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N° 1182

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 3 mai 2023.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES

sur le quick commerce

ET PRÉSENTÉ PAR

Mmes Maud GATEL et Anaïs SABATINI

Députées

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SOMMAIRE

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Pages

Introduction

liste des PROPOSITIONS

I. Un secteur dont les innovations ne sauraient occulter les alÉas et les risques d’une croissance immature

A. Une offre commerciale nouvelle au potentiel de dÉveloppement incertain

1. Un modèle d’affaire disruptif répondant à des modes de consommation nouveaux

a. Une vente à distance fondée sur l’usage des nouvelles technologies de la communication et l’exigence d’une livraison express

b. Une économie caractérisée par la multiplicité des acteurs et formats commerciaux

i. Les pure players

ii. Les enseignes de la grande distribution

iii. les plateformes de mise en relation et de livraison

2. Un commerce conservant toutefois le caractère d’un marché de niche

a. Un poids insignifiant dans la livraison des produits à domicile dans le cadre du e-commerce

b. Une offre concentrée dans les métropoles et certaines grandes villes françaises

c. Une clientèle urbaine au profil sociologique marqué

3. L’avenir incertain d’un secteur en voie de consolidation

a. Une concentration du secteur et une dynamique des investissements enrayée

b. Un modèle d’affaire confronté à une exigence renouvelée de rentabilité

B. Des impacts Économiques et sociaux restant À mesurer MAIS potentiellement NON DÉNUÉS D’externalitÉs nÉgatives

1. Des activités remettant en cause le potentiel des zones commerciales ?

a. Une concurrence pouvant être réelle sans être nécessairement inégale ?

b. Des implantations susceptibles de réduire la « commercialité » de certains quartiers ?

2. Des activités non exemptes d’atteintes à la qualité de l’environnement et à la tranquillité du voisinage

a. Des livraisons occasionnant de nouveaux flux de circulation problématiques

b. Une cohabitation potentiellement source de troubles anormaux du voisinage

II. Des activitÉs nÉcessitant une rÉgulation proportionnÉe et une intÉgration au tissu Économique et social

A. Un droit national dont l’efficacitÉ peut exiger des ajustements mais surtout des contrÔles, en particulier dans le domaine social

1. Un droit en vigueur permettant pour l’essentiel d’appréhender les différentes formes et activités du quick commerce

a. Des opérateurs en théorie assujettis aux normes applicables aux ecommerce et au commerce physique

b. Des cas de distorsions normatives ou de normes dépourvues de portée pratique ?

2. L’enjeu de la protection des données à caractère personnel

3. Un droit du travail et un droit social à affermir face aux spécificités d’une économie flexibilisée et dématérialisée

a. Une population active précaire, entre salariat et indépendance

b. Des pratiques et situations singulièrement problématiques

i. Dans les établissements du quick commerce

ii. Dans l’organisation des activités de livraison

c. Un renforcement des droits par le dialogue social ?

d. Un statut à consolider pour les salariés et les livreurs du quick commerce et de la livraison à domicile

B. Une place À trouver dans les villes

1. Des exigences urbanistiques à défendre

a. Assurer la pertinence de l’environnement réglementaire applicable à l’implantation des établissements du quick commerce

b. Conforter la capacité des collectivités à imposer le respect des exigences des documents d’urbanisme

2. Un développement à inscrire dans l’organisation d’une logistique urbaine moderne

EXamen en commission

Liste des personnes auditionnÉes

 


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   Introduction

C’est le souci d’appréhender les phénomènes disruptifs que peuvent produire les nouvelles technologies, autant que la crainte renouvelée ([1]) de voir des vitres opacifiées et des murs opaques remplacer en nombre les devantures des magasins, qui ont motivé la création, le 26 octobre 2022, de la mission d’information sur le quick commerce.

Dans son acception la plus stricte, le concept de « quick commerce » désigne des services de livraison expresse de produits de grande consommation. Toutefois, l’offre commerciale ne se réduit pas aux prestations réalisées par des entreprises spécialisées à partir des désormais fameux « dark stores » et « dark kitchens » : elle associe des acteurs divers parmi lesquels le rôle des plateformes de mise en relation et de livraison de plats cuisinés ne saurait être minimisé.

À bien des égards, le flou qui entoure les contours d’un secteur récent ajoute aux incertitudes que suscitent les conditions et les conséquences de son développement. Disons-le tout net : au-delà des attraits de la nouveauté, le quick commerce et la livraison de produits alimentaires à domicile soulèvent de lourdes questions. Si certaines analyses les rangent parmi les activités qui participent d’une « économie de la flemme » en plein essor, d’autres portent à émettre des doutes quant à leur capacité de créer de la valeur. Pour d’autres observateurs, il s’agit également de considérer, du point de vue de la société, les coûts d’une offre commerciale qui prétend satisfaire des besoins très individuels, ponctuellement et sans délais, à toute heure du jour et de la nuit.

Aussi, dans l’accomplissement de la mission qui leur avait été confiée, Mme Maud GATEL, députée de Paris, et Mme Anaïs SABATINI, députée des Pyrénées orientales se sont donné trois principaux objectifs : en premier lieu, analyser les caractéristiques du secteur, ainsi que le modèle d’affaire sur lequel il repose ; en second lieu, mesurer l’impact de son développement et des modalités de son implantation sur les activités commerciales, sur la vie sociale et l’environnement en milieu urbain ; en dernier lieu, évaluer la pertinence du cadre normatif applicable et la nécessité de nouveaux instruments de politiques publique, notamment en matière de régulation économique, d’aménagement urbain, de droit social et de protection du consommateur.

Dans cette optique, les deux co-rapporteures se sont efforcées de recueillir toute information pertinente auprès des opérateurs économiques, experts et représentants de la société civile, administrations, collectivités territoriales susceptibles de disposer d’une expertise à propos de ce phénomène. Compte tenu du développement du quick commerce dans la capitale et des procédures engagées par la municipalité, il leur a paru indispensable d’examiner plus particulièrement la situation parisienne.

Il en ressort que si l’activité a pu connaître une croissance spectaculaire à la faveur de circonstances inédites et d’investissements marqués par une certaine exubérance irrationnelle, les risques d’une déstabilisation doivent être nuancés : d’une part, la capacité du secteur à s’assurer de nouveaux débouchés ne va pas de soi, compte tenu des spécificités de l’offre commerciale, ainsi que des fragilités du modèle d’affaire ; d’autre part, le droit applicable comporte des principes et des procédures qui, dans une large mesure, peuvent régir les activités du quick commerce et des plateformes de livraison de produits alimentaires, même si des externalités négatives appellent sans doute des mesures correctrices.

En réalité, la spécificité de l’appareil logistique peut amener à considérer que les véritables enjeux touchent à l’exercice des droits sociaux, au partage de la valeur, ainsi qu’au respect des équilibres en milieux urbains. C’est la raison pour laquelle la mission appelle les pouvoirs publics et les partenaires sociaux à développer des outils et des procédures qui permettent de faire prévaloir des considérations supérieures en ce qui concerne la qualité des conditions de travail et les conditions d’installation des activités en ville.

Dans une large mesure, l’avenir du quick commerce et de la livraison de produits alimentaires en France reste à écrire. De fait, la diversité des modèles ne prédispose pas tous les acteurs à s’adapter à leur environnement, notamment dans le contexte créé par le décret et l’arrêté du 23 mars 2023 relatif qui précisent le rattachement des établissements du quick commerce aux grandes catégories du droit de l’urbanisme.

Le nouveau cadre et l’attention portée au pluralisme de l’offre commerciale ne sauraient toutefois conduire à éluder le problème fondamental : celui de l’adaptation des commerces physiques, en particulier dans les centres-villes, à l’essor du commerce électronique et à l’évolution des usages de consommation. Ce constat ne rend que plus nécessaire la poursuite des réflexions engagées dans la continuité des Assises du commerce, tenues en décembre 2021.

 


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   liste des PROPOSITIONS

 

Proposition n° 1 : Créer un observatoire chargé du suivi des évolutions du commerce de la livraison expresse de produits alimentaires et des implications de son développement.

Proposition n° 2 : Rééquilibrer les rapports commerciaux entre secteur de la restauration et plateformes de livraison par un renforcement de l’information des consommateurs : assurer une plus grande transparence des critères de classement des établissements par les algorithmes ; rendre plus transparente la répartition du financement des promotions entre établissements et plateformes.

Proposition n° 3 : Assurer l’efficacité des dispositions de la « loi LOM » et de la « loi Climat et résilience » relatives au verdissement des flottes des entreprises et des plateformes de livraison : veiller au respect des obligations informatives et envisager des mesures coercitives en cas de non-respect des objectifs.

Proposition n° 4 [Mme Maud Gatel] : Assurer une mise en place des zones à faibles émissions (ZFE) de nature à inciter les acteurs du secteur de la livraison à utiliser les véhicules les moins polluants.

Proposition n° 5 : Établir ou préciser un standard et des prescriptions minimales relatives aux caractéristiques des véhicules et des équipements de sécurité utilisés par les livreurs.

Proposition n° 6 : Favoriser une meilleure prise en compte du coût véritable des livraisons du quick commerce : organiser une information du consommateur à propos du coût réel et des répercussions de la livraison à domicile et interdire l’apposition de la mention « gratuit » ; évaluer la pertinence d’un montant plancher dans la facturation des coûts de livraison aux consommateurs.

Proposition n° 7 : Imposer aux services de livraisons de produits alimentaires l’inscription sur leur site internet de mentions lisibles et accessibles permettant un contact direct par voie postale, téléphonique et électronique pour les riverains.

Proposition n° 8 : Examiner la possibilité d’instituer une déclaration préalable à l’implantation d’une activité commerciale au sein des locaux d’une copropriété – Imposer l’information du syndic de copropriété à propos de tout changement de situation dans le déroulement de cette activité.

Proposition n° 9 : Poursuivre et approfondir le contrôle des activités du quick commerce initié par la DGCCRF, dans le cadre de la coopération entre les services de l’État.

Proposition n° 10 : Conforter l’utilisation des contenants alternatifs réutilisables et/ou recyclables pour la livraison de produits alimentaires par des mesures normatives tendant à : limiter les déchets à travers le développement de la consigne ; mettre en place un emballage standardisé aux normes environnementales les plus élevées ; faire payer le contenant des plats préparés ; garantir la collecte des anciens contenants.

Proposition  11 : Veiller au respect du droit en vigueur en ce qui concerne le traitement des données de géolocalisation des livreurs et des consommateurs.

Proposition n° 12 : Veiller au respect du principe du repos dominical dans l’organisation de l’activité des entreprises du quick commerce.

 

Proposition n° 13 : Renforcer les sanctions à l’encontre des plateformes utilisant des personnes en situation illégale.

Proposition n° 14 [Mme Maud Gatel] : Réviser la « circulaire Valls » du 28 novembre 2012, afin de permettre la prise en considération de la situation des livreurs indépendants du quick commerce et du secteur de la livraison de manière appropriée.

Proposition n° 15 : Renforcer les sanctions pénales encourues par des personnes se livrant à la sous-location de comptes dans le cadre d’une activité de livraison de produits alimentaires.

Proposition n° 16 : Développer le recours à des tiers de confiance et généraliser les procédures de tierce déclaration pour l’accomplissement des obligations incombant aux livreurs du quick commerce et des plateformes de livraison.

Proposition n° 17 : Conforter le cadre de représentation et de négociations collectives entre les travailleurs indépendants et les plateformes, en stimulant les discussions et s’assurant de la pertinence des critères d’éligibilité.

Proposition n° 18 : Travailler à l’établissement d’une convention collective unique pour le commerce de livraison de produits alimentaires à domicile. À défaut, réaliser une clarification des clauses de la convention du commerce à distance et de la convention du transport, susceptibles de régir cette activité.

Proposition n° 19 : Garantir les droits des livreurs indépendants par le recours à des dispositifs de portage salarial.

Proposition n° 20 : Réviser les documents de planification urbaine afin de tirer les conséquences des précisions apportées par le décret et l’arrêté du 22 mars 2023 s’agissant du classement des établissements du quick commerce parmi les destinations du droit de l’urbanisme.

Proposition n° 21 : Renforcer l’usage du dispositif créé par la loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale par une campagne d’information et le relèvement du montant des astreintes pouvant être prononcées.

Proposition n° 22 : Examiner la possibilité d’une décentralisation et une dépénalisation des sanctions des infractions au droit de l’urbanisme.

Proposition n° 23 : Inscrire le développement du quick commerce dans le cadre des initiatives tendant à l’aménagement d’espaces de logistique urbaine adaptés à un approvisionnement des villes conforme aux exigences de la transition écologique.

Proposition n° 24 : Clarifier la notion de cinaspic dans les documents de planification urbaine.

 


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I.   Un secteur dont les innovations ne sauraient occulter les alÉas et les risques d’une croissance immature

A.   Une offre commerciale nouvelle au potentiel de dÉveloppement incertain

Par comparaison à d’autres pays de l’OCDE où il possède une certaine maturité ([2]), le quick commerce se présente comme un secteur économique très récent en France. En effet, son émergence sur le territoire national coïncide pour l’essentiel avec la récente crise sanitaire provoquée par l’épidémie de covid-19, le phénomène acquérant un caractère perceptible et remarquable à compter du second semestre 2021.

L’affermissement de cette nouvelle activité marchande à cette époque particulière ne doit rien au hasard : elle s’inscrit dans un contexte où les restrictions à la circulation des personnes et à l’ouverture des commerces créaient les conditions d’une demande à satisfaire.

À bien des égards, une telle perspective – à l’origine de la création d’entreprises et de l’implantation d’opérateurs étrangers – paraît aujourd’hui révolue et la viabilité du quick commerce prête à débat. Face au changement des circonstances occasionnées par la fin de crise sanitaire et les aléas de la conjoncture économique, même si le secteur se distingue par sa capacité d’innovation, il n’en demeure pas moins confronté à deux interrogations fondamentales : en premier lieu, la perspective des débouchés au regard de la taille de la clientèle ; en second lieu, l’équilibre économique et financier de l’activité.

1.   Un modèle d’affaire disruptif répondant à des modes de consommation nouveaux

Même s’il se rattache fondamentalement au commerce en ligne, le quick commerce ne tend pas moins à en renouveler assez profondément le concept dans le domaine des produits du quotidien. En l’occurrence, il repose en théorie sur une offre de service qui prétend répondre à des besoins immédiats des consommateurs par une pleine exploitation des ressources offertes par la dématérialisation de la relation avec les clients, ainsi que par la diversification des canaux par lesquels ces derniers consomment.

Au-delà de la diversité des formes et modalités d’intervention, le quick commerce repose sur deux fondements : en premier lieu, un service commercial en ligne destiné à la livraison rapide de produit ; en second lieu, un écosystème associant désormais une multiplicité de formats commerciaux.

a.   Une vente à distance fondée sur l’usage des nouvelles technologies de la communication et l’exigence d’une livraison express

● En premier lieu, le quick commerce se définit comme une activité commerciale de vente à distance de produits de grande consommation, réalisée par voie télématique, similaire au commerce en ligne. L’information sur la disponibilité des produits, l’établissement des commandes et leur règlement, ainsi que l’organisation de la livraison ou du retrait des produits s’effectuent par le biais d’une application ou d’un site internet mis en place à cet effet par chaque enseigne. D’après l’état des lieux dressé devant la mission, les opérateurs semblent également accorder une place privilégiée à cet outil de communication électronique dans le recueil des demandes des consommateurs, ainsi que pour le traitement des réclamations formulées dans le cadre du service après-vente.

● En deuxième lieu et surtout, le concept du quick commerce repose sur l’engagement d’une livraison à domicile ou de la possibilité d’un retrait en point de vente dans des délais extrêmement brefs, inférieurs à l’heure. Participe également de l’offre de service du secteur une disponibilité des produits sur une large plage horaire, potentiellement sur l’ensemble de la semaine.

D’après les éléments recueillis par la mission, le temps qui sépare le règlement d’une commande de la livraison ou de la mise à disposition effective des produits s’élève désormais à 30 minutes. On notera qu’une telle durée moyenne, variable suivant les opérateurs et les enseignes, marque un certain allongement des délais de livraison eu égard à la promesse originelle d’un acheminement vers le domicile des consommateurs en dix ou quinze minutes.

● En dernier lieu, le quick commerce se caractérise par l’organisation d’une chaîne logistique très décentralisée, qui s’appuie sur des implantations situées à proximité immédiate des lieux d’achalandise et à partir desquelles opère un service de livraison. Le développement de procédés de traitement rapide des commandes et la mise en place d’un maillage répondent à la nécessité de pouvoir remplir l’engagement d’un acheminement des produits vers les consommateurs dans des délais contraints. Ils constituent la condition nécessaire du fonctionnement opérationnel du modèle d’affaire. Suivant le champ d’activités des opérateurs, il convient de distinguer trois types d’établissements.

Le premier type d’établissements – le plus connu du grand public – est celui des « dark stores ». Ce vocable désigne communément des locaux destinés au stockage et à l’entreposage des produits, ainsi qu’à la préparation des commandes passées à distance.

À vocation logistique, ils n’accueillent pas de clientèle. D’après la description fournie par les représentants du Laboratoire Ville, Mobilité, Transport de l’université Gustave Eiffel, les dark stores semblent désormais posséder un agencement type. Ce dernier comporte trois espaces :

– premièrement, une zone consacrée à la préparation, mise en sac et à la récupération des commandes, proche de la sortie, à l’endroit d’ordinaire occupé par les caisses ;

– deuxièmement, une zone d’entreposage des produits, équipée d’étagères et de rayonnages souvent similaires à ceux d’une supérette, et qui occupe souvent la plus grande surface des locaux ;

– troisièmement, une zone de froid destinée à la conservation des produits et des denrées (qui abrite des réfrigérateurs et congélateurs alignés).

Outre la structuration des locaux, la gestion du temps imparti au traitement des commandes donne lieu à un rangement optimisé des produits. Dans une logique de rendement et d’efficacité de la préparation, leur emplacement est déterminé de sorte de limiter les déplacements du personnel et de faciliter l’accès aux articles les plus consommés. Il existe ainsi de véritables parcours organisés en fonction des analyses fournies par les algorithmes à propos de la composition des paniers des consommateurs.

Des éléments recueillis par la mission auprès de plusieurs opérateurs, il ressort que l’organisation des darks stores connaît une certaine homogénéisation. Ce mouvement semble par ailleurs comporter l’aménagement de nouveaux espaces, avec la création ou la mise à disposition de salles de pause à l’intention du personnel, ainsi que l’ouverture d’espaces pour l’accueil des véhicules utilisés par les livreurs, sans que les indépendants soient admis au sein des locaux.

Les travaux des rapporteures ne permettent pas cependant de conclure à la généralité de cette évolution. En effet, certains signalements portés à leur connaissance portent à considérer que l’aménagement des dark stores diffère suivant l’ancienneté de leur création, la superficie et les caractéristiques du bâti, ainsi que la politique des opérateurs.

plan type d’un dark store À paris

Source Creusé et alii, espace fonctionnel au sein d’un dark store à Paris, Photo Chaire Logistics City, 2022 ([3])

Les dark kitchens constituent le second type d’établissements caractéristique de l’infrastructure logistique du quick commerce.

Suivant une définition largement admise, il s’agit de services de restauration commerciale qui, installés dans des locaux aveugles, proposent exclusivement des repas cuisinés à emporter ou à livrer. Dépourvus de salles ou d’espaces de restauration, ils se distinguent des restaurants en ce que de manière intrinsèque, leur modèle d’affaire ne comporte pas à proprement parler d’accueil du public.

En revanche, rien ne permet de conclure qu’il existerait par principe des différences radicales sur le plan de l’agencement des locaux, de l’équipement des cuisines ou de l’organisation des circuits dans la conservation, la préparation, la cuisson et la livraison des plats commandés. Ainsi que peut le suggérer la visite des cuisines de Quick établies sur le site commercialisé par l’entreprise Cooklane au 32-36 avenue Reille à Paris (14e), l’aménagement d’une dark kitchen obéit à une certaine standardisation. Il en résulte que les installations peuvent présenter de nombreuses similitudes avec les installations présentes au sein de véritables restaurants, à l’exception des salles dévolues au suivi et traitement des commandes, ainsi que des espaces utilisés pour la remise des plats cuisinés aux livreurs.

Au regard du fonctionnement des dark stores et des dark kitchens, les « drives piétons » font figure de troisième modèle.

Relèvent de cette catégorie les établissements qui proposent aux consommateurs le retrait à des comptoirs ou dans des casiers connectés ([4]) des courses achetées en ligne. Leurs locaux peuvent être adossés à des supermarchés existants détenus par des grandes enseignes de la distribution auxquelles ils appartiennent. Ils peuvent être aussi implantés sur des sites distincts et fonctionner de manière indépendante. Dans cette dernière configuration, on parle de « drive piétons solos ».

Exclusivement dévolus au retrait des commandes, les « drives piétons » occupent souvent de petits locaux pourvus de bornes de retraits, d’armoires et de réfrigérateurs destinés à stocker les livraisons du jour ou de la demi-journée. La préparation des commandes se déroule dans des entrepôts généralement séparés au plan géographique.

b.   Une économie caractérisée par la multiplicité des acteurs et formats commerciaux

De fait, le quick commerce forme un véritable écosystème au sein duquel coexistent de multiples canaux de distribution qui concourent à la diversité de l’offre, ainsi qu’à sa complexité. La structuration du secteur découle aujourd’hui des positions occupées par trois catégories d’intervenants qui, quoique ne possédant pas le même cœur de métier, entretiennent des rapports de concurrence mais aussi de coopération.

i.   Les pure players

Au premier rang, figurent naturellement les opérateurs du quick commerce proprement dits. Il s’agit des entreprises qui exercent exclusivement dans cette branche d’activité, à l’exemple de Getir, de Flink ou de Gopuf et, encore récemment de Gorillas, Frichti ou Cajoo. Pour ce qui concerne les dark kitchens, on peut citer Taster, Not so dark ou Devor.

Acteurs du commerce en ligne comme précédemment indiqué, leur offre de services consiste en la fourniture expresse de produits de grande consommation, au moyen :

– des outils procurés par les nouvelles technologies de l’information et de la communication ;

– d’une chaîne logistique reposant sur le maillage formé, selon le cas, par des dark stores ou des dark kitchens ;

–  des prestations d’un service de livraison.

Au-delà des traits fondamentaux du modèle d’affaire, l’organisation de l’activité et le fonctionnement des opérateurs peuvent diverger sur les ressources et les modes opératoires. Ces singularités portent notamment sur :

– les modalités d’approvisionnement en produits ;

– les conditions d’implantation sur le territoire ;

– le statut des personnels employés au sein des dark stores et des dark kitchens ;

– l’internalisation ou l’externalisation du service de livraison, avec un clivage entre des opérateurs qui emploient des salariés et ceux qui recourent à des autoentrepreneurs pour l’accomplissement de ces prestations.

ii.   Les enseignes de la grande distribution

Au second rang, on trouve les enseignes traditionnelles de la grande distribution. L’intérêt porté au secteur du quick commerce se révèle assez inégal en fonction de leur modèle d’affaire. Il procède de deux considérations :

– d’une part, la nécessité de s’adapter à l’évolution des usages de consommation : du fait de la numérisation progressive du commerce, les clients réalisent déjà un nombre croissant de leurs courses en ligne et, demain, on pourrait assister à la généralisation de parcours d’achat comportant un premier contact par voie électronique et s’achevant dans un magasin physique ; cette évolution impose aux enseignes de la grande distribution de concevoir et mettre en place une offre omni-canal ;

– d’autre part, l’intérêt d’une diversification des circuits de distribution permettant de répondre à la demande de nouvelles clientèles dans les centres urbains : pour certaines grandes enseignes à l’exemple de Carrefour ou de Casino, l’investissement dans le quick commerce ouvre la perspective d’un renouvellement de leur présence dans des centres-villes, ainsi que la possibilité de s’adresser à des consommateurs peu enclins à effectuer de longs trajets ou à passer du temps dans de grandes surfaces afin de s’approvisionner en produits du quotidien.

L’investissement des grandes enseignes de la distribution dans le secteur du quick commerce prend concrètement deux formes.

● En premier lieu, il se matérialise par le développement de formats de distribution complémentaires de celui des grandes surfaces.

La démarche peut donner lieu à une offre de services s’appuyant sur des magasins existants ou sur de nouvelles implantations. Telle est la politique du groupe Auchan qui, d’après l’inventaire présenté aux Rapporteures, exploite désormais trois concepts.

Les concepts exploités par le groupe Auchan

dans le secteur du quick commerce

 

 Auchan Piéton

Il s’agit de magasins qui permettent le retrait par les consommateurs des produits commandés en ligne à un comptoir physique. Les locaux occupent une surface comprise entre 80 et 150 mètres carrés pour le stockage des commandes et une offre de dépannage en libre-service.

Selon leur taille, les magasins peuvent également abriter de 500 à 2 000 produits proposés à la vente sur place. Ils peuvent comporter des services associés (point de la Poste, retrait de colis, billetterie, etc.).

Ils se localisent dans des villes importantes et sur des axes passants (avec 6 000 habitants à moins de 500 mètres). Le groupe Auchan les conçoit comme des acteurs de flux en centre-ville.

– Auchan Core

Cette formule consiste en la fourniture de produits de grande consommation par retrait ou livraison depuis les supermarchés urbains du groupe. Elle s’adresse à une clientèle trop éloignée des points de vente et à des consommateurs qui n’ont pas le temps ou la possibilité d’effectuer leurs courses par eux-mêmes. Préparée en quinze minutes, la commande peut être remise en mains propres sur place ou livrée à domicile grâce à Deliveroo.

Les magasins proposant l’offre de service « Auchan Core » peuvent se situer sur des emplacements secondaires (par rapport au sein des Auchan piétons dont la formule nécessite l’implantation sur un axe passant).

 Welcome Store Auchan Minute / Hop

L’offre de service repose sur des points de vente ouverts sept jours sur sept, de 8 heures à minuit. Elle comporte la remise sur place de produits achetés en ligne ou leur livraison au domicile des clients, dans le cadre d’un partenariat avec Deliveroo. Elle se donne pour objectif la préparation de la commande en ligne grâce à l’optimisation des conditions de stockage. Certains Auchan Minute proposent le retrait de tous les produits Auchan dans un délai de 3 heures après la commande.

Les Welcome Store Auchan Minute/Hop possèdent un espace d’accueil des clients mais également des livreurs (avec une zone d’attente à l’intérieur des magasins). Ils abritent par ailleurs des services relevant de la vie du quartier (tel que le retrait de colis).

Les magasins sont implantés dans les métropoles de plus de 100 000 habitants et couvrent une zone d’achalandise de 4 kilomètres.

Source : réponses aux questionnaires de la mission.

