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N° 753

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 18 janvier 2023.


RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

sur le déplacement d’une délégation de la commission à New York à l’occasion de la 77ème Assemblée générale des Nations Unies, à l’automne 2022

 

présenté par

M. Jean-Louis BOURLANGES,
Mme Éléonore CAROIT, M. Michel HERBILLON,
Mme Nadège ABOMANGOLI et M. Thibaut FRANÇOIS,

Députés

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La délégation de la commission était composée de : M. JeanLouis Bourlanges (Hauts-de-Seine  Démocrate), président de la commission ; Mme Éléonore Caroit (Français de l’étranger  Renaissance) et Michel Herbillon (Val-de-Marne  Les Républicains), vice-présidents ; Mme Nadège Abomangoli (Seine-Saint-Denis  La France Insoumise-NUPES), secrétaire ; M. Thibaut François (Nord  Rassemblement national), coordinateur de groupe.


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 SOMMAIRE 

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 Pages

introduction

I. L’impact majeur de la guerre en Ukraine sur le fonctionnement institutionnel de l’ONU

A. Un fonctionnement entravÉ

B. Vers une relance de la nÉcessaire rÉforme de l’ONU ?

II. Des prioritÉs manifestement divergentes entre États membres des Nations Unies : le reflet des fractures actuelles de la communautÉ internationale

A. La guerre en Ukraine, prÉoccupation principale mais pas exclusive des reprÉsentations occidentales

B. D’autres sources d’inquiÉtude plus prÉgnantes pour les reprÉsentations du reste du monde

III. Le rÔle toujours aussi essentiel des Nations Unies sur les grands dossiers multilatÉraux et le maintien de la paix

A. L’ONU, AGORA des dÉfis du monde

B. Les opÉrations de maintien de la paix : symbole visible de l’action des Nations Unies face aux flÉaux qui touchent de nombreux pays

IV. ILLUSTRations Des actions concrÈtes sous l’Égide de l’ONU, souvent mÉconnues mais pourtant fondamentales

A. L’action de L’Équipe d’enquÊte chargÉe de promouvoir la responsabilitÉ des crimes commis par DaeCh (UNITAD)

B. L’action du panel d’experts prévu par la résolution 1874 (2009) sur la CorÉe du Nord

C. La situation des femmes en Afghanistan

ConClusion

Examen en commission

annexe : Liste des personnes auditionnÉes par La dÉlÉgation de la commission


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   introduction

 

Comme chaque année, une délégation de la commission des affaires étrangères s’est rendue à New York, du 30 novembre au 2 décembre 2022, dans le cadre de la 77ème assemblée générale des Nations Unies.

Conduite par le président de la commission, M. Jean-Louis Bourlanges, à l’issue de sa participation à la visite d’État du président de la République aux États‑Unis, cette délégation était constituée de Mme Éléonore Caroit et M. Michel Herbillon, vice-présidents, Mme Nadège Abomangoli, secrétaire, ainsi que M. Thibaut François, coordinateur de son groupe politique.

Lors de leurs deux jours de présence à New York, les membres de cette délégation ont pu entendre trois types d’interlocuteurs :

– tout d’abord, des représentants permanents d’États aux Nations Unies, à commencer par le représentant de la France, M. Nicolas de Rivière ; outre les représentants ou leurs adjoints des États-Unis et du Royaume-Uni, il avait été demandé de pouvoir rencontrer des représentants de pays en voie de développement, tels le Brésil, l’Inde et le Sénégal, ainsi que ceux de l’Ukraine et de la République de Corée ;

– ensuite, des responsables de l’Organisation des Nations Unies (ONU), qu’il s’agisse du président élu de l’Assemblée générale ou de fonctionnaires en charge de dossiers spécifiques, liés notamment aux opérations de maintien de la paix, au suivi des sanctions contre la Corée du Nord ou à la recherche de preuve des crimes commis par Daech sur le théâtre irakien ;

– enfin, des représentants de la société civile luttant pour les droits humains, et notamment la cause des femmes en Afghanistan.

Tous ces entretiens ont été riches et intéressants. Le 18 janvier 2023, la commission des affaires étrangères a souhaité que les enseignements qui en découlent soient présentés sous la forme d’un rapport d’information. Tel est l’objet de ce document.

 


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I. L’impact majeur de la guerre en Ukraine sur le fonctionnement institutionnel de l’ONU

A.   Un fonctionnement entravÉ

Le déplacement de la délégation de la commission des affaires étrangères à New York, à l’automne 2022, est intervenu dans un contexte particulier.

