N° 5123

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 24 février 2022.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES (1)

sur la politique de défense commerciale de l’Union européenne,

ET PRÉSENTÉ

PAR Mme Marguerite DEPREZ-AUDEBERT,

Députée

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(1)   La composition de la commission figure au verso de la présente page.


 

La Commission des affaires européennes est composée de : Mme Sabine THILLAYE, présidente ; MM. Pieyre-Alexandre ANGLADE, Jean-Louis BOURLANGES, Bernard DEFLESSELLES, Mme Liliana TANGUY, vice‑présidents ; M. André CHASSAIGNE, Mme Marietta KARAMANLI, M. Christophe NAEGELEN, Mme Danièle OBONO, secrétaires ; MM. Patrice ANATO, Philippe BENASSAYA, Mme Aude BONO‑VANDORME, MM. Éric BOTHOREL, Vincent BRU, Mmes Mireille CLAPOT, Yolaine de COURSON, Typhanie DEGOIS, Marguerite DEPREZ‑AUDEBERT, M. Julien DIVE, Mmes Coralie DUBOST, Frédérique DUMAS, MM. Pierre‑Henri DUMONT, Jean-Marie FIEVET, Alexandre FRESCHI, Mmes Maud GATEL, Valérie GOMEZ‑BASSAC, Carole GRANDJEAN, Christine HENNION, MM. Michel HERBILLON, Alexandre HOLROYD, Mme Caroline JANVIER, MM. Christophe JERRETIE, Jérôme LAMBERT, Jean-Claude LECLABART, Mmes Constance Le GRIP, Martine LEGUILLE-BALOY, Marion LENNE, Nicole Le PEIH, MM. Thierry MICHELS, Jean-Baptiste MOREAU, Xavier PALUSZKIEWICZ, Jean‑Pierre PONT, Dominique POTIER, Didier QUENTIN, Mme Maina SAGE, MM. Raphael SCHELLENBERGER, Benoit SIMIAN, Mme Michèle TABAROT.

 


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SOMMAIRE

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 Pages

Introduction

I. L’arsenal européen en matière de défense commerciale repose sur trois instruments

A. Les instruments existants

1. Les mesures antidumping

2. Les mesures antisubventions

3. Les mesures de sauvegarde

B. Un déploiement dans le cadre juridique constitué par les accords de l’OMC

1. Les instruments de défense commerciale tirent leur légitimité des accords de l’OMC

2. L’Union européenne va au-delà des exigences des accords de l’OMC

C. Un inégal recours par l’Union de ces instruments, qui se concentrent sur les produits issus de certains pays

1. Une prédominance du recours à l’antidumping.

2. Les facteurs explicatifs de cet inégal recours aux différents instruments

3. Les pays et les produits visés par ces mesures

D. À l’échelle mondiale, on constate un inégal recours aux INSTRUMENTS de defense commerciale par les puissances, en apparence au détriment de l’Union

1. L’Union européenne recourt moins que les autres puissances aux IDC

2. Ce moindre recours ne signifie toutefois pas que l’Union fait preuve de moins de fermeté en la matière

E. Un bilan globalement favorable des mesures de défense commerciale européenne

1. Les mesures de défense commerciale européenne assurent une protection efficace des entreprises

2. Les instruments de défense commerciale sont toutefois sous-utilisés au regard de la manière dont ils pourraient l’être

II. Les instruments de la défense commerciale européenne ont été profondément remaniés à partir de 2017 pour faire face aux changements du monde

A. À un changement de contexte et à un changement de perception des Etats membres des échanges commerciaux…

1. Déclin du multilatéralisme et hausse des tensions commerciales

a. L’élection de Donald Trump

i. La multiplication des droits de douane américains

ii. Une politique de coercition basée sur des menaces de rétorsions commerciales

iii. Le blocage de l’organe de règlement des différends de l’OMC

b. L’affirmation de la Chine

i. Une croissance économique inégalée…

ii. … mais au mépris des règles du commerce mondial

c. L’impact du Brexit

2. Une perception nouvelle des échanges commerciaux par les Européens

a. Une prise de conscience par les dirigeants européens des déséquilibres du commerce international…

b. … doublée d’une perte de confiance des populations dans les vertus de la mondialisation…

… ont conduit à une volonté de renforcer la défense commerciale européenne

B. … a répondu un renforcement des instruments de la défense commerciale européEnne

1. La nouvelle méthodologie antidumping (2017)

2. La modernisation des instruments de défense commerciale (2018)

3. Le procureur commercial

4. Un cadre commun de filtrage des investissements directs étrangers

5. Le règlement dit « enforcement »

III. La défense commerciale européenne paraÎt néanmoins incomplète et plusieurs nouveaux instruments ont vocation à combler ses insuffisances

A. La défense commerciale européenne reste confrontée à des difficultés alors que le contexte actuel est propice à un renforcement des instruments

1. Des difficultés persistantes et nouvelles

a. L’organe de règlement des différends de l’OMC demeure bloqué

b. Les stratégies de contournement des IDC se multiplient

c. Une absence de réciprocité dans l’ouverture des marchés publics aux entreprises

2. Un contexte propice au renforcement des IDC et au réinvestissement du cadre multilatéral

a. Un positionnement nouveau de certains États membres, en partie provoqué par la crise sanitaire

b. L’élection de Joe Biden laisse espérer une relation plus apaisée entre l’Union européenne et les États-Unis et un réinvestissement des États-Unis des instances multilatérales

B. Si vis pacem, para bellum : Dans le cadre d’une nouvelle stratégie commerciale, l’Union européenne cherche à compléter ses instruments de défense commerciale avec des outils plus offensifs, mais toujours dans l’objectif de GARANTIR UN COMMERCE OUVERT ET JUSTE

1. Restreindre l’accès au marché unique des entreprises originaires d’États tiers et massivement subventionnées

2. L’instrument relatif aux marchés publics internationaux

3. L’instrument anti-coercition

4. Des instruments destinés à satisfaire prioritairement d’autres objectifs mais qui permettent, aussi, de se prémunir contre des pratiques commerciales déloyales

a. Des instruments qui renforcent la responsabilité sociale et environnementale des entreprises et instaurent un devoir de vigilance

i. Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières

ii. L’instrument anti-déforestation

iii. L’introduction de clauses miroirs dans les accords commerciaux agricoles

iv. Vers une interdiction des produits issus du travail forcé au sein du marché unique ?

b. Un instrument de réciprocité dans le cadre de la stratégie européenne pour les semi-conducteurs

C. Il s’agit désormais de s’assurer que les réformes envisagées aboutissent et que les instruments existants soient mobilisés

1. De façon générale, profiter de la présidence française de l’Union européenne pour porter les nouveaux instruments en cours d’élaboration

2. Sensibiliser davantage les entreprises à l’existence des instruments de défense commerciale

3. Mieux suivre l’application des instruments de défense commerciale (Cour des comptes européenne)

4. Améliorer le mécanisme européen de filtrage des investissements directs étrangers

5. Prendre conscience du poids du marché unique comme levier de puissance

6. Œuvrer à une réforme de l’OMC

D. Les difficultés qui demeurent

1. Des divergences de vues persistantes entre États membres

2. Quelles réactions des puissances face aux mesures annoncées ?

3. L’absence de perspective d’une réforme de l’OMC

Conclusion : Propositions pour la dÉfense commerciale europÉenne

TRAVAUX DE LA COMMISSION

annexe : Liste des personnes auditionnées par lA rapporteure


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   Introduction

 

 

Mesdames, Messieurs,

Il y a un an, le 18 février 2021, la Commission européenne présentait sa stratégie commerciale pour les années à venir en ces termes : « Une politique commerciale ouverte, durable et ferme ». Si l’Union européenne a toujours été soucieuse d’ouverture – selon l’article 206 du Traité de fonctionnement de l’Union européenne, « l’Union contribue au développement harmonieux du commerce mondial, à la suppression progressive des restrictions aux échanges internationaux et aux investissements étrangers directs, ainsi qu’à la réduction des barrières douanières » – l’ambition de fermeté est, en revanche, nouvelle. L’utilisation et l’élargissement de la défense commerciale européenne ont vocation à accompagner cette volonté de fermeté.

L’attachement de l’Union à l’accroissement des échanges commerciaux est ancien. Il réside dans les gains à l’échange traditionnellement mis en avant : le commerce international est l'un des principaux facteurs de croissance pour l'économie européenne – l'Union étant la première puissance commerciale mondiale –, il favorise la concurrence ainsi que l'innovation et permet de proposer au consommateur un large éventail de biens à des prix inférieurs. De fait, 35 millions d’emplois dépendraient aujourd’hui du commerce en Europe et la Commission estime que 85 % de la croissance mondiale aura lieu hors d’Europe au cours de la prochaine décennie : il est donc indispensable pour l’Union européenne de s’ouvrir au reste du monde. L’épidémie de Covid-19 a également souligné que l’ouverture pouvait être un moyen efficace de réduire la dépendance de l’Union à l’égard de certains biens quand elle permet la diversification des sources d’approvisionnement.

Toutefois, malgré l’ensemble de ces avantages, la politique commerciale doit aussi veiller à ce que les échanges se déroulent de la façon la plus juste possible et, en particulier, à ce que les importations au sein du marché unique ne concurrencent pas de façon déloyale les produits fabriqués par les entreprises européennes : c’est le rôle des instruments de défense commerciale (IDC). Ces instruments, au nombre de trois, ont vocation à être mobilisés dans la plupart des cas lorsque des importations faisant l’objet de dumping ou de subventions se traduisent par la vente, au sein du marché intérieur, de produits étrangers à des prix artificiellement bas, exposant les secteurs concernés à une concurrence déloyale. Les mesures de défense commerciale, en restaurant des conditions de commerce équitables, contribuent ainsi à protéger les entreprises européennes et, donc, des emplois dans l’Union.

Les échanges commerciaux constituant un enjeu mondial, le cadre juridique du recours aux instruments de défense commerciale est défini par des accords de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), dont l’Union européenne est membre. Pour cette raison, la contestation du recours par un partenaire à des mesures de défense commerciale se fait devant les instances de l’OMC, aujourd’hui partiellement paralysées en raison du blocage de l’organe d’appel de l’organe de règlement des différends (ORD).

Si les instruments de la défense commerciale européenne ont fait preuve de leur efficacité et ont, dans certains cas, permis de sauver des secteurs d’activité entiers à l’intérieur de l’Union, la défense commerciale européenne semble aujourd’hui incomplète et de nouveaux instruments, dits autonomes, visent à combler ses insuffisances en permettant, par exemple, de mieux lutter contre les subventions distorsives de concurrence sur les marchés tiers ou d’exiger plus de réciprocité dans les échanges commerciaux. Ces nouveaux outils, sans constituer des instruments de défense commerciale stricto sensu, doivent ainsi permettre à l’Union européenne et à ses États membres, comme les instruments de défense commerciale, de défendre leurs intérêts en l’absence de coopération de leurs partenaires : comme le faisait remarquer Margrethe Vestager lors de la présentation de l’un de ces futurs outils « L’Europe est ouverte mais nos invités doivent respecter nos habitudes » ([1]).

L’instauration de nouveaux instruments ne suffisant pas à garantir des conditions d’échange équitables, leur efficacité déprendra de la capacité de la Commission à s’en saisir.

 

 

 


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I.   L’arsenal européen en matière de défense commerciale repose sur trois instruments

A.   Les instruments existants

Afin de faire face à la concurrence déloyale en matière d’échanges commerciaux et défendre ainsi l’intérêt de ses entreprises, l’Union européenne a recours à plusieurs instruments :

– les mesures antidumping,

– les mesures antisubventions,

– les mesures de sauvegarde.

Ces trois catégories de mesures sont traditionnellement regroupées sous l’expression d’instruments de défense commerciale (IDC) et visent à lutter contre les pratiques commerciales déloyales d'entreprises issues d'États tiers, dans le respect du cadre juridique fixé par l’OMC. Les IDC sont la pierre angulaire de l'action menée par l'Union pour maintenir des conditions commerciales équitables et constituent la nécessaire contrepartie de l’ouverture commerciale européenne. Leur mise en œuvre relève de la Commission européenne, sous le contrôle des États membres.

1.   Les mesures antidumping

L’Union européenne considère qu’un produit fait l’objet d’un dumping lorsque son prix à l’exportation vers l’Union est inférieur au prix comparable pour le produit similaire sur le marché domestique de l’entreprise exportatrice, ou, si ce dernier ne peut servir de référence, si le prix à l’exportation est inférieur aux coûts de production majorés d’un bénéfice raisonnable.

Tout produit faisant l’objet d’un dumping peut être soumis à une procédure antidumping lorsque sa mise en libre pratique dans l’Union européenne cause un préjudice. Toute personne physique ou morale peut porter plainte ; une association n’ayant pas la personnalité juridique mais agissant au nom de l’industrie européenne (par exemple une fédération professionnelle) peut également porter plainte par écrit auprès de la Commission, ou d’un État membre qui la transmet à cette dernière.

L’enquête, qui porte simultanément sur le dumping et le préjudice, est opérée en coopération avec les États membres. Dès l’ouverture de l’enquête, des droits provisoires, d’une durée de six mois, peuvent être appliqués aux produits soupçonnés de faire l’objet de dumping. Si celle-ci démontre les effets négatifs du dumping, la Commission corrige les distorsions par des mesures définitives, qui peuvent prendre des formes variées (voir infra, dans la partie dédiée aux subventions). Les décisions de la Commission sont prises après consultation du Comité des instruments de défense commerciale, composé de représentants des États membres ([2]).

La sanction repose sur la marge de dumping, qui consiste en la différence entre le prix à l’exportation et la valeur supposée normale. Les mesures antidumping sont normalement instituées pour une durée de cinq ans et peuvent être reconduites par périodes de cinq années supplémentaires sur la base d’une enquête de réexamen.

2.   Les mesures antisubventions

Une subvention est une contribution financière d’un gouvernement ou de tout organisme public qui confère au producteur qui en bénéficie un avantage vis-à-vis de ses concurrents.

Cette contribution financière peut revêtir différentes formes. Il peut ainsi s’agir d’un transfert de fonds direct, d’une garantie de prêt, de recettes publiques exigibles non perçues ou encore de l’exécution par un organisme privé de plusieurs fonctions étant du ressort des pouvoirs publics. Un prêt à taux zéro ou un traitement fiscal préférentiel peuvent également être considérés comme des subventions.

Les mesures antisubventions visent dès lors à rétablir des conditions de concurrence équitables lorsque des producteurs étrangers ont bénéficié de subventions ciblées, souvent par les pouvoirs publics du pays d’exportation du produit concerné, leur donnant un avantage par rapport aux producteurs européens.

Une subvention n'est passible de mesures compensatoires (antisubventions) que si elle est « spécifique », c'est-à-dire si elle est accordée par une autorité à une ou plusieurs entreprise(s) spécifique(s) pour la production, l'exportation ou le transport d'un produit.

Une mesure antisubventions prend habituellement la forme d’un droit compensatoire de nature à compenser les effets nuisibles des importations subventionnées et rétablir des conditions de concurrence loyales. Elle doit donc correspondre à la différence entre le prix à l’exportation subventionné et le prix à l’exportation non subventionnée. Dans le détail, on distingue :

-         Les droits d’accise ad valorem, qui consistent à appliquer un pourcentage de la valeur à l’importation du produit concerné au prix final ;

-         Les droits spécifiques, qui consistent à appliquer une valeur fixe pour une certaine quantité de marchandises (par exemple, 100 € par tonne de produits) ;

-         Les engagements de prix, soit l’engagement d’un exportateur à respecter des prix minimaux à l’importation.

La procédure pour aboutir à une telle mesure est identique à celle pour une mesure antidumping. Comme les mesures antidumping également, les mesures antisubventions sont normalement instituées pour une durée de cinq ans et peuvent être reconduites par périodes de cinq années supplémentaires sur la base d’une enquête de réexamen. 

3.   Les mesures de sauvegarde

Des mesures de sauvegarde peuvent, enfin, être adoptées lorsqu’une branche de production est affectée par une hausse imprévue, conséquente et subite des importations. L’adoption de mesures de sauvegarde suppose, en effet, un accroissement des importations d'une ampleur et d'une rapidité telles qu'il menace la survie même du secteur affecté. L’objectif de ces mesures est d’accorder à cette branche de production un répit afin de réduire la pression des importations et de procéder aux changements nécessaires. Elles peuvent prendre la forme d’un relèvement du taux de droit consolidé ou de restrictions quantitatives (avec des contingents répartis entre les principaux pays fournisseurs).

À la différence des droits antidumping et antisubventions, les mesures de sauvegarde s’appliquent erga omnes, c’est-à-dire à l’ensemble des importations d’un produit et non pas aux entreprises de pays spécifiques.

