N° 865

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 février 2023.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES

en conclusion des travaux d’une mission flash, constituée le 18 octobre 2022,

sur les stocks de munitions

ET PRÉSENTÉ PAR

MM. Vincent BRU et Julien RANCOULE,

Députés.

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SOMMAIRE

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Pages

Introduction

Synthèse des propositions

I. La dégradation globale des stocks français de munitions depuis la fin de la guerre froide est désormais intenable au regard tant des ambitions militaires de la France que du contexte stratégique

A. 1996-2015 : L’illusion des « dividendes de la paix » ou le passage de la filière des munitions d’une logique de stock à une logique de flux

1. De la professionnalisation des armées à la revue générale des politiques publiques et à la crise économique de 2008 : les munitions, variable d’ajustement budgétaire

2. La complexité croissante de certaines munitions en renchérit les coûts : le paradoxe de l’excellence échantillonnaire

B. Une amorce de recomplètement des stocks depuis 2016 qui redonne aux armées des marges de manœuvre limitées

1. Les conséquences des attentats terroristes de 2015 : une rupture avec la politique de déflation du budget de la défense

2. L’affaire des masques pendant la crise sanitaire ou le rappel de l’importance cruciale de disposer de stocks stratégiques pour faire face à l’imprévu

3. Une loi de programmation militaire 2019-2025 qui inverse la trajectoire à la baisse des stocks de munitions

C. Le retour de la haute intensité sur le continent européen impose un changement de paradigme en matière de stocks

1. Le retour d’expérience du conflit ukrainien illustre les multiples atouts stratégiques que recèle la constitution de stocks de munitions

a. La capacité à faire face à une attrition élevée propre à la haute intensité

b. Un atout diplomatique et militaire

c. Un facteur de stabilisation dans un contexte de compétition

2. Le soutien à l’Ukraine a entraîné d’importantes ponctions sur les stocks français

D. Un bonsaï français dans un paysage otanien contrasté

a. Les États-Unis : des stocks qualitatifs en quantité se doublant de puissantes capacités industrielles

b. L’Europe occidentale : de la qualité en petite quantité

c. L’Europe orientale : une approche évolutive de modernisation et « d’occidentalisation » des stocks

II. La reconstitution des stocks de munitions soulève des enjeux très différents selon que les munitions sont simples ou complexes

A. Une filière munitionnaire structurée autour de grands maîtres d’œuvre et sous-traitants de l’industrie de défense

1. Une filière munitionnaire française quasi-intégralement souveraine

2. La gouvernance de la filière des munitions au sein des forces armées

a. La division « cohérence capacitaire » de l’état-major des armées, de l’expression du besoin à la mise en service opérationnel

b. La direction générale de l’armement, intermédiaire entre l’état-major des armées et les industriels

i. Une quadruple mission d’acquisition, de maîtrise et d’expertise technique, de contractualisation en matière de maintien en condition opérationnelle et d’innovation

ii. La recherche délicate d’un équilibre entre politique de défense et politique industrielle

c. Le service interarmées des munitions, acteur chargé de la gestion, du stockage, de l’entretien, de la mise à disposition et de l’élimination des munitions

B. Les munitions balistiques dites « munitions simples » : une production de masse

1. Le petit calibre : un marché très concurrentiel et des achats sur étagère à l’étranger par le service interarmées des munitions

2. Les moyen et gros calibres : les obus, roquettes, mortiers et fusées

3. Les leurres et artifices : un atout dans lequel investir

4. Les poudres et explosifs

5. Les bombes aéronautiques

C. Les missiles et torpilles, Des munitions propulsées, hautement technologiques et complexes à produire

1. Des munitions propres à l’engagement de haut de spectre

2. Une complexité s’expliquant par plusieurs facteurs

a. Le rôle-clef de la recherche-développement

b. Une pluralité de niveaux de sous-traitance

c. Un processus industriel s’étalant sur plusieurs années

3. Des coopérations internationales visant à mutualiser les coûts de développement

4. Des munitions se distinguant par leur portée, par le type de mission et par leur technicité

III. La reconstitution des stocks de munitions suppose la prise en compte par les armées d’enjeux stratégiques, capacitaires et logistiques

A. Des enjeux capacitaires corrélés aux ambitions stratégiques de la France

1. Des choix capacitaires liés aux hypothèses d’engagement des forces

a. La nécessité de calibrer les stocks de munitions selon les différentes hypothèses d’engagement

b. Des stocks de munitions adossés au contrat opérationnel des armées : la théorie à l’épreuve des réalités du terrain

c. Des hypothèses d’engagement à reformuler pour tenir compte des évolutions du contexte stratégique

i. L’hypothèse « Grand Est » où un membre de l’Alliance atlantique viendrait à être agressé sur le flanc Est

ii. L’hypothèse d’une coalition limitée où la France serait nation-cadre d’une coalition sans les États-Unis

iii. L’hypothèse d’une crise en outre-mer où une puissance étrangère agressait un territoire d’outre-mer

2. Des besoins accrus en munitions dans le cadre de la préparation opérationnelle

B. Une reconstitution des stocks de munitions qui doit être cohérente sur le plan capacitaire

1. Une appréhension globale de la cohérence capacitaire entre les trois armées

a. Des besoins en munitions distincts selon les armées

b. Une vision transverse s’inscrivant dans une logique d’effets militaires intégrés

2. Une cohérence indispensable entre stocks de munitions et vecteurs disponibles

3. Le cas particulier de la haute intensité : un panachage indispensable entre masse et technologie

a. Les nouveaux contours de l’environnement stratégique et le retour d’expérience d’Ukraine interrogent nos choix capacitaires entre masse et technologie

b. L’indispensable panachage ou « high/low mix »

c. Retrouver de la masse et consentir à une certaine sobriété technologique

C. La reconstitution des stocks et le stockage des munitions sont soumis à de multiples contraintes logistiques

1. Une sécurité pyrotechnique qui repose sur un cadre normatif strict

a. Les munitions, objets dangereux par nature

b. L’impératif de sécurité commande les normes et la culture pyrotechniques

c. La sécurité entraîne des contraintes logistiques pour le stockage des munitions

d. Privilégier une approche de gestion du risque

2. Une périssabilité qui doit être anticipée et optimisée

a. Échelonner les commandes

b. Optimiser le maintien en condition opérationnelle des missiles

c. Améliorer la prise en charge de la fin de vie des munitions

IV. L’intensification des flux de production de munitions est un complément indispensable à la reconstitution des stocks dans une optique d’économie de guerre

A. Garantir la soutenabilité économique des entreprises munitionnaires, un enjeu de souveraineté nationale

1. Un modèle économique mis à l’épreuve par les « dividendes de la paix » qui a su s’adapter en développant d’autres atouts

a. La dualité civilo-militaire, un modèle économique présentant plusieurs avantages

b. L’export, garantie indispensable de soutenabilité permettant de maintenir l’outil industriel de production en cas d’absence de commandes nationales

2. Assurer la visibilité et la régularité des commandes

3. La relocalisation de la filière du petit calibre : le double enjeu de la rentabilité économique et de la souveraineté

a. Un segment resté vacant pour des raisons essentiellement économiques

b. Une opposition entre rentabilité et souveraineté dont la pertinence est désormais en question

c. La question de l’autonomie stratégique

d. Les conditions d’une relocalisation

B. Actionner tous les leviers de l’économie de guerre

1. Simplifier les exigences et les normes pour un « fast-track » d’économie de guerre

a. Un équilibre à trouver entre sécurité et gestion du risque

b. Les contraintes imposées par la réglementation REACH

2. Faciliter l’approvisionnement en matériaux et sous-ensembles critiques en relocalisant ce qui peut l’être et en constituant des pré-stocks

a. Les dépendances, facteur de fragilité

b. Constituer des pré-stocks

c. Relocaliser ce qui peut l'être

3. Consolider les ressources humaines de la filière munitionnaire

a. Des ouvriers pyrotechniques au profil rare

b. Anticiper la hausse des besoins en vue d’une augmentation des cadences

C. Préparer l’avenir

1. Une préparation de l’avenir rendue indispensable par la compétition stratégique accrue

2. Identifier et accompagner les évolutions technologiques prioritaires : l’allongement des portées, l’amélioration de la précision et la diversification des effets des munitions actuelles

3. Le développement de nouvelles technologies : l’exemple des munitions télé-opérées

a. Des munitions de masse destinées à frapper l’ennemi tant matériellement que psychologiquement

b. Un retard capacitaire français à combler d’urgence

c. Des exigences de rapidité, de souveraineté et de masse

4. Renforcer le soutien public à la recherche-développement

EXAMEN EN COMMISSION

Annexe :  Auditions des rapporteurs, déplacements et contribution écrite

1. Auditions

2. Déplacements

3. Contribution écrite

 


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   Introduction

Le 18 octobre dernier, la Commission de la défense nationale et des forces armées décidait de la création d’une mission d’information sur les stocks de munitions des armées. Pourquoi une telle mission ?

Alors que l’histoire des conflits est marquée par une tension récurrente sur les munitions, la dégradation globale des stocks français de munitions depuis la fin de la guerre froide semble devenue intenable tant au regard du contexte stratégique actuel que des ambitions militaires de la France.

Conséquence des « dividendes de la paix », cette dégradation a entraîné une structuration de la filière munitionnaire selon une logique de flux et non plus de stocks. Décidées lors de la professionnalisation des armées et amplifiées par la revue générale des politiques publiques puis par la crise économique de 2008, la réduction drastique du format des armées et l’adoption d’un modèle d’excellence échantillonnaire ont fait des munitions une variable d’ajustement budgétaire.

Les attentats terroristes islamistes de janvier puis de novembre 2015 ayant mis un coup d’arrêt à cette politique de réduction massive des budgets militaires, l’amorce de complètement des stocks depuis 2016 redonne aux armées des marges de manœuvre : la loi de programmation militaire 2019-2025 inverse la trajectoire à la baisse des stocks de munitions. Au début de la crise sanitaire, en mars-avril 2020, l’épisode de pénurie de masques respiratoires de protection vient quant à lui rappeler l’importance cruciale de disposer de stocks stratégiques pour faire face à l’imprévu – un constat apparu avec encore plus d’éclat depuis le retour du conflit de haute intensité sur le continent européen : un changement de paradigme s’impose désormais en matière de stocks. Le retour d’expérience du conflit ukrainien illustre ainsi les multiples atouts stratégiques que recèle la constitution de stocks de munitions. L’impératif de reconstitution des stocks militaires est d’ailleurs un constat partagé par de nombreux pays occidentaux.

Ce constat étant énoncé, la reconstitution des stocks de munitions soulève des enjeux très différents selon qu’il s’agisse de munitions simples ou complexes. Bien que la filière munitionnaire française soit relativement homogène dans son organisation – structurée qu’elle est autour de grands maîtres d’œuvre et sous-traitants en dialogue permanent avec les forces armées –, les munitions balistiques – petit, moyen et gros calibres, leurres et artifices, poudres et explosifs, bombes aéronautiques – sont associées à une production de masse tandis que les munitions propulsées que sont les missiles et les torpilles sont plus complexes à produire. Hautement technologiques et propres à l’engagement dit de haut de spectre, ces munitions se distinguent par leur portée, le type de mission qui leur est assigné ainsi que par leur technicité, générant des coûts de développement élevés et requérant bien souvent une coopération internationale.

Ces distinctions en tête, la reconstitution des stocks suppose la prise en compte par les armées d’enjeux stratégiques, capacitaires et logistiques globaux. Les enjeux capacitaires, d’abord, sont corrélés aux ambitions stratégiques de la France : la reconstitution des stocks doit se faire en harmonie avec les hypothèses d’engagement envisagées et avec l’accroissement des besoins dus à l’intensification de la préparation opérationnelle. La reconstitution des stocks doit ensuite tenir compte d’une certaine cohérence capacitaire entre les trois armées, entre les couples vecteurs-munitions ou encore entre le haut et le bas du spectre – équilibre que nous appellerons panachage. Enfin, les enjeux logistiques tenant à la sécurité et à la périssabilité des munitions conditionnent cette remontée en puissance.

Si la politique de remontée des stocks relève des armées, l’intensification des flux de production en est un complément indispensable : le besoin de masse et d’épaisseur rendu évident par le retour d’expérience du champ de bataille met en lumière l’indispensable continuité entre stocks et flux. Devant permettre aux forces, sous faible préavis, de prendre l’ascendant opérationnel sur l’adversaire, les stocks assument surtout un rôle de tampon permettant à la production industrielle de prendre rapidement le relais au soutien des armées. L’enjeu est donc d’adapter la base industrielle et technologique de défense française aux exigences d’un champ de bataille durci : c’est l’objet de l’économie de guerre. Dans cette perspective, garantir la soutenabilité économique des entreprises munitionnaires – mises à l’épreuve par les dividendes de la paix – en assurant la visibilité et la régularité des commandes est un préalable. Il est en outre indispensable d’actionner tous les leviers de l’économie de guerre pour accélérer une montée en cadence – simplifier les normes et les exigences, sécuriser les approvisionnements, consolider les ressources humaines. Dans le même temps, il importe de ne pas sacrifier à l’urgence du recomplètement des stocks une indispensable préparation de l’avenir, dont la maturation requiert, elle aussi, une forte anticipation. Il s’agit, dans cette perspective, d’identifier et d’accompagner les évolutions technologiques prioritaires et d’encourager la recherche-développement en apportant à cette dernière un soutien public renforcé.

 


   Synthèse des propositions

 

Proposition n° 1 : Adapter le recomplètement des stocks de munitions à des hypothèses d’engagement renouvelées.

Proposition n° 2 : Favoriser l’utilisation de munitions réelles dans le cadre d’une préparation opérationnelle intensifiée.

Proposition n° 3 : Favoriser le panachage des munitions dans la remontée en puissance des stocks en mettant l’accent sur le besoin de masse.

Proposition n° 4 : Réinternaliser le maintien en condition opérationnelle des missiles au sein des forces lorsque c’est possible et systématiser les engagements en seuil de disponibilité dans les contrats de maintien en condition opérationnelle.

Proposition n° 5 : Affermir la visibilité des entreprises et la régularité des commandes étatiques.

Proposition n° 6 : Reconsidérer une relocalisation de la filière du petit calibre au niveau français ou, à défaut, européen.

Proposition n° 7 : Privilégier une logique de gestion du risque dans l’appréhension des normes.

Proposition n° 8 : Appuyer la mise en œuvre d’exemptions Défense pour l’industrie munitionnaire dans le cadre de l’application du règlement REACH.

Proposition n° 9 : Constituer des pré-stocks de composants et sous-ensembles stratégiques.

Proposition n° 10 : Relocaliser des filières stratégiques pour l’industrie munitionnaire, notamment dans le domaine des poudres.

Proposition n° 11 : Constituer une réserve industrielle composée de jeunes retraités du secteur munitionnaire permettant d’anticiper une hausse des besoins d’augmentation des cadences de production de munitions.

Proposition n° 12 : Doter les forces de lots de munitions télé-opérées capables de faire face à l’attrition forte de la haute intensité et de répondre aux besoins du terrain.

Proposition n° 13 : Renforcer le soutien public à la recherche-développement.

 

 

 

 

 


I.   La dégradation globale des stocks français de munitions depuis la fin de la guerre froide est désormais intenable au regard tant des ambitions militaires de la France que du contexte stratégique

Si la guerre froide s’est caractérisée par une course aux armements non seulement nucléaires mais également conventionnels, la chute du Mur de Berlin – et, avec lui, du bloc soviétique – a entraîné une diminution drastique des dépenses militaires en Europe de l’Ouest. La France a alors abandonné la logique de stock qui avait prévalu pendant la guerre froide au sein des armées, tant pour ses armements que pour ses munitions (A).

Les attentats terroristes islamistes commis en 2015 sur le sol français ont mis un coup d’arrêt brutal à la politique de rationalisation drastique des budgets militaires : les décisions prises dès 2016 puis l’adoption de la loi de programmation militaire pour 2019-2025 ont amorcé un rattrapage mais ce dernier s’avère insuffisant au regard du contexte géostratégique actuel (B).

Le retour de la haute intensité sur le continent européen impose un changement de paradigme en matière de stocks (C). L’armée française, caractérisée par son excellence échantillonnaire en matière de munitions comme d’équipements, s’inscrit dans un paysage munitionnaire occidental contrasté (D).

A.   1996-2015 : L’illusion des « dividendes de la paix » ou le passage de la filière des munitions d’une logique de stock à une logique de flux

Avec la professionnalisation des armées (1996) puis les réductions drastiques de format des armées, directions et services décidées dans le cadre de la revue générale des politiques publiques (2007), les armées françaises ont été contraintes et forcées de procéder à un déstockage massif de leurs munitions – le soutien, la logistique et la maintenance ayant été les premières cibles des déflations imposées. Alors même que les crédits budgétaires consacrés aux stocks de munitions s’effondraient, le coût unitaire des munitions – en particulier des munitions complexes – augmentait compte tenu de la sophistication croissante des systèmes d’armes. Cet effet de ciseaux entre baisse des budgets et hausse des coûts a eu l’effet pervers d’accentuer la réduction des stocks imposée par le carcan budgétaire.

1.   De la professionnalisation des armées à la revue générale des politiques publiques et à la crise économique de 2008 : les munitions, variable d’ajustement budgétaire

Au lendemain de la guerre froide, les principales puissances militaires mondiales se trouvent en possession de vastes arsenaux de munitions. Si les opérations menées par la France dans les années 1990 (en Irak, en ex-Yougoslavie et dans le cadre des missions onusiennes de maintien de la paix) permettent de circonscrire un temps les coupes opérées dans le budget alloué aux munitions, la professionnalisation des armées, actée en 1996, enclenche un processus de réduction du format des armées – et donc de leurs stocks – qualifié à l’époque de « dividendes de la paix ».

En 2007, la revue générale des politiques publiques (RGPP) ([1])  amplifie drastiquement ce mouvement déflationniste et, parce qu’elle a avant tout dans le viseur les soutiens, la logistique et le maintien en condition opérationnelle, cette politique de rigueur budgétaire entraîne de véritables pertes de compétences en matière de stockage. La crise économique de 2008 accentue encore la tendance à la rationalisation dans les armées et à la suppression d’unités.

Au cours de cette période, les munitions deviennent une variable d’ajustement budgétaire. Comme le soufflait un interlocuteur des rapporteurs lors de son audition, « en France, on ne fait pas défiler les munitions. » Le chercheur Léo Péria-Peigné met en évidence dans une note de l’Institut français des relations internationales consacrée aux stratégies de stockage des principales puissances mondiales ([2]) le fait que « la politique de stocks est [alors] repensée pour économiser sur les coûts de maintenance et d’infrastructure dédiées à des ressources considérées comme inactives ». Les stocks militaires français sont vendus, démantelés ou détruits tandis qu’une partie des infrastructures de stockage libérées est vendue ou mise à l’arrêt. C’est particulièrement vrai des infrastructures de stockage munitionnaires puisque depuis 2011, six dépôts de munitions auparavant gérés par le service interarmées des munitions (SIMu) ont été fermés. Quant à la direction générale de l’armement, sur le rôle de laquelle les rapporteurs reviennent infra, elle a connu une diminution de 20 % de ses effectifs globaux ([3])  au cours de la loi de programmation 2008-2013 : cette baisse drastique a obligé ce grand subordonné du ministère à opérer une transformation en profondeur de ses modes de fonctionnement au prix d’allègements d’activité. Le lieutenant-colonel Raphaël Briant ([4]) souligne qu’étant « héritière de la culture expéditionnaire qui s’est imposée avec les dividendes de la paix, la filière munitions française s’est structurée autour d’une logique de flux pour limiter les coûts de structure et maintenir les savoir-faire de la base industrielle et technologique de défense (BITD) ». Le renoncement à toute politique de constitution de stock au profit d’un fonctionnement à flux tendus a pour objectif de limiter au maximum la déperdition et l’inactivité de la valeur par l’optimisation du flux (mobile) au détriment du stock (inactif) pour supprimer les coûts afférents au stockage. Pareil choix politique suppose de disposer d’infrastructures de transport adaptées pour éviter tout retard de livraison. Les flux tendus sont conçus de sorte qu’ils répondent aux besoins de la situation opérationnelle de référence de gestion de crise. Or, ce modèle est inadapté à la survenue d’imprévus.

2.   La complexité croissante de certaines munitions en renchérit les coûts : le paradoxe de l’excellence échantillonnaire

Parallèlement à la réduction des crédits budgétaires alloués aux munitions, on assiste à un phénomène de renchérissement du coût unitaire de celles-ci – en particulier de celui des munitions complexes – qui s’explique par leur sophistication croissante, elle-même liée à l’essor de l’électronique et de la numérisation. L’augmentation du coût non seulement d’acquisition mais aussi d’emploi des munitions a pour corollaire la réduction de l’ampleur des stocks dans un environnement budgétaire contraint. Le lieutenant-colonel Raphaël Briant insiste sur ce point ([5]) : « la complexité ainsi que la pression normative croissante ont conduit à une inflation du coût [des] munitions, ce qui, conjugué aux contraintes budgétaires des lois de programmation militaire, s’est traduit au niveau du format des armées par une baisse continue des volumes d’acquisition de munitions. Depuis 2003, les cibles programmatiques ont fléchi de 40 % alors que la menace n’a cessé d’augmenter (…). » Ainsi, deux phénomènes concomitants s’auto-alimentent-ils : la complexification des munitions en augmente le coût, ce qui accentue la réduction des commandes – rendue nécessaire par la baisse des budgets – qui, à son tour, accroît le coût unitaire des missiles ([6]).

B.   Une amorce de recomplètement des stocks depuis 2016 qui redonne aux armées des marges de manœuvre limitées

1.   Les conséquences des attentats terroristes de 2015 : une rupture avec la politique de déflation du budget de la défense

En janvier puis en novembre 2015, les tragiques attentats terroristes islamistes commis sur le sol français entraînent une rupture dans le mouvement de réduction des formats d’armée : la fin de l’Histoire n’aura pas lieu. Le politique prend conscience de la nécessité d’une remontée en puissance des forces armées françaises et, logiquement, de leurs stocks. En décembre de la même année, les députés Nicolas Bays et Nicolas Dhuicq, membres de la commission de la Défense nationale et des forces armées, se disent ([7]) « conscients de la place déterminante qu’occupent les munitions dans l’action militaire et, dans le même temps, inquiets quant à la place qui leur est accordée ». Ce paradoxe conduit les deux députés à se demander « si la France [est] toujours en mesure d’agir en toute indépendance en s’appuyant sur ses propres moyens ».

