N° 5043

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 février 2022.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES (1)

sur l’avenir et la décarbonation du secteur aéronautique européen,

ET PRÉSENTÉ

PAR M. Bernard DEFLESSELLES et Mme Nicole LE PEIH,

Députés

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(1) La composition de la commission figure au verso de la présente page.


 

La Commission des affaires européennes est composée de : Mme Sabine THILLAYE, présidente ; MM. Pieyre-Alexandre ANGLADE, Jean-Louis BOURLANGES, Bernard DEFLESSELLES, Mme Liliana TANGUY, viceprésidents ; M. André CHASSAIGNE, Mme Marietta KARAMANLI, M. Christophe NAEGELEN, Mme Danièle OBONO, secrétaires ; MM. Patrice ANATO, Philippe BENASSAYA, Mme Aude BONO-VANDORME, MM. Éric BOTHOREL, Vincent BRU, Mmes Mireille CLAPOT, Yolaine de COURSON, Typhanie DEGOIS, Marguerite DEPREZAUDEBERT, M. Julien DIVE, Mmes Coralie DUBOST, Frédérique DUMAS, MM. PierreHenri DUMONT, Jean-Marie FIEVET, Alexandre FRESCHI, Mmes Maud GATEL, Valérie GOMEZBASSAC, Carole GRANDJEAN, Christine HENNION, MM. Michel HERBILLON, Alexandre HOLROYD, Mme Caroline JANVIER, MM. Christophe JERRETIE, Jérôme LAMBERT, Jean-Claude LECLABART, Mmes Constance Le GRIP, Martine LEGUILLE-BALOY, Marion LENNE, Nicole Le PEIH, MM. Thierry MICHELS, Jean-Baptiste MOREAU, Xavier PALUSZKIEWICZ, JeanPierre PONT, Dominique POTIER, Didier QUENTIN, Mme Maina SAGE, MM. Raphael SCHELLENBERGER, Benoit SIMIAN, Mme Michèle TABAROT.

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SOMMAIRE

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 Pages

Introduction l’avion décarboné, l’avenir de l’aviation

1. Le secteur joue son avenir sur sa capacité à répondre au défi de la transition environnementale

2. Le secteur aéronautique a déjà fait des efforts importants pour réduire sa consommation de carburant

3. La décarbonation de l’aviation : des enjeux industriels importants, une opportunité pour l’Europe

a. Deux leviers principaux : l’efficacité de l’avion et la qualité du carburant

b. Plusieurs concepts d’avions décarbonés, selon la distance : l’avion électrique, l’avion à hydrogène, l’avion classique rendu « ultra sobre »

c. Des carburants d’aviation durables à développer dans le cadre d’une politique européenne volontariste et ambitieuse

I. Réduire la consommation des avions

A. La quête d’un avion sobre

1. Des avions plus légers, avec un meilleur aérodynamisme

a. Réduire la masse des avions grâce à de nouveaux matériaux

b. Adapter la forme de la voilure pour un meilleur aérodynamisme

2. Des moteurs avec une grande soufflante pour un rendement accru

3. L’électrification des fonctions non propulsives de l’avion

B. L’avion électrique ou hybride : une solution pour le tourisme et l’aviation régionale

1. Avion électrique : des contraintes techniques qu’il sera peut-être possible de dépasser par la cryogénie et la supraconductivité

a. L’électricité : une masse importante et des risques de surtension

b. Un « système de propulsion froid » pour résoudre les limites de l’électricité ? Le projet Ascend d’Airbus

2. L’avion électrique va devenir le nouveau standard pour les avions de moins de 20 passagers

a. Avions 100 % électriques : les pays du nord de l’Europe en pointe

b. Les constructeurs français très bien placés sur les avions électriques hybrides

i. En 2023, le VoltAreo Cassio sera le premier avion commercial à propulsion hybride électricité-kérosène

ii. Le premier avion hybride électricité-hydrogène devrait être mis en service en 2027

3. Les piles à combustible pour des avions court-courriers électriques

a. Universal Hydrogen : le premier avion régional à pile à combustible d’ici 2024

b. Bientôt un avion allemand de 40 sièges avec pile à combustible

C. Le programme européen « sesar » : Améliorer l’efficacité de la gestion des opérations aériennes et au sol

a. L’optimisation des circuits d’approche et des trajectoires

b. L’optimisation des profils de montée et de descente

c. L’optimisation des opérations

II. Réduire les émissions dues au combustible

A. L’hydrogène : une solution zéro ÉMISSION pour des distances moyennes avec des avions spécifiques

1. L’hydrogène est le carburant le moins polluant mais aussi le moins dense, ce qui empêche de l’utiliser sur des long-courriers

a. L’hydrogène présente de nombreux intérêts, dont celui de n’émettre aucune émission de gaz carbonique

b. Mais l’hydrogène impose aussi des contraintes de volume et de sécurité

2. Plusieurs aéroports européens se préparent déjà à l’installation des futures infrastructures hydrogène

3. Trois concepts d’avion moyen-courrier à hydrogène pour 2035, dont le concept disruptif de « l’aile volante »

B. Pour tous les autres avions, les carburants d’aviation durables (SAF) sont une solution incontournable

1. Des carburants « drop in » pleinement compatibles avec les avions existants

a. Actuellement, les SAF doivent être utilisés mélangés à du kérosène

b. Des expérimentations en cours pour réaliser des vols à 100 % de SAF

2. Un élément essentiel de l’aviation décarbonée

a. Les biocarburants apportent un bénéfice environnemental significatif, à condition de choisir une filière de production durable

b. Les carburants de synthèse, plus performants mais technologiquement immatures, sont une solution viable à long terme

3. L’utilisation des SAF est limitée par une production insuffisante et par des prix encore élevés

III. faire de l’Europe le leader mondial de l’aviation verte grâce à une stratégie globale de long terme

A. « Refuel eu » : renforcer les « mandats d’incorporation » de saf pour stimuler le développement de la filière

1. Vu les enjeux industriels et environnementaux, le mandat d’incorporation prévu par la Commission européenne doit être renforcé

a. L’obligation de mettre des SAF dans les réservoirs (« mandat d’incorporation ») est le seul moyen efficace de créer une offre de SAF

b. La trajectoire d’incorporation prévue par la Commission est trop conservatrice à court terme

c. Le mandat d’incorporation pour 2030 doit être relevé de 5 % à 10 %, quitte à assouplir un peu les critères d’éligibilité à court terme

2. Lutter contre les stratégies d’évitement pour préserver la compétitivité des compagnies européennes

a. La proposition de règlement Refuel EU a prévu une mesure contre les techniques de « sur-emport »

b. Les fuites de carbone par les hubs internationaux semblent inévitables tant qu’il n’y aura pas d’accord à l’OACI

B. Compléter le pilier rÉglementaire par un pilier de politique industrielle

1. Carburants d’aviation durable : créer une filière européenne pour baisser les coûts, créer de l’emploi et favoriser l’autonomie stratégique

a. Produire des SAF en Europe : un enjeu économique et stratégique

b. La toute nouvelle alliance industrielle pour les carburants durables est doublement insuffisante

c. Créer un mécanisme de soutien à l’offre et à la demande de SAF

d. Doter l’Union européenne d’une capacité autonome de certification des SAF

2. Hydrogène : soutenir le développement d’un avion zéro émission en tirant profit de l’alliance industrielle et du tout nouveau PIIEC hydrogène

a. Alliance industrielle pour un hydrogène propre – Clean hydrogen : des outils conçus pour les autres modes de transport

b. Alliance industrielle pour un avion à zéro émission : un outil de coordination essentiel pour préparer l’arrivée de l’avion hydrogène

c. PIIEC hydrogène : inclure le financement des infrastructures

TRAVAUX DE LA COMMISSION

annexes

annexe  1 : Liste des personnes auditionnées par les rapporteurs

Annexe  2 : synthèse des recommandations


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   Introduction
l’avion décarboné, l’avenir de l’aviation

 

Mesdames, Messieurs,

L’épidémie mondiale a bouleversé le secteur aéronautique en réduisant drastiquement le trafic aérien et en accélérant la tendance à discréditer le transport aérien pour des raisons écologiques. Ce contexte actuel ne peut pas être ignoré quand on envisage l’avenir du secteur à horizon 2035. Selon vos rapporteurs, la « pression environnementale » exercée sur l’aviation est en réalité une opportunité pour l’Europe, celle de conserver durablement son leadership mondial dans le domaine, à condition d’effectuer des choix stratégiques judicieux et d’anticiper suffisamment tôt les investissements nécessaires.

1.   Le secteur joue son avenir sur sa capacité à répondre au défi de la transition environnementale

Le transport aérien représente 2 % à 3 % des émissions de CO₂ liées à l’homme (émissions anthropiques) et 11 % des émissions dues au secteur des transports, soit un total d’environ un milliard de tonnes de CO₂ par an (hors épidémie). Ces émissions sont dues pour les deux tiers aux vols internationaux, et pour moitié aux long-courriers.

Facialement, ces chiffres de 2 % à 3 % ne semblent pas si élevés. Mais vos rapporteurs soulignent qu’il ne s’agit que des émissions de CO₂ ; or le gaz carbonique n’est responsable que d’un tiers ([1]) de l’incidence du secteur aérien sur le réchauffement climatique (l’effet « radiatif »). L’essentiel de la contribution de l’aviation au réchauffement climatique s’explique par l’émission d’oxyde d’azote (NOx), de vapeur d’eau, de particules fines, par les traînées de condensation ([2]) persistantes, etc.

De plus, pour s’en tenir aux émissions de CO₂, il faut analyser non seulement la situation actuelle mais la dynamique. En vingt ans, les émissions de CO₂ de l’aviation ont augmenté d’en moyenne 2,5 % par an, avec une tendance à la hausse (augmentation annuelle moyenne de 4 % depuis 2010). La moitié des émissions du secteur depuis les années 1940 est imputable aux vingt dernières années, et la consommation de pétrole de l’aviation a augmenté plus vite que dans les autres secteurs.

La part du secteur aérien dans les émissions totales progresse donc fortement, et de plus en plus. Avec la demande croissante venant des pays émergents, le trafic aérien devrait continuer de croître à un rythme de 4 % par an jusqu’en 2050, ce qui augmentera d’autant les émissions de carbone si l’aviation n’était pas rendue plus efficace.

Enfin, 1 % de la population mondiale est responsable de la moitié des émissions de l’aviation : le « coût carbone » du secteur profite donc à un nombre très restreint de personnes, alors qu’il est mieux réparti dans les autres modes de transport. C’est aussi ce qui explique la faible acceptabilité écologique de l’avion, surtout depuis l’épidémie mondiale qui a vu le trafic diminuer de manière substantielle.

2.   Le secteur aéronautique a déjà fait des efforts importants pour réduire sa consommation de carburant

Sans attendre les débats écologiques contemporains, le secteur aéronautique a toujours été incité à réduire la consommation de carburant des aéronefs pour des raisons de performances économiques. Le carburant représente en moyenne un tiers du coût d’un vol. Pour les constructeurs, la recherche d’avions plus efficaces est donc d’abord un impératif commercial vis-à-vis des compagnies aériennes.

Depuis l’introduction des premiers avions commerciaux à réaction il y a environ 60 ans, les émissions de CO₂ par passager et par kilomètre ont déjà diminué de 80 %, les émissions sonores de 75 % et les émissions d’oxyde d’azote de 90 %. Chaque nouvelle génération d’avions est plus efficace que la précédente de 25 %. Par exemple, les Airbus A350, A330neo et A220 consomment 25 % de consommation de carburant en moins et sont deux fois moins bruyants que la génération précédente.

À cet égard, les deux principaux constructeurs fournissent des efforts comparables. Au début des années 2010, le Boeing 787 est un des premiers avions fait principalement de matériaux composites. Airbus continue de travailler sur la recherche de matériaux plus légers et plus résistants, sur la réduction de la consommation pendant les phases de roulage et lors des opérations au sol. Le motoriste Safran, quant à lui, œuvre à réduire le poids des trains d’atterrissage et des équipements cabine.

Ainsi depuis une dizaine d’années, les gains d’émissions sont de 2 % en moyenne annuelle. En tablant sur une croissance du trafic aérien de 4 % par an, il faudrait donc réduire les émissions des avions de 90 % d’ici 2050 pour respecter l’objectif de réduire par deux les émissions annuelles du secteur aérien d’ici 2050 (avec comme référence les niveaux de 2005) que s’est fixé l’International Air Transport Association (IATA).

Ces considérations rendent le créateur du « bilan carbone » Jean-Marc Jancovici particulièrement pessimiste : « L’augmentation du trafic va plus vite que la baisse unitaire des émissions ou de la consommation. Il nous appartient donc que cette efficacité unitaire se convertisse en baisse de la consommation globale, et si cela doit passer par une baisse de trafic, eh bien cela passera par une baisse de trafic […] Même avec un scénario où on mettrait en œuvre toutes les innovations technologiques actuelles, on est quand même obligé d’en passer par une baisse du trafic à partir de maintenant si on veut que l’aviation rentre dans son "budget carbone" d’ici 2050 » ([3]).

3.   La décarbonation de l’aviation : des enjeux industriels importants, une opportunité pour l’Europe

Dans ce contexte, c’est une transformation en profondeur que le secteur aéronautique devra mettre en œuvre pour réduire ses émissions de 90 % d’ici 2050 sans freiner la croissance du trafic aérien.

Pour l’Europe, l’enjeu est la conservation de son leadership mondial en matière aéronautique. Airbus et Safran ont une part de marché de respectivement 50 % sur le segment des avions de ligne et de 70 % sur le segment des moteurs, ce qui leur confère un « pouvoir d’orientation » sur l’industrie. Pour ces acteurs, il s’agit de ne pas reproduire l’erreur de l’industrie automobile allemande face à la voiture électrique, mais d’imposer à la concurrence de nouveaux standards technologiques et environnementaux qu’ils auront développés en bénéficiant de « l’avantage du premier entrant ».

a.   Deux leviers principaux : l’efficacité de l’avion et la qualité du carburant

Les industriels misent sur une réduction de 90 % des émissions en 2050 qu’ils obtiendront par trois leviers :

-         l’efficacité énergétique de l’avion (42 %) ;

-         l’optimisation des opérations aériennes et des opérations au sol (8 %) ;

-         les carburants aéronautiques durables (SAF) (50 %).

En réalité, l’optimisation des opérations aériennes et aéroportuaires (en orange sur le schéma ci-dessous) permettra de réduire les émissions jusqu’à 10 %, mais son potentiel est limité. Une fois que les opérations seront totalement optimisées, sans doute vers 2035 dans le cadre du programme européen SESAR (voir infra), il ne faudra pas en attendre de gains supplémentaires pour l’avenir. Quant aux mécanismes de compensation (en gris) comme CORSIA ([4]), il ne s’agit que d’un dispositif transitoire ne correspondant pas à une réduction réelle des émissions de l’aviation.

 

Source : ATAG, étude Waypoint 2050 (septembre 2021)

Il existe donc deux leviers principaux pour « l’aviation du futur », représentés ci-dessus en bleu et en vert. Le premier, qui fait l’objet de la première partie du rapport, s’inscrit dans la continuité des efforts effectués par les constructeurs depuis une vingtaine d’années pour rendre les avions plus « sobres », comme l’illustre la dernière génération d’avions dans les airs depuis 2016 : le Boeing 787 Max et la gamme « neo » d’Airbus.

Le deuxième, présenté en deuxième partie du rapport, concerne les producteurs d’énergie et les compagnies aériennes : il s’agira de mettre au point des carburants durables moins polluants et de faire en sorte qu’ils soient utilisés par les compagnies malgré leur coût structurellement plus élevé.

b.   Plusieurs concepts d’avions décarbonés, selon la distance : l’avion électrique, l’avion à hydrogène, l’avion classique rendu « ultra sobre »

Le premier levier repose sur la recherche d’un « avion sobre », c’est-à-dire sur une réduction de la consommation de carburant à la source, grâce à un travail sur la configuration des avions (aérodynamisme), sur la masse des matériaux et équipements et sur l’efficacité de la propulsion.

En France, la Direction générale de l’aviation civile (DGAC) a imposé en concertation avec le Conseil pour la recherche aéronautique civile (CORAC) une « feuille de route » au secteur aéronautique, en contrepartie d’un soutien financier d’1,5 milliard d’euros décidé dans le cadre du plan de relance de juin 2020 ([5]). Ce soutien financier cible la conception à horizon 2030 de trois modèles d’avion à consommation réduite de kérosène ou à mode de propulsion alternatif :

-         le successeur « ultra sobre » de l’A320neo, avec une exigence de réduction de la consommation de carburant d’au moins 30 % ;

-         un nouvel avion régional à propulsion électrique ou hybride électrique-hydrogène ;

-         un nouvel avion « zéro émission » propulsé à l’hydrogène (d’ici 2035).

Par rapport à la précédente feuille de route du CORAC, définie en 2019 avant l’épidémie et avant le « Green Deal » européen, cette nouvelle stratégie a permis de faire « avancer » le calendrier initialement prévu de dix ans.

Si le gain de 30 % d’efficacité concernera tous les avions de la prochaine génération, en revanche les modes de propulsion « zéro émission », qu’ils soient à l’électricité ou à l’hydrogène, ne seront possibles que sur des avions conçus spécifiquement pour et dont le rayon d’action sera limité. À cause du poids des batteries, l’avion électrique ne pourra être qu’un avion de tourisme ou un avion régional (dans ses déclinaisons hybrides). L’avion à hydrogène, quant à lui, ne pourra pas voler au-delà de la moitié de la distance entre l’Europe et les États-Unis pour des raisons de capacité d’emport (taille des réservoirs).

L’enjeu industriel, au niveau national et au niveau européen, serait de préparer l’arrivée de l’avion à hydrogène du point de vue de la normalisation et des infrastructures. Il s’agirait pour cela de coordonner les différents acteurs et de faciliter la possibilité pour les États membres de financer les investissements dans les infrastructures aéroportuaires afin que l’avion à hydrogène puisse voler le jour où il sera construit.

c.   Des carburants d’aviation durables à développer dans le cadre d’une politique européenne volontariste et ambitieuse

Le deuxième levier repose sur l’utilisation de carburants d’aviation durables (SAF) moins polluants que le kérosène d’origine fossile. Ces carburants ont l’intérêt d’être déjà utilisables mélangés à du kérosène dans la flotte d’avions existante, y compris les long-courriers. Leur potentiel de réduction d’émissions s’élève à 80 %, voire plus selon les filières. Si tous les moteurs actuels fonctionnaient avec 50 % de SAF, il en résulterait immédiatement une réduction de 40 % des émissions de CO₂.

Les carburants durables sont donc la solution la plus évidente pour la décarbonation de l’aviation, parce qu’elle est la seule disponible à court terme et qu’elle présente le potentiel le plus important à long terme. Selon la trajectoire prévue par la proposition de règlement européen Refuel EU (voir partie III.A), les avions embarqueront 63 % de carburants durables en 2050, ce qui laissera encore une marge de progression pour les décennies suivantes ; et ce d’autant que les technologies de carburants durables les plus intéressantes – les carburants synthétiques – ne commenceront leur déploiement qu’à partir des années 2030.

Mais l’utilisation de SAF se heurte aujourd’hui à l’obstacle des prix – ils sont au moins trois fois plus chers que le kérosène –, qui se traduit par une faible demande et donc par une offre insuffisante pour satisfaire les objectifs de décarbonation. Le problème semble insoluble sans l’intervention de politiques publiques ambitieuses, car les prix ne baisseront pas si l’offre n’augmente pas, l’offre n’augmentera pas si la demande n’augmente pas, et la demande n’augmentera pas si les prix ne baissent pas.

La troisième partie a pour objet de montrer qu’une politique européenne ambitieuse est nécessaire pour donner l’impulsion au lancement de la filière. L’obligation d’incorporation de SAF prévue par le futur règlement « Refuel EU » est indispensable, mais ne sera pas efficace si elle n’est pas complétée par une politique industrielle plus active. La création d’une filière européenne de SAF ne répond pas seulement à une exigence environnementale : il s’agit pour l’Europe d’un moyen de créer de l’emploi et de renforcer son autonomie stratégique en matière d’énergie.


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I.   Réduire la consommation des avions

Comme on l’entend parfois dire, « le carburant le plus durable, c’est celui que l’on ne consomme pas ». La première voie de décarbonation de l’aviation consiste à rendre l’avion plus « sobre », c’est-à-dire à réduire ses besoins de carburant à prestations équivalentes. Trois voies existent :

-         la sobriété au sens strict, c’est-à-dire l’efficacité énergétique (A) ;

-         pour les petits avions : le remplacement du carburant et du moteur à combustion par un système de propulsion électrique (B) ;

-         l’efficacité de la gestion des opérations aériennes et des opérations au sol (C).

A.   La quête d’un avion sobre

La nouvelle feuille de route technologique du CORAC prévoit une réduction de 30 % de l’énergie consommée par la prochaine génération d’avions. Pour atteindre cet objectif, les constructeurs travaillent à la fois sur :

-         la structure de l’avion : sa masse et son aérodynamisme (1) ;

-         l’efficacité propulsive de la motorisation (2) ;

-         l’électrification de certaines fonctions non propulsives actuellement alimentées par le moteur (3).

1.   Des avions plus légers, avec un meilleur aérodynamisme

La masse et l’aérodynanisme de l’avion sont les deux principaux facteurs déterminant ses besoins d’énergie. « L’avion du futur » sera donc plus léger et plus aérodynamique, grâce à des ailes de plus grande envergure et à une meilleure intégration des trains et du moteur. Les constructeurs devront parfois concilier des exigences contradictoires : des ailes et des moteurs plus grands avec une masse et une traînée réduites.

a.   Réduire la masse des avions grâce à de nouveaux matériaux

Le travail sur les matériaux, les structures et les assemblages devrait permettre de réduire encore la masse des avions de 20 % à 30 %.

