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N° 864

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 février 2023.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DE la dÉfense nationale et des forces armÉes

en conclusion des travaux d’une mission d’information (1)

sur le bilan de la loi de programmation militaire 2019-2025

 

ET PRÉSENTÉ PAR

 

M. Thomas GASSILLOUD
Président

MM. Yannick CHENEVARD et Laurent Jacobelli

Rapporteurs

 

Députés

——

 

(1) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La mission d’information sur le bilan de la LPM 2019-2025 est composée de : M. Thomas Gassilloud, président ; MM. Yannick Chenevard et Laurent Jacobelli, rapporteurs ; MM. Jean-Michel Jacques, Fabien Lainé, Jean-Charles Larsonneur, Pierre Morel-À-l’Huissier, Mme Isabelle Santiago, membres ;

 

 

 

SOMMAIRE

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Pages

Avant-propos du Président

Introduction

Première partie : l’exigence de « réparer » nos armées

I. La programmation militaire, un outil Efficace mais rarement respecté

A. L’impératif de la programmation militaire

1. La programmation constitue un outil de planification indispensable

2. La programmation consacre une stratégie de défense

B. une programmation traditionnellement peu respectée en pratique

1. La normativité à géométrie variable des LPM

2. L’absence de respect des LPM dans les dernières décennies

II. Le contexte de la LPM 2019-2025 : des armées affaiblies, des menaces croissantes

A. Des armées affaiblies par les « dividendes de la paix »

1. La réduction des effectifs

2. La réduction des capacités

B. L’accroissement des menaces

1. Menace terroriste et retour des stratégies de puissance

2. Un modèle d’armée entre continuité et adaptation

III. L’objectif de la LPM 2019-2025 : une loi de « réparation »

A. Une ambition opérationnelle forte

1. Les quatre axes de la LPM

2. L’horizon de la LPM : l’« Ambition 2030 »

B. Un effort financier majeur

1. Une trajectoire financière ambitieuse

2. Une « sincérisation » des ressources

Deuxième partie : une exécution financière qui a permis de débuter la modernIsation des capacités et de monter en puissance sur les segments prioritaires

I. Une programmation financière pour une fois respectée

A. Une exécution conforme de la trajectoire financière

1. Des crédits aux montants conformes à la trajectoire

2. Un effort financier prioritaire en faveur des équipements

3. Des dépenses utiles pour la Nation

B. Une gestion souple des aléas et des surcoûts

1. La LPM, un « organisme vivant » qui s’adapte à l’évolution du contexte

2. Des sources de surcoûts dus à de nombreux aléas

a. L’évolution du contexte économique

b. Les opérations (OPEX-MISSINT)

c. La guerre en Ukraine

d. L’exportation de Rafale

e. Le Covid

f. Les autres sources de surcoûts

3. Un point de vigilance : l’évolution des restes à payer et des reports de charges

C. Les recommandations de vos rapporteurs

1. Sécuriser les ressources pour la prochaine LPM

2. Renforcer le contrôle du Parlement sur les actualisations et les ajustements

3. Assurer le financement interministériel des surcoûts OPEX-MISSINT

II. Une modernisation capacitaire bien amorcée

A. Un renouvellement majeur des capacités

1. Le renouvellement de notre force de dissuasion

2. Le renouvellement de nos capacités conventionnelles

a. Des livraisons emblématiques

b. Une modernisation capacitaire ayant un fort impact opérationnel

3. Un effort en faveur des petits équipements

B. Des ajustements limités par rapport À la LPM

1. L’impact des ajustements annuels

2. Les prévisions des parcs à l’horizon 2025

3. Un point de vigilance : les coopérations européennes

C. Les recommandations de vos rapporteurs

1. Poursuivre le renouvellement et l’homogénéisation des parcs

2. Ajuster certaines capacités à l’évolution du contexte

3. L’impératif de l’économie de guerre

4. L’avenir des coopérations européennes

III. Une montée en puissance dans les domaines prioritaires de la LPM

A. Le renseignement, une priorité de la LPM

1. Un effort au profit du renseignement selon trois axes : ressources humaines, équipements et cyber

2. Des services de renseignement profondément transformés

a. La DRM

b. La DGSE

c. La DRSD

3. Les recommandations de vos rapporteurs

a. Quatre défis pour la DRM

b. Relever le défi de la fidélisation et des nouvelles technologies pour la DGSE

c. Conserver la militarité de la DRSD et renforcer son budget

B. Le cyber, une montée en puissance

1. La cyberdéfense, une priorité de la LPM

2. Une montée en puissance progressive

3. Les recommandations de vos rapporteurs

a. Fidéliser les agents cyber à travers une meilleure rémunération et une mise en valeur de l’écosystème défense

b. Valoriser le rôle des réservistes à travers un renforcement de leur rôle et des équipements adéquats

c. Repenser les modalités et les niveaux d’action de la lutte informatique

d. Développer les partenariats

C. L’espace, nouveL enjeu majeur

1. Une ambition forte pour le domaine spatial

2. Les recommandations de vos rapporteurs

D. L’innovation, un effort a poursuivre

1. L’innovation de défense était un des 4 axes prioritaires de la loi de programmation militaire 2019-2025

2. Le respect de l’objectif du milliard d’euros pour l’innovation a permis à l’AID de financer de nombreux projets innovants

a. Le programme RAPID

b. Definvest

c. Le Fonds Innovation Défense

d. ASTRID et ASTRID Maturation

3. Les recommandations de vos rapporteurs

a. Poursuivre les investissements financiers au-delà du milliard d’euros

b. Renforcer les effectifs de l’Agence de l’innovation de défense

c. Investir les domaines prioritaires : l’exemple du quantique

Troisième partie : une activité opérationnelle et un axe « à hauteur d’homme » à consolider

I. Une activité opérationnelle À conforter

A. Une armée au rendez-vous de ses missions…

1. Une armée engagée sur de multiples fronts

a. Les missions permanentes

b. Les OPEX

c. Les missions de prévention

d. Les missions de service public

2. Des engagements en cours de redéfinition

3. Les recommandations de vos rapporteurs

a. Accroître et prioriser notre présence en Indo-Pacifique

b. Réévaluer Sentinelle

c. La réactivité, clé de nos engagements futurs

B. Mais une préparation opérationnelle À consolider…

1. Une ambition forte de la LPM

2. Des efforts restent à faire pour atteindre les objectifs

3. Les recommandations de vos rapporteurs

a. Gagner en épaisseur, une exigence pour une préparation opérationnelle durcie

b. L’intégration de la simulation dans les normes ?

C. … Ce qui exige d’accroître les efforts en matiÈre de disponibilité

1. Un effort significatif de la LPM pour le MCO

2. Des résultats encore incertains

3. Les recommandations de vos rapporteurs

a. S’assurer de l’efficacité des contrats verticalisés sur la disponibilité

b. Maîtriser les coûts du MCO en poursuivant l’homogénéisation des flottes

c. Fidéliser les mécaniciens

d. Préparer le MCO à la haute intensité

II. Un axe « à hauteur d’homme » à amplifier

A. Le défi des ressources humaines

1. Une politique de recrutement ambitieuse mais sous tension

a. Une dynamique de recrutement ambitieuse…

b. …. mais insuffisante pour tenir les objectifs de la LPM

2. Les difficultés de fidélisation

a. La fidélisation, un enjeu majeur

b. Des efforts en faveur de la fidélisation à poursuivre

3. La NPRM, une réforme saluée mais incomplète

4. Les recommandations de vos rapporteurs

a. Un effort indispensable sur le volet indiciaire

b. Fidéliser en recrutant le plus tôt possible

c. Accentuer le pilotage pluriannuel des schémas d’emplois

d. Renforcer le rôle des réservistes

B. Les infrastructures, un renouvellement à appronfondir

1. Un effort financier qui a permis d’amorcer une modernisation des infrastructures

a. Un effort financier significatif

b. Une modernisation des infrastructures de vie

c. Une modernisation des infrastructures opérationnelles

2. Des infrastructures encore fragilisées par des décennies de sous-investissements

3. Les recommandations de vos rapporteurs

a. Amplifier les investissements pour réduire la « dette grise »

b. L’entretien de l’existant : une priorité

c. Simplifier les normes et les processus décisionnels

C. Un « plan famille » bienvenu à prolonger

1. Une exécution satisfaisante

2. Les recommandations de vos rapporteurs

Examen en commission

Annexe 1 :  Recommandations de vos rapporteurs

Annexe 2 : auditions et déplacements

1. Auditions

2. Déplacements

 


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Avant-propos du Président

 

« L’exécution réussie de la LPM 2019-2025 est un socle solide pour poursuivre l’indispensable remontée en puissance de notre outil de défense ».

En adoptant en 2018 une loi de programmation militaire 2019-2025 historique qui mettait un terme à plus de 30 ans de réduction continue de l’effort de défense, le Parlement reconnaissait que les temps changeaient : le retour de la « grammaire de la force » dans les relations internationales, affaiblissant le multilatéralisme et le droit international, exigeait que la France renoue elle-même avec la « grammaire de la puissance » et réinvestisse dans ses forces armées affaiblies par des contractions opérées par de supposées « dividendes de la paix ». Ce sursaut était nécessaire pour que la France puisse garantir la protection de ses intérêts et de ses citoyens, assumer ses responsabilités internationales et, enfin, contribuer aux efforts nécessaires à une autonomie stratégique européenne.

Lancée le 24 février 2022, la nouvelle étape de l’invasion russe de l’Ukraine confirme a posteriori la pertinence de la décision de la France de hausser son budget de la défense de près de 60 % en sept ans. Mais l’accélération des déséquilibres du monde incite surtout à aller plus loin. C’est ce que devrait dessiner la future loi de programmation 2024-2030 que le Parlement étudiera au cours du deuxième trimestre de l’année 2023.

Pour préparer ces travaux, la commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale a décidé de lancer une série de travaux, dont des cycles d’auditions - notamment sur la dissuasion nucléaire et le retour d’expérience de la guerre en Ukraine -, de nombreuses visites auprès de nos forces, nos industries et nos alliés, et cinq missions d’information.

La mission d’information sur l’évaluation globale de l’exécution de la LPM 2019-2025 a été confiée aux rapporteurs Yannick Chenevard et Laurent Jacobelli : elle fait l’objet du présent rapport.

Quatre autres missions flash, portant sur des points d’attention spécifiques, ont été réalisées en parallèle : l’une a abordé les fonds marins (rapporteurs : Lysiane Métayer et Aurélien Saintoul), une autre la préparation opérationnelle (rapporteurs : Brigitte Liso et Anna Pic), une autre encore la défense sol-air (rapporteurs : Natalia Pouzireff et Jean-Louis Thiériot), la dernière enfin les stocks de munitions (rapporteurs : Vincent Bru et Julien Rancoule). Ces missions font l’objet de rapports séparés mais alimentent tout autant la réflexion des députés de la commission de la défense en amont de la future LPM.

 

 

Une LPM 2019-2025 historique dont l’exécution ne l’est pas moins

Le travail réalisé par Yannick Chenevard et Laurent Jacobelli est considérable. Il apporte un regard inédit sur la mise en œuvre détaillée des quatre premières années de la LPM 2019-2025.

Alors que la période a été marquée par une crise sanitaire majeure, de fortes tensions sociales et les conséquences de la guerre en Ukraine, l’exécution en a été historique :

-         la programmation financière a été respectée, le ministère des Armées réussissant des prouesses pour optimiser ses paiements, malgré les difficultés économiques rencontrées depuis 2020, et parvenant à maîtriser jusqu’à présent la reprise de l’inflation comme l’apparition de surcoûts (dont ceux liées aux opérations extérieures et aux missions intérieures dont le financement interministériel est insuffisant) ;

-         les traductions capacitaires sont aussi au rendez-vous malgré les impondérables de la conduite des programmes d’armement (25 des 52 équipements listés dans le rapport annexé sont toutefois en retard même si seuls 4,4 Md€ ont été réalloués entre les ouvertures de crédits en LFI et leur exécution) : elles ont permis de nécessaires accélérations (porte-avions de nouvelle génération, avions légers de surveillance et de renseignement, plan de soutien aéronautique, Artémis…) mais aussi le lancement de nouveaux programmes (programme ARES de maîtrise de l’espace, lutte anti-drone, maîtrise des fonds marins…) ;

-         les domaines identifiés comme prioritaires ont bénéficié de réels efforts, à commencer par les militaires eux-mêmes (plan famille, nouvelle politique indemnitaire…) bien qu’ils restent marqués par des fragilités (transformation numérique inachevée, préparation opérationnelle en-deçà des objectifs, difficile fidélisation des ressources humaines, détérioration des infrastructures qui souffriront pendant longtemps encore du sous-investissement des 30 dernières années…).

Concrètement, entre 2019 et 2023, la LPM a permis d’engager une véritable phase de réparation de nos forces armées. Nos soldats en perçoivent les premiers effets. Bien plus, ces dernières années ont aussi permis d’engager la modernisation de nos forces (la composante nucléaire aéroportée est passée au « tout Rafale », la modernisation des deux composantes nucléaires se poursuit, SCORPION ouvre l’armée de terre au combat collaboratif malgré un glissement calendaire, le premier patrouilleur outre-mer a été admis au service actif, les composantes satellitaires ont été renouvelées, de nouveaux champs de conflictualité bénéficient de moyens…).

Au-delà des inévitables faiblesses que les rapports de la mission d’information et des missions flash ont pu mettre en exergue, un aspect reste cependant très en-dessous des attentes : la coopération capacitaire avec l’Allemagne, dont la relance engagée en 2017 par le Président de la République n’est pas à la hauteur des attentes françaises (retrait allemand du programme de futur avion de patrouille maritime et de la rénovation du Tigre, retard du MGCS en partie lié à des querelles industrielles allemandes…), en dépit du franchissement de jalons structurants sur le programme d’avion du futur (contractualisation de la phase 1B du SCAF) ou sur l’Eurodrone (lancement de la phase de réalisation, malgré des doutes persistants sur l’intérêt opérationnel de programme).

 

Une étape vers un modèle modernisé qui doit être en adéquation avec les exigences d’un monde durablement déstabilisé

Le bilan de l’exécution de la LPM 2019-2025 est remarquable ; il faut en féliciter le Président de la République et le Gouvernement, tout en rendant hommage à l’engagement des ministres des Armées, notamment Florence Parly.

Il doit surtout nous inviter à nous projeter dans les dix ans qui viennent en prenant en compte les réalités du monde. Car, une loi de programmation militaire, ce n’est pas un « catalogue d’équipements », c’est d’abord une vision de la France et de sa place dans le monde.

C’est en cela que le rapport de Yannick Chenevard et de Laurent Jacobelli, ainsi que ceux des quatre autres missions flash, sont importants : ils ouvrent des pistes pour penser l’avenir qui sera défini dans la prochaine LPM 2024-2030. Trois enjeux me semblent surpasser les autres.

La puissance au travers du choix du nouveau modèle d’armée

La LPM 2019-2025 était l’étape préalable à l’atteinte du modèle d’armée complet et équilibré décrit dans l’« Ambition 2030 ». Les conclusions de la récente revue nationale stratégique appellent à en ajuster le contenu car les transformations du contexte stratégique et les mutations de la guerre remettent en cause certains des équilibres identifiés en 2018. Les constats de nos rapporteurs nous invitent aussi à nous interroger sur le modèle d’armée que devra viser la future LPM.

Si la nécessité s’impose de poursuivre au rythme prévu le renouvellement de nos composantes nucléaires, le bon dimensionnement des forces conventionnelles sera une question déterminante pour garantir qu’elles puissent utilement épauler la dissuasion et prévenir les tentatives de contournement qu’un éventuel adversaire pourrait imaginer : cela devra avoir des conséquences en matière de volume et d’articulation des fonctions opérationnelles, de répartition géographique, notamment dans nos territoires ultramarins, et de capacité de projection d’urgence ; cela exigera des arbitrages complexes entre les capacités traditionnelles et nos capacités à agir dans les nouveaux champs de la conflictualité, en constante évolution et propices aux opérations de contournement ou d’empêchement (cyber, fonds marins, champ informationnel, très haute altitude, espace…).

Indépendamment des équilibres à trouver, des difficultés seront à surmonter en matière de ressources humaines (attractivité, fidélisation, compétences…), d’infrastructure, de juste autonomie des soutiens, d’épaisseur organique des unités conventionnelles ou de stocks ; mais il conviendra aussi d’accompagner la base industrielle et technologique de défense pour la rendre mieux apte à répondre rapidement à des exigences de recomplètement d’équipements ou de “consommables” (munitions, pièces de rechanges…).

La résilience pour faire de la défense, « l’affaire de tous »

Le deuxième enjeu est celui de la résilience de la Nation. Depuis la fin de la Guerre froide, l’héritage de la « défense globale » s’affaiblit : l’éloignement de la menace, la multiplication d’opérations militaires sur des théâtres lointains, la mondialisation des échanges ont trop conduit à penser que la stabilité du monde reposait sur l’interdépendance plutôt que sur l’autonomie souveraine dans certains domaines critiques. Seule l’horreur terroriste a teinté d’inquiétudes nos horizons pacifiques, sans réussir toutefois à offrir à « l’esprit de défense » les voies d’une réappropriation par les citoyens, au service de la résilience de la Nation.

L’épidémie de COVID et le conflit en Ukraine ont dessillé les yeux. Les citoyens et la plupart des acteurs publics et privés sont désormais conscients de l’utilité et de l’urgence qu’il y a à développer les capacités de résilience de notre société démocratique. Le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) s’est d’ailleurs depuis attelé à la définition d’une stratégie nationale de résilience que j’appelais de mes vœux dans un rapport rendu en février 2022.

Constatons avec nos rapporteurs que ce sujet central était malheureusement l’angle mort de l’actuelle loi de programmation militaire

La France devra renouer avec les promesses de la « défense globale » instituée à la fin des années 1950, pour « faire de la défense l’affaire de tous », pour être collectivement prêt à faire face au pire, ce qui n’est possible que si chacun se considère individuellement concerné. Que la réponse soit portée dans ou hors de la LPM, elle doit être travaillée dans une même séquence pour garantir l’implication effective dans la politique de défense de tous les départements ministériels et l’adhésion éclairée des Français et des forces vives de la nation, à ses objectifs comme à son contenu. Ce qu’inaugurent sans doute déjà les travaux sur « l’économie de guerre » ou l’évolution des réserves.

Les alliances démultiplicatrices de puissance

Le troisième enjeu sur lequel nous devons réfléchir est celui des alliances dans lesquelles la France est engagée, dans un contexte où l’accentuation des déséquilibres du monde a eu des effets profonds sur certaines, comme l’a France en a subi des effets, du pacte AUKUS aux revirements de partenaires africains. En regardant le monde tel qu’il est.

Alors que l’OTAN sort renforcée du conflit ukrainien, sa force d’attraction affaiblit les promesses d’autonomie stratégique de l’UE auxquelles nous sommes légitimement attachés. Il nous faudra continuer à être un allié fiable au sein de l’OTAN, en veillant au niveau de forces que nous sommes capables de mettre à sa disposition, mais continuer à éviter qu’elle ne devienne une alliance qui rime avec dépendance, notamment en matière capacitaire.

L’UE a démontré avec le conflit ukrainien l’ampleur de la solidarité stratégique dont elle était capable. Mais l’approfondissement de la politique de sécurité et de défense commune reste encore un long chemin. La France doit rester l’aiguillon constant qui doit mobiliser les États membres à renforcer l’autonomie stratégique de l’Union. Elle doit aussi soutenir la consolidation d’outils intergouvernementaux et communautaires en évitant leur dilution, dans un contexte où, comme le notent Yannick Chenevard et Laurent Jacobelli, le bilan des coopérations européennes prévues par le LPM n’est pas à la hauteur des ambitions.

Au-delà de l’OTAN et de l’UE, nous devons aussi repenser notre politique de défense à l’aune de partenariats bilatéraux qui doivent savoir s’extraire du « surmoi » du « couple franco-allemand ». Il y a des axes de travail à explorer, tant la France peut être pourvoyeuse fiable de sécurité auprès de partenaires qui souhaitent faire progresser l’Europe de la défense (par exemple la Belgique avec le partenariat CaMo) ou éviter des dépendances qui servent d’autres intérêts que les leurs. Dans ce cadre, il nous faudra penser le bon niveau d’interdépendance que nous acceptons en matière capacitaire, en privilégiant toujours les options qui renforcent l’autonomie stratégique européenne. Il nous faudra aussi imaginer les outils et les méthodes pour accompagner des partenaires dans une logique de “faire faire” et pour les équiper rapidement sans que nous ayons à ponctionner nos propres unités : cela nous est indispensable pour accroître nos capacités d’action par stratégie indirecte ou pour agir en “deuxième rideau” comme nous souhaitons le faire en Afrique par exemple.

Enfin, nous devons entretenir et renforcer nos partenariats stratégiques notamment en Indopacifique pour donner de la profondeur à notre stratégie.

 

*

 

Le 13 octobre 1960, en présentant devant le Parlement la loi de programme qui allait permettre à la France de bâtir sa force de frappe nucléaire, le Premier ministre Michel Debré insistait sur le fait que pour compter dans le monde, s’il fallait disposer d’institutions et d’une puissance économique solides, il convenait surtout d’avoir « une claire vision de nos responsabilités » mais aussi une articulation cohérente de nos moyens politiques, militaires et industriels.

Rien n’a changé en 2023. Notre objectif doit rester de garantir à la France sa puissance, sa résilience et son influence en définissant par une nouvelle loi de programmation militaire 2024-2030, dotée de 400 milliards d’euros, la meilleure articulation possible entre nos possibilités financières, une stratégie militaire clairement définie et des capacités industrielles aptes à équiper comme à soutenir durablement nos forces militaires. Au service d’une Nation consciente que la défense « est son affaire », qui en comprend les logiques et qui est prête à en assumer les exigences.

Ainsi nous pourrons contribuer à bâtir une France libre et prospère, dans un monde en paix.


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Introduction

« La défense ! C’est là, en effet, la première raison d’être de l’État. Il n’y peut manquer sans se détruire lui-même ».

Cette citation du général de Gaulle orne les murs de la commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale. Elle rappelle à la Représentation nationale la spécificité de la défense dans notre contrat social. Assurer l’organisation de la défense du pays est la source même de la légitimité de l’État et la condition de l’indépendance de la Nation.

La loi de programmation militaire (LPM) constitue l’incarnation de ce pacte entre la Nation et son armée. La LPM est une loi singulière : outil de planification financière, elle est aussi et surtout un geste stratégique. En prévoyant les ressources dédiées aux armées sur plusieurs années, la LPM traduit les moyens consacrés par la Nation pour sa défense. En fixant le format de nos armées, leurs moyens humains et capacitaires, ainsi que leurs contrats opérationnels, la LPM matérialise notre stratégie de défense pour faire face aux menaces. Elle symbolise ainsi, plus que toute autre loi, l’ambition de notre pays et la place qu’il souhaite tenir au sein du concert des Nations.

Si la LPM n’est pas une loi comme une autre, c’est aussi parce qu’elle porte sur nos militaires, ces femmes et ces hommes qui sont engagés chaque jour sur les théâtres d’opérations pour défendre notre Nation, parfois jusqu’au « sacrifice suprême ». N’oublions jamais que la première richesse de nos armées, ce sont ses soldats. Derrière les lignes budgétaires, aux montants parfois abstraits, derrière les programmes capacitaires, issus d’arbitrages qui peuvent faire débat, la LPM a un impact très concret sur nos militaires, sur leur vie quotidienne, sur la nature de leurs missions, de leur préparation opérationnelle et de leur engagement en opérations.

L’importance des enjeux financiers, stratégiques et humains soulevés par la LPM exige un contrôle particulièrement étroit du Parlement sur son exécution. Ce contrôle constitue l’activité quotidienne de la commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale, à travers notamment la réalisation d’auditions, de rapports pour avis budgétaires, de déplacements et de diverses missions d’information, ainsi que de groupes de travail thématiques.

À la suite de l’annonce faite par le Président de la République d’une nouvelle loi de programmation militaire dans les mois à venir, la commission a décidé la création d’une mission d’information sur le bilan de la LPM 2019-2025. Cette mission est présidée par le président de la commission, M. Thomas Gassilloud, et a pour rapporteurs M. Yannick Chenevard, pour le groupe Renaissance, et M. Laurent Jacobelli, pour le groupe Rassemblement national. Cinq membres, représentant autant de groupes politiques, complètent la composition de la mission d’information.

Dans le cadre de leurs travaux, vos rapporteurs ont mené une quinzaine d’auditions, souvent complétées de questionnaires, auprès de représentants du ministère des Armées et d’autorités militaires, mais aussi des personnels militaires et des industriels. Vos rapporteurs ont également effectué quatre déplacements auprès des forces armées, dans le but d’apprécier, au plus près du terrain, les effets concrets de la LPM ainsi que les enjeux et défis pour l’avenir. Ils ont visité le 1er régiment étranger de cavalerie à Carpiagne, la base navale de Brest, ainsi que les bases aériennes d’Orléans-Bricy et de Nancy-Ochey. Vos rapporteurs remercient à ce titre l’ensemble des personnels rencontrés dans le cadre de ces déplacements et auditions, pour leur mobilisation au service de la Représentation nationale et pour leur témoignage toujours précieux sur l’exécution de la LPM 2019-2025.

La LPM 2019-2025 s’inscrit à la jonction d’un contexte dont elle a hérité et d’une ambition dont elle est porteuse : d’une part, un héritage marqué par une forte dynamique déflationniste dans un contexte des « dividendes de la paix », dont les effets pèsent encore lourdement sur nos armées, comme ont pu le constater vos rapporteurs dans le cadre de leurs travaux ; d’autre part, la perspective de l’ « Ambition 2030 », c’est-à-dire la modernisation d’un modèle d’armée « complet et équilibré » à horizon 2030. Il convient de garder à l’esprit que la période 2019-2023, objet du présent rapport, ne constitue donc que le commencement de la phase de remontée en puissance de nos armées qui doit s’achever en 2030.

L’exécution de la LPM 2019-2025 a certainement marqué une rupture salutaire pour nos forces armées eu égard à la dynamique déflationniste passée. Le respect de la programmation financière (près de 198 milliards d’euros de crédits budgétaires entre 2019 et 2023), fait inédit depuis des décennies, doit être souligné, d’autant plus qu’il a eu lieu dans un contexte marqué par la survenance de nombreux aléas, tels que la crise liée au Covid ou, plus récemment, le retournement de la conjoncture économique.

Cette exécution de la programmation financière a assurément permis d’entamer fermement la phase de « réparation » de nos armées. Celle-ci s’est notamment matérialisée par l’acquisition de nouvelles capacités emblématiques, des investissements conséquents pour améliorer la disponibilité des matériels et l’activité opérationnelle de nos forces armées, la montée en puissance de nos moyens d’actions dans les nouveaux domaines de la conflictualité (cyber, espace, renseignement, etc.), un effort en faveur de l’innovation, ainsi que par une attention bienvenue à la condition des militaires et de leur famille.

Sur l’ensemble de ces sujets, vos rapporteurs ont tenté de dresser un bilan le plus objectif possible, en comparant les ambitions affichées par la LPM avec les résultats obtenus à ce stade, ainsi qu’en mettant en exergue les éventuelles inflexions ou adaptations de la programmation survenues en raison d’arbitrages assumés ou à la suite d’aléas non prévus par la LPM.

Vos rapporteurs se sont également attachés à souligner les défis pour les années à venir, notamment à l’aune de l’évolution du contexte stratégique résultant notamment de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Les nouvelles menaces exigent en effet d’amplifier certaines dynamiques portées par la présente LPM, notamment dans les nouveaux champs de conflictualité, de recompléter des capacités et des stocks, mais également de rehausser l’activité opérationnelle.

Vos rapporteurs ont également identifié deux principaux points de vigilance, qui ont été constamment mis en exergue dans le cadre des auditions ou des déplacements : d’une part, les ressources humaines et, d’autre part, les infrastructures.

Tout d’abord, la fidélisation des militaires constitue un sujet de préoccupation majeur pour l’ensemble des interlocuteurs rencontrés par vos rapporteurs. L’absence de compétitivité des rémunérations avec le civil, les évolutions sociétales telles que l’emploi des conjoints, une moindre acceptabilité des sujétions liés à l’état militaire, notamment la mobilité géographique, ou encore la non-atteinte des objectifs d’activité opérationnelle constituent autant de facteurs qui concourent à une hausse des départs problématique. Les difficultés de fidélisation se traduisent notamment par un déficit d’encadrement au sein des forces armées, dans un contexte où les besoins de formation sont pourtant majeurs, du fait de la hausse des recrutements portée par la LPM.

Il semble crucial à ce titre que la prochaine LPM fasse du défi de la fidélisation des militaires un axe prioritaire de la programmation, a fortiori dans un contexte de besoin accru en personnels qualifiés dans des domaines directement en concurrence avec le monde civil. Le volet indiciaire de la rémunération des militaires devra notamment faire l’objet d’une attention particulière.

Le second point d’attention de vos rapporteurs est lié aux infrastructures opérationnelles et de vie des forces armées. Si la LPM 2019-2025 s’est traduite par un effort important dans ce domaine, l’importance de la « dette grise » résultant de décennies de sous-investissements exige une mobilisation encore accrue dans le cadre de la prochaine programmation. Vos rapporteurs ont pu constater que les efforts doivent perdurer ; ils ont en effet été frappés par la vétusté de certains bâtiments de vie ou de travail, qui seraient considérés certainement comme « indignes » dans le monde civil.

Il parait également essentiel à vos rapporteurs de revoir le processus décisionnel dans le sens d’une plus grande subsidiarité au bénéfice des commandants de base ou de régiments. Les mesures de centralisation, mises en place dans le prolongement de la révision générale des politiques publiques (RGPP) avec pour ambition de faire des économies, ont atteint leurs limites.

Il en va des forces morales de nos militaires : comment ces derniers, dont les régiments et bases aériennes et navales bénéficient des livraisons d’équipements à la pointe de la technologie, peuvent-ils comprendre qu’il faille attendre des mois pour remplacer une vitre cassée ou réparer une fuite d’eau sur un toit ? Nos armées doivent retrouver de la flexibilité et de la souplesse, ce qui passe par une responsabilisation accrue des acteurs au plus près du terrain.

Au-delà de ces points d’attention et des inflexions nécessaires pour s’adapter à l’évolution du contexte stratégique, vos rapporteurs ont une conviction partagée à l’issue de leurs travaux : l’effort de défense, initié et permis par la LPM 2019-2025, doit s’inscrire dans la durée. Le redressement de nos armées exige en effet une mobilisation de notre Nation sur le long terme, tant nos forces armées ont été « abimées » par des décennies de déflation, génératrices de « dettes grises » dans de multiples domaines.

L’enjeu est aujourd’hui de poursuivre la résorption des conséquences de ces décennies de sous-investissement, tout en adaptant notre modèle d’armée aux multiples défis de demain.

Alors que le Président de la République a annoncé un effort budgétaire important à hauteur de 413 milliards d’euros pour le projet de loi de programmation militaire, dont le Parlement sera prochainement saisi, vos rapporteurs émettent donc le souhait que le présent bilan de la LPM 2019-2025 puisse constituer une boussole pertinente, parmi d’autres, pour orienter les travaux à venir.

Les rapporteurs souhaitent également que ce rapport soit l’occasion d’éclairer les citoyens sur le sens et la finalité de l’effort financier, conséquent mais indispensable, fait par la Nation au bénéfice des armées. Vos rapporteurs ont en effet la conviction que le consentement de la Nation à ces efforts financiers ne peut être que facilité par une meilleure compréhension des enjeux et des défis de nos forces armées, qui sont encore malheureusement trop méconnus de nos concitoyens. Cela exige un effort de pédagogie renouvelé de l’ensemble des acteurs impliqués, aussi bien des autorités politiques et militaires que de la Représentation nationale.

Enfin, lors de leurs déplacements, vos rapporteurs ont pu mesurer l’engagement constant de nos militaires à remplir leurs missions et leur détermination à respecter le « contrat opérationnel » assigné aux forces armées, au prix souvent de nombreux sacrifices personnels. Leur abnégation et leur sens du devoir nous obligent. Vos rapporteurs tiennent à leur rendre hommage.

 

 

 

 

 

 

Première partie : l’exigence de « réparer » nos armées

I.   La programmation militaire, un outil Efficace mais rarement respecté

A.   L’impératif de la programmation militaire

1.   La programmation constitue un outil de planification indispensable

Si une programmation pluriannuelle des dépenses de l’État en matière de défense existe depuis 1960, dans un contexte de développement de notre force de dissuasion nucléaire, la notion de LPM date quant à elle de 1976.

La création de la LPM s’est traduite par l’extension du spectre de la programmation, qui était jusqu’alors restreinte aux seuls crédits destinés aux équipements. Le périmètre de la LPM s’est ainsi élargi aux effectifs, à la masse salariale et aux dépenses de fonctionnement relatives au soutien des armées.

La programmation pluriannuelle des ressources est un impératif au regard des spécificités du secteur de la défense :

- les programmes d’équipements s’inscrivent nécessairement dans le temps long, compte tenu de la durée de construction de certaines capacités, comme a pu le souligner l’amiral Pierre Vandier, chef d’état-major de la marine : « L’outil militaire, particulièrement l’outil naval, se forge dans la durée. Il faut vingt ans pour former un commandant de sous-marin, et autant de temps pour construire son bateau. C’est la génération de nos parents qui a dessiné et construit le Charles de Gaulle. C’est à la nôtre qu’il revient de construire les outils militaires qui défendront la génération de nos enfants et petits-enfants dans les quarante prochaines années » ([1]) ;

- les entreprises de la BITD, dont l’activité repose de façon structurelle en grande partie sur les commandes publiques, ont besoin de visibilité sur les commandes à venir, pour déterminer si elles doivent maintenir ou adapter leurs chaînes de production et leur organisation, en fonction des besoins exprimés par l’État ;

- enfin, la construction d’un modèle d’armée cohérent exige lui-même une certaine continuité des investissements dans le temps, comme l’illustre la construction de notre force de dissuasion nucléaire.

Il convient cependant de relever que dans la plupart des grandes nations occidentales, la programmation des dépenses militaires prend une forme différente d’une LPM.

la programmation des dépenses militaire chez nos alliés : des pratiques disparates.

● Aux États-Unis, le National Defense Authorization Act (NDAA) fixe les plafonds de chaque programme budgétaire de défense, le programme d’équipements et le plafond d’emploi autorisé des forces armées. Le NDAA a un caractère annuel. Des lois relatives à la politique étrangère des États-Unis sont également incluses dans les NDAA, tel que le Taïwan Enhanced Resilience Act en 2023. Les commissions des forces armées du Sénat et de la chambre des Représentants ont un rôle clé dans l’élaboration du NDAA. Le NDAA pour l’année 2023 autorise 847,3 milliards d’euros pour le budget de la défense (auxquels il faut ajouter 10 milliards d’euros hors périmètre de la NDAA), dont 16,4 % pour la seule partie R&D.

● Au Royaume-Uni, le Defence Command Paper (DCP) intitulé « Defence in a Competitive Age », publié en mars 2021, est la déclinaison opérationnelle pour les armées de la revue stratégique nationale (« Integrated Review ») « Global Britain in a Competitive Age » parue la même année. Le DCP 2021 prévoit d’investir 188 milliards de livres (soit environ 210 milliards d’euros) dans le budget de la défense pour la période 2021-2025, avec un effort significatif pour la marine (porte-avions et frégates) et l’aviation de chasse. Une actualisation du DCP est toutefois prévue fin mars, dans un contexte de remise en cause de l’objectif fixé d’un effort de défense à hauteur 2,5 % du PIB en 2026. La planification militaire prend également la forme d’un plan ministériel quinquennal du ministère de la défense, actualisé chaque année, qui détermine les budgets alloués aux armées.

● En Allemagne, le budget de la mission défense est fixé annuellement, même s’il s’inscrit dans la planification financière quinquennale des finances publiques (« cadre financier pluriannuel »). La documentation budgétaire ne fournit que peu d’informations sur les programmes financés par le budget de la défense. Le budget 2023 a fixé à 50,1 milliards d’euros le montant alloué à la défense, auxquels il convient d’ajouter 8,5 milliards d’euros issus du fonds spécial (« Sondervermögen ») et destinés à financer certaines capacités prioritaires. Pour la période 2023-2026, le cadre financier pluriannuel prévoit un budget annuel de la défense stabilisé à 50,1 milliards d’euros. La loi créant le fonds spécial précité est assortie d’une liste de projets à financer à hauteur de 90 milliards d’euros. Les cinq premiers projets ont été validés le 14 décembre 2022 par la commission du budget du Bundestag, pour un montant de 13 milliards d’euros (dont 8,2 milliards d’euros pour l’acquisition d’avions de chasse F-35).

● En Italie, le ministère de la défense présente chaque année aux deux chambres parlementaires un document, indicatif, de programmation pluriannuelle (DPP) relatif aux investissements prévus en matière de défense sur une période de trois ans. Une particularité de l’Italie est qu’environ la moitié des investissements dans les programmes d’armement sont inscrits dans le budget du ministère du développement économique. En 2022, les ressources budgétaires de la fonction Défense s’élevaient à 22,5 milliards d’euros et devraient atteindre près de 24 milliards en 2023. L’objectif est d’atteindre la norme Otan de 2 % du PIB en 2028.

Source : Direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS), ministère des Armées.

 

2.   La programmation consacre une stratégie de défense

Au-delà d’être un outil de planification budgétaire, la LPM traduit la stratégie de défense de la Nation, en définissant les formats de nos armées et leurs contrats opérationnels. La LPM reflète donc à la fois l’état de la perception des menaces par les pouvoirs publics et l’ambition pour répondre à celles-ci. C’est la raison pour laquelle les LPM ont souvent été précédées d’une réflexion stratégique, prenant la forme d’un livre blanc ou d’une revue stratégique (1972, 1994, 2008, 2013, 2017 et 2022).

Chaque loi de programmation est donc la déclinaison opérationnelle d’une vision stratégique, qui commande le modèle d’armée à construire. Louis Gautier, ancien secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), inscrit ainsi les précédentes programmations militaires dans différents cycles depuis les années 60 ([2])  :

– 1960-1975 : développement de l’arme nucléaire ;

– 1975-1990 : poursuite de l’effort nucléaire et modernisation des équipements conventionnels ;

– 1990-2005 : passage à une armée professionnelle et révision du modèle d’armée ;

– 2005-2020 : stabilisation du modèle d’armée professionnelle.

Si la LPM a donc une portée stratégique forte, il convient cependant de relever qu’elle ne constitue qu’une brique de notre politique de « défense globale ». Celle-ci se construit également grâce à l’ensemble des politiques publiques qui participent à la résilience de la Nation et aux forces morales de notre pays. Ainsi que l’a rappelé le général d’armée Thierry Burkhard, chef d’état-major des armées, « le premier enseignement [du conflit en Ukraine] est l’importance des forces morales (…) Toutefois, la force morale ne se décrète pas. L’Ukraine s’est préparée, elle a consolidé ses forces morales, et pas seulement dans les armées. Les forces morales de l’armée ukrainienne procèdent directement du renforcement de la cohésion nationale » ([3]).

B.   une programmation traditionnellement peu respectée en pratique

1.   La normativité à géométrie variable des LPM

En vertu de l’article 34 de la Constitution, « les lois de programmation déterminent les objectifs de l'action de l'État ». En application de cette disposition, les LPM ont donc pour vocation de déterminer les objectifs de l’action de l’État en matière de défense.

La LPM est constituée traditionnellement de deux titres : un premier titre consacré aux objectifs de la politique de défense et à la programmation financière ; un second titre consacré à diverses dispositions normatives intéressant la défense nationale (statut et carrière des militaires, droit de l’armement, immobilier de défense…). Les LPM sont également complétées d’un rapport annexé, qui détaille les orientations opérationnelles (contrats opérationnels, format des armées, programme d’équipements…). Ainsi, hormis les dispositions législatives créées ou modifiées par le second titre de la LPM, cette dernière ne fixe que des objectifs. La programmation financière prévue par les LPM devra être notamment traduite par les lois de finances annuelles pour acquérir une véritable portée normative.

La LPM est par conséquent davantage un engagement de nature politique que juridique. C’est malheureusement la raison pour laquelle les trajectoires financières des LPM précédentes n’ont pas été respectées.

2.   L’absence de respect des LPM dans les dernières décennies

L’effort de défense de notre Nation a connu une baisse continue sur le long terme. Selon les données SIPRI ([4]) (qui prennent en compte les dépenses de gendarmerie), la part des dépenses militaires dans les dépenses publiques est ainsi passée de 18 % dans les années 1960 à moins de 4 % en 2016.

Évolution des dépenses de défense (SIPRI) de la france

Source : Institut Montaigne, « Repenser la défense face aux crises du 21ème siècle », février 2021.

Outre cette baisse tendancielle, les budgets de nos armées ont souvent servi de variable d’ajustement lorsqu’il s’agissait de trouver des sources d’économies.

Cela s’est notamment matérialisé par le fait que les précédentes LPM n’ont jamais été respectées depuis le début des années 80, c’est-à-dire que les lois de finances fixaient des ressources inférieures à celles prévues dans la programmation, ainsi que l’illustre le graphique ci-dessous.

Source : François André et Joaquim Pueyo, Rapport d’information sur l’exécution de la loi de programmation militaire 2014-2019, Assemblée nationale, 22 février 2018.

Cette absence d’ambition financière pour nos armées a eu des conséquences majeures sur les effectifs, les capacités et les contrats opérationnels de nos armées, comme il sera rappelé ci-après.

II.   Le contexte de la LPM 2019-2025 : des armées affaiblies, des menaces croissantes

A.   Des armées affaiblies par les « dividendes de la paix »

1.   La réduction des effectifs

Si la LPM 2019-2025 a été présentée comme une LPM de « réparation », c’est que nos armées ont été « abimées » par des décennies de réduction de leurs moyens, dans un contexte stratégique marqué par une baisse perçue des périls et dans un contexte politique caractérisé par la volonté de tirer bénéfice des « dividendes de la paix » à des fins d’économie budgétaire.

La dynamique déflationniste a tout d’abord touché les effectifs. Selon la Cour des comptes, de 2008 à 2019, le ministère des Armées a perdu 63 250 emplois, soit 20 % de ses effectifs ([5]). La baisse des effectifs s’est notamment concentrée sur la période 2008-2015, comme l’illustre le graphique ci-dessous, les attentats terroristes de 2015 ayant notamment abouti au renforcement de la force opérationnelle terrestre (FOT) dans le cadre du lancement de l’opération Sentinelle.

Évolution des EFFECtifs (ETP) du ministÈre des armées entre 2000 et 2016

Source : Institut Montaigne, « Repenser la défense face aux crises du 21ème siècle », février 2021.

 

Cette réduction des effectifs est l’aboutissement de nombreuses réformes structurelles mises en place dans le cadre de la RGPP, dans le prolongement de la fin du service national en 1996. Ces réformes se sont notamment traduites par la mutualisation des soutiens et la dissolution d’une vingtaine de régiments et d’une dizaine de bases aériennes.

Or, si ces réformes se sont soldées par l’échec relatif de leur objectif premier, à savoir la réalisation d’économies, elles ont entraîné en revanche une dégradation certaine des soutiens, comme l’a constaté la Cour des comptes : « si les économies recherchées n’ont pas toujours été au rendez-vous, la dégradation des soutiens et de l’environnement des forces s’est faite sentir. La Cour a notamment relevé dans ses travaux deux cas emblématiques : la perte de contrôle du processus de paye des militaires dans le cadre de l’écosystème Louvois et la dégradation de l’entretien des infrastructures » ([6]).

La diminution des effectifs a eu également un impact majeur sur les capacités opérationnelles de nos forces de combat, comme le rappelait un précédent rapport parlementaire en prenant l’exemple de l’armée de terre : « l’armée de Terre qui comptait quinze divisions à la fin de la Guerre froide, soit environ 300 000 militaires, n’a plus que l’équivalent de deux divisions concentrées sur le segment médian, c’est-à-dire polyvalentes, capables de survivre dans un environnement contesté mais suffisamment légères pour demeurer expéditionnaires » ([7]).

2.   La réduction des capacités

La baisse de l’effort de défense de notre Nation s’est également traduit par une réduction importante des moyens capacitaires de nos armées, ainsi que l’illustre le tableau ci-dessous.

Évolution du nombre de plateformes en dotations dans les armées

Source : Patricia Mirallès et Jean-Louis Thiériot, Rapport d’information sur la préparation à la haute intensité, commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 17 février 2022.

À titre d’exemple, le parc total d’aéronefs de l’armée de l’air et de l’espace a ainsi baissé de 139 % entre 1990 et 2025.

Évolution du parc d’aéronefs de l’armée de l’air et de l’espace

Source : Raphaël Briant, Jean-Baptiste Florant, Michel Pesqueur, La masse dans les armées françaises, un défi pour la haute intensité, IFRI, juin 2021.

Cette réduction des capacités a du reste touché l’ensemble des pays européens, dans un contexte d’évolution des modèles d’armées vers un format expéditionnaire, comme le rappelle une étude de l’institut français des relations internationales (IFRI) : « entre 1999 et 2014, les pays européens ont ainsi réduit de 66 % leurs parcs de chars de bataille, de 45 % leur aviation de combat et de 25 % leur flotte de bâtiments de surface. Inversement, les moyens de projection comme le ravitaillement en vol (+ 6 %) et de mobilité tactique comme les hélicoptères (+ 27  %) s’accroissaient, attestant de la transition d’un modèle de haute intensité vers un modèle expéditionnaire à "l’empreinte légère” »  ([8]).

Traduction de cette diminution des capacités, les contrats opérationnels, tels qu’issus des différents livres blancs sur la défense et la sécurité nationale (LBDSN), ont été revus à la baisse, notamment dans le cadre d’un conflit de haute intensité, ainsi que le relève la Cour des comptes : « La LPM 2003-2008 envisageait l’intervention de la France dans une opération classique majeure de coercition en coalition interalliée à hauteur de 50 000 soldats et d’une centaine d’avions de combat. Dix ans plus tard, la LPM 2014-2019 a réduit la participation à une telle opération à 15 000 soldats et 45 avions de combat » ([9]).

Évolution des contrats opÉrationnels pour une opÉration de coercition majeure

Source : François André et Joaquim Pueyo, Rapport d’information sur l’exécution de la loi de programmation militaire 2014-2019, commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 22 février 2018.

Cette dynamique déflationniste était d’autant plus difficile à supporter pour nos armées que les engagements de nos militaires étaient constants, voire croissants, comme l’illustrent les opérations extérieures menées en Afghanistan (2001-2012), en Libye (2011) ou au Mali (2013), auxquelles il convient d’ajouter les nouvelles missions intérieures telle que Sentinelle (2015).

Une telle contradiction entre, d’une part, la déflation des moyens et, d’autre part, des engagements croissants, n’était plus tenable pour nos armées, comme l’a souligné l’ancienne ministre des Armées, Florence Parly : « Depuis des années, notre défense, nos armées, les personnels militaires et civils qui s’engagent pour servir notre pays sont en fait confrontés à des tendances contraires : d’un côté, des budgets toujours plus contraints, des réductions drastiques d’effectifs, des programmes soit retardés, soit même, pour certains, arrêtés ; de l’autre, un engagement croissant, en opérations extérieures comme sur le territoire national, qui a fortement sollicité notre outil de défense » ([10]).

Comme ont pu le constater vos rapporteurs dans le cadre de leurs travaux, l’héritage de décennies de sous-investissement a laissé des traces profondes au sein de nos forces armées, et ce dans tous les domaines (capacitaires, ressources humaines, infrastructures, soutien…).

 

B.   L’accroissement des menaces

1.   Menace terroriste et retour des stratégies de puissance

Le contexte stratégique dans lequel s’est inscrit la LPM 2019-2025 ressort notamment de la revue stratégique de défense et de sécurité nationale, publiée en octobre 2017.

Ce contexte est encore fortement marqué par la menace djihadiste sur notre sol, malgré la baisse de l’activité de Daech au Levant. Celle-ci reste en effet à cette date la menace principale, de l’aveu même de la ministre des Armées de l’époque : « Le terrorisme jihadiste reste la menace qui pèse aujourd’hui le plus directement sur notre territoire (…) Nous avons également pris, ces dernières années, la pleine mesure de ce à quoi pouvait ressembler un monde multipolaire où les rapports de force se développent pendant que le système multilatéral s’affaiblit » ([11]).

Outre la persistance du risque terroriste, la revue stratégique de 2017 mettait en exergue le retour de la « compétition militaire », à travers une militarisation croissante de nos compétiteurs stratégiques et des puissances régionales, dans un contexte de « remise en cause de l’ordre multilatéral » et de « déconstruction de l’architecture de sécurité en Europe ».

Le réarmement opéré depuis les années 2000 par des acteurs comme la Chine, la Russie ou encore la Turquie est en effet massif, comme l’illustre le graphique ci-dessous.

Évolution des dépenses militaires 2000-2019([12]) (données SIRPI)

Source : Institut Montaigne, « Repenser la défense face aux crises du 21ème siècle », février 2021.

Enfin, la revue stratégique soulignait l’évolution de la conflictualité, à travers un double processus : d’une part, l’extension de la conflictualité à de nouveaux domaines (espace numérique, espace exo-atmosphérique…) et, d’autre part, l’émergence d’une forme d’hybridité des conflits, marquée par des actions sous le seuil du conflit et difficilement attribuables.