Même si ses représentants se défendent d’appartenir au secteur du quick commerce, il convient également de citer le concept des relais et drives piétons conçus par l’enseigne E. Leclerc. Dans le cadre de ce format, l’enseigne permet aux consommateurs de retirer des produits commandés sur Internet. Les relais peuvent également assurer la livraison des produits à domicile mais dans des délais qui ne prétendent pas concurrencer ceux du quick commerce. Ils diffèrent également de ce modèle par les conditions d’acheminement des produits (directement depuis un entrepôt), qui exclut toute préparation sur place.

En plus du commerce alimentaire, les sites peuvent accueillir des relais colis ou les services de divers prestataires extérieurs (à l’exemple d’activité de pressing s’appuyant sur les points relais). D’après les données fournies par la direction générale des entreprises, on dénombre une centaine de relais piétons sur le territoire national (dont 83 en province et 19 à Paris).

Une telle formule paraît désormais assez largement reprise par la concurrence, à l’exemple des implantations développées par Auchan, Monoprix ou Carrefour.

Les drives piétons du groupe Carrefour

Carrefour dispose d’une bonne centaine de drives piétons en France, la grande majorité située en région parisienne. Depuis 2021 et l’ouverture à Paris d’un premier magasin, le maillage du groupe comprend des implantations qui fonctionnent dans le cadre d’un partenariat conclu avec la filiale de La Poste, Pick up drive.

Associant les formats drive piéton et point relais, ces structures proposent deux services : d’une part, le retrait des courses alimentaires réalisées sur le site Carrefour.fr, suivant le fonctionnement d’un drive piéton ; d’autre part, le retrait ou le dépôt de colis qui permet de recevoir ou de retourner leurs colis e-commerce (Colissimo, Chronopost, DPD France) commandés sur l’un des 8 000 sites e-commerçants proposant les livraisons « hors domicile ».

D’après la communication des groupes La Poste et Carrefour, ce modèle a vocation à être étendu dans les grandes agglomérations françaises.

Source : Denis Fainsilber, « Carrefour et La Poste combinent drive piéton et retrait de colis », Lesechos.fr, 26 mai 2021.

Au-delà, certains acteurs de la grande distribution s’engagent sur le créneau du quick commerce par le développement d’une offre de services identique à celle des opérateurs du secteur.

Il en va ainsi notamment du groupe Carrefour qui, depuis octobre 2021, propose le service Carrefour Sprint. Fondé sur un accord qui associe des opérateurs du quick commerce et la plateforme de livraison de repas à domicile Uber eats, l’offre porte sur la livraison en une quinzaine de minutes de produits contenus dans un catalogue de 2 000 références correspondant à des produits du quotidien ([5]).

● En second lieu, l’engagement des acteurs de la grande distribution se traduit par la conclusion d’alliances ou de coopérations ponctuelles avec les opérateurs du quick commerce.

De manière générale, les accords en vigueur apparaissent motivés par la recherche d’un partage des compétences et de synergies susceptibles de conforter chacune des parties dans son cœur de métier et de lui offrir des relais de croissance. D’après les informations rendues publiques, ils aboutissent à l’établissement de partenariats plus ou moins approfondis qui peuvent avoir pour trois principaux objets et enjeux.

– tout d’abord, l’approvisionnement des opérateurs du quick commerce et les modalités de commercialisation des produits de la grande distribution : dans ce genre de coopération, les enseignes traditionnelles peuvent fournir des articles de leur assortiment en contrepartie de leur référencement et de leur vente sur le site des opérateurs du quick commerce, à l’exemple de l’accord signé en novembre 2021, entre le groupe Casino et Gorillas ([6]).

– deuxièmement, l’usage de la chaîne logistique et du service de livraison mis en place par des opérateurs du quick commerce : aux termes de ces accords, les opérateurs assurent tout ou partie de la préparation des commandes passées sur le site des enseignes de la grande distribution, ainsi que l’acheminement des articles au domicile des clients ou dans les points de retrait choisis par ces derniers.

Pour les enseignes traditionnelles, de tels partenariats peuvent permettre d’étoffer la clientèle en ligne, d’apporter aux magasins franchisés une activité supplémentaire, facteur de valorisation du fonds de commerce et d’accroissement des recettes. Du point de vue des opérateurs du quick commerce, ils présentent l’intérêt de bénéficier de l’accès aux centrales d’achat des acteurs de la grande distribution, d’optimiser les sites de préparation en mutualisant les préparations et en refacturant un coût complet de prestation de services.

À bien des égards, Carrefour sprint offre l’illustration la plus éclairante du partage des tâches et des positionnements auxquels peut aboutir la coopération nouée entre les acteurs.

L’offre Carrefour Sprint

Lancé à la fin d’octobre 2021, le service Carrefour Sprint procède du partenariat fondé initialement entre Carrefour, Uber eats et Cajoo. L’offre porte sur la distribution des produits Carrefour. L’accord organise une répartition des tâches entre l’ensemble des parties prenantes suivant le schéma suivant :

Uber Eats propose le service Carrefour Sprint, sur son application, comme une enseigne supplémentaire de livraison de courses ;

Flink prépare une partie des commandes Carrefour Sprint (en fonction de la localité) ; des magasins franchisés Carrefour peuvent assurer ces prestations à titre volontaire ;

Uber eats réalise les livraisons de Carrefour Sprint.

Parce que la société a racheté Cajoo en mai 2022 et a confirmé le partenariat avec le groupe Carrefour, Flink dispose d’un accès à la centrale d’achat de ce dernier.

On notera qu’en dehors de telles coopérations, le rapprochement opéré par les acteurs de la grande distribution a conduit à de rares prises de participation dans le secteur du quick commerce. D’après les éléments publics, seuls Carrefour et Casino figurent ou figuraient au capital de certains opérateurs ([7]).

iii.   les plateformes de mise en relation et de livraison

Même si la livraison expresse ne constitue pas nécessairement le cœur de leur modèle d’affaire, les plateformes de mise en relation et de livraison peuvent être classées parmi les acteurs du quick commerce dans la mesure où elles interviennent dans l’économie du secteur. Dans une approche extensive, appartiennent à cette troisième catégorie :

– les plateformes spécialisées dans la livraison alimentaire et qui nouent des partenariats avec les enseignes de la grande distribution, à savoir Uber eats, Deliveroo et Just Eat ;

 les spécialistes de l’e-commerce qui développent une activité de livraison expresse, tels que Monmarché.fr, Picnic et La belle vie ;

Les plateformes participent à l’écosystème par :

– le référencement et la vente des produits des enseignes de la grande distribution, à l’instar de Deliveroo ou d’Uber eats qui proposent respectivement sur leurs sites les produits de Casino ou de Carrefour ; on notera cependant que presque toutes les enseignes de la distribution bénéficient de cette exposition (à l’exemple de Monoprix, U express, Intermarché, Franprix, Bio c bon) ;

– la mise en relation avec les dark kitchens et la commercialisation de leurs produits : d’après les estimations communiquées par la direction générale des entreprises, on en recenserait près de 200 sur le site Uber eats et 30 sur celui de Deliveroo.

 l’acheminement au domicile des clients ou à un point retrait dans les standards de livraison du quick commerce, à l’instar de Deliveroo pour Auchan et Casino ou d’Uber eats pour Carrefour Sprint, ou encore de JustEat pour Getir (depuis novembre 2022).

En outre, certaines plateformes de livraison de repas à domicile ou sociétés investis dans le quick commerce s’engagent dans l’exploitation du concept de « cuisine déportée » ou « cuisine partagée ». Ce modèle possède de nombreuses similitudes avec celui des dark kitchens, ainsi que le montrent la formule « Deliveroo Editions » ou celle proposée par la société Cooklane.

L’offre commerciale consiste à mettre à la disposition d’entreprises de restauration, moyennant rémunération, des locaux de cuisine (Deliveroo) ou espaces de production (Cooklane) dans lesquels ces dernieres peuvent établir une activité de fabrication de plats cuisinés destinés exclusivement à la livraison. Les établissements n’accueillent pas de public. À l’exemple de l’emprise commercialisée par Cooklane au 32-36, avenue Reille à Paris, les sites peuvent héberger plusieurs services utilisateurs.

Les entreprises propriétaires (Deliveroo ou Cooklane) assurent l’acquisition des locaux, leur aménagement et leur équipement. Elles en détiennent la propriété. Le paiement des charges communes du bâtiment, telles que la maintenance, l’électricité, le chauffage, la gestion des déchets incombent aux services utilisateurs qui, par ailleurs s’acquittent du coût de leur propre consommation d’électricité, d’eau et de gaz (Cooklane). Mais il arrive que certaines entreprises propriétaires prennent en charge tout ou partie les coûts opérationnels de fonctionnement des sites (Deliveroo).

Les rapports commerciaux avec les entreprises de restauration procèdent :

– de contrats de services ou de contrats commerciaux qui ne relèvent pas de la catégorie des baux commerciaux (Deliveroo) ;

– de licences d’utilisation d’espaces de production (Cooklane).

Les contrats présentent un caractère renouvelable et des durées variables. Ils formalisent les obligations des entreprises utilisatrices relatives à l’occupation des locaux, au respect des règles de sécurité et d’hygiène des lieux, aux modalités de traçabilité et aux conditions d’exercice de l’activité. De manière générale, en tant que responsables ide la gestion de leurs équipes, elles sont tenues de pouvoir assurer le fonctionnement de la cuisine pendant le temps de mise à sa disposition.

Les partenariats peuvent inclure des services proposés aux entreprises de restauration ayant pour objet la gestion des sites, voire un accompagnement commercial, marketing et opérationnel tendant à la promotion et au développement de l’activité (Deliveroo).

La rémunération perçue par les entreprises propriétaires des sites peut prendre la forme :

– d’un système de commissions et de redevances au titre de la mise à disposition et du fonctionnement des locaux, fixées en considération de l’activité et du chiffre d’affaires potentiel des services utilisateurs (Deliveroo) ;

– d’une licence mensuelle au titre de l’utilisation de l’espace de production, en rapport avec les caractéristiques des lieux et l’activité des services utilisateurs (Cooklane).

D’après les explications fournies à la mission, les partenariats ne comporteraient pas de clauses relatives à la commercialisation des produits fabriqués par les entreprises de restauration utilisant les « cuisines partagées ». Celles-ci demeureraient libres dans la détermination des circuits de distribution et des prix pratiqués. Elles conserveraient le choix de recourir à des services d’intermédiation proposés par les plateformes, y compris dans les sites gérés par Deliveroo.

L’exploitation de cuisines partagées :

les exemples de Deliveroo Editions et de Cooklane

 

La formule « Deliveroo Editions »

Développée en France depuis 2018, l’exploitation de « Deliveroo Editions » donne lieu à la création de « cuisines partagées » susceptibles d’accueillir plusieurs services de restauration partenaires de Deliveroo France. L’offre de service s’adresserait à des entreprises désireuses d’étendre leur capacité d’achalandise en leur permettant de desservir des zones hors de leurs implantations et/ de mesurer le potentiel commercial de ces dernières.

Les locaux mis à disposition des entreprises utilisatrices comprennent une cuisine propre d’une vingtaine de mètres carrés ainsi que des espaces communs de stockage dans chacune des chambres (sèche, positive et négative) prévues à cet effet. Par ailleurs, les équipes des restaurants auraient un accès à un espace de repos, ainsi qu’à des vestiaires, sanitaires et douches. Les sites exploités dans le cadre de la formule « Deliveroo Editions » seraient tous visibles depuis l’espace public.

Ceux-ci accueillent aujourd’hui près d’une quarantaine de restaurants partenaires. Ils se localisent en région parisienne, à Bordeaux, à Lille et à Toulouse.

L’offre de Cooklane (l’exemple du 32-36 l’avenue Reille à Paris)

Lancée depuis janvier 2022 en France, l’offre de Cooklane propose la mise à disposition d’espaces de production qui peuvent accueillir trois catégories d’acteurs :

– des chaînes de restauration qui cherchent à s’implanter dans de nouvelles zones, telles que Quick, Courtepaille, Big Mamma, etc. ;

– des entreprises de restauration qui ont besoin d’un laboratoire de production pour approvisionner leurs autres restaurants ou points de vente avec une logistique simplifiée ;

– de « petits entrepreneurs » qui s’efforcent de se lancer dans le secteur de la restauration à moindre coût.

Les licences d’utilisation des espaces de production prévoient en général un engagement de 12 mois renouvelable, même si des contrats d’une durée inférieure (en moyenne de six mois) peuvent être conclus à la demande de certains clients. Les partenariats ne comportent pas la fourniture ou l’offre de services de livraison.

D’après les observations réalisées sur le site du 32-36 avenue Reille, les locaux possèdent une organisation standard qui se compose de cuisines équipées, de chambres de stockage, de vestiaires et d’espaces de repos. Selon les informations communiquées par Cooklane, les entreprises utilisatrices peuvent bénéficier d’espaces de vente à emporter, si la configuration des lieux le permet.

Cooklane met actuellement à la disposition de sa clientèle 200 espaces de production répartis sur neuf sites établis dans de grandes villes de la région parisienne (Paris 14e, Montreuil, Boulogne-Billancourt, Ivry-sur-Seine, Puteaux, La Défense), ainsi qu’à Lyon, à Marseille et à Lille.

Source : réponses au questionnaire de la mission.

2.   Un commerce conservant toutefois le caractère d’un marché de niche

L’essor spectaculaire de l’offre de services ne saurait en effet raisonnablement occulter une réalité : à ce jour, le quick commerce occupe encore un segment marginal dans son champ d’activité et spécifique du point de vue des besoins, des goûts ou des références auxquels il répond.

En termes économiques, le phénomène se révèle assez circonscrit au regard de la part prise sur le marché de la livraison des produits alimentaires, ainsi que sa diffusion à l’échelle du territoire et parmi les consommateurs.

a.   Un poids insignifiant dans la livraison des produits à domicile dans le cadre du e-commerce

● En premier lieu, l’ensemble des données disponibles mettent en lumière la part de marché relativement restreinte du quick commerce au regard des volumes livrés.

D’après les chiffres fournis par les Nielsen IQ, les ventes des opérateurs du quick commerce stricto sensu représentaient 12 % des achats alimentaires livrés à domicile en 2021 à l’échelle du pays ([8]). Il s’agit d’une part de marché inférieure à celle qu’occupent Uber eats et Deliveroo (14 %) surtout des livraisons réalisées par les hypers et supermarchés (48 %) à la même période. De même, les opérateurs du quick commerce assurent 24 % des livraisons à domicile. Selon l’IRI ([9]), le taux de pénétration des ventes du quick commerce se limitait à 1,5 % en 2020 et 2021, concentré dans quelques grandes villes françaises.

On soulignera cependant que le poids du secteur sur ces deux marchés atteint un tout autre niveau à Paris et en Île-de-France. Ainsi, dans la capitale, il compte pour 24 % des produits alimentaires livrés à domicile et même 49 % des livraisons à domicile le jour même. D’après les chiffres de Médiamétrie évoqués par la DGCCRF ([10]), la fréquentation des sites de Cajoo, Gorillas, Getir, Frichti, Flink et Gopuff atteignait les 636 000 visiteurs uniques en avril 2022, ce qui équivaut à celle d’un grand hypermarché à Paris. Enfin, le taux de pénétration mesuré par l’IRI s’élève à 3,9 % en Île-de-France et même à 10,2 % à Paris en 2020 et 2021.

● En second lieu, il apparaît que le quick commerce génère aujourd’hui un chiffre d’affaires assez modeste.

Ce constat vaut au plan global puisque d’après les plus récentes estimations, ce dernier s’élevait pour l’ensemble du secteur à 122 millions d’euros en 2021. Quoique ce montant ait connu une croissance de 86 % en un an, il ne représente qu’une proportion infime du marché alimentaire en ligne. Au terme du même exercice, celui-ci atteignait près de 9 milliards d’euros (en croissance de 50 % sur deux ans).

Le chiffre d’affaires du secteur peut être également relativisé au regard du volume d’activité réalisé par d’autres acteurs du commerce des produits du quotidien tels que les enseignes de la grande distribution. Il ressort ainsi des données communiquées à la mission que, s’agissant du groupe Carrefour, les ventes qui relèvent du quick commerce occupent une place marginale dans le chiffre d’affaires des activités d’e-commerce de livraison à domicile. Elles représentent un pourcentage infime du chiffre d’affaires global e-commerce France (drive inclus) et du chiffre d’affaires global de Carrefour France.

b.   Une offre concentrée dans les métropoles et certaines grandes villes françaises

Ainsi que le montrent les cartes reproduites ci-après, la diffusion du quick commerce ne concerne aujourd’hui que les tout premiers centres urbains du pays, à commencer par Paris et sa banlieue.

la rÉpartition des dark stores en France

fin septembre 2022

Source : Mathieu Fazillau, « Darkstores vsDrive Piéton », NielsenIQ TradeDimensions Spectra, 2022.

La capitale et – à un moindre degré – la petite couronne abritent l’essentiel des implantations du secteur à l’échelle du pays, soit près de 72 % des dark stores et 60 % des dark kitchens au début de l’année 2022.

D’après les travaux de l’APUR ([11]) et ceux du Laboratoire Ville, Mobilité, Transport de l’université Gustave Eiffel ([12]), on pouvait ainsi recenser il y a un an :

– de 60 à 69 dark stores à Paris et une trentaine en petite couronne sur les (200 dark stores en France) ;

– 57 drives piétons solos et 150 drives piétons adossés à un magasin à Paris (sur 500 drive piétons à l’échelle nationale) ;

– une trentaine de dark kitchens à Paris.

Il ressort de ces deux études qu’à Paris, les dark stores et les dark kitchens se localisent en majorité sur la rive droite. S’agissant du second type d’établissements, on observe une forte concentration dans les 2ème, 3ème, 9ème, 10ème et 11ème arrondissements.

localisation des dark stores À paris

et en petite couronne au premier trimestre 2022

Source : Creusé et alii, Carte de localisation des dark stores suivant les données collectées sur société.com, Chair Logistics City, 2022.

 

localisation des dark kitchens À paris

et en petite couronne au premier trimestre 2022

Source : Atelier parisien d’urbanisme (APUR)

Ailleurs dans l’Hexagone, il existe des pôles bien plus secondaires qui correspondent aux métropoles d’envergure nationale.

Il en va ainsi pour les dark stores. D’après les chiffres communiqués par l’APUR, on dénombrait ainsi 71 établissements en mai 2022, implantés, dans les six principaux ensembles urbains que constituent :

– la métropole de Lyon (16 dark stores) ;

– Marseille (12)

– Lille/Marcq-en-Bareuil, Lambersart (11)

– Bordeaux (7)

– Toulouse (6)

– Nice (4)

– Montpellier (4) ;

La localisation des dark kitchens apparaît plus diffuse, avec :

– 30 % des établissements situés dans les principales agglomérations en dehors de Paris (Marseille, Lille, Lyon, Bordeaux, Toulouse et Rennes) ;

– 10 % dans de plus petites villes.

Une telle géographie s’explique par les conditions d’équilibre économique et opérationnel inhérentes au modèle d’affaire des opérateurs du quick commerce. En l’occurrence, celui-ci exige le respect de plusieurs critères dans le choix des sites d’implantation :

– en premier lieu, la présence d’un bassin de population à forte densité et possédant le potentiel d’un marché de consommateurs à raison de ses caractéristiques socio-démographiques : il s’agit là d’une condition nécessaire à l’acheminement rapide des commandes vers un maximum de consommateurs et, par conséquent, à l’optimisation des coûts d’un service de livraison ;

– en deuxième lieu, l’accès à des voies de circulation offrant une desserte aisée et rapide des lieux de consommation couverts par les opérateurs ;

– en dernier lieu, la possibilité de disposer des locaux de plain-pied susceptibles d’accueillir facilement l’activité des dark stores : en dehors de l’accessibilité, l’aménagement des sites et les caractéristiques du bâti ne paraissent pas revêtir une importance primordiale ; d’après les témoignages recueillis, le choix des bâtiments semble avant tout obéir aux circonstances et à une appréciation des opportunités, en considération des emprises commerciales disponibles – si possible non vétustes – , du coût de l’emménagement et de l’objectif de devancer la concurrence dans la prise d’un marché local.

De manière générale, la zone d’achalandise couverte à partir des dark stores s’étend dans un rayon compris entre 1,5 et 3 kilomètres, ce qui correspond au périmètre d’un centre-ville élargi.

Pour l’essentiel, la localisation des dark kitchens répond à des facteurs à des contraintes très similaires. Le choix d’emplacements en zones urbaines, dans des zones densément peuplées et bien desservies, procède de la nécessité de pouvoir livrer des plats chauds, dans le respect des normes sanitaires et des délais exprès.

Toutefois, l’analyse des sites investis met en exergue deux spécificités :

– en premier lieu, la présence des dark kitchens dans des secteurs plus périphériques, ainsi que le montre la carte de leurs installations à Paris et en petite couronne ;

 en second lieu, l’occupation de locaux plus vastes, en rapport avec les contingences techniques de la confection et de la livraison de repas cuisinés mais aussi de l’installation de plusieurs entreprises : suivant l’étude de l’APUR, on peut observer la présence de dark kitchens dans des communes limitrophes de Paris, de l’autre côté du boulevard périphérique, qui comprennent souvent 15 ou 20 enseignes (cuisines) différentes dans un même grand entrepôt reconverti ; l’exemple des espaces commercialisés par Cooklane au 32-36 avenue Reille montre que de telles implantations peuvent aussi s’établir dans la capitale.

c.   Une clientèle urbaine au profil sociologique marqué

En l’état de son développement, il s’avère en effet que le quick commerce représente un mode de consommation peu répandu en France. Il ressort ainsi des données de l’IRI que les foyers utilisent encore peu ce type de services : en 2022, seuls 1,7 % des Français auraient fait l’expérience de cette nouvelle offre de commerce.

Dans une certaine mesure, une diffusion aussi restreinte s’explique par un déficit persistant de notoriété. D’après l’étude réalisée par YouGov en décembre 2021, seuls 7 % des personnes interrogées déclaraient savoir vraiment ce qu’était le quick commerce et moins de 10 % connaissaient alors les acteurs majeurs du secteur comme Gorillas (8 %), Flink (5 %) ou Getir (3 %).

Au-delà, l’analyse des comportements d’achats tend à établir que l’usage des services du quick commerce demeure le fait d’un public circonscrit et répond à des besoins spécifiques.

Au plan sociologique, il apparaît que les clients du secteur possèdent le profil des utilisateurs des sites d’achats de produits alimentaires en ligne, avec une surreprésentation de certaines catégories d’âge et de certaines catégories socio-professionnelles. L’état des lieux dressé par Nielsen et les opérateurs auditionnés par la mission montre que les consommateurs se recrutent plutôt parmi :

– les jeunes urbains : suivant les chiffres avancés par ses représentants, la clientèle de Flink se composerait de 60 % de personnes âgées de moins de 35 ans et 15 % ont plus de 45 ans ; la surreprésentation des jeunes parmi les consommateurs ressort également des données plus générales relatives aux livraisons de produits alimentaires à domicile, avec une part des opérateurs du quick commerce qui atteint 39 % chez les moins de 28 ans à Paris (contre une moyenne de 24 % sur le secteur) ;

– les familles de jeunes actifs, en particulier jeunes ménages de cadres, ainsi que des célibataires : d’après les chiffres fournis par Getir, 35 % des personnes en couple avec enfants se font livrer des courses toutes les semaines.

Ce diagnostic corrobore le portrait type établi par les adhérents de la FEVAD ([13]) suivant lequel les consommateurs du quick commerce sont majoritairement des hommes, d’un âge compris entre 25 et 34 ans, appartenant à la catégorie CSP + et vivant dans l’agglomération parisienne. D’après le profil établi devant la mission, les salariés représenteraient 76 % de la clientèle de Flink, suivis de très loin par les étudiants (13 %) et d’autres catégories (10 %).

Au plan géographique, comme précédemment indiqué, Paris et
d’Île-de-France s’imposent comme le tout premier marché de consommateurs du quick commerce.

D’après une récente étude du bureau 6t ([14]), 42 % des Parisiens qui achètent leurs courses en ligne au moins une fois par semaine ([15]) citent le quick commerce comme l’offre de service la plus utilisée, juste après celle des enseignes de distribution. Parmi les Parisiens qui effectuent des courses en ligne au moins une fois par mois ([16]), 64 % se font livrer en moins d’une heure.

Certes, le pourcentage ne correspond pas à la part des personnes interrogées qui recourent aux seuls opérateurs du quick commerce : selon les statistiques transmises par la FEVAD, seuls 4 % des achats de produits alimentaires en ligne seraient réalisés par le biais des applications du secteur ; seul 1 Parisien sur 10 utilise la livraison expresse. En soi, de tels chiffres invitent à ramener le phénomène à de justes proportions.

Ils n’en confirment pas moins l’émergence d’une demande de services en rapport avec de nouveaux usages de consommation qui accordent moins de place et de temps à l’acte d’achat.

Comme la baisse relative de la fréquentation des commerces physiques et un recours croissant au commerce en ligne, le développement du quick commerce paraît motivé par l’aspiration croissante des individus à disposer de leur temps libre et à se consacrer davantage à leurs priorités et centres d’intérêt personnels. Il participe d’une évolution des mentalités qui tend à reléguer la consommation parmi les servitudes de la vie quotidienne pour certains groupes sociaux. D’après les opérateurs auditionnés par la mission, les achats dans le secteur du quick commerce obéissent à deux motivations principales :

– premièrement, la facilité et la rapidité du service, qui donne une latitude dans la gestion du temps libre (pour passer plus de temps avec l’entourage familial et amical et profiter de ses loisirs) : d’après l’étude précitée du bureau 6t, 79 % des Parisiens citent le gain de temps comme la principale motivation des courses en ligne ;

– deuxièmement, la capacité de surmonter les difficultés personnelles que peuvent occasionner en pratique l’âge, l’éloignement, une situation de handicap, des pathologies psychologiques, etc.

3.   L’avenir incertain d’un secteur en voie de consolidation

Outre la taille et la profondeur du marché, le potentiel de développement du quick commerce peut susciter des interrogations au regard du net retournement qui, depuis le début de l’année 2022, affecte le climat des affaires et les fondements de l’activité. Après une expansion spectaculaire, le secteur semble en proie à de profondes restructurations et en quête de nouveaux équilibres – même s’il convient de réserver le cas des dark kitchens dont le dynamisme possède des ressorts différents.

Deux faits récents peuvent suggérer les difficultés et les défis qui entourent à présent l’offre de services : d’une part, l’évolution du nombre des entreprises et des ressources du secteur ; d’autre part, les tensions nouvelles sur l’équilibre du modèle d’affaire.

a.   Une concentration du secteur et une dynamique des investissements enrayée

En premier lieu, la consolidation du marché se matérialise par une réduction très significative du nombre des opérateurs du quick commerce présents en France. Alors que l’on pouvait encore dénombrer 9 entreprises spécialisées dans le secteur en avril 2022 ([17]), le marché national ne compte plus désormais que deux opérateurs qui font figure d’acteurs dominants :

– la société Getir, société turque créée en 2015 et présente dans 48 villes en Europe ;

– la société Flink, service de livraison d’origine allemande créée en décembre 2020 à Berlin et opérant sur trois marchés principaux en Europe (Allemagne, France et Pays-Bas) ; l’enseigne possède 19 établissements en France.