La première piste consiste à remplacer l’aluminium et autres métaux par des matériaux composites de 3e génération, plus légers.

Les matériaux composites ont d’abord été intégrés au fuselage des avions régionaux, notamment chez le constructeur franco-italien ATR. Ils ont depuis été utilisés pour les avions de ligne. À la fin des années 2000, le Boeing 787 est le premier long-courrier à être composé pour moitié de matériaux composites, ce qui a réduit de 20 % sa consommation par rapport à la génération précédente. Boeing continue de travailler à des innovations susceptibles d’améliorer encore la performance de ses avions grâce à son programme « ecoDemonstrator ».

L’ecoDemonstrator 2021 de Boeing

Le programme Boeing ecoDemonstrator, créé en 2012 et renouvelé tous les ans, a été conçu pour tester de nouvelles technologies.

La version 2021 de l’ecoDemonstrator était basée sur un 737-9. Elle a permis à Boeing de tester, conjointement avec Alaska Airlines, une vingtaine de systèmes et de technologies visant à améliorer la sécurité et l’impact environnemental de l’avion, par exemple :

 - un nouvel agent extincteur d’incendie sans gaz halon (moins d’impact sur la couche d’ozone) ;

 - une nacelle moteur moins bruyante grâce à de nouveaux traitements acoustiques ;

 - des parois latérales de cabine fabriquées à partir de matériaux composites recyclés issus de la production d’ailes du Boeing 777X.

Mais malgré leurs hautes performances mécaniques, ces matériaux sont sous-exploités en raison du savoir-faire qu’ils requièrent. S’ils sont déjà utilisés dans certaines parties du fuselage des avions les plus récents, il serait également possible de les utiliser pour les panneaux à double courbure qui recouvrent la pointe de l’avion, pour l’environnement du moteur (mât, nacelle) et les trains d’atterrissage.

En complément, les matériaux thermodurcissables aujourd’hui utilisés dans les structures composites pourront être remplacés par des matériaux thermoplastiques qui, grâce à leurs technologies de mise en œuvre (par exemple : surmoulage) et d’assemblage (par exemple : soudage) permettront de réduire le nombre de pièces et d’alléger la structure.

Enfin, la masse des avions pourra être réduite en allégeant les systèmes de câblage et la connectique associée. Aujourd’hui, les avions de ligne embarquent plusieurs centaines de kilomètres de câble qui pèsent environ une tonne. L’utilisation de la fibre optique et des techniques de multiplexage pourraient permettre de réduire la masse du câble nécessaire au transport de données de 30 % sans compromettre la sécurité du dispositif, contrairement à des systèmes sans fil.

 

b.   Adapter la forme de la voilure pour un meilleur aérodynamisme

La forme de l’avion a peu évolué depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. Elle n’est pas optimale pour ce qui est de la résistance à l’air et de la formation de traînées. Les qualités aérodynamiques de l’avion peuvent être améliorées par l’intégration des trains d’atterrissage dans le fuselage (plutôt que dans les ailes), et surtout par la conception de nouvelles voilures.

L’aérodynamisme des ailes est fonction leur taille et de la laminarité (efficacité de l’écoulement d’air) de leur profil. Pour minimiser la résistance à l’air, les ailes doivent être grandes (à surface portante et épaisseur relative constantes) et avoir un profil à laminarité étendue, soit par l’optimisation de leur profil géométrique, soit par l’aspiration de l’écoulement d’air à travers une paroi micro‑performée dans la région du bord d’attaque, c’est-à-dire face au fluide.

La difficulté de la conception d’une voilure aérodynamique tient à l’arbitrage entre aérodynamisme et manœuvrabilité : pour réduire la résistance à l’air il faut augmenter l’envergure des ailes, mais plus la voilure est grande, plus elle est souple et plus elle se déforme en cours de vol sous l’effet des vibrations. Une aile trop souple peut donc subir des phénomènes de « flottement » et devenir difficile à contrôler.

L’enjeu est donc de créer des ailes plus fines et plus longues sans compromettre la manœuvrabilité de l’appareil. Pour cela, les surfaces mobiles (ailerons, volets, spoilers) doivent être adaptées et jouer pleinement leur fonction stabilisatrice en cours de vol. Par ailleurs, des ailes plus grandes sont mécaniquement plus lourdes ; le recours à des matériaux composites sera d’autant plus nécessaire pour obtenir des ailes à la fois grandes, manœuvrables et relativement légères.

2.   Des moteurs avec une grande soufflante pour un rendement accru

Un moteur plus efficace est un moteur qui consomme moins de carburant pour une même force propulsive.

Pour rendre le moteur plus efficace il faut augmenter le taux de dilution, c’est-à-dire le rapport entre le débit d’air froid brassé par la soufflante (le flux secondaire) et le débit d’air chaud traité par la turbine (le flux primaire). Plus ce taux est élevé, meilleur est le rendement.

Pour augmenter le taux de dilution, il faut donc une soufflante de grand diamètre qui va maximiser le flux secondaire, et une turbine à fort taux de compression qui va extraire un maximum d’énergie du flux d’air chaud qui la traverse.

La recherche d’un taux de dilution plus élevé impliquera certainement le passage d’une architecture avec carénage à une architecture « ouverte », sans nacelle extérieure. Le moteur actuel de référence, le CFM LEAP de Safran, a un taux de dilution de 10 %, c’est-à-dire que le flux secondaire est dix fois plus important que le flux primaire. Grâce à une structure non carénée, préfigurée en 2017 par le démonstrateur « Open rotor », Safran espère atteindre un taux de dilution de 25 % à 30 % sur le futur moteur dont le concept a été dévoilé en juin 2021 (programme « CFM Rise »). Ce nouveau moteur, qui équipera la prochaine génération d’avions – vers 2035 –, consommera 20 % de carburant en moins que son prédécesseur.

Mais l’augmentation du diamètre des soufflantes va poser de nouvelles contraintes. Plus la soufflante sera grande, plus le moteur sera volumineux, même si le problème est atténué par le passage à une structure sans carénage. Par conséquent, il sera de plus en plus difficile d’installer les moteurs sous l’aile alors qu’ils touchent déjà presque le sol sur un A320 !

Il ne suffira donc pas de concevoir un nouveau moteur, il faudra aussi lui trouver un nouvel emplacement, par exemple de part et d’autre de la pointe arrière du fuselage ou sous des ailes hautes (mais cela nuirait aux performances aérodynamiques de l’avion). Dans tous les cas, les innovations technologiques ne devront pas être conçues de manière indépendante : le moteur ultra-sobre ne pourra pas être intégré à « l’avion du futur » si la forme de celui-ci n’a pas été adaptée exprès.

En outre, si la soufflante est plus grande, il faudra que la chambre de combustion soit plus compacte tout en étant capable de résister à des températures plus élevées.

En plus de l’augmentation du taux de dilution – qui reste le critère fondamental de l’évolution de la performance d’un moteur d’avion –, une autre source d’économies serait d’adapter la consommation du moteur à sa vitesse. Aujourd’hui, les moteurs sont conçus pour fonctionner avec une vitesse optimale : l’avion peut toujours ralentir, mais il consommera en partie « pour rien ». Le nouveau moteur permettra à l’avion de ralentir pour réduire sa consommation, en particulier en cas de « circuits d’attente » à l’approche des aéroports.

3.   L’électrification des fonctions non propulsives de l’avion

Même sur les avions à propulsion conventionnelle, l’électrification peut permettre des gains substantiels de carburant.

Actuellement, l’électricité nécessaire au fonctionnement des avions est prélevée sur le rendement du moteur. Ainsi, l’électricité utilisée pour le roulage au sol (avant le décollage et après l’atterrissage) est produite par les turbines, à partir du carburant qui sert à la poussée aérienne. De même pour les systèmes d’air conditionné et de dégivrage. Au total, 3 % de la puissance du moteur est « gaspillée » en étant utilisée pour l’électronique plutôt que pour la propulsion. Pour gagner en efficacité, il faudrait donc électrifier tout ce qui ne sert pas à la poussée aérienne, à commencer par le système de roulage au sol.

L’électrification impliquera de nouveaux besoins électriques qu’il faudra satisfaire avec de nouvelles sources d’énergie (batteries ou piles à combustible) et des systèmes de distribution sûrs et efficaces. L’électricité embarquée ne doit pas compromettre la sécurité de l’appareil, alors qu’elle a déjà été source d’incidents sur les Boeing 787. De nouvelles architectures de réseaux haute tension et de nouveaux dispositifs de sécurité seront donc essentiels à une électrification des fonctions non propulsives de l’avion.

B.   L’avion électrique ou hybride : une solution pour le tourisme et l’aviation régionale

Pour les moyen et long-courriers, l’électricité sera toujours une source d’énergie secondaire, car les batteries et les piles à combustible pèsent très lourd. En revanche sur les petits avions, l’électricité comme énergie de propulsion peut être une solution d’avenir à condition d’en maîtriser les contraintes techniques.

Trois types d’avions « électriques » sont envisageables, par ordre croissant de capacité d’emport et de rayon d’action :

-         les avions 100 % électriques, pour les avions d’une dizaine de places (2026) ;

-         les avions électriques hybrides, couplés à un moteur kérosène (2023) ou hydrogène (2027) ;

-         les avions électriques à piles à combustible, pour l’aviation régionale dont les besoins sont de l’ordre de plusieurs mégawatts (2025).

1.   Avion électrique : des contraintes techniques qu’il sera peut-être possible de dépasser par la cryogénie et la supraconductivité

Outre l’avantage évident lié à l’absence d’émissions en vol, l’énergie électrique présente plusieurs intérêts. L’électrification permet de séparer physiquement la fonction de génération de puissance et la fonction de propulsion, et donc de répartir les propulseurs de manière optimale sur les ailes (principe de distribution de la propulsion), pour un gain d’efficacité pouvant aller jusqu’à 30 %. L’électricité autorise également une propulsion plus silencieuse, ce qui est particulièrement appréciable pour les vols courte distance de ville à ville. Enfin, les coûts d’exploitation d’un avion électrique sont jusqu’à cinq fois plus faibles que pour un appareil conventionnel.

Mais l’électricité présente deux types de contrainte : le poids du câblage et des batteries, et les risques liés au système électrique lui-même.

a.   L’électricité : une masse importante et des risques de surtension

La principale limite de l’électricité tient à la densité du stockage. L’électricité a une faible énergie massique, c’est-à-dire qu’elle pèse lourd par rapport à l’énergie qu’elle dégage. Même si l’on imaginait des batteries très performantes, capables de stocker cinq fois plus d’électricité par kilogramme que les batteries actuelles, il faudrait encore 170 tonnes de batterie pour faire voler un A320 de Paris à Toulouse, soit deux fois et demie la masse maximale de l’appareil au décollage !

Ce problème de masse est d’autant plus critique que les avions doivent en général être plus légers à l’atterrissage qu’au décollage. Et comme un avion électrique ne consomme pas de carburant en cours de vol, son poids est constant et la masse au décollage est en réalité limitée par la masse autorisée à l’atterrissage.

La deuxième limite tient à la conversion de l’énergie en propulsion mécanique. Le système propulsif nécessite une tension très importante (plusieurs kilovolts) ce qui pose des problèmes de sécurité (risques d’arcs électriques, de courts-circuits, de décharges partielles…). Pour éviter des pertes de tension et assurer une distribution efficace de l’énergie, il faut en outre des câbles de section importante qui pèsent eux-mêmes très lourds, ce qui accroît encore le besoin d’énergie.

b.   Un « système de propulsion froid » pour résoudre les limites de l’électricité ? Le projet Ascend d’Airbus

Pour réduire la masse du système électrique et diminuer la tension, Airbus cherche à développer un système de propulsion froid conjugué à des matériaux supraconducteurs.

À condition d’être en dessous d’une certaine température, les matériaux supraconducteurs ont la propriété de présenter une résistance nulle et donc de conduire parfaitement le courant, sans perte d’énergie. Refroidis grâce à de l’hydrogène liquide maintenu à – 253 °C (températures cryogéniques), ces matériaux pourraient améliorer significativement les performances de l’ensemble du système de propulsion électrique en augmentant l’intensité du courant et en diminuant du même coup la tension nécessaire et les inconvénients associés. Comme ils offrent une résistance nulle, ils permettront aussi d’alléger le câblage et de diviser par deux à trois la masse du système électrique.

Naturellement, la nécessité de maintenir l’ensemble du système à des températures cryogéniques rend son développement complexe. Un premier démonstrateur devrait être produit par Airbus en 2023.

2.   L’avion électrique va devenir le nouveau standard pour les avions de moins de 20 passagers

Du fait de ces contraintes, l’électricité n’est pas adaptée pour les gros avions. En revanche, il est tout à fait envisageable que la totalité des petits avions (moins de 20 sièges) fonctionne à l’énergie électrique d’ici une vingtaine d’années. Pour les vols de plus de 500 km, l’hybridation est une solution de compromis particulièrement prometteuse.

a.   Avions 100 % électriques : les pays du nord de l’Europe en pointe

Les pays du nord de l’Europe s’engagent très fortement en faveur de l’aviation décarbonée. La Norvège a annoncé que tous ses vols intérieurs seraient électriques d’ici 2040. La Suède est encore plus ambitieuse, puisqu’elle souhaite que les vols intérieurs soient exempts de combustibles fossiles d’ici 2030.

Pour atteindre ces objectifs, les principales compagnies aériennes et constructeurs des pays du nord de l’Europe se sont réunis dans le Nordic Network for Electric Aviation (NEA), à l’origine des projets les innovants.

L’avionneur suédois Heart Aerospace, membre du NEA, est en train de développer, avec le soutien de l’Union européenne – 2,5 milliards d’euros de subventions lui ont été accordées dans le cadre du Conseil européen de l’innovation – un avion régional de 19 sièges équipé de quatre hélices entraînées par des moteurs entièrement électriques. « L’ES-19 » d’Heart Aerospace sera construit principalement avec des alliages d’aluminium. Il pourra voler sur une distance d’environ 400 km à une vitesse de croisière de 333 km/h. Les premiers essais en vol auront lieu en 2024. La compagnie finlandaise Finnair, qui fait également partie du NEA, s’est déjà engagée à commander vingt ES-19 dès leur commercialisation.

En parallèle et pour répondre à l’ambition de la Norvège en matière d’aviation régionale électrique, l’avionneur italien Tecam et le motoriste britannique Rolls-Royce collaborent depuis 2019 pour construire un avion entièrement électrique équipé de 11 sièges. Le « P-Volt » serait prêt à être utilisé sur le marché norvégien dès 2026, grâce à la participation de la plus grande compagnie régionale de Scandinavie, Widerøe.

À côté des Européens, les Américains travaillent aussi sur l’avion électrique. Le constructeur aéronautique Bye Aerospace est en train de développer l’eFlyer 800 qui se veut le premier avion à propulsion 100 % électrique à atteindre les performances et le niveau de sécurité d’un biturbine, grâce à une vitesse de croisière de près de 600 km/h et un rayon d’action opérationnel de plus de 900 km. En revanche, il ne disposera que de 7 places passager. Un autre constructeur américain, Electra Aero, est en train de développer un avion de capacité et d’autonomie comparables qui devrait être certifié en 2026.

b.   Les constructeurs français très bien placés sur les avions électriques hybrides

L’avion électrique hybride est un excellent compromis entre l’avion 100 % électrique, dont les capacités sont structurellement limitées, et les avions conventionnels bien plus polluants. Dans les avions hybrides, les batteries électriques sont couplées avec un moteur à combustion fonctionnant au kérosène (milieu des années 2020) ou à l’hydrogène (fin des années 2020).

L’hybridation permet de tirer profit des avantages de l’électricité (silence au décollage et à l’atterrissage) et du moteur thermique (autonomie) pour créer des avions particulièrement polyvalents.

i.   En 2023, le VoltAreo Cassio sera le premier avion commercial à propulsion hybride électricité-kérosène

L’avionneur français VoltAreo est en train de développer un avion à propulsion hybride particulièrement innovant, puisqu’il permet de fonctionner entièrement à l’électricité sur des petites distances (jusqu’à 200 km) et de « prolonger » l’autonomie de l’avion par l’activation du moteur thermique en cas de trajet plus long.

Le « Cassio » a fait son premier vol en octobre 2020. Un an plus tard, il avait cumulé 120 heures de vol d’essai. L’entrée en service aura lieu en 2023 : il s’agira du premier avion commercial électrique hybride à être certifié.

Le Cassio se déclinera en trois versions de quatre, six et dix sièges. VoltAreo a pleinement tiré profit du principe de propulsion distribuée : le module électrique est composé de trois moteurs posés en configuration triangulaire, pour une plus grande efficacité. Il est couplé à un moteur à combustion interne de 370 chevaux conçu par le motoriste Solution F.

Le moteur permet de recharger les batteries (fonction de « prolongateur d’autonomie »), et il peut aussi être utilisé comme élément de propulsion principal suffisamment longtemps pour se poser en cas de défaillance des moteurs électriques (fonction de sécurité). Ainsi, du fait de son faible rayon d’action, la version la plus petite du Cassio (4 places) volera entièrement à l’électrique ; les autres versions pourront adapter leur mode de propulsion à la distance parcourue afin de consommer le moins de carburant possible.



 En juillet 2021, VoltAreo a réalisé un « tour de France » avec son démonstrateur. Le 5 juillet 2021, la co‑rapporteure Nicole Le Peih a eu la chance d’assister au départ officiel du circuit à Lorient ; elle est depuis persuadée que l’aviation électrique est une solution à la fois immédiate et très efficace pour la décarbonation des vols régionaux.

 

 

ii.   Le premier avion hybride électricité-hydrogène devrait être mis en service en 2027

S’il a l’intérêt de la modularité, le Cassio de Voltaero est encore un avion hybride électricité-kérosène. Un autre constructeur français, Mauboussin, travaille à la première génération d’avions hybrides électricité-hydrogène. Elle suivra de quelques années les premiers avions hybrides kérosène.

Mauboussin a deux programmes :

-          l’Alérion M1H, un avion biplace d’une autonomie de 700 km avec une vitesse de croisière modérée (275 km/h) ;

-          l’Alcyon M3C, un avion de 6 places avec une portée bien plus importante de 1 500 km et une vitesse de croisière de 370 km/h.

Dans un premier temps, les avions seront proposés avec une motorisation hybride électricité-kérosène. Deux ans après leur commercialisation dans leur version électricité-kérosène, soit respectivement en 2027 et en 2028, les avions seront également disponibles dans une version électricité-hydrogène bien plus innovante (système de propulsion « Zéphyr »). L’hybridation reposera sur un moteur électrique alimenté par une turbine fonctionnant à l’hydrogène. Pour compenser le surpoids dû à la motorisation hybride, la structure sera en bois, matériau plus léger que l’aluminium.

Contrairement à l’avion de Voltareo, qu’il est possible de faire fonctionner sans moteur à combustion sur des vols courte distance, les avions Mauboussin ne sont pas conçus pour être propulsés uniquement à l’électricité. L’électricité sera utilisée seule pour les phases de roulage, de décollage, de montée initiale et à l’atterrissage – ce qui permettra déjà de réduire de 25 % la consommation de carburant – et l’hydrogène sera utilisé pour la phase de croisière.

Le bloc électrique des avions hybrides aura donc surtout pour intérêt de réduire les nuisances sonores au décollage et à l’atterrissage, afin de permettre aux avions d’opérer à partir d’infrastructures réduites dans des zones aujourd’hui fermées aux avions classiques.

3.   Les piles à combustible pour des avions court-courriers électriques

Malgré leur rayon d’action élevé (1 500 km pour le futur Alcyon M3C), les avions électriques hybrides associant batteries et turbine n’ont pas une puissance suffisante pour transporter plus de 20 personnes, seuil généralement admis pour distinguer les avions de tourisme et les avions d’affaires des petits avions de ligne court-courriers.

Un seul système pourrait permettre de faire voler des avions électriques avec plusieurs dizaines de passagers : la pile à combustible. La pile à combustible consiste à transformer un combustible (kérosène, hydrogène…) en électricité et à s’en servir comme force de propulsion. Ce système est trois fois plus lourd qu’un moteur électrique à turbine, mais il permet de délivrer bien plus d’énergie.

Le premier vol d’un avion avec des piles à combustible alimentées par de l’hydrogène a eu lieu en 2008 avec un Diamond DA 20 de Boeing. Sans attendre l’avion électrique annoncé par Airbus à horizon 2030, les premiers avions commerciaux à pile à combustible seront opérationnels au milieu des années 2020 grâce à deux projets :

-          les kits hydrogène d’Universal Hydrogen (a) ;

-          le programme allemand pour un avion à zéro émission (b).

a.   Universal Hydrogen : le premier avion régional à pile à combustible d’ici 2024

La start-up californienne Universal Hydrogen est en train d’installer une filiale française à Toulouse dans le but d’équiper certains avions régionaux d’un moteur électrique alimenté par pile à combustible. Le choix de transformer des avions existants (« retrofit ») est moins coûteux et plus rapide que la conception de nouveaux avions, même si cela ne dispense pas d’une nouvelle certification.

Ainsi, dès en 2024, des avions régionaux comme le Dash 8 ou l’ATR 72 pourront être propulsés par un moteur électrique au lieu des turbopropulseurs alimentés au kérosène. Le moteur électrique sera entraîné par une pile à combustible, alimentée par de l’hydrogène gazeux ou de l’hydrogène liquide, l’hydrogène liquide présentant l’avantage d’un rayon d’action plus important (1 000 km au lieu de 750 km).