Les décisions budgétaires prises à partir de 2017 permettent d’assurer en urgence la reconstitution des stocks rendus critiques par les opérations Chammal et Barkhane, de stabiliser la chute des stocks de munitions complexes grâce à des opérations de rénovation pyrotechnique indispensables au renouvellement de leur potentiel d’utilisation, de sécuriser les approvisionnements par le renforcement des filières souveraines de production de munitions, de poursuivre les opérations de développement de nouvelles munitions et des stocks associés dans le cadre des programmes d’armement et enfin, de traiter les obsolescences pour la fabrication des munitions en raison de l’évolution des technologies et des interdictions réglementaires d’utilisation de composés chimiques.

2.   L’affaire des masques pendant la crise sanitaire ou le rappel de l’importance cruciale de disposer de stocks stratégiques pour faire face à l’imprévu

La crise sanitaire de 2020 et en particulier l’épisode de pénurie de masques respiratoires de protection, met en lumière les limites de l’approche privilégiée depuis dix ans de suppression des stocks au profit d’un modèle d’approvisionnement en flux tendus, c’est-à-dire « juste à temps ». Les difficultés d’approvisionnement rencontrées pendant la crise confèrent à la notion de stock un regain de popularité dans des domaines stratégiques tels que la santé, l’alimentation ou la défense. L’opinion publique est alors convaincue de la nécessité de relocaliser certaines productions, de maintenir des compétences, d’assumer des doublons et de reconstituer des stocks historiquement bas au nom de la résilience de la nation.

3.   Une loi de programmation militaire 2019-2025 qui inverse la trajectoire à la baisse des stocks de munitions

L’état-major des armées indique aux rapporteurs que « les actions entreprises depuis 2017, notamment dans le cadre de la loi de programmation militaire pour 2019-2025 ont permis d’inverser la trajectoire à la baisse des stocks de munitions des armées. La mise en cohérence entre l’outil de production industrielle, le besoin priorisé des armées et les ressources financières permettent d’obtenir des premiers résultats qui devront être poursuivis pour atteindre les objectifs de stocks fixés ».

Ainsi, l’ajustement de la programmation militaire a-t-il prévu l’octroi de 110 millions d’euros de ressources supplémentaires entre les années 2022 et 2025 pour permettre aux armées d’acquérir des munitions sur des segments fragiles et permettre une meilleure préparation opérationnelle. En 2022, les trois armées consacrent ainsi près de 248 millions d’euros à l’acquisition de munitions.

La loi de finances initiale pour 2023 prévoit la passation de 2 milliards d’euros de commandes et le décaissement de plus d’un milliard d’euros de crédits de paiement au profit du renouvellement des stocks de munitions. Sur le programme 178, il est prévu que le budget consacré au recomplètement des stocks de munitions augmente de 10 % entre 2022 et 2023 ([8]).

Les rapporteurs saluent cet effort notable : les forces armées françaises sortent ainsi progressivement d’une douzaine d’années de rigueur budgétaire ayant remis en cause toute logique de constitution de stocks. Il reste que l’évolution du paradigme stratégique appelle des efforts encore bien plus importants.

C.   Le retour de la haute intensité sur le continent européen impose un changement de paradigme en matière de stocks

1.   Le retour d’expérience du conflit ukrainien illustre les multiples atouts stratégiques que recèle la constitution de stocks de munitions

Dans le cadre d’une réflexion sur les stocks de munitions, le conflit ukrainien permet de tirer au moins trois enseignements.

Le premier, le plus évident, est que la constitution de stocks permet de faire face à un taux élevé d’attrition, caractéristique de la haute intensité. Comme le soulignait le lieutenant-colonel Briant ([9]) dès avant le conflit ukrainien, « l’intensité d’une opération varie dans le temps : les premiers jours sont souvent caractérisés par une consommation importante de munitions, avec au premier rang les armements technologiques de haut de spectre utilisés pour les frappes dans la profondeur (missiles de croisière) et les missions de neutralisation des défenses sol-air. La variabilité des contextes d’engagement impose de disposer d’une large gamme de munitions aux effets variés ».

Le deuxième atout réside dans la capacité des États disposant de stocks de systèmes d’armes et de munitions conséquents de s’en servir pour peser dans la négociation diplomatique.

Le troisième, évident tout au long de la guerre froide comme dans le conflit en cours, est que la possession ou la constitution de stocks importants est facteur de stabilité dans un contexte de compétition.

a.   La capacité à faire face à une attrition élevée propre à la haute intensité

Le conflit ukrainien a malheureusement fait redécouvrir la réalité des attritions – en hommes comme en équipement et en munitions – enregistrées dans le cadre d’un conflit de haute intensité. Comme le rappelle Léo Péria-Peigné ([10]), « au plus fort des assauts russes sur Sievierodonetsk et Lysychansk, les forces du Kremlin utilisaient quotidiennement plusieurs dizaines de milliers d’obus de gros calibre (>100 mm). (…) Mise dans une situation similaire à l’Ukraine, la France aurait très probablement rencontré d’énormes difficultés, notamment en termes de volume de feu délivré et de munitions disponibles. (…). »

Le co-rapporteur Julien Rancoule souscrit à cette observation. Le co-rapporteur Vincent Bru tient néanmoins, quant à lui, à souligner que la conduite des opérations militaires de la France serait bien différente de celle qui est constatée actuellement en Ukraine. La stratégie militaire française repose sur des frappes chirurgicales avec l’obligation de résultat à chaque tir.

En outre, si une opération telle qu’Harmattan ([11]) a mis en lumière l’importance de disposer de bombes guidées à effet collatéral réduit, le conflit ukrainien illustre quant à lui la pertinence des capacités conventionnelles traditionnelles, telles que l’artillerie : selon le chercheur précité, « Dans ce domaine précis, la France a réduit ses capacités à un strict minimum dangereux : non seulement le nombre de tubes n’a cessé de se réduire au fil des années mais la quantité de munitions acquise, pour le stockage et l’entraînement, reste dangereusement faible. La consommation annuelle française de charges modulaires de 155 mm correspond à moins d’une semaine d’utilisation intense telle que constatée sur le terrain ».

b.   Un atout diplomatique et militaire

Si la constitution de stocks permet de tenir face au choc de la haute intensité, elle constitue aussi un atout diplomatique et militaire. Léo Péria-Peigné ([12]) estime que « mis en situation de contestation, le camp occidental a pu soutenir massivement le partenaire ukrainien attaqué, sans s’exposer à des représailles militaires directes ». Le co-rapporteur Julien Rancoule estime cependant pour sa part que tout risque de représailles n’est pas à écarter à moyen terme et qu’une incertitude demeure à cet égard. Quant au co-rapporteur Vincent Bru, il exclut des représailles directes mais n’exclut pas des actions indirectes contre la France, notamment en Afrique et en outre-mer.

c.   Un facteur de stabilisation dans un contexte de compétition

Enfin, autre avantage, la possession de stocks constitue un facteur de stabilisation dans un contexte de compétition : « Soutenir massivement un allié attaqué grâce à des stocks est également un facteur de stabilisation dans un contexte de compétition : l’exemple ukrainien incite un potentiel État agresseur à prendre en compte la possibilité d’un soutien matériel massif auprès de son adversaire. A contrario, un État dont les forces armées sont perçues comme un « glass cannon », une arme à un coup inapte à se maintenir dans la durée, sera considéré en plus vulnérable dans la compétition qu’un autre, capable de prolonger son effort » ([13]).

2.   Le soutien à l’Ukraine a entraîné d’importantes ponctions sur les stocks français

Si le conflit ukrainien invite à changer de paradigme en matière de logique de stockage, le soutien français à l’Ukraine ne fait que renforcer l’urgence pour nos armées de reconstituer des stocks de munitions.

Selon les informations disponibles en source ouverte ([14]), depuis le début du conflit ukrainien, la France a livré à l’Ukraine, outre 18 canons Caesar de 155 mm et une quinzaine de canons tractés TRF1 de 155 mm, plusieurs milliers d’obus, des missiles anti-char Milan, Akeron et Javelin, des batteries de missiles sol-air Crotale et plusieurs centaines de missiles antiaériens Mistral et d’autres munitions.

Il est parfois souligné que les livraisons françaises sont inférieures en quantité à celles de ses voisins : ce point sort du champ d’étude du présent rapport et ne sera donc pas évalué ici. En revanche, les rapporteurs notent qu’à la différence d’autres États, la France a fait le choix d’envoyer des systèmes d’armes et des munitions en service actif.

Interrogé par les rapporteurs sur ce point, le ministère des Armées a indiqué les points suivants : « La cession de munitions fait systématiquement l’objet d’une étude d’impact opérationnel et des mesures de mitigation (renforcement d’une capacité par une autre) de la baisse de stock peuvent être prises dans l’attente de recomplètement. (…) Dans le cadre des cessions à l’Ukraine, des acquisitions en « urgence opération » ont été lancées dès mai 2022 avec des livraisons réalisées ou prévues entre décembre 2022 et début 2024. Au bilan, les cessions à un pays tiers ne mettent pas en péril la capacité opérationnelle des armées par la mise en place de mesures de réarticulation opérationnelle et si nécessaire des actions de recomplètement du stock cédé (non nécessaire pour les capacités en fin de vie). ».

Le co-rapporteur Vincent Bru estime que notre contribution en armes au profit de l’Ukraine s’est faite au détriment de l’équipement des forces françaises mais pas de manière durable et que les commandes du ministère des Armées permettent de combler les dons à l’Ukraine.

Quant au co-rapporteur Julien Rancoule, il ne partage pas le point de vue du ministère des Armées : si les stocks de munitions – qu’il s’agisse de notre artillerie CAESAR ou de notre défense sol-air – seront reconstitués à moyen terme, un temps de latence s’imposera pendant lequel le manque se fera ressentir au détriment tant de la préparation opérationnelle que de la crédibilité de la France et que ce soutien matériel obère donc durablement les capacités de nos armées.

D.   Un bonsaï français dans un paysage otanien contrasté

L’armée française, parfois qualifiée de bonsaï ([15]) en raison de l’excellence échantillonnaire ([16]) qui la caractérise, s’inscrit dans un paysage otanien contrasté en matière de stocks de munitions.

a.   Les États-Unis : des stocks qualitatifs en quantité se doublant de puissantes capacités industrielles

Le budget américain de la défense permet aux forces américaines de disposer de munitions en qualité et en quantité et l’intrication des acteurs militaro-industriels permet à Washington de relancer beaucoup plus rapidement des lignes de production efficaces dans le secteur munitionnaire. Il reste que jamais les Américains n’ont opté pour une logique de flux tendus généralisée.

Ainsi, au cours de l’exercice 2022, le Congrès américain a programmé environ 3,8 milliards de dollars pour l’achat de munitions, dont 588 millions de dollars pour des investissements dans les installations industrielles. Il a aussi affecté 540 millions de dollars à l’augmentation de ses capacités de production en septembre 2022 afin de poursuivre ses investissements et de répondre à l’augmentation soutenue de la demande. Afin de moderniser son outil de production, l’Army a élaboré un plan en trois phases d’investissement de 16 milliards de dollars entre 2024 et 2038.

b.   L’Europe occidentale : de la qualité en petite quantité

Les « grandes puissances » militaires européennes, France incluse, – qui ont réduit drastiquement leurs stocks tout en fournissant des efforts de modernisation afin de maintenir une interopérabilité dans le cadre de l’Alliance atlantique ainsi qu’une capacité de projection dans le cadre de missions de stabilisation ou de gestion de crise – disposent de munitions de qualité sans avoir les moyens de les acheter en grande quantité. En conséquence, les États d’Europe occidentale ont adopté des stratégies d’optimisation pour limiter les coûts au maximum, stratégies dont les effets rognent peu à peu sur l’avantage procuré par des équipements et munition de qualité : acquises en quantité échantillonnaire, les munitions avancées ne peuvent être utilisées à l’entraînement, tandis que leur durée de vie est limitée. L’Allemagne a néanmoins maintenu un mécanisme de stocks de guerre, que d’autres ont abandonné.

c.   L’Europe orientale : une approche évolutive de modernisation et « d’occidentalisation » des stocks

Les pays de l’ex-bloc de l’Est sont confrontés à des enjeux différents de leurs voisins occidentaux : dotés d’arsenaux mélangeant armement aux normes otaniennes et arsenal ex-soviétique, ils ont adopté une approche évolutive de modernisation et d’occidentalisation, tout en maintenant souvent des capacités industrielles non négligeables. Parmi les pays d’Europe de l’Est, la Pologne se démarque par une ambition capacitaire bien supérieure à celle de ses voisins : le pays a renouvelé ses forces en remplaçant la quasi-totalité des systèmes et munitions hérités de la guerre froide par du matériel moderne aux normes otaniennes. L’industrie de défense polonaise monte en puissance en s’appuyant sur un partenariat avec la Corée du Sud.

L’Allemagne présente quant à elle une situation intéressante, à mi-chemin entre les évolutions enregistrées à l’Ouest et à l’Est du continent.

II.   La reconstitution des stocks de munitions soulève des enjeux très différents selon que les munitions sont simples ou complexes

Toute munition est un objet pyrotechnique présentant des éléments communs. C’est un objet inséré dans un système d’arme, chargé de matières explosives produisant des effets propulsifs, explosifs, perforants, incendiaires, éclairants, fumigènes, sonores, spéciaux ou des combinaisons de ces effets. Une munition combine trois éléments – mécanique, énergétique et parfois électronique – pour produire un effet militaire ([17]).

En dépit de ces points communs, de la cartouche de 9 millimètres au missile air-air Meteor en passant par l’obus, l’AASM et la torpille, les caractéristiques des munitions sont très hétérogènes à de nombreux égards. Les munitions simples sont produites en masse (B) tandis que les munitions complexes se caractérisent par leur haut niveau de technologie (C). Ces distinctions emportent des conséquences majeures dans la manière d’aborder les problématiques de stockage et de reconstitution des stocks. Préalablement à cette distinction, les rapporteurs présentent un bref panorama de la filière française des munitions et de sa gouvernance (A).

A.   Une filière munitionnaire structurée autour de grands maîtres d’œuvre et sous-traitants de l’industrie de défense

1.   Une filière munitionnaire française quasi-intégralement souveraine

La base industrielle et technologique de défense (BITD) française est présente sur tous les segments de la filière des munitions, à l’exception notable du petit calibre, sur lequel les rapporteurs reviennent infra. Notre BITD présente l’avantage d’avoir maintenu des savoir-faire critiques et de niche ([18]). Plus encore, elle dispose d’une capacité souveraine à développer des munitions complexes. Le schéma ci-dessous présente les principaux acteurs de la filière munitionnaire française :

Source : Institut français des relations internationales ([19]) ([20])

2.   La gouvernance de la filière des munitions au sein des forces armées

Au sein du ministère des Armées, la gouvernance de la filière munitionnaire se répartit entre l’état-major des armées et la direction générale de l’armement qui ont créé en 2012 un comité dédié au domaine capacitaire des munitions ([21]), chargé de définir les orientations stratégiques propres au domaine des munitions et d’en piloter l’exécution en cohérence avec l’ensemble des capacités détenues ou à venir des armées.

a.   La division « cohérence capacitaire » de l’état-major des armées, de l’expression du besoin à la mise en service opérationnel

La division « cohérence capacitaire » de l’état-major des armées est chargée de la préparation de l’avenir en matière de capacités militaires et de la coordination des actions relevant du chef d’état-major des armées en matière de conduite des opérations d’armement, depuis l’expression du besoin militaire jusqu’à la mise en service opérationnel. Elle veille, en liaison avec la direction générale de l’armement, au respect des orientations capacitaires et à la satisfaction des besoins militaires. Elle pilote les stades d’opération d’armement de la responsabilité du chef d’état-major des armées, contribue à la préparation des autres programmes budgétaires opérationnels intéressant les opérations d’armement et d’infrastructure et prépare les positions du chef d’état-major des armées dans les instances de gouvernance des investissements. Concrètement, l’élaboration de l’expression du besoin militaire ([22]) consiste en la définition des performances de la munition souhaitée en fonction de l’effet militaire à obtenir et des défenses envisagées pour les adversaires : portée, vitesse, capacité de pénétration etc.

La synthèse des besoins des armées et l’estimation des stocks ([23]) nécessaires sont obtenues en se fondant sur le contrat opérationnel des armées et sur les différents niveaux d’engagement déterminés dont la situation opérationnelle de référence et l’hypothèse d’engagement majeur. L’estimation du besoin tient notamment compte de l’intensité des engagements, de la consommation théorique d’un jour de combat par scénario, des politiques de tir à l’entraînement et des politiques d’équipement. Le besoin est analysé en fonction des ressources budgétaires disponibles, de la capacité de contractualisation de la DGA et du SIMu et des délais de développement et de production des munitions. La réponse au besoin est assurée par la DGA (b) ou le SIMu (c).

b.   La direction générale de l’armement, intermédiaire entre l’état-major des armées et les industriels

i.   Une quadruple mission d’acquisition, de maîtrise et d’expertise technique, de contractualisation en matière de maintien en condition opérationnelle et d’innovation

La DGA a pour mission première l’acquisition des munitions complexes ([24]) et des munitions classiques pour une première dotation, le renouvellement des stocks de munitions classiques étant généralement assuré par le service interarmées des munitions (SIMu). En vue d’acquérir ces munitions, la DGA traduit le besoin des armées en spécifications techniques et technologiques : niveau de furtivité, type de propulsion, mode de guidage. Une fois un programme lancé, l’équipe de programme échange avec le fabricant – MBDA ou Naval Group, pour les munitions complexes – pour déterminer comment répondre au besoin et quelles solutions apporter. La réflexion donne ensuite lieu au lancement d’études technico-opérationnelles, les industriels contribuant à ces études dans le cadre de contrats d’études amont. Une fois achevé le processus de production du programme de munition, la DGA assure une mission d’expertise technique (conduite des essais, etc.) consistant à qualifier les munitions en réalisant des essais techniques pour certifier que la munition produite répond aux exigences spécifiées.

La DGA conduit également les travaux de rénovation à mi-vie des munitions complexes et assure la maîtrise technique des munitions, c’est-à-dire la gestion de la configuration des munitions pendant tout leur cycle de vie.

Enfin, la DGA pilote les opérations d’extension de durée de vie des munitions. Responsabilité lui a aussi été confiée d’assurer la contractualisation des prestations de maintien en condition opérationnelle des munitions conventionnelles complexes. Enfin, des travaux d’innovation sont en cours sur les munitions dans les domaines de l’hypervélocité, de la propulsion solide ou par statoréacteurs, de l’amélioration de la portée des munitions, des performances des autodirecteurs et des têtes militaires ou de la furtivité afin de conserver la capacité de pénétrer les défenses et neutraliser les cibles adverses. Certains travaux visent également à améliorer les processus de production industriels.

ii.   La recherche délicate d’un équilibre entre politique de défense et politique industrielle

La direction générale de l’armement mène ainsi une double mission :

- au profit des armées, d’une part, dans le cadre de la politique de défense nationale ;

- en lien et en soutien à la base industrielle et technologique de défense, d’autre part, dans le cadre de la politique industrielle de l’État et, en son sein, du ministère des Armées.

Elle doit à cet égard trouver un équilibre délicat entre ces deux objectifs dans un contexte où, on l’a vu, elle a perdu nombre de ses personnels et donc, mécaniquement, d’une partie de son expertise technique. De fait, la privatisation des arsenaux au début des années 2000, conjuguée au regroupement industriel favorisé par le gouvernement de l’époque, a modifié la relation qu’entretenait le ministère des Armées avec ses fournisseurs. Comme le souligne le chercheur Sophie Lefeez ([25]), « la privatisation (…) a surtout modifié le rapport de force entre l’État et ses fournisseurs, qu’une autre décision étatique a accentué. Outre la privatisation, l’État a encouragé un regroupement industriel sur le modèle de la restructuration américaine des années 1990. Ces deux décisions ont eu pour effet d’atténuer le poids du client étatique au profit de l’industriel privé. En effet, les restructurations mises en place ont consisté à réduire le nombre d’industriels sur un même secteur d’activité, ce qui conduisait de fait à créer des oligopoles et des monopoles (DCNS pour les systèmes navals, systèmes aéronautiques, etc.). Suite aux fusions et acquisitions successives, certaines entreprises ont obtenu des économies d’échelle qui leur rapportent un chiffre d’affaires supérieur à la capacité financière de certains États. (…) Quant aux privatisations, elles se sont accompagnées d’un développement des activités civiles, diminuant ainsi la dépendance des firmes par rapport à l’État, et d’une européanisation, voire d’une transnationalisation qui a transformé également les rapports de force. (…) L’actuel encouragement à exporter ne peut que renforcer cette situation. Cela annule dans les négociations le poids conféré par la situation de monopsone. Face à cela, l’État est pris entre deux feux : renforcer encore le poids des entreprises par une politique industrielle de préférence nationale et de promotion de champions nationaux, ou bien ouvrir le marché à l’échelle européenne, la concurrence étrangère contrebalançant ces situations oligopolistiques pour faire advenir un marché véritablement concurrentiel. Selon le principe des avantages comparatifs, une telle mise en concurrence à l’échelle européenne contraindrait cependant les États à renoncer à certaines compétences nationales stratégiques si celles-ci sont plus efficientes ailleurs. »

En tout état de cause, et sans revenir sur les choix opérés en matière d’industrie de défense – qui dépassent largement le cadre du présent rapport d’information –, les rapporteurs tiennent à insister sur la nécessité qu’en matière de munitions, la politique industrielle ne prenne pas le pas sur la politique de défense, primordiale, ainsi que sur celle que la DGA maintienne ou réacquière si besoin des compétences d’expertise en interne.

c.   Le service interarmées des munitions, acteur chargé de la gestion, du stockage, de l’entretien, de la mise à disposition et de l’élimination des munitions

Service de soutien spécialisé créé en 2011, le service interarmées des munitions (SIMu) a pour mission de mettre à disposition des forces armées, en quantité et en qualité, les munitions dont elles ont besoin pour s’entraîner et combattre. À ce titre, le SIMu gère, stocke, entretient, met à disposition et élimine les munitions achetées par les forces armées, le tout dans le respect des règles de sécurité pyrotechnique. Il soutient les opérations en préparant à l’expédition la ressource et en projetant des personnels et des matériels techniques afin d’armer les dépôts de théâtre. C’est afin de pouvoir délivrer des munitions pouvant être tirées n’importe quand et n’importe où que le SIMu est présent depuis la réception de la livraison jusqu’à la gestion des stocks en passant par la maintenance en passant par les échanges avec les unités ([26]) et les industriels.

