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N° 1283

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 25 mai 2023.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 146 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES FINANCES, dE L’Économie gÉnÉrale
et du contrÔLE BUDGÉTAIRE

 

sur la planification de la construction des prisons :
une inexorable procrastination

 

ET PRÉSENTÉ PAR

M. Patrick HETZEL,
rapporteur spécial

 

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SOMMAIRE

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Pages

introduction

Recommandations du rapporteur spÉcial

I. Une politique immobiliÈre pÉnitentiaire en incapacitÉ de rÉpondre aux enjeux de surpopulation carcÉrale

A. Une succession de programmes immobiliers n’ayant pas atteint leurs objectifs

1. Des programmes immobiliers aux caractéristiques évolutives

a. Des programmes de construction revus à la baisse et dont les délais d’exécution n’ont pas été tenus

b. Une diversification des modalités de dévolution des marchés de conception, de construction et de maintenance des prisons

c. Des conditions de détention qui demeurent incompatibles avec le droit européen

2. Un échec largement documenté par différents travaux

B. Le programme « 15 000 » : un nouveau plan orientÉ vers la diversification des Établissements et la prÉparation de la sortie

1. Un programme prioritairement consacré à la création de places en maison d’arrêt et en structures d’accompagnement vers la sortie (SAS)

2. Des risques de mise en œuvre soulignés par l’évaluation socio-économique du programme et sa contre-expertise

II. le programme « 15 000 » : un plan connaissant des retards importants et qui apparaît d’ores et déjà sous-dimensionnÉ

A. En 2022, seules 2 441 places nettes ONT été livrÉes sur les 7 000 prÉvues

1. Un retard important sur la première tranche de livraison du plan

2. Des retards à prévoir sur la seconde tranche d’exécution du programme

3. Une mise en œuvre qui se conjugue avec des difficultés importantes de recrutement

B. En dÉpit de la hausse du nombre de places et du dÉveloppement des alternatives À l’incarcération, un droit à l’encellulement individuel insusceptible d’Être respectÉ à horizon 2027

1. Le développement des aménagements de peine et des alternatives à l’incarcération

2. Une progression du nombre de détenus rendant improbable un respect du droit à l’encellulement individuel en 2027

C. Des facteurs d’explication multiples

1. Des difficultés importantes en matière de recherche foncière et des retards imputables à la crise sanitaire

2. Un plan aux contours mal définis et dont le coût a été sous-estimé

travaux de la commission

 


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   introduction

En mai 2023, le centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan, confronté à un taux d’occupation de 206 %, suspendait ses admissions en raison de son incapacité à accueillir de nouveaux détenus.

Cet établissement pénitentiaire bénéficiera du programme de construction du ministère de la justice, qui prévoyait initialement l’ouverture de plus de 15 000 places nettes de détention entre les années 2017 et 2027. Quelques 350 places vétustes y seront fermées et 600 places nouvelles y seront mises en service en 2026.

En dépit de cet investissement, le nombre de détenus excédera durablement le nombre de places disponibles.

Cet exemple illustre l’incapacité du ministère de la justice à lutter contre la surpopulation carcérale et à atteindre les objectifs qu’il s’est fixés dans le cadre de ses différents programmes immobiliers.

Depuis la fin des années 1980, de nombreux programmes de construction de places ont été lancés pour moderniser le parc immobilier pénitentiaire et faire face à la croissance du nombre de personnes détenues. Ces plans ont rarement atteint leurs objectifs et n’ont pas été réalisés dans les délais qui avaient été initialement prévus.

Le programme immobilier « 15 000 », annoncé en 2018, a été conçu afin de tendre vers un taux d’encellulement individuel de 80 % en 2027. À mi-parcours, ce plan connaît les mêmes écueils que ses prédécesseurs : seules 2 441 places avaient été mises en service à la fin de l’année 2022, contre 7 000 initialement annoncées. La majorité des places restantes ne seront pas livrées avant 2027, ce qui laisse craindre que les délais prévus ne seront pas tenus.

L’enjeu est pourtant de taille : l’encombrement des cellules et la vétusté du parc pénitentiaire conduisent à réserver aux personnes incarcérées un traitement dégradant, bien en deçà des exigences requises par la convention européenne des droits de l’homme. Cette situation altère le sens de la peine et remet en cause les capacités des détenus à se réinsérer à leur sortie de prison.

Dans ce contexte, le rapporteur a souhaité évaluer les programmes immobiliers pénitentiaires successifs afin d’analyser les causes de cet échec et formuler différentes préconisations.

 

 


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   Recommandations du rapporteur spÉcial

● Concevoir dès à présent une extension du plan « 15 000 » afin de mettre en service des places de prison supplémentaires à horizon 2030 ;

● Favoriser l’adhésion des élus locaux à l’implantation d’établissements pénitentiaires sur leur territoire, notamment en modifiant les modalités de calcul de la dotation de solidarité urbaine et en comptabilisant les places de détention au titre de la loi SRU ;

● Améliorer le pilotage budgétaire des programmes immobiliers de l’administration pénitentiaire et présenter dans les documents budgétaires un échéancier d’ouverture des crédits actualisé en fonction de l’avancée des projets ;

● Renforcer la formalisation des commandes passées par l’administration pénitentiaire auprès de l’APIJ en définissant des cibles claires et renforcer l’évaluation par la performance des programmes immobiliers du ministère de la justice.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


I.   Une politique immobiliÈre pÉnitentiaire en incapacitÉ de rÉpondre aux enjeux de surpopulation carcÉrale

En mars 2023, le taux d’occupation des établissements pénitentiaires atteignait plus de 118 % en moyenne et plus de 140 % en maison d’arrêt. Pour limiter la surpopulation carcérale, le Gouvernement a annoncé en 2018 la construction de 15 000 nouvelles places de prison devant être mises en service d’ici 2027.

Ce plan prend la suite d’un ensemble de programmes immobiliers qui ont rarement atteint leurs objectifs.

A.   Une succession de programmes immobiliers n’ayant pas atteint leurs objectifs

Afin d’améliorer les conditions de détention, plusieurs programmes de construction de places ont été lancés depuis le début des années 1980. Le programme « 15 000 » a été conçu avec la volonté de tirer les leçons de ces expériences passées.

1.   Des programmes immobiliers aux caractéristiques évolutives

Les outils à disposition de l’administration pénitentiaire pour conduire sa politique immobilière ont progressivement évolué pour favoriser un recours plus important à des prestataires privés. Toutefois, les programmes de construction de places ont régulièrement été revus à la baisse en cours d’exécution ; les délais prévus pour leur réalisation n’ont pas ailleurs jamais été tenus.

a.   Des programmes de construction revus à la baisse et dont les délais d’exécution n’ont pas été tenus

Le nombre de personnes écrouées détenues ([1]), qui s’élevait à 45 420 en 1990, a fortement progressé pour atteindre 51 441 personnes en 2000 et enfin 72 351 personnes en mars 2023 (+ 59 %).

 

 

 

Nombre de détenus, nombre de places et densitÉ carcÉrale entre 1990 et 2023

(en pourcentage sur l’axe de droite)

Source : ministère de la justice, séries statistiques des personnes placées sous-main de justice.

Cette hausse du nombre de détenus a conduit le ministère de la justice à déployer des efforts croissants pour moderniser et étendre son parc pénitentiaire. La capacité opérationnelle des établissements pénitentiaires, qui s’établissait à 36 615 places en 1990, a ainsi été portée à 49 294 places en 2000 puis à 60 949 places en 2023 (+ 66 %).

Cependant, en dépit des nombreux programmes de construction lancés depuis la fin des années 1980, la densité carcérale s’est durablement maintenue à un niveau supérieur à 100 % et atteignait plus particulièrement 140,7 % en maison d’arrêt en mars 2023, contre 118,7 % pour l’ensemble des établissements. Ce résultat s’explique en partie par l’incapacité du ministère à respecter les délais et les objectifs définis lors de la conception des différents plans de construction de places :

– en 1987, le garde des sceaux, M. Albin Chalandon, annonçait la création de 25 000 places de détention. Ce premier plan a néanmoins été revu à la baisse dès l’année 1989 pour porter sur la construction de 13 000 places nettes. En définitive, en 1992, seules 11 013 places nettes avaient été créées, réparties pour 40 % en maison d’arrêt et 60 % en établissements pour peine ;

– en 1995, M. Pierre Méhaignerie lançait le programme « 4 000 » : à nouveau, l’objectif initialement défini n’a pas été atteint, dans la mesure où seules 2 736 places nettes avaient été ouvertes à l’issue de ce plan ;

– en 2002, M. Dominique Perben annonçait le lancement du programme « 13 200 ». À la différence des plans précédents, celui-ci a été défini dans le cadre d’une loi d’orientation et de programmation pour la justice ([2]), qui a finalement prévu la création de 11 000 places à horizon 2008, dont 7 000 places nouvelles et le remplacement de 4 000 places obsolètes. Si l’objectif fixé dans le cadre de ce plan a été atteint, les délais initialement prévus ont été significativement rallongés – 10 979 places ayant été créées entre 2002 et 2015 ;

– en 2004, le plan défini en 2002 a été enrichi du « dispositif d’accroissement de capacité », comportant 3 000 places supplémentaires devant être ouvertes au sein des établissements existants. La période de construction s’est échelonnée entre 2004 et 2016, et a permis la création de seulement 1 807 places supplémentaires ;

– en mai 2011, le « nouveau programme immobilier » (NPI) annoncé par M. Michel Mercier impliquait de construire 7 577 places à horizon 2018. Entre 2014 et 2016, 2 463 places ont été créées. Selon la Cour des comptes, dès 2012, les objectifs de ce plan ont été revus à la baisse avec l’abandon de 13 opérations et le report de 7 projets ([3]) ;

– le programme « 3 200 », lancé en 2014, devait être mis en œuvre jusqu’en 2023. Il s’accompagnait d’un plan visant à favoriser l’encellulement individuel et d’un plan de construction de quartiers de préparation vers la sortie.

Par ailleurs, pour assurer la réalisation de ces programmes, l’administration pénitentiaire bénéficie depuis 2001 de l’appui de l’Agence publique pour l’immobilier de la justice (APIJ), chargée d’assurer les opérations de construction et de réhabilitation de grande ampleur menées par le ministère de la justice.

L’Agence publique pour l’immobilier de la justice

L’APIJ est un établissement public administratif placé sous la tutelle des ministères de la justice et des comptes publics.

Elle a pour mission de réaliser toute étude et analyse préalable relative aux investissements immobiliers et à l'entretien et à la valorisation du patrimoine du ministère de la justice, d'assurer la réalisation d'opérations de construction, de réhabilitation ou de maintenance et de mener à bien toute mission d'assistance dans le domaine de la gestion et de la valorisation du patrimoine immobilier.

Source : décret n° 2006-208 du 22 février 2006 relatif au statut de l’Agence de maîtrise d’ouvrage des travaux du ministère de la justice.

Au total, entre 1988 et 2016, la création de 33 000 places de détention a été annoncée dans le cadre des programmes immobiliers successifs du ministère de la justice. Sur cette même période, le résultat s’est révélé plus en retrait (28 000 places) et les délais de construction ont, de manière générale, été considérablement rallongés.

b.   Une diversification des modalités de dévolution des marchés de conception, de construction et de maintenance des prisons

À la fin des années 1980 et au cours des années 2000, les modes de gestion des prisons ont progressivement évolué afin de favoriser un recours plus important à des prestataires extérieurs.

Dans un premier temps, la loi du 22 juin 1987 relative au service public pénitentiaire ([4]) a permis de confier à des acteurs privés la maintenance de certains établissements et la prestation de services à la personne au sein de ces derniers. Dans le cadre de ces marchés, dits de gestion déléguée, l’administration pénitentiaire conserve exclusivement les fonctions de greffe et de surveillance.

La loi d’orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002 a ensuite étendu au ministère de la justice la faculté de recourir aux autorisations d’occupation temporaire-location avec option d’achat (AOT-LOA) afin de confier à un prestataire extérieur la conception, la construction et l’entretien d’un site en échange du versement d’un loyer pendant 30 ans.

L’ordonnance n° 2004-559 du 17 juin 2004 sur les contrats de partenariat a intégré les AOT-LOA dans le champ plus large des marchés de partenariat, également composés des contrats dits de partenariat public-privé (PPP), permettant à l’administration pénitentiaire de passer avec un interlocuteur unique un contrat global comprenant, outre le financement d’une opération immobilière, la construction, l’entretien, la maintenance d’un établissement et la réalisation des services à la personne pouvant être confiés dans le cadre de la gestion déléguée.

Les marchés de partenariats ont été mobilisés dans le cadre du plan « 13 200 » pour trois lots regroupant 6 436 places et dans le cadre du « nouveau programme immobilier », pour deux lots regroupant 1 604 places, ainsi que pour la reconstruction du centre pénitentiaire de Paris La Santé ([5]).

Dans un contexte de forte contrainte budgétaire, l’usage de ces contrats a été justifié pour étaler le coût des investissements sur plusieurs années via le versement des loyers aux titulaires des marchés. Cette méthode a néanmoins été remise en cause par la Cour des comptes ([6]), qui a souligné la forte croissance des dépenses allouées aux loyers et leur effet d’éviction sur les autres dépenses de l’administration pénitentiaire.

En moyenne, ce sont plus de 200 millions d’euros qui sont consommés chaque année pour financer ces loyers. 1,6 milliard d’euros y ont été alloués depuis la livraison des premiers lots et 2,9 milliards d’euros restent à payer d’ici le terme de la période d’exploitation des sites.

montant des loyers versÉs et des restes À PAYER SUR les marchÉs de partenariat de l’administration pÉnitentiaire

(en millions d’euros)

Source : commission des finances, d’après les documents budgétaires.

c.   Des conditions de détention qui demeurent incompatibles avec le droit européen

Les programmes immobiliers de l’administration pénitentiaire s’inscrivent également dans un contexte d’enrichissement des normes européennes visant à garantir des conditions dignes de détention.

À cet égard, la Cour européenne des droits de l’homme a admis l’opposabilité de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) s’agissant des conditions de détention ([7]) et défini plus précisément les critères permettant d’assurer la dignité des personnes incarcérées ([8]). En application de cette jurisprudence, la France a été condamnée à plusieurs reprises :

– dans un arrêt Canali contre France ([9]) la vétusté des locaux et la surpopulation carcérale de la prison de Nancy ont été retenues par la Cour comme des éléments caractérisant un traitement dégradant contraire aux dispositions de l’article 3 de la CEDH ;

– dans un arrêt JMB et autres contre France ([10]), la Cour constate des traitements dégradants dans six prisons françaises en raison du manque d’espace personnel dont disposent les détenus et recommande l’adoption de « mesures générales » afin de garantir des conditions dignes de détention.

2.   Un échec largement documenté par différents travaux

L’incapacité de l’État à garantir des conditions dignes de détention a donné lieu à la publication de différents travaux ayant pour objectif de proposer des solutions de nature à inverser la tendance à l’œuvre depuis le début des années 1980.

Ainsi, dès le mois de juin 2000, la commission d’enquête sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires en France, constituée par le Sénat, qualifiait l’état des prisons françaises d’« humiliation pour la République » ([11]).

En 2016, le rapport au Parlement sur l’encellulement individuel constatait que la longueur des programmes immobiliers pénitentiaires avait abîmé la crédibilité de la parole publique. Il soulignait par ailleurs le manque de moyens alloués à la rénovation des prisons existantes et à leur maintien en condition opérationnelle.

Ces constats sont partagés par la Cour des comptes, qui en 2017 estimait que la réalisation des programmes immobiliers pénitentiaires se caractérise par une « programmation glissante » en dépit de la progression de la dépense immobilière du ministère de la justice. La Cour soulignait par ailleurs que l’administration pénitentiaire fait face à une équation budgétaire complexe en raison de la montée en puissance des loyers budgétaires versés au titre des établissements gérés dans le cadre des marchés de partenariat.

La conception du programme immobilier « 15 000 » a été inspirée par les conclusions du livre blanc sur l’immobilier pénitentiaire, remis par M. Jean-René Lecerf au ministre de la justice en avril 2017.

Ce rapport identifiait trois causes principales pour expliquer la surpopulation carcérale :

– une répartition inégale des détenus : au 1er février 2017, les établissements pour peines n’étaient occupés qu’à 86 % tandis que le taux d’occupation des maisons d’arrêt s’élevait à 142 % ;

– la stagnation du nombre d’aménagement de peine ;

– la progression du nombre de personnes placées en détention provisoire durant la période 2014-2016, qui atteignait 19 498 personnes au 1er janvier 2017.

Les recommandations du livre blanc portaient par conséquent sur le parcours des personnes placées sous-main de justice, le développement des peines alternatives à l’incarcération et sur plusieurs principes à respecter pour définir le programme de construction de places de détention.

Du point de vue de la méthode, le livre blanc recommandait de recourir à une loi de programmation afin d’articuler la politique pénale et l’engagement budgétaire pluriannuel qu’implique un programme de construction d’établissements pénitentiaires.

S’agissant des priorités de construction, le livre blanc préconisait d’ouvrir une part importante des places au sein des quartiers prioritaires de préparation à la sortie et d’utiliser ces structures pour expérimenter de nouvelles formes d’incarcération. Les innovations auxquelles il était plus spécifiquement fait référence concernaient les « prisons ouvertes », développées par les pays du nord de l’Europe, qui se caractérisent par l’absence de moyens passifs de sécurité et par des journées de détention réalisées à l’extérieur de l’établissement afin d’exercer une activité professionnelle rémunérée.

Le rapport invitait par ailleurs à mieux intégrer les maisons d’arrêt et les quartiers de préparation vers la sortie, dans les territoires pour favoriser une meilleure réinsertion des détenus. Cette exigence devait s’accompagner d’une plus grande implication des collectivités territoriales dans la mise en œuvre du programme de construction et d’un effort de recherche foncière privilégiant les centres urbains ou les périphéries urbaines.

S’agissant enfin du mode de dévolution des marchés, le livre blanc soulignait le plus faible coût que représente une journée de détention dans les établissements en gestion publique et en gestion déléguée par rapport au coût constaté dans les établissements conçus dans le cadre d’un marché de partenariat. Le recours à de nouveaux marchés de partenariat devait donc, selon les auteurs du rapport, faire l’objet d’une « grande vigilance ».

Coût de la journée de détention en 2015

(en euros)

Mode de gestion

Gestion déléguée (GD)

Gestion publique

Coût moyen

Type de contrat

MOP (GD

AOT-LOA

PPP (GD

MOP

« classique »)

incluse)

dont dépenses de personnel

61,98

70,23

85,22

85,98

74,72

dont dépenses d'exploitation

31,43

39,77

49,94

17,51

25,96

(hors loyers et frais financiers)

dont cotisations ACOSS

3,95

3,95

3,95

3,95

3,95

Coût JDD

97,36

113,94

139,11

107,45

104,63

Source : Livre blanc sur l’immobilier pénitentiaire, avril 2017.