Pour s’assurer d’une compatibilité totale avec la flotte et les infrastructures existantes, Universel Hydrogen prévoit de stocker l’hydrogène non pas dans un réservoir intégré à l’avion, mais dans des capsules transportables et remplaçables. Chaque avion sera équipé de trois ou quatre paires de capsules (appelées « modules »).

Comme chaque capsule mesure deux mètres de long – l’hydrogène étant très volumineux, voir infra –, il sera nécessaire de supprimer une dizaine de sièges par avion, sachant que l’ATR 72 en comprend au total 78. Cette réduction du nombre de sièges sera économiquement compensée par une baisse des coûts d’exploitation par rapport au système kérosène habituel.

b.   Bientôt un avion allemand de 40 sièges avec pile à combustible

Avec le soutien financier du gouvernement allemand – qui a, comme la DGAC, un programme avion à zéro émission –, la start-up allemande H2FLY travaille depuis l’an dernier avec le tout nouveau constructeur Deutsche Aircraft à la création du premier avion de ligne régional électrique.

H2FLY, qui est spécialisée dans l’utilisation de l’hydrogène pour l’aviation (comme son nom l’indique), a déjà réussi à concevoir un planeur de recherche équipé d’un groupe moto-propulseur composé d’un moteur électrique et d’une pile à hydrogène, qui a effectué avec succès plusieurs dizaines de vols d’expérimentation jusqu’à 750 km de distance.

Le nouvel aéronef, qui aurait cette fois une vocation commerciale, pourrait être mis en service dès 2025. Il sera conçu à partir d’un Dornier DO-328 dont le fuselage serait allongé et les turbopropulseurs remplacés par une pile à hydrogène. Si l’entreprise n’a pas encore annoncé son rayon d’action, elle présente cet avion comme l’avion à pile à hydrogène le plus puissant qui ait jamais existé, avec une capacité de 40 sièges.

C.   Le programme européen « sesar » : Améliorer l’efficacité de la gestion des opérations aériennes et au sol

Le trafic aérien s’est structuré progressivement dans la deuxième moitié du XXe siècle avec des « routes aériennes » bien définies, dans un objectif exclusif de sécurité. Néanmoins, ces voies ne sont pas optimisées : en moyenne, sur les vols européens, les avions réalisent des détours de 42 km et les temps de vol sont prolongés de 5 % par rapport à des trajectoires optimales.

Le projet « Ciel unique européen » et son volet technologique, le programme SESAR, ont précisément pour but d’optimiser les trajectoires afin de réduire les émissions de CO₂ de 10 % en Europe à horizon 2035.

Le ciel unique européen

Instituée en 2004 par un paquet de quatre règlements, l’initiative « Ciel unique européen » vise à accroître l’efficacité de la gestion du trafic aérien en réduisant la fragmentation de l’espace aérien européen. D’ici à 2035, elle permettra de réduire les temps de vol, d’améliorer le niveau de sécurité (en « absorbant » l’accroissement du trafic aérien) et de réduire de 10 % les émissions de gaz à effet de serre dues à l’aviation.

L’entreprise commune SESAR (Single European Sky Air traffic management Research) est le volet technologique du Ciel unique européen. Elle prend la forme d’un partenariat public-privé entre l’Union européenne, Eurocontrol et les principaux industriels du secteur aéronautique.

Le 22 septembre 2020, dans le cadre du Pacte vert européen, la Commission européenne a proposé de réviser le cadre juridique du Ciel unique européen pour mettre en place des trajectoires de vol plus efficaces et renforcer les capacités d’évaluation de l’Agence européenne pour la sécurité aérienne (AESA), qui est compétente en matière de certification des aéronefs et qui devra établir de nouvelles règles de certification pour les futurs avions décarbonés.

Les inefficacités des opérations aériennes sont liées aux trajectoires et circuits d’approche (a), aux profils de montées et de descentes par paliers (b) et aux opérations aéroportuaires (c).

a.   L’optimisation des circuits d’approche et des trajectoires

Jusqu’à présent, il a été difficile d’optimiser les trajectoires aériennes en raison d’un conflit entre l’exigence inconditionnelle de sécurité et la flexibilité que supposerait cette optimisation.

Le ralentissement du trafic aérien induit par la crise de Covid-19 a été l’occasion de conduire des expérimentations qu’il aurait été impossible de réaliser avec les volumes de trafic constatés avant la crise. Par exemple, des expérimentations ont permis de réduire le temps de vol de 21 minutes et la consommation de carburant de 16 % sur un trajet New York-Londres.

Plusieurs innovations technologiques et procédurales vont permettre de continuer à optimiser les trajectoires en temps « normal ». La première concerne l’amélioration de la définition des trajectoires et paramètres de vol grâce à une meilleure modélisation des avions et de leur dynamique de vol.

Actuellement, les performances des avions sont modélisées de manière générique, sans tenir compte de leurs caractéristiques propres (options, état de vieillissement) et des conditions météorologiques (vent…). Cela empêche la définition d’une altitude optimale. C’est pour résoudre ces sources d’inefficience que Thalès a développé « PureFlyt », un système de gestion de vol fondé sur l’intelligence artificielle. Ce système doit permettre d’atteindre une combinaison optimale de sécurité, d’efficacité opérationnelle et d’efficience énergétique.

Au-delà de l’optimisation de chaque vol, il faudrait en outre passer à une logique d’optimisation globale prenant en compte l’ensemble des trajectoires de l’ensemble de la flotte. A contrario, les critères d’optimisation actuels sont définis vol par vol, sans tenir compte des interactions entre les paramètres des différents vols.

À plus long terme, il serait même envisagé d’expérimenter un nouveau concept de vol en formation avec appairage de deux avions qui se suivent. L’idée est que l’avion situé derrière puisse bénéficier du surcroît de portance conféré par les tourbillons de sillage de l’avion situé devant. Ce nouveau concept supposerait une évolution de la règlementation internationale pour réduire l’espacement minimum autorisé entre deux avions.

Enfin, l’amélioration des procédures d’approche (grâce à des procédures satellitaires) est essentielle pour éviter que les avions « tournent en rond » en attendant que l’aéroport se libère (« circuits d’attente »). En France, la Direction des services de la navigation aérienne (DSNA) conduit des expérimentations pour améliorer les circuits d’approche et de départ des aéroports.

b.   L’optimisation des profils de montée et de descente

En principe, l’altitude optimale d’un avion dépend de son poids : plus il est léger, plus il doit voler haut. Or comme la masse de l’appareil diminue progressivement à mesure qu’il consomme du carburant, il faudrait donc qu’il puisse s’élever progressivement pour adapter en continu son altitude à sa masse effective.

À l’inverse, les niveaux de vol des avions sont aujourd’hui fixes. C’est ce que l’on appelle les profils de montée et de descente « par paliers ». Idéalement il ne devrait donc pas y avoir de paliers, mais des taux de montée et de descente continus correspondant à l’évolution continue de la masse de l’avion. En descente, le passage d’un système de paliers à un système continu permettrait de réduire la poussée et d’économiser le carburant nécessaire au maintien sur un palier.

c.   L’optimisation des opérations

Des gains d’efficacité peuvent également être réalisés sur l’ensemble du cycle de l’avion grâce à l’amélioration des opérations de maintenance et de l’ensemble des opérations au sol (maintenance prédictive, gestion automatisée des pannes…). Actuellement, les émissions aéroportuaires représentent 5 % des émissions totales dues à l’avion.

Au cours des auditions, vos rapporteurs ont pu entendre l’entreprise SixFoisSept, qui cherche à optimiser les programmes de maintenance, de surveillance et d’inspection des aéronefs, dans un objectif d’efficacité et d’économie des ressources.

Le « Sémaphore Risk Oversight » de SixFoiSept

L’entreprise spécialisée dans l’intelligence artificielle SixFoisSept a développé le « Sémaphore Risk Oversight », un outil basé sur la data science qui cartographie les risques en croisant des critères de probabilité d’occurrence et de gravité des conséquences.

L’outil, développé conformément aux lignes directrices de l’AESA sur l’intelligence artificielle ([6]), permettra de moduler la fréquence et la nature des inspections opérées par les organismes agréés. Il en résultera une sécurité renforcée (détection des éléments les plus « à risque » par calcul du risque relatif), des contrôles plus efficaces (réduction du temps de présence au sol) et une optimisation des ressources.

 

L’électrification de l’ensemble des opérations menées dans les aéroports sera aussi une source importante de réduction des émissions de carbone. Le 27 octobre 2021, la principale compagnie low cost d’Europe, Ryanair, a annoncé son passage à la manutention électrique dans les onze aéroports européens où elle est présente (dont huit aéroports en Espagne), grâce à la mise à disposition des infrastructures nécessaires dans les aéroports concernés.

II.   Réduire les émissions dues au combustible

Si la première façon de réduire les émissions de gaz à effet de serre dues à l’aviation est de réduire la consommation de carburant, il est aussi nécessaire de rendre les carburants utilisés moins polluants.

Comme expliqué en première partie, il est presque impossible de remplacer sur les avions de ligne le carburant par des batteries électriques, y compris en associant l’électricité à des technologies hybrides. Pour ces avions, il faudra donc rester sur des turbines à gaz, en prenant soin de remplacer le kérosène par un carburant plus « vert ».

Deux types de carburants alternatifs sont envisageables. Pour les courts et moyens courriers, l’hydrogène liquide (par opposition à l’hydrogène gazeux) pourrait être la solution d’avenir, la seule du moins à supprimer complètement les émissions de gaz carbonique et à réduire de 80 % les émissions d’oxyde d’azote. Mais l’hydrogène ne pourra pas être utilisé sur des avions long-courriers, en raison de sa faible masse volumique : trois fois moins lourd que le kérosène, l’hydrogène est aussi quatre fois plus volumineux. De surcroît, les propriétés thermochimiques de l’hydrogène liquide font qu’il n’est pas utilisable avec la flotte et les infrastructures actuelles. Le premier avion à hydrogène devrait être mis en service en 2035.

Contrairement à l’hydrogène, les « carburants d’aviation durables » (SAF) ont l’avantage d’être immédiatement utilisables – dans les réservoirs et avec les moteurs actuels – et sur n’importe quel avion, quel que soit son rayon d’action. On distingue deux types de carburants d’aviation durables : les biocarburants et les carburants de synthèse, qui diffèrent par la matière première, la technologie et le coût de production. Selon la filière, ces carburants permettront de réduire les émissions de 70 % à 95 % sur l’ensemble de leur cycle de vie.

Si l’hydrogène est une solution prometteuse mais encore incertaine et partielle, les carburants d’aviation durables constitueront donc, dans tous les cas, une part importante de la réduction des émissions dues à l’aviation.

A.   L’hydrogène : une solution zéro ÉMISSION pour des distances moyennes avec des avions spécifiques

L’hydrogène est un carburant d’avenir, car il est le seul à n’émettre aucune émission en vol. L’aviation peut faire deux usages de l’hydrogène :

-          la pile à combustible associée à un moteur électrique, pour des avions de taille moyenne volant à environ 6 000 mètres d’altitude et propulsés par des hélices (voir partie I) ;

-          la combustion directe dans un moteur à combustion interne (pour les voitures et les petits avions hybrides) ou une turbine à gaz (turboréacteur ou turbopropulseur) pour la plupart des avions.

Si les performances des piles à combustible sont trop limitées pour couvrir les besoins en puissance propulsive des avions de ligne, la combustion directe d’hydrogène peut fournir suffisamment de puissance pour alimenter des gros avions. Mais le déploiement de l’hydrogène dans l’aviation présente plusieurs verrous technologiques et opérationnels dus à sa faible densité et aux problèmes de sécurité qu’il pose (inflammabilité, propension à fuir). Pour ces deux raisons, l’utilisation de l’hydrogène est bien plus délicate dans l’aviation que dans les trains ou le transport terrestre.

L’hydrogène supposera donc la construction de nouveaux avions spécialement conçus pour être compatibles, et l’installation de nouvelles infrastructures de transport et d’avitaillement. Conformément au programme national en faveur d’un avion à zéro émission, Airbus travaille déjà au développement d’un avion à hydrogène qui pourrait être mis en service en 2035. Trois concepts ont été dévoilés, dont le fameux concept disruptif « d’aile volante ».

1.   L’hydrogène est le carburant le moins polluant mais aussi le moins dense, ce qui empêche de l’utiliser sur des long-courriers

L’hydrogène liquide prend de la place mais il a l’avantage d’être un combustible très léger et de diminuer significativement les émissions : sa consommation directe (dans une turbine ou une pile à combustible) n’émet aucune émission de CO₂ et réduit de 80 % les émissions d’oxyde d’azote (NOx), même si les émissions de vapeur d’eau restent importantes.

a.   L’hydrogène présente de nombreux intérêts, dont celui de n’émettre aucune émission de gaz carbonique

L’hydrogène est le seul carburant dont la combustion n’émet aucune émission de CO₂. En combustion directe, l’hydrogène n’est pas exactement « zéro émission » puisqu’il dégage de l’oxyde d’azote, mais dans une proportion bien inférieure à la combustion de kérosène. Utilisé dans une pile à combustible – pour les petits avions –, il est encore plus intéressant puisqu’il n’émet que de la vapeur d’eau. L’hydrogène est donc le carburant le plus « propre » à condition qu’il soit produit « proprement », à partir d’eau et d’électricité décarbonée (électrolyse de l’eau).

L’hydrogène a aussi l’intérêt d’être trois fois plus léger que le kérosène à énergie égale. C’est le carburant dont le pouvoir calorifique massique, c’est-à-dire le ratio énergie / masse, est le plus élevé.

Du point de vue de l’ensemble du système, la très basse température de l’hydrogène liquide (voir infra) pourrait aussi être exploitée pour améliorer les performances de l’avion :

-          d’une part, en facilitant le refroidissement des moteurs et en diminuant le besoin de prélever de l’air frais dans le flux secondaire du moteur (ce qui diminue son rendement) ;

-          d’autre part, par la mise en œuvre de technologies supraconductrices qui permettraient d’alléger le câblage et de diminuer la tension (voir supra).

Enfin, l’hydrogène utilisé pour la combustion directe peut aussi alimenter des piles à combustibles utilisées comme source d’énergie pour les systèmes électriques embarqués, contribuant à l’électrification des fonctions non propulsives.

b.   Mais l’hydrogène impose aussi des contraintes de volume et de sécurité

C’est à cause de son volume que l’hydrogène ne peut pas être utilisé dans les gros avions. Même comprimé à 700 bars, l’hydrogène gazeux occupe un volume sept fois plus important que le kérosène pour une même énergie dégagée. De plus, à un tel degré de pression, les réservoirs doivent avoir des parois très épaisses et donc très lourdes, ce qui réduit l’intérêt de l’hydrogène par rapport à l’électricité.

Dans les avions de ligne, l’hydrogène doit donc être utilisé sous forme liquide. L’hydrogène liquide est deux fois plus dense que l’hydrogène gazeux, mais il reste trois à quatre fois moins dense que le kérosène, ce qui signifie que les réservoirs seront trois à quatre fois plus gros. De ce seul fait, l’utilisation de l’hydrogène est exclue sur les avions dont le rayon d’action est supérieur à 2 000 milles nautiques (3 700 km). Il ne sera donc pas possible de faire un vol Paris‑New York (5 800 km) à l’hydrogène sauf à faire une escale au milieu de l’Atlantique…

De plus, si la technologie de liquéfaction de l’hydrogène est désormais mature depuis une trentaine d’années, les propriétés thermochimiques de l’hydrogène liquide rendent son utilisation particulièrement délicate, y compris pour les avions de plus petite taille. Comme la pression exercée sur les parois par l’hydrogène liquide est supérieure à celle qu’exerce le kérosène, les réservoirs doivent être de forme sphérique, cylindrique ou conique pour avoir une résistance suffisante et éviter les risques de surpression. De ce fait, l’hydrogène ne peut pas être stocké dans les ailes aussi facilement que le kérosène.

Le stockage de l’hydrogène liquide est d’autant plus contraignant qu’il doit se faire à température cryogénique (– 253 °C). Par suite, le réservoir et les circuits de distribution (pompes, vannes, échangeurs…) doivent être eux-mêmes cryogéniques, et tenir compte des autres caractéristiques contraignantes de l’hydrogène liquide : inflammabilité extrême, capacité de perméation dans les matériaux solides et propension à fuir.

Enfin, même si les moteurs actuels seraient déjà quasiment susceptibles de fonctionner avec de l’hydrogène, les matériaux devront aussi pouvoir être compatibles avec l’injection de l’hydrogène liquide dans les moteurs. Le décalage de température entre l’hydrogène (– 253 °C) et les parties chaudes des moteurs (1 500 °C) crée un risque de fuite, d’inflammation et d’explosion ou, sur la durée, de fragilisation et de corrosion des matériaux.

Les futurs avions à hydrogène devront donc être construits pour satisfaire ces exigences de température et de pression, depuis le réservoir jusqu’au système propulsif. Autrement dit, l’hydrogène implique de nouvelles technologies et de nouveaux systèmes de surveillance et de régulation des systèmes de stockage, de distribution et de propulsion.

Au sol, les infrastructures logistiques devront également être adaptées.

2.   Plusieurs aéroports européens se préparent déjà à l’installation des futures infrastructures hydrogène

Les spécificités de l’hydrogène ont un impact non seulement sur l’avion mais aussi sur les infrastructures aéroportuaires. En effet, l’hydrogène doit être maintenu sous forme liquide sur toute la chaîne d’approvisionnement, pendant plusieurs dizaines d’heures. Or les équipements actuels de stockage et d’avitaillement ne sont pas compatibles avec un fluide cryogénique.

L'hydrogène nécessitera donc de gigantesques infrastructures de production, de stockage et de distribution, comparables à celles que l’on peut trouver dans le centre spatial de Kourou. Dans un aéroport comme Francfort, d’où décollent environ 150 avions court-et-moyen-courriers tous les jours, la consommation d’hydrogène serait de 150 à 300 tonnes par jour. Au total, il faudrait équiper environ 400 aéroports dans le monde d’infrastructures cryogéniques capables de garantir à la fois un débit suffisant et un niveau de sécurité maximal devant les risques spécifiques d’explosion liés à l’hydrogène.

En 2021, et c’est nouveau, plusieurs projets visant à équiper les aéroports en infrastructures hydrogènes sont nés – à Paris, à Lyon et à Hambourg – avec le soutien des pouvoirs publics.

En février 2021, la région Ile-de-France, Aéroports de Paris (ADP), Air France-KLM et Airbus ont lancé un appel à manifestation d’intérêt de portée mondiale en vue de construire dans les aéroports parisiens un écosystème unique autour de l’hydrogène, fédérant les grandes entreprises, les start-ups, universités, etc. Le projet porte sur le stockage, le transport et la distribution d’hydrogène (gazeux et liquide), mais aussi sur l’utilisation de l’hydrogène pour les véhicules opérant au sol et sur le recyclage de l’hydrogène dans le cadre d’une économie circulaire.

En juin 2021, un protocole d’accord a été signé entre Air Liquide, Airbus et ADP pour préparer l’arrivée de l’avion à hydrogène dans une trentaine d’aéroports et tout particulièrement à Paris CDG et Paris Orly.

La ville de Lyon est aussi pressentie pour accueillir les premières infrastructures à hydrogène. Alors que plusieurs aéroports français (Mulhouse, Nice, Marseille) ont annoncé vouloir atteindre la neutralité carbone d’ici 2040, Lyon-Saint Exupéry affirme vouloir atteindre cet objectif dès 2026. Dans ce contexte, c’est l’aéroport de Lyon qu’ont choisi Airbus, Air Liquide et VINCI Airports comme aéroport pilote pour préparer la réception des futurs avions à hydrogène. Aux termes de l’accord formalisé en septembre 2021, une station d’hydrogène gazeux sera déployée en 2023 pour alimenter les véhicules terrestres de l’écosystème. Les infrastructures d’hydrogène liquide seront ensuite installées progressivement pour anticiper la livraison des premiers avions de ligne à hydrogène.

Mais c’est la ville d’Hambourg qui a le projet le plus ambitieux de construire un véritable écosystème intégré appelé « hub à hydrogène vert ». Avec le soutien financier de la métropole et en concertation avec les industriels réunis dans le projet « Hydrogène pour l’infrastructure et la production aéronautique en Allemagne du nord » (WIPLiN), l’aéroport a lancé une étude des conditions de maintenance au sol et d’approvisionnement en hydrogène du futur avion à hydrogène liquide. Les expérimentations seront menées à partir d’un Airbus A320 transformé en un véritable « laboratoire de terrain » grâce à une infrastructure hydrogène. Grâce à ce projet, la ville de Hambourg espèce attirer les investisseurs et créer une économie centrée sur les énergies durables, en particulier l’hydrogène.

3.   Trois concepts d’avion moyen-courrier à hydrogène pour 2035, dont le concept disruptif de « l’aile volante »

Le volet R&D du plan de soutien du gouvernement français à la filière aéronautique prévoit un avion moyen-courrier à hydrogène à horizon 2035. Les équipes d’Airbus, tirant profit de leur expérience dans le domaine spatial – la fusée Ariane 5 étant propulsée à l’hydrogène – étudient les différentes hypothèses d’avions à turbines à gaz alimentées par la combustion d’hydrogène liquide.

Airbus a pour l’instant dévoilé trois concepts possibles :

-          un nouvel appareil régional à turbopropulseur : jusqu’à 100 passagers et un rayon d’action de 1 800 km ;

-          deux avions moyen-courriers avec un rayon d’action de 3 500 km et une capacité de 200 passagers :

Le choix entre ces trois concepts sera fait en 2024 et un premier démonstrateur à l’échelle devrait être prêt en 2025. Dans tous les cas, « l’avion du futur » à l’hydrogène sera mis en service au plus tard en 2035.

