N° 1003

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 22 mars 2023

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 146-3, alinéa 6, du Règlement

PAR le comitÉ d’Évaluation et de contrÔle des politiques publiques

 

sur l’évaluation de la prise en compte du retrait-gonflement des argiles

ET PRÉSENTÉ PAR

Mmes Sandra Marsaud et Sandrine Rousseau

 

Députées

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SOMMAIRE

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Pages

PROPOSITIONS DES RAPPORTEURES

SYNTHÈSE

INTRODUCTION

I. UN SYSTÈME D’INDEMNISATION DOUBLEMENT INSATISFAISANT : LA SOUTENABILITÉ DU RÉGIME CAT NAT EST FRAGILISÉE, SANS QUE LES DOMMAGES SOIENT CORRECTEMENT PRIS EN CHARGE

A. UN PHÉNOMÈNE POTENTIELLEMENT MASSIF DONT LES DOMMAGES FONT L’OBJET D’UNE PROCÉDURE D’INDEMNISATION COMPLEXE

1. Un phénomène d’une ampleur croissante qui pourrait concerner la moitié des maisons individuelles

2. Une prise en charge dans le cadre du régime Cat Nat à l’issue d’une procédure complexe et artificielle

a. Une procédure administrative longue, nécessitant une demande du maire et un arrêté ministériel

b. Un critère météorologique artificiel, faute de pouvoir mesurer directement l’intensité du phénomène de retrait-gonflement des argiles

c. Une analyse mensuelle dans des zones virtuelles appelées « mailles » ne correspondant pas au cadre spatio-temporel de la reconnaissance

3. La loi Baudu a permis quelques progrès en termes de transparence et de délais

B. UN « DÉNI D’INDEMNISATION » IMPORTANT

1. Au stade de l’arrêté interministériel : des critères de reconnaissance mal adaptés qui excluent la moitié des communes

2. Au stade de l’identification de la cause déterminante : un taux de « sans suite » élevé

3. Au stade du choix des travaux : une réparation souvent peu durable

C. LA SOUTENABILITÉ FINANCIÈRE DU RÉGIME CAT NAT COMPROMISE À MOYEN TERME

1. Alors que la sinistralité sécheresse est en forte augmentation, le financement du régime Cat Nat n’a pas évolué depuis plus de vingt ans

2. La soutenabilité du régime Cat Nat est fragilisée, faisant craindre une intervention récurrente de la garantie de l’État

II. ADAPTER LE FONCTIONNEMENT GÉNÉRAL DU RÉGIME CAT NAT POUR PERMETTRE UNE MEILLEURE INDEMNISATION DU RISQUE SÉCHERESSE TOUT EN VEILLANT À SON ÉQUILIBRE FINANCIER

A. SIMPLIFIER ET ASSOUPLIR L’ARRÊTÉ DE RECONNAISSANCE CAT NAT

1. Une sortie du risque Sécheresse du régime Cat Nat n’est pas envisageable

a. La place du risque sécheresse dans le régime Cat Nat ne va pas de soi

b. Le maintien du risque Sécheresse dans le régime Cat Nat est la seule façon de s’assurer qu’il soit pris en charge

2. Maintenir la condition préalable de l’arrêté Cat Nat sous réserve d’en faire découler une présomption en faveur de l’assuré

a. La proposition de supprimer l’arrêté préalable et d’instaurer un « recours direct » est séduisante

b. Les arguments contre la solution d’un « recours direct » peu convaincants

i. La reconnaissance préalable d’un « état » de catastrophe naturelle est artificielle en ce qui concerne le risque sécheresse

ii. L’appréciation du lien de causalité est déjà laissée à un tiers privé

iii. Le refus des conséquences financières d’un recours direct revient à assumer le choix de ne pas indemniser les sinistrés

c. Le maintien de l’arrêté Cat Nat a du sens si celui-ci constitue une présomption en faveur de l’assuré

3. Les critères de l’arrêté Cat Nat doivent être améliorés

a. Ordonnance du 8 février 2023 : l’ajout d’un critère météorologique alternatif axé sur la fréquence des sécheresses

b. Le critère météorologique classique doit être simplifié et rendu plus pertinent

c. Étendre la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle dans l’espace et dans le temps pour limiter les effets de bord

i. Mettre fin à l’effet de frontière : reconnaître à titre auxiliaire et sous certaines conditions les communes limitrophes

ii. Interpréter avec plus de souplesse le lien de temporalité entre la période de reconnaissance et l’apparition des fissures

B. GARANTIR L’ÉQUILIBRE FINANCIER À LONG TERME DU RÉGIME CAT NAT MALGRÉ LA HAUSSE PRÉVISIBLE DE LA SINISTRALITÉ

1. Mettre en place un pilotage automatique du taux de surprime pour assurer la pérennité du régime

a. La meilleure prise en charge de la sécheresse pourrait avoir un coût d’environ 700 millions d’euros par an

b. Une revalorisation annuelle automatique du taux de surprime est préférable à une augmentation ponctuelle et discrétionnaire

2. Redéfinir l’équilibre du partenariat publicprivé et faire contribuer davantage les assureurs à la prise en charge de la sinistralité future

a. Un régime historiquement profitable

b. Un régime très protecteur pour les assureurs

i. Un mécanisme de plafonnement des pertes spécifique au régime Cat Nat

ii. Une prise en charge partielle des frais de gestion des assureurs par le mécanisme du « commissionnement »

c. Un rééquilibrage du régime Cat Nat serait nécessaire pour faire davantage participer les assureurs

III. RÉFORMER LES CONDITIONS PARTICULIÈRES D’INDEMNISATION DES SINISTRES SÉCHERESSE DANS UN OBJECTIF D’ÉFFICACITÉ ET D’ÉQUITÉ

A. AMÉLIORER LA PRISE EN CHARGE DES SINISTRES TOUT EN RESPONSABILISANT LES DIFFÉRENTS ACTEURS

1. Affiner les conditions d’indemnisation et le périmètre couvert

a. Une augmentation modulée de la franchise comme levier de responsabilisation et d’équité sociale

b. L’exclusion de certaines constructions, à commencer par celles qui ne respectent pas les normes de la loi Elan, est une nécessité

i. Exclure les constructions nouvelles ne respectant pas les prescriptions réglementaires, sans limitation décennale

ii. Exclure les dépendances non habitables

c. Vérifier le bon emploi de l’indemnité versée à l’assuré et contrôler que son montant ne dépasse pas la valeur de reconstruction du bien

i. Rendre obligatoire l’affectation de l’indemnité aux travaux.

ii. Fixer le plafond de l’indemnité à la valeur de reconstruction

2. L’instauration de seuils ou de plafonds d’indemnisation n’est pas souhaitable

a. Le traitement des dommages doit être complet pour éviter des sinistres de « deuxième génération » plus coûteux

i. L’hypothèse d’un seuil ou d’un plafond d’intervention a heureusement été écartée par le gouvernement

ii. Les mesures de prévention post-sinistre doivent être intégrées aux possibilités de prise en charge

b. La portée de l’exclusion des fissures « esthétiques » doit être précisée

3. Faire jouer la garantie dommageouvrage pour les sinistres affectant les constructions récentes

a. Des constructeurs déresponsabilisés à cause des conditions trop restrictives de la garantie décennale

b. Clarifier l’articulation entre les deux régimes d’assurance et faire davantage participer l’assurance constructeur

B. RENFORCER LA QUALITÉ DE L’EXPERTISE POUR IDENTIFIER LES SOLUTIONS LES PLUS PERTINENTES

1. Loi Baudu : des progrès en matière de transparence et de délais de la procédure

2. Renforcer la compétence et l’indépendance des experts par un dispositif d’agrément

a. Les experts qualifiés sur la question de la sécheresse sont peu nombreux

b. L’ordonnance du 8 février 2023 prévoit un encadrement de l’expertise, sans traiter de la formation et de l’indépendance des experts

c. Seul un système d’agrément pourra établir un lien de confiance entre l’expert et l’assuré

3. Rendre les études géotechniques obligatoires dans certains cas

C. CRÉER DES INSTRUMENTS SPÉCIFIQUES POUR LE TRAITEMENT DU STOCK

1. S’assurer de la bonne application de la loi Elan pour circonscrire effectivement la problématique au stock

a. La loi Elan a mis en place des normes de construction qui feront bientôt l’objet d’un régime de contrôle et de sanction

b. Le dispositif Elan comprend néanmoins une faille majeure lié à sa mauvaise articulation avec le cadre légal du contrat de construction

2. Financer des mesures ciblées de prévention pour les maisons très exposées mais pas encore touchées

a. Certaines mesures de prévention peu coûteuses peuvent réduire significativement le risque de dommages

b. Un fonds de solidarité s’appuyant sur l’Anah pourrait cofinancer la mise en place ciblée de ces mesures

3. Créer un fonds de solidarité pour les constructions fortement touchées qui n’ont pas été indemnisées dans le cadre du régime Cat Nat

EXAMEN PAR LE COMITÉ

ANNEXE : PERSONNES ENTENDUES PAR LES RAPPORTEURES

CONTRIBUTION DE LA COUR DES COMPTES

 

 


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   PROPOSITIONS DES RAPPORTEURES

 

Proposition n° 1 :

Conférer à l’arrêté Cat Nat une réelle portée en y associant une présomption simple de causalité entre l’évènement reconnu au titre de la sécheresse et les sinistres survenus dans la commune concernée.

Proposition n° 2 :

Ratifier sans modification le 1° de l’article 1er de l’ordonnance du 8 février 2023 prévoyant l’ouverture d’un deuxième cas d’indemnisation en cas de « succession anormale » de sécheresses d’ampleur significative.

Proposition n° 3 :

Améliorer la pertinence et l’efficacité du critère météorologique :

-          diminuer la durée de retour de 25 ans à 10 ans pour augmenter le taux de reconnaissance et aligner le régime sécheresse sur le régime inondations ;

-          annualiser l’analyse du critère météorologique, en prenant en compte les valeurs extrêmes pour éviter une compensation entre les périodes sèches et les périodes humides.

Proposition n° 4 :

Préparer le resserrement de la « maille » qui sert d’unité géographique à Météo‑France de 8 km à 1,5 km de côté en étudiant son incidence sur le taux de reconnaissance des communes.

Proposition n° 5 :

Étendre aux communes limitrophes dont la superficie est inférieure à celle de la commune principale le bénéfice de la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle, à condition qu’elles aient elles-mêmes déposé une demande de reconnaissance pour la même année. La présomption de lien de causalité (proposition n° 1) qui vaut pour les communes reconnues à titre principal ne s’étendrait pas aux communes ainsi reconnues à titre subsidiaire. Les maisons frontalières situées dans les communes limitrophes d’une superficie supérieure pourront être éligibles au régime Cat Nat à condition de démontrer la présence d’argiles au moyen d’une étude de sol.

Proposition n° 6 :

Faire porter la demande de la commune et la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle sur une année entière, dans un objectif de simplification et de diminution du taux de sans suite.

Proposition n° 7 :

Prendre comme date d’apparition des fissures le plus favorable des deux évènements suivants, dans l’intérêt de l’assuré :

-          soit la date présumée d’apparition des premières microfissures ;

-          soit la date présumée d’aggravation des fissures.

Proposition n° 8 :

Inscrire à l’article L. 125-2 alinéa 3 du code des assurances une règle de revalorisation automatique du taux de surprime, indexée sur la sinistralité constatée. Le taux de surprime serait calculé tous les ans par exemple à partir de la sinistralité moyenne (hors frais de gestion) des trois années sur les dix années passées dont la sinistralité est la plus forte, à l’exclusion de la première d’entre elles.

Proposition n° 9 :

Instaurer un nouveau prélèvement sur le produit de la surprime, affecté à la Caisse centrale de réassurance afin de permettre à celle-ci de constituer des réserves en vue d’une catastrophe naturelle majeure.

Proposition n° 10 :

Augmenter globalement le reste à charge pour les assurés, qui ne prendrait plus la forme d’une franchise fixe mais d’un pourcentage des dommages, sur le modèle de ce qui existe déjà pour les professionnels (avec un taux de 10 %), et prévoir un remboursement total ou partiel de ce reste à charge par un fonds de solidarité nationale (voir proposition n° 24), en fonction de trois critères :

-          les revenus de l’assuré (objectif d’équité sociale) ;

-          sa connaissance du risque au moment de l’acquisition (objectif de responsabilisation) ;

-          les mesures de prévention qu’il a pris l’initiative de mettre en œuvre (objectif d’incitation).

Proposition n° 11 :

Amender le 5° de l’article 1er de l’ordonnance du 8 février 2023, en supprimant la prescription décennale pour les constructions nouvelles ne respectant pas les normes de l’article 68 de la loi Elan.

Proposition n° 12 :

Exclure du périmètre d’indemnisation du régime Cat Nat les dépendances qui ne sont pas habitables et dont la dégradation ne risque pas d’entraîner la fragilisation consécutive de l’habitation principale.

Proposition n° 13 :

Ratifier le 2° b) de l’article 1er de l’ordonnance du 8 février 2023 visant à rendre effective l’obligation pour l’assuré d’affecter l’indemnité à la réparation des dommages.

Proposition n° 14 :

Préciser à l’article L. 125-2 du code des assurances que la « valeur de la chose assurée » s’entend de la valeur de la reconstruction à neuf.

Proposition n° 15 :

Préciser à l’article L. 125-2 du code des assurances que font partie des « travaux permettant un arrêt complet des désordres » les mesures de prévention post-sinistre.

Proposition n° 16 :

Amender le 2° a) de l’article 1er de l’ordonnance du 8 février 2023 pour préciser que le régime Cat Nat couvre « dès leur apparition » les dommages susceptibles d’affecter la solidité du bâti ou d’entraver l’usage normal du bâtiment.

Proposition n° 17 :

Exclure expressément du régime Cat Nat les sinistres ayant eu lieu durant les dix premières années de construction, y compris pour les constructions ayant respecté les normes Elan, au profit d’une responsabilité systématique du constructeur.

Proposition n° 18 :

Étendre la période de la garantie dommages-ouvrage prévue à l’article 1792-4-1 du code civil au-delà de dix ans quand les désordres sont apparus avant la onzième année mais que leur caractère structurel n’est devenu manifeste qu’après.

Proposition n° 19 :

Obliger l’assureur à informer au plus tôt l’assuré de la possibilité qu’il a de se faire assister de son propre expert et à préciser dans quelle mesure les honoraires de l’expert d’assuré sont pris en charge.

Proposition n° 20 :

Prévoir la création d’un agrément légal pour les experts sécheresse qui serait mis en place en deux temps : d’abord la délivrance de l’agrément et la constitution d’un corps d’experts réputés compétents ; puis, d’ici 2030, l’obligation d’être titulaire de l’agrément pour exercer.

Proposition n° 21 :

Concevoir une étude géotechnique spécifique au phénomène de retrait-gonflement des argiles, prenant en compte les caractéristiques de l’environnement et non seulement du sol. Rendre la réalisation de cette étude et le respect de ses conclusions obligatoires à chaque fois que l’expertise n’est pas conduite par un expert agréé.

Proposition n° 22 :

Afin de résoudre les incohérences législatives qui empêchent l’application effective de l’obligation de réaliser une étude de sol avant toute construction nouvelle :

-          à l’article L. 132-7 du code de la construction et de l’habitat, supprimer l’incise « ou réalisée avec l'accord de celui-ci par le constructeur ».

-          modifier le deuxième paragraphe de l’article L. 231-4 pour permettre la conclusion d’un contrat séparé ayant pour objet la réalisation d’une étude de sol, avant la signature éventuelle d’un contrat de construction.

Proposition n° 23 :

Créer un fonds de solidarité nationale, financé à parts égales par le budget de l’État et par une taxe affectée sur les surprimes conservées par les assureurs, qui aurait trois missions :

-          la prise en charge totale ou partielle du stock de maisons gravement endommagées et non éligibles au régime Cat Nat ;

-          le cofinancement de mesures de prévention pour les maisons fortement exposées mais non encore endommagées ; l’instruction des dossiers serait confiée à l’Anah qui serait également rémunérée pour cette mission ;

-          le remboursement total ou partiel du reste à charge selon des critères liés au comportement et aux revenus des assurés (voir proposition n° 10).

 


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SYNTHÈSE

 

 


 

 

 


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   INTRODUCTION

Sous la 15ème législature, le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC) avait inscrit à son programme de travail, à la demande du groupe Agir ensemble, une évaluation de la politique de prévention et d’indemnisation du phénomène de retrait-gonflement des argiles (RGA). Lors de sa réunion du 21 octobre 2020, il avait désigné M. Vincent Ledoux (Agir ens) et M. Hubert Wulfranc (GDR) comme rapporteurs.

Le Comité avait également décidé de solliciter l’assistance de la Cour des comptes, sur le fondement de l’article L. 132-6 du code des juridictions financières. Les conclusions des travaux de la Cour ont été présentées au Comité le 15 février 2022 par Mme Annie Podeur, présidente de la deuxième chambre.

Lors de sa réunion du 20 octobre 2022, le CEC a décidé de poursuivre l’évaluation de la « prise en compte du phénomène de retrait-gonflement des argiles » en nommant rapporteures Mme Sandra Marsaud (RE) et Mme Sandrine Rousseau (Ecolo-Nupes).

Les insuffisances de la reconnaissance et de l’indemnisation des sinistres liés au retrait-gonflement des argiles, autrement dit à la sécheresse du sol, ont fait l’objet d’une prise de conscience qui s’est traduite récemment par de nombreux rapports et par plusieurs évolutions législatives.

Le rapport de la sénatrice Nicole Bonnefoy sur la gestion des catastrophes naturelles (2019) a donné lieu à une proposition de loi qui a inspiré la loi dite « Baudu » du 28 décembre 2021 ([1]). En parallèle, le législateur a décidé de créer un fonds d’urgence exceptionnel ([2]) mais dont le montant insuffisant et les conditions d’éligibilité très restrictives ont limité l’intérêt, même à court terme. En mars 2021, les corps d’inspection des trois ministères concernés par le sujet – Intérieur, Finances, Environnement – ont remis aux ministres un rapport non public ([3]) proposant une réforme plus structurelle des conditions de prise en charge de ce risque spécifique au sein du régime d’indemnisation des catastrophes naturelles (régime « Cat Nat »). Au même moment, une loi ([4]) habilitait le Gouvernement à réformer le code des assurances par voie d’ordonnance afin « d’améliorer la prise en charge des conséquences exceptionnellement graves sur le bâti » du phénomène de retrait-gonflement des argiles. L’ordonnance n° 2023-78 a été publiée le 8 février 2023.

Vos rapporteures souhaitent assumer pleinement la mission de contrôle et le rôle législatif du Parlement à l’occasion de la ratification à venir ([5]) de l’ordonnance du 8 février 2023. À cette fin, et sans se borner à un constat des défaillances du système actuel, ce rapport formule des propositions précises et concrètes visant à réformer de manière efficace le régime Cat Nat en veillant à la fois à l’intérêt des sinistrés et à la soutenabilité financière du régime.

I.   UN SYSTÈME D’INDEMNISATION DOUBLEMENT INSATISFAISANT : LA SOUTENABILITÉ DU RÉGIME CAT NAT EST FRAGILISÉE, SANS QUE LES DOMMAGES SOIENT CORRECTEMENT PRIS EN CHARGE

Le système français de prise en charge des dommages dus au retrait-gonflement des argiles dans le cadre du régime Cat Nat, quoique préférable à l’absence complète de mécanisme assurantiel constatée dans les autres États européens ([6]), n’est pas satisfaisant : la procédure particulièrement complexe et mal adaptée (A) occasionne un déficit d’indemnisation peu compréhensible (B) qui ne permet même plus de préserver la soutenabilité financière du régime (C).

A.   UN PHÉNOMÈNE POTENTIELLEMENT MASSIF DONT LES DOMMAGES FONT L’OBJET D’UNE PROCÉDURE D’INDEMNISATION COMPLEXE

Malgré des progrès récents en matière de délais et de transparence, la prise en charge des sinistres de plus en plus nombreux liés à la sécheresse du sol fait l’objet d’une procédure peu lisible et largement artificielle due au cadre même du régime Cat Nat.

1.   Un phénomène d’une ampleur croissante qui pourrait concerner la moitié des maisons individuelles

Le phénomène de « retrait-gonflement des argiles », parfois appelé « sécheresse » ou plus exactement « sécheresse géotechnique », ou encore « mouvements différentiels consécutifs à la sécheresse et à la réhydratation des sols » décrit l’évolution des mouvements des sols argileux sous l’effet de la succession de périodes de déshydratation du sol (« retrait ») et de pluies abondantes (« gonflement »). La variation de volume du sol entraîne aussi des mouvements sur le bâti en surface qui, en l’absence de fondations suffisamment profondes, finit par se fissurer.

Ce phénomène ne concerne que les maisons construites sur des sols argileux. Les sols argileux – et notamment les smectites, dont le potentiel de déformation est très élevé – ont en effet la particularité, du fait de leur structure minéralogique « en feuillets », de voir leur consistance se modifier en fonction de leur teneur en eau. Quand il pleut, les interstices entre les couches se gorgent d’eau et se dilatent, comme une éponge ; puis, en cas de déficit pluviométrique, les molécules d’eau captives s’évaporent et le matériau se rétracte. La dessiccation du sol crée à la fois des fissures horizontales en surface (comme au fond d’une mare qui s’assèche) et un tassement vertical « hydromécanique » sous le poids des superstructures. Ce tassement du sol peut atteindre 10 % de son épaisseur.

Si ce phénomène ne concerne heureusement que la partie superficielle du sol, jusqu’à deux mètres de profondeur environ, les maisons individuelles et autres bâtiments de faible hauteur ne disposant pas de fondations suffisantes « bougent » avec le terrain et se détériorent. Les désordres prennent la forme de fissures typiquement « en escalier », aux endroits où la maison présente des défauts ou des faiblesses de résistance (ouvertures, zones sans chaînage…). Il peut également en résulter une dislocation des dallages et une torsion des encadrements de portes.

description du PhÉnomÈne de retrait-gonflement des argiles

 

 

Source : France Assureurs, BRGM

Le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) a établi une « carte d’exposition » à l’aléa, à partir des données géologiques recueillies dans le cadre d’un programme de cartographie conduit entre 1997 et 2010. Les données géologiques ont été complétées par les données relatives à la sinistralité constatée par les assureurs depuis 1989 ([7]). Le périmètre des zones de formations argileuses a été étendu de cent mètres pour y rattacher les sinistres ayant eu lieu à proximité.

La carte du BRGM distingue trois catégories de zones selon le niveau d’exposition et la probabilité de sinistres : les zones d’exposition « forte » (zones « rouges »), les zones d’exposition « moyenne » et les zones d’exposition « faible ». Enfin, certaines zones ne contiennent pas d’argiles gonflantes et ne présentent a priori aucun risque. Au sens du BRGM, 48 % du territoire métropolitain est en zone d’exposition « forte » ou « moyenne ».

Carte d’exposition au risque RGA

Une image contenant carte

Description générée automatiquement

 

Source : BRGM

 

En croisant les données BRGM, les données issues du fichier Filocom (fichier des logements par commune) produit par le Service des études et de la statistique du ministère chargé du logement et les données du Fichier démographique sur les logements individuels (FIdéli) produit par l’INSEE, le rapport des inspections estime qu’il y a 10,5 millions de maisons en zone d’exposition moyenne ou forte sur 19,4 millions de maisons individuelles, dont 3,1 millions de maisons en zone d’exposition forte.

proportion de maisons individuelles par zone d’exposition

 

Source : Comité d’évaluation et de contrôle, à partir des résultats obtenus par le rapport des inspections.

En d’autres termes, 54 % des maisons individuelles sont potentiellement concernées par le risque RGA. Seules 18 % y échappent entièrement.

2.   Une prise en charge dans le cadre du régime Cat Nat à l’issue d’une procédure complexe et artificielle

Le risque Sécheresse est pris en charge depuis 1989 dans le cadre du régime d’indemnisation des catastrophes naturelles, ou régime « Cat Nat », créé par la loi du 13 juillet 1982 qui se réfère au principe à valeur constitutionnelle de solidarité et d’égalité des citoyens devant les charges qui résultent des « calamités nationales ».

Le régime Cat Nat permet une indemnisation des biens endommagés ayant eu pour « cause déterminante » un évènement naturel dont l’intensité est jugée « anormale », selon les termes de l’article L. 125-1 du code des assurances qui en définit le cadre juridique. Au moment de sa création, seuls les phénomènes irrésistibles, imprévisibles et de cinétique rapide (inondations, séismes, vents cycloniques, avalanches…) étaient considérés comme faisant partie du champ du régime Cat Nat.

Le retrait-gonflement des argiles a été intégré au régime Cat Nat en 1989, après deux sécheresses très fortes en 1987 et en 1989. La première sécheresse remarquable en France fut celle de 1976 : quoique de moindre intensité que celles qui suivront, elle a permis de comprendre l’incidence du phénomène sur le bâti.

Si l’existence même du régime Cat Nat est une originalité française en principe favorable aux sinistrés, le bénéfice de ce régime légal faisant potentiellement intervenir la garantie de l’État implique toutefois une procédure longue et complexe. L’indemnisation par les assureurs des dommages dus à la sécheresse suppose en effet la reconnaissance préalable par arrêté ministériel de l’état de catastrophe naturelle, en fonction de critères peu compréhensibles pour les assurés.

a.   Une procédure administrative longue, nécessitant une demande du maire et un arrêté ministériel

Les sinistrés ne peuvent prétendre se faire indemniser si le maire n’a pas d’abord adressé au ministère de l’Intérieur, par un document transmis en premier lieu à la préfecture, une demande de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle valant pour l’ensemble de la commune. Une fois le dossier déposé, il est examiné par la commission interministérielle de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle (« commission Cat Nat ») ([8]) sur la base d’un rapport météorologique établi par Météo-France sur la situation de la commune. La commission interministérielle, sous l’égide de la Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC), rend ensuite un avis simple mais en pratique suivi. Enfin, le ministre de l’Économie et le ministre de l’Intérieur signent conjointement un arrêté reconnaissant l’état de catastrophe naturelle (« arrêté Cat Nat ») pour une période définie dans les communes désignées.

