N° 822

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 8 février 2023.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES

en conclusion des travaux d’une mission flash, créée le 18 octobre 2022,

sur la préparation opérationnelle

ET PRÉSENTÉ PAR

Mmes Brigitte LISO et Anna PIC,

Députées.

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  SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION

I. Un niveau de préparation opérationnelle globalement satisfaisant, dont la montée en puissance est cependant freinée par des difficultés persistantes.

A. La remontée progressive du niveau de préparation opérationnelle constitue un axe important de la loi de programmation militaire 2019-2025

1. Une phase de « réparation » qui doit être suivie d’une phase de « montée en puissance » à compter de 2023.

2. Des efforts ont été consentis pour « réparer » le niveau de préparation opérationnelle mais demandent à être poursuivis

B. Malgré certains progrès, la montée en puissance du niveau de préparation opérationnelle se heurte à plusieurs freins qui ne permettent pas aujourd’hui aux armées d’atteindre les objectifs d’entraînement inscrits dans la loi de programmation militaire

1. Le faible niveau de disponibilité de certains matériels, ainsi que l’existence de « creux capacitaires » continuent de contraindre fortement le niveau d’activité sur certains segments de la préparation opérationnelle

2. La disponibilité des hommes constitue également un déterminant important pour l’organisation des entraînements, malgré l’effet ambivalent des engagements opérationnels sur le niveau de préparation opérationnelle

3. Des infrastructures de préparation opérationnelle globalement adaptées, malgré l’existence de certains point d’attention

II. La préparation opérationnelle à l’aune d’un double défi : l’adaptation permanente à l’évolution du contexte stratégique et l’élargissement des champs de la conflictualité

A. Il est aujourd’hui nécessaire de poursuivre et d’intensifier le durcissement de la préparation opérationnelle afin de faire face aux exigences induites par le retour de la haute intensité

1. Le durcissement de la préparation opérationnelle : une préoccupation partagée au sein des trois armées

2. Des exercices plus réalistes et plus complexes qui intègrent les enjeux du combat multi-milieux (espaces aériens, terrestres et maritimes) et multi-champs (informationnels, cyber et électromagnétiques) (M2MC)

3. Le changement d’échelle de la préparation opérationnelle à travers l’exercice majeur ORION 2023

B. Anticiper les nouvelles menaces et prendre en compte des mutations technologiques pour bâtir la « préparation opérationnelle du futur »

1. Une préparation opérationnelle intégrant les enjeux du combat collaboratif

2. Les apports de la simulation et les perspectives apportées par l’intelligence artificielle

III. La poursuite et l’accélération du durcissement de la préparation opérationnelle entrepris devront constituer un axe majeur de la prochaine loi de programmation militaire (LPM) à travers un niveau de ressources adapté aux ambitions fixées

EXAMEN EN COMMISSION

annexe : auditions et dÉplacements des rapporteurEs

 

 

 


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   INTRODUCTION

 

La préparation opérationnelle est le produit de plusieurs facteurs : une doctrine, des équipements performants et des personnels entraînés selon les bonnes tactiques. En effet, selon la définition donnée par Morgan Paglia de l’Institut français des relations internationales (IFRI) : « De la formation initiale à la conduite d’exercices interalliés, la préparation opérationnelle vise à mettre en cohérence les capacités militaires (équipements, doctrines, savoir-faire) avec les contrats opérationnels décidés au niveau stratégique » ([1]). Pour atteindre cet objectif, la préparation opérationnelle s’articule autour d’un continuum formation-entraînement-engagement. Elle est à la fois individuelle et collective, interarmées et, souvent, interalliés.

En un mot, la préparation opérationnelle reflète la capacité de nos armées à être prêtes en permanence. Une préparation opérationnelle adaptée, tant par la qualité de l’entraînement proposé, que par le volume d’heures qui lui est consacré, garantit la crédibilité de nos armées et participe ainsi à décourager l’adversaire. Véritable facteur de supériorité opérationnelle, la préparation au combat contribue également à l’attractivité des forces car elle constitue l’activité principale des militaires en temps de paix.

Si le très bon niveau de préparation opérationnelle de l’armée française est reconnu par l’ensemble de nos alliés et partenaires, grâce aux différents exercices interarmées et interalliés auxquels participent nos forces armées, mais aussi de par les décennies d’opérations et de missions ininterrompues menées sur des théâtres d’opération très divers, la principale difficulté réside aujourd’hui dans la nécessité d’adapter constamment la préparation opérationnelle aux évolutions du contexte stratégique et aux mutations technologiques, ainsi qu’aux nouvelle menaces. Il ressort des auditions menées par vos rapporteures que les forces sont aptes à remplir les missions de la situation opérationnelle de référence (SOR) prévues par leur contrat opérationnel, mais que l’ambition serait désormais d’augmenter les standards de la préparation opérationnelle et les volumes de forces concernés pour être en capacité de répondre à l’hypothèse d’engagement majeur (HEM), tout en développant la dimension multi-milieux et multi-champs de l’entraînement. Or, cette montée en gamme de la préparation opérationnelle, initiée par la loi de programmation militaire 2019-2025 (LPM), qui prévoyait une phase de réparation suivie d’une montée en puissance à compter de 2023, demeure fortement conditionnée par la disponibilité des Hommes et des matériels qui constituent autant de freins au nécessaire durcissement de la préparation opérationnelle.

Dans la perspective de la prochaine loi de programmation militaire, vos rapporteures seront vigilantes à ce que les effets bénéfiques de la dynamique initiée par la LPM actuelle ne soient pas amoindris ou reportés du fait du contexte macroéconomique fortement inflationniste ou de par la nécessité de financer des surcoûts non prévus par la programmation. La préparation opérationnelle ne devra pas servir de variable d’ajustement. Il apparaît aujourd’hui impératif de concentrer les efforts sur l’atteinte des cibles d’activité inscrites en LPM et de donner aux forces les moyens correspondants aux ambitions fixées. Il conviendra notamment de veiller au maintien de l’équilibre entre les crédits dévolus aux équipements et ceux permettant aux forces de s’entraîner sur ces mêmes matériels et de les soutenir.

I.   Un niveau de préparation opérationnelle globalement satisfaisant, dont la montée en puissance est cependant freinée par des difficultés persistantes.

Il ressort des auditions menées par vos rapporteures que nos armées sont prêtes à faire face aux menaces et à remplir les missions qui leurs sont confiées. Le niveau de préparation opérationnelle actuellement atteint est satisfaisant dans l’ensemble, et reconnu comme tel par nos partenaires, même si des disparités peuvent subsister. Toutefois, malgré les efforts entrepris par l’actuelle loi de programmation militaire pour rehausser le niveau d’activité, vos rapporteures considèrent qu’il convient d’accélérer cette montée en puissance et de lever les freins qui s’y opposent.

A.   La remontée progressive du niveau de préparation opérationnelle constitue un axe important de la loi de programmation militaire 2019-2025

1.   Une phase de « réparation » qui doit être suivie d’une phase de « montée en puissance » à compter de 2023.

Les chefs d’état-major définissent les objectifs de préparation opérationnelle des armées dans la perspective de satisfaire les contrats opérationnels fixés par le chef d’état-major des armées. Ceux-ci déterminent la nature des postures permanentes et des engagements que les armées doivent être en capacité d’assurer et orientent en fonction l'organisation de l'appareil de défense et de sécurité nationales, les ressources humaines et l'effort d'équipement. Le chef d’état-major des armées contrôle, l’aptitude des forces armées à remplir les missions assignées. Aussi, les principes généraux de la préparation opérationnelle sont-ils communs aux trois armées et visent-ils à garantir l’aptitude opérationnelle des forces, pour répondre aux contrats opérationnels dans les délais requis, dans une logique d’économie des moyens. Puis, la préparation opérationnelle se décline en fonction de l’armée et de l’unité d’appartenance du militaire, au travers de standards et de cycles d’entraînements différenciés.

La professionnalisation des armées a eu pour conséquence d’intensifier la préparation opérationnelle. L’accroissement des contraintes budgétaires pesant sur les armées s’est cependant accompagné d’une diminution du nombre d’unités entraînées au meilleur standard de préparation opérationnelle. En effet, l’intensité des engagements opérationnels et l’économie des moyens ont conduit à mettre en œuvre un principe de différenciation. Celui-ci porte sur le temps, l’espace et les ressources allouées afin de permettre aux unités d’atteindre le niveau de préparation escompté au bon moment (former et entraîner au « juste besoin, juste à temps »).

Le rehaussement du niveau de préparation opérationnelle constitue dès lors un axe fort de la LPM actuelle. La LPM prévoit une progression en deux temps :

     Une phase de réparation, permettant de régénérer le matériel en début de programmation et garantissant un entraînement satisfaisant les exigences des principales missions définies par les contrats opérationnels (dissuasion, protection et conduite des opérations en cours) jusqu’en 2022.

     Une phase de montée en puissance, entamant une trajectoire d’augmentation de l’activité à partir de 2023 afin de correspondre progressivement aux normes annuelles d'activité de l'OTAN en 2025.

La LPM 2019-2025 prévoit de rehausser progressivement le niveau d’activité des forces armées et d'aboutir à une recapitalisation de l'ensemble des savoir-faire à compter de 2023. Si la préparation opérationnelle n’est pas l’exact reflet du niveau d’activité, elle est toutefois grandement déterminée par ce dernier. Les indicateurs d’activité ne reflètent pas simplement les heures que les forces armées dédient à l’entraînement (qualification des forces, maintien de leurs compétences et adaptation aux spécificités de leurs engagements) mais également l’activité réalisée en opérations, comme le précise le rapport annexé à la LPM 2019-2025 ([2]).

Objectifs quantitatifs, les normes inscrites en LPM permettent d’ancrer la mesure de l’activité des forces dans un ensemble de normes partagées par les armées occidentales. Les normes OTAN représentent « une référence en termes de savoir-faire et une exigence pour l’intégration de nos moyens nationaux en coalition. Elles traduisent notamment les besoins de régularité et de continuité des actions d'entraînement ([3]) » Bien qu’imparfaites car moyennées et ne reflétant ni les éventuelles disparités existantes, ni l’aspect qualitatif de l’entraînement, l’objectivisation permise par les normes d’activité permet de s’assurer du niveau d’aguerrissement et d’efficacité de nos forces. De plus, la combinaison des indicateurs d’activité et leur comparaison dans le temps permet de rendre compte du niveau global d’activité des armées et de la dynamique dans laquelle elles s’inscrivent. Ces normes sont complétées par des indicateurs qualitatifs, spécifiques à chaque armée et segments capacitaires. Par exemple, s’agissant de l’armée de Terre, les journées de préparation opérationnelle (JPO) et les journées d’entraînement et de formation (JFE) ne traduisent pas fidèlement le niveau de préparation opérationnelle des forces, si elles ne sont pas associées aux normes d’activité terrestres et aéroterrestres. Pour autant, il n’existe pas de consensus qui conduirait à privilégier un autre outil de mesure. Enfin, ces normes d’activité représentent des repères utiles pour le législateur.

Des travaux sont toutefois en cours au sein des armées pour compléter ces indicateurs. L’armée de l’air et de l’espace souhaite, en effet, créer un nouvel indicateur mettant davantage en perspective la disponibilité technique des aéronefs avec le besoin opérationnel effectif auquel doivent pouvoir répondre les unités, qu’il s’agisse des missions opérationnelles, des opérations extérieures en cours ou potentielles, comme de l’entraînement organique. Quant aux forces terrestres, elles cherchent à prendre davantage en compte l’endurance et la réactivité des forces en distinguant notamment, pour l’armée de Terre, le triptyque : terrain libre – simulation – entraînement sur matériel majeur. Elles développent un indicateur de capacité opérationnelle produite par les unités des forces terrestres, afin de réellement qualifier, et non plus seulement quantifier, le niveau de préparation opérationnelle atteint par les forces. Il est également à noter qu’aucun indicateur n’existe pour le moment concernant la préparation opérationnelle des états-majors, ce qui constitue une piste d’amélioration pour le commandement des forces terrestres.

2.   Des efforts ont été consentis pour « réparer » le niveau de préparation opérationnelle mais demandent à être poursuivis

La préparation opérationnelle ne peut être appréhendée de manière isolée. Elle est le produit d’une combinaison de facteurs (disponibilité des hommes, des matériels, des formateurs et des espaces d’entraînement dans les trois milieux). Sa réalisation suppose donc de disposer des équipements adaptés, en quantité, comme en qualité, pour mener une préparation réaliste et correspondant aux types d’engagement visés. De la même manière, le développement des petits équipements, de la simulation et des infrastructures de préparation opérationnelle est indispensable à un entraînement de qualité.

 

La consolidation de l’activité s’appuie sur trois dimensions principales : l’augmentation des crédits d’entretien programmé du matériel (EPM), d’une part, – 22 milliards d’euros sur la période 2019-2023, soit 4,4 milliards d’euros par an en moyenne –, la réforme de l’organisation du maintien en condition opérationnel (MCO), notamment aéronautique, d’autre part, le redressement du niveau de disponibilité des matériels induit, enfin. L’effort a d’abord été concentré sur les matériels les plus critiques, puis dans un second temps, sur l’amélioration des niveaux d’activité opérationnelle contribuant à la qualification et à la préparation du combattant. La LPM 2019-2025 prévoit également un effort marqué en faveur de l’équipement individuel du combattant. De fait, le montant des crédits d’EPM voté chaque année en loi de finances initiale s’est révélé conforme à la programmation de 2019 à 2023. Ces derniers ont permis d’initier la phase de régénération du matériel, la progression vers les normes OTAN n’étant programmée qu’à compter de 2023.

Si les indicateurs permettant de mesurer le niveau de réalisation des activités sont pour certains en progression, la montée en puissance prévue doit néanmoins être confirmée. Comme le concédait l’actualisation stratégique de 2021 « La préparation opérationnelle des forces a été globalement consolidée. Son renforcement doit toutefois être poursuivi, en raison de l’impact négatif qu’aura eu la pandémie de Covid-19 sur la formation et l’entraînement du personnel mais surtout à la hauteur du défi posé par l’évolution de la conflictualité. Il s’agit d’une condition indispensable pour conserver une marge de supériorité, alors que tous les compétiteurs montent en gamme, technologiquement comme opérationnellement. » Il ne s’agit pour l’instant que d’une « réparation ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Niveau de rÉalisation des normes d’activité

 

Unité

2020

2021

2022 (cible PAP 2022)

2023 (cible)

2024 (cible)

2025 (cible)

Jours d’activité par homme Terre « JPO » (norme LPM : 90)

Jours

79

83

82

83

88

90

Journées de formation et d’entraînement

Jours

118

122

120

120

120

120

Taux d’entraînement par équipage sur matériel terrestre

Taux

57

60

64

70

63

74

Heures de vol par pilote d’hélicoptères Terre (dont forces spéciales) (norme LPM 200/220)

Heure

163 (FC) 195 (FS)

178 (FC) 201 (FS)

148 (FC)

154 (FS)

144 (FC)

157 (FS)

148 (FC)

162 (FS)

168 (FC)

184 (FS)

Heures de vol par pilote de chasse Air (norme LPM : 180)

Heure

152

161

162

147

161

166

Heures de vol par pilote de transport Air (norme LPM : 320)

Heure

176

192

208

189

206

248

Heures de vol par pilote d’hélicoptère Air (norme LPM : 200)

Heure

155

163

183

181

182

190

Jours de mer par bâtiment Marine (bâtiment hauturier) (norme LPM : 100/110)

Jours

90 (102)

93 (110)

90 (95)

90 (95)

96 (106)

96 (101)

Heures de vol par pilote de chasse Marine (pilote qualifié appontage de nuit) (norme LPM : 180/220[4])

Heure

98 (179)

192

188

188

195

195

Heures de vol par pilote d’hélicoptère Marine (norme LPM : 220)

Heure

212

201

218

218

210

210

Heures de vol par pilote de patrouille maritime Marine (norme LPM : 350)

Heure

317

315

340

340

330

320

Niveau d’entraînement cyber

%

75

100

100

100

100

100

Source : PLF 2023, indicateur 5.1 Niveau de réalisation des activités.

 

Dans cette perspective, l’ancienne ministre des armées, Mme Florence Parly, avait notamment annoncé en 2019 une réforme du MCO naval, à la suite du rapport remis au ministère des armées en décembre 2018 par M. Jean-Georges Malcor. Cette réforme devait permettre un travail sur les infrastructures, ainsi que sur les programmes nouveaux pour prendre en compte le MCO dès la phase de conception et inclure le MCO initial dans le contrat d’acquisition. Le service de soutien de la flotte (SSF), maître d’œuvre du MCO naval intègre notamment : l’entretien des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins et du porte-avions, la réparation du sous-marin nucléaire d’attaque la Perle, l’accueil de nouveaux bâtiments ou encore l’entretien de bâtiments très anciens. Tout comme dans les autres armées, l’entraînement des marins est conditionné par la disponibilité technique des bâtiments et du nombre de jours de mer qu’ils sont en mesure de réaliser. Le nombre de jours en mer consacrés à l’entraînement des bâtiments de surface a diminué entre 2018 et 2020, avant d’amorcer une hausse en 2021 avec, en outre, un effort porté sur la préparation opérationnelle de haute intensité. Cependant, comme le relevait le rapporteur pour avis des crédits de la marine, M. Yannick Chenevard, dans son avis budgétaire sur le projet de loi de finances pour 2023 (PLF 2023), l’objectif en nombre de jours de mer ne sera pas atteint en 2022 et ne devrait pas l’être en 2023. Un écart de 10 jours annuel demeure avec la norme annuelle LPM.