B.   Le programme « 15 000 » : un nouveau plan orientÉ vers la diversification des Établissements et la prÉparation de la sortie

Le plan « 15 000 », annoncé en octobre 2018, a été plus précisément défini par la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice ([12]). Conçu pour atteindre un taux d’encellulement individuel de 80 % à horizon 2027, il se décompose en deux tranches portant sur :

 la construction de 7 000 places de détention supplémentaires d’ici la fin de l’année 2022 ;

 la construction de 8 000 places dont les livraisons doivent s’échelonner entre 2022 et 2027.

Au total, le coût budgétaire prévisionnel du programme s’élève à 4,5 milliards d’euros.

1.   Un programme prioritairement consacré à la création de places en maison d’arrêt et en structures d’accompagnement vers la sortie (SAS)

La loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice prévoyait que les places nouvellement créées devaient principalement être ouvertes au sein des maisons d’arrêt et des structures adaptées à des peines courtes et dont le potentiel de réinsertion est avéré.

Le programme de construction se caractérise donc par une typologie d’établissements diversifiée, afin de favoriser une adaptation de la prise en charge des détenus selon leur parcours et leur projet de réinsertion. Il comprenait plus spécifiquement :

– la création de 2 500 places en maison d’arrêt ;

 la création de 2 000 places en structures d’accompagnement vers la sortie (SAS) ;

– l’ouverture de 540 places dans les prisons expérimentales dites InSERRE.

Les structures d’accompagnement vers la sortie et le projet « InSERRE »

Les structures d’accompagnement vers la sortie (SAS) sont conçues pour permettre une prise en charge soutenue des personnes dont le reliquat de peine est inférieur à deux ans. Ces établissements sont composés d’un faible nombre de places (90 à 180) et sont construits sur la base d’un taux d’encellulement individuel de 80 %. L’objectif principal leur étant assigné est de favoriser une réinsertion des personnes détenues en valorisant la vie en collectivité et la socialisation.

Les prisons dites InSERRE (innover par des structures expérimentales de responsabilisation et de réinsertion par l’emploi) présentent des caractéristiques similaires aux SAS. Ce sont des établissements spécialisés dans l’orientation et le travail des personnes détenues dont le reliquat de peine est inférieur à trois ans. Ces structures adoptent une architecture de type pavillonnaire et proposent d’un encellulement individuel strict.

Du point de vue géographique, les besoins de construction ont été identifiés sur la base de projections départementales de populations détenues en maison d’arrêt ou quartier maison d’arrêt. Dans ce cadre, l’Île-de-France, les régions Provence-Alpes-Côte d’Azur, l’Occitanie, la Guadeloupe et la Guyane ont été identifiées comme des régions prioritaires.

La cartographie de l’implantation des projets d’établissement a été présentée en octobre 2018 lors de l’annonce du programme. Elle a été actualisée et présentée une nouvelle fois le 20 avril 2021, lors de l’inauguration du centre pénitentiaire de Lutterbach.

Programmation dÉtaillÉe du plan « 15 000 »

 

Opérations

Places brutes créées

Places fermées

Établissements concernés

Places nettes ouvertes

Tranche 7 000

CD Papéari

410

 

 

410

CP Baumettes 2

573

– 1 145

Fermeture CP Baumettes historique

– 572

CP Aix 2

735

0

 

735

QSL Saint-Martin-Boulogne

50

 

 

50

MA Draguignan

504

 

 

504

CP Paris-La-Santé

707

 

 

707

QSL Nanterre

92

 

 

92

CP Lutterbach

520

– 365

Fermeture MA Mulhouse/Colmar

155

CP Troyes-Lavau

472

– 194

Fermeture MC Clairvaux/MA Troyes

278

CP Bordeaux-Gradignan

600

– 350

Fermeture MA Gradignan

250

MA Basse-Terre

200

– 129

Fermeture MA Basse-Terre

71

CP Caen-Ifs

551

– 269

Fermeture MA Caen

282

CP Baie-Mahault

300

 

Extension existant

300

CP Baumettes 3

740

 

 

740

CP Lille

720

 

 

720

CD Fleury-Mérogis

408

 

 

408

MA Nîmes

150

 

Extension existant

150

CD Koné

120

 

 

120

CP Wallis et Futuna

10

 

 

10

SAS Orléans

120

 

 

120

SAS Montpellier

150

 

 

150

SAS Caen

90

 

 

90

SAS Osny

180

 

 

180

SAS Meaux

180

 

 

180

SAS Valence

120

 

 

120

SAS Noisy-le-Grand

120

 

 

120

SAS Le Mans

90

 

 

90

SAS Lille

120

 

 

120

SAS Colmar

120

 

 

120

SAS Toulon

180

 

 

180

SAS Avignon

120

 

 

120

SAS Ducos

120

 

 

120

SAS Châlons-en-Champagne

90

 

 

90

Tranche 8 000

InSERRE Arras (Pas de Calais)

180

 

 

180

InSERRE Toul (Meurthe et Moselle)

100

 

 

100

InSERRE Donchery (Ardennes)

100

 

 

100

CP St-Laurent du Maroni (Guyane)

495

 

 

495

CP Comtat-Venaissin (Entraigues)

400

 

 

400

CP Tremblay (Seine-Saint-Denis)

705

 

 

705

CP Muret 2 (Haute-Garonne)

615

 

 

615

CD Rivesaltes (Pyrénées-Orientales)

515

 

 

515

CP Nîmes (Gard)

700

 

 

700

CP Le Muy (Var)

650

 

 

650

CP Vannes (Morbihan)

550

– 52

 

498

CP Angers (Maine-et-Loire)

850

– 266

 

584

CP Bernes-sur-Oise (Val d'Oise)

600

 

 

600

CP Crisenoy (Seine-et-Marne)

1 000

 

 

1 000

CP Noiseau (Val-de-Marne)

800

 

 

800

CP Pau (Pyrénées-Atlantiques)

250

– 247

Fermeture MA Pau

3

CP Magnanville (Yvelines)

700

 

 

700

 

Total programme « 15 000 »

18 872

 3 017

 

15 855

Source : Rapport au Parlement relatif à l’encellulement individuel, septembre 2022.

Au total, le plan « 15 000 » porte sur la construction de 18 872 places, réparties dans 31 centres pénitentiaires, 14 SAS et 3 établissements InSERRE. Par ailleurs, 13 établissements vétustes et 3 017 doivent fermer, ce qui portera le nombre de places nettes ouvertes à 15 855.

Pour accompagner ce programme de construction, la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice prévoyait la création de 2 300 emplois à horizon 2022 afin d’assurer la mise en service des 7 000 premières places, auxquels s’ajoutaient 1 500 emplois supplémentaires alloués aux services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP).

Afin d’assurer l’atteinte de l’objectif d’un placement de 80 % des personnes détenues en cellule individuelle, il était par ailleurs prévu de réformer l’échelle des peines et de développer les alternatives à l’incarcération ([13]).

2.   Des risques de mise en œuvre soulignés par l’évaluation socio-économique du programme et sa contre-expertise

Depuis 2013, la loi prévoit l’obligation, pour les projets financés par l’État et dont le coût excède un certain seuil, de procéder à une évaluation socio-économique préalable et une contre-expertise indépendante, organisée par le secrétariat général pour l’investissement (SGPI) ([14]).

L’évaluation socio-économique du programme « 15 000 » concluait à une valeur actuelle nette socio-économique fortement négative (– 4,1 milliards d’euros). Cette étude mettait en balance les coûts financiers du programme et les gains socio-économiques tirés de la réduction des violences, des recours contentieux, des arrêts de travail et de la récidive.

Toutefois, l’exercice de contre-expertise ([15]) a conduit à élargir le champ du cadre évaluatif afin de tenir compte de nouveaux éléments – tels que la réduction des coûts de transfert en désencombrement de détenus ou la réduction des suicides. La valeur actuelle nette socio-économique a ainsi été ramenée à  515 millions d’euros en hypothèse basse et + 830 millions d’euros en hypothèse haute. Certains éléments de valeur n’ont cependant pas pu être quantifiés (comme, par exemple, les bénéfices sociaux de la réinsertion).

En tout état de cause, la contre-expertise soulignait qu’il existait un risque important lié aux difficultés que l’administration pénitentiaire pourrait rencontrer en matière d’acquisition foncière, remettant potentiellement en cause sa capacité à construire des SAS au cœur des villes.

Par suite, il était préconisé de réaliser un bilan à mi-parcours de sa mise en œuvre en 2022, devant intégrer des outils de mesure de l’impact des structures d’accompagnement vers la sortie et des établissements pour les détenus les plus dangereux.

Ces constats ont ensuite conduit le SGPI à formuler un avis favorable à la mise en œuvre du programme « 15 000 », mais sous réserve que l’administration pénitentiaire s’engage à réaliser une évaluation in itinere de l’ensemble des opérations de construction et de réhabilitation. Cet avis était assorti de plusieurs recommandations, portant notamment sur la nécessité de développer un système d’information permettant de documenter les impacts du programme en matière de réinsertion et de récidive.

II.   le programme « 15 000 » : un plan connaissant des retards importants et qui apparaît d’ores et déjà sous-dimensionnÉ

S’inscrivant dans la continuité des programmes immobiliers précédents, la mise en œuvre du programme « 15 000 » a connu des retards importants, aggravés par la crise sanitaire. En conséquence, et en dépit d’un ensemble de mesures définies en 2018 pour tendre vers le respect du droit à l’encellulement individuel, ce plan ne permettra pas de résorber la surpopulation carcérale à horizon 2027.

A.   En 2022, seules 2 441 places nettes ONT été livrÉes sur les 7 000 prÉvues

Dès l’année 2021, le Gouvernement a acté de premiers retards dans l’exécution du programme immobilier de l’administration pénitentiaire. Ces difficultés opérationnelles se conjuguent par ailleurs avec des difficultés importantes de recrutement, qui obèrent la capacité du ministère de la justice à mettre en service de nouvelles places de détention.

1.   Un retard important sur la première tranche de livraison du plan

À la fin de l’année 2022, 11 établissements avaient été livrés, regroupant 2 441 places nettes ([16]) et 17 établissements étaient en travaux. Sur les 7 000 places annoncées en 2018, seules 35 % avaient effectivement été mises en service.

● Parmi ces places, un certain nombre relevait de programmes de construction annoncés en 2012 ou 2014. Certaines ont par ailleurs été livrées dès l’année 2017 et ont donc été mises en service bien avant l’annonce du plan « 15 000 ».

Cela concerne par exemple :

– le centre pénitentiaire de Marseille Les Baumettes 2 (573 places brutes et – 572 places nettes), livré en avril 2017 ;

 le centre de détention Tatutu de Paperai (410 places nettes), livré en mai 2017 ;

– le quartier de semi-liberté de Saint-Martin Boulogne (50 places nettes), livré en octobre 2017 ;

 le centre pénitentiaire Aix Luynes 2 (735 places nettes), livré en avril 2018 ;

 le centre pénitentiaire de Draguignan (504 places nettes) livré en janvier 2018 ;

– le centre pénitentiaire de Paris-La Santé (707 places nettes) livré en janvier 2019 et pour lequel le marché de partenariat a été signé en novembre 2014 ;

– le quartier de semi-liberté de Nanterre (92 places nettes), pour lequel les travaux ont démarré en 2016 et qui a été livré en mars 2019 ;

– le centre pénitentiaire de Lutterbach (520 places brutes et 155 places nettes), livré en juin 2021, pour lequel la notification du marché de conception-réalisation est intervenue en mars 2017 ;

Ainsi, ce sont 2 081 places nettes ouvertes entre 2017 et 2021 qui ont été intégrées dans le champ du programme « 15 000 » et pour lesquelles les opérations de construction étaient en cours ou achevées lors de l’annonce du plan. En conséquence, seules environ 400 places ouvertes sont imputables à des projets lancés à compter de la fin de l’année 2018.

Au total, les places nouvellement créées entre le 1er janvier 2017 et le 1er janvier 2022 ont été principalement ouvertes en maisons d’arrêt ou quartiers maison d’arrêt et en centres de détention.

Évolution des places opÉrationnelles selon le type d’Établissement
au 1er janvier

 

2017

2018

2019

2020

2021

2022

Évolution

Centre de détention et quartier de centre de détention

19 611

20 033

20 284

20 544

20 182

20 200

589

Centre/quartier de centre national d'évaluation

317

317

319

138

169

169

– 148

Centre pour peines aménagées (CPA)

609

611

611

611

611

611

2

Centre de semi-liberté (CSL)

1 254

1 312

1 352

1 444

1 444

1 478

224

Établissement pénitentiaire pour mineurs

342

352

352

352

350

345

3

Maison d'arrêt et quartier de maison d'arrêt

34 163

34 860

34 993

35 592

35 516

35 720

1 557

Maison centrale et quartier de maison centrale

2 385

2 280

2 240

2 272

2 227

2 142

– 243

Établissement Public de Santé National

-

-

-

84

84

84

/

Ensemble des établissements

58 681

59 765

60 151

61 037

60 583

60 749

2 068

Source : ministère de la justice, séries statistiques des personnes placées sous-main de justice, édition 2023.

En dehors des établissements mentionnés précédemment, les structures suivantes dont la gestion a été déléguée à l’APIJ ont été livrées depuis le lancement du programme « 15 000 » :

– en 2022, le SAS de Montpellier, le SAS de Caen et le centre de détention de Koné

– en 2023, le SAS de Valence

Les projets délégués à l’APIJ ont presque tous donné lieu à la passation de marchés de conception-réalisation. Seul le projet du centre pénitentiaire de Paris La Santé, lancé en 2014, a été réalisé dans le cadre d’un partenariat public-privé.

2.   Des retards à prévoir sur la seconde tranche d’exécution du programme

Au début de l’année 2023, 13 415 places restaient à ouvrir dans le cadre du plan « 15 000 ». L’échéancier transmis par le ministère de la justice au rapporteur spécial montre que les places imputées sur la première tranche ouvriront en majorité en 2023 (pour 1 958 places) et 2024 (390 places).

En revanche, certains établissements n’ouvriront pas leurs portes avant l’année 2025 – pour ce qui concerne Baumettes 3 ou le centre pénitentiaire (CP) de Wallis et Futuna – 2026 (Gradignan, Baie-Mahaut et le SAS d’Orléans) voire 2027 pour certains établissements (le CP de Lille, le CP de Basse-Terre, le SAS de Châlons-en-Champagne).

De manière générale, les priorités définies en 2018 n’ont pas été respectées : s’agissant des établissements spécialisés dans la réinsertion, la majorité des SAS n’ouvriront qu’à compter de l’année 2023 ; pour ce qui concerne les régions d’outre-mer, les CP de Wallis et Futuna et Basse-Terre seront livrés en 2025 et 2027.

Les établissements composant la tranche des 8 000 places n’ouvriront pas avant 2025 et la grande majorité des livraisons (7 360) sont attendues pour 2027. Tout porte donc à croire que ce délai ne sera pas tenu et qu’un reliquat significatif de places sera livré d’ici 2029 ou 2030.


ÉchÉancier de livraison des places du plan « 15 000 » entre 2023 et 2027

(les places de la tranche « 7 000 » sont en bleu, celles de la tranche « 8 000 «  en vert)

 

2017 - 2022 (livrées)

2023

2024

2025

2026

2027

Total places créées

2 441

1 958

390

930

1 776

8 361

Total établissements livrés

11

10

3

3

5

18

Le Mans (SAS)

 

90

 

 

 

 

Caen-Ifs

 

282

 

 

 

 

Fleury-Mérogis

 

408

 

 

 

 

Troyes-Lavau

 

278

 

 

 

 

Avignon (SAS)

 

120

 

 

 

 

Valence (SAS)

 

120

 

 

 

 

Meaux (SAS)

 

180

 

 

 

 

Osny (SAS)

 

180

 

 

 

 

Noisy-le-Grand (SAS)

 

120

 

 

 

 

Toulon (SAS)

 

180

 

 

 

 

Nîmes (DAC)

 

 

150

 

 

 

Colmar (SAS)

 

 

120

 

 

 

Ducos (SAS)

 

 

120

 

 

 

Baumettes 3

 

 

 

740

 

 

Wallis et Futuna

 

 

 

10

 

 

InSERRE Arras

 

 

 

180

 

 

Orléans (SAS)

 

 

 

 

120

 

Bordeaux-Gradignan

 

 

 

 

251

 

Baie-Mahault

 

 

 

 

300

 

Entraigues-Comtat-Venaissin

 

 

 

 

400

 

Tremblay-en-France

 

 

 

 

705

 

Lille (SAS)

 

 

 

 

 

120

InSERRE Donchery

 

 

 

 

 

100

InSERRE Toul

 

 

 

 

 

100

Saint-Laurent-du-Maroni

 

 

 

 

 

495

Basse-Terre

 

 

 

 

 

71

Lille CP

 

 

 

 

 

720

Châlons-en-Champagne (SAS)

 

 

 

 

 

90

Perpignan- Rivesaltes

 

 

 

 

 

515

Toulouse-Muret

 

 

 

 

 

615

Nîmes

 

 

 

 

 

700

Angers

 

 

 

 

 

584

Crisenoy Seine-et-Marne

 

 

 

 

 

1 000

Vannes

 

 

 

 

 

498

Le Muy

 

 

 

 

 

650

Pau

 

 

 

 

 

3

Noiseau Val-de-Marne

 

 

 

 

 

800

Val d'Oise (Bernes-sur-Oise)

 

 

 

 

 

600

Magnanville

 

 

 

 

 

700

Source : direction de l’administration pénitentiaire.

Pour les opérations dont les livraisons interviendront à compter de 2026, le ministère de la justice indique que :

– le marché a été notifié pour l’InSERRE d’Arras et que des études de conception sont en cours ;

– un appel d’offres pour le choix du groupement constructeur a été publié pour Saint-Laurent-du-Maroni, Tremblay en France, Perpignan-Rivesaltes et Toulouse-Muret ;

– les études préalables sont en cours pour 11 opérations : Nîmes, Angers, Crisenoy, Vannes, Le Muy, Pau, Noiseau, Bernes-sur-Oise, Magnanville, les InSERRE de Toul et Donchery.

3.   Une mise en œuvre qui se conjugue avec des difficultés importantes de recrutement

Le plan « 15 000 » devait s’accompagner du recrutement des personnels nécessaires à la mise en service des nouveaux établissements. Toutefois, le ministère fait également face à un déficit d’attractivité qui obère sa capacité à ouvrir rapidement des places supplémentaires.

