N° 910

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 1er mars 2023.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES (1)

portant observations sur la proposition de loi
relatif au régime juridique des actions de groupe ( 639),

 

ET PRÉSENTÉ

PAR M. Alexandre SABATOU,

Député

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(1)   La composition de la commission figure au verso de la présente page.


 

La Commission des affaires européennes est composée de : M. Pieyre-Alexandre ANGLADE, président ; M. Pierre-Henri DUMONT, Mme Marietta KARAMANLI, MM. Frédéric PETIT, Charles SITZENSTUHL, viceprésidents ; M. Henri ALFANDARI, Mmes Louise MOREL, Nathalie OZIOL, Sandra REGOL secrétaires ; MM. Gabriel AMARD, Rodrigo ARENAS, Pierrick BERTELOOT, Mme Anne-Laure BLIN, M. Manuel BOMPARD, Mme Pascale BOYER, MM. Stéphane BUCHOU, André CHASSAIGNE, Mmes Sophia CHIKIROU, Annick COUSIN, Laurence CRISTOL, MM. Thibaut FRANÇOIS, Guillaume GAROT, Mme Félicie GÉRARD, MM. Benjamin HADDAD, Michel HERBILLON, Alexandre HOLROYD, Philippe JUVIN, Mmes Brigitte KLINKERT, Julie LAERNOES, Constance LE GRIP, Nicole LE PEIH, M. Denis MASSÉGLIA, Mmes Joëlle MÉLIN, Yaël MENACHE, M. Thomas MÉNAGÉ, Mmes Lysiane MÉTAYER, Danièle OBONO, Anna PIC, M. Christophe PLASSARD, Mme Barbara POMPILI, MM. Jean-Pierre PONT, Richard RAMOS, Alexandre SABATOU, Nicolas SANSU, Vincent SEITLINGER, Mmes Liliana TANGUY, Sabine THILLAYE, Estelle YOUSSOUFFA.

 


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SOMMAIRE

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 Pages

Introduction

PREMIÈRE PARTIE : la création d’un régime juridique européen novateur de l’action de groupe renforce la protection des consommateurs

I. la protection des consommateurs, une compétence ancienne de l’union européenne :

A. une compétence inscrite dans les traités dans le respect du principe de subsidiarité

1. Le traité de Maastricht reconnaît une compétence communautaire en matière de droit des consommateurs

2. L’article 38 de la Charte des droits fondamentaux instaure un droit des consommateurs

B. L’harmonisation en matière de recours collectifs : une longue gestation

1. Une ambition ancienne de la Commission européenne partiellement freinée par certains États membres

a. Le livre vert sur les recours collectifs pour les consommateurs

b. La consultation publique de la Commission en matière de recours collectifs a mis en évidence des divergences entre États membres

c. La Communication et la Recommandation de 2013 posent les principes d’une harmonisation a minima des recours collectifs dans les États membres

2. La directive de 2009/2022/CE : une protection partielle limitée aux actions en cessation en matière de protection des intérêts des consommateurs

3. Les évaluations décevantes des initiatives prises par les États membres

II. LA directive 2020/1828 : une impulsion novatrice renforçant la protection du consommateur européen :

A. genèse de la directive, l’exigence d’un droit effectif et d’une réparation Équitable pour le consommateur européen :

1. Le scandale Volkswagen, un préjudice inégalement indemnisé

2. Des régimes juridiques inégalement protecteurs

3. « Une nouvelle donne pour les consommateurs », renforcer l’effectivité des droits des consommateurs en Europe

B. Un droit spécifique et novateur : les actions transfrontières

1. Le refus d’une « class action » à l’américaine concrétisé par des garanties explicites

a. Des entités qualifiées pour ester en justice

b. Un contrôle du financement des actions à des fins de transparence

c. Un mécanisme d’opt-in privilégié pour les actions en cessation

2. Une novation : les actions transfrontières

3. Des risques à évaluer

DEUXIÈME PARTIE : la transposition de la directive 2020/1828 représente une opportunité pour renforcer la protection des consommateurs français et européens

I. Le régime juridique français de l’action de groupe : un manque d’efficacité constaté

A. La LOI Hamon : un acte manqué pour le droit du consommateur

1. Une qualité pour agir trop restreinte

2. Une procédure trop longue

3. Une absence de financement

4. Une absence de sanction dissuasive

B. L’obligation de transposer la DIRECTIVE de 2020/1828 : une opportunité pour un régime juridique adapté À la défense du droit des consommateurs

1. Une obligation de transposer pour se conformer à nos obligations communautaires

2. Une opportunité pour refondre le régime juridique français au lieu d’une transposition a minima

II. La refonte du régime juridique français : une opportunité pour la protection du consommateur français et européen

A. un régime juridique ambitieux : l’action de groupe à la française

1. Une qualité pour agir ouverte

2. Un champ d’action universel

3. Une sanction dissuasive en cas de manquement aux obligations contractuelles

4. La création de juridictions spécialisées

B. Qui demeure incomplet

1. Un contrôle insuffisant des entités qualifiées pour les actions transfrontières

a. Un contrôle insuffisant de l’absence de conflits d’intérêts

b. Un contrôle moins strict et incomplet de la demande d’agrément

2. L’interdiction du financement par des tiers intéressés à l’action

3. L’absence de financement pour inciter le recours aux actions de groupe

Conclusion

TRAVAUX DE LA COMMISSION

annexe  1 : Liste des personnes auditionnées par le rapporteur

 


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   Introduction

 

 

 

Mesdames, Messieurs,

L’action de groupe – à savoir la possibilité d’un recours collectif en justice pour réparer un préjudice représentant de faibles montants monétaires, ou faire cesser un comportement délictueux lésant le consommateur, – a longtemps été déconsidérée car assimilée aux « class action » américaines, fantasmes de toutes les dérives associées à la jungle libérale d’un marché américain dérégulé.

Pour autant, l’action de groupe n’est rien d’autre qu’un moyen de défense pour le consommateur, qui sans elle, ne pourrait se pourvoir, seul, en justice au regard des coûts élevés et du faible gain attendu, pour obtenir réparation du préjudice subi.

L’action de groupe, le recours collectif, représente donc un moyen de défense pour les consommateurs démunis face à des multinationales aguerries, un moyen nécessaire pour protéger les consommateurs français et européens.

Le scandale du « Dieselgate », en 2015, révélant l’utilisation pendant des années d’un logiciel trompeur pour éviter de se conformer à la législation européenne par l’entreprise Volkswagen, les annulations de vol en série par l’entreprise Ryanair, en 2017, sont autant d’exemples démontrant la nécessité, voire l’urgence, d’adapter notre droit pour une meilleure défense des consommateurs français et européens.

L’Union européenne a réfléchi, dès les années soixante-dix, à une meilleure protection des consommateurs dans le cadre de la construction et de l’achèvement du marché intérieur.

Le droit des consommateurs est devenu une compétence de l’Union européenne, dès le traité de Maastricht, et a été reconnu comme un droit à part entière dans la Charte des droits fondamentaux.

Toutefois, la gestation a été longue et difficile du fait de la résistance marquée de nombreux États membres attachés à leurs traditions juridiques et prérogatives procédurales, alors que l’effectivité du droit des consommateurs était en jeu. La France, dans ce théâtre de résistance, a soutenu une position médiane et mesurée.

Malgré une percée en droit interne, par la loi n° 2014- 344 du 17 mars 2014 relative à la consommation, dite « loi Hamon », l’action de groupe n’a pourtant pas pris sur le terreau du droit français, du fait des nombreux freins posés par le législateur.

La directive (UE) 2020/1828 relative aux actions représentatives visant à protéger les intérêts collectifs des consommateurs répond à l’exigence nécessaire de rendre la protection du droit des consommateurs, effective. Elle pose un double principe : l’obligation pour chaque État membre d’instaurer un régime juridique d’action de groupe en cohérence avec son droit interne, et la création d’une action transnationale, transfrontière permettant aux consommateurs de chaque État membre de participer à une action de groupe à l’échelle européenne.

À ce titre les droits du consommateur sont doublement garantis, à l’échelle nationale ainsi qu’à l’échelle européenne.

La proposition de loi relative au régime juridique des actions de groupe, présentée par Mme Laurence Vichnievsky et M. Philippe Gosselin, opère une refonte du régime juridique de l’action de groupe à la française en cohérence avec les dispositions de la directive.

Toutefois, elle porte cette ambition plus haut en assurant la transposition de la novation à l’échelle européenne que représentent les actions de groupe transfrontières. Même si certaines dispositions interrogent et mériteraient d’être amendées, à l’ambition européenne, très protectrice du droit des consommateurs, répond une ambition similaire en droit interne qu’il convient de saluer.

Pour conclure ses propos liminaires et reconnaître une avancée majeure pour la protection du consommateur français, nous ferons nôtres les mots du rapporteur de la directive devant le Parlement européen, tant ils traduisent ce que l’Europe devait être et n’est malheureusement pas toujours, mais qu’elle a été avec l’adoption à la quasi-unanimité de cette directive :

« L’Europe, enfin, en sort gagnante, à un moment où les peuples reprochent, parfois à juste titre, à l’Union européenne d’imposer nombre de normes et de contraintes. Elle démontre ici qu’elle sait s’adapter aux nouveaux besoins et surtout qu’elle est en mesure d’offrir de nouveaux droits aux citoyens. Il s’agit là d’un progrès économique, d’un progrès juridique, mais surtout d’un progrès politique que nous devons tous nous approprier et que nous pouvons tous revendiquer. » ([1])

 

 


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   PREMIÈRE PARTIE : la création d’un régime juridique européen novateur de l’action de groupe renforce la protection des consommateurs

I.   la protection des consommateurs, une compétence ancienne de l’union européenne :

Corollaire de la construction du marché intérieur, la protection des consommateurs s’inscrit dans le droit primaire de l’Union européenne, dès l’adoption du traité de Maastricht, en 1992. Toutefois, de manière plus novatrice, cette compétence est également reconnue comme un droit à part entière dans la Charte des droits fondamentaux, adoptée en 2000, lors du Conseil européen de Nice.

Bien qu’inscrite au sommet de l’ordre juridique européen, la protection des consommateurs a nécessité une longue mise en œuvre dont la directive 2020/1828 apparaît être le point d’orgue, pour proposer selon les mots de M. Geoffroy Didier, rapporteur du texte devant le Parlement européen, « un changement d’ambition et un changement de dimension […] à l’ensemble des citoyens de l’Union européenne » ([2])

Cette lente mise en œuvre du droit de la consommation à l’échelle européenne s’explique en partie par le respect du principe de subsidiarité en ce qui concerne les systèmes juridiques nationaux et les traditions juridiques des États membres.

Toutefois, dans un marché intérieur de plus en plus intégré, le droit des consommateurs ne peut plus être une simple variable d’ajustement, un simple droit déclaratif, mais nécessite une réelle effectivité. À ce titre, le scandale « Volkswagen » a fait l’effet d’une sourde détonation dans le ciel serein européen lorsque les consommateurs se sont réveillés, inégalement réparés dans leurs droits, là où les consommateurs américains se sont trouvés intégralement remboursés de leurs préjudices.