2.   Un modèle d’armée entre continuité et adaptation

Pour faire face à ces défis et menaces, la revue stratégique de 2017 appelait de ses vœux le renforcement d’un modèle d’armée « complet et équilibré pour agir sur tout le spectre », contrairement au choix effectué par d’autres pays européens, tel que le Royaume-Uni. Comme l’a résumé M. Arnaud Danjean, président du comité de rédaction de la revue stratégique, « un modèle d’armée complet et équilibré est à notre sens indispensable. Aucune impasse n’est possible ; la situation internationale ne nous permet évidemment pas de baisser la garde. Toute perte capacitaire ou opérationnelle pourrait avoir des conséquences graves, et serait en outre difficile à réparer par la suite : certaines capacités abandonnées par le Royaume-Uni dans les années 2000 lui font aujourd’hui cruellement défaut. Nous devons éviter une telle situation » ([13]).

Si la revue stratégique ne remettait pas en question les cinq fonctions stratégiques issues du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013, elle promouvait cependant un renforcement de la fonction prévention : « un effort doit être consenti pour rendre à la fonction prévention toute son importance (…) Elle passe par un réinvestissement prioritaire dans nos dispositifs avancés, permanents et non-permanents, et dans ceux de nos alliés ou de nos partenaires »  ([14]).

Au final, si l’analyse stratégique ayant servi de fondement à la LPM 2019-2025 soulignait certes l’émergence de tendances qui seront appelées à s’amplifier les années suivantes – retour des stratégies de puissance et extension des domaines de conflictualité –, l’accent mis sur le risque terroriste djihadiste ainsi que la situation sécuritaire au Sahel ne militaient pas pour une remise en cause du modèle expéditionnaire de nos forces armées, principalement vouées à intervenir dans le cadre de conflits asymétriques et d’opérations de gestions de crise.

Telle est du reste l’analyse du Président de la République sur la LPM 2019-2025, dans ses vœux aux Armées du 20 janvier 2023 : « Cela signifie, en premier lieu, de consolider notre cœur de souveraineté, là où le modèle de la précédente loi de programmation militaire [la LPM 2019-2025] mettait plutôt l'accent sur la capacité expéditionnaire et la lutte contre le terrorisme » ([15]).             

III.   L’objectif de la LPM 2019-2025 : une loi de « réparation »

A.   Une ambition opérationnelle forte

1.   Les quatre axes de la LPM

Ainsi que l’a résumé le Président de la République, « la loi de programmation militaire 2019-2025 avait une vocation claire : réparer nos armées, leur redonner le souffle, les moyens, sortir de la logique de pénurie et retrouver des leviers d'action » ([16]). Cet objectif de réparation se décline en quatre axes « prioritaires », présentés comme tels dans le rapport annexé de la LPM :

-         Une LPM « à hauteur d'homme », pour améliorer « les conditions d'exercice du métier des armes » et « le quotidien du soldat ».

-         Le renouvellement des capacités opérationnelles, à travers la modernisation des programmes conventionnels et de dissuasion.

-         La garantie de notre autonomie stratégique, avec un effort particulier en faveur des fonctions stratégiques « prévention » et « connaissance anticipation », et l’accroissement de nos moyens d’actions dans les nouveaux espaces de conflictualité. Cet axe promeut aussi la construction d’une autonomie stratégique européenne, à travers une « politique volontariste de coopérations ».

-         L’innovation, à travers « des moyens accrus et une organisation renouvelée pour renforcer et accélérer l'innovation au service de nos armées », la préparation des « grands programmes au-delà de 2030 » et le renforcement de la BITD.

2.   L’horizon de la LPM : l’« Ambition 2030 »

La LPM est structurée autour de l’« Ambition 2030 », qui consiste à disposer à l’horizon 2030 d’un « modèle d’armée complet et équilibré », en vue « d'atteindre les effets militaires recherchés sur la totalité du spectre des menaces et des engagements possibles, y compris les plus critiques » ([17]). La LPM 2019-2025 avait ainsi pour objectif de construire le socle sur lequel la LPM suivante devait s’appuyer pour atteindre le modèle d’armée promu par l’Ambition opérationnelle 2030.

L’« Ambition 2030 » s’articule concrètement autour de deux objectifs principaux. Le premier a trait aux contrats opérationnels, qui fixent les moyens humains et capacitaires devant être engagés selon la nature des engagements. En l’espèce la LPM prévoit comme objectif que les forces armées soient en mesure de mener leurs missions permanentes, tout en étant engagées simultanément sur trois théâtres d’opérations de gestion de crise et d’intervention, ainsi que dans une opération de coercition majeure en coalition.

Contrat opérationnel des armées dans le cadre d’une opération de coercition majeure en coalition à l’horizon 2030

Source : Patricia Mirallès et Jean-Louis Thiériot, Rapport d’information sur la préparation à la haute intensité, commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 17 février 2022.

Le second objectif de l’Ambition 2030 est matérialisé par l’atteinte d’une cible d’équipements à l’horizon 2030, qui figure dans le rapport annexé de la LPM.

Capacités des armées à l’horizon 2030 prévues par la LPM

-          Armée de terre : « En matière d'équipements, ces forces disposeront à l'horizon 2030 d'équipements de 4e génération, comprenant 200 chars de combat, 300 blindés médians, 3 479 véhicules blindés modulaires et de combat, 147 hélicoptères de reconnaissance et d'attaque, 115 hélicoptères de manœuvre, 109 canons de 155 mm, 13 systèmes de lance-roquettes unitaire, 7 020 véhicules de mobilité tactique et logistique, et une trentaine de drones tactiques. En 2025, la moitié du segment médian SCORPION aura été livrée ».

-          Marine : « A terminaison, les forces navales comprendront 4 sous-marins nucléaires lanceurs d'engins, 6 sous-marins nucléaires d'attaque, 1 porte-avions nucléaire, 40 avions de chasse et 3 avions de guet aérien embarqués, 15 frégates de premier rang, 3 bâtiments de projection et de commandement, 18 avions de patrouille maritime rénovés, 4 pétroliers ravitailleurs, 27 hélicoptères à vocation anti-sous-marine, 49 hélicoptères légers pour l'éclairage, le combat naval et la sauvegarde maritime, ainsi qu'une quinzaine de drones à décollage vertical, des bâtiments du segment médian, 19 patrouilleurs, des avions de surveillance et d'intervention maritimes, ainsi que des capacités de lutte contre les mines maritimes ».

-          Armée de l’air et de l’espace : « Dans les années à venir, l'armée de l'air mettra ainsi en œuvre un système de commandement et de contrôle des opérations aériennes (SCCOA) rénové, 185 avions de chasse polyvalents, 53 avions de transport tactique dont des A400M, 4 avions de détection et de contrôle aérien, 15 avions ravitailleurs multirôles (MRTT), 40 hélicoptères légers, 36 hélicoptères de manœuvre, 8 systèmes de drones de surveillance moyenne altitude et longue endurance (MALE), 8 avions légers de surveillance et de reconnaissance (ALSR), 3 avions de renseignement et de guerre électronique ainsi que 8 systèmes sol-air de moyenne portée ».

Source : Rapport annexé de la LPM 2019-2025.

B.   Un effort financier majeur

1.   Une trajectoire financière ambitieuse

Au soutien de cette ambition opérationnelle, la LPM 2019-2025 prévoit de porter l’effort de défense à hauteur de 2 % du PIB d’ici 2025 et fixe à 197,8 milliards d’euros les ressources budgétaires pour les années 2019 à 2023, soit une hausse de 23 % par rapport aux crédits prévus dans la LPM 2014-2018. Le séquençage de cette augmentation n’est toutefois pas linéaire, puisque l’effort principal progresse encore en 2023, avec une « marche » à 3 milliards d’euros, contre des « marches » à 1,7 milliard pour la période 2019-2022.

Si les crédits pour les années 2024 et 2025 devaient faire l’objet d’arbitrages ultérieurs en cohérence avec l’objectif susvisé des 2 % du PIB, il résulte de la trajectoire financière projetée que plus de 295 milliards d’euros de besoins sont ainsi programmés sur la période 2019-2025. Cette trajectoire financière constitue une rupture majeure et profonde avec les LPM précédentes, comme l’illustre le graphique ci-dessous.

Évolution du budget de la Défense* depuis 2009 et programmation 2019-2025

(en milliards d’euros courants de crédits de paiement)

Source : Rapport de Jean-Jacques Bridey sur le sur le projet de loi (n° 659) relatif à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025, tome I, commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale.

Parallèlement à cet effort financier inédit, la LPM prévoit d’inverser la tendance baissière des effectifs, en programmant une augmentation nette de 6 000 postes sur la période.

2.   Une « sincérisation » des ressources

Outre la dynamique des crédits, la LPM 2019-2025 se distinguait également des précédentes lois de programmation par un effort de sincérité budgétaire, à travers un double mécanisme.

D’une part, la programmation financière repose uniquement sur des crédits budgétaires, en rupture avec les LPM passées qui se fondaient partiellement sur des perspectives de recettes exceptionnelles qui, trop ambitieuses, ne furent pas réalisées, comme l’a relevé la Cour des comptes : « Le ministère des armées espérait, dans les programmations précédentes, des recettes exceptionnelles attendues de cessions de bandes de fréquences hertziennes et d’emprises immobilières, pour 3,47 Md€ dans la LPM 2009-2014 et 6,10 Md€ dans la LPM 2014-2019. Ces ressources étaient incertaines, tant dans leur montant que dans leur calendrier, et les hypothèses retenues ne se sont pas réalisées. Les programmes d’entretien des infrastructures et d’équipement des forces auxquelles étaient destinées ces recettes avaient par conséquent pris du retard » ([18]). La LPM 2019-2025 a également évité l’écueil de recourir au financement par de supposées économies issues de réformes structurelles, comme cela a pu être le cas par le passé ([19]).

D’autre part, la « sincérisation » budgétaire mise en œuvre par la LPM 2019-2025 est illustrée par l’augmentation importante de la provision OPEX-MISSINT, qui doit passer de 450 millions d’euros en 2017 par an à 1,1 milliard d’euros à compter de 2020. Cet effort est d’autant plus appréciable que la LPM 2014-2019 s’était traduite par une dérive importante des surcoûts OPEX-MISSINT non provisionnés, dans un contexte d’engagements intenses sur des théâtres d’opérations extérieures (Afghanistan et Sahel).

Au final, la LPM 2019-2025, par sa trajectoire financière et son ambition opérationnelle, marquait incontestablement une nette rupture avec les précédentes LPM, ainsi que le mettait en exergue la ministre des Armées de l’époque : « Alors que les deux précédentes lois de programmation militaire géraient la restriction, voire l’attrition, notre objectif est de cueillir les fruits d’une remontée en puissance » ([20]).


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   Deuxième partie : une exécution financière qui a permis de débuter la modernIsation des capacités et de monter en puissance sur les segments prioritaires

I.   Une programmation financière pour une fois respectée

A.   Une exécution conforme de la trajectoire financière

1.   Des crédits aux montants conformes à la trajectoire

Si la LPM avait mis en place des mécanismes visant à « sincériser » les ressources, cela ne préjugeait toutefois pas de l’exécution de la programmation financière, a fortiori dans un contexte où aucune LPM n’avait été respectée depuis près de 40 ans. Or, la trajectoire financière de la LPM 2019-2025 a, quant à elle, été respectée. Les « marches » programmées à hauteur de 1,7 milliard d’euros de 2019 à 2022 puis de 3 milliards d’euros en 2023, ont été franchies.

L’exécution de la programmation financière a été ainsi caractérisée par une double conformité : d’une part, les lois de finances initiales (LFI) ont ouvert des crédits conformes à ceux qui étaient prévus dans la LPM ; d’autre part, les crédits ouverts en LFI ont été effectivement consommés en exécution, comme l’illustre le tableau ci-dessous.

 Exécution des crédits par la LPM

Source : Direction du budget du ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

La différence de 100 millions d’euros entre les crédits prévus par la LPM et ceux ouverts par les LFI depuis 2020 a pour cause une mesure de périmètre relative au paiement des loyers([21]).

Quant aux différences entre les crédits ouverts en LFI et ceux consommés, ils sont de deux ordres : en 2021, 150 millions d’euros supplémentaires ont été ouverts en lois de finances rectificative (LFR) afin notamment de financer des surcoûts liés aux activités opérationnelles ; en 2022, 1,2 milliard d’euros de crédits ont été ouverts en LFR dans le contexte d’un accroissement de l’activité opérationnelle liée notamment à la guerre en Ukraine. Vos rapporteurs reviendront sur ce point ci-après.

Le respect de la trajectoire financière prévue par la LPM a permis une augmentation totale de 28,4 % du budget de la mission Défense, qui est passée de 34,2 milliards d’euros en 2018 à 43,9 milliards d’euros en 2023 (+9,7 milliards d’euros). Il convient de relever que cette augmentation est bien supérieure à l’augmentation générale du budget sur la même période. Cet effort de la Nation en faveur de sa défense s’est ainsi traduit par un accroissement de la part de la mission Défense dans les crédits du budget général, qui est passée de 13,7 % en 2017 à 14,5 % en 2022. L’effort de défense au sens de l’OTAN atteint désormais 1,9 % du PIB en 2022 (prévisions OTAN), contre 1,8 % en 2018 (et 2 % en 2020, en raison d’une importante contraction du PIB dans le contexte de la crise Covid).

L’ensemble des interlocuteurs rencontrés par vos rapporteurs ont salué le respect de la programmation financière et souligné la rupture à ce titre avec les LPM précédentes : la mission Défense n’a pas servi de variable d’ajustement budgétaire, comme elle a pu l’être par le passé. Plus particulièrement, le franchissement de la marche à trois milliards d’euros dans le cadre de la loi de finances pour 2023 a surpris nombre d’acteurs, y compris au sein des états-majors, tant ces derniers étaient accoutumés aux réductions des ambitions fixées dans les LPM.

2.   Un effort financier prioritaire en faveur des équipements

Les équipements de nos armées sont les principaux bénéficiaires de l’augmentation des crédits de la mission Défense : l’agrégat budgétaire « équipement » a en effet augmenté de plus de 30 % entre la LFI de 2019 (19,6 milliards d’euros) et celle de 2023 (25,6 milliards d’euros). L’agrégat équipement représente ainsi désormais plus de 58 % des crédits totaux de la mission Défense (contre 54 % en 2019).

À titre de comparaison, la masse salariale n’a quant à elle augmenté que de 9 % entre 2019 et 2023 et voit par conséquent son poids relatif diminuer au sein de la mission Défense (30 % des crédits totaux en 2023, contre 33 % en 2019).

CRÉDITS DE LA MISSION DÉFENSE PAR OPÉRATIONS STRATÉGIQUES

Source : ministère des Armées, réponse au questionnaire de vos rapporteurs.

Au sein des équipements, les grands programmes, dénommés « les programmes à effet majeur » (PEM), sont les grands bénéficiaires de l’augmentation des budgets, tant en valeur relative qu’absolue. Les PEM ont en effet vu leurs crédits augmenter de plus de 46 % entre la LFI 2 019 (5,8 milliards d’euros) et la LFI 2 023 (8,5 milliards d’euros) et représentent désormais près de 20 % du budget total de la mission Défense (contre 11 % en 2019).

Les autres segments de l’agrégat équipement ayant bénéficié prioritairement de l’augmentation des crédits de la mission Défense entre les LFI 2019 et 2023 concernent notamment la dissuasion (+1,1 milliard d’euros, soit une augmentation de 24,4 %), le maintien en condition opérationnelle (MCO) – « l’entretien programmé des matériels » - (+ 800 millions d’euros, soit une augmentation de 19 %) et les infrastructures (+500 millions d’euros, soit une augmentation de 35 %).

Le tableau ci-dessous donne un exemple de l’allocation de l’augmentation des crédits de la mission Défense entre 2020 et 2021, qui illustre le poids prépondérant des segments susvisés comme bénéficiaires de l’effort budgétaire : les PEM ont ainsi bénéficié de 45 % du total de l’augmentation annuelle, la dissuasion 14,5 %, l’entretien programme du matériel et les infrastructures chacun plus de 7 %.

ALLOCATION DE L’AUGMENTATION DES CRÉDITS DE LA MISSION DÉFENSE ENTRE LES LFI 2020 ET 2021

Source : Cour des comptes, note d’analyse de l’exécution budgétaire de la mission Défense 2021

3.   Des dépenses utiles pour la Nation

Cet effort en faveur des équipements est d’autant plus notable que ces derniers ont été souvent les premiers affectés par les renonciations budgétaires passées, comme l’a souligné la Cour des comptes : « Il s’agit d’une évolution notable par rapport au passé, lorsque le ministère des armées réduisait ses dépenses d’investissement pour couvrir les dépassements, au regard des lois de finances initiales, de la masse salariale et du fonctionnement. Les précédents travaux de la Cour avaient ainsi montré que, sur les périodes couvertes par les LPM 2003- 2008 et 2009-2014, l’équivalent de près d’une année d’investissement par LPM avait ainsi été perdu par rapport à la programmation initiale » ([22]).

Cette exécution de la programmation financière a également pour conséquence d’éviter les reports et étalements conséquents de programmes capacitaires, qui se sont avérés particulièrement coûteux pour les finances publiques dans le passé. À titre d’exemple, la réduction de cibles et l’étalement du programme frégates multi-missions (FREMM) en 2009 et 2014 a abouti à ce que « les huit FREMM vont au total coûter aussi cher que les 17 prévues initialement, soit un doublement de leur prix unitaire » ([23]). Le respect de la LPM confère ainsi une visibilité bienvenue aux acteurs de la BITD, comme l’ont confirmé les représentants des groupements industriels auditionnés par vos rapporteurs.

Enfin, vos rapporteurs tiennent à souligner l’effet bénéfique des dépenses militaires pour l’ensemble de la Nation. La BITD, qui représente en effet plus de 4 000 entreprises et 200 000 emplois directs et indirects, aurait gagné près de 30 000 emplois depuis 2017 selon les données du ministère des Armées ([24]). Selon une note fournie à vos rapporteurs par la chaire « Ecodef » de l’IHEDN, les emplois générés ou maintenus par les seules commandes de l’État peuvent être évalués à 160 000 en moyenne annuelle depuis 2019. Ces emplois qualifiés et peu délocalisables sont au surplus répartis dans des centres de production et de recherche qui couvrent l'ensemble du territoire français. Le secteur de la défense est également un contributeur net de la balance commerciale de la France, à hauteur de 7,3 milliards d’euros en euros en 2020 selon les informations transmises par le ministère. Cette contribution positive n’aura pu que s’accroître depuis, avec un volume d’exportations qui a atteint 11,7 milliards d’euros en 2021 et qui devrait dépasser 20 milliards d’euros en 2022([25]).

Enfin, des études mettent en avant l’effet d’entrainement des dépenses de défense sur le reste de l’économie (multiplicateur d’activité). Les évaluations les plus souvent citées mesurent ce multiplicateur à 1,27 à court terme et 1,68 à long terme([26]), tandis que le Cercle des économistes l’évalue à deux à l’échéance de dix ans, ce qui signifierait que chaque milliard d’euros investi génère 2 milliards d'activité supplémentaire (PIB) au bout de 10 ans. Dans la même perspective, selon la note de la chaire « Ecodef » de l’IHEDN, une augmentation de 10 % des dépenses publiques de R&D en matière de défense entrainerait une augmentation de 4 % de la R&D privée.

Ces éléments sont importants à rappeler dans un contexte où certaines voix commencent à s’élever contre la dynamique actuelle des dépenses de défense.

B.   Une gestion souple des aléas et des surcoûts

1.   La LPM, un « organisme vivant » qui s’adapte à l’évolution du contexte

Le respect global de la trajectoire financière ne signifie toutefois pas que l’ensemble des ressources ont été allouées exactement comme le prévoyait la LPM.

Le rapport annexé de la LPM détaillait en effet les ressources programmées sur la période 2019 à 2023 pour certains « agrégats » et « opérations stratégiques », selon le vocable budgétaire en vigueur. Or, ces allocations prévisionnelles n’ont pas toutes été respectées en exécution, certaines de ces opérations ayant été sous-exécutées par rapport à la programmation, tels les PEM (- 2 milliards d’euros), tandis que d’autres ont dépassé les prévisions de la LPM, comme l’illustre le tableau ci-dessous.

comparatif des crédits prévus par la LPM et ceux réalisés pour certaines « opérations stratégiques » de 2019 à 2023

 

Crédits programmés sur la période 2019-2023 par le rapport annexé de la LPM (en milliards d’euros)

                                     Crédits réalisés sur la période 2019-2023([27]) (en milliards d’euros)

 

Différentiel crédits programmés/ réalisés (en milliards d’euros)

Agrégat « Équipement » des armées

112,5

113,4

+0,9

Dissuasion

25

25,5

+0,5

Programmes à effet majeurs

37

35

- 2

Entretien programmé du matériel

22

23

+1

Infrastructures de défense

7,2

7,3

+0,1

 

Source : tableau réalisé par vos rapporteurs à partir des données fournies par le ministère des Armées.

Par ailleurs, si les crédits ouverts par les LFI ont bien été consommés de façon globale, cela ne signifie pas qu’ils aient été consommés comme le prévoyait ladite LFI.

Entre 2019 et 2022, plus d’un milliard d’euros par an ont fait l’objet de réajustements, pour un montant total de 4,4 milliards d’euros sur la période selon les indications du ministère des armées.

Le tableau ci-dessous illustre à titre d’exemple les réallocations opérées lors de la phase d’exécution des crédits ouverts par la LFI 2021, d’un montant total de 1,2 milliard d’euros.

comparatif des crédits ouverts et consommés en 2021

Source : Cour des comptes, note d’analyse de l’exécution budgétaire de la mission Défense 2021

Ces ajustements rappellent que la « LPM est un organisme vivant », selon l’expression du représentant de la direction du budget auditionné par vos rapporteurs. Si la programmation financière a en effet pour fonction de constituer « un gage de prévisibilité des ressources », une telle prévisibilité doit être couplée à une certaine flexibilité dans l’exécution des dépenses. Cette souplesse est en effet nécessaire pour tenir compte des évolutions du contexte stratégique et économique, des retards pris par certains programmes ainsi que d’autres aléas imprévisibles au moment du vote de la LPM.

En l’espèce, ces adaptations reflètent notamment les inflexions capacitaires décidées lors des ajustements annuels de la programmation, pour tenir compte de l’évolution des défis auxquels font face nos forces armées. À titre d’exemple, l’ajustement annuel de 2019 a accentué les moyens consacrés à l’espace, en créant notamment un programme « maîtrise de l’espace », dans le prolongement de la stratégie spatiale de défense publiée au printemps 2019. De même, en 2021, l’actualisation de la revue nationale stratégique, qui a mis en exergue le retour de la compétition entre grandes puissances et la généralisation des stratégies hybrides, a entraîné une actualisation de la programmation, avec des efforts centrés sur trois axes : « mieux détecter et contrer les menaces », avec un effort considérable en faveur du renseignement et du cyber (+378 M€) ; « mieux se protéger », avec une augmentation des crédits dans les domaines santé, NRBC et lutte anti-drones (+210 M€) ; enfin « mieux se préparer », en accentuant les moyens dédiés à la préparation opérationnelle (+450 M€). Vos rapporteurs reviendront sur la nature et les conséquences de ces ajustements sur les programmes capacitaires dans la section suivante de leur rapport consacrée aux capacités.

Outre l’adaptation des besoins au regard de l’évolution du contexte stratégique, les ajustements de la programmation ont également eu pour finalité d’intégrer de nombreux aléas générateurs de surcoûts.

2.   Des sources de surcoûts dus à de nombreux aléas

a.   L’évolution du contexte économique

La programmation a tout d’abord dû s’adapter à l’évolution du contexte économique. Ainsi, la période de 2019 à 2021 a été caractérisée par une évolution du coût des facteurs plus faible que prévue initialement, avec une baisse de l’inflation. Selon les données fournies par le ministère des armées, ce contexte économique favorable a généré un gain de pouvoir d’achat au profit de la mission Défense de l’ordre de 400 millions d’euros sur cette période. Ces gains ont été alloués au financement des nouvelles priorités matérialisées par les ajustements annuels.

A contrario, le retournement du contexte économique avec la reprise d’une forte inflation a créé des besoins de financement évalués par le ministère des Armées à plus d’un milliard d’euros pour l’année 2023. Ceux-ci seront notamment pris en charge par une hausse significative du report de charges.

La hausse du coût des carburants opérationnels en 2021 et 2022 a également été une cause de surcoûts eu égard aux prévisions de la programmation. Celle-ci a entraîné la mobilisation de l’article 5 de la LPM, en vertu duquel « en cas de hausse du prix constaté des carburants opérationnels, la mission ‘‘Défense’’ bénéficiera de mesures financières de gestion et, si la hausse est durable, des crédits supplémentaires seront ouverts en construction budgétaire, pour couvrir les volumes nécessaires à la préparation et à l'activité opérationnelle des forces ». Le programme 178 a ainsi bénéficié de 50 millions d’euros de crédits supplémentaires en 2021 et de 170 millions d’euros en 2022 au titre des LFR respectives.

b.   Les opérations (OPEX-MISSINT)

S’agissant du coût des opérations OPEX-MISSINT, l’augmentation de la provision à 1,1 milliard d’euros dès 2020, conformément à la LPM, n’a pas été suffisante pour couvrir l’ensemble des dépenses effectuées à ce titre. Le différentiel entre, d’une part, la provision et, d’autre part, les dépenses réelles, s’élève ainsi à 406 millions d’euros en 2019, 215 millions en 2020 et 325 millions en 2021. L’ensemble de ces surcoûts nets ont été autofinancés par le ministère des Armées, à travers notamment le mécanisme des annulations de crédits provenant de la réserve de précaution ministérielle, ainsi que par le redéploiement de crédits, à l’exception de l’année 2021 (ouverture de 100 millions d’euros en LFR à ce titre).

Au total, c’est ainsi plus de 846 millions d’euros (946 de surcoûts total-100 financés en LFR 2021) de surcoûts nets au titre des opérations OPEX-MISSINT que le ministère des Armées a dû auto-assurer en 2019 et 2021. Cet autofinancement par le ministère des Armées est d’autant plus regrettable aux yeux de vos rapporteurs qu’il est en contradiction directe avec le financement interministériel prévu à l’article 4 de la LPM ([28])([29]).

Financement du surcoût OPEX-MISSINT non couvert par la provision

Source : ministère des Armées, réponse au questionnaire de vos rapporteurs.

c.   La guerre en Ukraine

L’engagement de nos armées sur le flanc Est de l’Europe dans le cadre du conflit en Ukraine, qui ne relève pas juridiquement des OPEX, a également un coût conséquent. Sur le seul périmètre du programme budgétaire 178 « Préparation et emploi des forces », les surcoûts liés à la guerre en Ukraine sont évalués à 666 millions d’euros en 2022, selon les indications fournies par le ministre des Armées. Le surcoût pour la masse salariale est de l’ordre de 52 millions d’euros, correspondant notamment aux indemnités de sujétion pour service à l’étranger (ISSE). Enfin, en 2022, la France a contribué à hauteur de 29 millions d’euros à la Facilité européenne pour la paix (FEP). À l’ensemble de ces montants, il convient naturellement d’ajouter les sommes nécessaires au recomplètement des matériels prélevés sur le parc de nos armées au bénéfice des forces ukrainiennes, ainsi que les 200 millions d’euros alloués au fonds spécial de soutien destiné à financer l’acquisition d’équipements par l’Ukraine auprès de la BITD.

Les dépenses supplémentaires consécutives au conflit ukrainien ont été couvertes par la LFR de 2022, qui a notamment alloué plus d’1,1 milliard d’euros au bénéfice du programme 178. Il convient cependant de relever que ces crédits supplémentaires visent non seulement à couvrir les surcoûts liés à l’activité opérationnelle sur le flanc Est de l’Europe, mais aussi à « financer de manière plus globale la mise en cohérence des moyens de nos forces armées avec l’évolution actuelle du contexte géostratégique, que ce soit en matière d’activité des forces ou de financement d’achats de matériels de déploiement et de munitions ([30]).

d.   L’exportation de Rafale

Une autre source de surcoûts non anticipée est liée à la cession de 24 Rafale d’occasion, prélevés sur le parc de l’armée de l’air et de l’espace, au bénéfice de la Grèce et de la Croatie (à raison de douze avions pour chacun de ces deux pays). Cette cession a certes entraîné l’attribution de produits de 656,2 millions d’euros à la mission Défense en 2020, alloués respectivement aux programmes budgétaires 178 (+134,20 M€) et 146 (+ 522 M€)([31]). Ces ressources ont notamment permis à l’armée de l’air et de l’espace l’acquisition d’équipements missionnels supplémentaires (optroniques, nacelles Talios et recomplètement de stocks et rechanges critiques).

Cependant, le coût du recomplètement de ces 24 aéronefs est conséquent, comme l’a rappelé le major général de l’armée de l’air et de l’espace devant la commission de la défense : « La vente d’avions d’occasion permet à certains pays d’avoir des Rafale et présente l’intérêt, pour nous, de contribuer à l’achat d’avions neufs, d’un standard supérieur. La différence de coût est analogue à celle d’un changement de véhicule pour un particulier. Nous avons ainsi vendu à la Grèce douze avions pour près de 400 millions d’euros et nous en avons acheté autant pour plus d’1 milliard » ([32]). Selon les informations de vos rapporteurs, le coût de la commande de 24 Rafale peut être estimé à environ 2,4 milliards d’euros, soit un surcoût net pour la mission Défense de plus d’1,7 milliard d’euros en tenant compte des produits de cession susmentionnés.

La commande liée au recomplètement des douze Rafale livrés à la Grèce a été passée par le ministère des Armées en janvier 2021 (tranche dite 4T2+), tandis que celle liée à l’export croate est prévue en 2023, dans le cadre de la tranche T5 comprenant 42 avions au total (30 prévus initialement et 12 ajoutés au titre de l’export croate). Ainsi, si les autorisations d’engagement liées à ce recomplètement ont déjà été engagées ou prévues, les crédits de paiement consécutifs à ces livraisons pèseront sur la prochaine LPM.

e.   Le Covid

Si la crise liée à la pandémie de Covid a entraîné des surcoûts, issus notamment du lancement de l’opération Résilience et du plan de relance aéronautique (accélération des commandes de A330), ceux-ci ont été intégralement financés par une diminution des dépenses liée notamment aux décalages de certaines livraisons, ainsi que le résume le tableau ci-dessous.

impact budgétaire de la crise covid sur la mission défense en 2020

Source : ministère des Armées, réponse au questionnaire de vos rapporteurs.

f.   Les autres sources de surcoûts

La revalorisation indiciaire des agents publics, à travers l’augmentation du point d’indice de 3,5 %, décidée par le décret du 7 juillet 2022, se traduira dès 2023 par 357 millions d’euros de dépenses supplémentaires d’après les données fournies par le ministère des Armées.

Enfin, au titre des dépenses supplémentaires non prévues par la LPM, le ministère des Armées a mentionné également les conséquences financières de travaux de mise aux normes, compte tenu de certaines évolutions normatives pour un coût total de 383 millions d’euros sur la période 2019-2022. En guise d’exemples de ces évolutions non prévues, le ministère cite notamment les normes liées aux infrastructures, les conséquences de la loi EGALIM ou encore les exigences environnementales (chaufferies).

Au final, de 2019 à 2021, les ajustements de la programmation ont été gérés de façon souple par le ministère des Armées et à crédits constants (à l’exception de 150 millions d’euros au titre de la LFR 2021). Cela a notamment été permis par un contexte économique favorable ayant généré des gains sur l’évolution du coût des facteurs, par l’attribution de produits exceptionnels (363 millions d’euros de cessions immobilières de 2019 en 2021), par la maîtrise de la masse salariale([33]) et par des réajustements du calendrier de livraisons de certains équipements (voir section du présent rapport sur l’exécution capacitaire).

En revanche, en 2022, le retournement du contexte économique (inflation) et l’évolution stratégique (guerre en Ukraine) ont nécessité un besoin de financement d’ampleur. Celui-ci ne pouvait être pris en charge par un simple redéploiement des crédits programmés ou par un décalage du programme d’équipements, sans mettre en péril l’Ambition 2030 portée par la LPM. L’ouverture de crédits à hauteur d’1,2 milliard d’euros au profit de la mission Défense par la LFR 2022 était donc nécessaire.

3.   Un point de vigilance : l’évolution des restes à payer et des reports de charges

Les restes à payer, c’est-à-dire les dépenses engagées mais non encore payées, en raison de l’étalement dans le temps des programmes d’armement, ont fortement augmenté. Le montant des autorisations d’engagement restant à couvrir par des crédits de paiement est en effet passé de 54,6 milliards d’euros en 2019 à plus de 83 milliards d’euros en 2022.

Cette augmentation est certes cohérente avec l’effort financier conséquent en faveur des grands programmes d’armement susmentionnés, ainsi qu’avec la conclusion des contrats dits « verticalisés » dans le domaine du MCO aéronautique dont la durée est plus longue que les contrats précédents (plus de dix ans).

Cependant, un tel niveau de restes à payer introduit une rigidification importante de la programmation financière, en augmentant le niveau de pré-consommation des crédits. Autrement dit, les nouvelles marches ont de plus en plus vocation à financer les engagements passés. Cette tendance diminue par conséquent la capacité de la LPM à s’adapter et à financer de nouvelles priorités.

 

évolution des restes À payer de la mission défense

Source : direction du budget du ministère de l’économie, réponse au questionnaire de vos rapporteurs.

Quant aux reports de charge, la LPM prévoyait de ramener graduellement le report de charges de la mission « Défense » à 10 % de ses crédits LFI hors titre 2 à horizon 2025 (contre 16 % en 2019). Si les cibles de report de charges ont été respectées jusqu’en 2019, l’année 2023 connaîtra une forte dégradation, de l’ordre de trois points selon les informations de vos rapporteurs, afin notamment d’absorber les surcoûts dus à l’inflation. Le recours au report de charges pour absorber l’inflation ne peut toutefois pas être une solution pérenne sur le long terme.

C.   Les recommandations de vos rapporteurs

1.   Sécuriser les ressources pour la prochaine LPM

L’évolution de la conjoncture économique, avec le retour d’une forte inflation, constitue un point d’attention majeur pour vos rapporteurs. Lors de son audition devant la commission de la défense du 24 janvier 2023, le ministre des Armées a ainsi évalué à environ 30 milliards d’euros l’impact de l’inflation sur la prochaine LPM 2024-2030. À ce titre, il serait utile de prévoir un mécanisme qui permette d’ajuster les crédits en fonction de la variation réelle de l’inflation par rapport à l’inflation anticipée. L’objectif est notamment d’éviter, en cas de hausse de l’inflation, de se reposer exclusivement sur des crédits supplémentaires et incertains, en LFR, comme ce fut le cas en 2022. Cette prise en compte de l’inflation pourrait par exemple prendre la forme d’une clause de revoyure automatique au-dessus d’un certain seuil d’inflation.

 

 

En outre, il conviendra d’être attentif à la nature des treize milliards d’euros de recettes exceptionnelles qui ont été annoncées pour la prochaine LPM 2024-2030. Il a en effet été rappelé que les prévisions de recettes exceptionnelles figurant dans les précédentes LPM n’ont pas été respectées. Cela avait notamment abouti à des réductions de cibles ou des étalements de programmes, préjudiciables non seulement pour nos armées, mais également pour nos finances publiques. Il serait utile à cet égard de prévoir dans la prochaine LPM un mécanisme compensatoire en vue d’abonder le budget de la mission Défense par des crédits budgétaires dans l’hypothèse où les recettes exceptionnelles prévues ne se matérialiseraient pas.

2.   Renforcer le contrôle du Parlement sur les actualisations et les ajustements

Dans le cadre de la prochaine LPM, il parait nécessaire à vos rapporteurs d’accroître le contrôle parlementaire sur les actualisations de la programmation militaire. L’actualisation de la LPM en 2021 n’a en effet pas fait l’objet d’un vote du Parlement, alors que tel était pourtant, sinon la lettre, du moins l’esprit de l’article 7 de la LPM ([34]). Il serait à cet égard opportun que la prochaine LPM dispose expressément que son actualisation devra nécessairement faire l’objet d’un vote au Parlement.

Vos rapporteurs souhaitent également que le Parlement soit davantage associé aux ajustements annuels de la LPM. Il est naturellement nécessaire de garder une certaine flexibilité dans l’allocation des ressources prévues par la loi de programmation, afin de s’adapter à l’évolution du contexte tant économique que stratégique. Cependant, les parlementaires devraient être davantage impliqués dans la décision relative à de tels ajustements, dès lors que ceux-ci atteignent des montants particulièrement significatifs comme cela a été le cas ces dernières années (montant total de 4,4 milliards d’euros au titre des ajustements entre 2019 et 2022). Une délégation de parlementaires, provenant des commissions compétentes en matière de défense de l’Assemblée nationale et du Sénat, pourrait par exemple participer chaque année, selon des modalités à définir, aux travaux menant à ces ajustements.

3.   Assurer le financement interministériel des surcoûts OPEX-MISSINT

Il a été vu que, malgré son augmentation, la provision OPEX-MISSINT n’a pas été suffisante pour couvrir les coûts réels. Vos rapporteurs estiment qu’il faudra donc amplifier cet effort de « sincérisation » de cette provision dans le cadre de la prochaine LPM. Dans cette perspective, cette provision pourrait utilement inclure les coûts envisagés au titre des engagements de nos forces armées qui ne relèvent pas juridiquement des OPEX ou des MISSINT, tels que par exemple les engagements actuels sur le flanc Est de l’Europe ou les cessions de matériels effectuées dans un but stratégique (Rafale, Ukraine, etc.). Dans un autre registre, les dépenses de personnel dans la provision au titre des MISSINT pourraient également être inclues dans la provision OPEX-MISSINT, comme le recommande la Cour des comptes dans sa note d’analyse de l’exécution budgétaire relative à l’exercice 2021.

Enfin, il a été souligné que le financement interministériel des surcoûts nets au titre des OPEX-MISSINT n’est en pratique pas respecté, malgré les dispositions très claires en ce sens de l’article 4 de la LPM([35]). Vos rapporteurs estiment qu’il convient de systématiser le financement interministériel des surcoûts nets des OPEX-MISSINT : le ministère des Armées n’a pas à subir seul les décisions d’engagement qui relèvent de la responsabilité de la Nation toute entière. L’interdiction de financer ces surcoûts par le mécanisme des réserves de précaution du ministère des Armées pourrait par exemple contribuer à rendre effectif un tel financement interministériel.

II.   Une modernisation capacitaire bien amorcée

A.   Un renouvellement majeur des capacités

1.   Le renouvellement de notre force de dissuasion

Il a été rappelé que la LPM 2019-2025 consacre un effort financier important au profit de notre outil de dissuasion nucléaire. Les crédits de paiement consacrés à l’action « dissuasion » au sein du programme 146 sont passés de 3,2 milliards d’euros en 2018 à plus de 4,6 milliards en 2023, soit une augmentation de près de 44 %. Il convient au surplus de préciser que ce montant n’intègre pas le budget alloué aux équipements conventionnels participant à la mission permanente de dissuasion nucléaire (Rafale, avion-ravitailleur MRTT…).

Cet effort en faveur du renouvellement de notre outil de dissuasion est illustré par le fait qu’en 2023, quatre des dix sous-actions les mieux dotées du programme 146 de la mission Défense relatif à l’équipement des forces relèvent des outils de dissuasion nucléaire ([36]).

Cette augmentation des crédits assure la crédibilité et la robustesse de la dissuasion nucléaire, clé de voûte de notre outil de défense, dans un contexte d’évolution permanente des menaces. Depuis 2019, les principaux efforts ont notamment porté sur :

– le programme SNLE 3G, qui vise à remplacer les quatre SNLE de type « Le Triomphant », dont le lancement en réalisation a été acté en février 2021, pour une première livraison attendue à horizon 2035.

– les travaux de développement et de production du missile M51.3, troisième incrément du missile nucléaire stratégique à têtes multiples, emporté par les SNLE. Illustration de cette logique de modernisation constante, les travaux de la quatrième version seront lancés en 2023.

– la rénovation à mi-vie du missile nucléaire air-sol moyenne portée amélioré (ASMPA), emporté par les Rafale de la force aérienne stratégique, dont la première livraison est prévue en 2023.

– les travaux de préparation missile air-sol nucléaire de quatrième génération (ASN4G), missile hypervéloce qui sera le successeur de l’ASMPA à horizon 2035.

– la réalisation des infrastructures d’accueil des équipements de la dissuasion, tels que l’accueil des avions ravitailleurs multi-rôles MRTT sur les bases aériennes à vocation nucléaire (BAVN) ou la mise à niveau des installations du port de Cherbourg destinées aux SNLE.

– la robustesse, systèmes de transmission nucléaires, avec la réalisation du programme du successeur du système de dernier recours (SYDEREC) et du développement incrémental des systèmes de transmission de la composante nucléaire aéroportée.

– enfin, la mise en œuvre du programme Simulation.

Selon le général de corps d’armée Vincent Pons, sous-chef d’état-major « Plans » à l’état-major des armées, auditionné par vos rapporteurs, le déroulement des programmes en matière de dissuasion est parfaitement conforme aux prévisions.

La prochaine LPM devra nécessairement poursuivre un tel effort, notamment en vue de la réalisation des deux programmes structurants pour garantir la crédibilité de notre dissuasion à l’horizon 2035 : le SNLE 3G et l’ASN4G.

2.   Le renouvellement de nos capacités conventionnelles

a.   Des livraisons emblématiques

● L’exécution du programme d’équipements prévue par la LPM a été marquée par la livraison d’équipements emblématiques, au profit des trois armées, de 2019 à 2022.

Pour l’armée de Terre, l’exécution du programme Scorpion s’est ainsi matérialisée par la livraison de 452 véhicules blindés multi-rôles (VBMR) lourds Griffon, de 70 VBMR légers Serval et de 38 engins blindés de reconnaissance et de combat Jaguar. Dans le même temps, les forces terrestres recevaient également 201 véhicules blindés légers (VBL) régénérés. Le renouvellement de la composante aérocombat a été centré sur la transformation de 24 appareils Tigre HAP (hélicoptère d’appui-protection) en version HAD (hélicoptère d’appui-destruction) et la livraison de 17 hélicoptères NH90 TTH (Tactical Transport Helicopter).

S’agissant de la marine, les principales livraisons de 2019 à 2022 concernent un sous-marin nucléaire d’attaque (SNA), dix avions de patrouille maritime Atlantique 2 rénovés au standard 6, cinq hélicoptères NH90 NFH, deux bâtiments de soutien et d’assistance métropolitains, deux FREMM à capacité défense aérienne renforcée et deux frégates légères furtives (FLF) de type Lafayette rénovés.

L’armée de l’air et de l’espace a quant à elle réceptionné sur la même période (hors capacités spatiales, analysées dans la section suivante du rapport), huit avions ravitailleurs multi-rôles MRTT, six avions de transport A400M, vingt-trois Mirage 2000D rénovés, trois avions légers de surveillance et de reconnaissance et un Rafale.

● Le franchissement de la marche de trois milliards d’euros en 2023 aboutira à une forte accélération de cette modernisation capacitaire, à travers notamment une hausse de près de 38 % des autorisations d’engagement et de 6,2 % des crédits de paiement du programme 146 dédié à l’équipement des forces.

Cet accroissement des efforts budgétaires permettra pour l’armée de terre l’approfondissement du programme Scorpion en vue d’atteindre le jalon d’une brigade interarmes en 2023, avec notamment la montée en puissance des Serval (+119) et des Jaguar (+22). Les premières livraisons de chars Leclerc rénovés (+18) et des véhicules des forces spéciales (+104) seront également réalisées en 2023.

Pour l’armée de l’air et l’espace, 2023 marquera notamment la pleine reprise des livraisons de Rafale, avec un rythme de livraison annuelle de 13 avions jusqu’en 2027 au titre des tranches T4 (28 avions) et T4+ (douze avions pour compenser les cessions à la Grèce). La loi de finances 2023 prévoit en outre la commande en 2023 de 42 Rafale au titre d’une tranche T5 (30 avions prévus initialement et douze pour recompléter ceux cédés à la Croatie).

L’année 2023 matérialisera également le début d’un fort renouvellement des capacités de la marine. Outre la mise en service du second SNA de type Barracuda, le « Duguay Trouin », la marine sera dotée cette année du premier bâtiment ravitailleur de forces (BRF), du premier patrouilleur d’outre-mer (POM) tant attendu, ainsi que du premier module de lutte contre les mines, constitué de drones (SLAMF).

Enfin, l’année 2023 a été marquée par un effort bienvenu en faveur des munitions à hauteur de 2 milliards d’euros d’autorisations d’engagement selon les informations du ministère des Armées (soit une hausse de 500 millions d’euros), au profit des missiles moyenne portée (MMP) pour l’armée de terre, des missiles mer-mer Exocet et missiles Aster 30 pour équiper les frégates de défense anti-aérienne pour la marine, ainsi que des missiles air-air Mica et Meteor ou des missiles de croisière Scalp rénovés pour l’armée de l’air et de l’espace.

b.   Une modernisation capacitaire ayant un fort impact opérationnel

Au-delà du rappel des livraisons, il parait important à vos rapporteurs de souligner que l’exécution des programmes d’équipement a des conséquences importantes sur les capacités opérationnelles de nos armées.

● L’apport opérationnel du programme Scorpion a été ainsi salué par l’ensemble des acteurs rencontrés par vos rapporteurs. Le retour d’expérience au titre de la projection au second semestre 2021 d’un premier groupement tactique interarmes (GTIA) équipé de 35 véhicules Scorpion dans la bande sahélo-saharienne est particulièrement satisfaisant([37]). Lors de son audition par vos rapporteurs, le major général de l’armée de terre, le général de corps d’armée Patrice Quevilly, a souligné le « saut qualitatif » engendré par ces véhicules plus mobiles, plus protecteurs contre les menaces IED et les mines, et plus agressifs. L’interconnexion entre les véhicules au sein d’une « bulle Scorpion », assurée par le système d’information du combat Scorpion (SICS), permettra d’accélérer la prise de décision sur le terrain, de mieux coordonner les capteurs et les effecteurs, tout en permettant une dispersion des véhicules, ce qui les rend moins vulnérables. Ces véhicules sont ainsi de nature à modifier la nature même de l’emploi des forces sur le terrain.

Lors de leur déplacement au sein du 1er régiment étranger de cavalerie à Carpiagne, vos rapporteurs ont pu mesurer concrètement l’ampleur du renouvellement du segment médian de l’armée de terre. Les Griffon EPC (engin poste de commandement) se distinguent radicalement des anciens véhicules de l’avant-blindé (VAB) par leur électronique embarqué de dernière génération (radio interarmées Contact, SICS, système optronique Antares offrant à l’équipage une vision de l’environnement à 360° et détecteur de départ de tirs) et leur qualité ergonomique. L’engin blindé de reconnaissance et de combat Jaguar, qui remplace progressivement l’AMX 10 RC, disposera quant à lui d’une capacité de frappe inédite par l’intégration à venir des missiles moyenne portée (MMP). Cela permettra de viser des cibles « au-delà de la colline », ce qui constitue selon un officier une véritable « révolution doctrinale ».

● S’agissant de l’armée de l’air et de l’espace, la montée en puissance des avions-ravitailleurs multi-rôles A330 MRTT et des avions de transport A400M, qui remplacent respectivement les vieillissants C-135 et C-160, modifie également les conditions d’actions de nos aviateurs, comme a pu le constater un de vos rapporteurs lors de sa visite sur la base d’Orléans-Bricy qui abrite les A400M. Le triptyque Rafale-MRTT-A400M offre en effet une capacité de projection inédite à notre armée de l’air. La mission Heifara, en juin 2021, a ainsi déployé vers la Polynésie française trois Rafale, deux A330 MRTT Phénix et deux A400M, en moins de 40 heures, performance que très peu d’armées dans le monde sont capables de réaliser. L’efficacité du couple MRTT-A400M a également été au cœur de l’opération Apagan, dans le cadre de laquelle ont été évacuées plus de 2800 personnes entre le 16 et le 29 août 2021, grâce à un double pont aérien dressé entre Kaboul, Abu Dhabi et Paris. Enfin, l’engagement de l’A400M, qui a une capacité d’emport de 36 tonnes de charge utile, a été essentiel dans les opérations logistiques menées dans le cadre de la réarticulation de l’opération Barkhane. À titre d’exemple, la rétrocession de la base de Gao aux Forces armées maliennes, finalisée en août 2022, aura nécessité près de 400 rotations de l’avion de transport A400M([38]).

● La marine commence également à recueillir les fruits de l’effort capacitaire porté par la LPM, ce qui était impératif au regard de l’usure et du vieillissement de certains équipements, ainsi que l’a souligné l’amiral Pierre Vandier, chef d’état-major de la marine : « Le remplacement des patrouilleurs outre-mer est lancé avec la production de six nouveaux patrouilleurs maritimes outre-mer (POM) (…). En 2025, l’ensemble de la flotte des patrouilleurs destinés à surveiller la ZEE aura été renouvelé. Deuxième exemple du renouvellement de nos capacités : le premier des quatre bâtiments ravitailleurs de forces (BRF), le Jacques Chevallier, a été mis à l’eau au mois de mars dernier. (…). La première frégate de défense et d’intervention (FDI), l’Amiral Ronarc’h, sera mise à l’eau la semaine prochaine. Le premier des hélicoptères H160 de la flotte intérimaire a effectué un vol d’essai il y a quelques jours. Le sous-marin nucléaire d’attaque (SNA) Suffren est en opération dans l’Atlantique. Le réacteur nucléaire du Duguay-Trouin, deuxième de la série, a divergé pour la première fois le 30 septembre. L’effort de renouvellement des matériels va permettre de sortir les plus anciennes de nos capacités de l’ordre de bataille. Après trente-deux ans de bons et loyaux services, la frégate Latouche-Tréville n’est plus en service actif depuis le 1er juillet dernier. À la fin de cette année, l’Alouette III se posera pour la dernière fois, soixante-deux ans après le premier vol d’essai. Le SNA Rubis va quant à lui rejoindre Cherbourg pour être désarmé, après avoir servi pendant trente-neuf ans » ([39]).

