N° 937

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 8 mars 2023.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES (1)

portant observations sur le projet de loi
relatif à l’accélération des procédures liées à la construction
de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes ( 762),

ET PRÉSENTÉ

PAR M. Henri ALFANDARI,

Député

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(1)     La composition de la commission figure au verso de la présente page.


 

La Commission des affaires européennes est composée de : M. Pieyre-Alexandre ANGLADE, président ; M. Pierre-Henri DUMONT, Mme Marietta KARAMANLI, MM. Frédéric PETIT, Charles SITZENSTUHL, vice‑présidents ; M. Henri ALFANDARI, Mmes Louise MOREL, Nathalie OZIOL, Sandra REGOL secrétaires ; MM. Gabriel AMARD, Rodrigo ARENAS, Pierrick BERTELOOT, Mme Anne-Laure BLIN, M. Manuel BOMPARD, Mme Pascale BOYER, MM. Stéphane BUCHOU, André CHASSAIGNE, Mmes Sophia CHIKIROU, Annick COUSIN, Laurence CRISTOL, MM. Thibaut FRANÇOIS, Guillaume GAROT, Mme Félicie GÉRARD, MM. Benjamin HADDAD, Michel HERBILLON, Alexandre HOLROYD, Philippe JUVIN, Mmes Brigitte KLINKERT, Julie LAERNOES, Constance LE GRIP, Nicole LE PEIH, M. Denis MASSÉGLIA, Mmes Joëlle MÉLIN, Yaël MENACHE, M. Thomas MÉNAGÉ, Mmes Lysiane MÉTAYER, Danièle OBONO, Anna PIC, M. Christophe PLASSARD, Mme Barbara POMPILI, MM. Jean-Pierre PONT, Richard RAMOS, Alexandre SABATOU, Nicolas SANSU, Vincent SEITLINGER, Mmes Liliana TANGUY, Sabine THILLAYE, Estelle YOUSSOUFFA.

 


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SOMMAIRE

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 Pages

Introduction

PREMIÈRE PARTIE : le cadre européen connaît une évolution récente favorable au développement du nucléaire dans les États membres

I. l’action de l’union européenne en matière énergÉtique permet de favoriser le développement de la filière nucléaire dans les États membres

A. le programme euratom

B. La taxonomie verte européenne

II. Les évolutions actuelles et à venir du cadre européen offrent davantage de possibilités de développement pour les installations et l’énergie nuclÉaire

A. la nouvelle loi européenne sur les matières premières critiques

B. La possibLe reconnaissance par l’Union européenne de l’hydrogène bas carbone

DEUXIÈME PARTIE : le projet de loi « nucléaire » et la politique européenne en matière d’énergie partagent des objectifs communs, même si quelques points de vigilance peuvent être utilement évoqués au cours des débats parlementaires

I. Les dispositions du projet de loi favorisent l’atteinte des objectifs européens en matière de transition écologique et ÉNERGÉtique

A. La réduction des Émissions de gaz à effet de serre

1. Les objectifs climatiques de l’Union européenne

2. L’articulation des objectifs climatiques européens avec les dispositions du projet de loi

B. L’atteinte de la sÉcurité énergétique

1. Les objectifs européens en matière de sécurité énergétique

2. L’articulation du projet de loi avec les objectifs européens pour la sécurité énergétique

II. L’articulation de certaines dispositions du projet de loi avec le droit européen doit faire l’objet d’une attention particulière

A. La protection de la biodiversité et des sols

1. La protection de la biodiversité

a. La législation européenne en cours de négociation sur la biodiversité

b. L’articulation avec le projet de loi

2. La protection des sols

a. Les objectifs européens en matière de protection des sols

b. L’articulation avec les dispositions du projet de loi

B. Le financement des nouvelles installations nucléaires

1. Le droit des aides d’État

2. Le rôle de la Banque européenne d’investissement (BEI)

TROISIÈME PARTIE : la France doit contribuer à la constitution d’une stratégie nucléaire de long terme au niveau européen

I. La constitution d’une véritable filière nucléaire européenne est une priorité pour la compétitivité des entreprises de l’Union avec une énergie décarbonée à faible coût

A. le momentum pour la relance d’une stratégie nucléaire européenne

1. La nécessaire réintégration du nucléaire dans la politique énergétique de l’Union européenne

2. Le cadre de négociation européen autour du nucléaire

B. l’approche progressive pour la constitution d’une véritable industrie nucléaire européenne

1. La nécessité de relancer nos capacités industrielles

2. La nécessité de maintenir un consortium de recherche et d’attirer les compétences

II. La stratégie de l’Union doit également comporter un volet commercial avec la promotion des entreprises et technologies européennes dans les pays tiers

A. L’ouverture limitée du marché des installations nucléaires dans les pays tiers

B. La nécessité de réciprocité dans l’ouverture des marchés

Conclusion

TRAVAUX DE LA COMMISSION

annexe : Liste des personnes auditionnées par le rapporteur


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   Introduction

 

Mesdames, Messieurs,

Le projet de loi relatif à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations nucléaires, dit projet de loi « Nucléaire », prévoit de nombreuses mesures techniques, relevant pour la plupart du droit de l’environnement et du droit des installations classées pour la protection de l’environnement. Ce projet de loi comporte toutefois une vision politique forte, à la suite du discours du président de la République en 2022, offrant une vision de long terme à la filière nucléaire en France, dans le respect du cadre européen.

Ce projet de loi s’inscrit en effet en cohérence avec cadre imposé par le droit de l’Union, malgré quelques points de vigilance en matière d’articulation avec la stratégie de cette dernière pour la biodiversité et les objectifs en matière d’artificialisation des sols.

Le projet de loi « Nucléaire » intervient surtout à un moment où les institutions de l’Union s’interrogent sur la place à donner au nucléaire dans le mix énergétique du continent dans les années à venir. Alors qu’il était totalement absent des stratégies énergétiques dessinées par la Commission européenne, l’atome présente plusieurs atouts majeurs, dans le contexte de guerre en Ukraine et de réchauffement climatique. La technologie nucléaire permet en effet de produire une énergie décarbonée, à faible coût, permettant d’atteindre les objectifs d’indépendance énergétique, de réduction des émissions de gaz à effet de serre et d’amélioration de la compétitivité des entreprises européennes.

Les années 2022 et 2023 doivent ainsi marquer un tournant dans la politique énergétique du continent, initié avec l’inclusion du nucléaire dans la taxonomie verte et, en février 2023, la reconnaissance de l’hydrogène bas carbone. Ce mouvement doit toutefois se poursuivre par la levée de l’ensemble des obstacles politiques et techniques empêchant la constitution d’une véritable filière nucléaire européenne.

Le projet de loi sur lequel l’Assemblée nationale aura à se prononcer dans quelques jours affirme ainsi, malgré son aspect technique, le choix clair de la France effectué en faveur du nucléaire. Malgré les obstacles dans les négociations européennes, cette vision politique, déjà portée à Bruxelles par le président de la République, Emmanuel Macron, et par la ministre de la transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, doit poursuivre sa progression, afin de permettre à l’Union de mieux se préparer face aux défis énergétiques et climatiques à venir.

 


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   PREMIÈRE PARTIE : le cadre européen connaît une évolution récente favorable au développement du nucléaire dans les États membres

I.   l’action de l’union européenne en matière énergÉtique permet de favoriser le développement de la filière nucléaire dans les États membres

A.   le programme euratom

Le développement de la filière nucléaire est au cœur de la construction européenne, avec la signature dès 1957 du traité instituant la Communauté européenne de l’énergie atomique, Euratom. « Créer les conditions de développement d’une puissante industrie nucléaire » et « établir les conditions de sécurité qui écarteront les périls pour la vie et la santé des populations ([1]) » devait permettre aux États fondateurs (Allemagne, Belgique, France, Italie, Pays-Bas et Luxembourg) de réduire la dépendance technologique à l’égard des pays tiers. Euratom dispose de plusieurs institutions spécialisées, comme un Centre commun de recherche et une agence d’approvisionnement en matières nucléaires, chargée de la coordination des achats européens de minerais et de combustibles. Euratom a trois missions principales :

Euratom est financé par le budget de l’Union européenne. Le neuvième programme-cadre Euratom, intégré au programme cadre Horizon Europe pour la recherche et l’innovation, est ainsi doté d’un budget de 1,382 milliards d’euros pour la période du 1er janvier 2021 au 31 décembre 2025, répartis selon différents objectifs ([2]) :

Le nucléaire est ainsi au fondement de la construction européenne. Depuis 1957, le cadre posé par Euratom fournit ainsi aux États membres pour développer et renforcer leur filière nucléaire.

 Si la critique de l’impact environnemental du nucléaire et les craintes d’accidents à la suite des drames de Tchernobyl et de Fukushima, ont limité les projets concrets d’Euratom, les crises actuelles montrent un regain d’intérêt pour cette technologie d’avenir et source d’indépendance. Le Pacte Vert pour l’Europe, présenté en 2019, ne mentionnait ainsi pas le nucléaire : face à la crise énergétique, l’Union européenne a néanmoins réintégré le nucléaire dans sa stratégie de souveraineté, comme l’illustre son inclusion dans la taxonomie verte européenne.

B.   La taxonomie verte européenne

Le soutien de l’Union européenne aux activités nucléaires passe également par l’identification du nucléaire comme une énergie de transition. Ce choix politique, qui revêt une importance financière particulière avec de fortes implications en matière d’énergie, a fait l’objet d’une communication devant la commission des affaires européennes sous la législature précédente par Mme Marietta Karamanli ([3]).

Créée par le règlement européen du 18 juin 2020 ([4]), la taxonomie verte européenne est un système de classification des activités économiques et financières selon leur contribution à la réalisation d’objectifs climatiques. L’objectif de ce texte est de stimuler les investissements verts et de prévenir le « greenwashing ». Le règlement prévoit ainsi une seule obligation, à la charge des acteurs financiers : publier la part de leurs actifs qui entrent dans la classification, de manière à faciliter l’évaluation par les investisseurs du caractère durable des activités économiques considérées.