Entre les années 2018 et 2022, les effectifs de l’administration pénitentiaire ont progressé de 9,2 % pour s’établir à 42 413 personnes. Cette hausse est principalement imputable aux personnels de surveillance pénitentiaire, qui composent 70 % de l’effectif et dont le nombre a progressé 2 374 ETP sur cette période.

effectifs de l’administration pÉnitentiaire

(en ETP)

Filière

2018

2019

2020

2021

2022

Évolution (ETP)

Évolution (%)

Magistrats

12,4

10,6

10,8

8

10

 2,4

 19,40%

Personnels de direction

1 011,3

1 017,1

1 059,5

1 091,0

1 050,5

39,2

3,90 %

Personnels de surveillance

27 451,0

28 740,0

29 154,0

29 420,5

29 825

2 374,0

8,60 %

Personnels d'insertion et de probation

4 216,3

4 277,6

4 625,9

4 756,8

4 970,0

753,7

17,90 %

Personnels administratifs

4 368,6

4 449,0

4 451,5

4 490,9

4 609,8

241,2

5,50 %

Personnels techniques

1 042,6

1 029,6

1 052,7

1 052,9

1 048,8

6,2

0,60 %

Autres (aumôniers, apprentis)

742,8

797,8

817

852,3

899

156,2

21,00 %

Total

38 845,0

40 321,7

41 171,4

41 672,3

42 413,1

3 568,1

9,20 %

Source : direction de l’administration pénitentiaire.

Cette progression découle d’un schéma d’emplois en forte hausse depuis 2018. Cependant, celui-ci a régulièrement été sous-exécuté.

 

prÉvision et exÉcution du schÉma d’emplois du programme 107 administration pÉnitentiaire

(en ETP)

Source : commission des finances, d’après les documents budgétaires.

● Plus spécifiquement, les difficultés rencontrées par l’administration pénitentiaire sont principalement imputables au déficit d’attractivité du corps des personnels de surveillance. Leur schéma d’emploi s’est élevé à + 490 ETP en moyenne sur la période 2018-2022 : toutefois, il n’a été exécuté qu’une seule fois à un niveau au moins égal à la prévision. En conséquence, le ministère procède à des recrutements d’agents non titulaires afin de répondre aux besoins des services.

Écart entre la prÉvision et l’exÉcution du schÉma d’emplois DES PERSONNELS de surveillance pÉnitentiaire

(en ETP)

Source : commission des finances, d’après les documents budgétaires.

Ce résultat s’explique par une érosion progressive des candidatures tout au long du processus de recrutement. Le taux de déperdition entre le nombre d’inscrits et de présents au concours de surveillant atteint ainsi près de 80 % puis de 29 % entre les épreuves d’admissibilité et d’admission. Pour inverser cette tendance, le ministère de la justice a engagé une démarche de simplification du processus d’inscription et réduit la durée des concours.

Par ailleurs, pour limiter le nombre de démission en cours de scolarité, les modes de recrutement ont été davantage territorialisés : un concours national d’affectation local est organisé à chaque session du concours et permet aux candidats de connaître leur territoire d’affectation en cas de réussite et de bénéficier d’une prime de fidélisation de 8 000 euros, versée en trois fois au bout de six ans d’activité.

En parallèle, plusieurs mesures catégorielles ont été prises pour renforcer l’attractivité du métier de surveillant :

– une revalorisation de l’indemnité pour charge pénitentiaire, dont la montée en charge s’achève en 2023 (pour un coût de 2,2 millions d’euros en 2023) ;

– un plan de requalification de 1 400 surveillants de catégorie C dans le corps de commandant, à hauteur de 280 promotions par an, auquel s’ajouteront 470 promotions à des fonctions de gradés sur une durée de quatre ans (pour un coût de 812 396 euros en 2023).

● D’autre part, les objectifs de recrutement en SPIP n’ont pas été entièrement tenus. Sur les 1 500 emplois prévus par la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, seuls 1 000 ont été effectivement pourvus.

Cette hausse a néanmoins permis de diminuer considérablement le taux de vacance des postes, qui s’établit désormais à 5,1 %, contre 20,7 % en 2018. Les recrutements se sont accompagnés d’une politique de revalorisation statutaire qui a pris la forme d’une requalification en catégorie A des conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP) et de plusieurs revalorisations indemnitaires.

Enfin, les directeurs d’insertion et de probation, dont la rémunération n’avait quasiment pas évolué depuis 2018, ont bénéficié depuis mars 2023 d’une revalorisation indemnitaire de 1,1 million d’euros.

B.   En dÉpit de la hausse du nombre de places et du dÉveloppement des alternatives À l’incarcération, un droit à l’encellulement individuel insusceptible d’Être respectÉ à horizon 2027

Pour tendre vers un taux d’encellulement individuel de 80 % d’ici 2027, le plan de construction de 15 000 places de prison s’articule avec un recours plus important aux aménagements de peines et aux alternatives à l’incarcération.

En dépit de ces efforts, tout porte à croire que le droit à l’encellulement individuel ne sera pas respecté à horizon 2027.

1.   Le développement des aménagements de peine et des alternatives à l’incarcération

Conformément aux ambitions assignées à la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, plusieurs réformes de politique pénale ont tendu à limiter le recours à l’incarcération.

Cette loi a ainsi limité l’emprisonnement pour de courtes périodes en interdisant le recours à des peines d’incarcération de moins d’un mois, en prévoyant une obligation d’aménagement des peines de moins de six mois et en systématisant le prononcé d’une libération sous contrainte pour toute personne ayant purgé les deux tiers d’une peine de moins de cinq ans.

En parallèle, ses dispositions ont créé des peines nouvelles, comme la détention à domicile sous surveillance électronique (DDSE) et le sursis probatoire, qui consiste à surseoir à l’application d’une peine d’emprisonnement sous réserve d’un certain nombre d’obligations que le condamné devra respecter ([17]).

Cette tendance a été renforcée par les dispositions de la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire ([18]) qui a supprimé le crédit de réduction de peine automatique tout en laissant la possibilité au juge de l’application des peines d’accorder une réduction de peine en fonction du comportement des détenus et créé un mécanisme de libération sous contrainte de plein droit, applicable trois mois avant la date de fin de peine si celle-ci était inférieure ou égale à deux ans.

Ces différentes réformes ont toutefois produit des résultats qui s’avèrent limités.

Le quantum de peines moyen des condamnés détenus a augmenté depuis 2016 : alors que 13,8 % des détenus effectuaient une peine inférieure à 6 mois à cette date, ce taux s’établissait à 8,5 % en 2022. En revanche, les peines d’une durée comprise entre 6 mois et un an représentaient 16,3 % des peines en 2022 contre 13,5 % en 2016. La part des peines comprises en un an et 2 ans a également progressé de 6,4 points sur cette période et s’établissait à 23,3 % en 2022.

Cette tendance est néanmoins contrebalancée par la hausse du nombre de détenus en détention provisoire sur la longue période : s’élevant à 25,1 % en 2012, il s’établissait à 26,6 % en août 2022. Par ailleurs, la France figure parmi les pays membres du conseil de l’Europe présentant le taux de détenus provisoires le plus élevé.

Taux de personnes en détention provisoire des pays du Conseil de l’europe au premier semestre 2022

État

Taux de détenus provisoires

France

26,6 %

Allemagne

20,0 %

Royaume-Uni

16,0 %

Espagne

15,6 %

Italie

29,3 %

Belgique

38,4 %

Norvège

24,7 %

Source : Rapport remis au Parlement sur l’encellulement individuel, octobre 2022.

D’autre part, le recours aux mesures de probation se révèle limité : selon le rapport remis au Parlement sur l’encellulement individuel en octobre 2022, « les peines de DDSE ont été peu prononcées par les juridictions correctionnelles ou par les juges d’application des peines. Une grande partie des peines l’a été dans le cadre de conversions de peines inférieures à six mois ». La détention à domicile sous surveillance électronique représente en revanche la majorité des aménagements de peine prononcés (62 %).

2.   Une progression du nombre de détenus rendant improbable un respect du droit à l’encellulement individuel en 2027

Introduit par les dispositions de la loi du 5 juin 1875 sur le régime des prisons départementales, le droit à l’encellulement individuel s’applique de jour et de nuit pour les personnes détenues en maison d’arrêt et seulement de nuit dans les établissements pour peines.

Il peut toutefois être dérogé à ce principe lorsque la « distribution intérieure des locaux ou le nombre de personnes détenues présentes ne permet pas son application » ([19]). Cette exception, en principe temporaire, a été régulièrement prorogée par le législateur et devait s’achever au 31 décembre 2022. Les dispositions de la loi de finances pour 2023 ([20]) ont néanmoins reporté cette échéance au 31 décembre 2027.

Le Gouvernement a justifié ce report en affirmant que l’achèvement du programme « 15 000 » permettrait de doter les établissements pénitentiaires d’un nombre de places suffisant pour absorber la hausse du nombre de détenus sur la période 2022-2027.

Le rapport remis au Parlement en octobre 2022 relatif à l’encellulement individuel conduit à être prudent s’agissant de cette ambition. En effet, les projections réalisées par la direction de l’administration pénitentiaire montrent qu’entre 2022 et 2027, le nombre de personnes écrouées détenues progresserait d’environ 5 % et serait compris entre 73 897 et 74 996 en 2027.

Projections du nombre de personnes ÉcrouÉes

 

Année

Détenus

Surveillances électroniques

Placés à l'extérieur non Hébergés

1er janvier

1er juillet

1er janvier

1er juillet

1er janvier

1er juillet

Données observées

2015

66 270

66 864

10 419

11 075

602

553

2016

66 678

69 375

9 429

10 957

494

573

2017

68 432

70 018

9 801

11 146

563

617

2018

68 974

70 710

10 241

11 615

570

618

2019

70 059

71 710

10 620

11 883

571

625

2020

70 739

58 723

11 539

8 717

645

816

2021

62 673

67 971

11 669

14 828

679

712

Données observées (janv.)/ Projections (juill.)

2022

70 392

72 109

14 733

16 386

675

734

Projections indicatives

2023

71 005

72 850

15 730

17 383

695

755

2024

71 907

73 160

16 727

18 380

716

775

2025

72 800

73 954

17 724

19 377

736

795

2026

73 380

74 510

18 720

20 373

757

811

2027

73 897

74 996

19 717

21 370

772

830

Source : Rapport remis au Parlement relatif à l’encellulement individuel, octobre 2022.

D’un autre côté, la capacité opérationnelle des établissements pénitentiaires, au moment de l’achèvement du programme immobilier, s’élèvera à la même date à 75 000 places. En d’autres termes, le nombre de places disponibles correspondra au nombre de détenus, ce qui permettrait théoriquement d’atteindre un taux d’occupation de 100 % et de garantir un taux d’encellulement individuel de 80 %.

La réalité se révélera sans doute plus contrastée. En premier lieu, le Gouvernement souligne que les projections réalisées au-delà de cinq ans sont « strictement indicatives » dans la mesure où elles dépendent fortement de la conjoncture. La hausse tendancielle du nombre de détenus pourrait donc excéder le seuil de 75 000, ce qui ne permettrait pas de résorber la surpopulation carcérale.

En second lieu, ces projections portent sur l’ensemble des détenus et la capacité opérationnelle de l’ensemble des établissements pénitentiaires. Ne sont donc pas pris en compte la répartition géographique des détenus ni la catégorie des établissements dans lesquels ils seraient placés. Il est donc tout à fait possible que les établissements sous tension, comme les maisons d’arrêt, connaissent un accroissement du nombre de leurs occupants plus important que le nombre de places livrées.

À cet égard, si le taux d’occupation moyen des maisons d’arrêt s’élevait à 140,7 % en mars 2023, plusieurs d’entre elles présentaient une densité atteignant près de 200 %. C’est d’ailleurs cette situation qui a conduit le centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan à suspendre les nouvelles admissions au mois de mai 2023.

S’agissant de cet établissement, les effets qui seront produits par le plan « 15 000 » peuvent d’ores et déjà être considérés comme insuffisants : actuellement doté de 350 places pour 753 détenus, il bénéficiera de 251 places nettes supplémentaires en 2026. Cette hausse, à nombre de détenus inchangé, ne permettra pas de résorber la surpopulation carcérale et ramènera son taux d’occupation à 120 %.

Ce constat est d’ailleurs partagé par le service du contrôle budgétaire et comptable ministériel (SCBCM) qui a mené un contrôle a posteriori sur les besoins budgétaires relatifs aux constructions et réhabilitations d’établissements pénitentiaires.

Les conclusions de ce contrôle, en cours de contradiction avec le responsable du programme 107 Administration pénitentiaire, montrent que la surpopulation carcérale, « notamment dans les maisons d’arrêt », ne sera pas résorbée d’ici à 2027 en raison de la dynamique de croissance de la population carcérale ([21]).

Tout porte donc à croire que le programme 15 000 est sous-dimensionné et ne remplira pas les objectifs qui lui ont été assignés.

Proposition n° 1 : Concevoir dès à présent une extension du plan « 15 000 » afin de mettre en service des places de prison supplémentaires à horizon 2030.

C.   Des facteurs d’explication multiples

L’échec annoncé du plan « 15 000 » est regrettable mais pouvait être évité. La riche expérience des précédents programmes immobiliers de l’administration pénitentiaire démontre que les facteurs explicatifs des retards sont connus et pouvaient donc être anticipés.

1.   Des difficultés importantes en matière de recherche foncière et des retards imputables à la crise sanitaire

La cause principale imputable aux retards de réalisation des opérations de construction trouve son origine dans les difficultés de recherche foncière que rencontre l’administration pénitentiaire.

Selon cette dernière, les démarches d’acquisition foncière ont été entravées par des contraintes « de faisabilité technique et environnementale » (par exemple, la découverte d’espèces animales protégées).

À cet égard, le rapport remis au Parlement en septembre 2016 sur l’encellulement individuel ([22]) identifiait déjà la raréfaction du foncier utile en zone urbaine et la complexité croissante des « contraintes urbanistiques et environnementales » comme les explications majeures de l’allongement des délais de construction.

De manière générale, ce document indiquait qu’un programme immobilier pénitentiaire ne pouvait être mené à terme en moins de 10 ans. Ces délais s’expliquent notamment par le fait que les phases d’études, de programmation et de consultation, quand bien même elles peuvent être menées de façon simultanée, nécessitent respectivement 30 mois, 9 mois et 12 mois en moyenne, auxquels s’ajoutent 27 mois au minimum pour la période de construction.

À ces contraintes s’ajoute l’opposition de certains élus locaux ou riverains aux projets de construction, qui se traduit notamment par la multiplication de recours contentieux – comme à Muret, Orléans ou Tremblay-en-France – susceptibles de rallonger les délais nécessaires à l’acquisition et à la conception des prisons.

Le rapporteur spécial considère que ces justifications demeurent partielles. Les résistances rencontrées par l’administration pénitentiaire s’expliquent aussi en partie par le choix de rapprocher les prisons des centres-villes et des périphéries urbaines, ce qui soulève des enjeux sécuritaires, économiques et sociaux pour les collectivités locales et leurs habitants.

Si cette orientation du programme « 15 000 » trouve son origine dans la nécessité de favoriser une meilleure réinsertion des détenus et de diversifier les modes d’incarcération, les risques qui en découlent avaient été largement documentés et anticipés par l’ensemble des travaux menés en amont de la conception de ce plan.

Par ailleurs, en dépit de l’adhésion des élus locaux, certains projets d’implantation n’ont pour le moment pas été retenus par le ministère de la justice : c’est notamment le cas pour l’extension du centre de détention d’Oermingem, à Grasse ou encore à Châtillon-sur-Seine.

Dans ce contexte, la commission d’enquête visant à identifier les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française ([23])  avait identifié des leviers susceptibles de favoriser un consensus autour des opérations immobilières de l’administration pénitentiaire.

Il était notamment préconisé de lancer une réflexion sur les modalités de calcul des dotations de péréquation de la dotation globale de fonctionnement (notamment la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale) afin de favoriser les communes accueillant des établissements pénitentiaires ou encore de comptabiliser les places de détention au titre des obligations relatives au logement social définies par la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain (SRU).

Le rapporteur spécial considère que ces propositions, si elles étaient mises en œuvre, seraient susceptibles de faciliter l’implantation de nouveaux établissements.

Proposition n° 2 : Favoriser l’adhésion des élus locaux à l’implantation d’établissements pénitentiaires sur leur territoire, notamment en modifiant les modalités de calcul de la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale et en comptabilisant les places de détention au titre de la loi SRU.

Enfin, la crise sanitaire a également allongé les délais d’exécution des projets de construction, en modifiant les conditions d’intervention sur les chantiers et en réduisant la disponibilité des ouvriers. Depuis le début de la guerre en Ukraine, les pénuries de matériaux constituent un nouveau facteur contraignant, qui laisse craindre un allongement encore plus important des délais de construction.

2.   Un plan aux contours mal définis et dont le coût a été sous-estimé

Au-delà des aléas conjoncturels et des difficultés habituellement rencontrées par l’administration pénitentiaire dans la mise en œuvre de ses programmes immobiliers, d’autres problèmes plus spécifiques au plan « 15 000 » peuvent être identifiés.

Le contrôle a posteriori mené par le SCBCM sur le programme immobilier pénitentiaire souligne ainsi deux faiblesses principales qui expliquent en partie les échecs de ce plan.

● En premier lieu, le ministère de la justice a confié à l’APIJ plusieurs programmes de réhabilitation de prison dont les opérations peuvent se chevaucher avec les opérations du plan « 15 000 ». Les contours de ce plan sont donc brouillés, ce qui ne permet pas d’évaluer correctement ses effets et d’apprécier de manière globale la politique immobilière du ministère de la justice. Comme l’indique le CBCM dans son rapport annuel sur la situation financière et comptable du ministère, les opérations de réhabilitation peuvent en effet concerner « des travaux importants sur des sites vétustes […] de nouvelles constructions et le recyclage d’opérations abandonnées, constituant une forme de nouveau programme ou de prolongement du “15 000” ».

Les documents budgétaires précisent ainsi que l’APIJ a lancé les opérations de réhabilitation du centre pénitentiaire de Faa’a, en Polynésie française, dont le coût total est estimé à 65 millions d’euros, de Fresnes et des Baumettes.

Ce dernier projet était qualifié « d’atypique » par le ministre M. Jean-Jacques Urvoas, dans le cadre de son rapport sur l’encellulement individuel remis au Parlement en 2016. La rénovation de cet établissement figurait, dès 2003, dans le programme de rénovation de l’administration pénitentiaire avant d’être abandonné en 2009, en raison des fermetures temporaires de places que les travaux rendaient nécessaires. Ce n’est qu’avec la mise en service des établissements Baumettes 2 et Aix 2 que les conditions ont été réunies pour lancer les opérations de rénovation, ce qui révèle le lien étroit qui existe entre la réhabilitation des établissements vétustes et la création de nouvelles places.

● D’autre part, sans tenir compte des effets produits par l’inflation, les coûts du programme « 15 000 » sont en forte augmentation par rapport à la prévision initiale, ce qui laisse craindre des dépassements importants dans le cadre de l’exécution de la deuxième phase dite « 8 000 ».

