N° 1178

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 2 mai 2023

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

En application de l’article 145 du Règlement

PAR LA MISSION D’INFORMATION ([1])
sur l’adaptation au changement climatique

de la politique forestière et la restauration des milieux forestiers

AU NOM DE LA COMMISSION DU DÉVELOPPEMENT DURABLE
ET DE L’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE

ET PRÉSENTÉ PAR

Mme Catherine COUTURIER,

Présidente,

 

Mme Sophie Panonacle,

Rapporteure,

Députées.

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La mission d’information sur l’adaptation au changement climatique de la politique forestière et la restauration des milieux forestiers est composée de : M. Christophe Barthès, M. Guy Bricout, M. Anthony Brosse, M. Jean-Victor Castor, Mme Catherine Couturier, Mme Sylvie Ferrer, Mme Chantal Jourdan, Mme Florence Lasserre, Mme Sandrine Le Feur, Mme Manon Meunier, M. Pierre Meurin, M. Hubert Ott, Mme Sophie Panonacle, Mme Marie Pochon, M. Nicolas Ray, M. Emmanuel Taché de la Pagerie, M. Jean-Pierre Taite, M. Vincent Thiébaut.

 

 


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SOMMAIRE

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Pages

Avant-propos de mme catherine couturier, prÉsidente

Introduction

Liste des propositions

La forêt en chiffres

I. une Évolution trop rapide du climat par rapport aux capacitÉs d’adaptation de la forÊt

A. L’impACT DU CHANGEMENT CLIMATIQUE SUR LES FORÊts

1. Un dérèglement climatique inédit dans l’histoire

2. Les impacts du dérèglement climatique sur les forêts

a. La faculté d’adaptation des forêts avant l’anthropocène

b. Des scenarii d’évolution climatique inquiétants pour les forêts et pour les activités agricoles

c. Les effets du dérèglement climatique sur les forêts

3. Les forêts d’outre-mer : des menaces différentes

B. SAUVEGARDER ET RESTAURER les forÊts

1. Conserver la multifonctionnalité des forêts

a. Un bien d’intérêt général

b. Un enjeu d’aménagement des espaces ruraux

c. Hiérarchie des fonctions de la forêt et dérèglement climatique

d. Maintenir la coexistence des fonctions forestières

2. Une politique de sauvegarde et de renouvellement sous le sceau de l’incertitude

a. Observer les forêts

b. Modifier avec prudence les peuplements par la sylviculture

c. Accompagner l’évolution des ressources génétiques

3. Intensifier les axes de recherche pour aider les pouvoirs publics dans leur prise de décision en politique forestière

II. L’obligation d’adapter la politique forestiÈre au changement climatique

A. Les consÉquences pour la filiÈre forêt-bois

1. Préserver la filière amont : un enjeu de durabilité des forêts

a. Conduire une politique volontariste de plantation mais aussi d’entretien des forêts

i. Un programme volontariste de plantation

ii. Assurer un entretien raisonné des forêts et soutenir les pépinières

b. Futaie régulière ou irrégulière, un débat ouvert

c. Concilier les exigences de la production et le respect des équilibres naturels des forêts

d. Réagir face aux menaces parasitaires par un accès plus large des experts-forestiers au cadastre

e. Trouver un nouvel équilibre pour la forêt guyanaise

2. Tenir compte du dérèglement climatique dans l’organisation de la filière forêt-bois : quelles perspectives ?

a. Un impératif : produire du bois

i. Augmenter la récolte de bois, une question qualitative autant que quantitative

ii. Recourir à du bois issu de forêts gérées durablement grâce à des labels renforcés

b. Adapter l’appareil productif aux conséquences du changement climatique

i. Les conséquences de la concentration des scieries

ii. Valoriser le bois localement : un problème récurrent

iii. Valoriser les feuillus : une politique encore embryonnaire

iv. Développer la contractualisation au sein de la filière et avec le secteur de la construction

c. Quelle place pour le bois-énergie ?

3. Poursuivre une politique volontariste d’investissement et de renouvellement des équipements

4. Valoriser les métiers de la forêt et protéger les bûcherons et exploitants forestiers contre les accidents du travail

B. mieux cibler les aides publiques en faveur de la filière forêt-bois

1. Des aides encore insuffisantes et parfois non pérennes en faveur de la protection et de l’adaptation des forêts

a. Des aides spécifiques insuffisamment conditionnées à une gestion durable des forêts

b. Renforcer les moyens structurels bénéficiant aux acteurs publics

c. Adapter la fiscalité des acteurs forestiers en tenant compte des plans de gestion durable

2. La difficulté de privilégier la commande locale et le développement de marques régionales

3. La difficile question de la rémunération des aménités forestières

C. les outils de gestion forestiÈre

1. Des outils de politique forestière à adapter au dérèglement climatique

a. Un renforcement nécessaire des obligations relatives à la gestion durable des forêts dans les documents de gestion

b. Développer le recours aux outils de protection forte des forêts

2. Adapter la gouvernance des forêts

a. Développer une gestion plus collective des forêts

i. Encourager le regroupement des propriétaires privés

ii. Expérimenter un mode de gestion par massif, l’impératif de lutte contre le dérèglement climatique devant primer sur le droit de propriété

b. Étendre le droit de préemption pour protéger les forêts

D. intensifier les actions de protection des forêts

1. Renforcer la prévention et l’action face aux feux de forêt

a. Le changement climatique accentue le risque de feux de forêt sur l’ensemble du territoire

b. La préparation hétérogène des territoires face au risque d’incendie

c. Aménager les massifs forestiers et sensibiliser les populations

2. Encadrer les coupes rases

a. Quantification de la pratique

b. Une question de sensibilité sociétale

c. Un encadrement succinct par le code forestier

3. Protéger les micro-organismes des sols forestiers et réguler les grands ongulés

a. La protection des sols forestiers

b. Le rôle méconnu des insectes et des micro-organismes

c. L’équilibre sylvo-cynégétique

4. Suggestion d’une fête de la forêt en appui aux actions pédagogiques existantes

Déplacement en Gironde

Déplacement dans le parc naturel régional de Millevaches

Examen du rapport en commission

Liste des personnes auditionnées

Contribution écrite

 


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   Avant-propos de mme catherine couturier, prÉsidente

Longtemps sujet d’étude, le dérèglement climatique est désormais une réalité. La prise de conscience en est désormais aigüe car l’altération des équilibres écologiques affecte toutes les activités humaines. L’anthropocène ressemble paradoxalement à la préhistoire au sens où l’être humain, qui fonde son bien-être dans les sociétés modernes sur la maîtrise de la nature, se retrouve en confrontation directe avec elle, soit de manière brutale, lors de catastrophes (tornades, cyclones, incendies, inondations), soit de manière insidieuse et lente (déclin silencieux de la biodiversité, désertification croissante, montée des eaux).

Ce constat se vérifie depuis plusieurs années pour les forêts, victimes à la fois de tempêtes (1999, 2009), de grands incendies comparables à ceux vécus en Californie et en Australie et qu’on ne croyait pas trouver en France, comme de dépérissements lents, dus notamment à la sécheresse. Le Bureau de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a donc confié à une mission d’information le soin d’examiner les conséquences du dérèglement climatique sur la politique forestière et les moyens de restaurer la forêt.

La mission d’information, en s’intéressant aux forêts et à leur devenir sous l’angle du changement climatique, a fini par embrasser l’ensemble des aspects de la politique forestière, de l’amont à l’aval de la filière en passant par son contexte économique. À l’heure de la généralisation des méga-incendies et de l’accélération des conséquences du changement climatique – comme en témoigne le “rapport des rapports” du GIEC de mars 2023 – cette mission a également dressé un premier bilan de la politique de gestion forestière et de la gestion des incendies depuis la parution des derniers rapports. En effet, sur une courte période de temps, l’on peut citer le rapport de la Cour des comptes sur la structuration de la filière-bois et le rapport dit « Cattelot » publiés en 2020, les Assises de la forêt, réunies entre octobre 2021 et mars 2022, ou encore la Feuille de route forêt de la planification écologique lancée le 2 décembre 2022. À l’observation des effets de ces différents rapports, s’ajoutent les premiers impacts du Plan de relance et des investissements de France 2030, ainsi que l’annonce faite par le Président de la République de vouloir planter 1 milliard d’arbres d’ici à 2030. Bien que questionnable comme critère de réussite et comme objectif de moyen terme pour notre politique forestière, cette annonce plante une partie du décor dans lequel la mission a évolué ces six derniers mois.

Fort de ces différents éléments, une double question se pose : la politique forestière française prend-elle suffisamment en compte le dérèglement climatique, qui malheureusement s’accélère dans des proportions inquiétantes, et faut-il le cas échéant en infléchir d’ores et déjà les axes ?

Un premier constat ressort des auditions conduites par la mission d’information : aucun acteur forestier ne conteste le dérèglement climatique. C’est un secteur où les climatosceptiques n’existent pas. Présents chaque jour en forêt, scientifiques, propriétaires, exploitants, experts, agriculteurs et pasteurs, usagers, associations environnementales constatent de visu la dégradation de ce milieu. Le deuxième constat est que si l’inquiétude est générale, la volonté de trouver des solutions s’affirme fortement. Le troisième constat est que la forêt et sa filière en aval se sont largement industrialisées, standardisées et spécialisées depuis les choix d’orientation de l’après-guerre et à la suite de la chute drastique du nombre de scieries depuis 1960 en France. L’évolution actuelle de la forêt correspond aux choix qui ont été opérés il y a presque soixante-dix ans, dans un contexte aujourd’hui globalisé.

Nous sommes donc à un moment de bascule où il nous faut répondre à une adaptation rapide au changement climatique des forêts avec une filière à redynamiser, et qui doit elle aussi s’adapter.

L’enjeu est immense pour la société française, qui est de plus en plus sensible à ce sujet et qui s’y investit. Les forêts ont de tout temps été liées à nos civilisations. Elles ont donné un matériau – le bois – permettant de domestiquer le feu et de construire les premières huttes, puis les maisons ; elles ont constitué un espace à défricher pour laisser place à l’agriculture, mais la nécessité de les protéger est apparue très tôt. « À partir du moment où des sociétés humaines ont pris conscience que la forêt n’était pas une ressource naturelle indéfinie mais une ressource qui pouvait disparaître par surexploitation, des réglementations ont été progressivement élaborées. Comme la durée de vie d’un arbre reste le plus souvent très supérieure à la durée de vie humaine, cette prise en charge des forêts est un premier exemple de traitement juridique de problématiques à long, voire à très long terme » ([2]) . Elles sont également présentes dans l’imaginaire et revêtent un fort caractère symbolique ou religieux dans toutes les civilisations. Il suffit de mentionner le nemeton chez les Celtes (lieu de culte qui signifie bois sacré), la forêt de Brocéliande et ses personnages arthuriens, les forêts sacrées des kayas des Mijikenda au Kenya, la place immense des arbres, notamment des banians, dans la culture canaque ou des fromagers chez les indiens Wayapi ou Kali’na de Guyane.

Cette importance sociale a conduit le pouvoir politique en France à s’intéresser très tôt aux forêts, en vue d’y concilier les usages. Les plus anciens pans de la législation française portent sur les forêts, comme la règlementation de l’exploitation et des ventes de bois dans une ordonnance de 1219 de Philippe‑Auguste ou l’édit de Brunoy en 1346, qui ordonnait de réaliser les coupes de bois de manière que « lesdites forez et bois se pussent perpétuellement soustenir en bon état ». Protéger la ressource a été de tout temps une préoccupation centrale, au même titre que la multiplicité des usages qui, malgré le droit de propriété, a établi une forme de tolérance tacite, permettant à chacun d’aller et venir librement en forêt, sous réserve de diverses règlementations. Derrière la multifonctionnalité, c’est un équilibre entre écologie et économie que la société s’est toujours efforcée d’assurer.

Le dérèglement climatique risque de remettre en cause cet équilibre et tous les usages et traditions qui s’y relient. La forêt est en crise, ses arbres se dégradent alors qu’elle constitue le principal moyen de stocker le CO2 et l’arme la plus efficace et la moins coûteuse pour affronter le dérèglement climatique. Tandis que le Haut Conseil pour le climat alerte sur la baisse du puits de carbone forestier ces dernières années, la France a une responsabilité particulière dans ce combat, puisque son territoire hexagonal abrite la quatrième forêt d’Europe et qu’elle a la charge de maintenir dans le bassin amazonien, très menacé au Brésil, la bonne santé de la forêt guyanaise.

Cette même forêt n’a malheureusement été que trop peu traitée dans cette mission qui avait déjà tant de sujets à couvrir sur une courte durée. Alors même que la Guyane représente à elle seule plus de 90 % de la biodiversité française et 13 % de la biodiversité mondiale sur un massif forestier de 7,5 millions d’hectares, il semble évident que ce territoire, et au-delà, l’ensemble des territoires d’outre-mer méritent un rapport spécifique tant les problématiques afférentes leur sont propres. 

Cette précision faite, la logique du code forestier est de fournir du bois, même si les préoccupations écologiques y sont de plus en plus affirmées. Mais si rien n’est fait pour adapter et restaurer nos forêts, l’ensemble de la filière-bois sera en danger. Mais n’oublions pas, à côté des services écologiques considérables rendus par les forêts, que le sort de l’agriculture lui est lié (le problème de la sécheresse et de la qualité des sols leur étant commun) et que d’autre activités économiques sont en jeu : pastoralisme, apiculture, tourisme, loisirs divers. La santé écologique des forêts est un impératif, les autres activités étant dépendantes de cet état. Il ne s’agit pas d’une négligence des impératifs économiques mais du rappel, sur la base de faits scientifiques, qu’écologie, agriculture et industrie sont imbriquées et dépendantes les unes des autres en politique forestière.

La politique forestière est sans doute à un tournant. En simplifiant à l’extrême, tant les différences régionales entre massifs sont importantes, la forêt française a été gérée depuis la fin de la seconde guerre mondiale avec un objectif productiviste, à l’instar de l’agriculture, avec l’instauration de méthodes dites rationnelles. Mais à la différence de l’agriculture où les erreurs s’observent rapidement et où elles sont réparées lors du cycle suivant de cultures, la forêt est le domaine du temps long. Il faut des décennies pour constater des erreurs et des décennies pour les rectifier. La politique d’après-guerre a certes largement porté ses fruits, avec un reboisement massif grâce au Fonds forestier national (FFN) et les volumes de bois récoltés sont demeurés dynamiques, mais elle doit se réformer en raison de l’aggravation du dérèglement climatique et de la crise alarmante de la biodiversité.

Les forêts se sont toujours adaptées aux évolutions du climat, mais la rapidité des évolutions de ces dernières années est telle – environ cent fois plus rapides que les évolutions climatiques naturelles – qu’elles sont biologiquement dans l’incapacité de le faire. Les sécheresses se répètent, ce qui provoque une aridification des sols, génératrice elle-même d’un affaiblissement généralisé des arbres. La recherche scientifique se mobilise pour trouver rapidement des solutions, mais elle doit d’abord procéder à des expérimentations qui ne donneront de résultats qu’au mieux dans une à deux décennies. Les responsables politiques ne doivent pas s’attendre à trouver des solutions prêtes à l’emploi dans un domaine où les certitudes absolues n’existent pas et où il faut admettre le droit à l’erreur.

Pour autant, des solutions existent et elles seront exposées dans le présent rapport avec la même humilité et sobriété dont les scientifiques et les experts-forestiers ont fait preuve lorsqu’ils les ont présentées à la mission d’information. Elles mettent surtout en lumière la nécessité d’une concertation étroite de tous les pans de la société – en quelque sorte, d’assurer une mobilisation sociétale autour de la préservation des forêts – et d’une délimitation claire de ce qui relève d’un côté, des droits et libertés des propriétaires forestiers, de l’autre, de l’intérêt général. Les pratiques sylvicoles ressortent de la liberté des propriétaires (même si le code forestier les encadre) mais elles ont des conséquences sur des pans entiers de la vie sociale : qualité des paysages, équilibres environnementaux, aménagement du territoire et localisation des activités de transformation. Il est donc légitime d’examiner si l’équilibre entre leurs droits et leurs devoirs doit être modifié, en recherchant sur cette question le consensus le plus large pour tendre vers la gestion de la forêt comme bien commun.

La forêt rendant justement des services d’intérêt général, il ne fait nul doute, qu’au vu des enjeux cités, il y a une nécessité de renforcer les services publics qui interviennent en et sur la forêt (ONF, CNPF, OFB, services techniques de l’État…), tout comme les moyens de préventions et de secours (SDIS et sécurité civile). Les services de l’État doivent pouvoir mener à bien leur mission de gestion et de préservation de la forêt, car c’est un écosystème vital dont notre avenir dépend.

La préservation de la forêt et son exploitation raisonnée sont, rappelons-le, importantes en elles-mêmes, mais font partie d’un combat politique plus vaste portant sur le dérèglement climatique. Il s’agit avant tout de maintenir la vie sur Terre. Jamais une cause n’a porté une telle urgence dans l’histoire de l’humanité. Face à une rupture majeure, le constat doit être partagé par l’ensemble des acteurs de la forêt afin, grâce à des principes clairs, de déterminer la meilleure manière de gérer un espace si important tout au long de notre histoire, et si essentiel à notre temps.


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   Introduction

Le rapport de l’Observatoire national sur l’adaptation de la France au réchauffement climatique, remis en 2012 au Premier ministre, indiquait : « la forêt est particulièrement sensible aux effets du changement climatique, qui apparaît comme un facteur supplémentaire ou aggravant de risques. À l’augmentation de la fréquence des évènements exceptionnels s’ajoutent des évolutions de fond qui doivent être prises en compte dès maintenant, compte tenu de la longueur des cycles forestiers. Ces évènements et évolutions peuvent présenter des aspects favorables (augmentation de la productivité dans certaines zones) ou problématiques (modification de l’aire de répartition des essences, aggravation des risques) pouvant provoquer le dépérissement de certains peuplements en limite d’aire de répartition ».

On ne saurait mieux résumer le présent rapport d’information, qui en reprend le diagnostic, la seule différence étant qu’en 2023, les effets du dérèglement climatique sur les forêts, annoncés par l’Observatoire national précité ainsi que par plusieurs rapports parlementaires ([3]), sont passés de l’état d’hypothèse à celui de réalité. Après les signaux d’alarme, l’heure est à la mise en œuvre de solutions, mais elles ne sont ni aisées, ni évidentes. La forêt est le domaine du temps long ; la décennie et le siècle en sont les références temporelles. Aussi les décisions de politique publique prises aujourd’hui revêtent souvent un caractère expérimental, avec un risque d’erreur, et ne donneront de résultats au mieux que dans la deuxième partie du XXIème siècle. Elles seront au bénéfice des générations futures.

L’enjeu est simple : assurer la survie des forêts françaises.

Depuis 2020, des rapports du Sénat, d’une parlementaire en mission, de la Cour des comptes, du Conseil économique, social et environnemental ont analysé les forces et faiblesses de la filière forêt-bois ([4]) et mettent en avant, outre les traditionnels problèmes de ce secteur économique, le risque que fait peser le dérèglement climatique sur la forêt. C’est dire que le sujet est d’actualité. La menace sur la filière amont – en d’autres termes, sur le stock d’arbres indispensable à la santé économique de la filière aval (les industries de transformation du bois) – ne pouvait que préoccuper les pouvoirs publics et l’ensemble des professionnels du secteur du bois. Les Assises de la forêt, d’octobre 2021 à mars 2022, ont permis de dresser un diagnostic général suivi de pistes d’actions visant à refonder la politique forestière afin de garantir à la fois la sauvegarde d’un milieu naturel irremplaçable et son exploitation durable.

Saluées par la plupart des professionnels, ces assises ont permis à l’ensemble des acteurs travaillant sur les forêts de dialoguer, ce qui n’est pas fréquent, tant les instances publiques et de représentation professionnelle sont nombreuses en France. Outre des décisions opérationnelles, elles ont confirmé la vision multifonctionnelle de la forêt, espace d’exploitation de la ressource en bois, lieu récréatif, cynégétique, milieu indispensable au développement de la biodiversité.

Cette vision multifonctionnelle structure l’ensemble de la politique forestière. La forêt française est certes détenue à 75 % par des propriétaires privés dans l’hexagone (la proportion étant en moyenne inverse en outre-mer), mais elle n’en est pas moins gérée en application d’un code forestier qui vise à la préserver, et qui lui confère un caractère de bien d’utilité collective. Rappelons à ce titre que l’article L. 112-1 du code forestier, dans sa rédaction issue de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 dite « climat et résilience », prévoit que « les forêts, bois et arbres sont placés sous la sauvegarde de la Nation, sans préjudice des titres, droits et usages collectifs et particuliers » et qu’est reconnu d’intérêt général « 5° le rôle de puits de carbone par la fixation du dioxyde de carbone par les bois et forêts et le stockage de carbone dans les sols forestiers… ».

Parallèlement à son rôle économique, la forêt joue un rôle politique, social et écologique, et ce fait n’a rien de nouveau : « aux usagers des forests seront faictes livrées en lieux propres et commodes, et si edictes livrées ne se trouve marrin, matière, ou bois nécessaire ausdicts usagers à suffisance leur sera délivré ailleurs edictes forests par les forestiers, sans préjudice de leurs privilèges si aucuns en ont ».

Extrait d’une ordonnance promulguée en 1280 par le Parlement de la Toussaint, sous le règne de Philippe III, ce dispositif réglementait l’exercice des droits d’usage dans les forêts royales. Il appliquait la livrée, à savoir une permission accordée par les forestiers aux usagers, pour que ces derniers puissent emporter du bois de chauffage et de construction. Il s’agit d’une des plus anciennes législations françaises, qui montre qu’au XIIIème siècle, déjà, le pouvoir politique s’efforçait de concilier deux intérêts : la préservation de la ressource et son exploitation, à une époque où le bois était vital pour le monde rural, où vivait 90 % de la population.

« Le contrôle des ressources forestières était une préoccupation centrale pour l’administration capétienne des XIIIème et XIVème siècles. La forêt médiévale était au confluent d’intérêts économiques et politiques. Loin d’être un eremus, la forêt médiévale était plutôt un espace bouillonnant d’activités, lieu de contact, de conflit et d’opposition entre le roi, son administration et ses sujets. Certes c’était un lieu administré et judiciarisé, mais aussi exploité, presque cultivé, selon des pratiques visant à en assurer la régénération » ([5]).

Les questions actuelles de politique forestière ont été posées dès le Moyen-Âge. D’un côté, préserver la ressource, qui a besoin de plusieurs décennies pour atteindre sa maturité ; de l’autre, défricher pour disposer de terres agricoles et d’une matière première indispensable à la construction, au chauffage et à l’artisanat. L’espace forestier était convoité : lieu de chasse et de ressource fiscale pour la royauté et la noblesse, lieu de vie pour les bandits comme pour les ermites, les paysans y emmenaient leurs porcs pour les engraisser et s’y adonnaient à la cueillette. Les conflits d’usage n’étaient pas rares et la surexploitation était déjà dénoncée : les élus municipaux de Najac, en Aveyron, firent remonter ce problème jusqu’à Philippe Le Bel, en 1307 et à la même période, des Toulousains se révoltaient contre leur seigneur pour protester contre l’augmentation des taxes que celui-ci avait décidées en raison de l’amenuisement de la ressource. Il n’est donc pas étonnant que l’ancêtre du code forestier ait vu le jour en 1346, sous le règne de Philippe VI de Valois, avec une intention écologique à une époque où le concept n’existait pas.

La forêt française fait l’objet d’une exploitation pour les besoins humains depuis 2 000 ans. L’évolution des surfaces boisées à travers les âges en témoigne. Le couvert forestier s’étendait aux trois-quarts des frontières actuelles de la France à l’époque gallo-romaine ; en l’an 800, il était tombé à 60 % (soit 25 à 30 millions d’hectares) en raison du défrichement agricole et de l’installation de monastères ; en 1380, la forêt s’étendait sur 25 % du territoire, soit 14 millions d’hectares, malgré l’instauration du premier code forestier. Le XVIIème siècle a été marqué par une exploitation intensive du bois, pour les besoins de la marine de guerre et l’alimentation en énergie des premières industries (mines, verreries, forges, salines), conduisant en 1669 à la réforme de Colbert, qui affirmait clairement le rôle d’intérêt général des forêts : mise en réserve totale d’un quart des massifs existants, généralisation du traitement en futaie, protection des forêts surexploitées, décalage plus tardif de l’âge de récolte des arbres. Mais l’apport principal de l’ordonnance de Colbert est qu’elle s’appliquait non seulement au domaine royal, mais également aux propriétaires privés (noblesse, clergé), ainsi qu’aux communes.

Malgré ces mesures, le point le plus bas est atteint en 1820, avec seulement 7 millions d’hectares, soit 12 % du territoire. Il faudra attendre le boisement des Landes de Gascogne sous le Second Empire, puis l’action vigoureuse du Fonds forestier national à partir de 1947 pour arriver à la situation actuelle d’un couvert forestier s’étendant sur 17 millions d’hectares, soit 31 % de l’hexagone, auxquels s’ajoutent 8,5 millions d’hectares en outre-mer, à raison de 7 millions d’hectares en Guyane.

Au-delà de ce chiffre, quel est l’état de la forêt française ? Et de quelle forêt parle-t-on exactement ?

Le chiffre de 17 millions d’hectares précité masque des disparités profondes entre forêts dans l’hexagone. Certaines sont de petits bois, d’autres des unités fragmentées ; certaines sont mono-essences quand d’autres abritent de nombreuses espèces d’arbres, avec une riche biodiversité. Si les forêts domaniales et communales sont dans l’ensemble gérées durablement, conformément aux objectifs du code forestier, il n’en va pas de même pour les forêts privées. Sur les 12,8 millions d’hectares qu’elles occupent, 3,4 millions sont inscrits dans une démarche de gestion durable et 9,4 millions ne le sont pas. L’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN) estime que sur ces 9,4 millions précités, 6 millions ne donnent aucun signe de gestion.

Il existe donc un vrai sujet de connaissance, de protection et de valorisation de la majorité des surfaces forestières privées. Cette question se pose depuis plus de quarante ans, et elle est spécifique à la France. Dans la plupart des pays du monde, la forêt appartient à l’État (40 à 60 % en Allemagne, en combinant État fédéral et Länder), 50 % au Royaume-Uni, à comparer à 9 % en France.

La forêt fait pourtant l’objet d’interventions administratives depuis des siècles. Elle constitue un bien placé sous la sauvegarde de la Nation dont l’importance justifie l’intervention de l’État. Mais dans la réalité, elle constitue une affaire de propriétaires qui l’entretiennent (plus ou moins, en fonction de leurs moyens) pour exploiter son bois, s’en servir à des fins cynégétiques, etc. La recherche de la conciliation des intérêts publics et privés – donc de droits et de devoirs – est une constante de l’histoire forestière française.

Ce jeu de balancier est troublé depuis quelques années par l’irruption du dérèglement climatique, beaucoup plus brutal pour les arbres qu’initialement prévu, ainsi que l’ont rappelé les chercheurs scientifiques des instituts nationaux de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE), auditionnés par la mission. Ce dérèglement rapide exige de facto de forger les bases de nouveaux modes de gestion forestière sans lesquels la forêt française risque de subir une atteinte irréversible.

Rappelons que le climat a toujours évolué à travers les âges ([6]) mais à une vitesse lente, sur de longues périodes, avec des phases de glaciation et de réchauffement, laissant aux espèces vivantes le temps de s’adapter. Le chêne est ainsi arrivé au Sud de l’Europe entre 15 000 et 10 000 ans avant Jésus-Christ et il lui a fallu encore 4 000 ans pour atteindre la Scandinavie. Les arbres sont désormais dépourvus de ce temps d’adaptation. Le dérèglement climatique – pour simplifier, une hausse des températures moyennes combinée à des phases de stress hydrique – les fragilise, les affaiblit contre les parasites et provoque leur disparition. Frênes, hêtres, épicéas sont ainsi en péril dans plusieurs régions. La brutalité du dérèglement climatique est antinomique de leurs facultés génétiques d’adaptation, certes réelles, mais qui s’étendent a minima sur des décennies.

La menace qui touche les forêts de l’hexagone et d’outre-mer, pour des raisons différentes dans ces deux aires géographiques, ne constitue pas un problème isolé. En matière environnementale, toutes les questions sont liées. Les forêts sont clairement identifiées, ainsi que le souligne le Gouvernement, comme le moyen principal pour atténuer le changement climatique, en absorbant chaque année en France 31 millions de tonnes de carbone (CO2), sans oublier leur rôle dans le cycle de l’eau, la qualité de celle-ci et sa rétention par les sols. Or l’Office national des forêts (ONF) rappelle que depuis 2018, 300 000 hectares ont dépéri en raison des épisodes de chaleur et de sécheresse très intenses, sans oublier les incendies hors norme de l’été 2022. Par ricochet, le dépérissement des forêts affaiblit la politique française de lutte contre le dérèglement climatique, dont elles sont l’un des principaux instruments.

Les forêts constituant un écosystème, leur dépérissement porte également atteinte à la biodiversité qu’elles abritent. Inséparable de la lutte contre le dérèglement climatique, le combat pour la préservation de la biodiversité constitue un axe de la politique forestière, à l’heure où la communauté internationale s’efforce d’éviter la crise silencieuse ou sixième extinction de masse.

Il est donc logique, dans ce contexte, que la politique forestière dépasse le seul cercle des acteurs de la filière-bois. Le dérèglement climatique est une préoccupation majeure pour nos concitoyens, comme l’ont reconnu les professionnels auditionnés par la mission d’information. Le slogan « Aux arbres, citoyens ! », repris par des manifestants en janvier 2019 lors de la marche pour le climat, témoigne de l’inquiétude d’une population désormais urbanisée à 80 %. Peu importe le degré de connaissances scientifiques : il y a bien une sensibilité en faveur des forêts, nourrie à la fois par des livres sur l’intelligence des arbres, par l’expertise croissante d’associations environnementales, par les sites internet des acteurs de la politique forestière, enfin par les réseaux sociaux où coexistent des informations exactes comme des absurdités. Cette sensibilité nouvelle, fruit des inquiétudes liées au dérèglement climatique, exige de mieux expliquer les actions en forêt, nationalement comme localement, où des coupes sanitaires peuvent par exemple traumatiser une population si elle n’en comprend pas la raison.

Aucun secteur d’activité, sauf les océans, n’est à la fois un puits de carbone et une source de matière première ; aucun n’est placé devant le défi que doit relever la forêt : assurer un équilibre environnemental vital tout en étant un acteur économique, qui, en France, représente 440 000 emplois directs et indirects, soit 12,4 % des emplois de l’industrie manufacturière, et assure environ 60 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuellement. En outre, les produits issus des forêts – bois de construction et bois-énergie – sont considérés comme participant de la transition écologique. Le rôle écologique entre ainsi dans les différentes fonctions économiques assurées par la filière. Il doit, par exemple, permettre au secteur de la construction de diminuer son impact en carbone.

Les professionnels de la filière-bois et les acteurs publics sont préoccupés par cette situation car ils en constatent quotidiennement les effets. La Fédération nationale des communes forestières, l’ONF, Fransylva et la Fédération nationale du bois ont ainsi publié en novembre 2019 une contribution pour la sauvegarde et l’adaptation de la forêt française, à la demande du groupe d’études « forêt – bois – nouveaux usages et industries du bois » de l’Assemblée nationale, proposant plusieurs solutions pour préserver la ressource. Sans forêt en bon état biologique, la filière économique ne pourra tout simplement pas disposer de matière première et fournir à la société les bénéfices multiples qu’elle attend d’elle. L’amont conditionne l’aval.

La forêt est l’affaire de tous, et non celle des seuls forestiers, en raison de ses usages multiples. Si l’État et les collectivités territoriales ont classiquement leur rôle à jouer comme prescripteurs des politiques publiques, les 3,3 millions de propriétaires privés, possédant 12,6 millions d’hectares dans l’hexagone, et les 35 000 propriétaires en Guadeloupe, Martinique et à La Réunion (pour 80 000 hectares) seront progressivement placés devant la nécessaire évolution de leur mode de gestion pour faire face au dérèglement climatique. Le problème réside dans la répartition inégale de la propriété forestière : 168 000 propriétaires gèrent 11,4 millions d’hectares, quand plus de 3 millions disposent de moins de 10 hectares. Leurs motivations et intérêts ne coïncident pas toujours. D’après une étude d’Agreste (service statistique du ministère de l’agriculture) de 2012, l’attachement affectif et la constitution d’un patrimoine constituaient les premières attentes des propriétaires quant à leur forêt, avant la production de bois, la préservation de la biodiversité ou un territoire de chasse. Ces propriétaires sont plus ou moins informés des risques causés par le dérèglement climatique, mais la faiblesse de leurs moyens et l’hétérogénéité de la composition en essences de leurs parcelles rendent difficile la coordination de leur gestion. Là n’est pas le moindre des défis pour la forêt française.

Le présent rapport d’information est publié à un moment où le Gouvernement et les professionnels de la filière forêt-bois mettent en œuvre les conclusions des Assises de la forêt. Il fait siennes la plupart des recommandations contenues dans les rapports précités (rapport Cattelot, rapports du Sénat, du Conseil économique, social et environnemental et de la Cour des comptes), mais face à l’urgence climatique, il s’efforce de dégager le plus lucidement possible, le plus modestement possible également, des pistes d’adaptation de la politique forestière. Le temps de la politique et celui de la forêt s’accordent en effet difficilement et dans un domaine où l’on ne peut rien imposer à la nature mais seulement en comprendre les évolutions, l’incertitude demeure le maître mot. Mais la réflexion collective, les apports de la science et une conscience claire de l’intérêt général doivent nous permettre de faire de la forêt un atout majeur pour la France.

 


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Résumé du rapport

Le dérèglement climatique est une réalité qui affecte tous les secteurs de notre société. Le présent rapport en décrit les effets sur les forêts et s’interroge sur la nécessité d’infléchir la politique forestière, bien que, à la suite de multiples rapports parlementaires et de corps d’inspection, le Gouvernement ait fixé récemment, en 2022, en conclusion des Assises de la forêt qui ont rassemblé la quasi-totalité des acteurs publics et privés de la filière forêt-bois, les axes d’une rénovation de cette filière. L’aggravation de ce dérèglement justifie néanmoins d’analyser s’il est bien pris en compte dans la politique forestière.

Les forêts françaises subissent une évolution trop rapide du climat par rapport à leurs capacités d’adaptation. Elles souffrent moins de la hausse des températures que des longues sécheresses à répétition, qui les affaiblissent et les rendent vulnérables à des parasites. Les sécheresses provoquent également des incendies d’une ampleur croissante, les plus importants s’étant déroulés en Gironde lors de l’été 2022, à Landiras et à La-Teste-de-Buch, mais de nombreux feux ont été combattus dans le Nord et l’Ouest de notre pays, là où ils étaient rares auparavant. La vulnérabilité des forêts varie selon les régions, en fonction de leurs caractéristiques physiques et climatiques. Les épicéas plantés en plaine à trop basse altitude subissent les attaques de scolytes, tandis que les forêts méditerranéennes souffrent d’une véritable aridification des sols. La forêt guyanaise, la plus vaste de France et la plus riche en biodiversité, souffre pour sa part d’un déficit d’eau en certaines zones, mais surtout des dommages causés par les orpailleurs clandestins.

Cette menace est grave car les forêts jouent un rôle multifonctionnel, fondement de toute la politique forestière française depuis des siècles, qui est vital pour notre société. Elles sont l’un des rares secteurs à être à la fois un puits de carbone et une source de matière première. Leur dépérissement remet en cause la politique de lutte contre le dérèglement climatique, dont elles sont un socle. Refuge de la biodiversité, elles constituent l’arme la plus efficace et la moins chère pour stocker le carbone ; elles fournissent depuis des millénaires le bois utile à la construction, à la fabrication d’objets usuels et au chauffage et forment un espace pour le pastoralisme ; elles sont le lieu où en toute liberté, populations rurales et urbaines s’adonnent à de multiples activités (cueillette, randonnée, chasse…) et façonnent nos paysages. Leur effondrement mettrait à bas toute la politique climatique et de biodiversité et une large part du développement d’une économie bas-carbone.

La forêt est le domaine du temps long, comme l’ont rappelé les scientifiques et climatologues auditionnés par la mission d’information. La décennie, le siècle, y sont les unités de mesure. Si les explications aux atteintes pesant sur les forêts sont connues et présentent un haut degré de fiabilité, la diversité génétique des arbres ainsi que leur dépendance aux caractéristiques géologiques, biologiques et climatiques des massifs forestiers dans lesquels ils vivent exigent d’envisager les solutions permettant de protéger et de restaurer les forêts avec beaucoup d’humilité. Elles varient selon les essences et les régions. De nombreuses expériences ont cours actuellement, conduites principalement par l’ONF, l’Inrae, le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), souvent en coopération avec le Centre national de la propriété forestière (CNPF), qui assiste les propriétaires privés. Elles ne donneront de résultats que dans plusieurs années. Les pouvoirs publics doivent donc accepter de conduire avec prudence une politique marquée par le sceau de l’incertitude.

Des indices existent sur la manière de préserver les forêts, à la fois fruits de l’expérience et de l’observation, de pratiques sylvicoles, de références à l’histoire rurale, de bon sens, mais aucun décideur ne peut se reposer sur une solution « clé en main ». Au demeurant, celle-ci est impossible dans un univers aussi complexe que la forêt, où la connaissance des arbres et surtout des sols est encore parcellaire.

La disponibilité des ressources forestières conditionne toute l’activité d’une filière très diverse, réunissant pépiniéristes, bûcherons, transporteurs, scieurs, industriels de la construction, de l’isolation, de l’emballage, de l’énergie… Au moment où notre pays s’engage dans un développement d’une économie bas-carbone, il est attendu des forêts qu’elles fournissent le matériau se substituant à d’autres, plus énergivores (béton, ciment, plastique), sans pour autant qu’un antagonisme se crée avec leurs fonctions biologiques. La filière forêt-bois est donc placée devant un double défi : s’adapter au dérèglement climatique sans savoir réellement de quelles essences elle disposera à moyen et long terme, et constituer elle-même une réponse au dérèglement climatique, notamment en fournissant et en transformant des matériaux biosourcés.

Outre la préservation et le développement de la ressource, la filière doit théoriquement adapter son appareil productif au dérèglement climatique, ce qui n’a rien d’évident. Développer la production de bois, moderniser les équipements des industriels en aval, valoriser les feuillus qui composent la majorité de la forêt française, créer une logique de circuits courts pour l’exploitation du bois, contractualiser les relations entre les maillons de la filière et avec le secteur de la construction constituent des pistes pour assurer l’avenir de la filière mais elles n’ont rien d’évident et se heurtent pour chacune d’entre elles à des obstacles. La réorganisation d’une filière ne se décrète pas, d’autant que celle-ci évolue sur un marché européen et mondial. La réorientation des aides publiques fait partie des solutions pour mieux tenir compte du dérèglement climatique et de la biodiversité.

Enfin, le présent rapport s’interroge sur l’organisation actuelle de la gestion forestière. Schématiquement, la forêt française est publique à hauteur de 25 % et privée à hauteur de 75 % de sa surface, avec un éclatement de la propriété privée. Si la gestion de cet ensemble est très administrée, notamment en application du code forestier, il n’en demeure pas moins que le droit de propriété est un principe constitutionnel. Le Conseil constitutionnel lui a toutefois conféré au fil de sa jurisprudence une plasticité historique, le reliant au contexte social et économique dans lequel s’exerce ce droit. Des lois peuvent le limiter, pour des raisons d’intérêt public. Aussi serait-il opportun, au moment où les forêts françaises jouent leur survie, d’expérimenter des formes plus collégiales de gestion.


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   Liste des propositions

Une évolution trop rapide du climat

 

Proposition n° 1 : Compte tenu de l’importance de la forêt guyanaise et pour des raisons d’égalité de traitement entre tous les territoires de la République, il convient d’étendre l’inventaire forestier annuel à la Guyane, puis à l’ensemble des collectivités d’outre-mer.

 

Proposition n° 2 : Renforcer les effectifs de l’ONF pour exploiter les données issues de la technologie Lidar et installer des placettes d’inventaire sur des points de calibration.

 

Proposition n° 3 : Intensifier la recherche sur les modes de sylviculture de manière décentralisée, compte tenu de la diversité de la géographie physique et des climats dans l’hexagone et en outre-mer.

 

Proposition n° 4 : Mettre en œuvre rapidement les actions 2.8 et 2.3 des Assises de la forêt qui portent respectivement sur les essences d’avenir et sur la préservation des sols forestiers.

 

L’obligation d’adapter les politiques de gestion et de valorisation des forêts au changement climatique

 

A)       Les conséquences pour la filière-bois des évolutions forestières provoquées par le changement climatique

 

Proposition n° 5 : En complément des financements carbone, augmenter le soutien financier public aux politiques de repeuplement, notamment des surfaces forestières sinistrées, de 100 millions d’euros par an via une politique de guichet pérenne financée par des crédits budgétaires.

 

Proposition n° 6 : Développer le volume et la visibilité du soutien public envers la filière des matériels forestiers de reproduction (graines et plants) pour anticiper au maximum les besoins du renouvellement forestier.

 

Proposition n° 7 : Modifier l’article 200 quindecies du code général des impôts et porter de 25 à 35 % le crédit d’impôt dont bénéficient les contribuables à raison de leurs opérations forestières s’ils s’engagent à gérer leur forêt en futaie irrégulière.

 

Proposition n° 8 : Introduire à l’article R. 312-4 du code forestier relatif au plan simple de gestion la prise en compte de la préservation des sols.

 

Proposition n° 9 : Compléter l’article L. 166-G du livre des procédures fiscales afin de donner aux experts forestiers et aux groupements locaux de propriétaires forestiers la possibilité d’accéder aux données cadastrales de manière rapide et simplifiée quand les parcelles forestières sont attaquées par des parasites.

 

Proposition n° 10 : Renforcer les effectifs de l’ONF en Guyane, y définir un nouvel équilibre entre protection de la forêt et son exploitation économique raisonnée et mieux associer les élus et les populations locales à sa gestion.

 

Proposition n° 11 : œuvrer pour que les labels de certification de la gestion durable des forêts soient alignés sur les meilleures connaissances scientifiques et a minima sur les critères de France 2030.

 

Proposition n° 12 : Intensifier la lutte contre le braconnage de bois.

 

Proposition n° 13 : Redéployer une partie des aides publiques portant sur le bois-énergie vers le bois de construction et la filière de transformation primaire.

 

Proposition n° 14 : Mieux conditionner les aides publiques nationales et régionales pour encourager l’équipement en matériel à faible impact et inclure un volet « sol » dans les Defi en modifiant l’article 200 quindecies du code général des impôts ainsi que pour l’obtention du label bas-carbone (décret n° 2018-1043 du 28 novembre 2018 créant un label « bas-carbone »).

 

Proposition n° 15 : Réunir rapidement une conférence sociale ou toute autre instance avec la participation de l’État, des partenaires sociaux et des représentants de la filière-bois pour améliorer la sécurité au travail des bûcherons et débardeurs.

 

B)       Les aides financières et techniques.

 

Proposition n° 16 : Développer une politique de guichet simplifié pour les plus petites entreprises pour les aides à la modernisation de l’équipement.

 

Proposition n° 17 : Créer et financer une nouvelle mission d’intérêt général (MIG) confiée à l’ONF en faveur du renouvellement des peuplements forestiers et de la protection des forêts face au changement climatique.

 

Proposition n° 18 : Supprimer le plafond d’affectation de la compensation financière pour défrichement afin d’augmenter les ressources du fonds stratégique de la forêt et du bois et augmenter sa capacité de financement d’actions d’adaptation des forêts au changement climatique.

 

Proposition n° 19 : élargir l’éligibilité des aides au reboisement aux acteurs locaux, comme les parcs naturels régionaux, qui portent des projets de gestion durable des forêts.

 

Proposition n° 20 : élargir et renforcer les déductions fiscales accordées dans le cadre du dispositif Defi en contrepartie d’engagements à une gestion durable des forêts plus contraignants en inscrivant de nouvelles obligations à l’article 200 quindecies du code général des impôts.

 

Proposition n° 21 : Introduire à l’article L. 2111-1 du code de la commande publique un poids minimum obligatoire consacré aux critères environnementaux et sociaux dans la pondération des marchés publics.

 

Proposition n° 22 : Généraliser la traçabilité des produits en bois et développer une forme de score environnemental pour ces produits.

 

Proposition n° 23 : Encourager les expériences visant à établir une rémunération des aménités forestières et en tirer un bilan détaillé, notamment au niveau des mécanismes possibles de rémunération de ces aménités.

 

C)      Développer de nouveaux outils de gestion forestière au niveau national et local pour mieux appréhender les effets du changement climatique

 

Proposition n° 24 : Abaisser à 20 hectares le seuil obligatoire des PSG et introduire de nouveaux volets obligatoires dans les documents de gestion durable et dans les SRGS, notamment en ce qui concerne la biodiversité, l’adaptation au changement climatique et la lutte contre les incendies.

 

Proposition n° 25 : Renforcer les effectifs et l’expertise des CRPF pour évaluer la qualité des documents de gestion durable et le respect des obligations liées à la gestion durable des forêts.

 

Proposition n° 26 : Développer l’accès des entreprises forestières aux informations relatives au maintien de la biodiversité dans les documents de gestion durable et envisager, après avis du Gouvernement et des fédérations des collectivités territoriales, d’ouvrir aux parcs naturels régionaux le droit d’édicter des mesures prescriptives dans les chartes de parc.

 

Proposition n° 27 : Renforcer les exigences de gestion durable des forêts comme condition obligatoire pour la constitution de nouveaux groupements d’intérêt économique et environnemental forestier (Gieef).

 

Proposition n° 28 : Expérimenter la mise en place de plans de gestion collectifs par massif forestier ayant notamment pour objectif de favoriser l’adaptation des forêts au changement climatique.

 

Proposition n° 29 : étendre le droit de préemption des collectivités publiques et de l’État dans un souci de préservation du couvert forestier et de gestion durable des forêts.

 

D)      Protéger la forêt des incendies et renforcer le dialogue et la connaissance du public autour des enjeux forestiers.

 

Proposition n° 30 : Augmenter le nombre de Pprif en simplifiant leurs modalités d’élaboration, de modification et de révision et accompagner l’ensemble des acteurs concernés dans la mise en place de dispositifs relatifs à la défense de la forêt contre les incendies (DFCI) dans les massifs.

 

Proposition n° 31 : Mieux accompagner les employeurs et les collectivités territoriales afin d’encourager l’engagement des sapeurs-pompiers volontaires sur l’ensemble du territoire.

 

Proposition n° 32 : établir une cartographie fine de l’ensemble des massifs forestiers français.

 

Proposition n° 33 : Soutenir les départements dans l’investissement en moyens matériels de prévention et de lutte contre les incendies et assurer une répartition équitable des moyens aériens sur l’ensemble du territoire.

 

Proposition n° 34 : Dégager un espace libre d’arbres, au minimum sur 7 mètres de largeur de chaque côté des routes, et veiller à mettre en place des voies d’accès en forêt pour les sapeurs-pompiers

 

Proposition n° 35 : Institutionnaliser les concertations entre l’ensemble des parties prenantes afin de faire émerger une sylviculture préventive, adaptée à la réalité de chaque territoire.

 

Proposition n° 36 : Renforcer le taux de réalisation des obligations légales de débroussaillement en accompagnant les maires dans la sensibilisation des populations et par l’association des propriétaires forestiers à cette obligation.

 

Proposition n° 37 : Modifier l’article L. 124-5 du code forestier et soumettre à autorisation préfectorale toute coupe d’un seul tenant égale ou supérieure à 2 hectares, que la forêt présente ou non une garantie de gestion durable, après avis du CNPF lorsqu’il s'agit de forêts privées.