À cause de la nécessité de faire établir un rapport météorologique avant l’examen de la commission interministérielle, la procédure est plus longue pour la sécheresse que pour les autres risques concernés par le régime Cat Nat. Il s’écoule en général plus d’un an entre la demande initiale du maire et l’arrêté ministériel.

b.   Un critère météorologique artificiel, faute de pouvoir mesurer directement l’intensité du phénomène de retrait-gonflement des argiles

En outre, et il s’agit là aussi d’une spécificité du risque Sécheresse, les critères de reconnaissance sur le fond sont particulièrement complexes, car le constat d’un phénomène de retrait-gonflement des argiles n’est pas aussi évident que le constat d’une inondation ou d’une tempête. Aux termes de l’article L. 125-1 du code des assurances, sont pris en charge par le régime Cat Nat les dommages « ayant eu pour cause déterminante l'intensité anormale d'un agent naturel » : la commission Cat Nat a donc pour rôle de déterminer si tel ou tel évènement naturel présente un caractère « anormal ».

Le phénomène de retrait-gonflement des argiles ne faisant pas l’objet d’une mesure directe, la caractérisation de « l’intensité anormale » de l’évènement passe par l’analyse des facteurs météorologiques favorisant le phénomène de RGA dans les endroits où, en raison des caractéristiques du sol, ce phénomène est susceptible de se produire. Ce n’est donc pas l’intensité du phénomène de retrait‑gonflement que reconnaît l’arrêté Cat Nat, mais l’intensité de la sécheresse dans des zones identifiées comme exposées à l’aléa de retrait-gonflement.

La caractérisation de « l’intensité anormale » de l’évènement s’apprécie au regard de deux critères, tels que détaillés par une circulaire de 2019 ([9]). Il faut d’abord que la commune concernée comprenne au moins 3 % d’argiles « gonflantes » (critère géotechnique), et que le taux d’humidité du sol présente localement un caractère exceptionnel au regard des données constatées sur les cinquante dernières années (critère météorologique). Ces deux critères sont cumulatifs : la présence d’argiles n’est qu’un facteur de prédisposition, une condition nécessaire mais non suffisante ; c’est bien la variation du taux d’humidité des sols qui « déclenche » le phénomène de retrait-gonflement.

La difficulté réside dans le calcul du taux d’humidité du sol et dans l’appréciation du caractère normal ou anormal de son intensité. Le processus est remarquablement complexe, malgré la simplification opérée par la circulaire de 2019 ([10]). Pour que le critère météorologique soit satisfait, il faut que le taux d’humidité du sol (Soil Wetness Index – SWI) ait un niveau de « rareté » appelé « durée de retour » de 25 ans. Autrement dit, est considérée comme « anormale » une sécheresse qui ne se produit qu’une fois tous les 25 ans.

L’analyse du critère météorologique suppose donc de comparer les données disponibles pour une période aux données disponibles pour la même période des années précédentes. En pratique, Météo-France prend en compte les cinquante dernières années. Pour qu’elle soit reconnue comme anormale, il faut donc qu’une sécheresse fasse partie des deux sécheresses les plus fortes (sécheresse de rang 1 ou de rang 2) sur les cinquante dernières années.

 

c.   Une analyse mensuelle dans des zones virtuelles appelées « mailles » ne correspondant pas au cadre spatio-temporel de la reconnaissance

Facteur de complexité supplémentaire, l’analyse météorologique ne se fait pas année par année et commune par commune. Le territoire métropolitain est découpé selon une grille de 8 981 unités géographiques qui prennent la forme de carrés de 8 km de côté appelées « mailles ».

Exemple de dÉcoupage de mailles

Source : circulaire du 10 mai 2019.

Pour chaque maille, l’indice d’humidité des sols est établi de manière mensuelle. Mais pour éviter les effets de seuil, les données mensuelles de chaque maille sont « moyennées » avec les données des deux mois précédents. Ainsi, l’indice d’une maille pour le mois de janvier est en fait la moyenne des données obtenues pour le mois de janvier et pour les mois de novembre et décembre de l’année précédente. Une année comprend donc douze indicateurs distincts pour chaque maille, avec recouvrement partiel des données utilisées pour trois indicateurs successifs. Pour que le critère soit satisfait pour un mois donné, il faut que l’indice d’humidité des sols de ce mois, qui intègre aussi les données des deux mois précédents, soit de rang 1 ou 2 en comparaison de l’indice du mois correspondant durant les quarante-neuf années précédentes.

La commission Cat Nat, elle, travaille avec un cadre spatio-temporel différent. À partir des données relatives à un mois et à une « maille » de 64 km², elle décide de reconnaître ou non l’état de catastrophe naturelle pour une commune composée de plusieurs mailles et pour une période de trois mois correspondant à une « saison » ([11]).

À cet égard, la méthode de la commission Cat Nat est plutôt maximaliste : il suffit que l’indicateur météorologique soit satisfait pour un mois, pour qu’il soit réputé satisfait pour la saison entière et pour la totalité du territoire des communes traversées par cette maille. La sécheresse sera donc reconnue pour l’ensemble du trimestre et pour l’ensemble de la commune, même s’il n’y a qu’une petite partie de son territoire située en maille éligible.

exemple d’ÉligibilitÉ en fonction du critÈre mÉtÉorologique

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Illustration : Météo-France

 

Dans l’exemple ci-dessus, la commune est éligible (sous réserve de satisfaire aussi le critère géotechnique) pour l’été et pour l’automne.

Pour atténuer les effets de cette complexité, la commission Cat Nat encourage les communes à déposer une demande pour l’année complète plutôt que pour une seule saison (typiquement l’été). Si la commission s’aperçoit qu’une commune n’est pas éligible pour la période visée par la demande mais qu’elle pourrait être éligible pour une autre saison de la même année, elle ne peut corriger d’office la demande, mais elle peut suggérer au maire (par l’intermédiaire du préfet) d’élargir sa demande initiale dans son propre intérêt.

3.   La loi Baudu a permis quelques progrès en termes de transparence et de délais

Indépendamment de la question de son efficacité pour indemniser correctement les sinistres, la méthode de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle « sécheresse » est critiquée pour son opacité et pour les délais administratifs qu’elle entraîne.

Sans opérer de simplification sur le fond, la loi n° 2021-1837 du 28 décembre 2021 relative à l’indemnisation des catastrophes naturelles, dite « loi Baudu » a du moins permis des progrès en ce qui concerne les délais et la transparence. Ainsi, le délai entre la demande du maire et la publication de l’arrêté Cat Nat a été ramené de trois mois à deux mois (article 6), même si la « durée des enquêtes diligentées par le représentant de l’Etat », à savoir l’étude de Météo-France, rend en pratique le respect de cette exigence impossible. Parallèlement, le maire dispose d’un délai plus long, allongé de 18 mois à 24 mois pour déposer sa demande (article 9), et ce pour tenir compte de la durée entre l’évènement et l’apparition des premières fissures. Les délais relatifs à l’indemnisation ont aussi été encadrés (voir infra, III-B-1).

Pour ce qui est de la transparence, la loi Baudu rend obligatoires la communication aux communes du rapport d’expertise de la commission Cat Nat et la motivation de l’arrêté ministériel.

Elle prévoit aussi la création de deux instances susceptibles d’orienter les différents acteurs et de « faire remonter » les difficultés liées à la mise en œuvre de la procédure de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle :

-         le « référent départemental », qui a un rôle d’information et de coordination entre la préfecture et les communes (article L. 125-1-2 du code des assurances) ;

-         la Commission nationale consultative des catastrophes naturelles (article L. 125-1-1).

La Commission nationale consultative, finalement créée par le décret n° 2022-1937 du 30 décembre 2022, a pour mission de rendre un avis annuel au Parlement portant sur la pertinence des critères de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle, sur les conditions effectives de l’indemnisation des sinistrés (délais et montant de l’indemnisation) et sur les modalités de l’expertise mandatée par les assurances.

La composition de la future commission consultative a fait l’objet de nombreux débats parlementaires. L’article L. 125-1-1 du code des assurances impose simplement qu’elle comprenne six élus locaux. Les parlementaires ont renoncé à inscrire dans la loi la liste complète de ses membres, tout en insistant sur la nécessité que les élus locaux soient davantage représentés que le secteur de l’assurance et comptant pour cela sur la bonne volonté du Gouvernement.

Vos rapporteures regrettent que le décret du 30 décembre 2022 minore l’importance relative des élus locaux en les « diluant » parmi un collège de 30 membres ([12]) et qu’il prévoie un nombre égal d’élus et de représentants des assureurs ou réassureurs.

B.   UN « DÉNI D’INDEMNISATION » IMPORTANT

Le caractère lourd et artificiel de la procédure ne serait pas problématique si la prise en charge des sinistres était in fine satisfaisante. Or vos rapporteures constatent un véritable « déni d’indemnisation » à trois stades du parcours de prise en charge :

-         environ la moitié des dossiers est inéligible faute de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle par la commission Cat Nat (1) ;

-         une nouvelle moitié des dossiers est exclue par l’assureur faute de lien de causalité manifeste (2) ;

-         le quart restant se voit souvent prescrire des travaux  peu durables (3).

1.   Au stade de l’arrêté interministériel : des critères de reconnaissance mal adaptés qui excluent la moitié des communes

En raison de critères inadaptés, à peine une commune sur deux parmi celles qui en font la demande fait l’objet d’une décision de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle, ce qui exclut de fait la moitié des sinistres sans compter les sinistres « isolés » dans des communes qui n’ont pas demandé à être reconnues.

Le régime Cat Nat prend en charge les « dommages directs » résultant des catastrophes naturelles. Or en matière de sécheresse, le lien de causalité entre l’évènement naturel et les dommages constatés n’est pas aussi immédiat et manifeste que pour les inondations et autres évènements soudains et violents. Les critères fixés par la circulaire de 2019 essaient d’approcher une caractérisation de l’intensité de la sécheresse, considérée comme cause ; mais, outre que cette approximation est complexe, les critères négligent la réalité des dommages réellement constatés, ce qui ne permet pas une indemnisation satisfaisante.

Les critères eux-mêmes apparaissent abstraits et artificiels. En ce qui concerne le critère géotechnique, le seuil fixé à 3 % d’argiles gonflantes sur le territoire de la commune peut sembler arbitraire, comme le souligne le rapport des inspections : « aucun des interlocuteurs de la mission n’a su expliquer la raison pour laquelle ce seuil avait été fixé à 3 % dès 1989 ». En outre, quel que soit le seuil d’argiles retenu, il pourra toujours subsister des « poches argileuses » isolées dans des communes non éligibles tandis qu’à l’inverse, les communes éligibles l’étant pour tout leur territoire, des maisons peuvent être couvertes sans être situées sur un terrain à risque.

Alors que les cartes et les études de sol permettent de savoir précisément si telle ou telle maison est située en zone argileuse, le choix d’un critère général à l’échelle de la commune ne semble pas pertinent même s’il est plus simple d’un point de vue administratif.

Les « effets frontières » résultant de la grille de calcul du critère météorologique peuvent soulever des critiques analogues. Les calculs de Météo‑France se font sur la base de mailles de 8 km de côté, alors que la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle se fait au niveau de la commune, dont la délimitation territoriale est complètement indépendante. Quels que soient la taille de la commune et le nombre de mailles qui la traversent, il suffit qu’un « bout » de la commune soit sur une maille éligible pour que la totalité de la commune soit reconnue. À l’inverse, l’exclusion des communes adjacentes peut aboutir à des situations absurdes : des maisons voisines et présentant des dommages similaires seront ou non indemnisées selon qu’elles se situent du « bon côté de la route »…

L’indice météorologique lui-même n’est pas directement mesuré, mais calculé à partir d’une modélisation numérique. On compte environ 3 000 points d’observations météorologiques (pluviométrie, vent, rayonnement du solaire…), soit environ un point de relevé pluviométrique pour trois mailles. Mais au-delà du caractère artificiel de la modélisation, les critères ont pour limite de ne s’intéresser qu’à « l’intensité » d’une sécheresse en négligeant la réalité du lien de causalité entre l’évènement naturel et les conséquences sur le bâti.

Le phénomène de retrait-gonflement des argiles présente en effet deux particularités : les dégâts sur le bâti mettent plusieurs années à se matérialiser (« cinétique lente ») et ils ne sont pas dus à un évènement ponctuel et extrême, mais à la succession de sécheresses d’ampleur forte ou modérée (retrait) entrecoupées de périodes de précipitations intenses (gonflement). La fragilisation des matériaux est progressive, sans être au départ manifeste, et les fissures surviennent quand un point de rupture est atteint sans qu’il soit possible d’isoler ou de « dater » l’évènement qui en serait la cause.

Dans ces conditions, l’exigence de rattacher les désordres constatés à une période infra-annuelle qui en serait la cause n’a pas beaucoup de sens. Alors que « les variations du volume du sol […] se réalisent sur plusieurs mois » ([13]) et qu’il est parfois difficile de les imputer à une année, les dommages ne sont censés être pris en charge que s’ils sont apparus pendant la période de trois mois faisant l’objet de l’arrêté. La Cour de cassation a ainsi jugé ([14]) que les sinistres ne sont pas indemnisables au titre d’une période reconnue Cat Nat si la sécheresse de cette période n’a fait qu’aggraver des dommages eux-mêmes dus à une sécheresse antérieure. En pratique, il peut arriver que les assureurs fassent preuve d’une certaine souplesse, comme le note la Caisse centrale de réassurance : « force est de constater que les experts rattachent les dommages à la période visée par l’arrêté, même si des fissures existaient déjà préalablement ou que les dommages se sont manifestés plusieurs années après » ([15]), mais l’application stricte du droit conduit le plus souvent à exclure les sinistres qui se sont produits « trop tôt » ou « trop tard ». De nombreux sinistrés se retrouvent « piégés » par leurs propres déclarations alors même qu’il est impossible de prouver la datation des fissures.

La base mensuelle de l’analyse météorologique peut également entraîner des paradoxes peu compréhensibles. En effet, il est possible qu’une commune soit reconnue pour la période hivernale en raison d’un mois de février relativement peu pluvieux qui n’aura pas d’effets sur la dégradation du bâti, tandis que les « pics de sécheresse », qui interviennent en août ou septembre et sont la véritable cause des sinistres futures, ne sont pas spécifiquement pris en compte. Il arrive même qu’une commune qui avait été déclarée éligible pour une période peu sèche soit rejetée quelques années plus tard pour une période plus sèche, ou inversement. Selon la Caisse centrale de réassurance (CCR), 85 % des communes éligibles au titre du printemps 2011 mais non éligibles au titre de l’été 2022 avaient pourtant subi une sécheresse plus importante en 2022.

À cause de ces critères restrictifs, le taux de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle est relativement faible. Sur la période 2011‑2021, le taux de reconnaissance moyen pour la sécheresse est de 53 %, ce qui signifie qu’à peine plus d’une commune sur deux est reconnue parmi les communes qui en ont fait la demande.

Taux de reconnaissance de l’État de catastrophe naturelle (sÉcheresse)

Source : Comité d’évaluation et de contrôle, à partir des données de la DGSCGC.

La mission des corps d’inspection retenait un taux de reconnaissance plus faible encore, de 33 %. Ce chiffre correspond en fait à la moyenne des taux annuels de reconnaissance, sans tenir compte des différences de volume traité d’une année à l’autre. Comme les années où le taux de reconnaissance est le plus bas sont aussi les années où les demandes des maires sont les moins nombreuses, cette méthode conduit à minorer la proportion réelle de demandes acceptées.

Même si le taux de non-reconnaissance de 53 % connaît aussi des limites méthodologiques, puisqu’il ne tient pas compte de la différence de taille et de sinistralité entre les communes, on peut considérer qu’environ une maison sinistrée sur deux ne pourra pas se faire indemniser à cause de l’absence de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle au niveau de la commune.

La Caisse centrale de réassurance estime qu’il y a environ 4 000 cas par an de maisons fissurées mais non indemnisées à cause de la non-reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle. Selon une étude de l’association Mission risques naturels ([16]), le nombre total de maisons sinistrées et potentiellement non indemnisées du fait de l’absence de reconnaissance serait de l’ordre de 300 000 maisons.

2.   Au stade de l’identification de la cause déterminante : un taux de « sans suite » élevé

Une fois que l’état de catastrophe naturelle est reconnu dans une commune, encore faut-il que le lien de causalité entre l’évènement naturel et les dommages constatés soit établi maison par maison pour que les sinistrés puissent être individuellement indemnisés. Aux termes du troisième alinéa de l’article L. 125-1, sont pris en charge dans le cadre du régime Cat Nat les « dommages matériels directs non assurables ayant eu pour cause déterminante » une catastrophe naturelle. La vérification de ce lien de causalité constitue ainsi un deuxième « filtre ».

Selon les chiffres de France Assureurs ([17]), le taux de sinistres « sans suite » s’élève à 53 % en moyenne ; taux qui se trouve être identique au taux de rejet, en amont, par la commission Cat Nat. Même si ces chiffres correspondent à une agrégation de données établies par les assureurs selon des méthodologies différentes, et qu’il est donc difficile de comparer ([18]), on peut estimer que moins de la moitié des sinistres déclarés dans les communes reconnues Cat Nat sont effectivement indemnisés.

Nombre de sinistres sÉcheresse (en milliers) et taux de sinistres sans suite

Source : France assureurs

Ce taux de 53 % de rejet est cohérent avec l’analyse des coûts des sinistres. 40 % des sinistres ont un coût inférieur à 1 000 €, et 49 % des sinistres ont un coût inférieur à 2 000 €, ce qui correspond en fait au coût de l’expertise – en général autour de 600 € hors taxes, mais cela peut être davantage –, qui reste à la charge de l’assureur même si l’expertise conclut à un « sans suite ».

Dans plus d’un cas sur deux, les dossiers rejetés le sont parce que l’expert n’a pas retenu la sécheresse comme « cause déterminante » du sinistre.

Ventilation des motifs de « sans suite »

Source : France assureurs

La condition tenant à la démonstration que les dommages ont bien été causés par l’évènement reconnu par l’arrêté Cat Nat est nécessaire pour éviter que soient indûment pris en charge des sinistres qui ont eu lieu par accident dans une commune couverte par l’arrêté, sans lien avec la sécheresse géotechnique (« effets d’aubaine »). C’est le cas notamment des fissures causées par des défauts de construction, mais aussi des effets superficiels de la sécheresse atmosphérique sur la façade (faïençage des enduits hydrauliques).

Or les fissures ne sont jamais dues à une cause unique. Plusieurs facteurs interviennent de manière concomitante : le retrait-gonflement du sol, la qualité de la construction, l’environnement (présence de végétaux pouvant affecter l’état hydrique du sol), un défaut d’étanchéité des réseaux d’évacuation des eaux… L’identification de la « cause déterminante » est laissée à l’expert mandaté par la compagnie d’assurance, qui dispose pour cela d’une marge d’appréciation importante pouvant donner l’impression d’une forme d’arbitraire ; et ce d’autant que les liens de dépendance économique entre l’expert et l’assureur peuvent alimenter un doute sur le caractère en principe impartial de l’expertise.

Le plus souvent, l’expert attribue les fissures à un défaut de construction. Dans un cas sur deux, ce défaut de construction est lié à l’emploi de matériaux hétérogènes qui réagissent différemment aux variations d’humidité et de température (33 %), ou à l’absence de chaînage horizontal ou vertical (19 %).

causes dÉterminantes des sinistres (hors sÉcheresse)

Source : France Assureurs

La jurisprudence a pourtant affirmé que la sécheresse pouvait être reconnue comme « cause déterminante » nonobstant l’existence d’autres facteurs ayant favorisé le sinistre :  « l’article L. 125-1 du code des assurances n’exige pas que l’agent naturel constitue la cause exclusive des dommages » ([19]). En principe, donc, la présence de défauts de construction ne fait pas obstacle à la prise en charge du sinistre par le régime Cat Nat, tant que ces défauts ne sont pas considérés comme un facteur « déclencheur » des désordres.

La contestation des rapports d’expertise vient le plus souvent d’un désaccord sur l’interprétation de l’importance respective des différents facteurs ayant concouru à l’apparition de fissures. De l’avis des associations entendues par vos rapporteures, mais aussi de plusieurs professionnels, les experts d’assurance auraient tendance à considérer de manière systématique les caractéristiques du bâti ou de son environnement comme la cause déterminante des dommages, alors qu’il s’agit de simples facteurs aggravants. Par exemple, l’absence de joint de fractionnement ([20]) entre l’habitation principale et une extension est généralement considérée par l’expert d’assurance comme la cause déterminante des fissures, alors même que ce défaut ne suffit pas à créer de désordres dans des conditions climatiques normales. De même, quand une maison est ancienne, l’expert pourra considérer par hypothèse qu’elle est mal construite, même si cette maison a vécu une centaine d’années sans le moindre désordre avant le dérèglement climatique.

Il semble que dans de nombreux cas, la désignation d’un défaut de construction comme cause déterminante soit contestable ou du moins insuffisamment justifiée. On considère en général que les défauts de construction se manifestent dans les dix premières années de vie d’un bâtiment. Si aucune fissure n’est apparue pendant la période de garantie « décennale », il est raisonnable de penser que les fondations de l’immeuble permettent d’en assurer la stabilité dans des conditions « normales » et que les désordres survenus ultérieurement n’ont pu avoir été causés que par un facteur exogène. Mais les assurés ont beaucoup de mal à faire valoir le rôle de la sécheresse géotechnique dans la dégradation de leur habitation.

Ainsi, malgré la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle, un sinistré sur deux voit son dossier refusé par l’expert, « de manière parfois discutable » ([21]).

3.   Au stade du choix des travaux : une réparation souvent peu durable

Enfin, même quand l’assureur accepte d’indemniser le sinistré, des motifs d’insatisfaction persistent quant à la solution de réparation retenue par l’assureur. Bien souvent les assureurs, suivant les recommandations de l’expert, financent des travaux sur les superstructures qui ne permettent pas de résoudre les désordres de manière durable.

Aux termes de l’article L. 125-2 du code des assurances dans sa rédaction issue de la loi Baudu, les travaux financés par l’assurance doivent en principe permettre « un arrêt des désordres existants consécutifs à l’évènement ». Malgré l’ambiguïté de cette formule, qui ne mentionne que les désordres « existants », l’obligation « d’arrêter les désordres » implique que les travaux n’aient pas qu’une dimension palliative mais qu’ils mettent un terme définitif à la dégradation du bâtiment et préviennent la réapparition des dommages (sinistres « de deuxième génération »).

La jurisprudence formule cette exigence de manière encore plus stricte, puisqu’elle fait peser sur l’assureur l’obligation de réparation « pérenne et efficace ». La Cour de cassation précise, à propos de la garantie dommages‑ouvrage, que cette obligation implique de financer les « travaux nécessaires à la non-aggravation des dommages garantis » et le cas échéant la réparation d’un sinistre de deuxième génération dans la mesure où « l’extension [du] désordre était prévisible » et où le deuxième sinistre n’aurait pas eu lieu si les travaux « avaient été suffisants » ([22]).

Or en matière de sécheresse géotechnique, les assureurs financent en général des travaux peu coûteux qui ne correspondent pas à une réparation structurelle. Selon la Caisse centrale de réassurance ([23]), le coût moyen des sinistres serait d’environ 18 000 €. Ce coût moyen tient certes compte des sinistres « sans suite », dont le coût, qui correspond au montant de l’expertise, est peu élevé (environ 600 €). Le coût moyen des sinistres effectivement pris en charge est plus élevé mais demeure relativement faible, comme le montre le tableau ci-dessous.

RÉpartition des sinistres par tranches de coÛts

Source : Comité d’évaluation et de contrôle, à partir d’une étude de la CCR portant sur 100 000 sinistres survenus entre 2000 et 2015.

Si l’on exclut les sinistres inférieurs à 1 000 €, qui couvrent a priori des dossiers « sans suite » (40 % de l’ensemble), 68 % des sinistres pris en charge ont un coût compris entre 1 000 et 20 000 euros. Ce montant correspondant, au mieux, à des travaux superficiels de type « agrafage ». De l’avis de l’ensemble des personnes entendues, assureurs compris, ces travaux ne permettent pas de résoudre les désordres de manière durable.

Seule une reprise en sous-œuvre permet de prévenir, de façon fiable, la survenance d’un sinistre de deuxième génération. Deux techniques sont aujourd’hui utilisées :

-         l’injection de résines expansives. Cette technique n’est pas infaillible, mais elle est souple et autorise des reprises partielles. Elle peut être utilement mise en œuvre pour des bâtiments légers (garage, annexe) ;

-         la pose de micropieux. Cette solution est la plus efficace, mais aussi la plus coûteuse ; elle nécessite une reprise totale afin de ne pas créer de « point dur » qui pourrait causer de nouvelles fissures aux points de jonction.

Les travaux de reprise en sous-œuvre coûtent généralement au moins 50 000 €. Selon les statistiques portant sur la période 20002015, ils représentent donc 19 % des sinistres effectivement pris en charge. Il est à noter que les sinistres « intermédiaires », compris entre 20 000 € et 50 000 €, représentent une part plus faible encore de l’ensemble (13 %) : cela reflète bien le choix « binaire » qui se présente à l’assureur  entre des travaux peu coûteux mais peu durables (agrafage) et des travaux pérennes mais très onéreux, parfois plus chers que la valeur vénale du bien sinistré.

A long terme, le choix de réaliser des travaux d’agrafage est en réalité plus coûteux pour le régime Cat Nat, parce qu’il ne permet pas de résoudre structurellement les désordres qui ne manqueront pas de réapparaître quelques années plus tard. Malheureusement, les conditions d’équilibre du régime Cat Nat sont telles qu’elles ne permettent pas, aujourd’hui, de financer la pose de micropieux dans la totalité des maisons sinistrées.

C.   LA SOUTENABILITÉ FINANCIÈRE DU RÉGIME CAT NAT COMPROMISE À MOYEN TERME

Malgré la mauvaise prise en charge des sinistres, à la fois quantitativement et qualitativement, les dépenses liées à la sécheresse sont en forte augmentation depuis 2016. Les ressources du régime Cat Nat ne permettent plus de faire face à la hausse de la sinistralité, ce qui pourrait aboutir à une intervention récurrente de l’État qui marquerait l’échec du régime Cat Nat.