L’administration pénitentiaire indique qu’en 2022 les crédits consommés au titre du programme « 15 000 » s’élèvent à 1,24 milliard d’euros sur les 4,5 milliards d’euros initialement prévus.

Les autorisations d’engagement ouvertes depuis 2017 montrent que les moyens financiers nécessaires à l’exécution du plan « 15 000 » ont effectivement été mobilisés. 3,6 milliards d’euros, soit 80 % de l’enveloppe initiale, ont d’ores et déjà été délégués au profit de l’APIJ depuis cette date afin de réaliser les opérations du plan « 15 000 ».

Ouverture et consommation des AE allouÉs À l’APIJ au titre des investissements immobiliers de l’administration pÉnitentiaire

(en millions d’euros)

Source : commission des finances, d’après les documents budgétaires.

Une part importante de ces crédits a été ouverte par la loi de finances initiale pour 2017 (1,56 milliard d’euros) et a ensuite fait l’objet de reports successifs jusqu’en 2019. La consommation des AE, limitée dans un premier temps, s’est ensuite maintenue à un niveau élevé à compter de l’année 2020 (925 millions d’euros par an en moyenne), ce qui démontre le démarrage tardif du plan « 15 000 ».

L’ouverture et la consommation des crédits de paiement (CP) s’inscrivent dans la même tendance, avec une accélération significative à compter des années 2020 et suivantes. Au total, 888,6 millions d’euros ont effectivement été décaissés depuis l’année 2017.

Ouverture et consommation des CP allouÉs À l’APIJ au titre des investissements immobiliers de l’administration pÉnitentiaire

(en millions d’euros)

Source : commission des finances, d’après les documents budgétaires.

En tout état de cause, peuvent être constatés des décalages réguliers entre le rythme d’ouverture des crédits et leur consommation. D’autre part, ni les rapports publiés par le ministère de la justice sur l’exécution de la loi de programmation et de réforme pour la justice ([24]) ni les documents budgétaires ne font état d’un échéancier d’ouverture des crédits et d’une actualisation du coût anticipé de l’ensemble des opérations de construction.

Cet outil faciliterait le pilotage du programme et le contrôle de son exécution.

 

Proposition n° 3 : Améliorer le pilotage budgétaire des programmes immobiliers de l’administration pénitentiaire et présenter dans les documents budgétaires un échéancier d’ouverture des crédits actualisé en fonction de l’avancée des projets.

Enfin, les contrôles menés par le SCBCM tendent à montrer que les relations entre l’administration pénitentiaire et l’APIJ pourraient être significativement améliorées. À cet égard, les commandes passées à l’opérateur ne permettent pas d’identifier des consignes claires en matière de délai de réalisation des projets. En conséquence, il était recommandé de formaliser des « fiches de commande » établies par le ministère de la justice afin de définir plus explicitement le calendrier et le coût budgétaire définis pour une opération, ce qui permettrait de mieux apprécier la performance de l’opérateur.

Pour le rapporteur spécial, il ne fait aucun doute que les difficultés de pilotage rencontrées par l’administration pénitentiaire et son incapacité à définir des cibles explicites expliquent en grande partie les retards d’exécution du plan « 15 000 ». Il souscrit donc pleinement aux recommandations formulées par le SCBCM.

Proposition n° 4 : Renforcer la formalisation des commandes passées par l’administration pénitentiaire auprès de l’APIJ en définissant des cibles claires et renforcer l’évaluation par la performance des programmes immobiliers du ministère de la justice.


   travaux de la commission

Lors de sa réunion de 17 heures 30, le jeudi 25 mai 2023, la commission des finances a entendu M. Patrick Hetzel, rapporteur spécial des crédits de la mission Justice, sur son rapport d’information sur la construction des places de prison, présenté en application de l’article 146, alinéa 3, du règlement de l’Assemblée nationale.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. C’est un grand plaisir pour moi que de rendre compte devant vous de l’utilisation des moyens en forte hausse du ministère de la justice en 2022. Ce renforcement massif des moyens est ma priorité : l’héritage des trente dernières années n’est pas soldé, la route sera longue ; mais le cap est clair, sous l’autorité du Président de la République et de la Première ministre : donner à la justice les moyens d’être plus rapide, plus efficace, plus proche – bref, à la hauteur des attentes de nos concitoyens.

La loi de finances initiale pour 2022 a octroyé 8 862 millions d’euros à la mission Justice, soit une hausse supérieure à 8 % par rapport à 2021 : 659 millions supplémentaires sont venus abonder le service public de la justice. Cette hausse continue des crédits confirme la volonté du Gouvernement d’un effort significatif en faveur des fonctions régaliennes, en l’occurrence en faveur de la construction de la justice du XXIe siècle.

Ces crédits ont été exécutés à 99,2 %, soit 8 792 millions ; ce taux est en hausse par rapport à 2021, où il s’est élevé à 98,2 %.

La non-consommation de crédits est principalement due à l’application de la réserve de précaution du ministère : c’est là une obligation interministérielle, chaque ministère étant invité à mettre de côté un certain pourcentage des crédits votés afin de faire face à d’éventuels imprévus, au niveau ministériel voire interministériel. C’est une règle de bonne gestion des finances publiques. Le reste de la sous-consommation provient d’un décalage calendaire de certaines dépenses immobilières, soumises à des aléas liés notamment à la conjoncture internationale.

Ces crédits inemployés ont été en partie affectés, en cours de gestion, à la couverture de dépenses en tension, notamment les dépenses de restauration de la direction de l’administration pénitentiaire (DAP), affectées par l’inflation, et les frais de justice de la direction des services judiciaires (DSJ).

En outre, 17 des 70 millions non consommés en 2022 ont été reportés vers la gestion 2023.

Ces moyens importants ont permis d’alimenter les trois grandes directions métiers : 3,1 milliards sont allés aux services judiciaires, soit une hausse de 4,9 % ; 3,6 milliards à l’administration pénitentiaire, soit une hausse de 10,4 % ; et 831 millions à la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), soit une hausse supérieure à 7,7 %. Je tiens à renouveler toute ma gratitude à la représentation nationale qui a accordé des moyens au service public de la justice.

S’agissant des emplois, 1 334 recrutements supplémentaires, en équivalent temps plein (ETP), ont été effectués en 2022 : 533 pour l’administration pénitentiaire, 722 pour les services judiciaires, 51 pour la protection judiciaire de la jeunesse et 28 pour le secrétariat général. L’objectif était de 1 496 ; parmi les 162 recrutements non effectués, 149 sont imputables à l’administration pénitentiaire, au titre des personnels de surveillance.

Oui, le métier de surveillant pénitentiaire est difficile, peu attractif : l’administration a du mal à recruter. Pour cette raison, avec le soutien du Président de la République, de la Première ministre et du ministre de la transformation et de la fonction publiques, j’ai annoncé le 21 février dernier, à l’École nationale d’administration pénitentiaire (Enap), qu’à compter du 1er janvier 2024, le corps des surveillants pénitentiaires passera en catégorie B, tandis que celui des officiers passera en catégorie A. C’est pour cette troisième force de sécurité de notre pays une avancée historique, demandée et méritée depuis longtemps.

Je voudrais maintenant dresser un bilan des réalisations permises par le budget historique accordé au ministère de la justice en 2022.

Les justices de proximité ont reçu des moyens supplémentaires qui leur ont permis de commencer à résorber les stocks nés notamment de la crise sanitaire. Les 2 000 personnels contractuels embauchés depuis 2021 ont été pérennisés, à la demande des juridictions. Actuellement, 935 juristes assistants travaillent au sein des tribunaux judiciaires et des cours d’appel, contre 189 seulement en 2017 : cela représente une multiplication de près de cinq.

En matière pénale, les procureurs de la République ont pu s’appuyer sur 1 106 délégués du procureur, qui se déplacent dans les 2 000 points justice répartis sur tout notre territoire, ainsi que dans les tribunaux de proximité. À l’échelle nationale, en 2022, 119 920 décisions pénales ont été rendues hors les murs des tribunaux judiciaires. Des juristes assistants affectés aux parquets font le lien entre les procureurs de la République et les élus, les maires en particulier ; ils recherchent en particulier les suites données aux dossiers signalés par les élus et répondent ainsi à leurs interrogations légitimes.

En matière civile, ces renforts ont notamment permis de diminuer les stocks de plus de 30 %. C’est la première fois que les stocks diminuent !

Nous avons également poursuivi la transformation numérique de la justice, grâce au plan de transformation numérique lancé en 2018.

Le ministère s’efforce de dématérialiser la demande et le traitement de l’aide juridictionnelle. À la fin de l’année 2022, 141 bureaux de l’aide juridictionnelle étaient dotés du nouveau système d’information de l’aide juridictionnelle (SIAJ), soit une progression annuelle supérieure à 166 %. Le délai de traitement des demandes d’AJ est passé, en moyenne, de 45 jours à 8 entre 2021 et 2022 – à Saint-Brieuc, par exemple, on passe de 38 jours à 1,9.

En matière civile, le projet Portalis se poursuit. La nouvelle application est expérimentée dans plusieurs conseils de prud’hommes, avant sa généralisation à tous les conseils de prud’hommes de métropole et des outre-mer à la fin de l’année 2023.

En matière pénale, le programme Procédure pénale numérique (PPN) constitue l’une des priorités du plan de transformation numérique, dont l’enjeu est de rendre la justice pénale plus efficace en la modernisant grâce à l’abandon du papier et à la signature électronique. Toutes les juridictions métropolitaines sont maintenant en mesure de traiter les petites procédures contre X de manière dématérialisée. Ce périmètre est en train d’être étendu aux procédures avec poursuite correctionnelle dans cinquante-deux juridictions.

Les efforts d’équipement des agents se sont poursuivis. Les fournitures d’ordinateurs portables ont notamment augmenté de 90 % en deux ans. Toutes les juridictions sont fibrées, ce qui a permis le développement des accès wifi. Le parc de visioconférence atteint 3 300 équipements.

L’année 2022 a aussi vu l’entrée en vigueur du code de la justice pénale des mineurs et la mise en œuvre du « bloc peines ». Il a été observé un net infléchissement du délai de traitement entre l’arrivée de l’affaire au parquet et le premier jugement mettant fin à la procédure concernant le mineur : alors qu’en 2021 le délai moyen de ces affaires pénales était de 17,9 mois, il s’établit à 10,9 mois en 2022.

Le programme de création de vingt centres éducatifs fermés progresse, avec trois CEF mis en service, à Épernay, Bergerac et Saint-Nazaire.

Trois établissements pénitentiaires, situés à Caen, Montpellier et Koné, dans la province Nord de la Nouvelle-Calédonie, ont été livrés : ce sont des structures d’accompagnement vers la sortie. Nous en reparlerons dans la seconde partie de cette réunion.

Voilà pour l’exécution budgétaire 2022. En 2023, la loi de finances initiales a poursuivi l’effort, en renouvelant pour la troisième année consécutive la hausse de plus de 8 % des crédits accordés en 2022 et 2021. Cette hausse historique de 710 millions a fait passer le budget du service public de la justice à 9,6 milliards d’euros.

J’aurai l’honneur de vous présenter très prochainement un projet de loi d’orientation et de programmation du ministère pour la justice pour les années 2023 à 2027 qui permettra de sanctuariser la trajectoire budgétaire du ministère pour l’ensemble du quinquennat, en crédits comme en emplois, avec notamment 10 000 emplois supplémentaires par rapport à 2017. Les effectifs du ministère auront ainsi progressé de plus de 20 %, passant de 84 000 en 2017 à 101 000 en 2027.

M. Patrick Hetzel, rapporteur spécial (Justice). Le ministre parle de ce qui va bien, le rapporteur de ce qui peut être amélioré : c’est l’usage !

En 2022, la mission Justice a consommé 12,68 milliards d’euros en autorisations d’engagement et 10,65 milliards d’euros en crédits de paiement. Le taux d’exécution des crédits dépasse 99 %, ce qui doit être souligné.

En 2022, la hausse des dépenses a principalement été tirée par les crédits de titre 2, c’est-à-dire les dépenses de personnel, qui ont progressé de 320 millions d’euros, et les dépenses d’investissement de la mission, qui ont servi à financer les projets immobiliers des services judiciaires, de l’administration pénitentiaire et de la protection judiciaire de la jeunesse, ainsi que le plan de transformation numérique du ministère de la justice.

Ces résultats cachent néanmoins plusieurs difficultés.

En premier lieu, l’exécution des dépenses de personnel s’est révélée particulièrement complexe en 2022, ce qui a conduit la contrôleure budgétaire et comptable ministérielle à qualifier leur gestion de « mouvementée » : c’est selon moi un euphémisme. Dès le mois de janvier 2022, plusieurs arbitrages ont conduit à rehausser le schéma d’emploi des services judiciaires de 695 ETP. À cela s’est ajoutée la hausse du point d’indice. Pour faire face à ces besoins, près de 20 millions d’euros ont été ouverts par la loi de finances rectificative du 16 août 2022, la réserve de précaution a été intégralement mobilisée et 100 millions supplémentaires ont été ouverts par deux arrêtés de répartition en fin d’année.

Si la hausse du point d’indice est un élément exogène, qui a concerné l’ensemble des ministères, la hausse considérable du schéma d’emplois du programme 166 Justice judiciaire au lendemain de l’adoption de la loi de finances est bien plus contestable et aurait dû être prise en compte dès l’examen du PLF. Je l’avais signalé à l’époque : il y a là une certaine légèreté budgétaire.

La situation du ministère de la justice est par ailleurs paradoxale, dans la mesure où la surconsommation des dépenses de personnel s’est accompagnée d’une sous-exécution des schémas d’emplois des magistrats et des greffiers, qui prévoyaient pourtant une hausse modeste de 50 emplois.

Au regard des objectifs de recrutement définis par le ministère de la justice, fixés à 1 500 greffiers et 1 500 magistrats, le résultat de l’année 2022 peut laisser craindre que ces promesses ne pourront être tenues.

S’agissant des personnels de surveillance pénitentiaire, la situation est encore plus inquiétante : 179 créations de postes étaient prévues en loi de finances, et l’exécution du schéma d’emplois s’est terminée avec 126 emplois en moins. J’avais, là aussi, lancé l’alerte lors des débats budgétaires.

Monsieur le garde des sceaux, vous avez abordé rapidement ce sujet, mais pourriez-vous revenir sur ce que vous entendez faire pour améliorer l’attractivité des métiers de la justice ?

Les crédits alloués aux frais de justice et à l’aide juridictionnelle ont été surexécutés en 2022. Les efforts de sincérisation de ces deux postes de dépenses ont progressé depuis plusieurs années, j’en conviens aisément, mais ils restent insuffisants.

Les frais de justice se sont élevés à 656 millions d’euros, soit une hausse de 6 % par rapport à 2021. Pour assurer leur soutenabilité en fin de gestion, un décret de virement a abondé le programme 166 de 20 millions d’euros en décembre 2022. Les crédits alloués à l’aide juridictionnelle se sont élevés à 632 millions d’euros et ont excédé la prévision de 16 millions d’euros. Des ouvertures de crédits supplémentaires ont donc été réalisées par les deux lois de finances rectificatives.

J’aborderai pour terminer la question des prestations de conseil auxquelles le ministère de la justice a recours. L’Inspection générale de la justice a révélé que l’administration pénitentiaire avait consommé près de 700 000 euros pour des prestations de conseil juridique pour la passation des marchés de maintenance des établissements pénitentiaires et des prestations de conseil en matière de ressources humaines. Sur de tels sujets, le ministère de la justice dispose des compétences nécessaires ! Ces dépenses auraient pu être évitées.

Monsieur le garde des sceaux, quelles mesures avez-vous prises pour limiter le recours aux cabinets de conseil ?

M. Jean-René Cazeneuve, rapporteur général. Je me félicite à mon tour de la hausse des crédits et de leur exécution.

Vous prévoyez 10 000 embauches supplémentaires. Quel en sera le calendrier ?

Je suis ravi de voter des lois de programmation pour les différents ministères, notamment pour la justice, qui a besoin d’investissements à long terme, et nos administrations ont besoin de visibilité. Mais si nous ne disposons pas d’une loi de programmation globale des finances publiques, il sera difficile d’assurer une cohérence d’ensemble – cette dernière remarque s’adresse davantage à mes collègues qu’à M. le garde des sceaux.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Merci de votre formule initiale, agréable et nuancée, monsieur le rapporteur spécial. Cela fait chaud au cœur !

S’agissant de la sous-consommation des emplois et du manque d’attractivité des métiers de l’administration pénitentiaire, nous faisons le même constat. Je vous ai déjà en partie répondu : le corps des surveillants pénitentiaires passera en catégorie B et celui des officiers en catégorie A. C’est une revendication syndicale depuis plus de vingt ans.

S’agissant des choses qui restent à faire, j’ai annoncé une revalorisation de 1 000 euros brut pour les magistrats. C’est aussi un des leviers de l’attractivité. Parmi les recrutements que nous organisons, nous pouvons espérer qu’un certain nombre de magistrats de l’ordre administratif rejoindront leurs cousins de l’ordre judiciaire. Pour l’heure, s’ils regardent les fiches de paie, ils constateront précisément une différence de 1 000 euros. En outre, les traitements des magistrats de l’ordre judiciaires n’avaient pas été revalorisés depuis 1996. Au vu du temps écoulé depuis, ces 1 000 euros constituent bien la moindre des choses. C’est aussi une façon de rendre hommage à leur travail. J’ai augmenté de 12 % le traitement des greffiers et nous leur présenterons un calendrier de revalorisations. Ils le méritent. Voilà pour le volet attractivité.

En matière de dépenses de personnel, c’est le financement de la hausse du point d’indice qui a créé le mouvement, pour reprendre l’image que vous avez utilisée s’agissant de la gestion de 2022.

S’agissant de la hausse des frais de justice, je mène deux actions pour la maîtriser. D’une part, j’ai signé le 9 mai dernier une dépêche relative à ces dépenses qui invite les chefs de cour et de juridiction à activer l’ensemble des leviers qui sont à leur disposition afin de limiter les coûts. D’autre part, j’ai mis en place un plan de maîtrise qui se décline en six axes : revoir l’organisation des juridictions, automatiser les dépenses de traduction, mutualiser les frais de gardiennage, mettre en place une tarification sur le recours aux laboratoires ainsi qu’aux investigations numériques et, enfin, expérimenter avec le ministère de l’intérieur un processus de destruction des armes.