La directive 2020/1828 se trouve donc être le fruit d’un long processus de concertation pour arriver à une harmonisation minimale des principes juridiques en vigueur dans les États membres pour permettre des recours collectifs au sein de l’Union européenne, au sein de chaque État membre, mais surtout, novation particulière, des recours transfrontaliers.

A.   une compétence inscrite dans les traités dans le respect du principe de subsidiarité

Corollaire de la construction du marché intérieur, le traité de Maastricht inscrit la protection des droits des consommateurs comme une compétence de l’Union européenne.

1.   Le traité de Maastricht reconnaît une compétence communautaire en matière de droit des consommateurs

Inscrit à l’article 153 du traité des communautés européennes (TCE), aujourd’hui devenu l’article 169 du traité de fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), le droit des consommateurs s’autonomise pour une meilleure protection des consommateurs.

En effet, les premières mentions d’une protection des consommateurs remontent aux années 1970, et plus précisément à une Résolution du Conseil du 14 avril 1975 intitulée « Programme préliminaire de la Communauté économique européenne pour une politique de protection et d’information des consommateurs »([3]) dans laquelle il est déjà fait mention d’un droit à la réparation des dommages.

Le 19 mai 1981, le Conseil prend une seconde Résolution « concernant un deuxième programme de la Communauté économique et européenne pour une politique de protection et d’information des consommateurs »([4]) qui présente une feuille de route de la mise en œuvre de cette protection renforcée du consommateur européen.

En 1985, la Commission présente une Communication intitulée, « Nouvelle impulsion pour la politique de protection des consommateurs », qui fait figure de troisième programme.

Mais l’absence de base légale rend ces programmes essentiellement déclaratifs et programmatiques, jusqu’à l’entrée en vigueur, en 1987, de l’Acte unique européen, qui dispose que la Commission doit tenir compte de la protection des consommateurs dans les lois communautaires relatives au marché intérieur (article 100 A).

Aux termes de l’article 153 du TCE, devenu l’actuel article 169 TFUE, le droit de la consommation s’inscrit dans les politiques de l’Union européenne, il ne s’agit pas tant de la reconnaissance d’un droit en tant que tel mais davantage de la reconnaissance d’une obligation pour l’Union de « promouvoir les intérêts des consommateurs et d’assurer un niveau élevé de protection des consommateurs » en contribuant « à la protection de la santé, de la sécurité et des intérêts économiques des consommateurs ainsi qu’à la promotion de leur droit à l’information, à l’éducation et à s’organiser afin de préserver leurs intérêts. »

Quant à l’article 12 du TFUE, il précise que « les exigences de la protection des consommateurs sont prises en considération dans la définition et la mise en œuvre des autres politiques et actions de l’Union européenne. »

Toutefois, forte d’une base légale solide, la protection des consommateurs devient donc une compétence transversale de l’Union européenne.

2.   L’article 38 de la Charte des droits fondamentaux instaure un droit des consommateurs

Quant à l’article 38 de la Charte des droits fondamentaux, intitulé « Protection des consommateurs », sans reconnaître un droit fondamental comparable à celui assurant la protection des données personnelles inscrite à l’article 8, il rappelle « qu’un niveau élevé de protection des consommateurs est assuré dans les politiques de l’Union » et renvoie sa mise en œuvre à l’article 169 TFUE précité.

Sans nous interroger sur la question de la « fondamentalité » du droit des consommateurs([5]), l’inscription de sa protection dans la Charte des droits fondamentaux a été pour l’Union une incitation à agir pour rendre pleinement effectives les compétences ouvertes par les traités.

Toutefois, pour assurer l’effectivité d’une protection du droit du consommateur, et c’est ce qui explique en partie la lente construction d’une harmonisation en matière de recours collectifs, cette protection doit tenir compte du principe de subsidiarité concernant les systèmes juridiques nationaux et les traditions juridiques nationales.

B.   L’harmonisation en matière de recours collectifs : une longue gestation

Le droit des consommateurs, ou plus précisément sa protection, a patiemment été mis en œuvre par des actes de droit dérivé, dont les plus emblématiques, à ce jour, sont la directive 93/13 dite « clauses abusives »([6]) ou la directive 2011/83 dite « droits des consommateurs ».([7])

Toutefois, si ces actes ont permis une meilleure protection du consommateur européen ils se sont avérés être insuffisamment protecteurs car ils n’offraient pas de véritables recours aux consommateurs lésés, soit parce que le système juridique de l’État membre n’offrait pas d’action en matière de recours collectifs, soit parce que la législation nationale ou communautaire ne permettait pas un recours dans le champ du droit dans lequel le préjudice avait été constaté.

Pour autant, la création d’un régime juridique d’action de groupe à l’européenne demeure une ambition ancienne, partiellement formalisée par la directive de 2009-2022/CE([8]), et dont la directive 2020/1828([9]) est l’aboutissement.

1.   Une ambition ancienne de la Commission européenne partiellement freinée par certains États membres

Mentionnée pour la première fois, dans le Mémorandum sur l’accès des consommateurs à la justice([10]), la mise en place d’un mécanisme européen harmonisé de recours collectifs n’a pris corps qu’en 2020 avec l’adoption par le Conseil (à l’issue d’un vote majoritaire) et du Parlement européen de la directive 2020/1828([11]), qui met en œuvre un mécanisme original de recours collectifs sur la base d’actions de groupes nationales et transfrontalières.

a.   Le livre vert sur les recours collectifs pour les consommateurs

Dans son livre vert sur les recours collectifs pour les consommateurs([12]), la Commission pose le cadre juridique relatif aux actions collectives, permettant d’une part de rendre effectif le droit des consommateurs mais également d’avoir une fonction dissuasive sur les comportements abusifs des entreprises.

La Commission rappelle que l’intérêt d’instaurer une procédure en matière de recours collectifs repose sur la possibilité pour les consommateurs d’avoir une confiance dans les transactions transfrontalières équivalente à celle qu’ils ont dans leur propre pays. En l’occurrence, « 76 % des consommateurs qui se défient des
achats transfrontaliers estiment que pour les mettre en confiance, il serait plutôt
important voire très important qu'ils puissent porter les litiges transfrontaliers devant leurs juridictions internes, sur la base de leur droit national ».([13])

Instaurer un mécanisme de recours collectifs c’est répondre à cette inquiétude. Selon les études faites par la Commission, les secteurs dans lesquels les consommateurs estiment le plus difficile d’obtenir réparation d’un préjudice de masse sont « les services financiers (39 % des affaires recensées), les télécommunications (12 %), les transports (8 %) ainsi que les voyages à forfait et le tourisme (7 %) ».([14])

Autres freins à la protection des droits des consommateurs, la durée des procédures ainsi que leurs coûts. Pour des litiges souvent inférieurs à 1 000 euros, il existe peu de recours individuels, d’où l’intérêt d’une action collective pour obtenir réparation.

Sans aboutir à une initiative législative, telle que prévue initialement dans son livre vert, la Commission a organisé en 2011 une consultation publique sur le sujet.

b.   La consultation publique de la Commission en matière de recours collectifs a mis en évidence des divergences entre États membres

En 2011, une large consultation est lancée sur la question de l’harmonisation des systèmes légaux, intitulée : « Renforcer la cohérence de l’approche européenne en matière de recours collectifs ».

Lors de cette consultation, certains États membres ont manifesté une franche opposition, qu’il s’agisse du Royaume-Uni, alors membre de l’Union, ou de l’Allemagne, en arguant que les procédures civiles et pénales aux termes de l’article 81 TFUE relèvent exclusivement de la compétence des États membres.

La France, quant à elle, a opté pour une approche plus mesurée, soulignant la nécessité d'assurer le respect des principes de proportionnalité et de subsidiarité reconnus par le traité de Lisbonne.

Plus généralement, la majorité des États membres ont fait part de leurs inquiétudes dans ce qui pourrait s’apparenter à une reproduction du système des actions de groupe à l’américaine (« class actions ») et conduire à des « recours abusifs » entachant à tort la réputation des entreprises.

En réponse, la Commission a présenté une Communication, suivie d’une Recommandation, renonçant provisoirement à légiférer au regard de l’absence de consensus en la matière.

c.   La Communication et la Recommandation de 2013 posent les principes d’une harmonisation a minima des recours collectifs dans les États membres

La communication de la Commission européenne « Vers un cadre horizontal européen pour les recours collectifs »([15]), suivie de la Recommandation du 11 juin 2013 relative à des principes communs applicables aux mécanismes de recours collectif en cessation et en réparation dans les États membres en cas de violation de droits conférés par le droit de l’Union (2013/396/UE)([16]), précisent les principes « horizontaux » sur lesquels doivent reposer une harmonisation minimale des différents systèmes juridique nationaux afin d’offrir un cadre plus protecteur aux consommateurs en matière de recours collectifs.

Cette harmonisation a pour objet, a minima, la mise en œuvre d’un recours collectif dans chaque État membre. Par recours collectif, il faut entendre : « un mécanisme procédural qui permet, pour des raisons d’économie de procédure et/ou d’efficacité du contrôle du respect du droit, le regroupement de nombreuses demandes en justice similaires dans une action en justice unique ».

Ce recours collectif a un intérêt « lorsque le préjudice individuel est si faible que des demandeurs potentiels ne considéreraient pas qu’il vaille la peine d’engager un recours à titre individuel » et que l’ensemble des demandes « a pour origine la même violation du droit ».([17])

Le recours collectif doit prendre une double forme, une action en cessation, par laquelle il s’agit de faire cesser une pratique illégale, et une action en réparation, par laquelle le demandeur souhaite faire indemniser le préjudice qu’il a subi.

Pour répondre aux préventions de certains États membres, la Commission a posé un certain nombre de garanties, tels que :

-         des critères de transparence pour la désignation et le financement des entités qualifiées autorisées à plaider ;

-         la limitation des clauses d’opt-out au profit de la clause d’opt-in,

-         le remboursement des frais de justice à la partie gagnante ;

-         la nécessité d’informer les demandeurs potentiels qui pourraient se joindre à l’action collective ;

-         l’interdiction d’octroyer des dommages-intérêts punitifs ;

-         l’interdiction de verser des honoraires de résultat aux avocats pour les dissuader d’engager des procédures judiciaires abusives.

Par clause d’opt-in, on entend pour le justiciable le fait de manifester clairement sa volonté de participer au recours collectif, il s’agit d’un consentement exprès, par clause d’opt-out, à l’inverse, on entend le fait que le justiciable s’il n’a pas manifesté sa volonté expresse de non-participation au recours, est considéré comme volontaire pour y participer.

Ces principes se retrouvent en grande partie repris par la directive 2020/1828.

Outre une harmonisation minimale des systèmes juridiques nationaux, d’ici 2015, la Recommandation prévoyait une évaluation, en 2018, des initiatives prises par les États membres.

2.   La directive de 2009/2022/CE : une protection partielle limitée aux actions en cessation en matière de protection des intérêts des consommateurs

La directive 2009/22/CE([18]) relative aux actions en cessation en matière de protection des intérêts des consommateurs a par définition un champ d’action limité puisqu’elle précise le régime juridique des actions en cessation mais ne s’intéresse pas à celui des actions en réparation.

L’évaluation par la Commission de cette directive, lors du programme pour une réglementation affûtée et performante (REFIT), a mis en évidence que les coûts et les longueurs des procédures ont rendu difficile sa mise en application. En outre, l’absence de mécanismes d’indemnisation en cas de dommages a incité la Commission à refondre le cadre légal dans la directive 2020/1828 et à abroger la directive 2009/CE/22.