B.   Un déploiement dans le cadre juridique constitué par les accords de l’OMC

1.   Les instruments de défense commerciale tirent leur légitimité des accords de l’OMC

L’Union européenne n’a la capacité de recourir à des instruments de défense commerciale que parce qu’ils s’inscrivent dans le cadre des accords de l’OMC dont elle est membre. Le système commercial multilatéral autorise en effet les pays et l’Union à adopter des mesures restrictives, dans des circonstances toutefois très précises. Les dispositions pertinentes de l’OMC sont l’Accord sur la mise en œuvre de l’article VI de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (dit « Accord antidumping » de l’OMC), l’Accord sur les subventions et les mesures compensatoires (ou « Accord SMC ») et l’Accord sur les sauvegardes. Ces trois textes relèvent tous de l’accord de Marrakech de 1994, qui conclut le cycle d’Uruguay.

L’utilisation des instruments de défense commerciale par l’Union est encadrée par des règlements européens qui mettent en œuvre ces accords de l’OMC. Les principaux textes législatifs de l'Union relatifs aux IDC sont le règlement antidumping de base ([3]) et le règlement antisubventions de base ([4]) de 2016, avec leurs importantes modifications de 2017 ([5]) et de 2018 ([6]). Enfin, les mesures de sauvegardes sont adoptées conformément aux dispositions des règlements n° 260/2009 ([7]) et 625/2009 ([8]).

Pour que des mesures antidumping et/ou antisubventions soient adoptées, les accords de l’OMC exigent que trois conditions soient réunies :

-         l’existence du dumping ou du subventionnement doit être démontrée ;

-         l'industrie européenne concernée doit avoir subi un préjudice ;

-         enfin, l’enquête doit établir l’existence d’un lien de causalité entre le dumping et le préjudice constaté.

2.   L’Union européenne va au-delà des exigences des accords de l’OMC

La réglementation européenne introduit une condition supplémentaire à celles déjà requises par l’OMC : l'institution de mesures ne doit pas être contraire à l'intérêt de l’Union, c’est-à-dire que la Commission doit évaluer si le fait de prendre des mesures de défense commerciale ne porte pas atteinte aux intérêts des importateurs, des utilisateurs du produit ou encore du consommateur final. Selon l’article 21 du règlement antidumping de base, il convient ainsi, « afin de déterminer s'il est de l'intérêt de l'Union que des mesures soient prises, d'apprécier tous les intérêts en jeu pris dans leur ensemble, y compris ceux de l'industrie nationale et des utilisateurs et consommateurs ».

C.   Un inégal recours par l’Union de ces instruments, qui se concentrent sur les produits issus de certains pays

1.   Une prédominance du recours à l’antidumping.

En 2020, 150 mesures de défense commerciale étaient en vigueur dans l’Union européenne. Comme en témoigne le graphique ci-dessous, ce chiffre est resté globalement stable ces dernières années, même si l’on constate une légère tendance à la hausse.

 

Source : rapporteure, à partir des données de la Commission européenne

Dans le détail, sur les 150 mesures de défense commerciale en vigueur à la fin de l’année 2020, 128 étaient des mesures antidumping, 19 des mesures antisubventions et 3 des mesures de sauvegarde. Les mesures antidumping sont donc les plus utilisées puisqu’elles représentent 86 % des mesures, contre 12 % pour les mesures antisubventions et 2 % pour les mesures de sauvegarde.

2.   Les facteurs explicatifs de cet inégal recours aux différents instruments

Si les mesures antisubventions sont très proches dans leur fonctionnement des mesures antidumping, leur moindre application réside dans des raisons techniques : il est, en effet, très difficile pour une entreprise ou une association de démontrer l’existence d’une subvention. De fait, c’est à la Commission qu’incombe, selon les règles de l’OMC, la charge de la preuve de l’existence des subventions et de leur fonctionnement.

Ainsi, à titre d’exemple, selon le dernier rapport annuel de la Commission européenne sur l’utilisation des instruments de défense commerciale ([9]), « le gouvernement chinois subventionne ses entreprises d’une myriade de façons, et le manque de transparence rend leur identification difficile. » La Chine se défend de volontairement entretenir ce flou, prétextant être un pays en voie de développement manquant de moyens administratifs. L’absence de sanction prévue au sein de l’OMC en cas de non-notification de subventions ne donne pas non plus d’incitation à Pékin pour accroître sa transparence en la matière. Il est alors pratiquement impossible pour l’Union européenne d’identifier toutes les subventions indirectes de par leur caractère protéiforme : les prêts accordés par des fonds publics à des taux dépréciés ou les commandes réalisées auprès d’entreprises chinoises privées par des entreprises d’État à des prix gonflés constituent autant de subventions difficilement caractérisables en pratique. Plus largement, l’Union ne dispose pas des capacités opérationnelles nécessaires pour identifier et tracer l’ensemble des pratiques distorsives de la Chine. La Commission n’a en effet pas d’équipe sur le sol chinois qui serait spécifiquement chargée de recueillir ces informations.

La faible utilisation des mesures de sauvegarde est, quant à elle, liée au fait que, s’appliquant à un produit – et donc à tous les producteurs de ce produit –, il est délicat pour l’Union de s’en prendre à un ensemble de partenaires, alors même que la hausse des importations est souvent due à la hausse de la production d’un pays en particulier.

3.   Les pays et les produits visés par ces mesures

Plus de 80 % des mesures de défense commerciale prises par l’Union européenne se concentrent sur seulement 4 pays, au premier rang desquels la Chine. Ainsi, en 2020, les mesures de défense commerciale de l’Union ont concerné en priorité les importations en provenance de la Chine (99 mesures), la Russie (9 mesures), l’Inde (7 mesures) et des États-Unis (6 mesures). La Chine est donc, à elle seule, la cible de deux tiers des mesures. L’année 2022 s’inscrit, pour le moment, dans la même tendance, la Chine étant, de loin, le pays contre lequel l’Union a eu le plus recours à ses instruments de défense commerciale.

 

Source : rapporteure, à partir des données de la Commission européenne

Dans la plupart des cas, ces mesures de défense ciblent des produits industriels plutôt que des produits de consommation, à l’exception notable des bicyclettes (voir infra).

 

mesures par catégorie de produit

 

D.   À l’échelle mondiale, on constate un inégal recours aux INSTRUMENTS de defense commerciale par les puissances, en apparence au détriment de l’Union

1.   L’Union européenne recourt moins que les autres puissances aux IDC

Selon l’OMC ([10]), au 31 juin 2021, 1972 mesures antidumping étaient en vigueur dans le monde. Les États-Unis étaient, de loin, le pays qui présentait le plus grand nombre de mesures antidumping en vigueur avec 455 mesures, suivis de l’Inde (196), le Brésil (144), la Chine (133), la Turquie (131), l’Argentine (114), le Canada (110) et l’Union européenne (99). L’Union européenne est donc la huitième puissance à recourir le plus aux mesures antidumping – dans des proportions respectivement quatre et deux fois moins importantes que les États-Unis et l’Inde –, et ce, alors même que l’Union est le deuxième importateur de biens de la planète.

Les chiffres sont particulièrement frappants lorsque l’on compare l’Union aux États-Unis dans la mesure où les deux présentent un volume d’importation de marchandises en provenance du reste du monde similaire. Ainsi, avant même l’investiture de Donald Trump en 2016, le nombre de mesures de défense commerciale en vigueur aux États-Unis (antisubventions et antidumping réunies) était presque trois fois plus important qu’en Europe (375 mesures contre 128 en 2016).

comparaison EUA UE

 

L’Union européenne ne recourt pas seulement moins aux IDC que les autres pays, elle est, en outre, de plus en plus visée par les mesures de défense commerciale de ses partenaires. Globalement, depuis quelques années, alors que le commerce international fait l’objet de tensions entre les puissances, les pays ont recouru de façon plus fréquente aux IDC, y compris contre l'Union européenne. Si les États-Unis constituent le principal plaignant, la répartition géographique des dossiers de défense commerciale a récemment évolué, puisque davantage de pays ont recours aux IDC (c'est le cas, par exemple, de la Colombie, de Madagascar et de certains États du Golfe).

Par ailleurs, ce moindre recours aux IDC se double d’une fixation de droits, par l’Union, en moyenne moins élevés que ses partenaires. Une étude du CEPII ([11]) faisait ainsi remarquer en 2016 que les droits antidumping étaient plus élevés aux États-Unis que dans l’Union, à l’égard des produits en provenance de Chine mais également à l’égard de ceux en provenance de pays à économie de marché. Entre 2002 et 2016, les droits antidumping américains à l’encontre des produits chinois s’élevaient en moyenne à 162 % contre 43 % pour les droits européens, avec respectivement un maximum de 430 % et 91 %. Pour les pays à économie de marché, les droits antidumping américains étaient également plus élevés sur la période (33 % en moyenne, contre 21 % dans l’Union). La règle du droit moindre, appliquée par l’Union européenne, explique notamment cette différence : selon cette règle, quand une enquête antidumping conclut à l’existence d’un dumping, l’Union européenne n’applique pas des droits égaux à la marge de dumping – ce qu’autorisent les accords de l’OMC – mais seulement des droits à hauteur du préjudice subi par les producteurs européens.

2.   Ce moindre recours ne signifie toutefois pas que l’Union fait preuve de moins de fermeté en la matière

Le moindre recours de l’Union aux instruments de défense commerciale s’explique d’abord par le fait que l’Europe a longtemps présenté un front désuni sur ce sujet, avec une ligne de fracture entre deux blocs d’États membres. D’un côté, les pays du « Nord » s’opposent traditionnellement au recours à de tels instruments, considérant qu’il s’apparente à une forme de protectionnisme. De l’autre, les pays du « Sud » ont plus volontiers tendance à vouloir protéger leurs industries grâce aux instruments de défense commerciale. Au-delà de cette divergence d’opinion, il est, de manière générale, plus difficile de décider de l’instauration d’une mesure à 27 plutôt que seul, même si l’unanimité n’est pas requise.

L’explication du moindre recours s’explique ensuite par le fait que, comme indiqué précédemment, l’Europe a « surtransposé » les règles multilatérales de l’OMC en ajoutant, par exemple, le critère dit d’« intérêt de l’Union », qui requiert la prise en compte des intérêts de l’ensemble des parties, c’est-à-dire non seulement des producteurs de l’Union mais aussi des importateurs, des industriels des filières amont et aval ainsi que des consommateurs finaux.

Enfin et, surtout, la marque de fabrique de l’Union reste sa volonté de recourir prioritairement au dialogue, ce qui explique qu’elle ne mobilise ses IDC qu’en dernier recours. L’Union européenne a également signé un très grand nombre d’accords commerciaux avec le reste du monde qui font qu’il est délicat, dans ces conditions, de s’en prendre à des partenaires en frappant leurs produits de droits.

En outre, la comparaison avec les États-Unis n’est pas forcément pertinente. En effet, si les États-Unis adoptent un plus grand nombre de mesures c’est d’abord parce qu’ils sont moins dépendants de l’extérieur. L’approche des deux puissances en matière de défense commerciale est aussi différente : les États‑Unis ont tendance à imposer de très nombreuses mesures à leurs partenaires quitte à être déboutés ensuite par l’OMC tandis que l’Union n’impose de mesures que lorsqu’elle est certaine de leurs fondements ([12]). Cette attitude, loin de relever d’un manque de fermeté, vise à assurer une stabilité réglementaire pour les entreprises européennes. Enfin, l’Union européenne et les États-Unis n’opèrent pas le même arbitrage entre producteurs et consommateurs : les États-Unis font traditionnellement le choix de protéger les travailleurs tandis que l’Union a longtemps eu une vision centrée sur le consommateur (un produit faisant l’objet de dumping est certes préjudiciable pour les entreprises européennes mais présente un coût moindre pour le consommateur, ou pour une entreprise s’il s’agit d’un intrant).

E.   Un bilan globalement favorable des mesures de défense commerciale européenne

1.   Les mesures de défense commerciale européenne assurent une protection efficace des entreprises 

Les mesures de défense commerciale de l'Union sont efficaces pour réduire les pratiques commerciales internationales déloyales, en ce que les droits antidumping ou antisubventions imposés par la Commission entraînent en moyenne une diminution de 80 % des importations déloyales. A titre d’exemples, les droits en vigueur dans l’Union permettent de réduire les importations de papier thermosensible en provenance de Corée de 90 % ou celles d’acier en provenance de Biélorussie de 86 % d’après la Commission ([13]). Les services de la Commission estimaient également qu’en 2020 le nombre d’emplois direct protégés par ces mesures s’élevait à 343 000.

En outre, selon un rapport publié par la Cour des comptes européenne relatif aux instruments de défense commerciale ([14]), les enquêtes menées par la Commission ont donné lieu en temps opportun à l'adoption de mesures visant à protéger un certain nombre de secteurs d'activité européens contre les pratiques commerciales déloyales de pays tiers : autrement dit, les mesures de défense commerciale ont été prises suffisamment tôt pour que les producteurs européens n’aient pas été affectés d’une telle manière qu’ils n’auraient pas pu survivre à la concurrence déloyale. Surtout, ce rapport souligne que les calculs et les analyses de la Commission sous-tendant les mesures prises sont valables, de sorte que les mesures de défense commerciale européenne sont, in fine, très peu annulées lorsqu’elles sont contestées. La Commission a pris des dispositions organisationnelles pour garantir que ses pratiques tiennent pleinement compte de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne ou de l’OMC. L’Union épargne ainsi aux entreprises des secteurs concurrencés de façon inéquitable une instabilité réglementaire qui leur serait dommageable.

 

 

Un exemple de protection réussie : l’industrie du vélo

L’industrie du vélo est un bon exemple de l’impact bénéfique des IDC pour les entreprises européennes : sans ces mesures, la production aurait probablement cessé en Europe. Les mesures de défense commerciale sur les bicyclettes traditionnelles et les pièces détachées ont également été essentielles pour permettre aux fabricants de vélos de l'Union d'investir dans la production de modèles électriques et de la développer.

L’Union européenne a adopté très tôt des mesures de protection à l’encontre des producteurs chinois, principaux concurrents des fabricants européens. En 1991, la Commission européenne est saisie d’une plainte de la Fédération européenne des fabricants de bicyclettes qui voient leurs parts de marché en Europe chuter alors que les vélos chinois concurrencent massivement et de façon inéquitable leurs produits. En 1993, un premier règlement d’exécution mettant en place un droit antidumping est adopté : il instaure des droits antidumping à hauteur de 30,6 % sur les importations de bicyclettes originaires de Chine. En 1997, ce droit antidumping est étendu aux importations de certaines parties de bicyclettes originaires de Chine et, en 2013, l’Union européenne a augmenté le droit antidumping jusqu’à 48,5 % sur les importations de ces produits.

La Chine a essayé de contourner les taxes européennes en installant de fausses installations de montage dans des Etats tiers depuis lesquels elle exportait vers le marché européen. Pour cette raison, la Commission européenne a élargi, en 2013 puis en 2015, les droits antidumping aux importations en provenance d’Indonésie, de Malaisie, de Sri Lanka, de Tunisie, du Cambodge, du Pakistan et des Philippines. En 2019, la Commission européenne a reconduit les droits antidumping pour cinq ans.

2.   Les instruments de défense commerciale sont toutefois sous-utilisés au regard de la manière dont ils pourraient l’être

La rapporteure déplore que les mesures de défense commerciale soient concentrées sur un nombre limité de secteurs d’activité. En effet, l'utilisation des IDC est surtout le fait de quelques grands secteurs d'activité : 50 % des mesures en place fin 2018 concernaient les métaux et les produits métalliques, et 16 %, des produits chimiques.

Si ces chiffres reflètent certes l’existence d’un dumping ou de subventions particulièrement avérées dans certains secteurs, il n’en demeure pas moins que cette concentration des mesures dans des secteurs précis laisse penser que certaines industries sont plus familières que d’autres à l’existence d’IDC, ce qui pose la question de la connaissance de ces outils et de leur accessibilité auprès de l’ensemble des entreprises. Certains secteurs, peut-être exposés, sont ainsi potentiellement non protégés faute d’avoir connaissance de l’existence de ces instruments.

La Cour des comptes européenne regrettait également dans son rapport de 2020 que la Commission n'exploite pas pleinement le potentiel des outils de surveillance et de suivi. Or, toute mesure imposée n'est efficace que si les droits sont finalement perçus tant que persistent les pratiques commerciales déloyales ou si les conditions particulières fixées (un prix minimal ou un quota sur les quantités par exemple) sont respectées ; sans cette stricte application des mesures prises, le risque est alors de voir les pratiques commerciales déloyales constatées non corrigées et/ou demeurer.