Concernant les dépenses de conseil, une comparaison avec d’autres ministères montre très objectivement que les nôtres sont plus modestes. Je rappelle que tout engagement supérieur à 500 000 euros doit être approuvé par un comité ministériel, afin de valider la pertinence de la dépense. Pour réduire le recours aux prestations externes, nous internalisons plus d’effectifs, en particulier au profit des services numériques et d’interceptions judiciaires. Nous sollicitons également davantage l’expertise de l’Inspection générale de la justice (IGJ). Vous avez estimé que le ministère de la justice étant celui du droit, il pourrait au fond recourir à sa propre expertise. Je souligne que les prestations que nous commandons concernent essentiellement le domaine numérique et qu’elles sont indispensables à la mise à jour que nous entendons mener.

Monsieur le rapporteur général, nous ne souhaitons pas graver la répartition des 10 000 nouveaux emplois dans le marbre de la loi. Il faut que nous conservions une marge de flexibilité dans l’allocation annuelle des moyens, qui sera effectuée en fonction des besoins par métier. Le Parlement sera par la force des choses associé à ces choix, puisqu’il lui reviendra de les valider. Il faudra prendre en compte des facteurs tels que l’évolution du parc immobilier ainsi que la capacité de recrutement et de formation des écoles – même s’il n’y a pas à craindre d’aléas majeurs.

À titre purement indicatif, la répartition des 10 000 emplois devrait correspondre approximativement au schéma suivant : 1 900 recrutements par an au début du quinquennat et 1 700 par an à la fin de celui-ci, avec 1 500 magistrats et 1 500 greffiers supplémentaires. Comme vous le savez, les contractuels du ministère vont bénéficier d’un CDI, recevoir une formation et prêter serment. Ce vivier nous sera ultérieurement nécessaire pour faire face aux besoins de recrutement de magistrats.

Tout cela se fera pas à pas, sous le contrôle du Parlement.

M. François Jolivet, président. Nous en venons aux interventions des représentants des groupes.

M. Robin Reda (RE). Je sais qu’il est de bon ton de dire du bien ou de dire un peu moins de bien dans le cadre d’une forme de jeu de rôle. Mais on peut être juste et reconnaître que le budget de la justice a augmenté de plus de 40 % au cours des cinq dernières années et que l’exécution du budget 2022 ne déroge pas à cette règle d’augmentation continue.

Nous nous félicitons du fait que cette progression atteindra finalement 60 % au cours des deux mandats du Président de la République grâce à la future loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice. Nous pouvons parler d’augmentation historique.

Comme c’est le cas pour de nombreuses missions, des mouvements sont intervenus en cours d’année en raison de la revalorisation du pouvoir d’achat des fonctionnaires. C’est l’année économique que nous avons vécue qui a été mouvementée, monsieur le rapporteur spécial. Elle nous a conduit à adopter tous ensemble des mesures pour faire face à l’inflation. Les deux lois de finances rectificatives et les décrets de répartition des crédits ont permis de compenser les hausses imprévues et d’assurer finalement une bonne exécution du budget.

Le budget de la justice est essentiel pour protéger nos concitoyens. Il finance la justice de proximité, la justice pénale des mineurs et les places de prison. Mais il soutient aussi la transition numérique, afin de diminuer le temps de traitement des affaires – notamment civiles, auxquelles je sais le garde des sceaux particulièrement attaché. C’est naturellement le traitement des litiges du quotidien qui conditionne la confiance de nos concitoyens dans leur justice.

Nous nous félicitons aussi, au nom de la majorité, de la hausse substantielle des moyens alloués par le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice, dont l’objectif est d’embaucher 10 000 fonctionnaires. Vous avez répondu au sujet des difficultés de recrutement de magistrats et de greffiers en prenant des mesures de revalorisation, là encore historiques. Nous souhaitons qu’elles portent leurs fruits.

Un mot sur la transition numérique. Vous avez évoqué les efforts du ministère pour améliorer le matériel informatique. Mais le sujet des logiciels, des difficultés des applications métiers et de leur interopérabilité revient souvent. Cela suscite beaucoup de questions dans le monde de la justice et la représentation nationale y est attentive.

M. Philippe Schreck (RN). Nous étudions l’exécution budgétaire de 2022 et nous avons finalement peu d’éléments sur l’impact de l’inflation sur la mission Justice. On devine qu’elle y est sensible, notamment en raison des coûts de construction qui ont tendance à s’envoler. Quels est le montant des crédits qui ont dû être mobilisés pour faire face à la mécanique inflationniste ?

Il me semble que nous parlons beaucoup de programmation et peu d’exécution, mais ce n’est pas grave. La question de l’effet de l’inflation sur la programmation mérite aussi d’être posée, tant il est vrai que l’on peut craindre que cette inflation annule les augmentations des budgets projetées. Il faudra nous dire si les prévisions sont en euros courants ou constants.

Comme l’a rappelé le rapporteur spécial, les difficultés d’exécution de ce budget concernent manifestement les ressources humaines. Le schéma d’emploi des magistrats a été sous-exécuté, ce qui est mauvais signe par rapport à l’objectif d’en recruter 1 500 d’ici à la mi-2027 ainsi que 1 500 greffiers à la même date. J’entends bien que l’on veut s’autosatisfaire de ce que l’on n’a pas encore fait, c’est-à-dire embaucher 10 000 personnes d’ici à 2027. On sait que cela concernera 1 500 magistrats et 1 500 greffiers, mais on ne sait pas trop ce que seront les 7 000 autres emplois. On peut donc légitimement s’interroger sur le pilotage des ressources humaines – ce que fait le rapporteur spécial et il a raison.

Nous aurons l’occasion d’évoquer ensuite au cours de cette réunion les difficultés propres à l’immobilier, notamment en ce qui concerne les prisons. Une fois encore, il me semble que les objectifs de la programmation vont être difficiles à atteindre.

Enfin, j’évoquerai le problème des partenariats public-privé. En cette matière comme dans d’autres, ils confirment l’adage selon lequel le public est toujours perdant et le privé toujours gagnant. Je note qu’ils ont bénéficié de 254 millions d’euros en AE et de 280 millions d’euros en CP. La tendance à les utiliser peut neutraliser les budgets d’investissement dans les années à venir.

Mme Ersilia Soudais (LFI-NUPES). Le projet de loi de finances pour 2023 nous a promis monts et merveilles concernant la justice. Mais qu’en est-il réellement ?

En ce qui concerne les moyens humains, il faut être clair. Vous annoncez 10 000 emplois d’ici à la fin du quinquennat, sans vouloir le graver dans le marbre de la loi. Or le besoin est immédiat. L’Union syndicale des magistrats (USM) l’évalue à 12 000 postes dès maintenant. Les effectifs de la justice n’ont pratiquement pas évolué par rapport à 1880, alors que la population a doublé.

Il est exact que le budget global augmente, mais il est grevé par l’inflation et par les restes à payer des opérations immobilières de la justice – et ce n’est pas fini. Vous prévoyez 15 000 places supplémentaires de prison, et donc de nouvelles prisons.

Seulement voilà : avec la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi) et celle relative aux Jeux olympiques et paralympiques (JOP) de 2024, vous avez créé une galaxie de nouveaux délits qui vont engorger encore plus les prisons. De ce fait, la situation de surpopulation carcérale ne s’améliorera pas, alors qu’elle a valu à la France plusieurs condamnations par la Cour européenne des droits de l’homme. Le programme immobilier carcéral ne prévoit pas un seul euro pour la rénovation des prisons existantes, comme le déplore régulièrement la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL). Quand allez-vous enfin prendre la mesure de ce problème ? Comment favoriser la réinsertion des détenus et lutter efficacement contre la récidive si nous sommes incapables d’offrir des conditions de détention respectant la dignité humaine ? À moins que le projet ne soit d’enrichir les amis du Gouvernement que sont Vinci ou Bouygues…

M. Victor Habert-Dassault (LR). Je concentrerai mon propos sur la transformation numérique de la justice. Les financements existent, ils sont inédits et, comme l’a relevé le rapporteur spécial, l’exécution a dépassé la prévision initiale. Or, dans les tribunaux, le dispositif ne semble pas répondre aux exigences d’une justice efficace. Le plan de transformation visait à rattraper le retard du ministère par rapport aux autres pays européens, mais aussi à améliorer le service rendu aux usagers. Qu’en est-il ?

Et qu’en est-il également du cloisonnement des applications et de leur manque d’interopérabilité ? Les projets informatiques semblent être développés indépendamment les uns des autres, souvent en silo, ce qui peut nuire à l’efficacité de la justice. De nombreux professionnels se plaignent des dysfonctionnements qui obligent à saisir plusieurs fois les mêmes données, ce qui prends du temps et allonge les délais. Avez-vous pu évaluer les moyens nécessaires pour y remédier ?

Les auxiliaires de la justice sont-ils associés à la résolution des dysfonctionnements, afin d’améliorer la qualité de la modernisation ?

M. Luc Geismar (Dem). Les crédits de la mission Justice ont été consommés quasiment dans leur totalité. Nous nous en félicitons car l’exécution est à la hauteur des enjeux pour le ministère.

La transformation numérique de la justice est effectuée dans le cadre du programme 166 Justice judiciaire. Il apparaît que les juridictions peinent à passer le cap du numérique avec un budget de 530 millions. Pouvez-vous donner la proportion des usagers qui accèdent à leur dossier et effectuent des saisines en ligne ? Quelles sont les perspectives pour 2023 ? Où en sont les projets de dématérialisation des procédures pour les justiciables ?

Lors de déplacements auprès de juridictions, nous avons constaté que certaines ne disposaient pas de moyens numériques suffisants. Certaines salles d’audience ne sont par exemple pas équipées pour lire des vidéos numériques. Que comptez-vous faire pour équiper les juridictions à la hauteur des besoins ?

Le budget de l’aide juridictionnelle s’élève à 631 millions dans le cadre du programme 101 Accès au droit et à la justice. Parmi les indicateurs de performance, il apparaît que le délai moyen de traitement des dossiers d’aide juridictionnelle a atteint 50,1 jours en 2022, alors que la cible était fixée de 38 jours et que ce délai était de 49,8 jours en 2021. Cet allongement des délais a été expliqué par la diminution des demandes déposées par l’intermédiaire d’un avocat, les dossiers étant traités plus rapidement dans ce cas que lorsqu’ils sont déposés par le justiciable lui-même. Que comptez-vous faire pour simplifier la procédure pour les justiciables, afin que le délai de traitement de leur dossier ne soit pas supérieur à celui déposé par un avocat ?

La part des demandes d’aide juridictionnelle déposées de manière dématérialisée est de 8 %. La dématérialisation permet un traitement plus efficace et plus rapide des demandes, avec un délai moyen de huit jours. Comment inciter les justiciables à davantage effectuer leur démarche par voie dématérialisée ?

M. Gérard Leseul (SOC). Je ne reprendrai pas les observations du rapporteur spécial sur l’exécution budgétaire, que je partage en grande partie.

L’exécution du budget 2022 de la mission Justice s’est traduite par une forte augmentation de 8 % par rapport à 2021. Mais ce sont des programmes Conduite et pilotage de la politique de la justice et Accès au droit et à la justice qui profitent de la progression la plus forte, avec respectivement 19 % et 16 %.

Le plafond d’emplois de la mission a augmenté de 1 480 équivalents temps plein (ETP) en 2022, pour atteindre un total de 91 358 ETP. Avec des effectifs réels qui s’élèvent à 90 223 emplois, même si le taux d’exécution de 98 % est élevé, l’écart représente quand même 1 135 emplois. Il nous paraît impératif d’accélérer les recrutements afin d’atteindre le plafond d’emplois. Par ailleurs, la progression est moins nette si l’on se réfère à la loi de finances pour 2022, qui prévoit une hausse de 1,6 % des effectifs – laquelle s’ajoute à celle précédemment enregistrée. La Cour des comptes explique que la prochaine loi d’orientation et de programmation pour la justice devrait accentuer cette tendance. Dans ce contexte, le ministère doit impérativement traduire en embauches effectives les créations d’emplois décidées afin d’améliorer le service rendu aux justiciables et d’ouvrir des places de prison supplémentaires.

Il est essentiel que la représentation nationale dispose d’une trajectoire précise non seulement du nombre de recrutements, mais également de la nature des postes créés – magistrats, greffiers, surveillants pénitentiaires. Mais il est également impératif que nous soient fournies des informations sur le caractère durable des postes créés et donc sur la proportion de contractuels recrutés. La justice a avant tout besoin de fonctionnaires, dont les emplois sont pérennes.

M. Christophe Plassard (HOR). Avant toute chose, je souligne l’effort budgétaire inédit en faveur de la justice, mené par la majorité et les gouvernements successifs depuis 2017. Comme l’a constaté le rapporteur spécial, la mission Justice a consommé 12,68 milliards en AE et 10,65 milliards en CP, soit une hausse respectivement de 24 % et de 8 % par rapport aux crédits consommés en 2021.

Alors que la justice avait été sous-financée pendant de trop longues années, ces augmentations de budget sont inédites et impliquent des changements concrets : plus de personnel, des délais moins longs et des investissements nécessaires. Beaucoup reste encore à faire, mais les moyens déployés depuis 2017 témoignent de l’importance centrale accordée à la justice.

Ma question concerne le dispositif téléphone grave danger (TGD), qui est un outil déterminant pour protéger effectivement les personnes particulièrement vulnérables victimes de viol ou de violences conjugales. Le TGD permet non seulement de donner l’alerte mais aussi de fournir un lien avec une téléassistance spécialisée, qui évalue le danger et au besoin contacte les forces de l’ordre grâce à un canal spécifique. Doté d’un programme de géolocalisation, ce téléphone permet une réponse extrêmement rapide des forces de police ou de gendarmerie.

À l’initiative du groupe Horizons et apparentés, les crédits consacrés à ce dispositif ont été augmentés de 1,5 million lors de l’examen du PLF pour 2023. Pouvez-vous nous préciser l’état du déploiement des TGD en 2022 et indiquer la projection prévue pour l’année 2023 ?

Mme Eva Sas (Écolo-NUPES). Mes questions rejoignent celles du rapporteur spécial et je souligne la pertinence de ses remarques.

En juillet 2022, après huit mois de consultations et une tribune dans Le Monde signée par des milliers de magistrats exprimant leur souffrance, le rapport des états généraux de la justice a constaté un état de délabrement avancé de cette institution, perçue comme trop lente par les Français. En réaction aux doléances des magistrats et des greffiers, votre projet de loi d’orientation et de programmation propose une augmentation historique qui permettra notamment de financer la création de 10 000 postes d’ici à 2027, dont 1 500 magistrats et 1 500 greffiers.

Cependant l’analyse de l’exécution du budget 2022 fait apparaître que le nombre de départs a été plus élevé que prévu, ce qui a conduit à une sous-exécution du schéma d’emploi des magistrats – quarante et un ETP supplémentaires constatés contre cinquante prévus en LFI. Il en va de même pour le schéma d’emploi des métiers du greffe. Comme l’a souligné le rapporteur spécial, ce résultat soulève des interrogations quant à la capacité du ministère à atteindre son objectif de recrutement de 1 500 magistrats et 1 500 greffiers d’ici à 2027.

Comment expliquez-vous le fait que le nombre de départs de magistrats en 2022 dépasse les prévisions ? De manière plus globale, pensez-vous que votre projet de loi d’orientation et de programmation vous permettra d’atteindre les objectifs en matière de recrutement ?

M. Jean-Marc Tellier (GDR-NUPES). Lors de l’examen des crédits de la mission Justice pour 2023, vous vous êtes félicité d’un triplé historique, après trois hausses successives en 2021, 2022 et 2023. En 2022, la progression effective des crédits s’est élevée à 8 %.

Mais il faut voir d’où nous partions. La situation budgétaire de la justice française s’avère particulièrement dégradée depuis de très nombreuses années et les modestes rattrapages en cours demeurent insuffisants pour combler le retard structurel. Le rapport de la Commission européenne pour l’efficacité de la justice, publié le 5 octobre 2022, a confirmé que la France continue de figurer parmi les pays européens qui investissent le moins dans leur justice. Avec 72,53 euros par an et par habitant, le budget français de la justice est inférieur à ceux de l’Allemagne, de l’Espagne et de l’Italie, mais aussi à la moyenne européenne. Dès lors, le manque de moyens s’avère criant. Le personnel manque, tant en ce qui concerne les juges que les greffiers ou les assistants spécialisés.

Malgré la hausse des crédits, la politique menée depuis plusieurs années ne permet pas de répondre aux problèmes structurels de la justice.

Monsieur le ministre, j’ai bien entendu vos explications : développement du numérique, recrutements importants, signature électronique, etc. La loi d’orientation et de programmation suffira-t-elle, et dans quel délai, pour répondre aux problèmes structurels de la justice ? Quelle progression budgétaire envisagez-vous pour les années à venir ?

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Pour le président de la conférence des procureurs généraux, qui s’est exprimé publiquement aujourd’hui, ces augmentations budgétaires et l’arrivée de personnels supplémentaires vont dans le bon sens.

Monsieur Reda, nous voulons en effet, conformément aux promesses du Président de la République, recruter 10 000 agents supplémentaires, ce qui est absolument historique. À titre indicatif, car nous devons nous ménager une certaine souplesse, le calendrier prévoit 1 900 recrutements en 2024 et 2025, 1 600 en 2026 et plus de 1 700 en 2027. Nous voulons sanctuariser dès à présent 1 500 magistrats et 1 500 greffiers afin de renforcer les services judiciaires. Comme je l’ai indiqué à M. le rapporteur, je ne souhaite pas figer une répartition des effectifs restants pour les quatre années à venir, afin de conserver une certaine flexibilité.

Les juridictions administratives connaissent le zéro papier. Cet objectif que je soutiens n’est pas une simple formule, mais un véritable projet, dont la réalisation suppose deux conditions. La première est un plan de soutien au personnel par l’amélioration des réseaux. Nous avons recruté des techniciens informatiques qui aideront les personnels, magistrats et greffiers, dans chaque juridiction en répondant aux problèmes les plus simples. Rien n’est en effet plus frustrant pour les magistrats et les greffiers que de se trouver un jeudi soir devant une bécane qui ne fonctionne plus.

Il s’agit aussi d’améliorer les logiciels, au civil comme au pénal, avec des applicatifs améliorés que nous voulons rendre plus compatibles entre eux. Un code d’accès unique, par exemple, facilitera la vie des personnels en leur évitant de multiplier les saisies. Actuellement, en effet, l’utilisation de plusieurs applicatifs dans la chaîne pénale oblige le greffier à saisir à nouveau pour chacun d’eux les nom, prénom, date de naissance, adresse et autres données, ce qui représente pour certains d’entre eux jusqu’à 20 % de leur temps, que l’on pourrait ainsi économiser – sans compter le caractère fastidieux de la tâche.

J’ai évoqué le développement de la PPN, que le secrétaire général adjoint du ministère de la justice, ancien procureur d’Amiens, avait été chargé de développer dans son ressort. Nous faisons dans ce domaine des efforts considérables. La question concernant à la fois le ministère de l’intérieur et celui de la justice, nous avons désormais un chef de projet commun, afin que l’un n’avance pas plus vite que l’autre. Nous avons donc décidé d’unifier nos efforts pour aller de l’avant.