 

JdM par équipage

Norme annuelle LPM

2018

2019

2020

2021

2022

2023

Tous bâtiments

100

94

96

90

93

90

90

Bâtiments de combat hauturiers

110

101

109

102

110

95

95

Source : ministère des Armées ([5]).

De la même manière, Mme Florence Parly avait lancé dès 2017, la transformation du MCO aéronautique pour pallier la chute de la disponibilité observée sur les flottes d’aéronefs conjuguée à la hausse des coûts de maintenance. Des efforts ont été réalisés en matière de MCO afin d’augmenter la disponibilité technique des appareils autour de trois axes :

-         La création de la direction de la maintenance aéronautique en 2017 et la refonte de l’organisation du soutien opérationnel au sein des escadrons de soutien technique aéronautique ;

-         La mise en œuvre de contrats de maintenance dits « verticalisés » pluriannuels visant à responsabiliser un industriel unique sur la base de la disponibilité globale d’une flotte ;

-         La hausse des ressources allouées à l’entretien programmé du matériel, les ressources budgétaires allouées à ce titre aux moyens aériens représentant plus de la moitié de l’ensemble des budgets de maintenance des armées.

S’agissant de l’aéronavale, le niveau de réalisation des activités tel qu’il figure dans le projet annuel de performance pour 2023 apparaît encore perfectible s’agissant, notamment du nombre d’heures de vol réalisé par les pilotes de chasse marine.

 

Heure

Norme annuelle LPM

2020

2021

2022

2023 (cible)

Heures de vol par pilote de chasse marine

200

179

192

188

188

Heures de vol par pilote d’hélicoptère marine

220

212

201

218

218

Heure de vol par pilote de patrouille maritime marine

350

317

315

340

340

Source : ministère des Armées ([6]).

 

Le principe des contrats verticalisés a été appliqué aux aéronefs de la Marine. Ainsi, en 2019, un contrat dit « verticalisé » a également été mis en place pour les cellules de Rafale (air et marine). Il a déjà porté ses fruits et participe à l’amélioration de la préparation opérationnelle. En revanche, pour les avions Atlantique 2, le contrat verticalisé est encore trop récent pour en voir les effets. Sur les hélicoptères Dauphin et Panther, les effets ont également été positifs selon l’état-major de la marine.

La transformation du MCO aéronautique s’appuie également sur les réformes engagées concernant la maintenance opérationnelle réalisée dans les unités de l’AAE et axées sur la performance, l’optimisation de l’ordonnancement des chantiers et la modernisation de l’environnement de travail du personnel mécanicien. Ce plan de transformation vise à rejoindre progressivement, d’ici à 2025, les normes d’activité fixées par la LPM 2019-2025. En attendant, la préparation opérationnelle et les opérations sont pilotées au plus juste pour préserver les savoir-faire les plus critiques dans un contexte de ressources humaines contraint (recrutement, fidélisation) et avec une importante pression liée au soutien aux exportations (SOUTEX) toujours forte.

En 2021, l’AAE a ainsi retrouvé un niveau d’activité globalement équivalent à celui de 2019. L’activité moyenne des unités est même légèrement supérieure aux prévisions initiales pour l’aviation de chasse, malgré des disparités internes importantes (par flotte et niveau de qualification) et 20 heures de vol d’écart avec le standard OTAN. L’activité globale a été maintenue, soutenue par les projections en opérations extérieures et la gestion des crises. En revanche, l’activité moyenne des équipages de transport doit encore progresser afin de rejoindre les standards de l’OTAN. De même, l’activité moyenne des pilotes d’hélicoptère en 2021 reste en deçà des prévisions du contrat opérationnel : ce déficit d’activité s’explique par l’ancienneté de la flotte PUMA et par les nombreuses immobilisations au soutien industriel pour le CARACAL.

évolution du niveau d’activité opérationnelle de l’armée de l’air et de l’espace

Activité en heure de vol

2019

2020

2021

Prévisions

Cible LPM 2019-2025

2022

2023

Pilote de chasse

159

152

161

162

147

180

Pilote de transport

185

176

192

208

189

320

Pilote d’hélicoptère

161

155

163

183

181

200

Source : projet annuel de performance 2023 ([7]).

 

S’agissant de l’armée de Terre, celle-ci a amorcé un redressement de sa préparation opérationnelle qui devrait se confirmer en 2023. Les ressources allouées depuis 2019 ont permis d’augmenter l’activité terrestre et aéroterrestre, ce qui traduit l’amorce du pivot vers l’hypothèse d’engagement majeur (HEM). Cependant, dans son avis budgétaire portant sur les crédits du PLF 2023, le rapporteur pour avis des crédits de l’armée de Terre, M. François Cormier-Bouligeon pointait le fait que l’atteinte des normes d’entraînement déterminées par la LPM demeurait un sujet de préoccupation. En effet, si les crédits prévus en loi de finances initiale pour 2023 devraient permettre d’accroître le niveau d’activité des forces terrestres par rapport à la loi de finances pour 2022 (+ 6 points s’agissant du taux d’entraînement sur matériel terrestre, + 6 heures de vol pour les équipages aéronefs forces conventionnelles et + 14 heures de vol pour les équipages aéronefs des forces spéciales), l’atteinte de ces taux demeure soumise à la compensation en gestion des surcoûts liés à la guerre en Ukraine. L’armée de Terre devrait ainsi atteindre 70 % du taux d’entraînement par équipage sur matériel terrestre en 2023, avant néanmoins une baisse importante de la cible anticipée en 2024.

RÉalisation des normes d’entraÎnement sur matÉriels majeurs
prÉvus par la LPM 2019-2025 pour les forces terrestres*

Entraînement par équipage

Réalisation 2021

Prévision initiale 2022

Prévision actualisée 2022

Prévision 2023

Objectif LPM 2025

Normes d’entraînement

Char Leclerc (en heures)

55

60

59

58

106 heures

115 heures

AMX 10 RCR/Jaguar (en heures)

67

76

76

81

93 heures

100 heures

VAB/Griffon (en kilomètres)

773

709

740

829

992 km

1 100 km

VBCI

(en heures)

80

69

66

67,5

120 heures

130 heures

CAESAR et pièces de 155 mm

(en coups tirés)

71

69

69

69

101

coups

110 coups

Hélicoptères Terre (forces conventionnelles, en heures de vol)

178*

148**

148**

144**

200 heures

200 heures

Hélicoptères Terre (forces spéciales, en heures de vol)

201

154**

154**

157**

220 heures

220 heures

(*)  Avec opérations extérieures (OPEX), hors substitution.

(**) Sans OPEX, avec substitution.

Source : réponse au questionnaire budgétaire, le 10 octobre 2022.

Source : réponse au questionnaire budgétaire du rapporteur pour avis de la commission de la défense, préparation et emploi des forces : Forces terrestres, M. François Cormier-Bouligeon, le 10 octobre 2022.

 

Enfin, la LPM prête également une attention particulière à la place des services de soutien dans l'amélioration de la préparation opérationnelle. Si le soutien dans son ensemble concourt à la préparation opérationnelle, un effort particulier a été réalisé sur les besoins en matière d’habillement et de protection du combattant, de soutien de l’homme ou de soutien des unités. Pour la qualité et le réalisme de la préparation opérationnelle, il est en effet indispensable que le combattant dispose du petit équipement nécessaire.

Vos rapporteures attirent néanmoins l’attention sur le risque d’un amoindrissement ou d’un report des effets bénéfiques de cette réparation compte tenu du contexte macroéconomique.

B.   Malgré certains progrès, la montée en puissance du niveau de préparation opérationnelle se heurte à plusieurs freins qui ne permettent pas aujourd’hui aux armées d’atteindre les objectifs d’entraînement inscrits dans la loi de programmation militaire

1.   Le faible niveau de disponibilité de certains matériels, ainsi que l’existence de « creux capacitaires » continuent de contraindre fortement le niveau d’activité sur certains segments de la préparation opérationnelle

La préparation opérationnelle des armées est conditionnée par la disponibilité des équipements. Un bon niveau de disponibilité des équipements nécessite un MCO efficace, des potentiels d’équipements et des financements suffisants.

Plus encore que pour la Marine nationale ou l’armée de Terre, le niveau de réalisation des normes d’activité est un point d’attention majeur et constitue un véritable enjeu structurel pour la préparation opérationnelle de l’AAE.

L’activité de l’aviation de chasse s’est réduite ces dernières années du fait de deux facteurs. D’une part, les Mirage 2000C ont été retirés de la flotte de l’armée de l’air et de l’espace en 2022. D’autre part, certains contrats à l’exportation pour l’avion Rafale ont entraîné des prélèvements directement sur le parc exploitable de l’armée de l’air et de l’espace pour fournir rapidement les avions d’occasion commandés. Le général de corps aérien Frédéric Parisot, major général de l’armée de l’Air et de l’Espace, en exprimait récemment les conséquences en ces termes : « Afin d’honorer les commandes passées par la Grèce et la Croatie, l’AAE devra se séparer de 24 Rafale, sur les 102 qu’elle possédait en 2020. Les conséquences de ces cessions dans les deux années à venir concerneront moins les contrats opérationnels que les capacités d’entraînement des pilotes : en 2021, les pilotes de chasse s’entraîneront en moyenne 164 heures contre environ 147 heures pour l’année à venir. » ([8]) La situation devrait s’améliorer progressivement avec la reprise des livraisons de Rafale, le premier sera livré à l’armée de l’air et de l’espace en 2023 (13 seront livrés en 2023). Par ailleurs la livraison d’avions de chasse Mirage 2000D rénovés (14 en 2022 et 13 en 2023) permettra d’alléger ces contraintes. Ces deux facteurs entraîneront néanmoins une réduction d’activité globale de l’aviation de chasse en 2023 et 2024 (147 heures de vol par pilote en moyenne, hors OPEX en 2023). Aussi, les contrats à l’exportation concernant les 24 avions Rafale ont-ils affecté la capacité à générer de l’activité aérienne mais également engendré des coûts induits en matière de formation des pilotes étrangers. Plusieurs actions ont été mises en place pour compenser cette perte. D’une part, une amélioration des conditions de maintenance a été recherchée via une revue du contrat de soutien conclu avec l’industriel, afin de garantir une meilleure disponibilité. D’autre part, il a été décidé d’une réorganisation de l’activité sur Rafale pour augmenter le nombre d’heures de vol effectué par aéronef. Toutefois, cette surutilisation engendre un vieillissement prématuré de la flotte de Rafale restant disponible, dans l’attente de l’arrivée d’une quatrième tranche à partir de 2023. Au quotidien, afin de tenter de dégager des marges de manœuvre sur les lots techniques, l’AAE teste la réalisation de déploiements chasse avec des lots de pièces de rechange réduits à l’essentiel, en étant prête à assumer une perte d’activité temporaire en cas de panne, même si ce type de déploiement « agile » ne peut pas être systématique.

De plus, l’aviation de chasse est encore pénalisée par différentes carences. D’abord, un léger déficit « d’équipage Chasse ». À cet égard, 93 % des postes en unité de première ligne de la brigade aérienne de l’aviation de chasse (BAAC) sont pourvus. En outre, la flotte de l’aviation de chasse est aujourd’hui constituée d’avions modernes de 4e génération (Rafale) comme d’avions plus anciens (M2000 mono-mission) dont l’intégration dans les opérations alliées devient plus compliquée. Enfin, le nombre limité de missionnels (Radar AESA, OSF, Pods de désignation laser, nacelles de reconnaissance) et d’équipements indispensables à l’armement des appareils (lance-missiles) est une difficulté récurrente identifiée par l’AAE. Ces missionnels sont prioritairement déployés en OPEX et leur absence en France, au profit des unités, nuit à la qualité de la préparation opérationnelle.

Par ailleurs, s’agissant de la flotte de transport tactique, des difficultés résultent de la diversité des appareils qui composent la flotte, de sa forte mobilisation (MRTT), des aléas techniques que subissent certains appareils (C130H) et dans la modernisation ou le renouvellement de certaines capacités en cours. L’AAE devrait recevoir en 2022 et 2023 quatre avions de transport A400M Atlas, six avions ravitailleurs multi-rôles MRTT Phénix ainsi que le dernier des trois avions A330-200 livrés dans le cadre du plan de soutien à l’aéronautique. Les conséquences du retrait de service des C160 Transall ne seront néanmoins que partiellement compensées en 2023 par la montée en puissance des A400M, selon le projet annuel de performance 2023.

Les effets les plus significatifs de la baisse du nombre d’heures d’activité se font sentir sur les équipages les plus jeunes. Le personnel naviguant en cours de formation est le plus pénalisé par la baisse du nombre d’heures de vol réalisable sur aéronef, du fait notamment d’un fort engagement opérationnel des cadres. Pour mémoire, les jeunes équipages sont affectés en unités de façon échelonnée tout au long de l’année en fonction des sorties d’écoles. Ainsi, l’activité de l’unité se répartit entre la formation continue des plus jeunes, la montée en expertise d’autres équipages, le maintien de leur compétence pour garantir la réactivité et l’expertise demandées en cas de déclenchement d’une mission ou pour participer à une OPEX. La forte exigence de réactivité imposée à l’armée de l’air et de l’espace exige donc le maintien d’un haut niveau de préparation permanent, ainsi qu’un format de ressources humaines suffisant.

Par ailleurs, s’agissant de la marine nationale, si l’activité navale est stable et doit évoluer à la hausse dans les années à venir, elle demeure néanmoins contrainte par l’ancienneté de certains de ses bâtiments et les difficultés associées en matière de MCO. La LPM prévoyait une relative stabilité du niveau d’activité de la marine nationale suivant « un plateau » avant une remontée de celui-ci à partir de 2023. Si le « plateau » d’activité a été conforme à la programmation, celui-ci s’est vu prolongé pour des raisons budgétaires dans le projet de loi de finances pour 2023 et la remontée du niveau d’activité a été repoussée à 2024, voire 2025. La disponibilité des bâtiments est globalement très bonne dans le domaine naval. Toutefois, elle est obérée par l’ancienneté de certaines unités, comme les patrouilleurs de haute mer (PHM), dont la flotte est vieillissante, ou encore les chasseurs de mines. En effet, maintenues dans l’attente du renouvellement de la capacité, ces unités subissent des aléas plus importants qui peuvent perturber leur participation aux exercices. Si des progrès importants ont été obtenus en matière de maintien en condition opérationnelle aéronautique et naval, grâce à la mise en place des contrats « verticalisés », des difficultés subsistent sur certains équipements. En particulier, la disponibilité des hélicoptères NH90 Caïman, demeure très en deçà du niveau attendu et continue de constituer une difficulté majeure pour l’entraînement. Pour autant, une assistance technique renforcée d’Airbus Hélicopters doit être mise en place sur les bases aéronavales de Lanvéoc et de Hyères et un groupe de travail se réunit avec les industriels concernés. De fait, le nombre de bâtiments de la Marine nationale pâtit de la situation de « creux capacitaire » dans laquelle elle se trouve actuellement et qui devrait se prolonger jusqu’en 2025. L’année 2022 a été marquée par le retrait de trois bâtiments hauturiers, qui n’a pour l’instant pas été compensé par la mise en service de nouveaux bâtiments. Cela explique en outre partiellement pourquoi le nombre de jours en mer a mécaniquement baissé. De nouvelles coques devraient être admises au service actif entre 2023 et 2025, permettant de mettre fin à ce creux capacitaire ainsi qu'une certaine remontée du niveau d’activité. Aujourd’hui, le format de la Marine souffre de restrictions temporaires de capacités (RTC) qui concernent les sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) et les frégates. Pour autant, le nombre d’opérations n’a pas diminué. La baisse d’activité des SNA, liée au remplacement progressif des six SNA de classe Rubis par des SNA de classe Suffren et aux conséquences de l’incendie du SNA Perle en 2020, réduit par exemple les possibilités d’entraînement en matière de lutte anti-sous-marine pour toute la marine (SNLE, Frégate, Avion de patrouille maritime). Enfin, le manque de disponibilité de certains équipements à bord des navires joue également sur la qualité de la préparation opérationnelle.

Au sein de l’armée de Terre, l’effet conjugué de la hausse structurelle des coûts de MCO et de la hausse conjoncturelle du coût des facteurs fait peser un risque sur les ressources consacrées à la préparation opérationnelle. Si le nombre de journées de préparation opérationnelle par soldat de l’armée de Terre devrait légèrement augmenter dans la prochaine LPM selon les personnes auditionnées, certains parcs vieillissants présentent encore des difficultés. Aussi, la préparation opérationnelle sur matériel majeur demeure-t-elle un point de préoccupation fort. Le segment de décision, essentiel en haute intensité, surtout la cavalerie et l’infanterie (chars Leclerc, véhicules blindés de combat d’infanterie, VBCI) sont les plus affectés. De plus, de manière conjoncturelle, il apparaît que les cessions de matériels militaires à l’Ukraine (notamment des systèmes de canons CAESAR) ont eu un effet certain sur la formation des artilleurs. Par ailleurs, des disparités entre unités persistent au sein de l’armée de Terre. Les fonctions d’appui et de soutien, en particulier la fonction appui génie, sont celles qui rencontrent les plus grandes difficultés à s’entraîner, du fait de restrictions temporaires de capacités frappant leurs équipements et d’une très forte sollicitation opérationnelle. L’entraînement des parachutistes pâtit également de la faiblesse du taux de disponibilité des aéronefs qui ne permet pas de réaliser les sauts de sécurité requis.