II.   Les instruments de la défense commerciale européenne ont été profondément remaniés à partir de 2017 pour faire face aux changements du monde

A.   À un changement de contexte et à un changement de perception des Etats membres des échanges commerciaux…

1.   Déclin du multilatéralisme et hausse des tensions commerciales

a.   L’élection de Donald Trump

i.   La multiplication des droits de douane américains

Le 8 novembre 2016, à la surprise générale, Donald Trump est élu 45e président des États-Unis. Tout au long de sa campagne, il a promis de faire passer « l’Amérique d’abord » (America first), c’est-à-dire avant les intérêts du reste du monde. L’une des traductions concrètes de ce slogan va se traduire par la volonté du nouveau président américain de lutter contre le déficit commercial du pays qu’il considère comme un aveu de faiblesse (un déficit record de 566 milliards de dollars est enregistré en 2017). Selon lui, résorber le déficit commercial en réduisant les importations doit permettre de faire travailler davantage les entreprises américaines et, dès lors, préserver l’emploi dans le pays. Le président américain a, ainsi, fait en sorte, au moyen de droits de douane, de renchérir le coût des produits importés afin que les produits américains deviennent comparativement plus intéressants financièrement.

Le président nouvellement élu va, en particulier, invoquer l’argument de la sécurité nationale pour mettre en place, de manière unilatérale, des droits de douane supplémentaires sur une série de produits en provenance de Chine mais également d’alliés proches comme l’Union européenne. Ainsi, en 2018, sont entrées en vigueur aux États-Unis des surtaxes de respectivement 10 % et 25 % sur les importations d’aluminium et d’acier en provenance de l’Union européenne, du Canada et du Mexique. Pour justifier cette offensive, l'administration américaine s’est appuyée sur l'article 232 de la loi sur l'expansion commerciale de 1962. Ce texte autorise les autorités américaines à limiter l'importation de certains produits si le département du Commerce y voit une menace pour la sécurité intérieure. En l’espèce, ces importations ne faisaient peser aucune menace sur les États-Unis et Donald Trump a utilisé ce prétexte de manière abusive.

Dans le cadre du conflit opposant Airbus à Boeing, l’administration américaine a également profité d’un jugement de l’OMC de 2019 reconnaissant que le constructeur aéronautique européen avait bénéficié de subventions indues pour prendre des sanctions records à l’égard des importations européennes. Des droits de douane supplémentaires de 10 % sur les avions importés de l’Union ou de 25 % sur des produits alimentaires comme le vin, le fromage, le café et les olives ont ainsi été appliqués pour un total de 7,5 milliards de dollars de droits nouveaux. La majeure partie des sanctions visait les importations en provenance de la France, de l'Allemagne, de l'Espagne et du Royaume-Uni, les quatre pays à l'origine des subventions illégales accordées à l'avionneur européen. À la toute fin de son mandat, l’administration Trump a imposé des droits de douane supplémentaires dans le cas de ce différend sur des produits européens. Cette nouvelle offensive visait des produits français et allemands, comme des pièces détachées aéronautiques, des vins non pétillants ou encore le cognac.

ii.   Une politique de coercition basée sur des menaces de rétorsions commerciales

Le président américain a également menacé à de très nombreuses reprises de recourir à des mesures de défense commerciale supplémentaires pour inciter les Européens à renoncer à certaines décisions qu’ils envisageaient de prendre. Il a ainsi exprimé son intention en 2018, toujours en vertu de l'article 232 de la loi sur l'expansion commerciale de 1962, d’imposer des tarifs douaniers de l’ordre de 25 % sur les importations de voitures en provenance de l’Union si cette dernière répliquait à la décision américaine d’imposer des droits de douane sur l’acier et l’aluminium ; il s’agissait aussi pour le président américain de se poser en défenseur de l’industrie automobile, symbole de l’industrie manufacturière des États-Unis. Cette décision aurait été tout sauf anodine puisque ces taxes auraient fortement pénalisé l’Allemagne qui est la première puissance exportatrice de l’Union européenne.

Le président américain a également menacé d’appliquer de nouveaux droits de douane en rétorsion à la création par la France de la taxe dite GAFA en 2019. Après l’échec d’un projet européen en 2018, la France a en effet adopté une taxe sur les services numériques qui s’applique, dans les faits, essentiellement aux « géants du numérique » américains. Alors que le projet a rapporté 350 millions d’euros en 2019, l’administration Trump avait menacé de surtaxer jusqu’à 100 % des produits français comme le champagne, le fromage ou des produits de beauté, à hauteur de 1,3 milliard de dollars.

iii.   Le blocage de l’organe de règlement des différends de l’OMC

Enfin, Donald Trump a fait en sorte, en empêchant la nomination de nouveaux juges auprès de l’organe d’appel, de bloquer le système de règlement des différends de l’OMC.

Créée en 1995 à l’issue du cycle de l’Uruguay, l’OMC est chargée de la mise en œuvre de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (General Agreement on Tariffs and Trade, GATT) signé en 1947 pour favoriser les échanges commerciaux. Depuis sa création en 1995, elle s’était imposée comme une institution centrale du système mondial d’échanges, l’adhésion de la Chine en 2001 et de la Russie en 2012 n’ayant fait que renforcer le rôle de l’institution. Cependant, en raison du blocage de l’organe d’appel du mécanisme de règlement des différends, l’institution fait actuellement face à une crise sans précédent. Depuis 2016, les États-Unis se sont en effet opposés systématiquement à la nomination de nouveaux juges au sein de l’organe d’appel de l’ORD conduisant, de facto, à sa paralysie : depuis décembre 2019, il ne reste plus qu’un seul juge au sein de l’organe d’appel alors que le quorum de fonctionnement est fixé à trois juges minimum.

Les États-Unis reprochent à l’OMC d’avoir été incapable d’assurer le respect des règles du commerce international par tous les États, en particulier la Chine. Ils considèrent aussi que l’organe de règlement des différends a pris trop de place en développant, par exemple, une véritable jurisprudence alors qu’il n’avait vocation à n’intervenir initialement que ponctuellement.

En raison du blocage des nominations, l’organe d’appel n’est donc plus en mesure de statuer sur les cas qui lui sont soumis, si bien qu’en faisant appel de la décision en première instance du panel d’experts de l’ORD constitué lorsque deux pays ont un litige commercial, des membres de l’OMC pourront éviter des décisions contraignantes et se soustraire à leurs obligations (on dit alors qu’ils « font appel dans le vide »). Or, l’ORD est précisément le lieu pour contester des pratiques concurrentielles déloyales.

b.   L’affirmation de la Chine

i.   Une croissance économique inégalée…

En près de quatre décennies, le PIB chinois a été multiplié par 37, passant de 305 milliards de dollars en 1980 à 12 725 milliards de dollars en 2017. Le pays affichait ainsi un taux de croissance annuel moyen (TCAM) de plus de 10 % par an sur la période. La Chine est, surtout, devenue le premier pays exportateur de biens et services au monde avec un volume de près de 2 500 milliards de dollars d’exportations en 2017 ([15]).

Cette croissance a été portée par l’adhésion du pays à l’OMC, dont on a célébré le vingtième anniversaire l’année dernière, après quinze longues années de négociation avec les États-Unis et l'Union européenne. Alors que les puissances occidentales y voyaient un moyen d'accéder à un marché d’un milliard d’habitants et de faire converger l'économie chinoise vers l'économie de marché, le constat est aujourd'hui tout autre. La Chine a, en effet, su tirer profit des règles de l'organisation pour rattraper – et même dépasser – les autres puissances, en devenant « l'usine du monde », et le rapport de force avec les pays développés a évolué, comme en témoigne le bras de fer sur la production des panneaux photovoltaïques qui s'est soldé par un grand recul des Européens dans le secteur (voir infra).

ii.   … mais au mépris des règles du commerce mondial

Le régime chinois a accru son influence internationale sans se préoccuper du respect des pratiques du commerce international. Malgré les engagements pris lors de son accession à l’OMC, la Chine a encore recours à un nombre important de pratiques commerciales distorsivesau premier rang desquelles les subventions – comme en témoigne la longue liste des doléances soulevées par les membres de l’OMC à l’occasion du dernier examen de politique commerciale chinoise. De fait, si au cours des dix années qui ont suivi son adhésion à l'OMC, les États ont assisté à une convergence de l’économie chinoise avec le système d’économie de marché, en particulier une réduction du poids des entreprises sous contrôle d'État dans le PIB chinois, les dix années suivantes ont été marquées par une remontée de ce poids de 15 % à 30 % du PIB. Dans un article intitulé « The ‘China, Inc.’ challenge to global trade governance » ([16]), Marc Wu emploie ainsi l’expression « China Inc. » pour souligner l’imbrication forte de l’État et du Parti communiste dans l’économie chinoise et les problèmes posés par cette imbrication pour l’équité des échanges mondiaux. Pékin a réaffirmé ce modèle économique dans le 14e plan quinquennal (2021-2024) paru en mars 2021, dans lequel les entreprises d’état (SOE, State-Owned Enterprises) voient leur rôle conforté.

Pour l’ensemble de ces raisons, l’approche générale de l’Union européenne consiste à considérer la Chine depuis 2019 à la fois comme « un partenaire de coopération, un concurrent économique et un rival systémique » ([17]).

c.   L’impact du Brexit

Dans une moindre mesure, le choix opéré par les Britanniques, le 23 juin 2016, de quitter l’Union européenne a aussi pu contribuer à conforter l’Union et ses États membres de la nécessité de repenser leur défense commerciale alors qu’ils allaient devoir traiter avec un nouveau partenaire commercial, situé directement à leurs frontières et, à l’époque, cinquième puissance économique mondiale. L’un des enjeux du Brexit était, en particulier, de se prémunir d’une concurrence déloyale du Royaume-Uni qui, en tant que pays non membre de l’Union européenne, ne serait donc plus soumis au cadre applicable en matière d’aides d’État. L’enjeu était tout sauf négligeable alors qu’en 2017 les exportations de marchandises du Royaume-Uni vers l’Union européenne représentaient 180 milliards d’euros.

2.   Une perception nouvelle des échanges commerciaux par les Européens

a.   Une prise de conscience par les dirigeants européens des déséquilibres du commerce international…

Plusieurs facteurs ont favorisé la prise de conscience des dirigeants européens de la nécessité de rééquilibrer les échanges commerciaux dans un sens plus favorable pour l’Union. Toutefois, certains évènements ont fait prendre conscience, plus que d’autres, de la nécessité pour les Européens de se protéger davantage des pratiques inéquitables. À cet égard, l’insuffisante fermeté de l’Europe dans le cas de l’industrie photovoltaïque a conduit à infléchir très nettement la position de l’Allemagne en matière de défense commerciale, où l’industrie locale a été sévèrement affectée par le dumping des exportateurs chinois au début des années 2010. La Chine a massivement subventionné les industriels de ce secteur en utilisant des canaux variés tels que des crédits à taux préférentiels ou encore un accès favorisé aux terrains de l'État ; forts de ces avantages, les industriels chinois ont inondé le marché européen à tel point que, lorsque les premières enquêtes européennes ont été ouvertes, en 2012, il était trop tard et l’industrie européenne avait quasiment disparu. Il s’agissait, en effet, à l’époque, de la plus importante plainte antisubventions jamais déposée puisque la Chine avait exporté vers l’Europe, en 2011, des panneaux solaires et des composants nécessaires à leur fabrication pour un montant de 21 milliards d’euros. La Chine représente aujourd’hui 70 % de la production photovoltaïque mondiale.

Cette prise de conscience des dirigeants européens de la nécessité de se protéger a également été renforcée par l’affaire dite Kuka, en Allemagne toujours. En 2016, le rachat par le groupe Midea de cette entreprise de robotique allemande pour 4,6 milliards d’euros avait provoqué un véritable émoi dans le pays et fait craindre une perte de savoir-faire au point d’entraîner, l’année suivante, la naissance d’un dispositif censé protéger les entreprises jugées stratégiques des offres publiques d’achat (OPA).

Sans épuiser la liste des facteurs explicatifs du changement d’attitude des dirigeants européens, ces deux exemples ont agi comme révélateurs de la vulnérabilité de nos industries face aux ambitions de nos « partenaires » commerciaux.

b.   … doublée d’une perte de confiance des populations dans les vertus de la mondialisation…

À la prise de conscience des dirigeants européens du besoin de rééquilibrer le commerce international en faveur des intérêts européens, s’est ajoutée une défiance croissante des opinions publiques, notamment française ([18]), envers l’intégration commerciale. En effet, s’il existe un consensus pour reconnaître le gain global à commercer, force est de constater que les bénéfices issus de la mondialisation n’ont pas été également répartis entre les pays et à l’intérieur des pays. Certains territoires de pays développés ont ainsi été particulièrement exposés aux délocalisations et pertes d’emplois afférentes, donnant le sentiment que l’Europe n’a pas su protéger ses citoyens. Cette défiance croissante des Européens envers la mondialisation a, dès lors, alimenté un besoin accru de protection.

… ont conduit à une volonté de renforcer la défense commerciale européenne

Renforcer les capacités de l’Union européenne à faire valoir les intérêts des entreprises européennes de façon plus systématique, plus rapide et plus efficace et à obtenir le respect des règles découlant du système multilatéral et des accords commerciaux bilatéraux est ainsi devenu un véritable projet politique au cœur des ambitions de la Commission Juncker, poussée dans cette voie par les États membres.  

Cette volonté politique est très clairement affirmée dans les discours sur l’État de l’Union du Président Juncker de 2016 et 2017. Dans son discours de 2016, il en appelait ainsi à « tous les États membres et à ce Parlement [le Parlement européen] pour qu’ils soutiennent la Commission dans le renforcement de nos instruments de défense commerciale. Nous ne devons pas être des partisans naïfs du libre-échange, mais être capables de réagir au dumping avec la même fermeté que les États-Unis. » Dans celui de 2017, il affirmait, cette fois, que : « L'Europe est ouverte au commerce, oui. Mais réciprocité il doit y avoir. Il faudra que nous obtenions autant que ce que nous donnons. »

B.   … a répondu un renforcement des instruments de la défense commerciale européEnne

1.   La nouvelle méthodologie antidumping (2017)

Le 9 novembre 2016, la Commission européenne a proposé une nouvelle méthodologie de calcul du dumping pour les importations en provenance de pays où il existe des distorsions significatives du marché. En particulier, la nouvelle méthodologie prévoit de mieux tenir compte des éventuelles interventions d’un État tiers pour fausser les prix ou les coûts sur son marché intérieur.

Cette nouvelle méthodologie se voulait en réalité une réponse à la sortie de la Chine en 2016, dans la classification de l’OMC, de la catégorie des pays à économies administrées, dans laquelle le pays avait été classé lors de son accession à l’OMC en 2001. Depuis 2016, la Chine est, en effet, considérée, au sein de la classification de l’OMC, comme une économie de marché et, doit, dès lors, être traitée de la même manière que le reste des pays relevant de cette catégorie (les règles antidumping prévoient un traitement différencié selon l’appartenance à telle ou telle catégorie, les pays dont l’économie est considérée comme étant administrée faisant l’objet de contraintes plus fortes). Toutefois, l’Union européenne a considéré que l’intervention de l’État chinois dans l’économie du pays était encore trop substantielle pour ne pas être prise en compte. La nouvelle méthodologie permet ainsi, sans discriminer directement la Chine car elle s’applique à tous les pays non membres de l’Union européenne et membres de l’OMC, de mieux tenir compte de l’intervention des États, dans leur globalité, dans leurs économies.

La nouvelle méthode consiste à considérer comme distorsions des interventions étatiques à la suite desquelles les prix et les coûts (notamment des matières premières et de l’énergie) ne sont pas déterminés par le libre jeu des forces du marché. Si l’intervention de l’État dans l’économie fausse les prix ou les coûts sur le marché intérieur, par exemple en raison de la présence de l’État dans des entreprises, la Commission ne tient alors pas compte de ces prix et les remplace par d’autres valeurs de référence reflétant des coûts de production et de vente non-faussés. Pour déterminer valeurs de référence non faussés, la Commission européenne peut notamment se baser sur les informations suivantes :

-         Les coûts de production et de vente correspondants dans un pays représentatif approprié ayant un niveau de développement économique semblable ;

-         Les coûts sur le marché intérieur, mais uniquement si des preuves permettent d'établir que ces coûts ne sont pas faussés.

Pour disposer des informations nécessaires à l’application de cette nouvelle méthodologie, des rapports décrivant l’économie de certains pays sont depuis élaborés afin d’alimenter les enquêtes. Les pays faisant l’objet d’un rapport sont sélectionnés en fonction de leur importance relative dans l’activité antidumping de l’Union et l’existence d’indices tendant à montrer qu’il existe des distorsions liées à l’intervention de l’État dans l’économie. Le premier rapport a porté sur la Chine en 2017, qui concentre l’essentiel de l’activité antidumping, et le second sur la Russie en 2020.