Les deux concepts « classiques » (le turbopropulseur et l’avion proche de l’A320) ont le mérite de s’inscrire dans la continuité des modèles actuels et de ne pas nécessiter de changement radical des infrastructures aéroportuaires (passerelle avion, tarmac). Inversement, l’échec commercial de l’A380 s’explique largement par son incompatibilité avec les infrastructures habituelles des aéroports.

Sur ces deux modèles, l’hydrogène serait stocké dans des réservoirs situés derrière la cloison étanche arrière, ce qui diminue la place disponible pour les passagers. Pour compenser cette perte de place, il faudra allonger le fuselage et augmenter la taille de l’avion, mais le fuselage ne peut pas être allongé indéfiniment. Il y aura donc un arbitrage entre rayon d’action (dépendant de la quantité d’hydrogène), nombre de passagers et taille de l’avion.

C’est pour « améliorer les termes de l’arbitrage » qu’est né le concept « d’aile volante ». Au demeurant, cette idée n’est pas si récente. Depuis 2019, Airbus fait voler sa maquette « Maveric », une aile volante de 2 mètres de long et de 3,2 mètres d’envergure. C’est aussi en 2019 que l’Université de technologie de Delft (Pays-Bas) a lancé un projet d’aile volante, « Delft Flying-V ». La configuration de l’avion est complètement nouvelle : le fuselage et l’aile sont intégrés dans un même corps ovale, ce qui permet d’améliorer d’au moins 10 % le rendement aérodynamique et de réduire la masse à vide de 7 %.

Théoriquement, l’aile volante est la solution la plus efficace pour l’aérodynamique (traînée réduite de 30 %), la masse structurelle et la capacité d’emport. Comme elle permet de transporter plus de carburant pour une même taille d’appareil, elle se révèle particulièrement intéressante pour le stockage d’un carburant très volumineux comme l’hydrogène. De plus, l’aile volante offre davantage de facilité pour aménager la cabine et optimiser le nombre de places.

« L’aile volante » est donc le concept le plus performant, mais elle présente aussi des difficultés techniques. L’absence d’empennage pose un problème de stabilité et de contrôle ; le coefficient de portance est plus faible, donc l’envergure doit être plus grande pour compenser ; enfin, comme la structure n’a pas de section circulaire, elle est moins résistante aux efforts de pressurisation. Au niveau de la conception, l’emplacement des portes d’évacuation d’urgence reste à déterminer. Enfin, de manière plus anecdotique, l’absence de hublots en cabine peut nuire au confort des passagers.

Pour toutes ces raisons, la DGAC est sceptique sur la possibilité de développer une « aile volante » d’ici 2035 et privilégie les deux autres options élaborées par Airbus. Le constructeur américain Boeing, quant à lui, a fait voler en 2021 un petit avion propulsé par une pile à hydrogène, mais il ne croit pas en l’hydrogène comme combustible pour la prochaine génération d’avions de ligne. C’est donc un pari que fait Airbus qui, s’il est réussi, conduira l’Europe à conforter durablement sa position de leader dans l’aéronautique.

B.   Pour tous les autres avions, les carburants d’aviation durables (SAF) sont une solution incontournable

Alors que l’hydrogène nécessite des réservoirs et un circuit de distribution spécifiques, il est d’ores et déjà possible de remplacer le kérosène fossile par des carburants alternatifs durables possédant des propriétés physico-chimiques suffisamment proches pour être utilisées avec la flotte existante.

Selon la définition de l’OACI, les « carburants d’aviation durables » ou « sustainable aviation fuels » (SAF) sont « tout carburant qui a le potentiel de générer durant son cycle de vie des émissions de carbone inférieures à celles du kérosène conventionnel ». L’hydrogène liquide n’est en général pas considéré comme un SAF, parce qu’il ne s’agit pas, à l’heure actuelle, d’un carburant d’aviation. La réglementation européenne a en tout cas décidé de l’exclure du champ des SAF (voir infra).

On distingue deux types de carburants d’aviation durables :

-          les biocarburants, dont la matière première – la biomasse – est disponible en quantité limitée ;

-          les carburants de synthèse, produits à partir d’électricité (Power-to-Liquid) et d’hydrogène, dont la technologie n’est pas encore mature et dont le coût de production sera plus élevé malgré la disponibilité de la matière première.

Quel que soit le type de carburant retenu, l’usage n’est pas limité par des raisons technologiques – contrairement à l’hydrogène –, mais bien par des facteurs de marché : l’offre insuffisante et les prix encore trop élevés.

1.   Des carburants « drop in » pleinement compatibles avec les avions existants

Aujourd’hui, pour des raisons techniques, les SAF ne peuvent pas être utilisés seuls. Ils doivent être mélangés à une quantité au moins égale de kérosène. Mais cet obstacle technique est un faux problème, car le processus de certification (qui permettra d’utiliser les SAF purs) progresse bien plus vite que la capacité de production de carburants durables.

a.   Actuellement, les SAF doivent être utilisés mélangés à du kérosène

L’intérêt principal des carburants d’aviation durables, c’est qu’ils sont miscibles avec le kérosène d’origine fossile. Comme leurs propriétés physico-chimiques sont proches, ils peuvent être mélangés avec le kérosène dans des proportions variables, au niveau des pipelines comme des réservoirs d’avion. Le 18 mai 2021, un vol d’Air France Paris-Montréal a été conduit avec 16 % de biocarburant, fourni par TOTAL. Ce vol a été réalisé dans le seul but de montrer que le niveau de confiance dans les SAF était suffisamment élevé pour les utiliser sur un vol transatlantique avec passagers.

En l’état, cependant, ces carburants ne peuvent pas être utilisés « purs » car ils ne contiennent pas de « molécules aromatiques ». Les molécules aromatiques (comme le benzène), que l’on trouve dans les carburants fossiles en proportion de 15 % à 30 %, assurent l’étanchéité du circuit carburant en se fixant à ses joints élastomères. À l’heure actuelle, il faut donc un minimum de kérosène dans le réservoir pour éviter les risques de fuite.

En 2022, les SAF sont certifiés ([7]) pour être incorporés au réservoir dans la limite de 50 % du volume total de carburant. Autrement dit, ils doivent être mélangés à une quantité au moins égale de kérosène. Cette limite, certes conventionnelle, garantit qu’il y ait suffisamment de molécules aromatiques dans le circuit de distribution. Mais d’ici quelques années, les progrès techniques permettront d’obtenir une certification à 100 %.

Deux solutions sont envisagées pour des vols sans kérosène. Dans l’immédiat, il est possible de rajouter des aromatiques aux SAF pour qu’ils se comportent exactement comme du kérosène. L’inconvénient, outre la complexité accrue du procédé de production, c’est que les aromatiques n’ont pas seulement pour propriété de garantir l’étanchéité des joints : ils sont aussi à l’origine de la formation des particules fines qui dégradent la qualité de l’air sur les plateformes aéroportuaires et génèrent des traînées de condensation en altitude. L’utilisation de SAF « avec aromatiques » ne peut donc être qu’une solution de transition.

La solution la plus satisfaisante d’un point de vue technologique et environnemental consisterait à adapter le moteur et le circuit carburant pour les rendre compatibles à 100 % avec des SAF sans aromatiques. C’est ce à quoi travaillent depuis 2020 Airbus et Safran, conformément à la nouvelle feuille de route du CORAC. Aussi, la nouvelle génération d’avions sera conçue pour être « nativement » compatible à 100 % avec les SAUF.

Airbus s’est fixé pour objectif une certification à 100 % d’ici 2030, peut-être même dès 2025. Pour Boeing, l’horizon semble un peu plus lointain. En attendant le renouvellement complet des flottes – les successeurs de l’A320 et du 737 MAX sont attendus pour 2035 environ – il coexistera pendant quelques temps un double système de distribution dans les aéroports, avec et sans aromatiques, à destination des avions des anciennes et des nouvelles générations.

b.   Des expérimentations en cours pour réaliser des vols à 100 % de SAF

Même sans attendre la certification 100 % SAF, plusieurs vols d’essai ont eu lieu, sans passagers, démontrant qu’il était déjà possible d’utiliser les SAF non mélangés dans des conditions de sécurité dégradées.

En 2018, dans le cadre du programme ecoDemonstrator de Boeing, le 777 Freighter devient le premier avion de ligne au monde à voler avec 100 % de SAF, sur un vol d’essai. Boeing s’était déjà illustré en 2008 avec le premier vol de démonstration avec des SAF conduit sur un Boeing 747 de la compagnie Virgin Atlantic. En mars 2021, un autre vol d’essai a été réalisé, cette fois par Airbus – à Toulouse –, avec un A350 volant avec 100 % de biocarburants.

En partenariat avec plusieurs acteurs du secteur ([8]), la DGAC a conçu le projet « Volcan » (Vol avec carburants alternatifs nouveaux) pour évaluer la faisabilité technique et l’impact environnemental d’un vol à 100 % de SAF. Le 29 octobre 2021, un vol d’essai a été réalisé à Toulouse avec un A319neo volant avec 100 % de SAF.

Mais pour l’instant, le seul vol « réel » d’un avion de ligne avec des SAF était le Paris-Montréal de mai 2021 évoqué supra, et le plafond de 50 % n’a même pas pu être atteint faute d’une chaîne d’approvisionnement en biocarburant suffisante.

L’aviation régionale est plus propice à l’expérimentation des carburants durables sur des vols réels. Depuis plusieurs années, le constructeur franco-italien ATR collabore avec Neste et avec la compagnie aérienne suédoise Braathens Regional Airlines (BRA) pour promouvoir l’utilisation de SAF dans l’aviation régionale.

BRA, une compagnie aérienne engagée pour la décarbonation

Braathens Regional Airlines (BRA) est une compagnie suédoise née en 2016 de la fusion de dix compagnies régionales. BRA a pour ambition d’être la première compagnie aérienne au monde à atteindre la neutralité carbone. Pour ce faire, elle remplace progressivement ses avions à réaction par des avions à hélice ATR. Depuis 2018, elle donne à ses passagers la possibilité de choisir des vols avec biocarburants. Il s’agit de la seule compagnie à prendre part à l’initiative Fossil Free Sweden du gouvernement suédois qui a pour but de mettre fin à l’usage des carburants fossiles pour les vols intérieurs.

En 2019, BRA a effectué le tout premier vol à 50 % de SAF de l’histoire, grâce à un ATR-72 600 transportant 72 personnes entre les villes suédoises de Halmstad et Stockholm. Le biocarburant était produit par Neste à Porvoo (Finlande). Au-delà du carburant, tous les paramètres de vol ont été optimisés (altitude supérieure, descente avec une poussée réduite) pour réaliser le « Perfect Flight ».

La compagnie suédoise a annoncé qu’elle ferait voler, en 2022, un avion ATR avec 100 % de SAF dans un moteur et 50 % de SAF dans l’autre.

2.   Un élément essentiel de l’aviation décarbonée

Il existe deux types de carburant d’aviation durable (SAF) : les biocarburants et les carburants de synthèse, chacun ayant ses avantages.

Comparaison des deux familles de carburants durables

 

Biocarburants

Carburants de synthèse

Matière première

biomasse

hydrogène et CO₂

Maturité technologique

élevée (TRL de 7 à 8)

faible

Coût

3 à 4 fois plus cher que le kérosène

4 fois à 10 plus cher que le kérosène

Potentiel de réduction des émissions

jusqu’à 80 %

jusqu’à 95 %

Potentiel du gisement

Limité

Illimité

Les biocarburants sont déjà sur le marché, mais leur intérêt environnemental est très variable et ils ne pourront pas être produits en quantité suffisante pour couvrir la totalité des besoins, d’autant qu’il y a concurrence entre les différents modes de transport.

Les carburants de synthèse ne sont pas encore produits à l’échelle industrielle et, quand ils commenceront à l’être, leur coût sera très élevé ; mais il s’agit de la meilleure solution pour décarboner l’aviation à long terme.

a.   Les biocarburants apportent un bénéfice environnemental significatif, à condition de choisir une filière de production durable

Les biocarburants sont synthétisés à partir à partir de « biomasse », c’est-à-dire à partir de matière organique d’origine animale ou végétale.

Il existe principalement trois technologies de biocarburants :

-          alcohol-to-Jet (ATL) ;

-          synthetic Iso Paraffins (SIP) ;

-          et la plus répandue : « Hydrogenated Esthers and Fatty Acids » (HEFA).

Comme ils utilisent de la biomasse, les biocarburants posent un problème de disponibilité des terres et de préservation de l’environnement. Selon les chiffres du ministère de l’Écologie ([9]), la production d’une tonne de biocarburant requiert huit tonnes de biomasse. Pour limiter l’incidence de la production de la biomasse sur l’usage des sols et sur la biodiversité, il faudra se concentrer sur les seuls biocarburants issus des déchets et résidus des exploitations agricoles et de l’industrie agroalimentaire.

On distingue plusieurs « générations » de biocarburants en fonction de la matière première utilisée et de son bilan environnemental :

-          les biocarburants « de première génération » (sucres, huiles végétales…) sont les plus faciles à produire, mais aussi les moins vertueux puisqu’ils sont en concurrence directe avec les besoins alimentaires de l’homme ;

-          les biocarburants de deuxième génération, ou biocarburants « avancés », sont produits à partir de déchets et de résidus alimentaires ou de matières premières non alimentaires ;

-          la troisième génération de biocarburants, qui n’est pas encore au point, utilisera les algues comme matière première.

Les plus « avancés » des biocarburants de deuxième génération sont produits à partir de biomasse lignocellulosique, c’est-à-dire de parties non alimentaires des plantes (bois, tiges, paille…). Ces biocarburants sont les plus durables de ceux qui existent actuellement, et c’est principalement sur eux que devrait reposer la décarbonation de l’aviation en 2030.

L’empreinte carbone des biocarburants sur l’ensemble de leur cycle de vie (production, transport et combustion) dépend de la technologie et de la matière première employées. La directive européenne « énergie renouvelable » (RED II) ([10]) exige un gain d’émissions de gaz à effet de serre d’au moins 65 % ([11]) par rapport à la référence fossile pour que le biocarburant soit considéré comme « durable ». Aujourd’hui, les biocarburants permettent au mieux un taux de réduction effectif des émissions de 70 %, mais leur potentiel de réduction des émissions à terme est de 80 %. Ce taux pourrait être atteint d’ici 2050 grâce à l’amélioration des rendements des procédés de production.

De plus, les SAF – du moins les SAF paraffiniques – n’ont pas comme seul intérêt de réduire les émissions de CO₂ : ils permettent de réduire les émissions de particules et donc la formation des traînées de condensation, qui ont un impact négatif sur la troposphère.

b.   Les carburants de synthèse, plus performants mais technologiquement immatures, sont une solution viable à long terme

Les carburants de synthèse offrent un potentiel de réduction des émissions encore supérieur sans être limités par la disponibilité de la biomasse, mais leur indice de maturité technologique est encore faible.

Les « carburants de synthèse » ou électro-carburants (e-fuels) désignent les carburants synthétisés à partir d’hydrogène et de CO₂. L’hydrogène – ou, plus précisément, le dihydrogène – est obtenu par électrolyse de l’eau. L’électricité est donc transformée en hydrogène (Power-to-liquid) à partir de CO₂, sachant qu’il faut un peu plus de 3 kg de CO₂ pour 1 kg d’hydrogène.

Le pétrole brut de synthèse ainsi obtenu est ensuite raffiné (comme du pétrole brut classique) pour obtenir du e-kérosène.

processus de production du e-kerosène

Initiatives & Projects

Source : Safran

Il existe deux voies de production des carburants de synthèse : la synthèse Fischer-Tropsch et la synthèse du méthanol. Théoriquement, un carburant de synthèse peut être produit à partir de toute matière première contenant du carbone et de l’hydrogène. Après l’invention de la synthèse Fischer-Tropsch par deux chimistes allemands en 1920, les premiers carburants de synthèse ont été créés à partir de charbon ou de gaz naturel. Pendant la Seconde guerre mondiale, alors qu’elle ne pouvait plus s’approvisionner auprès des pays producteurs de pétrole, l’Allemagne a créé une véritable filière de carburant de synthèse pour couvrir les besoins des avions de chasse et des chars. Par la suite, dans le contexte de l’embargo sur les produits pétroliers, l’Afrique du Sud a cherché à produire du pétrole à partir de charbon par le même procédé.

Aujourd’hui, le CO₂ est capté directement dans l’air ou à partir des émissions industrielles, où son taux de concentration est plus intéressant. Engie travaille à une deuxième façon de produire du CO₂ « durable ». Il s’agirait de recycler le CO₂ capté par les plantes puis transformé en biogaz par la méthanisation. La purification du biogaz permet d’obtenir 55 % de biométhane et 45 % de CO₂ dit « biogénique ». Le gaz carbonique, qui est normalement un déchet, devient ainsi une ressource !

Par rapport aux biocarburants, les carburants de synthèse ont donc l’intérêt de pouvoir être produits sans contrainte de disponibilité de la matière première et d’offrir un potentiel de réduction des émissions encore supérieur : ils pourraient réduire les émissions de 90 % (en 2030) à 95 % (en 2050).

3.   L’utilisation des SAF est limitée par une production insuffisante et par des prix encore élevés

Comme pour les biocarburants, l’utilisation des carburants de synthèse ne sera pas limitée à terme par des obstacles techniques, mais par la capacité de produire suffisamment et à un prix acceptable pour les utilisateurs finaux. La problématique n’est donc pas technologique mais industrielle.

Malgré l’existence de plusieurs processus de fabrication, les capacités de production de carburants alternatifs au niveau mondial sont très limitées à cause de leur coût de production. Les biocarburants coûtent environ 3 à 4 fois plus cher à produire que les carburants fossiles et ce prix s’explique surtout par le coût de la matière première.

Les biocarburants de type HEFA sont les moins coûteux à produire, et ils vont dominer le marché des carburants durables jusqu’à au moins 2030, avant que la prochaine génération de filières de production – à partir de biomasse lignocellulosique – se développe et bénéficie à son tour d’économies d’échelle.

De leur côté, les carburants de synthèse verront leurs coûts de production baisser jusqu’à atteindre, vers 2050, le coût de production des biocarburants – et même moins. En effet, les coûts de production des carburants de synthèse ne sont pas tant dus à la matière première (eau, électricité) qu’à la technologie, qui n’est pas encore mûre. Mais une fois la production lancée, leur prix va baisser bien plus rapidement que celui des biocarburants, dont la matière première, déjà coûteuse, va se raréfier.

Selon les projections du consortium Norsk e-fuel – qui n’est certes pas neutre puisqu’il regroupe plusieurs entreprises spécialisées dans les carburants de synthèse –, ce croisement pourrait même avoir lieu plus tôt comme le montre le schéma ci-dessous. Alors que le prix du kérosène va augmenter du fait de la rarification du pétrole et d’un réajustement probable de la fiscalité ([12]), les prix des carburants de synthèse vont baisser, que le gaz carbonique soit issu des industries polluantes (from industriel process) ou de la captation dans l’air (direct air capture – DAC). À long terme, les carburants de synthèse pourraient même être moins chers que le kérosène !

evolution des prix des carburants d’aviation d’ici 2050

Source : Norsk e-fuel.

Dans tous les cas, la part des carburants de synthèse dans l’offre de carburants durables va croître et ils vont devenir majoritaires d’ici une trentaine d’années. Selon les prévisions de la Commission européenne – qui tiennent compte des gains d’efficacité des nouvelles générations d’avions, mais aussi de la hausse du trafic aérien – la consommation de carburant d’aviation en 2050 sera d’environ 400 millions de tonnes, contre 300 millions aujourd’hui.

En regard de ces estimations, la production actuelle de SAF est de 100 à 120 millions de tonnes par an selon la liste de carburants retenue. Mais cette production devra être partagée entre différents modes de transport. Il y a donc un double conflit : à court terme, avec l’industrie alimentaire (pour les biocarburants de première génération) et, ensuite, avec les besoins des autres secteurs (à commencer par l’automobile).

Pour une allocation optimale des ressources, vos rapporteurs insistent sur la nécessité de faire des choix d’affectation de la biomasse et de réserver les biocarburants à l’aviation puisqu’il s’agit du secteur le plus contraint techniquement. Le transport terrestre et le transport maritime, eux, pourront utiliser plus facilement l’hydrogène et l’électricité. À condition que les ressources soient correctement affectées, le potentiel de production des biocarburants de 2e génération devrait suffire à couvrir les besoins de SAF pour l’aéronautique. À long terme, les carburants de synthèse prendront le relais puisque leur potentiel de production est illimité.

III.   faire de l’Europe le leader mondial de l’aviation verte grâce à une stratégie globale de long terme

L’importance des enjeux industriels et environnementaux, dans un secteur où les acteurs sont à la fois nombreux (constructeurs, compagnies aériennes, producteurs de carburant…) et fortement concentrés (duopole au niveau mondial pour les avions de ligne) justifie une politique européenne de long terme, coordonnée et ambitieuse en faveur de l’aviation décarbonée.

Pour ce qui est des carburants durables d’aviation, la stratégie de la Commission repose sur une obligation réglementaire d’incorporer des SAF dans le réservoir des avions. Cette stratégie fait partie d’une proposition du paquet « Fit for 55 » en cours de négociation. Si l’outil du mandat d’incorporation est indispensable pour créer une offre de SAF, la trajectoire retenue n’est pas assez ambitieuse et pour cause : la Commission n’a pas prévu d’accompagner le cadre réglementaire par des mesures de soutien financier. Il sera donc nécessaire de réfléchir à une stratégie plus globale et de compléter le pilier règlementaire par un pilier de politique industrielle.