Le règlement prévoit que la Commission européenne précise par voie d’actes délégués complémentaires quelles activités sont recensées comme écologiques et durables. Ainsi, l’acte délégué du 2 février 2021 inclut le nucléaire dans la catégorie des « activités de transition », en prévoyant des garanties environnementales en matière de traitement des déchets et de démantèlement des installations nucléaires en fin de vie. Il est toutefois regrettable que la Commission ait décidé de ne pas inclure dans la taxonomie l’ensemble du cycle du combustible nucléaire comme l’auraient souhaité certains États, comme la France ou la Pologne.

En l’absence d’une majorité suffisante d’États membres opposés à ce texte au Conseil et avec le rejet d’une proposition d’objection au Parlement européen, l’acte délégué est entré en vigueur le 1er janvier 2023.

 

Procédure d’adoption des actes délégués

L’article 290 du TFUE permet au législateur de l’Union de déléguer à la Commission le pouvoir d’adopter des actes non législatifs de portée générale qui complètent ou modifient certains éléments non essentiels d’un acte législatif. La procédure d’adoption d’actes délégués prévoit plusieurs étapes :

  • La transmission par la Commission européenne aux États membres d’un projet d’acte délégué, pour le recueil de leurs observations ;
  • La publication par la Commission d’un second projet d’acte délégué tenant compte des propositions des États membres ;
  • L’examen de la proposition de la Commission par le Parlement européen et le Conseil. Le Conseil peut rejeter le texte à une majorité qualifiée inversée  (20 États membres représentant au moins 65 % de la population de l’Union). Le Parlement européen peut rejeter le texte à la majorité absolue de ses membres, soit 353 voix.  En l’absence d’opposition par l’une des deux institutions, l’acte délégué est considéré comme tacitement adopté et entre en vigueur.

 

Le raisonnement de la Commission européenne est semblable à la logique actuelle du Gouvernement français, porté par le projet de loi sur la construction de nouvelles installations nucléaires. Le nucléaire est en effet un levier de décarbonation du mix énergétique, dans un double contexte :

Les recours contre l’acte délégué de la Commission européenne

Le 7 octobre 2022, l’Autriche a toutefois déposé un recours en annulation de l’acte délégué auprès de la Cour de Justice de l’Union européenne, estimant que l’inclusion du nucléaire, mais aussi du gaz dans la taxonomie européenne, constitue du « greenwashing ». Le Luxembourg a annoncé son soutien au recours autrichien. L’affaire est donc pendante devant la Cour de Justice.

De même, l’ONG Greenpeace et l’eurodéputé René Repasi (S&D, allemand), ont déposé un recours en annulation devant la Cour de Justice.

L’inclusion du nucléaire dans la taxonomie permet ainsi de soutenir le développement de la filière nucléaire dans les États membres. La labellisation d’activité de transition écologique et durable permet en effet d’orienter les flux financiers vers ces activités.

Votre rapporteur aimerait néanmoins souligner que la qualification du nucléaire comme « énergie de transition » au niveau européen ne doit pas entraver le développement de la filière. Le développement des énergies renouvelables ne doit en effet pas s’inscrire en concurrence vis-à-vis de la technologie nucléaire. Le nucléaire est une opportunité unique pour faire bénéficier l’ensemble des pays de l’Union d’une énergie décarbonée à faible coût, induisant un avantage compétitif conséquent pour l’ensemble des entreprises européennes. Cette opportunité ne peut être réduite à un stade de transition en attendant un déploiement suffisant des énergies intermittentes.

La politique énergétique au niveau du continent doit ainsi s’appuyer tant sur les énergies renouvelables que sur le déploiement d’installations nucléaires, sans remettre en cause la possibilité pour chaque État membre de déterminer librement la composition de son mix énergétique.

Le besoin de transition existe néanmoins, au sein même de la technologie nucléaire. Les évolutions technologiques doivent en effet permettre un passage des réacteurs de Génération III vers les réacteurs de Génération IV, qui offrent des garanties supplémentaires en termes de durabilité, sûreté et compétitivité économique. Les réacteurs de génération IV offrent par ailleurs davantage de garanties environnementales, avec la réutilisation possible de 90 % des déchets nucléaires. Le fléchage des investissements verts par la taxonomie, est ainsi un outil supplémentaire pour permettre aux opérateurs économiques des États membres d’aborder cette phase de transition technologique.

II.   Les évolutions actuelles et à venir du cadre européen offrent davantage de possibilités de développement pour les installations et l’énergie nuclÉaire

A.   la nouvelle loi européenne sur les matières premières critiques

Le 3 septembre 2020, la Commission européenne a présenté un plan d’action sur les matières premières critiques, qui a pour objectif de sécuriser l’approvisionnement de matières premières qui revêtent une importance économique cruciale. Les solutions envisagées à ce stade sont l’augmentation de l’extraction de ces matières critiques dans l’Union, la diversification des fournisseurs à l’international et l’augmentation des capacités de stockage.

La Commission doit présenter le 8 mars 2023 une proposition de règlement sur ce sujet, sur le modèle du Chips Act en cours de négociation, portant sur l’approvisionnement de l’Union européenne en semi-conducteurs. M. Thierry Breton, commissaire français en charge du marché intérieur, a précisé que ce texte doit permettre de fixer des critères permettant d’identifier les matières premières « stratégiques ». L’importance économique ou stratégique, la concentration de l’offre et les déficits d’approvisionnement pourraient ainsi constituer des critères pertinents de qualification d’une matière première stratégique.

Cette proposition de la Commission pourrait être l’occasion d’inclure l’uranium parmi les matières premières critiques et de développer une véritable stratégie européenne en la matière. En 2021, les principaux fournisseurs d’uranium dans l’Union européenne sont le Niger (2 905 tonnes), le Kazakhstan (2 753 tonnes) et la Russie (2 358 tonnes), l’Australie (1 860 tonnes) et le Canada (1 714 tonnes) : ces cinq pays représentent ainsi 96 % des importations d’uranium dans l’Union européenne ([5]).

L’approvisionnement de l’Union en uranium naturel est ainsi relativement concentré, notamment sur des pays instables. L’importance stratégique de cette matière première est particulièrement élevée, notamment pour la France, en particulier dans le contexte actuel de crise énergétique. La nouvelle loi européenne sur les matières critiques pourrait ainsi inclure un volet sur l’uranium, de manière à garantir la sécurité de l’approvisionnement et le bon fonctionnement de la filière nucléaire française et européenne. Cet ajout se justifie d’autant plus que nos entreprises européennes sont mondialement reconnues pour leur expertise à maîtriser le cycle de vie de l’uranium.

B.   La possibLe reconnaissance par l’Union européenne de l’hydrogène bas carbone

L’hydrogène est un vecteur énergétique permettant de participer à l’effort de diminution des émissions de gaz à effet de serre, en particulier s’il est issu de la transformation d’énergies vertes.

Hydrogène vert, hydrogène bas-carbone et hydrogène gris

L’hydrogène vert est issu d’un processus d’électrolyse de l’eau réalisé à partir d’énergies renouvelables, soit principalement l’énergie éolienne, solaire et hydraulique.

L’hydrogène bas-carbone, également appelé hydrogène jaune, est issu d’un processus d’électrolyse de l’eau réalisé à partir d’énergie nucléaire.

L’hydrogène gris, est issu du reformage d’une énergie fossile (principalement le pétrole et le gaz naturel). L’hydrogène gris représente aujourd’hui 95 % de la production totale d’hydrogène, avec un impact fortement négatif sur les émissions de gaz à effet de serre.

L’Union européenne a pour objectif de bâtir une véritable stratégie européenne en matière d’hydrogène, de manière à renforcer sa souveraineté énergétique. Cette volonté politique se matérialise notamment par la création à venir d’une banque européenne de l’hydrogène, qui devrait faire l’objet d’une proposition de règlement de la Commission européenne au mois de mai 2023. Pour être compatible avec les objectifs climatiques et environnementaux, la stratégie européenne doit toutefois favoriser la production d’hydrogène « vert », c’est-à-dire d’hydrogène produit à partir d’énergies renouvelables.

Dans un acte délégué complétant la directive de 2018 relative à la promotion de l’énergie produite à partir de sources renouvelables ([6]), la Commission ouvre cependant la voie à la reconnaissance de l’hydrogène « bas carbone », c’est-à-dire de l’hydrogène produit à partir de l’énergie nucléaire. Ce texte reconnaît en effet la spécificité des pays dont le mix énergétique est peu carboné, puisque ces États sont exemptés de la mise en place de nouvelles capacités d’énergies renouvelables pour la production d’hydrogène renouvelable.

Les deux États concernés au premier chef sont la France et la Suède, pour deux raisons différentes. La Suède a en effet un mix énergétique reposant, pour plus de la moitié, sur les énergies renouvelables, même si le gouvernement suédois a annoncé le 14 octobre 2022 la construction de nouveaux réacteurs nucléaires. En France, la décarbonation du mix énergétique s’explique par la part du nucléaire dans la production d’électricité.


La Commission européenne prévoit ainsi un traitement favorable pour les États ayant un mix énergétique axé sur le nucléaire dans le cadre de sa politique relative à l’hydrogène. Ces États ont ainsi réussi à démontrer que l’énergie nucléaire est essentielle dans la construction par l’Union européenne d’une réelle stratégie pour l’hydrogène. L’énergie nucléaire est en effet la seule énergie pilotable décarbonée permettant d’assurer une sécurité d’approvisionnement stable : l’intermittence de l’électricité produite par les énergies renouvelables ne permettra pas de répondre aux besoins de développement de la filière hydrogène.

La Commission européenne et une partie des États membres ont fait part de leur réticence à créer une stratégie d’hydrogène bas carbone au regard de l’impact environnemental des déchets nucléaires. Votre rapporteur soutient toutefois le choix finalement effectué par la Commission européenne en faveur des États ayant opté pour le nucléaire, qui permet de renforcer la stratégie européenne de production d’hydrogène.

Cet élan en faveur de l’hydrogène bas carbone doit néanmoins se poursuivre. Le plan portant sur l’hydrogène vert au niveau européen doit être complété par une stratégie pour l’hydrogène bas carbone, avec une égalité de traitement entre ces deux types de vecteur énergétique.

La directive RED III sur les énergies renouvelables ([7]) ainsi que le paquet gazier ([8]), en cours de négociation au Parlement européen et au Conseil, sont ainsi une occasion à saisir pour favoriser l’émergence d’une véritable politique européenne pour l’hydrogène bas carbone. Cette démarche, portée par la France et soutenue par la Roumanie, la Bulgarie, la Pologne, la Slovénie, la Croatie, la Slovaquie, la Hongrie et la République tchèque, doit permettre de parachever la reconnaissance de l’énergie nucléaire au niveau européen, afin de contribuer à l’atteinte rapide des engagements climatiques et environnementaux de l’Union.