B.   Les munitions balistiques dites « munitions simples » : une production de masse

Les munitions simples, bien moins coûteuses que les munitions complexes, sont produites en masse, qu’il s’agisse de cartouches, d’obus, de grenades de roquettes, de bombes non guidées, d’explosifs, de leurres ou d’amorces.

1.   Le petit calibre : un marché très concurrentiel et des achats sur étagère à l’étranger par le service interarmées des munitions

Les munitions de « petit » calibre désignent les munitions de moins de 20 millimètres. Elles sont chargées dans des armes légères pouvant être utilisées par un tireur seul. Les armes de petit calibre se répartissent entre armes de poing et armes d’épaule selon le maniement. Les armes et munitions de petit calibre peuvent être utilisées par les armées, par les forces de sécurité intérieure mais aussi pour la chasse et le tir sportif. Dans l’armée française, les munitions de 5,56, 7,62, 9 et de 12,7 millimètres sont utilisées tant dans le service de l’armement individuel (pistolet automatique et fusil d’assaut), que collectif (mitrailleuse).

Comme le rappellent nos collègues Jean-Pierre Cubertafon et André Chassaigne dans un rapport de notre commission sur les petits équipements ([27]) , « depuis 1999, la France a cessé de produire [des munitions de petit calibre], s’en remettant à des fournisseurs étrangers, au prix de quelques déconvenues (…). C’est pour des raisons de compétitivité-coût des munitions, et donc de viabilité économique de leur filière de production, que Nexter a cessé sa production de munitions de moins de 20 mm en 1999. L’offre de fournisseurs étrangers était alors jugée suffisamment abondante et assez diversifiée pour offrir aux armées une multitude d’alternatives en cas de défaillance ou de rupture d’approvisionnement. Les armées françaises se sont d’abord approvisionnées auprès de l’anglo-américain BAE Systems, et un contrat a été signé dans ce sens en 2006. Cependant, les munitions utilisées, les cartouches F5 de calibre 5,56 mm, se sont révélées inadaptées aux fusils d’assaut FAMAS. Dans les années qui ont suivi, les armées se sont fournies auprès d’autres groupes étrangers, tels que : ATK aux États-Unis, Israel Military Industries et ADCOM Military Industries ([28]) aux Émirats arabes unis ou Nammo en Norvège. (…) Les forces françaises se sont ensuite tournées vers les quatre entreprises retenues dans le cadre d’une phase de test de 2009 – 2013, à savoir ATK aux États-Unis, MEN en Allemagne, BAE Systems au Royaume-Uni et CBC au Brésil. En parallèle de l’adoption définitive du fusil d’assaut Heckler und Koch HK416F, l’armée française a choisi de s’approvisionner en munitions du calibre correspondant auprès de MEN. Enfin, pour alimenter en munitions l’ensemble des 74 596 armes de poing Glock 17 qui équiperont les soldats français, c’est le tchèque Sellier & Bellot qui a été retenu. Un projet de reconstitution d’une filière française de production de munitions de petit calibre a été rendu public en 2017, mais aucune suite n’y a été donnée pour l’heure ». Ce constat, établi en septembre 2020 par les députés Chassaigne et Cubertafon, reste d’actualité ([29]) . C’est pourquoi vos rapporteurs reprennent à leur compte les différentes étapes de l’évolution de notre politique d’approvisionnement en munitions de petit calibre depuis 1999, établie par leurs collègues précités :

 

1999

La France suspend sa production de munitions de petit calibre avec la fermeture du site industriel de GIAT Industrie au Mans.

2006

Contrat de cartouches F5 de calibre 5.56 mm standardisé OTAN, attribué à BAE Systems : les munitions à destination du FAMAS ne conviennent pas (balistique défaillante).

Octobre 2007

Premières livraisons de cartouches F3 (5.56 mm) à destination du FAMAS par ADCOM, industriel des Émirats arabes unis.

Février 2008

Premiers incidents de tirs enregistrés avec des munitions d’ADCOM.

2008

Aggravation des difficultés financières rencontrées par l’entreprise française Manurhin, malgré une position de leader dans le domaine des machines destinées à la production de munitions de petit calibre, avec des contrats sur les cinq continents.

2009 - 2013

Achat de munitions de petit calibre par Foreign Military Sales (FMS) chez Alliant Techsystems (ATK), industriel américain.

Parallèlement, six fournisseurs différents sont évalués comme nouvelles sources d’approvisionnement potentielles pour les armées françaises. Quatre sont retenus à l’issue de ces tests : ATK, aux États-Unis, MEN en Allemagne, BAE au Royaume-Uni et CBC au Brésil.

Janvier 2012

Après une recapitalisation à hauteur de huit millions d’euros par l’État en 2011, afin de pallier les difficultés financières que connaît l’entreprise Manurhin depuis plusieurs années, de nouveaux investisseurs entrent au capital du groupe en janvier 2012 : GIAT Industries, SOFIRED et Delta Defense (groupe slovaque).

Décembre 2015

Rapport parlementaire des députés Nicolas Bays (PS) et Nicolas Dhuicq (LR) sur « la filière de munitions ». Au sein de ce document, les rapporteurs s’inquiètent de l’absence de moyen industriel de production de munitions de petit calibre en France. Ils ouvrent donc une série de questionnements, visant à savoir par exemple si « la France serait (-elle) visionnaire en la matière alors que ses voisins ont pour la plupart conservé une industrie nationale de munitions de petit calibre qui alimente nos armées ? »

17 mars 2017

Accord signé à Pont-de-Buis-Lès-Quimerch entre Nobel Sport, spécialiste de la poudre pour armes de chasse, TDA Armements (filiale de Thales) et le groupe Manurhin, supervisé par le ministre Jean-Yves Le Drian, en vue de la recréation d’une filière industrielle de production de munitions de petits calibres.

Juin 2017

L’entreprise Manurhin est placée en procédure de sauvegarde après plusieurs années de difficultés financières.

Octobre 2017

Publication de la Revue stratégique, qui abandonne le projet de réintroduction d’une filière de production de munitions de petit calibre en France. Lors de son audition au Sénat, Joël Barre, Délégué général à l’armement avait déclaré que « les munitions de petit calibre ne font pas partie des domaines identifiés comme devant rester souverains ».

13 juin 2018

Décision de la chambre commerciale du tribunal de grande instance de Mulhouse de céder le groupe Manurhin le premier août 2018 au groupe Emirates Defence Industries Company (EDIC), des Émirats arabes unis.

S’agissant des grenades, munitions à létalité réduite, on distingue :

- les grenades à main achetées dans une version sécurisée de grenade sans goupille avec sécurité réversible – et de ce fait, adaptée au combat urbain –, auprès d’Alsetex, filiale du groupe Lacroix située dans la Sarthe ;

- et les grenades à fusil.

Pour commander ces munitions, le service interarmées des munitions s’appuie sur trois supports : les marchés subséquents, des accords-cadres directs avec les industriels et, enfin, une agence otanienne, la NSPA.

2.   Les moyen et gros calibres : les obus, roquettes, mortiers et fusées

Le moyen calibre correspond aux munitions de 20, 25, 30 et 40 ([30]) millimètres. Le 20 mm arme les canons à terre et les hélicoptères (Gazelle, Puma) tandis que le calibre de 25 mm arme les véhicules blindés de combat d’infanterie (VBCI). Le calibre de 30 mm arme les Tigre et les avions de chasse. Quant au gros calibre, il correspond aux munitions de 90, 105, 120 et 155 millimètres. Les munitions d’artillerie ([31]) se composent d’une étoupille – qui allume les charges modulaires propulsives –, d’une charge modulaire – constituée de modules de poudre insérés dans la chambre de l’arme, le nombre de charges introduites étant fonction de la portée souhaitée –, de l’obus lui-même – qu’il soit explosif, fumigène, éclairant ou anti-char –, de la fusée – qui active l’explosif pour créer l’effet terminal recherché – et, éventuellement, d’un base bleed qui permet d’accroître la portée de la munition.

Comme l’illustre le schéma pyramidal présenté supra, Nexter Munitions est le principal producteur des moyens et gros calibres dans les trois milieux (terre ([32]), air ([33]) et mer ([34])). Autorité de conception et de garantie de la sûreté de l’obus, Nexter achète les corps d’obus chez des fondeurs avant de les usiner, d’installer la ceinture et de remplir l’obus d’explosif pour emploi. Les munitions produites sont soumises à des paramètres physiques contraignants, tels que l’aérodynamique, la dynamique, les changements d’interface, la combustion des matériaux, la mécanique et l’électronique. Ainsi, les obus de 155 millimètres sont des produits de 43 kg atteignant les 900 mètres/seconde, soumis à des températures de 2 200 degrés et à des accélérations de 15 000 G, pour lesquels il est nécessaire de définir des matériaux résistant à ces contraintes, garantissant une sécurité absolue et une efficacité infaillible. L’industrie des obus fait donc appel à des emplois rares, hautement qualifiés et non délocalisables, à des infrastructures et composants complexes, justifiant l’inscription de ses processus dans le temps long.

En outre, si la plupart des munitions de petit, moyen et gros calibres donnent lieu à une production de masse, certaines munitions balistiques font appel à un très haut niveau de technologie. C’est notamment le cas des obus flèches, vecteurs hypersoniques dépassant Mach 5 et des munitions dites intelligentes comme l’obus de précision KATANA en cours de développement. La conception de ces dernières fait appel à des compétences rares et longues à acquérir ainsi qu’à des processus et composants complexes, justifiant ainsi les délais de production permettant performances et sécurité.

Les roquettes et systèmes de mortier sont conçus par TDA, filiale du groupe Thales, et sa co-entreprise allemande Junghans T2M qui fabrique des fusées.

3.   Les leurres et artifices : un atout dans lequel investir

Systèmes d’autoprotection armant l’ensemble des forces ([35]) , les leurres sont fabriqués en France par l’entreprise Lacroix. Ces dispositifs présentent l’avantage d’être très efficaces pour protéger les véhicules, navires et aéronefs, complétant efficacement notre défense anti-aérienne. Les frégates de défense et d’intervention, qui n’en étaient pas équipées au départ, le seront finalement, ce dont les rapporteurs se félicitent. Les rapporteurs estiment que les leurres doivent impérativement être pris en compte dans la future loi de programmation militaire.

4.   Les poudres et explosifs

Les poudres et explosifs sont fournis aux armées par Eurenco qui conçoit, développe et fabrique des poudres simple-base et multi-base (sphériques et extrudées) ; des explosifs (conventionnels et insensibles), poudres (simple base, multi base et LOVA) et chargements propulsifs (charges modulaires, base bleed, et nitrofilm) pour les munitions d’artillerie, de char, de mortier, de moyen calibre et navales ; des chargements explosifs pour les têtes militaires de missiles, les bombes et pénétrateurs, les torpilles et munitions sous-marines, ainsi que pour les relais d’amorçages et les explosifs de démolition.

5.   Les bombes aéronautiques

Toute bombe comporte un corps ([36]) contenant entre autres une charge explosive ([37]), des anneaux d’accrochage, un empennage ([38]) ou un kit arrière (propulsé ([39]) ou non), une fusée ([40]), un fil de sécurité largable (armement) ([41]) et un kit de guidage avant.

L’outil français de production de bombes aéronautiques a été arrêté en 2011, n’étant pas économiquement viable. Depuis, les bombes d’emploi général sont achetées sur appel d’offre, notamment auprès de Raytheon (kits avant et arrière pour les bombes de type GBU) ([42]) et de Rheinmetall (corps de bombes MK82, MK83 et MK84).

En 2015, l’intensité des engagements militaires de la France et le manque de bombes de forte puissance ont conduit l’état-major des armées à exprimer un besoin de bombes spécifiques (pénétration et embarquables sur le porte-avions), ce qui a conduit à la mise en place d’une filière dédiée. Cette activité est réalisée par l’industriel Aresia ([43]) qui produit en coopération avec Eurenco (chargement explosif) la première bombe aéroportée de forte puissance française, la BA84, pesant près de 1 000 kg (dont 400 kg d’explosifs) ; considérée comme un produit faisant défaut jusqu’alors en France, cette bombe est destinée à perforer les couches épaisses d’un objectif durci avant d’exploser. Aresia produit aussi des bombes de 500 kg.

C.   Les missiles et torpilles, Des munitions propulsées, hautement technologiques et complexes à produire

1.   Des munitions propres à l’engagement de haut de spectre

Les munitions complexes sont dédiées à l’engagement de haut de spectre. Sans missile ou sans torpille, un bâtiment ou un aéronef perd sa fonction essentielle. Un Rafale n’est plus un avion de chasse, une frégate n’est plus un bâtiment de guerre et un sous-marin ne fait plus peser de menace. Dans la marine, par exemple, les munitions complexes permettent d’avoir l’avantage sur les adversaires de premier rang qui souhaiteraient restreindre la liberté d’action des forces navales françaises dans les espaces aéromaritimes contestés. Dans le cadre d’opérations d’entrée en premier ([44]), ce type de munitions permet d’emporter le combat en mer pour ensuite frapper dans la profondeur des terres à l’aide de chasseurs. Les missiles peuvent frapper depuis la mer des objectifs stratégiques à terre ou en mer ou encore intercepter d’autres missiles pour défendre la force navale contre les attaques adverses.

2.   Une complexité s’expliquant par plusieurs facteurs

Une munition complexe tire son nom du niveau de technicité nécessaire à sa performance et à son fonctionnement. Les missiles et les torpilles ont besoin, pour leur navigation, leur guidage et leur capacité à pénétrer les défenses adverses d’équipements de haute technologie autodirecteurs ([45]), centrales inertielles ([46]), systèmes antibrouillage, systèmes de liaison etc. Du fait de leur haute technicité et de leur coût très élevé, les munitions complexes sont suivies à l’unité et peuvent faire l’objet de programmes de rénovation à mi-vie.

a.   Le rôle-clef de la recherche-développement

L’innovation est un enjeu central pour l’industrie munitionnaire. L’objectif pour les industriels est d’abord de maintenir les systèmes d’armes qu’ils conçoivent au meilleur niveau possible, afin de doter nos armées d’équipements aux meilleures performances, capables de contrer les menaces futures et de rivaliser avec les autres armées dans le monde. Par exemple, face au développement de nouvelles armes furtives et hypervéloces, seule la performance des systèmes de missiles anti-aériens garantira à l’armée française la possibilité d’opérer dans des espaces de plus en plus contestés. Il s’agit aussi de maintenir et de développer une offre de haut niveau à l’export, dans un contexte fortement concurrentiel. À ce titre, l’investissement dans les études amont est capital.

b.   Une pluralité de niveaux de sous-traitance

MBDA, leader européen des systèmes de missiles et fournisseur quasi exclusif de munitions complexes à l’armée française, à l’exception des torpilles fournies par Naval Group, s’appuie sur un ensemble de partenaires industriels nationaux – tels que Thales (autodirecteurs électromagnétiques, centrales inertielles et équipements électroniques), Safran (autodirecteurs infrarouges, centrales inertielles) et Roxel (propulsion solide) – aux compétences indispensables à l’autonomie de la filière française. Selon les informations fournies aux rapporteurs par le constructeur, le nombre de sous-traitants de MBDA est de plus de 1 600, répartis sur tout le territoire français. Qui plus est, à un missile correspondent en moyenne 40 000 références.

c.   Un processus industriel s’étalant sur plusieurs années

De l’expression du besoin initial des armées à la livraison d’un missile, le processus peut s’étendre sur une dizaine voire une douzaine d’années. Le délai nécessaire à la production proprement dite d’un missile, à partir de l’obtention de la commande et du lancement des premiers approvisionnements, varie entre 2 et 4 ans selon le type de missile concerné. Lorsqu’un développement (ou un complément de développement) est nécessaire avant de lancer la production, un délai supplémentaire est à considérer pour mener à bien le développement jusqu’à la qualification.

3.   Des coopérations internationales visant à mutualiser les coûts de développement

Compte tenu de la complexité croissante des armements, l’industrie munitionnaire s’est restructurée, cherchant à nouer « des coopérations internationales afin de mutualiser les coûts de développement et de rationaliser les chaînes de production et de soutien en service en tirant parti du principe de spécialisation, au prix d’une interdépendance accrue », comme le souligne le lieutenant-colonel Briant ([47]).

4.   Des munitions se distinguant par leur portée, par le type de mission et par leur technicité

Sans prétendre à l’exhaustivité, les rapporteurs présentent ci-dessous sous forme de tableau les principales munitions complexes utilisées par les armées françaises.


—  1  —

 

 

Nom de la munition complexe

Industriel constructeur

Offensif (O) ou Défensif (D)

Portée (courte, moyenne, longue)

Type de combat

 

Principales caractéristiques

SCALP

(système de croisière conventionnel autonome à longue portée)

MBDA

Offensif

Longue portée (missile de croisière)

Bombardement (Air-sol)

- Frappe des cibles de grande importance ;

- Précision permettant d’éviter tout effet collatéral ;

- Sur le Mirage 2000 et le Rafale ;

- Rénovation à mi-vie d’ici à 2025 ;

- Sera remplacé à terme par le FMAN-FMC franco-britannique.

MILAN

(Missile d'infanterie léger antichar NATO)

MBDA

Offensif

2 000 m

Missile antichar (armée de Terre)

- Système de guidage semi-automatique filoguidé ; guidage infrarouge

Missile moyenne portée (MMP)

MBDA

Offensif

Moyenne portée

Missile antichar (armée de Terre) et forces spéciales

- pour les unités de combat au contact et les forces spéciales débarquées ;

- capacité de neutralisation de combattants et de cibles blindées, de jour comme de nuit jusqu'à 2 500 mètres ;

- destiné à remplacer le missile de combat tactique Milan en service depuis 1974 ;

- très grande précision du missile qui permet de traiter des cibles mobiles ou statiques.

Famille Exocet (MM, SM, AM)

MBDA

Offensif

 

Combat naval

(Mer-mer, sous-marin, air-mer)

- missile antinavire subsonique (mach 0,9) autonome (« tire et oublie ») ;

- vole à quelques mètres au-dessus de la surface de la mer ;

- lancé par les bâtiments de surface, sous-marins, aéronefs ou batteries côtières ;

- équipé d'un turboréacteur lui offrant une meilleure portée ; guidé par une centrale inertielle pour la première partie de son vol, afin de demeurer plus discret, et par un autodirecteur radar actif avec une portée de 24 km2 pour la seconde partie, lors de la passe d'attaque terminale ;

- très difficilement détectable par les bâtiments de surface lors de sa phase d’approche à basse altitude ; manœuvres évasives pour éviter les défenses terminales adverses + contre-contre-mesures électroniques pour déjouer les leurres.

 

MDCN

MBDA

Offensif

Longue portée (1000 km)

Mer-terre

- Capacité de première frappe rapide, massive, coordonnée, dans la profondeur depuis les frégates multi-missions et les sous-marins nucléaires d’attaque Barracuda ainsi qu’une complémentarité avec les missiles de croisière aéroportés ;

- précision équivalente à celle du SCALP EG ;

- charge militaire qui favorise les effets de souffle et d'éclats et assure la perforation de cibles moyennement durcies ;

Armement air-sol modulaire (AASM)

Safran Electronics and Defense

Offensif

 

Bombardement

- armement air-sol de référence du Rafale ;

- comporte trois modules : un kit de guidage – intelligence de la munition qui guide la bombe pour la mener à la cible –, un kit propulseur (ou pas) et un corps de bombe ;

- guidage laser, GPS ou infrarouge ;

- la modularité permet l’adaptabilité ;

- précision d’impact décamétrique ou métrique ;

- autonome et insensible au brouillage.

Torpille F17

 

Offensif

 

Combat naval et sous-marin

- A vocation à être remplacée par la torpille F21, plus performante.

Torpille légère MU90

Impact

Eurotorp

Offensif

 

Combat naval et sous-marin

- possède un mode de propulsion électrique avec une seule batterie ;

- peut être employée par petits fonds (moins de 25 m), mais aussi par grands fonds ;

- est dotée d'une charge creuse destinée à percer la coque épaisse des sous-marins, contrairement à la torpille lourde F21 qui est conçue pour provoquer une puissante explosion, créant une bulle destinée à briser le bateau visé ;

- peut être larguée par un avion de patrouille maritime jusqu'à une vitesse de 400 nœuds (741 km/h) et une altitude de 900 m avec une vitesse du vent supérieure à 50 nœuds (93 km/h), par un hélicoptère à une altitude de 600 m jusqu’à une vitesse de 180 nœuds (333 km/h), par un navire jusqu'à une vitesse de 35 nœuds (65 km/h). Sa portée à vitesse maximale est de plus de 12 km quelle que soit la profondeur du sous-marin jusqu'à plus de 1 000 m.

Torpille lourde F21 Artémis ([48])

Naval Group

Offensif

 

Combat naval et sous-marin

- Sur les sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) et les sous-marins lanceurs d’engins (SNLE) ;

- Contre les bâtiments de surface et les sous-marins dont la plupart sont dotés de système de détection et de contre-mesure anti-torpille ;

- le filoguidage permet aux sous-marins de guider les torpilles et d’attaquer des navires ennemis situés à une distance initialement incompatible avec la portée des senseurs des torpilles.

METEOR

MBDA

Offensif et défensif

Longue portée

Combat aérien (air-air)

- nouvelle génération du Beyond Visual Range Air-to-Air Missile system (BVRAAM) ;

- missile à statoréacteur permettant de réguler sa vitesse et de voler sur une grande distance ;

- peut viser de nombreuses cibles allant des avions aux drones en passant par les missiles de croisière ;

- conçu pour répondre aux exigences les plus strictes et capable de fonctionner dans les environnements d’encombrement et de contre-mesure les plus sévères ;

- sur Rafale F3R et F4.