2.   La modernisation des instruments de défense commerciale (2018)

Au-delà de la nouvelle méthodologie antidumping, propre aux mesures antidumping, les instruments de défense commerciale ont été, dans l’ensemble, modernisés en 2018. L’objectif affiché était alors de mettre en œuvre ces instruments de façon plus rapide, plus efficace et plus transparente. Les instruments de défense commerciale de l'Union n'avaient, en effet, pratiquement pas changé depuis les accords de l’OMC en la matière, c’est-à-dire depuis le milieu des années quatre-vingt-dix. S’ils avaient fait leurs preuves, leur actualisation était nécessaire pour préserver leur efficacité face aux nouveaux défis mondiaux (cf supra), par exemple les différentes surcapacités au niveau mondial pour des produits tels que l'acier et l'aluminium.

Concrètement, la modernisation des instruments de défense commerciale permet à l’Union :

-         de réaliser ses enquêtes de manière plus rapide et plus efficace : la fixation de mesures provisoires intervient dans un délai de sept à huit mois, contre neuf auparavant. Le délai d’instauration d’une mesure compensatoire est donc raccourci, ce qui permet de ne pas exposer le marché qui fait l’objet d’une concurrence déloyale trop longtemps ;

-         d'instituer des droits plus élevés dans le contexte des affaires antisubventions, ainsi que dans celui des affaires antidumping portant sur des importations produites à partir de matières premières et d'énergie fournies à un prix artificiellement bas. Il s'agit là d'une adaptation de la règle dite « du droit moindre » : l'Union a désormais la possibilité de fixer le taux des droits au niveau intégral de la marge de dumping alors qu’en application de la règle du droit moindre qu’elle a longtemps pratiquée, les autorités européennes imposaient un droit inférieur à la marge de dumping si ce droit suffisait à faire disparaître le dommage. Autrement dit, elles ne sanctionnaient qu'à hauteur du préjudice subi par les entreprises, et non pas à hauteur du dumping lui-même ;

-         d’améliorer le calcul du préjudice en prenant en compte les coûts additionnels supportés par les entreprises de l’Union pour se conformer aux normes sociales et environnementales plus protectrices qu’elles appliquent ;

-         d’améliorer la transparence et la prévisibilité pour les entreprises en les informant trois semaines avant le début de la perception des droits pour leur permettre de s’adapter à la nouvelle situation ;

-         d’améliorer le soutien aux petites et moyennes entreprises (PME) de l'Union qui pourront désormais bénéficier de procédures simplifiées et de l'appui d'un service d'aide aux PME, l'objectif étant de faciliter leur participation aux enquêtes de défense commerciale.

Globalement, les instruments de défense commerciale sont ainsi mobilisables dans un délai plus court, avec des droits plus élevés, un calcul du préjudice amélioré et un recours facilité pour les entreprises.

3.   Le procureur commercial

Le 24 juillet 2020, l’Union européenne s’est dotée d’un procureur commercial (chief trade enforcement officer, CTEO), en la personne du Français Denis Redonnet, qui occupe également la fonction de directeur général adjoint de la Direction générale du commerce. La création de ce poste est une réponse aux demandes, entre autres, de la France qui militait depuis longtemps pour que l’Union se dote d’un tel procureur commercial ([19]). Sans modifier la palette d’outils existants au niveau européen, cette innovation a toutefois vocation à faire en sorte que l’Europe les mobilise davantage ; surtout, la nomination d’un procureur commercial permet d’incarner la défense commerciale européenne et d’en faire une véritable politique à part entière.

La nomination d’un procureur commercial est révélatrice d’un revirement de la Commission européenne qui ne vise plus quasi-exclusivement à négocier de nouveaux accords commerciaux : il est désormais aussi stratégique pour elle de s’assurer que ceux déjà signés aient des retombées concrètes pour les Européens. Votre rapporteure salue ce changement d’attitude.

Concrètement, la Commission européenne, au travers de son procureur commercial, suit de façon plus systématique les engagements des pays tiers, en particulier en matière d’ouverture de leurs marchés pour les entreprises européennes, et va plus vite au contentieux lorsque des obstacles indus sont détectés.

Le procureur commercial assure également la gestion du guichet unique (single entry point, SEP) pour les plaintes, établi en novembre 2020. Ce point d’accès unique permet aux entreprises européennes, États membres, associations commerciales ou encore ONG de déposer des plaintes visant les obstacles au commerce dans les marchés tiers et les violations des engagements en matière de commerce.

Le procureur commercial doit aussi s’assurer que l’Union dispose d’un arsenal d’instruments de défense commerciale efficace pour mettre en œuvre ses droits dans le cadre d’accords commerciaux internationaux, pour protéger l’Union d’actions coercitives et pour gérer les différends liés aux investissements.

Enfin, le procureur commercial met en œuvre certaines initiatives de la Commission directement liées à ses missions dont la plateforme en ligne « Accès aux marchés » qui apporte un soutien essentiel à près de 600 000 PME afin qu'elles puissent exporter plus facilement et plus vite.

Dans son premier bilan ([20]) annuel sur la mise en œuvre et l’application des accords commerciaux conclus par l’Union publié depuis la nomination d’un procureur commercial, la Commission européenne fait état que la mise en œuvre et l'application effective des accords commerciaux conclus par l’Union et des règles du commerce international ont permis une augmentation des exportations de l'Union européenne de 5,4 milliards d'euros en 2020. Si la Commission attribue cette augmentation à différents facteurs, elle souligne le rôle du procureur commercial.

4.   Un cadre commun de filtrage des investissements directs étrangers

Depuis le 11 octobre 2020, les États membres de l’Union disposent d’un cadre commun pour le filtrage des investissements directs étrangers (IDE) en provenance de pays non membres de l’Union européenne. L’Union est, en effet, la principale destination d’IDE dans le monde : en 2017, les stocks d’IDE détenus par des investisseurs provenant de pays tiers s’élevaient ainsi à 6 441 milliards d’euros et représentaient 16 millions d’emplois directs en Europe. Toutefois, la Commission européenne a mis en avant une augmentation continue des prises de contrôle d’entreprises européennes opérant dans des secteurs sensibles et stratégiques par des investisseurs étrangers, et ce alors même que l’investisseur final n’était pas identifié de manière parfaitement transparente. Or, compte tenu du degré élevé d’intégration entre les marchés des États membres de l’Union et des infrastructures communes aux États membres, un investissement étranger peut faire peser un risque sur la sécurité ou l’ordre public au-delà des frontières de l’État membre dans lequel l’investissement est réalisé.

Ainsi, sans remettre en cause cette ouverture de l’Europe aux IDE, le règlement à l’origine de ce cadre commun ([21]) joue un rôle majeur dans les cas exceptionnels où des investisseurs étrangers tentent d’acquérir des actifs critiques pour les intérêts européens. Le règlement dote les États membres de l’Union européenne d’un cadre et de critères communs pour cerner les risques liés à l’acquisition ou au contrôle d’actifs stratégiques, lorsque l’opération menace la sécurité ou l’ordre public. En outre, il instaure un cadre de coopération entre les États membres et la Commission servant de fondement à l’examen des IDE dans les États membres et facilitant la prise de décision finale pour l’État membre dans lequel l’IDE est prévu ou réalisé. Sans un cadre de coopération européen, les « incidences transfrontalières » passeraient inaperçues, étant donné que le filtrage d’un investissement par un État membre tient compte uniquement des risques pour la sécurité nationale ou l’ordre public de l’État membre dans lequel il intervient.

Le cadre de l’Union n’est ainsi pas l’équivalent parfait d’un mécanisme de filtrage national : il offre un canal officiel d’échange d’informations pour sensibiliser aux cas précis dans lesquels un investissement direct étranger peut porter atteinte à la sécurité ou à l’ordre public de plus d’un État membre. Par conséquent, la décision finale quant à l’autorisation d’un investissement étranger faisant l’objet d’un filtrage appartient à l’État membre dans lequel l’investissement a lieu. D’autres États membres ou la Commission peuvent exprimer des préoccupations, mais ne peuvent bloquer ou annuler l’investissement en question.

En 2021, un peu plus d’un an après l’entrée en vigueur complète du règlement, la Commission a présenté son premier rapport annuel sur le filtrage des investissements directs étrangers ([22]). Sur les 265 opérations notifiées par les États membres entre le 11 octobre 2020, date de l’entrée en vigueur du règlement, et le 30 juin 2021, 80 % des transactions ne justifiaient pas un complément d'enquête et ont donc été évaluées par la Commission dans un délai de 15 jours seulement. Pour la Commission, il s’agit d’une preuve que le mécanisme de coopération n’a pas d’impact sur les délais des transactions concernées, ce qui était une crainte de certains États membres. La plupart des notifications soumises par les États membres concernaient le secteur manufacturier, les technologies de l’information et de la communication, le commerce de gros et de détail. Parmi les cas d'IDE notifiés, les investisseurs étaient des entreprises situées principalement dans les cinq pays suivants : les États-Unis, le Royaume-Uni, la Chine, le Canada et les Émirats arabes unis.

5.   Le règlement dit « enforcement »

 

Un règlement ([23]) adopté en 2021 a renforcé la capacité de l’Union européenne à faire valoir ses droits lorsque l’irrespect des règles du commerce international par ses partenaires lui porte préjudice. Ce règlement offre à l’Europe deux nouvelles voies pour se défendre et/ou répliquer lorsqu’elle est victime de pratiques commerciales déloyales.

Le règlement permet d’abord d’inclure les domaines des services et de la propriété intellectuelle dans la liste des domaines pour lesquelles l’Union européenne peut adopter des mesures de rétorsion commerciale en cas de violation des règles commerciales par un État tiers. Jusqu'ici, l’Union européenne n’avait pas la possibilité d’adopter de telles mesures que dans le domaine des marchandises.

Le règlement permet également à l’Union européenne de dépasser le blocage de l’OMC. Les dispositions du règlement visent principalement à remédier aux situations où l'Union obtient une décision favorable d'un groupe spécial de règlement des différends de l'OMC, mais où le processus est ensuite bloqué parce que l'autre partie fait appel d'un rapport du groupe spécial de l'OMC « dans le vide ». L’Union peut désormais prendre des contre-mesures après un jugement en première instance quand l’État tiers adverse, tout en ne se conformant pas au jugement, bloque tout jugement ultérieur en faisant appel alors que l’organe d’appel de l’ORD est actuellement bloqué. Par conséquent, le règlement permet à l’Union européenne d’agir dans les cas où des États tiers essaient de profiter du dysfonctionnement actuel de l’organe d’appel de l’OMC.

III.   La défense commerciale européenne paraÎt néanmoins incomplète et plusieurs nouveaux instruments ont vocation à combler ses insuffisances

A.   La défense commerciale européenne reste confrontée à des difficultés alors que le contexte actuel est propice à un renforcement des instruments

1.   Des difficultés persistantes et nouvelles

a.   L’organe de règlement des différends de l’OMC demeure bloqué

Alors que Joe Biden a été élu il y a désormais un peu plus d’un an, son administration ne s’est pas montrée particulièrement encline à mettre en œuvre une solution destinée à sortir de la crise qui paralyse actuellement l’organe de règlement des différends. Sans forcément se satisfaire de la situation, les États-Unis ne sont, en effet, pas les plus mis en difficulté par ce blocage. En cas d’appel dans le vide qui contreviendrait à leurs intérêts – en les empêchant, par exemple, de prendre des mesures de rétorsion à la suite d’un jugement qui leur serait favorable en première instance –, ils peuvent directement négocier avec le pays concerné en bilatéral et espérer une issue positive du fait de leur puissance économique. Cela est moins vrai pour de plus petits pays qui ne peuvent que compter sur les règles faute de voir s’appliquer une sorte de loi du plus fort.

Pour contourner cette situation et parvenir à régler les différends traditionnellement soulevés devant l’ORD, l’Union européenne et d’autres pays ont mis en place en 2020 une instance créée spécialement à cet effet : l’Arrangement multipartite concernant une procédure arbitrale d’appel provisoire (AMPA). L’article 25 du mémorandum d’accord sur les règles et procédures régissant le règlement des différends de l’OMC permet en effet de recourir à d’autres moyens de règlement des différends que l’ORD sous forme d’arbitrage. Si l’AMPA reste une solution temporaire en l’absence d’un ORD fonctionnel, elle permet aux participants de bénéficier d’une procédure d’appel dans le cadre des règlements des différends de l’OMC. Parmi les pays membres de cette initiative figurent l’Australie, le Canada, la Chine, le Mexique, le Costa Rica ou encore la Norvège.

b.   Les stratégies de contournement des IDC se multiplient

Un des enjeux de la défense commerciale européenne est de s’adapter aux stratégies de contournement mises en place par certains pays pour échapper aux mesures antidumping ou antisubventions dont sont frappés leurs produits. Les dernières années ont été marquées par une augmentation des tentatives de contournement des droits en vigueur, par exemple en effectuant les exportations par l'intermédiaire d'exportateurs tiers ou en faisant circuler les produits par d'autres pays à tel point que la Commission a lancé de sa propre initiative un nombre alors record de quatre enquêtes anticontournement ([24]) en 2019. À cet égard, la Chine est particulièrement active et s’emploie à contourner les mesures qui affectent ses exportations en construisant, par exemple, des usines à l’étranger depuis lesquelles le pays exporte ensuite vers l’Union.

En 2020, la Commission s'est penchée pour la première fois sur un nouveau type de subvention sous la forme d'un soutien financier transfrontière par un pays à des entreprises situées dans un autre pays et tournées vers l'exportation. Dans le cadre de cette enquête, l’Union européenne a fini par imposer des droits de douane ([25]) sur la fibre de verre chinoise produite dans une zone industrielle en Égypte après que les enquêteurs européens ont découvert que les entreprises chinoises installées en Égypte avaient reçu des centaines de millions de dollars de prêts et de fonds versés directement par des banques publiques chinoises ou acheminés par les filiales égyptiennes des entreprises chinoises. De leur côté, les États-Unis ont imposé en 2021 des droits de douane aux pneus produits en Thaïlande, en Corée du Sud et en Chine après que la Chine a décidé de fabriquer ses produits dans ces pays pour échapper aux tarifs douaniers infligés aux pneus chinois.

L’enjeu pour l’Europe est, dès lors, de pouvoir identifier ces stratégies de contournement afin de les contrer. Leur caractérisation s’avère toutefois particulièrement compliquée car elle nécessite de prouver que l’implantation à l’étranger d’une entreprise découle d’une volonté manifeste de contournement et non d’un arbitrage commercial légitime (qui repose, par exemple, sur le coût de la main-d’œuvre ou encore sur la proximité avec les marchés d’exportation).

c.   Une absence de réciprocité dans l’ouverture des marchés publics aux entreprises

L’Union européenne déplore depuis de longues années une inégale ouverture des marchés publics dans le monde, au détriment des entreprises européennes. Si l’accès aux marchés publics d’États tiers ne relève pas de la défense commerciale stricto sensu, puisqu’il ne s’agit pas de biens venant concurrencer ceux produits par les entreprises européennes au sein du marché unique, l’enjeu est toutefois lié puisqu’il soulève la question de la réciprocité des échanges commerciaux.

Ainsi, selon les chiffres communiqués par la Commission européenne, alors que l’Union européenne a ouvert, en 2018, quelques 350 milliards d’euros de marchés publics européens aux entreprises non européennes originaires des pays membres de l’Accord sur les marchés publics (AMP), les candidats étrangers n’ont eu accès, pour leur part, qu’à 178 milliards d’euros de marchés publics américains et à 27 milliards d’euros de marchés japonais au cours de la même année. Ces pays conservent des législations contraignantes qui imposent aux pouvoirs publics de recourir à des prestataires locaux ; ainsi le Buy American Act oblige que la moitié du coût des produits manufacturés soit d’origine américaine et que l’assemblage soit réalisé sur le sol américain. Par ailleurs, les pays non membres de l’accord sur les marchés publics de l’OMC, comme la Chine, l’Australie ou l’Inde ne sont pas tenus d’ouvrir leurs marchés publics.

La législation chinoise sur les achats publics favorise explicitement la production locale au détriment des entreprises étrangères, alors que les marchés publics dans l’Union européenne restent, sauf exception, ouverts aux entreprises chinoises. La préférence nationale figure clairement dans la loi du pays sur les marchés publics : elle oblige ainsi à acheter des produits et services chinois à moins de constater leur indisponibilité sur le territoire dans des conditions commerciales « raisonnables ». L’intérêt de la Chine à intégrer l’AMP se pose : elle voit, en effet, peu d’avantages à ouvrir ses marchés publics, réservés pour le moment aux entreprises d’État, aux contractants étrangers pour ne bénéficier en retour que de gains qu’elle estime limités du fait d’un niveau d’ouverture déjà très important dans l’Union européenne.