   DEUXIÈME PARTIE : le projet de loi « nucléaire » et la politique européenne en matière d’énergie partagent des objectifs communs, même si quelques points de vigilance peuvent être utilement évoqués au cours des débats parlementaires

I.   Les dispositions du projet de loi favorisent l’atteinte des objectifs européens en matière de transition écologique et ÉNERGÉtique

A.   La réduction des Émissions de gaz à effet de serre

1.   Les objectifs climatiques de l’Union européenne

La Commission européenne présidée par Mme Ursula von der Leyen met en œuvre depuis 2019 un programme climatique particulièrement ambitieux. La « loi européenne pour le climat » adoptée par le Parlement européen et le Conseil à l’été 2021 ([9]) prévoit ainsi une diminution de 55 % des émissions de gaz à effet de serre en 2030 par rapport à leur niveau de 1990, ainsi que l’atteinte de la neutralité climatique à l’échelle du continent en 2050. Cet effort doit ainsi permettre à l’Union européenne de respecter les engagements de l’accord de Paris, aux termes duquel l’élévation de température de la planète doit être contenue nettement en dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels.

La mise en œuvre de la « loi européenne pour le climat » repose sur un ensemble de douze propositions législatives au niveau européen : le paquet « Fit for 55 ». Les textes, pour la plupart encore en cours de négociation au Parlement européen et au Conseil, concernent l’ensemble des secteurs de l’économie : industrie, transports, bâtiment, agriculture ou forêt. Plusieurs textes visent la réduction des émissions de gaz à effet de serre du secteur de l’énergie, notamment ([10]) :

La présidence française du Conseil de l’Union européenne
et le paquet « Fit for 55 »

Au premier semestre 2022, la France a érigé comme priorité de sa présidence la construction d’une Europe neutre pour le climat. Le Conseil est ainsi parvenu à un accord sur plusieurs textes en matière énergétique, comme la proposition de directive RED III et la proposition de règlement portant réforme du SEQE-UE.

Au-delà du secteur énergétique, le travail de la présidence française pour les avancées des négociations sur le paquet « Fit for 55 » mérite d’être salué. Le Conseil a ainsi pu adopter une orientation générale sur d’autres textes, comme la proposition de règlement sur la répartition de l’effort, la proposition de règlement créant le fonds social pour le climat, la proposition de directive sur l’efficacité énergétique ou encore le règlement sur l’utilisation des terres.

L’ensemble de ces textes devrait être définitivement adopté au cours de l’année 2023, après avoir fait l’objet d’un accord entre le Conseil et le Parlement européen.

2.   L’articulation des objectifs climatiques européens avec les dispositions du projet de loi

Le projet de loi relatif à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes permet à ce titre de favoriser l’atteinte des objectifs européens de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Les dispositions du projet de loi prévoient en effet :

Selon les estimations du Gouvernement, détaillées dans l’étude d’impact du projet de loi, ce texte permettra de réduire de deux à trois ans le délai de construction de nouveaux réacteurs, alignant le temps des procédures administratives sur le temps industriel.

Le bouquet énergétique primaire réel de la France figure parmi les plus décarbonés d’Europe en matière de production d’énergie primaire en 2021, avec 75 % de l’énergie produite issue du nucléaire, 24 % issue des énergies renouvelables et 1 % issue d’énergies fossiles (pétrole et gaz). Les énergies fossiles, représentent cependant 46 % du mix énergétique à la consommation ([15]).

 

 

L’accélération du déploiement des infrastructures nucléaires prévue par le projet de loi doit ainsi permettre de poursuivre la décarbonation du mix énergétique français. L’augmentation du volume d’énergie nucléaire produite au niveau national permettra mécaniquement de favoriser la décarbonation de la consommation finale d’énergie. Le nucléaire est en effet l’une des énergies les moins émettrices de gaz à effet de serre.

Ce projet de loi permet ainsi de matérialiser l’orientation donnée par le Président de la République lors du discours de Belfort le 10 février 2022 de relancer la filière nucléaire française par la construction de six nouveaux réacteurs et le lancement d’études pour la construction de huit autres. Cette orientation stratégique, comme les dispositions du projet de loi, sont ainsi pleinement compatibles et cohérentes avec le droit européen et marquent la communauté d’intérêts entre l’Union européenne et la France.

B.   L’atteinte de la sÉcurité énergétique

1.   Les objectifs européens en matière de sécurité énergétique

Face aux perturbations sur les marchés mondiaux du gaz et de l’électricité à la suite de l’invasion russe en Ukraine, l’Union européenne s’est fixée des objectifs renforcés pour la sécurité énergétique du continent, matérialisés par le plan RePower EU. Cette stratégie, qui concerne principalement l’approvisionnement en gaz de l’Union européenne, concerne également le marché de l’électricité en raison des liens importants entre les deux secteurs. La sécurité d’approvisionnement en gaz a donc des répercussions concrètes sur le fonctionnement du marché européen de l’électricité.

Fonctionnement et critiques du marché européen de l’électricité

Le prix sur le marché de gros européen est fixé par le coût de production de la dernière centrale utilisée pour satisfaire la demande. En cas de faible demande d’électricité, les premières sources de production mobilisées sont ainsi les moins chères (le nucléaire et les énergies renouvelables). À mesure que la demande augmente, les centrales à charbon et à gaz sont mobilisées. Ainsi, en cas de forte demande, le prix de gros dans l’Union européenne est généralement déterminé par le coût de production de l’électricité par une centrale à gaz, dernier outil de production mobilisé pour la production. Il en résulte donc que le prix de gros de l’électricité (y compris décarbonée), est indexé sur le prix du gaz.

Le fonctionnement de ce marché européen fait toutefois l’objet de critiques au niveau européen, notamment de la part des autorités françaises, souhaitant que le coût effectif de l’électricité reflète davantage son coût réel de production. La Commission européenne doit ainsi présenter une proposition de réforme du marché européen de l’électricité le 14 mars 2023.

Présenté par la Commission européenne le 18 mai 2022, le plan RePowerEU doit permettre de garantir la sécurité d’approvisionnement en énergie dans les États membres de l’Union européenne, avec trois séries de mesures :

L’action de l’Union européenne face à la crise ne s’est toutefois pas limitée au plan RePowerEU. L’Union a en sus adopté une série de mesures pour la sécurité d’approvisionnement énergétique de l’Union européenne, comme deux règlements sur la réduction de la demande de gaz ([16]) et d’électricité ([17]), un règlement sur la création d’une plateforme commune d’achat du gaz ([18]) et un règlement plafonnant les prix du gaz ([19]).

2.   L’articulation du projet de loi avec les objectifs européens pour la sécurité énergétique

Les dispositions du projet de loi dit « Nucléaire » doivent contribuer à l’atteinte d’une sécurité énergétique sur le marché français et européen de l’électricité. L’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires doit en effet permettre de promouvoir la sécurité énergétique européenne, en renforçant les moyens de production française d’électricité. L’électricité peut en effet être destinée au marché domestique ou, en cas de surcapacité, être exportée dans les autres États membres de l’Union.

Le développement des installations nucléaires permet également de réduire la fréquence du recours aux centrales à gaz sur le marché de gros européen. La consommation de gaz sera ainsi réduite au niveau européen, contribuant également à l’effort climatique. Ainsi, les dispositions du projet de loi « Nucléaire » permettent ainsi d’atteindre le double objectif de sécurité énergétique et de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

II.   L’articulation de certaines dispositions du projet de loi avec le droit européen doit faire l’objet d’une attention particulière

A.   La protection de la biodiversité et des sols

1.   La protection de la biodiversité

a.   La législation européenne en cours de négociation sur la biodiversité

Dans le cadre du Pacte Vert pour l’Europe, la Commission européenne a présenté le 20 mai 2020 une stratégie en faveur de la biodiversité à l’horizon 2030. L’objectif principal de cette stratégie est de protéger la nature en inversant la tendance à la dégradation des écosystèmes d’ici à 2030. Le constat de la fragilisation de la biodiversité est en effet inquiétant au niveau européen, selon l’Agence européenne de l’environnement : une faible proportion des espèces protégées (23 %) et des habitats (16 %) sont dans un état de conservation favorable tandis que 62 % des écosystèmes sont exposés à des niveaux excessifs d’azote entraînant leur eutrophisation.

L’accord de la COP 15 en décembre 2022

La 15ème conférence des parties (COP15) à la Convention sur la diversité biologique a permis l’adoption d’un accord sur le cadre mondial de préservation de la biodiversité du 15 décembre 2022. Cet accord prévoit la protection de la biodiversité de 30 % des terres et de 30 % des mers à l’échéance 2030, avec des financements importants dont 500 milliards de dollars par an d’ici 2030 pour permettre aux pays en développement de mettre fin aux subventions néfastes à la biodiversité.

La France, comme l’Union européenne, se félicitent de l’obtention de cet accord qui comprend des engagements concrets et forts, tels quel la réduction de moitié des pesticides et des excès de nitrates, ou l’arrêt de l’extinction des espèces protégées dues aux activités anthropiques d’ici 2050.

Dans le cadre de cette stratégie, la Commission européenne a présenté le 22 juin 2022 une proposition de règlement sur la restauration de la nature ([20]), qui fixe des objectifs contraignants et déclinés dans chaque État membre, tels que l’arrêt de la perte nette d’espaces verts urbains d’ici à 2030, l’augmentation globale de la biodiversité dans les écosystèmes forestiers ou la restauration des habitats marins et des habitats d’espèces marines emblématiques telles que les dauphins, les marsouins, les requins et les oiseaux de mer. Chaque État membre devra ainsi élaborer un plan national de restauration, déclinant ces objectifs au niveau national et transmis pour observations à la Commission avant adoption.

Ces mesures contraignantes seront déployées rapidement et doivent couvrir au moins 20 % des zones terrestres et marines de l’Union par des mesures de restauration de la nature d’ici à 2030. Ce chiffre pourrait être revu à la hausse au cours des négociations au Parlement européen et au Conseil, à la suite du chiffre de 30 % à l’horizon 2030 retenu par l’accord de la COP15. La proposition de la Commission fixe comme objectif de long terme la restauration de tous les écosystèmes d’ici 2050 dans l’Union européenne.

b.   L’articulation avec le projet de loi

Plusieurs dispositions du projet de loi « Nucléaire » doivent faire l’objet d’une attention spécifique au regard de la législation européenne en matière d’environnement et de biodiversité.