Ce duopole peut toutefois être considéré comme précaire et sans doute transitoire, au vu des difficultés et des incertitudes qui ont poussé la société Getir à annoncer, le 20 avril 2023, une demande de placement en redressement judiciaire ([18]).

On notera qu’il n’existe plus aujourd’hui d’entreprises françaises d’envergure parmi les opérateurs du quick commerce établis sur le territoire national. La structuration actuelle de l’offre résulte de deux mouvements complémentaires observés à compter du premier semestre 2022 :

– d’une part, une succession de retraits du marché : ont ainsi quitté l’Hexagone le Britannique Zap (à la mi 2022) et le russe Yango Deli ; à partir de septembre 2022, l’américain Go puff a fermé ses implantations dans les grandes villes françaises avant de retirer progressivement du marché parisien ; par ailleurs, la start-up Kol a cessé son service en janvier 2022, à la suite d’un placement en redressement judiciaire ;

– d’autre part, une multiplication des rachats et fusions absorptions entre opérateurs : en mars 2022, l’allemand Gorillas a ainsi absorbé l’entreprise française Frichti tandis qu’en mai 2022, Flink faisait l’acquisition de Cajoo, autre entreprise hexagonale ; en décembre 2022, est intervenu le rachat de Gorillas par Getir.

Les analyses développées devant la mission donnent à penser qu’en l’état du marché et compte tenu de l’évolution du cadre juridique, de nouveaux mouvements ne peuvent être exclus. De fait, des informations non confirmées faisaient état en février 2023 de discussions entamées entre Getir et Flink en vue d’un éventuel rapprochement.

Positions de Getir en France après le rachat de Gorillas

D’après les éléments communiqués par ses représentants, Getir possède aujourd’hui 39 établissements opérationnels en France, répartis entre :

– Paris (9) ;

– la petite couronne (Bagnolet, Boulogne-Billancourt, Clichy, Colombes, Fontenay-sous-Bois, Issy-les-Moulineaux, Levallois-Perret, Maisons-Alfort, Malakoff, Montreuil, Montrouge, Nanterre, Saint-Ouen, Saint-Maur, Villejuif, Vincennes, Vitry-sur-Seine) ;

– Marseille, Lyon et sa périphérie, Lille, Montpellier, Aix-en-Provence, Cannes et Grenoble.

À ces implantations, s’ajoutent potentiellement les établissements apportés par l’absorption de :

– Frichti : 19 établissements (dont 7 à Paris, 5 dans la petite couronne et 7 en province) ;

– Gorillas : 18 établissements (dont 10 à Paris, 3 dans la petite couronne ; 5 en province).

D’après les informations publiées par le Financial Times ([19]), la valeur de Getir à la suite de l’absorption de Gorillas pouvait être estimée à près de 10 milliards de dollars.

Source : réponses au questionnaire de la mission.

 

Les positions de Flink en France en 2023

D’après l’état des lieux dressé par ses représentants, Flink dispose d’établissements opérationnels pour l’essentiel en région parisienne, soit :

– à Paris intra muros

– en petite couronne (Boulogne-Billancourt, Neuilly, Levallois, Clichy, Asnières, Courbevoie, Colombes, Aubervilliers, Pantin, Les Lilas, Bagnolet, Montreuil ouest, Ivry‑sur-Seine, Vitry-sur-Seine, Villejuif nord, Montrouge nord et Issy-les-Moulineaux).

En province, Flink livre à Lille, Nantes, Lyon, Bordeaux, Toulouse, Montpellier, Marseille et à Nice.

À la suite du rachat de Cajoo en mai 2022, la valorisation de l’entreprise pouvait être estimée à près de 5 milliards d’euros ([20]) .

Source : réponse au questionnaire de la mission.

En second lieu, la dynamique présente du quick commerce à l’échelle nationale se traduit par un ralentissement des investissements réalisés dans le secteur, par comparaison aux niveaux constatés au moment du lancement des premières offres de services.

Les données dont dispose la mission ne permettent pas d’établir si cette décélération pèse sur le rythme des ouvertures et des fermetures des dark stores et des dark kitchens. En revanche, il apparaît que la consolidation du marché se trouve à l’origine d’une réduction du volume des flux financiers consacrés jusqu’à présent à son développement. Un tel constat s’applique en particulier aux levées de fonds réalisés par les opérateurs.

Rappelons que sur une période de dix-huit mois compris entre les exercices 2021 et le premier semestre 2022, leur montant représentait globalement près de 7 milliards d’euros.

Sous réserve de statistiques consolidées plus récentes pour le seul marché national, tout porte à conclure à une décroissance des sommes collectées en vue du financement de projets nouveaux dans le secteur. À l’exemple de Getir, qui aurait investi plus de 100 millions d’euros depuis son arrivée en France ([21]), il semble que les rachats occupent actuellement une part prépondérante des opérations financières réalisées et que les entreprises s’emploient désormais à rationaliser l’emploi de leurs ressources.

Levées de fonds dans le secteur du quick commerce

entre 2021 et 2022 à l’échelle mondiale

– Flink : 350 millions d’euros au début de l’année 2021, puis 750 millions d’euros levés en fin d’exercice ;

– Dija : 20 millions d’euros levés en mai 2021 ;

– Cajoo : 40 millions d’euros levés à l’été 2021 ;

– Gorillas : 250 millions d’euros levés au début de l’exercice 2021 puis 1 milliard d’euros ;

– Zapp : 100 millions d’euros levés en 2021 et 200 millions d’euros au début 2022

– Getir : 500 millions d’euros levés mi-2021, puis près de 800 millions d’euros en mars 2022 ;

Gopuff : 1 milliard d’euros levés mi-2021 et en cours de levée pour 1,5 milliard d’euros au dernier trimestre 2022.

Source : Lena Corot, « Sur fond de consolidation dans le quick commerce, Getir s’empare de Gorillas », l’Usine Nouvelle, édition électronique du 12 décembre 2022.

En dernier lieu, on remarquera que le secteur du quick commerce enregistre depuis 2022 un resserrement des conditions d’emploi.

À l’exemple de Getir en juillet 2022 ([22]), la plupart des opérateurs spécialisés ont annoncé ou procédé périodiquement à des réductions d’effectifs ([23]) d’une ampleur variable. Au-delà de cas individuels pour lesquels ont été invoqués des motifs disciplinaires ([24]), les témoignages portés à la connaissance de la mission donnent à penser qu’il s’agit pour l’essentiel de licenciements économiques.

Il n’existe pas aujourd’hui de données consolidées qui permettent un bilan actualisé des créations et suppressions de postes dans les derniers mois. Toutefois, deux facteurs déterminent manifestement les évolutions du niveau d’emploi :

– d’une part, les caractéristiques du marché du travail du quick commerce, marqué par une mobilité des actifs et une rotation assez importante sur des postes qui constituent soit un premier emploi, soit une activité d’appoint ;

– d’autre part, les impacts de la concentration du secteur et le positionnement des opérateurs : outre le retrait de certaines entreprises, la recherche d’efficacité dans le maillage du territoire rend probable, selon plusieurs observateurs auditionnés, la fermeture à terme de certaines implantations.

b.   Un modèle d’affaire confronté à une exigence renouvelée de rentabilité

De fait, les activités du quick commerce présentent aujourd’hui un caractère foncièrement déficitaire sur le marché national.

Ce diagnostic vaut, au premier chef, pour les opérateurs spécialisés. D’après les chiffres évoqués par plusieurs intervenants, Getir accuserait ainsi une perte de l’ordre de 22,5 millions d’euros en 2021 – alors que la société dégagerait des bénéfices au Royaume-Uni et en Turquie. On notera que le dernier exercice connu de l’opérateur Gorillas s’est soldé par un résultat négatif de près de 2 millions d’euros entre ses achats et ses ventes. Dans sa communication institutionnelle sur le bilan de l’exercice 2022 ([25]), la société Flink fait également état d’une absence de rentabilité de ses activités françaises et se fixe pour objectif de dégager des bénéfices à compter du dernier trimestre 2024.

Les analyses exposées devant la mission donnent à penser que la rentabilité ne va pas davantage de soi pour les activités des enseignes de la grande distribution relevant du quick commerce.

Il ressort ainsi de l’état des lieux dressé par les groupes Auchan et Carrefour que si certains services adossés aux implantations existantes atteignent l’équilibre dès leur lancement, d’autres formats plus nouveaux ne pourraient devenir rentables qu’à horizon de quelques années. De même, il semble que le modèle économique doit être conforté dans le cadre des partenariats noués par les enseignes avec les opérateurs du quick commerce : d’après les éléments recueillis par la mission, ces derniers permettent d’attirer de nouveaux clients mais ne dégagent pas nécessairement des bénéfices, à l’instar de la plupart d’autres offres du commerce en ligne.

En soi, les pertes financières ou les marges inexistantes ne préjugent pas de la capacité du secteur du quick commerce à trouver un équilibre d’exploitation opérationnelle. Elles n’en mettent pas moins en lumière les tensions qui s’exercent sur le modèle d’affaire dans un environnement économique changeant.

Dans une certaine mesure, les difficultés rencontrées par les différents acteurs du quick commerce peuvent revêtir une dimension conjoncturelle. Ainsi que l’ont relevé plusieurs opérateurs et personnes auditionnés, les opérateurs et les enseignes de la grande distribution subissent les effets de deux phénomènes à l’origine de la dégradation de la situation économique générale :

 d’une part, une résurgence forte et inattendue de l’inflation, qui pèse sur le pouvoir d’achat des ménages et modifie le comportement des consommateurs ;

– d’autre part, la remontée des taux d’intérêt, qui renchérit le crédit, affecte la valeur des investissements et placements financiers et peut pousser à de nouveaux arbitrages.

Un tel contexte retentit nécessairement sur la croissance du chiffre d’affaires et sur les conditions de financement des opérateurs. Il en résulte un changement des perceptions, défavorable à l’engagement et au maintien de l’activité. En effet, le secteur se caractérisait jusqu’à présent par un modèle de croissance extensive : le fort niveau d’investissement et de nombreuses levées de fonds permettaient une prise rapide de parts de marché et le financement de campagnes de communication ([26]).

Au-delà, le développement du quick commerce se heurte à des obstacles de nature plus structurelle.

Un premier facteur de déséquilibre réside dans le poids relatif des charges fixes supportées par les opérateurs spécialisés au regard de la profitabilité de l’offre de services.

Il convient d’abord de ne pas sous-estimer les coûts afférents à l’implantation des entreprises.

Leur importance varie naturellement selon qu’elles sont locataires ou propriétaires et, dans ce dernier cas, suivant les conditions d’acquisition des bâtiments (sur fonds propres ou par endettement). Comme précédemment observé, les opérateurs du quick commerce semblent avoir privilégié des emprises dont l’état nécessitait peu de travaux, de sorte de minimiser les coûts de l’aménagement. S’ils ne permettent pas de quantifier les dépenses, les éléments recueillis par la mission suggèrent toutefois que le souci d’investir au plus vite des marchés locaux a pu pousser à une relative indifférence à l’égard des cours immobiliers. Dès lors, on ne peut exclure que des opérateurs du quick commerce aient pu accepter des prix d’acquisition ou de location relativement élevés. Dans l’esprit de la mission, une telle hypothèse n’implique pas des comportements de surenchère, le rôle et l’impact des acteurs du quick commerce sur l’immobilier commercial restant à mesurer.

Plus substantiel, le coût relatif des services de livraison représente sans doute le poste de dépenses le plus susceptible d’obérer les résultats des entreprises.

Abstraction faite des rémunérations et des charges salariales, se pose la question du niveau du prix facturé pour l’acheminement des commandes à domicile ou dans des points de retrait.

Ainsi que l’a souligné M. Charlélie Bensoussan Gaubert, membre du cabinet Vertone, les tarifs constatés sur le marché (a minima 2,50 euros) font nécessairement de la livraison une activité à perte, compte tenu du seul niveau prévisible de rémunération horaire des livreurs (soit au-delà de 10 euros brut). Sous réserve d’une évaluation de l’ensemble des modèles, ils ne paraissent pas de nature à couvrir ou compenser les dépenses nécessaires à l’organisation du service ou participant de la politique de gestion des ressources humaines (telles que la fourniture d’équipements de sécurité ou la proposition de formations).

Dans son analyse du marché, le cabinet Vertone estimait du reste que le modèle économique ne pouvait être viable qu’à la condition que les livreurs puissent être toujours occupés et réalisent au moins trois livraisons par heure – « ce qui nécessite de réduire le nombre de dark stores servant une même zone de chalandise » ([27]).

En second lieu, le modèle économique apparaît fragilisé par un développement assis sur des fondements concurrentiels peu propices à l’équilibre commercial, au moins à court terme.

D’une part, une analyse empirique met en lumière la place primordiale accordée aux réductions et opérations promotionnelles dans la politique tarifaire de nombreux opérateurs du quick commerce.

Cette dernière consiste à assortir de manière fréquente la vente des articles de remises, de bons d’achat ou de remboursements qui tendent à atténuer le niveau supérieur du coût global des commandes. D’après les chiffres évoqués devant la mission par M. Charlélie Bensoussan Gaubert, membre du cabinet Vertone, la part des produits discounts pourrait représenter de 30 % à 40 % des paniers. Pour sa part, M. Frédéric Blache, membre du cabinet de conseil Eight Advisory, a pu estimer que le quick commerce réalisait en 2022 jusqu’à 70 % de vente sous coupon ([28]). Un tel chiffre corrobore peu ou prou les conclusions de l’étude de YipitData selon laquelle plus de 80 % des commandes passées au printemps 2022 chez Getir en France bénéficiaient de réductions ([29]). Il illustre la priorité donnée jusqu’alors au recrutement de nouveau clients.

D’autre part, il ne paraît acquis que les opérateurs parviennent aisément à fidéliser une clientèle assez versatile dans ses pratiques d’achat.

Suivant l’analyse des représentants de Nielsen, les consommateurs se montrent très sensibles à l’importance des promotions et réductions dont ils peuvent bénéficier. Ils changeraient d’enseigne en fonction des bons d’achat que les enseignes proposent abondamment (avec souvent, un premier panier d’achat presque intégralement remboursé). D’où la nécessité impérieuse pour les opérateurs de réaliser d’importantes dépenses marketing, de préserver leur compétitivité prix et de développer le volume et la valeur des paniers commandés.

Dès lors, les fragilités du modèle d’affaire, combinées aux aléas de la conjoncture, placent les opérateurs du quick commerce en France à un tournant. Audelà de la consolidation de son offre, le secteur joue à tout le moins sa place sur le marché du commerce en ligne.

Aux yeux d’un certain nombre d’observateurs, la part du quick commerce dans les livraisons alimentaires à domicile devrait stagner d’ici à 2026, sous la combinaison de trois facteurs : en premier lieu, la rationalisation du secteur ; en second lieu, l’arrivée de nouveaux acteurs (à l’exemple de PicNic) ; en dernier lieu, le maintien de la prépondérance des distributeurs traditionnels et des market places historiques sur le secteur de la livraison.

La mission n’entend pas ici trancher entre les appréciations divergentes qui peuvent s’élever sur ce point car à bien des égards, les aléas qui entourent l’évolution de l’offre de services rendent fragile tout pronostic quant à la capacité du quick commerce d’élargir le cercle de ses consommateurs à moyen terme.

B.   Des impacts Économiques et sociaux restant À mesurer MAIS potentiellement NON DÉNUÉS D’externalitÉs nÉgatives

Plutôt que de spéculer sur le devenir et le poids d’une activité en plein renouvellement, il importe en réalité de s’attacher dès à présent aux conséquences de son émergence. De ce point de vue, la mission a pu constater que les statistiques et les connaissances disponibles ne permettaient pas d’appréhender toutes les implications du développement en France de services de livraison expresse, en particulier dans ses aspects les plus pratiques. Cette difficulté tient au caractère récent du phénomène, ainsi qu’à la diversité des offres et modèles d’affaires, notamment entre les opérateurs spécialisés et les plateformes de mise en relation et de livraison.

C’est la raison pour laquelle les Rapporteures jugent indispensable de renforcer l’expertise mise à la disposition des pouvoirs publics et des acteurs du commerce. Cet objectif pourrait être atteint par la création d’un observatoire chargé du suivi des évolutions du commerce et de la livraison express, ainsi que des implications de son développement. De manière pratique, une telle fonction pourrait relever du Conseil national du commerce, instance dont le Gouvernement a annoncé la création en décembre 2022.

Proposition n° 1 : Créer un observatoire chargé du suivi des évolutions du commerce de la livraison expresse et des implications de son développement.

Dans cette démarche, deux sujets méritent sans doute une attention prioritaire au vu des signalements dont le quick commerce peut faire l’objet : en premier lieu, les répercussions de l’activité sur le potentiel des zones commerciales ; en second lieu, les conditions de ses implantations en milieu urbain.

1.   Des activités remettant en cause le potentiel des zones commerciales ?

Au terme des travaux de la mission, il ne saurait être apporté une réponse tranchée et univoque sur ce point. Outre les situations locales, la santé des commerces physiques dépend de multiples facteurs d’ordre structurel (tels que l’évolution des usages de consommation) ou encore conjoncturel (à l’exemple des répercussions des ralentissements économiques et de la crise sanitaire provoquée par l’épidémie de covid-19). Il ressort ainsi de l’analyse de plusieurs intervenants, dont les représentants de l’Atelier parisien d’urbanisme (APUR), qu’il peut être difficile de démêler ce qui relève d’une évolution naturelle ou du choc provoqué par l’arrivée de nouveaux acteurs.

En ce qui concerne le quick commerce, deux questions méritent cependant d’être soulevées qui appellent la vigilance de l’État et des collectivités territoriales : d’une part, les termes de la concurrence pouvant exister avec le commerce physique ; d’autre part, l’impact sur l’attractivité des zones dans lesquelles les opérateurs s’implantent.

a.   Une concurrence pouvant être réelle sans être nécessairement inégale ?

En soi, les éléments recueillis par la mission ne permettent pas nécessairement de caractériser l’existence d’une concurrence de nature déloyale entre les opérateurs du quick commerce et les commerces physiques.

D’une part, il semble que les travaux publiés ne comportent pas encore de mesure réellement scientifique des effets exercés par ce modèle sur le tissu commercial. En tout cas, l’ensemble des organismes susceptibles d’observer le phénomène et auditionnés par la mission déclarent ne pas posséder ou avoir connaissance d’étude sur le sujet. Il en va ainsi notamment de CCI France, de l’Institut Nielsen ou encore de l’APUR dont les représentants ont estimé, qu’en l’état des données en leur possession, il pouvait être difficile de déterminer si le quick commerce va gagner des parts de marché et, dans cette hypothèse, quel format commercial pouvait en pâtir.

D’autre part, une analyse empirique des conditions de vente tend à montrer que le développement du quick commerce ne place pas nécessairement les consommateurs dans une position d’arbitrage entre deux modes de distribution : elle met plutôt en lumière des situations et réalités contrastées dans lesquelles, suivant l’état du marché, les services proposés peuvent créer les conditions d’une offre alternative ou complémentaire. Cette position dépend en réalité du positionnement des opérateurs.

Sur le plan des produits proposés à la vente, la concurrence avec le commerce physique ne va pas de soi dans la mesure où l’offre du quick commerce repose sur un assortiment assez restreint, qui répond à des besoins spécifiques.

D’après la norme constatée, ce dernier porte en général sur une gamme de produits pouvant aller jusqu’à une fourchette de 1 500 à 2 500 références suivant les opérateurs pour ce qui concerne les dark stores. Les articles proposés correspondent pour l’essentiel à des produits alimentaires de consommation courante (produits d’épicerie, produits frais ou non), auxquels s’ajoutent de manière croissante des produits d’hygiène, des produits relevant du rayon « maison » (fournitures papeterie, piles), etc. ainsi que des consommations momentanées (alcool, snacking ([30])). Suivant l’observation des représentants de Nielsen, une telle gamme peut être étendue afin de couvrir l’essentiel des besoins du consommateur mais peu profonde au regard du nombre des marques proposées dans une catégorie de produits.

Sur le plan de la politique tarifaire, les prix ne placent pas nécessairement les opérateurs du quick commerce en situation de confrontation frontale avec les commerces environnants.

Suivant une observation réitérée devant la mission par plusieurs intervenants, le coût des produits affichés paraît être supérieur, en conséquence des frais de service et des frais de livraison appliqués sur la facture. Seule la pratique assez fréquente et répandue de promotions et de réductions semble de nature à procurer un avantage comparatif par rapport aux commerces physiques.

Toutefois, la réalité de cette concurrence tarifaire reste à documenter et son impact paraît tributaire du profil des consommateurs. Par ailleurs, ainsi qu’y invite l’analyse des représentants des centres E. Leclerc auditionnés par la mission, on ne peut totalement écarter l’hypothèse que la différenciation des prix entre les différents formats relevant du quick commerce brouille la perception des consommateurs et, en conséquence, ne produisent que peu d’effets sur le grand public.

Comme précédemment observé, les usages de consommation propres au quick commerce lui confèrent toutes les caractéristiques d’un marché de niche.

Outre la nature des produits proposés à la vente, le secteur se singularise par un panier de commande assez restreint. D’après l’étude de Nielsen iQ ([31]) et les réponses apportées par la DGCCRF, le montant des commandes était de l’ordre de 21,40 euros à 22,10 euros en moyenne par personne à la mi 2022, tandis que le budget mensuel par client pouvait être estimé à 116 euros. On notera par ailleurs que les paniers contiendraient en moyenne 8,4 articles ([32]) et la fréquence d’achat (CAD) s’élèverait à 5,4 jours.

En eux-mêmes, de tels chiffres mesurent le niveau des dépenses consacrées par les ménages aux livraisons à domicile. Or, ainsi que le montre le tableau
ci-après, le quick commerce se révèle très nettement en retrait sur l’ensemble des critères par rapport à d’autres circuits de distribution et acteurs commerciaux.

Cela étant, une question reste ouverte : celle de la capacité du quick commerce à capter une partie de la demande, ce qui impliquerait que son offre puisse se substituer à celles des commerces physiques.

D’un point de vue empirique, rien n’interdit en effet de penser qu’une partie des achats réalisables auprès des opérateurs à toute heure de la journée n’est pas renouvelée dans les circuits de distribution traditionnels. Ainsi qu’ont pu le souligner des élus locaux, la capacité des services de livraison à répondre à des besoins dans des délais très brefs et sur des plages horaires plus étendues que les magasins physiques peut peser sur la vie du commerce local en centre-ville.

D’autres observations portent à conclure toutefois à une certaine complémentarité des offres de services. Ainsi, l’étude précitée du Bureau 6t ([33]) tend à montrer que les clients du quick commerce continueraient à effectuer leurs achats dans les petits commerces (tels que les boulangeries, les boucheries, les poissonneries, les primeurs, les supérettes, etc.), ainsi que dans les super et hypermarchés à la même fréquence. Quoique découlant d’éléments déclaratifs, cette appréciation rejoint l’analyse de la direction générale des entreprises qui, pour sa part, juge que « la concurrence des acteurs du quick commerce avec d’autres types de commerce est limitée du fait de l’insertion sur des stratégies commerciales différentes […] ».

dÉpenses consacrÉes par les mÉnages

aux livraISons de produits en alimentaires au dÉbut de 2022

Source : Nielsen–FoxIntelligence – CAD 2022, données arrêtées le 5 mai 2022.

Dans une certaine mesure, le problème se pose en des termes quelque peu différents en ce qui concerne les effets de l’essor des dark kitchens et des plateformes de livraison.

Certes, par ses recettes et le volume de ses ventes, le secteur ne saurait rivaliser avec la restauration traditionnelle qui, en 2019, dégageait un chiffre d’affaires global de 80 milliards d’euros (contre 1 milliard d’euros pour les dark kitchens) ([34]). Toutefois, son offre paraît de nature à créer les conditions d’une concurrence plus diffuse.

D’une part, la livraison de plats cuisinés dans des délais exprès vient s’ajouter aux prestations qui – indépendamment de la qualité intrinsèque des produits et de l’accueil – peuvent en théorie réduire la clientèle des restaurations. Ainsi que le rappelle la direction générale des entreprises, il en va ainsi de la vente des produits à emporter assurée par les boulangeries à la pause méridienne, voire de l’offre de plats préparés non consommables sur place (présente dans les grandes surfaces ou dans des chaînes comme Picard).

D’autre part, on ne peut exclure que l’évolution des mentalités – marquée par un repli sur la sphère domestique que la crise sanitaire a pu accentuer – et des contraintes financières amènent une partie des consommateurs à considérer l’offre des dark kitchens comme une alternative.

Même si les offres diffèrent très sensiblement (du point de vue de la variété et de la qualité des plats proposés, ainsi que des agréments du service à table), une telle perspective n’a rien de théorique car les attentes et les arbitrages de la clientèle changent. Ainsi que tendent à le démontrer des sondages d’opinion récents ([35]), la situation financière affecte de manière croissante les habitudes de consommation hors domicile. De ce point de vue, les 18-34 ans apparaissent particulièrement sensibles aux prix, 65 % des personnes interrogées déclarant modifier leur comportement d’achat suivant l’évolution de leur revenu disponible.

Par ailleurs, l’émergence d’une offre de service nouvelle apportée par les dark kitchens intervient dans un contexte où la place prise par les plateformes de livraison peut affecter très sensiblement les conditions d’activité de la restauration et exercer une pression sur leur modèle d’affaire.

D’une part, des plateformes (comme Uber eats ou Deliveroo) contribuent à renouveler mais aussi à durcir les termes de la concurrence : en effet, si les services d’intermédiation offrent aux restaurateurs l’opportunité de développer une activité de livraison hors de leur lieu d’exercice, ils peuvent aussi détourner une partie de la clientèle de la fréquentation des établissements et l’inciter à recourir aux prestations de restaurants hors du quartier.

D’autre part, le poids des plateformes en tant que places de marché et la visibilité qu’elles procurent peuvent nécessairement alimenter des interrogations quant à l’existence de possibles situations de dépendance économique.

Des signalements reçus par la mission suggèrent ainsi que des opérateurs influent sur la politique commerciale des établissements de restauration, le cas échéant par des clauses contractuelles qui peuvent prescrire la fréquence ou le volume de ventes promotionnelles sur leur site. De telles situations se révèlent préjudiciables et on ne peut écarter l’hypothèse qu’elles puissent peser sur les résultats financiers de la restauration, jusqu’à mettre en jeu leur rentabilité.

Elles ne montrent que mieux la nécessité de mesures susceptibles de rééquilibrer les rapports entre les plateformes et les restaurateurs.