Famille MICA

(missile d’interception, de combat et d’auto-défense)

MBDA

Offensif et défensif

Courte à moyenne portée

Combat aérien (air-air) et défense sol-air (véhicule léger MICA)

- pour le Rafale et les dernières versions des avions de combat Mirage 2000-5 ;

- missile d’interception pour le combat aérien à guidage électromagnétique ou infrarouge ;

- « tire et oublie » ;

- une commande des premiers missiles air-air MICA NG a eu lieu dès 2019. Ce programme de développement et de production a été lancé fin 2018, les premiers tirs (autoguidés) auront lieu en 2023 ;

- dès 2026, sortie de service opérationnel du CROTALE de nouvelle génération : le VL MICA est proposé comme solution intérimaire pour maintenir la capacité sol-air basse couche.

ASTER (15 et 30)

MBDA

Défensif

Moyenne portée

Défense sol/air

 

- L’ASTER 15 est tiré des frégates de premier rang et du porte-avions.

- L’ASTER 30 peut être tiré du porte-avions ou du SAMP/T (sol-air moyenne portée terrestre).

- L’ASTER 30 SAMP/T est un système de défense anti-aérien mobile et anti-missile. Il protège les sites sensibles et les forces déployées contre les menaces de missiles (TBM, stand off, missiles de croisière, ARM) et d’aéronefs. Le système ASTER 30 SAMP/T est conçu pour répondre aux besoins de défense aérienne à moyenne portée (projection de forces, protection de zones à forte valeur et protection de zones).

- La mise en service de l’ASTER B1 NT est prévue à horizon 2027.

- Une nouvelle commande majeure franco-italienne de missiles ASTER 15 et 30 a été actée en février 2023.

Famille Mistral

MBDA

Défensif basse couche (sol-air)

Très courte portée

Combat terrestre : accompagnement des troupes en mouvement ;

Combat naval (Simbad) : autoprotection du porte-avions Charles-de-Gaulle, des frégates La Fayette et de navires de second rang.

 

À partir de 2025, lancement d’un programme successeur du Mistral dont le parc décroîtra à partir de 2030.


   1   

III.   La reconstitution des stocks de munitions suppose la prise en compte par les armées d’enjeux stratégiques, capacitaires et logistiques

La conception, la production et le cycle de vie des munitions s’étalent sur un temps long qui contraste avec la rapidité de la frappe, la vitesse supersonique des missiles et l’attrition tôt venue. Bien qu’après des années de pénurie voire de léthargie, le contexte actuel suscite un sentiment d’urgence à reconstituer nos stocks, ce contraste entre temps de production et temps d’emploi des munitions incite à prendre le temps de la réflexion nécessaire à l’anticipation d’une stratégie de long terme qui aura un impact sur la filière et les stocks de munitions dans les décennies à venir. S’il est impératif d’accentuer la remontée en puissance – déjà amorcée – de nos stocks de munitions, ce recomplètement suppose de prendre en compte des enjeux tant stratégiques (A) que capacitaires (B) et logistiques (C) adaptés aux différentes catégories de munitions.

A.   Des enjeux capacitaires corrélés aux ambitions stratégiques de la France

1.   Des choix capacitaires liés aux hypothèses d’engagement des forces

a.   La nécessité de calibrer les stocks de munitions selon les différentes hypothèses d’engagement

Pour les munitions comme pour tout autre type d’équipement, le format capacitaire des armées dépend des contrats opérationnels et des hypothèses d’engagement envisagés. La reconstitution des stocks de munitions doit tenir compte tant du modèle d’armée français – à vocation défensive, inscrit dans une politique de défense globale intégrant la dissuasion nucléaire – que des ambitions d’engagement de la « puissance d’équilibres » ([49])  que la France aspire à être. Le volume et la variété des stocks de munitions doivent être adaptés aux différents schémas d’engagement – en prenant notamment en considération l’intensité et la durée du conflit, sa localisation, le format de l’engagement interalliés et le type d’adversaire.

b.   Des stocks de munitions adossés au contrat opérationnel des armées : la théorie à l’épreuve des réalités du terrain

Les contrats opérationnels, déterminés dans le Livre Blanc sur la défense et la sécurité nationale, permettent théoriquement de répondre à l’ensemble des engagements : ils ne déterminent pas un plafond de moyens mais dimensionnent les capacités que les armées doivent pouvoir utiliser en fonction des circonstances et sur décision de l’autorité politique. Ainsi, dans le cadre d’un engagement majeur, le Livre Blanc de 2013 – dernier en date – dispose qu’à l’horizon 2025, les forces terrestres « offriront une capacité opérationnelle de l’ordre de 66 000 hommes projetables [disposant] d’environ 200 chars lourds, 250 chars médians, 2 700 véhicules blindés multirôles et de combat, 140 hélicoptères de reconnaissance et d’attaque, 115 hélicoptères de manœuvre et d’une trentaine de drones tactiques » tandis que les forces navales « s’articuleront autour du porte-avions, des sous-marins nucléaires d’attaque, des bâtiments de projection et de commandement, des frégates de défense aérienne et des frégates multimissions » et que « les forces aériennes comprendront notamment 225 avions de chasse (air et marine), ainsi qu’une cinquantaine d’avions de transport tactique, 7 avions de détection et de surveillance aérienne, 12 avions ravitailleurs multirôles, 12 drones de surveillance de théâtre, des avions légers de surveillance et de reconnaissance et 8 systèmes sol-air de moyenne portée. ».

Appliqué concrètement aux munitions, le dimensionnement des capacités correspondant à l’hypothèse d’engagement majeur (HEM) appréhende deux approches différentes selon le type de munition. Il envisage :

- pour les munitions complexes, le nombre de munitions nécessaires pour générer une attrition chez l’adversaire de W cibles fixes, X blindés, Y chasseurs, Z navires ;

- pour les munitions simples, le nombre de munitions nécessaires par jour et par système d’armes pour le combat de haute intensité.

En théorie, les stocks de munitions correspondent à la somme des munitions nécessaires à l’hypothèse d’engagement majeur et à trois années d’entraînement. De ce point de vue, le ministère des Armées considère que les stocks existants sont suffisants pour répondre aux missions habituelles et ordonnées, c’est-à-dire à la situation opérationnelle de référence – qui correspond à la tenue des postures permanentes et à l’engagement dans la durée et simultanément sur trois théâtres d’opération. Cette structuration théorique des stocks objectifs est toutefois à nuancer au regard des stocks réellement détenus, évoluant au gré des approvisionnements, de la consommation et de la péremption des munitions. On peut donc se demander si nos stocks actuels – déjà mis en difficulté par certains aspects de la situation opérationnelle de référence – sont adaptés à un engagement durable dans une intervention majeure, sachant de surcroît que les contours de cette intervention ont évolué avec le durcissement du champ de bataille.

Les rapporteurs tiennent à insister sur le fait que les stocks de l’État ont vocation à être une force de réaction dans un premier temps et que par la suite, les industriels doivent agir pour permettre l’approvisionnement. Le co-rapporteur Vincent Bru estime aussi que les stocks de l’État ne doivent pas être conçus pour un engagement durable et qu’ils ne doivent pas aller jusqu’à retrouver le niveau atteint pendant la guerre froide – c’est là selon lui tout l’enjeu de l’économie de guerre.

c.    Des hypothèses d’engagement à reformuler pour tenir compte des évolutions du contexte stratégique

Les contrats opérationnels et hypothèses d’engagement majeur s’adossent à un Livre Blanc datant de 2013, que n’a pas réactualisé la Revue nationale stratégique de 2022 ([50]). Le durcissement de l’environnement stratégique, ses mutations rapides et le retour de la haute intensité sont autant de facteurs rendant caducs ces schémas et appelant un dimensionnement capacitaire renouvelé. Les stocks doivent notamment gagner en épaisseur pour permettre l’engagement des forces dans la durée et adapter la préparation opérationnelle aux enjeux de la haute intensité, mais également prendre en compte d’autres scenarii aux contraintes logistiques prégnantes.

Selon les éléments fournis par le chercheur Léo Péria-Peigné aux rapporteurs, les différentes hypothèses d’engagement majeur que l’on peut concevoir envisagent des situations géostratégiques de nature différente ayant des conséquences directes sur les besoins en équipements et en munitions :

i.   L’hypothèse « Grand Est » où un membre de l’Alliance atlantique viendrait à être agressé sur le flanc Est

Aux côtés d’alliés de même envergure, la France tiendrait un rôle sensible bien que toujours sous couvert du parapluie américain. Les besoins en matériel et en munitions concerneraient l’ensemble du spectre, même s’ils seraient probablement concentrés sur le bas de spectre – artillerie, blindés, défense antiaérienne locale – dans l’optique d’occuper un front limité.

ii.   L’hypothèse d’une coalition limitée où la France serait nation-cadre d’une coalition sans les États-Unis

En l’absence de soutien américain, la France serait automatiquement propulsée au rang de nation-cadre. La France devrait être capable de soutenir elle-même son propre effort de guerre mais également de venir en appui à des partenaires moins dotés en leur apportant un soutien en munitions, voire en entraînement, en encadrement et en matériel. La France devrait installer un poste de commandement de corps d’armée, fournir des éléments organiques, une division française et alimenter une division internationale, tout en tenant dans le temps. Le besoin en munitions serait ici démultiplié et concernerait l’intégralité du spectre.

iii.   L’hypothèse d’une crise en outre-mer où une puissance étrangère agressait un territoire d’outre-mer

La réponse française à une agression sur l’un de nos territoires d’outre-mer serait très largement fondée sur la Marine nationale et l’armée de l’Air et de l’Espace et supposerait une dotation conséquente en munitions complexes : Meteor, Mica NG pour l’armée de l’Air et de l’Espace et Aster 30 air-air, obus de 76 mm, Exocet MM40 pour la Marine. Les moyens logistiques et de maintenance devraient également être en mesure de parcourir d’importantes distances pour appuyer les forces sur place. Dans cette perspective, la détention d’une flotte de soutien entraînée et capable de procéder à des réparations loin des infrastructures de la métropole revêtirait une importance majeure, d’où la nécessité de ne pas négliger cet aspect du soutien lors des exercices de projection de grande ampleur. Le pré-positionnement de drones armés, requérant peu d’infrastructures et un personnel limité, peut également être envisagé afin de renforcer le potentiel de réponse immédiate de ces territoires.

Proposition n° 1 : Adapter le recomplètement des stocks de munitions à des hypothèses d’engagement renouvelées.

2.   Des besoins accrus en munitions dans le cadre de la préparation opérationnelle

Avant même d’être en mesure de faire face à un conflit de haute intensité, la reconstitution de nos stocks de munitions est une condition sine qua non d’un entraînement quantitativement et qualitativement adapté aux nouvelles menaces. Comme le soulignait la RAND Corporation dans un rapport publié en 2021 ([51]) , la crédibilité des forces françaises est déjà entamée par les défaillances de sa préparation opérationnelle, dues à un manque de temps des personnels, de disponibilité des équipements ou encore aux possibilités limitées de procéder à des tirs d’exercice à munition réelle. Un pilote n’ayant jamais tiré un missile Meteor à l’entraînement ou un équipage de frégate n’ayant pas tiré d’Aster 30 dans des conditions optimales ne saurait être considéré comme correctement entraîné. À ce sous-entraînement chronique s’ajoute l’enjeu du redimensionnement des hypothèses d’engagement de nos forces, qui impose de renouveler les modalités et de relever le volume de leur préparation opérationnelle. Comme le soulignait Léo Péria-Peigné en audition, densifier la préparation opérationnelle nécessite que les forces s’entraînent plus et plus régulièrement, avec un spectre plus large de munitions, mais également en adoptant des scenarii à une échelle plus représentative.

Les rapporteurs jugent donc indispensable de rehausser les stocks de munitions – sur toute la gamme, depuis le petit calibre jusqu'au missile en passant par la roquette – pour soutenir une augmentation globale du volume de l’entraînement des forces. Qui plus est, la complexification de l’environnement de combat requiert une maîtrise accrue des techniques de tir et des armements, que la préparation opérationnelle doit permettre d’acquérir. Alors que le vécu opérationnel des forces françaises demeure relativement éloigné de ce que pourrait être un engagement futur – les nouvelles conflictualités et le durcissement des conflits pouvant désormais les opposer à des adversaires capables de contester les éléments fondamentaux de la supériorité militaire occidentale –, la pratique régulière de manœuvres de grande ampleur s’étalant dans la durée doit permettre aux forces d’optimiser la logistique et l’emploi opérationnels des munitions. Il est donc primordial de s’entraîner dans des conditions aussi proches que possible de celles des opérations, à l’instar de l’exercice Polaris entrepris par la Marine nationale en décembre 2021 ou de l’exercice Volfa organisé par l’Armée de l’air et de l’Espace en octobre 2022.

Les rapporteurs jugent aussi essentiel que les forces s’entraînent à munitions réelles et non exclusivement en simulation ou à l’aide de munitions dites d’entraînement. En raison de leur coût prohibitif, du nombre limité de champs de tir réel dont le gabarit demeure insuffisant pour certaines munitions – l’AASM devant par exemple être tiré principalement en Norvège­ –, le tir des munitions complexes est devenu rare à l’entraînement, chose que déplorent les rapporteurs. Si les systèmes de simulation auxquels sont adossées les munitions complexes et les systèmes d’armes associés offrent des solutions avantageuses pour compenser le manque de pratique et les contraintes de tir souvent lourdes, le recours à la simulation échoue cependant pour le moment à reproduire la complexité de l’environnement. De même, le réalisme de l’entraînement et la crédibilité opérationnelle des forces doivent inviter à privilégier l’utilisation de munitions « bonnes de guerre » plutôt que des munitions d’entraînement. La mise en œuvre des munitions spécifiques d’entraînement peut être significativement différente de celle des munitions réelles, le retour d’expérience et le niveau d’entraînement pouvant être affectés. Les légères variations techniques de ces dernières recèlent un risque de déstabilisation des forces lors de leur déploiement opérationnel. En outre, ces munitions dites d’entraînement peuvent susciter des surcoûts importants dus aux développements spécifiques, aux petites séries de production et aux mesures de sécurité supplémentaires : les munitions d’entraînement, dotées de mesures de sécurité supplémentaires, peuvent coûter aussi cher que leur munition de référence pour le petit et le moyen calibres, et jusqu’à cinq fois plus cher pour les munitions complexes. Les rapporteurs invitent donc à un usage raisonné de ces munitions d’entraînement, d’autant plus qu’un usage plus systématique des munitions « bonnes de guerre » à l’entraînement permettrait de renouveler régulièrement les stocks selon une logique vertueuse de flux.

En un mot, la perspective du durcissement des conflits et notamment de la haute intensité rend indispensable l’entraînement à armements réels. Les rapporteurs insistent sur la nécessité d’intégrer ces impératifs dans la détermination du besoin qu’effectuent les armées dans le cadre de leur analyse de construction capacitaire et, a fortiori, dans la construction budgétaire. Les rapporteurs estiment que, s’agissant des munitions complexes, cette préconisation ne doit pas entraîner des coûts budgétaires excessifs. Ils s’interrogent aussi sur le manque de dotations en munitions de petit calibre dont souffrent les forces armées dans le cadre de leur entraînement.

Proposition n° 2 : Favoriser l’utilisation de munitions réelles dans le cadre d’une préparation opérationnelle intensifiée.

B.   Une reconstitution des stocks de munitions qui doit être cohérente sur le plan capacitaire

1.   Une appréhension globale de la cohérence capacitaire entre les trois armées

a.   Des besoins en munitions distincts selon les armées

Chaque armée motive ses besoins en munitions selon sa propre logique, fondée à la fois sur la nature de ses opérations et sur les contraintes liées aux milieux dans lesquels elle opère. En outre, si l’armée de Terre tire la majorité de ses munitions à l’entraînement, la Marine et l’armée de l’Air et de l’Espace consomment quant à elles majoritairement leurs stocks en opérations extérieures. La spécificité des missions de chaque armée détermine donc des besoins différents que renforce la perspective de la haute intensité.

La consommation de munitions de l’armée de Terre est celle qui se rapproche le plus d’une logique de flux : elle est calibrée sur des abaques de consommation théorique journalière propres à chaque armement. Ces abaques sous-tendent l’estimation des besoins et constituent un levier d’optimisation des stocks via leur adaptation aux hypothèses d’engagement.

La Marine nationale dispose quant à elle d’une grande variété de munitions – de la munition d’infanterie aux missiles – dont certaines sont spécifiques aux milieux sous-marin, naval et aéronaval. Structurant sur le plan doctrinal, l’enjeu soulevé par les munitions de la Marine réside dans les limites du recomplètement à la mer : une fois les amarres larguées, un bâtiment doit faire avec le stock dont il dispose à bord. L’expression du besoin découle donc d’une logique de dotation en fonction de chaque navire composant la force navale. Le lieutenant-colonel Raphaël Briant ([52]) rappelle que « dans l’hypothèse d’un engagement majeur, la force navale peut intégrer jusqu’à huit frégates de premier rang, deux sous-marins, le porte-avions et deux bâtiments de projection et de commandement, ce qui représente un peu plus d’une centaine de missiles de croisière naval (MdCN) et quelques centaines de missiles de défense anti-aérienne. »

Hautement technologique, l’armée de l’Air et de l’Espace dispose surtout de munitions complexes – et coûteuses –, dont l’évaluation du besoin se fonde non pas sur une logique de flux mais sur un volume de cibles à détruire : « il s’agit de disposer de suffisamment de missiles et de bombes pour détruire la capacité de combat d’un adversaire et se protéger de ses attaques. ([53]) » Dans le cas des missions défensives, dès lors que la frappe dépasse la portée visuelle, la méthodologie du combat aérien impose, selon le risque, de tirer plusieurs missiles sur une même cible. Le volume théorique nécessaire de munitions complexes est donc exponentiel et pourrait rapidement atteindre, notamment dans le cas d’un conflit de haute intensité, des ordres de grandeur de plusieurs centaines de missiles pour les premiers jours du conflit. Il en va de même des missions offensives dans des environnements non-permissifs, durant lesquelles les missiles air-air seraient tirés par dizaines au cours d’un même raid. S’ajoute à cette équation complexe un potentiel de vol des munitions limité, destiné à assurer leur bon fonctionnement. Les besoins en munitions de l’Armée de l’Air et de l’Espace conjuguent donc volumes significatifs et haute technologie, vectrice de coûts élevés.

b.   Une vision transverse s’inscrivant dans une logique d’effets militaires intégrés

En dépit des différences de physionomie entre les trois armées, la démarche de cohérence capacitaire prend en compte une capacité dans son écosystème et en garantit la construction au regard des effets militaires à atteindre. Face à des menaces de plus en plus diversifiées, les armées conçoivent dorénavant leur système de défense à l’échelle des capacités, à l’instar de la capacité de combat aérien, et non plus programme par programme. On l’a vu supra ([54]), la division « cohérence capacitaire » de l’état-major des armées est garante de cette vision transverse des capacités munitionnaires de nos forces, reposant sur une approche par les effets militaires et non par les capacités prises individuellement et isolément. Conduisant des études impliquant l’ensemble des armées, directions et services dans une logique de cohérence globale, cette division peut ainsi préconiser des transferts de munitions entre armées, destinés à optimiser les durées de vie, à favoriser la préparation opérationnelle et à limiter les coûts de démantèlement des munitions proches de la péremption. L’état-major des armées peut en effet décider de renforcer les dotations d’une force opérationnelle par une mise à disposition de munitions en provenance d’une autre armée ; c’est notamment le cas entre la Marine nationale et l’Armée de l’Air et de l’Espace pour des munitions du Rafale.

Cette approche en termes de cohérence capacitaire garantit la continuité entre les différentes capacités munitionnaires grâce à une appréhension globale équilibrant les besoins opérationnels, la réalité physico-financière et les contrats opérationnels : elle synthétise les différentes exigences capacitaires auxquelles se heurte l’impératif de reconstitution des stocks. Outre la logique d’effets militaires intégrés, elle prend en compte une doctrine en évolution constante – car adaptée aux mutations de l’environnement – et une organisation sous-jacente complexe (chaînes de production, qualifications des munitions, soutien, etc.), afin d’assurer soutien et entraînement des forces. L’approche capacitaire assure l’indispensable cohérence entre systèmes d’armes et stocks de munitions dans une logique d’effets militaires intégrés non seulement au niveau interarmées mais aussi au niveau interalliés, en particulier dans le cadre otanien. Cette approche vise enfin à garantir un juste équilibre capacitaire entre les différents milieux d’affrontement, dans une logique multi-milieux multi-champs.

Cette vision d’ensemble est d’autant plus importante que la variabilité des contextes d’engagement impose de disposer d’une large gamme de munitions aux effets variés. Comme le rappelle le lieutenant-colonel Raphaël Briant ([55]) , au cours de l’opération Harmattan, le ciblage en milieu urbain a conduit l’Armée de l’Air à se doter en urgence de bombes guidées à effet collatéral réduit tandis que la perspective de la haute intensité impose de disposer d’armements avec une puissance de feu importante pour percer des cibles durcies.

2.   Une cohérence indispensable entre stocks de munitions et vecteurs disponibles

Si le niveau des stocks de munitions est préoccupant, le problème se double d’un manque de vecteurs associés. Si une arme sans munition est superflue, l’inverse est également vrai : le stock de munitions doit être adapté au nombre de vecteurs disponibles – davantage qu’au volume total de vecteurs dont disposent les forces – ainsi qu’au temps nécessaire pour générer des flux suffisants en cas de crise.

Le cas des aéronefs est à cet égard significatif. Le format de la flotte d’aviation de chasse de l’armée de l’Air et de l’Espace ainsi que de celle de la Marine, insuffisant aux yeux des rapporteurs, se double d’un manque d’épaisseur des équipements missionnels (pods de désignation laser de nouvelle génération, radars à antenne active AESA, capteurs infrarouge…), pourtant essentiels au succès des missions de combat. Or, ces équipements sont indispensables au largage de bombes air-sol par guidage laser. Le manque de missiles, que les rapporteurs jugent notoire dans l’armée de l’Air, doit donc être mis en regard d’une cohérence d’ensemble qui semble faire défaut à tous les niveaux.

L’artillerie est également sujette à ce problème. Le chercheur Léo Péria-Peigné a ainsi souligné en audition que le nombre d’obus de 155 mm de type CAESAR dont disposait la France – réduit au regard des volumes tirés quotidiennement en Ukraine – se doublait d’un nombre réduit de canons CAESAR détenus par nos forces au lendemain des dons à l’Ukraine : il s’élève au total à une cinquantaine, soit moins de quarante canons disponibles. Ce constat de manque est encore plus vrai pour les lance-roquette unitaires (LRU), dont le nombre d’unités opérationnelles dans les forces françaises ne dépasse certainement pas la dizaine. Accroître considérablement les stocks de munitions destinées à des systèmes dont la disponibilité est échantillonnaire n’accroîtrait in fine l’utilité des moyens existants que de manière marginale et permettrait surtout de durer dans le temps en cas de conflit.