En effet, neuf mois plus tôt, le 24 février 2022, la Fédération de Russie, État disposant du statut de membre permanent du Conseil de sécurité, envahissait des pans entiers de territoire d’un pays voisin, l’Ukraine, au mépris des principes d’intangibilité des frontières et de respect de la souveraineté nationale consacrés par la Charte des Nations Unies.

Cette initiative a eu des conséquences très importantes sur le fonctionnement de l’ONU, mettant – pour reprendre l’expression de l’une des personnalités rencontrées – le système « sous pression ».

Les lignes de traverse géopolitiques, qui résultent du conflit en Ukraine, se matérialisent très directement au Conseil de sécurité. Créé en 1945, ce dernier est en charge de la paix au niveau international et, aujourd’hui, il se trouve manifestement incapable de remplir cette mission en raison du fossé entre membres permanents et également du fait du droit de veto de la Russie.

Certes, plusieurs interlocuteurs de la délégation ont cherché à la convaincre que le Conseil de sécurité, en dépit des fractures qui le caractérisent, continue de travailler, de se réunir et de prendre des initiatives sur d’autres dossiers. En témoignent, notamment, de récentes décisions sur Haïti.

Il n’en demeure pas moins que les alliances nouées par la Russie avec certains États directement sous les projecteurs de la communauté internationale, comme l’Iran ou la Corée du Nord par exemple, conduisent de facto à un empêchement du Conseil de sécurité de prendre des positions ambitieuses sur de nombreux sujets importants.

Pour tenter de sortir de l’ornière, deux composantes de l’ONU, alternatives au Conseil de sécurité, se sont impliquées dans le dossier ukrainien :

– le Secrétaire général de l’Organisation, tout d’abord. La Russie l’a informé dès février 2022 qu’elle ne lui voyait aucun rôle dans la résolution du conflit, ce qui limite son action aux aspects humanitaires, à la facilitation des échanges commerciaux et aux négociations sur les échanges de prisonniers. De manière assez unanime, néanmoins, les initiatives prises par António Guterres, s’agissant de l’accord sur l’exportation de céréales par la mer noire ou l’échange de prisonniers, recueillent une appréciation positive des États membres de l’ONU. Cela mérite d’être souligné ;

– l’autre composante qui joue un rôle de plus en plus significatif est l’Assemblée générale des Nations Unies. Dans le cas d’espèce, elle tend à se voir attribuer un rôle assez inhabituel, consistant à traiter de questions de sécurité. Les États membres lui confèrent désormais plus d’enjeux de paix et de sécurité qu’au Conseil de sécurité et c’est elle qui a adopté cinq résolutions sur l’Ukraine. Par ces résolutions, les États membres ont blâmé la décision d’entrer en guerre et indiqué qu’ils ne reconnaissent pas l’agression de l’Ukraine par la Russie. De même, 143 États membres sur 193 ont demandé à cette dernière de revenir sur sa « tentative d’annexion illégale » de quatre régions ukrainiennes à la suite de soi-disant référendums illégaux.

 

Prises de position des instances de l’ONU
sur le conflit en Ukraine depuis le 24 février 2022

Depuis le 24 février 2022, l’ONU a tenu sept votes (quatre de l’Assemblée générale - AGNU, trois du Conseil de sécurité - CSNU) concernant de près ou de loin l’offensive menée par la Russie en Ukraine.

1. Les votes au Conseil de sécurité

Les votes tenus par le Conseil de sécurité de l’ONU ont été, depuis le 24 février 2022, de deux natures.

Les votes du 25 février et du 30 septembre, de portée contraignante, se sont heurtés au veto de la Russie. En revanche, elle n’a pas pu y recourir lors du vote procédural et non-contraignant du 27 février, destiné à convoquer une réunion de l’Assemblée générale.

Les positions exprimées sont globalement stables et concourent à une majorité de condamnations de la guerre ouverte par la Russie en Ukraine. La Chine et l’Inde, soulignant préférer la « voix du dialogue et de la diplomatie » plutôt que « l’huile sur le feu », et en raison de leurs liens économiques et/ou politiques avec la Russie, ont été constantes dans leur abstention. Les Émirats arabes unis, le Gabon et le Brésil se sont montrés moins réguliers, adhérant plus ou moins aux arguments présentés par la Chine et l’Inde selon les votes. Ces États ont toutefois opéré ce que certains commentateurs ont qualifié de volte-faces, en votant à l’AGNU les résolutions pour lesquelles ils s’étaient abstenus au Conseil de sécurité.