Du point de vue de la mission, cette démarche nécessite notamment de renforcer l’information des consommateurs sur l’état et les conditions de l’offre de service. Au-delà d’une réflexion à mener sur l’établissement d’un cadre approprié à la réalisation d’opérations promotionnelles, il convient que les pouvoirs publics se saisissent de deux enjeux : en premier lieu, une plus grande transparence des critères de classement des restaurants par les algorithmes ; en second lieu, renforcer l’information du consommateur quant à la répartition du financement des promotions entre les établissements et les plateformes.

Proposition n° 2 : Rééquilibrer les rapports commerciaux entre secteur de la restauration et plateformes de livraison par un renforcement de l’information des consommateurs : assurer une plus grande transparence des critères de classement des établissements par les algorithmes ; rendre plus transparente la répartition du financement des promotions entre établissements et plateformes.

b.   Des implantations susceptibles de réduire la « commercialité » de certains quartiers ?

À ce stade, rien ne permet d’établir que l’implantation d’opérateurs du quick commerce entraîne nécessairement la fermeture de commerces physiques ou la réduction de leur clientèle.

D’une part, il s’avère que les établissements du secteur ne se substituent pas à des commerces en activité : ils occupent le plus souvent des emprises désaffectées ayant abrité des activités très diverses.

D’après l’étude réalisée par l’APUR ([36]) en ce qui concerne Paris, les locaux occupés par les dark stores correspondent ainsi à :

– une majorité d’anciens commerces ou services commerciaux (supérettes ou supermarchés, magasins de mode, restaurants, etc.) ;

– des bureaux situés en rez-de-chaussée, dont la présence résulte de la transformation de boutiques ;

– des locaux de commerce de gros ;

– des cabinets médicaux ou paramédicaux ;

– des parkings.

L’étude met aussi en exergue la grande diversité des locaux investis par les drives piétons ([37]). Il s’agit en l’occurrence :

– de commerces traditionnels (magasins de prêt-à-porter, chaussures, pharmacie, etc.) ;

– des services commerciaux (agences bancaires, immobilières, etc.) ;

– des restaurants ;

– des bureaux occupant les sites d’anciennes boutiques.

Pour leur part, les dark kitchens tendent à s’implanter dans d’anciens commerces en centre-ville ou dans d’anciens entrepôts en périphérie.

En dehors des considérations économiques précédemment analysées, le choix des implantations intègre des contingences techniques, en rapport avec les conditions et besoins de l’activité. Ainsi que le relève l’APUR, la diversité des implantations des drives piétons, peut s’expliquer par le fait que leur activité ne réclame pas nécessairement une grande superficie ou des aménagements particuliers. À l’inverse, le choix des locaux investis par les dark kitchens paraît plus contraint, compte tenu de l’emprise des équipements, ainsi que de la nécessité de pouvoir couvrir une large zone de livraison. S’agissant des dark stores, la localisation et des caractéristiques rendant envisageable un aménagement peu coûteux constituent les deux principaux critères de sélection.

D’autre part, les éléments recueillis par la mission suggèrent que les opérateurs du quick commerce s’implantent dans des secteurs plutôt marqués par des vacances commerciales d’une durée significative.

Il en va ainsi à Paris où d’après l’état des lieux dressé par les services de la Ville ([38]), « les opérateurs semblent avoir sélectionné leur lieu d’implantation par opportunisme selon les locaux (notamment d’anciens supermarchés) laissés vacants à la sortie des confinements ». Du reste, l’étude de l’APUR souligne que nombre de dark stores ont pu s’établir sur des axes faisant l’objet de mesures de protection du commerce et de l’artisanat.

Les emprises commerciales inoccupées peuvent aussi intéresser des enseignes de la grande distribution dans le développement de nouveaux formats commerciaux qui participent de l’économie du quick commerce. Il ressort ainsi des déclarations de ses représentants que les drives piétons du groupe Auchan ont pu être installés dans « des locaux vacants ou d’anciens magasins fermés (magasins de vêtement, de chaussures, etc.) ou qui avaient déménagé pour s’agrandir ([39]) ».

Dans le cadre de ses travaux, la mission n’a pu établir l’ancienneté des vacances commerciales qui ont rendu possible l’implantation des opérateurs du quick commerce. Les exemples cités au cours des auditions donnent cependant à penser que les délais séparant la clôture de l’activité de l’arrivée des opérateurs peuvent être assez longs. Ainsi, pour ce qui concerne les installations de Getir, un tiers des locaux installés était fermé depuis six mois selon les représentants de l’entreprise.

Dès lors, comme il a été observé à propos des loyers commerciaux, il paraît difficile d’estimer que l’implantation d’établissement du quick commerce puisse avoir une répercussion directe sur le devenir d’un commerce situé dans son environnement immédiat. La même conclusion provisoire peut être formulée en ce qui concerne les conséquences de la présence des dark stores sur l’activité en
centre-ville des enseignes de la grande distribution, au moins à Paris.

En revanche, les effets sur l’attractivité commerciale se révèlent plus difficiles à cerner dans la mesure où les caractéristiques des établissements peuvent affecter les flux de population qui fréquentent un quartier.

De fait, l’installation de nombreux dark stores et dark kitchens a pu se solder par l’apparition de locaux aveugles, caractérisés par des vitres ou devantures opacifiés.

Ainsi qu’il a pu être observé, l’agencement type des structures connaît aujourd’hui des évolutions qui comportent l’ouverture des locaux sur leur environnement immédiat. D’après les orientations tracées devant la mission par les représentants d’opérateurs, la démarche consisterait notamment à abandonner les vitrines opaques. Ainsi, Getir se donnerait pour objectif de revoir l’aménagement de l’intégralité de ses établissements afin que d’ici à juin 2023, ils possèdent une devanture agrémentée et des vitrines totalement transparentes. Au-delà, certains opérateurs semblent engagés dans l’ouverture de nouveaux services susceptibles d’accueillir du public, à l’image de ceux proposés dans les drives piétons – ce qui contribuerait à écarter la qualification d’entrepôt retenue par le décret et l’arrêté du 22 mars 2023

Toutefois, compte tenu de leur caractère très récent, on ne saurait préjuger que l’ouverture des façades suffise à soutenir l’animation des rues et à maintenir un niveau de fréquentation susceptible de bénéficier à l’activité des acteurs environnants. Or, ainsi que l’ont souligné les représentants de Procos, « l’attractivité globale d’une rue, d’un lieu de commerce est fragile. La disparition d’un commerce génère un effet en chaîne avec une attractivité qui décroît, fragilise d’autres commerces qui ferment à leur tour… Avec deux impacts forts : la dégradation de la qualité de vie des habitants des quartiers concernés (locaux vacants, sentiment de déprise…) et la dégradation de l’animation de la rue, donc des pieds d’immeuble » ([40]).

De ce point de vue, l’impact des drives piétons sur l’équilibre du tissu commercial peut revêtir un caractère ambivalent et susciter des appréciations nuancées.

Certes, outre le retrait des commandes, un nombre croissant de formats de ce type peut contribuer à la fréquentation d’un quartier par l’accueil de services et la coopération parfois noués avec les commerçants du voisinage. En ce sens, suivant la finalité que leur assignent certaines enseignes de la grande distribution, les drives piétons peuvent se positionner en tant qu’acteurs de flux.

Il n’en reste pas moins que leur offre peut affecter de manière assez substantielle les termes de la concurrence par rapport aux commerces indépendants. De fait, elle consiste à donner à des consommateurs urbains l’accès aux marchandises des grandes et moyennes surfaces (soit une gamme d’articles pouvant aller jusqu’à 10 000 références), souvent sans frais de livraison et surtout aux prix pratiqués par les super et hypermarchés de la périphérie. Ainsi que l’ont observé plusieurs intervenants, les drives piétons s’apparentent alors à un relais logistique au sein des quartiers ; dans des villes comme Paris, ils peuvent donner l’opportunité aux enseignes de la grande distribution de réinvestir les quartiers les plus en vue sans avoir besoin d’ouvrir un magasin afin de concurrencer des petites enseignes (comme Franprix, Cocci Market, etc.).

2.   Des activités non exemptes d’atteintes à la qualité de l’environnement et à la tranquillité du voisinage

a.   Des livraisons occasionnant de nouveaux flux de circulation problématiques

S’il ne semble pas générer un trafic supplémentaire significatif à une échelle globale, le développement de quick commerce peut occasionner des nuisances concentrées et localisées.

Pour ce qui concerne Paris, les observations du Laboratoire Ville, Mobilité, Transport (LMVT) de l’université Gustave Eiffel tendent en effet à montrer que le secteur ne contribue pas à augmenter de manière importante le nombre des livraisons. D’après le LMVT, les flux suscités par l’approvisionnement des dark stores peuvent être estimés à 30 000 mouvements par jour contre un ensemble total de 500 000 mouvements dans la capitale ([41]). Cette part restreinte peut s’expliquer par le nombre finalement réduit des établissements.

Chaque dark store réaliserait de l’ordre de 150 à 300 livraisons par jour. Ainsi que l’illustre le graphique ci-après, leur nombre varie au fil de la journée, avec une concentration sur la pause méridienne et la soirée – ce en quoi le quick commerce ne se distingue pas fondamentalement d’autres offres présentes sur le marché de la livraison de produits alimentaires.

RÉPARTITION DES FLUX journaliers DE LIVRAISON

chez trois opÉrateurs du quick commerce

Source : H. Buldeo Rai, Creusé et alii, Chaire Logistics city, 2022 (réponses aux questionnaires budgétaires)

Cela étant, l’ensemble des témoignages recueillis par la mission ou relayés dans la presse attestent de ce que le fonctionnement des établissements du quick commerce peut souvent donner lieu à un certain nombre de comportements anarchiques.

De manière concrète, les riverains peuvent être confrontés à au moins deux sortes de problèmes :

– premièrement, une occupation illégale et gênante du domaine public (trottoirs et abords de la chaussée), voire l’utilisation abusive des entrées et cours d’immeubles ; d’après les constatations établies par le LMVT, en moyenne, entre 11 et 13 véhicules (scooters et/ou vélos) stationnent à proximité en même temps autour d’un dark store ;

– deuxièmement, des allers et venues potentiellement incessantes et sources de bruit jusqu’à des heures parfois tardives.

L’expérience tend cependant à montrer que la survenue de telles nuisances n’a rien d’inévitable : elle dépend beaucoup de l’agencement des établissements du quick commerce, de leur environnement, ainsi que de la politique des acteurs du secteur. Dans cette optique, l’intégration du quick commerce en milieu urbain peut se heurter à trois écueils.

● Le premier écueil tient à l’adaptation des véhicules de livraison aux contraintes que peut comporter la présence d’une activité logistique dans des zones densément peuplées, en particulier dans la perspective de la transition énergétique.

Des travaux comme ceux du Laboratoire Ville, Mobilité, Transport de l’université Gustave Eiffel donnent à penser que le vélo ou les livraisons à pied occupent une place importante parmi les modes de déplacement utilisés. Cela étant, il semble plus difficile d’établir une vision consolidée des caractéristiques des véhicules assurant l’approvisionnement et les livraisons à partir des établissements du quick commerce.

D’après les éléments recueillis par la mission, certains opérateurs semblent engagés dans l’électrification de leurs flottes. Il en va ainsi de Getir qui, selon les déclarations de ses représentants, aurait pour politique d’équiper ses livreurs de véhicules totalement électriques. De même, les livreurs de Flink n’utiliseraient aujourd’hui que des vélos et scooters électriques.

Toutefois, il subsiste des incertitudes quant à la part que peuvent encore occuper les véhicules à moteur thermique sur l’ensemble du secteur. Le renoncement à ce type de véhicule paraît tributaire des orientations propres à chaque opérateur, ainsi que du pouvoir de direction qu’ils peuvent posséder à l’égard des livreurs selon que ces derniers possèdent le statut de salariés ou
d’autoentrepreneurs.

Dans une certaine mesure, cela pose la question de l’application des obligations légales édictées par les pouvoirs publics afin de favoriser le « verdissement » des flottes professionnelles.

Celles-ci résultent, d’une part, du sixième alinéa de l’article L. 224-10 du code de l’environnement issu de la « loi LOM » ([42]). Celui-ci fait obligation aux entreprises d’utiliser ou d’acquérir une proportion croissante de véhicules à faibles émissions polluantes ([43]) à l’occasion du renouvellement de leur flotte ([44]). Suivant le calendrier fixé par le législateur, ces véhicules doivent représenter une proportion minimale de :

– 10 % des renouvellements à partir du 1er janvier 2022 ;

– 20 % des renouvellements à partir du 1er janvier 2024 ;

– 35 % de ce renouvellement à partir du 1er janvier 2027 ;

– 50 % de ce renouvellement à partir du 1er janvier 2030.

D’autre part, l’article L. 224-11-1 du code de l’environnement, créé par la « loi climat et résilience » ([45]), prévoit que les plateformes de livraison de plus de 50 travailleurs doivent s’assurer que les vélos et véhicules à faibles émissions occupent une part croissante parmi les véhicules à deux ou trois roues utilisés dans le cadre de la mise en relation qu’elles assurent. Suivant l’échéancier établi l’article D. 224-15-12 D du code de l’environnement ([46]), la part minimale de cycles, y compris à pédalage assisté, ou de véhicules à moteur à très faibles émissions doit s’élever à :

– 20 % à partir du 1er juillet 2023 et jusqu’à fin 2024 ;

– 50 % à partir de fin 2025 et jusqu’au 31 décembre 2026 ;

– 80 % à partir du 31 décembre 2027 ;

– 100 % à compter du 31 décembre 2030.

Rien n’indique que les seuils définissant le champ d’application de la « loi LOM » puissent être inappropriés au regard des caractéristiques des entreprises spécialisées du quick commerce dont l’organisation intègre le service de livraison. En revanche, des interrogations peuvent être émises quant au caractère opérant des dispositions applicables aux plateformes de mise en relation. De fait, les textes établissent une obligation de moyens et non de résultat : ils ne prévoient pas de sanction ; la seule incitation au respect des objectifs assignés aux entreprises et plateformes de mise en relation réside dans la publication d’informations relatives à la part des véhicules non polluants dans leur flotte. Suivant les réponses apportées à la mission, l’application de cette exigence conduit Deliveroo à exiger notamment des livreurs qu’ils déclarent le type de véhicule utilisé pour leur prestation.

Dès lors, les Rapporteures ne peuvent qu’appeler les pouvoirs publics à assurer l’efficacité des dispositions de la loi tendant au verdissement des flottes d’entreprises et des véhicules participant aux activités des plateformes de mise en relation dans le secteur du quick commerce. À leurs yeux, cette démarche implique de veiller au respect des obligations informatives prévues par les textes et, le cas échéant, d’examiner la nécessité de dispositions plus coercitives.

Proposition n° 3 : Assurer l’efficacité des dispositions de la « loi LOM » et de la « loi Climat et résilience » relatives au verdissement des flottes des entreprises et des plateformes de livraison : veiller au respect des obligations informatives et envisager des mesures coercitives en cas de non-respect des objectifs.

Aux yeux de Mme Maud Gatel, une évolution des conditions de mise en place des zones à faibles émissions (ZFE) peut être jugée nécessaire si l’on veut favoriser une réduction de l’usage des véhicules à moteur thermique dans les activités de livraison.

Instituées dans leur principe par la « loi LOM » ([47]), les ZFE désignent des zones dans lesquelles la circulation des véhicules à moteur exige la possession d’un certificat de qualité de l’air. Dans ces périmètres qui peuvent correspondre soit au territoire d’une commune ou d’un EPCI, la circulation des véhicules les plus polluants (identifiés par l’attribution de vignettes Crit’Air 5, 4 et 3, en fonction des rejets émis) peut être soumise à restriction et une prime à la conversion peut être accordée.

Aux termes de l’article L. 2 213-4-1 du code général des collectivités territoriales ([48]), l’instauration d’une ZFE constitue une obligation pour les territoires à l’échelle desquels les normes de qualité de l’air ne sont pas respectées de manière régulière. Depuis 2021, le dispositif a vocation à s’appliquer à toutes les agglomérations de plus de 150 000 habitants. Actuellement, 11 métropoles ont ainsi mis en place une ZFE (Grand Paris, Lyon, Aix-Marseille, Toulouse, Nice, Montpellier, Strasbourg, Grenoble, Rouen, Reims et Saint-Étienne). L’instauration des zones doit être réalisée avant le 31 décembre 2024.

Au plan procédural, la mise en place des ZFE relève de la compétence des maires ou des présidents d’EPCI. Les collectivités territoriales peuvent fixer des règles plus strictes en dehors de celles édictées par le préfet, par exemple en cas d’instauration d’une circulation différenciée.

Dans l’optique de la mission, il pourrait être utile que les autorités locales prennent des dispositions de nature à encourager les acteurs du secteur de la livraison, notamment les indépendants, à accélérer leur transition vers des véhicules moins polluants.

Il pourrait s’agir, en premier lieu, de relever les exigences relatives aux certificats de la qualité de l’air nécessaire pour circuler dans certaines zones, suivant un calendrier plus ou moins resserré. Rappelons qu’à l’exemple du Grand Paris, certaines métropoles ont fixé des échéances conduisant, en pratique, à l’abandon des véhicules les plus polluants et à une transition accélérée vers les moteurs électriques ([49]).

En second lieu, il importerait de soutenir les entreprises et les indépendants par des aides ciblées que permet le dispositif de la ZFE.

Pour sa part, Mme Sabatini estime que les ZFE n’offrent pas un instrument approprié et appelle d’ailleurs à leur suppression au vu de considérations plus générales quant à leur pertinence.

Proposition n° 4 [Mme Maud Gatel] : Assurer une mise en place des zones à faibles émissions (ZFE) de nature à inciter les acteurs du secteur de la livraison à utiliser les véhicules les moins polluants.

● Le second écueil touche à l’application des règles de la sécurité routière dans l’organisation des livraisons des produits du quick commerce.

Certes, les statistiques ne mesurent pas l’accidentologie propre à l’activité des services de livraison du secteur. L’inexistence de données peut s’expliquer par son implantation récente sur le territoire national, ainsi que par une absence de déclarations de la part des personnes concernées.

Toutefois, des signalements portés à la connaissance de la mission ne permettent pas d’écarter totalement, de manière empirique, l’hypothèse de comportements à risques fréquents (excès de vitesse, non-respect des règles de circulation et de stationnement). Si l’ampleur du phénomène reste à évaluer, ses causes potentielles invitent à poursuivre deux questionnements.

Le premier questionnement porte sur l’influence éventuelle des conditions de travail et de rémunération, au-delà des fautes personnelles. Sans prétendre à l’exhaustivité, les éléments communiqués à la mission tendent à nuancer cette hypothèse.

D’après les réponses écrites des représentants de Flink, l’optimisation de la chaîne logistique serait de nature à permettre une réalisation des livraisons sans que la charge du respect des délais pèse sur les livreurs. En outre, l’opérateur ne fixerait pas d’objectifs de rapidité et la rémunération des livreurs salariés ne serait conditionnée ni par le nombre de commandes réalisées, ni par le temps de la course. Il en irait de même pour Getir qui ne paierait pas ses livreurs à la course et ne développerait pas d’incitations à multiplier les livraisons dans une durée limitée. En ce qui concerne les plateformes de livraison et de mise en relation, Deliveroo affirme que, pour sa part, les livreurs effectuent la livraison au client selon un itinéraire qu’ils déterminent et empruntent librement, conformément à leur statut.

S’ils ne portent pas à mettre en cause la véracité des éléments apportés par ces deux catégories d’acteurs, les travaux de la mission ne permettent pas davantage de se prononcer sur la généralité des pratiques de rémunération et leur incidence sur l’accidentologie routière. A minima, ils mettent cependant en lumière les différences de situation et d’intérêts entre salariés et autoentrepreneurs. Compte tenu de la diversité des modèles et de la nature des rapports contractuels, la question appelle sans doute des approfondissements dans le cadre du dialogue social qui s’inscrit désormais dans un cadre légal ([50]).

Le second questionnement concerne l’usage d’équipements de sécurité dans l’accomplissement des prestations de livraison.

L’audition des principaux opérateurs spécialisés et plateformes de mise en relation semble témoigner sinon d’un véritable engagement, du moins d’une attention portée envers la sécurité des livreurs bien qu’il convienne de bien distinguer la situation des livreurs salariés des livreurs indépendants. De manière générale, les mesures évoquées ont pour objet :

– la fourniture de divers équipements de protection tels que des vestes et pantalons renforcés, des vestes imperméables réfléchissantes la nuit, des casques, des gants (Flink, Getir, Deliveroo) ;

– la pose de dispositifs adaptés aux vélos et scooters électriques pour le transport de charges lourdes (chez Flink) ou de supports pour smartphone destinés à prévenir tout comportement à risque lors de la conduite (par exemple, chez Flink et chez Deliveroo) ;

– éventuellement, l’accès à des formations à la sécurité routière dispensées au titre de la formation initiale et/ou continue (chez Getir).

Toutefois, comme précédemment observé, rien n’établit que de telles dispositions correspondent en pratique à des standards dans le secteur. En outre, la généralisation de l’usage des équipements de protection ne paraît pas garantie suivant le cadre contractuel dans lequel évoluent les livreurs, en particulier dans le cas des autoentrepreneurs. Ainsi que l’a rappelé Deliveroo ([51]), « en tant que travailleurs indépendants, les livreurs sont libres de s’équiper comme ils l’entendent, comme le prévoient les textes en vigueur et dans le respect des règles du code de la route ».

Aussi, sous réserve d’une évaluation plus précise du cadre en vigueur, les Rapporteures estiment qu’il conviendrait de préciser par voie réglementaire un standard et des prescriptions minimales relatives aux caractéristiques des véhicules et des équipements de sécurité utilisés par les livreurs. Il s’agirait notamment de favoriser une harmonisation des règles applicables, au-delà des conventions de branche auxquelles les entreprises du quick commerce peuvent se rattacher.

Proposition n° 5 : Établir ou préciser un standard et des prescriptions minimales relatives aux caractéristiques des véhicules et des équipements de sécurité utilisés par les livreurs.

● Au-delà, le dernier écueil auquel se heurte le développement du quick commerce est celui de l’intégration du véritable coût des livraisons à l’offre de services.

Comme précédemment observé, les frais de livraison constituent une charge que, dans leur ensemble, les acteurs du quick commerce se gardent de répercuter dans la facturation des commandes. Une telle pratique participe d’un positionnement des acteurs sur le marché : compte tenu des termes de la concurrence, la faiblesse des frais d’acheminement des articles peut en effet procurer un avantage comparatif. Mais elle apparaît également dictée par des usages de consommation qui révèlent la faible acceptabilité des coûts réels de ce service : ainsi que l’ont souligné plusieurs intervenants, les consommateurs expriment en général une préférence envers les offres qui reposent sur la minoration ou la gratuité des frais de livraison, indépendamment du prix des articles et du coût des paniers.

Néanmoins, une telle situation ne peut être jugée satisfaisante.

D’une part, la facturation de frais artificiellement bas se révèle insoutenable à long terme sur un plan économique. D’après les analyses développées devant la mission, le coût réel de la livraison à domicile pourrait être estimé en effet à 12 euros et il semble que seule une commande minimale de 50 euros permette de rentabiliser le service dans des villes comme Paris. D’autre part, l’organisation de la livraison expresse n’apparaît pas sans conséquences sur un plan social, notamment par ses implications sur l’organisation du travail au sein du quick commerce ou la vie des quartiers.

Aussi, du point de vue des Rapporteures, il importe de travailler à une meilleure prise en compte dans les calculs économiques du coût véritable des livraisons. Cette question dépasse naturellement le simple cadre de l’activité du quick commerce. Elle figure d’ailleurs parmi les thèmes abordés dans le cadre du dialogue social entre les plateformes de la livraison et les livreurs. Dans une perspective plus économique, deux voies peuvent être explorées.

La première voie consisterait à miser sur la responsabilisation des consommateurs en leur permettant d’appréhender le coût réel et les répercussions de la livraison à domicile (par exemple en termes d’émissions de gaz à effet de serre). Elle impliquerait de définir des obligations tendant à la transmission d’informations indicatives à la prise de commande, dans le respect du droit de la concurrence et comporterait l’interdiction d’apposer la mention « gratuit ».

Une seconde voie pourrait aboutir à l’établissement d’un montant plancher dans la facturation des coûts de livraison aux consommateurs, sous réserve des exigences du droit européen de la concurrence et d’éventuels risques inflationnistes.

Indépendamment des réflexions toujours en cours sur le seuil de revente à perte, une telle mesure pourrait s’inspirer de la décision prise par le ministère de la culture qui, sur l’avis de l’ARCEP, a fixé à trois euros le montant minimal des frais de livraison appliqués aux commandes de livre sur Internet ([52]). Il conviendrait toutefois de s’assurer de la pertinence d’un tel dispositif au regard du cadre européen, des exigences du droit de la concurrence, ainsi que de son impact sur le niveau des prix.

Proposition n° 6 : Favoriser une meilleure prise en compte du coût véritable des livraisons du quick commerce : organiser une information du consommateur à propos du coût réel et des répercussions de la livraison à domicile et interdire l’apposition de la mention « gratuit » ; évaluer la pertinence d’un montant plancher dans la facturation des coûts de livraison aux consommateurs.

b.   Une cohabitation potentiellement source de troubles anormaux du voisinage

Dans l’ensemble, les éléments recueillis par la mission font écho aux observations formulées par l’APUR ([53]) quant aux aléas qui entourent l’installation du quick commerce dans des locaux ou secteurs peu adaptés à une activité logistique. En dehors des problèmes relatifs à l’occupation de l’espace public et suivant la nature des implantations, le développement de l’activité peut exposer les riverains à plusieurs types de nuisances :

– premièrement, des nuisances sonores : le bruit peut résulter du fonctionnement des locaux et des équipements (appareils logistiques, groupes de climatisation, etc.), ainsi que du déplacement des personnels et prestataires pour l’approvisionnement des locaux et la livraison des produits ; comme relevé par plusieurs intervenants, la forte amplitude horaire de l’activité peut contribuer à l’aggravation des nuisances : d’après les observations, les dark stores peuvent opérer de 8 heures à minuit en semaine, voire jusqu’à 2 heures du matin le week‑end tout au long de l’année suivant les opérateurs ;

– deuxièmement, des nuisances olfactives : d’après les témoignages recueillis à Paris, ce type de nuisances peut être occasionné soit par la production des dark kitchens (suivant l’odeur des plats cuisinés), soit par l’organisation du circuit des déchets (du fait par exemple d’une possible péremption rapide des produits utilisés par les dark stores et les dark kitchens) ;

– troisièmement, de possibles atteintes à la tranquillité et à l’intégrité des espaces communs (cours, parties communes) : suivant les témoignages transmis à vos Rapporteures, les problèmes de cohabitation peuvent comporter des attroupements bruyants mais aussi parfois des dégradations, l’abandon de déchets, voire des problèmes de sécurité favorisés par un accès facilité des emprises.