Ce renouvellement d’un large spectre des capacités de la marine a un impact opérationnel significatif. Avec le SNA de classe Suffren, la marine possède, ainsi, selon l’amiral Vandier, « un bâtiment dont le niveau technique et le potentiel d’évolution sont exceptionnels » ([40]). Le SNA dispose en outre d'une capacité de lancement de missiles de croisière navals (MDNC), ce qui constitue une « capacité nouvelle » hautement stratégique pour la France([41]). Dans un contexte de durcissement de l’environnement stratégique, l’action combinée des FREMM, des avions de patrouille maritime Atlantique 2 rénovés et des SNA dans le cadre des opérations de lutte anti-sous-marine a ainsi été saluée par le chef d’état-major de la marine([42]).

3.   Un effort en faveur des petits équipements

L’ambition en faveur des « petits équipements » constitue un axe important de la LPM « à hauteur d’homme » promue par les autorités. Vos rapporteurs ont pu mesurer dans le cadre de leurs travaux l’importance sur le moral des militaires du renouvellement de ces équipements qu’ils utilisent au quotidien.

Lors de leurs déplacements à Carpiagne et à Brest, vos rapporteurs ont ainsi mesuré l’étendue du renouvellement des petits équipements de nos soldats et de nos fusiliers marins. S’agissant des armes individuelles, les fusils d’assaut HK416 (69 340 livraisons) remplacent progressivement le FAMAS, tandis que les fusils de précision SCAR-H et les pistolets Glock 17 arrivent également au sein des régiments. Pour les équipements, le gilet SBM (Structure Modulaire Balistique), qui a remplacé le FRAG, est particulièrement apprécié des soldats, tandis que les jumelles de vision nocturne O-NYX (3000 en 2022) constituent une forte plus-value en matière de qualité de l’image. Le treillis de combat F3 marque également un saut qualitatif pour nos soldats, avec une protection renforcée contre le risque « feu » et une meilleure résistance. Enfin, les vedettes des fusiliers marins ont également été citées comme un réel progrès lors du déplacement d’un de vos rapporteurs à Brest.

Si vos rapporteurs saluent cet effort en faveur du renouvellement des équipements les plus emblématiques, il convient cependant de souligner qu’il existe un risque fort que la cible 2025 pour ces équipements ne soit pas respectée.

Selon les données fournies par le ministère des Armées, près de 473 000 treillis de combat F3 ont été livrés de 2019 à 2022 (pour une cible LPM à la même date de 512 000). Cependant, « le nouveau bariolage multi environnement décidé en 2022 et les ajustements réalisés sur le besoin (…) font diminuer la cible d’acquisition à l’horizon 2025 » selon le ministère des Armées.

livraison treillis de combat F3

Source : Ministère des Armées, réponse au questionnaire des rapporteurs.

Quant aux structures modulaires balistiques, qui désignent le nouveau gilet pare-balle équipant les forces, si près de 75 000 ont été livrées et mises en service, l’objectif initial de la LPM est de 124 000 en 2025.

S’agissant des tenues de protection NRBC, le ministère des Armées a livré « 94 % de la cible prévue au contrat opérationnel », grâce notamment aux efforts supplémentaires dans ce domaine mis en œuvre par l’actualisation de la programmation en 2021.

Enfin, il conviendra à l’avenir de privilégier le développement et les acquisitions de ces « petits équipements » auprès de notre BITD, dans le cadre d’une politique de « relocalisation » et de préservation de notre souveraineté.

B.   Des ajustements limités par rapport À la LPM

1.   L’impact des ajustements annuels

La programmation a fait l’objet chaque année d’un ajustement, afin d’adapter celle-ci en fonction des nouvelles priorités des autorités, mais aussi de tenir compte de la « vie des programmes », c’est-à-dire des retards industriels ou de l’expression de nouveaux besoins.

Si les ajustements 2019 ou 2020 ont eu un impact très limité sur le cadencement du programme d’équipements, l’actualisation de la programmation en 2021, qui a fait suite à l’actualisation de la revue nationale stratégique, a en revanche eu des conséquences importantes.

En effet, outre l’effort à hauteur d’un milliard d’euros en faveur des trois axes susmentionnés (« mieux détecter et contrer » ; « mieux se protéger » et « mieux se préparer »), cette actualisation a notamment intégré dans la programmation : le besoin de recomplètement des douze Rafale cédés à la Grèce ; la mise en œuvre du plan de soutien aéronautique, avec l’anticipation des commandes de trois A330 destinés à être transformés en MRTT et de huit hélicoptères Caracal ; la consolidation des travaux de pérennisation du char Leclerc ; l’anticipation des commandes du véhicule blindé d’aide à l’engagement (VBAE), successeur du véhicule blindé léger, ainsi que du module d’appui au contact (MAC) ; les conséquences de l’incendie du SNA Perle.

En contrepartie, dès lors que ces ajustements ont été opérés à crédits constants, un certain nombre de programmes ont été décalés, en vue d’assurer l’équilibre de la mission « Défense ».

 

Ajustements décidés dans le cadre de l’Ajustement annuel 2021

Programme

Nature de l’ajustement

SCORPION

Actualisation cible LPM à 45 % au lieu de 50 %

 

SLAM-F (système de lutte anti-mines futur)

Décalage 1 an des livraisons de l’étape 2 avec maintien du lancement en réalisation en 2023

 

CHOF (capacité hydrographique et océanographique future)

Décalage 1 an de la phase de réalisation 2025

 

VL (véhicules légers) 4-6 t

Décalage 2 ans

 

SDT (système de drone tactique)

Décalage de l’étape 2 de 2024 à 2025 avec maintien des travaux sur la charge utile ROEM en 2023

 

MMP (missile moyenne portée)

Étalement des livraisons prévues en 2024-2025 sur 2024, 2025 et 2026 avec maintien de productions de 200 missiles par an

 

SAMPT-NG (Système sol-air moyenne portée de nouvelle génération)

Décalage 1 an livraison ASTER 30 pour frégate de défense et d’intervention

 

CAESAR

Décalage 1 an commande et livraison des 32 derniers neufs et de la rénovation des 77

ALSR (avions léger de surveillance et de reconnaissance)

Réduction de la cible à 6 au lieu de 8 et décalage de la commande des 3 derniers

RMV FDA (rénovation à mie vie-des frégates de défense aérienne)

Décalage 1 an du programme

PATMAT Futur (avion de patrouille maritime)

Décalage 1 an de la réalisation de l’opération (2026 au lieu de 2025)

Évolution Frégates

Décalage de 2 ans de l’opération

RAFALE

Décalage des rétrofits F4

HM-NG (hélicoptère de manœuvre nouvelle génération)

Prise en compte plan de soutien aéronautique sur le calendrier

 

Radio HF Futur

Décalage d’un an de l’opération

Syracuse IV

Décalage des commandes et livraisons des stations mobiles

C-130

 

Annulation de la rénovation OACI des deux derniers C-130H

Source : Christophe Lejeune, rapport pour avis sur le budget 2022 du programme 146 « Équipement des Forces-Dissuasion », commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 20 octobre 2021.

L’ajustement annuel intervenu en 2022 s’est quant à lui traduit par des mesures visant à : accélérer la connectivité du MRTT ; anticiper la rénovation des frégates de défense aérienne afin d’être cohérent avec le calendrier retenu par notre partenaire italien, contrairement à ce qui avait été décidé en 2021 ; acquérir un système d’information de gestion opérationnelle des services de Galileo ; anticiper les premières commandes de l’étape 2 du système de drone tactique STD, contrairement à ce qui avait, là encore, été décidé en 2021 ; ajouter dans la programmation les programmes relatifs, d’une part, à la maîtrise des fonds marins et, d’autre part, à la « frappe longue portée » terrestre. Ces mesures ont été en partie financées par les ajustements suivants.

Ajustements dÉcidÉs dans le cadre de l’ajustement annuel 2022

Programme

Nature de l’ajustement

 

SCORPION

Décalage de commande de véhicules SERVAL sans impact sur le calendrier des livraisons

 

SLAM-F

Prise en compte du retard de la livraison de module de lutte contre les mines

 

Maîtrise de l’espace

Décalage d’un an de la phase de réalisation pour l’alerte avancée

 

Frégate de taille intermédiaire

Prise en compte du nouveau calendrier de livraison des frégates françaises à la suite de l’export grec

 

Chars Leclerc rénovés

Ajustement de la répartition du jalon 2025 à 45 % de SCORPION entre GRIFFON, JAGUAR, SERVAL et LECLERC

 

SCAF

Prise en compte de l’impact du décalage en 2022 de la notification du contrat en coopération (NGWS) attendue initialement fin 2021

Source : Mounir Belhamiti, rapport pour avis sur le budget 2023 du programme 146 « Équipement des Forces-Dissuasion », commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 19 octobre 2022.

2.   Les prévisions des parcs à l’horizon 2025

● Outre ces décalages assumés eu égard à la trajectoire capacitaire prévue par la LPM, qui sont issus d’arbitrages du ministère des Armées, il convient de souligner également l’existence de décalages non choisis mais subis, en ce qu’ils résultent d’évènements extérieurs. Il peut être cité à cet égard :

-         Les retards industriels : le système de drones tactique (SDT) Patroller a ainsi accusé plusieurs années de retards, à la suite d’un accident lors d’un vol de réception industrielle en décembre 2019 ; le drone MALE européen dit « Eurodrone » a quant à lui souffert de l’absence de convergence entre industriels ; le programme de véhicules légers de forces spéciales (VLFS) et des poids lourds des forces spéciales (PLFS) a subi des problématiques de qualification des véhicules ; la régénération des véhicules blindés légers (VBL) a également connu des retards industriels.

-         Les conséquences des exportations, qu’ils s’agissent des 24 Rafale d’occasion prélevés sur le parc de l’armée de l’air et de l’espace au bénéfice de la Grèce et de la Croatie ou des livraisons de frégates de défense et d’intervention (FDI) à la Grèce qui décalent les livraisons à la marine. Ainsi que l’a rappelé la Cour des comptes, « le récent contrat de vente des trois frégates de défense et d’intervention à la Grèce aura également un impact sur les forces dont dispose la marine nationale puisque les deux premières frégates de défense et d’intervention (FDI) qui doivent être livrées à la Grèce s’intercaleront entre la première et la deuxième qui doivent être livrées à la marine française retardant ainsi la livraison de la FDI n° 2, qui ne sera livrée qu’en juin 2026 et de la n° 3 en 2027 » ([43]).

-         Les prélèvements d’équipements au bénéfice des forces ukrainiennes.

● Au final, sur les 52 équipements mentionnés par le rapport annexé de la LPM au titre du jalon 2025 (« parcs d’équipements et livraison des principaux équipements »), 25 n’atteindront pas la cible prévue à l’horizon 2025, ainsi que l’illustre le tableau ci-dessous.

parcs prévisionnels / cible fixée par la LPM à l’horizon 2025 : programmes en retard

Principaux équipements

Parc prévisionnel fin 2025 (estimation post ajustement annuel 2022)

Cible fin 2025 prévu par la LPM (rapport annexé)

Écart prévisions actuelles/ cible LPM

Commentaires

 

Drones MALE (systèmes)

 

 

4

 

5

-1

Report commande de 2019 à 2021 pour cause de divergences industrielles

Drones MALE (vecteurs)

 

12

15

-3

CUGE

0

1

-1

 

Retard industriel. Décalage en 2026 du premier avion prévu en 2025

Systèmes de Drones Tactiques (systèmes II)

 

2

3

-1

 

Retard industriel

Systèmes de Drones Tactiques (vecteurs)

 

14

20

-6

SLAMF Bâtiments mères (MS)

0

2

-2

 

Mesure d’ajustement

SLAMF Base plongeurs (BBPD)

 

0

3

-3

 

Chars Leclerc rénovés

 

 

80

 

122

 

-42

Mesure d’ajustement, couplé à un renforcement de la pérennisation des équipements

 

JAGUAR

 

 

129

 

150

-21

Mesure d’ajustement pour financer MAC, VBAE et pérennisation Leclerc

 

GRIFFON (dont MEPAC)

 

 

848

 

936

 

-88

Mesure d’ajustement pour financer module d’appui au contact, VBAE et pérennisation Leclerc

VBMR légers (SERVAL)

238

489

 

-251

 

Mesure d’ajustement pour financer module d’appui au contact, VBAE et pérennisation Leclerc

CAESAR

76

109

-33

 

Ajustement et cession Ukraine

Transformation TIGRE HAP ->HAD

65

 

67

 

 

 

-2

 

 

 

Retards industriels et un crash

NH 90 TTH

67

70

 

 

-3

 

 

Destruction de deux hélicoptères et lancement anticipé de la version force spéciale (NHFS)

 

 

 

Frégates de taille intermédiaire FTI (aujourd’hui FDI)

 

 

1

 

 

2

 

 

- 1

 

Mesure d’ajustement

SNA BARRACUDA

3

4

-1

 

Retard industriel

 

RAFALE (air + marine)

 

158

 

171

 

 

-13

 

Cession exportation

 

CHOF (BHO)

 

0

1

 

-1

 

Mesure d’ajustement

 

PATMAR futur

 

Commande reportée post-LPM

Commande prévue sur la période LPM

 

Mesure d’ajustement

VBL régénérés

461

733

 

-272

 

Retard industriel

Successeur poids lourds, armée de terre « Véhicules 4-6 tonnes»

 

0

 

80

 

-80

Mesure d’ajustement

VLFS

85

241

-61

 

Problèmes de qualification

PLFS

90

 

202

 

- 112

Problèmes de qualification

Véhicules FARDIER

 

188

 

300

 

-112

 

Retard industriel

VBMR Léger appui SCORPION (VLTP P segment haut)

 

 

50

 

200

 

-150

Mesure d’ajustement pour financer module d’appui au contact, VBAE et pérennisation Leclerc

Source : tableau établi par vos rapporteurs, sur la base des réponses du ministère des Armées à leur questionnaire.

● À l’inverse, plusieurs programmes ont fait l’objet d’accélérations eu égard aux prévisions de la LPM à l’horizon 2025. Les plus notables sont les suivants : accélération de deux ans des études (avant-projet sommaire) et du lancement en réalisation du porte-avions de nouvelle génération (PANG), ce qui représente un effort financier de 800 millions d’euros selon les données fournies par le ministère des Armées ; augmentation du format des avions légers de surveillance et de renseignement (3 avions au lieu de 2 d’ici 2025) ; accélération du programme Artemis, dont le premier marché a été notifié à l’été 2022, qui vise à doter le ministère des Armées d’une solution souveraine et sécurisée de traitement massif de données (big data) et d’intelligence artificielle (IA).

● Enfin, de nouveaux programmes, non prévus par la LPM, ont également été créés, pour tenir compte de l’évolution des menaces dans des domaines très variés : la maîtrise de l’espace (ARES), avec un effort financier à hauteur de 700 millions d’euros ; la lutte anti-drone ; la maîtrise des fonds marins ; la frappe longue portée ; la santé, programme dit « Medevac » (kits sanitaires pour avions A400M et Casa et module Morphée du MRTT) ; ou encore la protection contre les menaces NRBC, avec le programme « Cinabre ».

3.   Un point de vigilance : les coopérations européennes

Le volet capacitaire de la LPM 2019-2025 reposait également sur une ambition forte en matière de coopérations européennes. Le rapport annexé de la LPM mentionne ainsi qu’« à l’exclusion des programmes relevant directement de la souveraineté nationale, les programmes d’équipement lancés au cours de la LPM 2019-2025 seront prioritairement conçus dans une voie de coopération européenne » ([44]).

Les coopérations européennes prévues par la LPM

« Conformément aux orientations définies dans la Revue Stratégique, outre la poursuite des programmes en coopération européenne en cours (A400 M, NH90, FREMM, FSAF, MUSIS, Tigre, MIDE-RMV, ANL, TEUTATES) et à l'exclusion des programmes relevant directement de la souveraineté nationale, les programmes d'équipement lancés au cours de la LPM 2019-2025 seront prioritairement conçus dans une voie de coopération européenne. Sont notamment concernés le programme de drone MALE européen (avec l'Allemagne, l'Espagne, l'Italie), les futurs programmes de missiles FMAN et FMC (avec le Royaume-Uni), les travaux nécessaires au remplacement du char Leclerc (MGCS avec l'Allemagne), les avions de patrouille maritime PATMAR futur (avec l'Allemagne), le programme SLAMF (avec le Royaume-Uni), le SCAF-Avion-NG ou la surveillance de l'espace exoatmosphérique (avec l'Allemagne), le FCAS-brique technologique (avec le Royaume-Uni). Des pistes de coopération sont par ailleurs en cours d'exploration pour le programme de pétrolier ravitailleur FLOTLOG avec l'Italie et pour le programme de missile MAST-F avec l'Allemagne ».

Source : Rapport annexé de la LPM 2019-2025.

Force est de constater que le bilan, à ce stade, n’est pas à la hauteur de ces ambitions, notamment en matière de coopération franco-allemande :

-         Le programme de futur avion de patrouille maritime (MAWS) a été de facto abandonné, à la suite de l’acquisition par l’Allemagne en juillet 2021 de cinq avions Poseidon P-8 auprès de Boeing, qui seront encore actifs en 2035 (date à laquelle le MAWS devait être en mis en service). La France a ainsi décidé seule, à l’été 2022, le lancement d’études d’architecture pour se prémunir contre toute rupture de capacité à la fin de vie des avions Atlantique 2. Ce programme est en effet fondamental pour notre dissuasion, comme l’a rappelé le major général de la marine auditionné par vos rapporteurs ;

-         Les Allemands ont également décidé de se retirer du programme de modernisation de l’hélicoptère Tigre au standard 3, qui sera par conséquent développé en bilatéral par la France et l’Espagne à la suite de la signature du contrat le 2 mars 2022 ;

-         Le projet franco-allemand de système principal de combat terrestre MGCS (« Main Ground Combat System »), c’est-à-dire « le char du futur », souffre d’une absence d’accord entre les industriels (Nexter et KMW, d’une part, Rheinmetall, d’autre part) sur la répartition des responsabilités, notamment pour le développement du canon et des munitions. La phase d’étude architecture initiale lancée au printemps 2020 et qui devait s’achever au début de l’année 2022, a ainsi été prolongée jusqu’au printemps 2023. L’incertitude autour de l’avenir de cette coopération, malgré les récentes déclarations favorables du chancelier allemand lors de l’anniversaire du traité de l’Élysée, a milité pour un renforcement de la rénovation du char Leclerc lors de l’ajustement annuel de la programmation en 2021.

Si le contrat de réalisation du programme Eurodrone a été notifié le 1er mars 2022 et que le projet franco-allemand-espagnol de système de combat aérien futur (SCAF) a difficilement franchi une nouvelle étape avec la notification du contrat de la phase 1B le 15 décembre 2022, ces programmes ont subi d’importants retards : le projet Eurodrone a été initié dès 2016, tandis que les blocages industriels ont engendré deux ans de suspension pour programme SCAF.

Malgré ces graves retards, le major général de l’armée de l’air et de l’espace, le général de corps aérien Frédéric Parisot, s’est montré satisfait de l’avancée de ces deux programmes lors de son audition par vos rapporteurs. Sur le SCAF, le général a mis en exergue que le niveau d’ambition ne serait pas équivalent si la France devait développer seule l’avion de combat du futur, même si les délais et les coûts constituent des points d’attention. S’agissant de l’Eurodrone, le général a rappelé qu’il permettra d’être davantage souverain eu égard aux drones Male Reaper, dont l’ajout de capacités (charge utile ROEM, bombes GBU49 ou missiles Hellfire) requiert l’autorisation des autorités américaines, ce qui engendre de longs délais et entraîne une absence d’autonomie.

La relation franco-britannique a également souffert du Brexit et parfois d’un déficit de convergence opérationnelle, comme l’illustrent les difficultés du programme de « futur missile antinavire / futur missile de croisière » (FMAN/FMC), issu de traité de Lancaster House de 2017.

A contrario, d’autres coopérations, non spécifiquement prévues par la LPM, ont été initiées depuis 2019 et constituent un réel succès, telle que la coopération Camo (capacité motorisée) avec la Belgique structurée autour des véhicules du programme Scorpion. Lors de son audition, le major général de l’armée de terre a souligné que cette coopération industrielle avait des conséquences en termes de rapprochement opérationnel entre les deux armées, comme l’illustre le fait que la Belgique a participé au déploiement en Roumanie aux côtés de l’armée française.

Enfin, la période d’exécution de la LPM a également été marquée par la mise en place du fonds européen de défense (FEDEF), premier fond européen entièrement consacré à la défense. Il est doté d’un budget de près 8 milliards d’euros entre 2021 et 2027, en vue de financer la recherche et le développement de capacités au niveau de l’Union européenne. Pour l’année 2021, 61 projets ont été sélectionnés pour un montant total de près de 1,2 milliard d’euros. L’industrie française a naturellement saisi cette opportunité de financement, avec succès puisqu’elle est présente dans 47 projets et en coordonne 18.

La mise en place du mécanisme d’acquisition conjointe dit EDIRPA (European Defence Industry Reinforcement through common Procurement Act ») constitue également un outil utile pour la BITD, même si le budget de 500 millions d’euros alloué à ce mécanisme ne semble pas à la hauteur des enjeux.

C.   Les recommandations de vos rapporteurs

1.   Poursuivre le renouvellement et l’homogénéisation des parcs

● Vos rapporteurs tiennent tout d’abord à mettre en exergue que le processus de modernisation des équipements initié par la LPM 2019-2025 n’en est qu’à ses débuts, au regard de la trajectoire fixée dans le cadre de l’Ambition 2030.

Ainsi, le programme Scorpion n’aura été exécuté qu’à hauteur de 23 % fin 2023 et de 45 %, à horizon 2025. Les années à venir seront donc décisives dans la consolidation du programme Scorpion, ainsi que l’a résumé le chef d’état-major de l’armée de terre, le général d’armée Pierre Schill : « Les capacités d’agression collaborative et de tir au-delà des vues directes représenteront les futures étapes de cette avancée majeure pour le combat aéroterrestre. En 2021, un bataillon SCORPION a été déployé au Sahel. La division SCORPION est attendue pour 2025, et devrait être prête à partir au combat en 2027 » ([45]). De même, la rénovation du char Leclerc, rendue plus essentielle encore par le retard du programme MGCS, a tout juste été entamée. Enfin, les forces terrestres attendent avec impatience le développement du véhicule blindé d’aide à l’engagement (VBAE), successeur du véhicule blindé léger (VBL), malgré la rénovation de ce dernier (VBL version Ultima).

Pour l’armée de l’air et de l’espace, la conversion au tout-Rafale, pour l’aviation de chasse, et au tout-MRTT, pour les avions ravitailleurs, est encore loin d’être achevée. Au sein de la marine, certains grands programmes structurants n’en sont qu’à leur début (SNA, FDI), tandis que d’autres n’ont pas encore connu de début de livraisons, tels que les bâtiments de guerre des mines ou encore les patrouilleurs océaniques hauturiers, comme l’a souligné lors de son audition le major général de la marine, le vice-amiral d’escadre François Moreau. En outre, le successeur de l’Atlantique 2 et le développement du futur porte-avions seront des projets majeurs dans le cadre de la LPM 2024-2030.

 

● La prochaine LPM devra donc poursuivre le renouvellement commencé par la LPM 2019-2025, notamment afin d’homogénéiser les parcs au sein de nos armées. Cette homogénéisation est un impératif, dès lors que la coexistence de parcs de différentes générations est source d’une grande complexité pour nos armées, en termes d’infrastructures et de ressources humaines, comme vos rapporteurs ont pu le constater lors de leurs déplacements. En outre, les matériels vieillissants coûtent particulièrement chers en maintenance, comme l’a souligné le major général de l’armée de l’air et de l’espace à propos des avions ravitailleurs C-135, dont le coût à l’heure de vol devient particulièrement onéreux. À cet égard, la conversion au standard MRTT des 3 A330 livrés dans le cadre du plan de soutien à l’aéronautique devrait être réalisée au plus vite.

● La prochaine LPM devra également répondre aux besoins engendrés par ces nouvelles capacités en termes d’entrainement et d’infrastructures opérationnelles. Lors de leur déplacement au camp de Carpiagne, vos rapporteurs ont ainsi relevé que si les livraisons de nouveaux Jaguar sont conformes au calendrier annoncé, le régiment ne dispose pas encore de simulateur pour s’entraîner sur Jaguar, tandis que les infrastructures opérationnelles ne sont pas encore adaptées à l’arrivée des véhicules Scorpion. De même, la base de Saint-Dizier ne dispose pas par exemple de simulateurs à jour du standard actuel du Rafale. Lors du déplacement d’un de vos rapporteurs à Brest, il a été mis en exergue l’enjeu constitué par la livraison à temps des infrastructures d’accueil du futur système de lutte anti-mines (SLAM-F). La base d’Orléans-Bricy connaitra également des difficultés pour stocker les A400M si la cible de 35 aéronefs en 2028 est atteinte. Pour vos rapporteurs, il est impératif que la prochaine LPM renforce encore davantage la cohérence entre, d’une part, les nouvelles capacités, et, d’autre part, les outils et infrastructures requis par l’arrivée de ces nouveaux équipements.

● En complément du renouvellement des capacités, les rénovations à mi- vie de certains équipements restent cependant indispensables pour gagner en épaisseur. La rénovation des 55 Mirage 2000D de l’armée de l’air et de l’espace était ainsi nécessaire, le parc actuel de Rafale n’étant pas suffisant pour mener l’ensemble des missions demandées à l’armée de l’air et l’espace. Lors de son déplacement sur la base de Nancy, le rapporteur Laurent Jacobelli a toutefois été informé que les Mirage 2000D rénovés livrés depuis 2021 ne sont toujours pas à ce stade engagés en opérations, en raison de problèmes de qualification, alors même que le terme prévisionnel théorique de ces aéronefs a été fixé à 2035.

2.   Ajuster certaines capacités à l’évolution du contexte

● Si cette continuité avec la précédente LPM est nécessaire, elle doit toutefois s’accompagner d’une adaptation du programme capacitaire afin de tenir compte de l’évolution du contexte stratégique. Celle-ci remet en effet en cause la logique « expéditionnaire » de notre modèle d’armée, ainsi que l’a rappelé la revue nationale stratégique de 2022.

Revue nationale stratégique 2022

« Le retour de la haute intensité, y compris sur le territoire européen, l’expression de plus en plus débridée des velléités de puissance de la part de nos compétiteurs stratégiques et l’affaiblissement des cadres internationaux de régulation contraignent nos choix et font peser un risque sans précédent sur les intérêts de sécurité prioritaires de la France. (…)

L’ambition stratégique de la France doit être affirmée au prisme de la fracturation de l’ordre mondial, notamment mise en évidence par la guerre en Ukraine. Ce contexte questionne le modèle d’armée français actuel, conçu dans une logique principalement expéditionnaire. Ce modèle en 2030 devra fournir à la France les capacités de faire face à un éventuel retour d’un conflit interétatique de haute intensité, et aux stratégies hybrides déployées par nos compétiteurs »

Source : Revue nationale stratégique, novembre 2022.

Ainsi que l’a résumé le général de corps d’armée Vincent Pons, le défi de la prochaine LPM sera de trouver l’équilibre entre continuité et inflexion : continuité car il convient de poursuivre la réparation et la modernisation entamée par l’actuelle LPM, conformément à l’Ambition 2030 ; inflexion car il convient de s’adapter au nouveau contexte, de tenir compte de la transformation de nos engagements opérationnels et de se préparer à des conflits de haute intensité, tout en renforçant notre capacité à agir dans tous les espaces de conflictualité (cyber, fonds marins, lutte informationnelle, espace).

● Dans le cadre des travaux de vos rapporteurs, un certain nombre d’inflexions capacitaires ont été promues par les personnes auditionnées représentant les trois armées.

≥ Le major général de l’armée de terre a cité comme capacités prioritaires au regard des enseignements du conflit ukrainien : la défense sol-air, l’armée de terre ne disposant plus que d’une capacité de très courte portée avec le Mistral ; les capacités de feu dans la profondeur, avec l’augmentation d’au moins un tiers de la cible des canons Caesar et le développement de moyens d’artillerie de longue portée pour frapper les centres de commandement et les centres logistiques adverses, la France ne possédant que 13 lance-roquettes unitaires (LRU) dont deux, à la date de l’écriture du présent rapport, ont été cédés à l’Ukraine ; les capacités permettant d’assurer la mobilité des soldats (bréchage, mines, moyens de franchissement des coupures…) ; enfin, les drones, dès lors que nous n’avons atteint qu’un quart de notre ambition dans ce domaine.

≥ Le major général de l’armée de l’air et de l’espace a quant à lui mis en exergue l’importance d’augmenter le format Rafale d’une quarantaine d’aéronefs d’ici 2035 par rapport à la trajectoire actuelle, afin notamment de pouvoir sanctuariser certains aéronefs pour les missions permanentes (dissuasion et sureté aérienne) et d’être en capacité d’engager un volume suffisant dans le cadre d’un engagement conventionnel de haute intensité. Il est vrai que la trajectoire actuelle des livraisons de Rafale ne permet pas de respecter l’Ambition 2030 (159 Rafale en 2030 pour l’armée de l’air et de l’espace au lieu de 185) ([46]). Le général Parisot a également insisté sur : le caractère prioritaire de la reconstitution des stocks de missiles, notamment des missiles air-air (Meteor et Mica) et de l’acquisition de capacités de destruction des défenses anti-aériennes ennemies (SEAD), qui ne sont plus en dotation dans nos armées depuis le retrait en 1999 du missile AS-37 Martel ; la nécessité de remplacer les hélicoptères Puma, qui ont en moyenne 45 ans d’âge ; l’importance du projet européen du futur cargo tactique médian (FCTM), en vue de remplacer le C-130H et les Casa, et de former une famille d’avions cohérente avec l’A400M.

≥ Quant à la marine, dans un contexte de réarmement naval sans précédent ([47]) et d’engagements sur de multiples théâtres - Atlantique, Méditerranée, golfe Persique et golfe de Guinée ou demain en Indo-Pacifique ? -, le format actuel de quinze frégates de premier rang, issu du Livre Blanc de 2023, n’est plus adapté, comme l’a souligné un de vos rapporteurs dans son rapport pour avis sur le budget de la marine ([48]). Il semble nécessaire de revenir a minima à un format de 18 frégates, ne serait-ce que pour relever les défis à venir dans la zone Indo-Pacifique. La dronisation (drones aériens, systèmes de mini drones marine, drones sous-marins, drones de surface) et la reconstitution des stocks de munitions constituent également des points d’attention, selon le major général de la marine.

Enfin, l’évolution incrémentale des plateformes de la marine est un défi majeur pour l’avenir de la marine, comme l’a souligné l’amiral Pierre Vandier : « On ne peut plus attendre vingt ans pour changer le logiciel de combat d’un bateau – on espère bientôt remettre à niveau celui du Chevalier Paul [frégate de défense aérienne]. Aujourd’hui, pour la Marine, avoir une industrie en mode guerre, c’est être capable de cadencer de manière beaucoup plus rapide, comme cela a été très bien fait dans l’aéronautique, les évolutions des systèmes d’armes de nos navires. Ceux-ci doivent disposer de capacités évolutives, se voir ajouter des optionnels de mission – comme on le fait pour le Rafale » ([49]).

≥ Enfin, le général de brigade Michel Delpit, commandant des opérations spéciales (COS) a notamment mis en exergue le besoin de munitions téléopérées, ainsi que les difficultés liées à la mobilité aérienne tactique, en raison, d’une part, du retrait en 2022 du Transall C-160 et, d’autre part, des problématiques de disponibilité du parc des C-130H - rappelons à ce titre qu’en janvier 2022, seulement 3 à 4 C-130H étaient disponibles sur un parc total de 14, selon l’ancienne directrice de la direction de la maintenance aéronautique (DMAé)([50]) -.

Il résulte de ce qui précède que les besoins capacitaires exprimés par nos armées en vue de s’adapter à la nouvelle donne issue de la guerre en Ukraine, sont, fort logiquement, conséquents. Certains des ajustements identifiés ci-dessus ont d’ores et déjà été annoncés par les autorités au titre de la prochaine LPM, avec des efforts capacitaires accrus en faveur notamment : des drones ; de la défense sol-air (augmentation d’au moins 50 % de nos capacités de défense anti-aérienne) ; des capacités de frappe dans la profondeur ; des capacités de suppression des défenses aériennes adverses ; de la lutte sous-marine ; des munitions téléopérées.

● Vos rapporteurs souhaitent en outre insister sur un point : la crédibilité de nos armées dans un conflit de haute intensité reposera notamment sur sa capacité à durer, ce qui requiert de disposer non seulement d’un plus grand nombre de matériels disponibles, mais également de stocks de munition à un niveau adapté. Comme l’a souligné le général Vincent Pons, au cours des vingt dernières années, le pari avait été fait que nos armées n’utiliseraient pas de manière intensive ou dans la durée des munitions complexes. Ce pari obéissait certes à une certaine forme de logique compte tenu du contexte de l’époque, caractérisé par des conflits asymétriques et la déflation des moyens de nos armées. Aujourd’hui, au regard de l’évolution du contexte stratégique et du rehaussement des moyens alloués à nos armées, ce pari n’a plus lieu d’être. Il est exact que des efforts ont été initiés dans le cadre de cette LPM et renforcés lors de l’actualisation 2021 et la LFI 2023, avec la rénovation à mi vie de certains de nos missiles (Mica, Scalp, Aster…) et l’abondement, limité, de certains stocks (MMP, missiles de croisière navals). Cependant, un tel effort doit être approfondi et amplifié lors de la prochaine LPM afin de gagner en épaisseur et en réactivité. C’est la condition sine qua non pour qu’on ne puisse plus affirmer que « la France est prête pour la guerre, mais pas pour une guerre qui dure » ([51]).

Le conflit ukrainien nous rappelle également qu’un conflit de haute intensité induit des pertes de matériel bien élevées que dans un conflit asymétrique. Si nos doctrines et nos tactiques sur le terrain diffèrent de celles des deux cobelligérants, il faut nous préparer au pire des scénarios, à savoir une attrition forte de nos équipements et matériels. Sur le volet capacitaire, cela implique de gagner en épaisseur et en masse. Afin de concilier ce besoin avec les contraintes budgétaires et les temps de productions, il apparaît nécessaire de développer, en parallèle des équipements sophistiqués, des systèmes moins technologiques, moins onéreux et plus rapides à produire.

3.   L’impératif de l’économie de guerre

La cession d’un certain nombre de matériels à l’Ukraine a mis en lumière l’incapacité de notre industrie à recompléter rapidement les parcs et stocks de nos armées. Notre outil de production actuel n’est donc pas adapté à un contexte de conflit de haute intensité, qui se caractérise par une forte attrition des matériels et la nécessité consécutive de renouveler ces derniers à bref délai. Face à ce constat, un changement du modèle de production de notre BITD doit être envisagé. Tel est le sens de la démarche, voulue par le Président de la République et initiée par le ministre des Armées en septembre 2022, sur l’« économie de guerre », afin d’être en capacité de produire « plus » et « plus vite ».

Aux yeux de vos rapporteurs, l’enjeu de l’économie de guerre est central pour la prochaine LPM. Il ne s’agit pas seulement d’acquérir de nouvelles capacités ; il faut être en capacité de les reconstituer rapidement en cas de besoin. Au même titre que les munitions, il en va de l’épaisseur de nos armées, c’est-à-dire de leur faculté de résister à l’érosion et à l’attrition en cas de conflit, et donc de leur crédibilité dans un conflit.

La mise en place d’une telle « économie de guerre » implique de revoir l’ensemble des étapes concourant à la production des armements, en vue d’améliorer la réactivité de notre outil productif. Il s’agit notamment de : (i) simplifier l’expression des besoins des armées, afin de réduire les spécifications et de standardiser davantage les équipements ; (ii) alléger certaines contraintes normatives, notamment d’origine civiles, sources de complexité, de délais et de coûts ; (iii) adapter les programmes d’opération d’armement, en assouplissant les procédures contractuelles et en réduisant les exigences documentaires ; (iv) sécuriser les chaînes d’approvisionnement, en reconstituant certains stocks, en prévoyant une priorisation des ressources critiques en faveur de la BITD, et en relocalisant certaines filières ; (v) être en capacité de mobiliser des ressources humaines, par exemple en créant une « réserve industrielle » mobilisable en cas de besoin.

Les travaux en cours ont permis de dégager des premières pistes, comme l’a souligné le délégué général pour l’armement, Emmanuel Chiva : « Nous avons identifié les opérations d’armement pouvant faire l’objet de mesures de simplification (…) Un objectif de réduction de la documentation de 20 % nous semble ainsi tout à fait atteignable pour certains programmes. (…) Nous continuerons aussi à explorer de nouvelles possibilités en matière contractuelle (…) En ce qui concerne la sécurisation des approvisionnements, (…) la réponse est dans la diversification des sources. (…) Le groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (Gifas) est en train de constituer un stock de six mois pour le titane, sur financement industriel, et nous sommes en travailler sur la constitution d’autres stocks. Nous nous efforçons également de relocaliser, dès que possible, certaines filières. Je pense en particulier à la poudre noire servant à la fabrication de nos obus de gros calibre, aux corps de bombe et, même si cela peut paraître assez ésotérique, aux baguettes de soudage pour les aciers de plateformes navales » ([52]).

Vos rapporteurs estiment que l’effort en matière de réduction des normes est prioritaire, non seulement pour augmenter les délais mais aussi pour réduire les coûts. À titre d’exemple, l’adaptation des missiles Aster et Exocet au règlement européen dit « Reach » (Enregistrement, évaluation, autorisation et restriction des substances chimiques) a coûté plus de 480 millions d’euros à la marine ([53]). Dans le domaine aéronautique, les règles de navigabilité doivent impérativement être repensées : sur le seul Mirage 2000, le volume de pièces rendu inutilisable par cette réglementation représente près de 215 000 pièces neuves([54]).

La simplification des programmes d’armement constitue également un axe de progrès important. Vos rapporteurs suggèrent de généraliser à d’autres équipements la démarche d’innovation ouverte mise en œuvre pour les projets de munitions téléopérées Colibri et Larinae, qui repose sur des appels d’offre laissant une large initiative aux industriels et non sur un cahier des charges aux multiples spécifications décidées unilatéralement par les autorités([55]).

Enfin, l’adaptation de la BITD à l’économie de guerre exige de mobiliser encore davantage les acteurs publics et privés pour renforcer son financement. À l’heure où la guerre est de retour en Europe, il n’est pas normal que la banque européenne d’investissements (BEI) ne soit pas autorisée à financer les entreprises de défense ou que les projets de taxonomie européenne soient encore d’actualité([56]).

Vos rapporteurs ont cependant bien conscience qu’il s’agit d’une transformation profonde qui est exigée de la BITD et que sa mise en œuvre prendra nécessairement du temps. Le programme capacitaire de la prochaine LPM devra par conséquent être réaliste, à tout le moins pour les premières années, par rapport aux capacités actuelles « d’absorption » de la BITD.

 

4.   L’avenir des coopérations européennes

Vos rapporteurs ne partagent certes pas les mêmes positions sur l’opportunité de poursuivre certaines coopérations européennes, notamment sur le SCAF et le MGCS. Ils se rejoignent toutefois pour mettre en exergue qu’une coopération réussie doit nécessairement reposer sur une répartition industrielle fondée sur le principe du best athlete, comme l’a rappelé l’ancien délégué général pour l’armement : « En tant que DGA, je considère que la politique de coopération avec l’Allemagne doit reposer sur trois principes. Premièrement, les schémas de coopération et d’organisation industrielle doivent définir clairement les responsabilités. Pour chaque sous-système majeur d’un programme de coopération, il doit y avoir un industriel responsable, et non deux, trois ou quatre regroupés d’une manière plus ou moins souple. Deuxièmement, l’industriel responsable de tel sous-système majeur doit être le meilleur, celui qui a acquis, au fil de son histoire, la meilleure expertise et le meilleur savoir-faire. Troisièmement, il faut assurer un équilibre, et cet équilibre doit être trouvé de manière globale, car s’il l’était sous-système par sous-système, les programmes seraient ingérables et n’aboutiraient pas » ([57]).

Au regard des retards pris par certains programmes européens, il semblerait utile d’introduire dans la prochaine LPM des jalons décisionnels pour faire le point sur les avancées du programme et pour décider si ces coopérations doivent être poursuivies ou non, ainsi que l’a suggéré le général Vincent Pons de l’état-major des armées, lors de son audition par vos rapporteurs. Cela semble d’autant nécessaire que les besoins opérationnels sous-jacents à ces coopérations sont majeurs pour nos armées : il faudra en tout état de cause un successeur au char Leclerc et au Rafale, que cela se fasse dans un cadre européen ou national.

Vos rapporteurs partagent également les inquiétudes des représentants de la BITD qu’ils ont auditionnés sur le contrôle des exportations des équipements issus des coopérations européennes. Il est essentiel que la France maintienne un contrôle souverain sur le cadre juridique de ses exportations d’armement, y compris pour des équipements développés dans le cadre de coopérations européennes.

Quant aux mécanismes européens de financement, il est important qu’ils soient centrés sur les seuls besoins capacitaires des armées européennes et non sur une logique de politique concurrentielle, qui a certainement présidé à la non sélection par le FED de MBDA dans le cadre du projet européen d’intercepteur endo-atmosphérique de missiles hypersoniques. Enfin, le mécanisme d’acquisition conjointe EDIRPA doit être au service de l’acquisition de capacités de l’Union européenne et non de pays tiers, comme semble le réclamer, à tort, certains pays.

III.   Une montée en puissance dans les domaines prioritaires de la LPM

A.   Le renseignement, une priorité de la LPM

1.   Un effort au profit du renseignement selon trois axes : ressources humaines, équipements et cyber

La LPM 2019-2025 a prévu un effort important au profit des services de renseignement du premier cercle pour le secteur de la défense, qu’il s’agisse du renseignement extérieur (DGSE), du renseignement militaire (DRM) ou du renseignement de sécurité et de la défense (DRSD).

S’agissant des ressources humaines, les effectifs du renseignement devaient augmenter de manière sensible, avec la création de 1 500 postes supplémentaires.

Le tableau ci-après présente le cadencement des créations de postes prévues sur la période de programmation :

 

Années

2019

2020

2021

2022

2023

2024

2025

Total 2019-2025

Effectifs

199

152

104

146

421

239

239

1 500

Effectifs cumulés

199

355

455

601

1022

1261

1500

1500

 

 

Ces effectifs supplémentaires devaient être majoritairement affectés au renforcement des capacités de traitement des données collectées et au renseignement d’origine humaine (ROH).

S’agissant des capteurs, un certain nombre d’équipements sont destinés aux forces pour consolider et moderniser les capacités de renseignement. Au total, environ 4,6 milliards d’euros devaient être investis au titre de la LPM 2019-2025 pour des équipements dans le domaine du renseignement. Il s’agit principalement des systèmes suivants :

– le système CERES, pour le renforcement des capacités d’écoute et de renseignement électromagnétique dans le domaine spatial, en complément des moyens terrestres, maritimes et aéroportés d’interception des émissions électromagnétiques ;

– le système MUSIS, fruit d’une initiative européenne, visant à renforcer les moyens d’observation spatiale, de suivi de situation et de veille stratégique ainsi que d’aide à la prévention et à l’anticipation des crises et d’assistance à la planification et à la conduite des opérations, en remplacement du système actuel Hélios, opéré par la France ;

– l’acquisition de deux ALSR d’ici 2025 pour un parc prévu à 8 appareils à l’horizon 2030 et de trois avions de reconnaissance stratégique en remplacement des Transall C-160 Gabriel spécialisé dans le recueil du renseignement d’origine électromagnétique (une unité livrée au cours de la programmation et trois autres à l’horizon 2030) ;

– et l’acquisition d’un bâtiment léger de surveillance et de recueil du renseignement (BLSR).

Par ailleurs, un effort financier important devait être consacré aux moyens des services de renseignement dans le domaine cyber.

2.   Des services de renseignement profondément transformés

a.   La DRM

Le rôle de la direction du renseignement militaire (DRM) est de produire du renseignement d’intérêt militaire (RIM) au profit des autorités politiques ainsi que des armées et directions du ministère des Armées, et au-delà au profit de la communauté nationale du renseignement (CNR). À ce titre, la DRM est en charge de l’évaluation des capacités militaires des compétiteurs stratégiques de la France ou des adversaires susceptibles d’entraver ses intérêts. Mais la DRM a également pour rôle de coordonner la fonction interarmées du renseignement (FIR) au profit de l’ensemble de ses membres (armées, commandement de la cyberdéfense (COMCYBER), commandement de l’espace (COMESPACE), etc).

La mission confiée à la DRM par le CEMA comprend deux volets :

– la contribution à l’élaboration d’options militaires pour le CEMA ;

– et l'appui renseignement des armées pendant les opérations.

De ce point de vue, il convient de distinguer le temps long de la veille et de l’anticipation, le temps moyen de la prise de décision et le temps court de l’action ; l’objectif étant, in fine, de diminuer le niveau d’incertitude et de limiter les risques opérationnels.

Le RIM fait face aujourd’hui à trois enjeux et quatre défis principaux.

Les enjeux auxquels le RIM fait face sont les suivants :

– la conciliation entre, d’une part, la nécessité de garantir une capacité d’appréciation autonome afin de rester souverains, et d’autre part, l’élargissement du champ des partenariats, qui doivent être ciblés et agiles ;

– la prise en compte des nouveaux champs de conflictualité et l’extension des missions de la DRM qui en découlent, sur le flanc Est de l’Europe mais également dans le domaine de l’influence, du cyber ou encore de l’espace, qui constituent autant de champs d’action et de lieux de production de données que la DRM doit utiliser pour produire du renseignement ;

– et compte tenu du fait que le renseignement est infini par nature, la nécessité de prioriser les missions, ce qui, selon la DRM, « implique de consentir à des renoncements et à des bascules d’efforts », car « même en disposant de 100 fois plus de capteurs, d’agents et de moyens, l’exhaustivité ne pourra jamais être atteinte : le renseignement est un domaine infini, qui ne se traite qu’avec des moyens finis ».

En outre, le RIM fait face à quatre défis :

– s’adapter au nouveau contexte stratégique, marqué par un retour des conflits de haute intensité et une affirmation croissante des États-puissance, cette dernière ayant déjà été identifiée dans la revue stratégique de défense et de sécurité nationale (RSDSN) de 2017 ;

– trouver un équilibre, en termes d’investissement, entre les capacités de recueil des données, dont le nombre augmente de manière exponentielle, et les capacités d’exploitation de celles-ci, qui, selon la DRM, « ne pourront jamais suivre, ni sur le plan humain, ni sur le plan technique, car l’écart entre les deux ne fait que croitre » ;

– recruter, former et fidéliser les ressources humaines de la DRM, qui, tant civiles que militaires, ne sont jamais acquises définitivement et qui exercent des métiers en constante évolution ;

– et se départir de « l’illusion de la transparence », car si on trouve effectivement beaucoup d’informations en sources ouvertes, « on n’y trouve clairement pas tout », notamment compte tenu du fait que la démarche de collecte du renseignement fiabilisé implique d’y consacrer du temps et de l’énergie afin que celui-ci soit approfondi et ciblé.

Face à ces enjeux et ces défis, la DRM souhaite renforcer la production du RIM en accentuant quatre synergies :

– au sein de la DRM avec sa réorganisation en plateaux par type de menaces pour casser les silos. Une nouvelle organisation matricielle par domaines a été mise en place le 1er septembre 2022 à cette fin ;

– entre la DRM et la FIR, en coordonnant les unités de la FIR avec les plateaux de la DRM dans une logique de subsidiarité et pour éviter les redondances. La DRM fait en sorte que les outils et capteurs dont elle fait l’acquisition soient ipso facto mis à la disposition de la FIR. Ainsi, l’objectif est que quand la DRM se dote d’un outil d’intelligence artificielle (IA) pour le traitement et l’analyse des images satellitaires, toutes les unités de la FIR amenées à utiliser des images satellitaires disposent également de cet outil. Le directeur adjoint de la DRM a précisément pour mission d’accroître la synergie entre la DRM et la FIR, ce qui, selon la DRM, passe par « une meilleure connaissance des uns et des autres, l’identification de lacunes et de redondances et le partage des outils techniques. Tout cela passe par un partage des bonnes pratiques et requiert de la confiance » ;

– entre la DRM et les autres services de renseignement, qui existe déjà grâce à la mutualisation des données recueillies mais qui peut être renforcée pour la prise en compte de nouveaux champs d’application ou centres d’intérêt géographiques, ou pour des fonctions support comme les ressources humaines ;

– et entre la DRM et les partenaires internationaux, car, selon la DRM, « dès aujourd’hui et demain plus que jamais, nous aurons besoin d’élargir le vivier de nos partenaires vis-à-vis desquels nous pourrons échanger du renseignement dans une logique de troc basée sur la confiance et la réciprocité ». Ce faisant, « nous serons en mesure de solliciter ponctuellement et de manière ciblée tel ou tel partenaire pour compléter le renseignement que l’on a recueilli de manière autonome ».

La LPM 2019-2025 avait pour ambition globale d’accentuer l’effort sur le renseignement militaire en matière d’effectifs (ressources humaines), d’équipements (capteurs) et d’évolution technique.

Comme indiqué précédemment, le bilan de l’exécution de la LPM est délicat car celle-ci est encore en cours et, s’agissant du renseignement militaire, selon la DRM, « les échéances importantes étaient prévues en 2024 et en 2025 ». Toutefois, s’agissant des équipements, plusieurs grands programmes étaient inscrits dans la LPM. Le renouvellement des capacités spatiales de renseignement a été lancé avec les programmes « capacité de renseignement électromagnétique spatial » (CERES) et « Multinational Space-based Imaging System for Surveillance, Reconnaissance and Observation » (MUSIS). Dans le domaine des drones, les développements du Reaper se sont poursuivis, couplés à l’acquisition de drones tactiques légers et de deux avions légers de surveillance et de reconnaissance (ALSR).

S’agissant du renseignement d’origine électromagnétique (ROEM), la modernisation des capacités s’est poursuivie avec le lancement du programme « capacité universelle de guerre électronique » (CUGE) et l’acquisition de capteurs tactiques.

Enfin, en matière d’exploitation des données, le programme « architecture de traitement et d’exploitation massive de l’information multi-sources et d’intelligence artificielle » (ARTEMIS), « qui est structurant pour la DRM », est en cours (cf. infra). Le recours à l’IA permet notamment d’automatiser des tâches et de réduire l’écart précité entre la collecte et l’exploitation des données. Le recours à l’IA réduit également le temps nécessaire pour l’exploitation des données collectées et permettra surtout de mettre la DRM en capacité de traiter le volume exponentiel de données auquel elle sera confrontée à l’avenir, à l’instar des autres services de renseignement.

Dans le cadre de la LPM, et en préfiguration de l’outil ARTEMIS, des petits programmes basés sur l’IA et déjà utilisés actuellement ont pu être développés avec des start-ups en mode agile grâce à une enveloppe financière dédiée à l’innovation dans le budget opérationnel de programme (BOP) de la DRM.

b.   La DGSE

La direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) est le seul service secret de la République, dont les actions ne peuvent pas être reconnues par la France. C’est un service intégré qui bénéficie de moyens pour anticiper et entraver les menaces grâce à du renseignement d’origines humaine et technique. La DGSE est également le chef de file du renseignement technique pour l’ensemble de la communauté du renseignement. Le renseignement était un des axes principaux de la LPM 2019-2025, à la fois pour anticiper les crises et les menaces, à commencer par la menace terroriste depuis 2015 mais également les menaces hybrides et la montée des puissances agressives, et pour donner à la France une autonomie d’action.

En termes d’effectifs, la LPM 2019-2025 prévoyait une hausse des équivalents temps plein travaillé (ETPT) de 772 sur la période 2019-2025. La DGSE comprenait 5600 agents en 2018. Dès 2019, elle est passée à 5900 ETPT du fait des avances de phase, car la DGSE a recruté très tôt. Aujourd’hui, les effectifs de la DGSE sont proches de 6000 ETPT. En 2023, la DGSE devait obtenir 200 ETPT supplémentaires en vertu de la LPM 2019-2025 et recruter 1000 personnes (civils et militaires). La DGSE devait également obtenir 135 ETPT supplémentaires en 2024 et en 2025, soit 270 postes supplémentaires sur 2 ans. Comme indiqué par la DGSE, « un des enjeux pour 2023 sera donc de recruter les 200 ETPT supplémentaires qui nous ont été octroyés et, pour la future LPM, de conserver la trajectoire arrêtée dans la LPM 2019-2025 pour les années 2024 et 2025 » ([58]).

Dans le cadre des ajustements annuels de la programmation militaire (A2PM), la DGSE a bénéficié d’un renfort supplémentaire en termes d’effectifs, à hauteur de +300 ETPT, qui se sont ajoutés aux +772 ETPT arrêtés dans la LPM 2019-2025. Ainsi, dans la hausse de 200 ETPT en 2022, une partie était liée à cet ajustement. Cette dynamique a vocation à être reprise dans la future LPM.

Mais malgré cet effort sur le plan des ressources humaines, plusieurs points d’attention doivent être soulevés. Tout d’abord, il y a un enjeu spécifique aux militaires de la DGSE, qui représentent 22 % des effectifs (hors service action). Selon la DGSE, « dans la mesure où les armées sont en-deçà de leurs cibles d’ETPT, surtout l’armée de Terre qui est notre principal pourvoyeur, nous sommes confrontés à des difficultés pour recruter suffisamment de militaires, alors qu’on a besoin d’eux. Les difficultés de recrutement des armées se répercutent donc sur nous ». Aujourd’hui, le schéma d’emploi de la DGSE pour les militaires est de -160 ETPT. En revanche, s’agissant des personnels civils, « [la DGSE est] en avance de phase et [a] tenu [ses] objectifs de recrutement. [Elle est] même au-delà de la cible, avec un schéma d’emploi pour les personnels civils de +70 ETPT ». Mais la DGSE est confrontée à la forte concurrence du secteur civil sur le marché du travail, en particulier eu égard au fait qu’elle recrute des ingénieurs et des fonctionnaires de catégorie A, donc des profils très concurrentiels. Ainsi, l’enjeu principal pour les personnels civils sera, selon la DGSE, « de tenir le rythme de recrutement actuel, notamment pour les ingénieurs dans le domaine cyber, qui sont parmi les plus concurrentiels ».

À ce titre, afin de renforcer la fidélisation des personnels civils, des mesures ont été prises pour faire évoluer les rémunérations. Deux mesures de revalorisation ont été accordées à la DGSE, ce qui lui permet aujourd’hui de proposer des trajectoires de rémunérations comparables à celles qui sont proposées dans le secteur privé. Avant la mise en œuvre de ces deux mesures de revalorisation, les salaires des jeunes recrues étaient comparables à l’embauche avec ceux pratiqués dans le secteur privé mais ceux-ci décrochaient rapidement par rapport à leurs équivalents dans le secteur privé avec le temps.

Sur le plan financier, la DGSE a été dotée de moyens supplémentaires dans le cadre de la LPM 2019-2025. Les crédits de paiement de la DGSE sont passés de 340 millions d’euros en 2019 à 450 millions d’euros en 2023. Toujours selon la DGSE, « si le budget alloué à la DGSE a été un peu raboté par rapport aux cibles prévues dans la LPM 2019-2025, un effort significatif a quand même été fait au profit de la direction. Ces efforts devaient se poursuivre et s’amplifier sur les années 2024 et 2025 ». Un tiers de la hausse du budget de la DGSE a été consacré aux projets d’infrastructure. Actuellement, le siège de la DGSE se situe dans une caserne du XIXe siècle, « aménagée mais vétuste ». La situation est telle que dans d’autres emprises de la DGSE comme le fort de Noisy, « certains personnels travaillent dans des Algeco … même si cette situation n’est pas propre à la DGSE car le ministère des Armées est confronté à un problème de logement de manière générale. Mais nos locaux actuels ne sont pas adaptés pour l’exercice de nos missions ». La DGSE a donc engagé deux projets immobiliers :

– un premier projet immobilier sur le site de Mortier, qui devrait être fini à la fin de cette année ;

– et un second projet sur le site de Noisy, dont les travaux ont commencé et qui seront finis dans deux ans.

Ces deux projets revêtent une importance capitale car ils permettront d’accueillir les effectifs complémentaires évoqués précédemment.

En outre, le projet de nouveau siège de la DGSE au Fort Neuf de Vincennes, « qui n’était pas prévu dans la LPM 2019-2025 », a été lancé. À ce stade, seulement 19 millions d’euros en CP ont été dépensés pour ce projet en 2022 et, selon la DGSE, « ce sera un enjeu pour la future LPM car le projet devrait être achevé en 2028 ».

Le siège actuel de la DGSE ne permet pas de travailler en plateaux et de manière agile (notamment entre développeurs informatiques), moderne et connectée. De ce point de vue, le projet de nouveau siège « n’est pas qu’un projet de déménagement : c’est un projet de transformation métier où des agents de la DGSE mais également de la DRM ou de Tracfin pourront travailler ensemble au sein de centres de mission ». Le projet est coûteux (1,16 milliard d’euros) mais, toujours selon la DGSE, « si nous voulons que la DGSE conserve son rang, il faudra consentir à cet effort financier, car les services de renseignement extérieur d’autres pays comme l’Allemagne ou encore le Royaume-Uni et le Canada ont fait cet effort. Aujourd’hui, nous avons des jeunes qui ont le choix entre travailler à La Défense ou dans des Algeco avec des problèmes de fuite d’eau dans un fort situé à l’est parisien sans métro à proximité… ce qui n’est pas acceptable ».

Le siège actuel consomme d’ailleurs une grande quantité d’électricité à cause de sa vétusté, ce qui pose la question du respect des normes environnementales mais également du coût de l’énergie car en 2022, la facture d’électricité de la DGSE a connu une forte hausse ; et en cas de crise énergétique, la facture ne fera qu’augmenter. Or, si les efforts financiers consentis sont en partie consommés par des dépenses de fonctionnement liées à la vétusté des infrastructures, sur le plan financier, ce sera autant de marges de manœuvre en moins pour la direction.

Par ailleurs, les deux tiers de l’effort financier consenti à la DGSE ont porté sur les capacités techniques du service. Il y avait deux grands axes dans la LPM 2019-2025 à cet égard : d’une part, la montée en puissance de la cyberdéfense, et d’autre part, les grands programmes mutualisés avec les autres services de la communauté du renseignement.

S’agissant de la cyberdéfense, selon la DGSE, « la LPM 2019-2025 nous a permis de rattraper notre retard par rapport à nos adversaires ». D’ailleurs, ces capacités dans le domaine cyber ont été acquises par tous les services de renseignement étrangers compétents car cela rapporte beaucoup, en particulier au regard de leur coût. Les efforts consentis au domaine de la cyberdéfense consomment une grande partie de l’effort dans le domaine des ressources humaines car la DGSE ne souhaite pas externaliser ces capacités, ce qui implique de disposer de ressources humaines de confiance pour conduire des opérations qui sont sensibles par nature.

S’agissant des programmes mutualisés, dont certains comme le programme sur la cryptologie qui permet de casser des codes et qui date des années 2000, la DGSE et la communauté du renseignement ont consenti un effort financier important. En outre, la DGSE a bénéficié de moyens importants pour le dispositif de surveillance internationale. Les investissements de la DGSE dans le domaine technique sont, dans une certaine mesure, également dictés par les évolutions du secteur civil. Comme indiqué par la DGSE lors de son audition, « l’émergence des systèmes satellitaires du New Space font que nos capacités actuelles d’interception doivent s’adapter, par exemple dans le domaine spatial mais également dans le domaine des drones. Nous devons donc investir afin de nous assurer que, demain, nous demeurerons autonomes sur le plan technique pour la conduite de nos opérations clandestines ».

En outre, l’organisation interne de la DGSE a fait l’objet d’une réforme en juillet dernier, qui est entrée en vigueur le 1er novembre 2022. Comme indiqué par la DGSE, « grâce aux moyens accordés par la LPM 2019-2025, nous sommes passés de 5 à 3 directions et nous avons créé plusieurs centres de mission. Certains éléments de recherche technique sont descendus au niveau des centres de mission qui peuvent désormais assurer toute la manœuvre de renseignement, du début à la fin ».

c.   La DRSD

La direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD) est, aux termes de l’article D3126-5 du code de la défense, « le service dont dispose le ministre des Armées pour assumer ses responsabilités en matière de sécurité du personnel, des informations, du matériel et des installations sensibles ». Fin 2020, la DRSD employait environ 1500 personnes, dont 32 % de civils et 68 % de militaires, en charge du suivi de 270 000 ressortissants de la défense, 10 000 entreprises de la BITD et 4 000 organismes.

Elle a pour cœur de métier la contre-ingérence de la sphère de défense (contre-ingérence des forces, contre-ingérence économique et contre-ingérence cyber). Cette sphère comprend le personnel, les informations, le matériel et les installations sensibles sous l’autorité du ministre des Armées ainsi que les entités en lien avec ceux-ci ou présentant un intérêt pour le ministère. Les unités militaires, les entreprises de la BITD, les instituts de recherche, et les associations et organisations présentant un intérêt pour le secteur de la défense font partie de la zone d’exclusivité de la DRSD. La DRSD est également responsable des enquêtes administratives d’habilitation relatives au ministère des Armées (hors DGSE). En 2021, elle a procédé à environ 350 000 enquêtes et a résorbé son retard de traitement.

Aux termes de l’arrêté du 22 octobre 2013 portant sur l’organisation de la direction du renseignement et de la sécurité de la défense, la DRSD comprend 4 sous-directions, auxquelles sont rattachées 56 emprises territoriales en France et à l’étranger :

– la sous-direction de la contre-ingérence, qui oriente la recherche de l’information, en assure l’exploitation et l’analyse et produit le renseignement, participe à l’élaboration et au contrôle des mesures de sécurité relatives à la protection des personnes physiques et morales, des informations, des matériels et des installations sensibles intéressant la défense et contribue au contrôle et à la surveillance du commerce des armes de guerre et matériels assimilés ;

– la sous-direction de la stratégie et des ressources, qui définit la stratégie du service et remplit des fonctions de conseil, de pilotage et d’audit ;

– la sous-direction technique, responsable des systèmes d’information et de communication de la DRSD, qui assure la cohérence des capacités techniques mises en œuvre et contribue à la protection des systèmes d’information du secteur de la défense en lien avec le COMCYBER et l’ANSSI ;

– et la sous-direction des centres nationaux d’expertises, qui est chargée d’effectuer les enquêtes administratives relevant de la compétence de la direction, de rechercher le renseignement en mettant en œuvre des moyens centralisés et de réaliser des missions d’inspection, d’audit et de contrôle concourant à la sécurité des installations et des informations du ministère des Armées et de l’industrie de défense.

Les crédits alloués à la DRSD se décomposent en deux agrégats :

– un agrégat relatif au fonctionnement, comprenant les frais de mission et toutes les dépenses de fonctionnement de la direction, dont les crédits s’élèvent à 3,25 millions d’euros en AE et en CP dans la LFI pour 2022, c’est-à-dire à un niveau quasi identique à celui inscrit dans la LFI pour 2021 ;

– et un agrégat relatif au métier, comprenant les activités opérationnelles et le financement du projet de nouvelle direction centrale, dont les crédits s’élèvent à 20,9 millions d’euros en AE et 32,2 millions d’euros en CP dans la LFI pour 2022, soit une augmentation de 25 % en AE et de 112 % en CP par rapport à la LFI pour 2021.

La forte hausse des crédits de l’agrégat relatif au métier s’explique essentiellement par le financement du projet de nouvelle direction centrale. Notifié en juin 2021 pour une livraison prévue en 2024, ce projet permettra de regrouper au sein d’un bâtiment unique tous les acteurs du cycle de renseignement pour renforcer le travail collaboratif. Ce projet poursuit les objectifs suivants :

– regrouper les activités « cœur de métier » de la DRSD au sein d’un bâtiment unique accueillant 646 places en anticipant les évolutions d’effectifs de chacune des divisions ;

– proposer des espaces de travail flexibles s’adaptant à l’évolution des organisations, des modes de travail et des métiers, tout en répondant aux besoins de proximités fonctionnelles des divisions les unes par rapport aux autres et au sein des divisions ;

– tenir compte des exigences techniques et réglementaires pour tous les espaces, et en particulier pour les ateliers ;

– doter la DRSD de fonctionnalités aujourd’hui absentes du site ;

– appliquer les réglementations liées à la sûreté à l’échelle du bâtiment et aux locaux ;

– et profiter de la construction d’un bâtiment neuf pour intégrer certains standards des immeubles tertiaires modernes, en réfléchissant à leur pertinence vis-à-vis de l’activité spécifique de la direction.

Les crédits relatifs au projet sont pilotés et exécutés en liaison avec le SID. Ils sont répartis au cours de la LPM 2019-2025 de la manière suivante (en millions d’euros) :

Une image contenant table

Description générée automatiquement

Source : ministère des Armées

La forte hausse des crédits de l’agrégat relatif au métier s’explique également par les dépenses d’investissement liées au développement de nouveaux systèmes d’information de la direction :

– la nouvelle base de souveraineté dite SIRCID (« système d’information de renseignement de contre-ingérence de défense »), qui permettra à la DRSD de stocker et d’exploiter le renseignement à partir d’une solution logicielle purement nationale. Ce projet se matérialise par un accord-cadre et 5 marchés subséquents. Le premier marché a été lancé en 2020 et s’est achevé en 2021. Le deuxième marché a été lancé en septembre 2021 et devrait se terminer cette année. Développé en partenariat avec un grand industriel français, il entrera progressivement en service à compter de 2022. Au total, ce projet coûtera 18,69 millions d’euros en AE et en CP sur la période 2020-2025.

– deux outils innovants basés sur des technologies de type machine learning permettant d’accélérer les processus d’habilitation, tout en renforçant la fiabilité des avis de sécurité émis. Le premier outil doit permettre d’accélérer le traitement de la notice individuelle de sécurité (NIS), nouveau nom de la notice 94A, que remplit chaque candidat à l’habilitation afin d’en faciliter la lecture et l’analyse. Cet outil, en production depuis septembre 2020, donne satisfaction mais doit encore connaitre quelques évolutions. Le second outil doit permettre de consolider les avis rendus par le service en automatisant les recherches d’information sur les candidats ;

– et la modernisation de l’outil SOPHIA (« synergie pour l’optimisation des procédures d’habilitation des industries et de l’administration »), qui a fait l’objet d’une évolution majeure en juillet 2021 afin de l’adapter aux nouvelles dispositions de l’IGI 1300 et de gommer certaines obsolescences technologiques.

3.   Les recommandations de vos rapporteurs

a.   Quatre défis pour la DRM

S’agissant de la DRM, quatre enjeux devront faire l’objet d’une attention particulière pour la fin de la LPM 2019-2025 :

– l’enjeu des ressources humaines, car si la DRM a recruté 90 équivalents temps plein travaillé (ETPT) sur la période 2019-2022 et vise 50 postes en 2023, l’effort prévu dans la LPM pour les années 2024 et 2025 de 98 postes supplémentaires devra être poursuivi ;

– l’enjeu du ROEM aéroporté, lié à la compensation du retrait des C160 Transall « Gabriel » par une solution locative en attendant l’arrivée des aéronefs dans le cadre du programme « avion de renseignement à charge utile de nouvelle génération » (ARCHANGE) en 2028([59]). Plus précisément, la compensation se fait via le recours à une capacité locative, à compter de 2024. Selon la DRM, « il s’agit là de solutions palliatives transitoires qui compensent en partie le retrait des « Gabriel ». Nous attendons 2028 pour retrouver nos pleines capacités avec ARCHANGE ». Il faudra veiller à ce que cette nécessaire solution locative de transition repose sur du matériel français, ou, à défaut, européen ;

– l’enjeu des volumes de capacités qui pourraient être réduites ou décalées dans le temps, telles que les cibles de ROEM tactique, qui s’étendent sur plusieurs LPM, et la commande des bâtiments légers de surveillance et de reconnaissance (BLSR) ;

– et l’enjeu de la transformation numérique pour avoir la capacité d’exploiter automatiquement les données et les faire communiquer entre elles, grâce au programme ARTEMIS, qui fait suite aux difficultés du programme SORIA et qui permettra, selon la DRM, « de faire passer la DRM et la FIR au troisième millénaire en matière de gestion et de croisement des données entre elles ».

Par ailleurs, pour l’avenir, et dans le cadre de la future LPM, quatre défis se poseront à la DRM :

– continuer à rester agiles afin de s’adapter aux évolutions du contexte stratégique ;

– pérenniser la nouvelle organisation de la DRM en plateaux ;

– exploiter pleinement l’outil ARTEMIS, qui devra monter en puissance entre 2023 et 2030 et se moderniser de manière progressive afin de ne pas être dépassé avant son entrée en service ;

– et s’adapter à l’évolution des ressources humaines, dans le sens d’une prise en compte des nouveaux métiers, des enjeux d’attractivité, de fidélisation et de parcours croisés internes, avec les armées et entre les services de renseignement du ministère des Armées, ainsi que d’un rôle plus accru des réserves.

b.   Relever le défi de la fidélisation et des nouvelles technologies pour la DGSE

La LPM 2019-2025 a fixé une trajectoire budgétaire de croissance au profit de la DGSE, qui n’a aucune difficulté à consommer les crédits qui lui ont été octroyés. Mais l’enjeu sera de poursuivre cet effort d’investissement au-delà de 2023 car la révolution technologique en cours ne cessera pas de s’amplifier. Il s’agira donc pour la DGSE de s’y adapter pour rester dans la course. La poursuite de l’effort financier se posera en particulier pour le projet de nouveau siège au Fort Neuf de Vincennes, dont la grande majorité des crédits n’a pas encore été engagée, et qui porte en lui un enjeu essentiel pour la fidélisation des ressources humaines, particulièrement volatiles dans le domaine cyber, et de qualité de vie au travail.

En outre, il ne suffit pas de capter l’information : encore faut-il pouvoir l’exploiter, ce qui suppose de disposer des systèmes d’information et de communication (SIC) nécessaires pour ce faire. Mais si le progrès technique est fondamental, il faut aussi pouvoir conserver du renseignement d’origine humaine, qui est le cœur de métier de la DGSE. En outre, dans la mesure où le soutien est indispensable pour les capacités de projection et que la DGSE ne peut pas externaliser toute une série d’activités qui doivent rester en interne, l’enjeu à venir sera, certes, de s’adapter au progrès technologique toujours plus important mais aussi de conserver un juste équilibre avec les enjeux de ressources humaines.

c.   Conserver la militarité de la DRSD et renforcer son budget

S’agissant de la DRSD, les rapporteurs estiment qu’il faudra, d’une part, veiller au respect de l’équilibre entre personnels civils et personnels militaires. En effet, le volume des militaires parmi les effectifs de la DRSD stagne, voire diminue, à tel point que les armées ne peuvent plus honorer certains postes qui leur sont pourtant dévolus. Cette situation, qui n’est pas liée à un problème de compétences, entraine une absence d’effectifs suffisants dans beaucoup d’unités des armées et de la DRSD, malgré la volonté forte portée par le ministère de rehausser les effectifs. Cette difficulté n’est cependant pas propre à la DRSD. La DRSD avait fixé un seuil maximal de 35 % à 40 % de civils en son sein afin de demeurer en mesure d’honorer ses missions dans le cadre des OPEX, car il n’est pas possible d’envoyer des agents, sans statut particulier et qui ne peuvent pas manier des armes sur des théâtres d’opération comme le Sahel. Mais ce seuil sera bientôt atteint, ce qui pose la question de l’avenir du recrutement des civils. Le recrutement de civils pose également la question des différences en termes de sujétions entre les civils et les militaires.

En outre, le budget de la DRSD devrait connaitre une hausse significative pour lui permettre de mener à bien ses projets de transformation et financer l’acquisition de ses logiciels. Le budget de la DRSD est en effet relativement faible, en comparaison avec d’autres services ou directions du ministère des Armées. L’annonce par le président de la République d’un doublement du budget de la DRSD confirme la pertinence de cette direction et des enjeux relatifs à la contre-ingérence pour faire face aux défis futurs. Les rapporteurs ne peuvent que se féliciter de cette annonce, tant la DRSD a dû continuer ses missions avec un budget modeste, dans un contexte où la contre-ingérence a été perçue comme moins importante que la lutte anti-terroriste, en particulier après les attentats de 2015.

B.   Le cyber, une montée en puissance

1.   La cyberdéfense, une priorité de la LPM

La LPM 2019-2025 a consacré un chapitre spécifique à la cyberdéfense, ce qui constitue un tournant par rapport aux précédentes LPM. Au sein de ce chapitre, deux articles visaient à adapter la posture française :

– en matière de détection des cyber-attaques (article 34) ;

– et par l’extension du régime de protection juridique et d’irresponsabilité pénale prévu à l’article L. 4123-12 du code de la défense aux cyber-combattants (article 35).

S’agissant des moyens, la LPM 2019-2025 prévoit 1 500 créations de postes sur la période de programmation dans le domaine de la cyberdéfense et de l’action dans l’espace numérique, dont plus de 1 000 cyber-combattants. Le tableau ci-dessous présente le cadencement des augmentations d’effectifs prévus dans ce cadre :

 

Domaine

2019

2020

2021

2022

2023

2024

2025

Total 2019-2025

Cyberdéfense

107

94

96

135

151

270

270

1 123

Digitalisation / Intelligence artificielle

22

6

6

18

145

90

90

377

Total

129

100

102

153

296

360

360

1 500

Total cumulé

129

229

331

484

780

1 140

1 500

1 500

 

Enfin, en complément du cadre juridique existant, la LPM 2019-2025 a créé la « posture permanente cyber » (PPC). Placée sous le contrôle du COMCYBER, la PPC regroupe l’ensemble des mesures prises pour assurer la défense des forces armées dans le cyberespace. Il s’agit d’une posture comparable, dans le cyberespace, aux traditionnelles postures permanentes de sécurité maritime et aérienne. La PPC recouvre trois missions principales :

– surveiller l’espace numérique et détecter les atteintes affectant le ministère des Armées ;

– permettre aux forces de se déployer en sécurité au regard des menaces provenant du cyberespace, et d’accomplir leur mission ;

– et contrer les agressions informatiques ou informationnelles, y compris en prenant les mesures visant à faire cesser les effets de l’attaque.

Pour la mise en place de la PPC, 139 effectifs supplémentaires sont prévus sur la période de la programmation.

2.   Une montée en puissance progressive

Les budgets alloués à la cyberdéfense ces 4 dernières années dans le cadre de la LPM 2019-2025 ont été, selon les termes du COMCYBER lors de son audition, « respectés » et « ont permis d’atteindre un premier niveau de maturité » en la matière. Au total, 1,6 milliard d’euros ont été répartis entre plusieurs programmes et acteurs. Toutefois, l’essentiel de l’effort en matière de cyberdéfense porte sur les années 2024 et 2025, « d’où la nécessité de poursuivre la remontée en puissance ». Parmi ces 1,6 milliard d’euros, 791 millions d’euros ont été dédiés au PEM cyber mais seulement 232 millions d’euros ont été engagés fin 2022, « ce qui est conforme aux objectifs fixés par la LPM 2019-2025 » ([60]).

55 % du budget dédié à la cyberdéfense a été consacré au domaine du chiffre – qui a été intégré à la cyberdéfense en 2018. En effet, toujours selon le COMCYBER, « l’effort en matière de cryptographie est indispensable pour disposer d’un socle de sécurité robuste et souverain », notamment pour la sécurisation des échanges secrets. Dans la mesure où il faut environ 12 ans pour développer une nouvelle génération de chiffreurs, il est indispensable de s’intéresser d’ores et déjà aux défis posés dans ce domaine par le quantique, « ce que nous faisons, en intégrant les technologies post-quantiques à nos équipements cryptographiques ».

Si la lutte information offensive (LIO) a bénéficié dès le début de l’entrée en vigueur de la LPM 2019-2025 de crédits conséquents, « la lutte informatique d’influence (L2I) n’a été prise en compte qu’à partir de 2021 ». D’ailleurs, en 2018, « on ne parlait pas de L2I. Il a donc fallu faire une place à ce domaine émergent en cours d’exécution ». Si la revue stratégique de défense et de sécurité nationale (RSDSN) de 2017 évoquait bien la lutte d’influence sur les réseaux sociaux, notamment à travers le prisme de la propagande de Daech au Levant, le rôle de Wagner en Afrique ou en Europe de l’Est n’avait pas été clairement identifié. De ce point de vue, il est important de bien intégrer cette prise en compte de la L2I en cours d’exécution pour la construction de la future LPM car, grâce aux actualisations, la L2I, qui n’avait pas été identifiée dans la LPM 2019-2025, a pu être intégrée en cours d’exécution, ce qui a permis, selon les termes du COMCYBER, de « rectifier le tir ». Aujourd’hui, les efforts portent aussi sur l’organisation des services de l’État en matière de L2I. Si la répartition des missions en matière de protection et de défense entre le COMCYBER et l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI) est bonne, il faudra veiller à la bonne articulation des missions et la bonne répartition des compétences avec Viginum d’une part, et la direction dédiée à la lutte d’influence qui a été créée au sein du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (MEAE) d’autre part. En ce qui le concerne, le COMCYBER est seulement en charge de la L2I en appui des opérations militaires

En outre, une partie du budget dédié à la cyberdéfense a été consacrée aux dépenses de fonctionnement, à hauteur de 107 millions d’euros, ce qui a permis d’équiper, de former et d’entrainer les personnels et de faire l’acquisition de matériels.

Enfin, à l’occasion des ajustements annuels de la programmation militaire (A2PM), la feuille de route relative au chiffre a été accélérée, des travaux relatifs au traitement des données de masse ont été lancés et la construction d’un centre de traitement des données a pu être engagée à Bruz, sur le site de la direction générale de l’armement – maitrise de l’information (DGA-MI) grâce à un abondement du budget dédié aux PEM.

En conclusion, la France a conduit un effort de construction de capacités intéressant dans le domaine cyber depuis plusieurs années, de sorte qu’aujourd’hui, selon le COMCYBER, « elle est déjà en mesure de mener le combat dans ce nouvel espace de conflictualité ». Toutefois, « il reste encore du chemin à accomplir », car si la France est une nation qui compte dans ce domaine à l’échelle de l’Union européenne (UE), « la poursuite de l’effort est indispensable pour ne pas perdre cette avance » et décrocher par rapport aux autres États qui, eux, investissent beaucoup dans ce domaine, comme les États-Unis ou Israël qui sont loin devant mais également le Royaume-Uni et l’Allemagne qui investissent beaucoup. À titre d’exemple, le Royaume-Uni a investi 3 milliards d’euros sur 3 ans dans le domaine de la cyberdéfense. D’ailleurs, dans le domaine du numérique de manière générale, « il faudra constamment ajuster nos investissements car les choses évoluent très rapidement : si on estime que le numérique croit de manière exponentielle, les budgets ne peuvent pas croitre de manière linéaire en réponse. Sera-t-on en mesure de faire face à cette pente ascendante sur le long terme ? Nous l’espérons » ([61]).

3.   Les recommandations de vos rapporteurs

Au-delà de la poursuite bienvenue de l’effort financier au profit de la cyberdéfense annoncée par le président de la République pour la future LPM, vos rapporteurs estiment que les quatre recommandations suivantes mériteraient d’être dûment prises en compte dans les réflexions actuelles et futures.

a.   Fidéliser les agents cyber à travers une meilleure rémunération et une mise en valeur de l’écosystème défense

Le COMCYBER n’est qu’à 82 % de ses effectifs aujourd’hui. « Je dois donc trouver le moyen de conquérir le reste des effectifs vacants » explique-t-il. Ce sont les armées qui recrutent pour le compte du COMCYBER. Les armées disposent de sous-officiers qualifiés dans le domaine du numérique. Toutefois, la formation d’un sous-officier prend du temps, ce qui implique de diversifier le recrutement. Pour ce faire, le COMCYBER mène des actions de communication dans les lycées([62]), dans des écoles d’ingénieur, dans des salons de recrutement (European Cyber Week, salon de Monte-Carlo…) ou encore à l’occasion des journées défense et citoyenneté (JDC). Un bureau d’appui au recrutement installé sur le Campus Cyber a été créé afin d’orienter les profils et de communiquer sur les métiers proposés. Un dispositif de bourse cyber a également été créé, qui prévoit un financement des études en échange d’un premier poste dans les armées, « ce qui marche plutôt bien » selon le COMCYBER. Enfin, la création d’un brevet de technicien supérieur (BTS) dans le domaine de la cyberdéfense et le recours à l’apprentissage permettent au COMCYBER de disposer d’un bon vivier de recrutement. S’agissant de l’apprentissage, 50 % des apprentis restent au ministère des Armées après leur contrat d’apprentissage, même s’il n’y a pas de clause d’engagement après la fin dudit contrat.

En outre, les difficultés relatives à la fidélisation sont d’autant plus regrettables qu’il faut en moyenne 3 ans pour former et initier la montée en niveau des jeunes recrues. « Par conséquent, nous sommes satisfaits lorsque nous arrivons à les conserver 6 ans ».

Le nerf du recrutement et de la fidélisation des personnels est la rémunération car « si on ne propose pas des rémunérations compétitives, on ne pourra pas faire face à la concurrence du secteur privé, même si les personnes qui nous rejoignent le font aussi pour servir la France et pour le caractère attractif des missions que nous leur proposons ». De ce point de vue, le COMCYBER, en lien avec les armées, travaille à la construction de parcours de carrière en partenariat avec les industriels afin que les parties prenantes de l’écosystème de cyberdéfense français travaillent ensemble. « Mais nous sommes lucides : les jeunes recrues ne resteront pas. Elles partiront tôt ou tard. Elles ne feront pas pour la plupart 30 ans de carrière chez nous ».

La formation est également un levier de fidélisation, même si les jeunes recrues peuvent également être réticentes à l’idée d’un parcours de carrière car « cela leur donne l’impression d’être enfermés ». Mais dès lors qu’ils souhaitent faire carrière dans le domaine de la défense, ils bénéficient d’opportunités fortes, en particulier au sein de l’écosystème de Rennes qui permet à un jeune de se construire un parcours divers grâce à l’implantation locale de la DGA-MI, du COMCYBER, etc.

« Même si on ne peut pas mettre un agent de la DRSD derrière chaque personne qui quitte ses fonctions au ministère des Armées », certaines personnes ayant eu accès à des informations sensibles dans le cadre de leurs fonctions au COMCYBER ou dans un autre service du ministère des Armées font l’objet d’un suivi, notamment lorsqu’ils sont par la suite recrutés par Google ou par une société israélienne. Toutefois, le risque de fuite d’informations sensibles ou de détails relatifs à des modes d’action cyber se réduit rapidement car « ce qu’ils ont appris devient vite obsolète grâce au renouvellement des outils et des modes d’action. Ainsi, la personne qui nous quitte perdra rapidement en valeur car ce qu’elle aura appris chez nous sera vite périmé ». Une attention particulière des services doit néanmoins être maintenue sur ce point.

b.   Valoriser le rôle des réservistes à travers un renforcement de leur rôle et des équipements adéquats

Par ailleurs, le COMCYBER s’est doté d’une réserve opérationnelle pour renforcer ses unités ainsi que les unités de cyberdéfense des armées, directions et services. Les profils utilisés sont en premier lieu des profils techniques, ingénieurs et techniciens experts en sécurité des systèmes d’information, experts réseaux et protocoles, administrateurs systèmes et sécurité, data scientist, cryptographie, rétro-conception et analyse de vulnérabilités, audit, etc. Ce sont aussi des profils généralistes avec une approche multidisciplinaire et des profils plus hétéroclites tels que des linguistes, des juristes.

Recrutés pour leur expertise et leurs compétences singulières, les réservistes opérationnels participent aux opérations dans le cyberespace. Ils sont employés directement soit par une unité cyber du ministère des Armées, par l’état-major du COMCYBER ou bien par des centres spécialisés. Ils participent aux entraînements de lutte informatique défensive, concourent aux exercices interarmées et interalliés ainsi qu’aux opérations extérieures. La réserve opérationnelle cyber est un moyen pour les armées de collaborer avec le secteur civil, notamment avec les écoles d’ingénieurs. L’engagement des réservistes apporte aux armées un haut niveau de compétences supplémentaires parfois non détenues en interne sur certains domaines.

Afin de renforcer la réserve de cyberdéfense, nous devrons faire face aux besoins impérieux de moderniser l’environnement et les conditions de travail du réserviste. Nous devrons aussi tendre à une augmentation du volume des effectifs dans le but d’optimiser la gestion des ressources humaines de la réserve, ainsi qu’à une augmentation de l’enveloppe budgétaire afin d’être en capacité de doter nos réservistes en équipements (postes informatiques, etc.).

Notre réserve cyber étant en grande partie constituée de spécialistes, il parait indispensable que ces derniers puissent progresser en grade au même titre que les généralistes. Enfin, « les réserves étant un des vecteurs les plus directs pour le maintien et la consolidation du lien entre l’armée et la nation »([63]), étendre le périmètre d’actions de la réserve de cyberdéfense et sa présence au niveau territorial, c’est-à-dire au plus proche de la nation dans le but de participer à la résilience nationale dans le domaine cyber, en faveur du lien armée-nation et notamment de la jeunesse, nécessitera des effectifs et les budgets afférents.

c.   Repenser les modalités et les niveaux d’action de la lutte informatique

Selon le COMCYBER, la France dispose aujourd’hui d’un « bon niveau de maturité dans les trois domaines de la lutte informatique ». Toutefois, il est aujourd’hui nécessaire d’opérer deux évolutions :

– dans le domaine de la lutte informatique défense (LID), « il faudra poursuivre la montée en puissance pour disposer d’une hyper-vision, au niveau stratégique, grâce des moyens fédérés et à l’état de l’art, ce que nous construisons progressivement, en essayant d’homogénéiser les procédures et les outils » ;

– et dans les domaines de la lutte informatique offensive (LIO) et d’influence (L2I), « nous devons plutôt descendre d’un niveau car si le niveau stratégique est bien construit, nous devons désormais mieux appuyer les armées au niveau tactique afin d’agir sur le terrain au plus près de l’ennemi ».

En outre, le COMCYBER doit travailler sur sa capacité à agir de manière transversale entre les trois domaines de lutte informatique car, par exemple, une attaque informatique offensive peut nécessiter une réponse coordonnée en matière de L2I.

d.   Développer les partenariats

Dans la mesure où la sécurité n’existe que si elle est partagée avec nos partenaires industriels et étrangers, un effort significatif de développement des partenariats semble primordial. Sur le volet défensif, comme l’a indiqué le COMCYBER lors de son audition, « nous sommes meilleurs à plusieurs ». De ce point de vue, les échanges sont fluides et faciles. Mais le développement de l’interopérabilité doit se poursuivre. Un travail en commun entre les entités européennes en charge de la cyberdéfense a été mis en place dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne (PFUE).

À l’échelle nationale, une structure de coordination dite « C4 » réunit l’ANSSI, le MEAE, le COMCYBER, la DGA, la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et la DGSE, sous le patronage du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN). « Nous nous voyons souvent au sein de cette structure pour échanger, partager et nous coordonner sur les crises en cours ». Au niveau technique, un C4 « tech-ops » traite les sujets et constitue une plateforme d’échanges de données techniques. À titre d’exemple, à la suite de l’attaque de l’hôpital André-Mignot situé à Le Chesnay-Rocquencourt, des échanges ont eu lieu entre les divers services composant le C4, même si l’ANSSI est leader sur le sujet([64]).

C.   L’espace, nouveL enjeu majeur

1.   Une ambition forte pour le domaine spatial

Au titre des capacités spatiales, la LPM 2019-2025 prévoyait principalement le renouvellement de nos capacités satellitaires. À ce titre, une enveloppe de 3,6 milliards d’euros avait été provisionnée dans le cadre de la programmation, selon les indications de la ministre des Armées de l’époque ([65]).

Le renouvellement de nos capacités a été respecté, conformément à ce qu’avait prévu la LPM, à travers notamment :

– la capacité de renseignement d’origine électromagnétique (ROEM), composé de trois satellites CERES lancés en orbite en novembre 2021. La France est l’une des rares nations à maîtriser ce type de capacités spatiales. Signe de l’utilité d’une telle technologie, la mise en service de CERES a été accélérée à l’occasion du conflit ukrainien.

– la capacité de télécommunication militaire Syracuse IV. Le premier satellite, Syracuse VI A, a été lancé en octobre 2021 et qualifié par la DGA en septembre 2022. La mise en orbite du second satellite, Syracuse IV B, est prévue courant 2023.

– la capacité de renseignement d’origine image (ROIM), avec la mise en orbite en 2021 et 2022 des deux premiers satellites CSO 1 et CSO 2 du programme Musis. La mise en orbite du troisième satellite est décalée en 2024 en raison, selon les indications du projet annuel de performance, « de la crise en Ukraine ayant conduit à renoncer au lancement par le lanceur russe Soyouz ».

L’effort en matière de développement de nos capacités spatiales militaires a toutefois été accéléré, à la suite de la publication de la « stratégie spatiale de défense » en 2019. Ainsi que l’a résumé la ministre des Armées de l’époque, « Alors que la loi de programmation militaire consacre le renouvellement de nos capacités satellitaires, un effort supplémentaire sera entrepris pour renforcer notre connaissance de la situation spatiale et permettre l’acquisition de premières capacités dans les nouveaux domaines identifiés ; notamment la détection des activités spatiales potentiellement malveillantes et la protection de nos moyens spatiaux » ([66]).

Cette nouvelle orientation s’est traduite financièrement par l’ajout de 700 millions d’euros supplémentaires au titre de la programmation.

Sur le plan capacitaire, cette stratégie s’est notamment matérialisée par la création en 2021 du programme de maîtrise de l’espace dit ARES. Ce programme vise à accroître l’amélioration de la connaissance de la situation, à renforcer la protection de nos capacités spatiales, ainsi qu’à se doter d’une véritable capacité de conduite d’opérations de « défense active » dans l’espace. C’est dans le cadre de ce programme qu’est notamment développé un démonstrateur de patrouilleur dit Yoda, ainsi que le successeur du radar Graves.

La volonté d’accroître la connaissance de la situation spatiale a en outre entraîné la conclusion de contrats dits de services spatiaux, avec des entreprises privées, les capteurs détenus par nos armées ne répondant que partiellement aux besoins en la matière. Il peut être cité à cet égard les services GeoTracker d’Ariane Group, le système We Track de Safran ou encore le dispositif Pléiade Néo d’Airbus.

Cette stratégie est également illustrée par la création en septembre 2019 du commandement de l’espace (CDE) au sein de l’armée de l’air et de l’espace, qui vise à rassembler au sein d’un commandement unique basé à Toulouse l’ensemble des unités concourant aux opérations spatiales, aujourd’hui disséminées à Creil et Lyon. L’effectif du CDE, actuellement de 370, devrait passer à 470 en 2025. Le centre spatial de Toulouse accueillera en outre le centre d’excellence de l’OTAN.

Enfin, la montée en puissance du segment spatial est illustrée par la tenue d’un exercice annuel spécifique dit « AsterX » depuis 2021. En 2022, l’exercice a été structuré autour d’un scénario comprenant seize « événements spatiaux », dont un affectant la constellation Galileo.

Au final, selon les données du ministère des Armées, sur la période 2019-2022, 1,9 milliard d’euros a été consacré aux acquisitions de capacités, 166 millions d’euros aux études amont, 59 millions au titre des services spatiaux et 6 millions d’euros à la mise en place du CDE. En 2023, 702 millions d’euros sont prévus pour le segment spatial, selon le ministre des Armées ([67]).

2.   Les recommandations de vos rapporteurs

La prochaine LPM devra tout d’abord poursuivre le renouvellement du segment satellitaire, avec la consolidation, d’une part, du programme CELESTE, pour assurer la continuité de cette capacité de renseignement d’origine électromagnétique (ROEM) depuis l’espace à horizon 2030, et, d’autre part, du programme IRIS, le successeur du programme Musis d’observation image à l’horizon 2030.

Au regard de l’extension de la conflictualité au milieu spatial, comme l’illustre le conflit en Ukraine, le développement de nos capacités de protection de nos satellites et d’actions dans l’espace parait essentiel, ainsi que l’a souligné le commandant de l’espace, le général de division aérienne Philippe Adam : « il faut accélérer tout ce qui est moyens de maîtrise de l’espace – et donc, nos patrouilleurs spatiaux. Le programme, de capacité de défense active dans l’espace, devrait aboutir à la fin de la décennie. Il est absolument... j’allais dire vital, c’est un peu fort, mais la démonstration de l’importance de l’espace pour les opérations militaires perdrait beaucoup de sa pertinence et de sa crédibilité si nous rations cette étape. La France est l’un des seuls pays à avoir affiché sa volonté de mener une action de ce type dans l’espace. Nous ne l’utiliserons pas forcément mais c’est un bon moyen de se défendre, de se protéger et de faire du signalement stratégique. À mon avis, cette capacité ne peut pas prendre du retard » ([68]).

La poursuite et l’amplification du programme ARES sera donc un point d’attention majeur dans le cadre de la prochaine LPM.

Enfin, une réflexion doit certainement être menée sur l’opportunité pour nos armées de s’appuyer sur certaines capacités civiles développées dans le cadre du New Space, notamment dans le domaine des constellations à basse altitude : « le New Space offre des opportunités nouvelles qui arrivent sur le marché à un rythme rapide et auxquelles nous n’avions pas forcément pensé parce que nos programmes qui aboutissent actuellement ont été lancés, pour la plupart, il y a dix ans, à une époque où la situation était complètement différente » ([69]).

D.   L’innovation, un effort a poursuivre

1.   L’innovation de défense était un des 4 axes prioritaires de la loi de programmation militaire 2019-2025

Au sens large, l’innovation de défense comprend l’ensemble des crédits des études amont du programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense » de la mission Défense du projet de loi de finances et se décompose en quatre grandes catégories de projets innovants :

- les projets de technologie de défense, qui correspondent aux projets structurant les capacités futures dans le cadre de l’innovation dite planifiée, que ce soit les grands projets dans le domaine de la dissuasion (SNLE 3G, ASMP-A et ASN4G…), dans le domaine terrestre (SCORPION, MGCS), dans le domaine aérien (SCAF, évolutions pour le successeur du Rafale), dans le domaine maritime (SLAM-F, FMAN-FMC…) ou dans les domaines transverses tels que les soutiens, la santé ou le NRBC ;

- les projets d’accélération de l’innovation, qui correspondent aux projets de soutien à des entreprises innovantes qui sollicitent des besoins financiers pour faire passer à maturité une innovation ;

- les projets d’innovation participative, pour soutenir les innovateurs internes du ministère des Armées ;

- et les projets de recherche, pour explorer les technologies d’intérêt de défense dans une logique de long terme. Ceux-ci prennent généralement la forme de projets de thèse.

Au titre de la loi de programmation militaire 2019-2025, le budget dédié aux études amont devait augmenter progressivement pour atteindre 1 milliard d’euros en 2022 en crédits de paiement. Le tableau ci-dessous détaille le calendrier d’augmentation progressive des crédits d’études amont jusqu’en 2022.

Source : rapport annexé de la loi de programmation militaire 2019-2025

En outre, l’agence de l’innovation de défense (AID) a été créée le 1er septembre 2018 pour fédérer toutes les initiatives en matière d’innovation de défense au sein du ministère des Armées. Cette agence avait pour objectif d’être l’acteur central de la nouvelle politique d’innovation du ministère. Elle avait pour objectif de rassembler tous les acteurs du ministère et tous les programmes qui concourent à l’innovation de défense. Elle a également pour rôle d’initier une nouvelle politique d’innovation, dite ouverte, consistant à capter les innovations issues du secteur civil pour les décliner au secteur de la défense en prenant en compte ses spécificités et ses besoins. Enfin, elle gère le budget dédié aux études amont, sous la supervision de la direction générale de l’armement à laquelle elle est rattachée.

2.   Le respect de l’objectif du milliard d’euros pour l’innovation a permis à l’AID de financer de nombreux projets innovants

La trajectoire d’augmentation progressive des crédits d’études amont pour atteindre 1 milliard d’euros en crédits de paiement en 2022 a été respectée. En outre, dans le cadre des dispositifs qu’elle gère, l’AID a pu soutenir de très nombreuses entreprises innovantes de la BITD. Les investissements financiers au titre des études amont dans le cadre des projets de technologie de défense ne font pas partie de ces dispositifs.

a.   Le programme RAPID

Le programme « régime d’appui à l’innovation duale » (RAPID) a été créé en 2009. Le ministère des Armées y consacre environ 50 millions d’euros par an. Il s’agit d’un dispositif de financement de projets d’accélération de l’innovation dans tous les domaines. Plus précisément, cet outil permet de soutenir des projets de recherche industrielle et de développement expérimental à fort potentiel technologique présentant des applications militaires et des retombées pour le secteur civil. L’entreprise cheffe de file doit être une PME de moins de 2000 personnes et peut présenter son projet en partenariat avec une autre entreprise ou un organisme de recherche. En moyenne, un projet dure 30 mois et bénéficie d’une aide de 700 000 à 800 000 euros. En 2021, 57 projets ont été sélectionnés pour un montant total de 43 millions d’euros.

b.   Definvest

Créé en novembre 2017, le fonds Definvest est géré par l’AID et opéré par Bpifrance. Il a pour objectifs d’intervenir dans le capital d’entreprises jugées stratégiques afin de les renforcer et de contribuer à la consolidation d’une filière de défense sur le long terme. Les entreprises ciblées sont principalement des PME françaises dont les compétences et le savoir-faire sont essentiels à la performance globale des systèmes de défense français.

En 2022, le fonds Definvest a été doublé pour porter son montant maximum d’investissement à 100 millions d’euros. À ce jour, Definvest a investi dans 13 entreprises.

c.   Le Fonds Innovation Défense

Créé en 2021, le Fonds Innovation Défense (FID) a pour objectif de prendre des participations dans des entreprises innovantes en phase de croissance, start-ups, PME et ETI développant des technologies duales et transverses intéressant la défense. Il est également opéré par Bpifrance. Le FID est complémentaire du fonds Definvest, centré sur le soutien des entreprises stratégiques de la BITD. La contribution du ministère des Armées au FID est de 200 millions d’euros.

En 2021, des investissements ont été réalisés dans le domaine de l’ordinateur quantique dans les entreprises Pasqal et Qandela. En 2022, 35 millions d’euros d’investissements ont été programmés. Un premier investissement a été conclu en juillet dans Outsight, fleuron français du domaine de l’intelligence spatiale 3D. Un second investissement a été rendu public en novembre avec Dust Mobile, premier opérateur mobile de cyberdéfense.

d.   ASTRID et ASTRID Maturation

Le programme ASTRID, d’un montant de 10 millions d’euros par an en moyenne, a pour objectif de soutenir des projets duaux de recherche exploratoire et d’innovation de haut niveau, à un niveau de maturité allant de 1 à 4, sur des thèmes de recherche d’intérêt pour le secteur de la défense. Depuis 2011, 347 projets ont été financés. 70 % des partenaires de projets ASTRID sont des organismes de recherche et 40 % des projets font participer une entreprise. En 2021, deux appels à projets spécifiques ont été lancés sur l’intelligence artificielle et sur la robotique. En 2022, les deux thématiques retenues sont la guerre cognitive et l’énergie.

Le programme ASTRID Maturation, d’un montant de 4 à 5 millions d’euros par an en moyenne, a pour objectif de valoriser les travaux scientifiques duaux financés par le secteur de la défense, jusqu’à un niveau de maturité supérieur ou égal à 5. Depuis 2013, une soixantaine de projets ont été financés via ce programme.

Ces deux programmes sont opérés par l’agence nationale de la recherche (ANR) au profit de l’AID.

3.   Les recommandations de vos rapporteurs

En dépit du respect de la trajectoire financière arrêtée dans la LPM et un bilan très positif de l’action de l’AID, vos rapporteurs souhaitent appeler l’attention sur les trois axes d’effort suivants.

a.   Poursuivre les investissements financiers au-delà du milliard d’euros

La hausse progressive des crédits des études amont à hauteur de 1 milliard d’euros en crédits de paiement à partir de 2022, confirmés dans le projet de loi de finances pour 2023, a permis d’investir dans de nombreux domaines clés pour la défense de demain.

Toutefois, l’atteinte de cet objectif ne peut pas constituer une fin en soi. Le montant d’un milliard d’euros ne saurait avoir un caractère totémique. Si les besoins d’investissements au profit des études amont s’avèrent plus importants au regard de l’évolution de la menace et des besoins capacitaires, une augmentation du budget dédié à l’innovation, selon une trajectoire progressive arrêtée dans la future loi de programmation militaire, devrait être envisagée.

b.   Renforcer les effectifs de l’Agence de l’innovation de défense

En outre, les effectifs de l’AID semblent insuffisants au regard des besoins. En 2021, ses effectifs n’étaient que de 99 ETPT. Or, même si l’AID n’est qu’un élément dans l’écosystème de l’innovation de défense, qui essaime partout sur le territoire, et qu’elle est soutenue par de nombreuses personnes au sein de la DGA pour la gestion des différents dispositifs, le niveau d’activité de l’agence est tel qu’une augmentation des effectifs pour faire face à la charge de travail s’avère indispensable.

Les retards dans la gestion des projets dans le cadre du dispositif RAPID, documentés dans les avis budgétaires de la commission de la Défense sur les projets de loi de finances pour 2022 et pour 2023, illustrent cet état de fait. Ceux-ci ont certes été causés par la crise de la Covid-19, mais ils trouvent également leur origine dans une surcharge de travail qui a culminé avec le retrait de la direction générale des entreprises (DGE) du ministère chargé de l’Économie et des Finances, ce qui a eu pour effet de redéployer 4 ETPT pour compenser.

c.   Investir les domaines prioritaires : l’exemple du quantique

Le quantique sera un des principaux défis auxquels le ministère des Armées sera confronté demain. La sécurité de la majorité des systèmes d’information repose aujourd’hui sur la cryptographie à clé publique qui permet de sécuriser les échanges entre deux entités qui ne partagent pas de secret préalablement. Or la robustesse de la cryptographie à clé publique repose sur des problèmes mathématiques que les capacités d’un ordinateur quantique pourraient très facilement résoudre. Il en résulterait donc une vulnérabilité des systèmes de cryptographie qui serait de nature à fragiliser la sécurité des systèmes d’information. Cet enjeu a été intégré dans les travaux capacitaires en cours, en partenariat entre le COMCYBER, la DGA et les industriels de la BITD.

Or, sur le plan financier, le budget alloué au quantique dans la LPM 2019-2025 est de l’ordre de 50 millions d’euros, « ce qui est trop peu, notamment en comparaison avec le budget de 1,8 milliard d’euros alloué au titre de la stratégie nationale pour les technologies quantiques. Il va donc falloir changer de braquet »  ([70]), comme l’indiquait Patrick Aufort, directeur de l’AID, dans l’avis sur les crédits du programme 144 du projet de loi de finances pour 2023.

En outre, la future LPM devrait garantir le financement du remplacement de chiffreurs qui, aujourd’hui, ne s’appuient pas sur la cryptographie post quantique afin d’être en mesure de faire face au défi induit par la généralisation des technologies quantiques.


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   Troisième partie : une activité opérationnelle et un axe « à hauteur d’homme » à consolider

I.   Une activité opérationnelle À conforter

A.   Une armée au rendez-vous de ses missions…

1.   Une armée engagée sur de multiples fronts

Le contrat opérationnel figurant dans le rapport annexé de la LPM au titre de l’Ambition 2030 prévoit une capacité d’assurer, outre les missions permanentes et hors opération à dominante de coercition, l’engagement « dans la durée et simultanément » sur « trois théâtres d'opérations, avec la capacité à assumer le rôle de Nation-cadre sur un théâtre et à être un contributeur majeur au sein d'une coalition » ([71]), pour un volet cumulé de forces équivalent à une brigade interarmes (6 000 à 7000 hommes). Force est de constater que nos armées ont été à la hauteur de leurs contrats opérationnels depuis 2019.

a.   Les missions permanentes

Les armées ont tout d’abord assuré les postures permanentes dont elles ont la charge, notamment :

-         La posture permanente de dissuasion de la composante océanique et de la composante aéroportée.

Celle-ci se matérialise par une présence en mer continue d’au moins un SNLE et de ses bâtiments de soutien, ainsi que par l’alerte permanente de Rafale et d’avions ravitailleurs des forces aériennes stratégiques. La réactivité et l’adaptabilité de cette posture ont été démontrées au début de la crise ukrainienne.

-         La posture permanente de sûreté arienne (PPSA) et de sauvegarde maritime (PPSM), aux fins de défense et de protection du territoire et de ses approches.

La PPSA mobilise 400 aviateurs quotidiennement et son activité est en hausse, ainsi que l’a rappelé le chef d’état-major de l’armée de l’air et de l’espace, « pendant les huit premiers mois de l’année 2022, la PPS-A a donné lieu à 177 décollages sur alerte, dont 120 d’avions de chasse et 57 d’hélicoptères, à la suite de plus de 100 pertes de contact radio et de 150 violations d’espaces aériens interdits. Cela représente une augmentation de plus de 40 % des missions de police du ciel par rapport à l’année passée » ([72]).

Quant à la PPSM, elle mobilise plus de 1400 marins, avec « chaque année 2200 jours de mer pour les frégates de surveillance, patrouilleurs et bâtiments de soutien et 1500 heures de vol de patrouille maritime » ([73]).

b.   Les OPEX

Les armées ont également fait l’objet d’un fort engagement dans le cadre d’opérations extérieures, comme l’illustre le dépassement constant de la provision OPEX susmentionné, malgré l’augmentation significative de celle-ci.

L’opération Barkhane, dont le terme a été officiellement annoncé par le Président de la République le 9 novembre 2022, a été l’opération la plus emblématique du fait de la mobilisation de 4 900 à 5 100 soldats de façon constante et l’engagement d’importants moyens capacitaires : en 2021 étaient ainsi déployés 260 véhicules blindés lourds, 210 véhicules blindés légers, 410 véhicules logistiques, une vingtaine d’hélicoptères d’attaque et de transport, sept avions de chasse, six à sept avions de transport tactiques et stratégiques, six drones ou encore des moyens de renseignement([74]).

L’autre opération majeure dans laquelle ont été engagées les forces armées depuis 2019 est l’opération Chammal, composante française de l’opération de coalition internationale Inherent Resolve de lutte contre Daech au Levant. Cette opération a mobilisé en 2021 1 134 militaires français en moyenne, ainsi que des Rafale depuis la base aérienne projetée en Jordanie (BAP H5) et la présence continue d’une frégate en Méditerranée orientale et ponctuelle du groupe aéronaval.

L’importance des opérations Barkhane et Chammal est illustrée par le fait qu’elles concentrent à elles seules 84 % des surcoûts OPEX et 80 % des effectifs déployés en OPEX entre 2019 et 2022. Selon les informations communiquées par le ministère des Armées, ces surcoûts portent principalement sur le titre 2 (260 millions d’euros en moyenne), le fonctionnement courant (260 millions d’euros en moyenne) et les transports (105 millions d’euros en moyenne).

principales Opérations des forces armées (août 2022)

Source : état-major des armées

c.   Les missions de prévention

Au titre des missions de prévention, il convient de relever que les bâtiments de la marine contribuent à la lutte contre la piraterie dans le golfe de Guinée (opération Corymbe), à la protection des flux commerciaux dans le détroit d’Ormuz (opération Agénor) ou encore au respect de l’embargo sur les armes à destination de la Libye (opération Irini). Dans le cadre de l’opération Daman, les armées françaises ont également envoyé un contingent de 700 militaires au Liban au profit de la force intérimaire des Nations Unies au Liban (FINUL).

Enfin, et surtout, depuis le 24 février 2022, début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les armées se sont mobilisées pour participer au renforcement de la posture dissuasive de l’Alliance atlantique sur le flanc Est de l’Europe. Cette contribution a pris des formes multiples : en Estonie, participation à la mission Lynx et déploiement de Mirage 2000-5 sur la base d’Amari ; en Lituanie, déploiement de Rafale pour assurer des missions de défense aérienne ; en Pologne, missions de police du ciel assurées par des avions de chasse et des ravitailleurs ; en Roumanie, déploiement du bataillon « fer de lance » de la Force de réaction rapide de l’OTAN dans le cadre de la mission Aigle ; en mer, projection du groupe aéronaval (porte-avions, frégates, avions de patrouilles maritime, Rafale et E2-C Hwkaeye, SNA) en Méditerranée, dans le cadre des missions Clemenceau 22 puis Antares. La France a en outre assuré en 2022 le commandement de la force de réaction rapide de l’OTAN (Nato Response Force). L’importance de cet engagement sur le flanc oriental de l’Europe est illustrée par le coût de ces déploiements : plus de 665 millions d’euros en 2022 selon les estimations du ministère des Armées, ainsi qu’il a été rappelé ci-dessus.

d.   Les missions de service public

Les armées ont été également fortement mobilisées dans le cadre de missions de service public. L’opération Sentinelle, qui prévoit une capacité de mobilisation de 7 000 militaires des forces terrestres dans la durée (et jusqu’à 10 000 militaire pendant un mois) représente encore 97 % des dépenses au titre des MISSINT, en mobilisant en moyenne chaque année 88 millions d’euros pour le titre 2 et 65 millions d’euros hors titre 2. Les armées ont en outre activement contribué à l’opération Résilience lancée dans le contexte de la crise Covid, avec la mobilisation sur service de santé des armées (SSA), la projection de quatre modules militaires de réanimation outre-mer, mais également de moyens aériens (A330, hélicoptères, porte-hélicoptères amphibie). Au titre de ces missions de service public, il peut être également cité les missions Héphaïstos de lutte contre les incendies, Harpie de lutte contre l’orpaillage illégal en Guyane, l’opération Titan de protection du centre spatial guyanais, ou encore l’opération d’évacuation humanitaire Apagan qui a permis de transférer près de 2 800 personnes de Kaboul à Paris.

La dernière contribution des armées aux missions de service public est illustrée par le soutien aux exportations (SOUTEX). À ce titre, la LPM a ouvert 400 nouveaux postes au sein des armées, directions et services du ministère des armées, dont 267 à la DGA selon les informations communiquées aux rapporteurs, dans un contexte de forte reprise des exportations d’armement par la France : « alors que les prises de commandes moyennes pour 2013-2020 s’établissaient à 9,4 Md€, elles ont encore progressé pour atteindre 11,7 Md€ en 2021, soit la troisième meilleure performance française à l’export de ce secteur après celles de 2015 (16,9 Md€) et 2016 (13,9 Md€). L’année 2022 devrait confirmer cette tendance avec un niveau de commandes qui devrait dépasser les 20 Md€ » ([75]). Le SOUTEX est fortement mobilisateur pour les armées. La Cour des comptes a ainsi rappelé qu’« en 2018, le volume des heures de vol consacrées à la formation des pilotes indiens, qataris et égyptiens était estimé à 3 000 heures de vol de Rafale, soit 27 % des heures de vol de cet avion et mobilisait 208 ETP de l’armée de l’air, ce qui conduisait à une baisse du niveau d’entraînement et des retards dans les qualifications des pilotes français » ([76]).

2.   Des engagements en cours de redéfinition

Le terme de l’opération Barkhane marque certainement la fin d’un cycle d’opérations, notamment en Afrique, caractérisé par la présence sur place d’importants dispositifs humains et capacitaires, aux fins d’une action directe de nos forces armées, dans la durée, contre les groupes armés terroristes.

Ainsi que l’a mentionné le Président de la République lors de la présentation de la revue nationale stratégique à Toulon : « Notre engagement aux côtés de nos partenaires en Afrique doit désormais être centré sur une logique de coopération et d'appui à leurs armées. Cela doit se traduire par un dispositif plus léger et plus intégré avec elles (…) De même, nos interventions doivent être mieux bornées dans le temps et ce dès le début. Nous n'avons en effet pas vocation à rester engagés sans limite de temps dans des opérations extérieures. Notre soutien militaire aux pays africains de la région se poursuivra, mais selon les nouveaux principes que nous avons définis avec eux. Il se déclinera à l'échelle de chaque pays selon les besoins qui seront exprimés par nos partenaires : équipements, formations, partenariats opérationnels, accompagnements dans la durée et intimités stratégiques » ([77]).

La prochaine LPM devra donc tirer les conséquences de ce redimensionnement de notre présence en Afrique, qui exigera en contrepartie un accroissement d’une aide indirecte à nos partenaires, notamment sous la forme de livraison accrue d’équipements ou d’une augmentation des actions de formation.

En outre, l’opération Chammal a également vocation à poursuivre la réduction de son format dans les prochaines années, si le reflux de la menace incarnée par Daech se confirme au Levant.

Quant aux missions de réassurance sur le flanc de l’Est de l’Europe, elles continueront vraisemblablement à constituer un théâtre d’engagement important de nos militaires, à tout le moins tant que le conflit perdure.

 

3.   Les recommandations de vos rapporteurs

a.   Accroître et prioriser notre présence en Indo-Pacifique

Tout d’abord, comme l’affirme la revue nationale stratégique 2022, « le rôle de la France comme puissance d’équilibres en Indopacifique doit être réaffirmé » ([78]). Il est en effet essentiel de renforcer notre présence militaire en Indo-Pacifique dans les prochaines années, au regard des enjeux stratégiques et de souveraineté pour la France dans cette zone, ainsi que l’a souligné un de vos rapporteurs dans son rapport pour avis sur le budget de la marine ([79]).

Certes, nos forces ont accru leur déploiement dans la zone au cours des dernières années : la marine a notamment réalisé dans cette zone les missions Jeanne d’Arc (porte-hélicoptère amphibie et frégate) et Marianne (SNA Émeraude), tandis que l’armée de l’air et de l’espace y a effectué des missions de projection de puissance (missions Heifara et Pegase). Par ailleurs, l’arrivée des patrouilleurs d’outre-mer ainsi que du futur avion Albatros de surveillance et d’intervention maritime (AVSIMAR) constitueront des nouveaux moyens particulièrement utiles dans cette zone. Cependant, les faibles capacités actuelles de nos frégates de surveillance, notamment au niveau de l’armement, constituent certainement une source de fragilité. L’accélération du projet européen de corvette de patrouille serait ainsi un atout pour accroître notre engagement en Indo-Pacifique, sous réserve que celui-ci ne pâtisse pas des mêmes difficultés que d’autres coopérations européennes telles que le SCAF ou le MGCS. Le renforcement humain des forces armées en Polynésie française pourrait également utilement être envisagé.

b.   Réévaluer Sentinelle

L’opération Sentinelle doit faire l’objet d’une réévaluation d’utilité. Elle est en effet consommatrice de temps, peu formatrice, et se fait souvent au détriment de la préparation opérationnelle des forces terrestres. Elle pèse également sur le moral des soldats et participe par conséquent à un déficit de fidélisation auprès des militaires du rang.

À l’heure du retour de la guerre en Europe, il faut réévaluer l’opportunité d’utiliser nos forces armées pour assurer une mission qui relève de la sécurité publique. Cette réévaluation déterminera la poursuite ou non de Sentinelle et, si elle devait perdurer, son dimensionnement.

c.   La réactivité, clé de nos engagements futurs

Enfin, l’évolution du contexte stratégique nécessite de promouvoir des dispositifs de nature à renforcer encore davantage la réactivité de nos armées.

Ainsi que l’a souligné le major général de l’armée de terre lors de son audition, la réactivité est notamment essentielle pour tenir le rôle de Nation cadre de la « Force opérationnelle interarmées à très haut niveau de préparation » (VJTF) de l’OTAN, comme le fait la France en 2022, avec des délais de préavis de mobilisation et d’engagement très faibles : « notice to move » de 5 jours et « notice to effect » de 30 jours.

Les contrats opérationnels qui seront définis dans le cadre de la prochaine LPM devront par conséquent tirer les conséquences de cette exigence de réactivité, notamment en matière de délais de préavis pour les déploiements de nos forces armées. La perspective du déploiement d’une division prête au combat en 30 jours pourrait constituer une ambition forte.

B.   Mais une préparation opérationnelle À consolider…

1.   Une ambition forte de la LPM

L’activité opérationnelle recouvre l’activité liée, d’une part, à la conduite des opérations et, d’autre part, à la préparation opérationnelle. Comme l’a souligné le major général de l’armée de terre, l’activité opérationnelle détermine non seulement nos capacités opérationnelles et donc la crédibilité de nos armées, mais constitue également le sens de la mission de nos soldats, ainsi qu’un facteur d’attractivité et de fidélisation.

Le niveau d’activité opérationnelle est évalué en fonction de normes OTAN « qui représentent à la fois une référence de savoir-faire et une exigence pour l’intégration de nos moyens nationaux en coalition. Elles traduisent notamment les besoins de régularité et de continuité des actions d’entrainement » ([80]). En cohérence avec les normes OTAN, la LPM a donc fixé « les normes quantitatives d’activité annuelle (hors simulation) pour des forces aptes à être engagés en missions opérationnelles » ([81]).

La LPM prévoit une remontée en puissance en deux temps, avec une phase de régénération puis une augmentation de l’activité en vue d’atteindre les normes précitées à compter de 2023 : « Jusqu'en 2022, l'activité liée à la préparation opérationnelle continuera d'être prioritairement réalisée pour garantir un entraînement conforme aux exigences des missions majeures que sont la dissuasion et la protection et à la conduite des opérations en cours. Le niveau d'activité devrait amorcer une progression permettant d'atteindre les normes susmentionnées et d'aboutir à une recapitalisation de l'ensemble des savoir-faire à compter de 2023 » ([82]).

normes d’activité opérationnelle fixées par la LPM

Armée de Terre :

-journées de préparation opérationnelle ou JPO (hors opérations extérieures et intérieures) : 90 ;

-heures d'entraînement par équipage Leclerc : 115 ;

-heures d'entraînement par équipage VBCI : 130 ;

-kilomètres par équipage VAB/ Griffon : 1 100 ;

-heures d'entraînement par équipage sur AMX 10 RCR/ Jaguar : 100 ;

-coups tirés par équipage Caesar : 110 ;

-heures de vol par pilote d'hélicoptère (dont forces spéciales) : 200 (220) ;

Marine :

-jours de mer par bâtiment (bâtiment hauturier) : 100 (110) ;

-heures de vol par pilote de chasse (pilote qualifié appontage de nuit) : 180 (220) ;

-heures de vol par équipage de patrouille/ surveillance maritime : 350 ;

-heures de vol par pilote d'hélicoptère : 220 ;

Armée de l’air et de l’espace :

-heures de vol par pilote de chasse : 180 ;

-heures de vol par pilote de transport : 320 ;

-heures de vol par pilote d’hélicoptère : 200.

Source : rapport annexé de la LPM 2019-2025

2.   Des efforts restent à faire pour atteindre les objectifs

Malgré les ambitions affichées par la LPM, les normes d’activité restent sensiblement inférieures (de 10 à plus de 30 %) aux normes OTAN prévues par la programmation, ainsi que l’illustre le tableau ci-dessous.

évolution des indicateurs d’activité opérationnelle

Source : projet annuel de performance 2023, programme 178 de la mission Défense « Préparation et emplois des forces ».

Certains segments relatifs à l’aviation connaissent au surplus une évolution défavorable, tels que l’activité sur hélicoptère de l’armée de terre, avions de chasse et de transport de l’armée de l’air et de l’espace.

Le domaine de l’aviation de chasse, dont le taux d’activité de 147 heures prévu en 2023 est historiquement bas, souffre notamment de l’impact de l’export Rafale et du retrait anticipé des Mirage 2000C, comme l’a souligné le major général de l’armée de l’air et de l’espace : « Les conséquences de la légère baisse du format Rafale dans les deux années à venir concerneront moins les contrats opérationnels que les capacités d’entraînement des pilotes : cette année, 164 heures par pilote de chasse contre environ 147 heures pour les deux ans à venir. Notre potentiel technique est moindre puisque nous disposons de moins d’avions et que le nombre de pilotes est le même » ([83]).

La situation devrait toutefois s’améliorer à compter de 2025 grâce aux nouvelles livraisons de Rafale, comme l’a indiqué le chef d’état-major de l’armée de l’air et de l’espace : « L’activité chasse revêt un intérêt particulier dans le contexte des limitations imposées par le prélèvement des Rafale destinés à la Grèce et à la Croatie. Le PLF ne prévoit pour l’entraînement des pilotes de l’aviation de chasse qu’environ 150 heures de vol par personne et par an, puisque les livraisons de Rafale à la France reprendront dès décembre 2022, avant une remontée progressive en 2024 et 2025. Treize appareils vont nous être livrés en 2023, mais dix nous seront parallèlement retirés. Les prélèvements d’avions seront donc compensés par les livraisons et nous devrions assister à une remontée progressive du nombre de Rafale disponibles » ([84]).

Le segment de l’aviation de transport est quant à lui affecté par « les conséquences du retrait de service des C-160 Transall [qui] ne sont que partiellement compensées en 2023 par la montée en puissance des A400M » ([85]).

Il résulte plus largement des échanges de vos rapporteurs avec les forces armées lors de leurs déplacements que le haut niveau d’engagement se fait au détriment de la préparation opérationnelle. Or, seule la préparation opérationnelle permet aux forces de s’entraîner sur l’ensemble du spectre. Ainsi que l’ont souligné des aviateurs de la base de Nancy-Ochey, les opérations des Mirage 2000D en OPEX sont ainsi concentrées sur des missions d’appui-feu, en vue d’appuyer les troupes au sol, de sorte que seule la préparation opérationnelle permet d’acquérir et de maintenir l’ensemble des compétences nécessaires à un conflit de haute intensité.

3.   Les recommandations de vos rapporteurs

a.   Gagner en épaisseur, une exigence pour une préparation opérationnelle durcie

Parmi les causes de ce déficit d’activité opérationnelle, les interlocuteurs de vos rapporteurs ont cité comme facteur principal les problématiques de disponibilité des équipements. Les rapporteurs reviendront sur ce point dans la section suivante.

Outre l’aspect quantitatif de l’activité opérationnelle, les personnes auditionnées ont également mis en avant l’importance de l’aspect qualitatif de la préparation opérationnelle, qui est aujourd’hui entravé par un manque d’épaisseur de certains stocks.

Cette dimension est d’autant plus importante dans un contexte exigeant un durcissement et un changement d’échelle de notre préparation opérationnelle, ainsi que l’illustre l’organisation à l’échelle divisionnaire de l’exercice Orion en 2023, qui intervient après les exercices de préparation à la haute intensité menées depuis 2021 (Polaris pour la marine, Volfa pour l’armée de l’air et de l’espace et Cold Response pour l’armée de terre).

Si l’effort en faveur des petits équipements a certainement permis d’accroître le niveau de réalisme de la préparation opérationnelle, l’insuffisance de certaines munitions, tels que les obus, a été cité par de nombreuses personnes lors des différents déplacements de vos rapporteurs comme constituant un frein à une préparation opérationnelle adaptée. De même, l’entrainement à un combat aérien de haute intensité exige de pouvoir s’entrainer sur des avions dotés d’équipements missionnels modernes, tels que les pods de designation laser. Or, malgré un effort de montée en puissance de ces équipements dans le cadre de la LPM, ceux-ci sont encore trop insuffisants et sont en outre prioritairement alloués aux aéronefs engagés en opérations.

Le recomplètement des stocks de munitions et d’équipements essentiels à la préparation opérationnelle devrait donc être un axe fort de la prochaine LPM.

b.   L’intégration de la simulation dans les normes ?

Au regard de ces contraintes pesant sur l’activité opérationnelle, le développement de la préparation opérationnelle à travers des outils de simulation – qui n’est pas à ce stade comptabilisée dans les normes OTAN – est perçu par certains comme une piste à favoriser dans le cadre de la prochaine LPM. Le major général de l’armée de l’air et de l’espace a ainsi indiqué aux rapporteurs qu’une réflexion est en cours pour réduire les cibles de normes d’activité, afin de tenir compte du poids grandissant de la simulation au sein de la préparation opérationnelle (90h par an) et du « plafond de verre » créé par la disponibilité et le potentiel des aéronefs.

La simulation est certes un outil essentiel, comme ont pu le percevoir les rapporteurs, lors de leur déplacement à Carpiagne, avec le simulateur de tir pour le missile MMP, qui est d’autant plus utile que les occasions de tirer en condition réelle sont rares, en raison du coût des missiles.

Cependant, l’intégration des heures de simulation requiert que les outils de simulation soient adaptés aux nouveaux matériels. Or, ce n’est pas toujours le cas. À Carpiagne, le régiment ne dispose toujours pas de simulateurs pour les véhicules Jaguar (simulateur embarqué et simulateur de tir), qui sont attendus pour 2024-2026, à la suite de reports calendaires. Le simulateur Rafale connait également des déficiences, en ce qu’il n’est pas adapté au dernier standard de l’aéronef.

Selon vos rapporteurs, il convient donc de s’assurer au préalable de la maturité et de l’adaptation de ces outils avant d’en faire une composante à part entière des normes d’activité. En outre, le recours de plus en plus marqué à la simulation ne doit pas se faire au détriment des entraînements « réels » qui, en l’état actuel de la technologie, demeurent le principal moyen de préparer opérationnellement nos forces.

C.   … Ce qui exige d’accroître les efforts en matiÈre de disponibilité

1.   Un effort significatif de la LPM pour le MCO

La LPM promeut un effort significatif en faveur du MCO, à travers deux axes : d’une part, une augmentation des crédits d’EPM, et, d’autre part, une réforme de l’organisation du MCO aéronautique.

 Tout d’abord, l’effort financier prévu par la LPM a été respecté, comme il a été vu précédemment : de 2019 à 2023, plus de 23 milliards d’euros ont été alloués à l’agrégat EPM, soit un montant sensiblement supérieur aux 22 milliards d’euros prévus par la programmation ([86]). Entre les lois de finances initiales 2019 à 2023, les crédits de paiement de l’EPM ont ainsi augmenté de 800 millions d’euros (+19 %).

 Cette hausse a principalement bénéficié au secteur aéronautique des trois armées, auquel ont été alloués près de 74 % des autorisations d’engagement et 58 % des crédits de paiement des crédits d’EPM, selon les données communiquées par le ministère des Armées. Cette disproportion en faveur du secteur aéronautique reflète la mise en œuvre de la réorganisation du MCO aéronautique prévue par la LPM.

 Cette réforme du MCO aéronautique s’est matérialisée par deux changements majeurs :

-         Une réforme de la gouvernance, avec la mise en place de la direction de la maintenance aéronautique (DMAé), qui est directement rattachée au chef d’état-major des armées et non plus auprès du chef d’état-major de l’armée de l’air et de l’espace ;

-         Une modification de la stratégie, avec la politique dite de « verticalisation » des contrats, qui se distingue, d’une part, par la conclusion d’un contrat avec un maître d’œuvre unique responsable de l’ensemble d’une flotte (en lieu et place de dizaines de contrats conclus avec différents industriels), et, d’autre part, par un allongement de la durée de ces contrats (durée de 10 voire 15 ans).

La DMAé a ainsi conclu plus de 23 contrats verticalisés entre 2019 et 2022, selon l’état-major des armées.

Les engagements financiers requis par une telle stratégie sont particulièrement conséquents, en raison de la longue durée de ces contrats pluriannuels : de 2018 à 2021, date du pic de la politique de contractualisation de la DMAé, le montant des autorisations d’engagement au titre de l’entretien programmé des matériels des flottes de l’armée de l’air et de l’espace a ainsi augmenté de 285 %, en passant de 1,87 milliard d’euros à 7,22 milliards d’euros ([87]).

Il s’ensuit une forte rigidification des capacités d’engagement de l’armée de l’air et de l’espace, comme l’illustre l’évolution des restes à payer du BOP Air, qui est passé de 3,8 milliards d’euros en 2019 à 10,2 milliards d’euros en 2021 selon les informations fournies à vos rapporteurs.

Selon le major général de l’armée de l’air et de l’espace auditionné par vos rapporteurs, le coût de mise en place de ces contrats a été plus important que prévu initialement, notamment parce que les industriels maîtres d’œuvres ont dû compléter leur stock de rechanges et recruter du personnel pour être en capacité de remplir les objectifs contractuels fixés par le contrat.

2.   Des résultats encore incertains

Si une phase de montée en puissance de deux à trois ans s’avère nécessaire, selon les acteurs concernés, pour que ces contrats commencent à porter leurs fruits, un premier bilan de cette politique de verticalisation peut toutefois être dressé. Or, ce bilan est à ce stade contrasté.

● Au titre des aspects positifs, l’armée de l’air et de l’espace souligne que ces contrats responsabilisent davantage les industriels, qui doivent garantir un volume minimal d’heures. Ils s’accompagnent également d’un dialogue renforcé entre l’ensemble des acteurs, avec la création de plateaux de soutien sur les bases aériennes réunissant les industriels, la DMAé et les forces, ainsi que des guichets logistiques animés par les industriels. Ainsi, sur la base aérienne de Nancy-Ochey, visitée par un de vos rapporteurs, des correspondants techniques de Dassault seront présents sur la base au titre du contrat Balzac relatif à la maintenance des Mirage 2000D. Le personnel de Dassault assurera notamment le guichet logistique, en vue de réduire les délais d’approvisionnement des pièces critiques.

L’armée de l’air et de l’espace met également en exergue les effets bénéfiques du contrat Ravel sur la disponibilité du Rafale, qui a permis de réduire les effets sur l’activité des premiers prélèvements dus à l’export grec et de faire face à la suractivité générée par les missions sur le flanc Est de l’Europe. En 2022, la flotte Rafale aurait ainsi connu une augmentation de sa disponibilité de l’ordre de 57 %, selon les données communiquées aux rapporteurs par l’armée de l’air et de l’espace. Le MCO du Rafale donne également toute satisfaction à la marine, selon l’amiral Pierre Vandier : « La verticalisation des contrats de MCO, entreprise par la direction de la maintenance aéronautique (DMAé) sur instruction de la ministre, Madame Parly, a porté ses fruits puisque la disponibilité technique du Rafale avoisine les 75 %, et dépasse 97,7 % à bord du porte-avions pour la période de janvier à septembre 2022 » ([88]).

Enfin, un autre aspect positif de cette politique de verticalisation est la maîtrise du coût du MCO rapporté à l’heure de vol : celui-ci était de 11 936 euros en 2019 et sera de 12 090 euros en 2023 (cible) ([89]).

● Au titre des aspects négatifs, force est de constater qu’en dehors de l’exemple du Rafale susmentionné, les taux de disponibilité technique opérationnelle ([90]) – qui mesure le nombre de matériels disponibles en pourcentage du besoin prévu par les contrats opérationnels – des flottes des trois armées n’ont pas connu d’évolutions significatives depuis 2019, certains segments connaissant même une baisse de disponibilité notable (hélicoptères d’attaque de l’armée de terre, avions de chasse et avions d’appui de l’armée de l’air et de l’espace), ainsi que le souligne le tableau ci-dessous.

évolution des taux de disponibilité technique opérationnelle des aéronefs des trois armées

 

2019

2020

2021

2022 (cible)

2023 (cible)

Armée de terre

 

Hélicoptères de manœuvre (HM)

 

39

 

45

 

 

 

43

 

61

 

54

Hélicoptères d'attaque ou de

reconnaissance

 

68

 

51

 

55

 

64

 

58

Marine

 

Chasse

 

57

 

55

 

 

73

 

69

 

67

 

 

 

Hélicoptères

 

51

 

49

 

 

46

 

63

 

56

Guet aérien, Patrouille et

surveillance maritime

 

 

 

55

 

 

 

54

 

 

 

 

60

 

 

 

64

 

 

 

67

Armée de l’air et de l’espace

 

Combat/chasse

 

85

82

81

84

69

Avions de transport tactique

(ATT)

 

57

 

65

 

60

 

85

 

73

 

Avions d'appui opérationnel

(Appui OPS)

 

85

 

115

 

77

 

91

 

76

Vecteur d’intelligence, surveillance et reconnaissance (ISR)

 

70

72

68

96

86

Avions à usage gouvernemental

(AUG)

 

 

100

 

100

 

95

 

94

 

95

Hélicoptères de manœuvre et de

combat

 

 

76

 

 

88

 

 

72

 

 

78

 

 

82

 

Source : projet annuel de performance 2023, programme 178 de la mission Défense « Préparation et emplois des forces ».

 Il est compréhensible, bien que regrettable, que certaines flottes vieillissantes et très sollicitées (Mirage 2000D, avions de transport tactique C-130H, hélicoptères Puma) connaissent des problématiques de disponibilité. Cependant, de façon plus inquiétante, ce phénomène touche également certaines flottes plus récentes, tels que les A400M, dont la maintenance des moteurs constitue un point d’attention majeur.

La marine subit également la faible disponibilité de certains aéronefs, tels que les NH90 Caïman, ainsi que l’a rappelé le major général de la marine, le vice-amiral d’escadre François Moreau, lors de son audition par vos rapporteurs. Lors d’une conférence de presse du ministère des Armées du 6 janvier 2022, la directrice de la DMA a fait état de seulement 7 NH90 Caïman disponibles sur un parc de 27, ainsi que de 7 avions Atlantique 2 disponibles sur un parc de 22 ([91]). Quant à l’armée de terre, seulement 28 hélicoptères Tigre étaient disponibles sur 67 en janvier 2022, selon les indications de l’ancienne directrice de la DMAé lors de ladite conférence de presse.

 ● Pour les équipements des armées autres que les aéronefs, la disponibilité est globalement satisfaisante.

 Pour l’armée de terre, le rapport pour avis sur le budget 2023 note ainsi que « grâce à la hausse des crédits consacrés au MCO, le niveau moyen de la disponibilité technique des matériels majeurs est en amélioration sensible depuis ces dernières années. Aujourd’hui, le niveau de disponibilité technique des équipements s’élève à plus de 90 % en moyenne en opérations (75 % dans les DROM-COM et plus de 70 % en métropole), contre 65 % il y a dix ans, conformément aux cibles fixées » ([92]).

 Quant au matériel naval, la Cour des comptes relève que « la création du service de soutien de la flotte en 2000 et la mise en place de contrats verticalisés par flotte ont permis de mettre en œuvre un système de soutien abouti, avec une bonne implication de l’ensemble des acteurs. Le taux de disponibilité des bâtiments s’est stabilisé autour d’une valeur très proche du maximum théorique, correspondant au calendrier prévisionnel des arrêts techniques » ([93]).

3.   Les recommandations de vos rapporteurs

a.   S’assurer de l’efficacité des contrats verticalisés sur la disponibilité

Le premier point d’attention de vos rapporteurs concerne naturellement l’évolution du taux de disponibilité des aéronefs. Même si certains contrats ont été conclus trop récemment pour être arrivés à maturité, l’ampleur des moyens consacrés au MCO aéronautique entraine une exigence de résultats et, en l’espèce, de meilleurs résultats qu’aujourd’hui. La faible disponibilité de certains aéronefs a en outre un impact direct sur le déficit de formation et de préparation opérationnelle des aviateurs.

Lors de son déplacement sur la base de Nancy-Ochey, un de vos rapporteurs a pu mesurer l’attente suscitée par la mise en place progressive du contrat verticalisé Balzac relatif à la maintenance des Mirage 2000D. Ce contrat a pour objectif de doubler la disponibilité de ces aéronefs, et d’augmenter par conséquent l’activité opérationnelle des aviateurs.

Vos rapporteurs estiment que l’effort dans les années à venir pour accompagner la montée en puissance des contrats verticalisés doit notamment porter sur une augmentation significative des stocks de pièces de rechange critiques et sur la simplification des plans de maintenance, comme l’ont mis en exergue certaines personnes auditionnées.

b.   Maîtriser les coûts du MCO en poursuivant l’homogénéisation des flottes

L’autre point d’attention pour les années à venir concerne la maitrise des coûts liés au MCO. Les nouveaux matériels, qui se caractérisent par leur haut degré de sophistication, coûtent en effet plus chers à entretenir que ceux qu’ils remplacent, comme l’illustrent le programme Scorpion ([94]), mais aussi FREMM. En outre, les coûts de MCO évoluent selon une courbe en U : ils sont plus élevés en début de vie (phase de montée en puissance) et en fin de vie (en raison de l’usure et de problèmes d’obsolescence) des équipements. Le retrait de la flotte ancienne du C-160 Transall Gabriel, qui a créé une rupture temporaire de capacité en matière de renseignement d’origine électromagnétique (ROEM), a été ainsi été motivé par le coût prohibitif de sa maintenance, ainsi que l’a souligné le major général de l’armée de l’air et de l’espace : « Je suis le responsable de l’arrêt des Transall Gabriel et je l’assume : dix Transall nous coûtaient plus de 80 millions d’euros par an, pour une disponibilité de 20 %. Plutôt que de faire des coupes ailleurs, j’ai choisi de les retirer du service » ([95]).

Les coûts prohibitifs de la maintenance des anciens parcs, conjugués aux problèmes structurels de disponibilité dus au vieillissement de ces équipements, militent donc pour un renouvellement accéléré des nouveaux équipements, afin d’être en mesure de remplacer plus rapidement les flottes vieillissantes (avions-ravitailleurs MRTT en remplacement du C-135 ; hélicoptère interarmées léger (HIL) en remplacement des flottes Fennec, Gazelle, Panther, Alouette III et Dauphin, passage au tout-Rafale…).

L’accélération de ce renouvellement permettrait une plus grande homogénéisation des flottes, ce qui constitue un levier important d’efficacité du MCO, ainsi que l’a rappelé l’ancienne directrice de la DMAé : « Du point de vue du MCO, moins on a de flottes différentes, moins l’entretien est coûteux et plus il est facile. On peut disposer de stocks plus importants de pièces de rechange et on n’a pas besoin de former les mécaniciens sur beaucoup de flottes. Le projet hélicoptère interarmées léger (HIL) lancé récemment, qui vise à remplacer plusieurs flottes d’hélicoptères, aura des effets très positifs en termes de MCO. Du point de vue capacitaire, je comprends le besoin de flottes différentes, mais égoïstement, du point de vue de MCO, moins il y a de flottes et plus le soutien est facile » ([96]).

c.   Fidéliser les mécaniciens

Un troisième point d’attention concerne les ressources humaines, et notamment les problématiques de fidélisation des mécaniciens. À titre d’exemple, l'escadron de soutien technique aéronautique (ESTA) de la base aérienne de Nancy-Ochey manque d’une quarantaine d’effectifs qualifiés (sur un total de 600), pour notamment encadrer et former les nouveaux arrivants. Sur la base d’Orléans-Bricy, près de 45 % des mécaniciens ont ainsi moins de trois ans d’expérience. Il a en outre été indiqué à vos rapporteurs que certaines spécialités, tels que les « armuriers » qui s’occupent de la maintenance des systèmes d’armement, sont structurellement déficitaires, ce qui pourrait être particulièrement préoccupant dans un contexte d’engagement de haute intensité.

Vos rapporteurs suggèrent d’établir des accords avec les entreprises de la BITD en vue de limiter le débauchage précoce et non coordonné des ressources humaines de nos armées, comme cela se pratique déjà avec des compagnies aériennes pour les pilotes.

d.   Préparer le MCO à la haute intensité

Vos rapporteurs estiment qu’un des défis de la prochaine LPM sera également de préparer le MCO à faire face à un engagement de haute intensité. À cet égard, le MCO devrait être une composante essentielle des réflexions en cours sur l’économie de guerre, ce qui ne semble malheureusement pas le cas à l’heure actuelle.

Ainsi que l’a souligné le vice-amiral d’escadre François Moreau, major général de la marine, lors de son audition, « le premier défi auquel nous serons confrontés en cas de conflit de haute intensité sera l’entretien des équipements pour être en mesure de remettre rapidement à la mer ou dans les airs nos systèmes d’armes ». La participation d’industriels du MCO à l’exercice Orion permettra d’avoir un premier retour d’expérience utile en la matière.

Il convient également, dans cette perspective, d’être attentif au risque de pertes de compétences au sein des armées, généré par la verticalisation des contrats. Celle-ci se traduit en effet par une externalisation renforcée du MCO aux industriels. Or, en OPEX et a fortiori dans le cadre d’un engagement majeur, ce seront naturellement les mécaniciens des forces et non les industriels qui seront en première ligne.

II.   Un axe « à hauteur d’homme » à amplifier

A.   Le défi des ressources humaines

1.   Une politique de recrutement ambitieuse mais sous tension

a.   Une dynamique de recrutement ambitieuse…

La LPM 2019-2025 marque une rupture avec la dynamique déflationniste des effectifs portée par les précédentes LPM, en prévoyant une augmentation nette de 6 000 effectifs du ministère des Armées, principalement concentrée sur la période 2023-2025.

augmentation nette des effeCtifs prévus par la LPM

Source : article 6 de la LPM 2019-2025

Cette dynamique a entraîné une politique ambitieuse de recrutement. Le ministère des Armées, qui est le premier recruteur de l’État, voit en effet ses effectifs renouvelés à hauteur de 10 % chaque année, de sorte que les besoins s’établissent aujourd’hui à environ 27 000 recrutements annuels (22 000 militaires et 5 000 civils de la défense).

À titre d’exemple, l’armée de terre recrute chaque année environ 14 000 effectifs, la marine 4 000, tandis que l’armée de l’air et de l’espace a prévu de recruter en 2023 3 861 aviateurs, soit une augmentation de 30 % par rapport à l’année précédente. Dans ce contexte d’augmentation des recrutements, un des premiers défis est de garder des taux de sélection satisfaisants, ce qui semble être le cas à ce stade. Pour l’armée de terre, ceux-ci sont globalement stables, avec un taux de 1 pour 9 pour les officiers de recrutement direct, 1 pour 3 pour les sous-officiers et 1 pour 1,6 pour les militaires du rang.

De nombreuses personnes auditionnées et rencontrées par vos rapporteurs ont mis en avant la « révolution copernicienne » pour le ministère des Armées que constitue cette nouvelle dynamique de recrutement. Comme l’a souligné le secrétaire général pour l’administration lors de son audition, pendant des décennies, l’ensemble des dispositifs RH du ministère des Armées s’inscrivaient en effet dans un cadre « qui était construit, formaté, dimensionné pour la déflation des effectifs ».

Les effectifs civils sont également concernés par cette augmentation des recrutements, non seulement en raison de l’augmentation nette des effectifs prévue par la LPM, mais également du fait d’un fort volume de départs prévisionnels à la retraite (plus de 10 000 civils de la défense entre 2023 et 2027).

Il convient de relever à ce titre que les modalités de recrutement des civils ont fortement évolué ces dernières années, selon les indications du ministère des Armées. Dans un contexte de faible attractivité des concours, notamment techniques, de la fonction publique et d’une baisse de la reconversion des militaires dans les métiers civils ([97]), il a été constaté une forte augmentation des contractuels de droit public. Le recrutement par voie contractuelle est ainsi devenu, depuis 2021, le premier mode de recrutement du personnel civil, en passant de 979 personnes recrutées en 2020 à 1240 en 2022.

b.   …. mais insuffisante pour tenir les objectifs de la LPM

Malgré le caractère progressif de l’augmentation nette des effectifs prévue par la LPM, les objectifs de la programmation n’ont pas été réalisés à ce stade : alors qu’une augmentation nette des effectifs de 1500 postes était programmée entre 2019 et 2022, l’augmentation nette effective (« postes armés ») sur cette période est de 1 063 postes au 1er septembre 2022, ainsi que l’illustre le tableau ci-dessous.

augmentation nette des effeCtifs programmés / réalisés 2019-2022

Source : ministère des Armées, réponse au questionnaire de vos rapporteurs.

L’absence d’atteinte de la cible sur la période 2019-2022 est d’autant plus inquiétante que ce n’est qu’à compter de 2023 que la LPM prévoyait une forte augmentation de la création nette d’effectifs, avec un passage de 450 créations nettes de postes en 2022 à 1 500 en 2023. Il est donc vraisemblable que l’écart entre les prévisions de la LPM et la réalité des augmentations nettes d’effectifs s’accroisse en 2023.

La non atteinte des objectifs d’augmentation nette des effectifs traduit le fait que le ministère des Armées connait des difficultés à respecter les schémas d’emplois prévisionnels, notamment pour l’année 2021. Au surplus, cette absence de réalisation des schémas d’emplois tient plus particulièrement aux emplois militaires, qui accuse un déficit croissant d’année en année : - 265 en 2019 ; - 445 en 2020 ; - 641 en 2021.

Cette tendance connait malheureusement une dynamique forte. Pour l’année 2022, le ministère des Armées indique que la cible (+1 210 équivalents temps plein ou ETP) ne devrait pas être atteinte en raison de « l’amplification du phénomène des départs, initié en 2021 ». Le ministère prévoit ainsi un retard de 1 921 ETP (1 084 ETP pour les seuls militaires) par rapport à l’objectif cible du schéma d’emploi à la fin de l’année 2022.

Or, l’absence de respect des schémas d’emploi ne s’explique pas tant par les difficultés de recrutement que par un déficit de fidélisation des effectifs.

 

Schéma d’emploi du ministere des armées 2019-2021

Source : ministère des Armées, réponse au questionnaire de vos rapporteurs.

 

2.   Les difficultés de fidélisation

a.   La fidélisation, un enjeu majeur

Il ressort des travaux de vos rapporteurs un constat unanime de la part des personnes auditionnées et rencontrées lors des déplacements : les difficultés croissantes de fidélisation au sein des armées constituent un point d’attention majeur.

Ainsi que l’a résumé le directeur des ressources humaines du ministère des Armées, M. Thibaut de Vanssay, lors de son audition, « nous sommes confrontés à de très grandes difficultés pour retenir le personnel, en particulier militaire mais aussi civil (fonctionnaires et contractuels) (…) Nous sommes habitués à avoir un turn-over dans les équipes, mais nous n’avions jamais vu ce phénomène avec une telle ampleur »

Le ministère des armées connait en effet une augmentation des sorties définitives (+6,2 % entre 2019 et 2022), qui touche plus particulièrement le personnel civil (+25 % sur la même période), comme il ressort du tableau ci-dessous.

évolution des sorties définitives du ministère des armées 2019-2022

Source : ministère des Armées, réponse au questionnaire de vos rapporteurs.

L’absence de fidélisation se traduit, d’une part, par la dénonciation des contrats en cours de période probatoire, et, d’autre part, par l’absence de renouvellement des contrats arrivés à terme. À titre d’exemple, pour les militaires du rang de l’armée de terre, le taux de dénonciation des contrats des militaires du rang atteint près de 32 %, tandis que le taux de renouvellement des contrats pour cette catégorie n’est que de 37,5 % ([98]).

● Les causes de cette hausse problématique des départs sont multiples. Si certaines causes sont conjoncturelles (effet de cohorte du fait de l’atteinte de la durée moyenne de service des militaires du rang recrutés après les attentats du 13 novembre 2015), les personnes auditionnées ont expliqué ce déficit de fidélisation par des causes davantage structurelles. L’écart croissant de rémunération avec le secteur civil ainsi que la moindre acceptation des sujétions liées à l’état militaire par les jeunes générations ont été mentionnés par les personnes auditionnées comme les deux principaux défis en termes de fidélisation des effectifs.

L’imposition de la mobilité géographique a ainsi été citée par de nombreux interlocuteurs comme un facteur non négligeable de départs, notamment du fait de l’augmentation du taux d’emploi des conjoints de militaires. Comme l’a souligné lors de son audition le vice-amiral d’escadre François Moreau, major général de la marine, lors de son audition « nous veillons à ce que notre politique de gestion des ressources humaines réduise autant que possible la mobilité géographique afin de la rendre plus acceptable, ce qui est d’autant plus nécessaire qu’aujourd’hui, 80 % des conjoints de militaires travaillent, alors que seuls 20 % d’entre eux travaillaient il y a 20 ans ».

Enfin, les problématiques liées à l’activité opérationnelle, notamment le déficit de préparation opérationnelle et le manque de disponibilité de certains équipements contribuent également, selon certaines personnes auditionnées, à ce que des militaires ne renouvellent pas leurs contrats.

● Les conséquences opérationnelles de ce déficit de fidélisation sont fortes.

Tout d’abord, l’investissement financier et humain dans la formation des jeunes militaires n’est rentable que si ces derniers restent une période minimale dans l’armée. Comme l’a souligné l’officier responsable des ressources humaines du 1er régiment étranger de cavalerie à Carpiagne, « pour que le modèle soit viable, il convient que les militaires du rang restent a minima pour une durée d’au moins sept ans ».

En outre, les départs de sous-officiers ou de militaires de rang qui auraient eu vocation à devenir sous-officiers se traduisent par un déficit préjudiciable d’encadrement des jeunes recrues, a fortiori dans un contexte de forte augmentation des recrutements. L’escadron de chasse de la base aérienne de Nancy-Ochey a ainsi un taux d’encadrement d’1,4, alors que l’objectif est de 2.

Enfin, vos rapporteurs ont été alertés à l’occasion de tous leurs déplacements sur le risque d’un cercle vicieux engendré par ce déficit de fidélisation, car les départs accroissent mécaniquement la charge de travail de ceux qui restent, de sorte que la dégradation des conditions de travail de ces derniers peut les inciter à quitter l’institution à leur tour.

Quant au déficit de fidélisation du personnel civil, cela a également un impact important puisqu’il nécessite de passer d’une logique de stock à une logique de flux, de la même façon que pour les militaires, comme il a été souligné lors de l’audition du SGA du ministère des Armées : « le ministère des Armées (…) est aujourd’hui pleinement passé pour le personnel civil, à l’instar de ce qui se pratiquait déjà pour le personnel militaire, d’une logique de stock à une logique de flux. Nous devons prendre en compte cette nouvelle donne car ce phénomène touche directement les capacités opérationnelles des armées, directions et services du ministère, y compris ses fonctions essentielles et sensibles comme le numérique, les infrastructures ou le renseignement ».

b.   Des efforts en faveur de la fidélisation à poursuivre

Les politiques de soutien à la fidélisation sont nécessairement multi- factorielles. Outre les efforts réalisés en matière indemnitaire (NPRM), et de soutien des conditions de vie (plan famille, plan hébergement…), sur lesquels les rapporteurs reviendront dans la suite de leur rapport, certains dispositifs ont été mis en place pour tenter de renforcer la fidélisation des effectifs.

La politique d’accompagnement social (PAS), qui regroupe l’ensemble des engagements en matière d’action sociale et de soutien aux militaires, est certainement un élément clé de fidélisation. Vos rapporteurs saluent l’augmentation des crédits alloués à cette politique (de 360 millions d’euros en 2020 à 535 millions d’euros en 2022, soit une augmentation de 18 %), bien que cet effort nécessite d’être poursuivi au regard des enjeux.

Le développement d’offres de formation innovantes, telles que l’école militaire préparatoire et technique de Bourges ou encore le BTS cyber de Saint Cyr l’École, en vue de former et recruter dans les métiers en tension dès le lycée, est une piste intéressante, qu’il convient d’amplifier. Comme l’a souligné une personne auditionnée, la fidélisation est d’autant plus forte que les personnes ont été recrutés précocement par l’institution militaire.

De même, la création de l’allocation financière spécifique de formation (AFSF), qui se matérialise par l’octroi d’une bourse d’étude à un étudiant en formation, en contrepartie d’un engagement à servir dans nos armées pour une certaine durée est une initiative bienvenue. Cependant, l’effort semble peu significatif, avec 367 bourses décernées en 2022, pour un montant d’1,8 millions d’euros.

Enfin, dans les secteurs en tension et les métiers exposés à une forte concurrence avec le secteur privé, la prime de lien au service (PLS) a certainement contribué à recruter et à fidéliser certains personnels. Selon le ministère des Armées, la PLS a notamment permis en 2021 aux armées de réaliser, voire de dépasser les cibles de recrutement pour certaines catégories d’emploi.

Dans son rapport pour avis sur le budget de l’armée de terre, le député François Cormier-Bouligeon rappelait ainsi que « la direction des ressources humaines de l’armée de terre (DRHAT) est parvenu à fidéliser [grâce à la PLS] 956 militaires du rang supplémentaires et 130 sous-officiers en 2021, l’équivalent d’un régiment pour les militaires du rang, économisant 34 millions d’euros de coûts de recrutement et de formation » ([99]).

les effets positifs de la prime de lien au service (PLS) selon le ministère des armées

« En termes d’effets RH, en 2021, la PLS a permis notamment :

- à la direction des ressources humaines de l’armée de Terre (DRHAT) de réaliser son plan de recrutement officiers sous contrat (OSC) spécialistes dans les familles professionnelles renseignement (RENS) et systèmes d’informations et de communication (SIC) ;

- à la direction du personnel militaire de la Marine (DPMM) de dépasser ses cibles de recrutement (+27 %) pour les militaires du rang (MdR) dans les familles professionnelles en tension (SIC, maintien en condition opérationnelle - MCO, nucléaire - NUC), de réaliser 75 % de son plan de recrutement d’OSC dans les spécialités critiques et de renforcer l’attractivité pour le volontariat sous-marin ;

- à la direction des ressources humaines de l’armée de l’Air et de l’Espace (DRHAAE) de dépasser ses cibles de recrutement (+32 %) de sous-officiers (SOFF) dans les familles professionnelles en tension (MCO, SIC, RENS) ;

- au service de santé des armées (SSA) de réaliser son plan de recrutement de militaires infirmiers et techniciens des hôpitaux des armées (MITHA) à hauteur de 84 % et de faciliter le recrutement de 21 praticiens, dans un contexte d’incertitude lié aux modalités d’application du Ségur de la santé »

Source : Ministère des Armées, réponse au questionnaire de vos rapporteurs.

L’ensemble de ces dispositifs sont certainement utiles, mais vos rapporteurs estiment toutefois qu’une nouvelle ambition devra être portée par la prochaine loi de programmation pour relever le défi de la fidélisation, ainsi qu’ils le détailleront dans la section sur leurs recommandations.

3.   La NPRM, une réforme saluée mais incomplète

La refonte en profondeur du système indemnitaire de la rémunération des militaires est un axe important de la LPM 2019-2025, comme le rappelait son rapport annexé : « la programmation prévoit la mise en œuvre d'un ambitieux chantier de rénovation de la politique de solde des personnels militaires, à travers la « nouvelle politique de rémunération des militaires » (NPRM). Celle-ci sera initiée dès 2021 et aura pour objectif de faciliter la maîtrise de la masse salariale et de simplifier le système indemnitaire en améliorant sa lisibilité. Ce dernier point contribuera pleinement à l'attractivité de la carrière militaire, en clarifiant la structure de rémunération, notamment indemnitaire. Cette réforme permettra de réduire le nombre de primes, sans préjudice du niveau de rémunération, et de fiabiliser ainsi les modalités de calcul et de liquidation de la solde » ([100]).

● L’objectif principal de la « nouvelle politique de rémunération des militaires » (NPRM) est de simplifier la part indemnitaire de la solde des militaires, qui était rendue peu lisible du fait de la coexistence de 174 primes différentes. La NPRM prévoit ainsi une refonte complète de ces primes et indemnités, qui se décomposent désormais en huit primes réparties en trois volets, ainsi que le résume le tableau ci-dessous.

les primes prévues par la NPRM

Source : Haut comité d’évaluation de la condition militaire (HCECM), « la mobilité des militaires », juillet 2022.

Les prévisions de la LPM ont été respectées, puisque les indemnités ont été progressivement mises en place : l’IMGM en 2021, pour un montant de 40,5 millions d’euros ; l’ISAO, la PCRM et la PERF en 2022 pour un effort budgétaire de 70 millions d’euros ; enfin, les quatre dernières indemnités ont vocation à être mises en œuvre en 2023 pour un montant de 101,3 millions d’euros.

Au total, cette refonte des indemnités s’accompagne d’un effort financier significatif de près de 500 millions d’euros en année pleine à compter de 2024, ainsi que l’a rappelé un précédent rapport parlementaire : « La NPRM devrait représenter en volume budgétaire 80 % des primes et indemnités antérieures, soit 2,7 des 3,3 milliards d’euros consacrés aux indemnités et primes sur le titre 2 de la mission Défense, qui s’élève à 12,9 milliards d’euros. En mesures nouvelles, la NPRM devrait représenter 480 millions d’euros par an de crédits en année pleine à compter de 2024 puisqu’en 2023, les quatre dernières primes à déployer ne seront mises en application qu’à l’automne. En 2023, le Gouvernement a prévu une enveloppe de 101 millions de crédits supplémentaires. À ces 480 millions d’euros, il convient d’ajouter quelque 48 millions d’euros de crédits visant à couvrir la fiscalisation de l’indemnité de garnison et les conséquences de cette fiscalisation sur l’accès à certaines prestations sociales » ([101]).

● Il ressort des travaux de vos rapporteurs que cette réforme a été globalement bien accueillie par les militaires, même s’il convient de rappeler que le conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM) a rendu au printemps 2022 plusieurs avis défavorables sur la troisième étape de la NPRM, en raison notamment de l’absence d’évolution des primes en cas de revalorisation indiciaire et de la fiscalisation de certaines primes.

L’indemnité de mobilité géographique (IMGM) mise en œuvre depuis 2021 a notamment permis trois avancées eu égard aux pratiques passées : les militaires célibataires ou en concubinage sans enfant y sont éligibles ; elle n’est plus conditionnée à un déménagement effectif mais à la seule mutation géographique ce qui permet notamment de compenser les charges d’un éventuel célibat géographique ; enfin, elle ne dépend plus du grade et s’applique de façon identique à tous les militaires, en fonction du nombre de mutations géographiques subies et de la taille du foyer fiscal.

L’indemnité de garnison (IGAR) est également très attendue par les armées. Selon le major général de l’armée de l’air et de l’espace, elle permettra notamment à des sous-officiers de se trouver un logement dans le civil, ce qui libérera des places au sein des bases au bénéfice des militaires du rang, qui sont des ayant-droits.

● Il a toutefois été souligné à vos rapporteurs deux points d’attention. Tout d’abord, le travail de pédagogie auprès des militaires sur les conséquences de la NPRM doit être amplifié pour lever les interrogations légitimes sur les conséquences de cette refonte. Cet effort de communication et de pédagogie sur le terrain n’est pas encore suffisant, selon plusieurs personnes auditionnées.

Le deuxième point d’attention concerne la prime d’indemnité de sujétion d’absence opérationnelle (ISAO), qui est susceptible de faire des perdants au sein des forces armées, notamment pour certaines spécialités (commandos). Il conviendra de s’assurer, dans le cadre des clauses de revoyure, que les mécanismes de compensation prévues jouent bien dans de telles situations.

Cette réforme, nécessaire, n’est toutefois pas suffisante, en ce qu’elle ne répond pas à la principale atteinte des militaires, ainsi qu’il ressort des travaux de vos rapporteurs : la revalorisation de la partie indiciaire de la rémunération.

4.   Les recommandations de vos rapporteurs

a.   Un effort indispensable sur le volet indiciaire

Contrairement à ce que son appellation pourrait suggérer, la nouvelle politique de rémunération (NPRM) ne porte que sur l’ensemble de la rémunération des militaires, mais uniquement sur sa partie indemnitaire. Or, cette dernière ne représente qu’une partie minoritaire de la rémunération : la partie indiciaire représente en effet de 55 % (officiers généraux) à 70 % (militaires du rang) de la rémunération totale des militaires ([102]).

Il ressort des travaux de vos rapporteurs que la question de l’évolution de la part indiciaire est cruciale pour accroître l’attractivité de l’institution militaire et surtout la fidélisation au sein de nos armées, a fortiori dans un contexte de forte inflation. De nombreuses personnes auditionnées ont en effet témoigné d’un véritable sentiment de décrochage ressenti par les militaires par rapport aux rémunérations pratiquées dans le secteur civil, non seulement privé, mais également public. Ainsi que l’a souligné une personne auditionnée, les militaires se comparent notamment inévitablement aux gendarmes, qui eux-mêmes se comparent aux policiers.

Un tel sentiment de décrochage est au demeurant justifié. Un précédent rapport parlementaire rappelait ainsi que « les travaux menés depuis plusieurs années par le Haut comité d’évaluation de la condition militaire (HCECM) permettent de documenter un relatif décrochage, à compétence égale, du niveau de vie des militaires vis-à-vis de celui des personnels de la fonction publique ou du secteur privé » ([103]).

Il est également ressorti de plusieurs auditions que l’augmentation des bas salaires, dans le cadre de la revalorisation générale, conjuguée à l’absence d’effort indiciaire pour les autres catégories de personnels, aboutissait à un tassement général des rémunérations, qui pouvait être préjudiciable à la logique de promotion interne au sein de l’institution.

Ainsi, vos rapporteurs ont été alertés sur le fait que de plus en plus de militaires du rang n’aspiraient plus à devenir sous-officiers, car le faible gain financier occasionné par une telle promotion ne compensait pas suffisamment les contraintes inhérentes au statut de sous-officier. Cette tendance est particulièrement préjudiciable pour nos armées, dont le modèle repose en grande partie sur de telles promotions internes.

L’absence de revalorisation indiciaire participe également du déficit de fidélisation des sous-officiers, dans un contexte où de plus en plus de postes des armées ont leur équivalent dans le civil. Le major général de l’armée de l’air et de l’espace a ainsi cité l’exemple symptomatique d’un aviateur codeur de la base de Mont de Marsan, qui a multiplié son salaire par trois en rejoignant une entreprise de la même région.

Pour vos rapporteurs, la prochaine LPM devra donc impérativement répondre au défi de l’attractivité et de la fidélisation de nos militaires en prévoyant un effort significatif en faveur de la partie indiciaire de leur rémunération. À travers cette problématique de la revalorisation indiciaire, c’est en vérité la reconnaissance du statut de nos militaires dans nos sociétés qui est en jeu.

b.   Fidéliser en recrutant le plus tôt possible

Vos rapporteurs ont cité comme exemples de mesures visant à renforcer la fidélisation le développement d’offres de formations innovantes, telles que l’école militaire préparatoire et technique de Bourges ou encore le BTS Cyber Saint Cyr l’École.

Il conviendrait d’amplifier cette démarche dans le cadre de la prochaine LPM, comme l’a mis en exergue le secrétaire général pour l’administration : « nous devrions intégrer une réflexion sur le recrutement des jeunes très tôt, avant même qu’ils ne soient majeurs, au sein des lycées militaires ou dans le cadre de formations de type « brevet de technicien supérieur » (BTS) car plus nous allons les chercher tôt, plus ils sont fidèles à l’institution ».

Le développement de l’apprentissage devrait également être favorisé. Le ministère des Armées recrute 2 200 apprentis, contre 1 200 il y a quatre ans. C’est encore trop peu, d’autant plus que le retour d’expérience est particulièrement satisfaisant, comme l’a souligné le directeur des ressources humaines du ministère lors de son audition. Les conditions pour titulaires ces apprentis doivent également être assouplies car aujourd’hui peu d’apprentis restent au sein de l’institution du fait du dogme de la titularisation par concours.

c.   Accentuer le pilotage pluriannuel des schémas d’emplois

L’absence de respect susmentionné des schémas d’emplois prévisionnels du ministère des Armées milite pour la mise en place de dispositifs innovants, par exemple en renforçant la dimension pluriannuelle du pilotage des recrutements.

Il s’avère en effet que certaines années sont plus favorables que d’autres au recrutement au sein du ministère des Armées, du fait notamment de l’évolution du contexte économique. Dans ces conditions, le ministère devrait être en mesure de recruter suffisamment lorsque le contexte est favorable, sans être trop contraint par le plafond annuel autorisé, quitte à ce que les cibles de recrutement soient diminuées les années suivantes.

Le vice-amiral d’escadre François Moreau, major général de la marine, a ainsi indiqué lors de son audition qu’en « matière de ressources humaines, il faut prendre l’habitude de piloter à une échelle pluriannuelle. Aujourd’hui, si on fixe un schéma d’emploi pour une année, le service chargé des ressources humaines n’ira pas au-dessus du plafond autorisé, même s’il y a les moyens pour ce faire et même si cela correspond aux besoins des armées. Le pilotage des ressources humaines sur le long terme permet de ne pas rater des opportunités de recrutement. Il faut aller chercher les jeunes recrues à chaque opportunité ».

Vos rapporteurs estiment ainsi que l’introduction d’une telle flexibilité pour les gestionnaires permettrait de renforcer la capacité du ministère à respecter les schémas d’emplois sur le long terme, en profitant pleinement d’un contexte favorable aux recrutements.

d.   Renforcer le rôle des réservistes

La réserve est aujourd’hui constituée de 40 000 réservistes sous contrat d’engagement à servir dans la réserve (RO1), dont plus de la moitié (24 000) au sein de l’armée de terre, auxquels il faut ajouter 60 000 réservistes de disponibilité (RO2), constitués d’anciens militaires soumis à une obligation de disponibilité durant cinq ans, et 4 000 réservistes citoyens de défense et de sécurité.

La réserve opérationnelle permet de contribuer à la résilience de la Nation et d’augmenter les capacités opérationnelles de nos armées, notamment pour les missions de protection du territoire national, et s’avère également précieuse pour nos forces armées dans les domaines RH en tension.

Après une augmentation importante des crédits dédiés aux réserves entre 2015 (78 millions d’euros) et 2019 (196 millions d’euros) dans le cadre de la création de la garde nationale et de la montée en puissance du recours à la réserve opérationnelle, les dernières années ont au contraire été marquées par une forte réduction de ces crédits : 167 millions d’euros en 2020 et 169 millions d’euros en 2021 (prévision de 178 millions d’euros en 2022). Selon les informations communiquées par le ministère des Armées, le budget de l’année 2021 a notamment été réduit en cours d’exécution pour compenser une dynamique trop importante de la masse salariale du ministère.

Alors que la LPM 2019-2025 avait augmenté la durée maximale d’activité dans la réserve opérationnelle de premier niveau (RO1) de 30 à 60 jours, le délai moyen d’engagement connait une dynamique négative depuis 2019, notamment à cause de l’effet Covid, ainsi qu’il ressort du tableau ci-dessous.

évolution de l’activité de la réserve opérationnelle de premier niveau

 

2019

2020

2021

Nombre de réservistes

Nombre de jours réalisés

Moyenne (Jours/réserviste)

Nombre de réservistes

Nombre de jours réalisés

Moyenne (Jours/réserviste)

Nombre de réservistes

Nombre de jours réalisés

Moyenne (Jours/réserviste)

Terre

 

24 885

1 035 985

41,6

25037

853 528

34,1

24343

892 956

36,7

Marine nationale

 

6 252

241 724

38,7

5 377

174 272

32,4

5 101

175 832

34,5

Armée de l'Air et de

l'Espace

5 759

236 601

41,1

5 327

178 030

33,4

5 201

183 522

35,3

Service de santé des

armées

3 325

83 911

25,2

 

3 952

97 842

24,8

4090

106 152

26,0

Service de l'énergie

Opérationnelle

(essences)

206

7 706

37,4

198

5 747

29,0

184

5 907

32,1

Direction générale de

l'armement

78

1 724

22,1

86

1 050

12,2

107

3 019

28,2

Service du commissariat des armées

524

20 111

38,4

462

14 475

31,3

422

13 388

31,7

Service d'infrastructure de la défense

18

1 051

58,4

19

627

33,0

20

527

26,4

Total ministère des Armées

41 047

 

1 628 813

39,7

40458

1325571

32,8

39468

1381303

35,0

Gendarmerie nationale

29 183

475 400

16,3

28 716

681 942

23,7

30 799

647 802

21

TOTAL réservistes RO 1

70 230

2 104 213

30,0

69 174

2 007 513

29,0

70 267

2 029 105

28,9

Source : ministère des Armées, réponse au questionnaire de vos rapporteurs

Cette réduction de l’ambition financière en faveur des réservistes a eu des conséquences directes sur le terrain, comme l’a souligné le major général de la marine lors de son audition : « sur l’actuelle LPM, un coup de frein a été mis, ce qui a cassé l’engagement de nombreux réservistes, qui, par conséquent, sont partis. De ce fait, nous avons perdu de fortes capacités de soutien car certains réservistes portent des sujets importants ».

Dans ce contexte, l’ambition annoncée par le Président de la République dans son discours aux armées du 13 juillet 2022 de doubler le nombre de volontaires au sein de la RO1 requiert plusieurs actions en amont pour être réalisable.

Cela nécessite tout d’abord également d’assouplir les règles de recrutement, afin de les adapter aux profils des postes. Pour reprendre l’exemple du ministre des Armées, un réserviste doté d’une spécialité en cyberdéfense n’a pas forcément vocation à passer des tests d’aptitude physique très exigeants. De même, il parait peu logique de devoir être ingénieur pour devenir réserviste au sein de la DGA, dès lors que cette dernière a également des besoins dans les matières juridiques ou financières à titre d’exemple.

L’objectif de doubler le nombre de réservistes nécessite également de responsabiliser davantage les employeurs, au titre de leur obligation d’accorder à leurs employés réservistes un minimum de huit jours d’autorisation d’absence. Les entreprises de la BITD devraient notamment avoir un rôle particulier à jouer au soutien de cet objectif de doubler les réserves. À titre d’exemple, l’entreprise Safran accorde 20 jours de réserve annuels à ses salariés réservistes sur leur temps de travail, en maintenant l’intégralité de leur rémunération. De telles bonnes pratiques devraient être généralisées, a minima au sein des grands groupes de la BITD ([104]).

Par ailleurs, les dispositifs de recrutement, de formation et d’encadrement devront être redimensionnés. Le doublement de la réserve opérationnelle exigerait en effet de passer de 4 700 recrutements annuels à plus de 9 000 selon les estimations du délégué interarmées aux réserves ([105]). Le major général de l’armée de terre, le général de corps d’armée Patrice Quevilly, a quant à lui estimé lors de son audition que l’encadrement d’une réserve opérationnelle qui serait doublée exigerait de 1 000 à 2 000 soldats au sein de l’armée de terre.

À cet égard, un vivier important de réservistes pourrait être constitué par les « volontaires du territoire national », dans le cadre du projet porté par le chef d’état-major de l’armée de terre, le général d’armée Pierre Schill : « J’ai donc proposé au CEMA que l’armée de Terre recrute 10 000 jeunes par an dans le cadre d’un service de six mois, qui servirait d’instrument pour augmenter les effectifs de la réserve. Comme nous ne pouvons pas le faire à organisation inchangée, je lui proposerai d’implanter de nouveaux bataillons dans de nouveaux espaces, que nous pourrions appeler ‘‘Volontaires du territoire national’’. Ce pourrait être à proximité d’agglomérations importantes dans un désert militaire, mais aussi un bassin de population où se trouvent des jeunes susceptibles d’être intéressés par un service de six mois ou par un engagement dans la réserve pas trop loin de chez eux. Faire appel à eux permettrait aussi de territorialiser une partie de l’armée de Terre. Ces unités pourraient, en effet, être des unités territoriales, placées sous le commandement de l’officier général chargé de la zone de défense correspondante »  ([106]).

 

B.   Les infrastructures, un renouvellement à appronfondir

1.   Un effort financier qui a permis d’amorcer une modernisation des infrastructures

a.   Un effort financier significatif

Comme il a été rappelé par vos rapporteurs, la LPM 2019-2025 prévoyait des moyens significatifs en faveur des infrastructures (hors dissuasion nucléaire et hors fonctionnement courant) à hauteur de 7,2 milliards d’euros sur la période 2019-2023 (111,1 milliards d’euros pour 2019-2025). Selon le rapport annexé de la LPM, cet effort budgétaire devait financer aussi bien les infrastructures « à hauteur d’homme », pour un montant de 5 milliards d’euros de 2019 à 2023 (soit 69 % du montant total), que les infrastructures liées au renouvellement des capacités, à hauteur de 2,2 milliards d’euros sur la même période (soit 31 % du montant total).

Or, cette programmation a été respectée par les lois de finances successives, comme l’illustre le tableau ci-dessous.

crédits alloués aux infrastructures

Source : Ministère des Armées, réponse au questionnaire de vos rapporteurs.

À ces montants, il convient d’ajouter au surplus les produits de cessions ayant bénéficié aux infrastructures des armées, à travers le dispositif du compte d’affectation spéciale (CAS) immobilier, qui ont atteint un montant de 489 millions d’euros de 2019 à 2022, selon les indications du ministère des Armées.

b.   Une modernisation des infrastructures de vie

● Les financements alloués dans le cadre de la LPM ont tout d’abord permis une accélération de la rénovation des hébergements en enceintes militaires, dans le cadre du « plan hébergement ».

Il convient de rappeler que l’hébergement au sein des emprises militaires est un droit pour les militaires du rang. Il bénéficie en pratique également aux cadres célibataires ou célibataires géographiques.

Fin 2023, 1,1 des 1,2 milliard d’autorisations d’engagement prévus par la LPM auront été engagés, afin de financer la création de 9 000 places de l’hébergement et la rénovation de 21 000 places existantes sur sept ans. Ce budget représente le double du montant consacré à l’hébergement en emprises militaires par la précédente LPM. Il bénéficiera principalement aux militaires du rang, puisque 54 % des crédits du « plan hébergement » sont dévolus à l’hébergement des militaires du rang des trois armées, 28 % à l’hébergement des cadres célibataires, 15 % à l’hébergement de personnels de formation et 3 % à des hébergements d’accueil temporaires. L’exécution de ce plan n’en est toutefois qu’à ses débuts car fin 2021, moins de 2 900 places avaient été livrées.

● Les logements familiaux constituent le second axe d’investissement au titre des infrastructures « à hauteur d’homme ». Il convient de souligner que contrairement à l’hébergement des militaires du rang, l’attribution d’un logement dans le parc immobilier de la défense ne constitue pas un droit mais un service proposé sous conditions aux personnels du ministère.

Dans le cadre du « plan logement », 150 millions d’euros sont consacrés chaque année en moyenne au logement familial depuis 2019, soit une augmentation de 25 % par rapport à la précédente LPM. À compter de 2023, la nouvelle « ambition logement » sera portée par le contrat de concession de la gestion des logements domaniaux en métropole.

Le contrat « Ambition logement »

Le ministère des Armées gère un parc composé actuellement d’environ 11 700 logements domaniaux, dont 8 800 sont situés en métropole. Ce parc représente un quart des 42 200 logements mis à disposition par le ministère en métropole, outre-mer et à l’étranger. Aux logements domaniaux précités, il faut en effet ajouter 27 200 logements réservés par convention, qui n’appartiennent pas à l’État mais pour lesquels le ministère bénéficie d’une priorité de réservation définie par convention et 3 300 pris à bail par le ministère.

À compter de 2023, les dépenses d’entretien courant (environ 13 millions d’euros par an) et de maintien en condition (environ 40 millions d’euros par an) au titre de la gestion locative des logements domaniaux situés en métropole seront prises en charge dans le cadre du contrat « Ambition logement » conclu avec le groupe Nové le 14 février 2022.

Ce contrat de concession a été conclu pour une durée inédite de 35 ans et représente près de 2,8 milliards d’engagement. Selon le ministère des Armées, l’objectif de ce contrat est de porter le parc utile à 12 000 logements domaniaux au standard « location » dès 2030 et 15 000 à la fin de la concession en 2057, avec un effort particulier sur la qualité environnementale des logements.

Source : ministère des Armées, réponse au questionnaire de vos rapporteurs

● Des budgets significatifs ont également été alloués à la rénovation des lycées militaires (Saint-Cyr l’École, Aix en Provence, Autun, lycée naval de Brest, école des pupilles de l’air de Grenoble-Montbonnot), avec des engagements à hauteur de 102 millions d’euros depuis 2019 sur les 127 prévus pour la période 2019-2025.

● Enfin, le budget infrastructure a également permis des investissements visant à relever les défis de la transition énergétique et de la réduction des dépenses en énergie, avec notamment le remplacement progressif d’ici 2031 d’environ 1 600 chaufferies au charbon et au fioul (soit le remplacement de 10 % du parc chaque année) ou encore l’exécution d’un plan de remise à niveau des réseaux hydriques des bases de défense. Selon le ministère des Armées, la consommation énergétique des infrastructures a déjà diminué de plus de 20 % en dix ans.

c.   Une modernisation des infrastructures opérationnelles

En matière d’infrastructure d’accueil des nouveaux équipements, les investissements actuels et à venir les plus notables sont les suivants :

-         Pour l’armée de terre, l’adaptation des infrastructures aux équipements du programme Scorpion au sein de 37 régiments, pour un montant de 480 millions d’euros dont 400 millions d’euros sur la période 2019-2025. Fin 2022, 16 régiments étaient équipés et les travaux étaient en cours pour 15 régiments ;

-         Pour l’armée de l’air et de l’espace, le programme d’accueil de l’avion de transport C 130J sur la base aérienne 105 d’Évreux pour un montant de 135 millions d’euros sur la période 2019-2025 ;

-         Pour la marine nationale, le renouvellement des infrastructures, notamment des capacités nucléaires : accueil des SNA, lancement des études pour l’accueil du PANG et rénovation de l’île Longue dans la perspective de l’arrivée du SNLE 3G. À titre d’exemple, le budget 2023 prévoit ainsi 259 millions d’euros de crédits de paiement uniquement pour les infrastructures d’accueil et de soutien des nouveaux SNA.

Selon le directeur du SID, les programmes d’infrastructures opérationnelles n’ont pas connu de retards significatifs de nature à empêcher l’accomplissement des missions ou la livraison des équipements.

Enfin, la sécurisation et la protection des emprises militaires constitue également un des grands axes de la politique d’infrastructures du ministère à travers le schéma directeur « sécurité et protection » initié en 2015. Sur la période de la LPM, 750 millions d’euros sont ainsi prévus pour financer plus de 1 000 opérations engagées à ce titre (dont 300 terminées à ce jour).

2.   Des infrastructures encore fragilisées par des décennies de sous-investissements

Les infrastructures ont longtemps été la variable d’ajustement du budget des armées. Dans un contexte de forte contrainte budgétaire, les armées ont en effet préféré privilégier leur activité opérationnelle, pour préserver leurs compétences et assurer leurs missions, au détriment des segments qui n’ont pas une conséquence directe sur le niveau d’activité, tels que les infrastructures.

Il en a résulté des décennies de sous-investissement, qui ont eu des effets grandement préjudiciables sur l’état des infrastructures, comme le rappelle l’état-major des armées : « le bâti souffre d’un sous-investissement historique chronique et est majoritairement dans un état moyen, voire vétuste ou dégradé. Un quart du parc est considéré en état neuf ou bon (…) ». À titre d’exemple, ainsi qu’il a été rappelé lors d’une audition, la base aérienne de Villacoublay n’avait en 2010 ni eau chaude, ni chauffage et les coupures d’eau étaient particulièrement fréquentes.

Lors de leurs déplacements, vos rapporteurs ont certes pu apprécier les premiers effets sur les infrastructures des efforts initiés par la LPM : à Brest, création de locaux et d’hébergement pour les équipages des deux nouvelles FREMM et modernisation du réseau électrique ; à Nancy-Ochey, rénovation du gymnase et du chenil, et construction d’un nouvel hangar de stockage de pièces en 2023 ; à Orléans, construction des hangars de stockage des A 400M et rénovation du réseau d’eau.

Mais vos rapporteurs ont surtout pris la mesure de l’ampleur de l’effort nécessaire pour, d’une part, adapter les infrastructures aux nouveaux équipements, et, d’autre part, remettre à niveau les infrastructures existantes. Au sein du régiment de Carpiagne, les travaux d’infrastructures relatifs au pôle maintenance et au pôle simulation ont fait l’objet de reports de plusieurs années. S’agissant des infrastructures de vie, ce sont les légionnaires eux-mêmes qui ont réalisé la plupart des travaux à l’arrivée du régiment à Carpiagne en 2014. Malgré la vétusté des locaux, où vivent les trois quarts des effectifs, les travaux de rénovation ne sont pas encore programmés à ce stade.

La longueur des processus décisionnels en matière d’infrastructure a également été une source d’étonnement pour vos rapporteurs. À titre d’exemple, sur la base de Nancy-Ochey, une demande de rénovation du « mess » a été exprimée en 2014, l’engagement juridique à ce titre est attendu en 2026 pour une rénovation effective qui n’aura lieu qu’en 2030. Ce n’est par ailleurs qu’en 2023 que la base ne sera plus chauffée au charbon.

La modernisation de certaines infrastructures, conjuguée à la vétusté d’autres infrastructures, donnent ainsi le sentiment de régiments et de bases « à deux vitesses », selon l’expression entendue par vos rapporteurs lors d’un déplacement, ce qui peut être particulièrement frustrant pour les militaires travaillant ou se logeant dans les parties non rénovées des unités.

3.   Les recommandations de vos rapporteurs

a.   Amplifier les investissements pour réduire la « dette grise »

Le sous-investissement structurel dans les infrastructures a créé une « dette grise », c’est-à-dire la somme nécessaire pour uniquement remettre en état le patrimoine immobilier, d’un montant de 4,4 milliards d’euros en 2020 (+600 millions d’euros par rapport à 2017). Bien plus, les investissements réalisés dans le cadre de la LPM ne permettront qu’au mieux de stabiliser cette dette grise, puisque le service d’infrastructure de la défense (SID) anticipe une dette grise de 4,5 milliards d’euros en 2025 selon les informations d’un rapport sénatorial ([107]).

La prochaine LPM devra donc poursuivre l’effort en matière d’infrastructures afin non plus de stabiliser mais bien réduire cette « dette grise », même si vos rapporteurs ont conscience que l’ambition de résorber une telle dette dépassera certainement le cadre temporel de la prochaine LPM. Ainsi que l’a souligné le major général de la marine lors de son audition : « nous avons sous-investi pendant 40 ans. Nous n’allons donc pas rattraper notre retard en deux jours ou en deux ans ».

La poursuite de ces investissements est d’autant plus nécessaire que les besoins en hébergement persisteront dans les années à venir, avec la hausse des recrutements, qui concernent en premier lieu les militaires du rang. De même, dans le domaine du logement, les besoins sont encore conséquents, puisque seulement 58 % des demandes de logement aboutissent à l’attribution d’un logement([108]).

En outre, s’agissant du logement, il parait nécessaire de remédier au décalage important entre l’offre du ministère des Armées, d’une part, et la demande exprimée par les familles, d’autre part, en faisant un effort particulier dans les zones sous tensions.

b.   L’entretien de l’existant : une priorité

Lors de la revue complète des infrastructures menées en 2014 dans le cadre du plan « Condipers », 732 « points noirs » avaient été identifiés au sein des locaux d’hébergement, de travail et de restauration.

La résorption de ces « points noirs » n’est pas encore achevée à l’heure actuelle, contrairement aux prévisions du « plan famille ». Dans le cadre de l’actuel « plan hébergement », le nombre de « points noirs » à traiter est de 107 (en septembre 2022, 43 étaient en cours de traitement et 64 restaient à engager), pour un montant de 587 millions d’euros prévus entre 2019 et 2025 (293 millions d’euros entre 2019 et 2022) selon les informations du ministère des Armées.

Il semble urgent à vos rapporteurs d’accélérer dans le cadre de la prochaine LPM la résorption de ces « points noirs », qui ont un impact significatif sur le moral des militaires.

Dans la même perspective, vos rapporteurs estiment que l’opération « poignées de portes », lancée à l’initiative du ministre des Armées, doit être non seulement pérennisée, en étant renouvelée chaque année, mais également accélérée. Cette opération, qui dispose d’une enveloppe de 46 millions d’euros en 2023, a pour objet de traiter près de 1 215 travaux considérés comme prioritaires après examen par le centre interarmées de coordination du soutien. Il s’agit souvent de travaux de rénovation peu conséquents et donc peu onéreux, mais qui ont, là encore, un impact fort sur le moral des militaires. S’astreindre à identifier et à réaliser chaque année ces travaux urgents serait particulièrement vertueux.

L’exemple du contrat « ambition logement » invite également à s’interroger sur la manière pour le ministère de mieux entretenir les infrastructures par le recours à des contrats de concession. Ainsi que l’a souligné le SGA lors de son audition, « Le service d’infrastructure de la Défense (SID) fait un excellent travail pour la production d’infrastructures neuves, mais ensuite les ressources lui sont comptées pour les entretenir, y compris pour la rénovation énergétique. Ceci implique de s’imposer une forme de discipline externe via le contrat car la planification écologique s’articule bien avec la logique de la contractualisation. L’entretien des infrastructures est ainsi un axe de travail pour nous dans la prochaine LPM. Cela implique notamment de sensibiliser l’ensemble des acteurs – ministères, élus – à nos spécificités et de porter un regard lucide sur nos contraintes (existence de contrats, engagement dans la longue durée...). L’établissement d’une liste de thèmes pour lesquels il serait opportun de recourir à la contractualisation me semble être une bonne idée ».

c.   Simplifier les normes et les processus décisionnels

L’allègement des normes, d’origine civiles mais inadaptées au monde militaire, constitue certainement une piste à approfondir pour réduire les coûts et les délais. Dans son rapport pour avis sur le budget de la marine, un de vos rapporteurs s’interrogeait ainsi sur la logique d’intégrer des normes PMR (personne à mobilité réduite) aux pièces d’eau des logements destinés aux commandos de marine. ([109])

Lors de son audition, le major général de l’armée de l’air et de l’espace a mis en exergue les contraintes liées aux vérifications de déminage, qui ont retardé de six mois l’installation des hangars de Rafale sur la base d’Orange, ou encore les montants conséquents nécessaire pour mettre aux normes des dépôts de munitions. Lors de sa visite sur la base d’Orléans-Bricy, il a également été mentionné à l’un de vos rapporteurs le fait qu’un hangar livré en mai 2021 n’a pu être utilisé qu’à partir du 1er octobre 2022 à cause de retards des autorisations environnementales. Plus généralement, la lourdeur et l’inadaptation de l’instruction n° 1707 du 25 octobre 2021 relative aux infrastructures du ministère de la défense, qui impose la conduite de nombreuses études préalables aux projets d’infrastructures, a été critiquée par plusieurs interlocuteurs de vos rapporteurs.

La gouvernance est caractérisée par une multiplicité d’acteurs impliqués, entre le service d’infrastructure de la défense (SID), le centre interarmées de coordination du soutien (CiCOS) et les forces armées, ce qui est un facteur de complexité. La dichotomie, créée en 2020 dans le cadre de la nouvelle architecture budgétaire (NAB), entre les infrastructures adossées à des programmes d’armement, qui relèvent du programme 146 « Équipement des forces », et, d’autre part, les infrastructures technico-opérationnelles, qui relèvent des forces armées au titre du programme 178 « Préparation et emploi des forces », peut notamment être source de confusion et mener à une dilution des responsabilités entre les différents acteurs.

Plusieurs personnes auditionnées ont également appelé à une réorientation de l’action du service d’infrastructure de la défense (SID), qui devrait davantage se focaliser sur ce qui fait sa plus-value, à savoir les infrastructures opérationnelles. Comme l’a souligné le major général de la marine lors de son audition, « II conviendrait de réfléchir à externaliser les infrastructures bâtimentaires basiques (logements, piscines, chenils) pour concentrer l’action du SID sur les infrastructures technico-opérationnelles, en particulier dans le domaine portuaire qui est fondamental pour nous ». Il faut toutefois demeurer prudent à l’égard d’éventuelles externalisations. Elles pourraient en effet avoir comme effet pervers l’augmentation des coûts ainsi qu’une considération moindre de la spécificité des infrastructures militaires (aussi basiques soient-elles). Si une telle solution venait à être privilégiée, il faudrait ainsi faire preuve d’une grande vigilance sur le contenu des cahiers des charges.

Enfin, vos rapporteurs ont la conviction qu’il faut redonner davantage de marges de manœuvres aux chefs de corps en matière d’infrastructures. Celui-ci devrait notamment disposer d’une enveloppe discrétionnaire pour être en capacité d’intervenir rapidement sur des menus travaux.

Plus largement, il convient de mettre un terme au processus de centralisation issu de la RGPP à des fins d’économie budgétaire et promouvoir davantage de subsidiarité, en responsabilisant les acteurs de terrain, qui eux seuls connaissent les besoins. Vos rapporteurs partagent ainsi l’avis du major général de la marine, lorsque celui-ci a constaté lors de son audition que « la manière dont l’enjeu de l’hébergement est traité, par des plans qui s’imposent par le haut parfois au détriment de la cohérence sur nos emprises, et le pilotage en silo des crédits n’ont pas permis à la Marine de profiter pleinement du plan Hébergement. Si l’intention et l’impulsion doit émaner du politique, il faut ensuite donner des leviers aux acteurs de terrain ».

Vos rapporteurs espèrent ainsi que la prochaine LPM sera l’occasion de simplifier et de décentraliser davantage le processus décisionnel en matière d’infrastructure.

C.   Un « plan famille » bienvenu à prolonger

1.   Une exécution satisfaisante

Si le « plan famille » a été initié dès 2017, la LPM 2019-2025 en a fait un élément majeur de son axe « à hauteur d’homme », en le dotant d’un financement de 530 millions d’euros sur la période 2019-2025.

Ainsi que le souligne le rapport annexé, « la LPM poursuit la mise en œuvre du plan d'accompagnement des familles et d'amélioration des conditions de vie des militaires, dit « plan famille », décidé en 2017, au profit des familles qui subissent les contraintes de l'engagement, notamment les absences ou la mobilité opérationnelles. Il aura également pour objet de faciliter l'intégration des familles dans la communauté de défense et d'améliorer les conditions de logement familial et d'hébergement des personnels militaires célibataires géographiques, notamment dans les zones en tension ».

Le « plan famille » est constitué de plus de 61 mesures assez disparates dans leur portée et leurs objectifs. Les principaux axes (hors hébergement et logements) sont les suivants :

● Amélioration de la vie quotidienne en unités : accès gratuit à Internet par Wifi dans les bâtiments d’hébergement et de vie ; mise en place de solution de restauration rapide (kiosques à pizza) et d’installations sportives en libre accès (city stades) ; déploiement de 200 espaces Atlas et des cellules d’information et d’accompagnement des familles (CIAF) pour faciliter les démarches des personnels et de leurs familles (logement, mise à jour de droits…).

● Simplification et accompagnement de la mobilité des militaires : communication des ordres de mutation avec un préavis d’au moins 5 mois pour 80 % des militaires ; mise en place de plateformes multi-déménageurs ; déménagement sans avance de frais.

● Soutien des familles : création de place de crèche (500 depuis 2017, soit une augmentation de 22 %) ; incitation financières des assistants maternels ; accompagnement des conjoints dans leur recherche d’emplois, de créations d’entreprises ou de mobilité dans le cadre du dispositif Défense Mobilité ; accès gratuit à une plateforme d’intermédiation pour garde d’enfant ; extension du bénéfice de la carte famille SNCF ; mise en place en novembre 2021 d’un observatoire des conjoints.

Dans le cadre de leurs travaux, vos rapporteurs ont pu constater que de nombreuses mesures du « plan famille » ont été particulièrement bien accueillies par les militaires et leurs familles, notamment s’agissant de la simplification des démarches liées à la mobilité ou encore l’accroissement de l’offre de gardes d’enfants, comme l’avait mis en exergue un précédent rapport parlementaire ([110]).

Au-delà du plan famille, les budgets dits « Condipers » (condition du personnel) permettent d’améliorer sensiblement les conditions de vie et de travail ou encore de financer des actions de cohésion, comme l’a mis en exergue le major général de l’armée de l’air et de l’espace lors de son audition. À titre d’exemple, huit bases aériennes seront dotées en 2023 d’un espace de conciergerie avec une offre multi-services (courses, pressing, entretien automobile…). Néanmoins, les budgets Condipers sont relativement faibles : trois millions d’euros en 2022 pour l’armée de l’air et de l’espace.

2.   Les recommandations de vos rapporteurs

L’enjeu de fidélisation commande d’amplifier l’effort en faveur de l’amélioration des conditions de vie des militaires et de leur famille. Les annonces du ministre des Armées relatives au plan famille 2 en date du 2 février 2023 sont à cet égard rassurantes, puisqu’un budget de 750 millions d’euros est prévu dans le cadre de ce nouveau plan sur la période 2024-2030.

Le point d’attention majeur qui ressort des travaux de vos rapporteurs dans le cadre de l’exécution du plan famille est le besoin accru de subsidiarité dans la conception et la mise en œuvre des mesures, afin de davantage prendre en compte les spécificités du terrain. Comme l’a souligné le major général de la marine, « les enjeux pour la famille ne sont pas les mêmes à Toulon et à Brest ».

Le plan famille 2 semble répondre à ce besoin, en conférant davantage de pouvoirs au commandement de proximité, puisqu’une des mesures annoncées est de « doter le commandement local des moyens de mener des projets d’infrastructure, d’aménagement ou d’ameublement destinés aux familles Consacrer des crédits à des projets locaux d’investissements d’infrastructure, d’aménagement ou d’ameublement portés par le commandement local au profit des familles ».

Vos rapporteurs seront particulièrement attentifs à ce que le plan famille 2 constitue un des axes contribuant, dans la prochaine LPM, à répondre à l’enjeu majeur de la fidélisation au sein de nos armées.

Le plan famille 2

AXE 1 - ACCOMPAGNER LA MUTATION DU MILITAIRE ET DE SA FAMILLE

• Expérimenter une offre sur mesure d’accompagnement de la mobilité géographique entrante des militaires en Ile-de-France Proposer progressivement en région Ile-de-France une offre de services globale de recherche de logement et d’aides aux démarches administratives liées à la mutation.

• Intensifier l’effort de construction de crèches en complément et en partenariat avec les collectivités Construire 16 nouvelles crèches et réaliser 2 extensions d’ici 2030. Offrir 600 berceaux de plus aux familles de militaire d’ici à fin 2027.

• Faciliter, dans une démarche d’expérimentation, l’installation de maisons d’assistantes maternelles (MAM) Accompagner des projets d’installation de MAM au profit du personnel défense et faciliter leur installation par tout moyen (financement, mise à disposition de locaux et de mobilier adaptés, formation de conjoints au métier d’ASSMAT…).

• Etendre le bénéfice de l’aide à l’accueil périscolaire Etendre le périmètre des bénéficiaires de la prestation, aujourd’hui limitée à l’école élémentaire, aux enfants scolarisés à l’école maternelle.

• Etendre le bénéfice de la prestation éducation Etendre le périmètre des bénéficiaires de la prestation éducation (aide financière destinée à compenser les frais engagés au titre des formations et études diplômantes non rémunérées des enfants) en augmentant le quotient familial de 10 000 € à 15 000 €.

• Créer un guichet et une ligne de services dédiés aux conjoints souhaitant bénéficier d’un accompagnement vers l’emploi Dans chaque pôle régional et à la mission de reconversion des officiers, un référent conjoint structurera la prise en charge de bout-en-bout des conjoints. Des séquences d’information seront systématisées pour orienter rapidement chaque conjoint vers un accompagnement individualisé.

• Elargir l’accès des familles concernées par le handicap aux prestations de l’action sociale des armées soumises à quotient familial. Abaisser à 50 % (au lieu de 80 %) le taux d’incapacité déclenchant l’octroi d’une demi-part supplémentaire pour les prestations d’action sociale soumises à quotient familial.

• Elargir l’accès des familles touchées par le handicap à l’aide relative au séjour de vacances en famille hors du domicile familial Abaisser à 50 % (au lieu de 80 %) le taux d’incapacité déterminant l’éligibilité à l’aide relative au séjour de vacances en famille hors du domicile familial.

• Pérenniser et étendre les tarifs militaires et les tarifs familles de militaire à l’ensemble du réseau ferroviaire français en vue de l’ouverture à la concurrence du trafic ferroviaire, pérenniser par voie réglementaire les réductions militaires et familles de militaire afin qu’elles puissent s’appliquer quels que soient la région et l’opérateur.

AXE 2 - ATTÉNUER LES IMPACTS DES CONTRAINTES OPÉRATIONNELLES

• Accorder un rang de priorité plus élevé aux militaires ayant les contraintes opérationnelles les plus exacerbées pour l’attribution des places en crèche. Revoir le barème de points qui détermine la priorisation des attributions de places en crèches Igesa et en berceaux réservés.

• Elargir l’accès à la prestation pour la garde d’enfants pendant des horaires atypiques. Elargir les conditions afin que davantage de militaires, parmi ceux qui connaissent les contraintes opérationnelles les plus fortes, puissent en bénéficier.

• Elargir le nombre de bénéficiaires de la prestation de soutien en cas d’absence prolongée du domicile (PSAD) Elargir les conditions d’éligibilité afin que davantage de militaires, parmi ceux qui connaissent les contraintes opérationnelles les plus fortes, puissent en bénéficier.

• Faciliter l’organisation d’événements dédiés aux conjoints et aux enfants. Appuyer le commandement pour l’organisation d’événements tournés vers les familles en développant l’offre d’Igesa comme opérateur de préparation et de régénération des militaires et des familles.

• Etendre les outils d’accompagnement proposés pour les enfants lors de l’absence du militaire. Renouveler le concept de boites multi-activités et proposer aux familles de nouveaux outils d’accompagnement des enfants lors des absences prolongées du militaire.

 

 

AXE 3 - AMÉLIORER LE QUOTIDIEN DES FAMILLES DANS LES TERRITOIRES

• Créer un PASS Culture & Loisirs Défense pour les militaires des armées et leur famille. Rechercher des réductions ou la gratuité d’accès à certains musées et monuments pour les militaires des armées et leur famille

• Mettre en place dans les territoires un réseau social ministériel « Famille des Armées » pour mieux faire connaître l’offre d’accompagnement du ministère et renforcer les liens entre les familles. Proposer au personnel et aux conjoints un réseau social sécurisé offrant des actualités, forums d’échanges, des bons plans et des informations pratiques sur les aides et dispositifs d’accompagnement

• Développer une carte numérique de conjoint. Etudier la mise en place d’un identifiant numérique sur Famille des Armées pour les conjoints, utilisable auprès des commerçants, musées, etc.

• Doter le commandement local des moyens de mener des projets d’infrastructure, d’aménagement ou d’ameublement destinés aux familles. Consacrer des crédits à des projets locaux d’investissements d’infrastructure, d’aménagement ou d’ameublement portés par le commandement local au profit des familles

• Augmenter les capacités d’organisation d’activités et d’événements pour accroître le lien armées-famille dans les unités. Dédier des crédits à l’organisation d’événements locaux permettant d’intégrer les familles et d’accroître le lien armée-nation

Source : ministère des Armées.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

   Examen en commission

 

La commission procède à l’examen du rapport de la mission d’information sur le bilan de la LPM 2019-2025 au cours de sa réunion du mercredi 15 février 2023.

Monsieur le président Thomas Gassilloud. Mes chers collègues, nous poursuivons ce matin la présentation des missions d’information, qui s’inscrivent dans la perspective de la prochaine loi de programmation militaire (LPM). Les missions d’information relatives aux fonds marins et à la préparation opérationnelle, qui nous ont été présentées la semaine dernière, seront des thématiques clés pour la prochaine LPM, tout comme la défense sol-air et les munitions, qui feront l’objet d’une présentation ce jour.

Cependant, il est nécessaire, pour bien préparer la prochaine LPM, de tirer les leçons de l’exécution de l’actuelle programmation militaire, votée en 2018. Quel jugement porter sur l’exécution de la LPM 2019-2025 ? Et quels enseignements en tirer pour la prochaine LPM ? Ces deux questions ont guidé les travaux des deux rapporteurs, Yannick Chenevard et Laurent Jacobelli, de la mission d’information sur le bilan de la LPM 2019-2025. Je rappelle que cette mission d’information incluait également comme membres Jean- Michel Jacques, Fabien Lainé, Jean-Charles Larsonneur, Pierre-Morel-A-l’Huissier et Isabelle Santiago.

Sans plus tarder, Messieurs les rapporteurs, je vous cède la parole.

Monsieur Yannick Chenevard, rapporteur. Monsieur le président, mes chers collègues, je vous remercie, Monsieur le président, pour vos mots d’introduction. Je remercie également la commission pour nous avoir confié la conduite de cette mission sur le bilan de la LPM, qui a été passionnante. Laurent Jacobelli et moi-même sommes ravis de pouvoir vous présenter aujourd’hui les conclusions de nos travaux.

« Prévoir pour pourvoir afin de pouvoir », cette citation du maréchal Foch n’a pas pris une ride. La loi de programmation militaire est une loi singulière. Elle constitue tout d’abord l’incarnation du pacte entre la Nation et son armée. Elle est également un outil de planification financière indispensable pour nos armées, dont les programmes d’équipement s’inscrivent dans le temps long. Cette logique du temps long, si difficile à promouvoir à une époque où le court-termisme prend souvent l’ascendant sur la préparation de l’avenir, est fondamentale en matière de programmation militaire. Il en est de notre responsabilité de voir loin ; nous servons quelque chose de plus grand que nous-mêmes, la Nation.

La loi de programmation militaire est avant tout la traduction d’une ambition stratégique ; elle symbolise, plus que toute autre loi, la place que notre pays souhaite tenir au sein du concert des Nations, des grandes Nations. Malheureusement, les précédentes LPM ont surtout traduit une perte d’ambition. Il est nécessaire de revenir à cet égard sur le contexte dont a hérité la LPM 2019-2025.

Premièrement, un budget de la défense sacrifié sur l’autel des « dividendes de la paix ». Aucune des précédentes LPM, mes chers collègues – je dis bien aucune – n’a été respectée, dans sa trajectoire financière, depuis le début des années 80. Autrement dit, nos armées ont servi inlassablement de variable d’ajustement budgétaire pendant de 40 ans.

Deuxièmement - c’est la conséquence de ce qui précède - la LPM 2019-2025 a hérité d’armées durablement affaiblies par ces décennies de sous-investissement. Quelques chiffres pour illustrer l’ampleur des dégâts causés par ces « dividendes de la paix ». Réduction des effectifs : de 2008 à 2019, le ministère des Armées a perdu plus de 63 000 emplois, soit plus de 20 % de ses effectifs, cette déflation ayant cependant pris fin en 2015, avec le renforcement la force opérationnelle terrestre (FOT) dans le cadre de l’opération Sentinelle. Réduction des capacités : le parc d’aéronefs de l’armée de l’air a diminué de 139 % depuis 1990 ; le nombre de chars est passé de 1 349 en 1991 à 222 en 2021 ; le nombre de bâtiments de combat de la marine est passé de 135 en 1990 à 85 en 2021. Réduction des contrats opérationnels : en 1997, il était prévu l’engagement de 50 000 militaires dans une opération de coercition majeure ; depuis 2014, il n’est plus prévu que le déploiement de 15 000 soldats dans le cadre d’un tel engagement.

Troisième élément de ce contexte dont a hérité la LPM, c’est l’accroissement des menaces, tel que mise en lumière par la revue stratégique en 2017. Menace du terrorisme islamique bien sûr, encore prépondérante à l’époque et toujours d’actualité, mais également retour des logiques de puissance, avec un réarmement croissant des compétiteurs stratégiques et des puissances régionales.

Au final, nos armées en 2017 devaient faire face à des tendances contradictoires : une déflation des effectifs et de leurs moyens, et, parallèlement, un engagement constant voire croissant en opérations extérieures, comme sur le territoire national. Évidemment, poursuivre dans une telle voie n’était plus tenable. Le choix de la LPM fut de marquer une rupture franche, nette avec cette dynamique déflationniste, dans le prolongement des efforts initiés en 2018.

Le rappel de ce contexte permet de comprendre l’objectif principal de la LPM 2019-2025 : c’est une loi de « réparation ». Il s’agit de « réparer » nos armées « abîmées » par des décennies de sous-investissement. Le rappel de ce contexte permet également de mesurer l’ampleur de l’effort de redressement qui est à mener et qui doit être mené dans la durée.

C’est à ce titre que la LPM 2019-2025 est structurée autour de l’Ambition 2030, c’est-à-dire la construction d’un modèle d’armée complet et équilibré pour agir sur l’ensemble du spectre à horizon 2030. Cette Ambition prend deux formes dans la LPM. Premièrement, la fixation de contrats opérationnels à respecter, avec la définition des formats et capacités à employer en fonction des missions. Deuxièmement, la fixation d’une cible d’équipements à atteindre en 2030 (avec un jalon en 2025).

La LPM 2019-2025 fixait ainsi une trajectoire de remontée en puissance en deux temps : une phase de réparation jusqu’en 2023, suivie d’une phase de modernisation jusqu’en 2030. Autrement dit – et je me permets d’insister sur ce point car il est important – évaluer l’exécution de la LPM de 2019 à aujourd’hui, c’est en vérité dresser le bilan du début de cette phase de redressement de nos armées, qui doit s’achever à l’horizon 2030.

Cette ambition opérationnelle de la LPM est portée par un effort financier majeur : près de 300 milliards d’euros (295 précisément) de 2019 à 2025, avec l’objectif de porter l’effort de défense à hauteur de 2 % du PIB en 2025. Cela correspond à une augmentation de 23 % des ressources par rapport à la précédente LPM. Cet effort financier était doublé d’une « sincérisation » des ressources, à travers deux mécanismes : d’une part, l’absence de prévisions de recettes exceptionnelles, ; d’autre part, l’augmentation conséquente de la provision OPEX-MISSINT, pour la rapprocher de son coût réel.

Monsieur Laurent Jacobelli, rapporteur. Monsieur le président, mes chers collègues, je m’associe également aux remerciements qui ont été effectués. Mon co-rapporteur a évoqué les objectifs de cette LPM, loi de « réparation » de nos armées. Il convient désormais d’analyser l’exécution de la LPM, qui est l’objet de notre mission d’information.

Le premier constat, mais vous le savez déjà, c’est une programmation financière respectée à l’euro près, une première depuis 40 ans. Les « marches » de 1,7 milliard d’euros puis de 3 milliards d’euros en 2023 ont été franchies, au plus grand étonnement de certains, y compris au sein des états-majors.

Cette conformité est double : les lois de finances initiales ont ouvert chaque année des crédits conformes à la LPM et les crédits ouverts ont eux-mêmes été consommés entièrement en exécution. Grâce à cette exécution de la programmation financière, le budget de la mission Défense a ainsi augmenté de 28 % depuis 2018, soit près de 10 milliards d’euros par an. C’était une étape nécessaire, voire vitale, pour nos forces armées.

Comment a été alloué cet effort financier majeur ? Conformément aux prévisions de la LPM, ce sont les équipements de nos armées qui ont bénéficié prioritairement de ces augmentations budgétaires. Les crédits dédiés aux plus grands programmes d’équipement, dénommés les « programmes à effet majeur » (PEM), ont ainsi augmenté de plus de 49 % entre 2018 et 2023.

Cet effort en faveur des équipements doit d’autant plus être souligné que ces derniers ont traditionnellement été les premiers touchés par les ajustements budgétaires passés, ce qui a donné lieu à des étalements de programmes particulièrement coûteux pour nos armées, mais aussi pour nos finances publiques – je pense notamment au programme des FREMM –.

Les autres segments qui ont bénéficié prioritairement de l’augmentation des crédits sont, dans l’ordre, la dissuasion, le maintien en condition opérationnelle puis les infrastructures.

Le respect de la trajectoire financière globale fixée par la LPM ne signifie pas naturellement que tout s’est passé comme prévu. C’est dans l’ordre naturel des choses : si la LPM a pour vocation de sécuriser les ressources, elle n’a pas pour but de graver les dépenses dans le marbre. Comme l’a mentionné une personne auditionnée, la programmation militaire est « un organisme vivant », en ce qu’elle doit s’adapter à l’évolution du contexte stratégique, économique, et à la vie des programmes qu’elle finance.

En l’espèce, c’est un peu plus d’un milliard d’euros chaque année, qui ont fait l’objet d’ajustement, c’est-à-dire qui ont été redéployés en cours d’exécution. Un milliard d’euros par an, c’est beaucoup en valeur absolue, et peu au regard du budget total de la mission Défense.

Ces ajustements ont été dictés tout d’abord par des inflexions capacitaires décidées pour tenir compte de l’évolution des défis auxquels font face nos armées. À titre d’exemple, l’ajustement annuel de 2019 s’est traduit par une hausse des moyens consacrés à l’espace, dans le prolongement de la stratégie spatiale de défense publiée la même année, avec la création d’un programme de maîtrise de l’espace.

Autre exemple : à la suite de l’actualisation de la revue stratégique de 2021, qui a insisté sur le retour de la compétition entre puissances et la généralisation des stratégies hybrides, l’actualisation de la LPM a abouti à un effort d’un milliard d’euros, au bénéfice des priorités suivantes : le renseignement et le cyber (378 millions d’euros) ; les domaines santé, NRBC et lutte anti-drones (210 millions d’euros) ; les moyens dédiés à la préparation opérationnelle (450 millions d’euros).

Outre l’adaptation au contexte stratégique, la programmation a dû également s’adapter à l’évolution du contexte économique. La période de 2019 à 2021 a connu une évolution plus faible que prévue du coût des facteurs, ce qui a engendré un gain d’environ 400 millions d’euros de pouvoir d’achat du ministère des Armées, qui ont permis de financer certains ajustements. A contrario, le retournement de la conjoncture à compter de 2022, avec le retour de l’inflation, a créé des besoins de financement estimés à un milliard d’euros par le ministère pour l’année 2023, qui devraient notamment être absorbés par une dégradation du report de charges.

Enfin, la programmation a également dû faire face à certains surcoûts résultant d’aléas. Les principales sources de surcoûts que nous avons identifiées sont les suivantes.

Tout d’abord, les opérations (OPEX-MISSINT) : l’augmentation de la provision à 1,1 milliard d’euros n’a en effet pas été suffisante pour couvrir l’ensemble des coûts. Le ministère a ainsi financé seul 846 millions d’euros de surcoûts nets de 2019 à 2021, à travers notamment sa réserve de précaution.

Deuxièmement, la guerre en Ukraine, qui n’est pas juridiquement une OPEX. Le coût du déploiement de nos armées sur le flanc Est de l’Europe est estimé à 666 millions d’euros en 2022 pour le seul programme 178. Il convient de souligner que ce montant n’intègre pas le coût du recomplètement des matériels cédés à l’Ukraine.

Troisièmement les conséquences de la cession de 24 Rafale d’occasion à la Grèce à la Croatie. Le produit de cette cession est d’environ 656 millions d’euros. Lors de son audition devant notre commission, le major général de l’armée de l’air et de l’espace avait estimé que la commande de 12 Rafale représentait plus d’un milliard d’euros. Par conséquent, le coût du recomplètement de 24 Rafale représenterait plus de deux milliards d’euros. Cela fait donc un surcoût net d’1,3 milliard d’euros au minimum, et plus vraisemblablement autour d’1,7 milliard d’euros selon nos estimations à la suite de nos entretiens.

Quatrième source de surcoûts, la crise liée à la Covid qui a généré plus d’un milliard d’euros de dépenses supplémentaires non prévues en 2020. Cependant, celles-ci ont été entièrement financées par des moindres dépenses dues notamment aux décalages de certaines livraisons.

Enfin, au titre des autres sources de surcoût non prévues lors du vote de la LPM, il peut être cité la revalorisation indiciaire pour un montant de 357 millions d’euros par an.

Au final, ces surcoûts ont été gérés de façon relativement souple et même habile, à crédits constants, de 2019 à 2021 grâce à une évolution positive du coût des facteurs, à une maîtrise de la masse salariale et aux réajustements calendaires de certains programmes. En revanche, en 2022, le retournement du contexte économique (inflation) et l’évolution stratégique (guerre en Ukraine) ont nécessité un besoin de financement d’ampleur, qui ne pouvait être pris en charge par de simples redéploiements internes sans mettre en péril l’Ambition 2030. C’est la raison pour laquelle la loi de finances rectificative de décembre 2022 a ouvert 1,2 milliard d’euros au bénéfice de la mission Défense.

Cette exécution de la programmation financière appelle en outre un point de vigilance sur l’évolution des restes à payer, c’est-à-dire des dépenses engagées mais non encore payées, en raison de l’étalement dans le temps des programmes d’armement. Ces restes à payer ont en effet fortement augmenté, en passant de 54 à 83 milliards d’euros de 2019 à 2022. Il s’agit certes de la conséquence logique de l’ambition capacitaire de la LPM, mais cette évolution introduit une forme de rigidification du budget de nos armées : les nouvelles marches ont de plus en plus vocation à financer les engagements passés, plutôt qu’à initier de nouveaux engagements.

Dans ces conditions, quelles leçons, mes chers collègues, tirer de l’exécution de la programmation financière pour la prochaine LPM ?

Tout d’abord, au vu de l’évolution du contexte économique, il nous faudra être très attentif à la sécurisation des ressources de la prochaine LPM. Le ministre des Armées a évalué devant cette commission l’impact de l’inflation à 30 milliards d’euros sur la période 2024-2030. Quid si l’inflation est supérieure à cette estimation ? Il serait intéressant, selon nous, de réfléchir à un mécanisme qui permettrait d’ajuster les crédits en fonction de la variation de l’inflation réelle par rapport à l’inflation anticipée, afin d’éviter d’avoir à se reposer, comme en 2022, sur une LFR par principe incertaine, tant dans son principe que dans ses montants.

Au titre de la sécurisation des ressources, il conviendra également d’être attentif à la nature des 13 milliards d’euros de ressources exceptionnelles annoncées dans la prochaine LPM. À nouveau, que se passerait-il si ces recettes ne se réalisent pas comme prévu, comme cela a du reste été le cas lors de précédentes LPM ? Un mécanisme d’ajustement automatique avec un abondement de crédits serait là encore le bienvenu.

Deuxième proposition de notre part, il conviendra que la prochaine LPM dispose expressément que l’actualisation prenne la forme d’un vote du Parlement, pour éviter que soit réédité le précédent fâcheux de 2021. Au surplus, au vu de l’ampleur des ajustements annuels (plus d’un milliard d’euros par an, comme il a été rappelé), il semble que le Parlement devrait être davantage associé aux travaux aboutissant à de tels ajustements, sous un format à déterminer.

Enfin, troisième et dernière proposition de notre part sur l’exécution de la programmation financière, la prochaine LPM devra assurer un financement interministériel systématique des surcoûts OPEX-MISSINT. Il n’est pas normal que le ministère des Armées finance seul les conséquences de choix qui engagent la Nation toute entière. Par ailleurs, cette provision pourrait utilement être élargie à d’autres opérations qui ne sont pas juridiquement des OPEX, telles, par exemple, que les engagements actuels sur le flanc Est de l’Europe.

Si cette LPM a donc été exécutée à l’euro près, ce fut parfois au prix de « voltiges » budgétaires. Ce que nous proposons, c’est de garantir un cadre plus sécurisé pour le déploiement des investissements au profit de nos armées.

Monsieur Yannick Chenevard, rapporteur. S’agissant de l’exécution du programme d’équipements, la LPM porte toute d’abord une forte ambition de renouvellement de notre force de dissuasion, illustrée par une augmentation des crédits de 44 % entre 2018 et 2023. Le programme prévisionnel de ce renouvellement, dont la nature a été largement analysée lors de notre cycle d’auditions consacré à la dissuasion, est respecté. La dissuasion sera nécessairement une composante importante de la prochaine LPM, avec les travaux sur le sous-marin nucléaire lanceur d’engins de troisième génération (SNLE 3G) et sur le futur missile de la composante aéroportée à l’horizon 2035 (ASN4G).

S’agissant des programmes conventionnels, la modernisation en cours des capacités est aussi en cours.

Pour l’armée de terre, la modernisation, comme vous le savez, est concentrée sur le segment médian, avec le programme Scorpion qui apporte une véritable plus-value opérationnelle sur le terrain, avec des véhicules mieux protégés, plus mobiles, plus agressifs et progressivement interconnectées au sein de la « bulle Scorpion ». L’objectif de disposer d’une brigade interarmes Scorpion en 2023 sera vraisemblablement tenu, avec la montée en puissance à venir des véhicules Jaguar et Serval. Comme nous l’avons constaté lors de notre visite à Carpiagne, au sein du 1er régiment étranger de cavalerie, ces véhicules représentent un saut qualitatif considérable par rapport à la génération actuelle d’équipements, qui ont une quarantaine d’années.

Pour l’armée de l’air et de l’espace, les livraisons de l’avion ravitailleur A 330 MRTT et de l’avion de transport A400M constituent un véritable saut opérationnel. Les capacités de projection de nos aviateurs sont démultipliées, comme l’illustrent les récentes missions en Indo-Pacifique, que seules quelques rares nations dans la monde sont capables d’accomplir.

En ce qui concerne la marine, l’action combinée des sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) du programme Barracuda, des FREMM et des avions de patrouille maritime Atlantique 2 rénovés au standard 6 donnent toute satisfaction dans le cadre des opérations de lutte sous-marine, comme l’illustre le récent prix de l’US Navy « Hook’em Award » remis à quatre FREMM pour s’être distinguées dans le domaine de la lutte anti-sous-marine.

Outre ces programmes emblématiques, la LPM a également réalisé un effort important en faveur des petits équipements, utilisés au quotidien par nos forces armées. La liste des matériels en cours de renouvellement est très variée : gilets pare-balles, fusils d’assaut et fusils de précision, pistolets, jumelles de vision nocturne, treillis de combat. Lors de nos déplacements, nous avons pu constater à quel point ce renouvellement des petits équipements est apprécié u sein des forces.

S’agissant du respect du programme d’équipement prévu par la LPM, les différents ajustements annuels ont eu un impact sensible sur le calendrier prévisionnel, de même que certains aléas, tels que les retards industriels, ou encore les prélèvements effectués dans le cadre des exportations ou au bénéfice des forces ukrainiennes.

Au total, sur les 52 équipements mentionnés par le rapport annexé de la LPM, 25 n’atteindront ainsi pas la cible du parc prévisionnel prévu au titre du jalon 2025. La plupart de ces retards ne sont toutefois pas de nature à remettre en cause la cible 2030.                                                

À titre d’exemple du non-respect du jalon 2025 prévu par la LPM, on peut citer : le drone tactique Patroller ou le programme de véhicule des forces spéciales, victimes de problèmes industriels ; le programme Scorpion dont la cible a été ramenée de 50 à 45 % en 2025 dans le cadre de l’actualisation 2021 pour financer notamment l’accélération de la rénovation du char Leclerc et le lancement du véhicule blindé d’aide à l’engagement (VBAE) ; ou encore les avions Rafale, du fait de l’exportation grecque et croate.

Inversement, d’autres programmes ont été accélérés par rapport aux prévisions, tels que les études du porte-avions de nouvelle génération pour un effort financier de 800 millions d’euros. Enfin, des programmes non prévus initialement par la LPM ont été créés pour tenir compte de l’évolution du contexte stratégique, tels que la maîtrise des fonds marins, comme nous l’avons vu la semaine dernière, mais aussi la lutte anti-drones, la frappe longue portée ou encore le programme Cinabre contre les menaces NRBC.

Au final, quelles leçons tirer de cette exécution de la programmation capacitaire pour la prochaine LPM ? Tout d’abord, il faut garder à l’esprit que nous n’en sommes qu’au début du processus de modernisation des équipements au regard de la trajectoire fixée par l’Ambition 2030. Le programme Scorpion n’en sera qu’à 23 % d’exécution fin 2023, le passage au tout-Rafale au sein de l’armée de l’air et de l’espace est encore loin d’être achevé, tandis que certains grands programmes de la marine commencent seulement à être admis au service actif (SNA, patrouilleurs outre-mer, frégates de défense et d’intervention, bâtiments de ravitaillement des forces). Il faut donc garder le cap et surtout ne pas réduire les volumes.

Il faudra également dans la prochaine LPM veiller à ce que ces nouvelles capacités soient bien accompagnées des outils et des infrastructures requises. À titre d’exemple, le régiment de Carpiagne a bien reçu les premiers Jaguar, mais pas les simulateurs pour s’entraîner sur ces derniers, ni les infrastructures de maintenance adéquates pour ces véhicules.

Au-delà de cette continuité nécessaire, il faut bien sûr adapter certaines capacités à l’évolution du contexte stratégique, et notamment au retour de la guerre de haute intensité en Europe. Je ne reviendrai pas sur les munitions et la défense sol-air, qui feront l’objet d’une présentation plus tard dans la matinée, mais qui constituent de l’aveu général des segments absolument clés. Les formats actuels des flottes de Rafale et des frégates de premier rang constituent des points d’attention majeurs pour l’armée de l’air et de l’espace et pour la marine. Le rehaussement de ces formats implique évidemment des investissements très lourds. Le projet de de corvettes européennes est une solution intéressante pour la surveillance de notre zone économique exclusive. Enfin, certains trous capacitaires doivent être impérativement comblés. Sans être exhaustif, on peut citer les capacités de frappe dans la profondeur, les capacités de destruction des défenses aériennes ennemies, ou encore les munitions téléopérées.

La prochaine LPM devra également faire de l’adaptation de la BITD à « l’économie de guerre » un axe majeur de sa programmation. L’allègement des normes et la simplification des programmes d’armement constituent des pistes à privilégier pour être en capacité de produire plus et plus vite en cas de besoin.

Au regard des retards pris par certains programmes de coopérations européennes, la prochaine LPM pourrait utilement instaurer des jalons décisionnels à intervalles réguliers, afin de décider s’il convient ou non de poursuivre ces coopérations. Cela parait d’autant plus important que les besoins sous-jacents à ces coopérations sont majeurs pour nos armées : que cela se fasse dans un cadre européen ou national, il nous faudra de toute façon un successeur au char Leclerc et au Rafale. Les récentes déclarations du Président de la République et celles du chancelier allemand vont dans le bon sens.

Je souhaiterais également revenir très rapidement sur l’exécution de certaines priorités affichées par la LPM : le renseignement ; le cyber ; l’espace et l’innovation. S’agissant du renseignement, nos services (DGSE, DRM, DRSD) sont dans une phase de profonde transformation capacitaire et humaine grâce notamment à l’effort promu par la LPM, ce qui est essentiel dans un contexte d’hybridité croissante des conflits. Le bon développement du programme d’intelligence artificielle Artemis sera une clé pour traiter des données en croissance exponentielle. Les défis en termes de recrutement et de fidélisation ont été soulignés. Le renseignement constituera du reste une priorité pour la prochaine LPM, puisqu’il est prévu une hausse de 60 % des crédits consacrés à ce segment.

Pour le cyber, la programmation a été marquée par la création d’une posture permanente cyber, reflet de l’importance de cette mission. L’essentiel des dépenses de cyber défense a été consacré la cryptographie, c’est-à-dire au chiffrement. L’augmentation des crédits consacrés au cyber dans le cadre de l’actualisation de la programmation en 2021 a également permis de développer la lutte informatique d’influence, qui n’était pas un axe promu initialement par la LPM. Les défis en matière de ressources humaines sont cependant majeurs, le comcyber n’étant qu’à 82 % de sa cible d’effectifs à l’heure actuelle.

S’agissant de l’espace, un effort important a été réalisé notamment pour renouveler nos capacités satellitaires. La France est par exemple un des seuls pays au monde disposant de capacités spatiales de renseignement d’origine électromagnétique, avec la constellation CERES, dont la mise en service a été accélérée à l’occasion du conflit ukrainien. Lors de la prochaine LPM, l’effort particulier devra être concentré sur développement des capacités de protection de nos satellites, mais également des capacités d’action dans l’espace. C’est l’objet du programme ARES lancé en 2019.

Quant à l’innovation, quatrième et dernière priorité de la LPM, l’objectif d’un milliard d’euros consacré aux études amont a été respecté. Cela a permis à l’agence de l’innovation de défense, créée en 2018, de monter en puissance. Un véritable écosystème a été créé, avec un foisonnement d’initiatives : je pense notamment à la création du fonds innovation défense en 2021 pour aider les entreprises innovantes. La principale problématique aujourd’hui reste le passage à l’échelle des innovations, trop souvent contraint par des normes inadaptées. Il est également indispensable de ne pas rater le virage pour certaines technologies révolutionnaires, tels que le quantique qui exigera des efforts financiers importants mais nécessaires.

Nos armées ne valent que par celles et ceux qui les servent. La notion du service et même du « sacrifice ultime » imprègnent nos armées. Si la mise en place de la NPRM, qui représente 500 millions d’euros en année pleine, a été particulièrement bien accueillie, il reste cependant à travailler sur une revalorisation significative de la part indiciaire. Je n’ai pas de doute sur le fait que ce sera le cas.

Monsieur Laurent Jacobelli, rapporteur. Nous avons identifié trois points d’attention majeurs, où des efforts importants ont certes été réalisés depuis 2019, mais qu’il convient à notre sens d’amplifier dans le cadre de la prochaine LPM : il s’agit de l’activité opérationnelle, de la fidélisation des effectifs et des infrastructures.

Sur l’activité opérationnelle, nos armées sont au rendez-vous de leurs missions, comme l’a illustré leur réactivité dans le cadre du déploiement sur le flanc oriental, à la suite de l’invasion de la Russie en Ukraine. Au sujet de ces missions, la prochaine LPM devra prendre acte du redéploiement de nos dispositifs en Afrique et certainement renforcer notre présence dans d’autres zones stratégiques, telles que l’Indo-Pacifique. Au titre des missions intérieures, nous pensons qu’il est temps de réévaluer Sentinelle, afin d’apprécier comment nous pourrons réformer cette opération à l’avenir.

Mais si nos armées sont au rendez-vous de leurs missions, cela se fait malheureusement trop souvent au détriment de leur préparation opérationnelle. Les objectifs d’activité prévus par la LPM à cet égard, qui correspondant aux normes OTAN, ne sont pas atteints. Ce sujet ayant été abordé la semaine dernière par nos collègues, je n’y reviendrai pas, si ce n’est pour vous préciser que cela nécessite selon nous, d’une part, de gagner en épaisseur, notamment d’accroître nos stocks de munitions, et, d’autre part, d’améliorer encore la disponibilité de nos équipements.

En effet, les objectifs de disponibilité des équipements prévus par la LPM ne sont pas encore atteints, notamment pour les aéronefs de nos armées (NH90, C-130H, Mirage 2000D). Il faudra veiller dans le cadre de la prochaine LPM à ce que la verticalisation des contrats de MCO, qui a exigé un effort financier considérable, porte ses fruits. L’accroissement des stocks de pièces de rechange et la simplification des plans de maintenance constituent dans cette perspective des pistes à approfondir.

Deuxième point d’attention majeur : les ressources humaines, et notamment l’enjeu fondamental de la fidélisation. Alors que la LPM prévoyait une remontée des effectifs (6 000 sur la période 2019-2025, dont la moitié entre 2019 et 2023), le compte n’y est pas à l’heure actuelle. Les schémas d’emplois prévisionnels du ministère des Armées ne sont pas atteints : à la fin de l’année 2022, le ministère prévoit un retard de plus de 1920 équivalents temps plein (ETP) par rapport à la cible.

Or, si les objectifs ne sont pas atteints, ce n’est pas tant dû à des problèmes de recrutements - le ministère recrute chaque année près de 27 000 effectifs, soit près de 10 % du total de ses effectifs, ce qui est considérable – qu’à des difficultés de fidélisation. Ce déficit de fidélisation constitue un point de vigilance pour l’ensemble des personnes que nous avons auditionnées ou rencontrées lors de nos visites.

Les causes de ce déficit sont multiples, mais deux semblent particulièrement importantes : d’une part, le décrochage des salaires par rapport au secteur civil ; d’autre part, la moindre acceptabilité des sujétions militaires chez les jeunes générations, notamment des mobilités géographiques, dans un contexte d’emploi accru des conjoints. Très concrètement, cela se traduit par le fait que de plus en plus de militaires du rang ne souhaitent pas devenir sous-officiers, car le gain salarial est trop faible par rapport aux sujétions liées à ce statut. Or, le modèle de notre armée repose notamment sur ce modèle de promotion interne. Sur le terrain, ce déficit de fidélisation entraine une baisse du taux d’encadrement des plus jeunes, alors même que les besoins d’encadrement sont importants en raison de la hausse des recrutements.

Dans ce contexte, mes chers collègues, que faire pour relever ce défi de la fidélisation ? Tout d’abord, il nous semble impératif de faire un effort sur le volet indiciaire de la rémunération des militaires, comme le relevait mon co-rapporteur dans le cadre de la prochaine LPM. La refonte du volet indemnitaire par la NPRM était la bienvenue et a été saluée par nos militaires, mais nous sommes aujourd’hui arrivés au bout de cette logique. On ne pourra pas lutter contre ce sentiment de décrochage de nos militaires sans une revalorisation significative de la part indiciaire.

Deuxièmement, la fidélisation nécessite de recruter le plus tôt possible car plus les militaires rentrent tôt dans l’institution, plus ils sont fidèles à celle-ci. Les initiatives innovantes, telles que l’école militaire et préparatoire et technique de Bourges ou encore le BTS Cyber de Saint-Cyr l’École, doivent être amplifiées, notamment pour recruter dans les secteurs en tension.

La fidélisation passe également par l’attention portée aux conditions de vie des militaires et de leurs familles. À cet égard, le « plan famille » a été globalement bien accueilli par les militaires et l’annonce par le ministère des Armées d’un « plan famille 2 » doté de 750 millions d’euros dans le cadre de la prochaine LPM est certainement positif.

J’en viens, mes chers collègues, pour terminer cette présentation, à notre troisième point d’attention majeur : les infrastructures. Sujet qui est lié du reste au précédent, car l’état des infrastructures joue évidemment sur le moral des troupes et donc sur la fidélisation des effectifs.

Comme vous le savez, les infrastructures ont été le parent pauvre des précédentes programmations, avec des décennies de sous-investissement. Cela s’est matérialisé par une forte dégradation du parc existant : aujourd’hui, seul un quart du parc immobilier du ministère est considéré être dans un « état bon ou neuf ». La dette grise, c’est-à-dire l’ensemble des dépenses nécessaires pour uniquement remettre en l’état le parc existant, a atteint un niveau record de 4,5 milliards d’euros.

Un effort de modernisation important a certes été réalisé dans le cadre de la LPM, notamment pour l’hébergement de nos militaires du rang en unités, avec le doublement de l’enveloppe budgétaire par rapport à la précédente LPM. L’entretien des logements domaniaux connaitra également une nouvelle dynamique avec le contrat de concession « ambition logement » conclu pour une durée de 35 ans, pour un engagement total de 2,8 milliards d’euros. Les infrastructures opérationnelles sont également modernisées, pour accueillir les nouvelles capacités issues de la LPM.

Mais soyons honnêtes, nous avons constaté lors de nos déplacements que les besoins sont encore immenses : vétusté des hébergements, qui seraient considérés comme indignes dans le civil ; inadaptation des hangars de stockage et de maintenance aux nouveaux équipements ; chauffage au charbon ; réseaux d’eau et d’électricité vieillissants, qui ne permettent plus un fonctionnement normal.

Il est par conséquent impératif que la prochaine LPM amplifie les investissements pour réduire cette « dette grise ». Il en va des conditions de vie et donc du moral de nos soldats.

Au-delà de l’effort financier, il faut également revoir les processus décisionnels, en donnant davantage de pouvoirs au chef de corps, qui seul connait les véritables besoins de son unité. De nombreux chefs de corps nous ont alerté sur la lourdeur administrative et les délais que représente le moindre remplacement d’une tuyauterie ou d’un chauffage de douche.

Une enveloppe discrétionnaire pourrait par exemple lui être allouée pour être en capacité de traiter rapidement les menues réparations. Il n’est pas normal que nos militaires doivent attendre plusieurs mois la réparation d’une fenêtre cassée ou d’un toit qui fuit, alors que leurs régiments ou leurs bases accueillent des équipements à la pointe de la technologie. L’écart entre les matériels qui arrivent et les conditions des infrastructures de vie n’est plus accepté et n’est plus acceptable.

Le rôle du service d’infrastructure de la défense (SID) pourrait également être revu, en se recentrant davantage sur les infrastructures technico-opérationnelles, son cœur de métier, et en externalisant les travaux de nature davantage civile, tout en maintenant évidemment un droit de regard dans le cadre de telles externalisations.

Enfin, les normes, souvent issues du monde civil et parfois inadaptées au secteur militaire, gagneraient à être simplifiées, afin de réduire les coûts et les délais des travaux. À titre d’exemple, sur la base aérienne d’Orléans-Bricy, les aviateurs ont dû attendre près de dix-huit mois pour utiliser un hangar pourtant livré, faute d’avoir les autorisations environnementales nécessaires.

Au final, mes chers collègues, comme vous l’avez compris, le bilan est globalement positif, mais les défis qui restent à relever sont nombreux. Nous n’en sommes qu’au début de la trajectoire de redressement de nos armées et la prochaine LPM sera essentielle pour poursuivre et amplifier cette dynamique : il s’agit de passer d’une logique de « réparation », qui n’est pas cependant pas encore terminée, à une logique de « modernisation » de nos armées. La LPM 2019-2025 aura certainement permis de construire le socle sur lequel s’appuyer pour assurer cette « transformation » de nos armées.

Il faudra que le Parlement soit pleinement associé à l’exécution des 413 milliards d’euros annoncés pour la prochaine LPM. Ceux-ci devront servir non seulement aux équipements les plus technologiques, mais également ceux qui font la force de nos armées, les femmes et les hommes qui la composent.

Nous vous remercions, chers collègues, de votre attention.

M. le président Thomas Gassilloud. Je vous remercie pour cet important travail, qui aborde des sujets de fonds comme de méthode, que ce soit sur l’affectation des ressources, le périmètre du financement interministériel, la prise en compte de l’inflation, les coopérations européennes, les modalités d’actualisation, etc. J’espère que ce travail nous permettra d’être mieux armés pour l’étude de la prochaine loi de programmation militaire. Nous en venons aux questions des orateurs des groupes.

M. Jean Michel Jacques (RE). Le rôle du parlementaire est naturellement de voter la loi, et nous pouvons à ce titre nous réjouir du travail transpartisan qui a été réalisé lors de la dernière loi de programmation militaire, auquel j’ai eu l’honneur de participer aux côtés d’un certain nombre de collègues. Mais le rôle du parlementaire est également de contrôler et d’évaluer les politiques publiques, comme vous venez d’en donner l’exemple avec votre rapport. Même si vous avez souligné un certain nombre de points d’attention qu’il conviendra de prendre en compte dans la perspective de la nouvelle loi de programmation militaire, nous nous félicitons de l’évolution positive pour nos armées depuis un certain nombre d’années.

La dernière loi de programmation militaire 2019-2025 répond aux enjeux sécuritaires identifiés par la Revue Stratégique élaborée en 2017, dans un contexte marqué par une menace terroriste importante, par une crise majeure au Sahel ainsi que par une forte déstabilisation au Proche et Moyen-Orient. Ces enjeux n’ont pas disparu, comme vous avez pu le souligner, mais ont évolué. S’y sont ajoutées depuis de nouvelles menaces, avec le retour de la guerre en Europe, la multiplication des menaces hybrides ou encore l’extension de la conflictualité à de nouveaux espaces – les fonds marins, l’espace extra-atmosphérique, le numérique, mais aussi l’espace informationnel -.

Ces évolutions nous obligent à transformer notre outil militaire. Il nous faudra veiller collectivement à ce que ces évolutions soient prises en compte dans la prochaine loi de programmation militaire. Ce nouveau contexte stratégique nous requiert également de rentrer dans une logique d’économie de guerre, comme vous l’avez souligné. En la matière, quels sont, selon vous, les axes d’amélioration pour y parvenir ?

Par ailleurs, vous avez indiqué à juste titre que « les armées ne valent que par ceux qui les servent », ce qu’illustre la guerre en Ukraine. C’est en effet le soldat qui porte le fusil qui fait in fine la différence. Comme vous l’avez souligné, nous devons continuer à renforcer l’attractivité et la fidélisation au sein de nos armées, même si la LPM a déjà beaucoup fait en la matière, à travers par exemple la mise en place de la prime du lien de service. Vous proposez à ce titre de compléter la mise en place de la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM) par un effort sur le volet indiciaire. Pourriez-vous nous préciser les motivations d’une telle proposition ?

Mme Catherine Colombier (RN). Messieurs les rapporteurs, les éléments que vous nous apportez nous donnent une base solide pour élaborer efficacement la prochaine loi de programmation militaire dans un contexte géostratégique en perpétuelle évolution, pour ne pas dire en constante ébullition. Nous nous félicitons bien évidemment du respect global de la loi de programmation militaire, qui constitue un motif d’encouragement pour nos armées après des années de disette budgétaire.

Mais l’effort doit être poursuivi. Votre rapport confirme à ce titre les constats de notre groupe sur la persistance de nombreux manques pour nos armées et, par conséquent, l’urgence d’une remontée en puissance assumée de notre outil de défense, pour être à la hauteur des enjeux de demain. La réparation entamée par la loi de programmation militaire devait s’étendre initialement jusqu’à 2025, et n’est donc toujours pas aboutie, à l’aube de la prochaine loi de programmation.

Les points d’inquiétude demeurent donc nombreux. Tout d’abord, la contradiction persistante entre une volonté d’indépendance et de souveraineté pour garantir notre liberté d’action dans de nombreux secteurs (comme les catapultes, le petit calibre, les drones, les hélicoptères lourds de transport etc.) et la poursuite d’illusoires projets avec des partenaires qui ne partagent pas la même vision stratégique et industrielle.

Le second point d’inquiétude est que les gouvernements précédents ont réduit nos armées à un modèle expéditionnaire, adapté au temps de paix relative, mais impropre à la haute intensité résultant du retour des logiques de puissance. La France a adopté un format capacitaire fondé sur du matériel performant et high-tech, mais résiduel et dont le maintien en condition opérationnelle se révèle coûteux. Ce choix a réduit considérablement le taux de disponibilité des équipements des forces, alors que le gain en épaisseur et en masse devient central.

Pour conclure, nous saluons donc le respect global de la loi de programmation militaire, qui a indéniablement permis de stopper l’hémorragie. Toutefois, la question qui doit se poser est évidente - et sa réponse guidera nos travaux à venir- : dès lors que l’on reconnaît que le contexte stratégique a radicalement changé depuis un an, les efforts effectués sont-ils suffisants ? Si demain, nous étions engagés dans un conflit de haute intensité, nos armées auraient-elles le moyen de tenir dans la durée ?

Mme Valérie Bazin-Malgras (LR). Je souhaite vous interroger sur l’impact de la guerre en Ukraine sur la loi de programmation militaire. Cette guerre mobilise d’importants d’effectifs aux frontières, tandis que de nombreux équipements ont été livrés par la France à l’armée ukrainienne. Est-ce que les militaires que vous auditionnés se sont plaints de ces envois de matériels et des déploiements actuels de soldats sur le flanc Est de l’Europe. Quel a été l’impact de ces engagements et d ces cessions de matériels dans la loi de programmation militaire 2019-2025 ?

M. Christophe Blanchet (DEM). Vos travaux rappellent que les engagements du programme présidentiel de 2017 ont été tenus, ne serait-ce que du point de vue financier et matériel, même si l’effort doit être poursuivi pour réparer quarante ans d’hémorragie de nos armées, comme vous l’avez souligné.

Une des finalités de la LPM était de permettre à la France d’affirmer son autonomie stratégique, c'est-à-dire d’être un partenaire fiable et crédible, capable de décider et d’agir sans dépendre des capacités d’autres États. L’objectif sous-jacent était de construire les conditions d’une autonomie stratégique européenne par la coopération industrielle et opérationnelle, afin de construire une culture stratégique commune.

Comme vous l’avez rappelé, depuis 2019, les armées françaises ont pu renouveler leurs équipements et acquérir de nouvelles capacités, notamment pour se défendre dans les nouveaux champs de conflictualité. Des équipements du quotidien, essentiels au soldat, ont également été livrés, tandis que des chantiers de rénovation et de construction de logements et d’infrastructures opérationnelles ont été lancés.

Pourtant, l’objectif de régénération des armées n’a pas été totalement atteint. Le rapport de la Cour des comptes de mai 2022 souligne notamment que la très forte sollicitation opérationnelle a eu des conséquences sur l’entraînement des forces et la disponibilité des matériels, et que les armées françaises ne sont pas prêtes, sur le plan capacitaire ou en termes de préparation opérationnelle, en cas d’opération majeure de haute intensité.

Concernant la coopération européenne, des projets comme l’Eurodrone ou le missile franco-italien de défense sol-air Aster, témoignent d’une volonté de réduire les coûts de production et de favoriser l’interopérabilité des armées européennes. Cependant, de nombreux États européens, en particulier sur le flanc Est de l’Europe, comptent encore sur la protection du parapluie nucléaire américain, a fortiori depuis la guerre en Ukraine, en acquérant auprès des États-Unis des blindés, des missiles, des pièces d’artillerie et surtout des avions de chasse F-35.

La situation actuelle en Europe doit nous pousser à renforcer l’autonomie stratégique nationale et européenne, afin de tenir compte de l’évolution du contexte géopolitique. Dans la perspective de la prochaine loi de programmation militaire, il faudra cependant tirer les leçons des dernières années en matière de coopération européenne. La France et l’Allemagne peinent à parvenir à un accord sur le SCAF et le MGCS, le Sénat ayant même adopté un amendement visant à anticiper une impasse des négociations pour le SCAF et incitant à envisager la faisabilité d’un projet d’avion de chasse de nouvelle génération uniquement français. La France a également décidé de ne pas participer au projet de bouclier anti-missiles européen.

Quels seraient les outils de diplomatie militaire à mettre en place pour convaincre nos alliés européens de construire ensemble une autonomie stratégique européenne, afin de ne plus dépendre des États-Unis ? Sur la question de la fidélisation, quel rôle peut jouer la réserve opérationnelle de niveau 2 et la garde nationale ? Enfin, comment renforcer encore davantage le « pacte entre la Nation et son armée », que vous avez mentionné dans votre présentation.

Mme Anna Pic (SOC). À l’occasion de la présentation de la future loi de programmation militaire, le Président de la République se félicitait de présenter un nouveau projet de programmation à la suite de la parfaite exécution de la loi de programmation précédente. Votre rapport nuance utilement les choses et soulève plusieurs points, sur lesquels nous souhaiterions avoir quelques précisions. Cette première partie de la loi de programmation militaire avait pour vocation de réparer nos armées et de sortir celles-ci de la logique de pénurie. Force est de constater que ces objectifs ne sont complètement atteints, malgré des avancées, et que les contraintes budgétaires, combinées avec le contexte inflationniste, pourraient ralentir leur réalisation.

En effet, comme l’indique la Cour des Comptes dans son rapport sur la loi de programmation militaire 2019-2025, l’ambition d’un modèle d’armée complet et équilibré d’ici 2030 est difficile à concilier avec la réduction du déficit public à 3 % du PIB en 2027. Formulée en 2017, cette ambition n’a pas depuis fait l’objet d’une actualisation. Au cours de votre rapport, vos interlocuteurs ont-ils évoqué cette absence d’actualisation ? Ont-ils par ailleurs mis en avant le souhait qu’un nouveau livre blanc soit réalisé ?

En outre, nos travaux sur la préparation opérationnelle soulignent le manque de disponibilité du matériel au sein de nos armées, ainsi que vous l’avez également souligné. Le manque de munitions est régulièrement évoqué, de même que l’indisponibilité des matériels, notamment des aéronefs, ou des espaces d’entraînements comme les champs de tir. Si l’on ajoute à cela la pénurie de main d'œuvre qui touche le secteur industriel, dans quelle mesure, selon vous, ce manque de disponibilité des matériels aurait pu être évité, au regard du bilan que vous faites de la loi de programmation militaire ? Au cours de vos auditions, avez-vous été alerté à propos de cette problématique de disponibilité du matériel ?

Enfin, la précédente loi de programmation militaire manifestait la volonté de renforcer le lien Armée-Nation et de favoriser l’esprit de défense, dans le prolongement des attentats de 2015. Le concept de « résilience », qui s’est développé dans le cadre de la crise sanitaire, a marqué la volonté du pouvoir de « conditionner » la Nation au conflit. Même si à titre personnel, je trouve que le terme même de “conditionnement” est potentiellement dangereux, est-ce que l’objectif d’établir, ou de rétablir, le lien Armée-Nation fut atteint durant cette première partie de la loi de programmation militaire ? Enfin, si la Cour des Comptes invite à reconsidérer la mission Sentinelle, ce point fut-il évoqué au cours de vos travaux ?

Mme Anne le Hénanff (HOR). Quelle équation difficile nous avons à résoudre, tous ensemble, sur la loi de programmation militaire à venir ! Je m’intéresserai plus particulièrement à l’un de ses aspects, celui de l’innovation et de la prospective technologique. Devant cette commission, le chef d’état-major de l’armée de l’air et de l’espace indiquait que la France avait pris du retard sur un certain nombre de sujets au niveau technologique, qui ne serait pas rattrapable. En revanche, sur d’autres segments, par exemple sur l’espace, nous avions l’ambition d’être leader au niveau européen.

Lorsque nous avons visité le commandement de la cyberdéfense (Comcyber) dans le cadre des travaux du groupe de travail « espace et cyber », j’ai posé la question suivante à un militaire : « estimez-vous que l’investissement est nécessaire pour que vous puissiez accomplir vos missions au sein du Comcyber ? ». Si l’obligation de réserve des militaires ne lui a pas permis de me répondre, cette question demeure et recoupe plus largement celle du niveau adéquat de nos investissements dans l’innovation et les technologies du futur, notamment dans l’espace et le cyber. Estimez-vous que les choix effectués lors de la loi de programmation militaire 2019-2025 auront permis de positionner la France en pole position sur ces thématiques au niveau européen, voire mondial, et de répondre aux enjeux et aux ambitions de notre pays sur ces sujets ?

Mme Stéphanie Galzy (RN). Nos militaires s’engagent de la plus noble des manières pour la défense de la France et des Français. Nous devons en contrepartie leur permettre de mettre en œuvre cet engagement dans les meilleures conditions possibles. Cela passe notamment par de bonnes conditions d’hébergement et une meilleure qualité des infrastructures dans lesquelles ils sont amenés à évoluer.

Vous avez rappelé que des efforts budgétaires ont été consentis en faveur des infrastructures. Toutefois, comme vous l’avez souligné, des décennies de sous-investissement imputables aux gouvernements successifs, de droite comme de gauche, ont profondément fragilisé nos infrastructures. Vous mettez ainsi en exergue la nécessité d’adapter de nombreuses infrastructures en vue d’accueillir de nouveaux équipements, mais aussi de procéder à de nombreux travaux de rénovation.

Je ne peux que souscrire à ce constat. Dans ma circonscription, lors d’une visite de la gendarmerie de Murviel-lès-Béziers, j’ai pu constater le délabrement des bâtiments dont une partie menace même de s’écrouler. Véritable passoire thermique, les gendarmes et leurs familles ont été contraints de fuir vers le parc locatif privé, afin d’éviter les conditions de vie indignes dans ces bâtiments, malgré les efforts mis en œuvre par le maire de la commune. La gendarmerie n’est même pas adaptée à l'accueil du public puisqu’elle ne dispose pas d’accès “ERP”. Cette situation s’explique en partie par le recours à une entreprise privée pour le pilotage des opérations de construction, ainsi que pour leur gestion et l’entretien.

Lors de vos travaux, vous avez eu l’occasion de vous déplacer sur des bases et de constater l’état des locaux. Estimez-vous que leur état est à la hauteur de l’engagement de ces femmes et de ces hommes qui défendent notre Nation ? Le cas échéant, estimez-vous que l’externalisation de la construction et de l’entretien des infrastructures de vie soit une solution envisageable pour répondre à leurs besoins ?

M. Lionel Royer-Perreaut (RE). Votre rapport permet de rappeler ce fait inédit dans l’histoire de nos armées, à savoir que cette loi de programmation militaire a été totalement exécutée. Pour moi qui ai œuvré pendant quasiment vingt ans dans ces locaux, je peux vous assurer que c’est exceptionnel d’avoir une loi de programmation militaire respectée dans son exécution.

Ma question portera plus précisément sur les difficultés de recrutement et de fidélisation de nos jeunes, que vous avez mentionnées. Cette absence de fidélisation se traduit par la dénonciation des contrats en cours de période probatoire, mais également par l’absence de renouvellement des contrats arrivés à terme. À titre d'exemple, notre collègue François Cormier-Bouligeon, dans son rapport pour avis du budget 2023 de l’armée de Terre, indiquait que pour les militaires du rang, le taux de dénonciation des contrats des militaires du rang atteignait près de 32 %, alors que le taux de renouvellement des contrats pour cette catégorie n’était que de 37,5 %.

Ce phénomène doit nous préoccuper, car il explique le non-respect des schémas d’emploi prévus dans le cadre de la loi de programmation militaire, alors même que disposer des compétences idoines et en nombre suffisant est une nécessité, qui va de pair avec les efforts capacitaires. Si vous avez tracé un certain nombre de pistes de réflexion, quelle serait la hiérarchisation des priorités que vous pourriez suggérer pour cibler les décisions à prendre dans ce domaine ?

M. Frédéric Boccaletti (RN). Alors que les livraisons de nouveaux équipements, tels que les drones Patroller et autres hélicoptères de combat battent leur plein, le taux de disponibilité des matériels existants demeure trop faible. Il est malheureusement de notoriété publique que les armées sont dans l’obligation de « cannibaliser » certains équipements, ce qui signifie désosser les matériels pour y prélever des pièces afin d’assurer le maintien en condition opérationnelle d’autres équipements.

Le conflit ukrainien mais également le conflit entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie démontrent aussi qu’un conflit entre deux puissances à capacités équivalentes entrainent un taux de pertes humaines et matérielles accru. Si la modernisation des équipements des armées est un sujet majeur, celui de faire gagner en épaisseur nos armées l’est tout autant. Dès lors, estimez-vous pertinent qu’en parallèle de la livraison de nouveaux matériels, soit mené un effort supplémentaire en faveur de la rénovation des matériels existants ?

M. Jean-Marie Fiévet (RE). Comme cela a été rappelé, le respect de la programmation financière de cette LPM constitue une nette rupture avec les LPM précédentes. Il a permis une augmentation totale du budget de la mission Défense de l’ordre de 28,4 %, passé ainsi de 34,2 milliards d’euros en 2018 à 43,9 milliards 2023, soit 9,7 milliards d’augmentations. Cette augmentation est bien supérieure à l’augmentation générale du budget de la même période.

Vous avez rappelé l’exécution du programme d’équipements prévu par la LPM ainsi que les grands programmes bénéficiaires de cette augmentation des crédits de la mission Défense. Je me réjouis que cette hausse des crédits permise par la LPM en cours permette de réparer et de redresser nos Armées, conformément à notre ambition stratégique de disposer d’un modèle d’armée complet et équilibré pour agir sur l’ensemble du spectre à l’horizon 2030.

Cette ambition sera rendue possible grâce à la modernisation de nos capacités. Au-delà de la traduction de cet effort budgétaire en nouvelles capacités, disposez-vous d’informations relatives à l’impact de ces investissements sur notre BITD et plus largement sur l’économie de notre pays ?

M. Christian Girard (RN). Nous sommes tous convaincus que les guerres d’aujourd’hui et de demain se gagneront grâce à la performance des équipements dont les armées se dotent. Cependant, les matériels, c’est bien, mais les hommes, c’est mieux. Les armées sont en effet confrontées à un véritable problème de ressources humaines, avec des carences d’attractivité et de fidélisation des effectifs.

À l’heure même, où nos forces doivent gagner en masse et en épaisseur, même si beaucoup de choses ont déjà été faites comme la NPRM et le « plan famille » qui ont été globalement salués par nos militaires, les problèmes demeurent. Aussi, quelles solutions vous semblent possibles pour accroître l’attractivité et la fidélisation de nos soldats marins et aviateurs ?

M. Frank Giletti (RN). Les partisans de l’Europe de la défense font des coopérations européennes une vitrine des grands programmes structurants, comme en témoignent le SCAF et du MGS. Force est de constater que ces deux projets, comme tant d’autres, rencontrent des difficultés liées à désaccords industriels et/ou politiques, notamment avec l’Allemagne. À titre d’exemple, le programme franco-allemand MAWS, l’avion patrouilleur maritime, n’a pas vu le jour à la suite de l’acquisition par l’Allemagne d’avions de patrouille auprès des États-Unis.

Dès lors, au regard du bilan mitigé - et c’est un euphémisme – de ces coopérations européennes, il semble que des enseignements doivent être tirés de ces difficultés pour l’avenir. Certes, les intérêts franco-allemands se recoupent sur certains sujets, mais il convient de reconnaître qu’ils divergent grandement par ailleurs. Là où l’Allemagne privilégie une armée continentale, adaptée pour des combats en Europe, la France aspire à défendre ses intérêts et ceux de ses alliés à travers le monde. La capacité de projection est une spécificité majeure de nos armées qui n’est partagée en Europe que par le Royaume-Uni. Il faut naturellement ajouter à cela notre dimension de puissance nucléaire, avec ce que cela implique sur le volet capacitaire.

Vous évoquez la nécessité de prévoir en tout état de cause des remplaçants au Leclerc et au Rafale, qu’ils soient européens ou nationaux. Or, un plan B nécessite que nos industriels s’y préparent suffisamment en amont, si nous ne voulons pas prendre un retard dramatique pour nos forces. À la lumière de vos travaux, estimez-vous nécessaire de missionner dès à présent nos industriels ?

M. Yannick Chenevard, rapporteur. Une première question est relative à l’économie de guerre, et notamment l’impact des normes. L’impact de certaines normes est assez terrifiant. À titre d’exemple, on impose dans des bâtiments accueillant uniquement des commandos, d’avoir des salles de bain qui sont aux normes « personnes à mobilité réduite » (PMR). Cela a un coût, et on se demande pour quelle utilité, car dès l’instant où le personnel n’est plus en capacité d’être opérationnel, il ne fréquente pas ce type de bâtiments. Un autre exemple qui a un coût encore plus élevé : la norme « Reach », norme européenne sur les limitations des substances chimiques, a eu un impact sur le budget alloué à la marine pour la rénovation des missiles Aster et d’Exocet de l’ordre 480 millions d’euros. Cela représente plus de dix patrouilleurs d’outre-mer, qui coûtent chacun un peu plus de 37 millions d’euros. Pour la surveillance de notre zone économique exclusive, vous savez qu’il y en a six de commandés, dont un qui est en transit pour rejoindre la Nouvelle-Calédonie. Avec ce budget, on peut acquérir également un bâtiment de ravitaillement des forces, pour un coût de 425 millions d’euros. Or, nous avons absolument besoin de quatre bâtiments de ce type pour assurer la cohésion du fonctionnement de notre marine.

Pour les rémunérations, nous sommes totalement en harmonie sur ce point avec mon co-rapporteur, notamment à la suite de l’audition des représentants du Conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM). Les militaires sont satisfaits de la NPRM, qui représente un effort inédit de 500 millions d’euros en année pleine. La NPRM a en outre permis le regroupement de 174 primes en huit primes, réparties en trois volets. Mais si la NPRM fonctionne bien, il ne faut pas oublier la grille indiciaire, comme cela a été systématiquement souligné dans le cadre de nos travaux. En effet, nos militaires ont l’impression de décrocher par rapport aux pratiques salariales du monde civil, qu’ils s’agissent des entreprises ou de la fonction publique. Ce décrochage est aussi à l’origine de l’augmentation des départs. Mon collègue Laurent Jacobelli évoquait une cible d’augmentation nette de 6 000 effectifs sur l’ensemble de la LPM. Or, aujourd’hui, nous savons que l’on n’atteint pas cette trajectoire à ce stade. Il faut donc réussir à garder nos militaires.

S’agissant d’une question d’Anna Pic relative au constat de la Cour des comptes sur nos armées, il faut toujours rappeler la nature et la fonction du budget de la défense. La Cour des comptes fait son travail, mais quand on veut une Nation indépendante, puissante et qui pèse sur les affaires du monde, conformément à sa qualité de membre permanente du conseil de sécurité de l’ONU, il faut cesser de faire des compte d’apothicaires et « mettre le paquet » ; c’est ce que cette LPM a fait, et la suivante permettra de doubler cet effort, avec 413 milliards d’euros programmés. Bien qu’étant moi-même un adepte de la bonne gestion comptable, il faut prendre en compte le sacrifice de nos soldats sur le terrain.

Pour répondre à mon collègue Lionel Royer-Perreaut au sujet des mesures à prendre pour réduire ce déficit de fidélisation des militaires. Il y a d’abord les conditions de vie pour les hommes du rang. Laurent Jacobelli a ainsi rappelé qu’aujourd’hui, des caporaux-chefs ne veulent pas passer sergent. Le gain financier est en effet si faible au regard de l’accroissement des responsabilités et des sujétions liées au statut de sous-officiers qu’ils considèrent que cela ne vaut pas le coup. Or, nos armées constituent un « escalier social » extraordinaire : 50 % des hommes du rang deviennent sous-officiers et 50 % des sous-officiers deviennent officiers. Je ne crois pas qu’il y ait dans la société civile un système méritocratique aussi efficace. Les gens qui travaillent arrivent à s’élever dans la hiérarchie et à prendre des responsabilités. Il y a aussi la question des mutations géographiques. Des militaires se plaignent du coût des déménagements, en forte augmentation par rapport à la prime à la mobilité qui est restée stable. Il y a de nombreux d’éléments comme celui-ci qui contribuent à faire de la grille indiciaire, et donc in fine du niveau des pensions, un enjeu majeur.

Pour répondre à mon collègue Jean-Marie Fiévet concernant l’impact de la LPM sur la base industrielle et technologique de défense (BITD), celui-ci est significatif. L’effet de levier des crédits sur la BITD est en effet conséquent. Quelques chiffres pour l’illustrer : un milliard d’euros investi dans la défense contribue à un effet levier de deux milliards sur dix ans. Aujourd’hui, la BITD représente 4 000 entreprises et 200 000 emplois. Depuis 2017, l’injection de crédits issus de la LPM a créé près de 30 000 emplois au sein de la BITD.

Un dernier mot le renseignement, où nous avons fait un saut qualitatif et quantitatif particulièrement important. Pour le renseignement, la LPM prévoyait une augmentation de 1 500 personnels pour l’ensemble des services. Mais là aussi, nous constatons des difficultés pour atteindre la cible. De plus, l’ouverture de nouveaux postes doit être couplée à la rétention du personnel sur les postes existants. Il faut donc fidéliser, notamment les personnels qui ont un certain nombre d’années d’expertise dans le domaine renseignement et qui sont souvent « chassés » par le privé. Mais il est impossible de fidéliser sans un effort sur le salaire. Ils sont en effet souvent recrutés dans le privé avec des salaires doublés voire triplés. L’idée d’une réserve dans le domaine du renseignement pourrait contribuer à cet effort de fidélisation.

Sur le segment satellitaire, nos investissements massifs, notamment dans le domaine du renseignement d’origine électromagnétique ou du renseignement image (satellites CERES, CSO et Syracuse) nous permettent de faire partie des principales forces mondiales. La prochaine LPM amplifiera cet effort, avec une augmentation prévue de 60 % des crédits pour le renseignement.

M. Laurent Jacobelli, rapporteur. Sur le volet cyber, les moyens sont là, mais il existe, là encore, des problèmes de recrutement et de fidélisation. L’objectif de recrutement du Comcyber n’a été atteint qu’à hauteur de 82 %. Les difficultés sont notamment d’ordre salarial, puisque les salaires proposés ne sont pas attractifs par rapport aux pratiques du secteur privé.

Dans ce secteur comme dans beaucoup d’autres, nos armées, qui font appel à des compétences de plus en plus techniques, sont en concurrence directe avec le privé et parfois même avec la BITD. Nous recrutons donc des jeunes qui sont formés et qui partent par la suite pour le secteur privé avec des offres de salaires, sur lesquels nous ne pouvons pas nous aligner. L’enjeu des ressources humaines est donc majeur, que ce soit en termes de salaire, de formation, d’accompagnement et de visibilités des carrières. Une autre problématique est également la rétention de profils particuliers aguerris aux techniques du renseignement français. Et ces personnes, une fois qu’elles ont quittées l’institution, requièrent aussi des moyens et de l’attention. Ceci constitue un vrai point de vigilance.

S’agissant des infrastructures, ce qui est particulièrement frappant et mal vécu, c’est le décalage entre, d’une part, des infrastructures très techniques et modernes pour les moyens capacitaires et, d’autre part, des investissements pour l’hébergement et le logement qui ne sont pas adéquats.

Il y a aussi une question sur le rôle du service d’infrastructure de la défense (SID). Sa compétence est certaine sur l’architecture de bâtiments militaires. Mais faut-il externaliser les travaux de nature davantage civile ou faut-il maintenir l’expertise du SID sur l’ensemble du spectre ? À titre personnel, je suis davantage favorable à la seconde solution. À Brest, j’ai pu visiter des locaux de bureaux. On peut penser que ces bureaux pourraient parfaitement être construits par n’importe quel prestataire privé. Mais en vérité, ces locaux ont des problématiques spécifiques liées à leur nature militaire : ils doivent être imperméables aux tentatives d’espionnage et obéir à des normes de sécurité et de vigilance renforcées.

Sur les programmes de coopérations européennes, nous avons naturellement des divergences avec mon collègue co-rapporteur, mais nous partageons aussi un certain nombre de points. Mon analyse personnelle est que nous nous sommes lancés dans un certain nombre de programmes non par nécessité, mais par affichage diplomatique. On veut sauver le couple franco-allemand ; or, il faut être deux dans un couple.

Par exemple, sur le SCAF, nous n’avons pas forcément les mêmes objectifs, ni les mêmes moyens, ni les mêmes intérêts industriels. Nous avons besoin que l’avion de nouvelle génération puisse décoller d’un porte-avion, tandis que les Allemands, eux, veulent pouvoir transporter des ogives américaines. C’est aussi une forme de naïveté de la part de la France, car nous sommes sincères dans notre volonté de coopération, ce qui n’est pas vrai de l’Allemagne, dont le choix est davantage dicté par des ambitions industrielles nationales, et on ne peut pas lui en vouloir. Nous proposons donc qu’il y ait des étapes prédéfinies et des jalons pour chaque étape de conception et de développement, afin de pouvoir prévoir des plans B et éviter qu’on ne perde pas dix ans et de l’argent, si cela ne fonctionne plus avec l’Allemagne.

Plus largement, la question de la souveraineté requiert que nos industries de défense françaises aient de la visibilité. On ne peut pas fonctionner par à-coups. Quand une chaîne de production est démontée, il faut des années pour la reconstruire, notamment en raison de la perte de savoir-faire des salariés.

Il faut donc privilégier la BITD, française en premier lieu et à défaut européenne, en lui octroyant un carnet de commandes prévisionnel, ce qui a manqué lors des précédentes LPM où l’on a fonctionné par à-coups. Or, la LPM actuelle et la suivante donnent une visibilité sur près dix ans. C’est donc une chance historique pour notre pays, pour renforcer, développer et sécuriser notre BITD, par rapport à des coopérations qui peuvent être parfois aléatoires ou contreproductives.

Sur la mise en condition opérationnelle des équipements, il faut reconnaître que l’effort financier prévu par la LPM a été respecté, avec plus de 23 milliards de crédits en 2019-2023 dédié au MCO, dont une grande partie a bénéficié au secteur aéronautique. À cette augmentation des crédits s’est ajoutée la réforme du MCO aéronautique, avec la mise en place de la direction de la maintenance aéronautique (DMAé) et une modification de la stratégie, à travers la politique dite de la « verticalisation » des contrats.

S’agissant de la préparation opérationnelle, le sujet de la simulation est un thème qui est beaucoup revenu dans le cadre de nos travaux. Je suis perplexe, car je pense que rien ne vaut l’entraînement réel. En outre, les logiciels de simulation sont parfois en décalage avec le matériel reçu, de sorte que parfois ce n’est plus de la simulation mais un simulacre. La priorité est de redonner des moyens, notamment en termes de munitions. L’importance des engagements opérationnels se fait aussi souvent au détriment de la préparation opérationnelle. C’est là aussi un point de vigilance. Au final, l’entraînement et la disponibilité des matériels doivent être améliorés.

Sur la rénovation du matériel, on peut prendre l’exemple des Mirage 2000D, dont 55 doivent être rénovés à mi-vie. Si la fin de vie théorique de ces avions est en 2035, cela semble peu vraisemblable. Le « tout-Rafale » ne sera en effet pas achevé à cette date, de sorte que ces Mirage 2000D rénovés cohabiteront avec les Rafale un certain temps. Le « tout-Rafale » annoncé par le Président de la République est en effet un objectif à très long terme et ce serait par conséquent une folie de cesser de rénover nos aéronefs actuels, dans l’attente de l’arrivée des Rafale. Nos anciens matériels doivent être préservés, tant que les livraisons de nouveaux équipements n’ont pas eu lieu, que nos personnels ne sont pas encore entraînés sur ces équipements, que les simulateurs n’aient pas été adaptés et que les munitions n’aient pas été livrées.

M. Yannick Chenevard, rapporteur. Sur les coopérations européennes, il s’agit évidemment d’un point où nous ne sommes pas totalement en phase avec mon co-rapporteur. Je crois à la coopération à l’échelle européenne, car il s’agit d’un ensemble qui serait une puissance colossale, si les pays se mettaient d’accord entre eux. L’Union européenne, en termes de crédits affectés à la défense, compte autant que les États-Unis. L’industrie de défense européenne est également puissante. Les modes de fonctionnement sont certes perfectibles et on souhaite évidemment rester souverain pour certaines capacités. Mais les coopérations permettent d’obtenir des effets d’échelle, qui réduisent les coûts de développement et d’acquisition. Si nous avons effectivement perdu du temps pour le SCAF et le MGCS, les déclarations du président de la République et du chancelier allemand à l’occasion des 60 ans du Traité de l’Élysée à ce sujet ont été très positives. La dynamique est donc relancée.

Il a été évoqué le sujet de l’interopérabilité. C’est un enjeu majeur, car lorsque nous sommes tous ensemble, nous devenons redoutables. Lors du début du conflit en Ukraine, il y avait cinq porte-avions à la mer, sans évoquer les trois sous-marins nucléaires français qui, pour la première fois, étaient à la mer simultanément. Cela ne signifie pas qu’il y avait cinq groupements aéronavals constitués de bâtiments appartenant tous aux même nations. Autour du Charles-de-Gaulle, il y avait ainsi des bâtiments qui n’étaient pas français. Cela illustre l’interopérabilité, mais cela requitter de l’entraînement.

Sur la préparation opérationnelle, il est vrai qu’on s’entraîne moins lorsqu’on est davantage mobilisé en missions. Mais à l’évidence, la mission sert également d’entrainement.

Pour conclure, nous sommes à croisée des chemins. La trajectoire de la LPM est en cours d’exécution et il convient d’attendre 2025 pour faire le point. Les moyens engagés sont considérables. En outre, le contexte a changé. Quand la LPM a été construite 2017, il n’y avait pas de conflit en Europe, ni les guerres d’influence, notamment en Afrique, que nous connaissons aujourd’hui. Ce que nous avons réalisé est important et prépare le socle de la future LPM

Nous sommes une puissance mondiale, membre du P5, puissance nucléaire, membre du G7, membre essentiel de l’Union européenne et une puissance de l’Indo-Pacifique, comme l’a souligné récemment la ministre des affaires étrangères australienne. L’Indo-Pacifique concentrera sans aucun doute à l’avenir de nombreux enjeux stratégiques, avec la montée en puissance des empires. Il ne faut jamais oublier que la France est une puissance maritime majeure, avec onze millions de kilomètres carrés de zone économique exclusive.

M. Laurent Jacobelli, rapporteur. Pour répondre aux dernières questions, Madame Anna Pic, sur l’inflation, une de nos propositions est d’ajuster les crédits si l’inflation était plus forte que prévue. La « cannibalisation », Monsieur Frank Giletti, est une réalité, notamment pour les avions. Madame Valérie Bazin-Malgras, nous n’avons pas entendu de plainte particulière dans le cadre de nos travaux concernant les livraisons à l’Ukraine, même s’il a été rappelé les retards causés sur le programme d’équipement et les difficultés subséquentes pour certains de nos matériels. Enfin, sur le lien Armées-Nation, cela n’a pas été un élément structurant de cette LPM. Il y a certes eu un effort sur les réservistes mais il reste beaucoup à faire, notamment pour impliquer les jeunes dans le cadre du SNU, et pour fidéliser les réservistes.

Monsieur le président Thomas Gassilloud. Nous vous remercions pour votre travail, qui prépare utilement les échéances à venir quant à la prochaine loi de programmation militaire, dans une logique de rassemblement de la représentation nationale.

La commission autorise à l’unanimité le dépôt du rapport d’information sur l’exécution de la LPM 2019-2025 en vue de sa publication.


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   Annexe 1 :

Recommandations de vos rapporteurs

 

Sur l’exécution financière de la loi de programmation militaire

1. Sécuriser les ressources financières de la prochaine loi de programmation militaire :

– par la mise en place d’un mécanisme d’ajustement des crédits en fonction de l’évolution de l’inflation ou a minima d’une clause de revoyure automatique au-delà d’un certain seuil d’inflation ;

– et par la mise en place d’un mécanisme compensatoire d’abondement de crédits en cas de non-atteinte des prévisions de recettes exceptionnelles.

2. Renforcer le rôle du Parlement sur les actualisations et les ajustements annuels :

– en inscrivant dans la future loi de programmation militaire le fait que les actualisations devront nécessairement faire l’objet d’un vote au Parlement ;

– et en associant une délégation de parlementaires issus des commissions chargées de la Défense nationale et des forces armées aux travaux relatifs aux ajustements annuels de la programmation.

3. Garantir le financement interministériel des surcoûts OPEX-MISSINT :

– en incluant dans la provision OPEX-MISSINT les coûts envisagés au titre des engagements de nos forces armées qui ne relèvent pas juridiquement des OPEX et des MISSINT, tels que les engagements actuels sur le flanc Est de l’Europe ;

– et en systématisant le financement interministériel des surcoûts nets au titre des OPEX-MISSINT.

 

Sur la modernisation capacitaire

4. Poursuivre le renouvellement et l’homogénéisation des parcs au sein des armées, en respectant notamment les cibles au titre de l’Ambition 2030 des programmes Scorpion, Rafale et de patrouilleurs océaniques hauturiers.

5. Répondre aux besoins engendrés par l’acquisition de nouvelles capacités en termes d’entrainement et d’infrastructures opérationnelles, ce qui implique de renforcer la cohérence entre, d’une part, les nouvelles capacités, et, d’autre part, les outils et infrastructures de préparation opérationnelle et de maintenance requis par l’arrivée de ces nouveaux équipements.

6. Poursuivre l’effort d’adaptation des capacités de nos armées afin de tenir compte de l’évolution du contexte stratégique, telle qu’issue de la guerre en Ukraine, dans des domaines clés comme les munitions, la défense sol-air, les capacités de frappe dans la profondeur, les capacités de destruction des capacités aériennes ennemies, la lutte sous-marine ou encore les drones et les munitions télé-opérées.

7. Faire de la réduction des normes, de la simplification des programmes d’armement et de la mobilisation des acteurs publics et privés pour le financement des entreprises de la BITD les axes prioritaires de la feuille de route relative à l’économie de guerre.

 

Sur les coopérations européennes

8. Introduire dans la future loi de programmation militaire des jalons décisionnels permettant de faire le point, à intervalles réguliers, sur les avancées des programmes de coopération à l’échelle européenne, afin de déterminer si ceux-ci doivent être poursuivis ou non.

9. Veiller à ce que le contrôle des exportations des équipements issus des coopérations européennes demeure une prérogative nationale.

10. Garantir que les mécanismes européens de financement soient centrés sur les seuls besoins capacitaires des armées européennes et non sur une logique visant à favoriser la concurrence.

 

Sur le renseignement

11. Donner les moyens à la direction du renseignement militaire de relever les défis auxquels elle est confrontée :

– en termes de ressources humaines, par la poursuite des efforts de recrutement inscrits dans la loi de programmation militaire 2019-2025 ;

– en veillant au bon déroulement du programme ARCHANGE, lié à la compensation du retrait des C160 Transall « Gabriel » nécessaires au renseignement d’origine électromagnétique ;

– en veillant à la montée en puissance de l’outil ARTEMIS, indispensable pour le traitement et l’exploitation des données de masse ;

– et en pérennisant sa nouvelle organisation en plateaux.

12. Poursuivre les efforts en matière de fidélisation des agents de la direction générale de la sécurité extérieure, en particulier dans le domaine cyber et en termes d’infrastructure avec le projet de nouveau siège au Fort Neuf de Vincennes, et veiller au respect de l’équilibre indispensable entre l’adaptation au progrès technologique et le renseignement d’origine humaine.

13. Augmenter le budget de la direction du renseignement et de la sécurité de la défense et veiller à la conservation de sa militarité pour lui permettre d’honorer toutes ses missions.

 

Sur le cyber

14. Fidéliser les agents cyber grâce à de meilleures rémunérations et des efforts importants en matière de formation.

15. Valoriser le rôle des réservistes par un renforcement de leurs missions et l’octroi de moyens supplémentaires pour améliorer leur environnement et leurs conditions de travail.

16. Repenser les modalités de la lutte informatique en renforçant le niveau d’action stratégique de la lutte informatique défensive et en appuyant davantage les armées sur le terrain en matière de lutte informatique offensive et de lutte informatique d’influence.

17. Développer davantage les partenariats à l’échelle nationale avec les autres services de l’État dans le domaine cyber (ANSSI, services de renseignement, DGA, ministère de l’Europe et des Affaires étrangères…) et avec des partenaires européens et internationaux.

 

Sur l’espace

18. Poursuivre le renouvellement du segment satellitaire par la consolidation des programmes CELESTE pour le renseignement d’origine électromagnétique et IRIS pour le renseignement d’origine image.

19. Poursuivre le développement de capacités de protection des satellites et d’actions dans l’espace, notamment grâce à l’amplification du programme ARES dans le cadre de la future loi de programmation militaire.

20. Conduire une réflexion sur l’opportunité pour nos armées de s’appuyer sur certaines capacités civiles développées dans le cadre du New Space, notamment dans le domaine des constellations à basse altitude.

 

Sur l’innovation de défense

21. Poursuivre l’effort financier au-delà du milliard d’euros dès lors que des besoins supplémentaires de financement s’avèrent nécessaires.

22. Renforcer les effectifs de l’Agence de l’innovation de défense.

23. Investir davantage dans les domaines prioritaires comme le quantique.

 

Sur l’activité opérationnelle

24. Renforcer notre présente militaire dans la zone indopacifique.

25. Réévaluer l’opération Sentinelle.

26. Promouvoir des dispositifs de nature à renforcer la réactivité de nos armées, notamment en matière de délais de préavis pour les déploiements.

27. Gagner en épaisseur pour renforcer la préparation opérationnelle de nos armées en faisant du recomplètement des stocks de munitions et des équipements missionnels un axe fort de la future loi de programmation militaire.

28. Veiller à ce que le recours à la simulation pour la préparation opérationnelle ne se fasse pas au détriment des entrainements réels qui, en l’état actuel de la technologie, demeurent essentiels.

29. Augmenter significativement les stocks de pièces de rechange critiques et simplifier les plans de maintenance pour accompagner la montée en puissance des contrats verticalisés.

30. Maitriser les coûts du maintien en condition opérationnelle (MCO) et préparer le MCO à un conflit de haute intensité.

31. Mettre en place des mesures spécifiques pour fidéliser les mécaniciens, notamment des accords avec les entreprises de la BITD en vue de limiter le débauchage précoce et non-coordonné des ressources humaines des armées.

 

Sur l’axe « à hauteur d’homme »

32. Prévoir un effort significatif en faveur de la partie indiciaire de la rémunération des militaires pour répondre au défi de l’attractivité et de la fidélisation des ressources humaines.

33. Accroitre la fidélisation en recrutant le plus tôt possible grâce à l’apprentissage et au développement d’offres de formation innovantes.

34. Lever les contraintes sur les schémas d’emploi en renforçant la dimension pluriannuelle du pilotage des recrutements.

35. Renforcer le rôle des réservistes en assouplissant les règles de recrutement, en responsabilisant davantage les employeurs et en redimensionnant les dispositifs de recrutement, de formation et d’encadrement.

36. Amplifier l’effort financier dans le domaine des infrastructures pour réduire la dette grise, tant dans le domaine des infrastructures technico-opérationnelles que dans les domaines du logement et de l’hébergement.

38. Accélérer la résorption des « points noirs » identifiés dans le plan « Condipers » dans le domaine des locaux d’hébergement, de travail et de restauration.

39. Pérenniser et renouveler chaque année l’opération « Poignées de porte ».

40. Alléger les normes issues du secteur civil pour les infrastructures de défense.

41. Donner davantage de marges de manœuvre aux chefs de corps pour la conduite de menus travaux par l’octroi d’une enveloppe financière discrétionnaire.


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   Annexe 2 : auditions et déplacements

(Par ordre chronologique)

 

1.   Auditions

 Ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique – M. Pierre Chavy, sous-directeur « défense, intérieur et collectivités territoriales », direction du budget, et M. Cédric Clolus, chef du bureau de la défense et de la mémoire, direction du budget ;

 État-major de l’armée de terre – M. le général de corps d’armée Patrice Quevilly, major général ;

 Ministère des Armées – M. Christophe Mauriet, secrétaire général pour l’administration, M. Thibaut de Vanssay, directeur des ressources humaines, et M. l’ingénieur général hors classe Franck Plomion, directeur central du service d’infrastructure de la défense ;

 État-major des armées – M. le général de division Aymeric Bonnemaison, commandant du commandement de la cyberdéfense ;

 État-major de la marine – M. le vice-amiral d’escadre François Moreau, major général ;

 Direction générale de l’armement – M. l’ingénieur général de l’armement Alexandre Barouh, sous-directeur des programmes ;

 Direction du renseignement militaire – M. le général de corps d’armée Jacques Langlade de Montgros, directeur ;

 Table-ronde réunissant des représentants du Comité Richelieu, du GICAN, du GICAT et du GIFAS :

-       Comité Richelieu – M. Jean Delalandre, délégué général, et M. Nicolas Voiriot, administrateur ;

-       GICAN – M. Jean-Marie Dumon, délégué général adjoint et délégué défense et sécurité et Mme Apolline Chorand, déléguée aux affaires publiques ;

-       GICAT M. le général (2S) Jean-Marc Duquesne, délégué général, et M. Axel Nicolas, directeur affaires publiques et Europe ;

-       GIFAS – M. le général de corps aérien (2S) Pierre Bourlot, délégué général, M. Jérôme Jean, directeur des affaires publiques, et M. Guillaume Muesser, directeur des affaires économiques et défense ;

 État-major de l’armée de l’air et de l’espace – M. le général de corps aérien Frédéric Parisot, major général ;

 État-major des armées – M. le général de corps d’armée Vincent Pons, sous-chef d’état-major chargé des plans et des programmes ;

 Conseil supérieur de la fonction militaire – M. Christophe Jacquot, secrétaire général, et représentants du CSFM ;

 État-major des Armées – M. le général de brigade Michel Delpit, commandant du commandement des opérations spéciales ;

 Direction générale de la sécurité extérieure – Représentants de la DGSE.

2.   Déplacements

 Visite du camp militaire de Carpiagne, 1er régiment étranger de cavalerie rencontre avec M. le colonel Henri Leinekugel Le Coq, commandant du régiment, les officiers et les personnels du régiment ;

 Visite de la base navale de Brestrencontre avec M. le vice-amiral d’escadre Olivier Lebas, préfet maritime de l’Atlantique, les officiers et les personnels de la base ;

Visite de la base aérienne 133 de Nancy-Ochey rencontre avec M. le colonel Olivier Fix, commandant de la base aérienne, les officiers et les personnels de la base ;

Visite de la base aérienne 123 d’Orléans-Bricy rencontre avec M. le colonel Guillaume Vernet, commandant de la base aérienne, les officiers et les personnels de la base.


([1]) Audition de l’amiral Pierre Vandier, chef d’état-major de la Marine, commission de la Défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 27 juillet 2022.

([2]) Louis Gautier, « La défense de la France après la guerre froide », Presses universitaires de France, 2009. Cité par François André et Joaquim Pueyo, Rapport de la mission d’information « Exécution de la programmation militaire 2014-2019 : une LPM sur le fil », commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, février 2018.

([3]) Audition du général d’armée Thierry Burkhard, chef d’état-major des Armées, commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 13 juillet 2022.

([4]) Stockholm International Peace resarch institute.

([5]) Cour des comptes, « La LPM 2019-2025 et les capacités des armées », mai 2022.

([6]) Cour des comptes, « La LPM 2019-2025 et les capacités des armées », mai 2022.

([7]) Patricia Mirallès et Jean-Louis Thiériot, Rapport d’information sur la préparation à la haute intensité, commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 17 février 2022.

([8]) Raphaël Briant, Jean-Baptiste Florant, Michel Pesqueur, « La masse dans les armées françaises, un défi pour la haute intensité », Focus stratégique n° 105, centre des études de sécurité de l’Institut français des relations internationales, juin 2021.

([9]) Cour des comptes, « La LPM 2019-2025 et les capacités des armées », mai 2022.

([10]) Audition de Mme Florence Parly, ministre des Armées, commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 8 février 2018.

([11]) Avant-propos de la ministre des Armées, Revue stratégique de défense et de sécurité nationale, octobre 2017.

([12]) Les montants sont issus des données SIPRI, qui intègrent notamment les dépenses de gendarmerie.

([13]) Audition de M. Arnaud Danjean, commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 17 octobre 2017.

([14]) Revue stratégique de défense et de sécurité nationale, octobre 2017.

([15]) Discours du Président de la République du 20 janvier 2023 à Mont de Marsan.

([16]) Discours du Président de la République du 20 janvier 2023.

([17]) Rapport annexé à la LPM 2019-2025.

([18]) Cour des comptes, « La LPM 2019-2025 et les capacités des armées », mai 2022.

([19]) Cour des comptes, « Le bilan à mi-parcours de la LPM 2009-2014, » rapport public thématique, juillet 2012.

([20]) Audition de Mme Florence Parly, ministre des Armées, commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 8 février 2018.

([21]) Dans son audition du 1er octobre 2019 devant la commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale, la ministre des Armées Florence Parly expliquait en ces termes cette mesure de périmètre : « Certains d’entre vous ont peut-être remarqué que le montant du budget inscrit en LPM pour 2020 est de 37,6 milliards. Ce n’est pas qu’il manque 100 millions d’euros, c’est une mesure de périmètre. Dans le passé, Bercy augmentait les crédits des différents ministères à hauteur de loyers budgétaires correspondant à la valeur des surfaces occupées par les administrations, dans le but d’inciter ces dernières à réduire le plus possible ou à rationaliser leurs emprises immobilières. Ce dispositif a été supprimé l’année dernière pour tous les ministères. Comme l’année dernière était celle de l’entrée dans la LPM, nous avons demandé que nous soient épargnées, alors même que l’encre de la LPM était à peine sèche, des mesures de périmètre susceptibles de perdre tout le monde, ce qui fut fait. Nous avons eu une année de grâce, et nous nous voyons donc appliquer cette année cette mesure qui concerne l’ensemble des ministères. Pour le ministère des armées, l’effet de cette mesure de périmètre liée aux loyers budgétaires représente 85 millions d’euros. Comme il n’y a ni charges, ni ressources, cela dégonfle en quelque sorte les masses de notre budget. Autrement dit, il ne manque pas un euro par rapport à la progression promise dans le cadre de la loi de programmation militaire ».

([22]) Cour des comptes, « La LPM 2019-2025 et les capacités des armées », mai 2022.

([23]) Ibid

([24]) https://barometre-lpm.defense.gouv.fr/barometre-lpm/45730463

([25]) Cour des comptes, « Le soutien aux exportations de matériels militaires », janvier 2023.

([26]) Benjamin Griveaux et Jean-Louis Thiériot, Mission flash sur « La place de l’industrie de défense dans la politique de relance », commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, juillet 2020. 

([27]) Les montants indiqués correspondent à l’addition (i) des crédits consommés pour les années 2019 à 2021 et (ii) des crédits allouées par les lois de finances initiales 2022 et 2023, dès lors que l’exécution des crédits pour ces années n’est pas connue.

([28]) article 4 de la LPM 2019-2025 : « En gestion, les surcoûts nets, hors crédits de masse salariale inscrits en loi de finances au titre des missions intérieures et nets des remboursements des organisations internationales, non couverts par cette provision font l'objet d'un financement interministériel. Hors circonstances exceptionnelles, la participation de la mission « Défense » à ce financement interministériel ne peut excéder la proportion qu'elle représente dans le budget général de l'État ».

([29]) La direction du budget du ministère de l’économie et des finances estime que, juridiquement, les crédits mis en réserve revêtent une nature ministérielle, de sorte que l’article 4 serait en vérité respecté, lorsque le ministère des Armées finance les surcoûts nets par des annulations de ces crédits. Cependant, cette interprétation est contestée par la Cour des comptes : « Si le ministère des armées a bénéficié cette année d’une ouverture nette de 100 M€ au titre des OPEX-MISSINT, la Cour ne peut qu’à nouveau souligner la vision assez extensive de la direction du budget de la clause de solidarité interministérielle. En effet, elle considère que la mobilisation de la réserve ministérielle est assimilable à un redéploiement de la solidarité interministérielle. Or, cette vision est peu compatible avec la manière dont le ministère des armées programme son budget, la programmation budgétaire initiale du ministère intégrant dès l’origine la levée des réserves pour tenir compte de l’ensemble de ses engagements hors surcoûts OPEX/MISSINT. » (Cour des comptes, note d’analyse de l’exécution budgétaire de la mission Défense 2021)

([30]) Exposé des motifs du projet de loi de finances rectificatives pour 2022.

([31]) Cour des comptes, note d’analyse de l’exécution budgétaire de la mission Défense 2021.

([32])  Audition du général de corps aérien Frédéric Parisot, major général de l’armée de l’Air et de l’Espace, commission de la défense nationale et des forces armées, 20 juillet 2022.

 

([33]) L’ajustement de 2019 a ainsi été financé par 960 millions d’euros de ressources dégagées sur le titre 2 dédié aux dépenses de personnel ( soit 160 M€ par an). Selon le ministère des Armées, « ce redéploiement de ressources a été défini après avoir réévalué le juste besoin en crédits « titre 2 » à partir notamment du constaté sur les gestions 2017, 2018 et 2019 ».

 

 

([34])  Article 7 de la LPM : « La présente programmation fera l'objet d'actualisations, dont l'une sera mise en œuvre avant la fin de l'année 2021. Cette dernière aura notamment pour objet de consolider la trajectoire financière et l'évolution des effectifs jusqu'en 2025. Ces actualisations permettront de vérifier la bonne adéquation entre les objectifs fixés dans la présente loi, les réalisations et les moyens consacrés. Ces actualisations permettront également de vérifier l'amélioration de la préparation opérationnelle et de la disponibilité technique des équipements et fixeront des objectifs annuels dans ces domaines.
Les répercussions sur les contrats opérationnels, les effectifs et les équipements des engagements pris par la France lors des sommets de l'OTAN sont prises en compte dans les actualisations.
Les surcoûts liés au soutien par les armées des grands contrats d'exportation d'armements, non intégralement couverts, sont également pris en compte dans les actualisations de la présente programmation ».

 

([35]) Article 4 de la LPM 2019-2025 : « En gestion, les surcoûts nets, hors crédits de masse salariale inscrits en loi de finances au titre des missions intérieures et nets des remboursements des organisations internationales, non couverts par cette provision font l'objet d'un financement interministériel. Hors circonstances exceptionnelles, la participation de la mission « Défense » à ce financement interministériel ne peut excéder la proportion qu'elle représente dans le budget général de l'État ».

([36])  Mounir Belhamiti, rapport pour avis sur le budget 2023 du programme 146 « Équipement des Forces-Dissuasion », commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 19 octobre 2022.

 

([37]) François Cormier-Bouligeon, rapport pour avis sur le budget 2023 de l’armée de terre, commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 19 octobre 2022.

([38]) Frank Giletti, rapport pour avis sur le budget 2023 de l’armée de l’air et de l’espace, commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 19 octobre 2022.

([39]) Audition de l’amiral Pierre Vandier, chef d’état-major de la Marine, commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 13 octobre 2022,

([40]) Ibid.

([41]) Audition de M. Joël Barre, délégué général pour l’armement, sur le projet de loi de finances pour 2022, commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 14 octobre 2021.

([42]) Laurent Lagneau, « L’amiral Vandier évoque des opérations anti-sous-marines ‘‘remarquables’’, Zone militaire, 2 janvier 2023.

 

 

([43]) Cour des comptes, « Le soutien aux exportations de matériels militaires », janvier 2023.

 

 

([44])  Rapport annexé de la LPM 2019-2025.

 

([45]) Audition, à huis clos, du général d’armée Pierre Schill, chef d’état-major de l’Armée de Terre, sur le projet de loi de finances 2023, commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 12 octobre 2022.

 

 

([46]) Frank Giletti, rapport pour avis sur le budget 2023 de l’armée de l’air et de l’espace, commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 19 octobre 2022.

([47]) Jérémy Bachelier et Elie Tenenbaum, « Le retour du combat naval : un nouveau défi pour les marines occidentales », Éditoriaux de l’Ifri, 9 janvier 2023.

([48])  Yannick Chenevard, rapport pour avis sur le budget 2023 de la marine, commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 19 octobre 2022.

([49]) Audition de l’amiral Pierre Vandier, chef d’état-major de la Marine, commission de la défense nationale et des forces armées, 27 juillet 2022.

([50]) Conférence de presse du ministère des Armées du 6 janvier 2022.

([51]) Stephanie Pezard, Michael Shurkin, David Ochmanek, « A Strong Ally Stretched Thin - An Overview of France’s Defense Capabilities from a Burdensharing Perspective », Rand Corporation 2021.

 

 

([52]) Audition de M. Emmanuel Chiva, délégué général pour l’armement, sur le retour d’expérience capacitaire de l’Ukraine, commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 30 novembre 2022.

([53]) Jacques Marilossian, rapport pour avis sur le budget 2021 de la marine, projet de loi de finances pour 2020, commission de la défense nationale et des forces armées, octobre 2019.

([54]) Mounir Belhamiti, rapport pour avis sur le budget 2023 du programme 146 « Équipement des Forces-Dissuasion », commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 19 octobre 2022.

([55]) Audition de M. Emmanuel Chiva, délégué général pour l’armement, sur le retour d’expérience capacitaire de l’Ukraine, commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 30 novembre 2022.

([56]) Amélie Ferey, Laure de Roucy-Rochegonde, « “Don’t bank on the bombs”. L’industrie de défense face aux nouvelles normes européennes », Briefings de l’Ifri, 22 septembre 2022.

([57]) Audition de M. Joël Barre, commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale 13 juillet 2022.

([58]) Les citations entre guillemets proviennent d’une audition par vos rapporteurs de représentants de la DGSE.

([59]) ARCHANGE est la capacité aéroportée du programme CUGE.

([60]) Les citations entre guillemets dans cette section proviennent d’une audition par vos rapporteurs du général de division Aymeric Bonnemaison, commandant de la cyberdéfense.

([61]) Les citations entre guillemets dans cette section proviennent d’une audition par vos rapporteurs du général de division Aymeric Bonnemaison, commandant de la cyberdéfense.

([62]) Un challenge dénommé « Capture the Flag » à destination des lycéens a été créé par le COMCYBER. Les épreuves consistent à trouver un moyen de contourner un mot de passe pour accéder à un site internet ou encore à déchiffrer un fichier crypté. Chaque compétiteur obtient des points en découvrant le « flag ». Une expérimentation à l’échelle de l’Ile-de-France va être conduite en 2023 et une généralisation de ce dispositif est prévue pour l’année scolaire 2023-2024. Un concours sera organisé entre les meilleurs lycées, avec un travail en équipe, sous le patronage de militaires présents sur place lors des épreuves.

([63])Audition du général d’armée Thierry Burkhard, chef d’état-major des Armées, commission de la Défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 13 juillet 2022.

([64]) Dans les faits, un prestataire de réponse aux incidents de sécurité (PRIS), qualifié par l’ANSSI, est sollicité pour remédier à la crise.

([65]) Audition de Florence Parly, ministre des Armées, commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 1er octobre 2019.

([66]) Avant-propos de la ministre des Armées, « Stratégie spatiale de défense », ministère des Armées, 2019.

([67]) Audition de Sébastien Lecornu, ministre des Armées, commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 5 octobre 2022.

([68]) Audition du général de division aérienne Philippe Adam, commandant de l’espace, sur les enseignements du conflit ukrainien, commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 14 décembre 2022.

([69]) Ibid.

([70]) Citation du directeur de l’agence innovation défense, Patrick Aufort, extrait de Jean-Charles Larsonneur, rapport pour avis sur le programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense » du projet de loi de finances pour 2023, commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale.

([71]) Rapport annexé de la LPM 2019-2025.

([72]) Audition du général d’armée aérienne Stéphane Mille, chef d’état-major de l’armée de l’air et de l’espace, sur le projet de loi de finances 2023, 13 octobre 2022.

([73]) Cour des comptes, « La LPM 2019-2025 et les capacités des armées », mai 2022.

([74]) François Dumas, présidente, Sereine Mauborgne et Nathalie Serre, rapporteurs, mission d’information sur l’opération Barkhane, commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 14 avril 2021.

 .

([75]) Cour des comptes, « Le soutien aux exportations de matériels militaires », janvier 2023.

([76]) Ibid.

([77]) Discours du Président de la République à Toulon, 9 novembre 2022.

 

 

([78]) Revue nationale stratégique 2022.

([79]) Yannick Chenevard, rapport pour avis sur le budget 2023 de la marine, commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 19 octobre 2022.

([80]) LPM 2019-2025, rapport annexé. Voir également Brigitte Liso et Anna Pic, rapport de la mission d’information flash sur la préparation opérationnelle, 8 février 2023.

([81]) Ibid.

([82]) Ibid.

([83])  Audition du général de corps aérien Frédéric Parisot, major général de l’armée de l’Air et de l’Espace, commission de la défense nationale et des forces armées, 20 juillet 2022.

([84]) Audition du général d’armée aérienne Stéphane Mille, chef d’état-major de l’armée de l’air et de l’espace, sur le projet de loi de finances 2023, 13 octobre 2022.

([85]) Projet annuel de performances 2023, programme 178 « Préparation été emploi des forces », mission Défense.

 

([86]) Montant correspondant à l’addition des crédits consommés pour les années 2019 et 2021 et aux crédits fixés en LFI pour les années 2022 et 2023.

([87]) Montant correspondant à l’addition des crédits consommés pour les années 2019 et 2021 et aux crédits fixés en LFI pour les années 2022 et 2023.

([88]) Audition de l’amiral Pierre Vandier, chef d’état-major de la Marine, commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 13 octobre 2022.

([89]) Projet annuel de performance, programme 178 « Préparation et emploi des forces de la mission Défense », indicateur 6.2.

([90]) La disponibilité technique (DT) est le nombre d'avions disponibles rapporté au parc total. Cet indicateur permet d’évaluer l’efficacité de la maintenance. Cet indicateur n’est pas rendu public par le ministère des Armées. La disponibilité technique opérationnelle (DTO), indicateur qui figure notamment dans les documents budgétaires, module la disponibilité technique selon les besoins des contrats opérationnels.

([91])https://www.defense.gouv.fr/dmae/actualites/dmae-a-lhonneur-lors-du-premier-point-presse-2022-du-ministere

([92]) François Cormier-Bouligeon, rapport pour avis sur le budget 2023 de l’armée de terre, commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 19 octobre 2022.

([93]) Cour des comptes, « La LPM 2019-2025 et les capacités des armées », mai 2022.

([94]) François Cormier-Bouligeon, rapport pour avis sur le budget 2023 de l’armée de terre, commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 19 octobre 2022.

([95])  Audition du général de corps aérien Frédéric Parisot, major général de l’armée de l’Air et de l’Espace, commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 20 juillet 2022.

([96]) Audition de Madame l’ingénieure générale hors classe de l’armement Monique Legrand-Larroche, directrice de la maintenance aéronautique au Ministère des Armées, par la commission de la Défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 1er juillet 2020.

 

([97]) Voie de recrutement dite de l’article L. 4139-2 du code de la défense.

 

([98]) François Cormier-Bouligeon, rapport pour avis sur le budget 2023 de l’armée de terre, commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 19 octobre 2022.

([99]) François Cormier-Bouligeon, rapport pour avis sur le budget 2023 de l’armée de terre, commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 19 octobre 2022.

([100]) Rapport annexé de la LPM 2014-2019.

 

([101]) Bastien Lachaud, Rapport pour avis sur le PLF 2023 « Soutiens et logistique interarmées », commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 19 octobre 2022.

 

([102]) Haut comité d’évaluation de la condition militaire (HCECM), « revue annuelle de la condition militaire », décembre 2021.

([103]) Joël Guerriau et Marie-Arlette Carlotti, Rapport pour avis sur le PLF 2023 « Soutien de la politique de la défense », commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, Sénat, 17 novembre 2022.

 

([104]) Frank Giletti, rapport pour avis sur le budget 2023 de l’armée de l’air et de l’espace, commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 19 octobre 2022.

([105]) Joël Guerriau et Marie-Arlette Carlotti, Rapport pour avis sur le PLF 2023 « Soutien de la politique de la défense », commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, Sénat, 17 novembre 2022.

([106])  Audition du général d’armée Pierre Schill, chef d’état-major de l’armée de terre, commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 20 juillet 2022.

 

([107]) Joël Guerriau et Marie-Arlette Carlotti, Rapport pour avis sur le PLF 2022 « Soutien de la politique de la défense », commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, Sénat, 24 novembre 2021.

([108]) Ibid.

([109])  Yannick Chenevard, rapport pour avis sur le budget 2023 de la marine, commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 19 octobre 2022.

([110])  Séverine Gipson et Isabelle Santiago, rapport de la mission d’information « plan famille : quel bilan ? », commission de la défense nationale et des forces armées, 25 novembre 2021.