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N° 936

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 8 mars 2023.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

sur le déplacement d’une vice-présidente de la commission à Kiev
à l’occasion d’une réunion de présidents et vice-présidents des commissions des affaires étrangères de plusieurs Parlements européens, les 23 et 24 février 2023

 

présenté par

Mme Mireille CLAPOT,

Députée

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 SOMMAIRE 

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 Pages

Introduction

I. Un contexte de guerre trÈs prÉgnant et marquant

A. Kiev, une capitale exposÉe en permanence aux attaques aÉriennes russes

B. Les stigmates omniprÉsents des exactions des forces d’agression

II. Un avenir qui s’inscrit rÉsolument dans le projet europÉen

A. Des autoritÉs ukrainiennes sensibles aux marques de solidaritÉ europÉenne

B. Des attentes fortes À l’Égard des États de l’Union europÉenne et de Bruxelles

1. Le besoin d’armes de défense, leitmotiv des discours officiels

2. La perspective d’adhésion à l’UE : une volonté qui s’inscrit dans un calendrier ambitieux

III. Les paramÈtres ukrainiens pour accepter la paix

A. Le plan de paix en 10 points du prÉsident Zelensky

B. L’obtention de vÉritables garanties de sÉcuritÉ

C. Une exigence de justice devant les juridictions internationales pour surmonter les souffrances

Conclusion

Examen en commission

Annexe N° 1 : Programme du dÉplacement À Kiev de Mme Mireille Clapot

Annexe N° 2 : Liste de la dÉlÉgation parlementaire qui s’est rendue À Kiev, les 23 et 24 fÉvrier 2023

 


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   Introduction

 

À l’invitation officielle du président de la Verkhovna Rada, M. Ruslan Stefanchuk, et avec le soutien des Parlements polonais et lituanien, les présidents et vice-présidents des commissions des affaires étrangères de quatorze pays engagés aux côtés de l’Ukraine se sont rendus à Kiev, les 23 et 24 février derniers, afin de manifester le haut degré de soutien que leurs États respectifs continuent d’apporter aux Ukrainiens face à l’agression dont ils sont victimes depuis un an désormais.

Le président Jean-Louis Bourlanges, ne pouvant y représenter la commission des affaires étrangères, fut suppléé par la rapporteure, vice-présidente de la commission. Étaient présents, à ses côtés, les représentants des Parlements de onze autres États membres de l’Union européenne (Lituanie, Allemagne, Bulgarie, Espagne, Finlande, Italie, Pologne, Portugal, République tchèque, Slovénie, Suède), ainsi que de ceux du Royaume-Uni, de l’Islande et du Parlement européen.

Ce déplacement s’est inscrit dans le cadre d’une intense noria de responsables politiques à Kiev, marquée entre autres par la venue du président des États-Unis, M. Joe Biden, trois jours auparavant, celle de la présidente du conseil des ministres italiens, Mme Giorgia Meloni, quarante-huit heures plus tôt, ainsi que celles du premier ministre espagnol, M. Pedro Sanchez, et de la ministre française de la culture, Mme Rima Abdul Malak, le 23 février, suivie de celle du premier ministre de la Pologne, M. Mateusz Morawiecki, le 24 février.

Se rendre à Kiev ne fut pas une sinécure, l’accès au territoire ukrainien n’étant possible que par le train depuis la frontière polonaise, au prix d’un voyage éprouvant de près d’une journée depuis Varsovie. Néanmoins, ce petit effort était bien la moindre des choses pour marquer la considération et la volonté de saluer les sacrifices consentis par l’Ukraine et son peuple, face à une nouvelle forme d’impérialisme aux portes de l’Union européenne.

À Kiev, les parlementaires participant à ce déplacement ont rencontré de nombreuses personnalités, à commencer par le président Volodymyr Zelensky, le président et les présidents des commissions permanentes de la Verkhovna Rada, ainsi que la vice-première ministre ukrainienne en charge de l’intégration européenne, le ministre de l’énergie et le vice-ministre de la défense. Ils se sont également rendus sur le lieu d’exactions commises par les forces d’occupation russes et entretenus avec des experts et représentants de la société civile ukrainienne. À titre personnel, enfin, la rapporteure a pu échanger avec les ambassadeurs de France en Ukraine, M. Étienne de Poncins, et en Pologne, M. Frédéric Billet.

LES MEMBRES DE LA DÉLÉGATION AVEC LE PRÉSIDENT VOLODYMYR ZELENSKY, LE 23 FÉVRIER 2023

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Toutes ces rencontres, riches et émouvantes dans le contexte que chacun peut imaginer, ont été riches et intéressantes. Le 8 mars 2023, la commission des affaires étrangères a souhaité que les enseignements qui en découlent soient présentés sous la forme d’un rapport d’information. Tel est l’objet de ce document.

 


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I. Un contexte de guerre trÈs prÉgnant et marquant

L’Ukraine est un pays profondément marqué par la guerre au cours de la décennie passée. Entre 2014 et février 2022, le conflit russo-ukrainien consécutif à l’annexion illégale de la Crimée et à la déstabilisation du Donbass avait déjà fait près de 14 000 morts (dont 3 000 civils) et 21 000 blessés, entraînant le déplacement de 2,7 millions de personnes, dont près de 1,5 million de déplacés internes en Ukraine, près de 1 million de réfugiés en Russie, et 81 000 vers la Biélorussie.

Le déclenchement par le pouvoir russe d’une tentative générale d’invasion, le 24 février 2022, a fait changer d’échelle le coût humain et financier du conflit. Officieusement, plusieurs dizaines de milliers de soldats et près de 10 000 civils auraient été tués, côté ukrainien, tandis que 11 millions de personnes ont été déplacées.

AUX ORIGINES DU DÉCLENCHEMENT DU CONFLIT :
LA MAUVAISE APPLICATION DES ACCORDS DE MINSK
ET L’ANNEXION ILLÉGALE DE LA CRIMÉE PAR LA RUSSIE

Parmi les justifications avancées par le président russe pour justifier la décision d’envahir l’Ukraine, figure la supposée mauvaise volonté des autorités ukrainiennes d’appliquer les accords de Minsk concernant les régions russophones séparatistes de Donetsk et de Louhansk. Cependant, le contentieux bilatéral était plus large et portait non seulement sur ces territoires, mais également sur la Crimée, annexée de manière illégale dès mars 2014.