Ajoutons à cela que la robustesse des vecteurs d’artillerie est très incertaine relativement à la cadence de tir qu’imposerait la haute intensité. Ainsi, les PzH 2000 envoyés par l’Allemagne aux Ukrainiens se sont avérés incapables de supporter des cadences supérieures à une centaine de coups quotidiens sur une durée prolongée, sans risquer une explosion du canon ou de la culasse, mettant par conséquent les équipages en danger. Si l’état des AuF1 et le nombre de tubes de rechange interroge, la capacité des CAESAR, censés devenir la clef de voûte de l’artillerie française – à encaisser une utilisation intense soulève aussi question. La constitution de stocks de munitions de 155 mm doit donc aller de pair avec celle d’un stock de pièces de rechange afin de permettre la permanence du feu, dans une logique de cohérence capacitaire.

Enfin, l’état des stocks de charges propulsives, utilisées pour l’artillerie de gros calibre 155 mm CAESAR ou AUF1, est lui aussi préoccupant. L’insuffisance de charges propulsives – les forces en acquièrent en moyenne 20 000 par an pour l’entraînement, ce qui équivaut à une semaine de consommation observée en Ukraine – risque de rendre rapidement inutilisables les munitions et donc inutile la constitution de stocks de munitions. Cette préoccupation est renforcée par la logique de flux qui sous-tend le modèle industriel de production d’Eurenco, impliquant des délais de production importants (18 à 24 mois). Il est impératif de porter un effort significatif sur ce segment, parallèlement à la reconstitution de nos stocks de munitions à proprement parler.

La cohérence entre munitions et vecteurs suppose également d’anticiper et d’assurer la transition des munitions vers les systèmes d’armes de nouvelle génération.

3.   Le cas particulier de la haute intensité : un panachage indispensable entre masse et technologie

a.   Les nouveaux contours de l’environnement stratégique et le retour d’expérience d’Ukraine interrogent nos choix capacitaires entre masse et technologie

L’adoption d’un modèle d’armée fondé sur l’excellence échantillonnaire a favorisé sa sophistication au détriment de la masse. Les nouveaux contours de l’environnement stratégique interrogent sur la pertinence de ce choix et appellent un compromis renouvelé, davantage adapté aux types d’engagements que pourraient affronter nos forces dans le futur : alors que le rattrapage technologique de certains pays remet en question la supériorité occidentale sur le champ de bataille et que d’autres puissances misent sur des capacités plus rustiques pour gagner en masse, le retour de la haute intensité renouvelle les conditions de l’arbitrage entre rusticité et technologie.

Le caractère central de la masse et la très forte attrition en munitions comptent incontestablement parmi les premiers constats tirés du retour d’expérience d’Ukraine : on l’a vu supra ([56]) , au plus fort des assauts, les forces russes utilisaient quotidiennement plusieurs dizaines de milliers d’obus de gros calibre. Toutefois, ce retour d’expérience met en lumière non pas le dilemme entre masse et technologie mais plutôt leur indispensable complémentarité. Sur le champ de bataille ukrainien, des systèmes très anciens présents en grandes quantités, combattent aux côtés d’autres systèmes beaucoup plus modernes mais en quantité plus réduite : Léo Péria-Peigné le souligne ([57]) , « des drones d’observation dirigent des obusiers de la Seconde guerre mondiale tandis que des fantassins dotés d’équipements de protection dernier cri manipulent des mitrailleuses du milieu du XXème siècle. Bien utilisés, les lance-roquettes MARS/HIMARS, plus sophistiqués que leur équivalent d’origine soviétique, ont eu un effet dévastateur combinant précision, mobilité et portée là où les milliers de canons russes ont fait d’énormes dégâts et consommé des millions d’obus pour des effets variables. »

b.   L’indispensable panachage ou « high/low mix »

Si les modèles d’armée et les configurations géopolitiques des belligérants et de notre pays sont fondamentalement différents – la France étant une puissance nucléaire, membre de l’OTAN, en paix sur ses frontières métropolitaines –, on peut néanmoins tirer des enseignements du conflit ukrainien dans la perspective d’un engagement de haute intensité dans lequel la supériorité des forces armées occidentales serait contestée et certainement limitée dans l’espace et dans le temps. La question de l’arbitrage entre masse et technologie n’est donc pas pertinente dans la mesure où les deux sont nécessaires et distincts au cours de la guerre.

La haute intensité se caractérise par une temporalité en dents de scie, conjuguant niveaux tactique et stratégique : les munitions intelligentes, rares mais performantes et capables de traiter définitivement une cible, sont indispensables au début du conflit pour remporter d’emblée l’ascendant sur l’adversaire tandis que les munitions de saturation, aux performances individuelles limitées mais disponibles en masse, doivent ensuite prendre le relais pour durer dans le temps. La complémentarité entre munitions de saturation et munitions intelligentes met en évidence la nécessité d’assurer un panachage de munitions pertinent, que ce soit pour l’artillerie, la défense anti-char ou la défense anti-aérienne : il faut suffisamment de munitions simples pour traiter 90 % ([58]) des objectifs, associées à une large gamme de munitions complexes destinées à traiter les 10 % trop résistants pour les munitions simples. Les rapporteurs estiment que ce panachage est essentiel pour ne pas gaspiller des munitions complexes et coûteuses sur des cibles à faible valeur ajoutée.

c.   Retrouver de la masse et consentir à une certaine sobriété technologique

L’importance de la technologie reste vitale pour les armées françaises, dont les doctrines d’emploi de la masse diffèrent radicalement de celles du modèle d’armée russo-ukrainien. Dans l’optique de « gagner la guerre avant la guerre », selon les termes du chef d’état-major des armées, la technologie est nécessaire pour surclasser nos adversaires à l’étape de la compétition stratégique.

Cela étant dit, du fait du modèle d’armée « bonsaï » adopté sous la contrainte des réductions budgétaires, une part importante de nos munitions couvre le haut du spectre : outre des stocks en quantités réduites, n’avoir que des munitions intelligentes oblige à traiter toutes les cibles avec ces dernières, y compris quand leur niveau de performance est sans commune mesure avec le traitement requis par la cible. Cela conduit parfois à une asymétrie entre cible et moyen utilisé pour la traiter : les chars, avions et navires adverses seront neutralisés avec les mêmes munitions que de simples véhicules blindés, drones ou barquasses, ce qui n’est pas soutenable dans un contexte de haute intensité. Un effort massif sur les munitions de bas du spectre doit permettre de favoriser des solutions moins sophistiquées dès lors que les critères de performance et de complexité ne sont pas déterminants pour acquérir la supériorité opérationnelle, adaptant ainsi notre arsenal aux formes d’engagement à venir.

D’autre part, l’obtention d’une masse critique suffisante passe également par une appréhension équilibrée de la technologie et requiert de consentir à une certaine sobriété en la matière. « La recherche d’une zone d’efficience opérationnelle où se rencontrent l’efficacité technologique et le volume de forces nécessaire est fondamentale » précise Xavier Toutain ([59]). Dans la mesure où l’acquisition de matériels coûteux conduit à des stocks échantillonnaires, les rapporteurs jugent nécessaire d’envisager une révision à la baisse des (sur)spécifications exigées par les forces – dont l’exemple du missile moyenne portée (MMP) ([60]) est emblématique – afin de réduire les coûts des munitions complexes.

Il ne s’agit pas ici – les rapporteurs tiennent à le souligner – de privilégier les munitions de masse au détriment des munitions de haut du spectre, elles-mêmes en quantités très insuffisantes, mais bien de rehausser les stocks de munitions à tous égards en adaptant le mix capacitaire aux exigences d’un terrain qui se durcit. L’essentiel est bien dans la perspective de la prochaine loi de programmation militaire, de trouver un équilibre.

Proposition n° 3 : Favoriser le panachage des munitions dans la remontée en puissance des stocks en mettant l’accent sur le besoin de masse.

C.   La reconstitution des stocks et le stockage des munitions sont soumis à de multiples contraintes logistiques

Outre la projection des besoins opérationnels à venir et l’impératif de cohérence capacitaire, la reconstitution de nos stocks doit tenir compte des contraintes logistiques pesant sur le cycle de vie des munitions : la nature même des objets pyrotechniques – combinant périssabilité et dangerosité – impose un cadre strict aux activités logistiques attenantes aux munitions, un cadre qui conditionne nos capacités de remontée en puissance en termes de normes, de coûts, de temps et de personnels.

1.   Une sécurité pyrotechnique qui repose sur un cadre normatif strict

a.   Les munitions, objets dangereux par nature

Les objets pyrotechniques peuvent être soumis à trois grands types de réactions : la combustion, dont les effets sont essentiellement thermiques mais dont les résidus peuvent être toxiques, la déflagration, soit la combustion d’un corps associée à son explosion combinant les effets thermiques de la combustion à un effet de souffle et, enfin, la détonation associant onde de choc et onde de combustion. Le déclenchement involontaire de ces réactions peut intervenir à la suite de phénomènes variés affectant différemment les matériaux énergétiques et l’architecture interne des dispositifs pyrotechniques : outre les facteurs humains, il peut s’agir de phénomènes mécaniques – tels que des chocs, des frictions ou des réactions en chaîne –, chimiques – chaleur intense, vieillissement, contact avec l’eau – et électromagnétiques.

Dangereuses, les activités pyrotechniques sont par nature porteuses d’un risque équivalent au produit de la probabilité et de la gravité. C’est la raison pour laquelle tous les objets pyrotechniques sont manipulés avec une précaution considérable, inscrite tant dans la culture du risque que dans le corpus normatif qui encadre au quotidien les activités pyrotechniques.

b.   L’impératif de sécurité commande les normes et la culture pyrotechniques

Le domaine des poudres, produits pyrotechniques et explosifs est soumis à une réglementation précise et ancienne régissant l’intégralité du cycle de vie de ses objets, de leur fabrication à leur utilisation/démantèlement en passant par leur stockage et leur transport. Un corpus normatif particulièrement dense et précis, issu de normes législatives et réglementaires nationales et internationales – européennes et otaniennes –, s’y applique dans des domaines distincts : la protection de l’environnement liée aux activités de mise en œuvre et de stockage, la sécurité liée à la production, au stockage, à l’emploi et au transport, la sûreté dans la production, la vente, l’acquisition et le transport et enfin, la sécurité visant à protéger les travailleurs.

Afin d’assurer la sécurité des biens et des personnes et de les prémunir du risque que recèlent les munitions, les activités pyrotechniques relevant du ministère des Armées ([61]) sont tenues de respecter principalement les réglementations du code du travail ([62]), du code de l’environnement ([63]), du code minier et du code de la Défense. Les sites pyrotechniques entrent dans le champ d’application de la réglementation des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), dérivée de la directive européenne SEVESO, bien que ce régime ait été adapté aux activités militaires : les décisions d’exploitation et contrôles des ICPE sont effectués en interne et certaines ICPE bénéficient d’un régime particulier.

Source : ministère des Armées

c.   La sécurité entraîne des contraintes logistiques pour le stockage des munitions

Plusieurs types d’infrastructures de stockage sont gérés par le SIMu pour conserver les munitions dans des conditions optimales, tant sur le plan de préservation du potentiel que de la sécurité : igloos, magasins enterrés ou semi-enterrés, aériens, structures métallo-textiles, poudrières, shelters et cavernes. La modernisation du SIMu se poursuit afin d’optimiser la sécurité, la sûreté et la préservation des produits stockés : les magasins en tôle doivent être progressivement remplacés par des igloos, tandis que les clôtures doivent être rénovées et équipées de moyens vidéos. Les conditions de stockage des munitions respectent des seuils très élevés de normes, qui, si elles sont indispensables pour assurer la sécurité des personnels, sont également contraignantes en termes d’espace et de temps. Les rapporteurs estiment que la remontée en puissance des stocks devrait impérativement intégrer la prise en compte de cet aspect logistique et l’anticiper si la mise en service de nouvelles capacités devait être envisagée.

La capacité de stockage offerte par les quatorze dépôts du SIMu, d’environ 107 000 tonnes dont 30 000 tonnes de matières actives, est aujourd’hui jugée suffisante par les armées pour répondre aux exigences des contrats opérationnels et absorber la remontée des stocks. Néanmoins, les rapporteurs appellent l’attention sur l’avantage qu’offriraient des capacités de stockage de dévolution en cas d’aléas tels que des troubles sur le territoire national. En effet, les polygones d’isolement de dépôts récemment fermés tels que Connantray, Salbris ou Billard sont toujours en vigueur, ce qui signifie que ces dépôts pourraient être réactivés sous faible préavis. Préserver ces capacités de stockage contribuerait à consolider la résilience de la filière.

d.   Privilégier une approche de gestion du risque

Les armées sont soumises à de nombreuses normes garantissant un très haut niveau de sécurité et de performances des systèmes d’armes et de munitions. L’intégralité des interlocuteurs auditionnés au sein des forces a souligné l’importance de ces normes offrant des garanties de sécurité et de protection vis-à-vis des personnels et augmentant par là même l’acceptabilité des munitions par la population.

Néanmoins, ces normes répondent à des exigences résultant souvent d’accidents intervenus dans le domaine industriel civil et applicables en l’état aux militaires. Or, le cadre de ces activités militaires permet par nature d’apporter des garanties en matière de maîtrise du risque selon le principe de la « défense en profondeur » pour reprendre les termes de l’état-major des armées. Les munitions stockées au sein des dépôts du SIMu sont soumises à des conditions particulièrement précautionneuses : cycle préalable de qualification par la DGA, conditionnement dans des emballages spécifiques, stockage dans des installations durcies et adaptées aux risques pyrotechniques au sein de zones de défense hautement sensibles (ZDHS) dans lesquelles n’évolue que du personnel qualifié. Les risques ne sont donc pas similaires à ceux d’une usine de production de matière pyrotechnique civile, pour lesquelles a été pensé le cadre normatif général. Le référentiel est donc peu adapté aux missions des armées.

C’est la raison pour laquelle les rapporteurs plaident pour que les exigences normatives et réglementaires soient mieux proportionnées aux enjeux de sécurité réels. Ce d’autant que les normes françaises ont tendance à être plus contraignantes que celles appliquées par d’autres pays de l’OTAN : c’est par exemple le cas du code du travail, plus exigeant que la norme OTAN AASTP-1 ([64]) , avec un impact direct sur la densité des munitions stockées. Le référentiel OTAN précisément, appliqué par de nombreux partenaires, pourrait nourrir cette réflexion dans une démarche de simplification.

La simplification des normes semble encore plus nécessaire dans la perspective du combat de haute intensité, pour lequel l’approche doit être proportionnelle au risque global et non uniquement mesurée au regard d’une mise en œuvre en temps de paix. Il convient donc de privilégier une logique de maîtrise du risque en adaptant la réglementation aux enjeux, afin d’équiper les forces avec les solutions les plus adéquates dans une prise de risque acceptable dans l’emploi, tout en assurant le meilleur équilibre entre gains opérationnels, gains financiers et gains calendaires. Les rapporteurs reviennent sur cet aspect dans le IV du présent rapport.

2.   Une périssabilité qui doit être anticipée et optimisée

a.   Échelonner les commandes

Contrairement aux autres équipements des forces, les munitions présentent la particularité d’être à la fois non réutilisables et périssables. D’une part, la préparation opérationnelle et les opérations alimentent un flux de consommation inégal mais continu. D’autre part, les matières pyrotechniques sont soumises à péremption, au-delà de laquelle la sécurité et l’efficacité des munitions ne sont plus garanties. Il est donc nécessaire d’assurer un renouvellement régulier du stock afin de compenser ce flux de consommation : c’est précisément le rôle de la stratégie de constitution et d’entretien du stock, mise au point lors de la phase de préparation des opérations d’armement, et destinée à lisser la constitution et l’entretien du stock – en cohérence avec le volume de système d’armes détenu et leur place dans le modèle global d’armées comme évoqué précédemment.

Cela étant dit, si le renouvellement est nécessaire, il doit être étalé dans le temps : une remontée en puissance trop rapide pourrait s’avérer contre-productive, puisque les munitions arriveraient toutes à péremption en même temps. Il est donc nécessaire d’inscrire une stratégie de montée en puissance dans le temps long, en échelonnant les commandes et les livraisons. Cet étalement est indéfectiblement lié à l’entretien de capacités de production adaptées et soutenues par des commandes régulières, évoqué infra.

b.   Optimiser le maintien en condition opérationnelle des missiles

Le soutien des munitions complexes représente une part non négligeable du budget total qui leur est affecté : à titre d’exemple, un flux annuel moyen de 2 millions d’euros est dépensé pour assurer la maîtrise technique et le maintien en condition opérationnelle (MCO) des missiles SCALP, tandis que ce flux atteint les 7,5 millions d’euros pour la famille des EXOCET. Compte tenu de ces coûts en apparence élevés, les bénéfices du MCO doivent être valorisés : les missiles alliant une densité technologique très élevée et des matériaux au caractère vital, leur profil de vie (conditions de stockage, conditions et durée d’emport) peut avoir un impact significatif sur leur vieillissement. Le maintien en condition opérationnelle, grâce à un suivi personnalisé des munitions, répond donc à plusieurs objectifs : anticiper le vieillissement prématuré de pièces fortement sollicitées par les opérations extérieures, corriger les problèmes techniques susceptibles d’affecter la performance ou la sécurité des missiles voire prolonger les produits au-delà de leur durée de vie spécifiée.

Les rapporteurs jugent nécessaire d’optimiser le MCO des missiles en améliorant la disponibilité des parcs. Un partage mieux équilibré des activités de maintenance des munitions complexes entre les industriels et le SIMu permettrait, en confiant aux forces davantage d’interventions techniques, de limiter les nombreuses pertes de jouissance de munitions liées à leur transit vers les sites industriels. Dans l’optique d’un conflit, le maintien en régie d’une capacité de MCO, même partielle, assurerait également l’acquisition ou la préservation de savoir-faire aussi indispensables en opération que nécessaires à la fidélisation des personnels. Toutefois, cette piste de réflexion partagée par les rapporteurs avec l’état-major des armées et la DGA doit être nuancée, compte tenu du haut niveau technologique et industriel requis pour le MCO. Ce dernier est parfois difficilement réalisable par les forces, dont les moyens demeurent limités. C’est pourquoi les rapporteurs proposent de prévoir systématiquement dans les contrats de MCO des clauses stipulant un seuil minimal de disponibilité des missiles, comme cela se fait déjà pour certains d’entre eux.

Les rapporteurs jugent également opportun que, lorsque c’est possible, les industriels assurent le MCO des munitions au plus près des opérations et sur les bases projetées, ce qui éviterait des allers-retours desdites munitions sur leur site de production.

Proposition n° 4 : Réinternaliser le maintien en condition opérationnelle des missiles au sein des forces lorsque c’est possible et systématiser les engagements en seuil de disponibilité dans les contrats de maintien en condition opérationnelle.

c.   Améliorer la prise en charge de la fin de vie des munitions

La périssabilité des munitions impose de consacrer une part importante de la logistique à leur élimination en fin de vie. Dans le cas des munitions de petit calibre, la préparation opérationnelle doit permettre des rotations entre lots, débouchant sur des flux vertueux de munitions à même d’entretenir un renouvellement des stocks. La problématique concerne davantage les munitions complexes : il est indispensable de démanteler ces munitions lorsqu’elles sont arrivées en fin de vie, à la fois pour libérer de l’espace de stockage inutilement obéré mais surtout pour ne pas risquer la dégradation de leurs composants, qui complexifierait et renchérirait in fine le coût d’élimination, comme l’ont expérimenté les armées avec les missiles CROTALE stockés à Avord et déclarés intransportables.

Le marché d’élimination – confié à MBDA pour certains missiles sensibles ou externalisé via l’agence de l’OTAN NATO Support and Procurement Agency (NSPA) – représente une contrainte financière à prendre en compte, d’autant plus qu’elle croît à la faveur de l’augmentation des coûts de traitement du démantèlement des munitions complexes. Cette augmentation des coûts intervient alors même que plusieurs missiles – MICA, MAGIC2, SM1 – et corps de bombe arrivent en fin de durée d’exploitation et devront être démantelés dans les années à venir. Représentant 3 % du budget du SIMu en 2020 et 2021, l’élimination des munitions a atteint 12 % de ce même budget en 2022. À titre d’exemple, le budget pour 2023 finance le démantèlement des premiers MICA et MAGIC2, à hauteur respectivement de 6,7 et 6,3 millions d’euros tandis que les coûts de démantèlement du SCALP à horizon 2030 sont estimés à 60 millions d’euros. Le coût moyen de l’élimination d’une tonne de munitions simples est estimé à 1 338,08 euros et atteint 147 310, 21 euros pour les munitions complexes.

Dans ce contexte, les rapporteurs s’interrogent sur le paradoxe qu’il y a à démanteler au prix fort des missiles alors même que les forces souffrent d’une préparation opérationnelle déficiente, particulièrement au niveau des tirs réels. Il est donc souhaitable de promouvoir un flux entre dotations d’entraînement et dotations de temps de paix lorsque cela est possible, afin de favoriser l’élimination des munitions en fin de vie via des tirs réels.

IV.   L’intensification des flux de production de munitions est un complément indispensable à la reconstitution des stocks dans une optique d’économie de guerre

 Dans un contexte global de durcissement de l’environnement opérationnel, le besoin de masse et d’épaisseur rendu évident tant par le retour d’expérience du champ de bataille ukrainien que par les récents exercices de haute intensité menés par les armées – de type Polaris ou Volfa – met en lumière l’indispensable continuité entre stocks et flux. Les stocks de munitions doivent permettre aux forces, sous faible préavis, de prendre l’ascendant opérationnel tout en faisant face à une consommation élevée, assumant ainsi un rôle de « tampon » avant que la production industrielle ne prenne le relais au soutien des armées.