1.   Alors que la sinistralité sécheresse est en forte augmentation, le financement du régime Cat Nat n’a pas évolué depuis plus de vingt ans

Le régime Cat Nat est financé par une prime additionnelle, ou « surprime », sur la prime afférente aux garanties dommages des particuliers et des professionnels. Cette surprime finance l’ensemble des risques couverts par le régime Cat Nat (inondations, séismes, avalanches…), sans possibilité de choisir d’être couvert seulement pour tel aléa ou de moduler le taux en fonction de l’exposition au risque.

Depuis 2000, le taux de la surprime est de 12 % des primes pour les biens immeubles (habitations et locaux professionnels) et de 6 % pour les véhicules terrestres. La prime moyenne (hors taxes) d’un contrat multirisque habitation (MRH) est de 260 €, mais l’assiette de la surprime est un peu plus réduite car elle porte seulement sur la prime dommages à l’exclusion des primes responsabilité civile et protection judiciaire. Concrètement, la surprime Cat Nat coûte à un particulier en moyenne 24 € par an sur son contrat MRH.

La « surprime Cat Nat » représente tous les ans un produit de 1,8 milliard d’euros, un montant relativement stable qui augmente à proportion de l’évolution du montant des contrats d’assurance. Les primes Cat Nat hors Auto représentent 93 % des primes totales, dont 57 % de primes particuliers.

ÉVOLUTION du taux et du produit de la surprime Cat Nat
(en millionS d’euros)

Source : Caisse centrale de réassurance, « Les catastrophes naturelles en France. Bilan 1982-2021 » (2022)

Non seulement le taux de surprime n’a pas évolué depuis 2000, mais l’augmentation successive du prélèvement reversé au Fonds de prévention des risques naturels majeurs (FPRNM), dit « prélèvement Barnier », a en réalité privé le régime Cat Nat d’une partie de ses recettes, sans que les mesures de prévention financées par le Fonds Barnier aient permis une baisse de la sinistralité suffisante pour compenser la diminution de ces ressources.

Comme il apparaît sur le graphique, le taux du prélèvement Barnier qui vient grever les ressources du régime Cat Nat est passé de 2,5 % lors de sa création à 4 % en 2006, 8 % en 2008 et finalement 12 % depuis 2009, année marquée par une diminution en valeur absolue du produit de la surprime.

En parallèle, à cause des effets du changement climatique, la sinistralité catastrophes naturelles augmente en tendance de manière importante, et en particulier la composante « sécheresse ».

SinistralitÉ catastrophes naturelles hors auto de 1982 à 2021
(en millions d’euros 2021)

Source : Caisse centrale de réassurance, « Les catastrophes naturelles en France. Bilan 1982-2021 » (2022)

La sécheresse, qui est traditionnellement le deuxième poste de sinistralité du régime Cat Nat (après les inondations), représente une part croissante de ses dépenses. Les sécheresses sont de plus en plus significatives, à la fois dans leur récurrence et dans leur intensité : la sécheresse de 2003 était l’évènement le plus coûteux pour le régime depuis sa création, suivi de l’ouragan Irma (2017) et de la sécheresse de 2018.

L’année 2016 marque une rupture. Alors que la sinistralité sécheresse était en moyenne de 500 millions d’euros par an sur la période 2000‑2015, elle est de plus d’un milliard d’euros par an depuis 2016. La sécheresse représente désormais un quart de la valeur des dossiers indemnisés, sinistres auto compris, et plus de la moitié en excluant les sinistres auto (non concernés par la sécheresse).

CoÛt de la sÉcheresse (en millions d’euros) et part de la sécheresse (en %) dans la sinistralitÉ Cat nat

Source : France assureurs

Après une année 2021 de faible sinistralité, la sécheresse exceptionnelle de 2022 pourrait bien prendre la place de l’évènement le plus coûteux du régime Cat Nat depuis sa création. Même si nous ne disposons à ce stade que d’estimations provisoires ([24]), le coût de la sécheresse 2022 serait de 2,9 milliards d’euros selon les dernières actualisations de la Caisse centrale de réassurance, soit la « fourchette haute » de l’estimation faite en novembre 2022 ([25]) par France Assureurs.

historique des sÉcheresses les plus coÛteuses depuis 1990

Source : Comité d’évaluation et de contrôle, à partir des données de la MRN actualisées.

Ainsi, six des neuf sécheresses les plus coûteuses depuis l’intégration du risque sécheresse au régime Cat Nat se sont produites depuis 2016. La sécheresse de 2022 est désormais l’évènement le plus coûteux pour le régime, tous risques confondus, depuis sa création.

Les simulations qui ont été faites à long terme montrent qu’il faut s’attendre à ce que les années aujourd’hui considérées comme « exceptionnelles » soient à l’avenir normales.

Selon une étude de la CCR initialement réalisée en 2018 ([26]) puis actualisée en 2020 à la demande de la mission des corps d’inspection, le coût moyen annuel de la sécheresse dans trente ans sera de 783 millions d’euros (chiffre corrigé de l’inflation), soit une hausse de 46 % par rapport aux coûts moyens de ces dernières années. Cette étude, qui combine modélisation physique des phénomènes et approche statistique, s’appuie sur les hypothèses suivantes :

-         maintien des critères d’éligibilité définis par la circulaire de 2019 ;

-         scénario le plus pessimiste du GIEC (RCP 8.5) ([27]) ;

-         baisse de la sinistralité de 1 % par an à partir de 2030 ([28]) grâce au remplacement progressif du stock de maisons anciennes par des constructions nouvelles respectant les normes de la loi Elan (voir infra, III-C-1) et de ce fait plus résilientes face au risque RGA.

Une simulation plus récente de Covéa et de Risk Weather Tech ([29]), fondée sur les mêmes hypothèses, conclut à une hausse de 60 % de la sinistralité sécheresse en 2050 par comparaison avec la période 2008-2015, avec des évolutions particulièrement fortes dans le « croissant argileux » qui s’étend du Var au Val‑de‑Loire en passant par le midi-toulousain.

Selon une étude réalisée par France Assureurs ([30]), qui part de l’hypothèse optimiste d’un réchauffement climatique de 1,5 °C, le coût de la sinistralité sécheresse va être multiplié par trois entre la période 1989-2019 et la période 2020‑2050, passant de respectivement 13,8 à 43 milliards d’euros. Sur la même période, le coût global des sinistres Cat Nat tous risques confondus serait multiplié par deux.

Ces différentes simulations sous-estiment probablement le coût réel de la sinistralité sécheresse à moyen terme, parce qu’elles raisonnent à droit constant. Or les critères d’éligibilité actuels ne permettent pas aujourd’hui de prendre en charge la totalité de la sinistralité connue. Il faut donc anticiper une double hausse de la sinistralité sécheresse, liée d’une part au réchauffement climatique et d’autre part à la réforme souhaitable des conditions d’indemnisation.

2.   La soutenabilité du régime Cat Nat est fragilisée, faisant craindre une intervention récurrente de la garantie de l’État

Le régime Cat Nat est un régime public-privé. La garantie catastrophes naturelles étant une extension obligatoire du contrat multirisque habitation, les assureurs sont en première ligne dans la gestion des sinistres. Toutefois, les assureurs peuvent se réassurer auprès de la Caisse centrale de réassurance, réassureur public ([31]) bénéficiant de la garantie illimitée de l’État, selon un traité en quotes-parts dit « proportionnel » qui signifie qu’en principe, les compagnies d’assurance et la CCR se partagent à parts égales le produit de la surprime et les charges afférentes aux sinistres.

Quand le régime est bénéficiaire, c’est-à-dire quand sur un exercice le produit de la surprime est supérieur au montant de la sinistralité, le solde correspondant à la différence entre la part des primes et la part de la sinistralité revenant à la CCR est placé en réserve. Les réserves ([32]) seront utilisées durant les exercices déficitaires.

La garantie de l’État intervient quand la sinistralité d’un exercice atteint 90 % des réserves de la CCR. Historiquement cette situation ne s’est produite qu’une fois, à la suite des tempêtes de 1999 qui surviennent elles-mêmes à la fin d’une décennie marquée par une forte sinistralité sécheresse avant la régulation permise par l’introduction du critère météorologique. L’intervention nette ([33]) de l’État avait atteint 176 millions d’euros.

Or les réserves que la CCR avait réussi à reconstituer après les tempêtes de 1999 et la sécheresse de 2003 sont en train de s’éroder à cause des sécheresses récurrentes depuis 2016.

 

ÉVOLUTION comparÉe de la sinistralitÉ sÉcheresse et des rÉserves de la CCR

Source : Comité d’évaluation et de contrôle, à partir des données fournies par la CCR.

Le graphique ci-dessus montre la forte corrélation négative entre la sinistralité sécheresse et les réserves de la CCR, ce qui confirme que le risque sécheresse est désormais le facteur déterminant de l’équilibre financier du régime Cat Nat. Les réserves de la CCR passent grossièrement de 3 milliards d’euros au début des années 2010 à 4 milliards en 2016, avant de chuter à 2 milliards d’euros en 2022, à cause des deux fortes sécheresses de 2018 et 2022.

La trajectoire financière des réserves de la CCR est préoccupante. Pour la première fois en 2022, le coût de la sécheresse – sans parler des autres aléas climatiques – est supérieur au montant des réserves disponibles, qui ne sont plus que de 2 milliards d’euros. Encore deux sécheresses comme celle de 2018 ou 2022, et la garantie de l’État devra être activée.

Une intervention de la garantie de l’État pour un risque qui n’a plus rien d’exceptionnel signifierait un échec du régime Cat Nat. En effet, sauf année exceptionnelle la CCR est censée accumuler des réserves pour faire face le moment venu à des catastrophes réellement majeures telles qu’un séisme dans la région de Nice (coût estimé à 10 à 13 milliards d’euros) ou une crue centennale de la Seine (coût de 9 à 24 milliards d’euros). La non-adaptation du régime Cat Nat à la prise en charge de la sinistralité sécheresse compromet donc sa capacité à assumer sa mission plus générale de prise en charge des catastrophes naturelles.

Du côté des assureurs privés, le « résultat technique », c’est-à-dire la différence entre les primes perçues et les charges afférentes (sinistralité, frais d’acquisition, frais d’administration, coût de la réassurance), est désormais déficitaire depuis 2015. Selon les informations transmises par France Assureurs, le résultat technique présente un déficit cumulé de 1 562 millions d’euros sur la période 2015‑2021. Ce déficit sera plus important encore quand les chiffres de l’année 2022 y seront intégrés.

 

donnÉes financiÈres du rÉgime cat nat depuis 2010 (millions d’euros)

Exercice

Primes

Sinistralité

Ratio

sinistres /

primes

Frais de gestion

(FDG)

Ratio S/P avec FDG

Réserves CCR

sécheresse

autres

totale

2010

1 360

36

1 375

1 411

104 %

272

124 %

3 030

2011

1 425

749

314

1 062

75 %

285

95 %

2 938

2012

1 494

174

191

365

24 %

299

44 %

3 434

2013

1 526

8

393

401

26 %

305

46 %

3 798

2014

1 560

20

713

734

47 %

312

67 %

3 932

2015

1 589

78

694

772

49 %

318

69 %

4 110

2016

1 597

846

1 153

1 999

125 %

319

145 %

4 277

2017

1 605

1 025

2 326*

3 351

209 %

321

229 %

4 208

2018

1 618

1 540

838

2 378

147 %

324

167 %

3 088

2019

1 676

9 79

826

1 806

108 %

335

128 %

3 135

2020

1 747

1 193

502

1 695

97 %

349

117 %

3 135

2021

1 802

2 14

536

750

42 %

360

62 %

2 970

2022

1 844

2 800

348

3148

171 %

369

191 %

2 184

Source : Comité d’évaluation et de contrôle, à partir des données fournies par la CCR.

* sinistralité due à l’ouragan Irma.

Si le résultat technique des assureurs depuis la création du régime Cat Nat était encore positif jusqu’en 2021 (+ 132 millions d’euros en vingt ans), le fort dynamisme des dépenses pourrait rendre la branche Cat Nat structurellement déficitaire, avec le risque que les assureurs refusent de couvrir les biens les plus exposés au risque de retrait-gonflement des argiles et que certains propriétaires se retrouvent sans assurance MRH ([34]).

 

 

 

II.   ADAPTER LE FONCTIONNEMENT GÉNÉRAL DU RÉGIME CAT NAT POUR PERMETTRE UNE MEILLEURE INDEMNISATION DU RISQUE SÉCHERESSE TOUT EN VEILLANT À SON ÉQUILIBRE FINANCIER

Du fait de ces contraintes de soutenabilité financière, une réforme du fonctionnement du régime Cat Nat visant à mieux tenir compte des conséquences du risque sécheresse devra nécessairement être globale et comprendre à la fois :

-         une réforme des critères de reconnaissance et d’éligibilité, dans le sens d’un élargissement et d’une simplification (A) ;

-         une réforme du financement du régime Cat Nat, pour pouvoir supporter les dépenses qui naîtront d’une meilleure prise en charge (B).

A.   SIMPLIFIER ET ASSOUPLIR L’ARRÊTÉ DE RECONNAISSANCE CAT NAT

De prime abord, une réforme des conditions de prise en charge du risque sécheresse pourrait prendre plusieurs formes. Plutôt qu’une sortie pure et simple du régime Cat Nat ou qu’une suppression de l’arrêté préalable, vos rapporteures souhaitent réformer l’arrêté en l’assouplissant et en lui conférant une valeur de présomption de causalité.

1.   Une sortie du risque Sécheresse du régime Cat Nat n’est pas envisageable

Aucune personne auditionnée n’a sérieusement envisagé une sortie du risque Sécheresse du régime Cat Nat. Cette hypothèse mérite néanmoins d’être évoquée, car elle aurait l’intérêt d’une certaine cohérence et constituerait une réponse radicale à la fois aux critiques portant sur la procédure, forcément lourde et complexe, qu’impose le régime Cat Nat, et aux difficultés relatives à sa soutenabilité financière.

a.   La place du risque sécheresse dans le régime Cat Nat ne va pas de soi

D’un point de vue conceptuel, la place du risque sécheresse au sein du régime Cat Nat ne va pas de soi. Le régime des catastrophes naturelles est en principe prévu pour des évènements présentant un caractère soudain, imprévisible, massif et irrésistible. Or comme le note le rapport de la Cour des comptes, « le retrait‑gonflement des argiles n’est pas un phénomène soudain, puisqu’il est le fruit d’évolutions géologiques et climatiques qui peuvent se dérouler sur plusieurs années. Il n’est pas non plus imprévisible, les facteurs de risque étant, depuis longtemps, identifiés. Il n’est pas non plus massif, en ce qu’il n’est pas concentré sur un territoire réduit et dans une période de temps limité, comme peut l’être un cyclone ou une inondation […] Il n’est, de surcroît, pas irrésistible, en ce qu’existent des mesures de prévention susceptibles d’en limiter les conséquences sur le bâti. Dès lors, la question d’un retrait du RGA du régime Cat Nat peut légitimement être posée. » ([35])

C’est pour cela qu’à l’origine le risque sécheresse ne faisait pas partie du régime Cat Nat. Il n’y a été ajouté qu’en 1989, par analogie avec les mouvements de terrain qui étaient déjà couverts et auxquels les phénomènes de retrait‑gonflement étaient en quelque sorte assimilés. Depuis, tandis que les mouvements de terrain sont restés un poste de sinistralité marginal, la sécheresse géotechnique est devenue le principal risque couvert par le régime Cat Nat avec les inondations.

Le caractère évolutif des dommages liés à la sécheresse (d’abord de petites fissures qui deviennent des lézardes), le décalage dans le temps entre la survenance de l’évènement et l’apparition des effets, et tout simplement l’impossibilité de rattacher l’apparition des fissures à une cause et une période déterminées plaideraient pour la sortie du risque du régime Cat Nat, dont la vocation est de prendre en charge des « évènements » naturels au sens strict, c’est-à-dire des phénomènes dont la survenance est immédiate et les effets manifestes.

Notons d’ailleurs que la sécheresse n’a jamais été intégrée au Fonds de prévention des risques naturels majeurs, dit Fonds Barnier, précisément parce qu’elle ne constitue pas un risque « majeur » au sens où elle n’est pas cause de mortalité.

b.   Le maintien du risque Sécheresse dans le régime Cat Nat est la seule façon de s’assurer qu’il soit pris en charge

Le maintien du risque sécheresse dans le régime Cat Nat, quoiqu’en partie artificiel, n’en est pas moins la seule solution acceptable, sauf à renoncer à toute indemnisation de ce risque. En effet, ce risque est par nature « inassurable » et ne peut donc être laissé aux mécanismes de marché. C’est précisément parce qu’ils sont inassurables que certains risques naturels ont été inclus dans un régime public‑privé (à l’exclusion d’autres risques comme la grêle ou la tempête ([36])), comme l’explique la circulaire ayant instauré la commission Cat Nat : « la loi n’est pas appelée à intervenir là où une garantie peut être souscrite normalement auprès d’un assureur et mise en jeu en cas de sinistre » ([37]).

Pour qu’un risque soit « assurable » par le secteur privé, il faut qu’il présente un caractère aléatoire : l’assurance n’assure pas ce qui est certain. Or le risque de retrait-gonflement des argiles n’est pas vraiment aléatoire, puisqu’il est quasiment certain dans les zones « rouges » de la carte BRGM alors qu’il est pratiquement nul à d’autres endroits. Dans ces zones « rouges », la prime d’assurance devra être tellement élevée pour tenir compte de la probabilité élevée de réalisation du risque, que cela reviendrait économiquement à une absence d’assurance. Il a d’ailleurs été dit à vos rapporteures que les assureurs, à défaut de pouvoir agir directement sur le taux de la surprime, commençaient à moduler les tarifs de la garantie multirisque habitation en fonction du niveau d’exposition au risque RGA.

La mutualisation du risque entre des personnes situées dans des zones fortement exposées et des personnes « épargnées » est donc nécessaire pour les personnes exposées ne soient pas purement et simplement exclues du système assurantiel. Grâce à ses deux principes fondamentaux de solidarité (taux unique quelle que soit l’exposition au risque) et d’universalité (caractère obligatoire), seul le régime Cat Nat est à même d’opérer une mutualisation entre les personnes exposées au risque sécheresse et les personnes exposées au risque inondation.

Si le risque sécheresse était sorti du régime Cat Nat, les assurés qui bénéficiaient auparavant de la garantie sécheresse ne voudront plus continuer à payer pour une garantie inondation qui ne les concerne pas forcément. L’acceptabilité de la surprime Cat Nat repose sur son caractère universel, sur son refus des particularismes ; si le « pilier sécheresse » disparaissait, l’ensemble du régime Cat Nat serait déstabilisé et risquerait la dislocation.

La seule hypothèse envisageable de sortie du régime Cat Nat serait la prise en charge de la sinistralité sécheresse par un fonds de solidarité nationale ad hoc. Si cette solution n’est pas souhaitable pour l’ensemble de la sinistralité future, elle pourrait en revanche être mise en œuvre pour une partie du stock (voir infra, III. C. 3).

2.   Maintenir la condition préalable de l’arrêté Cat Nat sous réserve d’en faire découler une présomption en faveur de l’assuré

Tout en maintenant le risque sécheresse dans le régime Cat Nat, la suppression de l’arrêté interministériel comme condition préalable à l’examen des dossiers par l’assureur est une solution qui résoudrait les difficultés liées à la procédure et aux critères d’éligibilité, mais pourrait en contrepartie renforcer le « deuxième filtre » lié à la démonstration du lien de causalité. Le maintien de l’arrêté Cat Nat ne peut être justifié que s’il ne constitue pas un « premier filtre » mais une présomption facilitant la prise en charge dans les communes reconnues.

a.   La proposition de supprimer l’arrêté préalable et d’instaurer un « recours direct » est séduisante

La nécessité de faire reconnaître l’ensemble de la commune avant qu’un habitant puisse prétendre se faire indemniser engendre des délais, de la complexité et de l’incompréhension chez les sinistrés déçus de voir leur demande individuelle refusée alors que la demande portée par le maire avait été acceptée. Sur le fond, la reconnaissance préalable au niveau de la commune n’est pas forcément pertinente à cause de l’absence de lien entre le découpage administratif de la commune et le découpage des unités territoriales utilisées pour l’évaluation du critère météorologique.

L’arrêté interministériel pourrait donc sembler superflu, d’autant qu’il ne dispense pas ensuite d’une analyse, maison par maison, du lien de causalité réel entre les dommages constatés et le phénomène de retrait‑gonflement des argiles. Une étude directe au cas par cas permettrait de mieux constater la réalité du lien de causalité et en tout cas de réintégrer dans le processus les biens sinistrés qui en avaient été a priori exclus en raison d’une absence de reconnaissance interministérielle.

La proposition audacieuse de supprimer l’arrêté Cat Nat, ou d’en minorer l’importance, a d’abord été formulée par le rapport – non public – des inspections. Selon la mission des corps d’inspection, il faut « prendre en compte les conséquences exceptionnelles du phénomène, c’est-à-dire les dommages sur le bâti, et s’affranchir de l’appréciation du caractère exceptionnel de la cause » (la sécheresse). Les inspections proposent donc de supprimer l’arrêté interministériel et de rattacher les sinistres au régime Cat Nat, indépendamment de la commune, quand il a été démontré qu’ils ont eu pour cause déterminante un phénomène de retrait‑gonflement des argiles. Cela se traduirait par un mécanisme de « recours direct » devant l’assureur, sans intervention de la commission interministérielle, et par une appréciation de la cause déterminante par « une expertise in situ, bien par bien, par un expert d’assurance ».

Pour maîtriser les effets d’aubaine et limiter les demandes abusives, le coût de l’expertise serait laissé à la charge de l’assuré si l’expertise concluait à une absence de lien de causalité entre le sinistre déclaré et la sécheresse géotechnique.

Comme solution intermédiaire, mais moins satisfaisante, les inspections proposent aussi un mécanisme de « seconde chance ». L’arrêté préalable ne serait pas supprimé mais un recours serait possible devant la commission Cat Nat, après un premier refus au niveau de la commune, avec cette fois une analyse in concreto au niveau du bien sinistré. Cette solution a le mérite de préserver le formalisme procédural commun à tous les risques pris en charge par le régime Cat Nat et de moins « heurter » son fonctionnement. En pratique, elle introduirait davantage de complexité, avec la nécessité d’une première décision interministérielle de non‑reconnaissance, puis la visite d’un expert, avant un nouvel examen de la commission interministérielle établissant une liste individuelle de tous les biens éligibles à l’intérieur des communes non éligibles, et ce sans garantie qu’ils n’en soient finalement exclus à l’issue d’une étude plus approfondie.

Une autre solution de compromis consisterait à maintenir l’arrêté Cat Nat, mais à supprimer du champ de son analyse l’un des deux critères : soit le critère géologique, en considérant que les études de sol et les cartes disponibles permettent de déterminer de manière plus « spécifique » si tel bien est situé sur une zone argileuse ; soit le critère géotechnique, en considérant que les simulations de Météo‑France ne seront jamais aussi exactes qu’une mesure locale, avec toutefois cette limite que la méthode actuelle nécessite non seulement les données à un moment t mais aussi l’historique des cinquante dernières années.

b.   Les arguments contre la solution d’un « recours direct » peu convaincants

Les personnes qui s’opposent à l’instauration d’un « recours direct » avancent trois raisons : la nécessité de reconnaître un « état » de catastrophe naturelle ; la nécessité que cette reconnaissance soit faite par l’État ; enfin, et en réalité, la nécessité d’un « filtre » pour préserver la soutenabilité du régime Cat Nat.

i.   La reconnaissance préalable d’un « état » de catastrophe naturelle est artificielle en ce qui concerne le risque sécheresse

Le premier argument est un argument de principe. L’indemnisation par le régime Cat Nat suppose la reconnaissance d’un « évènement » identifiable dans l’espace et dans le temps. Si l’arrêté Cat Nat est supprimé, l’indemnisation des sinistres est indépendante d’un évènement, donc d’un aléa. La suppression de l’arrêté Cat Nat reviendrait à admettre que la quasi‑totalité du territoire est en permanence soumise à ce risque dont la réalisation est presque certaine, ce qui tendrait à l’exclure de tout dispositif d’assurance au profit d’un mécanisme de solidarité nationale, solution qui n’est d’ailleurs pas écartée par vos rapporteures pour le stock qui échappe aux critères classique (voir infra, III-C-3).

Cet argument formaliste consiste à se borner à considérer que la sécheresse fait partie du régime des catastrophes naturelles, et à en tirer les conséquences de procédure en faisant « comme si » elle présentait toutes les caractéristiques d’une « vraie » catastrophe naturelle – ce qui n’est pas le cas.

ii.   L’appréciation du lien de causalité est déjà laissée à un tiers privé

Plusieurs acteurs objectent qu’un recours direct impliquerait de déléguer à un tiers la reconnaissance d’un phénomène qui fait jouer la solidarité nationale et donc l’argent public.

Il est certes légitime que le caractère anormal de l’évènement soit apprécié de la même manière sur l’ensemble du territoire. Mais en pratique ce sont déjà les experts d’assurance qui, in fine et sans aucun contrôle externe (voir infra, III-B-2), déterminent si tel sinistre a été causé par la sécheresse reconnue à l’échelle de la commune.

Dans la mesure où l’arrêté Cat Nat n’a pas tant pour effet de forcer à l’indemnisation des sinistrés dans les communes reconnues que d’exclure définitivement les sinistrés des communes non reconnues, l’argument selon lequel il serait la garantie d’une indemnisation équitable n’est pas un argument de bonne foi. L’arrêté Cat Nat ne confère positivement aucun droit à l’assuré : il s’agit en pratique d’un « premier filtre » qui ne supprime pas le second. Il est d’ailleurs curieux que les assureurs mettent en avant le caractère impartial et indépendant des experts qu’ils mandatent quand il s’agit de répondre aux critiques sur le caractère contestable de l’expertise, mais se méfient du pouvoir discrétionnaire qui serait laissé à ces mêmes experts quand est évoquée l’idée de supprimer l’arrêté Cat Nat…

iii.   Le refus des conséquences financières d’un recours direct revient à assumer le choix de ne pas indemniser les sinistrés

La véritable raison, plus ou moins assumée, au refus d’un recours direct tient au coût que cela entraînerait pour le régime Cat Nat. La Cour des comptes émet ainsi des réserves tenant aux « effets de rattrapage délicats à prendre en compte et [aux] coûts correspondants » ([38]). La création d’un recours direct donnerait en effet la possibilité à de nombreux sinistrés en communes non reconnues de se faire indemniser alors qu’ils n’avaient jamais eu l’occasion de présenter un dossier, possibilité qui, selon vos rapporteures, n’est pas tant inquiétante pour la soutenabilité financière du régime que pour la situation de ces personnes dont on admet, en pointant les risques d’accroissement de la sinistralité, qu’elles n’ont jamais été indemnisées comme elles l’auraient dû.