Disponibilité des matériels

 

Unité

2020

2021

2022 (cible PAP 2022)

2023 (cible)

2024 (cible)

2025 (cible)

Armée de Terre Char Leclerc

%

87

87

94

87

87

87

Armée de Terre EBRC (dont AMX10RC)

%

Sans objet

65

92

84

96

103

Armée de Terre VBRM (dont VAB)

%

Sans objet

101

89

99

99

99

Armée de Terre VBCI

%

58

61

53

65

72

73

Armée de Terre Pièces de 155mm (CN155)

%

88

76

90

58

58

59

Armée de Terre Hélicoptères de manœuvre (HM)

%

45

43

61

54

54

58

Armée de Terre Hélicoptère d’attaque ou de reconnaissance

%

51

55

64

58

58

59

Marine nationale Porte-avions (PA)

%

95

94

94

62

95

94

Marine nationale sous-marin nucléaire d’attaque (SNA)

%

57

51

56

62

57

66

Marine nationale autres bâtiments

%

82

74

76

76

74

72

Marine nationale Composante frégates

%

66

58

59

59

61

63

Marine nationale Chasse

%

55

73

69

67

67

68

Marine nationale Hélicoptères

%

49

46

63

56

67

71

Marine nationale Guet aérien Patrouille et surveillance maritime (PATSIMAR)

%

54

60

64

67

75

70

Armée de l’air combat/chasse

%

82

81

84

69

71

75

Armée de l’air Avions de transport tactique (ATT)

%

65

60

85

73

77

80

Armée de l’air Avions d’appui opérationnel (Appui OPS)

%

115

77

91

76

77

77

Armée de l’air – Vecteur ISR

%

72

68

96

86

86

91

Armée de l’air – Avions à usage gouvernemental (AUG)

%

100

95

94

95

83

93

Armée de l’air – Hélicoptères de manœuvre et de combat

%

88

72

78

82

85

86

Armée de l’air – Système sol-air

%

77

77

73

52

52

52

Source : PLF 2023, indicateur 5.2 Disponibilité des matériels par rapport aux exigences des contrats opérationnels

 

2.   La disponibilité des hommes constitue également un déterminant important pour l’organisation des entraînements, malgré l’effet ambivalent des engagements opérationnels sur le niveau de préparation opérationnelle

Au-delà de la disponibilité des matériels, le temps consacré à la préparation opérationnelle par les forces armées doit être concilié avec un engagement opérationnel soutenu. En effet, l’armée française est une armée d’emploi. Si les engagements opérationnels contribuent directement à entretenir le haut niveau de préparation de nos armées, ces derniers, souvent non prévus, perturbent régulièrement le cycle de formation et d’entraînement des unités, résultant parfois dans des disparités de préparation entre les unités. La difficulté réside dans le maintien de l’équilibre préparation opérationnelle – opérations, indispensable afin de préparer l’avenir.

Aussi, vos rapporteures ont-elles pu constater que la simultanéité des engagements opérationnels constituait une des limites au bon déroulement de la préparation opérationnelle.

Alors que la réduction progressive de notre engagement militaire en Afrique entraine une manœuvre de ré-articulation complexe qui mobilise nombre de moyens logistiques, une partie de nos forces renforce simultanément leur présence à l’Est de l’Europe dans le cadre de leur participation au renforcement de la posture défensive et dissuasive de l’OTAN. Cette charge opérationnelle ne pouvait être anticipée et son accomplissement est prioritaire et constitue un risque pour la préparation opérationnelle des armées. Le niveau élevé de l’engagement opérationnel met sous tension les ressources humaines et les capacités de formation des forces.

Pour la marine nationale, le temps disponible constitue, en effet, une contrainte majeure. S’entraîner s’apparente à une « course contre la montre », selon le Vice-Amiral Petit, auditionné par les rapporteures. Les marins consacrent usuellement 80 % de leur temps aux opérations contre 20 % pour l’entraînement. Les déploiements contribuent à un niveau de préparation opérationnelle élevé, mais le nombre conséquent de bâtiments mobilisés pour les opérations constitue un frein à l’entraînement, notamment lorsque le groupe aéronaval (GAN) est en mer. De plus, si les opérations menées par la marine nationale lui permettent d’être opérationnelle, le temps qui leur est dédié n’est pas consacré à la pratique de gammes dans des secteurs différents que ceux de l’emploi quotidien.

De la même manière, pour l’armée de l’air et de l’espace (AAE), l’activité du personnel navigant est en tension entre les opérations, les exercices à l’étranger et la formation de nouveaux pilotes. Une des particularités de l’AAE, réside dans le fait qu’elle doit assurer en permanence deux missions, en sus de ses autres missions opérationnelles ou opérations : la posture permanente de sûreté aérienne et la mise en œuvre de la composante aéroportée permanente de la dissuasion, qui sont très exigeantes en matière d’entraînement. De plus, elle doit pouvoir être rapidement prête pour être en capacité de se déployer à tout moment, sous très court préavis. Aussi, seulement 6 heures après la demande de l’OTAN, consécutivement à l’entrée des forces russes en Ukraine, des aviateurs décollaient pour mener des missions de renforcement de la surveillance de l’espace aérien polonais. Il appartient alors au général de commandant la brigade aérienne chasse de gérer le délicat équilibre entre le temps court des opérations et le temps long de la formation et de l’entraînement des forces. L’instruction des jeunes pilotes, par exemple de Rafale, étant réalisée par les équipages plus expérimentés de l’unité, le taux d’engagement en OPEX de ces derniers constitue un point de vigilance pour conserver un niveau d’encadrement suffisant dans les unités et garantir un flux de formation adéquat.

Cette situation n’est pas nouvelle puisque dans son avis budgétaire sur le projet de loi de finances pour 2019, le rapporteur pour avis du programme 178 « préparation et emploi des forces : forces terrestres », M. Thomas Gassilloud, soulignait la dégradation du niveau de préparation opérationnelle des forces terrestres depuis 2015, en raison, principalement, de la hausse du niveau d’engagement et de la montée en puissance de Sentinelle ([9]). Les militaires déployés sur Sentinelle ne s’entrainent pas à leur cœur de métier de combattant. Le déclenchement de l’échelon nationale d’urgence (ENU) a également un effet direct sur la préparation opérationnelle et sur le nombre de rotations en centres spécialisés que peuvent réaliser les forces terrestres. Ainsi, le déclenchement de l’opération AIGLE en 2022, a conduit le 27ème Bataillon de chasseurs alpins (BCA), en rotation au CENTAC, à stopper son entraînement pour se déployer en Roumanie, sous très court préavis. Enfin, la tension sur l’encadrement lié à ces projections a aussi un impact sur la formation initiale des soldats. À court terme, il est à prévoir que la tenue des jeux olympiques en 2024 et de la coupe du monde de rugby en 2023 aura probablement des effets importants, bien que maitrisés, sur la mobilisation des forces terrestres et aériennes sur le territoire national, qui devront être anticipés. La fin de l’opération Barkhane permettrait néanmoins de redonner un peu de souplesse du point de vue de la disponibilité des hommes avec un nombre moins élevé de soldats engagés.

Toutefois, les déploiements et engagements opérationnels ont un effet ambivalent sur le niveau de préparation opérationnelle des forces armées françaises. En effet, la frontière entre préparation opérationnelle et entraînement dans le continuum d’activité des unités est parfois difficile à discerner puisque chacun repose sur une ressource commune, tant humaine (les effectifs) que matérielle (les équipements, les pièces détachées, etc.).

Une partie de l’activité est réalisée à travers les sollicitations opérationnelles auxquelles les armées sont amenées à répondre. Aussi, certains déploiements dans l’Océan Atlantique permettent-ils, par exemple, à la marine nationale de rattraper l’activité non réalisée en lutte sous la mer. De la même manière, les missions opérationnelles AIGLE ou LYNX permettent aux forces terrestres de pallier le manque de potentiels disponibles pour l’entraînement sur le territoire national. Les unités se voient allouer pendant leur projection un potentiel dédié à la mission avec un objectif d’entraînement qu’elles n’auraient pas pu réaliser en France, qui permet d’entretenir le niveau atteint avant projection (notamment sur des équipements comme les chars Leclerc et les véhicules blindés de combat d’infanterie, VBCI). Ainsi, au-delà des missions AIGLE et LYNX, le niveau d’activité opérationnelle des équipages d’aérocombat a nettement progressé entre 2019 et 2022, passant de 168 à 196 heures par équipages, principalement tiré vers le haut par un engagement opérationnel élevé de l’aviation légère de l’armée de Terre (ALAT) en opérations extérieures (OPEX). La réduction de l’engagement opérationnel en OPEX de l’aérocombat laisse cependant entrevoir, au mieux un plateau, plus vraisemblablement, une baisse de ce niveau d’activité opérationnelle d’ici à 2024 (16 % des heures des forces conventionnelles et 30 % des heures des forces spéciales sont actuellement réalisées en OPEX selon l’état-major de l’armée de Terre (EMAT). Les déploiements contribuent également à alimenter le perfectionnement de la préparation opérationnelle à travers le processus de retour d’expérience. Au sein de l’armée de Terre, chaque déploiement opérationnel fait ainsi l’objet d’un compte-rendu de fin de mission adressé entre autres au commandement des forces terrestres. L’exploitation de ce document nourrit, ensuite, le retour d’expérience et donne lieu à des adaptations des mises en condition finale (MCF) des unités avant leur projection ou permet de corriger la structure et l’équipement des forces engagées opérationnellement. L’AAE s’inscrit aussi dans ce type de politique afin de valoriser les moyens projetés.

En revanche, l’activité réalisée en opérations bénéficie seulement à une partie des unités, souvent les mieux entraînées, et ne permet pas de garantir un niveau de préparation opérationnelle homogène et complet. Ainsi, les missions opérationnelles, comme la mission de défense aérienne assurée par l’armée de l’air et de l’espace en Pologne, sont des missions de patrouille et n’entrainent pas au combat aérien. De plus, l’activité réalisée en opérations ou lors de grands exercices est une activité de haut niveau qui bénéficie d’abord aux pilotes déjà opérationnels. Par ailleurs, du fait des mutations du contexte stratégique, les savoir-faire acquis en opérations ne sont pas nécessairement adaptés aux nouveaux scenarii d’engagement et demandent des adaptations. De retour de missions, les unités doivent être de nouveau formées sur certaines compétences précises, notamment dans le haut du spectre. Par exemple, des pilotes de retour du Sahel seront aguerris à l’appui au sol mais devront continuer à s’entraîner au combat face à des menaces aériennes et sol-air en coalition, etc. Ce changement permanent des formes d’engagement doit conduire à ne négliger aucun segment de savoir-faire militaire.

3.   Des infrastructures de préparation opérationnelle globalement adaptées, malgré l’existence de certains point d’attention

Le maintien d’un bon niveau de préparation opérationnelle nécessite de disposer d’infrastructures opérationnelles adaptées aux besoins d’entraînement car les infrastructures concourent directement à l’activité opérationnelle des armées.

Ainsi, les infrastructures dédiées à la préparation opérationnelle de l’armée de l’air et de l’espace, sont indispensables à la formation et à l’entraînement du personnel naviguant. Le bon état des infrastructures des bases aériennes, telles que les pistes et les entrepôts, influe directement sur la capacité à s’entraîner, en conditions réelles et en sécurité. Les personnes auditionnées ont tenu à souligner une particularité de l’AAE en matière de préparation opérationnelle : si les équipements sont essentiels dans l’entraînement des personnels, les bases aériennes ont également une vocation opérationnelle. À la différence des régiments de l’armée de Terre, elles ne sont pas seulement des bases depuis lesquelles les militaires s’entraînent et se préparent, mais bien des bases depuis lesquelles les avions mènent des opérations. Dès lors, les infrastructures doivent être entretenues au même titre que les matériels pour garantir une préparation opérationnelle efficace et le soutien doit être adapté à cette exigence opérationnelle. La surutilisation du parc Rafale pour pallier les restrictions temporaires de capacité induites par les prélèvements pour les contrats à l’export suppose, en outre, un dimensionnement suffisant des soutiens nécessaires à l’activité (pompiers, service des essences, contrôleurs, restauration, ravitaillement, etc.). La maintenance des pistes aériennes constitue également un enjeu, de même que le nombre de hangars disponibles pour effectuer la maintenance. La base aérienne d’Istres, par exemple, a vocation à devenir le hub des armées à horizon de l’été 2023, avec la poursuite de l’arrivée des A330 MRTT « Phénix », ce qui supposera des investissements importants dans les infrastructures et dans les crédits d’entretien programmé du matériel (EPM). Les zones de l’espace aérien et champs de tir disponibles pour l’entraînement constituent également un enjeu puisqu’il existe aujourd’hui une tension pour trouver des espaces disponibles, compte tenu d’un trafic aérien très dense. Or, il est nécessaire pour l’AAE de disposer d’espaces aériens suffisamment grands pour s’entraîner (entraînement à l’emploi de missiles Air-Air de longue portée notamment). Enfin, un autre défi réside dans l’acceptabilité sociale des nuisances sonores qui résultent de l’entraînement, de jour comme de nuit, parfois en zone de basse altitude.

L’organisation de la préparation opérationnelle des forces terrestres reproduit les différents échelons de l’armée de Terre. La formation des forces terrestres se décline en formation initiale, formation complémentaire et formation de spécialité. L’entraînement comprend une phase de préparation opérationnelle métier (POM) et de préparation opérationnelle interarmes (POIA), avant une mise en condition finale (MCF) précédant le déploiement en mission. Il s’effectue au quotidien, dans les régiments et dans les centres spécialisés. Des centres d’entraînements dédiés sont mis à la disposition des unités de l’armée de Terre : ceux-ci peuvent accueillir des unités complètes dans un cadre interarmes (infanterie, chars, artillerie) ou être spécialisés (zone urbaine, montagne, etc.). Les dix centres s’articulent autour de trois pôles (Champagne, Provence, Alpes-Pyrénées), représentant 170 000 hectares de terrain. Chaque centre spécialisé possède sa vocation propre : aguerrissement, combat interarmes (CENTAC-1er BCP), combat en zone urbaine (CENZUB-94e RI), etc. Vos rapporteures se sont rendues au centre d'entraînement au combat du 1er bataillon de chasseurs à pied (CENTAC-1er BCP), situé à Mailly-le-camp, qui met à disposition des forces terrestres un terrain équivalent à la surface de Paris pour l’entraînement au combat interarmes et propose des analyses pédagogiques après action aux sous-groupements tactiques interarmes (SGTIA) présents. Le parc d’entraînement du COME2CIA (900 blindés valorisés à 1,6 milliard d’€) est perçu par les unités venant s’entrainer.

Le défi actuel des forces terrestres consiste à adapter les infrastructures de préparation opérationnelle aux équipements et aux ressources nécessaires pour passer d’un modèle de préparation en petites unités engagées dans des opérations ponctuelles avec des équipements d’ancienne génération, à un modèle préparant de grandes unités avec toutes les capacités et segments et des équipements modernes. L’armée de Terre cherche ainsi à redonner des marges de manœuvre aux unités en s’appuyant sur une densification des infrastructures d’entraînement et une réorganisation des parcs. Le plan « APOGEE » (Amélioration de la Préparation Opérationnelle Globale par les Espaces d’Entraînement) vise à mettre en adéquation l’ambition de montée en gamme de la préparation opérationnelle avec la qualité des installations mises à disposition des unités. Le plan permettra d’ici 2030 de densifier les espaces d’entraînement pour répondre aux besoins dans les quatre domaines prioritaires du tir (nouvelles infrastructures de tir modernisées), de la manœuvre (dont pistes tout-terrain et obstacles, postes de combat avancés), de l'aguerrissement (dont modules et pistes d’audace et parcours naturels valorisés) et de l'action en zone urbaine (dont installations de tir en espace clos et complexes pour le combat embarqué et débarqué). APOGEE vise également à densifier l’offre locale (à domicile) et régionale (à moins de 250 km) afin de donner à chaque chef les moyens de conduire la préparation opérationnelle au profit de ses unités et recentrer les centres d’entraînement sur la haute intensité. Ces ambitions opérationnelles sont cependant dépendantes des arbitrages financiers en cours. Au regard de ces contraintes, le plan a, toutefois, été conçu pour que sa réalisation soit échelonnée jusqu’en 2035, selon trois phases. La densification de l’offre locale (en régiment) et régionale, combinée à l’effort sur les camps nationaux et centres d’entraînement spécialisés, doit permettre a minima de maintenir un niveau de préparation opérationnelle élevé à moindre coût et contribuer à la réactivité visée pour le déploiement divisionnaire, selon l’EMAT.