 

 Cependant, cet impératif s’est heurté jusqu’à présent à l’incapacité de notre industrie – héritière de décennies de « dividendes de la paix » – à produire et à livrer ces munitions dans des délais raisonnables en temps de guerre. L’outil de production semble même inadapté au temps de la contestation, comme l’illustre le laborieux processus de recomplètement de nos stocks rendu nécessaire par nos cessions de matériels aux forces ukrainiennes. Les délais entre la commande et la livraison des munitions élaborées parlent d’eux-mêmes : de 10 à 20 mois pour les obus de 155 mm simples, de 24 à 36 mois pour les obus de 155 mm BONUS, d’environ 24 mois pour les missiles MMP et les kits AASM, de 36 mois pour un Meteor, et jusqu’à 4 à 5 ans pour un Exocet. Ce cycle de production excède largement les délais de réactivité imposés aux armées en cas de crise de haute intensité.

 

 Il s’agit donc de réadapter la base industrielle et technologique de défense (BITD) française aux exigences d’une économie de guerre, en lui donnant les moyens de gagner en agilité et en résilience. Il est non seulement nécessaire de garantir la soutenabilité économique des entreprises munitionnaires de notre BITD en venant en appui à leur modèle économique singulier (A), mais également indispensable de réviser la structure du modèle industriel pour accroître de façon globale sa capacité à augmenter les cadences de production sous un préavis limité (B) sans pour autant sacrifier une indispensable anticipation de l’avenir (C).

A.   Garantir la soutenabilité économique des entreprises munitionnaires, un enjeu de souveraineté nationale

1.   Un modèle économique mis à l’épreuve par les « dividendes de la paix » qui a su s’adapter en développant d’autres atouts

a.   La dualité civilo-militaire, un modèle économique présentant plusieurs avantages

La dualité civilo-militaire qui caractérise un grand nombre des entreprises de la BITD garantit fortement leur stabilité économique. Elle est synonyme de complémentarité conjoncturelle, amortissant les aléas et chocs auxquels est soumise l’industrie civile, comme lors de la crise sanitaire de 2020. Le caractère contra-cyclique de l’industrie de défense, particulièrement dans le secteur de l’aéronautique, garantit donc la résilience de ces entreprises.

En outre, cette complémentarité permet de gagner en excellence industrielle et technologique : elle favorise le croisement des savoirs pour doper les capacités d’innovation, faisant ainsi bénéficier au segment militaire des investissements réalisés dans le domaine civil.

b.   L’export, garantie indispensable de soutenabilité permettant de maintenir l’outil industriel de production en cas d’absence de commandes nationales

Héritiers de choix collectifs dimensionnant au plus bas les commandes de munitions à la faveur des « dividendes de la paix », tous les industriels auditionnés par la mission d’information ont souligné le caractère crucial de l’export pour leur modèle économique, ce dernier assumant une part non-négligeable, voire majoritaire – 75 % chez Nexter Munitions – de leur chiffre d’affaires. Les munitions ayant été reléguées au rang de variable d’ajustement dans les précédentes lois de programmation militaires, les besoins nationaux ne suffisent pas à eux seuls à maintenir, dans des conditions de compétitivité acceptables, les outils de production du moyen et gros calibres ainsi que des missiles. Les succès obtenus à l’exportation ([65]) , outre qu’ils renforcent l’influence française à l’étranger, sont gage de résilience pour nos entreprises munitionnaires.

 

Missile

Industriel

Pays utilisateurs

Perspectives

Mistral

MBDA

Les différentes versions du missile Mistral ont été exportées dans plus d’une trentaine de pays de tous continents.

Le système d’arme Mistral est en service dans 19 pays actuellement. Ces pays font partie notamment d’un club utilisateur se réunissant tous les deux à trois ans.

Les derniers pays à avoir acquis cette capacité sont notamment l’Espagne, la Serbie, la République de Macédoine du Nord. La Croatie est en train également de finaliser l’acquisition de cette capacité.

D’autres prospects existent : Roumanie et Canada notamment.

 

Milan

MBDA

Le missile Milan a été exporté dans une quarantaine de pays depuis sa mise en service. Il a été produit sous licence par BAe Dynamics au Royaume-Uni et Bharat Dynamics Limited en Inde notamment. Il est encore en service dans une dizaine de pays.

Ce missile filoguidé n’est plus produit. Il est remplacé en France par le missile moyenne portée Akeron MP.

MMP (Akeron MP)

MBDA

France, Belgique, Luxembourg et Suède

Coopération avec la Suède en cours. Prospects en cours et à venir au Moyen-Orient, Asie et en Europe

Artillerie (105 et 155 mm)

Nexter Munitions

Clients CAESAR : KSA, Belgique, Maroc, République Tchèque, Danemark, Thaïlande et Indonésie.

Autres : Etats-Unis, Allemagne, Italie, Espagne, Finlande, Pologne et Suède.

Plusieurs prospects CAESAR en cours en Europe et Amérique du Sud.

Char (120 mm)

Nexter Munitions

Leclerc : EAU et Jordanie.

Autres : Maroc, Belgique

Rénovation à mi-vie du Leclerc.

Source : Direction générale de l’armement

Indispensable à la soutenabilité économique des entreprises munitionnaires, l’export permet de dégager des marges pour investir ensuite dans la recherche-développement mais avant tout de maintenir l’outil industriel de production, c’est-à-dire les chaînes de production et les compétences associées. Le MISTRAL est à cet égard un cas d’école : développé pour et avec les forces françaises grâce au marché de 2005 dont les livraisons se sont étalées entre 2011 et 2015, il n’a plus été commandé par la France depuis cette date. Ce sont les nombreuses exportations à destination des pays du Golfe, d’Asie ou d’Europe qui ont permis d’entretenir pendant sept ans les lignes de production du missile jusqu’aux nouvelles commandes passées en 2022 par la DGA qui, de fait, n’aura pas à financer un redémarrage des chaînes industrielles.

 Les entreprises munitionnaires, comme les autres industriels français, bénéficient d’un soutien à l’export appuyé de la DGA, dans le cadre de leurs prospects étrangers : accueil de délégations étrangères lors de tirs qu’elle organise dans le cadre de suivi de programmes, mise à disposition du personnel pour des opérations particulières telles que les salons, présentation de matériels aux forces étrangères lors des escales de la mission annuelle du Groupe Jeanne d’Arc composé de bâtiments de la Marine Nationale, par exemple. Cependant, l’export, aléatoire par nature, ne suffit pas à assurer la pérennité de la filière.

2.   Assurer la visibilité et la régularité des commandes

Les acteurs industriels auditionnés ont unanimement souligné un manque de visibilité de la commande publique qui les prive de toute faculté d’anticipation des besoins des forces – dont les stocks sont évidemment classifiés – et donc d’anticipation des quantités à produire : il en résulte une utilisation sous-optimale de l’outil de production interne et de la supply chain, que les industriels équilibrent via l’export et – lorsque c’est possible – via des missions de sous-traitance civile. À ce manque de visibilité s’ajoute un manque de régularité de la commande étatique tendant à altérer la confiance des industriels et à dissuader toute production anticipée en l’absence de commande. Alors que l’approvisionnement souverain de nos armées en munitions contribue à l’autonomie stratégique française, l’absence de continuité des commandes est susceptible d’entraîner des ruptures de production et donc des pertes de compétences au sein de lignes de production dont la relance est coûteuse et chronophage. Les rapporteurs insistent particulièrement sur les préjudices portés à la supply chain, à la fois très spécialisée et fragile mais indispensable.

Répondre à ces exigences de visibilité et de régularité des commandes, qui semblent particulièrement justifiées s’agissant des entreprises qui n’exportent pas ou que peu, suppose la définition de nouvelles modalités contractuelles. L’élaboration de contrats planchers pluriannuels, sur le modèle britannique ou allemand, garantirait aux industriels un flux minimal de production. D’autre part, la possibilité pour la DGA d’émettre des intentions de commande – c’est-à-dire des intentions fermes de contracter, avec accord sur le prix, sans que l’ensemble des conditions contractuelles soit arrêté – est une piste de réflexion à creuser.

Proposition n° 5 : Affermir la visibilité des entreprises et la régularité des commandes étatiques.

3.   La relocalisation de la filière du petit calibre : le double enjeu de la rentabilité économique et de la souveraineté

Si la soutenabilité économique des entreprises munitionnaires est un enjeu de souveraineté, dans le cas de la filière du petit calibre, l’impératif de rentabilité l’a emporté sur l’autonomie industrielle. En effet, en 1999, la fermeture – pour des raisons financières – du site industriel de GIAT Industrie du Mans signait la fin de la production de munitions de 5,56 mm en France (cf. le II supra).

Or, l’évolution du contexte international au lendemain de la crise sanitaire de 2020, caractérisé notamment par une compétition accrue sur les approvisionnements, a semble-t-il rebattu les cartes et incité les acteurs à réévaluer cet arbitrage à l’aune des évolutions susmentionnées.

a.   Un segment resté vacant pour des raisons essentiellement économiques

Les causes de l’absence d’industrie munitionnaire de petit calibre en France étaient principalement économiques, le marché mondial du petit calibre étant considéré de façon consensuelle – jusqu’il y a peu – comme abondant et fortement concurrentiel à l’international. Selon le ministère des Armées, cette forte concurrence, alimentée par le marché civil américain et la faible valeur ajoutée de la production, hypothéquait la possibilité de vente à l’export (hors soutien étatique important). Or, les besoins des forces françaises, de l’ordre de plusieurs dizaines de millions de cartouches par an, ne seraient pas suffisants pour remplir les plans de charge industriels. Cette filière serait d’autant moins soutenable, selon l’état-major des armées, que la relocalisation se limiterait à l’assemblage de sous-éléments acquis auprès d’une sous-traitance étrangère, notamment pour ceux contenant des composants réglementés ou interdits en Europe par la réglementation REACH.

Qui plus est, la filière recouvre une grande variété de calibres et de couples « armes-munitions » nécessitant des processus de production différenciés.

Enfin, les armées jugent cette relocalisation superflue dans la mesure où elles ne rencontrent aucune difficulté particulière d’approvisionnement : le marché mondial est abondant et réparti pour moitié en Europe, pour moitié dans d’autres pays partenaires, réduisant ainsi le risque de rupture des approvisionnements. Selon les informations fournies aux rapporteurs, le ministère des Armées considère que « l’hypothèse d’une relocalisation serait porteuse d’un fort risque budgétaire pour les armées sans gains capacitaires et industriels significatifs ».

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la DGA s’est opposée à une relocalisation de la filière du petit calibre, considérant que l’approvisionnement assuré par le marché international – lui-même fortement concurrentiel – était suffisant. Selon la DGA, la relance de la filière sur le territoire national nécessiterait d’être compétitive pour réaliser de l’exportation. Par ailleurs, le coût d’une nouvelle filière de production de petits calibres serait conséquent, selon une partie des auditionnés.

Cependant, les rapporteurs estiment que la guerre en Ukraine a perturbé le marché du petit calibre, en augmentant fortement la demande d’achat, et a donc redéfini les conditions économiques relatives au marché mondial des munitions de petit calibre, appelant à réviser l’arbitrage qui prévalait jusqu’alors.

Le co-rapporteur Julien Rancoule juge notamment datée l’analyse du ministère des Armées : au vu de l’inflation du prix des munitions de petit calibre et du contexte stratégique international, il estime que la France n’est plus dans la même situation depuis 2020. L’avis du ministère des Armées est à nuancer au regard des difficultés rencontrées par le ministère de l’Intérieur à s’approvisionner en munitions de petit calibre au profit des forces de l’ordre au début du conflit ukrainien : alors que le ministère ne disposait que de deux mois de stock, il lui a été impossible de se fournir sur le marché international, y compris européen.

b.   Une opposition entre rentabilité et souveraineté dont la pertinence est désormais en question

L’accroissement de la demande civile – le marché américain de la munition de petit calibre étant stimulé par une augmentation des ventes d’armes due à l’augmentation de 8 millions du nombre de tireurs entre 2020 et 2021 – se double d’une accélération des dépenses militaires exacerbée par le conflit en Ukraine, générant de fortes tensions sur l’offre mais alimentant la bonne santé économique du secteur. Outre un allongement des délais de livraison, ces tensions ont conduit à un renchérissement général des prix des munitions, à hauteur de 15 % pour le marché militaire et de 30 % pour le marché civil.

La bonne santé économique de la filière du petit calibre ayant pour corollaire un renchérissement des prix subis par les clients, les conditions économiques d’une relocalisation semblent avoir évolué depuis l’étude menée sur le sujet en 2018 par le ministère des Armées.

c.   La question de l’autonomie stratégique

Quoi qu’il en soit, l’argument économique mis en avant par de nombreux acteurs n’évacue pas pour autant la question du risque de rupture d’approvisionnement. Estimant que des interrogations légitimes persistent, les rapporteurs reprennent à leur compte les interrogations énoncées en décembre 2015 par les députés Nicolas Bays et Nicolas Dhuicq ([66]) en matière de petit calibre : « La France serait-elle visionnaire en la matière alors que ses voisins ont pour la plupart conservé une industrie nationale de munitions de petit calibre qui alimente nos armées ? Comment est-il possible de s’assurer qu’aucun de nos fournisseurs ne sera contraint de cesser ses livraisons en raison d’une législation nationale ? Comment est-on certain d’un approvisionnement en cas de conflit majeur et pourquoi serions-nous dans ce cas les premiers servis ? Pourquoi, si nos voisins parviennent à faire vivre une industrie de munitions de petit calibre, ne le pourrions-nous pas ? […] Comment dans un contexte international aussi mouvant et aussi incertain qu’aujourd’hui peut-on affirmer être certain de cela alors que nous sommes dans une situation de totale dépendance ? La majorité des pays européens ont conservé, voire créé de toutes pièces, leur industrie de munitions de petit calibre et exportent, notamment vers la France. Nous estimons qu’il va de notre souveraineté de disposer de cette capacité de production. »

Ayant en tête l’épisode douloureux des masques arrachés sur les tarmacs des aéroports au plus fort de la crise sanitaire, les rapporteurs considèrent que la dépendance totale envers les importations sur le segment du petit calibre comme incohérente dans un contexte international de forte compétition sur les approvisionnements. Au lendemain de l’incursion russe en Ukraine, plusieurs pays producteurs ont d’ailleurs de manière temporaire drastiquement limité leurs exportations de petit calibre pour des raisons stratégiques. Jugeant impensable pour notre autonomie stratégique que nos forces armées viennent à manquer de munitions de petit calibre, les rapporteurs estiment que les conditions d’une relocalisation de cette capacité industrielle doivent être étudiées.

d.   Les conditions d’une relocalisation

Selon la société Manurhin, l’approche prospective faite en 2015 par les députés Nicolas Dhuicq et Nicolas Bays reste globalement d’actualité ([67]) : « La réimplantation d’une usine de fabrication pourrait nécessiter un investissement initial de 100 millions d’euros, comprenant l’achat du terrain, l’embauche du personnel et l’installation de la chaîne de production. L’une des contraintes majeures résiderait cependant dans les conditions de sécurité qu’imposerait le stockage de 20 tonnes de poudre correspondant à trois mois de production ; il conviendrait également de construire une galerie de tir pour assurer les tirs de tests. Trois à quatre ans seraient nécessaires pour bâtir entièrement une usine et produire les premières munitions. » Selon Manurhin, les infrastructures de base et frais fixes (bâtiment, stand de tir, laboratoire, contrôle qualité, stockage pyrotechnique, gestion de l’usine, etc.) constitueraient les investissements principaux, que l’installation de deux lignes de production amortirait plus facilement – étant entendu qu’une même ligne peut produire des munitions de calibres différents. La rentabilité pourrait être assurée à partir d’une production annuelle de 80 à 100 millions de munitions, avec un fonctionnement de l’usine en 2 x 8.

Certains acteurs auditionnés ont en outre souligné qu’une fabrication française, tenant compte des exigences de la DGA, serait un gage de qualité. Plus particulièrement, la production d’une douille en acier – qui permet une meilleure tenue dans l’arme que le laiton – serait un avantage non négligeable.

Les rapporteurs tiennent à souligner l’intérêt qu’ils portent au projet du ministère de l’Intérieur de création d’une filière du 9 mm sur le territoire national, à partir de la réhabilitation d’anciennes usines. Initialement destinée aux forces de sécurité intérieure (gendarmerie et police nationales) ainsi qu’à d’autres acteurs de la sécurité (administration pénitentiaire, douanes, police municipale, sécurité privée), avec un appui interministériel, cette filière pourrait par la suite, ou en cas d’urgente nécessité, coupler sa production de 9 mm avec celle du 5,56 mm, plus spécifiquement destiné aux forces armées. Le ministère de l’Intérieur estime qu’au vu de la hausse des prix et des conséquences du conflit ukrainien, un tel projet national lui permettrait d’acquérir des munitions pour 6 centimes d’euro moins cher que les prix du marché.

Le co-rapporteur Vincent Bru émet quelques réserves à cet égard : il considère que si une relocalisation doit être effectuée, sa rentabilité doit être garantie par l’export et, en tout état de cause, que la production nationale ne doit pas créer un déficit que l’État aurait à combler. Il estime aussi qu’à défaut d’une filière nationale, une filière de petit calibre en coopération avec un pays européen serait à envisager. Le ministère des Armées met en avant l’idée d’une réflexion globale sur le terrestre avec la Belgique, État qui semble lui avoir proposé le développement d’une production commune de petit calibre.

Quant au co-rapporteur Julien Rancoule, il estime que cette relocalisation est une nécessité pour garantir notre souveraineté nationale. Il juge inacceptable que la France soit le seul pays membre permanent du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (ONU) à ne pas avoir de filière nationale de productions de munitions de petit calibre. Ce d’autant que lors d’une audition menée par la mission d’information, des représentants du ministère de l’Intérieur ont indiqué qu’un tel projet de relocalisation serait viable financièrement, rien qu’en répondant aux besoins des armées françaises et de nos forces de l’ordre.

Proposition n° 6 : Reconsidérer une relocalisation de la filière du petit calibre au niveau français ou, à défaut, européen.

B.   Actionner tous les leviers de l’économie de guerre

Dans son avis sur le projet de loi de finance pour 2023, le rapporteur pour avis des crédits du programme 146 de la mission Défense, notre collègue Mounir Belhamiti, identifiait trois finalités aux travaux sur l’économie de guerre : « (i) simplifier, qu’il s’agisse de l’expression de nos besoins d’équipement, de la conduite de nos programmes d’armement ou des normes qui encadrent les systèmes d’armement ; (ii) sécuriser, en rendant nos chaînes d’approvisionnement plus résilientes, en constituant des stocks et en réduisant nos dépendances ; (iii) enfin, résister en cas de conflit, en développant les outils de mobilisation des ressources humaines et matérielles ». Bien qu’adaptées au domaine particulier des munitions – voire exacerbées par les exigences de ce dernier – ces mêmes finalités sont apparues avec une remarquable constance lors des auditions de vos rapporteurs.

1.   Simplifier les exigences et les normes pour un « fast-track » d’économie de guerre

a.   Un équilibre à trouver entre sécurité et gestion du risque

Tout comme les forces, les industriels sont soumis à un corpus réglementaire dense régissant les activités attenantes aux munitions, allant de pair avec une culture du risque dont est imprégnée la filière. Cependant, la question de l’inflation normative, souvent héritée du civil, ne peut être omise dans une optique de reconstitution des stocks et d’économie de guerre. Les normes en vigueur sont en effet élevées par rapport à celles qui s’appliquent sur le marché international, conduisant à un renchérissement des coûts et des délais de production, pour un bénéfice opérationnel discutable dans de nombreux cas. La simplification de normes généralement auto-imposées, touchant l’industrie munitionnaire de manière privilégiée, s’annonce indispensable pour amorcer un « fast-track » d’économie de guerre.

En outre, ce haut degré de précaution doit être relativisé au regard des réalités de terrain : dans l’urgence des opérations, les standards des munitions employées par les forces – au premier rang desquelles les munitions américaines – sont bien moindres. Les rapporteurs mettent en exergue la nécessité d’adapter les normes aux conditions d’emploi des munitions : par exemple, des munitions ayant vocation à être consommées très rapidement dans le cadre d’un conflit de haute intensité ne requièrent pas les mêmes exigences de sécurité que des missiles appelés à être stockés durant plusieurs années, voire plusieurs décennies. L’enjeu est donc de trouver le juste équilibre entre sécurité et pragmatisme, ce qui passe par une redéfinition de la culture du risque et l’adoption d’une approche de « gestion du risque ». Il pourrait ainsi être intéressant d’anticiper le passage au temps de guerre et de définir dès à présent un niveau acceptable de dégradation – uniquement appliquée si besoin était – des standards de nos munitions, afin d’avoir un temps d’avance.

Dans la même veine, les rapporteurs souhaitent appeler l’attention sur les exigences de qualification élevées de la DGA. Ces dernières imposent entre autres d’effectuer de nombreux tirs de qualification des munitions, alors même que l’accès aux champs de tir en France est congestionné, provoquant une compétition entre industriels pour y parvenir. Cet engorgement pousse les industriels à effectuer leurs séances de tirs sur des terrains étrangers – en Afrique du Sud et en Suède notamment – ce qui mobilise à nouveau une logistique complexe et coûteuse puisqu’il faut obtenir des licences d’exportation, assurer le transport des matériaux, etc. Lorsqu’elle est possible, une simplification des qualifications doit être envisagée afin de favoriser l’émergence du « fast-track » d’économie de guerre.

Proposition n° 7 : Privilégier une logique de gestion du risque dans l’appréhension des normes.

b.   Les contraintes imposées par la réglementation REACH

Sujet de préoccupation majeure soulevé par l’intégralité des acteurs de la filière munitionnaire, la réglementation européenne REACH ([68]) constitue un défi considérable pour la filière munitionnaire. Elle génère les obsolescences de certains produits – lorsqu’aucune solution alternative n’a été trouvée pour remplacer les substances exclues – et impose des redéveloppements réguliers. Certains processus de la réglementation REACH ont donc de lourdes conséquences financières ou calendaires entravant la montée en puissance des stocks de munitions.

Règlement européen ([69]) entré en vigueur le 1er juin 2007 pour sécuriser la fabrication et l’utilisation des substances chimiques dans l’industrie européenne, REACH vise à recenser, évaluer et contrôler toutes les substances chimiques fabriquées, importées et mises sur le marché européen. Les entreprises sont tenues d’enregistrer les substances qu’elles utilisent si leur quantité excède une tonne par an (i) ; les substances considérées comme dangereuses pour la santé ou l’environnement font ensuite l’objet d’un dispositif d’autorisation (ii) tandis que celles porteuses d’un risque jugé inacceptable voient leur fabrication limitée ou prohibée (iii).