Le détail des votes figure dans le tableau ci-dessous.

 

 

2. Les votes à l’Assemblée générale

Depuis le 24 février 2022, l’AGNU a tenu quatre votes concernant la Russie (arrêt de l’usage de la force en Ukraine, suspension du Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies, condamnation des annexions en Ukraine, demande de paiement de réparations à l’Ukraine).

Ces votes, s’ils ne sont jamais de nature contraignante, permettent une lecture des rapports géopolitiques mondiaux à la lumière de la guerre en cours. En effet, si la condamnation de l’agression russe contre l’Ukraine est plutôt unanime en Europe, en Amérique du Nord et dans les pays qui leur sont alliés, certains pays pourtant historiquement alignés sur les positions européennes ont tenu, dans le cas d’espèce, des positions différentes.

Il convient dès lors de distinguer plusieurs blocs d’États et d’analyser ces positionnements.

• Des pays ayant voté contre tout ou partie des sanctions contre la Russie, il faut dégager plusieurs tendances :

– la Biélorussie, tout comme la Syrie, a ouvertement apporté leur soutien à la Russie dans son opération militaire dès le début du conflit, respectivement par la mise à disposition de leur territoire ou de mercenaires ;

– viennent ensuite les pays faisant partie de la communauté des États indépendants (CEI), réminiscence de l’Union des Républiques socialistes soviétiques, à l’exception de la Moldavie et de la Géorgie, agitées par des mouvements sécessionnistes russes qui tranchent avec leurs aspirations européennes. À ces pays s’ajoutent ceux sous sanctions des États-Unis et ou de l’Union européenne, souvent motivés par un soutien idéologique (illibéralisme, conservatisme), comme la Corée du Nord, le Nicaragua, Cuba ou encore l’Iran (le Venezuela n’a, pour sa part, pas participé aux votes) ;

– apparaissent ensuite les États tenus par des liens diplomatiques historiques (Éthiopie, Zimbabwe, Chine, Érythrée, Algérie, Vietnam) et/ou militaires (Mali et République centrafricaine avec le groupe Wagner) ;

– enfin, certains États comme le Laos ou le Gabon ont connu une montée en puissance de leurs relations économiques depuis les années 1970, assorties de liens diplomatiques renforcés. De même, les cas particuliers de la Colombie ou du Congo, historiquement alignés sur les positionnements européens, s’expliquent entre autres par des projets importants de coopération énergétique (oléoduc gazier au Congo, collaboration énergétique et soutien russe à Evo Morales dans son différend territorial avec le Chili pour un accès à la mer).

• Les pays s’étant massivement abstenus, ou n’ayant voté qu’en faveur de l’une des quatre résolutions de l’AGNU (celle portant sur le respect de l’intégrité territoriale de l’Ukraine dans le cas de Madagascar, du Sénégal, de l’Angola, du Bangladesh et de l’Irak), se concentrent très largement dans le « Tiers-Monde » post guerre froide. Ces États, souvent lésés par le système international et réceptifs aux discours anti-impérialistes et anti-occidentaux de la Russie, ont par ailleurs été forcés à un véritable jeu d’équilibre entre leurs différents partenaires économiques. Le tourisme, l’énergie, mais aussi et surtout l’alimentation (a fortiori en Afrique et au Proche-Orient), sont autant de secteurs dans lesquels la Russie a eu à cœur d’investir au cours des dernières décennies à travers le monde. Il s’agit dès lors pour ces pays de ne pas froisser un partenaire au profit de l’autre, et donc de s’abstenir tout en reprenant les discours appelant à la diplomatie.

• La dernière tendance observée à l’échelle internationale comprend un ensemble d’États ayant voté en faveur des deux résolutions visant à préserver l’intégrité territoriale de l’Ukraine (2 mars et 12 octobre) mais s’étant abstenus lors des votes pour la suspension de la Russie du Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies (7 avril) et pour le versement de réparations à l’Ukraine (14 novembre).

B. Vers une relance de la nÉcessaire rÉforme de l’ONU ?

Les modes de contournement du Conseil de sécurité ne sauraient être considérés comme satisfaisants. Le système onusien est dysfonctionnel et plusieurs États en tirent la conclusion qu’il faut remettre sur le métier la réforme de l’Organisation, à commencer par celle de la composition du Conseil de sécurité.

Tous les représentants des États membres de pays en voie de développement rencontrés à New York, que ce soit celle de l’Inde ou ceux du Brésil et du Sénégal, ont plaidé en faveur d’un élargissement du collège des membres permanents du Conseil de sécurité, afin de le rendre plus représentatif.