3.   Les évaluations décevantes des initiatives prises par les États membres

Outre le rapport prévu par la Recommandation de la Commission de 2013, dénommé ci-après rapport de 2018([19]), la Commission a également évalué la législation existante, dont la directive 2009/CE/22, lors de son programme REFIT, en 2017.

Cette double évaluation a révélé que l’harmonisation des systèmes juridiques en matière de recours collectifs n’avait pas atteint ses objectifs, ouvrant dès lors, la porte à une initiative plus contraignante, celle d’une nouvelle proposition de directive tant pour les actions en cessation que pour les actions en réparation.

Le rapport de 2018, a ainsi, mis en évidence que sur les 28 États membres, seuls 9 d’entre eux avaient adopté des mécanismes de recours collectifs à des fins compensatoires, tandis que 7 autres États membres avaient choisi des mécanismes fort éloignés de la Recommandation de 2013.

Outre l’absence d’harmonisation en matière de recours collectifs entre États membres, le rapport de 2018 a mis en évidence la longueur et la difficulté d’accès aux procédures de recours collectifs ne permettant pas une reconnaissance effective des droits des consommateurs.

L’absence de résultats probants, combinée à des scandales en matière de droit des consommateurs – le scandale dit « Volkswagen » ou le scandale dit « Ryanair » – ont montré l’urgence qu’il y avait à légiférer pour rendre les droits du consommateur européen effectifs, tant dans les différents systèmes juridiques nationaux que par la création d’un mécanisme de recours transfrontalier, les systèmes juridiques nationaux pouvant se montrer inéquitables en matière de réparation des dommages pour un même préjudice constaté.

II.   LA directive 2020/1828 : une impulsion novatrice renforçant la protection du consommateur européen :

La directive (UE) 2020/1828 relative aux actions représentatives visant à protéger les intérêts collectifs des consommateurs([20]) répond à cet impératif : renforcer les droits du consommateur européen par la création originale d’une action de groupe européenne.

Pour Geoffroy Didier, rapporteur du texte devant le Parlement européen, le vote de cette directive est une victoire pour le consommateur européen : « Jusqu’ici, nous le savions, face à des compagnies aériennes, à de grandes banques ou à de grosses sociétés industrielles, un consommateur seul n’agissait pas en justice, car la justice est un processus long, coûteux et incertain. Jusqu’ici aussi, ces recours collectifs étaient seulement possibles dans certains pays d’Europe : près d’une dizaine d’États n’en étaient pas dotés et, surtout, il était impossible d’intenter une action dans un autre pays que le sien et de s’associer ainsi à d’autres consommateurs européens. » ([21])

Adoptée le 24 novembre 2020 par le Parlement européen, publiée au Journal officiel de l’Union européenne (JOUE) du 4 décembre 2020, la directive 2020/1828 crée un système original d’action de groupe européenne, en harmonisant a minima les différents droits nationaux et en ouvrant la possibilité pour chaque consommateur européen de se joindre pour un même préjudice à des actions de groupe transfrontières. Les États membres avaient jusqu’au 25 décembre pour mettre leur droit en conformité avec ses dispositions, la directive devant s’appliquer au plus tard le 25 juin 2023.

A.   genèse de la directive, l’exigence d’un droit effectif et d’une réparation Équitable pour le consommateur européen :

La directive établit un double constat : des préjudices mal indemnisés du fait de systèmes juridiques fragmentés ; la nécessité de redonner confiance au consommateur européen par l’émergence d’une législation plus équitable pour rendre les droits des consommateurs européens effectifs.

Premier constat : le scandale dit « Volkswagen » a mis en évidence la disparité de traitement entre les consommateurs américains et les consommateurs européens, là où les consommateurs européens n’ont pas tous été indemnisés pour le même préjudice, les consommateurs américains ont réussi à obtenir réparation dans un délai relativement court, là où des actions sont encore pendantes au sein des différents États membres de l’Union européenne.

Second constat : la cause de cette non effectivité du droit des consommateurs européens, pourtant protégé par le traité et la Charte des droits fondamentaux, résulte de systèmes juridiques fragmentés ne permettant pas d’obtenir pour un même préjudice une réparation similaire ce qui conduit à une défiance du consommateur envers le fonctionnement du marché intérieur.

Ce double constat a pour corollaire une volonté, celle de la Commission, de faire cesser une iniquité de traitement au sein du marché intérieur, formalisée par la Communication de 2018 : « Une nouvelle donne pour le consommateur » dont est issue la présente directive.

1.   Le scandale Volkswagen, un préjudice inégalement indemnisé

Pour Mme Vĕra Jourová, commissaire chargée de la justice, des consommateurs et de l'égalité des genres, dans le contexte du scandale dit « Volkswagen », autrement appelé « Dieselgate », l’absence de mécanisme permettant d’assurer une indemnisation équitable des consommateurs européens est apparu comme un véritable déni du droit européen.

Outre une différence de traitements en matière de réparation des préjudices entre consommateurs européens et américains, le « Dieselgate » a révélé l’insuffisance des mécanismes juridiques de défense des intérêts des consommateurs européens, ainsi que l’impérieuse nécessité de légiférer pour redonner confiance aux consommateurs dans le fonctionnement équitable du marché intérieur, et ce d’autant que l’auteur de l’ampleur de cette fraude, n’était autre qu’une entreprise européenne emblématique, Volkswagen.

L’absence de procédures d’actions de groupe dans plusieurs États membres a facilité la non indemnisation de certains consommateurs européens, mais a également permis à Volkswagen de procéder à des mesures dilatoires afin de ne pas se conformer à ses obligations en termes de réparation. Par ailleurs, les actions qui ont été couronnées de succès l’ont été à l’issue de procédures particulièrement longues mettant en exergue la force du système juridique américain dans ce domaine et la faiblesse des systèmes juridiques européens.

Avec la transposition de la directive, et la possibilité d’intenter une action transfrontière, cet état de fait ne sera plus possible. En ce sens, l’adoption de la directive 2020/1828 s’avère bien être une victoire pour le consommateur européen.

Le scandale du Dieselgate

En septembre 2015, les autorités américaines découvrent que l’entreprise Volkswagen a, pendant plusieurs années, eu recours à un logiciel frauduleux pour truquer les résultats à la baisse de ses émissions de gaz polluants de certains de ses moteurs diesel lors des tests d’homologation, et ce afin d’être en conformité avec les normes antipollution imposées notamment par les législations européennes et américaines.

Cette importante fraude a mis en évidence les différences de traitement en matière de réparation des préjudices entre les consommateurs européens et le reste du monde mais également entre les différents États membres au sein de l’Union européenne.

Alexandre Biard, membre du Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC), rappelle que Volkwsagen a ainsi accepté de mieux dédommager les consommateurs non européens :

- aux États-Unis en payant environ 14,7 milliards de dollars, en 2016, soit un an après la découverte du scandale ;

- en Australie, en acceptant une transaction de 120 millions de dollars australiens (environ 77 millions d’euros), mettant ainsi fin à plusieurs class actions, en 2020 ;

- au Brésil, en versant un milliard de reals brésiliens (environ 150 millions d’euros) à 17 000 consommateurs, en octobre 2017.

En revanche, en Europe la situation s’est avérée très différente.

En 2015, tous les États membres ne disposaient pas de mécanisme de recours collectifs, dissuadant ainsi les consommateurs individuels d’agir en justice pour demander réparation. En outre, Volkswagen a mis en place une stratégie d’allongement et de ralentissement des procédures au niveau national afin de retarder le plus possible le rendu d’un jugement. Le constructeur automobile a également toujours refusé de trouver un accord pour indemniser tous les consommateurs européens, et ce malgré les appels répétés des associations de consommateurs et de hauts responsables européens.

En Allemagne, l’association Verbraucherzentrale Bundesverband (vzbv) a eu recours à la procédure dite « Musterfestellungsklage » devant le tribunal de Brunswick situé en Basse-Saxe où Volkswagen a son siège. Cette procédure permet aux demandeurs ayant des réclamations similaires contre une entreprise de regrouper leurs revendications dans une seule procédure, dite procédure modèle (Musterfestellungsklage). 430 000 consommateurs se sont joints à cette action pour obtenir un jugement de reconnaissance de responsabilité contre le fabricant. En février 2020, avant le rendu du jugement, vzbv et Volkswagen ont conclu un accord pour indemniser les consommateurs. Au total, Volkswagen a versé près de 750 millions d’euros d’indemnisation à 240 000 consommateurs.

En janvier 2021, le tribunal de Madrid a condamné Volkswagen à payer 16,3 millions d’euros à près 5 400 clients espagnols dans le cadre de l’action collective intentée par l’association espagnole OCU.

En Belgique, l’association Test-Achats/Test-Aankoop a lancé une action collective devant le tribunal de première instance néerlandophone de Bruxelles en juin 2016, après l’échec d’un accord en raison du refus de Volkswagen et de nombreux reports, dus notamment à la pandémie, l’audience est fixée en mai 2023.

En France, tant des actions pénales que civiles ont été menées sans un succès véritable à ce jour. L’association UFC-Que Choisir a renoncé à introduire une action de groupe en raison de l’impossibilité juridique à la mener. Toutefois, après les jugements rendus dans les autres États membres, l’association Consommation Logement Cadre de Vie (CLCV) a finalement pris la décision de lancer une action de groupe contre Volkswagen en septembre 2020. De plus, UFC-Que-Choisir et CLCV sont parties civiles à une action pénale devant le tribunal judiciaire de Paris pour escroquerie et tromperie aggravée. Enfin, une procédure individuelle, soutenue par CLCV, a été menée avec succès puisqu’en avril 2021, la Cour d’Appel de Pau a indemnisé le plaignant pour les préjudices matériels, de décote de son véhicule et pour le préjudice, et moral, de quelques milliers d’euros (4 000 au total).

Au Luxembourg, où aucun mécanisme de recours collectif n’existe, l’Union Luxembourgeoise des Consommateurs (ULC) a sélectionné, en 2018, quatre plaintes « modèles » de consommateurs et les a portées devant le tribunal d’arrondissement de Luxembourg. La décision doit être rendue au premier semestre 2023.

Sources : Alexandre Biard, Retour sur 6 ans de Dieselgate en Europe du point de vue des consommateurs, Droit de la consommation – Consumentenrecht, juin 2021 ; Rivais, R., Dieselgate : première indemnisation, en France, d’un propriétaire de Volkswagen, Le Monde, 12 mai 2021.

2.   Des régimes juridiques inégalement protecteurs

Outre une indemnisation différenciée selon les États membres, voire une absence d’indemnisation dans le cadre du scandale Volkswagen, d’autres contentieux de masse, telles les annulations de vols répétées, en septembre 2017, par la compagnie aérienne Ryanair, également une entreprise européenne, ont montré la nécessité d’harmoniser les actions collectives pour assurer une protection renforcée des droits du consommateur européen.

Néanmoins des dissensions fortes existaient au sein des États membres, entre ceux disposant d’un mécanisme efficace en matière de recours collectifs et ceux n’en disposant pas, et ne souhaitant pas en disposer, au regard des craintes légitimes soulevées par une judiciarisation du droit des consommateurs sur le modèle américain.