Le fonctionnement originel de la prise en charge du risque sécheresse était proche, en pratique, de ce qu’il serait aujourd’hui en cas de « recours direct ». Durant les dix premières années de l’existence du « risque sécheresse », en effet, le critère météorologique n’existait pas. À l’époque, presque toutes les communes qui en faisaient la demande étaient reconnues, à l’exception de celles qui ne satisfaisaient pas le critère géotechnique (3 % d’argiles gonflantes).

En 2000, alors que les tempêtes de l’année précédente avaient nécessité l’activation de la garantie de l’État, a été ajouté un critère météorologique pour « filtrer » les demandes des communes et réduire la sinistralité sécheresse. De fait, l’adjonction du critère météorologique a brutalement réduit le taux de reconnaissance malgré des sécheresses a priori plus fortes les années suivantes.

ÉVOLUTION du Nombre de communes reconnues sÉcheresse

Source : CCR, « Les catastrophes naturelles en France 1982-2021 » (2022)

Mais le caractère trop restrictif des nouveaux critères a eu pour effet d’exclure beaucoup de biens sinistrés, y compris des biens gravement affectés par la sécheresse exceptionnelle de 2003. Prenant acte des insuffisances du nouveau critère, les pouvoirs publics ont été obligés d’établir un critère alternatif provisoire spécialement conçu pour couvrir la sinistralité de la sécheresse de 2003, ce qui explique le « pic » ([39]) constaté sur le graphique pour cet exercice. Les sécheresses suivantes, en revanche, pâtissent d’un déficit de reconnaissance lié à l’application d’un critère météorologique trop strict ou trop grossier.

L’argument selon lequel un recours direct « coûterait cher » peut paraître fallacieux : les dépenses supplémentaires correspondraient à des indemnités légitimement versées à des assurés n’ayant pas la chance d’habiter en commune « reconnue ». À l’inverse, refuser la création d’un recours direct pour des raisons financières, c’est assumer le choix de la non‑indemnisation et admettre que la sauvegarde du régime Cat Nat dépend de sa faculté à ne pas remplir sa mission.

De plus, un mécanisme de recours direct aurait aussi pour effet de diminuer le stock de biens sinistrés. À long terme, le coût du recours direct serait donc neutralisé. Il s’agit en ce sens de l’anticipation d’une dépense future, dépense qui serait sans doute plus importante si elle était prise en charge de manière tardive.

c.   Le maintien de l’arrêté Cat Nat a du sens si celui-ci constitue une présomption en faveur de l’assuré

Actuellement la reconnaissance par l’État n’a pas vraiment de portée puisqu’elle n’est pas contraignante.

Vos rapporteures ne soutiennent pas qu’une suppression de l’arrêté préalable soit nécessaire. En revanche, le maintien de cet arrêté – avec les contraintes qu’il implique – n’a de sens que s’il ne vise pas seulement à exclure les communes non reconnues, mais aussi à reconnaître positivement des droits aux habitants des communes reconnues, sous la forme d’une présomption de causalité pour les sinistres survenus sur un territoire en état de catastrophe naturelle. Le « premier filtre » aurait ainsi pour effet de diminuer l’efficacité du second.

Cette présomption ne serait qu’une présomption simple (réfragable), c’est-à-dire susceptible d’être contredite par la démonstration du contraire. L’expert d’assurance aurait toujours la possibilité d’écarter un sinistre s’il est manifeste qu’il n’a pas de lien avec l’évènement qui fait l’objet d’une reconnaissance Cat Nat.

Proposition n° 1 :

Conférer à l’arrêté Cat Nat une réelle portée en y associant une présomption simple de causalité entre l’évènement reconnu au titre de la sécheresse et les sinistres survenus dans la commune concernée.

 

3.   Les critères de l’arrêté Cat Nat doivent être améliorés

Le maintien de l’arrêté Cat Nat suppose en outre que les critères utilisés soient améliorés pour être mieux corrélés à la survenance de dommages sur le bâti. C’est précisément le sens de l’habilitation conférée au Gouvernement par l’article 161 de la loi n° 2022‑2017 du 21 février 2022 dite « loi 3DS » et visant à « améliorer la prise en charge des conséquences exceptionnellement graves sur le bâti » des désordres causés par le phénomène de retrait-gonflement des argiles.

En plus de l’adjonction dans le code des assurances d’un critère de reconnaissance alternatif, comme le prévoit l’ordonnance finalement publiée le 8 février 2023, il serait nécessaire de réformer la circulaire de 2019 pour ajuster le critère traditionnel et d’atténuer les « effets de bord » liés aux limites spatiales et temporelles de son application.

a.   Ordonnance du 8 février 2023 : l’ajout d’un critère météorologique alternatif axé sur la fréquence des sécheresses

La loi d’habilitation du 21 février 2022 prend acte des « spécificités » du phénomène de retrait‑gonflement des argiles au sein du régime Cat Nat et du caractère inadapté des critères actuels. Elle propose d’apprécier « l’intensité anormale de l’agent naturel », condition fondamentale de toute indemnisation au titre du régime Cat Nat, non plus seulement à partir de l’intensité de l’évènement climatique sous-jacent mais à partir de l’intensité de ses effets. Aux termes de l’article d’habilitation, les sinistres sécheresse devraient pouvoir être indemnisés indépendamment de l’intensité de la sécheresse elle-même « dès lors qu’il en résulte, pour les assurés, des conséquences directes provoquant des désordres d’une gravité exceptionnelle ».

La bascule d’une logique de la cause à une logique des conséquences pose la question de la pertinence du maintien de l’arrêté Cat Nat, qui se borne à reconnaître l’intensité d’un évènement indépendamment de ses effets concrets, laissés à l’appréciation de l’expert d’assurance. Selon les inspections, la prise en compte des effets plutôt que des causes avait pour conséquence logique de supprimer l’arrêté Cat Nat.

La question du maintien de l’arrêté Cat Nat comme condition préalable à toute indemnisation au titre de la sécheresse s’est naturellement posée lors des discussions interministérielles préalables à l’élaboration du projet d’ordonnance. Faute de consensus, le gouvernement a finalement préféré maintenir l’arrêté interministériel et proposer la création d’un deuxième critère météorologique qui devrait augmenter significativement le taux de reconnaissance des communes.

C’est ainsi que l’article 1er de l’ordonnance du 8 février 2023 insère à l’article L. 125-1 du code des assurances un critère alternatif lié à la « succession anormale d’évènements de sécheresse d’ampleur significative ». Avec ce nouveau critère, le caractère anormal de l’évènement n’est donc dans son intensité intrinsèque – une ampleur « significative » suffirait – mais dans sa fréquence. Une commune pourra donc être reconnue soit en raison d’une sécheresse unique très intense, soit en raison d’une succession de sécheresses d’intensité moindre.

Ce deuxième critère permettra effectivement de mieux prendre en compte la réalité des dommages causés par la sécheresse sur le bâti, car la répétition de plusieurs sécheresses « moyennes » peut créer autant de désordres qu’une sécheresse aiguë, surtout si la séquence de sécheresses est entrecoupée de fortes précipitations accentuant le phénomène de « gonflement ». Selon un ordre de grandeur donné en audition par la direction générale du Trésor, ce critère devrait entraîner une hausse de la sinistralité d’environ 100 millions d’euros par an ; le montant réel dépendra de la définition plus ou moins large de la notion de « succession anormale » et d’ampleur « significative ».

Comme pour le critère météorologique classique, le deuxième critère météorologique sera techniquement défini par une circulaire. Concrètement, la notion de « succession anormale » se traduira par un certain nombre d’occurrences sur une période, sans qu’il soit nécessaire que ces occurrences soient strictement consécutives. L’intensité de chaque sécheresse sera appréciée en fonction d’une durée de retour, par construction plus courte que celle qui permet de caractériser une sécheresse en soi « anormale ». Par exemple, la survenance de quatre sécheresses de niveau quinquennal (durée de retour de cinq ans) en dix ans permettrait de caractériser une « succession anormale », car statistiquement des sécheresses de cette intensité ne devraient se produire que deux fois sur cette période.

Proposition n° 2 :

Ratifier sans modification le 1° de l’article 1er de l’ordonnance du 8 février 2023 prévoyant l’ouverture d’un deuxième cas d’indemnisation en cas de « succession anormale » de sécheresses d’ampleur significative.

b.   Le critère météorologique classique doit être simplifié et rendu plus pertinent

L’ouverture dans la loi d’un deuxième cas d’indemnisation en fonction de la « succession anormale » ne doit toutefois pas dispenser d’une réforme de la circulaire définissant le critère classique de la sécheresse unique d’intensité anormale.

Dans tous les cas, un critère météorologique doit comprendre une mesure de l’intensité (aujourd’hui le taux d’humidité des sols) et un seuil d’exceptionnalité. Il serait tentant d’instaurer des seuils fixes, des valeurs absolues au-delà desquelles la sécheresse serait réputée suffisamment exceptionnelle pour causer des dommages (comme cela existe pour les canicules). Mais les seuils retenus pourraient paraître arbitraires d’autant que, vu les effets du changement climatique, ils seraient rapidement « dépassés ». La caractérisation du seuil « d’anormalité » en fonction d’une durée de retour, c’est-à-dire d’un niveau de « rareté », présente un caractère dynamique plus pertinent et davantage conforme à l’esprit du régime Cat Nat.

La complexité liée à l’existence de douze critères consécutifs glissants par an et la mauvaise corrélation entre ces critères et l’apparition des dommages pourraient être corrigées en modifiant la période d’analyse du critère météorologique et la durée de retour.

Dans le cadre des travaux qu’elle mène avec le Gouvernement conformément à sa nouvelle mission inscrite à l’article L. 125-1 du code des assurances ([40]), la Caisse centrale de réassurance a émis une proposition précise de réforme du critère météorologique. Cette proposition consisterait à :

-         réduire la durée de retour de 25 ans à 10 ans (« critère décennal ») ;

-         annualiser l’analyse de l’indice d’humidité des sols ;

-         maintenir le critère géotechnique mais étendre la reconnaissance aux communes limitrophes en ayant fait la demande.

Concrètement, la nouvelle méthode consisterait à retenir un seul taux d’humidité des sols pour l’ensemble de l’année et à comparer ce résultat aux données des années précédentes. Un taux d’humidité des sols serait considéré comme « anormal » s’il compte parmi les cinq plus bas (sécheresse de rang 1 à 5) des cinquante dernières années. Cette durée de retour de « dix ans » n’est pas arbitraire : il s’agit déjà du niveau de rareté exigé pour les inondations ; le passage à dix ans pour la sécheresse permettrait au moins un gain de cohérence.

Si l’on considère séparément ces modifications proposées, la réduction de la durée de retour et l’extension aux communes limitrophes ont pour effet d’augmenter le taux de reconnaissance, tandis que l’allongement de la durée d’analyse du critère le diminue. À long terme et hors effets du changement climatique, le passage d’une durée de retour de 25 ans à une durée de retour de 10 ans multiplie par deux et demi le nombre de sécheresses reconnues : cinq sécheresses sont reconnues tous les cinquante ans au lieu de deux actuellement. Selon Météo-France, deux fois plus de mailles (63 % au lieu de 32 %) auraient été éligibles en 2019 si une durée de retour de 10 ans avait été retenue.

Taux de satisfaction du critÈre mÉtÉorologique selon la durÉe de retour

Source : Météo-France

À l’inverse, l’annualisation du critère météorologique a pour effet de diminuer le taux de reconnaissance annuel, car l’analyse se ferait à partir d’un taux d’humidité des sols unique pour l’année au lieu d’un taux d’humidité des sols par saison. La commune n’aurait donc plus qu’une « chance » de se faire reconnaître tous les ans contre quatre actuellement (même si, de fait, toutes les saisons ne présentent pas les mêmes « chances »).

Toutefois, une annualisation du critère météorologique n’affecterait pas seulement le taux d'éligibilité, mais aussi la distribution du taux d’éligibilité entre les périodes considérées. L’annualisation de l’analyse aboutirait à une meilleure identification des « pics » de sécheresse sur une année, mais à une moindre reconnaissance des sécheresses en saisons « humides ». Selon la Caisse centrale de réassurance, cela permettrait de cibler l’analyse sur les périodes de sécheresse absolue tout en écartant les sècheresses relatives à un mois particulier, et donc en théorie une meilleure corrélation avec la sinistralité future (les sinistres ne sont pas causés par un mois de février peu pluvieux).

Conjuguée à un abaissement de la durée de retour, l’annualisation du critère météorologique augmenterait donc le taux de reconnaissance pour les années de forte sécheresse ([41]) et le diminuerait pour les années de faible sécheresse (2021), conformément à l’esprit du régime Cat Nat qui vise la prise en charge des évènements extrêmes.

Comparaison du taux de reconnaissance avec le critÈre actuel
et avec le critÈre « dÉcennal »

Source : Caisse centrale de réassurance.

Au total, sur la période 2016‑2022 et selon ses propres calculs, la réforme proposée par la CCR aurait amélioré le taux de reconnaissance de 7 % et le taux de sinistralité de 5 % ([42]). 80 % des communes ayant déposé un recours sur la période 2015‑2020 pour contester la décision de non‑reconnaissance auraient été reconnues au moins une fois par application du critère réformé.

Selon vos rapporteures, ces chiffres correspondent à un niveau d’ambition équilibré entre l’exigence de mieux prendre en charge les sinistres et la contrainte de maîtrise des coûts pour le régime Cat Nat.

L’annualisation du critère météorologique permettrait en outre une nette simplification : comme l’analyse météorologique, la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle pourra porter sur la totalité de l’année, ce qui représentera un gain de lisibilité et d’énergie administrative. L’élargissement de la période de reconnaissance facilitera aussi la prise en charge du dossier par les assureurs en limitant les effets de calendrier.

En revanche, pour que l’analyse annuelle entraîne effectivement une meilleure corrélation entre la reconnaissance et la sinistralité, il faudrait que les modalités de calcul de l’indice ne produisent pas une « compensation » entre les périodes sèches et les périodes humides de l’année. Si l’on se contente de passer d’un taux d’humidité des sols (SWI) « moyenné » sur trois mois glissants, comme c’est le cas actuellement, à un SWI moyenné sur les douze mois de l’année civile, les sécheresses de l’été seront neutralisées par les pluies de l’hiver. Les années reconnues par le critère seraient donc les années relativement uniformes, sans « pics » de pluies ou de sécheresses. Or c’est précisément la succession de précipitations et de sécheresse qui produit le phénomène de « retrait‑gonflement ». Le nouveau critère devrait prendre en compte les variations et les valeurs extrêmes plutôt que les moyennes, par exemple en agrégeant les données sur deux échelles distinctes (précipitations et sécheresse) qui ne se compensent pas.

 

Proposition n° 3 :

Améliorer la pertinence et l’efficacité du critère météorologique :

- diminuer la durée de retour de 25 ans à 10 ans pour augmenter le taux de reconnaissance et aligner le régime sécheresse sur le régime inondations ;

- annualiser l’analyse du critère météorologique, en prenant en compte les valeurs extrêmes pour éviter une compensation entre les périodes sèches et les périodes humides.

Parallèlement à l’amélioration réglementaire du critère météorologique, l’ajustement des outils de mesure doit être poursuivi. Le nouveau Contrat d’objectifs et de performance défini entre l’État et Météo‑France pour la période 2022‑2026 prévoit un resserrement de la « maille » qui sert d’unité géographique de base aux travaux de Météo‑France. Grâce à des progrès de puissance de calculs, la maille devrait passer d’ici 2026 de 8 km à 1,5 km de côté (nouveau module « Arome » qui viendrait remplacer le module Safran) ce qui permettra une modélisation plus fine.

Le resserrement de la maille pourrait néanmoins poser des difficultés de comparaison entre les données nouvelles et les données anciennes, comparaison nécessaire pour l’établissement de la durée de retour.

En outre, le resserrement de la maille augmentera mécaniquement le nombre moyen de mailles par commune, tout en diminuant le nombre moyen de communes traversées par chaque maille. Une étude détaillée devra donc être conduite pour évaluer l’incidence du resserrement de la maille sur le taux de reconnaissance.

 

Proposition n° 4 :

Préparer le resserrement de la « maille » qui sert d’unité géographique à Météo-France de 8 km à 1,5 km de côté en étudiant son incidence sur le taux de reconnaissance des communes.

c.   Étendre la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle dans l’espace et dans le temps pour limiter les effets de bord

Les modalités d’application des critères dans l’espace et dans le temps doivent également être améliorées. Actuellement plusieurs « effets de bord » font obstacle à une prise en charge satisfaisante des sinistres : exclusion des maisons fissurées « de l’autre côté de la route » au motif qu’elles appartiennent à une commune différente et non reconnue ; exclusion des maisons dont les fissures sont apparues un peu avant ou un peu après le début ou la fin de la période de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle.

i.   Mettre fin à l’effet de frontière : reconnaître à titre auxiliaire et sous certaines conditions les communes limitrophes

En ce qui concerne « l’effet de frontière » : l’extension du bénéfice de la reconnaissance aux communes adjacentes proposée par la Caisse centrale de réassurance devrait y mettre fin, même si cette solution ne résoudra pas la problématique des « veines argileuses » isolées au sein d’une commune elle-même isolée des communes reconnues Cat Nat.

Pour éviter que cette solution aboutisse à multiplier par trois ou quatre le nombre de communes reconnues, sans discernement, et à ce qu’il y ait davantage de communes reconnues à titre secondaire que de communes remplissant effectivement les critères – ce qui nuirait à la crédibilité et à la cohérence de l’ensemble du processus – plusieurs restrictions peuvent être posées :

-         les communes reconnues de façon subsidiaire doivent avoir déposé une demande de reconnaissance pour la même année que la commune reconnue à titre principal ;

-         seules peuvent être reconnues de façon subsidiaire les communes limitrophes dont la superficie est inférieure à celle de la commune reconnue à titre principal ;

-         la présomption simple de lien de causalité entre l’évènement et les sinistres (proposition n° 1) ne s’étend pas aux communes adjacentes.

 

Proposition n° 5 :

Étendre aux communes limitrophes dont la superficie est inférieure à celle de la commune principale le bénéfice de la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle, à condition qu’elles aient elles-mêmes déposé une demande de reconnaissance pour la même année. La présomption de lien de causalité (proposition n° 1) qui vaut pour les communes reconnues à titre principal ne s’étendrait pas aux communes ainsi reconnues à titre subsidiaire. Les maisons frontalières situées dans les communes limitrophes d’une superficie supérieure pourront être éligibles au régime Cat Nat à condition de démontrer la présence d’argiles au moyen d’une étude de sol.

ii.   Interpréter avec plus de souplesse le lien de temporalité entre la période de reconnaissance et l’apparition des fissures

L’extension de la période de reconnaissance d’un trimestre à une année, corollaire de l’annualisation du critère météorologique, serait déjà de nature à limiter les « effets de calendrier » liés au fait que les dommages ont pu apparaître un peu avant ou un peu après la période sur laquelle porte l’arrêté Cat Nat.

Proposition n° 6 :

Faire porter la demande de la commune et la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle sur une année entière, dans un objectif de simplification et de diminution du taux de sans suite.

Il n’en demeure pas moins que les fissures peuvent mettre plusieurs années à apparaître, au départ sous la forme de « microfissures ». Le rattachement d’une fissure à une période antérieure correspondant à l’arrêté Cat Nat est délicat. Alors que l’ordonnance du 8 février 2023 limite les possibilités d’indemnisation aux dommages « susceptibles d’affecter la solidité du bâti ou d’entraver l’usage normal du bâtiment » (voir infra, III-A-2), il y a un réel risque de « déni d’indemnisation » : si une microfissure apparaît pendant la période de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle, elle ne sera pas prise en charge, parce qu’elle est trop petite ; mais quand elle se sera aggravée la commune ne sera plus reconnue.

Une solution radicale, mais un peu trop simple, serait de décider qu’à partir du moment où une commune a été reconnue par un arrêté Cat Nat, tous les dommages existants liés à la sécheresse doivent être pris en charge quelle que soit leur date d’apparition. Cette solution n’est pas satisfaisante car elle donnerait à chaque arrêté Cat Nat une portée disproportionnée qui reviendrait à reconnaître les communes de manière rétroactive pour plusieurs années et à contredire les précédents arrêtés défavorables. De même, une « durée de validité » de plusieurs années pour les arrêtés Cat Nat n’aurait pas beaucoup de sens, car cela reviendrait à déclarer l’état de catastrophe naturelle pour l’avenir. De telles solutions nuiraient en tout cas à la crédibilité d’une « présomption de lien de causalité ».

Pour mieux rattacher les fissures à une période de sécheresse reconnue, il suffirait de :

-         prendre comme date de départ l’apparition des premières microfissures, pour éviter les exclusions au motif que les fissures seraient apparues « trop tard » ;

-         reconnaître l’aggravation d’une fissure existante comme une fissure nouvelle, pour éviter les exclusions au motif que les fissures seraient apparues « trop tôt ».

Ainsi, il suffirait que le sinistre se soit aggravé pendant la période sur laquelle porte l’arrêté Cat Nat pour qu’il puisse être pris en charge au titre de cet arrêté, même si des microfissures étaient présentes antérieurement.

Proposition n° 7 :

Retenir comme date d’apparition des fissures le plus favorable des deux évènements suivants, dans l’intérêt de l’assuré :

- soit la date présumée d’apparition des premières microfissures ;

- soit la date présumée d’aggravation des fissures.

 

B.   GARANTIR L’ÉQUILIBRE FINANCIER À LONG TERME DU RÉGIME CAT NAT MALGRÉ LA HAUSSE PRÉVISIBLE DE LA SINISTRALITÉ

La réforme des critères d’éligibilité va significativement accroître les dépenses liées à la sécheresse, alors que le régime Cat Nat est déjà déficitaire depuis 2016. L’élargissement de l’indemnisation devrait donc avoir pour corollaire une réforme du financement du régime Cat Nat, qui passera par une revalorisation automatique du taux de surprime et par une redéfinition de l’équilibre du partenariat public-privé.

1.   Mettre en place un pilotage automatique du taux de surprime pour assurer la pérennité du régime

a.   La meilleure prise en charge de la sécheresse pourrait avoir un coût d’environ 700 millions d’euros par an

Alors que le taux de la surprime n’a pas évolué depuis 2000, la sinistralité connaît un fort dynamisme à cause du dérèglement climatique. La réforme souhaitée du régime d’indemnisation des sinistres liés à la sécheresse va encore accroître la sinistralité en augmentant le taux de reconnaissance et en diminuant le taux de « sans suite ».

La mission des inspections a essayé d’évaluer le montant de la « non‑indemnisation » dans le système actuel afin de calculer le coût potentiel d’un mécanisme de recours direct. En comparant l’écart entre les estimations indicatives communiquées par les communes et les sinistres constatés par les assureurs, la mission conclut « selon une extrapolation grossière » qu’il y a en réalité deux fois plus de maisons sinistrées qu’il n’y en a selon les déclarations transmises par les maires. En multipliant le nombre théorique de maisons sinistrées par le coût moyen des sinistres traités, les inspections estiment que « le coût annuel moyen de non‑reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle pour la période 2017‑2019 serait compris entre 628 et 840 millions d’euros ([43]), supporté par les seuls sinistrés ».

En flux et en appliquant à chaque sinistre un coût moyen de 18 000 € ([44]), le montant annuel de la non-indemnisation serait donc d’environ 700 millions d’euros. Cette estimation a le mérite de donner un ordre de grandeur, malgré son caractère approximatif. Le nombre de maisons sinistrées est surévalué, puisqu’il comprend les sinistres qui n’ont pas forcément de lien avec le retrait-gonflement des argiles. D’un autre côté, de manière cohérente, le montant moyen par sinistre appliqué comprend les sinistres « sans suite » dont le coût est celui de l’expertise.

Dans un rapport de 2018 ([45]), la Mission risques naturels estime que le stock total de maisons sinistrées non indemnisées s’élève à environ 300 000. Avec la même hypothèse sur le coût moyen du sinistre, cela donnerait un « coût de rattrapage » de 5,4 milliards d’euros ou de 2,6 milliards d’euros si l’on retranche la part de sans suite pour motif d’absence de lien de causalité (52 %).

Le « coût du stock » serait donc compris entre 2,6 et 5,4 milliards d’euros selon les hypothèses retenues : la réforme a certes pour objet de faciliter la reconnaissance du lien de causalité (proposition n° 1), ce qui justifierait une estimation maximaliste ; mais on peut aussi penser que la part de sinistres réellement causés par le phénomène de retrait‑gonflement des argiles et la gravité moyenne des dommages afférents sont a priori plus faibles dans les communes non reconnues.

Ces estimations sont cohérentes avec les évaluations qu’a réalisées récemment la Caisse centrale de réassurance à la demande de la direction générale du Trésor. Selon la Caisse centrale de réassurance, l’indemnisation de la totalité des sinistres par suppression du critère météorologique, dans l’esprit de la loi d’habilitation, représenterait un coût initial de 3,5 milliards d’euros correspondant à la prise en charge du stock en attente de reconnaissance (effet de rattrapage) puis un surcoût annuel compris entre 491 millions d’euros (période de référence 2000‑2021) et 859 millions d’euros (période de référence 2016‑2020). Quelle que soit la période considérée, la suppression du critère météorologique aurait donc pour effet de doubler le coût annuel de la sinistralité sécheresse.

surcoÛt moyen annuel de la meilleure indemnisation du risque sÉcheresse (pÉriode de rÉfÉrence 2020-2021)

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Source : Caisse centrale de réassurance, étude d’impact de la réforme de la loi d’habilitation (2022)

Le surcoût moyen annuel de 491 millions d’euros correspond à une hypothèse « toutes choses égales par ailleurs » : franchise de 1 520 €, absence de seuil d’intervention ou de plafond d’indemnisation.