Il est indéniable que l’équilibre des pouvoirs sur lequel le système onusien a été créé en 1945 a profondément changé. Dans les années 1970, 80 % des réserves d’or des banques centrales étaient détenues par les cinq pays membres permanents du Conseil de sécurité ; aujourd’hui, ces mêmes pays n’en possèdent que 15 %. De même, alors que les banques occidentales étaient parmi les plus importantes, trois banques chinoises les ont supplantées. Enfin, l’Inde va prochainement devenir le pays le plus peuplé de la planète.

Fait significatif, certains États membres permanents du Conseil de sécurité, et non des moindres puisqu’il s’agit des États-Unis, du Royaume-Uni et de la France, sont officiellement ouverts à l’idée d’une réforme de sa composition. Le président Joe Biden s’est prononcé en ce sens lors de sa participation à la 77ème Assemblée générale, en septembre dernier, ce qui a nourri beaucoup d’espoirs.

Des discussions doivent s’ouvrir à ce sujet dès ce mois de janvier 2023. Des échanges qu’ils ont eus sur la question, les membres de la délégation restent néanmoins assez sceptiques sur les résultats à en attendre.

L’élargissement de la composition du Conseil de sécurité n’apparaît envisageable à la plupart de ses membres permanents que si elle ne remet pas en cause son efficacité. En outre, les termes de la discussion demeurent à ce stade relativement vagues, de sorte qu’il est permis de douter de la volonté réelle d’aboutir sur cet objectif.

Autrement dit, la réforme du Conseil de sécurité est un « serpent de mer » depuis vingt-deux ans et il y a fort à parier qu’elle le restera dans les mois et années à venir, indépendamment de l’appréciation portée sur son bien-fondé.

De fait, ce constat est la traduction que les intérêts des États membres et leurs visions divergent souvent.


II. Des prioritÉs manifestement divergentes entre États membres des Nations Unies : le reflet des fractures actuelles de la communautÉ internationale

L’Assemblée générale des Nations Unies incarne, pour reprendre une expression utilisée lors des entretiens menés par la délégation de la commission à New York, le « Parlement du monde » : tous les États de la planète y participent, à l’exception de Taïwan, de la Palestine et du Kosovo.

La France occupe un rang particulier à l’ONU : elle en est membre permanent et possède un arsenal nucléaire. Sa représentation diplomatique y est composée de 85 personnels, qui suivent des dossiers sur le fond puisqu’il y a en permanence une cinquantaine de négociations au siège des Nations Unies.

À New York, la délégation de la commission des affaires étrangères a pu rencontrer les représentants permanents de cinq États membres de l’ONU (Royaume-Uni, Inde, Sénégal, Ukraine, Brésil), ainsi que les représentants permanents-adjoints de deux autres États membres (États-Unis et République de Corée). Ce panel, assez représentatif des continents et de la pluralité des États membres, a permis de dresser un bilan assez clair des divergences de préoccupations et des fractures au sein de la communauté internationale.

A.   La guerre en Ukraine, prÉoccupation principale mais pas exclusive des reprÉsentations occidentales

Si la guerre en Ukraine est, sans surprise, l’un des sujets qui est revenu dans toutes les conversations, force est de constater qu’elle revêt un degré d’implication différent selon les missions diplomatiques présentes à l’ONU.

Bien évidemment, cette question est la priorité absolue de l’ambassadeur de l’Ukraine à l’ONU. Celui-ci n’a manqué aucune occasion de souligner que la guerre en cours, qui a débuté en 2014 et dont les germes sont apparus en Géorgie dès 2008, n’aurait peut-être pas pris sa dimension actuelle si la communauté internationale avait été plus ferme à l’encontre des violations antérieures par la Russie du droit international dans son environnement proche.

Les représentants du Royaume-Uni et des États-Unis, sans nécessairement reprendre les termes de leur homologue ukrainien, ont eux aussi insisté sur l’acuité de ce dossier. Ils n’en ont pas moins fait valoir qu’ils avaient d’autres préoccupations en tête, telles :

– d’abord, l’affirmation de la Chine sur la scène internationale et dans le système onusien. Depuis 2007, ce pays investit l’ONU puisque sa contribution au budget ordinaire de l’Organisation est passée de 3 % à 15 %, tandis que le nombre de ressortissants chinois travaillant aux Nations Unies a doublé. De fait, la République populaire entend diffuser sa vision politique. Insidieusement, l’Occident se trouve critiqué comme promoteur du « deux poids, deux mesures », tandis que la Chine s’érige en modèle alternatif pour les pays en voie de développement ;

– ensuite, l’Iran, qui réprime sans faiblesse les manifestations de mécontentement suite à la mort d’une jeune kurde tuée par la police des mœurs et qui entretient l’ambiguïté sur la finalité de ses recherches et activités nucléaires.