Pour ce qui est de l’avion à hydrogène, la Commission européenne est en train de mettre en place – timidement – quelques outils de politique industrielle, à commencer par des « alliances industrielles » et par un tout nouveau « projet d’intérêt européen commun » (PIIEC) dont l’objet n’est toutefois pas spécifique à l’aviation. Il serait pertinent de définir des volets spécifiques aux applications aéronautiques dans les outils existants et de créer de nouveaux cadres de financement, ou du moins de faciliter la possibilité pour les États membres concernés de soutenir le développement des innovations et infrastructures de « l’avion du futur ».

A.   « Refuel eu » : renforcer les « mandats d’incorporation » de saf pour stimuler le développement de la filière

Le « mandat d’incorporation », c’est-à-dire l’obligation pour les aéroports de mélanger des carburants durables au kérosène, est le moyen le plus sûr d’atteindre les objectifs de réduction des émissions et de donner une impulsion au développement des filières de carburants durables. La Commission européenne a retenu une trajectoire progressive d’incorporation, dont la cible finale (63 % en 2050) est satisfaisante, mais dont les étapes intermédiaires – notamment en 2030 – sont insuffisamment ambitieuses. Les raisons avancées, à savoir l’insuffisance de l’offre et les risques de compétitivité pour les compagnies aériennes européennes, doivent être prises en compte sans devenir un obstacle aux ambitions industrielles et environnementales de l’Union européenne.

1.   Vu les enjeux industriels et environnementaux, le mandat d’incorporation prévu par la Commission européenne doit être renforcé

Le mandat d’incorporation a d’abord été imposé, à l’échelle nationale, par des États membres du nord de l’Europe particulièrement soucieux de la transition environnementale. La volonté de la Commission d’imposer un seuil de SAF au niveau européen est bienvenue, mais en fixant des seuils relativement bas tout en empêchant aux États membres de fixer (ou de maintenir) des taux nationaux plus élevés, le nouveau règlement pourrait avoir pour effet de freiner les efforts de l’industrie dans les États membres les plus volontaires.

a.   L’obligation de mettre des SAF dans les réservoirs (« mandat d’incorporation ») est le seul moyen efficace de créer une offre de SAF

Sans impulsion publique, le développement de carburants durables est presque impossible. En effet la demande est freinée par les prix, et les prix ne peuvent baisser que si l’offre augmente. Tant que les prix restent élevés, les compagnies aériennes n’achètent pas de carburants durables, si bien que la production ne se développe pas et que les prix restent élevés, etc.

Le fait d’imposer un taux minimum de carburants durables dans les aéroports (et par suite dans les réservoirs) est le seul moyen de sortir de ce cercle vicieux. Le mandat d’incorporation permet de « dérisquer les investissements » et de créer une offre en garantissant aux producteurs qu’il existera quoi qu’il arrive une demande réglementaire. Une fois que des filières de production seront lancées, les prix baisseront et la demande poursuivra sa hausse naturellement.

Plusieurs pays européens ont déjà introduit au niveau national des mandats d’incorporation de carburants durables. Les pays du nord de l’Europe sont particulièrement audacieux. Ainsi la Norvège, la Suède et le Danemark ont imposé dans des textes réglementaires ou directement dans la loi – comme en Norvège – une obligation d’incorporation de 30 % de carburants durables dans le carburéacteur fourni aux aéronefs en 2030, avec éventuellement un mandat intermédiaire en 2025. Les Pays-Bas, quant à eux, ont fixé un mandat d’incorporation de 14 % en 2030.

Ces mandats d’incorporation ne font toutefois pas consensus, en raison de la capacité de production encore faible et des prix qui resteront quoi qu’il arrive élevés.

Paradoxalement, les « grands pays » de l’Union européenne ont fixé des objectifs bien moins ambitieux. La France, par exemple, a publié en janvier 2020 une « feuille de route » relative aux SAF, avec un mandat d’incorporation de 2 % en 2025 et de 5 % en 2030. La loi de finances pour 2022 a rajouté un mandat d’incorporation intermédiaire de 1 % applicable cette année. Mais la « feuille de route » initiale relève du droit souple et fixe davantage un « objectif » qu’une obligation.

b.   La trajectoire d’incorporation prévue par la Commission est trop conservatrice à court terme

Avec la proposition de règlement « Refuel EU » de juillet 2021 ([13]), la Commission européenne a souhaité créer un mandat d’incorporation unique au niveau européen, selon une trajectoire qui irait de 2 % de SAF en 2025 à 63 % en 2050. Cette trajectoire a été définie au regard de l’objectif fixé dans le « Pacte vert pour l’Europe » de réduire les émissions d’au moins 55 % d’ici 2030 et d’atteindre la neutralité climatique en 2050, ce qui supposerait de réduire de 90 % les émissions dues aux transports. Ce mandat d’incorporation s’impose à tous les aéroports de l’Union européenne.

À l’intérieur du mandat d’incorporation général, il est défini un « sous-mandat » qui porte spécifiquement sur la part de « carburants synthétiques ». La définition d’un sous-mandat est justifiée par le fait que les carburants synthétiques seront deux à trois plus chers que les biocarburants, du moins au début, et la demande ne se développera pas spontanément si les compagnies ont le choix entre des carburants de synthèse très coûteux et des biocarburants relativement bon marché. Logiquement, la part du sous-mandat dans le mandat total est appelée à croître progressivement à mesure que la technologie gagnera en maturité et que les économies d’échelle feront baisser les prix.

Trajectoire d’incorporation des SAF (« refuel eu »)

 

2025

2030

2035

2040

2050

SAF

2 %

5 %

20 %

32 %

63 %

dont synthétiques

0 %

0,7 %

5 %

8 %

28 %

Source : proposition de règlement « Refuel EU », annexe I.

Si vos rapporteurs soutiennent l’initiative de la Commission de fixer un mandat d’incorporation européen, ainsi que la cible finale de 63 % en 2050, il apparaît que la trajectoire fixée par la Commission ne paraît pas suffisamment ambitieuse à moyen terme, pour la simple raison qu’elle n’est pas réaliste par rapport à l’objectif de long terme que la Commission elle-même s’est fixée.

En principe, cette trajectoire a été définie par la Commission en fonction d’une évaluation très fine de l’évolution des capacités de production de carburants durables. La raison avancée pour justifier le mandat d’incorporation de 5 % seulement en 2030 est que la production à cette échéance ne serait pas suffisante pour aller au-delà. Mais qui peut croire qu’il serait impossible de dépasser 5 % en 2030 et qu’il sera en revanche tout à fait possible de passer de 5 % en 2030 à… 20 % en 2035 ? Il est presque contradictoire de soutenir que les capacités de production ne permettront pas d’atteindre 10 % de SAF en 2030, mais qu’elles pourront sans difficulté être multipliées par quatre entre 2030 et 2035.

Comme le montre le graphique ci-dessous, la trajectoire prévue par la Commission, loin d’être linéaire et de connaître une progression constante, progresse d’abord très lentement (entre 2025 et 2030) avant d’accélérer subitement entre 2030 et 2035, de ralentir un peu et de connaître une nouvelle accélération après 2040. Ces « bifurcations » semblent un petit peu arbitraires.

Trajectoire d’incorporation proposée par la commission européenne

Source : Commission des affaires européennes, à partir de l’annexe I de la proposition de règlement « Refuel EU ».

En réalité, la trajectoire fixée par la Commission résulte d’un compromis entre des États très ambitieux, comme les pays du nord de l’Europe qui ont déjà imposé un mandat national de 30 % d’ici 2030, et des États membres plus conservateurs qui privilégient les intérêts des compagnies aériennes aux objectifs environnementaux et aux intérêts des industries innovantes. Au total, la trajectoire « prudente » retenue par la Commission se calque sur la « feuille de route » française, qui a le mérite d’imposer un taux minimum de SAF partout en Europe, mais qui a l’inconvénient d’envoyer au secteur un signal timoré pour 2030 et de créer une « marche » trop haute entre le palier 2030 et le palier 2035.

Cet état de fait est d’autant plus regrettable que le règlement européen aura pour effet d’interdire de facto aux États membres de fixer des mandats nationaux plus élevés. En fixant un taux minimum d’incorporation dans les aéroports, le règlement n’empêche pas les aéroports d’incorporer davantage s’ils le souhaitaient, mais il s’oppose à ce que les États membres imposent des taux minimum d’incorporation plus élevés au niveau national. Si la proposition de règlement était adoptée en l’état, la Suède et le Danemark devraient donc renoncer à la législation imposant un taux de 30 % de SAF dans leurs aéroports au profit d’un « minimum syndical » de 5 %.

Cette volonté « d’harmonisation rigide » est justifiée par de curieux arguments. D’une part la Commission craint des « distorsions de concurrence » entre les aéroports européens si certains devaient incorporer davantage de SAF en raison de réglementations nationales. Sauf qu’à l’inverse des aides d’État et de mesures dérogatoires plus souples, des mandats nationaux plus stricts n’auraient pas pour effet de favoriser les aéroports concernés, mais au contraire de les pénaliser. Comment justifier l’interdiction faite aux États membres de prendre des mesures environnementales plus ambitieuses au détriment de leur propre compétitivité ?

Le deuxième argument est qu’en imposant des seuils plus élevés de SAF, ces États membres « accapareraient » les rares ressources disponibles au détriment des autres. La Commission raisonne donc de manière « statique », en faisant l’hypothèse que la production de SAF est une donnée exogène et que la demande créée dans un État diminuerait l’offre disponible dans un autre. Mais ce faisant, la Commission néglige le fait que des mandats d’incorporation plus élevés peuvent créer une offre supérieure à ce qu’elle serait sans ces mandats, et qu’en tout état de cause la production européenne de biocarburants ne sera pas la même en 2030 si l’on fixe un mandat d’incorporation de 5 % ou de 10 %.

Au demeurant, les prévisions de la Commission paraissent excessivement prudentes. Entre 2021 et 2023, la production de Neste – le premier producteur mondial de biocarburants, que vos rapporteurs ont entendu en audition – sera multipliée par quinze pour atteindre 1 million et demi de tonnes de biocarburants. Par comparaison, l’objectif d’incorporation de 2 % en 2025 ne correspondra qu’à 1 million de tonnes. Autrement dit, Neste sera capable de produire dès 2023 l’équivalent de 150 % de la quantité de SAF nécessaire pour satisfaire les besoins correspondant au mandat d’incorporation de 2025, et cette capacité de production va continuer de croître de manière importante : selon Neste, la quantité de déchets et résidus disponibles s’élèvera à 40 millions de tonnes en 2030 – dont 7 à 10 millions en Europe –, auxquels il faut ajouter les huiles végétales produites durablement (sylvopastoralisme, cultures intermédiaires, récupération de terres dégradées) et les lignocellulosiques, sans même parler de la production de carburants synthétiques qui commencera à cette période.

c.   Le mandat d’incorporation pour 2030 doit être relevé de 5 % à 10 %, quitte à assouplir un peu les critères d’éligibilité à court terme

La présidence slovène du Conseil, bien consciente de cette situation – mais aussi des rapports de force avec les États membres traditionnellement moins « verts » – a proposé de renforcer le mandat d’incorporation en 2030 et a introduit un nouveau mandat intermédiaire en 2045. L’avancée obtenue par la présidence slovène est toutefois modérée : le mandat d’incorporation passerait de 5 % à 6 % en 2030, dont 1 % au lieu de 0,7 % pour les carburants synthétiques.

Trajectoire d’incorporation modifiée par la présidence slovène

 

2025

2030

2035

2040

2045

2050

SAF

2 %

6 %

20 %

32 %

38 %

63 %

dont synthétiques

0 %

1 %

5 %

8 %

11 %

28 %

Dans une lettre du 31 janvier 2022 adressée à la Commission ([14]), sept États membres – dont l’Allemagne – demandent que le mandat d’incorporation soit plus ambitieux et à ce qu’il soit possible de fixer des seuils plus élevés au niveau national : « Des seuils nationaux plus ambitieux pourraient envoyer un signal clair aux producteurs de SAF, accélérer le développement de la technologie et encourager la transition vers les carburants verts en réduisant les coûts de production. Une baisse des coûts sera nécessaire pour une transition rapide, et elle bénéficiera à l’ensemble des États membres. » ([15])

Les compagnies aériennes elles-mêmes demandent un renforcement du mandat d’incorporation, car elles ont bien compris que l’avenir du transport aérien passerait par sa capacité à réaliser sa transition énergétique. Dans une déclaration conjointe du 1er février 2022 signée avec plusieurs ONG dans le cadre de l’initiative « Fueling Aviation », les principales compagnies aériennes européennes ([16]) dont Air France « saluent la proposition d’une réglementation contraignante qui sera directement applicable » et demandent que la première phase de la trajectoire soit renforcée pour amorcer plus rapidement le processus de réduction des coûts et atteindre l’objectif final de 63 % en 2050.

Les compagnies aériennes insistent en particulier sur la nécessité de renforcer le sous-mandat lié aux carburants synthétiques, qui sont les plus coûteux et les moins prêts technologiquement : « RefuelEU Aviation should be more ambitious about the scale and timing of e-kerosene deployment, including an earlier start […] This will contribute to certainty for investors and producers to scale-up production. » En 2030, le sous-mandat relatif aux carburants de synthèse est de 0,7 %, soit environ 400 000 tonnes d’e-kérosène, ce qui semble comparé aux objectifs de production d’ENGIE ([17]).

Vos rapporteurs soutiennent donc qu’il faut rehausser le mandat d’incorporation à 10 % en 2030 non seulement pour avoir une chance d’atteindre les cibles de 20 % en 2035 et 63 % en 2050, mais aussi pour envoyer au secteur un signal clair qui conduira à ce que l’offre de SAF sera plus élevée en 2030 – et les prix plus faibles – que si elle continuait à évoluer spontanément. Dans une logique dynamique, le mandat d’incorporation ne doit pas se caler sur une courbe de production réputée fixe, mais anticiper l’infléchissement de la courbe induit par l’existence même d’un mandat plus ambitieux.

Recommandation n° 1 : rehausser le mandat d’incorporation de SAF à 10 % en 2030 au lieu de 5 %, à 35 % en 2040 au lieu de 32 %, et le sous-mandat « carburants synthétiques » à 2 % en 2030 au lieu de 0,7 % et à 10 % au lieu de 8 % en 2040.

En rehaussant le mandat d’incorporation de SAF à 10 % en 2030 et à 35 % en 2040 tout en ajustant le sous-mandat de carburants synthétiques, comme le proposent vos rapporteurs, on obtient une trajectoire beaucoup plus harmonieuse, comme le montre le graphique ci-dessous.

Trajectoire d’incorporation proposée par vos rapporteurs

 

Recommandation n° 2 : permettre aux États membres d’imposer des seuils plus ambitieux au niveau national et de compenser s’ils le souhaitent le surcoût induit pour les compagnies aériennes.

En contrepartie du renforcement du mandat d’incorporation en 2030, il pourrait être envisagé d’élargir provisoirement la liste des carburants éligibles.

Dans la proposition de règlement, la Commission a retenu des critères très stricts pour la définition des carburants éligibles. Les matières premières autorisées sont énumérées à l’annexe IX de la directive RED : les matières premières en « partie A » sont autorisées sans réserve, celles qui figurent en « partie B » doivent en outre répondre aux critères fixés par l’article 29 de la même directive. Par conséquent, le recours aux huiles de cuisson usagées et aux graisses animales de catégories 1 et 2 est encadré, alors que le recours aux graisses animales de catégories 3 ([18]) est interdit au motif que celles-ci peuvent servir à l’alimentation animale. En l’état, les matières énumérées à l’annexe B ne représentent qu’un potentiel de 13 millions de tonnes.

Le choix délibéré de la « qualité plutôt que la quantité » est parfaitement compréhensible à long terme, mais il faudrait prendre garde de ne pas freiner le développement d’un marché nouveau en lui imposant des normes qui auront tout leur sens quand il sera arrivé à maturité.

Pour augmenter le potentiel de production des SAF au sens de la réglementation européenne d’ici 2030 en attendant le développement de filières encore plus durables (carburants de synthèse, biocarburants de 3e génération), il serait donc pertinent d’adapter les critères d’éligibilité – et non seulement les pourcentages – au progrès des nouvelles technologies de production. De manière transitoire, il pourrait donc être envisagé d’élargir la liste des carburants éligibles à d’autres carburants de « deuxième génération », comme les graisses animales de catégorie 3. Vos rapporteurs insistent en revanche, s’opposant en cela à la position de certains États membres, sur la nécessité de ne pas introduire de biocarburants de 1ère génération dans le champ d’un règlement conçu pour préparer l’avenir.

Recommandation n° 3 : élargir jusqu’en 2030 la liste des carburants d’aviation durables éligibles à d’autres biocarburants de deuxième génération (comme les graisses animales de catégorie 3), quitte à créer pour les échéances 2025 et 2030 un sous-mandat provisoire se restreignant strictement aux carburants initialement visés à l’article 3 de la proposition de règlement.

Afin que l’offre de carburants durables se développe à des conditions satisfaisantes de durabilité et de prix, il est aussi essentiel de compléter le volet réglementaire du mandat d’incorporation par une politique active de soutien au développement d’une filière industrielle européenne.

2.   Lutter contre les stratégies d’évitement pour préserver la compétitivité des compagnies européennes

À part la question de la disponibilité des SAF, l’autre argument contre les mandats d’incorporation est celui de la compétitivité des compagnies aériennes européennes. En principe, le fait d’imposer à tout le monde un taux minimal d’incorporation permet de ne pénaliser personne, mais le droit européen ne s’appliquant qu’au marché intérieur – en l’espèce, aux aéroports européens – il pourrait néanmoins introduire des distorsions entre les compagnies opérant dans l’espace aérien européen et les compagnies passant par d’autres aéroports. Il y a ainsi un risque de transfert de parts de marchés vers les compagnies extra-communautaires avec un effet d’éviction sur les bénéfices environnementaux attendus (« fuites de carbone »).

La réglementation européenne doit ainsi fixer des normes ambitieuses tout en prenant en compte les stratégies d’évitement qui pourront nuire à son efficacité et pénaliser les aéroports européens.

a.   La proposition de règlement Refuel EU a prévu une mesure contre les techniques de « sur-emport »

La première stratégie d’évitement consisterait à « faire le plein » dans les aéroports non-européens, et à prendre dans ces aéroports plus de carburant qu’il n’en faut pour le premier vol vers l’Europe. Une fois arrivé en Europe, il reste à l’avion suffisamment de carburant pour continuer son trajet sans avoir à « recharger » les réservoirs.

Cette technique, appelée « fuel tankering » (ou « sur-emport » en français) est nocive à double titre : d’une part, parce qu’elle cause une distorsion de concurrence entre les vols internationaux (qui peuvent faire du « sur-emport ») et les vols domestiques (qui ne le peuvent pas), d’autre part parce que le carburant non-consommé sur le premier vol représente un poids supplémentaire et donc des émissions en plus, ce qui est contre-productif.

Ce problème a heureusement bien été identifié par la Commission européenne. La proposition de règlement « Refuel EU » a prévu à son article 5 une disposition spécifique imposant aux compagnies aériennes d’acheter dans les aéroports européens la quantité de carburant nécessaire aux trajets effectués au départ d’un aéroport européen : « La quantité annuelle de carburant d’aviation embarquée par un exploitant d’aéronef donné dans un aéroport de l’Union donné représente au moins 90 % de la quantité annuelle de carburant d’aviation requise. »

Le régime de déclaration et de vérification est déterminé à l’article 7 et le régime de sanction est à l’article 11. Les compagnies qui ne respecteraient pas l’obligation d’acheter leur carburant dans l’Union européenne risqueront une amende d’au moins le double du prix qu’elles auraient dû payer si elles avaient effectivement acheté dans un aéroport européen la totalité du carburant consommé pour les trajets au départ d’un aéroport européen.

Moyennant deux aménagements – l’obligation s’étend sur une période annuelle et les compagnies aériennes ont droit à une marge de 10 % –, Refuel EU prévoit donc une mesure efficace pour lutter contre les pratiques consistant à faire le plein à l’étranger.

Vos rapporteurs notent néanmoins une petite faille dans le dispositif : le montant minimal de l’amende n’est pas défini de manière suffisamment précise. Aux termes de l’article 11 §2, l’amende est « au moins égale au double du produit du prix moyen annuel de la tonne de carburant d’aviation par la quantité annuelle totale non embarquée ». Une lecture littérale du texte pourrait aboutir à ce que l’amende soit assise sur le prix du kérosène, sans tenir compte du prix des SAF et de l’incidence du mandat d’incorporation sur le prix du carburant.

Il faudrait préciser « du prix moyen annuel de la tonne de carburant d’aviation dans les aéroports européens », pour que l’amende ait du sens et que son montant soit suffisamment dissuasif.

 Recommandation n° 4 : à l’article 11 §2 de la proposition de règlement « Refuel EU », préciser que l’amende est assise sur le prix moyen du carburant d’aviation dans les aéroports européens, afin d’établir une corrélation entre le montant de l’amende, le prix des SAF et le niveau du mandat d’incorporation.

b.   Les fuites de carbone par les hubs internationaux semblent inévitables tant qu’il n’y aura pas d’accord à l’OACI

La deuxième stratégie d’évitement concerne spécifiquement les vols internationaux. Elle ne consiste pas à « faire le plein » hors de la juridiction européenne, mais à contourner purement et simplement les aéroports européens et à leur préférer des « hubs » internationaux situés « aux portes » de l’Union européenne (Londres, Istanbul…).

Ainsi, les vols « Madrid-Paris-Pékin » entièrement soumis à la réglementation européenne pourraient subir la concurrence des vols « Madrid-Istanbul-Pékin », qui ne seront concernés par le mandat d’incorporation que sur le premier segment (jusqu’à Istanbul).

De même, les vols internationaux au départ et à destination d’un État tiers pourraient être tentés de « contourner » l’Europe et de faire escale en Afrique du nord ou au Moyen-Orient pour échapper à l’obligation d’acheter du carburant plus coûteux en Europe.