Il serait possible de limiter le coût de la réforme à 20 millions d’euros par an en imposant une franchise de 10 000 € et en excluant les sinistres « légers » (moins de 30 000 €) tout en plafonnant à 70 000 € l’indemnisation des sinistres « graves » (soit une indemnité réelle franchise déduite de 60 000 €). Mais cette hypothèse ne correspond pas à une « meilleure indemnisation » de la sinistralité sécheresse, mais plutôt à une redistribution des indemnités en faveur des sinistres les plus graves et au détriment des autres.

Selon vos rapporteures, le surcoût réel de la sécheresse doit être financé prioritairement par une augmentation de la surprime et non par une diminution du périmètre d’indemnisation.

b.   Une revalorisation annuelle automatique du taux de surprime est préférable à une augmentation ponctuelle et discrétionnaire

Les acteurs proposant une hausse du taux de la surprime font en général l’hypothèse d’une augmentation de la seule surprime payée par les particuliers, puisque le risque ne concerne pas les professionnels.

En 2021, la surprime nette prélevée sur les primes MRH s’élevait à 962 millions d’euros ([46]). Le surcoût lié à la meilleure indemnisation du risque sécheresse représente donc la moitié du produit annuel de la surprime. Par conséquent, il faudrait que le produit de la surprime augmente de 50 % pour « absorber » le surcoût lié à la meilleure indemnisation sécheresse, ce qui correspond à une hausse du taux de 12 % à 18 %.

 Ce résultat se retrouve dans le tableau établi par la CCR pour une indemnisation sans plafond et avec un seuil d’intervention bas fixé à 10 000 €.

Taux de surprime nÉcEssaire pour couvrir le surcoÛt rÉcurrent
liÉ À la rÉforme (pÉriode de rÉfÉrence 2000-2021)

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Source : Caisse centrale de réassurance, étude d’impact de la réforme de la loi d’habilitation (2022)

Si l’on prend désormais la période 2016‑2020 comme période de référence, le surcoût moyen annuel de la suppression du critère météorologique est de 859 millions d’euros, ce qui correspond à peu près au chiffre qui avait été estimé par les inspections. Sur cette période marquée par une forte sinistralité, le taux de surprime aurait dû doubler, passant de 12 % à 24 %, pour compenser le surcroît de sinistralité dû à la suppression du critère météorologique.

Impact de la rÉforme du rÉgime d’indemnisation
(pÉriode de rÉfÉrence 2016-2020)

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Source : Caisse centrale de réassurance, étude d’impact de la réforme de la loi d’habilitation (2022)

Selon ces études, et toutes choses égales par ailleurs, le taux de surprime pour les particuliers devrait donc être compris entre 18 % et 24 % selon que l’on considère que la sinistralité de 2016‑2020 était exceptionnelle ou qu’elle est représentative de la sinistralité à venir.

Le groupe d’assurances Covéa, entendu par la mission, propose une augmentation progressive de la surprime pour atteindre 19 % en 2040, soit une augmentation annuelle de 0,5 point environ.

Selon vos rapporteures, l’enjeu n’est pas d’augmenter ponctuellement le taux de surprime, mais de mettre en place un système pérenne de revalorisation annuelle du taux en fonction d’une méthode de calcul préétablie. Ce système aurait l’avantage de garantir à la fois l’équilibre à long terme du régime Cat Nat (revalorisation automatique tous les ans) et l’acceptabilité de la hausse du taux, puisque le taux serait corrélé au montant réel des indemnités versées. À tous points de vue cette méthode est préférable à une augmentation discrétionnaire par arrêté du ministre de l’Économie, qui ne peut qu’être moins progressive et moins facile à comprendre.

Le système de calcul automatique du taux annuel de surprime (hors Auto) devrait être fondé sur les principes suivants :

-         Le calcul reposerait sur une moyenne de la sinistralité hors frais de gestion ([47]) des années passées, pour neutraliser la volatilité annuelle des aléas climatiques et obtenir un taux relativement stable ;

-         Les années de référence seraient des années de forte sinistralité pour garantir que le régime Cat Nat soit excédentaire, ou au minimum à l’équilibre dans un contexte de changement climatique où la sinistralité est structurellement en hausse ;

-         Les années de sinistralité exceptionnelle seraient exclues pour ne pas biaiser le calcul et aboutir à un taux de surprime excessivement élevé.

Par exemple, le taux de surprime (hors Auto) pourrait être fixé en fonction de la sinistralité moyenne des trois années sur les dix années passées dont la sinistralité est la plus forte, à l’exclusion de la première d’entre elles.

sinistralitÉ (hors frais de gestion) et primes 2013-2022

Source : Comité d’évaluation et de contrôle, à partir des données du « Bilan Cat Nat » (CCR, 2022).

Ainsi, le taux de surprime 2023 serait calculé de telle sorte à couvrir la sinistralité moyenne (hors frais de gestion) des exercices 2016, 2018 et 2022, soit 2,5 milliards d’euros. Les années de forte sécheresse 2018 et 2022 seraient donc intégrées au calcul, mais pas l’année 2017 marquée par un cyclone d’une ampleur exceptionnelle (Irma). En application de cette règle, le régime Cat Nat serait à l’équilibre en 2023 si la sinistralité n’excède pas 2,5 milliards d’euros. À titre de comparaison, la sinistralité moyenne sur la période 2013‑2022 est de 1,7 milliard d’euros, mais la sécheresse 2022 devrait coûter 2,9 milliards d’euros à elle seule.

Du point de vue des assurés, cette règle aurait pour conséquence une augmentation nette du taux en première année, pour « rattraper » l’absence de revalorisation du taux depuis 2000, puis une évolution beaucoup plus lente et prévisible par la suite. En première année, le « saut » de 700 millions d’euros nécessaire pour atteindre un produit de 2,5 milliards d’euros est parfaitement cohérent avec l’estimation du surcoût annuel établi aussi bien par les inspections que par la Caisse centrale de réassurance. Ce saut se traduit par une augmentation de 40 % ([48]) du taux de surprime, qui passerait ainsi de 12 % à 16,9 %. Pour un particulier, cette hausse initiale serait de moins de 10 € par assuré.

Cette hausse très contenue de la surprime des particuliers s’explique aussi par le fait que l’effort serait partagé avec les professionnels, car il ne vise pas seulement à compenser le coût de la hausse de la sinistralité sécheresse, mais à garantir de manière générale la soutenabilité financière du régime Cat Nat face au changement climatique. Or si les professionnels ne sont pas concernés par le risque sécheresse, ils seront les premiers affectés par la hausse générale de la sinistralité Cat Nat de 50 % d’ici 2050. Selon vos rapporteures, il est donc primordial de conserver au financement du régime Cat Nat son caractère universel, sans entrer dans une logique de « segmentation » entre les particuliers et les professionnels ou entre les assurés selon leur niveau d’exposition au risque.

Proposition n° 8 :

Inscrire à l’article L. 125-2 alinéa 3 du code des assurances une règle de revalorisation automatique du taux de surprime, indexée sur la sinistralité constatée. Le taux de surprime (hors Auto) serait calculé tous les ans par exemple à partir de la sinistralité moyenne (hors frais de gestion) des trois années sur les dix années passées dont la sinistralité est la plus forte, à l’exclusion de la première d’entre elles.

2.   Redéfinir l’équilibre du partenariat public‑privé et faire contribuer davantage les assureurs à la prise en charge de la sinistralité future

Un mécanisme de revalorisation automatique de la surprime aurait une incidence sur l’équilibre de la relation entre la partie publique et la partie privée du régime Cat Nat. En effet, cet équilibre est déjà très protecteur pour les assurances ; si le régime Cat Nat devenait structurellement bénéficiaire, et en l’absence de mesures compensatoires, la surprime deviendrait une véritable rente.

a.   Un régime historiquement profitable

Le régime Cat Nat est historiquement profitable à la fois pour les assureurs, pour la Caisse centrale de réassurance et, derrière celle-ci, pour l’État qui en est l’unique propriétaire.

Avant la succession de sécheresses qui commence en 2016, la CCR avait accumulé quatre milliards d’euros de réserves, correspondant au « bénéfice » qu’elle avait pu réaliser depuis 1982 grâce à un résultat technique positif et aux produits financiers indirects.

Ces résultats sont profitables pour l’État, comme le note le rapport Bonnefoy et à sa suite le rapport des inspections : depuis la fin des années 1990, la CCR s’est acquittée d’environ 2 milliards d’euros d’impôts sur les sociétés et a versé à l’État 1 milliard d’euros de dividendes. En outre, la CCR rémunère la garantie de l’État à un taux de 10,8 % des primes (rémunération stop loss comprise) qu’elle a perçues au titre de l’année précédente, soit une recette pour l’État de 100 millions d’euros en 2022.

Le régime Cat Nat a aussi été profitable pour les assureurs : malgré un résultat technique négatif de plus d’1,5 milliard d’euros sur la période 2015‑2021 – et sans doute proche de 2 milliards d’euros pour la période 2015‑2022 –, les assureurs ont dégagé un résultat technique positif de 132 millions d’euros entre 1982 et 2021, selon les chiffres communiqués par France Assureurs.

La méthode du « résultat technique » minore cependant la réalité des bénéfices dégagés par les assureurs, car la valeur agrégée des résultats techniques des différents exercices n’est pas actualisée en fonction du taux d’intérêt. Dans la mesure où les produits et charges sont également partagés entre la Caisse centrale de réassurance et les assureurs, ceux-ci tirent théoriquement du régime Cat Nat un profit comparable au montant des réserves constituées par la CCR. L’écart entre le montant de réserves accumulées entre 1982 et 2019 (3 milliards d’euros) et le résultat technique des assureurs sur la même période (800 millions d’euros) s’explique par le fait que le bénéfice des assureurs est immédiatement redistribué. Le montant des réserves de la CCR est un meilleur indicateur de la viabilité financière du régime Cat Nat à long terme, car il intègre les produits financiers générés et capitalisés au cours du temps.

b.   Un régime très protecteur pour les assureurs

Le régime Cat Nat est en fait plutôt favorable pour les assureurs, grâce aux modalités de la convention de réassurance passée entre les assureurs et la Caisse centrale de réassurance.

i.   Un mécanisme de plafonnement des pertes spécifique au régime Cat Nat

Le traité de réassurance comprend d’abord une mécanisme « stop loss » qui vise, comme son nom l’indique, à plafonner les pertes des assureurs durant les exercices de forte sinistralité. Au-delà d’un certain montant appelé montant de « priorité », fixé le plus souvent ([49]) à 200 % des primes conservées par l’assureur (l’assureur conservant la moitié des primes et reversant l’autre moitié au réassureur qui en retour prend en charge la moitié de la sinistralité), les pertes sont prises en charge par le réassureur.

Si le mécanisme de réassurance est classique, la spécificité du régime Cat Nat est de permettre à la CCR ([50]) de proposer, grâce à la garantie sous‑jacente de l’État, un mécanisme stop loss illimité, c’est-à-dire que l’intervention du réassureur ne comprend pas de plafond. Si le montant de priorité est fixé à 200 %, l’assureur a la garantie que ses pertes sur une année ne pourront pas excéder le double des primes qu’il a perçues au titre de cette année, quel que soit le niveau de sinistralité.

Le mécanisme stop loss a permis de limiter considérablement les pertes des assureurs, comme on peut le déduire de la comparaison entre le résultat technique des assureurs et le rapport sinistres / primes du régime Cat Nat dans son ensemble.

rapport sinistres / primes du rÉgime cat nat depuis 2010

Exercice

Total primes

Total sinistralité

(risques Cat Nat)

Rapport sinistres / primes

Frais de gestion (FDG)*

Rapport combiné

(sinistres + FDG) / primes

2010

1 360

1 411

104%

272

124%

2011

1 425

1 062

75%

285

95%

2012

1 494

365

24%

299

44%

2013

1 526

401

26%

305

46%

2014

1 560

734

47%

312

67%

2015

1 589

772

49%

318

69%

2016

1 597

1 999

125%

319

145%

2017

1 605

3 351

209%

321

229%

2018

1 618

2 378

147%

324

167%

2019

1 676

1 806

108%

335

128%

2020

1 747

1 695

97%

349

117%

2021

1 802

750

42%

360

62%

2022**

1 844

3 148

171%

369

191%

* approximation

* pour l’exercice 2022 il s’agit d’une estimation, fondée sur l’hypothèse d’une sinistralité sécheresse de 2 800 millions qui a été réévaluée depuis à 2 900 millions.

Source : Comité d’évaluation et de contrôle, à partir des données fournies par la CCR.

D’après ces chiffres transmis par la CCR, le résultat du régime Cat Nat est déficitaire de 2 221 millions d’euros sur la période 2015-2019 ou de 3 838 millions si l’on compte les frais de gestion (estimés approximativement à 20 %), avec un déficit de 1 746 millions d’euros (2 067 avec les frais de gestion) pour la seule année 2017. Sur la même période, les assureurs déclarent un déficit de « seulement » 956 millions d’euros, soit la moitié de ce qu’il aurait dû être ([51]) en l’absence de mécanisme stop loss. Le mécanisme stop loss a pleinement joué au moment du cyclone Irma (2017) dont le coût a été pris en charge en quasi‑totalité par la CCR ([52]).

Le Comité d’évaluation et de contrôle a voulu évaluer l’incidence du mécanisme stop loss sur le « partage du sort » entre la CCR et ses cédantes. Dans le calcul de son résultat technique, la CCR comptabilise la rémunération du mécanisme stop loss parmi les primes et la prise en charge des pertes des assureurs parmi la sinistralité. Pour la période 2015‑2019, les chiffres sont les suivants :

primes et sinistralitÉ : donnÉes totales et donnÉes ccr

 

Primes

(total marché)

Primes CCR

Sinistralité hors FDG

(total marché)

Sinistralité CCR hors FDG

2015

1 589

788

772

347

2016

1 597

802

1 999

920

2017

1 605

816

3 351

2 255

2018

1 618

842

2 378

1 133

2019

1 676

874

1 806

838

total

8 085

4 122

10 306

5 493

Source : Comité d’évaluation et de contrôle, à partir des données de la CCR.

Les chiffres en colonnes grisées correspondent aux primes et à la sinistralité pour l’ensemble du marché. Sachant que la CCR détenait jusqu’en 2021 ([53]) environ 92 % du marché de la réassurance Cat Nat, le Comité d’évaluation et de contrôle a pu reconstituer une approximation du pourcentage réel des primes et sinistralité de la CCR en appliquant un coefficient de 0,92 aux valeurs agrégées.

estimation (cec) de la part des primes et de la sinistralitÉ de la ccr

Source : Comité d’évaluation et de contrôle

En faisant l’hypothèse que la CCR détenait 92 % du marché (chiffre 2021) sur l’ensemble de la période, la CCR a donc touché 55,4 % des primes sur la période 2015‑2019, en incluant le prélèvement stop loss sur les primes conservées par les assureurs (ce qui signifie, indirectement, que la rémunération moyenne du mécanisme stop loss est de l’ordre de 11 %), et pris en charge 57,9 % de la sinistralité à cause notamment de l’évènement Irma en 2017.

Le taux de rémunération du mécanisme stop loss est donc comparable pour les assureurs et pour la Caisse centrale de réassurance, qui reverse à l’Etat 10,8 % des primes qu’elle conserve ; mais, tandis que les assureurs voient leurs pertes plafonnées à 200 % des primes conservées pour l’exercice en cours, la garantie de l’Etat n’intervient qu’à l’épuisement des réserves constituées durant les exercices antérieurs. Le « montant de priorité », c’est-à-dire le seuil d’intervention du réassureur est donc bien plus bas pour les cédantes que pour la Caisse centrale de réassurance ; autrement dit, les assureurs bénéficient de conditions de rémunération du mécanisme « stop loss » plutôt avantageuses en comparaison des taux qui seraient pratiqués par un réassureur privé qui acceptait un traité de réassurance illimité.

De manière générale, et en intégrant les effets du stop loss, la CCR touche environ 55,5 % des primes et finance 50 % de la sinistralité pendant les années « normales » et jusqu’à 73 % de la sinistralité durant les années exceptionnelles (comme en 2017), années où le montant au numérateur est aussi plus élevé.

Ces chiffres sont calculés hors frais de gestion ; les frais de gestion des assureurs sont a priori plus élevés que les frais de gestion de la CCR, mais les assureurs bénéficient là aussi d’un mécanisme protecteur de « commissionnement ».

ii.   Une prise en charge partielle des frais de gestion des assureurs par le mécanisme du « commissionnement »

Les frais de gestion de la CCR correspondent essentiellement à la garantie de l’État et aux frais de personnel et d’informatique. En 2022, la garantie de l’État coûte 100 millions d’euros ([54]) et les frais de personnel et d’informatique environ 20 millions d’euros, pour des frais de gestion totaux de 128 millions d’euros, à rapporter aux 925 millions de primes touchées (14 %).

Les frais de gestion des assureurs sont plus élevés, car les assureurs assument le coût de la gestion des sinistres. Selon leurs déclarations auprès de la Caisse centrale de réassurance ([55]), les frais de gestion des assureurs seraient de l’ordre de 20 % de leurs primes. Le montant réel est probablement plus bas, car les assureurs n’ont pas de « frais d’acquisition » ni de frais commerciaux pour la garantie Cat Nat puisqu’il s’agit d’une extension de garantie obligatoire.

Comme dans tout traité de réassurance proportionnel en quotes-parts, il est prévu que le réassureur prenne en charge une partie des frais de gestion des assureurs sous la forme d’un taux de « commissionnement » calculé à partir des primes conservées par les assureurs. Ainsi, la Caisse centrale de réassurance « rembourse » en principe 10 % à 12 % des primes conservées par les assureurs pour théoriquement couvrir leurs frais de gestion. De fait, cela correspond à peu près au montant payé par les assureurs pour rémunérer le stop loss.

La justification de cette rétrocession ne paraît pas manifeste à vos rapporteures, d’autant que le taux de commissionnement est supérieur à la moitié des frais de gestion des assureurs et que la Caisse centrale de réassurance, de son côté, a ses propres coûts de gestion – quoique plus bas – à assumer.

Initialement le taux de commissionnement était plus élevé, de 15 % à 20 % des primes conservées par les assureurs. Ce mécanisme a été complètement supprimé après l’intervention de la garantie de l’État en 1999. Il a été rétabli en 2014, mais avec un taux moins élevé. Depuis 2014, le montant réel de la commission annuelle varie en fonction de deux critères :

-         l’évolution de la sinistralité : la commission baisse quand la sinistralité est élevée et que la CCR doit puiser dans ses réserves ;

-         les efforts de prévention mis en œuvre par les assureurs.

Malgré le caractère en principe vertueux du deuxième critère (qui a permis de reverser aux assureurs 16 millions d’euros en 2022), vos rapporteures s’interrogent sur l’opportunité d’offrir aux assureurs, durant les années de faible sinistralité où ils connaissent déjà un résultat technique positif, l’équivalent de ce qu’ils payent par ailleurs au titre de la garantie stop loss.

 

c.   Un rééquilibrage du régime Cat Nat serait nécessaire pour faire davantage participer les assureurs

Il est souhaitable que le régime Cat Nat soit bénéficiaire à long terme, car la Caisse centrale de réassurance doit constituer des réserves pour faire face à l’éventualité d’un évènement extrême tel qu’une crue centennale de la Seine.

En revanche, l’équilibre entre la partie publique et la partie privée du partenariat devrait être réexaminé. Le régime Cat Nat est particulièrement confortable pour les assureurs :

-         les assureurs n’ont pas l’obligation de constituer des réserves pour financer des évènements exceptionnels ;

-         leur risque est limité par une garantie stop loss qui leur a permis de prendre en charge sur la période 2015‑2019 une proportion de la sinistralité inférieure à la proportion de primes qu’ils ont touchée ;

-         leurs frais de gestion sont relativement faibles et partiellement pris en charge ;

-         la garantie Cat Nat est une extension de garantie obligatoire et le taux de la surprime est fixé par arrêté, donc soustrait aux mécanismes de concurrence.

Si comme le souhaitent vos rapporteures est mis un place un système de revalorisation automatique du taux de surprime, garantissant que le régime Cat Nat soit structurellement bénéficiaire, la répartition à parts égales des recettes et des charges ne paraît plus justifiée dans la mesure où la Caisse centrale de réassurance assure en plus une mission d’intérêt public que n’ont pas les assureurs.

Alors que la Caisse centrale de réassurance doit constituer des provisions pour se préparer à une catastrophe naturelle majeure ([56]), il n’est pas souhaitable que les assureurs accumulent des bénéfices dans des proportions comparables alors qu’ils seront protégés le moment venu par le mécanisme stop loss. L’instauration d’une revalorisation automatique de la surprime, qui augmenterait les primes d’environ 700 millions d’euros la première année, n’a pas vocation à financer une rente au profit des assureurs.

Plusieurs mécanismes seraient envisageables pour limiter la part de la hausse de la surprime qui reviendrait aux assureurs :

-         jouer sur la part de primes touchée par les assureurs en instaurant un prélèvement sur les primes qui serait directement affecté à la Caisse centrale ;

-         instaurer une contribution des assureurs à un fonds de solidarité visant la prise en charge du stock de sinistres liés à la sécheresse ;

-         changer la forme du partenariat public‑privé et redéfinir complètement le mode de rémunération des assureurs pour leur mission de gestion des sinistres.

La première mesure est la seule façon de modifier légalement l’équilibre financier entre les assureurs et la Caisse centrale, puisque les traités de cession de quotes‑parts sont définis de manière contractuelle. Le prélèvement ainsi instauré viendrait en déduction du produit des primes, sur le modèle du « prélèvement Barnier », avec cette différence que le prélèvement Barnier diminue aussi les recettes de la CCR puisqu’il est reversé au budget de l’État. Si le taux du nouveau prélèvement était aligné sur le taux du prélèvement Barnier (12 %), les assureurs conserveraient 44 % des primes au lieu de 50 %, ce qui permettrait malgré tout une augmentation de 32 % des primes conservées par les assureurs grâce à la revalorisation automatique de taux de la surprime (40 % la première année).

Proposition n° 9 :

Instaurer un nouveau prélèvement sur le produit de la surprime, affecté à la Caisse centrale de réassurance afin de permettre à celle-ci de constituer des réserves en vue d’une catastrophe naturelle majeure.

La deuxième mesure porte sur le mode de financement d’un dispositif qui viserait à résoudre spécifiquement la problématique du stock de sinistralité sécheresse constitué à une époque où les assureurs ont dégagé un bénéfice du fait de critères d’éligibilité trop restrictifs. Les modalités de création d’un tel fonds de solidarité sont détaillées en partie III-C-3.

La troisième piste implique un changement structurel qu’il difficile en l’état à mettre en œuvre. Le rapport des inspections évoque déjà, pour l’exclure, l’hypothèse d’un régime entièrement public, qui ne ferait plus intervenir les assureurs : les primes seraient versées en totalité à un organisme public qui prendrait en charge lui-même les sinistres. Cette solution est écartée par les inspections au motif que le rôle des assureurs pour gérer les dossiers et les relations avec les sinistrés est incontournable.

En revanche, une réflexion pourrait être menée sur l’opportunité de transférer la totalité des primes et de la sinistralité, c’est-à-dire la totalité du risque à la CCR et de confier aux assureurs la mission de gestion des dossiers au moyen d’une délégation de service public. Cette nouvelle forme de partenariat public‑privé tirerait les conséquences du fait que le risque est déjà très limité pour les assureurs, du fait de l’existence d’une garantie stop loss conjuguée à un futur mécanisme de revalorisation automatique du taux de surprime.

La plus-value des assureurs réside dans leur expertise de gestion des dossiers, mission pour laquelle une rémunération sous la forme d’un pourcentage de la sinistralité correspondant aux frais de gestion augmentés d’un bénéfice raisonnable serait plus vertueuse qu’une rémunération sous la forme d’une part garantie des primes en échange d’une part plafonnée de la sinistralité.

Au-delà de son intérêt pour les finances publiques, la séparation de l’organisme chargé de percevoir les primes et de financer la sinistralité et de l’organisme chargé de gérer les dossiers aurait pour vertu d’améliorer l’indemnisation des assurés, en supprimant les biais qui n’incitent pas aujourd’hui ([57]) les assureurs à prendre correctement les sinistrés en charge.

Pour toutes ces raisons, vos rapporteures invitent à une réflexion de plus long terme sur un nouveau modèle de partenariat public-privé qui verrait la totalité du risque (sinistralité et primes afférentes) transférée à la Caisse centrale de réassurance, tandis que les assureurs se verraient confier une mission de service public rémunérée de gestion des dossiers de sinistres.

III.   RÉFORMER LES CONDITIONS PARTICULIÈRES D’INDEMNISATION DES SINISTRES SÉCHERESSE DANS UN OBJECTIF D’ÉFFICACITÉ ET D’ÉQUITÉ

La réforme des conditions générales de reconnaissance (partie II) doit être complétée par une amélioration concrète des conditions de prise en charge des sinistres, tout en maîtrisant les surcoûts pour le régime Cat Nat. Cela suppose d’affiner le périmètre d’indemnisation et de responsabiliser les différents acteurs (A), de restaurer la confiance entre l’expert et l’assuré (B) et de mettre en place un fonds de solidarité pour traiter le stock qui ne peut pas être pris en charge dans le cadre du régime Cat Nat (C).

A.   AMÉLIORER LA PRISE EN CHARGE DES SINISTRES TOUT EN RESPONSABILISANT LES DIFFÉRENTS ACTEURS

La réforme du financement du régime Cat Nat (partie II. B) vise à compenser les coûts d’une meilleure reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle (partie II. A). Une meilleure prise en charge des sinistres au sens d’une diminution du taux de sans suite et d’une montée en gamme des travaux générerait encore un coût supplémentaire pour le régime Cat Nat, qui peut être maîtrisé grâce à des mesures allant dans le sens de la responsabilisation des acteurs.

