps de créditer le peuple d’un jugement politique suffisant pour que les référendums d’aujourd’hui ne s’apparentent pas aux plébiscites d’hier.

2.   Une pratique à renouveler

Le renforcement de la pratique du référendum pourrait passer par la simplification de l’initiative citoyenne pour sa mise en œuvre.

a.   Le référendum d’initiative partagée, une promesse non tenue

Près de quinze ans près la révision constitutionnelle de 2008, force est de constater que le référendum d’initiative partagée prévu à l’article 11 de la Constitution n’a pas tenu ses promesses. Le Conseil constitutionnel lui-même, dans une décision du 18 juin 2020, a jugé la procédure « dissuasive et peu lisible pour les citoyens ». Il souligne, en particulier, le niveau des seuils à atteindre et le caractère purement hypothétique de la tenue du référendum même dans le cas où les seuils sont atteints ([229]).

Article 11 de la Constitution (extraits relatifs au référendum d’initiative partagée)

« Un référendum portant sur un objet mentionné au premier alinéa peut être organisé à l’initiative d’un cinquième des membres du Parlement, soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales. Cette initiative prend la forme d’une proposition de loi et ne peut avoir pour objet l’abrogation d’une disposition législative promulguée depuis moins d’un an.

Les conditions de sa présentation et celles dans lesquelles le Conseil constitutionnel contrôle le respect des dispositions de l’alinéa précédent sont déterminées par une loi organique.

Si la proposition de loi n’a pas été examinée par les deux assemblées dans un délai fixé par la loi organique, le Président de la République la soumet au référendum. »

 

 

La proposition de loi ayant vocation à être soumise au référendum doit recueillir le soutien d’un cinquième des membres du Parlement, soutenus par un dixième des électeurs. Ces seuils, trop élevés, ne permettent pas aux électeurs de se saisir pleinement des possibilités offertes par cet article :

– 10 % du corps électoral représente environ 4,7 millions de signatures, ce qui est extrêmement contraignant. De fait, d’autres États européens ayant mis en place des dispositifs d’initiative citoyenne ont fixé des seuils beaucoup plus faibles ([230]). Le fait qu’aucune proposition n’ait réussi à dépasser cette barre à ce jour est éloquent : la procédure n’a été mise en œuvre qu’une seule fois et le 26 mars 2020, le Conseil a constaté que la proposition de loi visant à affirmer le caractère de service public national de l’exploitation des aérodromes de Paris (ADP) n’avait pas atteint le seuil de signatures requis ([231]). Ces soutiens doivent être réunis en neuf mois.

– Le seuil d’un cinquième des parlementaires, correspondant à près de 200 parlementaires, place le référendum d’initiative partagée hors de portée de la plupart des groupes d’opposition.

b.   Un processus à réinventer : pour la mise en place d’un référendum d’initiative populaire

Prenant acte des dysfonctionnements du référendum d’initiative partagée, vos rapporteurs soulignent l’intérêt qu’il y aurait à le remplacer par un véritable référendum d’initiative populaire. La suppression du monopole de fait du président de la République limiterait la personnalisation de la question posée et les risques – souvent invoqués – de le transformer en plébiscite.

Ce référendum d’initiative populaire porterait sur une proposition de loi dont les règles de présentation et de contrôle par le Conseil constitutionnel pourraient faire l’objet d’une loi organique. Il serait mis en œuvre dans les conditions suivantes :

– des conditions simplifiées de recevabilité : il suffirait que la proposition réunisse les signatures de 5 % des électeurs, soit 2,3 millions de personnes environ. Ce seuil, plus accessible que le seuil actuel de 10 % des électeurs, reste suffisamment élevé pour que seuls les sujets suscitant un large intérêt populaire soient soumis au référendum. La condition tenant au soutien d’un cinquième des parlementaires serait quant à elle supprimée ;

– un délai de trois mois au moins entre la fin de la période de rassemblement des signatures et l’organisation du référendum, afin de permettre la tenue d’un débat public de qualité ;

– un référendum unique, une fois par an, sur l’ensemble des propositions ayant réuni le nombre de signatures requis. Le cas échéant, ce référendum se composerait donc de plusieurs questions. Ce dispositif devrait éviter les difficultés matérielles que pourrait susciter l’organisation d’un trop grand nombre de référendums, sans pour autant restreindre la possibilité pour les électeurs de se prononcer sur les sujets ayant réuni assez de signatures. Le risque de polarisation du débat public s’en trouverait également amoindri. Chaque proposition pourrait bien sûr faire l’objet d’une réponse différente de la part des citoyens.

Recommandation n° 21 : supprimer le référendum d’initiative partagée pour mettre en place un vrai référendum d’initiative populaire, organisé une fois par an sur l’ensemble des propositions ayant réuni la signature de 5 % du corps électoral au cours des neuf mois suivant la date du dernier référendum organisé selon cette procédure. 



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   TRAVAUX DE LA commission

  Lors de sa réunion du mercredi 2 février 2022, la commission des Lois a examiné ce rapport d’information et en a autorisé la publication.

  Ces débats ne font pas l’objet d’un compte rendu. Ils sont accessibles sur le portail vidéo du site de l’Assemblée à l’adresse suivante :

https://assnat.fr/3NUV1s

 


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   SYNTHÈSE DES PROPOSITIONS

L’équilibre et la séparation des pouvoirs avec un Parlement renforcé

Organiser les élections législatives en même temps que les élections présidentielles, en conservant le système de l’élection par circonscriptions pour les députés.

Confier au Parlement l’organisation et le patronage des futures conventions citoyennes.

Encadrer clairement dans la loi les processus de participation citoyenne.