En soi, rien ne permet d’établir la généralité et la fréquence de tels faits à l’échelle du pays. Toutefois, les signalements reçus conduisent à s’interroger sur la portée exacte des dispositions prises par les opérateurs du quick commerce afin de prévenir les incidences négatives que pourrait présenter leur installation pour les riverains et les occupants des bâtiments investis.

Suivant les entreprises, ces mesures peuvent comprendre :

– des travaux d’aménagements des locaux destinés à améliorer l’isolation phonique des locaux (par exemple, grâce des procédés qui réduiraient le bruit des livraisons) ;

– la désignation d’un référent par installation chargé des relations avec le voisinage et la fourniture de coordonnées de contact (par mail) ;

– le recrutement d’un vigile chargé de surveiller l’accès aux lieux ;

– une évolution de l’organisation des flux d’approvisionnement et de livraison.

Toutefois, certains exemples connus de la mission donnent à penser que de telles actions présentent une efficacité aléatoire et que leur application présente un caractère inégal suivant la volonté des opérateurs et la disponibilité des personnels. Aussi, les Rapporteures jugent nécessaire d’inscrire les relations entre les acteurs du quick commerce et leur voisinage dans un cadre plus formalisé.

Dans cette optique, elles préconisent, a minima, d’imposer aux opérateurs du quick commerce l’inscription sur leur site internet de mentions permettant un contact direct par voie postale, téléphonique et électronique pour les riverains. Si de telles informations peuvent exister, il semble que leur accessibilité varie et qu’en pratique, des personnes intéressées peinent à trouver des contacts utiles en cas de nécessité. Une telle mesure pourrait sans doute appeler des précisions au droit existant sans nécessiter à proprement parler l’établissement d’une nouvelle norme.

Proposition n° 7 : Imposer aux services de livraisons de produits alimentaires l’inscription sur leur site internet de mentions lisibles et accessibles permettant un contact direct par voie postale, téléphonique et électronique pour les riverains.

Au-delà, il pourrait être utile d’améliorer l’information des occupants d’un immeuble choisi par un opérateur du quick commerce afin d’y établir ses activités. À cet effet, les Rapporteures préconisent d’examiner deux mesures : d’une part, instituer une déclaration préalable à l’implantation d’une activité commerciale au sein des locaux d’une copropriété ; d’autre part, imposer l’information du syndic de copropriété à propos de tout changement de situation dans le déroulement de cette activité.

Dans leur esprit, il s’agit de prévenir autant que possible des problèmes de cohabitation ultérieurs en favorisant le dialogue, un respect mutuel, ainsi que la connaissance du droit applicable et des exigences inhérentes au règlement de copropriété. Une telle mesure aurait nécessairement vocation à s’appliquer à l’ensemble des activités commerciales susceptibles d’être installées dans un immeuble d’habitation.

Proposition n° 8 : Examiner la possibilité d’instituer une déclaration préalable à l’implantation d’une activité commerciale au sein des locaux d’une copropriété – Imposer l’information du syndic de copropriété à propos de tout changement de situation dans le déroulement de cette activité.


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II.   Des activitÉs nÉcessitant une rÉgulation proportionnÉe et une intÉgration au tissu Économique et social

A.   Un droit national dont l’efficacitÉ peut exiger des ajustements mais surtout des contrÔles, en particulier dans le domaine social

1.   Un droit en vigueur permettant pour l’essentiel d’appréhender les différentes formes et activités du quick commerce

a.   Des opérateurs en théorie assujettis aux normes applicables aux e‑commerce et au commerce physique

● En toute rigueur, les activités du quick commerce répondent, d’une part, à la définition que le droit français donne à la vente à distance, en conformité avec le cadre européen. Aux termes de l’article L. 221-1 du code de la consommation, relève de cette catégorie « tout contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, dans le cadre d’un système organisé de vente ou de prestation de services à distance, sans la présence physique simultanée du professionnel et du consommateur, par le recours exclusif à une ou plusieurs techniques de communication à distance jusqu’à la conclusion du contrat ». La spécificité du modèle d’affaire, à savoir l’engagement des professionnels à livrer des produits dans un délai express, n’en fait pas une catégorie distincte des autres formes du commerce électronique.

Dès lors, comme l’a notamment souligné le professeur Malo Depince, professeur à la faculté de droit de Montpellier, le cadre de la vente à distance fixé par la directive 2011/83 du 25 octobre 2011 relative aux droits des consommateurs ([54]) s’applique. Il se compose des droits et obligations transposés en droit national aux articles L. 221-1 et suivants du code de la consommation.

 

Principales obligations découlant du cadre de la vente à distance

L’application des règles consacrées par la directive 2011/83 du 25 octobre 2011 relative aux droits des consommateurs emporte notamment :

– l’obligation d’apporter des informations précontractuelles renforcées et la communication d’une copie du contrat sur un support durable : avant toute commande, le professionnel doit faire un rappel des informations sur les caractéristiques essentielles du bien et son prix ;

– l’existence d’une fonctionnalité affichant l’obligation de paiement du consommateur afin de passer sa commande, avec une mention qui alerte le consommateur sur son obligation de payer et la conclusion imminente du contrat (article L. 221-14 du code de la consommation) ;

– la responsabilité du professionnel en ce qui concerne la bonne exécution des obligations résultant du contrat, dont la livraison, qu’elle soit exécutée par lui-même ou par un tiers (article L221-15 du code de la consommation) ;

– la reconnaissance au consommateur d’un droit de rétractation (article L.221-18 du code de la consommation) : le code de la consommation prévoit néanmoins des hypothèses excluant l’exercice de ce droit, tels que les biens susceptibles de se détériorer ou de se périmer rapidement ou encore les biens descellés qui ne peuvent être renvoyés pour des raisons d’hygiène (article L.221-28 du code de la consommation).

Source : réponse de la DGCCRF au questionnaire de la mission.

En outre, à raison du recours à des contrats électroniques, les activités du quick commerce entrent aussi dans le champ d’application des normes européennes qui ont vocation à régir le commerce électronique. Ce cadre résulte des dispositions :

– de la « directive sur le commerce électronique » du 8 juin 2000 ([55]) ;

– du règlement européen sur les services numériques du 19 octobre 2022 (ou « Digital services act ») ([56]), applicable à compter de février 2024 ;

– du règlement (UE) 2022/1925 du 14 septembre 2022 du Parlement européen et du Conseil (dit « Digital market act ») ([57]) , dont l’entrée en vigueur est fixée au 2 mai 2023.

D’autre part, à raison du caractère commercial de leur activité et au titre de la vente de produit aux consommateurs, les acteurs du quick commerce doivent en théorie remplir toutes les obligations qui incombent aux commerces et, selon le cas, aux restaurants. Ainsi que l’ont rappelé les représentants de la DGCCRF ([58]) et ceux de la direction générale des entreprises, le cadre juridique comporte entre autres :

– les normes sanitaires fondées sur la mise en œuvre de la réglementation de l’Union européenne (« le Paquet hygiène ») ([59]) ;

– la législation applicable à la vente de produits alimentaire, notamment les prescriptions qui résultent de la « loi Egalim » (telles que l’encadrement de la valeur et du volume des opérations promotionnelles, la définition du seuil de revente à perte) ([60]) ;

– les normes relatives à l’étiquetage des produits et aux informations sur leur origine qui découlent du règlement européen n° 1169/2011 du 25 octobre 2011 (dit « règlement INCO ») ([61]) : l’article 9 de ce règlement recense les mentions obligatoires dans les contrats portant sur les denrées alimentaires (dénomination, ingrédients, pays d’origine, exploitant, déclaration nutritionnelle, mode d’emploi, titre alcoométrique, etc.) ; s’agissant des normes applicables sur l’origine des produits, l’article L.412-9 du code de la consommation ([62]) a étendu aux dark kitchens l’obligation d’indication de l’origine des viandes, déjà applicable aux établissements de restauration commerciale ou collective traditionnels ; un projet décret pris en application de cette disposition, actuellement en cours d’élaboration, va fixer les modalités d’indication de l'origine ou de la provenance des viandes pour ces établissements, et plus globalement pour tous les établissements de restauration commerciale sans salle de consommation sur place, proposant uniquement des repas à emporter ou à livrer. Concrètement, les informations rendues obligatoires porteront sur le pays de d'élevage et d'abattage de l’animal, ainsi que, pour la viande bovine, sur le pays de naissance de l’animal

– le droit de la consommation, avec notamment les exigences établies par la directive 2005/29/CE du 11 mai 2005 contre les pratiques commerciales déloyales ([63]) ou encore les règles destinées à garantir la conformité des produits issue de la directive 2019/771 du 20 mai 2019 ([64]) ;

– le droit de la concurrence (européen et national), qui prohibe notamment les ententes illicites et les abus de position dominante ;

– les obligations destinées à prévenir le gaspillage découlant de la loi AGEC ([65]), l’information du consommateur, l’utilisation des produits alimentaires invendus (article L. 541-15-8 du code de l’environnement) ;

– les normes des établissements recevant des travailleurs (ERT), ainsi que les règles s’imposant aux commerces classiques en matière de sécurité incendie, de fermeture de l’accès et de présence de caméras de vidéosurveillance ;

– les objectifs de la « loi LOM » ([66]) et de la « loi climat et résilience » tendant à développer l’usage des véhicules à faibles émissions dans les activités professionnelles.

Par ailleurs, les analyses développées devant la mission tendent à démontrer que le régime de responsabilité applicable à la vente de produits aux consommateurs peut pleinement encadrer les activités du quick commerce. En dehors des stipulations contractuelles, les principes établis par les lois et règlements en ce qui concerne les distributeurs et les livreurs s’appliquent.

Ainsi, prévaut la règle de portée générale suivant laquelle les professionnels assument la responsabilité de la bonne exécution des obligations résultant du contrat, dont la livraison, qu’elle soit exécutée par lui-même ou par un tiers (en vertu de l’article L. 221-15 du code de la consommation). Dans l’hypothèse d’un produit défectueux, la responsabilité civile peut être engagée sur le fondement des articles 1245-1 et suivant du code civil.

Dans ce cadre, les opérateurs peuvent être tenus pour responsables de la conformité des produits vendus sur leur application, ainsi que de la bonne livraison des commandes.

La responsabilité des plateformes de livraison de repas ne porte, quant à elle, que sur la bonne livraison des produits commandés au client final, ainsi que sur le fonctionnement des services proposés sur leur application ou site internet (par exemple, à propos des modalités de paiement en ligne et des préjudices occasionnés par le fonctionnement du site) : les producteurs/distributeurs de plats alimentaires demeurent responsables de la salubrité et de la conformité des plats et denrées alimentaires vendus sur le site des plateformes, ces dernières n’assurant que la mise en relation avec le consommateur et n’étant pas partie au contrat de vente. Le même régime de responsabilité s’applique aux produits fabriqués dans les cuisines partagées.

En dernier ressort, les livreurs indépendants peuvent également répondre de l’exécution de leur prestation en cas de faute personnelle (telle que la non-remise des commandes ou le vol/la perte de produits).

À l’application de ces principes, peuvent s’ajouter des mécanismes de règlements des différends entre les commerçants et les plateformes, ainsi qu’entre les plateformes et les consommateurs (notamment avec l’intervention des services clients ou de centres de médiation créés par certaines entreprises telles que Deliveroo). Toutefois, la mission ne saurait se prononcer sur leur efficacité.

b.   Des cas de distorsions normatives ou de normes dépourvues de portée pratique ?

Il ressort des éléments recueillis dans le cadre du présent rapport que les activités du quick commerce ne soulèvent pas nécessairement de difficultés particulières dans l’application des normes destinées à protéger les consommateurs.

D’après l’état des lieux dressé par la DGCCRF, il en irait ainsi sur le plan de la sécurité, de la conformité ou de la loyauté des produits. Jusqu’à présent, les contrôles n’ont pas mis en lumière l’existence d’irrégularités, qui distinguerait les entreprises du secteur des acteurs de la vente à distance. Les enquêtes menées auprès des principaux opérateurs n’ont pas abouti à des poursuites pénales, les anomalies relevées pouvant être considérées comme mineures. Elles se sont soldées par des avertissements ou par des injonctions de mise en conformité auxquelles les entreprises intéressées auraient donné suite.

Par ailleurs, les services de la DGCRRF ne font pas état de plaintes ou signalements reçus par le biais du service Signal Conso, ainsi que dans le cadre de la veille sur le territoire ou sur le site web d’opérateurs économiques relevant du quick commerce.

En soi, une telle situation peut être le signe d’une certaine conformité de l’offre de service aux standards du droit de la consommation. D’après l’hypothèse formulée par les services de la DGCCRF, la taille réduite de l’assortiment pourrait en effet pousser les entreprises à privilégier des références choisies parmi les grandes marques les plus en vue, avec en règle générale une réputation bien établie et une maîtrise du process qualité et des réglementations. Ainsi, le choix des produits favoriserait la réduction du nombre des anomalies substantielles – ce qui n’exclut pas le risque de dysfonctionnements. Selon des opérateurs et représentants des plateformes de livraison, le délai très court entre la préparation et la remise de la commande pourrait également contribuer à assurer la salubrité des plats cuisinés.

Du point de vue de la mission, il convient cependant de ne pas relâcher la vigilance eu égard à la diversité des conditions d’exploitation et des équipements utilisés pour les livraisons. De fait, si la fourniture de sacs isotherme peut constituer la norme dans certaines entreprises (à l’exemple de Deliveroo), il semble que les dispositifs varient et que les livreurs indépendants puissent disposer d’une grande latitude dans ceux qu’ils utilisent.

Depuis le 1er janvier 2023, le contrôle des normes sanitaires dans les établissements commerciaux relève de la direction générale de l’alimentation (DGAL) du ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire. Les Rapporteures ne peuvent qu’appeler les services de l’État à poursuivre et si nécessaire approfondir les contrôles des activités du quick commerce entrepris par la DGCCRF.

Proposition n° 9 : Poursuivre et approfondir le contrôle des activités du quick commerce initié par la DGCCRF, dans le cadre de la coopération entre les services de l’État.

Au-delà, il importe que les caractéristiques de l’offre de services dans le secteur de la livraison ne diminuent pas la portée d’obligations applicables à l’ensemble du commerce et qui répondent à des nécessités d’intérêt public.

● Du point de vue de la mission, le problème se pose, en premier lieu, pour la vente d’alcool à distance.

Comme précédemment observé, la vente de produits alcoolisés fait partie de l’offre commerciale des acteurs du quick commerce. Elle peut être le fait :

– des entreprises appartenant spécifiquement au secteur : il peut s’agir soit d’opérateurs dont les assortiments comprennent des articles de cette catégorie (à l’exemple de Getir, Flink), soit d’opérateurs spécialisés dans leur vente (à l’instar de Koll, opérateur spécialisé à Paris dans la livraison d’alcool) ;

– des plateformes de livraison : l’alcool est proposé à la vente sur leur site ou leur application, soit par un restaurant, soit par un magasin.

En droit, la vente de boissons alcoolisées à distance ou par Internet suppose l’obtention préalable d’une licence adaptée à la nature de l’activité (vente à titre principal ou accessoire), ainsi qu’à la catégorie des produits vendus. L’établissement qui possède une licence restaurant ou une licence III ou IV, peut vendre à emporter les boissons autorisées par sa licence. Si l’établissement vend exclusivement des boissons à emporter (épicerie, vente en ligne), il doit être titulaire soit de la petite licence à emporter (pour le cidre, le vin et la bière), soit de la licence à emporter, pour les alcools de plus de 18 degrés. La vente à emporter d’alcool entre 22 heures et 8 heures du matin exige quant à elle un permis d’exploitation.

Par ailleurs, la législation française consacre l’interdiction d’offrir et de vendre des boissons alcooliques aux mineurs, à l’article L. 3342-1 du code de la santé publique.

Ainsi que l’ont rappelé plusieurs intervenants, l’activité des acteurs du quick commerce entre pleinement dans le champ du régime de prohibition. Or, des doutes peuvent être émis quant à leur capacité d’assurer en pratique l’accomplissement des obligations établies pour en garantir le respect, à savoir le contrôle de l’identité des consommateurs.

L’article L. 3342-1 du code de la santé publique « la personne qui délivre la boisson exige du client qu’il établisse la preuve de sa majorité ». Faute de quoi, la vente ne peut avoir lieu.

Au vu des éléments recueillis par la mission, l’application de la loi par les acteurs du quick commerce peut donner lieu à deux types de mesures :

– d’une part, l’insertion de clauses ad hoc dans les contrats conclus pour la commercialisation de leurs produits, notamment dans le cadre des partenariats avec des plateformes de livraison : suivant les réponses apportées par Carrefour, le contrat liant le groupe à Deliveroo prévoit le respect par celle-ci des obligations encadrant la vente d’alcool ;

– d’autre part, la formalisation et la mise en place de procédures opérationnelles destinées à assurer le contrôle de l’identité au stade de la livraison pour les commandes comportant des produits alcoolisés : ainsi, dans le mécanisme développé par Deliveroo, l’établissement partenaire serait tenu d’indiquer, à la préparation de la commande, les produits qui contiennent de l’alcool ; en cas de confirmation de la commande, une notification apparaîtrait alors automatiquement afin d’indiquer au livreur qu’il devra vérifier l’identité du client au moment de la remise.

Si de tels procédés témoignent de l’attention accordée au respect de la loi, leur efficacité reste à démontrer car en pratique, elle dépend de la capacité et/ou de la volonté des livreurs de réaliser un contrôle effectif sur place de l’identité des personnes qui reçoivent une commande. Rien n’assure que le degré de coopération des personnes qui les accueillent et/ou le temps consacré à la course ne lui en laissent l’opportunité. Dès lors, la question de l’interdiction de la livraison d’alcool peut être posée en l’absence de moyens réels de garantir le respect de la législation en vigueur.

● Le second point d’achoppement relevé par la mission concerne les exigences que les services de livraison de produit alimentaires doivent satisfaire en ce qui concerne le conditionnement de leurs produits, ainsi que le traitement de leurs déchets.

Il s’agit d’un véritable enjeu du point de vue de la contribution du secteur à la préservation de l’environnement. Ainsi qu’a pu l’illustrer l’étude de l’APUR ([67]), l’activité des dark stores peut générer un volume significatif de produits invendus et/ou devenus impropres à la consommation qui connaîtront des sorts très variables en l’absence de circuits de traitements appropriés.

Or, rien n’assure qu’en raison des caractéristiques de leur activité, les services de livraison de produits alimentaires s’insèrent parfaitement dans le cadre normatif établi par les pouvoirs publics afin de limiter le gaspillage alimentaire et inciter à une consommation plus susceptible de préserver l’environnement.

De fait, il apparaît que les acteurs du secteur n’entrent pas dans le champ d’un certain nombre de mesures parmi les plus importantes de la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 « dite loi AGEC » ([68]). Figurant à l’article L. 541-15-10 du code de l’environnement, elles visent à réduire l’usage du plastique dans la vente de produits alimentaires. Il s’agit de :

– l’obligation pour les entités assurant un service de portage quotidien de repas à domicile d’utiliser des gobelets, des couverts, des assiettes et des récipients ré-employables et d’organiser leur collecte (depuis le 1er janvier 2022) ;

– l’obligation faite aux établissements de restauration de fournir des gobelets (y compris leurs moyens de fermeture et couvercles), des assiettes et des récipients ré-employables, ainsi que des couverts ré-employables pour la consommation des repas et boissons consommés dans leur enceinte (depuis le 1er janvier 2023) : la disposition s’impose à l’ensemble des établissements de restauration pouvant accueillir au moins 20 personnes (telles que les services de la restauration rapide mais aussi la restauration collective d’entreprise, les cantines scolaires, les cafétérias des musées, etc.) ;

– l’obligation pour les services de restauration collective proposant des services de vente à emporter de proposer au consommateur d’être servi dans un contenant réutilisable ou composé de matières recyclables (à partir du 1er janvier 2025).

Par ailleurs, l’action des entreprises en faveur de l’utilisation des produits alimentaires invendus ([69]) ou de limitation de l’usage des plastiques semble procéder davantage d’engagements individuels que d’une application de la loi AGEC, les obligations qui en découlent pouvant susciter des appréciations divergentes

Il en va ainsi de Getir qui, dans ses réponses à la mission, affirme avoir noué « sans y être contraint par la loi » un partenariat avec Phenix (qui vient récolter les invendus et les distribue à des associations locales), ainsi qu’avec Too Good To Go. Pour sa part, la société Flink indique quant à elle disposer d’un réseau de soldeurs chargés de revendre les invendus de manière plus efficace ; elle travaillerait étroitement avec des associations locales telles que les Restaurants du Cœur, à qui les produits invendus sont également donnés. En parallèle, Flink met à disposition des paniers comprenant des produits à date courte par l’intermédiaire de l’application Too Good To Go.

Il convient par ailleurs de signaler l’existence de la charte d’engagements du 15 février 2019 qui vise à réduire l’impact environnemental des emballages et contenants utilisés par le secteur de la restauration livrée.

Signée avec le ministère de la transition écologique par 19 acteurs du secteur, elle affirme dix engagements ordonnés autour de quatre axes : « réduire », « réemployer », « recycler », « sensibiliser ». Ces engagements visent à parvenir à la réduction des contenants et des emballages en plastique à usage unique au profit de l’utilisation des contenants alternatifs réutilisables et/ou recyclables. Figurent notamment :

– la réduction de moitié des contenants et emballages en plastique à usage unique au 1er janvier 2022 et de 70 % au 1er janvier 2023 ;

– l’organisation d’une filière effective de collecte et de recyclage en France pour la totalité des contenants et emballages à compter du 1er janvier 2022 ;

– l’interdiction des sacs en plastique et le réemploi de 100 % des contenants livrés sur les lieux de restauration en entreprise à compter du 1er janvier 2023 ;

– l’arrêt de la livraison systématique de couverts et de sauce (à compter du 1er janvier 2021) ;

– le lancement de 12 expérimentations de réemploi des contenants pour plats, notamment via des dispositifs de consignes.

L’ensemble des objectifs devaient être concrétisés en 2023. Si le cercle des signataires s’est élargi, il n’existe pas à ce jour d’évaluation des résultats obtenus grâce à cette initiative.

Les signataires de la charte du 15 février 2021

Conclue sous l’égide du ministère de la transition écologique, la charte d’engagement associait en 2022 pas moins de 38 signataires, qui se répartissent en quatre catégories :

– les plateformes d’intermédiation : Uber Eats, Deliveroo, Tiptoque, CoopCycle ;

– les prestataires logistiques : Stuart ;

– les restaurants virtuels fonctionnant à partir d’une cuisine centrale : Frichti, Nestor, Popchef, Foodchéri, Foodles, Saveurs et Vie pour les « restaurants virtuels » ;

– les start-ups porteuses de solutions alternatives de réemploi : Uzaje, La Consigne GreenGo, Reconcil, En boite le plat, Pyxo ;

– les fournisseurs et fabricants d’emballages : Metro, Pyrex, Arc International.

Source : https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/2022.03.15_Charte_restauration_un_an.pdf.

Au-delà de l’engagement des acteurs, les exigences de la lutte contre le changement climatique et de la préservation de l’environnement pourraient justifier des mesures de caractère plus normatif. D’après les statistiques disponibles, la livraison de repas progresse rapidement. L’activité a ainsi enregistré une croissance de l’ordre de 20 % pendant la crise sanitaire et dans les mois qui ont suivi. On rappellera en outre qu’en 2019, plus de 200 millions de repas ont été livrés, générant plus de 600 millions d’emballages à usage unique.

Aussi la mission préconise-t-elle d’examiner l’inscription dans la loi de nouvelles mesures qui auraient pour objet de conforter l’utilisation des contenants alternatifs réutilisables et/ou recyclables pour la livraison de produits alimentaires. Dans cette optique, il pourrait être envisagé de :

– limiter les déchets à travers le développement de la consigne, en tirant les enseignements des expérimentations qui ont pu être initiées en application de la charte du 15 février 2021 ou par le fait d’opérateurs tels que Getir ([70]) ;

– mettre en place un emballage standardisé aux normes environnementales les plus élevées pour la livraison à domicile de plats préparés ;

– faire payer le contenant des plats préparés ;

– garantir la collecte des anciens contenants, en organisant des circuits de récupération par les livreurs ou de dépôts par les consommateurs ;

– accélérer le calendrier quant à la suppression des contenants en plastique non recyclés dans la livraison à domicile ;

– rendre obligatoire l’information des consommateurs quant au recyclage des contenants.

Proposition n° 10 : Conforter l’utilisation des contenants alternatifs réutilisables et/ou recyclables pour la livraison de produits alimentaires par des mesures normatives tendant à : limiter les déchets à travers le développement de la consigne ; mettre en place un emballage standardisé aux normes environnementales les plus élevées ; faire payer le contenant des plats préparés ; garantir la collecte des anciens contenants.

2.   L’enjeu de la protection des données à caractère personnel

Pour les besoins de leurs activités, les acteurs du quick commerce peuvent être conduits à recueillir et conserver des informations qui relèvent de données à caractère personnel. À l’instar d’autres entreprises commerciales, leur traitement peut prendre la forme de fichiers « prospects » ou « clients » ayant pour objet la gestion des commandes, l’exécution de programmes de fidélité ou encore la réalisation d’opérations de prospection commerciale. Les pratiques commerciales peuvent encore consister à déposer des « cookies et autres traceurs » sur le site web et sur les applications mobiles.

Les travaux de la mission donnent à penser que le corpus juridique en vigueur offre un cadre satisfaisant pour réguler le développement des acteurs du quick commerce et de la livraison de produits alimentaires. Ainsi que l’ont souligné les représentants de la CNIL ([71]), les entreprises du secteur se trouvent pleinement assujetties aux principes et obligations destinées à la protection des données à caractère personnel. Le droit applicable procède :

– du règlement européen du 21 avril 2016 relatif à la protection des données personnelles (RGPD), fondement de la législation en la matière ;

– des dispositions nationales transposant la directive 2002/58/CE du 12 juillet 2002 (dite « directive vie privée et communication électroniques ») ([72]) : l’article 82 de la loi « informatique et libertés » ([73]) qui encadre l’usage des cookies et des autres traceurs ; l’article L. 34-5 du code des postes et des communications électroniques qui impose le recueil du consentement pour l’utilisation de données à caractère personnel à des fins de prospection commerciale ;

– de certains articles de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique.

Ainsi, l’ensemble des obligations consacrées par le RGPD s’impose aux acteurs du quick commerce ou de la livraison de produits alimentaires. Il en va ainsi de l’exigence d’un traitement licite et loyal, de la limitation de la collecte des données au strict nécessaire, de l’information des personnes propriétaires des données ou encore du respect des droits ([74]).

Ces normes ont vocation à régir les traitements mis en œuvre par une entreprise mais également les traitements susceptibles d’être développés ou de coexister dans le cadre d’un partenariat. D’après l’analyse des représentants de la CNIL, si une telle coopération implique un partage de données, il incombe à chacune des parties prenantes de déterminer préalablement leur rôle et obligations respectifs, avec notamment la désignation d’un responsable des traitements.