De façon plus générale, les installations nucléaires peuvent très ponctuellement produire des rejets radioactifs, thermiques et chimiques ayant une influence potentielle sur la biodiversité, la faune et les écosystèmes aquatiques. Ces rejets font d’ores-et-déjà l’objet d’une surveillance particulière de la part des exploitants de centrales nucléaires, même si le déploiement de nouveaux réacteurs doit s’accompagner d’un mécanisme renforcé de contrôle et d’alerte relatif à l’atteinte à la biodiversité.

Les débats parlementaires devront donc tenir compte des objectifs européens et internationaux qui seront fixés dans les semaines à venir avec la transposition des résultats de la COP15 et l’adoption du règlement sur la restauration de la nature.

2.   La protection des sols

a.   Les objectifs européens en matière de protection des sols

L’Union européenne s’est dotée en 2021 d’une stratégie pour les sols à l’horizon 2030, comme déclinaison de la stratégie européenne sur la biodiversité. Cette stratégie a plusieurs objectifs d’ici 2050 :

L’ensemble de ces objectifs devraient être repris et précisés dans une proposition législative de la Commission européenne au second semestre 2023, dédiée à la santé des sols.

b.   L’articulation avec les dispositions du projet de loi

La simplification des procédures de construction d’installations nucléaires est conçue pour l’accélération de la construction de nouveaux réacteurs, conformément aux orientations données par le président de la République en février 2022 dans son discours de Belfort.

La stratégie nationale dans le domaine nucléaire portée par ce projet de loi s’inscrit dans le respect du cadre européen en matière de sols, mais doit faire l’objet d’une attention particulière. Aux termes de la loi Climat et Résilience de 2021 ([23]), un sol est regardé comme artificialisé si « l’occupation ou l’usage qui en est fait affecte durablement tout ou partie de ses fonctions écologiques, en particulier ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques, ainsi que son potentiel agronomique ». Même si le nucléaire est une énergie très dense (nécessitant une emprise au sol relativement faible au regard de la quantité d’énergie produite), l’installation de nouveaux réacteurs contribue à cette artificialisation.

Le Sénat a d’ailleurs prévu dans son examen en première lecture du projet de loi une disposition à l’article 3 ([24]) selon laquelle l’artificialisation des sols résultant de la construction d’une centrale nucléaire n’est pas comptabilisée dans l’atteinte des objectifs du « zéro artificialisation nette ». Or l’exonération des réacteurs nucléaires dans la comptabilisation de l’artificialisation pourrait être contraire à la stratégie européenne en matière de sols et à la proposition législative à venir en la matière. Cet ajout sénatorial doit donc être supprimé lors des débats parlementaires, comme le prévoit un amendement du groupe Renaissance déposé devant la commission des affaires économiques ([25]).

L’impact du nucléaire sur l’artificialisation des sols doit toutefois être nuancé. L’artificialisation annuelle générée par les installations du système électrique sur la période 2020-2050 est évaluée entre 150 et 400 hectares par an artificialisés, en retenant un scénario d’accélération de la production de l’électricité d’origine nucléaire ([26]). En retenant un scénario de sortie de l’énergie nucléaire avec un déploiement massif des énergies renouvelables, l’artificialisation annuelle générée par les installations du système électrique augmenterait entre 450 et 750 hectares par an artificialisés.

La production d’énergie nucléaire a donc un impact bien plus faible que la production d’énergies renouvelables sur l’artificialisation des sols. Si la construction de nouveaux réacteurs doit être prise en compte, le nucléaire entraîne cependant une moindre artificialisation des sols comparée aux énergies renouvelables, grâce à la densité de l’énergie produite.

Pour être pleinement conforme aux stratégies et aux objectifs européens, la France doit donc entamer une réflexion sur l’articulation entre la politique énergétique et la politique d’artificialisation des sols. L’artificialisation anticipée pour la construction de réacteurs nucléaires et le déploiement des énergies renouvelables doit être compensée : une des solutions peut notamment être l’installation de parkings perméables et végétalisés, en remplacement des parkings goudronnés.

B.   Le financement des nouvelles installations nucléaires

1.   Le droit des aides d’État

Le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) encadre strictement les possibilités pour les pouvoirs publics d’attribuer des ressources publiques à une entreprise privée. L’article 107 du TFUE prévoit ainsi une interdiction des aides d’État qui faussent ou menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions.

Le projet de loi « Nucléaire » ne prévoit pas directement la construction et le financement de futurs réacteurs, mais en facilite le déploiement. Or, selon les orientations données par le président de la République dans son discours de Belfort de février 2022, le programme de construction de six EPR 2 porté par EDF doit faire l’objet d’une aide attribuée par l’État. Selon l’étude d’impact du projet de loi, les modalités retenues par le Gouvernement devront faire l’objet de négociations avec la Commission européenne, qui doit se prononcer sur la compatibilité de ces aides d’État avec les règles de la concurrence européenne. Cette aide publique est notamment nécessaire au regard de la situation financière d’EDF, qui enregistre un déficit de 17,9 milliards d’euros en 2022, creusant son endettement à 64,5 milliards d’euros.

Le cadre européen des aides d’État doit ainsi être pris en compte à la suite de l’adoption du projet de loi par le Parlement. Notre collègue Mme Sabine Thillaye a d’ailleurs évoqué plusieurs possibilités pour rendre compatibles les subventions au nucléaire français avec le cadre européen des aides d’État dans un rapport adopté par notre commission des affaires européennes en juin 2021 ([27]) :

Le recours aux projets importants d’intérêt commun européen (PIIEC)
pour faciliter le financement public du nucléaire

 

Par dérogation au principe de prohibition des aides d’Etats énoncé à l’article 107 du TFUE, les PIIEC permettent aux États membres d’accorder des subventions à certains projets industriels majeurs dont la Commission considère qu’ils revêtent un intérêt européen commun. Les PIIEC sont ainsi un cadre dérogatoire permettant aux États membres d’accorder des aides publiques à certains projets, dans des conditions strictement définies et contrôlées par la Commission européenne. Les PIIEC doivent contribuer de manière concrète un objectif de l’Union, associer au moins deux États membres, entraîner des externalités positives qui profitent à l’ensemble de l’Union et avoir un caractère innovant.

23 États membres et la Norvège ont ainsi lancé en décembre 2020 un PIIEC sur l’hydrogène. La France va ainsi soutenir à hauteur de 2,1 milliards d’euros les dix projets français sélectionnés dans ce cadre.

Le recours au PIIEC doit également être envisagé pour le financement public du nucléaire. Le nucléaire remplit en effet toutes les conditions requises pour former un PIIEC, notamment grâce aux externalités positives suscitées par la création d’une énergie décarbonée à faible coût, profitant à l’ensemble des États membres de l’Union. Un projet de PIIEC est ainsi envisagé pour le nouveau type de réacteur « SMR » et devrait s’élargir aux réacteurs « AMR » dont la puissance est comprise entre 50 et 400 mégawatt électriques, dont la puissance est comprise entre 50 et 300 mégawatt électriques. Si ce projet est accepté par la Commission européenne, un nouveau PIIEC pourrait lui être soumis portant sur la construction des EPR2, permettant de faciliter le financement public de ce type de réacteurs.

2.   Le rôle de la Banque européenne d’investissement (BEI)

La Banque européenne d’investissement (BEI) est l’institution de financement de l’Union européenne, qui prête des ressources aux secteurs publics et privés. La BEI soutient notamment les projets visant à réduire ou éviter les émissions de gaz à effet de serre et doit mobiliser 1000 milliards d’euros en faveur de l’action climat sur la décennie. En 2022, la part des investissements de la BEI consacrés à des projets en faveur de l’action pour le climat et la durabilité environnementale a atteint 36,6Md€, soit 58% du total des financements accordés.

Le conseil d’administration de la BEI a toutefois exclu le financement du nucléaire. Les élections à venir en 2024 du conseil d’administration et du président de la BEI doivent ainsi être une occasion d’infléchir la politique de prêts de la BEI, et de réintégrer le nucléaire dans les projets éligibles au financement.

   TROISIÈME PARTIE : la France doit contribuer à la constitution d’une stratégie nucléaire de long terme au niveau européen

I.   La constitution d’une véritable filière nucléaire européenne est une priorité pour la compétitivité des entreprises de l’Union avec une énergie décarbonée à faible coût

A.   le momentum pour la relance d’une stratégie nucléaire européenne

1.   La nécessaire réintégration du nucléaire dans la politique énergétique de l’Union européenne

En 2019, l’énergie nucléaire était la grande absente du Pacte Vert pour l’Europe, présenté par la présidente de la Commission européenne, Mme Ursula von der Leyen. Près de quatre ans après, l’énergie nucléaire semble être un levier essentiel pour répondre aux différents défis auxquels les États membres font face : la crise climatique par la diminution des émissions de gaz à effet de serre ; la sécurité énergétique par l’augmentation de nos capacités de production d’électricité sur le territoire de l’Union ; la compétitivité des entreprises européennes par la fourniture d’une énergie peu chère.

L’ensemble de ces atouts conduit nécessairement la Commission à réintégrer le nucléaire dans sa vision de la politique énergétique, comme en témoigne l’inclusion du nucléaire dans la taxonomie verte ou la récente reconnaissance de l’hydrogène bas carbone. Ces avancées ne sont toutefois pas suffisantes et doivent être complétées, avec la nécessité de définir une stratégie intégrée, nationale et européenne.

Au niveau national, le nucléaire français a longtemps pâti des hésitations politiques autour de l’avenir à donner à la filière nucléaire. Le discours de Belfort du président de la République en février 2022, dont la mise en œuvre concrète est permise par le projet de loi que nous examinons, pose un jalon et donne une vision de long terme qui avait trop manqué à l’opérateur historique EDF. Le nucléaire est désormais assumé comme une énergie d’avenir.