L’appropriation de la gouvernance démocratique et son exercice au plus proche du citoyen

Fusionner les départements et les régions dans des périmètres régionaux proches de ceux qui préexistaient à la réforme de 2015 pour créer un nouvel échelon de collectivités ayant vocation à se substituer aux régions et aux départements.

Créer une région-métropole fusionnant les huit départements, la région Île-de-France et la Métropole du Grand Paris.

Créer une autorité administrative indépendante spécialement chargée de l’organisation du débat en ligne et de l’identité citoyenne numérique.

L’organisation de grands rendez-vous électoraux et démocratiques

Harmoniser à cinq ans la durée de l’ensemble des mandats.

À compter de la publication du décret de convocation des électeurs, envoyer une convocation officielle à tous les électeurs comportant :

une carte électorale dotée d’un QR code individuel permettant l’émargement électronique le jour du scrutin ;

les informations relatives au déroulement de l’élection, aux modalités de vote et aux compétences des pouvoirs publics locaux ou nationaux pour lesquels les électeurs sont appelés aux urnes ;

la possibilité pour chaque électeur de choisir d’accéder uniquement par voie dématérialisée aux documents de propagande électorale.

Supprimer le référendum d’initiative partagée pour mettre en place un vrai référendum d’initiative populaire, organisé une fois par an sur l’ensemble des propositions ou questions ayant réuni la signature de 5 % du corps électoral au cours des neuf mois suivant la date du dernier référendum organisé selon cette procédure.


La confiance dans la sincérité du scrutin

Préserver le vote à l’urne dans un bureau de vote en tant que principale modalité de vote.

Rejeter, à court terme, la généralisation des possibilités de vote électronique ou par correspondance postale.

Maintenir le moratoire sur les machines à voter appliqué depuis 2008.

Créer une autorité administrative indépendante spécialement chargée d’organiser le scrutin, d’informer les électeurs sur celui-ci et de veiller à la régularité de l’ensemble du processus électoral lors de chaque scrutin local et national.

Expérimenter le vote par anticipation à partir de l’avant-veille du jour du scrutin, soit dès le vendredi. En conséquence, prévoir que la campagne électorale s’achève le jeudi soir à minuit.

Dématérialiser la gestion des listes d’émargement et reculer la date limite d’inscription sur les listes électorales à dix jours avant le scrutin.

Expérimenter l’inscription des électeurs sur les listes électorales le jour du scrutin.

Expérimenter, à moyen terme, la dématérialisation complète de la procédure de procuration grâce à la mise en place d’une vérification à distance de l’identité des mandants.

La représentation des citoyens par l’élection

Réformer la loi du 31 décembre 1982 pour appliquer aux scrutins municipaux de Paris, Lyon et Marseille les règles de droit commun.

Harmoniser les règles de qualification pour le second tour des élections législatives, régionales, départementales et municipales, en limitant l’accès au second tour aux deux candidats, binômes ou listes arrivés en tête.

Harmoniser les scrutins de liste (élections régionales et municipales) selon la règle suivante :

– au premier tour, afin d’assurer la représentativité, 50 % des sièges à pourvoir sont répartis entre toutes les listes ayant dépassé 5 % des suffrages exprimés, proportionnellement à leur score ;

– au second tour, afin de garantir la gouvernabilité, les deux listes restantes obtiennent, sur les 50 % de sièges restant, un nombre de sièges proportionnel à leur score.

Élire les présidents des EPCI à fiscalité propre au suffrage universel direct.


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   Liste des personnes entendues

   M. Charles-Éric Lemaignen, secrétaire national.

   M. Pierre Monzani, directeur général

   Mme Alyssia Andrieux, conseillère démocratie participative

   Mme Ann-Gaëlle Werner-Bernard, conseillère relations avec le Parlement

   M. Jérôme Briend, conseiller juridique

   M. Philippe Laurent, secrétaire général

   M. Jules Nyssen, délégué général

    Mme Marie-Antoinette Maupertuis, présidente

   M. Gilles Simeoni, président

   MM. Gérard Grunberg et Jean-Louis Missika

   M. Dominique Reynié, directeur général et président du directoire

    M. Émeric Bréhier, professeur associé à l’IEP de Bordeaux

    M. Antoine Bristielle, animateur de l’Observatoire de l’opinion

   M. Sylvain Brouard, directeur de recherche

    MM. Armel Huet, Bernard Manin, Philippe Juhem, Pierre-Henri Tavoillot et Jean Viard.

 

 

   Mme Sophie Conrad, responsable du pôle politiques publiques

   M. Marc Lazar, professeur d’histoire et de sociologie politique

   M. Yann Algan, professeur d’économie

   M. Olivier Jacob, directeur de la modernisation et de l’administration territoriale

   M. Marc Tschiggfrey, adjoint au directeur de la modernisation et de l’administration territoriale

   M. Sébastien Audebert, chef du bureau des élections

   Mme Camille Goyet, directrice de cabinet de la directrice générale des outre-mer

   M. Jean-Pierre Balcou, sous-directeur des affaires juridiques et institutionnelles

   M. Arnaud Lauzier, sous-directeur adjoint des affaires juridiques et institutionnelles

   M.  David Carmier, directeur adjoint de cabinet du ministre des outre-mer 

   Mme Jennifer Lormier, conseillère parlementaire au cabinet du ministre des outre-mer

   M. Nadi Bou Hanna, directeur interministériel du numérique

   M. Jean-Philippe Vachia, président

   Mme Sylvie Calvez secrétaire générale

   M. Guillaume Poupard, directeur général

   M. Raphaël Leuenberger, coresponsable des initiatives populaires fédérales au sein de la section des droits politiques de la Chancellerie fédérale

 

   Mme Valérie Roux, cheffe du département de la démographie

   M. Lionel Espinasse, adjoint à la cheffe du département de la démographie

   M. François Barry Delongchamps, directeur

   M. Romain Rambaud, professeur des universités, agrégé de droit public

   M. Jean-Denis Combrexelle, président

   Mme Chantal Jouanno, présidente

   M. Floran Augagneur et Mme Ilaria Casilo, vice-présidents

 

 


([1]) La composition de ce groupe de travail figure au verso de la présente page.