En outre, le champ d’application des normes revêt un caractère extra‑territorial : les données d’un utilisateur européen doivent bénéficier de la même protection, que le siège social de l’établissement responsable d’un traitement se situe ou non dans l’Union européenne.

De l’état des lieux dressé par la CNIL, il ressort que les manquements commis par les acteurs du quick commerce ne revêtent pas un caractère spécifique. Les quelques contrôles réalisés mettent ainsi en lumière des mentions d’informations incomplètes ou un défaut d’information et de recueil du consentement avant le dépôt de cookies. Ils n’ont pas donné lieu à des sanctions mais à une mise en demeure.

Toutefois, le nombre des enquêtes réalisées ne permet pas de se prononcer sur la conformité des pratiques de l’ensemble du secteur aux exigences du droit de la protection des données à caractère personnel. Dès lors, les Rapporteures appellent les pouvoirs publics et la CNIL à veiller à la pleine application du droit en vigueur en accordant toute l’attention nécessaire aux implications du développement des livraisons de produits alimentaires à domicile.

Dans une certaine mesure, l’enjeu ne porte pas tant sur les données à caractère personnel des consommateurs que sur celles des livreurs.

Ainsi que l’ont souligné les représentants de la CNIL, la géolocalisation des coursiers peut soulever des préoccupations, tant au regard des exigences de la protection des données à caractère personnel que du point de vue des libertés individuelles. En l’occurrence, la question posée est celle du caractère éventuellement intrusif des dispositifs utilisés par les employeurs ou donneurs d’ordre pour le suivi des livraisons. Même si elles ne portent pas sur des traitements de données mis en œuvre par des entreprises relevant à proprement parler du quick commerce, plusieurs sanctions ont été prononcées en ce sens par l’autorité italienne homologue de la CNIL ([75]).

Proposition  11 : Veiller au respect du droit en vigueur en ce qui concerne le traitement des données de géolocalisation des livreurs et des consommateurs.

3.   Un droit du travail et un droit social à affermir face aux spécificités d’une économie flexibilisée et dématérialisée

Les Rapporteures n’entendent pas ici méconnaître les améliorations dont les acteurs ont fait état au cours des auditions. Des contrôles de l’Inspection du travail ne semblent pas révéler des infractions singularisant le secteur par rapport au reste du e-commerce. Toutefois, subsistent de lourdes incertitudes quant à l’exact respect des obligations édictées par le législateur afin d’assurer la protection des droits sociaux.

a.   Une population active précaire, entre salariat et indépendance

S’ils ne prétendent à l’exhaustivité et à la généralisation, les éléments recueillis par la mission montrent qu’au-delà de la distinction qui s’impose entre livreurs et personnels travaillant dans les établissements du quick commerce (dark stores et dark kitchens), ces deux catégories partagent plusieurs caractéristiques.

En premier lieu, il s’agit d’actifs jeunes et souvent peu qualifiés.

D’après les données fournies par Getir et Flink, l’âge moyen se situe entre 24 ans et 26 ans et apparaît plus élevé parmi les préparateurs. Les femmes occupent une place très minoritaire au sein des deux catégories de métiers du quick commerce. Ainsi, chez Flink, leurs effectifs ne représentent que 33 % des personnels affectés à la préparation des commandes et de 3 % à 4 % de ceux assurant les livraisons. Chez Getir, la part des femmes se limiterait de manière globale à 15 % des personnels.

Les actifs semblent posséder un faible niveau de diplôme et une expérience professionnelle restreinte. Ainsi, chez Getir, 60 % des salariés posséderaient un niveau d’étude inférieur au bac. Pour 30 % des salariés, le poste obtenu chez Getir constitue leur premier emploi. Ainsi que l’ont souligné plusieurs intervenants, au regard des rémunérations pratiquées par les opérateurs, souvent supérieures au SMIC, les postes proposés peuvent relever de l’opportunité, notamment pour des personnes éprouvant des difficultés à s’insérer sur le marché du travail.

En second lieu, on peut constater une certaine mobilité des effectifs au regard de la rotation constatée sur les postes ou les missions.

Nonobstant le caractère très récent de l’implantation des activités du quick commerce en France, l’ancienneté des personnes travaillant dans le secteur se révèle assez faible, inférieure à l’année. Chez Flink, elle s’élèverait ainsi à 9 mois pour les livreurs et 10 mois pour les préparateurs tandis qu’elle ne dépasserait pas douze mois chez Getir. Pour sa part, Deliveroo indique que les livreurs assurent des courses pendant environ un an, en complément d’autres activités.

Il s’avère difficile de déterminer les causes de cette relative instabilité, notamment le rôle que peuvent jouer les conditions de travail et/ou les aspirations professionnelles.

En pratique, les fonctions occupées au sein des établissements peuvent amener à réaliser des tâches diverses parmi lesquelles figurent : la préparation des commandes pour les clients ; la réception de marchandises ; les contrôles de stocks, les contrôles d’hygiène et de qualité ; la préparation des paniers de valorisation des invendus et le changement d’emplacements des produits au sein des rayonnages pour optimiser les opérations. En outre, les opérateurs reçus par la mission semblent mener une politique de promotion. Ainsi, d’après leurs représentants, 15 % des livreurs Getir auraient bénéficié de promotions internes depuis la création de la société.

Si certains représentants du personnel ont pu évoquer une exigence de productivité et des tensions avec l’encadrement dans certains établissements, par exemple du fait de la gestion des emplois du temps, il semble aussi que des personnes recrutées aient pu éprouver des difficultés à s’intégrer aux organisations de travail. En soi, de tels signalements ne permettent pas de caractériser des problèmes spécifiques dans la gestion des ressources humaines.

En revanche, la population active du secteur du quick commerce se singularise peut-être, en dernier lieu, par l’importance relative des prestataires indépendants. Il s’agit là d’une conséquence de l’organisation des services de livraison.

Sur ce plan, il existe un clivage fondamental entre les opérateurs spécialisés, qui salarient massivement leur personnel, et les plateformes de mise en relation.

Parmi les acteurs du quick commerce à proprement parler, le recrutement en contrat à durée indéterminée paraît constituer une norme répandue parmi les opérateurs (à l’exemple de Flink et Getir), même si certains peuvent employer des intérimaires afin de faire face aux pics d’activité. La durée du travail afférente aux contrats peut varier assez sensiblement, ce qui peut contribuer à l’importance du temps partiel.

Les missions auprès des plateformes de livraison s’accomplissent en général sous le statut d’autoentrepreneurs, avec des nuances suivant les entreprises : si Deliveroo et Uber eats n’utilisent que ce genre de prestations, Just eat recourt à la fois à des salariés et à des autoentrepreneurs.

Le temps de travail au sein du secteur du quick commerce :

l’exemple de Flink et Getir

Flink propose à ses employés trois types de contrats en fonction de la durée de travail : des contrats de 15 heures ; des contrats de 20 heures ; des contrats de 35 heures. Environ 45 % des préparateurs de commande travaillent à temps partiel et environ 55 % à temps complet. Par ailleurs, 55 % des livreurs sont à temps partiel et 45 % sont à temps complet.

En termes d’amplitude horaire, l’accord collectif sur le temps de travail voté en août 2021 prévoit une durée maximale quotidienne de travail effectif de 10 heures et une amplitude quotidienne maximale de 13 heures.

Getir propose en très grande majorité des contrats prévoyant une durée de travail de 35 heures. Seuls 15 % des contrats portent sur une durée de travail de 26 heures.

Source : réponse au questionnaire de la mission.

b.   Des pratiques et situations singulièrement problématiques

Sur le plan des conditions de travail, le développement du quick commerce peut soulever en effet des questions analogues à celles posées par la croissance des services de livraison. Il convient toutefois de distinguer la situation des personnels des établissements de celle des services de livraison.

i.   Dans les établissements du quick commerce

● S’agissant des établissements, et notamment des dark stores, il semble que le secteur ne se distingue pas d’autres activités logistiques réalisées en entrepôt du point de vue des manquements constatés.

D’après les représentants de la direction générale du travail, les observations des inspecteurs portent notamment sur :

– les conditions d’accès aux marchandises placées en hauteur ;

– l’existence d’un document d’évaluation des risques ;

– l’organisation de visites médicales ;

– la mise à disposition d’équipements de protection individuelle (EPI).

Les contrôles ne se seraient pas soldés par l’établissement d’un
procès-verbal prélude à une procédure de sanction mais à de simples lettres d’observation.

Néanmoins, comme précédemment observé, le nombre des contrôles réalisés à ce jour se révèle insuffisant pour préjuger d’un parfait respect des normes relatives à la sécurité au travail à l’échelle du secteur.

En revanche, il peut être considéré que l’activité des établissements ne correspond pas nécessairement aux critères légaux qui permettent de déroger à la règle du repos dominical.

Comme précédemment observé, les acteurs du quick commerce opèrent sur des plages horaires étendues qui peuvent les amener à poursuivre leurs ventes et livraisons sur l’ensemble de la semaine, y compris le dimanche. À ce titre, certaines entreprises accordent à leurs salariés des majorations (de l’ordre de 30 % par exemple chez Flink([76]).

Toutefois, rien n’assure que la poursuite du service réponde à des nécessités en rapport avec les exceptions prévues par l’article 3132-12 du code du travail. Cette disposition admet le maintien d’une activité le dimanche sous réserve de motifs relativement circonscrits, à savoir « les contraintes de la production, de l’activité ou les besoins du public ». Il renvoie à un décret en Conseil d’État la détermination des établissements intéressés.

Par ailleurs, l’arrêt rendu par la Cour de cassation en 2014 dans « l’affaire Monoprix » ([77]) tend à mettre en lumière une appréciation stricte de la nécessité du maintien d’une activité au regard du critère relatif aux contraintes de production. En outre, le juge doit s’assurer que les entreprises relèvent bien des catégories d’établissements autorisés à déroger au principe du repos dominical par décret.

Aussi les Rapporteures appellent les pouvoirs publics et l’Inspection du travail à prendre les mesures nécessaires au respect de ce principe, dans un souci d’intégrité de notre droit social et d’égalité de la concurrence.

Proposition n° 12 : Veiller au respect du principe du repos dominical dans l’organisation de l’activité des entreprises du quick commerce.

ii.   Dans l’organisation des activités de livraison

Suivant des constats réitérés, les acteurs du quick commerce et de la livraison de produits alimentaires se trouvent confrontés à des situations irrégulières qui apparaissent problématiques, tant du point de vue du respect de la loi que de la protection des intérêts des travailleurs concernés.

● Il s’agit, en premier lieu, de la part massive des personnes dépourvues de titres de séjour parmi les travailleurs du secteur du quick commerce. D’après les estimations évoquées devant la mission, ces dernières pourraient représenter jusqu’à 70 % des effectifs employés.

Ainsi que l’a rappelé le représentant de la direction de l’immigration, la loi impose à tout ressortissant d’un pays tiers ([78]) désireux d’exercer une activité professionnelle salariée sur le territoire national de détenir une autorisation de travail pour l’emploi qu’il va occuper ([79]). Elle fait aussi obligation à l’employeur de s’informer sur la nationalité de la personne qu’il embauche et de vérifier, dans le cas où il s’agit d’un étranger, s’il est titulaire d’un titre l’autorisant à travailler. S’il ne l’est pas, il appartient au futur employeur de faire la demande d’autorisation de travail en ligne. Si le salarié déclare détenir une autorisation de travail, dans ce cas, l’employeur doit vérifier que le salarié concerné possède une autorisation de travail en cours de validité. En outre, l’article L. 8251-1 du code du travail interdit d’embaucher, de conserver à son service ou d’employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l’autorisant à travailler en France. Il interdit également à toute personne d’engager ou de conserver à son service un étranger dans une catégorie professionnelle, une profession ou une zone géographique autres que celles mentionnées sur le titre l’autorisant à exercer une activité sur le territoire national.

L’application de la législation relative au droit du travail des ressortissants tiers peut toutefois se heurter en pratique à trois difficultés :

– en premier lieu, une importante fraude documentaire : celle-ci se matérialise par l’usage de documents falsifiés ou de documents ne permettant pas légalement le travail sur le territoire national (à l’exemple d’un titre d’identité italien) ;

– en second lieu, les conditions d’accès au statut d’autoentrepreneur : le ministère de l’intérieur estime par exemple que la condition de régularité du séjour devrait mieux figurer dans les informations délivrées par les Urssaf en vue de son obtention ;

– en dernier lieu, la pratique de la location des comptes de livreurs qui doivent être souscrits auprès des plateformes afin d’assurer des prestations, par usurpation d’identité.

Contre ces formes de travail illégal, des plateformes de livraison ont pu prendre des initiatives. Il en va ainsi de Uber eats qui, selon les informations communiquées à la mission, fait appel une société spécialisée dans la détection de documents numérisés frauduleux et dans la vérification d’identité à distance dont la certification ANSSI serait en cours. Le contrôle effectué par le prestataire ne porte pas sur la régularité du séjour mais sur l’authentification du document présenté et, le cas échéant, sur le droit de travailler attaché au document présenté à la plateforme.

Uber eats a également développé un système d’identification de modèles de documents d’identité reposant sur l’intelligence artificielle afin de détecter les pièces d’identité similaires présentées.

Du point de vue de la mission, la lutte contre le travail illégal dans le secteur de la livraison ne saurait se résumer aux projets développés par quelques opérateurs. Il convient que les pouvoirs publics donnent un signal qui rappelle l’ensemble des plateformes et des acteurs du quick commerce à leurs responsabilités. C’est la raison pour laquelle les Rapporteures préconisent de renforcer les sanctions à l’encontre des plateformes utilisant des personnes en situation illégale afin de les inciter à donner toute la portée nécessaire à leurs contrôles.

Proposition n° 13 : Renforcer les sanctions à l’encontre des plateformes utilisant des personnes en situation illégale.

Dans ce même esprit, Mme Maud Gatel considère qu’il convient par ailleurs de régler la situation des livreurs indépendants arrivés sur le territoire sans titre au séjour mais dont la situation et le comportement présentent aujourd’hui toutes les garanties de l’intégration.

En tant que tel, il n’existe pas d’instrument de droit permettant une procédure particulière d’admission pour motifs exceptionnels au regard de leur statut professionnel.

En effet, l’article L. 435-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) ne prévoit que la délivrance d’une carte de séjour temporaire portant la mention « salarié » ou « travailleur temporaire ». Suivant l’analyse de la direction de l’immigration, aucune disposition législative ne permet la délivrance d’un titre de séjour « entrepreneur/profession libérale », ce qui exclut en droit les personnes travaillant sous le statut d’autoentrepreneur.

De même, la circulaire interministérielle du 28 novembre 2012 (dite « circulaire Valls ») ([80]) se borne à fixer des orientations générales aux préfets pour l’instruction des demandes de titres de séjour des étrangers dans le cadre de l’obtention des cartes de séjour temporaire « salarié » et « salarié temporaire », ou encore « vie privée et familiale ».

Toutefois, ce motif peut faire l’objet d’une appréciation circonstanciée. Aussi Mme Maud Gatel estime qu’il faut d’examiner dans quelle mesure la « circulaire Valls » pourrait permettre d’appréhender la situation des livreurs indépendants dont la situation justifierait une admission exceptionnelle au séjour.

Du point de vue de Mme Anais Sabatini, le bien-fondé et l’opportunité de la régulation de travailleurs indépendants prêtent à débat. Une telle mesure ne saurait être envisagée que dans le cadre d’une politique plus globale qu’il conviendrait de définir à l’occasion de l’examen d’un éventuel projet de loi sur l’Immigration.

Proposition n° 14 [Mme Maud Gatel] : Réviser la « circulaire Valls » du 28 novembre 2012 afin de permettre la prise en considération de la situation des livreurs indépendants du quick commerce et du secteur de la livraison de manière appropriée.

● L’usurpation des comptes attribués aux livreurs des opérateurs du quick commerce et des plateformes constitue une seconde pratique source de travail dissimulé. Elle présente les mêmes causes, à savoir la falsification de titres d’identité.

Face au phénomène, l’État et quatre opérateurs ([81]) ont signé, le 5 avril 2022, la charte relative à la lutte contre la fraude et la sous-traitance irrégulière ([82]). Celle-ci prévoit :

– la réalisation de contrôles à une fréquence au moins hebdomadaire réalisés soit physiquement pour les professionnels qui reçoivent les livreurs dans leurs locaux, soit à distance par le biais d’outils numériques d’identification en temps réel par photographie pour les professionnels qui n’ont pas la capacité de réaliser des contrôles physiques ;

– la prise de mesures rendant impossible l’utilisation simultanée de plusieurs téléphones sur un même compte ;

– la recherche des indices de possibles pratiques irrégulières (telles que des connexions permanentes ou très longues, l’alimentation d’un même compte bancaire par plusieurs livreurs) et un examen approfondi de la situation avec les livreurs concernés.

D’après les éléments recueillis par la mission, plusieurs opérateurs auraient pris en application du texte deux initiatives :

– le déploiement d’une technologie de reconnaissance faciale en temps réel, qui permet de comparer les documents d’identité transmis par un titulaire de compte au livreur qui est effectivement en train d’effectuer la prestation ;

– le réexamen, grâce à des outils technologiques plus avancés qu’il y a quelques années, de pièces d’identité transmises par les livreurs, ce qui permettrait de détecter des pièces frauduleuses et contrefaites.

Les quatre principales plateformes de livraison de repas se sont engagées à renforcer et à harmoniser les moyens de contrôle de l’utilisation conforme des comptes de livreur. La société Uber eats a ainsi indiqué avoir procédé à la désactivation de 2 500 comptes et envisager la suspension de 5 000 à 7 000 nouveaux comptes à l’issue de sa compagne de vérification des profils des livreurs.

Il paraît cependant difficile de mesurer à ce stade les effets à long terme de ces engagements. La mission ne peut qu’encourager le Gouvernement et les parties prenantes à poursuivre cette dynamique, notamment dans le cadre des réunions de suivi organisées jusqu’à présent tous les six mois.

Au-delà, les Rapporteures estiment qu’il conviendrait de renforcer les sanctions à l’encontre des personnes se livrant à la sous-location de comptes, qui peut s’apparenter à de la traite des êtres humains.

Proposition n° 15 : Renforcer les sanctions pénales encourues par des personnes se livrant à la sous-location de comptes dans le cadre d’une activité de livraison de produits alimentaires.

● En dernier lieu, se pose la question du bon accomplissement des obligations déclaratives des livreurs indépendants, notamment en vue du paiement des cotisations applicables à leurs activités.

En la matière, les récents travaux de l’Observatoire du travail dissimulé ([83])  confirment ainsi la persistance d’une sous-déclaration des revenus perçus par les professionnels travaillant avec des plateformes. D’après une note publiée en décembre 2022 ([84]), près des trois quarts (73 %) des 121 500 autoentrepreneurs étudiés avaient déclaré à l’Urssaf des revenus inférieurs à ceux effectivement communiqués par les plateformes au titre de l’exercice 2021. Un peu moins de 40 % n’ont rien déclaré. Ainsi, le phénomène des « cotisations éludées » atteint des proportions assez similaires à celles observées en général pour les micro-entrepreneurs utilisateurs de plateformes : selon l’étude précitée, leur montant peut être estimé à 43 % des cotisations dues.

En soi, les éléments recueillis par la mission ne permettent pas d’établir dans quelle mesure de telles irrégularités participent d’une incapacité à accomplir les démarches administratives requises ou de comportements fautifs. Ils peuvent cependant inviter à s’interroger sur la possibilité de développer des dispositifs reposant sur le principe de tiers de confiance.

En vertu d’une loi adoptée en 2018 ([85]), les plateformes doivent communiquer chaque année à l’administration fiscale un document récapitulant l’ensemble des opérations réalisées par leurs utilisateurs. Ces données font ensuite l’objet d’une transmission à l’Urssaf, qui peut vérifier qu’elles correspondent aux siennes. Or, suivant l’analyse de l’Observatoire du travail dissimulé, les informations communiquées par les plateformes laissent à désirer.

Au-delà des difficultés qui peuvent entourer la sécurisation des informations et la méconnaissance des procédures existantes, vos Rapporteures estiment qu’il pourrait être utile de généraliser le dispositif de tierce déclaration.

De fait, le droit actuel prévoit déjà cette faculté, par exemple sur le fondement de deux dispositions :

– l’article 242 bis du code général des impôts, tel que modifié par la loi contre la fraude de 2018, qui organise la transmission des données relatives aux cotisations et impositions acquittées ;

– l’article L. 613-6 du code de la sécurité sociale : celui-ci prévoit ainsi que « [l]es travailleurs indépendants exerçant leur activité par l’intermédiaire d’une personne dont l’activité consiste à mettre en relation par voie électronique plusieurs parties en vue de la vente d’un bien ou de la fourniture d’un service peuvent autoriser par mandat cette personne à réaliser par voie dématérialisée les démarches déclaratives de début d’activité auprès de l’organisme unique mentionné au deuxième alinéa de l’article L. 123-33 du code de commerce », c’est-à-dire le guichet électronique des entreprises.

Une telle démarche pourrait supposer un approfondissement des obligations assignées aux plateformes dans ce cadre, ainsi que des campagnes d’information.

Proposition n° 16 : Développer le recours à des tiers de confiance et généraliser les procédures de tierce déclaration pour l’accomplissement des obligations incombant aux livreurs du quick commerce et des plateformes de livraison.

c.   Un renforcement des droits par le dialogue social ?

À l’évidence, l’amélioration de la condition des personnels des établissements et des livreurs du quick commerce ne dépend pas seulement de la loi. Compte tenu du rôle des indépendants dans l’organisation de l’activité, nombre de questions ne relèvent pas strictement du droit du travail mais de rapports contractuels. En conséquence, les entreprises et les professionnels ont un rôle à jouer dans l’établissement d’un contrat social équilibré sur le plan des conditions de travail et du partage de la valeur.

À ce stade, de premiers compromis ont été trouvés dans le cadre d’un dialogue social dont la structuration progresse par ailleurs.

Ce dernier repose, d’une part, sur la mise en place progressive des instances représentatives du personnel. S’ils ne peuvent prétendre offrir une vision consolidée, les éléments recueillis par la mission montrent qu’au sein des principales entreprises du quick commerce, l’installation du comité social d’entreprise et des délégués syndicaux est achevée.

D’autre part, les travailleurs indépendants des plateformes disposent, depuis 2016 et la « loi El Khomri » ([86]), d’un cadre de représentation et de négociations collectives avec leurs donneurs d’ordre. Précisée en 2021, son organisation procède des articles L. 7343-2 à L. 7343-26 du code du travail ([87]).

Le dispositif qu’elle institue repose d’abord sur l’organisation d’un scrutin de mesure de l’audience ayant pour objet la désignation des organisations représentatives des travailleurs et des plateformes ([88]). La procédure a été mise en œuvre pour la première fois en octobre 2022. Pour être représentatives, les organisations devaient recueillir 5 % des suffrages. Un second scrutin devrait être organisé en 2024 afin de tenir compte des besoins de structuration du secteur. Le seuil de représentativité sera alors porté à 8 % des suffrages exprimés.

Si la loi ne définit pas les thèmes du dialogue social de manière limitative, la mise en œuvre du cadre de représentation et de négociations entre les plateformes et les travailleurs indépendants comporte une Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi (ARPE). Les missions confiées à cet établissement public consistent à réguler, à susciter et à accompagner le dialogue social entre les plateformes de mobilité et les travailleurs indépendants qui leur sont liés par un contrat commercial. Elle peut apporter une assistance technique aux partenaires sociaux dans la conduite des négociations.

Les missions de l’ARPE

Au titre des missions fixées par l’ordonnance n° 2021-484 du 21 avril 2021, il revient à l’Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi :

– d’organiser les élections de représentativité ;

– de désigner les organisations représentatives des travailleurs indépendants et celles des plateformes ;

– de favoriser et d’accompagner le dialogue social, notamment en produisant des travaux d’études et de statistiques ;

– d’assurer la protection et l’accompagnement des représentants des travailleurs indépendants.

L’ARPE assure également l’indemnisation des heures de délégation et de formation dont ils bénéficient pour exercer leur mandat.

Source : réponse au questionnaire de la mission.

Ainsi que l’ont souligné les représentants de l’ARPE, l’organisation d’un tel cadre de représentation et de négociation collective constitue une originalité française. Elle repose sur un pari : celui que le dialogue social entre les entreprises et les travailleurs indépendants permettra d’améliorer leur condition de travail et le niveau de protection sociale dans le respect de la spécificité de leur statut.

De fait, le processus enclenché semble de nature à aboutir à permettre des avancées, ainsi qu’en témoignent les deux accords conclus le 20 avril 2023 ([89]). Ces derniers prévoient :

– l’établissement d’un revenu minimal garanti : l’accord conclu en la matière impose aux plateformes de livraison à domicile de rémunérer les livreurs à hauteur de 11,75 euros minimum par heure de travail effective (sans néanmoins prendre en compte le temps d’attente) ; le tarif pourra être revu chaque année ;

– l’encadrement des déconnexions des livreurs par les plateformes : afin de prévenir une rupture abusive des relations commerciales, les plateformes devront mettre en place un système de communication ad hoc permettant aux livreurs indépendants de signaler un incident ou une difficulté survenu à l’occasion de la réalisation d’une prestation ; elles s’engagent par ailleurs à mettre en place des mesures contre les fausses déclarations de clients à propos de la non-réalisation d’une livraison ; sur un plan procédural, la déconnexion ne pourra être réalisée sans une information préalable des livreurs qui devront être en mesure de présenter leurs observations et de contester la mesure avant une rupture définitive des relations commerciales ; en outre, cette dernière devra résulter de la décision prise par une personne physique et non par un algorithme ; enfin, une déconnexion ne pourrait être réalisée sans préavis pour des motifs administratifs.

– un cadre de méthode pour la conduite des futures négociations.

D’après les informations publiées par la presse, de prochains cycles de discussions devraient porter sur :

– l’amélioration du revenu des livreurs (par exemple, grâce à l’octroi de primes) ;

– les conditions de travail, avec la question de la reconnaissance de l’exercice de l’activité de livreur à domicile.

Si tout jugement sur la portée de ces engagements apparaît prématuré, il importe de conforter cette dynamique en étayant les fondements du cadre de représentation et de négociations établi par le législateur.

De fait, le bon déroulement du premier scrutin de mesure de l’audience ne saurait occulter la très faible participation à la désignation des organisations censées représenter les travailleurs des plateformes.

D’après les chiffres fournis par l’ARPE, seuls 1,83 % des 84 000 électeurs inscrits ont voté dans le secteur de la livraison ([90]). Le nombre très restreint de votants peut s’expliquer par plusieurs facteurs. L’ARPE évoque ainsi :

– la nouveauté du scrutin dans un secteur où la pratique de la démocratie sociale n’existait pas ;

– la mobilité des actifs, qui ne favorise pas la fidélisation des travailleurs par les syndicats ou la stabilité du corps électoral : ainsi, un grand nombre des inscrits sur la liste électorale n’étaient plus livreurs au moment de l’élection ;

– des difficultés techniques, en rapport avec dispositions visant à en sécuriser la confidentialité, pas toujours compatibles avec le caractère « volatil » des données nécessaires pour participer au vote (n° de téléphone, adresse mail, derniers caractères de l’IBAN).