Les scandales précités ont cependant conduit la Commission à agir et à proposer un cadre légal d’harmonisation tout en répondant aux craintes évoquées par la mise en place de garanties pour éviter une judiciarisation à l’américaine des droits des consommateurs européens.

L’action de groupe dans quelques États membres de l’Union européenne :
un droit fragmenté

La plupart des mécanismes de recours collectifs ont été mis en œuvre dans les États membres, il y a environ une quinzaine d’années.

Au Portugal, l’action de groupe (« acção popular », action populaire) est inscrite dans la Constitution depuis le XIXe siècle, toutefois son fonctionnement a été précisé en 1995. Elle peut prendre une double forme : une action populaire administrative (contestation de la légalité d’un acte administratif portant atteinte aux mêmes intérêts) ou une action populaire civile.

Principalement utilisée en droit de la consommation et de la santé publique, parfois en droit de l’environnement, de la défense du patrimoine culturel ou de la défense de communes et régions autonomes en cas de négligences ou omissions d’agents publics, la procédure peut être engagée par chaque citoyen ou par une association de défense des intérêts en cause. Elle fonctionne sur le mode de l’opt-out, c’est-à-dire que toutes les victimes sont réputées appartenant au groupe, sauf celles ayant expressément déclaré le contraire.

Les pouvoirs du juge sont importants : il peut rejeter la demande en matière civile s’il constate qu'il existe un doute manifeste sur la possibilité d'obtenir gain de cause. La décision du tribunal précise également les modalités de versement de l'indemnisation qui peut être soit un montant global, soit un montant individualisé.

Aux Pays-Bas, l’action de groupe figure dans le code de procédure civile, depuis 2005.

Le champ d’application de l’action de groupe est illimité. Les victimes sont représentées par des associations ou des fondations dont les statuts prévoient une telle représentation. Un accord extrajudiciaire préalable est nécessaire entre, d’une part, les représentants des responsables d’un dommage et, d’autre part, ceux des victimes, afin de fixer une indemnisation commune. Une homologation de l’accord d’indemnisation signé est ensuite demandée de façon conjointe au juge compétent. Elle fonctionne sur le mécanisme de l’opt-in, chaque victime déclarant si elle souhaite ou non se voir appliquer le contenu de l’accord. Il suffit qu’un seul plaignant participant à l’action soit domicilié aux Pays-Bas pour pouvoir engager une procédure devant les tribunaux de cet État membre.

En Italie, un mécanisme d’action de groupe  azione collettiva ») a été institué par une loi, en 2009. Seuls deux secteurs sont concernés : les droits des consommateurs placés dans une situation similaire et la possibilité d’ordonner à l'administration de faire cesser une situation donnée pour améliorer l’efficacité du service public.

Les victimes agissent par l'intermédiaire d'une association à laquelle ils donnent mandat ou par l'intermédiaire d'un comité auquel ils participent, pour la recherche de la responsabilité et de la condamnation à réparation du défendeur, il s’agit d’un mécanisme d’opt-in. En recourant à l’action de groupe, les victimes sont dispensées du ministère d'avocat, mais renoncent à toute action individuelle en restitution ou en dédommagement fondée sur le même motif, sauf dans le cas d'une transaction à laquelle ils ont expressément consenti.

En Suède, les procédures d’actions de groupe ont été mises en place, en 2003. Elles s’appliquent à toute action civile et à toute action relevant du droit de l’environnement. Elle fonctionne selon le mode de l’opt-in puisque les associations, personnes privées ainsi que les autorités publiques peuvent saisir le juge qui doit informer les personnes susceptibles de se joindre au groupe et demander ensuite confirmation par écrit de leur souhait de participer à la procédure. Le temps procédural est long, aussi de nombreux litiges sont-ils résolus par le biais de procédures extrajudiciaires, par médiation, permettant une résolution à l’amiable du litige.

En Allemagne, l’action de groupe pour les consommateurs (Musterfeststellungsklage, littéralement action en constatation de modèle) a été introduite par le législateur en 2018. Elle permet à un groupe de personnes ayant subi un préjudice similaire de poursuivre en justice une entreprise ou une institution. L’action est introduite en justice par une association de consommateurs agréée, et il est également possible pour les consommateurs victimes de se joindre à la plainte en s'inscrivant au registre des dépôts de plainte de l’Office fédéral de la Justice. La procédure ne peut être ouverte que si un minimum de 50 consommateurs demande réparation. Le tribunal examine si les arguments présentés par l'organisation sont fondés et statue sur l'affaire. Au contraire des procédures d’action de groupe classiques visant à obtenir un redressement individuel, la procédure de Musterfeststellungsklage a pour objectif d’établir les conditions générales préalables à l'obtention de la réparation. Il revient ensuite aux consommateurs d’intenter une action individuelle devant la justice pour obtenir la réparation de leur préjudice.

Sources : Centre Européen de la Consommation (CEC) La protection des consommateurs en Allemagne ; L’action de groupe en France : une volonté européenne ; Sénat, Étude de législation comparée n° 206 - mai 2010 - Les actions de groupe ; Lein, E., Fairgrieve, D., Salim, R., James, A., Bonze, C., & Zaveta, M. (2 017). State of Collective Redress in the EU in the context of the implementation of the Commission Recommendation.

3.   « Une nouvelle donne pour les consommateurs », renforcer l’effectivité des droits des consommateurs en Europe

Pour renforcer les droits des consommateurs européens, la Commission a présenté, le 11 avril 2018, dans sa Communication « Une nouvelle donne pour les consommateurs », une refonte du cadre juridique de la protection des consommateurs.

Selon les mots, de M. Timmermans, alors premier vice-président, il s’agit de mettre en place : « un droit de recours collectif européen pour des groupes de consommateurs ayant subi un préjudice, comme cela a pu se produire récemment, assorti de garanties appropriées pour empêcher tout abus. »([22])

Quant à Mme Vĕra Jourová, alors commissaire chargée de la justice, des consommateurs et de l'égalité des genres, elle a rappelé la nécessité de restaurer un équilibre entre les grandes entreprises qui disposent d’un avantage considérable et les consommateurs. ([23])

Outre une refonte de quatre directives – la directive concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, la directive relative à la protection des consommateurs en matière d’indication des prix des produits offerts aux consommateurs, la directive relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs, et la directive relative aux droits de consommateurs – ce paquet législatif comprend également la proposition de directive relative aux actions représentatives pour la protection des intérêts collectifs des consommateurs et abrogeant la directive 2009/22/CE relatives aux actions en cessation 2020/1828.

B.   Un droit spécifique et novateur : les actions transfrontières

La directive (UE) n° 2020/1828 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2020 relative aux actions représentatives visant à protéger les intérêts collectifs des consommateurs et abrogeant la directive n° 2009/22/CE, tend « à garantir qu’un mécanisme d’action représentative visant à protéger les intérêts collectifs des consommateurs est disponible dans tous les États membres, tout en prévoyant des garanties appropriées pour éviter les recours abusifs ».([24])

Dit autrement la directive 2020/1828 crée un régime juridique spécifique de recours collectif qui diffère du modèle américain dit de la « class action ».

Outre la mise en œuvre de garanties pour éviter les abus propres au système américain, la directive instaure une forme de recours collectif original, à savoir renforcer ou mettre en œuvre des mécanismes d’action de groupe dans chaque État membre, mais également créer un dispositif permettant de faire des recours transfrontières.

La directive propose un large champ d’application tant pour les actions en cessation qu’en réparation, pas moins de soixante-six domaines figurent dans son annexe I. À titre d’exemple, on peut citer le droit de la consommation, la protection des données, les services financiers, le transport aérien et ferroviaire, le tourisme, l’énergie, l’environnement ou la santé.

Ce droit est ouvert tant pour les actions en cessation que pour les actions en réparation.

1.   Le refus d’une « class action » à l’américaine concrétisé par des garanties explicites

En premier lieu, pour éviter toute confusion avec le système américain, le législateur européen a fait un choix terminologique original : aux termes de « class action », traduit jusqu’ici par l’expression « recours collectif », il a choisi d’employer ceux d’« action représentative » dans la directive 2020/1828.

Le terme d’action représentative met davantage l’accent sur le droit du consommateur que sur celui des entités le représentant.

Le législateur européen a accompagné sa proposition de directive de plusieurs conditions propres afin d’éviter abus et judiciarisation du droit des consommateurs.

a.   Des entités qualifiées pour ester en justice

Pour éviter des recours abusifs, la directive pose le principe que seules des entités qualifiées([25]) pourront ester en justice. Une liste des entités qualifiées, à jour, devra être publiée et mise à disposition de l’ensemble des consommateurs([26]).

Il s’agit d’une protection complémentaire posée par la directive. Toutefois, il importe de rappeler que la culture judiciaire des États membres de l’Union européenne diffère de celle des États-Unis, et que la crainte d’une judiciarisation de la société reste à exclure.

Les critères d’habilitation des entités qualifiées diffèrent selon le type d’action envisagée afin de garantir leur transparence, leur indépendance([27]) ainsi que l’absence de conflits d’intérêts.([28])

Pour les actions ayant un caractère national, le contrôle existant demeure moins étroit. Ainsi, les États membres peuvent établir des critères en fonction de leur droit national.([29]) La constitution d’entités ad hoc pour une action spécifique est autorisée([30]) alors qu’elle est prohibée pour les actions transfrontières.

Pour les actions ayant un caractère transfrontière, le contrôle est plus strict. Elles doivent être indépendantes et ne pas être influencées par des personnes autres que des consommateurs qui ont un intérêt économique dans l’introduction d’une action représentative, y compris en cas de financement par des tiers.

Pour prévenir une telle influence elles doivent mettre en place des procédures ainsi que des garanties pour prévenir les conflits d’intérêts. Ainsi, doivent-elles mettre à la disposition du public, par tout moyen approprié, en particulier sur leurs sites internet, des informations démontrant qu’elles satisfont aux critères de désignation en tant qu’entités qualifiées et des informations générales sur les sources de leur financement en général, leur structure organisationnelle, de gestion et d’affiliation, leur objet statutaire ainsi que leurs activités.

Ces entités seront évaluées tous les cinq ans, et pourront éventuellement être révoquées si elles ne satisfont pas aux critères établis([31]).

b.   Un contrôle du financement des actions à des fins de transparence

L’article 10 de la directive précise que concernant le financement des actions représentatives à des fins de réparation les juridictions doivent pouvoir prendre des mesures appropriées pour éviter tout conflit d’intérêts ou financement indu qui détournerait l’action de la protection des intérêts collectifs des consommateurs. Il s’agit surtout de pouvoir contrôler le financement par des tiers et de lutter contre les éventuels conflits d’intérêts.([32])

Il implique donc que la juridiction puisse contrôler effectivement le financement de l’action et donc le financement de l’entité qualifiée. La juridiction pourra déclarer irrecevable l’action, faute de qualité pour agir, en cas de non-respect de ces critères.([33])

Ces dispositions veillent à s’assurer du sérieux de l’association à laquelle les consommateurs confient leurs intérêts afin d’éviter toute instrumentalisation de l’action de groupe.