Madame Soudais, je sais que vous critiquez le fait que nous construisions des places de prison. De fait, il n’est pas difficile d’en finir avec la surpopulation carcérale : avec 73 000 détenus pour 60 000 places, il suffit de libérer 13 000 personnes ! Or c’est totalement illusoire et notre pays ne le supporterait pas. Et contrairement à ce que vous pourriez penser, c’est, non pas à vous, mais à l’extrême droit que profite cette démagogie-là. Il faut être sérieux et réaliste. Je mets en place des choses que vous ne soutenez pas – mais ce n’est pas bien grave. Depuis le 1er janvier, une loi permet de libérer les détenus ayant un petit reliquat de peine à accomplir. Cette libération judiciaire est décidée à la condition que les bénéficiaires présentent certaines garanties, notamment en matière de logement. Il s’agit ainsi d’éviter les « sorties sèches », qui génèrent souvent de la récidive.

Par ailleurs, comment pouvez-vous dire sérieusement que rien n’a été fait pour rénover les établissements pénitentiaires ? Allez donc aux Baumettes ou à Fleury-Mérogis : vous y verrez une douche par cellule, alors que, pendant des années – j’ai été avocat pendant trente-cinq ans –, les douches n’étaient accordées aux détenus qu’une fois par semaine. Allez donc voir dans d’autres établissements pénitentiaires : nous avons plus que doublé le budget consacré aux rénovations – je ne parle pas des constructions.

Madame la députée, je ne suis pas un démagogue et je n’ai pas de baguette magique. J’aimerais pouvoir vous dire que tout cela est réparable d’un claquement de doigt et je porte autant que vous cette préoccupation. En matière de surpopulation carcérale, personne n’a le monopole du cœur. J’ai été, je le répète, avocat pendant trente-cinq ans.

La réalité, c’est que ce que nous avons fait, personne ne l’avait fait avant nous. Si vous allez à la Santé, à Fleury-Mérogis, aux Baumettes ou dans d’autres établissements pénitentiaires, vous verrez qu’en construisant aujourd’hui des prisons, on veille à éviter une ombre carcérale trop lourde.

Je pense aussi aux agents pénitentiaires, qui travaillent dans des conditions très difficiles et dont je suis fier d’être le ministre. Je les ai revalorisés et je souhaite qu’ils travaillent dans de bonnes conditions. Lorsque les conditions de détention sont acceptables, les conditions de travail s’améliorent, permettant aux agents pénitentiaires de se consacrer davantage à un programme de réinsertion.

J’ai également mis en place le contrat d’emploi pénitentiaire qui, même si je ne suis pas sûr que vous l’ayez beaucoup aimé, madame la députée, permet à des détenus de sortir formés et avec un travail.

Le budget de cette opération de maintenance représente 235 millions d’euros en 2023 – sachant que cette opération prend évidemment en considération la réinsertion.

Monsieur Schreck, vous voyez dans ma présentation une forme de culturisme judiciaire ou de forfanterie. Avant de parler de ce que je veux faire, je rappellerai donc ce que nous avons fait : nous avons embauché 700 magistrats, 850 greffiers et 2 000 contractuels, ce qui a permis notamment, et pour la première fois en France, une réduction drastique des stocks.

Comparaison n’est pas raison, mais je rappelle que, durant le quinquennat du président Hollande, un peu plus d’une centaine de magistrats ont été embauchés et, sous son prédécesseur, le chiffre était même négatif car les magistrats partant à la retraite n’étaient pas remplacés. Vous pouvez donc me reprocher de me vanter de ce qui va venir, mais je suis assez fier de ce que nous avons fait. En termes budgétaires, le budget de la justice a augmenté de 40 % sous le premier quinquennat du président Macron et aura augmenté de 60 % d’ici à la fin de celui-ci. Nous aurons ainsi plus embauché en cinq ans que durant les vingt dernières années.

Le travail ne sera, évidemment, pas terminé, mais j’ai l’absolue certitude que celui ou celle qui me succédera devra se souvenir que la justice doit être bien traitée. En effet, pour avoir traîné mes guêtres trente-cinq ans dans les juridictions, je sais que la situation actuelle est le fruit de décennies d’abandon budgétaire, humain et politique.

Vous m’avez également interpellé à propos de l’inflation. Chaque investissement du ministère fait l’objet d’actualisations nécessaires en termes de coût global. De façon générale, on ne peut pas déduire simplement l’inflation du budget de la justice, parce que le taux d’inflation moyen national, qui touche les consommateurs individuels, ne peut s’appliquer strictement à un ministère, et parce qu’en outre le ministère bénéficie ponctuellement de crédits interministériels supplémentaires.

Enfin, vous n’avez jamais voté les budgets précédents, pas davantage que les budgets portés par le ministre de la justice. Il est donc facile de commenter ce que nous faisons ou ne faisons pas sur le mode du « y a qu’à, faut qu’on ». Cette remarque s’adresse également aux députés du groupe La France insoumise, qui n’ont pas voté non plus les budgets de la justice : vous vous retrouvez sur ce point, comme sur quelques autres. Quand le ministre de la justice veut, à défaut de pouvoir tout améliorer d’un claquement de doigt, améliorer au moins certaines choses et qu’il propose des budgets en augmentation, vous ne les votez pas, après quoi vous lui dites ce qu’il faudrait faire… mais avec quoi ? Avec l’argent que vous n’avez pas accordé au ministère de la justice ? C’est vraiment facile !

Nous avons là une opportunité magnifique – voyez ce qu’en disent les magistrats, y compris dans leur expression syndicale, et les greffiers. Je serai bientôt devant vous à nouveau et j’espère que, malgré ce qui nous oppose – ce qui est normal dans une démocratie –, nous serons tous au rendez-vous budgétaire, parce que nous avons tous, de façon transpartisane, envie de faire bouger les choses et de donner à la justice les moyens dont elle a tant besoin. Je vous donne donc rendez-vous bientôt.

Monsieur Habert-Dassault, vous avez évoqué la transformation numérique. Avec le système d'information de l'aide juridictionnelle (SIAJ), les durées de traitement ont diminué. Un groupe de travail a associé à ce processus les personnels de terrain. Quant au zéro papier, c’est le but que nous poursuivons.

Je ne suis pas peu fier de l’application justice.fr – que vous avez, je l’espère, tous téléchargée –, qui met la justice à portée de doigt et vous permet de savoir si vous pouvez bénéficier de l’aide juridictionnelle (AJ). Vous le savez, je suis très attaché à la justice de proximité. Avec cet outil, les femmes pourront voir grâce à un simulateur quelle serait la pension alimentaire qu’elles pourraient obtenir. Sans tomber dans le pathos, combien de femmes renoncent à divorcer par peur de ne pas pouvoir nourrir leurs gosses ? Nous leur proposons cette application, qui marche bien et que je vous conseille. On y trouvera 8 000 fiches thématiques, indiquant par exemple comment on peut changer de nom. En Guadeloupe et en Martinique, où je me suis rendu la semaine dernière pour annoncer des moyens supplémentaires, un grand nombre de magistrats et de participants aux réunions que j’organisais étaient déjà branchés sur justice.fr et les retours que j’en ai eus étaient positifs. Ce dispositif, qui favorise l’agilité, a en outre vocation à évoluer, sur la base de simulations, pour proposer des outils beaucoup plus précis.

Monsieur Geismar, le SIAJ a montré son efficacité en matière de délai de traitement des demandes d’AJ – j’ai donné quelques chiffres. Il ne faut pas pour autant que le numérique interdise la justice à certains de nos compatriotes les plus démunis. Nous maintenons donc les points justice gratuits et confidentiels, et j’ai également signé une convention avec l’École nationale de la magistrature (ENM) pour que les futurs magistrats aillent dans ces points justice à la rencontre de nos compatriotes les plus défavorisés, qui n’ont pas tous accès au numérique, pour leur fournir les renseignements nécessaires.

Monsieur Plassard, le bracelet anti-rapprochement (BAR) et le téléphone grave danger (TGD) ont permis de lancer 3 600 alertes, et c’est à chaque fois un drame évité par l’intervention des forces de sécurité intérieure (FSI) – même si cela retient moins l’attention que les meurtres ou les violences, qui sont une indignité. Chaque fois qu’un BAR ou un TGD est utilisé, il est immédiatement remplacé, car il est disponible. Nous allons poursuivre ce mouvement.

J’ai piqué un jour un petit coup de sang – cela m’arrive parfois – en disant, après l’affaire de Mérignac, que les BAR n’avaient pas vocation à rester dans les tiroirs. J’ai été entendu, car 1 000 BAR sont aujourd’hui actifs et je puis vous dire, avec une fierté que je partage avec vous qui m’avez permis de les acheter, que nous avons été plus rapides que les Espagnols, qui sont toujours la référence suprême en matière de violences intrafamiliales. Nous sommes donc au rendez-vous de nos obligations et nous poursuivons sur cette lancée.

Nous créons aussi un BAR 5G, car il arrivait que les bracelets anti-rapprochement existants fonctionnent mal, notamment en zone urbaine, ce qui m’a rendu un peu grognon et m’a fait décider de changer d’opérateur. Certaines difficultés demeurent, mais le BAR de nouvelle génération sera beaucoup plus performant. Il nous faut en effet nous améliorer en permanence dans la lutte contre les violences intrafamiliales, qui ne s’arrête jamais.

Quelques chiffres plus précis : le nombre de TGD déployés a dépassé 5 000 début 2023, soit 50 % de plus qu’en 2021. Nous en sommes aujourd’hui à 5 200 et l’objectif fixé peut évidemment être atteint. En 2023, les crédits consacrés aux victimes de violences familiales atteignent 16,2 millions d’euros, ce qui représente une hausse de 5 % par rapport à 2022 et de plus de 50 % par rapport à 2021. Je suis à votre disposition pour vous communiquer tous les chiffres dont nous disposons, car il est normal que la représentation nationale sache exactement comment nous dépensons l’argent.

Monsieur Tellier, je ne suis pas du tout d’accord avec vous lorsque vous parlez d’un « modeste rattrapage », car le budget a déjà augmenté de 40 % et aura augmenté de 60 % en 2027. Je peux entendre que, durant les trente années précédentes, nous n’avons pas été très attentifs à la justice, qui a exprimé son ras-le-bol avec des mots repris par Mme Soudais et que je fais miens. C’est là un constat et, du reste, Jean-Marc Sauvé lui-même n’a pas été tendre dans son rapport, tandis que Jean-Jacques Urvoas parlait de « clochardisation » de la justice. Nous avons entendu tous ces mots et partageons ce constat, mais nous aurons réalisé 7,5 milliards d’investissements supplémentaires d’ici à 2027 et aurons embauché en cinq ans plus de magistrats que durant les vingt dernières années.

Un tout petit bémol néanmoins à propos de la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (Cepej). Tout d’abord, elle a toujours deux ans de retard – son dernier rapport ne prend pas en compte les deux derniers budgets. Par ailleurs, les comparaisons avec l’Allemagne ne sont guère justifiées, car ce pays ne possède pas de juges consulaires ni de conseils des prud’hommes. Enfin, comme le relève la Cour des comptes, le droit germanique est plus gourmand en magistrats que le nôtre. Je ne dis pas pour autant que tout va bien dans le meilleur des mondes, mais nous faisons notre possible.

Votre commission sait mieux que quiconque que le « quoi qu’il en coûte » est terminé – et Bruno Le Maire me le redit chaque fois que nous nous voyons. Toutefois, nous devons à notre justice et à nos justiciables un véritable effort.

Les leviers en sont évidemment ceux du budget, avec des moyens humains et matériels supplémentaires, mais ce sont aussi, dans le domaine réglementaire, des simplifications de la procédure civile pour favoriser les règlements amiables susceptibles de réduire les délais. Il s’agit aussi d’une simplification de la procédure pénale à droit constant, afin que la justice soit rendue plus rapidement. En effet, dans l’exercice démocratique inédit des états généraux de la justice, qui s’est d’ailleurs révélé être un succès, les Français nous ont dit, sur la plateforme qui leur était réservée, que la justice était trop lente, trop éloignée et trop complexe. Il faut donc introduire un volet de simplification pour mettre un terme à cette sédimentation des textes dont les professionnels ont ras-le-bol. Le volet de la déconcentration est, lui aussi, très important.

J’ai donc la faiblesse de penser que les textes législatif et réglementaire que je porterai sont cohérents. Je précise à cet égard que je vous communiquerai les textes réglementaires, dont la représentation nationale doit avoir pleinement et précisément connaissance.

M. François Jolivet, président. Nous en venons au second temps de notre discussion avec la thématique d’évaluation proposée La planification de la construction des prisons : une inexorable procrastination.

M. Patrick Hetzel, rapporteur spécial. Je commencerai par trois remarques sur le débat que nous venons d’avoir.

D’abord, c’est la Cour des comptes qui signale qu’il existait dès le début de l’année 2022 une insuffisance budgétaire de 22 millions d’euros en matière de dépenses de personnel sur les programmes 166 Justice judiciaire et 107 Administration pénitentiaire, indépendamment de la valeur du point d’indice. Par ailleurs, comme l’a dit le rapporteur général, il serait bon que la loi de programmation indique que la rémunération des greffiers fera l’objet d’un calendrier dédié. Enfin, après avoir repris les analyses de votre inspection générale à propos des dépenses de conseil, j’espère qu’il sera donné suite à la proposition de Mme la secrétaire générale du ministère d’amender la circulaire pour abaisser le seuil à partir duquel le comité ministériel d’engagement doit se prononcer.

J’en viens aux questions liées aux structures pénitentiaires. Le 16 mai 2023, le centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan a suspendu les admissions de nouveaux détenus. Cette décision s’explique par le taux d’occupation de l’établissement, qui dépassait 200 % en mars 2023. Cet exemple illustre notre incapacité à garantir des conditions dignes de détention.

Pourtant, depuis la fin des années 1980, six programmes immobiliers pénitentiaires ont été lancés, auxquels s’ajoute, plus récemment, le fameux programme 15 000, annoncé en octobre 2018. Malgré ces plans de construction, le taux d’occupation des prisons françaises s’est toujours maintenu au-dessus de 100 %. Il atteint désormais 118 % en moyenne et plus de 140 % en maison d’arrêt.

C’est pour comprendre les raisons de cet échec que j’ai décidé d’évaluer les programmes de construction pénitentiaire et d’analyser les raisons de cette inexorable procrastination. Elle vient de loin.

Les programmes immobiliers pénitentiaires ont tous un point commun : ils connaissent d’importants retards d’exécution et sont pratiquement tous revus à la baisse au cours de leur déploiement. Tel fut par exemple le cas du programme annoncé par Albin Chalandon en 1987, qui devait porter sur 25 000 places et a finalement permis d’en créer 11 000. Plus tard, le dispositif d’accroissement de capacité (DAC) s’est heurté au même accueil : il a permis de mettre en service 1 807 places supplémentaires, contre 3 000 initialement prévues.

Les outils dont dispose l’administration pénitentiaire pour conduire ses programmes immobiliers ont évolué au fil du temps. Depuis le début des années 2000, elle bénéficie du concours de l’Agence publique pour l’immobilier de la justice (Apij), chargée spécifiquement de gérer les opérations de grande envergure. Par le biais des marchés de partenariat et désormais des contrats de conception-réalisation, l’administration pénitentiaire recourt davantage à des prestataires privés pour réaliser ses projets immobiliers. Toutefois, ces évolutions n’ont pas eu grande influence sur les résultats obtenus par la chancellerie s’agissant de l’état de nos prisons et des conditions de détention.

J’en viens au programme 15 000, dont les contours ont été précisés par la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, qui prévoit deux phases pour son exécution : la construction de 7 000 places nettes de détention de 2018 à 2022 et la construction de 8 000 places de 2022 à 2027. Ce programme, dont le coût prévisionnel s’élève à 4, 5 milliards d’euros, a été conçu pour soulager les maisons d’arrêt, qui connaissent les taux d’occupation les plus élevés, et favoriser une meilleure réinsertion des détenus. Un nombre significatif de places devait donc être ouvert dans des structures d’accompagnement vers la sortie (SAS), situées à proximité des centres-villes.

Dès le lancement de ce plan, plusieurs risques ont été identifiés. Le Secrétariat général pour l’investissement (SGPI) avait ainsi émis, sur la base de l’évaluation socio-économique du programme et de sa contre-expertise, un avis favorable assorti de certaines réserves sur les bénéfices attendus.

Les objectifs du programme, comme ceux des précédents, ne seront pas atteints. Seules 2 441 places avaient été ouvertes à la fin de l’année 2022, soit bien moins que les 7 000 prévues. Parmi ces places, 1 127, soit près de la moitié, ont été ouvertes en 2016 ou en 2017, bien avant l’annonce du programme 15 000. Par ailleurs, 2 081 places ouvertes depuis 2018 relevaient de programmes de construction annoncés en 2012 et en 2014. Certaines places relevant de la première tranche seront donc livrées avec un retard considérable. Tel est notamment le cas du nouveau centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan, qui sera livré en 2026.

Tout porte donc à croire que l’échéance de 2027 ne sera pas tenue et que les places relevant de la seconde tranche ne seront pas livrées avant 2030. Il faut ouvrir 13 400 places. L’échéancier qui m’a été transmis par l’administration pénitentiaire montre que plus de la moitié d’entre elles ne seront pas livrées en 2027.

Par ailleurs, les retards de construction se conjuguent avec des difficultés importantes de recrutement, qui peuvent placer l’administration pénitentiaire dans l’incapacité de mettre en service les établissements nouvellement construits. Je ne reviendrai pas sur les problèmes rencontrés par le schéma d’emploi.

En tout état de cause, le programme 15 000 semble sous-dimensionné. Il ne permettra pas de résorber la surpopulation carcérale ni d’atteindre un taux d’encellulement individuel de 80 % en 2027, comme cela avait été annoncé. À l’issue, 75 000 places seront opérationnelles, ce qui correspondra, selon les projections du ministère de la justice, au nombre de personnes détenues.

Ces projections fortement volatiles seront certainement révisées. Par ailleurs, la répartition géographique des détenus ne coïncidera certainement pas avec la localisation des places disponibles. Ainsi, le taux d’occupation du nouvel établissement de Bordeaux-Gradignan, à sa livraison en 2026 et à nombre de détenus inchangé, s’élèvera à 120 % et non à 100 %.

Ces constats sont partagés par la contrôleure budgétaire et comptable du ministère de la justice, qui a réalisé un contrôle sur l’exécution du programme immobilier pénitentiaire et conclu à son incapacité à limiter la surpopulation carcérale. Je recommande donc d’étendre dès à présent le programme 15 000 et de prévoir la construction de places supplémentaires.