Le protocole de Minsk élaboré les 5 et 19 septembre 2014 par l’OSCE comprenait 13 points, répartis en 4 thèmes :

Mesures de sécurité : négocier un cessez-le-feu bilatéral ; retirer les armes lourdes de la ligne de contact ; permettre à l’OSCE de contrôler le cessez-le-feu ; retirer les unités armées et le matériel militaire étrangers (russes, essentiellement) ; désarmer les groupes illégaux ; rendre à l’Ukraine le contrôle de sa frontière au lendemain des élections dans les oblasts de Donetsk et de Louhansk ;

Règlement politique du conflit : décentralisation du pouvoir en Ukraine par un amendement à la Constitution ; adoption par l’Ukraine d’une loi relative au statut spécial des oblasts de Donetsk et de Louhansk ; organisation d’élections locales dans ces régions aux termes de la nouvelle loi ; octroi par l’Ukraine d’une amnistie aux participants au conflit ;

Mesures économiques : rétablissement des liens socio-économiques avec l’Ukraine, notamment en matière de fiscalité et de système bancaire ;

Mesures humanitaires : rendre possible la distribution d’une aide humanitaire ; procéder à des échanges d’otages et de prisonniers sur une base « tous contre tous ».

Les accords du 12 février 2015, conclus à l’issue d’un sommet des chefs d’État ukrainien, russe, français et allemand, se sont attachés à préciser les mesures à prendre pour parvenir à la paix et à donner des délais précis de mise en œuvre.

Aucune de toutes ces dispositions n’a été intégralement appliquée. Les points bloquants étaient le calendrier et les modalités des élections dans les oblasts de Donetsk et Louhansk, la Russie insistant pour que les élections (et une amnistie pour les séparatistes) aient lieu avant que l’Ukraine ne reprenne le contrôle de ses frontières, le but inavoué du Kremlin étant déjà de s’assurer que son voisin ne recouvre le Donbass que dans des conditions permettant à Moscou de s’ingérer dans les affaires ukrainiennes (avec des séparatistes russophones élus au Parlement ukrainien et un droit de veto des régions autonomes sur des décisions stratégiques portant sur une adhésion du pays à l’Union européenne ou à l’Alliance atlantique).

Le 21 février 2022, à l’issue d’une période de renforcement du dispositif russe aux frontières ukrainiennes amorcé dès avril 2021, le président Vladimir Poutine actait l’échec de ces accords en reconnaissant unilatéralement l’indépendance des Républiques populaires de Donetsk et Louhansk, en violation des engagements internationaux de la Russie. Trois jours plus tard, il lançait une guerre d’agression contre l’Ukraine.

 

La coïncidence de ce déplacement en Ukraine avec le premier « anniversaire » de l’offensive russe contre ce pays a placé ses participants aux premières loges de la reprise des hostilités décidées par la Fédération de Russie, qui était en préparation depuis plusieurs mois ou semaines.

Alors que quelque 100 000 militaires avaient été mobilisés par Moscou au lancement de son opération dite « spéciale », ce sont près de 313 000 soldats au total, renforcés par la mobilisation décrétée par le président Poutine l’an passé, qui sont désormais massés aux portes de l’Ukraine et alimentent, le plus souvent au péril de leur vie, le harcèlement permanent des forces russes contre les défenses ukrainiennes. Le Belarus, qui dispose de 10 500 soldats et d’une centaine de tanks, pourrait servir de force d’appoint mais le régime de Loukachenko s’y refuse pour le moment.

A.   Kiev, une capitale exposÉe en permanence aux attaques aÉriennes russes

La délégation n’a pas été directement exposée aux affres de la guerre mais elle a néanmoins pu en mesurer directement les manifestations quasi-quotidiennes, ne serait-ce que parce qu’elle était en permanence accompagnée par des militaires en armes.

Si la capitale ukrainienne, qui était l’objet d’une offensive par le Nord du pays aux premiers jours de l’opération spéciale russe, a retrouvé depuis plusieurs mois déjà un semblant de vie normale, elle n’en demeure pas moins aux aguets et exposée régulièrement à des frappes aériennes ou de missiles. Le séjour a été marqué par très peu d’alertes, exceptionnellement ; il faut sans doute y voir l’effet « anniversaire », lié à la venue à Kiev de nombreuses délégations officielles.

En temps normal, grâce à des applications spécifiques dont les Ukrainiens sont devenus coutumiers, la population est régulièrement invitée à se rendre dans des abris souterrains, bunkers ou stations de métro. Beaucoup s’exonèrent de ces précautions mais elles demeurent hélas nécessaires, tant les forces russes s’acharnent sur des infrastructures civiles (réseaux d’eau, d’électricité, de gaz), voire de temps en temps des habitations, comme en a attesté la frappe russe du 14 janvier 2023 sur un immeuble résidentiel de Dnipro, au centre du pays, causant la mort de 40 civils innocents.

Signes concrets de cet état de siège de la capitale ukrainienne, les forces armées sont bien présentes et visibles à plusieurs endroits stratégiques, des protections (guérites, hommes armés, chicanes et sacs de sable entassés aux ouvertures, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur) entourent les bâtiments officiels et des dommages causés à divers endroits de la ville constituent autant de marques visibles de la situation actuelle.

Tous les parlementaires européens présents ont pu s’en rendre compte par eux-mêmes le jour de leur arrivée sur place, au pied du centre d’affaires de la tour 101, dont la façade en verre a littéralement été soufflée lors du ciblage d’une centrale électrique située juste de l’autre côté de la rue.

EFFETS D’UN MISSILE RUSSE SUR LA CENTRALE ÉLECTRIQUE
SITUÉE DANS LE SECTEUR DE LA GARE DE KIEV (TOUR 101 DU CENTRE D’AFFAIRES)

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Ces derniers temps, les armées russes ont ciblé plus particulièrement les infrastructures (réseau électrique ou énergétique, usines, etc.). Près de 77 attaques massives contre des installations de production énergétique ont ainsi été menées par les forces russes, à l’automne 2022 et cet hiver – certaines installations ont même été visées dix fois. La vulnérabilité du réseau électrique hérité de l’Union soviétique, bien connue de l’agresseur russe, est donc apparue au grand jour. Les autorités ukrainiennes se sont adaptées, en déployant des « points d’invincibilité » regroupant générateurs, couchages, accès à l’eau potable, notamment ; on en recense plus de 4 000 à l’échelle du pays. À plus long terme, une transformation plus profonde du réseau et une diversification des approvisionnements en énergie sont envisagés, pour assurer au pays davantage de protection et de résilience.