B.   D’autres sources d’inquiÉtude plus prÉgnantes pour les reprÉsentations du reste du monde

Les autres représentants d’États membres auprès de l’ONU, pour leur part, ont clairement signifié à la délégation de la commission que si la question ukrainienne était un sujet de préoccupation, elle ne devait pas pour autant éclipser d’autres types d’inquiétudes.

De fait, trente guerres affectent actuellement le monde. Certains pays sont plus directement touchés par l’une d’entre elles que par celle en Ukraine ; ils ne comprennent donc pas toujours le focus réalisé sur le conflit russo-ukrainien, ce qui engendre une certaine dichotomie.

Pour la République de Corée, deux sujets ont plus particulièrement monopolisé les débats : les menaces de la Chine et, surtout, celles des programmes nucléaire et balistique de la Corée du Nord. Sur le second aspect, force est de reconnaître qu’il s’agit d’une menace existentielle puisqu’une ogive nucléaire lancée par le régime nord-coréen sur Séoul pourrait conduire à la disparition de plus de 686 000 personnes. Or, la Corée du Nord a effectué six essais nucléaires, qui augmentent en puissance à chaque fois et, en 2022, les forces nord-coréennes ont procédé à 63 lancements de missiles, contre 29 en 2021.

L’Inde, pour sa part, regarde avec attention la situation à ses frontières, tout particulièrement en Afghanistan, qui reste clairement un sujet de préoccupation, et en Birmanie, où les tensions internes sont très vives.

Dans le cas du Brésil, l’ambassadeur rencontré à New York a fait valoir que, s’il était indéniable que la Russie avait commis une grave entorse à la Charte des Nations Unies en Ukraine, des regrets pouvaient être formulés sur une forme de volonté de sanctionner à tout prix la Fédération russe. Ont également été plus particulièrement relevées les conséquences de la guerre en Ukraine pour la sécurité alimentaire et la stabilité des pays en voie de développement.

Ces préoccupations recoupent largement celles du Sénégal, dont le représentant permanent a tenu à employer un langage direct et de vérité devant des parlementaires français.

En substance, une césure s’est fait jour entre l’Occident et le reste du monde. Certains pays ont pris position sur le conflit en Ukraine par réalisme politique, d’autres par réalisme économique. Malgré certaines réticences au départ, un consensus s’est établi autour du tabou de la violation de l’intangibilité des frontières et de la Charte des Nations Unies. Depuis, néanmoins, une forme de lassitude tend à s’instaurer dans les pays en voie de développement

Ceux-ci considèrent, dans le contexte post-Covid, que la communauté internationale ne cherche pas suffisamment à traiter leurs problèmes économiques, sociaux et de sécurité. Pour reprendre une image prise lors des entretiens, si une once des efforts militaires et financiers fournis par les pays développés en faveur de l’Ukraine était consacrée aux pays en développement, et notamment à l’Afrique, l’Europe ne s’en porterait pas plus mal.

En définitive, les États en voie de développement n’attachent pas la même importance à l’issue de la guerre en Ukraine que les pays européens et les États-Unis. Pour beaucoup, l’essentiel est un retour à la paix, d’éviter la famine et l’inflation, ainsi que les déstabilisations régionales qui pourraient en découler.

Cette ligne de partage ne doit pas pour autant faire oublier que l’ONU demeure le vecteur le plus adapté du multilatéralisme.


III. Le rÔle toujours aussi essentiel des Nations Unies sur les grands dossiers multilatÉraux et le maintien de la paix

A. L’ONU, AGORA des dÉfis du monde

Tous les tenants du multilatéralisme ne peuvent qu’en convenir : l’ONU demeure le cénacle reconnu et, à ce titre le plus légitime, pour aborder les grands problèmes internationaux qui touchent plusieurs pays, voire la planète toute entière.

En 1945, seulement 50 États en étaient membres ; aujourd’hui, ils sont 193. L’Organisation repose sur trois piliers traditionnels : les opérations de maintien de la paix (OMP), les droits de l’Homme et la défense de l’environnement. Néanmoins, tous les défis nouveaux (terrorisme, cyber, etc.) font systématiquement l’objet de discussions aux Nations Unies.