 

Proposition n° 38 : Modifier l’article R. 718-27 du code rural et de la pêche maritime en prévoyant qu’après réception de la copie l’informant de la déclaration d’un chantier forestier, le maire peut demander au CNPF ou au CRPF de procéder à un diagnostic de dépérissement ou de maturité des arbres de la parcelle visée par les coupes. En cas d’avis négatif du CNPF ou du CRPF, la coupe ne pourrait être effectuée.

 

Proposition n° 39 : Instaurer une fête de la forêt qui se déroulerait le 21 mars de chaque année, à l’occasion de la Journée internationale des forêts décidée par l’ONU.


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   La forêt en chiffres

 

3 000 milliards d’arbres dans le monde. La superficie mondiale des forêts est de 4,06 milliards d’hectares (ha), soit 31 % de la superficie totale des terres.

 

Superficie des forêts françaises :

 

17,1 millions ha dans l’hexagone et 8,4 millions en outre-mer, principalement en Guyane (près de 8 millions), soit la quatrième forêt d’Europe après la Suède, la Finlande et l’Espagne. 31 % du territoire de l’hexagone est boisé, 96 % en Guyane. La forêt constitue le second type d’occupation des sols après l’agriculture, présente sur plus de la moitié du territoire.

 

Départements les plus boisés (taux de boisement supérieur à 60 %) : Guyane, Corse-du-Sud, Alpes-Maritimes, Var et Alpes de Haute-Provence.

 

Départements les moins boisés (taux inférieur à 10 %) : Manche, Vendée, Mayenne, Pas-de-Calais, Deux-Sèvres.

 

Territoires infra départementaux avec un taux supérieur à 70 % : Parc amazonien et forêt domaniale de Guyane, Landes de Gascogne, Massif vosgien central, Alpes externes du Sud, Cévennes et Ardenne primaire.

 

Composition des forêts françaises :

 

Guyane : 1 300 essences - Hexagone : environ 150 essences, à raison de 64 % de feuillus et 36 % de conifères. Les chênes forment 44 % des feuillus.

 

Près de la moitié des forêts hexagonales est composée de peuplements monospécifiques (une essence représente plus de 75 % du couvert des arbres), un tiers ont deux essences et 19 % comptent plus de deux essences. Les forêts les plus diversifiées sont dans le Nord-Est et le Massif central ; les moins diversifiées sont dans le massif landais, où domine le pin maritime.

 

Les forêts sont en outre un refuge de biodiversité. Guyane : 400 000 espèces animales et végétales. Hexagone : 73 espèces de mammifères, 120 espèces d’oiseaux forestiers, 30 000 espèces de champignons et bactéries, autant pour les insectes.

 

Répartition de la propriété forestière :

 

Forêts domaniales (forêts appartenant à l’État et gérées par l’ONF) : 1,5 million ha (9 %).

Forêts communales (forêts appartenant à des communes ou leurs sections, ainsi qu’à d’autres collectivités territoriales, des établissements publics, etc) : 2,4 millions ha (16 %).

 

Forêts privées : 12,8 millions ha dans l’hexagone (75 %), avec des variations régionales. Le taux est de 90 % en Pays-de-la-Loire, Nouvelle-Aquitaine et Bretagne, 44 % dans le Grand Est. En Guyane, la quasi-totalité de la forêt est publique.

 

50 000 propriétaires privés possèdent une surface supérieure à 25 ha ; 2,2 millions détiennent moins de 1 ha.

 

Séquestration du CO2 :

 

Les forêts de l’hexagone séquestrent annuellement 31 millions de tonnes de CO2, soit l’équivalent de 10 % des émissions françaises de gaz à effet de serre. Les sols forestiers, pour leur part, piègent 20 millions de tonnes.

 

Croissance et mortalité des forêts :

 

Volume actuel de bois dans l’hexagone : 2,8 milliards de mètres cubes sur pied, soit une moyenne de 174 mètres cubes à l’hectare. Troisième stock de bois européen après l’Allemagne et la Suède.

 

Entre 1908 et 1985, la surface forestière a augmenté de 50 000 ha par an. Depuis 1985, la forêt s’étend en moyenne annuelle de 80 000 ha, en raison de l’exode rural et des mesures de boisement ou de reboisement, notamment en montagne.

 

La mortalité annuelle moyenne s’est élevée à 11,4 millions de mètres cubes sur la période 2012-2020, en augmentation de 54 % par rapport à la période 2005-2013 et s’explique notamment par les crises sanitaires liées aux conditions climatiques difficiles, comme les successions de sécheresse qui entraînent l’expansion d’insectes ou de champignons ravageurs. La production biologique des arbres (c’est-à-dire leur croissance) s’est ralentie de 4 % de 2012 à 2020 par rapport à la période 2005-2013.

 

Enjeu sociétal :

 

Les forêts françaises reçoivent 700 millions de visites annuellement, pour de multiples activités.

 

Filière forêt-bois :

 

38 millions de mètres cubes de bois commercialisés en moyenne chaque année. 60 000 entreprises et 440 000 emplois, soit 1,4 % de la population active et 12,4 % des emplois industriels – Valeur ajoutée de 25 milliards d’euros (1,1 % du PIB en 2017).

 

En milliers de mètres cubes ronds sur écorce

 

2019

2020

2021

Récolte de bois commercialisé

38 152

 36 619

39 863

Bois d’oeuvre

19 558

 18 463

20 854

dont feuillus

5 313

4 751

5 015

dont conifères

14 245

13 713

15 839

Bois d’industrie

10 533

10 022

10 126

Bois énergie

8 061

 8 134

8 883

 

Sources : ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire - Institut national de l’information géographique et forestière.


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I.   une Évolution trop rapide du climat par rapport aux capacitÉs d’adaptation de la forÊt

Les forêts et les usages du bois sont au carrefour de nombreux enjeux à concilier, et au cœur de stratégies de long terme pour notre société :

Une forêt en bon état assure donc de multiples services. Dès lors qu’elle se dégrade, elle met en péril les équilibres naturels et l’ensemble des secteurs économiques qui dépendent d’elle.

Il convient d’emblée d’affirmer un principe. Si en matière forestière, écologie et économie sont étroitement liées – l’état des forêts conditionnant l’existence de plusieurs secteurs industriels – il doit être clair, au regard de la crise sans précédent qu’elles traversent, qu’il revient à la filière économique d’adapter son activité à leur évolution et non le contraire. Les forêts ont leurs rythmes, qui dépassent l’échelle de la vie humaine ; les connaissances scientifiques actuelles permettent de disposer d’indices sur leur avenir, mais non de certitudes absolues. La nature ne saurait être forcée à des fins purement économiques.  

A.   L’impACT DU CHANGEMENT CLIMATIQUE SUR LES FORÊts

Les forêts existent depuis environ 350 à 380 millions d’années et se sont constamment adaptées aux évolutions du climat. Mais le dérèglement climatique, inédit dans l’histoire et qui s’accélère depuis vingt à trente ans est si rapide – certains diront qu’il est trop rapide – que leur capacité d’adaptation spontanée est altérée. D’origine anthropique, il les place dans une situation à laquelle elles n’ont jamais été confrontées. Cette situation de stress touche tant les forêts de l’hexagone que les forêts d’outre-mer, dont la diversité biologique est très riche.

1.   Un dérèglement climatique inédit dans l’histoire

Le climat a toujours varié au fil des millénaires, au rythme d’alternances entre des périodes de glaciation et de réchauffement. En 400 000 ans, les températures ont oscillé en moyenne de moins 6 degrés centigrades à plus 2 degrés, soit une amplitude de 8 degrés. Les forêts françaises se sont facilement adaptées à ces différentes phases car elles ont duré des millénaires.

Le climat s’est réchauffé de 4 degrés en moyenne sur les 11 000 dernières années (période de l’holocène). Si l’évolution de la trajectoire des températures ne fléchit pas, elles augmenteront également de 4 degrés, mais juste en deux siècles, entre 1850 et 2050/2100.

Depuis 1850/1900 et jusqu’à nos jours, la planète subit un réchauffement climatique inédit depuis 2000 ans, avec une augmentation moyenne de température de 1,1 degré (1,7 degré en France), qui risque de s’accélérer. Ce chiffre peut apparaître sans conséquence pour l’existence des êtres humains, mais il est d’un impact considérable pour la nature.

D’après le sixième rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) intitulé « Climate Change 2021 : The physical Science Basis » ([8]) et publié en août 2021, « l’influence de l’homme sur le réchauffement de l’atmosphère, des océans et de la terre est établie ». Le rapport conclut également que chacune des quatre dernières décennies a été successivement plus chaude qu’aucune autre précédente depuis 1850. De même, les vagues de chaleur des trente‑cinq dernières années ont été trois fois plus nombreuses que les trente années précédentes, avec une multiplication par neuf des jours de chaleur. 2003 et 2022 ont été les années les plus chaudes du XXIème siècle. Le graphique ci-dessous illustre l’augmentation des températures moyennes en France ces dernières décennies :

Évolution des températures moyennes annuelles en France métropolitaine depuis 1900

Source :  Météo France

Le réchauffement climatique constaté ces dernières décennies s’explique par les activités humaines, qui entraînent une augmentation des émissions de gaz à effet de serre. Ces gaz absorbent et piègent alors une partie du rayonnement du soleil au niveau de la surface terrestre qui se réchauffe. Ce mécanisme a pour conséquence de provoquer une hausse des températures afin de parvenir à un équilibre entre l’énergie du soleil absorbée en permanence et celle réémise sous forme de rayonnement infra-rouge.

Les scénarii d’évolution du climat prennent en compte le stock existant de gaz à effet de serre présent dans l’atmosphère, mais il faut y ajouter les futurs gaz émis et donc un risque d’accélération du dérèglement climatique, que l’Organisation météorologique mondiale a mis en lumière dans un rapport diffusé à la fin de 2022, juste avant la 27ème Conférence des Parties (COP 27). « Cette chronique du chaos climatique montre clairement que le changement se produit à une vitesse catastrophique, dévastant les vies sur tous les continents », ainsi que s’en est inquiété M. Antonio Guterres, Secrétaire général des Nations Unies.

Les effets du dérèglement climatique sont déjà visibles, avec principalement une hausse des températures et une modification du régime des eaux, alternant violentes précipitations et phases de sécheresse. Ces tendances s’accompagnent d’épisodes tels que des tempêtes, des gels, des incendies ou des inondations. Ceux-ci sont toujours intervenus dans l’histoire, mais de manière sporadique. Avec le changement intervenu ces dernières années, ils sont désormais récurrents, soumettant les milieux naturels à des stress permanents. Ainsi, la mesure des canicules observées en France montre que quarante-cinq épisodes ont été identifiés de 1945 à 2022, mais que sur les trente-cinq dernières années, ils ont été trois fois plus nombreux que sur les trente-cinq années précédentes, avec des variations de durée et d’intensité. 2003 a constitué un épisode intense et long (quinze jours) ; 2019 a été intense et court (six jours) et 2022 a été le plus long (vingt-deux jours), mais avec moins d’intensité que 2003.

Ces changements sont observables à l’échelle de la planète, des régions polaires aux régions tropicales. Le dérèglement climatique est toutefois plus visible dans deux zones : d’une part, en montagne, avec le recul des glaciers, une fonte plus rapide du manteau neigeux ou encore des précipitations qui tombent davantage sous forme de pluie que de neige ; d’autre part, dans les zones tropicales, avec des cyclones plus dévastateurs qu’auparavant, des températures qui dépassent parfois 40 degrés et une élévation inquiétante du niveau de la mer.

Il importe, lorsque l’on examine les effets du dérèglement climatique sur les forêts, de garder à l’esprit qu’il s’agit d’une tendance de long terme, qui en outre sera ponctuée d’évènements extrêmes (vents violents, sécheresses, incendies) qui détruiront un milieu naturel déjà fragilisé et qui, à terme, pourront aller jusqu’à déstabiliser un système économique et social. Si les forêts ont su s’adapter au fil des millénaires, les scientifiques auditionnés par la mission d’information ont indiqué qu’elles ne ressembleraient plus à ce qu’elles étaient autrefois, et que les changements à attendre étaient sans précédent.

2.   Les impacts du dérèglement climatique sur les forêts

a.   La faculté d’adaptation des forêts avant l’anthropocène

Organismes vivants, les forêts se sont de tout temps adaptées aux évolutions climatiques. Certains arbres encore sur pied ont ainsi connu le petit âge glaciaire qui s’est produit en Europe de 1450 à 1850 (un degré plus froid qu’actuellement), avant le réchauffement d’origine anthropique observé à partir de 1850. La différence est que ces évolutions se déroulaient sur des siècles, voire des millénaires. L’ère quaternaire a vu l’alternance en Europe de périodes de glaciation et de réchauffement, schématiquement et tendanciellement 100 000 ans de refroidissement, suivis de 10 000 ans de réchauffement.

Les espèces d’arbres actuelles sont présentes sur le continent européen depuis cinq millions d’années, bien avant l’apparition de l’homme sur Terre, et ont survécu aux évolutions du climat. À titre d’exemple, le chêne feuillu est apparu il y a environ 14 000 ans en Europe et a mis 10 000 ans à couvrir la France depuis la Grèce et l’Italie, soit une migration très lente.

La forêt n’est pas et n’a jamais été un espace immuable. Elle évolue si le climat change. C’est une réalité que tout gestionnaire forestier connaît, sur laquelle il peut établir une stratégie d’adaptation. La forêt actuelle ne ressemble donc pas à celle qui existait il y a des millénaires. Les études montrent que 14 000 ans avant notre ère, la forêt de conifères s’est substituée à la toundra et aux steppes, et que      7 000 ans plus tard, cette même forêt a été remplacée par une forêt de feuillus ([9]). En outre, en 21 000 ans, 15 % du biome a changé dans les régions méditerranéennes. Si les arbres ont jusque-là réussi à s’adapter sur plusieurs périodes de changement climatique, c’est d’une part grâce à des échanges génétiques entre espèces, d’où l’importance répétée par les scientifiques auditionnés de maintenir une diversité biologique sur un territoire donné ; d’autre part, parce que cette adaptation s’est effectuée en conformité avec leur durée de vie, sur un temps de plusieurs décennies à plusieurs siècles.

b.   Des scenarii d’évolution climatique inquiétants pour les forêts et pour les activités agricoles

Le Giec ([10]) a envisagé cinq scénarii explorant les évolutions envisageables du climat au regard des émissions planétaires de gaz à effet de serre à l’horizon 2100. Ces scénarii, dits « SSP » pour « trajectoires socio-économiques communes » (shared socioeconomic pathways), permettent de prendre en compte les incertitudes liées aux futures activités humaines et d’éclairer les décisions. Les cinq scénarii retenus, du plus optimiste au plus pessimiste, sont les suivants :

-         SSP1-1.9 : il s’agit du scénario le plus ambitieux pour atteindre l’objectif de 1,5 degré de l’Accord de Paris, puisqu’il table sur un réchauffement limité à 1,4 degré d’ici à 2100. La neutralité carbone est atteinte vers la moitié du siècle. Les émissions deviennent ensuite négatives, en particulier grâce à la coopération internationale et un développement qui s’articule autour du bien-être général ;

-         SSP1-2.6 : ce scénario envisage également un monde qui parvient à réussir sa transition écologique. La différence est que les émissions se réduisent moins rapidement que dans le premier scénario ; ainsi, la hausse des températures se stabilise à +1,8 degré à la fin du siècle ;

-         SSP2-4.5 : considéré comme intermédiaire, ce scénario ne prévoit pas de changement notable s’agissant des facteurs socio-économiques. Suivant cette trajectoire, les émissions commencent à diminuer à partir de la seconde moitié du siècle. Au total, les températures augmentent d’environ 2,7 degrés d’ici à 2100 ;

-         SSP3-7.0 : dans un contexte de compétitivité accrue entre les pays qui se referment sur eux-mêmes afin d’assurer leur sécurité nationale et alimentaire, la protection de l’environnement est délaissée, voire même se dégrade à certains endroits. Par conséquent, les émissions mondiales de gaz à effet de serre et les températures augmentent régulièrement. D’après ce scénario, la température moyenne de la planète aura augmenté de 3,6 degrés en 2100 ;

-         SSP5-8.5 : il s’agit du pire scénario, basé sur un développement alimenté par les énergies fossiles. L’économie mondiale continue de croître et les modes de vie intensifs se généralisent, tandis que les émissions mondiales de CO2 doublent presque d’ici 2050. À la fin du siècle, les températures moyennes augmentent de 4,4 degrés.

Il est malheureusement envisageable que l’augmentation moyenne des températures en France au XXIème siècle soit ainsi réévaluée et que notre pays enregistre vers 2070 – 2100 une température de 3,8 degrés plus élevée qu’au début du XXème siècle, au lieu de 2,5 degrés. Les étés pourraient être en moyenne plus chauds de 5 degrés par rapport aux décennies allant de 1900 à 1930. En trente ans, les épisodes de sécheresse ont doublé, et ils pourraient à nouveau doubler d’ici à 2050. En conséquence, l’humidité des sols diminuerait dans presque toute la France hexagonale, et la sécheresse s’accentuerait en région méditerranéenne et sur la moitié Ouest de notre pays.

Cette crainte des effets d’une sécheresse touche également les collectivités d’outre-mer. La Guyane, qui abrite une forêt riche de biodiversité, subit un dérèglement climatique : hausse des températures, allongement des saisons sèches... Statistiquement, le nombre de jours où la température dépasse 31 degrés n’a cessé d’augmenter. Météo-France estime que les cyclones dans les zones d’outre-mer habituellement touchées par ce phénomène seront à l’avenir moins nombreux mais qu’ils seront plus violents.

Les sols étant plus secs, la végétation devient plus inflammable. Jusqu’à présent, seule La Réunion était traditionnellement sujette aux incendies de forêts. Ceux-ci surviennent désormais dans les îles caribéennes et en Guyane.

Ces projections sont inquiétantes pour les forêts. Il suffit de constater l’effet actuel d’une augmentation des températures de 1,1 degré pour mesurer l’impact sur elles d’un scénario médian oscillant entre 2,5 et 3 degrés. Combiné à l’intensification et l’allongement des périodes de sécheresse, qui dégrade les sols dont l’humidité est indispensable aux arbres, elles placent les forêts françaises dans une situation qu’elles n’ont jamais connue.

L’ensemble des facteurs qui affectent les forêts concernent également les activités agricoles. La forêt dépérit quand les sols sont secs et il en est de même pour les productions agricoles. Lors du présent hiver (2022-2023), les départements de l’Ardèche et de la Drôme ont par exemple reçu 25 % de pluie en moins, et ce, après un été où la sécheresse s’est étendue à la France entière. Les premiers labours ont dégagé de la poussière alors qu’habituellement, les agriculteurs travaillent une matière organique dense.

La situation est variable selon les régions ; il n’existe pas de lien direct entre le dépérissement forestier et l’agriculture, mais forestiers et agriculteurs partagent le même sort.

c.   Les effets du dérèglement climatique sur les forêts

La proportion de la forêt française menacée par les risques de dépérissement ne fait pas consensus. Le chiffre de 30 % des surfaces est couramment avancé (il n’est pas absurde, si l’on tient compte de la mortalité des arbres) mais quelques chercheurs ainsi que des acteurs de la filière-bois le contestent, sans nullement mettre en cause toutefois la réalité du phénomène. L’ONF estime que 50 % de la forêt française pourrait avoir changé d’ici 2070. Quel que soit le taux retenu, la gestion de la forêt française va se caractériser dans l’avenir par sa complexité et par de nombreuses incertitudes sur les essences qui la composeront.

Statistiquement, d’après les dernières données de l’IGN et du département Santé des forêts du ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, 104 millions de mètres cubes d’arbres sont morts sur pied pour la période 2015‑2019, ce qui représente 4 % du stock de bois sur pied présent en forêt, évalué à 2,6 milliards de mètres cubes. Plus problématique, il est observé une augmentation de 30 % des arbres morts de moins de cinq ans. Le châtaignier, le robinier faux-acacia, le frêne, le pin sylvestre et l’épicéa commun sont les essences qui présentent les plus forts taux annuels de mortalité d’arbres de moins de cinq ans.

Le dérèglement climatique entraîne en premier lieu des effets sur chaque essence d’arbre. Il porte en second lieu atteinte à l’écosystème forestier, constitué d’un ensemble d’espèces arboricoles, reposant sur des sols abritant des milliers d’organismes vivants, sensibles à ce dérèglement. Espèces végétales et animales y interagissent en permanence.

Les facteurs qui affectent l’existence des forêts sont dans les grandes lignes les suivants :

Pour résumer, la concentration de CO2 stimule la photosynthèse et favorise la croissance des arbres lors de saisons de végétalisation plus longues. De même, les retombées d’azote entraînent un effet fertilisant sur les sols. Mais parallèlement, la sécheresse et les insectes défoliateurs affectent la santé des forêts françaises et européennes. La sécheresse affaiblit notamment les arbres, qui sont ainsi moins résistants aux attaques des insectes, et elle favorise grandement les incendies. En 1997, 2,2 % des feuillus et 1,8 % des résineux étaient touchés par un manque sévère de feuilles. Ces taux sont respectivement passés en 2019 à 9,6 % et 4,3 %.

Quant aux incendies (cf deuxième partie du présent rapport), la stratégie de lutte mise en place dans les années 1980 d’attaque massive sur les feux naissants a fait ses preuves, mais comme le souligne un rapport du Sénat ([11]), le dérèglement climatique induit un risque supplémentaire présentant les caractéristiques suivantes :

Les incendies diminuent la biomasse forestière, altèrent la biodiversité, privent la filière-bois de sa matière première et portent atteinte au rôle de stockage de carbone. Or, le maintien en bon état des forêts et la lutte contre la déforestation sont, en application de l’article 5 de l’Accord de Paris, un moyen d’accroître le stock de carbone forestier. Les mangroves, très présentes en outre-mer, jouent un rôle comparable.

Les risques sont parfois en chaîne : dans la région Grand Est, l’attaque en 2002 de chenilles processionnaires sur les chênes pédonculés a augmenté leur vulnérabilité à la sécheresse, survenue en 2003, puis celle-ci a favorisé leur sensibilité à des agresseurs secondaires, provoquant la surmortalité de cette essence. L’exemple de l’épicéa est encore plus éclairant. Cette essence subit actuellement de fortes attaques de scolytes dans le Nord et l’Est. Le problème originel provient de boisements du Fonds forestier national dans les années 1950, parfois dans des habitats peu propices à cette essence, comme en plaine. De 2000 à 2008, 6 millions de mètres cube de bois ont été attaqués à la suite de la tempête de 1999. Depuis 2019, la mortalité est massive sur des peuplements affaiblis par la sécheresse.

Le dérèglement climatique agit donc comme un révélateur de la fragilité des forêts, soumises d’une part à un stress thermo-hydrique, d’autre part à l’attaque de champignons, parasites, bactéries et insectes. Enfin, la fréquence d’épisodes extrêmes, notamment les canicules et les incendies, aggrave la situation des forêts.

L’évolution des forêts françaises est suivie par l’IGN ainsi que par les signalements des opérateurs de terrain : Office national des forêts, Réseau national de suivi à long terme des écosystèmes forestiers (Renecofor), entre autres… Ceux-ci observent que le réchauffement climatique entraîne un double effet. D’une part, il permet à des essences implantées dans le Sud de la France de remonter vers le Nord et l’Ouest du pays ; ainsi en est-il à terme du chêne vert, actuellement présent en Méditerranée et sur la côte atlantique. D’autre part, le stress hydrique dans les régions méditerranéennes crée une aridification des sols, générant des mortalités importantes. Les amandiers disparaîtraient s’il n’y avait pas d’irrigation et l’état des pins sylvestres s’est fortement dégradé dans les Alpes du Sud.

On observera toutefois que les causes de dégradation des arbres sont multiples, liées à chaque essence, et ne proviennent pas toutes du dérèglement climatique. Le châtaignier, essence actuellement la plus dégradée, voit sa mortalité augmenter en raison d’une maladie appelée encre du châtaignier ; le frêne, quant à lui, doit son importante mortalité à une maladie provenant d’un champignon asiatique, hymenoscyphus fraxineus, détecté pour la première fois en Haute-Saône, en 2008, introduit sans doute accidentellement par l’homme. Le volume de frênes morts sur pied est en constante augmentation. Il a plus que doublé en moins de dix ans, passant de moins de deux millions de mètres cubes avant 2015 à presque cinq millions de mètres cubes en 2018. Les régions les plus sévèrement plus touchées sont la Franche-Comté, le Grand Est et les Hauts-de-France. 30 à 40 % des semis meurent chaque année, au point que le Syndicat des exploitants de la filière-bois (Sefb) doute de l’avenir de cette espèce comme essence de production.

Évolution à terme des principales essences françaises d’après le réseau Aforce

- chênes sessiles et pédonculés, actuellement la première essence en France : perte d’un tiers de leur aire d’habitat ; 10 à 15 % des chênes meurent actuellement sur pied dans le Sud de la Loire par manque d’eau ;

- hêtres : retrait des deux tiers de leur aire actuelle, avec repli vers les massifs montagneux et le Nord-Est de la France ;

- sapins : recul de 60 % de leurs marges méridionales à moyenne et basse altitude ;

- épicéas : repli dans l’étage subalpin pour ne conserver que 10 % de la surface qu’ils occupent actuellement, les attaques de scolytes amplifiant le dérèglement climatique ;    50 % des épicéas sont atteints par les scolytes en raison des étés chauds et secs de 2018 à 2022 ;

- pins maritimes, actuellement présents en Nouvelle-Aquitaine et dans les régions méditerranéennes : extension possible vers le Nord de la France en raison du réchauffement climatique.

L’évolution du hêtre en France

Deux espèces de hêtres sont présentes en Europe : le hêtre d’Orient et le hêtre commun. En France, c’est cette deuxième espèce que l’on trouve principalement : celle-ci peuple 10 % des forêts et s’épanouit dans un climat tempéré humide. Le hêtre est la deuxième essence de feuillus par la surface occupée, après le chêne. Sa longévité moyenne est de 150 ans. Le hêtre est principalement utilisé en menuiserie (parquet) ou comme combustible et source de fibres pour l’industrie papetière.

Le hêtre est une essence très sensible à la sécheresse. De premiers signes de faiblesse face à la répétition des périodes de sécheresse s’observent déjà. Faute de pluies, il ne parvient plus à puiser dans le sol l’eau et les nutriments de la terre nécessaires pour se maintenir en bonne santé. Il est de plus en plus stressé et réagit en limitant l’évaporation par ses feuilles, ce qui interrompt sa croissance. Les jeunes plants sont les plus touchés, étant naturellement moins résistants.

Selon l’Inrae, une grande partie des hêtres pourraient disparaître des plaines d’ici 2100 en raison du dérèglement climatique. Afin de faire face au réchauffement, ces arbres vont se réfugier en altitude où ils trouveront davantage de fraîcheur et d’humidité. Sur les sols secs, le hêtre sera peut-être remplacé par des essences plus résistantes, tandis que seront privilégiés, pour cet arbre, des sols avec une bonne capacité de stockage de l’eau.

Ce constat pessimiste doit toutefois être tempéré. Des observations effectuées dans le Parc naturel régional des Vosges montrent une bonne résistance et des capacités d’adaptation du hêtre dans les sols en grès. Un constat à l’échelle nationale peut être infirmé en raison de caractéristiques locales et démontre qu’aucune essence ne doit être condamnée sans étude sérieuse de son état.

S’il est utile de rappeler les menaces sur quelques essences, celles-ci étant souvent emblématiques d’une région ou d’un usage (l’érable étant par exemple le bois le plus prisé en lutherie), c’est à partir de l’écosystème forestier et de son sol, dont il est inséparable, qu’il faut analyser la situation présente. Riches en microorganismes, les sols constituent le théâtre d’interactions entre les êtres vivants qui les peuplent, ce biotope générant une forme d’équilibre dynamique. Plus particulièrement, la dynamique de l’écosystème forestier est rythmée par les peuplements d’arbres car ceux-ci modifient les éléments abiotiques de la forêt : ils filtrent la diffusion de la lumière, régulent la température, influent sur le degré d’humidité dans l’atmosphère… Par conséquent, la santé des arbres est inséparable de la biocénose (comprenant les végétaux, animaux, microorganismes et champignons) présente au sein d’un écosystème forestier. 

Cet écosystème joue de multiples rôles – nous rencontrons ici la multifonctionnalité des forêts, élément capital pour la conduite des politiques publiques – reconnus à l’article L. 121-1 du code forestier : stockage du carbone dans les bois et forêts, maintien de l’équilibre et de la diversité biologique, matière première pour l’industrie du bois, compétitivité et durabilité de la filière-bois et développement des territoires ([13]). Schématiquement, la forêt remplit un rôle écologique et économique, pour lequel l’article L. 121-1 précité n’établit théoriquement aucune hiérarchie. Ajoutons une fonction d’importance en cette période de sécheresses croissantes : une étude du Centre européen de recherche nucléaire (CERN) a prouvé en 2014 que les arbres jouaient un rôle dans l’apparition des nuages.

Les menaces pesant sur l’écosystème forestier jouent, indifféremment, sur l’ensemble de leurs fonctionnalités sociétales, écologiques et économiques, la filière représentant plusieurs métiers, environ 440 000 emplois dans 60 000 entreprises. Aucun secteur n’imbrique aussi étroitement des services aussi essentiels à la vie en société.

Le dérèglement climatique induit un seul facteur positif : la hausse des températures stimule la croissance des arbres, à la condition que le manque d’eau ne soit pas un facteur limitant. En effet, plus de chaleur et une hauteur plus importante des arbres exigent en contrepartie davantage d’eau, la productivité des forêts étant fonction de l’eau dont elles disposent.

L’affaiblissement des peuplements a un effet économique puisqu’il met sur le marché des tonnes de bois issus des coupes sanitaires, avec des risques sur l’équilibre de l’offre et de la demande. Lors du déplacement d’une délégation de la mission d’information en Gironde, le 13 mars dernier, les exploitants forestiers ont indiqué qu’à la suite des incendies, la mise massive sur le marché de bois coupé avait provoqué une baisse des cours de 15 %. Environ 80 000 mètres cubes de bois roussi ou noirci devront être abattus, « soit récolter en une fois ce qui auraît dû l’être en dix ans » ([14]) . De même, à la fin de l’année 2021, le volume des bois scolytés était estimé à 19 millions de mètres cubes d’épicéas en Bourgogne et en Franche-Comté (l’équivalent de 55 000 hectares).

D’après le ministère de la transition écologique, « les écosystèmes terrestres français constituent actuellement un puits net de carbone très significatif que l’on estime en métropole à près de 20 % des émissions françaises de 2015, et dont seule une partie est considérée comme anthropique et comptabilisée dans les inventaires d’émissions de la France. Ce puits est principalement constitué des écosystèmes forestiers de métropole qui, en plus de fournir le bois nécessaire à la transition bas carbone, séquestrent près de 87 millions de tonnes de CO2 par an, soit l’équivalent de 19 % des émissions annuelles françaises environ » ([15]).

Dans ce contexte, il est difficile de mesurer les changements à attendre pour la forêt puisque cette situation n’a jamais existé auparavant. Son avenir reste donc largement méconnu et difficilement modélisable. En revanche, les scientifiques s’accordent autour d’une certitude sur le climat : celui-ci sera de plus en plus méditerranéen. De ce fait, à l’avenir, la moitié du pays sera par exemple propice à la culture de l’olivier (ce qui ne signifie évidemment pas que les forêts hexagonales en seront majoritairement composées) tandis que les essences non méditerranéennes auront du mal à résister. Le changement climatique induit dès lors l’ouverture d’une ère de changement permanent et de facto d’adaptation elle-même permanente de la politique forestière.

3.   Les forêts d’outre-mer : des menaces différentes

À l’exception de Saint-Pierre-et-Miquelon, les territoires ultra-marins, couverts par 8,7 millions d’hectares de forêts, jouissent d’un climat équatorial ou tropical. Ces forêts abritent 80 % de la biodiversité française dont la préservation constitue pour l’ONF un enjeu majeur.

La plus large part des surfaces forestières est en Guyane. Avec près de 8 millions d’hectares, dont 6 millions sont gérés par l’ONF et 2,03 millions par le Parc amazonien de Guyane, la forêt guyanaise est la plus grande de France. Elle représente en superficie la moitié des forêts de l’hexagone. Son patrimoine biologique, avec 1 300 essences d’arbres (dix fois plus que dans l’hexagone) et 400 000 espèces animales et végétales est reconnu tant à l’échelle des pays amazoniens qu’au plan national et international. Par le biais de cette forêt, la France est le seul pays européen à assumer une responsabilité en Amazonie, dont le bon état est crucial pour l’ensemble de la planète.

Les forêts d’outre-mer sont le plus souvent la propriété de l’État et sont gérées par l’ONF. L’Office s’occupe ainsi de 38 000 hectares en Guadeloupe, 16 600 hectares en Martinique, 101 000 hectares à La Réunion et 7 000 hectares à Mayotte. La Réunion, la Martinique et la Guadeloupe sont les seules où se trouvent par ailleurs des forêts départementales domaniales. La Martinique constitue un cas particulier puisque 66 % des forêts y sont privées, à comparer à 45 % en Guadeloupe, 34 % à Mayotte, 26 % à La Réunion et seulement 1 % en Guyane. En Nouvelle-Calédonie ce sont les provinces qui ont compétence sur les forêts. En Polynésie, c’est le pays qui l’exerce. Saint-Martin, Saint-Barthélemy et Wallis-et-Futuna sont propriétaires de leurs forêts. L’ONF y assure le plus souvent la gestion.

Sur tous ces territoires, la part de la propriété communale est marginale, avec 1 % de la propriété forestière, ce qui écarte les élus communaux de la gestion forestière alors qu’ils sont les premiers concernés par certains problèmes, comme le recul du trait de côte qui porte atteinte aux mangroves et aux forêts littorales. Ainsi que l’a indiqué à la mission d’information M. Jean-Claude Maes, maire de Capesterre de Marie-Galante et président de l’Association des communes et collectivités d’outre-mer (ACCDOM), les communes n’ont pas de vision exhaustive de la situation des forêts situées sur leur territoire. Elles sont tenues à l’écart des études qui sont conduites. En contrepartie, elles engagent peu de dépenses au titre des forêts, puisque celles-ci sont sous la gestion de l’ONF.

À la différence de l’hexagone où la forêt, depuis des siècles, est gérée pour produire du bois, la politique de gestion de la forêt tropicale et équatoriale porte plus sur sa préservation comme espace de biodiversité ou de tourisme, que sur le repeuplement (il n’existe pas de pépinière, par exemple). L’ONF, dans une plaquette présentant son action ([16]), indique que l’enjeu majeur en outre-mer est de « préserver l’incroyable richesse écologique des milieux tout en accompagnant un développement raisonné de la filière-bois ». C’est donc une approche qui est quasiment l’inverse de celle observée depuis Colbert pour les forêts françaises, jusqu’à l’inscription récente dans le code forestier des impératifs environnementaux.

De fait, la production de bois en outre-mer est faible : 80 000 mètres cubes récoltés annuellement en Guyane, 11 000 mètres cubes à La Réunion, tandis que le potentiel annuel en Guadeloupe et Martinique est respectivement évalué à 4 000 et 6 000 mètres cubes. Il s’agit essentiellement de coupes d’entretien des forêts. En Guyane, le bois sert à la construction locale ainsi qu’aux industries cannières pour alimenter les chaudières ; une partie est également exportée. En Guadeloupe et à La Réunion, l’écoulement du bois est essentiellement local.

Quelques travaux d’aménagement forestier sont néanmoins à noter en outre-mer. La Réunion bénéficie d’une politique de repeuplement d’arbres, notamment de cryptomeria. Le Plan de relance a prévu en outre des crédits de reboisement, dont Mayotte bénéficie pour un bassin versant. L’objectif de ce reboisement est de stocker un important volume d’eau. Dans certaines aires géographiques trop déboisées dans le passé, les habitants ne disposent en effet pas d’eau au robinet en permanence.

Les forêts d’outre-mer ne rencontrent pas les mêmes problèmes que dans l’hexagone. Il n’y a que peu de dépérissements d’arbres, mais d’autres problèmes existent. Sans atteindre le niveau enregistré dans l’hexagone, la sécheresse commence à devenir plus fréquente en outre-mer qu’il y a quelques années. La Guyane enregistre une augmentation des températures et un allongement de la saison sèche, tandis que les incendies de forêt apparaissent en Martinique et Guadeloupe.

Il n’y a pas encore de conséquence grave sur les forêts due à la sécheresse, mais une alerte en Guyane. Celle-ci appartient en effet à un bassin plus large, l’Amazonie, qui subit une déforestation et des feux, certains volontaires. La pluviométrie varie. La forêt amazonienne a besoin de 1,5 mètres d’eau par an pour l’exoévaporation. Or si des zones reçoivent 4 mètres, certaines atteignent tout juste le seuil de 1,5 mètre.

Outre l’élévation des températures, le dérèglement climatique se manifeste principalement par le recul du trait de côte. Il y est même plus grave que sur le littoral landais. La largeur moyenne des plages antillaises et guyanaises était de 150 mètres au XVIIIème siècle ; elle est désormais de 50 mètres. À Capesterre de Marie-Galante, une plage a ainsi perdu trois rangées de cocotiers. Les mangroves sont également menacées un peu partout en outre-mer.

Par ailleurs, les territoires ultra-marins sont confrontés à des menaces en matière de biodiversité. Le sort de certaines espèces endémiques confrontées au réchauffement climatique est alarmant : il en va ainsi pour les mangroves et récifs coralliens qui sont des écosystèmes clés pour ces territoires, sans oublier le problème des espèces invasives. Les plantes endémiques situées sur des îles sont moins menacées, mais sont plus fragiles face à des espèces invasives lorsque celles-ci s’implantent.

Le cas de la Guyane est très particulier et les questions relevant de la gestion de sa forêt mériteraient un rapport spécifique. Ainsi que le rappelle le ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, interrogé par la mission d’information, « les modalités de gestion y sont radicalement différentes de celles observées sur le reste du territoire : la gestion forestière en Guyane obéit aux principes de l’" exploitation à faible impact ", qui peut se définir comme "une opération d’exploitation forestière intensément planifiée, précautionneusement mise en œuvre et contrôlée, afin de minimiser son impact sur le peuplement et les sols forestiers " (FAO, 2004). Ce mode d’exploitation, spécifique à la forêt tropicale guyanaise, constitue le standard de certification gestion durable PEFC obtenu par l’ONF en 2012. Ces standards définissent l’intensité et les modalités des prélèvements ainsi que la durée de rotation entre massifs forestiers susceptibles d’exploitation. Ce modèle, plus proche de la cueillette, n’est pas comparable avec l’exploitation forestière et la sylviculture telles que développées en hexagone (en dehors de quelques expérimentations, il n’y a pas de forêt de plantation en Guyane) ».

Cette conception de la gestion forestière crée parfois un conflit entre l’ONF d’un côté, des élus et des responsables économiques de l’autre, principalement en Guyane. Plusieurs élus estiment que la combinaison des dispositions du code forestier et du code de l’environnement conduit à une protection excessive de la forêt au détriment des Guyanais, et souhaiteraient que le rôle de l’ONF et de l’Office français de la biodiversité (OFB) soit révisé. L’ONF, de son côté, se défend de vouloir mettre la forêt guyanaise « sous cloche », rappelant que 2 millions d’hectares relèvent du Parc naturel de Guyane et que 2,4 millions font partie du domaine permanent forestier, sur lesquels il limite les prélèvements à 5 grumes par hectare, ne revenant ensuite sur une parcelle coupée que soixante-cinq ans après. L’Office admet néanmoins que cette conception peut irriter les Guyanais, qui ont l’impression d’être dépossédés de l’usage de leur terre. Il existe en effet un rapport particulier entre les populations amérindiennes, bushicondesamas ([17]) et afro-descendantes, obligées de demander des autorisations pour des coupes qu’elles pratiquent depuis des siècles, liées à leur mode de vie. L’ONF estime pour sa part devoir agir avec précaution, compte tenu de la mission que lui assigne l’État de préserver un milieu biologiquement très riche (80 % de la biodiversité française). Le plan régional forêt bois de Guyane (PRFB 2019 – 2029) en cours prévoit toutefois d’augmenter la récolte de bois, qui passerait de 70 000 mètres cubes en 2019 à 210 000 mètres cubes en 2029.

Plusieurs élus guyanais rappellent également que leur département n’a pas le même niveau de développement que l’hexagone. Il serait nécessaire d’y défricher plus avant la forêt pour assurer l’autonomie alimentaire de la Guyane et fournir des emplois aux élèves diplômés des cinq établissements d’enseignement agricole, d’autant que 15 % d’entre eux seulement trouvent des débouchés dans l’agriculture. Le problème foncier est par ailleurs important, dans un territoire qui comptera en 2040 sans doute 500 000 habitants.

Votre rapporteure ne peut enfin passer sous silence le principal problème qui affecte la forêt guyanaise, et au-delà, la société guyanaise dans son ensemble, à savoir l’orpaillage illégal, aussi appelé « garimpo », dont l’actualité est tragique ([18]) . Entre 1988 et 2018, environ 28 000 hectares de forêts auraient été détruits par l’orpaillage, notamment au cours de la dernière décennie. Premier facteur de dégradation environnementale, cette activité impacte non seulement les forêts, mais aussi les cours d’eau, contaminés par le mercure qui sert à extraire l’or. L’orpaillage a également des conséquences sur la santé des populations locales (sans suivi médical adapté) et l’économie (affectant certaines activités humaines comme la pêche et les activités touristiques).

Un rapport réalisé par WWF France en 2018 estime que 7 à 10 tonnes d’or sont produites illégalement en Guyane chaque année par 6 000 à 10 000 orpailleurs illégaux. Or, un kilogramme d’or extrait équivaudrait à 1,3 kilogramme de mercure rejeté dans le milieu aquatique. En outre, il est difficile d’appréhender et de quantifier exactement tous les sites illégaux d’orpaillage qui se situent principalement en forêt profonde.

Le présent rapport n’a pas pour objet d’évoquer les racines de ce problème, largement sociales mais également diplomatiques (relations avec le Brésil et le Surinam) dont les conséquences environnementales et de sécurité publique sont importantes. Les solutions envisageables dépassent également son objet. Mais votre rapporteure souhaite rappeler aux pouvoirs publics l’importance de rétablir l’autorité de l’État contre les orpailleurs clandestins. Le manque d’efficacité de l’État à agir en protection forte de la forêt et des populations locales a été soulignée à plusieurs reprises, mais il est vrai que le terrain est difficile. Le fait que les militaires présents sur le terrain, ne sont pas officiers de police judiciaire (OPJ) et ne peuvent procéder aux interpellations des orpailleurs est également pointé. Or les militaires ne sont pas toujours accompagnés d’officiers de police judiciaire pour rendre possible les interpellations. Certains acteurs recommandent ainsi de changer la loi pour permettre aux militaires d’intervenir en tant qu’OPJ dans un cadre bien défini.

 

Rappel : la protection de la forêt guyanaise, indispensable à la préservation de sa riche diversité biologique et à une exploitation raisonnée des ressources forestières au profit des populations locales et autochtones et des acteurs économiques du bois, exige le rétablissement de l’autorité de l’État contre les orpailleurs clandestins.

B.   SAUVEGARDER ET RESTAURER les forÊts

L’ensemble des acteurs de la politique forestière auditionnés par la mission d’information ont marqué leur inquiétude sur l’avenir des forêts et tous sont partisans d’une politique de sauvegarde et de restauration.

Il s’agit pour l’État d’une priorité. La forêt est au cœur de la stratégie pour la neutralité en carbone et quel que soit le degré de connaissances scientifiques, le statu quo signifierait la poursuite du dépérissement des forêts, dont les conséquences écologiques et économiques seraient désastreuses. En raison du vieillissement de milliers d’arbres et du dérèglement climatique, les forêts françaises de l’hexagone ont perdu depuis 2010 plus de la moitié de leur capacité annuelle de stockage du carbone, passé de 64 à 31 millions de tonnes en 2019. L’objectif de l’État est donc de repeupler massivement les espaces forestiers, à l’instar de l’action du Fonds forestier national après la seconde guerre mondiale, en sélectionnant avec la prudence requise les essences d’avenir.

Le phénomène est européen. 80 % des arbres dépériraient actuellement en Allemagne.

L’augmentation du stock de bois est primordiale. Outre les fonctions biologiques des arbres quand ils sont sur pied, le bois continue de stocker le carbone une fois transformé. Le puits de carbone inclut donc les matériaux de construction pouvant se substituer à d’autres matériaux dont la fabrication est énergivore.

La conservation du principe ancestral de multifonctionnalité des forêts fait l’unanimité. Ce principe constitue la base de toutes les réflexions sur leur sauvegarde et leur renouvellement, faisant ainsi de la forêt un sujet éminemment sociétal. Il faut toutefois bien saisir ce que signifie, en période de crise écologique, le maintien de ce principe : parvenir à ce que les forêts assurent simultanément l’ensemble de leurs missions, alors qu’elles risquent un dépérissement. C’est un défi majeur pour les politiques publiques.

Les actions de sauvegarde et de restauration, étroitement liées à l’évolution du climat comme aux modes de gestion de la forêt, se heurtent à plusieurs inconnues, ce qui exige d’intensifier les programmes de recherche. Scientifiques et gestionnaires doivent « relever le défi de la connaissance », pour reprendre l’expression des associations environnementales entendues par la mission d’information. La connaissance plus fine de la forêt, fondée sur des expériences scientifiques, est la condition sine qua non pour que les responsables politiques puissent orienter la politique forestière en disposant d’éléments objectifs, autant que possible. Les attentes sociétales sur la forêt sont en outre très fortes et de l’aveu même des acteurs de la filière forêt-bois, toute décision de plantation, de régénération, de récolte et de mode de coupe devra désormais s’accompagner de pédagogie.

La prise en compte du dérèglement climatique dans la politique forestière doit conduire à axer celle-ci sur deux points :

La politique d’atténuation du dérèglement climatique ne dépend pas uniquement, loin de là, des actions de politique forestière. Elle passe avant tout par la réduction des émissions de gaz à effet de serre ainsi que par la protection des puits et réservoirs de ces gaz (forêts, sols, zones humides, herbiers marins). Elle résulte de l’ensemble des politiques s’appliquant aux principaux secteurs émetteurs de ces gaz : bâtiments résidentiels et tertiaires, transports, industrie et agriculture.

Quels que soient les efforts des pouvoirs publics et des acteurs de la politique forestière, il convient de garder à l’esprit que certains impacts du changement climatique seront inévitables, et sans doute irréversibles. La trajectoire d’élévation des températures, avec un scénario médian de 3,8 degrés supplémentaires, de l’allongement de la saison de végétation et de la durée des sécheresses et canicules va profondément modifier les forêts. Les stratégies d’adaptation et d’atténuation ne doivent pas en conséquence être retardées.

Il est enfin rappelé que jusqu’à présent, toutes les stratégies de régénération des forêts ont fonctionné sur l’observation des réalités du passé pour en tirer des leçons pour l’avenir. Mais cette méthode ne fonctionne que quand le climat est stable. Quand il est déréglé, aucune stratégie n’apparaît probante. Le fonctionnement des forêts françaises entre dans une période d’incertitude, dont il est impossible de déterminer la durée avec précision.

1.   Conserver la multifonctionnalité des forêts

L’article L. 112-1 du code forestier prévoit que « les forêts, bois et arbres sont placés sous la sauvegarde de la Nation, sans préjudice des droits et usages collectifs et particuliers ». L’article L. 121-1 du même code prévoit que la politique forestière « relève de la compétence de l’État. Ses orientations (…) s’inscrivent dans le long terme … ».