B. Les stigmates omniprÉsents des exactions des forces d’agression

La délégation a aussi eu l’opportunité de se rendre dans les faubourgs de la capitale ukrainienne, à Irpin principalement, afin de se rendre compte des ravages causés par les forces russes contre les populations et les habitations, lorsque celles-ci tentaient une percée vers Kiev, de fin février à début avril 2022. Cette ville a subi des dommages et destructions qui dépassent l’entendement (pont, hôtel de ville, immeubles et commerce ravagés, notamment), principalement par voie aérienne, les forces russes au sol n’y ayant stationné que très peu de temps. Plusieurs bâtiments éventrés ou soufflés par les explosions, ainsi que des carcasses de voitures de victimes, brûlées ou criblées de balles, ont été montrés mais, heureusement, le processus de reconstruction a partiellement débuté.

APERÇU TRÈS PARTIEL DES DESTRUCTIONS À IRPIN

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La rapporteure a également visité, avec ses collègues présents, une exposition « One year – stay in the fight », organisée par YES Ukraine et portant sur les violations des droits humains commises par les forces russes depuis le début du conflit. Cette exposition, itinérante, a été accueillie au siège des Nations Unies, à New York, ainsi qu’au Parlement britannique et constitue un témoignage des crimes de masse perpétrés par les agresseurs russes, à Boutcha, Izioum mais aussi dans tant d’autres localités moins médiatisées.

Les exactions des soldats russes, loin d’être des actes isolés, se sont avérées être des actes répétés à grande échelle, encouragés ou à tout le moins non empêchés par la hiérarchie militaire. Meurtres, sévices et tortures, viols, les autorités ukrainiennes se sont lancées dans un décompte méticuleux des faits appelant une intervention de la justice.

Officiellement, l’Ukraine déplore à ce jour 9 594 décès de victimes civiles, dont 461 enfants, et 12 758 blessés, dont 923 enfants. Mais ces chiffres sont probablement en-deçà de la réalité. Quelque 80 080 biens ou infrastructures ont été détruits depuis le début de la guerre, la Russie ayant procédé à un total de 255 frappes contre ce type de cibles. De plus, 950 cas de crimes de guerre ont été formellement recensés à ce stade. S’y ajoute enfin, de manière tout aussi préoccupante, l’enlèvement d’enfants ukrainiens, déplacés en Russie pour y être adoptés par des couples russes : le chiffrage de l’Ombudsman ukrainien porte à 3 000 enfants leur nombre, selon la commission des droits de l’Homme de la Verkhovna Rada.

Ces étapes sur le terrain, très émouvantes, se sont avérées extrêmement précieuses pour l’ensemble des participants au déplacement. À titre personnel, la rapporteure en a retiré le sentiment que la Fédération de Russie, si engagée depuis 1945 dans les commémorations et le culte du sacrifice des héros de la « grande guerre patriotique », loin de bannir les pratiques qu’elle avait combattues, les reproduit dans une sorte de mimétisme tragique.

Les hôtes ukrainiens ont pour habitude de dire que celles et ceux qui se rendent sur les lieux où des exactions ont été commises sur les populations civiles ne portent jamais le même regard, par la suite, sur les enjeux du conflit. Ce sentiment est fondé car la guerre en cours en Ukraine frappe aussi très durement les populations civiles, délibérément visées par les agresseurs russes.

Attachés à la défense des intérêts de leurs concitoyens, les parlementaires ne peuvent qu’être sensibles à la préoccupation des autorités ukrainiennes de défendre la vie de leurs ressortissants. C’est là, indéniablement, une valeur qui rapproche l’Ukraine des autres pays européens et qui nous unit.


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II. Un avenir qui s’inscrit rÉsolument dans le projet europÉen

Les entretiens politiques conduits à Kiev au cours de ce déplacement ont largement porté sur les aspirations européennes de l’Ukraine. À cet égard, si la solidarité de l’Union européenne et des États européens est fortement appréciée, les attentes restent fortes, qu’il s’agisse de la satisfaction des besoins immédiats du pays ou de ses perspectives d’adhésion à l’Union.

A.   Des autoritÉs ukrainiennes sensibles aux marques de solidaritÉ europÉenne

L’Union européenne se tient fermement aux côtés de l’Ukraine et de sa population. Dès février 2022, les dirigeants des vingt-sept et les institutions communautaires ont annoncé leur volonté de soutenir vigoureusement l’économie, la société et les forces armées ukrainiennes, ainsi que la reconstruction future. Parallèlement, dix paquets de sanctions ont été adoptés par l’Union, le dernier le 24 février 2023, afin de viser les capacités de production de l’outil militaire russe et les avoirs des dirigeants responsables du conflit.

Les responsables ukrainiens le savent, ils sont très sensibles à ce soutien et appellent à sa poursuite dans la durée.

Concrètement, depuis le début de la guerre, l’Union européenne et ses États membres ont mis à disposition de l’Ukraine et de sa population une aide d’environ 67 milliards d’euros, répartie entre 37,8 milliards d’euros d’assistance économique, 17 milliards d’euros d’aide aux réfugiés et 12 milliards d’euros de soutien militaire.

Après avoir fourni une assistance macro-financière de 7,2 milliards d’euros sous forme de prêts et de subventions après le déclenchement du conflit, le Conseil a adopté un paquet législatif, en décembre 2022, qui permettra, tout au long de l’année 2023, d’apporter une aide financière à hauteur de 18 milliards d’euros. L’objectif est de fournir une assistance budgétaire à court terme, de financer les besoins immédiats et soutenir la remise en état des infrastructures critiques, et enfin de préparer la reconstruction d’après-guerre ainsi que les réformes économiques nécessaires pour l’intégration européenne du pays.

Les Ukrainiens ne sont pas seulement conscients de ces efforts financiers. Ils apprécient aussi grandement le soutien politique des États membres et de l’Union européenne, y compris dans des registres plus mémoriels et symboliques, telle que la reconnaissance de l’Holodomor.

La délégation a pu mesurer sur place le degré d’importance accordé à sa venue, comme l’illustre le fait qu’elle a été reçue par le président Volodymyr Zelensky lui-même, le président du Parlement ukrainien, une vice-première ministre et plusieurs membres du gouvernement du pays. Elle a aussi été associée directement à certaines cérémonies commémoratives, tel le dépôt collectif de bougies au pied du mur du souvenir aux combattants ukrainiens morts depuis 2014 dans le conflit avec la Russie, en compagnie du président de la Verkhovna Rada, M. Ruslan Stefanchuk.

En cela, un tel déplacement avait une portée plus que symbolique : il matérialisait, en quelque sorte, la force de l’engagement des Européens aux côtés de l’Ukraine, dans les moments difficiles comme dans les jours meilleurs.