Plusieurs interlocuteurs rencontrés à New York ont souligné que l’universalisme de l’ONU, qui peut être sa faiblesse, reste malgré tout sa plus grande force.

Selon le président de l’Assemblée générale, les crises actuelles qui affectent la planète sont les plus complexes, longues et conséquentes de ces quarante dernières années. La guerre en Ukraine n’a fait que les amplifier car d’autres causes comme le développement non-durable et la pandémie de coronavirus en avaient également posé les jalons.

La pandémie a conduit les gouvernements à dépenser beaucoup pour engager des plans de relance, ce qui a engendré une crise de la dette sans précédent : 70 pays, soit le tiers des États membres de l’ONU, font aujourd’hui face à une crise de la dette qu’ils ne pourront résoudre seuls.

Pour surmonter ces défis, les Nations Unies ont fixé des objectifs et défini des plans. Quinze cycles de négociations ont ainsi été engagés jusqu’en septembre 2023, dont treize sur des sujets structurants (notamment les objectifs de développement durable – les ODD –, pour lesquels la communauté internationale se trouve à mi-parcours). Six sommets se dérouleront à cet égard en septembre 2023. De même, la conférence des Nations Unies sur l’eau, en mars 2023 à New York, sera la première sur cet enjeu fondamental depuis les années 1970.

Il y a donc, sur ces sujets, la volonté de trouver, de manière collective, des solutions.

B. Les opÉrations de maintien de la paix : symbole visible de l’action des Nations Unies face aux flÉaux qui touchent de nombreux pays

Visage le plus reconnaissable du multilatéralisme onusien sur le terrain et outil absolument indispensable, les opérations de maintien de la paix sont au nombre de douze actuellement : six en Afrique (Congo, Centrafrique, Mali, Sahara occidental, notamment), trois au Moyen-Orient (Israël, Liban, Golan), deux en Europe (Chypre et Kosovo) et une entre le Pakistan et l’Inde.

Quelque 75 000 casques bleus sont déployés dans ces OMP. La France occupe le 35ème rang (sur 122) des pays contributeurs de troupes. Le Bangladesh, l’Inde, le Pakistan, le Rwanda et le Sénégal se situent aux premiers plans en la matière. Notre pays, en déployant, au 30 septembre 2022, 629 casques bleus (majoritairement au sein de la FINUL au Liban), est le 3ème contributeur européen derrière l’Italie et l’Espagne, et le second membre permanent du Conseil de sécurité, derrière la Chine (2 500 casques bleus).

Sur les seize opérations de maintien de la paix clôturées depuis la fin de la guerre froide, onze se sont terminées sur un succès, même si elles ont parfois mis plus de temps que prévu. Aucune nouvelle OMP sous mandat de l’ONU n’a été créée depuis 2014.

Lors de ses rencontres sur cet aspect, la délégation a été plus particulièrement sensibilisée sur les points suivants :

– l’état-major chargé de superviser les OMP, qui est composé de trois généraux, dont une femme, et de 120 à 172 personnels issus de 40 à 60 pays, ne s’avère pas toujours bien dimensionné pour gérer des missions complexes, qui appellent des traitements différenciés ;

– le paradigme de ces opérations a quelque peu changé, l’envoi de troupes occidentales se faisant plus rare au profit de troupes régionales, en contrepartie d’un financement et d’une aide matérielle des pays occidentaux ;

– plus que jamais, le succès des OMP dépend de leur acceptabilité locale et de la coopération des autorités des États hôtes. Le Mali constitue, à cet égard, un contre-exemple assez significatif. Il est néanmoins difficile de faire comprendre aux populations et aux autorités des pays concernés qu’une opération conduite par l’ONU ne peut pas tout régler, surtout si le mandat du Conseil de sécurité n’apporte pas les moyens juridiques nécessaires à son efficacité sur le terrain. Face à la multiplication des situations hybrides, faisant intervenir des belligérants non-étatiques dans un contexte local mouvant, le fondement du chapitre VII de la Charte des Nations Unies apparaît de plus en plus nécessaire pour offrir aux casques bleus toute latitude pour agir si besoin ;

– enfin, les femmes représentent 9 % des effectifs des casques bleus ; le département des opérations de maintien de la paix entend porter cette proportion à 15 % en 2028. Cette ambition est défendue par l’ONU au motif qu’une approche sexo-genrée permet de couvrir un spectre plus large de qualités et d’aptitudes à la gestion des conflits sur le terrain.