Source : Air France-KLM

À court terme, aucune solution à cette difficulté n’est pleinement satisfaisante. La création d’une exemption pour les vols internationaux – qui représentent environ les deux tiers des émissions – nuirait tellement à l’efficacité de la mesure que celle-ci n’aurait plus beaucoup de sens.

Les compagnies aériennes, qui défendent par ailleurs le principe d’un mandat d’incorporation, proposent la création d’un mécanisme de compensation pour les vols internationaux : par exemple, une taxe affectée dont le produit serait redistribué aux compagnies et dont l’assiette dépendrait de la distance des vols internationaux (sur le modèle de la « taxe de solidarité sur les billets d’avion » ([19])). Ce système permettrait d’opérer une péréquation et de compenser les inégalités de coût entre les vols affectés par la réglementation européenne et les autres. Dans l’exemple ci-dessus, le segment « Istanbul-Pékin » serait taxé et le produit reversé aux compagnies qui opèrent sur le segment « Paris-Pékin ». Mais cette solution sera difficile à mettre en œuvre au niveau européen, car la fiscalité relève du niveau national.

La seule solution durable passera par un accord international, au sein de l’Organisation pour l’aviation civile internationale (OACI) où l’Union européenne – qui n’est pas un État fédéral – dispose de 27 voix et de ce fait d’une influence considérable. Il faudra donc promouvoir, par l’intermédiaire de la Conférence européenne de l’aviation civile (CEAC), une position européenne commune à l’OACI visant à établir un mandat d’incorporation mondial ou du moins un mécanisme de compensation au bénéfice des compagnies aériennes (quelles que soient leurs obligations réglementaires) utilisant le plus de SAF.

Du fait de la fonction de présidence du Conseil qu’elle exerce, la France aura un rôle particulier à jouer dans la définition et la promotion de cette position commune.

Recommandation n° 5 : définir par l’intermédiaire de la CEAC une position européenne commune à l’OACI visant à établir un mandat d’incorporation mondial ou du moins un mécanisme de compensation au bénéfice des compagnies aériennes utilisant le plus de SAF.

Au demeurant, il ne faudrait sans doute pas exagérer l’impact du mandat d’incorporation sur la compétitivité des hubs internationaux européens. À moyen terme, le mandat d’incorporation est faible et le coût afférent peu significatif : selon les estimations de Neste, l’utilisation de 5 % de SAF pour un trajet Helsinki-Munich (1 600 km) représente un surcoût de 3 € pour le client ; ce surcoût sera sans doute bien accepté par une partie des consommateurs sensible à son « empreinte carbone » et prête à payer un peu plus pour réduire ses émissions.

L’AESA est en train de créer avec la direction générale Environnement de la Commission un « label » avec un système d’étoiles qui permettrait de communiquer aux clients les informations sur les émissions de chaque vol, afin d’expliquer les éventuelles différences de prix entre les vols et d’encourager les passagers à choisir les compagnies les plus « vertueuses ». Un prototype est prévu pour février 2022, sur la base du volontariat.

Recommandation n° 6 : soutenir la création par l’AESA et la DG Environnement d’un mécanisme incitatif fondé sur la transparence, tel qu’un « label écologique » applicable à chaque vol, pour encourager les compagnies à incorporer des SAF, justifier auprès des passagers les différences de prix et valoriser l’image des compagnies européennes qui respectent ou surpassent les mandats d’incorporation. Après une phase d’expérimentation reposant sur le volontariat, rendre ce système obligatoire pour tous les vols européens.

À long terme, l’écart de prix entre le kérosène et les carburants durables va se réduire à mesure que l’augmentation de la production entraînera de la concurrence et des économies d’échelle, et les incitations à utiliser des carburants alternatifs vont se généraliser dans le monde : les États-Unis ont déjà mis en place un crédit d’impôt coûteux (voir infra) pour encourager à l’utilisation des SAF.

La vraie solution du problème est donc, encore une fois, dans la mise en place d’une véritable politique industrielle qui permettra à la fois d’augmenter l’offre et de réduire le prix.

B.   Compléter le pilier rÉglementaire par un pilier de politique industrielle

Comme l’a montré un précédent rapport ([20]) de la Commission des affaires européennes, l’Union européenne excelle à élaborer des normes, mais elle peine à les mettre au service d’une vision globale incluant une stratégie industrielle.

Dans le domaine aéronautique, la mise en place d’une stratégie industrielle est d’autant plus délicate que le secteur ne concerne en réalité que quelques États membres : les trois pays d’implantation d’Airbus, à savoir la France, l’Espagne et l’Allemagne ([21]), et de manière secondaire la Suède et l’Italie pour l’aviation régionale. Par conséquent, l’aéronautique n’est pas une priorité européenne et le soutien au secteur passe avant tout par les aides nationales des États intéressés. En France, le soutien à la R&D octroyé dans le cadre du plan de relance va se poursuivre dans le cadre du volet « avion décarboné » du plan d’investissement « France 2030 » annoncé le 12 octobre 2021.

Les programmes européens de recherche, eux, ont un périmètre et une capacité financière limités : essentiellement SESAR pour la navigation et Clean aviation dans le cadre d’Horizon Europe (voir encadré infra). S’il ne serait pas forcément pertinent de renforcer les financements mutualisés, il faudrait en revanche faciliter la possibilité pour les États membres de soutenir l’industrie aéronautique – et la production de carburants durables – au niveau national, en fonction de critères définis au niveau européen.

La Commission européenne est en train de créer deux « alliances industrielles » correspondant aux deux voies de l’aviation décarbonée :

-          une alliance pour les carburants bas carbone pilotée par la DG Move (transports) ;

-          une alliance « pour un avion zéro émission » pilotée par la DG DEFIS ([22]), qui portera sur l’avion électrique et sur l’avion à hydrogène.

Ces deux nouvelles « alliances industrielles », dont la création aura lieu avant le printemps, pourront être un cadre adapté à la coordination des acteurs européens, mais la première n’est pas suffisamment spécialisée et la seconde pourrait être complétée par un « projet important d’intérêt européen commun » (PIIEC) afin d’ouvrir aussi la voie à des financements nationaux.

1.   Carburants d’aviation durable : créer une filière européenne pour baisser les coûts, créer de l’emploi et favoriser l’autonomie stratégique

Le mandat d’incorporation de SAF est nécessaire pour « dérisquer les investissements » et donner de la visibilité aux investisseurs, mais il ne suffira pas s’il n’est pas complété par un outil de soutien actif au secteur. Le problème structurel, en effet, reste l’écart de prix entre les carburants durables et le kérosène classique. Or comme les prix sont amenés à baisser à mesure que la filière se développera, il est nécessaire que les pouvoirs publics donnent une « impulsion » initiale pour créer les conditions de la compétitivité.

Les États-Unis l’ont bien compris qui ont mis en place un crédit d’impôt de 1,50 $ par gallon (3,8 litres) au bénéfice des compagnies aériennes. Dans l’Union européenne, le régime des aides d’État complique l’instauration d’un instrument de soutien direct même si, au niveau national, les incitations fiscales sont toujours possibles. La Commission préfère donc considérer qu’à moyen terme, un mandat d’incorporation de 5 % est suffisamment faible pour ne pas avoir sur le prix des billets une incidence telle que cela justifierait un mécanisme de compensation. Le raisonnement est quelque peu étrange : le mandat d’incorporation prévu en 2030 serait à la fois suffisamment efficace pour atteindre nos ambitions climatiques, et suffisamment inefficace pour que personne n’ait à en supporter le prix !

De manière parfaitement cohérente, vos rapporteurs préfèrent soutenir un mandat d’incorporation plus ambitieux de 10 % pour 2030 et compenser par des aides à l’offre ou à la demande jusqu’à ce que le marché soit mature.

a.   Produire des SAF en Europe : un enjeu économique et stratégique

L’enjeu pour l’Europe n’est pas seulement d’atteindre la cible de 5 % ou 10 % en 2030 et à terme celle de 63 % en 2050. Il s’agit d’abord d’un enjeu économique et stratégique.

Actuellement, la production de SAF est réduite et principalement extra-européenne. Si l’Union européenne ne produit pas ses propres carburants durables tout en imposant aux aéroports d’en acheter, elle va devoir en importer à des pays comme la Chine ou l’Indonésie. Si l’obligation réglementaire d’incorporation n’a pas de contrepartie industrielle, l’Union européenne va donc doublement nuire à sa compétitivité : en pénalisant ses compagnies aériennes et en créant de l’emploi ailleurs ! Et ceci sans bénéfice environnemental certain, car l’importation du stock limité de matières premières de qualité des pays exportateurs pourrait retarder leur décarbonation en les incitant à utiliser des matières moins chères et moins vertueuses (comme l’huile de palme) pour leurs usages domestiques.

Ainsi les carburants durables sont à la fois une nécessité pour la transition écologique, et une formidable opportunité de création d’emplois : aujourd’hui, l’Europe se contente de raffiner du pétrole ; bientôt, elle pourra produire elle-même son propre carburant et même en exporter. Davantage encore qu’un enjeu économique, il s’agit d’un enjeu d’autonomie stratégique : l’Europe jusqu’à présent dépendante des importations de pétrole en provenance de régions parfois instables, pourrait devenir pleinement « souveraine » sur la totalité de la chaîne de valeur.

Le mandat d’incorporation doit donc s’insérer dans une stratégie globale visant à créer en Europe une filière de carburants durables répondant à des normes environnementales strictes et suffisantes pour couvrir les besoins de l’aviation tels que définis par la trajectoire d’incorporation.

b.   La toute nouvelle alliance industrielle pour les carburants durables est doublement insuffisante

C’est pour répondre à ces enjeux que l’Union européenne est en train de créer une « alliance industrielle pour les carburants renouvelables et bas carbone ». Selon le commissaire en charge du marché intérieur Thierry Breton, entendu le 11 janvier devant la Commission des affaires économiques et la Commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale, cette alliance devrait être officiellement lancée en février ou en mars 2022.

L’alliance industrielle pour les carburants durables aura vocation à réunir les principaux acteurs de la motorisation aéronautique (Rolls-Royce, Safran) et de l’énergie (Total, Engie) pour accélérer le développement des technologies et accompagner leur déploiement industriel. Mais cette alliance industrielle souffre d’une double limite : d’une part, elle n’est pas spécifique au secteur aérien, puisqu’elle concerne aussi le secteur maritime. Si les carburants durables utilisés sont les mêmes pour les différents modes de transport, le conflit d’allocation est inévitable. D’autre part, l’alliance industrielle (comme toutes les structures européennes analogues) ne sera pas pourvue d’un outil de financement propre. Sa valeur ajoutée résidera uniquement dans la coordination des acteurs.

Il conviendrait donc de créer un « volet SAF » au sein de l’alliance industrielle sur les carburants durables, ne serait-ce que pour réduire les conflits d’allocation entre les différents modes de transport dans le contexte d’une offre limitée.

Recommandation n° 7 : instaurer un volet dédié aux SAF dans l’alliance industrielle sur les carburants renouvelables en cours de création. Utiliser cette alliance pour s’assurer d’une bonne allocation de l’offre afin que les carburants durables bénéficient en priorité au secteur aérien, qui n’a pas la possibilité d’employer à court terme d’autres sources d’énergie.

Mais même avec un volet « SAF », l’alliance industrielle ne suffira donc pas : il faut aussi des financements, au moins pour les filières dont le démarrage sera le plus lent et le plus risqué pour les investisseurs.

c.   Créer un mécanisme de soutien à l’offre et à la demande de SAF

Deux mécanismes de soutien aux biocarburants pourraient être envisagés : un soutien à l’offre ou un soutien à la demande.

Le soutien de la demande, comme celui qui a été mis en place aux États‑Unis, consiste à rembourser aux compagnies aériennes une partie de la différence de prix entre les carburants durables et le kérosène, la partie restante étant prise sur les marges d’exploitation ou répercutée sur le prix du billet ([23]). En Europe, le système d’échange de droits d’émissions (système ETS) comprend déjà un mécanisme incitatif en faveur des carburants durables, puisque ceux-ci sont « décomptés » des quotas à restituer. L’utilisation d’une tonne de SAF permet aux compagnies aériennes d’économiser entre 100 € et 300 € selon les variations du marché ([24]), ce qui n’est certes pas négligeable sans être aussi substantiel que l’aide prévue par le gouvernement américain.

Le soutien de la demande a plusieurs avantages : cela ne crée pas de distorsions de concurrence entre les producteurs et elle permet directement de réduire les écarts de prix, alors que la subvention d’un producteur peut se transformer en rente. Mais comme il s’agit d’une mesure « horizontale », elle ne permet pas de cibler spécifiquement les filières les plus innovantes et les plus coûteuses comme les filières de carburants synthétiques dont l’indice de développement technologique est encore bas. De plus, le soutien à la demande des compagnies européennes est indirectement un soutien… à l’offre des producteurs étrangers, si l’industrie européenne est relativement moins compétitive.

Vos rapporteurs recommandent donc l’instauration d’un mécanisme de soutien direct à l’offre assorti des précautions suivantes :

-          l’aide cible les producteurs des filières les plus coûteuses, les plus innovantes et les plus durables ;

-          l’aide ne dépend pas de la production mais des investissements dans les capacités de production (conversion des raffineries) et dans la R&D.

En contrepartie des aides et en attendant que la concurrence entre les producteurs soit suffisamment forte pour éviter les phénomènes de rentes, un mécanisme d’encadrement des prix pourrait également être envisagé dans une logique contractuelle.

Au niveau européen, les financements pourraient venir du Fonds d’innovation alimenté par le système ETS ([25]) et dont les recettes, qui dépendent du prix de la tonne de CO₂, sont évaluées à 10 milliards d’euros pour la période 2020‑2030. Une affectation du Fonds d’innovation au financement des carburants durables d’aviation serait conforme à son objet qui est de favoriser la mise sur le marché de « technologies innovantes à faible intensité carbonique » et renforcerait en outre l’acceptabilité du système ETS puisque ses recettes retourneraient en quelque sorte au secteur aérien.

Il y aurait également une logique à ce que le fonds InvestEU soit mobilisé puisque c’est à ce fonds que seront affectées les amendes infligées dans le cadre du règlement RefuelEU ([26]).

Recommandation n° 8 : affecter une partie des ressources du fonds d’innovation de l’ETS ou d’Invest EU au soutien à la demande de SAF.

En complément des aides européennes, des aides nationales seraient aussi nécessaires. Mais il faudrait pour cela créer un cadre général autorisant les aides d’État en faveur des SAF, même si certaines subventions sont déjà possibles au niveau national ([27]) quand elles interviennent au stade de la R&D.

Recommandation n° 9 : prévoir une exemption au régime de prohibition des aides d’État afin de permettre aux États membres de soutenir à certaines conditions l’offre de SAF.

Grâce à son expertise technologique et à la disponibilité de l’électricité nucléaire, la France est particulièrement bien positionnée pour devenir leader du Power-to-liquid (conversion de l’énergie en e-kérosène). Comme le « saut technologique » est coûteux et important, des subventions seront nécessaires avant que les volumes de production soient suffisants pour faire baisser les prix.

d.   Doter l’Union européenne d’une capacité autonome de certification des SAF

Dans un domaine nouveau où les normes restent à créer, la réglementation technique fait partie intégrante de la stratégie industrielle. Une réglementation adéquate peut permettre d’atteindre plus sûrement les objectifs environnementaux et de conférer aux filières européennes un avantage comparatif dans la mesure où elles sont capables de respecter des « standards » plus stricts.

En plus de répondre aux critères de durabilité et d’émissions de gaz à effet de serre définis à l’article 29 de la directive RED (voir supra), les SAF doivent également être certifiés techniquement par des organismes de standardisation dédiés.

Actuellement, l’organisme de standardisation dominant en Europe est un organisme américain, l'American Society for Testing and Materials (ASTM). Il existe d’autres normes de carburant au Royaume-Uni ([28]), en Russie ou en Chine, mais l’Union européenne ne dispose d’aucune capacité propre de standardisation pour les avions commerciaux. Il y a donc un risque, en particulier pour ces carburants nouveaux, que les normes de l’ASTM soient influencées par les priorités politiques et industrielles américaines, ou bien que l’ASTM freine la certification de carburants (européens) comprenant une part plus importante de SAF.

Par exemple, les normes ASTM actuelles autorisent jusqu’à 25 % d’aromatiques, ce qui ne paraît ni nécessaire d’un point de vue technique ni opportun d’un point de vue environnemental, mais cela correspond à l’état actuel de la production américaine. Si elle disposait de sa propre norme de carburant, l’Union pourrait imposer des critères en phase avec la directive RED et aider les producteurs européens qui rencontreraient des difficultés à faire approuver leurs carburants innovants auprès de l’ASTM.

Alors même qu’elle envisage d’investir massivement dans les biocarburants et dans les carburants synthétiques, il est essentiel que l’Europe se dote de sa propre capacité de certification afin de réduire sa dépendance à l’égard de l’organisme américain et de ne pas fragiliser sa stratégie industrielle fondée sur des objectifs environnementaux exigeants.

Dans cette perspective, des normes européennes de carburant pourraient être définies par un organisme européen comme le Comité européen de normalisation (CEN), l’Organisation européenne pour l’équipement de l’aviation civile (EUROCAE) ou l’AESA ([29]), en ayant pris soin d’évaluer d’abord le coût que représenterait ce nouveau processus de certification pour l’Europe et pour les compagnies aériennes.

Recommandation n° 10 : envisager de doter l’Union européenne d’une capacité propre de certification des carburants d’aviation, confiée par exemple au CEN, à l’EUROCAE ou à l’AESA. Dans un premier temps, évaluer avec précision les surcoûts induits et les avantages à en attendre pour les producteurs européens de SAF.

2.   Hydrogène : soutenir le développement d’un avion zéro émission en tirant profit de l’alliance industrielle et du tout nouveau PIIEC hydrogène

Les SAF sont la seule façon de décarboner l’aviation long-courrier, mais l’hydrogène est la seule façon d’atteindre le véritable « zéro émission » sur les avions de ligne, du moins certains d’entre eux. L’élaboration et la mise en service d’un avion à hydrogène nécessiteront un soutien public particulier, parce qu’il s’agit d’un « pari technologique » disruptif, très coûteux et très risqué pour les investisseurs. Alors que Boeing n’envisage pas le développement d’un avion moyen-courrier à hydrogène, Airbus fait un choix audacieux qui pourrait installer durablement l’Europe comme leader de l’avion à hydrogène.

En plus du partenariat « Clean aviation », la Commission européenne a lancé avec les États membres plusieurs outils susceptibles de favoriser le développement d’un avion à l’hydrogène :

-          deux alliances industrielles portant sur l’une sur l’hydrogène et l’autre, plus récemment, sur l’avion à zéro émission ;

-          un « projet important d’intérêt européen commun » (PIIEC) sur l’hydrogène.

a.   Alliance industrielle pour un hydrogène propre – Clean hydrogen : des outils conçus pour les autres modes de transport

« L’alliance industrielle pour un hydrogène propre » a été lancée en juillet 2020. Elle rassemble environ 1 500 acteurs intéressés et a pour but de faire émerger et de structurer la filière de production d’hydrogène en Europe.

Pour compléter l’alliance industrielle hydrogène, un partenariat public-privé (joint undertaking) intitulé « Clean hydrogen » a été constitué par un règlement du Conseil du 9 novembre 2021 ([30]) pour traiter plus particulièrement la partie R&D. L’initiative rassemble la commission, les industriels, les chercheurs et les Etats membres. S’agissant d’un partenariat public-privé, elle est cofinancée à moitié par le programme Horizon Europe (CFP 2021-2027) et par le secteur privé.

Mais comme l’alliance pour les carburants durables, l’alliance hydrogène a un périmètre général et ne contient aucun volet spécifique à l’aviation. De ce fait, l’alliance est essentiellement centrée sur l’hydrogène gazeux alors que l’aviation, en raison de ses contraintes de volume, utilisera surtout l’hydrogène liquide.

Or il était nécessaire de tenir compte des spécificités de l’aviation afin de soutenir les innovations, les infrastructures aéroportuaires et de construire un cadre réglementaire homogène.

b.   Alliance industrielle pour un avion à zéro émission : un outil de coordination essentiel pour préparer l’arrivée de l’avion hydrogène

C’est dans cet objectif que la Commission a annoncé, dans sa communication sur la politique industrielle du 5 mai 2021, la création d’une « alliance industrielle pour un avion zéro émission ». Comme l’alliance pour les carburants durables, son lancement officiel est prévu pour le début de l’année 2022.

L’alliance pour un avion zéro émission ne couvre pas la totalité du champ de l’aviation décarbonée. Elle se spécialise dans la promotion d’un avion « zéro émission », ce qui correspond à deux concepts : l’avion électrique (pour les vols régionaux) et l’avion à hydrogène (jusqu’à 3 700 km de distance). Au demeurant, cela ne signifie pas que ces avions seront neutres en carbone sur la totalité de leur cycle de vie, mais seulement qu’ils n’émettront aucune émission de CO₂ en vol – sans préjuger des autres nuisances possibles pour l’environnement (oxyde d’azote, traînées de condensation…).

L’alliance pour un avion zéro émission n’a pas une visée protectionniste : son objectif n’est pas de préserver des parts de marché, mais de créer un nouveau marché mondial et d’avoir un « effet d’entraînement » sur le reste du monde. En effet, la crainte d’Airbus n’est pas d’être concurrencé par Boeing sur l’hydrogène, mais au contraire que Boeing puisse faire un choix stratégique différent et constituer durablement une alternative conventionnelle à « l’avion du futur ». Pour cette raison, l’alliance sera ouverte à des partenaires extérieurs à l’Union européenne, à commencer par le motoriste britannique Rolls-Royce. Pour l’Europe, le gain de compétitivité vient du fait qu’elle « sera prête » quand la technologie sera disponible et qu’elle en tirera de nombreux bénéfices pour son attractivité.