L’indice de restrictivité de la réglementation de l’IDE (FDI Restrictiveness Index) de l’OCDE est, à ce sujet, particulièrement parlant et souligne que, globalement, les marchés chinois et américains sont respectivement six et trois fois plus fermés que les marchés européens.

 

Source : rapporteure, à partir des données du FDI de l’OCDE

En guise d’exemple, un rapport parlementaire récent ([26]) faisait à ce titre remarquer que les chercheurs du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) travaillaient avec des supercalculateurs américains alors que les industriels européens n’étaient pas autorisés à répondre à la commande publique américaine pour ces mêmes équipements. Votre rapporteure alerte sur cette absence de réciprocité, dommageable pour nos entreprises, qui doit être dénoncée et corrigée.

2.   Un contexte propice au renforcement des IDC et au réinvestissement du cadre multilatéral

a.   Un positionnement nouveau de certains États membres, en partie provoqué par la crise sanitaire

La crise de la Covid-19 et ses conséquences ont favorisé une mutation de la façon d’appréhender les échanges commerciaux de certains de nos partenaires européens, en ce qu’elle a mis en évidence nos vulnérabilités, en particulier en matière d’approvisionnement. Cette prise de conscience a donné davantage de poids aux discours qui cherchent à promouvoir plus de protection par l’Europe de ses citoyens. Ce volontarisme en matière de protection bénéficie ainsi de manière indirecte au renforcement souhaité par certains États membres, au premier rang desquels la France, de la panoplie des outils à notre disposition pour mieux défendre nos entreprises au sein de marché unique et exiger une plus grande réciprocité en leur permettant d’accéder davantage qu’aujourd’hui aux marchés tiers.

Cet environnement favorable à un renforcement des IDC et à la création d’instruments autonomes est aussi le fait d’une évolution de l’Allemagne, due à plusieurs facteurs. D’abord, l’Allemagne a longtemps été confrontée à un dilemme entre sa position de puissance industrielle – qui l’incite à rechercher une concurrence équitable pour ses industries – et sa position de puissance exportatrice – qui l’incite elle à éviter toute attitude qui pourrait entraîner des mesures de rétorsion commerciale de la part de nos partenaires. Toutefois, on assiste à un affaiblissement structurel du modèle exportateur allemand du fait du ralentissement de la demande mondiale et du recentrage de la Chine sur son marché intérieur qui a pour effet d’inciter l’Allemagne à rechercher une plus grande protection de ses industries. Ensuite, la société civile – et en particulier les fédérations d’entreprises allemandes – a progressivement tenu un discours de moins en moins complaisant à l’égard de la Chine, accusée de concurrence déloyale et ce malgré les débouchés commerciaux qu’elle représente. Enfin, le nouveau gouvernement allemand, particulièrement en raison de la présence des Verts en son sein, adopte aussi une attitude plus ferme à l’égard de la Chine, qui favorise l’adoption de nouveaux instruments.

L’ensemble de ces facteurs, sans être exclusifs, se conjuguent aussi à une impulsion forte de la Commission von der Leyen, davantage tournée vers le producteur que n’ont pu l’être les précédentes, plus préoccupées par le consommateur.

b.   L’élection de Joe Biden laisse espérer une relation plus apaisée entre l’Union européenne et les États-Unis et un réinvestissement des États-Unis des instances multilatérales

Une première indication du tournant nouveau pris par la relation entre l’Union européenne et les États-Unis après l’élection de Joe Biden comme président des États-Unis est perceptible dans le fait que les litiges commerciaux en cours entre les deux puissances ont été soldés dans l’année qui a suivi l’arrivée au pouvoir de Joe Biden.

-         La France a, par exemple, rétabli sa taxe GAFA en décembre 2020 sans que Joe Biden ne prenne de mesures de rétorsion commerciale comme Donald Trump menaçait de le faire.

-         De même, dans le cadre du contentieux entre Airbus et Boeing, les pays membres de l’Union et les États-Unis ont convenu en juin 2021 de suspendre les droits de douane qu’ils avaient appliqués en réponse aux subventions accordées aux constructeurs aéronautiques pour une durée de cinq ans.

-         Les États-Unis et l’Union ont également annoncé, le 31 octobre 2021, la signature d’un accord concernant les droits de douane sur les importations européennes d’acier et d’aluminium pour éviter l'escalade dans ce conflit, dit de la « section 232 », avant de faire parvenir, le 20 janvier 2022, une lettre à l'Organisation mondiale du commerce informant que leur différend concernant les tarifs sur l'acier et l'aluminium était terminé.

Une autre preuve de la volonté des États-Unis de renouer le dialogue avec les Européens sur les questions commerciales est la création d’un Conseil du commerce et des technologies (Trade and technology council) réunissant l’Union européenne et les États-Unis. Ce conseil s’est réuni pour la première fois à Pittsburgh aux États-Unis en septembre 2021. Il a vocation à constituer un moyen de concertation, voire de coordination, transatlantique sur les principales questions mondiales en matière de technologie, d’économie et de commerce comme la gestion des ruptures sur les chaînes de valeurs ou encore la réduction des dépendances unilatérales.

Enfin, une autre indication du réinvestissement des États-Unis, pas seulement auprès des Européens mais de la scène multilatérale en matière commerciale, repose sur le fait que les États-Unis ont mis fin au blocage de la nomination d’un nouveau dirigeant de l’OMC. Alors que Roberto Azevedo avait démissionné en mai 2020, son poste était resté vacant presque un an – jusqu’en mars 2021 – faute d’une volonté des États-Unis de voir l’OMC dotée d’un nouveau directeur général (la nomination devant s’effectuer selon la règle du consensus). C’est désormais la Nigériane Ngozi Okonjo-Iweala qui occupe le poste.

Cette amélioration des relations entre l’Union européenne et les États‑Unis doit être l’occasion pour l’Europe d’œuvrer à une réforme de l’OMC à même de résoudre le blocage de l’ORD et d’instaurer des règles pertinentes pour lutter contre les pratiques commerciales déloyales.

B.   Si vis pacem, para bellum : Dans le cadre d’une nouvelle stratégie commerciale, l’Union européenne cherche à compléter ses instruments de défense commerciale avec des outils plus offensifs, mais toujours dans l’objectif de GARANTIR UN COMMERCE OUVERT ET JUSTE

La définition d’une nouvelle stratégie commerciale (2021)

La Commission européenne a publié le 18 février 2021 une communication relative au réexamen de la politique commerciale de l’Union (Trade policy review) ([27]). Ce réexamen met en avant trois objectifs principaux de la politique commerciale européenne.

La politique commerciale doit, en premier lieu, contribuer à soutenir la reprise et la transformation en profondeur de l'économie de l'Union européenne conformément aux objectifs qu'elle s'est fixés liés au numérique et à la protection de l'environnement. L’ouverture commerciale est ainsi d’abord perçue comme un moyen pour l’Union de s’enrichir. De fait, les premiers mots de la communication sont les suivants : « Le commerce est l’un des instruments les plus puissants de l’UE. Il est au cœur de la prospérité économique et de la compétitivité de l’Europe ».

La stratégie commerciale cherche, en deuxième lieu, à façonner les règles mondiales dans le sens d’une mondialisation plus durable et plus équitable : il s’agit, concrètement, pour l’Union européenne d’œuvrer à une réforme en profondeur de l’OMC afin d’adopter des règles renforcées pour lutter contre les distorsions de concurrence et qui tiennent compte de l’évolution économique des dernières années ainsi que de rétablir le système de règlement des différends.

Enfin, la nouvelle stratégie commerciale insiste sur la nécessité de renforcer la capacité de l'Union à défendre ses intérêts et à faire valoir ses droits, y compris de manière autonome, lorsqu’elle est confrontée à des pratiques commerciales déloyales.

L’évolution en cours de la défense commerciale européenne s’inscrit dans ces deux derniers axes et, en particulier, dans le dernier.

Les instruments dits autonomes en cours d’élaboration, s’ils ne correspondent pas tous à des instruments de défense commerciale stricto sensu – au sens où certains d’entre eux ne visent pas à rétablir une concurrence loyale au sein du marché intérieur mais par exemple à exiger plus de réciprocité dans l’ouverture des marchés tiers –, partagent néanmoins les objectifs assignés aux IDC, à savoir œuvrer en faveur d’échanges commerciaux plus justes et permettre ainsi à l’Union de mieux défendre ses intérêts et ceux de ses entreprises.

À noter que, loin d’instaurer des barrières au commerce, ces instruments ont précisément vocation à favoriser l’ouverture tout en faisant en sorte que les échanges commerciaux soient plus équitables et s’inscrivent, pour la plupart, dans une logique dissuasive : leur simple existence doit permettre d’inciter les États tiers à ne pas fausser la concurrence.

1.   Restreindre l’accès au marché unique des entreprises originaires d’États tiers et massivement subventionnées

La Commission européenne a présenté le 5 mai 2021 une proposition de règlement visant à remédier aux distorsions de concurrence causées par les subventions étrangères au sein du marché intérieur ([28]). Celle-ci fait suite à l’adoption d’un livre blanc sur le sujet en 2020 ([29]).

Cette proposition cherche à combler un vide réglementaire susceptible d’affecter la concurrence sur le marché intérieur dans la mesure où les subventions de pays tiers à des entreprises exerçant une activité économique dans l’Union ne font actuellement l’objet d’aucun contrôle. En effet, le champ d’application de l’article 107 du TFUE relatif au contrôle des aides d’État est limité aux aides accordées par un État membre et ne saurait dès lors s’appliquer à de telles subventions. Les règles de l’Organisation mondiale du commerce en matière de droits antidumping et antisubventions sont par ailleurs quant à elles restreintes à l’importation des marchandises alors que l’enjeu est ici d’empêcher certaines acquisitions ou l’accès aux marchés publics européens à des entreprises massivement subventionnées.

Le texte s’articule ainsi autour de trois outils distincts, un instrument général d’enquête et deux mécanismes de notifications ex ante dont le premier est relatif aux acquisitions et le second aux procédures de passation de contrats de la commande publique. Dans le détail, selon la proposition de la Commission :

-         un premier outil de notification doit permettre d’examiner des concentrations impliquant une subvention, lorsque le chiffre d’affaires dans l’Union de l’entreprise visée par l’acquisition est égal ou supérieur à 500 millions d’euros et que la contribution étrangère financière est d’au moins 50 millions d’euros ;

-         un second outil de notification doit permettre d’examiner des offres soumises dans le cadre de marchés publics lorsque la valeur estimée du marché est égale ou supérieure à 250 millions d’euros.

-         Enfin, un outil d’enquête doit quant à lui permettre à la Commission d’examiner toute autre situation de marché, même si elle ne correspond pas aux critères énoncés ci-dessus.

Si la Commission venait, à l’issue de ses travaux, à considérer que ces financements publics créent une distorsion de concurrence, l’entreprise étrangère pourrait se voir soumise à des mesures correctives structurelles ou comportementales, telles que la cession de certains actifs par exemple, voire interdite d’effectuer l’acquisition envisagée/d’accéder au marché visé.

Le texte pourrait être examiné par la commission du commerce international du Parlement européen en avril ; certains eurodéputés ont déjà estimé que le seuil pour considérer une subvention comme distorsive était trop élevé. De manière générale, les parlementaires européens sont favorables à abaisser les seuils nécessaires à l’activation des différents instruments en cours d’élaboration.

2.   L’instrument relatif aux marchés publics internationaux

Présenté pour la première fois en 2012, puis en 2016 dans une version révisée, l'instrument relatif aux marchés publics internationaux (IPI, pour international procurement instrument) doit permettre de limiter l'accès aux marchés publics de l'Union aux entreprises dont les pays n'offrent pas des conditions d'accès similaires. L’objectif est de faire de l’accès aux marchés publics européens un moyen de pression pour obtenir une plus grande réciprocité en la matière.

Les marchés publics représentent, en effet, une part importante de l’économie de l’Union et des économies de nombreux pays dans le monde, que l’on estime à 10 à 20 % du produit intérieur brut (PIB) ; en 2016, selon les chiffres de la Direction générale du commerce de la Commission européenne, les marchés publics comptaient ainsi, en moyenne, pour 13,4 % du PIB des États membres de l’Union, 16,2 % du PIB japonais et 9,4 % du PIB des États-Unis.

L’Union européenne a ouvert ses marchés publics dans une large mesure à des concurrents de pays tiers et a souvent plaidé pour une telle ouverture au niveau international, tant dans le contexte de l’Accord révisé de l’OMC sur les marchés publics (AMP) de 2014 que dans ses négociations commerciales bilatérales.

Les résultats sont toutefois mitigés, car de nombreuses économies émergentes restent réticentes à l’idée d’adhérer à l’AMP ou d’ouvrir leurs marchés publics à l’Union de manière bilatérale. Dans de nombreuses économies, ces marchés sont considérés comme un outil légitime pour promouvoir la production nationale et l’emploi (exemple du Buy American Act aux États-Unis) même si cela entraîne une concurrence imparfaite ou un coût. Les gouvernements protègent alors leurs marchés publics de manière explicite, avec des règles ou des règlements, ou implicite, avec des barrières linguistiques ou administratives, afin d’entraver l’entrée sur le marché.

L’IPI vise à corriger ce déséquilibre. L’instrument proposé fonctionnerait comme suit :

-         Dans les cas de discrimination présumée par un pays tiers d’entreprises de l’Union européenne sur des marchés publics étrangers, la Commission ouvrirait une enquête publique.

-         Si cette enquête fait apparaître des restrictions discriminatoires à l’égard des biens, des services et/ou des fournisseurs de l’Union, la Commission invitera le pays concerné à échanger sur l’ouverture de ses marchés publics.

-         En dernier recours, selon la proposition de texte amendée par le Parlement européen de décembre 2021, la Commission pourra choisir entre deux mesures pour remédier à l'inégalité d'accès aux marchés publics : ajuster la note que reçoivent les offres des entreprises entrant dans le champ d'application de l'IPI ou exclure l'entreprise de l'appel d'offres. Les États membres avaient, quant à eux, prévu qu’au moment de la comparaison des offres, le prix des offres de produits et services faites par les entreprises du pays concerné serait considéré comme supérieur au prix effectivement proposé, procurant ainsi un avantage aux produits et services des entreprises des pays européens et des autres pays non ciblés.

Désormais en trilogue, cet instrument est le plus susceptible d’aboutir durant la présidence française de l’Union européenne. Les points de frictions principaux entre le Parlement européen et le Conseil résident dans la détermination du montant minimal à partir duquel l’IPI pourrait potentiellement être mobilisé et la question de savoir quels États membres seraient dispensés de l’application de l’instrument, pour des raisons de développement en particulier.

3.   L’instrument anti-coercition

Le 8 décembre 2021, la Commission européenne a proposé un nouvel outil pour lutter contre le recours à la coercition économique par les pays tiers (ACI, pour anti-coercicion instrument) ([30]). Cette proposition fait suite à une déclaration commune de la Commission, du Conseil et du Parlement européen, adoptée le 2 février 2021 ([31]).

L'objectif de cet instrument est de dissuader les pays tiers de restreindre le commerce ou les investissements — ou de menacer de le faire pour susciter un changement d'orientation de l’Union ou de l’un de ses États membres dans des domaines comme le changement climatique, la fiscalité ou la diplomatie.

L'Union européenne et ses États membres sont en effet devenus la cible d'une pression économique délibérée ces dernières années, dont l’un des derniers exemples en date réside dans les restrictions imposées en Chine aux produits en provenance de Lituanie après que cette dernière a décidé de quitter le groupe alors des 17+1 ([32]) et d’ouvrir un bureau de représentation diplomatique à Taïwan. De fait, dans une récente publication ([33]), le Centre for Strategic & International Studies (CSIS) parle de « weaponization of trade policy », soit l’utilisation croissante des instruments commerciaux à des fins géopolitiques. Hormis le cas lituanien, d’autres exemples peuvent, de fait, être soulignés :

-         Les États-Unis ont menacé d’instaurer des mesures restrictives sur le commerce à la suite de l’adoption par la France de la taxe sur les services numériques.

-         En 2019, l'Indonésie a manifesté son opposition à la décision de l'Union européenne de sortir d’ici à 2030 l'huile de palme de la liste des biocarburants – et des avantages douaniers afférents – et a menacé de relever les droits d’importation sur la poudre de lait écrémé en provenance de l’Union de 8 à 18 %.

-         Hors d’Europe, après que l’Australie a fait part de son souhait qu’une enquête indépendante sur les origines du Covid-19 soit diligentée, la Chine a augmenté les droits de douane sur plusieurs produits australiens comme le vin, le bois, le charbon, l’orge, le blé ou encore le sucre.