Il serait naturellement réducteur de cantonner l’action de l’ONU aux OMP ; d’autres actions, plus spécifiques, sont engagées ou méritent de l’être. Il s’agit malgré tout de l’un des éléments parmi les plus visibles de l’implication des Nations Unies dans le règlement des problèmes de notre planète.


IV. ILLUSTRations Des actions concrÈtes sous l’Égide de l’ONU, souvent mÉconnues mais pourtant fondamentales

La délégation de la commission des affaires étrangères qui s’est rendue au siège de l’ONU a aussi eu des entretiens avec des responsables d’unités spécifiques, agissant dans le cadre d’un mandat du Conseil de sécurité, ou avec des représentants de la société civile sur des thématiques que les Nations Unies suivent de près. Ces échanges ont permis d’illustrer le travail, souvent de l’ombre mais ô combien important, qui est mené en faveur des droits de l’Homme et de la sécurité, de manière plus générale.

A. L’action de L’Équipe d’enquÊte chargÉe de promouvoir la responsabilitÉ des crimes commis par DaeCh (UNITAD)

L’équipe d’enquête chargée de promouvoir la responsabilité des crimes commis par Daech, forte aujourd’hui de quelque 250 enquêteurs, a été créée en 2017. Son mandat n’inclut pas le ressort géographique de la Syrie.

Concrètement, les personnels de l’UNITAD enquêtent sur ce qu’il s’est passé sous le Califat de Daech en Irak. Ils ne participent pas à la rédaction d’actes juridictionnels ou au lancement de poursuites, qui sont du ressort exclusif des juridictions irakiennes.

L’UNITAD est organisée comme une agence judiciaire et s’appuie sur :

– six équipes d’enquêteurs sur le terrain (une sur les crimes contre les Yézidis dans le Nord de l’Irak, une sur le massacre des cadets chiites de Tikrit en juin 2014 ; une sur des crimes dans la prison de Badoush ; une sur les crimes contre les plus petites minorités, chiites d’origine turque, du Nord du pays ; une sur les crimes contre les minorités chrétiennes près de Mossoul ; une sur les crimes contre la population sunnite) ;

– également deux équipes particulières, qui travaillent sur les crimes de genre et contre les enfants, d’une part, et sur les crimes économiques et financiers, d’autre part.

L’UNITAD publie des rapports (quatre à ce jour), avec beaucoup de détails sur les faits. L’équipe a procédé à 87 heures d’entretiens et produit 7 millions de pages de preuves sur les crimes de Daech. Elle a également effectué 30 exhumations de cadavres de victimes. En revanche, elle n’identifie pas formellement des auteurs de faits : sur ce point, elle transmet des éléments susceptibles d’aider à leur identification mais c’est à la justice irakienne d’extraire les éléments dont elle a besoin pour ses propres procédures.

Une procureure française est l’adjointe du chef de cette unité. Elle a beaucoup impressionné les membres de la délégation de la commission des affaires étrangères par ses compétences et son implication dans ce travail.

B. L’action du panel d’experts prévu par la résolution 1874 (2009) sur la CorÉe du Nord

Le panel créé par la résolution 1874 sur la Corée du Nord est constitué de huit experts, nommés par le Secrétaire général des Nations Unies. Chacun a un domaine de responsabilité précis et est supposé demeurer indépendant et impartial mais certains restent fortement liés à leur État d’origine. L’expert en charge des questions balistiques est un ancien officier français, en poste depuis cinq ans.

Le mandat de ce panel consiste à surveiller la mise en œuvre des dix résolutions, adoptées entre 2006 et 2017, qui sanctionnent la Corée du Nord. Deux fois par an, il présente un rapport adopté à l’unanimité, ce qui n’est pas facile vu la composition du panel. Chacun de ces rapports donne néanmoins un aperçu général plutôt fidèle de la situation. Depuis deux ans, des rapports intermédiaires spécifiques sur la question des missiles sont également établis.

Publié en septembre 2022, le dernier rapport du panel fait le point sur la préparation des derniers tests de missiles intercontinentaux, la poursuite de la fabrication d’armes nucléaires, l’importation illégale de produits pétroliers par le régime et le développement des activités cybernétiques de la Corée du Nord, ce qui est relativement nouveau. Il inclut également des recommandations pour éliminer les contournements des sanctions, afin de couvrir les « angles morts » constatés.

Pour le moment, la guerre en Ukraine n’a eu qu’un impact limité sur le fonctionnement du panel. Le fait est que, en raison de la rivalité entre les États-Unis et la Chine, la Corée du Nord est devenue un enjeu géopolitique.