B.   Des attentes fortes À l’Égard des États de l’Union europÉenne et de Bruxelles

Les interlocuteurs à Kiev, comme le président Volodymyr Zelensky très régulièrement, ont insisté sur le fait que l’Ukraine se bat aujourd’hui non seulement pour sa propre défense mais aussi pour celle de l’Europe, de ses valeurs et de la liberté. De ce fait, les autorités ukrainiennes attendent de nos pays un soutien matériel appuyé dans l’effort de guerre, ainsi qu’une adhésion rapide à l’Union européenne (UE).

1.   Le besoin d’armes de défense, leitmotiv des discours officiels

La priorité des priorités depuis le début de l’année 2023 pour les Ukrainiens est l’obtention de munitions et d’équipements militaires modernes pour compenser le déséquilibre numérique constaté sur le champ de bataille.

Fin novembre 2022, tous pays confondus, l’Ukraine avait reçu plus de 113 milliards d’euros d’aide militaire, financière et humanitaire depuis le début de la guerre. L’Union européenne et ses États membres en sont les premiers contributeurs en valeur nette, avec plus de 52 milliards d’euros de soutien, suivis des États-Unis, avec un soutien de 48 milliards.

Pour la première fois de son histoire, l’Union européenne a financé la livraison d’armes à un pays en guerre, une mesure rendue possible par la création, en mars 2021, de la Facilité européenne pour la paix (FEP). Ce dispositif permet notamment aux États membres d’être remboursés du montant de la valeur des matériels militaires cédés à l’Ukraine. Le montant de la FEP a été plusieurs fois rehaussé et atteint aujourd’hui 3,6 milliards d’euros, financé par les États membres. La France finance 18 % de ce mécanisme.

À cela s’ajoute un montant de 123 millions d’euros dédiés à la mission EUMAM Ukraine, une mission ayant pour objectif la formation de 15 000 soldats ukrainiens sur le territoire européen. Dans ce cadre, notre pays en forme près de 2 000 sur son territoire.

La France a donné aux forces armées ukrainiennes plusieurs équipements importants, parmi lesquels les canons Caesar et des chars légers AMX 10 RC, dont les premiers exemplaires sont arrivés concomitamment à ce déplacement à Kiev. Les dernières estimations du Kiel Institute portent à 7,4 milliards d’euros le montant du soutien militaire français – livraison d’artillerie, formation de soldats, carburant, et participation aux initiatives européennes incluses – sur la période de février à novembre 2022, un chiffre qui devra être revu à la hausse compte tenu des nouvelles annonces de livraison de matériels en janvier 2023.

Le détail des matériels fournis à l’Ukraine depuis février 2022 figure dans le tableau ci-dessous.

ÉQUIPEMENTS MILITAIRES LIVRÉS OU PROMIS PAR LA FRANCE À L’UKRAINE
(à date de février 2023)

Équipement

Déjà livrés

Livraison à venir

Caesar

(Canon d’artillerie monté sur un camion)

18

+ 12 prévus pour février 2023

Lance-roquettes unitaire (LRU)

2

-

Crotale NG

(Système de défense antiaérienne)

2

-

TrF1 de 155 mm

(Canon tracté d’artillerie sol-sol)

une quinzaine

-

Milan

(Missile d'Infanterie Léger Antichar NATO)

plusieurs dizaines

-

Mistral

(Missile Transportable Anti-aérien Léger)

une centaine

-

Ground Master 200

(Radar de moyenne portée)

-

1 commandé à Thales

VAB

(Véhicules d'Avant Blindé)

une soixantaine

-

ACMAT Bastion

(Véhicules de transport)

20

-

AMX-10 RC

(Chars de combat léger)

une trentaine

-

Mamba SAMP-T

(Système Sol-Air Moyenne Portée Terrestre)

-

1 prévu au printemps 2023

Autres :

Obus, missiles, casques, gilets pare-balles, carburant…

Confidentiel

-

Récemment, plusieurs pays européens (Allemagne, Pays-Bas, Espagne, Norvège) se sont engagés à livrer des chars lourds modernes de type Leopard 2, à hauteur de quelques dizaines d’exemplaires, ainsi qu’une centaine de chars Leopard 1 modernisés. L’essentiel de l’effort reste néanmoins fourni par les États-Unis, en volume global.

L’AIDE MILITAIRE D'AUTRES PAYS À L’UKRAINE, JUSQU’AU DÉBUT DE 2023

1. Le soutien militaire des États-Unis

Début février 2023, le soutien militaire américain à l’Ukraine était de 29,3 milliards d’euros, faisant des États-Unis, de loin, le premier pays contributeur en équipements militaires à l’Ukraine.

Après de nombreux débats sur les possibilités d’escalade du conflit, les États-Unis et l’Allemagne ont été les premiers pays à autoriser la livraison de chars lourds à l’Ukraine : la livraison de 31 chars américains Abrams a été annoncée fin janvier 2023.

La liste des équipements livrés est régulièrement mise à jour par le Gouvernement américain et peut être retrouvée sur ce lien : https://www.state.gov/u-s-security-cooperation-with-ukraine/.

2. Le soutien militaire du Royaume-Uni

Le Royaume-Uni est le deuxième pays contributeur en assistance militaire à l’Ukraine, dont le montant s’élevait à 2,6 milliards d’euros fin janvier 2023. Ce montant inclut la livraison de matériels divers comme des systèmes de défense anti-aériens, des véhicules blindés, des missiles antichars, ou encore la livraison de chars lourds Challenger 2.

Le Royaume-Uni se distingue par la création du programme Operation Interflex, dont l’objectif est la formation de 10 000 soldats ukrainiens tous les 120 jours. Cette opération est aujourd’hui soutenue par les Pays-Bas, le Canada, la Suède, la Finlande, la Norvège, le Danemark, la Lituanie, la Nouvelle-Zélande et l’Australie.

3. Le soutien militaire de l’Allemagne

Le montant de l’assistance militaire de l’Allemagne à l’Ukraine s’élevait à 2,3 milliards d’euros en février 2023.

Après de longs débats sur la possibilité d’escalade du conflit, le gouvernement allemand a donné son accord pour la livraison à l’Ukraine de chars blindés lourds Leopard 2, fin janvier 2023. Cette mise à disposition de 14 chars allemands Leopard 2A s’est faite de concert avec l’annonce américaine pour la livraison de chars lourds Abrams.

La liste des équipements livrés est régulièrement mise à jour par le gouvernement fédéral et peut être retrouvée sur ce lien : https://www.bundesregierung.de/breg-en/news/military-support-ukraine-2054992.

4. Le soutien militaire de la Pologne

En janvier 2023, la Pologne avait fourni un soutien militaire équivalent à 1,6 milliard d’euros à l’Ukraine.