Le processus d’enregistrement des substances fabriquées ou importées, obligatoire pour toutes les entreprises – munitionnaires comme sous-traitants et fournisseurs –, conduit inévitablement à un allongement des délais conjugué à un renchérissement des coûts. Par exemple, selon le groupe d’études du GICAT dédié au sujet, « la fabrication ou l’imitation d’une tonne d’explosif, permettant la fabrication de 100 obus de 155 mm, nécessiterait entre 12 et 18 mois de procédure préalable pour obtenir l’enregistrement, avec un coût de l’ordre de 25 000 euros par enregistrement et par substance. »

Le processus d’autorisation/restriction, en plus de rallonger les délais d’obtention, de refus ou de renouvellement, soumet les entreprises à des demandes d’autorisation de la Commission européenne pour une substance donnée et un volume déterminé, dont le coût avoisine les 300 000 euros pour un industriel. Ce processus menace directement le plomb et les sels de plomb : selon le GICAT, « si tel était le cas, cela impacterait l’activité de fabrication des initiateurs qui sont à la base de toutes les chaînes pyrotechniques permettant le fonctionnement de la munition. La majorité des munitions étant concernées par ce risque d’obsolescence, cela pourrait se traduire par des qualifications lourdes (de 3 à 10 ans) et des coûts conséquents, voire des disparitions de produits du catalogue. » Cette préoccupation est d’autant plus alarmante que la restriction de certaines substances concernerait également les substances stockées en amont, qui ne pourraient plus être utilisées.

Face à cette menace, tous les acteurs auditionnés ont suggéré le recours à des exemptions Défense, soumises à autorisation du ministère de la transition écologique, permettant d’alléger certaines contraintes. Les rapporteurs estiment que ces exemptions constituent l’une des rares solutions envisageables pour permettre la remontée en puissance de la production et des stocks de munitions et insistent sur la nécessité d’y parvenir. Il reste que ces exemptions Défense ne s’appliqueraient à d’autres réglementations européennes relatives aux produits chimiques, pouvant entraver d’autres productions munitionnaires.

Proposition n° 8 : Appuyer la mise en œuvre d’exemptions Défense pour l’industrie munitionnaire dans le cadre de l’application du règlement REACH.

2.   Faciliter l’approvisionnement en matériaux et sous-ensembles critiques en relocalisant ce qui peut l’être et en constituant des pré-stocks

a.   Les dépendances, facteur de fragilité

La forte visibilité des grands maîtres d’œuvre a tendance à masquer le grand nombre et l’extrême diversité des sous-traitants qui soutiennent, en amont pour la plupart, les processus de production. Ce sont notamment ces derniers qui assurent l’approvisionnement en matières premières et composants nécessaires au début de la chaîne de production, assumant un rôle absolument essentiel, a fortiori dans la perspective d’une augmentation des cadences et des volumes de production. Bien que la plupart des entreprises auditionnées mette un point d’honneur à privilégier les filières nationales – dans une optique de résilience et d’autonomie –, certains cas de sous-traitance auprès de fournisseurs étrangers sont inévitables, soit que l’approvisionnement national soit inexistant, soit que ces cas procèdent de choix économiques raisonnés.

Or, la désorganisation des chaînes logistiques occasionnée par la crise sanitaire de 2020 et exacerbée par le conflit en Ukraine provoque de réelles difficultés d’approvisionnement sur certains intrants, alimentant une forte concurrence entre industriels. Elle se traduit concrètement par un allongement des délais de livraison et, la demande excédant l’offre, par un renchérissement alarmant des prix menaçant à terme l’approvisionnement de l’industrie munitionnaire. L’entreprise Junghans a ainsi fait part aux rapporteurs de ses difficultés d’approvisionnement en pièces électroniques – dont les délais, avoisinant les 6 mois avant la crise sanitaire, peuvent désormais atteindre 24 mois. L’épisode de pénurie de masques au début de la crise sanitaire rappelle en outre la forte incertitude qui pèse sur les approvisionnements en provenance de pays étrangers, où les fournisseurs sont eux-mêmes soumis à leurs propres contraintes de production – pénuries, confinement, réquisitions, contrôle export, mais aussi conditions climatiques et modalités d’acheminement.

Il est donc apparu nécessaire de procéder à une cartographie précise des sources d’approvisionnement de l’intégralité des chaînes de sous-traitance. Ce travail en cours a déjà permis aux industriels d’identifier certains approvisionnements critiques, en matières premières telles que l’aluminium, le nickel, le titane et le palladium ; en composants électroniques et semi-conducteurs, en provenance principalement des États-Unis et éventuellement d’Asie du Sud-Est ; en matériaux composites ; en procédés de fabrication métallique additive ; et enfin, en poudres.

Ces difficultés, expérimentées aujourd’hui en temps de crise internationale, ne feraient que s’accroître dans l’hypothèse d’un engagement majeur de notre pays contre un compétiteur stratégique, obérant les capacités de notre industrie à répondre aux besoins des forces. La sécurisation de nos approvisionnements constitue donc, aux yeux des rapporteurs, un impératif pour la sécurité et l’autonomie stratégique de notre pays. Plusieurs leviers complémentaires peuvent être actionnés afin de protéger et d’accroître cette autonomie stratégique : diversifier les sources d’approvisionnement, privilégier les matériaux les moins spécifiques possible, constituer des pré-stocks ou encore relocaliser les filières les plus critiques.

b.   Constituer des pré-stocks

Disposer de stocks de composants stratégiques et sous-ensembles constitutifs, souvent simples mais longs à produire, permet de réduire le cycle de production, en assurant un passage plus rapide vers la phase d’assemblage notamment en cas de pic de demande.

Dans une optique de remontée en puissance, la réduction des délais d’approvisionnement passe d’abord par une visibilité accrue donnée aux industriels sur leurs carnets de commandes afin de les inciter à investir : une commande ferme de tel type de munitions assurera à l’industriel une rentabilité minimale et l’encouragera à stocker les composants à long délai d’approvisionnement, voire les matières premières nécessaires ; c’est du reste le schéma que ces derniers appliquent pour les commandes à l’export.

Néanmoins, la compétition accrue sur ces composants à long délai d’approvisionnement enjoint les acteurs de la filière à privilégier l’acquisition anticipée de stocks destinés à absorber une accélération ponctuelle et immédiate de la production, dans la perspective d’une économie de guerre. Cet effort réclame toutefois une commande étatique, les industriels ne pouvant financer à eux seuls ces pré-stocks : la contractualisation de ces stocks doit donc faire l’objet de négociations entre les industries et les forces, étant entendu qu’ils seraient assumés par la puissance publique. C’est pourquoi, pour des raisons de soutenabilité économique, la part relative de ces pré-stocks dans le coût de production doit rester modeste ; dans le cas contraire, il convient de commander directement des munitions complètes.

Proposition  9 : Constituer des pré-stocks de composants et sous-ensembles stratégiques.

c.   Relocaliser ce qui peut l'être

D’autre part, un agenda de relocalisation de filières stratégiques, évoqué par les ministres des Armées successifs et par le délégué général pour l’armement, compte au nombre des objectifs annoncés par la Revue nationale stratégique de 2022 ([70]) : « la crise sanitaire et le conflit ukrainien ont montré l’importance de disposer de sources d’approvisionnement sûres et redondantes. Ainsi, des relocalisations de filière de production et de recyclage sur le territoire européen et national doivent être encouragées et soutenues pour remédier aux dépendances les plus critiques en matériaux, composants, etc. Ce sujet fait l’objet d’un travail approfondi dans le cadre des travaux sur l’économie de guerre. »

De nombreux interlocuteurs ont attiré l’attention des rapporteurs sur la filière des poudres, pour laquelle la France ne dispose pas d’autonomie stratégique et doit notamment se fournir en Allemagne. L’accroissement de la demande dans le contexte actuel conjugué à la remontée en puissance de l’armée allemande – qui privilégiera sans doute ses propres forces en cas d’engagement majeur – invite à faire de la reconstitution d’une solide filière de poudres en France une priorité stratégique. Cette perspective exigera toutefois de faire des choix sur le type de poudre dont il sera question, au vu de la multiplicité des produits existants ; la compétitivité de ces produits devra également faire l’objet d’une attention particulière.

Dans cette perspective, pour répondre à la pénurie pesant actuellement sur le marché européen, le ministère des armées réfléchit en coopération avec l’entreprise Eurenco à la reconstitution d’une capacité de production autonome de poudres de gros calibre. L’usine française avait en effet rationalisé son outil industriel en délocalisant cette production sur son site suédois tout en conservant la propriété du savoir-faire technologique en France. Eurenco envisage à présent de relocaliser cette capacité de production sur son site de Bergerac, pour un montant total estimé à 60 millions d’euros dont elle financerait la majeure partie.

 D’autre part, les rapporteurs appellent l’attention sur la nécessité de s’attaquer à des dépendances plus structurelles, que seule une action coordonnée à l’échelle européenne pourrait résoudre. Régulièrement évoquée au cours des auditions, la filière des semi-conducteurs – particulièrement critique dans la mesure où elle est largement monopolisée par l’Asie et notamment Taiwan, premier producteur mondial avec 65 % du marché –, constitue un enjeu stratégique de taille pour l’autonomie française mais aussi européenne. À l’instar des États-Unis qui ont annoncé une subvention de 52 milliards de dollars dans le cadre du Chips and Science Act, l’Union Européenne, et en particulier la France en son sein doit investir ce segment. Pour mémoire, la production européenne de semi-conducteurs représentait 40 % de la production mondiale en 1990, contre moins de 10 % désormais ([71]). Le « paquet législatif sur les semi-conducteurs » annoncé par la Commission européenne en février 2022 accorde un budget de 45 milliards d’euros d’aides à la production de puces et composants électroniques sur le territoire européen à l’horizon 2030. Aux yeux des rapporteurs, cette ambition est prioritaire dans le domaine de l’industrie de défense et touche de près le secteur hautement technologique des munitions, requérant un soutien appuyé de la puissance publique.

Proposition n° 10 : Relocaliser des filières stratégiques pour l’industrie munitionnaire, notamment dans le domaine des poudres.

3.   Consolider les ressources humaines de la filière munitionnaire

a.   Des ouvriers pyrotechniques au profil rare

Les ressources humaines de l’industrie munitionnaire se singularisent par la filière pyrotechnique qui mobilise des personnels présentant à la fois des compétences techniques rares et des profils psychologiques jugés aptes. Le recrutement complexe et long de ces personnels tient en effet d’abord à la nécessité de qualifier les profils psychologiques des ouvriers au contact de la matière explosive ; chez Junghans par exemple, les tests psychologiques, qui s’étalent sur trois mois, débouchent sur un écrémage radical, seul un candidat sur dix étant reçu. Les compétences de ces ouvriers sont en outre raréfiées par l’absence de formation académique munitionnaire propre : la formation est donc avant tout interne, dans le sens d’une spécialisation croissante – d’où l’importance pour les entreprises de retenir les jeunes qu’elles ont formés.

b.   Anticiper la hausse des besoins en vue d’une augmentation des cadences

Si la filière ne rencontre pas de difficultés de ressources humaines particulièrement handicapantes, l’enjeu des ressources humaines doit toutefois être pris en compte au regard de la singularité des ouvriers pyrotechniques et de la durée de leur formation. Dans la perspective d’une économie de guerre, le redimensionnement de l’outil industriel pour monter en cadence nécessiterait la mobilisation rapide de personnels immédiatement opérationnels. Un travail d’anticipation est requis, afin de définir les ressources humaines supplémentaires et le cadre juridique et opérationnel de leur mobilisation.

 Un premier axe consisterait à adapter les règles liées au temps de travail des employés déjà présents selon la situation en vigueur (crise, guerre). Bruno Berthet, PDG d’Aresia, souligne à ce titre l’état d’esprit volontariste dont ses employés ont fait preuve au moment de la crise sanitaire, manifestant ainsi leur engagement au service de l’industrie. Par ailleurs, eu égard à la spécificité de la filière pyrotechnique, l’idée d’une réserve industrielle – émise par le PDG de Nexter Nicolas Chamussy – qui serait constituée de jeunes retraités du secteur s’impose comme la solution idoine. Le co-rapporteur Vincent Bru suggère également d’envisager, en cas d’imminence d’un conflit de haute intensité, la constitution par les armées d’une réserve opérationnelle spécifiquement dédiée à cette mission industrielle. Le co-rapporteur Julien Rancoule souscrit à une telle idée dans son principe. Le redéploiement de personnels dédiés aux chaînes civiles vers des chaînes militaires au sein des entreprises duales est possible mais dans certaines limites, compte tenu de la spécificité des compétences requises et de l’éloignement géographique des sites industriels.

Proposition n° 11 : Constituer une réserve industrielle composée de jeunes retraités du secteur munitionnaire permettant d’anticiper une hausse des besoins d’augmentation des cadences de production de munitions.

C.   Préparer l’avenir

 

« Mieux vaut prendre le changement par la main avant qu’il ne nous prenne par la gorge. » (Winston Churchill)

1.   Une préparation de l’avenir rendue indispensable par la compétition stratégique accrue

Les rapporteurs estiment qu’il ne faudrait pas sacrifier à l’urgence du recomplètement des stocks une indispensable préparation de l’avenir, dont la maturation requiert, elle aussi, une forte anticipation. L’histoire de la guerre – depuis l’invention de la poudre à canon – prouve en effet à quel point l’innovation technologique conditionne la souveraineté et l’autonomie stratégique d’un État, tant pour préserver sa crédibilité sur la scène internationale dans une logique dissuasive que pour assurer sa supériorité sur le champ de bataille. Les axes d’effort tels que les missiles hypersoniques, la technologie quantique, les armes à énergie dirigée, doivent appuyer la crédibilité de nos forces, en premier lieu de notre dissuasion nucléaire ; surtout, la maîtrise des capacités de haut du spectre doit permettre d’assumer demain des opérations d’entrée en premier, tout en conférant à la France un certain effet d’entraînement sur ses partenaires.

Ce constat ne cesse de se renforcer à la lueur de l’évolution des menaces dans un environnement stratégique caractérisé par trois tendances de fond. D’une part, le retour des politiques de puissance et des États révisionnistes est associé à un investissement massif dans des technologies lourdes telles que l’hypervélocité – ainsi que l’a très médiatiquement illustré l’utilisation de missiles hypersoniques par les Russes en Ukraine – faisant peser un risque de déclassement technologique pour la France. D’autre part, la supériorité technologique de nos forces se voit remise en question par le détournement de technologies issues du monde civil, très accessibles, de la part d’adversaires asymétriques faisant montre d’une grande agilité – l’exemple emblématique en est l’utilisation de drones civils transformés en munitions-kamikazes. Enfin, ce remodelage de l’environnement stratégique a pour toile de fond une accélération continue du rythme des innovations, facilitée par le développement du numérique, et imposant de fortes cadences. Il en résulte une impérieuse nécessité d’innover qui s’applique tout particulièrement aux munitions.

Cela étant, comme l’a souligné le chercheur Léo Péria-Peigné en audition, cette préparation de l’avenir doit prendre en compte le nécessaire panachage entre munitions de saturation et munitions intelligentes précédemment évoqué et mis en lumière par le retour d’expérience du conflit ukrainien. S’il est nécessaire d’être à la pointe des évolutions technologiques, « munition du futur » ne doit cependant pas rimer avec une course aveugle à la sophistication, sous peine de réitérer l’impasse des stocks de munitions échantillonnaires et de systèmes trop onéreux pour être acquis en quantités suffisantes ou remplacés une fois perdus. Bien loin de l’effet recherché, cela contraindrait les forces, en cas de conflit de haute intensité, à une démodernisation de leurs équipements vers des systèmes plus anciens et moins performants, démodernisation d’autant plus rapide que le parc initial était réduit. L’exemple russe en matière de blindés est à ce titre parlant : la décennie d’investissements sur le programme du char du futur de type s’est vue brusquement suspendue au profit d’investissements sur des équipements plus immédiatement utilisables, à savoir le rétrofit sur trois ans de 800 chars T-62, hérités des années 1960.

2.   Identifier et accompagner les évolutions technologiques prioritaires : l’allongement des portées, l’amélioration de la précision et la diversification des effets des munitions actuelles

Si aucune technologie de rupture n’est à venir dans le champ des munitions, leur sophistication va dans le sens de l’entrée en service progressive de munitions de plus en plus précises, aux effets de plus en plus modulables. Outre la sécurité et le soutien, la plupart des travaux actuels consacrés aux munitions du futur vise en effet à optimiser et améliorer les performances des munitions, via l’allongement des portées, l’amélioration de la précision, ainsi que la maîtrise et la diversification des effets.

Dans cette perspective, sont notamment en cours des études de faisabilité sur des briques technologiques telle que les fusées à détection proximétrique optique laser, une poudre propulsive pour munitions flèches de nouvelle génération à cycle balistique intérieure hautes performances ainsi que l’étude et l’évaluation d’un alliage à haute entropie pour pénétrateur cinétique.

En termes de munitions à proprement parler, l’obus de précision de 155 mm KATANA, développé par Nexter pour ses canons CAESAR prioritairement, vise un cercle d’erreur probable de niveau décamétrique – ce qui signifie que 50 % des coups tomberaient à moins de 10 m de leur cible – offrant une forte plus-value pour le combat urbain. Cette munition d’artillerie intelligente, porteuse d’un fort potentiel qui contrebalance son coût élevé, offre l’avantage de ne pas requérir d’infrastructure ou de changement lourd des forces. Néanmoins, le co-rapporteur Vincent Bru estime que le coût de cet obus est très élevé et qu’il existe d’autres solutions moins onéreuses telles que les munitions télé-opérées.

Face à l’augmentation globale de l’intelligence des missiles, les systèmes de contremesures doivent également se perfectionner pour continuer de les contrer. Les évolutions privilégient des systèmes de protection multi-couches, alliant plusieurs types de masquage-leurrage : alliées au placement retardé de quelques millisecondes de leurres spectraux (à LED ou pyrotechniques), le brouillage, les leurres multi-spot, les flashes et le masquage, sont autant de technologies susceptibles de perturber le missile et donc de renforcer l’auto-défense des plateformes. En matière de contremesures, le fabriquant français LACROIX bénéficie d’une certaine avance, qu’il convient de préserver et de soutenir, sur ses concurrents – allemands, en particulier – dans l’ensemble des domaines (faible largeur de gamme sur les leurres aériens, leurres navals encore à base de chaff, fumigènes toxiques et peu performants).

3.   Le développement de nouvelles technologies : l’exemple des munitions télé-opérées

Aux côtés des évolutions de munitions existantes, surgissent de nouvelles technologies munitionnaires dont les munitions dites télé-opérées ([72]) constituent l’exemple le plus emblématique. Apparues de manière décisive à l’automne 2020 lors du conflit opposant l’Azerbaïdjan à l’Arménie, puis largement médiatisées à l’occasion du conflit russo-ukrainien, les munitions télé-opérées se sont imposées sur le champ de bataille, de telle sorte qu’un retour en arrière semble peu envisageable.

a.   Des munitions de masse destinées à frapper l’ennemi tant matériellement que psychologiquement

 

 Les munitions télé-opérées offrent avant tout l’avantage d’être peu chères : on estime que, pour un euro dépensé dans une munition télé-opérée, les dégâts sur le matériel ennemi atteignent entre cinq et quinze euros. La destruction d’une munition télé-opérée emporte de facto bien moins de conséquences que celle d’un avion. Utilisées en masse grâce à des coûts d’acquisition faibles, ces munitions permettent de saturer facilement l’espace aérien adverse, et à terme, de neutraliser ses défenses antiaériennes. Elles sont en effet d’abord destinées à frapper l’ennemi au-delà des lignes ennemies, dans l’optique de stopper une colonne de blindés ou de détruire de l’artillerie lourde. Elles limitent donc les mouvements adverses en maintenant une présence aérienne quasi-permanente et difficilement interceptable. De plus en plus, les incréments technologiques permettent d’allonger la portée des munitions télé-opérées pour frapper en grande profondeur : le drone Tupolev 141 utilisé par les Ukrainiens, qui pouvait frapper le territoire russe à 600 km de la frontière à ses débuts, atteint désormais les 830 km de portée. Cette puissance de frappe se double de capacités de type ISR, pour « Intelligence - Surveillance – Reconnaissance », qui constituent un soutien en temps réel et persistant. Enfin, la projection de ces munitions télé-opérées exerce une véritable pression psychologique, démoralisant l’ennemi et distillant la peur à la fois sur le champ de bataille – les soldats, même cachés dans des tranchées, devenant des cibles systématiquement traitées – et dans les villes – la population civile vivant de jour comme de nuit sous la menace de bombardements par des essaims de drones. C’est ce schéma qui a vu le jour lors du conflit opposant l’Azerbaïdjan et l’Arménie : le succès de l’Azerbaïdjan s’explique précisément par l’emploi massif de munitions télé-opérées israéliennes de type Harop et turques de type TB2. Elles ont sidéré et désorganisé l’armée adverse à la fois en neutralisant des blindés d’artillerie et en ouvrant des couloirs aériens grâce à la neutralisation des défenses antiaériennes.

b.   Un retard capacitaire français à combler d’urgence

 

 Bien que l’impact de ces munitions télé-opérées sur la dynamique des conflits doive être nuancé – le chercheur Léo Péria-Peigné ayant souligné en audition qu’il ne fallait pas les considérer comme un élément changeant fondamentalement la donne sur des théâtres d’opérations plus vastes que le Haut-Karabakh –, les munitions télé-opérées sont devenues incontournables : elles sont, selon le ministre des Armées Sébastien Lecornu, une capacité « clef » ([73]). Totalement dépourvue de moyens sur ce segment, la France accuse un retard préoccupant par rapport aux États-Unis, à la Russie, à Israël ou encore à la Pologne, qu’il est urgent de combler : elle n’apparaît pas dans un paysage où des pays tels que l’Arménie ou la Pologne parviennent à fabriquer des solutions de munitions télé-opérées.

 

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Source : EOS Technologie

c.    Des exigences de rapidité, de souveraineté et de masse

Les rapporteurs soulignent donc l’importance de tenir l’effort annoncé par le ministre des Armées dans le cadre de la future loi de programmation militaire (LPM) visant à doter les forces françaises de « plusieurs milliers » de munitions télé-opérés à horizon 2030. Les appels à projet LARINAE et COLIBRI prévoient de doter les forces en munitions télé-opérées capables de neutraliser une menace respectivement à 5 et 50 km. Tout en saluant la simplification de l’expression de besoin qui caractérise ces appels à idées, les rapporteurs appellent l’attention sur la nécessité de satisfaire plusieurs exigences dans le cadre de ces projets.