1.   Affiner les conditions d’indemnisation et le périmètre couvert

Les mesures permettant des économies pour le régime Cat Nat concernent le niveau de franchise, le périmètre des biens pouvant faire l’objet d’une indemnisation et le contrôle de l’usage fait par l’assuré de son indemnité.

a.   Une augmentation modulée de la franchise comme levier de responsabilisation et d’équité sociale

Le montant de la franchise applicable en matière de Cat Nat est déterminé à l’annexe I de l’article L. 125-1 du code des assurances.

Le montant relativement élevé de la franchise sécheresse (1 520 € contre 380 € pour les autres sinistres) suscite le mécontentement des associations de sinistrés. Selon vos rapporteures, ce montant n’est pas injustifié : d’une part, il représente une faible part du montant des sinistres surtout si, comme le souhaitent vos rapporteures (voir infra), la pose de micropieux – dont le coût est de l’ordre de 100 000 € – se généralise pour les maisons fortement sinistrées.

D’autre part, alors qu’il n’est pas possible de moduler le taux de la surprime en fonction de l’exposition au risque, sauf à remettre en cause ([58]) le caractère universel du régime Cat Nat, la franchise est le seul moyen de faire porter une partie de la charge sur les assurés spécifiquement concernés par l’aléa. À l’inverse, une diminution de la franchise serait mécaniquement compensée par une hausse à due concurrence du taux de la surprime, ce qui se traduirait concrètement par un transfert de charge des occupants de maisons en « zones rouges » vers les occupants d’appartements et de maisons en « zones vertes ».

La franchise est donc un instrument de ciblage ; associée à un mécanisme de modulation en fonction du comportement ou des revenus des assurés, elle pourrait même devenir un levier de responsabilisation et d’équité sociale.

Il existait auparavant un principe de modulation de la franchise, supprimé par l’article 3 de la loi Baudu. Ce principe était particulièrement inéquitable : le montant de la franchise pouvait être multiplié par quatre si la commune ne s’était pas dotée d’un « plan de prévention des risques naturels prévisibles » (PPRN), ce qui ne dépendait pas de l’assuré. Mais il n’a jamais existé de mécanisme incitatif permettant de tenir compte du comportement individuel de l’assuré, ce que regrette le rapport des inspections : « Comme la surprime, la franchise est toutefois identique quelle que soit l’attitude de l’assuré en termes de mesures de réduction du risque ».

Une augmentation de la franchise modulée en fonction des mesures de prévention mises en œuvre par l’assuré ([59]) permettrait de le responsabiliser en « récompensant » les assurés ayant investi pour réduire le risque de sinistre et en pénalisant ceux qui comptent uniquement sur la garantie assurantielle. Cela permettrait aussi d’abaisser le coût moyen du sinistre pour le régime Cat Nat, tout en diminuant le reste à charge des sinistrés les plus modestes si la modulation était aussi fonction de leurs revenus.

En outre, afin que le reste à charge ne soit pas excessivement élevé pour les travaux de faible envergure, la franchise pourrait être exprimée en pourcentage des dommages subis. Il suffirait pour cela d’aligner le régime prévu pour les particuliers sur le régime existant pour les professionnels, dont le reste à charge est de 10 % avec un minimum de 3 050 € ([60]).

L’hypothèse d’une modulation directe du reste à charge en fonction des revenus se heurterait toutefois aux principes généraux de l’assurance : la franchise ne poursuit pas a priori un objectif social, même s’il ne serait pas illégitime d’en faire un instrument de politique publique eu égard au caractère public‑privé du régime Cat Nat. La Caisse centrale de réassurance propose une solution plutôt élégante : augmenter le montant de la franchise sans modulation, et faire racheter une partie de la franchise par un fonds de solidarité nationale. Selon son étude d’impact, une franchise moyenne de 10 000 € au lieu de 1 520 € représenterait pour le régime Cat Nat une économie de 339 millions d’euros par an qui pourrait être redéployée en faveur de la qualité des travaux. Les ménages modestes verraient leur reste à charge totalement ou partiellement remboursé sous la forme d’un complément d’indemnisation pris en charge par le fonds de solidarité nationale.

Le taux de remboursement opéré par le fonds de solidarité tiendrait aussi compte de la connaissance que pouvait avoir l’assuré du risque au moment de l’acquisition – ayant eu connaissance du risque, il a pu négocier le prix du bien et décider d’en assumer les conséquences – et des mesures de prévention préalablement mises en œuvre à ses frais.

Proposition n° 10 :

Augmenter globalement le reste à charge pour les assurés, qui ne prendrait plus la forme d’une franchise fixe mais d’un pourcentage des dommages, sur le modèle de ce qui existe déjà pour les professionnels (avec un taux de 10 %), et prévoir un remboursement total ou partiel de ce reste à charge par un fonds de solidarité nationale (voir proposition n° 24), en fonction de trois critères :

- les revenus de l’assuré (objectif d’équité) ;

- sa connaissance du risque au moment de l’acquisition (objectif de responsabilisation) ;

- les mesures de prévention qu’il a pris l’initiative de mettre en œuvre (objectif d’incitation).

 

b.   L’exclusion de certaines constructions, à commencer par celles qui ne respectent pas les normes de la loi Elan, est une nécessité

Deux types de biens doivent être exclus de la prise en charge au titre du régime Cat Nat : les maisons ne respectant pas les prescriptions réglementaires et les dépendances non affectées à usage d’habitation.

i.   Exclure les constructions nouvelles ne respectant pas les prescriptions réglementaires, sans limitation décennale

Les constructions nouvelles ne respectant pas les prescriptions de l’article 68 de la loi Elan (voir infra, III-C-1) ne sont pas expressément exclues du régime Cat Nat, alors même qu’elles ne respectent pas les normes qui auraient dû permettre la prévention des sinistres. Il en va de même des bâtiments construits sans permis de construire.

Conformément au texte de la loi d’habilitation, le 5° de l’article 1er de l’ordonnance du 8 février 2023 crée, dans le code des assurances, un article L. 125­­‑7 qui exclut du bénéfice du régime Cat Nat :

-         les bâtiments construits sans permis de construire, sans limitation de durée (hors cas où un permis de construire n’était pas obligatoire) ;

-         les bâtiments ne respectant pas les prescriptions de la loi Elan, pendant une durée de dix ans.

Une « prescription décennale » a donc été ménagée par le gouvernement pour ne pas pénaliser les propriétaires de « deuxième génération », qui ne sont pas responsables des malfaçons imputables au propriétaire-constructeur.

Cette prescription décennale introduit dans le système une faille non justifiée : il suffit au propriétaire d’une maison irrégulièrement construire « d’attendre » dix ans pour déclarer le sinistre et se voir ainsi indemnisé malgré la violation des règles de construction qui auraient permis de l’éviter. Cette faille est d’autant plus patente que les fissures liées à la sécheresse géotechnique sont des dommages évolutifs qui n’apparaissent que rarement durant les dix premières années de la construction.

En pratique, donc, la prescription décennale aura pour effet de priver complètement la mesure d’effet utile, sans être justifiée sur le fond. En effet, les acquéreurs sont informés par le notaire des irrégularités relatives à la construction. L’existence d’une prescription décennale (qui ne se limite d’ailleurs pas à l’hypothèse d’un changement de propriétaire) aurait donc pour effet de déresponsabiliser l’acquéreur et « d’offrir » au vendeur le coût correspondant aux vices de construction, qui devraient plutôt se traduire par une baisse de prix à sa charge.

Enfin, le régime Cat Nat n’est de toute façon pas censé intervenir durant la période de dix ans, laissée en principe à la garantie décennale (voir infra, III-A-3). En l’état, l’ordonnance n’a donc aucun effet juridique : elle confirme que les constructions irrégulières sont exclues du régime pendant les dix premières années de construction, comme toutes les maisons nouvelles, sans les exclure du régime à l’issue de cette période.

Proposition n° 11 :

Amender le 5° de l’article 1er de l’ordonnance du 8 février 2023, en supprimant la prescription décennale pour les constructions nouvelles ne respectant pas les normes de l’article 68 de la loi Elan.

ii.   Exclure les dépendances non habitables

Le périmètre des biens indemnisés n’est pas fixé par la loi mais par le contrat MRH de chaque assuré. Dans l’intérêt financier du régime Cat Nat, même s’il s’agit surtout d’une mesure symbolique – l’augmentation de la franchise et de la surprime n’a pas vocation à financer la réparation des piscines – la loi pourrait exclure du régime Cat Nat les dépendances qui ne sont pas à usage d’habitation et qui ne sont pas structurellement solidaires de l’habitation principale.

Seraient ainsi exclus du régime Cat Nat les piscines, garages et annexes, mais pas les vérandas (à usage d’habitation) ni les dépendances attenantes dont la dégradation pourrait entraîner une fragilisation consécutive de l’habitation principale.

Proposition n° 12 :

Exclure du périmètre d’indemnisation du régime Cat Nat les dépendances qui ne sont pas habitables et dont la dégradation ne risque pas d’entraîner la fragilisation consécutive de l’habitation principale.

c.   Vérifier le bon emploi de l’indemnité versée à l’assuré et contrôler que son montant ne dépasse pas la valeur de reconstruction du bien

Le bon emploi de l’indemnité versée par les assurances suppose que l’indemnité soit effectivement utilisée pour la réparation du sinistre, et que son montant soit plafonné à la valeur de reconstruction de la maison.

i.   Rendre obligatoire l’affectation de l’indemnité aux travaux.

Le principe qui prévaut en matière d’assurance est le libre emploi de l’indemnité : l’assuré est libre d’utiliser ou non l’indemnité perçue pour réparer le dommage couvert. Par exception, dans le cadre du régime Cat Nat, l’indemnité est censé être affectée à la réparation du sinistre ; mais la mention à l’article L. 121‑17 du code des assurances d’un arrêté municipal devant « prescrire les mesures de remise en état » avait pour effet de conditionner l’obligation d’effectuer les réparations à l’adoption d’un arrêté municipal. En pratique, cette obligation restait virtuelle.

Le 2° b) de l’article 1er de l’ordonnance du 8 février affirme clairement l’obligation pour l’assuré d’affecter l’indemnité à la réparation des dommages, indépendamment de l’adoption d’un éventuel arrêté municipal.

Proposition n° 13 :

Ratifier le 2° b) de l’article 1er de l’ordonnance du 8 février 2023 visant à rendre effective l’obligation pour l’assuré d’affecter l’indemnité à la réparation des dommages.

 

ii.   Fixer le plafond de l’indemnité à la valeur de reconstruction

Un principe fondamental du droit des assurances est qu’il ne peut résulter de l’indemnisation un « enrichissement » pour l’assuré. La loi Baudu transpose ce principe à l’article L. 125-2 du code des assurances, en disposant que l’indemnité ne doit pas dépasser le « montant de la valeur de la chose assurée ». Toutefois, la loi Baudu ne précise pas la méthode d’estimation de la valeur du bien, renvoyant pour cela aux définitions contractuelles.

Les contrats d’assurance prévoient deux méthodes de calcul de la valeur du bien garanti : la valeur vénale, c’est-à-dire la valeur de marché, et la valeur de reconstruction à l’identique. Si l’indemnité est calculée selon la première méthode, elle permet aux assurés de racheter un bien équivalent (terrain compris), alors que la seconde méthode donne le coût de reconstruction à neuf si le bien était entièrement détruit.

Dans le cas d’un sinistre affectant le bâti, la méthode la valeur vénale peut être inéquitable car elle dépend de caractéristiques qui ne sont pas liées au bâti lequel seul subit une détérioration. Ainsi, pour des dommages comparables, une maison sera plus ou moins bien indemnisée selon qu’elle est bien située ou dispose d’une vue. Dans les zones où la valeur du foncier est faible, certains administrés connaissent une « double peine » : non seulement leur maison a une valeur vénale faible, mais de ce fait elle ne peut être indemnisée dès lors que sa valeur est inférieure au coût des travaux.

A l’inverse, le rapport des inspections s’étonne du fait qu’environ deux cents sinistres par an coûtent plus de 300 000 €, alors que le coût de la reconstruction à neuf est d’environ 150 000€ pour une maison de 100m² au sol. Il recommande une analyse systématique des sinistres dont le coût dépasse le montant moyen de la reconstruction à neuf.

Dans le cadre de sa mission de contrôle, la Caisse centrale de réassurance demande systématiquement les rapports d’expertise des sinistres supérieurs à 500 000 €. Ce seuil pourrait être abaissé en ce qui concerne la sécheresse afin de vérifier la proportionnalité de l’indemnité par rapport à la valeur réelle du bâti sans considération de la valeur du foncier.

Proposition n° 14 :

Préciser à l’article L. 125-2 du code des assurances que la « valeur de la chose assurée » s’entend de la valeur de la reconstruction à neuf.

2.   L’instauration de seuils ou de plafonds d’indemnisation n’est pas souhaitable

Vos rapporteures soutiennent en revanche que les biens éligibles doivent être indemnisés entièrement, sans conditions de seuils ou de plafonds.

a.   Le traitement des dommages doit être complet pour éviter des sinistres de « deuxième génération » plus coûteux

Lors des discussions interministérielles relatives à la préparation de l’ordonnance du 8 février 2023, il a été question d’introduire des seuils ou des plafonds d’indemnisation, comme le montre l’étude d’impact réalisée par la Caisse centrale de réassurance à la demande de la direction générale du Trésor. L’instauration de seuils pouvait être interprétée comme découlant de la loi d’habilitation, qui souhaitait améliorer la prise en charge des « conséquences exceptionnellement graves sur le bâti » du phénomène de retrait-gonflement des argiles ; l’idée a donc été évoquée de considérer qu’un sinistre est « exceptionnellement grave » à partir d’un certain coût de réparation.

i.   L’hypothèse d’un seuil ou d’un plafond d’intervention a heureusement été écartée par le gouvernement

L’instauration d’un seuil monétaire ne serait pas équitable. Même s’il serait possible d’annexer le seuil sur l’indice du coût de la construction (ICC) pour tenir compte de l’inflation, il n’en demeurerait pas moins des variations de prix importantes selon les régions et les entreprises consultées. De plus, la fixation d’un seuil monétaire n’est pas un critère qualitatif permettant d’apprécier la « gravité » du sinistre, d’autant que le coût des travaux dépend d’abord de la solution souvent contestable retenue par l’expert.

Du fait même de la distribution du coût des sinistres, l’instauration d’un seuil aurait en outre pour effet d’exclure de l’indemnisation de nombreux sinistrés sans gain financier significatif pour le régime Cat Nat. Selon l’étude d’impact réalisée par la CCR, les sinistres supérieurs à 50 000 € représentent seulement 19 % des sinistres mais 75 % de la sinistralité. Un seuil d’intervention de 50 000 € exclurait donc plus de 80 % des sinistrés pour une économie de 25 %...

Une raison plus fondamentale au refus de l’instauration de seuil est le caractère évolutif des dommages : ne pas prendre en charge un sinistre au motif qu’il n’est pas « assez grave », c’est laisser la situation se dégrader jusqu’à ce que sa prise en charge devienne inévitable mais aussi plus coûteuse.

De même, l’instauration d’un plafond pourrait favoriser l’apparition de sinistres de « deuxième génération », c’est-à-dire la survenance d’un deuxième sinistre du fait de la réparation incomplète du premier.

ii.   Les mesures de prévention post-sinistre doivent être intégrées aux possibilités de prise en charge

La loi Baudu précise à l’article L. 125-2 du code des assurances que les travaux doivent permettre un « arrêt des désordres existants », mais ne reprend pas la formule de la proposition de loi Bonnefoy prévoyant en outre que la réparation soit « pérenne et durable » ([61]). Cette formule plus prudente serait justifiée par l’absence de technique de réparation absolument pérenne, puisque même une reprise en sous-œuvre ne garantit pas absolument contre le risque de survenance d’un sinistre de deuxième génération.

Avant la loi Baudu, l’exigence d’une réparation durable avait déjà été consacrée par la jurisprudence. La question se posait d’une éventuelle incompatibilité entre cette exigence, qui implique la consolidation des fondations et donc l’amélioration de l’existant, et le principe de la remise en l’état « à l’identique », le sinistre ne devant pas causer un enrichissement de l’assuré. Par exception au principe de reconstruction à l’identique, la Cour de cassation considère que l’assureur est tenu d’améliorer la construction si c’est le seul moyen de la préserver. Elle a ainsi confirmé la condamnation d’un assureur à rembourser la totalité du préjudice d’un sinistré de la sécheresse de 2003 y compris « le remplacement des fondations initiales, non conformes aux règles de l’art, par des fondations adaptées au sol devant supporter l’ouvrage », considérant que « ces améliorations apportées aux fondations sont le seul moyen d’éviter leur réapparition » ([62]).

En revanche, le principe de reconstruction à l’identique semble s’opposer au financement de mesures de prévention dites « post-sinistre » – c’est-à-dire pour prévenir un deuxième sinistre –, ce que regrettent les représentants des assureurs entendus par vos rapporteures. Dans son guide d’indemnisation qui a vocation à harmoniser les pratiques des assureurs, la Caisse centrale de réassurance « recommande aux cédantes de proposer des mesures de prévention au moment de l’indemnisation des sinistres » tout en rappelant que  « dans l’état actuel du droit, les mesures de prévention ne peuvent pas être prises en charge par le régime légal » sauf « à titre exceptionnel, s’il est établi qu’ils diminuent le risque futur » et de ce fait « n’augmentent pas le coût du sinistre voire le réduisent » ([63]).

Conformément à une demande des assureurs eux-mêmes, il serait donc bienvenu d’assouplir le principe de reconstruction à l’identique pour permettre la prise en charge par le régime Cat Nat de mesures de prévention post-sinistre permettant de réduire le risque de réapparition du sinistre et le coût afférent.

Proposition n° 15 :

Préciser à l’article L. 125-2 du code des assurances que font partie des « travaux permettant un arrêt complet des désordres » les mesures de prévention post-sinistre dans la mesure où elles seraient aussi efficaces et moins coûteuses qu’une reprise en sous-œuvre.

Une autre solution envisageable, mais qui aurait pour effet d’atténuer la responsabilité de l’assureur dans sa mission d’arrêter les désordres, serait de faire prendre en charge les mesures de prévention post-sinistre par le Fonds Barnier, sur le modèle de l’expérimentation qui a été créée pour les inondations ([64]) afin de contourner les contraintes du principe indemnitaire.

b.   La portée de l’exclusion des fissures « esthétiques » doit être précisée

Plutôt que d’instaurer un seuil d’intervention, le gouvernement a choisi d’exclure du périmètre indemnisable les désordres « esthétiques ». Le 2° a) de l’article 1er de l’ordonnance du 8 février 2023 limite ainsi la garantie aux « dommages susceptibles d’affecter la solidité du bâti ou d’entraver l’usage normal du bâtiment », à l’exclusion des dommages non structurels.

Par rapport au seuil d’intervention, ce critère a l’avantage d’être qualitatif. Il a l’inconvénient, du même coup, de laisser une part importante à l’appréciation, avec un risque d’erreur de la part de l’expert et de contestations contentieuses.

S’il est légitime en soi que les désordres purement « esthétiques », c’est‑à‑dire qui ne représentent pas de gêne pour l’habitant et n’ont pas vocation à s’aggraver soient exclus du régime Cat Nat, la nature évolutive du phénomène rend en pratique très délicate l’appréciation de caractère « esthétique » ou structurel des fissures. Comme le dit le rapport sur la proposition de loi Baudu, « les premières fissures sont trop souvent considérées comme de simples dommages esthétiques alors qu’elles sont le symptôme d’une altération plus grave du bâti. » En cas de doute, il serait plus prudent de prendre en charge toute fissure potentiellement structurelle, sans attendre de connaître ses développements ultérieurs.

Tel est au demeurant le sens de l’ordonnance, qui inclut la prise en charge des dommages dès lors qu’ils sont susceptibles d’affecter la solidité du bâti. Cette formule est plus large que celle de l’article 1792 du code civil, qui limite l’assurance dommages-ouvrages aux désordres « compromettant la solidité de l’ouvrage » de manière actuelle. Entendu en audition, le ministère de l’Environnement a pu rassurer vos rapporteures sur l’interprétation de l’ordonnance : tous les sinistres structurels devraient pouvoir être pris en charge, même à un stade précoce où ils ne seraient pas encore « significatifs ».

Toutefois, dans la mesure où le texte revêt une ambiguïté particulière et où il serait possible d’exclure directement les désordres affectant les locaux structurellement indépendants de l’habitation principale (proposition n° 12), vos rapporteures estiment préférable de clarifier l’ordonnance en précisant que les désordres potentiellement structurels pris en charge le seront dès leur apparition.

Proposition n° 16 :

Amender le 2° a) de l’article 1er de l’ordonnance du 8 février 2023 pour préciser que le régime Cat Nat couvre « dès leur apparition » les dommages susceptibles d’affecter la solidité du bâti ou d’entraver l’usage normal du bâtiment.

3.   Faire jouer la garantie dommage‑ouvrage pour les sinistres affectant les constructions récentes

Les constructeurs et l’assurance constructeur sont relativement absents des débats sur la prise en charge des dommages. Théoriquement, l’assurance construction est susceptible d’être convoquée durant les dix premières années de la construction d’une maison, mais à des conditions en pratique trop restrictives, qui font porter sur le régime Cat Nat une partie de la sinistralité qui devrait théoriquement relever de la responsabilité du constructeur.

a.   Des constructeurs déresponsabilisés à cause des conditions trop restrictives de la garantie décennale

La responsabilité du constructeur est inscrite depuis 1804 à l’article 1792 du code civil : « tout constructeur d’un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l’acquéreur de l’ouvrage, des dommages, même résultant d’un vice du sol, qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou qui […] le rendent impropre à sa destination », hormis les cas de force majeure ou l’intervention d’un tiers. Cette responsabilité a une durée de dix ans.

Il résulte de cette responsabilité un régime d’assurance obligatoire qui, depuis la loi n° 78-12 du 4 janvier 1978, repose sur deux assurances complémentaires :

-         l’assurance de responsabilité civile décennale (RCD) : elle est souscrite par le constructeur ;

-         l’assurance dommages-ouvrage aussi appelée « garantie décennale » : elle est souscrite par le maître d’ouvrage.

En cas de sinistre, le propriétaire s’adresse à l’assurance dommages‑ouvrage qui verse immédiatement l’indemnité avant de se retourner contre l’assurance responsabilité civile du constructeur.

L’assurance dommages-ouvrage couvre théoriquement la sécheresse géotechnique, car elle s’applique même en cas de « vice du sol ». Mais elle est doublement limitée :

-         dans le temps : elle ne concerne que les constructions nouvelles (moins de dix ans) ;

-         dans son champ d’application : elle ne concerne que les désordres structurels.

L’assurance dommages-ouvrage est donc mal adaptée aux désordres liés à la sécheresse. En effet, ces désordres apparaissent rarement ([65]) durant les dix premières années, si ce n’est sous la forme de microfissures « esthétiques » et de ce fait non prises en charge. Au total, le retrait-gonflement des argiles ne représenterait que 10 % des sinistres traités par la garantie décennale ([66]).

Les corps d’inspection ont insisté, aussi bien dans leur rapport que durant leur audition, sur la « déresponsabilisation » des constructeurs qui résulte de ces dispositions. Pour responsabiliser les constructeurs, les inspections proposent une participation des constructeurs au financement de travaux de prévention, sous la forme d’un prélèvement sur l’assurance RDC souscrite par le constructeur, comparable dans son taux et dans son fonctionnement au prélèvement Barnier sur le contrat d’assurance MRH. Ce prélèvement permettrait de générer 23 millions d’euros par an ([67]).

Toutefois, ce mécanisme n’aurait pas de réel effet « responsabilisant ». En effet, comme le taux de la surprime serait fixé de manière réglementaire, il ne pourrait pas être modulé pour « récompenser » les constructeurs vertueux et « pénaliser » les constructeurs ayant provoqué beaucoup de sinistres. Un tel prélèvement serait donc assimilable à une simple taxe, sans effet sur le comportement des constructeurs.

b.   Clarifier l’articulation entre les deux régimes d’assurance et faire davantage participer l’assurance constructeur

Une étape préalable à la responsabilisation des constructeurs serait de clarifier l’articulation entre l’assurance Cat Nat et l’assurance constructeur.

En principe, la garantie Cat Nat n’a pas à intervenir sur les constructions neuves de moins de dix ans. Comme le rappelle le rapport sur la loi Baudu, « le constructeur ne peut s’exonérer de sa responsabilité décennale que s’il rapporte la preuve que la sécheresse présente les caractères d’imprévisibilité et d’irrésistibilité de la force majeure », caractères qui ne sont qu’exceptionnellement reconnus à la sécheresse par le juge.

Toutefois, l’articulation entre les deux régimes d’assurance n’est pas toujours claire et il subsiste des cas où le sinistre est indûment pris en charge par le régime Cat Nat au lieu d’être pris en charge par la garantie dommages‑ouvrage. Cette confusion est renforcée par l’ordonnance du 8 février 2023 qui, en excluant du régime CatNat les constructions neuves de moins de dix ans qui n’auront pas respecté les prescriptions de la loi Elan, laisse penser a contrario que les constructions neuves ayant respecté les obligations réglementaires seront pleinement éligibles au bénéfice du régime Cat Nat malgré la responsabilité décennale en principe exclusive du constructeur.

Entendu en audition, le ministère de l’Environnement semble assumer la possibilité d’un concours d’assurances durant les dix premières années, allant jusqu’à suggérer qu’il n’y a pas lieu de rechercher la responsabilité du constructeur ayant respecté les prescriptions Elan, puisque ces normes sont justement réputées rendre la survenance d’un sinistre impossible… À l’avenir, la question de la responsabilité du constructeur serait donc théorique.

Or d’une part la loi Elan est récente et l’article de l’ordonnance ne s’appliquerait qu’aux constructions postérieures au 1er janvier 2024, ce qui pose la question de la responsabilité du constructeur sur la période 2014‑2023 ; d’autre part les normes de la loi Elan ne sont pas infaillibles et il ne faut pas exclure que des sinistres puissent survenir y compris dans les constructions nouvelles (voir infra, III-C-1).