Les différentes transpositions au sein des États membres permettront d’établir si les critères choisis par chaque État membre pour établir l’agrément des entités qualifiées garantissent bien le droit des consommateurs pour les actions transfrontières.

c.   Un mécanisme d’opt-in privilégié pour les actions en cessation

Parmi les garanties proposées par la directive figurent également une coexistence des possibilités d’opter pour un mécanisme de participation (opt-in) ou de non-participation (opt-out), selon que les actions se font en matière de cessation ou de réparation.

Pour les mécanismes d’action de groupe en réparation, la directive n’impose pas de changer de mécanisme même si elle encourage les États membres n’ayant pas encore créé de mécanisme de recours collectif à privilégier un mécanisme d’opt- in plus protecteur des droits du consommateur.

En revanche, le mécanisme d’opt-in s’avère obligatoire pour les actions en cessation.([34])

Le droit américain de l’action de groupe

L’action de groupe américaine, ou class action, est une action par laquelle un groupe de personnes ayant subi un même préjudice engage une action en justice pour poursuivre l’entité responsable de ce préjudice. Les class actions se sont développées dans les années 1960 avec notamment l’affaire General Motors. Initialement limité au droit de la consommation, l’objet de la class action s’est ensuite généralisé à d’autres domaines tels que les droits civiques, le droit du travail ou encore le droit de la responsabilité civile, ce qui a contribué au succès des actions de groupe américaines.

Ce mécanisme est codifié à l’article 23 des Règles fédérales de procédure civile qui établit les normes et les procédures pour les actions de groupe fédérales et fixe les critères que les plaignants doivent remplir pour pouvoir poursuivre collectivement.

Chaque État américain a également son ensemble de règles de procédure civile qui peut légèrement différer de la règle fédérale.

La procédure se déroule en trois étapes principales : la certification (c'est-à-dire la reconnaissance par le juge de l’existence du groupe), la notification et le jugement sur le fond. La majorité des class action se déroulent selon le mécanisme de l’opt-out.

L’action de groupe américaine se distingue des procédures européennes par la possibilité de demander des dommages-intérêts punitifs, en plus des dommages-intérêts compensatoires qui sont classiquement instaurés dans les procédures en responsabilité et que l’on retrouve en droit français. Les dommages-intérêts punitifs, comme leur nom l’indique, ont une valeur d’exemplarité : ce sont des montants supplémentaires demandés à l’entreprise ou l’entité mise en cause pour sanctionner sa conduite scandaleuse et dissuader d’autres entreprises ou entités de se livrer, à l’avenir, à des pratiques similaires.

Pour le ministère de la justice français, ces dommages-intérêts punitifs peuvent inciter les associations à mener des actions de groupe dans des perspectives anticoncurrentielles ou lucratives, voire les conduire à augmenter artificiellement leurs demandes, ce qui peut donc biaiser l’intérêt légitime que poursuit l’action en justice.

À cela s’ajoutent des dispositifs issus des particularités du système juridictionnel américain : la procédure de discovery (chaque partie peut demander à l’autre partie tous les éléments d’information pertinents pour le règlement du litige qu’elle détient) et la présence d’un jury populaire.

Le système de la class action offre toutefois de nombreux avantages : efficacité en termes de coût et de temps permise par l’agrégation des affaires en poursuivant dans une seule procédure le défendeur ; égalité d’accès à la justice et du droit à la compensation en rééquilibrant le rapport de force entre les parties, victimes individuelles et défendeurs plus puissants ; incitation au lancement d’une action en justice pour un individu en raison de la faible indemnisation attendue.

Toutefois, le mécanisme n’est pas exempt de critiques : le système de contigency fee (littéralement : rémunération conditionnelle) permettant à l’avocat de se rémunérer sur le pourcentage du montant total (pacte de quota litis) de la somme des dommages-intérêts alloués à la victime, peut inciter les avocats à intenter des actions en démarchant les victimes dans le seul but d’obtenir une compensation confortable ; les actions de groupe peuvent également être très longues, du fait du processus de sélection des membres du groupe et de l'évaluation des preuves ; enfin l’action de groupe aurait, dans certains cas, un impact financier démesuré sur les entreprises nuisant à leur capacité de financement et d’innovation.

Sources : A. Boideau, M. Mathilde, et L. Molin. « La class action française : entre transposition et adaptation », Les Cahiers Portalis ; BEUC, US-style litigation culture ? Only if you like alternatives facts !

2.   Une novation : les actions transfrontières

L’originalité de l’action de groupe européenne réside dans l’existence d’un double mécanisme tant à l’échelle nationale qu’à l’échelle européenne.

S’il existe une obligation pour les États membres ne disposant pas déjà d’un mécanisme de recours collectif, de se mettre en conformité avec le droit européen sur ce point, la véritable novation réside dans le fait de créer les conditions à l’échelle nationale de la possibilité de faire des actions de groupe transnationales à l’échelle européenne.

Cette possibilité passe par une forme d’agrément, à savoir la reconnaissance par chaque État membre d’une entité qualifiée dont les critères de désignation sont relativement stricts afin de garantir indépendance, transparence et protection du consommateur.

Plusieurs aménagements sont nécessaires pour permettre ces actions de groupe transfrontières : la procédure de délivrance d’un agrément transfrontière, le principe de reconnaissance mutuelle de la qualité pour agir au sein de l’Union européenne ainsi que la procédure de contestation de la qualité pour agir.

La possibilité pour les consommateurs de se regrouper pour demander réparation d’un même litige au-delà des frontières d’un État membre participe d’une réelle prise en compte des droits des consommateurs, et aurait permis de régler le préjudice résultant du « Dieselgate » d’une manière comparable à sa résolution en droit américain.

Pour donner plein effet à ces dispositions, la directive prévoit une information et une publicité renforcée quant aux actions intentées ou envisagées. Cette publicité repose sur les entités (site internet, bases de données électroniques nationales, description du groupe de consommateurs, questions de fait et de droit à traiter, lieu où le fait dommageable s’est produit).

3.   Des risques à évaluer

Toutefois, le risque de voir apparaître une forme de « forum shopping » n’est pas à exclure. Il demeure toutefois difficile à évaluer pour l’instant, car il ne pourra être mesuré qu’une fois achevées les transpositions de la directive par les États membres.

Toutefois, tout porte à croire que les consommateurs préféreront évoquer leurs droits devant leurs juridictions plutôt que devant celles d’un autre État membre. Néanmoins, il ne serait pas souhaitable que la France devienne l’État membre le plus attractif au regard du manque de moyens humains propres au ministère de la Justice.

Plus qu’un risque de « forum shopping » entre États membres, le risque de concurrence juridictionnelle concerne surtout le choix entre une action à l’échelle nationale ou à l’échelle transfrontière au regard des décisions de transposition établies par chaque État membre : conditions d’indemnisation offertes, complexité ou célérité du traitement des actions de groupe, ou encore champ dans lequel elles peuvent être exercées.

Pour Geoffroy Didier, rapporteur du texte devant le Parlement européen, la réussite du mécanisme d’action de groupe à l’européenne ne fait aucun doute, tant pour les consommateurs que pour les entreprises, du fait de cet équilibre retrouvé entre entreprises et consommateurs.

Selon lui : « Chacun en sort gagnant, le consommateur avant tout. L’intégralité de l’indemnisation lui reviendra, contrairement aux dérives du système américain, dont nous ne voulions pas. Qu’il s’agisse de l’utilisateur d’une machine à laver, d’un produit financier, d’un site internet ou d’une compagnie aérienne, chaque consommateur européen lésé pourra, grâce à ces recours collectifs, être mieux défendu, mieux indemnisé et, au bout du compte, mieux protégé. Les entreprises aussi en sortent gagnantes : elles seront protégées des recours dilatoires abusifs ou calomnieux par un nombre important de conditions que nous avons exigées et qui garantiront la transparence du financement et l’absence de conflits d’intérêts des entités qualifiées. Les fonds spéculatifs et les cabinets d’avocats ne pourront pas, par exemple, intenter eux-mêmes une action et être partie au procès, l’action étant réservée à des associations agréées et reconnues de consommateurs. »([35])

 

 

 


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   DEUXIÈME PARTIE : la transposition de la directive 2020/1828 représente une opportunité pour renforcer la protection des consommateurs français et européens

I.   Le régime juridique français de l’action de groupe : un manque d’efficacité constaté

L’action de groupe a été introduite en droit français par la loi n° 2014- 344 du 17 mars 2014 relative à la consommation, dite « loi Hamon ». Elle a progressivement été étendue à d’autres champs du droit, à la santé par la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016, de modernisation de notre système de santé.

Puis, la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle a, ensuite, ouvert l’action de groupe aux litiges en matière environnementale, de protection des données personnelles et de discriminations subies au travail. Enfin, la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique a permis des actions de groupe pour la réparation des préjudices collectifs subis par les consommateurs à l’occasion de la location d’un bien immobilier.

Pour rappel, la loi Hamon, avait déjà profité de la transposition d’une directive, la directive 2011/83/UE, dite « droit des consommateurs », qui ne concernait pas les actions de groupe en réparation mais l’obligation d’information du consommateur et la reconnaissance du droit de rétractation dans les contrats conclus à distance et hors établissement, ­pour aller plus loin que ne l’exigeait alors le droit européen et introduire en droit français un régime juridique de l’action de groupe.

A.   La LOI Hamon : un acte manqué pour le droit du consommateur

Le rapport d’information, présenté, le 11 juin 2020, par Mme Laurence Vichnievsky et M. Philippe Gosselin dressant le bilan et les perspectives des actions de groupe ([36]) conclut à une occasion manquée : l’action de groupe à la française, formalisée par la loi dite « Hamon », ne s’est pas véritablement développée et n’a pas véritablement permis au consommateur français de défendre ses droits.

Comme l’ont constaté les rapporteurs de la mission, « seules 21 actions de groupe ont été intentées depuis 2014, dont 14 dans le domaine de la consommation, et aucune entreprise n’a encore vu sa responsabilité engagée. Ainsi, l’action de groupe n’a-t-elle pas été à l’origine d’avancées significatives dans la défense des consommateurs. »([37])

Si le constat est amer, les raisons en sont connues.

1.   Une qualité pour agir trop restreinte

La loi Hamon a fait le choix d’une qualité pour agir trop restreinte pour mener des actions de groupe, ce qui explique son peu de succès. En effet, la procédure d’agrément octroyé aux entités pouvant représenter les consommateurs devant le juge est particulièrement sévère.

Seules les associations représentatives de consommateurs ayant une représentation au niveau national ont reçu qualité pour agir. Sur les 15 associations de consommateurs agréées, seules 5 d’entre elles ont mené des actions de groupe.

Si pour les autres actions de groupe, santé, environnement, le législateur a retenu d’autres critères, représentants des usagers, syndicats, les critères retenus demeurent également trop restrictifs pour être efficaces pour mener des actions de groupe, par définition, longues et coûteuses.

2.   Une procédure trop longue

La longueur de la procédure, en particulier, en droit de la consommation, qui peut durer parfois plusieurs années, est également un frein identifié du peu de succès des actions de groupe en France.

En effet, la longueur de la procédure explique en partie qu’aucune action de groupe ne soit allée jusqu’à la phase de mise en responsabilité de l’entreprise. La phase de la mise en demeure a notamment été jugée inutilement chronophage.

3.   Une absence de financement

Mener une action de groupe est une démarche longue et onéreuse qui consiste à identifier les victimes, établir et rechercher les preuves, puis engager les procédures. Au-delà des coûts de procédures, il faut rémunérer de nombreux juristes dans des secteurs spécialisés, puisque les actions de groupe peuvent être menées dans de nombreux champs du droit.

Au Québec et en Israël, le succès des actions de groupe est dû à des financements dédiés qui peuvent prendre diverses formes. Le Québec a fait le choix d’une dotation publique, la Belgique d’un fonds.([38])

L’absence de financement des actions de groupe dans un contexte de baisse des subventions publiques aux associations de consommation a également été identifiée comme une raison de l’absence de succès des actions de groupe en droit français.

4.   Une absence de sanction dissuasive

Si l’instauration des dommages-intérêts punitifs, figure repoussoir du droit outre atlantique, n’est pas à l’ordre du jour, l’absence de toute forme de sanction dissuasive pour les entreprises délictueuses ou les professionnels délictueux ne permet pas non plus de jouer le rôle préventif que l’on pourrait en attendre, et rend d’autant plus nécessaire le besoin de mener des actions de groupe.

En effet, comme l’ont rappelé, lors de leur audition, les membres de l’association de consommateurs UFC-Que-Choisir ?([39]), l’action de groupe en soi est le signe d’un échec : une preuve que la protection du consommateur a été inefficace.

Aussi l’instauration de sanctions suffisamment dissuasives joue-t-elle un rôle de prévention et, dès lors, de protection du consommateur français.

B.   L’obligation de transposer la DIRECTIVE de 2020/1828 : une opportunité pour un régime juridique adapté À la défense du droit des consommateurs

1.   Une obligation de transposer pour se conformer à nos obligations communautaires

La directive (UE) n° 2020/1828 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2020 relative aux actions représentatives visant à protéger les intérêts collectifs des consommateurs et abrogeant la directive n° 2009/22/CE, adoptée le 24 novembre 2020, devait être transposée au plus tard le 25 décembre 2022, et entrer en vigueur dès le 25 juin 2023.([40])

La France a reçu une mise en demeure pour défaut de transposition, ainsi que 24 autres États membres. En effet, à ce jour, seuls trois États membres ont transposé la directive : la Lituanie, la Hongrie et les Pays-Bas.

La Commission européenne devra présenter un rapport d’évaluation sur la mise en œuvre de la directive au Parlement européen, au Conseil ainsi qu’au Comité économique et social européen, d’ici le 26 juin 2028.([41])

2.   Une opportunité pour refondre le régime juridique français au lieu d’une transposition a minima

Au regard des réserves émises par plusieurs États membres sur la proposition de directive du fait de l’existence de mécanismes nationaux déjà existants, le Parlement européen s’est prononcé pour une harmonisation minimale.

En effet, cette directive propose bien une harmonisation minimale, dans la mesure où elle « n’empêche pas les États membres d’adopter ou de maintenir en vigueur des moyens procéduraux visant à protéger les intérêts collectifs des consommateurs au niveau national ».([42])

La France a, cependant, choisi de faire de cette obligation de transposition une opportunité pour refondre son régime juridique de l’action de groupe. Ce choix est avantageux pour le consommateur français dans la mesure où il renforce sa protection sans que cela ne conduise à une sur transposition comme c’est malheureusement souvent le cas pour les directives européennes.

À l’origine, la proposition de loi présentée par Mme Laurence Vichnievsky et M. Philippe Gosselin relative au régime juridique de l’action de groupe tirait seulement les conséquences du constat dressé par leur rapport d’information sur le bilan et les perspectives des actions de groupe : refondre le régime juridique de l’action de groupe, mettre en place une action de groupe universelle, limiter la durée des procédures et assurer un financement pour faciliter les recours.

Toutefois, les rapporteurs ont tenu compte des remarques faites par le Conseil d’État([43]) faisant suite à sa saisine, d’intégrer des dispositions de transposition de la directive qui n’y figuraient pas, dont l’action de groupe transfrontière.

Le texte, issu des travaux de la commission des lois, le 15 février dernier, qui sera présenté en séance le 8 mars prochain, suite aux amendements des deux rapporteurs, intègre désormais les dispositions permettant une action de groupe transfrontière.

En effet, le droit français était déjà en conformité avec un certain nombre de dispositions de la directive et ne nécessitait pas d’autres transpositions, le régime de l’action de groupe en réparation existait déjà en droit français et ne nécessitait pas une adaptation puisque la directive laisse une autonomie procédurale aux États membres.

Ainsi la proposition de loi a fait le choix d’intégrer l’action de groupe transfrontière dans le socle procédural de droit interne, répondant à l’exigence de reconnaissance mutuelle posée par la directive, sous deux réserves.

La qualité pour agir en droit interne étant réservée aux associations et syndicats régulièrement déclarés en France, les organismes étrangers ne peuvent exercer d’action de groupe que s’ils disposent d’un agrément délivré par un autre État membre sur le fondement des dispositions de la directive. Cette limitation est parfaitement cohérente et répond pleinement aux exigences de la directive.

Ces entités agréées ne peuvent exercer d’action de groupe que sur le fondement des instruments visés à l’annexe I de la directive, ce qui est nettement plus limitatif que le droit interne : même si ce choix correspond également aux exigences de la directive.

II.   La refonte du régime juridique français : une opportunité pour la protection du consommateur français et européen

A.   un régime juridique ambitieux : l’action de groupe à la française

Le régime juridique de l’action de groupe figure, à l’issue des travaux de la commission des lois, dans une loi ad hoc, qui en définit les principes.

1.   Une qualité pour agir ouverte

Le législateur français a fait le choix d’ouvrir la qualité pour agir à des entités qualifiées pour ester en justice.

Le régime juridique précédent était fondé sur l’obtention d’un agrément qui limitait drastiquement la qualité pour agir et avait été identifié comme une raison du peu de succès de l’action de groupe en France.

En faisant le choix de supprimer l’agrément et d’abaisser les critères qui permettent aux associations d’agir en justice dans le cadre d’une action de groupe, le législateur espère pouvoir donner un élan à l’action de groupe en droit français qu’elle n’a jusqu’ici pas su trouver.

2.   Un champ d’action universel

La proposition de loi ouvre également largement le champ de l’action de groupe, au-delà des soixante-six domaines listés par la directive.

En effet, en ouvrant le recours à l’action de groupe à tous les droits positifs, elle crée un champ d’action universel, souhaitant ainsi rendre effectifs les droits des consommateurs français et européens.

3.   Une sanction dissuasive en cas de manquement aux obligations contractuelles

Pour donner une portée dissuasive aux comportements délictueux des entreprises, la proposition de loi introduit une sanction civile, une amende, affectée au Trésor public.

Cette amende ne doit pas se confondre avec les dommages-intérêts à caractère punitif qui sont interdits par la directive. Elle a essentiellement une portée dissuasive.

4.   La création de juridictions spécialisées

La création de juridictions spécialisées répond en partie au besoin d’accélérer les procédures, en faisant le choix d’un juge rompu aux spécificités de l’action de groupe.

Ainsi, les tribunaux judiciaires spécialisés auront-ils à connaître des actions de groupe en toutes matières.

B.   Qui demeure incomplet

Le chapitre II du Titre II de la proposition de loi relative au régime juridique des actions de groupe transpose les dispositions de la directive relatives aux actions transfrontières.

Dans la version actuelle de la proposition de loi, au regard des exigences de la directive en matière de contrôle de demande d’agrément, de possibles conflits d’intérêts, ou de financement par des tiers, le contrôle peut sembler insuffisant.

En outre, la question d’un soutien financier aux actions de groupe, sous la forme d’un financement, proposition du rapport sur le bilan et les perspectives des actions de groupe, n’a pas été reprise par la présente proposition de loi. Même si cette question n’est pas une exigence de la directive, elle mérite d’être réinterrogée ayant été identifiée comme un frein puissant au développement des actions de groupe en France, en l’absence de gains attendus pour les cabinets d’avocat sur le modèle américain.

1.   Un contrôle insuffisant des entités qualifiées pour les actions transfrontières

a.   Un contrôle insuffisant de l’absence de conflits d’intérêts

Si la directive laisse le champ libre aux États membres en matière procédurale, elle pose des principes clairs en matière de lutte contre les conflits d’intérêts pour les actions transfrontières.

La directive rappelle ainsi que les entités qualifiées doivent être indépendantes et transparentes quant à l’origine de leurs financements, « ainsi que pour prévenir les conflits d’intérêts entre elles-mêmes, leurs bailleurs de fonds et les intérêts des consommateurs. »([44])

L’article 10 impose également que le juge puisse contrôler l’existence d’un tel conflit d’intérêts pour éventuellement déclarer l’action irrecevable.

Or, la proposition de loi ne répond qu’indirectement aux exigences posées par la directive. Une simple déclaration sur l’honneur à produire devant le juge pour garantir l’absence de conflits d’intérêts peut sembler une condition un peu légère.([45])

Cette condition mériterait d’être renforcée.

b.   Un contrôle moins strict et incomplet de la demande d’agrément

L’ouverture de la qualité pour agir pour les entités qualifiées en droit interne mérite d’être saluée même si le peu d’exigence de certains critères interroge, tels que l’ancienneté relative des entités habilitées à ester (minimum deux ans d’existence, ou le nombre minimum de personnes physiques, 100, donnant qualité à agir à une association), sans que ces critères ne soient pour autant en contrariété avec les exigences européennes.

Quant aux critères pour habiliter les entités qualifiées pour mener des actions de groupe transfrontières, ils répondent aux exigences de la directive en matière d’indépendance et de transparence, l’article 2 duodecies étant un décalque de l’article 4 de la directive qui décrit les exigences requises pour les entités qualifiées.

En effet, la directive dispose que « conformément au principe de non-discrimination, les exigences de recevabilité applicables à des actions représentatives transfrontières déterminées ne devraient pas être différentes de celles appliquées à des actions représentatives nationales déterminées. »([46])

Toutefois, c’est le caractère relativement général de ces critères posés par la directive qui interroge.

Par ailleurs, la directive([47]) exige d’introduire une procédure juridictionnelle pour questionner la délivrance de l’agrément par une autorité étrangère, exigence qui n’apparaît pas dans le texte, à ce stade, afin de contrôler la qualité pour agir.

Le contrôle de la demande d’agrément pour les entités transfrontières mériterait donc d’être complété.

2.   L’interdiction du financement par des tiers intéressés à l’action

La question du financement par des tiers intéressés à l’action, liée à celle des conflits d’intérêts, est également prohibée par la directive qui indique la nécessité pour une entité qualifiée intervenant dans le cadre d’une action transfrontière de respecter le critère de transparence de financement.([48])

Les critères posés dans la proposition de loi concernant la transparence des financements sont également un décalque des dispositions de la directive qui mériteraient davantage de précision en droit interne, la question de la transparence du financement ne pouvant être directement renvoyé au pouvoir réglementaire.

Les critères de transparence sur le financement devraient également être renforcés pour éviter que des concurrents évincés n’utilisent l’action de groupe à des fins personnelles.

3.   L’absence de financement pour inciter le recours aux actions de groupe

L’absence d’un fonds de soutien pour financer les entités qualifiées susceptibles de mener des actions de groupe dans un environnement de réduction des subventions publiques aux associations a été identifiée comme un frein à leur développement par le rapport relatif aux bilans et perspectives de l’action de groupe.

La proposition de loi n’a pas retenu cette proposition qui mériterait d’être examinée afin de redonner un véritable élan à l’action de groupe. Auditionnées, les associations de consommateurs, françaises et européennes([49]) y souscrivent, la percevant comme l’un des leviers pour soutenir l’action de groupe en France et mieux protéger les droits des consommateurs français et européen.

La création d’un fonds dédié, abondé notamment par les amendes civiles, mériterait d’être interrogée.

Afin d’éviter un financement par des tiers intéressés, autrement dit des entreprises qui souhaiteraient agir pour déstabiliser leurs concurrents, financement prohibé par les dispositions de la directive, une vigilance serait de mise quant à l’origine des fonds octroyés par des tiers.

 

 


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   Conclusion

Pour votre rapporteur la proposition de loi relative au régime juridique des actions de groupe est une opportunité pour redonner un nouvel élan aux recours collectifs, procédure juridique protectrice du droit des consommateurs.

En effet, l’existence de critères solides garantissant la sécurité juridique des professionnels afin d’éviter tout recours abusif à des fins personnelles conduit à soutenir ce texte renforçant le régime juridique de l’action de groupe en droit français, et la transposition qu’il fait des actions transfrontières.

Si quelques dispositions du texte méritent d’être amendées, notamment pour introduire davantage de contrôle dans le financement par des tiers et les conflits d’intérêts ou prévoir un fonds de soutien aux actions de groupe, le texte dans son ensemble présente une avancée, sous l’impulsion du droit européen, pour la protection des droits des consommateurs, dont le consommateur français sort gagnant.

À ce titre l’impulsion donnée par l’Union européenne pour préserver et renforcer le droit des consommateurs européens mérite d’être saluée, elle correspond à ce que nous en attendons, une Europe respectueuse des spécificités des États membres, qui en renforçant leurs droits, n’empiète pas sur leur souveraineté ou leurs identités juridiques, respectueuse donc des identités nationales qui la compose.

 

 


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   TRAVAUX DE LA COMMISSION

La Commission s’est réunie le mercredi 1er mars 2023, sous la présidence de M. Pierre-Henri Dumont, Vice-Président, pour examiner le présent rapport d’information.

M. Alexandre Sabatou, rapporteur (RN). La proposition de loi relative au régime juridique des actions de groupe opère une refonte du régime juridique de l’action de groupe à la française, en cohérence avec les dispositions de la directive 2020/1828 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2020 relative aux actions représentatives visant à protéger les intérêts collectifs des consommateurs, et abrogeant la directive 2009/22/CE, dont elle assure également une transposition partielle. Je porte un avis positif sur cette initiative européenne, dans la mesure où elle renforce les droits du consommateur français.

L’action de groupe est un recours collectif en justice pour réparer un préjudice représentant de faibles montants monétaires, ou pour faire cesser un comportement délictueux lésant le consommateur. L’action de groupe n’est, dès lors, rien d’autre qu’un moyen de défense pour le consommateur pour obtenir réparation du préjudice subi, au regard des coûts élevés de la procédure et du faible gain attendu. L’action de groupe représente donc bien un moyen de défense pour des consommateurs démunis face à des multinationales aguerries, et un moyen nécessaire pour protéger les consommateurs français et européens.

Longtemps déconsidérée car assimilée aux class actions américaines, fantasmes de toutes les dérives associées à la jungle libérale d’un marché américain dérégulé, l’action de groupe européenne évite ces écueils. Elle propose un équilibre entre la protection des droits du consommateur et l’absence de risques de recours abusifs contre les entreprises.

L’Union européenne a réfléchi, dès les années soixante-dix, à une meilleure protection des consommateurs dans le cadre de la construction et de l’achèvement du marché intérieur. Le droit des consommateurs est devenu une compétence de l’Union européenne dès le traité de Maastricht, et a été reconnu comme un droit à part entière dans la Charte des droits fondamentaux. Toutefois, la gestation a été longue et difficile du fait de la résistance marquée de nombreux États membres attachés à leurs traditions juridiques et prérogatives procédurales, alors que l’effectivité du droit des consommateurs était en jeu.

La France, dans ce théâtre de résistance, a soutenu une position médiane et mesurée, à savoir le respect des principes de proportionnalité et de subsidiarité reconnus par le traité de Lisbonne. Malgré une percée en droit interne, par la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation, dite « loi Hamon », l’action de groupe n’a pas eu les effets escomptés, du fait des nombreux freins posés par le législateur.

À ce titre, le scandale « Volkswagen » a fait l’effet d’une sourde détonation lorsque les consommateurs se sont réveillés, inégalement réparés dans leurs droits, là où les consommateurs américains se sont trouvés intégralement remboursés de leurs préjudices. Les actions qui ont été couronnées de succès l’ont été à l’issue de procédures particulièrement longues, mettant en exergue la force du système juridique américain dans ce domaine et la faiblesse des systèmes juridiques européens, dont le nôtre. Après le scandale « Volkswagen », en 2015, ce sont les annulations de vol en série par l’entreprise Ryanair, en 2017, qui ont montré la nécessité et l’urgence d’adapter notre droit pour une meilleure défense des consommateurs français et européens.

La directive (UE) 2020/1828 répond à l’exigence de rendre la protection du droit des consommateurs effective. Adoptée le 24 novembre 2020 par le Parlement européen, publiée au Journal officiel de l’Union européenne (JOUE) du 4 décembre 2020, la directive 2020/1828 crée un système original d’action de groupe européenne. Elle oblige chaque État membre à instaurer un régime juridique d’action de groupe en cohérence avec son droit interne, et ouvre la possibilité pour chaque consommateur européen de se joindre, pour un même préjudice, à des actions de groupe transfrontières. Les États membres avaient jusqu’au 25 décembre 2022 pour mettre leurs droits en conformité avec les dispositions de la directive, celle-ci devant s’appliquer, au plus tard, le 25 juin 2023.

Les droits du consommateur sont ainsi garantis tant à l’échelle nationale qu’à l’échelle européenne. Le recours collectif doit prendre une double forme, une action en cessation, pour faire cesser une pratique illégale, et une action en réparation, pour indemniser le défendeur du préjudice qu’il a subi.

Pour répondre aux inquiétudes de certains États membres, la directive a posé un certain nombre de garanties. Elle prévoit notamment des critères de transparence pour la désignation et le financement des entités qualifiées autorisées à plaider, la limitation des clauses d’opt-out au profit de la clause d’opt-in, le remboursement des frais de justice à la partie gagnante, la nécessité d’informer les demandeurs potentiels qui pourraient se joindre à l’action collective, l’interdiction d’octroyer des dommages-intérêts punitifs, et l’interdiction de verser des honoraires de résultat aux avocats pour les dissuader d’engager des procédures judiciaires abusives.

La transposition de la directive par la proposition de loi relative au régime juridique des actions de groupe est une opportunité pour refondre le régime juridique de l’action de groupe à la française, qui selon le rapport d’information qui en dressait le bilan et les perspectives, présenté, le 11 juin 2020, par Mme Laurence Vichnievsky et M. Philippe Gosselin, est apparu comme une occasion manquée. Le texte, issu des travaux de la commission des lois, sera présenté en séance le 8 mars prochain, et ne transpose que les dispositions permettant une action de groupe transfrontière. Le droit français était déjà en conformité avec un certain nombre de dispositions de la directive, et ne nécessitait pas d’autres transpositions, le régime de l’action de groupe en réparation existant déjà en droit français et ne nécessitant pas une adaptation, puisque la directive laisse une autonomie procédurale aux États membres.

Dans la version actuelle de la proposition de loi, le contrôle peut sembler insuffisant au regard des exigences de la directive en matière de contrôle de demande d’agrément, de possibles conflits d’intérêts, ou de financement par des tiers. La question d’un soutien financier aux actions de groupe, sous la forme d’un financement, proposition du rapport sur le bilan et les perspectives des actions de groupe, n’a pas été reprise par la présente proposition de loi. Même si cette question ne constitue pas une exigence de la directive, elle mérite d’être réinterrogée, ayant été identifiée comme un frein puissant au développement des actions de groupe en France, en l’absence de gains attendus pour les cabinets d’avocat sur le modèle américain.

Pour votre rapporteur, la proposition de loi relative au régime juridique des actions de groupe est une opportunité pour redonner de l’élan aux recours collectifs, procédure juridique protectrice du droit des consommateurs. L’existence de critères solides garantissant la sécurité juridique des professionnels afin d’éviter tout recours abusif à des fins personnelles amène à soutenir ce texte, renforçant le régime juridique de l’action de groupe en droit français, et la transposition qu’il fait des actions transfrontières.

Si quelques dispositions du texte méritent d’être amendées, notamment pour introduire davantage de contrôle dans le financement par des tiers et dans l’absence de conflits d’intérêts, voire pour proposer un fonds de soutien aux actions de groupe, le texte dans son ensemble présente une avancée pour la protection des droits des consommateurs, dont le consommateur français sortira gagnant. À ce titre, l’impulsion donnée par l’Union européenne pour préserver et renforcer le droit des consommateurs européens mérite d’être saluée. Elle correspond à ce que nous en attendons, à savoir une Europe respectueuse des spécificités des États membres, qui, en renforçant leurs droits, n’empiète pas sur leur souveraineté ou leurs identités juridiques, en respectant les identités nationales qui la compose.

Pour reprendre les mots du rapporteur du texte devant le Parlement européen, M. Geoffroy Didier : « L’Europe, enfin, en sort gagnante, à un moment où les peuples reprochent, parfois à juste titre, à l’Union européenne d’imposer nombre de normes et de contraintes. Elle démontre ici qu’elle sait s’adapter aux nouveaux besoins et surtout qu’elle est en mesure d’offrir de nouveaux droits aux citoyens. Il s’agit là d’un progrès économique, d’un progrès juridique, mais surtout d’un progrès politique que nous devons tous nous approprier et que nous pouvons tous revendiquer ».

 

L'exposé du rapporteur a été suivi d’un débat.

 

M. le Président Pierre-Henri Dumont. La refonte de l’action de groupe par la proposition de loi permet-elle de mieux protéger les consommateurs français ? L’uniformisation des différents mécanismes de protection des consommateurs des États membres de l’Union permettra-t-elle d’éviter à l’avenir une situation similaire à celle du Dieselgate ?

M. Alexandre Sabatou, rapporteur (RN). Cette proposition de loi permettra de mieux protéger les Français. La loi « Hamon », qui a créé le mécanisme de l’action de groupe en France, n’a pas rencontré le succès attendu. Seulement vingt-et-une actions ont été intentées, sans qu’aucune entreprise n’ai vu sa responsabilité engagée. Les conditions pour agir étaient trop restreintes et peu claires, le délai de procédure trop long, les coûts de procédure trop importants, et les sanctions peu dissuasives. La directive 2020/1828 offre l’occasion idéale pour réformer et rendre enfin efficace l’action de groupe en France. Pour répondre aux limites de la procédure actuelle et se mettre en conformité avec le droit européen, la proposition de loi prévoit une ouverture de la qualité à agir à des entités qualifiées par l’assouplissement de certains critères, tels que la suppression de l’agrément, l’ouverture du champ d’action de la procédure, l’uniformisation des différents régimes dans un socle procédural unique, ainsi que la création d’une véritable sanction dissuasive, à savoir une amende civile versée au Trésor public, qui s’ajoute aux éventuels dommages-intérêts en responsabilité. La proposition de loi prévoit également des juridictions spécialisées sur l’ensemble du territoire afin de rendre les procédures plus rapides du fait de magistrats habitués à régler ce type de litiges. Le ministère de la justice a précisé que toute l’activité ne serait pas concentrée à Paris, mais décentralisée sur l’ensemble du territoire français en fonction de la spécialisation de chaque juridiction.

L’entreprise Volkswagen a eu recours pendant plusieurs années à un logiciel frauduleux pour truquer à la baisse les résultats des émissions de gaz polluants de certains de ses moteurs lors des tests d’homologation. En 2015, tous les États membres ne disposaient pas de mécanisme de recours collectifs, ce qui n’a pas rendu les recours des consommateurs faciles. La directive 2020/1828 change la donne car tous les consommateurs européens pourront maintenant être indemnisés.

En effet, concernant le scandale « Volkswagen », toutes les procédures lancées par les consommateurs n’ont pas encore pu aboutir. Si les consommateurs allemands et espagnols ont été indemnisés en 2020 et en 2021, ce n’est pas encore le cas pour les consommateurs belges et luxembourgeois. En France, une seule procédure individuelle, en 2021, a permis l’indemnisation d’un consommateur. Avec le nouveau mécanisme d’action transfrontière, la directive répond à un impératif de réalisme, puisque les pratiques répréhensibles ne s’arrêtent pas à la frontière. Il sera ainsi possible pour une entité qualifiée d’intenter une action représentative dans un État membre autre que celui dans lequel l’entité qualifiée a été désignée. Avec une procédure unique ainsi qu’un seul jugement à la clé, facteur d’uniformisation de la protection des consommateurs européens, les consommateurs seront traités de manière égalitaire. Une association de consommateurs française pourra également poursuivre une société dans un pays étranger si elle considère que la législation y est plus favorable. Ce risque apparaît toutefois minime au vu des contraintes et coûts de traduction auxquelles elle serait confrontée.

Mme Liliana Tanguy (RE). L’action de groupe aux États-Unis constitue une véritable tradition juridique, et l’introduction en droit français de la class action a longtemps suscité des réserves à l’égard de ce type de procédure. L’action de groupe à la française a été introduite par la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation, dite « loi Hamon ». Or, sur les trente-deux actions de groupe intentées depuis 2014, dont vingt-et-une dans le domaine de la consommation, seules six procédures ont abouti à un résultat positif. Les scandales cités, Volkswagen et Ryanair, ont montré qu’il est urgent d’agir en faveur d’une meilleure protection des consommateurs français et européens. Le groupe Renaissance soutiendra la proposition de loi relative au régime juridique des actions de groupe car elle va dans le sens d’une protection renforcée des consommateurs, en améliorant le dispositif en vigueur, tout en permettant la transposition de la directive 2020/1828. Pour autant, si le texte opère une refonte du régime juridique de l’action de groupe à la française en cohérence avec les dispositions de cette directive, il nous faut veiller à nous prémunir des risques de recours abusifs. Notre groupe partage notamment la vigilance exprimée par le Conseil d’État s’agissant des risques d’instrumentalisation de la procédure, de la nécessité de définir le niveau adéquat de contrôle de l’absence de conflit d’intérêts et le bon niveau de transparence. Des évolutions ont été adoptées à l’initiative des rapporteurs, en commission des lois, et nous espérons qu’une voie similaire sera suivie lors de la poursuite des travaux en séance.

Mme Estelle Youssouffa (LIOT). Les class actions à la française, qui existent depuis plus de dix ans, ont donné lieu à un bilan plus que décevant. Seulement une trentaine d’actions de groupe, tous secteurs confondus, ont été intentées dans notre pays, et toujours plus de consommateurs et de victimes se sentent délaissés par notre système judiciaire. Notre groupe salue le travail mené par les co-rapporteurs de cette proposition de loi, qui était plus qu’attendue par les associations et les professionnels du droit. Son adoption à l’unanimité par la commission des lois envoie un signal fort, que nous espérons suivi de la même manière en séance publique. Notre commission n’est saisie que du rapport d’information portant observations sur la proposition de loi, cependant au nom du groupe LIOT, je tiens à souligner les fortes avancées portées par ce texte. En réponse au bilan décevant du droit actuel, cette proposition de loi propose une action de groupe universelle ouverte à tous les secteurs avec pour corollaire le principe d’une indemnisation intégrale des victimes. Notre groupe soutient pleinement ces avancées. Pour que les victimes s’approprient cette procédure, il faut leur donner des moyens d’action pour lutter contre les pratiques abusives de certaines entreprises. Concernant les aspects qui intéressent le plus notre commission, notre groupe a quelques interrogations. La première porte sur la transposition de la directive européenne de 2020/1828 sur les class actions. Le gouvernement est coutumier des retards en matière de transposition. Cette directive aura surtout des impacts sur les actions de groupe transfrontières. Quelle sera la procédure à suivre pour les associations de consommateurs dans ce cas particulier ? Est-ce que la présente proposition de loi assure une certaine cohérence entre le régime interne des actions de groupe et le régime des actions transfrontières ?

Cette proposition de loi fait le choix d’octroyer une compétence exclusive pour les actions de groupe à certains tribunaux judiciaires. En tant que députée d’un territoire ultramarin, il y a un vrai sujet de difficulté d’accès physique à la justice dans les territoires ultramarins, Mayotte étant un désert judiciaire, je souhaiterais quelques précisions. Cette proposition de loi ne risque-t-elle pas d’aggraver un peu plus les fractures territoriales entre justiciables et juges, en particulier en Outre-mer ? Alors que la législation nationale et la législation européenne garantissent un accès égal à la justice, quels sont les garde-fous prévus pour éviter de léser les territoires ultramarins ?

M. Alexandre Sabatou, rapporteur (RN). Les class actions américaines font peur car elles génèrent des risques de recours abusifs contre les entreprises. Toutefois, la directive 2020/1828 prévoit des critères solides pour la désignation des entités et des associations autorisées à plaider, ce qui nous couvre de ce risque, d’autant plus que les recours abusifs contre les entreprises ne font pas partie de notre culture judiciaire.

Le ministère de la justice connaît la situation en Outre-mer, il a précisé que l’ensemble du territoire serait couvert par la mise en place de juridictions spécialisées. Il estime également que le risque d’intenter des actions de groupe en France, par des associations exerçant dans d’autres États membres de l’Union européenne, pour profiter d’une législation plus favorable aux consommateurs, est faible. Cela n’est d’ailleurs pas souhaitable car la France manque de juristes, de juges et d’avocats.

La Commission a ensuite autorisé le dépôt du rapport d’information en vue de sa publication.

 

 


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   annexe n° 1 :
Liste des personnes auditionnées par le rapporteur

 

 

        Mme Isabelle JEGOUZO, Conseillère affaires européennes et internationales du garde des Sceaux, ministre de la justice

 

 

        M. Raphaël BARTLOME, Directeur-adjoint à l’Action politique en charge du service juridique

        Mme Mélissa CHEVILLARD, Chargée des relations institutionnelles Europe

        M. Benjamin RECHER, Chargé des relations institutionnelles France

 

 

        M. Alexandre BIARD, Responsable juridique du secteur contentieux

 


([1]) Geoffroy Didier, Compte rendu des débats au Parlement européen, le 24 novembre 2020.

https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/CRE-9-2020-11-24-INT-2-012-0000_FR.html

([2]) Geoffroy Didier, compte rendu des débats du Parlement européen, le 24 novembre 2020.

https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/CRE-9-2020-11-24-INT-2-012-0000_FR.html

([3]) Résolution du Conseil, du 14 avril 1975, concernant un programme préliminaire de la Communauté économique européenne pour une politique de protection et d'information des consommateurs.

([4])  Résolution du Conseil, du 19 mai 1981, concernant un deuxième programme de la Communauté économique européenne pour une politique de protection et d’information des consommateurs.

([5]) Pailler, L., « La fondamentalisation des droits du consommateur » in Combet, M. (dir.), Le droit européen de la consommation au XXIe siècle, 1e édition, Bruxelles, Bruylant, 2022, p. 57-68

([6]) Directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs,

https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:31993L0013&from=FR

([7]) Directive 2011/83/UE du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 relative aux droits des consommateurs, modifiant la directive 93/13/CEE du Conseil et la directive 1999/44/CE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 85/577/CEE du Conseil et la directive 97/7/CE du Parlement européen et du Conseil Texte présentant de l'intérêt pour l'EEE. https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:32011L0083&from=FR

([8])  https://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2009:110:0030:0036:FR:PDF

([9])  https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32020L1828&from=FR

([10])  https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:51998PC0198&from=FR

([11])  Sur les 27 États membres, 23 ont voté en faveur de la directive, et 4 se sont abstenus (Belgique, Allemagne, Estonie et Lituanie).

([12])  https://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=COM:2008:0794:FIN:FR:PDF

([13]) Idem.

([14]) Idem.

([15]) https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:52013DC0401&from=EN

([16]) https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:32013H0396&from=EN

([17]) Idem.

([18]) https://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2009:110:0030:0036:FR:PDF

([19]) Comm. UE, COM (2 018) 40 final, 25 janv. 2 018.

([20]) Geoffroy Didier, compte rendu des débats du Parlement européen, le 24 novembre 2020.

https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/CRE-9-2020-11-24-INT-2-012-0000_FR.html

([21]) https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:32020L1828&from=FR

 

([22]) https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/IP_18_3041

([23]) Idem.

([24]) Art. 1er, § 1 de la directive.

([25]) Considérant 24.

([26]) Considérant 32, article 5§1.

([27]) Considérant 23 article 3.

([28]) Considérants 24 et 52.

([29]) Considérants 26 article 4§5.

([30])Article 4§6..

([31]) Considérant 29, article 5§3.

([32]) Considérants 25 et 52.

([33]) Article 10-4.

([34]) Article 8.

([35]) Geoffroy Didier, compte rendu des débats du Parlement européen, le 24 novembre 2020.

https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/CRE-9-2020-11-24-INT-2-012-0000_FR.html

([36]) https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion_lois/l15b3085_rapport-information.pdf

([37]) Idem.

([38]) Auditions du 15 février de l’association UFC-Que-Choisir ? et du BEUC.

([39]) Audition du 15 février de l’association UFC-Que-Choisir ?

([40]) Article 24.

([41]) Article 23§1.

([42])Article 1er§2.

([43])https://www.conseil-etat.fr/avis-consultatifs/derniers-avis-rendus/a-l-assemblee-nationale-et-au-senat/avis-sur-une-proposition-de-loi-relative-au-regime-juridique-des-actions-de-groupe

([44]) Considérant 25.

([45]) Article 1er ter du chapitre Ier de la proposition de loi.

([46]) Considérant 12 de la directive.

([47]) Article 5 de la directive.

([48]) Article 4 et 10 de la directive.

([49]) Auditions du 15 février de l’association UFC-Que-Choisir ? et du BEUC.