Pays frontalier du conflit, la Pologne a été l’un des premiers à soutenir l’effort de guerre ukrainien, et il reste aujourd’hui l’un de ses fournisseurs principaux d’artillerie lourde. Ce matériel inclut plus de 200 chars de combat T 72, des obusiers, des drones, ou encore divers missiles antiaériens. Le gouvernement polonais s’était également dit prêt à envoyer des chars lourds Leopard 2 en Ukraine, bien avant l’autorisation accordée par l’Allemagne pour en exporter.

5. Le soutien militaire du Canada

En janvier 2023, le montant de l’assistance militaire du Canada à l’Ukraine s’élevait à 934 millions d’euros, dont l’envoi d’artillerie, de drones, d’équipements de communication par satellite.

Le Canada se démarque par la création, dès 2015, de l’opération Unifier, dont l’objectif est la formation et le renforcement des capacités militaires des forces ukrainiennes. Dans ce cadre, plus de 35 000 soldats ukrainiens ont pu recevoir une formation des forces armées canadiennes. L’ensemble des soldats canadiens se sont retirés du territoire ukrainien depuis le début de la guerre mais des formations se poursuivent encore dans des pays tiers.

 

La réception de tous ces équipements et leur déploiement au plus près des besoins opérationnels constituent un véritable tour de force logistique, rendu possible par un considérable effort de modernisation de l’administration ukrainienne. Preuve en est, une fois de plus, de la capacité des Ukrainiens à s’adapter et à se réinventer pour leur survie.

Les autorités de Kiev, relayant en cela les demandes formulées par le président Volodymyr Zelensky lors de sa mini-tournée européenne à Londres, Paris et Bruxelles, les 8 et 9 février derniers, insistent désormais sur leurs besoins en capacités de frappes à moyenne-longue portée et en avions de combat. Le sujet est en cours de discussion et, en tout état de cause, la fourniture de tels équipements suppose une formation assez longue de militaires ukrainiens. L’obtention de munitions, notamment d’artillerie, apparaît également urgente pour faire face aux pilonnages russes dans l’Est du pays.

2.   La perspective d’adhésion à l’UE : une volonté qui s’inscrit dans un calendrier ambitieux

L’autre attente forte exprimée à Kiev concerne le processus d’adhésion à l’Union européenne, dans le droit fil de la révolution de la dignité (« Euromaïdan »), née du refus en 2013 du président pro-russe Viktor Ianoukovitch de ne pas finaliser l’accord d’association avec l’UE.

Le président Volodymyr Zelensky et sa majorité parlementaire, élus en 2019, ont engagé de nombreuses réformes, en particulier en matière de lutte contre la corruption et de justice (réorganisation de la structure du parquet, de la haute cour anticorruption et de l’agence nationale de prévention de la corruption ; réforme du foncier agricole en mars 2020 ; loi bancaire en 2020). D’autres mesures symboliques ont été adoptées, telles que la simplification de la procédure de destitution du chef de l’État, l’abolition de l’immunité parlementaire ou encore le durcissement des sanctions contre les faits de corruption et d’enrichissement illégal. Des réformes en faveur de la libéralisation du système économique ont également été mises en place (privatisation des entreprises publiques, déconstruction des monopoles d’État, réforme foncière permettant la libéralisation du système d’acquisition des terres).

Au lendemain du déclenchement de la guerre, les autorités ukrainiennes ont formellement déposé, le 28 février 2022, une demande d’adhésion à l’Union européenne. À l’issue du Conseil européen des 23 et 24 juin derniers, les chefs d’État et de gouvernement des vingt-sept États membres ont suivi la recommandation de la Commission d’accorder à l’Ukraine le statut de candidat à cette adhésion.

Depuis lors, les responsables ukrainiens n’ont cessé de mettre en avant les progrès obtenus sur le chemin de la préparation de ce processus, notamment en matière de lutte contre la corruption, pour appeler à une adhésion rapide. Lors du 24e sommet Union européenne-Ukraine, le 3 février 2023 à Kiev, le président Volodymyr Zelensky a clairement manifesté son intention de voir les négociations débuter réellement à la fin de cette année, voire l’an prochain, dans la perspective d’une adhésion effective à l’horizon 2026.

Ce message a été fortement relayé sur place, lors des entretiens avec les officiels ukrainiens rencontrés.

Au printemps 2023, la Commission européenne va présenter un rapport préliminaire sur les sept critères politiques à remplir pour l’adhésion. Il s’agit d’un document crucial, dont l’élaboration semble avancer de manière satisfaisante.

Dans les faits, ces ambitions devraient se heurter à certaines réalités juridiques importantes car, pour devenir un État membre à part entière, outre qu’elle devra recueillir à cet effet l’unanimité des vingt-sept, l’Ukraine devra se mettre en situation d’appliquer la totalité du droit communautaire, ce qui suppose des dizaines de milliers de normes à transposer, ainsi que des réformes administratives et organisationnelles importantes à mener au préalable. À cet égard, le contexte de guerre, jusqu’ici révélateur des ressources sous-estimées de l’Ukraine et de son aptitude à s’adapter de manière extrêmement rapide, sera-t-il le catalyseur de transformations plus profondes ? Seul l’avenir le dira.

Dans l’éventualité où les négociations d’adhésion à l’UE s’ouvriraient dès cette année, pour permettre aux services de la Commission d’avancer en 2024 malgré les échéances électorales européennes, le Parlement européen table sur une intégration de l’Ukraine à l’Union, au mieux, à compter de 2029.

Dans l’intervalle, la Communauté politique européenne (CPE), souhaitée par le président de la République française et portée sur les fonts baptismaux à Prague l’an passé, devrait permettre de lancer des coopérations concrètes à brève échéance avec l’Ukraine. Après s’être montrés méfiants à l’égard de ce format, les Ukrainiens ont bien compris l’intérêt qu’ils pourront en retirer.

 


III. Les paramÈtres ukrainiens pour accepter la paix

Si la guerre reste malheureusement – et sans doute pour quelque temps encore – d’actualité, l’objectif d’un retour à la paix n’est pas écarté par la partie ukrainienne. Les principes énoncés par le président Volodymyr Zelensky sont clairs et se résument à un plan en 10 points. Outre le rétablissement de l’intégrité territoriale du pays et de sa souveraineté, assorti de garanties de sécurité, la question de la réparation des dommages et du jugement des crimes commis sera cruciale.

A.   Le plan de paix en 10 points du prÉsident Zelensky

C’est le 16 novembre 2022, au deuxième jour de la réunion des chefs d’État et de gouvernement du G20 à Bali, que le président ukrainien a formalisé ses conditions à une cessation des hostilités avec la Russie.