Selon vos rapporteures, l’entrée en vigueur de la loi Elan ne dispense donc pas de clarifier l’articulation entre la garantie Cat Nat et la garantie dommages‑ouvrage.

Proposition n° 17 :

Exclure expressément à l’article L. 125-5 du régime Cat Nat les sinistres ayant eu lieu durant les dix premières années de construction, y compris pour les constructions ayant respecté les normes Elan, au profit d’une responsabilité systématique du constructeur.

Une prise en charge effective d’une partie de la sinistralité par la garantie décennale suppose en outre que les désordres puissent être pris en charge par celle‑ci au‑delà de la période de dix ans s’ils sont apparus avant la onzième année mais que leur caractère structurel n’est devenu manifeste qu’après.

Concrètement, l’assureur Cat Nat exercerait un recours contre l’assurance du constructeur si les fissures n’avaient pas pu être prises en charge durant les dix premières années faute d’une taille suffisante à l’époque pour compromettre la solidité de l’ouvrage.

Proposition n° 18 :

Étendre la période de la garantie décennale prévue à l’article 1792-4-1 du code civil au-delà de dix ans quand les désordres sont apparus avant la onzième année mais que leur caractère structurel n’est devenu manifeste qu’après.

B.   RENFORCER LA QUALITÉ DE L’EXPERTISE POUR IDENTIFIER LES SOLUTIONS LES PLUS PERTINENTES

Le rôle de l’expert d’assurance dans la détermination de la cause du sinistre et des solutions à mettre en œuvre est très critiqué. Si la loi Baudu a permis des progrès en matière de transparence et de procédure, et si l’ordonnance du 8 février 2023 prévoit un encadrement de l’élaboration de l’expertise, vos rapporteures considèrent qu’il faut aller plus loin et prévoir à terme un dispositif d’agrément de l’expert.

1.   Loi Baudu : des progrès en matière de transparence et de délais de la procédure

Dans l’intérêt de l’assuré, la loi Baudu a déjà opéré plusieurs améliorations qui concernent les délais et la transparence :

-         l’assuré a désormais 30 jours au lieu de 10 pour déclarer le sinistre (annexe I de l’article L. 125-1 du code des assurances) ;

-         l’assureur a l’obligation de communiquer le rapport d’expertise définitif et le compte rendu de chaque visite : les assureurs ont depuis établi un modèle commun de rapport d’expertise ;

-         le délai de versement de l’indemnité est encadré.

Les associations entendues ont néanmoins souligné que ces progrès n’avaient pas mis fin à toutes les pratiques « opaques » des assureurs. Les associations critiquent notamment le système des « partenariats » conclus entre les assureurs et certaines entreprises ; système qui, selon ces associations, nuit à la transparence tarifaire et peut entraîner des délais du fait du volume de dossiers à traiter par ces entreprises ou une qualité de travaux dégradée.

En principe, le système de partenariats est plutôt favorable à l’assuré. En effet, les entreprises partenaires consentent une réduction des prix en échange du volume de chiffre d’affaires « apporté » par l’assureur. De plus, les entreprises compétentes pour la reprise en sous‑œuvre sont parfois peu nombreuses, et les assureurs n’ont d’autre choix que d’y avoir recours.

Selon vos rapporteures, le système des partenariats n’est donc pas en soi problématique tant que la liberté de choix de l’assuré est effective. Ce n’est pas toujours le cas aujourd’hui : les assureurs incitent fortement les assurés à choisir l’entreprise partenaire, en joignant à la « lettre d’acceptation » formalisant l’accord sur le montant de l’indemnité le devis justifiant ce montant et une délégation de paiement au bénéfice de l’entreprise ayant établi le devis. Cette présentation peut laisser penser que le montant ou le versement de l’indemnité est conditionné au choix de l’entreprise.

La liberté de choix de l’assuré doit être d’autant plus effective que l’ordonnance du 8 février 2023 affirme désormais clairement l’obligation pour l’assuré d’affecter l’indemnité à la réparation du désordre.

Vos rapporteures recommandent donc que la délégation de paiement soit envoyée sous pli séparé et qu’elle rappelle à l’assuré sa liberté de choix du prestataire.

Dans le même état d’esprit, l’assuré doit être informé au plus tôt de la possibilité de se faire assister d’un expert et des conditions de prise en charge des frais relatifs à l’expert d’assuré ([68]).

Proposition n° 19 :

Obliger l’assureur à informer au plus tôt l’assuré de la possibilité qu’il a de se faire assister de son propre expert et à préciser dans quelle mesure les honoraires de l’expert d’assuré sont pris en charge.

2.   Renforcer la compétence et l’indépendance des experts par un dispositif d’agrément

Les mesures de la loi Baudu n’affectent pas les garanties d’indépendance et de compétence de l’expert. L’expert mandaté par l’assureur a deux rôles :

-         l’identification de la « cause déterminante » du sinistre ;

-         l’identification de la réparation la plus adéquate.

Or les experts font l’objet de nombreuses critiques, portant à la fois sur leur compétence et sur leur neutralité.

a.   Les experts qualifiés sur la question de la sécheresse sont peu nombreux

À ce jour il n’existe aucune formation obligatoire pour les experts intervenant en matière de sécheresse ni aucun encadrement de l’activité d’expertise.

Il existe déjà des experts reconnus « compétents », à savoir les experts « dommages » et les experts « construction », spécialisés dans la mise en œuvre de la garantie dommages-ouvrage. Les experts construction font l’objet d’une certification dans le cadre de la convention « Crac » ([69]) ; il s’agit d’ingénieurs ou d’architectes. Mais ces experts ne sont pas suffisamment nombreux, si bien que les assureurs ne peuvent pas toujours y avoir recours. Il n’y a que mille experts environ répondant aux exigences posées par la convention Crac, parmi lesquels, selon la Compagnie des experts d’assurance, que deux à trois cents experts spécifiquement formés sur la sécheresse.

En pratique, les experts sont désignés par les cabinets d’expertise en fonction d’un cahier des charges internes répondant à des critères de formation (diplômes d’ingénieur ou d’architecte et formation continue) ou d’expérience.

b.   L’ordonnance du 8 février 2023 prévoit un encadrement de l’expertise, sans traiter de la formation et de l’indépendance des experts

Le 3° de l’article 1er de l’ordonnance du 8 février 2023 prévoit un encadrement de l’activité d’expertise, sous la forme d’obligations fixées par décret en Conseil d’État. Ces obligations porteraient sur les « modalités et délais » de l’élaboration de l’expertise et sur le « contenu » du rapport qui en résulte.

L’encadrement prévu par l’ordonnance porte donc sur l’activité de l’expertise, mais pas sur la qualification des experts. Ce choix s’explique par deux motifs. Premièrement, la priorité ne serait pas d’améliorer la compétence des experts – qui sont déjà, le plus souvent, des ingénieurs ou des architectes –, mais d’harmoniser les méthodes et les pratiques pour réduire la marge d’appréciation dont disposent les experts et si nécessaire la contrôler. La réalisation d’une étude de sol pourrait ainsi faire partie, dans certains cas, des obligations relatives aux modalités d’élaboration de l’expertise. La deuxième raison est pragmatique : même sans réglementation contraignante, le nombre d’experts disponible est déjà insuffisant pour traiter un nombre croissant de sinistres liés à la sécheresse. Il n’est donc pas réaliste à court terme de restreindre l’exercice de la profession.

L’ordonnance n’améliore pas non plus les garanties d’indépendance des experts même si, selon le Gouvernement, l’existence de sanctions administratives en cas de violation des nouvelles obligations devrait permettre aux experts de « résister » à d’éventuelles pressions des assurances.

c.   Seul un système d’agrément pourra établir un lien de confiance entre l’expert et l’assuré

L’ordonnance a donc le mérite de prévoir un encadrement minimum qui pourrait devenir effectif assez rapidement, au plus tard le 1er janvier 2025, mais cet encadrement ne l’activité ne dispense pas à plus long terme d’une réforme plus ambitieuse de la profession elle-même.

Plusieurs mécanismes sont envisageables pour renforcer la compétence et l’indépendance des experts, de la plus souple à la plus contraignante :

-         un mécanisme de certification obligatoire, comme pour les contrôleurs techniques ;

-         un agrément légal délivré par une autorité publique ;

-         l’établissement d’une profession réglementée, comme les architectes ;

-         faire désigner les experts par un organisme tiers, sur le modèle des experts judiciaires, le coût de l’expertise restant à la charge de l’assurance.

Cette dernière solution serait la plus radicale pour s’assurer de l’indépendance des experts. Mais d’une part, la Caisse centrale de réassurance n’aurait pas les ressources pour prendre en charge la mission de désignation des experts. D’autre part, les partenariats entre assurances et cabinets d’expertise portent sur tous types de sinistres ; il serait curieux que la désignation par un tiers ne concerne que les sinistres sécheresse. Enfin, la désignation des experts se ferait parmi une liste d’experts agréés : cette solution suppose donc la mise en place préalable d’un agrément.

Vos rapporteures préconisent donc dans un premier temps d’inscrire dans la loi un système d’agrément visant à faire reconnaître des experts réputés compétents. L’agrément ne deviendrait obligatoire pour l’exercice de l’activité d’expert que progressivement, à mesure du renouvellement du stock de professionnels disponibles. Cet agrément ne serait pas seulement une garantie de compétence : il permettrait également à l’expert de gagner en crédibilité vis-à-vis de l’assuré mais aussi de l’assureur. La faculté de retirer l’agrément en cas de manquement professionnel ou de conflit d’intérêts a également une vertu dissuasive.

Proposition n° 20 :

Prévoir la création d’un agrément légal pour les experts sécheresse qui serait mis en place en deux temps : d’abord la délivrance de l’agrément et la constitution d’un corps d’experts réputés compétents ; puis, d’ici 2030, l’obligation d’être titulaire de l’agrément pour exercer.

3.   Rendre les études géotechniques obligatoires dans certains cas

Les études de sol (ou études géotechniques) peuvent être commandées par l’expert afin de faciliter son travail d’identification de la cause et des solutions adéquates.

En raison de leur coût, les études de sol ne sont pas systématiques : s’il est a priori exclu que le sinistre ait pour cause déterminante la nature du sol, l’expert conclura au « sans suite ».

Deux types d’études de sol peuvent être commandées à l’occasion d’un sinistre lié à la sécheresse :

-         les études d’investigation parfois appelées « G0 » : il s’agit d’une étude technique de la lithologie du sol et de son profil hydrique, sans interprétation ; elle permet juste de confirmer la présence d’argiles et éventuellement le lien de causalité ;

-         les études « G5 » ([70]) qui contiennent en outre des préconisations sur les travaux à effectuer.

Le rapport Bonnefoy préconisait (proposition n° 18) la réalisation systématique d’une étude de sol de type G5, suivant les demandes des associations qui considèrent qu’une étude de sol, nécessairement réalisée par un géotechnicien, produira un résultat moins contestable et plus favorable que l’opinion de l’expert.

La généralisation des études de sol n’est pourtant pas réaliste, d’abord en raison du coût qu’elles induisent. Une étude de sol de type « G0 » coûte entre 2 000 et 2 500 € hors taxes. Les études de type G5 peuvent coûter le double, même si la mise en place de tarifs négociés entre les assureurs et les cabinets d’étude géotechnique (en cas de généralisation) permettrait d’aboutir à un coût moyen de 3 000 €.

Dès lors que l’arrêté de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle implique une présomption de lien de causalité (proposition n° 1), l’intérêt d’une étude de sol préalable n’est pas manifeste, sauf pour l’expert à vouloir démontrer à l’inverse une absence de lien de causalité.

Une fois que le lien de causalité est établi, l’étude de sol G5 permet d’identifier les travaux les plus adaptés et d’éviter que l’assureur préconise un agrafage alors qu’une reprise en sous‑œuvre s’imposait, comme cela s’est produit dans une affaire ([71]) où l’assureur a été condamné pour avoir réalisé des travaux « inadaptés » faute d’avoir préalablement commandé une étude de sol.

Mais l’étude de sol de type G5 n’a pas été conçue spécifiquement pour les cas de retrait‑gonflement des argiles. De ce fait, elle préconise systématiquement la pose de micropieux, sans envisager des solutions qui peuvent être tout aussi efficaces et moins coûteuses comme la pose de géomembranes ou d’écrans anti‑racines. Ces solutions doivent être proposées par l’expert spécialement formé et agréé.

L’obligation de réaliser une étude G5 pourrait néanmoins être pertinente précisément dans les cas où l’assureur n’a pas souhaité ou n’a pas pu avoir recours à un expert agréé au sens de la proposition n° 23. Dans ces cas, la réalisation d’une étude G5 pourrait constituer une alternative au recours à un expert reconnu. La garantie de compétence et la responsabilité des travaux choisies seraient ainsi transférées de l’expert au géotechnicien chargé de réaliser l’étude.

Proposition n° 21 :

Concevoir une étude géotechnique spécifique au phénomène de retrait‑gonflement des argiles, prenant en compte les caractéristiques de l’environnement et non seulement du sol. Rendre la réalisation de cette étude et le respect de ses conclusions obligatoires à chaque fois que l’expertise n’est pas conduite par un expert agréé.

C.   CRÉER DES INSTRUMENTS SPÉCIFIQUES POUR LE TRAITEMENT DU STOCK

La réforme des conditions générales de prise en charge (partie II) et des conditions particulières d’indemnisation (partie III, A et B) permettra de traiter le « flux » de sinistres. Le traitement du « stock » résultant de la mauvaise prise en charge passée devra être traité par un fonds de solidarité qui portera à la fois sur la prévention pour les maisons exposées construites avant les nouvelles normes de construction, et sur la réparation des maisons anciennement et fortement sinistrées.

1.   S’assurer de la bonne application de la loi Elan pour circonscrire effectivement la problématique au stock

L’instauration de mesures de solidarité exceptionnelles présuppose que la problématique soit effectivement circonscrite au stock. Pour cela, les normes de construction posées par la loi Elan devront être renforcées.

a.   La loi Elan a mis en place des normes de construction qui feront bientôt l’objet d’un régime de contrôle et de sanction

L’article 68 de la loi du 23 novembre 2018 relative à l’évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite loi « Elan », a créé dans le code de la construction et de l’habitat (articles L. 112-20 et suivants) un dispositif préventif pour les constructions nouvelles dans les zones d’exposition forte ou moyenne au risque de retrait-gonflement des argiles.

Dans ces zones, une étude géotechnique est obligatoire :

-         au moment de la vente d’un terrain constructible ; l’étude géotechnique est transmise par le vendeur à l’acquéreur et annexée à la promesse de vente ; elle a une durée de validité de 30 ans ;

-         au moment de la construction d’une maison individuelle : le maître d’ouvrage (le propriétaire) doit remettre une étude de sol au constructeur, avant la conclusion d’un contrat de travaux.

La loi Elan ne prévoyait pas initialement de régime de contrôle et de sanction. Cette première faille a été corrigée par l’ordonnance n° 2022‑1076 du 22 juillet 2022, prise en application de l’article 173 de la loi Climat et résilience.

L’ordonnance du 22 juillet 2022 :

-         crée à l’article L. 181-11 du code de la construction et de l’habitat un régime de police administrative applicable notamment aux prescriptions de l’article 68 de la loi Elan ;

-         complète l’attestation prévue à l’article L. 122-11, à joindre à la déclaration attestant l’achèvement et la conformité des travaux (DAACT), pour y inclure le respect de la réglementation relative aux sols argileux ; l’article 2 de l’ordonnance du 8 février 2023 impose en outre que cette attestation soit jointe à l’acte authentique de vente.

Les textes d’application, qui sont en cours d’élaboration et entreront en vigueur au plus tard le 1er janvier 2024, devraient prévoir la possibilité de contrôles en cours de chantier.

Ce nouveau dispositif répond donc pour l’essentiel aux critiques du rapport des inspections relatives aux insuffisances de la loi Elan, bien que ne soit toujours pas prévu d’attestation obligatoire à joindre en amont à la demande de permis de construire.

b.   Le dispositif Elan comprend néanmoins une faille majeure lié à sa mauvaise articulation avec le cadre légal du contrat de construction

En principe, grâce aux prescriptions de la loi Elan, les constructions nouvelles ne seront plus concernées si ce n’est exceptionnellement par le risque sécheresse. Toutefois, la loi ménage la possibilité pour le constructeur de se dispenser des prescriptions qui découlent de l’étude géotechnique s’il s’engage à mettre en œuvre des « techniques particulières de construction » définies par voie réglementaire. Un arrêté ministériel du 22 juillet 2020 précise que ces techniques particulières sont liées à la profondeur des fondations : 0,8 mètre en zone d’exposition moyenne et 1,20 mètre en zone d’exposition forte.

Ces « techniques particulières » sont de fait insuffisantes : comme l’a expliqué le Cerema en audition, la dessiccation des sols traditionnellement limitée aux « deux premiers mètres » se propage de plus en plus profondément, jusqu’à atteindre trois mètres en 2022 et peut-être bientôt quatre.

« L’alternative » des techniques particulières constitue donc une faille susceptible de priver largement de portée les prescriptions constructives de la loi Elan. Cette faille est renforcée par l’ambiguïté de la loi, qui affirme d’abord : « avant la conclusion de tout contrat ayant pour objet des travaux de construction […] le maître d’ouvrage transmet l’étude mentionnée à l’article L. 132-5 aux personnes réputées constructeurs de l’ouvrage » ([72]) avant de préciser, dans une incise, que l’étude géotechnique doit être « fournie par le maître d’ouvrage, ou réalisée avec l’accord de celui-ci par le constructeur » ([73]), laissant un doute sur la possibilité de ne pas réaliser d’étude de sol du tout en optant dès le départ pour la solution des « techniques particulières ».

Il existe en tout cas une incohérence entre la possibilité de déléguer la réalisation de l’étude de sol au constructeur et le cadre légal du « contrat de construction de maison individuelle », qui impose la mention dans le contrat d’un prix « forfaitaire et définitif » ([74]) et interdit au constructeur de facturer des prestations, comme la réalisation d’une étude de sol, avant sa signature. De ce fait, le constructeur ne peut ni réaliser l’étude de sol avant d’avoir signé le contrat, ni adapter par la suite le prix du contrat en fonction des résultats de l’étude de sol. En pratique, le constructeur établira donc son devis sur la base des « techniques particulières » car il s’agit de la seule méthode dont le coût est connu d’avance. Même quand une étude de sol serait réalisée par le constructeur, ses recommandations ne pourront pas être facturées ni mises en œuvre.

Vos rapporteures recommandent donc de clarifier la loi en obligeant le maître d’ouvrage à transmettre l’étude de sol au constructeur strictement avant la signature du contrat de construction. Cette étude de sol devrait être commandée auprès d’un prestataire indépendant. Par exception à l’interdiction posée au deuxième paragraphe de l’article L. 231‑4 du code de la construction, la réalisation de l’étude de sol exigée à l’article L. 132‑6 pourrait également faire l’objet d’un contrat séparé, en amont, avec l’entreprise qui sera chargée de la construction.

Proposition n° 22 :

Afin de résoudre les incohérences législatives qui empêchent l’application effective de l’obligation de réaliser une étude de sol avant toute construction nouvelle :

- à l’article L. 132-7 du code de la construction et de l’habitat, supprimer l’incise « ou réalisée avec l'accord de celui-ci par le constructeur » ;

- modifier le deuxième paragraphe de l’article L. 231-4 pour permettre la conclusion d’un contrat séparé ayant pour objet la réalisation d’une étude de sol, avant la signature éventuelle d’un contrat de construction.

2.   Financer des mesures ciblées de prévention pour les maisons très exposées mais pas encore touchées

La loi Elan ne concerne que les constructions nouvelles. Pour les constructions anciennes peu touchées, des mesures de prévention pourraient être plus efficaces et moins coûteuses que des mesures de remédiation.

a.   Certaines mesures de prévention peu coûteuses peuvent réduire significativement le risque de dommages

Plusieurs mesures permettent de prévenir efficacement la survenance de sinistres malgré la présence de sols argileux :

-         la gestion de la végétation environnante : dessouchage des arbres trop grands (maintien d’une distance d’au moins une fois et demie la hauteur de l’arbre à maturité) ; pose d’écrans anti-racines sur au moins deux mètres de profondeur ;

-         la gestion des eaux : mise en place d’un dispositif de drainage adapté, protection des canalisations enterrées, imperméabilisation de la surface du sol autour de la maison (trottoirs, terrasses…) ;

-         mise en place de « géomembranes » autour des fondations pour réguler l’hygrométrie et éviter une accumulation d’eau sous les fondations ; cette technique est efficace à condition que le terrain ne soit pas en pente.

Ces mesures touchant à l’environnement sont moins coûteuses que les mesures structurelles liées au renforcement des fondations ou à la rigidification des structures du bâti (chaînage, joints de rupture…).

mesures de prÉvention des sinistres

Source : BRGM

Le Cerema a développé une expérimentation visant à prévenir les sinistres y compris pour les cas les plus à risque ou les terrains difficiles (terrains en pente).

Cette expérimentation intitulée « MaCh » ([75]) a été lancée en 2016 avec un financement initial de l’institut Carnot puis du groupe d’assurances Covéa. Elle consiste à maintenir en permanence un niveau d’humidité du sol juste suffisant pour empêcher la rétraction des argiles malgré la tension exercée par l’évaporation de l’eau et l’action de la végétation.

L’expérimentation fonctionne avec un système de cuve dotée d’une pompe avec électrovanne raccordée à un réseau hydraulique. La cuve se remplit d’eau de pluie. Quand les capteurs de tension détectent un point de dessiccation, l’eau est injectée pour humidifier le sol de manière ciblée, au « goutte à goutte ».

fonctionnement de l’expÉrimentation « mach »

Source : France Assureurs

Le dispositif connaît des résultats très encourageants et ses bénéfices sont nombreux : son coût est raisonnable, de l’ordre de 10 000 à 15 000 €, c’est‑à‑dire cinq à six fois moins cher qu’une reprise en sous-œuvre ; son potentiel d’évolution pourrait permettre de remplacer les capteurs enterrés par l’intelligence artificielle ou l’eau de pluie par les eaux usées.

Covéa annonce vouloir déployer le dispositif sur une centaine de maisons à partir de 2023. La phase d’industrialisation est prévue pour 2025. Quand il sera pleinement développé le système pourrait être commercialisé sous forme de kit facile à installer aussi bien sur le neuf que sur l’existant.

b.   Un fonds de solidarité s’appuyant sur l’Anah pourrait cofinancer la mise en place ciblée de ces mesures

Ces travaux préventifs n’ont pas vocation à être généralisés à l’ensemble des maisons exposées. En effet, il existe plus de trois millions de maisons en zone « rouge ». La réalisation du risque n’est jamais certaine, tandis qu’à l’inverse aucune mesure de prévention, même structurelle, ne constitue une garantie infaillible. Il ne s’agirait donc pas que le coût des mesures de prévention dépasse le coût d’une intervention ex post.

Le financement des mesures de prévention devrait en principe relever des assureurs et même, dans leur propre intérêt, des particuliers, puisque la prévention est un investissement permettant de réduire le risque d’un sinistre plus coûteux.

Mais d’une part les assurés ne sont pas incités à financer eux-mêmes des mesures de prévention si, quoi qu’il arrive, le sinistre est pris en charge par l’assureur (aléa moral). C’est d’ailleurs la volonté de responsabiliser les assurés qui justifie une augmentation générale de la franchise avec remboursement total ou partiel si des mesures de prévention avaient effectivement été mises en œuvre à l’initiative de l’assuré (proposition n° 10).

D’autre part, l’intérêt pour les assureurs de financer des mesures de prévention est limité par le caractère long et risqué du retour sur investissement : non seulement la réalisation du risque n’est pas certaine, mais les assurés peuvent déménager ou changement d’assureur.

Il est donc nécessaire que les mesures de prévention soient cofinancées par le bénéficiaire et par un fonds public auquel contribueraient les assureurs. Vos rapporteures excluent deux modes de financement qui avaient déjà été envisagées au moment des débats sur la proposition de loi Baudu :

-         la création d’un crédit d’impôt, car il s’agirait d’un financement exclusif par l’État, sans participation des assureurs ;

-         la mobilisation du Fonds Barnier, qui a été conçu pour la prévention des risques naturels dits « majeurs » ([76]) et dont le fonctionnement ne serait pas adapté à la prise en charge de mesures de prévention individuelles.

Vos rapporteures proposent donc la création d’un fonds de solidarité nationale dédié à la sécheresse (voir infra), financé à moitié par les assureurs, qui permettrait de cofinancer des mesures de prévention.

Les mesures seraient mises en œuvre par l’Agence nationale de l’habitation (Anah) dont l’adaptation du logement ancien est déjà le cœur de métier ([77]) et qui recevrait des ressources supplémentaires de la part du fonds de solidarité. Afin que ces mesures de prévention aient un coût raisonnable tout en permettant une réduction significative de la sinistralité future, elles devraient être ciblées de la manière suivante :

-         seraient éligibles les maisons fortement exposées à l’aléa mais non encore touchées (sinon leur prise en charge relève de l’assureur) ;

-         seraient mises en œuvre des mesures relativement peu coûteuses, affectant l’environnement plutôt que la structure.

Un petit effort au financement de la prévention pourra aussi venir directement du budget de l’État. Dans le cadre du volet « solutions pour la ville durable et les bâtiments innovants » du plan d’investissement France 2030, le ministère de l’Environnement porte un appel à projets intitulé « prévention et remédiation des désordres des bâtiments dus au phénomène de retrait et gonflement des sols argileux » et doté de 20 millions d’euros. L’appel à projets vise à la fois la remédiation (axe 1) et la prévention des désordres (axe 2).

3.   Créer un fonds de solidarité pour les constructions fortement touchées qui n’ont pas été indemnisées dans le cadre du régime Cat Nat

Malgré l’élargissement des critères d’éligibilité et la facilitation de la reconnaissance de la cause déterminante (voir propositions 1 à 7), il subsistera une partie importante du « stock » de sinistres qui ne pourra être pris en charge, ou pas immédiatement par le régime Cat Nat. De plus, le coût induit par « l’effet de rattrapage » d’un stock cumulé depuis plus de vingt ans ([78]) pourrait être très important la première année, alors que le taux de surprime sera calculé en fonction d’un flux « en rythme de croisière » qui ne peut pas « absorber » les effets de la mauvaise indemnisation passée.