La création de nouvelles infrastructures opérationnelles et leur entretien risquent néanmoins de voir les besoins de financement augmenter et représentent donc un coût à consentir pour maintenir une offre de préparation opérationnelle au bon niveau (par exemple les champs de tir en zone urbaine à SISSONNE qui est le seul centre en France qui permet l’exécution de tir en zone urbaine). Plus généralement, l’emploi des nouveaux matériels (SCORPION) sur les espaces de manœuvre génère des besoins d’entretien des infrastructures de préparation opérationnelle plus importants que le matériel d’ancienne génération.

L’activité de la Marine nationale est également conditionnée par le niveau et l’état de ses infrastructures. D’abord, l’activité dépend grandement du cycle d’entretien des navires et des infrastructures dédiées à l’entretien des navires. Ce cycle est validé par l’état-major de la marine nationale à travers une circulaire déterminant le rythme et la durée des arrêts techniques, et le plan de maintenance majeure et intermédiaire (PMMI) qui les décline sur une période donnée et optimise le nombre de bâtiments disponibles en vue de programmer l’activité opérationnelle. À la fin de l'année 2022, les bassins étaient occupés à plus de 90 % par des bateaux en entretien. Il est nécessaire que les bassins soient en bon état avant de recevoir un bâtiment pour entretien, faute de quoi l’activité opérationnelle pourrait s’arrêter complètement. Cette logique est également valable pour les pistes et les bases de l’aéronautique naval. Certaines infrastructures sont plus spécifiquement dédiées à l’entraînement, notamment de haut niveau. C’est le cas des installations de tir, dont beaucoup sont actuellement en cours de rénovation selon une feuille de route définie. Les commandos Marine possèdent leurs propres infrastructures tel qu’un centre d’entraînement aux interventions en milieu urbain. Un projet est notamment en cours sur le port militaire de Cherbourg, où l’installation d’une passerelle de ferry permettra l’entraînement à la lutte anti-terroriste. La marine nationale souhaite poursuivre sa montée en puissance et être en capacité de répondre aux exigences de la haute intensité. La mise à niveau de ses centres opérationnels est cruciale de ce point de vue. Enfin, si la Marine désire s’entraîner en conditions réelles et tirer tous les types de munitions, il sera nécessaire d’avoir des capacités de stockage adaptées. À cet égard, une feuille de route a également été annoncée, et doit amorcer une phase de montée en puissance. Il en est de même pour le stockage du carburant (notamment le carburant embarqué F44 ([10]) pour lequel la Marine nationale augmente sa capacité de stockage).

En définitive, nos armées sont prêtes mais la transition vers la haute intensité constitue un défi permanent. Au-delà de la dimension quantitative, soit le volume d’activité réalisé par les armées, la qualité de la préparation opérationnelle et, notamment, son réalisme face à l’évolution des menaces et aux mutations technologiques doit également constituer une priorité. La transformation profonde du contexte stratégique doit être prise en compte. Aussi, est-il nécessaire aujourd’hui de se mettre en capacité de passer d’un modèle fait pour assurer des opérations dans des milieux plus permissifs, où notre capacité d’action était forte, à une capacité d’intervention « dans des environnements contestés, face à des adversaires aguerris, technologiquement redoutables sur tout le spectre de la conflictualité », appelé « pivot vers la haute intensité » par le Président de la République lors de son discours de vœux aux armées, depuis la base aérienne de Mont de Marsan le 20 janvier dernier. Or, le durcissement des standards opérationnels ne peut être atteint que s’il est en adéquation avec les moyens alloués. Vos rapporteures estiment donc primordial que la prochaine LPM prévoit les moyens financiers à la hauteur des objectifs fixés afin de réussir « ce pivot vers la haute intensité ».


II.   La préparation opérationnelle à l’aune d’un double défi : l’adaptation permanente à l’évolution du contexte stratégique et l’élargissement des champs de la conflictualité

Dans un contexte de ressources contraintes, une préparation opérationnelle réaliste et crédible constitue un défi sans cesse renouvelé. Elle nécessite une adaptation permanente à l’évolution du contexte stratégique, mais aussi technologique. Le passage à l’échelle de l’entraînement pour développer des capacités dans le haut du spectre et la préparation à la haute intensité constituent des défis que s’emploient actuellement à relever les armées.

Eu égard à l’élargissement des champs de conflictualité dans lesquels évolueront les armées françaises, celles-ci cherchent également à s’approprier les combats dans les champs immatériels, ainsi que l’apport des nouvelles technologies comme les drones et robots qui joueront, grâce aux progrès de l’intelligence artificielle et de la mise en réseau des équipements de combat, un rôle de plus en plus important.

Vos rapporteures souhaitent souligner l’ampleur des transformations à l’œuvre tant technologiques, marquées par l’explosion du numérique, que stratégiques. La préparation opérationnelle doit, dès lors, s’adapter à ces transformations permanentes, sans pour autant délaisser les compétences reconnues en matière d’engagement expéditionnaire.

A.   Il est aujourd’hui nécessaire de poursuivre et d’intensifier le durcissement de la préparation opérationnelle afin de faire face aux exigences induites par le retour de la haute intensité

La préparation opérationnelle doit impérativement s’élever à un niveau d’activité correspondant aux exigences de la haute intensité. Les premiers enseignements tirés du conflit ukrainien montrent la nécessité de posséder une armée bien entraînée et de maîtriser la capacité à manœuvrer avec l’ensemble des services de soutiens. Comme l’a relevé le Chef d’état-major des armées, lors de son audition devant la commission de la Défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale, le 5 octobre dernier : « L’armée russe, assez agile en Syrie, s’est trouvée confrontée à ses propres limites : une armée manquant d’entraînement, avec des cadres incapables de prendre une initiative, une logistique difficile à articuler, une difficulté manifeste à conduire un combat interarmes et interarmées et à manœuvrer. »

Les armées sont en cours de transformation pour atteindre les standards de préparation opérationnelle adaptés à un conflit de haute intensité à travers trois axes : le durcissement de leur préparation opérationnelle, la prise en compte croissante des enjeux multi-milieux et multi-champs dans la conception des entraînements, ainsi que l’organisation d’exercices à plus grande échelle, comme Orion.

1.   Le durcissement de la préparation opérationnelle : une préoccupation partagée au sein des trois armées

Le durcissement de la préparation opérationnelle et son adaptation à l’évolution du contexte stratégique sont des enjeux bien identifiés au niveau interarmées et par les chefs d’état-major et qui ont fait l’objet de renforcements récents. Une montée en gamme est en effet nécessaire pour réussir le pivot vers la préparation de conflits de grande ampleur, sans pour autant perdre l’expérience acquise ses trente dernières années lors des opérations extérieures qui font de la France un acteur militaire reconnu.

D’une part, la haute intensité et ses enjeux nourrissent les réflexions de l’armée de Terre depuis le milieu des années 2010 et ont été formalisés dès 2016, au sein du document « Action Terrestre Future ». Dans le cadre de cette nouvelle organisation, la création en 2018 du Commandement de l'entraînement et des écoles du combat interarmes (COME2CIA) vise à renforcer la continuité entre la formation, individuelle, qui s’effectue dans les écoles, et l’entraînement, réalisé dans les centres d’entraînement spécialisés. Le plan Supériorité opérationnelle, dont l’exercice majeur ORION 2023 est un des projets phare, ambitionne quant à lui de « former des hommes à la hauteur des chocs futurs » au moyen « d’un entraînement centré sur l’engagement majeur ».

Aussi l’armée de Terre a-t-elle initié un durcissement et un allongement de ses périodes d’entraînement depuis 2021. Les trois standards opérationnels ont été rehaussés et adaptés au durcissement de l’engagement : standard 1 (minimum, correspondant aux savoir-faire « métiers » et directement aux engagements sur le territoire national), standard 2 (gestion de crise et environnement interarmes) et standard 3 (haute intensité), pour s’assurer que l’armée de Terre soit en capacité d’entrer en premier et d’encaisser un premier choc dans un conflit de haute intensité. Le niveau de préparation opérationnelle moyen a également été relevé. Les standards rénovés rétablissent la maîtrise des savoir-faire de la haute intensité comme un objectif essentiel de l’entraînement des forces terrestres en faisant un effort sur les niveaux brigades interarmes et groupements tactiques interarmes (niveau régimentaire) et reposent sur un principe de capitalisation sur les entraînements antérieurs et les opportunités de préparation opérationnelle en métropole et en Outre-mer. Chaque unité est préparée à un standard en fonction des missions qui lui sont confiées. Des priorités sont fixées en fonction des ressources disponibles en temps, en potentiel et en munitions. Les unités en alerte constituant l’échelon national d’urgence (ENU) sont, quant à elles, dorénavant entraînées aux standards les plus élevés (SO3).

L’armée de Terre développe une préparation opérationnelle interarmes augmentée, en particulier, dans ses centres d’entraînement à Mailly, Sissonne et Mourmelon, avec des phases de contrôle plus longues, plus exigeantes et dans des conditions plus rustiques. Ainsi, les rotations en centres spécialisés ont-elles été rallongées, passant de deux à trois semaines (rotation R3S dite « Antarès »). Lors des rotations, la première semaine est consacrée à la préparation de l’entraînement et la deuxième à la phase de combat, pendant laquelle les postes de commandement (PC) sont évalués, enfin, la dernière semaine sert au contrôle des unités du niveau SGTIA. Les analystes du COME2CIA fournissent une « analyse après action » aux unités évaluées pour leur permettre de s’améliorer. Le coût d’une R3S est estimé à 1 voire 1,2 million d’euros. Toutefois, les R3S cohabitent, pour l’instant, avec les rotations classiques de deux semaines car seuls les régiments capables d’armer un État-Major Tactique (EMT) et au moins un SGTIA pendant trois semaines peuvent réaliser une R3S.

Enfin, dans l’objectif de rendre l’entraînement plus réaliste, l’armée de Terre complète ses capacités de forces adverses qui manœuvrent dans les centres d’entraînement spécialisés (CENTAC, CENZUB), avec la création d’un état-major « Rouge » comportant un général à sa tête pour structurer les manœuvres ennemies lors des grands exercices.

D’autre part, le plan Mercator Accélération 2021 rénove l’entraînement de la marine nationale. Les missions de la Marine ont été déclinées dans un plan stratégique présenté en 2018, le plan Mercator, dont la mise en œuvre a été accélérée en 2021 pour tenir compte d’un nouveau contexte marqué par l’aggravation des tensions géopolitiques, le caractère de plus en plus perceptible de l’impact du changement climatique, notamment dans les océans, et, enfin, la mise en évidence par la pandémie de Covid-19 des fragilités de la mondialisation et des interdépendances qu’elle avait créées. « Mercator Accélération 2021 », érige l’intensification de la préparation opérationnelle au rang de priorité et prévoit, entre autres, l’extension du double équipage à de nouveaux bâtiments, afin de limiter la suractivité et rendre l’activité plus prévisible pour le marin et sa famille, en combattant, de la sorte, les phénomènes d’usure. L’instauration de deux équipages complets qui alternent la prise en charge de leur bâtiment selon un cycle de quatre mois prédéfini permet de dédier les activités de quatre mois hors du bord à des activités organiques, notamment à l’entraînement des personnels sur simulateurs, au soutien MCO et à la formation. Si la marine nationale évolue depuis longtemps dans un contexte de réarmement naval et de regain des tensions en mer, l’amiral Vandier, chef d’état-major de la marine, a souhaité profondément transformer la préparation opérationnelle des équipages, afin d’anticiper les actions de nos compétiteurs. L’exercice Polaris, réalisé en novembre 2021, constitue selon l’amiral Vandier, « un bouleversement par rapport aux entraînement scénarisés où les équipes font leurs gammes » (audition au Sénat, 26 octobre 2022). L’objectif poursuivi à travers ces exercices est d’accentuer le réalisme des entraînements afin de permettre aux équipages de s’entraîner au plus proche des conditions réelles mais également d’y introduire davantage d’imprévisibilité pour favoriser la réactivité et l’adaptation permanente des équipages. Les enseignements tirés de la guerre en Ukraine pour les navires de combat ont principalement trait aux domaines de la conflictualité suivants : la guerre des mines, le cyber, les drones et l’influence. Dès lors qu’il dispose de son système d’armes, de ses munitions de son stock de combat, un navire doit être apte à toutes les missions. Ainsi, la singularité d’un contexte de haute intensité ne tient qu’à la différence des ordres reçus.

Toutefois, des efforts sont à poursuivre en matière de réactivité. Il ressort des auditions menées, qu’à la sortie de l’entraînement, les marins ne sont pas forcément en condition optimale. Ce sont les jours d’emploi qui leur permettent d’être tout à fait prêts. Les marins ont besoin d’être au contact après avoir reçu un socle de base. À titre d’illustration, avant chaque phase d’engagement en mission, le Groupe aéronaval (GAN) réalise des entraînements de montée en puissance, afin d’être prêt à tous types d’opérations. L’an dernier, le GAN avait réalisé sa mission opérationnelle après l’exercice POLARIS et une réelle différence s’était fait ressentir, ce qui contribue à démontrer l’importance cruciale de la préparation opérationnelle des équipages.

Par ailleurs, la préparation opérationnelle de l’armée de l’air et de l’espace se poursuit et se durcit.

Selon les personnes interrogées, la guerre en Ukraine démontre l’importance de la masse et de l’épaisseur des forces pour tenir face à l’attrition. Par ailleurs, les bases aériennes redeviennent des cibles. Ainsi, il est primordial de durcir la préparation au combat et de travailler l’art de la dispersion et l’agilité opérative, tout en préservant les compétences clés (furtivité, capacité à opérer de nuit à très basse altitude, etc.) Le sous-chef d’état-major « Activité », auditionné par les rapporteures, a indiqué que l’AAE réfléchissait à un durcissement de l’aguerrissement individuel afin de développer encore davantage la combativité, la résistance et la rusticité des personnels de l’AAE. Par exemple, l’AAE travaille actuellement à l’extension des horaires des soutiens au profit de l’activité d’entraînement et à renforcer l’exposition des combattants aux environnements extrêmes du fait des déploiements récents en Europe du Nord et de l’Est par grand froid.

S’agissant des structures de commandement, le projet Altaïr, initié en 2022, et dont la finalisation est prévue en 2023, vise à simplifier la chaîne de commandement et aura une influence sur la préparation opérationnelle. Il se traduira notamment par une profonde réorganisation du commandement des forces aériennes (CFA), qui possédait jusqu’ici de la responsabilité de la préparation opérationnelle des forces. Cette responsabilité est transférée au commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes (CDAOA), afin de renforcer le lien entre la conduite des opérations et la préparation opérationnelle. Dans le cadre de la réforme Altaïr, les brigades aériennes, qui génèrent la préparation opérationnelle, sont désormais directement rattachées à l’état-major de l’armée de l’air et de l’espace (EMAAE) et intègrent dorénavant le MCO des aéronefs placés sous leurs ordres. Cette nouvelle organisation vise à gagner en réactivité et en performance.

Deux autres domaines, la doctrine et la tactique, conditionnent également l’efficacité de l’entraînement et doivent s’adapter au contexte stratégique. Les modes d’action qui ne sont pas les plus utilisés par les forces ne doivent pas, pour autant, voir leur préparation délaissée. Aussi, dans le cadre des engagements récents, notamment en Afrique, l’armée de l’air et de l’espace est souvent intervenue en appui des forces terrestres. Pour autant, elle doit continuer à entretenir ses capacités à frapper dans la profondeur et à maintenir une supériorité aérienne, essentielles pour prendre l’ascendant dans un conflit. De nouvelles doctrines émergent également en matière de renseignement et nécessitent une perpétuelle adaptation de la préparation opérationnelle. Au niveau tactique, l’entraînement doit prendre en compte l’évolution de la performance des équipements. Alors que l’enjeu principal était la maîtrise par le pilote de son appareil, la difficulté réside davantage aujourd’hui dans la conduite de la mission, de plus en plus complexe, car les équipages, par exemple ceux des Rafale, bénéficient d’outils d’assistance au pilotage. L’effort de formation a évolué en conséquence. L’Air Warfare Center (ou centre expertise aérienne militaire) situé à Mont-de-Marsan élabore justement les nouvelles tactiques à mettre en œuvre. Il agit comme référent pour former des instructeurs tactiques à destination des escadrons et capitalise sur le retour d’expérience pour ajuster, ensuite, la préparation opérationnelle.

Enfin, l’organisation du commandement constitue un paramètre important pour l’efficacité de la préparation opérationnelle. Celle-ci est en cours d’évolution. L’EMA travaille actuellement à une réorganisation du commandement, autrefois tourné vers une logique expéditionnaire, et aujourd’hui moins adapté à la conduite de la préparation opérationnelle de haute intensité.

2.   Des exercices plus réalistes et plus complexes qui intègrent les enjeux du combat multi-milieux (espaces aériens, terrestres et maritimes) et multi-champs (informationnels, cyber et électromagnétiques) (M2MC)

Le manque de réalisme de l’entraînement peut obérer la qualité de la préparation opérationnelle. C’est pourquoi, la préparation au combat des forces va au-delà des seuls entraînements menés par chacune des unités tout au long de l’année. Les forces se sont donc engagées dans plusieurs directions pour rendre les « grands exercices » plus réalistes et augmenter leur complexité, afin de s’entraîner aux savoir-faire situés dans le haut du spectre. Cet accroissement de la qualité de la préparation opérationnelle, est d’autant plus prégnant que les exercices envoient un « signalement stratégique » à nos partenaires, mais également à nos compétiteurs.

Les personnes auditionnées se sont accordées sur le fait que les « grands exercices » présentent une réelle plus-value opérationnelle. Le niveau des exercices est un critère qualitatif d’évaluation de la préparation opérationnelle. Ces derniers contribuent directement à la crédibilité des armées françaises en créant, entretenant ou améliorant l'aptitude opérationnelle des forces. Ils agrègent un nombre important de forces aux capacités variées qu’ils mettent en interaction pour les placer au plus proche de ce qui pourrait être rencontré en situation réelle. Ils permettent ainsi d’entraîner le personnel, mais également la chaîne de commandement, à la dureté des engagements, à la diversité et à l’ambiguïté des modes d’actions hybrides, à la mise en œuvre d’équipements à la complexité croissante, à la synchronisation des effets dans plusieurs champs et milieux (M2MC), et à l’engagement en coalition avec nos alliés et partenaires. Systématiquement menés dans un cadre interarmées, voire multinational et/ou interministériel, ils offrent une complexité qui permet aux forces et aux états-majors d’acquérir l’intégralité des aptitudes opérationnelles nécessaires aux missions pouvant leur être confiées. Maillon le plus abouti de la préparation opérationnelle, ils participent de l’élévation du niveau de préparation des forces. Ces derniers permettent d’avoir une conjonction de moyens (matériels, RH, soutien, participants étrangers/alliés) afin d’évoluer dans un environnement le plus représentatif possible d’un engagement réel en coalition interalliées et interarmées. Ils permettent également de pouvoir évaluer le niveau de préparation des forces car un large panel de missions y sont réalisées.

Deux exemples récents sont particulièrement emblématiques : l’exercice POLARIS pour la marine nationale et l’exercice VOLFA pour l’armée de l’air et de l’espace.

Le plan Mercator susmentionné affichait pour objectif l’intensification de la préparation opérationnelle avec la conduite d’entraînements majeurs complexes réunissant les quatre composantes organiques de la marine, ainsi que la révision et l’adaptation des concepts opératifs et tactiques. L’exercice POLARIS reflète cette ambition de concevoir des exercices de plus en plus réalistes, laissant place à une part plus importante d’incertitude pour développer la réactivité et l’agilité des équipages. Selon les mots de l’amiral Vandier, chef d’état-major de la marine, lors de ces exercices : « la seule règle c’est qu’il n’y a pas de règle » ([11]). Malgré une organisation plus complexe, il a été constaté que l’exercice POLARIS avait une vraie plus-value sur le niveau de préparation opérationnelle des équipages et qu’un réel progrès était constaté parmi les marins ayant participé. Ainsi, fin 2021, l’exercice POLARIS a rassemblé 6 000 militaires de six nations, et a été l’occasion de tester de nombreuses innovations tactiques. Une nouvelle manière de « jouer » a été mise en pratique afin de pousser chaque marin à réfléchir, à trouver des modes d’actions nouveaux et à sortir de ses habitudes

Par ailleurs, les nouveaux champs de conflictualité sont investis par les armées et intégrés de manière croissante dans la conception des grands exercices. De fait, l’AAE accorde une attention particulière à la préparation au combat multi-milieux et multi-champs (M2MC). La politique de préparation opérationnelle de l’AAE a déjà intégré ces enjeux dans la définition de ses objectifs et priorités d’entraînement. Ses activités sont pensées pour maintenir ses capacités socles, tout en développant l’aptitude à mener des combats de haute intensité, dans une logique M2MC, se projeter rapidement et avec agilité en tout point du globe, renforcer l’intégration interarmées et interalliées. À ce titre, l’exercice VOLFA 2022 a constitué un véritable succès. L’exercice a permis de valider les orientations prises depuis deux ans : développement de scénario continu de type campagne aérienne, des Primary training audience (PTA) tournantes, une communication moderne et une évaluation objective des résultats. De nouvelles difficultés y ont été ajoutées en 2022 : intégration comme joueurs du Centre Air de planification et de conduite des opérations (CAPCO) et du Commandement de l’espace, participation des bases aériennes dans un environnement de guerre électronique, cyber et de lutte informationnelle, principalement.

Un aspect clé de la préparation opérationnelle sera également la résilience des armées et leur capacité à exploiter des systèmes numériques et satellitaires malgré d’éventuelles attaques. Au quotidien, les militaires sont ainsi sensibilisés aux enjeux de l’hygiène numérique pour ne pas risquer faire fuiter des informations qui les fragiliseraient. De plus, l’exercice majeur conventionnel VOLFA, intégrait, en sus du M2MC, un volet résilience caractérisé par la perte d’outils clés comme le GPS ou la préparation de mission pour les uns et l’alimentation électrique pour les autres. Outre la dégradation des systèmes embarqués, le nombre de missiles disponibles était volontairement limité (avec 60 % de la charge maximale disponible air-air et sol-air) afin de s’entraîner à opérer dans des conditions non optimales. Au bilan, la diversité des objectifs constitue la principale difficulté de ce type d’exercice qui doit permettre à l’ensemble des spécialités de bénéficier d’un entraînement à forte valeur ajoutée. C’est pourquoi, à travers le système de PTA tournante, l’AAE a veillé à ce que chaque composante puisse tour à tour bénéficier du soutien des autres composantes pour atteindre ses propres objectifs d’entraînement. Les objectifs d’entraînement retenus ont ainsi été réalisés à 85 %, selon l’EMAAE.

Toutefois, le retour d’expérience de VOLFA a permis d’identifier plusieurs points d’attention qu’il conviendra de prendre en compte dans les prochains exercices. D’une part, l’accueil de cinq détachements étrangers sur la base BA118 de Mont de Marsan, en plus des détachements français, constituait un véritable défi qui a été relevé mais représente pour l’instant un maximum soutenable pour l’armée de l’air et de l’espace, tant du point de vue des infrastructures que des services de soutiens. D’autre part, l’armée de l’air et de l’espace veillera à embarquer les services et directions du soutien interarmées très tôt dans le montage de l’exercice pour pouvoir bénéficier de son appui et mobiliser les renforts nécessaires. En outre, l’armée de l’air et de l’espace ne disposant pas de capacités de brouillage Radar de zone, le recours aux moyens de l’OTAN (Joint Electronic Warfare Core Staff) fut la seule option possible pour assurer la disponibilité de ces matériels et disposer de capacités offensives détenues par certains pays de l’OTAN ou représentatives des forces adverses. Or, cette dépendance vis-à-vis de moyens extérieurs pourrait poser des difficultés, puisque les exercices OTAN étant prioritaires, les dates de l’exercice doivent être compatibles avec le planning otanien. De la même manière, pour pouvoir bénéficier de ces moyens les participants doivent appartenir à l’organisation ou au Partenariat pour la paix. Dans le cas de l’édition 2022 de l’exercice VOLFA, les Émirats arabes unis ne remplissant pas ses conditions, une action de la part de la France a été nécessaire pour lever cette restriction. Enfin, l’armée de l’air et de l’espace disposant seulement de trois centres de détection et de contrôle (CDC), la planification d’un tel exercice dans une période où un CDC serait en maintenance doit être évitée afin de maintenir un bon niveau de résilience. En effet, si l’un des deux CDC tombe en panne, le CDC restant est entièrement dédié à la posture permanente de sûreté Air, entraînant de facto l’annulation de l’exercice VOLFA.

Le caractère interarmées et interalliés des grands exercices offre, en outre, la possibilité de travailler la nécessaire interopérabilité des forces. La marine nationale a réussi à attirer ses alliés dans l’exercice POLARIS grâce à son haut niveau d’expertise (notamment en matière de porte-avions et de lutte anti-sous-marine) et nombreuses sont les marines étrangères qui ont demandé de participer au prochain exercice. Le défi est néanmoins de tirer le meilleur de l’exercice conduit avec le pays étranger. Plébiscité par nos partenaires étrangers, tant participants qu’observateurs pour la difficulté des missions effectuées et le réalisme du scénario continu, VOLFA est le seul exercice en Europe permettant à l’ensemble des composantes d’une armée de l’air (chasse, transport, hélicoptères, sol-air, commandos, contrôle) de s’entraîner conjointement dans un environnement à la fois M2MC et interalliés.

Enfin les grands exercices remplissent également un rôle de « signalement stratégique » vis-à-vis de nos partenaires mais également de nos compétiteurs, ce qui doit conduire à prendre davantage en compte le champ informationnel, à travers une communication adaptée. Cet enjeu s’inscrit pleinement dans la prise en compte de la nouvelle fonction stratégique « influence, » portée par la revue nationale stratégique. La préparation opérationnelle permet aussi de communiquer et d’adresser des messages. L’écosystème de prise en compte de la préparation opérationnelle au titre de l’influence est en train de se professionnaliser. L’AAE étudie, par exemple, la manière dont sont perçus les exercices menés dans les espaces stratégiques de nos compétiteurs (comme la zone Indopacifique). La lutte informationnelle est également progressivement intégrée aux scenarii des exercices au profit des joueurs. Lors de l’exercice VOLFA, une fake news par jour a été reçue par chaque participant sur son adresse mèl professionnelle. Par ailleurs, la marine nationale a récemment mis en place la dissimulation des noms et numéros de coques de certains de ses bâtiments. Les méthodes d’entraînement ont été revisitées pour faire face à ces nombreux enjeux. L’entraînement est aussi porté sur l’esquive des services de renseignement adverses, sur la déception et le « leurrage ». Le volet cyber / informationnel est également pris en compte, tout comme le spatial. Dans le cadre des exercices précités, les armées étaient notamment attentives à la présence de satellites étrangers en mesure d’observer les exercices et les ont pris en compte dans leurs manœuvres.

Si les grands exercices ont une réelle plus-value opérationnelle et permettent d’acquérir des compétences dans le haut du spectre, il convient, toutefois, de se poser la question de la généralisation de ce type d’entraînement qui ne bénéficie qu’à une partie des unités, souvent les plus entraînées, même si les enseignements tirés ont vocation à irriguer l’ensemble des armées grâce au retour d’expérience.

3.   Le changement d’échelle de la préparation opérationnelle à travers l’exercice majeur ORION 2023

L’exercice majeur ORION est emblématique du changement d’échelle entrepris par les armées et constituera une étape importante dans la préparation opérationnelle à la haute intensité. Une attention particulière sera portée aux enjeux du M2MC, notamment à l’intégration des dimensions cyber et spatiale dans l’ensemble des séquences.

Le caractère inédit d’un tel exercice tient particulièrement au volume de forces mobilisé et à sa durée. Initialement porté par l’état-major de l’armée de Terre (EMAT), l’exercice s’est vu conférer une dimension interarmées. ORION se déroulera sur près de quatre mois, de février à mai 2023, et permettra aux forces de s’entraîner dans le cadre d’une opération d’envergure : de l’entrée en premier sur un théâtre d’opérations à l’engagement d’un système divisionnaire interallié complet dans un affrontement de haute intensité contre un adversaire à parité. Il s’agira d’entraîner les armées françaises dans un cadre interarmées et multinational selon un scénario allant jusqu’à la haute intensité. Réaliste et exigeant, l’exercice prend en compte les différents milieux et champs de conflictualité. ORION 23 permettra également d’aborder les aspects interministériels de la gestion de crise au-delà du périmètre des seules armées. D’un coût estimé autour de 35 millions d’euros, ORION aura néanmoins un effet d’agrégation des exercices annuels.

Bien que la planification d’ORION ait débutée dès 2019, l’exercice est jugé parfaitement en cible avec les premiers enseignements tirés de la guerre en Ukraine. Orion permettra notamment de tester l’efficacité des mécanismes de soutien, au-delà de la manœuvre nécessaire au déploiement de l’échelon national d’urgence (ENU). Ainsi, Orion 2023 mobilisera un grand nombre de ressources militaires et mettra les processus ordinaires en tension. À titre d’exemple, fournir des rations pour près de 20 000 hommes pendant trois semaines constituera un véritable défi pour les services du commissariat des armées. Lors de l’exercice, le cadre théorique de l’emploi des forces sera celui de la coalition. Une coalition dirigée par la France cherchera à préserver l’intégrité territoriale d’un État allié et à affronter dans un combat de rencontre M2MC des ennemis qui engageront des capacités aériennes, maritimes et cyber de déni d’accès. Le scénario verra ensuite l’entrée en premier évoluer vers un engagement en coalition sous commandement français. ORION fera évoluer conjointement des nations alliées (notamment les États-Unis, la Belgique, la Grande-Bretagne et l’Espagne), sans toutefois, que l’exercice ne soit labélisé par l’OTAN. Ce choix s’explique par la volonté de garder une plus grande maîtrise de l’exercice et de l’inscrire dans un cadre national et, ainsi, éviter que certaines contraintes supplémentaires ne pèsent sur son organisation. Pour garantir le réalisme et l’imprévisibilité de l’exercice, la préparation répond aux principes de subsidiarité et de liberté d’action, les niveaux de commandement supérieurs se contentant de fixer les grands objectifs. Le second facteur, qui permet aux états-majors de s’entraîner à la gestion de l’incertitude, est l’existence d’un état-major ennemi, doté de sa volonté propre, et qui va développer une manœuvre hors de tout script, forçant les joueurs à s’adapter.

 

L’exercice ORION se déroulera en quatre phases représentatives d’un engagement majeur :

La phase O1 consistait en une période de planification opérationnelle, réalisée entre mai et décembre 2022. Elle permet à l’ensemble de la chaîne de commandement de produire le JCO (joint coordination order) mis en œuvre pendant O2.

La phase O2 se déroulera entre le 23 février et le 11 mars. Cette phase prévoit la projection et l’intervention d’une force équivalente à l’échelon national d’urgence (ENU) en Occitanie. La région de Sète sera le théâtre des premières opérations car l’exercice a pour but d’investir les trois dimensions, avec, par exemple, le déploiement d’un bataillon amphibie et de nombreux avions de chasse. Les champs informationnel et cyber seront concernés par des manœuvres tactiques. L’armée de Terre déploiera des capacités pour combattre dans les différents champs et milieux, avec ses systèmes de drones de toutes natures et des unités expérimentales, dites « unités multi-capacités », qui regrouperont des moyens de guerre électronique, d’action cyber, de guerre informationnelle (INFO-OPS) et de communication stratégique (STRATCOM) pour produire des effets dans les champs immatériels et se prémunir des actions de l’adversaire.

La phase O3 se déroulera sous la forme d’un séminaire interministériel ayant pour but de réfléchir aux contributions des ministères, de l’État et de la Nation lors d’un engagement majeur. Cinq groupes de travail interministériels seront ainsi constitués afin de soutenir l’effort des armées hors de leur périmètre. Ils concerneront : la mobilisation économique, les menaces et actions sur le territoire national, les acheminements stratégiques, le droit et la mobilisation des ressources humaines et des réserves. Organisée sous l’égide du Secrétariat général à la défense et à la sécurité nationales (SGDSN), cette phase sera complétée par des wargames qui permettront à l’ensemble des acteurs clés à l’échelle interministérielle d’interagir et d’être sensibilisés aux enjeux d’un engagement majeur. Auditionné par vos rapporteures, le sous-chef opérations aéroterrestres de l’État-major de l’armée de Terre, le général Denis Mistral, a cité plusieurs illustrations de thématiques interministérielles qui pourraient être abordées comme le statut juridique des prisonniers, la problématique de l’acheminent ou encore les adaptations du droit du travail, etc. Certaines de ces problématiques sont déjà bien identifiées mais les procédures actuelles nécessiteront davantage de réactivité en période de conflit. À titre d’exemple, un train spécial de la SNCF peut aujourd’hui être mobilisé par les armées mais un délai de deux mois est requis par la SNCF. Si ces délais sont tenables lorsque les déploiements sont anticipés et choisis, ils ne pourront être tenus en cas de conflit. La phase O3 permettra a minima d’identifier des problématiques, afin de pouvoir s’atteler ensuite à élaborer des solutions.

La dernière phase d’Orion, O4, se déroulera dans la région champenoise, sur une surface équivalente au département de la Dordogne, du 17 avril au 5 mai. Engagé en appui des forces terrestres, l’AAE sera quant à elle également en charge de réaliser une campagne aérienne similaire à un exercice VOLFA au sein des zones aériennes de combat, sur l’ensemble du territoire national. Cette phase concentrera l’essentiel de l’effort de l’armée de Terre, à travers l’engagement en coercition d’une division multinationale aux ordres du CRR-FR, après conquête de la supériorité aérienne. Autour de 15 000 hommes y participeront et plus de 3 000 véhicules seront mobilisés.

 

Le retour d’expérience d’ORION devrait pouvoir irriguer l’ensemble des unités, y compris celles n’ayant pas participé à l’exercice. Le sous-chef opérations aéroterrestre de l’EMAT, le général Mistral, a indiqué qu’une équipe dédiée avait d’ores et déjà identifié un plan de recherche organisant méthodiquement la collecte des enseignements et du retour d’expérience de l’exercice, afin d’identifier et mettre rapidement en œuvre les mesures utiles à l’amélioration de la capacité opérationnelle et de la capacité d’entraînement de l’armée de Terre. L’exercice doit permettre à l’armée de Terre de consolider ses capacités dans plusieurs domaines :

-         la mise en place de son nouveau modèle d’entraînement centré sur l’entraînement d’un système divisionnaire complet ;

-         l’emploi de la réserve opérationnelle sous forme d’unités de protection, d’éléments spécialisés et de renforts individuels ;

-         ses capacités de commandement et d’intégration dans un commandement multimilieux-multichamps ;

-         la gestion de la masse et de la profondeur du combat de la division ;

-         la combinaison des éléments d’appui et de soutien, en particulier les conditions d’acheminement, d’engagement et de soutien de sa force, avec une mise en charge maximale des services du soutien interarmées ;

-         le renforcement de la manœuvre au sol et à proximité du sol, en zone arrière, au contact et dans la profondeur en optimisant les appuis et soutiens interarmées ;

-         les apports capacitaires dans les opérations modernes (emploi des drones, simulation, équipements scorpion) ;

-         l’interopérabilité des unités de combat et d’appui de quatre de nos principaux alliés (les États-Unis, la Belgique, la Grande-Bretagne et l’Espagne).

Selon les éléments fournis à vos rapporteures, les difficultés anticipées résident dans :

-          la maîtrise des effectifs engagés et dans le ratio joueurs-soutien-contrôleurs ;

-         la saturation des camps de manœuvre sur lesquels les forces sont déployées, avec des capacités de soutien à leur maximum ;

-         les mouvements logistiques des unités pré et post exercice ;

-         la connectivité des forces et l’établissement des liaisons de commandement ;

-         la gestion logistique des biens déployés pendant l’exercice.

Enfin, ORION agira comme un signalement stratégique. Il sera scruté avec une grande attention par nos compétiteurs, ce qui prouve la nécessité d’adopter une stratégie de communication adaptée. Les opérations prévues de lutte informationnelle se déploieront dans un espace numérique isolé des réseaux mondiaux, « une bulle d’exercice », dans laquelle des réseaux sociaux et des media factices serviront de support aux échanges et aux actions d’influence des forces. D’autre part, une stratégie de communication a été mise en place autour d’ORION. En matière de lutte défensive, l’ennemi figuré tentera d’attaquer les réseaux « amis ». Des unités expérimentales vont travailler dans le champ cyber et seront capables d’attaquer les réseaux adverses afin de récupérer des données ou de sécuriser un réseau radio. Eu égard à ces éléments, un enjeu majeur sera celui de la sécurité de l’exercice, tant en termes de sécurité des biens et des personnes, que de protection contre les intrusions et subversions éventuelles et de protection des données.

Loin d’être une ligne d’arrivée, ORION constitue, au contraire, un premier jalon vers la transformation de la préparation opérationnelle vers la haute intensité. Les armées ont déjà pour ambition de reconduire cet exercice tous les trois ans.

B.   Anticiper les nouvelles menaces et prendre en compte des mutations technologiques pour bâtir la « préparation opérationnelle du futur »

1.   Une préparation opérationnelle intégrant les enjeux du combat collaboratif

La préparation opérationnelle doit également évoluer en cohérence avec la transformation des équipements en dotation dans les forces. L’avenir de la préparation opérationnelle devra prendre en compte le combat du futur et les nouvelles capacités disponibles. Des centres dédiés ont été créés au sein des armées pour accompagner les forces dans l’appropriation du combat collaboratif.

Né de l’utilisation des nouvelles technologies à des fins militaires, le combat dit « collaboratif » s’apparente à une révolution dans la manière d’appréhender l’ennemi ([12]). L’enjeu du combat collaboratif est de prendre l’ascendant sur un adversaire dont les capacités sont nombreuses, complexes et dispersées sur le territoire, grâce à une circulation de l’information en temps réel entre toutes les unités déployées sur le terrain. Il nécessite d’optimiser les moyens dont les forces disposent et de les coordonner parfaitement.

Dans l’armée de Terre, le programme SCORPION (Synergie du CONtact Renforcé par la Polyvalence et l’infovalorisatION), à travers le Système d’information du combat Scorpion (SIC-S), est le fer de lance de cette transformation. Depuis 2021, le combat collaboratif infovalorisé est devenu une réalité à travers le déploiement de Griffons en bande sahélo-saharienne dans le cadre de l’opération Barkhane. L’objectif est de connecter tous les véhicules entre eux afin que chaque homme dispose des mêmes informations. Cette transformation se poursuit, puisque 18 % de la cible Scorpion a été atteinte à la fin de l’année 2022 et 25 % en 2023. Pour autant, la transformation n’est pas immédiate ni homogène au sein de l’armée de Terre. Pour valider sa transformation, une unité a besoin d’un an environ à compter de la perception de ses équipements. Si la « scorpionisation » de l’infanterie est bien avancée, celle de la cavalerie débute seulement (1er REC). Par ailleurs, SIC-S, en dotation dans l’ensemble de l’armée de Terre, permet néanmoins d’entraîner au moins les postes de commandements au combat collaboratif. Dans ce cadre, la Force d’expertise du combat Scorpion (FECS) ([13]) a été spécifiquement créée en 2017 pour aider les régiments à s’approprier les enjeux du combat collaboratif et les accompagner dans leur transformation qui représente « un défi capacitaire, opérationnel et culturel » selon le COME2CIA. Pendant un an, les cadres sont d’abord formés, puis la formation sur le matériel est organisée au moment de leur perception, à Canjuers pour les Griffon et les Jaguar, et à Mourmelon pour les Serval. La POM s’effectue en régiment, en parallèle de la formation des états-majors et des postes de commandements (PC), qui doivent s’approprier de nouveaux modes opératoires pour leur raisonnement tactique à travers la mise en œuvre du SIC-S. Les périodes de restitution de la transformation Scorpion (PRETS), organisées par la FECS, environ quatre fois par an, prennent la forme d’une séquence d’une durée de trois semaines qui permet de valider la transformation du régiment à Mailly. C’est le cas, par exemple, du 3ème RIMA qui a validé sa PRETS avant de réaliser sa MCF pour se déployer en bande sahélo-saharienne (2021). Les autres unités en cours de transformation peuvent bénéficier de la formation START, même s’ils ne disposent pas de matériels majeurs, en se concentrant sur SIC-S (1 semaine de formation tactique sur SIC-S). Des ressources, ainsi qu’un système de compagnonnage, sont également mis à disposition de l’ensemble de l’armée de Terre. La formation dispensée consiste en l’appropriation tactique du combat Scorpion, mais aussi technique (SIC-S) et l’entraînement sur les équipements. Cette dernière composante est celle qui prendra le plus de temps car l’équipement des forces est progressif. Vos rapporteures estiment donc nécessaire de veiller à maintenir le rythme des livraisons Scorpion.

L’armée de l’air et de l’espace et la marine nationale ont également recours à des outils spécifiques dédiés au combat collaboratif.

D’une part, la « liaison 16 » installée sur tous les avions de chasse et commune à tous les membres de l’OTAN, est un réseau crypté de transmission d’informations qui permet aux pilotes de visualiser les avions en vol, amis et ennemis et de communiquer entre eux, ainsi qu’avec les opérateurs au sol. En matière de préparation opérationnelle, l’enjeu est d’utiliser pleinement la liaison 16 pour l’entraînement et de s’exercer dans des conditions réalistes en jouant des scenarii complexes et plus audacieux dans un environnement représentatif de la haute intensité, tout en optimisant les ressources. En effet, la LVC-16 est un concept d’entraînement collaboratif utilisant à la fois des systèmes réels et des systèmes de simulation, dirigés par des opérateurs, ainsi que des pistes générées et pilotées par ordinateur, qui permet d’intégrer les autres milieux et champs et n’est pas exclusive à la troisième dimension (milieu aérien). Au sein du Centre d’expertise aérienne militaire (CEAM), transformé depuis 2015 en Air Warfare Center, le Centre d’expert du combat collaboratif (CECC), situé sur la base de Mont de Marsan, offre deux à trois créneaux d’entraînement par jour aux pilotes pour se perfectionner au combat collaboratif. Parallèlement, le CEAM a créé en 2021 la Weapons School, qui regroupe un collège d’instructeurs tactiques capables d’analyser, concevoir et valider des modes d’action innovants optimisant les systèmes d’armes en dotation dans l’armée de l’air et de l’espace.

Par ailleurs, la marine nationale déploie actuellement sur ses bâtiments les premiers jalons du combat collaboratif naval, dans le cadre de la démarche Axon@V, qui vise à améliorer la connectivité de plusieurs plateformes (navire, aéronefs, commandos), ainsi que les capacités de traitement massif des données. La « veille collaborative navale » (VCN) permettra de mutualiser et de partager les données de l’ensemble des radars d’une même force navale dans l’objectif de maximiser les chances de détection. La VCN concerne cependant, pour l’instant, un nombre toujours réduit de bâtiments.

Toutefois, la question de l’interopérabilité des systèmes de combat collaboratif demeure un point d’attention important car pour l’instant chaque armée tend à avancer individuellement. Le programme Titan, qui succédera à Scorpion à horizon 2040, devrait avoir pour objectif de développer cette connectivité entre armées.

2.   Les apports de la simulation et les perspectives apportées par l’intelligence artificielle

La simulation constitue une révolution importante pour l’entraînement militaire moderne. Son utilisation permet de pallier les contraintes (économiques, matérielles, temporelles) de la préparation opérationnelle et constitue un véritable atout pour augmenter et démultiplier l’entraînement. Elle permet de poursuivre la préparation opérationnelle quand les potentiels des véhicules, les pièces de rechange, les munitions coûteuses et le temps manquent. De plus, au-delà des simulateurs techniques et tactiques, les armées développent de nouveaux outils de simulation, hybride et distribuée, qui permettront, respectivement de combiner des moyens réels et simulés ou de connecter les simulateurs en réseau.

La simulation occupe, en effet, une place importante dans la formation et l’entraînement des personnels des trois armées. Essentielle à la formation initiale des jeunes équipages de l’armée de l’air et de l’espace, la simulation permet de s’entraîner à la maîtrise du fonctionnement des différents matériels, mais également, dans une moindre mesure, à la montée en gamme, à travers l’expérimentation de pannes ou de situations qu’il serait complexe, voire dangereux de réaliser en conditions réelles. Il ressort des auditions que 50 % de la formation initiale des futurs pilotes Rafale est réalisée via la simulation de missions, cette part monte jusqu’à 80 % pour les pilotes de drones sur la base de Cognac. De la même manière, la simulation occupe une place prépondérante dans la formation des équipages de l’aéronautique navale, des sous-marins et des FREMM, favorisée, pour ces derniers, par le fonctionnement en « double équipage ». Par exemple, les sous-mariniers consacrent deux à trois semaines à l’entraînement en mer et six semaines sur simulateur. Le recours à des simulateurs implantés dans les bases navales est croissant, permettant notamment la simulation de passerelle de frégate légère furtive ou de porte-hélicoptères amphibie ([14]). Les forces terrestres disposent, quant à elles, de simulateurs techniques, dont les simulateurs de tirs de combat, conçus par les industriels pour s’entraîner à la maîtrise d’un système d’armes, et de simulateurs tactiques, particulièrement bien déployés au sein des forces (SPARTACUS, SOULT) qui sont alternativement conçus par l’industriel ou en interne (ROMULUS) et dédiés à l’entraînement à la manœuvre. L’armée de Terre ambitionne de réaliser en moyenne un tiers du temps dédié à la préparation opérationnelle sur simulateur.

Le réalisme de la simulation constitue également un fort enjeu pour garantir son intérêt opérationnel. Aujourd’hui, il apparaît de plus en plus complexe de s’entraîner dans des conditions proches de la réalité, du fait de la difficulté croissante à générer des situations représentatives de l’environnement rencontré en opérations. Pour répondre aux besoins d’entraînement, la simulation devra être capable de reproduire des situations tactiques représentatives des théâtres d’opération, de faire jouer ensemble un grand nombre d’acteurs, tout en garantissant une simplicité d’utilisation. Si la simulation rendait possible l’interconnexion des systèmes de simulation interarmes et interalliés et la participation d’individus plus nombreux en simultané, elle permettrait de répondre efficacement aux impératifs de déploiement en masse et d’interopérabilité de la haute intensité. À cet effet, l’armée de l’air et de l’espace s’est engagée dans un processus d’amélioration de ses outils de simulation reposant sur trois piliers : la simulation distribuée distante, la simulation massive en réseau et le « Constructive », qui présentent chacun des avantages et des limites propres. En particulier, les enjeux entourant la simulation trouvent un écho dans le projet de la simulation massive en réseau (SMR)([15]) développé aujourd’hui par l’armée de l’air et de l’espace. Elle s’appuie sur des logiciels de simulation de dernière génération, initialement destinés au grand public, qui obéissent à des critères de réalisme conçus pour faire interagir de très nombreux acteurs dans le même espace virtuel. La SMR est facilement mise en œuvre (ordinateurs et lunettes de réalité virtuelle) et permet de s’entraîner avec tous les acteurs d’une même mission afin de travailler les procédures, la mécanisation et la tactique avec l’ensemble des moyens ou encore répéter une mission complexe avant de l’exécuter en réel. C’est un outil de simulation moins coûteux et complémentaire d’autres outils de simulation présentant un meilleur niveau de réalisme. La SMR a, par exemple, permis de mener un exercice de synthèse (Rotary Wing mission commander course) impliquant la flotte d’hélicoptères de l’armée de l’air et de l’espace et a permis de gagner 25 % de temps de formation des pilotes sur ce stage, pour un coût estimé par l’armée de l’air et de l’espace à soixante fois inférieur au coût de la formation en vol. En conséquence, il ressort des auditions menées, que soit actuellement envisagé de diminuer progressivement les cibles d’activité aérienne de l’AAE dans le cadre de la prochaine loi de programmation militaire (LPM). La cible pourrait passer d’un objectif de 180 heures de vol actuellement prévu pour 2027, à 160 heures de vol, afin de diminuer les coûts de l’entraînement. Cependant, vos rapporteures souhaitent insister sur le fait que cette diminution ne doit être envisagée que sous réserve d’une maturité technologique suffisante de la SMR, au risque de développer certaines carences dans les compétences des équipages, voire de rencontrer des problèmes de sécurité aérienne. Si la SMR offre des perspectives intéressantes pour garantir un entraînement tactique à un coût maîtrisé et se révèle complémentaire d’autres simulateurs avec de meilleurs niveaux de réalisme, sa mise en œuvre générera des besoins supplémentaires en ressources humaines qui doivent être anticipés. À terme, la marine nationale pourrait également être intéressée par les perspectives offertes par la SMR et une interconnexion avec ses propres systèmes.

À l’avenir, la simulation hybride ou concept de Live Virtual Constructive (LVC), soit la génération d’objets virtuels ou simulés dans le monde réel, permettra de combiner des moyens réels avec des simulateurs et des forces « construites » par ordinateur. « Il ne s’agit plus seulement de pallier le manque d’activité réelle et d’en réduire les coûts, mais bien d’enrichir l’entraînement pour le rendre réaliste afin d’en tirer des données opérationnelles, indispensables à la production d’hypothèses plausibles sur les réactions futures de l’adversaire » ([16]). Pour ce faire, l’AAE emploie différents outils comme le LVC-16 qui s’appuie sur la technologie de la liaison 16 précédemment évoquée. Par ailleurs, l’exercice ORION sera l’occasion d’employer pour la première fois à grande échelle le concept de Théâtre opérationnel hybride partagé (TOHP) de l’armée de Terre et, ainsi, préfigurer de potentiels développements futurs en matière de réalité augmentée. Lors de la phase O4, la division « amie » disposera ainsi de l’ensemble des moyens de combat, d’appui et de soutien et comprendra une brigade déployée en conditions réelles et deux brigades opérant dans un espace virtuel simulé (SOULT).

Enfin, l’intelligence artificielle offre de nouvelles perspectives pour la préparation opérationnelle. Le CEAM travaille au développement d’un équipier virtuel autonome et simulé doté d’une intelligence qui le rendrait capable de réagir face à une menace ou de s’adapter à la tactique de ses adversaires afin de réduire le nombre d’opérateurs réels nécessaires à un entraînement réaliste.

Toutefois, la simulation intervient en complément ou en augmentation du réel, sans jamais s’y substituer. Selon les personnes auditionnées, l’entraînement en conditions réelles demeure indispensable pour garantir le réalisme de la préparation. Un équilibre doit être maintenu. Il conviendra également de prendre en compte les besoins nouveaux en expertise générés par l’utilisation de la simulation et les difficultés d’interconnexion qui subsistent entre les simulateurs, qui limitent pour l’instant son développement à grande échelle.


III.   La poursuite et l’accélération du durcissement de la préparation opérationnelle entrepris devront constituer un axe majeur de la prochaine loi de programmation militaire (LPM) à travers un niveau de ressources adapté aux ambitions fixées

Eu égard à l’ampleur des défis précités, il est indispensable que nous donnions aux armées les moyens financiers à la hauteur de nos ambitions. Vos rapporteures seront particulièrement vigilantes à ce que la préparation opérationnelle et son corollaire essentiel, le niveau d’activité, ne constituent pas des variables d’ajustement de la programmation. Il conviendra de rechercher un équilibre entre les crédits qui seront alloués aux programmes d’armement et ceux dévolus au financement de potentiels qui doivent permettre aux forces de s’entraîner sur ces mêmes matériels, dans des conditions les plus proches possibles de la réalité, tout en veillant aux conséquences de l’inflation et de l’augmentation du coût des facteurs qui pourraient affecter les ressources consacrées à la préparation opérationnelle. La rapporteure Anna Pic souhaite également insister sur la nécessité pour l’État français de s’engager concrètement d’un point de vue financier auprès des industriels pour que ceux-ci soient en mesure de fournir et de réparer rapidement les matériels dont nos armées ont besoin pour leur préparation opérationnelle.

 

Proposition 1 : Poursuivre et intensifier l’effort budgétaire en faveur des crédits dédiés à la préparation opérationnelle et à l’entretien programmé du matériel (EPM) dans la prochaine LPM, afin d’assurer un niveau de disponibilité des matériels garantissant le maintien d’un niveau d’activité suffisant.

Malgré une volonté de durcir la préparation opérationnelle, le coût de l’activité continue de peser négativement sur l’augmentation des ambitions de la préparation opérationnelle entreprise par les forces armées. Le financement de l’activité ainsi que du maintien en condition opérationnelle (MCO) est en effet dimensionnant pour la préparation des forces. Dans son avis budgétaire sur les crédits de l’armée de Terre pour le projet de loi de finances 2023, le rapporteur pour avis, M. François Cormier-Bouligeon, démontrait l’importance de soutiens efficaces et se montrait favorable à la préparation d’un « MCO de guerre ». La hausse des coûts de MCO, ainsi que de manière conjoncturelle la hausse du coût des facteurs, risquent en effet de minorer les ressources réellement consacrées à la préparation opérationnelle. Vos rapporteures estiment qu’il convient donc de poursuivre et d’amplifier les efforts budgétaires en faveur des crédits de préparation opérationnelle et d’EPM afin de donner les moyens aux armées d’atteindre les normes d’entraînement de référence OTAN inscrites dans l’actuelle loi de programmation militaire, voire de les réévaluer à la hausse pour certains matériels majeurs (canons Caesar et chars Leclerc notamment du fait de leur mobilisation sur le flanc Est).

Les ressources consacrées à la préparation opérationnelle devront également augmenter si l’on souhaite augmenter le nombre de militaires prêts à combattre. S’agissant de l’armée de Terre, il serait nécessaire de préparer tous les types de régiments et de multiplier les exercices pour que les régiments entraînés au meilleur standard soient plus nombreux. Aujourd’hui, 40 % des régiments de mêlée de l’armée de Terre sont considérés comme entraînés au standard opérationnel le plus élevé. Pour s’adapter à la haute intensité et en prenant en compte le retour d’expérience de la guerre en Ukraine, les régiments de génie, d’artillerie et de soutiens de l’armée de terre doivent aussi monter en puissance. Au nom de la satisfaction des exigences de l’hypothèse d’engagement majeur (HEM) inscrite dans ses contrats opérationnels, l’armée de Terre estime nécessaire d’augmenter les potentiels dont elle dispose pour lui permettre d’atteindre ses objectifs. À titre d’illustration, un parcours correspondant à la situation opérationnelle de référence (SOR) et au standard opérationnel SO2, représente pour une compagnie VBCI : 1900 heures moteur sur un VBCI, et pour un escadron Leclerc : 500 heures moteurs sur char Leclerc. Le passage à un standard opérationnel durci (SO3) correspond, pour un sous-groupement tactique interarmes, à 3 400 heures moteurs sur VBCI et à 2 000 heures moteur sur char Leclerc. Cette hausse des potentiels a un coût.

Au sein de l’armée de l’air et de l’espace, plus encore que pour les autres milieux, l’entraînement du personnel navigant dépend fortement de la disponibilité des appareils, des moyens concourant à l’activité (pistes, radar, espace aérien, etc.) et du volume d’entraînement, en heures de vol, qu’il peut réaliser. Vos rapporteures insistent donc sur la nécessité de poursuivre le renouvellement de la flotte et de porter une attention particulière à l’activité chasse et transport tactique. L’activité des pilotes d’hélicoptères de la Marine reste également en deçà des normes d’entraînement, en particulier la flotte de NH90 Caïman.

Proposition 2 : Financer le développement du réalisme et le passage à l’échelle des outils de simulation, tout en veillant à ce que les simulateurs correspondent aux derniers standards des équipements en dotation dans les forces.

Aujourd’hui, la baisse du niveau d’activité ne peut être palliée entièrement par une hausse du nombre d’heures passées sur simulateur. D’une part, parce qu’elles ne sauraient complètement remplacer l’entraînement en conditions réelles, d’autre part, parce que des difficultés demeurent, obérant le bon fonctionnement des simulateurs. Des limites techniques freinent également l’interconnexion entre les simulateurs. Le perfectionnement des outils de simulation et leur passage à l’échelle doivent donc constituer des préalables indispensables à toute réflexion sur une baisse du niveau d’activité. En particulier, s’agissant de l’armée de l’air et de l’espace, vos rapporteures estiment que les outils de simulation actuels ne permettent pas, pour le moment, de s’affranchir d’une activité aérienne conséquente, tel que cela pourrait être envisagé dans la prochaine loi de programmation militaire. C’est pourquoi, il apparaît primordial d’investir de manière conséquente dans les outils de simulation, leur entretien, et le développement de leur interconnexion.

En effet, il ressort des auditions menées par vos rapporteures, que certains outils de simulation présentent encore des lacunes. Les outils de simulation doivent d’abord être en mesure d’évoluer concomitamment à la modernisation des équipements en dotation dans les forces, et notamment correspondre aux derniers standards reçus. Faute de quoi, les militaires ne peuvent s’entraîner sur les matériels qu’ils possèdent effectivement en parc, ce qui n’est pas sans poser un véritable problème de réalisme de la préparation opérationnelle. Or, les industriels développant ces différents standards ont parfois eu des difficultés à fournir des simulateurs fonctionnels sur ces mêmes standards. Par exemple, la base aérienne de Saint-Dizier dispose d’un centre de simulation Rafale de quatre cabines, longtemps resté dysfonctionnel en raison de la nécessité de traiter certaines obsolescences. Si ces équipements sont très représentatifs de l’avion, ils doivent cependant être en mesure d’évoluer concomitamment à l’implémentation des nouveaux standards Rafale. Si les premiers incréments livrés jouissaient d’un niveau de réalisme suffisant pour permettre l’entraînement aux missions basiques, il est cependant jugé nécessaire par l’armée de l’air et de l’espace d’accélérer la seconde phase de mise à jour des simulateurs afin que ceux-ci soient suffisamment représentatifs, notamment au niveau tactique. L’industriel concerné semble avoir trouvé une solution et la situation devrait toutefois s’améliorer prochainement : la qualification de la nouvelle version du simulateur est en cours. De la même manière, lors du passage de l’Atlantique 2 (ATL 2) au standard 6, permettant d’améliorer la détection anti sous-marine, les équipages n’ont pas immédiatement bénéficié d’un simulateur intégrant ce nouveau standard. Les pilotes ont donc travaillé plus longtemps en standard 5, ne pouvant réellement monter en gamme et s’entraîner au bon standard. Les forces ont également attiré l’attention des rapporteures sur le coût parfois élevé de ces outils et de la mise à niveau des standards. L’armée de Terre qui consacre environ 70 millions d’euros par an à l’acquisition et au renouvellement des systèmes de simulation et 20 millions d’euros à leur entretien, envisage de développer « une capacité d’adaptation réactive » lui permettant d’adapter ses simulateurs en interne. Toutefois, cette solution se heurte, pour l’instant, à certaines restrictions créées par les industriels (existence de code propriétaire, par exemple).

De la même manière, des fragilités persistent dans la maîtrise industrielle de certains équipements. Des défauts de fonctionnement ont, par exemple, déjà été constatés sur certains simulateurs, comme le simulateur Mirage 2000B, notamment. De plus, des retards importants ralentissent parfois l’entraînement. Dans l’armée de Terre, si les systèmes SCORPION intègrent nativement la simulation (système de simulation embarqué SEMBA), leur déploiement devrait intervenir essentiellement après 2025. Des retards de l’ordre de quatre à cinq ans sont ainsi enregistrés sur les simulateurs SCORPION, ayant pour causes, selon les personnes auditionnées : le système d’arme lui-même, des difficultés rencontrées chez les industriels et de manière conjoncturelle, la crise des composants ou encore des retards pris pendant la crise sanitaire.

Il convient de maintenir un niveau d’investissement suffisant dans la prochaine LPM pour favoriser le perfectionnement et le passage à l’échelle de ces outils. Il semble prioritaire, notamment, de poursuivre le passage à l’échelle de la SMR, afin de déployer cette technologie encore embryonnaire. Celui-ci est en cours. Un marché a été notifié le 27 décembre 2022 et vise à doter l’AAE de 147 cabines de SMR. Ce type de simulation, qui provient initialement du monde civil, s’appuie sur une technologie mature, qui requiert en revanche des adaptations pour être utilisée dans un objectif militaire. Il conviendra également de veiller au bon dimensionnement des réseaux de connexion afin de mettre en réseau les différentes cabines, tout en cherchant à développer une plus grande interopérabilité des simulateurs. Des expérimentations sont également actuellement menées par le CECC pour intégrer la SMR dans le LVC et renforcer la dimension virtuelle de la préparation opérationnelle. Cette innovation offrira notamment la possibilité de simuler la présence de drones qui ne peuvent voler au quotidien, rendant ainsi la préparation opérationnelle plus réaliste et plus adaptée à la haute intensité.

Enfin, la création dans la prochaine loi de programmation militaire d’un indicateur isolant l’activité réalisée en ayant recours à la simulation, lorsque cela est pertinent, permettrait au législateur de suivre l’évolution de sa part dans l’activité totale.

Proposition 3 : Saisir les opportunités offertes par la possibilité de contractualiser avec le secteur privé, tout en veillant à la compétitivité, la confidentialité et à la souveraineté des solutions proposées et sans se départir de compétences clés en interne.

En matière de préparation opérationnelle, le recours à l’externalisation ou à la sous-traitance peut répondre à trois principaux besoins des armées : palier une disponibilité technique des matériels trop limitée pour répondre aux besoins d’entraînement, améliorer le réalisme des entraînements en déployant, par exemple, une force adverse, ou encore déléguer des missions d’élaboration de scenarii ou d’appui et de soutiens lors de grands exercices. Cette solution est généralement guidée par une logique d’efficience, dans un contexte de ressources contraintes.

S’agissant des moyens de l’entraînement, d’une part, le ministère des armées a, par exemple, recours à l’externalisation pour la formation de base des pilotes d’hélicoptères à Dax. Les pilotes s’exercent sur une flotte moins coûteuse d’hélicoptères H120, mise à disposition par l’entreprise Hélidax, et préservent ainsi les potentiels des hélicoptères pour des missions présentant davantage de valeur ajoutée. La formation tactique continue en revanche d’être réalisée sur des hélicoptères de combat en dotation dans les forces. Il en va de même pour les sauts de sécurité réalisés chaque année par les parachutistes de l’École des troupes aéroportées (ETAP) de l’aviation légère de l’armée de Terre (ALAT) à Pau, contrairement aux sauts tactiques. Dans une démarche de réduction des coûts, la marine nationale a également recours depuis plusieurs années à des externalisations. L’amiral Vandier, chef d’état-major de la marine, a évoqué le marché à bons de commande pour des plastrons aériens et navals (Red Air), lors de son audition devant la commission en octobre dernier. Ces marchés, représentent environ 5 millions d’euros par an, attribués à AvDef et Secapem pour un peu moins de 700 heures de vol et 400 jours de mer pour les plateformes navales en 2020 ([17]).

Toutefois, le recours à l’externalisation soulève d’importants enjeux en matière de souveraineté et induit un risque de perte d’expertise opérative au sein des armées. Aussi, vos rapporteures estiment-elles que le recours aux prestataires extérieurs doit être encadré, ponctuel, évalué au cas par cas en fonction des besoins et ne pas créer de faiblesse au sein des armées.

Lors de l’exercice ORION 2023, l’armée de Terre aura, par exemple, recours à trois sociétés pour exercer diverses missions. En particulier, l’élaboration du scénario sera confié à une société privée canadienne pour un coût de l’ordre de 480 000 euros (pour un coût général de l’exercice ORION estimé à 35 millions d’euros). Si cette décision peut se justifier par l’ampleur de l’exercice majeur ORION, induisant une charge importante d’organisation qui repose sur les armées, et la nécessité d’optimiser les ressources humaines disponibles, elle pose néanmoins question. Malgré le caractère exceptionnel de cette solution, il conviendra de veiller à préserver l’expertise normalement procurée par la capacité à générer sa propre structure d’entraînement et à monter ses propres scenarii.

Il apparaît donc important de favoriser les solutions développées en interne, lorsque celle-ci sont possibles, et ce d’autant plus lorsque ces dernières sont gages d’une plus grande indépendance pour nos armées. Ainsi, le CEAM travaille actuellement au développement de capacités de brouillage électronique autonomes (pod) qui pourraient équiper les avions, plutôt que de mobiliser des prestataires privés de l’OTAN pour fournir des capacités de brouillage électronique de zone, comme cela a pu être le cas pour l’exercice VOLFA 2022.

En définitive, il convient de différencier les missions sans réelle valeur ajoutée opérationnelle, qui peuvent être externalisées, des fonctions stratégiques dont il serait dangereux de se départir. Un équilibre doit être préservé entre quête d’efficience et préservation des savoir-faire. Aussi, l’état-major de l’armée de l’air et de l’espace étudie-t-il actuellement l’opportunité d’avoir recours à un prestataire pour remplir des fonctions de force adverse « Rouge », appelées Red Air. Dans un contexte de « creux capacitaire » et de disponibilité limitée de certains matériels, un prestataire Red Air permettrait de décharger les unités qui remplissent aujourd’hui le rôle des forces ennemies lors des entraînements les plus simples et de concentrer pilotes et matériels sur des missions de haut niveau, requérant des savoir-faire plus complexes. Actuellement, l’Escadron d’entraînement 3 août « Côte d’Or », basé à Cazaux et doté d’Alphajet, assure ce rôle face aux pilotes de Rafale et Mirage 2000. Or, les Alphajet ne possèdent pas toutes les capacités nécessaires permettant de « durcir » la préparation opérationnelle. Il existe en effet plusieurs niveaux de Red Air. Ainsi, un haut niveau de prestation Red Air pourrait être conservé en interne et le reste des prestations envisagé au titre de l’externalisation et de la contractualisation en bornant bien les prestations. Cette solution existe notamment aux États-Unis. L’enjeu réside, néanmoins, dans la capacité à identifier des entreprises susceptibles de fournir une prestation représentative avec des capacités et des moyens spécifiques, tout en étant compétitives. Interrogé sur les besoins en Red Air de l’armée de l’air et de l’espace devant la commission des affaires étrangères et de Défense du Sénat, lors de l’examen du projet de loi de finances 2023, le général d’armée aérienne Stéphane Mille, chef d’état-major de l’armée de l’air et de l’espace, avait souligné à ce propos que « il ne faudrait pas que le coût de l’heure de vol du Red Air soit supérieur à celui que nous connaissons en générant l’activité en interne ». Le Red Air doit avoir un modèle économique qui lui permet d’être suffisamment performant et compétitif pour répondre aux besoins d’entraînement. Soutenir la création d’un champion français du Red Air permettrait de répondre aux besoins exprimés, sans transiger sur notre souveraineté.

Proposition 4 : Augmenter le niveau des stocks de munitions, y compris complexes, pour donner la possibilité aux militaires de s’entraîner davantage en conditions réelles.

La question des munitions est revenue très régulièrement dans les échanges avec les personnes auditionnées. S’il convient de préciser que la mission d’information flash de Messieurs Vincent Bru et Julien Rancoule, est spécifiquement dédiée aux stocks de munitions, vos rapporteures souhaitent mettre en lumière plusieurs points d’attention s’agissant des munitions disponibles pour l’entraînement.

Il ressort des auditions menées que l’utilisation de munitions pour s’entraîner en conditions réelles est actuellement fortement contrainte, en particulier concernant les munitions complexes dont le coût est très élevé. Cette situation pourrait limiter l’aguerrissement des personnels et l’acquisition d’une technicité de haut niveau.

En particulier, le sous-chef de l’état-major de la marine nationale, a souligné le besoin de s’entraîner avec des armes en conditions réelles. À cet effet, le plan Mercator prévoit d’augmenter le nombre de tirs réels. La marine nationale ambitionne que chaque type d’unité effectue au moins un tir de munition complexe (de type missile ou torpille) tous les deux ans à l’horizon 2025 ou 2026, bien que le faible nombre de munitions actuellement en stock constitue un frein important. Une telle cadence permettrait de tester l’ensemble de la chaîne technique. Un second frein identifié, au-delà du niveau des stocks de munitions, tient au coût que représentent ces tirs. Une réflexion est actuellement menée avec les industriels de la base industrielle et technologique de défense, afin de réduire le coût associé à chaque tir. Un tir de munition complexe coûte parfois deux fois plus cher que la munition en elle-même, confie l’état-major de la marine nationale. Une autre piste d’évolution consisterait à « tirer autrement pour tirer davantage. » Dans certains cas, la Marine nationale ne cherche pas à mesurer la performance d’une munition, mais seulement à déterminer si elle atteint sa cible ou non. Dans ce cadre, une réflexion est en cours en interne, pour tirer des missiles dits « bons de guerre » sans qu’un ensemble de capteurs, instruments etc. soient mobilisés lors du tir afin de vérifier la fiabilité des munitions. L’installation de ces équipements est en effet onéreuse, complexe et mobilise des ressources comme du temps d’ingénierie. Certaines contraintes normatives pourraient également être davantage adaptées aux réalités opérationnelles des armées. Par exemple, le sous-chef d’état-major estime qu’il devrait être possible de tirer sur des cibles réelles en pleine mer et, notamment sur des coques dépolluées en attente de déconstruction. Ces tirs permettraient d’augmenter le réalisme de l’entraînement tout en testant les effets réels des munitions. Il est évident cependant que ces tirs ne doivent pas se faire au détriment de l’environnement et qu’ils ne peuvent polluer les mers dans lesquelles ils sont réalisés.

Concernant les munitions, l’armée de Terre bénéficie de stocks d’entraînement. À titre d’exemple, l’entraînement sur LRU varie selon la gamme des moyens mobilisés : allant de la procédure de feu sans tir, en passant par le tir avec des munitions d’exercice (munitions anciennes, anciens lanceurs allemands, sans effet militaires), aux munitions de guerre. En raison du coût élevé des munitions (une roquette coûtant entre 100 000 et 150 000 euros), cette dernière option n’est utilisée que pour sanctionner la procédure de tir. Le niveau des stocks nécessaires dépend aussi de la capacité des industriels à produire rapidement de nouvelles munitions pour régénérer les stocks. Par ailleurs, certaines catégories de munitions sont au niveau requis mais posent parfois le défi de leur consommation en raison des indisponibilités des infrastructures de tir (campagnes de désobusage, entretien, etc.), des matériels ou des changements de programmation (par exemple la projection en Ukraine). D’autres catégories, souvent destinées à des matériels majeurs, et déjà bien identifiées dans des précédents rapports, sont en revanche sous dotées et ne permettent pas de conduire l’entraînement dans des conditions et au niveau attendu : il s’agit principalement des munitions d’artillerie de 155mm, des munitions d’entraînement des chars (AMX10RC et Leclerc) et de certaines munitions spéciales (missiles et roquettes). En particulier, pour le segment antichar, la simulation ne peut pas remplacer totalement le tir de munitions réelles en dépit du cout élevé de certaines munitions. L’EMAT chiffre à 3 milliards d’euros le montant des ressources supplémentaires nécessaire pour garantir des stocks de munitions suffisants. Enfin, La disponibilité des champs de tir particulièrement pour l’emploi des munitions complexes, est également un enjeu majeur pour l’armée de l’air et de l’espace.

Proposition 5 : Approfondir la prise en compte des enjeux du combat multimilieux et multichamps et l’acquisition des savoir-faire dans le haut du spectre pour faire face aux exigences de la haute intensité.

L’évolution des menaces doit continuer à être prise en compte rapidement dans l’entraînement des forces, au moyen d’une préparation opérationnelle réactive et adaptable. La combinaison des champs et des milieux implique une certaine complexité opérative et nécessite un volume d’entraînement accru. Il convient donc de poursuivre la dynamique d’amélioration de la qualité de la préparation opérationnelle, à travers notamment l’organisation de grands exercices, tout en préservant les compétences acquises en matière d’engagement de type gestion de crise.

La marine nationale poursuit ainsi ses efforts en matière de prise en compte des enjeux spatiaux (satellites) et leurs effets sur la guerre navale, des effets du cyber et commence à intégrer l’enjeu posé par les fonds marins. Des « experts espaces » ont déjà été mis en place au centre de commandement à Toulon, pour intégrer l’effet espace dans la manœuvre globale. En matière d’expertise cyber, le Centre de support cyber (CSC) à Toulon, ambitionne de mener des actions de lutte informatique défensive. Si la prise en compte des enjeux liés aux fonds marins est encore naissante, l’entraînement intègre progressivement les fonds marins aux défis que doivent relever les marins : dans l’exercice POLARIS, une vignette intégrait une attaque d’un câble sous-marin. Le vrai défi consiste dans le recrutement et la fidélisation de personnels qualifiés dans les domaines numériques et cyber dans un environnement très concurrentiel. De la même manière, l’AAE souhaite monter en gamme en matière de lutte anti drones, au vu de son utilisation croissante dans les conflits récents (Irak, Azerbaïdjan, Syrie).

Enfin, dans la droite ligne du développement de la fonction influence inscrite dans la RNS, il convient de poursuivre les développements sur la fonction de signalement stratégique que remplissent les exercices et la nécessité de les accompagner d’une stratégie de communication adaptée.

Toutefois, l’accroissement de la préparation au combat dans le haut du spectre doit s’accompagner d’une quête de résilience et ne pas conduire à s’affranchir de l’apprentissage de compétences plus basiques. Il est notamment important de chercher à réduire la dépendance au numérique et de s’entraîner régulièrement avec des moyens dégradés en adoptant des « modes d’action rustiques ». Il faut parfois revenir aux fondamentaux et s’entraîner sans les systèmes technologiques qui pourraient être la cible d’attaques et être neutralisés. À cet effet, pendant l’exercice VOLFA, une séquence prévoyait d’opérer en situation de sobriété, car la dépendance au numérique avait été identifiée comme une importante vulnérabilité.

Proposition 6 : Continuer de rechercher une plus grande interopérabilité entre les trois armées et avec les armées partenaires à travers l’organisation d’exercices interarmées et interalliés.

Il convient en effet de consolider la préparation interarmées et interalliées car ce type d’entraînement à l’échelle correspond aux scenarii d’engagement de la France en coalition et rend crédible la capacité de la France à assurer le rôle de Nation cadre.

Premièrement, l’interopérabilité interarmées constitue un réel besoin, notamment en matière d’interaction des systèmes d’information entre la marine nationale et l’armée de l’air et de l’espace et l’armée de Terre (combat amphibie, opérations aéroportées, appui feu air-sol, etc.). Les grands exercices permettent également de s’entraîner à manœuvrer avec l’ensemble des services de soutien, ce qui constitue un retour d’expérience important du conflit ukrainien.

Ensuite, plusieurs pistes peuvent être envisagées afin de renforcer la dimension interalliée de la préparation opérationnelle. Tout d’abord, une plus grande mutualisation des exercices et participation aux activités opérationnelles de l’OTAN pourrait être recherchée, car l’Alliance possède ses propres centres d’entraînement. Actuellement, 40 % de la préparation opérationnelle interalliées (POIA) s’effectue dans le cadre de l’OTAN. Le général de division Yves Métayer, chef de la division « emploi des forces », de l’état-major des armées (EMA), estime que cette part devrait aller au-delà, pour atteindre 50 à 60 %. Toutefois, cette plus grande coordination pourrait s’avérer coûteuse car l’OTAN étudie actuellement la réévaluation de ses standards opérationnels. Cette réévaluation pourrait se traduire par une hausse de la volumétrie d’activité requise en vue d’atteindre des standards plus élevés et adaptés à la HI, voire afin d’atteindre les mêmes standards de préparation. L’EMA travaille actuellement à mettre la préparation opérationnelle au niveau des standards de l’OTAN, tout en prêtant attention à la soutenabilité d’un tel effort, car les coûts associés pourraient s’avérer très importants pour les armées françaises. Ensuite, il serait judicieux de continuer à rapprocher la préparation opérationnelle du domaine des opérations en multipliant le nombre d’exercices réalisés durant les missions opérationnelles comme AIGLE en Roumanie ou LYNX en Estonie. Les exercices passés ont permis notamment d’identifier certains axes d’amélioration au niveau européen, notamment en matière d’interopérabilité des solutions de transports qui reste insuffisante, et concernant les solutions de franchissement des frontières par des équipements militaires, compte tenu des normes associées qui peuvent constituer un obstacle à une projection rapide des forces en Europe. À titre d’illustration, le déploiement de chars Leclerc en Roumanie dans le cadre de la mission AIGLE a rencontré des difficultés au moment de transiter par l’Allemagne, en raison de normes encadrant le transit par voie routière de convois lourd, y compris militaires. Le général Métayer estime que cet exemple est constitutif d’une perte de « savoir-faire partagés » au niveau européen, qu’il convient donc de regagner.

Proposition 7 : Sensibiliser et réfléchir aux modalités d’association de toutes les composantes de la Nation aux enjeux de la préparation opérationnelle dans une perspective de « Défense globale ».

Votre co-rapporteure Mme Anna Pic émet néanmoins d’importantes réserves quant à cette proposition avec laquelle elle est en désaccord. Votre rapporteure ne souhaite pas la reprendre à son compte, considérant pour sa part que, s’il peut s'avérer nécessaire d'initier avec les administrations et les employeurs, des protocoles qui permettent d'éviter les réactions de panique en cas d'alerte, la perspective d’un conditionnement de toute la Nation lui paraît disproportionnée et potentiellement dangereuse. S’il est indispensable d’identifier les enjeux et les défis d’une réponse nationale à une crise, Mme Anna Pic serait davantage favorable à une acculturation aux protocoles de réaction à une alerte de type militaire.

Les personnes rencontrées ont insisté sur le fait, qu’au-delà des seules armées, le conditionnement de toute la Nation serait indispensable en cas de conflit d’ampleur. Aussi, l’EMA s’intéresse au concept de « Défense totale » développé par les pays scandinaves. La recherche de la résilience collective est également en phase avec l’article 3 de la charte de l’OTAN qui fait état d’une « Défense collective ». Au-delà des enjeux du passage à une « économie de guerre », l’EMA estime qu’une « manœuvre de résilience nationale » devra être maîtrisée pour répondre aux exigences de l’HEM.

L’intégration d’une phase civilo-militaire « O3 » au sein de l’exercice ORION, atteste de cette préoccupation nouvelle, puisqu’en période de haute intensité les armées devront également puiser leurs forces dans l’écosystème national. Ce séminaire, à destination des décideurs civils en interministériel, vise à identifier les enjeux et les défis d’une réponse nationale à une crise. Vos rapporteures seront particulièrement attentives aux conclusions des cinq groupes de travail (acheminements stratégiques/mobilisation sur le territoire national, économie de guerre/mobilisation des capacités industrielles, droit d’exception et adaptation des normes/règles en temps de crise, mobilisation humaine/réserves, rétroactions sur le territoire national/protection souveraineté, résilience, cyber) et espèrent que la commission de la Défense nationale pourra contribuer à cet exercice interministériel, à travers l’organisation prévue d’un stress test.

Par ailleurs, les leçons tirées d’ORION devront pouvoir être partagées avec les industriels pour permettre d’en tirer profit en matière d’innovation de Défense et de besoins capacitaires des forces. Au sein de l’exercice ORION, la séquence « ORIONIS », initiée par l’armée de l’air et de l’espace, en lien avec les industriels, permettra de réfléchir à l’optimisation du MCO aéronautique en période de conflit de haute intensité. À travers cet exercice, l’ambition sera de développer une approche par les risques en sollicitant les bureaux d’étude industriels afin d’établir précisément le niveau de risque induit en cas d’incapacité à appliquer le programme de maintenance (espacement des visites prévues par le plan de maintenance initial, réparation de combat…) pour répondre aux besoins opérationnels.

En particulier, la préparation opérationnelle des réservistes, doit constituer un point d’attention dans la perspective d’un doublement annoncé de la réserve opérationnelle.

Les réservistes sont intégrés dans l’ensemble des activités opérationnelles des forces et au sein de chaque phase de l’exercice ORION. Dans l’armée de Terre, un effort d’infrastructure des régiments est mené pour préparer les unités (pistes d’audace, parcours naturel valorisé dans tous les régiments de mêlées ou dans les CFIM à terme). La réserve opérationnelle a vu sa préparation opérationnelle s’adapter à la HI, à l’instar de l’active : elle doit atteindre des standards opérationnels bien précis et échelonnés dans le temps, qui incluent des missions de combat plus exigeantes. Toutefois, les principaux freins au doublement annoncé des réserves demeurent la difficulté de recrutement, les contraintes d’hébergement et la disponibilité réduite des réservistes eu égard à leurs contraintes professionnelles.

 

 


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   EXAMEN EN COMMISSION

La commission a procédé à l’examen du rapport de la mission d’information flash sur la préparation opérationnelle au cours de sa réunion du mercredi 8 février 2023.

Les débats sont accessibles sur le portail vidéo du site de l’Assemblée à l’adresse suivante :

https://assnat.fr/uDlf8B

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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   annexe : auditions et dÉplacements des rapporteurEs

(Par ordre chronologique)

 

Auditions

  État-major de la Marine – M. le vice-amiral Xavier Petit, sous-chef d’état-major Opérations ;

  État-major de l’armée de Terre – M. le général de corps d’armée Bertrand Toujouse, commandant des forces terrestres ;

  État-major de l’armée de l’Air et de l’Espace – M. le général de brigade aérienne Vincent Coste, commandant de la brigade aérienne de l’aviation de chasse, M. le général de brigade aérienne Fabrice Féola, commandant de la brigade aérienne d’appui et de projection du commandement des forces aériennes et M. le général de brigade aérienne Christophe Aubé, commandant de la brigade des forces spéciales Air du commandement des forces aériennes   ;

  État-major de l’armée de l’Air et de l’Espace – M. le général de division aérienne Dominique Tardif, sous-chef « Activité » ;

  État-major des Armées – M. le général de division Yves Métayer, chef de la division « emploi des forces-protection » ;

  État-major de la Marine – M. le contre-amiral Éric Vernet, sous-chef d’état-major « Soutien et finances » ;

  État-major de l’armée de Terre – M. le général de division Denis Mistral, sous-chef des opérations aéroterrestres ;

  État-major de l’armée de l’Air et de l’Espace – M. le général de brigade aérienne Vincent Chusseau, commandant du centre d'expertise aérienne militaire.

 

Déplacements

  Commandement des forces terrestres et quartier général du Corps de réaction rapide – France, Lille, le 30 novembre 2022.

  Commandement de l'entraînement et des écoles du combat interarmes (COME2CIA), Mourmelon et Centre d’entraînement au combat de l’armée de Terre (CENTAC-1er BCP), Mailly-le-Camp, le 11 janvier 2023.

 

 

 


([1])  Morgan Paglia, « Réparer 2020 ou préparer 2030 ? L’entraînement des forces françaises à l’ère du combat multi-domaine », Focus stratégique, n° 101, Ifri, janvier 2021.

([2])  LOI n° 2018-607 du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025.

([3])  Ibid 2.

([4]) La norme d’entraînement a évolué en 2021 pour tenir compte du passage à tout Rafale.

([5])  M. Yannick Chenevard, Rapport fait au nom de la commission de la Défense nationale et des forces armées sur le projet de loi de finances pour 2023, préparation et emploi des forces : Marine, Assemblée nationale, XVIe législature, n° 273, 19 octobre 2022.

 

([6])  Ibid 5.

 

([7])  M. Frank Giletti, Rapport fait au nom de la commission de la Défense nationale et des forces armées sur le projet de loi de finances pour 2023, préparation et emploi des forces : Air, Assemblée nationale, XVIe législature, n° 273, 19 octobre 2022.

([8])  Audition du général de corps aérien Frédéric Parisot, major général de l’armée de l’Air et de l’Espace par la commission de la Défense nationale et des forces armées, Assemblée Nationale, 20 juillet 2022.

([9])  M. Thomas Gassilloud, Rapport fait au nom de la commission de la Défense nationale et des forces armées sur le projet de loi de finances pour 2019, préparation et emploi des forces : Forces terrestres, Assemblée nationale, XVe législature, n° 1955, 12 octobre 2018.

([10])  Nom OTAN du carburant JP-5.

([11])  Audition de l’Amiral Pierre Vandier, Chef d’état-major de la Marine, sur le projet de loi de finances 2023 par la commission de la Défense nationale et des forces armées, Assemblée Nationale, 13 octobre 2022.

([12])  Margaux Bourgasser et Fabrice Aubert, « Combat collaboratif : quand les armées s’emparent des hautes technologies », Esprit de Défense n°5, automne 2022.

([13])  La force d’expertise du combat Scorpion est une unité d’évaluation, d’expérimentation et de préparation opérationnelle, placé sous la subordination directe du COME2CIA, qui agit dans les domaines de l’emploi, de la doctrine et des équipements. Elle est le point de cohérence de la mise en œuvre du programme SCORPION pour les forces terrestres.

([14])  Ibid 1.

([15])  Colonel Tanguy Benzaquen, « Les perspectives nouvelles de la simulation », Le Bourget 2019 - L’Air et l’Espace, enjeux de souveraineté et de liberté d’action de la France, Cahier centre études, réserves et partenariats de l’Armée de l’air, Spécial 53e Salon du Bourget, Cahiers de la Revue Défense Nationale, juin 2019, pages 217 à 233..

([16])  Ibid. 1.

([17])  Ibid 11.