Dans la conduite de cette politique, l’État doit veiller au respect de dix objectifs écologiques, économiques, d’aménagement du territoire et de recherche, l’article L. 121-1 précité précisant dans son dernier alinéa que « la politique forestière a pour vocation d’assurer la gestion durable et la vocation multifonctionnelle, à la fois écologique, sociale et économique des bois et forêts ».

a.   Un bien d’intérêt général

Les objectifs de la politique forestière et de la gestion de la forêt obéissent au principe de multifonctionnalité. La gestion forestière, qu’elle soit publique ou privée, doit valoriser trois grandes fonctions : écologique, économique et sociale / sociétale. Cette volonté du législateur est claire. Dans la pratique, elle est plus difficile à appliquer.

La multifonctionnalité, qui remonte au moyen-âge, caractérise le système français. Elle le différencie des modèles américain ou canadien où les forêts ont en règle générale quelques fonctions limitées. Telle forêt sera un réservoir de biodiversité et répondra à des usages récréatifs, après classement en parc national ; telle autre fournira du bois. La géographie physique, humaine et économique française ne permet pas cette spécialisation. Les espaces forestiers s’imbriquent avec les espaces agricoles, les surfaces servant aux infrastructures (routes, voies ferrées, aéroports), les espaces urbains et périurbains, voire dans les villes ([19]). Seul le projet de création de forêt primaire du célèbre botaniste Francis Hallé dans les Ardennes échappe à la multifonctionnalité, l’objectif étant de la consacrer à la biodiversité et à la recherche.

Derrière ce principe, apparaît un autre concept : celui de bien d’intérêt général, prévu par l’article L. 112-1 du code forestier. Il s’agit de concilier une réalité sociologique : la forêt appartient à des propriétaires publics et privés, mais elle assure des fonctions vitales pour la société. Non seulement un propriétaire ne peut faire n’importe quoi de sa forêt, mais il est le garant de son bon état pour l’ensemble de la collectivité.

La logique du code forestier explique à la fois le fonctionnement de la forêt française, où il faut assurer la coexistence de multiples usages, certains ancestraux – il suffit de mentionner la forêt usagère de La Teste-de-Buch – et les conflits qui apparaissent localement, au cours desquels des associations environnementales, des collectifs de citoyens, parfois épaulés par leurs élus locaux, s’opposent à des propriétaires ou des exploitants à l’occasion d’opérations de coupes d’arbres. Les modes d’exploitation des propriétaires privés n’affectent pas, en effet, leurs seules propriétés, mais jouent sur un paysage, la qualité des sols ou même sur l’avenir de parcelles forestières voisines.

Les associations environnementales ainsi que des professionnels forestiers n’hésitent pas à qualifier parfois la forêt de bien commun. On rappellera qu’en droit romain, un bien commun est un objet inappropriable par essence (comme l’air), donc de nature collective. Plus récemment, ce concept tend à regrouper l’ensemble des conditions permettant à une personne de vivre. L’environnement en fait partie. À l’échelle internationale, il rejoint la notion de biens publics mondiaux. Ces biens comprennent le climat, l’eau, l’air, la biodiversité, la connaissance, etc. Le climat constitue par exemple un bien public mondial parce qu’aucun pays ne peut échapper à ses effets, et que seule la coopération internationale, par le respect de l’Accord de Paris de 2015, permettra d’en limiter le dérèglement.

Les forêts sont ainsi présentées dans tous les documents comme l’outil principal de préservation des biens publics mondiaux. L’objectif de développement durable (ODD) n° 15 des Nations Unies « Vie terrestre » rappelle que « la déforestation et la désertification causées par les activités humaines et les changements climatiques posent des défis majeurs au développement durable et ont des répercussions négatives sur la vie et les moyens de subsistance de millions de personnes. Les forêts sont d’une importance vitale pour le maintien de la vie sur Terre et jouent un rôle majeur dans la lutte contre les changements climatiques ».

Le code forestier, récemment modifié par les apports de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021, dite « climat et résilience », traduit bien dans le droit français l’importance des forêts dans la lutte contre le dérèglement climatique et les engagements internationaux de la France. Il ne se place pas explicitement sous la notion de bien commun, qui n’existe pas en droit français, mais il met en avant l’ensemble des impératifs de développement durable dans la gestion forestière.

Cette conception a des conséquences sur le droit de propriété. Rappelons que 75 % des surfaces forestières sont détenues par des propriétaires privés. Si le droit de propriété, proclamé par l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, est une liberté fondamentale, il peut être limité par la collectivité pour des raisons d’intérêt public. Les propriétaires de forêts n’exercent pas leur droit de manière absolue. D’une part, l’article L. 112-1 du code forestier reconnaît d’intérêt général toute une série de services écosystémiques rendus par les forêts ; d’autre part, l’article L. 112-2 du code précité prévoit que « tout propriétaire exerce sur ses bois et forêts tous les droits résultant de la propriété dans les limites spécifiées par le présent code et par la loi, afin de contribuer, par une gestion durable, à l’équilibre biologique et à la satisfaction des besoins en bois et autres produits forestiers ».

En l’espèce, la prise en compte des impératifs environnementaux est double. Le mode de gestion de la forêt doit être durable ; l’objectif de la gestion est dual : fournir du bois, mais contribuer également à l’équilibre biologique des forêts. L’idée centrale est d’éviter les défrichements et la surexploitation.

Si le code forestier ne se réfère pas au concept de bien commun, c’est en raison de ses incidences sur le mode de gestion forestière. Lorsqu’un bien est commun, les bénéficiaires de son existence forment une communauté qui participe à sa gouvernance. Tel n’est pas le cas en droit français où le propriétaire est maître de l’usage de son terrain. Dans l’histoire forestière, la contradiction entre bien privé et usage collectif « a été résolue par la construction de droits d’usage attribués à une partie de la communauté. Sous l’Ancien Régime, les bois seigneuriaux ou communaux étaient associés à des droits de glanage, de pâturage… En Provence, des systèmes complexes et informels de droits d’usage pour la chasse, la cueillette, l’affouage ont permis, jusqu’au XXème siècle d’associer droit de propriété et bien commun » ([20]). Le droit français a maintenu le primat du droit de propriété – ce qui bat en brèche le principe d’une gouvernance collective ([21]) – mais il l’assortit de règles qui font de la forêt française l’une des plus règlementées au monde, sans aller toutefois jusqu’à une gestion collective associant toutes les parties prenantes à une forêt (dont les acteurs ne seraient donc pas les seuls propriétaires), au demeurant difficile à mettre en place comme en témoigne la proposition restée lettre morte d’un Plan local forestier portée par la Fédération nationale des communes forestières. ([22])

Le code forestier n’est donc pas en retard, par les principes qu’il affirme, sur les enjeux du dérèglement climatique et de la biodiversité. Peut-être l’est-il sur les instruments de gestion (cf. deuxième partie du présent rapport). Mais ce dérèglement augmentera inéluctablement les exigences écologiques entourant la gestion d’une forêt.

Les propriétaires forestiers publics et privés sont déjà placés, et depuis fort longtemps, devant une série de droits et de devoirs. Théoriquement, tout propriétaire ne peut réaliser dans sa forêt d’autres opérations que celles contribuant à sa conservation et à son amélioration. C’est à cette fin que les forêts publiques sont placées sous un régime de gestion par arrêté, appelé régime forestier, mis en œuvre par l’ONF, tandis que les forêts privées de plus de 25 hectares ont l’obligation d’élaborer un plan simple de gestion (PSG). Ajoutons que toute propriété forestière soumise à l’obligation d’un PSG et qui ne s’en est pas dotée se retrouve placée sous un régime d’autorisation administrative, lui interdisant entre autre toute coupe sans autorisation administrative après avis du centre régional de la propriété forestière (art. L. 312-9 du code forestier).

Pour autant, faut-il aller plus loin – par la loi – dans les devoirs imposés aux propriétaires, c’est-à-dire, quelque part, les obliger à être des acteurs de la lutte contre le dérèglement climatique ? L’ONF, gestionnaire des forêts publiques, estime déjà remplir ce rôle. Le Centre national de la propriété forestière (CNPF) vit une situation différente. Il s’efforce de fédérer les petits propriétaires, conscient qu’une gestion plus collective est nécessaire pour la forêt privée française. L’idée apparaît porteuse d’efficacité économique et d’action civique mais elle se heurte à des pesanteurs sociologiques, à la fragmentation de la propriété privée forestière et au manque de données scientifiques. La puissance publique doit donc réfléchir aux moyens d’aider le CNPF dans sa tâche de conseil aux propriétaires privés, d’autant qu’il est de l’intérêt des propriétaires et des exploitants d’expliquer leur gestion. Jamais en effet la demande de biens et de services forestiers n’a été aussi élevée pour satisfaire les attentes sociales en matière de bioéconomie et de biodiversité. L’information, la pédagogie, et au-delà la justification de leurs actes forestiers, font désormais partie de la fonction de propriétaire et du métier d’exploitant.

b.   Un enjeu d’aménagement des espaces ruraux

L’imbrication des surfaces urbanisées, agricoles et forestières constitue un atout pour l’aménagement du territoire. Elle permet une alternance entre espaces naturels ou cultivés et espaces artificialisés, avec une recherche d’équilibre par les acteurs en charge de la planification territoriale ; elle favorise les circuits courts quand les entreprises y trouvent une rentabilité économique (cf. l’approvisionnement des petites scieries en bois et sa transformation pour une clientèle locale). Le fonctionnement d’une partie de l’économie pourrait ainsi évoluer dans les années à venir, avec davantage de liens entre acteurs d’une même filière. Celle de la forêt nourrit à cet égard de grands espoirs dans le secteur de la construction, appelé à utiliser plus de bois. Si la filière arrive à fournir à l’industrie du bâtiment et des travaux publics (BTP) le type de bois dont elle a besoin, les circuits courts pourraient prendre de l’ampleur et permettre le développement de l’activité d’un grand nombre d’entreprises sur tout le territoire, le secteur du BTP étant constitué majoritairement de TPE et de PME.

Dans les espaces ruraux, le maintien, voire le développement de l’agroforesterie et du pastoralisme, consolident d’une part les activités agricoles et participent d’autre part au bon entretien de la forêt. L’agroforesterie fait ainsi le lien entre les espaces cultivés et les forêts mais en outre, la présence d’arbres dans les parcelles agricoles permet de renforcer la vie microbienne du sol grâce notamment à la chute des feuilles qui constitue un apport de matière organique (contribuant au stockage du carbone), d’apporter un élément modérateur face aux aléas climatiques, de limiter le ruissellement qui provoque l’érosion des sols, etc. Les réflexions en cours sur l’agroforesterie restaurent la place des arbres dans le système agricole, afin de répondre aux objectifs des exploitations : plantations d’arbres sous toutes leurs formes (alignements, haies, bosquets…), régénération naturelle assistée, couverture végétale des sols et techniques de conservation des sols sont autant d’outils qui permettent de proposer une grande diversité de milieux particulièrement favorables à la préservation de la biodiversité et des paysages. Elle permet enfin de produire du bois-énergie et de créer des zones tampons qui serviront de pare-feu, dès lors que ces zones sont débroussaillées.

Quant au pastoralisme, il assure des activités de production de viande, de produits laitiers et de laine dans des espaces impropres au cultures. À titre d’exemple, 40 % des surfaces pastorales sont boisées en région méditerranéenne. Il assure un lien très étroit entre l’aménagement du territoire, la souveraineté alimentaire, l’entretien des forêts, l’alimentation des animaux en pâturage et plusieurs services écosystémiques rendus de part et d’autre. Grâce au pastoralisme, les forêts sont occupées, débroussaillées, et la présence humaine permet de prévenir les incendies de forêt ou d’en donner l’alerte assez tôt. La loi n° 72-12 du 3 janvier 1972 relative à la mise en valeur pastorale a donné au secteur les moyens de se développer à grande échelle. Le bilan de ses cinquante ans en sera prochainement établi et devrait permettre de réaffirmer le nécessaire partenariat entre les forestiers et les agriculteurs.

L’équilibre entre agriculture et politique forestière est l’une des questions qui se pose dans les espaces ruraux. La               protection des forêts contre le défrichement est prévue par les articles L. 341-2 et suivants du code forestier. Mais dans la réalité, ce sont les surfaces forestières qui progressent, principalement en raison de la déprise agricole. Il s’agit de forêts « spontanées », sans objectif cultural. Sans doute constituent-elles des espaces propices à la biodiversité, mais n’étant pas entretenues, elles majorent le risque qu’un feu s’y déclenche. Votre rapporteure émet le vœu, sans en faire une proposition, que la future loi d’orientation sur l’agriculture prenne en compte ce problème.

La dispersion de la propriété privée forestière ne favorise sans doute pas un aménagement optimal de l’espace rural en France. Pour être à la fois un puits de carbone et une source de matériau biosourcé, une forêt doit être observée, analysée, aménagée, et des coupes doivent y intervenir périodiquement. Or une large partie des propriétaires possédant de petites parcelles ne voit aucun intérêt à y effectuer des travaux, qui représentent un coût, alors qu’ils n’ont aucun objectif économique. Ils ne réalisent pas non plus qu’il existe un lien entre leur forêt et les terrains agricoles aux alentours. Leurs arbres risquent le dépérissement sans même qu’ils s’en aperçoivent. Les parasites qui se développent sur leur terrain peuvent en outre gagner leur voisinage.

c.   Hiérarchie des fonctions de la forêt et dérèglement climatique

Le code forestier n’établit pas de hiérarchie entre les différentes fonctions forestières. Aucun des éléments auxquels l’article L. 121-1 précité demande à l’État de veiller ne se voit assigner un caractère prioritaire. Ils sont conçus comme complémentaires. Mais cet article est rédigé d’une manière très logique, en portant dans ses trois premiers items sur la préservation des essences, la lutte contre le dérèglement climatique et le stockage de carbone. C’est bien le maintien de la ressource qui est en jeu ainsi que son rôle écologique, y compris dans son utilisation économique, puisque le stockage de carbone est mentionné comme devant être optimisé non seulement dans les bois et forêts, mais également dans le bois et les produits fabriqués à base de bois.

Faudrait-il établir une hiérarchie des fonctions, en privilégiant l’état écologique des forêts, leur rôle contre le dérèglement climatique et de garant de la biodiversité? Le rapport de Mme Anne-Laure Cattelot et les conclusions des Assises de la forêt ne le préconisent pas. Celui de six associations, publié en 2020 ([23])  part en revanche d’une logique différente, en proposant de fonder la politique forestière sur la Charte de l’environnement et donc de hiérarchiser les usages, en accordant la priorité au respect des équilibres écologiques. Cette affirmation ne remet pas en cause pour ces associations la possibilité d’exploiter les forêts, mais elle sous-tend de diriger les modes d’exploitation en respectant la nature et de prendre en compte les aspirations sociétales, ce dont les exploitants forestiers sont au demeurant conscients.

d.   Maintenir la coexistence des fonctions forestières

Les différentes fonctions forestières sont connues et n’appellent pas de commentaires particuliers. Elles peuvent être classés en trois domaines : fonction écologique, fonction productive, fonction sociale et sont résumées dans le tableau ci-après :

Fonctions forestières

Fonctions

Objectifs

Effets ou activités

Écologique

Équilibres écologiques essentiels

Protection de la biodiversité

Préservation des sols

Lutte contre le changement climatique et amélioration de la qualité de l’air

Qualité de l’eau

Recherche scientifique

Économique

Produire du bois et autres activités compatibles avec la production de bois

Production d’arbres et récolte de bois, cueillette de petit bois

Pastoralisme

Cueillette ou culture de champignons, fruits des bois, plantes aromatiques, médicinales et mellifères

Liège, résines, extraits de plantes, chimie verte

Chasse par les populations autochtones

Gîtes forestiers, tables et chambres d’hôtes, campings, cabanes

Sociale

Paysage, éducation, loisirs, bien-être

Entretien du patrimoine paysager, traditions culturelles

Rôle des forêts usagères

Classes vertes et sentiers pédagogiques

Recherche scientifique

Randonnées, sentiers pédestres, itinéraires équestres, parcours sportifs, chasse, VTT, accrobranche, tourisme et activités de bien-être liées aux arbres

Le contenu de ce tableau aurait été différent il y a quelques décennies. Les demandes de la société à l’égard des forêts sont en effet dynamiques dans le temps et évoluent avec elles. Certaines fonctions sont immémorielles, telles la chasse sur l’ensemble du territoire, la chasse et la récolte de bois par les Amérindiens de Guyane, la récolte de petit bois par les personnes vivant au voisinage des forêts ; d’autres, comme les nouvelles pratiques sportives, sont plus récentes. Il est enfin clair que l’urbanisation croissante de la population génère en son sein un fort besoin de nature, pour respirer, se ressourcer, et explique la sensibilité croissante de nos concitoyens à l’enjeu de protection des arbres.

La plupart des fonctions, en particulier les fonctions environnementales et sociales, sont générées sans compensation financière pour les propriétaires forestiers. Elles revêtent pourtant une valeur considérable mais sont difficilement traduisibles comptablement. Il s’agit d’un problème classique dans le domaine du développement durable, les experts-comptables recherchant la manière de monétiser les bénéfices et nuisances environnementaux depuis une douzaine d’années, sans parvenir pour l’heure à une méthode. Ce point est un défi pour les responsables de la gestion forestière car les revenus tirés du bois ne représenteraient que 20 % de la valeur des forêts. Or l’ensemble des fonctions d’une forêt doivent être assurées en conciliant les intérêts ou objectifs des propriétaires avec la chaîne de valeur des produits forestiers. La compensation financière pour les services environnementaux, visant à mettre en place des mécanismes d’indemnisation en faveur des propriétaires, fait partie de la réflexion sur l’avenir des forêts.

2.   Une politique de sauvegarde et de renouvellement sous le sceau de l’incertitude

Si la nécessité de sauvegarder et de renouveler les forêts fait consensus, il n’en va pas de même pour les méthodes et solutions à adopter pour y parvenir… Non que cette réflexion soit sujette à des divisions majeures au sein de la communauté scientifique ou parmi les responsables politiques, mais parce qu’elle est d’une grande complexité.

L’une des questions est de savoir quelle forêt l’on souhaite pour l’avenir. La politique forestière recherche-t-elle la sauvegarde ou le développement d’écosystèmes complexes, puits de carbone, lieux de biodiversité, associant les éléments minéraux, animaux et végétaux dans une dynamique du vivant, ou des forêts dites secondaires, parfois des plantations industrielles en mono-essence, qui constituent de simples alignements d’arbres ? Le paradoxe d’une politique forestière est que l’on peut décompter beaucoup d’arbres sur un territoire sans avoir de vraies forêts si l’approvisionnement en bois est l’unique objectif. Les Assises n’ont pas tranché ce point qui fait débat chez de nombreux techniciens et gestionnaires forestiers. Elles ont plutôt maintenu un statu quo, même si l’on ne peut nier qu’elles se sont efforcées de prendre en compte l’écologie dans la politique forestière.

Quantifions ensuite une partie du défi : d’après l’ONF, la moitié de la forêt française pourrait changer d’aspect d’ici cinquante ans ; 300 000 hectares de forêts publiques sont touchés par les dépérissements depuis 2018 et 35 000 hectares de forêts publiques sont à reconstituer. Ce chiffre ne signifie pas que 50 % des forêts sont actuellement endommagées mais il indique une tendance quant aux effets à venir du dérèglement climatique. Objectivement, le problème est de grande ampleur.

Les forêts dépérissent, mais elles font partie des solutions. Leurs capacités génétiques ont été démontrées, leur permettant de faire face aux évolutions climatiques. Mais la crise qu’elles rencontrent actuellement est brutale, alors qu’elles s’adaptaient auparavant sur le très long terme, et comporte une large partie d’inconnues. Les approches d’une politique de sauvegarde et de renouvellement doivent en conséquence tenir compte d’au moins quatre éléments :

Il n’existe pas de méthode unique pour renouveler les forêts, mais au regard des auditions des scientifiques de l’Inrae et de celles de praticiens, comme les experts forestiers ou les représentants du CNPF, trois axes pourraient être privilégiés : observer la forêt, modifier avec prudence les peuplements par la sylviculture et accompagner l’évolution des ressources génétiques. La limitation des risques pesant actuellement sur les forêts vient en complément de ces trois axes.

a.   Observer les forêts

Observer les forêts et en avoir une connaissance fine est la base de toute politique pour leur sauvegarde et leur renouvellement. Le rôle des scientifiques sera à cet égard croissant, afin d’assister les pouvoirs publics dans leurs prises de décision.

La cartographie des forêts prendra une importance particulière dans un proche avenir, ce qui explique l’attention que lui accordent les pouvoirs publics dans les programmes d’action faisant suite aux Assises de la forêt : elle joue un rôle non seulement pour comprendre l’état biologique des forêts, mais il s’avère que les sapeurs-pompiers en ont également besoin ; actuellement, et alors que la lutte contre les incendies s’avère plus difficile, ils ne disposent pas de cartes précises des forêts dans lesquelles ils doivent intervenir.

L’observation des forêts relève principalement de deux opérateurs : l’IGN et l’ONF, avec le réseau Renecofor. L’inventaire forestier annuel, réalisé par l’IGN, ne concerne malheureusement que les forêts hexagonales et non celles d’outre-mer. Il repose sur des visites annuelles d’échantillons représentatifs de l’ensemble du territoire, lui-même partagé en différentes zones caractéristiques : étendues homogènes de forêts, comme le massif landais ou les chênes pubescents du Sud-Ouest ; forêts de type garrigue ou maquis, présentant un intérêt limité pour la production de bois ; forêts de montagne, sur des pentes à 30 % ou à des altitudes supérieures à 1 200 et 1 700 mètres ; ou encore zones de populiculture. Grâce à la photo-interprétation ponctuelle suivie de travaux de terrain (7 000 points environ sont visités chaque année) sur des placettes portant sur plusieurs dizaines de caractéristiques qualitatives et quantitatives, l’IGN parvient à estimer de manière assez précise les évolutions telles que l’accroissement des peuplements d’arbres, leur mortalité et les prélèvements en bois. Le réseau Renecofor est pour sa part un réseau national de suivi de long terme des écosystèmes forestiers, créé en 1992 pour suivre, à la suite des engagements internationaux de la France, les impacts des pollutions atmosphériques.

 

 

Proposition n°1 : Compte tenu de l’importance de la forêt guyanaise et pour des raisons d’égalité de traitement entre tous les territoires de la République, il convient d’étendre l’inventaire forestier annuel à la Guyane, puis à l’ensemble des départements, régions et collectivités d’outre-mer.

Les données recueillies par l’ensemble des organismes précités permettent de modéliser l’évolution des forêts. Il est toutefois important que ces données soient partagées avec l’ensemble des acteurs de la forêt, afin de disposer d’un état précis des forêts françaises. C’est tout le sens de l’action 1.4 des Assises de la forêt Observation et surveillance amplifiée de la forêt, visant à doter l’IGN d’un Observatoire de la forêt, établi en partenariat avec l’ONF et le CNPF, afin de diffuser à tous ces acteurs un maximum d’analyses et de données.

b.   Modifier avec prudence les peuplements par la sylviculture

Les forêts sont le résultat de siècles d’évolution. Les arbres qui y croissent ont été capables de faire face à de nombreux aléas, survenus au cours des décennies ou des siècles de leur existence. C’est dire que l’on ne modifie une forêt qu’avec prudence et qu’il faut d’emblée écarter un discours simplificateur, que ne tient au demeurant aucun acteur de la forêt mais que l’on lit parfois dans la presse, consistant à éliminer les essences inadaptées au dérèglement climatique pour les remplacer par des essences plus résistantes.

Avant d’examiner comment la sylviculture peut améliorer la résistance d’une forêt, rappelons que la forêt française se caractérise par la diversité de ses peuplements. Sans atteindre l’incroyable richesse de la forêt guyanaise, la forêt hexagonale rassemble un peu plus de 150 essences, diversement réparties selon les régions. Cette réalité conduit à ce que toute politique de peuplement par la sylviculture doit tenir compte des caractéristiques physiques et climatiques de chaque territoire au sein d’une région.

47 % de la forêt hexagonale est constituée en 2022 de peuplements pour lesquels une essence d’arbre occupe plus de 75 % du couvert dans l’étage dominant ; ces peuplements sont appelés « monospécifiques ». Les peuplements à deux essences représentent un tiers des peuplements, et ceux à plus de deux essences en représentent 19 %.

La forêt hexagonale compte une majorité de feuillus (64 % de la superficie forestière, soit 10 millions d’hectares), essentiellement dans les plaines ou à moyenne altitude. Les conifères sont situés en zone montagneuse, dans le massif landais et dans les plantations récentes de l’Ouest de la France. Des peuplements mixtes se rencontrent souvent en moyenne montagne ou dans les massifs forestiers accueillant les deux autres types de peuplements (Sologne, Dordogne, Bretagne). Régionalement, les forêts du Nord-Est de la France et du Massif central sont les plus diversifiées. À l’opposé, le massif landais est la terre d’élection du pin maritime. La Guyane abrite pour sa part des arbres de diverses statures, des arbustes de sous-bois, des herbacés, des épiphytes et héli-épiphytes, formant des forêts dites de lianes, des forêts basses sur cuirasses latéritiques, des forêts hautes de terre ferme ou encore des forêts marécageuses de bas-fonds. La canopée est si fermée en certaines zones que seulement 2 % de la lumière du soleil parvient au sol. La Guyane est moins concernée par une sylviculture de repeuplement que l’hexagone, sa forêt n’étant que faiblement exploitée. L’ONF n’y a identifié que sept essences ([24]) valorisables en bois de charpente.

Rappelons également que la forêt a trop longtemps été perçue comme un ensemble d’arbres, qui font ensuite l’objet d’une gestion conduite en fonction des arbres, en oubliant que la forêt est un système vivant, un écosystème où interagissent de multiples espèces, des grands mammifères aux bactéries ; les sols y jouent un rôle que les scientifiques commencent à peine à découvrir. Les stratégies d’adaptation doivent en conséquence accepter la complexité des écosystèmes forestiers et se tourner vers les scientifiques pour évaluer au mieux les effets des politiques de peuplement. La notion d’écosystème exige d’envisager par exemple avec beaucoup de prudence l’introduction d’espèces dite exotiques, car si elles peuvent s’adapter à des températures en hausse, leurs effets sur les sols, sur la végétation aux alentours, sur les animaux et micro-organismes demeurent largement inconnus.

Ces rappels étant effectués, la sylviculture est effectivement un des moyens de la politique d’adaptation. De tous temps, les gestionnaires des forêts ont procédé par des éclaircies, des coupes ou le renouvellement des essences. Comme les forestiers ne disposent pas, à l’instar des agriculteurs, de leviers tels que l’irrigation et la fertilisation par des engrais, ils ne peuvent façonner une forêt qu’en jouant sur trois leviers : sa densité ; sa composition ; ou sa structure (taille des arbres). Ainsi, réduire la densité du peuplement d’un massif permet d’en diminuer les besoins en eau, ce qui est intéressant si les sécheresses deviennent récurrentes. Sa composition nécessite d’opérer des choix, le sylviculteur pouvant maintenir les espèces existantes sur une parcelle ou en introduire de nouvelles.

La diversité des essences est de nos jours un principe directeur de la gestion forestière, les forêts en mono-essence étant plus sensibles aux atteintes biotiques. Cette diversité ne constitue toutefois pas une solution miracle ; elle est notamment sans effet sur la sécheresse.

Faut-il privilégier les espèces indigènes ou les espèces exotiques ? Le débat est vif au sein de la communauté scientifique ([25]) et a peu de chance d’éclairer le législateur, d’autant que de nombreux arbres et végétaux acclimatés en France proviennent de contrées lointaines : vigne (Géorgie ou Arménie), marronnier d’Inde (Balkans), olivier (Méditerranée orientale), châtaignier (Asie centrale). Ils se sont adaptés à nos climats et ont évolué génétiquement. Aussi la réflexion sur le peuplement d’une forêt doit surtout prendre en compte les impacts biologiques qu’il génère, et ne pas oublier que la diversité génétique vaut autant entre espèces qu’à l’intérieur d’une même espèce. L’espèce miraculeuse n’existe pas, même lorsqu’elle est prisée par la filière-bois, comme l’est le pin Douglas.

Un récent Livre blanc ([26]) de la Société botanique de France appelle à la prudence sur ce point et estime qu’au regard des niches climatiques actuelles et futures, certaines espèces exotiques ne peuvent s’adapter maintenant à notre pays ; d’autres, que l’on introduirait également maintenant, ne pourront pas supporter le climat en 2040. Le livre conseille d’appliquer le principe de précaution et de ne pas écarter les essences indigènes. Il propose, outre ces deux orientations, en fonction des futures niches climatiques :

Si une espèce ne résiste plus aux conditions climatiques, qu’elle ne se régénère plus, la sylviculture de peuplement, avec le cas échéant la migration assistée d’essences, constitue une solution à condition d’être vigilant sur les essences qu’on implante. Mais aucune espèce n’est à l’abri d’évènements accidentels, comme les grands froids ou les feux, et aucune ne résiste à la sécheresse. Les scientifiques comme les experts forestiers auditionnés par la mission prônent en règle générale une approche par massif, en évitant autant que possible d’avoir une forêt naturelle en totalité ou plantée en totalité.

Les Assises de la forêt n’ont pas tranché le clivage constaté chez les scientifiques (tel n’était pas leur tôle) mais ont clairement pris le parti de n’écarter aucune des options que la science pourrait apporter aux pouvoirs publics. L’action 2.8 prévoit la création d’une commission scientifique sur les essences d’avenir avec comme objectif affiché : « Face aux inconnues, oser sans regret, mais avec méthode et rigueur ».

c.   Accompagner l’évolution des ressources génétiques

L’évolution génétique, commune à tous les êtres vivants, est le moyen dont ils disposent pour s’adapter à un milieu en constante évolution. Elle constitue vraisemblablement la meilleure solution pour préserver et renouveler les forêts. Elle s’effectue par régénération naturelle ou par l’intervention de l’homme, lorsqu’il procède à des plantations d’essences existantes ou nouvelles.

En France, 86 % de la régénération et de la croissance des forêts est naturelle et 14 % résulte de plantations. S’agissant de ces dernières, une dizaine de types de graines concentrent les achats des propriétaires et exploitants : Pin maritime 46 % - Pin Douglas 22 % - Chêne 8 % - Pin noir - 2 % - Épicea 2 % - Peuplier 1,5 % - Mélèze 1,5 % - Cèdre 1,5 % - Pin sylvestre 1 % - Hêtre 0,8 %. Il convient de noter que les ventes de graines sont inégalement réparties sur le territoire, le département des Landes concentrant la majorité des achats puisqu’il s’agit d’une forêt spécifiquement de production.

Cette prédominance de la régénération naturelle ne sera pas modifiée à moyen terme. Elle s’établirait à 72 % si la part des plantations devait par exemple être doublée. Les forêts françaises continueront donc à évoluer à partir des essences qui les composent actuellement, ce qui pose la question de leur capacité génétique d’adaptation.

L’importance d’un patrimoine génétique adapté au biotope local n’est plus à démontrer, tant en agriculture qu’en sylviculture. À la suite des grands incendies de 1946 et 1947, la forêt des Landes a été reboisée avec du pin maritime présent dans la région depuis 40 000 ans, et du pin d’origine ibérique. Lors des grands froids de l’hiver 1962 / 1963 (- 17 °) et de 1985 (- 22 °), où 100 000 hectares et 30 000 à 50 000 hectares ont été respectivement détruits, les pins landais ont plutôt bien résisté, tandis que les principales victimes étaient les pins ibériques. Pour M. François Lefèvre, chercheur à l’Inrae d’Avignon, la leçon à tirer est triple :

D’autres exemples peuvent être avancés, comme la restauration du mont Ventoux entre 1860 et 1914, qui, en 2020, comprenait 33 espèces de forêts, 9 essences et 5 classifications de la présence des essences en fonction de leur altitude d’implantation. La diversité génétique a évolué en quelques générations, avec une combinaison entre les dynamiques naturelles et les interventions de l’homme.

Ainsi que l’a rappelé Mme Myriam Legay, directrice du pôle AgroParisTech de Nancy devant la mission d’information, la diversité génétique au sein d’une même espèce a autant, sinon plus d’importance, que la diversité des essences composant un massif. Les arbres sont des organismes vivants qui se régénèrent, se croisent, évoluent par eux-mêmes. L’adaptation se fait naturellement, par sélection. En cas de régénération naturelle, on compte entre 10 000 à 100 000 tiges par hectare, mais seules les plus résistantes, de l’ordre d’une centaine, survivront. En cas d’intervention humaine, le remplacement d’essences ne doit s’effectuer que pour les plus vulnérables d’entre elles dans les parcelles en situation de dépérissement, en raisonnant à l’échelle du massif.

Mais il convient de rappeler, une nouvelle fois, que cette régénération s’effectue sur le temps long et que désormais, la multiplicité des aléas et les risques de sécheresses récurrentes limitent toute certitude quant à une projection de la forêt française à trente ans… Les connaissances que la science a de ces mécanismes proviennent d’expériences qui se déroulent sur des années, grâce à des parcelles ou des stations expérimentales.

La conviction largement partagée de l’intérêt de la régénération naturelle conduit à envisager avec prudence l’introduction de nouvelles essences, provenant par exemple de climats plus chauds et plus secs, pour enrichir le patrimoine génétique des forêts. La mission d’information a constaté au cours de ses auditions un consensus assez large sur ce point. Comme ces essences doivent être capables de s’adapter à un nouveau milieu, il faut les sélectionner avec attention, sans obligatoirement les rechercher dans des zones géographiques éloignées. La migration assistée permet de sélectionner des essences à proximité de la zone où on souhaite les implanter, en partant principalement du principe que ces espèces pourraient se trouver dans ladite zone. Plus l’essence que l’on va chercher est lointaine, plus la phase d’expérimentation doit être longue, pour en évaluer tous les effets.

Derrière ces principes de bon sens, les acteurs de la forêt sont confrontés à la nécessité de mener des expériences sur des durées de plusieurs années. Les actions portant sur le patrimoine génétique des forêts se réalisent sous le sceau de la modestie. L’idée centrale est d’assister ou d’accompagner la nature, mais non de la transformer ou de gérer la forêt selon des préceptes agricoles d’après-guerre, où prédominait un impératif de productivité. Mais l’ampleur des impacts du dérèglement climatique et la longue durée de rotation des essences exigent d’intensifier la recherche appliquée sur les arbres. Le projet Esperence du réseau mixte technique Aforce en est une bonne illustration. Il s’appuie sur une mise en commun des moyens provenant des organismes de recherche et de développement publics et privés et des gestionnaires forestiers pour initier un réseau d’expérimentations. Il a pour finalité d’améliorer les connaissances sur le comportement de nouvelles essences et provenances, dans différents contextes de stations forestières. Ce préalable est indispensable pour identifier les potentielles essences de substitution aux essences vulnérables en place sur le territoire. Une analyse en serre est également menée pour étudier les effets d’un stress hydrique dans le jeune âge des arbres. En effet, pour comprendre la résilience des espèces face aux changements climatiques, des mesures de croissance et de mortalité en tests in situ seulement ne sont pas suffisantes. Le fonctionnement physiologique sous contrainte doit aussi être pris en compte.

L’ONF déploie pour sa part son concept de forêt mosaïque qui vise à diversifier les essences et les modes de sylviculture, dans des îlots d’avenir, sur des parcelles de 0,5 à 5 hectares. Il en existe plus de 200, dont 75 dans le Grand Est et en Bourgogne-Franche-Comté, via le projet FuturForEst, 16 dans le cadre du projet de coopération Metis en Auvergne-Rhône-Alpes, 100 à venir en région Nouvelle-Aquitaine avec la feuille de route NeoTerra et 18 en région méditerranéenne. Ces îlots sont composés d’essences à caractère méridional, testées en complément d’autres plantations et de la régénération naturelle des forêts. Ces essences sont principalement le chêne faginé du Portugal, le cèdre de l’Atlas, le chêne pubescent, le calocèdre, le pin d’Alep et le pin de Brutie.

On notera enfin la mise à disposition par le réseau mixte Aforce du site ClimEssences, outil d’aide à la décision pour les gestionnaires et experts forestiers, ainsi que les instituts de recherche, afin de leur permettre, en l’état des connaissances disponibles, d’opérer leur choix en fonction de l’évolution du climat.

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Les résultats de la politique en cours d’adaptation et de régénération des forêts sont encore incertains ; ils dépendent largement des aléas climatiques qui remettent en cause les stratégies ou les plans de gestion les mieux établis. Rappelons ainsi que dans la région Grand Est, la totalité des épicéas, 73 % des sapins et 30 % des hêtres récoltés depuis 2019 l’ont été à la suite d’accidents climatiques, ce qui a représenté une perte de 83 millions d’euros pour la filière. La décision de récolter des arbres dans cette région n’a plus été pilotée conformément à un calendrier précis, mais s’est effectuée en réaction aux bouleversements climatiques.

La protection des forêts contre les risques auxquels elles sont confrontées constitue un élément de la politique d’adaptation. Certains de ces risques, telles l’élévation des températures et la sécheresse, ne peuvent être combattus à court terme et résultent surtout de l’ensemble des politiques visant à la neutralité carbone dans l’Union européenne en 2050. Mais les effets peuvent en être atténués. Gérer une forêt à couvert continu permet par exemple d’en préserver la fraîcheur et préserve la qualité biologique des sols.

Cette protection résulte principalement de stratégies d’anticipation, que votre rapporteure évoquera dans la deuxième partie du présent rapport, comme la prévention des incendies de forêts, la préservation de la biodiversité, objectif et élément du bon état des forêts, et implique une association étroite des pouvoirs publics comme des professionnels de la filière forêt-bois.

3.   Intensifier les axes de recherche pour aider les pouvoirs publics dans leur prise de décision en politique forestière

Au regard de l’ampleur des problèmes posés par le dérèglement climatique pour les forêts, et parallèlement au manque de connaissances dont nous disposons sur un système naturel aussi complexe, il est logique que les Assises de la forêt aient souhaité intensifier des programmes de connaissance des massifs forestiers ainsi que de recherche fondamentale et appliquée. Les personnes auditionnées par la mission d’information ont à de nombreuses reprises fait part de la nécessité de mieux analyser l’écosystème forestier, les effets des migrations assistées d’arbres sur les sols et sur la faune, les capacités de résistance au stress hydrique, etc.

Pendant longtemps, la forêt a été considérée comme un espace simple à gérer, avec des mises en culture et des aménagements suivis de coupes, selon des cycles décennaux ou séculaires. Le dérèglement climatique crée désormais un nouveau défi car il faut trouver dans l’urgence des solutions sans pour autant obtenir de résultats avant plusieurs années. Il va falloir croiser de multiples données pour analyser la manière dont évoluent les forêts, puis les confronter aux observations recueillies sur le terrain par les praticiens (propriétaires, gestionnaires et experts forestiers, pépiniéristes, filière aval, associations notamment).

S’agissant de l’observation des forêts, l’inventaire forestier, assuré par l’IGN en application de l’article R. 151-1 du code forestier, est réalisé sur la base de méthodes statistiques. Parallèlement, le réseau Renecofor précité observe le fonctionnement de ces écosystèmes. Il est constitué de 102 placettes permanentes réparties dans l’hexagone, dans des peuplements gérés en forêts publiques. Renecofor constitue la partie française d’un ensemble de sites permanents de suivi des écosystèmes forestiers installés dans trente-quatre pays européens. Il permet de mettre à disposition une plateforme qui regroupe les ressources permettant aux conseillers, gestionnaires et propriétaires d’évaluer les risques et de prendre des décisions opérationnelles. Il existe enfin en forêt publique comme en forêt privée un réseau d’observateurs chargés du suivi de la santé des forêts, pour le compte du ministère chargé de l’agriculture. Le département santé forêts (DSF) du ministère vient ainsi de publier un bilan sur les plantations récentes. ([27])

L’inventaire forestier, par les données qu’il procure aux acteurs forestiers, est la base sur laquelle forger la politique forestière. Il convient en conséquence de conserver à l’IGN les moyens de développer cet inventaire, dont l’importance n’est plus à justifier. Votre rapporteure est évidemment consciente de la situation budgétaire de notre pays, mais personne ne peut contester que l’ONF et l’IGN doivent bénéficier d’effectifs renforcés. Aussi attire-t-elle l’attention du Gouvernement sur la nécessité de permettre à ces deux établissements publics de remplir leurs missions.

Les travaux de recherche forestière sont conduits pour leur part par de nombreux organismes tels que l’ONF, le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), l’Inrae, le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), le GIP Ecofor ([28]) ou encore l’Institut pour le développement forestier (IDF), qui relève du CNPF. Ces organismes se retrouvent souvent associés dans des programmes communs de recherche et sont en relation étroite avec l’ensemble des acteurs institutionnels et professionnels de la forêt pour diffuser des connaissances, établir des coopérations (comme abriter des parcelles et stations de recherche sur des terrains privés).

Il est souhaitable de développer les dispositifs d’observation précités du fonctionnement des écosystèmes forestiers pour évaluer les impacts des événements extrêmes et du changement climatique sur les forêts. Mais si en application de la directive 2007/2/CE du Parlement européen et du Conseil du 14 mars 2007 établissant une infrastructure d’information géographique dans l’Union européenne, dite « Inspire », les données sur les forêts domaniales sont en règle générale disponibles sur internet ou dans les agences de l’ONF, ce n’est pas le cas pour les forêts privées, auxquelles la directive ne s’applique pas directement. Il n’existe donc que peu de moyens d’avoir des informations sur chaque propriété privée. En revanche, les données générales sur les forêts privées sont facilement accessibles sur le site de l’IGN.

Par ailleurs, l’Agence nationale de la recherche (ANR) vient de lancer, dans le cadre du volet dirigé du Plan de relance France 2030, dit « financement des investissements stratégiques », un programme et équipement prioritaire de recherche (PEPR) en faveur de la résilience et de la biodiversité des forêts et d’une bioéconomie agile, doté de 50 millions d’euros. Ce PEPR constitue le sujet de l’action 2.6 des Assises de la forêt. Son pilotage est confié à l’Inrae en coopération étroite avec le Cirad, le CNRS et le GIP Ecofor. Il associera également l’ensemble des acteurs de la filière forêt-bois et les territoires. Un comité scientifique et technique, placé sous l’autorité du secrétariat général pour l’investissement (SGPI), doit en évaluer prochainement le contenu. Ce PEPR sera le vecteur principal de la recherche sur les écosystèmes forestiers dans les années à venir.

Votre rapporteure estime qu’il ne revient pas à une mission d’information ayant travaillé sur une période limitée de proposer des axes de recherche auxquels des scientifiques réfléchissent en permanence. Les crédits publics étant en outre limités ([29]), il serait malaisé d’opérer des arbitrages au profit d’un domaine au détriment d’autres. En revanche, il serait utile qu’une partie de ce programme permette d’assister les pouvoirs publics nationaux et locaux pour leurs prises de décision en politique forestière. Votre rapporteure discerne au moins trois volets sur lesquels la recherche devrait être intensifiée.

Le premier porte sur la cartographie des forêts. Elle est en bonne voie d’être réalisée, grâce à la couverture Lidar ([30]), qui permettra d’ici 2025 d’avoir une vision précise des peuplements forestiers dans l’hexagone et en outre-mer, sauf en Guyane. Cette couverture servira en outre à d’autres volets de politique publique comme l’agriculture ou la prévention des risques naturels. Les données acquises faciliteront notamment le suivi de l’état sanitaire des forêts et la prévention des incendies, le suivi et le contrôle des défrichements et des replantations, l’amélioration de la desserte forestière et du transport du bois ou la cartographie des forêts subnaturelles à fort potentiel de biodiversité.

La cartographie par ce système nécessitera 5 000 heures de vol par les avions de l’IGN, pour un coût global de 55 millions d’euros abondés par l’IGN, le Fonds pour la transformation de l’action publique, le ministère de l’agriculture, la direction générale de la prévention des risques du ministère de la transition écologique et diverses collectivités territoriales.

L’ONF souhaite utiliser de manière massive cet outil afin d’aboutir à une couverture en image complète des forêts françaises. Mais il ne dispose pas d’assez de personnels aptes à analyser les images et les données et à installer des placettes d’inventaire sur des points de calibration qui permettront de caler les données forestières à partir d’outils de télédétection (projet Protest) ([31]).

 

Proposition n° 2: Renforcer les effectifs de l’ONF pour exploiter les données issues de la technologie Lidar et installer des placettes d’inventaire sur des points de calibration.

Cette cartographie servira de base à l’élaboration de modèles d’évolution de la forêt, qui pourraient ensuite être croisés avec les diagnostics faits par les gestionnaires forestiers, notamment l’ONF, pour les opérations d’aménagement ou pour les plans de gestion forestière, établis tous les dix à quinze ans. Ces modèles permettent d’opérer des simulations qui constituent des aides à la décision et ils pourraient, inversement, être alimentés par les données recueillies lors des opérations de gestion.

Il s’avèrerait ensuite utile d’intensifier la recherche sur les modes de sylviculture, de manière décentralisée, dans l’ensemble des massifs de l’hexagone et d’outre-mer, afin de disposer à moyen ou long terme de données sur les effets de ces modes sur l’ensemble des fonctions assignées par le code forestier à la forêt. La plupart des interlocuteurs de la mission lui ont fait part d’observations de terrain sur les modes de gestion, mais en soulignant qu’ils ne disposaient pas de preuves scientifiques.

 

Proposition n° 3 : Intensifier la recherche sur les modes de sylviculture de manière décentralisée, compte tenu de la diversité de la géographie physique et des climats dans l’hexagone et en outre-mer.

Le débat sur la migration assistée des essences exotiques est suffisamment vif au sein de la communauté scientifique pour qu’un volet du PEPR apporte des éléments tangibles sur ce sujet. L’action 2.8 précitée des Assises de la forêt créant une commission scientifique sur les essences d’avenir doit être mise en œuvre rapidement car elle permettra d’identifier les peuplements indigènes résilients et proposera des protocoles d’expérimentation sur le suivi de changements d’essences dans les massifs. Il apparaît également que le rôle des sols, éléments indispensables à toute forêt en raison des matières organiques qu’ils leur apportent, est encore largement méconnu. Il fait l’objet de l’action 2.3. Les sécheresses récurrentes qui menacent notre pays justifient que ce programme comporte une partie consacrée aux moyens de lutter contre leur aridification.

 

Proposition n° 4 : Mettre en œuvre rapidement les actions 2.8 et 2.3 des Assises de la forêt, qui portent respectivement sur les essences d’avenir et sur la préservation des sols forestiers.

Ces programmes précités apporteront une aide précieuse à la décision des responsables politiques mais leurs résultats ne seront pas disponibles à court terme.

On notera enfin que le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, lors de son audition devant la mission d’information, s’est engagé à achever la mise en place de l’Observatoire de la forêt au plus tard en juillet 2023. Si l’engagement est respecté, il permettra de diffuser plus aisément les connaissances sur les forêts. Placé au sein de l’IGN, avec pour partenaires l’ONF, le CNPF et en lien avec les acteurs la filière forêt-bois et l’Office français de la biodiversité, cet observatoire aura pour objectif de créer un portail pour la diffusion des informations et des données clés produites par l’ensemble des fournisseurs de données, en commençant par les données de l’inventaire forestier national, et de servir d’espace d’échange et de production en commun d’informations, de croisement, et d’analyses thématiques nationales et régionales axées sur la récolte et les utilisations du bois, les services écosystémiques, le suivi des changements d’occupation et de santé des écosystèmes forestiers. Son importance réside dans le fait que si l’ONF a accès à toutes les informations disponibles, tel n’est pas le cas de tous les acteurs forestiers. Les représentants des fédérations auditionnées ont tous admis qu’ils avaient, à l’échelon supérieur de leur fédération, accès à l’information, mais que celle-ci était mal diffusée auprès de leurs adhérents de base. L’observatoire devrait corriger cet inconvénient. L’enjeu est de transférer les connaissances de la sphère scientifique vers les propriétaires et gestionnaires forestiers et les élus locaux.