Pour ces deux raisons, il apparaît nécessaire à vos rapporteures de créer un fonds de solidarité nationale dédié à la prise en charge des sinistres graves dans les communes non reconnues. C’est d’ailleurs la solution qui avait été retenue à la suite de la sécheresse exceptionnelle de 2003 ([79]). Ce fonds aura pour mission de « rattraper » une partie du stock et de prendre en charge les sinistres résiduels non éligibles au régime Cat Nat malgré l’élargissement des critères.

Pour autant, le fonds de solidarité n’aura pas vocation à prendre en charge la totalité du stock, dont le coût serait compris entre 2,6 et 5,4 milliards d’euros, avec une valeur de référence de 3,5 milliards d’euros (voir supra, II‑B‑1). Il s’agira de trouver un équilibre entre des critères d’admission trop larges, qui ne permettraient pas au fonds de remplir sa mission de manière suffisamment ciblée pour un coût finançable, et des critères trop restrictifs qui aboutiraient à un échec comparable à l’échec du fonds exceptionnel créé pour prendre en charge les conséquences de la sécheresse de 2018 ([80]).

La prise en charge par le fonds de solidarité pourrait répondre aux conditions cumulatives suivantes :

-         sinistres particulièrement graves compromettant l’usage de l’habitation et nécessitant une reprise en sous-œuvre ;

-         dans des communes non reconnues depuis plusieurs années ;

-         en fonction de critères de revenus.

Outre la prise en charge du stock gravement sinistré, le fonds de solidarité remplirait deux missions, en cohérence avec les autres propositions de ce rapport :

-         le remboursement en totalité ou en partie de la franchise, selon des critères liés au comportement et aux revenus de l’assuré (proposition n° 10) ;

-         le financement de mesures de prévention pour le stock peu endommagé.

Le financement de ce fonds de solidarité serait assuré à parts égales par l’État et par les assureurs grâce à la création d’une taxe affectée sur les surprimes conservées. La participation des assureurs à hauteur de la moitié serait justifiée pour chacune des missions du fonds de solidarité :

-         le stock gravement sinistré résulte de critères d’éligibilité trop restrictifs qui ont permis aux assureurs, de fait, de tirer des bénéfices importants du régime Cat Nat par le passé ;

-         le remboursement partiel des franchises est la contrepartie de leur augmentation, qui profitera aux assureurs ;

-         le financement de mesures de prévention a pour objet de réduire la sinistralité future ce qui profitera aussi aux assureurs.

Le financement par un même fonds de la prise en charge du stock et des mesures de prévention serait parfaitement cohérent. En effet, ces mesures sont complémentaires : l’indemnisation du stock concerne les sinistres graves, alors que les mesures de prévention concernent les maisons exposées mais non encore sinistrées. De plus, à moyen terme, le stock se réduira tandis qu’à l’inverse les mesures de prévention monteront en charge grâce aux progrès de la recherche. La mission principale du fonds évoluera donc progressivement de l’indemnisation des sinistres passés à la prévention des sinistres futurs, avec des besoins financiers annuels relativement constants après une première dotation significative.

Le coût pour l’État de ce fonds de solidarité ne doit pas être exagéré. En effet, la revalorisation de la surprime (proposition n° 8) entraînera une augmentation d’environ 40 % de son produit et, de ce fait, une augmentation de 40 % du « prélèvement Barnier », soit un gain pour l’État ([81]) d’environ 100 millions d’euros par an ([82]). Un financement du fonds de solidarité de 100 millions d’euros par an concomitant à la revalorisation de la surprime serait donc neutre pour le budget de l’État.

Proposition n° 23 :

Créer un fonds de solidarité nationale, financé à parts égales par le budget de l’État et par une taxe affectée sur les surprimes conservées par les assureurs, qui aurait trois missions :

- la prise en charge totale ou partielle de maisons gravement endommagées et non éligibles au régime Cat Nat ;

- le cofinancement de mesures de prévention pour les maisons fortement exposées mais non encore endommagées ; l’instruction des dossiers serait confiée à l’Anah qui serait également rémunérée pour cette mission ;

- le remboursement total ou partiel de la franchise selon des critères liés au comportement et aux revenus des assurés (voir proposition n° 10).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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EXAMEN PAR LE COMITÉ

Le Comité a procédé à l’examen du présent rapport d’information lors de sa réunion du mardi 21 mars 2023 et a autorisé sa publication.

Les débats qui ont eu lieu au cours de cette réunion sont accessibles sur le portail vidéo du site de l’Assemblée nationale à l’adresse suivante :

https://videos.assemblee-nationale.fr/video.13112974_6419e1e9bfe7d.comite-d-evaluation-et-de-controle--prise-en-compte-du-retrait-gonflement-des-argiles-21-mars-2023

 

 


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   ANNEXE :
PERSONNES ENTENDUES PAR LES RAPPORTEURES

 

        M. Yves Hocdé, sous-directeur de la préparation, de l’anticipation et de la gestion des crises, direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC), ministère de l’intérieur et des outre-mer, accompagné de Mme Oriane Toulliou, adjointe au chef de la mission « catastrophes naturelles » (1er décembre 2022)

        Mme Hélène Niktas, référente de l’association Les oubliés de la canicule (1er décembre 2022)

        M. Franck Le Vallois, directeur général de France Assureurs*, accompagné de Mme Viviana Mitrache, directrice des affaires publiques en France, et de M. Arnaud Giros, conseiller parlementaire (8 décembre 2022)

        M. Paul Delduc, chef de l’inspection générale de l’environnement et du développement durable (IGEDD), ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, accompagné de M. Hugues Corbeau et de Mme Sylvie Banoun, rédacteurs du rapport d’inspection écrit conjointement avec l’IGA et l’IGF (8 décembre 2022)

        M. Gwenahel Thirel, avocat spécialisé dans le contentieux relatif à l’indemnisation des sinistres argiles (8 décembre 2022)

        MM. Bertrand Labilloy, directeur général de la Caisse centrale de réassurance (CCR), Édouard Vieillefond, directeur général délégué, et Antoine Quantin, directeur des réassurances et des fonds publics (14 décembre 2022)

        Mme Valérie Cohen, directrice générale Offres & Services, et M. Stéphane Cossé, directeur des affaires publiques, groupe Covéa* (14 décembre 2022)

        M. Michel Caron, président de l’Association nationale des assurés sinistrés sécheresse (ANASS) (14 décembre 2022)

        M. Jean-Vincent Raymondis, président du groupe Saretec (14 décembre 2022)

        M. Martin Landais, sous-directeur des assurances à la direction générale du Trésor (DGT), ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, accompagné de M. Jérémy Lauer-Stumm, adjoint au chef du bureau Assur1 « Marchés et produits d’assurance » (19 janvier 2023)

       Mme Virginie Schwarz, présidente-directrice générale de Météo France, accompagnée de M. Patrick Josse, directeur de la climatologie et des services climatiques (19 janvier 2023)

        M. François Adam, directeur de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages à la direction générale de l’aménagement, du logement et de la nature (DGALN), accompagné de M. Antoine Caron, sous-directeur de la qualité et du développement durable dans la construction et de son adjointe Mme Céline Bonhomme, et M. Lionel Berthet, sous‑directeur de la connaissance des aléas et de la prévention à la direction générale de la prévention des risques (DGPR), accompagné de Mme Clarisse Durand, cheffe du bureau des risques naturels terrestres, ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires (2 février 2023)

        Mme Marie-Claude Jarrot, présidente du Conseil d’administration du Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (CEREMA), accompagnée de M. Pascal Berteaud, directeur général, et de M. Lamine Ighil Ameur, chercheur en mécanique des sols (2 février 2023)

       M. Albert Dehaudt, président de l’Association des sinistrés des mouvements de terrain et de la sécheresse en Flandres (CatNat Flandres-HdF), et M. François Manneville, président de l’association Lorraine Cata Sécheresse (2 février 2023).

 

 

 

 

 

* Ces organismes ont procédé à leur enregistrement au répertoire des représentants d’intérêts géré par la Haute autorité pour la transparence de la vie publique.

 

 

 

 

 


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CONTRIBUTION DE LA COUR DES COMPTES

 

Cette contribution peut être consultée sur le site de la Cour des comptes à l’adresse suivante :

https://www.ccomptes.fr/fr/publications/sols-argileux-et-catastrophes-naturelles

 

 


([1]) Loi n° 2021-1837 du 28 décembre 2021 relative à l’indemnisation des catastrophes naturelles.

([2])  Le fonds exceptionnel a été créé par la loi de finances pour 2020 et reconduit par la loi de finances pour 2021 (voir partie III, C, 3).

([3]) Vos rapporteures remercient les corps d’inspection de leur avoir donné accès à leur travail très précieux.

([4]) Article 161 de la loi n° 2022-217 du 21 février relative à la différenciation, la décentralisation et la déconcentration, dite loi « 3DS ».

([5])  La loi d’habilitation laisse trois mois au Gouvernement à compter de la publication de l’ordonnance pour déposer un projet de loi de ratification.

([6])  En Europe, le Royaume-Uni est le seul pays doté d’un mécanisme assurantiel contre le risque de retrait‑gonflement des argiles hors période de garantie décennale (Belgique et Espagne). Le système est entièrement laissé au secteur privé, avec comme conséquence indésirable des phénomènes d’anti-sélection et des franchises très élevées.

([7]) L’année 1989 marque l’intégration du risque RGA au régime des catastrophes naturelles. Entre 1989 et 2017, les assureurs disposent d’une base de données de 180 000 sinistres.

([8])  La commission interministérielle de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle a initialement été créée par la circulaire 84-90 du 27 mars 1984. Depuis la loi du 28 décembre 2021 relative à l’indemnisation des catastrophes naturelles (« loi Baudu »), son existence est directement inscrite à l’article L. 125-1-1 du code des assurances.

([9])  Circulaire n° INTE1911312C du 10 mai 2019.

([10])  Avant la circulaire de 2019, l’analyse du caractère exceptionnel de la sécheresse se faisait selon des critères propres à chaque saison et il y avait, pour chaque saison, plusieurs indicateurs.

([11]) Janvier-février-mars pour l’hiver ; avril-mai-juin pour le printemps ; juillet-août-septembre pour l’été ; octobre-novembre-décembre pour l’automne.

([12])  La Commission nationale consultative est composée de trente personnes dont : six élus représentant les communes et EPCI à fiscalité propre, parmi lesquels est désigné le président ; un membre du Conseil d’État ou de la Cour des comptes, qui en est le vice-président ; six professionnels du secteur de l’assurance et de la réassurance ; deux représentants d’associations ; deux représentants d’entreprises ; deux personnalités qualifiées ; et les directeurs d’administration centrale concernés au sein des trois ministères (Intérieur, Environnement, Économie).

([13])  Circulaire de 2019.

([14])  Civ. 2ème, 5 mars 2020, n° 18-20.383.

([15])  Guide d’indemnisation pratique à destination des assureurs. La Caisse centrale de réassurance rappelle aussi, en s’appuyant sur la jurisprudence, qu’en principe « seuls les dommages imputables à l’épisode de sécheresse visé par l’arrêté devraient être pris en charge par l’extension de garantie catastrophe naturelle ».

([16])  Mission risques naturels, « Sécheresse géotechnique – de la connaissance de l’aléa à l’analyse de l’endommagement du bâti » (2018).

([17])  France Assureurs, « Le risque sécheresse et son impact sur les habitations » (novembre 2022).

([18])  Il n’existe pas de méthodologie harmonisée pour établir le taux de « sans suite ». Les sinistres ayant eu lieu en-dehors des communes reconnues Cat Nat sont en général exclus des statistiques, mais pas forcément les sinistres ayant eu lieu un peu avant ou après la période de reconnaissance. La mission des inspections a consulté séparément les taux de sans suite des principaux assureurs et rapporte que le taux de sans suite de Covéa (premier assureur MRH) et d’Axa (en deuxième position) serait supérieur à 60 %.

([19]) Cour de cassation, Civ. 2ème, 29 mars 2018, n° 17-15.017.

([20]) Un joint de fractionnement (ou joint de retrait) a pour fonction d’absorber la déformation des matériaux et de soulager les contraintes dues aux mouvements du bâtiment.

([21]) Rapport des inspections.

([22]) Cass. 3ème civ., 22 juin 2011, 10-16.308.

([23])  Selon France Assureurs le montant moyen du sinistre serait un peu plus bas (16 460 €). Il semble néanmoins que ce chiffre, également cité dans le rapport de la Cour des comptes, soit obtenu avec une méthode moins fiable. Le montant moyen de 18 000 € correspond à une actualisation de 2023.

([24])  Les chiffres 2022 correspondent à la sinistralité dont l’exercice de survenance est 2022. Il s’agit nécessairement d’une estimation, car les arrêtés de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle seront publiés en 2023 et les indemnités seront versées au fur et à mesure de la déclaration effective des sinistres. Les chiffres définitifs de la sécheresse 2022 ne seront donc pas connus avant quelques années.

([25])  Selon les chiffres publiés dans sa présentation « Le risque sécheresse et son impact sur les habitations » (novembre 2022), France Assureurs estime que le coût de la sécheresse 2022 serait compris entre 1,9 et 2,9 milliards d’euros. De manière générale, les chiffres donnés par la Caisse centrale de réassurance sont plus réalistes, car celle-ci intègre le coût de l’inflation à l’estimation du montant des travaux futurs.

([26])  CCR et Météo-France, « Conséquences du changement climatique sur le coût des catastrophes naturelles en France à horizon 2050 » (2018)

([27])  Les « profils représentatifs d’évolution de concentration » (RCP) correspondent aux différents scénarios établis par le GIEC depuis 2014. Le scénario 8.5, le plus pessimiste, correspond à une croissance continue des émissions en l’absence de politique climatique volontariste.

([28])  La loi Elan est pleinement applicable depuis l’année 2020. Toutefois, ses effets pour le régime Cat Nat ne seront sensibles qu’à partir de l’année 2030, quand les premières constructions loi Elan ne seront plus couvertes par la garantie décennale.

([29])  Covéa et Risk Weather Tech, « Changement climatique et assurance : quelles conséquences sur la sinistralité à horizon 2050 ? » (2022)

([30]) Ibid.  

([31])  La Caisse centrale de réassurance est une société anonyme détenue à 100 % par l’Etat. Ses activités de réassurance avec garantie de l’Etat sont séparées de ses activités de réassurance de marché. Elles sont encadrées par les articles L. 431-4 et suivants du code des assurances.

([32])  Techniquement, la réserve est constituée de deux comptes distincts. La « provision pour égalisation » est la réserve sur laquelle est prioritairement imputé le déficit. Comptablement elle joue un rôle d’amortissement et permet de répartir le déficit sur plusieurs exercices pendant lesquels le résultat technique sera considéré comme nul. Elle est plafonnée à trois fois le montant annuel des primes ; les dotations qui n’ont pas été utilisées sont réintégrées au bénéfice imposable au bout de dix ans. La « réserve spéciale » correspond aux fonds propres. En 2020, les réserves de la CCR s’élèvent à 3 135 millions d’euros, dont 1 365 millions pour la « provision pour égalisation » et 1 700 millions pour la réserve spéciale.

([33])  L’intervention de l’État était initialement de 457 millions d’euros. Quand il est apparu que la sinistralité tempêtes avait été surévaluée, la CCR a remboursé la somme de 281 millions d’euros.

([34]) La garantie Cat Nat étant une extension obligatoire d’une garantie de base (MRH), les assureurs ne peuvent la refuser à moins de refuser de fournir un contrat MRH. Les propriétaires ne trouvant aucun assureur ont la possibilité de saisir le Bureau central de tarification. En métropole, environ 98 % des logements sont couverts par un contrat MRH.

([35]) Rapport de la Cour des comptes, p. 67. Les mots mis en italique l’ont été lors de la citation.

([36])  Le régime Cat Nat couvre les cyclones et les ouragans mais pas les tempêtes, dont l’intensité est moindre.

([37]) Circulaire du 27 mars 1984 relative à l’indemnisation des victimes de catastrophes naturelles.

([38]) Rapport précité de la Cour des comptes, p. 69.

([39])  Un autre « pic », de moindre ampleur, est observable en 2011. Il s’explique, de nouveau, par la création d’un critère spécifique pour tenir compte de la sécheresse qui a sévi au printemps cette année-là.

([40])  Depuis la loi Baudu, l’article L. 125-1 prévoit que : « Dans les limites de ses ressources, la caisse centrale de réassurance réalise, à la demande des ministres chargés de l'économie, de l'écologie et des comptes publics, des études portant sur la politique de prévention, les risques naturels, leur prise en charge et l'équilibre financier du régime des catastrophes naturelles. »

([41])  Pour les années de sécheresse exceptionnelle en revanche (2018 et 2022), la réforme proposée par la CCR est relativement neutre.

([42]) Le décalage entre l’augmentation du taux de reconnaissance et le taux de sinistralité s’explique ainsi : en élargissant la reconnaissance à des communes moins touchées, on prend en charge des sinistres en moyenne moins importants.  

([43])  Selon que l’on retient comme coût moyen d’un sinistre 16 460 € (France Assureurs) ou 22 000 € (montant donné à l’époque par la CCR).

([44])  Chiffre transmis par la CCR en février 2023.

([45]) Mission risques naturels, « Sécheresse géotechnique – de la connaissance de l’aléa à l’analyse de l’endommagement du bâti » (2018)

([46])  Selon le « Bilan Cat Nat 1982-2021 », les primes totales (après déduction du prélèvement Barnier de 12 %) s’élèvent au total à 1 800 millions d’euros en 2021, dont 6,3 % de primes Auto. Les primes hors Auto se répartissent à 57 % et 43 % entre particuliers et professionnels. Le montant de la surprime prélevée après déduction du prélèvement Barnier s’élève donc à 1 800*0,937*0,57 soit 962 millions d’euros.

([47])  Les frais de gestion correspondent approximativement à 20 % du coût des sinistres. Une intégration des frais de gestion au calcul de la supprime ne serait pas vertueuse car elle n’inciterait pas les différents acteurs à maîtriser leurs coûts de fonctionnement.

([48])  Plus exactement, une hausse de 41 % (700 / 1 700). Au dénominateur, le chiffre de 1 700 euros correspond aux primes Non-Auto, les primes totales s’élevant à 1 800 millions d’euros.

([49])  Le taux de 200 % est le taux minimum accepté par la CCR. Plus ce taux est élevé – il peut aller jusqu’à 400 % des primes –, plus la rémunération du réassureur est faible et la part de risque assumée par l’assureur élevée.

([50])  Cette faculté n’est offerte qu’à la CCR, qui seule bénéficie de la garantie de l’État. De ce fait, la CCR détient en 2022 95 % du marché de la réassurance Cat Nat. Les 5 % restants ont fait le choix de renoncer à la garantie illimitée ; il s’agit en général de compagnies internationales qui n’ont qu’une faible activité en France. Les réassureurs privés proposent eux aussi une garantie stop loss mais limitée (par exemple, de 200 % à 400 % des pertes).

([51])  3 838 / 2 = 1 919, soit plus du double du déficit affiché par les assureurs.

([52])  Comme les pertes étaient concentrées sur quelques acteurs locaux qui perçoivent peu de primes (les assureurs des DOM COM), la « franchise » fixée à 200 % des primes n’a absorbé qu’une petite partie de la sinistralité, dont l’essentiel a été pris en charge par les réserves de la CCR.

([53])  95 % depuis 2022.

([54]) La garantie de l’Etat coûte 10,8 % des primes touchées par la CCR, prélèvement stop loss compris. Le montant de 100 millions se retrouve ainsi : 1 800*0,95*0,545*0,108.

([55]) La Caisse centrale de réassurance ne dispose pas des données agrégées des frais de gestion des assureurs – à supposer que ces données existent.

([56])  Dans l’hypothèse d’une crue centennale de la Seine (qui coûterait de l’ordre de 20 milliards d’euros), la CCR serait certes protégée par la garantie de l’État. Mais la garantie de l’État n’est intervenue qu’une fois depuis la création du régime Cat Nat, et en 2017 la CCR a dû faire face seule au cyclone Irma pour un coût à sa charge de plus de deux milliards d’euros.

([57])  Pour éviter les effets inflationnistes de ce nouveau mode de rémunération – à l’inverse de la situation actuelle, les assureurs seraient incités à indemniser davantage pour voir leur propre rémunération augmenter –, la rémunération des assureurs pourrait comprendre une part fixe par dossier correspondant à leur bénéfice, et une part variable – par exemple 15 % de la sinistralité – correspondant strictement à leurs coûts de gestion.

([58])  Cette hypothèse a déjà été évoquée ci-dessus à propos de l’opportunité de différencier le taux de surprime des particuliers et des professionnels (non concernés par le risque sécheresse). Cette logique de la différenciation pourrait entraîner la fin du principe de solidarité et la dislocation du régime Cat Nat, fondé sur le fait que les personnes concernées par le risque inondation payent pour les personnes concernées par le risque sécheresse et inversement. Il tient néanmoins d’être vigilant à conserver un certain équilibre entre les « gagnants » et les « perdants » du régime Cat Nat afin de préserver l’acceptabilité de la surprime.

([59])  Pour le détail des mesures susceptibles d’être mises en œuvre par l’assuré, voir infra.

([60])  « Pour les biens à usage professionnel, le montant de la franchise est égal à 10 % du montant des dommages matériels directs non assurables subis par l'assuré, par établissement et par événement, sans pouvoir être inférieur à un minimum de 1 140 euros ; sauf en ce qui concerne les dommages imputables aux mouvements de terrain différentiels consécutifs à la sécheresse et/ ou à la réhydratation brutale des sols, pour lesquels ce minimum est fixé à 3 050 euros. » (article A125-1 du code des assurances).

([61]) L’article 2 de la proposition de loi Bonnefoy insérait à l’article L. 125-2 la disposition suivante : « En cas de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle, les indemnisations dues à l’assuré doivent garantir une réparation pérenne et durable, de nature à permettre un arrêt complet et total des désordres existants. »

([62])  Civ. 2ème, 8 décembre 2016, n° 15-17.180.

([63])  La Caisse centrale de réassurance note ainsi que certaines mesures, comme les trottoirs périphériques, peuvent « favoriser une solution réparatoire pérenne et contribuer à la réussite de méthodes réparatoires pouvant réduire le coût du sinistre ».

([64])  Avec le dispositif « Mieux reconstruire après inondation » (MIRAPI) prévu par la loi de finances pour 2021.

([65])  Selon les chiffres de l’Agence qualité construction (AQC) cités par le rapport de la Cour des comptes (p. 45), seuls 3,5 % des sinistres sécheresse se manifestent durant les dix premières années de la construction.

([66])  Evaluations convergentes de l’AQC de la Mutuelle des architectes de France (MAF).

([67])  Application du taux final du prélèvement Barnier (1,44 %) à une assiette de primes de 1 600 millions d’euros par an.

([68]) L’expert d’assuré est rémunéré en fonction d’un pourcentage du montant du sinistre (en général : 5 % HT du montant HT de l’indemnité). Selon les contrats d’assurance, ces honoraires peuvent ou non être pris en charge par l’assureur.

([69]) Convention de règlement de l’assurance construction.

([70])  Les types d’études de sol sont définis par la norme NF P 94-500. On distingue les études géotechniques « préalables » (G1), de « conception » (G2), d’exécution (G3), de « supervision » (G4) et de « diagnostic » géotechnique (G5).

([71])  « La Cour condamne la société d’assurance au paiement de la réparation des désordres consécutifs aux travaux de reprise inadaptés qu’elle a fait exécuter » (Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 15 novembre 2018, n°16/21595).

([72])  Article L. 132-6 du code de la construction et de l’habitat.

([73]) Article L. 132-7 du même code.

([74])  Le « contrat de construction de maison individuelle » doit mentionner « le prix convenu forfaitaire et définitif » (article L. 132-1 du code de la construction et de l’habitat)

([75]) « Maison confortée par l’humidification ».

([76])  Créé par la loi n° 96-101 du 2 février 1995, le fonds de prévention des risques naturels majeurs, ou « Fonds Barnier » avait à l’origine pour mission de financement les expropriations de biens exposés à un risque naturel « majeur » au sens où il peut être cause de mortalité (ce qui n’est pas le cas, directement, de la sécheresse). Dans un référé du 5 décembre 2016 (référence S2016-3768), la Cour des comptes critique l’élargissement « sans aucune stratégie » des missions du Fonds Barnier.

([77]) Les missions de l’Anah sont les suivantes : adaptation de l’ancien aux normes énergétiques ; lutte contre l’habitat indigne ou très dégradé ; adaptation de l’ancien à la perte d’autonomie.  

([78]) Apparition du critère météorologique en 1999.

([79]) Après la sécheresse exceptionnelle de 2003, un fonds spécial, le Fonds de compensation de l’assurance construction, a été créé par la loi de finances pour 2006 pour indemniser les sinistres les plus graves dans les communes limitrophes des communes reconnues Cat Nat en 2003. Ce fonds d’urgence a été doté au total de 220 millions d’euros.

([80])  Un fonds d’indemnisation de dix millions d’euros (reconduit l’année suivante) avait été voté dans le cadre de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020, au titre du programme budgétaire 135. Mais les conditions d’éligibilité fixées par décret étaient tellement restrictives – limitation aux maisons construites avant 2008 et à l’intérieur de six départements, plafond d’indemnisation bas incohérent avec les critères de ressources retenus – qu’en pratique, de l’avis de tous, le fonds a été un échec.

([81])  Depuis la loi de finances pour 2021, le Fonds Barnier est « budgétisé » c’est-à-dire qu’il n’est pas affecté au Fonds Barnier mais directement versé dans les caisses de l’État.

([82]) Le prélèvement Barnier correspond à 12 % du total des primes Cat Nat, soit environ 250 millions d’euros par an. Si le taux de la surprime augmente de 40 %, les recettes du prélèvement Barnier augmentent de 100 millions d’euros, du moins dans l’hypothèse où l’augmentation de 40 % concernerait aussi les primes Auto.