Les raisons de l’allongement des délais de construction des prisons sont multiples. Tous les programmes immobiliers pénitentiaires ont connu des difficultés importantes en matière de recherche foncière. Selon l’administration pénitentiaire, elles découlent de contraintes en matière de faisabilité technique et environnementale et, surtout, de l’opposition d’élus locaux et de riverains à certains projets de construction.

Pour ma part, je pense que les acquisitions foncières du ministère de la justice sont d’autant plus complexes qu’il a fait le choix de rapprocher les prisons quasi exclusivement des centres-villes. Trop peu de mesures ont été prises pour faciliter l’adhésion des élus locaux aux projets de construction de prisons. Plusieurs propositions, que je fais aujourd’hui miennes, ont été formulées par le passé à ce sujet. Permettez-moi d’en mentionner deux. Nous pourrions modifier les modalités de calcul de la dotation de solidarité urbaine (DSU) pour favoriser les communes où se trouve un établissement pénitentiaire. Nous pourrions comptabiliser les places de détention au titre des obligations incombant aux communes en matière de logement social.

Par ailleurs, je rappelle avec insistance que certains projets stagnent, notamment à Grasse, à Châtillon-sur-Seine et à Oermingem, dans ma circonscription, où vous vous êtes rendu il y a quelque temps, monsieur le garde des sceaux.

La contrôleure budgétaire et comptable du ministère de la justice fait également valoir que le coût du programme 15 000 dépassera les prévisions. 3,6 milliards d’euros, soit 80 % de l’enveloppe initiale, ont d’ores et déjà été délégués au profit de l’APIJ. Par ailleurs, une part importante des crédits – 1,6 milliard d’euros – a été ouverte par la loi de finances pour 2017 et fait l’objet de reports successifs jusqu’en 2019.

Nous disposons d’une faible visibilité sur la manière dont l’administration pénitentiaire pilote la dépense. Je propose donc qu’un échéancier d’ouverture des crédits figure désormais dans les documents budgétaires et fasse l’objet d’une actualisation annuelle. À défaut, le ministère continuera à naviguer à vue, et le Parlement aussi, hélas.

Enfin, le contrôle réalisé par la contrôleure budgétaire du ministère de la justice sur le programme 15 000 démontre que l’administration pénitentiaire rencontre de très grandes difficultés pour formaliser ses propres commandes auprès de l’APIJ. Les opérations qui lui sont confiées ne sont jamais assorties d’objectifs explicites, ni en matière de calendrier ni en matière de coûts, ce qui est assez curieux.

Je recommande de déterminer des cibles claires, ce qui permettra de mieux évaluer le pilotage des programmes immobiliers du ministère de la justice et devrait constituer un outil de pilotage entre les mains du garde des sceaux lui-même. Monsieur le ministre, que comptez-vous faire pour aller dans ce sens ?

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Monsieur le rapporteur spécial, je vous remercie pour la présentation de votre travail. J’ai écouté ce que vous disiez très attentivement.

Avant de vous répondre à proprement parler, j’aimerais mettre en perspective ce programme immobilier, qui est le plus grand plan de construction pénitentiaire entrepris depuis trente ans et, en même temps, l’un des plus grands programmes immobiliers de l’État en cours. Ce plan consiste à mener simultanément cinquante opérations immobilières pénitentiaires neuves. Ce chiffre donne la mesure de l’ampleur herculéenne des travaux et explique que les établissements ne peuvent sortir de terre en un an.

Pour comparaison immédiate, je rappelle que, lors du mandat du président Sarkozy, vingt-trois établissements pénitentiaires ont vu le jour, et dix lors du mandat du président Hollande. Ce plan est une priorité du Président de la République. Il portera à 75 000 places le nombre total de places de détention disponibles d’ici à 2027, contre 60 000 aujourd’hui. Il permettra à la France de disposer de 223 établissements pénitentiaires, grâce à la création de cinquante structures dans toute la France.

Ce programme immobilier vise à assurer la réponse pénale, à améliorer les conditions de travail des personnels pénitentiaires, à améliorer la prise en charge des détenus et à lutter contre la surpopulation carcérale. Quant à la méthodologie initiale de son élaboration, elle a consisté à territorialiser les besoins, sur la base notamment du nombre de places dans les établissements existants et des projections départementales d’évolution à dix ans de la population carcérale.

J’en viens au terme « procrastination », que vous avez choisi, au sein du vaste ensemble lexical qui est le vôtre et dont nul n’ignore rien, pour intituler cette discussion. C’est dire si nous nous plaçons d’emblée dans une forme d’objectivité ! Ce mot désigne une tendance à tout remettre au lendemain. Comme si le plan de construction de 15 000 places de prison avait été remis aux calendes grecques depuis son annonce ! Comme si nous n’avions rien fait, depuis des années, pour le poursuivre ! C’est tout le contraire, monsieur le rapporteur spécial. Depuis le lancement de ce programme, il y a plusieurs années, des centaines de personnes sont à pied d’œuvre pour identifier les terrains et lancer les chantiers, ce qui n’est pas une mince affaire.

Vous avez eu raison de rappeler qu’il faut d’abord – c’est une grosse partie du travail du garde des sceaux – convaincre des élus locaux. Par exemple, nous aurions pu envisager la construction d’un établissement pénitentiaire à Strasbourg, mais nous nous sommes heurtés à quelques réticences. Parfois, ceux qui appellent à la sécurité et m’accusent de procrastiner ne sont pas ceux qui m’ont aidé le plus.

Le choix d’un site d’implantation est la résultante d’analyses techniques multicritères et de concertations politiques au niveau local prenant nécessairement plusieurs années.

S’agissant des analyses techniques, un site d’implantation d’établissement pénitentiaire doit répondre à un cahier des charges de recherches foncières très contraint, notamment en matière de caractéristiques physiques du terrain. Voici quelques-uns de ses critères : surface ; topographie plane ; absence de surplomb ; proximité de réseaux d’électricité, d’eau et de gaz pour sa viabilisation ; cartographie des risques naturels et technologiques ; compatibilité avec le plan d’urbanisme ; absence de servitude incompatible avec l’implantation d’une prison ; desserte ; accessibilité ; proximité de transports en commun ; contraintes environnementales telles que le zonage Natura 2 000 et la présence d’une zone naturelle d'intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF).

S’agissant des concertations politiques, certains élus n’aident pas. Lorsque nous proposons des terrains en zone urbaine, notre offre est repoussée au motif que les riverains redoutent une dégradation de leur environnement. Lorsque nous proposons des terrains éloignés des zones urbaines, on nous oppose la lutte contre l’artificialisation des sols et la protection des espaces naturels et agricoles. Au fond, si la nécessité pour l’État de construire des prisons fait consensus, c’est toujours mieux chez les autres ! Souvent, ceux qui s’indignent du manque de prisons sont les premiers à les refuser chez eux. C’est ainsi.

Par contraste avec ces quelques préjugés, je rappelle que l’installation d’un centre pénitentiaire est un facteur évident de dynamisation socio-économique d’un territoire. À Noiseau par exemple, le projet immobilier pénitentiaire devrait mobiliser 300 compagnons pour la phase des travaux. L’impact sur l’emploi local est donc positif. Le groupement titulaire du marché de conception-réalisation est tenu, en outre, de respecter une clause d’insertion qui prévoit de réserver des heures aux publics les plus éloignés de l’emploi. Il devra aussi s’engager sur une part minimale réservée aux PME et aux artisans qui ne pourra être inférieure à 10 % du montant du marché.

En phase d’exploitation, le projet entraînera la création sur le territoire de 450 emplois directs – personnel de surveillance, personnel administratif, encadrement, personnel de santé, enseignants, fonctions supports déléguées au secteur privé – et de plus de 150 emplois indirects et induits – agents chargés des extractions judiciaires, forces de sécurité intérieure (FSI), administrations partenaires de l’établissement, commerce et services locaux. En matière de finances locales, la population pénale présente au sein de l’établissement est comptabilisée dans la population de la commune pour le calcul de la dotation globale de fonctionnement (DGF) versée par l’État. Elle augmente donc de façon mécanique.

En matière de sécurité, rappelons que la plupart des personnes qui se rendent dans un centre pénitentiaire sont membres du personnel pénitentiaire, des familles des personnes détenues ou de l’ordre des avocats. Un établissement pénitentiaire est une institution dont l’activité génère par essence une surveillance et une présence accrue des forces de sécurité intérieure (FSI). Celle-ci est en outre renforcée par le déploiement des équipes locales de sécurité pénitentiaires (ELSP) aux abords de l’établissement. On ne constate donc aucune hausse de l’insécurité du fait de l’installation d’un établissement pénitentiaire, au contraire.

En matière d’incidence sur le prix de l’immobilier, le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc) relève « l’impossibilité de relier les différentes évolutions de prix de vente entre les alentours de l’établissement pénitentiaire, la commune ou le canton au contexte territorial seul ».

À ce jour, tous les terrains sont identifiés pour les cinquante établissements pénitentiaires du programme 15 000. La moitié sera opérationnelle en 2024. Onze établissements ont été mis en service pour la seule année 2023. Je tiens à les citer de façon exhaustive : Le Mans-Les Croisettes, que j’ai inauguré au mois d’avril ; Koné en Nouvelle-Calédonie, qui a ouvert en février ; Montpellier, que j’ai inauguré le 6 décembre dernier ; deux établissements à Caen, dont l’un a été inauguré le 21 décembre dernier ; Avignon ; Valence ; Troyes-Lavau ; Osny-Pontoise ; Meaux ; la réhabilitation de l’ex-centre de jeunes détenus de Fleury-Mérogis.

Voici, monsieur le rapporteur spécial, des photographies de ce qui sort de terre. On dit parfois qu’un petit dessin vaut mieux qu’une longue explication ; de belles photos valent sans doute mieux que de longues explications ! Si vous saviez le nombre de truelles – on m’en offre une à chaque inauguration – dont je dispose ! S’il vous en faut une pour bricoler, j’ai tout ce qu’il faut ! J’ai passé mon été à visiter des établissements pénitentiaires et je pousse en permanence l’APIJ pour que nous soyons au rendez-vous des obligations qui sont les nôtres.

Ces ouvertures complètent huit établissements déjà en service fin 2022 et issus du programme 15 000 : Mulhouse-Lutterbach, que j’ai inauguré en avril 2021 avec le Premier ministre Jean Castex ; Paris-La Santé ; Nanterre-Hauts-de-Seine ; Aix-Luynes II ; Draguignan ; Baumettes ; Papeari ; Saint-Martin-Boulogne. Tous les autres projets sont engagés à divers stades d’avancement – études préalables, concertation avec le public, passation ou notification de marchés publics de conception-réalisation.

Du point de vue budgétaire, le coût de la construction de ces cinquante établissements pénitentiaires est estimé à 5 milliards d’euros, dont 1,3 milliard a été investi avant 2023. Certes, la totalité des crédits alloués depuis 2017 n’a pas été consommée au rythme initialement envisagé. Cela, monsieur le rapporteur spécial, je le reconnais humblement.

Je l’ai dit, cet état de fait découle des énormes difficultés de recherche foncière que nous avons connues au début de la mise en œuvre du programme, qui elles-mêmes tiennent à des raisons de faisabilité technique ou environnementale, mais également à des raisons d’acceptabilité par les élus ou les riverains. La recherche foncière a également été entravée par des démarches contentieuses visant à ralentir l’avancée des projets, notamment à Muret, à Tremblay-en-France et à Orléans. Quoi qu’il en soit, les terrains nécessaires au lancement de tous les projets étant clairement identifiés, le rythme des livraisons s’accélérera et celles-ci s’échelonneront jusqu’en 2027.

Le programme immobilier pénitentiaire que je porte, après des années dévolues à l’identification des terrains, dont j’ai rappelé toute la complexité, est entré dans une phase active de construction. Si l’on peut affubler ce programme de nombreux qualificatifs, on ne peut en aucun cas le décrire comme une « inexorable procrastination ».

D’ailleurs, si j’étais cruel avec vous, Monsieur le rapporteur spécial, je vous rappellerai les dates de mise en chantier et de réalisation de précédents programmes immobiliers pénitentiaires initiés par votre famille politique. Mais je ne le serai pas, c’est inutile et j’ai de l’affection pour vous. J’ai dit que nous avançons et je vous ai montré des photographies.

Disons-le aussi, il y a eu la crise de la covid. Ceux qui ont engagé la construction d’une maison individuelle savent très bien qu’elle a considérablement ralenti les choses. Par ailleurs, la guerre en Ukraine a retardé l’avancée de certains travaux, en raison du manque de matériaux de construction qu’elle a provoqué. Or il n’y a pas un mot, dans votre discours, sur la crise de la covid ni sur la guerre en Ukraine, dont ni vous ni moi ne sommes responsables.

M. François Jolivet, président. Monsieur le ministre, en vous écoutant, je me disais que l’adage selon lequel les conversations avec soi-même sont les plus difficiles à tenir est sans doute vrai, tant nous avons des difficultés à faire comprendre aux élus locaux les avantages qu’ils peuvent retirer de la construction d’un centre pénitentiaire. J’ai été maire de Saint-Maur, dont la maison centrale a accueilli les premiers quartiers de haute sécurité (QHS) de France. J’ai pu constater à la fois que l’immobilier était cher et que nous avions une sécurité pour pas cher, grâce à la présence permanente des forces de police. Le territoire en a bénéficié.

Certains terrains sont en phase d’appels d’offres, d’autres d’obtention du permis de construire. Comment votre ministère anticipe-t-il, dans le cadre de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, la forte augmentation du prix des matériaux de construction, de l’ordre de 20 % à 25 % d’après les professionnels ? Avez-vous une visibilité à ce sujet ?

M. Jean-René Cazeneuve, rapporteur général. Je n’ai pas l’intention de voler au secours de M. le rapporteur spécial – qui n’en a d’ailleurs pas besoin –, et je ne suis pas un spécialiste de la question, mais il est vrai que le rythme de construction des prisons au cours des dernières décennies a quelque chose de désespérant. En disant cela, je ne considère pas non plus que la situation soit de notre responsabilité, bien entendu. Cela dit, le constat est d’autant plus surprenant que, même si l’établissement de la trajectoire du nombre de détenus n’est pas une science exacte, il doit être assez facile de la modéliser, car ce nombre n’évolue pas de manière spectaculaire d’une année sur l’autre.

Quoi qu’il en soit, vous menez une politique volontariste en la matière et avez obtenu des moyens supplémentaires, ce que je salue. Leur traduction dans la future loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice permettra, je l’espère, de clarifier les choses et de rassurer tout le monde quant à notre capacité à respecter ce plan.

L’une des recommandations de M. le rapporteur spécial a pour objectif d’obtenir l’adhésion des élus locaux, ce qui me paraît très important en effet – vous avez souligné les obstacles qu’il faut surmonter pour y parvenir, alors même que les retombées économiques sont très positives. J’aurais accepté que nous envisagions des mesures supplémentaires, par exemple à travers la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale (DSU), mais, si j’ai bien compris, vous ne cherchez plus de sites supplémentaires. Cela m’aurait pourtant intéressé, car il n’y a pas d’établissement pénitentiaire dans mon département, et je n’ai même jamais entendu de sollicitation pour qu’il y en ait. Si nous en avions reçu, nous les aurions écoutées attentivement.

J’en viens à ma question. Les SAS (structures d’accompagnement vers la sortie) et le projet Inserre (innover par des structures expérimentales de responsabilisation et de réinsertion par l’emploi) permettent-ils une meilleure réponse pénale, ainsi que vous l’espériez ?

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. L’augmentation du prix des matériaux, liée à la poussée inflationniste, et les ruptures d’approvisionnement ont constitué des causes réelles de retard. Les chantiers ont désormais repris : on construit à tout-va. J’invite d’ailleurs tous les députés qui le souhaitent à m’accompagner quand j’inaugure une SAS ou quand je pose la première pierre de l’un de ces établissements, comme je l’ai fait récemment pour celui de Ducos, en Martinique, ou encore en Guadeloupe. Tous les établissements dont je vous ai parlé verront le jour. La moitié d’entre eux seront même sortis de terre en 2024.

Pour limiter les incertitudes liées à la modification des prix, la gouvernance des investissements immobiliers a été renforcée, avec la création d’un comité immobilier interministériel, présidé par le ministère de la justice, qui sécurisera la soutenabilité de la programmation immobilière en matière de coûts, de besoins opérationnels et de calendrier. Une clause de revoyure sera insérée dans le projet de loi de finances pour 2025, afin d’ajuster si nécessaire les crédits alloués au programme immobilier du ministère, en fonction du degré d’avancement des chantiers. Celui-ci dépend notamment de facteurs exogènes tels que l’inflation et l’approvisionnement en matières premières venant de l’étranger.

Les SAS sont des structures nouvelles et, pour une fois, l’acronyme a été particulièrement bien choisi : il s’agit bel et bien de structures d’accompagnement vers la sortie. Ce sont des sas, des établissements que l’on peut qualifier d’hybrides : cela reste des prisons, mais des prisons qui préparent à la sortie. Leur objectif est d’éviter les sorties sèches. Les SAS sont implantées dans les villes, pour que le détenu ait accès aux organismes sociaux et professionnels, pour qu’il sorte de prison avec une formation diplômante et qu’il soit en mesure de travailler. Ces établissements concernent les personnes dont la peine ou le reliquat de peine sont inférieurs à deux ans. On y trouve des psychologues et des psychiatres. Le personnel pénitentiaire n’y est pas soumis à la tension que l’on connaît dans certaines maisons d’arrêt, ce qui lui permet de mieux s’occuper des questions de réinsertion. Au cœur de tout cela – car notre démarche est cohérente –, il y a le contrat d’emploi pénitentiaire.

Pour réguler la population carcérale, on a parfois choisi des solutions qui, à mon sens, n’étaient pas les bonnes : elles consistaient à montrer les muscles tout en accordant des réductions de peine automatiques. Ainsi, quand une personne était définitivement condamnée à dix ans, elle savait que, sans avoir à faire quoi que ce soit, elle verrait sa peine réduite de deux ans. J’ai supprimé cette disposition, non pas pour être plus sévère, mais pour inciter les détenus à l’effort, celui-ci étant mesuré à l’aune des qualités de chacun : pour certains jeunes complètement désinsérés, cela consiste à se lever le matin ; pour d’autres, à apprendre à lire et à écrire, à se désintoxiquer, et surtout à travailler. C’est pour cela que nous avons créé le contrat d’emploi pénitentiaire, qui a été lancé au mois d’avril. Je remercie d’ailleurs tous les patrons qui se sont associés à ce projet citoyen qui présente également un intérêt sur le plan économique.

Non seulement la réinsertion est essentielle, mais elle permet indirectement de lutter contre la surpopulation carcérale, car un ancien détenu qui ne récidive pas ne retourne pas en détention. Je crois beaucoup dans les SAS. J’ai la certitude qu’elles permettent de préparer la libération. Nous avons tous à l’esprit ces films des années 1950 dans lesquels on voit un détenu sortir de prison avec son baluchon. La porte se referme derrière lui, et devant il n’y a rien – ni boulot ni logement –, si ce n’est ses anciens copains qui l’attendent dans une voiture, et le spectateur comprend qu’il va recommencer. Pour ma part, je veux casser ce cercle vicieux.