Concrètement, ce plan demande pour l’Ukraine : la sécurité radiologique et nucléaire, à commencer par le rétablissement de la sécurité autour de la plus grande centrale nucléaire d’Europe, Zaporijjia ; la sécurité alimentaire, notamment en protégeant et en garantissant les exportations de céréales du pays vers les États les plus pauvres du monde ; la sécurité énergétique, en aidant l’Ukraine à restaurer son infrastructure électrique, dont la moitié a été endommagée par les attaques russes ; la libération de tous les prisonniers et déportés, y compris les prisonniers de guerre et les enfants déplacés en Russie ; bien évidemment, le rétablissement de l’intégrité territoriale de l’Ukraine et sa reconnaissance dans ses frontières par la Russie, conformément à la Charte des Nations Unies ; corrélativement, le retrait des troupes russes et la cessation des hostilités ; des mesures de justice ; la protection de l’environnement, en mettant l’accent sur le déminage et la restauration des installations de traitement des eaux ; la construction d’une architecture de sécurité dans l’espace euro-atlantique, avec des garanties pour l’Ukraine ; enfin, un engagement officiel des parties concernées.

Par un vote à une large majorité – 141 voix contre 7 –, le 23 février 2023, l’Assemblée générale des Nations Unies réunie en session extraordinaire a appuyé, dans sa résolution intitulée « Principes de la Charte des Nations Unies sous-tendant une paix globale, juste et durable en Ukraine » [1], une grande partie des demandes des autorités ukrainiennes pour parvenir à une issue pacifique du conflit. Ce texte exige en effet :

– que la Fédération de Russie retire « immédiatement, complètement et sans condition toutes ses forces militaires du territoire ukrainien à l’intérieur des frontières internationalement reconnues du pays, et appelle à une cessation des hostilités » ;

– que tous les prisonniers de guerre bénéficient d’un traitement conforme aux dispositions de la convention de Genève, ainsi qu’à terme l’échange complet des prisonniers de guerre, la libération de toutes les personnes détenues illégalement et le retour de tous les internés et des civils transférés et déportés de force, y compris les enfants ;

– que les parties respectent pleinement les obligations qui leur incombent en vertu du droit humanitaire international, en épargnant systématiquement la population civile et les biens de caractère civil, et en s’abstenant d’attaquer, de détruire, d’enlever ou de rendre inutilisables les biens indispensables à la survie de la population civile.

Bien qu’il présente le mérite d’entrouvrir un canal de discussion et d’affirmer que l’Ukraine ne souhaite pas une guerre indéfinie, le plan du président Volodymyr Zelensky ne recueille pas, pour l’heure, le moindre geste d’ouverture de Moscou.

Concomitamment au déplacement, la Chine a publié une position sur le règlement politique de la crise en Ukraine, dont certains aspects s’écartent des priorités ukrainiennes. Il en a été brièvement question à Kiev et il apparaît prématuré, à ce stade, de préjuger de la portée qu’aura cette contribution.

B.   L’obtention de vÉritables garanties de sÉcuritÉ

La question des garanties de sécurité accordées à l’Ukraine est centrale pour l’Exécutif ukrainien. Le mémorandum de Budapest était censé les offrir, à la suite de la chute de l’Union des Républiques socialistes soviétiques (URSS), en échange d’un renoncement aux stocks d’armes nucléaires présents dans le pays et transférés en Russie. La suite a montré que cet engagement n’apportait pas à l’Ukraine la protection à laquelle elle aspirait légitimement.

LES GARANTIES DE SÉCURITÉ ACCORDÉES À L’UKRAINE
PAR LE MÉMORANDUM DE BUDAPEST EN 1991

Lorsque l’Union soviétique disparut le 31 décembre 1991, quatre anciennes Républiques soviétiques – la Russie, l’Ukraine, la Biélorussie et le Kazakhstan – se retrouvèrent à posséder, sur leur territoire, des armes nucléaires. La Biélorussie, le Kazakhstan et l’Ukraine renoncèrent à la possession des arsenaux nucléaires présents sur leur sol et s’engagèrent à rejoindre le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires en échange de contreparties financières et pour leur sécurité, formalisées dans le mémorandum de Budapest du 5 décembre 1994.

Ce mémorandum, officiellement transmis le 7 décembre suivant par les quatre États signataires au Secrétaire général des Nations Unies en vue de sa communication à l'Assemblée générale, stipulait :

1. La Fédération de Russie, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et les États-Unis d’Amérique réaffirment leur engagement envers l’Ukraine, conformément aux principes énoncés dans l’Acte final de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe, de respecter son indépendance et sa souveraineté ainsi que ses frontières existantes.

2. La Fédération de Russie, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et les États-Unis d’Amérique réaffirment leur obligation de s’abstenir de recourir à la menace ou à l’emploi de la force contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de l’Ukraine, et qu’aucune de leurs armes ne soit utilisée contre l’Ukraine, si ce n’est en légitime défense ou d’une autre manière conforme aux dispositions de la Charte des Nations Unies.

3. La Fédération de Russie, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et les États-Unis d’Amérique réaffirment, conformément aux principes énoncés dans l’Acte final de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe, leur engagement envers l’Ukraine de ne pas recourir à la coercition économique afin de subordonner à leur propre intérêt l’exercice par l’Ukraine des droits inhérents à sa souveraineté et d’en tirer un avantage quelconque.

4. La Fédération de Russie, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et les États-Unis d’Amérique réaffirment leur engagement de demander au Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies d’intervenir immédiatement pour venir en aide à l’Ukraine, en tant qu’État non doté d’armes nucléaires partie au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, si celle-ci faisait l’objet d’une agression ou d’une menace d’agression faisant appel à l’arme nucléaire.

5. La Fédération de Russie, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et les États-Unis d’Amérique réaffirment, en ce qui concerne l’Ukraine, leur engagement de ne pas utiliser d’armes nucléaires contre un État non doté d’armes nucléaires partie au Traité sur la non prolifération des armes nucléaires, sauf en cas d’attaque dirigée à leur encontre, leurs territoires ou des territoires dépendants, leurs forces armées ou leurs alliés par un tel État, associé ou allié à un État doté d’armes nucléaires.

6. L’Ukraine, la Fédération de Russie, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et les États-Unis d’Amérique se consulteront dans le cas où une question se poserait au sujet des engagements énoncés ci-dessus.

 

Aujourd’hui, l’ensemble des autorités ukrainiennes considère que la paix ne sera possible que si le retour à la guerre est rendu impossible, ce qui suppose des engagements plus contraignants pour les États qui se porteraient garants du respect de l’intégrité et de la souveraineté de l’Ukraine.