([2]) Le groupe La France insoumise n’a pas désigné de représentant.

([3]) Loi n° 2020-760 du 22 juin 2020 tendant à sécuriser l’organisation du second tour des élections municipales et communautaires de juin 2020 et à reporter les élections consulaires, loi n° 2021-191 du 22 février 2021 portant report de mars à juin 2021 du renouvellement général des conseils départementaux, des conseils régionaux et des assemblées de Corse, de Guyane et de Martinique, loi organique n° 2021-335 du 29 mars 2021 relative à l’élection présidentielle.

([4]) Bertrand Mathieu, Le droit contre la démocratie, LGDJ, 2017, p. 12.

([5]) Michel Maffesoli, L’ordre des choses, penser la postmodernité, CNRS Éditions, 2014.

([6]) Rapport du groupe de travail sur l’avenir des institutions Refaire la démocratie, octobre 2015, p. 35.

([7]) Régis Debray, « Va-t-on vivre par écrans interposés ? », colloque à la Sorbonne, 19 mars 1994.

([8]) Voir à ce sujet l’étude réalisée en 1975 par Michel Crozier, Samuel Huntington et Joji Watanuki « La crise de la démocratie, rapport sur la gouvernabilité des démocraties ».

([9]) Dans son article « Repenser l’égalité » publié dans la revue Le Débat en mars-avril 2012, le sociologue Robert Castel considère ainsi que « les individus ont plus le souci d’affirmer leurs différences et leur singularité que de cultiver ce qui en fait des semblables ».

([10]) Audition de Jean Viard, 6 mai 2021.

([11]) Audition de Dominique Reynié, 27 mai 2021.

([12]) Madame Swetchine, sa vie et ses œuvres, 1860.

([13]) Audition de Yann Algan, 6 mai 2021.

([14]) Refaire la démocratie, rap. cit., p. 39.

([15]) Gilles Lipovetsky, L’ère du vide, Gallimard, 1983.

([16]) Dans son essai L’enracinement publié en 1943, la philosophe Simone Weil considérait ainsi que « L’État a paru être une corne d’abondance inépuisable qui distribuait les trésors proportionnellement aux pressions qu’il subissait. » (p.98).

([17]) Hartmut Rosa, Accélération, une critique sociale du temps, La Découverte, 2010.

([18]) Pierre Rosanvallon évoque ainsi dans Le Monde le 12 février 2015 la « mosaïque de petites sociétés tour à tour indifférentes et hostiles ».

([19]) Pierre-Henri Tavoillot, Comment gouverner un peuple-roi ?, Odile Jacob, 2019, p. 16.

([20]) Jacques Rancière, La haine de la démocratie, La Fabrique, 2005, p. 15.

([21]) Le Figaro Magazine, 12 novembre 2016.

([22]) Audition de Émeric Bréhier, 20 mai 2021.

([23]) Frédéric Potier et Émeric Bréhier, « Apathie démocratique et responsabilité politique », Fondation Jean Jaurès, juin 2021, p. 9.

([24]) Audition de Marc Lazar, 6 mai 2021.

([25]) Selon Richard Katz et Peter Mair, la cartellisation se caractérise notamment par l’interpénétration des partis et de l’État ainsi que par une situation de collusion interpartisane.

([26]) Bertrand Mathieu, op. cit., p. 96.

([27]) Maurice Duverger, Les partis politiques, Armand Colin, 1951.

([28]) Yves-Charles Zarka, Métamorphoses du monstre politique, 2016, p. 92.

([29]) Bertrand Mathieu, op. cit., p. 15.

([30]) Voir à ce sujet l’essai de Roger-Gérard Schwartzenberg publié en 1977, L’État spectacle.

([31]) Pierre-Henri Tavoillot, op. cit., p. 65.

([32]) Refaire la démocratie, rap. cit., p. 26.

([33]) Dans son essai La haine de la démocratie, Jacques Rancière considère que « dans l’esprit de ceux qui soumettaient la question à référendum, le vote devait s’entendre selon le sens primitif de l’élection en Occident : comme une approbation donnée par le peuple assemblé à ceux qui sont qualifiés pour le guider. » (p. 87).

([34]) Terme employé par Dominique Reynié, directeur général de la Fondapol, dans son audition du 27 mai 2021.

([35]) http://harris-interactive.fr/wp-content/uploads/sites/6/2021/12/Rapport-Harris-Le-rapport-des-Francais-a-la-democratie-Challenges.pdf  

([36]) https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/micpelec/l15b4790_rapport-information#_Toc256000072

([37]) Antoine Bristielle et Tristan Guerra, « Le grand retrait. Retour sur la participation électorale au premier tour des régionales », note du 25 juin 2021, Fondation Jean Jaurès.

([38]) « Vote systématique » signifie vote à tous les tours des élections présidentielle et législatives. « Vote intermittent » signifie vote à certains tours uniquement. « Abstention » correspond à vote à aucun des tours et aucune des deux élections.