En tout état de cause, il ressort des échanges menés à New York qu’indépendamment des limites posées par les résolutions de l’ONU, la Corée du Nord entend s’engager sur la voie de la miniaturisation de ses têtes nucléaires, afin le cas échéant d’en équiper des missiles de croisière ou des missiles balistiques de courte portée à des fins tactiques.

C. La situation des femmes en Afghanistan

Le dernier sujet thématique abordé à New York n’est malheureusement pas directement pris en charge par l’ONU mais il est d’une dramatique actualité : il s’agit de la situation des femmes en Afghanistan. La délégation de la commission a pu avoir des échanges à ce sujet avec les membres du Women’s Forum on Afghanistan Steering Committee.

À ce jour, les Talibans ont édicté 36 décrets restreignant toujours plus les droits des femmes. Depuis un an, malgré les critiques, ils continuent d’appliquer leur projet rétrograde : en dépit de leurs protestations de faire adopter des changements, rien ne se passe.

Au début du retour des Talibans, les femmes pouvaient manifester ; aujourd’hui, cela ne leur est plus permis. Très régulièrement, des femmes se trouvent violées puis sont tuées ; la plupart sont issues de la minorité hazara. Les médias du pays ne sont pas autorisés à prendre des photos et à les publier – il n’y a d’ailleurs aucun média libre en Afghanistan –, ce qui empêche de communiquer sur ce drame.

Les lycées – et désormais les établissements d’enseignement supérieur – ne sont pas accessibles aux filles. Le ministre taleb de l’éducation a d’ailleurs indiqué, dernièrement, que l’éducation est un concept occidental contraire à la loi islamique, ce qui en dit long sur l’état d’esprit des tenants du régime à Kaboul.

L’ONU est fondée à se saisir de ce problème et la représentation permanente française se démène en ce sens. Face à cette situation, plusieurs initiatives ont été espérées par les interlocuteurs rencontrés dans les locaux de la France aux Nations Unies :

– tout d’abord, l’instauration de restrictions de voyage pour les dignitaires talibans ;

– ensuite, la tenue d’une session du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU sur ce sujet ;

– enfin, davantage de pressions sur le Pakistan et les pays d’Asie centrale ou du golfe arabo-persique, afin de faire infléchir les positions des Talibans.

 


 

   ConClusion

 

Plus que jamais, l’ONU, symbole du multilatéralisme et pilier du système international ainsi que des valeurs fondamentales formalisées au lendemain de la seconde guerre mondiale dans la Charte des Nations Unies, paraît nécessaire. Personne ne conteste ce constat. Et pourtant, les Nations Unies sont aujourd’hui menacées par leurs divisions et leur relative paralysie.

Les défis qui s’adressent actuellement à l’ONU sont absolument gigantesques. Il importe, à cet égard, de saluer l’action résolue et les messages forts du Secrétaire général António Guterres, qui ne ménage ni son énergie, ni ses efforts pour faire avancer le traitement des grands dossiers en dépit des difficultés institutionnelles manifestes que l’Organisation subit.

Ce contexte ne peut qu’appeler la représentation nationale française à la vigilance et au maintien de son implication dans le suivi des rendez-vous majeurs des Nations Unies. De ce point de vue, le déplacement d’une délégation de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale à New York, en dépit de son caractère quelque peu routinier – du fait de sa récurrence annuelle –, était utile et opportun.

De manière plus générale, non seulement les échanges avec les représentants permanents de plusieurs États membres éclairent l’appréciation que la commission des affaires étrangères peut avoir des grands dossiers concernant la bonne marche du monde mais, qui plus est, le contexte international est par nature changeant. Il s’avère donc tout à fait justifié de prendre le « pouls » des Nations Unies à échéances régulières.

 

 


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   Examen en commission

 

Au cours de sa séance du mercredi 18 janvier 2023, la commission entend une communication sur le déplacement d’une délégation à New York à l’occasion de la 77ème Assemblée générale des Nations Unies.

L’enregistrement de cette séance est accessible sur le portail vidéo de l’Assemblée nationale à l’adresse suivante :

https://assnat.fr/XWqDun

 

À l’issue des échanges, la commission autorise le dépôt de cette communication sous forme de rapport d’information, en vue de sa publication.

 


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   annexe :
Liste des personnes auditionnÉes par La dÉlÉgation de la commission

Représentants de la France à l’ONU :

Représentants d’autres États membres à l’ONU :

Responsables au sein de l’ONU :

Représentants du Women’s Forum on Afghanistan Steering Committee :