D’ailleurs, les responsables ukrainiens ne cachent pas qu’ils souhaiteraient voir leur pays intégrer l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), alors que cette perspective avait été évoquée par le président russe pour justifier le déclenchement de l’opération spéciale du 24 février 2022.

Plusieurs parlementaires d’États membres de l’OTAN présents lors du déplacement, notamment ceux issus de l’Europe de l’Est, partagent cette aspiration de l’Ukraine, formalisée officiellement le 30 septembre 2022. Elle ne fait toutefois pas consensus actuellement.

C. Une exigence de justice devant les juridictions internationales pour surmonter les souffrances

Nonobstant la priorité des autorités ukrainiennes de recouvrer l’intégrité territoriale du pays et sa souveraineté, les discussions que la délégation a pu avoir à Kiev ont aussi porté sur l’exigence de réparation des crimes et des dommages perpétrés sur le sol ukrainien.

Juridiction internationale chargée de juger les individus accusés de crimes internationaux (génocide, crime de guerre, crime contre l’humanité) au regard du statut de Rome signé en 1998, la Cour pénale internationale a annoncé, en mars 2022, l’ouverture d’un examen préliminaire sur la situation en Ukraine pour déterminer si des crimes relevant de sa compétence y ont été commis. Or, la CPI rencontre des limites dans l’exercice de sa compétence dans cette affaire car elle ne peut enquêter que sur les crimes commis sur le territoire d’un État partie au statut de Rome ou lorsque le Conseil de sécurité des Nations Unies lui a renvoyé la situation.

Or, la Russie n’a pas ratifié le statut de Rome et elle ne manquerait pas d’exercer son droit de veto au Conseil de sécurité dans l’éventualité où une résolution mandatant la CPI serait mise aux voix.

Pour contourner cette difficulté, les autorités ukrainiennes plaident pour la mise en place d’un tribunal international indépendant ou ad hoc. Fin novembre 2022, la présidente de la Commission européenne, Mme Ursula von der Leyen, a proposé de travailler à la création d’un tribunal spécial « soutenu par les Nations Unies » pour juger les « crimes d’agression de la Russie » en Ukraine.

Depuis, plusieurs options ont été avancées sur cette question :

– tout d’abord, la mise en place d’un tribunal international spécial indépendant, fondé sur un traité multilatéral, autrement dit un tribunal ad hoc limité aux crimes d’agression commis par les dirigeants russes contre l’Ukraine ;

– sinon, l’institution d’un tribunal spécial sur le fondement d’une résolution de l’Organisation des Nations Unies (ONU), adoptée en Assemblée générale et autorisant le Secrétaire général de l’ONU à travailler avec les autorités ukrainiennes sur l’élaboration d’un accord international sur le modèle de ce qui s’est passé au Cambodge [2] ;

– enfin, l’instauration d’un tribunal spécialisé intégré dans un système judiciaire national mais comportant des juges internationaux : une juridiction hybride en somme, à la fois nationale et internationale à l’image du tribunal spécial pour le Kosovo créé en 2015 [3].

Dans une résolution du 19 janvier 2023, le Parlement européen s’est prononcé en faveur d’un tribunal international spécial chargé de poursuivre le crime d’agression contre l’Ukraine [4]. Cependant, ces suggestions se heurtent à d’importantes difficultés pratiques.

De même, dans une résolution adoptée en séance plénière le 26 janvier 2023, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE), dont la rapporteure est membre, a elle-aussi appelé à l’instauration d’un tribunal spécial à La Haye pour poursuivre les responsables russes et biélorusses ayant « planifié, préparé, initié ou exécuté » la guerre d’agression en cours [5].

Enfin, dans sa résolution du 23 février 2023, l’Assemblée générale de l’ONU a souligné qu’il faut ouvrir des enquêtes et engager des poursuites appropriées, équitables et indépendantes au niveau national ou international pour que les auteurs des crimes les plus graves au regard du droit international qui auront été commis sur le territoire ukrainien répondent de leurs actes, que justice soit rendue à toutes les victimes et que de futurs crimes soient évités.

En tout état de cause, les Ukrainiens n’entendent pas signer, le moment venu, un cessez-le-feu valant solde de tous comptes. Des atrocités et des crimes ont été commis en Ukraine et leurs auteurs devront rendre des comptes.

Comme l’a indiqué justement M. Bernard-Henri Lévy, rencontré par la délégation à l’exposition de YES Ukraine, le conflit ukrainien est l’un des premiers à donner lieu à une documentation immédiate sur des crimes de masse perpétrés lors de son déroulement. Ces éléments, à l’appui des preuves collectées notamment par les équipes d’investigation scientifique dépêchées par la France et d’autres pays, alimenteront à n’en pas douter les dossiers ouverts par la justice internationale lorsqu’elle sera saisie.

De même, les autorités ukrainiennes jugent que les avoirs étrangers des soutiens actifs à la guerre du régime russe doivent permettre la réparation de dommages matériels subis par leur pays lors de ce conflit.

 


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   Conclusion

 

Ce déplacement à Kiev, les 23 et 24 février 2023, était exceptionnel à double titre. Tout d’abord, il s’inscrivait dans un contexte de guerre en cours sur le territoire du pays de destination, ce qui le rendait dangereux et explique son format spécifique. Ensuite, il a été organisé dans des conditions particulières, liées au contexte et à la date du 24 février, symbolique à bien des égards.

La représentation de la commission des affaires étrangères à cette initiative portée par les parlementaires baltes, polonais et ukrainiens était nécessaire et attendue.

Nonobstant le danger et le caractère historique du moment, deux caractéristiques ont plus particulièrement marqué les constats dressés sur place par les participants :

– la première est le courage et la résilience de la population ukrainienne et de ses dirigeants. Depuis un an, maintenant, ils subissent une guerre très dure, intense, qui engendre beaucoup de dommages et de privations. Pourtant, à chaque attaque ou offensive, ils se redressent face à l’agresseur et font preuve d’un courage exemplaire. Le soutien des Européens, même symbolique, les aide beaucoup : c’est pour cette raison qu’il est utile de leur montrer que, un an après le début de la guerre, les pays du continent – et au-delà, de l’autre côté de l’Atlantique – restent à leurs côtés ;

– la seconde concerne la poursuite de la vie démocratique et parlementaire en Ukraine, malgré le conflit. La Verkhovna Rada continue de siéger régulièrement, comme la délégation qui s’est rendue sur place a pu le vérifier en assistant à une séance plénière. De même, les députés ukrainiens restent mobilisés pour leur pays en dépit des dangers. Cet effacement personnel derrière le devoir n’est pas si courant, par les temps actuels, et il mérite d’être souligné.