L’alliance industrielle n’aura pas de volet technologique, car les aspects technologiques seront traités par le partenariat Clean Aviation dans le cadre d’Horizon Europe.

Clean aviation

« Clean Aviation » est le programme européen dédié à l’aéronautique du nouveau programme-cadre pour la recherche et l’innovation (PCRI) « Horizon Europe », qui couvre la période 2021-2027. Depuis sa création en novembre 2021 ([31]), il succède au partenariat « Clean Sky 2 » du précédent PCRI « Horizon 2020 » qui succédait lui-même à Clean Sky 1 (2007-2014).

Davantage que son prédécesseur Clean Sky, « Clean Aviation » se concentre sur la transition énergétique de l’aviation commerciale : il promeut le développement de nouvelles technologies aéronautiques qui doivent réduire l’impact environnemental de l’aviation. Clean Aviation finance la recherche pour l’avion du futur : il porte à la fois sur la recherche d’un avion ultra-sobre et sur le développement d’avions disruptifs (avions hybrides électricité/hydrogène et avion à hydrogène).

Comme pour Clean Hydrogen, qui est organisme analogue, le financement prend la forme d’un partenariat public-privé. Clean Aviation a un budget de 1,7 milliard d’euros prélevés sur Horizon Europe et complétés par 2,4 milliards d’euros de financements privés, soit un budget total dépassant 4 milliards d’euros. Ce partenariat comprend l’Union européenne, représentée par la Commission, et près de mille participants institutionnels et de l’industrie du transport aérien, dans une trentaine de pays européens.

Au début de l’année 2021, Clean Sky travaillait sur 74 démonstrateurs touchant à la conception des avions, à l’aérodynamique, à la motorisation, à la propulsion etc.

L’alliance aura d’abord un rôle d’analyse, de coordination et de travail réglementaire. Elle pourra ainsi se montrer très utile pour :

-          convaincre les compagnies aériennes et les aéroports de la pertinence des avions électriques et à hydrogène et les aider à les intégrer dans leur flotte ;

-          faciliter la mise en place des infrastructures d’avitaillement en hydrogène liquide dans les aéroports (évaluation des besoins, étude des modèles, expérimentations…) ;

-          contribuer à l’élaboration de la future réglementation applicable à l’hydrogène dans l’aviation (standardisation).

En revanche, comme les autres alliances industrielles, l’alliance avion zéro émission ne dispose pas d’un volet financement.

c.   PIIEC hydrogène : inclure le financement des infrastructures

C’est pour remédier au problème du déficit de financement que 22 États membres de l’Union européenne européens ont demandé en décembre 2020 la création d’un « projet d’intérêt européen commun » (PIIEC) relatif à l’hydrogène. Les PIIEC permettent aux États membres, par dérogation au régime de prohibition des aides d’État, d’accorder des subventions nationales à des projets reconnus par la Commission comme étant suffisamment innovants et comme présentant des externalités positives pour l’ensemble de l’Union.

L’intérêt de l’outil est de permettre d’établir un véritable cadre de financement pouvant bénéficier non seulement à la R&D mais aussi aux infrastructures et au premier déploiement industriel.

Les négociations ont eu cours durant l’année 2021 en vue de la création effective de ce PIIEC. À ce jour, plusieurs dizaines de projets ont été déposées par 15 États membres dans le cadre du processus de « pré-notification ». La direction générale de la concurrence (DG COMP), chargée au sein de la Commission du contrôle des aides d’État, est en train de les analyser en vue de leur éventuelle validation. Le lancement officiel du PIIEC hydrogène et le financement des premiers projets est prévu pour le premier semestre 2022.

Le PIIEC hydrogène devrait comporter deux volets :

-          un volet technologique (électrolyseurs) ;

-          un volet industriel (capacités de production).

En principe, le PIIEC hydrogène ne vise pas directement à développer des applications liées à l’aviation. Mais certains Etats membres ont déposé des projets axés sur les infrastructures hydrogène (stockage, distribution), et notamment l’Allemagne avec le projet WIPLiN qui vise à créer un écosystème hydrogène autour de l’aéroport d’Hambourg en partenariat avec Airbus (voir partie II.A.2).

Vos rapporteurs appellent donc la Commission (DG Comp) à bien vouloir accepter la création d’un troisième volet « infrastructures » au sein du futur PIIEC hydrogène.

 

Recommandation  11 : constituer un troisième volet « infrastructures » au sein du « projet important d’intérêt européen commun » (PIIEC) hydrogène en cours de création afin de pouvoir s’en servir pour financer les infrastructures aéroportuaires à hydrogène.

 


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   TRAVAUX DE LA COMMISSION

La Commission s’est réunie le mercredi 16 février 2022, sous la présidence de Mme Sabine Thillaye, Présidente, pour examiner le présent rapport d’information.

 

Mme la Présidente Sabine Thillaye. L’objectif de rapport est simple à résumer mais complexe à concrétiser : comment permettre au secteur aéronautique de réduire ses émissions de 90 % d’ici à 2050 par rapport au niveau constaté en 2005, sans pour autant freiner la croissance du trafic aérien ?

M. Bernard Deflesselles, rapporteur. Nous voulions travailler sur « l’avion du futur », et nous nous sommes rapidement rendu compte que « l’avion du futur », c’est l’avion décarboné. La crise sanitaire a bien sûr touché le secteur aéronautique de manière conjoncturelle, mais elle a surtout « collé » à l’avion l’image d’un mode de transport polluant et dont, finalement, on pourrait se passer. Nous en sommes persuadés : le secteur aéronautique, qui est une fierté pour la France et pour l’Europe, joue son avenir sur sa capacité à réussir sa transition environnementale et à mobiliser toutes les nouvelles technologies pour devenir le modèle d’un mode de transport « vert ».

L’avion décarboné, c’est à la fois un avion qui consomme moins (« avion ultra sobre » comme on dit), et un avion qui consomme mieux, c’est-à-dire qui utilise des carburants moins polluants. Dans deux cas précis, on peut même imaginer des avions « zéro émission » : l’avion électrique, pour les petits avions et les vols régionaux, et « l’avion à hydrogène » pour les vols de distance moyenne, à l’échelle d’un continent.

Alors vous vous demandez peut-être : en quoi ce sujet intéresse-t-il la commission des affaires européennes ? Eh bien c’est en fait un sujet d’une grande actualité au niveau des institutions. La Commission européenne a présenté en juillet une proposition de règlement dite « Refuel EU » qui vise à instaurer un « mandat d’incorporation » de carburants durables d’aviation, c’est-à-dire une obligation d’utiliser une certaine quantité de ces nouveaux carburants dans le réservoir des avions au décollage d’un aéroport européen. En parallèle, elle est en train de développer deux nouveaux outils – ils seront officialisés du jour au lendemain – pour favoriser la conception et la mise en service d’un avion à hydrogène : la fameuse « alliance industrielle pour un avion à zéro émission » et un « projet important d’intérêt européen commun » (PIIEC) sur l’hydrogène.

Nous trouvons néanmoins que ces différents outils manquent d’ambition. Il faut bien voir que le secteur aéronautique est un domaine où nous sommes déjà leader, et l’enjeu pour nous n’est pas de « rattraper un retard », mais de conserver notre avance, d’attirer les meilleurs investissements et de devenir pour le reste du monde la référence en termes de normes et de technologies.

La présentation du rapport se fera en deux temps. Tout d’abord, nous exposerons les différents leviers pour décarboner l’aviation et, ensuite, nous présenterons la stratégie européenne ainsi que des recommandations pour l’améliorer.

Mme Nicole Le Peih, rapporteure. Il existe donc deux leviers principaux pour décarboner l’avion. Le premier concerne les constructeurs et consiste à réduire à la source la consommation des avions ; le deuxième concerne les producteurs d’énergie ainsi que les compagnies aériennes et consiste à mettre au point des carburants moins polluants et à faire en sorte qu’ils soient utilisés par les compagnies malgré leur coût plus élevé.

Ainsi, le premier levier tend à rendre l’avion plus « sobre », c’est-à-dire à réduire la consommation de carburant grâce à un travail des constructeurs sur la configuration des avions, sur la masse des matériaux et sur l’efficacité de la propulsion.

S’agissant de cet enjeu de sobriété, il est important de souligner que les constructeurs ont toujours été incités à réduire la consommation de carburant des avions, pour des raisons économiques d’abord : le carburant représente en moyenne un tiers du coût d’un vol. Depuis l’introduction des premiers avions commerciaux à réaction il y a environ soixante ans, les émissions de CO₂ par passager et par kilomètre ont déjà diminué de 80 %, les émissions sonores de 75 % et les émissions d’oxyde d’azote de 90 %. Chaque nouvelle génération d’avions est plus efficace que la précédente de 25 %.

En France, le Conseil pour la recherche aéronautique civile (CORAC) prévoit une réduction de 30 % de l’énergie consommée sur la prochaine génération d’avions, qui arrivera après 2030. Pour atteindre cet objectif, les constructeurs travaillent sur plusieurs domaines.

Le premier porte sur la structure de l’avion, c’est-à-dire sur sa masse et son aérodynamisme. Ce sont les deux facteurs principaux déterminant des besoins d’énergie d’un avion. Ainsi, « l’avion du futur » sera plus léger, grâce aux matériaux composites, et plus aérodynamique, grâce à des ailes de plus grande envergure ainsi qu’à une meilleure intégration des trains et du moteur.

Ensuite, l’efficacité du moteur. Pour être plus efficaces et avoir un meilleur taux de dilution, les prochaines générations de moteurs auront une soufflante de plus grande envergure.

Enfin, il est possible d’électrifier tout ce qui ne sert pas à la poussée aérienne, à commencer par le système de roulage au sol. Actuellement, 3 % de la puissance du moteur est utilisée pour faire fonctionner l’électronique. Afin de réaliser une économie d’énergie, il est prévu que 100 % du carburant soit dédié à la propulsion, et ce en utilisant des batteries plutôt que le moteur pour le roulage, l’air conditionné, le dégivrage, etc.

Ainsi, les solutions de décarbonation de l’aviation sont nombreuses. Les entreprises françaises et européennes ont, dans le domaine de l’aéronautique, une véritable avance technologique, avance qu’il convient de conforter.

Pour les petits avions, il sera bientôt possible de se passer complètement du moteur à combustion et du carburant, grâce aux batteries électriques. L’énergie électrique présente plusieurs intérêts : absence d’émissions, silence au décollage et en vol, meilleure répartition des propulseurs sur les ailes, réduction significative des coûts d’exploitation. Toutefois, le poids des batteries et du câblage font que l’énergie électrique ne pourra pas être utilisée sur de gros avions.

Sur des vols avec peu de passagers et sur une distance limitée, trois types d’avions « électriques » sont envisageables.

Les vrais avions « 100 % électriques » auront une dizaine de places et seront mis en service dès 2026. Dans ce secteur, ce sont les pays du nord de l’Europe qui sont les plus avancés : la Norvège a annoncé que tous ses vols intérieurs seraient électriques d’ici 2040, et la Suède d’ici 2030.

Les avions « électriques hybrides », quant à eux, disposent d’une batterie électrique couplée à un moteur à kérosène, ou à hydrogène. Excellent compromis entre l’avion « 100 % électrique », dont les capacités sont structurellement limitées, et les avions conventionnels bien plus polluants, l’hybridation permet de profiter des avantages à la fois de l’énergie électrique et du moteur thermique. Le premier avion « électrique hybride » sera le « Cassio » de l’avionneur français VoltAreo, dont la mise en service est prévue l’an prochain. Plusieurs vols ont déjà été effectués, et j’ai eu la chance d’assister au premier vol de l’avion, en juillet dernier à Lorient. Je peux donc le dire : l’avion du futur, c’est maintenant !

Pour l’aviation régionale, les avions « électriques » à piles à combustible sont une solution envisageable. La pile à combustible consiste à transformer un combustible en électricité et à s’en servir comme force de propulsion. Une start-up allemande est en train de créer un avion à pile à hydrogène qui devrait être prêt en 2025 et qui aura une capacité de quarante sièges.

Ainsi, il est possible d’imaginer que la totalité des petits avions fonctionne à l’énergie électrique d’ici une vingtaine d’années.

M. Bernard Deflesselles, rapporteur. J’ajoute qu’il est aussi possible de réduire l’énergie consommée par un travail sur les opérations aériennes ; c’est précisément le but du projet « Ciel unique européen » et de son volet technologique le programme « SESAR ». Je ne développe pas ce point qui est détaillé dans le rapport.

Le deuxième grand levier consiste à utiliser des carburants moins polluants. Il existe deux grandes possibilités, qui ne sont pas rivales mais complémentaires : pour les avions de ligne jusqu’à 3 700 km de distance, l’hydrogène liquide utilisé en combustion directe ; et, pour les autres avions dont notamment les long‑courriers, les carburants durables d’aviation (SAF).

Concernant les SAF, ces carburants ont l’intérêt d’être déjà utilisables avec les avions actuels, à condition d’être mélangés avec du kérosène. D’ici 2030-2035, ils seront utilisables purs, autrement dit sans aucun kérosène. Le potentiel de réduction des émissions des SAF s’élève à 80 %, voire plus selon les filières. Les carburants durables d’aviation sont dès lors la solution la plus évidente pour décarboner le secteur aérien, parce qu’elle est la seule solution disponible aujourd’hui et la seule à être compatible avec tous les avions.

On distingue deux types de carburants durables d’aviation : les biocarburants et les carburants de synthèse, qui diffèrent par la matière première, la technologie et les coûts de production. Les biocarburants sont produits à partir de biomasse. Ils sont faciles à produire et relativement peu coûteux, mais la biomasse est disponible en quantité limitée et son exploitation n’est pas toujours très durable.

De leur côté, les carburants de synthèse sont produits à partir d’électricité et d’hydrogène. La matière première est potentiellement illimitée et leur potentiel de réduction des émissions est supérieur à celui des biocarburants mais la technologie n’est pas encore mature, tandis que leur coût de production est élevé.

Les biocarburants eux-mêmes se divisent en plusieurs filières de production :

-          Les biocarburants « de première génération » (sucres, huiles végétales, …) vont bientôt être abandonnés, car ils sont en concurrence avec l’industrie alimentaire ;

-          Les biocarburants « de deuxième génération », eux, sont produits à partir de déchets, de résidus ou de matières premières non-alimentaires, ce qui les rend plus intéressants ;

-          Enfin, une troisième génération de biocarburants verra le jour dans quelques années et elle sera produite à partir d’algues.

Quel que soit le type de carburant retenu, leur usage n’est pas limité par des contraintes technologiques mais par des facteurs de marché. En effet, l’offre est insuffisante et les prix sont trop élevés : les biocarburants les moins chers coûtent trois fois plus que du kérosène. Les prix des SAF baisseront lorsque les volumes de production augmenteront, mais il faut bien que la production démarre, et aujourd’hui les prix sont décourageants. D’où l’intérêt d’une politique volontariste au niveau européen, comme on l’expliquera tout à l’heure.

S’agissant de l’avion à hydrogène, l’hydrogène liquide est le carburant le plus intéressant, car il est le seul à n’émettre aucune émission de CO2 en vol. Néanmoins, il est très spécifique et a des propriétés très contraignantes : propension à fuir, inflammabilité extrême, risque d’explosions, etc. En outre, l’hydrogène liquide doit être maintenu à une température dite « cryogénique » de – 253 degrés, ce qui implique d’adapter les réservoirs, le circuit de distribution et les infrastructures d’avitaillement. Surtout, l’hydrogène liquide est très volumineux et nécessite des réservoirs trois à quatre fois plus grands, raison pour laquelle il ne pourra pas être utilisé sur des avions long-courriers.

Airbus travaille actuellement au développement d’un avion à hydrogène en vue d’une mise en service en 2035. L’entreprise envisage trois concepts d’avions, dont celui d’« aile volante ». Il s’agit d’une grande aile en forme de triangle : les passagers seraient assis à l’intérieur de l’aile. Aérodynamique et capable de transporter une grande quantité de carburant, l’« aile volante » est un concept performant et disruptif mais aussi, de ce fait, plus risqué.

Même s’il ne prend pas la forme d’une « aile volante », l’avion à hydrogène est une réalité à horizon 2035. Il s’agit dès lors de préparer les infrastructures aéroportuaires pour qu’elles puissent distribuer de l’hydrogène à – 253 degrés. Depuis l’an dernier, le secteur privé travaille activement à cet objectif et plusieurs projets sont nés à Paris, à Lyon et à Hambourg. Cependant, pour donner aux aéroports la capacité de se transformer, il faut établir une véritable politique européenne afin de coordonner les acteurs.

Mme Nicole Le Peih, rapporteure. Ainsi, les politiques publiques doivent accompagner la transition écologique de l’industrie aéronautique.

Pour ce qui est des carburants durables d’aviation (SAF), la Commission européenne veut créer une obligation d’intégrer progressivement ces carburants dans les réservoirs des avions : c’est ce qu’on appelle le « mandat d’incorporation ». La proposition de règlement « ReFuelEU Aviation » s’inscrit dans le paquet « Fit for 55 » et dans le Pacte vert pour l’Europe qui vise la de neutralité carbone à horizon 2050.

Du fait de son caractère contraignant, le « mandat d’incorporation » est le moyen le plus sûr d’atteindre les objectifs de réduction des émissions et de donner une impulsion décisive au développement des filières de SAF. Comme mon collègue l’a dit, le principal obstacle à leur développement réside dans des prix trop élevés. Or, le « mandat d’incorporation » permet d’enclencher un cercle vertueux : la demande étant garantie, les investissements et l’offre suivent de sorte à créer une spirale de baisse des prix.

La Commission a retenu un objectif final de 63 % de SAF dans les réservoirs en 2050. Nous soutenons cette cible, qui est ambitieuse, mais nous pensons que les étapes intermédiaires sont trop faibles et qu’il faut « démarrer plus fort » pour envoyer un signal clair au secteur et réduire les coûts.

Quand on regarde cette trajectoire, on s’aperçoit en effet qu’il y a un écart très important entre la cible de 2030, 5 % de SAF, et la cible de 2035, 20 % de SAF. La Commission européenne craint que la production de SAF en 2030 ne soit pas suffisante pour dépasser les 5 % en 2030. Mais si elle ne dépasse pas 5 % en 2030, comment va-t-elle atteindre 20 % en 2035 ?

Si la trajectoire à moyen-terme n’est pas satisfaisante, c’est parce qu’elle résulte d’un compromis entre des Etats très ambitieux, comme les pays du nord, et des États membres plus conservateurs qui négligent l’importance de développer des filières de carburants alternatifs. Les pays du nord, eux, ont déjà prévu d’imposer au niveau national 30 % de SAF en 2030 ! Or, en l’état, le règlement européen aura pour effet d’interdire aux États membres de fixer des mandats nationaux plus élevés. C’est un comble : on va interdire à la Suède, au Danemark, aux Pays-Bas de fixer des règles nationales plus contraignantes pour leurs propres compagnies aériennes ! Il est donc essentiel que le règlement soit modifié et qu’il permette aux États membres d’aller plus loin s’ils le souhaitent.

Ce qu’il faut bien voir, c’est que le mandat d’incorporation est un véritable outil de politique industrielle : en fixant une trajectoire ambitieuse, on envoie un signal au secteur, on « dérisque » les investissements, on garantit la demande et ainsi on crée une offre nouvelle. Au plus tôt les prix baissent, le mieux ce sera. Par le passé, l’Union européenne s’est trop souvent engagée dans des politiques normatives au détriment de sa propre compétitivité, mais il s’agit ici de soutenir un projet industriel global qui produira de nombreuses externalités positives.

Nous proposons donc un renforcement du mandat d’incorporation de 2030 de 5 % à 10 %, ainsi qu’un renforcement de la part du « sous-mandat » lié aux carburants synthétiques. Avec ces petits ajustements, nous obtenons une trajectoire beaucoup plus harmonieuse. J’insiste aussi sur la nécessité d’écarter les SAF issus de filières non-durables, afin de ne pas nuire à l’objectif environnemental.

M. Bernard Deflesselles, rapporteur. Comme souvent, l’Union européenne est très forte pour mettre en place des normes, mais elle a du mal à les insérer dans une stratégie globale incluant des outils de politique industrielle. Or l’aéronautique est par nature un secteur où il faut voir loin et aider le secteur privé à réaliser les bons investissements.

Le rapport formule plusieurs recommandations précises pour mettre en place une politique industrielle forte, portant à la fois sur les carburants durables et sur le futur avion à hydrogène.

Pour ce qui est des carburants, le problème structurel est l’écart de prix entre les carburants durables et le kérosène classique. Les écarts de prix sont amenés à diminuer à mesure que la filière se développera, mais au début il faudra bien aider financièrement le secteur. C’est ce que néglige la Commission européenne, et c’est pour cela qu’elle est obligée de fixer des objectifs de court terme peu ambitieux. Vous l’aurez compris, ceci arrive car la Commission ne structure pas vraiment une filière. Cette structuration doit être faite avec force et si nous mettons en place une transformation robuste, nous serons capables de réduire les coûts.

Les États-Unis l’ont bien compris : aux États-Unis, Joe Biden a instauré un crédit d’impôt de 1,50 $ par gallon au profit des compagnies aériennes qui achètent des SAF. Il s’agit d’un dispositif de soutien à la demande qui compense en partie les écarts de prix.