D’après les éléments communiqués par l’ARPE, le processus électoral devait faire l’objet d’un retour d’expérience. Du point de vue de la mission, plus que des ajustements techniques dans l’organisation du scrutin, il conviendrait d’évaluer la pertinence des critères de participation au cadre de représentation et de négociations collectives.

De fait, tous les acteurs du secteur de la livraison n’entrent pas dans le champ du dispositif établi par l’ordonnance précitée du 21 avril 2021. Le texte édicte en effet des critères qui renvoient aux plateformes de mise en relation. Relèvent ainsi de son champ d’application les plateformes qui :

– recourent à des travailleurs indépendants pour le transport des marchandises : au demeurant, ces travailleurs doivent utiliser des véhicules à deux ou trois roues motorisés ou non ;

– assurent la mise en relation entre un client (particulier bénéficiaire de la prestation), un commerce et un livreur indépendant ;

– ne sont pas propriétaire de la marchandise livrée ;

– définissent les modalités de la prestation ;

– fixent le prix de la prestation.

Suivant l’analyse de l’ARPE, de telles conditions excluent des opérateurs comme Getir, Gorillas, Flink ou JustEat. Aussi, les Rapporteures jugent indispensable de conforter le cadre de représentation et de négociations collectives, en stimulant les discussions et en révisant les critères d’éligibilité des organisations représentatives.

Proposition n° 17 : Conforter le cadre de représentation et de négociations collectives entre les travailleurs indépendants et les plateformes, en stimulant les discussions et s’assurant de la pertinence des critères d’éligibilité.

d.   Un statut à consolider pour les salariés et les livreurs du quick commerce et de la livraison à domicile

Au-delà des aléas qui peuvent entourer l’application de la loi, il apparaît en effet que l’exercice des droits et des garanties en matière sociale peut se heurter à l’hétérogénéité des relations contractuelles. Cette situation préjudiciable peut influer sur les normes qui régissent la durée du travail (notamment la fixation du repos hebdomadaire) ou les conditions de rémunération. Elle résulte de deux facteurs essentiels.

● Le premier facteur d’inégalité réside dans la disparité des conventions collectives qui couvrent les personnels des établissements du quick commerce. Il ressort ainsi des éléments recueillis par la mission que les salariés du secteur peuvent relever d’au moins trois conventions de branche :

– la convention collective du commerce à distance, à l’exemple de Flink et de Getir ;

– la convention collective des transports routiers ;

– voire la convention collective nationale des entreprises de logistique.

Au-delà de ce critère de l’activité principale, le rattachement à l’une de ces trois conventions demeure fondamentalement à la discrétion des entreprises. D’après les analyses développées devant la mission, leur choix résulterait d’une appréciation en opportunité des avantages comparatifs procurés par chacune d’entre elles pour l’exploitation de leur activité.

Or, une telle politique ne paraît pas sans conséquence pour l’exercice des droits au travail et les équilibres de la concurrence avec d’autres secteurs du commerce. Aussi, les Rapporteures jugent indispensable de remédier aux disparités que le choix des conventions peut favoriser.

Dans cette optique, elles appellent les pouvoirs publics et les partenaires sociaux à travailler à l’établissement d’une convention unique pour le commerce de la livraison de produits alimentaires à domicile. À défaut, il conviendrait d’examiner une évolution des clauses de convention du commerce à distance et celles du transport susceptibles de régir cette activité.

Proposition n° 18 : Travailler à l’établissement d’une convention collective unique pour le commerce de livraison de produits alimentaires à domicile. À défaut, réaliser une clarification des clauses de la convention du commerce à distance et de la convention du transport, susceptibles de régir cette activité.

● Le second facteur d’inégalité tient à la précarité des droits dont disposent les travailleurs indépendants du secteur, nonobstant les apports de la négociation collective.

Certes, la qualité de prestataire de service leur procure en principe, au plan contractuel, une liberté absolue dans l’organisation de leur activité. Toutefois, suivant des constats réitérés devant la mission, il peut exister des situations de dépendance économique qui portent atteinte aux intérêts matériels des livreurs et réduisent leur autonomie à une fiction juridique.

De fait, la nature et la qualification juridique de la relation de travail entre les plateformes et les travailleurs indépendants soulèvent des difficultés redoutables du point de vue de la reconnaissance des droits.

Au plan jurisprudentiel, la jurisprudence de la Cour de cassation, illustrée par l’arrêt du 4 mars 2020 ([91]), permet une requalification de l’activité en contrat de travail sans pour autant établir nécessairement une présomption de salariat. Elle invite les juges à examiner in concreto si dans l’exécution des prestations, les instructions pouvant être données par les donneurs d’ordres (par exemple sur le choix des courses, sur leur itinéraire ou sur leur durée) ne s’assimilent pas à l’exercice d’un pouvoir de direction caractéristique des rapports entre un employeur et un salarié. D’une manière générale, les décisions des cours d’appel et des conseils des prud’hommes peuvent être très partagées, suivant l’analyse des représentants de l’ARPE.

On notera par ailleurs que, sous réserve des suites qui pourraient être données à un récent jugement du tribunal administratif de Paris ([92]) , le contrôle des relations entre indépendants et donneurs d’ordre n’entre pas dans le champ de compétence de l’Inspection du travail.

La question du statut des travailleurs indépendants prend aujourd’hui un nouveau relief avec un projet de directive de la Commission européenne qui envisage l’établissement d’une présomption de salariat des travailleurs européens.

Le projet de directive européenne

tendant à établir une présomption de salariat

Présenté le 9 décembre 2021, la proposition de directive relative à l’amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail par le biais d’une plateforme poursuit un double objectif :

– préciser le statut professionnel des travailleurs de plateforme en instaurant un mécanisme de présomption réfragable de salariat ;

– encadrer et améliorer la transparence de la gestion algorithmique du travail.

Le jeudi 2 février 2023, le Parlement européen a adopté, en tant que mandat de négociation pour le trilogue, le rapport (version modifiée du texte initial) présenté et négocié en commission. Le texte du Parlement entend instaurer une présomption de salariat d’application générale à tous les travailleurs de plateforme et non subordonnée à certains critères.

À ce jour, le Conseil n’a pas encore trouvé d’accord final sur une orientation générale et poursuit donc ses travaux.

Source : réponse au questionnaire de la mission.

Si les indépendants manifestent un réel attachement pour leur statut, un rapprochement des droits dont peuvent bénéficier les salariés ne paraît pas irréalisable.

Dans cette optique, la mission pense qu’il conviendrait d’envisager la possibilité du recours à un tiers, par exemple dans le cadre d’un dispositif de portage salarial tel que proposé dans le récent rapport de M. Jean-Yves Frouin. Cette mesure présenterait en effet l’avantage de donner pleinement accès aux droits de la protection sociale, tout en préservant les particularités du statut ([93]). Une démarche de cette nature pourrait ouvrir la perspective d’un renforcement des conditions d’affiliation à la Sécurité sociale et, suivant des modalités restant à définir, à l’assurance chômage et au compte pénibilité. Le sujet de la limitation du temps de travail pourrait également être induit.

Proposition n° 19 : Garantir les droits des livreurs indépendants par le recours à des dispositifs de portage salarial.

B.   Une place À trouver dans les villes

1.   Des exigences urbanistiques à défendre

En premier lieu, il s’agit de préserver la physionomie et l’équilibre des paysages urbains face à des entreprises qui, dans leur quête effrénée de croissance, ont négligé les conditions de leur insertion dans des zones densément peuplées. Une telle politique a pu conduire à l’aménagement de locaux aveugles qui ne contribuent pas à l’animation commerciale des quartiers, ou encore à des installations en des lieux inappropriés (comme les linéaires protégés ou les rez-de-chaussée d’immeuble).

Ainsi que le montrent les travaux de la mission, les modèles d’affaire varient et les conditions de l’activité peuvent évoluer. Le constat des dérives qui ont pu émailler le développement du quick commerce n’en incite pas moins à une certaine vigilance, ce qui pose la question de l’efficacité du droit de l’urbanisme.

a.   Assurer la pertinence de l’environnement réglementaire applicable à l’implantation des établissements du quick commerce

● Dans une certaine mesure, les problèmes soulevés par ces activités nouvelles peuvent s’expliquer par une relative inadaptation des normes qui encadrent l’établissement des documents de planification urbaine.

Il apparaît en effet que les plans locaux d’urbanisme (PLU) peuvent comporter un certain nombre de prescriptions de nature – en principe – à encadrer l’implantation et l’aménagement des établissements du quick commerce.

Il en va ainsi du PLU de la Ville de Paris qui affirme un certain nombre de principes relatifs à la définition des locaux relevant de la catégorie des commerces, aux caractéristiques des devantures ou aux conditions d’implantation des activités logistiques. Les éléments communiqués par la Ville de Lyon donnent à penser que le PLU de cette dernière peut traiter de sujets assez similaires.

Quelques prescriptions

du Plan local d’urbanisme de la Ville de Paris

Sur les devantures commerciales et l’insertion urbaine

Le 1° de l’article UG.11.1.4 du PLU définit les caractéristiques des rez-de-chaussée :

– « Les rez-de-chaussée doivent présenter des façades les plus ouvertes possible en évitant l’implantation directement en façade sur voies de locaux aveugles (locaux techniques, de service) » ;

– « les parties pleines (ou opaques) doivent être les plus limitées possible » ;

– L’usage des vitrophanies est interdit.

Le 2° de l’article UG.11.1.4 du PLU définit les caractéristiques des devantures : « les matériaux et couleurs des devantures proposés doivent être en accord avec l’architecture du bâtiment qui les supporte ».

Sur la définition des commerces :

En application du code de l’urbanisme, « [c]ette destination comprend les locaux affectés à la vente de produits ou de services et directement accessibles à la clientèle, et leurs annexes ». Au titre du PLU de Paris en vigueur, « [p]our être rattachés à cette destination, les locaux d’entreposage ne doivent pas représenter plus de 1/3 de la surface de plancher totale ».

Sur les conditions d’implantation des entrepôts

Le 1° de l’article UG.2.2.2 du PLU interdit spécifiquement la création d’entrepôt à deux titres :

– La fonction d’entrepôt n’est admise que sur des terrains ne comportant pas d’habitation autre que les logements de gardien. Cette restriction s’étend à l’ensemble du terrain, particulièrement pour des raisons de sécurité incendie ;

– La transformation en entrepôt de locaux existants en rez-de-chaussée sur rue est interdite.

le 2° de l’article UG.2.2.2 du PLU définit divers dispositifs de protection de l’activité :

– au sein des linéaires commerciaux et artisanaux, la transformation des surfaces en
rez-de-chaussée sur rue en d’autres destinations que « commerce » ou « artisanat » est interdite ;

– au sein des sites de protection de l’artisanat et de l’industrie, la transformation des locaux en une destination autre que ces deux destinations est interdite

Source : réponses au questionnaire de la mission.

Néanmoins, la portée et le caractère opérationnels des règles d’urbanisme demeurent nécessairement tributaires de la capacité des autorités locales à rattacher les établissements du quick commerce à des catégories appropriées à leurs caractéristiques.

Or, jusqu’à encore très récemment, la nomenclature des destinations prévues par le droit de l’urbanisme pouvait comporter des incertitudes susceptibles de rendre inopérantes les normes fixées par les documents d’urbanisme. Ces ambiguïtés pouvaient également affecter la mise en œuvre de régimes d’autorisation (permis de construire) ou de déclaration, en particulier en cas de changement de destination.

En l’occurrence, la nomenclature établie sur le fondement des textes pris pour l’application de la « loi Alur » ([94]) classait les constructions dans cinq destinations ([95]) : « 1° Exploitation agricole et forestière » ; « 2° Habitation » ; « 3° Commerce et activités de service » ; « 4° Équipements d’intérêt collectif et services publics » ; « 5° Autres activités des secteurs secondaire ou tertiaire ».

En revanche, la définition donnée à la sous-destination « artisanat et commerce de détail » ne permettait pas nécessairement de distinguer les commerces des dark stores et des dark kitchens, en l’absence d’une catégorie ou de mentions en rapport avec leurs caractéristiques ([96]).

À cette difficulté, pouvait s’ajouter la portée incertaine de notions ou de prescriptions insérées dans les plans locaux d’urbanisme à raison de choix très locaux.

Il en va de la notion de « constructions et installations nécessaires aux services publics ou d’intérêt collectif » (ou « cinaspic ») consacrée dans le PLU parisien. D’après la définition donnée par la Ville, cette catégorie de constructions inclut les bâtiments affectés à la logistique urbaine de proximité. Le PLU interdit les entrepôts dans les bâtiments d’habitation mais y autorise les Cinaspic.

Or, la notion a donné lieu à une interprétation problématique qui a pu conduire à suspendre les décisions prises à l’encontre d’aménagements réalisés en contravention du PLU ([97]), en exécution de l’ordonnance rendu le 5 octobre 2022 dans le litige opposant la Ville à des opérateurs du quick commerce.

L’interprétation de la notion de cinaspic dans le contentieux

opposant la Ville de Paris à Frichti et Gorillas

Aux termes d’une ordonnance en référé du 5 octobre 2022, le tribunal administratif de Paris a considéré qu’en contribuant à limiter le trafic routier nécessaire aux livraisons, les dark stores pouvaient être assimilés à des locaux affectés à la logistique urbaine de proximité. À ce titre, ils pouvaient être autorisés dans les bâtiments d’habitation et leur installation ne nécessitait pas de permis de construire en l’absence de changement de destination, contrairement aux moyens présentés en défense par la Ville de Paris.

Cette ordonnance a été infirmée par le Conseil d’État le 23 mars 2023 ([98]) aux motifs que :

– la possibilité de mettre en demeure et de prononcer une astreinte administrative en cas de non-remise en état de locaux sur la demande de l’autorité administrative vaut pour l’ensemble des opérations soumises à permis de construire, permis d’aménager et permis de démolir ou déclaration préalable énumérées à l’article L. 481-1 du code de l’urbanisme, et pas pour les seuls travaux ;

– en raison de leur usage (à savoir la réception et le stockage ponctuel de marchandises), les locaux de Frichti et Gorillas ne constituent plus des commerces mais relèvent de la catégorie des entrepôts, telle que définie par l’arrêté du 10 novembre 2016 ; en conséquence, il a bien été procédé à un changement de destination qui nécessitait une déclaration préalable ;

– l’occupation des locaux ne participe pas de la logistique urbaine, telle que conçue par le plan local d’urbanisme de la Ville de Paris.

Par ailleurs, suivant l’arrêt du Conseil d’État, le fait que le PLU de la Ville repose encore sur les dispositions antérieures à la loi Alur ne comporte pas d’incidence pour l’espèce.

Source : réponses aux questionnaires de la mission

Il importe aujourd’hui de tirer toutes les conséquences des inflexions apportées au cadre réglementaire, en conséquence du décret et de l’arrêté publiés le 22 mars 2023 ([99]) et qui entreront en vigueur le 1er juillet de cette année.

Pris à la suite de concertations avec les élus locaux et après avis du Conseil d’État, ces deux textes visent à clarifier le statut des établissements du quick commerce au regard de la nomenclature des destinations existantes. En particulier, l’arrêté modifie ou complète la définition des sous-destinations, avec pour finalités :

– le rattachement des dark stores à la sous-destination « entrepôt » : en application du texte, la catégorie « recouvre les constructions destinées à la logistique, au stockage ou à l’entreposage des biens sans surface de vente, les points permanents de livraison ou de livraison et de retrait d’achats au détail commandés par voie télématique, ainsi que les locaux hébergeant les centres de données » ;

– la création d’une sous-destination propre aux dark kitchens : d’une part, l’arrêté crée une nouvelle sous destination intitulée « cuisine affectée à la vente en ligne » qui rassemble « les constructions destinées à la préparation de repas commandés par voie télématique », étant précisé que « [c]es commandes sont soit livrées au client soit récupérées sur place » ; d’autre part, il classe les cuisines affectées à la vente en ligne parmi les constructions qui relèvent de la destination « autres activités des secteurs primaire, secondaire ou tertiaire » prévue au 5° de l’article R. 151-27 du code de l’urbanisme ;

– l’affirmation du caractère commercial des drives piétons : à cet effet, l’arrêté inclut dans le champ de la sous-destination « artisanat et commerce de détail » « les locaux dans lesquels sont exclusivement retirés par les clients les produits stockés commandés par voie télématique » ;

Le nouveau cadre permet également d’imposer une procédure de déclaration préalable en cas de transformation d’un commerce (relevant de la destination « commerces et autres activités de services) en dark stores ou dark kitchens. Une telle procédure parait de nature à réaliser une vérification
a priori – de la conformité du projet aux règles des plans locaux d’urbanisme.

Si les décrets et arrêtés apportent d’utiles précisions au cadre réglementaire, il convient cependant de ne pas mésestimer les enjeux qui entourent leur mise en application et de ne pas se méprendre sur leur exacte portée.

Ainsi que le confirme l’analyse établie par la direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages (DHUP), leurs dispositions ne valent que pour l’avenir. Elles ne produiront pas d’effet sur les locaux existants, notamment ceux qui ont été convertis en dark stores avant l’entrée en vigueur des textes.

Le décret et l’arrêté s’appliqueront uniquement dans le cadre de l’instruction des demandes d’autorisation d’urbanisme, au regard des dispositions applicables du PLU et de celles de l’arrêté applicable au moment de la délivrance de l’acte. Elles n’entraîneront donc pas la fermeture des dark stores existants là où la nouvelle réglementation les interdit, si ces derniers avaient été créés conformément à l’ancienne définition des sous-destinations, notamment à celle de l’« entrepôt » ou du « commerce ».

Du point de vue de la mission, une telle restriction ne rend que plus nécessaire une révision des plans locaux d’urbanisme afin de tirer pleinement parti des outils procurés par la définition des catégories auxquelles se rattachent les établissements du quick commerce. Il s’agit également d’assurer la cohérence de l’environnement réglementaire applicable aux entrepôts, lesquels ne se réduisent pas aux dark stores et peuvent présenter un intérêt pour la structuration des activités économiques.

Proposition n° 20 : Réviser les documents de planification urbaine afin de tirer les conséquences des précisions apportées par le décret et l’arrêté du 22 mars 2023 s’agissant du classement des établissements du quick commerce parmi les destinations du droit de l’urbanisme.

b.   Conforter la capacité des collectivités à imposer le respect des exigences des documents d’urbanisme

Au-delà des difficultés qui peuvent entourer leur identification, le développement souvent incontrôlé des établissements du quick commerce pose la question de l’efficacité des procédures susceptibles d’assurer le respect des documents de planification urbaine.

Certes, le droit en vigueur accorde aux collectivités des ressources d’ordre procédural afin de réguler l’occupation des sols et de répondre à des enjeux d’aménagement du territoire. Il s’agit notamment des droits de préemption que les communes utilisent afin de préserver le caractère commercial de certaines zones. Peuvent ainsi contribuer à cet objectif :

– l’exercice du droit de préemption urbain, qui permet aux collectivités d’acquérir le foncier dans un but d’intérêt général, sans avoir recours à l’expropriation, qui constitue une procédure plus lourde ;

– le recours à un droit de préemption sur les baux commerciaux : par délibération motivée, le conseil municipal peut ainsi délimiter un périmètre de sauvegarde du commerce et de l’artisanat de proximité, à l’intérieur duquel sont soumises au droit de préemption les aliénations à titre onéreux de fonds artisanaux, de fonds de commerce ou de baux commerciaux ([100]).

Au-delà, il convient naturellement de rappeler l’importance des pouvoirs de police reconnus aux maires et qui permettent l’application de sanctions pénales en cas de construction réalisées en contravention avec des règles de procédure ou avec des règles de fond du droit de l’urbanisme. Il en va ainsi lorsque le droit applicable exige une autorisation de construire ou une déclaration préalable, notamment en cas de changement de destination.

Néanmoins, ainsi que l’ont souligné plusieurs intervenants – dont les représentants des collectivités territoriales –, l’efficacité de ces procédures peut présenter un caractère aléatoire. Les éléments recueillis par la mission mettent en lumière plusieurs obstacles que constituent :

– le coût et les délais des procédures de préemption ;

– les ressources humaines et financières nécessaires à la conduite des procédures de sanction en droit de l’urbanisme, notamment l’exigence d’agents assermentés afin de dresser les infractions ;

– la longueur des procédures judiciaires, qui prive d’effets les procédures coercitives

Aussi, les Rapporteures estiment qu’il conviendrait de favoriser un plus grand recours au prononcé d’astreintes et d’amendes administratives dans le cadre du dispositif établi par la loi de 2019 sur l’engagement local ([101]).

Ce dernier permet aux maires et aux présidents d’EPCI, à la suite d’un procès-verbal constatant la réalisation de certains travaux sans autorisation ou déclaration préalable :

– de mettre en demeure la personne responsable soit de réaliser les travaux de mise en conformité requis, soit de déposer une demande d’autorisation ou une déclaration préalable, afin de procéder à la régularisation de la situation, dans un délai qu’ils déterminent (article L. 481-1 du code de l’urbanisme) ;

– de prononcer une astreinte administrative journalière allant jusqu’à 500 euros par jour de retard, en plus de la mise en demeure et indépendamment d’une procédure pénale engagée (article L. 481-2 du code de l’urbanisme) ;

– d’imposer aux personnes n’ayant pas réservé une suite favorable à la mise en demeure, de pouvoir consigner, entre les mains du comptable public, une somme équivalant au montant des travaux à réaliser : la somme sera restituée au contrevenant au fur et à mesure de l’exécution des mesures de restitution prescrites (article L. 481-3 du code de l’urbanisme).

Les éléments recueillis par la mission donnent à penser que dans l’ensemble, le dispositif pâtit d’un manque de publicité et de la relative faiblesse des montants des amendes pouvant être infligées (au regard de leur plafonnement à 25 000 euros).

Aussi les Rapporteures préconisent de relever le montant des amendes pouvant être infligées et de mener une campagne d’information sur le dispositif.

Proposition n° 21 : Renforcer l’usage du dispositif créé par la loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale par une campagne d’information et le relèvement du montant des astreintes pouvant être prononcées.

Au-delà, la mission juge qu’il conviendrait d’examiner la possibilité d’une décentralisation et une dépénalisation des sanctions des infractions au droit de l’urbanisme.

Même si elles peuvent susciter des interrogations du point de vue de la cohérence du droit applicable, de telles orientations pourraient présenter deux intérêts : d’une part, offrir une plus grande capacité de réaction aux autorités les plus directement chargées de veiller au respect du droit de l’urbanisme ; d’autre part, favoriser une possible adaptation aux circonstances locales.

Ainsi que l’ont relevé plusieurs intervenants, des phénomènes disruptifs à l’exemple du quick commerce, rendent mal aisée une réponse rapide à l’échelle nationale, compte tenu du caractère très centralisé de notre État.

Proposition n° 22 : Examiner la possibilité d’une décentralisation et une dépénalisation des sanctions des infractions au droit de l’urbanisme.

2.   Un développement à inscrire dans l’organisation d’une logistique urbaine moderne

S’il comporte de nombreuses externalités négatives, l’appareil logistique déployé par les entreprises du quick commerce n’en met pas moins en exergue deux problèmes fondamentaux, qui dépassent le seul enjeu de l’application du droit de l’urbanisme : il s’agit de l’organisation du « dernier kilomètre » vers les consommateurs et des conditions de l’approvisionnement des villes.

Au regard des exigences de la lutte contre les effets du changement climatique, il importe en effet de favoriser une mutualisation des flux de livraison, ainsi qu’une certaine proximité entre les circuits de distribution et les lieux de vie. Ceci pose la question de la part des « mobilités propres » mais aussi des espaces disponibles pour le stockage et l’acheminement des produits susceptibles de répondre aux besoins des populations. De fait, ce qu’on appelle la « logistique urbaine » génère embouteillage et pollution. À Paris, 25 % des émissions de gaz carbonique auraient pour source le transport de marchandises.

Face à ces constats, la logistique urbaine tend à devenir un objet de politique publique.

La Ville de Paris prévoit ainsi de renforcer le maillage de zones affectées à la logistique urbaine afin de développer une livraison du dernier kilomètre plus décarbonée et silencieuse. Elle envisage aussi d’augmenter le nombre de sites multimodaux qui limiteront le transport routier polluant et bruyant.

À l’issue du deuxième comité interministériel sur la logistique, tenu à Hénin-Beaumont le 21 octobre 2021, le Gouvernement a pour sa part annoncé :

– le projet de développer 49 « Territoires de logistique » : identifiés par les collectivités locales, ce dispositif doit permettre de proposer des facilités pour l’implantation d’activités logistiques, avec pour objectif un usage plus sobre du foncier ;

– l’organisation de conférences régionales de la logistique pour accompagner les collectivités dans l’identification des besoins et de l’offre en matière de sites logistiques ;

– le lancement d’une stratégie en faveur d’une logistique urbaine durable à l’occasion de la remise du rapport sur le sujet.

Si la mission n’a pas recueilli d’éléments quant aux suites données à l’ensemble de ses annonces, elle ne peut qu’appeler à mener à bien ces projets et de veiller à ce que le développement du quick commerce soit réalisé dans un tel cadre.

Proposition n° 23 : Inscrire le développement du quick commerce dans le cadre des initiatives tendant à l’aménagement d’espaces de logistique urbaine adaptés à un approvisionnement des villes conforme aux exigences de la transition écologique.

Sur le plan du droit, il pourrait être utile de donner à ces initiatives un fondement dans les documents de planification urbaine. Aussi la mission estime qu’il conviendrait de clarifier la notion de « cinaspic » qui, comme observé, figure dans le PLU de la Ville de Paris et a pu donner lieu à interprétation.

Proposition n° 24 : Clarifier la notion de cinaspic dans les documents de planification urbaine.

 


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EXamen en commission

Lors de sa réunion du mercredi 3 mai 2023, la commission a examiné le rapport de la mission d’information sur le quick commerce (Mmes Maud Gatel et Anaïs Sabatini, rapporteures).

Ce point de l’ordre du jour n’a pas fait l’objet d’un compte rendu écrit. Les débats sont accessibles sur le portail vidéo de l’Assemblée nationale à l’adresse suivante :

https://assnat.fr/oO8YFx

La commission a approuvé la publication du présent rapport d’information.