([39] Baromètre politique OpinionWay pour le Cevipof :

 https://www.sciencespo.fr/cevipof/sites/sciencespo.fr.cevipof/files/OpinionWay%20pour%20le%20CEVIPOF-Barome%cc%80tre%20de%20la%20confiance%20en%20politique%20-%20vague12%20-%20Rapport%20international%20(1).pdf

([40]) Voir sur ce point le rapport d’information n° 4561 de Jean-Michel Mis et votre rapporteur Raphaël Schellenberger sur les dysfonctionnements de la propagande électorale : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion_lois/l15b4561_rapport-information# (octobre 2021). Jérôme Fourquet et Jérémie Peltier, dans leur note du 7 juillet 2021, « Abstention aux régionales : manifestation spectaculaire de la crise de foi républicaine » soulignent néanmoins que « les problèmes d’acheminement de la propagande électorale n’ont joué qu’à la marge et n’ont sans doute fait que renforcer l’impressionnante vague abstentionniste, dont les causes sont donc à rechercher ailleurs ». Au premier tour des élections régionales, seuls 2,4 points de pourcentage séparent la hausse de l’abstention par rapport à 2015 entre les zones desservies par Adrexo, où ont été enregistrés les plus graves dysfonctionnements, et les zones desservies par La Poste.

([41]) https://www.insee.fr/fr/statistiques/3140794  

([42]) Du Contrat social.

([43]) De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes, 1819.

([44]) Titre d’un de ses ouvrages, paru en 2006 : La contre-démocratie. La politique à l’âge de la défiance.

([45]) Audition de Marc Lazar, professeur d’histoire et de sociologie politique, le 6 mai 2021.

([46])  http://harris-interactive.fr/wp-content/uploads/sites/6/2021/12/Rapport-Harris-Le-rapport-des-Francais-a-la-democratie-Challenges.pdf 

([47]) À titre d’exemple, la députée LaREM de Haute-Saône Barbara Bessot-Ballot témoignait avoir reçu sur sa boîte mail à la fin du mois de décembre 2021 les menaces de mort suivantes : « Vous allez mourir. Coup de couteau, décapitation, lance-roquette, arme à feu, bombe, peu importe comment on vous tuera, vous allez vite comprendre que notre liberté, il ne fallait pas y toucher. » 52 élus auraient reçu cette menace.  

([48]) À titre d’exemple, le garage du député LaREM de l’Oise Pascal Bois a été incendié fin décembre 2021.

([49]) À titre d’exemple, l’agression par jets de toutes sortes de projectiles du député LaREM de Saint-Pierre-et-Miquelon Stéphane Claireaux, à son domicile, le 9 janvier 2022, lors d’une manifestation contre le passe sanitaire.

([50]) Rapport d’information n° 11 (2019-2020) de Philippe Bas sur les menaces et les agressions auxquelles sont confrontés les maires, octobre 2019 :https://www.senat.fr/rap/r19-011/r19-011.html.  

([51]) https://www.huffingtonpost.fr/entry/violences-envers-les-elus-nous-unissons-nos-voix-contre-la-montee-de-la-haine-exclusif_fr_61dd80f1e4b0d637aea70c2c  

([52])  https://data.fondapol.org/wp-content/uploads/2021/11/CSA-pour-lAN_Rapport-de-re%CC%81sultats_2311.pdf  

([53])  https://www.europarl.europa.eu/election-results-2019/fr/participation/  

([54]https://www.sciencespo.fr/cevipof/sites/sciencespo.fr.cevipof/files/OpinionWay%20pour%20le%20CEVIPOF-Barome%cc%80tre%20de%20la%20confiance%20en%20politique%20-%20vague12%20-%20Rapport%20international%20(1).pdf

([55]) Audition du 6 mai 2021.  

([56])  Loi constitutionnelle n° 2000-964 du 2 octobre 2000 relative à la durée du mandat du Président de la République.

([57])  Loi organique n° 2003-696 du 30 juillet 2003 portant réforme de la durée du mandat et de l’âge d’éligibilité des sénateurs ainsi que de la composition du Sénat.

([58]) Article 1er de la loi n° 2021-191 du 22 février 2021 portant report, de mars à juin 2021, du renouvellement général des conseils départementaux, des conseils régionaux et des assemblées de Corse, de Guyane et de Martinique : « Le mandat des conseillers départementaux, des conseillers régionaux, des membres de l’Assemblée de Corse et des conseillers aux assemblées de Guyane et de Martinique élus en juin 2021 prend fin en mars 2028. »

([59]) Le mode de scrutin pour l’élection des sénateurs, qui a lieu au suffrage universel indirect, sera évoqué infra.

([60]) Loi n° 2018-509 du 25 juin 2018 relative à l’élection des représentants au Parlement européen.

([61]) Article L. 338 du code électoral.

([62]) Article L. 366 du même code pour la Corse et L. 558-8 pour la Martinique.

([63]) Article L. 558-4.

([64]) Article L. 193.

([65]) Article L. 262.

([66]) Articles L. 252 et suivants.

([67])  Loi n° 82-1169 du 31 décembre 1982 relative à l’organisation administrative de Paris, Marseille, Lyon et des établissements publics de coopération intercommunale et articles L. 271 à L. 272-6 du code électoral.

([68])  Articles L. 162 et 210-1 du code électoral.

([69])  Articles L. 346 du code électoral pour les régionales et L. 264 pour les municipales dans les villes de 1 000 habitants et plus. Pour les élections à l’Assemblée de Corse le seuil de maintien au second tour est de 7,5 % des suffrages exprimés.

([70])  Article L. 558-19 du même code.

([71])  Question n° 01333 publiée dans le JO du 28/09/2017.

([72]) François Goguel, « Les élections législatives des 5 et 12 mars 1967 », in Revue française de science politique, 17ᵉ année, n°3, 1967. pp. 429-467 : https://www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_1967_num_17_3_393017

([73]) L’article 72 de la Constitution dispose que « Les collectivités territoriales sont les communes, les départements, les régions, les collectivités à statut particulier et les collectivités d’outre-mer régies par l’article 74 ».

([74])  Loi n° 2015-29 du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral.

([75])  Audition du 3 juin 2021.