De notre côté, nous défendons un soutien partiel aux compagnies aériennes, qui pourrait être alimenté par le Fonds d’innovation du système ETS ou par le fonds InvestEU. Mais nous défendons surtout un mécanisme de soutien à l’offre, c’est-à-dire aux producteurs de carburants durables. Cela permettra de choisir précisément quel type de carburant on subventionne, avec un double intérêt : accorder un soutien plus fort aux filières plus exigeantes, plus durables et plus coûteuses, comme les carburants synthétiques et aider plus spécialement les producteurs européens.

L’enjeu pour l’Europe n’est pas seulement d’atteindre la cible de 63 % en 2050. Il s’agit d’abord d’un enjeu économique et stratégique.

En effet la production de SAF est actuellement très limitée, et elle se fait surtout en dehors de l’Europe. Si l’Europe ne produit pas ses propres carburants tout en imposant aux aéroports d’en acheter, elle va devoir en importer de Chine ou d’Indonésie. Bref, si le mandat d’incorporation n’a pas de contrepartie industrielle, l’Union européenne va doublement nuire à sa compétitivité : en pénalisant ses compagnies aériennes, et en créant de l’emploi ailleurs !

Les carburants durables sont donc une formidable opportunité de création d’emplois : aujourd’hui, l’Europe se contente de raffiner du pétrole ; bientôt, elle pourra produire elle-même son propre carburant et même en exporter. Il s’agit aussi d’un enjeu d’autonomie stratégique : si on crée suffisamment pour couvrir nos propres besoins, on ne sera plus dépendant des pays producteurs de pétrole.

L’enjeu est donc de créer en Europe une filière de carburants durables répondant aux besoins quantitatifs et qualitatifs fixés par la trajectoire d’incorporation.

Pour cela, il faudrait doter l’« alliance industrielle pour les carburants renouvelables et bas carbone » en cours de création au niveau européen d’un pilier spécifique à l’aviation. Cela permettra d’allouer les carburants durables en priorité au secteur aéronautique, puisque les autres modes de transport (terrestres, maritimes) peuvent plus facilement avoir recours à l’électricité ou à l’hydrogène.

Il faudrait aussi adapter les lignes directrices sur les aides d’État pour autoriser les aides nationales aux producteurs de SAF satisfaisant à certaines exigences.

Enfin, il est essentiel que l’Europe se dote de sa propre capacité de certification de carburants durables – comme le Royaume-Uni – alors que nous dépendons aujourd’hui d’un organisme de certification américain qui sert d’une certaine façon les intérêts de l’industrie américaine. Si nous mettons en place de nouvelles normes de carburants durables répondant à des critères très stricts, nous donnerons un avantage compétitif aux producteurs qui les respectent, et ces producteurs seront majoritairement européens.

Pour ce qui est de l’avion à hydrogène, la Commission européenne est en train de mettre en place une « alliance industrielle pour un avion à zéro émission », qui portera sur l’avion à hydrogène et dans une moindre mesure sur l’avion électrique.

L’alliance aura d’abord un rôle d’analyse, de coordination et de travail réglementaire. Elle pourra être très utile pour convaincre les aéroports et les compagnies aériennes, faciliter la mise en place des infrastructures à hydrogène et contribuer à l’élaboration des futures normes. En revanche, comme toutes les « alliances industrielles », elle n’apportera pas de financements.

 Le rapport ne demande pas forcément de renforcer les financements européens dédiés à l’aéronautique. Nous sommes pragmatiques : ce secteur ne concerne en réalité que quelques États membres, les trois pays d’implantation d’Airbus bien sûr (France, Espagne, Allemagne) et de manière secondaire la Suède et l’Italie. L’Union européenne ne doit pas financer directement, mais elle doit autoriser de manière plus souple les aides nationales hors contexte de pandémie.

À cet égard, le « projet important d’intérêt européen commun » (PIIEC) sur l’hydrogène, qui va être officialisé dans un mois ou deux, sera un cadre de financement prometteur, même s’il n’est pas spécialisé dans les applications aéronautiques. Ce PIIEC va permettre d’autoriser des aides d’État en faveur de projets concourant au développement de l’hydrogène. Le PIIEC hydrogène va comporter deux volets : un volet technologique et un volet industriel.

En l’état, le PIIEC n’est pas conçu pour financer les infrastructures à hydrogène, mais l’Allemagne va essayer de faire entrer dans ce cadre son projet d’écosystème hydrogène centré sur l’aéroport de Hambourg. Nous demandons à la Commission européenne d’accepter ce projet et de créer un troisième volet « infrastructures » au sein du futur PIIEC hydrogène pour aider les aéroports à accueillir l’avion à hydrogène quand il sera prêt.

Mme Nicole Le Peih, rapporteure. Le rapport fait aussi d’autres propositions, par exemple pour améliorer la compétitivité des compagnies aériennes européennes et inciter les clients à choisir des vols plus « verts ». Ces mécanismes me tiennent particulièrement à cœur dans la mesure où ils engagent les consommateurs à prendre part à la transition environnementale. Nous avions déjà insisté sur ce point à l’occasion de nos précédents rapports : il est indispensable de faire participer les citoyens à chaque étape de la transition.

Nous sommes optimistes parce que pour une fois l’Europe part avec un certain avantage et elle a « une carte à jouer » pour rester durablement leader dans le secteur de l’aéronautique.  Grâce au « Pacte vert », il est plus facile de mobiliser des financements qui contriburont à la transition environnementale, et la décarbonation de l’aviation doit aussi en profiter. Certains pays, au nord de l’Europe notamment, font preuve d’une ambition particulièrement forte. Il faut utiliser cette énergie à notre avantage et mobiliser l’ensemble des acteurs derrière l’objectif industriel et environnemental d’une aviation décarbonée.

 Mme la Présidente Sabine Thillaye. Le rapport aborde-t-il la question de l’avion solaire ? Par ailleurs, je reste dubitative par rapport aux propositions visant à instaurer de nouvelles dérogations au régime des aides d’Etat, le risque étant de vider de sens ces dispositions censées garantir une concurrence loyale au sein de l’Union. En revanche, il me semble pertinent de demander la mise en place d’un PIIEC pour les carburants durables d’aviation.

Mme Liliana Tanguy. Nos rapporteurs ont rappelé la nécessité pour un secteur fortement émetteur de gaz à effet de serre comme le secteur aéronautique d’assurer une transition environnementale au plus tôt. La structuration d’une filière industrielle autour de cet objectif revêt aussi une importance économique majeure.

Dans mon rapport d’observation sur le projet de loi Climat et résilience, j’avais encouragé l’inclusion du secteur aéronautique dans le champ d’application du système d’échange de quotas d’émissions de l’Union. La révision est prévue justement dans le paquet « Fit for 55 » que vous avez mentionné. Je profite ainsi de mon intervention pour renouveler cette recommandation.

Madame la rapporteure, vous avez insisté sur la nécessité de renforcer la trajectoire du mandat d’incorporation, tout en mentionnant la tendance de l’Union européenne à l’excès de règlementation. Qu’est-ce qui vous permet de penser que votre proposition aurait trouvé un juste point d’équilibre ?

 M. Didier Martin. Vous avez indiqué que la sobriété carbone, qui est essentielle, doit s’appuyer sur deux leviers : la sobriété de l’avion et l’utilisation de carburants durables. Sur le premier point, à quel horizon pouvons-nous espérer une flotte aérienne « bas carbone » ?

Sur les carburants durables d’aviation : est-ce que vous pouvez préciser le calendrier de structuration des nouvelles filières ? Quelles sont les recherches en cours sur les énergies alternatives pour le secteur aérien ?

M. Bernard Deflesselles, rapporteur. L’avion solaire est en fait un avion électrique, qui reste soumis aux mêmes contraintes de masse. Le soleil est une énergie intermittente et il ne sera pas possible de se passer des batteries. Il ne faut pas s’imaginer que nous construirons des avions commerciaux propulsés à l’énergie solaire.

Mme Nicole le Peih, rapporteure. Nous avons effectué de nombreuses auditions et je peux vous confirmer que personne ne nous a sérieusement parlé d’avion solaire. Cela n’empêchera pas de développer des petits avions électriques à batteries, comme je l’ai dit, et de développer de nouveaux carburants et matériaux.

Lors de la COP 25 à Madrid, j’ai rencontré un chef d’entreprise qui travaille sur de nouveaux types d’acier, notamment à injection d’oxygène, dont la chaîne de valeur s’étend de la Suède jusqu’en Espagne. Son objectif est de baisser de 30 % le poids des avions de ligne. De nouvelles perspectives d’avenir se dessinent autour de cette industrie et force est de constater que l’Europe est un acteur de premier plan de ces changements.

En réponse à Didier Quentin, les recherches en matière de biocarburants portent actuellement sur les algues. La « troisième génération » de biocarburants sera disponible sur le marché d’ici la fin de la décennie.

M. Bernard Deflesselles, rapporteur. Je réponds à la présidente à propos des financements publics. La création d’un PIIEC, c’est-à-dire d’un cadre dérogatoire au régime des aides d’Etat, est ici justifié par le fait que le secteur aéronautique exige des financements très importants, avec un niveau de risque élevé – on se souvient de l’échec commercial de l’A380, malgré toutes ses qualités – et un délai de retour sur investissement très long. De plus, l’aéronautique est un secteur très concentré, qui ne concerne que quelques Etats membres. La concurrence ne se joue pas entre les pays européens, mais entre l’Europe et le reste du monde.

Mme Nicole le Peih, rapporteure. En réponse à Liliana Tanguy, la limite au développement de biocarburants est celle de la disponibilité de la matière première. Nous ne pourrons évidemment pas convertir une grande partie des terres agricoles françaises pour y produire du colza. Il n’est pas non plus souhaitable d’importer des carburants durables issus de la déforestation.

L’enjeu se situe dans la recherche et l’innovation pour développer de nouveaux carburants dits « synthétiques » dont la matière première est quasiment illimitée, parce qu’elle repose sur l’eau et l’électricité. En France, nous avons les compétences nécessaires afin de contribuer à la décarbonation de la filière. Peut-être pouvons-nous encourager, comme la Norvège et la Suède, les avions électriques pour les liaisons intérieures.

M. Bernard Deflesselles, rapporteur. L’Europe est en train de se faire dépasser sur le secteur de l’aérospatial, qui a pourtant toujours été un secteur d’excellence. Nous nous faisons dépasser par les États-Unis, le Japon, la Chine, l’Inde. Il ne faut pas qu’il nous arrive la même chose dans le domaine de l’aviation. Il faut absolument construire en Europe une filière d’excellence sur les nouveaux carburants : il ne faut pas perdre la compétition mondiale qui s’annonce.

 

La Commission a autorisé le dépôt du présent rapport d'information en vue de sa publication.

 

 


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   annexes


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   annexe n° 1 :
Liste des personnes auditionnées par les rapporteurs

 

Le 21 septembre 2021, vos rapporteurs se sont déplacés à Toulouse pour visiter les sites de production d’Airbus et rencontrer ceux qui sont en train de concevoir « l’avion du futur ». Ce déplacement a été l’occasion de rencontrer :

 

 

Vos rapporteurs ont aussi pu rencontrer, à Paris ou en visioconférence, les représentants des organismes suivants :

 

Administration française

Direction générale de l’aviation civile du ministère de la Transition écologique (DGAC)

 

 

Direction générale des entreprises du ministère de l’Économie (DGE)

 

Secrétariat général des affaires européennes (SGAE)

 

Représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne

 

Administrations européennes

Direction générale « Move » de la Commission européenne

 

Direction générale « DEFIS » de la Commission européenne

 

Agence européenne de la sécurité aérienne (AESA)

 


Entreprises du secteur aéronautique

Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS)

 

Boeing

 

Safran

 

SixFoisSept

 


Entreprises et acteurs du secteur de l’énergie

Engie

 

Air Liquide

 

Neste

 

Avril

 

IFP Énergies nouvelles (IFPEN)

 


Aéroports et compagnies aériennes

Union des aéroports français (UAF)

 

Air France-KLM

 

Fédération nationale de l’aviation marchande (FNAM)

 

Syndicat des compagnies aériennes autonomes (SCARA)

 


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   Annexe n° 2 :
synthèse des recommandations

 

Recommandation n° 1 : réhausser le mandat d’incorporation de SAF à 10 % en 2030 au lieu de 5 %, à 35 % en 2040 au lieu de 32 %, et le sous-mandat « carburants synthétiques » à 2 % en 2030 au lieu de 0,7 % et à 10 % en 2040 au lieu de 8 %.

 

Recommandation n° 2 : permettre aux États membres d’imposer des seuils plus ambitieux au niveau national et de compenser s’ils le souhaitent le surcoût induit pour les compagnies aériennes.

 

Recommandation n° 3 : élargir jusqu’en 2030 la liste des carburants d’aviation durables éligibles à d’autres biocarburants de deuxième génération (comme les graisses animales de catégorie 3), quitte à créer pour les échéances 2025 et 2030 un sous-mandat provisoire se restreignant strictement aux carburants initialement visés à l’article 3 de la proposition de règlement.

 

Recommandation n° 4 : à l’article 11 §2 de la proposition de règlement « Refuel EU », préciser que l’amende est assise sur le prix moyen du carburant d’aviation dans les aéroports européens, afin d’établir une corrélation entre le montant de l’amende, le prix des SAF et le niveau du mandat d’incorporation.

 

Recommandation n° 5 : définir par l’intermédiaire de la CEAC une position européenne commune à l’OACI visant à établir un mandat d’incorporation mondial ou du moins un mécanisme de compensation au bénéfice des compagnies aériennes utilisant le plus de SAF.

 

Recommandation n° 6 : soutenir la création par l’AESA et la DG Environnement d’un mécanisme incitatif fondé sur la transparence, tel qu’un « label écologique » applicable à chaque vol, pour encourager les compagnies à incorporer des SAF, justifier auprès des passagers les différences de prix et valoriser l’image des compagnies européennes qui respectent ou surpassent les mandats d’incorporation. Après une phase d’expérimentation reposant sur le volontariat, rendre ce système obligatoire pour tous les vols européens.

 

 

 

 

Recommandation n° 7 : instaurer un volet dédié aux SAF dans l’alliance industrielle sur les carburants renouvelables en cours de création. Utiliser cette alliance pour s’assurer d’une bonne allocation de l’offre afin que les carburants durables bénéficient en priorité au secteur aérien, qui n’a pas la possibilité d’employer à court terme d’autres sources d’énergie.

 

Recommandation n° 8 : affecter une partie des ressources du fonds d’innovation de l’ETS ou d’Invest EU au soutien à la demande de SAF.

 

Recommandation n° 9 : prévoir une exemption au régime de prohibition des aides d’État afin de permettre aux États membres de soutenir à certaines conditions l’offre de SAF.

 

Recommandation n° 10 : envisager de doter l’Union européenne d’une capacité propre de certification des carburants d’aviation, confiée par exemple au CEN, à l’EUROCAE ou à l’AESA. Dans un premier temps, évaluer avec précision les surcoûts induits et les avantages à en attendre pour les producteurs européens de SAF.

 

Recommandation  11 : constituer un troisième volet « infrastructures » au sein du « projet important d’intérêt européen commun » (PIIEC) hydrogène en cours de création afin de pouvoir s’en servir pour financer les infrastructures aéroportuaires à hydrogène.

 

 

 

 


([1])  Voir par exemple : Leet et al., « The contribution of global aviation to anthropogenic climate forcing for 2000 to 2018 » (2021).

([2])  Les traînées de condensation, formées par la condensation de vapeurs produites par les moteurs sur des particules de suie, peuvent susciter la formation de cirrus et ainsi augmenter la température de l’atmosphère.

([3]) Jean-Marc Jancovici, président de The Shift Project, extrait d’une intervention lors du colloque des 12 et 13 mars 2021 « Transport aérien en crise et défi climatique », cité par Air et Cosmos.

([4])   Le « régime de compensation et de réduction de carbone pour l’aviation internationale » (Carbon Offsetting and Reduction Scheme for International Aviation – CORSIA) est un régime mondial destiné à compenser la fraction des émissions de CO₂ des vols internationaux excédant leur niveau de 2020.

([5])  Le plan de relance aéronautique est doté d’1,5 milliard d’euros pour la période 2020-2022, prélevés sur le programme 362 de la loi de finances. A la fin de l’année 2021, l’enveloppe avait été utilisée à hauteur de 80 %. Les crédits restants seront engagés au printemps 2022.

([6])  Artificiel intelligence Roadmap éditée par l’EASA (février 2020).

([7])  A ce jour, sept procédés de fabrication de SAF sont certifiés pour une incorporation jusqu’à 50 % : Fischer-Tropsch hydroprocessed Synthesized Paraffinic Kerosene ; Hydroprocessed Esters and Fatty ; Acids Synthetic Paraffinic Kerosene ; Fischer-Tropsch Synthetic Paraffinic Kerosene with Aromatics ; Alcohol-to-Jet Synthetic Paraffinic Kerosene ; Catalytic Hydrothermolysis Synthesized Kerosene ; Hydroprocessed Fermented Sugars to Synthetic Isoparaffins ; Hydroprocessed Hydrocarbons, Esters and Fatty Acids Synthetic Paraffinic Kerosene. Une vingtaine d’autres procédés est en cours de certification.

([8])  L’Office national d’études et de la recherches aérospatiales (ONERA), Safran, Dassault et TOTAL (fournisseur du carburant).

([9]) Ministère de la transition écologique et solidaire, Rapport relatif à la Mise en place d’une filière de biocarburants aéronautiques durables en France (2020).

([10]) La directive 2018/2011 Renewable Energy Directive fait suite à une première directive « énergie renouvelable » de 2009 (RED I).

([11])  A partir du 1er janvier 2021. Auparavant, il suffisait que le gain soit de 60 % (article 29 de la directive).

([12])  Depuis la convention de Chicago de 1944, le kérosène est le seul carburant totalement exempt de fiscalité, du moins sur les vols internationaux. Toutefois, plusieurs États membres de l’Union européenne – dont la France – se sont exprimés en faveur d’une taxation directe ou indirecte du kérosène pour les vols intérieurs à l’espace aérien européen. Dans le cadre du paquet « Fit for 55 », la Commission a proposé une révision de la directive 2003/96/CE relative à la taxation de l’énergie pour y réintroduire une taxation du kérosène. Au niveau national, la « taxe incitative relative à l’incorporation de biocarburant » (TIRIB) est une forme indirecte de taxation des carburants conventionnels.

([13]) « Proposition de règlement de Parlement européen et du Conseil relatif à l’instauration des conditions de concurrence pour un secteur du transport aérien durable », présentée le 14 juillet 2021.

([14])  Plus précisément : à Frans Timmermans, vice-président de la Commission en charge du Green Deal, et à Adina Vălean, commissaire en charge des transports.

([15])  « Higher national ambition levels can send a clear signal to producers of SAF and speed up technology readiness, as well as contribute to a swifter transition to green fuels, bringing down costs sooner. Driving down the cost of SAF is necessary to ensuring a swift transition, and will benefit all member states » (lettre envoyée par le Danemark, l’Australie, l’Allemagne, le Luxembourg, la Finlande, les Pays-Bas et la Suède).

([16])  Air France, Easy Jet, Ryanair, KLM…

([17])  ENGIE a annoncé à vos rapporteurs vouloir produire 180 000 tonnes d’e-kérosène à partir de CO₂ biogénique en 2030, en plus de la production à partir de CO₂ conventionnel.

([18])  Les graisses animales de catégories 1 et 2 sont impropres à la consommation pour des raisons sanitaires. Les graisses animales de catégorie 3, de piètre qualité mais éventuellement comestibles, sont essentiellement utilisées pour l’industrie cosmétique et l’alimentation animale.

([19])  Taxe en vigueur en France depuis 2006, également appliquée par d’autres États dans le monde. Le montant de la taxe dépend de la classe et de la destination et son produit est partiellement affecté à l’organisation internationale Unitaid.

([20])  Rapport d’information sur l’avenir de la politique industrielle européenne, présenté par Patrice Anato et Michel Herbillon (mars 2021).

([21])  Par exemple pour l’A350, les chaînes d’assemblage sont ainsi réparties : fuselage à Hambourg, à Saint-Nazaire et à Nantes ; ailes principalement en Angleterre ; empennage en Espagne. L’assemblage final a lieu à Toulouse.

([22])  La direction générale « defense, industry and space » créée en 2020 est compétente pour la totalité de l’écosystème défense, spatial et aéronautique civil.

([23])  Ainsi depuis le 10 janvier, Air France a intégré dans le prix des billets un surcoût de 1 € à 4 € (classe économique), pour répercuter le coût du mandat d’incorporation de 1 % qui existe en France depuis le 1er janvier.

([24])  Le prix de la tonne de CO₂ sur le marché ETS a subi de fortes variations conjoncturelles, passant de 15 € au plus bas en 2020 (contexte de l’épidémie) à un record historique de 90 € à la fin de l’année 2021. Une tonne de kérosène représente un peu plus de 3 tonnes d’émissions de CO₂.

([25])  Directive 2003/87/CE du 13 octobre 2003.

([26])  Article 11 de la proposition de règlement.

([27])  Ainsi, en France, une enveloppe de 200 millions d’euros a été mobilisée dans le cadre de la stratégie d’accélération « Produits biosourcés et biotechnologies industrielles – carburants durables » du 4ème programme d’investissements d’avenir. Cette somme financera les démonstrateurs et les études préalables aux décisions d’investissement.

([28])  Au Royaume-Uni, le Def Stan ; en Russie, le GOST.

([29])  L’AESA a deux missions : la sécurité de l’aviation civile et, depuis la révision en 2019 de son règlement fondateur, la protection de l’environnement. A ce titre, l’AESA est déjà compétente pour la certification des avions et des moteurs.

([30])  « Règlement du Conseil établissant les entreprises communes dans le cadre d’Horizon Europe », article 3.

([31]) Clean Aviation a été créé par le même règlement du 9 novembre 2021 qui a aussi créé Clean Hydrogen.