Outre les SAS, nous créons les établissements, comptant chacun 180 places, que l’on appelle Inserre, et là aussi l’acronyme a été bien choisi : ce sont des structures tournées vers l’insertion et le travail.

M. François Jolivet, président. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Robin Reda (RE). Je remercie M. le rapporteur spécial de s’être intéressé à la question des prisons, qui est essentielle pour la sécurité des Français. C’est un enjeu majeur en matière de dissuasion, de répression et de réinsertion. Le plan de 15 000 places annoncé par le Président de la République en 2018 est ambitieux, à l’image des hausses budgétaires dont nous venons de parler.

La construction d’établissements pénitentiaires est un chemin escarpé. D’une part, il faut rattraper les retards entraînés par la politique carcérale désastreuse de l’époque Hollande-Taubira. D’autre part, les réticences des élus locaux sont fortes, comme en témoigne le nombre important de recours déposés. Toutefois, la volonté politique de construire des prisons existe chez de nombreux élus, attachés à l’exercice par l’État de ses pouvoirs régaliens. Nous devons les rassurer en les intéressant davantage aux bénéfices que comporte cette démarche pour la société.

J’ai relevé, dans le discours de M. le rapporteur spécial, un élément qui constitue effectivement une anomalie : l’augmentation de sa population liée à l’ouverture d’un établissement carcéral peut conduire une ville à être assujettie au taux prévu par la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU). De tels inconvénients peuvent provoquer des crispations.

Le calendrier avance : onze prisons seront inaugurées ou mises en service en 2023 sur les cinquante prévues. Un calendrier très ambitieux mais prenant un peu de retard – pour les raisons mentionnées – est préférable à une volonté faible : ce ne serait pas à la hauteur de nos attentes, qu’il s’agisse de l’amélioration des conditions de détention, lesquelles heurtent nos valeurs et notre conception de la dignité humaine, ou de la sécurité, que nos concitoyens veulent que nous assurions.

M. Philippe Schreck (RN). Le plan 15 000 est absolument nécessaire. C’est aussi l’un des piliers de la communication du ministère de la justice. Or il ne sera pas réalisé en 2027. Selon nous, il convient d’acter cette mauvaise nouvelle. La première tranche des objectifs – qui ont d’ailleurs évolué avec le temps –, durant la période 2018-2022, n’a été réalisée qu’au tiers. Nous sommes donc loin du compte.

Vous avez évoqué certains éléments qui constituent effectivement des difficultés, monsieur le garde des sceaux : le foncier, l’urbanisme, les délais d’instruction, les contraintes environnementales, les dessertes et les seuils imposés par la loi SRU – à ce propos, vous pourriez enfin reconnaître les difficultés insurmontables que connaissent les élus locaux qui ne parviennent pas à atteindre les quotas de logements sociaux et sont sanctionnés financièrement. À ces problèmes s’ajoutent l’inflation, la concertation avec les élus locaux et les partenariats public-privé (PPP) ruineux. Toutes ces réalités sont autant d’obstacles.

Enfin, le défaut d’attractivité des métiers de l’administration pénitentiaire, lié notamment aux conditions de travail, fait qu’il sera très difficile d’atteindre l’objectif en matière d’embauches, alors même que ces dernières sont indispensables pour encadrer les détenus supplémentaires. Non seulement l’administration pénitentiaire n’attire plus, mais, quand on en fait partie, on souhaite souvent la quitter.

En conséquence, la vraie question est de savoir s’il ne vaudrait pas mieux repousser la limite temporelle au-delà de 2027. L’essentiel est d’atteindre l’objectif. La modification du calendrier serait l’occasion de revoir le dimensionnement du plan à la hausse, ce qui fait écho à la possibilité qui a été évoquée de chercher des sites supplémentaires.

M. Victor Habert-Dassault (LR). Je remercie M. le rapporteur spécial pour son excellent travail d’évaluation.

Notre collègue évoque le manque de places, les retards enregistrés dans l’exécution du plan et la sous-estimation de celui-ci par rapport aux besoins. En effet, on peut se demander si, quand bien même les 15 000 places seraient construites, ce chiffre serait suffisant – et, par conséquent, si le plan était assez ambitieux.

Avez-vous estimé le surcoût lié à la forte augmentation, depuis 2021, des prix des matériaux de construction ?

Dans son rapport, Patrick Hetzel souligne le manque d’attractivité du métier de surveillant pénitentiaire. Certes, l’évolution du statut des agents pénitentiaires que vous avez engagée est positive, mais on peut se demander si elle est suffisante, compte tenu notamment du fait que les 15 000 places nécessiteront un encadrement supplémentaire.

Quel plan d’action envisagez-vous pour favoriser l’adhésion des élus locaux à l’implantation d’établissements pénitentiaires ? Disposez-vous des moyens nécessaires pour solliciter les élus des différents départements ?

Dans quelle mesure le ZAN constitue-t-il un obstacle pour l’implantation de nouvelles prisons ? Faudrait-il prévoir des dérogations ? La construction de prisons est un objectif d’intérêt général qu’il faut poursuivre avec rigueur.

M. Luc Geismar (Dem). La surpopulation carcérale est un problème : dans les maisons d’arrêt, notamment, le taux d’occupation dépasse en moyenne 140 %. Pour y remédier, la construction de nouveaux établissements est prévue – la livraison de 7 000 places avait été annoncée. En dépit du retard, que des raisons objectives expliquent, 35 % auront été livrées dans la période. Comment peut-on le rattraper ? D’ici à 2027, le nombre de places à ouvrir sera-t-il revu à la hausse ?

Par ailleurs, avez-vous prévu la construction d’établissements intermédiaires, pour les détenus en semi-liberté ou ceux ayant besoin de soins, par exemple dans le cadre d’une désintoxication ? De tels établissements permettraient de libérer des places et de mieux prendre en compte les différents profils, en vue de la réinsertion des détenus.

La construction de prisons se heurte à des oppositions de la part des riverains, ainsi que des élus locaux, malheureusement. Parmi les nouvelles infrastructures pénitentiaires, combien font l’objet de recours administratifs ?

M. Gérard Leseul (SOC). La surpopulation carcérale est un sujet récurrent des politiques publiques en matière de justice, et la gravité du phénomène – car il y va de la dignité des personnes détenues – contraste souvent avec les solutions simplistes qui sont proposées. La situation est inquiétante ; notre rapporteur spécial a donné plusieurs exemples et précisions à ce propos.

La construction de places ne parvient pas à suivre la cadence : alors que le Gouvernement avait annoncé en 2018 la création de 7 000 places nettes pour 2022, seules 2 441 ont été livrées. Désormais, il promet 8 000 places de plus en 2027, mais, comme l’a relevé notre rapporteur spécial, le plan accuse d’ores et déjà des retards – M. le garde des sceaux nous en a exposé les raisons, que l’on peut entendre ; je le remercie de ses précisions concernant les travaux en cours et le calendrier d’ouverture des établissements. Quoi qu’il en soit, toujours selon notre rapporteur, le nombre de personnes écrouées détenues, qui s’élevait à 45 420 en 1990, a fortement progressé, pour atteindre 51 441 en 2000 et 72 351 en mars 2023, soit une hausse de plus de 59 %. L’augmentation du nombre de places prévue était-elle donc prédictive ? Je ne le pense pas.

L’évaluation des politiques publiques en matière de justice devrait utiliser d’autres indicateurs que le nombre de places en prison. La réduction du nombre de personnes détenues semblerait plus pertinente. En attendant, il est urgent de repenser notre modèle répressif. Les peines alternatives à l’emprisonnement ne devraient-elles pas devenir un vrai objectif, afin que la prison ne soit plus ce lieu infernal favorisant la récidive que vous avez décrit, monsieur le garde des sceaux ? Comment, d’ailleurs, pourrait-il en être autrement, alors que le taux d’occupation de certains établissements dépasse 200 % ? Il faut éviter les sorties sèches : vous l’avez rappelé à propos des SAS et des Inserre. Pouvez-vous nous faire part de vos ambitions en matière de substitution et de gestion des aménagements liés aux reliquats de peine ? Sont-elles chiffrées ?

M. François Jolivet, président. Je donne la parole à M. Lacresse, qui souhaite lui aussi interroger le ministre.

M. Emmanuel Lacresse (RE). Le programme « 15 000 places » – sur ce chiffre, entre 7 000 et 8 000 seront construites d’ici à 2027, selon notre rapporteur spécial, dont 80 % seront individuelles – se heurte aux réticences de certaines collectivités qui rechignent à mettre du foncier à disposition. Ce n’est pas le cas de l’agglomération de Nancy-Toul, et la Meurthe-et-Moselle accueille un quart des places de la région Grand-Est.

Trois prisons expérimentales centrées sur le travail et la formation devraient être construites à Arras, Toul et Donchery. Alors que la fermeture de la maison centrale de Clairvaux est prévue dans quelques jours et que l’ouverture d’un Inserre à Toul se profile en 2026, percevez-vous une attente dans certains territoires qui souhaiteraient être en pointe sur ces sujets ?

Des dispositifs anti-drones sont en cours de déploiement. De fait, les incursions répétées de ces appareils deviennent très visibles dans certains territoires. Votre administration est pleinement mobilisée pour y remédier. Toutefois, quels sont les besoins financiers en la matière ?

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Monsieur Schreck, pour ce qui concerne l’attractivité, il me semble avoir déjà répondu en grande partie à la question.

Voilà vingt ans que les personnels pénitentiaires souhaitaient que les catégories soient modifiées. Ils estimaient, non sans raison, qu’ils constituaient la troisième force de sécurité du pays mais n’étaient pas logés à la même enseigne que les autres. Nous avons obtenu que des mesures soient prises pour améliorer leurs carrières, leurs salaires et leurs pensions de retraite. Je crois que c’est de nature à rendre ces métiers plus attractifs.

Il en est de même de l’ouverture d’établissements pénitentiaires modernes. Quand j’ai inauguré celui de Lutterbach, les surveillants anciennement affectés à deux très vieilles maisons d’arrêt étaient heureux de les quitter pour un centre flambant neuf. On parle de conditions indignes pour les détenus, mais les conditions de travail des surveillants sont elles aussi indignes.

Vous approuvez le plan « 15 000 places » tout en déplorant que nous soyons encore loin du compte, mais si j’avais dû me contenter des crédits que vous vouliez m’accorder, aucune n’aurait été construite, puisque vous avez refusé de voter le budget !

M. Philippe Schreck (RN). Personne ne l’a voté, le Gouvernement ayant utilisé le 49.3 !

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. D’une part, les crédits de la mission Justice pour 2023 ont bien été votés, d’autre part, cela fait trois ans que je suis garde des sceaux et vous n’avez jamais adopté aucun des budgets que j’ai présentés. Vous vous félicitez du programme de 15 000 places de prison, mais vous refusez de nous donner les moyens de le réaliser : c’est assez contradictoire !

Je vais bientôt vous présenter des projets de loi visant à sortir la justice de l’ornière dans laquelle elle se trouve depuis des décennies : j’espère que vous serez au rendez-vous.

Monsieur Habert-Dassault, pour ce qui est des surcoûts, je pense avoir déjà répondu.

Monsieur Geismar, il reste cinq contentieux en cours dans toute la France. Nous disposons désormais des terrains – mais nous avons perdu beaucoup de temps, et il ne s’agit pas de procrastination.

Monsieur Leseul, dans le projet de loi que vous examinerez prochainement, une disposition permet au secteur associatif habilité de mettre en œuvre des TIG. Nous avons considérablement renforcé ce dispositif mais la peine n’est pas assez souvent prononcée. Dans mes circulaires de politique pénale générale à l’attention des procureurs généraux, j’ai demandé qu’elle le soit chaque fois que possible. Ces peines, qui sont pour certains jeunes l’occasion d’avoir une première expérience professionnelle, sont utiles.

Quant au tout carcéral… Vous savez, s’il suffisait de doubler la durée de toutes les peines pour que ça marche, ça se saurait. Je suis donc attaché aux TIG, qui sont une peine qui a fait ses preuves. Je répète qu’elle n’est pas assez prononcée, mais, étant le garant de l’indépendance de la justice dans ce pays, je ne peux pas demander à des magistrats du siège de le faire plus souvent. Je ne peux que demander aux procureurs généraux de rappeler qu’elle existe et de suggérer aux procureurs de la requérir à chaque fois que c’est possible. J’insiste néanmoins sur ces derniers mots, parce que j’assume la fermeté de la réponse pénale. Je défends l’humanisme, mais sans démagogie ni angélisme.

La libération sous contrainte est une autre option, mais elle n’a pas encore donné de résultats. Bref, nous estimons que le nombre net de places à construire prévu est suffisant.

Monsieur Lacresse, l’ouverture de l’établissement Inserre de Toul est prévue en 2027 ; il comprendra cent places. Un budget de plus de 7 millions d’euros est consacré à la lutte anti-drones en 2022-2023 ; cinquante établissements pénitentiaires sont concernés. À l’heure actuelle, dix-huit sites sont équipés. Il nous faut le temps de nous adapter à cette technologie nouvelle. Nous faisons en sorte de sécuriser les établissements pénitentiaires, notamment à l’aide de filets et d’équipements dans les parkings. Quant à la caméra-piéton, dont l’usage est prévu dans le projet de loi à venir, elle est à la fois au service du personnel pénitentiaire et à celui de la vérité.

M. Patrick Hetzel, rapporteur spécial. Je formulerai trois remarques.

Premièrement, je me permets de vous signaler que je suis député du Bas-Rhin, mais pas de Strasbourg. Pour notre part, nous étions favorables à l’extension du centre d’Oermingen. Vous pouvez à tout moment y faire des investissements, les élus en seront d’accord.

Deuxièmement, si je n’ai pas mentionné dans ma présentation liminaire la crise sanitaire ni les pénuries de matériaux provoquées par la guerre en Ukraine, j’y fais évidemment référence dans le rapport. J’indique clairement que ces événements expliquent un certain nombre de retards.

Troisièmement, dans les années 2000, la Chancellerie s’apercevant que les programmes immobiliers prenaient du retard, il a été décidé de créer une agence dédiée : l’Agence publique pour l’immobilier de la justice (Apij). Or le contrôleur budgétaire et comptable ministériel, qui dépend de Bercy, constate des difficultés de pilotage entre la Chancellerie et l’Apij. La procrastination – je maintiens le terme – en découle en grande partie. Les objectifs ne sont pas assez clairs et le cadrage budgétaire est insuffisant. Cette question me paraît essentielle, et sachez que j’y reviendrai à l’occasion de chacun de mes rapports spéciaux.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Je n’ignore pas que Strasbourg n’est pas dans votre circonscription.

D’autre part, vous avez peut-être écrit que la crise sanitaire avait généré des retards d’exécution du plan 15 000, mais cela va mieux en le disant, surtout lorsque l’on est regardés par nos concitoyens.

Enfin, dans la période que vous évoquez, des places de prison ont été construites dans le cadre d’un partenariat public-privé, et elles ont coûté bien plus cher que celles que nous construisons actuellement.

Je peux vous assurer, monsieur le rapporteur spécial, que durant les réunions avec l’Apij, je me montre volontariste, directif, voire caporaliste, l’objectif étant que ces prisons sortent de terre. Ce sera en 2024 le cas de la moitié d’entre elles. Si vous assistiez à ces réunions, je vous assure que vous ne diriez pas qu’il existe des difficultés de pilotage. Je récuse l’accusation de procrastination ; elle est injuste.

M. François Jolivet, président. Merci, monsieur le ministre, et félicitations à notre rapporteur spécial, dont chacun ici connaît le caractère fort et l’énergie qu’il met à défendre ses positions.

La commission autorise, en application de l’article 146, alinéa 3, du Règlement de l’Assemblée nationale, la publication du rapport d’information de M. Patrick Hetzel, rapporteur spécial.

 


([1]) La catégorie des personnes écrouées regroupe les personnes détenues ainsi que les personnes condamnées réalisant leur peine en détention à domicile sous surveillance électronique et les personnes en placement à l’extérieur sans hébergement.

([2]) Loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002 d’orientation et de programmation pour la justice.

([3]) Cour des comptes, La politique immobilière du ministère de la justice, décembre 2017.

([4]) Loi n° 87-432 du 22 juin 1987 relative au service public pénitentiaire.

([5]) Au sein de ces lots, trois lots prennent la forme d’une AOT-LOA et trois lots prennent la forme d’un PPP.

([6]) Cour des comptes, communication à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire de l’Assemblée nationale en application du 2° de l’article 58 de la loi organique relative aux lois de finances, Les partenariats public-privé de l’administration pénitentiaire, octobre 2011.

([7]) CEDH, arrêt Kudla c/ Pologne, 26 octobre 2000 arrêt de la grande chambre.

([8]) CEDH, Mursic c/ Croatie, 20 octobre 2016, arrêt de la grande chambre. Dans cet arrêt, la CEDH exige notamment une surface minimale de trois mètres carrés par détenus placés dans une cellule collective.

([9]) CEDH, 25 avril 2013, Canali c/ France.

([10])  CEDH, arrêt JMB et autres c/ France, 30 janvier 2020.

([11]) MM. Jean-Jacques Hyest et Guy-Pierre Cabanel, rapport de la commission d’enquête sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires en France, 28 juin 2000.

([12]) Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.

([13]) Selon le rapport annexé à la loi de programmation, le développement de ces mesures requérait, sur la période 2018-2022, le recrutement de 1 500 emplois de conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation.

([14]) Article 17 de la loi n° 2012-1558 du 31 décembre 2012 de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017.

([15]) Rapport au Secrétaire général pour l’investissement, Contre-expertise de l’évaluation socio-économique du programme immobilier pénitentiaire de 15 000 places, 14 octobre 2019.

([16]) Plus spécifiquement, 3 951 places brutes ont été ouvertes et 1 510 places ont été fermées.

([17])  Article L. 132-40 du code pénal.

([18])  Loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire.

([19]) Article L. 213-4 du code pénitentiaire.

([20]) Article 190 de la loi n° 2022-1726 du 30 décembre 2022 de finances pour 2023.

([21]) Rapport annuel du contrôleur budgétaire et comptable ministériel relatif à l’exécution budgétaire et à la situation financière et comptable du ministère de la justice, année 2022.

([22]) Rapport remis au Parlement sur l’encellulement individuel, 20 septembre 2016.

([23]) M. Philippe Benassaya, Mme Caroline Abadie, rapport fait au nom de la commission d’enquête visant à identifier les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française, janvier 2022.

([24]) La remise de ces rapports chaque année au Parlement est prévue par l’article 2 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.