([76])  Rapport annuel 2019 sur les finances publiques locales, fascicule 2.  

([77])  Sauf dans les Hauts-de-France.  

([78])  Loi  83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l’État.

([79]) Rapport d’information de Didier Quentin et Jean-Jacques Urvoas sur la clarification des compétences des collectivités territoriales, XIIIe législature, n°1153, 8 octobre 2008.

([80])  Loi n° 2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales.

([81])  Loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles.

([82])  Loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République. 

([83])  La réforme illustre par ailleurs le caractère instable de la norme puisqu’avant la loi NOTRe, la clause générale de compétence avait été supprimée une première fois pour les régions et départements par la loi RCT avant d’être rétablie par la loi MAPTAM.

([84])  Audition du 17 juin 2021.

([85])  Résultats présentés à la presse en mai 2021 : http://www.senat.fr/fileadmin/Fichiers/Images/redaction_multimedia/2021/2021-Documents_PDF/20210511_Dossier_de_presse_PJL4D.pdf  

([86])  https://www.jean-jaures.org/wp-content/uploads/2021/09/118357-Présentation-28.09.2021-POUR-EVENT.pdf.  

([87])  « Le rapport des Français à l’intercommunalité », enquête pour l’AdCF publiée en octobre 2018 : https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2018/10/115-682-Rapport_Ifop_ADCF-2018.10.05_PUBLIEE.pdf  . 

([88])  Dont : 995 communautés de communes, 223 communautés d’agglomérations, 14 communautés urbaines et 21 métropoles. Source : vie-publique.fr  

([89])  Loi n° 2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales.

([90])  Loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles.

([91])  Loi n° 2013-403 du 17 mai 2013 relative à l’élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires, et modifiant le calendrier électoral.

([92])  « Le rapport des Français à l’intercommunalité », enquête pour l’AdCF publiée en octobre 2018 : https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2018/10/115-682-Rapport_Ifop_ADCF2018.10.05_PUBLIEE.pdf

([93])  Article 72-2 de la Constitution.

([94]) L’expression est issue d’un article de La Gazette des communes, « Le contribuable local, une espèce en voie de disparition », 12 novembre 2021.

([95]) Loi organique n° 2004-758 du 29 juillet 2004 prise en application de l’article 72-2 de la Constitution relative à l’autonomie financière des collectivités territoriales. La part des ressources propres ne peut être inférieure au niveau constaté en 2003, soit 60,8 % pour les communes et EPCI, 58,6 % pour les départements et 41,7 % pour les régions.

([96]) « Regard sur la fiscalité locale 1986-2018 », étude de la banque postale, 2019.

([97]) Le terme désigne le taxe d’habitation, la taxe foncière sur les propriétés bâties, la taxe foncière sur les propriétés non bâties et l’ancienne taxe professionnelle.  

([98]) Pour rappel, le solde des administrations publiques locales est inclus dans le solde des administrations publiques au sens du traité de Maastricht.

([99]) Projet de loi constitutionnelle n° 911 pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace dont la discussion a été interrompue par « l’affaire Benalla ».

([100]) Avis du 7 décembre 2017, demandé par le Premier ministre : https://www.conseil-état.fr/ressources/avis-aux-pouvoirs-publics/derniers-avis-publies/differenciation-des-competences-des-collectivites-territoriales-relevant-d-une-meme-categorie-et-des-regles-relatives-a-l-exercice-de-ces-competences.

([101])  Selon une jurisprudence constante, le principe constitutionnel d’égalité « ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l’objet de la loi qui l’établit… ».

([102])  Issue du regroupement des départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin.

([103]) Loi n° 2019-816 du 2 août 2019 relative aux compétences de la Collectivité européenne d’Alsace.  

([104])  Article L. 1111-8 du code général des collectivités territoriales.

([105])  Article L. 1111-8-1 du même code.

([106]) Yves Déloye, « Le bureau de vote », in Regards sur l’actualité : Élections et campagnes électorales, La Documentation française, n° 329, mars 2007.

([107]) Le Petit Parisien, 27 avril 1914, p. 3.

([108]) Alain Garrigou, « Le secret de l’isoloir », in Actes de la recherche en sciences sociales, mars 1988, p. 22.

([109]) Tels que les rapports Malezieux en 1876, Girard en 1880, Corentin-Guyho en 1885, Gaussorgues en 1886, Trouillot en 1890, Defontaine en 1897, Bienvenu Martin en 1898, Ruau en 1900 et 1903, Reinach en 1907, 1908 et 1912.

([110]) En raison de l’enlisement de la procédure législative du fait de la lenteur des navettes parlementaires et de la caducité des textes adoptés par seulement l’une des deux chambres à l’issue de chaque législature.

([111]) À titre d’exemple, lors des débats à la Chambre le 1er avril 1898, le député vendéen Paul Bourgeois ironisa : « Je me demande si le rideau cachera suffisamment le secret de l’alcôve ».

([112]) Alain Garrigou, op. cit., p. 23.

([113]) Débats à la Chambre des députés le 1er avril 1898. Au cours des débats organisés le 16 décembre 1901, Charles Ferry s’opposa une nouvelle fois à la mise en place de l’isoloir : « Je vois ici nos bons cultivateurs s’arrêter devant cet objet innommé, se diriger vers lui d’un pas méfiant, se demandant – ils n’en ont pas l’habitude – si c’est une mauvaise farce qu’on veut leur faire faire. Ils pénètrent dans le local, ils cherchent à introduire dans l’enveloppe le bulletin. Combien, de leurs doigts durcis par le travail, déchireront l’enveloppe pour faire cette opération délicate qui aura lieu souvent dans l’obscurité la plus complète ? »

([114]) À rebours de la position défendue en 1973 par Jean-Paul Sartre dans son article « Élections, piège à cons » publié dans la revue Les temps modernes : « L’isoloir planté dans une salle d’école ou de mairie est le symbole de toutes les trahisons que l’individu peut commettre envers les groupes dont il fait partie ».