 


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Liste des personnes auditionnÉes

Par ordre chronologique

 

Laboratoire Ville Mobilité Transport (LVMT) de l’université Gustave Eiffel (Champ sur Marne)

Mme Laëtitia Dablanc, directrice de recherche

M. Matthieu Schorung, chercheur associé

Mme Heleen Buldeo Rai, post doctorante

Novlaw

Maître Laurent Bidault, avocat spécialisé en droit de la construction et en droit public

Maître Baptiste Robelin, avocat expert en droit commercial, droit des contrats et nouvelles technologies

Atelier parisien d’urbanisme (APUR)

Mme Stéphanie Jankel, directrice d’étude en charge de l’habitat, l’économie et du commerce

M. François Mohrt, chef de projet

M. Malo Depince, professeur de droit, maître de conférence en droit privé (droit de la consommation et du marché) à l’université de Montpellier

Audition conjointe :

Institut Nielsen

M. Daniel Ducrocq, responsable Distributeurs France et Europe

M. Xavier Segalié, directeur général

Cabinet Vertone

M. Charlélie Bensoussan Gaubert

 

Table ronde des Fédérations professionnelles du commerce :

Confédération des commerçants de France

M. Francis Palombi, président

Mme Laure Brunet-Ruinart de Brimont, déléguée générale

Fédération du commerce et de la distribution

Mme Layla Rahhou, directrice des affaires publiques

Fédération de l’e-commerce et de la vente à distance (FEVAD)

M. Marc Lolivier, délégué général de la Fevad

Chambres françaises de commerce et d’industrie (ACFCI) dite « CCI France »

M. Jean-Luc Chauvin, président de la CCI Aix-Marseille-Provence, secrétaire du Bureau de CCI France

M. Edgar Egnell, chargé de mission Commerce et activités de proximité à CCI France

M. Pierre Dupuy, chargé de mission Affaires publiques ultramarines et relations avec le Parlement

Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (Dgccrf)

M. Pierre Chambu, chef de service de la protection des consommateurs et de la régulation des marchés

Procos, Fédération représentative du commerce spécialisé

M. Emmanuel Le Roch, délégué général

Mme Chloé Jouglas-Geindreau, conseil de Procos

Ville de Paris

M. Emmanuel Grégoire, premier adjoint à la maire de Paris, en charge de l’urbanisme, de l’architecture, du Grand Paris, des relations avec les arrondissements et de la transformation des politiques publiques

Mme Lily Munson, directrice de cabinet adjointe

Mme Olivia Polski, adjointe à la maire de Paris, en charge du commerce, de l’artisanat, des professions libérales et des métiers d’art et de mode

Mme Leila Derouich, directrice des affaires juridiques de la Ville de Paris

M. Stéphane Lecler, directeur de l’urbanisme

Ville de Lyon

Mme Laurence Léger, directrice de la direction économie commerce et artisanat

M. Serge Roby, responsable du service urbanisme appliqué à la direction de l’aménagement urbain

M. Manuel Zenger, juriste au service urbanisme appliqué à la direction de l’aménagement urbain

M. Stéphane Sambuis, chargé de mission études et urbanisme commercial à la direction économie, commerce et artisanat

Table ronde des organisations professionnelles représentatives du secteur de la restauration :

UMIH chargé du secteur de la restauration

M. Hubert Jan, président délégué

M. Frank Delvau, président UMIH – Île-de-France

Groupement national des Indépendants (GNI)

M. Laurent Frechet, président des Restaurateurs au GNI

Mme Émilie Bono, directrice du département économique & juridique du GNI

Getir

M. Nicolas Musikas, directeur général France

Mme Mathilde Clauser, directrice des affaires institutionnelles

Mme Karolina Sobkowicz, directeur de Dentons global advisors

Deliveroo France

M. Julien Lavaud, responsable des affaires publiques France

M. Tanguy Blanchard, Local Public Affairs Manager

Flink

M. Guillaume Luscan, directeur général

Mme Maëlle Bakouche, conseil de Flink

Table ronde des organisations représentatives des salariés :

CFDT Services

M. Johann Tchissambou, délégué syndical CFDT au sein de l’entreprise Getir

M. Samuel Yim, secrétaire fédéral en charge de la convention collective nationale du commerce à distance

Fédération SUD commerces et services

M. Laurent Degousée, référent plateformes

Fédération du commerce de Force ouvrière (FO)

M. Sébastien Busiris, secrétaire général

FEC FO « commerce à distance »

M. Gérald Gautier, secrétaire de la section commerce & VRP (non alimentaire)

FGTA FO « commerce à prédominance alimentaire »

Mme Angélique Bruneau

FO Transport

M. Khalid Oughzif

Uber eats

M. Pierre Delalande, directeur des affaires publiques France et Europe du Nord

M. Alexis Cintrat, responsable des affaires publiques

Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL)

M. Mathias Moulin, secrétaire général adjoint

Mme Nacéra Bekhat, cheffe du service des affaires économiques

Mme Astrid Mariaux-de Rugy, cheffe du service des contrôles – affaires économiques

Mme Chirine Berrichi, conseillère pour les questions parlementaires et institutionnelles

Table ronde des associations d’élus locaux :

Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité

M. Alain Chrétien, maire de Vesoul, président de l’Agglo de Vesoul et président des maires de Haute-Saône, représentant l’AMF

Mme Annick Pillevesse, responsable du service juridique de l’AMF

Mme Charlotte de Fontaines, chargée des relations avec le Parlement

France Urbaine

M. Lionel Delbos, conseiller économie territoriale et tourisme

Mme Sarah Bou Sader, conseillère relations parlementaires

Delipop – DFR

M. Stéphane Legatelois, président de DFR

M. Perceval Street, responsable Immobilier et Marketing de DFR

M. Bruno Le Roux, conseiller spécial de DFR

Stuart France

Mme Faustine Pô, directrice des affaires publiques

Carrefour

Mme Selma Bekhechi Berrahma, directrice Accélération digitale et e‑commerce

Mme Sabrina Lantoine, directrice des Partenariats e‑commerce

Mme Nathalie Namade, directrice des affaires publiques

Auchan

M. Philippe Brochard, directeur général Auchan France et Luxembourg

Mme Émilie Soleri, directrice générale déléguée en charge du e-commerce, du marketing et du digital

M. Guillaume Gardillou, directeur France des grands projets, de l’urbanisme commercial, et des affaires publiques Auchan Retail France

Table ronde d’avocats spécialisés en droit du travail :

Cabinet Wan avocats :

Me Isabelle Wekstein, avocat associé fondatrice du Cabinet Wan avocats

Me Tilia Bopp, avocat à la Cour, membre du cabinet

Me Christophe Marciano, avocat à la Cour (Toulouse)

Me Stéphane Teyssier, avocat associé au Cabinet Teyssier et Barrier (Lyon)

Direction générale du travail (DGT) – ministère du travail, du plein emploi et de l’insertion

Mme Nina Prunier, cheffe du bureau des relations individuelles du travail

Mme Marion Gaudemet, adjointe à la cheffe du bureau de la durée et des revenus du travail

Mme Annaïck Laurent, directrice générale adjointe

Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi (ARPE)

M. Bruno Mettling, président du conseil d’administration, président du conseil des acteurs des plateformes

M. Joël Blondel, directeur général

Sous-direction du commerce, de l’artisanat et de la restauration (direction générale des entreprises – ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique)

Mme Marie de Boissieu, sous-directrice

M. Louis Begards, directeur de projets commerce

Direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages (DHUP) (ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires)

M. Vincent Montrieux, magistrat, sous-directeur de la qualité du cadre de vie

Mme Alizé Nayaradou Becker, chargée d’études urbanisme commercial

Association des centres distributeurs Edouard Leclerc

M. Pascal Beaudoin, administrateur ACDLec

M. Jean-Paul Pageau, adhérent E. Leclerc à Jonchery-sur-Vesle

M. Alexandre Tuaillon, responsable des affaires publiques

Direction de l’immigration (direction générale des étrangers en France – ministère de l’intérieur et des Outre-mer)

M. Ludovic Guinamant, administrateur de l’État hors classe, sous-directeur du Séjour et du travail

Monoprix

M. Guillaume Seneclauze, président


([1]) Proposition de résolution n° 5147 visant à réguler le secteur de la livraison alimentaire à domicile, déposée le 7 mars 2022, par Mme Maud Gatel et les membres du groupe du Mouvement démocrate et apparentés (https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b5147_proposition-resolution#).

([2]) Ainsi que l’ont rappelé les représentants de l’université Gustave Eiffel, si l’entrée du quick commerce sur le marché européen de la consommation date des années 2020 et 2021 en Europe, le mode de consommation existe depuis bien plus longtemps dans des économies telles que la Chine, la Turquie ou les États-Unis. On observera d’ailleurs que les principaux opérateurs étrangers du secteur en proviennent, à l’exemple de Hema Fresh, Missfresh, Aliexpress (Chine), Getir (Turquie) ou Gopuff (États-Unis).

([3]) Document fourni par Mme Laëtitia Dablanc, directrice de la Chaire Logistics city (Laboratoire Ville, Mobilité, Transport de l’Université Gustave Eiffel).

([4]) À l’exemple de l’offre de service développée par Delipop.

([5]) Carrefour Sprint permet la commande d’articles proposés à la vente aux rayons des courses alimentaires, au rayon « bébé », au rayon « entretien hygiène beauté », ainsi qu’au rayon « maison » (piles, papeterie, vaisselle à jeter, etc.). L’offre porte sur des marques nationales et des marques Carrefour. D’après les éléments communiqués aux Rapporteures, les accords conclus par le groupe couvrent 16 grandes agglomérations, à savoir Paris et sa petite couronne ; Lyon ; Bordeaux ; Clermont-Ferrand ; Le Havre ; Lille ; Marseille ; Montpellier ; Nantes, Nice ; Pau ; Rennes ; Rouen ; Strasbourg ; Toulouse et Tours.

([6]) Dans le cadre de ce partenariat, Casino s’engageait à approvisionner Gorillas et à lui donner accès aux produits de sa centrale d’achat. En échange, l’opérateur devait proposer à la vente des articles de la marque distributeur Monoprix.

([7]) En l’occurrence, Carrefour a pris une participation minoritaire au capital de Cajoo à l’été 2021 tandis que Casino faisait partie des actionnaires de Frichti.

([8]) Nielsen IQ Fox Intelligence – Cumul à date arrêté au 8 mai 2022.

([9]) L’Information Resources, Inc (IRI) est une entreprise internationale reconnue pour sa capacité d’analyse et d’exploitation des données marketing et services pour clients, notamment dans les secteurs des nouvelles technologies, des produits de grande consommation, de la distribution.

([10]) Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes.

([11]) Atelier parisien d’urbanisme, Étude : Drive piétons, dark kitchens, dark stores – Les nouvelles formes de la distribution alimentaire à Paris, février 2022, p. 13, www.apur.org.

([12]) Réponses au questionnaire de la mission.

([13]) Fédération d’e-commerce et de la vente à distance. Voir également Xavier Lemuet, « Achats alimentaires au sein du e-commerce », Médiamétrie, 2022.

 

([14]) 6t Bureau de recherche, L’impact des services d’e-commerce alimentaire sur les modes de vie des ménages à Paris, Londres et Genève, décembre 2022.

([15]) Soit 20 % des personnes interrogées dans le cadre de l’étude précédemment citée.

([16]) Soit près de la moitié de l’échantillon des personnes interrogées dans le cadre de la même étude.

([17]) Suivant le décompte établi par la DGCCRF en réponse au questionnaire de la mission. D’après les représentants de Nielsen, le marché français comptait 11 acteurs d’envergure nationale en 2021.

([18]) https://www.lefigaro.fr/societes/getir-france-a-demande-son-placement-en-redressement-judiciaire-20230421

([19]) Financial times, « Getir acquires grocery app rival Gorillas in $1.2bn deal », décembre 2022, https://www.ft.com/content/aba36d58-f1d5-45f5-bb6d-2ee7d9aa07d5

([20]) Charlélie Bensoussan Gaubert, Pierre Brun, Tiphanie Gain et Arthur Léauté, « Le quick commerce : véritable tendance du commerce de demain ou simple mode passagère #1 », blog du cabinet Vertone, juin 2022 (https://vertone.com/blog/2022/06/03/le-quick-commerce-1/).

([21]) D’après les chiffres évoqués par le représentant de la DGCCRF, le coût du rachat de Cajoo par Flink en mai 2022 serait compris entre 90 millions et 100 millions d’euros.

([22]) D’après les informations publiées dans la presse, les licenciements portaient sur près d’une centaine de livreurs et de préparateurs de commandes dans les sites français. Voir Claire Domenech, « Getir se sépare de plusieurs centaines d’employés sans plan de licenciement », Capital.fr, 28 juillet 2022.

([23]) En 2022, la plateforme Gorillas a annoncé vouloir supprimer 300 postes administratifs. Ces licenciements ne semblent pas concerner la France.

([24]) Selon une information parue dans Capital, pas moins de 200 procédures de licenciement, dont la plupart pour « faute grave », auraient été engagées au mois de juin 2022 par Getir France. Voir Claire Domenech, « Getir se sépare de plusieurs centaines d’employés sans plan de licenciement », Capital.fr, 28 juillet 2022.

([25]) Jamal El Hassani, « Quick commerce : Flink a réalisé 400 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2022 », lsa-conso.fr, 4 janvier 2023, https://www.lsa-conso.fr/quick-commerce-flink-a-realise-400-millions-d-euros-de-chiffre-d-affaires-en-2022,427729.

([26]) Voir Charlélie Bensoussan Gaubert, Pierre Brun, Tiphanie Gain et Arthur Léauté, « Le quick commerce : quels facteurs clés de succès pour les quelques survivants ? #2 », blog du cabinet Vertone, juin 2022 (https://vertone.com/blog/2022/06/03/le-quick-commerce-2/?from_blog). D’après les données disponibles, le montant des dépenses réalisées par les opérateurs du quick commerce en campagnes d’information atteint près de 14 millions d’euros, dont 9 millions d’euros dans les transports.

([27]) Charlélie Bensoussan Gaubert, Pierre Brun, Tiphanie Gain et Arthur Léauté, « Le quick commerce : véritable tendance du commerce de demain ou simple mode passagère #1 », blog du cabinet Vertone, juin 2022 (https://vertone.com/blog/2022/06/03/le-quick-commerce-1/).

([28]) Cité dans l’article de Benjamin Polle, « 10 minutes livraison comprise : le quick commerce (déjà) forcé de se réinventer », Consultor.fr, 28 septembre 2022.

([29]) Citée par Les Échos.

([30]) Le snacking désigne la consommation de plats prêts et standardisés, en dehors des repas et de manière nomade. Communément appelé restauration rapide, le snacking comprend aussi bien les sandwichs, les hot‑dogs, les plats préparés, ainsi que des fruits.

([31]) Sarah Duchazeaubeneix, « Le e-commerce alimentaire, toujours prometteur en 2022 », présentation réalisée au nom de Nielsen pour la FEVAD, 9ème édition, mai 2022.

([32]) Réponse de la DGCCCRF au questionnaire de la mission.

([33]) 6t Bureau de recherche, L’impact des services d’e-commerce alimentaire sur les modes de vie des ménages à Paris, Londres et Genève, décembre 2022.

([34]) D’après les données de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) citées dans les réponses au questionnaire de la mission. Le chiffre inclut les chiffres d’affaires réalisés par les traiteurs et les débits de boissons.

([35]) Voir en ce sens NPD Group, « Les Français face à la hausse des prix en restauration », février 2023 (enquête réalisée à partir d’un panel de 500 répondants).

([36]) Atelier parisien d’urbanisme, Étude : Drive piétons, dark kitchens, dark stores – Les nouvelles formes de la distribution alimentaire à Paris, février 2022, p. 19, www.apur.org.

([37]) Ibidem, p. 9.

([38]) Réponses au questionnaire de la mission.

([39]) Réponses au questionnaire de la mission.

([40]) Réponses au questionnaire de la mission.

([41]) Selon des enquêtes du Laboratoire d’Économie des Transports (LET) évoquées par le LMVT dans ses réponses au questionnaire de la mission.

([42]) Article 77 de la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités.

([43]) Définis à l’article L. 318-1 du code de la route.

([44]) Le sixième alinéa de l’article L. 224-10 du code de l’environnement fait application de l’obligation générale édictée par les premiers alinéas aux entreprises qui « gèrent directement ou indirectement un parc de plus de cent cyclomoteurs et motocyclettes légères de puissance maximale supérieure ou égale à 1 kilowatt ».

([45]) Article 114 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets. La disposition n’entre en vigueur qu’à compter du 1er juillet 2023.

([46]) Dans sa rédaction applicable à compter du 1er juillet 2023.

([47]) Article 86 de la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités.

([48]) Dans la rédaction issue de l’article 119 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.

([49]) Depuis la création de la ZFE, les véhicules Crit’Air 4 et 5 n’ont plus le droit de circuler dans la Métropole du Grand Paris. Dès 2024, cette interdiction sera étendue à tous les véhicules Crit’Air 2 et plus. D’ici à 2030, seuls les véhicules possédant la vignette Crit’Air 0 pourront y circuler.

([50]) Cf. infra. pp. 82-85.

([51]) Réponse au questionnaire de la mission.

([52]) https://www.quechoisir.org/actualite-commandes-de-livres-sur-internet-les-frais-de-livraison-fixes-a-3-eur-n103420/.

([53]) Atelier parisien d’urbanisme, Étude : Drive piétons, dark kitchens, dark stores - Les nouvelles formes de la distribution alimentaire à Paris, février 2022, pp.19-20, www.apur.org.

([54]) Directive 2011/83/UE du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 relative aux droits des consommateurs, modifiant la directive 93/13/CEE du Conseil et la directive 1999/44/CE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 85/577/CEE du Conseil et la directive 97/7/CE du Parlement européen et du Conseil.

([55]) Directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur.

([56]) Règlement (UE) 2022/2065 du Parlement européen et du Conseil du 19 octobre 2022 relatif à un marché unique des services numériques et modifiant la directive 2000/31/CE.

([57]) Règlement (UE) 2022/1925 du Parlement européen et du Conseil du 14 septembre 2022 relatif aux marchés contestables et équitables dans le secteur numérique et modifiant les directives (UE) 2019/1937 et (UE) 2020/1828 (règlement sur les marchés numériques).

([58]) Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes.

([59]) Le vocable désigne le corpus en vigueur à l’échelle de l’Union européenne qui fixe les normes et obligations applicables aux professionnels de l’ensemble de la filière agroalimentaire (depuis la production primaire, animale et végétale jusqu’à la distribution au consommateur final), ainsi que les procédures destinées à garantir l’hygiène des aliments pour l’alimentation humaine et animale. Il est formé de cinq règlements :

– le règlement (CE) n° 178/2002 du Parlement européen et du conseil du 28 janvier 2002 établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l’Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires ;

– le règlement (CE) n° 852/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relatif à l’hygiène des denrées alimentaires ;

– le règlement (CE) n° 853/2004 du Parlement européen et du conseil du 29 avril 2004 fixant des règles spécifiques d’hygiène applicables aux denrées alimentaires d’origine animale ;

– le règlement (CE) n° 183/2005 du Parlement européen et du Conseil du 12 janvier 2005 établissant des exigences en matière d’hygiène des aliments pour animaux ;

– le règlement (UE) n° 2017/625 du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2017 concernant les contrôles officiels et les autres activités officielles servant à assurer le respect de la législation alimentaire et de la législation relative aux aliments pour animaux ainsi que des règles relatives à la santé et au bien-être des animaux, à la santé des végétaux et aux produits phytopharmaceutiques.

([60]) Loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous.

([61]) Règlement (UE) n° 1169/2011 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 concernant l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires, modifiant les règlements (CE) n° 1924/2006 et (CE) n  1925/2006 du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 87/250/CEE de la Commission, la directive 90/496/CEE du Conseil, la directive 1999/10/CE de la Commission, la directive 2000/13/CE du Parlement européen et du Conseil, les directives 2002/67/CE et 2008/5/CE de la Commission et le règlement (CE) n° 608/2004 de la Commission.

([62]) Dans sa rédaction issue de la loi n° 2021-1357 du 18 octobre 2021 visant à protéger la rémunération des agriculteurs.

([63]) Directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur (transposée aux articles L. 121-1 et suivants du code de la consommation).

([64]) Directive (UE) 2019/771 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2019 relative à certains aspects concernant les contrats de vente de biens, modifiant le règlement (UE) 2017/2394 et la directive 2009/22/CE et abrogeant la directive 1999/44/CE (transposée aux articles L. 217-1 et suivant du code de la consommation).

([65]) Loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire.

([66]) Loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités.

([67]) Atelier parisien d’urbanisme, Étude : Drive piétons, dark kitchens, dark stores - Les nouvelles formes de la distribution alimentaire à Paris, février 2022, pp.19-20, www.apur.org.

([68]) Loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire.

([69]) Article L. 541-15-8 du code de l’environnement.

([70]) Dans les réponses au questionnaire de la mission, Getir affirmait travailler à un projet pilote permettant de revigorer la pratique de la consigne des bouteilles afin de limiter l’utilisation du plastique. La société évoquait également son souhait de prendre part à des projets pilotes de ce type pour d’autres produits (piles, ampoules, petit électroménager, etc.).

([71]) Commission nationale de l’Informatique et des libertés.

([72]) Directive 2002/58/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 juillet 2002 concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques (directive vie privée et communications électroniques).

([73]) Loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.

([74]) Le droit de la protection des données à caractère personnel comporte :

– l’obligation de recueillir le consentement des personnes objet d’un traitement de données à caractère personnel, et d’apporter la preuve du consentement ;

– l’exercice par les clients du droit à l’information, du droit d’accès, du droit de rectification et du droit à l’effacement des données à caractère personnel le concernant ;

– l’encadrement des échanges transfrontaliers de données ;

– l’exercice du droit à la notification de violation des données.

([75]) En l’espèce, l’autorité italienne s’est prononcée sur le dispositif mis en place par à la société Foodinho, une filiale de GlovoApp23 (https://edpb.europa.eu/news/national-news/2021/riders-italian-sa-says-no-algorithms-causing-discrimination-platform-glovo_en) et par Deliveroo Italy srl (https://www.garanteprivacy.it/home/docweb/-/docweb-display/docweb/9685994).

([76]) Réponses au questionnaire de la mission.

([77]) Cour de cassation, 5 mars 2014, Pourvoi n° 12-28.774, Monoprix.

([78]) C’est-à-dire non ressortissant d’un État membre de l’Union européenne, de l’Espace économique européen ou de la Confédération suisse.

([79]) Article L. 5221-5 du code du travail.

([80]) Circulaire du 28 novembre 2012 sur les conditions d’examen des demandes d’admission au séjour déposées par des ressortissants étrangers en situation irrégulière (dite « circulaire Valls »).

([81]) Deliveroo, Frichti, Uber eats et Stuart.

([82]) https://www.arpe.gouv.fr/wp-content/uploads/2023/03/2022.03.05-_-Charte-plateformes-livraison-lutte-contre-fraude.pdf.

([83]) L’Observatoire du travail dissimulé relève du Haut Conseil du financement de la protection sociale.

([84]) Haut conseil du financement de la protection sociale, Note sur le financement du travail dissimulé, Observatoire du travail dissimulé, décembre 2022 (https://www.securite-sociale.fr/home/hcfips/zone-main-content/rapports-et-avis-du-hcfips/note-sur-l-etat-des-lieux-du-fin.html)

([85]) Article 10 de la loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude.

([86]) Loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.

([87]) Créés par l’ordonnance n° 2021-484 du 21 avril 2021 relative aux modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes et aux conditions d’exercice de cette représentation.

([88]) Sont autorisés à présenter leur candidature l’ensemble des organisations, syndicats de travailleurs, associations, organisations professionnelles, qui assurent la défense des travailleurs indépendants. Le scrutin est un scrutin électronique sur sigle. Dans un second temps, les organisations représentatives désignent ceux qui les représenteront dans le cadre du dialogue social.

([89]) Communiqué de presse de la Fédération nationale des autoentrepreneurs (FNAE) du 20 avril 2023 (https://www.federation-auto-entrepreneur.fr/presse/livreurs-accords-signes-20-avril-fnae).

([90]) Réponse au questionnaire de la mission.

([91]) Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 4 mars 2020, 19-13.316.

([92]) Tribunal administratif de Paris, 30 novembre 2012, Intersyndicale Nationale des VTC et autres (2105773/3‑2). Le tribunal administratif de Paris a été amené à se prononcer sur le refus de l’Inspection du travail de donner suite à un signalement effectué par plusieurs autoentrepreneurs à propos des faits de travail dissimulé. Le refus de l’Inspection du travail de procéder à un contrôle était motivé par la circonstance que les chauffeurs VTC avaient le statut de travailleur indépendant. Toutefois, le tribunal administratif de Paris, au visa de l’article L. 8221-6-1 du code du travail, a annulé cette décision en considérant que l’inspection avait commis une erreur de droit et une erreur manifeste d’appréciation. En conséquence, il a enjoint à l’unité départementale de Paris ou tout autre service compétent de l’Inspection du travail de mettre en œuvre leur mission de contrôle dans un délai de quatre mois. Le Gouvernement a exprimé l’intention de faire appel.

([93]) Jean-Yves Frouin, Réguler les plateformes numériques de travail, rapport remis au Premier ministre, décembre 2020, pp. 46-48.

([94]) Loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové.

([95]) En application : du décret n° 2015-1783 du 28 décembre 2015 relatif à la partie réglementaire du livre Ier du code de l’urbanisme et à la modernisation du contenu du plan local d’urbanisme ; de l’arrêté du 10 novembre 2016 modifié définissant les destinations et sous-destinations de constructions pouvant être réglementées par le règlement national d’urbanisme et les règlements des plans locaux d’urbanisme ou les documents en tenant lieu.

([96]) En application de l’arrêté précité du 10 novembre 2016, La sous-destination « artisanat et commerce de détail » recouvre les constructions commerciales destinées à la présentation et vente de biens directe à une clientèle ainsi que les constructions artisanales destinées principalement à la vente de biens ou services.

([97]) Tribunal administratif de Paris, 5 octobre 2022, n° 2219416 (société Frichti et sociétés Gorillas Technologies France contre Ville de Paris).

([98]) Conseil d’État, 23 mars 2023, Ville de Paris contre Frichti et Gorillas, n° 468360.

([99]) Décret n° 2023-195 du 22 mars 2023 portant diverses mesures relatives aux destinations et sous-destinations des constructions pouvant être réglementées par les plans locaux d’urbanisme ou les documents en tenant lieu ; arrêté du 22 mars 2023 modifiant la définition des sous-destinations des constructions pouvant être réglementées dans les plans locaux d’urbanisme ou les documents en tenant lieu.

([100]) En cas de préemption du droit au bail, le titulaire du droit de préemption doit, dans le délai de deux ans, rétrocéder le fonds artisanal, le fonds de commerce, le bail commercial ou le terrain à une entreprise immatriculée au RCS ou au registre national des entreprises en tant qu’entreprise du secteur des métiers et de l’artisanat, en vue d’une exploitation destinée à préserver la diversité et à promouvoir le développement de l’activité commerciale et artisanale dans le périmètre concerné. L’acte de rétrocession d’un fonds de commerce est effectué dans le respect du code de commerce ; il est soumis à l’accord préalable du bailleur.

([101])  Loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale.