N° 1223

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 10 mai 2023.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES (1)

portant observations sur le projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030
et portant diverses dispositions intéressant la défense, (n° 1033),

 

ET PRÉSENTÉ

PAR Mme Louise MOREL,

Députée

——

 

(1)   La composition de la commission figure au verso de la présente page.

 


La Commission des affaires européennes est composée de : M. Pieyre-Alexandre ANGLADE, président ; M. Pierre-Henri DUMONT, Mme Marietta KARAMANLI, MM. Frédéric PETIT, Charles SITZENSTUHL, vice‑présidents ; M. Henri ALFANDARI, Mmes Louise MOREL, Nathalie OZIOL, Sandra REGOL secrétaires ; MM. Gabriel AMARD, Rodrigo ARENAS, Pierrick BERTELOOT, M. Manuel BOMPARD, Mme Pascale BOYER, MM. Stéphane BUCHOU, André CHASSAIGNE, Mmes Sophia CHIKIROU, Annick COUSIN, Laurence CRISTOL, MM. Thibaut FRANÇOIS, Guillaume GAROT, Mme Félicie GÉRARD, MM. Benjamin HADDAD, Michel HERBILLON, Alexandre HOLROYD, Philippe JUVIN, Mmes Brigitte KLINKERT, Julie LAERNOES, Constance LE GRIP, Nicole LE PEIH, M. Denis MASSÉGLIA, Mmes Joëlle MÉLIN, Yaël MENACHE, M. Thomas MÉNAGÉ, Mmes Lysiane MÉTAYER, Danièle OBONO, Anna PIC, M. Christophe PLASSARD, Mme Barbara POMPILI, MM. Jean-Pierre PONT, Richard RAMOS, Alexandre SABATOU, Nicolas SANSU, Vincent SEITLINGER, Mmes Michèle TABAROT, Liliana TANGUY, Sabine THILLAYE, Estelle YOUSSOUFFA.

 


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SOMMAIRE

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 Pages

Introduction

I. Une Loi de programmation militaire qui vise à adapter les armées à un contexte en évolution rapide

A. La Revue nationale stratégique de 2022

1. Une dégradation générale de l’environnement stratégique

2. Une montée en puissance de la Chine

3. La guerre en Ukraine

B. Le projet de loi de programmation militaire 2024-2030

1. La programmation militaire

2. Le rapport annexé

II. Les dispositifs européens au service d’une politique de défense commune

A. Les objectifs de la politique européenne de défense

1. Le traité de Lisbonne

2. La Boussole stratégique européenne

B. Structure et Outils financiers

1. La Coopération structurée permanente

2. Le Fonds européen de défense (FED)

3. La Facilité européenne de paix (FEP)

C. Moyens de mutualisation

1. L'Agence européenne de Défense (AED)

2. L'Organisation Conjointe de Coopération en matière d'Armement (OCCAR)

III. UNE LOI DE PROGRAMMATION MILITAIRE peu européenne

A. LES LIMITES D’UNE LOI DE PROGRAMMATION MILITAIRE

1. Un champ d’application limité

2. Des forces nationales jouant un rôle prépondérant

3. Une mutualisation reposant plus sur des choix pratiques que sur des décisions législatives nationales

B. L’autonomie stratégique européenne

1. Défense européenne et défense de l’Europe

2. Sortir l’autonomie stratégique européenne de l’ambiguïté

Conclusion

TRAVAUX DE LA COMMISSION

ANNEXE 1 :  Liste des personnes auditionnées par la rapporteurE

ANNEXE 2 : projets sélectionnés en 2021 au titre du Fonds européen de la Défense

 


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   Introduction

Mesdames, Messieurs,

La loi de programmation militaire 2024-2030, qui vient avant l’expiration de la loi de programmation militaire 2019-2025, vise notamment à répondre à l’urgence créée par la guerre déclenchée par la Russie contre l’Ukraine le 24 février 2022, qui a d’un coup placé l’Europe face à ce qu’elle n’avait pas connu depuis la Seconde guerre mondiale : un conflit de haute intensité sur le continent européen impliquant une puissance nucléaire.

Le soutien à l’Ukraine a été unanime et immédiat de la part de notre pays, mais également de l’OTAN et de l’ensemble des États membres de l’Union européenne, et a impliqué, outre la mise en place de sanctions économiques contre la Russie et le déploiement d’une aide économique importante à l’Ukraine, la mise en place d’un soutien militaire qui a rendu possible la survie de ce pays.

Pour l’Europe, le soutien à l’Ukraine est cependant un défi, l’Union n’ayant pas été conçue en premier lieu comme une organisation de défense, même si l’article 42 du traité sur l’Union européenne comporte une clause d’assistance mutuelle. L’assistance à l’Ukraine a d’abord été le fait des États disposant des moyens nécessaires, et sa coordination repose plutôt sur l’OTAN, organisation de défense dont la première vocation est la protection du continent européen.

Pour la France, l’Europe de la défense demeure donc un enjeu essentiel. La France étant aujourd’hui la principale puissance militaire européenne, notamment depuis le départ du Royaume-Uni, et en particulier la seule puissance nucléaire de l’Union, c’est à travers l’Europe qu’elle peut étendre ses capacités à travers la poursuite d’objectifs communs.

L’Europe de la défense se heurte cependant par nature à une double difficulté. En premier lieu, les politiques de défense visent à la protection des intérêts vitaux des États et sont pour cette raison au cœur même de leur souveraineté. Les compromis sont par conséquent plus difficiles et les concessions de souveraineté moins facilement concevables. En second lieu, la défense européenne existe malgré tout déjà, du moins en partie, puisque l’OTAN a d’ores et déjà abouti à la mutualisation de l’essentiel du dispositif européen de défense territoriale, en grande partie pris en charge par des États non membres de l’Union européenne, au premier rang desquels les États-Unis, mais également désormais le Royaume-Uni, tandis que la plupart des États membres de l’Union européenne ont volontiers délégué à l’alliance l’essentiel de leur effort de défense et affichent des capacités limitées.

Il semble donc pertinent de profiter de l’examen de cette nouvelle loi de programmation militaire pour attirer l’attention sur l’accélération récente de la construction de l’Europe de la défense et sur la façon dont elle peut contribuer au renforcement de la position de notre pays en Europe et dans le monde.


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I.   Une Loi de programmation militaire qui vise à adapter les armées à un contexte en évolution rapide

La précédente loi de programmation militaire, qui couvrait la période 2019‑2025, engageait 295 milliards d’euros sur une période de 7 ans et visait à une rénovation et à une modernisation des infrastructures et des équipements des forces armées ainsi qu’à un effort budgétaire global après une période marquée par un effort moins important.

La période 2009-2014 avait en effet été couverte par une loi de programmation militaire qui prévoyait un accroissement des dépenses d’équipement permis par des économies sur les dépenses de fonctionnement grâce à des réductions d’effectifs, ce que la situation internationale semblait devoir permettre.

La loi de programmation militaire 2014-2019, qui s’inscrivait au départ dans la continuité de la précédente, a quant à elle été révisée à la suite des attentats de 2015 qui ont imposé un accroissement des opérations extérieures ainsi que la nécessité de financer l’opération Sentinelle. Cette révision marque le début d’une évolution à la hausse des dépenses militaires, les lois de programmation et leurs éventuelles révisions s’attachant à tenir compte d’un accroissement régulier des risques stratégiques dont font état les livres blancs et les revues stratégiques successifs.

La période que nous vivons est en effet marquée par un retour progressif d’une insécurité stratégique que beaucoup pensaient disparue depuis la fin de la guerre froide, avec une montée du danger terroriste dans les années 2010 conduisant à des opérations extérieures et à un renforcement des dispositifs de protection sur le territoire national, mais également la montée en puissance de la Chine à l’autre extrémité du spectre, qui devrait rendre plus exigeante la protection de nos intérêts dans la région indo-pacifique, et, bien entendu, l’invasion de l’Ukraine depuis le 24 février 2022, c’est-à-dire une guerre de haute intensité impliquant une superpuissance nucléaire sur le continent européen que la France, l’Union européenne et l’OTAN ne peuvent ignorer quel que soit leur degré d’engagement.

A.   La Revue nationale stratégique de 2022

La revue nationale stratégique (RNI) de 2022, publiée le 9 novembre 2022, qui analyse l’environnement stratégique et assigne ses objectifs à la loi de programmation militaire à venir, fait état d’un renouveau de la compétition stratégique à différents niveaux, allant de la contestation du discours occidental basé sur les valeurs humanistes au risque nucléaire accru sur lequel pourrait déboucher un affaiblissement conventionnel de la Russie à l’issue du conflit ukrainien.

1.   Une dégradation générale de l’environnement stratégique

La revue indique que les foyers de crise déjà anciens n’ont pas disparu et souligne notamment que « La mouvance djihadiste internationale continuera à se disséminer et à poser un défi sécuritaire pour la prochaine décennie », mais également que, plus généralement, « crises régionales et défis globaux peuvent interagir et se renforcer mutuellement ». Les menaces potentielles couvrent un spectre de plus en plus large, puisqu’il faut prendre en considération une remise en cause générale de la position des démocraties libérales, « fragilisée parce qu’elles défendent un ordre international dont les fondements (droit international, multilatéralisme, valeurs, etc.) sont ouvertement remis en cause par plusieurs États », et ce au moyen de stratégies hybrides, les adversaires des démocraties libérales s’efforçant de retourner contre elles leurs propres outils, notamment en faisant « du droit une arme qu’ils utilisent contre nos propres intérêts », mais plus généralement en exploitant les « perceptions d’iniquité de développement, qui entrent en résonance avec la consolidation des autoritarismes et des régimes illibéraux à travers le monde ».

L’autre tendance de fond que la RNI invite les États occidentaux à prendre en compte est « l’inéluctabilité du rattrapage et de la dissémination dans le domaine technologique », qui peut altérer les équilibres régionaux, comme le fait par exemple l’Iran dans le domaine balistique, et ce d’autant que « les régimes multilatéraux de lutte contre cette dissémination ont perdu de leur efficacité, minés de l’intérieur par la Russie dans la plupart des cas. »

Le domaine balistique n’est toutefois qu’un exemple parmi d’autres. Plus inquiétante encore est l’évolution mise à jour par la « menace d’escalade nucléaire et sa banalisation de la part d’un État doté », nommément la Russie avec les déclarations faites au début de l’invasion par Vladimir Poutine qui suggéraient une volonté russe de passer d’une posture de dissuasion à une posture d’intimidation nucléaire, ce qui en cas de réussite créerait un « précédent dangereux ».

À la crainte d’un glissement de doctrine en matière nucléaire peut s’ajouter celle, plus concrète, de la prolifération. La « multipolarité nucléaire relativement contenue jusqu’à présent » risquant de « prendre une forme plus dérégulée » à travers la croissance de l’arsenal chinois, le comportement russe et la remise en cause à la fois du régime de maîtrise des armements nucléaires et du régime de non-prolifération – des armes comme des vecteurs – déjà endommagés s’agissant de l’Iran et de la Corée du Nord.

2.   Une montée en puissance de la Chine

Non sans lien avec ce qui précède, la montée en puissance de la Chine indique une volonté de sa part de « supplanter les États-Unis comme première puissance mondiale » au niveau global et d’affirmer sa puissance au niveau régional, notamment dans la région indo-pacifique, risquant de remettre directement en cause les intérêts de la France dans cette région.

Le risque de déstabilisation induit par la montée en puissance chinoise est cependant plus général, du fait de la volonté chinoise de remettre en cause le statu quo dans le détroit de Taiwan (le statut de l’île elle-même n’est pas directement mentionné), mais également du fait de « la convergence stratégique croissante entre la RPC et la Russie » qui offre « des opportunités d’alignement politique face à l’Occident et aux États-Unis en particulier », en particulier dans le contexte de la guerre en Ukraine.

3.   La guerre en Ukraine

C’est cependant l’invasion de l’Ukraine déclenchée par la Russie le 24 février 2022 qui s’impose comme le principal développement récent d’ordre stratégique au niveau mondial, et appelle dans le cas de la France l’adoption d’une loi de programmation militaire anticipée, deux ans avant l’expiration de la précédente.

Le simple fait d’un retour de la guerre de haute intensité sur le continent européen, à une échelle sans précédent depuis 1945 et du fait d’une puissance nucléaire, amène à réévaluer à la hausse les besoins des forces militaires et à accélérer le rattrapage entrepris par la précédente loi de programmation militaire. L’effet d’entraînement des crises les unes sur les autres, le calcul de la Chine vis-à-vis de Taiwan pouvant par exemple dépendre de l’évolution de la situation en Ukraine, appelle un renforcement général des moyens dont dispose la France à des niveaux multiples.

Il s’agit cependant, dans l’immédiat, de faire face à une situation inédite depuis 1945, dans laquelle un conflit de haute intensité a lieu sur le sol européen, et dans lequel l’implication de la France, de l’Union européenne et de l’OTAN est indirecte mais assumée et active aux côtés d’un État dont la défaite n’est pas considérée comme acceptable. Cette situation entraîne par conséquent une double nécessité : celle de se doter des moyens requis pour pouvoir fournir à l’Ukraine un soutien décisif et immédiat, en particulier en matière de matériel et de munitions ; et celle de doter la France et les États européens des moyens de faire face eux-mêmes, dans les années qui viennent, à une éventuelle agression du même type, ou plutôt, ce qui serait encore préférable, à la dissuader.

La Revue nationale stratégique énumère à cette fin les défis à relever et les dix objectifs stratégiques qui en découlent. Ces derniers couvrent un spectre large qui va de l’anticipation (notamment par le renseignement) et la résilience, à la fois morale et matérielle, au renforcement des capacités, notamment industrielles, en plus du renforcement des armées elles-mêmes. La mise en pratique de ces objectifs relève pour sa part de la loi de programmation militaire.

Il est cependant à noter que les objectifs 5 à 7 (« La France, allié exemplaire dans l’espace euro-atlantique », « La France, un des moteurs de l’autonomie stratégique européenne » et « La France, partenaire de souveraineté fiable et pourvoyeuse de sécurité crédible ») rappellent que la politique de défense de la France n’est pas exclusivement française et repose pour une part importante sur la coordination avec ses principaux partenaires.

B.   Le projet de loi de programmation militaire 2024-2030

Le projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense comporte 36 articles répartis en deux titres, le titre II comportant 36 chapitres. Les dispositions relatives à la programmation militaire sont contenues dans les dix articles du titre Ier, le titre II servant de véhicule à des dispositions diverses.

1.   La programmation militaire

Les dispositions de programmation militaire visent principalement à une augmentation des ressources budgétaires de la mission « Défense » (détaillée à l’article 3) de 47,04 milliards d’euros en 2024 à 68,91 milliards d’euros en 2030, pour un total de 400 milliards d’euros sur la période de sept années 2024-2030, auxquels s’ajoutent 13 milliards d’euros de recettes extrabudgétaires, soit 413 milliards d’euros, somme à comparer aux 295 milliards d’euros prévus par la loi de programmation militaire 2019-2025.

(en milliards d’euros courants)

 

2024

2025

2026

2027

2028

2029

2030

Total 20242030

Crédits de paiement de la mission « Défense »

47,04

50,04

53,04

56,04

60,32

64,61

68,91

400,00

variation

3,1

+ 3,0

+ 3,0

+ 3,0

+ 4,3

+ 4,3

+ 4,3

 

Il est à noter que le soutien à l’Ukraine ne sera pas financé par ces sommes. L’alinéa 4 de l’article 3 précise ainsi : « À ces ressources budgétaires s’ajouteront celles nécessaires au financement de l’effort national de soutien à l’Ukraine, mis en œuvre notamment sous forme de contribution à la facilité européenne pour la paix (FEP), de cessions de tous les matériels et équipements nécessitant un recomplètement ou d’aides à l’acquisition de matériels ou de prestations de défense et de sécurité. Ces moyens seront déterminés en loi de finances initiale ou en exécution, en cohérence avec l’évolution du contexte géopolitique et militaire. »

L’article 4 détaille l’évolution de la provision annuelle au titre des opérations extérieures et des missions intérieures. La diminution de cette provision à partir de 2025 s’explique principalement par la fin de l’opération Barkhane et celle prévue de l’opération Sentinelle après les jeux olympiques de 2024.

(CP, en millions d’euros courants)

 

2024

2025

2026

2027

2028

2029

2030

 

Montant provisionné

800

750

750

750

750

750

750

 

L’article 6 prévoit une augmentation des effectifs du ministère de la défense avec un objectif de 275 000 équivalents temps plein à l’horizon 2030. La loi de programmation militaire prévoit sa propre actualisation avant la fin de l’année 2027 (article 7), ainsi que la transmission d’un rapport d’exécution annuel au Parlement par le Gouvernement avant chaque 30 avril et d’un rapport sur les enjeux et les principales évolutions de la programmation budgétaire de la mission « Défense » avant chaque 30 juin.

Enfin, l’article 2 renvoie au rapport annexé au projet de loi, qui « fixe les orientations relatives à la politique de défense et les moyens qui lui sont consacrés au cours de la période 2024‑2030 » et « précise les orientations en matière d’équipement des armées à l’horizon 2035 et les traduit en besoins programmés et ressources budgétaires associées jusqu’en 2030, en maintenant l’objectif de porter l’effort national de défense à hauteur de 2 % du PIB à compter de 2025. »

2.   Le rapport annexé

Le rapport annexé auquel renvoie l’article 2 du projet reprend les principaux éléments de l’analyse stratégique contenue dans la Revue nationale stratégique. Il énonce par ailleurs les grandes orientations de la mise en œuvre de la loi de programmation militaire 2024-2030 et, notamment, les objectifs chiffrés en termes de recrutement, d’équipement et de préparation des forces.

Le rapport annexé contient également un paragraphe intitulé « Des coopérations au service de l’autonomie stratégique européenne » qui contient les principales orientations de la coopération européenne en matière de défense.

Il en fixe d’une part les limites : ainsi, « les exportations de système d’armes, objet essentiel de politique étrangère, resteront une prérogative souveraine de la France ». La coopération européenne ne relève par ailleurs pas exclusivement de l’Union européenne. Ainsi, la coopération avec le Royaume-Uni est citée au même titre que celle avec l’Italie, l’Espagne, la Grèce et l’Allemagne. L’OTAN est par ailleurs mentionnée comme principal partenaire s’agissant du remplacement du système national de défense aérienne.

L’importance de l’Union européenne en tant que cadre de mutualisation des politiques de défense est cependant soulignée, avec d’abord la volonté de mutualiser les financements dans le cadre de partenariats de coopération, ce qui doit contribuer à renforcer la base industrielle et technologique de défense (BITD) européenne, puis créer progressivement les conditions d’une « interopérabilité native », du développement d’une « culture stratégique commune » et, enfin, d’une « capacité à s’engager ensemble en opérations ». Le processus ainsi décrit est proche dans son esprit de celui qui a guidé la construction européenne elle-même, en commençant par une mutualisation des tâches pratiques pour aboutir progressivement à une mutualisation des intérêts, puis des politiques.

Les institutions existantes sont cependant déjà en place : « Les coopérations de la France avec ses partenaires européens continueront de s’appuyer, en tant que de besoin, sur les dispositifs mis en place par l’Union européenne (Agence Européenne de Défense, Fonds Européen de défense, Coopération Structurée Permanente). »

 

II.   Les dispositifs européens au service d’une politique de défense commune

A.   Les objectifs de la politique européenne de défense

Sans remonter à l’échec de la Communauté européenne de défense en 1952, on peut dire que la défense n’a jamais été la priorité de la construction européenne, s’agissant d’un domaine qui, du fait de ses finalités, relève de la souveraineté des États. L’Europe a toutefois commencé à mettre en place, notamment depuis le traité de Lisbonne, les éléments d’une capacité de défense commune dont il convient de rappeler les principales composantes.

1.   Le traité de Lisbonne

Le traité de Lisbonne a eu un impact significatif sur la politique de défense de l'UE en renforçant la coopération entre les États membres et en créant des instruments tels que la Coopération structurée permanente (CSP), le Haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, la Facilité européenne de paix (FEP) et le Fonds européen de défense (FED).

L'article 42 du traité de Lisbonne définit les objectifs de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) et fixe l’objectif d’une politique de défense commune tout en rappelant ses limites, qui tiennent à la fois à la souveraineté des États et au rôle déjà joué par l’OTAN dans ce domaine. Résumant la problématique de la défense européenne, l’article 42 pose les principes fondamentaux, actuels et à venir, de la défense européenne, entre autres l’obligation d’assistance mutuelle en cas d’agression subie, tout en fixant les règles d’une coopération d’ordre pratique entre États membres, notamment en matière de capacités.

Il prévoit ainsi la possibilité pour les États membres de l'UE de coopérer plus étroitement en matière de défense, notamment en créant des capacités de défense communes, en participant à des missions militaires conjointes et en renforçant les capacités civiles de gestion des crises.

Cette coopération est mise en œuvre par la Coopération structurée permanente en matière de défense (CSP) et facilitée par l’Agence européenne de Défense (AED).

La CSP a été créée en 2017 et rassemble actuellement 25 États membres de l'UE. Elle vise à approfondir la coopération en matière de défense entre les États membres participants, en encourageant la mise en place de capacités militaires conjointes et la coopération en matière de recherche et de développement dans le domaine de la défense. Elle permet également une coordination accrue des politiques de défense des États membres.

Le traité de Lisbonne a également renforcé le rôle du Haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, chargé de la coordination de la politique de défense de l'UE et qui dirige le Service européen pour l'action extérieure, qui est chargé de la mise en œuvre des politiques de défense et de sécurité de l'UE.

2.   La Boussole stratégique européenne

La Boussole stratégique européenne a été lancée en 2020, en réponse à l'évolution rapide de l'environnement de sécurité international et à la nécessité de renforcer l'autonomie stratégique de l'UE. Son élaboration a fait l’objet d’un processus participatif impliquant tous les États membres de l'UE, la Commission européenne, le Service européen pour l'action extérieure (SEAE) et l'Agence européenne de défense (AED).

Présentée comme le premier livre blanc de la défense européenne, la boussole stratégique, adoptée par le Conseil européen en mars 2022, est une analyse partagée des menaces et vulnérabilités de l’Union européenne dans quatre domaines clés, avec dans chaque cas des actions concrètes à entreprendre :

– la gestion de crise, la principale action concrète étant dans ce domaine la mise en place d’ici 2025 d’une force modulaire de 5 000 militaires devant pouvoir être déployée rapidement, mais sont également prévus des exercices dans plusieurs domaines ainsi que l’amélioration de la flexibilité en matière de prise de décisions communes ;

– la résilience, c’est-à-dire le renforcement de la capacité de l’Union à anticiper, à dissuader et à réagir face aux menaces hybrides et aux défis actuels, via un renforcement de son action dans le renseignement, le cyber, l’espace et la lutte contre la désinformation ;

– le développement des capacités de défense, l’objectif étant de combler les insuffisances critiques en matière de capacités militaires et civiles et renforcer la base industrielle et technologique de défense européenne, en augmentant les dépenses liées au secteur de la défense ;

– enfin, le renforcement des partenariats de l’Union, notamment avec l’OTAN, les États-Unis, le Royaume-Uni, mais également l’ONU avec la mise en œuvre du nouvel ensemble commun de priorités pour la coopération entre les deux organisations, l’ASEAN, l’Union africaine et l’OSCE, avec lesquelles la coopération et le dialogue politiques doivent être renforcés et les États des Balkans occidentaux et des voisinages oriental et méridional.

Ce dernier volet relève cependant en grande partie de la politique étrangère commune de l’Union et non spécifiquement de sa politique de défense et de sécurité. Sa mise en œuvre est surtout conditionnée par les décisions prises par les différents partenaires de l’Union.

Des actions concrètes sont pour chacun de ces domaines listées et assorties d’échéances dont le premier rapport de mise en œuvre, publié un an après l’adoption de la boussole stratégique, a pu mesurer le degré d’avancement.

L’objectif de la Boussole stratégique est donc d’être en quelque sorte un « livre blanc européen », avec une analyse de la situation stratégique mondiale et des défis à relever pour l’Europe dont découlent les priorités d’action énoncées plus haut.

La Boussole dote ainsi l'Union européenne d'un plan d'action ambitieux pour renforcer la politique de sécurité et de défense de l'Union d'ici à 2030. Le document formule des propositions d'action concrètes assorties d'un calendrier de mise en œuvre très précis ([1]) afin de renforcer la capacité de l'Union à agir en cas de crise et de défendre sa sécurité et ses citoyens.

Au-delà des institutions et des objectifs, l’impact d’un document tel que la Boussole stratégique dépend largement du contexte dans lequel il est adopté. La guerre en Ukraine a de ce point de vue un double effet.

À première vue, la Boussole stratégique, publiée quelques semaines après le début des hostilités mais préparée depuis bien plus longtemps, peut sembler en décalage par rapport à la situation stratégique. Basée sur une analyse de la situation stratégique très générale, elle vise à poursuivre la construction d’une Europe de la défense à travers un renforcement progressif des dispositifs déjà en place et des moyens accordés aux missions PSDC déployées à travers le monde. Ses ambitions portent sur le moyen et le long termes et ne répondent pas à l’urgence de la situation sur le continent européen.

La Boussole stratégique est cependant, précisément, une feuille de route visant à ce que l’Europe soit, à l’avenir, mieux préparée à de telles surprises stratégiques, et il n’est pas moins important, dans la situation actuelle, d’anticiper les dangers moins apparents.

En outre, la guerre en Ukraine elle-même peut évoluer et, dans les hypothèses les plus pessimistes, durer longtemps, s’étendre à de nouveaux acteurs ou contribuer à aggraver d’autres conflits. La construction de capacités de défense communes pour l’Union européenne, telle que le recommande la Boussole stratégique, n’est à aucun titre rendue moins urgente par l’invasion de l’Ukraine.

B.   Structure et Outils financiers

La mise en œuvre des grands objectifs fixés par le traité de Lisbonne et ceux, plus immédiats, énumérés par la Boussole stratégique reposent principalement sur la coopération structurée permanente ainsi que sur un outil de financement extrabudgétaire, le Fonds européen de la Défense (FED) au titre du développement des capacités, et enfin la Facilité européenne de Paix (FEP) qui alimente les opérations en cours ainsi que, depuis peu, l’aide militaire à l’Ukraine.

Ces structures animées par des mécanismes de gouvernance ad hoc reflètent les particularités de la défense en tant que domaine de la construction européenne. Plutôt qu’une mise en commun globale des moyens et des objectifs, il s’agit en premier lieu pour les États membres de mutualiser certaines capacités tout en conservant au maximum leur autonomie d’action.

1.   La Coopération structurée permanente

La Coopération structurée permanente (CSP) en matière de défense est un mécanisme de coopération renforcée entre certains États membres de l'UE en matière de défense. Elle a été introduite par les articles 42, paragraphe 6, et 46 du traité sur l’Union européenne et le protocole 10 dudit traité, puis officiellement mise en place en 2017 par la décision (PESC) 2017/2315 du Conseil, avec pour objectif de renforcer l'autonomie stratégique de l'UE et de promouvoir une défense européenne plus intégrée.

La CSP vise à :

– renforcer les capacités de l’UE en matière de sécurité internationale ;

– contribuer à la protection des citoyens de l’UE ;

– maximiser l’efficacité des dépenses en matière de défense.

La CSP permet aux États membres participants de coopérer plus étroitement dans des domaines tels que la recherche et le développement de capacités de défense, la planification de missions de défense, l'acquisition d'équipements militaires et la formation militaire commune. Les projets de coopération sont sélectionnés sur la base de critères de pertinence, d'efficacité, d'efficience et de durabilité.

Alors que la France souhaitait que la défense européenne soit confiée à un noyau dur d’États disposant des capacités les plus importantes dans ce domaine, c’est le point de vue allemand qui l’a emporté, consistant à impliquer le plus grand nombre d’États membres possibles, quitte à limiter les ambitions de la coopération. À ce jour, 25 États membres de l'UE participent à la CSP (le Danemark et Malte n’en font pas partie), qui est ouverte à tous les États membres remplissant les critères d'adhésion.

Les engagements pris par les 25 États participant à la CSP sont les suivants :

– augmenter en termes réels les budgets de la défense, dont la part consacrée aux investissements devra atteindre 20 % (engagements 1 et 2) ;

– accroître le nombre de projets capacitaires multinationaux et développer la recherche technologique de défense (engagements 3, 4,16 et 17) ;

– coordonner et optimiser les plans nationaux de développement de capacités dans le cadre notamment les revues annuelles de défense conduites par l'Agence européenne de défense, et contribuer à combler les lacunes capacitaires identifiées (engagements 6, 7, 8, 9, 15) ;

– examiner les possibilités de mise en commun de capacités existantes (engagement 10).

– développer la coopération en matière de cybersécurité (engagement 11) ;

– rendre les forces nationales davantage déployables et inter-opérables pour être prêt à participer aux opérations de l'Union, à ses Groupements tactiques et aux structures multinationales existantes (engagements 12, 13 et 14) ;

– participer au renforcement de la base industrielle et technologique de défense (BITD) européenne en s'appuyant notamment sur l'Agence européenne de défense et sur l'Organisation Conjointe de Coopération en matière d'Armement (OCCAR) (18, 19 et 20).

La CSP est supervisée par le Conseil de l'UE, qui prend les décisions relatives aux projets de coopération proposés par les États membres participants. La Commission européenne apporte également un soutien technique et financier à la CSP, en particulier en ce qui concerne la recherche et le développement de capacités de défense. Le secrétariat de la CSP est assuré conjointement par le Service européen pour l'action extérieure, l'État-major de l'Union européenne et l'Agence européenne de défense, qui en assurent la coordination avec les autres processus et moyens et de la politique de défense européenne que sont la Revue annuelle coordonnée de défense (CARD) et le Plan de développement des capacités gérés par l'EDA, ainsi que le Fonds européen de défense.

La CSP avait lancé au 1er juillet 2021 47 projets, couvrant des domaines tels que :

– la création de centres de formation conjoints : plusieurs projets ont été lancés pour créer des centres de formation conjoints afin de renforcer la coopération entre les forces armées des États membres de l'UE. Le projet « European Air Transport Training » (EATT) est un exemple de centre de formation conjoint pour la formation des équipages d'avions de transport tactique ;

– le développement de projets de recherche conjoints dans le domaine de la recherche et du développement technologique pour la défense. Des projets tels que le projet européen de drones MALE (Moyenne Altitude Longue Endurance) et le projet européen de transport aérien stratégique sont des exemples de projets de recherche et technologiques conjoints lancés dans le cadre de la CSP ;

– la mise en place de capacités militaires conjointes, comme le projet de développement d'un char de combat principal européen (Main Ground Combat System, MGCS) ;

– la mise en place d'une planification et d'une coordination stratégiques en matière de défense et de sécurité, avec des projets tels que la création d'un quartier général européen de la défense et le renforcement de la coordination en matière de défense antimissile font partie de cette initiative.

2.   Le Fonds européen de défense (FED)

La CSP repose financièrement sur le Fonds européen de défense (FED), instrument financier créé par l'Union européenne (UE) pour soutenir la recherche et le développement de technologies de défense innovantes, ainsi que la coopération industrielle en matière de défense entre les États membres de l'UE. Il a été lancé en 2017 avec pour objectif de renforcer l'autonomie stratégique de l'UE.

Le FED dispose d'un budget initial de 13 milliards d'euros pour la période 2021-2027, qui sera utilisé pour cofinancer des projets de recherche et de développement de technologies de défense innovantes, ainsi que pour encourager la coopération industrielle entre les États membres de l'UE dans le domaine de la défense. Le FED soutient également la mise en place de capacités militaires conjointes pour les opérations de l'UE, telles que les groupements tactiques.

Le Fonds européen de défense est ouvert aux entreprises et aux organismes de recherche de tous les États membres de l'UE, qui peuvent participer à des appels à propositions pour la mise en place de projets de coopération en matière de défense. Les projets sont sélectionnés sur la base de critères tels que la pertinence pour les priorités de défense de l'UE, l'innovation, la faisabilité technique et la qualité de la coopération entre les participants.


Le FED est supervisé par la Commission européenne, qui est responsable de la mise en place des appels à propositions et de la sélection des projets. La gestion financière du FED est assurée par l'Agence européenne de défense (AED), qui veille également à la mise en œuvre des projets sélectionnés.

3.   La Facilité européenne de paix (FEP)

La Facilité européenne de paix (FEP) est un instrument de financement destiné à soutenir les actions de maintien de la paix et de sécurité dans les pays partenaires. Elle a été créée le 22 mars 2021 en remplacement du mécanisme « Athena » et de la facilité de soutien à la paix pour l'Afrique, avec des missions élargies, puisqu’elle vise à accroître la capacité de l’UE à prévenir les conflits, construire la paix et renforcer la sécurité internationale, au moyen de financements d’actions opérationnelles ayant des implications militaires ou dans le domaine de la défense dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC).

La FEP repose sur les contributions des États membres, déterminées sur la base d'une clé de répartition en fonction du revenu national brut (RNB). Le plafond financier initial de la FEP s'élevait à 5,692 milliards d'euros en prix courants (5 milliards d'euros aux prix de 2018) pour la période 2021-2027, les plafonds annuels étant progressivement relevés. Les contributions des États membres seront déterminées sur la base d'une clé de répartition en fonction du revenu national brut (RNB). Le 12 décembre 2022, le Conseil a marqué son accord sur une augmentation du plafond financier de la FEP de 2,287 milliards d'euros en prix courants (2 milliards d’euros aux prix de 2018). Il est également convenu que le plafond pourrait être augmenté de 3,5 milliards d'euros supplémentaires jusqu'en 2027 au besoin.

Le Conseil a par ailleurs approuvé le 20 mars 2023 une proposition visant à fournir d'urgence à l'Ukraine des munitions d'artillerie provenant des stocks existants ou faisant l'objet d'acquisitions conjointes, ces fournitures étant financées par la FEP, faisant de cette dernière un outil stratégique rapidement utilisable.

C.   Moyens de mutualisation

La mutualisation des capacités s’identifie à première vue au versant pratique de la politique de défense européenne : à l’opposé de la définition d’objectifs communs partagés qui conservent nécessairement un caractère très général et consensuel, il s’agit d’accroître les moyens pratiques dont peuvent disposer les États-membres, non seulement en vue de la poursuite des objectifs communs de l’Union européenne, mais également, dans une certaine mesure, de celle de leurs objectifs propres.


Ce qui paraît simple en théorie ne l’est toutefois pas nécessairement en pratique. Le lancement d’un système d’armes commun entre plusieurs grands États peut en réduire le coût mais implique des négociations complexes non seulement pour en répartir le développement et la construction entre les différents partenaires, mais tout simplement pour définir ses spécificités, qui sont rarement les mêmes d’un État à l’autre. C’est ainsi qu’un même programme peut au fil de son développement finir par se décliner en variantes multiples et acquérir un niveau de complexité allant à l’encontre de l’objectif recherché au départ.

C’est pourquoi il a été nécessaire de confier à des organismes spécialisés l’harmonisation, dans la mesure du possible les besoins et les contributions des États dans la mise en place des programmes mutualisés. L’Agence européenne de Défense (AED) et l'Organisation Conjointe de Coopération en matière d'Armement (OCCAR) sont des organisations intergouvernementales agissant en étroite coopération avec la Commission européenne et le Haut représentant, mais dont la gouvernance plus souple permet de saisir les opportunités de mutualisation en tenant compte non seulement des besoins respectifs, et différents entre eux, des États‑membres, mais également du caractère souverain des politiques de défense.

1.   L'Agence européenne de Défense (AED)

L'Agence européenne de Défense (AED) a été créée en 2004 dans le but de renforcer la coopération en matière de défense entre les États membres de l'Union européenne (UE). Aux termes de l’article 42 du traité sur l’Union européenne, l’AED « identifie les besoins opérationnels, promeut des mesures pour les satisfaire, contribue à identifier et, le cas échéant, mettre en œuvre toute mesure utile pour renforcer la base industrielle et technologique du secteur de la défense, participe à la définition d'une politique européenne des capacités et de l'armement, et assiste le Conseil dans l'évaluation de l'amélioration des capacités militaires. »

Dans le cadre défini par la décision (PESC) 2015/1835 du Conseil du 12 octobre 2015 l'AED est chargée de développer des capacités de défense communes, de promouvoir la recherche et la technologie dans le domaine de la défense, ainsi que de coordonner les efforts des États membres pour mieux répondre aux défis de sécurité communs.

L'une des principales missions de l'AED est de favoriser la coopération entre les États membres en matière de développement et d'acquisition de capacités de défense. L'agence soutient également la recherche et le développement de technologies de défense, en veillant à ce que les ressources de l'UE soient utilisées de manière efficace et en encourageant la coopération entre les secteurs public et privé.

L'AED joue également un rôle important dans la planification et la mise en œuvre des missions de l'UE en matière de sécurité et de défense, en apportant une expertise technique et en soutenant la coordination des États membres. L'agence travaille en étroite collaboration avec les États membres et les institutions de l'UE, ainsi qu'avec l'OTAN et d'autres organisations internationales.

L’AED a surtout été conçue afin de permettre à l’Europe de disposer d’un outil souple de mise en commun des besoins. L’AED se caractérise d’abord par un mode de gouvernance unique, puisqu’elle est placée sous l’autorité stratégique et la supervision politique du Conseil par l’intermédiaire du Haut représentant, son comité d’organisation étant composé des ministres de la défense des États membres de l’organisation, votant à la majorité qualifiée.

2.   L'Organisation Conjointe de Coopération en matière d'Armement (OCCAR)

L'Organisation Conjointe de Coopération en matière d'Armement (OCCAR) est une organisation intergouvernementale européenne chargée de gérer les programmes d'armement en coopération entre les États membres participants. Elle a été créée en 1996 par la France, l'Allemagne, l'Italie, le Royaume-Uni, l'Espagne et la Suède.

L'OCCAR vise à faciliter la coopération en matière d'acquisition et de développement d'équipements militaires, en gérant des programmes d'armement conjoints et en facilitant la participation des États membres. Les programmes de l'OCCAR couvrent une large gamme d'équipements militaires, tels que des avions de combat, des navires de guerre, des véhicules terrestres et des systèmes de défense aérienne.

L'OCCAR est responsable de la gestion des contrats d'acquisition et de développement, de la gestion des risques et des coûts, ainsi que de la coordination des activités entre les États membres participants. Elle travaille en étroite collaboration avec l'industrie de la défense pour s'assurer que les programmes sont livrés à temps et dans les limites budgétaires prévues.

 

III.   UNE LOI DE PROGRAMMATION MILITAIRE peu européenne

À titre liminaire, il convient de remarquer qu’une loi de programmation militaire est par nature un exercice franco-français. Elle touche à un domaine profondément régalien et s’inscrit dans la continuité de précédentes lois de programmations, qui ont été adoptées lorsque l’idée d’une défense européenne n’en était pas à un stade de concrétisation comparable à ce qu’il est aujourd’hui.

L’Union européenne, quant à elle, non seulement s’est construite prioritairement dans les domaines les moins régaliens, c’est-à-dire ceux qui se prêtaient le mieux à des partages de compétences entre États souverains, mais sa compétence en matière de défense est, en outre, aujourd’hui limitée par les traités qui la régissent. Il est ainsi impossible à l’Union européenne d’acheter elle-même des armements. La capacité à construire et à déployer un outil militaire qui lui soit propre de façon entièrement autonome n’est ainsi pas prévue par le cadre juridique actuel de l’Union.

La situation actuelle est cependant nouvelle. L’invasion russe de l’Ukraine commencée le 24 février 2022 et comparée par M. Camille Grand ([2]) à un « 11 septembre européen » ayant engendré une prise de conscience stratégique brutale et ayant conduit à des décisions qui auraient été jugées plus qu’improbable un an auparavant, comme la formation par l’Union européenne de l’armée ukrainienne, en guerre contre la Russie, ou l’usage de la Facilité européenne pour la paix pour ravitailler cette même armée.

Il convient donc, après avoir constaté le peu de place qu’occupe la construction d’une défense européenne dans la loi de programmation militaire 2024-2030, de se demander dans quelle mesure un texte de cette nature peut y contribuer.

A.   LES LIMITES D’UNE LOI DE PROGRAMMATION MILITAIRE

Comme mentionné plus haut, la loi de programmation militaire 2024-2030 ne fait qu’exceptionnellement référence à la défense européenne ([3]) et, s’agissant d’une loi française, ne peut guère contenir de décisions s’y appliquant, du moins dans son dispositif principal.

Selon M. Federico Santopinto ([4]), compte tenu de la situation nouvelle due notamment à l’invasion de l’Ukraine et à l’émergence de l’Union européenne comme acteur majeur de l’industrie de défense depuis la création du FED en 2016, si la France voulait conserver une programmation couvrant l’ensemble du spectre avec un volume de forces permettant de faire face à un conflit de haute intensité, elle ne pouvait le faire de façon autonome à moins d’augmenter son budget de façon beaucoup plus substantielle. Une solution aurait alors été de placer la coopération européenne au centre de sa stratégie, choix que la loi de programmation militaire 2024-2030 ne fait pas.

Si une telle présentation des grandes options stratégiques de la France semble réaliste et pertinente à long terme, sa mise en pratique ne repose cependant pas nécessairement sur un texte tel qu’une loi de programmation militaire, et ce pour plusieurs raisons.

1.   Un champ d’application limité

En premier lieu, sur un plan tout à fait pratique, l’élaboration d’une loi de programmation militaire implique un degré élevé de coordination entre de nombreuses administrations et plusieurs ministères au niveau national, de sorte qu’une coordination supplémentaire avec les institutions européennes rendrait son élaboration encore plus longue et complexe. Comme le signale M. Camille Grand, il appartient actuellement aux États de faire en sorte que leurs politiques de défense soient conformes à leurs engagements internationaux, et en particulier à la programmation quadriennale de l’OTAN, laquelle est négociée entre États‑membres de l’Alliance et représente pour la plupart d’entre eux l’élément essentiel de leur programmation militaire nationale. Dans le cas de la France, comme le fait remarquer Camille Grand, la conformité avec les exigences de la programmation quadriennale est facilement atteinte et nécessite donc une attention moins soutenue de la part de la France que de la part d’autres pays moins importants.

En deuxième lieu, une loi de programmation militaire, par définition, ne couvre que le champ législatif national, les contributions françaises à l’OTAN ou à la Facilité européenne pour la Paix étant programmées par ailleurs sur plusieurs années.

2.   Des forces nationales jouant un rôle prépondérant

Enfin, que ce soit dans le cadre européen ou dans celui de l’OTAN, les forces mobilisées en vue d’opérations conjointes, défensives ou offensives, sont elles-mêmes nationales, avec une intégration au niveau du commandement. Il est donc normal qu’une loi de programmation nationale vise à construire ou à consolider un outil militaire lui-même national, dès lors qu’il assure une complémentarité satisfaisante vis-à-vis de ceux des pays partenaires et que son volume est suffisant.

En matière de défense conjointe, que ce soit dans le cadre de l’OTAN ou de la défense européenne, la quantité est en elle-même une qualité. Nous sommes dans un contexte où l’ensemble de nos partenaires européens ont accru leur effort de défense, parfois de façon plus significative que la France en pourcentage, mais en partant d’une base généralement plus basse. Outre les 100 milliards d’euros prévus par l’Allemagne dans le cadre d’un budget spécial de rattrapage, sept États ont désormais un budget supérieur à 2 % du PIB, notamment les pays de l’Est et du Nord de l’Europe ([5]). En prévoyant d’atteindre 2 % de son PIB en 2030, la France contribue à cette augmentation générale ([6]) dont l’impact devrait être important car c’est lui qui déterminera le volume de commandes faites à l’industrie de défense européenne, dans la mesure où elle sera sollicitée. Or, comme le rappelle M. Jean‑Marc Duquesne  ([7]), l’industrie de défense ne vit que de la commande publique et n’investit que lorsque cette commande existe. En d’autres termes, la construction d’une capacité stratégique européenne propre implique avant tout un certain volume d’investissement de la part des États, et c’est bien la direction prise aujourd’hui par la France et par ses partenaires européens. La présente loi de programmation militaire va dans ce sens.

Autre élément à relever, la loi de programmation militaire, si elle modifie peu le volume de forces immédiatement disponible, renforce certains éléments fondamentaux tels que les achats de munitions, de pièces détachées, l’entraînement ou la réactivité des forces, éléments moins visibles mais cruciaux lorsqu’il s’agit de réagir rapidement à une crise majeure.

Enfin, l’effort est maintenu en matière de dissuasion nucléaire. La dissuasion française, cas unique dans l’Union européenne depuis le Brexit, bien que strictement nationale, n’en renforce pas moins l’autonomie stratégique européenne, quel que soit le sens que l’on souhaite donner à cette expression.

3.   Une mutualisation reposant plus sur des choix pratiques que sur des décisions législatives nationales

Par ailleurs, comme cela a été mentionné plus haut, une vision réaliste de l’Europe de la Défense implique qu’elle se construise « par le bas », suivant la logique qui a prévalu jusqu’à présent en matière de construction européenne, afin que les intérêts et les priorités convergent progressivement jusqu’à trouver naturellement leur traduction politique.

L’Europe de la Défense a de ce point de vue fait un pas important en 2016 avec la création du Fonds européen de Défense (FED) mentionné plus haut, un « changement paradigmatique » selon M. Santopinto, qui fait désormais de l’Europe un acteur majeur du secteur industriel de la Défense. De la même façon, la Facilité européenne de paix (FEP), outil extrabudgétaire qui initialement répondait principalement au besoin d’alimenter des armées africaines lors d’opérations de maintien de la paix, est devenu un instrument majeur d’aide militaire à une armée en guerre contre la Russie, tandis que les institutions telles que l’Agence européenne de Défense (AED) ou l’OCCAR, mentionnées plus haut développent leur activité.

Il convient cependant de noter que l’ensemble de ces initiatives reposent sur une forme de contournement des traités européens : la Commission européenne ne peut intervenir dans le secteur de la défense qu’en application de l’article 173, qui vise à renforcer l’industrie européenne, comme le fait remarquer M. Olivier Gras ([8]) tandis que les institutions mentionnées au paragraphe précédent se caractérisent toutes par une gouvernance distincte de celle de l’Union européenne, soit purement intergouvernementale comme l’OCCAR, soit mixte comme l’AED.

Une Europe de la défense complète, avec une Union européenne capable de jouer pleinement et de façon autonome le rôle d’une puissance militaire, impliquerait donc à un certain stade une modification de ses traités, c’est-à-dire une évolution institutionnelle majeure, politiquement complexe et précédée d’un débat à l’échelle européenne qui devra lever l’ambiguïté sur plusieurs sujets, parmi lesquels figure en bonne place la question de l’autonomie stratégique européenne.

B.   L’autonomie stratégique européenne

1.   Défense européenne et défense de l’Europe

L’idée même de « défense européenne » ou de « politique européenne de défense » mérite d’être précisée de façon à lever toute ambiguïté. L’outil militaire est à la fois un instrument de politique étrangère et de défense du territoire. Dans le premier cas, il sert de levier pour influer sur une situation extérieure que l’on souhaite modifier. Il s’agit alors de mettre en œuvre des opérations parfois complexes, avec un volume de moyens optimal au regard des objectifs et une supervision attentive des opérations conduites par le pouvoir politique. Dans le second cas, en tant qu’instrument de défense du territoire, l’outil militaire est un outil de sécurité qui doit permettre de résister à une agression. Il s’agit alors de mobiliser un maximum de moyens avec un objectif politique généralement consensuel qui varie très peu et qui ne relève pas prioritairement de la politique étrangère.

En d’autres termes, la défense du territoire est en quelque sorte une affaire plus militaire et moins politique que ne le sont les interventions extérieures, ce qui peut expliquer que l’OTAN, une alliance militaire essentiellement dédiée à la défense du territoire européen ([9]) et n’impliquant aucun partage de souveraineté substantiel, affiche pourtant un degré d’intégration militaire plus élevé que ne peut le faire l’Union européenne, une organisation qui vise une intégration politique beaucoup plus poussée mais dont les actions militaires communes, c’est-à-dire les missions PSDC, sont étroitement liées à la conduite de sa politique étrangère.

Par ailleurs et de façon plus concrète, l’OTAN a d’abord été et demeure en grande partie une garantie militaire américaine vis-à-vis de l’Europe, la puissance militaire et industrielle américaine étant disponible de façon permanente pour faire face à une éventuelle agression venue de l’Est ([10]). Pour les États les plus exposés (la RFA pendant la Guerre froide, les États de l’Est et du Nord aujourd’hui), le recours à l’assistance militaire ou à l’industrie américaine dans la situation présente était dans une certaine mesure inévitable, la BITD américaine présentant davantage que celle de l’Europe la capacité d’équiper rapidement ces pays face à un danger potentiellement imminent. C’est ainsi que l’Allemagne, qui a annoncé dès février 2022 une dépense exceptionnelle de 100 milliards d’euros – qu’elle peine quelque peu à engager – a choisi de consacrer cette somme à des achats de matériels sur étagère, principalement auprès de fournisseurs américains, plutôt qu’à un investissement de longue durée dans le renforcement des capacités industrielles européennes.

2.   Sortir l’autonomie stratégique européenne de l’ambiguïté

Comme l’écrit Jean Monnet dans ses Mémoires ([11]) « L'Europe se fera dans les crises et elle sera la somme des solutions apportées à ces crises ». L’invasion de l’Ukraine serait donc à première vue l’exemple type d’une crise devant déboucher sur une construction européenne renforcée dans le domaine concerné, cette fois-ci celui de la défense du continent européen.

La crise ukrainienne a cependant eu comme premier effet, comme le souligne M. Camille Grand, de réactiver l’OTAN dans sa fonction première de défense collective pour des raisons très concrètes de disponibilité des moyens et des matériels, et n’a donc pas instantanément donné naissance à une Europe de la défense pleinement autonome. L’opposition entre la recherche de l’autonomie stratégique européenne et la poursuite de la défense du continent au sein de l’Alliance atlantique n’est cependant pas entièrement fondée.

En premier lieu, l’opposition entre une défense européenne consacrée aux missions extérieures du type des missions PSDC d’un côté, et une OTAN s’occupant exclusivement de défense territoriale est infondée dans la mesure où chacune a pris en charge les deux types de tâches. L’OTAN, de son côté, a conduit de nombreuses opérations extérieures depuis 1995 ; l’Union européenne, quant à elle, a d’une part décidé la mise en place d’une force conjointe de 5 000 hommes en application de la Boussole stratégique, et d’autre part pris en charge une partie des opérations de soutien à l’Ukraine depuis février 2022. Il s’agit donc bien pour l’Union européenne de prendre en charge, à terme, la défense de son propre territoire.

En deuxième lieu, l’accroissement de l’autonomie stratégique européenne est au stade actuel souhaité des deux côtés de l’Atlantique, comme l’ont souligné MM. Grand et Santopinto. Du point de vue américain, la défense de l’Europe a toujours été vue comme un « fardeau » dont le partage a fait l’objet d’un débat continu depuis l’époque de la Guerre froide, les Américains souhaitant que les Européens en prennent une part plus importante, ce qu’a confirmé le retrait des neuf dixièmes des forces américaines présentes en Europe après 1991. Aujourd’hui, la montée en puissance de la Chine oblige les États-Unis à réorienter une partie de leur effort militaire vers le Pacifique, ce qui ne peut qu’accentuer ce mouvement.

Enfin et en troisième lieu, il demeure vrai que l’idée d’autonomie stratégique européenne est aujourd’hui chargée d’ambiguïté : parle-t-on d’une capacité autonome à agir dans le cadre de l’OTAN, par exemple en conduisant des opérations extérieures en milieu non permissif sans appui américain, ou s’agit-il d’une capacité militaire européenne pleinement autonome, hors de l’OTAN et permettant de conduire une politique d’influence mondiale élevant l’Europe au rang de superpuissance, potentiellement en concurrence avec les États-Unis ? Pour M. Santopinto, les souhaits européen et américain en matière d’autonomie stratégique européenne pourraient diverger à terme, à mesure que l’Europe deviendra effectivement autonome, mais ce moment est encore relativement lointain. Pour l’instant, selon M. Santopinto, « la notion d’autonomie stratégique européenne est un euphémisme pour parler d’intégration européenne ». En d’autres termes, au-delà de la mise en commun de moyens matériels et d’une consolidation progressive de l’industrie de défense européenne, la construction d’une Europe « de la défense » au sens plein de l’expression, c’est-à-dire d’une Europe-puissance, implique des évolutions politiques profondes qui échappent au cadre de ce rapport comme de la présente loi de programmation militaire. Dans l’immédiat, la défense européenne n’en est pas au stade où la poursuite de sa construction impliquerait de tels choix.

 


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   Conclusion

 

 

Le présent rapport est un exercice nouveau pour notre commission, puisqu’il s’agit, pour la première fois, d’émettre des observations sur une loi de programmation militaire, un texte, qui de par sa nature même, contient peu d’éléments touchant à la construction européenne, comme cela a été mentionné plus haut.

La présente loi de programmation militaire correspond en effet à ce qui en est attendu : c’est un document stratégique ambitieux qui définit les orientations et les priorités de la politique de défense pour les années à venir. Elle vise à renforcer les capacités opérationnelles de nos forces armées, à moderniser les équipements et à améliorer les conditions de vie des militaires. Le budget alloué à la défense est en nette augmentation, ce qui permettra de financer les nombreux projets prévus par la loi de programmation militaire.

S’agissant de la coopération européenne en matière de défense, la loi de programmation militaire en rappelle l’importance dans le rapport annexé, mais elle joue surtout le rôle qui est le sien en dotant la France des moyens de compter, à travers l’augmentation des dépenses qu’elle prévoit et des moyens dont disposeront les armées en conséquence. L’autonomie stratégique européenne, comme ce rapport a tenté de le montrer, repose avant tout sur les moyens que l’on met à sa disposition, et cette loi représente un effort remarquable dans ce sens.

Il s’agit enfin d’une loi de transition qui poursuit le rattrapage entrepris par la précédente loi de programmation militaire. Il nous reste donc à souhaiter la poursuite de cet effort, en coordination avec nos alliés, afin que nous restions en mesure de répondre à l’évolution de plus en plus préoccupante de la situation sécuritaire mondiale.

 

 

 


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   TRAVAUX DE LA COMMISSION

La Commission s’est réunie le mercredi 10 mai 2023, sous la présidence de M. Pieyre-Alexandre Anglade, puis de M. Charles Sitzenstuhl, vice-Président, pour examiner le présent rapport d’information.

 

Mme Louise Morel, rapporteure (Dem). Nous nous livrons aujourd’hui à un exercice inédit car la Commission des Affaires européennes ne s’était jamais saisie, dans son histoire, d’un texte relatif à la loi de programmation militaire (LPM). Les lois de programmation militaires visent à définir les orientations stratégiques de la défense nationale sur une période donnée, généralement entre trois et cinq ans, et allouent aux forces armées les moyens humains et financiers nécessaires à leurs missions de défense et de sécurité. Il s’agit d’une démarche de planification à moyen terme qui permet de fixer les priorités de la politique de défense nationale et de déterminer les ressources nécessaires pour les atteindre. Elles contiennent principalement des dispositions relatives aux investissements dans l'armement, à la formation des militaires, à l'entretien des équipements ou à la réorganisation des forces armées.

Il s’agit d’un exercice essentiellement franco-français. Malgré la présence d’un rapport annexé qui analyse la situation internationale, la LPM contient peu d’occurrences relatives à la coopération européenne en matière de défense, et aucune disposition législative n’y fait directement référence.

Il a toutefois semblé utile que notre commission se penche sur ce texte pour plusieurs raisons. Tout d’abord, la coopération européenne en matière de défense a franchi ces dernières années plusieurs étapes décisives. En 1999, a été mis en place la Politique de sécurité et de défense commune (PSDC). Par la suite, plusieurs outils sont apparus dans ce domaine : l’Agence européenne de Défense en 2004 ; le Fonds européen de défense en 2016 ; la Coopération structurée permanente en 2017 ; ou encore la Facilité européenne pour la Paix en 2021. Tous ces outils ont permis une meilleure mutualisation des moyens de défense de l’Europe. D’autre part, l’adoption en 2016 d’une Stratégie globale pour la politique étrangère et de sécurité de l'Union européenne, puis de la Boussole stratégique en 2022, ont permis de définir les objectifs communs de l’Europe en matière de politique de sécurité et de défense.

Cependant, pour reprendre la formule de Jean Monnet, « l'Europe se fera dans les crises et elle sera la somme des solutions apportées à ces crises ». Dans un contexte international déjà marqué par une intensification de la compétition entre grandes puissances au niveau mondial, la crise ukrainienne a bouleversé le paysage stratégique européen.

Au moment même où l’Union européenne adoptait sa Boussole stratégique, ce document fixe une feuille de route pour faire enfin émerger un outil de défense européen capable de faciliter la poursuite des objectifs de l’Union dans le monde. L’invasion de l’Ukraine nous rappelle qu’à côté de la défense européenne, il faut également se préparer à la défense de l’Europe dans le cadre d’une guerre de haute intensité. Cette défense territoriale repose aujourd’hui sur l’OTAN, une organisation à travers laquelle les États-Unis continuent de jouer le rôle principal dans la sécurité du continent, et au sein de laquelle la plupart des « petits » États européens élaborent leurs propres planifications militaires.

OTAN et Europe de la défense ne sont cependant pas en opposition. Comme nous l’ont rappelé plusieurs personnes auditionnées en vue de l’élaboration de ce rapport, la recherche par l’Union européenne d’une autonomie stratégique est souhaitée par nos alliés américains qui seront sans doute appelés à consacrer davantage leurs efforts à la zone indopacifique dans les années à venir. En outre, leur souhait d’une plus grande prise en charge des dépenses de défense par les Européens n’est pas nouveau.

La recherche par l’Europe de son autonomie stratégique, malgré le sursaut actuel, a également lieu dans le cadre contraint du traité de Lisbonne qui limite le rôle de l’Union en matière de défense au profit des États membres et de l’Alliance atlantique. L’effort actuel repose donc largement sur des institutions intergouvernementales telles que l’Agence européenne de Défense ou l’Organisation conjointe de coopération en matière d'armement, tandis que la Commission intervient au titre de la politique industrielle de l’Union.

Dans ce contexte, il a pu être reproché à la présente loi de programmation militaire de ne pas suffisamment prendre en compte la considération européenne, qui est effectivement appelée à prendre une part plus importante dans les années à venir. Il importe donc de rappeler quelques points essentiels.

En premier lieu, même si cela est évident, la LPM 2024-2030 est un texte législatif français dont le champ d’application est par définition national. Si le rapport annexé auquel renvoie l’article 2 du texte fait état de l’importance comme des limites des coopérations au service de l’autonomie stratégique européenne, le dispositif du texte vise avant tout à donner aux armées les moyens d’atteindre les objectifs capacitaires fixés par le texte.

En deuxième lieu, la défense collective de l’Europe, qu’il s’agisse de l’OTAN ou de la coopération européenne en matière de défense, repose avant tout sur l’agrégation de forces nationales et non sur la constitution d’une véritable armée multinationale. Les programmations nationales doivent certes être coordonnées entre elles, mais cette coordination a lieu aujourd’hui, principalement, dans le cadre de la programmation quadriennale de l’OTAN, à laquelle la France participe et dont elle tient compte au fil de sa propre programmation.

En d’autres termes, la contribution française à la défense européenne tient d’abord aux capacités dont elle dispose et dont elle entend se doter. En portant ses dépenses militaires à 2 % du PIB en 2030, la France est en phase avec l’effort que font depuis peu nos partenaires européens. La simple augmentation des budgets, si elle aboutit à des commandes auprès de l’industrie de défense européenne, est en effet l’élément clef d’un renforcement de la base industrielle et technologique de défense européenne.

Troisième point, la loi de programmation militaire, si elle modifie peu le volume des forces pouvant être déployées, renforce certains éléments fondamentaux tels que les achats de munitions, de pièces détachées, l’entraînement ou la réactivité des forces, éléments moins visibles mais cruciaux lorsqu’il s’agit de réagir rapidement à une crise majeure, comme c’est aujourd’hui le cas.

Enfin, le maintien d’un effort budgétaire en faveur de la dissuasion nucléaire française renforce l’autonomie stratégique européenne, en particulier depuis le Brexit qui a fait de la France l’unique puissance nucléaire de l’Union.

Autrement dit, en l’état actuel des traités, la recherche de l’autonomie stratégique européenne passe d’abord par un accroissement des moyens, l’Europe de la défense devant émerger progressivement, d’abord à travers un renforcement des armées européennes opérant au sein de l’OTAN, peut-être en se substituant à cette dernière dans un nombre croissant de ses fonctions et à travers l’usage croissant de matériels européens, et finalement, à terme, en intégrant pleinement les politiques de défense et de sécurité aux traités européens.

Il convient donc de mesurer de façon nuancée la contribution de la présente loi de programmation militaire à la construction de l’autonomie stratégique européenne, qui prévoit un effort capacitaire bienvenu, mais dont il reste à espérer que la tendance ainsi amorcée se prolongera et permettra à la France de contribuer à l’émergence d’une Europe de la défense cohérente, lisible et autonome.

L’exposé de la rapporteure a été suivi d’un débat.

Mme Lysiane Métayer (RE). Ce rapport d’information nous permet de revenir à ce moment crucial d’examen de cette loi de programmation militaire 20242030, et sur ses enjeux européens. Je tiens à souligner que le montant de cette LPM est historique : 413 milliards d’euros.

Si la défense européenne ne relève pas d’un simple texte de loi de programmation militaire, un tel texte est néanmoins l’occasion de définir nos objectifs nationaux, et d’envoyer des signaux forts à nos partenaires européens.

J’ai pu entendre en commission de la défense nationale et des forces armées la déception de certains collègues qui auraient voulu que la défense européenne ait une plus grande place au sein de ce texte. Cette déception est compréhensible. Cependant il ne faut pas perdre de vue les limites du cadre législatif et les limites propres aux institutions européennes. Ces signaux en faveur d’une plus grande intégration militaire, l’exécutif les envoie depuis des années. Ils n’ont cependant pas toujours reçu une réponse à la hauteur de nos attentes.

Comme le rapport annexé à la LPM l’indique, cette loi concentre ses efforts sur la coopération industrielle, élément central de l’autonomie stratégique européenne, sans lequel il ne peut y avoir de défense commune. On notera que de nombreux projets européens, à commencer par l’Union européenne, sont nés d’une simple coopération économique et industrielle. Peut-être la défense européenne ne fera-t-elle pas exception.

Madame la rapporteure, pouvez revenir sur cette idée de coopération industrielle comme socle pour une avancée politique, durable en la matière ?

M. André Chassaigne (GDR-NUPES). Je formulerai quelques rapides observations sur le projet de loi relatif à la programmation militaire (LPM) pour les années 2024 à 2030.

Tout d’abord, les crédits ont augmenté dans des proportions considérables. Alors que la LPM pour les années 2019 à 2025 prévoyait 295 milliards d'euros de dépenses, la LPM pour les années 2024 à 2030 prévoit une somme de 413 milliards d’euros, soit une augmentation de l’ordre d’un tiers. L’effort additionnel porte pour l’essentiel sur la dissuasion nucléaire, avec un budget annuel moyen supérieur à 4 milliards d’euros. Le lancement des sous-marins nucléaires lanceurs d'engins de troisième génération et la construction d’un porteavion à propulsion nucléaire de nouvelle génération posent des questions, qui ne semblent pas préoccuper le gouvernement. Ainsi, quel sera le véritable rôle de ce porteavion au regard de son coût faramineux ? Nous sommes circonspects à l’égard de ces choix d’investissement, qui visent à renforcer la capacité de projection dans d’autres régions du monde dans le cadre de conflits extérieurs.

Ensuite, et surtout, les choix d’investissement effectués dans la LPM se font au détriment d’autres lignes budgétaires. Dans le cadre du programme SCORPION, les cibles fixées initialement sont étalées dans le temps. Sur les 300 engins blindés de reconnaissance et de combat JAGUAR, seuls 100 seront livrés après 2030. De même, le nombre de véhicules blindés GRIFFON est réduit de 1 827 à 1 573, et celui des véhicules blindés SERVAL est ramené de 2 038 à 633. Or, l’ambition du programme SCORPION ne doit pas être revue à la baisse puisqu’il s’agit d’un impératif dans la lutte contre les menaces nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques (NRBC). C’est ce que j’avais souligné dans le cadre de la mission sur la défense NRBC, dont j’étais co-rapporteur. Au cours de nos travaux, le 2e régiment de dragons de Fontevraud nous avait signalé un vide capacitaire pour faire face aux menaces NRBC.

Enfin, je suis pour ma part assez dubitatif quant au risque de « guerre de haute intensité », utilisé pour justifier les différentes dépenses. Car, en effet, qui serait l’agresseur potentiel ? La Russie, qui ne parvient pas à conquérir quelques centaines de kilomètres carrés à côté de ses frontières, mettra de notre point de vue 10 à 15 ans pour reconstituer son potentiel offensif. Je doute donc que l’on puisse considérer qu’il existe un risque de guerre de haute intensité avec la Russie. Quant à la Chine, les risques sont davantage ceux de guerres localisées. Dès lors, le risque d’une guerre de haute intensité prend son sens lorsque l’on raisonne à l’échelle de l’OTAN et, surtout, que l’on se place à la remorque des États-Unis.

M. Charles Sitzenstuhl (RE). Il est symboliquement et institutionnellement important que la commission des Affaires européennes se saisisse de la LPM, ce qui constitue un exercice inédit. À mon sens, l’horizon vers lequel nous devons tendre est celui du renforcement de la défense commune pour aboutir un jour – soyons idéalistes ! – à une défense européenne.

La LPM pour les années 2024 à 2030 comprend de ce point de vue des éléments substantiels. La hausse importante du budget de nos armées est un aspect fondamental, car l’armée française est la plus importante de l’Union européenne et puisque la France est le seul État membre doté de l’arme nucléaire. Lorsque l’armée française se renforce, la défense du continent se renforce de facto.

Je considère, comme plusieurs collègues de cette commission, que la dimension européenne de cette LPM mériterait d’être davantage mise en valeur. J’attends beaucoup des débats qui auront lieu pendant deux semaines en séance publique, et qui permettront au gouvernement d’expliciter certains éléments. Il est effectivement de notre rôle de Député de demander au gouvernement d’expliciter et de préciser cet horizon européen.

Mme Louise Morel, rapporteure (Dem). Pour répondre à Lysiane Métayer, je dirais que l’Europe de la défense dépend d’abord d’un renforcement de ses capacités, car c’est sur elles que peut se fonder à terme une véritable autonomie stratégique. Compte tenu des limites fixées par les traités, le développement des capacités militaires de l’Union européenne peut être justifié sous l’angle de la politique industrielle. Il convient ainsi de s’appuyer principalement sur l’article 173 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE). L’article 346 TFUE accorde quant à lui aux États membres une grande latitude concernant les marchés publics en matière de défense, en raison du caractère sensible de ces achats.

La coopération industrielle constitue un socle durable des échanges entre les États membres, et la Commission a adopté en 2013 une stratégie visant à stimuler la base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE), suivie d’un plan d’action proposant en 2016 la création de nouveaux outils et l’instauration du Fonds européen de défense. Ce fonds est principalement destiné au financement de la recherche et au développement des technologies et produits de la défense, pour encourager in fine les investissements dans les chaînes d’approvisionnement de la défense.


La BITDE dépend enfin du renforcement du marché intérieur dans l’Union européenne, afin de réduire sa fragmentation et d’améliorer sa compétitivité en déployant les règles propres aux marchés publics de la défense et aux transferts de produits liés à la défense.

Les différents outils européens constituent un jalon vers l’objectif d’une défense commune, mais ne s’accompagnent pas d’investissements d’un niveau comparable à ceux prévus dans la LPM. Le Fonds européen de défense est doté d’environ 8 milliards d’euros pour la période 2021 à 2027, et vise à financer les projets dans lesquels au moins trois États européens différents sont partie prenante. Il y a près de 20 ans, en 2004, était créée l’Agence européenne de défense (AED), chargée de renforcer la convergence et la coordination de l’Union européenne sur les achats conjoints.

Par ailleurs, plusieurs projets communs européens ont été initiés, qui contribuent à renforcer la BITDE, à l’instar du système de combat aérien du futur (SCAF) et du Système Principal de Combat Terrestre (ou Main Ground Combat System, MGS)

J’en viens aux questions d’André Chassaigne. Vous avez rappelé la hausse considérable du budget prévue dans la LPM pour les années 2024 à 2030, et manifesté vos doutes concernant le retour de la guerre de haute intensité.

Je voudrais tout d’abord souligner que les coopérations structurées permanentes en matière de défense peuvent s’appuyer sur le Fonds européen de défense, à côté d’autres outils tels la Facilité européenne pour la paix (FEP), qui est un instrument extrabudgétaire. Ainsi, toutes les dépenses programmées à l’échelle nationale ne rentrent pas vraiment en compte dans les débats européens. On peut certes discuter de la pertinence de ces dépenses, mais cela sera certainement l’objet de nombreuses heures de débats à partir de la semaine prochaine en séance publique.

Ensuite, nous sommes liés par les dispositions des traités, et l’article 42 du traité sur l'Union européenne (TUE) prévoit une clause d’assistance mutuelle. Dès lors que la guerre de haute intensité est revenue sur le continent européen, notre responsabilité est de préciser la politique à adopter face aux guerres de haute intensité. Ces politiques n’ont pas été créées du jour au lendemain : la boussole stratégique a notamment fourni une évaluation commune des menaces et défis auxquels est confrontée l’Union européenne, et dont la guerre de haute intensité fait partie. L’Union européenne mobilise en conséquence certains outils, tandis que certains instruments extrabudgétaires peuvent être alimentés. Mais ce sont surtout les États nationaux qui font le choix ou non d’augmenter leur propre budget militaire. Les choix nationaux des autres États membres suivent la même direction que ceux de la France, ce qui est pertinent comme nous l’ont confirmé les différentes personnes auditionnées dans le cadre du rapport d’information.


Enfin, ces débats s’inscrivent plus largement dans le cadre de l’OTAN. Vous disiez que nous étions « à la remorque des États-Unis ». L’OTAN promeut pourtant un cadre quadriennal permettant de nous équiper en bonne intelligence avec nos partenaires pour assurer une certaine complémentarité au service de la défense du continent.

Je reviendrai à présent sur les réflexions de Charles Sitzenstuhl. Il est effectivement important que la commission des Affaires européennes se saisisse de cette LPM, dont le rapport annexé mentionne seulement de manière allusive les enjeux européens. Le rapport d’information de la commission des Affaires européennes permettra donc d’éclairer nos échanges et débats au cours des prochaines semaines, et contribuera à terme à une vision plus précise de la défense commune européenne.

La boussole stratégique a été publiée quasiment au moment où la guerre en Ukraine éclatait. Si l’exercice a permis aux États membres de se coordonner et de définir les différentes menaces, il n’a donc pas directement pris en compte la guerre en Ukraine. En débattant aujourd’hui de la dimension européenne de la LPM, nous pouvons ainsi discuter de ces menaces qui pèsent en particulier sur les États membres de l’est de l’Europe.

Pour conclure, on dit souvent que l’Union européenne se construit au fil des crises. La règle d’or a suivi la crise financière, les accords de Dublin ont été une réponse à la crise migratoire, tandis que la procédure commune d'acquisition des vaccins a tiré les leçons de la crise sanitaire. On aurait donc naturellement pu penser que la guerre en Ukraine allait aboutir à un renforcement de l’Europe de la défense. En réalité, dans un certain nombre de pays d’Europe de l’Est, ceci a conduit à un renforcement de l’OTAN, qui procure un sentiment de protection supérieur.

L’autonomie stratégique européenne s’appuie sur un certain nombre d’outils qui gagneraient à être développés. Il nous revient donc d’écrire la suite. Allons-nous vraiment vers une autonomie stratégique européenne ? Comment renforcer la défense européenne face à l’OTAN, tout en gardant à l’esprit que l’une et l’autre peuvent aller de concert ?

M. Benjamin Haddad (RE). Je souhaite tout d’abord remercier la rapporteure pour son travail. Il est bienvenu que la commission des Affaires européennes se saisisse de cette LPM.

Je voudrais réagir aux propos intéressants d’André Chassaigne. Il importe de savoir si la guerre de haute intensité doit être la priorité dans les choix budgétaires et stratégiques de notre pays. À l’heure où les États-Unis se retirent progressivement de l’architecture de sécurité européenne et ne souhaitent plus s’impliquer dans notre voisinage, on pourrait légitimement considérer que la priorité devrait être de continuer à investir massivement afin d’accroître les capacités expéditionnaires et de maintien de la paix dans le voisinage, et de lutter contre le terrorisme.

Pour en revenir à la question de savoir si nous serions « à la remorque des États-Unis », la crédibilité du discours français sur les sujets de défense européenne – en particulier à l’est de l’Europe et dans les pays baltes – dépend dans une large mesure de notre capacité à montrer que nous prenons en compte les impératifs de sécurité et les menaces, à savoir la Russie et la nécessité de dissuasion à long terme de la Russie. Alors que les États-Unis signalent d’autres priorités, en particulier la rivalité avec la Chine, et que les relations transatlantiques dépendront du résultat de l’élection présidentielle de 2024, la seule manière de convaincre nos partenaires est de leur montrer que nous continuerons effectivement de participer avec l’OTAN à la dissuasion de la Russie. Cet équilibre est l’un des objectifs de la LPM, non pas par tropisme atlantiste, mais peut-être au contraire pour préparer une Europe post-atlantiste.

M. André Chassaigne (GDR-NUPES). Je partage une partie de ces propos, dont j’ai pu constater la véracité en tant que président du groupe d’amitié France-Roumanie lors de la précédente législature. La Roumanie achète quasi systématiquement son armement auprès des États-Unis, dont la force de diplomatie militaire est par ailleurs largement supérieure à la nôtre. La Roumanie continue par exemple de préférer les hélicoptères américains aux appareils européens. Dans les pays d’Europe centrale, des dizaines de diplomates militaires et commerciaux sont présents dans les ambassades des États-Unis. En comparaison, l’ambassade de France à Bucarest ne compte qu’un seul attaché de défense.

Il serait intéressant qu’un rapport d’information se penche plus longuement sur les différents partenariats militaires au niveau européen, et puisse dresser un état de lieux en la matière. On pourrait citer le projet de « Futur Cargo Tactique Médian », ou encore le programme de développement du drone européen « Eurodrone ». Ce programme a fait l’objet de désaccords entre partenaires pendant plusieurs années. La France souhaitait en effet développer un drone d’attaque, tandis que l’Allemagne lui préférait un drone d’observation ou de défense.

M. Charles Sitzenstuhl (RE). Votre suggestion, cher collègue, est intéressante. Il serait très utile qu’un rapport d’information détaille les différents partenariats européens. Mme la rapporteure pourrait peut-être également relayer ces interrogations auprès de la commission de la défense nationale et des forces armées, ou auprès du ministère des Armées.

Deux coopérations industrielles européennes bien avancées pourraient notamment être citées, qui constituent deux armes offensives et défensives majeures. En premier lieu, l'avion de chasse européen du futur SCAF, qui devrait succéder au Rafale dans une quinzaine d’années. En second lieu, le programme franco-allemand de chars Main Ground Combat System (MGCS).

M. le Président Pieyre-Alexandre Anglade. Je cède ma place à M. Charles Sitzenstuhl afin qu’il assure la présidence pour la fin de cette séance. Je dois en effet prononcer une intervention en séance publique.

Présidence de M. Charles Sitzenstuhl, Vice-Président de la Commission

 

Mme Louise Morel, rapporteure (Dem). Nous vivons un changement de paradigme politique en Europe, que plusieurs personnes auditionnées ont qualifié de « 11 septembre européen ».

Pour conclure, il ne faut pas oublier que l’Union européenne est forte d’une longue tradition sur le plan des coopérations militaires, au-delà des questions de coopération industrielle. Ainsi, des missions de formation dites European Union Training Mission (EUTM) ont bénéficié à différentes armées, tandis que des missions d’assistance ont été initiées à l’instar de celle contre la piraterie au large des côtes somaliennes. En outre, une fois dans son histoire, dans le cadre de l’opération Artémis, l’Union européenne a mené une opération avec autorisation d’emploi de la force.

La proposition de rapport faite par André Chassaigne est pertinente, mais il faut garder à l’esprit que les coopérations entre États membres sont très diverses en matière de défense. Elles concernant tant l’emploi des forces armées, que l’industrie et la formation, et peuvent prendre des formes bilatérales – comme c’est le cas à Strasbourg avec l’Eurocorps – ou multilatérales. Ces divers schémas, qui sont certes complexes, permettant aussi de s’appuyer sur différents outils pertinents, qui fonctionnent depuis plusieurs années. Il ne nous revient peut-être pas de définir aujourd’hui, de manière pérenne, la forme que devront prendre les coopérations militaires de demain, mais nous disposons en tout cas d’un certain nombre d’outils pour faire vivre le débat, et pour définir une direction à plus long terme.

La Commission a ensuite autorisé le dépôt du rapport d’information en vue de sa publication.

 

 


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   ANNEXE 1 :
Liste des personnes auditionnées par la rapporteurE

 

Groupement des industries françaises de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres (GICAT)

 

EuroDéfense France

 

European Council of Foreign Relations (ECFR)

 

Groupement des Industries de Construction et Activités Navales (GICAN)

 

Institut des Relations internationales et stratégiques (IRIS)

 

Institut d'Études politiques de Strasbourg


   ANNEXE 2 :
projets sélectionnés en 2021
au titre du Fonds européen de la Défense

 

Source : site Internet de la Commission européenne

Adresse : https://defence-industry-space.ec.europa.eu/system/files/2023-01/EDF%202021%20-%20Summary%20of%20Projects_UPDATE.pdf

 

 

 


([1])  Annexe p. 5

([2])  Directeur du programme « Défense, sécurité et technologie » du Conseil européen pour les relations internationales (ECFR) et ancien Secrétaire général-adjoint de l’OTAN, rencontré en vue de la rédaction du présent rapport.

([3])  Même si elle mentionne certains projets importants conduits en commun avec des États partenaires, notamment le Système de combat aérien du Futur (SCAF), développé conjointement avec l’Allemagne et l’Espagne, et le Main Ground Combat System (MGCS) franco-allemand qui vise à développer le futur char de combat des deux pays.

([4])  Directeur de recherche à l’IRIS, spécialisé dans l’intégration européenne en matière de défense et de politique étrangère, rencontré en vue de la rédaction du présent rapport.

([5])  L’Espagne prévoit également de porter progressivement son budget à 2 % du PIB, tandis que la Pologne va porter le sien à 4 % du PIB.

([6])  Il convient toutefois de noter que l’augmentation des dépenses de défense en Europe est encore limitée en comparaison de la Russie qui a augmenté son budget de 200 % pendant les années 2000, la Chine ayant augmenté le sien de 300 % pendant la même période, le niveau de dépense des États-Unis représentant environ quatre fois celui de l’ensemble des États de l’Union européenne.

([7])  Délégué général du Groupement des industries françaises de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres (GICAT), rencontré en vue de la rédaction du présent rapport.

([8])  Secrétaire général d’EuroDéfense France, rencontré en vue de la rédaction du présent rapport.

([9])  Même si l’OTAN a conduit à partir de 1995 plusieurs opérations extérieures, sa vocation principale demeure celle d’une alliance défensive mettant en œuvre l’article 5 du traité de l’Atlantique Nord.

([10])  Le budget militaire américain représente à lui seul environ 70 % de la somme des budgets militaires de l’ensemble des États-membres de l’alliance.

([11])  Jean Monnet, Mémoires, Fayard, 1976.