([115]) Alain Garrigou, op. cit., p. 33.

([116]) Audition de Dominique Reynié, directeur de la Fondation pour l’innovation politique, 27 mai 2021.

([117]) Circulaires ministérielles relatives à l’organisation des élections de 1832, 1846 et 1863.

([118]) Circulaire réglementant le plébiscite du 8 mai 1870.

([119]) Dans sa thèse de doctorat publiée en 1901 Étude sur le secret du vote et les moyens de l’assurer, G. Bonnet dénonce ainsi « les assesseurs sans scrupules (qui) transforment les urnes en vraies boîtes de prestidigitation ».

([120]) Conseil d’État, Érone, 9 janvier 1885 et Castiglione, 25 janvier 1885.

([121]) Paul Bert, Conférence au palais du Trocadéro, 6 août 1882.

([122]) Olivier Ihl, « L’urne électorale, formes et usages d’une technique de vote », in Revue française de science politique, 1993, p. 31.

([123]) Ibid., p. 42.

([124]) Eugène Pierre, Traité de droit politique, électoral et parlementaire, 1924.

([125]) Olivier Ihl, op. cit., p. 57.

([126]) Voir par exemple la circulaire du 28 avril 2021.

([127]) Audition d’Olivier Jacob, 21 octobre 2021.

([128]) Rapport d’information de François-Noël Buffet : Le vote à distance, quelles conditions ?, commission des Lois du Sénat, décembre 2020, p. 12.

([129]) Articles L. 79 et suivants et R. 81 et suivants du code électoral.

([130]) À titre illustratif, la loi mentionnait ainsi pêle-mêle les personnes malades, les militaires, les étudiants, les agents commerciaux ou les aidants familiaux.

([131]) Voir, par exemple, la jurisprudence électorale du Conseil constitutionnel (décision n° 67-435 AN du 24 janvier 1968) ou du Conseil d’État (Commune de Serriera, 21 juin 1972).

([132]) Rapport de Jean-Louis Debré au Premier ministre, « Quelle date et quelle organisation pour les élections régionales et départementales ? », novembre 2020, p. 46.

([133]) Selon le rapport d’information de François-Noël Buffet, « Le vote à distance, quelles conditions ? » fait au nom de commission des Lois du Sénat en décembre 2020, 120 000 électeurs ont « activé » l’option du vote par correspondance lors des élections législatives de 2017, mais seulement un quart d’entre eux ont finalement envoyé un pli à l’administration.

([134]) 4 395 personnes détenues ont pu voter par correspondance, sur les 5 184 détenus admis à voter.

([135]) Loi organique n° 2021-335 du 29 mars 2021.

([136]) Cette faculté est limitée à certaines catégories d’électeurs en Irlande, en Autriche, en Lituanie, en Hongrie et en Slovénie.

([137]) Contribution écrite remise par Romain Rambaud au groupe de travail.

([138]) Bulletins de vote et propagande électorale.

([139]) Audition de Raphaël Leuenberger, 4 novembre 2021.

([140]) L’Australie a par exemple autorisé le vote par correspondance dès 1918.

([141]) À l’exception de l’élection présidentielle.

([142]) Bien que certaines personnes auditionnées se soient prononcées à titre personnel en faveur du vote par correspondance, à l’image du professeur Romain Rambaud.

([143]) Rapport de Jean-Louis Debré au Premier ministre, rap. cit., p. 48.

([144]) Ibid., p. 47.

([145]) Cour des comptes, référé n° S2016-3241, 24 octobre 2016, p. 5.

([146]) Communes, électeurs, sociétés de routage, services postaux.

([147]) Une pour le bulletin, une pour le justificatif d’identité, une pour l’acheminement des deux premières.

([148]) Selon la procédure déterminée par les articles R. 176-4-1 à R. 176-4-3 du code électoral.

([149]) À cet égard, un délai de deux semaines sépare le premier et le second tour des élections des députés représentant les Français de l’étranger.

([150]) Dans sa décision n° 68-513 AN rendue le 19 décembre 1968, le Conseil constitutionnel considère en effet « que tout électeur admis à voter par correspondance peut renoncer au bénéfice de ce mode de votation et se rendre, le jour du scrutin, au bureau de vote pour exercer son droit de vote ».

([151]) Des évènements survenus à la fin de la campagne électorale mais postérieurs à l’envoi postal du vote pourraient aussi justifier la possibilité, pour les électeurs qui le souhaitent, de modifier leur vote.

([152]) Rapport de Jean-Louis Debré au Premier ministre, rap. cit., p. 50.

([153]) À l’instar de la crise institutionnelle survenue en Pologne en mai 2020 à la suite de la décision du Gouvernement d’imposer un vote exclusivement postal pour l’élection présidentielle.

([154]) Une enquête réalisée par l’IFOP en 2017 souligne que 35 % des Français sont en désaccord avec l’affirmation selon laquelle « les élections en France sont organisées de manière suffisamment transparente et sûre pour éviter les tricheries et assurer la réalité des votes ».

([155]) Décret n° 2017-1811 du 28 décembre 2017 relatif aux conditions et modalités de mise en œuvre du vote électronique par Internet pour l’élection des représentants du personnel au sein des instances de représentation des personnels médicaux, odontologistes et pharmaceutiques des établissements publics de santé et de certains établissements sociaux et médico-sociaux, décret n° 2014-793 du 9 juillet 2014 relatif aux conditions et modalités  de mise en œuvre du vote électronique par Internet pour l’élection des représentants du personnel au sein des instances de représentation du personnel de la fonction publique territoriale,  décret n° 2011-595 du 26 mai 2011 relatif aux conditions et modalités de mise en œuvre du vote électronique par Internet pour l’élection des représentants du personnel au sein des instances de représentation du personnel de la fonction publique de l’État.

([156]) Soit 176 734 votants. Le nombre total de votants s’élève à 205 865, soit environ 15 % des électeurs inscrits.

([157]) https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/services-aux-francais/voter-a-l-etranger/resultats-des-elections/article/elections-consulaires-2021-resultats

([158]) Soit 57,4 % des votants au premier tour et 53,5 % au second tour.

([159]) Audition de Guillaume Poupard, 2 novembre 2021.

([160]) Audition de François Barry Delongchamps, 18 novembre 2021.

([161]) Audition de Jean-Denis Combrexelle, 14 octobre 2021.

([162]) Selon le rapport du Sénat sur le vote à distance, un rapport de l’Institution professionnelle britannique d’ingénierie et de technologie publié en 2020 a conclu que les technologies disponibles ne permettaient pas de répondre aux enjeux de cybersécurité pour des élections parlementaires ou locales à grande échelle.

([163]) Développé par La Poste suisse, le système de vote électronique devrait néanmoins être rétabli dans certains cantons au cours de l’année 2022.

([164]) CNIL, délibération n° 2019-053 du 25 avril 2019 portant adoption d’une recommandation relative à la sécurité des systèmes de vote par correspondance électronique, notamment via Internet.

([165]) Rapport de Jean-Louis Debré au Premier ministre, rap. cit., p. 49.

([166]) Audition de Guillaume Poupard, 2 novembre 2021.

([167]) Assemblée nationale, Études législatives comparées, La modernisation des procédures de vote en Europe, septembre 2004.

([168]) Dans sa décision n° 2007-142 PDR du 7 juin 2007, le Conseil constitutionnel s’est interrogé sur l’efficacité des machines à voter lors de l’élection présidentielle de 2007 : « L’usage des machines à voter a posé des problèmes, plus particulièrement au premier tour de l’élection. Il a pu contribuer à la formation de files d’attente excessives. Leur utilisation, qui rompt le lien symbolique entre le citoyen et l’acte électoral que la pratique manuelle du vote et du dépouillement avait noué, se heurte aussi à une résistance psychologique qu’il convient de prendre en compte. Ces difficultés ont cependant été moins importantes au second tour qu’au premier, ce qui montre qu’un apprentissage est possible et que les bureaux de vote gagnent à s’organiser ».

([169]) Réponse ministérielle à la question écrite n° 37644 de Stéphane Viry, 17 août 2021.

([170]) Sur la base d’un règlement technique élaboré en 2003 et deux arrêtés du 17 novembre 2003.

([171]) La loi organique n° 2016-506 du 25 avril 2016 a étendu cette règle à l’élection présidentielle.

([172]) Rapport de François Sauvadet sur la proposition de loi visant à reconnaître le vote blanc aux élections, 14 novembre 2012, commission des Lois de l’Assemblée nationale, p. 15.

([173]) Adélaïde Zulfikarpasic, « Le vote blanc : abstention civique ou expression politique ? », in Revue française de science politique, 2001, volume 51, p. 267.

([174]) Rapport de Jean-Félix Acquaviva sur la proposition de loi constitutionnelle relative à la reconnaissance du vote blanc à l’élection présidentielle, 31 mars 2021, p. 9.

([175]) Plus d’un million de bulletins nuls ont également été comptabilisés.

([176]) Rapport d’information visant à identifier les ressorts de l’abstention et les mesures permettant de renforcer la participation électorale a rejeté cette orientation, rap. cit., p. 51.

([177]) Refaire la démocratie, octobre 2015, p. 15.

([178]) 28,6 % des répondants sont « très opposés » et 19,7 % « plutôt opposés » à l’instauration du vote obligatoire. Cette proportion est très élevée parmi les abstentionnistes systématiques (70 % d’opposition) selon les données recueillies à l’issue de la consultation numérique menée par l’Assemblée nationale sur les ressorts de l’abstention et les mesures visant à renforcer la participation électorale, question n° 9, 8 novembre 2021.  

([179]) Réponses ministérielles aux questions écrites n° 13207 de Hervé Maurey (13è législature), n° 19307 de Joël Billard (13è législature) et n° 12093 de Françoise Laborde (14è législature).

([180]) Assemblée nationale, deuxième séance du 13 juillet 2018.

([181]) Article L. 318 du code électoral.

([182]) Selon la taille de la commune, les bureaux de vote sont ouverts le dimanche entre 8h et 18h, 19h ou 20h, soit au maximum une plage horaire de douze heures le jour du scrutin.  

([183]) C’est particulièrement le cas des deux tours de l’élection présidentielle pour lesquels la participation est systématiquement comprise entre 68 % et 87 %, soit un niveau moyen nettement supérieur à celui constaté lors des autres consultations électorales.

([184]) Lors des élections législatives organisées en 2019, plus de la moitié des électeurs finlandais avaient voté par anticipation.

([185]) « Early in-person voting ».

([186]) À l’image des professeurs Romain Rambaud, auditionné le 30 septembre 2021, et Émeric Bréhier, auditionné au nom de la Fondation Jean Jaurès le 20 mai 2021.

([187]) Président du bureau de vote, assesseurs, secrétaires, scrutateurs.

([188]) Audition d’Olivier Jacob, 21 octobre 2021.

([189]) En l’état actuel du droit, l’article L. 49 du code électoral dispose que la campagne s’achève le vendredi soir à minuit, la journée du samedi précédant le vote faisant l’objet d’un « silence républicain ».

([190]) L’article 58 de la Constitution prévoit que le Conseil constitutionnel veille à la régularité de la seule élection présidentielle.

([191]) La mission d’information de l’Assemblée nationale visant à identifier les ressorts de l’abstention et les mesures permettant de renforcer la participation électorale s’est également prononcée en faveur d’une telle expérimentation.

([192]) Rapport « Bilan et perspectives du répertoire électoral unique », Inspection générale des finances (IGF), Inspection générale de l’administration (IGA), Inspection générale des affaires étrangères (IGAE), juin 2020, p.5.

([193]) S’ils sont âgés de moins de 26 ans, les électeurs peuvent désormais s’inscrire sur la liste électorale de la commune du domicile de leurs parents, quand bien même ils résident dans une autre commune. L’ensemble des électeurs peuvent également s’inscrire sur les listes électorales d’une commune dont ils sont contribuables depuis au moins deux ans, au lieu de cinq ans auparavant.

([194]) Selon les éléments communiqués par l’INSEE au groupe de travail, deux tiers des inscriptions sont encore effectuées en mairie.

([195]) www.demarches.interieur.gouv.fr

([196]) Téléservice « Interroger sa situation électorale ».

([197]) Xavier Niel et Liliane Lincot, L’inscription et la participation électorales en 2012, 2012.

([198]) Depuis 1998, tous les jeunes majeurs sont automatiquement inscrits sur les listes électorales de leur lieu de résidence à l’issue du recensement citoyen obligatoire (journée défense et citoyenneté).

([199]) Céline Braconnier, « Sociologie de la mal-inscription et de ses conséquences sur la participation électorale », Revue française de sociologie, 2016.

([200]) Audition de Valérie Roux, 4 novembre 2021.

([201]) Contribution écrite de l’INSEE remise au groupe de travail.

([202]) Cette orientation a notamment été défendue par notre ancien collègue Matthias Fekl dans une note publiée par la fondation Terra Nova en décembre 2013 : « Contre la crise démocratique, moderniser l’exercice du droit de vote ».

([203]) « Same-day voter registration ».

([204]) 3 363 136 procurations ont été établies lors de l’élection présidentielle de 2017, pour un total de 35 467 327 votants au premier tour.

([205]) Comme le rappelle l’instruction ministérielle du 22 décembre 2021, cette réforme a pour corollaires la mise en œuvre d’une gestion centralisée des procurations dans le REU et son raccordement au téléservice « Ma Procuration ».

([206]) 42 % des 675 000 procurations réalisées lors des élections régionales et départementales de juin 2021 ont fait l’objet d’une démarche en ligne.

([207]) Lors des élections municipales de 2020, l’officier de police judiciaire pouvait se déplacer au domicile du mandant afin de vérifier son identité.

([208]) Voir sur ce sujet le rapport de la mission d’information commune de nos collègues Jean-Michel Mis et Christine Hennion sur l’identité numérique, 8 juillet 2020.

([209]) Audition de Cédric O par la mission d’information commune sur l’identité numérique, 18 février 2020.

([210]) Articles L. 172, 173, 218, 220, 224-26, 247, 357, 378, 492, 519, 547 et 558-29 du code électoral.

([211]) Audition de Philippe Laurent, secrétaire général de l’Association des maires de France, 9 juin 2021.

([212]) C’est notamment le cas en Allemagne et en Suisse.

([213]) https://programme-candidats.interieur.gouv.fr/  

([214]) Selon les services du ministère de l’Intérieur, le bilan de cette expérience s’avère relativement concluant. Entre l’ouverture du site le 31 mai et le dimanche 27 juin inclus, 261 591 visites d’internautes ont été recensées, dont 65 973 visites le jour du premier tour et 32 530 visites le jour du second tour. À titre de comparaison, lors du second tour des élections municipales organisé en juin 2020, le site avait enregistré 30 017 visites la semaine précédant le scrutin.

([215]) Rapport d’information de Raphaël Schellenberger et de Jean-Michel Mis sur les dysfonctionnements dans la distribution de la propagande électorale pour les élections régionales et départementales des 20 et 27 juin 2021, recommandation n° 7.

([216]) Pour les seules élections présidentielle et législatives de 2012, le montant total des dépenses engagées par l’État en matière d’impression, de mise sous pli et d’acheminement de la propagande électorale s’élevait à environ 203 millions d’euros.  

([217]) Rapport « Bilan et perspectives du répertoire électoral unique », précité, p. 51.  

([218]) Contribution écrite de l’INSEE remise au groupe de travail.

([219]) Loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales.

([220]) Source : fondation Jean Jaurès.

([221]) Créés par la loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité.

([222]) Introduits par la loi du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine.

([223]) Article L. 1413-1du code général des collectivités territoriales.

([224]) Article L. 2143-2 du code général des collectivités territoriales.

([225])  https://www.francebleu.fr/infos/environnement/la-convention-citoyenne-pour-le-climat-note-severement-le-gouvernement-1614510908 

([226])  https://reporterre.net/Convention-pour-le-climat-seules-10-des-propositions-ont-ete-reprises-par-le-gouvernement

([227])  Ce taux a toujours été supérieur à 30 % et a même atteint 63 % pour le référendum de 1988 sur le statut de la Nouvelle-Calédonie et 69 % pour le référendum de 2000 sur la fin du septennat.

([228]) Refaire la démocratie, rap. cit.

([229])  Décision n° 2019-1-9 RIP, RIP du 18 juin 2020, Observations du Conseil constitutionnel sur les opérations de recueil des soutiens à la proposition de loi visant à affirmer le caractère de service public national de l’exploitation des aérodromes de Paris.

([230])  En Espagne, 500 000 signatures permettent de demander qu’une proposition de loi soit déposée au Parlement (article 87 de la Constitution).

([231])  La pétition a été signée par 1 093 030 personnes.