La rapidité doit prévaloir tant dans le processus de sélection des projets que dans la phase de qualification, de fabrication industrielle des munitions télé-opérées, de mise en œuvre des munitions sur le terrain ou encore dans le délai de formation des militaires pour utiliser cette nouvelle munition.

D’autre part, dans une optique d’autonomie stratégique, il leur semble important de favoriser une fabrication française limitant au maximum les composants importés de l’étranger, notamment certains composants électroniques particulièrement sensibles.

 

 Enfin, s’il est difficile d’évaluer le volume de munitions télé-opérées nécessaire aux forces françaises compte tenu du retour d’expérience limité que l’on en a et des différentes hypothèses d’engagement, le nombre de vecteurs se compte néanmoins en milliers de pièces, d’autant plus qu’elles sont soumises à une très forte attrition. À titre d’illustration, la durée de vie moyenne d’un drone ISR hors conflit avoisine les trois mois, mais elle oscillerait entre trois heures et trois jours sur un théâtre d’opérations ; un drone tactique armé dure quant à lui quelques jours à quelques semaines quand il est engagé dans un conflit. Selon cette même cette logique, les témoignages venus du terrain ukrainien laissent penser que les munitions télé-opérées sont utilisées avec la même fréquence que des obus de mortier ou de char, ce que vient confirmer la livraison de sept mille munitions Switchblade à l’Ukraine par les États-Unis depuis le début du conflit. La doctrine d’emploi des munitions télé-opérées reposant essentiellement sur leur masse, il serait stérile de doter les forces d’un nombre réduit de pièces.

 

 Enfin, les rapporteurs rappellent que l’émergence de ces nouvelles munitions sur le champ de bataille impose par-dessus tout de renforcer et d’adapter nos moyens de défense anti-aérienne – la solution du « tout-missile » n’ayant plus de sens – d’autant plus qu’il s’agit d’une technologie duale très accessible à tout type d’acteur. Le sujet relevant davantage de la défense sol-air, les rapporteurs renvoient le lecteur au rapport de l’information dédié à ce sujet.

Proposition n° 12 : Doter les forces de lots de munitions télé-opérées capables de faire face à l’attrition forte de la haute intensité et de répondre aux besoins du terrain.

4.   Renforcer le soutien public à la recherche-développement

La remontée en puissance des stocks de munitions ne doit pas se faire au détriment des budgets de recherche et développement d’une filière qui pâtit déjà d’un sous-investissement critique en matière d’innovation : aucun développement majeur de munition n’a été financé depuis une décennie. Deux impératifs président pourtant au soutien de l’innovation des entreprises de défense.

Il s’agit d’abord de conserver la supériorité opérationnelle de nos armées, face à des compétiteurs stratégiques qui investissent massivement dans la préparation de l’avenir. L’intégralité des acteurs auditionnés souligne l’importance d’investir dans les études amont, afin de pouvoir conserver un modèle d’armée global dans la durée qui soit capable de répondre aux menaces actuelles et futures.

Ce soutien est d’autant plus crucial que l’innovation structure le modèle économique des entreprises de défense, qui y consacrent une part non-négligeable de leur chiffre d’affaires. Elle constitue un enjeu vital pour leur développement et leur maintien sur le long terme, notamment face à l’impératif de maintenir une offre de haut niveau à l’export quand leurs concurrents redoublent d’agressivité. S’y greffent en outre des enjeux de maintien des compétences munitionnaires, qui nécessitent une part d’innovation pour maintenir l’expertise dans des domaines uniques (balistique intérieure, terminale, détonique, par exemple) et une part de développement pour maintenir les compétences de spécification in fine du produit.

Les rapporteurs jugent enfin que l’État doit pouvoir bénéficier d’un retour sur ses investissements dans le développement de nouveaux programmes quand les perspectives d’exportation – qui ne profitent à ce jour qu’aux industriels – se concrétisent.

Proposition n° 13 : Renforcer le soutien public à la recherche-développement.


   1   

   EXAMEN EN COMMISSION

La commission a procédé à l’examen du rapport de la mission d’information flash sur les stocks de munitions au cours de sa réunion du mercredi 15 février 2023.

Les débats sont accessibles sur le portail vidéo du site de l’Assemblée à l’adresse suivante :

https://assnat.fr/uXkYcN

 


   1   

   Annexe :

Auditions des rapporteurs, déplacements et contribution écrite

(Par ordre chronologique)

 

1.   Auditions

  Marck & Balsan M. le général (2S) Dominique Trinquand, directeur des relations extérieures ;

  ARESIA – M. Bruno Berthet, président-directeur-général, M. Thierry Perardel, responsable des relations institutionnelles et M. le général Matthieu Pellissier ;

  État-major des arméesM. le lieutenant-colonel Yann Lefebvre, officier de cohérence munitions de la division cohérence capacitaire ;

  MBDA M. Jean-René Gourion, directeur général délégué, M. l’amiral (2S) Hervé de Bonnaventure, conseiller défense et Mme Sarah-Caroline Leforestier, chargée de mission affaires publiques ;

  Nexter M. Nicolas Chamussy, directeur général, M. Frantz Caillau, directeur général délégué et M. Alexandre Ferrer, responsable des affaires publiques France et Europe ;

  État-major de l’armée de l’air et de l’espace – M. le général d’armée aérienne (2S) Jean-Paul Paloméros ;

  Direction générale de l’armement M. l’ingénieur général de l’armement Guilhem Reboul, directeur à la direction des opérations et M. l’ingénieur général de l’armement Stéphane Kammerer, directeur adjoint à la direction des opérations ;

  NATO Support and Procurement Agency M. Orhan Muratli, directeur du soutien des opérations, M. Frédéric Peugeot, chef de la branche munitions et M. Johann Schimek, officier d’état-major du directeur ;

  Safran Electronics & Defense Mme Hélène Lecoeuche, directrice des programmes, M. le général Gilles Perrone, directeur des relations institutionnelles, M. Fabien Menant, directeur des relations institutionnelles et Mme Ève Roehrig, adjointe au directeur des affaires publiques ;

  Lacroix – M. le général de division (2S) Jean-Jacques Pellerin, conseiller défense et sécurité ;

  Institut français des relations internationales – M. Léo Péria-Peigné, chercheur au centre des études de sécurité ;

  Eurenco – M. Thierry Francou, président-directeur général ;

  Nobel Sport – M. Gilles Roccia, président et M. Jacques Arragones, conseiller militaire ;

  Groupe Cybergun/Arkania/Verney-Carron – M. Pierre Cauquelin, directeur de la Business Unit Sécurité & Défense ;

  HK – M. Olivier Lombart, président ;

  Thales et Junghans – M. Hervé Barbier, vice-président de la business line « Véhicules et Systèmes Tactiques », M. Édouard Pinot, directeur général de VTS France et Mme Isabelle Caputo, vice-présidente des relations institutionnelles ;

  EOS Technologie – M. Jean-Marc Zuliani, directeur général et M. Nicolas Ritter, directeur financier ;

  Ministère de l’intérieur et des outre-mer – M. Jean-Simon Merandat, responsable armes et explosifs, M. Bertrand Boittiaux, chef du bureau expertise et Mme Armelle Couture, chef de mission au service central des armes et explosifs.

2.   Déplacements

 Visite du site du service interarmées des munitions de Savigny-en-Septaine, le 9 janvier 2023 – rencontre avec le général de brigade Éric Laval, directeur du service interarmées des munitions et chef de la division munitions de l’état-major des Armées ;

  Visite des sites de MBDA (Bourges Aéroport) et de Nexter Arrow Tech (La Chapelle-Saint-Ursin) le 16 janvier 2023.

3.   Contribution écrite

 Manufacture du Haut Rhin (MHR) – ManuRhin.

 

 


([1])  Comme l’indiquait le général Pierre de Villiers, chef d’état-major des Armées, lors de son audition du 12 juillet 2017 devant la commission de la Défense nationale et des forces armées, « le ministère de la Défense a été le plus important contributeur de la révision générale des politiques publiques (RGPP). Le modèle s’est alors contracté autour d’un cœur de métier minimaliste, fragilisant du même coup sa cohérence d’ensemble, au moment même où il était davantage sollicité. » Et son successeur, le général François Lecointre, de préciser dans le même cadre, le 4 octobre de la même année : « Les déflations massives d’effectifs imposées depuis une dizaine d’années par les réformes successives ont mis les armées, directions et services, sous forte tension, d’autant plus que nous avions consenti d’importantes déflations d’effectifs et d’importantes réductions de format qui devaient s’accompagner d’une réduction de l’engagement des armées. Dès lors que cet engagement n’a cessé d’augmenter, la tension s’est révélée difficile à soutenir. Je rappelle qu’entre 2008 et 2017, ces déflations ont représenté un volume de l’ordre de 50 000 militaires sur un total de 250 000 environ en 2008, soit une diminution de près de 20 %. Les soutiens sont particulièrement concernés par ce phénomène. Le cadrage à plus 1 500 équivalents temps plein de la LPFP marque un début de prise en compte de cette situation. Les armées sont conscientes de l’effort que cela représente au moment où la fonction publique doit supporter des déflations mais j’insiste sur le fait que les armées ont subi des déflations trop importantes lors des deux lois de programmation militaire précédentes au regard de l’engagement que la Nation leur demande de soutenir. »

([2])  https://www.ifri.org/fr/publications/etudes-de-lifri/focus-strategique/stocks-militaires-une-assurance-vie-haute-intensite , cf. aussi un entretien avec le chercheur sur le podcast du Collimateur : https://www.irsem.fr/le-collimateur/ou-sont-les-armes-les-stocks-militaires-et-la-guerre-d-ukraine-10-01-2023.html

([3]) Soit 2 800 équivalents temps plein, comme le rappellent les auteurs du rapport d’information n° 4076 du 21 avril 2021 :https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion_def/l15b4076_rapport-information#_Toc256000072

([4]) https://www.ifri.org/fr/publications/briefings-de-lifri/filiere-munitions-francaise-face-haute-intensite-equilibres

([5]) Op. cit.

([6]) Comme le souligne Sophie Lefeez dans une étude de l’Institut français des relations internationales, « Si la complexité technique des matériels est bien une cause de croissance des coûts, alors nous sommes face à un problème structurel d’adéquation entre les ressources financières et les besoins d’équipement. Les experts de l’industrie de défense ont proposé plusieurs pistes pour contenir cette augmentation du coût des matériels, à l’achat comme au soutien. La diminution des séries a ainsi réduit le coût total du programme au prix d’une augmentation du coût unitaire du matériel acheté, une astuce qui semble désormais avoir atteint ses limites. » Cf. https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/fs42lefeez.pdf

([7])  Dans un rapport d’information consacré à la filière française des munitions : https://www.assemblee-nationale.fr/14/rap-info/i3361.asp

([8])  Soit 248 millions d’euros en 2022 et 273 millions d’euros en 2023.

([9]) Op. cit.

([10]) Op. cit.

([11]) L’opération Harmattan (du nom du vent harmattan) est la contribution française à l'intervention militaire de 2011 en Libye dans le cadre de la guerre civile libyenne. Elle a commencé le 19 mars 2011 et s'est terminée le 31 octobre 2011.

([12]) Op. cit.

([13]) Ibid.

([14]) Cf. notamment :

- https://www.lefigaro.fr/international/guerre-en-ukraine-comment-se-situe-la-france-en-termes-de-livraisons-d-armes-20221012 ;

https://www.la-croix.com/Monde/Guerre-Ukraine-quelles-armes-ete-livrees-Occidentaux-2023-01-20-1201251543

([15])S’agissant de cette métaphore, cf. notamment : https://www.ladepeche.fr/2022/08/22/defense-la-france-a-evolue-avec-une-armee-au-modele-bonsai-nous-avons-de-tout-mais-un-peu-10494872.php

https://www.lexpress.fr/politique/livre-blanc-sur-la-defense-la-tendance-a-l-armee-bonzai-se-poursuit_1245241.html

https://www.irsem.fr/le-collimateur/le-retour-a-la-haute-intensite-un-probleme-de-masse-1-les-impasses-des-armees-bonsai-28-09-2021.html

([16])  Pour faire court : les forces françaises ont de tout mais en petit format.

([17])  Cette vocation exclusivement militaire signifie que les munitions ne sauraient être remplacées par un équivalent civil en cas de pénurie – à la différence, par exemple, de véhicules de soutien ou du matériel médical.

([18])  S’agissant notamment des explosifs, des fusées d’armement, des leurres et des batteries.

([19]) https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/briant_filiere_munitions_francaise_2022_.pdf

([20]) Manque à ce schéma le nom d’ARESIA, constructeur français de bombes.

([21])  En complément, l’état-major des armées pilote la commission munitions des armées qui se réunit au moins une fois par an.

([22]) Comme le rappellent Nicolas Bays et Nicolas Dhuicq dans leur rapport d’information sur la filière française des munitions (op. cit.), « l’expression du besoin est avant tout l’affaire de chaque armée et de son état-major puis, en dernier ressort, celle de l’état-major des armées qui, dans un second temps, synthétise les différentes estimations et procède aux arbitrages nécessaires. Chaque armée (…) tient annuellement un comité de synthèse visant à formuler son besoin propre.(…) Les comités de synthèse des différentes armées se retrouvent ensuite au sein d’un comité de synthèse interarmées munitions afin de centraliser la définition du besoin. Un comité exécutif munitions se tient également, copiloté par l’état-major des armées et la DGA. A la tête de cette procédure se trouve le comité directeur du domaine capacitaire munitions (…). Le service interarmées des munitions est associé au processus en tant que détenteur des stocks et en tant qu’expert ».

([23]) Le stock objectif correspond à la quantité de munitions jugée nécessaire à l’accomplissement des missions des armées. Estimé par l’état-major des armées, le stock objectif est rapporté au stock détenu : soit le stock est suffisant, soit il doit être recomplété, soit apparaît un besoin nouveau à satisfaire par un achat sur étagère ou grâce au développement d’un programme d’armement.

([24]) Pour les munitions complexes, la DGA est compétente aussi bien pour compléter des stocks que pour développer de nouveaux programmes d’armement.

([25]) Dans un focus stratégique publié par l’IFRI en février 2013 intitulé « Toujours plus chers ? » : https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/fs42lefeez.pdf

 

([26]) Chaque unité détenant des droits en munitions octroyés par son état-major et accordés au titre de la dotation opérationnelle pour les munitions de combat et des allocations pour l’entraînement.

([27])  Rapport d’information sur sur la politique d’approvisionnement du ministère des Armées en « petits » équipements : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion_def/l15b3346_rapport-information#_Toc256000056

([28])  Les munitions F3 de 5,56 mm d’ADCOM ont ainsi été livrées à partir d’octobre 2007 pour remplacer celles de BAE Systems, mais elles se sont également avérées défaillantes, provoquant de multiples accidents de tir à partir de février 2008, ce qui a conduit à leur retrait du service en 2009.

([29]) Les munitions de petit calibre sont achetées :

- pour le 5,56 mm, auprès d’ATK (États-Unis), de CBC (Brésil) et de BAE (Royaume-Uni) pour les munitions du FAMAS et d’IMI (Israël) et BAE pour le fusil HK ;

- pour les munitions de 9 mm, auprès de MEN (Allemagne) et de Sellier Bellot (République tchèque) pour le Glock ;

- pour les munitions de 12,7 mm, auprès de FNB (Belgique), NAMMO (Norvège) et IMI (Israël) pour les mitraillettes et auprès d’une multiplicité de fournisseurs pour le fusil de précision PGM.

([30]) Les munitions de 40 mm sont téléscopées : le projectile est placé au cœur du chargement propulsif, ce qui permet, à performance égale, de réduire le volume de la cartouche par rapport à une munition conventionnelle.

([31]) L'artillerie désigne les armes collectives ou lourdes servant à envoyer, à grande distance, sur l'ennemi ou sur ses positions et ses équipements, divers projectiles de gros calibre.

([32]) Les munitions terrestres produites par Nexter sont des munitions d’artillerie, des mortiers et des obus de moyen calibre.

([33]) Les munitions aéronautiques produites par Nexter sont de moyen calibre.

([34]) Les munitions navales produites par Nexter sont des munitions d’artillerie et de moyen calibre.

([35]) Les leures aériens sont infrarouges, spectraux, électromagnétiques, électro-optiques ou cinématiques. Les leurres marins sont utilisés par les sous-marins contre les sonars. Les leurres terriens sont utilisés pour la protection des véhicules.

([36]) Les bombes ont généralement un corps pisciforme (supersonique) ou cylindro-ogivale (subsonique) à faible traînée. Le corps comporte une ogive et un culot. Il contient le chargement correspondant à la destination de la munition. contient aussi les fusées du dispositif d’amorçage, les anneaux d’accrochage (œillet, en « H », en ceinture, encastrés, vissés, soudés, avec ou sans adaptateur), les dispositifs anti-ricochets et anti-pénétration (Kopfring), les « STABO » (STAbilized BOdy), les tiges Dinarts.

([37])  Ou un corps inerte si c’est une bombe destinée à l’entraînement.

([38]) L’empennage, qui sert à stabiliser la bombe sur sa trajectoire, est de forme variable. Le corps de la bombe peut aussi porter des ailerons de stabilisation qui servent à améliorer les qualités balistiques de la munition, notamment sur des objectifs sous-marins.

([39])  Fixé à l’arrière de la bombe (kit arrière) lorsque cette dernière en est équipée, le propulseur augmente la portée de la bombe (distance de tir).

([40]) Le dispositif d’amorçage est couramment appelé « fusée ». Toute fusée peut être placée sur l’ogive (fusée d’ogive), sur les côtés (fusée latérale) ou sur le culot (fusée de culot). La fusée assure le fonctionnement de la bombe en provoquant à l’instant choisi, soit l’explosion, soit la combustion, soit l’éclatement, soit l’ouverture du corps.

([41]) Il assure la sécurité de transport pendant le vol de l’aéronef avant le largage.

([42]) S’agissant des kits avant et arrière produits par Safran pour l’armement air-sol modulaire (AASM), cf. infra le tableau des munitions complexes.

([43]) L’entreprise ARESIA présente une trajectoire de croissance originale et dynamique au sein de la BITD française : elle est née d’une démarche volontariste consistant à transformer la PME RAFAUT – spécialisée dans l’aéronautique – en une ETI robuste et innovante par un processus de croissance externe. L’enjeu était en effet de la doter d’une taille critique minimale pour lui permettre de doper son innovation grâce à des capacités d’autofinancement.

([44])  L’aptitude à entrer en premier résulte ainsi de la performance de nos systèmes d’arme.

([45]) Un autodirecteur est un dispositif permettant de guider automatiquement un missile vers son objectif.

([46]) Une centrale inertielle est un système de navigation qui fournit l’orientation d’un mobile dans un espace en trois dimensions. Une centrale inertielle est conçue pour obtenir en temps réel des mesures d’orientation précises (de 1° à 0,001°) et stables sur la durée pour tout type d’application. Les mesures d’orientation, de vitesse et de position aident à la navigation et à corriger les mouvements du mobile.

([47]) Op. cit.

([48])  La différence entre un missile et une torpille est que la seconde a une puissance bien supérieure au premier, permettant de détruire complètement les navires et les sous-marins.

([49]) Ainsi, dans la Revue nationale stratégique de 2022, le Président de la République exprime sa volonté « qu’en 2030, la France ait conforté son rôle de puissance d’équilibres ». Cf. : http://www.sgdsn.gouv.fr/uploads/2022/11/revue-nationale-strategique-07112022.pdf

 

([50])  S’agissant de cette absence de réactualisation, le co-rapporteur Vincent Bru considère que les contrats opérationnels font l’objet d’une actualisation permanente, sans dépendre d’un nouveau livre blanc. Cependant, les rapporteurs Bru et Rancoule s’accordent à penser que la publication d’un tel document aurait présenté une réelle plus-value.

([51]) Stéphanie Pezard, Michael Shurkin, David Ochmanek, A Strong Ally Stretched Thin. An Overview of France’s Defense Capabilities from a Burdensharing Perspective, RAND Corporation, 2021.

([52]) Op. cit.

([53]) Ibid.

([54]) Cf. II.

([55]) Op. cit.

([56]) Cf. II.

([57]) Op. cit.

([58]) Source : Léo Péria-Peigné, op. cit.

([59])  Dans un article de la Revue de défense nationale intitulé « Retour de la haute intensité : comment résoudre le dilemme entre masse et technologie ? » : https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2021-HS4-page-15.htm

([60]) Cf. l’analyse du lieutenant-colonel Raphaël Briant (op. cit.) : « [La] complexité a des conséquences sur la rusticité, le coût d’entretien et de stockage, les contraintes réglementaires et la disponibilité technique. Le cas du missile moyenne portée (MMP), destiné notamment à remplacer le missile anti-char Milan, est emblématique. Les performances bien supérieures du nouveau système d’arme (portée, guidage, charge, capteurs embarqués) ont cependant pour conséquence d’augmenter significativement son coût unitaire. »

([61]) En métropole et pour les forces prépositionnées.

([62])  Via les études de sécurité du travail.

([63])  Via les études de dangers.

([64]) Il s’agit d’une norme fixée par le Manuel des principes de sûreté de l’OTAN pour le stockage des munitions et explosifs militaires.

([65])  Les rapporteurs tiennent à rappeler que les exportations de munitions, comme des autres équipements militaires, font bien entendu l’objet d’un régime de licence d’exportation très strictement encadré par la commission interministérielle pour l'étude des exportations de matériels de guerre (CIEMG).

([66]) Op. cit.

([67]) Ibid.

([68])Registration, Evaluation and Autorisation of CHemicals, REACh : Règlement concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances.

([69]) N °1907/2006.

([70]) Op. cit.

([71]) Sur ce point, cf. https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/02/08/semi-conducteurs-le-plan-a-42-milliards-d-euros-de-la-commission-europeenne_6112749_3234.html

([72])  La notion de « munitions télé-opérées » doit être privilégiée par rapport à l’expression, souvent employée, de « munitions rôdeuses », impropre dans la mesure où l’homme reste en permanence dans la boucle décisionnelle, selon un même principe d’utilisation que les drones armés.

([73]) Cf.son audition devant la commission de la Défense nationale et des forces armées le 24 janvier dernier.