Cet instrument se veut ainsi une réponse aux tentatives de coercition dont pourraient être victimes l’Union ou ses États membres mais doit avant tout être considéré comme un instrument de dissuasion qui, par sa seule existence, doit inciter les pays tiers tentés d’exercer des pressions sur l’Union ou l’un de ses États membres à y renoncer. L'ACI doit permettre de désamorcer les crises et d'induire l'abrogation de mesures coercitives spécifiques, grâce à un processus dont la première étape est le dialogue. Toute contre-mesure prise par l'Union ne serait appliquée qu'en dernier ressort, lorsqu'il n'y a pas d'autre moyen de lutter contre l'intimidation économique. L’instrument comporte donc une liste de mesures comme l’institution de droits de douane, la limitation des importations, la limitation d’accès aux programmes de recherche financés par l’Union européenne ou encore la restriction à l’accès au marché de l’Union (pour les marchés publics, les capitaux, etc.).

Les discussions autour de cet instrument sont en cours au sein du Conseil. La France soutient cette proposition qu’elle compte faire avancer pendant sa présidence. Certains États membres, dont la Suède, la République tchèque, les pays nordiques et l’Irlande, ont prévenu que l’instrument ne devrait pas conduire à une hausse du protectionnisme. L’un des autres points de friction majeur des discussions est que la Commission estime que l’instrument relève de la politique commerciale et non de la politique étrangère, ce qui permet au règlement d’être adopté à la majorité qualifiée et non à l’unanimité.

4.   Des instruments destinés à satisfaire prioritairement d’autres objectifs mais qui permettent, aussi, de se prémunir contre des pratiques commerciales déloyales

a.   Des instruments qui renforcent la responsabilité sociale et environnementale des entreprises et instaurent un devoir de vigilance

Votre rapporteure tient à rappeler la mobilisation permanente de l’Assemblée nationale sur ces sujets. Deux initiatives récentes sont particulièrement révélatrices de la volonté des députés français de défendre le respect des droits de l’homme à travers le monde et de renforcer le devoir de vigilance des entreprises ([34]). Ainsi, la commission des affaires européennes a adopté le mardi 14 décembre une proposition de résolution européenne visant à inscrire parmi les priorités de la présidence française du Conseil de l’Union européenne l’adoption d’une législation ambitieuse sur le devoir de vigilance des multinationales. L’Assemblée nationale a également adopté le 20 janvier 2022 une résolution ([35]) reconnaissant et condamnant le caractère génocidaire des violences politiques systématiques ainsi que les crimes contre l’humanité perpétrés par la République populaire de Chine à l’égard des Ouïghours.

i.   Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières

La Commission européenne a présenté, le 14 juillet 2021, une proposition de règlement ([36]) établissant un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’Union, au sein d’un paquet climat plus large de douze mesures intitulé Fit for 55, en référence à l’objectif de l’Union européenne de réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2030 par rapport à leur niveau de 1990. Ce mécanisme vise à appliquer aux importations de certains produits un prix du carbone équivalent à celui pratiqué sur le marché carbone européen.

En effet, si l’Union européenne s’est jusqu’à présent concentrée sur le marché intérieur pour réduire son bilan carbone, l’ensemble de ses émissions de gaz à effet de serre ne repose pas sur les seules émissions réalisées au sein du marché unique du fait des échanges commerciaux auxquels l’Union prend part. En 2019, elle a ainsi réalisé plus de 2 100 milliards d’euros d’importations représentant 20 % des émissions de gaz à effet de serre européennes.

L’objectif principal de cet instrument consiste ainsi à réduire les émissions de l’Union en luttant contre les fuites de carbone, c’est-à-dire la situation dans laquelle une entreprise européenne décide de délocaliser tout ou partie de sa production au sein d’un pays tiers du fait d’un coût moins élevé du carbone dans ce pays puis d’importer cette production afin de la vendre au sein du marché unique, entraînant des émissions in fine plus élevées : l’instauration d’un prix du carbone a alors un effet contraire à celui désiré.

Toutefois, si le premier objectif est d’ordre environnemental, il s’agit aussi pour l’Union européenne de garantir les conditions d’une concurrence équitable entre les producteurs en surenchérissant le coût de produits fabriqués dans des pays dans lesquels la réglementation est moins contraignante en matière de protection de l’environnement.

Concrètement, selon la proposition de la Commission, le mécanisme devrait fonctionner comme une extension du système d’échange des quotas carbone (SEQE) aux produits importés. Autrement dit, les importateurs de l’Union achèteront des certificats carbone correspondant au prix du carbone qui aurait été payé si les marchandises avaient été produites au sein de l’Union européenne. Cet instrument s’appliquera dans un premier temps aux importations de ciment, de fer, d’acier, d’aluminium, d’engrais et d’électricité.

Sur ce sujet encore, la France est l’un des pays fers de lance de cette initiative puisque, depuis 2007, trois propositions visant à instaurer un tel mécanisme avaient été débattues sous l'impulsion de la France mais les projets précédents ont tous échoué, faute de soutien. Votre rapporteure tient à saluer cet engagement permanent de la France en faveur de la protection de l’environnement et d’un commerce plus juste.

Les négociations en trilogue doivent se tenir cette année pour aboutir à une mise en œuvre progressive du dispositif à partir du 1er janvier 2023, date à partir de laquelle les importateurs devraient seulement déclarer les émissions carbone des produits importés. Ils ne commenceraient à payer celles-ci qu’à partir de 2026.

ii.   L’instrument anti-déforestation

Dans le cadre de son Pacte Vert, la Commission européenne a présenté le 17 novembre 2021 une proposition de règlement ([37]) visant à interdire l’importation au sein de l’Union européenne de produits dont l’exploitation provoque la destruction des forêts.

L’Union européenne serait, en effet, selon WWF, la deuxième puissance au monde, derrière la Chine, à contribuer à la destruction de forêts tropicales du fait de ses importations.

L’objectif du règlement vise ainsi à garantir que les produits consommés par les citoyens européens ne participent pas à la déforestation et à la dégradation des forêts dans le monde. Le règlement s’appliquerait à six produits – le soja, la viande bovine, l’huile de palme, le bois, le cacao, le café – et à certains de leurs dérivés dont le cuir, le chocolat et les meubles

La proposition de règlement fixe une obligation de diligence raisonnable pour les entreprises qui souhaiteront commercialiser ces produits dans l’Union afin de garantir que ces produits sont sans lien avec la déforestation. Les opérateurs seront tenus de collecter les coordonnées géographiques des terres sur lesquelles les produits de base ont été cultivés pour permettre aux autorités compétentes des États membres de disposer des outils nécessaires de contrôle.

iii.   L’introduction de clauses miroirs dans les accords commerciaux agricoles

La France entend utiliser la PFUE pour faire progresser l’idée selon laquelle il est également nécessaire d’imposer une plus grande réciprocité des échanges en matière d’agriculture. Selon la vision portée par la France et certains autres États membres, il s’agirait pour l’Union, grâce à l’instauration de clauses dites miroirs dans les accords commerciaux, de durcir le contrôle des importations agricoles au sein du marché unique en leur imposant progressivement les mêmes normes sanitaires et environnementales que celles auxquelles sont soumis les producteurs européens. La recherche de cette réciprocité réglementaire poursuit ainsi un double objectif de protection de l’environnement – les normes européennes étant globalement plus contraignantes que celles de nos partenaires – et de lutte contre la concurrence déloyale.

iv.   Vers une interdiction des produits issus du travail forcé au sein du marché unique ?

Dans son discours sur l’État de l’Union de septembre 2021 ([38]), la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a annoncé vouloir bannir du marché intérieur les produits fabriqués au moyen du travail forcé. Même si aucun pays n’est directement ciblé, l’enjeu est de faire en sorte que les produits chinois impliquant la minorité musulmane ouïghour ne rentrent plus sur le marché européen. Une nouvelle fois, si l’objectif premier est de dénoncer la violation des droits de l’homme dont font l’objet ces travailleurs, une telle interdiction rétablirait de facto des conditions de concurrence plus équitables dans la mesure où les entreprises ayant recours au travail forcé ne payent, par définition, pas leur main-d’œuvre.

À titre de comparaison, les États-Unis ont interdit, le 23 décembre 2021, l’importation des produits fabriqués, en tout ou partie, dans la province chinoise du Xinjiang, à moins que les entreprises importatrices ne soient en mesure d’apporter la preuve que leurs produits n’ont pas été fabriqués au moyen du travail forcé. Première mondiale, ce texte vise à dénoncer l’esclavage dont sont victimes les Ouïghours en Chine.

b.   Un instrument de réciprocité dans le cadre de la stratégie européenne pour les semi-conducteurs

Le 8 février 2022, la Commission européenne, par la voix de son commissaire français Thierry Breton, a présenté son plan EU Chips Act, destiné à renforcer la production de semi-conducteurs dans l’Union et réduire ainsi la dépendance du continent dans la production des semi-conducteurs. Le règlement permettant de débloquer des aides d’État afin de soutenir la production européenne de semi-conducteurs envisage également de créer un instrument de réciprocité commerciale inspiré de la loi de production de défense américaine – qui permet, entre autres, aux États-Unis de restreindre l’exportation de certains produits jugés critiques dans des situations de crise. Grâce à cet instrument, l’Union pourrait suspendre l’envoi de semi-conducteurs vers les États qui restreignent eux-mêmes l’exportation de semi-conducteurs ou de leurs composants vers l’Union. Comme pour les autres instruments en cours de discussion, l’intérêt de cet outil est essentiellement dissuasif : l’objectif n’est pas d’y recourir mais de donner de la crédibilité à la Commission européenne quand elle négociera avec ses partenaires.

C.   Il s’agit désormais de s’assurer que les réformes envisagées aboutissent et que les instruments existants soient mobilisés

1.   De façon générale, profiter de la présidence française de l’Union européenne pour porter les nouveaux instruments en cours d’élaboration

La PFUE doit permettre de faire avancer les négociations sur les instruments en cours de construction voire, pour certains d’entre eux, de les faire aboutir. Votre rapporteure souligne ainsi la nécessité d’un portage politique fort de ces instruments de la part de la France pendant sa présidence, voie dans laquelle elle s’est engagée. Un tel investissement en faveur de ces instruments est particulièrement en phase avec le slogan dont s’est doté notre pays pour incarner cette présidence : « Relance, puissance, appartenance. »

L’histoire récente a, en effet, montré qu’au niveau européen des projets avaient pu être mis à l’arrêt pendant des années avant d’être à nouveau discutés. Le cas de l’instrument relatif aux marchés publics internationaux est, à ce titre, particulièrement révélateur. Alors que les négociations avaient commencé dès 2012, avant d’être relancées en 2016, cet instrument n’est toujours pas adopté. De la même manière, le mécanisme d’ajustement carbone est porté par la France depuis 2007.

Parmi l’ensemble des instruments précédemment évoqués, étant donné que le calendrier d’examen est le plus avancé pour l’IPI, il est particulièrement important que ce projet aboutisse car sa concrétisation aurait un effet entraînant sur tous les autres. À l’inverse, un abandon du projet mettrait très certainement un coup d’arrêt à l’instauration de l’ensemble des autres instruments visant à œuvrer pour plus d’équité et de réciprocité dans les échanges commerciaux. La France doit, par conséquent, profiter de la PFUE pour faire avancer ces dossiers, au premier rang desquels l’IPI.

2.   Sensibiliser davantage les entreprises à l’existence des instruments de défense commerciale

Il paraît indispensable de sensibiliser davantage les entreprises, en particulier les plus petites, aux instruments de défense commerciale afin que celles-ci s’en saisissent plus encore, étant donné qu’aujourd’hui seules quelques industries y ont recours (cf supra). Si des secteurs comme la sidérurgie et l'industrie chimique sont ainsi familiarisés avec les IDC, d'autres le sont nettement moins et risquent dès lors de ne pas bénéficier d’une protection à laquelle ils seraient pourtant légitimes à prétendre. En d'autres termes, il est possible que des secteurs confrontés à des pratiques commerciales déloyales ne demandent pas à bénéficier de mesures de protection.

Or, pour que la défense commerciale européenne soit efficace, les secteurs d'activité de l'Union dans leur ensemble doivent avoir connaissance des instruments à leur disposition et doivent pouvoir s'appuyer sur des administrations qui leur permettent d'introduire des plaintes d'une qualité suffisante pour que la Commission les prenne en considération. À ce titre, la Cour des comptes européenne, dans son rapport de 2020, relevait que bien que la Direction générale du commerce facilite les procédures pour les parties concernées, elle œuvre très peu pour mieux faire connaître les IDC et en accroître l'utilisation dans les secteurs d'activité de l'Union qui y ont encore peu recours. La Cour des comptes européenne déplorait en particulier que, malgré l’existence de forums où entreprises et associations sectorielles peuvent rencontrer les services de la direction générale du Commerce – par exemple pour obtenir des informations sur les possibilités de financement offertes par l'Union européenne –, la Commission ne s'en servait pas pour mieux faire connaître les IDC.

Votre rapporteure fait ainsi sienne la recommandation de la Cour des comptes européenne selon laquelle la Commission devrait chercher des canaux de communication supplémentaires afin de sensibiliser un maximum de parties prenantes à l'existence des IDC. Ces canaux pourraient, par exemple, prendre la forme d'événements réguliers organisés par la Commission à l'intention des parties. Votre rapporteure recommande toutefois que cette sensibilisation ne relève pas uniquement des services de la Commission – dont les PME peuvent être éloignées – mais que les États eux-mêmes s’emparent de cette question pour s’adresser directement, à l’échelon national, à leurs entreprises, en s’appuyant notamment, en France, sur les réseaux consulaires qui irriguent les territoires. À ce titre, l’organisation, par le Trésor français, d’une « journée d’accès au marché » le 4 avril prochain, au cours de laquelle des ateliers spécifiques aux IDC sont prévus, doit être saluée, mais il faut aller plus loin, par exemple en organisant des « journées d’accès au marché » dans les régions. Denis Redonnet, le procureur commercial européen, faisait remarquer à votre rapporteure que l’arsenal d’instruments à disposition de l’Union était un arsenal solide mais que l’enjeu était désormais que les entreprises s’en emparent.

Toujours en ce qui concerne l’appropriation par les entreprises des outils de l’Union à leur disposition, l’introduction par la Commission de la plateforme Access to Market facilite la circulation de l’information entre les entreprises et l’Union européenne afin de les aider à accéder à des nouveaux marchés. Une telle plateforme est toutefois centrée sur l’export : aussi votre rapporteure suggère-telle de créer une plateforme similaire pour aider les entreprises à se défendre sur le marché intérieur européen. Cette plateforme pourrait par exemple recenser les procédures applicables pour porter plainte, les mesures actuellement en vigueur et disposer d’un dispositif de dépôt de plainte similaire à ce qui se fait déjà sur la plateforme Acces to Market pour les entraves existantes sur les marchés tiers.

3.   Mieux suivre l’application des instruments de défense commerciale (Cour des comptes européenne)

La Cour des comptes européenne insiste aussi sur la nécessité d’améliorer la manière dont la Commission suit l'efficacité globale de sa politique de défense commerciale. En effet, la défense commerciale européenne n’est efficace que si les mesures adoptées par la Commission sont effectivement suivies d’effets. Pour ce faire, la Cour recommande à la Commission de :

-         préciser les critères permettant d'identifier les mesures présentant un risque de contournement élevé, ou d'autres problèmes mettant à mal leur efficacité et sélectionner des mesures de surveillance approfondie sur la base de ces critères ;

-         procéder régulièrement à des évaluations de l'efficacité globale des mesures de défense commerciale.

4.   Améliorer le mécanisme européen de filtrage des investissements directs étrangers

Il paraît, dans un premier temps, utile d’inciter chaque État à se doter d’un mécanisme de filtrage des IDE, alors qu’aujourd’hui seuls 19 États sur les 27 de l’Union sont équipés d’un tel mécanisme.

Il serait, dans un second temps, bénéfique d’harmoniser les mécanismes nationaux. Les États membres décident en effet seuls des règles en matière de champs et de seuils applicables à leur mécanisme de filtrage des IDE.

Dans un troisième temps, il pourrait être envisagé de faire preuve davantage d’anticipation en établissant, au sein de chaque pays, une liste des entreprises jugées sensibles ou stratégiques. Certaines des entreprises présentant un caractère stratégique sont en effet découvertes par les autorités au moment où elles font l’objet d’une offre publique d’achat (OPA).

Enfin, au niveau européen, il convient de s’interroger sur une potentielle montée en puissance du dispositif qui n’est aujourd’hui qu’un cadre de partage et d’information entre États membres. Bien que la question risque de soulever de vifs débats et protestations, au nom de l’intérêt européen, il pourrait être envisagé que, sous conditions, la Commission et/ou un certain nombre d’États membres puissent bloquer un IDE dans un État. Si la proposition peut paraître délicate, elle est pourtant plus ou moins similaire à ce que prévoit l’IPI : un État qui aurait intérêt à recourir pour un marché public à une entreprise d’un pays tiers fermé aux entreprises européennes, par exemple pour des questions de coûts et, donc, de finances publiques, pourrait se voir empêché de recourir à ladite entreprise par les autres États membres de l’Union selon la forme finale que prendra le dispositif.

5.   Prendre conscience du poids du marché unique comme levier de puissance

Les négociations consécutives au Brexit ont fait apparaître de façon plus concrète encore le levier de puissance que constituait le marché unique. Les Britanniques se sont en effet rendu compte au fil des négociations les débouchés dont ils se privaient en quittant l’Union européenne. De fait, le marché intérieur permet aux producteurs de s’adresser à près de 450 millions de consommateurs, qui plus est parmi les plus riches de la planète. Avoir à l’esprit l’avantage que confère le marché unique dans les négociations futures doit permettre de s’affirmer davantage dans les échanges commerciaux mondiaux et d’exiger davantage de réciprocité.

6.   Œuvrer à une réforme de l’OMC

Il demeure impératif, pour la France et pour l’Union européenne, d’œuvrer à une réforme globale de l’OMC autour de trois axes : la relance de l’ORD, la surveillance – c’est-à-dire veiller au respect des accords conclus –, et la réforme des règles en vigueur.

En ce qui concerne la mise en œuvre des accords conclus, il convient d’améliorer la transparence et la qualité des notifications alors que les membres sont de plus en plus réticents à respecter les obligations de notification, ce qui rend difficile l'examen des actions mutuelles et entrave la bonne application des règles. Le pourcentage des subventions notifiées aurait ainsi baissé de 10 points entre 1995 et aujourd’hui, passant d’environ 50 % à 40 %. Ainsi, la création d’une présomption réfutable selon laquelle les subventions non notifiées seraient préjudiciables et donc susceptibles d’actions compensatoires serait une incitation puissante à modifier les comportements en la matière.

En ce qui concerne la révision des règles, il paraît nécessaire de revenir sur le traitement spécial différencié (TSD), qui permet à chaque membre de déterminer la catégorie de pays à laquelle il appartient parmi trois : pays les moins avancés, pays en développement et pays développés. L’affiliation à chacune de ces catégories procure ensuite des avantages différenciés, notamment en matière de droit de douane, les obligations allant croissant avec le niveau de développement. Le problème du TSD réside dans le fait que, les membres décidant de façon individuelle la catégorie dont ils relèvent, certains pays choisissent de se rattacher à une catégorie qui ne correspond pas à l’état réel de leur économie pour bénéficier des avantages que procure le rattachement à cette catégorie de pays – ou se soustraire aux obligations d’une catégorie plus élevée. La Chine choisit ainsi encore de se définir comme pays en développement dans de très nombreux accords et, selon le service économique de l’ambassade de France en Chine auditionné par votre rapporteure, le pays ne prévoit pas de changer son statut au cours des prochaines années, qualifiant de droit fondamental un traitement spécial et différencié. Il pourrait ainsi être envisagé que l’affiliation à une catégorie soit validée par un certain nombre de membres et non plus décidée individuellement. Les règles pourraient également être modifiées pour revoir la définition de la notion de subvention. Du fait de la définition actuelle, il est en effet très difficile pour un pays de prouver la subvention dans un pays tiers car les faits qui peuvent s’y rattacher sont très précis et, donc, limités, et ce alors même que les manières de subventionner ont évolué.

Il paraît, enfin, indispensable de parvenir à relancer les négociations sur la relance de l’ORD.

D.   Les difficultés qui demeurent

1.   Des divergences de vues persistantes entre États membres

De façon générale, une ligne de fracture demeure entre les États dits du Sud, plus enclins à se protéger, et ceux du Nord, plus libéraux. Ces divergences pourraient même s’accroître alors que la structure des économies des États membres – et, en particulier, le poids de secteur secondaire au sein de chacune d’entre elles – tend à devenir de plus en plus hétérogène, les États du Nord se transformant de plus en plus en des économies de services. À cet égard, le débat qui a eu lieu entre les États membres autour de la notion d’autonomie stratégique ouverte (ASO) est révélateur de cette tension permanente : il a finalement été décidé d’accoler l’adjectif « ouverte » à l’expression d’« autonomie stratégique », certains États la jugeant trop protectionniste ([39]). Outre ces différences d’ordre culturel, certains États membres, dont les économies ont été malmenées par les crises successives depuis une quinzaine d’années (crise financière, crise de la zone euro, crise sanitaire) n’ont pas envie de décourager les investissements, en particulier chinois. De nombreux États membres, très dépendants du commerce extérieur, sont également réticents à durcir les positions européennes, par crainte de mesures de rétorsions de la part de nos partenaires en cas d’adoption d’instruments jugés trop offensifs. Dans une moindre mesure, un dernier facteur, plus actuel, qui contribue à freiner certains États est le retour de l’inflation : le recours aux IDC viendrait, dans ce contexte, encore renchérir les produits.

Les divisions entre États membres sont également réelles quant à l’attitude à adopter face à la Chine. Par exemple, si la Lituanie, a choisi de quitter le groupe des 17+1, onze États membres de l’Union européenne en font encore partie : la Bulgarie, la Croatie, l’Estonie, la Grèce, la Hongrie, la Lettonie, la Pologne, la Roumanie, la République tchèque, la Slovaquie et la Slovénie. De même, bien que les négociations soient désormais arrêtées, les débats suscités par l’accord d’investissement UE-Chine (CAI – Comprehensive Agreement on Investment) ont aussi fait état des divisions des 27 à ce sujet.

Ces divisions sont d’autant plus problématiques que les États tiers savent les instrumentaliser, voire les accentuer. Le groupe des désormais 16+1 en est une parfaite illustration : par des investissements dans les pays de l’Est de l’Europe, la Chine cherche à s’assurer de leur soutien. De même, au cours du conflit sur les subventions accordées à Airbus et Boeing, les États-Unis choisissaient sciemment d’imposer des droits supplémentaires à des produits sensibles pour certaines économies européennes dans l’espoir de voir ces pays faire infléchir la position européenne.

Ainsi, pour que ces divisions ne soient pas un frein à l’adoption de nouveaux instruments, il est important pour la France de tenir compte en particulier des divergences de vues des États plus libéraux et ainsi de ne pas inscrire ces réformes dans une logique défensive, que rejetteraient à coup sûr de nombreux États membres, mais bien de les présenter comme des moyens nouveaux à la disposition de l’Union européenne pour faire valoir l’intérêt des entreprises et des consommateurs européens.

2.   Quelles réactions des puissances face aux mesures annoncées ?

Une autre difficulté réside dans l’attitude qu’adopteront nos partenaires en cas d’instauration de ces nouveaux instruments. L’Union et ses États membres s’exposent en effet à de potentielles mesures de rétorsion – auxquelles ils seraient certes désormais en moyen de répondre – de pays qui seraient hostiles à l’élargissement de la palette d’outils à disposition de l’Union européenne pour exiger plus de réciprocité dans les échanges commerciaux. S’exprimant au sujet de l’instrument anti-coercition, le ministre des affaires étrangères chinois a ainsi fait part de l’opposition de son pays au projet dans une conférence de presse du 7 décembre 2021 : « L'UE devrait considérer la Chine et son développement de manière objective et rationnelle, continuer à élargir l'accès au marché, promouvoir la libéralisation et la facilitation du commerce et des investissements, réduire les barrières commerciales, et s'abstenir d'en ériger de nouvelles. »

3.   L’absence de perspective d’une réforme de l’OMC

Enfin, alors que le recours par l’Union européenne à ses instruments de défense commerciale a vocation à pallier le non-respect des règles du commerce international ou leurs insuffisances, seule une réforme globale de ces règles peut permettre de les adapter aux nouvelles réalités économiques ou de combler leurs failles. Toutefois, la douzième conférence ministérielle de l’OMC, qui aurait dû se tenir en novembre 2021, a été annulée en raison de la situation sanitaire. Or, ces conférences sont précisément l’occasion de faire avancer les dossiers clés en matière de réforme des règles multilatérales du commerce et la date de la tenue de cette douzième conférence reste aujourd’hui inconnue.

 


 

   Conclusion :
Propositions pour la dÉfense commerciale europÉenne

 

Recommandation n°1 : Profiter de la présidence française de l’Union européenne pour faire avancer les négociations en cours sur les nouveaux instruments en cours d’élaboration, au premier rang desquels l’IPI.

Recommandation n°2 : Sensibiliser davantage les entreprises à l’existence des instruments de défense commerciale, au niveau européen et national.

     À l’échelle européenne, multiplier les canaux de communication à destination des entreprises notamment grâce à l’organisation d’évènements réguliers par la Commission et grâce à la création d’une plateforme dédiée à la défense commerciale sur le modèle de la plateforme Access to market qui vise à aider les entreprises à conquérir de nouveaux marchés.

     En France, s’appuyer sur les réseaux consulaires pour relayer les informations relatives aux IDC auprès des entreprises et organiser, dans les régions, des « journées d’accès au marché » sur le modèle de celle organisée à la Direction générale du Trésor.

Recommandation n°3 : Mieux suivre l’application des instruments de défense commerciale.

     En précisant les critères permettant d'identifier les mesures présentant un risque de contournement élevé, ou d'autres problèmes mettant à mal leur efficacité, et en sélectionnant des mesures de surveillance approfondie sur la base de ces critères

     Et en procédant régulièrement à des évaluations de l'efficacité globale des mesures de défense commerciale.

Recommandation n°4 : Améliorer le mécanisme européen de filtrage des investissements directs étrangers en incitant chaque État à se doter d’un mécanisme de filtrage des IDE, en harmonisant les mécanismes nationaux, en établissant, en amont, au sein de chaque pays, une liste des entreprises jugées sensibles ou stratégiques voire en autorisant, sous conditions, que la Commission et/ou un certain nombre d’États membres puissent bloquer un IDE dans un État.

Recommandation n°5 : Prendre conscience du poids du marché unique comme levier de puissance.             


Recommandation n°6 : Œuvrer à une réforme globale de l’OMC autour de trois axes : la relance de l’ORD, la surveillance et la réforme des règles en vigueur.

     En ce qui concerne la mise en œuvre des accords conclus, créer une présomption réfutable selon laquelle les subventions non notifiées seraient préjudiciables et susceptibles d’actions compensatoires.

     En ce qui concerne la révision des règles, revenir sur le traitement spécial différencié (TSD) afin qu’un pays ne puisse plus décider seul de la catégorie à laquelle il appartient et revoir la définition de la notion de subvention pour pouvoir y rattacher un ensemble de faits plus large alors que les manières de subventionner ont évolué.

 

 

 

 


 

   TRAVAUX DE LA COMMISSION

La Commission s’est réunie le mercredi 23 février 2022, sous la présidence de Mme Sabine Thillaye, Présidente, pour examiner le présent rapport d’information.

Mme la Présidente Sabine Thillaye. Nous allons maintenant examiner un sujet de la plus grande importance : celui de la défense commerciale de l’Union.

Les termes du débat sont connus : l’Union européenne est accusée, peut-être à tort, notre rapporteure nous le dira, de faire preuve de trop de naïveté sur la scène commerciale internationale, en recourant de façon trop timide aux outils de défense commerciale dont elle dispose, en acceptant trop facilement la prise de contrôle d’entreprises stratégiques par des investisseurs étrangers, ou encore en ouvrant ses marchés publics aux entreprises des pays tiers y compris lorsqu’il s’agit d’entreprises d’États qui n’ouvrent pas leurs propres marchés publics.

Quelle que soit la réalité de ce reproche, il est clair que la situation a évolué et que l’Union européenne semble désormais plus déterminée à défendre ses intérêts au nom de l’impératif – de plus en plus partagé au sein des États membres – d’autonomie stratégique et de protection de ses producteurs.

Mme Marguerite Deprez-Audebert, rapporteure. C’est avec un peu d’émotion que j’ai l’honneur de vous présenter ce rapport d’information sur la défense commerciale européenne, le dernier de cette mandature.

Si le sujet revêt une certaine complexité du fait de sa technicité, il illustre, selon moi, parfaitement la mue endossée par l’Union européenne ces dernières années pour exiger une plus grande réciprocité dans ses rapports avec le reste du monde. La dernière plainte, déposée le 18 février dernier par l’Union auprès de l’OMC contre la Chine, qui est accusée d’avoir empêché des entreprises européennes de protéger leurs brevets, témoigne de la volonté de Bruxelles de défendre davantage nos intérêts économiques.

Ouverte au commerce, l’Union s’est en effet appuyée sur les instruments de défense commerciale à sa disposition pour s’affirmer face aux pratiques commerciales déloyales de pays tiers et réclamer des conditions de concurrence équitables pour ses producteurs. L’Union ne s’est d’ailleurs pas contentée de mobiliser ses instruments ; elle les a récemment profondément rénovés pour s’assurer de leur efficacité dans un contexte de tensions commerciales accrues et continues. Elle continue aujourd’hui d’élargir la palette d’outils dont elle dispose. Je vais tâcher de revenir sur chacun de ces points.

Stricto sensu, il existe trois instruments de défense commerciale : les mesures antidumping, les mesures antisubventions, les mesures de sauvegarde. Si l’on exclut les mesures de sauvegarde, qui représentent une infime partie des mesures en vigueur, les deux premiers instruments ont vocation à intervenir lorsque des produits importés au sein de l’Union sont vendus, du fait du dumping ou des subventions dont ils font l’objet, à des prix artificiellement bas. Ce faisant, ils exposent les producteurs européens des secteurs concernés à une concurrence déloyale.

Environ 150 mesures de défense commerciale sont aujourd’hui en vigueur dans l’Union. Ces mesures sont réparties de la façon suivante : 86 % sont des mesures antidumping, 12 % sont des mesures antisubventions, les 2 % restants représentent des mesures de sauvegarde.

En ce qui concerne les pays visés par ces mesures, je ne vous surprendrai pas, je crois, en vous indiquant que près de deux tiers des mesures en vigueur ciblent des produits chinois ; viennent ensuite les produits en provenance de Russie, d’Inde et des États-Unis.

Dans les faits, l’Union recourt moins aux instruments de défense commerciale que ses partenaires, mais cela ne signifie pas pour autant qu’elle fasse preuve d’une naïveté absolue en la matière. Par exemple, les États-Unis et l’Union présentent un volume d’importations de marchandises en provenance du reste du monde similaire, mais les États-Unis affichent pourtant un nombre de droits en vigueur quatre fois supérieurs. Toutefois, un des facteurs explicatifs de cet inégal recours réside dans l’approche différente des deux puissances en matière de défense commerciale : les États-Unis préfèrent imposer un très grand nombre de droits quitte à être déboutés par la suite par l’OMC, tandis que l’Union européenne n’impose des droits que lorsqu’elle est plus ou moins certaine de la régularité de ses mesures et préserve ainsi ses entreprises d’une forme d’instabilité réglementaire qui leur serait préjudiciable.

L’efficacité de la défense commerciale européenne est réelle : selon les estimations de la Commission, ce sont près de 350 000 emplois directs qui seraient protégés par les mesures en vigueur. Un rapport récent de la Cour des comptes européenne a souligné que le système de protection des entreprises de l’UE contre les importations faisant l’objet d’un dumping ou subventionnées fonctionnait bien.

Néanmoins, nous devons reconnaître que cette efficacité est partielle. Elle a besoin d’être améliorée car l’Union a longtemps eu tendance à aller au-delà des règles de l’OMC, faisant preuve parfois d’une attitude conciliante, voire naïve vis-à-vis des États tiers qui recourent au dumping ou aux subventions. Les instruments de la défense commerciale européenne ont donc été profondément révisés à partir de 2017, pour remédier aux lacunes et pour les adapter à certaines nouvelles réalités économiques, au premier rang desquelles la montée en puissance de la Chine. Concrètement, les mesures de défense commerciale sont désormais mises en œuvre de façon plus systématique, plus rapide et plus sévère pour défendre au mieux l’intérêt des entreprises européennes.

Une innovation majeure a également été la nomination en 2020, d’un procureur commercial au sein de l’Union qui permet d’incarner véritablement la défense commerciale européenne auprès de nos entreprises, mais également vis-à-vis du reste du monde. Cette nomination témoigne d’un revirement au niveau européen que je veux ici saluer : la Commission européenne ne cherche plus uniquement à multiplier les accords commerciaux avec des partenaires mais s’assure désormais aussi que ceux déjà signés aient des retombées sonnantes et trébuchantes pour les entreprises européennes.

Aujourd’hui, au-delà d’une modernisation, la défense commerciale européenne est sujette à un réel élargissement dans le cadre de la nouvelle stratégie commerciale de l’Union adoptée en février 2021. Sans constituer de véritables instruments de défense commerciale, de nouveaux instruments, dits autonomes, ont vocation, comme les IDC, à permettre à l’Union européenne et à ses États membres de mieux faire valoir leurs droits, lorsqu’ils sont confrontés à des pratiques commerciales déloyales ou à une absence de réciprocité dans les échanges commerciaux. Il m’a, ainsi, paru pertinent d’aborder ces instruments dans le cadre de ce rapport sur la défense commerciale européenne, en ce qu’ils poursuivent les mêmes objectifs que ceux habituellement assignés aux IDC.

Ces nouveaux instruments doivent permettre de mieux lutter contre les subventions sur les marchés tiers, d’exiger une plus grande réciprocité dans l’accès aux marchés publics ou encore de répliquer aux tentatives de coercition économique dont ferait l’objet l’Union ou l’un de ses États membres.

En ce qui concerne l’absence de réciprocité dans l’ouverture des marchés publics en défaveur des entreprises européennes, j’aimerais partager avec vous un exemple qui me paraît particulièrement révélateur et que j’emprunte à un rapport d’information publié récemment par la commission des Affaires étrangères et présenté par les députés Maud Gatel et Didier Quentin : alors que les chercheurs du CNRS travaillent avec des supercalculateurs américains, les industriels européens ne sont pas autorisés à répondre à la commande publique américaine pour ces mêmes équipements. Ce n’est pas normal !

Par ailleurs, d’autres instruments en train d’être créés, bien qu’ils poursuivent en priorité des objectifs différents, auront aussi une influence en matière de commerce extérieur. Cela illustre la place centrale qu’occupe désormais la politique commerciale et la nécessité de la mettre en cohérence avec la politique industrielle, nos efforts en matière d’écologie, mais aussi la protection des droits de l’homme. À ce titre, le règlement établissant un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’Union, proposé par la Commission européenne le 14 juillet dernier, fait partie des exemples les plus pertinents pour souligner le caractère transversal des enjeux climatiques et commerciaux. Plus récemment, le commissaire Thierry Breton a présenté sa proposition du Chips Act européen qui vise à renforcer la production de semi-conducteurs dans l’Union pour consolider notre autonomie industrielle et notre marge de manœuvre en matière commerciale. Au niveau des initiatives prises par l’Assemblée nationale ou notre commission des Affaires européennes, je pense aussi aux résolutions adoptées, en janvier dernier, concernant la situation des Ouïghours en Chine et le devoir de vigilance des multinationales.

La France est particulièrement investie sur la création des nouveaux instruments commerciaux et entend utiliser la PFUE pour faire avancer les négociations sur ces dossiers. Je salue cette volonté et m’y associe, tout en précisant que le seul élargissement des instruments dont dispose l’Union n’apporte qu’une réponse certes bienvenue mais partielle : il est absolument nécessaire, sur ce sujet, pour l’Union européenne et pour la France, de continuer à œuvrer à une réforme de l’OMC afin, notamment, de débloquer l’organe de règlement des différends, aujourd’hui paralysé, et d’adopter de nouvelles règles plus contraignantes en matière de contrôle des subventions.

En conclusion, je recourrai à cette maxime latine qui exprime parfaitement la philosophie avec laquelle l’Union européenne recourt aux instruments de défense commerciale et développe de nouveaux outils : si vis pacem, para bellum, « si tu veux la paix, prépare la guerre. » La défense commerciale européenne n’a, en théorie, pas vocation à être utilisée mais son « arsenal » est indispensable pour assurer à l’Union européenne et à ses États membres une crédibilité dans leur rapport avec leurs partenaires : son existence et son renforcement actuel doivent permettre de dissuader les États qui seraient tentés de le faire de recourir à des pratiques commerciales déloyales. Nous devons aujourd’hui renforcer cet arsenal en poursuivant la voie prise par la Commission européenne et les ambitions exprimées par la présidence française du Conseil de l’Union européenne.

 

L’exposé de la rapporteure a été suivi d’un débat.

 

Mme la Présidente Sabine Thillaye. Cet état des lieux très précis montre bien que nous avons fait des progrès depuis 2017 sur les sujets de politique commerciale, et que nous avons notamment perdu notre naïveté en la matière.

M. André Chassaigne. Nous avons multiplié les accords de libre-échange dans le passé, dont les conséquences sont, hélas, multiples et néfastes. Le dumping et la libéralisation affectent nos entreprises, notre souveraineté, notre budget et surtout notre environnement. Je souhaiterais revenir sur deux sujets auxquels je tiens particulièrement : l’agriculture et la transition écologique.

L’agriculture française est passée de 90 à 180 milliards d’euros de produits importés entre 2000 et 2016 et l’excédent agricole français a été divisé par deux entre 2011 et 2017. À ce rythme de décroissance, notre pays connaîtra son premier déficit agricole en 2023. Malheureusement la politique agricole commune reste un instrument inégalitaire qui favorise les grandes entreprises agricoles. Les clauses de sauvegarde commerciales ne sont jamais vraiment mobilisées en matière agricole, par manque de volonté politique de la part de la Commission et à défaut d’un dispositif efficace de suivi des marchés.

Concernant la transition écologique, les références aux engagements environnement restent souvent limitées à des déclarations non contraignantes dans les accords commerciaux, aucune sanction n’étant envisagée en cas de manquement. Le cas de l’accord entre l’Union européenne et l’Indonésie est emblématique : cette dernière, malgré son engagement réaffirmé en faveur de l’Accord de Paris, a porté devant l’organe de règlement des différends de l’Organisation mondiale du commerce la décision européenne visant à restreindre l’importation d’huile de palme. L’huile de palme est pourtant fortement émettrice de CO², responsable de la déforestation, porte atteinte à la biodiversité et augmente la vulnérabilité des sols. Cependant, l’Union européenne est incapable de procéder à des restrictions de son importation. Une meilleure défense commerciale aurait des effets positifs sur notre marché, permettant par exemple un revenu décent pour nos agriculteurs, de lutter contre le travail forcé et la déforestation et de limiter les émissions de carbone et de méthane.

Dans le cadre de sa Présidence du Conseil de l’Union, la France doit renforcer la politique commerciale européenne plutôt que de négocier de nouveaux accords commerciaux. Elle doit prémunir l’Europe contre les législations extraterritoriales américaines et pousser des législations, comme la loi Potier sur le devoir de vigilance, contre l’accaparement des terres agricoles et pour le renforcement du devoir de vigilance au niveau européen. La France doit s’assurer que les produits importés soient soumis aux standards européens. De tels projets pourraient-ils être annoncés par la Commission ? Le temps presse.

Mme Nicole Le Peih. Le 13 et 14 février dernier, les ministres européens chargés du commerce se sont réunis à Marseille pour travailler sur la stratégie et les priorités de la politique commerciale de l’Union. Cette réorientation est pensée en cohérence avec la politique de la Commission européenne, qui a défini sa nouvelle ambition commerciale à travers trois grandes caractéristiques : ouverte, durable, dynamique.

Nous pouvons nous féliciter de cette dynamique qui traduit la montée des préoccupations environnementales, la volonté accrue de protéger nos entreprises et de préserver notre économie ouverte sur le monde.

Pour répondre à ce défi, il est important de se doter des bons outils, tel que l'Instrument pour les marchés publics (IPI) sur lequel porte votre première recommandation et qui permet de limiter l’accès aux marchés publics européens aux entreprises de pays n’offrant pas de conditions d’accès similaires. Négocié depuis 2012, ce mécanisme pourrait voir le jour sous la présidence française. Pourriez-vous nous indiquer où en sont les négociations en cours et comment sa mise en œuvre se déroulera ?

Mme Frédérique Dumas. Je soutiens les propos du Président Chassaigne : peu d’instruments sont contraignants et les sanctions sont rares. La France continue à soutenir l’accord d’investissement entre l’Union et la Chine, alors que les principes éthiques et écologiques ne sont pas respectés. L’écart entre les discours et les actes est très fort. L’absence de réciprocité est réelle : nos marchés sont plus ouverts que les marchés américains. Puisque l’on n’arrive pas à obtenir la réciprocité, pourquoi ne fait-on pas l’inverse et ne fermons-nous pas nos marchés ?

Mme Marguerite Deprez-Audebert, rapporteure. Nous avons senti un véritable changement d’attitude et de volonté chez nos interlocuteurs pendant les auditions, ce qui m’a rassérénée. La naïveté du laisser-faire est terminée, même s’il reste effectivement beaucoup à faire. Concernant l’agriculture, nous comptons beaucoup sur les avancées ce semestre, notamment à travers l’introduction des clauses miroirs portées par le ministre de l’agriculture, qui permettrait de rééquilibrer les conditions de concurrence.

Les négociations sont bien avancées sur l’accord IPI. Des exemptions sont prévues concernant les pays les moins développés de l’Union et la question des seuils est à l’étude. Nous espérons aboutir sur ce sujet qui est discuté depuis une dizaine d’années pendant la PFUE.

Nous avons en effet été trop laxistes et naïfs et nous devons désormais réagir. L’arsenal des mesures que j’évoque doit pouvoir rétablir des conditions commerciales équitables.

 

 


 

   annexe :
Liste des personnes auditionnées par lA rapporteure

 

Direction générale du commerce, Commission européenne

Parlement européen

Mission permanente de l’Union européenne à l’Organisation mondiale du commerce

Délégation permanente de la France auprès de l’OMC

Représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne

Assemblée nationale

Cabinet du ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, chargé du Commerce extérieur et de l’attractivité

Direction de la diplomatie économique du ministère de l’Europe et des affaires étrangères


Direction générale du Trésor

Service économique de l’ambassade de France en Chine

 

 


([1]) Conférence de presse du 5 mai 2021 à l’occasion de la présentation de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif aux subventions étrangères faussant le marché intérieur.

([2]) Le traité de Lisbonne a modifié la procédure de décision pour la rendre plus efficace (rôle de la comitologie). À l’issue de l’enquête, la Commission présente au comité de de défense commerciale un projet de droits qui est adopté sauf si une majorité simple des membres s’y oppose et fait appel ; le projet de droit est alors adopté à moins qu’une majorité qualifiée vote contre.

([3]) Règlement (UE) 2016/1036 du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2016 relatif à la défense contre les importations qui font l'objet d'un dumping de la part de pays non membres de l'Union européenne (JO L 176 du 30.6.2016, p. 21).

([4]) Règlement (UE) 2016/1037 du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2016 relatif à la défense contre les importations qui font l'objet de subventions de la part de pays non membres de l'Union européenne (JO L 176 du 30.6.2016, p. 55).

([5]) Règlement (UE) 2017/2321 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2017 (JO L 338 du 19.12.2017, p. 1).

([6]) Règlement (UE) 2018/825 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018 (JO L 143 du 7.6.2018, p. 1).

([7]) Règlement (CE) n° 260/2009 Du Conseil du 26 février 2009 relatif au régime commun applicable aux importations (version codifiée) (JO L 84 du 31.3.2009, p. 1).

([8]) Règlement (CE) n°625/2009 du Conseil du 7 juillet 2009 relatif au régime commun applicable aux importations de certains pays tiers.

([9]) 39th Annual Report from the Commission to the European Parliament and the Council
on the EU’s Anti-Dumping, Anti-Subsidy and Safeguard activities and the Use of Trade
Defence Instruments by Third Countries targeting the EU in 2020.

([10]) Rapport annuel du Comité des pratiques antidumping, 2021.

([11])  Cecilia Bellora et Sébastien Jean, « Granting Market Economy Status to China in the EU: an economic impact assessment », CEPII Policy Brief 2016-11, 2016, CEPII.

([12]) De fait, le ratio nombre de mesures rejetées sur nombre de mesures adoptées est bien plus élevé pour les États-Unis que pour l’Union.

([13]) 38e rapport annuel sur l’usage des instruments de défense commerciale, 2020.

([14]) Rapport spécial 17/2020, Instruments de défense commerciale : le système de protection des entreprises de l’UE contre les importations faisant l’objet d’un dumping ou subventionnées fonctionne bien.

([15]) La Chine est devenue en 2020 le premier partenaire commercial de l’Union européenne, avec 586 milliards d’euros d’échanges.

([16]) Wu, Mark, The 'China, Inc.' Challenge to Global Trade Governance (May 13, 2016). Harvard International Law Journal, Vol. 57, 1001-1063 (2016), Harvard Public Law Working Paper No. 16-35.

([17]) JOIN(2019) 5 final, Communication conjointe au Parlement européen, au Conseil européen et au Conseil sur les relations UE – Chine.

([18]) Dans une étude publiée en 2017 (« La tentation de l’Île : le protectionnisme est-il la solution ? »), l’IPSOS indiquait que 60% des Français avaient une mauvaise opinion de la mondialisation et que 75% étaient favorables à plus de protection contre la concurrence étrangère.

([19]) Emmanuel Macron, dans son discours prononcé à la Sorbonne en 2017 : « Nous avons besoin d’une réciprocité en créant un procureur commercial européen, chargé de vérifier le respect des règles, par nos concurrents, et de sanctionner sans délais toute pratique déloyale ».

([20]) Rapport du 27/10/2021 de la Commission au Parlement européen, au Conseil au comité économique et social européen et au comité des régions sur la mise en œuvre et l’application des accords commerciaux conclus par l’UE.

([21]) Règlement (UE) 2019/452 établissant un cadre pour le filtrage des investissements directs étrangers dans l’Union.

([22]) Rapport du 23 novembre 2021 de la Commission au Parlement européen et au conseil, Premier rapport annuel sur le filtrage des investissements directs étrangers.

([23]) Règlement (UE) 2021/167 du Parlement européen et du conseil du 10 février 2021 modifiant le règlement (UE) no 654/2014 concernant l’exercice des droits de l’Union pour l’application et le respect des règles du commerce international.

([24]) 38 rapport annuel de la Commission sur l’usage des instruments de défense commerciale (2020).

([25]) Règlement d’exécution (UE) 2020/492 de la Commission du 1er avril 2020 instituant des droits antidumping définitifs sur les importations de certains tissus en fibres de verre tissées et/ou cousues originaires de la République populaire de Chine et d’Égypte.

([26]) Rapport d’information de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale du 16 décembre 2021 sur le sujet de l’autonomie stratégique européenne, présenté par Mme Maud Gatel et M. Didier Quentin.

([27]) COM(2021) 66 final, Réexamen de la politique commerciale – Une politique commerciale ouverte, durable et ferme.

([28]) Com(2021) 223 final, Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif aux subventions étrangères faussant le marché intérieur.

([29]) Com(2020) 253 final, Livre blanc relatif à l’établissement de conditions de concurrence égales pour tous en ce qui concerne les subventions étrangères.

([30]) Com(2021) 775 final, Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur la protection de l’Union et de ses États Membres de la coercition économique par des pays tiers.

([31]) Déclaration commune de la Commission, du Conseil et du Parlement concernant un instrument visant à décourager et à contrer les mesures coercitives de pays tiers 2021/C 49/01.

([32]) Forum initié par la Chine pour étendre son influence en Europe en dehors du cadre institutionnel et formel de l’Union européenne, ce forum étant composé, jusqu’à ce que la Lituanie choisisse de le quitter, de 17 pays d’Europe centrale et orientale, dont 11 membres de l’UE, et de la Chine.

([33]) Center for strategic and international studies, « Weaponizing Trade », 7 décembre 2021.

([34])  Selon la loi du LOI n° 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre, le devoir de vigilance consiste en l’obligation faite aux entreprises d’une certaine taille d’ « identifier les risques et prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l'environnement, résultant des activités de la société et de celles des sociétés qu'elle contrôle au sens du II de l'article L. 233-16, directement ou indirectement, ainsi que des activités des sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels est entretenue une relation commerciale établie, lorsque ces activités sont rattachées à cette relation. »

([35])  Résolution du 20 janvier 2022 portant sur la reconnaissance et la condamnation du caractère génocidaire des violences politiques systématiques ainsi que des crimes contre l’humanité actuellement perpétrés par la République populaire de Chine à l’égard des Ouïghours.

([36]) Com(2021) 564 final, Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières.

([37]) Com(2021) 706 final, proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil pour enrayer la déforestation et la dégradation des forêts imputables à l’UE.

([38]) Ursula von der Leyen, Discours sur l’État de l’Union, 15 septembre 2021.

([39])  Dans les conclusions du Conseil européen du 2 octobre 2020 il est ainsi mentionné : « Parvenir à une autonomie stratégique tout en préservant une économie ouverte est un objectif clé de l’Union ».