Si le conflit n’a pas cessé, le soutien occidental et européen doit lui-aussi se poursuivre. C’est l’honneur de la France, et de sa représentation nationale, d’y prendre sa part.

À court terme, pour le moins, il semble que la voix des armes va continuer à parler. L’évocation d’une contre-offensive ukrainienne au printemps 2023, par les responsables ukrainiens eux-mêmes, est de nature à confirmer cette perception.

 

LE DRAPEAU FRANÇAIS DANS LES COULOIRS DE LA VERKHOVNA RADA,
AMÉNAGÉS FACE AU RISQUE D’EXPLOSION DU FAIT D'ATTAQUES AÉRIENNES

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   Examen en commission

 

Au cours de sa séance du mercredi 8 mars 2023, la commission entend une communication sur le déplacement d’une vice-présidente de la commission à Kiev à l’occasion d’une réunion des présidents de commission des affaires étrangères de Parlements européens les 23 et 24 février 2023.

L’enregistrement de cette séance est accessible sur le portail vidéo de l’Assemblée nationale à l’adresse suivante :

 

https://assnat.fr/GgVMol

 

À l’issue des échanges, la commission autorise le dépôt de cette communication sous forme de rapport d’information, en vue de sa publication.

 


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   Annexe N° 1 : Programme du dÉplacement
À Kiev de Mme Mireille Clapot

 

Jeudi 23 février 2023

 

 Panorama, depuis le business center Tour 101, sur les destructions de la ville.

 Entretien avec M. Ruslan Stefanshuk, président de la Verkhovna Rada en compagnie de députés ukrainiens.

 Salut de la délégation en séance plénière de la Verkhovna Rada.

 Réunion avec Mme Ivanna Klympush-Tsyntsade, présidente de la commission de l’intégration de l’Ukraine dans l’UE, M. Andri Gerus, président de la commission sur de l’énergie, du logement et des services publics, M. Andrii Zadorozhnyi, président de la commission des droits de l’Homme, M. Yehor Cherniev, vice-président de la commission de la sécurité nationale, de la défense et du renseignement, et Mme Olena Khomenko, membre de la commission de la sécurité nationale, de la défense et du renseignement.

 Entretien avec Mme Olha Stefanishyna, vice-première ministre en charge de l'intégration européenne et euro-Atlantique.

 Entretien avec M. Oleksandr Polishchuk, vice-ministre de la défense.

 Entretien avec M. Volodymyr Zelensky, président de l’Ukraine.

 Entretien avec M. German Galushchenko, ministre de l’énergie.

 

Vendredi 24 février 2023

 

 Visite de l’exposition « One year – stay in the fight », organisée par YES Ukraine, en présence de M. Oleksii Reznikov, ministre de la défense, et de M. Bernard-Henri Lévy, philosophe et réalisateur.

 Déplacement à Irpin.

 Entretien avec M. Etienne de Poncins, ambassadeur de France en Ukraine.

 Entretien avec M. Mykhailo Gonchar, président de la CGS Stratégie XXI, rédacteur en chef du Black Sea Security Journal, Mme Hanna Hopko, cheffe du réseau ANTS, cofondatrice du Centre international pour la victoire ukrainienne, Mme Daria Kalenyuk, directrice exécutive du centre d'action anti-corruption, ICUV COfunder, Mme Maria Berlinska, vétéran, DignitasFund, opérateur de drones, M. Valerii Pekar, professeur-adjoint des écoles de commerce de Kiev-Mohyla et de Lviv.

 

Samedi 25 février 2023

 

 Entretien, à Varsovie, avec M. Frédéric Billet, ambassadeur de France en Pologne.


   Annexe N° 2 : Liste de la dÉlÉgation parlementaire qui s’est rendue À Kiev, les 23 et 24 fÉvrier 2023

 Allemagne

– M. Thomas Erndl, vice-président de la commission des affaires étrangères du Bundestag.

 Bulgarie

– Mme Ekaterina Spasova Gecheva-Zaharieva, présidente de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale.

 Espagne

– M. Pau Marí-Klose, président de la commission des affaires étrangères du Congrès des députés ;

– M. Pablo Hispan, vice-président du Congrès des députés du Royaume d’Espagne.

 Finlande

– M. Jussi Hallaaho, président de la commission des affaires étrangères de l’Eduskunta.

 France

– Mme Mireille Clapot, vice-présidente de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale.

 Islande

– M. Bjarni Jónsson, président de la commission des affaires étrangères du Parlement islandais.

 Italie

– Mme Lia Quartapelle, vice-présidente de la commission des affaires étrangères et communautaires de la Chambre des députés ;

– M. Roberto Menia, vice-président de la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat.

 Lituanie

– M. Žygimantas Pavilionis, président de la commission des affaires étrangères du Seimas ;

– M. Giedrius Surplys, vice-président de la commission des affaires étrangères du Seimas.

 Pologne

– M. Radosław Fogiel, président de la commission des affaires étrangères du Sejm ;

– M. Bogdan Klich, président de la commission des affaires étrangères et de l’Union européenne du Sénat.

 Portugal

– M. António Prôa, vice-président de la commission de la défense nationale de l’Assemblée nationale.

 République tchèque

– M. Marek Ženišek, président de la commission des affaires étrangères de la Chambre des députés ;

– M. Pavel Fisher, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et de la sécurité du Sénat.

 Royaume-Uni

– Mme Alicia Kearns, présidente de la commission des affaires étrangères de la Chambre des communes.

 Slovénie

– M. Predrag Baković, président de la commission de la politique étrangère de l’Assemblée nationale.

 Suède

– M. Gustaf Göthberg, membre de la commission de la défense du Parlement suédois.

 Parlement européen

– M. Andrius Kubilius, président de l’alliance parlementaire « Unis pour l’Ukraine » (United4Ukraine).


[1] XIème session extraordinaire d’urgence, résolution A/ES-11/L.7 du 23 février 2023.

[2] En 2003, ce mécanisme permit de parvenir à un accord entre l’ONU et le gouvernement royal du Cambodge, qui fut à la base de la création les Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens.

[3] À titre d’illustration, le tribunal spécial pour le Kosovo fut institué en 2015 par la loi kosovare mais il se situe à La Haye et est composé de professionnels issus de la communauté internationale. Ce Tribunal n’a aucun lien avec l’ONU.

[4] Résolution du Parlement européen du 19 janvier 2023 sur la création d’un tribunal pour le crime d’agression contre l’Ukraine (2022/3017(RSP)).

[5] Résolution 2482(2023) adoptée le 26 janvier 2023.