 


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II.   L’obligation d’adapter la politique forestiÈre au changement climatique

Dans sa lettre à M. Rioffrey, secrétaire général du Comité de protection artistique de la forêt de Fontainebleau, Victor Hugo écrivait : « Un arbre est un édifice ; une forêt est une cité, et entre toutes les forêts, la forêt de Fontainebleau est un monument. Ce que les siècles ont construit, les hommes ne doivent pas le détruire ». L’affaire de Fontainebleau signait l’émergence d’une vision citadine et esthétisante de la forêt qui préfigurait les grands débats du futur sur la protection de la nature. Pour autant, la nécessité de préserver les forêts n’a jamais signifié le délaissement de leur fonction économique. Sans forêt en bon état biologique, la filière économique ne peut tout simplement pas disposer de la matière première dont elle a besoin, sachant que celle-ci ne se régénère pas sans coupe d’arbres à maturité.

Les Assises de la forêt ont proposé un nouvel horizon pour une politique forestière, qui se déclinera désormais dans un environnement instable. Elles portent en elles une logique consistant à raisonner en fonction des capacités des écosystèmes forestiers, mais la nécessité de développer le puits de carbone et de fournir du bois en quantité croissante conduit le Gouvernement à lancer un programme très (trop ?) ambitieux de reboisement. L’ensemble de la filière aval est concerné, de son propre chef le plus souvent, ce qui démontre que la prise de conscience du dérèglement climatique est bien ancrée chez les responsables des organisations professionnelles et établissements publics du monde forestier.

A.   Les consÉquences pour la filiÈre forêt-bois

Pour la filière forêt-bois, le dérèglement climatique pose un problème de ressource, ce qui induit de relancer la production de bois et d’évaluer si cette filière peut lui trouver de nouveaux débouchés.

1.   Préserver la filière amont : un enjeu de durabilité des forêts

« Imiter la nature, hâter son œuvre » ; cet adage forestier vieux de presque deux siècles demeure d’une grande modernité pour adapter la forêt française au changement climatique tout en poursuivant la continuité historique de la gestion forestière. La forêt hexagonale représente aujourd’hui 17 millions d’hectares et près de 150 espèces d’arbres dont l’implantation sur le territoire national risque d’être sensiblement modifiée par le changement climatique. La France reste le pays du chêne par excellence, avec 5,5 millions d’hectares, soit 41 % de la surface forestière. Le stock de bois des forêts de production est passé de 1,7 milliard de mètres cubes en 1980 à 2,7 milliards de mètres cubes en 2015, se caractérisant par un vieillissement progressif des peuplements.

Préserver la ressource est un défi du présent car si la production biologique brute s’est élevée à 89 millions de mètres cubes par an sur la période 2001-2019, elle a tendance à baisser du fait des conditions climatiques (sécheresse, canicule) et sanitaires (scolytes, chalarose) et représente aujourd’hui environ 79 millions de mètres cubes. Dans le même temps, la mortalité naturelle a progressé sous le coup de ces mêmes facteurs, passant de 7,5 à 10 millions de mètres cubes par an entre 2005-2013 et 2011-2019. Ces chiffres marquent donc une fragilité accrue de la forêt française qui vieillit, produit moins à l’hectare et dépérit.

La surface de la forêt française n’augmente presque plus aujourd’hui. L’accroissement annuel moyen de la superficie des forêts sur les trente prochaines années pourrait n’être que de 30 000 hectares par an. Et cette croissance pourrait être annihilée par différents phénomènes comme les incendies (- 30 000 hectares par an en moyenne et jusqu’à 70 000 hectares en 2022) ainsi que les processus de déforestation illégale (2 250 hectares par an) et de défrichement de terres (3 000 hectares par an) se déroulant essentiellement en outre-mer. Les pratiques de la filière sylvicole ne sont pas toujours optimales pour permettre un bon entretien des forêts et augmenter leur résilience face au changement climatique. Alors que, à l’inverse des forêts des pays scandinaves généralement mono-essence, la France se distingue par la coexistence d’une majorité de feuillus et d’une large gamme de résineux (pin maritime, pin sylvestre, épicéa, sapin, Douglas), certains acteurs de la filière-bois poussent à l’implantation de forêts de résineux dont la croissance est plus rapide, parfois après coupe rase sur des forêts diversifiées comme on le voit dans le cas de la forêt du Bois du chat sur le plateau de Millevaches, qui a marqué l’actualité de ce début d’année 2023.

Pour préserver la ressource amont que constituent les arbres et les forêts, plusieurs pistes peuvent être explorées. Il s’agit notamment de développer une politique active et éclairée de plantation et d’entretien des forêts, de limiter les pratiques nocives pour la durabilité des forêts, d’améliorer la réponse en cas d’attaques de parasites ou encore de renforcer la connaissance des massifs par les acteurs publics et privés.

a.   Conduire une politique volontariste de plantation mais aussi d’entretien des forêts

i.   Un programme volontariste de plantation

La plantation reste un élément important, mais minoritaire, du renouvellement des forêts et de leur adaptation au changement climatique. La France plante moins que par le passé : 30 000 hectares par an actuellement en moyenne, contre 50 000 hectares par an entre 1955 et 1975, culminant à plus de 60 000 hectares par an dans les années 1960. Selon la Cour des comptes ([32]), la France plante sept fois moins d’arbres que l’Allemagne (3,8 plants/ha en France contre 26,3 plants/ha en Allemagne en 2017-2018). Le nombre de plants forestiers vendus ces dernières années est le quart de ce qu’il était dans les années 1990 (soit 25 millions au lieu de 100 millions de plants par an). Il est donc nécessaire de développer la ressource par davantage de plantation, même si l’on n’exploite que 60 % environ de l’accroissement naturel de la forêt.

Après les annonces du Président de la République le 28 octobre 2022 ([33]), un travail d’élaboration d’une stratégie pluriannuelle de renouvellement et d’adaptation des forêts face au changement climatique a été lancé. Il s’agit de traduire l’ambition de planter 1 milliard d’arbres (soit 140 millions d’euros sur fonds publics) et de renouveler 10 % de la forêt. Pour le Gouvernement, les fonds nécessaires à la réalisation de cette opération devraient majoritairement provenir d’un fonds carbone financé par des obligations de compensation des entreprises privées. Ces « crédits carbone » ne doivent pas être confondus avec les marchés du CO2 organisés par différentes autorités publiques, comme le système d’échange de quotas d’émission de l’Union européenne. Les projets sélectionnés doivent respecter les principes de la compensation carbone (mesurables, vérifiables, permanents et additionnels), dont les modalités d’application sont prévues à l’article R. 229-102-1 du code de l’environnement. En particulier, les projets éligibles aux programme Corsia et les projets certifiés par le label bas carbone sont réputés respecter ces principes. Il est possible de recourir à d’autres standards de certification, mais la conformité avec les principes de compensation devra être dûment justifiée. À cet égard, le décret n° 2022-667 du 26 avril 2022 relatif à la compensation des émissions de gaz à effet de serre des vols aériens intérieurs devrait créer un choc de demande en faveur de projets forestiers labellisés. Cette obligation s’applique depuis le 1er janvier 2022 et de manière graduelle jusqu’en 2024, date à laquelle toutes les émissions devront être compensées.

Le programme de plantations est considéré comme stratégique par le Gouvernement. Il vise à maintenir la capacité de puits de carbone des forêts françaises et à assurer pour l’avenir la ressource en bois de toute une filière.

S’agissant des moyens, l’interprofession France Bois Forêt (FBF) estime nécessaire un programme de replantation sur 100 000 hectares par an, soit un coût annuel de 200 millions d’euros, tandis que le rapport « Cattelot » estime que même en prenant des hypothèses conservatrices, le besoin global est en moyenne de 300 millions d’euros par an, et note donc que cet ordre de grandeur est très éloigné de l’effort observé au cours des dernières décennies, y compris après mise en œuvre du plan de relance. Ainsi, parallèlement à la structuration d’un financement pérenne via le marché carbone, il semble nécessaire que l’État développe aussi une politique de guichet renforcée et pérenne, à hauteur d’au moins 100 millions d’euros par an, qui serve d’outil permanent de soutien aux actions d’adaptation des forêts au changement climatique, mais qui soit aussi un dispositif d’aide permanent à la reconstitution des peuplements sinistrés par les crises.

 

Proposition n° 5 : En complément des financements carbone, augmenter le soutien financier public aux politiques de repeuplement, notamment des surfaces forestières sinistrées, de 100 millions d’euros par an via une politique de guichet pérenne financée par des crédits budgétaires.

ii.   Assurer un entretien raisonné des forêts et soutenir les pépinières

Votre rapporteure observe ces perspectives avec intérêt car elles constituent un excellent signal en faveur des forêts, mais elle rappelle qu’une politique massive de plantation ne peut assurer à elle seule l’ensemble des objectifs de politique forestière. La biodiversité ne peut par exemple s’épanouir dans des plantations de type industriel et mono-essences. Si elles sont le seul mode possible de production dans certaines régions, une forêt diversifiée est une meilleure solution pour préserver la santé des essences. Il est donc indispensable de travailler parallèlement à une politique d’entretien raisonnée et de protection de la forêt et des sols, en combinant régénération naturelle et plantation, à condition de savoir sélectionner les essences. La régénération d’une zone entière uniquement par des plantations ne constitue une bonne solution que dans des conditions précises : remplacer des essences totalement inadaptées au climat, et à la seule condition que les arbres dépérissent.

Le soutien financier aux investissements dans la filière graines et plants, maillon indispensable du renouvellement forestier, est inséparable des actions de régénération. Il est nécessaire de donner davantage de visibilité aux acteurs de la filière des matériels forestiers de reproduction (MFR - pépinières, reboiseurs) sur les activités à programmer au cours des prochaines années, dans un contexte de pénurie de graines. Le plan de relance a ainsi prévu un volet pour les investissements productifs dans la filière graines et plants, pour un montant de 4,5 millions d’euros à l’échelle du territoire, outre-mer compris. Les investissements doivent s’inscrire dans le cadre de l’amélioration de la gestion des pépinières et plantations forestières, du renforcement de la protection et de la résistance des cultures et des plantations aux aléas climatiques et de l’amélioration des conditions et performances de stockage et de transport des plants. Cependant, là encore, ces sommes paraissent très insuffisantes au regard des enjeux. Ainsi, le premier appel à projets d’avril 2021 a conduit à la consommation intégrale des 4,5 millions d’euros d’aide. Le plan France 2030 a prévu une nouvelle enveloppe de 5 millions d’euros de soutien, mais il serait souhaitable que ce soutien soit pérenne.

Un point doit être enfin souligné : la sylviculture nécessite de disposer de graines. Or, le Syndicat national des pépiniéristes forestiers, auditionné par la mission d’information, rappelle que cette profession subit également les effets du dérèglement climatique. Il lui est demandé de renouveler les essences et de produire des graines de qualité, mais la sécheresse amoindrit la qualité desdites graines et contrarie ainsi le renouvellement forestier. Ce problème doit être rapproché d’une statistique portant sur les marges d’incertitude en arboriculture, de l’ordre de 20 % de risque d’erreur, quand elles sont de 0,10 % pour la culture de la carotte. Il faut de nombreuses années pour tester des plants. La profession estime logiquement avoir un droit à l’erreur, en étant consciente qu’elle ne peut se permettre d’en commettre trop.

 

Proposition n° 6 : Développer le volume et la visibilité du soutien public envers la filière des matériels forestiers de reproduction (graines et plants) pour anticiper au maximum les besoins de renouvellement forestier.

 

Exemples d’aides versées à des pépinières dans le cadre du Plan de relance

La pépinière PIRES à Tour de France dans le Lot a bénéficié d’un soutien de 85 000 euros pour le financement de planteuses, de mini-pelles, de matériel d’autoguidage, de dérouleuse-paillage et de quads-remorques.

L’entreprise CFBL à Ussel en Corrèze a reçu une aide d’environ 200 000 euros pour l’acquisition de mini-pelles, de planteuses automatisées ou encore de conteneurs frigorifiques.

Mayotte Pépinières à Mamoudzou a bénéficié d’un financement à hauteur de 107 000  euros pour le financement de matériels d’irrigation et d’arrosage, mais également pour l’acquisition de logiciels de gestion des plantations.

b.   Futaie régulière ou irrégulière, un débat ouvert

La plantation d’arbres ne peut constituer le seul indicateur de la politique forestière, car il faut ensuite que les peuplements croissent et arrivent à maturité pour jouer à plein leur rôle biologique. Avec la nécessité de maintenir en bonne santé la forêt française, le débat porte sur le type de futaie à adopter, régulière ou irrégulière.

La diversité des modes de gestion apparaît, aux côtés de la diversification des essences, comme un facteur de la politique d’adaptation. Pour simplifier, la mission n’a pas ressenti de clivage entre gestion en futaie régulière ou irrégulière ([34]), les polémiques portant principalement sur le mode de récolte que constituent les coupes rases. Mais il est clair, en reprenant les auditions, que face aux sécheresses récurrentes, la préservation du sol apparaît prioritaire. Or, un sol sec est le principal facteur du dépérissement des arbres. Aussi la gestion en futaie irrégulière suscite un intérêt de plus en plus marqué, en raison de la conservation du couvert forestier et de la couverture du sol, qui assurent ombre et humidité. Travailler sur une forêt dont la structure est irrégulière et où différentes espèces et tailles d’arbres cohabitent pied à pied, comprend en outre des avantages économiques puisque les coupes y sont régulières, à la différence des plantations d’essences à croissance rapide, où il faut attendre douze à vingt ans pour la récolte.

Il n’existe pas encore pour les scientifiques de résultats prouvant la supériorité de cette structure sur les structures dites régulières, même s’ils en reconnaissent les mérites. Les propriétaires ([35]), experts et techniciens forestiers ainsi que les associations environnementales n’attendent pas pour leur part que les connaissances scientifiques confirment leur constat de terrain. Il apparaît que la gestion en futaie irrégulière gagne de plus en plus d’adeptes, notamment parce qu’elle semble la meilleure réponse aux effets du dérèglement climatique… Sauf en cas de sécheresse extrême, où toute forêt, quels que soient sa composition et son mode de gestion, se retrouve en détresse.

Dans ce débat, il convient de ne pas confondre la gestion en futaie régulière de la plantation en mono-essences qui serait inadaptée au climat ou au sol sur lequel le peuplement s’est produit. La mort d’épicéas en plaine ne doit rien à la futaie régulière mais a pour origine le fait d’avoir planté ces arbres à une altitude trop basse. La futaie régulière est pratiquée depuis 350 ans par l’ONF, notamment pour les forêts de chênes, et elle n’empêche nullement la protection de la biodiversité. Des coupes sélectives, tous les huit à douze ans, permettent aux arbres les plus prometteurs de croître, avant d’être récoltés deux à trois siècles après leur plantation. L’abattage des arbres en forêt publique ne se réalise jamais sans préparation inventoriant la faune.

La plantation en mono-essence constitue une autre question, dont l’actualité n’a que plus d’acuité compte tenu du dérèglement climatique. Le pin Douglas, « essence miracle » pour beaucoup de forestiers, pourrait apparaître particulièrement fragile face aux sécheresses qui vont se multiplier. Pourtant, nombre d’aides publiques continuent de subventionner la plantation de tels pins. Dans le Morvan, 50 % des forêts de feuillus, diversifiées, ont ainsi été remplacées par des forêts de résineux en monoculture. Ces plantations massives se traduiront par des coupes rases car tous les arbres vont vieillir ensemble.

Conduite avec soin, la gestion en futaie régulière se déroule sur un cycle de plusieurs siècles pour les chênes, et sur des décennies pour des essences à croissance plus rapide. La régénération est le plus souvent naturelle. C’est sur ce point que nous manquons de recul pour savoir si le dérèglement climatique va modifier les mécanismes de régénération et s’il faudra ou non procéder à une migration assistée.

La futaie régulière a néanmoins un coût important, puisqu’une longue période s’écoule entre le plant et la récolte. Il est difficile d’amortir à long terme l’investissement dans une plantation forestière car il faut acheter les plants chez un pépiniériste, veiller à ce qu’ils poussent, les protéger contre des attaques du gibier, des insectes, etc. La futaie régulière avec plantation est ainsi coûteuse au démarrage et en entretien et elle requiert du temps.

La gestion des forêts en futaie irrégulière est plus proche du fonctionnement naturel des écosystèmes forestiers. Elle permet de maintenir le couvert continu et favorise la biodiversité au sein de tous les compartiments de l’écosystème. Elle est parfois perçue comme une contrainte par l’exploitant, car elle demande plus d’interventions. Mais elle constitue sur le long terme une forme d’assurance pour maintenir l’humidité et la fertilité des sols, la résistance aux bioagresseurs et, in fine, la capacité de production de bois. En résumé, elle apporte aux forêts une meilleure résistance au dérèglement climatique.

La futaie irrégulière en France serait pratiquée sur 10 à 20 % des surfaces forestières, avec des disparités régionales. Selon l’association pour la gestion en futaie irrégulière (AFI), en Bourgogne-Franche-Comté, 50 % des plans simples de gestion sont aménagés en futaie irrégulière et trois quarts des nouveaux plans de gestion sont prévus en futaie irrégulière. De nombreuses forêts communales se dotent également de documents de gestion orientés vers la futaie irrégulière, mais ce n’est pas le cas partout en France. La tendance irait vers une adoption plus large de ce type de sylviculture.

Économiquement, la futaie irrégulière permet de produire du bois à intervalle régulier (en fait, pratiquement chaque année), avec des interventions périodiques s’ajustant aux capacités du peuplement et permettant d’alimenter la filière de manière continue. Elle apporte un revenu régulier et constant au sylviculteur. Il existe de nombreuses expériences concrètes de suivi de forêts gérées selon cette approche au travers de l’Europe mais aussi en France, qui ont permis de souligner l’aspect résilient de cette sylviculture, tout en étant économiquement rentable. À titre d’exemple, le réseau de parcelles de référence de l’AFI, épaulée par l’école forestière de Nancy (AgroParisTech), ainsi que d’autres forêts de démonstration de Pro Silva Europe, permettent de prouver que la gestion en futaie irrégulière n’est pas juste une approche théorique et qu’elle a bien des applications concrètes de mise en œuvre par des propriétaires forestiers qui souhaitent également obtenir une certaine rentabilité de leur forêt.

Futaie régulière et irrégulière présentent chacune leur intérêt et sont le plus souvent adoptées en fonction des objectifs économiques des propriétaires. Ceux-ci demeurent en outre astreints aux obligations écologiques du code forestier. En ce domaine, les échanges entre tous les acteurs du monde forestier sont suffisamment denses pour leur laisser la liberté – et donc la responsabilité – du choix qui leur convient. Il se pourrait néanmoins que la futaie irrégulière soit un mode de gestion très largement pratiqué dans quelques années compte tenu de son intérêt écologique. Les pouvoirs publics ont le devoir de conduire les programmes de recherche et de recenser les pratiques permettant de comparer les mérites de ces deux modes. Toutefois, la futaie irrégulière pourrait être soutenue par un dispositif fiscal, incitant les contribuables bénéficiant du crédit d’impôt prévu à l’article 200 quindecies du code général des impôts à envisager ce mode de gestion à raison de leurs opérations forestières.

 

Proposition n° 7 : Modifier l’article 200 quindecies du code général des impôts et porter de 25 à 35 % le crédit d’impôt dont bénéficient les contribuables à raison de leurs opérations forestières s’ils s’engagent à gérer leur forêt en futaie irrégulière.

 

c.   Concilier les exigences de la production et le respect des équilibres naturels des forêts

La sylviculture à couvert continu est une pratique prometteuse pour augmenter la résilience des forêts au changement climatique, mais elle n’est pas la seule. D’autres options sylvicoles doivent être encouragées, comme le fait de réduire la densité des peuplements pour améliorer la disponibilité en eau et la résistance au stress causé par le vent ; de mélanger les essences pour renforcer la diversité génétique des écosystèmes forestiers et, lorsqu’on renouvelle le peuplement, de préférer des types d’arbres plus adaptés sur le long terme aux conditions climatiques à venir.

Pour préserver la ressource amont, notamment face aux sécheresses récurrentes, outre l’adaptation de la densité des peuplements et des essences au bilan hydrique des zones concernées, la sauvegarde de l’alimentation en eau des sols passe par exemple par la limitation de leur tassement. En 2021, lors des débats sur la loi « climat et résilience », le Parlement a reconnu d’intérêt général « la préservation de la qualité des sols forestiers » dans l’article L. 112-1 du code forestier. Toutefois, les schémas régionaux de gestion sylvicole (SRGS), qui encadrent la gestion en forêt privée (article R. 312-4 du code forestier), sont assez peu prescriptifs en ce qui concerne la protection des sols. Un plan simple de gestion (PSG) dans une région donnée doit être compatible avec le SRGS mais peut fixer également des exigences complémentaires. Idéalement, l’élaboration d’un PSG devrait être l’occasion pour un propriétaire de s’interroger, avec l’aide d’un expert-forestier, sur la qualité de son sol.

 

Proposition  8 : Introduire à l’article R. 312-4 du code forestier relatif au plan simple de gestion la prise en compte de la préservation des sols.

Les sols peuvent également être endommagés par des pratiques forestières inadéquates. Il est impératif de préserver davantage le capital-sol en appliquant les recommandations de bonnes pratiques (précautions en matière d’exploitation, de vidange des bois et de préparation de sols avant plantation, ouverture de cloisonnements, utilisation de branchages pour assurer la protection physique, maintien de bois mort au sol). En cas d’intempérie, créant des sols meubles, il est ainsi nécessaire de limiter les chantiers qui peuvent être dommageables pour les sols. WWF France recommande par exemple de mettre en place une couverture financière pour suspendre les chantiers en cas d’intempérie et de soutenir l’équipement des entreprises de travaux forestiers en matériel à faible impact pour les sols, d’interdire le dessouchage ou encore d’intégrer un diagnostic sol dans les documents de gestion durable en forêt privée.

Quant au dessouchage, il convient de souligner que l’extraction des souches d’arbres a de nombreux impacts négatifs sur les sols forestiers. Cette pratique entraîne une déstructuration profonde des sols avec pour conséquence le relargage du carbone qu’ils stockaient. De plus, les souches d’arbres constituent la base d’une chaîne trophique pour les champignons lignivores et les insectes saproxyliques. Enfin, la décomposition des souches (comme celle des menus bois) permet de maintenir de la matière organique dans les sols. Cette matière organique est un réservoir d’humidité, indispensable en période de sécheresse. Le seul débouché économique des souches est la valorisation en bois énergie, ce qui constitue un revenu très faible par rapport aux conséquences économiques, à moyen ou long terme, liées à la perte de la résilience de l’écosystème.

d.   Réagir face aux menaces parasitaires par un accès plus large des experts-forestiers au cadastre

Le changement climatique entraîne la montée en puissance des attaques de parasites, comme le montre la crise des scolytes qui affectent de grandes parcelles de forêt dans l’Est de la France. Ces attaques peuvent faire mourir des forêts entières.

À cet égard, non seulement les moyens de l’ONF et du département de la santé des forêts (DSF) du ministère de l’agriculture doivent être développés pour mieux surveiller les forêts publiques, mais il faut également renforcer les moyens de détection des parasites dans les parcelles de forêts privées, qui forment la grande majorité des propriétés. Il pourrait ainsi être utile de permettre aux experts forestiers et aux groupements locaux de retrouver le nom des propriétaires des forêts endommagées en ayant accès au cadastre.

La loi n° 2022-268 du 28 février 2022 visant à simplifier l’accès des experts forestiers aux données cadastrales a introduit un nouvel article L. 166-G au livre des procédures fiscales qui permet aux experts forestiers figurant sur la liste mentionnée à l’article L. 171-1 du code rural et de la pêche maritime, aux organisations de producteurs du secteur forestier reconnues par l’autorité administrative et aux gestionnaires forestiers professionnels satisfaisant aux conditions mentionnées à l’article L. 315-1 du code forestier, d’accéder, sans limitation du nombre de demandes, aux données cadastrales, notamment aux informations relatives aux propriétés inscrites en nature de bois et forêts situées dans le périmètre géographique dans lequel ils sont habilités à exercer leurs missions. Ces données leur sont communiquées afin de leur permettre de mener des actions d’information à destination des propriétaires identifiés sur les possibilités de valorisation économique de leurs bois et forêts. Il pourrait être souhaitable de préciser dans la loi que ces données peuvent également leur être transmises, de manière rapide et simplifiée, en cas d’attaques parasitaires sur une parcelle forestière. Il faut également noter qu’en dépit de la loi, certaines mairies refusent sans fondement juridique l’accès au cadastre, ce qui oblige les demandeurs à ouvrir une procédure administrative à leur encontre.

 

Proposition n° 9 : Compléter l’article L. 166-G du livre des procédures fiscales afin de donner aux experts forestiers et aux groupements locaux de propriétaires forestiers la possibilité d’accéder aux données cadastrales de manière rapide et simplifiée quand les parcelles forestières sont attaquées par des parasites.

Cet accès au cadastre se justifie d’autant plus que lorsqu’un arbre est touché par des scolytes, le délai pour le couper est de six semaines. À défaut, il perd toutes les caractéristiques qui lui donnent sa valeur économique.

e.   Trouver un nouvel équilibre pour la forêt guyanaise

Les forêts d’outre-mer sont caractérisées par la richesse de leur diversité biologique, souvent marquée par un très fort endémisme, et la France a une responsabilité particulière dans leur protection et leur préservation.

La mission d’information s’est plus particulièrement penchée sur la forêt guyanaise, qui résume bien la contradiction à résoudre entre d’une part le maintien d’un puits de carbone et la protection de la biodiversité, d’autre part le développement économique.

Par sa surface, la forêt guyanaise est un gigantesque puits de carbone, mais la région n’en tire aucun bénéfice. Nous retrouvons par ce constat le problème non encore résolu de la rémunération des aménités forestières.

La Guyane est également productrice de bois, principalement pour son marché local. La production est limitée par l’ONF et même si elle devait augmenter, ce qui est envisagé à terme rapproché, elle souffrirait de difficultés d’accès dues à un manque de pistes en forêt. Il y a donc un équilibre à trouver entre une sylviculture durable et une exploitation raisonnée du bois qui apporte de la richesse, de l’activité à des entreprises et des emplois à une population jeune et en forte croissance démographique. Il n’existe aucune raison objective de ne pas faire confiance au tissu économique et social guyanais dans sa capacité à gérer durablement la forêt.

S’agissant de la protection de l’environnement, les interlocuteurs de la mission d’information ont mis en avant le problème des espèces invasives qui peuvent bouleverser les équilibres locaux, à l’instar de l’acacia Mangium. Ils ont également fait le constat du manque de personnel pour gérer la forêt et du manque de sanctions en cas de non-respect des directives environnementales à ce sujet, et ont regretté que les populations locales ne soient pas assez associées à la gestion des forêts par l’ONF en Guyane. Il serait opportun de trouver un mécanisme associant les élus et les populations locales à la gestion de la forêt, l’intérêt de l’ONF étant au demeurant de pouvoir expliquer son action, d’en débattre avec les élus locaux, en résumé d’être perçu comme un acteur contribuant à la vie locale plutôt que générateur de prescriptions.

Le nouvel équilibre à trouver en Guyane doit s’accompagner d’actions pédagogiques. Il n’existe actuellement sur place aucune infrastructure pour éduquer la population à la forêt et à la biodiversité, telles que des aquarium, reptilarium, xylothèque, cartothèque, insectarium, etc.

 

Proposition n° 10 : Renforcer les effectifs de l’ONF en Guyane, y définir un nouvel équilibre entre protection de la forêt et son exploitation économique raisonnée et  mieux associer les élus et les populations locales à sa gestion.

2.   Tenir compte du dérèglement climatique dans l’organisation de la filière forêt-bois : quelles perspectives ?

Les auditions de la mission d’information ont montré que l’ensemble des professionnels de la filière aval avaient conscience depuis longtemps des dangers que représente le dérèglement climatique ; la plupart d’entre eux ont déjà proposé des plans d’adaptation ([36]) et quasiment tous ont participé aux Assises de la forêt. Les propositions issues de ces assises, dont ils ont en règle générale salué la tenue et les résultats, portent leur marque.

Les analyses sur la structuration de la filière forêt-bois se sont multipliées ces dernières années. On décompte au minimum près d’une douzaine de rapports du Parlement et d’administrations de l’État. La plupart mettent en avant le fait que l’articulation est insuffisante entre l’amont et l’aval de la filière, conduisant à des exportations à faible valeur ajoutée de bois brut, et en retour à des importations de produits transformés. Le déficit commercial est annuellement de l’ordre de 7 milliards d’euros, principalement en raison des importations de meubles et de pâte de bois, papier et carton.

Le dérèglement climatique accentue le défi que doit relever la filière, mais il constitue parallèlement une opportunité pour créer de nouveaux débouchés pour le bois. La stratégie de lutte contre le dérèglement climatique voulue par l’État repose en effet largement sur les forêts comme puits de carbone, et sur le bois dans tous ses usages, construction et énergie en particulier. Le plan climat du ministère de la transition écologique, conçu en vue de répondre à la stratégie nationale bas-carbone, assigne aux forêts et au bois le rôle suivant :

« Orientation F 1 : en amont, assurer dans le temps la conservation et le renforcement des puits et des stocks de carbone du secteur forêt-bois, ainsi que leur résilience aux stress climatiques.

« Orientation F 2 : maximiser les effets de substitution et le stockage de carbone dans les produits bois en jouant sur l’offre et la demande ».

Ces deux orientations concordent avec la mission multifonctionnelle des forêts, dont le rôle est primordial pour lutter contre le dérèglement climatique, mais qui exigent d’être exploitées et bien entretenues, tant pour les besoins de l’économie que pour leur régénération.

De nombreux pans de l’industrie réfléchissent à de nouveaux usages du bois, dans les pneumatiques, le textile, l’emballage. Mais c’est surtout l’essor vers une économie à bas carbone, avec l’usage croissant du bois dans la construction et la rénovation, qui offre de larges débouchés à la filière, à la condition qu’elle parvienne à articuler tous ses maillons, à travailler en circuit court comme pour des marchés mondiaux, pour de petits chantiers locaux comme pour des travaux de grande envergure.

Organiser une filière pour tenir compte des impératifs de développement durable n’est pas une spécificité de la forêt et du bois. Les contrats signés par dix‑neuf filières avec l’État sous l’égide du Conseil national de l’industrie contiennent pour la plupart d’entre eux des volets consacrés à la décarbonation et à la lutte contre le réchauffement climatique, et le plan France 2030 a en autres objectifs de décarboner notre économie.

La filière doit en conséquence prélever plus de bois, alors qu’existent d’une part des incertitudes sur la ressource présente et future mais que d’autre part, des variations de prix sont observées sur différentes essences. Des mètres cubes de pins maritimes se retrouvent en Gironde en quantité excessive sur le marché, à la suite des incendies de l’été 2022, tandis que certaines essences très prisées, comme le chêne, se retrouvent en tension en raison de la demande mondiale, privant les petites scieries françaises de matière première. Enfin, la filière aval n’a que peu de visibilité sur les essences qu’elle transformera dans l’avenir. Le dérèglement climatique constitue un facteur nouveau, parfois brutal dans son irruption,

Les termes de restructuration ou de structuration sont souvent utilisés dans le débat sur la transformation de la filière forêt-bois, mais ils sont centrés sur sa compétitivité économique. En débat depuis de longues années, cette transformation de la filière est dotée d’une feuille de route depuis les Assises de la forêt, et celle-ci contient plusieurs volets liés à la transition écologique et à la prise en compte du dérèglement climatique. Cette prise en compte est-elle suffisante ? Il est inutile pour votre rapporteure de porter un jugement maintenant puisque les Assises se sont achevées en mars 2022 et qu’il faut prendre le temps de mettre en œuvre les mesures qu’elles préconisent, puis d’en tirer le bilan. En revanche, le présent rapport d’information peut mettre l’accent sur les conditions nécessaires permettant de développer la filière en conciliant deux visions parfois présentées comme antagonistes, à savoir d’un côté l’accumulation de la biomasse de la forêt pour optimiser le stockage de carbone, de l’autre un accroissement des prélèvements en bois pour développer la bioéconomie ([37]) .

C’est donc plutôt l’adaptation de la filière à ce défi que votre rapporteure évoquera, en rappelant d’emblée qu’un secteur économique ne se développe ou ne se transforme pas juste sur la base d’intentions. La filière forêt-bois existe depuis des siècles. Ses faiblesses sont bien identifiées, ainsi que les investissements nécessaires à sa compétitivité. Il faut donc principalement examiner comment l’adapter pour que de l’amont à l’aval, son fonctionnement soit cohérent avec la lutte contre le dérèglement climatique. Pour le reste, son redressement est inséparable de l’ensemble de la politique de réindustrialisation conduite depuis plusieurs années en application de plusieurs programmes (France 2030, territoires d’industrie, contrats de filière). Cette politique semble porter ses fruits, avec 76 nouvelles usines ou extensions en 2022, mais le redressement sera long, comme le rappelle souvent le Conseil national de l’industrie.

a.   Un impératif : produire du bois

La récolte annuelle de bois commercialisé dans l’hexagone s’établit autour de 38 millions de mètres cubes. Elle se répartit en trois catégories : le bois d’œuvre, destiné au sciage, tranchage et déroulage en représente la moitié ; le bois d’industrie est surtout destiné aux panneaux et à la pâte à papier, et le solde va au bois-énergie (cf. tableau page 24 du présent rapport). Il convient d’ajouter une récolte autoconsommée, non commercialisée, principalement utilisée pour le bois de feu par les propriétaires privés et les habitants des communes (affouage), variant entre 18 et 25 millions de mètres cubes. Quatre régions – Grand Est, Bourgogne-Franche-Comté, Nouvelle Aquitaine et Auvergne-Rhône-Alpes – assurent 72 % de la récolte. En Guyane, la récolte est de l’ordre de 80 000 mètres cubes de bois, essentiellement pour le marché local.

i.   Augmenter la récolte de bois, une question qualitative autant que quantitative

Les chiffres de récolte sont stables depuis vingt ans et l’on observera que celle-ci est très inférieure à l’accroissement biologique des forêts, de l’ordre de 83 millions de mètres cubes par an. La capacité de la forêt française à offrir une ressource naturelle renouvelable est donc sous-utilisée. Une étude conjointe de l’Ademe, de l’IGN et de l’institut FCBA, publiée en 2016, établit de 7,6 à 19,8 millions de mètres cubes la fourchette de croissance potentielle de la production de bois en fonction de deux scenarii (sylviculture constante résultant de l’évolution des classes d’âge dans les forêts ou sylviculture dynamique, par l’augmentation des prélèvements), sachant que, d’après France Bois Forêt, la majorité du stock supplémentaire concerne le bois-industrie et le bois-énergie plutôt que le bois d’œuvre pour la construction.

Le bois ne va pas pour autant devenir une ressource rare. Mais de quel bois va-t-il s’agir et quelle sera sa qualité ?

Plusieurs études ont confirmé la capacité de la forêt française à supporter une augmentation des prélèvements en bois, actuellement de 50 à 60 % de l’accroissement annuel d’après l’IGN. Le défi est donc de réaliser une transition agro-forestière et de concilier la demande grandissante en produits forestiers avec la conservation du capital forestier et des services écosystémiques. À titre de comparaison, l’Allemagne a 11 millions d’hectares de forêts contre 17 millions en France et une meilleure organisation de sa filière lui permet d’avoir 3 milliards d’euros d’excédents pour sa balance commerciale, quand la France enregistre annuellement 7 à 8 milliards de déficit.

80 % de la disponibilité supplémentaire concerne les essences feuillues, les résineux étant quasiment utilisés au maximum, ce qui donne toute sa valeur à la nécessité d’arriver à mieux utiliser les premières. Elle est par ailleurs fortement concentrée dans les petites propriétés privées, dépourvues de plan simple de gestion. Les efforts de différents organes, notamment du CNPF, pour regrouper les petits propriétaires afin qu’ils gèrent de manière plus dynamique leurs parcelles, prennent tout leur sens.

L’objectif du Président de la République de planter 1 milliard d’arbres répond à un double impératif : accroître la quantité d’arbres sur pied pour disposer dans plusieurs décennies des ressources nécessaires en bois et compenser l’affaiblissement actuel des arbres, qui affecte le puits de carbone et provoque des mises erratiques de quantités de bois sur le marché. Il constitue par sa nature un plan de massification de la forêt française, comparable à l’action du Fonds forestier national dans l’après-guerre.

Toute la question est d’augmenter à terme la récolte annuelle de bois sans altérer les fonctions biologiques et climatiques des forêts. Votre rapporteure estime que ce sujet est affaire d’équilibre. La forêt joue un rôle multifonctionnel comprenant la fourniture de bois, et la lutte contre le dérèglement climatique exige d’en maintenir la biomasse. Parallèlement, la demande de produits en bois est forte, et elle correspond aux exigences de décarbonation de nos usages, notamment dans le bâtiment, dans une optique d’économie à bas-carbone. Le prélèvement raisonné de bois est également nécessaire pour éclaircir les forêts ou y atténuer les effets des incendies. Le taux actuel de récolte du bois ne permet pas d’utiliser efficacement une ressource naturelle renouvelable et d’en déployer les usages. Aussi une augmentation planifiée, provenant autant que possible de forêts sous label de gestion durable, préservant les sols et la biodiversité paraît souhaitable, à condition de s’assurer du débouché de ce supplément de récolte. Si les grumes ou les planches n’ont que l’exportation comme perspective, le bilan écologique de cette orientation ne sera guère positif. Il faut s’assurer de la capacité de l’industrie française à valoriser le bois localement, ce qui n’est pas le cas actuellement.

ii.   Recourir à du bois issu de forêts gérées durablement grâce à des labels renforcés

Privilégier le bois issu de forêts gérées durablement permet de mieux les protéger. Mais aujourd’hui, seules 12 % des forêts mondiales sont certifiées. Or, la conservation de la forêt et des services qu’elle apporte nécessite que les entreprises assignent une plus forte valeur à l’environnement, d’autant que leur clientèle le demande. Il est donc essentiel d’encourager le marché à recourir à du bois issu de forêts gérés durablement grâce à des labels renforcés.

Dans ce cadre, le « pacte bois-biosourcés », élaboré par Fibois-France, vise à ce que chaque signataire, maître d’ouvrage ou aménageur, s’engage à réaliser jusqu’à 50 % de sa production en bois locaux et biosourcés d’ici 2025, en construction neuve comme en réhabilitation. Ce type de contrat incite le monde de l’aménagement et de l’immobilier, public et privé, à enclencher un véritable changement systémique dans le secteur de la construction. Le premier a été signé en Île-de-France, mais il s’étend aujourd’hui à d’autres régions. Il réunit autour de la table les acteurs du bois et ceux de la construction. Les interlocuteurs de la filière sont de grands donneurs d’ordre comme Icad, Vinci, Bouygues Habitat, qui ont des besoins en bois. Nouer avec eux un partenariat présente un double intérêt pour la filière : avoir un débouché vers la construction et travailler en circuit court dans un domaine où jusqu’à présent, les constructeurs importaient 80 % de la ressource en bois. En outre, le pacte engage les constructeurs à utiliser 50 % de bois français. Cela ne bouleverse pas la chaîne des approvisionnements des constructeurs, mais leur permet de se prévaloir d’une origine française à laquelle leur clientèle peut être sensible.

Il est souhaitable de s’assurer que ce bois est produit dans le respect des principes de gestion durable des forêts, ce qui justifie de recourir aux labels et aux éléments de durabilité au sein de ces derniers. Parmi les labels les plus reconnus, il existe notamment les bois certifiés FSC (Forest Stewardship Council). Les membres internationaux de FSC ont ainsi développé dix principes de gestion responsable, précisés par soixante-dix critères qui peuvent s’adapter aux contextes régionaux et nationaux, qui doivent être appliqués et vérifiés en forêt pour obtenir la certification FSC.

Le Programme de reconnaissance des certifications forestières (PEFC) est une organisation internationale de certification forestière, créée en 1999, qui promeut la gestion durable des forêts dans le monde. En France, le système PEFC certifie aujourd’hui plus de 8,2 millions d’hectares de forêts, soit presque la moitié de leur superficie dans l’hexagone, à travers l’adhésion de plus de 71 000 propriétaires forestiers, et plus de 3 100 entreprises de la filière forêt-bois-papier. Le label PEFC vise en théorie à garantir au consommateur que le produit qu’il achète est issu de sources responsables. Mais ce label a aussi pu certifier comme durable des pratiques comme la coupe rase de forêts naturelles et leur transformation en monoculture de résineux. Le label PEFC a récemment engagé une révision de ses règles de certification, mais des failles majeures subsistent. L’une des difficultés porte notamment sur la définition de la « transformation » des forêts. La transformation est un terme technique qui désigne une coupe rase visant à modifier la composition d’un peuplement forestier par substitution d’essences. Or plutôt que de reprendre cette définition, PEFC en a créé une nouvelle qui autorise le renouvellement par plantation « avec les mêmes essences dominantes que celles qui ont été récoltées ou d’autres essences caractéristiques de l’écosystème forestier ». En conséquence, le remplacement d’une forêt diversifiée par une monoculture de pin maritime n’est plus considéré comme une transformation pour toute la façade Ouest de la France car l’on considère qu’il s’agit d’une essence caractéristique de l’écosystème forestier.

Pour les coupes rases, PEFC propose une approche diversifiée : interdiction des coupes rases dans les zones de protection forte (sauf autorisation de l’autorité de gestion) et dans les ripisylves, seuil maximum de 2 hectares dans les zones de pente supérieure à 30 % et les zones de forte sensibilité paysagère, et dans tous les autres cas un seuil maximum de 5 hectares (ou 10 hectares si la coupe est inscrite dans le document de gestion). Ces seuils demeurent trop élevés pour de nombreuses associations environnementales qui souhaiteraient limiter les coupes rases à une surface maximum de 0,5 hectares (sauf raison sanitaire impérieuse). En outre, le label utilise la notion de « vulnérabilité » définie comme un « peuplement ne présentant pas encore de signes de dépérissement irréversible mais dont l’avenir pourrait être compromis en raison des essences qui le structurent », ce qui autoriserait des transformations. Or, une grande partie de la forêt française pourrait être considérée comme « vulnérable » selon cette définition. Pour WWF France, PEFC devrait se mettre en conformité avec la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la mise à disposition sur le marché de l’Union ainsi qu’à l’exportation à partir de l’Union de certains produits de base et produits associés à la déforestation et à la dégradation des forêts, et abrogeant le règlement (UE) n° 995/2010, qui a fait l’objet d’un accord politique entre le Parlement et le Conseil le 6 décembre 2022. Le référentiel devrait également préciser explicitement que « seuls les peuplements non améliorables peuvent être concernés par la coupe rase » et fixer comme seuil la présence « de moins de 100 tiges d’avenir par hectare » pour qualifier un peuplement de non améliorable. WWF France recommande également que l’utilisation de produits chimiques de synthèse en forêt soit clairement proscrite dans le cadre du label PEFC (seule l’utilisation d’herbicide est proscrite par le projet de référentiel PEFC), ainsi que d’autres pratiques telles que l’extraction des souches, très néfaste pour les sols, ou, dans une certaine mesure, l’introduction d’essences exotiques.

Il convient de souligner que, dans le cadre du dispositif France 2030, les propriétaires bénéficient d’un bonus de 15 % s’ils sont certifiés PEFC ou FSC (dont le référentiel est également en cours de révision). Or, le projet de référentiel PEFC est moins exigeant que les critères de France 2030 sur la définition de peuplements pauvres ou vulnérables. Il est donc indispensable que les pouvoirs publics clarifient leurs exigences vis-à-vis des deux systèmes de certification et surtout s’engagent à les comparer, de façon objective, à l’issue de la révision des deux référentiels.

 

Proposition n° 11 : Œuvrer pour que les labels de certification de la gestion durable des forêts soient alignés sur les meilleures connaissances scientifiques et a minima sur les critères de France 2030.

Par ailleurs, le label bas-carbone a vu le jour en 2019, permettant le financement de projets pour trois types d’opérations forestières en France : le boisement de terres agricoles ou de friches embroussaillées, la reconstitution de forêts dégradées et la conversion de taillis en futaies sur souches. Les projets doivent avoir une durée minimale de trente ans. Le label bas-carbone existe dans plusieurs autres pays européens (Espagne, Italie, Royaume-Uni), avec toutefois certaines différences dans les critères choisis. À la fin de janvier 2021, 13 projets forestiers ont déjà été officiellement reconnus et 24 sont en cours, dont 17 soutenus par La Poste, pour un bénéfice de 13 000 crédits carbone, correspondant à l’émission d’autant de tonnes CO2. Une certaine vigilance s’impose néanmoins : s’arrêter à une comptabilité simpliste associant un nombre d’arbres à une promesse de tonnes séquestrées n’a pas beaucoup de sens, car toutes les opérations de reforestation ne se valent pas. En outre, utiliser ce levier n’est pertinent et crédible que si les acteurs économiques qui l’engagent ne le font qu’après avoir travaillé sérieusement à la réduction de leurs émissions. L’une des difficultés à l’expansion de ce programme est ainsi le coût élevé du suivi et de la vérification, de même que le manque de valorisation des bénéfices environnementaux, sociaux et économiques des projets.

b.   Adapter l’appareil productif aux conséquences du changement climatique

La filière de valorisation du bois apparaît aujourd’hui sous-capitalisée et peu adaptée aux défis posés par le changement climatique aux forêts françaises. Les scieries en sont un exemple : alors que l’on en dénombrait 15 000 en 1960 et 5 000 en 1980, la France en compte 1 500 aujourd’hui. Le secteur s’est concentré et présente un caractère industriel plus marqué et donc sensible aux évolutions des marchés mondiaux. A contrario, l’industrie du meuble est également organisée en petites unités productrices ([38]), implantées sur tout le territoire, ce qui est très positif pour la répartition de son tissu industriel et pourrait lui permettre de répondre à des logiques de circuit court de valorisation du bois.

Cette valorisation en circuit court se heurte néanmoins à plusieurs obstacles, examinés ci-après.

i.   Les conséquences de la concentration des scieries

La conséquence immédiate de la concentration des scieries réside en ce qu’il devient plus difficile de valoriser les feuillus, car les grandes scieries sont davantage adaptées au traitement des résineux, sur le modèle nordique. Si la France possède l’un des plus beaux massifs d’arbres feuillus du monde (chênes, peupliers…) et est le deuxième producteur européen en sciages de feuillus, les besoins en bois pour la construction, l’agencement ou encore l’ameublement se concentrent encore sur les essences résineuses comme le sapin, le pin ou l’épicéa. Poussant droit et vite, ils sont très demandés pour la construction. Or ce sont aussi ces arbres qui sont le plus vulnérables aux grands incendies et aux parasites. Le frêne constitue également un exemple frappant des conséquences économiques du réchauffement. Il en est victime, avec l’attaque d’un champignon, la calarose. Des quantités importantes de frêne non transformé se retrouvent ainsi sur le marché et exportées (70 % partent en Asie) car la France ne dispose pas de l’outil pour les valoriser.

Les réflexions des designers et la recherche de la durabilité des objets donnent un nouveau souffle aux meubles, donc au marché des feuillus, mais d’autres débouchés doivent être trouvés. Il faut ainsi adapter l’outil technique aux feuillus et développer les aides pour les petites et moyennes scieries afin qu’elles puissent traiter la ressource locale en bois. Ce défi est résumé ainsi par le rapport Cattelot : « Les industries françaises, tout comme leurs consœurs européennes, devront s’adapter aux mutations de la forêt face au changement climatique qui va changer la répartition en essences ou en classes d’âge, avec des structures de peuplements plus diversifiés, voire plus irréguliers, et des " pixels " de coupe plus petits. L’industrie devra innover, anticiper et s’adapter à ces nouvelles configurations de la ressource, comme elle a su le faire par le passé. Les durées d’amortissement des outils de transformation sont heureusement plus courtes que les changements de configuration de la ressource, ce qui permet une adaptation en continu, sans amenuiser leur compétitivité ».

ii.   Valoriser le bois localement : un problème récurrent

Valoriser le bois localement présente un double intérêt : limiter les émissions de CO2 en travaillant cette ressource en circuit court et assurer la présence d’un tissu industriel sur un territoire. Il y a donc un enjeu d’aménagement du territoire et de maintien ou de développement d’activités industrielles. Il s’agit d’une préoccupation de longue date des élus locaux, des chambres consulaires, des parcs naturels régionaux comme des fédérations professionnelles, qui multiplient les séminaires sur cette question. La valorisation locale évite en outre l’exportation de grumes qui n’ont pas de valeur ajoutée.

La filière forêt-bois est largement composée de TPE et de PME, prédominantes chez les exploitants forestiers et au sein d’une partie ([39]) des industries de première transformation (scieries, panneautage, tranchage, déroulage). Elle travaille déjà, pour une partie de ses produits, en circuit court, en raison de leur faible valeur ajoutée. C’est le cas du bois de trituration et du bois de chauffage, dont le prix est peu élevé. S’il était grevé par le coût des transports, il ne serait pas compétitif. Ces bois ont donc un débouché dans un rayon d’une centaine de kilomètres. La filière est de ce fait présente dans la plupart des territoires ruraux dont elle est parfois le premier employeur (elle représente par exemple 13 % des emplois dans le bassin de Sarrebourg).

La filière est toutefois loin de valoriser localement le bois, bien qu’elle en affiche l’intention, en raison de la combinaison de facteurs structurels et conjoncturels.

Le premier tient à la structure de l’offre de bois. Majoritaires en nombre, les petits propriétaires rencontrent des difficultés à valoriser leur production car ils ne disposent pas de quantité suffisante d’un même bois pour intéresser des scieries ni des moyens d’affréter un camion pour l’expédier (les plus petits n’ont souvent que trois arbres en moyenne à expédier). Leur bois se retrouve alors sur le marché du chauffage des particuliers.

La répartition des scieries n’est ensuite pas uniforme dans l’hexagone. La disparition des petites scieries, conjuguée au développement du transport du bois, a conduit à une concentration du secteur de la transformation. Mais celui-ci n’est pas apte à valoriser toutes les essences. Les petites scieries n’ont pas, en outre, toujours la capacité financière d’acheter des grumes pour lesquels des négociants proposent des prix supérieurs, comme l’a indiqué à la mission d’information M. Yannick Becker ([40]) lors d’une table ronde réunissant les représentants des professions agricoles. Une part importante de la production de bois échappe aux scieries françaises et aux artisans locaux.

De 2007 et 2019, les volumes de sciage ont ainsi baissé de 20 % en France (de 10 à 8,2 millions de mètres cubes, à raison de 6,8 millions en résineux et 1,4 million en feuillus) et 700 entreprises ont disparu. Le travail des scieries porte à 60 % sur les produits de la deuxième transformation. Avec une surface forestière inférieure de 45 %, l’Allemagne dispose d’une production de sciages plus de deux fois supérieure à la France (23 millions de mètres cubes) et l’Autriche dépasse la France avec 9,6 millions de mètres cubes. Les sciages concernent des résineux (épicéas, pins, etc.) à 80 %, alors que la forêt française est majoritairement constituée de feuillus.

Il faut se garder, avec ce constat, de se référer à une période « mythique » où presque chaque canton français disposait de sa scierie, même si l’intérêt d’une transformation du bois local n’est pas à négliger. Il s’agissait d’une réalité, mais parallèlement, le secteur a toujours compris de grandes usines de sciage, vers lesquelles le bois a longtemps été transporté par flottage, à bûches perdues ou en trains de grumes notamment, avant d’être désormais acheminé par la route. Le déclin de la population rurale est l’une des raisons de cette concentration des scieries. S’ajoute une logique de marché, plus que de coûts de main d’œuvre, les principaux concurrents de la France (Allemagne, Autriche) versant dans ce secteur des salaires comparables. Dans l’Union européenne en effet, les principaux acheteurs de bois ne sont pas des entreprises françaises. Les appels à développer une filière aval peuvent se multiplier, mais le secteur du meuble, par exemple, très concentré, est dominé par Ikéa (Suède) et Lutz (Autriche, ce dernier détenant en France But et Conforama). Le cahier des charges pour être fournisseur de ces entreprises est donc complexe, exige de fournir de grands volumes et n’est accessible qu’aux grandes scieries. Pour autant, la réussite de Vogica (aménagement de cuisines) démontre que l’on peut croire dans l’industrie française, cette entreprise ayant retrouvé sa compétitivité grâce à la numérisation de ses outils. Il reste qu’elle pèse deux fois moins que ses concurrents allemands et italiens.

Les scieries sont des entreprises très capitalistiques, tant par le montant de l’investissement en machines que par le volume et la valeur du stock de bois. Leur développement est freiné par cette lourde contrainte financière et exige qu’elles travaillent sur de grands volumes. Revenir sur cette logique nécessite l’intervention de la puissance publique (aides nationales ou régionales). Les régions disposent de cette compétence, dans le respect du droit européen.

Il est enfin rappelé que le commerce du bois s’effectue sur un marché libre. La demande en bois est mondiale et les propriétaires vendent logiquement leurs produits au plus offrant. Les acteurs de la filière-bois, à commencer par les scieries, sont confrontés depuis 2021 à des difficultés d’approvisionnement en matières premières, en raison d’exportations massives de grumes vers l’Asie, la Chine notamment. Les difficultés concernent principalement des essences comme le chêne et le pin Douglas du Morvan. Cette situation a ému jusqu’au Président de la République ([41]). Le taux des volumes de chênes de la forêt privée destinés à l’exportation oscille selon les régions entre 35 % et 100 %. Cette situation a conduit la Fédération nationale du bois à mettre la question sur la place publique, car 90 % des scieries de chênes n’ont plus assez de grumes pour assurer leurs besoins de l’année. Or, dès lors que le bois manque en scierie, il manque aussi en deuxième transformation. Les constructeurs de maisons à ossature de bois, notamment ceux situés dans le Morvan, sont par exemple confrontés à un doublement des prix de la matière première ou ne trouvent plus de bois pour leurs constructions.

Ce phénomène s’est étendu plus récemment aux résineux, avec conjoncturellement la décision de la Russie de bloquer ses exportations de grumes et de sciage vers l’Asie, dans un premier temps pour valoriser sur son territoire sa production, puis en raison des sanctions commerciales liées à la guerre en Ukraine, qui a placé le bois dans la liste des produits interdits aux échanges.

iii.   Valoriser les feuillus : une politique encore embryonnaire

Le problème est bien connu : le stock sur pied se compose de 64 % de feuillus et de 36 % de résineux, mais le marché demande majoritairement ces derniers, notamment pour le bois d’œuvre, en raison de leur tronc droit, plus facile à travailler… Et de leur prix, car le bois de résineux en construction coûte actuellement deux fois moins cher en moyenne que le bois de feuillus ([42]). La proportion de feuillus récoltés et transformés est inversement proportionnelle aux feuillus sur pied, à savoir 10 millions de mètres cubes par an, à comparer à 20 millions pour les résineux. Il y a donc une contradiction entre le peuplement actuel des forêts et les débouchés que les propriétaires peuvent en attendre, avec le risque que ceux-ci se détournent d’essences qu’ils ne pourraient valoriser.

La solution réside dans une meilleure valorisation des feuillus, notamment dans la construction, et cette question n’est pas nouvelle. Les marchés traditionnels des feuillus ont en effet beaucoup régressé depuis quarante ans compte tenu de la montée en puissance de matériaux concurrents : PVC pour les menuiseries extérieures, panneaux de bois reconstitué pour les meubles, béton pour les traverses. À la suite d’un rapport de l’institut FCBA, un « Plan feuillus » a été lancé en 2012 par le ministère de l’agriculture, France Bois Forêts et le Comité interprofessionnel de développement des industries de l’ameublement et du bois (Codifab), sur la base du constat que la part des sciages résineux s’élevait à 85 % dans la construction. Il fallait avant tout procéder à un effort de normalisation des différents bois feuillus, indispensable au secteur de la construction où les produits utilisés doivent obligatoirement être classés selon leurs caractéristiques mécaniques. Cette normalisation a été effectuée et les obstacles à l’utilisation croissante des feuillus ne sont plus règlementaires mais commerciaux. Les propositions du Syndicat des exploitants de la filière-bois (SEFB) pour refonder la filière du chêne portent ainsi sur la contractualisation entre les différents maillons de la filière et surtout avec le secteur de la construction, qui, en incorporant du bois sourcé, produit en France, peut créer un appel vers les feuillus, bien que leur utilisation soit d’un prix supérieur à celui des résineux.

Il convient enfin de saluer le lancement d’un programme de recherche et développement pour caractériser la ressource « feuillus » et mieux valoriser les essences secondaires. Il est d’un montant de 3 millions d’euros grâce à la Stratégie Ville Durable et Bâtiments Innovants du PIA4. L’enjeu est donc de faciliter leur adaptabilité aux chaînes de transformation et aux performances des produits finis visés. Ce programme de recherche et développement identifiera de nouveaux débouchés pour les feuillus et les essences secondaires, notamment pour la construction, les aménagements intérieurs et l’emballage de produits de consommation courante.

iv.   Développer la contractualisation au sein de la filière et avec le secteur de la construction

Face aux incertitudes sur le stock de bois disponible et sur les variations des cours, pour tenir compte également de la demande croissante de bois afin de développer une économie bas-carbone en France, la filière pourrait organiser son mode de fonctionnement autour de contrats d’approvisionnement entre les échelons de la filière d’une part, et de contrats avec le secteur de la construction d’autre part. Un récent rapport du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux ([43]) a fait le point sur cette question. Il est attendu de la contractualisation pluriannuelle qu’elle améliore l’efficacité économique de la filière, qu’elle en sécurise les activités, notamment en garantissant les ventes des producteurs et en sécurisant les approvisionnements des transformateurs, qu’elle atténue les variations erratiques de prix, en régulant les quantités de bois mises sur le marché et en organisant les transactions dans la durée, enfin qu’elle permette une modernisation de l’ensemble de la filière.

Rappelons que la crise climatique, ainsi que les tempêtes sévères, ont des effets sur le prix du bois, même s’il est possible de le stabiliser par diverses pratiques. Des prix erratiques rendent difficile la stabilisation sur le long terme des relations avec les donneurs d’ordre. Selon les mécanismes classiques du marché, un excès d’offre provoque une baisse des prix tandis qu’une insuffisance de production conduit à leur hausse. Ce déséquilibre peut intervenir à une échelle régionale, nationale ou européenne (les scolytes sont un problème européen et non uniquement français). La contractualisation permet en ce cas de stabiliser les prix, lorsqu’elle est sur le long terme. La filière s’est engagée ainsi auprès de l’ONF à reprendre des bois dépérissants, dans une proportion allant du simple au double : pour une quantité de bois sain, acquérir le double en bois abîmé. Quant au risque sur les prix, qui serait la conséquence d’un excès d’offre de bois local, la profession travaille actuellement sur un mécanisme de gestion de stock. Ainsi, les résineux tombés à terre dans le Limousin ont été stockés pendant cinq ans pour éviter une mise sur le marché qui aurait déstabilisé les prix. Quand les scolytes ont touché des arbres dans le Grand Est, les scieries ont été engorgées.

La Fédération nationale du bois propose que soit élargie aux acteurs forestiers la déduction pour épargne de précaution (DEP), prévue à l’article 73 du code général des impôts (CGI) en faveur des entreprises agricoles. Cette épargne peut être constituée par ces entreprises, notamment pour les coûts engagés pour l’acquisition ou la production de stocks de fourrage destiné à être consommé par les animaux de l’exploitation sur plusieurs années. Dans le cas du bois, cela permettrait de favoriser une gestion pluriannuelle des stocks de bois. Cette démarche doit d’ailleurs associer étroitement les acteurs publics et privés. Ainsi, l’ONF représente 40 % des volumes mis sur le marché et joue un rôle essentiel dans la sécurisation des approvisionnements et la structuration de la filière. Cela peut également passer par la création de caisses régionales « santé des forêts », financées par l’État, les régions et les propriétaires, telles que celle du massif landais, en s’inspirant des fonds de mutualisation agricoles, pour aider les propriétaires à replanter en cas de crise majeure, tout en favorisant les « solutions fondées sur la nature », ainsi que l’a recommandé le Conseil économique, social et environnemental dans son avis de 2021 ([44]).

La contractualisation a pour objet, dans un premier temps, de rationaliser l’offre de bois. Cette question ne se pose guère pour les forêts domaniales dont le seul propriétaire est l’État et le seul gestionnaire l’ONF, dans la mesure où les ventes sous forme de contrats d’approvisionnement pluriannuels sont encadrées par le code forestier (articles L. 213-6 à L. 213-11, R. 213-24 à R. 213-30 et R. 213-38), le choix d’une procédure de vente ayant pour but d’assurer la meilleure valorisation possible du bois. Elle est plus difficile pour les forêts communales. La mise sur le marché de leur bois est en effet obligatoirement réalisée par l’ONF, en application du code forestier (articles L. 214-6 à L. 214-11 et R. 214-22 à R. 214-2), mais la relative complexité de la procédure administrative aboutit à restreindre la quantité de bois communal mis sur le marché dans le cadre d’offres groupées de vente. Elle est enfin variable dans les forêts privées (75 % des surfaces et 60 % du bois commercialisé) : les coopératives forestières, par nature, agrègent pleinement l’offre de bois de leurs adhérents ; en revanche, les forêts détenues par des petits propriétaires, avec ou sans plan simple de gestion, parfois gérées avec l’appui d’un professionnel, ont plus de difficulté à procéder à des offres groupées. Les experts et les gestionnaires forestiers ne peuvent en effet faire le négoce du bois issu des forêts dont ils ont la charge. En conséquence, si de telles offres existent bien, elles s’effectuent le plus souvent lot par lot et sur pied et ne permettent pas de réaliser des contrats pluriannuels. La solution serait de développer les associations syndicales de gestion forestière, qui mettent en relation dans ce type d’association des propriétaires en vue de répondre à la demande d’industriels ou d’exploitants recherchant des contrats d’approvisionnement.

Si la contractualisation apparaît d’une grande importance pour la rationalisation de l’offre et de la demande de bois au sein de la filière, elle constitue également un outil intéressant pour la gestion durable des forêts, à commencer par la sylviculture. Le dérèglement climatique joue à la fois sur les essences composant les forêts et sur les modes de sylviculture, donc les quantités de bois mises sur le marché à un instant donné. Dans les deux cas, il s’agit de choix de long terme, encadrés par les exigences du code forestier. Or les propriétaires et exploitants doivent tenir compte d’une demande croissante en bois pour développer une économie bas-carbone, tout en évoluant dans une société qui admet de moins en moins la gestion en plantation suivie de coupes massives. De leur côté, les industriels doivent également parvenir à élaborer une stratégie d’approvisionnement en bois qui les conduira à adapter leur demande aux évolutions qualitatives et quantitatives de l’offre de bois. Comme l’indique le rapport précité du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux, les « conditions climatiques et sociétales en cours d’évolution imposent aux forestiers d’expérimenter de nouvelles formes de sylviculture. La capacité à fournir à l’industrie les matériaux dont elle aura besoin ne doit pas être un angle mort de cette réflexion. A contrario, le coût de l’adaptation de la forêt productive aux nouvelles conditions sociétales et environnementales ne peut pas être un impensé des acheteurs de bois, ni dans la fixation des prix, ni dans l’élaboration de leur stratégie de long terme ».

Nécessaire au sein de la filière, la contractualisation apparaît primordiale pour que le bois produit en France ait un débouché dans la construction. L’article 1er du décret n° 2021-1004 du 29 juillet 2021 relatif aux exigences de performance énergétique et environnementale des constructions de bâtiments (RE 2020), applicable aux logements dont le permis de construire est déposé depuis le 1er janvier 2022, prévoit notamment que « l’impact sur le changement climatique lié aux composants du bâtiment, à leur transport, leur installation et l’ensemble du chantier de construction, leur utilisation à l’exclusion des besoins en énergie et en eau de la phase d’exploitation du bâtiment, leur maintenance, leur réparation, leur remplacement et leur fin de vie, évalué sur l’ensemble du cycle de vie du bâtiment, est inférieur ou égal à un impact maximal. L’évaluation de cet impact prend en compte le stockage, pendant la vie du bâtiment, de carbone issu de l’atmosphère ainsi que les charges et bénéfices liés à la valorisation des composants en fin de   vie ».

La filière forêt-bois estime que cette norme augmentera l’utilisation beaucoup plus importante qu’actuellement de matériaux biosourcés, particulièrement du bois. Les industries de transformation du bois doivent donc être en mesure de développer des produits satisfaisant les besoins des entreprises de construction. De leur côté, celles-ci peuvent souhaiter accéder à des produits issus de forêts françaises, la clientèle pouvant être sensible à un argument de circuit court ou de soutien à l’économie nationale, ce qui peut avoir pour effet de favoriser l’utilisation croissante de feuillus.

c.   Quelle place pour le bois-énergie ?

Faut-il encourager l’usage du bois à des fins de combustion ? La question est d’importance en un temps où les forêts doivent servir de puits de carbone. Certes, le bois a toujours été brûlé, depuis des temps immémoriaux et partout dans le monde, pour le chauffage, la cuisson des aliments et la fabrication d’objets. Il constitue aujourd’hui la première énergie renouvelable en France : il représente à lui seul 36 % de la production d’énergies renouvelables et 66 % de la chaleur renouvelable. Près du quart des ménages occupant 7 millions de logements sont équipés d’un appareil de chauffage au bois (bûches ou granulés). Les industries sont de plus en plus nombreuses à utiliser le bois-énergie pour leurs besoins en chaleur, voire pour l’électricité (cogénération). La filière bois‑énergie représente ainsi 1,3 milliard d’euros de valeur ajoutée annuelle et 50 000 emplois non délocalisables, bien ancrés dans les territoires. Pour fournir 146 terawattheures (TWh) par an d’ici à 2030 (102 TWh en 2021), le secteur aurait besoin de 21 000 emplois supplémentaires, allant des métiers manuels à l’ingénierie.

Il s’agit donc d’une industrie dont le rôle ne saurait être mésestimé dans l’économie française. Mais dans une période où les forêts constituent l’instrument majeur contre le dérèglement climatique, il est difficile de concevoir le bois‑énergie comme autre chose qu’un complément à d’autres usages, par exemple de la construction. En aucun cas il n’apparaît pouvoir être la destination prioritaire de la transformation du bois, malgré l’émergence de nouveaux produits, comme les biocarburants à base de bois et le développement de chaufferies en biomasse.

La France dispose de la centrale thermique de Provence, qui produit 150 mégawattheures en brûlant de la biomasse. Il n’est pas opportun de disposer d’une deuxième unité sur notre territoire, ou d’aboutir à une aberration écologique d’une autre sorte, consistant à développer le commerce international du bois en vue de sa combustion. L’exploitation de forêts du Sud des États-Unis, pour fabriquer des pellets ensuite exportés au Royaume-Uni, où la centrale de Drax en brûle annuellement 7,5 millions de tonnes afin de produire 5 % de l’électricité britannique, est l’exemple à éviter.

Le caractère renouvelable du bois-énergie est en débat depuis plusieurs années au Parlement européen, où sa neutralité carbone fait l’objet de vifs échanges. Le bilan neutre en carbone du bois-énergie et du bois pour la construction repose en effet sur une méthode de calcul de compensation qui prend en compte le temps que l’arbre a mis à accumuler le CO2. Mais dans le cas du bois énergie, le CO2 absorbé est rendu à l’atmosphère lors de la combustion, qui est courte, tandis que le temps pris par les arbres pour accumuler du CO2 a pris des décennies, voire des siècles. On rappellera en sus que toutes les parties de l’arbre sont théoriquement valorisables en matériaux de construction (comme le lamellé collé ou l’OSB qui permet de faire des parois de maison à ossature en bois) ou pour l’isolation ; rien n’obligerait à brûler le bois, même pour les résidus.

Le Parlement européen a voté, dans le cadre de la révision de la directive RED II (Renewable Energy Directive II, appelée à devenir RED III), des dispositions qui excluent des énergies renouvelables une très large majorité du bois‑énergie issu de la forêt (la « biomasse ligneuse primaire ») ainsi que son accès aux aides publiques. Le Parlement européen estime en effet que la combustion du bois favorise la déforestation, détruit les habitats naturels et fragilise le rôle de puits de carbone que jouent les forêts dans la lutte contre le changement climatique. Pour la Fédération française du bois, le bois-énergie est au contraire indispensable à une gestion forestière durable, dans un contexte où nous devons aider nos forêts à s’adapter au changement climatique et où nous devons les entretenir de façon à limiter au maximum les risques d’incendies. Le bois-énergie apporterait ainsi aux propriétaires forestiers un complément de revenu indispensable à l’entretien de leur patrimoine forestier.

On notera que l’explosion des prix de l’énergie induit des effets sur le bois. Il se répercute sur les granulés de bois. Un sac de 15 kilos de pellets coûtait environ 5,50 euros en 2021 et près de 13 euros en 2023. Entre 2020 et 2021, les ventes de poêles à granulés ont augmenté de 41 % et les ventes de chaudières à granulés de 120 %, grâce aux subventions de la prime énergie. Les sciures et autres résidus de la filière-bois ne suffisent plus, et de plus en plus souvent, les fabricants transforment directement le bois en granulés. Dans le même temps, le braconnage illégal s’organise ([45]). Il est de fait très facile de fabriquer des pellets : il suffit de transformer du bois en sciure avec un broyeur, de la sécher et de la passer dans une presse spéciale. Un marché noir se développe.

 

Proposition n° 12 : Intensifier la lutte contre le braconnage de bois.

 

 

Le bois-énergie bénéficie actuellement de forts soutiens publics. Récemment, le Gouvernement a instauré un chèque bois-énergie qui vise à faire face à la hausse des prix des granulés et du bois de chauffage et prend la forme d’une aide exceptionnelle de 50 à 200 euros, versée sous conditions de ressources aux ménages qui se chauffent au bois. Le coût de cette aide est de 230 millions d’euros. L’Agence de la transition écologique (Ademe) gère également plusieurs dispositifs en faveur du bois-énergie pour plusieurs centaines de millions d’euros. C’est surtout le fonds chaleur qui permet de distribuer des aides pour le bois-énergie. Entre 2009 et 2017, 1 124 installations de bois-énergie et d’approvisionnement ont été soutenues par le fonds chaleur, pour 765 millions d’euros d’aide sur les opérations d’investissement. Il a permis la production de 17,7 TWh de chaleur renouvelable. Il existe également un fonds air-bois géré par l’Ademe qui permet de remplacer un appareil non performant de chauffage au bois comme une cheminée ouverte, un foyer fermé, un poêle, une cuisinière, une chaudière (installés avant 2002) par du matériel très performant en termes de rendement et de limitation des émissions de particules fines. Par ailleurs, l’Ademe lance chaque année depuis 2008 un appel à projets national Biomasse Chaleur Industrie Agriculture Tertiaire (BCIAT) à destination des entreprises de tous les secteurs souhaitant s’équiper d’installations assurant une production de chaleur à partir de biomasse supérieure à 1000 tep/an. D’autres aides sont par ailleurs disponibles au niveau national et régional : éco-prêt à taux zéro, aides de l’Agence nationale de l’habitat, plans régionaux de soutien à la filière du bois-énergie, etc.

Il existe donc un véritable choix politique à faire sur la question du bois-énergie. Pour votre rapporteure, ce choix doit reposer sur le fait que le maintien, voire l’augmentation, du puits de carbone est une condition centrale pour les choix de politiques forestière et énergétique. Par conséquent, un prélèvement supplémentaire en forêt pour fournir davantage de volume à la filière bois-énergie n’est souhaitable qu’en respectant un principe de hiérarchisation des usages, avec priorité donnée aux produits à longue durée de vie, c’est-à-dire au bois d’œuvre puis au bois d’industrie pour la fabrication de panneaux ; vient ensuite le bois-énergie. Les pouvoirs publics ne doivent pas défavoriser ce secteur économique, mais le changement d’époque que nous vivons exige de ne pas le considérer comme une priorité.

La biomasse ligneuse primaire doit être en conséquence exclue des subventions publiques et de la liste des énergies renouvelables tandis que les subventions publiques allouées à la filière-bois-énergie devraient être redéployées vers l’adaptation des peuplements et vers la capacité primaire à valoriser les usages longs du bois, avec une concentration des efforts sur la première transformation de feuillus qui est aujourd’hui le maillon faible de la filière. Or, aujourd’hui, plus de 50 % des aides à la filière-bois concerne encore le bois-énergie.

 

Proposition n° 13 : Redéployer une partie des aides publiques portant sur le bois‑énergie vers le bois de construction et la filière de transformation primaire.

3.   Poursuivre une politique volontariste d’investissement et de renouvellement des équipements

Ainsi qu’indiqué dans la première partie du présent rapport, plus de 50 % du carbone forestier est stocké dans les sols, la litière et le bois mort. Les sols jouent un rôle clé dans le fonctionnement de l’écosystème forestier : réserve d’eau, pompe à oligo-éléments extraits de la roche mère, décomposition du bois mort et de la litière, réseaux mycorhiziens indispensables aux arbres. Pourtant, ces sols sont menacés par certaines pratiques forestières : mécanisation lourde entraînant le tassement des sols, grandes coupes rases, dessouchage, exportation des menus bois, etc. Si la mécanisation est primordiale sur de nombreux chantiers en raison du manque de main d’œuvre et de la pénibilité de certaines tâches en forêt, il est nécessaire de limiter la présence d’engins lourds qui peuvent entraîner un tassement des sols, notamment sur les sols à texture fine (limons, argiles) et les sites naturellement mal drainés. Or, les propriétaires forestiers et les gestionnaires rencontrent des difficultés à trouver des entreprises utilisant des équipements légers et adaptés à des travaux précis, sains et de qualité (tracteurs polyvalents, matériels d’abattage et de débusquage de moins de 10 tonnes, porteurs limités à 25 tonnes en charge).

Il semblerait en conséquence plus judicieux de mieux conditionner les aides publiques nationales et régionales pour encourager l’équipement en matériel à faible impact, comme les matériels d’abattage et de débusquage de moins de 10 tonnes, les porteurs de moins de 25 tonnes et les filières spécifiques (débardage à cheval, cable-mât). À cet égard, l’appel à manifestation d’intérêt (AMI) « Exploitation forestière et sylviculture performantes et résilientes » (EFSPR), lancé en décembre 2021, prévoit notamment de moduler les aides à l’investissement dans des machines d’exploitation et de sylviculture en fonction d’une estimation de l’impact de la circulation des engins sur les sols forestiers. Ainsi, l’éligibilité aux aides des matériels visés par la catégorie 1 (machines d’exploitation et de sylviculture couramment utilisées) et le taux d’aide maximal applicable seront déterminés en fonction d’une estimation de l’impact de la circulation de la machine équipée sur les sols forestiers (masse de la machine équipée, nombre de roues, dimensions des roues et des pneumatiques équipés ou des chenilles). En s’inspirant de cette disposition, les dispositifs d’encouragement fiscal à l’investissement en forêt (Defi), définis à l’article 200 quindecies du code général des impôts, et les labels bas-carbone devraient également impérativement inclure un volet « sol » dans leurs cahiers des charges.

 

Proposition n° 14 : Mieux conditionner les aides publiques nationales et régionales pour encourager l’équipement en matériel à faible impact et inclure un volet « sol » dans les Defi en modifiant l’article 200 quindecies du code général des impôts ainsi que pour l’obtention du label bas-carbone (décret n° 2018-1043 du 28 novembre 2018 créant un label « bas-carbone »).

4.   Valoriser les métiers de la forêt et protéger les bûcherons et exploitants forestiers contre les accidents du travail

La demande de bois est actuellement très élevée en France, tant pour des raisons structurelles que conjoncturelles. Le secteur de la construction veut s’en procurer pour bâtir des maisons à ossature de bois, et ce matériau est également utilisé pour la rénovation des bâtiments et l’isolation. La disparition progressive du plastique, notamment dans les emballages, conduit à lui substituer des cagettes en bois. Les consommateurs reviennent par ailleurs vers les meubles en bois, pour leurs qualités intrinsèques et pour des raisons écologiques, le bois étant un matériau renouvelable. Les labels FSC ou PEFC les rassurent en outre en leur garantissant que ce matériau provient de forêts gérées durablement. Enfin, la crise de l’énergie a conduit nos concitoyens à acheter en masse des pellets et des bûches pendant l’hiver 2022-2023 pour minorer les coûts du chauffage par d’autres sources d’énergie.

La filière a néanmoins du mal à faire face à cette demande en raison d’un manque de main d’œuvre sur les trois métiers de base : bûcherons, débardeurs et sylviculteurs. La diminution générale de la population vivant en milieu rural en constitue la première cause ; vient ensuite la mécanisation croissante du travail des bûcherons. 7 213 travailleurs en sylviculture et 21 088 travailleurs en exploitation forestière étaient recensés en 2016. Ces chiffres sont en constante diminution.

L’environnement social et économique dans lequel évoluent les bûcherons et les débardeurs ne constitue pas l’objet du présent rapport, mais il ne peut être passé sous silence car il explique en partie le déficit de main d’œuvre de la filière, qui peine à recruter. Le taux élevé d’accidents du travail et de mortalité au travail (entre 10 à 20 décès par an, soit 12 % des accidents annuels dans le salariat agricole), mis en lumière par la Mutualité sociale agricole au début des années 2000 et confirmée en 2020 par le Gouvernement en réponse à une question écrite ([46]), explique pourquoi l’espérance de vie des bûcherons est parmi les plus basses chez les salariés. L’usure à la tâche conduit à constater une inaptitude au travail autour de 52,5 ans. Ces deux points sont un obstacle plus que sérieux à l’attractivité du métier.

Un point doit toutefois être signalé, en lien direct avec le présent rapport : le dérèglement climatique, en fragilisant les arbres, a accentué le risque d’accidents. « Les épisodes de chaleur-sécheresse des années 2018, 2019 et 2020 ont entraîné un fort dépérissement des arbres dans la moitié Nord de la France, surtout des hêtres. À cela, s’ajoutent aussi les attaques parasitaires sur épicéas (scolytes) et frênes (chalara) qui provoquent également de nombreux dépérissements. La présence de nombreuses branches mortes dans les houppiers est un facteur de risque très important, surtout lors des opérations d’abattage manuel. De nombreux accidents mortels survenus en 2019, ont amené les professionnels du quart Nord-Est à diffuser en 2019 une affiche " forêts fragilisées, arbres fragiles = danger ". Cette situation touche aussi l’Allemagne, qui est confrontée à de nombreux accidents liés à ces chutes de branches mortes. Mieux connaître les risques et identifier les mesures préventives à mettre en œuvre sont donc des enjeux majeurs pour préserver la sécurité des opérateurs forestiers ». ([47])

La mécanisation a facilité ces dernières années le travail des bûcherons, les abatteuses et porteurs permettant d’abattre les arbres plus facilement. Mais elle a paradoxalement fragilisé la situation économique des entreprises de bûcheronnage. Il leur revient en effet le plus souvent d’acquérir leurs machines, donc de solliciter des prêts bancaires, avec un risque d’endettement. Comme la profession n’arrive pas à se fédérer, elle ne parvient pas à négocier au mieux de ses intérêts les tarifs de ses interventions. Si le salaire moyen tourne autour de 2 000 euros mensuels, c’est en contrepartie de 10 à 12 heures de travail par jour pour remplir les objectifs des donneurs d’ordre.

Le manque de bûcherons devient patent dans de nombreuses régions, et un quart du travail serait désormais assuré par des travailleurs détachés, notamment bulgares et roumains, dans la région du Grand Est. Une note de l’institut technologique FCBA en date du 15 juin 2019 sur le bûcheronnage du bois d’industrie feuillu dans cette région signale en outre la présence d’équipes turques résidant en France depuis de longues années.

Les tensions sur l’emploi ne concernent pas uniquement les bûcherons et les débardeurs. La filière fait face également à un manque de charpentiers ainsi que de techniciens de bureaux d’études spécialisés, dont le rôle est principalement de chiffrer le coût d’un projet intégrant du bois.

Il revient à la filière-bois de mettre en place une stratégie pour stimuler l’attractivité de ses métiers, avec l’appui si nécessaire de l’État et des régions. La protection des bûcherons au travail est en revanche une question politique. Il est d’une part insupportable moralement que des travailleurs paient depuis des décennies un prix aussi élevé en accomplissant leur métier. Leur vie compte, ainsi que celle de leur famille. Si d’autre part le recours au bois devient croissant pour les qualités qu’on lui reconnaît dans la construction et comme source d’énergie, la protection des professionnels qui le récoltent et le transportent est le premier des impératifs.

 

Proposition n° 15 : Réunir rapidement une conférence sociale ou toute autre instance avec la participation de l’État, des partenaires sociaux et des représentants de la filière-bois pour améliorer la sécurité au travail des bûcherons et débardeurs.

B.   mieux cibler les aides publiques en faveur de la filière forêt-bois

Les aides financières en faveur de la protection, du renouvellement et de la gestion durable des forêts sont l’objet d’une intense réflexion engagée dans le cadre des Assises de la forêt. Aborder la question des aides nécessite ainsi de se projeter dans une série de dispositifs de soutien de natures différentes. D’un côté, existent des aides temporaires et spécifiques, notamment à travers différents fonds et programmes, comme le plan de relance. De l’autre côté, plusieurs agences et acteurs nationaux développent une action pérenne en faveur de la forêt et doivent disposer des moyens d’agir. En outre, ce soutien financier doit se poursuivre de manière indirecte via des mécanismes permettant de privilégier la commande locale et le développement de marques régionales, incitant à une gestion durable de la forêt. Enfin, cela suppose de s’interroger sur la valorisation des aménités forestières et de leur rôle dans la lutte contre le changement climatique.

1.   Des aides encore insuffisantes et parfois non pérennes en faveur de la protection et de l’adaptation des forêts

Jusqu’au début des années 2000, la politique forestière reposait essentiellement sur le Fonds forestier national, qui a largement contribué au reboisement du pays. Aujourd’hui, la volonté partagée par de nombreux acteurs de lui trouver un successeur, qui participerait à l’adaptation des forêts au changement climatique, est manifeste. Le rapport Cattelot indique par exemple que « l’adaptation au changement climatique appelle des investissements massifs pour reconstituer des forêts sinistrées, enrichir ou renouveler des peuplements vulnérables avec des arbres plus résistants au climat futur, boiser des friches agricoles ou industrielles, en un mot pour façonner de nouvelles forêts d’avenir. L’intérêt général commande d’accompagner les propriétaires, publics et privés, en leur apportant un soutien de l’État pour relever ce défi ».

Or, au-delà des acteurs institutionnels travaillant à la bonne santé des forêts, à commencer par l’ONF, l’essentiel du soutien financier apporté par les acteurs publics l’est dans le cadre d’enveloppes éparses, bien que l’effort financier ait été réel au cours des dernières années. Plusieurs dispositifs de soutien public, budgétaires et fiscaux, nationaux et régionaux, existent déjà. Il s’agit notamment de soutiens à l’appareil industriel à la première et à la deuxième transformation et de soutiens à la demande pour différents usages du bois (bois chaleur individuel et collectif, bois électricité-cogénération ; construction). En se concentrant sur les soutiens publics aux industries de première et deuxième transformation, on peut retenir le chiffre de 66 millions d’euros de soutien annuel (sur 1,16 milliard d’euros de soutien à l’ensemble de la filière) identifiés par la Cour des comptes dans son rapport de 2020 ([48]). De manière générale, il convient de renforcer et de simplifier les aides existantes au renouvellement forestier permanent (aides nationales, aides des conseils régionaux, Fonds européen agricole pour le développement rural – Feader…), en forêt publique et privée, tout en renforçant les moyens structurels de gestion de la forêt.

a.   Des aides spécifiques insuffisamment conditionnées à une gestion durable des forêts

Au cours des dernières années, la filière forêt-bois a fait l’objet de plusieurs aides spécifiques, souvent conjoncturelles, qui ont réellement aidé la filière à se moderniser mais qui devraient s’inscrire dans le temps long et être mieux conditionnées à des objectifs de gestion durable des forêts. Dans le plan France relance, une enveloppe de 150 millions d’euros a été mobilisée pour des actions de modernisation et d’équipement des pépinières et des entreprises de reboisement, pour des actions de reconstitution de peuplements dépérissant, d’adaptation de forêts identifiées comme vulnérables et d’amélioration de peuplements pauvres. Ces aides ont été revalorisées dans le cadre de France 2030 et l’enveloppe atteint désormais 300 millions d’euros, avec la répartition suivante :

– 250 millions d’euros pour le renouvellement forestier, dont 70 millions d’euros pour l’ONF (objectif de 8 500 hectares) et 180 millions d’euros au titre du guichet ouvert pour les propriétaires privés et les collectivités (4 368 dossiers ont été déposés au 31 octobre 2022 pour 110 millions d’euros représentant 26 000 hectares). Plus du tiers des dossiers déposés concernent des reconstitutions après attaques de scolytes ;

– 6 millions d’euros pour la filière des graines et plants, à ce jour entièrement consommés ;

– 17 millions d’euros au titre des investissements dans la première transformation, qui ont permis d’aider 52 projets ;

– 27 millions d’euros pour l’acquisition de données Lidar à l’IGN permettant de développer la connaissance des peuplements.

Concrètement, l’État subventionne à un taux maximal de 40 % des projets d’optimisation de la desserte de forêt et de renouvellement des peuplements.

À terme, l’Ademe devrait devenir l’opérateur unique de gestion des aides de la filière forêt-bois. Enfin, dans le cadre de France 2030, et après validation par la Commission européenne des régimes d’aide d’État actualisés, sera mis en place un système de taux de subvention bonifié venant encourager les démarches de cohésion de filière (regroupement de l’offre et contractualisation) et les actions forestières les plus vertueuses en matière environnementale.

L’aide à la filière se fait également au travers de deux appels à projets spécifiques : « Industrialisation des produits et systèmes constructifs bois et biosourcés », doté de 180 millions d’euros ; et « Biomasse Chaleur pour l’industrie du bois », doté de 200 millions d’euros dans le cadre de France 2030. Ce dispositif permettra notamment aux scieries de valoriser sur place les coproduits issus du sciage, de renforcer leur compétitivité et leur autonomie énergétique, et aux industries du panneau à particules d’augmenter leurs capacités de recyclage de bois déchets grâce à de nouveaux séchoirs à basse température performants. Avec la nouvelle règlementation environnementale du bâtiment, un signal fort a aussi été donné en 2022 pour faire plus de place au bois dans la construction et réussir la transition écologique de ce secteur fortement émetteur de carbone.

Dans le cadre de France 2030, 400 millions d’euros devraient être investis sur la durée du plan via l’Ademe en faveur de la première et seconde transformation du bois avec pour objectif affiché de « développer une offre française en matière de produits techniques dont l’utilisation connaît actuellement une forte croissance, en particulier dans le secteur de la construction ». L’aide prend la forme d’un appel à projets qui permet d’accompagner les entreprises de la première transformation de bois engagées dans la modernisation de leurs équipements de production. Elle doit notamment permettre aux scieries de valoriser la ressource française en feuillus avec le développement de procédés de transformation innovants. En 2021, plus de 120 millions d’euros ont été accordés dans le cadre du plan de relance, soit environ 16 millions d’aides pour 33 dossiers lauréats de l’appel à projets territorial « soutien à l’investissement industriel dans les territoires » ; 592 dossiers pour un total de 67 millions d’aides du guichet « industrie du futur » et 38 millions pour 10 dossiers des appels à projets « décarbonation de l’industrie ou résilience ». Ce sont les scieries qui bénéficieront principalement des investissements de France Relance. Elles ont des besoins en capitaux pour de nouvelles machines, des séchoirs, etc. À titre d’exemple, l’entreprise Manubois, située aux Grandes Ventes (Seine-Maritime), a bénéficié du dispositif à hauteur de 1,6 million d’euros pour la création d’une unité de production industrielle de poteaux et poutres en bois lamellé collé (BLC) valorisant les grumes de hêtre locales et de basse qualité pour le marché en France. Ces mêmes entreprises souhaitent également suramortir leurs équipements. La FFB a ainsi regretté devant la mission d’information que leurs concurrentes allemandes et italiennes disposent de plus de financements et de subventions, avec des formalités plus simples.

La filière forêt-bois étant constituée de nombreuses entreprises de taille modeste, disposant de peu de ressources humaines pour répondre à des appels à projets parfois complexes, il serait nécessaire de développer une politique de guichet simplifiée pour les plus petites entreprises car la logique de « premier arrivé, premier servi » génère beaucoup de déceptions pour celles qui ne sont pas retenues. Pour de nombreux exploitants auditionnés par la mission, la logique des territoires d’industrie était plus efficace car elle consistait à déléguer des enveloppes à des territoires, de manière pérenne, avec sélection par des jurys régionaux.

 

Proposition n°16 : Développer une politique de guichet simplifié pour les plus petites entreprises pour les aides à la modernisation de l’équipement.

Parallèlement, le Comité stratégique de la filière-bois évoque un besoin d’investissement pour les industries et entreprises du secteur des bois, matériaux et ameublement de 1,2 milliard d’euros par an, dont 820 millions par an pour le seul marché du bois de construction. L’intégralité des besoins d’investissement dans la filière n’a évidemment pas vocation à être couverte par le soutien public. Les enveloppes de soutien publics annoncées (et notamment le plan « France 2030 ») sont accueillies très favorablement par les professionnels du secteur comme une contribution substantielle pour répondre à ce besoin. Le chiffre de 1,2 milliard d’euros, chaque année pendant cinq ans, peut toutefois être affiné selon Fibois : certains organismes évoquent 1,4 milliard, voire 2 milliards d'euros, ce qui peut se justifier, surtout quand on le compare avec les investissements des filières-bois en Allemagne et en Italie, qui sont plus élevés.

Il existe également des aides spécifiques versées par des organismes tels que Bpifrance qui propose des prêts participatifs de développement pour financer le développement ou l’extension d’activité de la filière-bois, notamment les investissements immatériels, ou les investissements incorporels. Bpifrance a également instauré une aide visant l’amortissement du capital sans prise de garantie, destinée à financer les investissements dans l’industrie de première transformation du bois. La création d’un troisième fonds bois par Bpifrance était notamment une proposition portée à la fois par la Cour des comptes (Recommandation 6 : mettre en œuvre un « fonds bois 3 » auprès de BPI France, cofinancé par la filière et orienté vers le secteur du bois construction) et par le rapport Cattelot (« Créer un troisième fonds bois par BPI France doté de 80 millions d’euros pour les investissements importants principalement de la deuxième transformation et l’ouvrir à d’autres secteurs de la filière que les fonds bois I et II »).

Pour répondre à la huitième priorité de la Feuille de route pour l’adaptation de la forêt française au changement climatique, qui concerne spécifiquement l’adaptation de la filière, le défi n’est donc pas forcément de mobiliser plus de moyens que ceux déjà annoncés, mais de veiller à ce que la politique industrielle tienne bien compte des évolutions en cours du climat et que les soutiens déployés intègrent des critères d’adaptation. Dans les termes de la Feuille de route, cela signifie faire en sorte que l’investissement des entreprises de l’aval permet bien d’adapter les outils de production aux nouvelles essences (long terme) et à plus de diversité pour l’utilisation des essences actuelles (court terme).

En octobre 2022, le Président de la République a par ailleurs indiqué l’intention du Gouvernement de mettre en place un financement des forêts pérenne, à partir de 2024, à hauteur de 150 millions d’euros par an, dont une partie serait issue de la mobilisation de la finance carbone, associé à des objectifs de renouvellement forestier (1 milliard d’arbres plantés et renouvellement de 10 % de la forêt d’ici dix ans). Ainsi, chaque vol intérieur doit obligatoirement compenser ses émissions et alimenter ce mécanisme. Or, il n’existe aujourd’hui qu’une manière de compenser les émissions, c’est en plantant des arbres.

Ces aides doivent cependant s’efforcer de respecter les objectifs de gestion durable des forêts. La crainte de plusieurs associations environnementales, nourrie par des remontées de terrain, est que les projets financés soient massivement des plantations en monoculture succédant à des coupes rases. S’y ajoutent l’absence de mesures sur la protection des sols et de critères spécifiques pour les zones Natura 2000. Les conditionnalités relatives à la diversification des forêts apparaissent donc insuffisantes et peu contraignantes. En réponse à cette interrogation, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, M. Christophe Béchu, a annoncé en janvier 2023 que cette dotation de 150 millions serait assujettie à des conditions de durabilité des pratiques forestières. Le cahier des charges prévoira notamment l’introduction d’obligations en matière de diversification des essences, la suppression des eucalyptus ou l’extraction de souches des subventions, et surtout des restrictions en matière de coupes rases. Elles ne pourront plus être pratiquées dès lors qu’un peuplement, même « pauvre » ou « vulnérable », peut être amélioré. Les efforts à faire en matière de diversification des essences sont probablement à poursuivre. En effet, la lettre du ministre prévoit d’abaisser le seuil de diversification à 4 hectares pour 20 % de diversification avec deux essences, et 30 % de diversification avec trois essences pour les projets de plus de 10 hectares. Or la forêt française compte naturellement près de 150 essences différentes.

Plus généralement, ces aides devraient faire l’objet de davantage de mesures d’accompagnement pour minimiser les impacts de ces reboisements sur les écosystèmes et les paysages (mélange d’essences, conservation d’arbres habitats…). Les acteurs des aires protégées de France (parcs régionaux, parcs nationaux, conservatoires) estiment également que la prise en compte de la spécificité du classement en aire protégée, en particulier à un niveau de 30 % du territoire, demeure insuffisante à ce jour. En effet, les aides au reboisement concernent à la fois des peuplements sinistrés qui doivent être reconstitués, des peuplements vulnérables, mais aussi des peuplements « pauvres » pour lesquels le simple caractère de faible niveau de rémunération de leur exploitation (des recettes inférieures à trois fois le coût du reboisement) ne parait pas suffisant pour justifier une aide publique, dans le sens où la richesse écologique de ces peuplements n’est pas prise en compte et où les modalités de reboisement ne sont pas suffisamment exigeantes sur des points comme le mélange d’essences ou les mesures en faveur de la biodiversité et des écosystèmes en place. Il faut ainsi veiller à conditionner toutes les aides à des critères écologiques précis. Par ailleurs, les aides spécifiques, délivrées au moyen d’appels à projets, ne dispensent pas d’un effort de fond sur les moyens structurels alloués aux acteurs publics de la forêt.

b.   Renforcer les moyens structurels bénéficiant aux acteurs publics

Parmi les moyens structurels récurrents en faveur de la politique forestière, ceux issus des crédits de la mission budgétaire « Agriculture, alimentation, forêts et affaires rurales » occupent une place prépondérante. En 2022, les crédits budgétaires alloués à cette politique représentaient ainsi 278,6 millions d’euros en autorisations d’engagement (AE) et 286,4 millions d’euros en crédits de paiement (CP). La principale ligne budgétaire concerne le versement compensateur et la contribution exceptionnelle au profit de l’ONF, avec 179,9 millions d’euros en AE et en CP. Après plusieurs années difficiles, la situation financière de l’ONF se redresse, notamment sous l’effet de l’augmentation des prix du bois qui améliore ses recettes commerciales. En 2023, le budget de l’établissement pourrait ainsi redevenir excédentaire. La dette demeure toutefois importante avec un montant d’environ 380 millions d’euros. 

Évolution des effectifs des principaux acteurs publics contribuant à la sauvegarde et à l’adaptation des forêts

Source : I4CE

Si l’ONF fait aujourd’hui l’objet d’une sauvegarde de ses moyens, il convient de rappeler que l’établissement a perdu plusieurs milliers d’emplois au cours des dernières années (de 15 000 personnes en 1985 à 7 770 en 2021). Le contrat État‑ONF prévoyait initialement la suppression de 475 postes d’ici 2025, sur un effectif global de 7 770 personnes. Le choix a finalement été fait de sauvegarder les effectifs de l’ONF, ce dont votre rapporteure se réjouit.

Les effectifs de l’ONF demeurent toutefois trop limités pour lui permettre d’exercer efficacement ses missions de surveillance et d’entretien : un agent se charge en moyenne de 1 700 hectares, contre 800 hectares au début des années 2000. Selon les départements, ce chiffre varie de 900 à 4 000 hectares. Cette perte d’effectifs et d’expertise s’avère dangereuse au regard des aléas climatiques : les forestiers sont, par exemple, en première ligne pour alerter sur les départs de feux et les combattre (patrouilles prépositionnées). Par ailleurs, ils doivent être en nombre pour mieux observer nos écosystèmes forestiers, à l’heure où le dérèglement climatique nous plonge dans l’incertitude sur la résilience de certaines espèces et leur réaction face aux aléas. Le département recherche et développement de l’Office doit également être renforcé. Les syndicats demandent de longue date un financement à coût complet par l’État des missions d’intérêt général exercées par l’Office, sans remettre en cause son statut d’EPIC et le complément de ressources apporté par la vente de bois.

Par ailleurs, seulement une centaine d’employés participent à conserver la forêt guyanaise et celles d’outre-mer, alors que la quasi-totalité des effectifs de l’ONF est employée à la gestion des 4 millions d’hectares de forêt publique hexagonale. Les salariés de terrain, 2 000 bûcherons et 2 500 techniciens forestiers, représentent la moitié des effectifs. Or le ratio d’employés de terrain devrait plutôt être de deux tiers, ce qui représenterait 5 800 salariés. Conformément à la proposition n° 2 du rapport, il est donc important de renforcer les effectifs de l’ONF, que ce soit sur le terrain ou dans les laboratoires de recherche et d’expérimentation.

L’ONF dispose également de crédits spécifiques destinés aux missions d’intérêt général (MIG). Les missions d’intérêt général sont financées à coûts complets par le ministère commanditaire et il en existe de plusieurs types : ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire pour la MIG « défense des forêts contre les incendies, restauration des terrains en montagne, gestion des dunes, outre‑mer, ressources génétiques forestières » (30 millions d’euros en 2022), ministère de la transition écologique pour les MIG « biodiversité et risques » (19 millions d’euros) et ministère de l’outre-mer pour la surveillance des forêts des espaces ultra-marins (2,5 millions d’euros). Les financements ont été revalorisés, passant de 18 millions d’euros en 2007 à 52 millions d’euros en 2022.

La participation du ministère de la transition écologique concerne notamment l’extension et l’amélioration du réseau de réserves biologiques. En effet, les aménités forestières sont reconnues mais non rémunérées, ce que permet de compenser partiellement la dotation issue du programme 113 « Paysages, eau et biodiversité » de la mission budgétaire « Écologie, développement et mobilité durables ». Cette dotation finance ainsi une mission d’intérêt général consacrée à la biodiversité (création et gestion des réserves biologiques, plans nationaux d’actions en faveurs des espèces menacées, gestion des dunes littorales, forêts d’exception) et une partie de la MIG interministérielle sur les outre-mer (gestion des dépendances naturelles des cinquante pas géométriques, suivi et évaluation de l’impact de l’orpaillage sur les milieux en Guyane). Néanmoins, il est urgent de reconnaître encore davantage la valeur de ces « aménités » forestières. La part des dépenses de l’ONF financées par des MIG devrait ainsi s’accroître. L’ONF estime le besoin à près de 40 millions d’euros supplémentaires par an et souhaite la création d’une nouvelle MIG consacrée au renouvellement des peuplements forestiers.

 

Proposition  17 : Créer et financer une nouvelle mission d’intérêt général (MIG) confiée à l’ONF en faveur du renouvellement des peuplements forestiers et de la protection des forêts face au changement climatique.

Le budget de l’État soutient également la politique forestière à travers le financement du Centre national de la propriété forestière (CNPF) à hauteur de 16,3 millions d’euros en AE et en CP ; le financement de la restauration des terrains en montagne à hauteur de 8,3 millions d’euros en AE et de 9,4 millions d’euros en CP (en hausse de 3 % en AE et de 2,4 % en CP) ; la défense des forêts contre les incendies (DFCI) à hauteur de 13,1 millions d’euros en AE et de 14,4 millions d’euros en CP (en baisse de 5,6 % en AE et de 4,1 % en CP). Là encore, il apparaît souhaitable d’augmenter le nombre des experts forestiers.

Enfin, le développement de la filière-bois est également financé via un fonds stratégique de la forêt et du bois (FSFB) créé par l’article 47 de la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014. Il permet de dépenser chaque année environ 20 millions d’euros en faveur d’interventions de développement et d’accompagnement de l’investissement dans les filières amont et aval, qui sont essentielles pour mieux adapter les forêts aux effets du changement climatique. Il s’agit par exemple d’aides à l’amélioration de la desserte des massifs forestiers, de soutien à l’amélioration et au renouvellement des peuplements avec une priorité pour les peuplements peu productifs ou inadaptés, d’actions de préservation de la santé des forêts (actions préventives vis-à-vis des risques sanitaires, et reconstitution des peuplements) ou d’appui à l’exploitation et à la transformation des bois ou aux démarches collectives d’animation territoriale, notamment lors des phases de lancement des stratégies locales de développement forestier. Le fonds peut également financer des regroupements des propriétaires et élaboration de plans de gestion forestière dans le cadre de ces regroupements.

L’abondement de ce fonds relève aujourd’hui de trois sources :

– les crédits de l’État provenant du programme 149 « Compétitivité et durabilité de l’agriculture, de l’agroalimentaire, de la forêt, de la pêche et de l’aquaculture » ;

– les crédits issus de la taxe additionnelle à la taxe sur le foncier non bâti ;

– la compensation financière pour défrichement, instaurée par la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt du 13 octobre 2014, qui crée l’article L. 341-6 du code forestier.

En effet, le défrichement est strictement encadré et chaque détenteur d’une autorisation de défricher doit compenser une surface défrichée par un boisement ou reboisement (article L. 341-6 du code forestier). S’il n’a pas la capacité de réaliser ce reboisement, le propriétaire doit s’acquitter d’une indemnité compensatrice versée au fonds stratégique de la forêt et du bois et mentionnée à l’article L. 156-4 du code forestier. Depuis la loi d’avenir pour l’agriculture et l’alimentation de 2014, l’indemnité doit représenter un « montant équivalent » aux travaux nécessaires au reboisement. Or un plafond, antérieur à la création du fonds stratégique (loi n° 2011‑1977 du 28 décembre 2011 de finances pour 2012), contrevient à cette équivalence de montant et conduit à reverser au budget général de l’État les sommes supérieures à un produit de 2 millions d’euros. Le manque à gagner pour le fonds serait de plusieurs millions d’euros par an. Il serait donc souhaitable de supprimer ce plafond pour dégager d’autres ressources en faveur du fonds stratégique de la forêt et du bois et financer des actions en faveur de l’adaptation au changement climatique.

 

Proposition n° 18 : Supprimer le plafond d’affectation de la compensation financière pour défrichement afin d’augmenter les ressources du fonds stratégique de la forêt et du bois et augmenter sa capacité de financement d’actions d’adaptation des forêts au changement climatique.

Enfin, il convient de souligner que les aides spécifiques au reboisement sont orientées vers les opérateurs de la filière et non vers les territoires, non éligibles à ces dispositifs. Or, certains parcs naturels régionaux ont animé des programmes intégrant des reboisements comme les projets Dynamic Bois, sans pour autant avoir de prise sur les opérations réalisées. Il pourrait être intéressant d’expérimenter des campagnes de soutien à la plantation portées par les parcs naturels régionaux ou par d’autres acteurs publics, qui pourraient ainsi définir les modalités techniques de plantation auxquelles les propriétaires forestiers devraient répondre dans une logique à la fois d’adaptation au changement climatique, de préservation de la biodiversité forestière et de développement des filières de transformation. Les retours d’expériences des parcs sur les plantations de haies pourraient donner un cadre de référence pour le lancement de ce type d’expérimentations.

 

Proposition  19 : Élargir l’éligibilité des aides au reboisement aux acteurs locaux, comme les parcs naturels régionaux, qui portent des projets de gestion durable des forêts.

c.   Adapter la fiscalité des acteurs forestiers en tenant compte des plans de gestion durable

La fiscalité constitue un levier pour promouvoir une gestion durable des forêts. Considérée comme une activité agricole, la sylviculture est aujourd’hui intégrée à la fiscalité agricole. Il existe ainsi cinq taxes annuelles forfaitaires non liées au revenu sur les forêts : la taxe sur le foncier non bâti, le forfait forestier assis sur le revenu cadastral au titre de l’impôt sur le revenu et payé chaque année, même sans coupe de bois, la taxe pour frais de chambre d’agriculture, la contribution à l’hectare boisé, communément appelée « taxe à l’hectare », destinée à financer les dégâts de gibier aux cultures agricoles, et, le cas échéant, l’impôt sur la fortune immobilière. En outre, malgré le forfait forestier, impôt sur le revenu annuel, une contribution volontaire interprofessionnelle obligatoire (CVO) est assise sur les ventes de bois.

Cependant, les délais de production particulièrement longs du bois ont incité les pouvoirs publics à prendre certaines dispositions spécifiques pour encourager l’investissement forestier, principalement par les propriétaires privés. Les acteurs de la forêt peuvent ainsi bénéficier du dispositif d’encouragement fiscal à l’investissement en forêt (Defi). Cette mesure consiste en une réduction de l’impôt sur le revenu ou un crédit d’impôt pour les contribuables domiciliés en France réalisant des investissements forestiers (acquisitions, travaux, assurance, gestion...). Elle a été instaurée par la loi n° 2001-602 du 9 juillet 2001 d’orientation sur la forêt et prorogée jusqu’à aujourd’hui. Jusqu’au 31 décembre 2022, quatre types de dépenses pouvaient permettre de bénéficier d’avantages sur l’impôt sur le revenu :

 Defi Acquisition : acquisition de bois, de terrains à boiser, de parts de groupements forestiers ou de sociétés d’épargne forestière (réduction d’impôt de 18 %) ;

 Defi Assurance : coût de la cotisation d’assurance comprenant le risque tempête (réduction d’impôt de 76 %) ;

 Defi Travaux : réalisation de travaux forestiers sur des unités de gestion d’au moins 10 hectares, ou sans seuil plancher pour les adhérents d’une organisation de producteurs ou intégrée dans un groupement d’intérêt économique et environnemental forestier (Gieff) (crédit d’impôt de 18 %, ou de 25 % pour les adhérents d’une organisation de producteurs) ;

 Defi Contrat : contrat de gestion de forêts passé avec un expert, une coopérative, une organisation de producteurs ou l’ONF (crédit d’impôt de 18 %, ou de 25 % pour les adhérents d’une organisation de producteurs).

Depuis le 1er janvier 2023, le Defi se décline en trois volets seulement : Defi Acquisition, Defi Assurance et Defi Travaux, et propose des seuils et des taux révisés. En effet, le dispositif n’a pas eu jusque-là l’efficacité escomptée, comme l’a souligné le rapport « Évaluation des mesures fiscales Defi forêt » rendu par le Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAER) en septembre 2020 ([49]) . Visant notamment la lutte contre le morcellement et l’extension de la « gestion durable », il n’a jusque-là que peu convaincu et n’a eu qu’un nombre limité de bénéficiaires. En outre, le volet environnemental de ce dispositif est très faible, ce dernier ayant été mis en place pour soutenir la production de bois plus que la qualité environnementale des forêts. Dans le cas de Defi Acquisition, le bénéficiaire s’engage ainsi simplement à garder sa parcelle durant quinze ans et à y appliquer un PSG. Dans les propriétés non soumises à un PSG, le bénéficiaire pourra appliquer un règlement type de gestion (RTG) ou un code de bonnes pratiques sylvicoles (CBPS), dont on verra infra le caractère très peu contraignant du point de vue environnemental.

Pour votre rapporteure, la fiscalité forestière devrait être mieux assise sur la gestion durable des forêts. En effet, un propriétaire qui rase sa forêt au profit d’une forêt de plantation en monoculture bénéficie de la même fiscalité que celui qui la maintient en bon état écologique, tout en fournissant du bois. La fiscalité forestière n’intègre pas assez les critères écologiques et une note de la Fondation pour la recherche en biodiversité montre que ce problème est général en Europe ([50]) . Elle est par ailleurs plus élevée en France que dans les autres pays. Sur le plan économique, dans un marché unique où le bois circule librement en Europe, une taxation des forêts plus élevée que dans les pays voisins nuit à la compétitivité de la filière-bois en France. Sur le plan climatique, elle revient à une taxation accrue du stockage de carbone par les forêts. D’une manière générale, la taxation relativement plus élevée des forêts françaises vient diminuer encore leur rentabilité après impôt. Il serait ainsi souhaitable de renforcer les avantages fiscaux procurés par la gestion durable d’une forêt en contrepartie de critères écologiques beaucoup plus contraignants.

 

Proposition  20 : Élargir et renforcer les déductions fiscales accordées dans le cadre du dispositif Defi en contrepartie d’engagements à une gestion durable des forêts plus contraignants en inscrivant de nouvelles obligations à l’article 200 quindecies du code général des impôts.

2.   La difficulté de privilégier la commande locale et le développement de marques régionales

La valorisation de bois local combine deux avantages, l’un écologique (circuit court), l’autre économique (création de valeur ajoutée sur le même territoire que celui où le bois a été produit). Un appel à manifestation d’intérêt a été lancé le 1er décembre 2022 afin d’accompagner les projets de concertation locale autour des enjeux forestiers.

Les élus locaux ne peuvent toutefois privilégier les achats publics provenant d’entreprises de leur territoire, notamment ceux concernant des travaux ou des matériaux de construction, qui sont régis par le code de la commande publique. Ce dernier pose notamment comme principes le libre accès à la commande publique et l’égalité de traitement des candidats. Or, privilégier explicitement un produit local dans un marché revient à favoriser une origine géographique des produits ou des entreprises et s’avère contraire au principe de non-discrimination qui fonde les marchés publics. En revanche, les collectivités locales, en tant que maîtres d’œuvre, peuvent concevoir un appel d’offres de manière à donner accès au marché public à des entreprises locales. Ainsi, pour le choix des entreprises, le maître d’œuvre peut recourir à des critères qualitatifs, environnementaux et sociaux qui prendront en compte ses attentes pour le projet. Il peut s’agir, par exemple d’un sous-critère sur le « respect des prescriptions, avec information sur la traçabilité des matériaux envisagés (de la production à la pose) et prise en compte de la filière courte ». Dans tous les cas, il est important d’attribuer un poids suffisant à ces critères pour qu’ils influent sur la note finale et donc le choix du prestataire retenu. Le maître d’œuvre peut par exemple spécifier dans le marché les essences qu’il souhaite utiliser, à condition qu’elles soient justifiées par l’objet du marché et sous réserve de mentionner « ou équivalent ». Il peut également demander au prestataire de justifier l’origine géographique des produits et la localisation des lieux des différentes transformations opérées. Le recours au bois local peut nécessiter la séparation des marchés de travaux de ceux de la fourniture du bois pour s’assurer de l’approvisionnement. Une bonne connaissance des acteurs de la filière et de la ressource en amont du projet est nécessaire pour rendre le projet réalisable.

À titre d’exemple, les élus de la communauté de communes des Combes ont souhaité commander la construction de deux crèches via des bâtiments à énergie positive construits avec des matériaux locaux mobilisés par une filière d’acteurs économiques du territoire ([51]). Le titulaire du marché a constitué un groupement d’entreprises réunissant un constructeur, une agence d’architecture, un bureau d’études, une scierie et divers sous-traitants, dont un exploitant forestier. La maîtrise d’ouvrage n’étant pas propriétaire de forêt, il a été exigé du titulaire du marché de s’approvisionner via un volume de bois sur pied identifié sur des forêts à proximité avec l’aide de l’ONF et des communes forestières. Pour cela, un marché de gré à gré entre l’exploitant forestier du groupement et l’ONF pour le compte de la commune de Confracourt (à 12 km) a été passé. La méthodologie pour garantir la traçabilité des bois de la forêt à la scierie puis à l’atelier du constructeur a été assurée par un marquage à la peinture des bois. Ce point constituait un critère de sélection des offres. Ainsi, le bois massif de la commune de Confracourt a été utilisé pour le sol, les murs et l’ossature des cloisons intérieures. Cette réalisation a maintenu 3 ETP sur le territoire pendant un an et a évité l’émission de 317 tonnes de CO2 par stockage et substitution. Grâce à la démarche « filière courte », ce sont 365 500 euros qui sont restés sur le territoire (entreprises, salariés, etc.). Dans le cadre d’une construction classique s’appuyant sur des prestataires français et des bois d’importation, seuls 124 500 euros seraient restés sur le territoire. L’engagement du maître d’ouvrage a donc permis de capter sur le territoire près de 241 000 euros supplémentaires.

Ce type d’initiative pourrait être renforcé, bien au-delà du secteur de la forêt et du bois d’ailleurs, par l’introduction dans le code de la commande publique d’un poids minimum obligatoire tenant compte de critères environnementaux, car il n’est pas rare que le prix représente encore plus de 80 % de la pondération des critères lors des commandes publiques. S'agissant des critères sociaux, il est également possible d’introduire des dispositions visant par exemple la promotion de l’emploi local ou la performance de l’insertion professionnelle.

 

Proposition n° 21 : Introduire à l’article L. 2111-1 du code de la commande publique un poids minimum obligatoire consacré aux critères environnementaux et sociaux dans la pondération des marchés publics.

Il convient également de favoriser le contact et de créer du lien entre les acteurs privés, économiques ou institutionnels du monde forestier. Votre rapporteure salue à ce titre la plateforme « La Forêt Bouge », initiée en Auvergne et aujourd’hui étendue au niveau national. Elle permet de faciliter les démarches, la gestion des forêts et la réalisation d’opérations sylvicoles des propriétaires et des professionnels en favorisant le regroupement du foncier ou de la gestion. Des fonds d’investissements, la Caisse des dépôts et consignations, des associations environnementales comme le Conservatoire des espaces naturels (CEN) s’y intéressent.  Cela permet de lutter face aux parcelles très morcelées qui suscitent évidemment moins d’engouement.

Plus globalement, Fibois a tenu à rappeler aux membres de la mission que près de 10 000 scieries locales ont fermé en quinze ans. Les marques territoriales, comme « Bois des Alpes » pourraient favoriser leur retour. Ainsi, si l’on souhaite augmenter la consommation de bois issu de nos forêts, nous devons permettre aux Français et aux entreprises qui passent des commandes d’avoir accès aux données de traçabilité des biens en bois qu’ils achètent, comme c’est déjà le cas avec la nourriture aujourd’hui. Mettre en valeur le bois français et le faible impact carbone d’un objet, à travers l’encouragement à recourir à des marques régionales fondées sur les meilleurs critères de durabilité, peut ainsi être une clé d’orientation de la consommation.

 

Proposition n° 22 : Généraliser la traçabilité des produits en bois et développer une forme de score environnemental pour ces produits.

3.   La difficile question de la rémunération des aménités forestières

La perspective d’une valorisation des aménités environnementales (biodiversité, qualité et quantité d’eau, séquestration de carbone…) est à la fois un défi et une opportunité pour la forêt française. Le code forestier reconnaît l’intérêt de travailler dans cette voie, notamment dans son article L. 121-2 qui prévoit que la politique forestière « favorise la recherche de contreparties pour les services rendus en matière environnementale et sociale par les bois et forêts qui présentent une garantie de gestion durable ».

Au-delà de ce principe, la question demeure épineuse. En effet, si chacun s’accorde sur le principe de reconnaître les services non marchands rendus par la gestion forestière et d’en assurer la rémunération pour le propriétaire, les modalités concrètes pour y parvenir soulèvent davantage de questions. En effet, la rémunération des aménités forestières se heurte aux mêmes difficultés de principe qui traversent d’autres champs de la politique environnementale, notamment la question de la comptabilité écologique. Il n’est en effet pas simple de définir le référentiel permettant d’établir la valeur monétaire des réalités biologiques et des avantages environnementaux procurés par les écosystèmes forestiers. Et même si cela était possible, qui devrait payer et serait-il possible de mettre en œuvre des paiements suffisants ? 

À cet égard, la feuille de route sur l’adaptation des forêts au changement climatique prévoit d’encourager l’orientation d’une partie des crédits issus du marché carbone pour l’accompagnement de l’adaptation des forêts au changement climatique en garantissant un effet de levier des investissements réalisés en forêt. Plus récemment, la convention signée entre la FNCOFOR et l’ONF prévoit la constitution dans les territoires d’un portefeuille de projets potentiels des communes forestières pouvant bénéficier de financements « aménités environnementales » selon des modalités encore à définir entre la FNCOFOR et l’ONF. La collectivité propriétaire serait a priori informée par l’ONF des zones de sa forêt sur lesquelles un potentiel de valorisation est identifié, les deux organismes menant ensuite conjointement les travaux d’évaluation et de quantification de ces aménités. Ils détermineraient ensuite si ces dernières nécessitent des financements spécifiques. Mais ceci reste encore largement à expérimenter.

De la même manière, les portefeuilles et les projets potentiels « aménités environnementales » contenus dans les projets bénéficiant du label bas carbone devraient faire l’objet d’expérimentations dans les années à venir. Plus généralement, au titre de la gestion multifonctionnelle des forêts, les aménités environnementales, la sensibilité des sols et le carbone seront progressivement pris en compte dans l’élaboration des nouveaux aménagements. Dès 2023, les aménagements, nouveaux ou en révision, comporteront une estimation en volume et en valeur pour mettre à disposition, au moment de l’élaboration de l’aménagement, une estimation de la valeur patrimoniale de la forêt communale (capital sur pied).

Ces dispositifs vont dans le bon sens puisqu’ils permettent de s’interroger sur la valeur réelle des écosystèmes forestiers, au-delà de leur seule fonction économique. Dans ce cadre, différents dispositifs pourraient être envisagés, comme l’introduction, dans les documents de gestion durable, du suivi de l’IBP (indice de biodiversité potentielle) ou l’adhésion à un système de certification forestière, à l’instar de ce qui fonctionne en Allemagne : versement de 100 euros par an pour chaque hectare certifié PEFC.

 

Proposition n° 23 : Encourager les expériences visant à établir une rémunération des aménités forestières et en tirer un bilan détaillé, notamment au niveau des mécanismes possibles de rémunération de ces aménités.

Toutefois, la réflexion sur la rémunération des aménités forestières doit nécessairement s’inscrire dans le cadre plus large du financement de la transition écologique afin qu’il ne s’agisse pas d’un moyen de compensation du carbone émis par les entreprises privées qui les dispenserait de modifier leurs régimes d’émission à la source. Dans le cas des collectivités publiques, la rémunération des aménités forestières doit ainsi avant tout se faire à travers le financement pérenne et structurel des acteurs chargés de l’entretien des forêts.

Pour ce qui concerne les forêts privées, la Fédération des parcs naturels régionaux estime que ces démarches doivent récompenser ou accompagner des propriétaires dont la gestion s’inscrit dans un objectif de gestion durable multifonctionnelle. Or, aujourd’hui certains paiements pour services environnementaux deviennent des outils de verdissement venant compenser des opérations néfastes pour les écosystèmes.

Les méthodes développées dans le cadre du label bas-carbone illustrent bien cette dichotomie autour d’une même démarche de valorisation du carbone. Actuellement, seuls trois actes de gestion forestière sont éligibles au label bas-carbone : le boisement, la restauration de peuplements forestiers dégradés et la transformation de taillis en futaie. D’autres pratiques forestières favorables à la lutte contre le changement climatique comme la sylviculture de pin d’Alep en forêt méditerranéenne, la futaie irrégulière ou encore le maintien de peuplements pour la production de « gros bois », pourraient également entrer dans ce cadre. De plus, le label bas-carbone soutient parfois des projets qui visent à maximiser la fonction carbone d’un peuplement en remplaçant une forêt de feuillus dépérissante par du résineux dans une logique de production et non de gestion durable.

Si cette approche se défend d’un point de vue comptable sur le carbone, l’impact de ces opérations sur les fonctions environnementales et sociales pose question. La Fédération des parcs naturels régionaux travaille ainsi avec la Fédération des conservatoires d’espaces naturels sur le développement d’une méthode de « libre évolution ». Cette méthode peut permettre de consolider des réseaux de parcelles dont la gestion sera très favorable à la biodiversité. L’AFI et Prosilva travaillent également sur la futaie irrégulière et l’allongement des cycles en futaie régulière dans une optique de gestion du carbone mais aussi de la biodiversité et des paysages, tout en s’inscrivant dans la production de bois de qualité. Ainsi, il serait nécessaire de conditionner strictement les paiements pour services environnementaux à des pratiques de gestion durable. En tout état de cause, la rémunération des aménités forestières doit être strictement réservée au financement de pratiques d’entretien et de régénération les plus naturelles possibles et ne pas servir à financer l’exploitation du bois à titre principal.

C.   les outils de gestion forestiÈre

La question de l’adaptation des forêts au changement climatique soulève des interrogations sur les outils de la politique forestière, au niveau national comme local. Bien que la propriété forestière soit majoritairement privée, l’importance sociétale croissante prise par la forêt nécessite a minima d’expérimenter des formes nouvelles de dialogue. Le morcellement de la propriété privée explique certes quelques pesanteurs, mais il ne peut occulter que nous entrons dans une période où la lutte contre le dérèglement climatique est l’affaire de tous.

1.   Des outils de politique forestière à adapter au dérèglement climatique

En France, la politique forestière relève de la compétence de l’État qui en assure la cohérence nationale. La loi n° 2001-602 du 9 juillet 2001 d’orientation sur la forêt a introduit dans la politique forestière les notions de gestion durable et multifonctionnelle. Les grands objectifs sont désormais précisés à l’article L. 121‑1 du code forestier qui prévoit que l’État veille, en concertation avec les collectivités territoriales et leurs groupements et en mobilisant les autres parties prenantes, à l’adaptation des essences forestières en prenant en compte la problématique du changement climatique.

L’article L. 122-2-2 du code forestier définit un programme national de la forêt et du bois qui précise les orientations de la politique forestière pour une durée maximale de dix ans. Ce programme détermine des objectifs économiques, environnementaux et sociaux fondés sur des indicateurs de gestion durable conformément aux principes énoncés à l’article L. 121-1 et prévoit une coordination des programmes régionaux de la forêt et du bois, définis à l’article L. 122-1. La question qui peut se poser est de savoir si les objectifs énoncés dans le code forestier en matière de gestion durable sont bien respectés ou si la production de bois l’emporte encore sur les autres objectifs.

Le législateur a entendu faire du Conseil supérieur de la forêt et du bois (CSFB) l’instance de gouvernance de la politique forestière, en quelque sorte le « parlement de la forêt ». Présidé par le ministre en charge de la forêt, il est composé de représentants des régions, départements et communes, des propriétaires forestiers publics et privés, de la Fédération nationale des communes forestières, des professionnels et salariés du secteur forêt-bois, des associations d’usagers et de défense de l’environnement. L’échelon opérationnel se trouve au niveau des régions puisque ces dernières ont la responsabilité de réunir les acteurs locaux de la filière forêt-bois pour proposer un programme régional de la forêt et du bois (PRFB) en adéquation avec chaque territoire. Les échanges ont lieu au sein de la commission régionale de la forêt et du bois (CRFB) coprésidée par le préfet de région et le président du conseil régional. De manière générale, ces plans permettent certes d’élaborer une vision à long terme commune des évolutions forestières régionales, mais ils demeurent insuffisamment contraignants pour permettre le regroupement de propriétaires ou l’élaboration d’objectifs partagés de gestion durable.  

a.   Un renforcement nécessaire des obligations relatives à la gestion durable des forêts dans les documents de gestion

La mise en œuvre des objectifs définis par le code forestier passe par la rédaction de documents cadres, qui traduisent les objectifs nationaux au niveau régional. Pour ce qui concerne la forêt privée française, ce sont les schémas régionaux de gestion sylvicole (SRGS). Les SRGS exposent les grandes règles de gestion des forêts privées, en prenant en compte les spécificités humaines, géographiques, naturelles et économiques de chaque région. Ils sont approuvés par le ministre chargé des forêts, après avis de la CRFB et du CNPF. Ils peuvent comprendre une ou des « annexes vertes » concernant la mise en œuvre des réglementations relevant du code de l’environnement. Rédigées avec différents partenaires comme les associations de protection de la nature, ces annexes intègrent notamment les zonages règlementaires (Natura 2000, zones de cœur des parcs nationaux, sites classés, forêts de protection…) et constituent des outils permettant aux propriétaires forestiers privés dotés d’un document de gestion conforme aux dispositions de ces annexes de prendre en compte l’ensemble des législations s’appliquant sur une forêt et de présenter une garantie de gestion durable ouvrant droit à l’obtention d’aides publiques.

À ce titre, les SRGS constituent un document de référence pour l’examen et l’agrément des documents de gestion durable auxquels sont soumis les propriétaires privés. Les documents de gestion durable sont ainsi censés garantir une gestion durable, sous réserve de la mise en œuvre effective de leurs programmes de coupes et de travaux. Ces documents sont exigés par les services de l’État en contrepartie de demandes d’aides ou d’aménagements fiscaux. Parmi ces documents, le plus connu est le plan simple de gestion (PSG), obligatoire pour les forêts de plus de 25 hectares. Des documents sont également édictés pour les plus petites surfaces à l’instar du code de bonnes pratiques sylvicoles (CBPS) ou du règlement type de gestion (RTG), qui s’adresse aux propriétaires ne rentrant pas dans le cadre d’une obligation de PSG et qui font gérer leur bois par un organisme de gestion ou un expert. L’étape prioritaire est d’augmenter le taux de documents de gestion durable, très proche de 100 % en forêt publique, mais plus faible en forêt privée. C’est là que l’effort doit porter, ce qui exige des moyens humains d’animation importants et des incitations de toute nature pour les propriétaires.

Les PSG offrent ainsi un outil utile aux propriétaires, comme au niveau de la politique forestière régionale, mais ils pourraient encore évoluer en s’appliquant à des seuils plus bas. D’après les données du cadastre, compilées par le CNPF, s’il devenait obligatoire de réaliser des PSG dès le seuil de 20 hectares de parcelles d’un seul tenant, au lieu de 25 hectares aujourd’hui, plus de 20 000 propriétaires supplémentaires et près d’un demi-million d’hectares de bois et forêts entreraient dans une logique gestion durable et multifonctionnelle des forêts.

 

Taille des parcelles

De 4 à 10 ha

De 10 à 15 ha

De 15 à 20 ha

De 20 à 25 ha

Nombre de propriétaires forestiers

296 143

74 122

37 207

21 893

Surface forestière totale

1,8 M ha

0,9 M ha

0,6 M ha

0,5 M ha

Source : CNPF (2018), d’après les données du cadastre de 2016. Le tableau porte sur la répartition des parcelles de 4 hectares et plus, sachant que 2,2 millions de propriétaires détiennent moins de 1 hectare.

Instruments courants de la gestion forestière, les PSG font l’objet d’une réflexion au sein du ministère de la transition écologique. Elle porte sur leur adaptation au changement climatique alors qu’ils sont conclus pour des durées longues de quinze années. Or en quinze ans, une parcelle peut dépérir ou être victime d’aléas comme le vent ou un incendie. La durée de ces plans plaide pour un diagnostic sanitaire périodique en cours d’exécution (cf. ci-après).

Les PSG ne sont par ailleurs tenus de présenter qu’une brève analyse des enjeux environnementaux d’une exploitation. Aucune obligation environnementale n’est prévue non plus dans le code de bonnes pratiques sylvicoles. Or, si rien n’est contraignant en matière de climat, d’énergie ou de biodiversité dans un SRGS, et que parallèlement un PSG délivre peu d’informations sur ces sujets, qu’il en est de même dans un règlement type de gestion ou dans le code de bonnes pratiques sylvicoles, il en résulte un faible niveau de contrainte des acteurs gérant les forêts sur l’entretien durable de ces dernières. Il serait ainsi souhaitable de réfléchir à l’introduction de nouveaux volets obligatoires dans les PSG, notamment en ce qui concerne la biodiversité, l’adaptation au changement climatique et la lutte contre les incendies. La France s’y est d’ailleurs engagée auprès de la Commission européenne en promettant d’intégrer des critères liés à la biodiversité dans les plans de gestion forestière : un engagement qui ne s’est traduit ni dans les documents de gestion durable ni dans les projets de SRGS, comme l’a rappelé l’association Canopée aux membres de la mission.

Par ailleurs, il serait souhaitable d’engager des procédures de révision et d’adaptation régulière des PSG pour tenir compte des contraintes du changement climatique. En particulier, la télétransmission, à la portée de la quasi-totalité des propriétaires forestiers, est à ce jour très minoritairement utilisée. Or elle faciliterait notamment la révision des PSG via des avenants. Il pourrait ainsi être envisagé d’instaurer une procédure simplifiée de révision en cas de crise ou de sinistre (incendie, tempête, parasites...), qui devrait rester suffisamment rigoureuse pour ne pas faire l’objet d’un contournement.

 

Proposition n° 24 : Abaisser à 20 hectares le seuil obligatoire des PSG et introduire de nouveaux volets obligatoires dans les documents de gestion durable et dans les SRGS, notamment en ce qui concerne la biodiversité, l’adaptation au changement climatique et la lutte contre les incendies.

Enfin, des associations, comme WWF France ou France Nature Environnement, estiment que les documents de gestion durable souffrent également d’un manque d’évaluation de la part de l’État qui ne sait pas quels sont les propriétaires qui s’en saisissent ni quels sont les effets concrets de l’adoption de ces documents, en particulier pour les RTG. Or, à l’heure actuelle, aucune structure technique n’est en mesure d’examiner en profondeur ces plans. Les CRPF n’ont ni les effectifs ni les compétences nécessaires à l’examen de tous les documents de gestion. Le Gouvernement et le CNPF se sont engagés en faveur de l’atteinte d’un objectif de 60 % de plans simples de gestion télédéclarés et dans la réalisation de plateformes entre le CNPF et les coopératives et entre le CNPF et les experts afin de faciliter la gestion, les rapprochements et les coopérations entre acteurs intervenant sur les forêts. C’est un objectif louable, mais il ne suffira pas pour que les CRPF soient dotés des effectifs et des moyens de contrôle et de vérification des documents de gestion durable. Il s’agit d’un axe sur lequel l’État doit renforcer son soutien. En retenant des hypothèses très fortes de gains de productivité associés à cette obligation de la télétransmission, le CNPF indique que la hausse d’emplois nécessaire à l’instruction des documents de gestion durable pourrait être limitée à 10 ETP.

 

Proposition n° 25 : Renforcer les effectifs et l’expertise des CRPF pour évaluer la qualité des documents de gestion durable et le respect des obligations liées à la gestion durable des forêts.

b.   Développer le recours aux outils de protection forte des forêts

La puissance publique dispose d’outils réglementaires permettant d’augmenter le niveau de protection des forêts. Il s’agit notamment des espaces forestiers classés comme les « forêts de protection » ou les « espaces boisés classés », qui ont pour effet de proscrire tout défrichement et d’assujettir la forêt à un régime de gestion particulier. Le classement rend par exemple irrecevable toute demande de défrichement et interdit tout mode d’occupation du sol qui serait de nature à compromettre la conservation de l’état boisé. S’ajoutent des labels spécifiques comme le label « forêts d’exception ». En 2022, quinze forêts d’exception étaient ainsi labellisées. Ces dispositifs ont cependant pour vocation de rester exceptionnels.

La protection de la biodiversité fait partie intégrante de la politique forestière (article L. 112-1 du code forestier). Son maintien est un atout pour la préservation des forêts car elle contribue à la bonne santé des sols. Plusieurs outils assurent la défense de la biodiversité, comme les parcs naturels régionaux (PNR), les réserves naturelles ou biologiques ou les sites Natura 2000, couverts par la stratégie nationale pour les aires protégées.

Cette protection se déploie également sur l’ensemble des territoires forestiers via l’action de l’Office français de la biodiversité (OFB), dans un contexte où l’application des règles sur la protection des espèces protégées ne fait pas toujours l’objet d’un consensus. L’OFB est en effet un nouvel acteur de la politique forestière, plus perçu pour son rôle répressif que comme un partenaire quand il interdit par exemple d’exploiter certaines parcelles parce qu’il y aurait suspicion qu’une espèce protégée y vit. Depuis que l’Office a été mis en place et a dressé les premiers constats d’infraction, des tensions sont apparues avec les forestiers. Les opérateurs forestiers s’inquiètent également des restrictions de périodes pendant lesquelles ils pourraient couper le bois. Pour les syndicats forestiers, il existe une difficulté à faire face à une demande accrue de bois pour différents usages tout en restreignant les modalités de sa récolte, alors que les entreprises forestières ne disposent pas de documents ni de méthode permettant d’anticiper les enjeux écologiques dès l’élaboration des documents de gestion. Il est donc nécessaire de compléter les documents de gestion durable des forêts par des éléments relatifs à la biodiversité dès leur élaboration afin de mieux informer les forestiers et d’apaiser les tensions en cas de contrôle des agents de l’OFB.

Les parcs naturels régionaux (PNR), pour leur part, regrettent de ne pouvoir disposer de la possibilité d’édicter des mesures prescriptives. Alors que leur gestion repose sur une logique de concertation permanente entre acteurs et de dialogue territorial, ils estiment que ce dialogue rencontre parfois des limites et leurs dirigeants sont démunis face à des opérations de coupe de grande ampleur, ou de coupe rase, par des propriétaires privés. Rien n’empêche d’y procéder dans un PNR, à la grande surprise des habitants… Les PNR apprécieraient en conséquence de pouvoir inscrire des mesures prescriptives dans les chartes de parc afin d’en faire des outils conformes aux objectifs de politique forestière (les chartes ne s’opposant actuellement pas aux tiers) dans les territoires qu’ils couvrent.

La protection de l’État repose enfin sur la délimitation de « réserves naturelles ou réserves biologiques » qui préservent un écosystème ou des espèces animales ou végétales menacées. Certaines de ces zones sont classées en zone Natura 2000. En ce qui concerne les aires naturelles protégées, le Gouvernement a annoncé, en novembre 2019, à la suite du troisième Conseil de défense écologique, un objectif de mise sous protection forte de 250 000 hectares de nouvelles surfaces forestières, dont deux projets en Guyane pour environ 180 000 hectares. Certaines associations de défense de l’environnement, comme l’association Maiouri Nature Guyane et le collectif Or de Question notamment, ont souligné l’insuffisance de cette mesure et les risques encourus pour les 360 000 hectares de forêt primaire qui restent accessibles aux compagnies minières aurifères.

 

Proposition n° 26 : Développer l’accès des entreprises forestières aux informations relatives au maintien de la biodiversité dans les documents de gestion durable et envisager, après avis du Gouvernement et des fédérations des collectivités territoriales, d’ouvrir aux parcs naturels régionaux le droit d’édicter des mesures prescriptives dans les chartes de parc.

2.   Adapter la gouvernance des forêts

Les auditions conduites par la mission d’information ont montré que la dispersion de la propriété forestière privée constituait un obstacle à une gestion optimale des forêts françaises. Elle empêche leur mise en valeur et majore les risques d’incendie en période de sécheresse. Deux pistes peuvent a minima être dégagées afin que leur gestion soit plus collective.

a.   Développer une gestion plus collective des forêts

i.   Encourager le regroupement des propriétaires privés

Sur 3,5 millions de propriétaires, 55 000 détiennent la moitié de la surface de forêt privée (5 millions d’hectares environ). Ces grands à très grands propriétaires, ainsi que la petite fraction détenant des surfaces de 25 à 100 hectares (385 000 propriétaires pour 2 millions d’hectares de forêt) mettent en place des plans de gestion forestière, parce que le code forestier les oblige à avoir un document de gestion officiel et validé par les CRPF. De plus, ces propriétaires gérant leur forêt en tirent, de manière générale, un revenu qui leur permet de réinvestir dans des travaux sylvicoles.

À l’inverse, les petits, voire très petits propriétaires, détenant en France entre moins d’un hectare à 4 hectares (soit 2,8 millions de propriétaires pour une surface de 2 millions d’hectares), se consacrent de manière variable à leur forêt, souvent pour des raisons affectives ou patrimoniales, avec parfois un but commercial. Il arrive qu’ils négligent également leur parcelle. S’ils touchent des revenus forestiers, ils restent peu importants et le peu de connaissances sylvicoles de ces personnes conduit fréquemment à laisser la parcelle en friche. De manière générale, ces petits propriétaires font peu l’objet d’action publique, car comme le rappelle le CNPF, il est difficile de les mobiliser. Mais les mentalités changent progressivement et pour la gestion de leurs parcelles, les propriétaires forestiers peuvent se regrouper dans des structures appropriées ou la confier à des tiers reconnus que sont les coopératives, les experts forestiers, les gestionnaires forestiers ou certaines associations syndicales libres ou autorisées de gestion forestière (ASLF) ou constituer des groupements forestiers (Gieef). Ils peuvent même confier cette gestion à l’ONF.

L’enjeu d’un regroupement plus large est le suivant : comme indiqué précédemment, 9 millions d’hectares sont dépourvus de tout cadre de gestion durable, soit plus de la moitié de la forêt dans l’hexagone. Le dérèglement climatique risque d’avoir un effet maximal sur ces surfaces, avec le dépérissement des arbres et un risque croissant d’incendies. Le regroupement de propriétés est avant tout un enjeu de gestion durable. Le ministère de la transition écologique a sur ce point indiqué à la mission d’information que dans le volet consacré à la forêt de la planification écologique, un groupe de travail serait installé prochainement pour identifier les nouvelles mesures utiles pour reprendre en main les biens vacants et sans maître, lutter contre le morcellement des forêts et inciter au regroupement de la gestion.

Votre rapporteure approuve sans réserve cette orientation. Le regroupement de propriétaires doit être pleinement encouragé, y compris par expérimentation de la mutualisation de la gestion des forêts publiques et privées. Dans cette optique, la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt a créé le groupement d’intérêt économique et environnemental forestier afin de faciliter la gestion concertée de la petite et moyenne propriété forestière privée et de massifier l’offre de bois. Ce type de groupement doit permettre de massifier l’offre de bois, mais aussi de renforcer la capacité des acteurs locaux à s’entendre sur une gestion durable de la forêt. Neuf ans après l’adoption de la loi du 13 octobre 2014 précitée, il serait souhaitable de renforcer les critères tenant compte de l’adaptation des forêts au changement climatique dans la constitution de ces groupements.

Dans ce cadre, il est intéressant de souligner l’existence des Cetef (centres d’études techniques et d’expérimentations forestières), qui rassemblent de petits groupes de propriétaires forestiers souhaitant expérimenter l’adaptation d’outils sylvicoles aux conditions locales. Il s’agit d’organismes techniques de terrain et de proximité qui associent la gestion forestière aux enjeux environnementaux, paysagers et sociétaux et sont à ce titre reconnus comme organismes d’intérêt général. Leur gestion est animée par un gestionnaire forestier professionnel et un écologue forestier.

 

Proposition n° 27 : Renforcer les exigences de gestion durable des forêts comme condition obligatoire pour la constitution de nouveaux groupements d’intérêt économique et environnemental forestier (Gieef).

Devant les membres de la mission, plusieurs acteurs, comme la Fédération nationale des communes forestières, ont plaidé pour aller plus loin en institutionnalisant une véritable logique de gestion par massif, unissant tous les acteurs concernés, des propriétaires et pépiniéristes en passant par les experts forestiers, les gérants et les exploitants de la filière, mais aussi les associations environnementales. Il s’agit ainsi de développer la notion d’intérêt public tout en respectant la propriété privée. Les chartes forestières de territoire font partie des outils qui permettent de mettre autour de la table représentants de la forêt publique et de la forêt privée, mais elles demeurent peu usitées. Le cas échéant, elles donnent lieu à des conventions conclues entre, d’une part, un ou plusieurs propriétaires forestiers, leurs mandataires ou leurs organisations représentatives et, d’autre part, des professionnels de l’exploitation forestière et de la transformation du bois ou leurs organisations représentatives, des établissements publics, des associations d’usagers de la forêt et de protection de l’environnement, des collectivités territoriales ou l’État. Ces conventions, sous réserve du respect des dispositions du code forestier et des règles applicables aux aides d’État, peuvent donner lieu à des aides publiques dans des conditions fixées par décret.

ii.   Expérimenter un mode de gestion par massif, l’impératif de lutte contre le dérèglement climatique devant primer sur le droit de propriété

Au-delà du regroupement de propriétaires, plus que souhaitable, votre rapporteure propose d’expérimenter un mode de gestion collectif par massif, associant les propriétaires publics et privés de forêts, des scientifiques, le préfet ou son représentant, les collectivités territoriales, l’ONF, le CNPF ou le CRPF, les associations de chasseurs et les associations environnementales représentatives au niveau national ou régional. Le principe qui tend cette proposition est que le statu quo en matière de gestion forestière n’est plus possible. Sans porter atteinte au droit de propriété, il convient d’attirer l’attention des propriétaires privés sur le fait que la forêt constitue un écosystème qui dépasse, pour les plus petits d’entre eux, la taille de leur terrain.

La puissance publique doit en conséquence prendre ses responsabilités et rappeler que la lutte contre le dérèglement climatique ainsi que la préservation de la biodiversité engagent l’ensemble des acteurs de la société. Il n’y a aucune raison qu’une partie des propriétaires forestiers soient passifs en ce domaine, même inconsciemment, alors que par ailleurs, l’État oblige les détenteurs de logement à engager la rénovation énergétique de leur bien ou que les automobilistes sont graduellement incités à se tourner vers les véhicules hybrides ou électriques.

Le dérèglement climatique constitue un changement d’époque ; sans doute un tournant dans l’histoire de l’humanité, dont on prend conscience au vu de multiples phénomènes, comme les catastrophes naturelles ou les migrations forcées depuis les zones inondées (Bengladesh) ou désertifiées. Il n’autorise personne à être indifférent et oblige les pouvoirs publics à l’action.

La réflexion sur un mode de gestion plus collectif des forêts n’est pas nouvelle. La Fédération nationale des communes forestières la porte depuis longtemps, considérant qu’elle constituerait une simplification administrative. Votre rapporteure voit surtout un moyen, sur ce sujet éminemment sociétal qu’est la politique forestière, d’associer dans un espace géographique donné, une partie des acteurs autour des questions de peuplement, de biodiversité, d’exploitation, de valorisation du bois, etc, pour donner un sens à l’entretien et l’exploitation d’un massif.

Il est clair que cette idée porte une légère limitation du droit de propriété, mais celui-ci (certes mis sur le même plan en 1982 par le Conseil constitutionnel que la liberté, la sûreté et la résistance à l’oppression) peut être restreint pour des raisons d’intérêt public. La lutte contre le dérèglement climatique peut entrer dans ce cas de figure et exiger d’imposer des formes de gestion préservant et valorisant les forêts, puits de carbone.

L’élaboration d’une gestion par massif serait sans nul doute complexe et pourrait se heurter à des rivalités politiques locales ou encore à des intérêts économiques divergents. Elle n’a toutefois rien de révolutionnaire, des expériences existant déjà dans les Pyrénées-Atlantiques et le Limousin.

Dans sa réponse aux questions posées par la mission d’information, le ministère de l’agriculture n’écarte pas l’approche par massif, mais estime que les programmes régionaux de la forêt et du bois (PRFB), qui adaptent à chaque région les orientations et les objectifs du programme national de la forêt et du bois, répondent déjà en partie à cette approche. En effet, ces PRFB fixent, par massif forestier, les priorités économiques, environnementales et sociales et les traduisent en objectifs. Ils définissent des critères de gestion durable et multifonctionnelle et des indicateurs associés. Ils identifient les massifs forestiers à enjeux prioritaires pour la mobilisation du bois. Cependant, ces actions s’effectuent dans le respect du droit de la propriété privée défini par l’article L. 112-2 du code forestier et ne peuvent se heurter à des stratégies de non-coopération de certains acteurs. L’idée de plans de gestion collectifs par massif forestier supposerait au contraire une véritable gouvernance locale, partagée et contraignante pour les différents acteurs.

Le ministère de la transition écologique ajoute que le code forestier prévoit la possibilité d’établir une stratégie locale de développement forestier sur un territoire pertinent, à l’initiative d’une ou de plusieurs collectivités territoriales, d’une ou plusieurs organisations de producteurs, de l’ONF, du CNPF ou de la chambre d’agriculture. Les ministères précités se sont associés pour encourager ces démarches territoriales au travers de l’appel à manifestation d’intérêt sur les projets de concertation territoriale lancé début 2023, conformément aux conclusions des Assises de la forêt et du bois.

L’autre exemple d’approche territorialisée concerne les PNR. Ceux-ci s’investissent dans des logiques de territoire et développent certaines initiatives portant sur des modes de gestion à l’échelle des massifs forestiers. Les parcs abordent les enjeux forestiers sous divers angles : stratégies locales de développement forestier (chartes forestières de territoire et plans de développement de massifs forestiers), filières de transformation et de valorisation des produits (bois de construction et bois-énergie), certification de la gestion durable, enjeux de développement durable croisé avec la forêt (paysage, réchauffement climatique, énergies renouvelables, biodiversité). Dans le prolongement de leur charte, près de trente parcs portent une charte forestière (ce qui concerne environ 2000 communes), à la dimension du parc ou de petites régions du parc.

Sur cette question souvent débattue, votre rapporteure considère qu’avant de légiférer, il conviendrait d’expérimenter le plan de gestion collectif par massif, sur une base contractuelle réunissant principalement les propriétaires publics et privés de parcelles, les collectivités territoriales sur les territoires desquelles se trouvent ces parcelles et au moins un scientifique et un expert-forestier. Cette proposition n’a donc rien de contraignant pour les propriétaires, l’objectif de l’expérimentation étant de prouver que la concertation peut créer une dynamique d’entretien et de valorisation du patrimoine forestier.

 

Proposition n° 28 : Expérimenter la mise en place de plans de gestion collectifs par massif forestier ayant notamment pour objectif de favoriser l’adaptation des forêts au changement climatique.

Il va de soi que cette proposition nécessite que les propriétaires privés puissent compter sur une aide technique à la gestion durable de leurs forêts. Ce rôle est déjà en partie exercé par l’ONF, ce qui nécessite un renforcement de ses effectifs comme cela a pu être mentionné précédemment. L’ONF pourrait ainsi développer des offres de service de gestion en forêt privée non gérée. On peut également souligner le rôle joué par les chambres d’agriculture qui couvrent aujourd’hui toutes les régions de France avec 87 conseillers forestiers. Elles accompagnement les propriétaires forestiers et les groupes dans leur activité sylvicole au quotidien : études et diagnostics, création d’associations syndicales autorisées pour favoriser la sortie du bois et formations.

b.   Étendre le droit de préemption pour protéger les forêts

Enfin, un autre type d’outil peut être développé pour protéger les forêts dans la durée, notamment face au changement climatique, en développant le droit de préemption des collectivités. À titre d’exemple, l’article 46 de la loi n° 2017-257 du 28 février 2017 relative au statut de Paris et à l’aménagement métropolitain, codifié à l’article L. 143-2-1 du code rural et de la pêche maritime, a ouvert à titre expérimental, pour une durée de trois ans et dans le cadre de la région Île-de-France, la possibilité pour la société d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer) d’Île-de-France de préempter les ventes de biens boisés dès lors que leur superficie est inférieure à trois hectares, dans un but de protection et de mise en valeur de la forêt. Ce dispositif répondait aux attentes des élus de l’Île-de-France, confrontés à un phénomène de mitage des espaces forestiers comparables à celui des espaces agricoles. En effet, jusqu’en 2017, la Safer d’Île‑de-France, comme ses homologues, ne pouvait intervenir que sur des parcelles agricoles ou naturelles. La plupart des parcelles boisées étaient exclues du champ d’application de son droit de préemption, à l’exception de quelques cas très limités. Or, il est fréquent de voir de petites parcelles boisées défrichées et construites illégalement dès qu’elles sont vendues. L’extrême morcellement de la forêt francilienne contribue ainsi à sa dégradation et freine sa mise en valeur.

Depuis février 2017, la Safer d’Île-de-France a motivé notamment par l’objectif de protection et de mise en valeur de la forêt 198 préemptions (soit 39 % des 510 préemptions exercées au total). Ces actions ont été fréquemment motivées par plusieurs objectifs légaux, mais dans 107 cas, le principal objectif invoqué était la protection et la mise en valeur de la forêt. Les 198 ventes sur lesquelles la Safer est intervenue représentent une surface totale d’environ 105 hectares de foncier forestier. Il ne faut pas s’étonner que seules 24 % des préemptions réalisées avec l’objectif forestier aient donné lieu, jusqu’à présent, à une acquisition. En effet, lorsque la Safer intervient dans le cadre de son droit de préemption, elle peut émettre, si le prix de la parcelle est jugé trop élevé, une contre-offre. Le propriétaire du bien préempté est alors tenu, dans un délai de six mois, d’accepter celle-ci, d’annuler la vente ou de contester ce prix. Ce n’est qu’à l’expiration de ce délai que le sort de la parcelle est connu. La Safer d’Île-de-France estime que deux tiers des dossiers instruits en révision de prix aboutissent à un retrait de vente, ce qui permet d’éviter le mitage. L’efficacité du dispositif repose ainsi également sur son caractère préventif. Les interventions en préemption menées ont été bien accueillies par les différents acteurs agissant sur le territoire en matière forestière – collectivités territoriales, propriétaires forestiers, syndicats agricoles et forestiers, associations environnementales. Ce type d’outils pourrait ainsi être généralisé.

En effet, à l’heure actuelle, selon les articles L. 331-22 à L. 331-24 du code forestier, les communes et l’État possèdent un droit de préemption mais celui-ci ne peut s’exercer que dans le cas où ces acteurs publics possèdent une parcelle boisée contigüe à l’espace boisé qui pourrait être vendu. Il s’agirait ainsi de généraliser ce droit de préemption dans un souci de préservation du couvert forestier et de gestion durable des forêts.

 

Proposition n° 29 : Étendre le droit de préemption des collectivités publiques et de l’État dans un souci de préservation du couvert forestier et de gestion durable des forêts.

D.   intensifier les actions de protection des forêts

1.   Renforcer la prévention et l’action face aux feux de forêt

D’après un  rapport du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) ([52]), le changement climatique accélère le nombre et l’intensité des feux de forêt « hors norme ». Ces incendies représenteront 14 % des feux vers 2030, 30 % d’ici 2050 et 50 % d’ici la fin du siècle. Si aucune définition scientifique de ces feux n’existe, les sapeurs-pompiers les qualifient de feux incontrôlables. En Europe, les feux de plus 1 000 hectares sont déjà considérés comme des « méga feux », contre 10 000 hectares en Amérique du Nord.

a.   Le changement climatique accentue le risque de feux de forêt sur l’ensemble du territoire

L’intensification des feux est un phénomène perceptible en France depuis l’été 2022. Quatre feux hors norme se sont concentrés dans le seul département de la Gironde : aux deux incendies ayant ravagé respectivement 12 550 et 26 740 hectares à Landiras, s’ajoutent 7 710 hectares de forêt brûlés dans la commune de La Teste-de-Buch, et 3 350 hectares à Saumos. Or, la Fédération nationale des sapeurs-pompiers (FNSP) relève qu’au-delà de 10 hectares, les aléas extérieurs limitent l’efficacité de l’action des sapeurs-pompiers.

L’effet du changement climatique se manifeste par une extension géographique des zones à risque. Les feux qui ont touché le Finistère (2 850 hectares brûlés dans les Monts d’Arrée) ou encore le Jura l’été dernier, prouvent que ceux‑ci ne se concentrent plus uniquement dans la partie méridionale du territoire métropolitain. Au total, 72 000 hectares de terrains ont été ravagés par les flammes en 2022. Ce niveau est six fois supérieur à la moyenne annuelle des terrains brûlés en France entre 2006 et 2022, selon le système européen d’information sur les incendies de la forêt (EFFIS).

À l’extension géographique s’ajoute une extension temporelle du risque en raison de l’accentuation des phénomènes de sécheresse. La surface du territoire affectée par la sécheresse est passé de 5 % en moyenne dans les années 1970 à près de 15 % aujourd’hui. Depuis le début de l’année 2023, la France a enregistré 32 jours sans pluie, un record depuis 1959 selon Météo-France. La sécheresse hivernale compromet le rétablissement des nappes phréatiques épuisées par la sécheresse historique de 2022. Les massifs forestiers sont, ainsi, fragilisés par ces sécheresses successives facilitant le départ de nouveaux incendies. La seule semaine du 12 février 2023, 73 incendies ont été dénombrés en France, contre 4,9 en moyenne pour la période 2006-2022 (EFFIS).

Ainsi, la récurrence d’étés caniculaires, le taux d’hygrométrie bas, facteur fondamental sur lequel ont insisté les responsables du service départemental d’incendie et de secours lors du déplacement de membres de la mission en Gironde le 13 mars dernier, et l’état de sécheresse de la végétation renforcent le risque de feux de forêt partout en France et déstabilisent les stratégies opérationnelles actuelles.

b.   La préparation hétérogène des territoires face au risque d’incendie

La loi n° 2004-811 du 13 août 2004 relative à la modernisation de la sécurité civile a consacré la stratégie française de lutte contre les feux de forêt. Cette stratégie repose sur deux piliers : un travail de prévention afin de limiter les départs de feux, et une lutte immédiate et massive contre les feux naissants. Cette méthode s’appuie également sur une concentration des efforts dans les zones réputées particulièrement exposées au risque d’incendie. Identifiées à l’article L. 133-1 du code forestier, ces zones se situent dans les régions Nouvelle-Aquitaine, Occitanie, Corse, Auvergne-Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte d’Azur, à l’exclusion des bois et forêts situés dans des massifs à moindres risques figurant sur une liste arrêtée par le préfet du département, après avis de la commission départementale compétente. 

Face aux incendies qui ont ravagé la France ces dernières années, cette stratégie, et les moyens qui lui sont accordés, ont fait l’objet de plusieurs évaluations, dont le rapport du Sénat, remis le 3 août 2022, relatif à la prévention et à la lutte contre l’intensification et l’extension du risque incendie, et un rapport de l’Assemblée des départements de France (AdF) relatif à l’évolution de la politique de sécurité civile face au changement climatique centré, sur le retour d’expérience de la gestion des feux de 2022. Votre rapporteure salue le travail très complet et instructif de l’ensemble de ces missions et souhaite apporter son soutien à leurs constats. De ces rapports et des auditions menées, elle note également l’hétérogène préparation des territoires au risque d'incendie, en raison d’une concentration historique des moyens dans la zone Sud du pays.

En effet, la politique de prévention est encadrée au niveau administratif par les plans de prévention des risques d’incendie de forêt (Pprif), codifiés aux articles L. 562-1 à L. 562-9 du code de l’environnement. En tant que servitude d’utilité publique, annexé au document d’urbanisme et imposé à tous (particuliers, entreprises, collectivités comme État), le Pprif constitue l’unique procédure spécifique à la prise en compte des risques d’incendie de forêt dans l’aménagement du territoire. Élaborés à l’initiative du préfet et établis à l’échelle communale ou intercommunale, ces plans ne sont obligatoires que dans les zones considérées comme particulièrement exposées au risque d’incendie. Le territoire métropolitain ne compte donc à ce jour que 200 Pprif : 46 % en région Provence-Alpes-Côte d’Azur, 22 % en région Occitanie, 18 % en région Nouvelle-Aquitaine, 9 % en Corse et 5 % ailleurs sur le territoire.

Au regard de l’extension géographique du risque d’incendie, ce nombre est largement insuffisant. De nombreuses zones exposées ne sont pas couverte par un Pprif. Afin d’accélérer leur mise en œuvre, le Sénat recommande ainsi de simplifier les modalités d’élaboration, de modification et de révision des Pprif.

D’autre part, la prévention des feux de forêt est portée dans les territoires par la politique de défense de la forêt contre les incendies (DFCI). La DFCI vise à équiper, aménager et entretenir l’espace forestier afin de permettre une pénétration facilitée des sapeurs-pompiers. Les ouvrages de DFCI comprennent des pistes, des zones de croisement, des citernes, des barrières et une signalétique spécifique financées par l’État, les collectivités territoriales (conseil départemental, conseil régional), les gestionnaires des massifs et l’Union européenne (Feader). Cependant, l’ensemble des massifs forestiers français ne sont pas concernés par ces mesures et l’été 2022 a révélé l’impréparation de certains départements. MM. André Accary et Jean-Luc Gleyze notent dans le rapport de l’AdF que, dans le Jura, « la lutte s’est rapidement heurtée aux difficultés d’accès aux zones à défendre, aux délais de concours des moyens aériens, ainsi qu’aux caractères inédits d’incendies de forêts d’une telle ampleur dans le département ». La mise en œuvre d’ouvrages de DFCI dans l’ensemble des massifs est cependant freinée par le morcellement de la propriété forestière française.

 

Proposition n° 30 : Augmenter le nombre de Pprif en simplifiant leurs modalités d’élaboration, de modification et de révision et accompagner l’ensemble des acteurs concernés dans la mise en place de dispositifs relatifs à la défense de la forêt contre les incendies (DFCI) dans les massifs.

La politique de lutte contre les incendies est, pour sa part, menée depuis 1996 par les services départementaux d’incendie et de secours (Sdis). Établissements publics départementaux autonomes, les Sdis ont démontré leur opérationnalité en associant, dans le cadre de leur compétence partagée, les départements, les communes et intercommunalités, ainsi que l’État par l’intermédiaire des préfets. Ils assurent la bonne application de la stratégique nationale grâce à un maillage territorial fin et une coopération à l’échelle locale avec l’ensemble des acteurs concernés. Dans le département de l’Hérault, des ilotages de véhicules de 500 litres d’eau appartenant à l’ONF, à la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM), au conseil départemental ou aux sapeurs-pompiers assurent, par exemple, une surveillance continue de l’ensemble du territoire, rendant possible une intervention sur les feux naissants. Ainsi, les jours de grand risque, plusieurs centaines de sapeurs-pompiers peuvent être déployées dans les massifs afin d’assurer une réponse rapide aux départs de feux.

Particulièrement efficace, la stratégie nationale permet de contenir 80 % des départs de feux avant qu’ils ne dépassent 10 hectares. En Gironde à l’été 2022, le maillage territorial des forces a permis de circonscrire 460 départs de feu. Ce chiffre démontre la pertinence de la politique mise en place, la remarquable organisation et la réactivité des sapeurs-pompiers et des personnes qui les assistent, mais malheureusement, ce bilan remarquable est occulté par les conséquences des feux hors norme. Le dérèglement climatique induit un changement d’échelle dans la lutte contre les incendies. Face à l’intensification des feux et à leur extension géographique et temporelle, les moyens accordés à lutte contre les incendies semblent désormais insuffisants.

Insuffisants d’abord en terme de moyens humains. En période de risque, les sapeurs-pompiers comptent sur le principe de solidarité interdépartementale prévu par la loi du 13 août 2004. Ce principe se traduit traditionnellement par l’envoi de contingents du Nord vers le Sud de la France. Or, la multiplication des feux dans la zone Nord met à mal ces échanges.  Seul un renforcement des effectifs des sapeurs‑pompiers permettra de répondre à ce phénomène. La Fédération nationale des sapeurs-pompiers appelle, ainsi, à atteindre le nombre de 250 000 sapeurs-pompiers volontaires d’ici 2027, contre 197 100 actuellement. Pour favoriser cet engagement, le Président de la République a annoncé le 28 octobre 2022 la revalorisation et la rénovation du barème d’indemnisation des volontaires. Si cette proposition va dans le bon sens, elle reste insuffisante. Conforté par la loi n° 2021‑1520 du 25 novembre 2021 visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels, dite « loi Matras », le volontariat doit encore être soutenu en incitant l’ensemble des employeurs (artisans, PME, entreprises, administrations) à assurer la disponibilité de leurs employés et agents. À cette fin, dans son rapport d’information, le Sénat recommande d’instaurer « une réduction de cotisations patronales pour les entreprises et administrations en contrepartie de la disponibilité de leurs employés et agents exerçant en tant que sapeurs-pompiers volontaires ».

 

Proposition n° 31 : Mieux accompagner les employeurs et les collectivités territoriales afin d’encourager l’engagement des sapeurs-pompiers volontaires sur l’ensemble du territoire.

L’accroissement des effectifs ne doit pas faire oublier le besoin de formation de l’ensemble des forces du territoire en matière de gestion des feux de forêt. Ces formations à la gestion du feu doivent s’accompagner d’un travail de cartographie de l’ensemble des massifs forestiers. Une meilleure connaissance des reliefs, essences et types de sols facilitera la compréhension de l’évolution des feux et permettra aux sapeurs-pompiers d’utiliser les ressources appropriées. Des moyens suffisants doivent être accordés à ce travail mené conjointement par les sapeurs-pompiers, l’ONF, les chambres d’agriculture, les sylviculteurs et les propriétaires.

 

Proposition n° 32 : Établir une cartographie fine de l’ensemble des massifs forestiers français.

Votre rapporteure note en outre que la concentration des moyens techniques et matériels est largement inégale. Actuellement, près de 45 % du parc de camions citernes forestiers (CCF) est regroupé dans seize départements. Il est urgent de renforcer les moyens matériels sur l’ensemble du territoire. La Fédération nationale des sapeurs-pompiers estime ainsi le besoin en CCF à 10 000 camions, contre 3 700 actuellement. Mais avec un coût unitaire moyen de 300 000 euros, cet investissement reste inatteignable pour les Sdis. Le Président de la République a annoncé lors de son intervention du 28 octobre 2022, la mobilisation d’une enveloppe de 150 millions d’euros consacrés à l’investissement structurant des Sdis.

Lors de cette journée, le Président de la République a également annoncé un investissement de 250 millions d’euros pour le renouvellement de la flotte actuelle de douze Canadair, ainsi que l’achat de quatre canadairs supplémentaires d’ici 2027 et de deux hélicoptères lourds supplémentaires dès 2023. Ces investissements sont judicieux, mais il reste à savoir quand les matériels seront opérationnels. Le délai moyen de livraison des camions CCF est actuellement de trois ans et la relance de la chaîne de production des Canadairs est récente et ne sera effective qu’à la condition d’une mutualisation des achats au niveau européen, permettant d’atteindre des volumes de commandes suffisants. Or, comme l’a rappelé la Cour des comptes dans son rapport relatif à la flotte aérienne de la sécurité civile d’octobre 2022, le renouvellement de la flotte aérienne au cours des dix prochaines années représente un enjeu décisif de la lutte contre les feux de forêt.

L’extension géographique du risque d’incendie interroge également le prépositionnement de la flotte sur la seule base aérienne de la sécurité civile de Nîmes-Garons. L’ensemble des élus locaux auditionnés par cette mission d’information soulignent l’importance d’une attaque rapide des feux par les Canadairs. Sans les moyens aériens alors présents sur la base aérienne de Cazaux (La Teste-de-Buch) pour des entraînements, la plus grande partie de la forêt de Chiberta à Anglet aurait brûlé et les drames humains auraient pu être lourds lors de l’incendie de 2020, d’après son maire, M. Claude Olive.

L’aide à l’investissement dans d’autres moyens technologiques participera du renforcement de la stratégie nationale. L’installation de caméras de vidéo-surveillance dans les massifs les plus à risque permet déjà aux sapeurs-pompiers de connaitre instantanément l’ampleur des feux et ainsi d’envoyer des moyens proportionnés. Dans le département de l’Hérault, le dispositif a représenté un investissement total de 500 000 euros. Pouvant peser lourd sur les budgets des départements, cette méthode assure cependant une meilleure anticipation des feux. Ce système a été choisi dans le Var et les Bouches-du-Rhône et sera opérationnel au cours de 2023 dans le département de la Gironde.

Si l’indice forêt météo (IFM), développé au Canada à la fin des années 1970 et utilisé quotidiennement par Météo-France, permet d’estimer le risque de feu de forêt en tenant compte de la probabilité de son éclosion et de son potentiel de propagation, les techniques de modélisation des feux de forêt renforceront, à l’avenir, la connaissance des incendies et permettront d’intervenir plus rapidement encore dans les zones à risque.

Ainsi, votre rapporteure note que le niveau de réponse opérationnelle au niveau départemental dépend largement de la prise en compte du risque de feu de forêt dans les années, voire les décennies précédentes. Si certains départements, comme la Gironde, ont su adapter leur contrat opérationnel pour 2023, c’est uniquement parce qu’ils se reposent sur une politique de DFCI structurée et un budget conséquent consacré à la lutte contre les feux. Cette réactivité n’est pas envisageable dans les départements de la zone Nord qui devront d’abord s’équiper, se structurer et aménager leurs massifs.

 

Proposition n° 33 : Soutenir les départements dans l’investissement en moyens matériels de prévention et de lutte contre les incendies et assurer une répartition équitable des moyens aériens sur l’ensemble du territoire.

c.   Aménager les massifs forestiers et sensibiliser les populations

Le retour d’expérience après les feux de 2022 démontre la nécessité d’une politique concertée d’aménagement des massifs forestiers. La comparaison des deux feux ayant ravagé la Gironde est en cela révélatrice. Le feu de La-Teste-de-Buch s’est déclenché dans une forêt usagère, relativement sauvage, caractérisée par des sous-bois très denses ayant favorisé la propagation des incendies et ralenti la pénétration initiale des sapeurs-pompiers. Au contraire, l’exploitation de la forêt de Landiras en ligniculture, aménagée de pare-feu et de pistes forestières, a facilité l’avancée des sapeurs-pompiers. De même, dans le Jura, les parcelles continues de résineux ont empêché une intervention humaine rapide sur les feux naissants.

À ces différences de gestion forestière s’ajoute le développement de friches sur l’ensemble du territoire en raison de la déprise agricole. Or, dans son rapport de 2020, le Conseil national de la propriété forestière note que la végétation fine (feuilles, écorces, brindilles, arbustes, herbes), particulièrement présente dans les friches, est le combustible qui influence le plus le comportement et la propagation d’un feu. Inexploités et inaccessibles, les terrains en friche constituent un facteur idéal d’alimentation des flammes. En 2019, les départs de feu dans le massif forestier des Costières ont ainsi été facilités par le manque d’entretien de plusieurs propriétés privées en raison de l’abandon d’exploitations agricoles peu rentables.

À l’inverse, une forêt exploitée est synonyme d’accès dégagés et de passages réguliers. Elle constitue un réseau de vigilance en période à risque. Les opérations de gestion facilitent l’intervention des pompiers et permettent de gérer la masse de végétation potentiellement combustible. Dans son rapport d’août 2022 précité, le Sénat note ainsi que « par l’aménagement de l’espace forestier qu’elle implique, la sylviculture est un atout dans la prévention du risque incendie, avec en particulier des dessertes qui permettent une synergie avec les pistes DFCI empruntée par le Sdis ».

Cet aménagement pourrait d’ores et déjà inclure des mesures tirées du retour d’expérience après les incendies de l’été 2022, avec le dégagement d’un espace libre d’arbres, au minimum sur 7 mètres de largeur de chaque côté des routes, pour éviter les sautes de feu, et la mise en place de voies d’accès pour les sapeurs-pompiers dans les forêts, pour combattre plus aisément les feux.

 

Proposition n° 34  : Dégager un espace libre d’arbres, au minimum sur 7 mètres de largeur de chaque côté des routes, et veiller à mettre en place des voies d’accès en forêt pour les sapeurs-pompiers.

Votre rapporteure souligne l’importance d’une gestion intégrée du risque d'incendie afin de faire émerger une sylviculture préventive ([53]) prenant en compte l’objectif de réduction de la combustibilité des structures végétales, le maintien des paysages emblématiques et les enjeux de la filière-bois. Si des liens de coopération existent de façon ponctuelle entre sapeurs-pompiers, sylviculteurs et propriétaires, les conventions devraient être généralisées dans chaque département afin de réglementer le reboisement et les plantations aux abords des pistes d’accès de DFCI et de sensibiliser les propriétaires et les exploitants au risque d’incendie. Cette sylviculture préventive doit être adaptée à l’échelle locale selon la nature du risque et la réalité de chaque territoire. Une réflexion menée avec l’ensemble de ces acteurs sur la nature des espèces, le type de futaies, la régularité de l’élagage et le dimensionnement des pare-feu assurerait un ralentissement de la propagation des incendies en créant des discontinuités dans le combustible présent en forêt. En dernier recours et afin d’assurer ces discontinuités, l’autorisation pour les sapeurs-pompiers de mener des coupes tactiques devrait être introduite dans le code forestier, sur le même modèle que les feux tactiques inscrits à l’article L. 131-3 du même code.

 

Proposition n° 35 : Institutionnaliser les concertations entre l’ensemble des parties prenantes afin de faire émerger une sylviculture préventive, adaptée à la réalité de chaque territoire.

L’étalement urbain et le mitage progressif des massifs ces dernières décennies rendent d’autant plus centrale la question de la discontinuité du combustible. Désormais, des habitations sont construites en « troisième ligne », soit à la lisière des forêts. Cette situation crée un paradoxe majeur : lorsqu’ils combattent un incendie, les sapeurs-pompiers sont obligés de protéger en priorité les vies humaines et les habitations, ce qui est logique, mais ils laissent alors le feu se développer en forêt.

Alors que 90 % des départs de feu sont liés à l’activité humaine et que 80 % se déclenchent à moins de 50 mètres des habitations, la sensibilisation des populations reste au cœur de la politique de prévention.

L’application de la législation actuelle relative aux obligations légales de débroussaillement (voir encadré ci-après) apparaît comme le principal levier de prévention.

Les obligations légales de débroussaillement (OLD),
une compétence partagée entre maires et préfets

L’article L. 131-10 du code forestier définit le débroussaillement comme « les opérations de réduction des combustibles végétaux de toute nature dans le but de diminuer l’intensité et de limiter la propagation des incendies ».

L’article L. 134-6 du même code dispose que, dans les zones exposées aux risques d’incendie mentionnés aux articles L. 132-1 et L. 133-1 du code forestier, l’OLD s’applique pour les terrains situés à moins de 200 mètres des bois et forêts :

- aux abords des constructions, chantiers et installations de toute nature, sur une profondeur de 50 mètres (le maire peut porter cette obligation à 100 mètres) ;

- aux abords des voies privées donnant accès à ces constructions, chantiers et installations, sur une profondeur fixée par le préfet dans une limite maximale de 10 mètres de part et d’autre de la voie ;

- sur les terrains situés dans les zones urbaines délimitées par un plan local d’urbanisme en tenant lieu ;

- dans les zones urbaines des communes non dotées d’un plan local d’urbanisme, où le préfet peut, après avis du conseil municipal et de la commission départementale compétente, porter l’obligation au-delà de 50 mètres, sans toutefois excéder 200 mètres ;

- sur les terrains de camping et d’habitations légères de loisirs.

L’application des OLD relève d’un pouvoir partagé entre les maires et les préfets de département au titre de leur pouvoir de police.

L’article L. 131-10 du code forestier précise que le préfet du département arrête les modalités de mise en œuvre du débroussaillement selon la nature des risques.

Dans les territoires qui ne sont pas réputés particulièrement exposés au risque d’incendie au sens de l’article L. 133-1 du code forestier, les maires ou les présidents des établissements publics de coopération intercommunale peuvent indiquer au préfet les zones de leurs communes identifiées comme à risque mais non couvertes par un plan de prévention des risques naturels prévisibles en matière d’incendies de forêt prévu à l’article L. 131-17, ou encore des zones de bois et forêts qui ne sont pas classés à risque d’incendie au sens de l’article L. 132-1.

L’article L. 131-11 du même code précise que, dans les zones particulièrement exposées aux incendies, le préfet de département peut, indépendamment des pouvoirs du maire, décider un débroussaillement d’office, aux frais du propriétaire, sur une distance maximum de 50 mètres des constructions, chantiers et installations lui appartenant. Il peut, en outre, rendre obligatoire le débroussaillement sur les fonds voisins, jusqu’à une distance de 50 mètres de l’habitation et, éventuellement, y pourvoir d’office aux frais du propriétaire de cette habitation.

Les maires et leurs adjoints sont compétents pour constater les manquements. La majorité des OLD est passible d’une contravention de quatrième catégorie, soit jusqu’à 750 euros d’amende. Les OLD afférentes aux campings, lotissements ou zones d’aménagement concerté (ZAC) sont passibles d’une amende de cinquième catégorie, soit jusqu’à 1 500 euros.

Enfin, si les propriétaires ne remplissent pas leurs obligations, y compris après une mise en demeure, la commune y pourvoit d’office, aux frais des propriétaires. L’article L. 131-14 précise également que les communes, leurs groupements et les syndicats mixtes ont la faculté d’effectuer ou de faire effectuer, à la demande des propriétaires, les actions de débroussaillement et de maintien en état débroussaillé.

Pour sa part, le préfet du département peut assurer des opérations de contrôle en appui des maires ou en cas de carence de ces derniers. Il assure enfin le contrôle des OLD des réseaux linéaires et des propriétés communales.

Tout en sensibilisant la population, les OLD constituent la mesure préventive la plus efficace pour limiter les départs de feu, favoriser l’intervention sécurisée des sapeurs-pompiers et assurer la protection des habitations situées en lisière de forêt. Malgré ce rôle majeur, elles ne sont respectées que dans 30 % des zones où elles devraient être appliquées.

Afin d’augmenter le taux de réalisation des OLD, le Sénat recommande notamment de développer une « pédagogie des OLD auprès des personnes concernées, en les informant, en mettant à leur disposition des conseils personnalisés ». Depuis mars 2023, l’IGN a mis en ligne, pour le compte du ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, le zonage information des OLD. Cette carte en ligne permet à tout citoyen de connaître la réglementation en vigueur pour son terrain.

Cette initiative peut être renforcée par :

– un plus grand accompagnement des maires à l’échelle locale par l’ensemble des acteurs de la prévention (État, ONF, sapeurs-pompiers) afin d’assurer la bonne information de tous les habitants ;

– une clarification des compétences partagées entre maires et préfets ;

– l’association des propriétaires forestiers aux OLD dans une logique de concertation et de partage du risque.

 

Proposition n° 36 : Renforcer le taux de réalisation des obligations légales de débroussaillement en accompagnant les maires dans la sensibilisation des populations et par l’association des propriétaires forestiers à cette obligation.

2.   Encadrer les coupes rases

La coupe rase (ou coupe à blanc) désigne l’abattage de l’ensemble des arbres d’une parcelle. Ce sujet est sans aucun doute le clivage le plus vif de la politique forestière. Il est à cet égard significatif que le séminaire de restitution de l’expertise collective du GIP Ecofor et du réseau mixte technique Aforce, qui s’est tenu le 22 novembre 2022 au ministère de l’agriculture, ait consacré une partie entière aux perspectives historiques de cette pratique et aux mobilisations sociales qu’elle génère ([54]).

a.   Quantification de la pratique

La question des coupes rases exige préalablement de les quantifier, sur la base des données de l’inventaire forestier national.

Sur la décennie 1980, 67 900 hectares par an auraient fait l’objet de coupes rases, soit 0,5 % de la superficie forestière totale. Ce chiffre a varié de plus ou moins 6 000 hectares par an dans la décennie 2010.

Il s’agit surtout d’une pratique des propriétaires privés. Comme l’avait souligné Mme Nathalie Barbe, directrice des relations institutionnelles de l’ONF, devant la mission d’information, l’Office y recourt très peu, sauf dans des zones où l’ensemble des arbres sont malades. L’ONF privilégie plutôt la régénération naturelle. Il attend que des semis grandissent avant de couper de grands arbres pour leur laisser de la lumière (le public assimilant parfois ce mode de gestion à de la coupe rase alors qu’il s’agit de régénération).

Répartition par type de propriété des coupes de plus de 90 %
du couvert de l’étage dominant

 

Années 1980

Années 2010

Forêt domaniale

8 000 ha

4 000 ha

Autres forêts publiques

9 000 ha

4 500 ha

Forêt privée

51 000 ha

 

Forêt privée en PSG

 

22 000 ha

Forêt privée hors PSG

 

31 000 ha

Source : Inventaire forestier national – PSG : plan simple de gestion

Le ratio entre les surfaces concernées par les coupes rases et la totalité des surfaces forestières s’établit ainsi par région (métropole) :

Ratio par région de la surface des coupes de plus de 90 % du couvert de l’étage dominant par rapport à la surface forestière (années 2010)

Auvergne-Rhône-Alpes

0,30 %

Bourgogne-Franche-Comté

0,26 %

Bretagne

0,31 %

Centre-Val de Loire

0,29 %

Corse

0 %

Grand Est

0,23 %

Hauts-de-France

0,72 %

Île-de-France

0,30 %

Normandie

0,26 %

Nouvelle-Aquitaine

1,23 %

Occitanie

0,20 %

Pays de la Loire

0,41 %

Provence-Alpes-Côte d’Azur

0,11 %

Source : Inventaire forestier national

Les ratios sont relativement homogènes entre les régions, avec une pratique plus répandue en Nouvelle-Aquitaine, en raison du caractère de forêt de plantation de celle des Landes de Gascogne.

Ces taux doivent être mis en rapport avec les surfaces coupées, en rappelant d’emblée que la France est loin de récolter annuellement la totalité de son potentiel biologique d’arbres. Ils révèlent une pratique minoritaire du recours aux coupes rases. Elle n’est pas marginale, mais les coupes rases ne sont pas la seule option en sylviculture et actuellement, elles interviennent surtout pour des raisons sanitaires. Elles risquent en revanche de se multiplier à l’avenir, toujours pour raison sanitaire. D’où l’importance, si l’on veut éviter des fraudes, d’un contrôle de la réalité du dépérissement des arbres.

La répartition par essence s’établit ainsi, avec une nette prédominance du pin maritime, largement cultivé en Nouvelle-Aquitaine :

Répartition des coupes rases par essence

Essence

Part dans les coupes

Pin maritime

37 %

Pin sylvestre

4 %

Sapin pectiné

2 %

Épicéa commun

8 %

Pin Douglas

5 %

Autres conifères

2 %

Châtaignier

9 %

Chêne pédonculé

6 %

Chêne pubescent

3 %

Chêne rouvre

4 %

Hêtre

3 %

Peuplier cultivé

7 %

Autres feuillus

10 %

Source : Inventaire forestier national

b.   Une question de sensibilité sociétale

Il est actuellement difficile de justifier les coupes rases, même sanitaires, auprès de l'opinion publique. Celle-ci est sensible aux arbres et comprend mal, alors qu’on lui expose le rôle des forêts dans la séquestration du carbone, qu’il faille parfois en abattre en grandes quantités, ce qui génère sur le terrain des situations de tension et d’incivilités. Ces situations risquent de s’accentuer si le dépérissement des arbres s’accélère. Un sondage de CSA, il y a deux ans, livrait un taux de 95 % de satisfaction sur la gestion de la forêt française, mais moins de 50 % des personnes interrogées admettaient la coupe des arbres.

Les coupes rases comportent un triple aspect sociétal, économique et écologique. Si elles font l’objet de polémiques actuellement, il n’en a pas toujours été le cas. Au XVIIème siècle, la pratique était considérée comme bénéfique car elle permettait de mieux surveiller les coupes. Elle fut abandonnée au XIXème siècle, au profit du réensemencement naturel et des éclaircies, puis fut reprise au XXème siècle avec les plantations de production. Elle a toujours évolué en fonction des nécessités de la politique forestière, mais également des mentalités.

Un ensemble de petits et de grands évènements ont placé la forêt au cœur des préoccupations de nos concitoyens : les grands feux, à l’évidence, tant en France en 2022 qu’en Australie et en Californie, mais également le saccage récent de la forêt amazonienne au Brésil, ou encore la prise de conscience de l’importance des arbres tant en ville que dans les espaces ruraux pour rafraîchir l’atmosphère et stocker le carbone. S’y ajoute une évolution des mentalités, caractérisée par un besoin de nature de populations désormais massivement urbaines et la parution d’ouvrages sur la sensibilité des arbres et leur apport à notre bien-être. Sans méconnaître le besoin d’exploiter les produits de la forêt, nos concitoyens assimilent prioritairement celle-ci à un espace d’apaisement. Un sondage de l’ONF et Viavoice, publié en 2021, révèle que 90 % des personnes interrogées associent cet espace à des perceptions très positives, comme la communion avec la nature. 40 % de nos concitoyens s’y rendraient au moins une fois par mois et surtout, 80 % ont le sentiment que la forêt les protège, notamment contre le réchauffement climatique.

On relèvera que la polémique ne se cantonne pas à la France. Des manifestations se sont déroulées aux États-Unis dans les années 1990 dans l’Oregon, dans l’État de Washington et dans les Appalaches, en Suède et en Finlande en 2020, suivies d’un débat au Parlement finlandais, ou encore des manifestations à Bialowieza (Pologne).

Ainsi que l’a indiqué à la mission d’information M. Francis Cros, vice‑président de la Fédération nationale des communes forestières et maire de La Salvetat-sur-Agout, les attentes sociétales concernant la forêt doivent de plus en plus être prises en compte. Les coupes rases, par leur résultat – irruption d’un espace dénudé de végétation – ont un impact psychologique considérable. Personne n’accepte une modification soudaine du paysage dans lequel il vit car le paysage est un patrimoine affectif. Cette interrogation sur les pratiques sylvicoles s’accompagne du fait que les connaissances sur l’évolution biologique des forêts demeurent dans un cénacle confidentiel, celui des scientifiques et des météorologues, et que la population n’a sans doute pas saisi que les forêts vont changer dans des proportions inconnues jusqu’à présent. Il faudrait étoffer l’information destinée aux citoyens et leur faire comprendre pourquoi, à certains moments, il est nécessaire de couper du bois, notamment pour des raisons sanitaires parce qu’à défaut il dépérirait.

M. Joël Guiot, directeur de recherche au Centre européen de recherche et d’enseignement en géosciences de l’environnement, également auditionné par la mission, a très bien résumé le dilemme que ces coupes posent, en rappelant qu’elles sont une hérésie pour un biologiste puisqu’elles appauvrissent les sols et la biodiversité. Les sols sont ensuite érodés et la repousse de certains arbres s’avère plus difficile. Mais elles sont la logique d’une monoculture planifiée, donc parfois inévitables quand les arbres atteignent la maturité voulue. Elles permettent également, sous l’angle de la seule logique économique, de rentabiliser des chantiers forestiers.

c.   Un encadrement succinct par le code forestier

Il n’existe pas dans le code forestier de définition juridique de la coupe rase, mais il est fait mention de cette pratique, dans le cas des autorisations de coupe dans des bois et forêts ne présentant pas de garantie de gestion durable (art. L. 124-5) et des obligations de reconstitution (art. L. 124-6). L’article L. 124-5 précité fait ainsi référence à des « coupes d’un seul tenant supérieures ou égales à un seuil fixé par le représentant de l’État dans le département et enlevant plus de la moitié du volume des arbres de futaie ». Les professions forestières la définissent pour leur part comme une coupe unique et non progressive.

Les coupes obéissent au régime administratif suivant :

-         dans les propriétés forestières disposant d’un PSG, les coupes prévues dans le programme sont réalisées sans formalité dans un délai de plus ou moins quatre ans par rapport à la date mentionnée dans celui-ci ; si les coupes dérogent au programme, elles sont soumises à l’autorisation préalable du CRPF en cas de coupe extraordinaire ou à déclaration préalable en cas de coupe d’urgence ;

-         dans les propriétés forestières de plus de 25 hectares soumises à un PSG et qui n’en disposent pas, une coupe ne peut être réalisée que sur autorisation préfectorale, après avis du CRPF ;

-         en cas de coupe de plus de 4 hectares d’un seul tenant, dans des forêts ne présentant pas de garantie de gestion durable (PSG ou RTG), les coupes de bois représentant plus de la moitié du volume des arbres de futaie sont soumises à autorisation préfectorale.

Comme indiqué précédemment, l’article L. 124-6 du code forestier les mentionne dans le cas où après une telle coupe, l’exploitant ou le propriétaire du sol sont tenus, dans un délai de cinq ans suivant celle-ci, de prendre les mesures nécessaires au repeuplement forestier en l’absence de régénération ou de reconstitution naturelle satisfaisante.

Quatre raisons au moins peuvent présider à cette pratique :

– une raison sanitaire, souvent dans un délai maximum de six semaines après le constat de la maladie des arbres ; l’ONF, qui y recourt peu actuellement, craint de devoir procéder à de telles coupes sur ses surfaces, estimant que 30 % des arbres dont il s’occupe vivent dans une situation de stress dû au climat ;

– la coupe programmée d’arbres ayant atteint l’âge de leur récolte ;

– l’inadaptation d’une essence au changement climatique ;

– certaines essences comme le pin sylvestre ou le pin maritime ont besoin de coupe rase pour renaître ; sous une forêt de pins, la lumière est insuffisante pour que de jeunes pousses puissent se développer.

Si la première raison est généralement admise, les autres le sont moins. Les biologistes n’admettent pas non plus aisément qu’on coupe une essence inadaptée si elle n’est pas malade. Ils préfèrent son maintien à une politique consistant à la remplacer par de jeunes pousses qui ne peuvent encore stocker de carbone.

Faut-il en conséquence de la sensibilité de la société ([55]), mais aussi pour prévenir un risque de fraude aux aides prévues par le plan France 2030, encadrer plus strictement les coupes dans le code forestier ? Votre rapporteure répond par l’affirmative, pour toutes les raisons évoquées précédemment et compte tenu de la prise de conscience par les professionnels de la filière-bois qu’elle donne d’une part, une mauvaise image de leurs divers métiers et qu’elle résulte d’autre part de pratiques sylvicoles qui pourraient être remises en question... Sans oublier les occupations de terrains et la dégradation de matériels professionnels, dans les cas les plus extrêmes. Il s’agit d’un véritable sujet de politique publique qui mériterait un débat au Parlement, puisqu’il a des conséquences sur l’ensemble des missions que le code forestier assigne à la forêt.

Les auditions conduites par la mission ont révélé, sans surprise, un consensus en faveur de ces coupes, dès lors que leur justification est sanitaire. Mais il est des cas où ces coupes interviennent lorsque les arbres d’une parcelle, le plus souvent en monoculture, atteignent ensemble leur maturité. Ainsi en est-il dans le Morvan où du pin Douglas a été largement planté et dans les Landes de Gasgogne. Sur ce point, le risque est qu’écologie et économie entrent en conflit alors qu’une politique forestière intelligente doit les concilier. « Préserver la biodiversité et le fonctionnement écologique des forêts ne signifie pas renoncer à la production de bois », comme le soulignait une tribune signée par 600 scientifiques, responsables associatifs, propriétaires et acteurs de la filière-bois, publiée par le Journal du Dimanche le 15 janvier 2022.

La période que nous vivons actuellement accentue les conditions d’un conflit parce que le bois récolté par coupes rases a été planté il y a plusieurs décennies. À l’âge de la maturité des plants, le seul choix est de procéder à des coupes. Mais derrière ce choix, apparaît depuis plusieurs mois la crainte, exprimée par les associations écologistes, relayée également par Novethic, filiale de la Caisse des dépôts ([56]), que ces coupes soient le moyen pour certaines coopératives de bénéficier d’aides publiques dans le cadre du plan de relance en peuplant les parcelles par des plants de nouvelles essences, sur lesquelles il n’existe aucun consensus quant à leur viabilité à long terme, ni sur leurs effets sur la biodiversité. M. Marc Fesneau, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, a indiqué lors de son audition par la mission d’information qu’il ne disposait d’aucune information alléguant d’une telle situation. Des témoignages en sens contraire ont été apportés par des experts-forestiers et des associations environnementales.

Une étude de l’Institut de l’économie pour le climat (I4CE), publiée en septembre 2022 et intitulée « Adapter la forêt métropolitaine au changement climatique : d’abord bien investir », dont la mission d’information a reçu les auteurs, met ce point en lumière. Partant du principe que « les sommes qui seront dédiées à la forêt doivent pour cela être orientées vers des options qui prennent bien en compte les évolutions du climat (par exemple vers le choix d’essences adaptées et diversifiées pour le reboisement ou la transformation). Si les options privilégiées ne font pas du climat futur un déterminant des choix, le risque est au contraire de renforcer la vulnérabilité des forêts et donc d’investir de manière maladaptée », l’étude souligne ensuite, en reprenant une évaluation de l’association Canopée, que la majorité des porteurs de projets a présenté des plans de coupe suivis de plantation en monoculture ou avec très peu d’essences. « La solution de facilité va à la coupe rase et la pratique a été accentuée avec le plan de relance. Celui-ci a retenu une définition des peuplements pauvres qui ne tient compte que de la valeur économique et pas de la valeur écologique qui peut par ailleurs être très forte » ([57]).

Ces critiques ont eu le mérite de susciter une réflexion au sein du Gouvernement afin que la biodiversité et les fonctionnalités des écosystèmes forestiers soient mieux prises en compte. Dans une lettre du 17 janvier 2023 adressée à diverses associations environnementales, M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, a annoncé que les 150 millions d’euros d’aides forestières que le Gouvernement veut mobiliser en 2023 doivent « inciter à des pratiques forestières durables et adaptatives ». Les opérations de transformation en plein après coupe rase seraient limitées aux peuplements sinistrés ou pauvres, et les aides prendront en compte la diversification des essences sur les parcelles (abaissement à 4 hectares du seuil d’obligation de diversification et nouvelle obligation de diversification pour les projets de plus de 10 hectares).

Plutôt qu’une législation trop complexe, la limitation de la monoculture, qui représente un sérieux changement de paradigme pour certains grands propriétaires forestiers, est la meilleure réponse aux coupes rases. Comme l’a souligné Mme Nathalie Bréda, chercheuse à l’Inrae de Nancy devant la mission d’information, la question de base concernant les coupes rases n’est pas la gestion durable, mais se pose ainsi : de quel état initial part-on ? Les coupes sont intimement liées à l’histoire des massifs. Elles n’existent pas dans les forêts diversifiées depuis des siècles (chênaies de Colbert) où la sylviculture est régulière ; elles sont par exemple peu pratiquées par l’ONF ; elles sont en revanche d’un usage courant dans les cas de monoculture. C’est donc cette dernière qu’il faut remettre en question si l’objectif des pouvoirs publics est d’avoir des forêts aux essences diversifiées. Pour reprendre le raisonnement de Mme Nathalie Bréda, toute coupe rase doit être suivie d’un plan de repeuplement modifiant l’état antérieur de la forêt. Compte tenu du rythme de croissance différent des essences, les gestionnaires reviendraient vers une gestion raisonnée de leurs parcelles, en maintenant au maximum le couvert forestier. La futaie irrégulière constitue la meilleure réponse préventive aux coupes rases.

Légiférer en fixant un seuil pour limiter les coupes rases peut néanmoins être envisagé, mais n’est pas la solution idéale. Cette approche nie la diversité des essences d’arbres, dont les croissances sont différentes, et l’espace géographique dans lequel elles se trouvent. Elle nie également la réalité économique qui font de certaines forêts de pins maritimes, mais aussi de chênes, des plantations d’arbres dont le terme de l’existence est programmé, avec de grandes variations. Des essences sont coupées au bout de vingt ans, quand d’autres vivent des siècles.

L’article L. 124-5 du code forestier prévoit déjà, pour les forêts ne présentant pas de garantie de gestion durable, de soumettre les coupes à autorisation préfectorale à partir de seuils fixés dans chaque département. Cette approche décentralisée tient compte de la diversité des essences et des climats, ainsi que des reliefs, puisqu’une coupe ne s’effectue pas de la même manière en plaine et sur terrain pentu.

Néanmoins, il est envisageable de procéder à un encadrement plus strict, dès lors que les membres de la mission d’information ont conscience que toute procédure administrative supplémentaire complexifie la gestion forestière, et de modifier l’article L. 124-5 du code forestier en prévoyant que toute coupe d’un seul tenant égale ou supérieure à 2 hectares, que la forêt présente ou non une garantie de gestion durable, est soumise à autorisation préfectorale, après avis du CNPF lorsqu’il s’agit de forêts privées.

 

Proposition n° 37 : Modifier l’article L. 124-5 du code forestier et soumettre à autorisation préfectorale toute coupe d’un seul tenant égale ou supérieure à 2 hectares, que la forêt présente ou non une garantie de gestion durable, après avis du CNPF lorsqu’il s’agit de forêts privées.

Votre rapporteure souhaite surtout répondre à la question sociétale posée à la filière : pourquoi couper, et n’y a-t-il pas, avec le dérèglement climatique, un risque d’abus ou de détournement de la finalité des aides d’État, à savoir faire prévaloir la mauvaise santé des arbres pour procéder ensuite à des plants.

Une partie de la solution se trouve dans la procédure applicable aux coupes. En tant que chantier, elles font l’objet d’une déclaration de l’exploitant au service de l’inspection du travail compétent du département, avec envoi d’une copie en mairie. Le code forestier pourrait en conséquence être modifié en donnant pouvoir au maire de demander au CNPF ou au CRPF de procéder à un diagnostic préalable de dépérissement (si la raison est sanitaire) ou de maturité des arbres (si la raison est économique) de la parcelle visée par des coupes. En cas d’avis négatif du CNPF ou du CRPF, la coupe ne pourrait être effectuée.

 

Proposition n° 38 : Modifier l’article R. 718-27 du code rural et de la pêche maritime en prévoyant qu’après réception de la copie l’informant de la déclaration d’un chantier forestier, le maire peut demander au CNPF ou au CRPF de procéder à un diagnostic de dépérissement ou de maturité des arbres de la parcelle visée par les coupes. En cas d’avis négatif du CNPF ou du CRPF, la coupe ne pourrait être effectuée.

3.   Protéger les micro-organismes des sols forestiers et réguler les grands ongulés

La forêt constitue un écosystème dans lequel chaque créature, de la plus petite à la plus grande, joue un rôle précis. Les végétaux et la faune y interagissent. Les animaux, quelle que soit leur taille, font partie d’une chaîne qui les relie tant aux arbres qu’aux sols. Si un déséquilibre est constaté, ce qui est le cas avec les grands ongulés (sangliers, cerfs, chevreuils), le maintien en bon état biologique et la reconstitution de la forêt sont menacés. La régulation des populations animales constitue donc un élément de la politique forestière.

Avant d’aborder ce point, il convient de rappeler que les sols revêtent une grande importance pour la santé des milieux forestiers, et si l’impact des grands ongulés est bien connu, le rôle des insectes et micro-organismes n’a fait que récemment l’objet d’études.

a.   La protection des sols forestiers

Un sol forestier est une couche supérieure vivante dont l’épaisseur est comprise entre la surface du sol et la roche-mère. Un tel sol naît pour une large partie de la transformation des composés organiques par les organismes vivant du et dans le sol. Les feuilles, branches, aiguilles, mais également les déjections animales sont assimilées et décomposées par une multitude de micro-organismes et deviennent de l’humus. Une partie de cet humus contient des éléments nutritifs, qui sont ensuite absorbés par les racines des arbres et des autres plantes, bouclant ainsi un cycle.

Comme pour la croissance des arbres, la formation du sol relève du temps long : il faut environ 100 ans pour former un centimètre de sol ([58]). Cette durée moyenne est évidemment fonction de nombreux facteurs (climat, pluviométrie, essences) et doit tenir compte du fait qu’un sol est un système ouvert et poreux, fonctionnant en permanence.

L’humidité du sol est une condition indispensable au cycle décrit supra. C’est dire que la sécheresse qui frappe notre pays est un évènement extrêmement grave pour les sols. Leur assèchement, voire leur aridification, notamment dans le Sud de la France, comme l’a souligné M. Laurent Garde, membre de l’Association française de pastoralisme, conduisent à l’interruption des échanges entre micro‑organismes et arbres, aboutissant au dépérissement de ces derniers.

Les coupes rases ajoutent aux effets de la sécheresse dans l’aridification des sols. En éliminant sur une durée très courte (parfois juste une journée) l’ensemble d’une parcelle forestière, elles interrompent un cycle de vie qui ne se renouvellera pas automatiquement avec de nouvelles plantations, surtout si les essences sont différentes. De nombreuses espèces d’oiseaux perdent leur habitat ; il en est de même pour des milliers d’insectes, mais surtout, la température au sol d’une zone rasée augmente d’une dizaine de degrés et « les champignons mycorhiziens, indispensables à l’alimentation des arbres, ne supportent ni le dessèchement, ni l’exposition à de trop fortes températures. Ils sont éliminés » ([59]). Alors que la lutte contre le dérèglement climatique exige de préserver l’humidité des sols et des zones forestières pour assurer en toute saison la pluviométrie, les coupes rases créent un effet contraire.

b.   Le rôle méconnu des insectes et des micro-organismes

Le rôle des insectes et des micro-organismes est encore mal connu en raison de leur nombre. 5 millions d’espèces d’insectes sont recensées dans le monde, mais il en existerait 17 millions, dont 75 % résideraient en forêt, leur rôle dans la chaîne du vivant étant mal connu. Quant au micro-organismes, ils sont des milliards. Les insectes subissent, comme les autres espèces animales, les menaces sur la biodiversité. L’urbanisation et la fragmentation des espaces naturels pèsent sur leur population. S’ils vivent à proximité de terres agricoles traitées par des pesticides, leur mortalité augmente fortement. Là où en revanche le biotope est intact, la forêt vivante, ils se développent sans difficulté.

Dans une forêt hexagonale, 1 000 espèces d’invertébrés ont été observées sur 1 mètre carré, à raison de 500 acariens, 80 collemboles, 90 nématodes, 60 protozoaires, 30 enchytréides, 12 vers de terre, 15 diplopodes, etc. En forêt guyanaise, plusieurs millions de micro-organismes sont présents dans quelques grammes de sol, qui créent l’humus et décomposent les molécules d’azote essentielles à tous les êtres vivants. Leur rôle est irremplaçable dans le maintien en bon état de la forêt et dans sa reconstitution, lorsque des pâturages abandonnés deviennent une forêt secondaire.

L’augmentation des aléas pesant sur les forêts est concomitante du dérèglement climatique. Elle s’accompagne d’une augmentation du nombre des insectes (ravageurs ou non) selon le cycle suivant : une tempête ou une maladie créent des chablis dans lesquels logent des insectes. La chaleur accroît ensuite le nombre d’insectes, tandis que la sécheresse affaiblit les arbres. Les insectes (comme les scolytes) pullulent ensuite. On observe l’augmentation constante de nouvelles espèces d’insectes, due notamment aux échanges commerciaux avec l’Asie. Ces espèces invasives s’acclimatent d’autant mieux à un climat européen en réchauffement qu’elles proviennent d’un continent où les températures sont élevées. La pyrale du buis, originaire d’Extrême-Orient, vit dans le même isotherme de température en Chine, en Europe et en France.

c.   L’équilibre sylvo-cynégétique

La présence des chasseurs en forêt est un sujet analysé le plus souvent sous l’angle de leurs relations avec les autres usagers et des conflits, parfois des dangers, qui peuvent en résulter. Il convient pourtant de rappeler leur rôle indispensable dans la régulation de certaines espèces animales, en l’absence de véritables prédateurs dans les forêts hexagonales. La Guyane bénéficie d’une situation inverse, avec les grands félins que sont le jaguar et le puma, qui limitent les populations de grands et de petits mammifères (tapir) mais s’attaquent également aux troupeaux. ([60])

Le rôle des grands ongulés est bien différent de celui des micro-organismes, mais ils participent également de l’enrichissement des sols. Ils ont plus précisément un quadruple impact sur les forêts : ils jouent sur sa structure horizontale, en mangeant les pousses au sol ; sur sa structure verticale, en mangeant des feuilles et des branchages ; sur la composition et sur la diversité des sols, respectivement par les matières fécales qu’ils rejettent et par la dispersion des graines (epizoochorie) qu’ils opèrent, en parcourant de grandes distances. Ils affectent donc la composition de la forêt, par une somme d’entrées et de sorties de matières, et les habitats des autres animaux (oiseaux, insectes) par leur comportement. L’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) rappelle par exemple que le grand tétras est, dans les Pyrénées, menacé par la surpopulation de cervidés, qui consomment ses aliments (myrtilles, rhododendrons, herbacés).

Les ongulés provoquent divers dégâts : vermillis (ou affouillement du sol par les sangliers qui, avec leur groin, déterrent les jeunes semis en recherchant des fruits forestiers), abroutissement (consommation des pousses des jeunes arbres par les cervidés, ce qui met en péril tous les plans de reboisement), écorçage, frottis sur les troncs, ce qui altère l’architecture des arbres, en créant des fourches, altère également les troncs et favorise les attaques d’agents pathogènes (parasites, insectes). Ils ralentissent donc la régénération naturelle des forêts, d’autant qu’ils semblent friands des essences utilisées pour l’adaptation des forêts au réchauffement climatique : merisiers, érables, tilleul, pin Douglas.

D’après l’OFB, l’augmentation des ongulés a été considérable depuis quarante ans. Le cerf occupait 49 % des surfaces forestières en 2022, contre 25 % en 1985. Il y aurait 11 fois plus de sangliers et 20 fois plus de cervidés en 2022 par rapport à 1973, et 50 % des forêts domaniales sont en situation de déséquilibre, soit 850 000 hectares sur 1,7 million que comptent les forêts propriétés de l’État. Les régions les plus touchées sont l’Occitanie, Provence-Alpes-Côte d’Azur, Grand Est, Île-de-France, Hauts-de-France et plus récemment, le littoral landais.

Rétablir en France un équilibre sylvo-cynégétique s’avère être un impératif. Il est déjà prévu par la loi, avec l’article L. 121-1 du code forestier : « L’État veille (…) à la régénération des peuplements forestiers dans des conditions satisfaisantes d’équilibre sylvo-cynégétique ». Ces conditions, au sens de l’article L. 425-4 du code précité, visent à rendre compatible la présence durable d’une faune sauvage et la pérennité des activités sylvicoles, notamment en permettant la régénération des peuplements forestiers dans des conditions satisfaisantes. Cette mission est confiée à l’ONF par l’article D. 221-2 du code forestier. L’on notera également que cette préoccupation n’est pas absente en forêt tropicale : l’article L. 172-3 du code forestier, applicable à la Guyane, mentionne cet équilibre afin de permettre la régénération des peuplements forestiers, tout en exigeant des documents de politique forestière qu’ils tiennent compte des communautés d’habitants qui tirent traditionnellement de la forêt leurs moyens de subsistance.

Les solutions ne sont pas légion pour restaurer cet équilibre. Pourtant, le prélèvement par la chasse est important en valeur absolue. Lors de la saison de chasse 2019 – 2020, 809 992 sangliers et 586 797 chevreuils ont été abattus.

La première, la plus naturelle et la plus favorable à la biodiversité, consisterait à accroître le nombre de prédateurs des ongulés. Proposer une réintroduction plus importante du loup (620 individus recensés par l’OFB au printemps 2021) serait de bon sens sur un plan biologique, mais susciterait l’opposition des éleveurs riverains des forêts. Des signaux plus encourageants apparaissent avec le lynx. Ce félin, inoffensif pour l’homme, avait quasiment disparu de notre territoire à la fin des années 1970 mais sa population, principalement observée dans le Nord et l’Est de la France, oscillerait désormais entre 150 et 200 individus. Il fait malheureusement l’objet d’un braconnage stupide qui limite sa croissance démographique. ([61])

En l’absence de prédateurs, la deuxième solution consiste à recourir aux chasseurs, d’autant que la loi n° 2019-773 du 24 juillet 2019 portant création de l’Office français de la biodiversité, modifiant les missions des fédérations des chasseurs et renforçant la police de l’environnement a confié à la Fédération nationale des chasseurs et aux fédérations départementales des actions concourant à la protection de la biodiversité, et a instauré la gestion adaptative des espèces pour ajuster les prélèvements de certaines espèces sauvages à l’état de conservation de leur population et de leur habitat (art. L. 425-16 et suivants du code de l’environnement). La protection des forêts peut être considérée comme relevant de la conservation de cet habitat… Toutefois, le rapport d’information de Mme Barbara Pompili et de M. Jean-Marie Sermier ([62]), déposé sous la précédente législature, a fait état de la difficile mise en place de cette gestion adaptative, le comité d’experts chargé d’encadrer cette gestion ayant rencontré des difficultés de fonctionnement.

Rappelons néanmoins que pour les pratiquants, la chasse est avant tout un plaisir et un loisir, plus rarement une mission de service public, même si les fédérations départementales des chasseurs ont souhaité être considérées comme des partenaires de la gestion forestière, entre autres pour réguler les populations d’ongulés. Cette proposition n’emporte pas l’adhésion totale du monde rural, l’Association des maires ruraux de France, auditionnée par la mission d’information, rappelant qu’il serait difficile de confier un rôle de police de l’environnement à une fédération qui par ailleurs constitue un groupe de pression et qu’en outre, il y a moins de chasseurs que de randonneurs dans les forêts. Toute gestion de la forêt doit respecter une neutralité d’usages et en l’espèce, il s’agit de concilier la gestion de l’environnement et de la biodiversité, le droit de chasser, l’exploitation forestière et la liberté d’aller et venir. Seuls des acteurs publics (État, collectivités territoriales, ONF et OFB) peuvent jouer ce rôle.

C’est dans le cadre d’actions publiques qu’il convient de recourir aux chasseurs. L’ONF leur propose par exemple près de 3 000 baux de chasse, avec des objectifs chiffrés donnant lieu, selon qu’ils sont ou non respectés, à des bonus (remise sur le loyer) ou des malus, voire à la résiliation du bail. Mais dans certaines zones, la régulation des espèces animales ne s’effectue plus. Il est vrai que le nombre de chasseurs décline en France. De 2,219 millions en 1976, il est passé à 989 000 en 2022, accompagnant la diminution des populations rurales. Aussi est-il nécessaire pour les pouvoirs publics de recourir en tant que de besoin à des battues administratives, prévues par les articles L. 427-4 et suivants du code de l’environnement. Plusieurs des personnes auditionnées par la mission d’information considèrent néanmoins que leur efficacité est limitée, en raison principalement de leur rareté.

La troisième solution a été exposée à la mission d’information par M. Anders Marell, chercheur à l’Inrae de Nogent. Elle consiste à rechercher un équilibre entre ongulés et forêts par un aménagement intelligent de ces dernières, combinant des milieux ouverts avec des ressources alimentaires variées, des zones de végétation dense très appréciées comme refuge et une sylviculture tenant compte de l’existence de ces animaux.

La quatrième solution, que l’ONF considère elle-même comme un pis-aller, consiste à clôturer les jeunes plants d’arbres. Mais outre la gêne visuelle pour les promeneurs, elle entraîne un coût supplémentaire de 50 à 60 % de la gestion des nouvelles plantations. M. Antoine d’Amécourt, président de Fransylva, a en outre indiqué à la mission d’information que 30 % des fonds alloués à la forêt dans le plan de relance étaient consacrés à la protection des jeunes plants contre les ongulés.

Dans le débat sur la gouvernance des forêts, l’amélioration de la gestion des ongulés constituerait un bon exercice de démocratie locale. Leur régulation fait partie de la gestion générale des forêts, dont ces animaux ne constituent qu’un élément de pression sur le milieu. Ils exercent une contrainte parmi d’autres, qui s’ajoute au dérèglement climatique. Leur nombre doit donc être peu ou prou fixé au regard des objectifs de politique forestière. S’il est excessif, les fonctions de la forêt sont altérées, d’où l’importance de la chasse, principalement d’origine humaine actuellement. Il faut donc associer toutes les parties prenantes (sylviculteurs, biologistes, chasseurs) pour réguler leur population et tenir compte de tous les facteurs affectant la vie d’une forêt. Mais aussi curieux que cela apparaisse quand on évoque le rôle de réservoir de biodiversité des forêts, la chasse est bien une condition indispensable au développement des futures parcelles forestières.

4.   Suggestion d’une fête de la forêt en appui aux actions pédagogiques existantes

Lieu hautement symbolique pour des raisons très anciennes, la forêt fait l’objet de nombreuses actions d’information et pédagogiques par les organismes qui y travaillent. On peut ainsi citer les plaquettes de l’ONF ou le programme de la Fédération nationale des communes forestières sur les forêts pédagogiques, « Dans 1 000 communes, la forêt fait école ». La FNCOFOR accompagne les élus et les enseignants dans la création et l’animation de leurs projets. Des programmes d’actions adaptés à chaque territoire sont construits et abordent des thématiques variées comme la biodiversité, le bois de construction, le changement climatique, les métiers de la filière forêt-bois, la défense des forêts contre les incendies, les replantations... Le projet comporte un volet international, via un partage d’expérience des écoliers français avec leurs camarades du Québec, afin d’appréhender la diversité des espaces forestiers et les enjeux globaux tel que le dérèglement climatique.

La forêt est évidemment le lieu d’activités militantes, souvent sous forme festive ([63]), mêlant pédagogie et objectif politique, qui sont autant d’occasions de réfléchir à la politique forestière.

Il existe également de forts liens entre la forêt et le monde de l’art. Des communes ou des troupes de spectacle vivant organisent des nuits de la forêt. Celle d’Orléans abrite une résidence d’artistes, Parenthèse. Vent des forêts, dans la Meuse, est un centre d’art contemporain d’intérêt national, fédérant six villages agricoles et forestiers. Fontainebleau et Barbizon célèbrent régulièrement l’apport de la forêt dans l’école impressionniste. Ce ne sont que quelques exemples parmi une centaine.

Ce foisonnement de manifestations locales, le plus souvent gratuites, fait partie intégrante de l’animation de nos territoires. Il pourrait être amplifié au niveau national en instaurant une fête de la forêt, qui se déroulerait chaque année le 21 mars. Ce jour est celui de la Journée internationale des forêts, proclamée en 2012 par l’Assemblée générale des Nations Unies. Celle-ci constituerait l’occasion d’activités ludiques, artistiques et pédagogiques autour de l’arbre, de la forêt en tant qu’écosystème et du bois.

 

Proposition n° 39 : Instaurer une fête de la forêt qui se déroulerait le 21 mars de chaque année, à l’occasion de la Journée internationale des forêts décidée par l’ONU.

 


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   Déplacement en Gironde

Une délégation de la mission d’information, composée de Mmes Catherine Couturier, présidente, Sophie Panonacle, rapporteure, M. Anthony Brosse, vice‑président, et Mme Sylvie Ferrer s’est rendue en Gironde le 13 mars 2023. Elle a principalement observé les sites de la forêt d’Hostens et des forêts domaniale et usagère de La-Teste-de-Buch, ravagées par des incendies de grande ampleur lors de l’été 2022. Mme Sophie Mette et M. Loïc Prud’Homme, députés de Gironde, ont participé à plusieurs entretiens et visites sur site.

La délégation a constaté les effets impressionnants de ces incendies sur les paysages, qui, logiquement, peuvent créer un traumatisme psychologique chez les populations qui vivent à proximité. Elle en a également observé les effets économiques, avec la destruction de nombreux campings près du Pyla et des milliers d’arbres calcinés qu’il faut abattre et livrer aux scieries. Les murs de grumes le long des chemins forestiers témoignent de l’importance des destructions et montrent, par leur volume, comment un incendie entraîne des effets sur une filière entière. La quantité de bois mise en excès sur le marché a conduit à une baisse des cours d’environ 15 %, malgré la demande croissante de bois en France.

En dialoguant avec les représentants des communes, des services départementaux d’incendie et de secours et de la défense des forêts contre les incendies, avec les experts-forestiers et les exploitants, la délégation a retiré des informations utiles sur la prévention des incendies et la lutte contre eux lorsqu’ils se déclenchent. Il convient de rappeler que le Sdis et la DFCI de Gironde sont parmi les plus efficaces de France, puisqu’ils ont éteint plus de 400 départs de feux lors de l’été 2022. Ce bilan très positif est malheureusement terni par deux incendies hors norme, déclenchés alors que l’hygrométrie en Gironde était exceptionnellement basse, contre lesquels ils ont combattu avec courage, avec l’aide d’agriculteurs bénévoles qui ont mis à disposition des citernes et autres matériels.

La restauration des forêts endommagées devra respecter les préceptes d’une sylviculture préventive, ménageant un espace le long des routes et des accès pour les sapeurs-pompiers dans les forêts. Toutes les propriétaires de forêts, qu’elles soient domaniales, privées, usagères, devront faire l’effort de s’y plier, l’essentiel étant qu’ils le fassent en toute conscience, le dérèglement climatique imposant de modifier les pratiques sylvicoles en usage jusqu’à présent.

Outre les incendies de forêt, la délégation a examiné comment la politique forestière de l’État se déclinait dans le département au regard du dérèglement climatique, des capacités d’action des élus locaux, de l’avenir des forêts en Gironde et de l’équilibre économique de la filière.

La délégation remercie l’ensemble des personnes qu’elle a rencontrées lors de ce déplacement, et qui ont nourri utilement sa réflexion : M. Jean-Louis Dartiailh, maire d’Hostens - M. Jean-Marc Pelletant, maire de Landiras - Mme Elisabeth Rezer Sandillon, adjointe à la maire de Gujan-Mestras, en charge de l’environnement - M. Jean-François Boudigue, conseiller municipal de La Teste - Mme Delphine James, cabinet du maire de La Teste - M. Ronan Léaustic, sous-préfet - M. Laurent Salaün, chef du service Environnement et forêt au conseil départemental - M. Bernard Rablade, représentant local de la DFCI - M. Christian Ribes, président de Fibois Nouvelle-Aquitaine - Mme Magaly Berdot, dirigeante de l’entreprise Berdot Bois et Travaux - M. Ludovic Patte, responsable local de l’ONF- Lt-Colonel Éric Florensan et Lt colonel Harguindeguy, responsables territoriaux du Sdis de Gironde - M. Frédéric Bernier, directeur d’unité (Inrae), unité expérimentale de la forêt de Pierroton - Mme Nathalie Madrid, déléguée des rivages Aquitaine, Conservatoire du littoral - M. Nicolas Surugue, directeur régional de l’Office français de la biodiversité - M. Eric Constantin, directeur de l’ONF, agence Landes Nord Aquitaine - M. Laurent Perron, directeur interrégional de Météo-France pour le Sud-Ouest - M. Olivier Roger, chef de service Agriculture, forêt et développement rural, représentant la DDTM - M. Stéphane Loniewski, vice-président de la Chambre de commerce et d’industrie de Bordeaux Gironde - M. Jean-Louis Dubourg, président de la Chambre d’agriculture de la Gironde - M. éric Constantin, directeur de l’ONF, agence Landes Nord Aquitaine - M. Jacques Hazera, expert forestier - M. Jean Mazodier, président de l’association Protection et Aménagement de Lège-Cap Ferret - Mme Maria de Vos, directrice du syndicat mixte de la dune du Pilat - MM. Pascal Combecave et Jean Dubrous, syndic des propriétaires de la forêt de La Teste - MM. Jean-Claude Fulon et Jean-François Tulissi, syndic des usagers de la forêt de La Teste - Mme Christine Peny, présidente de l’Association des usagers de la forêt de La Teste.

   Déplacement dans le parc naturel régional de Millevaches

Une délégation de la mission d’information, composée de Mmes Catherine Couturier, présidente, Sophie Panonacle, rapporteure, et Manon Meunier s’est rendue à Meymac dans le Limousin le 27 mars 2023 pour une visite du parc naturel régional (PNR) de Millevaches. Avec l’appui précieux des équipes du PNR, la délégation a pu organiser plusieurs tables rondes d’échanges avec les acteurs locaux, salariés du PNR, représentants des propriétaires forestiers et des collectivités territoriales, associations, groupements de forestiers et d’exploitants, ainsi qu’avec l’école forestière de Meymac.

Le PNR de Millevaches représente un périmètre forestier de 164 000 hectares avec une faible densité d’habitants (11 habitants au km2). Il est composé de peuplements à hauteur de 35 % en feuillus, 35 % en conifères et 19 % en peuplements mixtes et compte plusieurs forêts anciennes de feuillus. La propriété forestière est très morcelée à travers près de 21 000 propriétaires de forêts. En 1913, le boisement du plateau de Millevaches était d’à peine 5 % contre plus de 60 % aujourd’hui, grâce à une politique de plantation massive. Aujourd’hui, les forêts du PNR souffrent cependant des conséquences du dérèglement climatique avec des sécheresses plus fréquentes et intenses, des attaques de parasites et des pratiques forestières qui ne sont pas toujours conformes aux principes de gestion durable. M. Brugère, président du PNR de Millevaches en Limousin, a ainsi fait état du fait que près de 1 300 hectares de feuillus ont disparu depuis 2004 et ont été remplacés par des forêts de résineux à des fins de production intensive.

La gestion des forêts dans le PNR de Millevaches en Limousin est parfois l’objet de tensions, notamment en raison de coupes rases, comme l’ont montré les évènements survenus récemment au Bois du Chat. Le consensus est parfois difficile à trouver mais tous les acteurs s’accordent sur la priorité à accorder à une production forestière de qualité, orientée vers le bois d’œuvre. Si le morcellement de la forêt privée contribue à la diversité des peuplements et des pratiques, il y a un réel enjeu à regrouper les propriétaires forestiers, pour structurer la filière et associer l’ensemble des parties prenantes autour d’objectifs de gestion communs.

Pour lutter contre les effets du changement climatique sur les forêts limousines, M. Salviat, vice-président du PNR de Millevaches a présenté le dispositif « Opafe » (Opération programmée d’amélioration forestière et environnementale) qui permet d’aider financièrement et techniquement à la diversification des peuplements en accord avec la charte forestière du territoire 2022-2027. Les associations ont salué la pertinence de ce dispositif tout en regrettant qu’il ne soit pas mieux doté financièrement. Selon un avis largement partagé par les associations locales, les subventions distribuées par l’État, notamment à travers le plan de relance, sont encore trop tournées vers des coupes rases (souvent de feuillus) suivies de plantations de résineux en quasi-monoculture. Certaines associations regrettent par exemple qu’il n’existe pas d’aide spécifique pour les coupes d’éclaircie et la régénération naturelle qui caractérisent la gestion en futaie irrégulière ou couvert continu. Les groupements forestiers ont en revanche souligné que ces aides, dans la continuité des Assises de la forêt et du bois, ont permis à la filière de disposer d’un soutien utile pour la transformation de l’appareil de production et en vue de son adaptation à un traitement du bois plus différencié. Pour les collectivités territoriales, il faudrait en outre développer les aides pour les repreneurs des petites scieries territoriales car il existe un problème de transformation sur place du bois.

Enfin, la délégation a pu se rendre sur deux sites représentant des exemples diversifiés de gestion forestière : une parcelle ayant fait l’objet d’une coupe rase et une parcelle ayant au contraire fait l’objet d’une gestion en sylviculture à couvert continu. Plus de 1 000 hectares ont été coupés à ras sur le PNR de Millevaches en Limousin au cours des dernières années. Les habitants et les équipes du PNR déplorent dans leur très grande majorité les effets de ces pratiques qui ne cessent d’augmenter, d’autant plus néfastes que la plupart des bois sont en pente et que les sols déjà pauvres, n’étant plus tenus par les arbres, se déversent dans les rivières de première catégorie, avec des effets sur les écosystèmes ainsi que sur la qualité des eaux. Les coupes rases devraient ainsi être limitées aux raisons d’urgence sanitaire. Toutes les parties prenantes se sont accordées sur la nécessité d’avoir une gestion forestière adaptée aux spécificités de chaque territoire, qui soit respectueuse des arbres, des paysages et des sols, sans négliger l’entretien et la valorisation économique du bois.

La délégation remercie l’ensemble des personnes qu’elle a rencontrées lors de ce déplacement, et qui ont nourri utilement sa réflexion : M. Philippe Brugère, président du PNR de Millevaches ; M. Gérard Salviat, vice-président, forêt et paysages du PNR de Millevaches ; Mme Renée Nicoux, vice-présidente, tourisme et urbanisme du PNR de Millevaches ; Mme Catherine Hornebeck, vice-présidente, biodiversité du PNR de Millevaches ; M. Yves Poss, membre du conseil scientifique du PNR ; M. Guillaume Rodier, chef du service technique du PNR ; Mme Sylvie Castagnio, chargée de mission charte forestière du PNR ; M. Olivier Villa, coordinateur Natura 2000 du PNR ; M. Olivier Zappia, chargé de mission biodiversité et forêt du PNR ; M. Jean-François Le Maout, directeur de l’ONF Limousin ; Mme Christine de Neuville, présidente de PEFC Nouvelle-Aquitaine ; M. Pierre Beaudesson, directeur adjoint du centre régional de la propriété forestière de Nouvelle-Aquitaine ; Mme Valérie Simonet, présidente du conseil départemental de la Creuse ; M. Philippe Jenty, président de la communauté de communes de Vézère-Monédières-Millesources ; M. Pierre Chevalier, président de Haute‑Corrèze Communauté ; M. Bernard Giraud et Mme Hélène Delaplace, représentants de l’Association Aubraie ; MM. Jean-Marie Stien, membre du conseil syndical, et Jean-Jacques Le Creurer, président de l’Association Forêts Vivantes du Sud-Est Creusois ; M. Vincent Magnet, porte-parole de l’Association Réseau pour les Alternatives Forestières ; Mme Marie-Christine Girault, présidente de France Nature Environnement Creuse ; M. Thibault Evain, porte-parole du Syndicat de la Montagne limousine ; MM. Angelo Cardente et Élie Kongs, représentants de l’Association Haut les cimes ; M. Jean-Philippe Rebeix, président du GDF Millevaches ; M. Christophe Cestona, directeur de l’Alliance Forêts bois du Limousin ; M. Lionel Say, directeur du groupe CFBL Coopérative Forestière ; M. Emmanuel Patigny, directeur local d’Unisylva ; M. Jean-Patrick Puygrenier, directeur local de Fransylva ; Mme Julie Morlon-Desteve, directrice du Sefsil Limousin ; Mme Nathalie Naulet, présidente du Fonds de dotation Forêts en Vie ; M. Sylvain Block, représentant de l’association Faites et Racines vers Argentat ; M. Pascal Guenet, directeur de l’École forestière de Meymac.

 


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   Examen du rapport en commission

Lors de sa réunion du 2 mai 2023, la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a procédé à l’examen du rapport de la mission d’information sur l’adaptation au changement climatique de la politique forestière et la restauration des milieux forestiers.

À l’issue de la réunion, la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a autorisé la publication du rapport d’information.

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Les débats sont accessibles sur le portail vidéo de l’Assemblée nationale à l’adresse suivante :

https://assnat.fr/rCImic

 

 


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   Liste des personnes auditionnées

Ministères

M. Marc Fesneau, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.

M. François Bonnet, délégué ministériel forêt-bois du ministère de la transition écologique.

 

Office national des forêts

M. Albert Maillet, directeur général des forêts et des risques naturels.

Mme Nathalie Barbe, directrice des relations institutionnelles, de l’outre-mer et de la Corse.

 

Centre national de la propriété forestière

Mme Anne-Marie Bareau, présidente.

M. Roland de Lary, directeur général.

 

Scientifiques

M. Joël Guiot, directeur de recherche au Centre européen de recherche et d’enseignement des géosciences de l’environnement, sur l’impact du changement climatique sur les forêts.

Mme Nathalie Breda, chercheuse à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) de Nancy, sur l’impact du changement climatique sur les forêts.

M. François Lefèvre, chercheur à l’Inrae d’Avignon, spécialiste de la valorisation des mécanismes d’évolution génétique par la sylviculture pour l’adaptation au changement climatique.

Mme Myriam Legay, directrice du pôle AgroParisTech de Nancy, spécialiste de la gestion forestière et de la crise climatique.

M. Guillaume Decocq, professeur en sciences végétales et fongiques à l’Université de Picardie, sur la régénération de la forêt.

M. Antoine Kremer, chercheur à l’Inrae de Bordeaux, sur l’adaptation de la régénération forestière en contexte de crise climatique.

M. Anders Marell, chercheur à l’Inrae de Nogent.

M. Hervé Jactel, chercheur à l’Inrae de Bordeaux, sur les interactions entre forêts, faune et activités humaines.

Collectivités territoriales

M. Francis Cros, vice-président de la Fédération nationale des communes forestières, maire de La Salvetat sur Agoût, président des collectivités forestières d’Occitanie.

Mme Françoise Alriq, directrice adjointe de la Fédération nationale des communes forestières.

M. Michel Gros, vice-président de l’Association des maires ruraux de France, maire de La Roquebrussane.

M. Didier Réault, président de Rivages de France.

M. Michel Castan, président de l’Association des communes forestières des Pyrénées-Atlantiques et membre du comité directeur de l’Association nationale des élus de la montagne.

M. Jean-Claude Maes, maire de Capesterre de Marie-Galante, président de l’Association des communes et collectivités d’outre-mer.

M. Claude Olive, maire d’Anglet.

M. Jean-Pierre Kulczak, conseiller municipal de Générac, délégué aux risques majeurs.

M. Jean-Luc Gleyze, secrétaire général de l’Assemblée des départements de France, président du conseil départemental de la Gironde.

M. André Accary, président du conseil départemental de Saône-et-Loire, auteur d’un rapport sur les incendies de forêts.

 

Forêt guyanaise

Mme Myriam Heuertz, chercheuse à l’Inrae de Bordeaux, spécialiste des écosystèmes tropicaux.

M. Pierre-Michel Forget, professeur d’écologie tropicale au Muséum national d’histoire naturelle.

M. Jean-Marie Prévoteau, guide naturaliste.

M. Alexis Tiouka, juriste spécialisé en droits humains et droits des peuples autochtones.

 

Filière forêt-bois

M. Nicolas Dauzain, délégué général de la Fédération nationale du bois. *

M. Bertrand Servois, président de l’Union de la coopération forestière française.

M. Antoine d’Amécourt, président de Fransylva. *

M. Laurent de Bertier, directeur général de Fransylva. *

M. Jean-Luc Bartmann, président du Conseil national de l’expertise foncière agricole et forestière. *

M. Paul Jarquin, président de Fibois France.

M. Mathieu Fleury, président du Comité interprofessionnel du bois-énergie.

M. Dominique Weber, président du Comité stratégique de la filière-bois.

M. Jean-Luc Dunoyer, directeur de projet du Comité stratégique de la filière-bois.

M. David Caillouel, président du Syndicat des exploitants de la filière-bois.

M. Gilles Bauchery, président du Syndicat national des pépiniéristes forestiers.

Mme Virginie Monatte, présidente de l’Association nationale des techniciens et gestionnaires forestiers indépendants (Anatef).

M. Julien Tomasini, président de l’Association futaies irrégulières.

 

Agriculture – Agroforesterie – Pastoralisme

M. Jérôme Mathieu, président de la chambre d’agriculture des Vosges.

M. Lionel Viard, chargé de mission « Forêt et agroforesterie » pour les Chambres d’agriculture de France. *

Mme Léa Lemoine, chargée de mission en agroforesterie pour les Chambres d’agriculture de France. *

M. Etienne Bertin, chargé des affaires publiques pour les Chambres d’agriculture de France. *

M. Laurent Garde, directeur adjoint du Centre d’études et de réalisations pastorales Alpes-Méditerranée, membre de l’Association française de pastoralisme.

M. Michel Le Pape, président de la Coordination rurale d’Indre-et-Loire.

M. Yannick Becker, porte-parole de la Confédération paysanne dans les Alpes de Haute-Provence. *

 

Associations

M. Christophe Chauvin, pilote du réseau forêt.

M. Nicolas Oddo, chef de projet « Forêt » de France Nature Environnement. *

Mme Julie Marsaud, en charge du plaidoyer « Forêt » de WWF France. *

M. Sylvain Angerand, fondateur et coordinateur de Canopée.

 

 

Institut de recherche

Mme Julia Grimault, cheffe de projet sur la forêt, et M. Vincent Despoues, chef de projet sur l’adaptation au changement climatique, de l’Institut sur le changement climatique (I4CE). *

 

Services d’incendie et de secours

M. Éric Florès, directeur du service départemental d’incendie et de secours de l’Hérault.

M. Marc Vermeulen, directeur du service départemental d’incendie et de secours de Gironde, membre du comité exécutif de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France.

 

Fédération des parcs naturels régionaux 

M. Michael Weber, maire de Woelfing-les-Sarreguemines, président de la Fédération des parcs naturels régionaux et président du parc naturel régional des Vosges.

M. Jacques Charon, maire de Vatteville-la-Rue, président de la commission « Forêt » et président du parc naturel régional des Boucles de la Seine-Normandie.

M. Eric Brua, directeur de la fédération.

M. Julien Chesnel, chargé de mission.

 

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

 

 

 


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   Contribution écrite

M. Jean-Michel Servant, président de France Bois Forêt *

 

* Ce représentant d’intérêts a procédé à son inscription sur le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

 


([1])  La composition de la mission d’information se trouve au verso

([2]) Georges-André Morin, « La continuité de la gestion des forêts françaises de l’ancien régime à nos jours ou comment l’État a pris en compte le long terme », Revue française d’administration publique, 2010 (n° 134).

([3]) Dont le rapport n° 3305 de M. Jean-Paul Chanteguet, ancien président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée nationale, sur le passage à un monde décarboné (XIVème législature).

([4]) Rapport d’information (n° 856) fait au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable et de la commission des affaires économiques du Sénat « sur la prévention et la lutte contre l’intensification du risque incendie », août 2022 - Rapport au Premier ministre de Mme Anne-Laure Cattelot, députée « La forêt et la filière bois à la croisée des chemins », juillet 2020 – Cour des comptes « La structuration de la filière forêt-bois », communication à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire de l’Assemblée nationale, avril 2020 - Rapport du Conseil économique, social et environnemental « Face au changement climatique, quelle sylviculture durable pour adapter et valoriser les forêts françaises ? », mars 2021, par Mme Marie-Hélène Boidin-Dubrule et M. Antoine d’Amécourt.

([5]) Danny Lake-Giguère, « La livrée et le contrôle des droits d’usage dans les forêts royales de Normandie du XIIème au XIVème siècles ».

([6]) Emmanuel Le Roy-Ladurie, « Histoire du climat depuis l’an mil » - Gilles Ramstein, « Une brève histoire du climat de la Terre », in Reflets de la physique, n° 55, 2017.

([7]) Il n’en existe qu’une seule en Europe, en Pologne. La forêt guyanaise demeure une forêt primaire pour 90 % de sa surface.

([8]) AR6 Climate Change 2021: The Physical Science Basis — IPCC  

([9]) Rachid Cheddadi et Avner Bar-Hen, Climate Dynamics, 2007.

([10])  Rapport du 9 août 2021, « Changement climatique 2021: les éléments scientifiques ».

([11]) Rapport n° 856 au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable et de la commission des affaires économiques du Sénat, par la mission conjointe de contrôle relative à la prévention et à la lutte contre l’intensification et l’extension du risque incendie, par M. Jean Bacci, Mme Anne-Catherine Loisier, MM. Pascal Martin et Olivier Rietmann, sénateurs (3 août 2022).

([12]) Un mégafeu est un incendie hors norme, incontrôlable.

([13]) Liste non exhaustive.

([14]) « À La Teste, après l’incendie, la forêt panse ses plaies », Le Monde, 4 octobre 2022.

([15]) « La séquestration de carbone par les écosystèmes en France », ministère de la Transition écologique, mars 2019.

([16]) L’ONF en chiffres, direction de la communication de l’Office, février 2023.

([17]) Descendants des esclaves en fuite, vivant des deux côtés du Moroni, en Guyane et au Surinam. Ils ont conservé leurs traditions ancestrales.

([18]) Décès par balle d’un gendarme du GIGN le 25 mars 2023 lors d’une opération contre des orpailleurs.

([19]) Outre leurs parcs déjà existants, Paris, Bordeaux, Lyon, Toulouse et Nantes notamment nourrissent des projets de forêts urbaines.

([20]) Olivier Chandioux, « La forêt, bien commun ou espace de devoirs ? », 11 août 2020, LinkedIn

([21]) Il ne l’interdit pas en pratique.

([22]) « Manifeste des communes forestières », Fédération nationale des communes forestières, www.fncofor.fr  

([23]) Forêts française en crise, rapport conjoint d’Humanité et Biodiversité, France Nature Environnement, Ligue pour la protection des oiseaux, Comité français de l’Union internationale de conservation de la nature, Réserves naturelles de France et Fondation WWF, 2020.

([24]) Alimiao, angélique, bougouni, chawari, gonfolo, manil marécage et yayamadou.

([25]) Par exemple, cf. l’article publié par Le Monde le 24 avril 2021 « Le recours aux essences exotiques en foresterie est une aberration écologique et politique », par Guillaume Decocq, Elisabeth Dodinet et Pierre-Henri Gouyon, de la Société botanique de France. A contrario, « Pourquoi les essences exotiques d’arbres sont utiles dans nos forêts » par Vianney de la Brosse, gestionnaire forestier (https//ecotree.green)

([26]) Livre blanc de la Société botanique de France sur l’introduction d’essences exotiques en forêt, 2021, www.societebotaniquedefrance.fr  

([27]) « Plantations forestières 2022, la plus mauvaise année », ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.

([28]) Le GIP Ecofor rassemble le ministère de la transition écologique, le ministère de l’agriculture, l’Inrae, le Centre national de la propriété forestière, le Muséum national d’histoire naturelle, AgroParisTech, l’Institut national de l’information géographique et forestière, l’institut technologique FCBA, le CNRS, l’IRD, le Cirad et l’ONF. Il conduit des études sur le fonctionnement et la dynamique des écosystèmes forestiers.  

([29]) Pour mémoire, les crédits consacrés à l’atténuation du changement climatique – qui ne concernent pas exclusivement les forêts – se sont élevés à 230,4 millions d’euros entre 2014 et 2021 et ceux consacrés à l’adaptation, pour la même période, à 201,2 millions d’euros.

([30]) Scanner embarqué dans un avion et émettant un signal infrarouge à une grande fréquence.

([31]) Protest : prospective territoriale spatialisée.

([32]) https://www.ccomptes.fr/fr/publications/la-structuration-de-la-filiere-foret-bois  

([33]) https://www.vie-publique.fr/discours/286992-emmanuel-macron-28102022-lutte-contre-les-feux-de-forets  

([34]) La futaie régulière, largement pratiquée par l’ONF, consiste à conserver des arbres d’âge sensiblement identique dans une parcelle déterminée, où des coupes d’amélioration sont apportées tous les six à douze ans pour permettre aux plus beaux arbres de croître. L’objectif est d’avoir des fûts élancés, convenant à des usages du bois comme le parquet, la charpente et la tonnellerie. La futaie irrégulière consiste à faire résider sur une même parcelle des arbres d’âge, d’essence et de taille variés, dont les éclaircies, pour raison économique ou sanitaire, sont réparties dans le temps. Elle assure la régénération naturelle de la forêt et préserve le couvert forestier.  

([35]) Le CNPF n’a pas caché son intérêt pour ce mode de gestion lors de son audition.

([36]) À titre d’exemples, « Des propositions pour refonder la filière chêne », David Caillouel, président du Syndicat des exploitants de la filière bois, ou encore les plaquettes régionales de Fibois sur l’adaptation des forêts au changement climatique.  

([37]) « Filière forêt-bois et atténuation du changement climatique, entre séquestration du carbone en forêt et développement de la bioéconomie », étude commune de l’IGN et de l’Inrae par Alice Roux, Antoine Colin, Jean-François Dhôte et Bertrand Schmitt, juillet 2020.

([38]) « L’industrie française du meuble face à la concurrence européenne et chinoise », Sylvie Biot et Evelyne Loiselet, INSEE, 2019.

([39]) La pâte à papier et la chimie relèvent plutôt de grandes entreprises. 

([40]) Porte-parole de la Confédération paysanne dans les Alpes-de-Haute-Provence.

([41]) Cf. sa déclaration du 18 avril 2018 dans les locaux d’une scierie à Saulxures-sur-Moselotte (Vosges).

([42]) De l’ordre de 30 à 40 euros / m2 pour une charpente en pin Douglas et de 60 à 90 euros / m2 pour le même ouvrage en chêne.

([43]) « Le développement de la contractualisation dans la filière forêt-bois » François Moreau et Vincent Piveteau, janvier 2022.  

([44]) https://www.lecese.fr/sites/default/files/pdf/Avis/2021/2021_12_syviculture.pdf  

([45]) Le braconnage de bois est un phénomène mondial. Cf le rapport du WWF du 18 avril 2017 sur ce sujet.

([46]) Question écrite n° 27 074 de M. Jacques Cattin, député (LR, Haut-Rhin), JO du 3 mars 2020 et réponse du Gouvernement au JO du 15 décembre 2020.

([47]) Institut FCBA, « La sécurité des opérateurs forestiers ; conséquences de la fragilisation des arbres liée notamment au changement climatique et à ses impacts », novembre 2021.

([48]) https://www.ccomptes.fr/system/files/2020-05/20200525-rapport-58-2-structuration-filiere-foret-bois.pdf  

([49]) https://agriculture.gouv.fr/evaluation-des-mesures-fiscales-defi-foret  

([50]) https://www.fondationbiodiversite.fr/la-taxation-des-forets-europeennes-approche-comparative/  

([51]) http://www.fncofor.fr/construire-bois-forets-avoisinantes-c-possible-micro-creche-communaute-communes-combes-70-4_3348.php  

([52]) Programme des Nations Unies pour l’environnement, « La menace croissante des feux hors norme ».

([53]) Cf le rapport de 2022 du CNPF et du CRPF de Nouvelle-Aquitaine « Diversification et reconstitution post incendie dans le massif des Landes de Gascogne ».

([54]) Auteurs : Philippe Deuffic (Inrae), Damien Marage (Université Bourgogne Franche-Comté) et Elsa Richou (Université de Pau).

([55]) Cf proposition de loi (n° 3314, XVème législature) de Mme Mathilde Panot et plusieurs de ses collègues visant à l’encadrement des coupes rases.  

([56]) Novethic : « Repenser la forêt, les coupes rases et les plantations en monoculture doivent être au cœur des discussions » www.novethic.fr 3 octobre 2022.

([57]) Mme Virginie Monatte, présidente de l’Association nationale des techniciens et gestionnaires forestiers indépendants (ANATEF), citée par Novethic.

([58]) Et 10 minutes pour le détruire, d’après M. Vincent Magnet, administrateur du Réseau pour les alternatives forestières.

([59]) Alain-Claude Rameau, naturaliste, auteur de « Nos forêts en danger » (2017).

([60]) « Les grands félins en Guyane, entre gestion des conflits et amélioration des connaissances », Rachel Berzin et Matthis Petit, 2018.

([61]) « Le lynx est embrigadé dans une guerre de chapelles », Libération, 19 mars 2023.

([62]) Rapport d’information au nom de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée nationale (n° 2734) déposé en application de l’article 145-7 du Règlement sur la mise en application de la loi n° 2019-773 du 24 juillet 2019 portant création de l’Office français de la biodiversité, modifiant les missions des fédérations des chasseurs et renforçant la police de l’environnement (4 mars 2020, XVème législature).

([63]) Comme « Faites de la forêt », du Réseau pour les alternatives forestières.