Votre rapporteur insiste également sur la nécessité de porter une attention particulière au niveau national à la transposition des directives portant sur l’énergie, notamment en matière d’hydrogène. Cette transposition, par exemple de la directive du paquet gazier ([28]) portant sur les usages de l’hydrogène, doit intervenir rapidement pour lancer rapidement des appels d’offres dans chaque État membre et permettre aux entreprises du secteur de se positionner.

Au niveau européen, la stratégie en matière de nucléaire est encore pour une très large part à construire. Néanmoins, les institutions européennes pourraient contribuer à lever plusieurs freins pour la constitution d’une véritable filière européenne :

L’actualisation du rapport de la Commission européenne
sur les programmes nucléaires

Aux termes de l’article 40 du traité Euratom, « la Commission publie périodiquement des programmes de caractère indicatif portant notamment sur des objectifs de production d’énergie nucléaire et sur les investissements de toute nature qu’implique leur réalisation ». L’objectif est de susciter l’initiative des entreprises pour faciliter un développement coordonné de leurs investissements dans le domaine nucléaire.

La dernière version de ce rapport date toutefois de 2017, après la catastrophe de Fukushima, et pose des réserves importantes au recours à la technologie nucléaire. Ce rapport doit être actualisé, à la faveur du changement actuel de paradigme autour de la technologie nucléaire, afin de refléter les équilibres les plus récents de la politique énergétique européenne.

2.   Le cadre de négociation européen autour du nucléaire

Le cadre de négociation au sein des institutions européennes est toutefois contraint par le clivage entre les États membres au Conseil de l’Union européenne autour du traitement et de la place à accorder au nucléaire. Votre rapporteur se félicite et soutient les efforts de la ministre de la transition énergétique, Mme Agnès Pannier-Runacher, pour parvenir à ce résultat au Conseil.

Le 28 février 2023, la France a posé la première pierre d’une alliance du nucléaire entre les États membres, avec la publication d’un communiqué conjoint reconnaissant que « L’énergie nucléaire est l’un des nombreux outils permettant d’atteindre nos objectifs climatiques, de produire de l’électricité de base et de garantir la sécurité de l’approvisionnement ». Ce communiqué est soutenu par la Slovaquie, la Slovénie, la Bulgarie, la Croatie, la Hongrie, la Finlande, la Roumanie, les Pays-Bas, la République tchèque et la Pologne. L’objectif de cette alliance est d’envoyer un signal fort dans les différentes négociations européennes en faveur de l’inclusion du nucléaire dans la stratégie énergétique à l’échelle du continent. Un objectif de plus long terme serait d’élargir au nucléaire le traitement prévu pour les énergies renouvelables.

L’alliance du nucléaire fait toutefois face à l’opposition de plusieurs États membres, qui n’acceptent d’intégrer le nucléaire dans les textes européens en cours de négociation qu’au titre d’une énergie de transition : l’Autriche, l’Allemagne, le Luxembourg. L’Espagne est également réservée quant à la question de l’inclusion de l’hydrogène bas-carbone dans la directive RED III sur les énergies renouvelables.

La conclusion des négociations sur ces différents textes est néanmoins déterminante pour la constitution d’une véritable stratégie nucléaire européenne, permettant de faire bénéficier à l’ensemble des entreprises et des citoyens d’une énergie décarbonée, à bas coût et dont les instruments de production sont localisés sur le sol des États membres. 

Le renforcement des liens au sein de « l’alliance du nucléaire »

L’alliance du nucléaire est un atout précieux dans les négociations européennes puisque l’association entre ces États membres permet de constituer une minorité de blocage au Conseil, garantissant de ne pas adopter de réglementation défavorable à l’atome.

Les liens entre les États de cette alliance doivent toutefois être consolidés, notamment par la création de partenariats multilatéraux technologiques, industriels en matière d’infrastructures, afin d’imbriquer les intérêts des différents États membres. « L’alliance du nucléaire » ne serait ainsi pas dépendante des évolutions politiques nationales, mais s’inscrirait dans la durée.

B.   l’approche progressive pour la constitution d’une véritable industrie nucléaire européenne

1.   La nécessité de relancer nos capacités industrielles

L’industrie nucléaire européenne doit se construire progressivement, sur une base commune à l’ensemble des États membres. Il convient, dans un premier temps, de faire la démonstration à l’échelle européenne de l’utilité d’une filière nucléaire commune. Cette démonstration peut passer par deux actions concrètes :

En tout état de cause, la constitution d’une filière européenne ne peut fonctionner qu’avec l’implication de plusieurs entreprises de différents États membres. La France ne doit ainsi pas défendre une stratégie nucléaire européenne uniquement fondée sur son champion national EDF : il est essentiel d’intéresser les autres États membres. La constitution d’une véritable industrie passe par la création de supply chains européennes à laquelle participeront plusieurs entreprises basées dans différents États membres, avec des briques technologiques venant de différents pays de l’Union. La localisation de l’ensemble de la chaîne de valeur dans un seul État membre conduirait à fragmenter le marché européen et à nourrir une méfiance de la part des autres États face au risque de dépendance totale vis-à-vis de la technologie d’un seul pays. Si EDF, soutenu par l’État français, doit ainsi constituer un maillon important de la chaîne industrielle nucléaire européenne, la supply chain doit naturellement être localisée dans l’ensemble des États membres et impliquer des entreprises de plusieurs États membres.

Le recours à un PIIEC pour les réacteurs SMR et AMR

Votre rapporteur tient à souligner qu’un des moyens importants de développement à court terme de la stratégie nucléaire européenne est le lancement d’un projet important d’intérêt européen commun (PIIEC) pour la construction de réacteurs SMR et AMR.

Au-delà des critères juridiques de recours au PIIEC qui sont en l’espèce remplis, l’intérêt de lancer un tel projet présente un fort intérêt politique et énergétique, en démontrant l’existence de capacités nucléaires industrielles, communes à plusieurs États membres et la pertinence de la relance d’une filière nucléaire européenne.

2.   La nécessité de maintenir un consortium de recherche et d’attirer les compétences

Les évènements de Tchernobyl et de Fukushima ont drastiquement marqué un frein au développement du nucléaire civil. Cette évolution a conduit à un changement de perception de l’énergie atomique et les États membres ont mis en place des objectifs de réduction du nombre de centrales. L’effort de recherche en matière nucléaire s’est ainsi relâché : les vingt dernières années ont ainsi conduit à l’embauche d’opérateurs pour fermer les centrales nucléaires, et non à l’embauche de nouveaux ingénieurs pour la recherche et le développement.

La stratégie de déploiement des réacteurs SMR et AMR a cependant provoqué un regain d’intérêt pour les jeunes ingénieurs et scientifiques, relançant l’attractivité de la filière. De nombreux centres de recherche européens sont mondialement reconnus : l’Union européenne doit contribuer à leur succès avec la formation de main-d’œuvre et l’effort de recherche nécessaire à leur rayonnement international. Ce soutien par les pouvoirs publics des États membres et par l’Union européenne doit permettre de relancer nos capacités industrielles et nos capacités d’exports de technologies.

De même, une meilleure communication entre les autorités de sûreté nucléaire (ASN) des pays membres doit être pensée, afin de permettre d’échanger les bonnes pratiques et recommandations pour les projets d’installation. Cela renforcerait la construction d’une filière européenne favorisant l’ensemble des États membres utilisant la technologie nucléaire.

II.   La stratégie de l’Union doit également comporter un volet commercial avec la promotion des entreprises et technologies européennes dans les pays tiers

Les capacités d’export de matériel nucléaire civil à l’étranger, tout comme le gain de parts de marché par les entreprises européennes dans les pays tiers, sont un levier important de financement de la filière nucléaire européenne.

A.   L’ouverture limitée du marché des installations nucléaires dans les pays tiers

L’ouverture des marchés des pays tiers, qui est la pierre angulaire de la stratégie commerciale de l’Union européenne, a des conséquences financières pour les entreprises énergétiques européennes. Si le projet de Jaitapur en Inde peut aboutir dans les prochaines semaines avec la construction de plusieurs réacteurs EPR, le marché des installations énergétiques des pays tiers reste encore en grande partie fermée.

En Chine par exemple, les entreprises ayant obtenu la licence pour construire du matériel aux normes de sûreté nucléaire sont à 93 % chinoises et à 7 % étrangères. Pour la construction de l’EPR chinois Hualong-1, le taux de localisation, soit la part de matériel fabriqué en Chine, est d’environ 90 %. Parmi ces 90 % fabriqués sur le sol chinois, 93 % du matériel est fabriqué par des entreprises chinoises. Le marché chinois de la construction de réacteurs nucléaires est ainsi très fermé pour les entreprises étrangères. De même, les conditions d’accès au financement d’un projet pour une entreprise étrangère sont très différentes et beaucoup plus strictes que les conditions d’accès réservées aux entreprises chinoises.

Sur le faible taux d’ouverture de l’économie chinoise en matière de construction de réacteurs nucléaires, les entreprises européennes se démarquent toutefois par leur compétitivité. Parmi les entreprises étrangères en Chine ayant la licence pour produire du matériel aux normes de sûreté nucléaire, un tiers sont des entreprises françaises et la moitié sont des entreprises européennes. De même, parmi les entreprises ayant la licence pour exporter en Chine du matériel aux normes de sûreté nucléaire, 50 % sont des entreprises européennes et, sur cette moitié, 40 % sont des entreprises françaises. Votre rapporteur relève par ailleurs que parmi les entreprises européennes les plus présentes sur le marché chinois pour la construction de réacteurs nucléaires, les entreprises françaises font notamment face à la concurrence des entreprises allemandes. Si les orientations de la politique énergétique allemande conduisent à une sortie du nucléaire, l’industrie nationale continue néanmoins de produire et d’exporter du matériel nucléaire à l’étranger.

B.   La nécessité de réciprocité dans l’ouverture des marchés

La part du nucléaire en Chine doit augmenter de 5% à 10% du mix énergétique dans les années à venir, tandis que la part du charbon demeure prépondérante (environ 60 %). Le développement de l’énergie nucléaire en Chine doit donc ouvrir de nombreuses parts de marché, principalement aux entreprises chinoises, mais aussi aux entreprises européennes.

La stratégie des institutions européennes visant à exiger des pays tiers une réciprocité dans l’ouverture des marchés publics doit ainsi permettre de soutenir les entreprises européennes à l’étranger, dont EDF Chine.

La mise en œuvre de l’instrument relatif aux marchés publics internationaux, adopté le 23 juin 2022 par les institutions européennes ([33]), doit ainsi être assurée rapidement et de façon très concrète, de façon à mettre un terme à la discrimination à l’encontre des entreprises européennes. Cet outil introduit en effet des mesures qui limitent l’accès aux appels d’offres des États membres de l’Union pour les entreprises extra-européennes issues de pays n’offrant pas des conditions d’accès à leurs marchés publics.

La réciprocité dans l’ouverture des marchés publics comporte ainsi des implications fortes pour la consolidation de filière nucléaire française et l’émergence d’une véritable filière nucléaire européenne.

Par ailleurs, la Commission européenne et le haut représentant de l’Union pour la politique étrangère ont défini une stratégie « Global Gateway » ayant pour objectif, sur le modèle du plan chinois des nouvelles routes de la soie, de développer des liens avec les pays tiers dans les domaines du numérique, de l’énergie, et des transports. Cette stratégie, dotée d’un budget de 300 milliards d’euros pour investir dans les pays en voie de développement, peut être un puissant outil de développement à l’international de la filière nucléaire européenne.

Le volet horizontal de la politique commerciale spécifiquement dédié au nucléaire

L’Union européenne doit également prévoir en matière de politique commerciale un volet horizontal, dédié au nucléaire. La création d’une alliance du nucléaire au niveau européen est ainsi accueillie favorablement par les entreprises européennes à l’étranger opérant dans le domaine des installations nucléaires. La levée des désaccords relatifs à l’atome sur le marché intérieur de l’Union européenne devra ainsi se doubler, à moyen terme, d’une stratégie commerciale permettant de soutenir les exportations et les investissements directs à l’étranger dans le domaine du nucléaire. Réciproquement, l’argument consistant à améliorer la balance commerciale de l’Union européenne par l’export de matériel constitue un motif supplémentaire plaidant en faveur d’une véritable stratégie européenne du nucléaire sur le marché intérieur.

Une politique volontaire d’innovation européenne en matière nucléaire, au-delà du programme dédié au nucléaire au sein d’Horizon Europe, doit également permettre de soutenir la politique commerciale. Le moyen le plus efficace de protéger les technologies exportées en matière de propriété intellectuelle est en effet l’innovation permanente. Les institutions de l’Union doivent ainsi favoriser l’innovation dans le secteur énergétique, de manière à sauvegarder les parts de marchés des entreprises européennes du nucléaire dans les pays tiers.


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   Conclusion

 

Le projet de loi « Nucléaire » s’inscrit ainsi, d’un point de vue technique, en pleine conformité avec le droit de l’Union, malgré l’existence de quelques points de vigilance relatifs aux textes européens à venir en matière de protection de la biodiversité et d’artificialisation des sols.

Au-delà des aspects techniques, ce texte présente également un intérêt politique : contribuer à l’affirmation du nucléaire comme une énergie d’avenir, dont le développement est essentiel pour l’indépendance de la Nation, pour la protection du climat et pour la compétitivité de notre économie. Ce texte donne ainsi une impulsion supplémentaire à la stratégie nationale en faveur du nucléaire, qui doit désormais être dupliquée au niveau européen.

La Commission et les institutions européennes doivent désormais poursuivre leur travail en faveur de la reconnaissance du nucléaire au niveau du continent, en réservant un traitement équivalent à l’atome et aux énergies renouvelables, qui sont les deux piliers d’une politique énergétique équilibrée au niveau du continent. Ce travail passe à très court terme par la levée des réticences au Conseil de l’Union sur les débouchés à accorder à l’hydrogène bas carbone et à plus long terme par la constitution d’une véritable filière nucléaire européenne, capable d’opérer tant sur le marché intérieur que dans les pays tiers.

 

 


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   TRAVAUX DE LA COMMISSION

La Commission s’est réunie le mercredi 8 mars 2023, sous la présidence de M. Pieyre‑Alexandre Anglade, Président, pour examiner le présent rapport d’information.

M. Henri Alfandari, rapporteur. Le projet de loi que nous examinons cette semaine en commission des affaires européennes et qui vous sera soumis la semaine prochaine en séance publique marque une évolution attendue dans la politique énergétique de la France.

Malgré des dispositions très techniques, ce texte constitue la traduction juridique de la volonté politique exprimée par le président de la République dans son discours de Belfort en février 2022 : la relance de la filière nucléaire civile française avec la construction de 6, puis 8 réacteurs EPR d’ici 2050. Pour réduire de deux à trois ans les délais de constructions de nouveaux réacteurs et aligner le temps des procédures administratives sur le temps industriel, le projet de loi propose plusieurs évolutions du droit de l’urbanisme et du droit des installations classées.

Le lien entre les dispositions du projet de loi et le droit de l’Union est assez distendu et aucune disposition de ce texte n’est en contradiction directe avec les textes européens. J’appelle seulement votre attention sur deux points particuliers, qui pourront être utilement évoqués dans notre hémicycle la semaine prochaine. Les institutions européennes doivent en effet discuter dans les semaines à venir d’une directive sur la restauration de la nature et la protection de la biodiversité, ainsi que d’un texte législatif sur la protection des sols et leur artificialisation. La construction de nouveaux réacteurs, facilitée par les dispositions du projet de loi, doit naturellement s’inscrire en cohérence avec ces deux textes à venir.

Le premier point de vigilance concerne l’articulation avec le droit européen de la protection de la biodiversité, avec l’adoption à venir d’une directive sur la restauration de la nature. Les efforts pour préserver les écosystèmes des activités nucléaires doivent être poursuivis, conformément à la stratégie européenne pour la biodiversité. Il ne s’agit pas là d’une alerte pour empêcher la construction des centrales nucléaires, mais simplement de souligner la qualité des procédures existantes pour contrôler l’impact des centrales nucléaires sur la nature et appeler à la poursuite de ces travaux.

Mon second point de vigilance concerne l’artificialisation des sols, avec l’objectif de « zéro artificialisation nette » qui doit être repris au niveau européen en 2023 : la construction de nouveaux réacteurs contribue naturellement à l’artificialisation des sols. Je tiens toutefois à souligner que la densité énergétique des centrales permet de créer une grande quantité d’énergie avec une emprise au sol bien plus faible que les énergies renouvelables. La construction de nouveaux EPR est ainsi plutôt cohérente avec la stratégie européenne en matière de sols et j’attire votre attention sur le fait que le déploiement à venir des énergies renouvelables ne doit pas, dans le futur, limiter la construction de futurs réacteurs.

Au-delà de ces points de vigilance, l’intérêt du travail que je vous présente aujourd’hui est surtout d’analyser la façon dont la volonté politique française de déploiement de nouvelles capacités nucléaires est compatible avec les orientations énergétiques européennes. Je me suis attaché au cours de mes travaux à analyser les freins à lever et à identifier des partenaires pour la construction d’une véritable filière nucléaire européenne.

Le postulat de départ est simple : les institutions européennes sont supposées être idéologiquement neutres dans la détermination du mix énergétique des États membres. Depuis une quinzaine d’années, la Commission européenne a cependant fait disparaître le nucléaire de sa politique énergétique : l’atome n’est ainsi pas cité dans le Pacte Vert pour l’Europe, le programme environnemental et climatique présenté par Mme Ursula von der Leyen en 2019. Depuis un peu plus d’un an, nous assistons néanmoins à un changement de paradigme : l’Union européenne et les États membres ont réintégré le nucléaire dans la stratégie énergétique du continent. Cette évolution s’explique naturellement par les atouts considérables que représente le nucléaire : une énergie décarbonée, permettant d’atteindre les objectifs européens de réduction des émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2030 et 2050, conformément à la « loi européenne pour le climat » et au paquet Fit for 55 ; une énergie peu chère permettant de soutenir la compétitivité de nos entreprises européennes et le pouvoir d’achat de nos concitoyens ; une énergie souveraine dont les moyens de production sont localisés sur le sol européen : le nucléaire contribuera à l’atteinte de notre sécurité énergétique ; une énergie sûre et pilotable, qui permet de pallier l’intermittence des énergies renouvelables dont nous avons besoin.

Depuis le début de l’année 2022, la Commission européenne a ainsi inclus le nucléaire à la taxonomie verte comme énergie de transition, permettant d’orienter les flux des investissements privés vers la construction de nouvelles capacités nucléaires. La communauté d’objectifs entre la taxonomie verte et le projet de loi « Nucléaire » est donc évidente de ce point de vue.

Plus récemment, en février 2023, la Commission européenne a reconnu la nécessité de s’appuyer sur l’hydrogène bas-carbone, produit avec de l’électricité nucléaire, en parallèle de l’hydrogène vert, dont le processus est réalisé à partir d’énergies renouvelables. La Commission a également réservé un traitement favorable dans le domaine de la production d’hydrogène aux États ayant un mix énergétique réservant une part importante au nucléaire. La reconnaissance de l’hydrogène bas carbone est une grande avancée pour les négociations européennes, et une très bonne nouvelle pour la France.

Ce virage plus favorable au nucléaire vient cependant seulement d’être initié et doit être poursuivi. Les auditions durant ce rapport ont mis en évidence que de nombreux obstacles demeuraient au niveau européen pour la constitution d’une véritable filière commune aux États membres. Les premiers freins sont de nature politique : plusieurs États, notamment nos partenaires allemands, autrichiens et espagnols, s’opposent à l’adoption d’une législation trop favorable au nucléaire. Dans le cadre des négociations, la constitution d’une alliance du nucléaire par notre ministre de la transition énergétique est un pas important, puisque les onze États qui la composent permettent de constituer une minorité de blocage dans les négociations au Conseil. Les liens entre les États de cette alliance doivent être resserrés, de manière à la pérenniser dans le temps.

Les obstacles politiques à la reconnaissance d’une filière nucléaire mènent également à des absurdités et créent un second frein faisant craindre un manque de cohérence du droit européen. Je soulignais les progrès liés à la reconnaissance de l’hydrogène bas-carbone : nous sommes pour l’instant au milieu du gué, puisque cette reconnaissance n’a pas encore été suivie de la détermination de débouchés industriels pour ce type d’hydrogène. Nous pouvons donc créer de l’hydrogène bas carbone, pour remplir une cuve, mais nous ne pouvons déverser cet hydrogène dans aucun réservoir, par exemple de bateaux ou d’avions. Les négociations des textes en cours, comme les textes relatifs aux carburants, le paquet gazier, la réponse européenne à l’IRA, le « Clean tech for Europe », la directive RED III, et le Global Gateway sont ainsi autant d’occasions pour franchir définitivement le pas initié et reconnaître des débouchés industriels à l’Union européenne.

Au-delà des négociations politiques, je crois que nous sommes à un momentum européen pour une relance de l’industrie nucléaire européenne. Même si l’énergie atomique civile est un moyen essentiel pour sortir des crises énergétiques, climatique et de compétitivité, il nous appartient d’apporter la preuve que la construction d’une Europe du nucléaire pourrait fonctionner techniquement et serait rentable économiquement. Le rapport que je vous propose évoque plusieurs moyens pour faire cette démonstration, avant une généralisation à grande échelle : Les petits réacteurs SMR et AMR pourraient faire l’objet d’un projet industriel d’intérêt économique commun, les fameux PIIEC, permettant de déroger au cadre des aides d’État. Le PIIEC est un outil idoine pour aller chercher des briques technologiques dans plusieurs États membres afin de créer un vrai premier réacteur européen, sans domination de la chaîne de production par un seul État membre ; L’industrie de l’Union doit également se concentrer sur la recherche et le développement d’une filière de combustible capable de faire fonctionner l’ensemble des centrales nucléaires dans tous les États membres, notamment celles d’Europe centrale d’origine russe, fonctionnant avec le combustible russe de l’entreprise Rosatom. À l’heure actuelle, seule l’entreprise de droit américain WestingHouse s’est positionnée sur ce segment de marché : notre industrie européenne doit également s’intéresser à ce sujet et développer des solutions innovantes.

Je plaide pour une « méthode des petits pas à grandes enjambées » en matière énergétique : nous disposons de plusieurs opportunités techniques et politiques pour montrer qu’une Europe du nucléaire est nécessaire dans le monde de demain. Cette méthode peut être complétée à moyen terme par un soutien à l’export de matériel nucléaire civil, qui permettra de financer les progrès technologiques de notre continent.

Le traité Euratom fut au cœur de la construction européenne, nous devons démontrer à nos partenaires que le nucléaire est une chance pour le continent pour atteindre son objectif de neutralité carbone aux bénéfices de ses habitants.

 

L’exposé du rapporteur a été suivi d’un débat.

 

Mme Nicole Le Peih (RE). La filière nucléaire est bien une filière d’avenir, son développement constitue pour l’Union européenne, non seulement une obligation pour notre ambition en matière de transition écologique, mais aussi pour un impératif de souveraineté.

Une obligation écologique d’une part, car l’Union s’est donnée pour ambition d’atteindre la neutralité climatique en 2050 avec une première réduction de ses émissions de gaz à effet de serre dès 2030. Dans cette perspective, le nucléaire, énergie décarbonée, apparaît comme une des options viables pour réaliser cet objectif.

Un impératif de souveraineté d’autre part, car la guerre en Ukraine nous a démontré combien il était risqué de dépendre d’autres puissances pour assurer notre autonomie énergétique. Pour que notre Union puisse continuer de s’affirmer sur la scène internationale, elle doit au plus vite réaliser son indépendance énergétique.

Souvenons-nous que le traité instituant la Communauté européenne de l’énergie atomique, le traité Euratom, a été signé en 1957 à Rome, en même temps que le traité instituant la Communauté économique européenne : c’est dire combien l’industrie nucléaire civile a été considérée dès la fondation de l’Union comme un secteur stratégique. La France, avec son parc nucléaire qui est le plus grand d’Europe et le second au monde après les États-Unis, doit être le moteur de ce renouveau européen dans le domaine de l’atome.

Je souhaite interroger le rapporteur sur la dernière partie de son rapport. Le marché de l’atome doit faire face à de nouveaux acteurs, comme la Chine, à côté de concurrents historiques comme les États-Unis, comment nos filières européennes se démarquent-elles sur le marché de l’énergie ?

M. Vincent Seitlinger (LR). La question du nucléaire est cruciale et déterminante, aussi bien pour notre souveraineté énergétique que pour notre industrie, notamment pour nous permettre d’exporter nos technologies.

Votre rapport nous rappelle à quel point la France doit aujourd’hui s’imposer face à la volonté de certains États de ne pas prendre en compte l’hydrogène bas carbone pour mesurer le respect de l’objectif des 45 % d’énergies renouvelables dans leur bouquet énergétique d’ici à 2030. Il est important pour le nucléaire, comme pour d’autres sujets comme celui de l’interdiction en 2035 des moteurs thermiques, d’éviter toutes les positions trop idéologiques.

Au vu des derniers éléments dans ce dossier de l’hydrogène bas carbone, pensez-vous que la position de la France dans ce dossier parvienne à l’emporter ?

Par ailleurs, l’Union européenne a fixé un certain nombre d’objectifs pour protéger nos sols : la construction ou l’extension de centrales nucléaires sont directement concernées par ces dispositions. Mais au-delà du cas des centrales nucléaires, il faut rappeler ici la forte inquiétude de nombreux élus locaux, qui craignent, avec ce zéro artificialisation nette, de perdre toute possibilité de construction dans leurs communes.

Concernant plus précisément les centrales nucléaires, le nucléaire entraîne une bien moindre artificialisation que d’autres énergies renouvelables. Je crois que nous devons être extrêmement vigilants pour éviter que certains projets ne soient retardés uniquement pour des problématiques de protection des sols. Mais nous avons toutes les raisons d’être inquiets sur ce point-là, étant donné l’opposition de certains États au nucléaire.

Mme Marietta Karamanli (SOC). Votre rapport présente le développement de l’énergie nucléaire comme une opportunité unique pour faire bénéficier l’ensemble des pays de l’Union une énergie décarbonée, à faibles coûts, induisant un avantage compétitif conséquent pour l’ensemble des entreprises européennes.

Le point de vue développé est que l’énergie nucléaire est l’un des outils qui permet d’atteindre les objectifs climatiques pour produire de l’électricité de base et garantir la sécurité et l’approvisionnement sans émissions de CO2. Il donne à voir l’opportunité de nouveaux projets nucléaires basés sur des technologies innovantes et l’exploitation de centrales existantes. Il énonce incidemment des obstacles dans les négociations européennes et je ferai quelques observations visant justement à nuancer les tenants et aboutissants de cette présentation. D'une part, s’il existe bien au sein de l’Union européenne une alliance des onze États, 60 % des États membres sont dubitatifs voire opposés à cette orientation qui s’annonce durable pour notre pays.

D’autre part, le projet rapport est unilatéral en faveur de cette énergie et de ses dérivés, notamment à propos de l’hydrogène jaune issu de la filière nucléaire, mais aussi concernant la taxonomie verte. Selon votre rapport, la taxonomie qui fait en l’état l’énergie nucléaire une énergie de transition, doit évoluer. Pourtant, cette classification est elle-même un point d’équilibre des experts, ayant considéré les propositions insuffisantes pour garantir que les centrales nucléaires n’auraient pas effets négatifs sur l’environnement.

Évoquons d’ailleurs la question des déchets nucléaires. Vous indiquez que le rapport Euratom écrit post Fukushima, qui posait des interrogations sur la technologie nucléaire, doit être actualisé. J’aurais aimé que le rapport soit un peu plus prudent, et que la question des bénéfices et coûts soit abordée de façon plus nuancée. L’hypothèse de départ pose plusieurs questions méthodologiques, en raison de la durée d’une telle stratégie et des difficultés. Le rapport aurait pu formuler quelques suggestions pour faire avancer le débat dans les instances de l’Union. D’abord, la création d’une communauté d’experts européens sur le coût de la décarbonation et la prise en compte des effets et des coûts du nucléaire sur la biodiversité et la santé. Je pense aussi à la détermination consensuelle de ressources énergétiques durables, permettant de mieux articuler décarbonation et énergies réellement renouvelables. L’enjeu du traitement des filières énergies devrait être un élément de réflexion et d’évaluation pris en compte dans l’analyse et être débattu. Ma question est assez simple : pensez-vous que le scénario que vous soutenez, soit la seule voie possible et pensez-vous que le débat européen puisse se faire avec une alternative assise sur la réduction de la demande énergétique et le développement des énergies renouvelables au niveau national et européen et ce, dans le but d’atteindre la neutralité carbone au niveau européenne d’ici 2050 ?

Mme Barbara Pompili (RE). J’aurais aimé que la question du climat soit ajoutée à l’analyse que pose votre rapport. La question de nouvelles installations nucléaires ou du prolongement de certaines devra prendre en compte la question des étrillages de fleuves et la question de la remontée des eaux avec le changement climatique.

Sur la nécessité de repenser une organisation de filière, notamment sur les minerais stratégiques, aujourd’hui on est très dépendants de l’extérieur. Avec le rattrapage du retard sur le fait qu’on se soit toujours concentré sur les gros réacteurs, par rapport à des pays comme les États-Unis, on a maintenant du retard sur les petits réacteurs. J’aurais aimé qu’il y ait un développement sur la recherche qui est mentionnée, ainsi que sur la question des déchets qui n’est pas abordée.

J’ai un certain nombre de questions. D’abord vous dites que la production des énergies renouvelables ne peut garantir seule la sécurité énergétique. Vous l’admettez dans votre rapport. Cela pose la question du mix au niveau international : est-ce que ça veut dire qu’il faut mettre du nucléaire dans tous les pays du monde si on veut une énergie décarbonée ? L’IRENA (Agence internationale pour les énergies renouvelables) ne le pense pas et d’autres ne le pensent pas non plus.

Il manque également la question des coûts. Vous dites que c’est une énergie décarbonée à faibles coûts. Je pense qu’il faut des prévisions sur les coûts.

Ensuite et dernier point, aucune mention dans votre texte, alors que c’est un texte sur l’Union européenne, de la guerre en Ukraine et des conséquences que cela eu, notamment à Zaporijjia, et du risque, si on avait beaucoup de centrales nucléaires partout, que ces centrales nucléaires deviennent des armes de guerre, car cela serait des points de faiblesse qui ont déjà été identifiés.

Mme Sabine Thillaye (Dem). Le rapport ne fait pas non plus mention de l’Inflation Reduction Act (IRA) américain. On parle de coûts de nouvelles installations, de la recherche, et on voit bien que beaucoup de nos entreprises européennes, particulièrement celles qui tablent sur l’hydrogène, commencent à regarder du côté des États-Unis, parce que c’est un pays avec une simplification administrative réelle et une aide massive. Comment va-t-on pouvoir se positionner dans la dimension nucléaire par rapport à cela ?

M. Henri Alfandari, rapporteur. L’idée a été d’élargir la question sur le domaine européen et pas de traiter la partie nationale du projet.

La question de l’IRA a été abordée et je pense justement que c’est dans ce type de véhicule législatif européen que nous devons inclure le nucléaire, de manière à assurer la cohérence de notre politique énergétique avec les autres politiques européennes.

Sur l’aspect des coûts, et de manière assez concrète, on aura, et j’en aurai la charge, un rapport sur le marché du carbone dans cette commission à partir du mois d’avril. À travers ce rapport, il y aura de nombreuses choses qu’on pourra travailler tant sur le marché de l’énergie, que son financement, que sur l’objectivation des coûts sur l’ensemble des filières et des investissements à faire. Je vous invite très fortement à y participer.

Je vais revenir sur les premières questions, et la façon dont nos filières nucléaires européennes se démarquent sur le marché de l’énergie. Une des grandes questions est de choisir entre la vente de technologie aux pays tiers, et l’exploitation directe des centrales sur ces marchés tiers. J’ai auditionné EDF Chine. Il faut se rendre compte aujourd’hui que sur les réacteurs, qu’ils soient américains, français ou autre, les chinois maîtrisent 93 % de la supply chain. Cela veut dire qu’il ne reste que 7 %, même si vous êtes exploitant dans les contrats là-bas. C’est 7 % d’un gâteau immense : comment notre filière européenne peut-elle se positionner sur ce marché, en vendant ses technologies à des entreprises locales ou en y intervenant directement en tant qu’exploitant ? Même les contrats contiennent des clauses qui interdisent de se retrouver en concurrence sur un marché autre comme l’Inde, l’application pratique de ces clauses est difficile.

Toujours sur l’export, il y a deux types de réacteurs que l’Union pourrait exporter dans les pays tiers : les Evolutionary Power Reactor (EPR) ou les small modular reactor (SMR). Il y a certainement un avenir export beaucoup plus fort sur les SMR plutôt que pour les gros réacteurs, surtout que cela ne pose pas les mêmes problématiques en termes de sûreté nucléaire. Très clairement cela dépend de l’objectif que l’on se donne au niveau européen. Si demain on rentre dans une vraie décarbonation du mix européen pour tenir nos objectifs, peut-être qu’on n’aura pas la capacité d’intervenir à l’extérieur. C’est une question que l’on peut se poser. Très clairement c’est là où on a besoin le plus tôt possible d’organiser la filière, d’avoir une visibilité sur la stratégie, la place qu’on donne au nucléaire, qu’on donne par rapport aux énergies renouvelables dans le mix, sachant qu’il est essentiel de ne pas opposer les deux, on a profondément besoin des deux. Mais on a besoin de créer de la visibilité et là j’en reviens aux questions sur les partenaires européens. Oui, il y a une plus large part des États membres qui est plutôt opposée. Il faut tout de même veiller à la cohérence de notre législation européenne : ne pas avoir certaines victoires pour le nucléaire et bloquer les débouchés industriels de ces technologies. C’est là d’où viennent les difficultés. On a un problème de concordance si l’ensemble de la chaîne n’est pas bien positionné dans l’ensemble des textes à venir.

Ce qui est important c’est que l’alliance du nucléaire n’est peut-être pas assez importante, même si elle constitue une minorité de blocage. Mais il faut voir pourquoi on en est là. S’il y a des choses qui manquent de cohérence, c’est souvent par l’absence de la France et de sa position déterminée sur cette question. Il y a un tournant qui est intervenu en matière de politique énergétique nationale, et c’est aussi ce qui a provoqué un tournant au niveau européen.

Je crois que par rapport à la guerre en Ukraine, par rapport aux problèmes de souveraineté, même si je ne l’ai pas mentionné comme tel, que l’une des solutions est de créer une filière européenne du combustible. Plusieurs centrales en Europe centrale et en Ukraine utilisent le carburant produit par l’entreprise russe Rosatom. Créer un carburant européen permettant de faire fonctionner l’ensemble des filières pourrait permettre de faire converger les intérêts de tous les États-membres.

Je reviens à la question de la supply chain. En Chine, 93 % de la supply chain est exploité par des entreprises chinoises. Les 7 % qui restent sont principalement assurés par des entreprises françaises et allemandes. L’industrie allemande a profondément intérêt au développement de la filière nucléaire. C’est pour cela que l’on vous a ouvert les pistes, notamment des projets importants d’intérêt européen commun (PIIEC), sur la question des SMR et des AMR. Les AMR sont des SMR de quatrième génération qui viennent fermer le cycle du combustible. Les AMR permettent de répondre à la question de la sécurisation des matières premières et des déchets. Si on peut réellement fermer le cycle, l’essentiel de la problématique déchets est résolu.

L’idée est d’emmener l’ensemble des partenaires européens sur une véritable stratégie de décarbonation du mix électrique. J’en reviens à la question de la sobriété. Je vous donne mon point de vue personnel : si on veut sortir les deux tiers de fossiles du mix énergétique dans un horizon très court, on ne coupera pas à une augmentation massive de l’électrification, et qui ne reposera pas seulement sur la sobriété et les énergies renouvelables (EnR). Il faut de tout, notamment du nucléaire, il faut qu’on l’accepte et il faut qu’on arrive à le positionner correctement dans le temps.

M. Charles Sitzenstuhl (RE). J’ai une question sur les PIIEC. Est-ce que vous pouvez nous en dire plus sur ce qu’est votre vision. Est-ce que l’on partirait de l’alliance du nucléaire, est-ce que c’est une idée que vous avez eu ou est-ce que ce sont des idées qui circulent à la Commission européenne à Bruxelles ? Je crois que les PIIEC, où d’ailleurs la France a été moteur ces dernières années, je pense aux batteries, à la santé, l’idée d’en faire sur le nucléaire est très séduisante mais après, comment le matérialiser concrètement ?

M. Henri Alfandari, rapporteur. En termes d’idées, je cherche les bons véhicules pour faire avancer les choses. On avait l’option du travail de Mme Sabine Thillaye sur une évolution de l’article 107 du TFUE qui est possible. Le PIIEC est une autre solution, avec un aspect plus opérationnel.

Les PIIEC en sont le signal parce qu’ils doivent être acceptés par la Commission, et permettent de déroger à la réglementation sur les aides d’État. En termes de dialogue qu’on a eu dans les auditions, on a vu qu’un certain nombre d’organismes au niveau européen se sont posés la question et nous ont invités à soutenir cette idée.

La commission autorise le dépôt du rapport d’information en vue de sa publication.

 

 


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   annexe :
Liste des personnes auditionnées par le rapporteur

Commission européenne

 

Secrétariat général des affaires européennes (SGAE)

 

Représentation permanente de la France auprès des institutions européennes

 

Parlement européen

 

EDF

 

EDF Chine

 

Q Energy


([1]) Aux termes du préambule du traité Euratom

([2]) Règlement (Euratom) 2021/765 du Conseil du 10 mai 2021 établissant le programme de recherche et de formation de la Communauté européenne de l'énergie atomique pour la période 2021-2025 complétant Horizon Europe - le programme-cadre de recherche et d'innovation et abrogeant le règlement (Euratom) 2018/1563

([3]) Communication par Mme Marietta Karamanli à la commission des affaires européennes sur la classification des activités économiques et financières selon leur contribution à la réalisation des objectifs climatiques, 2  février 2022

([4]) Règlement (UE) 2020/852 du Parlement européen et du Conseil du 18 juin 2020 sur l’établissement d’un cadre visant à favoriser les investissements durables

([5]) Rapport annuel 2021 de l’agence européenne d’approvisionnement Euratom

([6]) Directive (UE) 2018/2001 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables

([7]) COM(2021)557 final du 14 juillet 2021

([8]) COM (2021)803 final et COM(2021)804 final

([9]) Règlement du Parlement européen et du Conseil établissant le cadre requis pour parvenir à la neutralité climatique et modifiant le règlement (UE)) 2018/1999.

([10]) Les textes concernant les carburant et les transports ne sont pas mentionnés ici.

([11]) COM (2021)551 final

([12]) COM (2021)557 final

([13]) COM (2021)563 final

([14]) COM (2021)805 final

([15]) Ministère de la transition énergétique, Datalab, Chiffres clés des énergies renouvelables, Edition 2022

([16]) Règlement (UE) 2022/1369 du Conseil du 5 août 2022 relatif à des mesures coordonnées de réduction de la demande de gaz

([17]) Règlement (UE) 2022/1854 du Conseil du 6 octobre 2022 sur une intervention d’urgence pour faire face aux prix élevés de l’énergie

([18]) Règlement (UE) 2022/2576 du Conseil du 19 décembre 2022 renforçant la solidarité grâce à une meilleure coordination des achats de gaz, à des prix de référence fiables et à des échanges transfrontières de gaz

([19]) Règlement (UE) 2022/2578 du Conseil du 22 décembre 2022 établissant un mécanisme de correction du marché afin de protéger les citoyens de l’Union et l’économie contre des prix excessivement élevés

([20]) COM (2022)304 final

([21]) Directive (UE) 2011/92 du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement, modifiée par la directive (UE) 2014/92

([22]) Loi n°86-2 du 3 janvier 1986

([23]) Article 192 de la loi 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets

([24]) Alinéa 22

([25]) Amendement n°CE520

([26]) Scénario N2 de l’étude RTE, Futurs énergétiques 2050, Principaux résultats

([27]) Rapport d’information déposé par la commission des affaires européennes sur l’évolution du cadre juridique applicable à la production d’électricité

([28]) COM (2021)803 final

([29]) COM (2021)803 final et COM(2021)804 final

([30]) COM (2021)561 final

([31]) COM (2021)562 final

([32]) COM (2021)557 final

([33]) Règlement (UE) 2022/1031 du Parlement européen et du Conseil du 23 juin 2022 concernant l’accès des opérateurs économiques, des biens et des services des pays tiers aux marchés publics et aux concessions de l’Union et établissant des procédures visant à faciliter les négociations relatives à l’accès des opérateurs économiques, des biens et des services originaires de l’Union aux marchés publics et aux concessions des pays tiers